Gestion et administration d'une principauté à la fin du Moyen Age: Le comté de Bourgogne sous Jean sans Peur (1404-1419) 9782503551432, 2503551432

Jean sans Peur qui succède à son père Philippe le Hardi à la tête du duché de Bourgogne en 1404, dut attendre la mort de

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Gestion et administration d'une principauté à la fin du Moyen Age: Le comté de Bourgogne sous Jean sans Peur (1404-1419)
 9782503551432, 2503551432

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GESTION ET ADMINISTRATION D’UNE PRINCIPAUTÉ À LA FIN DU MOYEN ÂGE

Burgundica XXIII

Publié sous la direction de Jean-Marie Cauchies Secrétaire général du Centre européen d’études bourguignonnes (XIVe-XVIe s.)

GESTION ET ADMINISTRATION D’UNE PRINCIPAUTÉ À LA FIN DU MOYEN ÂGE LE COMTÉ DE BOURGOGNE SOUS JEAN SANS PEUR (1404-1419)

Sylvie Bepoix

H

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Collection

BURGUNDICA Peu de périodes, de tranches d’histoire ont suscité et continuent à susciter auprès d’un large public autant d’intérêt voire d’engouement que le « siècle de Bourgogne ». Il est vrai qu’ à la charnière de ce que l’on dénomme aussi vaguement que commodément « bas moyen âge » et « Renaissance », les douze décennies qui séparent l’avènement de Phillipe le Hardi en Flandre (1384) de la mort de Philippe le Beau (1506) forment un réceptacle d’idées et de pratiques contrastées. Et ce constat s’applique à toutes les facettes de la société. La collection Burgundica se donne pour objectif de présenter toutes ces facettes, de les reconstruire – nous n’oserions écrire, ce serait utopique, de les ressusciter – à travers un choix d’études de haut niveau scientifique mais dont tout « honnête homme » pourra faire son miel. Elle mettra mieux ainsi en lumière les jalons que le temps des ducs Valois de Bourgogne et de leurs successeurs immédiats, Maximilien et Philippe de Habsbourg, fournit à l’historien dans la découverte d’une Europe moderne alors en pleine croissance.

Illustration de couverture: Ms 69 - Breviarium, secundum usum Bisuntinae dioecesis (second moitié du xve siècle) © Bibliothèque municipale de Besançon + Ms 69, p. 129 v

© 2014,

F G n.v., Turnhout, Belgium

All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2014/0095/213 ISBN 978-2-503-55143-2 Printed on acid-free paper

Table des matières

Introduction........................................................................................................................................... 1 Première partie : Le domaine comtal et ses recettes entre 1404 et 1419......................7 Chapitre 1 : À l’avènement de Jean sans Peur.............................................................................. 9 Chapitre 2 : Les recettes variables................................................................................................. 59 Chapitre 3 : Les recettes de châtellenies en 1405.....................................................................109 Chapitre 4 : Les recettes entre 1404 et 1419............................................................................131 Deuxième partie : Les dépenses...............................................................................175 Chapitre 5 : Dépenses générales..................................................................................................177 Chapitre 6 : Les travaux.................................................................................................................225 Chapitre 7 : Les dépenses entre 1404 et 1419..........................................................................243 Troisième partie : L’administration du comté par Jean sans Peur...........................251 Chapitre 8 : Les réformes..............................................................................................................253 Chapitre 9 : Les mouvements fonciers.......................................................................................287 Chapitre 10 : L’extraordinaire.....................................................................................................307 Chapitre 11 : L’appétit d’argent de Jean sans Peur.................................................................337 Conclusion.................................................................................................................................................365 Sources et bibliographie..........................................................................................................................369 Remarques sur les monnaies et mesures du comté de Bourgogne..................................................383 Table des figures........................................................................................................................................385 Index des noms propres...........................................................................................................................393 Index des noms de lieux...........................................................................................................................397

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Introduction Jean sans Peur fut le deuxième duc-comte de Bourgogne appartenant à la dynastie des Valois installée à la tête du comté depuis 13841. Il passa son enfance en Bourgogne, principalement dans le château ducal de Rouvres où il était né le 28 mai 1371. Le 16 mars 1384, il devint comte de Nevers et le 12 avril 1385 fut célébré son mariage avec Marguerite de Bavière à la cathédrale de Cambrai. Il n’avait pas alors d’hôtel personnel et son apanage de Nevers ne lui rapportait rien, les rentes du fief étant versées directement à Philippe le Hardi. Le père sembla maintenir son fils aîné dans un état de dépendance, lui octroyant tardivement des responsabilités2. Jean sans Peur participa à quelques campagnes militaires à ses côtés. Selon Pocquet du Haut Jussé3, Philippe représenta un véritable modèle pour le jeune Jean, obsédé par son image alliant à la fois le grand féodal et le prince de sang. En 1396, Jean sans Peur mena la croisade de Nicopolis contre les Turcs ottomans en Hongrie qui se solda par une défaite désastreuse et un nombre élevé de morts. Les rares survivants furent capturés par le sultan Bajazet, en faisait partie l’héritier du duché bourguignon4. La rançon réclamée fut très élevée. Selon Richard Vaughan, cet épisode militaire fut formateur pour Jean sans Peur, lui permettant d’être le seul des quatre ducs Valois à savoir vraiment diriger une armée5. En 1398 seulement, Jean sans Peur obtint sa propre maison, devenant réellement comte de Nevers. Il commença, à partir de cette date, à détenir quelques responsabilités, en particulier en Bourgogne. Cependant, jusqu’en 1404, il resta dans l’ombre de son père, ses fréquents séjours à Paris à ses côtés le familiarisant beaucoup avec la cour et le gouvernement royal. À la mort de Philippe le Hardi le 27 avril 1404, Jean sans Peur avait trente-trois ans. Sa mère, Marguerite de Flandre, récupéra en douaire les biens de son père Louis de Male : les comtés de Flandre, Artois et Bourgogne. Elle mourut le 21 mars 1405, date à laquelle Jean sans Peur obtint enfin la totalité de l’héritage, en particulier le gouvernement du comté de Bourgogne. Philippe le Hardi était mort en laissant d’importantes dettes6, ce qui, pour Pocquet du Haut Jussé, fut à l’origine de toute la politique de Jean sans Peur : ses possessions ne pouvant se maintenir sans les subsides provenant du trésor royal, il devenait pour lui indispensable de disposer du gouvernement de la France7. Certains auteurs, plus nuancés, accordent de réelles capacités financières aux possessions bourguignonnes8. Cependant, la politique de Jean sans Peur résolument tournée vers la France étant une réalité, elle nécessita beaucoup d’énergie et d’argent, contribuant également à un absentéisme notable du 1

L’historiographie négative portant sur Jean sans Peur eut beaucoup de mal à connaitre des nuances et il reste encore pour beaucoup, de Michelet à Bernard Guenée, le traitre, principal initiateur de la guerre civile et auteur d’une alliance avec l’Angleterre. B. Schnerb, Jean sans Peur, prince meurtrier, Paris, 2005, p. 11-15. 2 R. Vaughan, John the Fearless, the growth of Burgundian power, Londres, 1966, p. 1-5. B. Schnerb, Jean sans Peur…op. cit, p. 54. 3 B.-A. Pocquet du haut jusse, « Jean sans Peur, son but, sa méthode », Annales de Bourgogne, 1942, p. 181-196. 4 Sur l’épisode de la croisade de Nicopolis, voir B. Schnerb, Jean sans Peur…op. cit., p. 61-110. 5 R. Vaughan, John the Fearless…op. cit., p. 4. 6 B. Schnerb, Jean sans Peur…op. cit., p. 153-156. 7 B.-A. Pocquet du haut jusse, « Jean sans Peur, son but, sa méthode… » art. cit. 8 A. van Nieuwenhuysen, Les finances du duc de Bourgogne Philippe le Hardi (1384-1404). Économie et politique, Bruxelles, 1984, p. 382. Les dons du roi ne représentaient qu’un cinquième des recettes bourguignonnes, ses principautés fournissant des recettes quatre fois plus élevées.

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prince sur ses terres. Pourtant, dès l’été 1404, il se présenta dans la capitale du duché de Bourgogne, mais il résida principalement à Paris et dans ses États du nord. D’après les comptes de dépenses de son hôtel, il est possible d’établir un rapide bilan de ses venues en comté9 : en hiver 1415, il fut de passage à Dole, Arbois et Poligny, puis en été, il séjourna à Gray où il revint en 1418 avant de se rendre à Montbéliard, ville dans laquelle eut lieu une rencontre avec l’empereur. Ces données paraissent cependant incomplètes puisqu’au début de son principat, Jean sans Peur se rendit à Gray afin d’y recevoir les serments d’hommage et de fidélité de ses vassaux, le fait est avéré. L’ensemble apparait cependant révélateur d’un éloignement de Jean sans Peur de son domaine comtal qu’il palliait parfois en se faisant représenter par son fils, Philippe, comte de Charolais à qui il sembla octroyer plus de responsabilités qu’il n’en avait lui-même obtenues de son père. Mais ce fut surtout Marguerite de Bavière, sa femme, qui représenta physiquement le pouvoir princier dans les duché et comté de Bourgogne. Dès le xive siècle, le comté de Bourgogne eut à subir les malheurs du temps, à l’instar de la majeure partie de l’Europe. Nous en retrouvons plusieurs fois les traces : les grandes compagnies ravagèrent les deux Bourgognes jusqu’à la fin du xive siècle10, le plus fort des attaques ayant lieu au lendemain de la signature du traité de Brétigny en 1360 tout en se poursuivant jusque dans les années 1390 où, par exemple, la région de Poligny fut totalement désolée, aucune recette ne pouvant être levée. La croisade de Nicopolis permit d’enrôler les derniers capitaines et fin xive siècle débutait une ère de paix. En effet, la mention de compagnies dévastant le comté disparaît des sources, les problèmes, à partir de là, provenant plutôt des bandes de gens d’armes levées par le duc de Bourgogne. Selon Jules Finot, à cette période, le comté apparait si dépeuplé qu’il ne comptait pas plus de 100 000 habitants. Bois et broussailles couvraient d’immenses espaces et la misère, si grande, empêchait le recouvrement des taxes et des cens. Il est certain que la guerre avait une incidence directe sur le processus de désertification, hameaux et petits villages étant les plus vulnérables11. Il est cependant important de distinguer les abandons des désertions. À l’instar de la fuite face aux grandes compagnies, l’importante mortalité avait engendré un repli sur les terres plus fertiles. Il y eut donc bien des désertions d’un caractère définitif mais en plus faible proportion que les abandons synonymes de retour une fois la crise passée12. La désolation du comté n’était sans doute pas aussi importante que nous la décrit Jules Finot, seulement le retour sur les terres abandonnées n’était pas toujours immédiat. Quant aux terres définitivement désertées, ne s’agissait-il pas des moins fertiles ? La peste, quant à elle, connut une récurrence au moment même où sévissaient les grandes compagnies13, en revanche la période qui suivit ne montra aucune pandémie comparable à celles du xive siècle, même si quelques récurrences apparaissent, elles semblaient circonscrites à des zones géographiques restreintes. Le bref principat de Jean sans Peur parut être une période d’accalmie. Le contexte se révèle donc favorable tant du point de vue militaire qu’épidémiologique. Pause bienvenue montrant que les populations connurent des moments 9 E. Petit, Itinéraires de Philippe le Hardi et de Jean sans Peur, ducs de Bourgogne (1363-1419), d’après les comptes de dépenses de leur hôtel, Paris, 1888, p. 339-451. 10 J. Finot, « Recherches sur les incursions des Anglais et des grandes compagnies dans le duché et le comté de Bourgogne à la fin du xive siècle », SALSA, 1874, p. 69-200. A. Lhomme, Peste noire et grandes compagnies en Comté : seconde moitié du xive siècle, mémoire de maitrise, Besançon, 1978. 11 V. Toureille (ed.), Guerre et société, 1270-1480, Paris, 2013, p. 214-218. 12 S. Jobard, Un déluge d’épreuves et de douleurs : les ravages du climat, des maladies et des famines au bas Moyen Âge, mémoire de maitrise, 2 tomes, Besançon, 2000, p. 175-176. 13 P. Gresser, La Franche-Comté au temps de la guerre de 100 ans, Besançon, 1989, p. 92. P. Gresser, La peste en Franche-Comté, Besançon, 2012, p. 144-145.

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plus calmes au cœur de ce long trend de crise. Il n’en demeure pas moins un environnement profondément marqué par les malheurs du temps qui jalonnèrent le xive siècle, les témoignages de cette situation apparaissant fréquemment au détour des sources. Deux parties se distinguent de façon manifeste dans le vaste ensemble des territoires bourguignons : les terres du nord, comtés de Flandre et d’Artois, et les biens proprement bourguignons, duché et comté de Bourgogne. Plusieurs principautés avaient été cédées aux frères de Jean sans Peur14 et son fils Philippe détenait le comté de Charolais. Le comté de Bourgogne, représentant une infime partie des possessions bourguignonnes, détenait la caractéristique d’être terre d’empire. Pour ce fief, Jean sans Peur prêtait hommage à l’empereur et non au roi de France. L’étude, en cela, se démarque de la grande majorité des monographies de l’espace français en raison de cette particularité. Cela met d’ailleurs en lumière une situation qu’il ne faut pas occulter, la principauté médiévale consistait avant tout en un ensemble de droits mais le détenteur du pouvoir n’exerçait pas partout dans l’espace qu’il gouvernait, les mêmes prérogatives et les mêmes charges15. Les comparaisons se révèlent compliquées, les principautés françaises se heurtant partout à la volonté royale d’imposer son autorité, surtout dans les domaines fiscaux et judiciaires. Malgré la forte influence française existant dans maints domaines liée à la personnalité de ses dirigeants comme à sa proximité géographique, le comté de Bourgogne se trouvait dans une situation d’indépendance totale vis-à-vis du puissant souverain voisin. Ce que représentait réellement le domaine comtal de Bourgogne était extrêmement complexe. Il convient d’abord de bien cerner la distinction classique entre les fiefs et ce qui rapportait directement de l’argent au comte de Bourgogne, c’est-à-dire des terres et des hommes relevant uniquement de lui. Les fiefs correspondaient à des territoires cédés à des seigneurs en échange de leur fidélité et de leur hommage. Ces notions, toujours présentes dans l’esprit des contemporains de ce début de xve siècle, en particulier l’image du félon, traitre à son seigneur, étaient bien entretenues. Mais elles paraissent surtout avoir été instrumentalisées par le prince qui y voyait un moyen de tenir sa noblesse sous sa coupe. Dans ces fiefs vivaient non pas des hommes du comte mais des sujets, la distinction existait dans les sources. Le comte détenait généralement un pouvoir judiciaire sur ces sujets, principalement la haute justice bien que cela ne soit pas systématique. La souveraineté acquise progressivement lui fournissait d’importantes prérogatives dont il ne cessait de profiter. Sur ces points, les princes Valois intégraient bien le système de construction des États modernes, appliquant pleinement les principes les dirigeant dans leur propre territoire. Le système de garde permettant d’étendre son emprise en était un des exemples les plus emblématiques. Ces principes affirmaient et affermissaient un pouvoir qui tendait à reproduire celui des rois16. Les redevances et les taxes provenaient exclusivement du domaine et si les censives semblaient dominer nous verrons que les conditions de possession et d’exploitation pouvaient s’avérer très diverses. Les revenus provenant des fiefs se révèlent très limités, une particularité des deux Bourgognes étant l’absence de droit de quint et de relief17. Le fief n’apparaît pas comme une source de profit excepté en cas de commise, agissement dont ne se privait pas le comte de Bourgogne. Dans le droit ordinaire des 14 Voir carte, B. Schnerb, Jean sans Peur…op. cit., p. 9. 15 J.-M. Cauchies, «  Le prince territorial au bas Moyen Âge dans les anciens Pays Bas, quinze années de recherche en Belgique (1975-1990) », in Les princes et le pouvoir au Moyen Âge, SHMESP, Paris, 1993, p. 35-48. 16 J.-M. Cauchies, « Le pouvoir dans les principautés », in Les principautés dans l’occident médiéval… » art. cit., p. 95-142. 17 G. Chevrier, « Conjectures sur l’originalité du droit féodal dans les deux Bourgognes », Annales de Bourgogne, 1951, p. 36-50.

