La Tradition Du Neoplatonisme Latin Au Moyen Age Et a la Renaissance (Philosophes Medievaux) (French Edition) 9042941294, 9789042941298

La realite d'une ecole neoplatonicienne latine fait debat depuis de nombreuses annees. Les interrogations se bouscu

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French Pages 370 [381] Year 2020

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Table of contents :
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La Tradition Du Neoplatonisme Latin Au Moyen Age Et a la Renaissance (Philosophes Medievaux) (French Edition)
 9042941294, 9789042941298

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PHILOSOPHES MÉDIÉVAUX TOME LXVIII

LA TRADITION DU NÉOPLATONISME LATIN AU MOYEN ÂGE ET À LA RENAISSANCE

Sous la direction d’Alain GALONNIER Avec le concours d’Alice LAMY

LOUVAIN-LA-NEUVE

PEETERS 2020

LA TRADITION DU NÉOPLATONISME LATIN AU MOYEN ÂGE ET À LA RENAISSANCE

PHILOSOPHES MÉDIÉVAUX TOME LXVIII

LA TRADITION DU NÉOPLATONISME LATIN AU MOYEN ÂGE ET À LA RENAISSANCE

Sous la direction d’Alain GALONNIER Avec le concours d’Alice LAMY

ÉDITIONS DE L’INSTITUT SUPÉRIEUR DE PHILOSOPHIE LOUVAIN-LA-NEUVE

PEETERS

LEUVEN - PARIS - BRISTOL, CT

2020

A catalogue record for this book is available from the Library of Congress. No part of this book may be used or reproduced in any form, by print, photoprint, microfilm or any other means without written permission from the publisher. ISBN 978-90-429-4129-8 eISBN 978-90-429-4130-4 D/2020/0602/37 © 2020, Peeters, Bondgenotenlaan 153, B-3000 Leuven

TABLE DES MATIÈRES Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VII Alain Galonnier Introduction Le Néoplatonisme latin au Moyen âge et à la Renaissance . . . . . . 1 Alain Galonnier, Alice Lamy Le Néoplatonisme latin au Moyen Âge Nouvelles perspectives sur le platonisme gnosticisant de Marius Victorinus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 Chiara Ombretta Tommasi Les destinataires païens des Diuinae institutiones de Lactance  : quelle présence du néoplatonisme  ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71 Blandine Colot L’hymne au dieu cosmique dans la latinité tardive  : une synthèse d’éléments (néo)platoniciens  ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89 Jean-Baptiste Guillaumin La descente et la remontée de l’âme humaine chez Macrobe . . . . . 139 Luc Brisson Le «  lieu  » du vrai bonheur dans la Consolatio de Boèce . . . . . . 155 Sophie Van der Meeren L’influence plotinienne sur l’exégèse de la mort d’Abel dans De fide catholica de Boèce . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179 Alain Galonnier L’origine de la tripartition de la philosophie selon les substantiae intellectibiles, intellegibiles et naturales  : dans le premier commentaire de Boèce à l’Isagogè . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195 Min-Jun Huh Existe-t-il un néoplatonisme monastique  ? Références platoniciennes et exercices du cloître au xiie siècle . . . 215 Cédric Giraud

VI

table des matières

L’âme médiévale à l’épreuve du corps  : éléments néoplatoniciens pour une physique de la conversion chez Maître Eckhart . . . . . . . 233 Alice Lamy Le Néoplatonisme Latin à la Renaissance Ficin et le platonicien Pléthon, récupération et trahison . . . . . . . . 249 Brigitte Tambrun La toute-puissance métaphysique ou la naissance du virtuel. Lecture du De possest de Nicolas de Cues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263 Pierre Caye La funzione del neoplatonismo nel De harmonia mundi di Francesco Zorzi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 275 Claudio Moreschini Platon et les Platoniciens dans le De immortalitate animæ de Pomponazzi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 293 Thierry Gontier Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 319 Sources textuelles éditées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 319 Sources anciennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 313 Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 353 Résumés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 367

REMERCIEMENTS ALAIN GALONNIER (CNRS – ENS)

Les textes que voici sont en majorité issus des commu­nications données lors du séminaire intitulé «  La tradition du néoplatonisme latin au Moyen Âge et à la Renaissance  », qui s’est tenu durant les années universitaires 2013-2015 à Paris. Cette manifestation est née de la collaboration d’une entité de l’UMR 8230 du CNRS ou Centre Jean Pépin, de Villejuif, dirigé par Pierre Caye, à savoir THETA (Théories et Histoire de l’Esthétique, du Technique et des Arts – coordonnée par Pierre Caye et Serge Trottein), et d’une équipe associée de l’Université Paris 4 – Panthéon-Sorbonne, l’EA 4081 (Rome et ses renaissances  : art, a­ rchéologie, littérature, philosophie, dirigée à l’époque par Carlos Lévy et Gilles Sauron – Hélène CasanovaRobin ayant depuis succédé à Carlos Lévy). C’est vers eux que vont nos premiers remerciements, pour leur assistance technique et leur financement. Nous assurons aussi de notre reconnaissance Hélène CasanovaRobin elle-même, alors directrice adjointe de l’EA 4081 et co-organisatrice de ce programme, qui nous a permis de bénéficier trois années de suite d’un hébergement par la Maison de la Recherche, dont nous remercions vivement le directeur et le personnel pour leur accueil. Nous sommes également très redevable à Pierre Caye, qui a beaucoup œuvré, par ses suggestions et ses intercessions, au bon déroulement de ces rencontres, et à Alice Lamy, qui nous a secondé aussi efficacement qu’amènement dans la concrétisation du projet et la publication des actes. À ce sujet, il nous faut savoir gré à l’UPS 2259 («  Cultures, Langues, Textes  »), dirigée par Fabrice Jejcic, pour tout le travail de finalisation de la PAO, obligeamment effectué par Isabelle Michel. En outre, ces efforts soutenus n’aurraient point trouvé de concrétisation sans la bienveillance de Jean-Michel Counet, qui a accepté d’accueillir notre volume dans sa collection, et l’aimable agrément des éditions Peeters qui la diffusent. Notre gratitude va enfin à tous les intervenants et à toutes celles et ceux qui les ont écoutés et ont bien voulu engager le débat avec eux.

INTRODUCTION Alain Galonnier (CNRS – ENS)

Alice Lamy

(Lycée Hélène Boucher – EA 4081)

Le Moyen Âge* Sans vouloir présumer de la nature dérivée du néoplatonisme latin, définir ce dernier ne peut se tenter en faisant l’économie d’un essai de caractérisation du néoplatonisme grec. Le néoplatonisme dit originel Survol des principales tendances Sur un plan purement événementiel, le courant du néoplatonisme grec couvre en gros la période s’étendant des années 245 après J.-C. à 650, soit – si l’on ne prend pas en compte Ammonius Saccas (i.e. le Portefaix, m. ca. 250), dont on ne sait presque rien sinon qu’il enseigna à Alexandrie1 –, de Plotin à Stéphane/Étienne, et apparaît très diversifié dans ses tenants et ses aboutissants2. Il commença par donner lieu à deux grandes écoles primitives, sensiblement contemporaines  : celle, privée, de * Nous tenons à remercier chaleureusement Luc Brisson pour avoir relu cette première partie de l’introduction, lecture qu’il a assortie de remarques et de conseils. 1   Rappelons que d’après saint Jérôme (De viris illustribus, LV), Ammonius aurait toujours

été chrétien  :«Ammonius, homme éloquent et extrêmement érudit en philosophie, était à la même époque [celle d’Origène, † ca. 253] tenu pour brillant à Alexandrie. Parmi les nombreux et remarquables monuments de son génie, il a aussi composé un ouvrage très bien écrit sur l’accord de Moïse avec Jésus-Christ, et il a rédigé des canons évangéliques que par la suite Eusèbe de Césarée a suivis. C’est à tort que Porphyre l’accuse d’être passé de chrétien à ethnique [i.e. gentil], alors qu’il est établi qu’il a persévéré jusqu’à la fin dans la vie des ­chrétiens». Sur Ammonius, voir R. Goulet, Dictionnaire des Philosophes antiques I, p. 165-168), qui se fonde sur la Vie de Plotin par Porphyre (3, 10-17) – traduction de L. Brisson, dans Plotin, Traités 51-54, Garnier Flammarion, Paris, 2010, p. 277-278. 2   Voir les L.G Westerink, J. Trouillard et A. Segonds, Prolégomènes à la philosophie de Platon, Introduction, Les Belles Lettres, Paris, 2003.

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Rome – où s’illustrèrent notamment Plotin, qui l’ouvrira vers 246 et la quittera en 269, Porphyre et Jamblique, celui-ci jusqu’aux environs de 313 –, et celle d’Apamée3, où s’établirent des successeurs de Plotin, orientée vers la théurgie – avec l’enseignement entre autres d’Amélius (m. ca. 295), de Sopatros et de Jamblique aussi, à partir de 313 approximativement. De ce dernier cénacle vont ensuite émerger trois structures  : les écoles de Pergame4, d’Athènes et d’Alexandrie. La première, orientée vers la magie, qui eut pour fondateur Aidésius, et aurait accueilli en particulier Priscus (m. 396) et Maxime d’Éphèse, se serait vue suspendue en 331, année de promulgation d’un édit incertain de Constantin 1er ordonnant la destruction des temples païens5, après deux décennies d’exercice environ. Quant aux écoles d’Athènes et d’Alexandrie, elles verront le jour à peu près au même moment, c’est-à-dire aux alentours de 400. Celle d’Athènes, orientée vers la mystique, fondée par Plutarque d’Athènes (m. 432), qui atteignit son apogée avec Proclus et abritera également les enseignements de Syrianus, Damascius et Simplicius de Cilicie (m. ca. 540), sera fermée par Justinien en 529 pour dissidence religieuse, mais renaîtra en partie après l’exil de ce dernier à Harrān6. Quant à l’école d’Alexandrie, orientée vers l’exégèse, où se distinguèrent principalement Hypatie (m. 415), Hiéroclès Platonicus (converti au christianisme), Hermias, Olympiodore et Ammonius Hermeiae, et dont la dernière génération aurait été, elle aussi, chrétienne, avec Philopon, Élias, David l’Arménien et Stéphane/Étienne (m. ca. 630)7, elle disparaîtra plus tardivement, peu après le début de la conquête arabe de 640. Un projet philosophique Loin de rechercher une exhaustivité aussi téméraire qu’illusoire, il vaut à présent de se demander, pour s’efforcer d’approcher la notion de «  néoplatonisme latin  », s’il existe une tendance doctrinale maîtresse du néoplatonisme grec susceptible de le caractériser, dont on estime que le .

  Ancienne ville de la Syrie actuelle, dont il ne subsiste que des ruines.   Ville d’Asie mineure, aujourd’hui Bergama, en Turquie. 5   Cette mesure, sujette à caution, n’est rapportée que par saint Jérôme, dans le supplément (a. 325-369) qu’il donne au Chronicon d’Eusèbe de Césarée, éd. R. Helm, Eusebius Werke, vii/1, Leipzig, J.C. Hinrichs, 1913, p. 233 init., ad an. 331 b). 6  De nos jours, ville de Turquie également. Voir I. Hadot, «  La vie et l’œuvre de Simplicius d’après des sources grecques et arabes  », Simplicius. Sa vie, son œuvre, sa survie, Berlin, De Gruyter, 1987, p. 3-39. 7   Sur ce point, voir, entre autres, M. Papazian, «  David’s Prolegomena and the Questions of Christian Neoplatonism  », Academia.edu 62, September, 10, 2008, 8 p. 3

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INTRODUCTION3

p­ remier dépend dans une très large proportion. Une réponse spontanée revient à égrener un certain nombre de thèmes donnés comme spécifiques et diversement connexes – le statut de la matière, la philosophie de la nature, le primat de l’hénologie, la détermination par étagement des hypostases (Un, Intellect et Âme chez Plotin, Être, Intellect et Vie chez Porphyre), le cycle ontologique manence-procession-conversion, la démiurgie, les rapports entre unité et multiplicité, la communication entre l’humain et le divin… Toutefois, une autre réponse consiste à dégager ce qui est susceptible de présider à cette parcellisation thématique, laquelle s’éparpille encore dans la multiplicité de ses approches, pour essayer de s’en tenir à la considération d’une ligne centralisatrice. C’est ainsi qu’aux yeux de Pierre Hadot, le néoplatonisme natif n’est autre qu’une forme particulière de l’exégèse systématisante de Platon, qui tente de fondre ensemble, comme en un «  tout organique  », diverses formules, parfois contradictoires, disséminées dans l’œuvre platonicien, avec des éléments aristotéliciens et stoïciens8. Quelques années après, Jean Trouillard fit d’une pierre deux coups, en donnant à comprendre que le «  néoplatonisme latin  » n’aurait pour ainsi dire pas existé avant le ixe siècle, dans la mesure où, toujours selon lui, le néoplatonisme grec étant «  la doctrine qui cherche dans la seconde partie du Parménide9 le centre générateur du platonisme  »10 – quête initiée par Plotin et poursuivie jusqu’à Damascius (m. ca. 540) –, il n’aurait ressurgi que chez Jean Scot Érigène, qui «  n’a pas lu le Parménide, mais l’a en quelque sorte réinventé  » par le truchement du Pseudo-Denys l’Aréopagite (ca. 450-ca. 535), dès lors que celui-ci a importé dans sa lecture de la Bible ce qu’il a prélevé précisément dans les principes de ­l’exégèse 8   Voir l’Introduction au recueil Le Néoplatonisme, Actes du colloque de Royaumont, 1969, Paris, Éditions du CNRS, 1971, p. 1-3 – ici 1. Cette conception, précise Hadot, ouvre sur une vision du monde organisée selon quatre principes  : celui d’unité systématisante, celui de transcendance, celui d’immanence et celui de conversion. 9  C’est celle où «  sont examinées les conséquences positives ou négatives qui découlent du fait que l’un est et que l’un n’est pas, pour l’un et pour les autres  », L. Brisson et J.‑P. Benzécri, «  Structure de la seconde partie du Parménide et répartition des vocables  », Les cahiers de l’analyse des données, xiv, 1989/3, p. 117-126 – ici 117. Voir aussi et surtout H.D. Saffrey, « La Théologie platonicienne de Proclus, fruit de l’exégèse du Parménide », Revue de Théologie et de Philosophie, 116, 1984, p. 1- 12 – repris dans Recherches sur le Néoplatonisme après Plotin, Vrin, Paris, 1990, p. 173-183. 10   J.  Trouillard, «  Rencontre du néoplatonisme  », Revue de théologie et de philosophie, 22, 1972, p. 1-13 – ici 9. Cf. Idem  : «  Le néoplatonisme succède au moyen platonisme le jour où les platoniciens se mettent à chercher dans le Parménide le secret de la philosophie de Platon. Ce moment, semble-t-il, c’est Plotin avec sa théorie des 3 un  », «  Le Parménide de Platon et son interprétation néoplatonicienne  », Études néoplatoniciennes, éd. J. Trouillard et alii, Neuchâtel, A. La Baconnière, 1973, p. 9-26 – ici 9.

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néoplatonicienne du Parménide11. Par conséquent, poursuit Trouillard, «  on n’est pas néoplatonicien si on a seulement subi l’influence néoplatonicienne, ni même si on a accueilli certaines thèses néoplatoniciennes, alors qu’on n’a pas conspiré avec l’intuition fondamentale de l’école  »12. Beaucoup de pseudo-néoplatonismes en perspective, singulièrement latins, au moins jusqu’au début de l’ère carolingienne, à l’image du De ordine d’Augustin, ou des Noces de Philologie et de Mercure de Martianus Capella (ca. 360-ca. 430), recueils parsemés d’emprunts au néoplatonisme13, mais dénués de l’intention rectrice. Non moins restrictif, Jacques Flamant voit dans l’entreprise de Macrobe (*ca. 370), surtout avec son Commentaire au Songe de Scipion, qui met en scène ses propres hypostases (Dieu, l’Esprit et l’Âme – i, 6, 20), la première manifestation authentique d’un Néoplatonisme latin et païen, condamnant celui de ses prédécesseurs (Marius Victorinus, Ambroise et Augustin) à n’en révéler qu’un «  avatar  » chrétien14. Au sentiment de Luc Brisson enfin, qui, nous a-t-il confié, donne raison à Hadot, trouvant Trouillard bien trop restrictif et Flamant un peu trop frileux, le Néoplatonisme se caractérise à l’origine par l’établissement de l’UnBien au-delà de l’être et de la pensée, suivis de l’Intellect et de l’Âme. C’est alors que la philosophie de Platon devient théologie scientifique, résultant d’une exégèse de la seconde partie du Parménide, qu’il faut

11  Voir Idem, «  La notion d’analyse chez Jean Scot  », Jean Scot Érigène et l’histoire de la philosophie (colloque du CNRS – 7-12 juillet 1975), Paris, Editions du CNRS, 1977, p. 349-356, et «  Les puissances divines selon Érigène  », Qu’est-ce que Dieu  ? Philosophie-Théologie (Hommage à l’abbé D. Coppieters de Gibson (1929-1983), vol. collectif, Bruxelles, Publications des Facultés Universitaires, 1985, p. 139-152. Cf. E. Corsini, Il trattato De divinis nominibus dello Pseudo-Dionigi e i commenti neoplatonici al Parmenide, Torino, éd. G. Giappichelli, 1962, et Éd. Jeauneau, «  Denys l’Aréopagite, promoteur du néoplatonisme en Occident  », Néoplatonisme et philosophie médiévale, éd. L.G. Benakis, Turnhout, Brepols, 1997, p. 1-23. 12   J.  Trouillard, «  Rencontre du néoplatonisme  », ibid. 13  Voir St. Gersh, Middle platonism and neoplatonism. The latin tradition, ii, Indiana, University of Notre Dame Press, 1986, p. 597-646, et J.‑B. Guillaumin, «  L’encyclopédisme de Martianus Capella  : héritage d’une forme traditionnelle ou nouveauté radicale  ?  », Schedae, 4/1, 2007, p. 45-62, qui montre, entre autres, comment, pour Martianus, le cycle d’études en sept sciences encyclopédiques, d’où sont exclues les plus matérielles, comme la médecine et l’architecture, fonde le processus de l’élévation de l’âme par purification des sens. 14   J. Flamant, Macrobe et le néo-platonisme latin à la fin du ive siècle, Paris, Leiden, Brill, 1977, p. 686-687. Signalons que L. Couloubaritsis situe Tertullien († ca. 227), chez lequel il fait se rencontrer la philosophie grecque platonico-stoïcienne et le christianisme, à l’entame du néoplatonisme chrétien latin – Aux Origines de la pensée européenne. De la pensée archaïque au néoplatonisme, Bruxelles, De Boeck Supérieur, 2003, p. 629 exit.



INTRODUCTION5

mettre en accord avec Pythagore, l’Orphisme et les Oracles chaldaïques15, avant de s’affronter au Christianisme. Des deux premiers jugements affleure une certaine identité de la réflexion néoplatonicienne primordiale, perçue comme cherchant à réaliser, au moyen d’une herméneutique platonicienne, un syncrétisme exégétique fondé sur une méthode dialectique. Pareille synthèse restreint et complique passablement, quoique sans la réduire à néant, toute tentative pour déterminer une forme latine et médiévalo-renaissante de néoplatonisme méritant cette appellation, à laquelle croient néanmoins nombre d’historiens de la philosophie16. C’est pourquoi nous souhaitons argumenter briè­vement pour essayer d’infléchir le côté un peu trop rigide et exclusif de la sentence de Trouillard, nonobstant sa pertinence et sa persistance17, en suggérant que le «  néoplatonisme latin  » ne se ramènerait pas aussi brutalement à une relance hasardeuse tardive, mais se serait constitué beaucoup plus tôt sur d’autres critères, sans toujours manifester cependant, au long de son déploiement, un ordre ou une méthode, selon deux orientations  : la première, par un suivisme strict, inscrit ce courant latin dans le prolongement de l’une des caractéristiques qui viennent d’être énoncées du néoplatonisme qu’il n’est pas redondant d’appeler grec, à savoir la pratique du commentarisme, et la seconde, par un suivisme relatif, la voue à instrumentaliser, au profit de la théologie chrétienne, la mouvance grecque en démarquant quelques-uns de ses contenus de pensée. Le néoplatonisme latin Un renouveau platonicien inaccessible Il s’avère en effet difficile, et pour tout dire impossible, d’émanciper le courant présumé latin du néoplatonisme de la tutelle du courant grec, 15   Voir l’Introduction à la Théologie Platonicienne de Proclus, dans H.D. Saffrey et L.G. Westerink, I, 1, Belles Lettres, Paris, 1968.

16   Voir, entre autres, J. Marenbon, Early Medieval Philosophy (480-1150), London/ New York, Routledge, 1988, p. 8-12  : «  Plotinus, Porphyry and Latin Neoplatonism  », et St. Gersh, «  The First Principles of Latin Neoplatonism: Augustine, Macrobius, Boethius, Vivarium, 50, 2, 2012, p. 113-138. 17   Voir  : «  [Chez Plotin] le Parménide de Platon devient…, il le restera pour tous les représentants du néoplatonisme, le dialogue de référence de l’exégèse platonicienne, dont on peut dire qu’elle se présente unanimement comme une explication de la manière dont toutes choses procèdent du Premier. Le dispositif doctrinal plotinien se met ainsi en place au croisement de la lecture, ou plutôt de la révision médioplatonicienne du Timée, dont il est l’héritier, et d’un usage inédit du Parménide  », dans Plotin, Traités 1-6, Introduction par L. Brisson et alii, Paris, Garnier-Flammarion, 2002, p. 25.

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attendu que le sens obvie que pourrait revêtir la notion de «  néoplatonisme latin  » comme tentative de retour direct et autonome à Platon et à son enseignement, ainsi qu’il en sera à la Renaissance, ne résiste pas très longtemps à l’examen de l’état de ce qu’il est convenu d’appeler le Plato Latinus dans l’Antiquité romaine et la basse Antiquité, fonds duquel vont hériter les médiévaux, et qu’ils n’augmenteront que fort modestement. Un rappel n’aura rien de superfétatoire. Au cours du dernier siècle avant Jésus-Christ, si l’on en juge par ce qui s’est perpétué, Cicéron (106-43), qui devait disposer du corpus platonicien original18, a latinisé pour lui-même un passage étendu du Timée19, des extraits du Protagoras20 et tout ou partie de la Lettre vii21, et a dispersé par ailleurs dans ses ouvrages différentes bribes traduites du Phèdre, de la République, dont il se montre bon connaisseur en son De republica, des Lois, de l’Apologie de Socrate, du Phédon, du Gorgias et du Ménexène22, un capital textuel qui ne fut exploitable pour les penseurs ultérieurs qu’en proportion, quelquefois quasi inexistante, de l’information divulguée. Au siècle d’après, bien que les Lettres à Lucilius de Sénèque (m. 65 p. Ch.) renferment plusieurs évocations, souvent sous forme de paraphrases, d’ouvrages de Platon, leur rédacteur n’en cite des aperçus latinisés que dans trois seulement23. Vers le milieu du deuxième siècle après Jésus-Christ, Apulée de Madaure (*ca. 123), selon Sidoine Apollinaire (*430)24 confirmé par Priscien de Césarée (*ca. 470)25, aurait traduit le Phédon, et son De Platone et eius dogmate fait apparaître en outre qu’il n’ignorait pas le 18   Il était surnommé «  Platonis aemulus  » par Quintilien (De institutione oratoria, x, 1, 108). Voir H.F. Altman William, The Revival of Platonism in Cicero’s Late Philosophy, Lanham, Lexington Books, 2016, p. xvi  : «  Cicero’s knowledge of Plato was both broad and deep  ». 19   De 27d à 47b (le dialogue s’étendant de 17a à 92c), avec deux lacunes  : 37c-38c et 43b-46a – éd. R. Giomini, Leipzig, B. G. Teubner Verlagsgesellschaft, 1975. 20   Quatre ont survécu chez Donat (1) et Priscien de Césarée (3), édités par J.G. Baiter et C.L. Kaiser, M. Tullii Ciceronis opera quae supersunt omnia, xi, Lipsiae, 1869, p. 54-55. 21   D’après Leonardo Bruni traduisant le même document. Voir H. Baron, Leonardo Bruni Aretino. Humanistisch-philosophische Schriften, Leipzig, B. G. Teubner, 1928, et W. Olszaniec, «  Two Latin Translations of a Passage of Plato’s “Letters”  », Acta Antiqua, 42/1-4, 2002, p. 141-146. 22   Voir M. Puelma, «  Cicero als Plato-Übersetzer  », Museum Helveticum, 37, 1980, p. 137-178, et M. Lemoine, «  La tradition indirecte du Platon latin  », The Medieval Translators, éd. R. Ellis & R. Tixier, Turnhout, Brepols, 1993, p. 337-346. 23  Voir Lettres à Lucilius, v, 44, vi, 55 et vii, 68, éd. Fr. Préchac, 6 vol. Paris, Les Belles Lettres, 1945-1964. 24  Voir Epistolae, ii, 9, à Donidius, éd. A. Loyen, Paris, Les Belles Lettres, 1970. 25  Voir Institutiones grammaticales, éd. M. Hertz, Grammatici Latini (dir. H. Keil), 2 vol., Leipzig, B.G. Teubner, 1855 et 1859, x, 3, 19.



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Théétète26 et la République27  ; mais aucune citation littérale n’en est fournie. Au même moment, l’hellénophone Aulu-Gelle (ca. 130-ca. 190) ne se montre pas enclin, dans ses Nuits Attiques, à traduire les quatre fragments de dialogues qu’il reproduit – ce qu’il ne fera qu’une seule fois28 – et dont il est indubitablement familier pour avoir résidé plusieurs années à Athènes, où il a suivi l’enseignement du platonicien Taurus29. Puis vint Tertullien (ca. 155-ca. 227), qui, en son De anima, fit intervenir les Lois, le Phèdre, la République, le Timée, et peut-être le Philèbe30. Recourait-il en cela à une chrestomatie regroupant des échantillons plus ou moins importants de textes de Platon, sorte de vulgate platonicienne en circulation  ? L’hypothèse n’a rien d’absurde, attendu que quelques décennies plus tard Arnobe de Sicca, dit aussi l’Ancien († ca. 304), essaimera dans son Adversus Nationes plusieurs éléments en latin des mêmes écrits ou presque, à savoir du Timée, du Phédon, du Théétète, de la République et du Politique31, qu’il n’aurait connu que de deuxième main, et que son élève Lactance († ca. 325) procèdera pareillement avec les Lois, le Phédon, le Phèdre, la République et le Timée32. Voilà à peu près tout ce qu’avaient à leur disposition les premiers penseurs du Moyen Âge – si l’on fait débuter, de manière inévitablement arbitraire, l’ère médiévale à Marius Victorinus († ca. 365) –, qu’ils aient été latinophones ou hellénophones, ceux-ci, à quelques exceptions près, ne se trouvant pas réellement avantagés en raison de l’inaccessibilité probable et inexpliquée de la plupart des ouvrages de Platon, quant à l’intégralité de chacun du moins, que Cicéron aurait pourtant eu à sa disposition33. Les célèbres Libri Platonicorum signalés

 Voir De dogmate Platonis, lib. iii, éd. J. Beaujeu, Paris, Les Belles Lettres, 1973.   Quelques autres bribes de la République avaient été ou seront traduites par Valère Maxime (s. i p. Ch.), Arnobe de Sicca, Jérôme et Calcidius – voir G. Boter, The Textual Tradition of Plato’s Republic, Leiden, Brill, 1989. 28  Voir Nuits Attiques, en grec  :  vi, 13 (Parménide), vi, 14 et x, 22 (Gorgias), en latin  :  xvii, 20 (Banquet), éd. R. Marache et Y. Julien, 4 vol., Paris, Les Belles Lettres, 1967-1998. 29   Outre ceux mentionnés, il évoque le Phèdre, le Protagoras, la République, le Timée et les Lois. Sur Taurus, voir F.M. Petrucci, Taurus of Beirut. The other side of MiddlePlatonism, Routledge, London & New York, 2018. 30   Voir J.H. Waszink, Quinti Septimi Florentis Tertulliani De Anima, Leiden/Boston, Brill, 2010, p. 41-42. 31  Voir Adversus Nationes, éd. C. Marchesi, Torino, 1934. Cf. Fr. Gabarrou, Arnobe. Son œuvre, Paris, Champion, 1921, p. 23-27. 32   Voir M. Perrin, «  Le Platon de Lactance  », Lactance et son temps, éd. J. Fontaine et M. Perrin, Paris, Beauchesnes, 1978, p. 203-234. 33   Il semblerait qu’en un demi-siècle (entre Lactance et Marius Victorinus), le corpus platonicien devint beaucoup moins accessible à l’Occident latin, et ce dans une très importante proportion. 26 27

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par Augustin34, qui purent consister en une latinisation, par Marius Victorinus, éventuellement commentée, soit d’extraits d’écrits néoplatoniciens, pour l’essentiel de Porphyre, soit du De philosophia d’Aristote35, témoignent d’une œuvre platonicienne qui se dérobe. Car Victorinus lui-même, qui n’aurait connu le Parménide que par le commentaire de Porphyre à ce dialogue36, pouvait-il connaître du reste de l’œuvre de Platon davantage que ce qu’en avait rendu disponible Cicéron, dont il commenta le De inventione  ? Assurément, si l’on s’en remet à Pierre Hadot, selon qui l’Ad Candidum et l’Adversus Arium trahissent une inspiration pétrie de références muettes à maints ouvrages platoniciens (surtout le Sophiste, ainsi que le Banquet, les Lettres, les Lois, le Phédon, le Phèdre, le Philèbe, la République, et le Timée)37. Mais, dans ce cas, comment expliquer qu’Augustin ne dut disposer guère plus que du Timée cicéronien et du Phédon apuléen38  ? Un léger progrès dans l’étoffement du Plato latinus est à enregistrer avec son contemporain Calcidius (fl. 350-400), qui, environ quatre siècles après Cicéron, traduit et commente approximativement la première moitié du Timée39, donc un peu plus que le pan textuel cicéronien. Par ailleurs, son commentaire procède à des citations éparses d’une quinzaine d’autres dialogues40. Moins d’un demi-siècle après, dans Les noces de Philologie et de Mercure, Martianus Capella, surnommé «  Martianus Platonicus  » par Jean Scot Érigène41, évoque, au livre iv qui concerne la dialectique, le Parménide (iv, § 330), et au livre viii, qui porte sur l’astronomie, le Timée (viii, § 803), avec également une allusion à l’unité de temps qu’est la «  grande année  » (viii, § 868), dite «  parfaite  », empruntée au  Voir Confessions, vii, xx, 26.   Cette dernière conjecture est celle de Françoise Hudry, Le Livre des xxiv philosophes. Résurgence d’un texte du ive siècle, Paris, Vrin, 2009. 36   Voir P. Hadot, Porphyre et Marius Victorinus, 2 vol., Paris, Études Augustiniennes, 1968. 37  Voir Marius Victorinus. Traités théologiques sur la Trinité, 2 vol., Paris, Cerf, 1960, et Marius Victorinus. Recherches sur sa vie et son œuvre, Paris, 1971. Cf. St.A. Cooper, «  The Platonist Christianity of Marius Victorinus  », Plato among the Christians, dir. J. Warren Smith, a special issue of Religions, 7/10, 2016 (en ligne). 38   Voir G. Rachet, «  Saint Augustin et les Libri Platonicorum  », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 1963/1, p. 337-347. 39  De 17a à 53c. Éd. B. Bakhouche, Calcidius. Commentaire au Timée de Platon, 2 vol., Paris, Vrin, 2011. 40   Du moins selon J.H. Waszink, Timaeus a Calcidio translatus commentarioque instructus, London/Leiden, Brill, 1962. Bakhouche (voir n. précédente) n’en mentionne que cinq, provenant du Phèdre et de la République. 41  Voir Iohannis Scotti Annotationes in Marcianum, I, éd. C.E. Lutz, Cambridge (Mass.), Medieval Academy of America, 1939, p. 22, 29 et 10, 35. 34

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même dialogue (39d). L’accès à ce dernier écrit sera un peu élargi, à peine plus tard, avec Macrobe (ca. 385-ca. 460), qui, tout en reprenant la version de Calcidius42, en traduira quelques passages supplé­ mentaires43, et éparpillera dans ses ouvrages les fragments traduits d’une demi-douzaine de dialogues différents44. On devra ensuite attendre plus de cinquante ans pour qu’un dessein unique, sans doute trop ambitieux, voit le jour  : Boèce assure, dans son second commentaire au De interpretatione d’Aristote45, vouloir mettre à la portée des Latins les ouvrages de Platon et ceux d’Aristote qu’il pourra se procurer, afin de montrer en particulier, sur de nombreux points d’après lui, l’accord de leur doctrine respective. Mais, présumant de beaucoup des ressources textuelles, aucune traduction d’ouvrages de Platon, même fragmentaire, ne nous est parvenue. Il faut se rabattre, dans la Consolatio Philosophiae pour l’essentiel, premièrement sur quelques conceptions du Timée au Chant iii, ix, à l’emprunt clairement revendiqué46, qui toutefois n’excèdent pas en apparence celles que véhiculaient les extraits latinisés par Calcidius, deuxièmement sur l’application d’une théorie du ressouvenir, allusion poétique à celle de la réminiscence dans le Ménon et le Phédon, et troisièmement sur plusieurs développements inspirés indirectement, c’est-à-dire par l’inter­médiaire d’un commentaire, du Gorgias47. En-dehors de cela, nous n’avons point d’autres témoignages textuels importants, pas même la trace d’une traduction entamée d’un dialogue platonicien – sauf à voir dans quelques passages du Chant iii, ix les indices d’une version du Timée. Boèce semble s’être tout bonnement heurté à l’impossibilité de se pourvoir en textes, bien qu’un destin trop tôt brisé a sans doute joué également. Toujours est-il que l’on devra patienter jusqu’au milieu du xiie siècle pour voir Henri Aristippe «  retraduire  » le Phédon48 et traduire le Ménon49, cette interruption de six siècles constituant un fait unique dans l’histoire des   Voir Waszinck, op. cit. supra, Préface.   Voir J. Flamant, op. cit. supra, n. 13, notamment p. 364. 44   Voir principalement Saturnales, éd. N. Marinone, Turino, 1967, et Commentarium in Ciceronis Somnium Scipionis, éd. M. Armisen-Marchetti, Paris, 2001. 45  Voir infra, p. 21. 46   «  In Timaeo Platoni… nostro  », Consolatio, iii, 9, 32, éd. G. Weinberger, Vindobonae/Lipsiae, B.G. Teubner, 1934. 47  Voir principalement F. Klingner, De Boethii consolatione philosophiae, Berlin, Weidmannsche Buchhandlung, 1921, notamment p. 85 sqq. 48   Éd. L. Minio-Paluello, Plato Latinus, dir. R. Klibanski, ii, London, Warburg Institute, 1950. 49   Éd. V. Kordeuter, Plato Latinus, dir. R. Klibanski, I, London, 1940. La traduction, littérale jusque dans l’ordre des mots, est souvent incompréhensible. 42 43

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t­ raductions gréco-latines. Enfin, au xiiie siècle, Guillaume de Moerbeke († 1286) entreprend de latiniser le Commentaire de Proclus au Parménide, qui reproduit sous forme de lemmes le texte de Platon  ; mais la mort l’empêche d’aller plus loin que la première hypothèse (142a, le dialogue courant de 126a à 166c)50. Au total, sur onze siècles, deux compositions complètes de Platon (Phédon et Ménon) et deux connues en partie seulement (Timée et Parménide), ainsi que d’innombrables extraits d’autres, sont devenus accessibles aux Latins, et ce de manière très progressive. Par conséquent, il n’y a rien de hasardeux à penser que ce maigre patrimoine intellectuel, qui plus est fort dilué et éclaté, ne permit point à un néoplatonisme latin conjecturé, à aucun moment de son évolution, de construire une quelconque doctrine reposant sur un rapport immédiat aux dialogues platoniciens, indépendamment de leurs devanciers et contemporains grecs, qui, eux, les avaient tous à disposition. Dès lors, on en vient à envisager que si néoplatonisme latin il y eut, il ne peut qu’avoir pris le tour d’une réflexion élaborée à l’ombre de la matrice hellène, au fur et à mesure de sa constitution, dont il dépendait amplement pour accéder au corpus platonicien. Une subordination que ne démentira pas la tradition semi-indirecte de la littérature glossatique, qui, si elle permit d’éclairer plus ou moins les thèses parfois obscures de Platon, n’augmenta point la ressource disponible. Ce sera le cas, pour n’en citer que trois portant sur le Timée, des Glosae super Platonem, celles attribuées à Bernard de Chartres (ca. 1075ca. 1126)51, et celles de son disciple Guillaume de Conches (ca. 1085ca. 1155)52, qui offrent en outre un résumé des doctrines de la République et du Critias, et de l’Apparatus super Thimeum Platonis, sans nom d’auteur, que renferme un manuscrit de Salamanque du xive siècle53. Mais ils ne permirent en rien de grossir le fonds calcidien. De là, notre hypothèse concernant deux types de suivisme, constitutif d’un néoplatonisme latin.

50   Éd. C. Labowsky, Plato Latinus, dir. R. Klibanski, iii, London, 1953. Voir Robert Brumbaugh, «  A Latin Translation of Plato’s Parmenides  », The Review of Metaphysics, 14, 1, 1960, p. 91-109. 51  Éd. P. Dutton, The Glosae super Platonem of Bernard of Chartres, Turnhout, ­Brepols, 1991. 52   Éd. É. Jeauneau, Guillaume de Conches. Glosae super Platonem, Paris, Vrin, 1965. 53   L’écrit, qui consiste en une lecture, d’inspiration surtout calcidienne, de Timée 17a46d, est simplement signalé par Guy Beaujouan, Manuscrits scientifiques médiévaux de l’Université de salamanque et de ses «  Colegios mayores  », Bordeaux, Féret, 1962, p. 143  ; il reste inédit dans sa majeure partie.



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Le suivisme Le commentarisme La forme stricte s’est manifestée principalement dans ce que l’on appelle le commentarisme, ou pratique codifiée du com­mentaire, de type néoplatonicien, qui offre lui-même deux versants. Le premier se définit non pas tellement dans le sillage de l’objectif cardinal du néoplatonisme grec auquel nous a sensibilisé Trouillard, mais surtout eu égard à sa double finalité péda­gogique  : réglementer à la fois l’approche des philosophies d’Aristote et de Platon en général – la première préparant à la seconde – et l’accès aux grandes étapes des études philosophiques, qui débutaient obligatoirement par l’examen, après une intro­duction à la philosophie, de l’Isagogè de Porphyre et des Catégories d’Aristote54. Il s’agissait alors, par la lecture d’un texte sous la conduite d’un maître, de faire apparaître comment chacun est dépositaire d’un fragment de rationalité qui le rend participant de l’universalité de la raison divine. Cet enjeu ultime explique pourquoi, parmi les orientations doctrinales qui se développèrent très tôt dans le néoplatonisme, à savoir dès Porphyre (m. ca. 305), celle du commentarisme platonico-aristotélicien tint lieu d’axe directeur, d’autant mieux qu’il était presque toujours finalisé par le second versant, sur lequel nous reviendrons, celui de l’harmo­nisation des deux univers de pensée dans ce qu’ils ont chacun de fondamental55. Les recherches d’Ilsetraut Hadot, entre autres, ont permis d’établir qu’il existait des schémas introductifs néopla­toniciens appliqués au déchiffrement de nombreux traités de Platon et d’Aristote, dont une série comportait de 6 à 8 points d’exégèse (κεφάλαια), quand une autre en imposait 1056. 54   Voir notamment I. Hadot, «  Les introductions aux commentaires exégétiques chez les auteurs néoplatoniciens et les auteurs chrétiens  », Les règles de l’interprétation, M. Tardieu, Paris, Cerf, 1987, p. 99-122, et Fr. Renaud, «  Perspective pédagogique et exégèse de l’implicite chez les néoplatoniciens tardifs  : le cas d’Olympiodore d’Alexandrie  », Perspectives sur le néoplatonisme, éd. M. Achard, W. Hankey & J.‑M. Narbonne, Laval, Presses de l’Université de Laval, 2009, p. 137-152. 55   Voir Marc-Antoine Gavray, «  L’harmonie des doctrines dans le néoplatonisme tardif. Platon et Aristote chez Simplicius  », Annuaire de l’École Pratique des Hautes Études, 120, 2013, p. 83-90. Voir également P. Aubenque, «  Sur la naissance de la doctrine pseudo-aristotélicienne de l’analogie de l’être  », Les Études philosophiques, 1989, 3/4, p. 291-304, à propos de la déformation subie par la doctrine d’Aristote en raison de sa platonisation à laquelle a conduit le commentarisme néoplatonicien. 56   Sur le programme à 10 points, voir la présentation développée qu’en fait Simplicius, dans le Prologue à son commentaire aux Catégories d’Aristote, In Aristotelis Categorias commentarium, éd. K. Kalbfleisch, Commentaria in aristotelem graeca (CAG),

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Sous ce rapport, il serait tentant mais risqué de faire apparaître Marius Victorinus comme le premier commentariste néoplatonicien de langue latine, dans la mesure non seulement où sa traduction de l’Isagogè porphyrien parvenue jusqu’à nous n’est pas glosée et semble ne pas l’avoir été, mais aussi où ses versions des Catégories et du Peri hermeneias d’Aristote, qui de surcroît paraissent aussi dénuées de commentaire, ne sont que présumées sur les seules indications de Cassiodore57. Ce rôle de pionnier convient davantage à Boèce, d’autant plus qu’il a explicitement centré son commentarisme sur le thème de l’harmonie, voire de la «  symphonie  »58 entre les philosophies de Platon et d’Aristote, déjà mentionnée cependant, chez les Latins, par l’évêque d’Hippone59. Car le programme boécien, en partie concrétisé, prévoyait de traduire les ouvrages de l’un et l’autre ­penseurs, en vue de faire apparaître dans l’exégèse les points essentiels sur lesquels ils se rencontrent, avec pour horizon éthique de faciliter l’acquisition de la sagesse, telle quelle sera définie dans le commentaire mineur à l’Isagogè60. Le détail des réalisations ne dément pas ce statut. On possède effectivement de Boèce une traduction commentée des Catégories sur les deux rédigées61, la première étant destinée aux lecteurs débutants et la seconde à ceux plus avancés62, exactement à viii, Berlin, Reimer, 1907, p. 1-9. Cf. Ph. Hoffmann, Simplicius. Commentaire sur les Catégories, première partie, Leyde, Brill, 1990. 57  Voir Institutiones, ii, 3, 18, éd. R.A.B. Mynors, Oxford, 1937, p. 128, 14  ; cf. P. Hadot, Marius Victorinus. Recherches sur sa vie et ses œuvres, Paris, Études Augustiniennes, 1971, p. 108-113. 58   Le terme (συνϕωνία) est utilisé par Simplicius pour désigner cette même convenance platonico-aristotélicienne dans son In Aristotelis Categorias commentarium, éd. cit. supra, n. 54. 59  Voir Contra Academicos, iii, 19, 42  : «  Quant ce qui touche à l’érudition, à la science et aux mœurs par lesquelles on façonne l’âme, il ne manque pas d’hommes très pénétrants et habiles à juger qui, dans leurs débats, ont enseigné qu’Aristote et Platon étaient à ce point en harmonie entre eux qu’ils paraissent en désaccord aux seuls incapables et aux moins attentifs  ». 60  «  L’amour de la sagesse est… l’illumination de l’esprit intelligent par la pure Sagesse et en quelque façon un retour et un appel à elle-même, au point qu’il semble que l’étude de la Sagesse soit l’étude de la divinité et l’amitié de son pur esprit. Par conséquent, cette Sagesse confère évidemment au genre des âmes tout entier la valeur de sa divinité et ramène au fondement propre et à la pureté de sa nature  » In Isagogen ia, i, 3, éd. G. Schepss-S. Brandt, Vindobonae-Lipsiae, 1906, p. 7, 16-22. 61  Le second commentaire est annoncé dans le premier (Patrologia Latina, lxiv, col. 160A). Voir P. Hadot, «  Un fragment du commentaire perdu de Boèce sur les Catégories d’Aristote dans le codex Bernensis 363  », Archives d’histoire doctrinale et littéraire de Moyen Âge, 26, 1959, p. 11-27. 62  L’observance de cette dimension éducative aurait marqué l’œuvre de Boèce au point que pour Michaël Chase, dans la Consolation de Philosophie l’auteur montre comment l’étude du curriculum philosophique néoplatonicien peut conduire l’étudiant sur le



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l’imitation de ce que fit Porphyre avec son In Aristotelis Categorias expositio per interrogationem et responsionem63 d’une part, et son Ad Gedalium64 de l’autre, qui tient lieu de commentaire majeur aux ­Catégories. Il en fut de même pour les deux traductions commentées du De interpretatione, poursuivant la même double visée, bien que l’on ait perdu les deux commentaires probables de Porphyre à ce traité65. Est-ce suffisant pour parler d’une amorce de tradition commentariste néoplatoni­ cienne latine, qui se prolongerait notamment avec Guillaume de ­Champeaux († 1121) glosant l’Isagogè66, les Catégories et le De interpretatione67, ­Abélard († 1142) commentant à son tour les mêmes traités68 – l’un et l’autre étant à ce moment-là engagés dans ce que l’on a appelé la querelle des universaux69 –, Thomas d’Aquin († 1274) glosant aussi et entre autres le De interpretatione70 – en convoquant Boèce et Ammonius, dont le propre commentaire avait été traduit par Guillaume de Moerbeke en 126871 –, ou encore Gauthier Burley († 1344) commentant les Catégories et le De interpretatione72  ? Il est permis de l’envisager, quoique hasarder chemin du salut en faisant émerger et en développant ses idées innées («  Time and Eternity from Plotinus and Boethius to Einstein  »), Schole. Ancient Philosophy and the Classical Tradition, 8, 1, 2014, p. 67-110. 63   Éd. A. Busse, CAG, iv, 1, Berlin, Reimer, 1887, p. 55-142. 64  Éd. A. Smith, Porphyrii Philosophi Fragmenta, Leipzig/Stuttgart, B.G. Teubner, 1993, fragments 45-74. 65  Boèce fait de nombreuses fois référence à un commentaire de Porphyre dans son propre commentaire majeur au De interpretatione, et Ammonius pareillement dans le seul que nous possédions de sa main, ces deux compositions ayant fourni la majorité des fragments porphyriens afférents à cet écrit regroupés par Smith (op. cit., n. précédente – fragments 75-110). 66  Voir Super Porphyrium, sous le nom de Pseudo-Rabanus, éd. Y. Iwakuma, Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 75, 2008, p. 43-196. 67   Voir Y. Iwakuma, «  Pierre Abélard et Guillaume de Champeaux dans les premières années du xiie siècle  : une étude préliminaire  », J. Biard (éd.), Langage, sciences, philosophie au xiie siècle, Vrin, Paris, 1999, p. 93-123. 68  Voir Glossae super Porphyrium, i, éd. B. Geyer, Peter Abaelards Philosophischen Schriften, I.‑W. Münster, Aschendorff, 1919-1923, Glossae in Categorias, Pietro Abelardo. Scritti Di Logica, éd. Mario Dal Pra, Firenze, La Nuova Italia, 1969, p. 43-68, et Editio Super Aristotelem De Interpretatione, Id., ibid., p. 69-154. 69  Voir infra, p. 28. 70   L’ouvrage n’est disponible que jusqu’à la lectio 2 du livre ii. Voir Expositio libri Peryermeneias, éd. R.‑A. Gauthier, Commissio Leonina, Paris, Cerf, 1989. 71   Voir G. Verbeke, «  Ammonius et saint Thomas. Deux commentaires sur le Peri Hermeneias d’Aristote  », Revue Philosophique de Louvain, 54, 42, 1956, p. 228-253. 72  Voir Tractatus super librum Praedicamentorum, éd. en ligne d’Alessandro di Conti, et Commentarius in librum Perihermeneias (dit «  Commentaire moyen  »), éd. S.F. Brown, Franciscan Studies, 33, 1973, p. 45-134. Burley composa également sur ce dernier traité aristotélicien des Quaestiones et une Expositio, laquelle est une partie de son Expositio super artem veterem Porphyrii et Aristotelis. Selon De Libera (La querelle des univer-

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une réponse autorisée supposerait que bien des points aient été à chaque fois vérifiés et discutés, entre autres de s’être assuré que l’optique pédagogique en vue d’une participation du divin, qui reste essentielle dans la démarche du néoplatonisme grec, a vraiment sa place chez les successeurs de Boèce73. On serait également en droit d’objecter que ce commen­ tarisme d’expression latine n’a fait que démarquer – c’est particu­lièrement sensible dans le cas de Boèce eu égard à Porphyre74 — les glossateurs grecs. Mais son contemporain Ammonius – pour ne mentionner que lui – n’a-t-il pas fait de même relativement à Porphyre de nouveau, si bien que Pierre Courcelle en fit la source immédiate de Boèce75  ? Le syncrétisme platonico-aristotélicien Les conditions évoluent-elles si l’on aborde à présent le second versant du commentarisme – les deux versants étant rarement dissociés – à savoir le thème déjà évoqué de la corres­pondance entre les philosophies de Platon et d’Aristote76  ? Il semble que l’on doive tout d’abord observer une certaine évolution dans cette question. En un premier temps, à en croire Varron77, le platonicien Antiochus d’Ascalon (s. I a. Ch.), qui marque la fin de la Nouvelle Académie, prôna l’absence de différence entre les systèmes de Platon et d’Aristote. Cela deviendra même un axiome chez les néoplatoniciens dans un système hiérachique : Aristote pour la logique et la physique, Platon pour la métaphysique. Puis, aux saux  : de Platon à la fin du Moyen Age, Paris, Seuil, 1996, p. 35-36), le commentaire à l’Isagoge que contient cette Expositio illustre la fonction heuristique du programme néoplatonicien que met en œuvre l’Isagoge. 73   On notera qu’Abélard, dans ses Glossae super Porphyrium, consacre un très succinct paragraphe à essayer d’accorder Platon et Aristote – éd. citée supra, n. 66, p. 24, 14-24. 74   Voir J. Bidez, «  Boèce et Porphyre  », Revue belge de philosophie et d’histoire, ii, 1923, p. 189-201. 75   Voir P. Courcelle, «  Boèce et l’école d’Alexandrie  », Mélanges d’archéologie et d’histoire, 52/1, 1935, p. 185-223. Il convient d’être prudent avec cette thèse, sachant que bien qu’une génération sépare Ammonius (ca. 440-ca. 520) de Boèce (ca. 480-ca. 524), il n’est pas certain que le commentaire du premier ait été rédigé avant celui du second. 76   Voir Simplicius, In Aristotelis Categorias commentarium, éd. K. Kalbfleisch, CAG, viii, Berlin, 1907, p. 7, 23-32. Cf. G. Karamanolis, Plato and Aristotle in Agreement? Platonists on Aristotle from Antiochus to Porphyry, Oxford, Oxford University Press, 2006, et P. Hadot, «  The Harmony of Plotinus and Aristotle according to Porphyry  », Aristotle Transformed. The Ancient Commentators and Their Influence, éd. R. Sorabji, London, Bloomsbury, 1990, p. 125-140. 77   D’après Cicéron, rapportant le discours de Varron sur la position d’Antiochus, Academica, ii, iv  : «  Nihil… inter Peripateticos et illam veterem Academiam differebat  ».



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dires d’Eusèbe de Césarée78, le médioplatonicien Atticus (s. ii p. Ch.) argumenta sur l’absence d’unanimité entre les deux philosophies touchant les grandes questions, telles que le bien ultime, la providence ou l’âme, peu avant qu’Alexandre d’Aphrodise (ca. 150-ca. 215) ne renverse la perspective en travaillant à leur conciliation. Vint ensuite, selon Hiéroclès79, Ammonius Saccas, qui aurait œuvré dans le même sens, avant que Porphyre ne plaide pour une véritable identité doctrinale80. La Souda (s. v. «  Πορϕύριος  ») lui prête effectivement la rédaction d’un traité intitulé Sur la seule et unique école de Platon et d’Aristote, trahissant ainsi une conviction qui sera partagée par Proclus, tandis qu’Élias81 le dit rédacteur d’un autre écrit appelé Sur l’écart entre Platon et Aristote, à Chrysaorios. Cet objectif anima durablement le néopla­tonisme grec, puisque Simplicius (ca. 470-ca. 560), le dernier représentant de l’école d’Athènes, recommandera à tout «  digne exégète  » de ne pas s’en tenir à la lettre sur tous les points où Aristote contredit Platon, ni de croire à un réel désaccord entre eux, mais d’aller au fond de chaque pensée dans le but de montrer leur entente sur la plupart de ces points82. Quoique ce concordisme platonico-aristotélicien ait été connu d’Augustin83, c’est de nouveau à Boèce que l’on doit sa première thématisation parmi les Latins, puisque son programme, nous l’avons vu, prévoyait explicitement de traduire les ouvrages de l’un et l’autre penseurs afin de faire émerger les points essentiels sur lesquels ils se rencontrent84. Autant que nous  Voir Préparation évangélique, xv, 4-9.   Voir Hiéroclès d’Alexandrie, Traité sur la providence et la destinée, ap. Photius, Bibliothèque, éd. R. Henry, iii, Paris, Les Belles Lettres, 1962, p. 125. 80  Voir R. Bodéüs, Porphyre. Commentaire aux Catégories d’Aristote, Paris, 2008, p. 8-10. Cf. P. Hadot, «  L’Harmonie des philosophies de Plotin et d’Aristote selon Porphyre dans le commentaire de Dexippe sur les Catégories  », Plotino e il Neoplatonismo in Oriente e in Occidente, Roma, Academia Nazionale di Lincei, 1974, p. 31-47. On lira aussi les mises au point de Chiesa Curzio, «  Porphyre et le problème de la substance des Catégories  », Les Catégories et leur histoire, éd. O. Bruun & L. Corti, Paris, Vrin, 2005, p. 81-101. 81   Voir ses In Porphyrii Isagogen et Aristotelis Categorias commentaria, éd. A. Busse, CAG, xviii/1, Berlin, Reimer, 1900, p. 39, 6. 82  Voir Simplicius, In Aristotelis Categorias commentarium, éd. cit. supra, n. 74, 29-32. 83   Voir son Contra Academicos, iii, xix, 42  : «  Quant à ce qui touche à l’érudition, à la science et aux mœurs par lesquelles on façonne l’âme, il ne manque pas d’hommes très pénétrants et habiles à juger qui, dans leurs débats, ont enseigné qu’Aristote et Platon étaient à ce point en harmonie entre eux qu’ils paraissent en désaccord aux seuls incapables et aux moins attentifs  ». 84  «  Une fois parcourues, je ne négligerai certainement pas d’amener à concorde (revocare concordiam) les doctrines de Platon et d’Aristote, et je démontrerai qu’ils ne s’opposent pas en tout, comme la plupart le pense, mais qu’ils s’accordent sur un très 78 79

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sachions, nul autre auteur latin, ni avant ni après Boèce, n’a jamais formulé explicitement un tel programme, dont l’idée centrale marquera en profondeur beaucoup de ses ouvrages. Bien ultérieurement, en effet, Pierre d’Ailly († 1420) tentera, dans son commentaire sur la Consolatio Philosophiae, d’établir un tel syncrétisme à partir de la question de la cause finale85. La théologie comme science De son côté, et si nous continuons d’adopter notre hypothèse de travail, le suivisme que nous avons qualifié de relatif fait intervenir l’intense réflexion, que l’on dira «  théologique  », menée par les tenants du néoplatonisme grec, qui s’exerça en suscitant des divergences entre les spéculatifs et les mystiques, comme nous l’explique l’athénien Damascius, au vie siècle86. C’est ainsi que, précise-t-il, selon les néoplatoniciens romains Plotin et, de manière moins affirmative toutefois, Porphyre87, tous deux partisans d’une théologie philosophique, le sage, pour lequel toute pratique religieuse est indigne, doit s’élever jusqu’à Dieu par ses propres ressources spirituelles, tandis que selon Jamblique et les néoplatoniciens athéniens, partisans d’une théologie théurgique, qui cherchent à accorder les différentes mouvances théologiques – non-chrétiennes, cela s’entend –, telles l’orphisme, le chaldaïsme, le pythagorisme et le platonisme, cette pratique doit faire l’objet d’une observance stricte88. grand nombre de points, et en philosophie sur les principaux. Si la vie et le loisir sont à ma disposition, je m’efforcerai d’accomplir cette tâche avec soin et non moins de labeur  », In Peri hermeneias, iia, ii, éd. C. Meiser, Lipsiae, 1877, p. 80, 1-8. 85   Voir éd. M. Chappuis, Petrus de Alliaco Tractatus super De consolatione philosophiae, Amsterdam, 1988. Ce syncrétisme n’a cependant pas été étudié comme il le mériterait par Chappuis. 86   Voir Damascius, In Phaedrum, i, § 172, éd. L.G. Westerink, Amsterdam, NorthHolland Publishing Company, 1977, cité par H.D. Saffrey, «  La théurgie comme pénétration d’éléments extra-rationnels dans la philosophie grecque tardive  », Wissenschaftliche & außerwissenschaftliche Rationalität, éd. A.D. Skiadas, Athènes, Hellènikè Anthrôpistikè Etaireia, 1978, p. 153-169 – ici 153. La théurgie, que Damascius dénomme «  art hiératique  », s’apparente à une sorte de magie appliquée à une fin religieuse, d’après E.R. Dodds, The Greeks and the Irrational, Berkeley U.S.A., Cambridge University Press, 1959. 87   Voir les fragments de son De regressu animae dans le livre X de la Cité de Dieu de saint Augustin.

88   Voir P. Hadot, «  Bilan et perspectives sur les Oracles Chaldaïques  », Postface à la réimpression de H. Lewy, Chaldæan Oracles and Theurgy, Paris, Études Augustiniennes, 1978, p. 703-720 – ici 717-718, et H.D. Saffrey, «  Accorder entre elles les traditions théologiques  : une caractéristique du néoplatonisme athénien  », On Proclus and his influence in medieval philosophy, éd. E.P. Bos & P.A. Meijer, Leiden–New York, Brill, 1992, p. 35-50.



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Henri-Dominique Saffrey a montré que la spiritualité en vigueur dans l’école athénienne89 avait constitué l’expression la plus achevée de la théologie comme science, selon la formule consacrée, même si celle-ci avait été initiée par l’école romaine90. Elle s’épanouira avec Syrianus et Proclus, pour lesquels «  la recherche de la nature du divin et de la hiérarchie des dieux est devenue l’objet presqu’exclusif de la philosophie  », en prenant Platon pour guide91. Entre les deux, signale-t-il, se forma un courant latin en matière de théologie scientifique, avec des penseurs comme Marius Victorinus et Augustin. Et si Saffrey ne va pas jusqu’à exprimer que nous pourrions avoir là une forme de «  néoplatonisme latin  » – plus originale peut-être, si tel était le cas, que la précédente, parce que non seulement elle laboure un champ conceptuel néoplatonicien, mais encore utilise une partie de son appareil spéculatif –, il procure quelques éléments pour le déduire. Ce dernier courant, souvent illustré par les mêmes auteurs, qu’il y aurait lieu d’appeler «  christianisme néoplatonicien  » ou «  néoplatonisme chrétien  », se serait alors concrétisé en instrumen­talisant ou en démarquant le néoplatonisme grec dans le but d’éclairer et de servir une exégèse de la foi chrétienne, à l’instar de ce que fit Marius Victorinus quand il utilisa Plotin et Porphyre pour défendre le dogme catholique contre les assauts de l’hérésie arienne, dans ses Ad Candidum et Adversus Arrium92. Il sera suivi en cela par Ambroise de Milan († 397), qui, «  dans le De Isaac et anima, dans le De bono mortis, dans le De Iacob et uita beata et dans la Lettre xi à Irénée… reprend à son compte, sans le dire, des pages entières de Plotin  »93, encore qu’au sentiment de certains sa connaissance de la pensée plotinienne ait été indirecte94, et qu’il ne nour-

89   Voir H.D. Saffrey, «  Quelques aspects de la spiritualité des philosophes néoplatoniciens de Jamblique à Proclus et Damascius  », Revue des sciences philosophiques et théologiques, 68, 1984, p. 169-182. 90  Voir Idem, «  Les débuts de la théologie comme science  », Revue des sciences philosophiques et théologiques, 80, 1996, p. 201-220. 91   Idem, ibid., p. 217. 92  Voir Ad Candidum et Adversus Arrium, éd. P. Henry & P. Hadot, Marius Victorinus. Traités théologiques sur la trinité, 2 vol., Paris, Études Augustiniennes, 1960. 93   P. Courcelle, «  Ambroise de Milan “professeur de philosophie”  », Revue de l’histoire des religions, 181/2, 1972, p. 147-155 – ici 154-155, qui s’était déjà intéressé à la question dans son «  Plotin et saint Ambroise  », Revue de Philologie, lxxvi, 1950, p. 29-56. Cf. A. Solignac, «  Nouveaux parallèles entre saint Ambroise et Plotin  », Archives de Philosophie, xix, 1956, p. 148-156. 94   Voir P. Hadot, «  Platon et Plotin dans trois sermons de saint Ambroise  », Revue des études latines, xxxiv, 1956, p. 202-220.

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rissait aucune sympathie pour la philosophie95. Le De civitate dei d’Augustin († 430) fournit une bien meilleure illustration de ce néoplatonisme chrétien relégué au second rang par Flamant, avec plusieurs références à Porphyre, que l’évêque d’Hippone remercie, en citant des extraits du De regressu animae, d’avoir situer l’Âme entre l’Intelligence et l’Esprit, exactement là où la foi chrétienne situe l’Esprit saint, c’est-à-dire entre le Père et le Fils (x, 23-24)96. Cela ne l’empêche point, par ailleurs, de le blâmer plus loin, cette fois-ci en incriminant un passage de la Philosophie tirée des Oracles, pour avoir justifié la mise à mort ignominieuse de Jésus Christ (xix, 23). Pareil constat est d’autant plus approprié que dans le même De civitate dei, Augustin n’est pas sans doubler d’une certaine manière sa réflexion par un concordisme doctrinal entre Platon et Aristote. En effet, après avoir déclaré que lorsque Platon, dans le Timée, livre qui décrit la constitution du monde, affirme que Dieu fut transporté de joie après le parfait achèvement de celle-ci [37c]97, il est allé plus loin que les paroles «  Dieu vit que cela était bon  » [Gen., 1, 18], l’évêque d’Hippone reconnaît clairement qu’«  aucuns philosophes ne sont plus proches de nous que les platoniciens  »98, et ajoute voir en Aristote, disciple de Platon, un «  homme d’un esprit éminent, inférieur sans doute à Platon par l’éloquence, mais de beaucoup supérieur à tant d’autres  »99, et n’hésite pas à recourir à sa métaphysique pour traiter notamment de la question du Dieu créateur de toutes choses100, cette dernière remarque constituant une tentative de syncrétisme platonico-aristotélicien. Au début du siècle suivant, il devient presque superflu de signaler le cas de Boèce, qui s’applique, dans ses Opuscula sacra, à systématiser les contenus de foi et à traiter en dialecticien pénétré principalement de 95   Voir G. Madec, «  Saint Ambroise et la philosophie  », Paris, Études Augustiniennes, 1974. 96  Sur les emprunts d’Augustin à Plotin et à Porphyre, voir le petit livre, toujours valable, de L. Grandgeorge, Saint-Augustin et le néo-platonisme, Paris, E. Leroux, 1896. 97  Voir ibid., XI, 21. 98   «  Nulli nobis quam isti propius accesserunt  », De civitate dei, VIII, 5. 99  «  Vir excellentis ingenii et eloquio Platoni quidem impar, sed multos facile superans  », ibid., VIII, 12. 100   «  Il y a une espèce de forme extrinsèque, qui est affectée à toute nature corporelle, comme ces hommes qui exercent en tant que potier ou ciseleur, ainsi que le genre ­d’artistes qui peignent et sculptent des formes semblables aux corps des animaux  ; et il y en a une autre, intrinsèque, qui possède des causes efficientes, provenant du secret et occulte arbitre d’une nature vivante et intelligente, laquelle, alors qu’elle n’est pas produite, non seulement produit l’espèce des corps naturels mais aussi les âmes des animaux elles-mêmes  : l’espèce énoncée plus haut se rapporte à tous les artisans, mais l’autre qu’à un unique artisan, au Dieu créateur et fondateur, qui a fait le monde lui-même et les anges, sans avoir besoin d’aucun monde ni d’aucun ange  », De civitate dei,, XII, 25.



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néoplatonisme, les questions de théologie trinitaire et christologique que lui ont soumis son beau-père Symmaque et le diacre Jean101. Dans ces conditions, il nous apparaît qu’une problématique est tout particulièrement susceptible, au moins au début de son très long et tentaculaire parcours, c’est-à-dire avant de dégénérer en querelle, de caractériser un néoplatonisme latin se constituant par instrumentalisation d’une thématique grecque, à savoir celle dite des universaux (universalia)102. Rappelons que c’est dans sa propre version glosée de l’Isagogè qu’une fois de plus Boèce devient le premier auteur latin non seulement à appeler universalia ces idées générales désignatives (genre, espèce – primordialement –, diffé­rence, propre et accident), dont la nature est d’être prédiquées de plusieurs sujets, mais aussi à identifier les deux camps qui s’affrontent indirectement chez Porphyre, ne se disant pas prêt à opter pour une solution, sinon, ajoute-t-il, par fidélité à l’ouvrage qu’il traduit103. Nous ne respecterons qu’à demi la neutralité voulue par Boèce, qui ne souhaite pas prendre parti et dit suivre Aristote par souci de ­cohérence, non par persuasion, attendu que dans les développements qu’il a consacrés à la question, il donne l’impression d’avoir fait de son mieux pour ménager un accord entre le Stagirite et Platon. C’est ce que l’on peut comprendre lorsqu’il présente, juste avant, sa conception des universaux, où prévaut une représentation qui véhicule, à ce qui nous apparaît, un compromis susceptible de satisfaire en même temps Platon, selon qui genres et espèces subsistent indépendamment des corps, et Aristote, selon qui genres et espèces subsistent dans les choses sensibles104. La  Voir L. Couloubaritsis, «  Néoplatonisme chrétien et aristotélisme  : Boèce  », dans Id., Histoire de la philosophie ancienne et médiévale. Figures illustres, Paris, 1998, p. 815837, et A. Galonnier, Boèce, Opuscula sacra, 2 vol., Louvain/Paris, Peeters, 2007 et 2013. 102  Nous n’avons trouvé aucun équivalent à ette dénomination dans la présentation d’Ammonius, qui, en son Commentarium in Porphyrii Isagogen (éd. A. Busse, CAG, iv, 3, Berlin, 1891 – ici p. 42, 19-26), se borne à rappeler que si Porphyre refuse d’aborder cette question, chacun peut voir qu’Aristote et Platon y sont en désaccord, le premier soutenant que genres et espèces doivent être inséparables de la matière, le second qu’ils doivent en être séparés. 103   «  Platon pense que les genres, les espèces et les autres universaux (universalia) non seulement sont intelligés, mais existent aussi et subsistent indépendamment des corps [fondement à la future thèse réaliste], alors qu’Aristote pense que les incorporels et les universaux sont certes intelligés, mais subsistent dans les choses sensibles [fondement à la future thèse nominaliste]. Laquelle de ces opinions est appropriée, je n’ai pas été amené à en décider, car c’est d’une philosophie plus haute. En vérité, nous nous sommes attaché à suivre avec plus d’application l’opinion d’Aristote non pas que nous l’approuvions davantage, mais parce que ce livre [l’Eisagoge] a été rédigé pour introduire aux Catégories, dont Aristote est l’auteur  », In Isagogen iia, ii, 11, éd. S. Brandt-G. Schepss, p. 167, 12-20. 104   «  Les genres et les espèces eux-mêmes subsistent assurément d’une manière, tandis qu’ils sont intelligés d’une autre, et sont incorporels  ; mais joints aux sensibles, ils 101

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recherche néoplatonicienne d’une conciliation platonico-aristotélicienne qui s’y trouverait illustrée est d’autant plus intéressante pour nous qu’elle se double d’une autre problématique, celle abordée ci-dessus de la théologie comme science. Nous en voudrons pour preuve un fragment du chapitre deuxième du De trinitate de Boèce, où l’auteur, dans le cadre d’une différentiation des trois parties de la philosophie spéculative (naturelle, mathématique et théologique), réfléchit au sens du mot forma, dont il distingue deux expressions  : la forme pure, et en quelque sorte générique, qui ne s’applique rigoureusement qu’à Dieu, et la forme inhérente à une matière, qui renvoie à l’imago, laquelle, en tant qu’image type, représente aussi un cas d’universalité dès lors qu’elle correspond à une espèce105. En somme, ce serait de la forme générique que proviendrait l’image spécifique. Compte tenu de cette dichotomisation de la forma en forme relative à la matière et forme indépendante de la matière, Boèce notifierait implicitement ici un double état de l’universel, en ce sens que la forma, lue à travers un certain prisme platonicien, est intelligée, existe et subsiste indépendamment des corps, et l’imago, lue à travers un certain prisme aristotélicien, est intelligée et subsiste dans les choses sensibles. Plus tard, nourrie par le conflit entre réalistes (reales) et nominalistes (nominales), la problématique des universaux se réactivera à différentes périodes de sa tumultueuse histoire dans une diversification redoutablement complexe106, qui évoluera plus ou moins en profondeur au fur et à mesure qu’interviendra le surgissement de nouveaux univers et instruments de pensée, comme la constitution du corpus de la logica nova, qui complètera décisivement la connaissance de l’œuvre d’Aristote, l’apport de la réflexion arabe et la survenue de la scolastique. Mais la plupart du subsistent dans les sensibles, tandis qu’ils sont intelligés comme possédant par soi la subsistance [i.e. l’existence réelle] elle-même et non comme ayant leur être en d’autres  », ibid. (= ibid., ibid., p. 167, 7-12). 105   «  Des formes sont sous-jacentes à des accidents, comme l’humanité, qui ne reçoit pas vraiment d’accidents en ce qu’elle est elle-même, mais en ce que la matière lui est sousjacente  ; en effet, au moment où la matière sous-jacente à l’humanité reçoit un accident quelconque, l’humanité elle-même paraît le recevoir. Tandis que la forme, qui est sans matière, ne pourra être quelque chose de sous-jacent ni même inhérer à la matière, sans quoi, en effet, elle ne serait plus forme mais image. C’est effectivement de ces formes-ci, qui sont exemptes de matière, que proviennent ces formes-là, qui sont dans la matière et produisent le corps. Car nous abusons en appelant formes celles qui sont dans les corps, alors qu’elles sont des images. Elles sont assimilées, en effet, à ces formes qui n’ont pas été établies dans la matière  », De trinitate, 2, éd. Cl. Moreschini, Boethius, De consolatione Philosophiae, Opuscula theologica, Leipzig, K.G. Saur, 2000, p. 170, 106-171, 117. 106   Voir A. De Libera, La querelle, qui use plusieurs fois du terme «  imbroglio  », le substantif valant autant pour l’énoncé du questionnement que pour les innombrables réponses fournies.



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temps on y perdra de vue, en cherchant à «  déplatoniser  » Aristote ou à «  désaristotéliser  » Platon, le concordisme platonico-aristotélicien, donnée essentielle d’un néoplatonisme digne de ce nom107. Le néoplatonisme latin post boécien Que l’on nous permette à présent de nous contenter d’énumérer les quelques repères susceptibles de baliser, à la suite de Boèce, l’histoire supposée d’une émanation latine du néoplatonisme hellène, déjà présentée de manière passablement réductrice. Bien typé par le jugement de Trouillard, ce qu’en manifeste l’œuvre de Jean Scot Érigène († ca. 870), pour l’essentiel dans le De divisione naturae, s’impose en premier à l’historien des idées, notamment sur la question des universaux, à propos de laquelle il inaugure le réalisme ontologique, où joue entre autres une quadripartition de la nature (Dieu, la création, l’être et le non-être) marquée par le néoplatonisme108. En outre, son plotinisme, qu’il est possible d’établir sur la base d’une conformité de pensée et d’expression109, prône en faveur de l’hypothèse d’une lecture directe de Plotin. Enfin, la dimension pédagogique qui le structure par la pratique d’un dialogue profitable nettement hiérarchisé entre un maître et son disciple, est conçu et conduit selon un usage néoplatonicien. Sachant que, légèrement plus tard, serait apparu le Liber de causis, qui, bien qu’ayant circulé longtemps sous le nom d’Aristote, se révèlera être la «  principale source néoplatonicienne non chrétienne du Moyen Âge  »110, on ne saurait omettre d’indiquer au moins, en synthétisant les avancées d’une recherche plurielle à son sujet, qu’il s’agirait de la traduction latine, effectuée par Gérard de Crémone († 1187) à Tolède, d’un 107  Voir Idem, Ibid., p. 305 init.  :  «  La scolastique du [xiiie] siècle… [a] approfondi la nature du différend Platon-Aristote comme structure portante du geste philosophique  ». 108   Le réalisme ontologique «  postule la présence intégrale de l’universel spécifique ou générique dans chacun de ses individus qui ne diffèrent entre eux que numériquement, c’est-à-dire en fonction du faisceau de propriétés accidentelles qui leur est propre  », Ch. Erismann, L’homme commun  : la genèse du réalisme ontologique durant le haut Moyen Âge, Paris, Vrin, 2011, p. 384. Cf., Id., «  Processio id est multiplicatio. L’influence latine sur l’ontologie de Porphyre  : le cas de Jean Scot Érigène  », Revue des sciences philosophiques et théologiques, 88, 2004, p. 401-460, et J. Marenbon, Introduction à son recueil Aristotelian Logic, Platonism and the Context of Early Medieval Philosophy in the West, Aldershot and Burlington, Taylor & Francis Ltd, 2000. 109   Voir M. Techert, «  Le plotinisme dans le système de Jean Scot Érigène  », Revue néo-scolastique de philosophie, 1927, 29/13, p. 28-68. 110   A. de Libera, Introduction à la mystique rhénane, Paris, Vrin, 1984, p. 26.

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ouvrage arabe des ixe-xe siècles de notre ère issu du milieu d’al-Kindī (m. 873), dont le premier des deux volets est une sorte de compendium assez libre des Éléménts de théologie de Proclus, et le second la paraphrase arabe d’une partie des Ennéades de Plotin (iv à vi)111. Ce fut ensuite au cours du premier tiers du xiiie siècle qu’aurait été rédigé, à Tolède aussi, le Livre des xxiv philosophes, composition d’axiomes théocentrés, imprégnés de néoplatonisme porphyrien, et qui constituerait un «  succédané  » du De philosophia du jeune Aristote, alors acquis au platonisme, ouvrage condamné par l’Église en 1210 et 1215 pour promotion d’idées hétérodoxes, peut-être traduit au ive siècle par Marius Victorinus112. Probablement au même moment, serait apparu le De intelligentiis ou Memoriale rerum difficilium naturalium, attribué par deux manuscrits à un certain Adamus Pulchrae Mulieris (Adam de Belle Femme), maître en théologie à Paris (fl. 1210-1240), inconnu par ailleurs, où se côtoient, sur des sujets ayant trait pour l’essentiel à la métaphysique (Dieu et les êtres spirituels) et à la psychologie (nature et fonctions de l’âme), les influences de Proclus, de Jean Scot Érigène et du néoplatonisme avicennien113. Quelques décennies après se façonna l’école allemande néoplatonicienne114, organisée dans les pas d’Albert le Grand († 1280)115, auteur lui-même et entre autres d’un commentaire au Liber de causis116. Les figures majeures en furent Ulrich de Strasbourg († 1277), qui rédigea une Summa de bono inachevée aux accents nettement néoplatoniciens117, Dietrich (ou Thierry) de Freiberg (ou Vriberg – ca. 1250-ca. 1310)118, chez qui opère plus que chez les autres l’incidence du néoplatonisme arabe, 111   Voir H‑D. Saffrey, «  L’état actuel des recherches sur le Liber de Causis comme source de la métaphysique au Moyen Âge  », Miscellanea Mediaevalia, ii, 1963, p. 267281  ;  Cristina D’Ancona-Costa, Recherches sur le Liber de Causis, Paris, 1995, et Pierre Magnard et alii., La demeure de l’être. Autour d’un anonyme, Paris, Vrin, 1995. 112   Voir Hudry, op. cit. supra, n. 33. 113   Édité, sous le nom de Witelo (*ca. 1230), par C. Baeumker, «  Witelo, ein Philosoph und Naturforscher des xiii. Jahrhunderts  », Beiträge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters, iii/2, Münster, 1908, p. 1-126. 114   Voir R. Imbach, «  Le (Néo)platonisme médiéval, Proclus latin et l’École dominicaine allemande  », Revue de théologie et de philosophie, 110, 1978, p. 427-448. 115   Voir Maria Rita Pagnoni-Sturlese, «  À propos du néoplatonisme d’Albert le Grand  », Archives de Philosophie, 43, 1980, p. 635-654. 116  Éd. W. Fauser, Alberti Magni Liber de causis et processu universitatis a prima causa, Münster, Monasteri Westfalorum in aedibus Aschendorff, 1993. 117   Éd. du livre 1 par J. Daguillon, Paris, 1930, du livre 2, traités 1-4 par A. De Libera, Hamburg, 1987, et du livre 4, traités 1-2,7 par S. Pieperhoff, Hambourg, Félix Meiner, 1987. 118  Voir Opera omnia, éd. K. Flasch, et alii, 4 tomes, Hambourg, 1977-1985.



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Maître Eckhart (c. 1260-c. 1328), tenant d’un néoplatonisme mystique, et Berthold de Moosburg († ca. 1365), qui composa une Expositio super Elementationem theologicam de Proclus119. Enfin, et en s’attardant sur les xiiie et xive siècles, il faudrait noircir bien des pages pour essayer de dégager des schèmes de pensée néoplatoniciens de la production de représentants-phares tels Jean Duns Scot († 1308), Guillaume d’Occam († 1347), Jean Buridan († 1363), Jean Wyclif († 1384)120 ou Jean Sharpe († ca. 1420) pour ne citer qu’eux, tout spécialement quant à leur implication dans le traitement du problème des universaux – ce qui ne suffirait peut-être pas d’ailleurs à leur mériter chaque fois le qualificatif de «  néoplatonicien  » selon le critère choisi par Trouillard. Ces diverses illustrations de démarches doctrinales suscep­tibles de répondre au vaste questionnement que nous avons suscité touchant les modalités latines du néoplatonisme, comme autant de brêches par lesquelles celui-ci peut s’insinuer dans l’histoire des idées, quoique focalisées sur le début de l’ère médiévale et survolées par la suite, ne sont-elles majoritairement propres qu’à confirmer un néoplatonisme d’emprunt, à la marge ou superficiel, ainsi qu’y invite pour une part l’assertion de Trouillard, ou rendent-elles approprié à leur égard l’usage de l’adjectif «  néoplatonicien  », de par le type de questionnement, la précision de la réflexion et l’authenticité des adaptations, ceux-ci ne fussent-ils point centrés sur le Parménide  ? Notre volume est déjà indicatif d’une réponse. Les conditions d’accès au savoir et la nature de ce dernier vont à l’évidence évoluer en changeant d’ère culturelle, singulièrement avec les ­traductions de Platon dues à Marsile Ficin. Voyons à présent si la Renaissance, qui ne correspond pas seulement à un découpage historiographique, nous permet de confirmer ou non, voire de délinéer autrement, et peutêtre mieux, cette notion de «  néoplatonisme latin  ». Alain Galonnier La Renaissance À la fin de l’ère scolastique, les centres intellectuels de Florence et de Byzance marquent des avancées décisives dans la circulation des textes 119  Propositions 1-13, éd. M.-R. Pagnoni-Sturlese et L. Sturlese, Hambourg, 1984, propositions 14-34, éd. Idem et B. Mojsisch, Hambourg, 1986, propositions 184-211, éd. L. Sturlese, Roma, 1974, Edizioni di storia e letteratura, puis Leinen, 2014. 120   Voir, notamment, V. Herold, «  Neuplatonismus in der Ideenlehre bei John Wyclif und an der Prager Universität  », éd. L.G. Benakis, op. cit. supra, n. 10, p. 253-272.

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platoniciens et néoplatoniciens. La philosophie de Platon connaît donc un impact très important, au-delà du Moyen Âge121, avec une reprise de la diffusion directe des sources et une abondance de commentaires fournis. Pour autant, le platonisme retrouvé ne tisse pas de liens synergiques de conver­gence évidents avec le néoplatonisme. Bien plus, le platonisme, dont la culture universitaire et la pensée originaire restent paradoxalement pauvres et peu fréquentées malgré la richesse des matériaux, jusqu’au xvie siècle, développe un ensemble de réactions intellectuelles contrastées, positives ou négatives, en regard de la philosophie aristotélicienne dominante durant la période médiévale. La platonisme connaît donc un essor, par l’abondante redécouverte de ses textes fondateurs, sans nourrir explicitement le néoplatonisme latin et grec, qui connaît une trajectoire propre, déjà en vigueur, en Occident comme en Orient. Ainsi, l’intense entreprise de traductions des textes platoniciens, à Byzance en premier lieu, au tout début du xve siècle, ne permet pas au néoplatonisme latin de connaître un enrichissement doctrinal décisif et notable, grâce à l’accès immédiat des dialogues plato­niciens. Bien plus, l’héritage fort ténu du patrimoine intellectuel platonicien du siècle précédent semble avoir accentué l’avènement autonome d’un néoplatonisme latin créatif, riche de ses fonds grecs et de ses reconstitutions platoniciennes. Dès lors, la Renaissance signe sans doute la redécouverte du platonisme mais surtout la confrontation inédite et mouvementée du platonisme avec le néoplatonisme latin, dont il semble renaître, et l’aristotélisme. Un fonds platonicien enfin accessible (xve-xvie siècles)  : lieux de diffusion et illustres figures de transmission De Byzance à Florence et à Rome  : de nombreuses traductions en latin Les médiévaux byzantins possèdent trente-six dialogues attestés par les anciens éditeurs, comme un nombre d’autres écrits pseudonymes, rattachés au nom de Platon durant la période médiévale. L’occident latin et le sud arabique disposent de ressources moindres mais la totalité des dialogues reste disponible à la traduction, en étant alors partiellement 121   J. Hankins, Humanism and platonism in the Italian Renaissance, ii, «  Platonism  », Roma, Edizioni di storia e letteratura, Roma, 2004. J. Hankins, A. Palmer, The recovery of ancient philosophy in the Renaissance: a brief guide, Firenze, L.S. Olschki, 2008. E. Kessler, Die Philosophie der Renaissance: das 15. Jahrhundert, München, C.H. Beck, 2008.



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connue par les références indirectes à la pensée de Platon trouvées dans différents compendia et dans les travaux d’anciens auteurs, qui pouvaient garantir la position de Platon comme une autorité digne de ce nom. Dès lors, les érudits byzantins engagent le retour en force des textes de Platon à Florence et ravivent le goût des études littérales du «  roi des philosophes  », comme le nommaient les Chartrains, dans l’Occident latinophone, dès les premières années du xve siècle. Une première génération d’humanistes italiens, instruits en Grèce, travaille à un ensemble de versions latines des œuvres platoniciennes, en améliorant leur lisibilité et en conférant une teneur chrétienne à certains passages. De la sorte, les humanistes espèrent insérer les doctrines de Platon dans les préoccupations de leur temps. Le grec émigré Manuel Chrysoloras traduit la République avec ses étudiants, Uberto Decembrio et Censio de Rustici, autour de 1402. Suit la traduction du Gorgias en 1409, revue en 1430 par le fils d’Uberto, Pier Candido, auteur d’un Lysis en latin, en 1456. Un autre étudiant de Chrysoloras, Leonardo Bruni (1370-1444), donne accès en latin au Phédon (1405), aux Lettres (1411) et à une partie du Phèdre (1424). Le Criton et l’Apologie seraient parus en deux rédactions, entre 1404 et 1409, en tout cas, avant 1427. Le discours du Banquet est traduit en 1435. Dans les années 1430, le milanais Francesco Filelfo fait paraître trois des Lettres et l’Euthyphron, tandis que le secrétaire du Pape, Rinuccio Aretino, diffuse à Rome, avant 1440, le Criton, l’Eutyphron, et l’Axiochus, dialogue pseudo-platonicien populaire et circulant largement, avec quatorze traducteurs différents, dès 1464  ; cet ouvrage est publié en 1494. Au milieu du siècle, Georges de Trébizonde (Georgius Trapezuntius), malgré ses préjugés anti-platoniciens, achève une traduction du Parménide, pour Nicolas de Cues, en 1459 et des Lois, pour le sénat de Venise, en 1450/1451. Lorenzo Lippi et Poliziano, poètes savants humanistes du cercle de Laurent de Médicis, ont produit des versions de l’Ion et du Charmides dans les années 1460 et 1470. L’activité de traduction culmine avec l’œuvre de Marsile Ficin122, qui offre les premières œuvres complètes du Platon latin en 1484. Ces versions, ainsi que leurs commentaires principaux, connaissent une large notoriété en 1496 et constituent le vecteur le plus important de la pensée de Platon dans la première Europe moderne. Marsile Ficin reste d’ailleurs le principal 122   U. Tröger, Marsilio Ficinos Selbstdarstellung: Untersuchungen zu seinem Epistolarium, Berlin, De Gruyter, 2016. R. Marcel, Marsile Ficin (1433-1499), Paris, Les Belles Lettres, 2007. Michael J.B. Allen, Synoptic art: Marsilio Ficino on the history of Platonic interpretation, Firenze, L.S. Olschki, 1998. M.-G. Pernis, Le platonisme de Marsile Ficin et la Cour d’Urbin, Paris, Champion, 1997.

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commentateur de Platon à la Renaissance, puisqu’il est l’auteur de commentaires de première importance, tels ceux du Timée, du Philèbe, du Parménide123, du Phèdre124, du Sophiste125 et du Banquet (1476-1469) ou du De amore – à l’influence majeure sur ses contem­porains, concernant la théorie de l’amour126 – ainsi que de celui du célèbre passage sur le «  Nombre Platonicien  » de la République viii. Ficin produit aussi des argumenta relatifs à chaque dialogue, peu fréquentés, bien qu’ils aient été imprimés avec les commentaires eux-mêmes en 1484 et corrigés en 1491. Ficin souhaite que ses commentaires et ses traductions puissent être lus en même temps que sa Théologie platonicienne de l’immortalité des âmes127, achevée en 1482. Associés à cette dernière œuvre, les Opera omnia de Ficin128 connaissent trois éditions, en 1561, 1576 et 1641. La collection canonique des six Spuria (Définitions, Sur la Justice, Sur les Vertus, Demodocus, Sisyphe, Eryxias) n’est intégrée aux traductions latines des œuvres complètes de Platon qu’à l’époque de Coronarius, en 1561, et finit par être totalement insérée dans les Opera Omnia en grec. Des doutes sur l’authenticité de ces écrits apparaissent dès 1420 avec Bruni puis Ficin, qui s’appuie sur la liste des travaux platoniciens établis par Diogène Laërce. Le corpus est alors complet en Italie et disponible à la lecture, un peu moins d’un siècle après le cri de Pétrarque en faveur du renouveau p­ latonicien. 123  F.  Lazzarin, Commento al Parmenide di Platone. Marsilio Ficino, Firenze, L.S. Olschki, 2012. 124   Commentaries on Plato. Vol. i, “Phaedrus” and “Ion”. Marsilio Ficino, éd. Michael J.B. Allen, Cambridge (Mass.), Harvard university press, 2008. Michael J.B. Allen, The Platonism of Marsilio Ficino: a study of his “Phaedrus” commentary, its sources and genesis, Berkeley  ; Los Angeles  ; London, University of California press, 1984. 125  J.B. Allen, Icastes: Marsilio Ficino’s interpretation of Plato’s “Sophist”: five studies and a critical edition with translation, Berkeley, Los Angeles  ; Oxford, University of California press, 1989. 126   A. Philonenko, Marsile Ficin, sur “Le banquet de Platon”, Paris, Hermann, 2011. S. Nicoli, El Libro dell’amore. Marsilio Ficino, Firenze, L.S. Olschki, 1987. 127   Argument pour la théologie platonicienne. Marsile Ficin, éd. S. Galland, J. Reynaud, Paris, Éditions Manucius, 2016. Théologie platonicienne de l’immortalité des âmes, éd. Pierre Laurens, R. Marcel, livres i-xviii, Paris, Les Belles Lettres, 2007. Platonic theology. Marsilio Ficino, éd. J.B. Allen, J. Warden, Cambridge (Mass.), Harvard university press, 2001. 128   S. Hawlett, Marsilio Ficino and his world, New York, Palgrave Macmillan, 2016. S. Clucas, Peter J. Forshaw and V. Rees, Laus Platonici philosophi: Marsilio Ficino and his influence, Leiden, Brill, 2011. M. Ciliberto, Marsilio Ficino e il platonismo rinascimentale, Figline Valdarno, Citta di Figline Valdarno, Assessorato alla cultura, 2009. S. Toussaint, Marsile Ficin ou Les mystères platoniciens, Paris, Les Belles Lettres, 2002. Michael J.B. Allen, V. Rees, M. Davies, Marsilio Ficino: his theology, his philosophy, his legacy, Leiden, Brill, 2002. Éd. P. Magnard, Marsile Ficin  : les platonismes à la Renaissance, Paris, Vrin, 2001.



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En effet, alors qu’en 1400, le monde occidental latinophone ne possède que les dialogues du Parménide, du Ménon, partiellement traduits, et développe la tradition com­mentariste autour du Timée, il se voit richement doté, à la fin du xve siècle, des trente-six dialogues, ainsi que d’un large ensemble élaboré de commentaires anciens et contemporains attenants, étayé d’un corpus de textes utilisés comme propédeutique à la pensée de Platon. La progression des études platoniciennes se poursuit au xvie siècle. La première édition en grec du corpus intégral platonicien édité par Marcus Musurus, est publié par Aldus dès 1513. Les œuvres ficiniennes du Platon latin connaissent, quant à elles, vingt-huit réimpressions, souvent dans l’une des trois ver­sions révisées en 1532, 1557 et 1592, par le soin, respectivement, de Simon Grynaeus, Marcus Hopper et Étienne Tremblay. Deux nouvelles versions complètes des œuvres platoniciennes voient le jour  : celle de Janus Cornarius en 1561 et de Jean de Serre, en 1578. D’Oxford à Prague et à Paris  : une circulation des œuvres platoniciennes par l’école de Chartres, John Wyclif et Marsile Ficin Le dialogue platonicien du Timée de Calcidius, captif d’une sédimentation doctrinale complexe à la période médiévale, n’exerce pas sa seule influence notable en Italie et à Padoue en particulier  ; les premières universités occidentales, depuis Paris et Oxford jusqu’à Prague129, du xiiie et xive siècles, au xve siècle sont aussi concernées. En effet, si l’intense lecture du Timée par les écoles chartraines, bien connue de la ­communauté scientifique, disparaît après 1156, leurs écrits glosés sont annotés tout au long des xiiie et des xive siècles par les maîtres et certains érudits parisiens et oxoniens, avant de nourrir une importante bibliothèque et plusieurs débats théologiques dans les vingt premières années du xve siècle à Prague, instruits par le platonisme et l’augustinisme d’Oxford [Robert Grosseteste (1230) et John Wyclif (1370)]. Les gloses de Bernard de Chartres et surtout de Guillaume de Conches assurent ainsi, avec le commentaire tardo-antique de Calcidius, une continuité des sources sur le Timée de 1200 à 1420, entre Oxford, Paris et Prague, dans l’hétérogénéité 129   Toute première université d’Europe Centrale datant de 1348 et dotée des mêmes statuts que ceux de Paris, Prague forme trois générations de philosophes pragois  : premièrement, Jean Hus, ses prédécesseurs Adalbert Ranconis de Ericinio et Matthias de Janov et son successeur Jérôme de Prague ont étudié à Paris dans la nation anglaise entre 1365 et 1380 et y ont eux-mêmes enseigné (cela concerne aussi Charles iv, fondateur de l’Université pragoise). Dès 1370, ils se sont aussi mis à lire intensément les œuvres subversives du théologien hérétique oxonien John Wyclif, pour finalement se réclamer de lui dans leur tentative de réforme ecclésiastique en Bohême.

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polymorphe des contextes doctrinaux. Le wyclifisme en terre tchèque130 et l’intérêt pour un platonisme augustinien font donc partie intégrante des biblio­thèques pragoises de la Renaissance. Bien plus, au-delà de la pérennité de ce foyer timéen, se déploie un important fonds renai­ssant de riches collections d’écrits néoplatoniciens, de plusieurs dialogues platoniciens, traduits par Leonardo Bruni, supplanté par Marsile Ficin. Entre 1420 et 1480, apparaît clairement un souci de posséder «  son  » Platon parmi les érudits universitaires (Mathias de Pelhrimov, doyen de l’université, Venceslas de Krzizanow, Jan Rokycana, Jean de Rabenstein). La transmission du médio-platonisme et du néoplatonisme renaissants Les notions d’ancienne Académie et d’Académie sceptique sont connues et utilisées à la Renaissance grâce à Cicéron131 et Sextus Empiricus. En revanche, le terme plus récent de «  Médio-platonisme  » ou «  Pré-Néoplatonisme  » fait référence à la période des intenses lectures platoniciennes de l’époque d’Antiochus d’Ascalon (ier siècle av. J.-C.) et de Plotin. Les modèles de représentation de l’histoire du platonisme sont complexes et connaissent une hiérarchie, comme on le constate dans les œuvres de Ficin. Les subdivisions institutionnelles et doctrinales de l’Académie sceptique du monde hellénistique en deux ou trois Académies datent de l’époque de Sextus Empiricus et les principales figures reconnues appartenant à l’ancienne Académie, sont, outre Platon lui-même, Speusippe, Xénocrate, Polémon et Cratès. Diogène Laërce constitue la source de description doctrinale de ces quatre figures. Le médio-platonisme marque une réaction au scepticisme et se manifeste sous des tendances éclectiques et un intérêt accru pour les systèmes métaphysiques, 130   A. Hudson, Studies in the transmission of Wyclif’s writings, Aldershot, Ashgate, 2008. V. Herold, «  Die Philosophie an der Prager Universität der Vorhusitischen Zeit. Schola Aristotelis oder Platonis divinissimi  ?  », Was ist Philosophie im Mittelalter? (“Miscellanea Madiaevalia” 26), éd. J.‑A. Aertsen, A. Speer, Berlin, W. de Gruyter, 1998. A. Hudson, «  From Oxford to Prague: the Writings of John Wyclif and his English Followers in Bohemia  », The Slavonicand East European Review, 75, 1997, p. 642-657. V. Herold, «  Magister Hieronymus von Prag und die Universität Köln. Ein Beitrag zur Geschichte der Differenzierung in der Spätmittelal­terischen Philosophie  », Die Kölner Universität im Mittelalter: geistige Wurzeln und soziale Wirklichkeit, (Miscellanea mediaevalia  ; 20), éd. A. Zimmermann, Berlin, W. De Gruyter, 1989, p. 255-273. Idem, «   Wyclif’s Polemik gegen Ockham’s Auffassung der platonischen Ideen und ihr Nachklang in der tschechischen hussitischen Philosophie  », From Ockham to Wyclif, éd. A. Hudson, M. Wilks, Oxford, Ecclesiastical History Society, 1987, p. 185-215. E. Jeauneau, «  Plato apud Bohemos  », Mediaeval Studies, 41, 1979, p. 161-215. 131   Ch.‑B. Schmitt, Cicero scepticus, a study of the influence of the Academica in the Renaissance, The Hague, M. Nijhoff, 1972.



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avec l’influence des néopythagoriciens. Plutarque, Alcinoos et Apulée figurent les principaux représentants connus de la Renaissance, auxquels s’ajoutent Antiochus, transmis principa­lement par Cicéron, Albinus, maître de Galien, Atticus, Eudorus et Numénius. L’influence du médioplatonisme de Galien n’échappe pas aux auteurs de la Renaissance, qui le citent avec les écrivains romains familiers de la philosophie hellénistique, Cicéron, Sénèque, Aulu-Gelle132, et les auteurs chrétiens, tels Tertullien, Arnobe, Lactance, Eusèbe, Calcidius et Augustin. Les humanistes lisent et traduisent les Vies et les Moralia de Plutarque, ce dernier ouvrage discutant plusieurs thèmes plato­niciens précis et attaquant le Stoïcisme et l’Épicurisme. Ficin ne manque pas de faire usage, en outre, de son De fato et du De animae procreatione in Timaeo, pour étayer son commentaire au Timée de 1496. Au cours du xvie siècle, l’œuvre de Plutarque est entièrement traduite et Louis le Roy, à la suite de Ficin, fait paraître en français son De animae procreatione in Timaeo, pour l’adjoindre à sa propre traduction et à son commentaire du Timée133. Alcinoos, auteur grec du Didascalicon, constitue lui aussi un vecteur de platonisme et fait l’objet de premières traductions en latin  : avant 1460, grâce à Pietro Balbi, associé de Bessarion et de Nicolas de Cues, en 1464, grâce à Marsile Ficin  ;  l’impression du Didascalicon se fait à Venise en 1497, accompagnée d’autres travaux de Ficin sur des auteurs antiques platoniciens. Théon de Smyrne (ca. 110-140), auteur grec des Connaissances mathématiques utiles pour la lecture de Platon, est traduit par Ficin sans être publié  ; la parution de la version latine d’Ismaël Boulliau date de 1694. Apulée (ca. 125-170), connu aussi indirectement à la Renaissance par les sources augustiniennes134, écrit deux œuvres philosophiques platoniciennes principales en latin  : le De deo Socratis, qui relate la nature du démon de Socrate, et le De Platone et ejus dogmate, une synthèse de la doctrine platonicienne. Ces deux œuvres sont imprimées à Rome en 1469, par le soin de Giovanni Andrea de Bussi, membre du cercle de Bessarion. Hermias d’Alexandrie, philosophe néoplatonicien, suscite lui aussi l’attrait des traducteurs et des savants dans la seconde moitié du xve siècle. Ficin a une bonne connaissance de son Commentaire sur le Phèdre de Platon, qu’il annote et traduit sans qu’il soit imprimé135.   H.D. Saffrey, Recherches sur le néo-platonisme après Plotin, Paris, J. Vrin, 1990.  Au xvie siècle, Calcidius continue d’être cité à travers les sources de Ficin et de son Compendium in Timaeum (1496) qui fait office de commentaire de référence. 134   Augustin réfute en effet le De deo Socratis dans la Cité de Dieu (viii-ix). 135  J. Monfasani, Language and learning in Renaissance Italy: selected articles, Aldershot (GB)  ; Brookfield (Vt.), Variorum, 1994. 132 133

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Le néoplatonisme136 est considéré comme l’étape décisive du platonisme, initiée par Plotin au iiie siècle et prolongée par Porphyre, Jamblique et Proclus, pour les plus connus. Ces auteurs exercent une influence indéniable sur la chrétienté et à la Renaissance. Pléthon et Bessarion ont connaissance des Ennéades et Ficin, qui ne manque pas de citer Plotin, dont il subit l’influence, propose une traduction de cette œuvre en 1492  ; elle est réimprimée en 1540, puis, sous une forme révisée, en 1559, 1562, 1580 et 1615, avec le texte grec de Plotin en vis-à-vis. L’Isagoge de Porphyre (234-ca. 305), l’étudiant de Plotin, reste, comme à la période médiévale, la lecture la plus maîtrisée à la Renaissance, que les auteurs étudient dans la traduction latine puis scolastique de Boèce137 dès 1473, laquelle connaît un succès pérenne jusqu’à la fin du xvie siècle. Une édition grecque datant de 1495 et de nouvelles traductions latines, émises par Jean Argyropoulos en 1496, puis par Giovanni Bernardo Feliciano en 1548, ne détrônent pas la version boécienne. D’autres de ses œuvres beaucoup moins connues font néanmoins l’objet d’édition de Ficin comme La vie de Plotin en 1492. Jamblique (ca. 245-325), étudiant avec Porphyre mais fondateur de sa propre école néoplatonicienne, qui insiste sur les liens du platonisme et du pythagorisme et sur d’autres théologies anciennes ainsi que sur les mathématiques, la théurgie et les rites, connaît une certaine postérité à la Renaissance. Ficin transmet son œuvre Les mystères d’Égypte dans une traduction latine datant de 1488 et publiée par Aldus en 1497, avant une réimpression en 1532. Une version littérale du même texte est effectuée par Nicolas Scutellius de Trente et publiée en 1556. La Vie de Pythagore et le Protrepticus sont édités pour la première fois en grec en 1598, avec une traduction latine de Johannes Arcerius Theodoretus de Frisia. Proclus (ca. 412-495), à la tête de l’Académie à Athènes, représente l’auteur païen néoplatonicien le plus important de l’époque tardo-antique. Une grande partie de ses œuvres a été préservée pour la postérité, dont quatre lectures et commentaires sur Platon sont étudiés à la Renaissance. Le Commentaire sur le Premier Alcibiade en grec est lu par Francesco 136  M.C. Leitgeb, S. Toussaint, H. Herbert Bannert, Platon, Plotin und Marsilio Ficino: Studien zu den Vorläufern und zur Rezeption des Florentiner Neuplatonismus, Wien, Verl. der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 2009. S. Gentile, S. Toussaint, Marsilio Ficino: fonti, testi, fortuna, Roma, éd. di storia e letteratura, 2006. Éd. K. Eisenbichler, O. Zorzi Pugliese, Ficino and Renaissance Neoplatonism, Ottawa, Dovehouse, 1986. 137   La Consolation de Philosophie de Boèce connaît également un immense succès à la Renaissance, dans la continuité de la période médiévale. Une édition voit le jour en 1464, Josse Bade en produit un commentaire en 1503, Raymond Palasinus, en 1515, Johannes Murmellius, en 1516.



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Patrizi da Cherso et Lucas Holstenius, de nombreux extraits sont traduits par Ficin autour de 1488 et publiés en 1497 par Aldus. Le Commentaire sur le Parménide, connu au Moyen Âge par Thomas d’Aquin, puis par Nicolas de Cues, grâce à la traduction de Guillaume de Moerbeke, est lu en grec et étudié par Ficin, annoté par Caesar Rovidius en 1594, professeur de médecine à Milan. Nicolas Scutellius, disciple de Gilles de Viterbe, Général de l’ordre augustinien, produit une nouvelle version de ce commentaire en 1521, qui n’a pas été imprimé avant le xixe siècle. Ficin connaît également très bien son Commentaire sur la République, dont il fait usage après 1492. Une partie de cette œuvre en grec est éditée par Simon Grynaeus en 1534. Des extraits du Commentaire sur le Timée, traduits par le traducteur médiéval Guillaume de Moerbeke avant 1274, sont fréquemment cités par Ficin dans sa Théologie platonicienne. Un nouvel extrait est traduit en latin, avant d’être publié par Niccolo Leonico Tomeo en 1525, dans ses Opuscula nuper in lucem aedita, puis cinq ans plus tard, dans son édition des Parva Naturalia d’Aristote. La parution du commentaire en son entier date de 1534 et prend place dans les éditions des œuvres de Platon rassemblées par Simon Grynaeus. Damascius (né autour de 462) étudie à Alexandrie et dirige aussi un temps l’Académie d’Athènes. Bessarion conserve à Venise son Commentaire sur le Parménide. Bessarion, Ficin, Diego Hurtado de Mendoza, Sebastiano Erizzo, Francesco Patrizi da Cherso lisent aussi assidûment ses Lectures sur le Philèbe, seule­ment attestées et authentifiées dans la modernité. Olympiodore (ca. 500-565), néoplatonicien alexandrin, est le représentant des derniers enseignements païens donnés à l’Aca­démie. La Renaissance n’a pas connu de traductions ou d’éditions de ses œuvres mais ses trois commentaires platoniciens sur le Premier Alcibiade (contenant la Vita Platonis), le Gorgias et le Phédon circulent en grec et sont annotés par Bessarion, dans son ouvrage l’In calumniatorem Platonis (1469), introduction à la pensée de Platon dans une perspective néoplatonicienne138. Ces commentaires sont également cités par Ficin dans sa Théologie platonicienne de 1482. Au xvie siècle, Diego Hurtado de Mendoza, Sebastiano Erizzo, Francesco Patrizi da Cherso et Lucas Holstenius s’en procurent des copies139. 138   Éd. C. Märtl, Ch. Kaiser, Th. Ricklin, “Inter graecos latinissimus, inter latinos graecissimus”: Bessarion zwischen den Kulturen, Berlin/Boston, De Gruyter, 2013. 139  Th. Leinkauf, Cusanus Ficino, Patrizi: Formen platonischen Denkens in der Renaissance, Berlin, Trafo Verl., 2014.

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Enfin, les quatre traités et les lettres du Pseudo-Denys l’Aréopagite140, néoplatonicien chrétien de Syrie, déjà constituée comme autorité doctrinale et théologique indiscutable à la période médiévale, connaissent une riche réception humaniste. Les Noms divins, la Théologie mystique, la Hiérarchie céleste et la Hiérarchie ecclésiale sont traduits par le moine humaniste Ambrogio Traversari en 1436 et 1437 et circulent sous forme imprimée en 1498 dans une édition préparée par Jacques Lefèvre d’Étaples. Ce support très fréquenté est ensuite supplanté par la nouvelle version de Joachim Perion de 1556. Ficin traduit la Théologie Mystique en 1491 et les Noms Divins, un an après, accompagnés de ses commentaires. Ces ouvrages sont publiés à Venise en 1496. Les traductions médiévales de Jean Sarazin (* 1539) et de Grosseteste sont associées, en 1502 et 1503, aux versions de Traversari et de Ficin, de même que les versions médiévales de l’Érigène et de Jean Sarazin, en 1556. Les commentaires de tous les traités dyonisiens effectués par Denys de Rickel (1402-1471) sont également associés à ceux de Ficin à ces mêmes dates. Les œuvres en grec sont publiées à Florence en 1516. La richesse de ces supports connaît néanmoins une exploi­tation inégale, la réception des doctrines étant dépendante des contextes culturels et idéologiques de ces nouvelles émergences. La coexistence du platonisme et du néoplatonisme  : étude des principaux mouvements intellectuels Platon versus Aristote  : une dimension polémique incontournable dans la réception des doctrines platoniciennes à Byzance et en Italie Malgré l’extraordinaire explosion des traductions, l’enseigne­ment de Platon est surtout florissant en dehors des universités, où il ne connaît pas de succès éclatant. Il est d’abord étudié par des gentilhommes éduqués qui forment eux-mêmes une audience d’humanistes, à la cour des papes et des princes. Les premiers humanistes141 eux-mêmes n’ont pas une connai­ssance très profonde de Platon et s’intéressent surtout à lui en ce qu’ils l’érigent 140  Michael J.B. Allen, On Dionysius the Areopagite. Marsilio Ficino, Cambridge (Mass.), Harvard university press, 2015. P. Magnard, «  Bovelles, lecteur de Denys  », Commenter et philosopher à la Renaissance  : tradition universitaire, tradition h­ umaniste, éd. L. Boulègue, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2014, p. 171-176. 141   P.‑O.Kristeller, «  The European Significance of Florentine Platonism  », Medieval and Renaissance Studies, J.‑M. Headley (Hrsg.), Chapel Hill, 1968, p. 206-227.



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en modèle de leurs thèmes favoris (empruntés aux enseignants byzantins)  : la sagesse, l’éloquence et l’art de les rendre complémentaires. La forme dialogique de son œuvre, même si elle résiste à une compréhension univoque et immédiate, leur semble offrir une littérature philosophique saine, susceptible de remédier aux interrogations spirituelles de l’époque, car la tradition rhétorique humaniste et la poésie, aussi éloquentes soientelles, présentent une certaine vacuité doctrinale et dogmatique. Le style de Platon, entre la poésie et la prose, comme le caractérisait Cicéron, présente donc une éloquence charmante et accessible à un public plus large que les seuls philosophes. Pleine de sagesse, elle est perçue sans opposition au dogme chrétien. Les humanistes prennent ainsi l’habitude de faire usage de Platon pour défendre les Studia humanitatis, contre les Philistins, en montrant comment ses arguments philosophiques reprennent étroitement les enjeux du Christianisme, avec des doctrines comme l’immortalité de l’âme et le châtiment des pécheurs après la mort. Platon, loin de devenir un objet circonscrit de l’université, circule et sert de lien institutionnel et politique, entre les lieux de savoirs, les écoles, les églises, pour faire oublier les dissonances des poètes païens et des divers acteurs de la société humaniste. La promotion de Platon enrichit les bibliothèques, encourage le mécénat culturel, et alimente finale­ment la lutte entre les villes italiennes142. En effet, les nouvelles élites courtisanes, avec leurs exigences spirituelles, font prospérer un platonisme citadin, qui relève surtout d’une posture culturelle en contexte socio-économique favorable et traduit un idéal dans le rapport entre vie active et vie contemplative. Le possible salut de l’âme, thème isolé et insuffisant pour parler de pratique du platonisme, reste néanmoins suffisant pour ce public, friand d’un platonisme sociétal de surface. La Renaissance de Platon naît donc, de façon indissociable et sous tensions, des comparaisons acerbes que son œuvre subit avec celle d’Aristote. Les érudits byzantins, avec l’avènement de Platon, renouvellent dans un même geste le conflit entre les partisans de l’­aristotélisme et ceux du platonisme, lequel avait été connu de manière mutilée et indirecte. Pétrarque143, à leur suite, est le premier humaniste italien à faire surgir Platon comme une alternative doctrinale et à décrier les enseignements scholastiques desséchants, construits sur la réception médiévale d’Aristote et dont la technicité s’avère impuissante à ériger des doctrines 142   Brian P. Copenhaver, Charles B. Schmitt, Renaissance philosophy, Oxford, New York, Oxford university press, 1992. 143  De sui ipsius et multorum aliorum ignorantia in Francesco Petrarca: Prose, éd. G. Martellotti et al., Milan-Naples, 1955.

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théologiques propres à imposer l’évidence de la sagesse, de la vérité et de la foi. La préfé­rence de Pétrarque pour Platon, déjà anticipée par Bonaventure et Henri de Gand, relaie aisément la culture patristique ancienne et dominante des byzantins ainsi que leur goût pour l’éducation et l’éloquence dont les textes anciens sont pourvus. Grâce à cette sensibilité culturelle, le renouveau du platonisme se propage encore pendant deux siècles, jusqu’au temps de Galilée. Leonardo Bruni, chancelier de Florence, Pier Candido Decembrio, Francesco Filelfo, poète de cour pour le Duc de Milan, appellent à la fin de l’hégémonie aristotélicienne. Ils revendiquent un nouveau plura­lisme. Filelfo avance que la sagesse doit être revue non pas seulement chez Aristote mais aussi chez les Anciens et même chez les Épicuriens. Dans le projet humaniste de pluralisme philoso­phique, Platon doit être considéré comme un atout. De plus, Platon est pionnier dans les méthodes prônées par les humanistes  : en s’appuyant sur l’autorité de Diogène Laërce, ils ont montré que le platonisme combine la morale socratique avec la métaphysique des Pythagoriciens, et la science naturelle d’Héraclite. Plusieurs thèmes platoniciens séduisent ces nouvelles figures du savoir humaniste et notamment les fonctions de la beauté et de l’amour dans la conversion de l’âme144. Ils vantent aussi la reconstruction d’une tradition platonicienne fortement structurée par un réseau cohérent de problèmes et de dispositifs conceptuels, qu’il suffit de remettre au goût du jour. Ainsi, Ficin pense que la plus grande menace pour la culture chrétienne reste la force montante de l’averroïsme et du sécularisme en philosophie. Ficin s’indigne de ce que les philo­sophes aristotéliciens (comme Nicolo Tignosi, son professeur) ne cherchent pas à réconcilier la foi avec leurs lectures philoso­phiques. La culture manque alors de cohérence. Ficin voit en Platon une philosophie divine145, en écho à la littérature patristique, propre à répondre, par son vaste corpus, aux besoins politiques et spirituels des Florentins éduqués, dévoués à la littérature classique. Les dialogues s’avèrent donc providentiels, au moment où la culture chrétienne vacille. Ficin aime à rappeler, comme Numénius, que Platon n’était autre que le Moïse, s’adressant aux Grecs attiques. La religion suit des dogmes que l’on ne peut discuter et reste mal représentée 144   Michael J.B. Allen, Studies in the platonism of Marsilio Ficino and Giovanni Pico, New York (N.Y.), Routledge, 2017. W.A. Euler, Pia philosophia et docta religio: Theologie und Religion bei Marsilio Ficino und Giovanni Pico della Mirandola, München, W. Fink, 1998. 145   J. Lauster, Die Erlösungslehre Marsilio Ficinos. Theologiegeschichtliche Aspekte des Renaissanceplatonismus, Berlin/New York, 1997.



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par la brutalité de la scolastique  : Platon lui, au contraire, sait mêler la religion et la philosophie dans un savant alliage. Une transformation majeure de la réception du platonisme à la Renaissance concerne aussi l’omniscience divine et l’usage d’un Platon circulant dans tous les savoirs. À partir du xive siècle, on mesure l’impossibilité d’utiliser sur un mode systématique l’aristo­télisme dans l’explication de la vérité révélée. La contingence terrestre, la providence universelle, les humanistes la déduisent de la lecture de Platon, considéré comme plus pénétrant dans les arcanes de la vérité théologique, dans la préconnaissance divine des archétypes idéaux éternels. Cette soif d’une pensée en expansion universaliste et cette aspiration à une science exemplaire divine continuent d’exiger l’étude des idées platoniciennes divinisées dans toutes les classifications des savoirs. Ainsi Pléthon146 lance-t-il le manifeste d’un nouveau platonisme pour confronter les points forts d’Aristote et de Platon, en théologie, métaphysique, logique, éthique, cosmologie. Platon dépositaire d’une sagesse définitive, héritier de la sagesse morale de Socrate, la métaphysique de Pythagore, la science de la nature avec Héraclite, doit être pensé partout et sur un mode unitaire sur les plans ontologique, politique, religieux. Ficin147 disait  :  «  Plato ubique religiosus est pariter atque philosophus  »  ; Antonius de Romagno, insiste sur une omniscience divine fondée dans les idées, in mente dei  :  «  Plato mundi artificem introducens quemdam archetipum mundum in mente sua disposuisse dicit  », forgeant le monde sensible semblable au monde intelligible et renouant avec la tradition d’Henri de Gand. À ce titre, il semble que les humanistes, même sans adopter un esprit de système face aux platonismes pluriels à disposition, aient restauré une sorte de cohérence aux idées de Platon  : la puissance divine dans la création infinie peut s’adosser à la méthode éclectique de Platon, rétive à tout classement dans les savoirs, et favorise la pensée de l’universalisme humaniste. Les fondements d’une science absolue dans les idées divines offrent la possibilité d’une représentation de l’omniscience et de l’omnipotence divines. La campagne humaniste pro-platonicienne ne doit cependant pas écraser de façon trop caricaturale les contrastes et les reliefs de ces paysages doctrinaux et idéologiques mouvementés, car ces derniers se nourrissent d’un creuset riche et complexe, où s’entremêlent les doctrines de Platon et celles d’Aristote. Bessarion maîtrise les sources de la philosophie 146   B. Tambrun, Pléthon. Le retour de Platon, «  Philologie et Mercure  », Paris, Vrin, 2007. 147  F. Mariani-Zini, La pensée de Ficin  : itinéraires néoplatoniciens, Paris, Vrin, 2014.

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antique mais se prononce pour une accélération de la diffusion et de l’étude des textes platoniciens en raison du contexte théologique. En effet, les théologiens et hommes d’église byzantins, réunis pour le concile de Ferrara-Florence148 en 1438-1439, soutiennent que les raisonnements syllogistiques et les principes logiques d’Aristote, pas plus que sa philosophie naturelle, ne satisfont plus les discussions interminables sur la question du filioque. La méthode scolastique est perçue par les Grecs comme un obstacle réel pour unir le lien entre les Grecs et les Latins. Platon et Denys sont au contraire vus comme des sources de respect et de concorde religieuse, que les commentateurs ont le devoir de mettre en valeur. Pléthon lui-même, dans la suite de l’empereur grec, donne des lectures de son De differentiis Platonis et Aristotelis149, pour prouver la supériorité de Platon sur Aristote, car Platon procure des fondations rationnelles pour la théologie chrétienne. Étant données les circonstances politiques, Pléthon y voit une occasion d’imposer la tradition philosophique grecque sur celle importée dans l’occident latinophone, ou tout du moins, de tempérer, grâce à Platon, les attitudes humanistes pro-scolastiques aristotéliciennes, avec les dogmes du schisme. Les humanistes tendent en effet à attribuer les divisions continues dans l’Église à l’arrogance intellectuelle scolastique des théologiens, plus qu’à leurs vraies différences doctrinales. Le platonisme occuperait ainsi un rôle d’apaisement dans ces conflits brûlants. À sa suite, l’archiprêtre Bessarion, plus tard cardinal catholique romain, use d’une conception néoplatonicienne de la noesis pour convaincre les Byzantins d’accéder à la formulation latine du Credo. Pour Bessarion, la critique des démonstrations théologiques ne résulte pas de considérations logiques et techniques ou même d’un quelconque scepticisme  : les discussions du dialecticien se limitent au monde ici-bas, temporel, humain et naturel  ; l’Esprit saint, l’inspiration au contraire, doivent être élevés à partir d’une philosophie supérieure. Dans son Oratio dogmatica de unione, son discours marque un tournant dans le Concile et fait du Platonisme la base d’une théologie de la concorde, montrant que les différences apparentes entre les positions orthodoxes et catholiques ne sont pas pertinentes, du point de vue de la noesis. Au xve siècle italien, l’antiplatonisme est tout aussi marqué, avec Giovanni Dominici (un prêcheur populaire de Sainte Catherine de Sienne), l’humaniste aristotélicien Georges de Trébizonde, le pape Paul II, le stoïcien 148   F. La Brasca, C. Landino et la culture florentine de la Renaissance, 3 vol., Lille, Atelier National, 1989. 149   B. Tambrun, Pléthon. Le retour de Platon, Paris, Vrin, 2008.



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Bartholomée Scala (chancelier de Florence sous Laurent de Médicis), le thomiste Dominique de Flandres et Savonarola, le grand prêtre dominicain et critique principal de Ficin, son rival dans les années 1490. Cet antiplatonisme du xve siècle peut expliquer la place marginale de ­Platon dans les enseignements universitaires oxonien et parisien. L ­ ’enseignement de Platon semble inexploitable d’un point de vue pédagogique, tant il est déficient sur le plan des structures apparentes, au contraire de la division des sciences aristotéliciennes. Les positions doctrinales ne sont pas clairement exposées, les dialogues sont peuplés d’interlocuteurs aux positions flottantes, et ne présentent aucune issue doctrinale claire. Certains dialogues présentent des déficiences morales irrecevables, comme le livre v de la République, où Platon fait de Socrate l’avocat d’un système de partage des femmes, des enfants et des biens. Les humanistes alimentent ainsi les critiques aristotéliciennes sur l’euthanasie, le service militaire pour les femmes, largement reprises par Lactance, Jérôme et les gloses de la Bible (glossa ordinaria). L’homosexualité, dans le Lysis, le Charmide, l’ivresse dans le Banquet, l’approbation des dieux du panthéon grec, que les Pères ont identifiés comme des Démons, Socrate étant lui-même considéré comme un démon, concentrent autant de positions inacceptables pour la société humaniste. D’un point de vue plus philosophique, les détracteurs de Platon réfutent l’immortalité et la préexistence de l’âme, la création sans commencement ex nihilo dans le Timée, pointent le problème de la matière première éternelle, vue comme un auxiliaire immédiat, domptée par le démiurge. Suite à ces débats, Bruni devient aristotélicien, tout comme Bartolomeo Scala et Ermolao Barbaro. En guise de réponse, Pier Candido Decembrio essaie de remettre de l’ordre dans la République, en ordonnant les arguments, les préfaces et les gloses, afin que l’ouvrage prenne l’apparence d’un traité politique systématique et structuré, qui ferait oublier les aspects obscurs et multidirectionnels. Ficin et Bessarion, quant à eux, montrent que les aspects immoraux forment des allégories, comme les passages immoraux de la Bible. Les nouvelles convergences du néoplatonisme et du platonisme à la Renaissance Le néoplatonisme, creuset doctrinal de sa propre matrice à Byzance et en Italie  : un platonisme renaissant, métissé des néoplatonismes grec et latin Dans la période tardo-antique, la pensée de Platon a formé la base de très importantes traditions philosophiques connues sous le nom de médioplatonisme et de néoplatonisme, dans lesquelles la théologie chrétienne,

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juive et islamique ont atteint leur maturité intellectuelle. À une période plus ancienne de leur développement, les littératures sacrées des trois grandes religions médiévales étaient établies sur des thèmes platoniciens et imprégnées du langage et du mode de pensée platoniciens. Ce platonisme latent dans les religions explique le succès du Platon chrétien à l’ère chartraine, puis à l’ère humaniste, sans négliger l’intérêt pérenne qu’il suscite, même de façon atténuée, au xiiie siècle. Dès lors, c’est par le vecteur du néoplatonisme théologique que s’organise en partie le renouveau du platonisme. En effet, le néoplatonisme grec puis latin150, succédant au moyen platonisme, fait prospérer, à la période médiévale, ses questionnements propres et son autonomie doctri­nale sans accès au corpus platonicien. Il cherche ardemment à percer le secret des doctrines platoniciennes du Parménide et dans une moindre mesure, du Timée, avec la lecture chrétienne de la création pour les latins et la lecture plotinienne de l’émanation pour les auteurs tardo-antiques grecs. Le néoplatonisme, progressi­vement séparé de sa matrice platonicienne, se développe surtout à partir de l’exposition de la procession du Premier vers la réalité sensible et le reflet de son modèle, telle que les médiévaux latins l’ont étayé, avec le Liber de Causis, initialement attribué à Aristote. Le platonisme naît donc une seconde fois, surgissant dans le creuset et le contexte installé du néoplatonisme, lieu d’incubation, dont le platonisme avait pourtant été l’origine. Le néoplatonisme, engendré par le platonisme, permet l’émergence d’un platonisme aux fondements philosophiques approfondis et révisés. Aux yeux de Ficin, par conséquent, il n’y a pas de distinction entre le platonisme et le néoplatonisme. Suivant l’autorité exégétique de l’école, il considère que la lecture néoplatonicienne vise à restituer voire à sauver le platonisme. En effet, les vifs débats autour des interprétations des dialogues platoniciens chez les néoplatoniciens soulignent l’intention de rénovation et de renouvellement de la pensée de Platon. Exposer une interprétation forte ontologique ou théologique des dialogues de Platon demeure un geste typique des représentants du néoplatonisme tardif, prolongé à la Renaissance (l’approche théologique des textes de Platon atteint son apogée avec les derniers représentants de l’École néoplatonicienne d’Athènes aux ve et vie siècles (Syrianus, Proclus, Damascius)151. 150  A.C.  Lloyd, The Anatomy of Neoplatonism, Oxford, Clarendon, 1990. Éd. C. D’Ancona, The Libraries of the Neoplatonism, Leiden, Brill, 2007. 151   A. Lernout, «  De la nature universelle chez Proclus (In Timaeum 9.25-12.25) et chez Ficin (commentaire sur le Sophiste, ch. 45)  », Commenter et philosopher à la Renaissance  : tradition universitaire, tradition humaniste, éd. L. Boulègue, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2014, p. 149-161.