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pays de coutume, elle ne s’appliquait que dans les cas de félonie ou de fautes graves du vassal. En Bourgogne, en raison de l’absence de profit lors des successions, la mainmise pouvait aussi s’effectuer en cas d’aliénation entre vifs sans le consentement du seigneur, plusieurs cas étant recensés en ce début de xve siècle. Cela générait des complications car il fallait exploiter les biens confisqués. Plus souvent des compositions étaient établies et le trésor comtal récupérait une amende. Le fief devenait source de profit, les procureurs des comtes de Bourgogne guettant chaque occasion d’en bénéficier. Le principe de la confiscation s’intégrait alors dans un système lucratif mais répondait aussi au but d’instaurer un pouvoir supérieur définitif, double objectif en plein accord avec à la fois la volonté politique et les besoins financiers. Le comté apparait donc comme un atout à l’égal des autres possessions bourguignonnes puisqu’il rapportait de l’argent au duccomte. Notre principal objectif est quant à nous, de mettre en valeur la gestion et la manière dont le prince utilisa la province à son profit en y appliquant au passage tous les instruments démonstratifs de son pouvoir. C’est principalement grâce aux sources comptables que nous allons nous attacher à démontrer l’origine des ressources et leur utilisation, celles-ci étant très riches pour l’espace bourguignon y compris comtois18. L’objet de l’étude va être multiple, envisageant l’administration dans une double approche séparant au possible les permanences, tout ce qui s’inscrit dans la continuité, des particularités liées à une gestion personnelle. Si l’on distingue le pouvoir économique ressortissant plutôt du foncier, du pouvoir politique pesant sur les hommes19, il est aussi possible d’avoir une interprétation plus globale sur la pratique de ces pouvoirs. On peut distinguer une approche politique de l’utilisation du domaine intégrant toute la symbolique liée à la souveraineté représentée par exemple par les officiers, tout comme une utilisation très pragmatique du domaine au travers des donations. Il s’agit alors plutôt du volet administration. La gestion à plus proprement parler, relève de l’approche économique : les chiffres, les rendements, etc. Les deux approches sont inévitablement liées mais l’administration était-elle destinée à améliorer la gestion ? L’économie servait le politique, mais la réciproque existait-elle20 ? Ici, en l’occurrence, aucun des principats bourguignons ne fut similaire, chacun des ducscomtes élaborant des politiques personnelles rejaillissant sur l’utilisation de leur domaine. Plusieurs études se sont déjà penchées sur la politique de Philippe le Hardi, envisageant l’ensemble des territoires bourguignons ou uniquement le duché21. Jean sans Peur, longtemps présenté comme éloigné de ses possessions bourguignonnes et principalement 18 « L’embarras de richesse » selon l’expression désormais bien connu de Werner Paravicini : W. Paravicini, « L’embarras de richesse : comment rendre accessible les archives financières de la maison de Bourgogne Valois », Bulletin de la Classe des Lettres et des Sciences Morales et Politiques de l’Académie royale de Belgique, 1996, p. 21-68. 19 La distinction entre les structures économiques (foncier) et les droits politiques (ban) date évidemment de Georges Duby et a profondément marqué l’historiographie européenne jusqu’à aujourd’hui même s’il persiste des caractéristiques propres à chaque pays. C. Wickham, « Defining the seigneurie since the war » in Pour une anthropologie du prélèvement seigneurial dans les campagnes médiévales (xie-xive s.). Réalités et représentations paysannes, M. Bourin et P. Martinez Sopena (éd.), Paris, 2004, p. 43-50. 20 Se pose donc la question de l’existence de la rationalité économique au Moyen Âge dans le monde politique. Monique Bourin souligne qu’il est absurde d’imaginer que les motivations, notamment seigneuriales, étaient toutes orientées par la volonté d’accroitre les revenus, mais il n’est pas absurde de rechercher la rationalité économique dans leur comportement. M. Bourin, « Propos de conclusion : conversion, commutation et raisonnement économique », in Calculs et rationalités dans la seigneurie médiévale : les conversions de redevances entre xie et xve siècle. Actes de la table ronde d’Auxerre, 26-27 octobre 2006, L. Feller (éd.), Paris, 2009, p. 297-324. 21 A. van Nieuwenhuysen, Les finances du duc de Bourgogne …op. cit. M. Rey, « La politique financière de Philippe le Hardi en Franche-Comté », MSHDB, 1965, p. 7-50. J. Rauzier, Finances et gestion d’une principauté au xive siècle. Le duché de Bourgogne de Philippe le Hardi (1364-1384), Paris, 1996.

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préoccupé par la politique du royaume de France méritait que l’on s’intéresse également à son cas22. Aborder le comté de Bourgogne au temps de Jean sans Peur ne peut évidemment faire abstraction des besoins développés par ses ambitions politiques. Vont donc cohabiter tout un pan de recettes et de dépenses, quasi immuables dans leur contenu ou leur objectif, servant tout de même la politique du prince avec des démarches propres destinées à répondre aux exigences financières découlant des actes du duc-comte. Une fois cela établi, il devient possible d’observer comment existait, vivait, s’administrait le domaine comtal et comment il répondait aux besoins d’un prince avide d’argent. Prince qui avait tout intérêt à posséder un domaine bien géré justement apte à répondre à ses besoins. Les velléités de transformation promues par Jean sans Peur existèrent : parfois de peu d’envergure, contraindre les châtelains à résider dans leur château par exemple participait malgré tout à accroitre leur efficacité, elles montrèrent d’autres fois une réelle vision d’avenir comme la tentative de transformer la cité bisontine en véritable capitale administrative. L’implication de Jean sans Peur dans son comté apparait ainsi flagrante et pourtant faillit la plupart du temps, se heurtant à la peur du changement. On ne peut que constater les résistances ou plutôt une certaine inertie générée par le désir apparent de conserver l’existant. Une présentation du domaine à l’avènement de Jean sans Peur entame l’étude additionnée d’une approche exhaustive de tous les types de redevances existants à laquelle s’ajoute une application par des exemples chiffrés. Il s’agit principalement de l’apport foncier. Cependant, la souveraineté du comte s’étendait aussi fréquemment sur les hommes, générant également des recettes. Le pouvoir judiciaire était rentable, adjoint d’une cour souveraine siégeant à Dole, apte à recevoir les appels de toute la province. Elle s’avérait un élément politique encore plus intéressant, son pouvoir étant supérieur à celui des grands barons comtois et, de plus, elle rapportait beaucoup d’argent. D’autres revenus découlaient de ce pouvoir supérieur : garde et bourgeoisie, mainmorte et bâtardise. L’ensemble de ces éléments constitutifs des recettes ordinaires ne peut être envisagé sans les officiers permettant leur perception. Cette première partie, sorte de tableau de tout ce que Jean sans Peur pouvait normalement espérer obtenir de son domaine, s’envisage dans le cadre des divisions administratives utilisées alors : les deux bailliages, Amont et Aval, auxquels s’adjoignaient des recettes particulières, la seigneurie de Faucogney, la châtellenie de Bracon, la gruerie et la saunerie de Salins. Un deuxième temps est consacré aux dépenses permettant le constat d’une grande majorité de recettes destinée à la bonne marche du comté lui-même, qu’il s’agisse de frais de fonctionnement ou de travaux mais aussi de baisses de redevances octroyées par le prince par exemple. Malgré les permanences, ces deux grands ensembles, recettes et dépenses, connurent des évolutions au cours du principat qui dans les deux cas sont présentées. L’ultime partie de l’étude s’intéresse donc à la part personnelle de ce prince souvent décrié dans ses choix. Quelle politique a-t-il mise en œuvre pour administrer le comté de Bourgogne ? Le prince était en mesure d’intervenir dans la vie économique y compris dans des secteurs déterminés, menant une politique volontaire. Évidemment, on peut s’interroger si en cela Jean sans Peur ne faisait qu’appliquer les conseils promus à l’époque selon lesquels le prince « devait vivre du sien », entretenant et restaurant son domaine afin d’y parvenir23 ou s’il appliquait une politique 22

Pour revenir sur ces idées reçues, voir J.-M. Cauchies, « Jean sans Peur, comte de Flandre (1405-1419), législateur », in Saint Denis et la royauté, études offertes à Bernard Guenée, F. Autrand et al. (éd.), Paris, 1999, p. 661-669. 23 H. Dubois, « Le pouvoir économique du prince », in Le prince et le pouvoir au Moyen Âge, SHMESP, Paris, 1993, p. 229-246. On retrouve ces principes dans Le songe du vieil pelerin, de Philippe de Mezières mais aussi dans le coutumier de Bourgogne qui fonde la noblesse du pays bourguignon sur sa

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visant à accroitre ses revenus y compris en utilisant l’impôt. Nous sommes confrontés au possible problème de l’anachronisme déjà évoqué plus haut dès lors qu’il s’agit d’aborder des comportements économiques. Il y eut des réformes ou des tentatives de réformes, signe évident d’une implication du prince dans la gestion de son domaine, y compris comtois. De plus ou moins grande envergure, elles semblaient vouloir répondre à des aspirations des populations désireuses d’améliorer leurs relations avec les officiers comtaux, sans se limiter à cela, plusieurs ordonnances visant plutôt une modification des rentrées d’argent. Dans la plupart des cas, selon Claude Gauvard, le pouvoir a besoin d’être initié pour qu’une décision soit prise, la requête apparaissant donc à l’origine de l’acte législatif. La question demeure cependant d’établir si cela suffit à son élaboration24. Ses possessions foncières représentaient une opportunité pour Jean sans Peur justement souvent en manque d’argent. En se tournant brièvement vers les périodes ultérieures, on peut découvrir son successeur Philippe le Bon cherchant activement à récupérer toutes les terres du domaine perdues principalement en raison des donations. La grande campagne de rédaction des terriers comtaux date malheureusement du troisième quart du xve siècle25, les registres de comptes, beaucoup moins précis que des terriers, permettent malgré tout de constater les changements et modifications touchant les possessions foncières. Sous Jean sans Peur, la terre devint un moyen de paiement pratique pour s’acquitter de dettes toujours grandissantes. Mais le foncier incarnait deux revers de la médaille car les confiscations permirent quant à elles de nouveaux apports. Pourtant le meilleur moyen pour accroitre les liquidités restait les recettes extraordinaires et Jean sans Peur sut les utiliser, privilégiant d’ailleurs les emprunts aux aides. Et finalement, bien qu’une part non négligeable des revenus soit dévolue au fonctionnement de la province, le comté de Bourgogne participait, en proportion de ses capacités, aux besoins financiers du prince. Évidemment loin derrière le duché ou les provinces du nord, le comté de Bourgogne représentait malgré tout un apport de revenus pour Jean sans Peur qui en était bien conscient car jamais il ne négligea ce petit territoire. Le bref principat de Jean sans Peur d’une quinzaine d’années ne permet pas d’élaborer de grandes tendances d’évolution qui de toute façon ont déjà été abondamment étudiées en raison des difficultés économiques et politiques de cette fin de Moyen Âge. Cependant, les données chiffrées relativement nombreuses réunies pour la période située entre 1404 et 1419 permettent de dresser le tableau du domaine d’un grand prince ainsi que les choix qui ont prévalu pour l’administrer et en tirer profit26.

richesse et son autosuffisance économique : M. Petitjean et al. (dir.), Le coutumier bourguignon glosé, fin du xive siècle, Paris, 1982, p. 59-61. 24 C. Gauvard, « De la requête à l’enquête. Réponse rhétorique ou réalité politique ? Le cas du royaume de France à la fin du Moyen Âge », in L’enquête au Moyen Âge, C. Gauvard (éd.), École Française de Rome, 2008, p. 169-183. 25 P. Gresser, « À propos des terriers comtaux de Franche-Comté rédigés au xve siècle » in P. Henry et M. de Tribolet, In dubiis libertas : mélanges d’histoire offerts au professeur Rémy Scheurer, Hauterive (Suisse), 1999, p. 121-140. 26 Cet ouvrage constitue une synthèse de mon travail de thèse soutenue en 2002 : S. Bépoix, Le comté de Bourgogne au temps de Jean sans Peur (1404-1419), administration et gestion d’un domaine princier, Thèse non éditée, Besançon, 2002. Y est disponible la totalité des données chiffrées dont seuls des exemples vont être présentés ici.

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Première Partie  Le Domaine Comtal et Ses Recettes Entre 1404 et 1419

Première partie  |  Le domaine comtal et ses recettes entre 1404 et 1419

Carte 1 : Le comté de Bourgogne au début du xve siècle.

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Chapitre 1 À l’avènement de Jean sans Peur 1. Contenu A. Bailliage d’Amont Le bailliage d’Amont se localise au nord du comté. Ses limites, relativement définies, correspondaient aux terres relevant de la souveraineté du comte de Bourgogne. À l’intérieur, le domaine comtal lui-même représentait un territoire morcelé constitué de possessions disséminées où se prélevaient une multitude de redevances. Plusieurs châtellenies étaient réparties dans l’ensemble du bailliage d’Amont. La partie la plus occidentale du bailliage correspondant à la ville de Gray1 et ses environs, ne relevait pas du trésorier de Vesoul mais du trésorier de Dole. Cela n’avait pas toujours été ainsi. On ne saisit pas vraiment l’intérêt de cette situation étant donné la disproportion entre les deux bailliages. La comptabilité de la châtellenie de Gray était donc incluse dans les registres du bailliage d’Aval. Mais d’autres possessions avaient fait l’objet de donation dans des périodes antérieures. Les châtellenies de Jonvelle et Fondremand2 continuèrent malgré tout à apparaître immuablement dans les comptes comme faisant autrefois partie intégrante du domaine. Tous les revenus du château et de la châtellenie avaient été donnés à Guy de la Trémoille devenu seigneur de Jonvelle3, donation faite en héritage perpétuel « pour lui et ses hoirs procréez et descendans de son propre corps en droite et directe ligne »4. Pourtant en 1405, le château était à nouveau détenu par la duchesse Marguerite de Flandre. À ce titre, elle demandait l’achat d’artillerie pour la forteresse. La recette commune indiquait que les revenus de Jonvelle avaient été versés au trésorier. Il y avait vraisemblablement eu mainmise sur cette terre5, l’affaire datant de Marguerite. Après la mort de Philippe le Hardi, le bruit courut que cette seigneurie était d’un rapport beaucoup plus important qu’on ne le pensait. Une enquête fut menée en septembre 1404 avec audition de nombreux témoins6. Il est légitime de penser que la mainmise dura le temps des recherches. Malheureusement, les conclusions de cette affaire ont été perdues. La châtellenie de Fondremand avait, quant à elle, été donnée à Jean de Bourgogne. En 1404, elle était détenue par Jean de Neufchâtel, seigneur de Montaigu qui la tenait de son père Thibaut de Neufchâtel, héritier de Jean de Bourgogne. Fondremand apparaissait toujours dans les comptes, cependant la donation étant lointaine, le trésorier n’éprouvait plus le besoin d’en refaire l’historique. La châtellenie resta aux mains des Neufchâtel pendant plus de trois siècles7. 1 2

Dép. Haute-Saône, arr. Vesoul. Jonvelle : dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Jussey, Fondremand : Dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Rioz. 3 Abbés Coudrier et Chatelet, Histoire de la seigneurie de Jonvelle et de ses environs, Marseille, 19792. ADD, 1B102. Cette donation remontait à 1378 et deux lettres datées de 1379 et 1389 confirmaient le don. Selon Maurice Rey, l’origine du don était que Marguerite était redevable à La Trémoille d’une somme de 8 000 florins. M. Rey, « La politique financière de Philippe le Hardi… » art. cit. 4 ADD, 1B102. 5 Ibid., en 1408, cette rentrée d’argent a disparu. 6 ADCO, B 1061. Document intéressant, avis de chacun sur la valeur de la terre : de 500 à 1 500 francs par an. 7 Dictionnaire des communes Haute Saône, Vesoul, 1969-1974, t. 3, p. 67-75.

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Première partie  |  Le domaine comtal et ses recettes entre 1404 et 1419

Carte 2 : Les châtellenies du bailliage d’Amont au début du xve siècle.

Les princes et princesses de Bourgogne ne se contentaient pas de donner des châtellenies complètes : en 1404 existaient également des dons de redevances. Dans la châtellenie de Baume-les-Dames, Madame d’Artois avait cédé au comte de Montbéliard les cens de Saint-Juan et d’Adam-lès-Passavant8. Mais d’autres revenus étaient également entre ses mains sans qu’il soit question de don dans les registres de comptes9. La trace de toutes ces donations fut soigneusement conservée dans les comptes et continua 8 9

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Saint-Juan, dép. Doubs, arr. Besançon, cant. Baume-les-Dames, Adam-lès-Passavant, dép. Doubs, arr. Besançon, cant. Baume-les-Dames. Tailles de Pompierre-sur-Doubs (dép. Doubs, arr. Montbéliard, cant. Clerval), cens de Clerval (dép. Doubs, arr. Montbéliard), prévôté et tabellionage de Clerval et tous les nouveaux bourgeois arrivés à Clerval. Il faut remonter à la comtesse Marguerite d’Artois qui avait nommé gardien, Henri, sire de Montfaucon. Il possédait Chaussin en héritage de sa mère. En 1365, un échange fut opéré entre Chaussin et Clerval. Son fils Étienne, comte de Montbéliard, récupéra l’héritage à la fin du xive siècle. La donation de cens était sans doute destinée à équilibrer la valeur de l’échange. P. Pégeot, Vers la

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d’apparaître fidèlement tout au long du principat de Jean sans Peur. Des études sur ce thème ont montré à quel point Philippe le Hardi avait tenu à donner un caractère mémoriel aux comptabilités désormais archivées à la Chambre des comptes de Dijon10. B. Bailliage d’Aval La disproportion entre les deux bailliages entraîna, sous Philippe le Bon, la division entre le bailliage d’Aval plus réduit et le bailliage de Dole11 : on dénombre en effet trente-neuf centres de perception dans le bailliage d’Aval au début du xve siècle. Située au cœur du bailliage, la châtellenie de Bracon faisait pourtant l’objet d’une comptabilité séparée et relevait directement de la Chambre des comptes de Dijon. Cela découlait de son rôle particulier de gardienne de la saunerie, Bracon étant directement rattachée à la tierce partie de l’entreprise détenue par le comte de Bourgogne. Dans cette partie du comté, les donations furent nettement plus nombreuses et plus importantes. La majeure partie était antérieure à l’avènement de Philippe le Hardi. Le comte ou la comtesse de Bourgogne n’étaient pas toujours à l’origine du don, parfois les anciens seigneurs des territoires, depuis rattachés au domaine comtal, avaient eux-mêmes opérés l’aliénation. À l’instar du bailliage d’Amont, les donations restaient inscrites alors même qu’elles étaient parfois très anciennes. Chissey, Liesle et Buffard12 avaient été donnés à Jean de Bourgogne par Madame d’Artois en 1361, date de la mort de l’ancien comte de Bourgogne, Philippe de Rouvres. En 1404, l’ensemble était toujours aux mains des héritiers de Jean de Bourgogne. En 1362, la comtesse avait aussi fait don de la seigneurie de Vadans13. Marguerite d’Artois récompensait ainsi un de ses fidèles serviteurs, Charles de Poitiers, sire de Saint-Vallier, qui avait épousé une de ses amies, Simone de Méru14. Le don fut confirmé par Philippe le Hardi15. Le 28 juillet 1364, la comtesse fit un don à un autre de ses fidèles serviteurs, Ancel de Salins, sire de Montferrand, bourgeois anobli, docteur en lois au service des ducs de Bourgogne. Garde des sceaux de Philippe de Rouvres, il devint ensuite chancelier puis conseiller personnel de la comtesse Marguerite16. La donation perpétuelle, d’une valeur équivalente à 200 livres, était assise sur divers revenus17. Le Conseil de Philippe le Hardi ayant Réforme : un chemin comparé et séparé, Montbéliard, Porrentruy et leur région du xive au milieu du xvie siècle. Thèse non publiée, Paris 1993, p. 49-50. 10 Cela transparait sans équivoque dans l’« Ordonnance et instruction du duc Philippe le Hardi au sujet de l’organisation de la Chambre des comptes de Dijon », 1386, éditée dans P. Riandey, L’organisation financière de la Bourgogne sous Philippe le Hardi, Dijon, 1908, p. 175-187. Sur l’aspect mémoriel des comptabilités princières, voir S. Bépoix et F. Couvel, « Rendre bon compte en Bourgogne à la fin du Moyen Âge : le dire au travers des ordonnances et le faire selon les mots des receveurs », Comptabilités [En ligne], 4 2012, mis en ligne le 23 janvier 2013, consulté le 15 janvier 2014. URL : http ://comptabilites.revues.org/ 11 P. Gresser, La Franche-Comté…op. cit., p. 203, en 1422. 12 Chissey-sur-Loue, dép. Jura, arr. Dole, cant. Montbarrey. Liesle, dép. Doubs, arr. Besançon, cant. Quingey. Buffard, dép. Doubs, arr. Besançon, cant. Quingey. 13 Dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Arbois. 14 Le couple s’était engagé à servir Marguerite alors comtesse douairière de Flandre. Au moment de cette promesse, le comte de Bourgogne, Philippe de Rouvres était encore vivant. 15 Sa femme confirma également le don. C’est d’ailleurs la seule donation qui a obtenu une confirmation, tout au moins signalée par les clercs, elle est rendue au compte de Jean de Plasne, datant de 1391. 16 P. Gresser, La Franche-Comté… op. cit., p. 257. 17 Cent livres provenaient de la prévôté de Belmont (dép. Doubs, arr. Pontarlier, cant. Vercel) avec quelques conditions dont l’ost et la chevauchée qui restaient dus au comte de Bourgogne. Le sire de Montferrand reconnaissait ces biens en fief lige du comte, donation complétée par des terres d’une valeur de 18 livres à Aresches (dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Salins-les-Bains), mêmes conditions qu’à Belmont. Don aussi de la prévôté de Villers-Farlay pour une valeur équivalente à 60 livres en terre.

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Première partie  |  Le domaine comtal et ses recettes entre 1404 et 1419

examiné les lettres de don, les officiers constatèrent que la donation était désormais aux mains d’une fille d’Ancel de Salins18.

Carte 3 : Les châtellenies du bailliage d’Aval au début du xve siècle.

Le Conseil décida qu’elle pouvait tenir l’ensemble sa vie durant uniquement, transformant le don à perpétuité en don à vie sans aucune autre raison apparente que le sexe de l’héritière. Manquait encore 22 livres pour atteindre les 200 livres de la donation, somme établie en rente sur la saunerie de Salins. 18 Femme de Jean de Vergy.

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Madame d’Artois encore donna la seigneurie et domaine de Gevry19 au seigneur de Rahon20. Les modalités de la donation suivante furent un peu différentes. L’événement datait de 1362 et concernait les tailles, rentes, seigneurie et domaine de Scey21. La comtesse d’Artois avait rendu à Thibaut de Scey les terres tenues par Jean de Brisebarre, gentilhomme du pays22 exécuté pour s’être emparé du château de Scey-en-Varais à la tête d’une « route ». Le château fut repris et Brisebarre, livré à Marguerite, mis à mort en janvier 136523. Thibaut de Scey récupéra ses biens. À sa mort, la comtesse donna le tout à Girard de Cusance qui tint désormais toutes les rentes et revenus du lieu24. La terre de Bolandoz et de Montigny25, correspondant vraisemblablement aux biens de Jean de Brisebarre, devait demeurer définitivement dans le domaine à partir de 138826. Pourtant, la comtesse, à la mort de Brisebarre, donna immédiatement Montigny à Humbert de la Platière, autre fidèle serviteur de Marguerite. Bourgeois de Poligny anobli, il fut à la fois le chef de l’hôtel de Marguerite et son conseiller27. Il fit don de ce cadeau de la comtesse aux doyen et chapitre de Notre-Dame d’Arbois28. En 1400, les chanoines restituèrent le tout au comte de Bourgogne. Pour les remercier, le duc et la duchesse29 leur octroyèrent la somme de 90 livres estevenantes par an à prendre sur une rente annuelle de 200 livres sur la saunerie du Bourg Dessous de Salins30. À partir de là Montigny et Bolandoz firent définitivement partie du domaine comtal. La comtesse Marguerite savait récompenser ses fidèles serviteurs mais au prix d’une aliénation importante du domaine comtal. Ces méthodes prirent encore une autre ampleur sous Jean sans Peur. Plus qu’une volonté de récompenser de fidèles serviteurs, il fut victime des circonstances et d’un défaut de numéraire. La période de Philippe le Hardi apparaît donc comme une pause bénéfique pour le domaine comtal. La comtesse Marguerite ne s’était pas contentée de céder des châtellenies complètes, ayant également été à l’origine de nombreux dons correspondant à de petite partie du domaine : une redevance, un pré, etc. Par exemple, la plus grande partie des gîtes, encore relativement présents dans la châtellenie d’Ornans31, avait été cédée en don perpétuel à Étienne de Montbéliard en 1366, ainsi que quelques cens32. Les bénéficiaires 19 Dép. Jura, arr. Dole, cant. Dole-sud-ouest. 20 Donation perpétuelle inscrite au compte de l’ancien trésorier de Dole, Estevenin Vurry, en 1367. Cela ne donne pas la date exacte de la donation, peut-être 1367 ou deux ou trois ans auparavant. 21 Scey-en-Varais, devenu Scey-Maisières, dép. Doubs, arr. Besançon, cant. Ornans. 22 Il s’agissait apparemment du neveu de Thibaut de Scey qui se nommait en réalité Jean de Bolandoz. 23 J. Finot, « Recherches sur les incursions… » art. cit. 24 En 1406 (ADCO, B 1546, fol. 4) furent rendus les résultats d’un procès entre les gens des comptes et le fils et héritier de Girart, Jean de Cusance, qui tenait le château, disant qu’il lui appartenait à cause de la succession de son père. Madame d’Artois après la mort de Girart avait mis sa main sur la seigneurie de Scey et ses successeurs avaient fait de même. À la requête de Jean de Cusance, un procès fut lancé où il exhiba ses titres. Son château lui fut rendu contre son serment et la promesse de rendre le château si besoin. La main levée fut ordonnée le 6 mars 1407 à rachat de 3 000 florins comme prévu à la donation. 25 Bolandoz, dép. Doubs, arr. Besançon, cant. Amancey. Montigny-lès-Arsures, dép. Jura, arr. Lonsle-Saunier, cant. Arbois. 26 Compte de Guiot Vurry, trésorier de Dole. La comtesse d’Artois avait tout d’abord donné Bolandoz à Thibaut de Scey, mais jusqu’à sa mort. On ne sait pas ce qu’il advint de Bolandoz entre la date de cette mort et 1388. 27 P. Gresser, La Franche-Comté… op. cit. 28 On ne sait pas s’il a fait ce don à sa mort, nous n’avons aucune date à ce sujet. 29 Philippe le Hardi et Marguerite de Flandre : lettres patentes en juillet et septembre 1400. 30 Salins-les-Bains, dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier. L’origine de cette rente semble être la démolition de la vieille saunerie de Grozon (dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant.Poligny). 31 Dép. Doubs, arr. Besançon. 32 Compte du trésorier de Dole Perrin de Lavans. Gîtes de quatorze villages situés aux environs d’Ornans. Cens de Saules, cens des hommes de messire Hugues Pucin, cens d’une vigne. Les gîtes rapportaient annuellement 60 livres de revenu. Le montant des cens était nettement plus faible.

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de ces dons de faible importance étaient encore bien souvent de fidèles serviteurs de la comtesse : en 1369, elle donna à Charles de Poitiers devenu sire de Saint-Vallier et de Vadans, les pêcheries de La Loye33 en don à vie. Elles n’avaient toujours pas réintégré le domaine en 1419. Mais la comtesse Marguerite donna aussi un curtil situé devant une maison lui appartenant à Arbois34 dans un but cette fois philanthropique : les habitants de la ville, bénéficiaires du don, devaient y construire une maison-dieu pour loger les pauvres. Ces quelques exemples choisis reflètent surtout à quel point le domaine restait un moyen de récompense, d’assurance de fidélité. Quelques rares cas de donations n’étaient pas le résultat des libéralités de la comtesse d’Artois. Un seul don provenait de Philippe le Hardi, d’un montant relativement dérisoire, à l’origine d’une confiscation effectuée sur un condamné à mort. Les biens étaient constitués des tailles versées par quelques hommes détenus par le délinquant à Aumont35. En 1390, le comte de Bourgogne les donna en fief au chevalier Jean, bâtard de Chalon, pour lui et ses héritiers. Il s’agissait sans doute d’une récompense. La femme de Philippe le Hardi fut à l’origine d’une autre donation, la seule de sa part, les pêcheries de la rivière banal de Rochefort36 données à un fidèle serviteur comtois : Jean de Champdivers. Châtelain de Rochefort, il conserva les pêcheries pendant la période où il détint cette fonction. Dès son avènement, Jean sans Peur confirma le don. Enfin, dernier type de donation : celui fait par un seigneur sur ses possessions avant que ses terres ne soient, pour une raison ou pour une autre, rattachées au domaine comtal. Le sire de Rochefort avait ainsi donné les tailles de La Barre à Hugues de Salins37. Apparemment, il avait cédé tout ce qu’il avait à La Barre, mais on ne sait ni à qui, ni quand. Les trois châtellenies de Montréal, Arbent et Matafélon38 furent les plus touchées par ce dernier type de donations. Le four de Montréal était passé aux mains des religieux de Saint-Claude, l’ancien seigneur des lieux, Humbert de Villars, leur ayant donné 15 livres et demi viennois de rente à prendre sur le four, avec la promesse qu’en cas de rapport insuffisant voire nul, la rente serait assignée ailleurs. Le don remontait à 1312 et en 1404, les religieux n’avaient pas trouvé à amodier le four plus de 6 florins. Le comte de Bourgogne, désormais seigneur souverain du four de Montréal, n’avait aucunement l’intention de tenir les promesses faites par son prédécesseur : aucune compensation ne leur fut octroyée. Il s’agissait, pour le sire de Villars, d’un don classique à une communauté religieuse. Les autres exemples montraient plutôt ses difficultés financières. Le seigneur de Montréal partageait le château d’Apremont39 avec le prieur de Nantua. En juillet 1396, en accord avec son fils, le sire de Villars vendit ce château et ses appartenances à un écuyer, en conservant ressort, fief et souveraineté. Cela correspondait à une aliénation de ses biens qui perdura après l’intégration de la châtellenie au domaine des comtes de Bourgogne. Cette vente avait pour origine des problèmes financiers, on le constate en comparant avec la châtellenie voisine de Matafélon, également détenue par le sire de Villars où il effectua plutôt des aliénations

33 Dép. Jura, arr. Dole, cant. Montbarrey. 34 Dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier. 35 Dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Poligny mais se localisait alors dans la châtellenie d’Arbois : 2 livres 9 sous 6 deniers, cinq quarterons d’avoine mesure d’Arbois et trois gélines. 36 Rochefort-sur-Nenon, dép. Jura, arr. Dole. Du moulin de Rochefort jusqu’au moulin de Baverans (dép. Jura, arr. Dole, cant. Rochefort-sur-Nenon). 37 La Barre : dép. Jura, arr. Dole, cant. Dampierre. Cela représentait 21 sous par an. 38 Montréal-la-Cluse, dép. Ain, arr. Nantua, cant. Nantua. Arbent, dép. Ain, arr. Nantua, cant. Oyonnax. Matafélon Granges, dép. Ain, arr. Nantua, cant. Izernore. 39 Dép. Ain, arr. Nantua, cant. Nantua.

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résultant d’emprunts. L’ensemble des redevances dues par les habitants de Coisia40 était détenue par les écuyers Jean et Pierre de la Baulme de Landenchoys qui avaient prêté une somme d’argent au sire de Villars vingt ans auparavant. Le versement de la rente découlait de ce prêt. Ce système était fréquemment utilisé. Les remboursements pouvaient durer très longtemps et dépasser de beaucoup la somme originelle. Pour clore la dette, il n’y avait pas d’autre solution que de racheter la totalité de la rente, en versant la somme initialement prêtée. D’autres revenus connaissaient la même situation dans cette châtellenie et sa voisine Arbent. Pour le sire de Villars, le recours à l’emprunt était devenu une nécessité, mais ne parvenant pas à rembourser ses créanciers, il établissait des rentes sur son domaine. Ces biens lui échappaient jusqu’à ce qu’il puisse rendre la somme prêtée. Comme il n’y parvenait pas, les revenus demeuraient aux mains des débiteurs41. Le comte de Bourgogne ne montra pas la volonté de racheter les dettes de l’ancien seigneur des châtellenies de la montagne lorsque ces dernières furent intégrées au domaine comtal. Majoritairement du fait de la comtesse Marguerite42, les aliénations du domaine furent beaucoup plus importantes dans la partie sud du comté où les possessions étaient plus nombreuses. Cela illustre cependant combien le don de terre ou de biens demeurait un important moyen de récompenser les fidèles. Le système du clientélisme existait de façon très prégnante sous Marguerite d’Artois. En revanche, il faut souligner son absence sous le gouvernement de Philippe le Hardi. Prenant en main ce domaine, il aurait pu profiter de cette manne et en distribuer également de larges pans. Il préféra maintenir son bien intact, s’attachant à le faire fructifier43. Et même, sous Philippe le Hardi, de nouvelles châtellenies s’agrégèrent au domaine puisque Montréal, Arbent et Matafélon étaient advenus au domaine comtal pour défaut de foi et d’hommage. Le sire du lieu, seigneur de Thoire et de Villars, n’avait pas obtempéré à la requête du comte de Bourgogne, prétendant détenir cette terre en franc alleu malgré les arguments du comte : toutes les terres, les châteaux, leurs appartenances étaient « mouvans de son fié et soveraineté de son conté de Bourgoingne ». Le parlement décida la confiscation et une expédition militaire fut levée en 1402. L’année suivante, l’ensemble était dans la main du comte44. À l’avènement de Jean sans Peur, ces châtellenies étaient donc intégrées de fraîche date au domaine. Avec lui, revint la politique du don mais il s’agissait moins alors de récompenser les fidèles serviteurs que de trouver une réponse à un éternel manque d’argent. C. Seigneurie de Faucogney En dehors des deux grands bailliages, le domaine comtal se composait d’autres entités très diverses, à commencer par la seigneurie de Faucogney45 qui se localise dans l’extrémité nord-est du comté de Bourgogne, étroitement imbriquée au bailliage d’Amont. Sa position proche des marches de Lorraine et d’Allemagne lui donna de l’importance aux yeux des ducs-comtes. Jean sans Peur énonça même que le château et 40 Dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Arinthod. Environ vingt feux. 41 Dominique Barthélémy a montré comment au xiiie siècle, l’aristocratie connaissait des difficultés financières et constituaient des rentes, seul moyen économique pour se procurer de l’argent. D. Barthélémy, Les deux âges de la seigneurie banale : pouvoir et société dans les terres des sires de Coucy, milieu xie, milieu xiiie siècle, Paris, 1984, p. 220-222. 42 Elle gouverne de 1361, date de la mort de Philippe de Rouvres jusqu’à sa mort en 1382. 43 A. van Nieuwenhuysen, Les finances du duc de Bourgogne…op. cit., p. 506-508. 44 Ibid. p. 472 et 488. Le seigneur de Thoire répliqua en vendant ses terres au comte de Savoie, entrainant une expédition militaire. 45 Faucogney-et-la-Mer, dép. Haute-Saône, arr. Lure.