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Bien que Ficin mène une activité de traducteur et de commentateur de Platon méthodique et rigoureuse, forte de son approche philologique, comme l’exige le commentarisme du xve siècle, le néoplatonisme reste, à ses yeux, porteur d’un horizon doctrinal fortement unitaire, qui absorbe les notions issues d’autres traditions spéculatives, comme certains fonds médiévaux et hermé­tiques152. L’hermétisme ficinien propose des objets théoriques propres, comme la signification du culte, le rôle de la magie ou l’exigence sotériologique mais le néoplatonisme offre, pour le commentateur, un espace conceptuel où tous ces sujets trouvent leur fondement théorique. La magie et la théurgie trouvent donc leurs coordonnées théoriques dans la théologie physique néoplatonicienne et dans la discussion sur les puissances de l’âme acquises par sa chute dans le corps. Ficin met ainsi en valeur, dans le cadre néoplatonicien, la signification des cultes à mystères élaborée par Platon lui-même. Ainsi, au côté de l’abondance de traductions littérales, fleurit un Platon néoplatonisé, caractérisé par des méthodes d’approche encore fortement imprégnées de scolastique, métissé de la même volonté de conciliation platonico-aristotélicienne qu’à la période tardo-antique et médiévale, et dont l’objet premier doit continuer de développer la théologie comme science. Au xvie siècle, quelques autres commentaires philosophiques de Platon paraissent, sans se départir, dans leur lecture, des matériaux compilés d’Henri Estienne et Jean de Serre  : ces derniers, contrairement au siècle précédent, tentent de dépouiller les textes platoniciens de leurs gloses néoplatoniciennes pour revenir à un Platon plus authentique, que l’on considère en harmonie doctrinale avec Aristote et utilisé par prudence en compatibilité avec le dogme chrétien. Sebastian Fox Morzillo commente ainsi le Timée en 1554, la République et le Phédon en 1556, Petrus Ramus, les Lettres, en 1549, et Louis le Roy, en français, la République, en 1552153. À l’ère de la Renaissance byzantine et italienne, le platonisme renaît de ses successions néoplatoniciennes et reste marqué par les reconstructions doctrinales des siècles précédents, où les sources littérales faisaient 152   S. Fellina, Modelli di episteme neoplatonica nella Firenze del 400: le gnoseologie di Giovanni Pico della Mirandola e di Marsilio Ficino, Firenze, L.S. Olschki, 2014. 153   A. Neschke-Hentschke, Platoninterpretation und ihre Hermeneutik von der Antike bis zum Beginn des 19. Jahrhunderts, Basel, Schwabe, 2010. Le Timée de Platon. Contributions à l’histoire de sa réception, Louvain-Paris, Peeters, 2000. Images de Platon et lectures de ses œuvres, les interprétations de Platon à travers les siècles, Louvain-Paris, Peeters, 1997.

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défaut. Dès lors, le platonisme ne renaît pas intact mais déformé, désormais ouvert à une forme de créativité et aux lectures critiques multiples, aristotéliciennes comme néo­platoniciennes. Le renouveau du platonisme pragois, seul, semble faire exception, et ménage une entrée de Platon sans le poids du néopla­tonisme, dans la droite lignée des héritages chartrains. Loin du néoplatonisme  : le platonisme pragois isolé, irrigué par Oxford et rejeté par l’Université de Paris En 1402, on distingue principalement trois écoles à Paris  : l’école exemplariste platonico-augustinienne, qui présuppose l’identification des idées divines et des universaux (universale ante rem), l’école aristotélicienne et réaliste (universale in re) résiduelle de l’ère thomiste puis scolastique, et l’école des nominales (post rem – l’intellect crée l’universel), dont Gerson fait partie, en disciple d’Ockham et de Pierre d’Ailly et dont les enseignements sont interdits à partir de 1465. Tous ces enseignements étant en voie de se désintégrer, on ne connaît pas bien les représentants parisiens154. Gerson entre particulièrement en conflit avec les formalistes en général, c’est-à-dire ceux qui identifient les idées divines avec des quiddités et des universaux et s’en prend aux maîtres pragois. Pour Wyclif155, toute créature a son être éternel, vital, intelligible dans l’esprit divin. Ainsi, les idées platoniciennes d’Augustin, telles qu’elles sont reçues par les universités médiévales de l’occident latinophone, questionnent à Prague les modes de séparation et d’abstraction de ces fondements matriciels divins présents au monde terrestre, actifs en Dieu et dans l’esprit divin et, de façon discutée, dans l’esprit humain. Les idées platoniciennes concourent à l’élucidation de la triple dimension ontologique des créatures  : leur être en Dieu, leur essence causale, leur existence temporelle. Les cercles pragois s’efforcent d’étayer, au cœur de la création, la nette séparation entre les idées, comme exemplaires, et les choses créées, comme conformes à leurs exemplaires156. Bien plus, Dieu, éternel et 154  Le terme même de nominalisme n’apparaît qu’à la fin du xve siècle, dans un mémoire adressé à Louis xi lors de la condamnation officielle de leur doctrine en 1474. 155   Adversaire du nominalisme d’Ockham, Wyclif diffuse en terre tchèque la doctrine augustinienne des idées platoniciennes  : les idées sont des causes, des formes et des vérités éternelles, modèles séparés des choses singulières. 156  F. Smahel, O. Pavlicek, A Companion to Jan Hus, Leiden-Boston, Brill, 2015. O. Pavlíček & V. Herold, «  Jan Hus  », The Oxford Guide to the Historical Reception of Augustine, vol. ii, éd. K. Pollmann, Oxford, Oxford University Press 2013, p. 1167-1170.



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incréé, admet ces idées en lui, à la fois identiques à lui et distinctes. Elles doivent ainsi être nécessairement inhérentes à une «  substance supersubstantielle  » et dans cette inhérence, elles obtiennent une distinction formelle. Essentiel­lement, les idées sont intégrées à Dieu et formellement, elles sont différentes de lui. Les formes platoniciennes pragoises, à la fois extérieures aux choses et à Dieu, deviennent progressivement des universaux divins qui préexistent aux choses sur un mode d’unité transcendant. Cette thèse, qui christianise des idées platoniciennes au sein des théologies trinitaires de la création et intègrent les vérités de la Genèse157 fait horreur à Gerson, car il condamne la pluralité de quiddités indépendantes de Dieu. Assimilés à des formalizantes qui prendraient en compte les idées platoniciennes originaires comme universaux séparés, existant in re extra Deum, hors des singuliers et hors de l’intellect divin, ces cercles sont fustigés comme hérétiques, Jean Gerson158 chasse Jérôme de Prague dès 1405, hors de l’université de Paris, puis participe à sa condamnation pendant le Concile de Constance dix ans plus tard. Qui se revendique de Platon à Paris, depuis Oxford avec Wyclif, depuis la Bohême avec Hus et Jérôme de Prague finit dans l’isolement, le rejet ou sur le bûcher. Bien que Giordano Bruno159, au xvie siècle en Italie, ait bouleversé tous les fondements antiques du platonisme et de l’aristotélisme, puisque Dieu n’est pas isolé du monde, que la terre n’est pas le centre d’un univers «  In memoriam of Vilém Herold (9. 15. 1933 – 9. 10. 2012)  », Bulletin de Philosophie Médiévale 54 (2013), p. 523-532. «  Two Philosophical Texts of Jerome of Prague and his Alleged Designation of Opponents of Real Universals as Diabolical Heretics  », The Bohemian Reformation and Religious Practice 8, éd. Z. David D. Holeton, (Journal of Philosophy Special Volume 3/2011), Praha, Filosofia, 2011, p. 53-77. «  La figure de l’autorité magistrale à travers Jean Hus et Jérôme de Prague  », Revue des Sciences Religieuses 85 n. 3 (2011), p. 371-389. O. Pavlíček & V. Herold, «  Jerome of Prague  », The Encyclopedia of Medieval Philosophy, éd. H. Lagerlund, Dordrecht et al., Springer, 2011, p. 584-587. O. Pavlíček & D. Holeton, «  Jerome of Prague  », The New Westminster Dictionary of Church History, London, Westminster John Knox Press, 2008, p. 350. 157   Dieu crée tout dans le commencement, c’est-à-dire dans le Fils, modèle et raison idéale de toutes choses. 158   Gerson n’a pourtant pas perçu que les formalistes pragois ne remettent jamais en cause la simplicité de l’essence divine, mais posent la nécessité conceptuelle d’une distinction formelle entre les idées divines et entre elles et Dieu, tout en étant inhérentes au Créateur. En retour, ces dissidents voient leurs nombreux opposants comme autant de dialecticiens diaboliques, qui n’envisageraient pas, comme la tradition augustinienne l’exige, des idées séparées, éternelles et vraies, mais y liraient au contraire la désolante traduction de simples signes du monde créé. 159  Giordano Bruno, De Umbris idearum, Ombre delle idee. Giordano Bruno, éd. G. La Porta, Roma, Editrice Atanor, 1978. Éd. G. Roccaro et A. Musco, Platonismo e aristotelismo nel mezzogiorno d’italia (secc. xiv-xvi), Palermo, Officina di studi medievali, 1989.

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infini et que les univers sont multiples, la pensée nolaine d’un Dieu immanent en collaboration étroite et réciproque avec la nature, envisage toutefois les idées divines comme des émanations progressives, qui pénètreraient les formes matérielles à travers l’esprit du monde et les idées divines se reflètent dans l’âme du monde comme images et formes, ces images se reflétant dans les formes matérielles. Quelques thèmes majeurs du néoplatonisme renaissant  : l’exemple de Marsile Ficin Ficin est le premier philosophe dans l’occident latin, qui, après la fin des écoles néoplatoniciennes, conduit une réflexion systéma­tique métaphysique, en suivant l’ordre des problèmes endogènes de la tradition néoplatonicienne. Sa réflexion porte sur les modalités de procession et de conversion de l’être à partir de l’Un ineffable, l’interprétation des hypothèses du Parménide et leur corres­pondance avec les niveaux de réalité, jusqu’à l’impossibilité de se représenter une quelconque forme d’unité. Il étudie aussi la conception de l’étant comme un mélange d’infini et de limite, la signification de la théologie physique à l’intérieur de laquelle la magie et la théurgie assument une signification spécifique. Il redéfinit par ailleurs les frontières entre l’intellect et l’âme et la détermination de la fonction médiatrice de celle-ci. Il étaye l’hypothèse de l’ochema, ou corps spirituel, comme médiation entre l’âme et le corps160. L’interprétation du Parménide souligne un moment essentiel de l’élaboration ficinienne, dans les déduc­tions tirées du non-être de l’un-qui-est. L’individualité de l’âme, en tant que différence et singularité, est analysée dans le contexte de la chute de l’âme dans le corps et dans les débats néoplatoniciens sur la substance et les facultés de l’âme. La lecture du Sophiste, qui n’a pour autre but que d’étayer le Parménide, doit contribuer à montrer que, pour Platon, le monde sensible tout entier se rapporte à son Créateur  : le monde sensible est l’ouvrage de Dieu, il procède d’une sagesse divine qui le pénètre tout entier et il est donc intrinsèquement bon. Cette conception théologico-cosmologique des intentions ­platoniciennes contribue à une interprétation positive de chacun de ses 160   Th. Leinkauf, Grundriss Philosophie des Humanismus und der Renaissance (13501600), Hamburg, Meiner, 2017. P.O. Kristeller, Marsilio Ficino e la sua opera cinquecento anni dopo, Figline Valdarno, Citta di Figline Valdarno, 2009. L. Rizzo, Durata, esistenza, eternità in Marsilio Ficino, Lecce, Pensa multimedia, 2005. P.O. Kristeller, Il pensiero filosofico di Marsilo Ficino, Firenze, Le Lettere, 1988. W. Beierwaltes, Marsilio Ficinos Theorie des Schönen im Kontext des Platonismus, Heidelberg, C. Winter, 1980.



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dialogues. Alors que les connotations que suggère le mot «  Sophiste  » sont plutôt péjoratives, le lecteur de Ficin, lecteur de Platon, doit au contraire comprendre par «  Sophiste  », un personnage divin sur le mode iconique, à savoir le démiurge sublunaire. Ficin promeut aussi le Timée de Proclus, qui expose clairement la doctrine selon laquelle la Nature Universelle est une hypostase intermédiaire entre l’Âme et le Corporel, une cause productrice (démiurgique) du Corporel, inspirée dans son action productrice, conservatrice et régulatrice par des principes divins antérieurs. Ficin prolonge donc l’interprétation de Proclus, selon lequel le Sophiste traite de la démiurgie sublunaire et des dieux encosmiques. Ficin, fort de ses sources littérales antiques, entend toujours ressusciter Platon dans les débats chers à son époque et pour cela, fait un usage créatif de la pensée néoplatonicienne  : la relation entre la vie active et la vie contemplative, la compatibilité de l’amour et de la connaissance. Il prend aussi position dans les discussions byzantines, pour savoir qui, d’Aristote ou de Platon, est le plus convaincant pour répondre aux exigences sotériologiques. Il recourt aux ressources conceptuelles du néoplatonisme pour éclairer les questions philosophiques contemporaines ou héritées de la période médiévale  : le rapport entre platonisme et théologie chrétienne, la discussion sur les universaux, les fondements de la croyance religieuse. Son interrogation centrale cherche à résoudre une difficulté inhérente à la pensée de Platon, à laquelle Plotin n’avait pas trouvé de traitement satisfaisant  : la métaphysique platonicienne, définie par la continuité de la procession, peut-elle rendre compte de la production d’êtres nouveaux  ? La causalité du premier principe se limite-t-elle à faire apparaître les êtres, sans les appeler à l’existence  ? Le concept chrétien de création ex nihilo permet de décliner les modalités de venue à l’existence de tout étant et le rapport de dépendance entre le créateur et la créature. Ficin souhaite montrer que la procession, produit des étants nouveaux. Sur ce point, les modèles néoplatoniciens sont remis en question par Ficin, qui s’efforce de déterminer sa conception de la procession et de la conversion, ainsi que les rapports entre l’intellect et l’âme, ou mieux de l’un-multiple et de l’un-et-multiple. L’âme entrant dans le temps produit les meilleurs mélanges, en vertu de sa multiplicité spécifique, qui est aussi le résultat de la dialectique entre l’identité et la différence, de l’un et du multiple, de l’être et du non-être. Somme toute, l’âme présente la même structuration interne que l’étant, tous deux étant des mélanges où les contraires s’articulent sans se confondre. La médiation de l’âme ne présente donc pas seulement le meilleur point de vue sur l’ordre de l’être, elle en est le principe de constitution. L’individualité de

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l’âme trouve sa justification dans sa nature rationnelle, qui désigne sa capacité de développer des formes nouvelles dans une multiplicité unie. La réflexion de Ficin révèle ainsi sa profonde connaissance de la tradition post-plotinienne. La relation entre Ficin et le christianisme présente enfin un certain nombre d’incompatibilités, qui forment autant de thèmes majeurs innovants dans la pensée du philosophe florentin  : Ficin revendique une forme de croyance religieuse naturelle et rationnelle qui donne lieu à des questions ontologiques et gnoséologiques, soulevées par le néoplatonisme. Les notions de transcendance et d’immanence, de génération et de contemplation, l’interprétation de la conversion sont déclinées de façon originale, car elles restituent la signification exacte de la beauté et de l’unité différenciée des étants. Pour Ficin, il s’agit d’examiner la légitimité de l’apparaître de la procession, vue comme une production des êtres nouveaux. La conception de la conversion exige constamment une mise au point des rapports entre l’acte de croire et l’argumentation philosophique. L’indépendance d’esprit de Marsile Ficin, sa culture éclectique et son extraordinaire contribution à l’activité de traduction, de diffusion et d’interprétation des textes platoniciens signent assuré­ment l’avènement d’un platonisme prometteur et fécond, comme philosophia perennis qui unit religion et philosophie par un lien idéal, sans cesse étayé par la créativité conceptuelle de Ficin. Bien plus, ce dernier nourrit ses lectures de Platon de ses savoirs néoplatoniciens. À ce titre, la Renaissance offre un corpus consi­dérable de textes garants d’un véritable néoplatonisme latin  : ce néoplatonisme, réunifié dans ses origines grecques et ses inno­vations latines, constitue un substrat élaboré du platonisme redécouvert et se donne pour vocation dynamique de s’enrichir continûment des perspectives originales qu’il amène à identifier au cœur de la pensée de Platon. Alice Lamy

LE NÉOPLATONISME LATIN AU MOYEN ÂGE

NOUVELLES PERSPECTIVES SUR LE PLATONISME GNOSTICISANT DE MARIUS VICTORINUS1 Chiara Ombretta Tommasi

(Université de Pise Dipartimento di Civiltà e Forme del Sapere)

Depuis plusieurs années, les recherches magistrales de Pierre Hadot ont contribué à l’éclaircissement presque définitif de la pensée de Marius Victorinus, qui joua un rôle très important dans le développement d’une philosophie chrétienne organique et cohérente2. Malgré les difficultés de son style et l’obscurité de ses idées, sa synthèse trinitaire est à certains égards la plus profonde et la plus structurée qui ait été proposée en Occident à l’époque de la controverse arienne3, même si son extrême subtilité technique l’empêcha d’être compris immédiatement par ses contemporains, à l’exception, peut-être, d’Augustin et surtout de Boèce4. Originaire d’Afrique, Marius Victorinus fut dans sa jeunesse l’auteur d’un certain nombre d’ouvrages de grammaire et de logique  ; il enseigna la rhétorique à Rome  : son succès fut tel qu’on érigea en son honneur une statue sur le Forum de Trajan5. En raison de sa conversion au christianisme très probablement à un âge avancé, pendant les années 350-360 (conversion narrée en détail par Augustin dans le livre huit des Confessions), il fut victime des lois antichrétiennes de l’empereur Julien et dut abandonner sa chaire d’enseignant. Victorinus composa alors, en vue de sa nouvelle religion, une série de traités théologiques ainsi que le premier commentaire latin des Épîtres de Paul, qui profitèrent de sa connaissance très 1   Nous sommes très reconnaissants à Jordi Pia, à Luciana Gabriela Soares Santoprete et à Alain Galonnier pour leur relecture attentive du texte et leurs précieuses suggestions. 2   Nous nous référons à ses monographies (P. Hadot, Porphyre et Victorinus  ; Id., Marius Victorinus), mais aussi à l’édition des Opera Theologica, réalisée en collaboration avec P. Henry et parue dans la collection des Sources Chrétiennes en 1960, dont nous citerons par la suite le texte et la traduction. Pour des études plus générales, on peut consulter assez utilement S. Gersh, Middle Platonism  ; M.  Colish, The Neoplatonic Tradition  ; M.  Baltes, «  Überlegung  »  ; Id., Marius Victorinus  ; Ch.‑O.  Tommasi, «  Introduzione  »  ; S.  Cooper, «  Marius Victorinus  », avec plusieurs références bibliographiques. 3   Cf. E. Benz, Marius Victorinus. 4   N.  Cipriani, «  La presenza  »  ; C.  Moreschini, «  Filosofia pagana  ». 5   Voir la mise au point de R. Chenault, «  Statues  ».

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approfondie du grec et de la spéculation philosophique  ; il a en outre traduit plusieurs ouvrages de philosophie néoplatonicienne6. Les deux éléments se combinent donc entre eux dans un mélange unique d’idées philosophiques et de connaissance doctrinale, unissant le néoplatonisme et la théologie trinitaire en une fusion constante entre termes scripturaires et termes philosophiques. Les Opera theologica, qui furent écrits environ entre 356 et 363 – année probable de la mort de l’auteur – sont un unicum dans la littérature latine chrétienne du quatrième siècle  ; pour certains spécialistes, ils constituent la seule œuvre métaphysique de la littérature romaine7. Pierre Hadot a eu l’immense mérite d’identifier les sources philosophiques de la spéculation de Victorinus chez Plotin, Porphyre et leurs prédécesseurs médio-platoniciens (Numénius, Alkinoos, mais aussi les Oracles chaldaïques) et de démontrer sa dette à l’égard du Parménide de Platon, et surtout d’un commentaire anonyme à ce dialogue qu’il estimait postérieur à Plotin et attribua à Porphyre. à côté des aspects, dans ce commentaire, qui font supposer une datation tardive ou un système néoplatonicien post-porphyrien, on peut aussi penser qu’Hadot fut inspiré par le Zeitgeist de son époque, qui regardait Porphyre comme le «  maître des esprits  » dans l’Occident latin8. Grâce à ces sources hétérogènes, ­Victorinus   Il s’agit peut-être des Ennéades de Plotin (P. Courcelle, «  Litiges  »), ou de la Philosophie tirée des Oracles de Porphyre (P.‑F. Beatrice, «  Quosdam Platonicorum Libros  »). Cf. aussi H. Marti, «  Das Übersetzen  ». 7   On désigne sous ce nom les trois lettres qui composent l’opus à l’Arien Candidus et qui traduisent en latin des documents de la controverse  ; les quatre livres de l’Aduersus Arium, où Victorinus présente une réfutation détaillée de l’arianisme et surtout de ses développements pendant les années 358-361  ; le traité De homoousio recipiendo, dédié à ceux qui, sans adhérer à des positions radicales, hésitaient à accepter la doctrine sanctionnée par le Concile de Nicée  ; enfin, trois Hymni de Trinitate, en prose rythmée. 8  Ce commentaire a été édité aussi par A. Linguiti, Commentarium. L’attribution à Porphyre, acceptée par J. Dillon, «  Porphyry’s Doctrine  » et H.D. Saffrey, «  Connaissance  », a été mise en question par G. Bechtle, The Anonymous Commentary, qui propose une datation antérieure à Plotin, tandis que M. Baltes, Marius Victorinus, est enclin à favoriser une datation tardive, au quatrième siècle. Sur la question, on verra aussi les volumes collectifs édités par K. Corrigan et J.‑D. Turner, Plato’s Parmenides. Si l’hypothèse de Bechtle a joui d’une certaine considération dans les milieux anglo-américains, on ne peut pas négliger le scepticisme avec lequel elle a été accueillie ailleurs, surtout par les spécialistes du Néoplatonisme (voir par exemple les compte rendus de L.‑P. Gerson, BMCR 2001.02.28, http://bmcr.brynmawr.edu/2001/2001-02-28.html, et surtout de M. Zambon, Elenchos 20, 1999, p. 194-202). Sur la question on verra aussi R. Chiaradonna, «  Nota su partecipazione  », qui, tout en nuançant certaines thèses de Pierre Hadot, retient pourtant l’attribution à Porphyre, et notifie un certain apport au lexique aristotélicien. On notera toutefois (avec M.J. Edwards, «  Porphyry  », p. 23, et S. Cazelais, «  L’expression  ») la présence, dans ce commentaire, d’expressions qui semblent être tirées de milieux étrangers au platonisme, à savoir ἡνάς, πλήρωμα, ὁ ἐπὶ πᾶσι θεός. 6



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fut en mesure de développer une métaphysique très articulée, en évitant pourtant toute interprétation qui, prise à la lettre, serait susceptible d’être perçue comme arianisante  : par exemple, la subordination de la deuxième Personne à la première, même si sa théologie du Logos semble être toujours liée à des schémas archaïques (en général, il se conforme à la tradition philosophique du platonisme moyen lorsqu’il interprète le Père comme immobilité et repos, et le Fils comme mouvement)9. Son trait le plus original est sans doute l’égalité des Personnes, qui se distinguent par la prédominance d’un aspect ou d’un autre, comme on le verra dans les pages qui suivent. En se fondant sur les auteurs susmentionnés, Victorinus théorise un système méta­physique assez complexe, caractérisé par la distinction entre l’être de l’essence et celui de la prédication (en d’autres termes, le niveau ontologique et épistémologique), qui amène souvent à hypostasier le logos, c’est-à-dire la raison interne à la nature et douée de puissance démiurgique. Une grande partie des spéculations à propos de Dieu et de la progression des êtres sont tirées du Parménide de Platon, car ce dialogue a pour but la connexion entre Être et pluralité  : l’exégèse du Parménide explique comment les créatures, en tant qu’images de l’être, peuvent être intégrées dans l’unité suprême. Il est donc crucial de distinguer entre eux l’esse, c’est-à-dire l’être pur, équivalent de l’Un, selon une théologie théomoniste, ou parfois séparé de l’Un et situé à un niveau inférieur, et l’ens, l’étant, la créature. La réalité est structurée d’une façon hiérarchique décroissante et trouve son origine dans les théophanies émanant de l’Un, qui permettent d’apercevoir le divin dans la création. Si le premier Un est l’existence absolue en soi, le deuxième se compose des noms divins dans une sorte d’indétermination  ; c’est seulement au troisième degré, celui de l’«  Un-plusieurs  », que devient possible la manifestation ontogénétique des êtres. Ce schéma, formulé par l’historien de la philosophie islamique Henry Corbin, peut bien se superposer aux Opera theologica, dont la question cruciale est l’explication des relations entre les deux premières personnes de la Trinité (l’Esprit saint représentant l’aspect du retour du Logos)  : autrement dit, le passage de l’Un à la multiplicité10. 9   M. Simonetti, La crisi ariana, p. 287-298. On remarquera que des tendances archaïsantes sont perceptibles ailleurs dans l’Occident latin du quatrième siècle, par exemple dans le commentaire de Chalcidius au Timée  ; d’autre part, le même Commentaire anonyme au Parménide semble retenir certaines doctrines attestées dans une période pré-plotinienne, lesquelles, en dernière analyse, ont amené à en situer la rédaction dans un milieu médio-platonicien. 10   H. Corbin, Le paradoxe. L’article récent de M. Bonazzi, «  Platonismo  » tend, en revanche, à sous-estimer l’apport de la philosophie médio-platonicienne à l’interprétation

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Pour être plus précis, la description du Père, la première Personne de la Trinité, présente de nombreux aspects en commun avec les descriptions du premier principe de la philosophie du moyen et du néoplatonisme. Au début de son travail, Victorinus insère une déclaration de principe sur l’impossibilité de l’homme à décrire la perfection et l’omnipotence de Dieu, où se mêlent réminiscences philosophiques et bibliques  ; mais il ajoute aussi une explication détaillée des présuppositions théoriques de l’appréhension de la nature divine, en affirmant que celle-ci doit être considérée comme un non-être – non pas per negationem (dans la mesure où elle est dépourvue de tout), mais plutôt per supra­lationem (à savoir, en raison de son excellence)11. Cette affirmation est répétée plusieurs fois, avec des expressions qui soulignent l’impossibilité de parler de Dieu ou de le connaitre, son infinitude, toute absence de limites ou de détermination, le manque de passion ou de corruption, ou plusieurs attributs spécifiques (absence de corps, de qualité, de couleur, de forme, de participation, etc.)12. La longue section de l’Aduersus Arium (=  Adu. Ar.) i, 49, 7 ss. est encore plus significative en ce qui concerne la doxologie du Père par du Parménide  : il est sans doute vrai que ce dialogue fut objet de réflexions surtout dans la phase tardive du Néoplatonisme (comme Corbin le reconnaît également) et que nous n’avons pas d’évidence de commentaires médio-platoniciens sur ce dialogue  ; mais il nous semble plus prudent de revenir à la supposition formulée par E.R. Dodds, «  The Parmenides of Plato  », à savoir qu’on peut retracer déjà chez les représentants du Néopythagorisme de la première époque impériale les prodromes d’un certain intérêt pour la spéculation sur l’Un, tirée justement du Parménide (à cet égard on verra les contributions dans la première section du volume de K. Corrigan et J.‑D. Turner, Plato’s Parmenides, où par ailleurs la thèse de Dodds a été nuancée par J.N. Hubler, «  Moderatus  »). 11   Cf. Ad Candidum 13, 5 et aussi Adu. Ar. iv, 23, 25. 12   Sur les attributs négatifs chez Victorinus, voir Ch.‑O. Tommasi, «  Viae Negationis  ». Certains d’entre eux remontent à Platon  : ceux, par exemple, qui nient l’existence des genres suprêmes en Dieu, à savoir l’existence, la substance, la vie, l’intelligence, mais aussi la forme (cf. Parm. 137d) et la couleur (Phèdre 247b). On peut aussi ramener à la doctrine platonicienne des attributs comme l’invisibilité, l’immatérialité, l’incorporalité, l’immobilité et le calme (ce dernier subissant l’influence de l’image du moteur immobile d’Aristote). Une autre caractéristique intéressante à considérer est le fait que Dieu est simple et dépourvu de qualité. Victorinus a forgé l’hapax inqualitas, qui est un calque du grec ἄποιος, un adjectif fréquent dans la littérature philosophique grecque, bien que non attesté sous sa forme nominale. En outre, chez Victorinus, Dieu est curieusement décrit comme sans qualité en même temps que sans non-qualité. La même caractéristique est attribuée à Dieu depuis Alkinoos (Didask. x, p. 24, 10 Whittaker–Louis). Deux autres caractéristiques sont tout aussi intéressantes, en raison de leur rareté  : inpartilis (Adu. Ar. ib, 49, 23), qui traduit le grec ἀμερής (Sophiste 245e) ou ἀμεριστός (Théétète 205c), et le concept de Dieu comme sans participation (inparticipatus  ;  ἀμέθεκτος). Ce dernier adjectif est également très rare (on trouve des parallèles chez Proclus, El. Theol. 23 et Denys l’Aéropagite, Hiérarchie céleste PG 3, 284C-E, et Les noms divins PG 3, 644B, avec le nom ἀμεθεξία).



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r­ apport à la première hypothèse du Parménide. Le passage est très élaboré sur le plan rhétorique et offre un témoignage éclairant de la théologie oppositive, c’est-à-dire celle où se mélangent attributs positifs et négatifs en un même temps13. On y voit donc la simplicité et l’unicité, qui est aussi exprimée par la totale transcendance  : Dieu est au-delà du nombre, au-delà de l’être et de l’existence et de toutes les autres caractéristiques semblables (substance, vie, etc.). Il s’agit probablement d’un élargissement progressif de la célèbre définition platonicienne sur le Bien au-delà de l’essence et de l’intellect (Rép. 509b). Le texte présente certaines réminiscences d’Alkinoos et d’Apulée, notamment les passages sur la théologie négative en Didaskalikos 10 et De Platone i, 514. La notion d’unicité divine est étroitement liée à la notion d’un Dieu simple par sa nature, qui est attestée déjà chez Platon, Aristote et Xénocrate, mais deviendra cruciale dans le platonisme moyen et plus tard dans la spéculation de Plotin. En effet, le manque de simplicité a été considéré par les platoniciens comme un élément négatif, car il implique une sorte de contamination de l’Un15. Victorinus rapporte donc cette notion au Père, mais le plus souvent aux trois Personnes de la Trinité, en se fondant sur l’exégèse des Oracles chaldaïques proposée par le Commentaire anonyme au Parménide (ix, 3)  : «  Ils concèdent [le texte étant ici lacunaire en ce qu’il manque d’un sujet, on peut supposer qu’il s’agit des «  Oracles  »] néanmoins que sa puissance et son intellect sont co-unifiés dans sa simplicité  »16, où la δύναμις et l’intelligence sont unies au Père dans la simplicité – un passage qu’on pourrait comparer avec Adu. Ar. i, 50, 10  : Simplicitate unus qui sit tres potentias couniens. Étant un en sa simplicité, il unit pourtant intérieurement, en lui-même, ces trois puissances.

Dans la réflexion développée en Adu. Ar. iv, 13, 20, Dieu est caractérisé par une simplicité première et génératrice de vie, tandis qu’en iii, 1, 13   Sur cette caractéristique par rapport à Plotin (vi, 9) et au Commentaire de Turin, voir M. Zambon, dans son compte rendu du livre de Bechtle. 14   Voir, sur ces passages, M. Abbate, «  Non dicibilità  », et C. Moreschini, Apuleius, 230. À propos du passage apuléen, R. Van den Broek, «  Apuleius  », souligne l’emploi du terme beatificus, qui est étranger au langage platonicien et est probablement inspiré par la littérature gnostique. L’expression est aussi discutée par B. Pieri, «  Mediazioni (neo)platoniche  », qui pourtant n’a pas connaissance de la thèse de Van den Broek. 15   Cf. Platon, République 380d  ;  382e  ;  Théétète 205c.  ;  Arist., Métaphysique D 1015b 11-12  ;  Xénocrate, Fragment 213 Isnardi (= 15 Heinze)  ; Plotin, Ennéades ii, 9, 1  ;  v, 3, 11  ;  v, 5, 6  ;  v, 5, 10. 16   Trad. dans P. Hadot, Porphyre, vol. 2, p. 91.

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26 on perçoit des échos pythagoriciens, à propos de la notion de transcendance divine et de sa supériorité sur les nombres  ; de plus, Dieu est décrit comme au-delà de la simplicité (iv, 19, 10)  : Verum esse primum ita inparticipatum est, ut nec unum dici possit, nec solum, sed per praelationem, ante unum et ante solum, ultra simplicitatem, praeexistentiam potius quam existentiam. Mais l’être premier est à ce point non participé que l’on ne peut même pas l’appeler un ou seul, mais plutôt par prééminence, avant l’Un, avant le seul, au-delà de la simplicité, préexistence plutôt qu’existence17.

Ces données établies, nous aimerions explorer une question un peu différente, à savoir les rapports entre Victorinus et certains écrits anonymes du corpus gnostique de la Bibliothèque de Nag Hammadi, qui ont été datés dans l’original grec de la moitié du troisième siècle, et que l’on a fait remonter au séthianisme. Ils présentent de nombreuses similitudes avec les auteurs platoniciens et le contexte culturel qui a inspiré Victorinus, manifestant très clairement l’influence du platonisme moyen18. En effet, le passage précité, notamment la description du Père au chapitres 49-50, avec le mélange si caractéristique de théologie positive et de théologie négative, a été corrélé par Michel Tardieu à une section doxologique du traité Zostrien, qui est malheureusement assez lacunaire (64, 13 à 66, 11  ; 74, 8 à 75, 24). On ajoutera qu’un passage semblable est contenu dans les pages finales de l’Allogène (63 s.). Pour expliquer ces ressemblances entre les deux, Tardieu a supposé l’existence d’une source commune d’origine médio-platonicienne, surtout parce que, à son ­sentiment, l’exposé de la 17   La même idée est reprise dans le passage de iv, 23, 8 s., où le développement de la monade paternelle dans les trois Personnes semble avoir un parallèle dans l’image chaldaïque de la monade qui est contemplée d’une façon triadique dont nous parle Jean le Lydien, De Mensibus ii, 6, p. 23, 9 Wünsch  : «  Lorsque la monade est contemplée dans la triade, on peut comprendre l’image de l’hymne, ‘vers celui qui est une fois au-delà’  ». On fait généralement remonter à Porphyre la doctrine, très voisine, du non-être comme supérieur à l’être, qui est expliquée dans la Sentence 26  : «  Il y a le non-être que nous engendrons une fois séparé de l’être et celui dont nous avons une prénotion quand nous sommes attachés à l’être  ; dès lors, si nous avons été séparés de l’être nous n’avons pas de prénotion du non-être au-dessus de l’être, mais nous engendrons une passion trompeuse, le non-être, qui advient chez celui qui est sorti de soi-même  » (trad. Porphyre, Sentences). Sur ce passage et surtout sur la digression de Victorinus à propos des quatre modes du non-être (ad Cand. 4 s.), on verra l’article très intéressant et novateur de S.  Emmel, «  Not Really  ». 18  Nous faisons référence surtout aux traités Allogène (NHC xi, 3), Zostrien (NHC viii, 1), Marsanès (NHC x) et Les trois stèles de Seth (NHC vi, 5), dont la matrice séthienne est généralement acceptée (mais on verra les réserves formulées par J.‑D. Dubois, «  La ritualité  »)  ; dans la suite de l’article, les textes seront cités d’après la version française publiée par les soins de l’Université de Laval.



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théologie positive dans la paraphrase qu’en fait Zostrien est assez limitée et ressemble à un «  patchwork comportant maladresses, omissions et contresens  », qui n’a pas pu «  avoir produit la structure bien charpentée des propositions constituant l’argument de théologie positive de l’exposé en i 50, 1-21  »19. À la suite de cette découverte, le débat sur la datation du commentaire de Turin a intégré un examen plus approfondi de ces écrits séthiens et un meilleur éclaircissement de leurs relations avec la philosophie20. De fait, si l’on suppose que Victorinus et l’auteur du Zostrien furent inspirés par une source grecque commune, on peut en déduire que la réflexion et l’élaboration de certains concepts à propos du premier principe eurent lieu antérieurement à Plotin, et que l’auteur du commentaire au Parménide (quel qu’il soit) fut influencé par certaines doctrines élaborées au sein des milieux gnostiques. Pourtant, si, d’un côté, les consonances entre Victorinus et l’auteur du Zostrien n’offrent pas suffisamment de précision pour déterminer exactement la chronologie du commentaire au Parménide et établir le degré d’élaboration du texte originel du Zostrien, d’un autre côté, ils semblent confirmer la précision du traducteur copte, qui devait faire face aux difficultés que représentait la traduction de textes riches en technicismes et concepts philosophiques presque intraduisibles. Tout en suivant l’analyse de Tardieu et en reconnaissant la grande importance de sa découverte, nous souhaitons néanmoins apporter quelques modifications aux conclusions du savant français. En effet, nous croyons que Victorinus avait de toute façon une connaissance directe des textes gnostiques, sans que cette acquisition implique de nier la matrice philosophique de la majeure partie de son œuvre21. Du reste, Pierre Hadot 19   M. Tardieu, Recherches, p. 112  : en outre, Tardieu souligne l’erreur de Victorinus à propos de la Sophia valentinienne (Adu. Ar. 16, 1), qui témoignerait de sa «  piètre connaissance  » du gnosticisme. Il suppose enfin que Victorinus n’aurait pas voulu employer un texte honni de l’école de Plotin. L. Brisson, «  The Platonic Background  », renforce l’hypothèse originelle de Tardieu et identifie Numénius comme le probable auteur de cette source commune. 20   À cet égard on fera référence aux nombreux travaux de J.‑D. Turner, notamment Sethian Gnosticism  ; «  Sethian Gnosticism  »  ; «  The Anonymous  ». Les relations entre ces textes et la philosophie platonicienne ont déjà été soulignées à partir de la moitié des années 1970, et surtout au cours de la décennie suivante (voir l’excellente synthèse fournie par M. Tardieu, Recherches, p. 9-17). 21   Voir Ch.‑O.  Tommasi «  Tripotens  »  ; «  L’androginia  »  ; «  Viae negationis  ». Le Père Antonio Orbe avait déjà souligné, dans ses volumes consacrés à la gnose valentinienne, que Victorinus partage certains motifs avec ces écrits. Ses considérations apparaissent d’autant plus remarquables qu’à l’époque les textes de Nag Hammadi (qui nous ont apporté une connaissance capitale et de première main du gnosticisme) n’étaient pas encore édités  ; et Pierre Hadot aussi avait signalé dans son édition (1960) certains parallèles soit avec l’Apocryphon Iohannis dans la rédaction du codex Berolinensis 8502, soit

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était du même avis lorsqu’il envisageait l’hypothèse selon laquelle Victorinus, en tant que chrétien, aurait pu également avoir connaissance de ces courants peu conformes aux doctrines de la Grande Église et fortement inspirés par la philosophie platonicienne22. Par ailleurs, on ne doit pas oublier que Victorinus utilise des documents chrétiens contemporains en prise sur les enjeux de la controverse, à savoir des lettres d’Arius et d’Eusèbe de Nicomédie. Ainsi, était-il en mesure d’avoir accès à une grande diversité de sources et de s’en servir très librement. De fait, certains passages de Victorinus semblent avoir été influencés par des thèses gnostiques, notamment l’emploi d’images singulières et inattendues dans la littérature platonicienne «  pure  » ou, pour mieux dire, «  technique  », au point que l’on a pu parler de «  platonisme mythologique  »23. D’une manière plus générale, on ajoutera volontiers que les recherches les plus récentes ont eu pour but de souligner les relations osmotiques et mutuelles entre gnosticisme et platonisme  : du reste, l’empreinte philosophique, notamment platonicienne, des gnostiques, était bien reçue pendant l’Antiquité tardive, au point que déjà Tertullien adresse des reproches à Valentin parce qu’il se montre platonicien, et qu’une grande partie de la polémique menée par Plotin s’appuie sur ce qu’il considère comme des interprétations fautives du texte de Platon (sans compter le fait que, parmi les textes retrouvés à Nag Hammadi, avec le valentinianisme d’Héracléon. Malheureusement, ni les travaux d’Orbe, ni les nôtres n’ont suscité suffisamment d’attention dans la communauté scientifique, sauf quelques remarques (chez M.J. Edwards, R. Majercik, S. Cooper). De toute évidence, c’est parce que l’italien ou l’espagnol sont dans l’actuel monde anglophone comme le grec pendant le Moyen Âge  ; à cet égard, on notera que les passages que nous avions mis en évidence en 1996 et 1998 ont été discutés aussi par T. Rasimus, «  Johannine Background  » en 2013. 22   P. Hadot, «  Porphyre et Victorinus  », p. 125. Nous nous réjouissons de voir que V.H. Drecoll, «  The Greek Text  », p. 211 s., et «  Is Porphyry  », semble partager les mêmes conclusions auxquelles nous étions parvenue dans les travaux indiqués à la note précédente  : «  That Victorinus directly used Zostrianos (or an earlier stage of it) or a text that depended on it is an alternative we cannot exclude by referring to the common source  » («  The Greek Text  », p.  212). 23  Sur la tendance gnostique à mythologiser, voir I.P. Couliano, Les gnoses  ; ­J.‑D. ­Turner, Sethian Gnosticism, p. 132. Nous avons résumé les principaux points de contact entre gnosticisme et philosophie dans Tommasi Ch.‑O., «  Gnosticismo  »  ; mais on verra plus récemment W. Löhr, «  Christian Gnostics  » et E. Thomassen, «  Gnosis and Philosophy  », qui aborde la question sur un plan socio-historique et met en lumière ces notions comme résultant de communautés de croyances, rituels et modèles scolastiques  ; Thomassen souligne aussi la rupture avec le modèle traditionnel de la transmission ou de la chaîne des savoirs. En effet, les maîtres et les scholarques gnostiques se servirent des doctrines néopythagoriciennes et platoniciennes «  as a structural skeleton for their systems  », mais la composante sotériologique et l’accent mis sur la fonction rédemptrice du Saveur deviennent prépondérants.



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figure une traduction partielle de la République et des Sentences de Sextus)24. On peut aussi rappeler que Plotin lui-même cite un passage du Zostrien (9, 16-20) en Ennéades ii, 9 (33), 10, 19-3325. Il ne nous semble donc guère étonnant que Victorinus, qui a, par ailleurs, largement employé un texte comme les Oracles chaldaïques (même par la médiation de Porphyre)26, ait aussi puisé dans les sources gnostiques, au moyen desquelles il pouvait retracer des éléments d’un certain intérêt pour l’élaboration d’une philosophie chrétienne, justement en reconnaissant cette influence chrétienne, si hétérodoxe fût-elle  ; on doit ajouter que les derniers témoignages du gnosticisme nous révèlent un rapprochement avec 24   Voir à ce propos G. Sfameni Gasparro, La conoscenza, p. 207 s. Toutefois, sur la question on fera surtout référence aux recherches de L.‑G. Soares Santoprete, qui est en train de publier l’édition du Traité 32 (v, 5) et 33 (ii, 9) de Plotin (ce dernier avec M. Tardieu), et au volume collectif édité par elle-même, Plotin et les Gnostiques, sous presse. Voir aussi Eadem, «  Tracing the connections  ». Parmi les ouvrages antérieurs, mérite d’être mentionnée l’étude monographique de Z. Plese, Poetics. D.‑M. Burns, Apocalypse, qui offre une synthèse très efficace sur la question et des thèmes plus importants. À propos du séthianisme, l’affirmation formulée par M. Bonazzi, «  Platonismo  », p. 26, sur la prétendue aporie à laquelle on aboutirait en voulant concilier les adversaires gnostiques de l’école romaine de Plotin (Porph., Vit. Plot. 16), qui étaient chrétiens, et les écrits platonisants de Nag Hammadi (non-chrétiens), n’a pas de raison d’être  : la question de l’interprétation du passage porphyrien sur le τῶν Χριστιανῶν πολλοὶ μὲν καὶ ἄλλοι, αἱρετικοὶ δὲ ἐκ τῆς παλαιᾶς φιλοσοφίας ἀνηγμένοι et sur la nature réelle de ses sectateurs est bien connue  ; il n’est donc pas nécessaire de la résumer ici. On peut supposer, avec M. Tardieu («  Les gnostiques  »), qu’en toute probabilité la situation des gnostiques romains reflètait la pluralité de vues dont témoigne la «  bibliothèque  » de Nag Hammadi, où coexistent des textes d’inspiration valentinienne et séthienne. En outre, il nous semble indéniable que le gnosticisme dans son ensemble était un mouvement issu du sein du Christianisme, même si ses aboutissements furent presque immédiatement de nature contraire. En conclusion, le manque quasi total d’éléments chrétiens dans les écrits platonisants de Nag Hammadi ne doit pas inspirer de soupçons, et l’on peut considérer ce fait comme l’indice de l’extrême variété de l’univers gnostique. Par ailleurs, la récurrence des mêmes noms dans les écrits de Nag Hammadi et dans le passage de Porphyre (Zostrien, Allogène, Messos, Marsanès) doit nous induire à penser qu’il s’agit justement des mêmes ouvrages. On pourrait plutôt discuter d’une question un peu différente et déjà soulevée par d’autres  : la rédaction des textes qui nous sont parvenus en traduction copte reflète-telle une étape postérieure à la polémique avec Plotin  ? En d’autres termes, ces textes furent-ils remaniés après les débats avec Plotin (voir R. Majercik, «  The Existence-LifeIntellect Triad  »  ; L.  Abramowski, «  Marius Victorinus  »  ; V.H.  Drecoll, «  Is the Greek Text  », p. 212), question que, par ailleurs, nous croyons pertinente et complexe – voir aussi M. Tardieu, Recherches, p. 112  ; T. Rasimus, «  Porphyry and the Gnostics  », p. 86 s.  ; Z.  Mazur, «  The Platonizing  »  ; J.‑D.  Turner, «  The Anonymous  », avec d’autres références à des travaux inédits de Zeke Mazur. 25   M.  Tardieu, «  Plotin citateur de Zostrien  »  ; J.‑D.  Turner, «  The Platonizing  », p. 172. 26   Après H. Lewy, Chaldaean Oracles, et P. Hadot, Porphyre, cf. M.‑J. Huh et J. Pia, «  Pour un index  »  ; en particulier S. Cazelais, «  Prière et élévation  » souligne une certaine tendance «  mystique  » dans l’utilisation des Oracles par Victorinus.

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la Grande Église et parfois une tendance à adopter des positions nicéennes27. Sans doute l’idée d’une connaissance directe se révèle-t-elle moins compliquée, mais surtout, à notre avis, on doit interpréter l’usage des sources de manière plus flexible que celle des schéma­tismes de la Quellenforschung, en prenant en considération la liberté de l’auteur et son activité, pourrait-on dire, «  éclectique  »28  : à côté de passages qui sont redevables à sa formation scolaire et sont presque intégralement tirés de textes antérieurs (par exemple les passages dit «  porphyriens  » décelés par Hadot, ou la section reproduisant le Zostrien), nous sommes en mesure de supposer un usage plus créatif des sources, que Victorinus aurait pu entremêler et réélaborer d’une manière autonome29. L’objection 27   On peut aussi penser à un rapprochement entre catholicisme et gnosticisme sur la base de leur antiarianisme au début du quatrième siècle (voir M. Tardieu, «  Une diatribe  »  ; R. Mortley, «  The Name of the Father  »  ; M.J. Edwards, «  The Epistle to Rheginus  »)  ; à ce sujet L. Abramowski, «  Audi ut dico  » a proposé l’idée que Victorinus a pu utiliser un dossier gnostique qui circulait dans les milieux nicéens de Rome sans être conscient de son contenu doctrinal. Dans un proche avenir, nous espérons approfondir l’examen du passage, de tendance eunomienne et probablement anti-gnostique, qu’on trouve inséré comme une interpolation au troisième livre des Recognitiones, car certaines de ses particularités lexicales apparaissent proches de l’usage qu’en fait Victorinus. 28   Bien que nous ne soyons pas d’accord avec toutes ses conclusions, nous signalerons l’article de C. Dell’Aversano, A. Grilli et M. Nervi, «  La legge di Axelson  », où le critère esthétique, touchant des questions de priorité et d’imitation entre deux textes, est justement mis en lumière, critère que d’habitude la philologie traditionnelle tend à négliger (ou qui, au mieux, est implicite dans la formulation d’un jugement de valeur). À cet égard, on notera le préjugé qui existe toujours chez certains historiens de la philosophie qui nient tout apport doctrinal des gnostiques. Sur la méthode de la Quellenforschung voir la discussion subtile et précise de J. Mansfeld et D. Runia, Aetiana, p. 3-31, à propos de l’édition Diels des Doxographi Graeci. Sur les correctifs qu’on apportera à la recherche des sources traditionnelles, voir p. 12 (en particulier sur la dite «  contamination rétrograde  ») et 17 s. 29   Sur un plan méthodologique on peut lire les considérations formulées au début de son livre par Z. Plese, Poetics, qui se sert très finement des théories modernes sur l’intertextualité. V.H. Drecoll, «  The Greek Text  », p. 211, affirme que le texte de Victorinus est «  a kind of “patchwork,” based on several different – including also Gnostic – sources  », et que ses sources gnostiques ne se limitent pas nécessairement à la section coïncidant avec Zostrien  ; voir aussi «  Is Porphyry  », où le même chercheur suggère par ailleurs que Victorinus a employé un nombre de sources (marqué parfois par des tournures syntactiques de type didactique, comme ponamus ou audi ut dico) beaucoup plus étendu qu’on le croyait par le passé, pour conclure (p. 80), «  that there is no striking evidence for the assumption that the variety of extrinsic materials that appears in the different contexts in Adversus Arium belongs to one source or author. Perhaps we should better assume that Victorinus is puzzling over very different pieces of material, piecing them together in his own thought… Perhaps the character of Victorinus as a creative and independent thinker who was inspired by several different philosophical and even Gnostic texts has to be reaffirmed. Of course we know only a small portion of the material he could have used, and perhaps even texts of Neoplatonic provenance belonged to such material   ». Nous remarquerons incidemment qu’en supposant l’idée d’une source



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majeure de Tardieu, à savoir l’état de brouillon du passage du Zostrien comparativement à celui, plus complet, de Victorinus, ne nous apparaît pas insurmontable  : le codex du Zostrien est fortement corrompu, et donc les pages suivantes auraient pu contenir un passage semblable, mais surtout il nous semble normal de supposer que celui qui exploite une source est en droit de l’élargir et de la développer. Nous ne reviendrons donc pas sur la section déjà magistralement abordée par Tardieu  ; en revanche, nous nous efforcerons de montrer les points où Victorinus est en accord avec les Gnostiques, et, en particulier, les conceptions où ces derniers semblent avoir devancé les élaborations néoplatoniciennes qui ont suivi. À part la notion d’androgynie du Fils, que nous aborderons dans un second temps et qui nous paraît constituer l’emprunt le plus évident à la littérature gnostique, la question de l’apophatisme et de la théologie trinitaire constitue une véritable pierre de touche, car Victorinus mêle entre elles des sources platoniciennes et judéo-chrétiennes, mais il utilise aussi des termes forgés par les auteurs gnostiques qui ne sont attestés nulle pas ailleurs dans la littérature grecque. On peut faire la même remarque à propos des «  paronymes  » abstraits, qui caractérisent la nature pure et non mêlée du Père (existentialité, vitalité, intellectualité), et qui se distinguent de l’existence, de la vie et de l’intellect (ces dernières désignant le Fils, qui est Dieu en action, et représentant le mouvement). Tous ces mots ont une origine platonicienne, bien sûr, mais l’idée de forger des termes abstraits est beaucoup plus courante dans la littérature gnostique. À cet égard, nous nous limiterons à considérer ici la séquence des mots qui font référence au Père en tant qu’être pur et mouvement immobile dans Adu. Ar. iii, 7, 9  : Id est existentia uel subsistentia uel, si altius, metu quondam, propter nota nomina conscendas dicasque uel existentialitatem uel substantialitatem, id est ὑπαρκτοτήτα, οὐσιότητα, ὀντότητα. Cet être, c’est l’existence ou l’hypostase, ou encore, si par quelque scrupule, à cause de ces termes trop connus, l’on remonte plus haut et que l’on emploie les expressions suivantes  : l’existentialité, la substantialité, l’essentialité, qui correspondent à ὑπαρκτότης, οὐσιότης, ὀντότης.

On doit souligner que le mot ὑπαρκτότης est un hapax de Victorinus, dont on ne trouve pas d’autres attestations dans la littérature grecque – de ­nostique exploitée par Victorinus, notre but n’est pas d’identifier précisément cette g source (qu’il est impossible de déterminer en l’état actuel de nos connaissances), mais de postuler qu’il s’est appuyé aussi sur des ouvrages gnostiques.

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même οὐσιότης et ὀντότης sont des mots très rares30. Il nous semble possible d’envisager qu’avec le premier terme Victorinus vise à hypostasier la notion d’existence et que, donc, sa doctrine de l’ὕπαρξις est très différente en comparaison de celle de Porphyre, notamment dans son Commentaire sur le Parménide, où l’existence se situe à un niveau inférieur à celui de l’être31. En revanche, l’hypostatisation de l’ὕπαρξις semble attestée à plusieurs reprises dans Les trois stèles de Seth, 125, 28 ou dans l’Allogène. Bien plus, ces textes présentent aussi l’hypostatisation des membres de la «  triade intelligible  », être, vie, pensée32, hyposta­tisation qui n’a pas d’équivalent chez Plotin ou Porphyre, de sorte que l’on a parfois fait remonter l’établissement de la triade au platonisme tardif33. Par ailleurs, l’une des doctrines les plus originales et les mieux connues de Victorinus est celle de l’établissement d’une équivalence entre les trois Personnes de la Trinité et les trois membres de la triade intelligible. Victorinus présente ainsi l’identification entre le Père et l’être, le Fils et la vie, l’Esprit Saint et l’intellect. Il serait le premier et le seul écrivain chrétien à formuler une telle exégèse et à utiliser aisément des expressions néoplatoniciennes, relativement à la présence massive d’une imagerie triadique, qui à certains égards est comparable au dogme de la Trinité34.   Le premier mot se retrouve chez Alkinoos, Did. x, et aussi chez Jamblique, Myst. 3, mais surtout dans la littérature hermétique  ; le second est attesté à partir d’Alexandre d’Aphrodise, in Met. 641, 27. 31   Cf. R. Chiaradonna, «  Nota su partecipazione  », p. 93  : «  Quanto a hyparxis, il discorso è più complesso. Il termine compare nel Commento al Parmenide in riferimento al secondo principio, come primo elemento di una triade che comprende, oltre a ὕπαρξις, ζωή e νόησις (xiv, 15 ss.). Il dibattito sulla presenza di questa triade nell’Anonimo, che trova numerosi paralleli tanto tra i Neoplatonici quanto in testi gnostici, è molto ampio e non può essere ripercorso qui. Hadot suggerisce che per l’Anonimo la hyparxis coincida con l’essere infinitivo del primo principio, e che in questo uso si debba vedere una trasposizione metafisica dello ὑπάρχειν stoico  ». Sur l’hypostatisation de l’ὕπαρξις dans les écrits gnostiques, voir T. Rasimus, «  Porphyry and the Gnostics  ». 32   Cf. Proclus, El. Theol. 101  ; l’étude capitale de P. Hadot, «  Être, vie, pensée  », démontre au contraire que la triade est le résultat d’une exégèse plus ou moins courante du Sophiste, et assigne à Porphyre un rôle déterminant dans sa diffusion. Voir plus récemment D.‑N. Bell, «  Esse, uiuere, intellegere  », G. Lettieri, «  L’esegesi  » et P. Manchester, «  The Noetic Triad  ». T. Rasimus, «  Stoic Ingredients  », propose de mettre en valeur les influences stoïciennes (partiellement évidenciées déjà par Hadot), tandis que dans «  Johannine Background  », il souligne de probables échos chrétiens qui imprègnent les notions et leur expression. On doit toutefois noter que dans le passage de Théodore d’Asiné, Test. 17, Deuse, avec la référence à Porphyre, l’ordre des constituants apparaît bouleversé. Que Porphyre ne fut pas systématique est reproché déjà par Augustin, de Ciu. x, 23, un passage abordé par S. Lilla, «  Un dubbio  » et M. Edwards, «  Porphyry  », p. 19 s. Sur l’inversion de l’ordre, être-vie-pensée ou être-pensée-vie, voir aussi infra. 33   J.‑D. Turner, «  The Gnostic  », p. 338. 34   P. Aubin, Plotin et le Christianisme. 30

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Sa spéculation trinitaire est pourtant plus complexe et se rattache à la doctrine de l’ineffabilité du Père et à celle du Logos. En effet, les Œuvres théologiques présentent aussi d’autres concepts qui se réfèrent au rôle de la primauté de Dieu et qui, en même temps, expliquent le rapport entre le Père et le Fils ou entre les trois Personnes de la Trinité. Le quatrième livre contre Arius introduit l’une des caractéristiques les plus intéressantes de la pensée de Victorinus avec son assimilation de la triade intelligible à la Trinité chrétienne, à savoir la distinction entre esse et agere, qui se reflète dans la relation mutuelle entre le Père et le Fils-Esprit35. Le Père étant immobile et invisible, le Fils est la révélation visible de l’invisibilité du Père. En outre, Victorinus caractérise les deux par des attributs semblables, dont les premiers font cependant référence à la dimension cachée ou, pour le dire autrement, abstraite, et les derniers à la dimension manifestée  : esse uiuere intellegere et existentia uita intellegentia. La dimension «  abstraite  » du Père est donc réalisée par l’«  extériorisation  » du Fils. Ce processus fait partie d’un discours plus général sur le mouvement  : le Père est la stase, le Fils l’action, toujours en gardant l’idée du Dieu trinitaire et celle du mystère chrétien36. D’un point de vue linguistique, méritent d’être signalés les paronymes abstraits grecs ὀντότης, ζωότης, νοότης, qui se situent au niveau du Père et correspondent à οὐσία, ζωή, νοῦς, qui servent à designer le Fils. Ces mots apparaissent dans Adu. Ar. iv, 5, 31 s., un passage qui vise à expliquer la génération des idées ou des genres premiers, à savoir existentialité, vitalité, etc.  : Has Plato ideas uocat, cunctarum in existentibus specierum species principales  ; quod genus in exemplo est  : ὀντότης, ζωότης, νοότης et item ταυτότης, ἑτερότης, atque hoc genera cetera. …Ergo ὀντότης, id est existentialitas uel essentitas, sive ζωότης, id est uitalitas, id est prima uniuersalis uitae potentia, hoc est prima uita, fonsque omnium uiuendi, item νοότης, intellegendi uis, uirtus, potentia uel substantia uel natura, haec tria accipienda ut singula, sed ita ut qua suo plurimo sunt, hoc nominentur et esse dicantur. Ce sont elles que Platon nomme ‘idées’, c’est-à-dire les formes originelles de toutes les formes réalisées dans les existants  ; ainsi à titre d’exemple  : ὀντότης, ζωότης, νοότης, et de même ταυτότης, ἑτερότης, et d’autres de ce genre… Donc l’ὀντότης, c’est-à-dire l’existentialité ou l’entité, ou la   Sur la conception dyadique du Fils-Esprit, voir infra.   À côté du passage que nous allons citer, cf. aussi Adu. Ar. iv, 30, 42  : «  De eo enim quod diximus patrem, esse uiuere intellegere, exsistentia genita est ut uita, intellegentia. Et haec est Dei forma, haec est filius = car de ce que nous avons appelé le Père, l’être, le vivre, le penser, l’existence comme la vie et l’intelligence, sont engendrés. Et c’est cela la forme de Dieu, c’est cela le Fils  ». 35 36

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ζωότης, c’est-à-dire la vitalité, c’est-à-dire la puissance première de la vie universelle, c’est-à-dire la vie première et la source du vivre de tous les existants, de même la νοότης, force, vertu, puissance ou substance ou nature du penser, ces puissances, donc, doivent, prises chacun à part, être considérées comme étant les trois à la fois, mais de telle sorte pourtant qu’on leur donne leur nom et qu’on définisse leur être propre par l’aspect selon lequel chacune a une propriété prédominante.

L’utilisation de paronymes abstraits est par conséquent fonction de l’accentuation de la transcendance et de la non-substantialité du premier principe. Or, il est vrai que ces mots sont déjà attestés dans la littérature grecque de l’époque impériale (ζωότης est largement employé par les médecins  ; ὀντότης se répète chez les commentateurs d’Aristote et notamment chez Alexandre d’Aphrodise  ; νοότης, en revanche, semble être un hapax de Victorinus), mais on soulignera que les écrits gnostiques utilisent aussi des termes équivalents à ces mots abstraits pour connoter les trois membres de la triade intelligible (à côté des traductions coptes, petšoop, tmnōnh, tmnteime, on notera aussi la graphie grecque noētēs)37. On pourrait donc envisager de s’écarter de la position de Pierre Hadot, selon laquelle il est probable que, dans l’élaboration de ses schémas de pensée, Victorinus ait été influencé par le néoplatonisme post-plotinien (en particulier Porphyre, qui était, à son tour, influencé par une exégèse de la triade des Oracles). L’emploi d’attributs, construits avec le préfixe prae-, qui visent à souligner la prééminence du Père et à caractériser l’être dans sa pure puissance et transcendance (sans, par ailleurs, lui subordonner les autres Personnes), peut être ramené à ce même contexte  : ainsi le Père n’est pas seulement praepotens, mais aussi praeprincipium et praecausa, c’est-à-dire premier principe et première cause (on rappellera ici les noms du premier éon valentinien  : προπάτωρ ou προαρχή). De plus, conformément à la division tripartite entre les trois hypostases divines de l’être, de la vie et de la pensée, le Père se situe avant elles et à un degré le plus haut, comme Victorinus l’explique dans le passage complexe d’Adu. Ar. iv, 23, 26 s.  : Omnia enim quae uoces nominant post ipsum sunt, unde nec ὄν sed magis πρόον. Eodem modo praeexsistentia, praeuiuentia, praecognoscentia, haec quae conficiuntur  ; ipse autem praeexsistens, praeuiuens, praecognoscens, 37   Allog. 47, 34  ; 49, 26-38  ;  Stel. Seth. 122, 20 et 125, 28-32  ; Zostrien 15, 2-12, avec R. Majercik, «  The Existence-Life-Intellect Triad  », p. 482  ; Ch.‑O. Tommasi, «  Tripotens  », p. 69 s.  ; T. Rasimus, «  Johannine Background  », p. 380. Personne n’a encore, à notre connaissance, observé la présence de ces termes chez Damascius, de Princ. ii, p. 61, 4 Westerink-Combès  :  Ἆρα οὖν καὶ τὸ ὂν οὐχ ἁπλοῦν ἰδίωμα, οἷον οὐσιότης καὶ ἡ ζωότης ἐπὶ τῆς ζωῆς καὶ ἡ νοότης ἐπὶ νοῦ.



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sed haec omnia, apparentibus secundis, et intellecta sunt et nominata. Postquam enim apparuit cognoscentia, et intellecta et appellata est praecognoscentia  ; eodem modo et praeexsistentia et praeuiuentia  ; erant quidem haec, sed nondum animaduersa, nondum nominata. Car toutes les choses que désignent les mots, sont après lui  ; c’est pourquoi il n’est pas existant, mais plutôt préexistant. De la même manière, les réalités produites en lui sont  : préexistence, prévitalité, préconnaissance  ; quant à lui, il est le préexistant, le prévivant, le préconnaissant. Mais toutes ces choses n’ont été pensées et nommées qu’après l’apparition de ce qui vient en second rang. Ce n’est, en effet, qu’après la manifestation de la connaissance qu’a été pensée et nommée la préconnaissance  ; de même, pour la préexistence et la prévitalité  ; elles existaient déjà sans doute, mais elles n’étaient pas encore reconnues, pas encore nommées.

Ici, les trois attributs apparaissent ensemble et ils sont liés tantôt à la condition du Père, en soulignant sa transcendance, tantôt à celle du Fils. En effet, dans le premier cas il s’agit plutôt de pré-être, de pré-vie et de pré-pensée (on peut comparer cette triade à celle de Proclus en ses Éléments de théologie 115). Un acte est donc préposé à chacune des formes de l’être, qui peut devenir compréhensible seulement grâce à la génération de la forme38. À côté de cette distinction qui marque toujours la relation entre Père et Fils, on considérera aussi le développement de la différen­ciation des 38   L’insistance sur la théologie négative, dont nous avons parlé, nous semble aller dans cette même direction. On peut se contenter de mentionner un passage qui précède immédiatement (Adu. Ar. iv, 23, 23 s.  : «  Quare et ἀνύπαρκτος et ἀνούσιος et ἄνους et ἄζων, sine exsistentia, sine substantia, sine intellegentia, sine vita dicitur, non quidem per στερήσιν, id est non per privationem, sed per supralationem = c’est pourquoi on dit qu’il est ἀνύπαρκτος, ἀνούσιος, ἄνους, ἄζων, sans existence, sans substance, sans pensée, sans vie, non par στερήσις, sans doute, c’est-à-dire non par privation, mais par transcendance  »), où Victorinus définit la divinité non seulement comme non-existante et nonsubstantielle, mais aussi comme dépourvue de vie et d’intelligence. Or, on notera que ἀνύπαρκτος est fréquent dans la prose philosophique grecque depuis l’époque hellénistique, mais est rarement utilisé pour décrire la nature de Dieu  ; ἀνούσιος appartient à une sphère sémantique analogue. Il est attesté dans le commentaire de Turin (xii, 5), mais il se répète surtout très fréquemment dans les écrits gnostiques, où l’on trouve aussi le substantif ἀνουσία, à propos duquel B.A. Pearson. «  The Tractate…  », p. 384, déclare  : «  the term itself appears to be a Gnostic coniage, though of course we cannot exclude the possibility that the term was coined by Platonists whose works are no longer extants  ». Enfin, ἄζων et ἄνους sont également très rares. Nous aimerons souligner toutefois l’emploi «  triadique  » de mots qui apparaissent toujours par trois chez Proclus, in Parm. 1005, 18, et Denys l’Aréopagite, Les noms divins 4, 3, 1  : καὶ ἐν αὐτῷ μόνῳ καὶ τὸ ἀνούσιον οὐσίας ὑπερβολὴ καὶ τὸ ἄζωον ὑπερέχουσα ζωὴ καὶ τὸ ἄνουν ὑπεραίρουσα σοφία. Voir déjà Allog. 61, 34 s.  : «  Or, il est quelque chose dans la mesure où il est, ou parce qu’il est et sera, ou (parce qu’il) agit ou (parce qu’il) connaît, alors qu’il vit sans avoir d’Intellect, ni de Vie, ni d’Existence, ni de Non-existence, d’une façon (qui nous est) incompréhensible  ».

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trois Personnes selon le critère de la prédominance  : ce thème, qui apparaît pour la première fois dans la spéculation théologique latine, constitue sans doute la contribution la plus originale de Victorinus aux enjeux de la controverse arienne. L’auteur rattache la distinction par prédominance à la notion du consubstantiel en Adu. Ar. iii, 4, 6 s. et i, 63, 11, mais il en discute explicitement la doctrine en Adu. Ar. iv, 25, 44 s. et l’associe à celle de la distinction entre forme et acte  : Etenim deus uiuit. Id autem est esse et intellegere, quae ista unum tria conficiunt potentias tres, exsistentiam, uitam, intellegentiam, sed quia illa tria unum – quomodo sunt, docui  : ut unum quodlibet tria sit, sic et ista tria unum sunt, sed in deo haec tria esse sunt, in filio uiuere, in spiritu sancto intellegere – ergo esse, uiuere, intellegere in deo esse sunt, exsistentia autem, vita, intellegentia forma sunt, actu enim interiore et occulto eius quod est esse, uiuere, intellegere. Et, en effet, Dieu vit. Or il est aussi être et penser, et ces trois qui sont un, produisent trois puissances, l’existence, la vie et la pensée, mais parce que ces trois sont un – j’ai exposé comment ils sont un  : ils sont un de telle sorte que l’un quelconque d’entre eux est les trois et que ces trois sont un, mais, en Dieu, ces trois sont l’être, dans le Fils le vivre, dans l’Esprit Saint le penser – il s’ensuit donc que l’être, le vivre, le penser, en Dieu, sont l’être et que, par contre, l’existence, la vie, l’intelligence, en Dieu, sont la forme, car elles proviennent de l’acte intérieur et caché de celui qui est être, vivre, penser.

Dans l’épître de Candidus 3, 16 le concept est introduit avec netteté  : Et uero ipsum esse, ipsum est et uiuere et intellegere. Secundum enim quod est, et uiuit et intellegit et, secundum quod vivit, et est et intellegit et, secundum quod intellegit, et est et uiuit et secundum unum tria et secundum tria unum et secundum ter tria unum, unalitas simplex et unum simplex. Et pourtant l’être en soi est, lui-même, vivre et penser. Car en tant qu’il est, il vit et pense, en tant qu’il vit, il est et pense, en tant qu’il pense, il est et vit, et en tant qu’il est un, il est les trois, et en tant qu’il est les trois, il est un, et en tant qu’il est trois fois les trois, il est un, unité simple et un simple.

S’il est possible d’attribuer les origines d’une telle conception à Antiochus d’Ascalon39, on peut supposer que Victorinus développe ici l’idée à partir de Porphyre. En effet, le Tyrien, selon un témoignage de Jean le Lydien, présentait un système ennéadique, qui se composait de trois triades, où probablement chaque élément (Père, Puissance ou Intellect) 39   Cf. Antiochus, ap. Cicéron, Tusc. Disp. v, 9, 22. Voir aussi quelques aperçus chez Philon, De Abrah. 52-54  ;  Numénius, frg. 41  ;  cf. également Jamblique, ap. Stob. i, p. 49, 32 Wachsmuth (P. Hadot, Porphyre, p. 242 s. et 337 s.).



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était tour à tour prééminent40. La triade, donc, se reflète dans chacun de ses termes, comme Proclus l’expliquera en ses Éléments de théologie41 ou, de manière plus détaillée, dans les premiers chapitres du livre iv de sa Théologie platonicienne. Un passage assez proche de celui de Victorinus est toutefois attesté déjà dans l’Allogène, où la triade manifeste aussi une relation d’interdépendance et de prédominance (49, 28 s.)42  : La Vitalité, la Connaissance et l’Être, c’est lui. Or donc, ce dernier (sc. l’Être) possède constamment sa Vitalité et l’Intelligibilité {et la Vie}, alors que la Vitalité possède la Non-substantialité et la Connaissance, (et que) l’Intelligibilité possède la Vie et l’Être. Et les trois sont un, bien qu’ils soient trois, individuellement.

On peut enfin faire remonter aux milieux gnostiques la définition du Père comme étant doué de triple puissance, une idée assez rare, notamment parce que le développement théologique du quatrième siècle avait souligné la distinction entre les trois personnes divines tout en gardant une puissance unique43. Nous en citerons à la suite deux passages  : Hic est deus, hic pater, praeintellegentia praeexistens et praeexistentia beatitudinem suam et inmobili motione semet ipsum custodiens, et propter istud, non indigens aliorum, perfectus supra perfectos, tripotens in unalitate spiritus, perfectus et supra spiritum. C’est lui, Dieu, c’est lui, le Père, préintelligence préexistante et préexistence se gardant elle-même et sa propre béatitude, en un immobile mouvement, et, à cause de cela, n’ayant nul besoin des autres êtres  ; parfait au-dessus des parfaits, esprit ayant, en son unité, une triple puissance, esprit parfait et qui est au-dessus de l’Esprit. Τριδύναμος est igitur deus, id est tres potentias habens, esse, uiuere, intellegere, ita, ut in singulis tria sint sitque ipsum unum quodlibet tria, nomen, qua se praestat accipiens, ut supra docui et in multis. Nihil enim esse 40   Jean le Lydien, De Mensibus iv, 122, p. 159, 5 s. Wünsch, avec les considérations formulées par P. Hadot, Porphyre, p. 260 s., et M.J. Edwards, «  Porphyry  », p. 19. 41   El. Theol. 103  : «  Tout en tous, et, comme il faut, en chacun  : dans l’être on a la vie et l’intellect, et dans la vie l’être et l’intellect, et dans l’intellect, l’être et la vie, mais chacun existe en fonction de l’intellect, ou de la vie, ou de l’être  ». 42  Voir Ch.‑O. Tommasi, «  Introduzione  », p. 62  ; T. Rasimus, «  Johannine Background  », p.  380. 43   Ces deux extraits sont tirés respectivement d’Adu. Ar. i, 50, 1 s. (nous préférons interpréter tripotens spiritus comme un nominatif, à la lumière du passage de Zostrien 67, 19, tandis que L. Abramowski, «  Audi ut dico  », p. 537 s., et V.H. Drecoll , «  The Greek  », p. 204, pensent plutôt à un génitif, à savoir, «  triple en unité d’esprit  », sur la base de l’expression de la ligne 19, indiscernibilis spiritus counitio) et iv, 21, 26 s.  Cf. aussi i, 56, 5  : facta enim a tripotenti spiritu.

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d­ icendum, nisi quod intellegit. Triplex igitur in singulis singularitas et unalitas in trinitate. Dieu est τριδύναμος, c’est-à-dire qu’il a trois puissances, l’être, le vivre, le penser, et que l’un quelconque des trois [est] les trois, recevant seulement son nom propre par l’aspect où il prédomine, ainsi que je l’ai enseigné plus haut et en de nombreux endroits. Rien, par exemple, ne peut être appelé être, si ce n’est ce qui pense. Triple est donc en chacun de ces individus, leur individualité, et triple également l’unité qu’ils forment en leur trinité.

Si l’on ne rencontre pas beaucoup d’attestations du terme τριδύναμος dans la philosophie platonicienne, il est en revanche très fréquent dans la littérature gnostique  ; à ce propos, une image semblable, celle de la monade triple (τριοῦχος), est attestée dans les Oracles Chaldaïques (26, 1). En réalité la «  monade triple  » des Oracles indique simplement qu’elle contient les deux autres membres, sans faire mention de la puissance. De plus, Victorinus emploi «  puissance  » dans le sens de qualité particulière de chaque être, de telle sorte qu’il peut développer son concept de distinction par prédominance, qui a été également exposée par Porphyre44. Nous avons supposé que Victorinus avait tiré le mot τριδύναμος (ou τριδύναμον πνεῦμα, spiritus tripotens) directement de la littérature gnostique. Les Gnostiques attribuent effectivement la triple puissance soit à l’être suprême, soit à une entité qui lui est subordonnée et se situe au niveau de l’intellect, comme on peut le voir dans Les trois stèles de Seth (125, 25-33), et surtout dans l’Allogène. Ce dernier écrit présente l’Un à la triple puissance comme lié à la vie et à la pensée, mais aussi à l’Un45. Il est possible qu’il s’agisse d’une exégèse gnostique de la deuxième hypothèse du Parménide de Platon, lorsque l’Un reste silencieux, invisible et indifférencié, tandis que l’Un à la triple puissance se manifeste dans les trois aspects de l’existence (ou de l’essence), de la vie, et de l’intelligence (ou du bonheur), en vertu d’un processus présenté comme une émanation continue de la réalité. Peut-être la contamination de ces deux aspects (l’Un à la triple puissance en tant qu’aspect visible de l’invisible, ainsi que le fait qu’il contient en lui-même les «  genres suprêmes  ») a-t-elle influencé la théologie de Victorinus  : selon ce dernier, en effet, le Christ, tout en étant consubstantiel, est l’Un-étant et correspond précisément à la deuxième hypothèse du Parménide. 44   Cf. Sent. 10  : «  Toutes choses sont en toutes, mais sur un mode approprié à l’essence de chacune  ; elles sont en effet dans l’intellect sur le mode de l’intellection, dans l’âme sur le mode des raisons, etc.  » (trad. Porphyre, Sentences). 45   Allog. 49, 26-38  ;  Stel. Seth 125, 28-32  ;  Zostrien, 15, 2-12. Cf. J.‑D. Turner, «  The Platonizing  », p.  145.



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Il y a toutefois un autre élément que nous croyons essentiel à la démonstration d’un lien direct entre Victorinus et les gnostiques, à l’occasion de l’emploi d’un terme comme πνεῦμα, qui est redevable plutôt du christianisme que de la philosophie. C’est la caractérisation de l’Esprit saint comme beatitudo, que Victorinus utilise en trois occasions46. Dans Adu. Ar. i, 50, 10 s., à propos des trois puissances, il écrit  : Simplicitate unus qui sit, tres potentias couniens, exsistentiam omnem, uitam omnem et beatitudinem, sed ista omnia et unum et simplex unum et maxime in potentia eius quod est esse, hoc est exsistentiae, potentia uitae et beatitudinis  : quo enim est et exsistit, potentia quae sit exsistentiae, hoc potentia est et uitae et beatitudinis, ipsa per semet ipsam et idea et λόγος sui ipsius, et uiuere et agere habens secundum ipsam suimet ipsius inexsistentem exsistentiam, indiscernibilis spiritus counitio, diuinitas, substantialitas, beatitudo, intellegentialitas, uitalitas, optimitas. Étant un en sa simplicité, il unit pourtant intérieurement, en lui-même, ces trois puissances  : l’existence universelle, la vie universelle et la béatitude – mais toutes ces réalités sont l’un et l’un et simple – et c’est par prédominance, dans la puissance de l’être, c’est-à-dire de l’existence, que sont contenues les puissances de la vie et de la béatitude  : car la puissance, qui est puissance de l’existence, par cela même qu’elle est et qu’elle existe, est puissance, par là même, de la vie et de la béatitude  ; elle est, elle-même et par elle-même, idée et logos de soi-même, ayant son vivre et son agir en sa propre existence qui n’est pas existante  ; union sans distinction de l’esprit avec lui-même, divinité, substantialité, béatitude, puissance de l’intelligence, de vie et de bonté.

Le même concept est repris plus loin dans i, 52, 3. Cet usage n’est pas seulement dû à la tradition chrétienne d’un Dieu comme être bienheureux et impassible, car Victorinus attribue le bonheur à l’Esprit, et la notion est étroitement liée à l’être (ou à l’existence) et à la vie, à savoir les propriétés qualifiantes des deux autres Personnes. De plus, l’Esprit est caractérisé tantôt par la notion de béatitude, tantôt par celle d’intelligence, selon une oscillation que l’on trouve également dans les écrits gnostiques47. Avant de conclure, il nous reste à considérer la théologie du Logos, qui est assez développée, pas seulement en raison de l’interprétation néoplatonicienne, mais aussi parce qu’elle était cruciale dans la controverse 46  Voir Ch.‑O. Tommasi, «  Tripotens  », p. 73 s.  ;  T.  Rasimus, «  Johannine Background  », p.  399. 47   Voir, par exemple, Allog. 59, 9 s.  : les trois étapes de l’ascension sont le bonheur (ligne 10), la vie (ligne 14) et l’existence (ligne 20)  ; les chapitres 14 et 15 du Zostrien sont influencés par le même schéma triadique (mais dans un ordre inversé), existencebéatitude-vie, auquel se joignent les fonctions de divinité-connaissance-vitalité des trois éons, Kalyptos-Protophanes-Autogenes.

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arienne. De manière plus générale, la notion d’auto-génération, largement répandue dans la littérature gnostique, hermétique, magique et oraculaire, apparaît comme le moyen à travers lequel Dieu le Père peut s’extérioriser48. Une telle notion se rattache à la distinction entre puissance et action (δύναμις / ἐνέργεια), c’est-à-dire entre l’être pur et l’être façonné, ou, en d’autres termes, entre l’immobilité et le mouvement49. La théologie chrétienne emploie cette distinction pour expliquer les relations entre le Père et le Fils, lequel est, par conséquent, l’extériorisation du Père  : l’idée remonte à l’exégèse de l’Évangile de Jean, où le Logos joue le rôle du Médiateur par excellence  ; néanmoins, Victorinus a été très certainement influencé par la philosophie du platonisme moyen50. Il s’agit effectivement d’un thème déjà largement développé chez Modératus, mais surtout dans l’œuvre de Maxime de Tyr ou de Numénius  ; en outre, le contraste entre οὐσία et ἐνέργεια, si caractéristique chez Victorinus, est souvent récurrent dans le Commentaire sur le Parménide de Turin51, et dans les Oracles Chaldaïques, où la δύναμις constitue par ailleurs le lien entre le Père et l’Intellect. On notera, en outre, que ce motif est aussi courant dans les écrits gnostiques  : le Marsanès donne l’image de l’Un silencieux qui s’extériorise dans l’Un à la triple puissance  ; l’Allogène souligne ultérieurement ces traits antithétiques, en caractérisant l’être par le repos, et la vie par le mouvement. Victorinus propose donc une équation entre le Fils, ou Second Un, et la deuxième hypothèse du Parménide en développant ses conceptions au chapitre 51 et plus loin au chapitre 58 du premier livre de l’Aduersus Arium. Le Fils, uni d’une façon dyadique au Saint-Esprit, est interprété comme une manifestation du Père (touchant la distinction entre l’être et la forme voir également Adu. Ar. iv, 17, 2). Pour expliquer les rapports   Voir J.  Whittaker «  Self-generating  » et «  The Historical Background  ».   Voir déjà W. Theiler, Forschungen, p. 23 s. et 269 s. 50   Voir Ch.‑O. Tommasi, «  L’androginia divina  », p. 976 s.  ; la question est développée avec beaucoup plus d’exemples par T. Rasimus, «   Johannine Background   », p. 381 s.  ; voir aussi M. Dillon, «  Logos and Trinity  ». 51   À titre d’exemple, on fera référence à R. Chiaradonna, «  Nota su partecipazione  », p. 90  : «  L’Anonimo, invece, nel passo considerato presenta tanto l’on/ousia quanto l’energeia come aspetti costitutivi del secondo Uno, i quali non vanno dunque attribuiti al primo principio (xii, 24-25  : ὂν μὲν οὐκ ἔστιν οὐδὲ οὐσία οὐδὲ ἐνέργεια). Il Primo è invece caratterizzato da uno stato infinitivo di on/ousia ed energeia, uno stato corrispondente all’einai e all’energein. L’Anonimo procede in modo diverso  : pone due aspetti caratterizzanti della sostanza intelligibile (l’on/ousia e l’energeia) e ritiene che essi in qualche modo preesistano nel Primo Principio (come puro essere e puro agire  : αὐτὸ τὸ ἐνεργεῖν καθαρόν e αὐτὸ τὸ εἶναι τὸ πρὸ τοῦ ὄντος). Inoltre stabilisce che la forma infinitiva è, rispetto alla forma sostantivata, l’analogo di un’Idea rispetto alla forma che ne partecipa  ». 48 49



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entre Père et Fils-Esprit, Victorinus emploie le symbole traditionnel de la source et du fleuve ou celui de l’arbre et du fruit, mais il convient également de mentionner l’image de la sphère ou celle du mouvement circulaire, inspirée par la pensée pythagoricienne (Adu. Ar. i, 60, 1), dans un passage où la génération de la dyade est comparée à la ligne qui prend son origine à partir d’un point. Victorinus utilise aussi la métaphore du silence et de la parole pour expliquer le moment caché du Père et celui de la révélation à travers le Fils (i, 41, 49)  : siue substantiam et motionem, siue potentiam et actionem, siue silentium et effatum. ou bien substance et mouvement, ou bien puissance et acte, ou bien silence et élocution  ;

Ad Cand. 17, 13  : deus ipse λόγος sit, sed silens et requiescens λόγος. puisque Dieu lui-même est Logos, mais Logos silencieux et en repos.

Il s’agit de la reprise d’une doctrine archaïque, à savoir la théorie des deux λόγοι, attestée chez Ignace d’Antioche et Clément d’Alexandrie. De tout évidence, Victorinus reprend ici l’exégèse du prologue de Jean donnée par Tertullien dans le premier traité trinitaire latin, l’Aduersus Praxean (ch. 5 et 7)  ; il y a néanmoins d’autres cas significatifs du même genre dans la Protennoia Trimorphe, un autre texte de la collection de Nag Hammadi (NHC xiii, 1, 35, 33 s.)52. Dans ce même contexte, l’une des caractéristiques les plus étonnantes est sûrement la notion d’androgynie attribuée au Christ (Adu. Ar. i, 51, 26, mais aussi i, 64, 9, avec une référence explicite au passage de Genèse 1, 26, lorsque Victorinus aperçoit dans le corps humain un modèle des deux sexes du Logos). Nous croyons que Victorinus se souvient ici d’une image probablement d’origine gnostique53. L’auteur établit un lien entre la théorie de la double dyade et la perception du mouvement en tant qu’extériorisation  : en effet, la descente sur terre est comparée au mouvement ou à la vie, donc à la féminité, au même titre que le retour vers le Père est caractérisé en termes de réalisation et de virilisation. La doctrine de Victorinus sur 52   Cf. Ch.‑O. Tommasi, «  Silenzio  »  ; Victorinus s’inspire de Tertullien dans l’emploi d’autres métaphores trinitaires assez traditionnelles (la source et le fleuve  ; l’arbre et le fruit  ; le soleil et le rayon, etc.), qui sont, par ailleurs, attestées aussi dans le Traité Tripartite (NHC i, 5), 51, 16 s. 53  Nous en avons fourni la démonstration dans Ch.‑O. Tommasi, «  L’androginia  ». Voir aussi S. Cazelais, «  La masculofeminité  ».

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l’­androgynie du Christ a des similitudes assez significatives avec la figure de la vierge masculine Barbélos qui donne son nom aux systèmes dits séthiens ou barbeloits. Barbélos a été mise en relation avec une sorte de Sophia supérieure et, à certains égards, elle est semblable à la Dyade platonicienne. Barbélos est effectivement la première pensée du Père, le premier éon, l’image visible de celui qui est invisible, ou, en d’autres termes, son ἐνέργεια, qui, tout en existant en puissance dans le père, donne la vie et l’altérité. Barbélos est par conséquent l’aspect dynamique du Père, ainsi que sa première idée (πρώτη ἔννοια). La notion d’androgynie s’explique par le fait que sa partie féminine et vitale est douée d’un νοῦς caché. Dans Zostrien (118, 10 à 15), on peut lire une identification entre Barbélos-vie et l’intellect, alors que précédemment (66 s.) le texte a présenté une alternance des deux moments, qui aboutit à la délimitation de la vie par l’intelligence. La dialectique masculin/féminin semble un thème courant chez l’auteur du Zostrien. Barbélos est qualifiée de mâle (97, 1), parce qu’elle est intellect, de même qu’elle est toujours vie (87, 17)54. La descente dans le monde sous l’aspect d’une femme et le retour au ciel sur le modèle masculin est enfin résumé dans le chapitre neuf du Marsanes  : la vierge androgyne Barbélos se détache et, abandonnant la dualité, elle est capable de redevenir un homme. On peut associer à cette description la représentation de Barbélos dans Les trois stèles de Seth  : Barbélos existe potentiellement à l’in­térieur du Père  ; elle est semblable à lui, possède les mêmes caractéristiques d’insubstantialité, d’unicité et d’immobilité et de triple-puissance, mais, par rapport au Père, elle représente son aspect façonné et dynamique. Par conséquent, Barbélos compose une dyade avec le Père, mais en même temps, elle est également dyadique en soi, parce qu’en descendant dans le monde, elle donne la vie, retourne après au Père et devient νοῦς. La figure de Barbélos représente l’auto-objectivation de l’ἔννοια paternelle, qui se complète en devenant νοῦς, grâce à la connaissance du Père. Tous ces textes ont pour but la vision finale et la contemplation de l’Un silencieux, une sorte de pré-Père, totalement inconnaissable et au-dessus de toute révélation. La nature androgyne de Barbélos et son aspect tripartite représentent le développement de la triade qui est à la base de la métaphysique séthienne, à savoir Père-Mère-Fils (Esprit invisible-Barbélos-Autogenes). Il s’agit d’un schéma qui se retrouve presque toujours dans la littérature gnostique 54  L’Allogène développe la même doctrine  : l’auteur utilise le thème de l’ἐπιστροφή (49, 5-21), bien que le texte ne semble pas faire référence à Barbélos, mais au Triple Pouvoir.



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et qui est la version hétérodoxe de la Trinité chrétienne  ; mais il peut aussi avoir des liens avec une interprétation du Timée platonicien (48c52d) et surtout de la triade chaldéenne, Père-Hécate/Dynamis-Nous. En même temps, ces trois moments font partie intégrante du thème de la descente dans le monde, comme en témoignent les longues sections monologiques de textes plus anciens, en particulier l’Apocryphe de Jean55. Le gnosticisme barbéloite présente aussi une deuxième triade qui est par ailleurs intérieure à Barbélos et peut être interprétée d’une façon noologique  : il s’agit de la triade être, vie, pensée ou, d’une autre façon, des trois éons Kalyptos, Autogenes, Protophanes. D’une manière analogue, on mentionnera aussi la figure de l’Un Trois-puissant, qui se situe entre l’Un silencieux et Barbélos, dont les trois puissances sont essentialité, vitalité et bonheur. Plotin, par ailleurs, adressait des reproches à ses adversaires gnostiques, justement à propos de leur division triple de l’Intellect56. On peut voir très clairement que ces conceptions sont très proches de celles utilisées par Marius Victorinus. À plusieurs reprises le rhéteur affirme que le Fils existe en puissance dans le Père, est sa forme cachée, et constitue une dyade avec lui  ; en même temps, il déclare que le Fils et le Saint-Esprit forment aussi une dyade, qui est caractérisée par la dimension de la vie et par celle de l’intelligence. Le Christ est pour lui soit la forme cachée du Père (καλυπτός, μονή – exsistentia), soit l’aspect féminin et sujet à la passion au moment de sa descente dans le monde et de son incarnation (πρόοδος – vita), et le retour sous la forme masculine de l’Esprit (ἐπιστροφή – sapientia). Victorinus use d’argumentations analogues dans son exégèse des lettres de Paul, par exemple à propos de l’interprétation de Galates 4, 3. Le processus d’auto-extension de l’Un (la monade), qui aboutit à la dyade et se résout dans la triade, témoigne d’une interaction entre la philosophie et la doctrine gnostique. Ce processus peut être lié à des tendances encratites très communes dans la religion de l’Antiquité tardive, qui visent à éliminer toute dichotomie entre l’élément sensible féminin et l’intellectuel masculin, en la complétant avec le troisième moment, à savoir le retour. Cette dernière distinction triadique, ainsi que la notion de double dyade employée par Victorinus à propos de l’union entre Fils et Saint-Esprit, nous permet de préciser comment Marius 55   Cf. J.‑D.Turner, «  The Figure  »  ;  A.  Böhlig, «  Triade und Trinität  »  ;  M.  Troiano, «  Padre femenino  ». 56   ii, 9 (33), 6  : cf. M.J. Edwards, «  Porphyry  », p. 16.

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Victorinus énonce sa doctrine expliquant la relation entre les différentes personnes de la Trinité. À cet égard, on notera aussi que l’identification entre Fils et Vie et Esprit et Intelligence présuppose l’ordre «  canonique  » de la triade être, vie, pensée, que l’on retrouve parfois présentée selon la séquence être, pensée, vie, plus conforme au platonisme traditionnel, et probablement suggérée à Victorinus par l’identification entre le Fils et le Logos (tandis que l’Esprit est conçu comme Vie ou Âme, pour ne rien dire sur la nature féminine de l’Esprit, influencée par la notion sémitique de ruah et attestée dans les courants non orthodoxes)57. On le voit, tous ces traits ne peuvent être définis comme «  orthodoxes  » ni par rapport à la doctrine chrétienne ni par rapport au néoplatonisme  : leur insertion dans les Opera theologica confirme l’éclectisme des sources de Victorinus et atteste en même temps qu’à côté de ses lectures philosophiques, l’auteur n’ignorait pas les doctrines religieuses et les courants pour ainsi dire plus marginaux ou «  ésotériques  »58. La dualité de ses sources, à savoir les textes des Néoplatoniciens et ceux des Gnostiques, permet en outre de mieux apprécier l’extrême originalité et la singularité de sa spéculation doctrinale.

57   Voir Ch.‑O.Tommasi, «  L’androginia  », p.  70. J.‑D.  Turner, «  The Platonizing  », p. 144, et T. Rasimus, «  Johannine Background  », p. 379, observent que cette même oscillation est aussi courante dans les écrits gnostiques. M.J. Edwards, «  Porphyry  » résume la question de manière la plus exacte, en supposant une association entre l’ordre traditionnel d’inspiration numénienne (frg. 12 Des Places), chaldaïque (Père, Intellect, Puissance), ou néoplatonicienne (Un, Intellect, Âme), et un ordre qui est attesté chez les Gnostiques et chez le commentaire anonyme au Parménide (xiv, 16 s., tr. P. Hadot, Porphyre, vol. 2, p. 111)  : «  It appears, then, that one series has been imposed upon the other, and it is natural to infer that it is the system of Victorinus which has supervened upon the Numenian triad. Both formulations appear to be indebted to the vocabulary of fourth-century Christian authors, since pagans were not accustomed to substitute Blessedness for Mind. Unless we postulate two independent borrowings from the Gnostics, one by Porphyry and one by Victorinus, we shall conclude that the confusion in these documents results from the attempt to keep pace with a century of Platonic innovation  » (p. 25). 58   Nous employons le mot avec le sens qui lui a été donné dans notre article (­Tommasi, «  Some Reflections  »).

LES DESTINATAIRES PAÏENS DES DIUINAE INSTITUTIONES DE LACTANCE  : QUELLE PRÉSENCE DU NÉOPLATONISME  ? Blandine Colot

(Université d’Angers – CIRPALL (ea 7457)/LEM (UMR 8485)

Si le platonisme chez les Pères est une question abondamment traitée, celle-ci l’est peu et se laisse difficilement appréhender chez Lactance1, apologiste du début du ive siècle qui conçut à travers son œuvre maîtresse, les Institutions divines, la possibilité voire l’im­minence d’un changement religieux à Rome, et fut de l’entourage proche de Constantin2. Notons d’abord que cet auteur, disposé pourtant à fournir nombre de textes grecs directement dans leur langue, ne le fait jamais quand il cite une œuvre de Platon3. Il semble ne connaître ce dernier qu’à travers ses lectures des Latins, et particulièrement de Cicéron, qu’il lui associe souvent et désigne à plusieurs reprises comme son «  imitateur  » (imitator)4. Conve­nons ensuite que la philosophie la plus en vogue à son époque, le néoplatonisme, occupe à première vue peu de place dans la controverse qu’il soutient pour défendre le christianisme contre les attaques païennes5. De fait, elle n’est incarnée dans le débat mis en jeu par aucune figure précise, du moins nommément désignée, et un passage notoire à cet égard divise encore les chercheurs entre partisans et adversaires d’une identification à Porphyre de l’anonyme interpellé par l’auteur6. La littérature latine de cette époque reste de ce point de vue particulièrement énigmatique en comparaison de ce que fournit la littérature grecque, à travers 1   Voir M. Perrin, «  Le Platon de Lactance  », in Lactance et son temps. Recherches actuelles, Actes du ive colloque d’études historiques et patristiques. Chantilly, Septembre 1976, éd. J. Fontaine, M. Perrin, Paris, 1978, p. 203-231. 2   Qu’on nous permette, pour faire bref, de renvoyer à notre ouvrage  : Lactance. Penser la conversion de Rome au temps de Constantin, Florence, 2016. 3   Deux mots isolés font une minuscule exception  : voir M. Perrin, art. cit. n. 1, p. 214. 4  Voir Inst., i, 5, 23  ; i, 15, 16  ; iii, 14, 14  ; iii, 25, 1. 5  Notons que Lactance adresse son apologie à ceux dont, dit-il, «  la religion n’est qu’ineptie  » (Inst., v, 1, 1  : …ex istis inepte religiosis…) mais également à ceux des chrétiens «  dont la foi n’est pas bien établie, ni fondée, ni fixée sur de solides racines  » (Inst., v, 1, 9  : …quorum non est stabilis ac solidis radicibus fundata et fixa sententia.) (Trad. P. Monat [SC]). 6   Inst., v, 2, 3. Voir ci-dessous n. 9 sur les positions des analystes à ce sujet.

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Eusèbe de Césarée notamment7, car si l’on pense à Arnobe, le maître de rhétorique de Lactance en Afrique, il s’avère que l’on éprouve une difficulté tout aussi importante à identifier les personnages du dialogue mis en scène8. Néanmoins, il vaut la peine de nous interroger sur la présence du néoplatonisme et de ses adeptes dans les Institutions divines, non que l’on puisse à cette aune se fier à un personnage précis pour l’établir, parfaitement hypothétique qui plus est, mais parce que l’auteur se représente suffisamment en témoin des affaires religieuses de son temps, lesquelles intéressaient personnages politiques et philosophes, pour nous fournir des indices nous y incitant. En tentant de donner quelques contours au flou dans lequel l’apologiste a maintenu ses interlocuteurs, nous chercherons à identifier d’un peu plus près le contexte intellectuel où celui-ci semble avoir évolué et pris position. Nous verrons alors si l’on peut s’expliquer que la présence du néoplatonisme ait été si discrète chez Lactance, avant 7  Voir pour le Contra Christianos qui serait alors en cause, Le traité de Porphyre contre les chrétiens  : un siècle de recherches, nouvelles questions. Actes du colloque international organisé les 8 et 9 septembre 2009 à l’Université de Paris IV-Sorbonne, éd. S. Morlet, Paris, 2011, n. p. 12, où il appert qu’on connaît l’écrit polémique essentiellement à travers les réfutations de Méthode d’Olympe (fin du iiie siècle), d’Eusèbe de Césarée et d’Apollinaire de Laodicée (ive siècle). Notons cependant que l’énigme se rencontre également du côté grec, avec Macaire de Magnésie car, si derrière son interlocuteur anonyme, R. Goulet croit pouvoir identifier Porphyre, il le fait à condition de prendre ses propos pour une adaptation plutôt qu’un verbatim (voir R. Goulet, Le monogénès, Paris, Vrin, 2003, vol. i  : «  Introduction générale  »). 8   Voir en particulier, à propos de Nat., ii, 15, P. Courcelle, «  Les sages de Porphyre et les ‘viri novi’ d’Arnobe  », REL 31, 1953, p. 257-271, not. p. 269  : «  Si Arnobe s’en prend avec tant de virulence aux uiri noui, considérés comme les pires ennemis du christianisme, c’est parce qu’il vise, en réalité, son contemporain, le grand antichrétien Porphyre. Lui et son école, voilà les uiri noui plus subversifs que les Hermétistes ou les Platoniciens antérieurs  ». Cependant, l’identification de ces «  uiri noui  » à Porphyre et aux néoplatoniciens de son école proposée par P. Courcelle, mais encore par A. Scott, E.L. Fortin, plus récemment par M.‑B. Simmons (Arnobius of Sicca  : Religious Conflict in the Age of Diocletian, Oxford, 1995) est mise cause par A.‑J. Festugière, M. Mazza, C. Elsas, plus récemment par C.M. Lucarini («  Questioni arnobiane  », MD 54, 2005, p. 123-164, partic. p. 230 sq.), qui reconnaissent en eux plutôt des gnostiques. Enfin, un autre néoplatonicien, latin celui-ci, est souvent compté parmi ceux à qui Arnobe s’adresse, c’est Cornelius Labeo, quand bien même son nom n’est jamais prononcé  : voir P. Mastandrea, Un Neoplatonico latino, Cornelio Labeone (testimonianze e frammenti), Leiden, 1979, p. 13, lequel pense que le caractère parfaitement identifiable d’un contemporain explique ce silence, faisant d’ailleurs la même remarque à propos de l’anonyme qu’il pense être Porphyre chez Lactance. Précisons tout de même qu’Arnobe mentionne, en Nat., ii, 11, le néopythagoricien Cronius et le médio-platonicien Numénius dont aucune mention ne figure en revanche chez Lactance  ; la référence à Platon en association avec Hermès et Pythagore est par ailleurs parfaitement explicite en Nat., ii, 13, ce qui n’est pas le cas non plus chez Lactance.

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qu’on la voie émerger clairement chez les auteurs latins de la fin du siècle et du début du siècle suivant. Il ne saurait être question ici de faire l’inventaire des différents arguments avancés par les critiques pour défendre que le personnage anonyme que Lactance invective au début du livre v des Institutions divines est ou n’est pas le néoplatonicien Porphyre9. Il nous semble aussi quelque peu vain de vouloir faire le départ dans notre lecture entre les deux tendances successives de «  nature historico-institutionnelle  » du mouvement platonicien qui se dégagent à son époque10, même si l’ouvrage de Marco Zambon consacré à Porphyre pousse à mieux différencier médio-platoniciens et néo-platoniciens – mais aussi à mieux identifier leurs points de contact. Certes, le brouillage qui recouvre les philosophes interpellés par 9  Pour une position favorable à cette identification, voir notamment P.‑F. Beatrice (1993) «  Antistes philosophiae  : ein christenfeindlicher Propagandist am Hofe Diokletians nach dem Zeugnis des Laktanz  », Augustinianum, 33, p. 31-47, position qu’adopte à son tour E. DePalma Digeser, «  Lactantius, Porphyry, and the Debate over Religious Toleration  », JRS 88, 1998, p. 129-46, puis, à sa suite, S. Montero, «  Porfirio e il sacrificio divinatorio  », in La Divination dans le monde italique. 8. Des Sévères à Constantin  : les écrivains du iiiè siècle et l’«  Etrusca disciplina  », éd. D. Briquel, Ch. Guittard, Tours, 1999, p. 81-93. Voir également M. Edwards, «  The Flowering of Latin Apologetic  : Lactantius and Arnobius  », in Apologetics in the Roman Empire. Pagans, Jews and Christians, éd. M. Edwards, M. Goodman, S. Price, Ch. Rowland, Oxford, 1999, p. 197-221  ; H.A. Drake, Constantine and the Bishops  : the Politics of Intolerance, Baltimore (Md.), Londres, 2000. p. 197 sq. J. Schott, Christianity, empire, and the making of religion in late antiquity, Philadelphia (Pa), 2008, p.79-102. R. Goulet, pour sa part, a complètement infirmé l’analyse de P.‑F. Beatrice, en affaiblissant par raccroc l’identification à Porphyre faite par l’analyste italien quand celui-ci conteste que Porphyre ait écrit un Contra Christianos et qu’il voit dans le Philosophia ex oraculis haurienda la seule œuvre anti-chrétienne du philosophe  : voir R. Goulet, «  Nouvelles hypothèses sur le traité de Porphyre contre les chrétiens  », Hellénisme et christianisme. Mythes, Imaginaires, Religions, éd. M. Narcy et E. Rébillard, Villeneuve d’Ascq, 2004, p. 61-109. Contre l’identification de «  l’anonyme de Bithynie  » à Porphyre, voir encore, comme nous-même, op. cit. n. 2, p. 184-186, p. 320-321, P. Monceaux, Histoire littéraire de l’Afrique Chrétienne depuis les origines jusqu’à l’invasion arabe, 7 vols, Paris, vol. 3, 1905, p. 311  ; T.D. Barnes, «  Porphyry ‘Against the Christians’  : Date and the Attribution of fragments  », JThStudies 24, 1973, p. 424-442  ; éd. P. Monat, Lactance, Institutions divines, Livre v, vol. 2, Paris, 1973[SC], p. 37-38  ; A. Wlosok, «  Die christliche Apologetik griechischer und lateinischer Sprache bis zur konstantinischen Epoche. Fragen, Probleme, Kontroversens  », in L’apologétique chrétienne gréco-latine à l’époque prénicénienne, Vandœuvres-Genève, 13-17 septembre 2004  : sept exposés suivis de discussions, éd. A. Wlosok et al., GenèveVandœuvres  : Fondation Hardt, 2005, p. 1-28, p. 28  ; Ch. Riedweg, «  Porphyrios über Christus und die Christen  : De philosophia ex oraculis haurienda und Adversus christianos im vergleich  », Ibid., p. 151-198  ; A.‑P. Johnson, «  Porphyry’s Hellenism  », éd. S. Morlet, op. cit. n. 7, p. 165-181, partic. p. 166-168  ; S. Freund, «  Contra religionem nomenque Christianorum. Die Gegner des Christentums in den Diuinae Institutiones des Laktanz  », in Die Christen als Bedrohung  ? Text, Kontext und Wirkung von Porphyrios’ Contra Christianos, éd. I. Männlein-Robert, Stuttgart, 2017, p. 237-259. 10   M. Zambon, Porphyre et le moyen platonisme, Paris, 2002, p. 27.

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l’apologiste semble assez bien refléter le «  pluralisme  » produit par «  l’intense travail de systématisation dogmatique  » des médio-platoniciens qui se développe, selon l’analyste italien, avant sa résolution en un «  platonisme fortement structuré et unitaire  » à partir de Plotin11. Mais en notre cas, il y a peut-être lieu de considérer cette forme d’indécision du propos lactancien comme le fait caractéristique d’un auteur latin, dont le rapport à la tradition platonicienne ne reposait sur aucun impératif propre, et comme celui d’un apologiste chrétien, qui défendait sa foi et sa vérité en temps de persécutions sans qu’il y ait alors besoin ou opportunité pour lui à faire appel dans toute sa rigueur au système de pensée de ses opposants. Parmi les partisans d’une identification de l’«  anonyme de Bithynie  » à Porphyre, Élizabeth DePalma Digeser est allée jusqu’à faire du philosophe l’adversaire principalement visé par Lactance dans le projet même de son apologie12. Nous relèverons ce qui de ses analyses nous paraît finalement le plus contestable, et se voit le plus contesté  ; mais nous reprendrons également ici ce qui nous en semble recevable, voire utile, car il peut s’avérer tout simplement utile de se servir de Porphyre comme de la pierre de touche, en quelque sorte, de l’ensemble que constituent tous ceux qu’en l’occurrence Lactance appelle indifféremment «  les philosophes  » (philosophi)13. En ce passage énigmatique et pour cela fameux du livre v, Lactance s’en prend à deux personnages  : l’un, qu’il caricature et rabaisse sans ménagement et désigne ironiquement comme le «  champion de la philosophie  » (antistes philosophiae)14  ; l’autre, un gouverneur dont il signale qu’il fut «  parmi les tout premiers responsables du déclenchement des   Ibid., p. 28.   Voir n. 9, supra.  ; E. DePalma Digeser, The making of a Christian Empire  : Lactantius and Rome, Ithaca (N.Y.)/ Londres, 2000. 13  On compte près de 160 occurrences du mot dans les 700 pages environ que comptent les Institutions divines. Il est généralement employé au passé et s’applique aux philosophes de la tradition (ne sont donc pas retenues dans le décompte les fois où certains sont désignés par leurs noms) dont sont héritiers les interlocuteurs de Lactance. On relève néanmoins des énoncés au présent qui montrent bien la continuité marquée par Lactance entre cette tradition et ses contemporains  : voir par ex. Inst., i, 5, 10  ; ii, 9, 10  ; iv, 23 , 9  ; 6, 9, 10. Il convient également de se reporter aux dernières lignes de l’œuvre précédente de Lactance, le De opificio dei, où celui-ci annonçait son projet d’une grande œuvre pour riposter aux attaques portées contre le christianisme par les philosophes de son temps. Ainsi, en Op., 20, 2, il prévoyait d’écrire «  contre les philosophes  » qui, «  pour cacher la vérité  », étaient «  dangereux et de poids  » (...et quidem contra philosophos, quoniam sunt ad turbandam ueritatem perniciosi et graues (Trad. M. Perrin [SC], modifiée). 14   Inst., v, 2, 3. 11 12

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persécutions  » et dont on s’accorde à penser qu’il s’agit de Hiéroclès, mentionné de nouveau par Lactance, sous son nom cette fois, dans le De mortibus persecutorum, et contre lequel Eusèbe écrira plus tard un traité15. Lactance a beau dire que le philosophe en question cherchait à se gagner «  l’amitié des gouverneurs  »16, et l’on a beau par ailleurs avoir tenté d’interpréter comme une allusion à sa participation à la persécution l’allégation de Porphyre d’avoir répondu «  au besoin de Grecs  » pour expliquer à sa femme qu’il fût loin d’elle17, rien absolument ne prouve la réalité de la présence de celui-ci à Nicomédie ni de son engagement politique – à la différence, par conséquent, de Hiéroclès18. Surtout, c’est lorsque Lactance évoque les «  trois livres contre la religion et le nom des chrétiens  » que «  vomit  » ce philosophe19, que l’on peut à meilleur droit contester que Lactance vise ici Porphyre et son Contra Christianos, dont le témoignage d’Eusèbe de Césarée et celui de la Souda nous enseignent en effet que ce traité contenait quinze livres20. Ces arguments sont connus. En revanche, on ne s’est pas attaché, autant que nous le sachions, au fait que Porphyre avait une connaissance approfondie des Écritures, comme on l’apprend notamment du De consensu euangelistarum ou des fragments du Contra Christianos qui nous sont parvenus21. Il les avait donc lues et étudiées, ce qui, notons-le, était déjà un trait de Celse, comme on le lit chez Origène, et par la suite, de Hiéroclès, ainsi que Lactance nous le fait savoir à son tour22. Or, non seulement l’apologiste ne nous dit rien de tel à propos du premier anonyme qu’il évoque, mais il nous semble que ce fait même exclut Porphyre de sa visée propre. En effet, comme il l’annonce, Lactance entreprend une œuvre dont l’ambition est de faire connaître aux païens lettrés 15   Inst., v, 2, 12  ; Mort., xvi, 4  : «  …Hieroclem…qui auctor et consiliarius ad faciendam persecutionem fuit…  »  ; Contre Hiéroclès, éd. E. des Places, trad. M. Forra [SC]. 16   Inst., v, 2, 3. 17   Ep. Marc., 458-459  : selon A.‑P. Johnson, «  Porphyry’s Hellenism  », éd. S. Morlet, op. cit. n. 7, p. 165-181, p. 167, ce sont plutôt les affaires académiques de Porphyre qui l’auraient tenu éloigné. 18  Voir Histoire du Christianisme, 2. Naissance d’une chrétienté (250-430), dir. J.‑M. Mayeur, Ch. et L. Pietri, A. Vauchez, M. Venard, Paris, 1995, p. 174. 19   Inst., v. 2, 4  : …tres libros euomuit contra religionem nomenque christianorum. (Trad. P. Monat, [SC], modifiée). 20   Voir à ce sujet R. Goulet, art. cit. n. 9  ; éd. S. Morlet, op. cit. n. 7, Introduction, p. 25-27. 21  Voir not. éd. S. Morlet, op. cit. n. 7, Introduction, p. 37 sq. Voir également I.  Bochet, «  Les quaestiones attribuées à Porphyre dans la Lettre 102 d’Augustin  », éd. S. Morlet, op. cit. n. 7, p. 371-394, p. 371-372, p. 380 sq. 22   Inst., v, 2, 13-17 & v, 3 où les actes du Christ sont comparés à ceux d’Apollonios de Tyane.

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la «  substance de toute la doctrine  »23, de leur donner pour cela une «  initiation  » qui sera capable de les conduire à «  s’abreuver à la source même  »24, autrement dit, à la Bible. C’est que, précisément, comme il nous l’apprend encore, ces lettrés se refusaient absolument à lire le texte sacré des chrétiens et n’avaient alors que dédain pour ce qu’ils considéraient comme des «  élucubrations vaines, imaginaires et mensongères  », de même que pour son écriture, qu’ils jugeaient trop «  grossière  »25. Une observation d’Élizabeth DePalma Digeser tout de même nous retient, qui peut en effet s’avérer concluante en permettant de décider que Lactance avait bien eu affaire avec le néoplatonisme en ceci qu’il connaissait une chose au moins de l’œuvre de Plotin. Dans un article où l’historienne continue du reste à concentrer l’analyse sur Porphyre et à voir en lui l’«  antistes philosophiae  » évoqué par l’apologiste26, celle-ci relève un énoncé du livre I où il paraît possible de reconnaître la triade plotinienne sous la forme allégorique qu’elle revêt, par emprunt à Hésiode, au chapitre 8 du livre v des Ennéades27. Ainsi, au livre i des   Inst., v, 4, 3  : …doctrinae totius substantiam… Sur la nouvelle dimension que prend l’apologétique chrétienne avec Lactance et Eusèbe de Césarée, voir J.‑C. Fredouille, «  L’apologétique chrétienne antique  : naissance d’un genre littéraire  », REAug xxxviii, 1992, p. 219-234  ; Id., «  L’apologétique chrétienne antique  : métamorphose d’un genre polymorphe  », Revue des études augustiniennes xli, 1995, p. 201-216  ; S. Morlet, La ‘Démonstration évangélique’ d’Eusèbe de Césarée  : Étude sur l’apologétique chrétienne à l’époque de Constantin, Paris, 2009, Introduction, p. 28-29. 24  Voir Inst., i, 1, 21  : …nos […] breuiter omnia colligemus, […] quod tantummodo instituendi nobis homines erunt, hoc est ab errore quo sunt implicati ad rectiorem uiam reuocandi. «  Nous […] rassemblerons tout en un bref résumé […] parce que nous proposons seulement de donner aux hommes une initiation, c’est-à-dire de les ramener de l’erreur dans laquelle ils sont empêtrés vers une route plus droite  » (trad. P. Monat [SC]). Sur l’image des Écritures comme «  source  » à laquelle s’abreuver, voir Inst., i, 22  ; vi, 24, 31  : vii, 25, 2. Sur l’existence d’un cursus dans les traditions pédagogiques de l’Antiquité, particulièrement platonicienne, et notamment chez Albinus (iie siècle), censé marquer les étapes d’une progression spirituelle, voir S. Morlet, op. cit., n. 23, Introduction, p. 52-60, et partic. p. 57-58 pour une comparaison entre le diptyque apologétique d’Eusèbe (Préparation évangélique et Démonstration évangélique) et les Institutions divines  ; mais, étant donné ce que nous expliquons ici, nous ne dirions pas comme S. Morlet que le contenu doctrinal est rejeté hors de l’œuvre par Lactance. 25  Voir Inst., v, 1, 15  ; v, 4, 4. Les Institutions divines ne fournissent pas une exégèse très poussée des Écritures, laquelle ressortit essentiellement à la typologie (c’est un fait d’époque), mais s’attachent plutôt à en délivrer le message ‘global’, ce que Lactance appelle de façon qui lui est particulière le sacramentum dei, le «  dessein de Dieu  »  : voir à ce sujet B. Colot, op. cit. n. 2, p. 48-53. 26   É. DePalma Digeser, «  Religion, Law and the Roman Polity  : The Era of the Great Persecution  », in Religion and Law in Classical and Christian Rome, éd. C. Ando, J. Rüpke, Munich, 2006, p. 68-84, partic. p. 73. 27   Ibid., p. 79, avec références dans les notes. Notons qu’en Enn., v, 8, 12, l’éditeur et traducteur de Plotin dans la CUF, E. Bréhier, fait lui-même remarquer qu’il emploie les 23

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Institutions divines, où l’apologiste entame son œuvre sur la question de la providence divine et de l’unicité de Dieu, et où il recourt, selon le procédé rhétorique annoncé, au témoignage des poètes et des philosophes plutôt qu’à celui des Écritures28, celui-ci en appelle à la représentation de Dieu donnée par Orphée comme «  premier-être  » (πρωτόγονος/ primogenitus)29. Lactance veut alors montrer qu’à défaut de pouvoir tout à fait définir Dieu, le poète n’était pas loin de la vérité, conscient à cet égard que Jupiter (Zeus chez Plotin) et Saturne (Cronos) étaient engendrés, Caelum (Ouranos), créé, et que ce dernier ne pouvait, par conséquent, être appelé «  premier dieu  » (primum deum)  : Non poterat enim dicere Iouem esse principem rerum, qui erat Saturno genitus, neque ipsum Saturnum, qui Caelo natus ferebatur  ; Caelum autem tamquam deum primum constituerat non audebat, quod uidebat elementum esse mundi, quod ipsum eguerit auctore. Haec eum ratio perduxit ad deum illum «  primogenitum  », cui adsignat et tribuit principatum30. En effet, il ne pouvait pas dire que Jupiter était le principe des choses, puisque celui-ci avait été engendré par Saturne  ; ni non plus dire que c’était Saturne, puisqu’on rapportait qu’il était né de Ciel  ; mais il n’osait pas faire de Ciel le premier dieu, car il voyait que c’était un élément du monde, qui avait lui-même eu besoin d’un créateur. Tel est le raisonnement qui l’a conduit à ce dieu «  premier-être  », à qui il assigne et attribue la prééminence.

noms des trois divinités qui se laissent parfaitement deviner dans le texte sans qu’ils soient pour autant prononcés. Voir leur apparition préalable en Enn., v, 1, 4  ; v, 1, 7  ; v, 8, 3. Voir sur cette triade allégorique, P. Hadot, «  Ouranos, Kronos and Zeus in Plotinus Treatise against the Gnostics  », in Neoplatonism and Early Christian Thought Essays in Honour of A.‑H. Amstrong, éd. H.J. Blumenthal, R.A. Markus, London, 1981, p. 124-137. 28  Voir Inst., i, 5, 1-2  : …Sed omittamus sane testimonia prophetarum, ne minus idonea probatio uideatur esse de his quibus omnino non creditur. Veniamus ad auctores, et eos ipsos ad ueri probationem testes citemus, quibus contra nos uti solent, poetas dico ac philosophos. «  Mais laissons soigneusement de côté les témoignages des prophètes, de peur que notre démonstration ne paraisse peu probante si nous la fondons sur ces gens à qui l’on n’accorde absolument aucun crédit. Tournons-nous vers les maîtres et citons comme témoins, pour faire la démonstration de la vérité, ceux-là mêmes que l’on utilise habituellement contre nous, je veux dire les poètes et les philosophes  » (trad. P. Monat [SC]). 29   Inst., i, 5, 4 & 7  : nous préférons la traduction «  premier-être  » à celle de «  premier-né  » donnée par P. Monat [SC], Lactance précisant la première fois qu’«  alors que rien n’existait, il fut le premier à jaillir du néant et à exister  » (…cum adhuc nihil esset, primus ex infinito apparuerit et extiterit). Voir, sur l’utilisation d’Orphée pour défendre l’idée de l’unicité de dieu, M. Herrero de Jáuregui, «  Orphic God(s)  : Theogonies and Hymns as Vehicles of Monotheism  », in Monotheism between Pagans and Christians in Late Antiquity, éd. S. Mitchell, P. Van Nuffelen, Louvain, 2010, p. 77-99, spéc. p. 82-83 à propos de Lactance. 30   Inst., i, 5, 7 (Trad. P. Monat [SC] légèrement modifiée).

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C’est donc ici, aux yeux de l’historienne, que Lactance a reproduit sous sa forme imagée la triade de l’Un, de l’Intellect et de l’Âme pour la «  déconstruire  » en ramenant la «  métaphysique au niveau du sensible et du monde matériel  »31  : il promeut à la place la «  puissance infiniment supérieure  » du Dieu chrétien et «  créateur  » dont le poète Orphée avait eu selon lui l’intuition32. Pour notre part, nous dirions plutôt que Lactance a déformé cette triade plotinienne, tant se trouve rejeté hors du propos cet au-delà de l’Être qu’est l’Un de Plotin. Mais le plus important sans doute est ailleurs. En effet, si l’on pense généralement que Lactance, quand il évoque ses contemporains, fait plus volontiers référence aux tenants du médio-platonisme qu’à ceux du néo-platonisme, c’est dû au fait, entre autres, qu’il applique à Dieu l’expression de «  père et créateur du monde  » (parens et conditor rerum) que l’on rencontre aussi chez Numénius33. Or, c’est peut-être négliger que Lactance fait en réalité très libre usage de Platon pour énoncer ses points de doctrine (comme des autres autorités auxquelles il recourt)34, tel, en ce dernier cas, celui de la paternité divine, et qu’il aime illustrer son discours par tous les énoncés susceptibles de faire écho à la fois entre eux et au message chrétien. Il n’y a donc pas lieu de trancher, selon nous, sur le point de savoir à laquelle de l’une ou l’autre référence de pensée Lactance se rattache car c’est risquer, de fait, de passer à côté du sens dans lequel celui-ci a voulu exploiter sa matière  : elle ne se limite pas à ce que sa forme d’origine nous en dit. Il faudrait d’ailleurs penser sur ce point à Eusèbe, par lequel l’essentiel de ce que nous connaissons de Numénius nous a été transmis. S’inspirant de ce dernier, Eusèbe concevait en effet le Logos en médiateur entre la transcendance de Dieu et le monde, ce qui l’a amené, du reste, tout   Expressions traduites de l’énoncé d’É. DePalma Digeser, art. cit. n. 26, p. 79.   Inst., i, 5, 6   : …praestantissimam potestatem, caeli ac terrae conditricem. (Trad. P. Monat [SC]). 33  Voir Inst., vi, 9, 14  : conditorem rerum parentemque  ; Ira, 1, 9 mundi parens et conditor rerum  ; Epit., 64, 5  : conditor rerum ac parens. Mais aussi Inst., iv, 6, 1  : Deus …machinator constitutorque rerum…  ; Inst., iv, 6, 9  : Idcirco illum Trismegistus δημιουργὸν τοῦ θεοῦ et Sibylla σύμβουλον appellat quod tanta sapientia et uirtute sit instructus a Deo patre ut consilio eius et manibus uteretur in fabricatione mundi. «  Et si Trismégiste l’appelle le démiurge de Dieu, et la Sibylle son conseiller, c’est qu’il est doué par Dieu son père d’une telle sagesse et d’une telle puissance que celui-ci s’est servi de son conseil et de ses mains pour fabriquer le monde  ». (Trad. P. Monat [SC]). Voir éd. E. Des Places, Numénius, Fragments, CUF, Index (πατήρ ποιητής). 34   Voir les exemples relevés par M. Perrin dans Id., «  Lactance et la culture grecque. Esquisse d’une problématique  », Les Apologistes chrétiens et la culture grecque, dir. B. Pouderon, J. Doré, Paris, 1998, p. 297-313, p. 304-305  ; Id., art. cit. n. 1, p. 230. 31

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s­ emblablement en l’espèce à Lactance, à négliger sur le plan doctrinal la place du saint Esprit35. Mais on ne peut que constater que chacun de ces deux quasi contemporains a mené et affiché différemment sa démarche, le premier faisant appel explicitement aux figures intellectuelles de son époque, le second en ne s’y référant pas36. Ainsi donc, avant d’évoquer plus loin dans son œuvre ce même Dieu créateur et Père37, c’est à Orphée – dont on sait quelle fortune il a connue par la suite chez les néoplatoniciens – que Lactance fait au départ appel pour présenter le Dieu créateur de la Bible, en rejetant par là-même l’Un absolu de Plotin – sous un implicite qui nous paraît à tout le moins vraisemblable  : Orpheus, qui est uetustissimus poetarum et aequalis ipsorum deorum, siquidem traditur inter Argonautas cum Tyndaridis et Hercule nauigasse, Deum uerum et magnum πρωτόγονον appellat, quod ante ipsum nihil sit genitum, sed ab ipso sint cuncta generata. Eumdem etiam Φάνητα nominat, quod cum adhuc nihil esset, primus ex infinito apparuerit et extiterit. […] Hunc ait esse omnium deorum parentem, quorum causa caelum condiderit liberisque prospexerit, ut haberent habitaculum sedemque communem. […] Natura igitur et ratione ducente, intellexit esse praestantissimam potestatem caeli ac terrae conditricem38. Orphée, qui est le plus ancien des poètes, et égale les dieux eux-mêmes ‑ n’a-t-il pas, dit la tradition, navigué avec les Argonautes, en compagnie des Tyndarides et d’Hercule  ? –, donne au Dieu grand et véritable le titre de «  premier-être  », parce que rien n’a été engendré avant lui, mais que c’est précisément par lui que tout a été engendré. Il l’appelle également «  Celuiqui-apparaît  », car, alors que rien encore n’existait, il fut le premier à jaillir du néant et à exister. […] Il affirme que celui-ci est le père de tous les dieux, qu’il a créé le ciel pour eux et l’a organisé pour ses enfants, afin qu’ils eussent une maison et une résidence commune. […] Guidé par la nature et la raison, il a donc compris qu’il existait une puissance infiniment supérieure, créatrice du ciel et de la terre. 35   Voir E. des Places, «  Les fragments de Numénius d’Apamée dans la Préparation évangélique d’Eusèbe de Césarée  », Comptes rendus des séances de l’AIBL 115/2, 1971, p. 455462, p. 461. Rappelons néanmoins que c’est au Concile de Constantinople seulement, en 381, qu’a été précisé, en complément du credo de Nicée de 325, le credo relatif au saint Esprit. 36   Comparer notamment Eusèbe (PE, xi, 14-19, où l’auteur détaille son intérêt pour la «  cause seconde  » [i.e. le Logos médiateur], qu’il voit dans les Écritures, dans Philon et dans la philosophie platonicienne, en citant l’Epinomis et la lettre vi, qu’il attribue à Platon, avant de citer Numénius et Amélius) avec Lactance, Epit., 37, 5 (énoncé qui ne figurait pas auparavant dans les ID)  : «  Enfin, Platon a parlé du premier et du second Dieu pas tout à fait comme un philosophe, mais comme un inspiré…  ». Denique Plato de primo ac secundo deo non plane ut philosophus, sed ut uates locutus est… cela a valu le commentaire perplexe de M. Perrin à la fois sur la source et sur l’interprétation de l’apologiste latin  : voir note 3, ad loc, et M. Perrin, art. cit. n. 1, p. 218. 37   Voir ci-dessus n. 33. 38   Inst., i, 5, 4-7. (Trad. P. Monat [SC] modifiée).