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le bourg étaient la clé du pays à l’encontre de ses deux voisins et « ledit bourg se il estoit en estat, seroit capable de repousser tous ennemis et envahisseurs »46. Cela explique l’achat de la seigneurie en 1374 pour la somme de 20 000 francs or. Jeanne, la dernière représentante des sires de Faucogney, s’était mariée à Henri de Longwy, sire de Rahon. Elle mourut en 1373, laissant un fils en bas âge. Le sire de Rahon, endetté, accepta alors la proposition de Philippe le Hardi qui n’était pas encore comte de Bourgogne et céda la seigneurie en échange de l’acquittement de ses dettes47. La seigneurie de Faucogney releva alors du comté puisque le bailli d’Amont y avait les mêmes pouvoirs que dans sa circonscription48. Mais on ne sait pas très bien comment s’effectua la gestion de la seigneurie entre 1374, date de l’achat, et 1384 où le duc devint également comte de Bourgogne. Comme dans les bailliages continuaient d’apparaître dans les comptes certains territoires ne faisant plus partie du domaine du seigneur de Faucogney. Les villages de Pusey, Pusy et Épenoux49, au nord de Vesoul, relevaient du domaine à l’époque de Jeanne et son mari. Donnés en gage à vie50 à Girart de Cusance et à son frère, ainsi qu’à leur neveu, la clause de rachat à 1 400 livres estevenantes témoignait des problèmes d’endettements du sire de Rahon. Philippe le Hardi effectua une mainmise sur ces villages pour une raison inconnue. La main fut levée à condition que se tienne un procès vraisemblablement destiné à établir les droits de Girard de Cusance. Il eut gain de cause et, à sa mort, son fils Jean hérita des trois villages. Mais Jean de Vergy, gouverneur du comté, lui racheta le tout. La clause de rachat originelle avait alors disparu. La situation demeura ainsi pendant tout le principat de Jean sans Peur. Le village de Corbenay51 avait, quant à lui, été cédé à un écuyer « bastard », Jean de Maizières, à rachat de 100 livres estevenantes. Pendant une courte période, de 1398 à 1403, le comte mit la main sur ces possessions pour défaut d’hommage mais, à partir de 1403, Corbenay était revenu aux mains de l’écuyer, l’hommage ayant été rendu. Les liens de féodalité apparaissent encore bien en vigueur en ce début de xve siècle, les comtes les utilisaient à leur profit, contribuant ainsi à maintenir l’idée qu’ils étaient les réels propriétaires de la terre. Les modifications domaniales pouvaient également provenir de la récupération de biens découlant le plus souvent d’un décès. Les terres d’un dénommé Jean d’Arcey revinrent, à sa mort en 1377, au domaine comtal. L’absence de précision fait supposer qu’il n’y avait aucun héritier52. Autre cas, en 1399, l’écuyer Huguenin de Meurcourt,

46 Dans une ordonnance en 1411. ADCO, B 1058. 47 Dictionnaire des communes de la Haute-Saône, t 3, p. 6-21. Entre le xiie et le xive siècle, il y eut de nombreuses inféodations dans plusieurs villages en raison d’embarras financiers. On peut aussi voir retracer tous les épisodes de l’achat dans : J. Finot, « Les sires de Faucogney », SEJ, 1885, p. 1-295. 48 Ce qui par exemple n’est pas le cas de Chaussin (dép. Jura, arr. Dole) qui aujourd’hui appartient à la Franche-Comté, mais qui alors relevait du bailliage de Dijon, c’était une enclave ducale dans le comté. 49 Pusey, dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Vesoul-ouest. Pusy-et-Épenoux, dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Vesoul-ouest. 50 Ce peut être à la fois un engagement, une caution, un bien engagé ou une saisie, étant donné la condition du rachat, on peut penser qu’il s’agit ici d’un bien engagé, une caution en échange d’un prêt en argent. La terre sert à assoir le crédit. Les études récentes sur le crédit portent principalement sur celui pesant sur les paysans, voir F. Menant et O. Redon, Notaires et crédit dans l’occident méditerranéen médiéval, Rome, 2004. 51 Dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Saint-Loup-sur-Semouse. 52 Sa veuve, Marguerite d’Oiselay, remariée au chevalier Jean Poignart du Tremblois, bénéficiait des revenus de son douaire jusqu’à sa mort composé d’éléments très divers comme des tailles, des corvées de labour, des prés.

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bâtard, mourut sans héritier. Tous ses biens revenant au domaine53, Philippe le Hardi les donna immédiatement à l’écuyer Guillaume de Trestoudan, à vie. En 1403, il n’en avait toujours pas la jouissance car les gens des comptes de Dijon refusaient d’avaliser la donation. Une procédure exceptionnelle fut mise en place, Guillaume devant obtenir la possession des biens dans le mois suivant la prochaine venue du duc en son duché de Bourgogne. Le 30 novembre 1406, le duc Jean n’avait toujours pas visité son duché54. Les conseillers de la Chambre des comptes montraient leur volonté de ne pas passer outre le serment de fidélité qu’impliquait la possession de fiefs. Remarquons encore une fois le désir de garder en mémoire ce qui était issu du domaine et pouvait à tout moment y revenir, mettant en lumière le souci de sauvegarde du patrimoine foncier du comte de Bourgogne. En 140655, l’ensemble de la seigneurie de Faucogney se composait d’éléments très divers. Le bourg de Faucogney se situait au cœur de la seigneurie, des hommes du comte y demeuraient mais tous les habitants ne relevaient pas directement de lui. En 1406, on dénombrait quarante-six « chefs d’hôtel » dont six veuves, un maire et un doyen. Faucogney se distinguait des autres villages de la seigneurie car il avait obtenu récemment une charte dont le contenu évoque plutôt une charte de commune56. Le maire et le doyen prêtaient serment de garder le droit de la « ville » et du seigneur. Élus par le « commun », ils payaient une amende en cas de refus de la charge57. Détenant leur office un an, ils redevenaient ensuite de simples bourgeois. Toute nouvelle personne venant s’installer à Faucogney devait payer trois sous « d’entraige », aucune ne se présenta au cours de la période. La charte contenait diverses conditions dont les responsabilités du maire et du doyen : surveiller la qualité du pain, du vin et des autres denrées vendues à Faucogney, mettre la mesure et recevoir les amendes. En contrepartie de leur fonction, le maire ne payait pas de cens et le doyen seulement la moitié. Cette charte concernait l’administration du bourg de Faucogney et non le statut de ses habitants, mainmortables du comte58. Ils bénéficièrent tout de même de dégrèvements fiscaux. Faucogney avait un maire pourtant le bourg n’était jamais désigné sous le vocable de mairie. Une autre entité territoriale s’intitulait la grande mairie de Faucogney, regroupant plusieurs villages ou lieux dits environnant le bourg mais ne bénéficiant pas de la charte59. L’ensemble comptait 169 ménages en 1406. Le maire du bourg de Faucogney n’y possédait aucune responsabilité puisqu’un dénommé Jean Pelletent détenait l­ ’office 53 Cela comprenait des héritages situés dans le territoire de Frotey-lès-Vesoul (Dép. Haute-Saône, arr. Vesoul). Ils étaient aux mains de Jeannette, veuve de l’écuyer Huguenin, son douaire sa vie durant. Était aussi compris 15 sous à prendre à la Saint-Martin d’hiver sur la portion qu’avait Huguenin de Meurcourt sur le four de Meurcourt (Dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Saulx). 54 ADCO, B 4687, fol. 21. Le duc vint à Dijon pour la première fois le 11 mai 1409, un mois après, les héritages furent mis à la main de Jean sans Peur, amodiés, ils rapportèrent 6 francs. La condition du don était d’en rendre foi et hommage. Le certificat du bailli affirme que Guillaume l’avait rendu en sa main et que dès la prochaine venue du comte en Bourgogne, il viendrait rendre foi et hommage et fournirait son dénombrement, Guillaume conserva donc les héritages. La date de 1409 n’est pourtant pas présente dans l’ouvrage sur les déplacements du duc qui parle d’une entrée en 1404, E. Petit, Itinéraires de…op. cit. 55 ADCO, B 4685. Toutes les données présentées ici sont issues de ce compte. 56 Ibid., fol. 1. 57 Dix sous pour le maire et 5 sous pour le doyen. Nous n’avons pas de renseignements sur cette représentativité. 58 Il faut attendre 1412 pour que Jean sans Peur octroie une charte d’affranchissement de la mainmorte « afin que bourc et ville puissent se repeupler », ADCO, B 4689, compte 1413, fol. 1-2. 59 En tout vingt-quatre villages ou hameaux. Ils sont détaillés dans mon travail de thèse : S. Bépoix, Le comté de Bourgogne au temps de Jean sans Peur…op. cit., p. 55-61.

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sur ce territoire. On dénombre quinze autres mairies dans la seigneurie. Comme la grande mairie de Faucogney, plusieurs comptaient un certain nombre de villages60. Ces mairies se différenciaient de celle du bourg de Faucogney car les maires y demeuraient à leur poste au fil des années tandis que dans le bourg de Faucogney, maire et doyen ne pouvaient être réélus. Un même homme pouvait également être maire de plusieurs villages différents. Il y avait bien une différence de statut, certains maires paraissant nommés à vie. Un autre point opposait ces mairies à celle du bourg de Faucogney : leurs redevances étaient peu diversifiées. D’autres villages n’étaient pas qualifiés de mairies, pourtant, Meurcourt61 avait un maire, ainsi que « la terre de feu Jean d’Arcey ». Il est difficile de percevoir les différences que cela représentait pour les contemporains. On ne peut l’attribuer à des erreurs de la part des clercs, les registres étant minutieusement contrôlés par la Chambre des comptes. La seigneurie comptait aussi deux avoueries, résultat vraisemblable de défrichements opérés en pariage entre le seigneur de Faucogney et des ecclésiastiques. L’accord transparait avec le partage financier de certaines redevances. L’avoué ici, était le comte de Bourgogne en sa qualité de seigneur de Faucogney. Les recettes de la terre et avouerie de Longchamp62 comprenait des tailles et des rentes ainsi que tous les frais engendrés par la venue de l’avoué et de ses gens lorsqu’ils se déplaçaient pour tenir les plaids banaux. Le comte de Bourgogne ne se déplaçait pas en personne mais nous ne savons pas qui le remplaçait, sans doute le bailli d’Amont. Cette terre se localisait près de Remiremont et fut rachetée 623 florins au profit du duc-comte en 1384. Elle relevait de la seigneurie de Faucogney mais était tenue en gage par le chevalier de Villesoirlon. Il s’agissait vraisemblablement d’une dette de l’ancien seigneur de Faucogney. La seconde avouerie, plus complexe correspondait à une acquisition effectuée après la mort d’Alix de Montby en octobre 1388. Elle se composait de plusieurs foyers, serfs, mainmortables et taillables à volonté pour la plupart. On dénombrait onze ménages à Quers, dix ménages à SainteMarie63 et seize autres personnes dispersées. Alix de Montby avait hérité ses biens de son oncle Josserand de Montby. Sa veuve, Catherine de Vienne, mourut en août 1392 et à cette date son douaire revint dans les mains du comte de Bourgogne. Il comprenait les tailles de trente-sept ménages dispersés dans plusieurs villages, mais aussi un cens à Malbouhans, un chasal et un moulin à Melisey64. Plusieurs bois du lieu étaient utilisés par les habitants pour emmener leurs porcs à la période des glands, en échange d’une rémunération fixée65. Enfin, le douaire comprenait un quart des redevances de la « banvardié »66 de Melisey. Dans la comptabilité ces deux ensembles correspondant à la totalité de l’héritage laissé par Josserand de Montby étaient présentés par les clercs dans deux rubriques séparées et ne furent jamais réunis tout au long de la période, augmentant l’impression de morcellement des possessions composant la seigneurie. Mais cette description montre également à quel point les possessions de certains petits seigneurs étaient divisées, éparpillées et de faible valeur. 60 Ibid. 61 Dans certains documents autres que des comptabilités, il est question de mairie de Meurcourt par exemple (ADCO, B 1058), alors que cette dénomination n’était jamais utilisée dans les comptes. 62 Dép. Vosges, arr. Épinal, cant. Épinal-est. 63 Quers, dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Lure nord. Sainte-Marie-en-Chanois, dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Faucogney. Ici, le couvent de Luxeuil prend la moitié des tailles et la moyenne et basse justice, mais il est bien spécifié que tout le reste sans exception appartient au comte comme  « vouhe » par l’acquisition des biens d’Alix de Montby. Nous reviendrons plus loin sur le problème de cette succession. 64 Malbouhans, dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Lure nord. Melisey, dép. Haute-Saône, arr. Lure. 65 Un denier estevenant pour un porc d’un an, sinon 1 obole estevenante. 66 Banward : garde du ban.

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Dernier cas existant dans la seigneurie : les villages appelés de leurs seuls noms, ce qui n’excluait pas l’existence d’un maire. Montigny, Meurcourt, Servigney et Adelans67 avaient également la particularité d’être isolés et non regroupés dans un ensemble de plusieurs villages ou hameaux. Les deux derniers différaient peu des mairies évoquées précédemment. Les ménages y étaient taillables à volonté, de « mortemain et serve condicion »68, devant en plus le « charroi » et le port de lettres. Meurcourt connaissait le même statut. Montigny apparait plus atypique. Le receveur y dénombrait trente feux, mainmortables et de condition serve. Aux redevances habituelles, cens, corvées ou pressoir à vin, s’ajoutait une taille réelle, établie en fonction des journaux de terre arables, des ouvrées de vignes et des fauchées de prés détenues par les habitants69. Ils ne devaient rien pour leur chasal, leur maison ou leur jardin. Les exploitants ne possédant que des prés et aucune terre arable devaient payer plus cher que les autres70. Une enquête avait cependant été menée, recherchant les registres établis pour l’ancien bénéficiaire des redevances de Montigny. Le chevalier qui avait tenu la terre en gage pendant un certain temps n’avait pas contraint les détenteurs de prés à payer une taille d’un montant supérieur, le tarif étant alors le même pour tous : 2 sous par fauchée71. Les litiges liés aux modalités de paiement ne devaient pas manquer lorsque des territoires changeaient ainsi de mains. À Montigny existait une bonne raison de ne pas trop grever de redevances les habitants car le village avait été fortement déserté. En 1405-1406, environ 152 journaux de terres arables furent amodiés en blé directement. Depuis trente-quatre ans, vingt ouvrées de vignes étaient en désert et on dénombrait vingt-deux meix vacants dont les possesseurs étaient morts ou avaient quitté le pays. En cas de départ, le comte confisquait les terres jusqu’au retour des exploitants72. Tous ces meix étaient affermés directement, en blé ou en herbe. Mais une grande partie, vraisemblablement les terres des personnes décédées, avait été achetée par des habitants de Montigny, l’achat étant plus rarement effectué par des gens provenant des villages environnants73. Seize ménages74 acquirent ainsi des journaux de terre ou des faux de prés ou les deux à la fois, avec parfois en plus des ouvrées de vignes. Ils versaient « l’entraige » en une fois. Pourtant les détails de ces achats apparaissaient dans les comptes en raison du statut de la taille réelle. Les ménages ayant fait l’acquisition de nouvelles terres versaient un montant augmenté en proportion de la superficie de leur nouvelle acquisition. On dénombre également cinq héritages rendus à leurs légitimes possesseurs revenus au pays. Montigny avait subi les désagréments liés aux malheurs du temps, il est vraisemblable que plusieurs années auparavant, des bandes de mercenaires aient écumé la région75. Les vignes étaient en désert depuis environ 1370, date proche de la signature du traité de Bretigny. Pourtant, une telle fuite de population n’apparaît pas de façon 67 Servigney et Adelans-et-le-val-de-Bithaine, dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Saulx. Montignylès-Vesoul, dép. Haute-Saône, arr. Vesoul. 68 Quatorze foyers à Adelans et cinq à Servigney en 1406. 69 Deux sous estevenants par journal, plus deux tiers de quarte de blé, moitié froment de gerbe, moitié avoine. Douze deniers par ouvrée de vigne, en état ou en désert et 2 sous par fauchée. 70 Quatre sous par fauchée. 71 L’enquête avait été reportée dans le compte de 1389. 72 La coutume de Bourgogne accorde le départ au serf, s’il revient dans les dix ans, il peut récupérer sa terre. J. Tornare, La coutume médiévale en Franche-Comté. État de la question, mémoire de DEA, Besançon, 1993. Publication de la coutume : J. Pètremand, Ordonnances et édits de Franche-Comté, Dole, 1619. 73 Une femme de Chariez et un homme de Montoille. 74 Chiffres correspondent au compte de 1406. Il s’agit de couple ou homme seul ou femme seule (trois). 75 A. Lhomme, Peste noire et grandes compagnies…op. cit., p. 53. Les derniers groupes de routiers sévirent en 1372-1373, de façon beaucoup moins violente qu’en 1365.

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aussi évidente dans le reste de la seigneurie de Faucogney ni dans le bailliage d’Amont. Adelans comptait seulement quatre meix vacants. Les mêmes événements s’étaient sans doute produits dans les autres villages tout en n’apparaissant pas aussi clairement qu’à Montigny mais cela n’explique pas le nombre aussi élevé de biens vacants. Soit la population avait diminué de façon plus notable qu’ailleurs, soit les habitants n’avaient pas eu les moyens de racheter tous les biens. On peut également émettre l’hypothèse que la taille réelle n’était pas un système apte à attirer les exploitants. Enfin, la « terre du dénommé Jean d’Arcey » comprenait plusieurs redevances demeurées aux mains de sa veuve en raison de son douaire. Sous Jean sans Peur, seules quelques rentes et les tailles d’hommes vivant dans le val de Faucogney furent perçues. La condition de ces personnes, sans doute éparpillées dans plusieurs villages, était similaire à toutes celles évoquées précédemment.

Carte 4 : La seigneurie de Faucogney au début du xve siècle.

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D. Saunerie de Salins Les salines de Salins qui appartiennent au gisement salifère le plus important de Franche-Comté s’étendant au pied du premier plateau jurassien représentaient un élément important du patrimoine domanial comtal. En effet, l’approvisionnement en sel par la Grande Saunerie représentait un élément primordial de la vie économique bourguignonne. Véritable institution, l’entreprise était puissante et amena les conseillers des ducs à intégrer les revenus de la saunerie à l’organisation financière de l’État bourguignon76. L’origine de l’exploitation remontait à l’Antiquité77. Sur le même gisement se trouvaient les centres de Grozon, Montmorot et Lons-le-Saunier78 et d’autres produisaient également du sel aux xive et xve siècles : Scey-sur-Saône, Saulnot, Soulce et Saint-Hippolyte79. Mais plusieurs de ces centres d’exploitation fermèrent pour des causes parfois inconnues. Lons-le-Saunier cessa toute activité au début du xive siècle sans que l’on en détermine précisément la raison80. En 1369, la comtesse Marguerite mit fin aux activités de la saline de Grozon, en contrepartie, le comte de Bourgogne touchait une rente d’indemnité81. Il existait apparemment une volonté de centralisation de la production de sel par le comte de Bourgogne82, tout étant fait pour privilégier la saunerie de Salins. Organisme compliqué formé de trois entités qui s’étaient composées et transformées progressivement au cours des siècles, au début du xve siècle, les évolutions avaient abouti à des imbrications extrêmement complexes. Il faut distinguer la propriété des puits, les sources salées elles-mêmes, de celle des établissements destinés à transformer la muire en sel : les bernes ou meix. Les propriétaires d’une source pouvaient avoir leur propre berne mais pouvaient aussi octroyer le droit de prélever certaines quantités de muire à un particulier, une église ou un couvent qui ensuite la transformaient dans leurs bernes personnelles. À Salins, il y avait deux puits : la Grande Saunerie et le Puits à Muire. La troisième entreprise, appelée la Chauderette ou berne de Rosières83, était uniquement une unité de transformation puisant sa muire dans la Grande Saunerie. Le puits de la Grande Saunerie se localisait dans le Bourg-Dessus de Salins84 qui à l’origine appartenait aux sires de Salins, d’où son autre nom de Bourg-le-Sire. Jean de Chalon détint l’ensemble jusqu’à sa mort, le 30 septembre 1267. S’effectua alors un partage entre ses 76 C. Bébéar et H. Dubois, Le livre des délibérations de la Grande Saunerie de Salins (1466-1481). Transcription du Ms 1B187 des Archives Départementales du Doubs, Ostfildern, 2004, p. 54. 77 Il n’y a pas de construction romaine mais on a trouvé à Salins des monnaies datant du règne de Tibère (42 av. J-C, 37 ap. J-C). M. Prinet, « L’industrie du sel en Franche-Comté avant la conquête Française », SED, 1896, p. 201-246. 78 Montmorot, dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, Lons-le-Saunier, dép. Jura. 79 Scey-sur-Saône et Saint-Albin, dép. Haute-Saône, arr. Vesoul ; Saulnot, dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Héricourt ouest ; Soulce-Cernay, dép. Doubs, arr. Montbéliard, cant. Saint-Hippolyte ; SaintHippolyte, dép. Doubs, arr. Montbéliard. 80 La plus plausible reste une volonté délibérée des comtes de Bourgogne désirant une plus grande concentration de la production de sel. Les rentiers des salines de Lons-le-Saunier furent indemnisés par un transfert de rentes sur les sauneries de Salins et de Grozon. 81 M. Prinet, « L’industrie du sel… » art. cit. Tous les bénéficiaires de rentes sur Grozon ont également été reportés sur la saunerie de Salins. 82 P. Gresser, « Histoire d’une source salée au xve siècle : Tourmont ( Jura) », MSHDB, 1982, p. 31-81. Découverte en 1447, elle fut délibérément rebouchée afin de ne pas porter atteinte à la production salinoise. 83 Car elle appartenait à l’origine à l’abbaye de Rosières. 84 Le Bourg-Dessous revint en totalité au comte de Bourgogne, cela correspond à la châtellenie de Salins dans les comptes de bailliage, seul le Bourg-Dessus fut divisé en trois. R. Locatelli et al., Les salines de Salins au xiiie siècle. Cartulaire et livre des rentiers, Besançon, 1991, p. 38.

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trois descendants. Son petit-fils, le comte Otton obtint le château de Bracon85, le tiers de Salins et la suzeraineté sur les deux autres héritiers86. Au fil du temps, chaque tiers se subdivisa au gré des héritages, l’ensemble formant les « parsonniers » de la Grande Saunerie. Au début du xve siècle, le château de Bracon se trouvait aux mains des comtes de Bourgogne87 qui possédaient donc un tiers de la Grande Saunerie. Le partage de Chalon-Vignory représentait un sixième et un autre sixième avec Châtelbelin était aux mains de la branche de Chalon-Auxerre, d’où son nom de partage d’Auxerre. L’ensemble formait donc le deuxième tiers. Enfin, le dernier tiers avec Châtelguyon appartenait à la branche des Chalon-Arlay. Le deuxième puits connut une évolution aussi complexe. Au début du xve siècle, l’expression de Puits à Muire commença à être utilisée dans les chartes88. Plusieurs personnes étaient propriétaires de ce puits, des ecclésiastiques comme des laïcs, des nobles comme des roturiers, on les appelait les rentiers du Puits à Muire, le comte de Bourgogne faisant simplement partie de ces rentiers. Il faut souligner l’absence quasi complète de grands noms parmi ces propriétaires : les établissements monastiques, cisterciens en tête, dominaient, ainsi que la classe chevaleresque de la région de Salins89. Des rentiers primitifs auraient vendu, échangé ou cédé leurs actions, aliénant ainsi leurs droits sur le Puits à Muire. Ils firent peut-être également de nouvelles « émissions », accroissant encore le nombre de rentiers90. Nommés « seigneurs rentiers du Puits à Muire », ils formaient une puissante corporation très respectée, ne relevant pas des tribunaux ordinaires91. Chaque rentier ne possédait pas de berne. Au début du xve siècle, on estime qu’il y avait environ dix bernes réelles autour du Puits à Muire, la plupart portant le nom de leur propriétaire92. Le comte de Bourgogne, le seigneur de Châtelbelin et celui de Châtelguyon percevaient des revenus sur une berne appelée « le demaine »93. Dans la Grande Saunerie, toutes les bernes avaient été réunies pour ne former plus qu’une seule entreprise. Jean de Chalon fut sans doute à l’origine de cette transformation et bien que la propriété ait été divisée en trois après sa mort, l’exploitation en commun demeura. La berne de Rosières ou Chauderette avait, elle, été acquise par Jean de Chalon, son but étant apparemment d’y concentrer toutes les rentes en muire qui grevaient ses autres bernes. Elle fut partagée en soixante-quatre quartiers94. En dehors de tous ces droits attachés à la possession d’un puits ou d’une berne, il existait une foule de rentes payables par les propriétaires, en argent ou en nature : sel ou 85 Fils d’Hugues de Chalon, fils aîné issu d’un premier mariage de Jean de Chalon. Bracon, dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Salins-les-Bains. 86 En fait trois fils issus d’un deuxième mariage eurent un tiers de la saunerie et Châtelbelin et Jean d’Arlay issu d’un troisième mariage eut le dernier tiers de la saunerie et Châtelguyon. 87 La comptabilité de Bracon se faisait à part, la châtellenie n’étant pas intégrée dans les registres de bailliage. 88 Les comtes de Bourgogne n’en ont jamais été propriétaires malgré sa localisation dans le BourgDessous ou Bourg-le-Comte. 89 H. Dubois, « Du xiiie siècle aux portes de la modernité : une société pour l’exploitation du sel comtois : le Bourg-Dessous de Salins », in Le sel et son histoire, Actes du colloque sur l’Association inter universitaire de l’Est, Nancy, 1981, p. 67-91. On ne sait pas comment ils avaient acquis ce Puits, on en comptait environ 150. 90 M. Prinet, « L’industrie du sel…op. cit., p. 201-246. 91 Ils relevaient directement du Conseil du comte de Bourgogne ou du parlement de Dole. 92 On estime à environ une centaine le nombre de rentiers primitifs, ce qui n’exclut pas que chacun ait pu diviser sa part en de nombreuses portions, par rentes ou donations, c’est-à-dire de nouvelles « émissions ». 93 Le comte de Bourgogne y percevait un sixième de la production. 94 Chaque quartier équivaut à une quantité fixe de muire : vingt-deux seilles, la seille : mesure fixe d’eau salée. L’eau salée était envoyée par des canaux depuis le puits de la Grande Saunerie jusqu’à la chaudière de Rosières où les rentiers laïques ou ecclésiastiques, faisaient bouillir en commun leur muire.

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bouillon95. Pour les bénéficiaires de rentes en muire un problème se présentait, comme pour les propriétaires de puits ne possédant pas de berne : soit ils avaient recours à un détenteur de berne acceptant de transformer leur eau salée, soit la rente comprenait l’usage d’une chaudière. La constitution de ce type de rente semble avoir disparu à partir du xiiie siècle, on trouva plus simple de les établir en produit fini : en charges de sel constituées de plusieurs pains96. Quelques rares rentes se composaient de sel en vrac, en grains. À partir du xive siècle, les nouvelles rentes étaient exclusivement en argent tandis que les rentes en nature tendirent à se transformer elles aussi en argent. Valeurs sûres, on les donnait en dot, elles servaient de gages, on établissait de nouvelles rentes dessus. Certains obtenaient leur rente d’un propriétaire tandis que d’autres la détenaient d’un rentier. Jean sans Peur lui-même percevait des rentes, par exemple celle qui compensait la fermeture de Grozon. Mais les comtes de Bourgogne se montraient plus souvent fournisseurs de rentes : dons à des particuliers, laïques ou ecclésiastiques, ou à des établissements religieux. Dans ce cas, soit les bénéficiaires étaient des chapelains, soit le don était destiné à un établissement chargé de célébrer des messes anniversaires, soit la donation était qualifiée d’aumône97. La majorité de ces bienfaits allait à des abbayes, mais en bénéficiaient également des hôpitaux, des maladreries, et les pauvres de plusieurs châtellenies. Les rentes s’établissaient le plus souvent à perpétuité, beaucoup plus rarement à vie. Tenues en fief du donateur, elles nécessitaient la prestation du serment de foi et hommage. Contrairement aux fiefs fonciers pour lesquelles les roturiers devaient obtenir une autorisation spéciale pour obtenir le droit de les posséder, il n’y avait pas de permission particulière pour le fie-frente de la Grande Saunerie. Octroyer des rentes, que l’on soit propriétaire ou rentier, était un bon moyen de se créer des alliances. La maison comtale chercha surtout quant à elle, à diminuer les charges pesant sur ses propriétés de la Grande Saunerie en rachetant les rentes. La grande diversité du domaine reflète l’histoire de biens agrégés au fil du temps, engendrant obligatoirement, en parallèle, une toute aussi grande diversité dans les prélèvements. Sur l’ensemble de ces territoires, des agents comtaux avaient la charge de gérer le domaine. 2. Les officiers A. Les circonscriptions Le développement administratif du comté fut progressif. Les ducs-comtes Valois dotèrent la région d’une véritable administration moderne98. Mis en place au xive siècle, en même temps que le bailliage d’Aval, le bailliage d’Amont, avec son centre administratif Vesoul, possédait à sa tête un bailli, nommé par le comte de Bourgogne. Dès milieu du xive siècle, l’office fut investi du titre de conseiller du comte99. Érart du Four, chevalier détenant cet office en 1404, ne vivait pas à Vesoul mais à Gray, ville dont il était le châtelain. Ses prérogatives s’étendaient également sur la seigneurie de Faucogney. Le rôle du bailli, avant tout judiciaire100, s’envisageait également comme 95 Muire qui a chauffé une fois. 96 Douze pains de sel = une benate (panier d’osier), quatre benates = une charge. 97 Ce sont les plus nombreuses : quarante-neuf. Mais les montants étaient alors souvent faibles : surtout 1, 2 ou 3 livres, même 10 sous, mais cela montait jusqu’à 27 livres. 98 R. Fiétier (éd.), Histoire de la Franche-Comté, Toulouse, 1977, p. 172-174. 99 J. Richard, « Les institutions ducales dans le duché de Bourgogne », in F. Lot et R. Fawtier (éd.), Histoire des institutions françaises au Moyen Âge, t. 1 : Institutions seigneuriales, Paris 1957, p. 223. 100 P. Gresser, La Franche-Comté…op. cit., p. 269-273.

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une sorte de châtelain supérieur possédant un rôle militaire et administratif, non totalement détaché des aspects financiers101. Il n’apparait donc pas enfermé dans ses fonctions judiciaires. Elles s’avéraient pourtant essentielles : toutes les causes en première instance touchant le domaine comtal et concernant les officiers comme les hommes relevant de sa juridiction dépendaient de ses prérogatives. Les affaires criminelles du bailliage en entier, au-delà du strict domaine, lui étaient normalement réservées. En appel, il jugeait tous les cas relevant des juges inférieurs, les châtelains, les prévôts ou les maires102. Le rôle du trésorier se révèle, lui, exclusivement financier. Sa tâche consistait à centraliser les recettes et couvrir les dépenses dans une circonscription correspondant au bailliage. Pierre le Moniat, trésorier de Vesoul en 1404, en place depuis 1393103 était secondé par un lieutenant, Jean Benoit, mentionné également sous l’appellation de clerc. À l’avènement d’un nouveau prince, les serviteurs de l’hôtel changeaient104 mais les autres officiers conservaient le plus souvent leurs offices. Lorsque Jean sans Peur devint comte de Bourgogne, ni le bailli ni le trésorier ne changèrent. La duchesse Marguerite de Flandre étant morte le 21 mars 1405, son fils Jean sans Peur, alors à Arras, édicta une ordonnance : A voulu que chaque officier mis et établi par feu Madame la Duchesse cui dieu pardoint, par lettres et autrement, tant le bailli au bailliage d’Amont comme autres quelconques officiers de justice, recepte comme autres, puissent exercer leurs offices comme ils faisoient du vivant de Madame la Duchesse, jusqu’à ce qu’il en ordonne autrement105.