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Il peut être intéressant, avons-nous dit, une fois rejetée l’hypothèse que Porphyre ait été concrètement cet «  antistes philosophiae  » visé par Lactance, de penser à cette figure comme à un exemple intellectuellement et spirituellement pertinent pour comprendre a contrario la posture de l’auteur chrétien. De ce point de vue, s’il apparaît bien, comme l’a relevé justement Michel Perrin, que Lactance s’est arrêté «  sur les franges du néoplatonisme proprement dit  »39, un certain nombre d’observations peuvent encore alimenter l’analyse. Dans ces premiers développements du livre i, c’est tout à la fois la transcendance, l’unicité, l’«  anonymie  », la puissance, la paternité de ce Dieu qu’il importe à l’apologiste d’affirmer, et c’est à de multiples sources qu’il a pour cela recours. Dans ce portrait que nous sommes amenée à brosser «  en creux  », il est alors significatif que Lactance, dont la notoriété est du reste attachée à ce fait, ait livré des témoignages particulièrement nombreux des écrits sacrés auxquels les païens se reportaient dans leur pratique philosophique. C’est le cas, ainsi, des hermetica dont on sait qu’un néoplatonicien comme Jamblique les interprétait à la lumière de Platon40. L’apologiste atteste très clairement qu’il a eu connaissance des livres qui circulaient en son temps, du moins à partir du moment où, appelé par Dioclétien à la cour de Nicomédie, il s’est préparé en Asie à écrire ses Institutions divines41. Ainsi, il nous apprend, en affirmant ses quelques premiers principes, qu’  : Hic scripsit libros, et quidem multos, ad cognitionem diuinarum rerum pertinentes, in quibus maiestatem summi ac singularis Dei asserit, iisdemque nominibus appellat, quibus nos, Deum et patrem. Ac ne quis nomen eius requireret, α͗νώνυμον esse dixit  ; eo quod nominis proprietate non egeat, ob ipsam scilicet unitatem. Ipsius haec uerba sunt  : Ὁ δὲ Θεὸς εἷς, ὁ δὲ εἷς ὀνόματος οὐ προσδέεται ἔστι γὰρ ὁ ὢν ἀνώνυμος42. Il (scil. Trismégiste) a écrit des ouvrages, et même en grand nombre, touchant à la connaissance des choses divines, dans lesquels il affirme la toute puissance d’un dieu suprême et unique, qu’il désigne par les mêmes noms   M. Perrin, art. cit. n. 1, p. 230.   Voir A. Pennati Bernadini, «  Il neoplatonismo pagano e cristiano nel iv secolo  », in L’impero romano Cristiano  : problemi religiosi, politici, culturali, dir. M. Sordi, Roma, 1991, p. 139-157, p. 148  ; R. Lamberton, «  The neoplatonists and their books  », in Homer, the Bible and Beyond. Literary and religious canons in the ancient world, éd. M. Finkelberg, G.G. Stroumsa, Leiden, Boston, 2003, p. 195-206, p. 202-204. 41   Dans son précédent et premier ouvrage chrétien, en effet, le De opificio dei, nulle mention n’est encore faite des hermetica. Voir A. Löw, Hermes Trismegistos als Zeuge der Wahrheit  : die christliche Hermetikrezeption von Athenagoras bis Laktanz, Berlin/ Vienne, 2002, p. 252. 42   Inst., 1, 6, 4. 39 40

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que nous, «  seigneur et père  ». Et, pour que nul ne recherche son nom, il dit qu’il est «  sans nom  », car il n’a pas besoin d’avoir un nom propre, du fait, justement, qu’il est unique. Voici d’ailleurs ses propres paroles  : «  Dieu est un  ; l’un n’a pas besoin de nom, car celui-qui-est est sans nom  ».

De même, c’est à l’oracle d’Apollon, parole divine que les phi­losophes exploitaient pour servir leur cause43, mais que l’apologiste retourne au profit de son discours44, que celui-ci se réfère pour affirmer, avec quelques nuances supplémentaires, l’ontologie propre, la souveraineté et l’ineffabilité de Dieu  : Apollo enim […] Colophone respondens […] respondit uiginti et uno uersibus, quorum hoc principium est  : Αὐτοφυὴϛ, ἀδίδακτοϛ, ἀμήτωρ, ἀστυφέλικτος/Οὔνομα μηδὲ λόγῳ χωρούμενος, ἐν πυρὶ ναίων/Τοῦτο θεός, μικρὰ δὲ θεοῦ μερὶς ἄγγελοι ἡμεῖς […] Credant Apollini suo, qui eodem illo responso, ut Ioui principatum, sic etiam ceteris diis abstulit nomen45. Apollon de Colophon, […] installé à Colophon pour donner ses réponses […] répondit en vingt-et-un vers dont voici la somme  : «  Engendré par lui-même, sans maître, sans mère, Rien ne peut l’ébranler  ; même par le langage Nous ne pouvons saisir son nom  ; c’est dans le feu Qu’il habite  ; tel est le Dieu  ; Petite part de Dieu, nous, nous sommes ses anges  » […] Qu’ils (scil. cultores deorum) en croient leur Apollon, qui par ce même oracle a du même coup privé à la fois Jupiter de sa prééminence et tous les autres dieux de leur nom.

Or, il convient de relier au témoignage de Lactance le fait que Porphyre fut l’auteur, rappelons-le, d’un traité De philosophia ex oraculis haurienda46. Il ne s’agit aucunement de remettre à l’ordre du jour une question bien longtemps débattue et à laquelle la dernière analyse en date sur le sujet, conduite par Stefan Freund, nous semble avoir apporté une réponse définitive47. Pour le dire rapidement, en effet, à propos d’un 43   Voir A. Busine, Paroles d’Apollon. Pratiques et traditions oraculaires dans l’Antiquité tardive (iie-vie siècles), Leiden/Boston/Tokyo, 2005, p. 227-228  : «  …les vers apolliniens produits par le clergé milésien avaient pour but de soutenir les défenseurs du paganisme dans leur lutte contre l’avancée du christianisme  ». 44   Oracles du sanctuaire de Claros (Colophon) en Inst., i, 7, 1  ; i, 7, 9-10  ; oracles du sanctuaire de Didymes (Milet) en Inst., iv, 13, 11  ; vii, 13, 5  ; Ira, 23, 12  ; Épit., 65, 5. Comme le rappelle S. Freund (art. cit. n. 47, p. 269 et n. 2), Lactance est le premier auteur chrétien à avoir utilisé les «  oracles théologiques  » auxquels avaient recours les païens. 45   Inst., i, 7, 1 & 8 (Trad. P. Monat [SC] légèrement modifiée). Voir, sur cet oracle, S. Pricoco, «  Un oracolo di Apollo su Dio  », Rivista di storia e letteratura religiosa, 23, 1987, p. 3-36. 46  Voir not. C. Addey, «  Monotheism, Henotheism, and Polytheism in Porphyry’s Philosophy from Oracles  », éd. S. Mitchell, P. Van Nuffelen, op. cit. p. 29, p. 149-165, partic. p. 155 pour un rapprochement avec Lactance. 47   S. Freund, «  Christian use and valuation of theological oracles  : the case of Lactantius’ Divine Institutes  », Vigiliae Christianae, 60, 3, 2006, p. 269-284, où l’auteur relaie notamment l’étude de S. Pricoco signalée n. 45.

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passage du livre iv des Institutions divines ayant trait au Christ et contenant un oracle maintes fois rapproché de celui qu’Augustin rapportera, de fait, à Porphyre48, il n’est pas question de dire ici que Lactance dépend de ce dernier quand il reproduit un quelconque oracle apollinien49. Nous souhaitons souligner que l’utilisation que l’apologiste fait des oracles incite une nouvelle fois à penser que les philosophes païens auxquels il s’adresse appartenaient à cette tendance nouvelle du platonisme pour laquelle «  les dieux  » dispensaient «  au philosophe une révélation du genre  » de celle qu’ils dispensaient «  au devin  »50. Sans rapporter ici chacun des textes païens inspirés auxquels Lactance donne accès par l’exploitation rhétorique qu’il en fait51, il faut encore mentionner les très nombreux oracles Sibyllins à qui l’apologiste fait dire le message chrétien52. Mais on peut finalement retenir que c’est sous l’autorité de Platon et du Timée que celui-ci place son affirmation de la transcendance divine, selon une tradition d’ailleurs partout relayée53. Certes, tandis que dans l’énoncé originel, Platon disait seulement que, quand bien même il était impossible de l’exprimer, il était difficile de concevoir Dieu, cette affirmation est assurément proche de l’interprétation qu’en donnait Numénius pour lequel le premier Dieu était inconnaissable. His igitur tot ac tantis testibus comprobatur unius Dei potestate ac prouidentia mundum gubernari  ; cuius uim maiestatemque tantam esse dicit in Timaeo Plato, ut eam neque mente concipere, neque uerbis enarrare quisquam possit, ob nimiam eius et inaestimabilem potestatem54. Ces témoins, si nombreux et de si grande valeur, apportent donc la preuve que le monde est gouverné par le pouvoir et la providence d’un seul Dieu. «  Sa force et sa majesté sont si grandes, dit Platon dans le Timée, que nul ne peut les concevoir en son esprit, ni les exprimer par ses paroles, car sa puissance est immense et inestimable  ».   Inst., iv, 13, 11  ; Ciu., xix, 23.   Le débat autour de cette question est évoqué par P. Monat à propos de Inst., iv, 13, 11 (SC, ad loc.), qui renvoie lui-même au commentaire de Ch. Ingremeau, Ira, 23, 12 [SC], p. 366-367. Les positions de P. Monat et de S. Freund, art. cit. n. 47, p. 283, se rejoignent  : les oracles constituent un bien accessible à tous, et Lactance ne dépend pas de Porphyre. De ce point de vue, S. Freund, p. 274, p. 277-279, p. 283-284, infirme la position d’E. De Palma Digeser. Voir encore la position prudente d’A. Busine, op. cit. n. 43, p. 384-385. 50   Expressions reprises à Luc Brisson, «  L’oracle d’Apollon dans la Vie de Plotin par Porphyre, Kernos [en ligne], 3 / 1990, mis en ligne le 19 avril 1991, p. 13 du document. 51   Voir S. Freund, art. cit. n. 47, p. 273, p. 280-281. 52  Voir N. Brocca, Lattanzio, Agostino e la Sibylla Maga  : ricerche sulla fortuna degli Oracula Sibyllina nell’Occidente latino, Roma, 2011. 53  Voir A.‑D. Nock, «  The exegesis of Timaeus 28 c  », Vigiliae Christianae, 16, 1962, p. 79-86. 54   Inst., i, 8, 1. (Trad. P. Monat [SC]). 48 49

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Mais chez Porphyre aussi on avait pu lire «  qu’aucun nom  » ne pouvait être attribué à Dieu, qu’«  aucune connaissance humaine  » ne pouvait «  le saisir  ». C’est donc un thème numénien répandu dans toute la tradition platonicienne, y compris même chez Plotin55, dont témoigne finalement Lactance. Surtout, comme l’a relevé Michel Perrin, dans son Épitomé publié dix années après les Institutions divines, Lactance a redonné son sens premier à cet énoncé56. Cela signifie que, d’un écrit à l’autre, l’auteur a changé d’intention. Dès lors la seule question qui vaille est de chercher à comprendre la motivation d’un tel changement. Or, notre hypothèse ici est que l’apologiste s’est spécialement préoccupé la première fois d’ouvrir son interlocuteur philosophe et païen au caractère pour le moins paradoxal de la révélation chrétienne, comme elle lui était apparue probablement à lui-même, à savoir la parole d’un Dieu ô combien supérieur à l’homme et délivrée à ce dernier en raison même de sa faiblesse. Ainsi donc, s’il faut voir dans l’aveu évoqué plus haut, d’après lequel le païen lettré ne daignait pas lire le texte biblique, la reconnaissance par Lactance d’un inconvénient majeur auquel a répondu sa décision d’utiliser les moyens de la rhétorique, à savoir globalement, outre le style choisi, la rétorsion d’argument57, il ne faut pas négliger d’y voir aussi le gage de sa profonde ambition. De fait, dans ses Institutions divines, Lactance dit d’emblée, et n’a donc de cesse de réaliser ce projet, qu’il s’agit pour lui de faire accéder ses lecteurs au «  secret du Dieu suprême  » (arcanum summi Dei) dont les chrétiens ont été58, dit-il aussi, «  illuminés  » par un Dieu «  illuminateur  »59. L’affirmation de la transcendance de Dieu et de l’accessibilité néanmoins de la vérité divine par le pouvoir de sa révélation aux hommes est le point fondamental et majeur du propos de l’apologiste. Ce sont d’ailleurs toutes ces expressions, avec d’autres60, qui ont amené jadis   Voir M. Zambon, op. cit. n. 10, p. 231 et références en notes.   Epit., 4, 4-5  : Deum quidem intellegere difficile est, eloqui uero inpossibile, etiam cui intellegere possibile est… «  Concevoir Dieu est sans doute difficile, mais l’énoncer est impossible, même à qui est capable de le concevoir…  ». 57  Voir supra n. 28. 58   Inst., i, i, 3. 59  Voir Inst., vi, 2, 16  ; 4, 23  ; 18, 2. 60   Voir en particulier Inst., ii, 15, 6  : …Hermes […] quid sit autem εὐσέϐεια ostendit alio loco his uerbis  : ἡ γὰρ εὐσέϐεια γνῶσίς ἐστιν τοῦ θεοῦ. «  …Hermès […] ce qu’est la piété, il le montre dans un autre passage, en ces termes  : «La piété est la connaissance de Dieu»  ; Inst., v, 14, 11  : Pietas autem nihil aliud est quam dei notio, sicut Trismegistus uerissime definiuit... «  La piété n’est rien d’autre que la connaissance de Dieu, ainsi que l’a définie très justement le Trismégiste…  » = Corpus Hermeticum, ix, 4. 55 56

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Antonie Wlosok à voir dans le christianisme de Lactance une sorte d’hybride marqué par la gnose hermétique61. Plus rien de tel n’est aujourd’hui aussi clairement affirmé. Au contraire, et parce que l’approche en quelque sorte rétroactive guidée par le critère de l’orthodoxie à travers laquelle cet auteur était lu laisse place maintenant à davantage d’attention à l’historicité de son discours, tous les ‘éléments païens’ de celui-ci ont bien été reconsidérés en fonction de ce qu’ils sont  : des arguments rhétoriques62. Ces éléments ne constituent d’ailleurs pas tant de la part de l’apologiste une «  concession  » faite à son lectorat païen que les moyens mêmes de son art, une arme en l’occurrence redoutable puisqu’ils agissaient sur les propres ‘ressorts’ de ses croyances63. Ces arguments, en tout cas, contribuent tous ensemble à construire l’argumentation du message chrétien que Lactance veut délivrer à son lecteur. Or – certes, sans le truchement direct de son texte, quoique par allusions discrètes à celui-ci ou incursions intermittentes de celui-ci64 –, cette argumentation ne dit pas autre chose que le message de la Bible. Si Lactance évite de citer la Bible, ou plutôt la cite avec parcimonie, ce n’est évidemment pas pour la faire oublier mais, tout au contraire, pour y conduire son lecteur. Ainsi donc, les hermetica et les oracles – seuls textes en l’occurrence par lesquels nous pouvons appréhender les contemporains de Lactance – formaient une espèce de bien commun utilisable par tous, des écrits, en tout cas, comme lui-même nous l’atteste65, que païens et chrétiens pouvaient utiliser à leurs fins66. L’usage même de ces textes révélés et difficiles à démêler nous embarrasse tant par le flou qui s’en dégage que par l’impossibilité de décider des personnages que l’apologiste vise à travers eux. Or cela incite à comprendre que Lactance s’employait à affirmer a contrario et à attester par son œuvre érigée face au ‘maquis’ des révélations païennes que la révélation chrétienne était l’arcanum enfin dévoilé, dont la vérité devait s’imposer à tous puisqu’elle s’entendait en un texte 61   A. Wlosok, Laktanz und die philosophische Gnosis. Untersuchungen zu Geschichte und Terminologie der gnostischen Erlösungsvorstellung, Heidelberg, 1960  ; mais voir, par exemple, A.‑D. Nock, art. cit. n. 53, pour une critique de cette position. 62   Voir, de manière générale, J. Walter, Pagane Texte und Wertvorstellungen bei Laktanz, Göttingen, 2006. 63   Sur l’idée d’une concession intellectuelle faite aux païens, voir S. Freund, art. cit. n. 47, p. 273. 64   En réalité, Lactance cite de nombreuses fois la Bible au livre iv qui traite de christologie. Ailleurs, les citations se font sous le jeu de la dissimulatio. 65  Voir supra n. 42 et Ep., 65, 5. 66  Voir supra n. 47.

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unique67. Ce n’est ainsi pas seulement un philosophe particulier que Lactance a voulu frapper de damnatio memoriae en le laissant dans l’anonymat, puisqu’aucun de ses contemporains n’est désigné sous sa plume par son nom, mais tous, appelés indifféremment «  philosophes  » (philosophi) et confondus sous un même pluriel68. Nous souhaitions, en commençant, cerner d’un peu plus près le «  contexte intellectuel  » dans lequel Lactance a écrit. Nous-même, avec beaucoup d’autres, nous inscrivons en faux contre l’identification de l’«  anonyme de Bithynie  » avec Porphyre. Mais nous avons retenu cette figure comme un «  spécimen  » susceptible de nous aider à faire le portrait de l’interlocuteur que Lactance avait face à lui  : médio ou néoplatonicien, la question est impossible à trancher, c’est-à-dire aussi que la présence du néoplatonisme, dans ce contexte, nous semble impossible à exclure. Mais ne nous arrêtons pas encore  : c’est un «  paysage  », pour finir, que nous aimerions ébaucher, ainsi qu’une fine «  ligne de temps  ». En effet, rappelons qu’après avoir pris à partie les deux individus évoqués plus haut, Lactance annonce qu’il ne se donnera pas la peine de les réfuter, prétendant alors pouvoir le faire en deux mots, et qu’il préfère lancer un unique et dernier «  assaut  » contre tous les autres écrits antichrétiens dont il nous dit qu’ils sont alors parus «  un peu partout  », et «  non seulement en grec, mais encore en latin  »69. Voilà donc d’un coup, 67   Voir notre article  : «  Veritatem sparsam …colligere  » (Diuinae Institutiones, vii, 7, 4)  : des fragments païens pour preuves de la vérité chrétienne dans l’apologie de Lactance. Lactance vs Eusèbe  », in Fragments. Entre brisure et création, éd. F. Daviet-Taylor, L. Gourmelen, Rennes, 2016, p. 69-85. 68   Voir B. Colot, op. cit. n. 2, p. 320  ; G. Clark, «  Acerrimus inimicus  ? Porphyry and the City of God  », éd. S. Morlet, op. cit. n. 7, p. 395-406, p. 404, emploie l’expression de damnatio memoriae à propos de Porphyre chez Lactance en se tenant à distance de la position d’É. DePalma Digeser. 69   Inst., v, 4, 1-2  : ...suscepi hoc munus, ut omnibus ingenii mei uiribus accusatores iustitiae refutarem, non ut contra hos scriberem qui paucis uerbis obteri poterant, sed ut omnes qui ubique idem operis efficiunt aut effecerunt, uno semel impetu profligarem. Non dubito enim quin et alii plurimi et multis in locis et non modo Graecis, sed etiam Latinis litteris monumentum iniustitiae suae struxerint. Quibus singulis quoniam respondere non poteram, sic agendam mihi hanc causam putaui, ut et priores cum suis scriptis peruerterem et futuris omnem facultatem scribendi aut respondendi amputarem. «  ...aussi ai-je assumé la mission de réfuter les accusateurs de la justice, avec toutes les ressources de mon esprit, non pas pour écrire contre ceux-là (scil. les deux auteurs interpellés de façon anonyme auparavant), qui pouvaient être écrasés en quelques mots, mais pour terrasser en une seule fois, dans un seul assaut, tous ceux qui partout accomplissent ou ont accompli le même genre de tâche. Je suis persuadé en effet qu’une foule d’autres écrivains, dans de nombreux pays, et non seulement en grec, mais encore en latin, ont édifié, par leurs écrits, un monument de leur injustice. Et comme je ne pouvais répondre à chacun en particulier, j’ai pensé qu’il me fallait conduire mon plaidoyer de façon à renverser avec tous leurs

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l’espace élargi. Or, si nous avons été contrainte jusqu’ici de nous référer aux seuls néoplatoniciens dont nous ayons gardé témoignage, à savoir les auteurs grecs, rien ne nous dit pourtant qu’il n’en ait pas existé parmi les auteurs latins à l’époque de Lactance. À ce jour, Cornelius Labeo est le seul candidat désigné en ce domaine – le dernier éditeur de ses fragments le situant à l’époque de notre apologiste malgré l’incertitude qu’il reconnaît demeurer sur ce point –, un candidat par conséquent désigné, mais encore fragile, et bien seul, qui mériterait néanmoins une attention plus spécifique dans son rapport possible à Lactance70. Quoi qu’il en soit, à ce stade de l’analyse, le plus important à notre sens est que l’espace en question soit celui que Lactance a découvert en quittant l’Afrique pour se rendre à l’appel de Dioclétien dans la capitale orientale de l’Empire. C’est là, en effet, selon Andreas Löw, qu’il a trouvé les hermetica qu’il utilisera pour ses Institutions divines71. C’est là encore qu’il a ressenti sans doute le «  charme  » de cette «  Asie  » où Apollon, nous dit-il, après avoir quitté Delphes pour Colophon, s’était «  installé  »72. Il a ainsi vécu à Nicomédie, où le pouvoir romain avait son autre capitale, a habité le même sol que celui où se trouvaient les sanctuaires apolliniens de Milet et de Claros – dont les oracles avaient «  dimension internationale  »73. C’est finalement l’espace romain dans toute son extension, à la mesure de sa diversité et de son universalité, qu’il a pu donc avoir un jour le sentiment d’appréhender, et d’être alors appelé à définir dans les termes de l’universalité chrétienne. Sur le plan philosophique, c’est alors par le ‘passeur’ Cicéron, l’imitator de Platon74, qu’il embrasse sa matière, et si l’on ne trouve pas chez lui d’interlocuteurs néoplatoniciens nommément désignés, grecs ou écrits les anciens auteurs et à couper aux auteurs futurs toute possibilité d’écrire ou de répondre  » (trad. P. Monat [SC]). 70   P. Mastandrea, Un Neoplatonico latino, Cornelio Labeone (testimonianze e frammenti, Leiden, 197  ; voir aussi S. Pricoco, op. cit. n. 45, p. 31-32, lequel émet, et rappelle, p. 35, cette hypothèse (rappelée à son tour par S. Freund, art. cit. n. 47, n. 25, p. 274). 71  Voir supra n. 41. 72   Inst.,  i, 7, 1 & 8-9  : Apollo enim, quem praeter ceteros diuinum maximeque fatidicum existimant, Colophone respondens, quo Delphis, credo, migrauerat amoenitate Asiae ductus, quaerenti cuidam quis aut quid esset omnino Deus. «  Ainsi Apollon, qu’ils considèrent, plus encore que tous les autres, comme divin, et comme l’oracle par excellence, installé à Colophon pour donner ses réponses, parce qu’il avait quitté Delphes, attiré, je crois, par le charme de l’Asie, s’était vu demander qui était, ou ce qu’était, en définitive, Dieu.  » (Trad. P. Monat [SC]). 73   Voir S. Pricoco, art. cit. n. 45, p. 29-30  : l’auteur rappelle quelles sont les régions d’Orient et d’Occident où l’on a découvert d’autres témoignages de l’oracle d’Oinoanda, avec lequel le texte des Institutions divines (i, 7, 1) comporte des vers en commun. 74   Cf. supra n. 4.

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latins, c’est bien que, comme l’énonçait déjà Jacques Fontaine, «  la pensée romaine de Lactance  » est «  restée étrangère au néo-platonisme proprement dit  »75. De fait, celle-ci a plus profondément à voir avec celle de Cicéron. Ainsi, aux livres v et vi des Institutions divines, c’est avec un Cicéron aux accents stoïciens, porteurs de l’idéologie universaliste politique et religieuse de Rome près en son époque de se développer sous le Principat, que Lactance a plus profondément mené le débat. C’est qu’il lui fallait toucher en ses contemporains la tradition philosophique dont ils étaient les dépositaires et qui permettait de penser la légitimité politique de la religio76, alors que lui-même militait pour la reconnaissance du culte unique d’un Dieu unique, sur la base d’un texte sacré unique, pour une Rome unifiée dans et par le christianisme77. Cependant il est plus que notable que l’apologiste charge Cicéron de l’héritage platonicien quand, au livre iii des Institutions divines, il récapitule la tradition sceptique de l’Académie. Car on pourrait considérer ici qu’il mène une sorte d’anti-discours spécialement fait pour ironiser sur le dogmatisme des médio- et néoplatoniciens. De fait, en ce livre, il aime lancer ses sarcasmes à l’encontre de l’Arpinate comme il le fait contre le premier de cette tradition, Arcésilas, celui dont Numénius, précisément, avait considéré qu’il avait gravement trahi le Platon des origines78. Nous n’avons pu déceler la présence du néoplatonisme dans les Institutions qu’‘en creux’, à travers les différents indices que Lactance a tout de même fournis alors qu’il voulait n’honorer de son nom aucun des philosophes païens auxquels il s’est adressé et qu’il a voulu combattre. En ces temps de persécutions79, il les met tous, pour oser parler ainsi, ‘dans le même sac’. Mais par le fait même de son discours, apologétique et chrétien, on peut être assuré que la philosophie de ses interlocuteurs avait partie liée avec la théologie  ; médio- ou néoplatonicien, c’est un platonisme tardif qui ressort du texte de Lactance, même si celui-ci n’a 75   J. Fontaine, lors de la discussion faisant suite à la communication de M. Perrin, art. cit. n. 1, p. 233. (C’est nous qui soulignons). 76  Voir B. Colot, op. cit. n. 2, chapitre iii (comparaison intéressante à faire, à cet égard, avec l’analyse et les conclusions de J.G. Cook, «  The Contra Christianos and the crimen nominis christianorum  », éd. S. Morlet, op. cit. n. 7, p. 231-275, comme avec les remarques d’I. Bochet, Ibid., p. 371-394, p. 383 sq.), et vi. 77   Sur la différence entre Lactance et Eusèbe à cet égard, voir Ibid., chapitre iv. 78   Voir P. Athanassiadi, La lutte pour l’orthodoxie dans le platonisme tardif de Numénius à Damascius, Paris, 2006, p. 99 sq., au sujet de Numénius et la dissidence des académiciens par rapport à Platon. 79   Les philosophes apportaient leur justification aux persécutions, comme le montre clairement le début du livre v, en particulier ce que Lactance rapporte des propos de l’antistes philosophiae, ‘ami’ des gouverneurs dont il a été question plus haut (cf. Inst., v, i, 3-7).

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mené aucun examen en règle du système de pensée de son interlocuteur qui puisse réellement nous en informer80. En revanche, cet auteur latin, parvenu au cœur du pouvoir romain et dans son espace oriental illustre comme aucun autre la multiplicité des textes sacrés que ses contemporains païens consultaient pour interpréter en philosophes les messages divins qui y étaient consignés. Il nous livre alors cette diversité comme une pluralité inapte à s’harmoniser autrement que sous l’unité du message chrétien. Tout, de ce point de vue, semble lié aux conditions de l’époque. Face à la tradition grecque, ce n’est que plus tard qu’il deviendra avantageux pour les auteurs latins d’entrer dans le cœur des œuvres pour en retirer ce qu’ils voudront au service de la doctrine chrétienne. Ainsi, Firmicus Maternus traduira Plotin, qui deviendra désormais accessible à Ambroise, Augustin, Jérôme. Exemple hautement significatif, la triade plotinienne sera alors au service du dogme trinitaire chrétien81. Du côté d’un païen comme Macrobe, en revanche, le néoplatonisme sera la dernière forme prise par la tradition qui permettra à un philosophe d’affirmer son identité de païen dans un monde désormais christianisé82.

80   Voir M. Perrin, art. cit. n. 1, p. 230  : «  …le Platon que connaît Lactance a déjà fait l’objet d’une longue réflexion exégétique, bref, […] il a une histoire  ». 81   Voir P. Aubin, Plotin et le christianisme  : triade plotinienne et trinité chrétienne, Paris, 1992, partic. chap. iii. 82   Voir J. Flamant, Macrobe et le néo-platonisme latin à la fin du ive siècle (Études préliminaires aux religions orientales dans l’empire romain, 58), Leiden, 1977, mais aussi du point de vue considéré ici, S. Ratti, Polémiques entre païens et chrétiens, Paris, 2012, p. 129-164 sur Nicomaque Flavien Senior, philosophe néo-platonicien.

L’HYMNE AU DIEU COSMIQUE DANS LA LATINITÉ TARDIVE  : UNE SYNTHÈSE D’ÉLÉMENTS ­ (NÉO)PLATONICIENS  ? Jean-Baptiste Guillaumin

(Sorbonne, Université Paris IV – EA 4081)

Αλλ’, ὦ Σώκρατες, τοῦτό γε δὴ πάντες ὅσοι καὶ κατὰ βραχὺ σωφροσύνης μετέχουσιν, ἐπὶ παντὸς ὁρμῇ καὶ σμικροῦ καὶ μεγάλου πράγματος θεὸν ἀεί που καλοῦσιν. Mais oui, Socrate, tous ceux en tout cas qui ont la moindre parcelle de sagesse, quand ils sont sur le point d’entreprendre une affaire, grande ou petite, invoquent toujours une divinité, n’est-ce pas  ?

C’est ainsi que Timée, répondant à Socrate qui lui demandait d’invoquer les dieux, commence son discours dans le dialogue platonicien qui porte son nom1 (27c), précisant ensuite que cette précaution est d’autant plus nécessaire lorsque l’on s’apprête à discourir sur l’univers (τοῦ πάντος λόγους ποιεῖσθαι). Si la formule, à première vue, n’évoque que la nécessité de faire précéder toute entreprise importante d’une prière2, la dimension fondamentalement philosophique de l’invocation en question est perceptible dans l’allusion à la «  sagesse  » (σωφροσύνη) et, surtout, dans la place de cette remarque, qui sert de transition et introduit l’exposé cosmologique. Malgré le caractère énigmatique de cette invocation par prétérition, la formule semble avoir étayé, aux yeux de certains platoniciens, la légitimité et l’importance de l’invocation divine en contexte philosophique  : c’est du moins de ce qui apparaît, quelque neuf siècles plus tard, à la lecture de la Consolation de Philosophie de Boèce, qui cite ce passage pour introduire et légitimer les vingt-huit hexamètres de l’hymne O qui perpetua... (3, m. 9), pivot de l’œuvre et résumé de la cosmologie du Timée. Ce détour liminaire par un détail de l’un des dialogues platoniciens les plus influents dans la tradition latine établit d’emblée l’importance de l’invocation aux dieux en contexte philosophique, et le fait que l’hymne O qui perpetua soit resté un modèle du genre incite   Nous utilisons ici la traduction de L. Brisson, Platon. Timée, Critias, Paris, 20015.   Comme le souligne L. Brisson, on retrouve des remarques du même type dans le Philèbe 25b, les Lois x, 887c, puis dans l’Epinomis 980c et dans la Lettre viii, 353a. 1 2

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à s’intéresser aux origines de cette forme littéraire et à son développement au sein du platonisme latin tardif. L’utilisation de la forme hymnique en contexte platonicien n’est certes pas propre à Boèce  : on pense spontanément aux hymnes de Synésius3 ou de Proclus, qui durent servir de recueil de référence dans l’école néoplatonicienne tardive4. Plus généra­lement, l’hymne philosophique correspond à une tradition bien ancrée dans le domaine grec, au moins depuis l’hymne à Zeus de Cléanthe, qui en constitue l’un des exemples les plus célèbres et qui, malgré son identité stoïcienne, dut rester une référence pour les néoplatoniciens tardifs5. Cette modalité poético-philosophique n’est pas inconnue de la littérature latine classique6  : on songe bien entendu, de prime abord, aux invocations lucrétiennes (à Vénus puis à Épicure7) qui recourent à la forme hymnique pour poser des jalons dans la progression du poème, à l’hymne (en prose) à Philosophie que Cicéron inscrit dans le dernier livre de ses Tusculanes8, à la traduction latine en sénaires iambiques, fournie par Sénèque, d’une prière de Cléanthe à Zeus et au destin9, ou encore, au croisement entre origine religieuse et dimension philosophique de l’hymne, à tel poème hymnique10 ou à telle prière en prose11 insistant sur le pouvoir cosmique d’une divinité. Pourtant, malgré l’existence de ces matériaux poétiques et littéraires, aucun des   Voir Chr. Lacombrade, Synésios de Cyrène. Hymnes, Paris, 1978  ; dans le chapitre de The Cambridge History of Philosophy in Late Antiquity (éd. L.‑P. Gerson, Cambridge, 2010) consacré à Synésius, J. Bregman, p. 526, les qualifie de «  later Platonic metaphysical poems  ». Voir également D. Roques, «  Les Hymnes de Synésios de Cyrène  : chronologie, rhétorique et réalité  », L’hymne antique et son public, éd. Y. Lehmann, Turnhout, Brepols, 2007, p. 301-371. 4   Voir sur ce point H.D. Saffrey, Proclus, Hymnes et prières, Paris, 1994, p. 5. 5   Sur l’ensemble des hymnes philosophiques en grec, voir G. Zuntz, Griechische philosophische Hymnen, Tübingen, 2005. 6   Sur la forme hymnique dans la poésie latine, on consultera l’ouvrage exhaustif de G. La Bua, L’inno nella letteratura poetica latina, San Severo, 1999, ainsi que le volume collectif dirigé par Y. Lehmann, L’hymne antique et son public, Turnhout, Brepols, 2007 (en particulier p. 379-636 pour les contributions sur la littérature latine). 7   Lucr. 1, 1-43  ; 3, 1-30. 8  Cic., Tusc. 5, 5. 9  Sen., Ad Luc. 107, 11. Voir également l’étude de A. Setaioli, «  La traduzione senecana dei versi di Cleante a Zeus e al fato  », Studi di poesia latina in onore di Antonio Traglia, Roma, 1979, p. 719-730. 10   Par exemple Catul. 34 (à Diane)  ; Hor., Carm. saec. (à Apollon et Diane)  ; Hor., Od. 1, 35 (à la Fortune)  ; Tib. 1, 7, 23 sq. (au Nil)  ; Verg., Aen. 8, 293 sq. (à Hercule). 11   On pense spontanément à Apul., Met. 11, 2 (prière du narrateur Lucius, qui a encore sa forme d’âne) puis 11, 25 (remerciements à Isis, qui lui a redonné forme humaine)  : dans les deux cas, il s’agit d’une prose très travaillée, avec des effets rythmiques et des assonances. Malgré leur insertion dans un «  roman  », il n’est pas hors de propos de mettre en relation ces deux passages, au moins partiellement et symboliquement, avec le 3



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exemples relevés ci-dessus ne correspond vraiment à une invocation à la divinité toute-puissante permettant d’exposer de manière synthétique les aspects principaux d’un système philosophique, à la manière de ce que l’on trouve dans les vers de la Consolation de Philosophie mentionnés plus haut  : de fait, dans la littérature latine, le premier texte conservé correspondant à cette définition semble être un poème de Tibérianus, intitulé Versus Platonis de deo selon la tradition manuscrite, que l’on situe généralement au début du ive s. Il semble donc que cette forme poétique et philosophique soit, en latin, une particularité de l’Antiquité tardive – période par ailleurs propice de manière générale à l’hymnographie latine12 –, et s’inscrive par conséquent dans un Zeitgeist (néo)platonicien13. On s’intéressera ici aux motifs philosophiques transmis par les hymnes au dieu cosmique de la latinité tardive, de manière à mieux appréhender leurs liens avec le «  néoplatonisme  » latin. Après avoir délimité et présenté le corpus des textes qui serviront de base à cette étude, on en dégagera un certain nombre de thèmes récurrents pour pouvoir mettre en évidence leurs origines communes possibles ainsi que les liens qui les rattachent tous, à des degrés divers, à des représen­tations du monde caractéristiques de la latinité tardive. Délimitation du corpus et typologie des textes Nous nous proposons de constituer le corpus des hymnes étudiés à partir de critères à la fois formels et thématiques, plutôt que de retenir d’emblée comme déterminant le caractère «  (néo)platonicien  » des textes en question  : la définition même du terme étant problématique, on risquerait de tomber dans un raisonnement circulaire et de laisser de côté «  médioplatonisme  » d’Apulée, dont on verra plus loin l’intérêt pour des hymnes philosophiques grecs. 12   Voir J.‑L. Charlet, La création poétique dans le Cathemerinon de Prudence, Paris, 1982, p. 13-22, ainsi que les références données ci-dessus, n. 6. Rappelons par ailleurs que, dans leur très grande majorité, les occurrences du terme hymnus en latin, relevées par le ThLL, sont postérieures au iie s. ap. J.-C. 13   On se contentera pour l’instant d’un emploi large, et nécessairement forcé, du terme «  néoplatonicien  » pour désigner, de manière purement chronologique, les productions philosophiques platoniciennes postérieures à Plotin  ; certains éléments présents dans ces hymnes relèvent, comme on le verra, d’une synthèse dont certains aspects pourraient être qualifiés de «  médioplatoniciens  », si tant est que la distinction terminologique (utilisée seulement depuis le début du xxe s.) ait un sens. Pour une discussion sur cette question terminologique, voir M. Zambon, Porphyre et le moyen-platonisme, Paris, 2002, p. 23-31.

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des textes qui témoignent d’une même inspiration sans être nécessairement rangés parmi les textes philosophiques. Délimitation formelle et thématique Pour définir la forme littéraire de l’hymne, plus précise qu’une simple «  invocation  », nous utiliserons ici les critères formels traditionnels mis en évidence dans l’étude désormais classique de E. Norden14 et régulièrement repris depuis15  : l’hymne commence par une adresse à la divinité, comportant généralement ses noms (ἐπίκλησις), rappelle ensuite ses exploits (arétalogie ou δοξολογία) – mais cette partie peut prendre la forme d’un développement plus général sur ses caractéristiques –, et se termine par une demande précise (εὐχή). La syntaxe se caractérise le plus souvent par la deuxième personne («  Du-Stil16  ») – alternant parfois, dans l’arétalogie, avec la troisième («  Er-Stil17  ») –, le vocatif et souvent la caractérisation multiple par des relatives ou des participes présents, en particulier dans l’arétalogie («  Partizipialstil  », «  Relativstil18  »). Très généralement, en grec comme en latin, le marqueur métrique de l’hymne est l’hexamètre dactylique, même s’il existe également des hymnes répondant à l’ensemble de ces critères formels, mais composés dans d’autres mètres ou même en prose. Au sein des nombreux textes latins de l’Antiquité tardive susceptibles de répondre à ces critères, on ne retiendra ici que les hymnes philosophiques adressés au dieu cosmique, qu’il soit nommé ou non et quelle que soit son identité — Zeus/Jupiter, le Soleil, le Dieu chrétien... —, pourvu qu’ils fournissent, dans le cadre de l’arétalogie en particulier, des détails véhiculant de manière plus ou moins directe des représentations philosophiques sur le statut de la divinité et son rapport avec le monde. 14  E. Norden, Agnostos Theos. Untersuchungen zur Formengeschichte religiöser Rede, Leipzig-Berlin, 1913, en particulier p. 143-177. Voir aussi W.D. Furley, J.‑M. Bremer, Greek Hymns, Tübingen, 2001, vol. 1, 50-64. 15  Sur l’hymnographie antique en général, voir R. Wünsch, «  Hymnos  », RE, 9/1, 1914, col.  140-183  ; K.  Thraede, «  Hymnus  », Reallexikon für Antike und Christentum, 16, 1994, p. 915-916  ; Hymnen der alten Welt im Kulturvergleich, éd. W. Burkert, F. Stolz, Göttingen, 1994  ; W.D. Furley, T. Fuhrer, A. Berger, «  hymnos  », Der Neue Pauly, 5, 1998, col. 788-797 = Brill’s New Pauly, 6, 2005, col. 615-626. 16   E. Norden, Agnostos Theos..., p. 143 sq. 17   Ibid., p. 163 sq. 18   Ibid., p. 168 et 177.



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Corpus Tibérianus, Versus Platonis de deo Parmi les textes correspondant à cette délimitation formelle et thématique, on retiendra tout d’abord les 32 hexamètres du poète Tibérianus19  ; malgré les variations du titre dans les différents manuscrits20, on y trouve systématiquement la formule uersus Platonis  : la présentation de cet hymne comme poème platonicien remonte donc à l’archétype, traduisant sans doute un point de vue tardo-antique sur l’orientation philosophique du texte21. L’invocation (v. 1-6) insiste sur l’unicité du Tout-Puissant derrière la pluralité des attributs qui le caractérisent et des noms qui le désignent. Le développement («  arétalogie  », v. 7-25) mentionne son omniprésence paradoxale, son éternité, sa maîtrise du destin universel et son omniscience, en utilisant l’image de la lumière qui se diffuse dans l’ensemble du monde. Dans les derniers vers (εὐχή, v. 26-32), le poète demande à connaître l’ordre et les causes du monde. Omnipotens, annosa poli quem suspicit aetas, quem sub millenis semper uirtutibus unum nec numero quisquam poterit pensare nec aeuo, nunc esto affatus, si quo te nomine dignum est, quo sacer ignoto gaudes, quo maxima tellus5 intremit et sistunt rapidos uaga sidera cursus. 19   Découverts et publiés par Jules Quicherat en 1843 («  Invocation à l’Éternel, traduite du grec par Tiberianus  », Bibliothèque de l’École des Chartes, iv, 1843, p. 267272), ces vers ont ensuite été intégrés dans l’Anthologia Latina de A. Riese sous le no 290, p. 40-42 dans la première édition (Leipzig, 1870), p. 46-47 dans l’édition augmentée de 1906, ainsi que dans les Poetae Latini Minores de E. Baehrens (vol. iii, Leipzig, 1881, p. 267-268)  ; ils ont été traduits en anglais dans l’édition de J.W. Duff pour la collection Loeb (Minor Latin Poets, London-Cambridge Mass., 1934, p. 564-567), puis, de manière quasi contemporaine, en italien, par U. Zuccarelli (Tiberiano  : introduzione, traduzione, testo e commento, Napoli, 1987, p. 86-89) et par S. Mattiacci (i carmi e i frammenti di Tiberiano. Introduzione, edizione critica, traduzione e commento, Firenze, 1990, p. 58-59). Ce poème est généralement cité comme Carmen iv de Tibérianus. On utilisera ici l’édition critique de S. Mattiacci en conservant toutefois la correction de J. Quicherat dans le second hémistiche du v. 5 (quo au lieu de quod dans les manuscrits). 20   Les sept manuscrits conservés s’échelonnent du ixe au xiiie s.  : voir S. Mattiacci, I carmi..., p. 39-44, qui reconstitue comme titre Versus Platonis a quodam Tiberiano de graeco in latinum translati. 21  À cet égard, cette mention ne mérite sans doute pas le rejet sévère suggéré par J. Quicherat («  Invocation à l’Éternel...  », p. 269)  : «  Rayons le nom de Platon de la place où l’a mis sans doute un copiste ignorant  »  ; il ajoute toutefois  : «  rien [ne lui appartient] sinon la doctrine et quelques expressions devenues sacramentelles dans son école  », ce qui, d’une certains manière, est déjà beaucoup. Voir S. Mattiacci, I carmi..., p. 157.

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Tu solus, tu multus item, tu primus et idem postremus mediusque simul mundique superstes  : nam sine fine tui labentia tempora finis, altus ab aeterno spectans fera turbine certo10 rerum fata rapi uitasque inuoluier aeuo atque iterum reduces supera in conuexa referri, scilicet ut mundo redeat quod partibus haustum perdiderit, refluumque iterum per tempora fiat. Tu (siquidem fas est in temet tendere sensum 15 et speciem temptare sacram, qua sidera cingis inmensus longamque simul complecteris aethram) fulmineis forsan rapida sub imagine membris flammifluum quoddam iubar es, quo cuncta coruscans ipse uides nostrumque premis solemque diemque.20 Tu genus omne deum, tu rerum causa uigorque, tu natura omnis, deus innumerabilis unus, tu sexu plenus toto, tibi nascitur olim hic deus, hic mundus, domus hic hominumque deumque, lucens, augusto stellatus flore iuuentae.25 Quem (precor, aspires), qua sit ratione creatus, quo genitus factusne modo, da nosse uolenti. Da, pater, augustas ut possim noscere causas, mundanas olim moles quo foedere rerum sustuleris animamque leui quo maximus olim30 texueris numero, quo congrege dissimilique, quicquid id est uegetum, quod per cita corpora uiuit22. 22   «  Ô Tout-Puissant, que contemple le grand âge des cieux, / que, toujours un sous des milliers d’attributs, / personne ne pourra jamais évaluer ni selon le nombre ni selon le temps, / sois maintenant invoqué, s’il est digne de toi qu’on le fasse à l’aide d’un nom, / un nom inconnu dont ta sainteté se réjouit, un nom qui fait trembler / l’immensité de la terre et conduit les planètes à suspendre leur cours rapide. / Toi qui es unique, tu es en même temps pluriel, toi qui es premier, / tu es également dernier, au milieu d’un monde que simultanément tu surpasses  : / car sans avoir toi-même de fin, tu poses une fin à l’écoulement du temps, / regardant depuis l’éternité, de toute ta hauteur, le cruel destin des choses / être entraîné dans un tourbillon déterminé, les vies être immergées dans le temps / et, dans un nouveau retour, ramenées vers les voûtes célestes, afin que revienne à l’univers ce qui lui a échappé, puisé / par les naissances, et que, de nouveau, cela entre dans le flot du temps. / Toi (s’il est permis de tendre la pensée vers toi / et d’éprouver ta forme sacrée, par laquelle tu enserres les astres / dans ton immensité en même temps que tu embrasses l’étendue de l’éther), / par tes membres peut-être, étincelants sous leur aspect rapide, / tu es comme une lueur porteuse de flots de feu qui, dans ton scintillement, te permet / de voir tout toi-même et de surpasser notre soleil et notre jour. / Toi, tu es l’entière lignée des dieux, tu es la cause et la force des choses, / tu es l’ensemble de la nature, le dieu un innombrable, / tu portes en toi la totalité du sexe, c’est pour toi que naît un jour / ce dieu, ce monde, demeure des hommes et des dieux, / resplendissant et constellé de l’auguste fleur de la jeunesse. / Ce monde (sois favorable à ma prière), je désire savoir le principe de sa création, / la manière dont il a été engendré et produit  : accorde-moi ces connaissances. / Donne-moi, père, de pouvoir découvrir les causes



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Les études sur ce poème23 ont utilement orienté notre réflexion, en particulier pour la constitution de ce corpus. Martianus Capella, Noces de Philologie et de Mercure, 2, 185-193 (hymne de Philologie au Soleil)  ; 9, 911-912 (hymne d’Harmonie à Jupiter) Le récit allégorique des Noces de Philologie et de Mercure, qui se caractérise par son aspect prosimétrique, présente plusieurs poèmes correspondant formellement à des hymnes. D’emblée, le poème d’ouverture donne le ton  : l’auteur y adresse en effet à Hyménée huit distiques élégiaques qui chantent son rôle unificateur, dans les mariages comme dans l’univers24. Dans la mesure où ce passage ne présente pas d’εὐχή et recourt au distique élégiaque plutôt qu’à l’hexamètre, nous ne l’intégrons pas dans le corpus  ; il pourra toutefois être utilisé pour préciser la portée

augustes  : / par quel lien physique tu as un jour pris en charge la masse du monde, / par quels nombres immatériels, dans ta grandeur, tu as un jour / tissé l’âme, ou par quels principes d’identité et de dissemblance, / quelle que soit cette force vitale qui anime les corps rapides  ». Notre traduction reprend les interprétations proposées par S. Mattiacci, I Carmi..., dans son riche commentaire, p. 170-199, en particulier pour les trois derniers vers, qui cumulent un certain nombre de difficultés. 23   H. Lewy, «  A Latin Hymn to the Creator ascribed to Plato  », Harvard Theological Review, 39, 1946, p. 243-258  ; Tullio Agozzino, «  Una preghiera gnostica pagana e lo stile lucreziano nel iv secolo  », Dignam Dis a Giampaolo Vallot, Venezia, 1972, p. 169210  ; les éditions commentées (citées ci-dessus, n. 19) de U. Zuccarelli puis S. Mattiacci. Enfin, l’article de F. Perono Cacciafoco, «  Sincretismo filosofico-religioso e tradizione nell’inno al deus omnipotens di Tiberiano  », Atene e Roma, n. s. ii, vi, 1-2, 2012, p. 90-110. 24   Mart. Cap., Nupt. 1, 1  : Tu quem psallentem thalamis, quem matre Camena / progenitum perhibent, copula sacra deum, / semina qui arcanis stringens pugnantia uinclis / complexuque sacro dissona nexa foues, / — namque elementa ligas uicibus mundumque maritas / atque auram mentis corporibus socias / foedere complacito sub quo natura iugatur, / sexus concilians et sub amore fidem — / o Hymenaee decens [...]. («  Toi qu’on nomme aux noces le joueur de cithare, le fils d’une Camène, ô des dieux lien sacré, qui noues secrètement les principes en lutte, tiens la diversité liée en étreinte sainte — car tu joins les éléments en un ordre, fécondes l’univers, mêles aux corps le souffle de l’esprit dans une belle alliance unissant la nature, mariant les sexes, amour et fidélité —, ô gracieux hyménée [...]  »). Pour les livres i et ix des Noces de Philologie et de Mercure, nous utilisons l’édition et la traduction de la CUF (respectivement J.‑F. Chevalier, Martianus Capella. Les Noces de Philologie et de Mercure, Livre  i, Paris, 2014 et J.‑B. Guillaumin, Martianus Capella. Les Noces de Philologie et de Mercure, Livre ix  : l’Harmonie, Paris, 2011)  ; pour le livre ii, nous utilisons l’édition de J. Willis (Martianus Capella, Leipzig, 1983) et traduisons nous-même. Pour les références, nous conservons le système traditionnel (le numéro du livre, puis le paragraphe dans l’édition d’U.‑F. Kopp, Martiani Capellae De nuptiis Philologiae et Mercurii..., Frankfurt am Main, 1836).

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de certains motifs figurant ailleurs, d’autant que son statut liminaire lui donne un rôle de premier plan dans la structure de l’œuvre25. Dans le deuxième livre, on trouve un hymne adressé par Philologie au Soleil lors de son ascension vers la Voie Lactée, où aura lieu le mariage. Invoqué (v. 1-7) sous une série de qualificatifs comme «  force suprême du Père inconnu  » (v. 1) et «  source de l’esprit  » (v. 2), le Soleil est ensuite présenté, dans l’arétalogie (v. 8-29), comme celui qui guide les astres (v. 8-10) et dompte le «  quadrige des éléments  » (v. 19)  ; après avoir rappelé la multitude de ses noms, qui se résument en un seul, secret et révélé par isopséphie (v. 29-30), Philologie lui demande, dans les deux derniers vers (qui constituent l’εὐχή), de veiller sur son ascension céleste et de lui permettre de découvrir le ciel. Voici les 32 hexamètres en question (2,  185-193)  : 185. Ignoti uis celsa patris uel prima propago, fomes sensificus, mentis fons, lucis origo, regnum naturae, decus atque assertio diuum mundanusque oculus, fulgor splendentis Olympi, ultramundanum cui fas est cernere patrem5 et magnum spectare deum, cui circulus aethrae paret, et immensis moderaris raptibus orbis  : 186. nam medium tu curris iter, dans solus amicam temperiem superis, compellens atque coercens sidera sacra deum, cum legem cursibus addis.10 187. Hinc est quod quarto ius est te currere circo, ut tibi perfecta numerus ratione probetur  : nonne a principio geminum tu das tetrachordon  ? 188. Solem te Latium uocitat, quod solus honore post patrem sis lucis apex, radiisque sacratum 15 bis senis perhibent caput aurea lumina ferre, quod totidem menses, totidem quod conficis horas. 189. Quattuor alipedes dicunt te flectere habenis, quod solus domites quam dant elementa quadrigam. 190. Nam tenebras prohibens retegis quod caerula lucet  ;20 hinc Phoebum perhibent prodentem occulta futuri uel, quia dissoluis nocturna admissa, Lyaeum. 25   Ce chant d’Hyménée, placé en tête de l’œuvre sans précision sur son statut énonciatif, suscite au paragraphe suivant l’étonnement de Martianus fils, qui entraîne une réponse de son père et sert ainsi de prétexte à l’ensemble du récit. Pour confirmer l’intérêt de ce poème liminaire pour notre propos, on pourrait mentionner également le verbe ὑμνολογίζεις («  tu hymnologises  ») qui figure chez certains éditeurs au sein des reproches que Martianus fils adresse à son père (1, 2), mais cette forme – qui est une correction – est incertaine (voir la récente mise au point de L. Cristante et V. Veronesi, «  Per una rilettura del prologo di Marziano Capella  », Incontri di filologia classica, 14, 2014-2015, p. 1-22).



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191. Te Serapin Nilus, Memphis ueneratur Osirim, dissona sacra Mithram Ditemque ferumque Typhonem  ; 192. Attis pulcher item, curui et puer almus aratri,25 Hammon et arentis Libyes ac Byblius Adon. Sic uario cunctus te nomine conuocat orbis. 193. Salue, uera deum facies uultusque paterne, octo et sescentis numeris cui littera trina conformat sacrum mentis cognomen et omen.30 Da, pater, aetherios superum [menti  ?] conscendere coetus astrigerumque sacro sub nomine noscere caelum26.

On considérera enfin l’hymne chanté par Harmonie en l’honneur de Jupiter, au livre ix  : même si ce dernier n’est pas en hexamètres mais en asclépiades mineurs (preuve de la virtuosité d’Harmonie), ses thèmes et ses autres critères formels permettent de l’insérer dans le corpus. On y trouve tout d’abord une apostrophe à Jupiter (v. 1-4), présenté comme le garant de l’harmonie et de la cohérence de l’univers, comme la source de la lumière qui apparaît dans les astres  ; l’arétalogie évoque le rôle cosmique de Jupiter, garant de la concorde des éléments contre le chaos qui risquerait de rompre le «  pacte  » qui les lie. La prière finale n’est pas formulée dans cet extrait, mais provisoirement remplacée par une formule de salut (v. 29-30) – on la trouvera un peu plus loin (9, 914), après une prière à l’ensemble des dieux  : il s’agit d’avoir leur accord pour 26   «  185.  Force suprême du Père inconnu, sa première émanation, / principe de la sensibilité, source de l’esprit, origine de la lumière, / pouvoir royal sur la nature, gloire et affirmation des dieux, / œil du monde, éclat de l’Olympe resplendissant, / à qui seul il est permis de voir le Père transcendant / et de considérer le grand Dieu  ; c’est à toi qu’obéit le cercle / de l’éther, c’est toi qui organises les cieux dans leurs immenses mouvements  : / 186. car tu en parcours le milieu, donnant seul aux êtres supérieurs / un équilibre propice, poussant et retenant / les astres sacrés des dieux en appliquant ta loi à leurs cours. / 187. C’est pourquoi il est juste que tu parcoures le quatrième cercle, / afin de manifester ton nombre aux proportions parfaites  : / ne fournis-tu pas l’origine du double tétracorde  ? / 188. Le Latium t’appelle “Soleil” parce que, “seul” par l’honneur / après le Père, tu es le sommet de la lumière, et si l’on rapporte / que ta tête couronnée de deux fois six rayons a l’éclat de l’or, / c’est parce que tu formes autant d’heures, autant de mois. / 189.  Tu tiens, dit-on, les rênes de quatre coursiers, / parce que seul tu domptes le quadrige que constituent les éléments. / 190.  En chassant les ténèbres, tu manifestes la lumière des cieux  : / on t’appelle donc Phoebus, qui révèle les secrets de l’avenir, / ou, parce que tu dissipes les mystères de la nuit, Lyéus. / 191.  En toi le Nil adore Sérapis et Memphis, Osiris  ; / des rites divers, Mithra, Dis, ou le barbare Typhon. / 192.  On te révère aussi comme le bel Attis et l’enfant chéri de la charrue recourbée  ; / dans la brûlante Libye, tu es Hammon, et à Biblos, Adonis. / Ainsi l’univers entier t’invoque sous des noms différents. / 193. Salut, véritable face des dieux, visage du Père, / toi dont les trois lettres, par le nombre six cent huit, / forment le surnom et le présage sacré de l’esprit. / Donne [à mon esprit], ô Père, de monter dans les assemblées éthérées / et de découvrir, sous ton nom sacré, le ciel qui porte les astres  ».

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chanter, en des vers relâchés, le chant d’hyménée qui conclut ainsi le récit allégorique. 911. Te nunc astrisonum carmine, Iuppiter, quo gemmata poli uoluere sidera sueuit lege rata sacra recursio, praefandum ueneror  : quippe potissimus nectis sceptrifero sub diademate,5 omnigenum genitor regna mouens deum, mundum perpetuo dum rotat ambitu Mens, quam sidereo sufficis impete. 912.  Te nam flammigeri semina fomitis spargentem referunt astra micantia  ;10 te Phoebea sacro munere lumina, terris purpureum dum renouant iubar, testata ambrosium splendificant diem. Sic tua noctis honos lampade menstrua auratis reuehit praemia cornibus  ;15 sub te plaustrilucas luminat ignibus anguis Parrhasias disiciens feras. Sic solidi tenerum corporis halitum tellus non prohibens axibus inditur alternisque regit et regitur polis.20 Sic Nerea freti noscere limitem sicque ignem superum lambere pabula, ut nullis scateant dissona litibus, atque ita perpes ament dissita uinculum, ut semper metuant foedifragum chaos.25 Tu rector superum, tu pater optimus complexuque pio sidera colligans natos perpetuo corpore uiuidas. Salue, nostra cui perficitur chelys, bis plenum omnisonum cui recinunt mela27.30 27   «  Par ce chant, à présent, ô Jupiter, toi qui fais retentir les astres, / toi par qui, selon une loi bien établie, une révolution sacrée / a coutume de faire tourner les étoiles, joyaux du ciel, / c’est toi que le premier j’invoque avec respect  : car, Tout-Puissant, / sous ton diadème porte-sceptre, tu donnes une cohérence / – ô Père des dieux de toutes natures, dont tu meus les royaumes – / au monde, puisqu’il tire son perpétuel mouvement circulaire / de l’Esprit, auquel tu fournis sa force sidérale. / Oui, toi qui répands les semences alimentant la flamme, / c’est toi que les astres scintillants reflètent  ; / c’est de toi que témoignent les lumières de Phébus, par leur bienfait sacré, / lorsque, renouvelant sur la terre leur éclat de pourpre, / elles font resplendir le jour d’ambroisie. / Ainsi l’ornement de la nuit, par sa lanterne mensuelle, / rapporte tes présents grâce à ses cornes d’or. / C’est sous ton pouvoir que, brillant de tous ses feux, / le Dragon sépare les bêtes de Parrhasie, chariots de lumière. / Ainsi, n’empêchant pas une exhalaison légère de son corps solide, / la terre est reliée à l’axe céleste  : / alternativement elle soutient les pôles et elle est soutenue par eux. / Ainsi, Nérée connaît la limite des flots, / ainsi le feu supérieur lèche sa nourriture, / de sorte que nulle discorde ne fait éclater les éléments divers, / et que les



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On pourrait encore retenir l’hymne à Pallas qui ouvre le livre vi (6, 567-574), consacré à Géométrie, c’est-à-dire à la première des quatre sciences mathématiques (dans l’ordre de l’œuvre). Ces 34 hexamètres présentent en effet les particularités stylistiques ainsi que les trois parties caractéristiques de l’hymne  ; par ailleurs, la déesse est clairement invoquée pour sa dimension philosophique, en particulier pour son lien avec l’Intellect28. À cet égard, toutefois, Pallas est présentée comme étant audelà du monde, plus haute même que Jupiter (celsior una Ioue, v.  8)  ; même si l’ontologie émanatiste à l’arrière-plan implique qu’il n’y a pas de solution de continuité entre la seconde hypostase et le monde (régi par l’Âme), Pallas apparaît comme une représentation du νοῦς beaucoup plus que comme une divinité cosmique, ce qui explique qu’il y ait finalement assez peu de points de contact thématiques et lexicaux avec les autres textes retenus dans ce corpus. Boèce, Consolation de Philosophie (3, m. 9) Comme on l’a dit en guise d’introduction, c’est chez Boèce que l’on trouve l’exemple le plus célèbre de l’emploi de cette forme littéraire en contexte philosophique  : l’hymne O qui perpetua (3, m. 9), poème pivot de la Consolation de Philosophie29, est en effet introduit par une référence au Timée et prélude à la révélation par Philosophie de la nature du vrai Bien. Après une invocation (1-6) à «  celui qui dirige le monde selon une loi perpétuelle  », Boèce insiste, dans une arétalogie qui constitue un véritable résumé poétique du début du Timée (v. 6-21), sur la beauté et la perfection transmises par le créateur au monde, sur le lien entre les éléments, sur la théorie de l’Âme du Monde, qui encadre le mouvement des astres et génère parties disjointes aiment le lien éternel / au point de toujours craindre le chaos qui rompt les liens. / Toi qui es le chef des dieux d’en haut, toi qui es le Père très bon, / qui, dans ton étreinte sacrée, tiens les astres assemblés, / tu vivifies tes enfants en leur donnant un corps éternel. / Salut, toi pour qui notre lyre s’accorde à la perfection, / toi pour qui nos mélodies font résonner la double octave  ». 28   Elle est rerum sapientia (v. 1), mens et sollertia fati (v. 2), ingenium mundi, prudentia sacra Tonantis (v. 3) et, de manière encore plus caractéristique, rationis apex diuumque hominumque sacer nus (v. 6). Sur la présence du système des hypostases derrière certains détails de l’œuvre, voir J.‑B. Guillaumin, «  De la représentation mythologique à l’ontologie néoplatonicienne  : rôle et statut des dieux chez Martianus Capella  », Plato Latinus. Aspects de la transmission de Platon en latin, éd. J.‑B. Guillaumin, et C. Lévy, Turnhout, 2018, p. 167-205 (voir en particulier p. 200-201 sur la seconde hypostase). 29   Comme l’a montré J. Gruber, Kommentar zu Boethius, De Consolatione Philosophiae, 2. erweiterte Auflage, Berlin – New York, 2006, p. 20-22, les mètres utilisés dans l’ensemble de l’œuvre font apparaître une structure symétrique dans laquelle l’hymne O qui perpetua, seul poème en hexamètres, tient la place centrale.

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les âmes individuelles. La demande (v. 22-28) porte sur l’élévation hors de la masse terrestre vers le séjour des dieux, c’est-à-dire vers le Bien. O qui perpetua mundum ratione gubernas, terrarum caelique sator, qui tempus ab aeuo ire iubes stabilisque manens das cuncta moueri quem non externae pepulerunt fingere causae materiae fluitantis opus, uerum insita summi5 forma boni liuore carens  ; tu cuncta superno ducis ab exemplo, pulchrum pulcherrimus ipse mundum mente gerens similique in imagine formans perfectasque iubens perfectum absoluere partes. Tu numeris elementa ligas, ut frigora flammis,10 arida conueniant liquidis, ne purior ignis euolet aut mersas deducant pondera terras. Tu triplicis mediam naturae cuncta mouentem conectens animam per consona membra resoluis  ; quae cum secta duos motum glomerauit in orbes,15 in semet reditura meat mentemque profundam circuit et simili conuertit imagine caelum. Tu causis animas paribus uitasque minores prouehis et leuibus sublimes curribus aptans in caelum terramque seris, quas lege benigna20 ad te conuersas reduci facis igne reuerti. Da, pater, augustam menti conscendere sedem, da fontem lustrare boni, da luce reperta in te conspicuos animi defigere uisus. Dissice terrenae nebulas et pondera molis 25 atque tuo splendore mica  ; tu namque serenum, tu requies tranquilla piis, te cernere finis, principium, uector, dux, semita, terminus idem30. 30   «  Toi qui diriges le monde selon une loi perpétuelle, / semeur des terres et du ciel, qui de l’éternité fais sortir le temps / et, sans perdre ta stabilité, fais mouvoir toutes choses, / toi que nulle cause extérieure n’a contraint à modeler / ton ouvrage avec la matière en chaos, mais seulement l’idée du souverain bien / sise en toi, étrangère à la jalousie  ; c’est toi qui tires tout / d’un type d’en haut  ; toi qui es toute beauté, / tu portes en esprit la beauté de l’univers, le formes à ton image, / et lui fait imposer sa perfection à ses parties diverses. / Tu lies les éléments par les nombres, en sorte que le froid et la flamme, / le sec et l’humide soient en harmonie, que le feu subtil / ne s’envole pas ou que la pesanteur ne fasse pas sombrer les terres. / Tu attaches au centre du monde l’Âme, de nature triple / et moteur universel, et tu distribues son action à travers les membres harmonieux de ce corps. / Cette âme, scindée, engendre le double mouvement orbiculaire, / revient sur elle-même, gravite autour de l’Intelligence / insondable, et fait tourner le ciel à son exemple. / Tu fais sortir des mêmes principes les âmes et les vies inférieures, / et, les fixant là-haut sur des chars légers, / tu les sèmes dans le ciel et sur terre, puis par une loi bienveillante / tu les fais retourner et revenir à toi grâce au feu qui ramène. / Donne à l’intelligence, Père, de s’élever à l’auguste séjour, / donne-lui de visiter la source du bien, donne-lui de retrouver la lumière / et de fixer sur toi les clairs regards de l’esprit. / Dissipe



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Parmi les poèmes de la Consolation de Philosophie, plusieurs relèvent de la poésie cosmique ou philosophique (en particulier les quatre poèmes en dimètres anapestiques31) et présentent des thèmes et un lexique qui peuvent être mis en relation avec notre corpus. L’un de ces poèmes rappelle par ailleurs le style et la structure hymniques (1, m. 5, O stelliferi conditor orbis) mais sa fonction dans l’économie de l’œuvre consiste essentiellement à crier l’affliction de Boèce prisonnier devant l’injustice du monde des hommes, qui apparaît par contraste avec l’harmonie cosmique. Pour cette raison, malgré la proximité formelle et thématique avec les hymnes au dieu cosmiques étudiés, nous n’intégrons pas ce poème au corpus. Trois hymnes au Dieu chrétien Parallèlement à ces hymnes de Tibérianus, Martianus et Boèce, construits exactement sur le même modèle et adressées à un dieu clairement ancré dans une vision platonicienne païenne (pour les deux premiers), ou du moins sans référence explicite au christianisme (pour Boèce), on relève chez trois auteurs chrétiens une utilisation de structures semblables pour s’adresser explicitement au Dieu chrétien. On trouve ainsi, parmi les poèmes d’Ausone, une Oratio adressée au Dieu chrétien  : ce poème est généralement édité comme la troisième pièce de l’Ephemeris, œuvre polymétrique qui décrit les différents moments de la journée, même si certains commentateurs doutent de son attribution32, le nuage pesant qu’oppose la masse terreuse / et brille de tout ton éclat  : car c’est toi, le ciel serein, / toi, le repos et la paix des justes  ; te voir est notre but, / ô principe, conducteur, guide, voie et terme à la fois  !  » (trad. P. Courcelle, La Consolation de Philosophie dans la tradition littéraire, Paris, 1967, p. 379). 31  1, m.  5  ; 3,  m.  2  ; 4,  m.  6  ; 5,  m. 3. Sur les liens thématiques entre ces poèmes et leur rôle structurant, voir J. Magee, «  Boethius’ Anapestic Dimeters (Acatalectic), with Regard to the Structure and Argument of the Consolatio  », Boèce ou la chaîne des savoirs. Actes du Colloque International de la Fondation Singer-Polignac (Paris, 8-12 juin 1999), éd. A. Galonnier, Louvain-la-Neuve – Paris, 2003, p. 147-169  ; J. Marenbon, Boethius, Oxford, 2003, p. 150-151. 32   Un manuscrit (Vienne, ÖNB 3261) l’attribue à Paulin de Nole, et W. von Hartel, dans son édition des poèmes de ce dernier (Sancti Pontii Meropii Paulini Nolani opera, Vindobonae, 1894, CSEL 30, rééd. M. Kamptner, 1999), a repris cette attribution (l’Oratio y est donc éditée comme carmen no  5, p. 4-7). Cette hypothèse est généralement rejetée par les éditeurs d’Ausone  : voir en particulier R.P.H. Green, The Works of Ausonius, Oxford, 1990, p. 250, puis Decimi Magni Ausonii opera, Oxford, 1999, p. 8-11, et P. Dräger, Decimus Magnus Ausonius, Sämtliche Werke, Band i  : (Auto-)biographische Werke, Trier, 2012, p. 296 (chez ces deux éditeurs, l’Oratio est maintenue comme poème no 3 de l’Ephemeris).

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voire de son insertion dans le recueil33. Quels que soient les débats qui concernent l’attribution et la portée de ce texte, ces 85 hexamètres (86 dans l’édition de F. Dolveck34) – que nous appellerons ici Oratio «  ausonienne  » – présentent toutefois, pour notre propos, l’intérêt d’appliquer scrupuleusement une structure hymnique  : le Dieu Tout-Puissant (omnipotens, v. 1) est invoqué comme ineffable35 (v. 1, puis 4-5), éternel (v. 3-4), créateur (v. 8), «  Verbe de Dieu et Verbe Dieu  » (v. 9)  ; ses commandements ne peuvent être connus que du Christ, «  engendré d’un père non engendré  » (non genito genitore Deus, v. 17), lui-même invoqué par le poète (v. 27) pour qu’il transmette la prière à Dieu (v. 30). Plusieurs demandes, scandées par l’expression Da, Pater (v. 31, 43, 58) ou Da, Genitor (v. 49), sont présentées dans la seconde partie de cette Oratio  : une âme invincible contre les vices (avec utilisation du motif du serpent d’Ève, v. 31-36), permettant de remonter vers la Voie Lactée (37-42), la lumière de la vie éternelle (v. 43-48), le pardon des péchés (v. 49-57) et une vie se contentant de peu (v. 58-78). L’ensemble se termine par une nouvelle invocation au Christ (v. 79-85/86), avec un Amen qui forme le pied final du dernier hexamètre. Si la structure présente quelques variantes par rapport au cadre hymnique strict, si les thèmes sont infléchis par la théologie chrétienne et par des motifs bibliques, l’ensemble forme toutefois un hymne au Dieu   B. Combeaud, D. M. Ausonii Burdigalensis opuscula omnia, Bordeaux, 2010, t. 1, p. 476-481, l’édite en tête des dernières épîtres adressées par Ausone à Paulin de Nole. Le débat sur la place de l’Oratio a été renouvelé tout récemment par les recherches de F. Dolveck, présentées sous forme d’un article double  : «  Les Orationes “d’Ausone” et “de Paulin”. Examen des problèmes liés à leur attribution  », Revue bénédictine, 25, 2015, p. 5-42 et 355-408, et reprises dans l’introduction de l’édition critique des Paulani Nolani Carmina, Turnhout, 2015 (CCSL 21), p. 179-219. À l’issue d’une démonstration serrée qui se fonde sur l’étude manuscrite, l’édition critique et le commentaire littéraire de cette Oratio ausonienne (Oratio maior) et de l’Oratio plus brève attribuée à Paulin (Oratio minor), il parvient en effet à la conclusion que c’est l’Oratio minor qui faisait initialement partie de l’Ephemeris, et que cet opuscule dans son ensemble a pu être écrit à quatre mains par Ausone et son disciple Paulin de Nole  ; il formule en outre l’hypothèse que Paulin a pu réécrire le texte après sa conversion, donnant ainsi l’Oratio maior insérée plus tard dans l’Ephemeris. 34   «  Les Orationes...  », p.  37-42; Paulani Nolani Carmina, p. 515-520. 35   Il n’est «  connaissable que par le culte que lui rend l’esprit  » du poète, si c’est bien ainsi qu’il faut comprendre l’expression solo mentis cognite cultu du v. 1  : c’est le sens que lui donne J. Martin, «  La prière d’Ausone  : texte, essai de traduction, esquisse de commentaire  », Bulletin de l’association Guillaume Budé, 1971 no 3, p. 369, mais F.  Dolveck («  Les Orationes...  », p. 355) relève le caractère «  sinon hérétique, du moins suspect  » de cette affirmation, qui pourrait justifier la variante quem mente colo, Pater unice rerum figurant dans la branche z. Quoi qu’il en soit, cet aspect ineffable est confirmé un peu plus loin, lorsque le poète précise que la nature de Dieu «  ne peut être ni comprise par l’esprit ni exprimée par la langue  » (nec mens complecti poterit nec lingua profari, v. 5). 33



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cosmique qu’il est légitime d’intégrer à notre corpus. En revanche, malgré quelques rapprochements possibles, on laissera ici l’Oratio en vers rhopaliques (dont l’attribution à Ausone est du reste également discutée). Dans le domaine de la poésie chrétienne, on retiendra également la Precatio en 126 hexamètres figurant au début de l’Alethia36 de Claudius Marius Victorius, que l’unique manuscrit présente comme un «  orateur marseillais  » - orator Massiliensis37  : après avoir invoqué le dieu toutpuissant, grand et saint, origine de toute chose, impossible à saisir par la pensée en raison du mystère de la Trinité (v. 1-7), le poète évoque son caractère éternel et infini, qui confirme l’aspect ineffable déjà entrevu (v. 8-21), puis il le présente comme le principe de toute chose et la force qui permet la cohésion de la nature par un équilibre fondé en particulier sur les nombres (v. 22-31), établissant un lien de parenté universel (v. 33-40)  ; la création est ensuite envisagée comme une causalité tout entière orientée par la bonté (v. 41-58) – ce qui permet un développement sur la nature du mal et du péché (v. 59-100)  ; dans les derniers vers (v. 101-126), ponctués par l’impératif da (v. 103, 112, 113), le poète demande à Dieu de lui faire connaître l’ordre du monde, de lui procurer l’esprit et le loisir nécessaires à son œuvre, de lui pardonner ses péchés (y compris contre la métrique)  ; le texte se termine par une mention du Christ qui s’apparente à une formule liturgique (v. 123-126) et, comme dans l’Oratio ausonienne, par le pied final Amen. Le début du livre ii des Louanges de Dieu de Dracontius recourt également à des motifs semblables, dans un style qui rappelle la forme hymnique sans lui correspondre absolument, puisqu’il n’y a pas de prière à proprement parler, mais une accumulation d’éléments descriptifs, généralement à la deuxième personne, qui constituent précisément la «  louange  »  : 36   Cette œuvre, qui se présente comme une paraphrase hexamétrique de la Genèse, a été éditée (avec une traduction française – que nous utilisons dans cette étude – et un commentaire) par P.F. Hovingh (Claudius Marius Victorius, Alethia, La prière et les vers 1-179 du livre i avec introduction, traduction et commentaire, Groningen-Djakarta, 1955, édition critique reprise dans CCSL 128, p. 115-193)  ; on dispose également d’une traduction italienne commentée, S. Papini, Claudio Mario Vittorio, La verità, Roma, 2006, ainsi que d’une édition récente de la Precatio et du premier livre, avec traduction italienne et commentaire, par I. D’Auria, Claudio Mario Vittorio, Alethia, Precatio e primo libro, Napoli, 2014. Plusieurs études récentes sont consacrées à cette œuvre  : U. Martorelli, Redeat verum. Studi sulla tecnica poetica dell’Alethia di Mario Claudio Vittorio, Stuttgart, 2008  ; M. Cutino, L’Alethia di Claudio Mario Vittorio. La parafrasi biblica come forma di espressione teologica, Roma, 2009  ; T. Kuhn-Treichel, Die Alethia des Claudius Marius Victorius. Bibeldichtung zwischen Epos und Lehrgedicht, Berlin-Boston, 2016. 37   Sur les aspects biographiques, voir P.F. Hovingh, p. 15-16  ; M. Cutino, p. 9-14  ; I. D’Auria, p. 11-25.

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on pourra toutefois considérer en particulier les v. 1-59, décrits dans l’édition de C. Moussy et C. Camus38 comme une «  Introduction en forme d’hymne  ». De fait, après une invocation au Dieu créateur, éternel et toutpuissant (v. 1-2), Dracontius présente sa puissance cosmique, caractérisée en particulier par la rotation harmonieuse des astres (v. 3-14)  ; il décrit ensuite le soleil, quadrige des éléments, qui règne sur le monde tout en obéissant à Dieu (v. 15-27)  ; après un rappel de l’éternité du Dieu créateur (v. 28-31), Dracontius en vient au statut de l’Esprit saint qui, à la manière du πνεῦμα stoïcien39, se diffuse en toute chose, transmettant ainsi la volonté de Dieu (v. 32-59). La dimension chrétienne, moins appuyée dans ce passage que dans l’Oratio ausonienne ou dans la Precatio de Claudius Marius Victorius, apparaît toutefois explicitement dans la mention de l’Esprit saint (v. 32). C’est en raison de ces rapprochements thématiques que nous insérons ce texte dans le corpus, même s’il n’est pas à proprement parler un hymne dans la mesure où il manque la demande finale. On pourrait s’étonner de l’absence, dans ce corpus, des hymnes d’Ambroise, dont on connaît la postérité dans la poésie chrétienne et dans la liturgie. De fait, certaines présentent des motifs qui rejoignent le thème du dieu cosmique  : on peut songer en particulier aux Hymnes 1 (Aeterne rerum conditor), 2 (Splendor paternae gloriae), 4 (Deus creator omnium) ou 7 (Illuminans altissimus), qui évoquent toutes la dimension cosmique du Dieu chrétien40 et dont certains passages ont pu être rapprochés de l’extrait de Dracontius mentionné ci-dessus41. Pourtant, il nous semble 38   C. Moussy, C. Camus, Dracontius, Œuvres, tome i. Louanges de Dieu, livres i et ii, Paris, 1985, p. 193, puis 329. C’est par ailleurs de cet ouvrage que nous tirons les traductions citées dans cette étude. Dans un article récent, B. Hübbe étudie l’aspect hymnique de ce début du livre ii en le restreignant aux v. 2, 15-31 («  ‘Hymnisches’ in den Laudes Dei des Dracontius. Bemerkungen zu einem Lichthymnus (laud. dei 1, 118-137) und einem Gotteshymnus (laud. dei  2,  15-31)  », Acta Universitatis Carolinae, Philologica Graecolatina Pragensia 2016/2, p. 69-85). 39   Voir l’analyse de D. Selent, Allegorische Mythenerklärung in der Spätantike, Rahden, 2011, en particulier p. 207-212 (développement intitulé «  Ignis und spiritus Dei  »). Les motifs de tonalité stoïcienne sont récurrents dans l’œuvre de Dracontius  : voir M. W. Herren, «  Dracontius, the Pagan Gods, and Stoicism  », Classics Renewed. Reception and Innovation in the Latin Poetry of Late Antiquity, éd. S. McGill et J. Pucci, Heidelberg, 2016, p. 297-322. Peut-être faut-il toutefois songer davantage à une utilisation d’éléments stoïciens fusionnés dans le contexte syncrétique du néoplatonisme qui constitue la philosophie hégémonique de l’Antiquité tardive, plutôt qu’à la reprise consciente d’une représentation stoïcienne envisagée comme telle. 40   Pour le texte, la traduction et un commentaire exhaustif, voir Ambroise de Milan, Hymnes, dir. J. Fontaine, Paris, 1992. 41  C. Moussy et C. Camus, Dracontius. Louanges de Dieu, Livres i-ii, indiquent, à propos de Laud. Dei 2, 1  : «  On pense aussitôt à l’hymne Deus creator omnium, polique rector... de saint Ambroise [...] Tout le développement qui suit (v. 3-14) est comme une



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qu’aucune d’entre elles ne se présente comme une synthèse philosophique ou théologique concernant le statut de Dieu et du monde  ; par ailleurs, en adoptant une structure strophique et une métrique horacienne42, elles s’éloignent nettement de la structure hymnique retenue ici (invocation, arétalogie, prière, le plus souvent en hexamètres). Autres textes à mettre en relation On pourra utiliser ponctuellement quatre autres textes de la latinité tardive susceptibles d’apporter des éléments de comparaison, malgré leurs statuts très différents. D’une part l’hymne en prose adressé au «  dieu quel qu’il soit  » (Quicumque es deus) en ouverture du livre v de la Mathesis de Firmicus Maternus  : reprenant une structure déjà utilisée à la fin du livre i (1, 14-15, hymne aux sept planètes obéissant au summus deus, que nous ne retenons pas ici43), Firmicus Maternus rappelle que le dieu assure la perpétuation du mouvement céleste et de l’ondulation des flots de la mer ainsi que la solidité de la terre, qu’il insuffle l’esprit divin (diuina mens) dans le corps, qu’il entretient les vents, les rivières, les saisons. Il est décrit comme le seul maître, à qui est asservie toute la puissance des divinités. Dans la prière proprement dite (Da ueniam..., 5, pr. 4), l’auteur demande à la puissance divine de l’aider à expliquer le cours des astres et leurs effets  ; il précise également qu’il a écrit dans un esprit pur (pura mente), dégagé de toute souillure terrestre. La fin de l’hymne, qui en constitue en réalité un second, s’adresse aux astres, en particulier à la Lune et au Soleil pour leur demander également leur aide. Là encore, le Soleil tient une place de tout premier plan et paraît jouer un rôle d’intermédiaire entre les hommes et le dieu suprême44. amplification du second vers de l’hymne ambrosien (polique rector...)  »  ; puis, au sujet de Laud. Dei, 2, 5  : «  Peut-être a-t-on ici encore un souvenir d’un hymne d’Ambroise (hymne Aeterne rerum conditor, v.  9-10  : ... Lucifer / soluit polum caligine)  ». 42  Voir en particulier l’introduction de J. Fontaine, Ambroise de Milan. Hymnes, p. 11-28. 43   Chacune des planètes est brièvement caractérisée et on ne trouve pas vraiment de présentation du dieu cosmique  ; on retiendra toutefois l’invocation au Soleil, qui ouvre la prière et pourra fournir des éléments d’analyse complémentaires  : Sol Optime Maxime, qui mediam caeli possides partem, mens mundi atque temperies, dux omnium atque princeps, qui ceterarum stellarum ignes flammifera[rum] luminis tui moderatione perpetuas («  Ô Soleil Très-Bon Très-Grand, toi qui occupes le milieu du ciel, esprit et modérateur du monde, guide et prince de toutes choses, toi qui perpétues les feux des autres astres par l’apport régulier et enflammé de ta propre lumière  », trad. P. Monat, Firmicus Maternus, Mathesis, Livres i-ii, Paris, 1992, p. 89). 44   L’invocation est intéressante de ce point de vue  : et tu, o omnium siderum princeps, qui menstruis Lunae cursibus lumen adimis pariter et reddis, Sol optime maxime, qui

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D’autre part, dans la mesure où le prélude des Phénomènes d’Aratos, évoquant le rôle cosmique de Zeus, rédigé en «  Er-Stil45  » et conclu par une invocation à Zeus puis aux Muses (v. 1-18), a parfois été rapproché de l’hymne à Zeus de Cléanthe46, on s’intéressera à sa traduction latine amplifiée par Aviénus (v. 1-76), qui nous paraît fournir, en particulier dans les ajouts au texte initial, des points de contact lexicaux et doxographiques intéressants47 avec le corpus des hymnes au dieu cosmique que nous avons établi ci-dessus. Les œuvres théologiques de Marius Victorinus comprennent trois hymnes trinitaires48 qui précisent les rapports entre Père, Fils et Esprit saint, reprenant et résumant les éléments principaux des livres iii et iv du Contre Arius. Ces trois hymnes, adressés aux Personnes de la Trinité ou à la Trinité elle-même, ne recourent pas à un schéma métrique identifiable, mais semblent relever davantage de la prose rythmée  ; ils s’éloignent par ailleurs de la structure hymnique traditionnelle, qui nous a servi de critère. Pour ces différentes raisons thématiques et formelles, nous ne les incluons pas directement dans le corpus. Toutefois, en raison de leur net ancrage philosophique et du rôle qu’a joué leur auteur au sein du néoplatonisme latin, il nous a semblé légitime d’en tenir compte dans omnia super omnia per dies singulos maiestatis tuae moderatione componis, per quem cunctis animantibus immortalis anima diuina dispositione diuiditur, qui solus ianuas aperis sedis supernae, ad cuius arbitrium fatorum ordo disponitur... («  toi, prince de tous les astres, qui, selon un cycle mensuel, enlèves puis donnes pareillement à la Lune sa lumière, Soleil très-grand très-bon, qui, jour après jour, par le pouvoir modérateur de ta majesté, ne cesses de mettre en place toutes choses après toutes choses, toi par qui, par un arrangement divin, une âme immortelle est attribuée à tous les êtres vivants, toi qui, seul, ouvres les portes de la demeure d’En-haut, à la décision de qui est soumis l’ordre des destins...  », trad. P. Monat, Firmicus Maternus, Mathesis, Livres iii-v, Paris, 1994, p. 219). 45   E. Norden, Agnostos Theos..., p. 163. 46   Sur ce rapprochement et la critique que l’on peut lui opposer, voir J. Martin, Aratos. Phénomènes, Paris, 1998, t. ii, p. 137-139. 47   Pour le texte et sa traduction française, voir J. Soubiran, Aviénus, Les Phénomènes d’Aratos, Paris, 1981, p. 94-97  ; pour le commentaire, voir l’introduction, p. 42-51, ainsi que les notes, p. 175-184. Voir également éd. C. Santini, «  Il proemio degli Aratea di Rufio Festo Avieno  », Praefazioni, prologhi, proemi di opere tecnico-scientifiche latine, C. Santini et N. Scivoletto, Roma, 1990, p. 117-131. 48   Voir l’édition de P. Henry et P. Hadot, Marius Victorinus, Traités théologiques sur la trinité, Paris, Cerf (Sources chrétiennes, 68 et 69), 1960  : présentation p. 59-60, texte et traduction p. 620-653, commentaire p. 1058-1088. Sur la dimension philosophique de ces poèmes, outre les éléments présentés dans le commentaire mentionné ci-dessus, voir S.A. Cooper, «  The Platonist Christianity of Marius Victorinus  », Religions 2016, 7(10), article no 122 (https://doi.org/10.3390/rel7100122), en particulier le développement intitulé «  4. Platonism in Victorinus’ hymns  ».



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cette étude et d’y relever, le cas échéant, des motifs en relation avec le reste du corpus. Enfin, on trouvera des éléments de comparaison dans le poème De pulchritudine mundi pseudo-augustinien, qui constitue le chapitre 16 du Liber uiginti unius sententiarum et qui se présente comme «  un éloge argumenté de l’harmonieuse beauté du monde, destiné à défendre le démiurge contre un adversaire anonyme49  ». Ce poème incomplet, dont on conserve 83 vers formés chacun d’un parémiaque (dimètre anapestique catalectique) et d’un ithyphal­lique (tripodie trochaïque), expose les «  premiers des ouvrages de Dieu  » (operum... prima dei, v. 2) – les éléments et leurs liens –, pour montrer, à travers leur beauté, la bonté du créateur, contre un adversaire (manichéen  ?) qui est apostrophé à plusieurs reprises50. Ce poème, qui n’est pas un hymne et s’attache essentiellement à la théorie des quatre éléments, n’entre donc pas directement dans le corpus, mais pourra fournir d’utiles points de comparaison concernant ce thème. Précisions sur la délimitation chronologique La délimitation chronologique du corpus apparaît donc spontanément, même si la datation précise de certains des auteurs cités pose encore des problèmes  : du début du ive s., selon la datation généralement retenue pour Tibérianus51, jusqu’au début du vie s. avec l’œuvre de Boèce, rédigée selon toute vraisemblance en 524. L’Oratio ausonienne, quel que soit son statut exact52, remonte à la fin du ive s., l’œuvre de Martianus, ­vraisemblablement, 49  F. Dolbeau, «  Un poème philosophique de l’Antiquité tardive  : De pulchritudine mundi. Remarques sur le Liber xxi sententiarum (CPL 373)  », Revue des Études Augustiniennes, 42/1, 1996, p. 21-43 (ici, p. 21). Nous suivrons ici l’édition critique fournie dans cet article, p. 23-25. 50   La relative du v. 2 (quae tu negas bona esse, à propos des ouvrages de Dieu) pose le cadre polémique, qui se retrouve ensuite dans les nombreux impératifs ou vocatifs, jusqu’à l’apostrophe finale (v. 83), Et tot res, inuide, si audes, te esse nolle clama. Sur le rattachement possible de l’interlocuteur au manichéisme, et plus généralement sur les hypothèses que l’on peut faire au sujet du contexte de rédaction (terminus ante quem vers 391-395), voir F. Dolbeau, «  Un poème philosophique...  », p. 41. 51   Qu’on l’identifie avec C. Annius Tiberianus (= Tiberianus 4 chez A.‑H.M. Jones, J.R. Martindale et J. Morris, The Prosopography of the Later Roman Empire, i (A.D. 260395), Cambridge, 1971, p. 911), que Jérôme qualifie de uir disertus et mentionne pour l’année 336 dans sa Chronique, ou avec Iunius Tiberianus qui fut préfet de Rome en 281 et en 291 (= Tiberianus 1 de la PLRE, p. 911) ou encore avec son fils du même nom, également préfet de Rome en 303-304 (= Tiberianus 2, ibid.), cela donne pour le poème une date à l’extrême fin du iiie s. ou au début du ive s. On pourra se reporter aux précisions et à la bibliographie fournies par S. Mattiacci, I carmi..., p. 7-14. 52   Voir ci-dessus, n. 32 et 33.

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au début du ve s., le poème de Claudius Marius Victorius aux années 430 et celui de Dracontius à la fin du ve s.  : pour les éléments de datation, on pourra se reporter à la bibliographie fournie ci-dessus dans le cadre de la présentation de chacun des textes. Les quatre autres textes retenus comme points de comparaison s’inscrivent aussi pleinement dans la période, puisque la Mathesis de Firmicus Maternus a été composée en 337, la traduction des Phénomènes d’Aratos par Aviénus dans la seconde moitié du ive s., les hymnes de Marius Victorinus en 363 et le poème De pulchritudine mundi au plus tard dans les années 390. Cette délimitation chronologique laisse donc apparaître un ensemble cohérent  : le fait qu’on ne trouve guère de poèmes latins comparables avant Tibérianus53 paraît indiquer qu’il s’agit d’une spécificité de la latinité tardive. Quant à l’hymnodie spécifi­quement chrétienne, que l’on voit apparaître chez Ambroise et chez Prudence et qui se développe durant la période que nous considérons et au-delà, elle recourt, comme on l’a vu, à une structure métrique et à des motifs différents  : les trois hymnes hexamétriques au Dieu chrétien conçu dans sa dimension cosmique que nous avons retenus dans notre corpus ne semblent donc pas avoir donné lieu à une tradition importante. Ces différentes remarques chronologiques permettent ainsi de constater une correspondance manifeste entre la période de développement de cette forme poétique et le moment le plus caractéristique de l’influence néoplatonicienne sur la pensée et la littérature latines  : nous essaierons plus loin d’en faire apparaître les détails les plus marquants. 53   Nous écartons l’invocation à Vénus de Lucrèce, qui ne correspond pas vraiment à un résumé hymnique du système philosophique exposé, et ne tenons pas compte de la traduction par Sénèque de cinq vers d’un hymne de Cléanthe (Epist. 107, 11), puisqu’il ne s’agit que d’une citation partielle qui perd, par conséquent, son statut d’hymne. Les deux vers de Valérius Soranus conservés par Augustin citant Varron (Iuppiter omnipotens regum rerumque deumque / progenitor genetrixque, deum deus, unus et omnes, Aug., Civ. 7, 9), qui pourraient aller dans le sens de notre corpus, forment toutefois une unité trop courte pour que l’on puisse en tirer quelque conclusion que ce soit (sur ces deux vers, voir J. Préaux, «  L’hymne à Jupiter de Valerius de Sora  », dans R. Crahay, M. Derwa, R. Joly, Hommages à Marie Delcourt, Bruxelles, 1970, Latomus 114, p. 182-195). Quant à la citation de l’hymne orphique à Zeus qui figure dans le Περὶ κόσμου pseudo-aristotélicien, elle a été conservée en grec dans la traduction d’Apulée (De mundo 372 = Ps.-Arist., Περὶ κόσμου 401a-b = frgt. 21a Kern)  ; cette citation constitue toutefois un jalon important pour notre propos puisqu’elle montre qu’un médio-platonicien latin, à la fin du iie s., n’éprouve pas le besoin de traduire en latin un passage hymnique en grec inséré dans un développement philosophique sur l’unicité de dieu malgré la multiplicité de ses aspects. On peut du reste rappeler que, au-delà de cette traduction du De mundo, le goût d’Apulée pour la forme hymnique se manifeste dans les deux invocations qui figurent dans le dernier livre des Métamorphoses (voir ci-dessus, n. 11).



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Le recours à des genres littéraires variés La présentation de ces textes s’est pour l’instant limitée à des remarques formelles, thématiques et chronologiques. Il est toutefois utile de compléter cette première approche en replaçant ces extraits dans leur cadre littéraire. De fait, la première remarque qui s’impose est l’absence de corpus autonome d’hymnes philoso­phiques, comme on peut en trouver dans le domaine grec (si l’on pense par exemple au recueil des hymnes de Proclus, qui devait être utilisé dans l’école néoplatonicienne)  : dans le domaine latin, l’hymne n’est donc manifestement ni une pratique caractérisant une école philosophique, ni un genre littéraire à part entière, mais une forme poétique qui s’inscrit dans des œuvres plus vastes. Il semble que l’on puisse mettre en évidence une première distinction en étudiant la place de l’extrait dans l’énonciation générale de l’œuvre  : à côté de l’utilisation somme toute classique de l’invocation à la divinité par l’auteur pour assurer le succès de son œuvre, que l’on trouve ici dans deux textes chrétiens (Claudius Marius Victorius et Dracontius), on remarque dans plusieurs de nos textes une situation d’énonciation plus complexe. Le statut de l’Oratio ausonienne, comme on l’a vu, pose un problème  : si on considère qu’elle s’intègre dans l’Ephéméris, elle n’apparaît alors que comme un élément de la journée (au même titre que la visite à des amis, qui succède de manière assez abrupte à la prière, puisque Ausone déclare «  j’ai prié Dieu suffisamment54  »), dans une œuvre qui fait varier les tons et les formes métriques  ; si on la sépare de cette œuvre, et à plus forte raison si on l’attribue à Paulin de Nole55, elle devient un morceau autonome qui conserve toutefois un lien ténu mais essentiel avec l’Ephéméris puisqu’elle apparaît alors comme une sorte d’amplification ou de réponse à l’Oratio qui devait y figurer, d’après la structure qui s’y trouve explicitement soulignée. Quelle que soit l’attribution retenue, cette Oratio ausonienne reste un témoignage intéressant sur la culture lettrée de la fin du ive s. Chez Boèce, l’hymne O qui perpetua est prononcé (ou plutôt chanté, d’après l’expression qui l’introduit, sic modulata est) par Philosophie dans le cadre de son dialogue avec Boèce prisonnier, où les développements en 54   Le caractère abrupt de la transition n’a pas manqué de susciter l’étonnement des lecteurs (F. Paschoud, Roma Aeterna  : études sur le patriotisme romain dans l’Occident latin à l’époque des grandes invasions, Neuchâtel, 1967, p. 28  : «  Tout Ausone [...] est peint par le ton en même temps badin et résolu de ces quelques vers  ; il prie, puis il n’y pense plus  »). 55   Hypothèse reprise à nouveaux frais par F. Dolveck, «  Les Orationes...  » et Pauli Nolani Carmina (voir ci-dessus, n. 33).

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prose alternent avec des poèmes recourant à toute la richesse de la métrique latine. Si l’auteur en reprend sans aucun doute le contenu à son compte, ce détail n’est toutefois pas anodin et donne encore plus d’auctoritas au poème, qui se trouve du reste explicitement rattaché au Timée (27c), comme on l’a relevé en introduction  : Sed cum, uti in Timaeo Platoni, inquit, nostro placet, in minimis quoque rebus diuinum praesidium debeat implorari, quid nunc faciendum censes, ut illius summi boni sedem repperire mereamur  ? — Inuocandum, inquam, rerum omnium patrem, quo praetermisso nullum rite fundatur exordium. — Recte, inquit  ; ac simul ita modulata est56.

De même, les hymnes de Martianus Capella ont tous un statut fondamental dans le cadre énonciatif de l’œuvre  : l’invocation liminaire à Hyménée constitue en quelque sorte le prétexte du récit allégorique, puis les deux autres hymnes retenus sont attribués à des personnages centraux de ce récit et figurent à des moments importants  : Philologie elle-même (hymne au Soleil, au milieu de son ascension céleste) et Harmonie (hymne à Jupiter avant le dernier exposé scientifique57). Par ailleurs, l’hymne à Pallas, qui ouvre le livre vi (mais que nous n’avons pas retenu ici pour des raisons thématiques58), est lui aussi adressé directement par l’auteur à cette divinité symbolisant l’Intellect, marquant ainsi la transition vers les livres présentant les sciences mathématiques. L’ensemble de l’œuvre est donc placé sous le signe de l’hymne et, malgré la propension de Martianus au pastiche et aux clins d’œil intertextuels, il serait faux, à notre sens, d’y voir un simple jeu parodique tant ces passages sont importants pour structurer l’œuvre comme pour en fournir des clefs de lecture philosophiques. Plus difficile est le cas du poème de Tibérianus, conservé et transmis de manière autonome  ; certains59 ont voulu voir dans cet hymne une introduction à la traduction cicéronienne du Timée, qui commence précisément en 27d, juste après le passage où Timée a rappelé l’importance 56  Boeth., Consol. 3, pr. 9, 32-33  : «  Mais puisque, dit-elle, comme notre cher Platon le veut dans le Timée, on doit même pour les plus petites choses implorer le secours divin, que faut-il maintenant faire, à ton avis, pour mériter de découvrir le séjour de ce bien suprême  ? — Il faut invoquer, dis-je, le créateur de toutes choses, sans lequel on ne peut fonder selon le rite aucun commencement. — Tu as raison, dit-elle, et elle chanta aussitôt ces vers  » (trad. J.‑Y. Tilliette et E. Vanpeteghem, Paris, 2008). 57   Sur les raisons possibles de la place de l’exposé d’Harmonie à la fin de l’œuvre, voir J.‑B. Guillaumin, «  La place et le statut de la musique dans l’encyclopédisme de Martianus Capella  », Bulletin de l’association Guillaume Budé, 2009, p. 169-185. 58   Voir plus haut, p. 132-133. 59   T. Agozzino, «  Una preghiera...  », p. 179 et 189. S. Mattiacci, I carmi..., p. 160161, considère toutefois que cette hypothèse ne peut pas être démontrée.



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d’invoquer la divinité  ; plus généralement, toutefois, les travaux qui ont abordé cette question ont abouti à l’hypothèse d’un poème inséré dans un prosimètre de tonalité philosophique60, d’après les autres poèmes de Tibérianus conservés (dans des mètres divers) et les quelques témoignages tardo-antiques citant son œuvre. Parmi les trois œuvres principales retenues, deux sont donc des prosimètres mêlant diverses tonalités et généralement consacrés à des motifs philosophiques qui peuvent être traités par le biais de l’allégorie (l’âme humaine déifiée par la connaissance chez Martianus Capella, l’homme libéré de la prison du monde chez Boèce)  ; la troisième (première chronologiquement) pourrait également se rattacher à cette forme littéraire. On notera également que, sans avoir l’ensemble de ces caractéristiques, et malgré les difficultés que posent le statut et le rattachement de l’Oratio ausonienne, l’Ephéméris s’en rapproche par la variation des formes et des tons. De cette présentation générale du corpus, on peut donc tirer quelques premières conclusions  : l’hymne philosophique adressé au dieu cosmique, apparemment peu pratiqué dans la littérature latine classique (si l’on en croit du moins les textes conservés), se développe de manière importante entre le ive et le vie s., dans un Zeitgeist néoplatonicien qui semble influencer des écrits aussi bien païens que chrétiens. Il s’inscrit dans des œuvres plus larges, soit comme morceau poétique inséré à un moment fondamental d’un prosimètre (ascension céleste de Philologie et conclusion du mariage allégorique chez Martianus, poème pivot dans la Consolation de Philosophie de Boèce), soit comme invocation liminaire. Cette mise en contexte historique et littéraire étant faite, on peut en venir au contenu précis de ces textes  : on commencera par dresser une liste des motifs récurrents dans les textes retenus pour poser ensuite la question des relations possibles de ces hymnes latins entre eux et avec le corpus philosophique contemporain. Caractéristiques du dieu invoqué  : thèmes communs Le thème qui unit nos différents extraits – celui du dieu créateur et organisateur de l’univers – implique une conception générale du monde, à la fois cosmologique et ontologique. Pour mieux élucider le rapport 60   Cf. S. Mattiacci, I carmi..., p. 24-25, citant en particulier A. Cameron, «  The Pervigilium Veneris  », dans La poesia tardoantica  : tra retorica, teologia e politica (Atti del V Corso della Scuola superiore di archeologia e civiltà medievali, Erice 6-12 dicembre 1981), Messina, 1984, p. 209-234 (en particulier p. 220-229).

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entre les différents textes retenus, on peut commencer par relever les thèmes et éléments lexicaux récurrents, qui pourront permettre de dégager des motifs philosophiques identifiables. Thèmes récurrents Toute-puissance La première de ces caractéristiques est la toute-puissance  : parmi nos sept textes, le terme omnipotens apparaît quatre fois, chez Tibérianus (v. 1), Claudius Marius Victorius (v. 2), Dracontius (v. 1), ainsi que dans l’Oratio ausonienne  ; dans trois cas (Tibérianus, Dracontius, Oratio), le terme est le premier mot du poème. Chez Martianus, on trouve, dans la prière à Jupiter (9, 911), potissimus (v. 4), qui recourt donc à la même racine. Dans les deux poèmes qui n’ont pas ce terme, l’idée de puissance apparaît toutefois nettement  : le Soleil de Martianus est regnum naturae (2, 185, v. 3) et le dieu de Boèce (Consol. 3, m.  9) «  gouverne  » (gubernas, v. 1). Ni l’idée ni le terme n’est particulièrement original  : il est légitime qu’un dieu organisateur de l’univers soit tout-puissant, et l’adjectif omnipotens est traditionnel dans les invocations, en particulier en hexamètres (le vocatif Iuppiter omnipotens, qui présente l’avantage de former un hémistiche d’hexamètre, se trouve quatre fois dans l’Énéide61). Par ailleurs, l’expression s’applique aussi bien au père des dieux païens qu’au Dieu chrétien (παντοκράτωρ / omnipotens du Symbole de Nicée), comme le montre la répartition des occurrences ci-dessus, auxquelles on peut ajouter l’expression pater omnipotens deus du v. 1 du premier Hymne de Marius Victorinus. Au sein de notre corpus, l’emploi du terme en première place dans plusieurs textes, sans être déterminant, contribue toutefois à leur donner une ressemblance. Dieu inconnaissable et ineffable À l’exception de l’hymne d’Harmonie à Jupiter dans les Noces de Philologie et de Mercure (9, 911), où l’on trouve le vocatif Iuppiter (v. 1), les autres textes ne donnent pas de nom propre unique pour désigner le dieu cosmique. Certains insistent même sur la pluralité des noms utilisés par les   2, 689  ; 4, 206  ; 5, 687  ; 9, 625.

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hommes, opposée au nom véritable, inconnu ou secret  : nomine / quo sacer ignoto gaudes chez Tibérianus (v. 4-5)  ; énumération des différents noms donnés par les peuples dans l’hymne solaire de Martianus (Nupt. 2, 190192 = v. 20-30), aboutissant à une allusion au nom sacré qui n’est révélé que par énigme (le dieu en trois lettres dont la somme isopséphique vaut 60862). Encore ce dieu Soleil n’est-il que le fils du «  père inconnu  » (ignotus pater, v. 1, où l’on retrouve l’adjectif utilisé par Tibérianus). Dans les textes chrétiens, si l’on ne trouve évidemment pas d’allusion à la pluralité des noms donnés par les hommes par opposition à l’unicité magique du nom véritable de Dieu, on relève toutefois son caractère ineffable et inconnaissable par la seule raison humaine. Ainsi, dans l’Oratio ausonienne (v.  4-5)  : cuius formam modumque / nec mens complecti poterit nec lingua profari («  la nature de ton être, les dimensions de ta grandeur, l’esprit humain ne les saura jamais concevoir, ni le langage les exprimer  »)  ; chez Claudius Marius Victorius, le caractère inconnaissable (nec... mentibus humanis sensus comprendere fas est, v. 3-4) est d’abord mis en relation avec le mystère de la Trinité, mais on retrouve ensuite le même type de remarque au sujet de Dieu, qu’il n’est pas possible de concevoir par l’intelligence63. Chez Marius Victorinus également, Dieu est incognitus et incompre­hensibilis (Hymn. 3, 226). Plénitude et unicité dans la pluralité Ce caractère ineffable de la divinité peut être mis en relation avec son aspect illimité, qui apparaît chez Tibérianus (nec numero quisquam poterit pensare, «  personne ne pourra [t’]évaluer par le nombre  », v. 3) et, chez Claudius Marius Victorius (nec fas contingere menti / quae sit imago tibi, quia fine coercita nullo / forma fugit sensus, «  il n’est permis à aucun esprit de concevoir quelle est ton image parce que ta forme, n’étant bornée par aucune limite, échappe à nos sens  » v. 13-15), ou encore chez Marius Victorinus, qui qualifie Dieu de nullis notus terminis («  qui ne peut être connu grâce à aucune limite  », Hymn. 1, 6) puis 62   Il s’agit, selon toute vraisemblance, de Φρή, dieu égyptien du soleil, invoqué également dans le corpus magique (interprétation généralement retenue depuis le commentaire de U.‑F. Kopp dans son édition de Martianus parue en 1836, p. 238)  ; l’expression sacrum mentis cognomen et omen s’explique probablement par la proximité avec φρήν. Sur les isopséphies chez Martianus, voir J.‑B. Guillaumin, «  Dieux cosmiques et noms magiques  : retour sur deux isopséphies de Martianus Capella  », à paraître. 63   Cl. Mar. Vict., Prec.  13-15  : nec fas contingere menti / quae sit imago tibi, quia fine coercita nullo / forma fugit sensus («  il n’est permis à aucun esprit de concevoir ton image parce que ta forme, n’étant bornée par aucune limite, échappe à nos sens  »).

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d’immensus («  sans mesure  », Hymn. 1, 11), tandis que le Fils est mensus atque immensus (ibid.). Cette plénitude et cette unité absolue aboutissent à des formulations paradoxales  : dans le poème de Tibérianus, Dieu est semper unus (v. 2), mais sub millenis uirtutibus64 (v. 2) puis innumerabilis unus (v. 22). Il est également solus, multus item (v. 7) ou encore deus innumerabilis unus (v. 22), rapprochement paradoxal que l’on retrouve chez Dracontius à propos de l’Esprit saint (Laud. Dei 2,  65)  : mens innumerabilis una. Du reste, en contexte chrétien, cette unité dans la pluralité est parfois mise en rapport avec la Trinité, comme on le voit dans le v. 5 de la Precatio de Claudius Marius Victorius  : (te) in tribus esse deum, sed tres sic credimus unum («  nous croyons que tu es un Dieu triple, mais que cette trinité forme une unité  »), ou encore chez Marius Victorinus  : Tres ergo unum (Hymn. 3, 248). Une autre conséquence de la plénitude de Dieu réside dans son aspect bisexué  : Tibérianus le qualifie ainsi de sexu plenus toto (v. 23), et l’on retrouve une mention semblable dans l’hymne en prose de Firmicus Maternus (omnium pater pariter ac mater, «  père et semblablement mère de toute chose  », Math. 5, pr. 3) ainsi que dans le prologue des Aratea d’Aviénus, qui amplifie celui d’Aratos (où cet élément ne figure pas)  : sexu immixtus utroque (v. 26)  ; il est intéressant de constater que cette caractéristique figure déjà dans la brève citation de l’hymne de Valérius Soranus chez Augustin (voir ci-dessus, n. 53). Il s’agit sans doute de la reprise d’un élément orphique65 dont on connaît par ailleurs plusieurs attestations en contexte platonicien66 ou hermétique67.   Comme le relève S. Mattiacci, I carmi..., p. 172-174, cette unité dans la pluralité des aspects (qui rejoint la question des noms multiples évoquée plus haut à propos de l’hymne au Soleil chez Martianus) est bien établie dès le médioplatonisme  : voir notamment Apul., Mund. 370 et Metam. 11, 5 (dans la réponse d’Isis à l’hymne mentionné plus haut, n. 11). En contexte néoplatonicien, un siècle environ après Tibérianus, on trouve le même type de présentation chez Macrobe, In Somn. 1, 17, 13, où Dieu est présenté comme contenant toutes les uirtutes que lui transmet la primae omnipotentia summitatis  ; c’est également la notion de uirtus qui est utilisée, dans l’exposé de théologie solaire de Prétextat, pour justifier la pluralité des propriétés et des représentations du Soleil (Sat. 1, 17, 4). Dans notre corpus, c’est sans doute un sens proche que l’on trouve au v. 28 de l’Oratio ausonienne, à propos du Fils qui transmet toutes les uirtutes patrias. 65  Voir par exemple les fr. 21a et 168 Kern (Ζεὺς ἄρσην γένετο, Ζεὺς ἄμβροτος ἔπλετο νύμφη), sur lesquels nous reviendrons plus loin (p. 172-173). 66   Dans son commentaire ad loc., S. Mattiacci, I carmi..., p. 192, s’appuyant sur Norden, Agnostos Theos..., p. 229, n. 1, fournit en particulier les références suivantes (en plus de celles que nous avons relevées ci-dessus parce qu’elles figurent dans notre corpus)  : Hymn. Orph. 9, 4 Quandt  ; Synes., Hymn. 2, 63 sq.  ; Procl., In Tim. 1, p. 46, 18 Diehl  ; In Remp. 2, p. 44, 22 Kroll. 67   Asclep.  20  : hic ergo, solus ut omnia, utraque sexus fecunditate plenissimus (à mettre en relation avec la formulation que l’on trouve chez Aviénus). 64



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Origine et fin Le dieu est présenté dans la plupart des hymnes comme le créateur  : Boèce (Consol. 3, m. 9, 2) emploie terrarum caelique sator68, on trouve dans l’Oratio ausonienne (v. 8) l’expression ovidienne opifex rerum69 et Claudius Marius Victorius utilise diues conditor (v. 38-39). Cet aspect est exprimé par une accumulation de termes chez Dracontius (Laud. Dei 2,  1-2  : fons auctor origo / inuentor genitor nutritor rector), qui reprend un peu plus loin auctor (2, 28  ; 2, 66), ou encore pater (2, 28) et parens (2, 46). Le terme pater est du reste récurrent  : on le trouve dans l’apostrophe Da, pater qui introduit la demande finale chez Tibérianus (v. 28), Martianus (2, 193, v. 30), Boèce (v. 22) et dans l’Oratio ausonienne (v. 31, 43 et 58), ainsi que dans l’expression pater optimus chez Martianus (9, 912, v. 26)  ; le terme genitor est également utilisé à plusieurs reprises (Oratio ausonienne, v. 17, 28 et 49  ; Mart. Cap., 9, 911, v. 6  ; Cl. Mar. Vict., Prec., 20, ainsi que Drac., Laud. Dei 2, 2, dans l’accumulation relevée ci-dessus). On trouve également les expressions uirtutis origo puis rationis origo chez Claudius Marius Victorius (Precatio, v. 1 puis 15), ou encore mentis fons, lucis origo dans l’hymne au Soleil de Martianus (2, 185, v. 2). L’insistance sur la notion d’«  origine  » ou de «  source  », plus sans doute que sur l’acte créateur lui-même, établit un lien avec les effets perpétuels du dieu dans le monde, que l’on abordera plus loin. C’est sur cet aspect qu’insiste par exemple l’expression uegetator inertum de l’Oratio ausonienne (v. 16) – terme rare qui pourrait faire écho au dernier vers du poème de Tibérianus, qualifiant de uegetum le principe qui anime les corps en mouvement70. Dans la conception trinitaire présentée par 68  Le terme sator est souvent employé, en poésie, dans ce sens  : parmi les exemples relevés par J. Gruber, Kommentar zu Boethius, p. 277, on retiendra en particulier l’expression virgilienne hominum sator atque deorum (Aen. 1, 254 et 11, 725). Le terme présente par ailleurs l’intérêt de faire écho au motif platonicien des «  semailles  » de l’âme par le Démiurge (Tim. 42d), déjà explicité par Cicéron (voir sur ce point P. Boyancé, «  Cicéron et les semailles d’âmes du Timée (De legibus, i,  24)  », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 104/1 (1960), p. 283-288). Boèce reprend cette image platonicienne au v. 20 ([animas uitasque minores] in caelum terramque seris). 69  Ov., Met. 1, 79. La cosmogonie du début des Métamorphoses a pu servir d’intertexte pour certains développements concernant la concorde entre les éléments (voir n. 91). 70   F.  Dolveck, «  Les Orationes...  », p. 362, relève trois autres occurrences du terme uegetator  : chez Jérôme, In Is. 16, 57, 16, chez Braulion de Saragosse, Epist. 21 et dans un poème attribué à Orientius (Orens d’Auch), Carm. app. 3, 35. Cette dernière référence (que F. Dolveck considère comme inspirée par l’Oratio) présente un intérêt particulier pour notre étude dans la mesure où elle s’inscrit au sein d’un poème hexamétrique sur la Trinité dont certains passages rappellent des thèmes relevés ici (en particulier, juste avant l’occurrence, tempore non clausus, clausurus tempora iussu, / principium ac finis).

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Marius Victorinus, Dieu apparaît comme la source, fons, le Christ comme le fleuve, flumen, et l’Esprit comme l’«  irrigation  », inrigatio (Hymn. 1, 47-49 et 3, 30-32), ce que l’on peut rattacher à une même conception émanatiste adaptée ici à la théologie chrétienne et susceptible d’être étayée par un écho biblique (Ps. 35,10). Par ailleurs, cette idée d’un effet permanent du dieu sur le monde permet également de comprendre l’énumération, à première vue paradoxale, qui clôt l’hymne de Boèce (3, m.  9,  28)  : principium, uector, dux, semita, terminus idem («  principe, conducteur, guide, voie et terme à la fois  »). Avec cette formule qui rassemble de nombreux échos philosophiques71, Boèce insiste de nouveau sur la plénitude absolue du dieu (tout vient de lui et tout y retourne) et confirme la demande formulée dans l’hymne  : s’élever jusqu’à la contemplation du dieu (te cernere finis, v. 27). Enfin, la création du monde est mise en relation dans certains textes avec la bonté du dieu  : on trouve notamment causa fuit bonitas chez Claudius Marius Victorius (Prec., v. 51), ainsi que l’expression insita summi / forma boni liuore carens («  l’idée du souverain bien, sise en toi, étrangère à la jalousie  ») chez Boèce (Consol. 3, m. 9, 5-6), qu’il faut compléter par la demande du v. 23, da fontem lustrare boni («  Donne [à l’intelligence] de visiter la source du bien  »)  ; même si la mention est moins explicite chez Dracontius, l’expression amator / cunctorum quae mundus habet («  ami de tout ce que renferme le monde  », Laud. Dei, v. 2-3) paraît aller dans le même sens. Si l’idée peut sembler banale, la formulation proposée par Boèce, qui démarque nettement la phrase détaillant la cause de la création dans le Timée (Ἀγαθὸς ἦν, ἀγαθῷ δὲ οὐδεὶς περὶ οὐδενὸς οὐδέποτε ἐγγίγνεται φθόνος72), rappelle l’origine platonicienne de cette caractéristique, qui constitue par ailleurs le thème central du poème De pulchritudine mundi73. Éternité et rapport au temps Étant l’origine et la fin de tout, le dieu fixe également un début et une fin au temps, sans avoir de fin lui-même, comme le précise explicitement Tibérianus74  ; on retrouve la même idée dans l’Oratio (principio   Pour le détail, voir J. Gruber, Kommentar zu Boethius, p. 287-288.   Tim. 28e1-2  : «  Il était bon, or, en ce qui est bon, on ne trouve aucune jalousie à l’égard de qui que ce soit  » (trad. L. Brisson). 73   Voir ci-dessus, p. 107. 74   Voir en particulier le v. 9. La jonction avec le motif précédent (omniprésence) est faite habilement par l’expression mundique superstes (v. 8), que l’on peut comprendre, 71 72



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e­ xtremoque carens, antiquior aeuo, v. 3, puis anticipator75 / mundi, quem facturus erat, v. 9-10), chez Dracontius (qui das exordia rebus / et finem, sine fine parens exordia nescis, v. 29-30). Si la célèbre définition du temps comme «  image mobile de l’éternité  » (εἴκω κινητόν τινα αἰώνος, Tim. 37d) semble être à l’arrière-plan de cette conception, elle apparaît de manière plus explicite chez Boèce, lorsqu’il emploie l’expression tempus ab aeuo ire iubes (v. 2-3)  : il faut en effet comprendre ab aeuo comme la provenance (avec le rapprochement étymologique αἴων/aeuum, étayé par Apul., Plat. 10, 201 qui rend explicite l’intertexte platonicien76) et traduire «  tu fais sortir le temps de l’éternité  ». Le dieu ne peut donc évidemment être qu’éternel (aeternus77, perennis78)  ; par ailleurs, dans la mesure où il échappe au temps, ses effets sur le monde sont à plusieurs reprises qualifiés par l’adjectif perpetuus79. Peut-être est-il possible de distinguer l’être éternel du dieu et son effet perpétuel sur le monde, d’après la distinction lexicale entre perpetuus et aeternus théorisée par Boèce dans la Consolation (5, pr. 6, 14) à partir de la distinction du Timée 37d entre αἰώνιος et ἀΐδιος  : la répartition dans le corpus des occurrences d’aeternus et de perpetuus, relevée cidessus, semble autoriser cette interprétation, malgré l’antériorité des textes par rapport à la Consolation de Philosophie80. Lumière et astres Pour donner à voir – ou à imaginer – ce dieu inconnaissable, l’un des motifs récurrents est celui de la lumière  : le dieu est en effet qualifié de lucis origo puis de lucis apex dans l’hymne au Soleil de Martianus d’après son sens étymologique (et d’après la répartition des couples d’adjectifs primus/ postremus, medius/superstes), comme une allusion à la place surplombante du dieu dans le monde, mais aussi, d’après l’emploi le plus répandu, comme une indication du fait que le dieu «  survit  » au monde. 75   On notera l’hapax. 76   Voir en particulier J. Gruber, Kommentar zu Boethius, p. 277. 77   Tiber., v. 10 (expression ab aeterno)  ; Drac., Laud. Dei 2, 1; Mar. Vict., Hymn. 3, 101103  ; 3, 263 (expression ex aeterno pour qualifier la présence du Père et du Fils). 78  Claud. Mar. Vict., Prec., v. 8  ; on peut ajouter l’expression sub lege perenni de Drac., Laud. Dei 2, 20. 79   Mart. Cap. 9, 911, v. 7 (perpetuo... ambitu)  ; 9, 912, v. 28 (perpetuo corpore)  ; et le célèbre O qui perpetua mundum ratione gubernas de Boèce, qui ouvre Consol. 3, m. 9. 80   P. Courcelle, La Consolation de Philosophie..., p. 224-225 relève que la distinction entre perpetuitas et aeternitas n’est pas présente chez Calcidius (Comm. 312) ni chez Macrobe (In Somn. 2, 11, 4) et situe chez Proclus la première distinction nette entre ἀϊδιότης et αἰών. La présence possible (ténue il est vrai) de cette distinction dans notre corpus pourrait s’expliquer par une source commune.