Jean sans Peur maintint également tous les officiers du bailliage d’Aval à la mort sa mère106, pourtant, des modifications eurent lieu très rapidement. Contrairement au bailliage d’Amont où les officiers connurent une longévité exceptionnelle, plusieurs baillis d’Aval se succédèrent au cours de la période, parfois pour de courte durée107. La superficie du bailliage étant importante, maître Bon Guinchart bénéficiait de l’aide d’un lieutenant108 et d’un clerc. Le trésorier du bailliage d’Aval ne connut pas, lui non plus, une grande longévité à la tête de la fonction. Jean Chousat, trésorier en 1405, mais appelé à un avenir plus prometteur dans l’administration des ducs-comtes de Bourgogne109, fut rapidement remplacé par son propre lieutenant, Jean Carondelet en 1407110. Un clerc le secondait, en 1405 : Guiot Aubry. Le comte de Bourgogne sollicitait beaucoup le trésorier d’Aval pour faire des voyages hors des ressorts de sa trésorerie111. 101 Par exemple, le bailli supervisa l’emprunt forcé de 1405. ADD, 1B101. 102 J. Theurot, « Justice et délits de justice dans le bailliage de Dole (1422-1454) », SEJ, 1990, p. 181-198. 103 Il restera d’ailleurs trésorier jusqu’en 1423. P. Gresser, La Franche-Comté…op. cit., p. 203-208. 104 Jean sans Peur possédait sa propre maison depuis son retour de Nicopolis en 1398, il était donc normal qu’après la mort de Philippe le Hardi, Jean sans Peur se soit séparé des serviteurs de son père. L. Mirot, « Le licenciement des serviteurs de Philippe le Hardi, juin 1404 », Annales de Bourgogne, 1939, p. 132-135. 105 L’ordonnance est copiée dans le poste gage des officiers du bailliage d’Amont du premier compte du principat de Jean sans Peur : ADD, 1B101, fol. 33. 106 ADCO, B 348, lettres patentes. 107 En 1406 : Jean de Champdivers. En 1413 : Guy Armenier. En 1414 : Guillaume de Champdivers. 108 Comme d’ailleurs le bailli d’Amont. Ici, il se nomme Jean Bouchart. 109 Trésorier de Dole dès 1396, ensuite Pardessus de la saunerie puis garde des chartes du comté. En 1413, il fut nommé premier maître de la Chambre des comptes de Lille et de Dijon, conseiller du roi et du duc. Il aurait été conseiller au parlement de Dole en 1409, mais nous n’avons pas connaissance d’un parlement à cette date, et trésorier général des deux Bourgognes de 1405 à 1406. J. d’Arbaumont, Armorial de la Chambre des Comptes de Dijon, Paris, 1881, p. 13-14. 110 Il ne resta trésorier de Dole qu’un an, remplacé par Hugon Druet, lui-même remplacé par Jaquot Vurry. 111 En général pour aller réclamer de l’argent, des aides à Paris, des emprunts en Bourgogne, pour les affaires du duc, donnant lieu à une nouvelle rémunération en plus de ses gages ordinaires.

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À l’avènement de Jean sans Peur  |  Chapitre 1

À un niveau plus local, de nombreux officiers se trouvaient en contact avec la population. Normalement, un receveur à la tête de chaque centre de perception se chargeait de faire l’intermédiaire avec le trésorier. À Faucogney, le receveur Simon Panez de Flagy faisait même office de trésorier. Il était secondé par un clerc, autrement appelé lieutenant, André Chardon qui récupéra l’office de receveur en 1412 lorsque Simon Panez fut commis à un autre office par la duchesse112. Dans le bailliage d’Amont en revanche, il n’existe aucune mention de receveur contrairement au bailliage d’Aval où il y en avait plusieurs, nommés et rémunérés par le comte. La lettre d’institution du nouveau receveur de Bracon, Hugon Druet, prouve que tous les officiers nommés par la défunte duchesse ne furent pas confirmés dans leur fonction par Jean sans Peur113. Cette nomination du nouveau receveur se présentait comme une promotion « pour consideracion des grants pennes et travaux qu’il a deu soustenir au vivant de nostre pere »114. Il devait « faire venir et recevoir touz les deniers, blez, vins et autres choses qui nous appartiennent es mettes et a cause de ladite recepte ». Le rôle des autres receveurs était vraisemblablement similaire. Tous les centres ne possédant pas de receveurs peut-être, dans ce cas, était-il remplacé par le châtelain115. Mais certains lieux ne recensant aucun officier116, peut-être serait-il plus juste d’envisager certains receveurs se chargeant d’un espace géographique plus vaste que la seule châtellenie à laquelle ils étaient rattachés. En règle générale, cela était précisée117 pourtant l’exemple de Bolandoz et Montigny tend à confirmer cette hypothèse : en 1387, lorsque ces biens furent récupérés, Philippe le Hardi choisit le receveur d’Ornans pour gouverner ces terres. Quelques années plus tard, en 1404, toute mention en a disparu des comptabilités. Cela confirmerait le fait que des receveurs détenaient plusieurs centres de perception sous leur responsabilité. Ou encore ce rôle pouvait-il être inclus dans l’office des capitaines ? On peut les définir comme étant commis à la garde d’un château sans en être les maîtres. Philippe le Hardi régularisa le système en instituant des capitaines dans les villes, les châteaux et forteresses du domaine ducal à partir de 1363118. Leur fonction exclusivement militaire, les différenciait des châtelains qui eux, s’occupaient de la gestion d’une châtellenie et dont le rôle de receveur était attesté dans le duché voisin119, mais ne semble aucunement exister dans le comté. Sans doute en raison de leur moindre importance et de leur proximité avec Vesoul, trois centres de perceptions ne possédaient pas de capitaines120. Enfin, le château de Baume121 s’avère un cas particulier car un gardien nommé par le comte de Montbéliard détenait une partie des redevances. Dans le bailliage d’Aval, on utilisait le terme de châtelain plutôt que celui de capitaine. La distinction ne paraît pas anodine. Seules les trois châtellenies nouvellement annexées au domaine : Montréal, Arbent et Matafélon, utilisaient le vocable de capitaine mais deux d’entre elles : Matafélon et Arbent, comptaient également des châtelains, en stipulant châtelains par héritage, en opposition à ceux nommés par le comte. Dans le comté de Savoie tout proche, le terme de châtelain était exclusivement attribué à l’officier tenant un château 112 113 114 115

ADCO, B 4689, 1413 fol. 1, Chardon restera receveur de Faucogney jusqu’en 1419. L’ancien receveur était Émonin Vorne d’Ivory. ADCO, B 3352, fol. 1. Santans (dép. Jura, arr. Dole, cant. Montbarrey), Château-Chalon et Voiteur (dép. Jura, arr. Lonsle-Saunier, cant. Voiteur), La Châtelaine (dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Arbois), Fraisans (dép. Jura, arr. Dole, cant. Dampierre) et Apremont (dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Gray). 116 Bolandoz, Blandans (Domblans, dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Voiteur), Cinqcens (non localisé). 117 Par exemple le receveur de Quingey était le même que celui de Thoraise mais touchait deux salaires. 118 J. Richard, « Les institutions ducales… » art. cit., p. 209-247. 119 On les retrouve dans les comptes de receveur général des deux Bourgognes. J. Richard, Histoire de la Bourgogne, Toulouse, 1978, p. 180-186. 120 Port-sur-Saône, Chariez et Vaivre-et-Montoille : dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Vesoul. 121 Dép. Doubs, arr. Besançon.

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pour un seigneur important, se trouvant donc nommé, salarié et révocable122. À Arbent et Matafélon, ils détenaient des droits sur les amendes de justice, bien que cette dernière soit aux mains des capitaines, le profit devant donc être partagé123. À Montréal, situation un peu différente, le bailli faisait office de gouverneur de la justice124. À Bracon, Jean de Vergy détenait la fonction de châtelain. Peut-être y avait-il un châtelain héritier du titre là où les comptes n’enregistraient aucun office de ce type ou peut-être cet officier était-il absent dans les centres moins importants. Le cas de Dole apparait encore différent. Jean Chousat, nommé châtelain par Philippe le Hardi en 1403 ne fut pas confirmé dans ses fonctions par la duchesse. Il obtint pourtant cette confirmation à l’arrivée de Jean sans Peur à la tête du comté mais il faut attendre 1407125 pour voir son salaire apparaitre dans les comptes. Puis, en 1415, une ordonnance comtale établit la disparition de la fonction de châtelain de Dole126. Par-delà les officiers en place ou non, on peut attribuer à la châtellenie comtoise, comme cela a déjà été constaté dans d’autres espaces, une importance administrative particulière. Le nombre d’officiers s’y rattachant démontrait qu’il s’agissait du cadre essentiel du contrôle princier127. Les prévôts auraient pu faire office de receveurs, cependant, ils se chargeaient de revenus déterminés ne correspondant pas aux recettes de toute la circonscription dont ils avaient la charge. À l’origine administrateurs du domaine, ils étaient progressivement devenus de simples collecteurs de revenus pris en adjudication et n’étaient donc ni nommés ni assermentés. Toutes les prévôtés, amodiées sans exception, s’attribuaient aux enchères, l’officier changeait donc fréquemment. Il prenait à ferme un ensemble de droits et de redevances moyennant paiement d’une somme établie lors de l’amodiation, s’effectuant toujours à la Saint-Michel (29 septembre). Le prévôt apparait pourtant bien considéré comme un officier comtal : par exemple, celui de Châtillon concéda officiellement la charge de capitaine du château en 1405 au nouveau garde128, le précédent ne pouvant assurer cette passation en raison de son décès. Le prévôt détenait également un important rôle judiciaire : chargé du maintien de l’ordre dans sa circonscription, il établissait les amendes de basse justice. Cela s’avérait une coûteuse méthode d’administration pour son détenteur tout en n’offrant guère de garantie aux justiciables. Les abus se révélaient fréquents, la pratique judiciaire se limitant trop fréquemment à une course au profit et à l’amende. La justice était traitée comme un revenu domanial parmi d’autres, surtout à ce niveau129. Mais le prévôt représentait bien le pouvoir comtal. Un seul centre dans tout le bailliage n’en possédait pas130. Il faut malgré tout présenter l’importante particularité de la seigneurie de Faucogney ou le prévôt, Perrin de Faucogney, n’affermait pas sa charge ce qui le contraignait à tenir 122 B. Demotz, Le comté de Savoie du xie au xve siècle. Pouvoir, château et État au Moyen Âge, Genève, 2000, p. 371-373. 123 À Matafélon, le châtelain prend 6 deniers sur les amendes de 7 à 70 sous, et 5 sous sur celles supérieures à 70 sous. À Arbent, les amendes jusqu’à 7 sous sont toutes au châtelain, de 7 à 60 sous, il en a un tiers et sur celles supérieures à 60 sous, il prend 20 sous. 124 Il touche pour cela un salaire supplémentaire. 125 ADCO, B 1549, fol. 79. 126 ADCO, B 1582, fol. 82. 127 O. Mattéoni, Servir le prince. Les officiers des ducs de Bourbon à la fin du Moyen Âge (1356-1523), Paris, 1998, p. 156-175. 128 Jean d’Allenjoie. Le prévôt avec un sergent bénéficièrent d’un salaire spécial. ADD, 1B101, fol. 38. 129 B. Guenée, Tribunaux et gens de justice dans le bailliage de Senlis à la fin du Moyen Âge (env. 1380-env. 1550), Paris 1963, p. 152-153. S. Bépoix, « Les exploits de justice dans les comptabilités domaniales du comté de Bourgogne au début du xve siècle : au-delà de la volonté gestionnaire ». Actes du colloque « Monuments ou documents ? Les comptabilités, sources pour l’histoire du contrôle social (xiiie-xviiie siècles) », Bruxelles, 13-15 décembre 2012, à paraitre. 130 Vaivre.

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un registre131. Le clerc Henri le Blanc relevait les amendes dans le registre, percevant un salaire pour ce travail. Le prévôt ne touchant aucune rémunération du receveur de Faucogney, on peut envisager qu’il prélevait sa part sur les amendes collectées. Son rôle se révèle donc ici exclusivement judiciaire, ce qui obligeait l’emploi salarié d’un collecteur des recettes en nature : Hugot de Montigny en 1405. Ses fonctions apparaissent assez diversifiées : faisant venir les grains dans les greniers du château après les avoir mesuré, aidant à faire le vin à l’aide du raisin récolté dans les vignes comtales exploitées en faire valoir direct132. Il surveillait également les corvées de transport, livrant le pain destiné à nourrir les corvéables, devoir du seigneur envers eux. La propre femme d’Hugot de Montigny, Jeannette des Molières, faisait moudre le grain et cuire le pain, réalisait des potages133. Le couple percevait deux salaires134, rétributions pour des activités qui dans le bailliage voisin se trouvaient aux mains des prévôts ou des sergents. Le maire, chargé de gérer une ville ou un village ayant normalement bénéficié de l’octroi d’une charte de franchises, apparaît dans les documents comme ayant essentiellement un rôle de prélèvement analogue à celui du prévôt. Son pouvoir s’étendait seulement sur une zone géographique plus restreinte. Dans certaines châtellenies, il bénéficiait d’avantages fiscaux : à Montjustin, certains maires ne devaient pas le cens135. Mais en règle générale, les mairies étaient incluses dans les amodiations de prévôté136. Il faut souligner l’exception que représentait la seigneurie de Faucogney où dominaient les mairies. Tous les villages ne disposaient pas de mairie, il ne faut pas exclure cependant la possibilité  que certaines soient aux mains d’autres seigneurs que le comte de Bourgogne137. Certaines sergenteries se révèlent également incluses dans les amodiations de prévôtés138. Les sergents, personnes les plus proches des habitants, étaient nombreux. Leur rôle de maintien de l’ordre, primordial, s’ajoutait à l’exécution des volontés du juge, ils subissaient donc constamment la vindicte populaire, car ils incarnaient le recours à la contrainte139. Il s’agissait avant tout d’exécutants, mais ils se montraient également très présents dans beaucoup d’aspects de la vie quotidienne : gardant les vignes avant les vendanges ou accompagnant les transports d’alevins lors d’empoisonnement d’étangs. Un grand nombre de sergents s’occupait du transport de lettres à travers tout le bailliage, voire dans le bailliage voisin et jusqu’à Dijon ou même plus loin, là où séjournait le comte. Ils bénéficiaient alors d’une rémunération spéciale. En dehors de ces cas précis, les comptes ne mentionnaient aucun salaire annuel pour les sergents. On peut donc penser qu’il existait d’un côté ceux 131 Mais le cas existait ailleurs puisque dans le Bourbonnais au xve siècle, les prévôts, nommé, n’étaient jamais fermiers. O. Mattéoni, Institutions et pouvoirs en France, xive-xve siècles, Paris, 2010, p. 38. 132 Vignes de Dambenoit. 133 S. Bépoix, « La nourriture fournie aux corvéables et aux travailleurs au début du xve siècle dans le comté de Bourgogne », Colloque du Centre Européen d’Études Bourguignonnes de Boulognesur-Mer (automne 2007), « Boire et manger en pays bourguignons (xive-xvie) », Publication du Centre Européen d’Études Bourguignonnes, 2007, p. 139-147. 134 Lui : 8 francs et cinquante-deux quartes de seigle mesure du grenier de Faucogney, elle : 3 francs et un bichot de seigle. Un marché à vie ayant été passé avec Hugot de Montigny, sa rémunération ne changea pas jusqu’en 1413, année de sa mort, après cette date, sa femme continua d’être employée. 135 Montjustin-et-Velotte, dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Noroy-le-Bourg. Villages : Les Aynans (arr. Lure), Autrey-lès-Cerre (arr. Vesoul), Lievans (arr. Vesoul). 136 Pour l’ensemble du bailliage d’Amont, une seule est citée de façon individuelle : Mairie de Fontenoislès-Montbozon, châtellenie de Montbozon (dép. Haute-Saône, arr. Vesoul). 137 Par exemple à Port-sur-Saône, la mairie de Chaux était incluse dans la prévôté, mais la mairie de Portsur-Saône relevait du seigneur de Faucogney qui était le comte de Bourgogne mais les comptes sont séparés. 138 Chariez, Baume-les-Dames, Montbozon, Châtillon-le-Duc (dép. Doubs, arr. Besançon, cant. Marchaux). 139 B. Guenée, Tribunaux et gens de justice… op. cit., p. 213 et I. Mathieu, Les justices seigneuriales en Anjou et dans le Maine à la fin du Moyen Âge. Institution, acteurs et pratiques judiciaires, Rennes, 2011, p. 175.