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Capella (2, 185, v. 2 puis 2, 188, v. 15), ainsi que de genitor lucis profundae, / lux uera chez Claudius Marius Victorius (v. 21-22), ce qui rappelle lumen uerum et lumen luminis chez Marius Victorinus (Hymne 1, l. 2-3, voir aussi 3, 67-68) – cette dernière expression faisant elle-même écho au φῶς ἐκ φωτός / lumen ex lumine du Symbole de Nicée. Chez Boèce, le dieu doit permettre à l’esprit de retrouver la lumière (luce reperta, v. 23) en dissipant les nuages pour briller dans toute sa splendeur (v. 25-26)  ; c’est une image du même genre qui conclut le second Hymne de Marius Victorinus, où la demande concerne le repos «  dans la demeure de la lumière  » (sede lucis, Hymn. 2, 62). Plusieurs plans ontologiques se mêlent derrière ce motif  : alors que les passages relevés chez Marius Victorinus, chez Claudius Marius Victorius et chez Boèce évoquent une lumière intellectuelle, la lumière qui apparaît dans l’hymne au Soleil de Martianus est avant tout la lumière sensible de cet astre. Pourtant, même dans ce cas, les expressions qui entourent les deux occurrences relevées invitent le lecteur à s’élever au-dessus de la dimension strictement sensible  : le Soleil est en effet également mentis fons (v. 2), et, lorsqu’il est question de son statut de «  sommet  » de la lumière, la précision post patrem l’inclut dans une chaîne ontologique qui fait de la lumière visible le signe d’une lumière invisible caractérisant le «  père  », c’est-à-dire le dieu suprême. On peut ainsi étendre la portée de ce motif en considérant son lien avec les astres, animés d’un mouvement régulier et transmettant aux hommes, par les sens, la lumière venant du dieu. Cela apparaît avec une certaine insistance dans l’hymne adressé par Harmonie à Jupiter chez Martianus Capella (9, 912), où le dieu est présenté comme étant à l’origine de la lumière des astres (te... / referunt astra micantia, v. 9-10), du soleil (te Phoebea lumina... testata, v. 11-13), de la lune (tua... praemia... noctis honos reuehit, v. 14-17, si c’est bien ainsi qu’il faut lire le texte81), et l’on trouve une idée semblable chez Dracontius, qui évoque en plusieurs vers82 cette diffusion de la lumière dans le monde. Ce motif de la lumière explique également la mention récurrente de l’astre du matin, Lucifer   Voir J.‑B. Guillaumin, Martianus Capella. Livre ix, p. 115.   Drac., Laud. Dei 2, 10-14  : ... quod calor est solis, quo splendet frigida luna / partita cum fratre uices sua tempora lustrans, / ne simul inuadant mundum sine luce tenebrae / credaturque chaos spatio sub noctis adesse, / quod tu cum faceres mundum uirtute negasti  : «  c’est grâce à toi que le soleil dispense sa chaleur, qu’il fait resplendir de ses reflets la froide lune  : en alternance avec son frère, elle parcourt le temps qui lui est dévolu, empêchant que l’obscurité n’envahisse tout d’un coup le monde privé de clarté et que l’on croie les ténèbres originelles revenues au cours de la nuit (ce que tu n’as pas voulu, lorsque de ta puissance tu créais le monde)  ». 81 82



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(Drac., Laud. Dei 2, 8), ou plus généralement de l’aurore (ibid., nuntius aurorae lucifer, ou Eous au v. 12 de l’Oratio ausonienne, et surtout iubar83, qui apparaît à quatre reprises  : Tiber. v. 19, Oratio v. 12, Mart. Cap. 9, 912, v. 12, Drac., Laud. Dei 2, 23). Indépendamment du motif de la lumière, la maîtrise du cours des astres tient une place importante dans les différents hymnes  : sidera cingis (Tiber., v. 16), coercens / sidera (Mart. Cap., 2, 186, v. 9-10), Mens, quam sidereo sufficis impete puis sidera colligans (Mart. Cap., 9, 911, v. 8 puis 9, 912, v. 27)  ; sidereus... globus super astra rotatur (Drac., Laud. Dei 2, 5). La lumière céleste, qui trouve son origine dans le dieu, est également la manifestation du pouvoir que ce dernier exerce sur tous les astres  : on reviendra plus loin sur ce point qui peut être rapproché de la conception de l’Âme du Monde. Omniscience et omniprésence Ce dieu tout-puissant, inconnaissable, éternel et un, apparaît également comme omniscient  : cet aspect est justifié à la fois par sa présence en tout endroit du monde et par l’image du soleil qui éclaire tout – on retrouve le thème de la lumière, cette fois comme symbole de vision et de connaissance84. Ainsi, les vers cuncta coruscans / ipse uides nostrumque premis solemque diemque («  en scintillant tu vois tout toi-même et tu surpasses notre soleil et notre jour  », Tibérianus 19-20) associent la lumière divine à une vision omnisciente qui lui donne donc une supériorité sur la lumière solaire. Ce motif trouve un écho dans l’image de l’«  œil du monde  », présente chez Martianus (mundanus oculus, 2, 185, v. 4), et qui semble également être à l’arrière-plan du vers qui termine le passage de Dracontius consacré au soleil  : Sic opus omne tuum uisibile non latet orbem («  Ainsi il n’est rien de ton œuvre visible qui demeure caché au disque [du soleil]  », Laud. Dei 2, 27). Si l’hymne O qui perpetua de Boèce ne comporte pas d’élément reprenant directement cette dimension, l’omniscience du dieu créateur apparaît clairement dans un autre poème de la Consolation (5, m. 2) qui commence par un vers grec

83   Ce terme poétique, qui désigne à l’origine la couronne de lumière, s’est spécialisé pour évoquer l’aurore, voire l’étoile du matin (Lucifer), selon un usage présenté déjà chez Varron, LL 7, 76, puis chez Servius, Aen. 4, 130. 84  Au-delà de la dimension symbolique, il est probable que le rapprochement entre lumière et vision trouve sa source dans la conception transmise par le Timée (45b2-d2), qui fait de la vision la rencontre entre deux feux (celui du regard et celui de l’objet).

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évoquant le soleil (Πάντ’ ἐφορᾶν καὶ πάντ’ ἐπακούειν85) et qualifie ensuite le dieu créateur (conditor orbis) de «  vrai soleil  » (uerum solem) dans la mesure où il a une connaissance universelle. De manière plus générale, l’omniscience divine rejoint donc le motif de l’omniprésence, exprimée par exemple, chez Claudius Marius Victorius (Prec., v. 16), par la formule totus semper ubique es86. Cette omniprésence divine prend chez Dracontius la forme d’une diffusion universelle de l’Esprit saint, qui «  embrasse tout, pénétrant au long des siècles l’immensité de la matière87  ». Même si le motif de la lumière est absent de cette description, l’idée d’une diffusion universelle de l’Esprit constitue un développement du même thème. Concorde entre les éléments Si l’on analyse de plus près le rapport entre le dieu cosmique et le monde, on voit qu’il se manifeste fréquemment par une insistance sur la concorde entre les éléments aux qualités physiques pourtant opposées  : il s’agit du thème bien connu de la concordia discors88 ou, comme dans le poème De pulchritudine mundi, de discordia concors89. L’idée centrale est que, sans l’action bienfaisante du dieu, qui joue ici un rôle semblable à la φιλία empédocléenne, les éléments se dissocieraient et le monde retournerait au chaos originel, c’est-à-dire à la masse indéterminée qu’évoque la materia fluitans de Boèce90 (Consol. 3, m. 9, 5).   Hom., Il. 3, 277.   Voir les références fournies par P.F. Hovingh, Claudius Marius Victorius, Alethia..., p. 77-78, qui conclut  : «  L’idée de l’omniprésence de Dieu est donc trop fréquente pour permettre de regarder un de ces lieux comme la source de l’Alethia  ». 87  Drac., Laud. Dei 2, 32-33  : Sanctus ubique tuus complectitur omnia, princeps, / spiritus immensam penetrans per saecula molem. La distance syntaxique entre Sanctus et spiritus mime cette diffusion, tout en donnant à spiritus un sens fort qui permet de le rapprocher du πνεῦμα stoïcien (voir ci-dessus, p. 139 et n. 39). Cette idée est soutenue par la comparaison avec l’air, présente au vers suivant. 88   L’expression se trouve chez Hor., Epist. 1, 12, 19 et Ov., Met. 1, 433 (mais on a déjà, dans la description de la création du monde, concordi pace en 1, 25). On trouve également concordia ex discordibus chez Sen., Nat. 7, 27, 4  ; ce motif cosmologique prend une forme politique chez Lucain, 1, 98. 89   Comme le relève F. Dolbeau, art. cit., supra n. 49, la formule apparaît chez Manil. 1, 142, ainsi que chez deux correspondants d’Augustin, Maxime de Madaure et Licentius (Epist. 16, 4 et 26, v. 130), donc dans un contexte littéraire proche. Sur le poème envoyé par Licentius à Augustin, voir D. Shanzer, «  Arcanum Varronis iter  : Licentius’ Verse Epistle to Augustine  », Revue des Études Augustiniennes 37 (1991), p. 110-143, ainsi que M. Cutino, Licentii Carmen ad Augustinum, Università di Catania, 2000. 90   Le choix du participe présent fluitans n’est pas fortuit  : Cicéron l’a utilisé dans sa traduction du Timée, § 9 (non tranquillum et quietum, sed immoderate agitatum et 85 86



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Les éléments (elementa) sont mentionnés explicitement dans plusieurs de nos extraits  : chez Martianus (2, 189, v. 19), Dracontius (Laud. Dei, 2, 17) – dans ces deux cas, avec l’image du «  quadrige des éléments  » conduit par le soleil –, Claudius Marius Victorius (Prec., v. 39), Boèce (Consol. 3, m. 9, 10)  ; on peut ajouter semina puis elementa aux v. 3 et 5 du chant d’Hyménée qui ouvre les Noces de Philologie et de Mercure, même si ce passage se trouve à la limite de notre corpus  ; il s’agit par ailleurs du sujet principal du poème De pulchritudine mundi (le terme même apparaît aux v. 5, 18, 22, 26, 30, 40). Dans d’autres textes, on peut les restituer à partir de certaines allusions  : ainsi, dans l’Hymne à Jupiter (Mart. Cap., 9, 912), l’anaphore de sic souligne la mise en parallèle de tellus (v. 19), Nerea (v. 21) et ignem superum (v. 22), ce qui laisse donc apparaître la terre, l’eau et le feu, dans un cadre qui insiste sur leurs interactions. Dans presque tous les cas, on trouve une mention du «  pacte  » permettant la cohérence, et opposé au «  chaos  »  : le terme foedus apparaît chez Tibérianus (v. 29), ainsi que dans le chant d’Hyménée de Martianus (1, 1, v. 7) et dans le poème De pulchritudine mundi (foedera mundi, v. 24)  ; on trouve nexio (Mart. Cap. 9, 911, v. 2), ainsi que la deuxième personne nectis (Mart. Cap. 9, 911, v. 5, Mar. Vict., Hymn. 1, 6, Cl. Mar. Vict., Prec., v. 40) et la troisième personne du pluriel nectunt – ayant pour sujets les deux éléments intermédiaires – dans le poème De pulchritudine mundi (v. 9)  ; son contraire, chaos, dans l’Oratio ausonienne (v. 15), chez Dracontius (Laud. Dei, 2, 13), chez Martianus (9, 912, v. 25), qui confirme l’idée d’une rupture du pacte des éléments en employant l’adjectif rare foedifragum pour le caractériser, ainsi que dans le poème de la traduction des Phénomènes d’Aratos par Aviénus (v. 21). Dans les hymnes de Marius Victorinus, le motif ontologique du lien apparaît comme une caractéristique de l’Esprit saint, qui est à la fois lien entre le Père et le Fils (copula, Hymn.  1,  4  ; sancto iunxisti spiritu, puis spiritus sancte, conexio es, Hymn. 3, 138 et 242) et, plus généralement – selon l’image étudiée ici –, lien universel (qui cuncta nectis, Hymn.  1,  6  ; ut conectas omnia, Hymn. 3, 244). Enfin, en dehors du corpus, les termes foedus, nectere/nexus apparaissent de manière récurrente dans les quatre poèmes en dimètres anapestiques de la Consolation de Philosophie de Boèce signalés plus haut (n. 31), qui ont pour point commun d’aborder le motif de l’harmonie cosmique. ­fluitans) pour rendre κινούμενον πλημμελῶς καὶ ἀτάκτως de Timée 30a5, qui désigne précisément l’état de désordre (ἀταξία) de la matière avant l’œuvre du Démiurge. On trouve aussi materia fluens chez Claudien, Paneg. Mall. Theod. 100-101.

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Le thème de la concordia discors n’est certes pas une spécificité (néo) platonicienne  : il a connu un fort développement en contexte stoïcien et apparaît également dans la cosmogonie ovidienne91, qui dut rester un modèle poétique pour les auteurs tardo-antiques. Toutefois, sa justification numérique, présente dans plusieurs de nos textes, invite à préciser son statut  : en effet, lorsque Boèce écrit Tu numeris elementa ligas – ajoutant l’ablatif numeris à une expression que l’on trouve déjà dans le chant d’Hyménée de Martianus (1, 1, v. 5) –, il fait reposer la cohérence des éléments sur un principe numérique, dont l’explication n’est pas explicitement fournie  ; on trouve la même allusion, avec le même ablatif numeris, dans le poème De pulchritudine mundi (v. 23). Il semble que, de nouveau, la clef se trouve dans l’exégèse du Timée  : en effet, au seuil de l’exposé cosmologique (31b-32c), Timée justifie l’existence de quatre éléments en faisant implicitement appel au théorème qui veut qu’entre deux cubes il y ait non pas une, mais nécessairement deux médiétés géométriques. Le passage du Timée, lu directement, ne prend pas la forme d’une démonstration mathématique, mais il a suscité ce type d’explication chez les commentateurs  : on songe en particulier au développement de Calcidius (Comm., 9-22) qui, après une longue discussion mathématique, revient à la notion d’«  assemblage des extrêmes  » et de «  continuité du monde  », ainsi qu’à Boèce (Arithm., 2, 46), qui fournit la démonstration de ce théorème en se référant explicitement au passage (in Timaei cosmopoeia), ou encore à Macrobe, qui cite une traduction latine de l’ensemble du passage lorsqu’il présente la notion de iugabilis competentia, c’est-à-dire le principe numérique (ἀναλογία en Timée 32c2) assurant la cohérence du monde92. En plus de ce lien ontologique entre les éléments, la nature numérique des éléments eux-mêmes est par ailleurs indiquée en Timée 53b, qui annonce leur «  configuration à l’aide des formes et des nombres93  », ouvrant ainsi l’exposé sur leur constitution géométrique.

91  Ov., Met. 1, 5-75  : au chaos originel (v. 7), qui se caractérise par la discordia entre les éléments (v. 9), le dieu (ou du moins deus et melior natura, v. 21) fait succéder une organisation en strates où règnent la concorde et la paix (concordi pace ligauit, v. 25), propices à la vie. 92  Macr., In Somn. 1, 6, 29-31. La notion de iugabilis competentia est utilisée à plusieurs autres reprises dans l’œuvre  : 1, 6, 24  ; 1, 6, 33  ; 1, 19, 21  ; 2, 2, 1  ; 2, 2, 18. 93  Plat., Tim. 53b5  : εἴδεσί τε καὶ ἀριθμοῖς. La formule est quelque peu ambiguë, mais paraît annoncer la constitution de chaque polyèdre régulier d’après un nombre de triangles rectangles, puis rectangles isocèles pour le dernier (53b-55c). Pour le détail, voir L. Brisson, Platon. Timée, Critias, annexe 6, p. 296-306.



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On relève enfin, dans la Precatio de Claudius Marius Victorius, une insistance sur les nombres, les poids et les mesures94 (v. 27-28) qui peut sans doute s’expliquer par l’importance du nombre dans l’ontologie platonicienne, mais, surtout, par une réminiscence biblique (Sap., 11, 21, Omnia in mensura et numero et pondere disposuisti). Lien numérique dans l’âme et harmonie des sphères À cette première interprétation du statut du nombre dans la concorde des éléments, il convient d’ajouter le rôle important de l’harmonie des sphères, fréquemment expliquée à partir de la description des proportions constitutives de l’âme dans le Timée (35b-36b), puisque c’est l’Âme du Monde qui est censée fournir aux planètes leur échelonnement harmonique95  : même si, dans le Timée, le lien numérique entre les éléments et les rapports numériques au sein de l’âme ne font pas appel, à première vue, aux mêmes explications mathématiques (présence de deux médiétés géométriques entre deux cubes dans le premier cas, utilisation de la série des premières puissances paires et impaires dans le second), l’ontologie du nombre ainsi définie a dû servir d’élément structurant pour penser l’harmonie du monde96. Cette référence, qui devait aller de soi pour un lecteur tardo-antique, apparaît de manière allusive dans l’hymne à Jupiter chanté par Harmonie chez Martianus (adjectif astrisonus utilisé en 9, 911, v. 1). On la trouve plus directement liée au nombre dans l’hymne au Soleil (2, 187, v. 11-13)  : étant le quatrième astre, il bénéficie de la perfecta ratio du nombre quatre, ce qui explique le «  double tétracorde  » de l’harmonie céleste97. Au-delà du motif de l’harmonie des sphères, la 94   Tu dociles numeros distinguens, pondera librans, / mensuras uarians, modulos motumque gubernans... («  Toi qui distingues les nombres qui se laissent manier aisément, qui tiens les poids en équilibre, qui changes les dimensions et gouvernes le mouvement et ses rythmes...  », trad. P.F. Hovingh). 95  Voir en particulier le développement que Macrobe consacre à ce thème (In Somn. 2, 2, avec le commentaire ad loc. de M. Armisen-Marchetti, Macrobe. Commentaire au Songe de Scipion, Livre ii, Paris, 2003, p. 98-100). 96   L’utilisation de la même notion de iugabilis competentia (voir ci-dessus, n. 92) par Macrobe pour désigner aussi bien le lien entre les éléments que les rapports dans l’âme en est une preuve. Du reste, si on considère les deux premiers cubes (8 et 27), qui interviennent aussi dans la série numérique servant à définir les rapports au sein de l’âme (et qui se distinguent particulièrement dans le schéma labdoïde puisqu’ils terminent chacune des branches), on voit facilement que les deux médiétés géométriques nécessaires pour les lier (12 et 18) font apparaître une série progressant par des rapports hémioles, qui sont précisément utilisés dans la structure numérique de l’âme. 97   On sait le rôle que joue le quatre («  tétraktys  ») dans les spéculations arithmétiques et musicales des pythagoriciens, largement adoptées par les platoniciens. Voir en p­ articulier,

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structure numérique de l’âme d’après le Timée est évoquée directement par Tibérianus (animam quo maximus olim / texueris numero, v.  30-31)  : ainsi les «  corps rapides  » (cita corpora) habités par une «  force vitale  » (uegetum), qui sont évoqués dans le dernier vers, désignent selon toute vraisemblance les astres, ce qui rappelle le motif de la répartition de l’Âme du Monde sous forme des âmes planétaires (Timée 36e). Les âmes humaines Dans la représentation platonicienne, puis néoplatonicienne, l’âme individuelle est une parcelle émanée de l’Âme hypostase (Âme du Monde) et descendue dans un corps. Si cet aspect n’est pas présent dans tous les hymnes retenus, on le trouve toutefois chez Tibérianus et chez Boèce. Chez le premier, les v. 10-14 évoquent le cycle de l’incarnation (descente dans le corps et dans le temps) et du retour vers les cieux  ; le terme anima n’y est pas utilisé, mais il est question de uitae qui descendent dans le monde, ce qui revient au même. L’insistance sur la répétition de ce mouvement est nette et réside dans l’emploi de l’adverbe iterum (v. 12 et 14), ainsi que du préfixe re-/red- (dans les adjectifs redux et refluus, v. 12 et 14, et dans les verbes referri et redire, v. 12 et 13). Chez Boèce (v. 18-21), où il est question des animas uitasque minores, le mouvement de descente, de conversion puis de remontée est également souligné98 (prouehis... ad te conuersas... facis reuerti, v. 19-21)  : on trouve donc clairement la succession πρόοδος - ἐπιστροφή ἄνοδος caractéristique de la théorie néoplatonicienne de l’âme99, qui se trouve par ailleurs explicitement employée, dans un sens un peu différent, au parmi bien d’autres exemples, Mart. Cap., 2, 107, à propos du résultat du calcul isopséphique sur le nom de Φιλολογία, réduit à 4  : entre autres caractéristiques, ce nombre comprend les trois rapports fondamentaux de l’harmonie, le double (rapport de 2 à 1) correspondant à l’octave, l’hémiole (rapport de 3 à 2) à la quinte et l’épitrite (rapport de 4 à 3) à la quarte. Il est difficile de dire si le lien avec le «  double tétracorde  » se fonde sur une simple équivalence entre ce nombre et les quatre cordes du tétracorde, ou s’il y a une réflexion plus poussée sur l’échelle d’octave que forment deux tétracordes disjoints (c’est-à-dire deux systèmes ayant une amplitude de quarte et séparés par un ton). 98   Sur tous ces éléments, voir en particulier Gruber, Kommentar zu Boethius, p. 283284, avec les renvois bibliographiques. 99   Voir P. Courcelle, La Consolation de Philosophie..., p. 163-164, citant F. Klingner, De Boethii ‘Consolatione Philosophiae’, Philologische Untersuchungen, t. xxvii, Berlin, 1921, p. 40 et W. Theiler, «  Antike und christliche Rückkehr zu Gott  », Mullus, Festschrift Th. Klauser, Münster, 1964, p. 358-364. La procession et la conversion font l’objet d’une utile mise au point de M.‑O. Goulet-Cazé  : «  Le système philosophique de Porphyre dans les Sentences. A.  Métaphysique  », Porphyre. Sentences, dir. L. Brisson, Paris, 2005, p. 31-105 (voir en particulier le chapitre intitulé «  La procession, πρόοδος, et la conversion, ἐπιστροφή  », p.  34-61).



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sein de la conception trinitaire de Marius Victorinus, où le Père est status, le Fils progressio et l’Esprit regressus (Hymn., 1, 76 et surtout 3, 71-73). Par ailleurs, l’allusion de Boèce au char (curribus aptans, v. 19) doit être mise en relation avec l’ὄχημα (véhicule) de l’âme (Tim., 41e, Phaedr., 247b), qui permet cette remontée vers les cieux  ; quant à l’ignis redux (v. 21), qui ne se trouve pas chez Platon, il peut être rapproché de l’ἀναγώγιον φῶς que l’on trouve au premier vers du troisième Hymne de Proclus (aux Muses), tout en rappelant discrètement, par l’adjectif redux, le v. 12 du poème de Tibérianus, qui évoque précisément le retour des âmes, comme on l’a vu. Le motif du retour de l’âme apparaît également dans le second Hymne de Marius Victorinus  : il est présenté comme inscrit en elle (Cognosco reditum in anima scriptum mea, Hymn., 2, 45), et conduit à une demande qui introduit la foi chrétienne dans le motif platonicien (Phaedr., 246c) des ailes de l’âme  : «  Donne-moi les ailes de la foi pour que je m’envole là-haut vers Dieu  » (Da fidei pennas, ut uolem sursum deo, Hymn., 2, 54). Dans les deux hymnes qui constituent les bornes chronologiques de notre corpus, cette conception (néo)platoni­cienne de l’âme est à mettre en relation avec la prière proprement dite, puisqu’il s’agit de demander la purification de l’esprit pour remonter vers le dieu et comprendre les principes philosophiques du monde  ; en d’autres termes, il s’agit de demander une ἄνοδος de l’âme par l’activité philosophique. Si l’hymne adressé par Philologie au Soleil chez Martianus Capella ne fait pas allusion à la théorie de l’âme, le simple fait qu’il soit prononcé par Philologie, allégorie de l’âme à la recherche du savoir et demandant à monter jusqu’aux assemblées célestes pour connaître les cieux100 (v. 31-32), témoigne du rôle central de cette représentation au sein du récit allégorique des Noces de Philologie et de Mercure101. C’est par ailleurs cette 100   Au v. 31, J. Willis édite Da, pater, aetherios superum conscendere coetus (en raison d’une iunctura que l’on retrouve en 7, 802), correction reprise par la récente édition de F. Navarro Antolin, Marciano Capela. Las nupcias de Filología y Mercurio, Libros i-ii, Madrid, 2016, p. 147. Toutefois, la tradition manuscrite conduirait plutôt à conserver Da, pater, aetherios menti conscendere coetus, comme le font généralement les éditeurs  : certes, dans le cadre du récit, Philologie s’élève elle-même vers l’assemblée céleste, mais il ne paraît pas aberrant qu’elle donne une clef de lecture en explicitant le mouvement d’ascension intellectuelle par l’emploi du terme mens. On notera du reste que Boèce l’utilise (Da, pater, augustam menti conscendere sedem, Consol. 3, m. 9, 22), dans un vers qui apparaît comme une réminiscence conjointe de ce vers de Martianus et du v. 28 de Tibérianus. 101   Ce sens allégorique a bien été mis en évidence par les travaux d’I. Hadot (voir en particulier Arts libéraux et philosophie dans la pensée antique, Paris, 1984, réédité avec des suppléments en 2005, p. 137-155). Nous renvoyons également à notre développement sur «  L’âme à la rencontre des dieux  », «  De la représentation mythologique à l’ontologie néoplatonicienne...  », p.  179-189).

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même demande d’élévation vers la Voie Lactée qui apparaît dans les vers 37-39 de l’Oratio ausonienne. Le Démiurge dans l’ontologie néoplatonicienne  ? Tout-puissant, créateur, préexistant au temps, auteur des rapports numériques à l’œuvre dans l’âme et dans le monde, le dieu invoqué dans les différents hymnes se rapproche du Démiurge platonicien, ce qui paraît légitime eu égard à l’intertexte suivi que constitue le Timée (ou au moins le passage sur l’œuvre du Démiurge, 29d-42e) dans l’hymne de Tibérianus et celui de Boèce, ou encore, plus généralement, dans la plupart des motifs relevés ci-dessus. Cependant, tous les éléments ne relèvent pas de cette explication. Ainsi, le statut ontologique du dieu en question varie quelque peu selon les textes, malgré les critères thématiques de constitution de notre corpus. À côté des deux passages, mentionnés ci-dessus, qui suivent d’assez près le Timée pour que l’on puisse penser à une évocation du Démiurge platonicien, trois des hymnes sont consacrés sans ambiguïté au dieu chrétien, invoqué comme tel, avec une mention du Fils et du Saint Esprit, voire avec des références bibliques  : l’Oratio ausonienne, la Precatio de Claudius Marius Victorius ainsi que les Louanges de Dieu de Dracontius. Ces trois hymnes maintiennent pourtant la plupart des thèmes platoniciens relevés ainsi que de nombreux éléments lexicaux caractéristiques. On pourra donc se demander si la coloration platonicienne de ces textes est consciente ou provient de l’intertexte. Quant aux hymnes de Martianus Capella, ils s’adressent à deux entités (le Soleil et Jupiter) qui semblent à première vue assurer des fonctions cosmiques semblables, mais se distinguent en réalité dans le détail de leur présentation  : si Jupiter est invoqué pour lui-même, dans sa fonction de dieu cosmique qui fournit la mens nécessaire au mouvement régulier de l’univers, le Soleil est d’emblée qualifié de «  Force suprême du Père inconnu, sa première émanation  » (ignoti uis celsa patrum uel prima propago, 2, 185, v. 1), «  à qui il est permis de voir le Père hypercosmique  » (ultramundanum cui fas est cernere patrem, 2, 185, v. 5), ce qui incite à postuler un principe supérieur inconnaissable, donc antérieur ontologiquement au dieu cosmique, mais en relation avec lui. La variété des tons, des styles et des points de vue chez Martianus Capella empêche certes d’y trouver l’expression d’un système philosophique strictement agencé, ce qui n’est du reste pas le sujet de l’œuvre. Toutefois, il nous



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semble que ces deux hymnes apportent des éléments permettant de mieux saisir l’arrière-plan philosophique  : d’une part, l’existence d’une hypostase supérieure inconnaissable  ; d’autre part, une relation d’émanation (le Soleil présenté comme propago, et lui-même source de la mens, ou encore Jupiter fournissant au monde la mens). Ces détails peuvent donc être lus comme autant d’allusions au système des trois hypostases  : Un (le Père inconnaissable), Intellect (Jupiter ou Soleil sous ses différents noms), Âme, qui émane de l’Intellect et assure au monde son harmonie. Dans les deux hymnes de Martianus étudiés, l’Âme semble donc être désignée par la mens, malgré l’ambivalence du terme102  ; ce statut paraît confirmé par la mention d’une diuina mens qui, dans l’hymne en prose de Firmicus Maternus, descend jusque dans les corps103, mais le fait que, par ailleurs, il qualifie le Soleil lui-même de mens mundi104 et évoque l’immortalis anima dont le Soleil assure l’agencement105 confirme le flottement sur le statut ontologique de la mens chez les néoplatoniciens latins. Chez Dracontius (Laud. Dei, 2, 33), le rôle de l’Âme du monde, rapproché de celui du πνεῦμα stoïcien, est joué, comme on l’a dit106, par l’Esprit saint – spiritus, éloigné de son épithète, pouvant par ailleurs rappeler le spiritus intus alit virgilien (Énéide, 6, 726, immédiatement avant le vers cité ci-dessous n. 102). Enfin, chez Claudius Marius Victorius (Prec., 24 et 52), la mens de Dieu, qui contient la forme du monde avant sa création, correspond exactement au νοῦς néoplatonicien107. Le sens de mens flotte donc, dans nos textes, entre une désignation de l’Âme 102   Le terme est ambigu en contexte néoplatonicien  : Macrobe, In Somn. 1, 14, 6, en fait un équivalent de l’Intellect plotinien (dans un passage qui est sans doute le plus clair, parmi les textes latins, sur l’émanation des hypostases), mais, quelques lignes plus loin (1, 14, 14), il cite le fameux vers virgilien mens agitat molem et magno se corpore miscet (Aen. 6, 727) en laissant entendre que Virgile fait allusion à l’Âme du Monde. Dans les Saturnales 1, 18, 15 (puis 1, 19, 9), le Soleil est par ailleurs qualifié de mundi mens (avec une équivalence entre mens et νοῦς, puisqu’il s’agit d’expliquer étymologiquement le nom de Dionysos comme Διὸς νοῦς, «  esprit de Zeus  »). 103   Voir ci-dessus, p. 140-141. 104  Firm. Mat., Math. 1, 14  : voir le texte ci-dessus, n. 43. 105  Firm. Mat., Math. 5, pr. 4  : voir le texte ci-dessus, n. 44. 106   Voir ci-dessus, p. 139 et n. 39. 107   Cl. Mar. Vict., Prec., v. 22-24  : A te principium traxit quodcumque repente / ex nihilo emicuit tantoque auctore repletum / uel uim mentis habet uel formam in mente recepit («  C’est de toi qu’a tiré son origine tout ce qui soudainement a jailli du néant et qui, rempli d’un auteur si grand, a la force de l’intelligence ou a reçu sa forme dans ton intelligence  »)  ; v. 51-52  : iussis uiuere primum / spiritibus mundoque frui, quem mente gerebas («  après avoir ordonné d’abord aux esprits de vivre et de jouir du monde que tu contenais dans ton intelligence  ») – les spiritus en question sont les anges (mentionnés au vers 55)  ; quant à la relative, elle est reprise mot pour mot (avec gerebas au lieu de gerebat et avec une habile inflexion du sens) à Lucain 9, 564.

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du Monde et une évocation précise de l’Intellect néoplatonicien. Si l’on en revient à la structure ontologique à l’arrière-plan des deux hymnes de Martianus, on peut sans doute assimiler le Soleil et Jupiter à l’Intellect démiurgique, d’où émane la mens au sens d’Âme du Monde. Cette interprétation peut être confirmée par certains éléments qui figurent dans l’Hymne au Soleil de Proclus, où l’astre, qualifié de «  roi du feu intellectif  » (πυρὸς νοεροῦ βασιλεῦ, v. 1) déverse sur le monde un «  flot d’harmonie  » (ἁρμονίης ῥύμα, v. 4) et descend lui-même d’un «  père ineffable  » (ἀπ’ ἀρρήτου γενετῆρος, v. 14). Quoi qu’il en soit, la difficulté que l’on éprouve à faire coïncider dans une même entité ontologique l’Intellect néoplatonicien et le Démiurge platonicien, diversement réinterprété, témoigne sans doute d’une évolution des représentations au sein du platonisme tardif autant que de l’aspect composite des doctrines  : on sait notamment que Proclus soulignait l’ambiguïté de la position du Démiurge dans le système de Porphyre108. Démiurge platonicien, Intellect démiurgique néoplatonicien symbolisé par le Soleil ou par Jupiter, ou encore Dieu créateur chrétien, le dieu cosmique des hymnes prend des aspects variés qui se ramènent toutefois tous à une fonction démiurgique soutenue par des réminiscences platoniciennes plus ou moins marquées. Par ailleurs, ces différents hymnes cherchent tous à établir un lien entre l’homme et la divinité, qui se traduit en général par une demande de connaissance  : l’expression da, pater, qui introduit la plupart des formules de prière, est généralement complétée par noscere ou nosse (chez Tibérianus, v. 28, dans l’hymne au Soleil de Martianus, 2, 193, v. 32, ou encore dans la Precatio de Claudius Marius Victorius, v. 103). Cette connaissance est synonyme d’une élévation qui se trouve exprimée aussi bien dans la prière de Philologie (aetherios conscendere coetus et astrigerum noscere caelum, 2, 193, v. 31-32) que dans l’Oratio ausonienne109 ou encore chez Boèce (Consol., 3, m. 9, 22, augustam conscendere sedem). Le dieu cosmique invoqué est donc avant tout celui qui peut transmettre à l’homme la connaissance du monde et lui permettre de s’élever jusqu’à sa contemplation.

108  Procl. In Tim.  i, p. 431, 14-23  : voir sur ce point M. Zambon, Porphyre et le moyen-platonisme, p. 160. 109   Orat., v. 37-39  : Pande uiam quae me post uincula corporis aegri / in sublime ferat, puri qua lactea caeli / semita uentosae superat uaga nubila lunae («  Ouvre-moi la route qui me conduira, une fois dégagé des attaches de ce corps souffrant, dans les cieux, là où, dans un ciel pur, la Voie Lactée domine le flambeau errant de la Lune, royaume du vent  »).



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Quels liens entre ces hymnes latins  ? Si ces différents hymnes s’inscrivent tous dans un contexte néoplatonisant et trouvent une partie de leurs racines dans la démiurgie du Timée, le détail de leur contenu, comme on l’a vu, semble recourir à diverses inspirations. On peut donc terminer cette étude en essayant de préciser l’origine philosophique des motifs récurrents relevés. Les références communes et leurs sources possibles Si on laisse maintenant de côté la référence au Timée (directe ou indirecte) qui est manifeste dans les allusions à la création selon le bien (29e), au lien numérique entre les quatre éléments (31b-32c), aux rapports harmoniques dans l’âme (35b-36b), à la création du temps (37d) ou encore à la répartition des âmes (41d-42c), on peut relever un certain nombre de correspondances avec d’autres motifs philosophiques. L’Hymne à Zeus de Cléanthe L’idée même d’un hymne philosophique au dieu cosmique évoque avant tout l’Hymne à Zeus de Cléanthe, que nous avons mentionné dès l’introduction comme modèle de cette forme littéraire en grec. Plusieurs des thèmes qui y sont abordés rejoignent en effet notre corpus  : on relève ainsi la toute-puissance (πάντα κυβερνῶν, v. 2), l’idée que Zeus/Jupiter dirige la raison commune au monde (κοινὸν λόγον, v. 12), dans laquelle on reconnaît le πνεῦμα. Surtout, le Zeus invoqué par Cléanthe est capable d’«  ordonner le désordre  » (κοσμεῖν τἄκοσμα, v. 19), de même que le démiurge de nos hymnes maintient la concordia entre les éléments. La similitude semble toutefois s’arrêter là  : on ne trouve pas d’allusion aux nombres dans l’hymne stoïcien, et le développement y est consacré essentiellement aux vices humains, que Zeus peut dissiper – dimension éthique très limitée dans les hymnes que nous étudions. Le dieu ἈΠΕΡΙΜΕΤΡΟΣ d’Apulée Certains aspect peuvent rappeler des thèmes plus spécifiquement médio- puis néoplatoniciens. Ainsi l’impossibilité d’«  évaluer par le nombre  » (numero pensare), c’est-à-dire de mesurer le dieu (Tibérianus, v. 3) peut être mise en relation avec l’hapax employé par Apulée pour

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décrire le dieu  : ἀπερίμετρος (Plat., 190). Il est intéressant de citer l’ensemble du développement qu’Apulée consacre au dieu, car il recèle un certain nombre de parallèles avec les thèmes de notre corpus  : Sed haec de Deo sentit, quod sit incorporeus. Is unus, ait, ἀπερίμετρος, genitor rerumque omnium exstructor, beatus et beatificus, optimus, nihil indigens, ipse conferens cuncta. Quem quidem caelestem pronuntiat, indictum, innominabilem, et ut ait ipse, ἀόρατον, ἀδάμαστον  ; cuius naturam inuenire difficile est  ; si inuenta sit, in multos eam enuntiari non posse. Platonis haec uerba sunt  : θεὸν εὑρεĩν τε ἔργον, εὑρόντα τέ εἰς πολλούς ἐκφέρειν ἀδύνατον110.

Au-delà du caractère infini et non mesurable du dieu, ce passage fournit des parallèles pour d’autres motifs relevés dans notre corpus d’hymnes  : l’unicité (unus), qui se substitue au caractère «  premier  » du Démiurge chez Platon, témoigne ainsi d’une évolution au sein du platonisme111  ; sa plénitude est marquée par nihil indigens  ; surtout, son caractère ineffable se trouve exprimé de manière insistante à la fin de l’extrait, par deux adjectifs en latin – les deux adjectifs grecs ne développant pas la même caractéristique112 –, puis par une explication fondée sur une citation inexacte du Timée (28c) qui se limite du reste à insister sur la difficulté de le révéler au grand nombre. Il semble donc que cette difficulté à révéler la nature du dieu (si l’on s’en tient à la formulation du Timée) ait été ensuite réinterprétée dans le sens de l’ineffabilité divine. Ces éléments tendent à montrer que les motifs de notre corpus remontant au Timée sont passés, au moins pour une partie d’entre eux, par un filtre médioplatonicien. 110  Apul., Plat. 190-191 (éd. et trad. J. Beaujeu)  : «  Ce qu’il pense de Dieu, c’est qu’il est incorporel. Il est un, dit-il, “infini”, créateur et artisan de toutes choses, bienheureux et source de bonheur, excellent, sans aucun besoin, fournisseur de toutes choses. Il l’appelle être céleste, innommé, ineffable et, comme il le dit lui-même, “invisible, inflexible”  ; il est difficile de découvrir sa nature et, si on l’a découverte, impossible de la révéler au grand nombre. Voici les termes de Platon  : “il est difficile de découvrir Dieu et, quand on l’a découvert, impossible de le révéler au grand nombre”  ». Sur l’ensemble du passage, voir le commentaire de J. Beaujeu, p. 256-257, ainsi que C. Moreschini, Apuleius and the Metamorphoses of Platonism, Turnhout, 2015, p. 221-226 et C. Moreschini «  Dio e dèi in Apuleio  », Plato Latinus. Aspects de la transmission de Platon en latin dans l’Antiquité, éd. J.‑B. Guillaumin et C. Lévy, Turnhout, 2018, p. 126-146 (en particulier p. 130-134). 111   Comme le relève J. Beaujeu, p. 256, Alcinoos (Didask. 10, p. 164, 31 Whittaker) a encore, comme Platon, πρῶτος θεός, les autres dieux (secondaires) jouant aussi un rôle dans la démiurgie  ; ce dieu unus désigne donc «  le dieu par excellence [...], unique de son espèce et siégeant seul au sommet de la pyramide de l’Être  ». 112  Si ἀόρατον se trouve dans le Timée (Tim. 36e6, 43d6 par exemple) pour caractériser l’âme et l’intelligible, l’adjectif rare ἀδάμαστον n’apparaît pas chez Platon (J. Beaujeu, p. 257 y voit une allusion à Ἀδραστεία).



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Les fragments orphiques sur Zeus Le dieu tout-puissant à l’origine de tout peut par ailleurs faire penser aux vers orphiques sur Zeus abondamment cités dans des textes philosophiques sous plusieurs formes  : dans le Περὶ κόσμου pseudo-aristotélicien et sa traduction par Apulée113 (frgt. 21a Kern)  ; chez Porphyre114, chez Stobée115, dans le Commentaire au Timée de Proclus116 ou encore, de manière plus fragmentaire, dans le Commentaire au Parménide de Damascius117 (frgt. 168 Kern). En plus du rôle démiurgique universel (v. 2, puis 4-5 en particulier), on retrouve dans ces quelques vers (sous la deuxième forme citée, frgt. 168 Kern) de nombreuses thématiques étudiées ci-dessus  : l’omniprésence de Zeus, qui est le début et la fin (πρῶτος... ὕστατος, v. 1), la tête et le milieu (κεφαλή... μέσσα, v. 2) et englobe tout (v. 10), son caractère bisexué (ἄρσην... νύμφη, v. 3), son unicité (anaphore de ἕν/εἷς aux v. 6-7), les éléments (πῦρ καὶ ὕδωρ καὶ γαῖα καὶ αἰθήρ, v. 8, repris ensuite dans une description allégorique de son corps, air, terre, mer et sol, v. 25-30), les astres (v. 16) et la fonction cosmique unificatrice de son intellect (17-18), enfin, son rôle dans le mouvement des vies individuelles (31-32). Le rapprochement entre ce poème orphique et les discussions sur l’ontologie néoplatonicienne apparaît également de manière claire dans l’utilisation qu’en font Porphyre, Proclus et Damascius. On peut souligner en particulier que Porphyre l’a vraisemblablement utilisé dans le Περὶ ἀγαλμάτων afin d’étayer l’assimilation allégorique entre Zeus et l’intellect démiurgique, et que Proclus y recourt dans le commentaire de Timée 28c, c’est-à-dire précisément à propos du début du passage sur le Démiurge. Il semble donc qu’on ait avec ce poème orphique l’une des clefs permettant de comprendre l’évolution de la représentation du dieu du Timée dans le platonisme tardif. Le prologue des Phénomènes d’Aratos et sa réécriture par Aviénus En plus de ces références, la dimension astronomique récurrente dans les hymnes peut aussi être mise en relation avec l’hymne à Zeus en «  ErStil  » que constitue le prologue des Phénomènes d’Aratos. On y trouve 113   Frgt., 21a Kern  : Ps.-Arist., Περὶ κόσμου 401 a28-b7 = Apul., Mund. 372. Voir ci-dessus, n. 53. 114   Περὶ ἀγαλμάτων, p. 3* Bidez = frgt. 354F Smith (cité par Euseb., Praep. 3, 9, 1). 115  Stob., Anthol. 1, 1, 23. 116  Procl., In Tim. 1, p. 313, 19 sq. Diehl. 117  Damasc., In Parm., p. 177, 10 Ruelle (= Westerink Combès 2002, t. iii, p. 82).

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en effet une allusion à la préséance de Zeus (ἐκ Διὸς ἀρχώμεσθα), que rappelle le praefandum ueneror de Martianus (hymne à Jupiter, 9, 911, v. 4). Par ailleurs, l’omniprésence de Zeus est annoncée dès le v. 2 par la formule μεσταὶ Διός («  pleines de Zeus  », à propos des rues, des places, des ports, v. 2-4). Ce poème extrêmement célèbre dans l’Antiquité a été traduit au moins trois fois en latin (par Cicéron, Germanicus, puis Aviénus), et évoqué à de multiples reprises, en particulier par Virgile qui retient les deux éléments caractéristiques relevés ci-dessus dans un fameux vers des Bucoliques  : ab Ioue principium, Musae, Iouis omnia plena (3, 60). Or les commentateurs tardo-antiques, relevant l’intertexte, feront de ce vers une lecture cosmologique118  : légitimant d’un point de vue poétique le rapprochement allégorique entre Jupiter et l’Âme du Monde, ce passage peut donc constituer un intertexte plus ou moins direct et plus ou moins conscient pour la poésie philosophique tardoantique. Toutefois, la meilleure preuve de la proximité entre le proème d’Aratos et les thèmes que nous avons relevés apparaît dans la réécriture qu’en fait Aviénus dans le deuxième tiers du ive s., et que nous avons eu l’occasion d’utiliser ponctuellement dans cette étude  : il s’agit en effet d’une vaste amplification (76 vers au lieu de 18), qui introduit de nombreux éléments absents du texte d’Aratos, mais souvent présents dans les hymnes considérés. Le nom employé est un premier indice  : après quatre vers mentionnant Jupiter comme l’inspirateur du poème et le dieu qui permet l’élévation vers les astres (imus in astra Iouis monitu, v. 3), on passe à une évocation de la «  demeure du père premier  » (sedes primi patris, v. 5), puis du «  principe du mouvement paternel  » (paterni / principium motus, v. 5-6), ou encore de l’«  auguste père de l’univers  » (mundi sanctus pater, v. 21), puis du parens rerum (v. 23). Jupiter devient donc rapidement, dans ce proème, le dieu «  père  » – transition certes facilitée en latin par l’étymologie de Iuppiter –, créateur et principe de tout  : il est ensuite explicitement évoqué comme démiurge par l’expression ovidienne rerum opifex (v. 28) également présente dans l’Oratio ausonienne119. La plénitude et l’ubiquité sont exprimées aux v. 26-27  : le dieu a part aux deux sexes (sexu inmixtus utroque) – selon l’élément orphique qui apparaît aussi chez Tibérianus120 –  ; il est par ailleurs caractérisé par 118   Voir Serv., ad. loc. qui renvoie à Aen. 6, 726-727, vers souvent cités pour évoquer la diffusion de l’esprit dans le monde (voir ci-dessus, p. 127, n. 102). Surtout, Macr., In Somn. 1, 17, 14, met explicitement le vers en relation avec l’Âme du Monde. 119   Voir ci-dessus, p. 115. 120   Voir ci-dessus, p. 114.



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sa «  double durée  » ou «  éternité  » (aeui gemini), dont le sens exact pose problème mais paraît insister sur la jonction entre éternité du passé et éternité de l’avenir121. Cette plénitude paradoxale explique peut-être la «  voix secrète  » (uox secreta, v. 18) que le poète entend utiliser pour invoquer le dieu, et qui rejoint le caractère ineffable relevé à plusieurs reprises. On retrouve par ailleurs l’idée d’un principe vital qui, à la manière du πνεῦμα stoïcien, descend (discurrente meatu, v. 12) pour imprégner «  les profondeurs compactes de la masse primitive  » (molis primigenae penetralia dura, v. 13)  : l’emploi de l’expression «  fleur et flamme de l’âme  » (flos et flamma animae) plutôt que du simple spiritus (pour πνεῦμα) paraît relever d’une allusion aux Oracles chaldaïques122. L’organisation des éléments est évoquée dès le v. 7 (uita elementorum), puis, surtout, aux v. 21-25  : comme dans plusieurs des hymnes étudiés, le dieu s’oppose au chaos (v. 21)  ; il fixe «  les éléments flottants  » (fluitantia123, v. 23), il assigne une place aux dispersa primordia (v. 24) et donne forme aux masses isolées (digestorum species, v. 25). Comme dans les hymnes étudiés, l’harmonie des sphères, liée aux structures numériques de l’Âme du Monde, est présente dans le proème d’Aviénus, notamment par le «  nombre de la sublime harmonie  » (numerus celsi modulaminis, v. 9). Enfin, de manière attendue, le système cosmique apparaît aux v. 32-45, avec la terre et les deux luminaires (iubar est employé au v. 34 pour désigner la lumière du jour, qu’apporte le soleil), les quatre saisons et les constellations – ce dernier élément correspondant au texte d’Aratos. Ce texte fait donc écho à un nombre important des thématiques abordées dans notre corpus et semble révéler une inspiration commune  : ainsi, dans la seconde moitié du ive s., le proème des Phénomènes d’Aratos paraît appeler assez spontanément une amplification sur le dieu démiurgique mêlant des éléments d’origine stoïcienne, platonicienne ou orphique connus par ailleurs dans les hymnes latins adressés au dieu cosmique. 121   J. Soubiran, dans son commentaire sur ce passage (p. 178-179), y voit une référence au passé et à l’avenir et une allusion à Janus bifrons, voire, avec la fin du vers (simul omnia lustrans), au Janus quadrifrons de Macr. Sat. 1, 9, 13 ou Aug., Ciu. 7, 8. 122   On y reconnaît l’expression πυρὸς ἄνθος, fréquente dans les Oracles chaldaïques (34, 2  ; 35, 3  ; 37, 14  ; 42, 3 des Places). Martianus Capella l’emploie également en 2, 206 (époptie de Philologie) et 6, 571 (hymne à Pallas). 123   Même verbe que chez Boèce (Consol. 3, m. 9, 5) pour désigner la matière désordonnée modelée par le dieu  : sur la référence probable à la traduction cicéronienne du Timée, voir ci-dessus, n. 90.

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J.-B. GUILLAUMIN

Une synthèse porphyrienne  ? On peut aller un peu plus loin dans la recherche des sources en mettant à profit les travaux consacrés à Tibérianus124. Ainsi, il paraît vraisemblable que la synthèse philosophique relevée plus haut et le choix de la forme hymnique remontent à Porphyre  : la manière dont il introduit l’hymne orphique à Zeus, cité dans le Περὶ ἀγαλμάτων125, semble aller dans ce sens. Par ailleurs, la Philosophie tirée des Oracles prenait en considération un certain nombre d’invocations hymniques126  ; on y trouve en particulier un hymne adressé au «  père des immortels  », ἀθανάτων πατήρ127, qui met en évidence des motifs semblables à ceux que nous avons relevés  : éternité (αἰώνιε, v. 1 = l. 4, puis αἰώνιος ἀλκή, v. 7 = l. 10), ineffabilité (ἄρρητε, v. 1 = l. 4), toute-puissance (παντόκρατορ, v. 13 = l. 16), lien du monde par les formes (τύποισι ἔδησας, v. 11 = l. 14), plénitude d’un dieu à la fois père et mère (πατὴρ καὶ μητέρος ἀγλαὸν εἶδος, v. 1 de la seconde partie = l. 31), âme, esprit et harmonie numérique (ψυχὴ καὶ πνεῦμα καὶ ἁρμονίη καὶ ἀριθμός, dernier vers = l. 33). Tous les éléments n’y sont certes pas – la reprise suivie du Timée étant moins manifeste que dans certains de nos textes –, mais on doit relever un certain nombre de points de contact, en particulier avec le poème de Tibérianus. Plus généralement, le principe même de la Philosophie tirée des Oracles tout comme l’intérêt pour des corpus théologiques variés qui apparaît de manière récurrente dans les passages conservés de son œuvre128 font de Porphyre l’un des meilleurs exemples de ce goût pour la fusion de corpus variés au sein d’un même système philosophique  ; or ce syncrétisme aura une influence fondamentale sur le platonisme tardif (ou néoplatonisme), qui apparaît sans doute moins systématique qu’on ne pourrait le penser de prime abord. Comme l’écrit T. Agozzino129  : Tiberiano riceve una teologia sincretistica, perfettamente coerente in sé, fusa armonicamente in una visione unitaria del Divino ma di origine diverse  ; questo è, in fondo, il neoplatonismo.   Voir ci-dessus, n. 23.   Voir ci-dessus, n. 114. 126   Voir W. Theiler, Forschungen zum Neuplatonismus, Berlin, 1966, p. 299. 127   Fragment 325F Smith  : les deux passages métriques cités se composent respectivement de 19 et 3 vers. On donne ici la référence au vers suivie de la ligne dans le fragment de l’édition d’A. Smith. 128   Voir en particulier l’hymne orphique étudié plus haut, p. 131 et n. 114. 129   T. Agozzino, «  Una preghiera...  », p. 183. Voir également S. Mattiacci, qui cite ce passage dans le cadre de son étude des rapports possibles entre Porphyre et Tibérianus (p. 159-160) et approuve cette conclusion. 124 125



L’HYMNE AU DIEU COSMIQUE DANS LA LATINITÉ TARDIVE135

Quelles influences entre les hymnes latins  ? On peut alors tenter de mettre en évidence les relations entre tous les textes de manière à envisager plus précisément leur parenté. Chronologiquement, le poème de Tibérianus est le premier de notre corpus, et comprend à peu près tous les thèmes relevés ci-dessus  ; ces thèmes, tout comme la tendance syncrétique dans un cadre platonicien, laissent penser à une inspiration porphyrienne, qui ferait tout à fait sens pour un auteur latin de la première moitié du ive s. L’oubli dans lequel est tombé ce Tibérianus pour un lecteur contemporain ne doit pas déformer notre point de vue  : cité par Augustin, Servius et Fulgence130, il devait constituer un point de référence littéraire pour les auteurs tardo-antiques, et il est donc tout à fait vraisemblable que son hymne platonicien ait été connu, imité ou réécrit par d’autres auteurs, ce que tendraient à confirmer les échos lexicaux relevés ici ou là. La forme de l’hymne philosophique, bien identifiée dans la littérature grecque au moins depuis Cléanthe, semble donc avoir été remise au goût du jour par Porphyre, à la fin du iiie s., dans le cadre d’une synthèse doctrinale d’éléments platoniciens, stoïciens, orphiques voire chaldaïques, et rapidement adaptée dans les milieux néoplatoniciens latins grâce aux abondants matériaux disponibles dans la littérature latine. Les vers conservés de Tibérianus seraient la partie encore visible de cet ensemble qui dut être beaucoup plus important et contribuer, durant le ive s., à alimenter le corpus intellectuel païen  : une même fusion syncrétique préside en effet à l’élaboration de la théologie solaire131 – qui apparaît en germe dans les deux hymnes en prose de Firmicus Maternus et dont on trouve une manifestation un peu plus tardive dans l’hymne au Soleil qui figure chez Martianus Capella132 –, ainsi qu’à la réécriture du proème d’Aratos par Aviénus. Deux siècles après Tibérianus, son hymne paraît encore avoir inspiré, au moins partiellement, l’hymne O qui perpetua de 130  Aug., Mus. 3, 2, 3  ; Serv., ad Aen. 6, 136  ; 6, 532  ; peut-être 8, 96 (correction)  ; Fulg., Mitol. 1,  21  ; 3,  7  ; Expos. Virgil. p. 97 Helm  ; Serm. ant. 56. 131   On trouve le même type de synthèse dans l’exposé de théologie solaire attribué à Prétextat, qui occupe la fin du premier livre des Saturnales de Macrobe. Ainsi, par exemple, en 1, 18, 12-15 (à propos de Dionysos assimilé au Soleil) sont énumérés «  Orphée  », Cléanthe, «  les physiciens  » (allégorie physique d’origine stoïcienne) et Aratos (v. 1). 132   Il reste toutefois difficile de rattacher cet hymne de manière certaine à l’une des doxographies conservées sur la théologie solaire  : sur l’ensemble du dossier, voir la mise au point d’A. Lecerf, «  L’empereur Julien entre culte d’Attis, Oracles et théologie solaire  », Oracles chaldaïques  : fragments et philosophie, éd. A. Lecerf, L. Saudelli et H. Seng, Heidelberg, 2014, p. 61-99.

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Boèce  : il n’est certes plus question, à cette époque, d’un syncrétisme philosophique en relation avec la «  réaction païenne  », mais, comme on l’a vu, c’est bien le Démiurge de Platon qui semble être invoqué en premier lieu dans ce poème qui sert de clef de voûte à la Consolation. Si le Démiurge platonicien est bien reconnaissable chez Tibérianus et chez Boèce, on pourrait hésiter à le voir dans les deux hymnes de Martianus étudiés, mais, comme on a essayé de le montrer133, le Soleil et Jupiter, malgré les difficultés que pose leur statut, semblent pouvoir être lus comme des représentations de l’Intellect démiurgique, ce qui explique la reprise de certains motifs récurrents ainsi que les échos lexicaux qui témoignent d’une volonté intertextuelle. La forme littéraire mise en œuvre par Tibérianus, probablement dans le sillage de Porphyre, semble donc avoir connu une postérité relativement importante dans les prosimètres néoplatoniciens de Martianus Capella et de Boèce. Il reste toutefois à interpréter le statut des trois hymnes hexamétriques au Dieu chrétien figurant dans le corpus, qui s’échelonnent de la fin du ive s. (Oratio ausonienne) jusqu’à l’extrême fin du ve (Louanges à Dieu de Dracontius), en passant par la Precatio de Claudius Marius Victorius. L’abondance des thèmes communs et des échos textuels ne laisse guère de doute sur la communauté d’inspiration  : la forme de l’hymne philosophique au Démiurge est réutilisée pour invoquer le Dieu chrétien, sans les éléments qui pourraient entrer en contradiction avec la théologie chrétienne, et avec des ajouts qui la rappellent (notamment les mentions du Fils et de l’Esprit saint). Une telle utilisation chrétienne de l’hymne philosophique pouvait certes fonder sa légitimité sur les trois Hymnes de Marius Victorinus (composés probablement en 363). Pourtant, comme on l’a vu, leur forme s’éloigne radicalement de l’hymnodie traditionnelle  : il ne peut donc guère s’agir d’un modèle direct des trois poèmes étudiés, mais on peut y voir un exemple parallèle d’utilisation d’une forme qualifiée d’«  hymne  » pour exposer des éléments de doctrine chrétienne, de la part d’un théologien qui a lui-même été l’un des philosophes néoplatoniciens latins les plus importants. Sans doute faut-il plutôt considérer ces hymnes hexamétriques chrétiens de tonalité philosophique comme un exemple de christianisation d’une forme littéraire païenne, qui prendrait tout son sens dans le contexte culturel des dernières années du ive siècle134  : qu’elle doive être attribuée à Ausone ou à Paulin de Nole,   Voir ci-dessus, p. 126-128.   C’est également à la fin du ive siècle que Claudien rédige, dans une forme hymnique traditionnelle, une invocation au Christ aboutissant à une prière pour l’Empereur (Carm. Min. 32, De Saluatore), dont quelques éléments, de tonalité philosophique, 133

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L’HYMNE AU DIEU COSMIQUE DANS LA LATINITÉ TARDIVE137

l’Oratio, qui illustre bien ce contexte, peut avoir constitué ensuite un modèle pour Claudius Marius Victorius comme pour Dracontius. Quoi qu’il en soit, malgré l’implantation définitive du christianisme dans la période considérée, cette reprise spécifiquement chrétienne de l’hymne néoplatonicien au dieu cosmique ne devait guère avoir de postérité, probablement supplantée par le succès et l’efficacité liturgique des hymnes dans le style ambrosien. Conclusion Bien connu dans la littérature grecque au moins depuis Cléanthe, revivifié par les néoplatoniciens, l’hymne philosophique au dieu cosmique ne semble avoir fait son apparition en latin qu’avec le poème de Tibérianus, dans un contexte fortement marqué par un syncrétisme philosophique et théologique caractéristique du néoplatonisme porphyrien. Le titre de ce poème, Versus Platonis de deo, peut-être inauthentique, est toutefois révélateur du statut accordé à cette forme littéraire, qui permet de transmettre de manière condensée une conception de la divinité attribuée à Platon à partir d’éléments tirés de la démiurgie du Timée et complétés par des thèmes stoïciens, orphiques ou chaldaïques. Après Tibérianus, le succès de cette synthèse tardo-antique sous forme hymnique se manifeste à plusieurs reprises du ive au vie s. et cette forme poétique et philosophique devient, semble-t-il, un point de référence important pour les néoplatoniciens latins au point que Boèce, développant explicitement l’invocation mentionnée dans le Timée, en fait le poème pivot de sa Consolation de Philosophie, et que plusieurs poètes l’adaptent en contexte chrétien. Malgré la variété des textes qui peuvent entrer dans cette catégorie, le parcours que nous avons suivi à travers les hymnes latins à la divinité cosmique a permis de mettre en évidence des thèmes récurrents qui constituent autant de facettes du moment néopla­tonicien de la littérature latine. On peut certes être frappé ­ ourraient être mis en relation avec notre corpus. Voir l’édition, la traduction et l’inp terprétation de J.-L. Charlet, Claudien, Œuvres, tome IV, petits poèmes, Paris, Les Belles Lettres (CUF), 2018, p. 59-60 et 176-177, qui souligne l’emploi d’un «  vocabulaire religieux à ‘double entrée’, chrétienne et païenne  » (voir également les références bibliographiques fournies). L’intérêt du poeta doctus païen (qui se plie, dans ce poème aulique, aux représentations religieuses officielles) pour la culture philosophique de son temps (néoplatonisme diffus) a été souligné par C. Moreschini, «  Paganus pervicacissimus  : religione e ‘filosofia’ in Claudiano  », éd. W.W. Ehlers, F. Felgentreu, S. Wheeler, dans Aetas Claudianea, München-Leipzig, 2004, p. 57-77 (en particulier p. 59-61).

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par l’absence d’approche systématique et par le caractère fluctuant de la divinité qui apparaît dans les différents hymnes étudiés, mais, au-delà de la variété des textes et des genres littéraires abordés, n’est-ce pas là le propre du «  néoplatonisme latin  »  ?

LA DESCENTE ET LA REMONTÉE DE L’ÂME HUMAINE CHEZ MACROBE Luc Brisson*

(Centre Jean Pépin (UMR 8230) – CNRS-ENS – Paris-Villejuif)

Au ve siècle de notre ère, l’influence du néoplatonisme est sensible dans le monde latin, même s’il est très difficile d’en déterminer la source et le cheminement. Le Commentaire au Songe de Scipion est exemplaire à cet égard. Commentant un récit de Cicéron qui, lui-même, s’inspirait du mythe d’Er au livre x de la République de Platon, Macrobe puise à de multiples sources, la principale restant à nos yeux l’œuvre de Porphyre. Historique Le Commentaire au Songe de Scipion1 fut composé vers 420-430. Il porte en fait sur les paragraphes 9 à 29 du livre vi de la République de Cicéron (écrit en 54 av. notre ère), qui en sont la conclusion générale. Scipion l’Émilien raconte le songe qu’il a fait 20 ans plus tôt, en 149 av. notre ère, alors qu’il était venu en Afrique pour participer à la troisième guerre punique. Après avoir passé la soirée à écouter le roi Massinissa qui avait été rétabli sur son trône par Scipion l’Africain, Scipion l’Émilien avait rêvé qu’il montait dans le ciel, où l’accueillent Scipion l’Africain (236/5-183) et Paul Émile, son père biologique, mort lors du désastre de Cannes en 216 av. notre ère. En fait, Cicéron s’inspirait du mythe d’Er, qui clôt le dixième et dernier livre de la République (614d-621d) de Platon, écrit vers 387 av. notre ère très probablement. Le mythe * P.-S. Pour le grec ancien, nous avons utilisé le système de translitération suivant  : êta = e  ; oméga = o  ; dzèta = z  ; thèta = th xi = x  ; phi = ph  ; khi = kh  ; psi = ps. L’iota souscrit est adscrit (par exemple ei  ; et lorsqu’il s’agit d’un alpha, cet alpha est long = ai). L’esprit rude est noté h, et l’esprit doux n’est pas noté. Tous les accents sont notés. 1   Nous utilisons, comme ouvrage de référence, Macrobe, Commentaire au songe de Scipion, texte établi, traduit et commenté par Mireille Armisen-Marchetti, Paris, Les Belles Lettres, Livre i  : 2001  ; Livre ii  : 2003. Les traductions sont généralement empruntées à cet ouvrage, même si, de temps à autre, nous y apportons quelques modifications.

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raconte l’histoire d’un revenant, Er, le fils d’Arménios. Laissé pour mort sur un champ de bataille, il fut ramassé le dixième jour, et le douzième, alors qu’il se trouvait sur le bûcher funéraire, il raconta, revenu à la vie, ce qu’il avait vu dans l’au-delà  ; le jugement des morts, le parcours des âmes, et leur choix de vie, tout cela dans un cadre cosmologique impressionnant. Les perspectives sont très différentes suivant les auteurs. Comme dans d’autres mythes eschatologiques, Platon évoque le récit fait par Er pour donner un terme à son exposé éthique et politique  : même si un mauvais citoyen arrive à échapper à toute sanction en ce monde, il sera jugé après sa mort, et par suite récompensé ou puni. Pour Cicéron, il s’agit de faire l’éloge de l’homme politique méritant, dont l’âme sera récompensée après la mort du corps qu’elle habite. Macrobe, lui, élargit le débat à l’ensemble des hommes, car il s’inscrit dans un nouveau courant philosophique, où la philosophie ne se transmet plus dans la discussion entre un maître et ses disciples ou ses opposants, mais dans la lecture commentée d’une œuvre antérieure. L’École néoplatonicienne d’Athènes est le meilleur exemple de cette pratique, institution qui eut pour chef Proclus (412-485), un contemporain plus jeune que Macrobe (né vers 385-3902), et dont l’essentiel de l’œuvre consiste en commentaires  ; Macrobe semble utiliser les mêmes sources que Proclus notamment lorsque ce dernier propose une exégèse détaillée du mythe d’Er dans son Commentaire à la République de Platon3. Dans un magnifique préambule, Macrobe, fait la différence entre le «  mythe  » que raconte Platon, et le «  songe  » que rapporte Cicéron. Puis, en ouverture à son commentaire, il évoque le skopos, la finalité de ce récit  : «  [il] consiste à nous enseigner que les âmes des hommes qui ont bien mérité de la république, après avoir quitté le corps, retournent au ciel et y jouissent d’une béatitude éternelle  » (i 4, 1-4). Puis il passe au commentaire du songe de Scipion, dont voici un résumé analytique4  :   D’après N. Marinone, I Saturnali di Macrobio Teodosio, Turino 1967.   Pour un exposé des contextes philosophiques dans lesquels évoluent Cicéron et Macrobe respectivement, voir Stephen Gersh, Middle Platonism and Neoplatonism. The latin tradition, Notre Dame (Indiana), University of Notre Dame Press, 1986, 2 vol. Pour Cicéron, vol. i, 53-154  ; pour Macrobe, vol. ii, 493-595. Le gros ouvrage de Jacques Flamant, Macrobe et le néo-platonisme latin, à la fin du ive siècle, Leiden, Brill, 1977, reste essentiel, même si nous estimons qu’il insiste trop sur l’influence de Numénius. 4   Ce tableau est celui que propose Mireille Armisen-Marchetti (2001), xxvii. 2

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République5

Songe6

vi

9-10

1, 1-4

vi

11-12

2, 1-3

vi

13

3, 1

vi

14

3, 2

vi

15

3, 3-5

vi

16-17

3,5-4, 1-3

vi

18-19

5, 1-3

vi

20-22

6

vi

23-25

7

vi

26-29

8-9

contenu Mise en scène du songe. Scipion Émilien est reçu par Massinissa. La nuit venue, Scipion l’Africain lui apparaît L’Africain prédit à Scipion Émilien son avenir L’Africain révèle à Scipion Émilien la béatitude céleste réservée aux âmes des hommes d’état méritants. Scipion Émilien voit lui apparaître son père Paul Émile Paul Émile interdit à son fils le suicide Exposé astronomique  : les sphères célestes, vue de la Voie lactée La musique des sphères Exposé géographique  : les zones terrestres habitables. Conséquence  : la gloire humaine est limitée dans l’espace La Grande année et les cycles cosmiques. Conséquence  : la gloire humaine est limitée dans le temps L’âme humaine est immortelle  : après sa séparation d’avec le corps, elle regagnera le ciel, si elle l’a mérité

Macrobe ne suit pas rigoureusement le déroulement du songe de Scipion. Dans le premier livre, il rattache son commentaire à sept citations de l’ouvrage de Cicéron7. Commentant alors la quatrième citation (vi 14 = 3, 2), il évoque le séjour de l’âme dans le ciel et décrit sa descente à travers les sphères célestes. Le parcours des âmes L’âme, immortelle, quitte la sphère des étoiles fixes où elle est totalement incorporelle pour descendre vers les corps, attirée qu’elle est par un désir irrépressible. Avant d’arriver sur la terre où elle va habiter dans un   Références aux éditions de Cicéron, La République.   Références aux éditions du Songe seul. 7   Pour une liste, voir Mireille Armisen-Marchetti (2001), xxxiii. 5 6

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L. BRISSON

corps, elle se revêt d’enveloppes, ou de tuniques8, chaque fois qu’elle traverse la sphère d’une planète. Lorsque, à la mort, elle quitte son corps terrestre, elle va chercher à remonter vers sa patrie, son lieu originel. Lieu de séjour primordial Au point de départ, l’âme est incorporelle, dépourvue de tout corps. Or, c’est le désir du corps qui l’alourdira et la fera descendre jusque sur la terre. 11.  D’après eux (un groupe de Platoniciens), donc, dont l’école a, plus que les autres, la faveur de la raison (ratio)9, les âmes bienheureuses, libres de tout contact avec quelque corps que ce soit (ab omni cuiuscumque contagione corporis liberae), occupent le ciel. Mais celle qui, sous l’effet d’un désir secret (desiderio latenti), détournant ses regards des hauteurs immenses de cet observatoire et de cette lumière perpétuelle, s’est représentée avec envie le corps (appetentiam corporis) et ce qu’on appelle la vie sur terre, par le poids même de sa représentation terrestre (pondere ipso terrenae cogitationis) tombe peu à peu vers les régions inférieures10. 12.  Toutefois ce n’est pas tout d’un coup qu’elle quitte son incorporalité parfaite pour revêtir un corps de boue. Ce n’est qu’insensiblement, en subissant des pertes imperceptibles et en s’éloignant toujours davantage de sa pureté sans mélange et absolue qu’elle se gonfle de sortes d’accroissements constitués par un corps astral (in quaedam sideri corporis incrementa turgescit). En effet, dans chacune des sphères qui se situent sous le ciel, elle se revêt d’une enveloppe éthérée, afin que, grâce à ces enveloppes, elle puisse graduellement être unie à ce vêtement d’argile et vivre avec lui, et ainsi, mourant d’autant de morts qu’elle traverse de sphères, elle parvient à cet état qu’on appelle la vie sur terre (i, 11, 11-12).

Les platoniciens en question, et notamment les néoplatoniciens (Numénius, Plotin, Porphyre)11, divisent, comme le fait Platon dans le Timée, le 8   Il s’agit, suivant les néoplatoniciens, du véhicule (ókhema) de l’âme. Sur le sujet, voir E.R. Dodds, «  The astral body in Neoplatonism  », dans Proclus, The Elements of theology, a revised text with translation, introduction, and commentary by E.R. Dodds, (21963, 313-321). 9  Dans ce groupe, on peut retrouver Numénius, Plotin, Porphyre, notamment. Voir Flamant (1977), p. 544-546. 10   Sur l’inclination de l’âme pour le corps, voir la Sentence 28 et le commentaire par Marie-Odile Goulet-Cazé, dans Porphyre, Sentences, études d’introduction, texte grec et traduction française, commentaire, avec une traduction anglaise de J. Dillon, par l’UPR 76, sous la direction de Luc Brisson, Paris, Vrin, 2005, 2 vol. 11   Sur les parallèles entre le Songe de Scipion et ce qu’ont écrit Numénius et Porphyre, voir Gersh (1986) ii 590-595.



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ciel en deux parties  : la sphère des fixes, et les sept autres sphères, celles des planètes. Le point de départ des âmes se situe dans la sphère des fixes (i, 11, 10), où l’âme n’est associée à aucun corps. Quittant des yeux le spectacle de ce qui l’entoure, elle est prise d’un désir de corps et de vie terrestre. Ce désir est provoqué par l’ivresse qu’entraîne l’afflux de matière inférieure, associée à l’oubli (i, 12, 7-8). Pour Macrobe en effet, il y a deux sortes de matière  : Or c’est cette matière qui, marquée par l’empreinte des idées, a formé tout le corps du monde que nous voyons partout. Mais la partie la plus haute, la plus pure de cette matière, celle dont les êtres divins se nourrissent ou sont constitués est appelée nectar et passe pour être la boisson des dieux  ; quant à la partie inférieure, plus troublée, c’est la boisson des âmes, et c’est cela que les anciens ont appelé le fleuve Léthè (Oubli)12 (i, 12, 11).

On notera d’abord que le nom de la matière est húle et non khóra, comme dans le passage du Timée (52d-53a) évoqué. Pour Platon, il n’y a de khóra que dans le sensible, alors que les néoplatoniciens admettent le vocable húle pour la matière et estiment qu’il y a deux sortes de matière, la matière intelligible et la matière sensible, comme le fait Plotin dans le traité 12 (ii, 4)  : Sur les deux matières. Mais on ne trouve, ni chez Platon ni chez aucun autre platonicien, l’idée suivant laquelle la matière intelligible est le breuvage des dieux, alors que la matière sensible est celle des âmes humaines. Pour Platon, la boisson des dieux, le nectar13, c’est l’intelligible (Phèdre 247c), alors que celle des âmes humaines est d’abord l’opinion (Phèdre 248b). L’ivresse dans laquelle la plonge la matière, fait que, au cours de sa descente, l’âme oublie ce qu’elle a vu des choses divines dans le ciel. Tout compte fait, on se trouve devant une lecture allégorique, d’un type nouveau, du mythe central du Phèdre de Platon14. L’allusion à cette boisson qu’est la matière qui enivre l’âme humaine, évoque tout naturellement Dionysos, la divinité tutélaire du vin, qui se trouve être le dernier roi dans la théogonie orphique, et que cherche à 12   Les eaux de ce fleuve mythique sont associées à la matière inférieure. Dans la tradition poétique (Hésiode, Théogonie 227 sq.), les âmes buvaient des eaux de ce fleuve pour oublier leur vie terrestre. Chez Platon en revanche (Rép. x 65a), les âmes boivent des eaux de ce fleuve avant de se réincarner dans un nouveau corps, pour oublier ce qu’elles ont vu auparavant. 13   Le nectar est la boisson des dieux (Banquet 203b5) associé à l’ambroisie, nourriture qui assure l’immortalité (Phèdre 247e6). 14   Pour une description de ce type d’interprétation allégorique, voir Luc Brisson, les chap. 5 et 6 de Introduction à la philosophie du mythe i, Paris, Vrin, 20052, 79-152.

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détruire les Titans. Poursuivant le fil de son exégèse allégorique, Macrobe assimile Dionysos au noûs hulikós  : Les Orphiques supposent que Liber Pater lui-même symbolise le noûs hulikós qui, né de l’indivisible, se divise à son tour en individus. C’est pourquoi dans leurs mystères la tradition veut que Liber, mis en pièces par la fureur des Titans, ses morceaux ensevelis, ait ressuscité un et Entier  ; c’est que le noûs (que l’on traduit par mens, nous l’avons dit)15, en s’offrant à la division à partir de l’indivisible, accomplit ses devoirs cosmiques sans manquer aux mystères de sa propre nature (i 12, 12).

Suivant le récit orphique, c’est à un Dionysos encore enfant, le fils qu’il a donné à sa fille, Korè, que Zeus transmet soudainement le pouvoir. Mais les Titans, qui ont été réintégrés dans le nouvel ordre des choses institué par Zeus, sont jaloux de Dionysos, et complotent contre lui. Avec des jouets, ils l’attirent dans un piège. Puis ils le tuent, découpent en morceaux le corps du jeune dieu qu’ils mangent après les avoir préparés selon une cuisine qui inverse celle du sacrifice traditionnel  : en effet, les morceaux sont bouillis avant d’être rôtis16. Mais Athéna réussit à sauver le cœur, et elle l’apporte à Zeus, afin que celui-ci puisse régénérer Dionysos. Les Titans sont frappés par la foudre de Zeus. Et puisque Dionysos reçoit les noms des autres dieux, tout peut recommencer. L’expression noûs hulikós se retrouve chez les commentateurs d’Aristote pour désigner l’intellect de niveau inférieur17. Mais, pour Macrobe, c’est aux aventures de l’intellect de l’âme humaine que fait référence la passion de Dionysos18 (i 12, 14). Cet intellect, qui est un au point de départ, se diffracte en descendant.   Commentaire au Songe de Scipion, i 6, 8, 20.   Marcel Detienne, «  Dionysos et le bouilli rôti  », chap. 4  : de Dionysos mis à mort, Paris, Gallimard, 1977, 167-217. 17   «  L’intellect, selon Aristote, est triple. En effet, le premier est un intellect matériel. Je le qualifie de “ matériel”, non pas parce qu’il est un substrat au même titre que la matière (car la matière est selon moi un substrat qui, par la présence d’une forme, peut devenir un être individuel), mais, parce que, étant donné que la matière tient sa quiddité de sa capacité à toutes choses, ce en quoi se trouvent cette capacité et cet être en puissance est, dans la mesure où il est de cette nature, matériel. Plus précisément, l’intellect qui ne pense pas encore, mais qui peut devenir pensant, est matériel, c’est-àdire qu’une telle puissance de l’âme est l’intellect matériel  : il n’est en acte aucun des êtres, mais il peut devenir tous les êtres, s’il est vrai que tous les êtres peuvent être pensés  » (Alexandre d’Aphrodise, Mantissa 106, 19-28)… Il s’agit en fait de l’intellect patient  : cet intellect, qui est matériel, se trouve donc en tous les êtres qui ont en partage une âme parfaite, c’est-à-dire les hommes  » (Mantissa 107. 19-20, traduction inédite par R. Dufour). Voir aussi Simplicius, In de Anim. 247, 31). 18   Sur le sujet, voir Luc Brisson, «  Le corps “dionysiaque”. L’anthropogonie décrite dans le Commentaire sur le Phédon de Platon (1, par. 3-6) attribué à Olympiodore est-elle 15 16



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La descente La descente de l’âme humaine, ou plutôt de son intellect, se fait dans la sphères des étoiles fixes et dans les sept sphères des planètes, à partir de la Voie Lactée, interprétée allégoriquement19. Proclus, tout comme Macrobe, fait remarquer que le lait est le premier aliment du nouveau-né. Pour Porphyre en revanche, c’est parce que les âmes tombées dans la génération commencent par se nourrir de lait qu’elles proviennent de la Voie Lactée20. Or, chaque fois qu’elle croise la sphère d’une planète, l’âme se revêt d’une enveloppe ou d’une tunique d’éther (i 11, 12)21. Il s’agit à chaque fois d’une mort, comme l’indique Macrobe  : En effet les disciples de Pythagore d’abord, puis ceux de Platon, ont déclaré qu’il existait deux morts, celle de l’âme et celle de l’être animé, professant que l’être animé meurt lorsque l’âme sort du corps, mais que l’âme elle, meurt lorsqu’elle quitte la source une et indivisible de la nature pour se diffuser dans les parties du corps (i, 11, 1)22.

La conviction suivant laquelle Socrate d’abord, puis Platon furent les disciples de Pythagore se trouve chez Numénius (fragment 24). Voici comment est décrite cette descente à travers les sphères des planètes  : 13.  Donc l’âme que cette première surcharge (primo pondere)23 a fait descendre du zodiaque24 et de la Voie lactée jusqu’aux sphères inférieures, non orphique  ?  », «  Chercheurs de sagesse  ». Hommage à Jean Pépin, éd. M.‑O. Goulet-Cazé, D. O’Brien et G. Madec, Collection des Études Augustinienne. Série Antiquité-131, Paris (Institut d’Études Augustiniennes) 1992, p. 481-499. Repris dans Orphée et l’Orphisme dans l’Antiquité gréco-romaine, Aldershot (Variorum) 1995. Il s’agit de la traduction, de l’analyse et du commentaire d’un passage du Commentaire sur le Phédon (1, par. 3-6) par Olympiodore, unique témoignage explicite concernant la teneur d’une anthropogonie orphique. 19   Sur ce point, Macrobe (i 12, 3) reconnaît qu’il s’inspire ici de L’antre des Nymphes (§ 1-2) de Porphyre. 20  L’idée suivant laquelle le lait est la nourriture des nouveaux-nés, auxquels sont assimilées les âmes qui commencent leur descente, se retrouve chez Proclus (In Remp. ii 130, 2). Suivant un autre point de vue, qui aurait été celui de Pythagore selon Porphyre (L’antre des Nymphes, § 28), c’est parce que les âmes tombées dans la génération commencent par se nourrir de lait. 21   Cette notion de véhicule de l’âme, associée aux corps célestes, prend sa source dans le Timée (41d) de Platon. On notera que l’éther est une «  invention  » d’Aristote. 22   Sur l’incorporation comme mort, voir la Sentence 9. Dans son commentaire de cette Sentence, Goulven Madec fait référence à deux passages du Commentaire sur le Songe de Scipion (i, 13, 5 et i, 11, 1-2). 23  C’est le poids de sa représentation terrestre (pondere ipso terrenae cogitationis), voir ibid., i, 11, 11 cité plus haut. 24   Sur le lieu de l’entrée de l’âme dans le monde, voir aussi Porphyre, Sur la manière dont l’embryon reçoit l’âme 16, 5, avec le commentaire (Paris, Vrin, 2012), et L’antre des

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seulement, nous l’avons déjà dit, gagne au cours de leur traversée une enveloppe dans chaque sphère au contact du corps lumineux25, mais de surcroît développe chacune des facultés qu’elle devra mettre en œuvre par la suite  : 14. dans la sphère de Saturne, le raisonnement et l’intelligence, appelés logistikón et theoretikón  ; dans celle de Jupiter, l’énergie d’agir, nommée praktikón  ; dans celle de Mars, l’ardeur du courage, appelée thumikón  ; dans celle du Soleil, la faculté de percevoir et de se représenter, dites aisthetikón et phantastikón  ; le mouvement du désir, nommé epithumetikón, dans la sphère de Vénus  ; celui qui pousse l’âme à énoncer et à interpréter ce qu’elle ressent, appelé hermeneutikón, dans la sphère de Mercure  ; quant au phutikón, la faculté d’engendrer et de faire croître les corps, elle l’acquiert en pénétrant dans la sphère lunaire. 15. Cette dernière faculté est à la fois la plus éloignée du divin et la première de toutes nos facultés terrestres. Car le corps est à la fois la lie des choses divines et la première substance animale (i, 12, 13-15).

L’ordre des planètes retenu par Macrobe (voir i, 19, 1-20) est celui que propose Cicéron. En ce qui concerne les activités acquises par l’âme au cours de sa descente, on peut remarquer la superposition des divisions de l’âme suivant Platon (Rép. iv 436a sq.  ; ix 580d sq., etc.)  : logistikón et theoretikón , thumikón (voir I, 6, 42) et epithumetikón, et suivant Aristote (De anim. ii, 2, 413b, voir i, 14, 7) logistikón, aisthetikón et phutikón26. Pour arriver au nombre 7, Macrobe ajoute praktikón et hermeneutikón, afin de tenir compte de Saturne et d’Hermès. Proclus donne en In Tim. iii, 69, 14-2327 et en 355, 13-17 une description similaire à celle de Porphyre, mais en citant les planètes dans un autre ordre. Le retour de l’âme vers son lieu d’origine Comme l’âme est immortelle, elle revient nécessairement à son point de départ, mais plus ou moins rapidement suivant la qualité de son existence antérieure28. Car toute âme revient nécessairement à son séjour originel  ; mais celles qui habitent le corps en étrangères retournent rapidement, une fois sorties du Nymphes § 29 et 33. Pour de plus amples renseignements, voir M. Zambon, Porphyre et le Moyen Platonisme, Paris, Vrin, 202, p. 271-272. 25   Il s’agit des corps célestes, voir i, 11, 12, cité plus haut. 26  Plotin, Enn. iii, 4, 2-3, traité 15. 27   Voir la note de Festugière à ce passage  ; voir aussi A.‑J. Festugière, La révélation d’Hermès Trismégiste, Paris, 1944-1954, vol. 1 p. 89-101  ; on se reportera à la nouvelle édition, Paris, Les Belles Lettres, 2015. 28   La pureté d’une âme dépend de sa pratique des vertus, telles que définit par Plotin dans le traité 19 (Enn. i 2) Sur les vertus, et dans la Sentence 32 de Porphyre qui systématise l’exposé de Plotin.



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corps, vers ce qui est en quelque sorte leur patrie, tandis que celles qui sont attachées aux attraits du corps qu’elles considèrent comme leur demeure propre reviennent d’autant plus tardivement aux régions supérieures que la séparation est plus rude (ii, 17, 14).

On retrouve là le thème du De regressu animae de Porphyre, dont Augustin cite de larges extraits dans La cité de Dieu29. La patrie que regagnent ces âmes est leur point de départ, le ciel dans sa partie la plus haute  ; on notera qu’il s’agit là d’un thème important pour les Oracles chaldaïques dont s’inspirait probablement Porphyre. Les âmes «  qui habitent les corps en étrangères  », ce sont les âmes qui se vouent à la contemplation des idées (voir ii, 17, 6 et i, 13 10). En revanche, les âmes qui sont attachées aux attraits du corps ont plus de difficulté à s’échapper du monde des corps  : Mais même après la mort il ne lui est pas facile d’abandonner le corps, parce que «   les contagions corporelles ne cessent pas complètement  » (Virgile, Aen. VI, 736-737)  ; ou bien elle continue à errer autour de son cadavre, ou bien elle cherche à se loger dans un nouveau corps, corps d’homme, voire même d’animal, choisissant une espèce dont les mœurs s’accordent avec celles qui avaient sa prédilection lorsqu’elle était une âme humaine, et elle préfère tout endurer pour échapper au ciel dont, par ignorance, par oubli volontaire, ou plutôt par trahison, elle s’est détournée (i, 9, 5). Ces lignes font référence à un passage célèbre du Phédon, qui met en scène Socrate et Cébès  : S. – Au contraire, ce sera sans aucun doute une âme complètement pénétrée par l’action de ce qui a forme corporelle, forme que la familiarité et l’association avec le corps lui aurait rendu connaturelle, du fait que toujours elle est associée au corps et ne cesse de s’en occuper. C. – À coup sûr. S. – Eh bien, il faut croire que cela pèse, ami, que c’est lourd, terreux, qu’on en a plein la vue  ! Quand c’est là son contenu, une âme de ce genre est tout alourdie, elle est tirée en arrière vers le lieu visible par peur de l’Invisible, de l’Hadès, comme on dit. Elle traîne à l’entour des tombeaux, des sépultures, tous endroits où, en vérité, on voit je ne sais quelles apparitions, ombres portées d’âmes, simulacres produits par des âmes délivrées alors qu’elles n’étaient pas pures mais participaient du visible – voilà d’ailleurs pourquoi on les voit. C. – En tout cas, c’est vraisemblable, Socrate  ! 29   Il n’en reste que des fragments (fr. 283-302) publiés par Andrew Smith, dans Porphyrius, Fragmenta, Stuttgart et Leipzig, Teubner, 1998.

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S. – Vraisemblable à coup sûr, Cébès  ! Mais ce qui ne l’est pas du tout, c’est que ces âmes soient celles d’hommes qui valent quelque chose  ; non, ce sont les âmes d’hommes sans valeur qui sont forcées d’errer autour de pareils objets, subissant ainsi le châtiment de leur manière de vivre passée, qui était mauvaise. Et elles continuent d’errer jusqu’au moment où, habitée par cet appétit qu’elles ont de leur compagnon — celui qui a forme corporelle —, elles reviennent de nouveau s’enchaîner à un corps. Et, comme on pouvait s’y attendre, elles s’enchaînent à des corps dont le comportement est identique en tous points aux occupations qu’elles ont pu avoir leur vie durant. C. – De quoi veux-tu parler au juste, Socrate  ? S. – Par exemple  : ceux qui n’ont jamais rien fait d’autre que bâfrer, forniquer, se soûler, qui ne se sont jamais retenus, ceux-là viennent vraisemblablement plonger dans des corps appartenant à l’espèce des ânes ou de bestiaux de ce genre. Tu ne crois pas  ? C. – C’est on ne peut plus probable  ! S. – Pour ceux qui préfèrent à tout l’injustice, la tyrannie, le rapt, il s’agirait plutôt de loups, de faucons, de milans  ? Vers quelles autres espèces pourraient, d’après nous, aller des âmes de cette sorte  ? C. – Ne te fatigue pas, Socrate, dit Cébès  : vers celles-là. S. – Donc, dit-il, c’est évident aussi dans tous les autres cas  : chaque espèce d’âme verra son lieu de destination déterminé par similitude avec son occupation ordinaire  ? C. – Évidemment, dit-il. Impossible de le nier. S. – Mais, reprit Socrate, même si on ne considère que ces gens-là, les plus heureux, ceux qui s’achemineront vers le lieu de destination le meilleur, ne sont-ils pas ceux qui auront cultivé la vertu publique et sociale, celle qu’on appelle modération et aussi bien justice, vertu qui naît de l’habitude et de l’exercice sans que la philosophie et l’intelligence y aient part  ? C. – En quel sens ces gens-là peuvent-ils bien être les plus heureux  ? S. – Parce qu’ils ont toutes les chances de se réintroduire dans une espèce animale qui soit sociable et de mœurs douces  : abeilles, si tu veux, ou guêpes ou fourmis  ; ils peuvent même, sans changement, réintégrer l’espèce humaine, et de ce retour naîtront des gens bien comme il faut (Phédon 81c82b trad. M. Dixsaut).

Il est difficile de savoir si Macrobe croyait à la métensomatose, à la migration d’une âme vers un corps animal, mais pour Platon c’était le cas. Plotin va dans ce sens, même si Porphyre semble plus réservé30. 30   Sur le sujet, voir Werner Deuse, Untersuchungen zur mittelpltonischen und neuplatonischen Seelenlehre, Mainz, Akademie der Wissenschaften und der Literatur W ­ iesbaden,



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Quoi qu’il en soit, le retour de l’âme vers son lieu d’origine intéresse la partie supérieure de l’âme, et semble s’adresser à l’ensemble des êtres humains, et pas seulement aux philosophes et aux initiés. Les parallèles Le parallèle le plus frappant en ce qui concerne la descente de l’âme reste la Sentence 29 de Porphyre  : C’est en effet selon qu’elle est disposée qu’elle trouve un corps défini par le rang et les lieux qui lui sont propres  : ainsi, quand sa condition est suffisamment pure, lui est connaturel le corps proche de l’immatériel, précisément le corps éthéré  ; quand, de la raison, elle s’est avancée pour produire la représentation, lui est connaturel le corps solaire  ; quand elle s’est féminisée et se prend de passion pour la forme sensible, est à ses côtés le corps lunaire  ; mais quand elle est tombée dans les corps – alors, eu égard à l’informité de l’âme, la forme s’arrête  ! – les corps, dis-je, constitués d’exhalaisons humides, il s’ensuit pour elle l’ignorance parfaite de l’être, l’obscurcissement, l’infantilisme. Davantage, dans sa sortie également, comme elle a son souffle encore pollué par l’exhalaison humide, l’âme traîne une ombre et est alourdie, parce que le souffle qui est dans cet état se hâte par nature de pénétrer au creux de la terre, à moins qu’une autre cause ne le tire en sens contraire. De même donc qu’enveloppée de l’huître terreuse, l’âme doit nécessairement avoir ses attaches sur terre, de même aussi, quand elle traîne un souffle humide, lui est-il nécessaire d’être enveloppée d’un reflet  ; or elle traîne de l’humide quand sans désemparer elle s’applique à avoir commerce avec la nature dont l’oeuvre s’accomplit dans l’humide, et surtout l’œuvre souterraine. Mais quand elle s’applique à rompre avec cette nature, elle devient une «  lumière sèche  », sans ombre et sans nuage  ; car, si l’humidité, dans l’air, constitue le nuage, la sécheresse, loin de la vapeur, fait exister la lumière sèche.

Il existe plusieurs points de similitude entre la description de Macrobe et cette sentence qu’a commentée Jean Pépin31. Au point de départ de sa descente, l’âme, «  quand sa condition est suffisamment pure, lui est connaturel le corps proche de l’immatériel, précisément le corps éthéré  » (lignes 24-25). L’éther est ce corps subtil dans lequel se meuvent les corps célestes. La descente de l’âme s’explique par «  sa passion pour le corps  » (lignes 9-10). Elle rassemble un souffle (pneûma) à partir des F. Steiner, cop. 1983, 129-166. Andrew Smith adopte une position très mitigée dans «  Did Porphyry reject the transmigration of human souls into animals  ?  », Rheinisches Museum für Philologie, NF 127, 1984, 276-284. 31   Voir Porphyre, Sentences, supra, n. 10.

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sphères qu’elle traverse (lignes 8-9). La description de Porphyre est beaucoup plus succincte que celle que propose Macrobe. Seuls sont mentionnés le Soleil et la Lune comme lieux de halte au cours de ce voyage  : «  quand, de la raison, elle s’est avancée pour projeter l’imagination, lui est connaturel le corps solaire  ; quand elle s’est féminisée et se prend de passion pour la forme sensible, est à ses côtés le corps lunaire  ». Et le terme de son voyage est le corps  : «  mais quand elle est tombée dans les corps – alors, eu égard à l’informité de l’âme, la forme s’arrête  ! – les corps, dis-je, constitués d’exhalaisons humides  » (lignes 25-31). On remarquera que, tout comme chez Macrobe, le Soleil est associé à la représentation. De façon similaire, la Lune se trouve du côté de la passion pour les corps, associée à l’engendrement. Lorsque l’âme est tombée dans un corps terrestre «  il s’ensuit pour elle l’ignorance parfaite de l’être, l’obscurcissement, l’infantilisme  » (lignes 28-29), une périphrase pour évoquer l’oubli de ses contemplations antérieures. En revanche, elle peut faire retour vers son lieu de départ lumineux  : «  mais quand elle s’applique à rompre avec cette nature, elle devient une «  lumière sèche  », sans ombre et sans nuage  ; car, si l’humidité, dans l’air, constitue le nuage, la sécheresse, loin de la vapeur, fait exister la lumière sèche  » (lignes 40-43). Et même s’il ne fait pas mention du séjour de l’âme chez Hadès, Macrobe s’inscrit dans le contexte eschatologique néoplatonicien, sans qu’il soit possible de citer tel ou tel nom avec précision. Dans la Sentence 29, Porphyre commente le traité de Plotin, Sur la descente de l’âme dans les corps, traité 6 (iv, 8). Mais le passage où Plotin, dans son traité Sur le démon qui nous a reçu en partage, commente le choix de son démon par l’âme dans le mythe d’Er, donne une description plus concrète de cette descente  : Les unes, parmi elles, vont dans le monde sensible, les autres hors de lui32. Celles qui vont dans le monde sensible vont, les unes [20] dans le soleil ou dans un des autres astres errants, les autres dans la sphère des fixes, chacune en fonction du degré auquel son activité s’est ici-bas réglée sur la raison. Il faut penser en effet que dans notre âme il y a un monde, et pas seulement un monde intelligible33 mais aussi une disposition de même forme que celle de l’âme du monde. Et donc, tout comme cette âme se distribue dans la sphère des fixes et dans les astres errants selon [25] ses différentes 32   Phédon 80e-82 (cité plus haut), où Socrate distingue aussi deux cas principaux  : les âmes pures qui pendant leur vie se sont avec succès exercées à «  mourir  » et qui échappent à la réincarnation, et les autres qui se réincarnent dans une espèce correspondant à leurs occupations prépondérantes. 33   Voir dans ce traité 15 (iii, 4), chap. 3, l. 22.



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p­ uissances34, les puissances qui sont en nous sont elles aussi de même forme que ces puissances, et de chacune d’elles procède une activité différente35. Et, une fois libérées, nos âmes parviennent, là-bas, dans l’astre qui correspond au caractère et à la puissance qui étaient les leurs quand elles étaient actives et vivantes. Et, de la sorte, l’âme aura pour dieu36 et pour démon soit cet astre lui-même soit celui qui a une puissance [30] plus élevée. Mais cela demande à être examiné de plus près. Quant aux âmes qui sont parvenues à l’extérieur, elles se sont élevées au-dessus de la nature démonique37, au-dessus du destin qui voue à la génération38, et, plus largement, au-dessus de ce qui est dans ce monde, le monde visible. Aussi longtemps qu’elles restent là-bas, l’essence qui en elles aspire à la génération est emportée avec l’âme, cette essence qu’on pourrait désigner [35] à bon droit comme “l’essence divisible qui advient dans les corps”39, en se multipliant et en se divisant elle-même dans les corps. Elle40 ne se divise pas selon la grandeur, 34   Pour plus de précision sur ce point, voir le traité 14, (ii, 2), 3, 4 et la note 36 de R. Dufour (Plotin, Traités 7-21, Paris, Flammarion, 2003). 35   Celles qui sont en notre âme. 36   Sur la divinité des astres chez Plotin, voir J. Laurent, «  La prière selon Plotin  », Plotin, Ekeî, entaûta, textes rassemblés par D. Montet, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, numéro spécial de Kairos 15, 199, p. 101, qui cite notamment le traité 50 (iii, 5), 6  : les planètes jusqu’à la lune sont des dieux, les dieux visibles. 37   Sur cette expression, voir le traité 28 (iv, 4), 45, 16-17 – où il est question des êtres qui sont voisins de nos âmes dans «  le lieu démonique  » (en tôi daimoníoi tópoi, l. 17). Dans ces emplois, «  démonique  » ne renvoie pas au démon qui nous a reçus en partage, mais, dans un sens beaucoup moins déterminé, à ce qui est simplement d’un statut ontologique inférieur à celui du divin, c’est-à-dire inférieur à l’Intellect. Deux sens du «  démon  » et du «  démonique  » sont en effet à l’œuvre dans le texte de Plotin  : l’un, issu de la définition du Banquet (202d-e), selon lequel le démonique est intermédiaire entre le sensible et le divin, l’autre, qui remonte à Hésiode, et selon lequel les démons sont, dans l’échelle des êtres, des êtres qui sont inférieurs aux dieux. 38   Nous essayons d’expliciter ainsi l’expression plus concise  : «  le destin de la génération  ». On peut comprendre celle-ci de deux façons différentes  : la génération dont il est question peut être la naissance par laquelle l’âme se réincarne dans un nouveau corps, la naissance d’un nouveau vivant qui est une nouvelle incarnation. Le destin de la génération serait alors en quelque sorte le cycle des réincarnations. On peut comprendre également qu’il s’agit de la génération comme activité du vivant, activité de reproduction par laquelle il engendre de nouveaux vivants  ; c’est alors pour chaque âme l’activité propre à sa puissance générative (sur ce point, voir le premier chapitre du traité). Ces deux interprétations, du reste, ne sont pas incompatibles, car l’âme qui se réincarne est à nouveau soumise à la tentation d’engendrer, tandis que, inversement, l’âme qui se livre à l’activité de sa puissance générative ne pourra échapper à la réincarnation et parvenir là-haut. Parvenue là-haut, l’âme est libérée de «  l’œuvre de génération  » qui la fait choir et se réincarner, ou libérée de la réincarnation qui la soumet à nouveau à la tentation de générer. 39   Timée 35a. Sur la question de savoir si l’âme se divise dans les corps qu’elle anime, voir l’ensemble des traités 4 (iv, 2), 8 (iv, 9), 21 (iv, 1), et 27 (iv, 3), 19  : Plotin interprète toujours ce passage du Timée en montrant en quel sens l’âme est divisible et en quel sens, en même temps, elle ne l’est pas. 40   Commence ici un excursus sur l’essence divisible, qui interrompt le développement précédent et qui s’achève à la fin du paragraphe. On peut relier cet excursus au mythe de la «  passion  » de Dionysos par les Titans, évoquée plus haut.

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toutefois, car elle reste la même chose, tout entière dans tous les corps, encore et encore une. Et si d’un seul animal il en vient toujours plusieurs, c’est que l’âme est toujours en train de se diviser de cette manière, et il en va de même dans le cas des plantes, [40] car cette essence est “divisible dans les corps”. Et tantôt elle donne la vie en demeurant dans le même corps, comme dans le cas des plantes, tantôt elle se retire et la donne avant de se retirer, comme dans le cas des plantes arrachées ou des animaux morts, quand plusieurs animaux sont engendrés à partir de la putréfaction d’un seul. Et l’âme de l’univers elle aussi concourt à cette activité, [45] car la puissance de ce type qu’elle a ici est la même. Et si l’âme revient ici, elle aura le même démon ou un autre, en fonction de la vie qu’elle adoptera. Accompagnée de ce démon, elle s’embarque donc d’abord sur cet univers comme sur un navire41. Ensuite, la nature dite “du fuseau”42 [50] l’accueille et l’affecte, comme sur un bateau, à une place déterminée d’où dépendra son sort. Et la voûte du ciel la faisant tourner43 – comme le vent qui entraîne celui qui est assis sur le navire ou qui se déplace dessus –, il se produit des spectacles, des péripéties et des événements multiples et variés44  ; et, comme sur un navire encore, ceux-ci se produisent soit à cause du mouvement du navire, soit parce que, de [55] lui-même, le “passager” se déplace d’un élan45 propre qu’il a en étant sur le navire à sa façon à lui46. En effet, dans des circonstances identiques, tout le monde ne se meut pas de la même façon, n’a pas les mêmes souhaits et n’agit pas de la même manière. Il arrive donc des choses différentes à des hommes différents, que les circonstances   Passage à rapprocher, peut-être, du mythe final du Phédon (113d5), qui évoque des barques (okhématá) destinées à transporter certains morts vers l’Achéron, des passages du Politique (272e-273e) et du Critias (109c) où c’est le dieu qui est comparé à un pilote et le monde à un navire ou encore, dans un tout autre contexte, du passage du traité De l’âme (413a8-9) où Aristote introduit (de façon interrogative) l’analogie âme-corps / pilote-navire  : «  Cependant, on ne voit pas encore si l’âme est réalisation du corps, en ayant avec lui la relation du navigateur à son navire  » (trad. R. Bodéüs). Plotin discute cette conception et en marque les limites dans les traités 27 (iv, 3), 21 et 53 (i, 1), 3. 42   République x 616c4 et 620e1-4  : «  Ce démon conduisit l’âme d’abord auprès de Clotho, en la plaçant sous sa main alors qu’elle faisait tourner le fuseau engagé dans sa rotation, afin de sceller le destin que chacune avait choisi tout en l’ayant tiré au sort  » (trad. G. Leroux). 43   Sur la cause du mouvement circulaire du corps de l’univers, voir le traité 14 (ii, 2) et, en particulier, le chap. 3. Plotin y explique que cette rotation n’est pas, en son principe, un mouvement local. 44   La comparaison avec le traité 47 (iii, 2), 15, 46 montre que les termes metathéseis («  péripéties  ») et sumptómata («  événements  ») relèvent ici du vocabulaire du théâtre. C’est pourquoi nous traduisons metáthesis comme un synonyme de peripéteia (dont on ne trouve aucune occurrence chez Plotin)  ; l’on pourrait aussi comprendre, en restant dans le même registre, que metathéseis désigne les changements de décor sur une scène, qui est ici celle du monde. 45   Sur le terme d’élan, ou de «  tendance  » (hormé), voir, la note 7 à la traduction du traité 3 (iii, 1), 1, 19, collection GF 1155. 46   Nous recourons aux guillemets pour montrer que le «  passager  » désigne à la fois ici le passager du navire et l’âme qui lui est comparée dans tout ce passage. 41



LA DESCENTE ET LA REMONTÉE DE L’AME HUMAINE CHEZ MACROBE153

soient semblables ou différentes  ; ou bien, pour d’autres47, il leur arrivera les mêmes choses, même si les circonstances sont différentes. [60] C’est en cela, en effet, que consiste le destin48 [Traité 15 (iii, 4) 6, 19-61]49.

Plotin évoque très rapidement la descente de l’âme à travers les sphères. Il ne donne aucun détail, comme le fait Porphyre. Mais on apprend que la nature du démon de chaque âme dépend de sa descente à travers les sphères. En descendant l’âme se divise, même si ce n’est pas comme dans les corps. Cette division est évoquée à partir d’un membre de phrase décrivant la fabrication de l’âme du monde, et elle correspond à l’interprétation qui sera menée plus tard sur le démembrement de Dionysos par les Titans. On remarquera enfin que le texte de référence de Plotin est le mythe d’Er. L’exposé de Macrobe sur la descente de l’âme et le retour dans sa patrie s’enracine dans une tradition platonicienne qui remonte au mythe d’Er raconté à la fin du dixième livre de la République, lequel fut réutilisé par Cicéron dans le livre vi de sa République. Macrobe recherche sous le sens apparent du mythe un sens plus profond, qui le conduit à certaines extensions originales. Cette exégèse allégorique prend pour acquis la conviction que, comme l’explique Numénius, Socrate et Platon sont des disciples de Pythagore, et qu’elle s’inspire d’une interprétation du Platonisme qui remonte à Plotin, que l’on accusait d’avoir plagié Numénius, et surtout à Porphyre, non sans en modifier certains aspects pour les accorder au contexte historique d’alors. Avec Marius Victorinus et Augustin, Macrobe fit connaître Platon et ses interprètes au monde latin. On se trouve alors dans un cadre néoplatonicien, dont il est difficile d’identifier les passeurs dans le monde latin, mais qui imprègnera profondément la pensée de nombre d’intellectuels latins aux ve et vie siècles, Boèce et Cassiodore notamment qui citent Macrobe. Au Moyen Âge, Macrobe est utilisé par les platoniciens de l’École de Chartres, par Jean Scot Érigène, par Pierre Abélard et par Thomas d‘Aquin. Célébré à la Renaissance, son influence disparaîtra avec les Lumières.   À savoir ceux qui ont la même façon de se comporter.   Dans le traité 3 (iii, 1), Plotin développe une critique des théories «  nécessitaristes  » du destin  ; ici, en revanche, le destin renvoie à la providence, à l’ordre que présente le monde du fait qu’il procède de principes plus hauts, et non à une nécessité qui frapperait d’illusion les choix humains qu’il vient d’évoquer. Grâce à la providence – qui est donc aussi justice – les mêmes circonstances, seulement, tournent différemment (plus ou moins bien) pour des individus qui n’ont pas la même qualité morale [sur ce point, voir le traité 28 (iv, 4), 45, 18-26]. 49   La traduction et les notes sont celles de Matthieu Guyot (Plotin, Traités 1-6, Paris, Flammarion 2002). 47 48

LE «  LIEU  » DU VRAI BONHEUR DANS LA CONSOLATIO DE BOÈCE Sophie Van der Meeren (Université Rennes 2)

Nihil igitur dubium est quin hae ad beatitudinem uiae deuia quaedam sint nec perducere quemquam eo ualeant ad quod se perducturas esse promittunt. Nul doute donc que ces prétendues voies vers le bonheur s’en écartent et qu’elles ne peuvent mener personne là où elles promettent de mener1.

Le lieu du bonheur  : position du problème et présupposés théoriques

C’est par cette phrase, où se fait entendre une paronomase doublée d’un oxymore, uiae deuia, que s’ouvre la prose 8 du livre iii de la Consolation de Boèce. Cette prose clôt le passage en revue des biens de la Fortune et de «  l’aspect du bonheur humain  » (forma felicitatis humanae2) qui occupe une grande partie du livre iii3. À la fin de ce développement, Philosophie conclut que de tels biens ne sauraient conduire au bonheur véritable. Dans les deux premiers vers du poème qui suit la prose 8 est exprimée la même idée  : Hélas  ! quelle ignorance détourne du droit chemin les malheureux égarés (miseros deuios)4  !

1  Boèce, Consolation, iii 8, 1. La traduction de tous les passages de la Consolation figurant en cet article est empruntée (parfois avec de légères modifications) à É. Vanpeteghem, Boèce, La Consolation de Philosophie, Paris, 2008. D’autre part, dans ce prosimètre qu’est la Consolation, «  iii, 8  », par exemple, indique la prose 8 du livre iii, tandis que «  iii m 8  » indique le poème 8 du livre iii. 2   L’expression se trouve en Cons., iii, 2, 12. Cf. iii, 9, 24  ; iii, 10, 1  ; iii, 12, 37 (cité infra note 69), etc. 3   Cons., iii, 2 à iii m 8. 4   Cons., iii m 8, v. 1-2.

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Et les vers 15-16 du poème font écho à la promesse du bonheur, teintée d’illusions, évoquée dans la prose précédente  : Mais où se cache donc le bien (quonam lateat) qu’ils désirent, ils acceptent, aveugles, de l’ignorer5.

Par ces mots, Philosophie met en relief un paradoxe de la condition humaine  : on désire le vrai bien et le bonheur, mais on ne les cherche pas comme il le faudrait. Cette conception foncièrement téléologique de l’existence, qui fait du bonheur le terme ultime du chemin de la vie humaine, est un point cardinal de la plupart des systèmes philosophiques de l’Antiquité, comme en témoigne le début du De uita beata de Sénèque  : Vivre heureux, mon frère Gallion, tout le monde le désire  ; mais pour découvrir en quoi consiste ce qui rend la vie heureuse, personne n’y voit clair  ; et il est si peu facile de parvenir au bonheur (consequi beatam uitam) que chacun s’en éloigne d’autant plus qu’il s’y précipite avec plus d’ardeur, pour peu qu’il s’écarte de la bonne voie (si uia lapsus est)6.

De fait, les discours de Philosophie dans la Consolation reflètent la double perspective téléologique et eudémoniste qui caractérise la conception de la philosophie chez de nombreux auteurs de l’Antiquité. Dans cette étude, nous tenterons précisément d’éclairer le rôle joué par la formulation d’ordre «  spatial  » — le «  lieu  » du bonheur — à l’intérieur de la réflexion de Boèce sur le bien suprême, le bonheur, et la finalité. Pour éclairer l’articulation entre ces trois concepts voisins, nous reprenons certaines formulations, à la fois synthétiques et pertinentes, qui figurent dans l’ouvrage de référence de R. Holte sur la téléologie7, en renvoyant aux développements plus amples que nous avons déjà consacrés à ce sujet chez Boèce précisément, dans d’autres publications8  : 1. Le bien est ce qu’on recherche par dessus tout dans une hiérarchie de valeurs. Comme tel, il se situe au sommet d’un système des biens qui distingue également les biens inférieurs des biens supérieurs, les biens   Cons., iii m 8, v. 15-16.  Sénèque, De uita beata, i, 1 (traduction A. Bourgery, Les Belles Lettres, Paris, 1972). 7   R. Holte, Béatitude et sagesse  : Augustin et le problème de la fin de l’homme dans la philosophie antique, Paris, 1962, notamment chap. i, p. 11-21. 8  Nous avons traité plus en détail de la question de la téléologie chez Boèce dans «  L’influence du protreptique à la philosophie sur la Consolatio de Boèce  : réexamen de la question  », Revue d’études augustiniennes et patristiques, no 57/2, 2011, p. 287-323 (p. 304-309), et dans Lectures de Boèce. La Consolation de la Philosophie, Rennes, 2012, p. 77-92. 5 6



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extérieurs des biens intérieurs, et les biens partiels du bien absolu et unitaire. 2. Au concept de bien, de connotation axiologique, correspond, sur le versant psychologique, celui de bonheur. Car le bonheur représente le bien et la finalité suprêmes en tant qu’objets du désir parfait de l’homme. Dans le bonheur, il faut également entendre un «  état de vie heureuse  » auquel le sujet peut parvenir au moyen d’une éthique, en faisant le choix d’un mode de vie spécifique. 3. Dans la finalité, on pourra distinguer, avec R. Holte9, les acceptions suivantes  : (1) le bien parfait, la «  valeur suprême  »  ; (2) le but que l’homme doit rechercher10  ; (3) l’objet ultime de tout l’effort humain auquel doit être ordonné tout le reste11. Mais la finalité, le τέλος, n’est pas uniquement un concept psychologique, car son contenu est déterminé par un ordre métaphysique et cosmologique  : le τέλος existe ainsi en puissance dans la nature de l’homme, lequel doit mettre en œuvre ses capacités pour le réaliser. Voilà donc le sens (4) du τέλος (la détermination qui est incluse dans la nature de l’homme, et que celui-ci doit rendre effective)  ; (5) réalisé, «  le τέλος implique finalement pour chaque individu le parfait achèvement de sa nature  »12. Après ce premier éclaircissement théorique, nous poserons brièvement le cadre conceptuel de notre réflexion sur le sujet. Or la question du «  lieu  » du bonheur peut s’entendre en deux sens que Boèce nous paraît avoir exploités l’un à côté de l’autre, tout en articulant leur relation d’une façon tout à fait intéressante. D’un côté, l’expression «  lieu du bonheur  » s’inscrit dans la perspective téléologique que nous venons d’évoquer. Elle permet, en ce sens, de penser le type de relation que le sujet entretient avec la recherche du bonheur. Que représente pour nous le bonheur  ? Et que représente-t-il en tant que «  lieu  » précisément  ? Sous la métaphore peut se cacher une relation de manque ou d’incomplétude  : le lieu du bonheur serait ce lieu qui n’est pas encore atteint, ou qui est perdu — c’est le «  lieu propre  » (le locum suum) dont parle Augustin dans les Confessions, XIII, 9, 10. En ce premier sens, la métaphore du «  lieu  »   Cf. R. Holte, Béatitude et sagesse, op. cit., p. 16.   Comme la vie cohérente ou «  conforme   ». 11  Ce sont des sens distingués par les stoïciens  ; cf. Stobée, ii, 76, 16 Wachsmuth (= SVF iii, 3). 12   R. Holte, Béatitude et sagesse, op. cit., p. 16. 9

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est associée étroitement à celle du chemin, comme il ressort des textes cités plus haut13. D’un autre côté, parler du «  lieu  » du bonheur, c’est aussi dire «  en quoi  » réside le bonheur. Il est alors question de la définition objective et ontologique du bonheur. Dans cette seconde perspective, qui examine le bonheur en tant qu’il «  consiste en  » quelque chose, et en tant qu’il est «  constitué de  » quelque chose (notamment de «  parties  »), la notion de «  lieu  » semble a priori perdre son sens propre. Chercher «  en quoi réside quelque chose  » signifierait alors simplement définir le concept de cette chose, comme le fait Cicéron au premier livre du De finibus  : Donc, l’objet de notre recherche est le bien suprême […]. Ce bien-là, Épicure le place dans le plaisir (hoc Epicurus in uoluptate ponit)14.

Et encore, au livre iii du même ouvrage  : Il faut, en effet, chercher où se trouve (ubi sit) ce bien suprême que nous voulons découvrir (reperire)15.

Dans la façon dont il formule le second volet de la question du «  lieu  » du bonheur, Boèce se conforme, sous certains aspects, à une tradition héritée de la rhétorique et des topiques, ainsi qu’aux discussions de type doxographique sur la constitution du bonheur auxquelles fait écho le De finibus par exemple. Nous y reviendrons plus loin. D’un autre côté, la distinction entre les deux acceptions du lieu, l’une subjective, l’autre plus objective, correspond aussi — en partie — à une distinction lexicale et grammaticale qui est bien sensible en latin, mais pratiquement pas en français. Celle-ci sépare le complément de lieu où l’on va (quo) — le sujet intéressé par le lieu est l’homme, qui se dirige vers le lieu — du complément de lieu où l’on est (ubi  ; in eo). En ce second cas, c’est le bonheur lui-même qui est concerné, en tant qu’il se trouve en un certain lieu, constitutif de son essence.

13   Nous ajouterons la référence très intéressante à l’In Categorias 173b-c, proposée par A. Tisserand, Logique et Théologique dans les traités théologiques de Boèce (thèse de doctorat inédite), note 1 p. 527, à propos de l’image boécienne du chemin vers la félicité  : «  Nous disons aussi ‘être en quelque chose’ (esse in aliquo) comme ‘quelque chose est dans sa fin’ (in fine esse)  : ainsi, comme la béatitude est la fin d’une vie conforme au bien, si l’on est heureux, on est dans la fin (in fine est), évidemment d’une vie conforme au bien  ». Le bonheur est ici considéré comme le lieu où l’on est arrivé  : mais ce sens statique est à distinguer de celui que nous analysons juste après et qui attribue un lieu propre non à l’individu en quête de félicité, mais au bonheur lui-même. 14  Cicéron, Fin., i, 9, 29 (notre traduction).  15   Fin., iii, 1, 2 (notre traduction).



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Nous ferons une troisième et dernière remarque préliminaire  : lorsqu’il est question de la «  substance  » ou de la «  constitution  » du bonheur (second sens du lieu), il semble qu’à un certain moment de la Consolation se laisse entrevoir une perspective supplé­mentaire, celle des Catégories aristotéliciennes — bien connue de Boèce par ailleurs — qui voit dans le lieu un accident de la substance. Cette conception du lieu apportera, nous le verrons à la fin de cette étude, un élément essentiel dans la résolution de la question. Au cours de cette recherche, nous tenterons donc d’apporter un éclairage sur la présence, côte à côte, des deux types de formulations du lieu dans la Consolation — lieu où l’on va, lieu où l’on se trouve — et sur le traitement, par Boèce, des deux types de questions attachées à ces deux formulations  : d’un côté la fonction téléologique du bonheur par rapport au sujet  ; de l’autre, les aspects ontologiques et métaphysiques du bonheur. Chacune de ces deux questions ayant déjà fait l’objet, séparément, d’études appro­fondies16, nous privilégierons un aspect bien délimité en montrant que Boèce se sert du motif du «  lieu  » comme d’un outil conceptuel pour traiter ces deux types de questions de manière cohérente et systématique. Dans les deux cas, il recourt à des concepts néoplatoniciens spécifiques. Dans le traitement du bonheur comme lieu où l’on se dirige, il développe des analyses qui reposent essentiellement sur des «  mouvements  » ontologiques et cosmo­logiques typiquement néoplatoniciens, par lesquels l’être se relie au bien suprême et qui s’inspirent, en particulier, du «  mythe de la caverne  » dans la République, du Timée, ou encore du Phédon. Dans la réflexion sur la substance du bonheur, la représentation «  spatiale  » de celui-ci dans la Consolation permet à Boèce de parvenir à l’identification du bonheur et du bien suprême avec Dieu, théorie également d’inspiration néoplatonicienne. Tel est, dans ses grandes lignes, le substrat néoplatonicien que nous éclairerons. Avant cela, nous rappellerons à grands traits la 16   Voir V. Schmidt-Kohl, Die Neuplatonische Seelenlehre in der Consolatio Philosophiae des Boethius, Meisenheim am Glan, A. Hain, 1965  ; L. Obertello, Severino Boezio, Genova, Accademia Ligure di Scienze e Lettere, 1974  ; C. Moreschini, Varia Boethiana, Napoli, M. D’Auria, 2003 (en particulier i. «  Boezio e la tradizione del neoplatonismo latino  » et ii. «  Neoplatonismo e cristianesimo  : ‘partecipare a Dio’ secondo Boezio e Agostino  »)  ; A.  Tisserand, Logique et Théologique dans les traités théologiques de Boèce, en particulier C. iii. «  L’un et le bien en Dieu  », p. 515-592, et Id., Pars theologica. Logique et théologique chez Boèce, Paris, 2008  ; on trouvera aussi des commentaires précis de nombreuses questions touchant à la téléologie dans la traduction commentée du livre iii de M. Zambon  : Boezio, La ricerca della felicità (Consolazione della Filosofia iii), Venezia, 2011.

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tradition de cette métaphore spatiale, plutôt répandue dans l’Antiquité, sur laquelle fait fonds Boèce. Le lieu perdu  : la métaphore traditionnelle et platonicienne, et sa réactivation dans la Consolation La direction téléologique De multiples textes de l’Antiquité représentent la vie humaine comme un chemin tendu vers un but. Outre les passages déjà cités, vient à l’esprit la Tabula Cebetis, qui décrit le voyage vers le bonheur à travers un paysage accidenté. On pensera encore à l’apologue de Prodicos qui montre Héraclès à la croisée des chemins, et dont on trouverait des équivalents aussi dans les Écritures17. La perspective de ces deux exemples est indéniablement morale. L’image du voyage de la vie s’insère pleinement dans la signification de l’ouvrage de Boèce et joue un rôle structurant sur le plan narratif, puisque la démarche entreprise, dès les premières proses, par Philosophie à l’égard du prisonnier consiste à ramener celui-ci dans son lieu propre, qui est un lieu perdu et un lieu regretté  : l’ensemble de l’ouvrage prend par conséquent la forme d’une tension téléologique (un iter ou une uia) en direction du lieu du bonheur. Autrement dit, le lieu du vrai bonheur n’est pas seulement un thème parmi d’autres des discussions entre le personnage et Philosophie, mais il est aussi la finalité d’une pratique qui s’exerce par le dialogue et sous nos yeux. La philosophie est ce chemin qui mène au bonheur  : tel serait donc l’aspect subjectif de la question (ou le premier sens du «  lieu  » du bonheur que nous avons distingué), qu’illustre la fonction éthique et pratique du discours de Philosophie dans la Consolation. Mais on remarque aisément, tout au long de la Consolation, l’infléchissement en un sens spécifiquement néoplatonicien, particulièrement riche, de la métaphore rebattue du chemin vers le bonheur et du voyage de la vie  : pour le dire en quelques mots, on accède au lieu du bonheur par des relations typiquement néoplatoniciennes correspondant, dans leurs grandes lignes, à une conversion, une ascension, une réminiscence et, enfin, un retour. Le lieu du bonheur dans la Consolation a en effet ceci de particulier, et de particulièrement platonicien et néoplatonicien, d’être un lieu où l’on revient par un mouvement 17   W.A. Meeks, The Origins of Christian Morality  : The First Two Centuries, New Haven, CT/London, Yale University Press, 1993, p. 69-71.



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d’ἐπιστροφή, c’est-à-dire un lieu originaire  : «  Toute chose reprend son propre cours (proprios recursus) et chacune se plaît dans le retour (reditu suo)18  ». L’exil et la patrie La vitalité de la métaphore, dans la Consolation, s’explique assurément par le statut d’exilé de Boèce — un statut qui justifie traditionnellement le recours au genre littéraire de la consolation. Il s’agit d’un exil physique, certes, mais surtout d’un exil spirituel  : Quand je t’ai vu, dit-elle, abattu et en pleurs, j’ai aussitôt compris que tu étais malheureux et exilé (miserum exsulemque)  ; mais j’en serais encore à ignorer combien cet exil est lointain, si tes propos ne me l’avaient révélé. Mais, loin d’avoir été banni de ta patrie (quam procul a patria) comme tu t’es égaré (sed aberrasti)19  !

Cette représentation est chargée de références platoniciennes et néoplatoniciennes bien connues  : le thème de l’exil est associé ici, tout naturellement, à celui de la patrie, «  lieu  » du retour et du bonheur, auquel on parvient, dans le platonisme, par l’abandon des biens sensibles pour s’attacher à la contemplation du bien intelligible20. La patrie, lieu d’origine et lieu du retour, est aussi désignée par le terme plus vague de sedes21, que l’on pourrait traduire par demeure. Ce terme jouera un rôle important dans la suite de nos analyses. Philosophie déclare, à propos du père de toutes choses  : C’est lui qui a enfermé dans les membres du corps les âmes tirées de la demeure céleste (animos celsa sede petitos)22.

Le même terme se retrouve dans plusieurs textes latins évoquant des doctrines néoplatoniciennes23. Du côté grec, l’un des textes les plus significatifs provient de Plotin. Invitant à la fuite «  dans notre chère patrie  », il écrit, à propos de celui qui s’attache à la beauté des corps  : Notre patrie est le lieu d’où nous venons, et notre père est là-bas24.   Cons., iii m 2, v. 34-35.   Cons., i, 5, 2-3. 20   Cf. Cons., i, 5, 4 et iv m 1, v. 25-26. 21   Cf. Cons.,  iii m 9, v. 22  ; iii, 9, 32  ; I, 5, 5, où la «  cité d’origine  » (tua ciuitas) est clairement identifiée à la «  demeure  » (sedes)  ; voir V. Schmidt-Kohl, Die Neuplatonische Seelenlehre, op. cit., p. 23  ; p. 34-35. 22   Cons., iii m 6, v. 5. 23  Cicéron, Rep., vi, 26, 29  ; Arnobe, Adu. nat., ii, 33 et ii, 51. 24  Plotin, i, 6, 8, 21  : πατρὶς δὴ ἡμῖν, ὅθενπερ ἤλθομεν, καὶ πατὴρ ἐκεῖ. 18

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L’eau et le port Ce texte de Plotin évoque l’errance de l’âme dans le monde sensible et, plus précisément, avec l’image d’Ulysse, l’errance sur la mer de la matière. Chez les néoplatoniciens, héritiers, comme Boèce, d’une longue tradition d’allégories homériques, Ulysse symbolise l’âme égarée qui cherche à revenir en sa demeure25. Chez Boèce, l’image d’Ulysse n’est pas explicite, mais elle est évoquée en creux tant avec le poème consacré à Circé26 qu’avec le thème des «  tempêtes  » de la vie27. À l’image de la patrie s’associera donc tout naturellement celle, rebattue et très ancienne, du port28 qui, chez les chrétiens et les néoplatoniciens, représente Dieu. Dans la Consolation, Philosophie invite les hommes prisonniers des passions (capti) à trouver «  le repos de leurs peines  » (requies laborum), «  au port qui demeure dans un calme paisible  » (portus placida manens quiete)29. La prison En iii m 10, on vient de le voir, Philosophie associe l’image du «  port  » à celle de la «  captivité  » (capti)  : Boèce n’est pas seulement un exilé, il est aussi, par sa situation physique d’abord, par son état mental et moral ensuite, un prisonnier. Le thème de l’égarement se double de celui des biens matériels et des passions qui enchaînent l’âme, celui du «  corps prison  », dont il faut s’échapper  : nous ne nous étendrons pas sur cette image étudiée en détail par P. Courcelle30. L’oubli de l’âme par elle-même La situation du personnage, prisonnier regrettant sa patrie, est emblématique de la condition humaine en général, chez les philosophes de la   Voir par exemple Porphyre, Vita Plotini, 22, 25-46.   Cons., iv m 3. 27   Cons., i, 3, 11. 28   L’image du port a été étudiée par P.‑V. Schmidt-Kohl, Die Neuplatonische Seelenlehre, op. cit., p. 39 et J. Gruber, Kommentar zu Boethius De Consolatione Philosophiae, Berlin/New York, Walter de Gruyter, 20062, p. 296-297, avec des références bibliographiques. 29   Cons., iii, m 10, v. 1-6  ; cf. Porphyre, Vita Plotini, 22, 26-27 (qui imite la fin du chant v de l’Odyssée  ; on trouve aussi de nombreux parallèles dans la littérature latine (Apulée, Metaporphoses, xi, 5  ; Lactance, Epitome divinarum institutionum, 47, 1  ; Augustin, De beata vita, i, 1-5). 30   P. Courcelle, «  Connais-toi toi-même  » de Socrate à saint Bernard, 3 vol., Paris, Études Augustiniennes, 1974-1975, «  L’âme fixée au corps  » (p. 325-414). 25

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tradition platonicienne. L’état d’ignorance et de cécité qui empêche de retrouver le lieu du vrai bonheur, évoqué au début de cette étude, provient de la situation même de l’âme rationnelle, enfouie dans le corps et dans la matière, situation qui empire si l’âme se laisse prendre aux besoins et aux passions du corps, jusqu’à oublier totalement sa propre nature et son lieu d’origine. Exilé et prisonnier, le personnage auquel s’adresse Philosophie est donc caractérisé par deux formes négatives de localisation qui l’éloignent pour le moment du vrai bien. Pour remédier à cette double situation négative, la Philosophie lui donne des ailes, s’efforce de lui faire prendre conscience du lieu du vrai bonheur et guide ses pas vers lui  : les caractéristiques de ce lieu sont par conséquent inséparables de l’attitude du sujet par rapport à celui-ci. Se réorienter vers le lieu du bonheur  : premiers mouvements néoplatoniciens

En introduction, nous avons fait allusion aux mouvements néoplatoniciens par lesquels le sujet se relie au bien suprême et intelligible  : conversion, ascension, réminiscence, retour. Ces rela­tions spatiales ont déjà été analysées de manière systématique, notamment par V. Schmidt-Kohl31. Sans les reprendre en détail, nous reconstruirons plutôt le fil de l’argumentation tissée par Boèce autour de la recherche du lieu. Les développements consacrés à cette question occupent principalement la dernière partie du livre iii (9-12), sur laquelle portera toute la suite de cette recherche. La conversion du regard vers le lieu du bien Les chapitres 1 à 8 du livre iii décrivent les relations métaphysiques que l’homme entretient avec le bonheur, en ayant pour fil directeur le thème de la conversion du regard vers le lieu du bien et du bonheur, qui est la première de ces relations. Or le terme forma joue un rôle important dans la représentation spatiale du bonheur. Dans la Consolation, la forma32 (comme son équivalent specimen33) désigne, en effet, l’objet vers lequel on tourne ses regards. Le thème de la conversion du regard est   V. Schmidt-Kohl, Die Neuplatonische Seelenlehre, op. cit.   Cons., iii, 2, 12  ; iii, 9, 24  : le texte est cité un peu plus loin (cf. infra note 48). 33   Cons., iii, 1, 7  : «  J’essaierai d’abord de t’indiquer et de te décrire avec des mots un bonheur que tu connais mieux pour que, après l’avoir examiné, lorsque tu tourneras tes 31 32

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intimement lié à la dimension protreptique de l’ouvrage et à sa rhétorique spécifique, puisque, sur le modèle des exhortations à la philosophie, le personnage de Philosophie demande d’abord à Boèce de voir l’aspect du faux bonheur, et de se détourner de celui-ci, pour contempler, dans un deuxième temps, celui du vrai bonheur34. Forma pourrait alors être traduit par «  tableau  », un terme qui renvoie au procédé de l’hypotypose utilisé ici par une rhétorique à visée exhortative. L’opposition de deux descriptions contrastées est l’équivalent, dans l’ordre discursif, du motif iconographique d’Héraclès à la croisée des chemins. En ce sens, le dialogue entre le prisonnier et Philosophie représente bien l’iter, de nature thérapeutique, qui reconduit l’exilé vers le lieu du vrai bonheur. Mais le recours à la forma dans le cadre d’une rhétorique relevant de l’illustratio s’accompagne en fait d’un thème platonicien très présent, qui aura, on le sait, une grande fortune dans le néoplatonisme  : la conversion vers le bien intelligible, symbolisée par le mythe de la caverne. Le bien et le bonheur, que Philosophie invite le prisonnier à regarder, ressemblent, effectivement, à l’idée ou à la forme du bien (ἡ τοῦ ἀγαθοῦ ἰδέα) chez Platon, réalité intelligible35. La position du sujet  : un mouvement sans mouvement La première condition du retour au lieu du bonheur sera donc, comme dans la République, de tourner vers lui ses regards36, idée reprise de façon systématique par Proclus avec le concept d’ἐπιστροφή, ce mouvement de conversion qui amorce le retour vers le premier principe37. De même, dans la Consolation, la libération du malheur ne s’obtient pas en changeant de position dans l’espace, mais en réorientant le regard intérieur de l’âme. Ce mouvement sans véritable délocalisation n’a pas uniquement regards dans la direction opposée (cum in contrariam partem flexeris oculos), tu puisses reconnaître l’aspect du vrai bonheur (uerae specimen beatitudinis)  ». 34  Sur l’argumentation bipartite de la Consolation, voir par exemple notre étude «  L’influence du protreptique à la philosophie sur la Consolatio de Boèce  : réexamen de la question  », art. cit., p. 298-299  ; à propos de la double fonction du protreptique plus généralement, nous nous permettons de renvoyer à nos deux publications  : «  Le protreptique en philosophie  : essai de définition d’un genre  », Revue des Études Grecques, t. 115, Juillet-Décembre 2002, p. 591-621 (p. 600-602), et Exhortation à la Philosophie. Le dossier grec  : Aristote, Paris, 2011, en part. p. xvi-xx. 35   Voir notamment Platon, Rsp., vi 505a  ; 508e  : cf. C. Moreschini, Varia Boethiana, op. cit., p. 15 et M. Zambon dans Boezio, La ricerca della felicità (Consolazione della Filosofia iii), op. cit., note 95 p. 163-164. 36   Cf. M. Zambon, dans Boezio, p. 156, n. 171. 37  Proclus, Elementa theologiae., 37.



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un sens métaphorique et rhétorique  ; il revêt aussi une valeur éthique — parce que se tourner vers le bien exige un effort préliminaire de la volonté —, et une valeur cognitive — dans la mesure où il donne accès au deuxième mouvement, de type ascensionnel, qui relie l’homme à la contemplation du bien et au bonheur. Forma et modèle ascensionnel de la connaissance  : la dimension ­spéculative La conversion du regard amorce un cheminement partant des biens sensibles pour aller vers les biens plus élevés, les biens intelligibles, lieu du bonheur  : Respicite caeli spatium38. Par ces mots est évoquée, dès le livre iii, l’échelle de la connaissance dont il sera plus amplement question au livre v  : regarder la forma, c’est donc aussi s’élever vers un autre type de connaissance, la connaissance intelligible des formes précisément. On pensera à Plotin  : Il faut donc à nouveau remonter (ἀναβατέον) vers le bien, que désirent toutes les âmes… Mais seuls obtiennent ceux qui montent vers le haut (ἀναβαίνουσι πρὸς τὸ ἄνω), se tournent vers lui (ἐπιστραφεῖσι) et se dépouillent de ce qu’ils ont revêtu dans leur descente…39.

Après ce bref éclairage sur les relations du sujet avec le lieu du bonheur, notre attention se portera sur le rôle du «  lieu  » dans la définition ontologique et métaphysique du bonheur. Quel est, selon Philosophie, «  ce en quoi  » le bonheur réside  ? Le lieu ontologique du bonheur  : aspects formels de la question

Dans la prose 9 du livre iii, la définition ontologique du vrai bonheur suit deux voies démonstratives  : la première consiste à définir l’essence du bonheur dans une perspective rigoureusement formelle  ; la seconde, à la définir a contrario, par exclusion du lieu dans lequel le vrai bonheur ne saurait se trouver.

38   Cons., iii, 8, 8. L’un des textes de référence sur le sujet est, on le sait, le discours de Diotime dans Platon, Banquet (210a-211c), qui expose les degrés de l’élévation vers le beau. 39  Plotin, i, 6, 7, 1-6  ; cf. i, 6, 8, 21 cité plus haut.

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La véritable forma du bonheur Nous l’avons dit, la forma joue un rôle important dans la détermination du lieu du bonheur. Parce qu’elle se caractérise essentiellement par sa visibilité, la forma correspond d’abord au lieu du bonheur vers lequel l’homme doit porter ses regards. Mais, dans la suite du texte, le sens du concept forma évolue, car Philosophie et le prisonnier s’interrogent désormais pour savoir sous quelle forme se présente la substance ou l’essence du bonheur, indépendamment du sujet qui l’appréhende — ou qui la contemple40. De fait, dans la prose iii, 9, la forma de l’essence ou de la substance du bonheur repose sur le rapport du bonheur avec les biens dits «  partiels  », d’un côté, et avec la somme des biens, de l’autre. Philosophie tente donc de cerner la composition du bonheur selon une approche éminemment formelle, indépendamment du contenu. Au fil des raisonnements développés dans les § 1 à 23 de cette prose 9, à propos de la «  forme  » du bonheur, Philosophie conclut à l’unité et à la perfection du bonheur en tant que bien suprême, face à la dispersion des biens extérieurs ou des biens secondaires ou inférieurs, lesquels ne sont des biens que par participation au bien suprême. En outre, non seulement on n’atteint pas le bonheur au moyen de ceux-ci, mais le bonheur ne représente pas non plus une «  accumulation  ». En effet, en tant que bien suprême, il se distingue de tout autre bien parce qu’il est «  un  » et «  simple  »  : Par conséquent, ce qui est par nature un et simple (unum simplexque), la déraison humaine le disperse et pendant qu’elle cherche à atteindre une partie d’une chose qui n’a pas de parties, elle n’obtient ni la ­partie, qui n’existe pas, ni la chose même, qu’elle ne recherche pas du tout41. 

Cette conception du bien suprême est, en définitive, assez proche de la conception de l’Un plotinien, qui s’identifie avec le bien42. Quant à la simplicitas, notion elle aussi d’ascendance plotinienne, elle jouait 40   Cons., iii, 9, 15, où Philosophie dit des biens partiels  : «  Or, par les mêmes raisonnements, il est nécessaire également de conclure que l’autosuffisance, le pouvoir, la célébrité, la respectabilité et l’agrément peuvent bien porter des noms différents, pourtant leur substance ne diffère aucunement (nullo modo discrepare substantiam)  ». 41   Cons., iii, 9, 16. 42  Plotin, ii, 9, 1, 5-8  ; vi, 9 (en particulier vi, 9, 3, 13-22  ; vi, 9, 6, 26-30). Comme le précise M. Zambon dans Boezio, p. 163, n. 94, la thèse de l’identité entre le bien et l’Un «  constitue l’un des traits les plus caractéristiques de l’interprétation de Platon qui s’est affirmée au cours de l’époque impériale  ».



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déjà un rôle dans les traités théologiques de Boèce  : pour le dire très schématiquement, le bien suprême est simplex et unum, parce qu’en lui la bonté et l’existence coïncident et qu’il ne comporte aucun élément étranger43. À côté de la détermination de type «  formel  », qui nous renseigne sur la composition du bonheur, et qui a été étudiée de façon très précise et convaincante par A. Tisserand44, une autre partie du raisonnement prend en compte, comme nous l’avons dit plus haut, ce que le lieu du vrai bonheur n’est pas. Le contenu du bonheur est alors défini par contraste. Le faux lieu Au prisonnier qui demande ce qui arriverait si on désirait acquérir tous les biens partiels en même temps, Philosophie déclare  : On voudrait bien la somme du bonheur (summam beatitudinis), mais est-ce qu’on la découvrira dans ces choses (num in his eam repperiet), dont j’ai démontré qu’elles ne peuvent apporter ce qu’elles promettent45  ?

Non, répond le prisonnier. Philosophie poursuit  : Donc, dans ces choses dont on croit (in his quae… creduntur) qu’elles procurent chacune certains biens convoités, on ne doit en aucune manière rechercher le bonheur46.

Dire «  en quelles choses  » se trouve le bonheur, c’est dire, ici, en quoi il consiste. Comme au sujet des relations entre biens partiels et bien absolu, Boèce se réfère, à l’évidence, aux discussions qui avaient cours sur le sujet dans les écoles de philosophie, ainsi qu’à celles, bien connues, de type rhétorique, sur la hiérarchie des biens et sur la «  constitution  » du bonheur47.

 Plotin, ii, 9, 1.   Cf. Logique et Théologique dans les traités théologiques de Boèce, op. cit., en particulier C. iii. «  L’un et le bien en Dieu  », p. 515-592. 45   Cons., iii, 9, 22.  46   Cons., iii, 9, 23. 47   De nombreux auteurs de l’Antiquité ont développé des réflexions sur «  ce en quoi  » réside le bonheur et sur ce que sont ses «  parties  »  : voir, notamment, Aristote, Ethica Nicomachea, i, 8, 1098b et Rhetorica, i, 5, 1360b  ; Cicéron, Topica, i, 5, 28  ; De Finibus, i, 9, 29 et iii, 1, 2 (cités supra)  ; Augustin, De civitate dei., xix, 1, 1. 43 44

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La quête du vrai lieu À ce stade de la discussion, les interlocuteurs ont donc reconnu que le bonheur est unitaire et parfait, et ils ont aussi exclu un certain lieu qui ne saurait convenir au bonheur. Philosophie dit en effet, juste après  : Tu tiens donc la forme (formam) du faux bonheur et tu en connais les causes. Tourne maintenant le regard de ton esprit dans la direction opposée (deflecte in aduersum mentis intuitum)  ; là (ibi), en effet, tu verras aussitôt le vrai bonheur, que je t’ai promis48.

Dans l’expression de la direction, associée à la «  promesse  » de conduire l’homme jusqu’au lieu en question, résonne un écho très net de la première phrase de iii, 8, citée en ouverture de cette étude. Le prisonnier acquiesce et Philosophie, satisfaite, lui dit alors  : Puisque tu as donc reconnu quel est le vrai bonheur — et ici il faut entendre quelle est sa forma — et ce qui le contrefait, il te reste maintenant à reconnaître où tu peux le chercher (unde hanc petere possis)49.

Et juste après  : Mais puisque on doit […] même pour les plus petites choses implorer le secours divin, que faut-il maintenant faire, à ton avis, pour mériter de découvrir la demeure de ce bien suprême (illius summi boni sedem)50  ?

Parce qu’elle permettra à Boèce, en trouvant sa demeure, et en s’y fixant, de ne plus être un exilé, la réponse a une importance capitale51. La formulation elle-même marque un tournant dans la question qui nous occupe car, par le biais de l’interrogation sur la demeure, telle qu’elle est posée ici, les raisonnements vont, dans la suite du texte, s’élever du plan formel qui associe le bonheur à l’unité et à la perfection, pour parvenir à la désignation substantielle et à l’identification, sur un modèle néoplatonicien, du bonheur et du bien suprême avec Dieu. Pour arriver à nommer la demeure du bonheur, les interlocuteurs ont toutefois besoin d’invoquer l’aide du Dieu, dans le célèbre hymne iii m 9. Juste après, la question est reprise  : Ainsi, puisque tu as vu quelle est la forme du bien imparfait et quelle est celle du bien parfait, je pense qu’il faut te montrer maintenant (nunc

  Cons., iii, 9, 24  : cf. supra note 32.   Cons., iii, 9, 31. 50   Cons., iii, 9, 32. 51   Cf. M. Zambon, dans Boezio, p. 155-156, n. 70. 48 49



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demonstrandum) où réside cette perfection du bonheur (quonam haec felicitatis perfectio constituta sit)52.

L’adverbe nunc opère, d’un point de vue logique, la transition entre l’interrogation sur la forme et l’interrogation sur la substance. Le programme ainsi formulé est à mettre en relation avec ce que Philosophie dit peu après  : Mais où réside (quo habitet) ce bonheur, considère-le comme suit53.

La formulation de iii, 10, 1 soulève toutefois une question grammaticale non négligeable. Pour la majorité des traducteurs, quonam serait le pronom interrogatif au neutre. Philosophie demanderait, en ce cas, «  en quoi consiste (constituta sit) cette félicité  ». Cette interprétation se heurte cependant à un obstacle grammatical, car le verbe constituo au passif, au sens d’«  être constitué de  », se construit généralement avec la préposition ex, et non avec l’ablatif seul. L’autre possibilité, celle que nous adoptons, est de faire de quonam l’adverbe interrogatif de lieu. Il faudrait alors comprendre  : «  où elle peut se trouver  »54. Cette solution pose, certes, une difficulté car quo est l’adverbe du lieu où l’on va. Mais, dans son enquête sur le style de Boèce, A. Engelbrecht a clairement montré   Cons., iii, 10, 1.   Cons., iii, 10, 7. 54  Nous avons trouvé deux traductions similaires  : celle de L. Judicis de Mirandol, dans Boèce, La Consolation philosophique, traduction nouvelle en prose et en vers avec le texte en regard, accompagnée d’une introduction et de notes par L. Judicis de Mirandol, Paris, 1861, p. 163  : «  où réside cette perfection du bonheur  »  ; et celle de S.J. Tester, dans Boethius, The Theological Tractates, with an English Translation by H.F. Stewart, E.K. Rand and S.J. Tester  ; Boethius, The Consolation of Philosophy, with an English Translation by S.J. Tester, Cambridge (Mass.)/London, 1973, p. 275  : «  where this perfection of happiness is set  ». En revanche, alors qu’il insiste fréquemment sur l’importance de l’image du lieu dans l’enquête sur l’essence du bonheur dans la Consolatio, A. Tisserand traduit  : «  de quoi est donc constituée la perfection de la félicité  ». Il justifie sa traduction en ces termes (Logique et Théologique dans les traités théologiques de Boèce, p.  547)  : «  Ce quonam nous interroge  : et que Boèce réponde tout d’abord par un «  in summo Deo sitam esse  », c’est-à-dire par un complément de lieu, ne pourrait que nous inciter à traduire comme Mirandol et Stewart et Rand […]. Néanmoins, ce serait d’abord faire violence à un latin classique auquel Boèce n’aime pas à déroger (quonam comme adverbe interrogatif ne s’emploie qu’avec une idée de mouvement  : quo)  ; en outre, Boèce écrit ici, non pas sita sit, mais constituta sit  : le verbe au passif appelle un complément à l’ablatif que l’on pourrait appeler de matière  : quelle est la matière (i.e.  : la quiddité) de ce bien parfait  ». On peut immédiatement objecter à A. Tisserand qu’on trouve un autre quonam avec le sens du lieu statique en Cons., iii m 8, v. 15-16 (cité au début de cet article, cf. note 5) ainsi que quo (dans quo habitet), avec un sens identique en III, 10, 7 (cf. supra note 53). Les ouvrages cités dans les notes suivantes apportent des informations linguistiques et grammaticales supplémentaires en faveur de notre interprétation. 52 53

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que l’usage des adverbes de lieu chez Boèce invite à la précaution55  : quo et ubi sont souvent confondus. De même, l’inversion des deux types d’adverbes de lieu, ou des deux cas (accusatif/ablatif) du nom de lieu précédés de in est bien attestée en latin, dès Plaute et Térence56. Avec quonam, la question porte encore sur le lieu, bien que la formulation soit ambiguë, du moins pour nous modernes. À la prose iii, 10, et dans toute la suite du raisonnement, l’association constante, grâce à l’ambivalence de quonam précisément, des deux sens de la question du lieu est frappante  : le lieu où l’on va, qui engage le rapport du sujet à ce lieu, et le lieu où se trouve le bonheur, c’est-à-dire le lieu constitutif. Le lieu de Dieu  :

principium et terminus

Alors qu’il devait revêtir une fonction invocatoire et préalable, l’hymne m 9 donne en réalité des éléments de réponse très importants sur le lieu du bien, qui apparaît aussi comme étant le lieu de Dieu, même si ces éléments ne sont pas développés dans le poème, dont les derniers vers sont les suivants  :

iii

Accorde, Père, à mon esprit de s’élever à ton auguste séjour (augustam sedem), Accorde-lui de contempler la source du bien (fontem boni), de trouver la lumière Et de fixer alors sur Toi les yeux, bien éclairés, de mon âme. Retranche les nuées et le poids de la masse terrestre, Et brille de tout ton éclat  ; car toi, tu es la sérénité, Tu es le repos tranquille (requies tranquilla) des justes, te voir est la fin (te cernere finis), Toi, le principe (principium), le conducteur, le guide, le sentier et le terme tout à la fois (terminus idem) 57.

En ces vers sont étroitement associés la finalité, le bien et Dieu, lequel est identifié désormais, à partir de ce moment de la Consolation, avec le bien, du point de vue de la substance. Si le bonheur n’est pas convoqué, c’est sans doute parce que le poème privilégie la détermination ontologique du rapport de l’homme à la finalité et à Dieu, aux dépends de 55  A. Engelbrecht, Die Consolatio philosophiae des Boethius. Beobachtungen über den Stil des Autors und die Überlieferung seines Werks, Wien, 1902, p. 27 (avec une série d’exemples). 56   A. Szantyr, Lateinische Syntax und Stilistik, München, C.H. Beck’sche Verlagsbuchhandlung, 1972, p. 277. 57   Cons., iii, m 9, v. 22-28. 



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l’aspect psychologique de la question, relégué ici au second plan. La finalité que l’homme atteint par un mouvement ascensionnel est identifiée avec un «  auguste séjour  » (augusta sedes), et un lieu de repos (requies  : on retrouve l’image du port), lieu de la finalité, qui est aussi le lieu de Dieu. Plus exactement, Dieu s’identifie à ce lieu, sans que celui-ci représente une véritable localisation ou un accident de Dieu. Enfin, comme on le voit dans les vers cités, où résonnent des échos du prologue johannique, le poème identifie également Dieu avec un principe. Dieu représente donc, à la fois, deux lieux extrêmes  : principium et fons, d’un côté, terminus et finis, de l’autre. Plus qu’une réminiscence de l’Apocalypse58, il faudrait voir plutôt dans l’expression, à notre avis, une référence à la doctrine néopla­tonicienne de la procession à partir du principe suprême, qui est Dieu et intellect, et du retour constitutif vers celuici59. Mais les vers cités éclairent également les liens du sujet avec ce double lieu. Fons boni et forma boni  : la source ontologique Dieu est fons boni, source dont procède la bonté de tous les êtres singuliers. Il est tel parce qu’il porte en lui la forma boni60  : le bien est donc la détermination substantielle de la nature divine. En Dieu est ainsi désigné l’être suprême possédant la perfection absolue, en particulier la perfection de la bonté, laquelle coïncide, en substance, avec Dieu luimême, ce qui sera démontré à la prose suivante. Terminus  : le mouvement de retour de l’âme  Le mouvement de retour a pour sujet la mens, le νοῦς grec, l’intellect, la faculté de connaître l’être véritable et incorporel. L’ascension de l’intellect vers la contemplation de la «  source du bien  », c’est-à-dire de Dieu, principe de toutes choses, coïncide avec un mouvement de retour de l’âme (ou, plus précisément, de l’œil de l’âme), de l’extériorité du corps vers elle-même. Ce processus éclaire la dynamique de la connaissance théorétique, selon le modèle ascensionnel dont nous sommes partie dès le début de la prose iii, 9, et il procède par un acte de remémoration des objets que contemplait l’âme rationnelle avant de s’unir au corps.   Ap., i, 8  : «  Je suis l’Alpha et l’Oméga  ».  Plotin, vi, 9, 9, 20-21  : «  L’âme, fécondée par dieu, est grosse de tous ces biens, et cette fécondation est pour elle le commencement et la fin (ἀρχὴ καὶ τέλος)  ». 60   Cons., iii m 9, v. 6. 58

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En définitive, le poème avance plusieurs éléments de démonstration essentiels  : le bien réside en Dieu  ; Dieu est le bien, et il est principe du bien61  ; contempler Dieu est la finalité. Au terme du poème, nous connaissons désormais le lieu de Dieu, qui est aussi le lieu du bien. Le texte explique également la nature des mouvements cosmiques et ontologiques qui relient l’âme à son principe, lequel est aussi sa finalité. Il reste à expliciter les rapports ontologiques qui permettent d’établir l’identification, posée à la fin du livre iii, entre Dieu, le bien et le bonheur  : Heureux qui (felix qui) a pu contempler La source lumineuse du bien (boni fontem lucidum)62.

Pour en arriver à cette conclusion, Philosophie déploiera encore, dans les proses iii, 10 à 12, des raisonnements qui apporteront des éclaircissements sur les rapports de Dieu et du bonheur, et qui seront à nouveau articulés autour du concept de «  lieu  » et de l’identification du lieu du bien suprême (défini comme étant Dieu) avec le lieu du bonheur, dont Philosophie démontrera qu’il est, lui aussi, en Dieu. Le lieu ontologique du bonheur  : la question de la «  substance  » L’ultime étape du raisonnement que Boèce déploie dans la prose iii, 10, afin de démontrer que le bonheur est en Dieu et Dieu dans le bonheur, se déroule en cinq arguments successifs63. Le premier argument recourt à un concept typiquement néoplatonicien  : l’imparfait et le mal ne constituent pas une réalité, mais un non être, parce que tout ce qui existe est bon  ; l’imperfection est, par conséquent, une diminution de la perfection64, ce qui suppose l’existence de la 61  Nous avons rappelé plus haut les origines platoniciennes et plotiniennes de la conception du summum bonum dans l’œuvre de Boèce  ; sur l’identification du summum bonum avec Dieu plus spécifiquement, cf. C. Moreschini, Varia Boethiana, op. cit., p. 15-21, qui éclaire la présence d’une telle conception à l’époque impériale, chez les auteurs latins antérieurs à Boèce. 62   Cons., iii, m 12, v. 1-2. 63  Nous reprenons en partie le découpage proposé par J. Magee, «  The Good and morality  : Consolatio, 2-4  », The Cambridge Companion to Boethius, éd. J. Marenbon, Cambridge/New York/Melbourne (etc.), 2009, p. 180-206 (p. 195-197). 64  Plotin, ii, 4, 13-14 sur la «  privation  » (στέρησις) (cf. Proclus, De malorum subsistentia, 51, 42).



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perfection, de laquelle tout procède par degrés65. Il existe donc un bonheur parfait, qui est aussi fons omnium bonorum66. Ensuite, Dieu, principe de toutes choses, est bon. Or rien de meilleur que Dieu ne peut être imaginé  : le bien suprême est «  en Dieu  », lequel sera ainsi au sommet de la hiérarchie de la bonté des êtres. Or le bien parfait coïncide avec le bonheur, le bonheur est donc «  en Dieu  »  : Ainsi, pour que le raisonnement ne progresse pas à l’infini, il faut reconnaître que le Dieu suprême contient pleinement le bien suprême et parfait (summum deum summi perfectique boni esse plenissimum) […] donc le vrai bonheur se trouve nécessairement dans le Dieu suprême  : (in summo deo sitam esse)67.

La réponse au problème du lieu constitutif du bonheur, sur le plan ontologique et métaphysique, semble ici trouver une formulation définitive. Pourtant, à ce moment précis, les raisonnements vont s’orienter dans une perspective nouvelle empruntée aux Catégories68  : on pourrait voir un trait caractérisant du néoplatonisme de Boèce dans cette association de théories typiquement platoniciennes — illustrées jusqu’à présent — et d’aristotélisme. Cette perspective aristotélicienne intervient dans un troisième argument et rectifie en partie ce qui vient d’être démontré. Dire que le bien suprême et le bonheur sont «  en Dieu  » consiste, en réalité, à dire que Dieu est parfaitement bon et heureux. Mais le bonheur n’est nullement «  en  » Dieu d’une manière qui pourrait sembler accidentelle. C’est pourquoi il faut démontrer maintenant qu’il n’y a pas de bonté en dehors de Dieu et, par conséquent que Dieu «  est  » le bonheur. Le problème est posé en iii, 10, 12  : Ne va pas supposer que ce père de toutes choses ait reçu de l’extérieur (extrinsecus) ce bien suprême qu’il passe pour contenir pleinement, ni qu’il le possède naturellement comme si tu pensais que le Dieu qui possède et le bonheur qui est possédé ont une substance différente69.   Il s’agit encore d’une doctrine néoplatonicienne.   Cons., iii, 10, 1 et 3. 67   Cons., iii, 10, 10. 68   Même si le traité aristotélicien n’est pas cité par Boèce. 69   De même plus loin, en Cons., iii, 12, 37  : «  Telle est en effet la forme de la substance divine (diuinae forma substantiae) qu’elle ne se disperse pas vers l’extérieur (in externa) et qu’elle ne prend sur elle rien d’extérieur (externum) non plus, mais, comme le dit d’elle Parménide ‘semblable au volume d’une sphère de toute part arrondie’, elle fait mouvoir le cercle mobile du monde tandis qu’elle se maintient tout immobile  ». On trouvait déjà la même idée chez Plotin (vi, 9, 6, 27-30)  : l’Un n’a pas besoin de l’être-bien, car il ne reçoit pas le bien comme un prédicat qui lui viendrait de l’extérieur, mais il est «  Le Bien  ». 65 66

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Philosophie ajoute  : Et si le bien suprême est en Dieu (inest) par nature, mais diffère de lui conceptuellement (ratione), puisque nous parlons de Dieu comme du principe de toutes choses, qui a bien pu réunir ces deux essences différentes70  ?

Pour réfuter l’hypothèse d’une différence essentielle entre Dieu et le bien, elle rappelle que Dieu est «  par sa substance propre  », le bien suprême. Mais on a admis que le bien suprême est le bonheur, donc «  Dieu est le bonheur même  ». Par conséquent, le bonheur n’entretient avec Dieu aucun rapport accidentel ou extrinsèque, mais il est sa substance même. Or la thèse selon laquelle Dieu serait une substance comme les autres, à laquelle on pourrait appliquer des attributs accidentels, a été réfutée par Boèce dans le traité consacré à la Trinité où il affirme que Dieu est «  au-delà  » de la substance71. De même, on pourrait dire que Dieu n’est pas comme les substances qui sont bonnes sous le mode de la relation à la bonté et, par conséquent, sous le mode de l’extériorité72. Selon toute vraisemblance, la formulation du passage cité un peu plus haut qui recourt à l’expression du lieu ou, du moins, à l’expression de la substance de Dieu dans les termes du contenant et du contenu (le bonheur est «  en Dieu  »73), est l’élément ayant suggéré, dans le raisonnement, ce rapport de type extrinsèque et accidentel entre Dieu et le bonheur corrigé très précisément par Philosophie en iii, 10, 12. L’argument suivant, le quatrième, conduit à peu près à la même conclusion  : il ne peut y avoir deux biens suprêmes  ; comme le bonheur et Dieu représentent le bien, alors le bonheur est la divinité. Philosophie ajoute un corollaire  : être heureux, c’est participer à Dieu74. Quant au dernier, il démontre que le bien suprême est cause finale des autres biens. D’autre part, comme le bonheur est aussi cause finale, le bien et le bonheur ont même substance. Maintenant, étant donné que Dieu et le bonheur sont également la même chose, Dieu s’identifie aussi, par transitivité, au bien suprême. Par conséquent, le bien est «  ce en quoi réside Dieu de façon substantielle  ». Cette nouvelle formulation du lieu, qui apparaît à l’extrême   Cons., iii, 10, 14.   Quomodo trinitas, iv, 5. 72   Nous renvoyons ici, en suivant A. Tisserand, Pars theologica. Logique et théologique chez Boèce, op. cit., p. 308, à un autre traité de Boèce, Quomodo substantiae, Axiome, 7  : «  Tout simple a son être et ce qu’il est sur le mode de l’un  ». 73  Cons., iii, 10, 10. Sur ce point, cf. A. Tisserand, Logique et Théologique dans les traités théologiques de Boèce, p. 550-552. 74   Sur cette doctrine chez Boèce, voir C. Moreschini, Varia Boethiana, p. 31-46. 70 71



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fin de la prose iii, 10 et qui est rectifiée par rapport à celle de iii, 10, 10, laquelle faisait de Dieu uniquement le «  contenant  » du bien, élimine tout rapport de type accidentel au profit d’une formulation substantielle et exclusive  : On peut donc conclure aussi en toute certitude que la substance de Dieu (substantiam dei) réside dans le bien même, et nulle part ailleurs (in ipso bono nec usquam alio sitam esse)75.

Dieu n’est pas seulement bon, mais il est le bien et le bonheur dans leur substance même. En fin de compte, comme l’enseigne Philosophie, il revient au même de dire que le bonheur et le bien sont en Dieu, et de dire, en inversant les termes, que Dieu réside dans le bonheur et dans le bien. Lieu du bien et lieu du bonheur sont identiques sous l’aspect de la substance, et l’homme y accède en participant à Dieu. Le recours au concept du lieu, par le biais implicite, notamment, de la doctrine des Catégories, permet donc à Boèce d’affirmer l’une de ses thèses théologiques fondamentales dans la Consolation  : la définition de Dieu comme bien suprême et comme bonheur, qui prend racine, ainsi que C. Moreschini l’a bien montré, dans la conception platonicienne qui considérait le bien au sens absolu comme la plus haute des réalités76. La prose suivante du livre iii (iii, 11), qui suit celle que nous venons d’analyser, éclaire les liens de Dieu et de l’Un  : le bien est Un (unum)  ; or Dieu est summum bonum, comme on vient de le voir, donc il est unum. Tous les êtres tendent, par nature, à l’unité, et, par conséquent, à l’autoconservation, puisque, dans le néoplatonisme, les choses meurent lorsqu’elles perdent leur unité77. Dans les passages que nous avons évoqués, remarquons-le, Boèce semble davantage intéressé par l’identification de Dieu avec le bien qui fait de Dieu un Dieu substantiellement bon, que par l’identification, à la fin du livre iii, de Dieu avec l’Un (laquelle le rapproche de Plotin)78. Mais on notera également qu’il associe étroitement, dans le raisonnement, la définition ontologique — l’identification de Dieu avec l’Un — à l’aspect éthique et téléologique de la question, en faisant de l’Un le terme d’une aspiration.

  Cons., iii, 10, 43.  Voir C. Moreschini dans Boezio, La consolazione della filosofia, Torino, Utet, 1994, note 5 p. 216-217. 77   Augustin exprime à plusieurs reprises une idée similaire (voir en part. lib. arb., ii, 16, 44). 78   Cf. C. Moreschini, Varia Boethiana, p. 19. 75 76

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Tuae mentis sedes Pourquoi donc, mortels, cherchez-vous au-dehors (extra petitis) le bonheur qui se trouve au-dedans de vous (intra uos positam felicitatem)79  ?

Si Dieu ne possède pas l’unité et le bonheur extrinsecus80, l’homme ne reçoit pas non plus le bonheur suprême du dehors, mais le trouve au plus profond de lui-même. La valorisation de l’intériorité est aussi, on le sait, un thème néoplatonicien81, mais nous n’évoquerons cette dernière facette de la question du lieu, certes primordiale, que de manière allusive, car elle nous entraînerait sur d’autres chemins encore. Philosophie, émue de voir Boèce dans la prison, déclare, au début de la Consolation  : Ce n’est pas tant l’aspect de ce lieu (huius loci) que ton apparence qui m’émeut et plutôt que les murs ornés d’ivoire et de verre de ta bibliothèque, c’est la demeure de ton esprit (tuae mentis sedem) qui me manque, lieu dans lequel (in qua) j’ai mis non des livres, mais ce qui fait le prix des livres  : les pensées de ces livres qui, autrefois, étaient les miens82. 

En conclusion, nous mettrons en relief trois points de notre démonstration. Tout d’abord, la formulation du «  lieu  » du bonheur s’est révélée un outil conceptuel efficace utilisé par Boèce pour développer une vaste réflexion, très cohérente, sur le bonheur, laquelle articule deux perspectives que nous avons distinguées pour la clarté de l’analyse  : une perspective métaphysique — la définition ontologique du bonheur — et une perspective morale — le retour des âmes dans leur patrie. À chacune d’elle est associée au moins une doctrine néoplatonicienne fondamentale  : l’identification de Dieu avec le bien suprême et avec l’Un et, partant, avec le bonheur, d’un côté, le mouvement de retour de l’âme vers son lieu d’origine, de l’autre. Il convient toutefois de lever, sur ce point, une ambiguïté  : dans la première de ces deux perspectives, lorsque Boèce dit que Dieu se trouve dans le bien et le bonheur, et le bonheur en Dieu, il n’entend pas assigner réellement un lieu à Dieu, mais désigner, par ces mots, sa substance. Ce faisant, Boèce ne s’écarte nullement d’un Plotin qui refuse à l’Un l’appui d’un lieu propre, puisque l’Un est sans besoin83. En revanche, en décrivant à plusieurs reprises, dans la Consolation, le   Cons., ii, 4, 22.   Cons., iii, 10, 12. 81   Cf. Plotin, vi, 9, 2, 40-43  ; vi, 9, 11, 35-51  ; c’est aussi un thème privilégié par Augustin (cf. en particulier Confessiones, vii, 10, 16). 82   Cons., i, 5, 6. 83   Cf. Plotin, vi, 9, 6, 30-31  : le bien «  n’occupe pas de lieu  ; il n’a pas besoin d’un appui, comme s’il ne pouvait se soutenir lui-même  ». 79 80



LE «  LIEU  » DU VRAI BONHEUR DANS LA CONSOLATIO DE BOÈCE177

bonheur lui-même comme notre destination, Boèce associe étroitement à la détermination ontologique du bonheur la réflexion sur notre propre relation à celui-ci  : c’est là un élément remarquable de la construction de l’ouvrage. Ensuite, s’il est assurément difficile d’évaluer en quoi la réflexion sur le bonheur développée dans la Consolation reflèterait, chez Boèce, un néoplatonisme spécifiquement «  latin  »84, en revanche, ce qui nous paraît significatif est l’usage que cet auteur fait de la langue latine en des raisonnements fortement teintés de néoplatonisme. On aurait tort, sans doute, de donner une signification décisive à l’ambiguïté du quonam et du quo sur laquelle nous nous sommes arrêtée. Cependant, Boèce nous semble faire preuve d’originalité dans la Consolation, par rapport à ses prédécesseurs grecs, en jouant sur les termes de l’expression «  résider en  », «  se trouver en  » qui sert couramment à formuler une définition, pour régénérer celle-ci en lui redonnant un sens originaire et spatial. Ce procédé linguistique permet d’unir intimement les deux perspectives distinguées en ouverture de cette étude, et de placer Dieu au terme d’un cheminement téléologique. Enfin, dans la conception élaborée d’un iter conduisant à Dieu comme au lieu propre de l’âme, tel que nous avons tenté d’illustrer dans ces pages, Boèce se montre très proche d’Augustin. Comme les néoplatoniciens grecs, Boèce met l’accent sur l’intériorité, tout en rattachant cette thématique, comme son prédécesseur latin, à un cheminement personnel se déployant dans un processus narratif aux accents autobiographiques — que l’on pense aux Confessions ou aux Soliloques. Chez les deux auteurs, la métaphore spatiale du lieu du bonheur et des voies pour y parvenir nous semble ainsi tirer l’essentiel de son efficacité de l’histoire individuelle dans laquelle elle s’inscrit.

84   Le point a été envisagé en détail et en considération de toute l’œuvre de Boèce par C. Moreschini, Varia Boethiana, op. cit. (p. 7-30  : «  Boezio e la tradizione del neoplatonismo latino  »).

L’INFLUENCE PLOTINIENNE SUR L’EXÉGÈSE DE LA MORT D’ABEL DANS DE FIDE CATHOLICA DE BOÈCE1 Alain Galonnier (CNRS – ENS)

Le caractère sybilin du contenu des Écritures, ouvert à tous les vents de l’interprétation, aiguillonne depuis des siècles la faculté imaginative de ses glossateurs. L’épisode génésiaque de la mort d’Abel, sans s’affranchir de tout recours à l’ellipse, et ce quelle que soit la tradition envisagée, ne semble cependant pas avoir autant que d’autres inspiré les exégètes. Boèce a néanmoins, contre toute attente vu la faible dimension de son traité, cédé à la force attractive du commentaire le concernant. Et c’est à ce titre qu’il va nous intéresser. Car sa propre lecture, qui occupe une modeste partie du quatrième des Opuscula sacra, dénommé De fide catholica (ou christiana) – petit ouvrage de catéchèse –, présente, nonobstant sa brièveté, plusieurs aspects assez inattendus, dont le moindre n’est pas celui qui, selon nous, tendrait à incriminer Dieu en le faisant passer pour un tortor, dès lors qu’il aurait surenchéri doublement, et comme par plaisir, dans la détermination du châtiment infligé à Adam. Voici, en effet, comment il l’explique, l’interdit une fois transgressé  : 1.  Il en résulta qu’apparurent à la fois la corruption des corps et des âmes et l’anéantissement par la mort, et le premier, il (Adam) mérita d’expérimenter la mort en son fils Abel, afin qu’en son rejeton il éprouvât combien était grand le châtiment qu’il avait lui-même encouru. Que si lui-même mourrait le premier, en quelque manière il ne saurait pas et, si on peut oser le dire, il ne ressentirait pas son châtiment  ; mais il a fait l’expérience en un autre afin qu’il reconnût ce qui en toute justice lui était dû à lui le contempteur, et, alors qu’il endurait le châtiment de la mort, que l’attente elle-même le torturât plus fortement2. 1   Nous remercions vivement Madame Nicole Hecquet-Noti, Chargée d’enseignement à l’Université de Genève, et Monsieur Jean-louis Le Gludic pour leur relecture attentive et leurs remarques pertinentes. 2  «  Hinc factum est ut et corporum atque animarum corruptio et mortis proveniret interitus primusque mortem in Abel filio suo meruit experiri, ut quanta esset poena quam ipse exceperit probaret in subole. Quod si ipse primus moreretur, nesciret quodam modo ac, si dici fas est, nec sentiret poenam suam, sed ideo expertus in altero est, ut quid sibi iure deberetur contemptor agnosceret et dum poenam mortis sustinet, ipsa exspectatione

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Cependant, avant de passer ces propos au crible, pour tenter d’en dégager le sens et de mesurer leur portée, il ne sera pas superflu d’avoir une idée précise de la teneur du récit original, à savoir vétéro-testamentaire, qui est ici soumise à une déduction que nous qualifierons de hardie. La mise en garde divine contre la possibilité de transgresser l’interdit cardinal est formulée une seule fois à l’intention du couple fondateur, mais réitérée indirectement. Son énoncé émane de la plus haute instance, lorsque Dieu soumet l’homme à son dictat  : De l’arbre qui fait connaître le bien et le mal vous ne mangerez point. Le jour où vous en mangerez, vous mourrez de mort (Gen., 2, 17)3.

La réitération est mise peu après dans une bouche humaine, provisoirement immortelle, lorsque la femme rapporte au serpent  : Du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit  : «  Vous n’en mangerez pas, et ne le touchez pas de peur que vous ne mourriez  » (Gen., 3, 3).

L’avertissement étant resté sans effet, l’application post­lapsaire de cette «  peine de mort  » condamna Adam à ne plus vivre éternellement, privé qu’il fût du loisir, dont il aurait pu profiter sans limite, de se nourrir de l’arbre de vie (Gen., 3, 22). La narration passe ensuite, et assez brutalement, à la double descendance des époux primitifs entachés par la faute. Un jour, Caïn le cultivateur et Abel le berger présentèrent chacun à Dieu une partie du fruit de leur labeur. La maladresse ou l’ignorance des traditions dont fit preuve le premier suscita chez lui humiliation et ressentiment  : Et Dieu agréa Abel et ses présents, mais Caïn et ses sacrifices, il n’y prêta pas attention. Et cela affligea fort Caïn et son visage fut abattu (Gen., 4, 4-5).

De la jalousie fraternelle qui en résulta naquit le projet d’une élimination, puis sa mise à exécution  : Caïn se dressa contre Abel son frère et le tua (Gen., 4, 8).

En représailles, Dieu, qui, comme lors du péché premier, n’intervint point pour empêcher le drame, maudit Caïn et le chassa des terres fertiles qu’il cultivait, mais l’épargna, et même lui apposa un signe pour le préserver, dans son exil, de ceux qui en voudraient à sa vie (Gen., 4, 11 et 15). fortius torqueretur  », De fide catholica, éd. Cl. Moreschini, Boethius. De Consolatione Philosophiae. Opuscula sacra, München, Teunner, 2005, p. 198, 99-199, 108. 3   Nous utiliserons la traduction de La Bible d’Alexandrie, sous la direction de M. Harl, Paris, 1986 sqq., ici 1, La Genèse. Traduction, introduction et notes par M. Harl, Paris, Cerf, 19942.



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L’enseignement à tirer de ces péripéties n’est évidemment pas contenu dans leur relation, et cela aurait dû laisser toute latitude à l’exégèse pour tailler dans l’épaisseur du symbole dont elles restent grosses. L’intérêt qu’elles suscitèrent, nous le disions, fut toutefois limitée. À titre d’exemple, Origène (c. 185-254), dans ses In Genesim homiliae4), et Jean Chrysostome (c. 350-400), en ses Sermones in Genesim et In Genesim homiliae5, pour les Grecs, Augustin (De fide et symbolo, Enchiridion et De Genesi ad litteram), pour les Latins, ne furent point les seuls à ignorer le destin d’Adam. Chez ceux qui s’arrêtèrent au sort d’Abel, tel Philon d’Alexandrie (fl. s. ii1 p. Ch.) dans sa trilogie sur le thème (De sacrifiis Abelis et Caini6, Quod Deterius7 et De posteritate Caïni8), il n’est pas rare de constater que les conséquences de cet homicide, qui ne paraissent concerner aucunement Adam, puisque seul Caïn subit la malédiction de Yahvé, sont totalement exemptes de l’effet en retour qu’a retenu Boèce. Car si le lapsus adamique est bien présenté dans le récit biblique comme la cause – quoique médiate – de la disparition d’Abel9, il ne rétrocède aucun enseignement, dès lors que rien ne rejaillit de cette dernière sur la psychologie de l’Adam pécheur. Or, ce qui frappe dans la position de notre auteur, qui, malgré l’étroitesse de l’allusion qu’il consacre au sujet, choisit de ne pas se tenir en retrait de cette quête de sens, c’est précisément qu’elle ne s’arrête qu’à l’incidence existentielle que la mort d’Abel eut sur son père, sa fonction étant de faire apparaître comment la planification divine l’instrumentalisa. Qui plus est, en y voyant d’abord et uniquement de quoi susciter une peur panique par une attente insupportable, il prend le contrepied de beaucoup d’opinions de ses devanciers, celle par exemple de Philon, qui, dans son Quod Deterius10, expose ce que l’on pourrait appeler le «  paradoxe abélien  ». Selon lui, après son sacrifice, Abel vécut dans la vie bienheureuse qui est en Dieu, tandis que 4  Voir In Genesim homiliae, Introduction, traduction et annotation par L. Doutreleau et al., Paris, Cerf, SC 7 bis, 1943. 5  Voir Sermones 1-8 in Genesim, Introduction, traduction et annotation par L. Brottier, Paris, Cerf, SC 433, 1998, et In Genesim homiliae, notamment les homélies xix et xx, dans PG 53, col. 21-385 et 54, col. 385-580 – ici 53, col. 157-174. 6  Voir De sacrifiis Abelis et Caini, Introduction, traduction et notes par A. Méasson, Paris, 1966. 7  Voir Quod Deterius, Introduction, traduction et notes par I. Feuer, Paris, 1965. 8  Voir De posteritate Caïni, Introduction, traduction et notes par R. Arnaldez, Paris, 1972. 9   La mise à mort d’Abel ne survint qu’en dernier lieu dans les manifestations consécutives à la chute initiale  : soumission au labeur, l’erreur de Caïn envers Dieu, sa jalousie pour son frère, et son projet assassin. 10  Éd. cit., p. 50.

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Caïn s’est fait périr lui-même en détruisant son âme, morte à la vie vertueuse11. Boèce, lui, se désintéresse totalement de la conséquence de cet assassinat sur le frère criminel, qu’il transforme en un pur instrument de torture destiné à accabler le père. Le point charnière du raisonnement boécien, dont la densité compense la faible extension, se situe en effet dans la nécessité d’amener Adam à mesurer l’ampleur (quodam modo) du châtiment infligé. C’est, à terme, ce qui commande la décision divine de sacrifier Abel. Or, pour parvenir à ce résultat, Dieu fut tenu, toujours selon l’analyse de Boèce, de renchérir doublement sur la perte de l’immortalité, qui est l’unique condamnation, nous l’avons vu, retenue par le texte scripturaire  : d’une part en décidant de faire périr quelqu’un avant Adam lui-même, de l’autre en décidant que ce serait son fils cadet. Sans cela, non seulement la perte de la vie éternelle serait apparue trop douce aux yeux de Dieu, mais il aurait aussi estimé trop indulgent de faire mourir prématurément le fils aîné d’Adam, ce que lui aurait pourtant mérité son geste fratricide. Comment dès lors ne pas imputer cette sorte d’acharnement à celui auquel semble devoir être rapporté également l’effet de torture (torquere) que signale le De fide catholica  ? Peut-on dédouaner Dieu de ce châtiment délibérément torturant au motif de le préserver de tout anthropisme  ? Rejeter l’implication divine dans cette peine conçue pour provoquer l’effarement par l’horreur, et refuser l’engagement de la responsabilité de Dieu manifestant une volonté perverse d’accablement, oblige, à notre sentiment, à des concessions interprétatives possiblement dénaturantes sur le fond, que nous devons soumettre à l’examen. Il est certes possible, pour contrer l’idée que dans la présentation boécienne Dieu apparaît comme un tortionnaire, de tirer argument d’un constat d’ordre linguistique, en faisant remarquer que ce n’est pas le concept nominal (tortor) qui est employé par Boèce, mais le concept verbal (torqueretur), à savoir un passif, sans autre complément d’agent que l’attente de la mort. Dans le droit fil de cette notation, Adam devient son propre tortionnaire, Dieu ayant simplement voulu qu’il prenne conscience de sa faute et sache ce qu’est la mort en voyant son second enfant mourir. Ce qui torture Adam c’est d’assister à la disparition de son fils cadet en raison du péché originel dont il est, lui Adam, responsable  : il peut ainsi prendre toute la mesure de sa faute. Dieu ne torture donc pas Adam, mais laisse les conséquences naturelles du péché le torturer, afin que le premier homme réalise ce qu’il a fait. Il est d’ailleurs remarquable   Quod Deterius [47-48], traduction citée, p. 51.

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que Dieu ne soit pas mentionné dans tout le passage consacré à la mort d’Abel  : Dieu est en retrait et Adam laissé seul face aux implications du forfait commis, c’est-à-dire face à lui-même. Toutefois, cette mise au point sémantique dépend du libre cours laissé aux «  conséquences naturelles  » d’un mécanisme faute–sanction, selon nous fortement bousculé. Le double forçage de l’ordre naturel Si le lien de cause à effet entre le péché originel dont Adam est responsable et l’obligation, pour ce dernier, d’assister à la mort de l’un de ses fils, quoique absent de la Genèse par quelque indice que ce soit, n’en est pas moins avéré pour Boèce, il ne nous y semble justement pas inscrit dans l’ordre naturel, qui aurait été, à ce que nous percevons sous ses propos, forcé par deux fois. Le fait que les seules conséquences de l’ordo naturalis qui nous paraissent admissibles, à savoir «  l’apparition de la corruption des corps et des âmes et l’anéantissement par la mort  », n’ont pas été jugées suffisantes pour torturer Adam, détermine le premier forçage et sont déjà de nature à faire de Dieu un tortionnaire, dans la mesure où il a voulu accentuer la peine du coupable. Pourquoi, en effet, soumettre Adam à la vieillesse et à la mort, lui qui avait été créé immarcescible et immortel en bénéficiant d’un approvison­nement libre et perpétuel à «  tout arbre du jardin  », dont celui de vie (Gen., 2, 9 et 16), serait-il resté en-deçà d’une peine satisfaisante  ? Constater combien les effets du processus inéluc­table et irréversible du vieillissement dont il était directement à l’origine les atteignaient, lui et sa descendance, et les détruisaient lentement, avait en apparence quelque chose de trop édulcoré pour accéder au rang de châtiment idoine  : dans l’esprit de Boèce, aussitôt instaurée la peine insatisfait son auteur. Qui plus est, en admettant qu’il eut été indispensable qu’Adam connût un tourment aggravé, il devait effectivement ne pas périr le premier, ce à quoi il était voué, on le sait, en sa qualité d’aîné absolu. Mais même ainsi, cela n’exigeait pas la mort d’Abel le juste. Il aurait seulement fallu que quelqu’un de plus jeune qu’Adam – par exemple son premier fils, Caïn – le précédât dans la mort, étant donné que l’on ne peut être le spectateur de sa propre décomposition, et qu’il y fallait un supplice par l’attente la plus longue possible. Dieu a par conséquent surenchéri une seconde fois. Il ne lui a pas suffi qu’Adam vive lui-même «  l’anéantis­sement par la mort  » – premier forçage de l’ordre naturel, indispensable uniquement si l’on

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accepte la nécessité d’une peine plus dure. Il a voulu de surcroît que le vécu soit déterminé, non pas par le trépas de son fils aîné, mais par celui du frère cadet de ce dernier, qu’il avait agréé auparavant – ce qui constitue une nouvelle surenchère et le second forçage de l’ordre naturel. N’est-ce pas, dans ces conditions, exacerber les suites attendues du péché d’Adam plutôt que laisser ses conséquences le torturer  ? La torture que nécessitait l’expérimentation des conséquences de la faute n’exigeait la mort d’Abel que si on souhaitait une torture paroxistique. Or c’est cette volonté de paroxisme qui, selon nous, permet d’une part de rapporter, dans le raisonnement de Boèce, le verbe torquere directement à Dieu, de l’autre d’établir que ce ne sont pas les suites naturelles du péché qui ont torturé Adam, mais bien leur outrepassement planifié par Dieu lui-même. L’originalité dans l’outrance Le point de vue que nous examinons, quoique sans réel équivalent connu, comme nous l’avons laissé entendre, n’est cependant pas complètement dépourvu d’antériorité. Une analyse de Théodoret de Cyr (c. 393460) renferme l’amorce d’un parallèle. Dans un très bref paragraphe de ses Quaestiones in Genesim («  Pourquoi, alors qu’Adam a péché, Abel le juste est-il mort le premier  ?  »), il se limite à préciser que si Dieu a voulu injuste la disparition d’Abel ce fut pour priver la mort du fondement solide que lui aurait fourni celle d’Adam pécheur si elle s’était produite en premier12. Théodoret tente ainsi, à ce que nous avons compris, de justifier le calcul et le programme divins qu’il ne peut manquer de déceler dans cette mort  ; seulement, il ne prolonge pas sa réflexion, comme le fait Boèce, en direction d’une volonté torturante. À l’époque du De fide catholica pourtant, ou quelques années auparavant, Avit de Vienne, dans son épopée biblique De spiritalis historiae gestis (c. 497-500), en faisant entendre la sentence divine qui anéantit Adam, procède, de prime abord, sensiblement à la même lecture  : Ante tamen proprium nati praecurrere letum conspicies poenasque tuas in prole videbis. Ut metuenda magis cernatur mortis imago, peccasse agnoscas quid sit, quid mortua fleri quidve mori. Ac ne quid desit tibi forte malorum, 12   Voir Théodoret de Cyr, Quaestiones in Genesim, v, xlvi, Quaestiones in Octateuchum, éd. N. Fernandez-Marcos et A. Saénz-Badillos, Madrid, Instituto Arias Montano, 1979 (= PG 80, 77-224 – ici 146C-147A).



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quae castigandis corruptus parturit orbis, acrior immenso miscebitur ira doloris13.

Mais on s’aperçoit rapidement, une fois la part consentie aux réquisits de l’expression poétique, qu’il ne pèse pas autant que le fait Boèce sur la planification d’une souffrance par un tourmenteur, qu’il reste indifférent au choix du fils cadet (natus est bien trop vague), et qu’il ne se montre que peu réceptif au double forçage de l’ordre naturel. Ce ne sera apparemment que trois siècles et demi plus tard que Photius (820-897) fera entendre un écho plus précis de la position boécienne, sans s’y référer bien sûr d’une quelconque manière. Nous paraphrasons ici la réponse qu’il donne à la question 11 des Amphilochia (pourquoi, alors qu’Adam avait péché et méritait le châtiment de la mort, son fils, exempt de toute faute, disparut néanmoins avant lui)  : si Adam, explique-t-il, n’avait point assisté à la mort de son fils, il n’aurait pas expérimenté ce que la mort véhicule comme horreurs, ni la terrible solitude de l’agonie, ni le tourment de l’esprit, ni le délabrement du corps, ni tout ce qui s’ensuit de la dissolution et de la putréfaction, l’odeur pestilentielle, la pulvérulence, la sanie et les vers. Donc, pour qu’Adam se trouve confronté à tout ce que son propre châtiment avait de terrible et d’intolérable, il fallait qu’il assiste à ses manifestations chez un autre. Par le fait de voir, il a réalisé la démesure de sa faute14. Avec cette dernière phrase tout particulièrement, et bien que la condition de la victime – jeune et innocente –, et le dessein tourmenteur de Dieu, ne soient pas pris en compte, nous nous situons assez près de l’objectif de Boèce. Car c’est bien sur la notion de prise de conscience que se focalise le raisonnement boécien, la question étant de savoir comment la décision arrêtée par Dieu pour la provoquer peut intégrer une intention torturante irréductible, et de laquelle il tire toute son originalité. En d’autres termes, pourquoi Boèce se complaît-il à décrire le comportement du Dieu de l’Ancien Testament, calculateur et exigeant, dont l’attitude d’offensé réclame réparation, processus dans lequel la mort d’Abel conserve quelque chose d’outrancier, et qui peut étonner 13   De spiritalis, Chant iii, vers 177-182  : «  Cependant, auparavant, tu verras le trépas de ton fils devancer le tien et tu contempleras ta peine dans ta descendance. Afin que l’image de la mort soit perçue plus redoutable encore, apprends ce qu’est pécher, ce qu’est pleurer les morts et ce qu’est mourir. Et pour qu’aucun des maux engendrés par le monde corrompu pour châtier les pécheurs ne te fasse défaut, un violent ressentiment se mêlera à ton infinie douleur  », dans Avit de vienne, Histoire spirituelle, Introduction, texte critique, traduction et notes par N. Hecquet-Nori, t. i et ii, Paris, 1999 et 2005 – ici i, p. 280-283. 14   Voir B. Laourdas et L.G. Westerink, Photii patriarchae Constantinopolitani Epistulae et Amphilochia, vol. i à vi.2, Leipzig, Teubner, 1983-1988, ici iv, L.G. Westerink, 1986.

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p­ récisément par son besoin d’appuyer sur l’implacabilité et la cruauté de celui qui la suscite  ? Autrement dit, pourquoi dessine-t-il l’image d’un Dieu qui garde une épaisse part d’ombre, dès lors qu’il accable sa créature, déchue pour avoir cédé indirectement au démon, et pèse sur sa déchéance jusqu’à se satisfaire du trépas de trop  ? On se doit de le reconnaître, l’auteur du De fide catholica ne nous livre que très peu d’éléments de réponse, se contentant d’indiquer que la venue du règne christique a substitué l’ordre de la grâce à l’ordre naturel  : Puisque le genre humain, en ce que lui mérite une nature qui s’était rétractée à partir du premier prévaricateur, avait été blessé par les traits d’un châtiment éternel et ne suffisait pas à son propre salut qu’il avait perdu en son premier père, le Christ accorda certains moyens de guérison, les sacrements15  ; alors le genre humain reconnaîtrait qu’une chose lui est due par le mérite de la nature, une autre par le don de la grâce  ; en sorte que la nature ne produit rien sinon pour le châtiment, tandis que la grâce, qui n’est attribuée à aucun mérite – parce qu’elle ne serait pas dite grâce si elle était distribuée aux mérites –, apporterait tout ce qui relève de son salut16.

Rien ici, par conséquent, de très éclairant pour mieux comprendre la glose précédente sur la condition de l’Adam pécheur et l’exaspération de sa peine. Elle s’appesantit sur le geste cruel et rageur du Dieu de la foi judaïque, lequel est dit châtier selon la nature – ce qui serait, nous allons le voir, déjà plotinien –, mais reste par la suite évasive quant au dépassement qu’amène le Dieu des Chrétiens, lequel est dit donner selon la grâce  : autant le premier, en demande d’expiation, est capable de harcèlement, autant le second, soucieux de rachat et prompt à la miséricorde, est étranger à tout esprit de vengeance. La lecture exégétique faite par Boèce de la persécution du premier fauteur ne s’arrête pas autant qu’on l’attendrait à ce qui serait en mesure de l’expliquer, même si elle laisse pressentir, toujours au fragment précédent, que cela pourrait se jouer dans l’évolution de la nature divine, celle entre un Dieu qui a fait l’homme et un Dieu qui s’est fait homme. Notre auteur n’a pas vraiment rendu plus signifiant ce contraste  ; nous tenterons alors de combler son silence en mobilisant les aboutissants d’une conception philosophique redevable à quelques éléments de la doctrine de Plotin sur le mal, dont les tenants ne seraient pas tous explicites chez Boèce. 15   Rappelons qu’il y a sept sacrements dans l’église catholique  : le baptême, la confirmation, l’eucharistie, la pénitence (visant à la réconciliation), l’onction des malades, l’ordre (celui par lequel on devient diacre, prêtre ou évêque) et le mariage. 16   De fide catholica, éd. cit., p. 204, l. 221-229.



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Une catéchèse philosophique Plusieurs moments conceptuels émergent effectivement du De fide catholica. Ils trahissent non pas un simple instructeur mais un philosophe, qui, dans le cas de sa présentation du péché, serait allé puiser l’idée qu’il développe dans une théodicée de type stoïcien, observable notamment chez Chrysippe, par le truchement de Plotin selon Émile Bréhier17, et qualifiée d’«  audacieuse  » par Luc Brisson18. Elle y présuppose toutefois une définition du mal, qui nous situe déjà au cœur de la réflexion de Boèce sur le point de doctrine qui nous occupe  : 2.  Les maux viennent… quand nous sommes incapables de rattacher les conséquences de nos actes à la volonté de la providence (πρόνοια), et que nous les rattachons plutôt à la volonté d’individus agissants ou à une autre partie de l’univers, en ne suivant pas la providence ou en subissant en nous l’action de la partie de l’univers en question19.

Le mal commis par Adam, dira-t-on aussitôt par une projection peutêtre imprudente, s’apparente bien à un manquement à la providence divine, ou décision réfléchie de Dieu, et résulte du désir de suivre une autre partie, en l’occurrence celle de l’Ange déchu. Or ce suivisme est la conséquence d’une défaillance, que Plotin attribue à la créature imparfaite que nous sommes, dans la mesure où, comme l’Adam transgresseur qui l’a perdue, elle n’a pas de connaissance a priori du mal. De là l’épreuve à laquelle elle doit être soumise  : 3.  L’expérience (πεῖρα) du mal offre une connaissance plus manifeste du bien à ceux dont la puissance est trop faible pour connaître le mal par une science qui précède l’expérience20.

Nous toucherions en l’occurrence, avec ce renversement plotinien qui serait sous-entendu par Boèce, au fondement philosophique de notre 17   La filiation de Chrysippe à Plotin a été suggérée par Bréhier (éd. cit., iv, p. 225, n. 1), qui renvoie à H. von Arnim, Stoicorum veterum fragmenta, ii, Stuttgart, 1964, no 1175, lequel renvoie à Plutarque, Des contradictions des Stoïciens, xv (1040b-c)  : «  [Chrysippe,] dans son premier livre sur la Justice, après avoir rapporté ces vers d’Hésiode  : “Le souverain des dieux, armé de son tonnerre, / Fait pleuvoir les fléaux qui désolent la terre, / La peste, la famine et la cruelle mort” (Les travaux et les jours), / dit que les dieux agissent ainsi afin que la punition des méchants soit un exemple pour les autres, et qu’ils en soient moins hardis à commettre le mal  » (trad. Ricard, Œuvres morales de Plutarque, tome v, Paris, 1844, p. 68). Nous ignorons si Plotin a pu s’inspirer de ce texte. 18   Voir Plotin. Traités 1-6, Paris, Flammarion, 2002, p. 267, n. 100. 19   Ennéades, 48 ( iii, 3), 5, 36-39, Traités 45-50, Paris, Garnier-Flammarion, 2009, p. 257. 20   Ennéades, 6 (iv, 8), 7, 15-17, Traités 1-6, Paris, Flammarion, 2002, p. 250.

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proposition de lecture  : expérimenter le mal permet à celui qui l’ignore par incapacité à le préconnaître, d’appréhender le bien. La carence de cet être voué à une appréhension a posteriori des valeurs, lui impose d’être confronté à un vécu, que rend la notion de πεῖρα, laquelle désigne, dans la tradition philosophique grecque, l’«  expérimentation  », l’«  épreuve  » à laquelle on se soumet ou on est soumis. La sensibilité de l’âme humaine, effectivement, parce que assujettie à la loi naturelle et dépourvue d’intuition immédiate, se voit imposer de «  faire l’expérience  » du mal, qu’elle doit voir et subir, jusqu’à le commettre, expérience destinée à l’amener à comprendre, en le comparant à son «  vis-à-vis  » (ἐναντίον), ce qu’est l’existence dans l’intelligible. Par cette épreuve, l’âme sensible descend dans un premier temps jusqu’au degré inférieur de l’intelligence, afin de mieux accomplir, dans un second temps, une remontée vers la contemplation des réalités intelligibles, ainsi que sa conversion vers le mieux, qui s’opère toujours dans le lieu inférieur du pire (το χείρον)21. D’où l’étape du «  mal agir  », voulu par la providence, dont Dieu fait usage pour rendre l’univers conforme à l’intelligence. Si donc elle pourvoit au pire22, c’est pour faire en sorte que l’âme apprenne à connaître plus clairement le bien en le confrontant à son contraire. Les deux sont si intimement liés, que  : 4.  réclamer l’abolition du pire dans l’univers revient à abolir la providence elle-même23.

Plotin raisonne ici à partir d’une espèce de principe énantiologique, en fonction duquel est régi le monde sensible, où chaque partie, parce qu’elle est imparfaite, a besoin d’une autre partie, soit pour se convenir soit pour s’exclure mutuellement dans une relation antagonique24. À ce dernier rapport appartiennent l’amitié et la haine, le bien et le mal. Dans cette perspective, la πεῖρα plotinienne nous semble être passée tout entière dans l’«  experiri  » et l’«  expertus est  » de Boèce, deux occurrences consécutives d’un même concept pour en marquer l’importance. En conséquence de quoi, le mal devient un maillon nécessaire dans l’enchaînement du tout universel, son rôle consistant à permettre à l’homme de s’exercer à la vertu, puisque le fait d’être châtié pour avoir commis le mal lui sert d’exemple. Selon Émile Bréhier, Plotin reprendrait ici l’«  idée inspiratrice  » du platonisme, dont serait aussi gros le r­aisonnement de Boèce, à savoir que «  l’homme, dans son jugement sur le mal, ne doit pas être guidé   Ibid.,   Ibid., 23   Ibid., 24   Ibid., 21 22

ibid. 48 (iii, 3), 7, 5-6, p. 260. ibid. 47 (iii, 2), 2, 1-8, ibid., p. 217.



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par un faux espoir dans la bonté d’un dieu miséricordieux, mais par une représentation d’ordre intellectuel qui lui fait comprendre le rapport du mal à l’harmonie de l’univers  »25. Telle paraît être la leçon qu’Adam doive retirer de la mort de son fils Abel, voulue par un Dieu non de miséricorde, mais de raison, et celle à partir de laquelle il nous faille comprendre la décision divine qui en est à l’origine. La créature adamique – si l’on continue de filer la description de Plotin en la transposant –, débilitée et trop imparfaite après le péché, pour avoir une connaissance exacte du bien, a besoin d’expérimenter son contraire dans ce qu’il a de plus instructif, c’est-à-dire de plus traumatisant. Et cette terrible contre-expérience du mal, effet d’un geste providentiel de Dieu, lui assure en retour une meilleure appréhension du bien. En d’autres termes, Adam se serait fait une idée trop faible du mal s’il ne l’avait expérimenté qu’à travers la disparition de Caïn, et encore moins si lui-même, Adam, avait subi la mort directement. Cette dernière notation participe d’ailleurs de nouveau de deux principes énoncés par Plotin. Une appréciation trop rapide du premier pourrait amener à le qualifier d’évidente  : 5.  Le mal doit bien arriver à quelqu’un en particulier. Mais pour celui qui n’est plus ou qui, s’il est, est privé de vie, il ne peut y avoir là plus de mal qu’il n’y en a pour une pierre26.

Le mal, rappelle Plotin, ne saisit que le vif, inscrit dans la durée active, donc capable d’expérience. Le second principe nous ramène à la condition du vulgaire, que le sage plotinien vise assurément à dépasser, mais qui reste valable pour l’homme disgrâcié  : 6.  Nous sommes par nature disposés à souffrir des malheurs qui touchent nos proches27.

Si donc Adam, dont le péché a fait un vulgus, n’avait pas été, de son vivant, immédiatement impliqué dans les conséquences de la mort de celui issu de sa propre chair, et surtout dans ce qu’elle donne à voir, c’est-à-dire les horreurs qu’elle véhicule, selon les termes de Photius, la leçon que Dieu voulait infliger au premier homme n’aurait pas été suffisamment instructive. Boèce, par conséquent, se placerait, dans le sillage immédiat de Plotin, au cœur, non pas d’une attitude fidéique de renoncement à l’intelligence, où l’on s’en remet à une décision insondable de Dieu, en renvoyant son décret au mystère, mais d’un processus intellectif, qui présuppose une ordonnance réfléchie, prise de toute éternité.   É. Bréhier, Plotin. Ennéades, iii, Paris, Les Belles Lettres, 1989, p. 23 exit.   Ennéades, 54 (i, 7), 3, 6-7, Traités 51-54, Paris, Flammarion, 2010, p. 247. 27   Ibid., 48 (i, 4), 8, 19-20, Traités 45-50, Paris, Flammarion, 2009, p. 154. 25 26

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Il semble néanmoins que l’incidence de Plotin sur Boèce doive ici s’infléchir. Un décalage, en effet, survient très rapidement quand il s’agit d’étendre l’influence doctrinale au second volet du raisonnement boécien, celui qui concerne le vécu de la mort dans l’altérité, seul capable de provoquer une prise de conscience quant à la nature de la peine et à son intensité, et de créer les conditions d’une torture par l’attente de subir le même sort. Alors qu’elle intervient chez Boèce comme le châtiment ultime, la mort n’est jamais perçue, aux yeux de Plotin du moins, comme un mal, mais le plus souvent comme un bien ou une délivrance, tout simplement parce qu’elle affranchit de la corporéité. La véritable dimension torturante 7.  Dès lors que la mort n’est que «  la séparation de l’âme et du corps  », et qu’une fois purifiée, c’est-à-dire séparée du corps, «  l’âme devient… une forme et une raison, [et dès lors qu’]elle est tout incorporelle, intellective et… appartient entièrement au divin d’où jaillit le beau et toutes les réalités qui lui sont apparentées  »28, on comprend que la mort ne soit pas un mal pour l’âme incorporée29 et «  n’(ait) rien de terrible  »30, parce qu’elle «  vaut mieux que la vie avec le corps  »31.

Ces principes, il est vrai, concernent en priorité le sage  ; mais ce ne serait point se méprendre que d’affirmer qu’ils sont susceptibles d’être étendus à tout homme. De sorte que si l’on devait rapporter la mort à Dieu – ce qui ne fait pas Plotin tout en le permettant implicitement –, on serait tenu de dire que par elle il ne tourmente pas mais délivre. Même celui qui est offert en sacrifice – comme Abel le juste le fut pour ainsi dire en victime expiatoire –, doit estimer que son sort est une libération  : 8.  La victime, d’un sacrifice, pensera-t-[elle] que la mort est un mal pour [elle], parce qu’[elle] est morte près des autels32  ?

Il en va pareillement de ceux qui meurent de mort violente – comme Abel, là encore, se permettra-t-on d’ajouter  : 9.  Mourir dans des guerres ou des combats, c’est devancer de peu le terme de la vieillesse, car c’est partir plus vite pour revenir plus vite… Et ces meurtres, toutes ces morts, ces captures et ces pillages de cité, il faut les   Ibid.,   Ibid., 30   Ibid., 31   Ibid., 32   Ibid., 28 29

1 (i, 6), 6, 9-10 et 13-16, Traités 1-6, Paris, Flammarion, 2002, p. 75. 54 (i, 7) 3, op. cit., p. 247-248. 47 (iii, 2), 15, 38, Traités 45-50 p. 239. 46 (4, 7) 25-26, ibid., p. 152. 27-28.



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considérer comme des spectacles de théâtre  : tout cela n’est que changement de rôle33.

Ces derniers cas, en rappelant la croyance en la métensomatose – 10. «  mourir c’est [pour l’âme] changer de corps comme l’acteur… change de costume  »34 –, font pourtant surgir une difficulté  : pourquoi l’âme, si impatiente de se désincarner, donne-t-elle l’impression d’être désireuse de réintégrer un corps («  revenir plus vite  » 9.), et d’aller ainsi de prison en prison  ? Car c’est bien lorsqu’elle est purifiée de tout élément corporel, et que 11. les choses les meilleures, la réflexion et les autres vertus qui lui appartiennent en propre, sont présentes en elle…, [c’est bien] chaque fois qu’elle revient à elle-même, [que l’âme montre appartenir] à cette nature dont nous déclarons qu’elle est celle de tout ce qui est divin et éternel35. Contentons-nous de soulever le problème, car ne nous importe ici que le statut concédé à la mort, laquelle paraît difficilement en mesure de servir de châtiment, dès lors que ce qui ne suscite pas d’affliction ne peut être utilisé pour punir et pour accabler. Doit-on, sachant cela, renoncer à poursuivre notre analyse d’une possible filiation entre Plotin et Boèce, pour l’arrêter un peu abruptement aux seuls aspects pris en compte  ? Une possibilité semble néanmoins offerte de la prolonger. Elle implique de reconsidérer la nature de l’élément torturant. Nous l’avons identifier dans la mort et son escorte. C’est à celle-ci qu’il nous faut revenir, comme à ce qui permet de se recentrer sur la notion essentielle d’«  expérience  » (πεῖρα). En ce qui concerne Adam, elle suppose, en effet, d’être inscrite dans la durée, et ce de deux manières  : pour être appréhendée par les sens et redoutée par l’esprit – ce que veille à rendre la terminologie utilisée par Boèce. Car il fallait qu’Adam «  ressente  » (sentire) la peine, qu’il «  reconnaisse  » (agnoscere) qu’elle lui était due en conséquence de sa faute, «  endure  » (sustinere), ou, plus littéralement, «  soutienne (du regard)  », le spectacle que représente le processus de défaisance, et éprouve l’«  attente  » (exspectatio) d’en être atteint à son tour. Tel est le châtiment infligé, celui où la mort devient durée, où elle-même, qui matérialise seulement l’instant du passage de vie à trépas, initie la double dimension temporelle du supplice  : confrontation et appréhension. Voilà sans doute pourquoi Boèce paraît faire porter toute la charge torturante, non pas sur la mort-instant, qui, en tant que dissociation de l’âme et du corps, n’est pas du tout, à suivre Plotin, traumatisante, mais sur la mort-durée, et sur ses conséquences quant   Ibid., 47 (iii, 2), 15, 38-39 et 43-45, Traités 45-50, p. 239.   Ibid., ibid., 15, 24-25. 35   Ibid., 2 (iv, 7), 10, 8-16, p. 121. 33 34

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à la corporéité, qui, propres à engendrer le tourment, ébranlent bien davantage. Et la mort-instant perd d’autant mieux son statut de déchéance, même en comparaison de la vie éternelle dont jouissait l’homme prélapsaire, que l’on considère la part d’éternité restée attachée à la créature humaine avec l’immortalité de son âme, dont l’Ancien Testament ne semble pas douter  : Que la poussière retourne à la terre comme elle en est venue, et le souffle à Dieu qui l’a donné (Qoh., 12, 7).

Dans ces conditions, la peine que Dieu inflige à l’homme adamique n’est que le terrible spectacle de la mort dont meurt le corps – «  Vous mourrez de mort  », menace Dieu (Gen., 2, 17) –, ou de «  la mort des mortels  », selon l’expression de Plotin36, et de la décomposition de ses éléments, qui nécessite néanmoins la disparition d’Abel. Se trouve-t-elle pour autant plus signifiante  ? Probablement aux yeux de Boèce, ne seraitce que d’un point de vue déductif. Car en s’attardant de la sorte sur l’acception que revêt ce sacrifice, l’auteur du De fide catholica estimait sans doute, en tirant tout le parti possible de la théorie plotinienne de la πεῖρα, c’est-à-dire en se laissant entraîner par elle aussi loin que pouvaient le permettre sa réflexion et ses connaissances, rendre cohérente, et de fait intellectuellement satisfaisante, la décision prise par Dieu, absurde et scandaleuse en apparence, de sacrifier le fils irrépro­chable pour châtier le père fauteur. Tel était la condition pour que l’«  expérience  » de la mort soit décisivement révélatrice du mal commis, à l’endroit d’une créature qui, à la suite de son trébuchement, n’avait plus la capacité de connaître le mal de science certaine avant de l’avoir éprouvé37. De là l’identité entre épreuve et torture infligée pour sanctionner l’incapacité à connaître a priori le bien et le mal dont l’Adam pécheur avait été frappé. Il nous revient à présent de tenter de mesurer les répercussions de cette hypothèse de lecture sur la signification du paroxysme identifié, en distinguant, par pure méthode, ce qui concerne Dieu et ce qui concerne l’homme. Les deux sens possibles d’un paroxysme Au plan divin, nous évoquions un «  calcul  »  ; ce serait effectivement en l’occurrence celui d’un Dieu plotinien de raison et non de miséricorde,   Ibid., 46 (i, 4), 7, 24, Traités 45-50, Paris, Flammarion, 2009, p. 152.   Nous reprenons ici les termes de la traduction de Bréhier, Plotin, Ennéades, 7, T. iv, Paris, Les Belles Lettres, 1990, p. 225. 36 37

iv,

8,



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qui se trouve conduit, pour imposer sa justice, à finaliser la contemplation du mal afin qu’elle ouvre sur la con­naissance de sa véritable nature, dans la mesure où connaître le mal amène à s’en libérer. Son accentuation, devrait-on comprendre – car ce que l’on a appelé le «  renversement plotinien  » reste implicite dans le De fide catholica –, est bien la conséquence du vouloir divin, mais axé sur la reconnaissance de sa justice et la délivrance d’un enseignement. Par suite, lorsque Boèce accepte le risque de faire apparaître Dieu comme un tortionnaire (torquere), à la fois bourreau et sacrificateur, ce pourrrait être avec le dessein de donner à entendre que Dieu prend sur lui d’être perçu comme tel par nécessité, non par plaisir, en vue de nous apprendre, dans une perspective plotinienne, à voir le mal en face. Pour que l’homme se détourne de l’œuvre mauvaise, Dieu permettrait donc celle-ci sous sa forme radicale. Il consentirait à laisser libre cours à la redoutable puissance maléfique afin que chacune de ses manifestations ouvre sur une issue positive, car, selon le mot d’Augustin, qui s’acquitterait peut-être ainsi d’une dette plotinienne, le mal se fait d’autant détester que le bien se fait désirer38. Qu’en serait-il ensuite au plan humain  ? Apprendre ce qu’est la mort en vivant sa propre fin n’amène ni à mesurer le péché qui l’a suscitée, ni à cerner l’ampleur du mal qu’il a engendré. Ce n’est – semble nous dire Boèce – qu’en assistant à la mort de l’autre, qui atteint à l’insupportable quand la victime est jeune, sans malice et a eu la faveur divine, que l’homme est confronté pleinement à la mort et qu’il l’objective, autrement dit jauge l’horreur de sa faute et, par là même, se délivre du mal. Seule la mort d’autrui vécue en soi-même renvoie l’image authentique de la mort et en délivre, permettant d’atteindre le but suprême qui est de mourir au péché pour ne plus vivre en lui39. En se trouvant extériorisée dans celle de l’autre, la mort devient, pour la créature que Plotin dit privée de la science innée du bien, un spectacle cathartique, à l’occasion duquel l’horreur suscitée se retourne contre sa cause. Mais ce mal pour un bien, pourrait-on dire, fonctionnerait comme une sorte d’argument a silentio chez un Boèce focalisé sur les implications de cet enchaînement quant à la perception du Dieu qui en est à l’origine. Nous avons procédé à ce déchiffrement pour sa capacité à expliciter un fragment textuel qui ne donne pas la clé de son élucidation, conscient 38  Voir Augustin, Enchiridion, dum comparantur malis  ». 39  D’après Rom., 6, 2.

iii,

11  : «  Magis (bona) placeant et laudabiliora sint

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cependant qu’il n’a, pas plus qu’un autre, légitimité à en délivrer le sens caché, car il ne fait que compenser, par des conjectures et les projections, l’insuffisance, on l’a vu, des éclaircissements livrés par le texte boécien. Quoi qu’il en soit pour l’heure de sa pertinence, accepter d’y recourir nous amène à un constat  : là où la tradition patristique semble s’être presque entièrement détournée de l’homme primordial aussitôt rappelées les conséquences de sa faute, Boèce le maintient dans le temps historique où celle-ci l’a inscrit. Mais les grands péchés projetant de longues ombres, il ne s’intéresse encore à lui, en empruntant un temps la voie de la philosophie hellénistique, et plus précisément plotinienne, que pour s’attarder sur les suites de la transgression, qui eut à son égard pour seul résultat la transformation du jardin des délices en jardin des supplices40. Si bien que l’énoncé de la réponse ne peut qu’être déduit  : expérimenter le mal est le plus sûr moyen d’inculquer le bien à qui n’en possède pas la science infuse, et le bénéfice sera d’autant plus accentué que le mal aura été intensément subi. Boèce ne va pas jusqu’à le reprendre explicitement, mais c’est le prélable qu’il faut accréditer si l’on situe son interprétation de la mort d’Abel dans le prolongement d’une conception néoplatonicienne. Cette analyse oblige par ailleurs, sur un plan purement histo­riographique, à se demander si nous ne serions pas, ponctuellement certes, en présence d’une forme authentique de Néoplatonisme latin. Car Boèce donne l’impression d’avoir travaillé un peu de la glaise du texte biblique par la pression variable du geste néoplatonicien, dont on se laissera aller à dire qu’il façonne des contours inattendus. Nous l’avons effectivement trouvé bien seul lorsqu’il s’est agi d’assimiler le Dieu de l’ancienne Alliance à un tortor raisonneur, se complaisant dans le spectaculaire pour y faire triompher sa justice, laquelle a réclamé que l’esprit du premier homme trébucheur soit d’autant plus marqué du sceau du bien qu’il vécut au plus profond de lui-même un mal exacerbé. Faire œuvre de Néoplatonicien latin ce serait ainsi ne pas hésiter à doter de sens le principal mystère génésiaque en recourant à un outillage mental qui peut ne pas laisser notre foi intacte. Plotin aurait de la sorte fourni au rédacteur du De fide catholica les moyens de dénouer un épisode aussi central que méconnu de la fondation de l’humanité, au risque de susciter une herméneutique déroutante.

  Voir P. Magnard, Pourquoi la religion  ?, Paris, Armand Colin, 2006, p. 134.

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L’ORIGINE DE LA TRIPARTITION DE LA PHILOSOPHIE SELON LES SUBSTANTIAE INTELLECTIBILES, ­INTELLEGIBILES ET NATURALES  : DANS LE PREMIER COMMENTAIRE DE BOÈCE À L’ISAGOGÈ1 Min-Jun Huh

(Université Nationale de Séoul – CNRS – LEM)

Chez les commentateurs néoplatoniciens de l’école d’Alexandrie, comme Ammonius, Elias, le Ps. Elias et David, la division de la philosophie en parties théorétique et pratique est un thème qui apparaît dans l’Introduction générale à la philosophie qui précède matériellement le commentaire à l’Isagogè, et, de ce fait, est parfois considéré comme un traité indépendant. On y trouve développées 5 ou 6 définitions de la philosophie ainsi que sa division en parties théorétique et pratique2. Viennent ensuite les 6 ou 7 points capitaux que l’on doit passer en revue avant de commenter l’œuvre en question. La division de la philosophie théorétique qui s’appuie manifestement sur la Métaphysique d’Aristote, livre E 1026a8-20, est commune chez tous ces commentateurs, qui placent les mathématiques entre la théologie et la physique. À cet égard, la tripartition d’Ammonius (In Isag., p. 11, 21-12, 13) a vraisemblablement servi de modèle aux autres commentateurs grecs3. C’est également 1   Nous remercions vivement Alain Galonnier pour avoir révisé notre texte et procédé à maints ajustements sur la forme. 2   Sur cette question, cf. I. Hadot, 1990. 3   Comparer avec David, In Isag. 57, 26-58, 25  ; Elias, In Isag. 27, 35-28, 6 (qui utilise plutôt le critère de matérialité et d’immatérialité, mais le contenu général reste très similaire)  ; le Ps. Elias, In Isag. praxis 18, 17-22 (Mueller-Jourdan, p. 63-5). Ammonius explique que  : «  parmi les réalités (τῶν πραγμάτων), les unes sont tout à fait séparables de la matière (παντάπασίν ἐστι χωριστὰ τῆς ὕλης), à la fois par leur existence et par la pensée que l’on en a (τῇ ὑποστάσει καὶ τῇ περὶ αὐτῶν ἐπινοίᾳ) telles que les réalités divines (τὰ θεῖα)  ». Ce qu’il appelle tantôt «  réalité (τὰ πράγματα)  », tantôt «  étants  » (τὰ ὄντα) correspond, dans ce cas, aux formes immatérielles en existence et en pensée, c’est-à-dire aux réalités qui existent et sont définies sans la matière et le corps (ἄνευ σώματος  ; ἔνυλα. Cf. David, In Isag. 58, 6). Ammonius donne l’exemple des «  réalités divines  » (τὰ θεῖα) quand David (58, 7) parle de Dieu, de l’ange et de l’âme (θεόν, ἄγγελον, ψυχήν). Elles font l’objet de la théologie  ; la deuxième classe concerne les réalités qui sont «  tout à fait inséparables de la matière (παντάπασιν ἀχώριστα τῆς ὕλης) à la fois par leur existence et par la pensée, comme les formes naturelles et immanentes à la matière (τὰ φυσικὰ καὶ ἔνυλα εἴδη)  » c’est-à-dire des formes inséparables de la

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cette même tripartition en théologie, mathématique et physique issue du livre E que l’on retrouve dans le De trinitate de Boèce4. En revanche, dans le premier commentaire de Boèce à l’Isagogè, qui reprend à son compte l’exégèse néoplatonicienne antérieure, se trouve exposée une tripartition de la philosophie théorétique (In Isag. i, 8, 6-9, 12 Brandt), assez inédite au regard de ce que l’on trouve dans les ouvrages grecs comparables et dans son De Trinitate. En effet, Boèce y décrit une division des disciplines théorétiques effectuée d’après les intellectibilia, les intellegibilia et les naturalia. Leur signification est restée obscure en raison à la fois du problème posé par le texte et de l’explication assez confuse de Boèce lui-même. Si ce dernier déclare que les intellectibilia et les naturalia font l’objet de la théologie et de la physique, il ne fait mention d’aucune discipline pour les intellegibilia. Étant donné que les intellegibilia, c’est-à-dire les νοερά, sont identifiés aux âmes, certains commentateurs modernes ont estimé que la discipline correspondante était la psychologie, tandis que pour d’autres, c’était plutôt les mathématiques5. Dans tous les cas, ils n’­élucidaient pas la question de l’origine de cette division, matière, comme «  le bois, l’os, la peau (ξύλον καὶ ὀστοῦν καὶ σὰρξ)  » et, à ce titre, immanentes à la matière et conçues avec elle. Le Ps.-Elias (In Isag. 18, 21) dit à ce propos qu’«  il n’est… pas possible [...] que nous affirmions concevoir l’os sans le corps dans lequel il se trouve  », exemple qui est comparable à la différence entre le camus et le concave. Ces formes immanentes relèvent de la physique  ; la troisième classe d’objets est formée par ceux qui sont «  sous un aspect séparables (κατά τι μέν ἐστι χωριστὰ), sous un autre inséparables (κατά τι δὲ ἀχώριστα)  », comme le cercle et le triangle. En effet, ces figures, étant donné qu’elles ne peuvent subsister par soi sans quelque matière (καθ’ ἑαυτὰ ὑποστῆναι δίχα ὕλης τινὸς οὐ δύνανται), sont immanentes à la matière, mais en tant qu’elles peuvent être conçues dans la pensée de l’observateur de façon immatérielle, elles sont des formes séparées. Ces figures géométriques font précisément l’objet des mathématiques. Il est manifeste que cette division de la philosophie théorétique a pour origine la Métaphysique E 1025b3-26a. Cependant les critères de distinction des réalités proposés par Aristote étaient l’immobilité et la séparabilité plutôt que la séparabilité en existence ou en pensée. De fait, ce dernier critère est davantage développé dans le De anima 431b113, à propos du «  camus  » et des objets mathématiques. Ces commentateurs ont probablement procédé à une lecture croisée de ces deux passages, hypothèse qui devra faire l’objet d’une étude à part. 4   Cf. De Trinitate, 2, 1, 68-83. Cependant, chez Boèce, les critères de distinction des disciplines théorétiques sont la séparabilité et la mobilité. À ce propos, cf. le commentaire ad locum de Galonnier, 2013, p. 50-53. 5   Merlan 1960, p. 76, à propos de l’âme décrite comme objet de la philosophie théorétique dans notre texte de Boèce  : «  The passage must appear puzzling indeed. Baur (1903, p. 351, n. 3  ; cf. Bruder 1927, 6-8), does not try to explain why mathematics should suddenly be replaced by psychology. Rather recently, L. Schrade 1932, found it so strange that he tried to prove that Boethius must have meant mathematics, after all, even though the passage speaks of psychology  ». Cf. également Gilson 1944, p. 140, qui, à propos de cette partie intermédiaire, dit que l’«  on ne trahirait peut-être pas sa pensée en la nommant psychologie  ».



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qui s’écarte manifestement de la tradition exégétique issue de Métaphysique E 1026a8-20. Une autre particularité de cette division de Boèce, rarement soulignée par les commentateurs, est que ces trois classes de réalité sont également des substances, puisque les deux premières sont explicitement nommées substantia intellectibilis (9, 2  : «  prioris illius intellectibilis substantiae  ») et substantia intellegibilium (9, 9  : «  secunda uero, intellegibilium substantia  »), et on peut supposer que c’est également le cas des naturalia, de sorte qu’il s’agit ici probablement de la traduction latine des οὐσίαι νοηταί, οὐσίαι νοεραί et οὐσίαι φυσικαί. Or, ces caractéritiques nous conduisent à rapprocher la tripartition théorétique de Boèce du commentaire de Porphyre à la Métaphysique, dont on garde la trace dans le commentaire de Dexippe (c. 210-c. 278) aux Catégories (141, 3-13 Busse). En effet, une analyse comparative révèle qu’un rapprochement entre la doctrine des ousiai et la partition de la philosophie théorétique a été tenté pour la première fois dans le cadre de l’exégèse porphyrienne du livre Λ 1069a30-1069b3 et 1071b3. C’est dans ce commentaire que se trouve esquissée une première corrélation entre οὐσίαι νοηταί et οὐσίαι φυσικαί et théologie et physique. Mais l’âme n’ayant pas été mentionnée par Aristote dans ce contexte, celle-ci ne fait pas l’objet chez Dexippe d’un traitement exégétique particulier. Néanmoins, la doctrine de l’âme, telle qu’elle apparaît dans le texte de Boèce, peut être identifiée à partir des témoignages de Marius Victorinus, rhéteur à Rome et prédécesseur de Boèce dans le domaine de la logique et de la théologie, qui, comme on le sait depuis les études de Pierre Hadot, dépend fortement de Porphyre6. Ce dernier a été le premier à décrire l’âme comme essentiellement intellectuelle (νοερά), donnant ainsi à ce terme un sens presque technique, et c’est précisément cette doctrine que semble partager en commun Boèce et Marius Victorinus. Un dernier témoignage, cette fois-ci de Jamblique, préservé dans le commentaire de Simplicius aux Catégories, permet de constater un état de l’exégèse néoplatonicienne qui a déjà fait la synthèse doctrinale entre Métaphysique E 1026a8-20 et Λ 1069a30-1069b3 et 1071b3, puisque c’est sur la tripartition des ousiai que se trouvent réglées les parties de la philosophie théorétique, que sont la théologie, la mathématique et la physique. La tripartition de Boèce, cependant, ne connaît pas encore une telle systématisation, si bien que cette doctrine de Jamblique peut nous servir pour situer le texte de Boèce à l’intérieur de la tradition néoplatonicienne. 6  Voir cependant la nuance introduite, dans ce volume, par la contribution de Ch.‑O. Tommasi.

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Les analyses détaillées de Pierre Hadot sur Porphyre et Victorinus contenant déjà les éléments essentiels de notre démonstration, nous nous référerons à ses travaux tout au long de cette étude. La tripartition de la philosophie théorétique dans l’In Isag. i, p. 8, 6-9, 12, de Boèce Avant de poursuivre notre examen, qu’il nous soit permis de traduire le texte en question, qui reste encore mal connu faute de traduction complète en langue moderne7. Il est reproduit ici tel qu’il a été édité par Samuel Brandt, (Boethius, In Isagogen Porphyrii Commenta, CSEL, v. 48, Vienna/Leipzig, 1906. Cette édition présente les deux commentaires à l’Isagogè). Le texte contient quelques passages obscurs que nous tenterons d’élucider au cours de notre étude. In Isag. I, 8, 6-9, 12 (Brandt)  : [...] est enim philosophia genus, species uero duae, una quae theoretica dicitur, altera quae practica, id est speculatiua et actiua. Erunt autem et tot speculatiuae philosophiae species, quot sunt res in quibus iustae speculatio considerationis habetur, quotque actuum diuersitates, tot species uarietatesque uirtutum. Est igitur theoretices, id est contemplatiuae uel speculatiuae, triplex diuersitas atque ipsa pars philosophiae in tres species diuiditur. Est enim una theoretices pars de intellectibilibus, alia de intellegibilibus, alia de naturalibus. — Tunc interpellauit Fabius miratusque est, quid hoc noui sermonis esset, quod unam speculatiuae partem intellectibilem nominassem. — Νοητά, inquam, quoniam Latino sermone numquam dictum repperi, intellectibilia egomet mea uerbi compositione uocaui. Est enim intellectibile quod unum atque idem per se in propria semper diuinitate consistens nullis umquam sensibus, sed sola tantum mente intellectuque capitur. Quae res ad speculationem dei atque ad animi incorporalitatem considerationemque uerae philosophiae indagatione componitur  : quam partem Graeci θεολογίαν nominant. Secunda uero est pars intellegibilis, quae primam intellectibilem cogitatione atque intellegentia comprehendit. Quae 8 omnium caelestium supernae diuinitatis 7   Pour la traduction anglaise partielle de ce passage, cf. Ralph McInery, 1990, p. 123  ; R. Nájera, 2012, p. 69  ; pour la traduction française, cf. A. Galonnier, 2013, p. 54. 8   Les édtions brm, chez Brandt, sur la base de la glose marginale du ms. G (uel suscipiens), ajoutent suscipiens, ea après intellegentia, afin de rattacher cette phrase à celle qui suit  : ...pars intellegibilis, quae primam intellectibilem cogitatione atque intellegentia suscipiens, ea comprehendit quae sunt omnium… c’est-à-dire «  …la partie intellective, qui, en observant (suscipiens) cette première (partie), l’intelligible, par la pensée et l’intelligence, inclut (comprehendit) les choses qui appartiennent à…  ». Par ailleurs, Brandt propose quae est au lieu de quae sunt attesté dans tous les manuscrits et éditions. Or, nous pensons qu’il n’est pas nécessaire d’apporter ces corrections, il suffit de considérer que quae sunt a pour antécédent cogitatione atque intellegentia. En effet, ce sont ces facultés discursives qui



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o­ perum et quicquid9 sub lunari globo beatiore animo atque [9] puriore substantia ualet et postremo humanarum animarum. Quae omnia cum prioris illius intellectibilis substantiae fuissent, corporum tactu ab intellectibilibus ad intellegibilia degenerarunt, ut non magis ipsa intellegantur quam intellegant et intellegentiae puritate tunc beatiora sint, quotiens sese intellectibilibus applicarint. Tertia theoretices species est quae circa corpora atque eorum scientiam cognitionemque uersatur  : quae est physiologia, quae naturas corporum passionesque declarat. Secunda uero, intellegibilium substantia, merito medio collocata est, quod habeat et corporum animationem et quodammodo uiuificationem et intellectibilium considerationem cognitionemque. [8] En effet, la philosophie est genre et ses deux espèces sont nommées, l’une théorétique, l’autre pratique, c’est-à-dire spéculative et active. Or, il y aura autant d’espèces de philosophie spéculative qu’il existe de réalités auxquelles on applique l’examen d’une réflexion juste, [8, 5] autant de diversité de la active que les espèces et les variétés des vertus. Eh bien, relèvent de la philosophie théorétique (theoretices), c’est-àdire contem­plative ou spéculative, trois différentes classes , et la philosophie elle-même se divise en trois espèces. En effet, une partie de la théorétique a pour objet les réalités intelligibles (de intellectibilibus)10, une autre les réalités intellectuelles (de intellegibilibus) et une autre les réalités naturelles. Alors, Fabius m’interpella et demanda avec étonnement [8, 10] quel était ce mot nouveau, ‘intelligible (intellectibilem)’, par lequel j’avais nommé une partie de la spéculative. — Le terme de νοητά, lui dis-je, parce que je ne l’ai jamais trouvé exprimé en langue latine, je l’ai rendu par ‘intelligible (intellectibilia)’ en forgeant moi-même ce mot. En effet, est intelligible ce qui, étant un et identique par soi et s’établissant toujours dans la divinité qui lui est propre11, appartiennent aux trois classes d’âme, et la suite (9, 2-6) visera justement à décrire la dégradation ontologique qui est à l’origine de ce mode de connaissance propre au plan des âmes. 9   Pour le sens, quicquid est sur le même plan que omnium caelestium (8, 21) et humanarum animarum (9, 1). 10  Nous faisons le choix de traduire directement à partir du grec, τὰ νοητά et τὰ νοερά, car ces mêmes termes que Boèce traduit par intellectibilia et intellegibilia, sont habituellement rendus en français par «   intelligibles  » et «  intellectuels  »  ou «  intellectifs  », de sorte qu’une traduction littérale à partir du latin (par ex. intellectibiles par «  intellectibles  » et τὰ νοερά par «  intelligibles  ») aurait introduit une confusion conceptuelle que nous avons voulu éviter. 11   Autrement dit, l’intelligible se maintient dans l’unité et dans l’identité par soi. Or, les expressions unum atque idem per se et in propria semper diuinitate consistens correspondent, semble-t-il, à deux des neuf caractéristiques des réalités intelligibles décrites par Porphyre, dans sa sentence 39, à savoir respectivement, l. 7 (trad. Brisson)  : «  demeurer dans le même état  » (τὸ κατὰ ταὐτὰ ἔχειν), et l. 6  : «  être constamment établi en soimême de la même façon  » (τὸ εἶναι ἀεὶ ἐν ἑαυτῷ ἱδρυμένον ὡσαύτως). À ces deux réalités s’opposent les caractéristiques des réalités sensibles, (Sentence 39, l. 2)  : «  être emporté de tous côté  » (τὸ πάντῃ εἶναι πεφορήμενον) et, l. 2  : «  être soumis au changement  » (τὸ μεταβλητὸν εἶναι). Sur ce point, cf. le commentaire de M.-O. GouletCazé (dir. L. Brisson, 2005, p. 70-71).

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n’est jamais saisi [8, 15] par les sens mais seulement par l’intellect (intellectus) et l’esprit (mens)12. Cette réalité s’adjoint à la spéculation sur Dieu et à l’incorporalité de l’Intellect (animus)13, qui sont l’objet de la vraie philosophie  ; cette partie, les grecs l’appellent θεολογία. Vient ensuite la partie qui a pour objet l’intellectuel14 [8, 20], qui saisit l’intelligible premier15 par la pensée (cogitatio) et par l’intelligence (intelligentia)16. Ces facultés appartiennent à toutes les des ouvrages du ciel qui relève de la divinité supralunaire (superna divinitas)17, puis, à tout ce qui, sous la sphère de la lune, est capable d’une âme plus heureuse (beatiore animo)18 [9] et d’une substance plus pure, et, enfin, aux âmes humaines19. Toutes ces réalités, alors qu’elles avaient appartenu à la substance première (prior substantia)20 de cet intelligible, ont toutes dégénéré au contact des corps, du niveau des intelligibles vers celui des 12  Nous retrouvons ici la correspondance bien connue entre les νοητά, objets de connaissance, et le νοῦς, la faculté cognitive correspondante, cf. par exemple Porphyre, Sent. 44, l. 1-7. C’est précisément ce couple de termes que Boèce transpose ici en latin à travers le couple intellectibiles et intellectus/mens  ; cf. D’Onofrio 2001, p. 37. Comme c’est souvent le cas chez Boèce, un seul terme grec, νοῦς, est rendu par deux synonymes latins, intellectus et mens. 13   Animus désigne ici l’Intellect hypostase. Cf. In Isag. i, 30, 1, où animus et deus sont décrits comme des réalités incorporelles tout à fait séparées du corps. 14   Pars intellegibilis désigne ici un plan de réalité et non une partie de la philosophie. De manière abrupte, Boèce passe de la description d’une partie de la philosophie à celle d’un plan de réalité, celui des âmes. 15   Il faut lire «  primam intellectibilem  », c’est-à-dire la partie (ou le plan) de l’intelligible, ou «  primam intellectibilem  » d’après «  intellectibilis substantiae  » qui apparaît 4 lignes plus bas. Dans toute ce passage, Boèce emploie «  pars  » tantôt pour désigner une partie de la philosophie, tantôt un plan de réalité, ce qui peut prêter à confusion. Cf. également Huh 2018, p. 287, n. 99. 16   Ces sont deux synonymes qui désignent la pensée discursive, la διανοία, propre à l’activité cognitive des âmes. 17   Dans le cas de ces ouvrages célestes, même si le terme d’âme est absent, il faut supposer qu’ils en possèdent bien une, d’une part, parce qu’ils sont mobiles donc animés, et, d’autre part, parce que Boèce ne fait que reprendre ici la tripartition ­ ­néoplatonicienne des âmes encosmiques. Sur ce point, cf. I. Hadot, 1978, p. 95  : ce sont les âmes des planètes et les astres qui sont au-delà de la sphère de la lune (= supernus dans le texte de Boèce). Elles «  occupent la région supralunaire, constituée surtout par l’Âme du monde, par les âmes des planètes et des astres fixes  », et également P. Hadot, 1968, p. 396-7. 18   Boèce peut utiliser le terme d’animus pour rendre ψυχή  ; cf. In Isag. i, 28, 8  : «  ut in animo accidens est scientia  », qui paraphrase Aristote, Cat. 1a29  : «  τὰ δὲ καθ’ ὑποκειμένου τε λέγεται καὶ ἐν ὑποκειμένῳ ἐστίν, οἷον ἡ ἐπιστήμη ἐν ὑποκειμένῳ μέν ἐστι τῇ ψυχῇ  ». 19   Boèce décrit ici le plan de l’intellectuel, qui est constitué par trois classes d’âmes  : les âmes des planètes et des astres qui sont au-delà de la lune  ; les âmes des démons et des anges  ; les âmes des hommes. Nous retrouvons ces classes d’âme chez Hiéroclès d’Alexandrie, cf. I. Hadot 1978, respectivement p. 169 et 95 et n. 68. 20   La substance première de l’intelligible («  prioris illius intellectibilis substantiae  ») est à rapprocher de la substance seconde des intellectuels qui apparaît trois lignes plus bas («  secunda vero intellegibilium substantia  »).



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intellectuels, de sorte qu’elles-mêmes (ipsae) sont devenues moins intelligibles qu’intellectuelles (ut non magis ipsa intellegantur quam intellegant)21 [9, 5], et toutes les fois qu’elles s’appliquent aux intelligibles, elles deviennent alors plus heureuses (beatiora)22 par la pureté de leur pensée. La troisième espèce de la théorétique est celle qui s’occupe des corps (circa corpora... versatur)23 et de la science et de la connaissance qui les concernent  : c’est la physiologie qui montre la nature et les affections des corps. Quant à la substance seconde (secunda substantia), celle des intellectuels, c’est avec raison qu’elle a été placée au milieu [9, 10] parce qu’elle possède à la fois la faculté d’animer et, pour ainsi dire, de vivifier les corps, et la faculté de contempler et de connaître les intelligibles.

Dans cet extrait, Boèce justifie la division des parties de la philosophie théorétique à partir de la division des classes de réalités qui sont elles aussi triples (triplex diversitas). En effet, cette tripartition du réel s’effectue d’après le plan des intelligibles, des intellectifs (c’est-à-dire les âmes), puis celui des réalités naturelles, lesquels correspondent, d’après Chadwick, aux τὰ νοητά, τὰ νοερά et τὰ φυσικά24. Le plan intellectif ou intellectuel des âmes est lui-même subdivisé en trois, — de fait, Boèce ne fait que reprendre ici la tripartition néoplatonicienne des âmes encosmiques25 — à savoir 1) les âmes supralunaires des planètes et des astres fixes («  omnia caelestia supernae divinitatis opera  »)  ; 2) les âmes sublunaires des anges, des démons et des héros («  quicquid sub lunari 21   Littéralement  : «  Ut non magis ipsa intellegantur quam intellegant  » est une litote, qui équivaut pour le sens à «  ut minus ipsa intellegantur quam intellegant  ». Cependant, une autre traduction est possible, cf. par exemple J. Magee, 1989, p. 132, n. 151  : «  so that they themselves are the objects of though (intellegantur) to the extent that they exercise thought (intellegant)  ». 22  Il s’agit vraisemblablement de μακάριον, épithète qui, chez Plotin, qualifie en général les intelligibles ou l’Intellect, cf. Traité 2 [iv, 7], 9, 13  ; Traité 30 [iii, 8], 11, 30-31  ; Traité, 47 [iii, 2], 1, 40. Autrement dit, les âmes deviennent bienheureuses à l’image des intelligibles lorsqu’elles exercent une pensée pure de toute corporalité. 23   Pour ce sens de versari circa suivi de l’accusatif, cf. Sénèque, Ep., 88, 3  : «  grammaticus circa curam sermonis versatur  ». 24   Chadwick 1981, p. 110-111  : «  [This vocabulary] is well attested in Proclus or in Syrianus’ commentary on the Metaphysics [mais il ne donne pas de références précises] and can be shown to be older. In his Literal Commentary on Genesis, xii, 10, 21, Augustine rejects a distinction certain unnamed persons make between ‘intellectual’ and ‘intelligible’. It is natural to think of Porphyry (cf.  City of God x, 9). The distinction has its roots in Plotinus  ». Sur ce point, cf. également Militello 2010, p. 67. 25   Cf. par exemple I. Hadot, 1978, p. 95 et n. 67, où elle cite Proclus, Éléments de théologie, prop. 184 (trad. Trouillard  : «  Toute âme est ou bien divine (= âme des astres), ou bien sujette à osciller de la pensée à l’inconscience (= âme des hommes) ou bien dans une condition intermédiaire, c’est-à-dire toujours pensante, mais inférieure aux âmes divines (= âmes démoniques)  ».

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globo beatiore animo  »)  ; 3) et enfin les âmes humaines (humanae animae). Dans ce contexte, la description de la chute des âmes est particulièrement intéressante, dans la mesure où les âmes sont dites être des substances intellectuelles qui ont degénérées à partir des substances intelligibles. De sorte qu’il faut supposer trois niveaux de substances, à savoir les substantiae intellectibilium, intellegibilium et naturalium, ce qui correspondrait aux οὐσίαι νοηταί, οὐσίαι νοεραί et οὐσίαι φυσικαί. Il faut remarquer, en outre, que l’intelligible est qualifié de «  substance première  » (9,2  : «  prior illius intellectibilis substantia  »), tandis que l’intellectuel de «  substance seconde  » (9,9  : «  secunda vero intellegibilium substantia  »). Or, nous savons que c’est Porphyre qui, dans son commentaire aux Catégories, inverse l’ordre des deux substances des Catégories d’Aristote pour qualifier les intelligibles (τὰ νοητά) de substances premières (οὐσίαι πρώται)26. Nous avons donc affaire à un texte qui associe la structure intelligible, âmes, sensibles, d’une part, avec la doctrine néoplatonicienne de l’ousia, et, d’autre part, avec la tripartition de la philosophie théorétique. Ces éléments montrent que, contrairement aux autres commentateurs grecs cités plus haut, la tripartition de la philosophie théorétique de Boèce ne dépend pas de Métaph. E, 1026a8-20 et qu’il nous faut chercher une autre source qui lui a fourni matière à concilier la métaphysique néoplatonienne (Intellect, âme, sensible) avec la doctrine aristotélicienne de l’ousia. La division des ousiai chez Dexippe À cet égard, un extrait du commentaire de Dexippe aux Catégories peut constituer un parallèle intéressant, car il est le premier à esquisser le lien entre les différentes classes des ousiai et les disciplines de la philosophie théorétique qui y correspondent. Dans une argumentation visant à répondre aux objections de Plotin à l’encontre d’Aristote (Traité 42, [vi,1], 4-8), selon lequel la catégorie de l’ousia ne peut constituer le genre suprême des réalités intelligibles et sensibles, Dexippe expose deux arguments qui ont suscité de nombreuses analyses27. Dans une première 26  Porphyre, In Cat., 91, 14-17 (trad. R. Bodéüs)  : «  Ce qu’on appelle principalement, avant tout et d’abord substances premières, ce sont les intelligibles...  » (κυριώτατα κατὰ αὐτὸν καὶ μάλιστα καὶ πρώτως λεγομένων πρώτων οὐσιῶν τῶν νοητῶν...). 27  Voir P. Hadot, «  L’Harmonie des philosophies de Plotin et d’Aristote selon Porphyre dans le commentaire de Dexippe sur les Catégories  », Plotino e il Neoplatonismo in Oriente e in Occidente, Roma, Accademia Nazionale dei lincei, 1974  ; P. Aubenque,



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démonstration (in Cat. p. 40, 28-41, 3), il montrait que la doctrine des catégories pouvait être justifiée à partir de la philosophie même de Plotin, dans la mesure où l’ensemble de la réalité intelligible et sensible pouvait être structurée en trois classes d’ousiai, à savoir les intelligibles, les psychiques et les sensibles, comme il l’avait laissé entendre dans l’un de ses traités28. À la suite, Dexippe avance un second argument qui rappelle que cette même division du réel à travers les ousiai a été esquissée par Aristote lui-même dans le livre Λ de la Métaphysique, donnant ainsi à voir le consensus doctrinal entre Plotin et Aristote autour de la question des ousiai  : Dexippe, In Cat. 41,3-13 (trad. P. Hadot 1974, p. 38)  : Eh bien, pour cette recherche, je me servirai de ce qui est dit dans la Métaphysique. Car il y a deux ousiai selon Aristote, l’ousia intelligible (ἡ νοητὴ) et l’ousia sensible (ἡ αἰσθητή)  ; l’intermédiaire entre les deux est l’ousia physique (ἡ φυσική). L’ousia composée, c’est l’ousia sensible  ; l’ousia considérée selon la forme et la matière (κατὰ τὸ εἶδος καὶ τὴν ὕλην), c’est l’ousia physique  ; l’ousia qui est au-dessus de celles-ci, c’est l’ousia intellective (ἡ νοερὰ) et incorporelle, qu’Aristote appelle souvent, d’une part immobile, d’autre part motrice, en tant qu’elle est la cause du mouvement spécifié selon la vie. Voilà en effet ce qu’Aristote démontre concernant ces ousiai dans le livre Λ de la Métaphysique…

Dexippe se réfère ici, selon Pierre Hadot (Ibid., p. 39), à la classification des ousiai du livre Λ de la Métaphysique, 1069a30-1069b3 et 1071b3-529, où Aristote avait effectivement parlé des trois sortes Études aristotéliciennes, Paris, Vrin, 1985, p. 27-30  ; Ph. Hoffmann, Les principes de l’interprétation néoplatonicienne des Catégories d’Aristote, de Porphyre au Pseudo-­Aréthas, thèse d’habilitation dactylographiée, Paris, 1998, p. 154-155 et M. Zambon, Porphyre et le moyen-platonisme, Paris, Vrin, 2002, p. 334-337. 28   Cf. Traité 4, [4, 2], 29 sq. où Plotin distingue l’ousia indivisible (la réalité intelligible), l’ousia divisible (les formes matérielles) et l’ousia intermédiaire (l’âme). 29   Métaphysique, Λ 1069a30-1069b3  : «  Il y a trois substances (οὐσίαι), 1) l’une est sensible (αἰσθητή), qui se partage en a) éternelle (ἀΐδιος) et b) corruptible (φθαρτή) (celle que tous reconnaissent, comme les plantes et les animaux), dont il est nécessaire de saisir les éléments qu’ils soient un ou plusieurs  ; 2) la troisième est immobile et certains affirment qu’elle est séparable  : les uns la divisent en deux [i.e. Platon qui divise les substances en idées et en entités mathématiques], d’autres font une seule nature des formes et des objets mathématiques [i.e. les Pythagoriciens], d’autres [i.e. les Pythagoriciens] n’en retiennent que les objets mathématiques. [Pour nous] les deux premières substances [sensibles] relèvent de la physique, car elles vont avec le mouvement, alors que la dernière relève d’une science différente, si elles n’ont aucun principe commun  ». Λ 1071b3-5  : «  Puisqu’il y a, disions-nous, trois sortes de substances, deux qui sont naturelles, une qui est immobile, il faut dire, à propos de cette dernière, qu’il y a nécessairement une substance éternelle et immobile  », trad. de Duminil & Jaulin légèrement modifiée, et précisions entre crochets de De Muralt 2010, p. 328-9).

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d’«  οὐσίαι  ». L’une d’elles, qui est dite sensible (αἰσθητή), est double, dans la mesure où elle se divise en ousia éternelle (οὐσία ἀΐδιος) et corruptible (φθαρτή), tandis que la troisième est à la fois éternelle et immobile. Pour les deux premières ousiai, Aristote affirme qu’elles font l’objet de la physique, tandis que pour la troisième, il dit simplement qu’«  elle relève d’une science différente  ». Or, la comparaison du texte d’Aristote avec le commentaire paraphrastique de Dexippe fait apparaître clairement que ce dernier propose une lecture métaphysique des ousiai, puisqu’elles sont respectivement identifiées aux ousiai intelligibles, puis aux physiques et enfin aux sensibles  : Aristote, Métaph. Λ 1069a30-1069b2.

Interprétation de Dexippe (Porphyre), In Cat. 41,3-13

ousia immobile et séparable (objet d’une autre science que la physique)

← ousia intelligible (ἡ νοητὴ) ou intellective (ἡ νοερὰ)  ; incorporelle

ousia sensible et mobile (objet de la physique)

← ousia physique  ; considérée comme matière ou comme forme

a)  ousia éternelle (monde céleste supralunaire)

b)  ousia corruptible ← ousia sensible ou composée (monde sublunaire, plantes, animaux)

Cette exégèse de Dexippe, comme le précise Pierre Hadot30, reflèterait en réalité la pensée de Porphyre, qui avait effectivement commenté le livre Λ de la Métaphysique d’après le témoignage de Simplicius (In de Caelo, p. 503, 34 et 506, 13)  : [Porphyre] avait probablement retenu la classification des ousiai en sensibles, physiques et intelligibles, parce qu’elle permettait, comme on le voit dans le texte de Dexippe, de systématiser les différentes sortes d’ousiai que Plotin avait distinguées à la suite d’Aristote  : l’ousia composée correspondait à l’ousia sensible et corruptible, l’ousia réduite à la matière ou à la forme correspondait à l’ousia physique incorruptible, puisque matière et forme, étant incorporelles, étaient incorruptibles et que, composantes de l’ousia sensible, elles étaient par excellence les objets de la science physique. L’ousia immobile correspondait enfin à l’ousia intelligible et intellective, puisque, dans le livre Λ, Aristote montrait qu’en son sommet, cette ousia était Pensée de la Pensée (nous soulignons).

Et Pierre Hadot d’expliquer, en outre, la raison pour laquelle Dexippe, dans le texte cité plus haut, laissait apparaître une hésitation quant à   P. Hadot, 1974, op. cit. n. 27, p. 40 et 41.