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amodiant une charge, dont ils levaient des amendes, et de l’autre un volet d’hommes payés épisodiquement à la tâche, tous portant indistinctement le titre de sergent. On ne sait pas s’il s’agissait ou non des mêmes personnes. Dans le Lyonnais voisin, les mêmes individus détenaient à la fois les fonctions de garde-champêtre, huissier, instructeurs militaires, porteurs de messages, surveillants des chemins et des marchés. Recrutés parmi les paysans et les artisans, ils continuaient d’exercer leur métier tout en remplissant leur office de sergent140. Il est vraisemblable que cette polyvalence existait également dans le comté, mais en revanche, rien ne permet d’affirmer que les officiers y conservaient une activité annexe. La population connaissait bien ces hommes : le dénommé Vuillemot de Mondon fut condamné « pour avoir gaigié sur le grant chemin de Madame comme sergent de madite Dame, ung homme, d’une hache a copper bois, lequel Vuillemot n’est point sergent »141. En parallèle de tous ces officiers préleveurs existaient des receveurs particuliers comme ceux levant les péages142. Leur rôle très spécifique consistait à comptabiliser tout ce qui transitait par le lieu de passage dont ils avaient la responsabilité. Le péage d’Augerans s’avérait si important qu’un homme spécialement chargé de s’occuper des poids et de la pesée des marchandises aidait le receveur. L’étude des personnes travaillant pour la chose publique serait incomplète si l’on ne parlait pas des procureurs. Chaque bailliage en comptait un se faisant parfois seconder par des substituts. Nicolas Cullet le jeune officiait dans le bailliage d’Amont. Nommé à ce poste tout comme le bailli ou le trésorier, il instruisait toute affaire relevant d’infractions aux droits du comte143, affaires qui lui étaient confiées par le bailli, voire le comte lui-même. Il poursuivait les individus concernés, lançant des « appellations » afin que l’affaire soit jugée aux assises. Le procureur Jean de Martigny, qui détenait ce poste dans le bailliage d’Aval au début de la période en disposait toujours en 1419. Il bénéficiait de l’aide de clercs, appelés aussi jurés de la cour du bailliage, faisant les enquêtes en son nom. La châtellenie de Bracon relevant directement de la Chambre des comptes de Dijon, possédait son propre procureur, non un substitut, recevant son salaire pour « plaidoier et desduire les causes de monditseigneur »144. La seigneurie de Faucogney, d’une importance plus grande que la châtellenie de Bracon, ne bénéficiait pourtant pas de cet office. Un clerc du papier de la justice secondait même celui de Bracon et se chargeait de porter le double des écritures aux gens des comptes à Dijon145. Enfin, terminons ce tour d’horizon des officiers de bailliage par les tabellions, secondés par des clercs, et parfois par des coadjuteurs. Nommés par des lettres d’institutions comtales, chaque changement de prince nécessitait leur renouvellement sinon le tabellion perdait son office, comme tout autre officier. Ainsi Jean d’Échenoz, jadis tabellion, après la mort de Philippe le Hardi « n’a receu aucune lettres pour ce que les lettres qu’il avoit dudit tabellionage de feu monseigneur, sont expirées par son trespassement »146. Vaivre ne comptait aucun tabellion, Montbozon et Montjustin un seul. Tous les autres centres de perception dénombraient plusieurs tabellions recevant « tout loux, contraulx et lettres ». Ils apposaient le sceau du comte en échange d’une rémunération, faisant aussi office d’huissier ou encore certifiant divers acte de la vie quotidienne : par exemple les réparations d’un château ou l’empoissonnement d’un étang147. 140 M.-T. Lorcin, Les campagnes de la région lyonnaise aux xive et xve siècles, Lyon, 1974, p. 136. 141 Une plainte déposée contre lui entraina une amende de 40 sous. ADD, 1B101, fol. 8-10. 142 Salins et Fraisans, Augerans (dép. Jura, arr. Dole, cant. Montbarrey). 143 On peut déjà parler de droit pénal. 144 Jean de Sampans. 145 Mais aucun exploit de justice propre à Bracon ne fut comptabilisé au cours de notre période, ils semblent intégrés aux exploits de bailliage. 146 ADD, 1B101, fol. 16. 147 Les études sur tabellionages et notariat connaissent une réelle vigueur, entamée par les recherches sur les tabellions rouennais déjà antérieures, plusieurs journées d’études très récentes ont été publiées :

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B. Répartition géographique dans le bailliage d’Aval Un bilan des officiers présents dans les châtellenies du bailliage d’Aval montre une présence très contrastée, avec quelques particularités propres au sud, comme les nombreuses sergenteries amodiées148 ou encore quelques portiers bénéficiant d’une rémunération149 et un unique arbalétrier rémunéré à l’égal de tous les officiers comtaux150. Le trésorier d’Aval rétribuait également le « maitre des euvres de charpenterie », Pierre de Villers. Il s’agissait d’un charpentier de Poligny détenant aussi les fonctions de maître des œuvres de la saunerie de Salins. Cet office prit de l’importance à partir du moment où Jean sans Peur décida de remettre en état tous ses châteaux et fortifications du comté151.152153154155

Tableau 1 : Répartition des principaux officiers dans le bailliage d’Aval. Châtelain Receveur Prévôt Sergenterie Tabellion ou capitaine COLONNE ORNANS

X Châtelain

X

Châtelain

X

X

X X

152

BOLANDOZ PONTARLIER

X

SALINS

X

X

LOYE

X

X

AUGERANS

X

SANTANS

Châtelain

BRACON

Châtelain

X X

X153

CINQCENS ÉTREPIGNEY

X

LAVANS

X

GENDREY CHATEAUCHALON154

Châtelain

X

X

X

X

X

X155

BLANDANS DOLE

148 149 150 151 152 153 154 155

X

Tabellions et tabellionages de la France médiévale et moderne, actes de deux journées d’étude organisées par l’École Nationale des Chartes et par l’Université de Paris-Diderot Paris-7 (23 et 24 septembre 2005 et 7 septembre 2007), M. Arnoux et O. Guyotjeannin (éd.), Paris, 2011. Sans compter celles, invisibles ici, qui étaient intégrées dans l’amodiation de prévôté. Portier du château de Dole, du château d’Ornans, trois portiers à Bracon. Seul le châtelain de Bracon payait plusieurs guetteurs de nuit : dix personnes dont deux sont chargées en plus de « corner » matin et soir ou encore la seigneurie de Faucogney où on payait à l’année un gardien de la porte du bourg. Soixante sous par an de salaire. Il habitait Quingey (dép. Doubs, arr. Besançon). Ordonnance de 1408, nous en reparlerons dans le cadre des dépenses de travaux. Cependant, personne n’a jamais voulu l’amodier mais il y a quand même des sergents à Ornans. Il s’agit d’un sergent rémunéré, ce qui est très rare. Assemblé avec Voiteur mais le châtelain et le tabellion se trouvent à Château-Chalon et le prévôt à Voiteur. Ils sont trois tabellions.

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Châtelain Receveur Prévôt Sergenterie Tabellion ou capitaine POLIGNY

Châtelain

TOULOUSE

X

X

X

X

X156

X

X

GROZON MONTMOROT

Châtelain

ARBOIS

X

X

X X

X

X

X

MESNAY

X

X

AUMONT

X

PUPILLIN

X

LA CHATELAINE

X Châtelain

MONTIGNY

X157

X

X

X

FRAISANS

Châtelain

X

QUINGEY

Châtelain

X

X

ROCHEFORT

Châtelain

X

X

X159

THORAISE

Châtelain

X

X

X

VALEMPOULIÈRES

Châtelain

MONTROND

Châtelain

X160

X

GRAY

Châtelain

X

X

APREMONT

Châtelain

MONTMIREY

Châtelain

X

MONTRÉAL

Garde et capitaine

X161

MATAFELON

Capitaine

X

ARBENT

Capitaine

158

X X

X

X X X

X X

X X162

X

Il est difficile de trouver une quelconque volonté d’organisation logique et normalisée dans l’implantation géographique des officiers comtaux qui apparaît plutôt comme un héritage du passé, le prévôt restant le relais le plus important.156157158159160161162

156 L’amodiataire verse quinze livres de cire à Bracon et quinze livres de cire au trésorier de Dole. 157 Le même est tabellion de Grozon, Valempoulières (dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Champagnole) et Montrond (dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Champagnole). 158 Le même qu’à Thoraise (dép. Doubs, arr. Besançon, cant. Boussières). 159 Il y a deux tabellions et un coadjuteur. 160 Il est aussi receveur de Valempoulières. 161 Il s’agit du même receveur pour les trois châtellenies de Montréal, Arbent et Matafélon. 162 Il y a trois sergents.

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C. Les officiers supérieurs En raison de ses fonctions de maréchal et gouverneur du comté de Bourgogne, Jean de Vergy percevait des émoluments élevés. Jean sans Peur l’avait confirmé à la tête de ces offices qu’il détenait déjà du temps de la duchesse Marguerite de Flandre163. Longtemps apparentée à celle de gardien, jusqu’à l’arrivée de Philippe le Hardi la charge consistait principalement à représenter le prince en cas d’absence164. Par la suite, le duc institua un maréchal chargé de faire les « montres d’armes » ainsi qu’un lieutenant commandant les troupes et mettant les forteresses en état de défense. Aux mains de la même personne, les fonctions de gardien, maréchal et gouverneur restaient malgré tout distinctes. La fonction de gouverneur dans le duché voisin consistait, à partir de 1366, à défendre et garder les châteaux. Philippe le Hardi ajouta un rôle judiciaire au rôle militaire. Mais par la suite, les fréquentes absences de Jean sans Peur furent principalement compensées par le gouvernement de sa femme, la duchesse Marguerite. La fonction de gouverneur ne s’imposait plus, cependant la nomination d’un capitaine général fut nécessaire pour assurer la fonction militaire. De réelles différences d’administration existaient donc entre les deux terres bourguignonnes165. À compter de 1417, la charge de garde et capitaine général du pays de Bourgogne fut confiée à Jean de Neuchâtel166. On comprend mal l’intérêt de cet office dans le comté où existait déjà un gouverneur. Jean de Vergy toujours détenteur de cette charge, mourut le 25 mai 1418 et ses deux fils attestèrent qu’il avait bien reçu son salaire pour cet office durant les 145 jours de l’année où il était encore en vie167. En 1419, plus aucun salaire de gouverneur n’était versé, tendant à montrer une volonté d’harmonisation avec le duché. Jean de Vergy ajoutait encore à ses nombreuses fonctions celle de gardien lui apportant des gages de 500 francs versés par le trésorier de Dole168. Le cumul de tous ces salaires représentait une somme importante à laquelle s’ajoutait une rémunération de 5 francs par jour chaque fois que Jean de Vergy se déplaçait pour s’occuper des affaires de Jean sans Peur. Il était aussi capitaine de Faucogney. Nommé à ce poste par la duchesse Marguerite de Flandre169, le nouveau duc-comte l’y avait maintenu. Ce haut personnage, comme tout officier, devait prêter serment or malgré la demande expresse de Jean sans Peur en 1405, Jean de Vergy n’avait pas effectué cette obligation. Il ne reçut donc pas son salaire et se trouva contraint de prêter son serment au chancelier ducal en octobre 1405. Cette charge de capitaine de Faucogney apparait passée en 1419 aux mains d’Antoine de Vergy, seigneur de Champlitte170. La fonction s’avérait essentielle en raison de la position stratégique de la seigneurie, ce qui pouvait motiver le salaire élevé de cette charge en comparaison des gages beaucoup plus faibles versés dans le bailliage d’Amont171. Le fait qu’il s’agisse de Jean de Vergy, personnage puissant du comté, explique aussi vraisemblablement la rémunération très élevée. Un lieutenant 163 Lettre patente du 31 mai 1405 à Bruges. Il perçoit 500 francs ainsi que de l’argent du trésorier de Faucogney. 164 P. Gresser, La Franche-Comté au temps… op. cit., p. 274-280. 165 J. Richard, « Le gouverneur de Bourgogne au temps des ducs Valois », MSHDB, 1957, p. 101-112. 166 ADCO, B 4693, fol. 32. P. Gresser, La Franche-Comté au temps… op. cit., p.274-280. 167 Selon Duchesne, Jean de Vergy n’aurait eu qu’un fils, Charles, et une fille, Louise. Antoine était le fils de Charles, donc petit-fils de Jean. A. Duchesne, Histoire de la maison de Vergy, Paris, 1925, p. 256-258. Lorsque le receveur parlait des deux fils, peut-être s’agissait-il du fils et du petit-fils de Jean de Vergy. ADCO, B 4694, fol. 32, compte de Faucogney, 1418, il a été payé 79 livres 9 sous obole tournois. 168 ADCO, B 1590, fol. 101, compte de 1417. 169 Pour un salaire de 200 francs. 170 ADCO, B 4695, fol. 35, selon Duchesne, il était seigneur de Montferrand : le fils ou le petit-fils de Jean ? 171 Exemples, Montjustin : 20 francs par an, Vesoul : 60 francs par an et Faucogney : 200 francs.

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l’épaulait : l’écuyer Jean Gauthier de Beaujeu, beaucoup plus présent dans la seigneurie que son illustre capitaine. De tels personnages coûtaient très cher au trésor, mais Jean de Vergy était à peu près l’un des seuls personnages locaux à bénéficier de façon aussi régulière des largesses du comte. Les conseillers avaient un rôle essentiel dans les affaires courantes. Être conseiller constituait une faveur, un honneur, une preuve de confiance de la part du prince. Il ne s’agissait pas d’une fonction même si certaines se doublaient du titre de conseiller172. On les voit parfois s’associer au personnel de la Chambre de comptes afin de conseiller le prince. Marguerite de Bavière, prenant l’habitude de gouverner en l’absence du duc, eut un jour à régler un problème mineur. Il devenait apparemment périlleux de franchir la rivière de Jussey sans bateau, les marchands se trouvant quelquefois contraints d’attendre jusqu’à trois ou quatre heures pour traverser. Rien ne pouvant être entrepris sans autorisation comtale, les gens du Conseil et des comptes chargèrent le bailli d’Amont de réaliser une enquête173. Parfois, le duc, depuis Paris, écrivait à ses gens du Conseil et des comptes de Dijon afin de régler un problème174. Cela démontre bien que dans l’esprit du duc et de la duchesse, tous ces administrateurs devaient agir de concert alors même que les deux institutions s’étaient nettement séparées au fil du temps. Il est pourtant vraisemblable que les compétences de chacun se soient affinées : le Conseil donnant des avis tandis que la Chambre des comptes se chargeait principalement d’entériner et d’enregistrer les décisions. Les deux institutions apparaissent alors complémentaires. Le Conseil avait une organisation beaucoup plus ducale que comtale. Son rôle ne fit que croitre en raison des absences répétées du duc. « L’institution devint un véritable Conseil de gouvernement »175. Le duc au loin, la duchesse aidée des conseillers exerçait une sorte de régence assistée du chancelier qui disposait également de la fonction de président du Conseil176. Grands vassaux ou plus généralement juristes, quelques conseillers, vraisemblablement ceux rattachés aux affaires comtoises, se trouvaient rémunérés par le trésorier de Dole. En 1405, on en dénombrait quatre : Guillaume de Chancey177, maître Girart Basan, Guy Armenier et Jean de Champdivers. Ajoutons Aubry Bouchart, cependant répertorié dans les comptes comme étant surtout gardien des chartes du comté de Bourgogne. Cet office implanté à Poligny bénéficiait d’un salaire annuel et Bouchart détenait également le titre de conseiller. Bon Guinchart, après avoir quitté son office de bailli, continua de percevoir un salaire de conseiller. Ces officiers, même s’ils se réunissaient parfois à Dijon avec leurs collègues bourguignons, étaient avant tout des comtois, s’impliquant dans plusieurs actes de la vie quotidienne, plutôt de façon individuelle. Par exemple, chaque année, ils accompagnaient le bailli à Poligny, qui entouré de son lieutenant et son clerc, du procureur, de plusieurs châtelains et receveurs, vendait à ferme les prévôtés et autres rentes du bailliage178. Leur rôle s’avérait parfois plus ponctuel : en 1405, Jean de Champdivers et Guy Armenier, accompagnés d’Oudart Douay appartenant à la Chambre des comptes, c­ ollectèrent 172 M. Boone et M. Vandermaesen, « Conseillers et administrateur au service des comtes de Flandre au bas Moyen Âge : intérêts économiques, ambitions politiques et sociales », in À l’ombre du pouvoir, les entourages princiers au Moyen Âge, A. Marchandisse et J.-L. Kupper (éd.), Genève, 2003, p. 295-308. Aucun acte de nomination n’a d’ailleurs été retrouvé, le service du prince étant en principe illimité. 173 ADCO, B 1062, 1413, une navette sera instituée avec des tarifs fixés. 174 Par exemple, la demande d’une enquête sur le financement des travaux de Faucogney ADCO, B 1058. 175 P. Gresser, La Franche-Comté au temps…op. cit., p. 256-262. 176 Ibid, p. 259. Le chancelier est Jean de Saulx. 177 Clerc de la Chambre des comptes en 1409 et châtelain de Chaussin depuis 1407. J. d’Arbaumont, Armorial de la Chambre… op. cit., p. 314-315. 178 Article repris chaque année en recette commune, on les défraie uniquement des dépenses découlant du voyage, effectué en général à cheval.