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L’ORIGINE DE LA TRIPARTITION DE LA PHILOSOPHIE205

l’ousia éternelle et immobile, puisqu’il la nomme tantôt «  intelligible (ἡ νοητὴ)  », tantôt «  intellective (ἡ νοερὰ)  »  : cette ousia correspond en réalité à l’Intellect, qui contient en lui–même les formes intelligibles, si bien que l’ousia intelligible est identique à l’ousia intellective. De ce point de vue, l’intellect peut être qualifié indifféremment d’«  intelligible et intellectif  » (νοητὴ καὶ νοερὰ), d’«  intellectif  » (νοερὰ), ou encore d’«  intelligible  » (νοητὴ)31. D’autre part, chez Aristote, l’ousia immobile et séparable fait l’objet d’«  une science autre que la physique  », c’est-à-dire de la théologie, tandis que la physique s’occupe à la fois des ousiai éternelles (ou incorruptibles) et des ousiai corruptibles (ou sensibles) des réalités sublunaires. Bien que Dexippe ne l’explicite pas directement, il est manifeste qu’il adopte également ces mêmes disciplines, en faisant de la physique l’objet des ousiai à la fois physiques et sensibles. Ce qui est intéressant dans ce témoignage de Dexippe, c’est le fait que cette doctrine des ousiai paraît témoigner d’une source lointaine de la tripartition de Boèce. Aux deux des trois substantiae, c’est-à-dire les substantiae intellectibiles et naturales, correspondent très probablement les termes d’οὐσίαι νοηταί/νοεραί et οὐσίαι φυσικαί. Cependant, contrairement aux substantiae naturales qui, chez Boèce, sont reléguées au rang le plus bas, les οὐσίαι φυσικαί de Dexippe (Porphyre) occupent un rang intermédaire. Or, pour P. Hadot, cette ousia physique incorruptible, c’est «  l’ousia réduite à la matière ou à la forme [qui sont] composantes de l’ousia sensible  ». De ce point de vue, il peut sembler difficile de mettre en rapport strico sensu l’ousia physique et le plan des âmes tel qu’il a été décrit par Boèce — nous n’avons pas encore trouvé de texte qui pourrait concilier ces deux plans32 — mais il n’est pas moins vrai que la Métaphysique Λ, 1069a30-1069b3, ainsi que le commentaire correspondant de Dexippe, offrent des éléments doctrinaux plus à même de rendre compte de la tripartition théorétique de Boèce, puisque nous avons bien là une triple hiérarchie des ousiai, dont l’ousia intermédiaire qui,   P. Hadot, 1974, op. cit. n. 27, p. 41.  Néanmoins, on pourrait émettre l’hypothèse que l’ousia physique équivaut peutêtre à la Nature, qui, chez Plotin et Porphyre, est la partie la plus basse de l’Âme du monde, et qui entre en contact avec la matière pour faire apparaître les corps des réalités sensibles. Sur le rôle de la Nature chez Plotin, cf. Brisson, 1999, p. 95  : «  La Nature [...] est à la fois “principe organisateur des choses sensibles” et “agent organisateur de la matière qui permet de faire apparaître les corps”, et 101  : «  [La Nature est] une puissance qui correspond à la partie la plus basse de l’âme du monde, la partie qui entre en contact avec la matière...  ». 31 32

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pour Aristote comme, en partie, pour Boèce, est celle des réalités célestes supralunaires incorruptibles33. Cependant, si Dexippe emploie indifférement les termes d’οὐσίαι νοηταί et d’οὐσίαι νοεραί pour désigner le plan de l’intelligible, chez Boèce, intellegibilis, qui correspond précisément à νοερά, est un qualificatif réservé au plan des âmes, puisque c’est à l’âme qu’est dévolue le rang de la réalité qui intellige seulement. Or, cette description de l’âme comme essentiellement intellectuelle avait conduit P. Hadot à rapprocher notre extrait de Boèce d’un passage du traité théologique de M. Victorinus, où l’on retrouve une psychologie analogue34. L’âme comme intellegibilis (νοερa) Selon Boèce, les âmes «  elles-mêmes (ipsae) deviennent objets de pensée pour autant qu’elles exercent leurs pensées («  ut non magis ipsa intellegantur quam intellegant  »). C’est la conséquence de leur chute du niveau de l’intelligible. En effet, en raison du contact d’avec le corps, ces âmes sont devenues incapables d’avoir les objets de pensée en ellesmêmes35 et donc de se connaître, de sorte qu’elles ne deviennent objets d’intellection que lorsqu’elles regardent vers les intelligibles («  quotiens sese intellectibilibus applicarint  »). Autrement dit, ces âmes, lorsqu’elles étaient au niveau de l’intelligible, qui est purement incorporel, étaient à la fois objets et sujets d’intellection, tandis que, une fois incorporées,   Le fait que Boèce rende plus systématique le lien entre les différentes ousiai et les disciplines théorétiques tend à montrer qu’il témoigne d’un état d’exégèse néoplatonicienne postérieur à ce que nous trouvons chez Dexippe. 34  Victorinus avait déjà traduit νοητά par intellectibiles et νοερά par intellectualia dans son Ad. Cand. 7,13 (trad. P. Hadot)  : «  Donc, les véritablement existants sont intelligibles (intellectibilia = νοητά), les existants sans plus, intellectuels (intellectualia  = νοερά) («  ergo intellectibilia ea sunt quae uere sunt, intellectualia, quae sunt tantum)  ». Dans ce texte, il distingue le plan des intelligibles (= Intellect) et le plan des intellectuels ou intellectifs (= les âmes). Or, P. Hadot 1960, p. 706, commentant ce passage, précise que  : «  Les intellectuels se distinguent des intelligibles en tant qu’ils ont besoin des intelligibles pour connaître et pour se connaître  : ce sont des sujets connaissants qui se sont éloignés et distingués de l’objet avec lequel ils étaient identiques  ; ce sont les âmes. [...] On comparera utilement les développements de Victorinus sur les plans de la réalité (intelligible, intellectuel, sensible) avec la division des sciences, chez Boèce, In Isag. ed. prima i, 3  – Schepss-Brandt, p. 8, 11-9, 12 [c’est le texte que nous commentons ici]  ». 35   Une telle affirmation remonterait en dernière analyse à Aristote, De l’âme 430a3-5 (trad. Thillet)  : «  Dans le cas des réalités sans matière, le sujet qui exerce l’intellection et l’objet de l’intellection sont identiques  »  ; la doctrine est reprise par Plotin et des Néoplatoniciens postérieurs (cf., notamment, Plotin, Traité 7 [v, 4], 2, 43-48 et Proclus, Elem. Theol. pr. 15, reproduit dans la note suivante). 33



L’ORIGINE DE LA TRIPARTITION DE LA PHILOSOPHIE207

elles ne se connaissent qu’à travers les intelligibles supérieures36. Une telle conception de l’intelligible est manifestement d’origine plotinienne, dans la mesure où l’Intellect hypostase (νοῦς) de Plotin, en contenant en lui-même les objets de son intellection (νοητά), est à la fois le sujet connaissant et l’objet connu, et l’Intellect et les intelligibles coïncident dans leur acte37. Pour autant, Plotin n’identifie pas les âmes aux νοερά38. Or, deux textes théologiques de Marius Victorinus, qui dépendent de Porphyre, nous fournissent des indices pour comprendre la psychologie de Boèce, puisqu’ils nous apprennent comment l’âme intellectuelle (ψυχὴ νοερά) était, avant sa chute, à la fois objet (intelligible) et sujet de connaissance (intellectuel)  : Adv. Arium, i, 61, 7 (trad. P. Hadot)  : Et l’âme, avec son Noûs propre, qui lui vient de celui qui est le Noûs, est puissance de vie intellectuelle (potentia vitae intellectualis)  : elle n’est pas le Noûs lui-même, mais quand elle regarde vers le Noûs, elle est, pour ainsi dire, elle-même le Noûs. Car là-bas, toute vision est union. Mais si elle incline vers le bas et se détourne du Noûs, c’est elle-même et son propre Noûs qu’elle entraîne alors vers le bas  : elle devient alors seulement intellectuelle (intellegens tantum effecta), et n’est plus, comme auparavant, intelligible et intellectuelle (non iam ut intellegens et intellegibile) (nous soulignons).

À cet égard, il vaut la peine de reproduire ici le commentaire lumineux que Pierre Hadot avait donné de ce passage39  : Dans la description de la chute de l’âme, en Adv. Ar. i, 63, 1140, il est dit que l’âme n’est plus ‘intelligible et intellectuelle’ mais ‘seulement intellectuelle’, ce qui suppose une hiérarchie des êtres, plaçant les ‘intelligibles et intellectuels’ (νοητὰ καὶ νοερά) au-dessus des ‘intellectuels’ (νοερά). Les Oracles chaldaïques et même Plotin n’éprouvent pas le besoin de désigner les réalités intelligibles par une formule du genre ‘intelligible et intellectuel’ 36   Le propos de Boèce peut être clarifié lorsqu’on le compare, par exemple, à celui de Proclus, Elem. Theol. pr. 15  : «  Tout ce qui est capable de se convertir est incorporel  », et pr. 186 (trad. Trouillard)  : «  Toute âme est une substance incorporelle et séparable du corps [...] Par ailleurs, que l’âme se connaisse elle-même, c’est manifeste. Si l’âme, en effet, connaît les principes qui sont au-dessus d’elle, à plus forte raison est-elle apte par nature à se connaître elle-même, parce qu’elle se connaît en partant de causes qui lui sont antérieures  ». 37   Cf. par exemple J. Moreau, Plotin ou la gloire de la philosophie antique, Paris, Vrin, 1970, p. 97 et 101. 38   Exception faite du Traité 1, [i, 6], 6, 13-14  ; concernant l’évolution des concepts νοητά et νοερά à l’intérieur du néoplatonisme, voir P. Hadot 1968, p. 99-101. 39   P.  Hadot, «  Porphyre et Victorinus  ». Questions et hypothèses, Res. Orientales, IX, Bures-sur-Yvette, 1996, p. 123. 40  P. Hadot, Marius Victorinus, Ad Candidum et Adversus Arrium, éd. P. Henry et P. Hadot, Marius Victorinus. Traités théologiques sur la trinité, 2 vol., Paris, Cerf, 1960, p. 881-2.

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pour l’opposer à l’âme qui n’est qu’‘intellectuelle’ (cf. Festugière, Révélation, iii, p. 56, n. 3), autrement dit, ils emploient facilement noeron pour noeton. Or Victorinus distingue toujours très nettement entre ‘intelligible’, d’une part, et ‘intellectuel’, d’autre part, et surtout entre ‘intelligible et intellectuel’ et ‘intellectuel’. Nous nous retrouvons en présence d’une élaboration postérieure à Plotin, qui annonce les hiérarchies du néoplatonisme tardif (nous soulignons).

De fait, ces éléments sont caractéristiques de la philosophie de Porphyre  : En effet Porphyre […] considère l’âme comme essentiellement intellectuelle, et il lui donne cette dénomination précisément parce qu’elle connaît l’intelligence [i.e. l’Intellect hypostase]. L’Intelligence de Porphyre, qui est, comme l’Intelligence plotinienne, un monde intelligible qui se connaît, est donc, proprement intelligible et intellectuelle. Elle se connaît elle-même immédiatement, tandis que l’âme se connaît elle-même dans l’Intelligence41 (nous soulignons).

Nous retiendrons de ces commentaires que, chez Porphyre, le plan de l’intelligible pouvait être appelé ou bien «  intelligible  » (νοητὰ), ou bien «  intelligible et intellectuel  » (νοητὰ καὶ νοερά), tandis que les âmes étaient appelées simplement «  intellectuelles  » (νοερά), parce qu’elles ne sont que les sujets connaissants des intelligibles supérieurs. En outre, comme nous avons pu le dire ailleurs, l’identification entre l’âme et l’intellectif νοερὰ est également attestée dans ses Sentences, 30, 4-5 (Brisson)  : «  car [le corps du monde] étant parfait, il s’est élevé vers l’âme qui est intellective (πρὸς τὴν ψυχὴν νοερὰν οὖσαν)  », c’est-à-dire l’Âme du monde qui est dotée d’un intellect42, et dans les Sentences, 32, 127 (Brisson)  : «  en somme l’âme intellective (ἡ ψυχὴ ἡ νοερὰ) de l’homme purifié doit être pure de toutes ces passions…  »43. Enfin, saint Augustin rapporte dans son De ciuitate dei, x, 9, 19 un passage du De regressu animae de Porphyre qui fait allusion aux νοητά et aux νοερά  : 41   P. Hadot, Porphyre et Victorinus, Paris, Études Augustiniennes, 1968, p. 101, et ibid p. 148  : en commentant Proclus, In Tim., I, p. 233 (trad. A.-J. Festugière, Commentaire sur le Timée, Livres I-V, Paris, Les Belles Lettres, 2000)  : «  C’est pourquoi certains des anciens ont appelé ‘véritablement étant’, le plan intelligible, ‘non-véritablement étant’, le plan des âmes, ‘non-véritablement non-étant’, le plan sensible, ‘véritablement non-étant’, la matière  », il précise  : «  nous reconnaissons ici même une des caractéristiques de l’enseignement porphyrien, la confusion entre le plan ‘intellectuel’ et le plan des âmes. À la différence de Jamblique et des néoplatoniciens postérieurs, Porphyre ne distingue pas de plan intellectuel entre l’intelligible et les âmes. Ce sont les âmes qui constituent le plan intellectuel. C’est exactement la doctrine du texte néoplatonicien conservé par Victorinus  ». 42   Cf. le commentaire de Brisson 2005, p. 608. 43   Pour toutes les occurrences de cette expression chez Porphyre, voir Hadot 1968, p. 101, n. 3.



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(trad. Combès) «  …tantôt, comme s’il [i.e. Porphyre] cédait devant ses panégyristes, il le [l’art de la théurgie] prétend utile pour purifier une partie de l’âme, non certes la partie intellectuelle (intellectualis = νοερός) qui perçoit la vérité des réalités intelligibles (intellegibles = νοητά) sans aucune ressemblance avec les corps…  »44. Or, c’est précisément cette doctrine porphyrienne dont témoignent les textes de Victorinus cités plus haut, et nous pensons qu’il est également possible d’appliquer le même schème d’interprétation à notre texte de Boèce. En effet, l’exposé de Boèce signifierait que l’âme, avant sa chute, était au niveau intelligible et intellectuel, mais, au contact du corps, elle a perdu cette incorporalité qui est la condition même de l’identité entre le sujet connaissant et l’objet connaissable45. Le fait de ne plus posséder en elle les objets de connaissance entraîne pour l’âme deux conséquences  : non seulement elle est réduite à les contempler dans l’intelligible qui se trouve au-dessus d’elle, mais elle est en même temps devenue incapable de s’intelliger elle-même, et a besoin des principes supérieures pour se connaître46. Donc, si Boèce identifie l’âme aux οὐσίαι νοεραί, c’est parce qu’il hérite de l’exégèse porphyrienne, et la corrélation qu’il établit entre les substances intelligibles et la théologie, puis entre les substances naturelles et la physique, est également issue de l’exégèse porphyrienne du livre Λ de la Métaphysique, directement ou par quelque(s) commentaire(s) intermédiaire(s). Or, un autre témoignage nous permet de confirmer cette source et de situer plus précisément notre tripartition boécienne à l’intérieur même de l’école néoplatonicienne. La division des ousiai chez Simplicius Un autre parallèle est possible entre cette division des ousiai et ce dont atteste un volet du commentaire de Simplicius aux Catégories47, qui dépend non seulement du grand commentaire homonyme de Porphyre (Ad 44   «  Nunc autem uelut eius laudatoribus cedens utilem dicit esse mundandae parti animae, non quidem intellectuali, qua rerum intellegibilium percipitur ueritas, nullas habentium similitudines corporum…  ». 45   Cf. Plotin, Traité 7 [v, 4], 2, 43-48, qui s’inspire d’Aristote, De l’âme 430a3-5 (trad. Thillet)  : «  Dans le cas des réalités sans matière, le sujet qui exerce l’intellection et l’objet de l’intellection sont identiques  ». 46   Cf. Proclus, Elem. Theol. pr. 15, reproduite n. 36. Cf. la pr. 186. 47  Simplicius a sans doute utilisé les commentaires homonymes de Porphyre (Ad Gedalium) et de Jamblique. Cf. n. suivante.

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Gedalium), mais également du commentaire de Jamblique48. Dans un contexte où il réfute, tout comme Dexippe, l’aporie de Plotin selon laquelle il ne peut y avoir de genre commun aux réalités incorporelles et corporelles (In Cat. 76, 13-17), Simplicius explique que la substance, dont Aristote traite dans ses Catégories, ne concerne que la substance sensible et physique, si bien que ce type d’aporie n’a pas lieu d’être posé. Toutefois, il consent à donner une réponse (In Cat. 76, 23-77, 7) qui est tout à fait similaire à l’argument employé par Dexippe (In Cat. p. 40, 28-41, 3)  : Néanmoins, puisqu’il vaut la peine de savoir quelle est en elle-même cette substance commune à la substance intelligible et sensible, et que Platon a supposé être un genre intelligible de la substance49 (κοινὴ οὐσία τῆς τε νοητῆς καὶ τῆς αἰσθητῆς), il faut savoir que la première substance intelligible établit toutes les substances (ἡ πρώτη καὶ νοητὴ οὐσία πάσας τὰς οὐσίας τάς τε νοητὰς ὑφίστησιν), à la fois intelligibles et sensibles, les unes immédiatement après elle (τὰς μὲν προσεχεῖς ἑαυτῇ), les autres de manière plus éloignée (τὰς δὲ πορρωτέρω). Et il est clair que ce n’est pas seulement un genre (οὐ γένος μόνον) mais également un principe pour les substances qui viennent après elle (καὶ ἀρχὴ τῶν μεθ’ ἑαυτήν ἐστιν οὐσιῶν), et que toutes [les substances] ne participent pas de ce principe de manière égale (οὐδὲ ἐπίσης ἅπαντα τῆς ἀρχῆς ταύτης μεθέξει), de sorte qu’une telle substance n’est pas un genre au sens propre50 (οὔτε γένος κυρίως) [...] Et Aristote, dans la Métaphysique [livre Λ, 1069a30-b2.]51, parle de deux substances (δύο οὐσίας εἰπών), l’une intelligible, l’autre sensible (τήν τε νοητὴν καὶ τὴν αἰσθητήν), et d’une troisième, mathématique ou psychique (καὶ τρίτην τὴν μαθηματικὴν ἢ τὴν ψυχικήν), et a démontré une théorie générale de leur définition qu’il applique à toutes [les substances]52.

48   Cf. C. Luna, Simplicius, Commentaire sur les Catégories, chapitres 2-4, traduction par Ph. Hoffmann, avec la collaboration de I. Hadot et P. Hadot, Paris, Les Belles Lettres, 2001, conclusion synthétique, p. 867. 49  Note de De Haas et Fleet, dans Simplicius, On Aristotle, Categories 5-6, p. 67, n.  8  : «  Cf. Plato Timaeus 48E5-6, Republic 509D1-4 and especially the discussion of the five highest genera in the Sophist, one of which is to on, also called ousia (251A5, D1-5, E9  ; 252A2 etc.). Plotinus discusses this in Enneads 6.2 [43] 1 and uses it as a model for his own ‘categorial’ theory for the intelligible realm  ». 50   Note de De Haas et Fleet, p. 67, n. 9  : «  According to Aristotle Metaphysics 999a614 a class is not a genus if its members are in an order of prior and posterior. For the Neoplatonists’ acceptance of these quasi-genera, see Lloyd (1990) ch. 3  ». 51   Référence précisée par De Haas et Fleet, ibid., p. 67, n. 10. 52   «  Πλὴν ἐπειδὴ καὶ καθ’ αὑτὸ γνώσεως ἄξιον, ἥτις εἴη κοινὴ οὐσία τῆς τε νοητῆς καὶ τῆς αἰσθητῆς, καὶ ὁ Πλάτων δὲ νοητὸν γένος τῆς οὐσίας ὑποτίθεται, ἰστέον ὅτι ἡ πρώτη καὶ νοητὴ οὐσία πάσας τὰς οὐσίας τάς τε νοητὰς ὑφίστησιν καὶ τὰς αἰσθητάς, τὰς μὲν προσεχεῖς ἑαυτῇ, τὰς δὲ πορρωτέρω. καὶ δῆλον ὅτι οὐ γένος μόνον ἀλλὰ καὶ ἀρχὴ τῶν μεθ’ ἑαυτήν ἐστιν οὐσιῶν, καὶ οὐδὲ ἐπίσης ἅπαντα τῆς ἀρχῆς ταύτης μεθέξει, ὥστε οὔτε γένος κυρίως ἡ τοιαύτη οὐσία [...]. καὶ Ἀριστοτέλης δὴ ἐν τῇ Μετὰ τὰ φυσικὰ δύο οὐσίας εἰπών, τήν τε νοητὴν καὶ τὴν αἰσθητήν, καὶ



L’ORIGINE DE LA TRIPARTITION DE LA PHILOSOPHIE211

Dans ce texte, où Simplicius harmonise la doctrine des ousiai issue du Sophiste de Platon d’une part, et de la Métaphysique livre Λ et des Catégories de l’autre, nous voyons décrite une substance, genre suprême, qui est posée comme le principe des autres substances intelligibles et sensibles. Pour ce qui est de la théorie de l’ousia intelligible et sensible, le passage de la Métaphysique auquel se réfère Simplicius dérive du livre Λ 1069a30-b2, celui-là même que Dexippe a commenté et que nous avons vu plus haut – mais il ajoute une ousia absente du texte d’Aristote, l’ousia mathématique ou psychique (τὴν μαθηματικὴν ἢ τὴν ψυχικήν), de sorte que cette triple division des ousiai semble reprendre implicitement la tripartition des sciences théorétiques des livres E 1026a6-19 et K 1064b1-353. En commentant le livre Λ, 1069a30-b2, Simplicius décrit ainsi une structure à trois niveaux qui comprend l’ousia intelligible, l’ousia psychique ou mathématique, et enfin l’ousia sensible. Ce parallèle confirme donc que la tripartition des substantia intellectibilis, substantia intelligibilis et physica de Boèce est apparentée à l’exégèse néoplatonicienne issue de Métaphysique Λ, 1069a30-b2. En fait, l’assimilation de l’âme aux mathématiques est ancienne, puisqu’elle remonte aux premiers successeurs de Platon54  ; mais, dans l’école néoplatonicienne, c’est surtout Jamblique, qui, à travers son exégèse du Timée de Platon, introduit cette particularité. Dans son De communi mathematica scientia effectivement, en identifiant l’âme avec les mathématiques, il la place à un rang intermédiaire entre l’intelligible et le sensible55, doctrine qui est, par ailleurs, reprise dans l’ensemble par Proclus. Or, dans l’extrait cité, Simplicius associerait l’ousia psychique et l’ousia mathématique précisément sous l’influence de Jamblique56. En τρίτην τὴν μαθηματικὴν ἢ τὴν ψυχικήν, κοινὴν τοῦ λόγου θεωρίαν διὰ πασῶν χωροῦσαν ἀπέδειξεν  ». 53   P. Hadot, 1974, op. cit. n. 27, p. 39  : «  ...cette division ne se trouve pas dans le livre Λ, mais dans les livres E 1026a6-19 et K 1064b1-3  ». 54   Voir, par exemple, Soulier 2014, p. 178, qui résume Merlan 1960, p. 11-33  : «  Posidonius, dans son commentaire du Timée, a repris ladite division en fusionnant les deux héritages, à savoir chez Platon, la division entre les Idées, l’âme du monde et le sensible, et chez Aristote, la division des sciences théorétiques. Posidonius assimile ainsi l’âme du monde et les mathématiques, comme le firent avant lui Speusippe et Xénocrate, les premiers successeurs de Platon à la tête de l’Académie, initiateurs d’une tradition ‘non aristotélicienne’ dont les Néoplatoniciens furent les héritiers  ». Cf. également Merlan 1960, p. 34-9. 55   En fait, la question est un peu plus complexe, dans la mesure où Jamblique propose deux interprétations. Dans les ch. 3 et 4, il souligne la différence entre les mathématiques et l’âme, tandis que dans les ch. 9 et 10, il efface toute différence entre les deux. Sur cette question, voir Merlan 1960, p. 27. 56   Voir P. Hadot 1974, op. cit. n. 27, p. 39, qui affirme à propos de notre texte de Simplicius  : «  …la liaison entre l’ousia mathématique et l’ousia psychique, est ­particulièrement chère à Jamblique, comme l’a bien montré Ph. Merlan 1960, p. 11-33  ».

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outre, il est manifeste que le commentaire de Jamblique aux Catégories, qui est ici la source de Simplicius, a déjà fait la correspondance entre les intelligibles, les âmes mathématiques et les sensibles, qu’il appelle ousiai57, avec la tripartition en théologie, mathématique et physique des livres E et K de la Métaphysique58. Cependant, et nous le voyons bien, la théorie des trois classes d’ousiai de Métaph. Λ 1069a30-1069b2 (l’ousia sensible (αἰσθητή), qui est d’une part éternelle (οὐσία ἀΐδιος), de l’autre corruptible (φθαρτή), et l’ousia éternelle et immobile), reprise, non sans modification, par Dexippe dans son commentaire aux Catégories, ne laissait pas de place aux ousiai psychiques et mathématiques. Dans les Catégories d’Architas, que Jamblique avait consultées, cette classe d’ousia intermédiaire n’apparaît pas non plus comme explicitement psychique ou mathématique59. En vérité, faute de documentation, nous ne savons pas précisément à travers quel parcours exégétique Jamblique a été amené à intégrer cette ousia intermédiaire  ; mais ce texte de Simplicius est important, en ce qu’il constitue la preuve de la synthèse effectuée entre la doctrine porphyrienne des ousiai issue de l’exégèse du livre Λ 1069a30-1069b3 et 1071b360 et la tripartition de la philosophie théorétique du livre E 1026a8-20 et K 1064b1-3. Conclusion Les sources manquent pour reconstituer toutes les étapes de cette évolution dans l’histoire du Néoplatonisme, mais les éléments disponibles suffisent à montrer que la démarche de Boèce, qui divise la partie théorétique de la philosophie selon les substantiae intellectibiles, i­ntellegibiles 57  Jamblique, De communi mathematica scientia, 14, 89-96  : «  Ὁπότε δὴ οὖν ταῦτα συνομολογοῦμεν, δεῖ κἀκεῖνο ὡς ἡ μαθηματικὴ ὁμοιότης καὶ ἀνομοιότης ἑτέρα τῆς ἐπὶ τῶν νοητῶν καὶ τῆς ἐπὶ τῶν αἰσθητῶν ὑπολαμβάνεσθαι ὀφείλει ὁμοιότητός τε καὶ ἀνομοιότητος. Διακριθήσεται δὲ ἀπ’ αὐτῶν καθ’ ἕνα μὲν τρόπον, καθ’ ὃν τὰς τρεῖς οὐσίας διεστειλάμεθα…  ». 58   Ph. Merlan From Platonism to Neoplatonism, La Haye, M. Nijhoff, 1960, p. 11-12  : «  To the intermediate character of mathematicals corresponds the intermediate character of mathematical knowledge (Isc [= De communi mathematica scientia] ch. i, p. 11, 10 F  ; ch. xxxiii, p. 95, 5-22 F). In obvious connection with his trialism of being Iamblichus accepts also the tripartition of theoretical philosophy into theology, mathematics, and physics (Isc ch. xv, p. 55, 8.23 F  ; ch. xxviii, p. 88, 19 F  ; ch. xxx, p. 91, 13. 24 F  ; ch.  xxxi, p. 92, 19 F  ; 93, 2 F)  ». 59   P. Hadot, 1974, op. cit., n. 27, p. 40. 60   R. Brague, Thémistius. Paraphrase de la Métaphysique d’Aristote. Livre Λ. Traduction de l’hébreu et de l’arabe, Paris, 1999.



L’ORIGINE DE LA TRIPARTITION DE LA PHILOSOPHIE213

et naturales, se situe dans le sillage de l’exégèse porphyrienne du livre Λ de la Métaphysique d’Aristote. Contrairement à l’affirmation de Merlan61, le fait que le plan des ousiai intellectuelles soit chez Boèce seulement psychique et non pas également mathématique, montre que cette division ne connaît pas encore la systématisation amorcée par Jamblique — d’ailleurs, Boèce ne nomme aucune discipline qui aurait pour objet ces âmes –, mais le fait que l’âme y soit associée aux intellectifs tendrait à montrer qu’elle présente une doctrine proche de celle de Porphyre. En outre, il est probable que, sur la base de l’exégèse porphyrienne de Métaph. Λ 1069a30, telle qu’elle apparaît chez Dexippe (In Cat. 41, 3-13), qui ne traite que du plan de l’intelligible et du sensible, un commentateur a jugé utile d’y insérer le plan de l’âme. En effet, ayant été définie comme étant un incorporel par soi pouvant également être incorporée, l’âme a sans doute fini par constituer une classe intermédaire à part entière, digne de faire l’objet d’une discipline distincte. Par conséquent, du point de vue de la tradition exégétique, la tripartition de la philosophie théorétique de Boèce, dans l’état où elle se présente, serait à situer entre le commentaire de Porphyre de la Métaphysique, livre Λ 1069a30, attesté chez Dexippe, et l’exégèse de Jamblique, reprise par Simplicius, qui, en outre, y intègre les éléments des livres E 1026a8-20 et K 1064b1-3. De fait, il pourrait bien s’agir du premier texte qui amorce cet effort d’harmonisation entre ces deux passages de la Métaphysique.

61  Nous ne pensons pas que le système des ousiai de Jamblique soit la source de Boèce, comme semble le dire Merlan 1968, p. 82-3, qui affirme, à propos de la tripartition de Boèce, In Isag. i, 8,6-9,12 (Brandt)  : «  But there is nothing strange in the passage for anybody who approaches it uia Iamblichus, Proclus, and the problem of the identification of the soul with mathematics. It was almost inevitable that somebody should have described the second branch of theoretical philosophy as psychology, instead of mathematics, since soul = mathematicals. Jamblichus had already shown the way  : he insisted that mathematical and psychological ‘initiation’ proceed pari passu (Isc. Ch. ix, p. 41, 5-6f). In short, we are back to the identification of soul and mathematicals  ».

EXISTE-T-IL UN NÉOPLATONISME MONASTIQUE  ? RÉFÉRENCES PLATONICIENNES ET EXERCICES DU CLOÎTRE AU XIIE SIÈCLE Cédric Giraud

(Université de Lorraine – CRULH)

Pour situer la présence de l’école néoplatonicienne au sein de la culture médiévale, deux approches sont possibles  : l’on peut tout d’abord s’inté‑ resser aux références explicites que les auteurs médiévaux font aux textes de Platon et aux commentateurs de son école. Une vue un peu superfi‑ cielle portée sur le Moyen Âge central pourrait cependant faire d’emblée tourner court la démarche. En effet, comme il est bien connu, avant le xiiie siècle malgré la traduction par Henri Aristippe du Ménon et du Phédon au milieu du xiie siècle1, Platon n’est lu qu’à travers la traduction et le commentaire au Timée donnés par Calcidius, ce qui limite la connais‑ sance directe de la doctrine platonicienne2. Quant aux auteurs néoplato‑ niciens, ils ne sont lus directement qu’au xiiie siècle avec les différentes traductions procurées par Guillaume de Moerbeke3. De plus, la connais‑ sance indirecte de Platon et du néoplatonisme dépend d’une tradition doxographique de langue latine assez riche et bien balisée, qui combine des citations anciennes et patristiques, et qui a d’ailleurs donné naissance à une véritable historiographie – que l’on songe à la question de l’iden‑ tification des sources néoplatoniciennes de saint Augustin4. Ce ­diagnostic, 1  Au seuil de cet article, j’ai plaisir à remercier Alain Galonnier pour sa relecture minutieuse. Toutes les traductions du latin sont miennes. Sur le contexte, voir M.‑Th. d’Alverny, «  Translations and translators  », Renaissance and Renewal in the Twelfth Century, éd. R.L. Benson et G. Constable, Cambridge, Harvard University Press, 1982, p. 421-462, repris sous le numéro ii dans La transmission des textes philosophiques et scientifiques au Moyen Âge, Aldershot, 1994. 2  Voir en dernier lieu P. Dronke, The spell of Calcidius  : platonic concepts and images in the Medieval West, Florence, 2008. 3   Voir le volume collectif Guillaume de Moerbeke, recueil d’études à l’occasion du 700e anniversaire de sa mort, 1286, éd. J. Brams et W. Vanhamel, Leuven, Leuven Uni‑ versity Press, 1989 et C. Steel, «  William of Moerbeke, translator of Proclus  », Interpreting Proclus from antiquity to the renaissance, éd. S. Gersh, Cambridge/New York, Cam‑ bridge University Press, 2014, p. 247-263. 4  Voir P. Courcelle, Recherches sur les Confessions de saint Augustin, Paris, E. de Boccard, 1950, appendice IV, les notices de M. J. Edwards, «  Neoplatonism  » et de F.  Van Fleteren, «  Plato, Platonism  », Augustine through the Ages  : An Encyclopedia,

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tout à fait juste, est celui que posent les manuels d’histoire de la philo‑ sophie. Il ne rend pourtant pas entièrement compte de la réalité médié‑ vale, dans la mesure où l’utilisation même des références platoniciennes et néoplatoniciennes possède une histoire et des scansions qui restent en grande partie à décrire. La deuxième voie d’approche revient à s’intéresser non plus au néo‑ platonisme explicite mais à des formes plus diffuses d’imprégnation, où l’on reconnaîtra moins la marque d’une école que la trace d’une influence. Là encore, le dernier mot peut sembler avoir été dit par des travaux clas‑ siques – que l’on songe au fameux Plato Christianus – ou plus récents, notamment les recherches d’Olivier Boulnois, qui montrent la manière dont l’hellénisme et le christianisme produisirent une synthèse théorique et pratique (la philosophia christiana) promise à un avenir durable5. Sur ce point aussi, il me semble qu’une approche historique, sensible à la dialectique entre continuité et évolution, est susceptible d’apporter quelque nouveauté. Le but de ma contribution sera donc de poser le regard d’un historien, non pas de la philosophie, mais des textes et ce sur le xiie siècle, en ten‑ tant d’historiciser la question de la présence du néoplatonisme. Pour ce faire, je me suis appuyé sur une interro­gation des banques de données textuelles Library of Latin texts et Patrologia Latina Database6, dont la combinaison donne accès à une part significative de la littérature médié‑ vale de langue latine. Le choix du xiie siècle se justifie en raison du résultat même de cette interrogation  : dans la Library of Latin texts Pla‑ ton est attesté par quelque 3000 occurrences et les Platonici par environ 600 mentions. À l’issue d’un tri parfois facile à faire (près de 500 occur‑ rences du mot «  platoniciens  » sur les 600 se trouvent chez Thomas d’Aquin), le xiie siècle est apparu comme un terrain d’observation privi‑ légié pour appréhender la référence à Platon et aux platoniciens. Le plus intéressant a sans doute été de constater la répartition des références. Deux auteurs liés au monde des écoles dominent – Pierre Abélard et Jean éd. A.‑D. Fitzgerald, Cambridge, Eerdmans, 1999, p. 588-591 et 651-654, et R. Crouse, «  Paucis mutatis verbis  : St. Augustine’s Platonism  », Augustine and his Critics, éd. R. Dodaro et G. Lawless, Londres, Routledge, 2000, p. 37-50. 5   E. von Ivánka, Plato Christianus. La réception critique du platonisme chez les Pères de l’Église, Paris, P.U.F., 1990  ; O. Boulnois, «  Philosophia christiana. Une étape dans l’histoire de la rationalité théologique  », Augustin philosophe et prédicateur. Hommage à Goulven Madec, Paris, Institut d’Études Augustiniennes, 2012, p. 349-369, et Id., Métaphysiques rebelles. Genèse et structures d’une science au Moyen Âge, Paris, P.U.F., 2013. 6   Ces deux bases de données sont respectivement consultables sur les sites de Brepols (http://www.brepols.net/) et de Chadwyck (http://pld.chadwyck. co.uk/).



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de Salisbury – mais plutôt que ce résultat qui ne me retiendra pas ici, il m’a semblé significatif de noter qu’à côté de ces deux phares de l’histoire des idées, un nombre important de citations se trouvent disséminées chez des écrivains que réunit leur commune profession religieuse. Ce point m’a donc conduit à m’interroger sur l’existence d’un «  néoplatonisme monastique  », ce qui justifie le titre de cette contribution. J’appliquerai donc aux auteurs monastiques et canoniaux du xiie siècle l’approche double qui a été rappelée en ouverture, d’une part en portant attention à la référence explicite faite à Platon et aux Platonici, de l’autre en éva‑ luant la portée d’un néoplatonisme plus diffus dans les cloîtres à travers l’exemple de la méditation. Afin d’estimer la place du néoplatonisme dans la culture régulière du xii  siècle, il faut partir de la référence à Platon dans la mesure où le Platon connu des médiévaux n’est évidemment pas le Platon historique des philo‑ logues et des philosophes actuels, mais le Platon que la tradition chrétienne de l’Antiquité tardive a légué au Moyen Âge central. Platon est, en effet, reçu sur la foi d’une tradition doxographique que domine Augustin qui l’interprète lui-même, directement et indirectement, d’après Porphyre et Plotin7. Faire référence à Platon, c’est donc pour les auteurs médiévaux se reporter d’emblée à un «  néo-Platon  », quelque conscience qu’ils en aient. Platon est tout d’abord perçu comme un personnage historique positif. Il existe une exception, mais de taille car elle se trouve dans l’un des ouvrages les plus lus à l’époque médiévale, le Décret de Gratien. Le canoniste italien y recueille la condamnation du gnostique du iie siècle, Valentin, que la tradition hérésiologique chrétienne présente comme un sectateur de Platon8. Hormis ce cas, la personne de Platon est plutôt valorisée par les auteurs du Moyen Âge central, comme l’attestent quelques exemples pris dans la documentation. Chez le chroniqueur de Saint-Martial de Limoges, Adhémar de Chabannes, le moine Rainauld est surnommé «  Platon  » en raison de sa sagesse9. Dans son fameux Didascalicon, le chanoine Hugues de Saint-Victor, en faisant l’éloge de l’humilité, conseille de ne pas rechercher les grands maîtres et donne e

7   Sur les sources médiévales du platonisme et Augustin, voir les références indiquées à la n. 4. Sur les libri Platonicorum et la question de la contemplation chez Augustin, voir en dernier lieu  : J.P. Kenney, Contemplation and Classical Christianity. A Study in Augustine, Oxford, 2013. 8  Gratien, Decretum, 2, causa 24, q. 3, c. 39, § 10, éd. E. Friedberg, Leipzig, 1879, col. 1002. 9   Adhémar de Chabannes, Chronicon, éd. P. Bourgain, Turnhout, Brepols, 1999, Corpus Christianorum Continuatio Mediaevalis (désormais cccm) 129, iii, 41, p. 162.

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l’exemple de Platon comme figure du maître par antonomase10. Lorsque le moine Pierre de Poitiers se livre à un éloge marqué de l’abbé clunisien Pierre le Vénérable, il campe Platon comme modèle de subtilité11. Le fondement de ces passages et d’autres témoignages est à chercher dans la tradition qui fait de Platon l’élève des Égyptiens. L’histoire, rapportée notamment par Hugues de Saint-Victor12, reçoit un développement par‑ ticulier dans la correspondance de Philippe de Harveng. Selon l’abbé prémontré de Bonne-Espérance, Platon figure l’éternel étudiant sans cesse en quête de nouvelles connaissances, ce qui fait de sa formation une peregrinatio academica avant la lettre  : Alors que Platon était, parmi les citoyens d’Athènes, déjà parfaitement savant dans les lettres grecques et qu’il l’emportait de loin sur ses condis‑ ciples formant l’auditoire de Socrate, toutefois brûlant encore d’amour pour le savoir, il descendit en Égypte et, parmi des peuples étrangers et barbares, y saisit une science qui n’était pas mince. Peut-être avait-il entendu dire que Moïse, qui était né et avait été élevé en Égypte, y avait été instruit de toute la sagesse des Égyptiens, comme le rapporte l’Écriture sainte, et le même Platon, extrêmement curieux de cette sagesse, devint désireux de la cher‑ cher. Or, sans se contenter de cette recherche, il gagna de là l’Italie et, parmi les pythagoriciens, il acquit également une grande science et, voué à une telle étude, il parvint à l’âge de quatre-vingt-un ans, où il ne mit fin à ses études qu’avec le terme de sa vie13.

Le passage présente également l’intérêt de nous renseigner sur la tenta‑ tion de concordisme qui habitait certains réguliers et qui leur faisait rêver une réconciliation entre hellénisme et révélation monothéiste sur fond de paysage égyptien. Pour l’ancien prémontré Anselme devenu évêque de Havelberg, l’Académie fournit même une éthique du débat toujours valide puisqu’elle enseigne à affirmer sans témérité et à réfuter sans colère14. 10   Hugues de Saint-Victor, Didascalicon, iii, éd. C.H. Buttimer, Washington, Catholic University Press, 1939, p. 62. 11   Epistula ad Petrum venerabilem, éd. G. Constable, Cambridge, Mass./Londres, Harvard university press, 1967, p. 1. 12   Hugues de Saint-Victor, Didascalicon, iii, éd. cit., p. 52. 13  Philippe de Harveng, Epistolae, Patrologia latina (désormais PL) 203, col. 32  : «  Quorum Plato Atheniensium civis, cum jam Graecas ad unguem litteras doctus esset et in auditorio Socratis suis longe condiscipulis major esset, adhuc tamen amore sciendi exaestuans in Aegyptum descendit et inter exteras et barbaras nationes non parvam scien‑ tiam apprehendit. Audierat forte quod Moyses qui in Aegypto natus fuerat et nutritus, omni sapientia Aegyptiorum, sicut divina refert pagina, fuerat eruditus, et super haec sapientia idem Plato non mediocriter curiosus ad investigandum eam factus est studiosus. Hac autem investigatione non contentus, inde Italiam requisivit et inter Pythagoricos mul‑ tam quoque scientiam acquisivit talique studio deditus ad annum aetatis octogesimum primum venit, in quo finem studii nisi cum vitae termino non invenit  ». 14   Anselme d’Havelberg, Dialogi, PL 188, col. 1195.



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Figure par excellence du sage, Platon est aussi un chef d’école dont les positions sont connues à travers les Pères. Comme en d’autres domaines, les auteurs du xiie siècle possèdent une certaine conscience historique qui ne leur fait pas prendre les références sub specie aeternitatis. Le bénédictin Rupert de Deutz sait ainsi que saint Jérôme a lu Platon15. Guillaume de Saint-Thierry reprend à son compte l’avis favo‑ rable de saint Ambroise, qui montre la dépendance des platoniciens par rapport aux prophéties vétérotestamentaires16. De manière générale, ce Plato christianus correspond à une interprétation médiévale des fameux passages augustiniens faisant référence aux libri Platonicorum. Dès la fin du xie siècle au moins et le commentaire sur les Psaumes attribué à Bruno de Cologne, Platon est censé avoir disputé de la Trinité mais n’en avoir eu qu’une connaissance indirecte en raison de son ignorance de l’incar‑ nation17. Le thème traverse tout le xiie siècle et reçoit une actualité parti‑ culière en raison des querelles christologiques parfois très vives qui secouent les écoles autour de la question de la nature humaine du Christ18  : le maître parisien Pierre Lombard19 aussi bien que le chanoine régulier Geroch de Reichersberg insistent, mais sans citer leur source, sur la présence du Verbe divin dans les livres des platoniciens en référence au fameux prologue johannique mais aussi sur l’absence de mention concernant son incarnation, ce qui constitue bien évidemment la reprise simplifiée du fameux passage des Confessions, 7, 9, où l’évêque d’Hip‑ pone tente de faire converger le logos néo­platonicien et la révélation chrétienne. Voici ce qu’écrit Geroch  : Je suis la voie, la vérité et la vie (Jn., 14, 6). Le Verbe lui-même n’a pas eu besoin de ce témoignage, car le fait qu’il a été de toute éternité la vérité et la vie n’échappa ni aux prophètes ni aux philosophes, surtout platoni‑ ciens, mais un témoignage a été nécessaire pour dire que, dans l’homme assumé, la vie et la vérité furent celles du Verbe assumant20. 15   Rupert de Deutz, De sancta Trinitate et operibus ejus, éd. H. Haacke, Turnhout, Brepols, 1972, cccm 24, p. 2070. 16   Guillaume de Saint-Thierry, Excerpta de libris beati Ambrosii super Cantica Canticorum, éd. A. Van Burink, Turnhout, Brepols, 1997, cccm 87, par. 81, p. 309. 17   Bruno de Cologne (attr.), Commentarium in psalmos, PL 152, col. 1205. 18   Sur le contexte, voir C. Monagle, Orthodoxy and Controversy in Twelfth-Century Religious Discourse: Peter Lombard’s Sentences and the Development of Theology, Turnhout, Brepols, 2013. 19   Pierre Lombard, PL 192, ad Col., cap. 1, v. 21, col. 267. 20   Geroh de Reichersberg, Epistolae, PL 193, col. 580  : «  Ego sum via et veritas et vita (Jn 14, 6). Quo testimonio ipsum Verbum non eguit, quod ab aeterno veritas et vita fuisse nec prophetas nec etiam philosophos maxime Platonicos latuit, sed homini assumpto, quod vita et veritas sit Verbi assumentis, necessarium fuit testimonium  ».

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C’est également Augustin, dans son De Trinitate, qui inspire le cister‑ cien Guerric d’Igny, quand, engageant ses moines à sonder leurs corps et leurs cœurs pour y découvrir des trésors enfouis, l’abbé écarte l’ensei‑ gnement platonicien sur la réminiscence21. Parallèlement, une perception assez fine de l’histoire des textes et des doctrines signale que l’acclimatation de Platon au christianisme fait cou‑ rir un risque à l’orthodoxie  : en reprenant dans son Peri archon l’ensei‑ gnement de Platon et des platoniciens sur la préexistence des âmes22, Origène offrirait une voie de rédemption à Satan et, selon le bénédictin Ernald de Bonneval, le Père grec introduit dans l’Église une doctrine que ce moine du xiie siècle réprouve23. Dans cette généalogie des positions, tous les auteurs n’ont pas la main également heureuse. Parmi les contresens les plus flagrants, il faut compter celui que présente le traité ano‑ nyme De spiritu et anima  : y est critiquée la position censément tenue par Platon et Alexandre – sans doute Alexandre d’Aphrodise –, selon laquelle les âmes des animaux sont mues par la raison24. L’erreur serait négligeable si l’attribution médiévale de cette compilation à saint Augus‑ tin ne lui avait valu une remarquable diffusion qui popularisa ainsi une image de la psychologie platonicienne et néo-platonicienne pour le moins originale25. Mais le principal débat porta plutôt sur la cosmologie plato‑ nicienne telle que les médiévaux pouvaient la connaître à travers Calci‑ dius  : le point, bien connu, ne doit pas nous retenir car il concerne plutôt le groupe de maîtres séculiers que, sous une appellation peut-être plus commode qu’exacte, la tradition historiographique désigne comme «  chartrains  », et notamment Guillaume de Conches, auteur de Glosae super Platonem26. Il convient cependant de préciser que le débat cosmo‑ logique et l’élaboration subséquente du concept de nature sur fond de 21   Guerric d’Igny, Sermones, éd. J. Morson et H. Costello, Paris, Sources chrétiennes (désormais SC) 166, p. 242, en référence à Augustin, De Trinitate, 12, 24. 22  Sur cette question complexe chez Origène et la métempsycose, voir R. Hedde, «  Métempsycose  », Dictionnaire de théologie catholique, t. 10, Paris, 1929, col. 15741595, aux col. 1587-1590. 23   Ernald de Bonneval, De operibus sex dierum, PL 189, col. 1522. 24   Ps. Augustin d’Hippone, De spiritu et anima, PL 40, col. 815. 25   Sur le texte et sa large diffusion, voir L. Norpoth, Der pseudo-augustinische Traktat De spiritu et anima. Philosophische Dissertation München 1924 ertsmals gedruckt und anstelle einer Festschrift dem Autor zu seinem 70. Geburtstag am 14. April 1971 überreicht, Cologne-Bochum, 1971. 26   Voir T. Gregory, Platonismo medievale, studi et ricerche, Rome, Instituto Storico Italiano per il Medio Evo, 1958, p. 53-150, Idem., «  Le platonisme du xiie siècle  », Revue des sciences philosophiques et théologiques, t. 71, 1987, p. 243-259, et E. Garin, Studi sul platonismo medievale, Florence, Felice Le Monnier, 1958, p. 15-87.



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philosophie néoplatonicienne ne sont pas tout à fait étrangers au milieu régulier qui nous intéresse. En effet, dès le xie siècle et l’ermite réforma‑ teur Pierre Damien, les moines condamnent Platon et tous ses sectateurs qui cherchent à examiner les secrets de la nature27. Chez les chanoines de Saint-Victor, la réponse tient compte d’une lecture renouvelée du Timée dans les écoles  : par contrecoup l’exégèse des premiers chapitres de la Genèse devient, en effet, le lieu de réfutation par excellence des doctrines néoplatoniciennes. Pour ne prendre que l’exemple d’André de Saint-Victor, la théorie néoplatonicienne des trois principes coéternels (Dieu, la matière et les idées, que le chanoine appelle exemplaria) est attaquée de front au nom du Dieu créateur que le chrétien ne saurait ravaler au rang d’artisan  : Il y eut aussi des philosophes païens qui estimaient qu’il y avait trois élé‑ ments incréés, sans principe et qu’ils étaient les principes de toutes choses  : Dieu, l’exemplaire et la matière, et que Dieu était comme un artisan et non un créateur. Voici ce que Platon et les siens imaginèrent28.

Même rejet, cette fois teinté de sarcasme, dans le poème De Trinitate du clunisien Bernard de Morlaix  : selon le moine, Dieu fabrique le monde sans parole, tandis que Platon, artisan mal inspiré, fabrique un système d’archétype et d’idées qui aboutit à faire professer trois principes au lieu d’un  : Dieu, en créant toutes choses, a agi par son Verbe. Il est cause efficiente, et non matérielle, de tout. Platon et sa philosophie stupide se trompe et trompe. Il n’a pas eu besoin ni d’atelier, ni de matière, ni d’artisan Celui qui fabrique l’atelier du monde par son Verbe sans verbe. Il a dit et a ordonné l’apparition prochaine de la création, et elle a été faite. Platon fabrique un monde-archétype, il discerne des idées, il rend avec fausseté coéternels la hylé, la forme et Dieu. Nous croyons et savons que rien n’est coéternel à ce créateur  ; nous le professons par notre foi et par notre science. Nous disons qu’il y a un seul principe  ; les philosophes, trois29.   Pierre Damien, Epistulae, éd. K. Reindel, Munich, 1983, vol. 1, ep. 28, p. 251.   André de Saint-Victor, Expositio super Heptateuchum, éd. C. Lohr et R. Berndt, Turnhout, Brepols, 1986, cccm 53, In Genesim, p. 8, l. 92-95  : «  Fuere et philosophi gentium qui aestimabant tria esse increata et sine principio et ipsa esse omnium princi‑ pia  : deum, exemplar et materiem et deum quasi artificem, non creatorem esse. Hoc Plato et sui somniarunt  ». 29   Bernard de Morlaix, Carmina De Trinitate et de fide catholica, de Castitate servanda, In libros regum, de Octo Vitiis, éd. K. Halvarson, Stockholm/ Göteborg/Uppsala, Almqvist och Wiksell, 1963, p. 26  : «  Omnicreans opifex Verbo Deus est operatus. / Omnibus efficiens causa est, non materialis. / Fallitur et fallit Plato stultaque philosophia. / Non eguit fabrica non materiaque fabroque / Qui fabricam mundi fabricat verbo sine verbis. / Dixit et edita mox mandavit et acta fuerunt. / Archetipum mundum fabricat 27 28

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À front renversé, quelques moines passés par les écoles tentèrent de pratiquer un certain concordisme entre la doctrine chrétienne de la créa‑ tion ex nihilo et un vocabulaire néoplatonicien. Le plus célèbre est sans doute le cistercien Isaac de l’Étoile, dont la prédication comporte maintes traces de néoplatonisme, notamment lorsqu’il s’agit de traiter de la créa‑ tion. Ainsi, entre l’Un qu’est Dieu par excellence et le néant, Isaac accepte tout un dégradé d’intermédiaires y compris la matière platoni‑ cienne. Cependant, bien qu’il recoure à un vocabulaire marqué comme «  hylè  » ou «  sylva  », le cistercien n’admet pas l’éternité de la matière et maintient dans son unicité transcendante la cause efficiente qu’est Dieu30. Le même concordisme anime le moine lorsqu’il cherche à har‑ moniser le passage du Timée où, selon Calcidius, Dieu se trouve soulevé par la joie et le verset de Gn., 1, 31 qui signale le regard bienveillant que Dieu porte sur sa création. Selon Isaac, Platon et Moïse exprimeraient ici sous deux formes différentes la cause finale de la création, le théologien païen insistant sur la joie et le théologien inspiré sur la bonté31. Il faut néanmoins reconnaître que, pour le xiie siècle, le relevé des oppo‑ sitions l’emporte fréquemment sur la recherche des continuités. Platon, en ce sens, n’est pas seulement une figure du sage ou le tenant de positions discutables, mais surtout l’in­carnation de la sagesse mondaine. La limite est tout d’abord doctrinale  : chez le cistercien Baudoin de Ford, la recherche platonicienne de la sagesse, que Philippe de Harveng indiquait en bonne part, n’est affirmée que pour souligner par contraste sa vanité  : en voya‑ geant, Platon a poursuivi un bien qui n’était pas terrestre et qu’il lui était donc impossible de trouver32. De manière semblable, Guillaume de SaintThierry, dans le même temps qu’il indique la capacité des païens, notam‑ ment de Platon, à trouver le chemin du vrai, montre l’inadéquation de leurs efforts33. Hugues de Saint-Victor illustre bien cette ambivalence de la réfé‑ rence platonicienne dans les milieux réguliers  : si Platon figurait le sage dans le traité pédagogique du chanoine, la référence à Platon dans une œuvre spirituelle aussi lue que le De archa Noe sert à caractériser les lettrés Plato, cernit ydeas, / Falso coeternat ylen formamque deumque. / Esse coeternum nos factori nichil illi / Credimus et scimus, credendo sciendo profamur. / Unum principium nos, philosophi tria dicunt  ». 30   Isaac de l’Étoile, Sermones, éd. A. Hoste, G. Salet, coll. G. Raciti, SC 207, Sermo 21, Paris, Cerf, 1974 p. 52. 31   Isaac de l’Étoile, Sermo 24, éd. cit., p. 102. 32   Baudoin de Ford, Sermones de commendatione fidei, éd. D.‑N. Bell, Turnhout, Bre‑ pols, 1991, cccm 99, cap. 25, p. 373. 33  Guillaume de Saint-Thierry, Expositio super epistolam ad Romanos, éd. P. Verdeyen, Turnhout, Brepols, 1989, cccm 86, I, p. 21.



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comme autant de mauvais chrétiens qui préfèrent le monde au Christ34. Dans sa lettre à un écolâtre nommé aussi Pierre, Pierre le Vénérable insiste sur les diverses solutions que les philosophies anciennes ont cherché à procurer à la question de l’eudémonisme  : L’intelligence des Anciens s’épuisa à rechercher ce bonheur et tenta d’arra‑ cher avec grand effort, comme des replis secrets de la terre, ce qui se tenait le plus profondément caché. D’où les découvertes des arts, d’où les mul‑ tiples embarras des argumentations, d’où les dissensions infinies des sectes en lutte les unes avec les autres, alors que certaines plaçaient le bonheur dans les plaisirs corporels, d’autres dans les vertus de l’âme, d’autres esti‑ maient qu’il était à chercher au-delà de l’homme, d’autres encore tenant une autre position s’opposaient à tous […] Et voici que sans les méditations des platoniciens, sans les enseignements des philosophes, on découvrit le lieu et le chemin du bonheur35.

Dès lors que plaisirs corporels, vertus de l’âme ou encore un bien supérieur abstrait ne peuvent rendre l’homme complètement heureux, l’incohérence de toutes les sectes entre elles condamnent aussi bien l’en‑ seignement des philosophes que les méditations des platoniciens. Sur ce point, même un intellectuel comme Jean de Salisbury peut rejoindre les milieux réguliers  : s’il tient Platon pour le prince des philosophes, l’au‑ teur du Policraticus disqualifie en partie le concordisme doctrinal puisque les points communs entre chrétiens et platoniciens rendent d’autant plus inexcusables les mensonges de ces derniers36. L’insuffisance des platoniciens est également pratique comme le sou‑ ligne l’abbé Frowinus d’Engelberg dans son commentaire sur le Pater noster tant la comparaison des mérites respectifs des païens et des chrétiens tourne à la confusion des premiers  : si les platoniciens peuvent revendiquer d’excellents préceptes moraux, il leur manque le privilège chrétien de l’humilité qui rend vaines toutes les autres vertus37. Il n’est pas jusqu’à la  Hugues de Saint-Victor, De archa Noe, éd. P. Sicard, Turnhout, Brepols, 2001, 176, p. 105. 35   Pierre le Vénérable, Epistolae, ép. 9, éd. cit., p. 15  : «  Sudaverunt in hujus beatitu‑ dinis inquisitione antiquorum ingenia et, quod altissime reconditum latebat, velut de occultis terrae visceribus multo conatu eruere contenderunt. Hinc artium adinventiones, hinc multiplices argumentationum perplexiones, hinc sectarum in invicem compugnan‑ tium infinitae dissensiones, quorum aliae in corporum voluptatibus, aliae in animi virtuti‑ bus beatitudinem constituebant, aliae supra hominem quaerendam esse censebant, aliae aliud asserentes omnibus contraibant. […] Ecce sine Platonicis meditationibus, sine phi‑ losophorum doctrinis inventus est locus et via beatitudinis  ». 36   Jean de Salisbury, Policraticus, éd. C.‑C.J. Webb, t. 2, l. 7, 5, Oxford, Clarendon, 1909, p. 110. 37   Frowinus d’Engelberg, Explanatio dominicae orationis, éd. S. Beck, Turnhout, Bre‑ pols, 1998, cccm 134, 5, 1, p. 303. 34

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vertu propédeutique des libri platonicorum qui ne puisse être remise en cause, et certains auteurs découvrent, à l’école d’Origène, une opposition qui exige de séparer l’interprétation des livres saints de ceux des écrits païens. Parmi les exemples les plus significatifs, retenons le cas du béné‑ dictin Rupert de Deutz lorsqu’il applique à l’ancien testament l’expression de scripturae populorum qu’il trouve dans le Psaume 86  : Il n’aurait pas été nécessaire de parler ainsi, s’il n’existait pas des écritures ou des écrits qui ne sont pas ‘des peuples’, par exemple les écrits des pla‑ toniciens, les écrits des aristotéliciens. C’est vraiment pour les différencier de ce qu’ils ont écrit que les Écritures saintes sont justement dites ‘écritures des peuples’, car elles n’empêchent pas les peuples, c’est-à-dire les simples, de les consulter  ; mieux, même si ces derniers ne perçoivent pas immédia‑ tement les mystères, ils comprennent du moins facilement le sens littéral ainsi que l’interprétation morale38.

Le thème orchestre le motif traditionnel de l’inadéquation du message révélé et de son expression linguistique mais en en déplaçant la portée. Il ne s’agit plus de dire, à l’instar des Pères, que les écritures saintes sont simples d’un point de vue littéraire en comparaison avec les monuments littéraires païens et de les en justifier, mais au contraire de se glorifier de cette simplicité. Alors que les écrits des platoniciens et des aristotéliciens sont complexes et détournent les âmes simples de leur lecture, les textes sacrés sont accessibles à tous, au moins dans leur sens littéral et moral. L’enjeu ne consiste donc plus à défendre, comme le faisaient les Pères par un réflexe de surcorrection la simplicité évangélique, mais à critiquer la complexité philosophique désormais tenue pour un défaut. Cette somme de disgrâces aboutit à disqualifier Platon et avec lui tous les tenants de l’Académie qui se trouvent, paradoxe savoureux, repoussés du côté de la temporalité et du sensible périssable. Et le moine Bernard de Morlaix d’entonner la litanie de l’ubi sunt qui emporte avec son refrain toutes les sagesses et les grandeurs terrestres39, comme le fait Aelred de Rievaulx  : Où est cette fameuse Académie dans laquelle les élèves de Socrate et de Platon se glorifiaient avec admiration comme de la source de la sagesse 38   Rupert de Deutz, De glorificatione Trinitatis et processione sancti Spiritus, PL 169, col. 15  : «  Quod ut diceret non fuisset necessarium nisi essent quaedam scripturae sive quaedam scripta quae non sunt populorum, verbi gratia scripta Platonicorum, scripta Aris‑ totelicorum. Nimirum ad distantiam eorum quae illi scripserunt scripturae sacrae recte dicuntur scripturae populorum quia videlicet populos, id est simplices, a suimet lectione non repellunt, quin et si mysteria non cito percipiunt, at saltem litteralem sensum et mora‑ lem quoque facile capiunt intellectum  ». 39   Bernard de Morlaix, De Octo Vitiis, éd. cit., p. 101.



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divine  ? Où est la secte des Péripatéticiens, où sont les enseignements d’Épicure, où est l’avis des Stoïciens alors accepté du plus grand nombre  ? Tout cela est méprisé, abandonné, sans vie, et l’on court de toute la terre vers l’enseignement simple de pêcheurs, la folie de la croix40.

Au terme de cette première série de notations, le relevé que j’ai pré‑ senté donne une image assez nuancée de la réalité, qui appelle cependant deux correctifs. Tout d’abord, ce tableau ne tient pas compte de la portée effective des avis exprimés  : si l’on en juge par le nombre de manuscrits, le concordisme néoplatonicien du cistercien Isaac de l’Étoile n’eut qu’une audience fort restreinte même au xiie siècle, alors que les critiques for‑ mulées par Hugues de Saint-Victor dans son De archa étaient encore largement lues à la fin du xve siècle. De plus, j’ai procédé à une inévi‑ table sélection parmi toutes les réponses que fournit l’interrogation des banques de données électroniques. Si l’on combine empiriquement l’his‑ toire des textes et les données chiffrées, il est assuré qu’à se limiter aux avis formulés par les moines du xiie siècle, il faudrait écrire un livre intitulé Christus contra Platonicos plutôt qu’un Plato christianus. Il n’est toutefois pas certain qu’il faille se contenter d’un tel constat, car il ne rend que partiellement compte de la manière dont le platonisme fut reçu dans les cloîtres du xiie siècle. Dans un second temps, j’aimerais donc déplacer mon point d’observation et passer du platonisme explici‑ tement assumé ou refusé aux formes vécues au sein de la vie monastique dans la mesure où elles peuvent se revendiquer d’une filiation platoni‑ cienne et néo­platonicienne, une sorte de platonisme transfiguré. Cette «  christianisation de l’hellénisme  », pour reprendre la belle formule de Goulven Madec, consiste à reconnaître dans le christianisme l’accomplis‑ sement théorique et pratique de ce dont le néoplatonisme ne donnait qu’une ébauche, notamment dans la théurgie. La vie et l’œuvre d’Augus‑ tin d’Hippone et les nom­breuses exégèses qu’elles ont suscitées illustrent cet accom­plissement de manière assez claire pour que je me dispense de trop y insister. J’aimerais reprendre cette question à partir du cas précis d’un exercice spirituel, la méditation qui, par une convergence chronolo‑ gique qui n’a rien d’une coïncidence, prend un essor remarquable à par‑ tir de la fin du xie siècle. 40   Aelred de Rievaulx, Homiliae, éd. G. Raciti, Turnhout, Brepols, 2005, cccm 2D, p. 267  : «  Ubi famosa illa Academia in qua Socratici et Platonici gloriantes eam quasi ipsum divinae sapientiae fontem mirabantur  ? Ubi secta illa Peripatetica, ubi Epicurea dogmata, ubi Stoicorum tunc pluriis accepta sententia  ? Contemnuntur omnia, deseruntur, exsufflantur et ad piscatorum simplicem doctrinam, crucis stultitiam, de terrarum orbe concurritur  ».

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Pourvue par la Bible et les Pères d’un répertoire littéraire déjà fort étendu, la méditation reçut dès l’Antiquité tardive une traduction dans la vie des chrétiens, notamment de ceux qui avaient fait le choix d’une vie plus exigeante. En effet, la méditation est une activité dans laquelle les moines orientaux et occidentaux se sont spécialisés dès l’Antiquité en reprenant une partie des exercices hérités de la tradition philosophique antique, notamment néoplatonicienne. À ce titre, parmi d’autres pratiques spirituelles, la méditation fait partie des activités connues, depuis les tra‑ vaux classiques de Pierre Hadot et de Michel Foucault, comme relevant des «  techniques de soi  », c’est-à-dire des pratiques «  qui permettent aux individus d’effectuer, seuls ou avec l’aide d’autres, un certain nombre d’opérations sur leur corps et leur âme, leurs pensées, leurs conduites, leur mode d’être  ; de se transformer afin d’atteindre un certain état de bonheur, de pureté, de sagesse, de perfection ou d’immortalité  »41. Sui‑ vant une tradition antique recueillie particulièrement par l’école néoplato‑ nicienne d’Alexandrie, le christianisme, dans le monde monastique, a développé des exercices de transformation de soi qui prennent les formes, souvent solidaires, de pratiques extérieures relevant de la confession publique ou d’un examen intérieur passant par une évaluation des pen‑ sées du sujet. Vouée dès sa définition biblique à être une répétition par la langue et le cœur, la méditation servait dans le christianisme antique et médiéval de complément à la lecture, mais aussi à la prière liturgique et privée et figurait ainsi une sorte d’exercice spirituel total. Dans le monde latin, la fusion entre la religion chrétienne et l’idéal néoplatonicien de contempla‑ tion philosophique trouve sa plus influente illustration chez Cassien, par exemple dans ce passage portant sur la prière  : Il faut également vous donner une formule pour la contemplation spirituelle. Vous y tiendrez votre regard toujours très fermement attaché soit que vous appreniez à la rouler sans cesse en votre esprit pour votre salut, soit que vous puissiez, en l’utilisant et en la méditant, élever encore plus haut votre regard. Voici donc la formule de discipline et de prière que vous recherchez. Que tout moine qui cherche à conserver le souvenir continuel de Dieu prenne l’habitude de la méditer en son cœur en l’y roulant sans cesse et en expulsant la diversité des pensées. Il ne pourra, en effet, la retenir que s’il s’affranchit entièrement des soucis et des sollicitations corporelles. De 41   M. Foucault, Technologies of the Self. A seminar with Michel Foucault, Anherst, 1988, p. 16-49, repris dans Dits et écrits, t. 4, Paris, Gallimard, 1994, p. 783-813, ici, p. 785. Voir aussi P. Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, Paris, Institut d’Études Augustiniènnes, 1993, Albin Michel, rééd. 2002, notamment le chapitre «  Exer‑ cices spirituels antiques et ‘philosophie chrétienne’  », p. 75-98.



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même qu’elle nous a été transmise par le petit reste des très anciens Pères, de même nous ne la livrons qu’au très petit nombre qui a vraiment soif. Ainsi pour garder le souvenir perpétuel de Dieu, voici la formule de piété qui vous est proposée d’un seul tenant  : Dieu, viens à mon aide  ; Seigneur, hâte-toi de me secourir (Ps. 69, 2)42.

Reprenant l’idéal évangélique de la prière perpétuelle, Cassien propose un modèle de communication avec Dieu où la répétition d’une même formule permet à la fois de réaliser l’idéal ascétique de soustraction au monde extérieur et d’effectuer une progression intérieure. Dans cette évolution, il faut noter la place particulière qu’occupe le xiie siècle en raison d’une convergence entre la renaissance de la vie régu‑ lière, notamment érémitique, l’essor du thème du «  mépris du monde  » et le développement de la méditation. Sans pouvoir présenter ici en détail le résultat de recherches en cours sur la méditation au xiie siècle, je me bornerai à signaler que cette époque voit un renouveau à la fois littéraire et théorique de la méditation  : parmi les familles religieuses les plus engagées dans la réforme régulière comme la Chartreuse et Cîteaux, il est ainsi possible de relever un intérêt particulier pour la méditation, qui s’exprime à la fois par une plus grande formalisation des pratiques médi‑ tatives et par la multiplication remarquable des textes appelés Meditationes et destinés à servir de support à cet exercice spirituel43. Pour expli‑ quer cette conjonction particulière, les historiens de la spiritualité invoquent à bon droit la référence au désert oriental et, plus largement, une influence accrue des pères grecs sur le christianisme latin. L’addition de ces facteurs réactive en Occident les ferments néoplatoniciens que la tradition augustinienne carolingienne et post-carolingienne avait quelque peu délaissés. 42  Cassien, Conlationes, 10, 1-2, éd. M. Petschenig, trad. dom E. Pichery, Paris, Edi‑ tions du Cerf, rééd. 2009, SC 54bis, p. 160  : «  Hujus quoque spiritalis theoriae tradenda vobis est formula, ad quam semper tenacissime vestrum intuitum defigentes vel eandem salubriter volvere indisrupta jugitate discatis vel sublimiores intuitus scandere illius usu ac meditatione possitis. Haec igitur vobis hujus quam quaeritis disciplinae atque orationis formula proponetur, quam unusquisque monachus ad jugem Dei memoriam tendens incessabili cordis volutatione meditari expulsa omnium cogitationum varietate consues‑ cat, quia nec alias eam ullo modo poterit retentare, nisi ab omnibus fuerit corporalibus curis ac sollicitudinibus absolutus. Quae sicut nobis a paucis qui antiquissimorum patrum residui erant tradita est, ita a nobis quoque non nisi rarissimis ac vere sitientibus intima‑ tur. Erit itaque ad perpetuam Dei memoriam possidendam haec inseparabiliter proposita vobis formula pietatis  : Deus in adjutorium meum intende, Domine ad adjuvandum me festina  ». 43  Voir C. Giraud, Spiritualité et histoire des textes entre Moyen Âge et époque moderne  : genèse et fortune d’un corpus pseudépigraphe de méditations, Paris, Institut d’Études Augustiniennes, 2016, p. 37-96.

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Pour illustrer d’un exemple ce contexte général, il convient de souligner l’importance des Meditationes du pseudo-Bernard  : il ne s’agit pas à pro‑ prement parler d’un texte néoplatonicien mais plutôt d’un ouvrage qui emploie des éléments néoplatoniciens pour servir à la mise en pratique d’un exercice spirituel lui-même issu de la synthèse entre le néoplatonisme et le christianisme tardo-antique. Entre autres éléments intéressants pour notre sujet, l’écrit comporte de riches développements sur l’intériorité. Pour l’auteur des Meditationes, le cœur, siège de l’intériorité, n’est ni le sujet ni les facultés du sujet, mais plutôt une instance mobile et objective qui prend la forme des pensées et qui est influencé par elles. De cette inté‑ riorité objectivée le sujet doit prendre le contrôle selon un processus maté‑ riel qui assimile le cœur à un corps étranger dont il faut s’assurer l’obéis‑ sance sous peine de division intérieure. L’homme intérieur devient ainsi le lieu d’une division et même d’une corrosion qui menace son unité. La conception que se fait l’auteur de la conscience se rapproche de celle du cœur  : la conscience est comme un récipient, un contenant ou une demeure, mais à la différence du cœur, elle possède une certaine réflexivité qui n’en fait que davantage une source de douleur. Cette anthropologie de l’intério‑ rité a pour conséquence que l’homme peine à posséder les moyens de son propre contrôle. Énigme partielle pour elle-même, l’intériorité est donc également une instance menacée non seulement par le cœur mais aussi par le corps, dès lors que selon une conception néoplatonicienne, la chair, pri‑ son ou tombeau, forme un double maléfique qui tient l’âme emprisonnée et l’empêche de retourner aux lieux dont elle est issue  : Car c’est un grave dommage lorsque nous ne faisons pas le bien et n’y pensons pas, mais que nous laissons notre cœur s’égarer à travers les choses vaines et inutiles. Il est cependant difficile de retenir notre cœur et de le conserver loin des pensées interdites. […] C’est à cause de la chair que les péchés d’autrui te sont imputés. […] L’âme est née au ciel, mais comme oublieuse du chemin qu’elle emprunta pour descendre, elle ne put ensuite y retourner44.

En outre, pour faciliter le retour à l’espace intérieur, l’auteur joue avec prédilection sur le sens visuel. Parmi les effets les plus dramatiques qu’il tire de la visualisation, il faut compter la scène de considération du 44  Pseudo-Bernard, Meditationes, PL 184  : «  Gravis siquidem jactura est, cum nec bona facimus, nec bona cogitamus, sed cor nostrum per vana et inutilia sinimus vagari. Nimis tamen difficile est cor tenere et ab illicita cogitatione servare  » (c. 2, col. 489B)  ; «  Propter carnem aliena peccata tibi imputantur  » (c. 3, col. 489C), «  In coelo nata [sc. anima] est, sed velut immemor qua via inde cecidit, illuc postea redire non potuit  » (c. 10, col. 501C).



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t­ombeau, une mise en pratique du deuxième mode de méditation défini à la même époque par le chartreux Adam Scot afin de provoquer crainte et douleur45. La description très dramatique du jugement divin et des peines infernales participe d’une même conception rhétorique de la médi‑ tation des fins dernières, censée produire chez le lecteur une conversion par l’effet de proximité entre le monde infernal et le présent humain. Dans ces passages, on retrouve tout l’arsenal néoplatonicien et chrétien du contemptus mundi, une anthropologie dualiste personifiant l’âme et dévalorisant violemment le corps, la crainte des châtiments et jusqu’au thème de l’Ubi sunt, l’un des marqueurs les plus sûrs de cette littérature  : L’âme aura alors la bouche et les yeux clos, de même que les autres sens corporels qu’elle avait coutume d’utiliser pour sortir et jouir des réalités extérieures  : elle reviendra à elle-même et se voyant isolée et nue, saisie d’une immense horreur, elle défaillira en elle-même de désespoir et tombera sous elle-même. […] En effet, la chair, avec laquelle tu entretiens un tel rapport, n’est rien d’autre qu’une écume devenue chair. Elle est ornée d’une beauté fragile mais elle sera, une fois devenue cadavre misérable et putride, la nourriture des vers. […] Si tu considères avec attention ce qui sort par la bouche, les narines et les autres orifices corporels, tu n’as jamais vu de plus vil fumier. […] Mais si tu dis  : «  Ce discours est dur (Jn., 6, 61), je ne puis mépriser le monde et avoir ma chair en horreur  », dis-moi où sont les amou‑ reux du monde qui étaient avec nous peu de temps auparavant  ? Il n’est resté d’eux que cendres et vers. […] Que leur a servi la vaine gloire, la joie éphémère, la puissance mondaine, le plaisir charnel, les faux biens, une famille nombreuse et de mauvais désirs  ? Où sont les rires, les jeux, l’or‑ gueil, l’arrogance  ? Pour tant de joie, quelle tristesse  ! Après si peu de plaisir, quel malheur accablant  ! De leur exultation ils sont tombés dans un grand malheur, une profonde ruine et de grands tourments46.   Voir C. Giraud, Spiritualité et histoire des textes, p. 75-81.  Pseudo-Bernard, Meditationes, PL 184, sur la dualité corps/âme  : «  Tunc anima inveniens oculos clausos et os aliosque corporis sensus per quos solebat egredi et delec‑ tari in his exterioribus, revertetur ad se et videns se solam et nudam, ingenti horrore concussa, desperatione deficiet in se et cadet sub se  » (c. 2, col. 488D)  ; sur l’anthropo‑ logie pessimiste  : «  Nichil enim aliud est caro, cum qua tanta est tibi societas, nisi spuma caro facta, fragili vestita decore, sed erit, quando erit cadaver miserum et putridum, et cibus vermium.[…] Si diligenter consideres quid per os et nares caeterosque corporis meatus egrediatur, vilius sterquilinium nunquam vidisti  » (c. 3, col. 489D) et «  Nihil aliud est homo quam sperma fetidum, saccus stercorum, cibus vermium   » (c. 3, col. 490B)  ; sur le mépris du monde  : «  Si vero dicis  : ‘durus est hic sermo, non possum mundum spernere et carnem meam odio habere’, dic mihi  : ubi sunt amatores mundi qui ante pauca tempora nobiscum erant  ? Nihil ex eis remansit nisi cineres et vermes. […] Quid profuit illis inanis gloria, brevis laetitia, mundi potentia, carnis voluptas, falsae divi‑ tiae, magna familia et mala concupiscentia  ? Ubi risus, ubi jocus, ubi jactantia, ubi arro‑ gantia  ? De tanta laetitia, quanta tristitia  ! Post tantillam voluptatem, quam gravis mise‑ ria  ! De illa exsultatione ceciderunt in magnam miseriam, in grandem ruinam et in magna tormenta  » (c. 3, col. 491AB). 45 46

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Apparues à la fin du xiie siècle, les Meditationes méritent attention car, avec plus de 570 manuscrits, l’œuvre devient le texte de base servant à la formation de générations de religieux jusqu’à la fin du xve siècle. Cet exemple, mais l’on pourrait en fournir bien d’autres, participe ainsi d’une réactivation du néoplatonisme chrétien qui part des cloîtres du xiie siècle pour toucher l’ensemble de la société dans la mesure où le succès de la littérature régulière du xiie siècle jusqu’à l’époque moderne assura à ces textes une audience remarquable. Conclusion Quelle conclusion quant au statut du néoplatonisme latin peut-on tirer de ces remarques sur le néoplatonisme explicite et implicite chez les réguliers du xiie siècle  ? L’opposition à Platon que l’on a pu relever chez les clercs réguliers doit faire elle-même l’objet d’une interprétation dans la mesure où elle traduit une réalité sociologique, c’est-à-dire la position que le cloître entend occuper dans la société du xiie siècle, davantage qu’un clivage doctrinal réel. La réticence des moines est donc en partie une sorte de trompe-l’œil, similaire à celui qui requérait d’opposer, à la même époque et pour des raisons identiques, le cloître et l’école urbaine. Pour le dire d’un mot, l’exaltation de la vie monastique comme vie phi‑ losophique par excellence imposait d’opposer des valeurs qu’il était idéo‑ logiquement nécessaire de tenir pour irréconciliables. Il suffit de rappeler le fameux passage de la lettre de Pierre le Vénérable à Héloïse où l’abbé met en balance Platon et le Christ, l’Académie et le cloître, en faisant de l’ancienne amante d’Abélard une mulier philosophica47. C’est donc sans doute le moment de rappeler la place importante que la référence plato‑ nicienne tient chez le dialecticien breton ou les auteurs de l’école de Chartres comme chez Jean de Salisbury48. Le rejet par les moines des Platonici vise donc autant des auteurs tardo-antiques, à proprement parler les néoplatoniciens connus à travers Augustin, que des maîtres contem‑ porains dont les prétentions philosophiques semblent constituer une menace. Cet anti-néoplatonisme idéologique imposait donc de redonner toute sa vigueur à un néoplatonisme christianisé de longue date, et partant doctrinalement inattaquable, dont les moines se font alors les propagan‑ distes. En réponse à la question posée en ouverture, il est par conséquent   Pierre le Vénérable, Ep. 114, éd. cit., p. 304.   Voir les références indiquées à la n. 26.

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licite de parler de néoplatonisme monastique au xiie siècle non en raison d’un retour aux textes néoplatoniciens, mais du fait de la reviviscence en Occident d’une vie philosophique identifiée aux exercices spirituels du cloître.

L’ÂME MÉDIÉVALE À L’ÉPREUVE DU CORPS  : ÉLÉMENTS NÉOPLATONICIENS POUR UNE PHYSIQUE DE LA CONVERSION CHEZ MAÎTRE ECKHART Alice Lamy

(Lycée Hélène Boucher – EA 4081)

Introduction Dans le Phédon1, Socrate, en son dernier jour, affirme  : Chaque plaisir, chaque peine, c’est comme s’ils possédaient un clou avec lequel ils rivent l’âme au corps. […] À force de conformer ses jugements à ceux du corps et de se plaire aux mêmes objets, il est inévitable à mon avis qu’elle se conforme à lui dans son comportement et dans ses goûts. […] Chaque fois qu’elle sort du corps, elle reste infectée par lui.

Plotin reconnaît aussi dans l’Ennéade iv, 3, 19 que  : le corps est un obstacle pour la pensée2.

Tout au long de l’histoire de la philosophie, l’âme, en ce qu’elle est unie au corps pour lui conférer son souffle et son sens de l’existence, semble devoir, en éternel second rôle dans l’organisation du cosmos et des créatures, circuler sur le fil de l’absolu et des premiers principes de l’être, sans que sa position médiane entre les réalités intelligibles et sensibles lui octroie une stabilité ontologique. Travaillée par la contradiction immémoriale qu’elle partage avec le mystère du monde créé, elle doit retourner à son premier Principe, en délaissant définitivement les imperfections matérielles, les dimensions et les extensions corporelles dans lesquels elle a pourtant chuté. Aux sources de la vie naturelle et des manifestations démiurgiques célestes et terrestres, l’âme constitue ainsi une entité conceptuelle cardinale, qui suscite une certaine incompréhension depuis l’Antiquité. Plotin lui assigne une place de choix comme troisième hypostase après le NousÊtre et l’Un dans la conversion vers le premier principe. À l’ère chrétienne, la tradition patristique augustinienne, sans admettre la dimension psychique de l’homme en quête du salut sur un autre mode que la rupture entre l’ordre   Platon, éd. L. Brisson, Paris, Garnier-Flammarion, 1999.  Plotin, Ennéades i-vi, éd. É. Bréhier, Paris, 1954-1993, t. 1999, p. 86. 1 2

iv,

Les Belles Lettres,

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créaturel et divin, envisage l’âme dans l’exercice accru de sa raison supérieure, pleinement capable de se tourner vers la contemplation intellectuelle et la connaissance éternelle de sa cause originelle. Durant la période médiévale, de nouvelles spéculations voient le jour, dans les richesses doctrinales aristotéliciennes diffusées par les philosophes arabes (Avicenne, Averroès, Al-Farabi), qui visent à renforcer les facultés noétiques de l’âme en même temps que son unité essentielle pour l’élever au plus haut degré des édifices divins et avec Maître Eckhart, pour permettre, en un nouveau départ mystique, une pleine fusion dans le Fond même de Dieu. Cette étude voudrait montrer l’importance du corps dans les problématiques ontologiques de l’âme. Tourment originaire de l’âme incarnée, rebut ontologique s’il en est dans l’oeuvre universelle, motif incessant de désolation philosophique, il offre cependant un éclairage unique dans la définition néoplatonicienne et rhénane de l’essence de l’âme et dans son rôle à tenir au sein de la procession et de la conversion. Dans un premier moment, au regard des théories platonicienne et aristotélicienne sur le degré de séparabilité de l’âme inhérente au corps, nous évoquerons les principales conceptions néoplato­niciennes de Porphyre, Jamblique, Proclus et Damascius et leur réception à la période médiévale3. Dans un second moment, nous verrons comment les philosophes rhénans, en particulier, ont ménagé à l’âme une unité, tout en accordant au corps un rôle central dans la conversion eckhartienne et dans l’incarnation et la conversion de l’homme viateur sur terre. 3   Les auteurs médiévaux, dès le ixe siècle, ont une connaissance indirecte de la philosophie platonicienne, principalement grâce au Timée, tel qu’il a été partiellement traduit et commenté par Calcidius (17A-54D). Filtré constamment par les traductions et les interprétations fragmentaires tardo-antiques de Proclus et de Macrobe, ce dialogue n’offre qu’une partie de son paysage spéculatif. Aussi est-il difficile d’identifier les sources du néoplatonisme médiéval  : Platon était peu lu, Plotin et son école, sûrement méconnus  ; les ouvrages de Proclus et les pensées proclusiennes sont étudiés dans un contexte aristotélicien, au point que le Liber de Causis, jusqu’à Thomas d’Aquin, est authentifié comme une œuvre théologique du Stagirite. Nous nous limitons ici à esquisser prudemment quelques traces doctrinales d’héritages indirects culturels possibles entre les néoplatonismes grec et latin, de Platon, Plotin, Proclus, des écrits dionysiens, à Maître Eckhart (probablement influencé aussi par la pensée cistercienne. R. Brague, Saint Bernard et la philosophie, Paris, 1993). D. Calma, «  Du néoplatonisme au réalisme et retour. Parcours latins du Liber de Causis, xiiie-xvie siècles  », Bulletin de philosophie médiévale, n° 54, 2012, p. 217-276, M. Achard, W. Hankey, J.‑M. Narbonne, Perspectives sur le néoplatonisme, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2009, J. Combès, Études néoplatoniciennes, Grenoble, Millon, 1996, O. Boulnois, P. Magnard, B. Pinchard, J.‑L. Solère, La demeure de l’être  : autour d’un anonyme  : étude et traduction du “Liber de causis”, Paris, Vrin, 1990, I. Hadot, Simplicius, sa vie, son œuvre, sa survie, Berlin, New York, De Gruyter, 1987, Plotin, Porphyre  : études néoplatoniciennes, Paris, Les Belles Lettres, 1999, J. Trouillard, P. Hadot, Études néoplatoniciennes, Neuchâtel, La Baconnière, Paris, Payot, 1973, W. Theiler, Forschungen zum Neuplatonismus, Berlin, De Gruyter, 1966.



L’ÂME MÉDIÉVALE À L’ÉPREUVE DU CORPS235

Le corps, un obstacle ontologique nécessaire à la définition de l’âme (du néoplatonisme grec au néoplatonisme latin) Principaux questionnements sur l’ontologie problématique de l’âme dans le néoplatonisme grec  : les affres du corps Dans la cosmogonie platonicienne présentée dans la dernière partie du Timée (69a-70a), chaque corps humain et chaque être vivant constituent le reflet microcosmique de la totalité macrocosmique, elle-même tenue en surplomb par l’Âme et le corps du monde. De jeunes dieux, envoyés par le démiurge, créent des êtres mortels et implantent en chacun d’eux, comme autant d’éclats originaires, une particule de l’Âme universelle. Cette âme humaine ainsi générée, se sépare du corps une fois mort et rejoint son immortalité et ses origines. Ainsi, le monde sensible, corporel et matériel manifeste un déconcertant mélange qui participe de l’intelligible. Tout corps aussi imparfait soit-il, dispose d’une âme4, séparable de lui. Aristote, quant à lui, refuse la nature hétérogène et séparable de l’âme et du corps et scelle une union tout en dynamique, selon les mêmes principes métaphysiques de composition que la substance. Ils forment ainsi une entité insécable qui honore l’harmonie du vivant. De même que l’être est composé d’un corps et d’une âme, la substance associe en elle forme (fin ou acte de l’être) et matière (suppôt indéfini de la génération, en attente et en puissance d’une réalisation). L’âme, pilote en son navire, ancre dans le corps un acte premier ou entéléchie première, qui émancipe sa vie en puissance5, et permet le mouvement, la sensation et la connaissance. Pour Plotin, la séparabilité platonicienne de l’âme et du corps, comme l’inséparabilité aristotélicienne, sont tout aussi problématiques. Il apparaîtra que Platon ne dit pas toujours la même chose, de manière qu’on puisse voir facilement son intention. Mais toujours il garde le mépris du sensible et reproche à l’âme son union avec le corps6.

Dans sa lecture d’Aristote, Plotin concède la pertinence de la comparaison de l’âme à un pilote  : la comparaison est bonne pour expliquer que l’âme est séparable du corps, 4  L’âme humaine platonicienne dispose d’une essence simple et tripartite, localisée dans la tête, elle est immortelle et divine à la manière de l’âme du monde. Les deux autres parties sont mortelles, l’une est localisée dans le cœur, l’autre, dans le ventre et renvoie à l’appétit et aux passions. 5  Aristote, De l’âme, trad. J. Tricot, Paris, Vrin, 1995, ii, 1, 412 a 27-28. 6  Plotin, Ennéade iv, 8, 1, p. 217.

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mais, poursuit-il, elle ne tire pas au clair le mode d’union qui fait l’objet de notre recherche. En tant que passager, elle est dans le corps par accident7.

Ainsi, Platon conduit Plotin8, mais aussi Jamblique, Damascius et Simplicius à présenter l’incarnation comme un obstacle ontologique difficile à justifier. Aristote, quant à lui, les invite à interroger la divisibilité et l’indivisibilité de l’âme dans son inséparabilité avec le corps. Dès lors, l’imperfection ontologique de l’âme justifie son incarnation. Chez Jamblique dans son commentaire sur l’âme9, les motifs de l’incarnation et de la chute de l’âme sont envisagés sous forme doxographique par le recours à une douzaine de philosophes. De façon générale, tous répondent que l’âme a commis quelque chose de terrible pour être séparée de l’Âme universelle. Elle est contrainte d’entrer dans un corps, et c’est une punition d’un péché originel. Cette séparation met en échec l’identité de toutes les âmes avec l’Âme du monde. Aux yeux de Damascius, ce double mouvement de l’âme laisse entière la question de la liberté et du choix de l’âme. Fait-elle des erreurs ou de mauvais choix  ? L’essence même de l’âme la condamne t-elle à diviser alors qu’elle désire l’unité  ? En tant qu’âme automotrice, l’âme a le devoir de se mouvoir vers le meilleur, même si elle a la possibilité de se mouvoir vers le pire10. Les apories qui la travaillent doivent donc non pas la terrasser, mais la faire resurgir pour accomplir son retour et rejoindre sa cause première. Bien plus, l’âme semble relever d’une ontologie indéterminée, du fait de la coexistence en elle du divisible et de l’indivisible, de l’un et du multiple, du temporel et de l’intemporel.  Plotin, Ennéade iv, 3, 21, p. 88.   M. Di Pasquale Barbanti, D. Lozzia, Anima e libertà in Plotino, Catania, CUECM, 2010. 9  Jamblique, De anima, éd. J.F. Finamore, J.‑M. Dillon, Leiden, Boston, Köln, Brill, 2002. A. Smith, Plotinus, Porphyry and Iamblichus  : philosophy and religion in neoplatonism, Farnham (Surrey), Burlington, Hgate Variorum, cop. 2011, J.F. Finamore, R.‑M. Berchmann, Conversations platonic and neoplatonic, intellect, soul, and nature, Sankt Augustin, Academia Verlag 2010, H.J. Blumenthal, D.‑P. Taormina, Jamblique, critique de Plotin et de Porphyre  : quatre études, Paris, Vrin, 1999, H.J. Blumenthal, Soul and intellect: studies in Plotinus and later neoplatonism, Aldershot (UK), Brookfield (VT), Variorum, 1993, H. Dörrie, «  La doctrine de l’âme dans le néoplatonisme de Plotin à ­Proclus  », Revue de théologie et de philosophie, n° 23, 1973, p. 116-134. 10  Proclus, Commentaire sur le Timée, éd. A.‑J. Festugière, liv. i-v, Paris, Les Belles Lettres, 2000. Commentaire sur le ‘Parménide’ de Platon, ii, 255 31-256 1, t. ii, éd. C. Luna, A.‑Ph. Segonds, Paris, Les Belles Lettres, 2010. P.O. Kristeller, Proclus as a reader of Plato and Plotinus, and his influence in the Middle Ages and in the Renaissance, Paris, Editions de CNRS, 1987. J. Pépin, H.‑D.Saffrey, Proclus lecteur et interprète des anciens, Paris, Editions de CNRS, 1987. G. Boss, G. Seel, Proclus et son influence, Zürich, Editions du Grand Midi, 1985. 7 8



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L’âme selon Proclus11, dans le Commentaire sur le Timée (qui radicalise la position de ses prédécesseurs) est intermédiaire entre les principes indivisibles et les fonctions qui se divisent dans les corps. Elle participe de façon égale au divisible et à l’indivisé. Elle devient ainsi l’équation de deux grandes fonctions de l’univers, celle qui unit et celle qui sépare. La substance de l’âme se forme en participant de l’essence indivisible de l’intellect et en anticipant l’essence divisible des corps. Indivisible par rapport à ce qui se divise dans les corps, l’âme est divisible par rapport à ce qui est strictement indivisible. L’âme présente ainsi un assemblage d’oppositions, à égale distance les unes des autres (un et non-un, plusieurs et non plusieurs, parties et non parties, identique et différente, ni identique, ni différente). L’indétermination de l’âme tient aussi à la temporalité insoluble à laquelle elle est soumise, de sa chute vers son retour. Proclus caractérise l’essence de l’âme comme intemporelle mais son activité comme temporelle. Damascius, au contraire, radicalise l’essence de l’âme qu’il juge tout entière temporelle. L’âme rationnelle ne projette pas tous ses actes simultanément mais les manifeste successivement au plus haut degré de la division et de la contradiction. Regards scolastiques et rhénans sur l’âme  :

au-delà du corps, une architecture noétique renforcée propre à unifier l’âme dans sa contemplation bienheureuse

Le Liber de Causis12 considère l’âme comme une substance auto-constituante, dont la conversion l’érige en cause de soi, en miroir avec le ­Principe. Dès lors, l’ouvrage insiste surtout sur la nature vivante et vivifiante de 11  Damascius, Commentaire sur le Parménide, ii 251 22-23, Commentaire du “Parménide” de Platon, éd. L.G. Westerink, introd., trad. et annoté par J. Combès, avec la collab. de A.‑Ph. Segonds, Paris, Les Belles Lettres, 1997-2003. C. Métry-Tresson, L’aporie ou l’expérience des limites de la pensée dans le “Péri archôn” de Damaskios, Leiden, Brill, 2012. 12   Source scolastique centrale du néoplatonisme latin pour retracer l’influence de Proclus sur Albert le Grand et Maître Eckhart, cet ouvrage anonyme synthétique aux origines arabes offre une lumière doxographique précieuse sur l’âme grecque et déroule le chemin processif allant de la cause première aux causes dérivées, de l’Un à l’Être, de l’être à la vie, à l’esprit puis à l’âme, selon la hiérarchie des intelligences. Le Liber de Causis reste ainsi d’inspiration proclusienne, mais avec la nécessité de présenter un aristotélisme théologique transmissible aux penseurs islamiques et chrétiens. C. D’Ancona Costa, «  ‘­Philosophus in libro De Causis’. La recezione del ‘Liber de Causis’ come opera aristotelica nei commenti di Ruggero Bacone, dello ps. Enrico di Gand e dello ps. Adamo di Bocfeld  », Documenti e studi, n° 2, 2, 1991, p. 611-651. Éd. D. Calma, Neoplatonism in the Middle Ages. 1. New Commentaries on ‘Liber de Causis’ (ca. 1250-1350), Turnhout, Brepols, 2016. Éd.

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l’âme qui anime le corps13, sur son mouvement traversant qui lui permet de descendre dans la génération et de remonter indéfiniment de la génération de l’être. Dans cette dynamique, qui situe l’âme au seuil de l’éternité, l’âme doit sereinement assumer le principe de la temporalité  : Ces substances […] communiquent d’une part avec les substances les plus hautes dans la permanence et d’autre part, avec les substances temporelles découpées dans le temps par la génération  : en effet, elles-mêmes, bien qu’elles soient perpétuelles, ont cependant leur permanence à travers la génération et le mouvement14.

Dans la lecture de cet ouvrage jusqu’à la réception de Thomas d’Aquin15, l’indétermination porte sur l’intellectus dont l’âme traduit l’empreinte (impressa). L’âme qui vient de l’intelligence inférieure aux âmes premières ne peut qu’imprimer un reflet chancelant et périssable qui perdure dans la génération. Ainsi, seules les facultés de l’intellect supérieur peuvent soutenir l’âme. L’indétermination de l’intellect thomiste n’a pas besoin ni ne dispose des choses sensibles pour exister. Si le corps semble confronter douloureusement dans le néoplatonisme grec l’âme humaine à sa matérialité, sa divisibilité et sa temporalité, l’âme dispose d’un pouvoir prometteur qui la rend apte à effectuer son retour et la reconquête de l’unité sur la dispersion. Pour Thomas d’Aquin16, la conversion signe la séparation officielle de l’âme et du corps et l’âme doit s’unir de tout son intellect à l’intelligence divine. À l’époque scolastique, les maîtres-ès-arts et les théologiens élaborent ainsi plus fermement l’unité de l’essence psychique, tout en maintenant, aux côtés de cette essence, la distinction de ses espèces aristotéliciennes (âme végétative, âme sensitive et intellect) comme autant de facultés et d’opérations séparables les unes des autres17. L’individualité de l’âme dans la foi chrétienne et dans l’immortalité devient D. Calma, Neoplatonism in the Middle Ages. 2. New Commentaries on ‘Liber de causis’ and ‘Elementatio theologica’ (ca. 1350-1500), Turnhout, Brepols, 2016. 13   Liber de Causis, éd. O. Boulnois, P. Magnard, op. cit., ch. 3, § 35, p. 43-44. 14   Liber de Causis, éd. O. Boulnois, P. Magnard, op. cit., vingt-neuvième chapitre, § 205, p. 81. 15   Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’âme, liv. iii, lectio 7. Commentarium in Aristotelis Libros de Anima, éd. A. Pirotta, Turin, M.E. Marietti, 1936. 16   Thomas d’Aquin, Liber de Causis, lectio 15. Commentaire du “Livre des causes”, éd. B. et J. Decossas, Paris, Vrin, 2005. 17   J. Biard, «  Diversités des fonctions et unité de l’âme dans la psychologie aristotélicienne (xive-xvie siècles)  », Vivarium, n° 46/3, 2008, p. 342-367. D. Perler, Transformations of the soul, Aristotelian psychology 1250-1650, Leiden, Brill, 2009.



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primordial et l’âme humaine représente la forme du corps non par essence mais par accident. Albert développe en particulier une riche théorie noétique sur les facultés et les fonctionnements de l’intelligible, propre à promouvoir l’âme dans son aptitude à penser Dieu, en établissant une continuité entre l’homme et l’intellect18. S’il considère les facultés végétative et sensitive comme rattachées à la matière par les instruments corporels, il isole et sépare totalement au sein de l’âme, plus radicalement qu’Aristote, l’intellect, sa faculté la plus haute. Voici quel est le plus haut degré que l’âme puisse obtenir dans le corps  : qu’elle atteigne parfois, par son esprit du moins, l’intellect pur. Et si, une fois dépouillée de son corps, elle rejoint ce qu’elle atteint quelquefois […], ce sera la joie suprême19.

L’âme intellective devient ainsi une substance clairement séparée du corps, une faculté qui n’est pas située dans le corps, mais qui toutefois communique avec lui dans son opération, pour les activités intellectuelles et sensorielles. Cet intellect, tout en étant séparé du corps, permet à l’âme de s’identifier à la personne humaine car, affirme Thomas d’Aquin, «  l’âme est homme20  ».

18  A. De Libera, Métaphysique et noétique, Albert le Grand, Paris, Vrin, 2005. La mystique rhénane, d’Albert le Grand à Maître Eckhart, Paris, Seuil, 1994. Les fonds aristotélicien et averroïste définissent deux opérations traditionnelles de l’Intellect  : l’une active (mobilisée par l’intellect agent, intellect par essence au faîte de l’âme, image de Dieu en l’âme) qui dénude la matière pour produire les objets d’intellection et l’autre, passive, qui consiste à les penser (mobilisée par l’intellect possible). Si réellement, comme le fait remarquer Averroès, l’intellect agent est séparé du corps et n’est même pas totalement conjoint à l’âme, tant il représente l’essence la plus pure, comment s’associe t-il à l’intellect possible pour que l’âme puisse intelliger les substances séparées  ? Selon Albert, s’inspirant d’Al-Farabi, les deux intellects doivent s’associer. Ils produisent une pensée extérieure à l’homme mais l’invitent aussi à revendiquer et à s’approprier cette pensée comme son œuvre. L’homme accède ainsi à sa vraie nature intellectuelle en laissant l’intellect s’actualiser en lui comme forme, en accomplissant le degré optimal de la sagesse. Ces âmes humaines, à cette condition, savoureront les réalités divines. L. Sturlese, Vernunft und Glück, die Lehre vom intellectus adeptus und die mentale Glückseligkeit bei Albert dem Grossen, Münster, Aschendorff, 2005. M.J.F.M. Hoenen, A. De Libera, Albertus Magnus und der Albertismus, deutsche philosophische Kultur des Mittelalters, Leiden, Brill, 1995. G. Vuillemin-Diem, Albert der Grosse, seine Zeit, sein Werk, seine Wirkung, Berlin-New York, De Gruyter, 1981. 19   Albert le Grand, Metaphysique, liv. xi, traités i et ii, éd. I. Moulin, Paris, Vrin, 2009, p. 171-173. 20   Commentarium in Aristotelis Libros de Anima, éd. par A. Pirotta, Turin, Marietti, 1936. Thomas d’Aquin, De Anima, i, au xxvi, art. 4  : «  anima est homo  ».

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Maître Eckhart21, en utilisant la doctrine d’Albert le Grand et de Thomas d’Aquin, envisage l’intellect agent et l’intellect possible comme des essences séparées, simples et non mélangées  : il reconnaît ainsi une nature commune aux intellects divin et humain. L’intellect humain devra cependant s’offrir dans une passivité indéterminée, pour pouvoir se fondre comme forme simplissime en Dieu. La période scolastique et rhénane contourne finalement les entraves ontologiques de l’âme unie au corps, par une séparation étayée de l’intellect avec le corps chez les rhénans, et une séparation entre l’intellect et l’âme elle-même. Cette séparabilité de l’intellect favorise la conjonction entre l’intellect et l’homme contemplatif, pour aboutir chez Eckhart, à une union mystique entre l’âme et Dieu, dans laquelle le corps restaure sa place et son rôle. Le corps vivant du viateur  : une physique de la conversion Dans la conversion eckhartienne, l’incarnation constitue l’enjeu central de la naissance éternelle de l’âme en Dieu et de l’ingestion des créatures dans le Premier Principe. Cette théologie de l’incarnation est marquée par la présence du corps sous trois aspects cardinaux  : le corps en souffrance apaisé dans la séparation induite par la conversion, le corps du Christ comme première entrée dans la naissance en Dieu et la connaissance divine, le corps de l’âme transfiguré dans l’unité retrouvée. La conversion humaine à l’épreuve du corps  : l’avènement de l’homme intérieur Durant la première étape de la conversion, l’homme se dépouille de tout attachement au créé pour retrouver une pleine identité avec Dieu. Dépassant le temps et l’espace, l’homme noble, séparé de son corps en 21   M.‑A. Vannier, La naissance de Dieu dans l’âme chez Eckhart et Nicolas de Cues, Paris, Cerf, 2006. «  Déconstruction de l’individualité ou assomption de la personne  », Miscellanea Mediaevalia, n° 24, 1996, p. 622-641. «   Création et négativité chez Eckhart  », Revue des sciences religieuses, n° 67, 1993, p. 51-67. E. Zum Brunn, A. de Libera, Maître Eckhart, métaphysique du verbe et théologie négative, Paris, Beauchesne, 1984. Les dits de Maître Eckhart, éd. G. Pfister en collaboration avec M.‑A. Vannier, Orbey, Arfuyen, 2003. Maître Eckhart «  Souffrir Dieu  »  : la prédication de maître Eckhart, éd. J.‑F. Malherbe, Paris, Cerf, 2003.



L’ÂME MÉDIÉVALE À L’ÉPREUVE DU CORPS241

souffrance, lové dans l’âme retournée, détache de lui les choses multiples et se retrouve en Dieu. Ses atours matériels lui sont restitués dans une forme épurée, l’unité. Cet enrichissement apaise l’âme qui souffrait de dissemblance et d’inégalités, du poids de sa finitude  : Quand on dit homme, ce mot signifie quelque chose d’élevé au-dessus de la nature, au-dessus du temps, […] et je dis la même chose aussi de l’espace et de la corporéité. L’homme intérieur congédie l’homme extérieur et charnel et échappe donc à son être propre dans la conversion, étant un seul fond avec le fond divin22.

Ainsi, de Plotin à Eckhart, le corps souffrant est traversé par l’expérience mystique  : éprouvé par les étapes successives de l’âme qui s’émancipe de lui et s’élève au niveau des intelligibles, le corps martyr témoigne de ce dépouillement et accompagne l’âme au seuil de sa ressemblance avec le principe divin. Chez le théologien rhénan, Dieu assume et même revendique la création par incarnation, au premier rang de laquelle se trouve le Christ. L’incarnation est donc fondée de toute éternité  : Origène écrit une très noble parole  : «  Non seulement nous sommes engendrés dans le Fils, mais nous sommes nés à partir de lui et nous naissons de retour en lui, nous renaissons et cela directement dans le Fils23.

Ainsi, comme Dieu, le Fils se tient éternellement dans le fond du père, comme suppôt de l’humanité de l’âme. Eckhart renoue ainsi avec la tradition cistercienne (Bernard de Clairvaux) de la triple venue du Christ, qui présente un modèle exemplaire de vie, une forme en triptique élevant notre humanité à la connaissance divine et dont l’homme s’empare pour gagner l’unité dans l’expérience  : en premier lieu, il s’agit de la forme corporelle, (forma corporalis, Christus frater noster, sacramentum), suivie de la forme intellectuelle puis morale. La conversion redonne à l’être sa constitution la plus absolue, par l’abolition de sa matérialité mais par la reconnaissance de celle-ci avec la venue du corps du Christ. La fusion dans l’essence divine, telle qu’elle s’exprime éternellement par la génération du Verbe marque la continuité avec cette présentation corporelle. Le Père n’est pourtant véritablement dans sa créature que là où elle n’est plus créature, mais Fils. 22   Maître Eckhart, Sermon 15, De l’homme noble, Œuvres de Maître Eckhart, Sermons, Traités, Paris, éd. P. Petit, 1942, p. 235-239. 23   Maître Eckhart, Sermon 2, Dieu au-delà de Dieu, Sermons 31-59, éd. J. AnceletHustache, Paris, Seuil, 1978, p. 97.

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Naître et renaître  : la physique eckhartienne de l’incarnation Bien plus, Eckhart recourt ainsi à deux types de descriptions toutes deux liées au corps pour la naissance éternelle du Verbe et de l’âme en Dieu. Pour décrire la naissance spirituelle toujours recommencée, où le créé, par l’âme, se constitue dans le Fils engendré en un instant, Eckhart impose, dans ses écrits mystiques, les principes de physique de la naissance naturelle. Il tient à étayer ses audacieuses positions théologiques en rigoureux penseur scolastique. Il mobilise ainsi les théories de la génération et de l’altération d’Aristote et de Thomas d’Aquin, en examinant de longs argumentaires liés au corps, sur les conditions de sa coloration, de son réchauffement, formé dans tous les cas, par l’unique forme qui lui donne l’être substantiel. Dans le changement substantiel, à l’instant de son engendrement, l’engendré possède déjà la propriété par anticipation qu’il va recevoir. Le dernier instant du temps précédant le changement n’est pas dans un rapport de consécution à ce temps, mais lui appartient en tant que son terme et sa fin. Eckhart refuse d’assigner un indivisible de temps durant lequel une même chose serait le suppôt de propriétés contradictoires. Dans le Principe, devenir et résultat coïncident, sans incohérence. En un sens, la génération comme l’altération n’appartiennent pas au monde, puisque l’instant qui les signe, les soustrait au temps qui les termine. En tant qu’instant de la génération, ce moment de retour et de fusion est le même instant que celui dans lequel toutes choses sont créées. On a donc une sorte de création continuée parée de négation, en un seul et unique instant, une contraction absolue de l’acte divin, au commencement et à la fin de toute chose, une coïncidence des opposés aboutissant à la béatitude. Dieu devient et dédevient, dit Eckhart, en un seul trait temporel, se déploie puis se récapitule en un même mouvement. En outre, Eckhart cherche à décrire cette naissance incorporelle, il utilise un style extrêmement métaphorique et charnel, où le champ lexical de la femme, de la fécondité et de la naissance est omni-présent pour caractériser la conversion de l’âme comme la fiancée du fils unique. Bien souvent, Eckhart souligne à quel point sa théologie de la conversion est difficile à comprendre et combien le recours aux images corporelles peut être bénéfique. La fécondité de la créature rejoint celle même de Dieu et se montre elle-même co-engendrante.



L’ÂME MÉDIÉVALE À L’ÉPREUVE DU CORPS243

De la physique à la théologie  : le corps à l’image de l’âme dans la conversion

Des néoplatoniciens grecs à Eckhart, les éléments d’une physique de l’incarnation se précisent et occupent un rôle important. Depuis le néoplatonisme grec, le corps, même s’il semble entraver ponctuellement la nécessité d’un retour de l’âme en Dieu, n’est pas exclu de participer aux hénades divines  : corps, âmes, intellects y participent à leur niveau. De plus, pour Plotin24, l’union de l’âme et du corps semble guidée sur le mode d’une évidence qui échappe aux élaborations de la raison  ; entre la nature du corps et l’âme qu’il attire vers lui, se produit une concordance parfaite, prédéterminée. La disposition intime qui marque la réunion d’une âme et d’un corps est préalable à la descente de l’âme, relève des ordres du cosmos mais aussi de la loi physique selon laquelle elle doit parfaire la demeure préparée par l’âme du monde. Cette psychologie au service des principes programmés par la philosophie naturelle annonce en un certain sens la théologie eckhartienne de l’incarnation. Enfin, chez Damascius, l’instantané traduit déjà l’expression de la fonction de l’éternité dans le monde sublunaire. L’éternité médiatise l’indistinction générale de l’un-être. Dans l’âme, l’instantané est l’immédiation de toute médiation et comme le toucher de l’ineffable  : l’instantané circule entre la négation et l’affirmation, n’étant ni l’une ni l’autre, au-delà de l’opposition même  ; l’instantané est le fondement et l’assise de l’âme humaine. En lui, elle s’auto-constitue, (Commentaire sur le Parménide, ii, 263, 4) en se faisant intemporellement temporelle et temporellement intemporelle. Présent partout au milieu des contraires, sans se confondre avec aucun, l’instantané anticipe au déroulement des oppositions. Cette atemporalité couronne l’hénologie négative proclusienne, où l’ineffable/Dieu trouve en lui répandus/non-répandus être et non-être, opération-non opération, qui peut faire écho à la formule eckhartienne d’un Dieu/déité, qui devient et dédevient dans l’instant. Dès lors, Dieu atteint l’entier de sa création dans le retournement instantané et éternel. La conversion de la créature au Verbe souligne une restitution ou une réparation de son être, ombré de souffrance, de temps, d’inégalité et de corporéité. La création est revendiquée, proclamée, pour que l’âme renaisse en Dieu. La corporéité de l’âme resurgit,  Plotin, Ennéade, iii, 12, 18.

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soutenue par une physique de la conversion qui fait aboutir la transfiguration du corps. L’âme a été donnée au corps pour être purifiée. Séparée du corps, l’âme n’a ni intellect, ni volonté  ; elle est seule, elle ne peut mettre en œuvre la puissance qui lui permettrait de se tourner vers Dieu. Elle possède bien ses puissances au fond d’elle-même pour ainsi dire dans leurs racines, mais pas dans leur actualité effective. L’âme est purifiée dans le corps afin qu’elle rassemble ce qui est dispersé et porté vers l’extérieur25.

Eckhart ne voit pas seulement dans l’âme la forme du corps, mais une substance qui confère au corps l’esse simpliciter, terme rare dans son œuvre, qui souligne l’inséparabilité bénéfique pour l’homme viateur, d’un seul tenant dans son être terrestre et dans son projet de retour. La dimension humaine et extérieure de l’incarnation donne un rôle décisif à la transfiguration d’une nature humaine qui est devenue image. Le corps et l’âme conjointement, se réalisent ensemble grâce à l’image de Dieu qui est dans l’âme. Le corps se fait l’image d’une personne, un «  je  » en demi-tour. L’homme, le corps et l’âme deviennent l’Image divine, ils sont retenus dans l’être et le néant de l’Image. Tous deux s’anéantissent en ce sens pour une incarnation et une conversion partagée et réciproque, d’un corps dans une âme, d’une âme dans le Verbe, du Verbe en Dieu. Certes, la plus haute perfection de l’esprit à laquelle on puisse parvenir est l’union selon le Fond, mais la meilleure perfection que nous possèderons jamais est le corps et l’âme. […] Par la volonté de Dieu […] furent formés la noble humanité et le noble corps, […] en sorte que le corps et l’âme furent unis en un seul instant avec le Verbe éternel26.

L’homme viateur se confie tout entier au sein de l’englobant, supposé, lorsqu’il possède dans le Christ, le suppôt de son être personnel. Conclusion L’âme rhénane se révèle la fervente héritière des questionnements qui ont traversé l’Antiquité tardive et le néoplatonisme. Au cœur des ­itinéraires 25   Maître Eckhart, Du miracle de l’âme, éd. J. Ancelet-Hustache, A. de Libera, Paris, Seuil, 1966, p. 105. 26   Maître Eckhart, Sermon 49, Dieu au-delà de Dieu, Sermons 31-59, éd. J. AnceletHustache, Paris, Seuil, 1978, p. 165.



L’ÂME MÉDIÉVALE À L’ÉPREUVE DU CORPS245

premiers tissés en reflet par l’Être et l’Un, elle semble pourtant toujours sur le point de voir son destin identitaire lui échapper, abîmée dans le flot sensible des corps, en attente de sens et de vie. Dans cette course à l’image du Très-Haut, l’âme se voit confier trop d’atouts. S’ils couronnent l’éternité et honorent en symétrie le règne de l’Un, le divisible et l’indivisible, le temporel et l’intemporel, dissipés dans la procession et à l’étroit dans l’espace psychique humain, érodent bien vite sa détermination à remplir son office dans le corps et pour le monde. L’Intellect plotinien puis albertinien, la sauvent de son errance ontologique et la rappellent à sa négation assumée pour encourager son probable retour aux premiers modèles, hypostatique et divin. Ce renouveau se construit pour un temps au détriment du corps, victime évidente, laissée au loin sur la ligne d’une ontologie presque estompée, coupable désigné des oppositions délétères en l’âme. Albert le Grand pas plus que Maître Eckhart ne renoncent pour autant à une âme incarnée, personnifiée et humanisée. Pour Albert, l’intellect et l’homme vont inséparables à la rencontre de la vision divine. L’âme plotinienne et plus encore eckhartienne a, devant l’éternel, l’audace des raccourcis. Proche du Premier principe-le Créateur, unie à son fiancé-le Verbe, elle se tient solidaire de son homme-le chrétien viateur, et proclame les mérites de son corps mystique, trace attestée des prodiges divins.

LE NÉOPLATONISME LATIN À LA RENAISSANCE

FICIN ET LE PLATONICIEN PLÉTHON, RÉCUPÉRATION ET TRAHISON Brigitte Tambrun

CNRS – PSL – LEM (UMR 8584)

En 1492 Marsile Ficin publie sa traduction des Ennéades de Plotin. Au début de sa préface, il écrit qu’à l’époque du concile de Florence (1439), Cosme [de Médicis], le père de la patrie, écouta «  souvent  » le philosophe grec Gémistos surnommé Pléthon, qui était «  comme un autre Platon  », discuter des «  mystères platoniciens  »  ; Cosme en fut comme «  inspiré  » à «  concevoir une sorte d’Académie  ». Le jeune Ficin reçut les œuvres complètes de Platon et Cosme lui demanda de les traduire en latin, puis de commencer par Hermès Trismégiste. Ficin appelle donc Pléthon un «  autre Platon  ». Il explique aussi que Plotin n’est autre que Platon, qui révèle dans les Ennéades ce qu’il n’a pas écrit dans ses dialogues. Ficin, qui a fait renaître Platon en publiant ses œuvres en latin, peut alors s’inscrire à la suite de Pléthon dans la lignée des «  autres Platon  ». Pourtant, dans l’ensemble de l’œuvre de Ficin le nom de Pléthon n’apparaît que cinq fois, et plusieurs commentateurs, Paul Oskar Kristeller, Raymond Marcel, James Hankins, estiment que Ficin doit peu à Pléthon. Mais après avoir publié le Commentaire de Pléthon sur les Oracles chaldaïques ou plutôt les Oracles magiques des mages disciples de Zoroastre, j’ai pu montrer que non seulement Ficin avait inséré dans sa Théologie platonicienne de nombreux oracles provenant de la collection de Pléthon, mais qu’en outre il avait traduit ou paraphrasé, et inséré, des passages du Commentaire de Pléthon, en attribuant ces textes aux mages disciples de Zoroastre, aux Chaldéens, voire à Zoroastre, comme si Pléthon était transparent. Les extraits pléthoniens attribués aux mages disciples de Zoroastre sont considérés par Ficin comme concordants avec Hermès Trismégiste et Moïse, et précurseurs du christianisme. Mais Pléthon à travers son édition des Oracles, son Commentaire, et son ouvrage ésotérique, le Traité des lois (TL), poursuivait un but différent  : remplacer les christianismes, le mahométisme et le judaïsme, par une religion qui aurait été peu différente de celle des Hellènes. Ainsi Ficin trahit le projet du maître grec, même si les deux philosophes sont en accord sur

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des positions anti-averroïstes et engagés – mais pour des raisons différentes – dans la défense de la thèse de l’immortalité individuelle des âmes humaines. Tout d’abord, nous expliquerons le projet de Pléthon, en insistant sur la question de l’homme, articulation de l’univers qui comprend les dieux, les hommes et tous les mortels. Nous mettrons en évidence le rôle du «  pneuma  » véhicule de l’âme. Nous verrons que Pléthon procède par épuration des Oracles car il s’agit de dégager la vérité primordiale des dépôts successifs qui l’ont recouverte et faussée peu à peu. Ensuite, nous verrons que Ficin procède au contraire par amalgame  : il veut montrer que la doctrine chrétienne de l’immortalité des âmes est préparée par de très anciens théologiens concordants entre eux  : notamment Hermès Trismégiste et Zoroastre, le chef des mages. Nous expliquerons pourquoi dans un contexte chrétien, où il n’existe qu’un seul médiateur, le Christ, l’idée de l’âme copula mundi ne peut pas avoir le même sens que chez Pléthon. Par ailleurs, nous montrerons que Ficin fait servir les textes de Pléthon sur le «  pneuma  » véhicule de l’âme, à une théorie de l’extase que Pléthon aurait pour sa part refusée. Le projet de Pléthon Au début du xve siècle, l’Empire que nous appelons byzantin s’appelle toujours l’Empire des Romains et se considère comme l’Empire universel des Chrétiens, le christianisme étant depuis le ive siècle sous la protection de l’Empire romain. Mais cet Empire a perdu la quasi totalité de son territoire. Pléthon (ca. 1360-1452/54) dresse le bilan d’une situation dramatique  : Nous n’avons actuellement besoin de rien moins que d’être sauvés  : nous voyons, en effet, ce qu’est devenu l’Empire des Romains. Toutes nos cités sont perdues, il nous en reste juste deux en Thrace, plus le Péloponnèse, encore pas tout entier, et l’une ou l’autre petite île1.

Pléthon a été envoyé par l’empereur Manuel ii à Mistra près de l’ancienne Sparte. Le Péloponnèse constitue pour l’Empire une zone de repli que l’on peut protéger en fortifiant la muraille de l’isthme de Corinthe. Mistra, au centre de l’Hellade, pourrait devenir le point germinatif à partir duquel on régénérerait l’Empire des Romains. Pléthon soutient la défense armée contre les Turcs, qui font des incursions violentes dans le 1   Mémoire pour Théodore, trad. F. Masai, Pléthon et le platonisme de Mistra, Paris, Les Belles Lettres, 1956, p. 81, modifiée.



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Péloponnèse, et la reconquête d’une partie du Péloponnèse sur les Latins. Mais, les «  archontes  » du Péloponnèse, les seigneurs propriétaires ­terriens, mis à contribution pour restaurer la muraille, s’opposent à ce projet. Certains vont même jusqu’à la détruire. Les ordres de l’empereur ne sont pas respectés en Morée. En outre, on emploie des mercenaires qui n’ont pas un intérêt vital à défendre une terre qu’ils n’habitent pas. Or Pléthon repère dans la religion chrétienne des obstacles à la reconquête de l’Hellade et à sa conservation future. Premièrement, le christianisme préconise de s’en remettre à une aide extérieure, au Christ, doté d’une double nature, unique médiateur et pantocrator, maintenant tout. Mais le Christ est venu une seule fois pour opérer une réparation dans le monde, et l’Empire universel des Chrétiens est en ruine. Deuxièmement, les malheurs des temps sont considérés par les chrétiens comme des conséquences du péché. La solution serait de mener une vie de sainteté, en se retirant du monde. Dans les monastères, les moines hésychastes se consacrent à la répétition du nom de Jésus. Ils font passer le souffle, pneuma, dans le lieu du cœur, prononçant le nom du Christ sauveur sur l’expiration. Ceux qui demeurent dans le monde n’ont guère les moyens de défendre leur pays  : comment se dégager des tâches agricoles  ? Beaucoup d’entre eux, accablés de taxes, fuient vers les comptoirs vénitiens du Péloponnèse. Il en résulte que beaucoup de terres sont incultes, que les friches progressent, que le sol n’est plus tenu et que le territoire n’est pas efficacement défendu. Troisièmement, dans le christianisme les causes intermédiaires génératrices et créatrices sont absentes. Dans les hiérarchies du Pseudo-Denys, les anges, l’homme, et tous les êtres vivants, sont directement créés par le Dieu unique. Les anges, comparables aux Intellects du néoplatonisme, n’engendrent ni ne créent les hommes. Or ces hiérarchies servent de modèle pour le système politique de l’Empire des Romains byzantins, le monde terrestre étant considéré comme un reflet du monde céleste. Il en résulte que seul l’empereur, image et lieutenant du Christ pantocrator, dispose du pouvoir de maintenance  ; mais étant donné la distance entre Constantinople et Mistra – et la perte des territoires intermé­diaires – ses ordres ne se transmettent pas. Il faudrait donc que les causes intermédiaires soient, au niveau du modèle intelligible de la politeia, considérées comme génératrices et créatrices, que l’on renoue avec cette théologie où les êtres intermédiaires sont de véritables relais recevant et recréant, en leur ordre, du pouvoir  : il faut rappeler les dieux de deuxième et troisième ordres, les dieux-Idées, réalités pensées et pensantes, les divinités astrales et les démons qui sont bons et prennent soin des hommes.

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En même temps, pour en finir avec l’hétéronomie chrétienne, la changer en une autonomie active de défense et de production, Pléthon veut rappeler la théorie de la double perpétuité des âmes, leur parenté avec le divin, et le service que ces âmes immortelles doivent nécessairement, périodiquement, venir effectuer sur terre. Il faut rendre à l’homme sa dignité  : par l’incorporation périodique de son âme, chaque homme joue un rôle d’une extrême importance  : il tient l’univers, l’empêche de se déliter. Le rôle de l’homme est de tenir son poste coûte que coûte, de résister à la fuite, d’empêcher la multiplication des friches, la perte du sol et celle du territoire. Chaque homme est périodiquement pantocrator  ; ce rôle ne doit pas être dévolu au seul Christ. L’homme est ainsi «  methorion te kai sundesmos  »2, limite commune et lien solide qui attache ensemble en les articulant, la part immortelle et la part mortelle de l’univers. Les mêmes âmes humaines doivent revenir et s’incorporer périodiquement, pour maintenir le tout3, chaque homme se trouvant dans le monde au centre de la cité totale des êtres4  : au centre d’une famille vivant sur son domaine (la procréation est un devoir civique  : il faut faire revenir les âmes ici-bas), au centre des proches, des commensaux, des amis, de la cité, enfin au centre de la communauté des dieux qui vivent dans une société plus parfaite. Pourquoi le salut passe-t-il nécessairement par la politeia  ? Il s’agit de tenir le sol, par l’agriculture (Pléthon préconise une redistribution des terres de telle sorte que chaque «  ilote  » ait le droit de cultiver autant de terres qu’il le peut), et de tenir le territoire, par des moyens militaires. Or les deux sont incompatibles  : on ne peut pas défendre sa terre quand on a des tâches agricoles urgentes à accomplir. Une partition sociale est nécessaire  : les impôts prélevés sur les revenus agricoles permettront d’entretenir une armée de métier, ces deux classes étant dirigées et ­encadrées par de sages conseillers et, à leur tête, par le prince. C’est une tripartition sociale, inspirée de La République de Platon, qui permet de rendre compatibles la tenue du sol et la maintenance du territoire. La thèse de l’homme «  limite commune et lien de l’univers  » possède donc chez Pléthon un sens politique, puisque l’univers est considéré comme la cité complète qui comprend les plantes, les animaux, les hommes et les dieux. Mais comment articuler la part mortelle à la part immortelle  ? Pléthon détaille la structure fine de ce lien harmonique, 2  Pléthon, Traité des Lois, éd. C. Alexandre, Paris, Firmin Didot Frères, 1858, Vrin, réed. 1982, p. 140, 182, 184. 3   Ibid., p. 197. 4   Ibid., p. 194.



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dans sa théorie sur le «  pneuma  » psychique. Commentant l’Oracle 14, «  Ne souille pas le pneuma, et n’approfondis pas la surface  », il explique  : Les sages pythagoriciens et platoniciens […] posent, en tout, un triple genre de formes  : la première est absolument séparée de la matière  ; il s’agit des intellects supracélestes  ; l’autre est absolument inséparable, elle n’a pas une essence subsistant par elle-même, mais dépendante de la matière […] Entre ces deux formes, ils en placent une troisième, l’âme raisonnable. Elle diffère, d’une part, des intellects supracélestes, du fait qu’elle est toujours unie à la matière, d’autre part, de la forme irrationnelle, du fait qu’elle n’est pas dépendante de la matière, mais parce que, au contraire, c’est toujours la matière qui est dépendante d’elle. […] L’âme qui est donc une telle forme, est toujours unie à un corps éthéré, tel son véhicule […] – or, un tel véhicule qui est le sien, n’est pas en lui-même inanimé, mais il est lui aussi animé, par l’autre forme d’âme, celle qui est irrationnelle (que les sages appellent image, eidolon, de l’âme rationnelle), sa belle ordonnance venant de l’imagination et de la sensation –, tandis qu’il voit et entend absolument tout, et ressent toute sensation, grâce à ces autres puissances attenantes à l’âme, qui sont irrationnelles  ». […] c’est par la plus éminente puissance d’un tel corps, à savoir l’imagination, que l’âme rationnelle est toujours unie à un tel corps tout entier5.

Et il poursuit  : Il est manifeste que ces doctrines sur l’âme, ces mages disciples de Zoroastre aussi les ont utilisées, bien avant. Donc, un tel pneuma de l’âme, ne le souille pas, dit l’oracle, et ne le rend pas profond, car c’est une surface. Il l’appelle une surface, non parce qu’il n’est pas étendu en trois dimensions – car c’est bien un corps –, mais c’est pour mettre en évidence sa très grande subtilité, qu’il l’appelle une surface. L’oracle demande donc de ne pas le rendre profond, ou de ne pas l’épaissir, en ajoutant davantage de matière à sa masse. Un tel pneuma de l’âme s’épaissit par la complète inclination de l’âme vers le corps mortel. 

Ainsi l’homme, lien harmonique, articule en lui, par son âme rationnelle, la part immortelle et, par son corps, la part mortelle de l’univers. Mais dans le détail, pour pouvoir s’unir à tout le corps mortel, l’âme rationnelle doit utiliser un véhicule, le pneuma, souffle d’éther lumineux  ; et ce corps très subtil anime le corps mortel parce qu’il est luimême animé  : le pneuma est animé par l’âme non rationnelle qui est l’image (eidolon, «  idole  ») de l’âme rationnelle, et qui a pour facultés la sensation et l’imagination. Or la théorie du pneuma véhicule de l’âme développée par la tradition (néo)platonicienne aurait été, selon Pléthon, enseignée par les mages disciples de Zoroastre – ce qui l’authentifierait.  Pléthon, Magika logia, éd. B. Tambrun-Krasker, Athènes, Vrin, 1995, p. 30.

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Les mages enjoignent de ne pas alourdir le véhicule pneumatique en s’appliquant plus qu’il ne convient à la recherche des plaisirs liés au corps, car cette occupation détourne l’âme de la connaissance des réalités divines, de notre nature et du rôle que nous avons à jouer dans l’univers. Nous devons maintenant expliquer pourquoi Pléthon attribue les Oracles appelés «  chaldaïques  » par Psellos, à des mages disciples de Zoroastre  : Comment revenir à l’hellénisme en effaçant la parenthèse chrétienne  ? Il faut trouver un livre sacré qui remplace la Bible et qui soit beaucoup plus ancien qu’elle (l’ancienneté est un critère d’authenticité). La tradition dispose bien d’un tel livre sacré  : les Oracles chaldaïques dont les maîtres néoplatoniciens proposaient un commentaire à leurs élèves en fin de cursus. Psellos qui au xie siècle transmet une collection de ces Oracles, rapporte qu’ils ont été obtenus par deux chaldéens [magiciens] théurges vivant à l’époque de Marc Aurèle, nommés Julien  : Julien le père conduisait son fils à la vision directe de l’âme de Platon ou d’un dieu, et recueillait de la bouche de son fils les réponses aux questions qu’il posait sur le voyage de l’âme. Mais Pléthon a besoin d’un livre extrêmement ancien. Il estime alors, que ces Oracles ne doivent pas être attribués à des théurges chaldéens que l’on appelle improprement des mages (voir le Ménippe de Lucien de Samosate), mais à des mages, au sens littéral, c’est-à-dire à des adeptes de l’ancienne religion des Perses, à des sages disciples de Zoroastre. Pléthon connaît Zoroastre par des sources grecques et orientales  : dans sa jeunesse il aurait séjourné chez un maître juif, Élissaios (Elisha) bon connaisseur des doctrines des platoniciens de Perse (école de Sohrawardî)  ; or ceux-ci considèrent les anciens philosophes grecs, notamment Pythagore et Platon, comme les héritiers spirituels des anciens sages perses. Plutarque fournit à Pléthon la date du Zoroastre perse  : 5000 ans avant la guerre de Troie. On comprend que ce Zoroastre est si ancien qu’il aurait vécu avant la création du monde par le dieu biblique, ce qui discrédite toute la tradition issue des dits «  Oracles de Moïse  » (du Pentateuque). Les oracles «  chaldaïques  » deviennent ainsi avec Pléthon des oracles «  magiques  »  : des oracles des mages (des sages) disciples du Zoroastre perse. Pléthon purge la collection des Oracles héritée de Psellos, de tout ce qui selon lui relève du chaldaïsme (du charlatanisme). Pour résumer  : Pléthon considère que l’univers qui comprend les dieux, les hommes et tous les mortels, forme une totalité dans laquelle les causes divines sont génératrices et créatrices. Pour que cet univers demeure complet, l’essence mortelle doit être maintenue et retenue. C’est aux êtres humains, dotés d’une double nature, immortelle et mortelle,



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qu’est dévolu le maintien de l’univers. Chaque homme est donc un médiateur et pas seulement un intermédiaire. Cette médiation humaine qui s’effectue par roulement à travers la métempsycose, remplace la médiation effectuée une seule fois par le Christ. Chaque homme est pantocrator. Ce maintien possède un sens à la fois cosmologique et politique, car l’univers est la cité totale des êtres. Enfin, pour éliminer le christianisme, il convient selon Pléthon de suivre la doctrine des Oracles des mages disciples de Zoroastre dont Platon et Pythagore seraient, en Grèce, les héritiers. Ficin lecteur de Pléthon Lorsque Ficin fait paraître, à Florence, en 1482, la Théologie platonicienne, il se trouve bien loin des préoccupations de Pléthon, et l’on peut deviner que s’il utilise des textes du maître grec, il doit les faire servir à un projet différent. Ficin cherche à attirer les fortes têtes de son temps, les aurea ingenia, et les esprits dépravés, perversa ingenia, qui se détournent de la religion et ne croient plus en l’immortalité de l’âme, vers une pia philosophia qui les réorientera vers le christianisme. La preuve se fait par l’Antiquité et par la concordance  : les très «  anciens théologiens  » (prisci theologi) seraient tous porteurs d’une même sagesse pieuse préparant au christianisme. Ficin possède un manuscrit contenant plusieurs œuvres de Pléthon  : le Riccardianus 76. Dans une polémique avec Georges Scholarios, Pléthon écrit au folio 27 vo  :  Platon [...] s’il enseigna la philosophie, ce fut en partageant non pas la sienne propre, mais celle qui de la tradition de Zoroastre était à travers les Pythagoriciens arrivée jusqu’à lui. Pythagore, en effet, pour avoir fréquenté en Asie des mages disciples de Zoroastre, passa à cette philosophie  ; or Plutarque et d’autres situent la naissance de Zoroastre à plus de 5000 ans avant la guerre de Troie6.

Ficin note dans la marge  : «  archê platonikês theologias apo Zoroastrou  »7  : le fondement de la théologie platonicienne se trouve dans la tradition de Zoroastre. C’est pourquoi, en 1469, Zoroastre, chef des mages, passe en tête de sa liste des sages anciens, avant Hermès Trismégiste.   Réplique à Scholarios, trad. B. Lagarde, Byzantion, 59, 1989, p. 379.  Photographie de la note dans Marsilio Ficino e il ritorno di Ermete Trismegisto, S. Gentile et C. Gilly, Florence, Centro Di, 1999, p. 91. 6 7

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Pourtant les prisci theologi proposent des doctrines qui d’un point de vue chrétien sont franchement hétérodoxes. C’est pourquoi dans la Théologie platonicienne (TP), Ficin prend parfois ses distances par rapport aux doctrines de Zoroastre et d’Hermès. Par exemple, il qualifie la doctrine du véhicule de l’âme de fable, il l’expose en introduisant des précautions oratoires  : on ne devrait pas dire que l’âme descend dans le corps  ; pourtant Ficin accepte d’affabuler (confabulari) avec les prisci, avec Zoroastre et Hermès (TP, xviii, 4). Lorsque Ficin demande dans quel lieu du ciel les âmes sont créées, il précise que la question est stupide (stultum) mais que nous pouvons tout de même «  nous divertir de temps en temps avec les anciens sur le mode poétique  » (xviii, 5)  ; puis il conclut, après avoir exposé l’opinion des Antiques, «  quant à nous, en tout ce que nous écrivons nous prétendons n’affirmer rien qui ne soit en conformité avec l’ensemble des théologiens chrétiens  ». Deuxièmement, Ficin fait un amalgame entre les chaldéens et les mages disciples de Zoroastre, ce que Pléthon voulait à tout prix éviter. On sait que Ficin disposait de la collection d’Oracles de Psellos et de celle de Pléthon, avec leurs Commentaires respectifs, que les deux circulaient dans les mêmes manuscrits et qu’il en résultait des amalgames. Mais la confusion opérée par Ficin semble délibérée. En effet, dans le sermon sur l’Étoile qui a guidé les mages auprès du Christ, le roi nouveau-né d’Israël (cf. Mt 2, 1-12), Ficin explique que les mages disciples de Zoroastre ont rendu hommage au Christ nouveau-né. Cela signifie que les disciples de Zoroastre ont reconnu la religion chrétienne. Mais, comme le montre Michael J.B. Allen8, si les mages ont su reconnaître le Messie en Jésus, c’est à la fois parce qu’ils étaient des sages et parce qu’ils connaissaient l’astronomie, la science chaldéenne par excellence. Notons que toute la Renaissance, à la suite de Ficin, fera un amalgame entre les Chaldéens et les mages disciples de Zoroastre. Troisièmement, Ficin intègre à sa Théologie platonicienne la plupart des oracles de la collection de Pléthon, et il utilise aussi des extraits du Commentaire de Pléthon. Mais il met au compte des Chaldéens, des mages et de Zoroastre – c’est-à-dire d’un sage qui aurait vécu dans les temps les plus anciens –, des textes écrits par Pléthon qui, pour sa part, s’inspire de sources néoplatoniciennes. Par exemple, pour répondre à la question «  D’où vient l’âme quand elle descend dans le corps  ?  », Ficin utilise le commentaire de Pléthon sur les Oracles 14 et 15. Le texte de   Voir M.‑J.B. Allen, Synoptic Art, Florence, Leo Olschki,1998, p. 37-38.

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l’Oracle 14 porte simplement  : «  Ne souille pas le pneuma, et n’approfondis pas la surface  ». Or, Ficin écrit  : Mais revenons au corps proche de l’âme. Les Mages l’appellent le véhicule de l’âme, c’est-à-dire un corpuscule éthéré, reçu de l’éther vêtement immortel de l’âme, dont la forme naturelle est ronde en raison de la région de l’éther mais qui se transforme en figure humaine quand il rentre dans le corps humain et reprend sa forme primitive quand il en sort. [cf. Plotin, Énnéades II, II, 2  ; Proclus, Éléments de théologie 209 et 210]. C’est ce que les mages estiment nécessaire, puisque les anges sont séparables en puissance et séparés en acte des corps, et que les âmes irrationnelles n’en sont séparables ni en puissance ni en acte. La conséquence, c’est que les âmes rationnelles, en qualité d’intermédiaires (medias), doivent toujours être telles qu’elles soient séparables en puissance, parce que si on leur enlève leur corps elles ne périront pas, mais y soient toujours unies en acte, parce qu’elles tiennent de l’éther le corps familier qu’elles conservent immortel par leur propre immortalité. […] D’où le conseil de Zoroastre  : «  Ne souille pas le pneuma, et n’approfondis pas la surface9  ».

Tout ce texte vient, en réalité, non des mages eux-mêmes, c’est-à-dire des Oracles, mais bien de Pléthon qui, pour sa part, se référait aux «  sages pythagoriciens et platoniciens  ». On notera au passage que les «  intellects  » pléthoniens sont devenus des «  anges  » et que l’utilisation de ce terme est attribuée aux mages eux-mêmes. Quatrièmement, l’âme rationnelle est nodus et copula mundi (nœud et lien du monde). Mais outre des sources platoniciennes (notamment Platon, Timée 35 a  ; Plotin, Ennéades iv, 4, 3  ; Synésius, Traité des songes  ; Proclus, Éléments de théologie, § 197), outre Philon d’Alexandrie (De Opificio mundi 46, 135) et Hermès Trismégiste (Asclépius, 6), Ficin utilise sans le signaler, au chapitre 3 du livre x (t. ii, p. 65-67), le commentaire de Pléthon sur l’Oracle 14 pour montrer qu’il y a une troisième essence intermédiaire entre les réalités divines et les réalités corporelles. Il en appelle alors explicitement aux «  Antiques Théologiens  » et aux «  Chaldéens  », avec lesquels, dit-il, Aristote serait d’accord – et cette dernière affirmation vient de la Réplique de Pléthon à Scholarios dont Ficin possède une copie10  : […] la condition de la forme ultime [de l’âme] est telle qu’elle n’est pas tout à fait détachée, ni tout à fait immergée dans les corps [...]. Il faut assurément qu’il y en ait une [sc. une forme intermédiaire] qui soit telle qu’entre la substance angélique, totalement séparée d’un corps et ne faisant rien par lui, et une autre forme tout à fait unie au corps et agissant en tout par le corps, comme l’âme des bêtes, il y ait une forme intermédiaire, en partie   TP, xviii, 4, trad. R. Marcel.   Réplique à Scholarios, éd. B. Lagarde, p. 474-477.

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jointe au corps, en partie aussi séparée afin qu’elle produise quelque chose par le corps et quelque chose par elle-même. Or telle est toute âme raisonnable, parce qu’elle gouverne le corps et s’adonne à la contemplation [...] Les âmes raisonnables, qui doivent être partiellement unies mais aussi partiellement séparées et qui ne pourraient être séparées par rien si elles étaient unies par la substance, sont nécessairement séparées par la substance, ou séparables, parce qu’elles ne tiennent pas leur origine de la matière ou des agents et des organes corporels [...] Par suite, selon les Chaldéens, elles sont aux confins de l’éternité et du temps. [Ici Ficin utilise la fin du Commentaire de Pléthon sur les Oracles et peut-être le Traité des lois11].

Dans le célèbre texte du chapitre 2 du livre iii12, Ficin établit que la troisième essence, c’est-à-dire l’âme rationnelle, est le lien du monde  : Entre les êtres qui sont seulement éternels et ceux qui sont seulement temporels, l’âme est en quelque sorte le lien (vinculum) des uns et des autres […].

Pléthon écrivait  : De même que dans le tout des choses fort différentes entre elles peuvent s’unir grâce à leurs limites communes, de même les réalités mortelles et les immortelles s’unissent dans l’homme qui leur sert de limite commune.

Il faut en effet que le tout soit complet (même argument chez Pléthon, dans le Traité des lois, p. 140, p. 184, p. 252)13. Ficin, poursuit  : En s’élevant [l’âme] ne délaisse pas les régions inférieures  ; en descendant elle ne quitte pas les plus élevées. Car si elle abandonnait les unes ou les autres, elle pencherait vers l’autre extrême et il n’y aurait plus en dehors d’elle de véritable trait d’union dans le monde (copula mundi) (t. i, p.  138)  ;

même argument chez Pléthon (Traité des lois, p. 251). Mais on remarque que le lien de l’univers est pour Ficin l’âme rationnelle, l’âme étant elle-même la forme du corps, tandis que pour Pléthon, le lien de l’univers est l’homme entier, composé d’une âme immortelle et d’un corps mortel, complètement hétérogènes l’un à l’autre, mais articulés. La différence est importante. Ficin en tant que philosophe chrétien doit justifier la résurrection des corps. Il explique que la nature humaine n’est plus dans son état originaire (TP, xviii, 9). Le corps humain était à l’origine immortel et perpétuel car à des âmes immortelles doivent correspondre des corps immortels. Si le corps humain est devenu mortel c’est en raison d’un mouvement désordonné  ; mais lorsque le mouvement de l’univers atteindra le repos, Dieu recréera les corps perpétuels.   Voir notamment p. 181, 97, 117, 143, 250-252.   Trad. R. Marcel, t. i, p. 142. 13   TL, p. 140. 11 12



FICIN ET LA PLATONICIEN PLÉTHON259

En raison du dogme chrétien de la résurrection des corps, la nature humaine altérée ne peut pas être le nœud de l’univers  ; mais Ficin fait tout de même appel à l’autorité de Zoroastre, d’Hermès, de Platon et d’Hésiode, pour appuyer cette opinion14  ! Cinquièmement, la question du «  service  » que l’âme vient effectuer ici-bas est liée chez Pléthon à la théorie de l’homme lien de l’univers. Mais Ficin – même s’il se dit un «  autre Platon  » – ne peut soutenir l’idée du retour des mêmes âmes dans des corps terrestres, retour périodique qui assurerait la maintenance de la part mortelle de l’univers. La question de la mission terrestre de l’âme est bien présente chez Ficin (TP, xvi, 7, t. iii, p. 135), mais le service est rapide pour l’élite de ceux qui se consacrent à Dieu  ; il est plus long pour les autres. En outre le service s’effectue par succession et non plus par roulement. Sur la terre, [Dieu] n’a pas voulu rappeler ses prêtres au bout d’un long délai  : ceux qui louent Dieu avec zèle ne sont pas tenus à un labeur continuel ou d’une durée trop longue. Il les envoie donc ici-bas tous les jours (quotidie) et les rappelle afin que par succession (per successionem) s’accomplisse toujours sur la terre ce que la même vie accomplit toujours dans les cieux15.

Sixièmement, Ficin peut rendre compte de l’expérience de l’extase ou du ravissement grâce aux mages disciples de Zoroastre16  ; voilà pourquoi il rapporte leur théorie du véhicule de l’âme même s’il s’agit d’une fable  : Par ailleurs, [les mages] pensent qu’il y a dans cette idole, une sorte de fantaisie irrationnelle et confuse, et même des sens tels que dans tout le véhicule on voit et on entend [Ficin recopie ici littéralement le commentaire de Pléthon sur l’Oracle 14], sens à vrai dire dont très peu d’hommes se servent et très rarement.

Et il poursuit  : Cependant chaque fois qu’un homme, délaissant pour un temps son corps terrestre se recueille dans son corps céleste, c’est grâce à ces sens que souvent il perçoit les admirables harmonies célestes, les voix et les corps des démons (TP, xviii, 4, p. 195).

Il y aurait donc, selon Ficin, une «  fantaisie  » et bien plus des sens, qui pourraient fonctionner d’une manière totalement indépendante du   Trad. R. Marcel, t. iii, p. 226.   Trad. R. Marcel modifiée. 16   Sur l’extase  : TP xiii, 2, t. ii, p.  204-205  ; et xviii, 4, t. iii, p. 195. 14 15

xiii,

5, t. ii, p.  243-245  ;

xiii,

4, p. 240  ;

260

B. TAMBRUN

corps mortel, c’est-à-dire des organes des sens. Selon Ficin l’âme non rationnelle, projetterait alors sur l’écran du véhicule éthéré, de véritables images visuelles et sonores indépendantes du corps. Ficin (TP, xiii, 2, t.  ii, p. 204) explique ainsi le ravissement de Paul, du prêtre Cornelius à Padoue (Aulu-Gelle), de l’âme d’Hermotime de Clazomène (Pline), d’Aristée de Proconnèse (Maxime de Tyr et Hérodote), du prêtre de Calama (Augustin). En extase, l’âme n’agit pas dans le corps, puisqu’il n’y a aucun mouvement, aucune impression de toucher, aucune respiration  : elle vit en elle-même pendant qu’elle imagine l’harmonie qu’elle entend et qu’elle perçoit des paroles (t. ii, p. 205). Or dans le Commentaire de Pléthon, il n’est question que de l’imagination et de la sensation ordinaires, non d’une sensation indépendante du corps, car en raison du service de l’âme envers le tout, et donc de la maintenance de la part mortelle dont elle est en charge, il serait irresponsable de délaisser le corps pour se livrer à des expériences extatiques. Pléthon dans son Commentaire parle simplement de l’imagination et de la sensation ordinaires, de celles dont tous les hommes font l’expérience quotidiennement. Il ne fait que montrer en détail comment s’opère, à travers l’union de l’âme et du corps humain, la liaison entre la part immortelle et la part mortelle de l’univers. Mais c’est le commentaire de Psellos sur l’oracle «  Et ne laisse pas au précipice le résidu de la matière  » qui a permis à Ficin de s’orienter vers les phénomènes extatiques (TP, xiii, 4, t. ii, p. 240). Ficin attribue alors aux mages une remarque de Psellos qui, pour sa part, constatait, à propos du phénomène de l’élévation, l’accord entre les Chaldéens et la Bible. Selon Psellos  : [l’oracle] nous exhorte donc à consumer au feu divin le corps même qu’il appelle «  résidu de la matière  », ou à l’amaigrir pour l’élever jusqu’à l’éther, ou à nous laisser transporter par Dieu à un lieu immatériel et incorporel, ou corporel mais éthéré, ou céleste, comme celui qu’ont obtenu Élie le Thesbite et avant lui Énoch, transférés de la vie d’ici-bas et fixés dans un apanage plus divin, «  sans même laisser au précipice le résidu de la matière  », c’est-à-dire leur corps [...] l’affaire ne dépend que de la grâce divine, qui consume de son feu ineffable la matière du corps et, sur un véhicule enflammé, élève au ciel la nature pesante et terrestre17.

Ficin en déduit – mais à tort  : C’est aussi par un char de feu de ce genre, diraient les mages et les platoniciens, qu’Élie et Paul ont été élevés au ciel (TP xiii, 4, t. ii, p. 240).   Trad. É. des Places, Oracles chaldaïques, Paris, Les Belles Lettres, 1971, p. 163-

17

164.



FICIN ET LA PLATONICIEN PLÉTHON261

Conclusion Il y a bien récupération par Ficin de textes de Pléthon  : notamment de sa collection des Oracles magiques et d’extraits de son Commentaire, insérés dans la Théologie platonicienne, voire de quelques passages du Traité des lois. Mais Ficin ne respecte absolument pas le projet pléthonien  : il le détourne pour le faire servir à son propre projet de refondation du christianisme. Du point de vue de Pléthon, qui s’était appliqué à développer une religion universelle polythéiste hiérarchique, pour en finir avec les christianismes latin et grec, et qui considère les théologiens chrétiens comme des «  sophistes  » qu’il faudrait même brûler (voir le début du Traité des lois), il s’agit évidemment d’une trahison.

LA TOUTE-PUISSANCE MÉTAPHYSIQUE OU LA NAISSANCE DU VIRTUEL LECTURE DU DE POSSEST DE NICOLAS DE CUES Pierre Caye

(Centre Jean Pépin – UMR 8230 – CNRS – ENS Paris - PSL)

La philosophie du Moyen Âge s’est posé avec acuité la question de la toute-puissance. Il faut cependant compléter ce truisme par une distinction moins triviale et moins évidente, à savoir que la philosophie médiévale distingue deux types de toute-puissance  : la toute-puissance théologique et la toute-puissance métaphysique, qui forment deux conceptions de la toute-puissance radicalement différentes. La toute-puissance théologique exprime la puissance absolue d’un Étant suprême qui crée toutes choses ex nihilo au gré de sa volonté, sans respecter ni règle ni ordre, solutus a legibus, selon donc une potentia absoluta. Cette figure de la toute-puissance a quelque chose de très fortement anthropocentrique  : la volonté de l’Être suprême ressemble au dominium de l’empereur romain et byzantin  : non pas la puissance du roi à l’image de la puissance de Dieu, mais, à l’inverse, la puissance de Dieu à l’image de celle de l’empereur. Il est clair ici que la toute-puissance théologique est par essence théologico-politique. La toute-puissance métaphysique, quant à elle, n’est pas celle d’un Étant personnifié, serait-il suprême, mais de l’être, non pas donc de l’être premier mais de l’être en général (katholou), c’est-à-dire de la substance (ousia) dans l’ensemble de ses dimensions, visibles et invisibles, et c’est en quoi cette toute-puissance doit être qualifiée de métaphysique. Quand saint Thomas écrit son De potentia, ce De potentia est nécessairement un De potentia Dei. La première question posée est celle de la puissance de Dieu  : Et primo quaeritur utrum in Deo sit potentia1. De son côté, le néologisme que forge Nicolas de Cues dans son dialogue intitulé De possest, conjoignant le posse et le est, veut d’abord signifier, par sa formulation même, que la puissance est la question de l’être et non celle de Dieu, serait-il le créateur de l’être, et que s’il est aussi question de Dieu et de sa puissance dans le possest, c’est nécessairement par la médiation de l’être.   Saint Thomas, De potentia Dei, i, art. 1.

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Il est encore une autre distinction que l’on doit faire entre ces deux types de toute-puissance  : dans le modèle théologique, la toute-puissance n’est qu’un nom ou un attribut de Dieu qui ne saurait se résumer à cette seule modalité. Dieu reste toujours, par principe, au-delà de Ses noms  : son indicibilité est même la condition de Sa toute-puissance. En revanche, dans la toute-puissance métaphysique, la toute-puissance dit la vérité de l’être et se substitue à lui au point que la toute-puissance n’est plus seulement un attribut de l’instance mais devient l’instance elle-même. C’est cette constitution de la toute-puissance métaphysique et non pas théologique que nous raconte le De possest de Nicolas de Cues. L’élévation de la puissance au statut de l’instance est quasi impensable dans la philosophie antique. La philosophie antique place l’intellect, l’âme, l’être, voire le bien ou encore l’un comme instance, mais jamais, ou presque jamais, la puissance qui en reste au stade d’une modalité de l’être et de son déploiement. Je reviendrai un peu plus loin sur le presque jamais. Ce qui fait la rupture métaphysique entre la pensée antique et la pensée occidentale moderne n’est donc pas l’opposition entre le fini et l’infini (il y a évidemment une pensée de l’infini dans la philosophie antique, aussi close soit sa cosmologie), entre la mesure et la démesure, entre l’éternité du monde et sa création, entre d’une part une métaphysique qui rend raison de la cosmologie et d’autre part une métaphysique dont rend raison la théologie  ; toutes ces oppositions ne sont que la conséquence de ce passage entre une conception équivoque de la puissance et de son infinité qui caractérise la philosophie antique, conception équivoque c’est-à-dire qui change à chaque fois de signification selon les degrés de réalité auxquels ces deux notions d’infinité et de puissance s’appliquent, et d’autre part une conception univoque (médiévale pour faire vite) où la toute-puissance et l’infini se substituent à l’intellect et à l’âme et en deviennent les instances déterminantes qui rendent raison de l’ensemble de la réalité de façon parfaitement univoque. Il est clair que la puissance ne saurait être toute-puissante que si elle est précisément univoque au regard de l’ensemble de la réalité dont elle est le principe ou l’instance. Or, pour que la puissance devienne instance, il est nécessaire que la puissance se fasse virtualité. C’est la virtualité qui élève la puissance au rang de principe. Mais qu’est-ce que la virtualité  ? «  Le virtuel ne s’oppose pas au réel, mais seulement à l’actuel  »2. Le virtuel est la réalité même de la possibilité comme l’exprime parfaitement le terme de ­possest  :   Gilles Deleuze, Différence et répétition, Paris, P.U.F., 1968, p. 269.

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LA TOUTE-PUISSANCE MÉTAPHYSIQUE OU LA NAISSANCE DU VIRTUEL265

le posse, ou pouvoir être, en tant qu’il est. En tant que tel, il marque aussi l’autonomie de la possibilité par rapport à son actualité, et en assure ainsi son autoconstitution. En effet, le virtuel se définit par l’ensemble des déterminations qui conditionnent toute actualité sans être déterminée par l’actualisation, d’où le fait que le virtuel est nécessairement autoconstitution de l’être. Le possest constitue ainsi un renversement radical de l’ontologie aristotélicienne où l’en-puissance reste déterminé par l’en-acte, autrement dit où ce qui est en puissance ne se déploie et ne vient au jour que dans le cadre prédéterminé de la forme intelligible dans laquelle elle est censée s’accomplir. Or, chez Cues, nous assistons à l’opération inverse  : c’est la possibilité qui détermine l’actualité  : «  Comment l’actualité pourrait-elle être si la possibilité n’existait pas  ?  »3 Ce qui veut dire que l’actualisation n’épuise pas le possible, ne le supprime pas, mais au contraire en maintient la capacité productive à l’infini. Bref, la virtualité est la matrice du réel, elle est la forme des formes (forma formarum)4, mais, comme dans le néoplatonisme, cette forme des formes est ellemême sans forme, indéterminée et infinie. De fait, ce renversement de priorité entre la puissance et l’acte nous conduit aussi à l’infinitisation de la substance et de l’instance, du fait que la puissance reste inaltérée par les processus de clôture et de limitation de l’en-acte. Au demeurant, le virtuel ne s’actualise pas, il se «  contracte  », dit Cues, c’est-à-dire il constitue une limite et une réduction par rapport à tout ce que peut la matrice du possest  : l’actuel est une limitation de la matrice, limitation sans doute nécessaire pour que le monde apparaisse, c’est-à-dire vienne aux sens, si tant est, comme le dit Nicolas de Cues, que le monde est d’abord apparitio Dei5. C’est la limite contractée qui fait la forme ici et non l’inverse comme chez Aristote. C’est en quoi cette puissance est non pas relative, relative à l’acte où elle est censée s’accomplir, mais absolue (possibilitas absoluta), c’est-à-dire déliée de toute actualisation, inaffectée par la contraction de ses divers modes d’actualisation  : une absoluité métaphysique et non pas théologique, fondée sur la nécessité d’être de la matrice en sa spontanéité et non sur la volonté d’un plan divin insondable et arbitraire. 3   Cardinalis  : «  Quomodo enim actualitas esse posset possibilitate non exsistente  ?  » (Nicolas de Cues, Dialogue à trois sur le Pouvoir-est/Trialogus de Possest, trad. fr. P. Caye, D. Larre, P. Magnard, F. Vengeon, Paris, Vrin, 20132, p. 28-29). 4   Ibid., p. 38. 5   Bernard  : «  Qu’est-ce donc que le monde sinon l’apparition du Dieu invisible  ?  » [Bernardus  : «  Quid igitur est mundus nisi invisibilis Dei apparitio  ?  »] (ibid., p. 106107).

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Il a été précédemment affirmé que la virtualité était étrangère à la philosophie antique6. Ce n’est pas tout à fait vrai. Et c’est pourquoi j’ai nuancé mon propos par un «  presque jamais  ». En effet, la noétique plotinienne, autrement dit la conception de l’intellect que formule Plotin au Traité 10, propose un premier modèle de virtualité. Il n’est pas inutile de s’arrêter sur cette question en ce que Plotin met ici en place une structure particulièrement inédite dans l’histoire de la philosophie qui, même si elle reste inaboutie, donnera sans aucun doute à penser à la postérité métaphysique. Plotin rompt en effet avec le modèle démiurgique du Timée de Platon, où les formes intelligibles restent extérieures à l’intellect qui les met en oeuvre pour faire le monde. Les formes intelligibles du Timée sont immuables et incréées. Plotin, pour sa part, intériorise les formes intelligibles au sein même de l’intellect. Davantage, il en fait le produit de l’intellect  ; et mieux encore, il assimile dans une sorte de convertibilité dynamique l’intellect lui-même, la substance qui pense, le noûs, avec ses opérations et avec ses produits que sont les formes intelligibles. L’intellect n’est rien d’autre que son acte, l’ousia devient enérgeia ou plus exactement l’enérgeia se libère de la nécessité de la substance7, et cette énergie n’est rien d’autre que le processus de réassimilation perpétuelle de ses produits, ou encore de dévoration et de régurgitation de ses enfants. L’Intellect, dit Plotin, est comme le Dieu Kronos (le Saturne des Latins), celui qui mange ses enfants  : l’intellect en acte dévore ce qu’il produit pour opérer8. Plotin propose, avec Kronos, un modèle extrêmement puissant de virtualité, une matrice proprement machinique (tant il est vrai que toute machine est par essence processus de convertibilité, et que tout processus de convertibilité se transforme nécessairement en dispositif machinique), fondée sur une perpétuelle régénération des formes intelligibles par l’intelliger. Il existe cependant deux limites, dans cette noétique plotinienne, qui empêche de la penser comme virtualité. – 1re limite  : Le monde des formes est fini chez Plotin et, en tant que tel, toute idée de régénération des formes par l’enérgeia de l’opération de l’intellect semble inutile. – 2nde limite  : L’intellect n’est pas véritablement auto-constituant chez Plotin  ; il a besoin de se tourner, de se convertir, vers un principe supérieur qui a pour nom l’Un, et qui apparaît nécessaire à Plotin, très   Supra, p. 330.  Plotin, Traité 39 [vi, 8] (De la liberté et de la volonté de l’Un), 20, 17-18. 8   Id., Traité 10 [v, 1)] (Sur les trois hypostases qui ont rang de principes), 7, 27‐38. 6 7



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certainement parce qu’il est parfaitement conscient de la négativité, de la pulsion de mort ou encore de l’entropie sous-jacente au modèle kronien, de sorte qu’il est nécessaire de se référer à un principe supérieur capable de garantir à l’intellect la cohérence de ses opérations tout en étant totalement étranger à la nature et aux fonctions de l’intellect. C’est toute la question de la différence hénologique entre l’un et l’être (ou la substance), différence qui constitue le marqueur le plus fort du néoplatonisme, ce par quoi il se singularise par rapport aux autres traditions platoniciennes. Le mentalisme de Nicolas de Cues n’est pas bridé par ces deux limites  : comme le montre clairement le livre ii de la Docte ignorance, la cosmologie cusaine est plurielle, ouverte sur la pluralité des mondes, où la terre n’est plus le centre du cosmos  ; de même la mens divina est bien le principe ultime qui n’a besoin pour régulateur que de sa propre activité. Il importe ici de s’arrêter sur une métaphore, ou plus exactement une énigme, qu’utilise Cues non sans rapport avec le néoplatonisme – la toupie  : Bernard  : Nous souhaitons être conduits par la main à l’aide de quelques images sensibles, surtout pour savoir comment l’Éternel est toutes choses en même temps et, dans l’instant, la totalité de l’éternité, pour qu’enfin, une fois l’image laissée de côté, nous nous élevions en un saut au-delà de toutes les choses sensibles. Le Cardinal  : Je m’y efforcerai. Et je choisis à cette fin le jeu des enfants que nous connaissons tous, même dans sa pratique  : la toupie. L’enfant lance en avant la toupie et, en même temps qu’il la lance, il la tire avec la corde enroulée autour d’elle. D’autant plus grande est la force du bras, d’autant plus rapide est la rotation de la toupie sur elle-même, de sorte qu’à son mouvement maximum, elle semble rester fixe et en repos, et les enfants disent alors qu’elle se repose […] N’est-il pas vrai que plus le cercle mobile tourne vite, moins il nous semble être en mouvement  ?9

L’énigme de la toupie nous permet, elle aussi, d’approfondir cette question de la virtualité. L’origine de cette énigme est néoplatonicienne, 9   Bernardus  : Optamus tamen aliquo sensibili phantasmate manuduci, maxime quomodo aeternum est omnia simul et in nunc aeternitatis tota, ut ipso phantasmate relicto salientes supra omnia sensibilia elevamur. – Cardinalis  : «  Conabor. Et recipio omnibus nobis etiam in praxi notum trochi ludum puerorum. Proicit puer trochum et proiciendo simul ipsum retrahit cum chorda circumligata. Et quanto potentior est fortitudo brachii, tanto citius circumvolvitur trochus, adeo quod videatur, dum est in maiori motu, stare et quiescere, et dicunt pueri ipsum tunc quiescere […] Nonne quanto velocius mobilis circumrotatur, tanto videtur minus moveri  ?  » (Nicolas de Cues, Dialogue à trois…, cit., p. 44-47).

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et plus exactement plotinienne  : c’est l’image du cercle. L’un se comportant comme le centre d’où partent les rayons jusqu’à la circonférence qui embrasse l’ensemble de la réalité10. On retrouve ce type d’image dans une autre métaphore plotinienne, au Traité 9, celle du choeur11, l’un se comportant comme le chef de choeur vers lequel se tournent les choristes pour signifier ainsi la conversion vers l’Un ou epistrophê, la redditio ad unum. La grande différence entre ces images plotiniennes et l’énigme cusaine de la toupie, c’est que Plotin en reste à une conception statique de la cosmologie, tandis que la toupie cusaine en propose une conception dynamique. Or, il n’y a pas de virtualité sans dynamisme. Si, en définitive, le monde néoplatonicien est statique c’est parce qu’il est clos, suturé par un double nœud  : au-dessus, par l’Un qui stabilise la procession de l’être, et en-dessous par le caractère numériquement fini des formes12. La toupie conduit à une autre interprétation  : la toupie est la forme et la mesure de tout mouvement13  ; mieux encore le mouvement est le lien entre le pouvoir lui-même et l’acte, de sorte que, si le mouvement de la physique est fondé sur l’opposition du repos et du mouvement, celui de la métaphysique en accomplit la synthèse  ; le virtuel mesure ainsi du mouvement plus que de l’acte. La synthèse du mouvement et du repos qu’accomplit la toupie signifie que le mouvement transit l’être sans nécessairement produire du chaos, au service bien plutôt d’un ordre stable et cohérent. Le dynamisme du virtuel, la synthèse du mouvement et du repos, dépendent eux-mêmes d’une autre synthèse, plus haute, celle de l’être et du non-être, de l’être du est et du non-être du posse comme si Nicolas de Cues reprenait, sur le modèle du Commentaire sur le Parménide de Proclus, la dialectique des 5 genres de l’être14 pour définir il est vrai non pas 10   Traité 9 [vi, 9] (Sur le Bien ou l’Un), 8, 1-10  ; Traité 10 [v, 1] (Sur les trois hypostases qui ont rang de principes), 11, 10-13  ; Traité 27 [iv, 3] (Sur les difficultés relatives à l’âme I) 17, 12-18  ; Traité 39 [vi, 8], (De la liberté et de la volonté de l’Un), 18, 7-18  ; Traité 54 [i, 7] (Sur le souverain bien et les autres biens), 1, 20-25. 11   Id., Traité 9 [vi, 9] (Sur le Bien ou l’Un), 8, 37-42  ; v. aussi sur cette conversion Traité 23 [vi, 5] (Sur la raison pour laquelle l’être, un et identique, est partout tout entier ii), 7, 7-15. 12   Voir sur ce point Proclus, Théol. plat. i 14, 67.21-23 SW  ; Damascius, In Parm. § 382 iii, 176.14‐15 CW  ; Plotin, Traité 42 [vi, 1] [Sur les genres de l’être i], 1, 8-9 et Traité 22 [vi, 4] (Sur la raison pour laquelle l’Être, un et identique, est partout tout entier i) 2, 34-35. 13   Bernardus  : «  Licet foret exemplar, forma, mensura et veritas omnis motus  » (Nicolas de Cues, Dialogue à trois…, cit., p. 82). 14   Le mouvement, le repos, l’être, le même et l’autre, genres thématisés par Platon dans le Sophiste (254d). À l’être est étroitement attaché dans ce dialogue le non-être de sorte qu’on est aussi en droit de parler des 6 genres de l’être, v. sur ce dernier point,



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l’Un, mais le possest, le virtuel. Le virtuel propose une synthèse supérieure, la synthèse de toutes les synthèses, de toute coïncidence des opposés  : la synthèse du non-être et de l’être par un être absolu, en quelque sorte un surêtre, ce que Cues appelle l’entitas, qui renvoie à ce que j’appelle une surontologie. Un surêtre qui n’est rien d’autre que la puissance, le Dieu qui excède tout, affirme Nicolas de Cues15, et qui précède l’être aussi bien que le non-être16, puisque, précise Cues, «  être présuppose pouvoir et que rien n’est sans la puissance dont il tire son être, alors que «  pouvoir ne présuppose rien  »17. En tant que dialectique de l’être et du non-être, le virtuel est à la fois partout et nulle part selon une formule qui ne cesse de revenir dans l’oeuvre de Cues  : partout en ce que le possest contient tout, et en puissance de tout  ; nulle part parce que toute actualisation ou contraction en est aussi la négation. Cues dit à ce sujet quelque chose qui a un accent quasi bataillien  : «  Puisque rien n’est impossible à Dieu [ce que signifie sa potentia absoluta], il faut donc qu’à travers ce qui en ce monde est impossible, nous tournions notre regard vers lui en qui l’impossibilité est nécessité  »18, comme s’il revenait à l’impossible dans notre monde (et non pas à ce qui est actualisé) d’indiquer Dieu. Cette phrase est importante parce qu’elle permet de comprendre ce que signifie la toute-puissance de Dieu pour Cues, lorsque celui-ci affirme que Dieu peut transformer la pierre en homme. Cette transformation indique moins la toute-puissance des théologiens, la volonté arbitraire de la personne divine, sa vertu miraculeuse (même si cela en a toutes les apparences), que la toute-puissance de la métaphysique, c’est-à-dire la supériorité surontologique de la puissance sur l’être qu’implique la virtualité elle-même et sa dynamique et qui fonde la possibilité de la métabasis eis allo genon19. Andreï Cornea, Le Sophiste de Platon  : 5 ou 6 ‘genres suprêmes’  »  ?, in Semitica et Classica. International Journal of Oriental and Mediterranean studies, série 2, Brepols, 2010, p. 43-49. 15   Cardinalis  : «  Deus autem id omne excedit  » (Nicolas de Cues, Dialogue à trois…, cit., p. 71). 16   Bernard  : «  L’esprit se lève vers ce qu’il cherchait qui se manifeste au-delà de l’être et du non-être  ». Bernardus  : […] id enim quod se tunc supra esse et non esse […] (Ibid., p. 84-85). 17   Cardinalis  : «  Sed quia esse praesupponit posse, cum nihil sit nisi possit a quo est, posse vero nihil praesupponit […]  » (Ibid., p. 78-79). 18   Cardinalis  : «  Unde cum deo nihil sit impossibile, oportet per ea quae in hoc mundo sunt impossibilia nos ad ipsum respicere, apud quem impossibilitas est necessitas  ». (Nicolas de Cues, Dialogue à trois…, cit., p. 92-93). 19   Bernard  : «  Il est certain que nulle créature n’est en acte tout ce qu’elle peut être, puisque la puissance créatrice de Dieu ne s’est pas épuisée dans sa création au point qu’il ne puisse faire d’une pierre un homme, […] ni généralement transformer toute créature en

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Il n’y a pas de virtualité sans dynamisme  ; il n’y a pas non plus de virtualité sans la dialectique de l’être et du non-être. Un autre grand penseur de la virtualité, plus proche de nous, Gilles Deleuze, essaie, à travers les champs d’immanence, de faire l’économie de cette dialectique, mais il est bien contraint de reconnaître que ces champs menacent toujours de se pétrifier en un système molaire, en une masse statique, de sorte qu’il en appelle, pour maintenir leur dynamique, à des lignes de fuite, joli thème existentiel qui cache mal cependant sa négativité honteuse. À partir du milieu du dialogue, émerge un thème fondamental pour la compréhension de la virtualité cusaine  : la Trinité, thème proprement théologique20. De fait, le dialogue à trois se divise en deux parties  : une partie métaphysique sur le possest proprement dit, et une partie théologique sur la Trinité et sur le Christ. Avant d’essayer de définir le rôle de la Trinité dans la virtualité, il importe de s’arrêter sur le rapport général entre théologie et métaphysique. Sont par essence théologiques des thèmes, des notions, des figures voire des énigmes qui appartiennent aux Livres Saints, quels qu’ils soient au demeurant  ; et de même sont métaphysiques les thèmes qui appartiennent aux livres d’Aristote que Théophraste a réunis sous le nom de Ta metaphysika et qui renvoient non seulement à Aristote lui-même, mais aussi à ce que sa pensée doit aux dialogues de Platon et au premier chef au Sophiste et au Parménide. Bref, la distinction entre théologie et métaphysique est d’abord, pour parler comme un juriste, une affaire de sources du droit, ou plus exactement d’origine textuelle des notions. Toute la question du dialogue entre philosophie et théologie est celle de la compatibilité plus ou moins pertinente de ces diverses sources. Par ailleurs, une lecture superficielle peut donner l’impression que Cues, comme la plupart des philosophes ecclésiastiques de son temps, met la philosophie au service de la théologie. Il faut se méfier de la formule triviale et trop générale de la philosophie servante de la théologie. Quand on travaille sur la relation entre philosophie et théologie, il importe à chaque fois de définir clairement et précisément le noeud de l’affaire et ce qui s’y joue. C’est ce qu’il est nécessaire de faire lorsqu’on questionne le rapport de la Trinité à la virtualité. n’importe quelle autre…  » Bernardus  : Nam certum est nullam creaturam esse actu omne id quod esse potest, cum dei potentia creativa non sit evacuata in ipsius creatione, quin possit de lapide suscitare hominem […] et generaliter omnem creaturam in aliam et aliam vertere (ibid., p. 28-31). 20  V. ibid., p. 63 sq.

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Je rappelle ce qui à mon sens est en jeu dans le possest, dans la détermination de la notion de virtualité. Il s’agit, affirme Cues, d’accéder à la connaissance de notre création, nostrae creationis scientia21  : nous touchons le punctum du dialogue. La connaissance de notre création passe par l’appréhension de la puissance du Verbe de Dieu. Cues précise alors que, tant que nous ne sommes pas parvenus à la science de Dieu par laquelle Il a créé le monde, notre esprit est sans repos22. De fait, la scolastique distingue, dans la doctrine de la création, deux modalités  : la création ad extra, que relate le livre de la Genèse de l’Ancien Testament  ; mais il existe une autre modalité de la création, ce que la scolastique appelle la création ad intra (interne à Dieu lui-même) qui définit la procession entre les trois personnes de la Trinité néotestamentaire  : le Père, le Fils et le Saint Esprit. Or, j’ose affirmer que Cues fait de la création ad intra le modèle de toute création  : aussi bien de la création du monde que de l’autocréation de Dieu. Le principe de la science par laquelle Dieu a créé le monde est la connaissance même du Verbe de Dieu qui est en quelque sorte pour Cues la science des sciences (scientia scientiarum)23  : «  Cette science est la connaissance du Verbe de Dieu, parce que le Verbe de Dieu est en même temps conception de lui-même et de l’univers  »24. Or, la virtualité est précisément l’opérateur qui permet d’appliquer le modèle ad intra de Dieu à l’être en général. Le verbe de Dieu est conception en même temps de lui-même et de l’univers. La science de Dieu par laquelle Il a créé le monde est la connaissance que le Père a du Fils. La procession ad extra ne fait que refléter la procession ad intra. La création du monde est l’apparitio de Dieu, affirme Cues. Le monde est intégré à la vie de la Trinité. D’où évidemment les nombreuses métaphores unitrines qui jalonnent la seconde partie du texte pour expliquer la constitution du réel  : le triangle ou encore le IN par lequel tout est dans [IN] tout et rien dans [IN] rien25.   Ibid., p. 66-68.   Cardinalis  : «  Nisi igitur ad scientiam dei qua mundum creavit perveniremus, non quietatur spiritus  » (ibid., p. 68). 23   Ibid. 24   Cardinalis  : «  Et haec scientia est verbi dei notitia, quia verbum dei est conceptus sui et universi  » (ibid.). 25   Jean  : Je prends donc pour exemple ce mot très court de IN. Et je dis  : si je veux entrer dans les contemplations divines, alors je m’y efforcerai d’y entrer par ce IN, puisqu’il n’y a pas d’autre moyen d’y entrer. Tout d’abord, tourne-toi vers sa figure  : je remarque comment, composée de 3 lignes égales elle est comme unitrine, et comment le I et le IN sont liés par l’esprit même du lien. En effet, dans le IN lui-même, il y a d’abord le I, puis le N et enfin leur lien de sorte qu’il n’y a qu’un simple vocable IN composé du I, du N et de leur lien. Il n’y a rien de plus simple que le I. Nulle lettre ne 21 22

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Quelle est la différence entre les deux modes de création, et pourquoi la création ad intra devient-elle le modèle de la création du monde  ? Première différence  : la création ad extra procède par actualisation, la création ad intra par virtualisation. Mais quelle est la différence entre ces deux modalités  ? La création ad extra est entropique, affectée par la dispersion, que le néoplatonisme appelle la skédasis, l’épuisement, au risque de la dualité et de la gnose. En revanche il n’y a pas de perte dans la procession trinitaire, mais une parfaite égalité d’être entre les termes  : les personnes de la Trinité sont dites en grec homoiousioi. Il n’y a donc pas de déperdition dans la procession  : «  Le principe n’épuise pas sa force toute-puissante  », affirme Nicolas de Cues, conjurant ainsi l’abaissement ou hyphesis néoplatonicienne26. C’est à partir de cette entropie surmontée que l’on peut même envisager, à la façon des Modernes, la virtualité comme processus de surrégénération et d’intensification de l’être. Il est clair que le sens de la création change alors de nature  : la création par actualisation met en valeur les créatures qui actualisent et accomplissent la puissance, alors que la création par virtualisation met l’accent sur la création elle-même, qui capitalise la puissance, capitalisation de la puissance que Cues appelle le Thesaurus essendi27. Il faudrait ici rapprocher ce trésor ontologique du trésor des cathédrales, et expliquer en quoi le thesaurus essendi, tout comme le trésor des cathédrales, contribue à une économie du salut. Je dirais simplement à ce sujet qu’en réalité il y a ici une double trinité  : une trinité ontologique de l’être, du non-être et de la puissance ou encore de ce que j’appelle le surêtre, au-delà de l’être et du non-être, trinité dialectique où l’être est assimilé au Fils, le non-être au mouvement et à la transcience du Saint-Esprit, et enfin le surêtre ou la toute-puissance au Père. Simplement cette trinité ontologique se place sous le couvert de l’authentique Trinité des théologiens. Car, dans la Trinité théologique, il n’y a plus aucune négativité, pas de non-être, et donc plus peut être f­igurée sans cette ligne simple de sorte que le I est le principe de toutes les lettres. Le N est engendré le premier à partir de ce I très simple reproduit en lui-même […] Dans le N, le I est développé. Par conséquent si on ajoute le I au N, on n’ajoutera rien quant à la prononciation. En effet, la vertu du I était déjà dans le N […] Le lien des deux lettres est donc très naturel. La figure du principe unitrine semble donc être la figure adéquate en cet IN. Je considère ensuite comment le I, c’est-à-dire le principe, vient en premier. À partir de là, je considère le N en qui le I se manifeste en premier. En effet, le N est la désignation, le nom ou la relation de la puissance de ce I pris comme principe […] IN semble donc être un miroir qui convient au lumineux reflet de la théologie divine, puisqu’ «  il est en toutes choses  » et «  rien en rien  » (Ibid., p. 85-89). 26   Cardinalis  : «  Principium igitur suam vim omnipotentem in nullo quod esse potest evacuat  » (ibid., p. 58). 27   Ibid., p. 98.



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aucun risque d’entropie  : le Saint-Esprit étant, du point de vue théologique, pure positivité au même titre que les deux autres figures trinitaires. Je reviens en guise de conclusion sur le rapport entre philosophie et théologie. Dans un premier temps, il peut sembler que la philosophie est ici, comme dans maints autres textes de la scolastique, la servante de la théologie, qu’elle se soumet au modèle théologique, en l’occurrence celui de la Trinité, pour rendre raison de la création du monde, la création ad extra étant assimilée à la création ad intra  ; mais, en réalité, c’est bien plutôt l’inverse qui se passe  : le possest, la virtualité ontologise la procession trinitaire, de sorte que la toute-puissance prend chez Nicolas de Cues une tout autre forme que dans la théologie traditionnelle. En effet, l’utilisation du modèle trinitaire fait que la création n’est plus pensée ex nihilo comme dans la Genèse, mais ex se, à partir de l’être même et de sa virtualité. Dieu ne crée pas ex nihilo, dit Cues, à la fin de son dialogue, «  mais il crée à partir de nul autre que de lui-même  », précisément au nom de sa virtualité, de son possest, «  puisque, ajoute Cues, Dieu est tout ce qu’il peut être  »28. La puissance ontologique est moins l’instrument de la création comme dans la tradition extranéiste du créationnisme que son fond et sa provenance intrinsèques  : le monde n’est plus fait de matière et de forme, seraient-elles tirées du néant par la toute-puissance de Dieu, un néant qui n’a rien de mystique mais qui ne signifie rien d’autre ici que la création s’opère ad extra  ; mais il est fait de puissance, à savoir de la toute-puissance de Dieu. La Trinité devient alors une machine ontologique, et plus précisément une machine convertisseuse, c’est-à-dire qui convertit la puissance en être et l’être en puissance, ou plus exactement qui convertit la puissance en puissant, la toute-puissance du Père dans le Christ tout-puissant, S’il est vrai que la théologie est, aini que nous l’avons dit, personnification de l’Instance, l’on comprend que la Théologie de Cues soit, comme on le note traditionnellement, une christologie, puisque le Christ est le toutpuissant de la toute-puissance paternelle, «  le tout-puissant issu du pouvoir absolu ou toute-puissance  » dit Cues29  : bref, Jésus-Christ est le fils ou l’incarnation du surêtre. L’imitation du Christ, ou mieux encore, pour reprendre un terme traduit du pseudo-Denys que Cues aime à employer, la christiformité, ne signifie rien d’autre alors que la possibilité pour l’homme de participer à la dispensation trinitaire de la toute-puissance de la virtualité sans contraction ni diminution. 28   Cardinalis  : «  Ideo de nullo alio creat, sed ex se, cum sit omne quod esse potest.  » (ibid., p. 106). 29   Cardinalis  : «  Omnipotens sit de absoluto posse […] A quibus procedat omnipotentia et omnipotentis nexus  » (ibid., p. 80-81).

LA FUNZIONE DEL NEOPLATONISMO NEL DE HARMONIA MUNDI DI FRANCESCO ZORZI Claudio Moreschini

(Institutum Patristicum Augustinianum)

Il De harmonia mundi totius di Francesco Zorzi vuole dimostrare l’esistenza di un’intima connessione tra l’architettura universale del cosmo, che è la conseguenza dell’emanazione dall’Uno divino, e l’inesauribile pluralità delle cose esistenti, le quali riflettono nella loro struttura l’ordine assoluto, geometrico-matematico e musicale del loro creatore. L’opera ebbe una ampia diffusione soprattutto in Francia, ove fu tradotto da Guy Lefèvre de la Boderie, il quale vi trovò un modello per la sua concezione del rapporto tra il macrocosmo e l’uomo, microcosmo che permette al macrocosmo di ricongiungersi con Dio1. Il De harmonia mundi Il De harmonia mundi è suddiviso in tre cantica, perché intende imitare il modello rappresentato dalla Commedia di Dante, ma soprattutto la realtà nelle sue tre dimensioni: terrestre, celeste e angelica2. Ciascun cantico si divide in otto toni, corrispondenti alle note della scala musicale, sulla quale si esprime ogni armonia. Sulla base di quanto dice il proemio al terzo Cantico (ca. 335r), il primo cantico intende sottolineare la concordia del macrocosmo con il microcosmo e di entrambi con l’Archetipo che è posto nell’Intelletto divino, il secondo la corrispondenza di tutte le membra del mondo con il capo, che è Cristo, mentre il terzo intende mostrare la concordia del microcosmo, per il bene del quale sono 1  Cf. L‘Harmonie du Monde, divisée en trois Cantiques … traduict et illustrée … par Guy Lefèvre de la Boderie … Plus L’Heptaple de Jean Picus comte de la Mirande, translaté par Nicolas Lefèvre de la Boderie, à Paris … 1579. Le opere di Lefèvre de la Boderie meriterebbero molta attenzione, anche per i suoi rapporti con Zorzi e i suoi interessi religiosi e cabalistici. 2   Le notizie seguenti sintetizzano le informazioni che sul De harmonia mundi ci dà il suo ultimo editore (F. Zorzi, L’armonia del mondo. Saggio introduttivo, traduzione, note e apparati di S. Campanini, Milano, Bompiani, 2010). A Campanini risalgono anche le traduzioni dei passi di Zorzi, che qui citiamo.

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state fatte tutte le cose, con il fine, il progresso e lo stato finale che spettano al microcosmo (l’uomo), cioè la realtà escatologica. Tale realtà è descritta dettagliatamente nel terzo cantico, e lo scrittore interpreta minuziosamente tutte le metafore e le allegorie bibliche che permettono di congetturarne il paesaggio, la struttura e l’eterna immutabilità. Sulla base di questo assunto, Zorzi raccoglie con un’indefessa, totalizzante ricerca tutte le testimonianze che tornano utili: esse sono eterogenee, ma Zorzi le costringe a convergere intorno a Dio, identificato con l’uno neoplatonico e con il mondo sefirotico della tradizione cabalistica. A causa di questa insolita caratterizzazione dell’opera, la critica più recente si è dedicata soprattutto a illustrare l’utilizzo, da parte di Zorzi, della Cabala, ebraica e cristiana3, e della musica4. Noi non escludiamo, certamente, questa novità del De harmonia mundi, ma, conformemente al tema del presente volume, riteniamo opportuno vedere come il neoplatonismo – che ai tempi di Zorzi era stato da poco ‘riscoperto’ grazie soprattutto a Ficino – sia utilizzato per questa interpretazione dell’universo, concentrato intorno a Dio, che è diffuso e presente ovunque. Conformemente a questa concezione musicale, ogni libro del de harmonia mundi è un cantico, diviso in toni. Tertium Canticum Dopo avere esaminato altrove la presenza del neoplatonismo nelle opere di Zorzi5, ci proponiamo ora di approfondire ulteriormente il problema, riesaminando il Tertium et novissimum Canticum6, in cui la presenza dei testi neoplatonici, greci e latini, apparirà in piena luce. Il proemio fa presente al lettore che il primo cantico (prius et antiquum, cioè scritto precedentemente) riguardava la concordia del macrocosmo con il microcosmo e di entrambi con l’archetipo (che, nel linguaggio platonizzante di Zorzi, è il Logos sul cui esempio sono stati creati sia il mondo sia l’uomo, e che è chiamato anche opifex, creatore o demiurgo), il secondo, a sua volta, la corrispondenza tra tutte le membra dell’universo e il loro capo, che è Cristo. Il terzo cantico, infine, farà risuonare l’armonia che esiste nel microcosmo, cioè nell’uomo, in vista del quale 3  Infiniti sono i contributi di F. Secret alla conoscenza della Cabala. Citiamo solamente, exempli causa: «  l’hermétisme à Venise de Giorgio à Patrizzi  ». 4   Cf. P.  Magnard, «  L’harmonie universelle  ». 5   Cf. C. Moreschini, Rinascimento cristiano, p. 71-94 e 268-273. 6   Esso fu scritto nel 1523, come attesta lo stesso Zorzi in iii 7,6, c. 406r.



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tutte le cose sono state fatte, conducendo l’uomo al fine che gli spetta, e alla tranquillità finale (status). Tonus primus Il primo tonus del terzo cantico è dedicato a esaminare la molteplice concordia che si trova nel corpo umano (De animae et corporis atque virtutum concordia multiplici), un tema che era già stato posto in evidenza da Vitruvio, la cui opera era diventata fondamentale nel Rinascimento. «Lo stesso creatore sommo fabbricò tutta la macchina del mondo perché fosse simmetrica e symbolica al corpo umano». Questo sommo creatore è, secondo il platonismo, il Logos – Figlio di Dio. Questa creazione dell’universo è spiegata, nel De harmonia mundi, sulla base dell’affermazione di Giovanni (1,3): «Quod factum est in ipso, videlicet Verbo, vita erat». Tutte le cose, infatti, erano contenute nel Verbo di Dio, che è la vera vita (come anche lo stesso Giovanni aveva affermato in un altro passo famoso (14,6), dicendo: ‘Io sono la vita’), prima di essere manifestate nelle proprie forme mediante la creazione (De harmonia mundi ii 1,4): è famosissima la sentenza di Giovanni, sottolinea Zorzi, che «tutte le cose, prima che fossero fatte, erano vita nel Verbo» (c. 189v). Così in III, 2, 1 (c. 350r) Zorzi, ripetendo quanto aveva detto precedentemente, spiega: «certamente vita creatrice e divina, perché in Dio non può essere niente, che non sia divino (vita utique creatrix, et divina, quia nihil potest esse in Deo, nisi divinum)7». Per questo motivo il mondo creato, già presente nel Logos, è chiamato macrocosmo, mentre l’uomo, creato anch’esso dal volere di Dio, è chiamato microcosmo. Questa corrispondenza tra microcosmo e macrocosmo fu messa in evidenza da Zorzi precedentemente, quando egli dimostrò che tutti gli elementi e le cose composte da elementi (elementata), i cieli, gli angeli e lo stesso Dio sono racchiusi nell’uomo. Infatti non c’è nell’uomo nessun membro che non corrisponda a una stella o a un pianeta o a una misura che si trovi nell’Archetipo, come hanno mostrato gli antichi teologi (iii,1,1 ca. 336r): Tutte, non dirò le parti del corpo, ma le porzioni dell’uomo intero, tendono a sussistere in una sola anima, che tutte vivifica (cioè l’anima cosmica, identificata con lo Spirito Santo per lunga tradizione che risaliva al 7  Il testo di Campanini, invece, subisce l’influsso della vulgata, che normalmente legge: “Omnia per ipsum facta sunt, et sine ipso nihil factum est quod factum est. In ipso vita erat etc.”, per cui la traduzione italiana non corrisponde al testo latino, in quanto è influenzata, appunto, dalla Vulgata.

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­ edioevo), come le corde degli strumenti o diverse melodie coincidono in M una sola armonia.

Questa armoniosa corrispondenza musicale (consonantia) tra il corpo e l’anima fu l’oggetto precipuo delle ricerche dei Pitagorici (cap. 2), ed è confermata da Proclo (Comm. Tim. ii 283). Infatti, come affermano i Platonici, le anime tornano ai luoghi corrispondenti ad esse, che sono i luoghi dai quali esse discesero, come hanno spiegato gli Academici insieme al loro Platone: in realtà, esse tornano ai cori angelici in conformità ai quali esse vissero (cap. 2, ca. 337r)8 (una dottrina neoplatonica certamente non ortodossa, una di quelle che suscitarono la condanna per eresia, di cui abbiamo detto sopra). Nel settimo capitolo si spiega che l’equilibrio, il temperamento e l’armonia nell’uomo hanno attinenza con l’armonia cosmica, che è l’argomento principale del testo di Zorzi. Ne consegue che sia di grande importanza per ottenere questa armonia la vera conoscenza di se stessi. In questa ricerca è notissimo l’oracolo di Delfi «conosci te stesso», che tuttavia non deve essere lodato per questa sentenza, perché prima di lui la stessa cosa era stata insegnata da coloro che erano stati animati dallo Spirito di Dio, come Giobbe e Davide (è la concezione che è alla base della pia philosophia, che gli insegnamenti della filosofia profana erano stati preannunciati da quelli della Scrittura). Anche prima dell’oracolo di Delfi Mercurio Trismegisto aveva insegnato nel Poimandres (CH i 18) l’obbligo morale di conoscere se stessi, che fu confermato anche da Macrobio (comm. somn. i 9,1) (si può osservare qui l’unione di testi ermetici e testi neoplatonici9). Per questo motivo noi pensiamo che quell’oracolo sia disceso dal cielo piuttosto che da un demone (Zorzi allude al demone che abitava nel tempio di Apollo a Delfi per dare i suoi responsi, secondo la dottrina degli apologeti cristiani): lo attesta anche Giovenale, che dice «discese dal cielo il ‘conosci te stesso’ (e coelo descendit gnothi seautòn)» (Iuven. 11,27) (Cap. 7, ca. 341r)10. Nel capitolo ottavo si spiega che l’uomo non riceve il suo nutrimento solamente dagli angeli e dalle Intelligenze, ma da ogni membro del corpo del mondo (ca. 342v), e per mezzo di una strada breve possiamo ottenere l’aiuto degli angeli (cap. 9). L’anima dell’uomo è divisa nelle tre parti   Cf. Dante, Paradiso iv 22-24 (si ricordi che Zorzi era stato studioso di Dante).   Accanto agli elementi di dottrine ermetiche si trovano anche elementi caldaici, tutti derivati, molto probabilmente, da Ficino. Cf. poco oltre, cap. 9, ca. 343v, ove Zorzi cita il fr. 103 des Places. 10   Comprendiamo da queste citazioni quanto sia arbitraria, spesso, l’esegesi di Zorzi, tutta indirizzata alla spiegazione dell’assunto fondamentale dell’armonia cosmica. 8 9



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della tradizione platonica (concupiscibile, irascibile e intellettiva). La parte intellettiva conosce Dio ed è nutrita dal cielo. Infatti «l’uomo, che rappresenta il microcosmo, può trarre giovamento da tutte le membra del macrocosmo, al quale corrisponde perfettamente» (cap. 10), per cui Zorzi si dilunga a spiegare la funzione dei cinque sensi. Tutte queste cose furono proposte da Mercurio alla considerazione del figlio Tat (CH xii 20) (ca. 345v). Il capitolo 13 è molto importante, perché intende spiegare che il ritorno dell’uomo a Dio avviene attraverso le virtù purificatrici, che rendono l’anima ‘consonante’ con le virtù stesse. In che modo le virtù rendano armonica l’anima, è spiegato da Plotino, «che merita il titolo di ‘primo’ tra i filosofi in questa dottrina» (huius doctrinae inter philosophos merito princeps; poco più oltre: «il nostro Plotino», ca. 348r): nell’uomo hanno luogo due movimenti che turbano l’anima. Gli uni sono gli impulsi irrazionali di natura animale, gli altri sono quelli che sorgono quando noi assecondiamo gli impulsi irrazionali. Le virtù civili, però, temperano i movimenti del secondo genere impiegando la prudenza e la riflessione, in modo tale da non ammettere quello che la ragione considera un male. Introducendo questo equilibrio, la ragione e la prudenza rendono armonica l’anima. Dopo la prudenza vengono le virtù purificatorie o catartiche (purgatoriae11), le quali non si limitano a frenare i movimenti del secondo genere, ma li estirpano del tutto e reprimono quelli del primo genere, in modo che la ragione abbia forza sufficiente per tenerli a freno. Le virtù catartiche, dopo aver liberato l’anima dai turbamenti, la rendono armonica e le permettono, successivamente di diventare eroica. Ma «il nostro Plotino» prosegue dicendo (Enn. i 2,6) che la meta e il desiderio dell’uomo eroico non sono soltanto la liberazione dal peccato, ma anche quella di essere Dio e tornare al luogo da cui proviene, come Colui che disse: «Io sono uscito dal Padre e sono venuto nel mondo, e, viceversa, lascio il mondo e vado dal Padre» (Ioh., 16,28). Continua il ragionamento sulle virtù: Plotino conduce l’uomo alle virtù esemplari, alcune delle quali sono nell’intelletto, altre nell’anima (ca. 348v). Nell’intelletto le virtù sono quasi in Deo, mentre nell’anima hanno il loro posto «le virtù che rendono perfetti» (virtutes perficientes), cioè le virtù cardinali, la cui funzione è quella di far progredire moralmente (perficientes) l’uomo. La differenza che esiste tra le virtù, a seconda che si trovino nell’animo o nell’intelletto, si applica anche alle virtù teologali, come è spiegato alla fine del capitolo: nell’intelletto la 11   Il termine riprende la traduzione di Macrobio, che discute la stessa dottrina di Plotino (Comm. in Somnium Scipionis i, 9).

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carità è un amore che tutto abbraccia, cioè non è limitato ad una singola cosa, mentre nell’anima è un «dono distribuito alle varie parti»; la fede, quando è nell’intelletto, è la certissima conoscenza delle cose divine, e di tutte le cose, mentre quando è nell’anima è una virtù che istruisce, e da essa proviene «un saldo argomento intorno alle verità non evidenti»12 (solidum argumentum verorum non apparentium) cioè quella verità escatologica che l’anima possiede grazie alla speranza, l’intelletto la possiede con una solida comprensione. Ma anche l’anima tende verso quello che è toccato dall’intelletto. Il pensiero di Plotino a questo proposito («l’intelletto, infatti, possiede per una sorta di contatto ciò che l’anima spera e desidera»: Enn. i 2,6) è confermato da alcuni testi scritturistici (1 Ioh., 1,1-2 e 1 Cor. 6,17). Le virtù catartiche sono ricordate anche più oltre (ca. 374v). Secondo Plotino, per mezzo di esse noi dobbiamo trasformarci in una bella statua: «ciascuno diventi bello e simile a Dio, se si accinge a contemplare la bellezza divina. È opportuno, infatti, che colui che vede diventi simile a quello che vede» (Enn. i 6,9). Plotino prosegue descrivendo questa trasformazione, che Cristo ha condensato nella sola frase: «Beati i puri di cuore, perché vedranno Dio» (Mt. 5,8). Tali virtù sono ricordate più avanti, anche nell’ampia citazione di Enn. i 2,5 (iii 6,12, ca. 396r), che si conclude, come di solito, con il confronto con quei passi scritturistici (2 Cor. 12,10), i quali sottolineano come l’uomo, se si è liberato da ogni catena, è pronto a rallegrarsi di qualunque avversità, perché essa può colpire solo la carne dell’uomo purificato. Segue la descrizione dell’uomo purificato (ca. 396v), anch’essa illustrata con il continuo ricorso alle Beatitudini evangeliche. Torniamo al cap. 12 del primo tono. Le virtù, da un lato, sono concordi con se stesse, altrimenti non sarebbero virtù, ma vizi (ca. 347r) (un’eco di Platone, Resp. 612bd), dall’altro devono possedere una disparità, in modo che l’armonia sia ottenuta mediante il concento delle diversità tra le virtù, e questo fu asserito anche dal neoplatonico Ierocle, nel suo commento al Carmen aureum di Pitagora (14,16 e 1,18). Tonus secundus Il secondo tono è dedicato all’anima: il primo capitolo affronta i vari argomenti in modo più discorsivo. Dopo aver discusso la consonanza 12   Vale a dire, la fede è “sostanza di cose sperate ed argomento delle non parventi” (Dante, Paradiso 24,64, sulla base di Ebr. 11,1).



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dell’anima con il corpo, del quale l’anima è forma, e con le virtù, delle quali l’anima è la realtà sottostante (subiectum), ora bisogna indagare quale accordo essa possegga con le cose che comprende. Ma per fare questo la prima cosa che si impone è vedere che cosa sia l’anima, dato che essa possiede un rapporto con tutte le cose di cui ha la conoscenza. Per questo scopo Zorzi adduce una serie di testimonianze pagane relative alla natura e alle funzioni dell’anima. Zorzi passa senza farlo notare dall’anima individuale all’anima cosmica, la quale rimane molto distante (deficit) dal primo e supremo intelletto, perché questo comprende tutte le cose contemporaneamente, mentre l’anima ha bisogno di molti atti successivi per comprendere: l’intelletto, infatti è insieme uno e molteplice, mentre l’anima è solamente molteplice, come aveva affermato Plotino (comunque, non nominato: c. 350v). Zorzi sente forse l’influsso di Boezio, il quale nella consolatio (v 6,40-43) distingue tra la comprensione totale e immediata di Dio, che è al vertice degli esseri, dalla conoscenza frammentata e successiva degli esseri inferiori. Per questo motivo Zorzi si domanda perché nella distribuzione originaria delle anime Dio, che pure è giudice giustissimo, abbia usato questa apparente disuguaglianza (cap. 2-3). Tale problema è alla base delle eresie di Marcione, Valentius (cioè Valentino) e Basilide (che Zorzi quasi certamente conosceva attraverso gli eresiologhi antichi, come Ireneo, o Eusebio di Cesarea), i quali sostengono che il dio demiurgo aveva creato le anime secondo criteri di differenza, attribuendo ad alcune di esse la natura superiore, ‘gnostica’, ad altre quella inferiore e materiale. Ma porsi questa domanda equivale a chiedere perché Dio non abbia creato angeli tutti gli esseri animati o sole tutti i pianeti. Non può esistere, infatti, l’armonia (ed in questo caso, l’armonia universale), se i suoni sono tutti uguali: la consonanza e l’armonia provengono dalla differenza dei toni, così come la bellezza di tutto il genere umano consiste nella varietà degli individui13. Tutto il capitolo terzo insiste sulla necessità dell’esistenza di anime varie di natura, secondo l’autorità di Platone, di Giamblico (vit. Pyth. 30,179) e di Proclo (Comm. Tim. ii pp. 227 e 199-200). Di conseguenza, non si può considerare il creatore come «uno che faccia delle preferenze» (acceptator personarum: cf. Rom. 2,11), a causa di questa diversità che esiste tra le anime (cap. 4, ca. 352v). 13   Zorzi inserisce un altro riferimento a Origene (Princ. ii, 9,6), il quale si era dedicato proprio a confutare gli gnostici su questo punto, ricorrendo alla sua dottrina della caduta delle anime razionali in terra.

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Con il capitolo 5 Zorzi affronta un problema che già era stato trattato nel cristianesimo antico, e cioè per quale motivo, allora, nella Scrittura è detto apertamente che Dio fa delle scelte prima ancora del comportamento degli uomini: ad esempio, Dio preferì Giacobbe ad Esaù quando entrambi si trovavano ancora nel ventre della madre (Gen. 25,23). Un esempio illuminante di questa scelta è rappresentato dalla affermazione che Dio avrebbe indurito il cuore del Faraone perché si rifiutasse di cedere alla richiesta di Mosè, di lasciare che gli Ebrei abbandonassero l’Egitto: questo problema risale alla trattazione di Origene (uno scrittore ben noto a Zorzi). Zorzi risponde che Dio non preferì l’uno all’altro in vista della condanna, respingendo totalmente Esaù, ma che lo sottomise al fratello ‘momentaneamente’, per un tempo determinato (ad tempus). E del resto la frase della Scrittura non riguarda la persona di Esau, ma deve essere intesa in modo simbolico, nel senso che in Esau deve essere visto il popolo ebraico; d’altra parte, questa sottomissione non sarebbe durata in eterno (ca. 353v – 354r). Il discorso si allarga in seguito a delle considerazioni che sono suggerite dalla situazione dei tempi di Zorzi (ca. 354r): perché dei pagani vissero prima di Cristo, rimanendo privi, quindi, del dono della sua predicazione? O perché agli abitanti delle isole Canarie o agli Indiani, recentemente scoperti, non è giunto il nome di Dio? La soluzione di questo problema è che quelli che vissero prima di Cristo non erano legati alla legge di Mosè, e che agli abitanti dei paesi fino ad allora sconosciuti bastava la legge di natura, «poiché essi erano la Legge per se stessi, mostrando l’opera della Legge scritta nei loro cuori, in quanto la loro coscienza rendeva loro testimonianza (cum essent sibi ipsis lex, ostendentes opus legis scriptum in cordibus suis, testimonium reddente illis conscientia ipsorum)». Allo stesso modo si comportano anche i principi di questo mondo, i quali non ammettono tutti alla loro corte, ma comunque premiano i leali e puniscono gli infidi (ca. 354v). Tonus tertius Dopo avere esaminato nei precedenti toni la corrispondenza dell’uomo con se stesso, e dell’anima con i sensi, si passa ora ad esaminare la convenientia dell’uomo con gli angeli, le intelligenze angeliche e i cieli (cap. 1). Gli uomini e gli angeli si accordano nella loro struttura naturale, perché sono entrambi razionali, capaci di intelligenza e tendono al medesimo fine e sono servi del medesimo Signore. Gli uomini sono anche aiutati nel loro cammino dagli angeli. Stabilita questa corrispondenza tra l’uomo e l’angelo, si



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passa ad indagare se l’uomo sia più alto degli angeli, o il contrario, dando una risposta affermativa; se l’uomo si sarà staccato dai legami corporei, non solo raggiungerà l’intelletto angelico, ma, trascendendolo, si unirà a quello divino, e quindi sarà più felice dell’angelo (cap. 2, ca. 364v), anche se la Scrittura racconta casi nei quali gli angeli – evidentemente, gli angeli malvagi - provarono invidia per gli uomini (cap. 3). Rientra in questa corrispondenza tra gli uomini e gli angeli anche il problema se gli angeli concordino con gli uomini nel numero, cioè se siano più o meno numerosi degli uomini; di certo, sono più numerosi delle sfere celesti, che sono mosse da loro (ca. 366r), e si muovono per essere ministri di Dio. Il gran numero degli angeli è attestato dalla Scrittura (Dan. 7,10) ed è confermato anche da testimonianze neoplatoniche, come quella di Ierocle (comm. in carmen aureum 1,1) e di Giamblico (myst. ii 7) (ca. 366r) (cap. 4). Con il cap. 6 si passa ad un altro argomento, quello dell’influsso degli angeli (cioè dei cieli, che sono mossi dagli angeli) sull’uomo, affinché l’uomo diventi migliore. Gli uomini ricevono innanzitutto la luce, non solo quella di Dio, che dona le forze all’anima, ma anche quella del sole, che dona le forze al corpo. Gli uomini ricevono di conseguenza una varietà di caratteri e sono grandemente influenzati dal concento dei cieli, che riversano degli influssi che rendono l’uomo corrispondente ai cieli e quindi armonico con loro. Questo fu spiegato da Pitagora, Platone, Cicerone e dal neoplatonico Macrobio (comm. somn. 6,5) (ca. 367rv). Il tema del suono prodotto dalle sfere celesti è essenziale per il tema dell’armonia cosmica, che è il tema dell’opera di Zorzi: noi riceviamo, quindi, una forza grandissima dal concento dei cieli (ca. 367v). A questo suono sarebbero preposte delle Sirene, come dice Platone (Resp. 617b): In alto, su ciascuno dei suoi cerchi [del fuso della Necessità], si muoveva una Sirena, anch’essa trascinata dal moto circolare. Ciascuna emetteva una sola voce, di un solo tono, cosicché da tutti otto quant’erano risultava un’unica armonia14.

Ora queste Sirene, come spiega la Scrittura (Apc 21,12) sono i dodici angeli che presiedono alle porte della Gerusalemme celeste (cap. 7). Queste porte si trovano, come spiega Porfirio (de antro nymph. 2,2, forse mediato, come suppone Campanini (ad locum), da Macrobio, comm. somn. i 12,1)15, nella costellazione del Cancro, attraverso le quali le 14   Zorzi aggiunge che le Sirene sono chiamate cantus, perché grazie ad esse i cieli sono resi armoniosi. Questo non è detto da Platone, e forse Zorzi è caduto in un equivoco. 15  Porfirio è chiamato ‘accademico’, così come Plotino (Plotino è semplicemente un ‘accademico’ (cf. i, 4,12, c. 69v; cf. i, 6,17, c. 111r: Plato, Plotinus, ceterique academici etc.).

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anime scendono in terra, e in quella del Capricorno, attraverso le quali risalgono al cielo. Su queste costellazioni dello zodiaco influiscono innumerevoli angeli con una melodia sublime e incessante. L’apostolo Giovanni (Apc. 4,5) ricorda i sette spiriti che stanno davanti al trono di Dio, che possono essere identificati con i sette governatori (’arconti’) dei cieli, dei quali, parla Mercurio (CH i 7 e 16-17) (cap. 7, ca. 367v). Tonus quartus Il quarto tono è dedicato alla «corrispondenza tra tutte le cose e l’uomo bene armonizzato (bene cordato), affinché possa operare in tutte e su tutte esercitare il potere». La qualifica dell’uomo bene cordato non deve essere intesa alla maniera del latino classico, ‘intelligente, prudente’, ma alla lettera, cioè ‘bene accordato’, e quindi ‘armonioso’. L’uomo, come già aveva detto Mercurio (CH i 11-12), è immagine di Dio insieme al mondo, per cui Zorzi cerca di individuare le corrispondenze tra l’uomo e il mondo, perché entrambi sono cordati. Tali corrispondenze esistono prima all’interno del mondo, in cui vi sono molte cose che posseggono una virtù occulta, come il magnete che attira il ferro (cap. 1). Ora, le cose che corrispondono tra di loro, l’una con l’altra, a molto maggior ragione si uniscono nell’uomo, che è «il vincolo perfettissimo di tutte le cose tra di loro», in quanto nell’uomo si unisce la realtà materiale con quella razionale e più di tutte le altre cose è sorretto da Dio. L’uomo infatti possiede la somiglianza e il symbolum di tutte le cose, e quindi può operare in tutte. Infatti, se l’uomo armoniosamente domina su se stesso, in lui è presente Dio, come spiegano Paolo (che afferma che l’uomo è il tempio di Dio: cf. 1 Cor. 6,19) e le Scritture, d’accordo con la filosofia pagana: Platone (Ion. 534ae; Parm. 134d), Mercurio nel Poimandres (i 6; i 14; i 22) e Sesto pitagorico (Enchir. 32). Un altro esempio di questa concordia tra l’uomo cordatus e il mondo è dato dalla sua capacità profetica: essa è asserita da Cicerone (divin. i 113) e da Mercurio, che sottolinea come l’uomo debba staccarsi da tutte le realtà terrene per concentrarsi solamente su Dio (CH iv 5-6) (cap. 2, ca. 371v). Nei capp. 3-4 Zorzi elenca numerosi esempi scritturistici ed esempi pagani di vera divinazione: in essa rientra anche il furor poeticus, di cui parla Platone nel Fedro (244d), un passo particolarmente studiato nel Rinascimento e da Ficino (ca. 373v). La vaticinazione e la profezia richiedono un’uscita da sé, cioè l’esperienza estatica. Essa fu provata da Plotino, come scrive Porfirio (cf. vita Plot. 23) (ca. 374r), il quale asserisce di avere assistito quattro volte alle straordinarie trasformazioni prodotte in Plotino dalla presenza del dio,



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mentre lui, Porfirio, all’età di 68 anni, quando scrisse la vita del maestro, avrebbe esperimentato l’estasi una volta sola (vita Plot. 13 e 23). Questa trattazione sulla divinazione non è una pura divagazione, ma un esempio, comunque, della armonia tra l’uomo e le cose, quando gli uomini sono bene compositi. Questi uomini così armoniosi traggono a sé tutte le cose. Ma anche Cristo disse: «quando sarò sollevato dalla terra – evidentemente, sulla croce – trarrò tutte le cose verso me stesso». Colui che si sarà fatto simile a Cristo e si sarà unito a lui potrà fare altrettanto (cap. 6, ca. 376v-377r). Ma d’altra parte, è stato attestato dalla Scrittura che l’uomo è superiore a tutte le cose create da Dio: è il tema, così caro al Rinascimento, della dignitas hominis, ribadita anche da Ovidio (met. i 76-78) e da Mercurio (CH i 15): quest’ultimo accenna al fatto che l’uomo perse la dignità originaria in seguito all’aver abbandonato la contemplazione del Padre (cap. 7). Il potere dell’uomo si contrappone a quello dei demoni, che sono ricordati da Zorzi alla fine del precedente cap. 6 (ca. 377r). Da un’altra opera di Porfirio, che è citata con il titolo di De bonis et malis daemonibus ma che in realtà è il De abstinentia, Zorzi riprende un passo (ii 39-40), che descrive dettagliatamente il corpo e i caratteri dei demoni buoni e dei demoni malvagi e lo interpreta secondo la tradizione cristiana. I corpi dei demoni buoni sono proporzionati, quelli dei demoni malvagi sono asimmetrici e dominati dalla passività disordinata degli affetti; questi abitano un luogo vicino alla terra, anzi, all’interno della terra stessa16. I demoni malvagi hanno caratteri perversi e iniqui, i demoni buoni caratteri armoniosi. Più oltre (6,10, ca. 394v) Zorzi esegue un riassunto di de abstinentia ii 34, a proposito del modo di adorare Dio: noi dobbiamo adorare Dio con il silenzio, l’attenzione, con pure e veritiere opinioni su di lui, cercando di divenire simili a lui e congiungerci a lui e di offrire a lui come sacrificio la santità della nostra vita; in tal modo l’uomo espia le proprie colpe. Queste affermazioni sono suggerite dal fatto che esiste una effettiva somiglianza di certe dottrine ascetiche pagane con quelle cristiane, somiglianza che costituisce l’interesse precipuo dello Zorzi. Tonus quintus Può sembrare una divagazione dal tema della consonantia il quinto tono, che è dedicato tutto allo spirito («Sulla consonanza dell’anima con 16   Cioè, nell’inferno: un dettaglio che deriva dalla Commedia di Dante, alla cui spiegazione Zorzi aveva dedicato un trattato?

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il proprio spirito e tutti gli altri spiriti»). Ma lo spirito è una realtà essenziale per l’antropologia e la teologia cristiana, per cui è in quest’ottica che deve essere letto il quinto tonus: vale a dire, nella corrispondenza che si può istituire tra lo spirito umano e lo spirito di Dio, sempre nel contesto di un’armonia tra l’uomo e Dio. Bisogna inoltre tenere presente che il problema dello spirito aveva una forte presenza nella filosofia dell’epoca, da Marsilio Ficino ad Agrippa di Nettesheim e a tutto il xvi secolo, dati i vari significati che il termine ha nella stessa Scrittura. Volendo definire che cosa sia lo spirito, Zorzi sostiene che esso è qualcosa di corporeo, anche se la sua corporeità non è tangibile né visibile, per cui, pur essendo distinto dall’anima, ha a che fare in qualche modo con essa (cap. 1, ca. 384r). Inoltre è intermedio tra l’anima umana e Dio, prendendo dall’una e dall’altro (ibid.). Lo spirito di Dio, infatti, è assolutamente immateriale, ma è pur sempre qualcosa che consuma ed infiamma, e quindi i suoi effetti sono materiali (cap. 2, ca. 384r). Anche Plotino asserisce la presenza di tre tipi di spirito nell’uomo (Enn. iv 6,3; iv 8,4): quello supremo, che è divino ed è quello che i Cristiani chiamato ‘parte superiore’ dell’uomo, quello infimo, che Paolo chiama animalis, e quello medio, che è l’anima razionale secondo Plotino, e connette lo spirito superiore all’inferiore (cap. 3, ca. 385r). In tal modo lo spirito mediano prende dalla natura dei due, per cui lo Spirito di Dio da una parte è Dio, dall’altra unisce l’uomo a Dio (cap. 4). Esso, in un certo senso, assomiglia al vehiculum aethereum dell’anima, di cui parlano i Platonici (un argomento che Zorzi desume da Ficino17) (cap. 4, ca. 385v). Del resto, anche l’uomo è intermedio tra Dio e il mondo: secondo la testimonianza di Ermete (Ascl. 818) «l’uomo è formato da tutte le potenzialità, e quindi ha rapporti con tutte le cose: in seguito all’intelletto con quelle superne e buone, in seguito alla materia con quelle inferiori e malvagie (ex omnibus potestatibus constans, cum omnibus habet commercium: ex intellectu cum supernis et bonis, ex materia cum inferis et malis)» (cap. 6, ca. 386r). Con i due toni successivi Zorzi si dedica a problemi tipicamente cristiani e non neoplatonici. Come l’uomo a causa del peccato discorda da Dio, così torna a lui e diviene equilibrato (temperatur) grazie alla penitenza (tono 6, cap. 8) e diviene più perfetto grazie ai sacramenti (cap. 9), purificato dai sacrifici (cap. 10). L’uomo, proseguendo il suo cammino   Cf. C. Moreschini, Rinascimento cristiano, p. 300-313.  Penserei ad una ripresa di questo passo famoso dell’Asclepius, piuttosto che di CH  i, 15, come come suggerisce Campanini. 17 18



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di perfezione, purificato dalle elemosine (cap. 11), emette un suono armonico per mezzo delle virtù, che, come si è visto sopra, producono un’armonia (cap. 12). Tali virtù sono ricordate anche nell’ampia citazione di Enn. i 2,5 (ca. 396r), che si conclude, come di solito, con il confronto con i passi scritturistici (soprattutto di Paolo), che sottolineano come l’uomo, divenuto virtuoso, è liberato da ogni catena, e pronto a rallegrarsi di qualunque avversità, che può far male solo al corpo. Nel tono 7, cap. 1, Zorzi si domanda se sia possibile la resurrezione. Con la morte noi deponiamo la materia dissonante e scomposta (horrida) e, grazie alla «potenza ignea del sommo Maestro delle Muse (Archimusaei)19», risorgiamo (ca. 401r). Infatti tutta la vita del sapiente è una meditazione della morte20, non di quella del corpo e della dissoluzione della nostra tenda, ma della morte dei santi, che è preziosa al cospetto di Dio (cap. 1). E’ un problema puramente cristiano e ha scarsa attinenza con il neoplatonismo anche il domandarsi se prima della resurrezione finale è mai avvenuta un’altra resurrezione. Essa non può essere dimostrata; è stata dimostrata solamente la resurrezione di Cristo. Anche la dottrina di Maometto parla della resurrezione, ma questo è dovuto al fatto che tutta la verità che egli professa fu nascostamente presa dalla dottrina di Mosè o del Vangelo (ca. 402v)21 (cap. 2). Tonus octavus Conclude l’opera l’ottavo tono, dedicato a indagare «Le sinfonie soavissime e la pausa eterna nel raggiungimento della beatitudine» (De suavissimis concentibus et pausa illa aeterna in adepta beatitudine). L’argomento è chiaramente escatologico (la beatitudine eterna), ed il tonus è preceduto da una prefazione, nella quale Zorzi afferma che questo tonus è l’ultimo canto del terzo cantico, e vuole essere il canto più bello, così come fanno i musicisti, che riservano all’ultimo la loro musica più bella. Di conseguenza il tono non è più diviso in capitoli, come gli altri toni, ma in venti moduli22, una parola che accentua il significato musicale della trattazione. Ciascun modulus contiene un argomento specifico che si ­riferisce 19  Il termine indica Cristo, e, nella sua efficace significazione, ritorna anche in iii, 8,1,1, ca. 416v etc. 20   Come aveva asserito la famosa sentenza di Platone (Phaed. 65 ss). 21   Secondo lo stesso principio (sostanzialmente esatto), si afferma che anche i Maomettani conoscono l’uso del ripudio, come gli Ebrei (ca. 109v). 22   Tradurrei, quindi, moduli non con ‘moduli’, ma con ‘modulazioni’.

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alla descrizione della Gerusalemme celeste, eseguita da Giovanni, come se fosse un musicista, nell’Apocalisse (21,9-27) (la materia della città, la sua disposizione, le sue misure etc.) (ca. 414r), e che è un armonioso edificio (8,1,3, ca. 417v). Inoltre ciascun modulus è ulteriormente diviso in vari concentus, un altro termine di evidente sapore musicale. All’interno di questo tonus interessante è il sesto modulus, il cui titolo è Lux. Esso si distingue dagli altri in quanto costituisce una sezione ben compaginata e di difficile interpretazione. La luce terrena, infatti, è di forma corporea (ca. 432r) ed è l’immagine di una luce metafisica. Questa luce metafisica non fu creata da Dio, ma esisteva insieme con Dio ab aeterno. Essa è, quindi, generata, come afferma anche la Scrittura, ed è il Figlio, che è splendore della luce del Padre (Hebr. 1,3), e in quanto tale è il Verbo. La Luce generata procede dalla Luce non generata (432v), ed è chiamata dal Trismegisto «Verbo risplendente» (Verbum lucens: CH i 6), da Paolo «splendore e gloria del Padre» (nel passo della Epistola agli Ebrei ora citato), da Platone «sole e primo figlio della luce superna» (sol, primusque lucis supernae filius) (Resp. 516b)23. Anche Dionigi l’Areopagita identifica le tre Persone della Trinità con tre raggi di luce (div. nomin. 2,4). Quella luce, che si trova nella Mente di Dio, è superiore ad ogni intelligenza e si diffonde poi nelle intelligenze angeliche (concentus iv); tutto questo testo (434r) è un’esaltazione della luce divina, ribadita da citazioni del Trismegisto. Lo stesso Cristo ha affermato di essere la luce del mondo (Ioh. 8,12; 9,5). Il Figlio è la luce che illumina l’intelligenza, mentre lo Spirito (pure sul quale si è riversata la luce primigenia del Padre) è lo Spirito che riscalda (concentus v). L’ultima luce è quella dell’uomo, creato ad immagine del Padre, come spiega anche il Trismegisto (CH i 12) (concentus vii). Tutto il concentus vii è una esaltazione della luce metafisica, che scende dal Padre al Figlio (luce generata), dal Figlio allo Spirito (luce che riscalda, in quanto lo Spirito è l’Anima del mondo), ed infine all’uomo. Di questa luce godranno gli uomini dopo la resurrezione. In questo testo sono frequenti le citazioni dei neoplatonici, come Plotino, Proclo, Giamblico. Anche Giamblico è considerato fonte della dottrina della luce (ca. 432r)24: come infatti (secondo l’insegnamento della 23   Questa traduzione, come osserva Campanini in nota, costituisce un’interpretazione del passo platonico ad opera di Ficino. 24   Secondo Campanini, la fonte di Giamblico sarebbe l’imperatore Giuliano, De sole 34, ma lo Zorzi attribuisce questa notizia a Giamblico stesso. Si potrebbe pensare che questa Theologia Phoenicum sia quella sostenuta da Filone di Biblo e da Sanchuniaton, che sono citati da Eusebio, PE vi e vii. Giamblico era già stato citato precedentemente (iii



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teologia dei Fenici, riferito da Giamblico), noi riceviamo tutti i beni corporei dalla luce del sole senza alcun elemento intermedio ovvero per mezzo dei pianeti e delle stelle ai quali quella luce è comunicata, così tutto il bene che i cittadini della Gerusalemme celeste posseggono lo ricevono dal Padre delle luci e da quel Sole che disse: «Io sono la luce del mondo» (Ioh. 8,12; 9,5), ovvero dalle menti superiori (cioè le gerarchie angeliche più elevate) le quali, ricevuto un irraggiamento potentissimo dalla Luce suprema, ne illuminano le menti inferiori (le gerarchie angeliche che muovono i pianeti), come insegna Dionigi25, che ben conosceva quei misteri arcani, perché era ispirato dalla pia philosophia (concentus 2-4). Il regno di Cristo istituirà la pace universale (modulus 16): da Dio vengono la pace, la concordia dell’anima con il corpo; da lui provengono «l’accordatura degli strumenti, ogni azione soave e armoniosa, la serenità, la pace, la soavità ed ogni bene», cioè l’armonia universale (concentus secondo, ca. 460rv). Questa pace universale non è altro che ­l’unione dei Cristiani con Cristo e di Cristo con Dio. Alla unione, quindi, è dedicato il diciassettesimo modulus, che contiene un unico concentus. Tale unione con Dio è garantita dal Vangelo, ma anche da Plotino e dagli altri sapienti. Plotino è testimone di primaria importanza, perché l’unione del cristiano con Dio avviene per mezzo della esperienza estatica (vi 9,11), e Zorzi lo celebra in modo entusiastico: Plotino è «famosissimo apritore della più nascosta dottrina di Platone, anzi della sapienza divina alla quale Platone si abbeverò secondo quanto gli avevano dato da bere i Profeti (ebraici) (reconditissimae doctrinae Platonis, immo sapientiae divinae a Platone imbibitae, pro quanto propinaverant prophetae, eminentissimus reserator)» (ca. 461r); con queste parole Zorzi riprende quanto affermato dagli apologeti e ripetuto da Ficino, che le dottrine dei filosofi greci derivano dalla Scrittura. Come tutte le cose procedettero dall’uno verso i molti, così tutte debbono tornare all’uno, spogliandosi della molteplicità, che consiste nella immaginazione, nel discorso e nella sensazione, attraverso i quali solamente procedeva Aristotele (ca. 461v), oggetto continuo, insieme con i peripatetici, della polemica di Zorzi.

3,4, ca. 366r) a proposito della angelologia. L’angelologia cristiana è confermata dalla dottrina ‘egiziana’ (cioè, ermetica): “Gli Egiziani, dal canto loro, secondo la testimonianza di Giamblico (cf. Myst. ii, 7, come osserva in nota Campanini), concordano con il nostro Dionigi, distinguendo diverse gerarchie angeliche e assegnando a ciascuna moltissimi angeli”. 25   Cf. Dion. Areop., Coel. Hier. 5.

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L’estasi ha luogo allorché colui che gode della visione diviene una cosa sola con l’oggetto che è visto. A questa condizione estatica era arrivato anche Paolo, dicendo: «non sono più io che vivo, ma è Cristo che vive in me» (Gal 2,20); Paolo fu rapito al terzo cielo (2 Cor 12,4) e affermò che chi sta unito a Dio diviene con lui un solo spirito (1 Cor 6,17). L’estasi è prodotta dall’amore, come insegna anche Dionigi l’Areopagita. L’unione dell’anima a Dio è spiegata con una lunga citazione di Plotino (vi 9,11), e con l’aggiunta, da parte dello Zorzi, della precisazione che, quando Plotino parla di un ‘saggio sacerdote’ che introduce alla visione, «quel sacerdote eccellente se non sbaglio fu il nostro Cristo, che aprì le cose involute e offrì l’accesso e l’ingresso ad esse affermando ‘Io sono la porta’ (ni fallor) praecipuus Christus noster fuit, involucra explicans, aditum et ingressum praebuit, dicens: Ego sum ostium) (Ioh. 10,9)» (ca. 462r). L’estasi e l’unione con Dio confermano nel modo più splendido l’affinità che – secondo Zorzi – stringeva il neoplatonismo alla dottrina cristiana. Da questa unione consegue una felicità assoluta (modulus xviii), che consiste nella visione di Dio (concentus 2) di cui parla Agostino nel De genesi ad litteram (iv 30-32), e non meno profondamente Origene nel secondo libro del Contro Celso (ii 42 ss.), in un ordine retrogrado, dicendo che gli uomini, staccatisi dai sensi, giungono ad un luogo che è chiamato paradiso di delizie, terzo cielo, petto dell’Archetipo26. Grazie a questa ascesa gli uomini apprendono le cose che, in terra, avevano visto solo in immagine. E, proseguendo nel loro cammino, arrivano a Cristo, il quale aveva detto «dove sono io, lì sarà anche il mio servitore (Ioh. 12,26)»; lì ci saranno molte abitazioni, lì si otterrà la conoscenza finale dei cieli e delle Intelligenze celesti (ca. 463r). Come dice un passo della Sapienza (7,17-21), Dio dette al possessore della sapienza la vera conoscenza delle cose. Con lui concorda anche il sapientissimo Mercurio Trismegisto, del quale Zorzi cita di seguito vari passi: dal Poimandres (CH i 30): «pervaso dallo spirito divino sono diventato capace di verità»; dal medesimo Poimandres (CH i 22), e da un ampio passo di CH iv 5-6, ove si dice che la nostra conoscenza delle cose ci è donata dall’afflato di Dio. Il modulus xix contiene un solo concentus, dedicato al sommo e vero bene. Esso inizia con una sentenza del Trismegisto, che fu ispirato da Dio (CH ii 4-5): «Dio è il bene stesso (Deus ipsum bonum est)»; la citazione del Trismegisto prosegue con altri due passi (CH ii 14-15 e 15-16), destinati 26   Per questa insolita espressione, cf. Ioh. 13,25, ove si dice che Giovanni si posò sul petto di Cristo.



LA FUNZIONE DEL NEOPLATONISMO NEL DE HARMONIA MUNDI291

a concordare con la frase di Cristo (Mc 10,18; Lc 18,19): «perché mi dici ‘buono’? Nessuno è buono, tranne Dio soltanto» (ca. 465v). Ma il vero bene è anche Cristo, il quale esplicitamente ha asserito di avere ricevuto la bontà dal Padre, insieme a tutto quello che il Padre possiede (cf. Mt. 11,27; Lc. 10,22). La bontà di Cristo è confermata dal concetto di amore divino proposto e sviluppato dallo Pseudo Dionigi l’Areopagita (div. nomin. 11,6; 4,1 e 4,7). Dio è «il fonte primario e immenso (primarius et immensus fons)», al quale tutte le cose desiderano attingere, come ha affermato il grande27 Teodoro (di Asine) citato da Proclo (comm. Tim. i 213,3). In tal modo Cristo il Mediatore ricondurrà tutte le cose al sommo Bene (ca. 466v). Il testo termina con il modulus xx, dedicato alla immobilità, alla quiete ed al silenzio mistico che si ottengono dopo essere giunti al Bene, al quale tendiamo. Questo silenzio mistico, quindi, non è un atteggiamento umano, ma una condizione escatologica, come confermano numerose testimonianze scritturistiche ed anche il Trismegisto (CH i 30). In conformità con questo silenzio, Dio deve essere pregato ed esaltato in silenzio, con mente pura e rivolta verso l’alto (concentus secondo del ventesimo modulus). Questo inno contiene i vari elementi della trascendenza divina, ricavati dalla Scrittura e dalla filosofia neoplatonica, espressi con l’anafora del ‘tu’, alla maniera classica (concentus secondo, che conclude con tono sacro l’unione dell’anima a Dio). Pur dedicando la nostra attenzione ad uno solo tra gli elementi costitutivi di quell’immensa costruzione che è il De harmonia mundi, e precisamente all’uso del neoplatonismo – quasi esclusivamente quello di Plotino, più vicino per certi aspetti al cristianesimo e all’altra fonte della prisca philosophia, l’ermetismo – abbiamo potuto valutare quello sforzo immane verso l’uno e il molteplice, organizzato in una infinita varietà di moduli e di concentus, che fa dell’opera di Zorzi un unicum in cui confluiscono religione cristiana, cabala e prisca philosophia.

  Teodoro di Asine è definito ‘grande’ da Proclo stesso, nel passo citato.

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PLATON ET LES PLATONICIENS DANS LE DE IMMORTALITATE ANIMÆ DE POMPONAZZI Thierry Gontier

[Université de Lyon, Institut de Recherches Philosophiques de Lyon (IRPhil)]

Introduction Platon n’a qu’une place secondaire dans le De immortalitate animæ de Pietro Pomponazzi1. Le début du traité ancre d’emblée la question de l’immortalité de l’âme dans une interprétation des textes d’Aristote. La question qui est posée par Jérôme de Raguse à son maître est celleci  : Très cher Maître, il y a quelques jours, alors que tu nous commentais le premier livre du traité Du ciel, parvenu à l’endroit où Aristote cherche à démontrer par plusieurs arguments que l’inengendré et l’incorruptible sont convertibles, tu as dit que la thèse de saint Thomas d’Aquin sur l’immortalité de l’âme, dont tu ne contestais en rien qu’elle fut vraie et par elle-même très solide, ne s’accordait cependant nullement selon toi avec les paroles d’Aristote  ; aussi, si cela ne t’est pas pénible, je désirerais fort apprendre de toi deux choses  : premièrement, en laissant de côté les révélations et les miracles, et en restant en deçà des strictes limites de la nature, quelle est ton opinion sur ce point  ? Ensuite, quelle fut, selon toi, l’opinion d’Aristote sur cette question2  ? 1   Tractatus de immortalitate animæ Magistri Petri Pomponatii Mantuani, Bononiæ, Justinianus Leonardus Rubieriensis, 1516. Toutes nos références (traductions françaises, numéros de paragraphes, pagination) sont tirées de notre traduction  : Pietro Pomponazzi, Traité de l’immortalité de l’âme / Tractatus de immortalitate animæ (édition critique, trad., notes et intro. Th. Gontier), Paris, Les Belles Lettres, «  Classiques de l’humanisme  », 2012 [noté par la suite  : DIA]. 2   «  Carissime Præceptor, superioribus diebus, cum primum De cælo nobis exponeres pervenissesque ad locum illum, in quo Aristoteles ingenitum et incorruptibile converti pluribus argumentationibus contendit ostendere, dixisti quod divi Thomæ Aquinatis positionem de animorum immortalitate, quamquam veram et in se firmissimam nullo pacto ambigeres, Aristotelis tamen dictis minime consonare censebas  ; eapropter, nisi tibi molestum esset, abs te duo intelligere maxime desiderarem  : primum scilicet, quid revelationibus et miraculis semotis persistendoque pure infra limites naturales hac in re sentis  ; alterum vero, quamnam sententiam Aristotelis in eadem materia fuisse censes  » (DIA, Proemium, § 2, p. 3).

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La question est ainsi abordée à partir d’une contradiction entre Thomas et Aristote. Il s’agit de savoir ce qu’Aristote a pensé de cette question de l’immortalité de l’âme. La réponse de Pomponazzi à cette question est la suivante  : Mais puisque tu ne me demandes que ce qui est en mon pouvoir, à savoir ce que je pense (quid existimem), il est facile de m’en ouvrir à toi, et je cède volontiers à ton désir. Quant à savoir s’il en est dans la réalité (ita se habeat res) comme je pense, tu en consulteras de plus savants3.

On remarquera ici l’ambiguïté du quid existimem, opposé au ita se habeat res  : il ne s’agit pas de savoir ce que Pomponazzi lui-même pense de l’immortalité de l’âme, mais de ce qu’il pense qu’Aristote a voulu dire. Tout l’ouvrage sera consacré à la pensée d’Aristote sur la question – ce qui ne veut pas dire qu’en exposant l’opinion d’Aristote, Pomponazzi n’expose pas la sienne propre, car la parole d’Aristote se trouve le plus souvent confirmée par la raison ou l’expérience. Dans ce contexte d’une compétition entre les interprétations des textes aristotéliciens de Pomponazzi et de Thomas, on comprendra que la psychologie platonicienne soit reléguée au second plan. Elle fait l’objet de deux courts chapitres, l’un consacré à l’exposé de la position des platoniciens, l’autre à sa réfutation. L’analyse de ces deux textes consacrés à la noétique de Platon fera l’objet de la première partie de cette étude. Je m’attacherai dans un second temps à un emprunt silencieux assez long de Pomponazzi à Marsile Ficin sur la question des phénomènes miraculeux attestant, selon l’objection faite à la position de Pomponazzi, la survie de l’âme dans l’au-delà. Cette question du naturel et du surnaturel constituera un thème majeur dans le traité posthume de Pomponazzi, le De naturalium effectuum causis sive de incantationibus (rédigé en 1520, publié en 1556). Au-delà même de cette discussion avec les platoniciens, il se trouve que Platon demeure, après Aristote, l’auteur le plus cité dans le De immortalite animæ  : les dialogues et les lettres de Platon font l’objet d’une trentaine de renvois ou de citations, les dialogues les plus cités étant la République et les Lois, suivis de près par l’Apologie de Socrate et le Timée. Pomponazzi cite quelque fois ces textes en faveur de la partie adverse (pour l’immortalité de l’âme). Mais Platon est aussi, dans certains contextes, cité pour appuyer le propos de Pomponazzi lui-même  : c’est notamment le cas pour certaines confessions d’ignorance et plus 3  «  Quoniam tamen non nisi rem quam possum, quid scilicet existimem, postulas, facile etenim est hoc tibi aperire, ideo libenti animo tibi morem geram. Cæterum vero an ita se habeat res ut existimo, peritiores consules. Rem igitur deo duce aggrediar  » (Ibid.).



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encore pour des propos moraux et politiques. Ces questions morales feront l’objet de la troisième partie de cette étude. L’opposition à la noétique platonicienne La position des platoniciens fait l’objet d’une critique expéditive et principalement empruntée à Thomas  : ce n’est pas elle qui intéresse directement Pomponazzi et qu’il entreprend de réfuter dans son ouvrage. Le monde métaphysique et noétique de Pomponazzi est très étranger à celui des platoniciens dès lors que ceux-ci ne partent pas des prémisses aristotéliciennes qui sont acceptées par Pomponazzi et ses adversaires aristotéliciens (avec des différences dans leur interprétation), à savoir  : 1. ce n’est que si l’intellection peut s’exercer sans les images (phantas‑ mata, i.e. les représentations sensibles de l’imagination – phantasia) que l’âme est séparable  ; 2. l’intellect ne pense jamais sans image. Or l’école platonicienne refuse de façon ferme cette seconde prémisse. Pour elle, l’âme intellective est premièrement unie à l’intelligible, et ce n’est que secondairement qu’elle pense cet intelligible dans les images. Ainsi, pour Marsile Ficin, l’intellect connaît d’abord l’universel, et ensuite seulement le particulier  : l’âme intellective ne tire pas son existence de la matière sensible, mais d’elle-même (Theologia platonica de immortalitate animorum, viii, 1), et elle «  n’est jamais privée de son fondement  » (ix, 1). Les espèces intelligibles ne sont pas reçues en l’intellect, mais créées par sa puissance propre (xi, 2)4. Son opération est d’emblée indépendante du corps, et si l’âme est unie aux corps, ce n’est pas par nécessité ou contrainte, mais par choix et amour (x, 3)5. La sensation n’est pas une réception passive des espèces sensibles, mais une activité propre de l’âme par laquelle elle atteint les corps (ix, 5)  ; quant aux images sensibles, elles sont de simples stimulants (x, 6), et fournissent une «  impulsion occasionnelle  » (occasionis impulsum) (xv, 16) à l’âme, qui lui permet de manifester sa puissance en faisant retour sur 4   Toutes nos références à la Theologia platonica sont tirées de Marsile Ficin, Théolo‑ gie platonicienne de l’immortalité des âmes, trad. R. Marcel, Paris, Les Belles Lettres, 3 tomes, 1964-1970. Pour les textes cités, voir t. i, p. 289  ; t. ii, p. 19 et p. 93. 5   Ibid., t. ii, p. 66. Sur ces points, voir notre article «  Noétique et poétique dans la Theologia platonica de Marsile Ficin  », Archives de philosophie, 2004, n° 2, p. 5-22.

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elle-même (xviii, 8)6. C’est l’âme qui agit sur le corps, précise Ficin, et non l’inverse (xv, 12)7. Pourquoi Pomponazzi consacre-t-il dès lors deux chapitres (chapitres v et vi) à cette position de Platon  ? En premier lieu à cause de la construction analytique qui initie le plan de l’ouvrage. Les différentes thèses sur l’immortalité de l’âme sont définies en fonction de la distribution des prédicats mortels/immortels et simpliciter/secundum quid appliqués à l’âme. L’âme est à la fois mortelle et immortelle, écrit en substance Pomponazzi au chapitre ii, mais elle ne peut être dite l’un et l’autre à la fois d’un même sujet et sur un mode absolu (simpliciter), car deux prédicats contraires ne peuvent être appliqués sur un mode absolu à un même sujet8. Il reste deux grandes possibilités, qui chacune ont des subdivisions  : 1. Si les deux prédicats mortel/immortel sont attribués à l’âme simplici‑ ter, il faut que ce soit à des sujets réellement différents, soit  : a) à une âme unique pour tous les hommes et à l’âme distincte des individus  : c’est la solution averroïste (immortalité simpliciter de l’âme unique, mortalité simpliciter de l’âme des individus)  ; b) à différentes âmes dans un même homme  : c’est là la solution platonicienne (résumée dans le titre du chapitre v  : «  l’âme intellective est réellement distincte de l’âme sensitive, mais les âmes intellectives sont numériquement égales aux âmes sensitives9  »). 2. L’autre possibilité est que les deux prédicats mortel/immortel qualifient un même sujet, à savoir l’âme individuelle de l’homme, mais selon des modalités différentes  : il faudra alors que l’un d’entre eux soit appliqué simpliciter et l’autre secundum quid. L’âme sera alors soit immortelle simpliciter et mortelle secundum quid (solution de Thomas d’Aquin), soit, au contraire, immortelle secundum quid et mortelle simpliciter (solution de Pomponazzi lui-même). Cette division intéressera sans doute les historiens analytiques du Moyen-Âge ou de la Renaissance, puisque c’est à partir de la construction du langage que Pomponazzi envisage un problème métaphysique comme celui de l’immortalité de l’âme. Elle résulte en réalité d’une sorte de bricolage. D’une part parce qu’elle laisse certaines cases vides  :   Voir respectivement Ibid., t. ii, p. 31 et p. 77  ; t. iii, p. 80 et p. 219.   Ibid., t. iii, p. 67. 8   DIA, p. 12-14. 9   «  Caput Quintum, in quo ponitur alter modus, asserens intellectivum realiter distingui a sensitivo, verum numeratum ad numerationem sensitivi  » (DIA, v, § 60, p. 42). 6 7



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d’un point de vue strictement logique, il serait aussi possible (car non contradictoire du point de vue logique) que l’âme unique soit mortelle et les âmes individuelles immortelles, ou encore que les prédicats de mortel-immortel soient l’un et l’autre attribués relativement (secundum quid) à la même âme. Ces solutions sont citées par Pomponazzi, mais il se trouve que, de fait, elles n’ont pas eu de partisans, dans l’histoire de la noétique  : en réalité, elles mènent, du point de vue intuitif, à des quasi-absurdités. D’autre part, parce que le terme de secundum quid est pris en un sens équivoque dans la solution de Thomas (où il désigne une relation à un objet spécifique) et dans celle de Pomponazzi (où il est synonyme de «  comparativement  »), qui ne sont ainsi symétriques qu’en apparence10. Il reste que cette partition initie un plan, construit autour de quatre solutions  : averroïste, platonicienne, thomiste et pomponazzienne. La position platonicienne fait l’objet de deux très courts chapitres, à savoir les chapitres v (exposé) et vi (réfutation), comme si la solution platonicienne de deux sujets distincts en chaque homme représentait, à côté des deux cases «  vides  », une case pour ainsi dire «  presque vide  ». Quelques remarques sur ces deux chapitres. Tout d’abord, tant l’exposé de la doctrine platonicienne sur l’âme que les réponses de Pomponazzi sont de seconde main, empruntées à Averroès et surtout Thomas d’Aquin11. Pour Platon comme pour Averroès, l’âme intellective (immortelle) est distincte de l’âme sensitive (mortelle). Mais, à la différence d’Averroès, pour qui il n’y a qu’une seule âme intellective pour tous les hommes, Platon pose autant d’âmes intellectives que d’individus (donc d’âmes sensitives), de sorte que l’intellect de Socrate n’est pas celui de Platon. Chaque homme a donc à la fois une âme immortelle et une âme mortelle. Les platoniciens aboutissent ainsi à une scission en chaque homme de 10   Sur ce point voir mon étude, Th. Gontier, «  Pulex contra elephantum  : Pomponazzi et Thomas, lecteurs du De anima d’Aristote  », dir. L. Boulègue, Commenter et philoso‑ pher à la Renaissance, Lille, coll. «  Cahiers de philologie  », éd. du Septentrion, 2014, p. 47-60. 11  Voir en particulier Thomas d’Aquin Summa Theologiæ, ia, q. 76, a. 1, resp., ad «  Quidam autem dicere  » (éd. Leon., p. 209, trad. fr. Somme théologique, coord. A. Raulin, trad. A.‑M. Roguet, Paris, Cerf, 4 tomes, 1984-1986, t. I, p. 664)  ; Contra gentiles, II, 57 (éd. Leon., p. 406-407, trad. Michon, Paris, Flammarion, 1999, p. 230-231)  ; De uni‑ tate intellectus contra Averroistas, i, ad «  Adhuc autem manifestius  » et ad «  Hoc ergo habito  », ainsi que iii, ad «  Sic igitur patet quod intellectus  » (éd. Leon., p. 292, 293 et 306, trad. fr. Contre Averroès, trad. A. de Libera, Paris, Flammarion, 1997, p. 81, 87 et 151-152)  ; Sentencia libri in De anima, II, ad 413 a 4, p. 76, (éd. Leon, t. xlv-1, p. 76, trad. fr. Questions disputées  : De l’âme, trad. J.‑M. Vernier, Paris, Harmattan, 2001, p. 138).

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deux âmes, qui sont deux substances différentes, dont la corrélation ellemême est finalement aussi problématique que celle de l’intellect unique aux âmes mortelles chez Averroès. Pomponazzi distingue deux variantes de cette opinion. La première est la thèse qui fait de l’âme le «  moteur  » du corps12  : cette position est traditionnellement attribuée aux platoniciens, sur la base du texte très allusif du second livre du Traité de l’âme, 413 a 813. La réponse de Pomponazzi reprend celle de Thomas  : il y a entre l’âme intellective et les âmes sensitives une unité plus forte que celle entre le moteur et le mû, comparée à celle entre le bœuf et le chariot14. Selon la seconde variante15, la forme de l’homme n’est pas l’âme comprise en son entier (dont l’intellect est une partie), mais l’intellect compris comme une forme séparée de l’âme sensitive – l’âme ayant ainsi plusieurs formes substantielles distinctes16. Cette opinion, qui revient à poser deux 12   «  Certains d’entre eux [i.e. les tenants de la solution platonicienne] ont en effet dit que l’âme était à l’homme comme le moteur à ce qui est mû plutôt que comme la forme à la matière. Il semble que ce fut là la conception de Platon dans le Premier Alcibiade, lorsqu’il dit que l’homme est une âme qui se sert d’un corps  ; paroles qui semblent s’accorder à celles d’Aristote au neuvième livre de l’Éthique, lorsqu’il dit que l’homme, c’est l’intellect  » («  Quidam enim ipsorum posuerunt animam magis se habere ad hominem ut motor ad motum quam ut forma ad materiam. Et hæc videtur fuisse mens Platonis in Primo Alcibiadis, dicentis hominem esse animam utentem corpore  ; cui videntur consonare verba Aristotelis Ethicorum nono dicentis hominem esse intellectum  ») (DIA, v, § 62, p. 42). 13   Les sources en sont Macrobe, In Somnium Scipionis, II, 12, 8-9, trad. Armisen-Marchetti, p. 54 (qui attribue cette position à Plotin) et Némésius d’Émèse, De natura hominis, c. 3, éd. Verbeke-Moncho, p. 51-52 (confondu par Thomas d’Aquin avec Grégoire de Nysse). 14   «  Si en effet l’homme était composé non de matière et de forme, mais d’un moteur et de ce qui est mû, ne possèderaient pas plus d’unité que celle qui existe entre le bœuf et le chariot. Il en résulterait aussi d’autres inconvénients nombreux, qui sont exposés par Thomas  » («  Si enim homo non componeretur ex materia et forma, sed ex motore et moto, non maiorem haberent unitatem quam boves et plaustrum. Multaque alia incommoda sequuntur, quæ ab eo adducuntur  ») (DIA, vi, § 65, p. 44). L’édition de Venise (1525) est un peu différente  : «  Si en effet en l’homme la composition de l’âme intellective et du corps n’était pas celle de la matière et de la forme, mais celle du moteur et du mû, l’âme et le corps n’auraient pas plus d’unité que le bœuf et le chariot  » («  Si enim homo non componeretur ex anima intellectiva et corpore velut ex materia et forma, sed ex motore et moto, tunc anima et corpus non maiorem haberent unitatem quam boves et plaustrum  »). 15   «  D’autres [tenants de la solution platonicienne] ont soutenu le contraire, en disant que l’âme était à l’homme comme la forme à la matière, et non seulement comme le moteur à ce qui est mû  ; et qu’il est plus vrai de dire que l’homme est un composé d’âme et de corps que de dire qu’il est une âme qui se sert d’un corps  » («  Alii autem oppositum asseruere dicentes animam se habere ad hominem ut forma ad materiam, et non solum ut motor ad motum  ; veriusque dicendum hominem esse compositum ex anima et corpore quam ipsum esse animam utentem corpore  ») (DIA, v, § 62, p. 42). 16   Le texte de Pomponazzi n’est pas très clair, mais la réponse, au chapitre suivant, résume bien la thèse en ce sens  : «  Ponere autem pluralitatem formarum substantialium in eodem composito  » (poser une pluralité de formes substantielles dans un même composé) (DIA, vi, § 66, p. 44).



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formes substantielles en l’homme, est elle aussi critiquée par Thomas d’Aquin lui-même au livre iii du Contra averroistas. Pomponazzi ajoute aux arguments de Thomas deux arguments plus personnels. Il avait fait la même chose, au chapitre iv (§ 25) pour Averroès, rappelant allusivement les arguments de Thomas, avant d’ajouter les siens propres. Commençons par le second (§ 68), qui est le moins original. Pomponazzi dit en substance que l’intellect est comme le quadrilatère en acte qui contient en puissance le trigone17 (il suffit en effet de tracer une diagonale entre deux angles opposés pour obtenir un triangle à partir d’une figure à quatre côtés). On pourrait en conclure que l’âme intellective comprend l’âme sensitive – ce serait l’opinion de Marsile Ficin, par exemple, pour qui, la sensation est comme un prolongement de l’intellection –, mais ce n’est pas en ce sens que le comprend Pomponazzi  : ce qui compte est ici que l’âme sensitive et l’âme intellective sont une quant à leur sujet. Le premier argument (§ 67) est plus original. Cet argument pourrait sembler répéter purement et simplement l’argument de Thomas du § 65, qui pose que le composé humain doit constituer une unité essentielle (et non accidentelle, comme l’est celle du moteur au mû ou de l’utilisateur à l’instrument). En réalité, il montre la différence d’approche du problème entre les deux penseurs, qui fait que Pomponazzi, tout en utilisant encore des schèmes de pensée aristotéliciens, est résolument un «  moderne  ». Pour dire les choses rapidement, l’anthropologie de Thomas d’Aquin découle de sa physique. Le fait que ce soit «  cet homme  » qui pense, et non l’intellect uni extrinsèquement à un individu, n’est qu’une conséquence du fait que tout être agit par sa forme – ce n’est pas la forme elle-même qui agit en lui  : «  ce n’est pas la chaleur qui agit, mais ce qui est chaud  »18. C’est là une prise de position que l’on peut qualifier de «  naturaliste  »  : attribuer un pouvoir d’action autonome et une substantialité propre aux êtres naturels (par opposition à une conception de type augustinienne ou avicénienne, qui tend à retirer aux créatures une efficace propre). En revanche, l’unité du composé humain est pour Pomponazzi le fruit d’une expérience personnelle  : elle n’est pas déduite d’une proposition plus générale, mais d’une expérience que chacun peut faire en lui-même  : il n’y a pas en moi un être qui souffre et un autre qui 17   «  Il est clair que le triangle n’est pas dans le quadrilatère comme une chose réellement distincte de lui, mais que ce qui est en puissance un triangle est en acte un quadrilatère  » («  manifestum est trigonum in tetragono non esse tamquam rem realiter distinctam ab eo, sed quod est trigonum in potentia est actu tetragonum  ») (DIA, vi, § 68, p. 46). 18   Questiones disputatae de anima, q. 1, resp., trad. Vernier, p. 40.

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pense, mais c’est le même «  moi  » qui sent et qui intellige. L’unité est moins déduite qu’elle est vécue. C’est à juste titre que Roberto Ardigo19 écrivait dans son Discorso su Pietro Pomponazzi de 1869, que la psychologie de Pomponazzi reposait sur une expérience de pensée. Elle annonce en ce sens la psychologie de Montaigne, et, par certains aspects, celle de Descartes20. Pour résumer le propos de Pomponazzi, la psychologie platonicienne tombe non seulement à cause des contradictions logiques qui en découlent (plusieurs formes substantielles en une seule substance), mais aussi et surtout parce qu’elle est contre-intuitive. Ce qui nous conduit à l’autre et principale raison de ce développement sur les platoniciens. Une grande partie de l’argumentation contre Thomas va montrer que la logique de son système doit le conduire à une position réductible, d’une façon ou d’une autre, à la position platonicienne. Les opinions d’Averroès, de Platon et de Thomas en faveur de l’immortalité de l’âme ont en commun de conduire à faire de l’intellect une puissance séparée par son sujet des puissances sensitives de l’homme. La solution de Thomas, comme d’ailleurs celle d’Averroès, est ainsi réfutée à travers ce que l’on pourrait nommer une reductio ad Platonem. Thomas nie bien entendu cette séparation de l’intellect et des facultés sensitives de l’âme  : mais toute l’argumentation de Pomponazzi vise à montrer qu’il ne parvient pas à l’éviter et qu’il est malgré lui conduit à faire de l’intellect non une forme du corps, mais une substance séparée. Les critiques adressées aux platoniciens valent ainsi pour les averroïstes et pour Thomas  : tous trois, en effet, ont en commun d’avoir sous-évalué la dépendance de l’intellect au corps. La position platonicienne est comme la matrice de toutes les positions en faveur de l’immortalité de l’âme, et la réfutation de Platon fait ressortir leur caractère contre-intuitif. Cette assimilation du platonisme et de la position de Thomas doit être replacée dans son contexte. Au xve siècle, les platoniciens apparaissent comme les seuls à pouvoir venir en renfort à la position de Thomas d’Aquin, plaidant à la fois pour l’immortalité et la pluralité des âmes (le titre de l’ouvrage de Marsile Ficin fait bien référence à l’immortalité des âmes – de immortalitate animorum). Ficin ne l’ignore pas, qui reconstruit une généalogie qui part des prisci theologi pour aller jusqu’à lui-même, 19   Roberto Ardigo, Pietro Pomponazzi e la psicologia come scienza positiva, in Id., Opere filosfische, I, Cremona, Tipografia Sociale, 1882, p. 9-52. 20   Sur ce point, voir aussi J.‑B. Brenet, «  Moi qui pense, moi qui souffre. Le problème de l’identité du composé humain dans la riposte averroïste de Pierre Auriol et Grégoire de Rimini  », Généalogies du sujet. De saint Anselme à Malebranche, éd. O. Boulnois, Paris, Vrin, 2007, p. 151-169.



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en passant par Platon et les néoplatoniciens (Plotin, mais aussi bien Proclus et Jamblique), puis par Avicenne et Thomas d’Aquin, tout en en court-circuitant le moment averroïste (Averroès n’est cité que pour être réfuté, en particulier au livre xv de la Theologia platonica). La critique d’Étienne Gilson, qui met au jour quelques citations silencieuses de Thomas d’Aquin pour conclure que Ficin «  habille le vocabulaire de saint Thomas à la mode humaniste  »21, n’atteint pas entièrement sa cible. Il ne s’agit en effet pas de plagiat caché  : la stratégie explicite de Ficin consiste à ancrer le thomisme dans le platonisme, et non dans le péripatétisme. C’est cette alliance qui permet de trouver une solution de conciliation entre les deux thèses en apparence incompatibles, de l’individuation des âmes et de leur immortalité. Le platonisme florentin apporte ainsi un nouveau renfort à la position thomiste de l’immortalité d’âmes multipliées selon les individus. Le conflit est donc entre les aristotélisantspéripatéticiens stricts d’une part, Thomas et les nouveaux platoniciens d’autre part – le Concile de Latran ne fera qu’entériner cette alliance. Donnons une illustration de cette confusion des deux positions, de Thomas et du platonisme contemporain, par Pomponazzi lui-même. Au chapitre xiii, Pomponazzi cite l’argument «  par les signes  » de Thomas, qu’il réfute longuement au chapitre xiv22. Selon cet argument, si l’âme est mortelle, alors l’homme ne peut atteindre sa fin, à savoir la perfection de l’activité contemplative qu’est la visio Dei23. L’argument provient du troisième livre du Contra Gentiles de Thomas, auquel Pomponazzi va répondre point par point dans le chapitre suivant24. À un moment cependant, dans la conclusion de l’exposé de l’objection, Pomponazzi opère un glissement assez rhétorique  : C’est n’est donc pas sans raison que de nombreux ont dit que si l’âme humaine est mortelle, alors la condition de l’homme est bien 21   E. Gilson, Humanisme et Renaissance, Avant-propos de J.‑F. Courtine, Paris, Vrin, 1983, p. 102. 22   Sur cet argument, voir notre étude, Th. Gontier, «  Vie contemplative et vie active chez Pietro Pomponazzi  : autour de la comparaison organiciste du chapitre 14 du De immortalitate animæ  », dir. Ch. Trottmann, Vie active et vie contemplative au Moyen Âge et au seuil de la Renaissance, Rome, Collection de l’École Française de Rome, 2009, p. 443-471. 23  «  Si l’âme humaine est mortelle, ainsi qu’on l’a conclu, alors la fin dernière de l’homme en tant qu’homme ne pourra être atteinte, et l’homme sera incapable de bonheur  » («  si anima humana est mortalis, quemadmodum conclusum est, tunc non dabitur ultimus finis hominis qua homo est  ; et sic non erit fælicitabilis  ») (DIA, XIII, § 224, p. 146). 24   De fait, Platon lui-même, cité à un autre endroit par Pomponazzi (DIA, XIII, § 235, p. 152), a dit que «  celui qui estime cette vie comme le souverain bien déshonore l’âme  » (Lois, v, 727 c-d).

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pire que celle de n’importe quelle bête, étant donné à la fois la faiblesse de l’homme relativement à son corps, qui est sujet à tant d’infirmités, et l’inquiétude de son âme, qui est sans cesse ballottée de-ci de-là25.

L’objection reste la même, mais elle prend une nouvelle intensité dramatique, renvoyant au thème plinien et lucrécien de la nature «  injuste marâtre  »26, deux textes qui inspirent la littérature platonisante de la Renaissance. Donnons ici deux exemples. Tout d’abord le début de l’En‑ tretien des Camaldules (1475) de Cristoforo Landino  : Si le Dieu très haut ne nous avait proposé cette fin [i.e. la fin ultime qui nous procurera, au terme de notre carrière paix et sécurité] comme une certitude préalablement définie, je ne sais rien qui se pût imaginer de plus misérable que la condition humaine […]. Ne penserons-nous pas qu’un traitement bien injuste nous a été réservé s’il n’y a que l’homme pour ne trouver nulle part où diriger ses peines écrasantes et presque infinies, toutes ses pensées, le cours enfin de l’ensemble de sa vie27  ?

Mais on pensera surtout, du fait de la référence à la condition des bêtes, au début de la Theologia platonica de Marsile Ficin  : Étant donné l’inquiétude de son esprit, la faiblesse de son corps et son indigence totale, l’homme mène sur la terre une existence plus pénible que celle des bêtes. Si dont la nature avait fixé à la vie de l’homme et à celle des autres vivants un terme identique il n’y aurait pas d’animal plus malheureux que l’homme28.

On voit bien dans ce texte comment Pomponazzi voit dans le platonisme non tant une alternative qu’un renfort à la position de Thomas d’Aquin. D’autres textes, que nous allons étudier, confirmeront cette association entre Thomas et Platon.

  DIA, xiii, § 232, p. 150.   Voir Pline, Historia Naturalis, vii, 1-5 et Lucrèce, De rerum natura, v, 222-230. 27   «  Si quidem nisi certus ac præfinitus a summo deo nobis propositus sit [i.e. in quo omnium rerum ultimum […] investigamus] quid iam humana conditione miserius excogitare po sim, non reperio […]. Nonne iniquissime nobiscum actum esse putemus, si solus is homo sit, qui, quo gravissimos ac s pæne infinitos labores suos, quo omnes cogitationes, quo denique universae vitae cursum dirigat, nusquam inveniat  ?  » (Ch. Landino, Disputationes Camaldulenses, i, éd. Lohe, p. 3-4, trad. fr. Les Entretiens des Camaldoli, i  : «  Vie active et vie contemplative  », trad. Ch. Carraud, Conférences, n° 12, printemps 2001, p. 625). 28   «  Cum genus humanum propter inquietudinem animi imbecillitatemque corporis et rerum omnium indigentiam duriorem quam bestiae vitam agat in terris, si terminum vivendi natura illi eumdem penitus atque caeteris animantibus tribuisset, nullum animal esset infelicius homine  » (Théologie platonicienne…, éd. cit., t. i, p. 38). 25 26



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La critique du surnaturalisme platonicien Venons-en à un second point de désaccord entre Pomponazzi et les platoniciens, à savoir la référence aux actions en apparence surnaturelles attribuées à l’âme des défunts, qui serait pour les platoniciens une preuve de leur survie dans l’au-delà. Le rapport de Thomas aux platoniciens est ici différent des cas que nous avons étudiés précédemment. Les arguments de Pomponazzi sont adressés à Thomas29  : mais l’exposé de l’objection se fonde sur des récits de résurrections ou de rêves prémonitoires qui sont empruntés (silencieusement) à la Theologia platonica de Ficin, même si leur source se trouve dans la littérature antique. Les trois premiers exemples d’apparitions spectrales et de résurrection ont leur origine dans des textes platoniciens30. Puis Pomponazzi cite plusieurs récits de Pline le Jeune témoignant d’apparitions spectrales. La plus développée est reprise de Posidonius le stoïcien, et fait état de la découverte d’un crime et de l’assassin par un rêve. Il termine par deux récits d’origine cicéronienne (De Divinatione), d’apparitions de défunts dans des rêves prémonitoires. Tous ces récits sont rapportés par Ficin aux livres xvi et xvii de sa Theologia platonica31. La méthode employée par Pomponazzi pour répondre à ces objections platonico-thomasiennes en faveur de l’immortalité des âmes est remarquable, et elle annonce à bien des égards certaines des grandes thématiques du De incantionibus. Retraçons-en les grandes lignes argumentatives. Pomponazzi distingue deux types de récits d’apparitions spectrales, concernant respectivement les apparitions autour des sépultures et dans les songes32, pour donner une explication différente aux unes et aux 29   L’objection occupe les § 238-243 (p. 152-154). Il s’agit de la cinquième objection du deuxième groupe d’objections à la thèse de Pomponazzi (qui en comprend huit). 30   «  Platon rapporte dans le Phédon qu’on a vu autour des sépultures les ombres fantomatiques d’âmes, qui sont les âmes des hommes vicieux. Au neuvième livre des Lois, il dit aussi que les âmes des victimes de meurtres poursuivent de leur vindicte leurs assassins […]. Au dixième livre de la République, Platon rapporte aussi qu’un certain Pamphile ressuscita des morts, et raconta des choses terrifiantes sur les peines et les tourments infligés aux méchants  » («  Plato namque in Phædone refert quod circa monumenta visa sunt phantasmata umbrosa animarum  ; et hæc sunt animæ malorum hominum. In nono quoque De legibus dicit occisorum animas sæpe interfectores hostiliter insequi, propter quod aliqui existimaverunt ad præsentiam interfectoris vulnera sanguinem emittere. In decimo quoque De re publica refert quendam Pamphilum a mortuis resurexisse, qui de pœnis et malorum cruciatibus horrenda referebat  ») (DIA, xiii, § 239, p. 152). 31  Voir Théologie platonicienne…, éd. cit., xvii, 4, t. iii, p.  173  ; xvi, 5, t. iii, p.  124  ; xvii, 4, t. iii, p. 173. 32   Les objections se trouvent respectivement aux § 239-240 (p. 152-154) et § 240-243 (p. 154).

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autres33. Les premières apparitions revêtent un caractère de matérialité physique et doivent par conséquent faire l’objet d’une étiologie physique, alors que les secondes sont phantasmatiques (ce qui ne veut pas nécessairement dire qu’elles sont de simples fictions). Les récits d’apparitions spectrales font l’objet d’une longue réponse de la part de Pomponazzi. Sa stratégie globale est la suivante, selon qu’il prend ou non au sérieux les récits d’apparitions spectrales  : 1. il montre, en donnant trois explications différentes, le caractère fictif des récits présentés par l’objecteur  : soit ces récits sont des fables (§ 283), soit les apparitions rapportées sont le fruit de l’imagination des spectateurs (§ 284) ou de truquages de la part des prêtres (§ 285)  ; 2. il concède la vérité de certains de ces récits (sinon de ceux de Ficin, tout du moins d’autres du même ordre, rapportés par d’autres autorités) et en fournit une étiologie physique, qui fait abstraction de tout élément surnaturel  : c’est la quatrième réponse, la plus développée, elle-même ponctuée de plusieurs objections et réponses (§ 286-301). Pomponazzi ne doute pas a priori de la possibilité de ces phénomènes extraordinaires que sont les apparitions spectrales. Sans doute, la plupart des récits sont fantaisistes («  Je dis […] que bien des récits sont rapportées comme véridiques, qui ne sont en réalité que de pures fables34  »), et l’on peut expliquer ces apparitions par des illusions optiques (les exhalaisons de cadavres dans l’air condensé des cimetières35), par l’imagination et la crédulité des spectateurs («  contribuent aussi à cette confusion l’imagination, ainsi que la croyance commune36  ») ou par les ruses des prêtres-magiciens («  ces apparitions sont souvent l’effet des truquages et des ruses de mauvais prêtres37  »). Il reste cependant que certains de ces   Respectivement aux § 283-301 (p. 186-198) et § 302-305 (p. 198-200).   «  Dicitur […] quod multa inter historias connumerantur quæ tamen meræ fabulæ sunt  » (DIA, xiv, § 283, p. 186). 35   «  Nous répondons […] que dans les cimetières comme en d’autres , l’air est très dense, tantôt du fait des exhalaisons des cadavres, tantôt de la froideur de la pierre, ou d’autres divers, qui provoquent l’épaississement de l’air  » («  Dicitur […] quod in locis sepulcrorum, ut in pluribus, ær est valde grossus, tum ex evaporatione cadaverum, tum ex frigiditate lapidum ex multisque aliis, quæ æris spissitudinem inducunt  ») (DIA, xiv, § 284, p. 186). 36   «  Adiuvat etiam ad hæc imaginatio et universalis fama  » (Ibid., p. 188). 37   Nous répondons […] que ces apparitions sont souvent l’effet des truquages et des ruses de mauvais prêtres […]. De fait, plusieurs prêtres et gardiens de temples ont changé les quatre vertus cardinales en ambition, avarice, gourmandise et luxure. Et tous les autres vices découlent de ceux-là. Pour assouvir leurs désirs, ils ont usé de ces fraudes et de ces mensonges, comme nous savons que cela s’est encore parfois produit de nos jours  » («  dicitur hoc multotiens contingere propter illusiones et dolos malorum sacerdotum […]. 33 34



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récits sont suffisamment avérés  : «  Nier la vérité de tels récits paraîtrait vraiment relever de l’opiniâtreté et de l’impudence38  »  : et il est ici significatif qu’aux récits rapportés par Ficin, Pomponazzi préfère un retour direct aux auteurs antiques (Tite-Live, Suétone, Virgile, Plutarque et Lucain) et au texte biblique. Pomponazzi montre qu’il est possible de donner de ces phénomènes une explication naturelle, en faisant l’économie de la subsistance des âmes. Les Intelligences célestes sont tout à fait capables, par la médiation du mouvement des sphères célestes, de causer par elles-mêmes ces apparitions  : Il n’est pas étonnant que de tels phénomènes puissent être signifiés par les corps célestes, puisque ceux-ci sont animés par une âme très noble, et qu’ils engendrent et gouvernent toutes les choses inférieures39.

Ces phénomènes relèvent donc de la physique, au sens où, dans la physique aristotélicienne, les phénomènes du monde sublunaire sont causés par les mouvements célestes, eux-mêmes gouvernés par les Intelligences  : Pomponazzi ajoute simplement à Aristote que ces intelligences se soucient des hommes et ont un rôle providentiel. S’agit-il d’une simple influence (comme le pense Alexandre d’Aphrodise) ou d’une détermination nécessaire (comme le pense la tradition stoïcienne)  ? La question fera l’objet du De fato de Pomponazzi. Dans notre texte, Pomponazzi trouve un argument dans le fait que les astres signifient (sans nécessairement causer) les phénomènes du monde célestes et que l’on peut prédire l’avenir en tirant des horoscopes. Si l’avenir est prévisible, c’est que ces phénomènes merveilleux ne sont pas l’œuvre spontanée des âmes des défunts, mais celle, préméditée, des Intelligences célestes, dont l’action suit un plan éternellement fixé. Les Intelligences, qui connaissent l’avenir, peuvent aussi le prédire par des signes  : l’hypothèse d’une révélation par les âmes des défunts est tout simplement inutile, et «  il semble superflu d’en postuler l’existence  » (§ 293). Pomponazzi répond alors à une série d’objections, toutes tirées de la Question disputée sur les miracles et le Contra Gentiles (iii, 104) de Multi namque sacerdotes et templorum custodes quatuor virtutes cardinales commutaverunt in ambitionem, avaritiam, gulam et luxuriam. Et ad hæc vitia omnia alia consequuntur. Quare, ut optatis perfruantur, hiis fraudibus et fictionibus utuntur, sicut tempestate nostra aliquando contigisse scimus  ») (DIA, xiv, § 285, p. 188). 38   «  Talia autem negare videtur esse magnæ pertinaciæ et impudentiæ  » (DIA, xiv, § 289, p. 190). 39   «  Neque mirandum est si talia a corporibus cælestibus figurari possunt, cum animata sint nobilissima anima, quæque omnia inferiora generent et gubernent  » (DIA, xiv, § 292, p. 192).

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Thomas d’Aquin40. On voit encore une fois la jonction qui est opérée par Pomponazzi entre les platoniciens et Thomas, puisque les récits rapportés par Ficin servent d’argument à des positions de Thomas. Thomas montre qu’il est plus probable que ces miracles soient produits par les âmes des défunts que par l’influence des corps célestes sur les corps sublunaires, en apportant trois arguments qui sont réfutés successivement par Pomponazzi. Selon le premier, tout ce qui est produit par la nature est produit avec ordre, ce qui n’est pas le cas de ces apparitions qui se produisent par surprise et sans qu’on puisse y remarquer un ordre41. Dans sa réponse, Pomponazzi reprendra l’argument de l’horoscope, pour montrer qu’il y a bien un ordre par lui-même prévisible, même si celui-ci échappe souvent à notre compréhension42. Le second argument de Thomas touche les miracles d’enfants ou d’animaux prédisant l’avenir  : les corps célestes sont incapables de produire par eux-mêmes des paroles intelligibles, ce dont est capable une intelligence humaine (i.e. celle du défunt qui parle à travers un être dépourvu de raison et de parole). Pomponazzi répond que ce ne sont pas les corps célestes eux-mêmes qui produisent ces paroles, mais bien les Intelligences, au moyen des corps célestes43. Il donne un exemple qui permet de trancher en faveur d’une production de ces phénomènes par l’action du ciel. L’histoire rapportée par Pietro  Voir Quaestio disputata de micaculis (Quaestio disputata de potentia, q. 6), a. 3, resp C (éd. Bazzi, vol. ii, p. 166) et Contra gentiles, iii, 104, ad. «  Hoc autem expresse  » (éd. Léonine, p. 325, trad. fr. Somme contre les gentils, t. iii, trad. V. Aubin, Paris, Flammarion, 1999, p. 367). 41   «  [Il dit] premièrement que cela se produit sans ordre, alors que ce qui est produit par la nature, selon les second et huitième livres de la Physique, l’est de façon ordonnée  » («  Primo, quia hæc inordinate fiunt  ; quæ vero a natura fiunt, 2. et 8. Physicorum, ordinate fiunt  ») (DIA, xiv, § 295, p. 194). 42   «  Nous répondons qu’en réalité, ces effets se produisent de façon ordonnée quant au temps et au lieu, et par des causes déterminées, etc. Une preuve en est que de nombreux astrologues savent les prédire, annoncer à quels prodiges futurs ou à quelles mutations des États , et préciser en quels lieux , comme on l’a souvent vu. Pour l’indétermination que nous croyons y voir, elle n’a d’autre cause que notre ignorance  » («  dicitur quod immo talia ordinate fiunt, et quo ad tempora et quo ad loca, et per causas determinatas, etc. Signum, quia multi astrologi sciunt ista prædicere et de prodigiis futuris, de statuum mutationibus et in locis determinatis, sicut visum est multotiens. Quod autem nobis videantur indeterminata, hoc ex nostra ignorantia provenit  ») (DIA, xiv, § 297, p. 194). 43  «   ne sont donc nullement les formes des corps, animés ou inanimés, que l’on entend proférer ces paroles. Ceux-ci ne sont que des moteurs. Dès lors, pourquoi les Intelligences qui meuvent les corps célestes ne pourraientelles pas produire ces effets au moyen de leurs instruments …  ?  » («  Verum omnia talia non sunt tunc formæ illorum corporum, sive animatorum sive inanimatorum, quæ sentiuntur sic loqui. Sunt ergo tantum motores. Quare igitur intelligentiæ moventes corpora cælestia hoc facere non possunt…  »  ?) (DIA, xiv, § 298, p. 196). 40



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d’Abano (le Conciliateur) met en scène un devin qui prédit un miracle – celui d’un nouveau né qui se met à parler pour prédire la chute du royaume. Si l’enfant avait parlé sous l’action de l’âme d’un défunt, explique Pomponazzi, le phénomène serait l’effet d’une volonté spontanée du défunt et aurait été imprédictible  : le miracle n’a pu être annoncé par un astrologue que parce qu’il était signifié par les astres44. Selon le dernier argument de Thomas, certains de ces miracles ne peuvent être produits par la puissance des corps célestes, comme les bâtons qui se transforment en serpents. Pour ces récits de métamorphoses, Pomponazzi ne croit pas qu’il s’agisse de phénomènes réels (ou alors, dit-il, ils sortent du domaine de compétence du scientifique), mais plutôt d’illusions45. Après cette discussion autour de la cause des apparitions sensibles (nécessitant une présence physique du phénomène), Pomponazzi traite des apparitions dans les songes, ou plus exactement des rêves prémonitoires (où la présence du phénomène n’est qu’un objet psychique). Là encore, Pomponazzi ne nie pas, a priori, la réalité de ces prémonitions – même si certaines histoires sont fantaisistes, mais répond (§ 302) que l’action des astres, mus par les Intelligences, suffit à l’explication46. Les réponses à Thomas d’Aquin sont ici aussi des réponses à Marsile Ficin. Dans tous ces textes Pomponazzi oppose une étiologie naturaliste, au sens où l’on peut entendre la philosophie de la nature dans le contexte 44   «  L’enfant a prononcé ces paroles soit possédé par un esprit, soit par lui-même. La première solution ne tient pas, car Haly n’aurait su prédire au moyen de l’astrologie ce que l’enfant allait dire  ; par conséquent, c’est par lui-même que l’enfant a prononcé ces paroles, à partir de son propre fonds et non par une connaissance apprise   ; c’est donc grâce à la puissance des Intelligences et des corps célestes  » («  Modo iste puer vel locutus est per spiritum vel ex se. Non primum, quia Haly per astrologiam nescivisset prædicere quæ dixit  ; ergo ex se, id est ab intrinseco et non per cognitionem, quam habuit ab aliquo homine  ; ergo ex virtute intelligentiarum et corporum cælestiu  ») (DIA, xiv, § 299, p. 196-198). Ce qui est ici «  prédictible  » n’est pas la chute du royaume (qu’aurait peut-être pu prévoir aussi bien le défunt), mais bien le fait que le nouveau-né se mette à parler pour l’annoncer. On pourrait répondre que le devin avait prédit par raisonnement – mais Pomponazzi répond (§ 300), suivant cette fois Platon (et Aristote), que la divination se fait par une inspiration irraisonnée, dont la cause se trouve dans les influences des corps célestes. 45   «  En ce qui regarde le troisième argument , nous répondons que les péripatéticiens diraient que ce sont là des illusions, comme beaucoup se produisent par l’altération du milieu ou de l’œil  ; ou, à supposer que ces choses ont réellement lieu, nous sortons des limites , puisque nous avons exclu les miracles  » («  Ad tertium vero, dicitur quod peripatetici dicerent illas esse illusiones, sicut multi faciunt per alterationem aut medii aut oculi  ; vel, si fuit verum, non sumus in terminis, quia secludimus miracula  ») (DIA, xiv, § 301, p. 198). 46   «  Tout cela ne démontre pas pour autant que l’âme est absolument immortelle, mais plutôt que les dieux prennent soin des êtres inférieurs  » («  Verum hæc non arguunt animam immortalem simpliciter, sed deos curare inferiora  ») (DIA, xiv, § 302, p. 198).

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de l’époque, à l’inspiration surnaturaliste de la noétique platonicienne (puisque le noûs a une origine surnaturelle et que l’activité noétique du composé humain témoigne d’une intrusion de ce surnaturel dans la nature sensible). Et il est ici remarquable que Pomponazzi appuie son naturalisme sur une conception astrologique et une théorie des horoscopes, qui sont jusqu’à un certain point communes avec celle des platoniciens renaissants. Ce naturalisme est étendu ici, de façon latérale, à l’explication des phénomènes merveilleux – ce sera le propos central du De incantationibus. Platon en faveur de la mortalité de l’âme  ? Nous avons jusqu’ici analysé des approches indirectes de Platon dans le texte de Pomponazzi, soit à travers Averroès et Thomas (chapitres v et vi), soit à travers Marsile Ficin et les platoniciens renaissants (chapitre  xvi et xvii). Mais, comme nous l’avons signalé en introduction, Platon se trouve être aussi l’un des auteurs les plus cités de façon explicite (dans la traduction de Ficin) du De immortalitate animæ. Cité quelquefois en faveur de la partie adverse, les dialogues sont aussi, dans quelques cas remarquables, cités en faveur de la thèse de Pomponazzi. On peut classer ces textes autour de deux grandes thématiques47. Premièrement, les propos «  sceptiques  », qui soulignent la finitude de la connaissance humaine. En voici quelques exemples  : 1. République, x, 598 c-d  : Contre l’idée averroïste de «  jonction  » (copu‑ latio), qui sous-entend celle d’une science universelle de tout ce qui est  : Il est impossible à un homme de tout connaître, comme le dit Platon au livre  x de la République, et même de ce qui peut être connu48.

2. Timée, 47 a-b  : Contre la thèse selon laquelle la perfection de l’activité spéculative constituerait la fin de l’homme (une fin qui ne pourrait être atteinte que dans une vie future, par une transformation de l’intellect)  : L’intellect spéculatif n’est pas le propre de l’homme, mais des dieux, comme le rapporte Aristote au dixième livre des Éthiques. Et Platon, dans le Timée, dit  : «  La philosophie est le plus grand don des dieux  » – c’est 47   Nous citons ici les textes au sein de deux rubriques dans leur ordre d’apparition au sein de l’ouvrage de Pomponazzi. 48   «  Impossibile namque est aliquem hominem scire omnia, ut dicit Plato in 10. De re publica, neque etiam speculabilia  » (DIA, iv, § 56, p. 38).



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pourquoi, sur ce plan, il n’y a en aucune façon communauté entre les hommes et les autres mortels49.

3. République, i, 334 c  : Contre l’argument du consensus universel des hommes en faveur de l’immortalité de l’âme  : La quatrième objection disait que l’univers presque entier serait trompé, car toutes les religions affirment que l’âme est immortelle  : nous répondons à cela que ce n’est pas une faute de l’admettre, dès lors que le tout n’est rien de plus que ses parties, comme c’est l’opinion de nombre de  , et qu’il n’existe aucun homme qui ne soit sujet à l’erreur, comme le dit Platon dans la République. Il faut donc admettre que le monde entier se trompe, ou tout du moins sa majeure partie50.

4. Lois, i, 641 d  : en faveur de la thèse finale selon laquelle il est impossible à la raison humaine de savoir si l’âme est immortelle ou non  : Aussi dirons-nous, comme l’a fait Platon au premier livre des Lois, qu’il n’appartient qu’à Dieu de posséder la certitude en une matière sur laquelle tant d’hommes sont dans le doute. Et puisque des hommes aussi illustres sont entre eux en désaccord, je crois que la certitude sur cette question appartient à Dieu seul51.

Deuxièmement, les propos qui tendent à valoriser la pratique des vertus morales, pour en faire la fin dernière de l’homme – une fin réalisable en cette vie même  : 49   «  Speculativus namque intellectus non est hominis, verum est deorum, ut Aristoteles Ethicorum 10. tradit. Et Plato in Timæo  : «  Maximum deorum donum est philosophia  »  ; quare nullo pacto in hoc homo cum cæteris mortalibus communicat  » (DIA, xiv, § 258, p. 164). On retrouve ce même texte cité plus loin pour une critique similaire, dans un autre contexte (l’intellect spéculatif, même possédé imparfaitement, suffit au bonheur de l’homme)  : «  On avait ajouté qu’une telle spéculation [i.e. la spéculation de l’homme] ne paraît pas pouvoir rendre l’homme heureux, car elle est extrêmement faible et obscure  : à cela, nous répondons que, s’il est vrai qu’elle soit telle en comparaison des substances éternelles et de la spéculation qui appartient aux Intelligences, il reste que chez les êtres mortels, il ne se trouve rien de plus excellent, comme l’a dit Platon dans le Timée  » (Et quod ulterius addebatur, quoniam talis speculatio non videtur posse facere hominem fælicem, cum sit valde debilis et obscura, huic dicitur quod, tametsi in ordine ad æterna huiusmodi sit et ad eam quæ intelligentiarum, tamen inter res mortales nihil excellentius haberi potest, sicut Plato in Timæo dixit) (DIA, xiv, § 266, p. 170-172). 50   «  Ad quartum vero, in quo dicebatur quod fere totum universum esset deceptum, cum omnes leges ponant animam immortalem esse, ad quod dicitur quod si totum nihil sit quam suæ partes, sicut multi existimant, cum nullus sit homo qui non decipiatur, ut dicit Plato in De re publica, non est peccatum illud concedere, immo necesse est concedere, aut quod totus mundus decipitur aut saltem maior pars  » (DIA, xiv, § 279, p. 182-184). 51   «  Quapropter dicemus, sicut dixit Plato in primo De legibus, certificare de aliquo cum multi ambigunt solius est dei. Cum itaque tam illustres viri inter se ambigant, nisi per deum hoc certificari posse existimo  » (DIA, xvi, § 316, p. 210).

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1. République, ix, 588 b sq  : L’intellect humain proprement dit est l’intellect pratique, ou opératif (et non l’intellect spéculatif)  : C’est donc en vérité et au sens propre qu’un tel intellect [i.e. l’intellect opératif] est nommé humain52.

2. République, i, 353 e–354 a, iv, 445 a-b et x, 609 c-d  : La vertu est à suivre et le vice à fuir, indépendamment de la question de savoir si l’âme survit ou non au corps  : En perpétrant un crime, nuit grandement à la communauté, et donc à soi-même en tant que partie de la communauté  ; tombe ainsi dans le vice, que rien n’égale en malheur, car il cesse d’être homme, comme Platon le dit en tant endroits de son ouvrage La République  ; et c’est pourquoi le vice a la nature d’une chose à fuir. L’acquisition de cette vertu est aussi suivie du bonheur, ou de la plus grande part du bonheur, même s’il est de peu de durée. Tandis que le péché est suivi du malheur  : car, au témoignage de Platon, le vice est malheur et en fin de compte mort, puisque du fait du crime commis, l’immortalité n’est pas acquise, sinon peut-être à travers l’infamie et le blâme53.

3. République, iii, 410 a et Criton, 47 d-e  : Contre la thèse selon laquelle «  il ne faudrait pas supporter la mort l’âme tranquille s’il n’y avait l’espoir d’une vie meilleure54  ». Pomponazzi répond que la vie ne vaut la peine d’être vécue que pour une âme vertueuse  : Platon, dans la République et dans le Criton , affirme que, de même qu’il faut refuser une vie grevée d’une maladie incurable, et même la supprimer, il faut extirper l’âme souillée par le péché  ; si l’âme vivait éternellement dans le péché, ce serait pour elle un très grand malheur, puisqu’il n’y a rien de pire pour l’âme que le vice lui-même55. 52  «  Huiusmodi intellectus vere et proprie humanus nuncupatur, ut Plato in De re publica et Aristoteles in Ethicis testantur  » (DIA, xiv, § 255, p. 164). 53   «  At scelus perpetrando communitati maxime nocet, quare et sibi, cum ipse pars communitatis sit  ; in vitiumque incurrit, quo nihil infælicius, cum desinat esse homo, ut Plato in quam pluribus locis in libro De re publica dicit  ; ideoque hoc habet rationem fugibilis. Ad adeptionem etiam illius virtutis sequitur fælicitas vel magna pars fælicitatis, etsi parum duratura  ; at ad peccatum illud sequitur miseria  ; nam, teste Platone, vitium miseria est et tandem mors, cum propter commissum scelus non sequatur immortalitas nisi forte secundum infamiam et vituperium  » (DIA, xiv, § 273, p. 176). 54   DIA, xiii, § 235, p. 150. 55   «  Plato, in De re publica et in Critone, ponit quod, sicut vita cum infirmitate incurabili est renuenda, immo e vivis auferenda, sic anima cum peccato extirpanda est  ; animaque, si æterno viveret in peccato, summa miseria est, quandoquidem ipsi animæ nihil deterius est ipso vitio  » (DIA, xiv, § 275, p. 176). Pomponazzi peut ainsi rectifier une fausse interprétation du texte du Criton du § 235  : «  lorsque Platon dit ces paroles, il parle de ce qui se produirait en réalité. Si en effet les hommes n’avaient espoir en une vie meilleure, ils affronteraient sans doute



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4. § 308 (République, i, 331 e)  : Contre l’idée répandue selon laquelle ceux qui croyaient à la mortalité de l’âme étaient tous des hommes vicieux et impies  : Platon, au premier livre de la République, dit que le poète Simonide était un homme divin et très excellent, quoiqu’il ait soutenu que l’âme était mortelle56.

Cet échantillonnage montre un usage de Platon qui n’est pas nécessairement celui de la tradition platonicienne de la Renaissance. Il n’est peutêtre pas si clair pour Pomponazzi que le vrai propos de Platon soit en faveur de l’immortalité de l’âme. Pomponazzi écrit à plusieurs reprises que ceux qui ont plaidé en faveur de l’immortalité l’ont souvent fait pour des raisons politiques, dans le bien même des gouvernés. C’est là une reprise du thème averroïsant des leges, des vérités religieuses faites pour assurer l’ordre social et politique. Réduire ce thème à celui d’une imposture ou d’une propagande pour les masses ignorantes ne cadre que jusqu’à un certain point avec le texte de Pomponazzi. Les leges qui nous demandent de croire à l’immortalité de l’âme ne sont pas seulement des impostures. Quasiment aucun homme, selon Pomponazzi, n’a été capable de pratiquer la vertu pour le seul amour de la vertu, en considérant que les promesses de récompenses n’augmentent pas, mais diminuent la valeur (intrinsèque) de l’acte vertueux. Entre ces vertueux parfaits et ceux qui ne pratiquent la vertu que par espoir des récompenses et par crainte avec une âme anxieuse, dès lors qu’ils sont ignorants de l’excellence de la vertu et de l’ignominie du vice  » («  Verum illud dixit Plato quantum ad id quod de facto contingeret. Si enim homines non sperarent meliorem vitam post mortem, iniquissimo animo sine dubio eam tolerarent, quia ignorant excellentiam virtutis et ignobilitatem vitii  ») (Ibid., p. 178). Pour ce qui est de la pensée de Platon dans le Phédon, elle doit être précisée par d’autres textes, et en particulier par République, ix, 582 a-e et Apologie de Socrate, 40 b – 41 c  : «  Seuls les philosophes et les hommes vertueux, comme le dit Platon dans la Répu‑ blique et Aristote au neuvième livre de l’Éthique, savent combien les vertus engendrent le plaisir et combien l’ignorance et le vice engendrent le malheur. Plus encore, Socrate, dans son Apologie écrite par Platon, dit  : “Que l’âme soit mortelle ou qu’elle soit immortelle, la mort doit de toutes les façons être méprisée” (Apol., 40 b-c). En aucun cas il ne faut se détourner de la vertu, quoiqu’il arrive après la mort  » («  Soli enim philosophi et studiosi, ut dicit Plato in De re publica et Aristoteles, Ethicorum nono, sciunt quantam delectationem generent virtutes et quantam miseriam ignorantia et vitia. Immo Socrates in Apologia, quam Plato scripsit, dicit  : “Sive animus mortalis sit sive immortalis, nihilominus contemnenda est mors”. Neque aliquo pacto declinandum est a virtute, quicquid accidat post mortem  ») (Ibid.). On retrouve ce propos un peu plus loin, ilustré par une citation de l’Apologie de Socrate, 41 d (confondue avec le Criton)  : «  À l’homme qui est bon il ne peut arriver aucun mal, dans la vie comme dans la mort  » («  Viro bono neque vivo neque defuncto potest aliquod malum contingere  ») (DIA, xiv, § 277, p. 180). 56   «  Plato namque, in primo De re publica, dicit Simonidem pœtam virum divinum et optimum fuisse, qui tamen eam mortalem asseverat  » (DIA, xiv, § 308, p. 202).

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des châtiments futurs, il y a ceux qui «  accomplissent des bonnes actions et fuient les mauvaises non seulement à cause de la noblesse de la vertu et de la laideur du vice, mais aussi à cause des récompenses, tels les louanges ou les honneurs, ou à cause des peines, tels les blâmes ou l’infamie57  ». Il s’agit pour ainsi dire d’hommes semi-vertueux, comparables aux «  philosophes  » des stoïciens (qui ne reconnaissaient tout au plus qu’une petite poignée d’hommes réellement vertueux ayant existé dans l’histoire). Cette classe d’hommes n’est pas insensible à la beauté intrinsèque de la vertu et au bien que son exercice procure à l’homme  : mais, contrairement au philosophe parfait, pour elle, les récompenses extrinsèques s’ajoutent aux attraits de l’acte vertueux au lieu de les diminuer. Pomponazzi écrit au chapitre xv qu’aucun des philosophes païens n’a été parfaitement vertueux58  : les philosophes chrétiens quant à eux sont parvenus à cette vertu parfaite59, mais ils ne l’ont pu qu’avec l’aide de leur croyance en des récompenses futures. Le philosophe lui-même reste donc, pour Pomponazzi, un homme soumis à certaines passions. Le rôle éducatif des législateurs n’est donc pas méprisable, mais noble, au sens où Platon parle du «  noble mensonge  » comme d’un mixte de vérité et de fausseté. Il ne faut pas accuser le politique (non accusandus est politicus), écrit Pomponazzi, qui «  forge des fictions pour redresser les citoyens  » à la façon du médecin qui «  invente des expédients divers pour rendre la santé au malade60  ».

57   «  Aliqui vero sunt minus bene dispositi, et hii, præter nobilitatem virtutis et fœditatem vitii, ex præmiis, laudibus et honoribus, ex pœnis, ut vituperiis et infamia, studiosa operantur et vitia fugiunt  » (DIA, xiv, § 280, p. 184). 58   «  Beaucoup d’infidèles ont certes été des hommes très savants, mais presque aucun, cependant, n’a mené une vie sans tâche. Pour ne pas parler du reste, ils poursuivaient une vaine gloire et ne comprenaient que les choses naturelles, qui ne procurent qu’une connaissance obscure et faible  » («  Multi vero infidelium viri doctissimi extiterunt, at omnes fere maculatæ vitæ. Ut alia taceam, saltem inanis gloriæ solumque naturalia, quæ obscuram et infirmam cognitionem faciunt, intellexerunt  ») (DIA, xv, § 320, p. 214). 59   «  De nombreux chrétiens, si je ne me trompe, n’ont pas connu moins qu’eux les choses naturelles […]  ; outre cette connaissance des choses de la nature, ils possédaient aussi celle des choses divines, que, comme le disait Jérôme, “le docte Platon ne connaissait pas, et l’éloquent Démosthène ignorait”  ; de plus, leur vie fut absolument sans tache  » («  At multi Christicolæ, ni fallor, non minus illis in naturalibus cognovere […]  ; præterque naturalium cognitionem, divinorum etiam habuerunt. Quæ, ut Hieronymus dicit, «  hoc doctus Plato nescivit, hoc eloquens Demosthenes ignoravit  », vitamque immaculatissimam duxerun  ») (Ibid.). 60   «  Neque accusandus est politicus. Sicut namque medicus multa fingit ut ægro sanitatem restituat, sic politicus apologos format ut cives rectificet  » (DIA, xv, § 320, p. 186).



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Pomponazzi va plus loin que Platon lui-même dans la réhabilitation des religions en tant que nobles mensonges  : le mensonge n’est pas seulement vrai en ce qu’il contribue à soumettre les individus à un ordre vrai qu’ils ne peuvent comprendre eux-mêmes. Il possède aussi une valeur pédagogique  : ici le législateur platonicien prend les traits de l’éducateur politique aristotélicien, qui entraîne les citoyens à agir moralement avant même qu’ils puissent comprendre pour quelle raison il faut agir ainsi, et à posséder les vertus éthiques avant de posséder les vertus dianoétiques et d’être des spoudaioi (des hommes moralement accomplis). Le De incantationibus, aussi critique soit-il vis-à-vis des superstitions populaires, dit en gros la même chose  : Les fictions des poètes sont forgées afin de nous amener à la vérité (ut in veritatem veniamus), d’instruire le peuple ( rude vulgus instruamus) qu’il faut porter au bien et détourner du mal à la manière des enfants, c’està-dire par l’espoir des récompenses et la crainte du châtiment  ; et par ces notions plus grossières de le mener à la science des réalités spirituelles (ducere in cognitionem incorporalium), comme les enfants passent de la nourriture plus délicate à une nourriture plus solide61.

Conclusion Concluons en faisant appel à une thématique d’origine platonisante empruntée plusieurs fois dans le De immortalitate animæ, et qui résume la démarche générale de Pomponazzi  : celle de l’homme comme milieu entre les substances immatérielles et les substances matérielles. Elle ouvre le premier chapitre de l’ouvrage, dans lequel, selon le titre, «  on montre que l’homme a une nature ambiguë et qu’il constitue le milieu entre les choses mortelles et les immortelles  ». Elle revient ensuite à plusieurs endroit du chapitre ix où Pomponazzi expose sa propre solution à la question de l’immortalité de l’âme62. Il s’agit là d’une thématique que l’on trouve chez Thomas d’Aquin63, mais qui provient d’un fonds plus ancien, p­ rincipalement 61   De incantationibus, trad. ital. a cura di v. Perrone Compagni, con la collaborazione codicologica di L. Regnicoli, Firenze, L.S. Olschki, 2011, p. 110  ; trad. fr. partielle Les Causes des merveilles de la nature, ou les enchantements trad., introd. et notes H. ­Busson, Paris, Rieder, 1930, p. 215. 62   Voir en particulier DIA, ix, § 136, 147, 157, 167, 169 (p. 80-82, 86-88, 94-96, 104, 106) 63  Voir Thomas d’Aquin, Super librum De causis expositio, prop. 2, ad «  Loquitur enim hic de anima  » (éd. H.D. Saffrey, Paris, Vrin, 2002, p. 16), et Contra gentiles., II, 68, ad «  Hoc autem modo mirabilis  » (trad. Michon cit., t. i, p. 268-269), qui fait référence à Denys l’Aréopagite (De divinis nominibus, vii, 3, 872B, trad. fr. Œuvres complètes du Pseudo‑Denys l’Aréopagite, trad., comm. et notes par M. de Gandillac, Paris, Aubier, 1943, réed. 1980, p. 145).

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néoplatonicien64. Pomponazzi lui ajoute par deux fois une référence biblique65. Mais la thématique constitue surtout une sorte de leitmotiv de la Théologia platonicica de Marsile Ficin. Située au milieu dans l’échelle des êtres, l’âme humaine est le «  lien de la nature  » (vinculum naturæ), «  le centre de la nature, le milieu de toutes choses, l’enchainement de l’univers, le visage de toutes choses, le nœud et le lien de l’univers  » («  centrum naturæ, universorum medium, mundi series, vultus omnium nodusque et copula mundi  »), le «  gouvernement  » et le «  centre  » de l’univers66. Cette position médiane peut, selon les auteurs, être tirée vers le haut ou vers le bas. Chez Marsile Ficin, elle est assurément tirée vers le haut. Les chapitres 1 à 6 du livre x sont principalement consacrés à cette thématique de l’âme aux confins entre deux mondes, sensible et intelligible  : située entre la substance angélique et l’âme des bêtes, l’âme est la dernière des intelligences, tout en étant la forme supérieure des corps  ; elle n’est ni tout à fait immergée, ni tout à fait détachée des corps. Mais ce qui compte en la matière est que l’âme demeure dans le monde des substances intelligibles et qu’elle descend (comme par amour) par sa partie inférieure jusqu’aux corps  : Les âmes raisonnables […] sont séparées par la substance, ou séparables, parce qu’elles ne tiennent pas leur origine de la matière ou des agents et des organes corporels. Mais elles sont unies [i.e. au corps] par les opérations […], et cela non par force, mais par amour. Par la suite, selon les Chaldéens, elles sont aux confins de l’éternité et du temps par les opérations, car la substance demeure, les opérations changent67.

Pour Pomponazzi à l’inverse on peut dire que la position médiane de l’homme est tirée vers le bas  : [L’âme] ne dépend pas du corps en tant que sujet, en quoi elle convient avec les Intelligences et diffère des bêtes  ; mais elle a besoin du corps comme objet, en quoi elle convient avec les bêtes. D’où elle est aussi mortelle68. 64  Proclus, Elementatio theologica, § 190 (trad. fr. Éléments de théologie, trad. J. Trouillard, Paris, Aubier, 1965, p. 174-175) et le De causis, ii, 22-26 (trad. fr. P. Magnard, O. Boulnois, B. Pinchard et J.‑L. Solère, La Demeure de l’être. Autour d’un anonyme. Étude et traduction du Liber de causis, Paris, Vrin, 1990, p. 43). 65  Voir DIA, i, § 11 et ix, § 136 (p. 8 et 80-82). Il s’agit de Psaume, 8, 5-9  : «  Tu l’as fait de peu inférieur aux anges […]. Tu l’as placé au-dessus des œuvres de tes mains, des brebis et des bœufs  ». 66  Voir Théologie platonicienne…, éd. cit., i, 1, t. i, p.  39  ; iii, 2, t. i, p.  142  ; xviii, 3, t.  iii, p. 191. 67   «  Rationales animæ […] necessario sunt conjuncta per operationes […], et id quidem non per violentia, sed amore. Unde secundum Chaldeos in confinio sunt aeternitatis et temporis. Per substantiam quidem in æternitate sunt, per operationes in tempore, siquidem illa manet, istae mutantur  » (Ibid., x, 3, t. ii, p. 65). 68  «  Verum cum sit media inter abstracta simpliciter et immersa materiæ, quoquo modo de immortalitate participat, quod et sua essentialis operatio ostendit. Nam non



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Et Pomponazzi ajoute plus loin  : Cependant, du fait qu’elle est la plus noble des matérielles et qu’elle est située aux confins des formes immatérielles, elle exhale quelque chose de l’immatérialité, quoique ce ne soit pas sur un mode absolu69.

L’âme n’est immortelle que secundum quid, c’est-à-dire pour Pomponazzi relativement aux autres êtres matériels inférieurs, tels les âmes animales ou végétales, donc, au fond, en un sens métaphorique (car on n’est pas plus ou moins mortel  : on est mortel ou on ne l’est pas70). La distance entre les intelligences célestes et l’âme humaine est ainsi plus grande que celle entre l’âme humaine et les âmes des bêtes. Pomponazzi fait aussi état à deux reprises au thème hermétique, exploité entre autres par Marsile Ficin et Jean Pic de la Mirandole, de l’homme qui, étant situé au milieu des êtres, peut choisir librement sa nature71. Le premier texte se trouve au chapitre i  : C’est donc à juste titre que les Anciens ont placé l’homme entre les êtres éternels et les êtres temporels, étant donné qu’il n’est ni simplement éternel, ni simplement temporel, car il participe aux deux natures  ; et à celui qui se tient ainsi au milieu, il est donné le pouvoir d’assumer la nature de son choix. Aussi se rencontre-t-il trois catégories d’hommes. Certains, quoique très peu nombreux, sont comptés parmi les dieux  : ce sont ceux qui, s’étant rendus maîtres de leurs fonctions végétatives et sensitives, sont devenus presque entièrement rationnels. D’autres à l’inverse, qui ont totalement négligé l’intellect pour n’exercer que leurs fonctions végétatives et sensitives, ont presque transmigré dans des bêtes. C’est peut-être ce que voulait dire la fable pythagoricienne, en affirmant que les âmes humaines passent dans diverses bêtes. D’autres enfin ont été appelés de purs êtres humains  : ce sont ceux qui ont vécu une vie moyenne, selon les vertus morales  ; ils n’ont pas totalement développé leur intellect, ni ne se sont exclusivement consacrés aux fonctions corporelles72. dependet a corpore tamquam subiecto, in quo convenit cum intelligentiis et differt a bestiis  ; et indiget corpore ut obiecto, in quo convenit cum bestiis. Quare et mortalis est  » (DIA, ix, § 147, p. 146). 69   «  Verum cum ipsa sit materialium nobilissima in confinioque immaterialium, aliquid immaterialitatis odorat, sed non simpliciter  ». (DIA, ix, § 157, p. 94). 70   Sur cette ambiguïté du terme «  secundum quid  » chez Pomponazzi, voir infra. 71  Voir Asclépius, vi, Corpus hermeticum, trad. A.-J. Festugière, Paris, Les Belles Lettres, 1946, rééd. 1992, t. II, p. 302)  ; Marsile Ficin Théologie platonicienne…, i, 1  ; iii, 2  ; xi, 3  ; xiv, 3  ; xv, 2  ; xv, 4  ; éd. cit., t. i, p. 38-39, p. 141-142  ; t. ii, p. 102-103, p.  256-260  ; t.  iii, p. 20-21, p. 31-32  ; Jean Pic de la Mirandole De dignitate hominis, Œuvres philosophiques, trad. O. Boulnois et G. Tognon, Paris, PUF, 1993, p. 5-7. 72   «  Quapropter bene enuntiaverunt antiqui, cum ipsum inter æterna et temporalia statuerunt, ob eam causam quod neque pure æternus neque pure temporalis sit, cum de utraque natura participet, ipsique sic in medio existenti data est potestas utram velit naturam induat. Quo factum est, ut tres modi hominum inveniantur. Quidam namque inter

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On voit que Pomponazzi ne s’associe pas à l’éloge du pouvoir protéiforme de l’homme en son sens démiurgique et quasi-magique. Il lui confère à ce thème de l’homme-milieu, maître de revêtir la nature de son choix, un sens métaphorique, comme il le fait aussi pour la métensomatose des pythagoriciens et des platoniciens (Pomponazzi raille souvent ceux, Thomas compris, qui pensent que l’intellect humain peut changer de nature dans l’au-delà). Le thème de l’homme-milieu a chez lui un sens métaphorique, et la puissance de se transformer est repensée comme une liberté de choix moral. Pomponazzi reprend ce thème dans un autre contexte au ch. xiv  : Certains ont dit que l’homme était un grand miracle, car il était le monde entier, capable de se changer en la nature de n’importe quel être, puisque lui a été donné le pouvoir de s’attacher toute propriété des choses de son choix. C’est donc à juste titre que les Anciens inventaient des fables selon lesquelles certains hommes étaient changés en dieux, d’autres en lions, d’autres en loups, d’autres encore en aigles, en poissons, en plantes, en pierres, et ainsi de suite, du fait que ces hommes s’étaient attachés à l’intellect ou aux sens ou aux facultés végétatives, et ainsi de suite. Tous ceux qui placent ainsi les plaisirs du corps au-dessus des vertus morales ou intellectuelles se rendent donc plus semblables à des bêtes qu’à Dieu, et ceux qui préfèrent les richesses se rendent semblables à de l’or  ; pour cette raison, ceux-ci doivent être appelés des bêtes, et ceux-là des choses dépourvues de sensibilité. À supposer donc que l’âme soit mortelle, il ne faut pas pour autant mépriser les vertus et s’attacher aux plaisirs, à moins que l’on préfère être animal plutôt qu’homme, et insensible plutôt que doué de sens ou de connaissance73.

On retrouve les mêmes thématiques que dans le texte précédent (auxquelles s’ajoute celle de l’homme-microcosme)  : mais ici, le propos est deos connumerati sunt, licet perpauci  ; et hi sunt qui, subiugatis vegetativa et sensitiva, quasi toti rationales effecti sunt. Quidam vero, ex toto neglecto intellectu solisque vegetativæ et sensitivæ incumbentes, quasi in bestias transmigraverunt. Et hoc fortassis voluit apologus pythagoreus, cum dixit animas humanas in diversas bestias transire. Quidam vero puri homines nuncupati sunt  ; et hi sunt qui mediocriter secundum virtutes morales vixerunt  ; non tamen ex toto intellectui incubuere neque prorsus virtutibus corporeis vacavere  » (DIA, i, § 10-11, p. 8-10). 73   «  Grande igitur miraculum quidam dixerunt esse hominem, cum totus mundus sit et in unamquamque naturam vertibilis, cum sibi data est potestas sequi quamcumque proprietatem rerum maluerit. Recte igitur apologizaverunt antiqui, cum dixerunt aliquos homines esse factos deos, aliquos leones, aliquos lupos, aliquos aquilas, aliquos pisces, aliquos plantas, aliquos saxa, et sic de cæteris, cum aliqui homines insecuti sunt intellectum, aliqui sensum, aliqui vires vegetativæ, et sic de cæteris. Quicumque ergo præponunt voluptates corporales virtutibus moralibus sive intellectivis magis faciunt bestiam quam deum, qui divitias magis aurum  ; quare illi bestiæ, isti insensati appellandi sunt. Non igitur, existente anima mortali, virtutes sunt spernendæ et voluptates prosequendæ, nisi malit aliquis esse bestia quam homo et insensatus quam sensatus sive cognoscens  » (DIA, xiv, § 313, p. 208).



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orienté vers l’affirmation de la mortalité de l’âme. Que l’âme soit ou non mortelle, écrit en substance Pomponazzi, il ne faut pas s’attacher au vice, qui fait de l’homme une bête (en un sens bien entendu métaphorique), mais à la vertu – ce qui ne signifie rien d’autre que «  faire l’homme  », au sens de l’homo-homo de Charles de Bovelles. Le platonisme est retiré à sa métaphysique surnaturelle et magique, pour être rendu à son sens moral. Pomponazzi opère ici indirectement un retour à Platon à l’encontre d’une tradition interprétative qui va des néoplatoniciens antiques jusqu’aux platoniciens de son temps, annonçant en cela le socratisme moderne d’un Montaigne74.

74   Pour Montaigne, Socrate est vertueux et courageux en la mort «  non parce que son âme est immortelle, mais parce qu’il est mortel  » (Essais iii, 12, éd. Villey, p. 1059). Voir Le Socratisme de Montaigne, dir. Th. Gontier et S. Meyer, Paris, Classiques Garnier, 2010.

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INDEX NOMINUM GÉNÉRAL Abano, Pietro d’  :  306-307 Abel  :  179  ; 180  ; 181 + 9  ; 182  ; 183  ; 185  ; 189  ; 190  ; 192  ; 194 Abélard, Pierre  :  13  ; 14, 73  ; 153  ; 216  ; 230 Abramowski, L.  :  55, 24  ; 56, 27  ; 63, 43 Académie  :  224  ; 230 Achard, Martin  :  11, 54  ; 234, 1 Achèron  :  152, 41 Adam  :  180  ; 181  ; 182  ; 183  ; 184  ; 185  ; 186  ; 189  ; 191  ; 192 Adam Scot  :  229 Adamus Pulchrae Mulieris  :  22 Addey, C.  :  81, 46 Adéhmar de Chabannes  :  217 + 9 Adonis  :  97, 26 Aedisius  :  8 Aelred de Rievaulx  :  224  ; 225, 40 Aersten, J.-A.  :  28, 130 Afrique  :  47  ; 72  ; 139 Agozzino, Tullio  :  95, 23  ; 110, 59  ; 134 Agrippa de Nettesheim  :  286 Aidésius  :  2 Albert le Grand  :  22  ; 237, 12  ; 239 + 18 et 19  ; 240  ; 245 Albinus  :  29  ; 76, 24 Alcinoos (voir Alkinoos) Aldus  :  27  ; 30  ; 31 Alexandre d’Aphrodise  :  15  ; 58, 30  ; 60  ; 144, 17  ; 305 Alexandrie  :  1, 1  ; 2  ; 31  ; 226 Alkinoos (ou Alcinoos)  :  29  ; 48  ; 50, 12  ; 51  ; 58, 30  ; 130, 111 Allen, Michael J.-B.  :  25, 122  ; 26, 124  ; 32, 140  ; 34, 144  ; 256 + 8 Altman, William, H.-F.  :  6, 18 Alvarson, K.  :  221, 29 Alverny, M.-Th.  :  215, 1 Ambroise de Milan  :  4  ; 17  ; 88  ; 104 + 41  ; 108  ; 219

Amélius  :  2  ; 79, 36 Ammonius Hermeiae  :  2  ; 13 + 65  ; 14, 75  ; 19, 102  ; 195 + 3 Ammonius Saccas  :  1  ; 15 Ancona-Costa, Cristina d’  :  22, 111  ; 38, 150  ; 237, 12 Ancelet-Hustache, J.  :  141, 23 André de Saint-Victor  :  221 Anselme d’Havelberg  :  218 + 14 Antiochus d’Ascalon  :  14 + 77  ; 28  ; 29  ; 62 Apamée  :  2 Apollinaire de Laodicée  :  72, 7 Apollon  :  81  ; 86  ; 278 Apollonios de Tyane  :  75, 22 Apulée  :  6  ; 29  ; 51  ; 90, 11  ; 108, 53  ; 114, 64  ; 117  ; 129  ; 130 + 110  ; 131 + 113  ; 162, 29 Aratos de Soles  :  106  ; 114  ; 131  ; 132  ; 133  ; 135 Arcésilas  :  87 Architas  :  212 Ardigo, Roberto  :  300 + 19 Aretino, Rinuccio  :  25 Argonautes  :  79 Aristée de Proconnèse  :  260 Aristote  :  8  ; 9  ; 11  ; 12  ; 13, 71  ; 14 + 73  ; 15 + 84  ; 18  ; 19 + 102 et 103  ; 20  ; 21 + 107  ; 22  ; 31  ; 33  ; 36  ; 38  ; 39  ; 43  ; 50, 12  ; 51  ; 144, 17  ; 145, 21  ; 152, 41  ; 195 + 3  ; 197  ; 200, 18  ; 202  ; 203  ; 204  ; 205  ; 206 + 35  ; 209, 45  ; 210  ; 211 + 54  ; 212, 59  ; 213  ; 235 + 1  ; 236  ; 239  ; 242  ; 257  ; 270  ; 289  ; 293  ; 294  ; 297, 10  ; 298, 12  ; 305  ; 307, 44  ; 308  ; 311, 55 Arius  :  54  ; 59 Arménios  :  140 Armisen-Marchetti, Mireille  :  9, 44  ; 123, 95  ; 139, 1  ; 140, 4  ; 141, 7  ; 298, 13 Arnaldez, R.  :  181, 8

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INDEX NOMINUM GÉNÉRAL

Arnim, H. von  :  187, 17 Arnobe de Sicca  :  7, 27  ; 29  ; 72 + 8 Arpinate  :  87 Asie  :  80  ; 86  ; 255 Athanassiadi, P.  :  87, 78 Athéna  :  144 Athènes  :  2  ; 7  ; 30  ; 140  ; 218 Atticus  :  15  ; 29 Attis  :  97, 26 Aubenque, Pierre  :  11, 55  ; 202, 27 Aubin, P.  :  58, 34  ; 88, 81 Aubin, V.  :  306, 40 Augustin d’Hippone  :  4  ; 8  ; 12  ; 15  ; 17  ; 18 + 96  ; 29 + 134  ; 47  ; 88  ; 108, 53  ; 114  ; 120, 89  ; 133, 121  ; 135 + 130  ; 147  ; 153  ; 162, 29  ; 167, 47  ; 177  ; 181  ; 193, 38  ; 208  ; 215  ; 217  ; 220  ; 225  ; 230  ; 290 Augustin (Pseudo-)  :  220, 24 Aulu-Gelle  :  7  ; 29  ; 260 Auria, I. d’  :  103, 36 et 37 Ausone  :  102, 33  ; 136 Autogenes  :  65, 47  ; 69 Averroès  :  234  ; 297  ; 298  ; 300  ; 301  ; 308 Avicenne  :  234  ; 301 Aviénus  :  106  ; 114 + 67  ; 133  ; 135 Avit de Vienne  :  184 Bade, Josse  :  30, 137 Baehrens, E.  :  93, 19 Baiter, Johann Georg  :  6, 20 Bakhouche, Béatrice  :  8, 39 Balbi, Pietro  :  29 Baltes, M.  :  47, 2  ; 48, 8 Bannert, H. Herbert  :  30, 136 Barbélos  :  68 + 54  ; 69 Barnes, T.D.  :  73, 9 Baron, Hans  :  6, 21 Basilide  :  281 Baudoin de Ford  :  222 + 32 Bauemker, Clemens  :  22, 113 Baur, Ludwig  :  196, 5 Bazzi, P.  :  306, 40 Beatrice, P.F.  :  48, 6  ; 73, 9 Beaujeu, Jean  :  7, 26  ; 130, 110, 111 et 112 Beaujouan, Guy  :  10, 53

Bechtle, G.  :  48, 8 Beck, S.  :  223, 37 Beierwaltes, W.  :  42, 160 Bell, D.-N.  :  58, 32 Benakis, Linos G.  :  4, 11  ; 23, 120 Benson, R.L.,  :  215, 1 Benz, E.  :  47, 3 Benzécri, Jean-Paul  :  3, 9 Berger, A.  :  92, 15 Bernard (Pseudo-)  :  228 + 44  ; 229, 46 Bernard de Chartres  :  10  ; 27 Bernard de Clairvaux  :  241 Bernard de Morlaix  :  221 + 29  ; 224 + 39 Berndt, R.  :  221, 28 Berthold de Moosburg  :  23 Bessarion  :  29  ; 30  ; 31  ; 35  ; 36  ; 37 Biard, Joël  :  238, 17 Biblos  :  97, 26 Bidez, Joseph  :  14, 74 Bithynie  :  73, 9  ; 74 Blumenthal, H.J.  :  76, 27 Bochet, I.  :  75, 21  ; 87, 76 Bodéüs, Richard  :  15, 80  ; 152, 41  ; 202, 26 Boèce  :  9  ; 12  ; 13, 65  ; 14 + 75  ; 15  ; 16  ; 18  ; 19  ; 20  ; 21  ; 30  ; 47  ; 89  ; 90  ; 99  ; 107  ; 109  ; 111  ; 112  ; 115  ; 116  ; 117 + 79  ; 118  ; 119  ; 120  ; 122  ; 124  ; 125 + 100  ; 126  ; 128  ; 133, 123  ; 136  ; 137  ; 153  ; 155 + 1  ; 156 + 8  ; 159  ; 160  ; 161  ; 162  ; 163  ; 164 + 34  ; 167  ; 168  ; 169 + 54  ; 170  ; 172, 61  ; 173 + 68  ; 175  ; 176  ; 177 + 84  ; 181  ; 182  ; 184  ; 185  ; 186  ; 188  ; 189  ; 190  ; 191  ; 192  ; 193  ; 194  ; 196 + 4  ; 197  ; 199, 10  ; 200, 12, 14, 15, 17, 18 et 19  ; 202  ; 205  ; 206 + 33  ; 209  ; 212  ; 213 + 61 Bohême  :  27, 129 Böhlig, A.  :  69, 57 Bonaventure (saint)  :  34 Bonazzi, M.  :  49, 10  ; 55, 24  ; 55, 24 Bonne-Espérance  :  218



INDEX NOMINUM GÉNÉRAL355

Bos, Egbert P.  :  16, 88 Boss, G.  :  215, 3 Boter, G.  :  7, 27 Bougery, A.  :  156, 6 Boulègue, L.  :  32, 140  ; 38, 151  ; 297, 10 Boulliau, Ismaël  :  29 Boulnois, Olivier  :  216 + 5  ; 234, 1  ; 238, 13 et 14  ; 314, 64  ; 315, 71 Bourgain, P.  :  217, 9 Bovelles, Charles de  :  317 Boyancé, P.  :  115, 68 Brague, Rémi  :  212, 59  ; 234, 1 Brams, J.  :  215,3 Brandt, Samuel  :  12, 60  ; 19, 103  ; 198 Brasca, F. la  :  36, 148 Bregman, J.  :  90, 3 Bréhier, Émile  :  76, 27  ; 187 + 17  ; 188  ; 189, 25 Bremer, J.-M.  :  92, 14 Brenet, Jean-Baptiste  :  300, 20 Briquel, D.  :  73, 9 Brisson, Luc  :  1, *  ; 1, 1  ; 3, 9  ; 5, 17  ; 53, 19  ; 82, 50  ; 89, 1 et 2  ; 116, 72  ; 122, 93  ; 124, 99  ; 142, 10  ; 144, 18  ; 187  ; 199, 11  ; 205, 32  ; 208 + 42  ; 233, 1 Brocca, N.  :  82, 52 Brottier, L.  :  181, 5 Brown, Stephan F.  :  13, 72 Bruder, Karl  :  196, 5 Brumbaugh, Robert  :  10, 50 Bruni, Leonardo  :  6, 21  ; 25  ; 26  ; 28  ; 34 Bruno, Giordano  :  41, 159 Bruno de Cologne  :  219 + 17 Bruun, Otto  :  15, 80 Burkert, W.  :  92, 15 Burns, D.-M.  :  55, 24 Busine, A.  :  81, 43  ; 82, 49 Busse, Adolf  :  13, 63  ; 15, 81  ; 19, 102 Bussi, Giovanni Andrea de  :  29 Busson, H.  :  313, 61 Buttimer, C.H.  :  218, 10 Byzance  :  23  ; 24  ; 37

Caelum  :  77 Caïn  :  180  ; 181 + 9  ; 189 Calcidius (voir Chalcidius) Calma, D.  :  234, 1  ; 237, 12 Cameron, A.  :  111, 60 Campanini, Saverio  :  275, 2  ; 277  ; 283  ; 286, 18  ; 288, 23 et 24 Camus, Colette  :  104 + 38 et 41 Candido, Pier  :  25 Candidus l’Arien  :  48, 7  ; 62 Carraud, Ch.  :  302, 27 Casanova-Robin, Hélène  :  7 Cassiodore  :  12  ; 153 Catulle  :  90, 10 Caye, Pierre  :  7  ; 265, 3 Cazelais, S.  :  48, 8  ; 55, 26  ; 67, 53 Cébès  :  147  ; 148 Celse  :  75 Chadwick, Henry  :  201 + 24  ; 216, 6 Chalcidius (ou Calcidius)  :  9  ; 27  ; 29 + 133  ; 49, 9  ; 117, 80  ; 122  ; 215  ; 220  ; 222  ; 234, 1 Chappuis, Madeleine  :  16, 85 Charles IV  :  27, 129 Charlet, Jean-Louis  :  91, 12  ; 136, 134 Chartres  :  153 Chartreuse (La)  :  227 Chase, M.  :  12, 62 Chenault, R.  :  47, 4 Chevalier, J.-F.  :  95, 24 Chiaradona, R.  :  48, 8  ; 66, 51 Christ  :  102  ; 116  ; 135, 134  ; 186  ; 219  ; 230  ; 241  ; 244  ; 251  ; 273  ; 285  ; 287 + 19  ; 291 Chrysippe  :  187 + 17 Chrysoloras (Voir Manuel Chrysoloras) Cicéron  :  6  ; 7  ; 8  ; 29  ; 62, 39  ; 71  ; 86  ; 87  ; 90  ; 139  ; 140 + 3  ; 141 + 5  ; 153  ; 158 + 14  ; 167, 47  ; 283 Ciliberto, M.  :  26, 128 Cipriani, N.  :  47, 4 Circé  :  162 Cîteaux  :  227 Clark, G.  :  87, 68 Claros  :  81, 44  ; 86 Claudien  :  120, 90  ; 136, 134 Cléanthe  :  90  ; 106  ; 108, 53  ; 129  ; 135, 131  ; 137

356

INDEX NOMINUM GÉNÉRAL

Clément d’Alexandrie  :  67 Clucas, S.  :  26, 128 Colish, M.  :  47, 2 Colophon  :  81  ; 86 Colot, Blandine  :  76, 25  ; 85, 68  ; 87, 76 Combeaud, B.  :  102, 33 Combès, J.  :  209  ; 234, 1 Constable, G.  :  215, 1  ; 218, 11 Constance  :  41 Constantin (Empereur)  :  71 Constantinople  :  79, 35  ; 251 Conti, A. di  :  13, 72 Cook, J.G.  :  87, 76 Cooper, S.A.  :  47, 2  ; 53, 21  ; 106, 48 Copenhaver, Brian, P.  :  33, 142 Corbin, H.  :  49 + 10 Corinthe  :  250 Cornea, A.  :  268, 14 Cornarius, Janus  :  27 Cornelius  :  260 Cornelius Labeo  :  72, 8  ; 86 Corrigan, K.  :  48, 8  ; 49, 10 Corsini, Eugenio  :  4, 11 Corti, Lorenzo  :  15, 80 Cosme de Médicis  :  249 Costello, H.  :  220, 21 Couliano, I.P.  :  54, 23 Couloubaritsis, Lambros  :  4, 14  ; 19, 101 Counet, J.-M.  :  7 Courcelle, Pierre  :  14 + 75  ; 17, 93  ; 48, 6  ; 72, 8  ; 100, 30  ; 117, 80  ; 124, 99  ; 162 + 30  ; 215, 4 Courtine, J.-F.  :  301, 21 Cratès  :  28 Cristante, L.  :  96, 25 Cronos (ou Kronos)  :  77  ; 266 Cronius  :  72, 8 Crouse, R.  :  215, 4 Cues (voir Nicolas de Cues) Curzio, Chiesa  :  15, 80 Cutino, M.  :  103, 36  ; 120, 89 Daguillon, Jeanne  :  22, 117 Dal Pra, Mario  :  13, 68 Damascius  :  3  ; 16 + 86  ; 31  ; 38  ; 60, 37  ; 131 + 117  ; 234  ; 236  ; 237 + 11  ; 243  ; 268 + 12

Dante Alighieri  :  278, 8  ; 280, 12 David  :  195, 3  ; 278 David, Z.V.  :  40, 156 David l’Arménien  :  2 Daviet-Taylor, F.  :  85, 67 Decembrio, Pier Candido  :  34  ; 37 Decembrio, Uberto  :  25 Decossas, B.  :  238, 16 Decossas, J.  :  238, 16 Dell’Aversano, C.  :  56, 27 Delphes  :  86  ; 278 Deleuze, Gilles  :  264  ; 270 Démosthène  :  312, 59 Denys l’Aréopagite (Pseudo-)  :  3  ; 32  ; 50, 12  ; 61, 38  ; 251  ; 288  ; 289, 25  ; 291  ; 313, 63 DePalma Digeser, Élisabeth  :  73, 9  ; 74 + 12  ; 76 + 26  ; 78, 31  ; 82, 49  ; 87, 68 Descartes  :  300 Des Places, E.  :  78, 33  ; 79, 35  ; 260, 17 Detienne, Marcel  :  144, 16 Deuse, W.  :  148, 30 Dexippe  :  197  ; 202  ; 203  ; 204  ; 205  ; 206 + 33  ; 210  ; 211  ; 212  ; 213 Diane  :  90, 10 Di Conti, Alessandro  :  13, 71 Didymes  :  81, 44 Dietrich (ou Thierry) de Freiberg (ou Vriberg)  :  22 Dillon, J.  :  48, 8  ; 66, 50 Dioclétien  :  80 Diogène Laërce  :  28 Dionysos  :  135, 131  ; 143  ; 151, 40  ; 153 Diotime  :  166, 38 Dixaut, M.  :  148 Dodaro, R.  :  215, 4 Dodds, Eric Roberston  :  16, 86  ; 49, 10  ; 140, 8  ; 142, 8 Dolbeau, François  :  107, 49 et 50  ; 120, 89 Dolveck, Franz  : 102 + 33 et 35  ; 109, 55  ; 115, 70 Dominici, Giovanni  :  36 Dominique de Flandres  :  37 Donat  :  6, 19 Doré, J.  :  78, 34



INDEX NOMINUM GÉNÉRAL357

Doutreleau, L.  :  181, 4 Dracontius  :  104 + 39  ; 114  ; 115  ; 117 + 77  ; 118  ; 119  ; 120, 87  ; 121  ; 127  ; 136  ; 137 Dräger, P.  :  101, 32 Drake, H.A.  :  73, 9 Drecoll, V.H.  :  54, 22  ; 55, 24  ; 56, 29  ; 63, 43 Dronke, P.  :  215, 2 Dubois, J.-D.  :  52, 18 Duff, J.W.  :  93, 19 Dufour, R.  :  144, 17  ; 151, 34 Duminil, Marie-Paule  :  203, 29 Dutton, Paul  :  10, 51 Eckhart (Maître)  :  23  ; 234 + 1  ; 237, 12  ; 240  ; 241, 22 et 23  ; 242  ; 243  ; 244, 26  ; 245 Edwards, M.J.  :  48, 8  ; 53, 21  ; 56, 27  ; 58, 32  ; 63, 40  ; 69, 56  ; 70, 55  ; 73, 9  ; 215, 4 Ehlers, W.W.  :  136, 134 Eisenbichler, K.  :  30, 136 Élias  :  15  ; 195 + 3 Élias (Pseudo-)  :  2  ; 195 + 3 Élie  :  260 Élissaios  :  254 Éllis, Roger  :  6, 22 Elsas, C.  :  72, 8 Emmel, S.  :  52, 17 Engelbrecht, August  :  169  ; 170, 55 Énoch  :  260 Épicure  :  90  ; 225 Er  :  139  ; 140  ; 150  ; 153 Ericinio, Adalbert Ranconis de  :  27, 129 Érisman, Ch.  : 21, 108 Erizzo, Sebastiano  :  31 Ernald de Bonneval  :  220 + 23 Ésaü  :  282 Estienne, Henri  :  39 Eudorus  :  29 Euler, W.A.  :  34, 144 Eusèbe de Césarée  :  1, 1  ; 2, 5  ; 15  ; 29  ; 72, 7  ; 75  ; 76, 23  ; 79, 35 et 36  ; 85, 67  ; 87  ; 77  ; 281 Eusèbe de Nicomédie  :  54 Fabius  :  199 Farabî, al-  :  234  ; 239, 1

Fauser, Winfried  :  22, 116 Felgentreu, F.  :  136, 134 Feliciano, Giovanni Bernardo  :  30 Fellina, S.  :  39, 152 Fernandez-Marcos, Natalio  :  184, 12 Ferrara  :  36 Festugière, André-Jean  :  72, 8  ; 146, 27  ; 208 + 41  ; 315, 71 Feuer, I.  :  181, 7 Filelfo, Francesco  :  34 Finamore, J.F.  :  236, 9 Finkelberg, M.  :  80, 40 Firmicus Maternus  :  88  ; 105  ; 108  ; 127 + 104 et 105  ; 135 Fitzgerald, A.D.  :  215, 4 Flamant, Jacques  :  4 + 14  ; 18  ; 88, 82  ; 140, 2  ; 142, 9 Flasch, Kurt  :  22, 118 Fleet, Barrie  :  210, 49, 50 et 51 Florence  :  23  ; 24  ; 25  ; 32  ; 34  ; 36  ; 37  ; 255 Fontaine, Jacques  :  71, 1  ; 87 + 75 Forshaw, P.J.  :  26, 128 Fortin, E. L.  :  72, 8 Fox Morcillo, Sebastian  :  39 Foucault, Michel  :  226 + 41 Fredouille, J.-C.  :  76, 23 Friedberg, E.  :  217, 8 Freund, Stefan  : 73, 9  ; 81 + 44 et 47  ; 82, 49 + 51  ; 84, 63 Frise  :  30 Frowinus d’Engelberg  :  223 + 37 Fuhrer, T.  :  92, 15 Fulgence de Ruspe  :  135 + 130 Furley, W.D.  :  92, 14 et 15 Gabarrou, François  :  7, 31 Galien  :  29 Galilée  :  34 Gallard, S.  :  26, 127 Galonnier, Alain  :  19, 101  ; 47, 1  ; 195, 1  ; 196, 4  ; 198, 7  ; 215, 1 Gandillac, M. de  :  313, 63 Garin, E.  :  220, 26 Gauthier, René-Antoine  :  13, 70 Gauthier Burley  :  19 Gavray, Marc-Antoine  :  11, 55 Gentile, S.  :  30, 136  ; 255, 7 Géométrie  :  99

358

INDEX NOMINUM GÉNÉRAL

Georges de Trébizonde  :  25  ; 36 Georges Scholarios  :  255 Gérard de Crémone  :  21 Germanicus  :  132 Geroh de Reichersberg  :  219 + 20 Gersh, Stephen  :  4, 13  ; 47, 2  ; 140, 3  ; 142, 11 Gerson, L.-P.  :  48, 8  ; 90, 3 Geyer, Bernhard  :  13, 68 Giappichelli, G.  :  4, 11 Gilles de Viterbe  :  31 Gilly, C.  :  255, 7 Gilson, Étienne  :  196, 5  ; 301 + 21 Giraud, Cédric  :  227, 43  ; 229, 45 Giomini, Remo  :  6, 19 Gontier, Thierry  :  293, 1  ; 297, 10  ; 301, 22  ; 317, 74 Goodman, M.  :  73, 9 Goulet-Cazé, Marie-Odile  :  124, 99  ; 142, 10  ; 144, 18  ; 199, 11 Goulet, Richard  :  1, 1  ; 72, 7  ; 73, 9  ; 75, 20 Gourmelen, L.  :  85, 67 Grandgeorge, Léon  :  18, 96 Gratien  :  217 + 8 Grèce  :  25  ; 254 Green, R.P.H.  :  101, 32 Grégoire de Nysse  :  298, 13 Grégoire de Rimini  :  300, 20 Grégory, T.  :  220, 26 Grilli, A.  :  56, 28 Grosseteste (voir Robert Grosseteste ) Gruber, J., 115, 68  ; 116, 71  ; 117, 76  ; 124, 98  ; 162, 28 Grynaeus, Simon  :  27  ; 31 Guerric d’Igny  :  220 + 21 Guillaume de Champeaux  :  13 Guillaume de Conches  :  10  ; 27  ; 220 Guillaume de Moerbeke  :  10  ; 13  ; 31  ; 215 Guillaume de Saint-Thierry  : 219 + 16  ; 222 + 33 Guillaume d’Occam (ou Ockham)  :  23  ; 40 + 155 Guillaumin, Jean-Baptiste  :  4, 13  ; 95, 24  ; 99, 28  ; 110, 57  ; 113, 62  ; 118, 81  ; 130, 110

Guittard, S.  :  73, 9 Guyot, M.  :  153, 49 Haacke, H.  :  219, 15 Haas, Frans A.-J. de  :  210, 49, 50 et 51 Hadès  :  150 Hadot, Ilsetraut  :  2, 6  ; 4  ; 11 + 54  ; 125, 101  ; 195, 2  ; 200, 17 et 19  ; 201, 25  ; 210, 48  ; 234, 1 Hadot, Pierre  :  3  ; 8 + 36  ; 12, 57 et 61  ; 14, 76  ; 15, 80  ; 17, 92 et 94  ; 47  ; 48 + 8  ; 51, 16  ; 53 + 21  ; 56  ; 58, 31 et 32  ; 60  ; 62, 39  ; 63, 40  ; 76, 27  ; 106, 48  ; 197  ; 198  ; 202, 27  ; 203  ; 204 + 30  ; 205 + 31  ; 206 + 34  ; 207 + 38, 39 et 40  ; 210, 48  ; 211, 53 et 56  ; 212, 59  ; 226 + 41  ; 234, 1 Hain, A.  :  159, 16 Hammon  :  97, 26 Hankey, Wayne  :  11, 54  ; 234, 1 Hankins, James  :  24, 121  ; 249 Harl, Marguerite  :  180, 3 Harmonie  :  97  ; 110 + 57  ; 112  ; 118  ; 123 Harrān  :  2 Hartel, W. von  :  101, 32 Hawlett, S.  :  26, 128 Headley, J.-M.  :  32, 141 Hécate  :  59 Hecquet-Noti, Nicole  :  179, 1  ; 185, 13 Hedde, R.  :  220, 22 Hellade  :  250  ; 251 Helm, Rudolf  :  2, 5 Héloïse  :  230 Henri Aristippe  :  9  ; 215 Henry, Paul  :  15, 79  ; 17, 92  ; 47, 2  ; 106, 48 Henry, René  : 15, 79 Héracléon  :  53, 21 Héraclès  :  160  ; 164 Héraclite  :  34  ; 35 Hercule  :  79 Heren, M.W.  :  104, 39 Hermès Trismégiste  :  72, 8  ; 80  ; 249  ; 250  ; 255  ; 256  ; 278  ; 288  ; 290



INDEX NOMINUM GÉNÉRAL359

Hermias  :  29 Hermotime de Clazomène  :  260 Hérold, Vilhelm  :  23, 120  ; 28, 130  ; 40, 156 Herrero de Jáuregi, M.  :  77, 29 Hertz, M.  :  6, 25 Hésiode  :  76  ; 143, 12  ; 151, 37  ; 185, 17 Hinrichs, J.-C.  :  2, 5 Hiéroclès d’Alexandrie (ou Platonicus)  :  2  ; 15, 79  ; 75  ; 200, 19 Hoenen, M.J.F.M.  :  239, 18 Hoffmann, Philippe  :  11, 56  ; 202, 27  ; 210  ; 48 Holeton, D.R.  :  40, 156 Holstenius, Lucas  :  31 Holte, Ragnar  :  156 + 7  ; 157 + 9 et 12 Hopper, Marcus  :  27 Horace  :  90, 10  ; 120, 88 Hoste, A.  :  222, 30 Hovingh, P.F.= 103, 36 et 37  ; 120, 86 Hübbe, B.  :  104, 38 Hubler, J.N.  :  49, 10 Hudson, A.  :  28, 130 Hudry, Françoise  :  8, 35  ; 22, 112 Hugues de Saint-Victor  :  217  ; 218, 10 et 12  ; 222  ; 223, 34  ; 225 Huh, Min-Jun  :  55, 26  ; 200, 15 Hurtado de Mendoza, Diego  :  31 Hyménée  :  95  ; 96, 25  ; 121 Hypathie  :  2 Ignace d’Antioche  :  67 Imbach, Ruedi  :  32, 111  ; 22, 114 Ingremeau, Ch.  :  82, 49 Isaac de l’Étoile  : 222 + 30 et 31  ; 225 Ivánka, E. von  :  216, 5 Iwakuma, Yikio  :  21, 64 Jacob  :  282 Jamblique  :  2  ; 16  ; 17, 89  ; 30  ; 62, 39  ; 80  ; 197  ; 210  ; 211 + 55  ; 212 + 57  ; 213  ; 234  ; 236 + 9  ; 288 + 24  ; 289 Janov, Matthias de  :  27, 129 Janus  :  133, 121

Jaulin, Annick  :  203, 29 Jean (l’Évangéliste)  :  277  ; 288 Jean (diacre)  :  19 Jean Argyropoulos  :  30 Jean Buridan  :  23 Jean Cassien  :  226 Jean Chrysostome  :  181 Jean de Rabenstein  :  29 Jean de Salisbury  :  216  ; 223 + 36  ; 230 Jean Duns Scot  :  23 Jean Gerson  :  40  ; 41 + 158 Jean Hus  :  27, 129  ; 40 + 156 Jean le Lydien  :  62  ; 63, 40 Jean Philopon  :  2 Jean Pic de la Mirandole  : 359 Jean Rokycana  :  29 Jean Sarazin  :  32 Jean Scot Érigène  :  3  ; 4, 11  ; 8  ; 21 + 108  ; 32  ; 153 Jean Sharpe  :  23 Jean Wyclif  :  23 + 120  ; 27  ; 40 + 155  ; 41 Jeauneau, Édouard  :  4, 11  ; 10, 52 Jejcic, F.  :  7 Jérôme de Prague  :  40 + 156 Jérôme de Raguse  :  293 Jérôme de Stridon  :  88  ; 115, 70  ; 219 Jérusalem  :  288  ; 289 Jésus Christ  :  1, 1 Job  :  278 Johnson, A.-P.  :  73, 9  ; 75, 17 Jones, A.H.M.  :  107, 51 Judicis de Mirandol, L.  :  169, 54 Julien (Empereur)  :  135, 132  ; 254  ; 288, 24 Julien, Yvette  :  7, 28 Julien le Théurge  : 254 Jupiter  :  77  ; 92  ; 97  ; 123  ; 127  ; 129  ; 132  ; 136  ; 146 Justinien  : Juvénal  :  278 Kaiser, Carl Ludwig  :  6, 20 Kaiser, Ch.  :  31, 138 Kalbfleisch, Karl  :  11, 56  ; 14, 76 Kalyptos  :  65, 47  ; 69

360

INDEX NOMINUM GÉNÉRAL

Kampter, M.  :  101, 32 Karamanolis, George E.  :  14, 76 Keil, H.  :  6, 25 Kenney, J.P.  :  217, 7 Kessler, E.  :  24, 121 Kindî, al-  :  22 Klibanski, Raymond  :  9, 48 Klingner, Friedrich  :  9, 47  ; 124, 99 Kopp, U.F.  :  95, 24  ; 113, 62 Kordeuter, Victor  :  9, 49 Korè  :  144 Kristeller, Paul Oskar  :  32, 141  ; 42, 160  ; 249 Kronos (voir Cronos) Krzizanow, Venceslas de  :  28 Kuhn-Treichel, T.  :  103, 36 Labowsky, Carlotta  :  10, 50 La Bua  :  90, 6 Lactance  :  7, 33  ; 29  ; 71  ; 72 + 8  ; 74 + 12  ; 75  ; 76, 23  ; 77 + 29  ; 78  ; 79  ; 80  ; 83  ; 84 + 64  ; 85 + 67 et 68  ; 86  ; 87 + 77 et 78  ; 162, 29 Lacombrade, Chr.  :  90, 3 Lagarde, B.  :  255, 6  ; 257, 10 Lagerlund, H.  : 40, 156 Lamy, Alice  :  7 Lamberton, R.  :  80, 40 Landino, Cristoforo  :  302 + 27 Laourdas, Basileos  :  185, 14 Larre, D.  :  265, 3 Latium  :  97, 26 Laurens, P.  :  26, 127 Laurent, J.  :  151, 36 Laurent de Médicis  :  25  ; 37 Lauster, J.  :  34, 144 Laval  :  52, 18 Lawless, G.  :  215, 4 Lazzarin, F.  :  26, 123 Lecerf, A.  :  135, 132 Le Gludic, Jean-Louis  :  179, 1 Lefèvre de la Boderie, Guy  :  275 Lefèvre d’Étaples, Jacques  :  32 Lehmann, Y.  :  90, 3 Leinkauf, Th.  :  31, 139  ; 42, 160 Leitgeb, M.-C.  :  30, 136 Lemoine, Michel  :  6, 22 Lernout, A.  :  38, 151

Leroux, G.  :  152, 42 Léthè  :  143 Lettieri, G.  :  58, 32 Lévy, C.  :  7  ; 130, 110 Lewy, H.  :  55, 26  ; 95, 23 Libera, Alain de  :  20, 106  ; 21, 110  ; 22, 117  ; 239, 1  ; 297, 11 Licentius  :  120, 89 Lilla, S.  :  58, 32 Limoges  :  217 Linguiti, A.  :  48, 8 Lippi, Lorenzo  :  25 Lloyd, Anthony C.  :  38, 150 Lohe, P.  :  302, 27 Lohr, C.  :  221, 28 Löhr, W.  :  54, 23 Louis XI  :  40, 154 Löw, Andreas  :  80, 41 Loyen, André  :  6, 24 Lucain  :  127, 107  ; 305 Lucarini, C.M.  :  72, 8 Lucien de Samosate  :  254 Lucrèce  :  108, 53 Luna, Concetta  :  210, 48 Lune  :  150 Lutz, Cora E.  :  8, 41 Lybie  :  97, 26 Lyéus  :  97, 26 Macaire de Magnésie  :  72, 7 Macrobe  :  4  ; 9  ; 88  ; 114, 64  ; 117, 80  ; 122  ; 127, 102  ; 132, 118  ; 133, 121  ; 135, 131  ; 139  ; 140 + 3  ; 141  ; 143  ; 144  ; 145 + 19  ; 146  ; 148  ; 149  ; 150  ; 153  ; 234, 1  ; 278  ; 279  ; 283  ; 298, 13 Madec, Goulven  :  18, 95  ; 144, 18  ; 145, 22  ; 225 Magee, John  :  101, 31  ; 172, 63  ; 201, 21 Magnard, Pierre  :  22, 111  ; 26, 128  ; 32, 140  ; 234, 1  ; 238, 13 et 14  ; 265, 3  ; 276, 4  ; 314, 64 Mahomet  :  287 Maison de la Recherche  :  7 Majercik, R.  :  53, 21  ; 55, 24  ; 60, 37 Malherbe, J.-F.  :  240, 21 Manchester, P.  :  58, 32



INDEX NOMINUM GÉNÉRAL361

Manilius  :  120, 89 Männlein-Robert, I.  :  73, 9 Mansfeld, J.  :  57, 28 Manuel II (empereur)  :  250 Manuel Chrysoloras  :  25 Marache, René  :  7, 28 Marc Aurèle  :  254 Marcel, Raymond  :  25, 122  ; 26, 127  ; 249  ; 257, 9  ; 258, 12  ; 259, 14 et 15  ; 295, 4 Marcion  :  281 Marchesi, Concetto  :  7, 31 Marenbon, John  :  5, 16  ; 21, 108  ; 172, 63 Mariani-Zini, F.  :  35, 147 Marinone, Nino  :  9, 44  ; 140, 2 Marius Victorinus, Claudius  :  4  ; 7 + 33  ; 8  ; 12  ; 17  ; 22  ; 47  ; 48 + 7  ; 50, 12  ; 51  ; 52 + 17  ; 53 + 19  ; 54 + 22  ; 55  ; 56 + 29  ; 57  ; 58  ; 59  ; 60  ; 61, 38  ; 62  ; 63  ; 64  ; 65  ; 67 + 52  ; 69  ; 70 + 57  ; 103  ; 104  ; 106  ; 108  ; 109  ; 112  ; 113 + 63  ; 114  ; 115  ; 116  ; 117, 77 et 78  ; 118  ; 120  ; 121  ; 123  ; 125  ; 126  ; 127, 107  ; 128  ; 136  ; 137  ; 197  ; 198  ; 206 + 34  ; 207 + 40  ; 208, 41 Markus, R.A.  :  76, 27 Mars  :  146 Marsile Ficin  :  23  ; 25  ; 26  ; 28  ; 29  ; 30  ; 31  ; 32  ; 35  ; 37  ; 38 + 151  ; 39  ; 42  ; 43  ; 44  ; 249  ; 255  ; 256  ; 257  ; 258  ; 260  ; 261  ; 276  ; 284  ; 286  ; 294  :  295 + 4  ; 296  ; 299  ; 300  ; 301  ; 302  ; 303  ; 304  ; 305  ; 306  ; 307  ; 308  ; 314  ; 315 + 71 Martelotti, G.  :  33, 142 Marti, H.  :  48, 6 Martianus Capella  :  4 + 13  ; 8  ; 95, 24  ; 96, 25  ; 99, 28  ; 101  ; 107  ; 110  ; 111  ; 113, 62  ; 114, 64  ; 117 + 79  ; 118  ; 119  ; 121  ; 122  ; 123, 97  ; 126  ; 127  ; 128  ; 132  ; 133, 122  ; 135  ; 136 Martin, J.  :  102, 35  ; 106, 46 Martindale, J.R.  :  107, 51 Märtl, C.  :  31, 138

Masai, F.  :  250, 1 Massinissa  :  139  ; 141 Mastandrea, P.  :  72, 8  ; 86, 70 Mattiacci, S.  :  93, 19 et 21  ; 95, 23  ; 107, 51  ; 111, 60  ; 114, 64 et 66 Maxime de Madaure  :  120, 89 Maxime d’Éphèse  :  2 Maxime de Tyr  :  66 Mayeur, J.-M.  :  75, 18 Mazur, Z.  :  55, 24 Mazza, M.  :  72, 8 McGill  :  104, 39 McInery, Ralph  :  198, 7 Méasson, A.  :  181, 6 Meeks, W.A.  :  160, 17 Meijer, Pieter, A.  :  16, 88 Meiser, Carl  :  15, 84 Memphis  :  97, 26 Mercure (planète)  :  146 Mercure (Hermès)  :  279  ; 284 Merlan, Philip  :  196, 5  ; 211, 54, 55 et 56  ; 212, 58  ; 213 + 61 Méthode d’Olympe  :  72, 7 Métry-Tresson, C.  :  237, 11 Meyer, S.  :  317, 74 Michel, I.  :  7 Michel Psellos  :  254  ; 260 Michon, C.  :  297, 11  ; 313, 63 Milet  :  81, 44  ; 86 Militello, Chiara  :  201, 24 Minio-Paluello, Lorenzo  :  9, 48 Mistra  :  250  ; 251 Mitchell, S.  :  77, 29  ; 81, 46 Mithra  :  97, 26 Modératus  :  66 Moïse  :  1, 1  ; 34  ; 222  ; 249  ; 282 Mojsisch, Burkhardt  :  23, 119 Monagle, C.  :  219, 18 Monat, P.  :  73, 9  ; 75, 19  ; 76, 24  ; 77, 29  ; 82, 49 Monceaux, P.  :  73, 9 Monfasani, J.  :  29, 135 Montaigne, Michel de  :  300  ; 317 + 74 Montero, S.  :  73, 9 Montet, D.  :  151, 36 Moreau, Joseph  :  207, 37 Morée  :  251

362

INDEX NOMINUM GÉNÉRAL

Moreschini, Claudio  :  20, 105  ; 47, 4  ; 51, 14  ; 130, 110  ; 136, 134  ; 159, 16  ; 164, 35  ; 172, 61  ; 174, 74  ; 175 + 76 et 78  ; 177, 84  ; 179, 2  ; 275, 5  ; 286, 17 Morlet, S.  : 72, 7  ; 73, 9  ; 75, 20 et 21  ; 76, 23 et 24  ; 87, 68 et 76 Morris, J.  :  107, 51 Morson, J.  :  220, 21 Mortley, R.  :  56, 27 Moussy, Claude  :  104 + 38 et 41 Mueller-Jourdan, Pascal  :  195, 3 Muralt, André de  :  203, 29 Murmellius, Johannes  :  30, 137 Musco, A.  :  41, 159 Musurus, Marcus  :  27 Mynors, Roger Aubrey Baskerville  :  12, 57 Nag Hammadi  :  52  ; 53, 21  ; 54  ; 55, 24  ; 67 Nájéra, Rafael  :  198, 7 Narbonne, Jean-Marc  :  11, 54  ; 234, 1 Narcy, Michel  :  73, 9 Navarro, F.  :  125, 100 Némésius d’Émèse  :  298, 13 Nérée  :  98, 27 Nervi, M.  :  56, 28 Neschke-Hentschke, A.  :  39, 153 Nicée  :  48, 7 Nicolas de Cues  :  25  ; 29  ; 31  ; 263  ; 264  ; 267  ; 269 + 15 et 18  ; 271  ; 272 Nicomaque Flavien Senior  :  88, 82 Nicomédie  :  80  ; 86 Nil  :  97, 26 Nock, A.-D.  :  82, 53  ; 84, 61 Norden, Eduard  :  92 + 16  ; 106, 45 Norpoth, L.  :  220, 25 Numénius d’Apamée  :  29  ; 34  ; 48  ; 53, 19  ; 66  ; 78  ; 79, 35 et 36  ; 87  ; 140, 3  ; 142 + 9 et 11  ; 145  ; 153 Obertello, L.  :  159, 16 O’Brien, D.  :  144, 18 Occam (ou Ockham) (voir Guillaume d’Occam)

Olszaniec, Włodzimierz  :  6, 21 Olympe  :  97, 26 Olympiodore  :  144, 18 Onofrio, G. d’  :  200, 12 Orbe, A.  :  53, 21 Orens d’Auch (voir Orientus) Orientius (Orens d’Auch)  : Origène  :  75  ; 181  ; 220 + 22  ; 224  ; 290 Orphée  :  77  ; 78  ; 79  ; 97, 26  ; 135, 131 Osiris  :  97, 26 Ouranos  :  77 Ovide  :  115, 69  ; 120, 88  ; 285 Oxford  :  27  ; 40  ; 41 Padoue  :  27  ; 260 Pagnoni-Sturlese, Maria Rita  :  22, 115  ; 23, 119 Palasinus, Raymond  :  30, 137 Pallas  :  99  ; 110  ; 133, 122 Papazian, Michael  :  2, 7 Papini, S.  :  103, 36 Paris  :  27  ; 40  ; 41 Parrhasie  :  98, 27 Paschoud, F.  :  109, 54 Pasquale Barbanti, M. di  :  236, 8 Patrizi da Cherso, Francesco  :  31 Paul (Apôtre)  :  47  ; 260  ; 284  ; 290 Paul II (pape)  :  36 Paul Émile  :  141 Paulin de Nole  :  101, 32  ; 102, 33  ; 136 Pavlicek, O.  :  40, 156 Pearson, B.-A.  :  61, 38 Péloponnèse  :  250  ; 251 Pennati-Bernardini, A.  :  80, 40 Pergame  :  2 Pelhrimov, Mathias de  :  28 Pépin, J.  :  149 Perion, Joachim  :  32 Perler, D.  :  238, 17 Pernis, M.-G.  :  25, 122 Perono Cacciafoco, F.  :  95, 23 Perrin, Michel  :  7, 32  ; 71, 1 et 3  ; 79, 36  ; 80  ; 83  ; 87, 75  ; 88, 80 Petit, P.  :  241, 22 Pétrarque  :  26  ; 34 Petrucci, F.M.  :  7, 29



INDEX NOMINUM GÉNÉRAL363

Pharaon  :  282 Philippe de Harveng  :  218 + 13  ; 222 Philologie  :  110  ; 125  ; 133, 122 Philon d’Alexandrie  :  79, 36  ; 181  ; 257 Philon de Byblos  : 288, 24 Philonenko, A.  :  26, 126 Philopon  :  2 Philosophie  :  155  ; 156  ; 160  ; 161  ; 162  ; 163  ; 164  ; 166  + 40  ; 167  ; 168  ; 169  ; 172  ; 176 Phoebus  :  97, 26 Photius  :  185  :  189 Pia, Jordi  :  47, 1  ; 55, 26 Pic de la Mirandole  :  315 + 71 Pieperhoff, Sabina  :  22, 117 Pieri, B.  :  51, 14 Pierre (écolâtre)  :  223 Pierre Auriol  :  300, 20 Pierre d’Ailly  :  16  ; 40 Pierre Damien  :  221 + 27 Pierre le Vénérable  :  218  ; 223 + 35  ; 230 + 47 Pierre Lombard  :  219 + 19 Pierre de Poitiers  :  218 Pietri, Ch.  :  75, 18 Pietri, L.  :  75, 18 Pinchard, Bruno  :  234, 1  ; 314, 64 Pirotta, A.  :  238, 15 Platon  :  3, 10  ; 6  ; 7  ; 8  ; 9  ; 10  ; 11  ; 12  ; 14 + 73  ; 15, 84  ; 17  ; 18  ; 19 + 102  ; 23  ; 24  ; 25  ; 26  ; 27  ; 28  ; 31  ; 32  ; 33  ; 34  :  35  ; 36  ; 37  ; 38  ; 39  ; 41  ; 43  ; 44  ; 48  ; 50, 12  ; 51 + 15  ; 54  ; 64  ; 72, 8  ; 80  ; 82  ; 86  ; 87  ; 93, 21  ; 122, 93  ; 125  ; 130 + 110 et 112  ; 136  ; 137  ; 139  ; 140  ; 142  ; 143 + 12  ; 145 + 21  ; 148  ; 164 + 35  ; 166, 38  ; 203, 29  ; 210  ; 211 + 54  ; 215  ; 216  ; 217  ; 218  ; 219  ; 220  ; 221  ; 222  ; 224  ; 230  ; 233, 1  ; 234, 1  ; 237, 11  ; 254  ; 259  ; 266  ; 268 + 14  ; 278  ; 280  ; 283 + 14  ; 284  ; 287, 20  ; 288  :  289  ; 294  ; 296  ; 297  ; 301 + 24  ; 302  ; 303, 30  ; 308  ; 309  ; 310 + 55  ; 312 + 59  ; 313  ; 317

Plaute  :  170 Plese, Z.  :  55, 24  ; 56, 29 Pléthon, Gémistos (ou Gémiste)  :  30  ; 35  ; 36  ; 249  ; 250  ; 252 + 2  ; 253 + 5  ; 254  ; 255  ; 256  ; 258  ; 259  ; 260  ; 261 Pline l’Ancien  :  260  ; 302, 26 Pline le Jeune  :  303 Plotin  :  1  ; 2  ; 3  ; 16  ; 17  ; 18, 96  ; 22  ; 30  ; 48 + 6 et 8  ; 51 + 14 et 15  ; 53, 19  ; 54  ; 55 + 24  ; 74  ; 76 + 27  ; 77  ; 78  ; 79  ; 83  ; 88  ; 91, 13  ; 142 + 9  ; 143  ; 146, 26 + 28  ; 148  ; 151, 36  ; 151, 37 et 39  ; 152, 41, 43 et 44  ; 153 + 48 et 49  ; 153 + 48  ; 161 + 24  ; 162  ; 166, 39 et 42  ; 167, 43  ; 171, 58  ; 172, 64  ; 173  ; 175  ; 176 + 81  ; 186  ; 187 + 17 et 18  ; 188  ; 189  ; 190  ; 191  ; 193  ; 194  ; 201, 22  ; 202  ; 203 + 28  ; 205, 32  ; 206, 35  ; 207  ; 208  ; 209, 45  ; 210  ; 217  ; 233 + 2  ; 234, 1  ; 235 + 6  ; 236 + 7  ; 243 + 24  ; 249  ; 257  ; 266 + 7  ; 268 + 12  ; 279  ; 280  ; 283, 15  ; 288  ; 289  ; 290  ; 298, 13  ; 301 Plutarque  :  29  ; 187, 17  ; 305  Polémon  :  28 Poliziano  :  25 Pollmann, K.  :  40, 156 Pomponazzi, Pietro  :  294  ; 295  ; 296  ; 297 +10  ; 298 + 16  ; 299  ; 300  ; 301 + 22 et 23  ; 302  ; 303 + 29  ; 304  ; 305  ; 306  ; 307 + 44  ; 308 + 47  ; 310 + 55  ; 311  ; 312  ; 313  ; 314  ; 315 + 70  ; 316  ; 317 Porphyre  :  1, 1  ; 2  ; 3  ; 8  ; 13, 65  ; 14  ; 15  ; 16  ; 17  ; 18 + 96  ; 19 + 102  ; 30  ; 48 + 8  ; 52, 17  ; 55  ; 58 + 32  ; 60  ; 64  ; 71  ; 72, 7 et 8  ; 73 + 9  ; 74  ; 75  ; 76  ; 80  ; 82  ; 83  ; 85 + 68  ; 128  ; 131  ; 134  ; 136  ; 139  ; 142 + 9 et 11  ; 145 + 19, 20 et 24  ; 146, 28  ; 147  ; 148  ; 149 + 31  ; 150  ; 153  ; 162, 25 et 29  ; 197  ; 198  :  199, 11  ; 200, 12  ; 202 + 26  ; 204  ; 205 + 32  ; 208 + 41 et 43  ; + 47  ; 213  ; 217  ; 234  ; 283, 15  ; 284  ; 285

364

INDEX NOMINUM GÉNÉRAL

Posidonius  :  211, 54 Pouderon, B.  :  78, 34 Prague  :  27  ; 40 Préaux, J.  :  108, 53 Préchac, François  :  6, 23 Prétextat  :  135, 131 Price, S.  :  73, 9 Pricoco  :  81, 45 et 47  ; 86, 70 Priscien de Césarée  :  6 + 20 Priscus  :  2 Proclus  :  15  ; 17  ; 22  ; 30  ; 38 + 151  ; 50, 12  ; 61, 38  ; 63  ; 90  ; 109  ; 117, 80  ; 125  ; 128 + 108  ; 131 + 116  ; 140  ; 145, 20  ; 164, 37  ; 172, 64  ; 201, 25  ; 206, 35  ; 209, 46  ; 211  ; 234 + 1  ; 236, 10  ; 237 + 12  ; 257  ; 268 + 12  ; 278  ; 288  ; 301  ; 314, 64 Prodicos  :  160 Protophanes  :  65, 47  ; 69 Prudence  :  108 Pucci, J.  :  104, 39 Puelma, Mario  :  6, 22 Pythagore  :  5  ; 35  ; 72, 8  ; 145 + 20  ; 153  ; 254  ; 255  ; 280  ; 283 Quicherat, J.  :  93, 19 et 21 Rabanus (Pseudo-)  :  13, 66 Rachet, Guy  :  8, 38 Raciti, G.  :  222, 30 Rainauld  :  217 Ramus, Petrus  :  39 Ranconis, Adalbert  :  27, 129 Rand, E.K.  :  169, 54 Rasimus, T.  :  53, 21  ; 55, 24  ; 58, 31 et 32  ; 60, 37  ; 63, 42  ; 65, 46  ; 66, 50  ; 70, 57 Ratti, S.  :  88, 82 Rébillard, Éric  :  73, 9 Rees, V.  :  26, 128 Regnicoli, L.  :  313, 61 Reindel, K.  :  221, 27 Renaud, François  :  11, 54 Reynaud, J.  :  26, 127 Ricard, D.  :  187, 17 Rickel, Denys de  :  32 Ricklin, Th.  :  31, 138

Riedweg, Ch.  :  73, 9 Rizzo, L.  :  41, 160 Robert Grosseteste  :  27  ; 32 Roccaro, G.  :  41, 159 Roguet, A.-M.  :  297, 11 Romagno, Antonio de  :  35 Rome  :  24  ; 29  ; 47  ; 71  ; 87 Roques, R.  :  90, 3 Rovidius, Caesar  :  31 Rowland, Ch.  :  73, 9 Roy, Louis le  :  29 Runia, D.  :  57, 28 Rupert de Deutz  : 219 + 15  ; 224 + 38 Rustici, Censio de  :  25 Saénz-Badillos, Angel  :  184, 12 Saffrey, Henri Dominique  :  5, 15  ; 16, 86  ; 17 + 89  ; 22, 111  ; 29, 133  ; 90, 4  ; 313, 63 Saint-Martial  :  217 Saint-Victor  :  221 Salamanque  :  10 Salet, G.  :  222, 30 Santini, C.  :  106, 47 Sarazin, Jean  :  32 Saturne  :  77  ; 146  ; 266 Saudelli, L.  :  135, 132 Sauron, G.  :  7 Savonarola  :  37 Scala, Bartholomée  :  37 Schepss, Georg  :  12, 60  ; 19, 103 Schmidt-Kohl, Volker  :  159, 16  ; 161, 21  ; 162, 28  ; 163 + 31 Schmitt, Ch.-B.  :  28, 130  ; 133, 142 Schott, J.  :  73, 9 Schrade, Leo  :  196, 5 Scipion l’Africain  :  139  ; 141 Scipion l’Émilien  :  139  ; 141 Scivoletto, N.  :  106, 47 Scott, A.  :  72, 8 Scutellius, Nicolas  :  30  ; 31 Secret, François  :  276, 3 Segonds, A.  :  1, 2  ; 237, 11 Selent, D.  :  104, 39 Sénèque  :  6  ; 29  ; 108, 53  ; 120, 88  ; 156 + 6  ; 201, 23 Seng, H.  :  135, 132



INDEX NOMINUM GÉNÉRAL365

Serapis  :  97, 26 Serre, Jean de  :  27  ; 39 Servius  :  119, 83  ; 132, 118  ; 135 + 130 Setaioli, A.  :  90, 9 Sextus Empiricus  :  28 Sfameni Gasparro, G.  :  55, 34 Shanzer, D.  :  120, 89 Sicard, P.  :  223, 34 Sidoine Apollinaire  :  6 Simonetti, M.  :  49, 9 Simplicius (de Cilicie)  :  2  ; 14, 76  ; 15 + 82  ; 144, 18  ; 197  ; 209 + 47  ; 210 + 48  ; 211  ; 212  ; 213 Skiadas, Aristoxenos D.  :  16, 86 Smahel, F.  :  40, 156 Smith, Andrew  :  13, 64  ; 134, 127  ; 147, 29  ; 148, 30 Smith, J. Warren  : 8, 37 Soares Santoprete, L.G.  :  55, 24 Socrate  :  29  ; 37  ; 89  ; 145  ; 147  ; 148  ; 150, 32  ; 153  ; 218  ; 233  ; 317, 74 Sohrawardî  : 254 Soleil  :  92  ; 95  ; 96  ; 97, 26  ; 106 + 43 et 44  ; 110  ; 112  ; 113  ; 114, 64  ; 116  ; 117  ; 118  ; 123  ; 125  ; 126  ; 127 + 102  ; 128  ; 135  ; 136  ; 146  ; 150 Solère, Jean-Luc  :  234, 1  ; 314, 64 Solignac, Aimé  :  17, 93 Sopatros  :  2 Sorabji, Richard  :  14, 76 Sordi, M.  :  80, 40 Soubiran, J.  :  106, 47  ; 133, 121 Soulier, Philippe  :  211, 54 Sparte  :  250 Speer, A.  :  28, 130 Speusippe  :  28  ; 211, 54 Steel, C.  :  215, 3 Stéphane/Étienne  :  1  ; 2 Stewart, H.F.  :  169, 54 Stobée  :  131 + 115  ; 157, 11 Stolz, F.  :  92, 15 Stroumsa, G.G.  :  80, 40 Sturlese, Loris  :  23,119  ; 239, 1 Suétone  :  305 Symmaque  :  19

Synésius de Cyrène  :  90 + 3  ; 257 Syrianus  :  2  ; 17  ; 38 Syrie  :  32 Szantyr, A.  :  170, 56 Tambrun, Brigitte  :  35, 146  ; 36, 149 Tardieu, Michel  :  11, 54  ; 52  ; 53, 19 et 20  ; 55, 24 et 25  ; 56, 27  ; 57 Tat  :  279 Taurus  :  7 Techert, Marguerite  :  21, 109 Térence  :  170 Tertullien  :  4, 14  ; 7  ; 29  ; 54  ; 67, 52 Tester, S.J.  :  169, 54 Theiler, W.  :  66, 49  ; 124, 99  ; 134, 126  ; 234, 1 Théodore d’Asinè  :  58, 32  ; 291 Théodoret de Cyr  :  184 + 12 Theodoretus, Johannes Altus  :  30 Théophraste  :  270 Thierry de Freiberg (ou Vriberg) (voir Dietrich)  Thillet, Pierre  :  206, 35 Thomas d’Aquin  :  13  ; 31  ; 153  ; 216  ; 234, 1  ; 238 + 15 et 16  ; 239  ; 240  ; 242  ; 263  ; 293  ; 294  ; 295  ; 296  ; 297 + 10 et 11  ; 298 + 13 et 14  ; 299  ; 300  ; 301  ; 302  ; 303  ; 306  ; 307 + 45  ; 308  ; 313 + 63  ; 316 Thomassen, E.  :  54, 23 Thrace  :  250 Thraede, K.  :  92, 15 Tibérianus  :  93  ; 107 + 51  ; 108  ; 112  ; 113  ; 114, 64  ; 115  ; 116  ; 117, 77  ; 119  ; 121  ; 124  ; 126  ; 128  ; 134  ; 135  ; 136  ; 137 Tibulle  :  90, 10 Tilliette, J.-Y.  :  110, 56 Timée  :  110  ; 122 Tisserand, Axel  :  158, 13  ; 159, 16  ; 167  ; 169, 54  ; 174, 72 et 73 Titans  :  144  ; 151, 40  ; 153 Tite-Live  :  305 Tixier, René  :  6, 22 Tognon, G.  :  315, 71 Tolède  :  22

366

INDEX NOMINUM GÉNÉRAL

Tomeo, Niccolo Leonico  :  31 Tommasi, Chiara Ombretta  :  47, 2  ; 50, 12  ; 53, 21  ; 54, 23  ; 60, 37  ; 63, 42  ; 65, 46  ; 66, 50  ; 67, 52 et 53  ; 70, 57  ; 197, 6 Toussaint, S.  :  30, 136 Trajan  :  47 Traversari, Ambrogio  :  32 Tremblay, Étienne  :  27 Trente  :  30 Tröger, U.  :  25, 122 Trottein, S.  :  7 Trottmann, Ch.  :  301, 22 Trouillard, Jean  :  1, 2  ; 3 + 10  ; 4 + 12  ; 5  ; 23  ; 201, 25  ; 207, 36  ; 234, 1  ; 314, 64 Turin  :  53 Turner, J.-D.  :  48, 8  ; 49, 10  ; 53, 20  ; 54, 23  ; 55, 24  ; 58, 33  ; 64, 44  ; 69, 55 Turquie  :  2, 4 Tyndarides  :  79 Typhon  :  97, 26

Veronesi, V.  :  96, 25 Villejuif  :  7 Villey, P.  :  317, 74 Virgile  :  127, 102  ; 147  ; 305 Vitruve  :  277

Ulrich de Strasbourg  :  22 Ulysse  :  162

Yahvé  ; 181 Ywakuma, Y.  :  13, 66 + 67

Valentin  :  54  ; 281 Valère Maxime  :  7, 27 Valérius Soranus  :  108, 53  ; 114 Van Burink, A.  :  219, 16 Van den Broek, R.  :  51, 14 Van Fleteren, F.  :  215, 4 Vanhamel, W.  :  215, 3 Vannier, M.-A.  :  240, 21 Van Nuffelen, P.  :  77, 29  ; 81, 46 Vanpeteghem, É.  :  110, 56  ; 155, 1 Varron  :  14 + 77  ; 108, 53  ; 119, 83 Vauchez, A.  :  75 18 Venard, M.  :  75, 18 Vengeon, F.  :  265, 3 Venise  :  25  ; 31  ; 32 Vénus  :  90  ; 108, 53  ; 146 Verbeke, Gérard  :  13, 71 Vernier, J.-M.  :  297, 11

Zambon, Marco  :  48, 8  ; 51, 13  ; 73 + 10  ; 83, 55  ; 91, 13  ; 145, 24  ; 159, 16  ; 164, 36  ; 166, 42  ; 168, 51  ; 202, 27 Zeus  :  77  ; 90  ; 92  ; 106  ; 108, 53  ; 129  ; 131  ; 132  ; 134  ; 144 Zimmermann, A.  :  28, 130 Zoroastre  :  249  ; 250  ; 253  ; 254  ; 256  ; 259 Zorzi, Francesco  : 275 + 2  ; 276 + 6  ; 277  ; 278 + 8, 9 et 10  ; 279  ; 281 + 13  ; 282  ; 283 + 14  ; 284  ; 285 + 16  ; 286  ; 287  ; 288, 24  ; 289  ; 290  ; 291 Zorzi Pugliese, O.  :  30, 136 Zucarelli, U.  :  93, 19  ; 95, 23 Zum Brunn, E.  :  240, 21 Zuntz, G.  :  90, 5

Walker, J.  :  84, 62 Warren-Smith, J.  :  8, 37 Waszink, Jan-Hendrik  :  7, 30  ; 8, 40 Webb, C.C.J.  :  223, 36 Weinberger, Wilhelm (Guillelmus)  :  9, 46 Westerink, Leendert Gerrit  :  5, 15  ; 16, 86  ; 185, 14  ; 237, 11 Wheeler, S.  :  136, 134 Whittaker, J.  :  66, 48 Wilks, M.  :  28, 130 Willis, James  :  95, 24  ; 125, 100 Witelo  :  22, 113 Wlosok, Antonie  :  73, 9  ; 84+ 61 Wünsch, R.  :  63, 40  ; 92, 15 Xénocrate  :  28  ; 51 + 4  ; 211, 54

RÉSUMÉS Chiara Ombretta Tommasi Les rapports doctrinaux entretenus par Victorinus avec certains écrits gnostiques et ceux qu’il entretint avec des auteurs platoniciens présentent de nombreuses similitudes et renvoient à un même contexte culturel. Tous ces traits ne peuvent cependant pas être définis comme «  orthodoxes  », ni par rapport à la doctrine chrétienne ni par rapport au néoplatonisme  : leur exploitation dans les Opera theologica de Victorinus confirme l’éclectisme de ses sources et permet de mieux apprécier l’extrême originalité et la singularité de sa spéculation. Jean-Baptiste Guillaumin Si l’hymne au dieu cosmique est bien attesté dans la philosophie grecque, son emploi paraît moindre dans le domaine latin  ; on en trouve pourtant plusieurs exemples comparables du ive au vie siècle. Nous présentons ici ces textes parfois peu étudiés pour tenter d’en dégager les thèmes communs  : même s’il est vain d’y chercher un exposé doctrinal structuré, le mélange qui les caractérise souvent semble témoigner d’une conception du dieu cosmique fortement marquée par un arrière-plan médio- et néoplatonicien. Blandine Colot Les Institutions divines de Lactance sont une littérature de combat affirmant le lien entre philosophie et religion contre le polythéisme et sa «  fausse sagesse  ». Sous l’anonymat des philosophi, on peut identifier des néoplatoniciens puisque l’apologiste exploite leurs sources sacrées (oracles, hermetica…). Mais la dialectique lactancienne s’articule à la matrice politico-religieuse de Cicéron – stoïcienne et transcendante. Les grands noms du néoplatonisme apparaîtront chez les Latins après lui. Luc Brisson Macrobe reprend la doctrine des degrés de vertu exposée par Plotin dans son traité 19 (Ennéades i, 2) et développée par Porphyre dans sa Sentence 32, mais en confrontant les vertus politiques, auxquelles doivent tendre les hommes politiques, aux vertus purificatrices de l’âme purifiée que recherchent les philosophes, et en réservant les vertus paradigmatiques à

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Dieu. Cette doctrine sera transmise au Moyen Âge, où Bonaventure, Albert le Grand et surtout Thomas d’Aquin se la réapproprieront dans un contexte chrétien. Sophie Van der Meeren Dans la Consolation, Boèce reprend une image répandue chez les penseurs de l’Antiquité  : le bonheur est placé en un certain «  lieu  ». Celui-ci représente le terme de l’existence que l’homme doit chercher à atteindre en empruntant le bon chemin. Nous éclairerons le rôle joué par cette formulation d’ordre «  spatial  » dans la réflexion de Boèce sur le bien suprême, le bonheur et la finalité, en montrant qu’elle permet à la fois de représenter le bonheur comme le terme d’une aspiration, et d’identifier en substance le bonheur avec Dieu. Alain Galonnier Dans son De fide catholica, Boèce aborde le thème de la mort d’Abel, en présentant Dieu comme un «  tortionnaire  », qui aurait surenchéri doublement dans la détermination du châtiment infligé à Adam. Au fondement philosophique de cette lecture surprenante pourrait se trouver un principe plotinien, celui qui énonce que «  l’expérience du mal offre une connaissance plus manifeste du bien à ceux dont la puissance est trop faible pour connaître le mal par une science qui précède l’expérience  » (Ennéades, 6 (iv, 8), 7, 15-17). Min-Jun Huh Le premier commentaire de Boèce à l’Isagogè de Porphyre renferme une tripartition inédite de la philosophie théorétique opérée d’après les substantiae intellectibiles, intellegibiles et naturales. Une analyse comparative impliquant les commentaires de Dexippe et de Simplicius aux Catégories nous conduit à situer son origine dans l’exégèse de Porphyre au livre Λ de la Métaphysique. La présente étude vise donc à reconstituer l’évolution de cette division à l’intérieur de l’école néoplatonicienne. Cédric Giraud Prenant pour fil conducteur ce qu’il appelle un «  néoplatonisme implicite  », l’auteur étudie, chez une quinzaine d’écrivains réguliers du xiie siècle, la manière dont certains concepts néoplatoniciens sont exploités dans l’exercice spirituel de la meditatio. Toutefois, il souligne le fait que ce concordisme intellectuel était souvent de surface, car pratiqué dans le but de préserver une continuité doctrinale entre Platon et le Christianisme, devenue une sorte de topos depuis saint Augustin.



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Alice Lamy Dans l’histoire de la philosophie, l’âme unie au corps est traversée par le divisible et l’indivisible, le temporel et l’intemporel pour honorer l’ordre du monde créé mais aussi pour retourner à son premier Principe. Au Moyen Âge, les facultés noétiques de l’âme acquièrent une meilleure unité, indépendamment du corps. Avec Maître Eckhart, l’âme prend un nouveau départ mystique où le corps retrouve une place centrale et l’accompagne pour une fusion dans le Fond même de Dieu. Brigitte Tambrun Si Marsile Ficin utilise la collection d’Oracles magiques [chaldaïques] de Pléthon et des extraits de son Commentaire, c’est pour mettre au service du christianisme les très «  anciens théologiens  »  : Zoroastre, les mages, les Chaldéens, Hermès. Pléthon pour sa part se servait du livre sacré des néoplatoniciens pour faire comprendre que chaque homme – non le Christ seul – était pantocrator et sauveur de l’univers. Pierre Caye Par son néologisme de possest Nicolas de Cues pose le principe de la puissance proprement métaphysique de l’Être, qui s’accomplit sous la forme de la virtualité, c’est-à-dire de la réalité qui dépasse la seule actualité, se nourrissant et se régénérant de ce dépassement. Sous sa forme métaphysique, la puissance n’est plus un simple nom parmi d’autres du principe, mais devient l’instance elle-même supposant pour toute théologie. Claudio Moreschini Il presente studio è dedicato all’esame delle dottrine neoplatoniche contenute nel terzo libro del De harmonia mundi totius di Francesco Zorzi (Venezia 1466 – Asolo 1540). L’autore di queste pagine ritiene che, tra le numerose dottrine di cui Zorzi si serve, il neoplatonismo, con il suo ricondurre all’unità trascendente la molteplicità dell’universo, poteva dare a Zorzi una prova efficace a sostegno della sua tesi dell’intimo rapporto tra Dio e il mondo. Thierry Gontier Si Aristote est l’interlocuteur privilégié de Pomponazzi dans son Tractatus de immortalitate animæ, les références à Platon n’en sont pas moins significatives. Pomponazzi rapproche les platoniciens et Thomas d’Aquin, afin de réfuter la position de ce dernier sur l’immortalité de l’âme. Mais

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RÉSUMÉS

il s’appuie aussi sur certains textes de Platon qui plaident indirectement en faveur de la mortalité de l’âme, tels ceux sur la valeur de la vertu en cette vie. Le platonisme est ainsi retiré à sa métaphysique surnaturelle et magique, pour être rendu à son sens moral.

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