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l’emprunt forcé établi par Jean sans Peur auprès des gens d’Eglise et d’autres habitants du comté. Ces conseillers locaux apparaissent un peu comme des officiers veillant, sur place, à la bonne application des décisions prises par le Conseil dijonnais et la Chambre de comptes. En matière administrative, le Conseil possédait donc un rôle de surveillance essentiel179. Mais il détenait également des attributions judiciaires importantes. Plus précisément, les conseillers comtois siégeaient au parlement de Dole. Deux sessions eurent lieu de façon certaine sous Jean sans Peur : en 1405 et en 1413. Lors de la première session, les conseillers comtois étaient tous présents : Jean de Champdivers, Guy Armenier, maître Girart Basan, maître Guillaume de Chancey, maître Aubry Bouchart. Siégèrent également d’autres personnes n’ayant pas cette fonction180. Le président, qui n’était pas un conseiller, venait de Dijon et portait le titre de docteur en loi. Enfin, le bailli d’Aval, maître Bon Guinchart, fut également appelé pour aider les juristes à tenir le parlement. Un nombre important de clercs, souvent licenciés en loi, furent sollicités pour mener des enquêtes et un greffier enregistrait les séances181. La deuxième session parlementaire eut lieu du 3 avril au 20 juillet 1413182. Il y eut beaucoup plus de participants, principalement en raison de la « réformation de la justice » lancée par le duc-comte et qui s’ajoutait aux autres affaires en cours. Toute personne ayant participé de suffisamment près à ce parlement se trouva automatiquement qualifiée du titre de conseiller, ils se révèlent donc fort nombreux. Le président, maître Guillaume Leclerc, venant de Paris, était conseiller du roi et du duc de Bourgogne. Le chevalier Jean Palouset qualifié de conseiller était accompagné d’un autre noble, chevalier et conseiller lui aussi, messire Philibert de Saint-Léger, tous deux se trouvant être également chambellans du duc. Contrairement au parlement précédent, plusieurs conseillers venaient de l’extérieur du comté183, maître Bon Guinchart et Girart Basan se révélant les seuls conseillers comtois présents. Pourtant, depuis 1405, trois nouveaux venus les avaient rejoints : Lambert de Saulx, Pierre de Clervaux et Jean Bosseau184. Lors du parlement de 1413 vinrent s’adjoindre épisodiquement d’autres conseillers : par exemple maître Thierry le Roy venant de Paris185. Aubry Bouchart et Guy Gelinier assistèrent au parlement pour plaider les causes du comte « et faire tout ce que bon et loial advocat puet et devoit faire ». Les deux baillis assistèrent également aux causes les plus importantes186 tout comme les deux procureurs187 présents à certaines séances. Les procureurs et le greffier se révèlent les seules personnes avec les clercs ne bénéficiant pas de l’appellation de conseillers. Cela signifie-t-il qu’elle n’avait pas vraiment le même sens qu’en 1405 ? En répertoriant les personnes touchant un salaire en tant que conseillers en 1413, on retrouve à peu près les mêmes qu’en 1405 : Guillaume de Chancey188, Girart Basan, Aubry

179 P. Gresser, La Franche-Comté au temps… op. cit., p. 259. 180 ADCO, B 1541, fol. 93-96. Messire Jean Palouset, chevalier. Maître Mathey de Beuzon, maître Jean de Rochefort, maître Lambert de Saulx. Il y avait une forte proportion d’hommes de loi. 181 Jean de Traves en 1405. 182 ADCO, B 1567, fol. 161. 183 Maître Jean Visen clerc de la Chambre des comptes. J. d’Arbaumont, Armorial de la Chambre… op. cit., p. 314-315. Nicolas Rolin, le doyen d’Autun et l’archidiacre Girart Perrière, maître Jean Mercier venant de Macon et Guillaume le Changeur de Paris. 184 Bosseau, déchargé par lettres patentes de Jean sans Peur, sera remplacé par maître Jean Jaquelin. 185 Chargé du parlement et de la réformation. 186 Erart du Four et Guy Armenier, convoqués par exemple pour la confiscation des biens du comte de Tonnerre. 187 Jean Sardon pour le bailliage d’Amont et Jean de Martigny pour le bailliage d’Aval. 188 Qui d’ailleurs ne participa pas au parlement.

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Bouchart189, Guy Armenier190, maître Bon Guinchart. S’ajoutaient maître Pierre de Clervaux et maître Guy Gelinier, nouveaux conseillers rémunérés par le trésorier de Dole. Deux évolutions sont perceptibles dans la tenue de ce parlement par rapport à celui de 1405 : le recrutement apparait beaucoup plus tourné vers l’extérieur du comté, voire de la Bourgogne, à l’image des préoccupations du duc ; et un nombre important de conseillers n’en détenait bien souvent que le titre sans en posséder le salaire ni les fonctions habituellement rattachés à cette charge191. Ils se retrouvaient nommés conseillers simplement parce qu’ils siégeaient au parlement. Pour conclure, les conseillers comtois possédaient deux rôles : l’un administratif, dans le comté de Bourgogne, consistait à surveiller la bonne application des mandements, qu’ils émanent du comte, de la Chambre des comptes ou du Conseil réuni à Dijon ; l’autre judiciaire, en participant au parlement de Dole. D. Gruerie et saunerie La gruerie comtale bénéficiant d’étude très complète, nous nous contentons d’une très rapide présentation192. Une forte disproportion existait entre l’importance du bailliage d’Aval, avec ses nombreux cours d’eau, étangs et forêts, et les faibles revenus issus de la gruerie du bailliage d’Amont. Un gruyer pour le nord ne fut donc pas envisagé comme une nécessité. Une même personne détint l’office dans le sud tout au long de la période, faisant preuve d’une exceptionnelle continuité : Hugues de Lantenne. Institué le 24 mai 1404 par lettres de la duchesse Marguerite de Flandre, il fut confirmé dans ses fonctions par une lettre du nouveau comte193. Natif d’un petit village situé à environ quinze kilomètres de Besançon194, Hugues de Lantenne faisait partie des officiers choisis dans la province. Chevalier, il appartenait à la noblesse, comme la grande majorité des gruyers, avant et après lui. En comparaison d’autres officiers domaniaux, le salaire du gruyer comtal n’apparaît pas très important : 60 livres par an195. Dans la seconde moitié du xive siècle, les gages perçus par le gruyer ducal Geoffroy de Blaisy se montaient à 140 livres tournois par an196 mais la gruerie du duché était beaucoup plus importante que celle du comté. De plus, Hugues de Lantenne obtenait ponctuellement des rétributions dans le cadre d’actions n’ayant parfois aucun rapport avec les eaux et forêts. Phénomène courant, tous les grands officiers en bénéficiaient, percevant alors un salaire journalier « oultre ses gaiges ordinaires ». Par exemple, de 1407 à 1414, le gruyer participa chaque année à la vente des fermes du bailliage d’Aval197, il se déplaçait alors avec quatre chevaux, train correspondant vraisemblablement à la dignité de 189 Qui décéda en cette année 1413. 190 Il toucha un salaire de conseiller et un pour sa fonction de bailli. 191 Olivier Mattéoni constate dans le Bourbonnais que le conseil ducal était un organisme à « géométrie variable », le duc convoquant qui il entendait, O. Mattéoni, Servir le prince…op. cit., p. 141-147. Il est vraisemblable que ces modalités s’appliquaient pour le parlement dans l’espace bourguignon. 192 Pour plus de détails, consulter P. Gresser, La gruerie du comté de Bourgogne aux xive et xve siècles, Turnhout, 2004. 193 Gand, 19 avril 1405. Il restera gruyer jusqu’en 1423, soit dix-neuf ans à la tête des eaux et forêts. 194 Lantenne-Vertières (dép. Doubs, arr. Besançon, cant. Audeux). 195 Jusqu’en 1384, date de l’avènement de Philippe le Hardi, ils étaient de 40 livres par an. Le bailli touchait 200 livres, le trésorier 100 livres, plusieurs simples châtelains percevaient cette somme de 60 livres. 196 F. Amblard, « La gruerie au duché de Bourgogne sous Geoffroy de Blaisy (1352-1360) », MSHDB, 1987, p. 121-146. 197 Cette vente s’effectuait en présence du bailli ou de son lieutenant, du procureur, de plusieurs conseillers du comte (voir dessus), de châtelains et de receveurs, ce n’était pas toujours les mêmes présents suivant les années.

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l’office et à l’origine sociale du gruyer ou il réalisa plusieurs voyages par ordonnances du prince ou de la princesse, touchant pour cela des rémunérations parfois très élevées. Preuve de la dignité de la fonction de gruyer, certaines missions de confiance lui furent octroyées. Par exemple, il rencontra Jean de Chalon, seigneur d’Arlay, personnage très important de la noblesse comtoise avec le maréchal de Vergy, afin de leur exposer « certaines affaires », vraisemblablement de vive voix198. Certaines fonctions faisant cette fois pleinement partie de son office amenaient pourtant des émoluments extraordinaires, divers exemples le montraient comme en 1414, lorsque le comte ordonna à Hugues de Lantenne d’organiser une chasse afin qu’il y ait des venaisons à son hôtel de Salins pour la venue du comte de Savoie. Le gruyer prit les frais à sa charge, le trésorier de Dole le remboursa199. À l’instar de la majorité des officiers les plus importants du domaine, le gruyer percevait donc des rétributions supplémentaires y compris pour des actes rentrant pleinement dans le cadre de son office. Mais lorsqu’une vente nécessitant une certification se déroulait à proximité du lieu d’habitation du gruyer, on le sollicitait sans qu’il soit rémunéré200, préfigurant un réel office public. Le lieutenant général se trouvait au second rang de la hiérarchie de la gruerie. Office instauré à partir de la fin du xive siècle, il s’agissait d’une personne très présente physiquement pour tous les actes de la vie quotidienne de la gruerie : inspecter les étangs, surveiller l’état des bois ou encore beaucoup d’autres choses qu’il accomplissait en nom et place du gruyer ou en sa compagnie. Il s’occupait fréquemment des opérations de justice. De plus humble extraction que les gruyers, les lieutenants généraux se révèlent également originaires de la région. Sous Jean sans Peur, le principal détenteur de cette fonction se prénommait Robin Gautherot, résidant à Vesoul201. On ne sait pas comment il était rémunéré, à l’instar de tous les sergents répartis sur le domaine et qui ponctuellement, participaient à des activités propres à l’administration des eaux et forêts. Il existait aussi un lieutenant du gruyer dans la seigneurie de Faucogney : Henri le Clerc fut ainsi nommé jusqu’en 1413, par la suite, il perdit cette appellation202. Cela pousse à s’interroger sur la précision des appellations fournies par les clercs chargés des écritures. La disparition de certaines précisions était-elle ou non délibérée ? À Faucogney, les personnes liées à la gruerie se chargeaient surtout de l’empoissonnement des étangs mais se trouvaient aussi présentes lors des pêches décidées par le gruyer. Et à partir du début du principat de Jean sans Peur, la justice propre aux eaux et forêts fut systématiquement rendue par le gruyer ou son lieutenant. Dans cette seigneurie, les membres de l’office de gruerie se superposaient aux agents locaux. Enfin, quelques forestiers relevaient d’offices rémunérés. La première mention d’un forestier du bois de Vaivres, à proximité de Poligny date de 1358203. Mais à la fin du xive siècle, l’office apparait souvent desservi par un remplaçant204. Un peu 198 ADCO, B 1567, fol. 134 (1413). Lettre du duc datée de 1411, le gruyer toucha 100 francs. 199 Dix-huit jours de chasse : 18 francs et 8 deniers tournois (chasseurs et chiens). ADCO, B 1582, fol. 103. 200 On rencontre ce cas le plus souvent lors des ventes des prélèvements en nature. Ce n’était pas propre au gruyer sollicité à Rochefort et ses alentours, le bailli qui demeurait à Gray y assumait les mêmes fonctions. 201 Le titre complet de lieutenant général ne lui était attribué qu’épisodiquement. En 1410-1411, il était qualifié de lieutenant général, mais en 1412, la mention de simple lieutenant lui était attribuée. 202 Il est aussi connu pour avoir été prévôt de Faucogney en 1411. 203 Dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier. Salaire de 18 livres 5 sous. Il y avait aussi un forestier de Chaux, disparu dès 1361. Leur fonction était exclusivement forestière. 204 Le droit de se faire remplacer lui avait été octroyé par le comte. En 1405, Jean Chousat fut institué forestier de Vaivres, pour lui le recours à un remplaçant n’est pas surprenant puisque qu’il était encore à cette date trésorier de Dole. En 1405-1406, le poste revient à Humbert de Buvilly et en 1406-1407 à Lambert Cuillerier, ils l’occupèrent eux-mêmes.

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plus ­tardivement qu’à Vaivres, l’existence d’un forestier fut attestée dans la forêt de Mouchard et même à partir de 1370, on note la présence de deux officiers, l’un à cheval, l’autre à pied. En 1404, il n’en restait qu’un seul à Mouchard : Jean Palual205, remplacé l’année suivante par Othenin Broyer206. Et le 13 avril 1405, Jean sans Peur institua un nouvel officier : Jeannot Champion qui obtint le droit d’avoir un remplaçant207. Dans le duché voisin au personnel plus nombreux, des maîtres forestiers surveillaient les forestiers et visitaient les étangs208, fonction n’existant visiblement pas dans le comté. D’origine sociale modeste, ces forestiers malgré leur fonction d’exécutant, étaient nommés par le comte lui-même. Leur tâche réelle apparait difficile à cerner, les sources étant très laconiques. On peut supposer qu’ils étaient surtout chargés de garder les forêts, surveiller les délits. Peut-être certains d’entre eux effectuaient-ils un travail plus varié. Par exemple, dans le duché voisin, ils s’occupaient des ventes209 et dans le royaume de France, ils avaient le pouvoir d’ajourner les coupables devant le plaid du gruyer, ainsi qu’assister à ce dernier. Avec l’avènement de Philippe le Hardi, les gruyers cessèrent d’être des receveurs, les princes estimant apparemment qu’il fallait faire appel à des officiers spécialisés pour cette fonction. Jean Chousat assuma la comptabilité de la gruerie du bailliage d’Aval jusqu’au 30 avril 1406210 pour un salaire de 12 livres. Les « gages d’officiers » y comptabilisaient le salaire du receveur de Gray et Apremont qui effectuait des réparations et engageait les dépenses propres à la gruerie « es batiz de Gray et Aspremont »211 : il établissait les recettes et dépenses des rivières, étangs et bois des deux châtellenies afin qu’elles soient incorporées dans la comptabilité de la gruerie. Ce cas particulier découlait sans doute de la situation de Gray et Apremont, localisés géographiquement dans le bailliage d’Amont. À Faucogney et dans le bailliage d’Amont, le receveur des recettes ordinaires se chargeait de l’exercice financier de la gruerie. Au début du principat de Philippe le Hardi, un office chargé de surveiller les étangs de Colonne fut créé212 et de 1386 à 1441, une même famille se spécialisa dans l’entretien et l’exploitation des étangs213. Ces gardiens des étangs apparaissaient comme les moins payés de tous les officiers salariés de la gruerie, les sommes perçues comprenant en plus le défraiement d’une robe. Autre circonscription très particulière, l’administration de la Grande Saunerie se partageait à l’origine entre les trois châtelains de Bracon, Châtelbelin et Châtelguyon. Le trésorier comtal de Salins qui ne comptabilisait que les revenus du comte de Bourgogne, se chargeait de verser le salaire du châtelain de Bracon214. À la fin du xive siècle, la direction immédiate de la Grande Saunerie fut enlevée aux châtelains pour les remplacer par un officier unique : le Pardessus. La charge existait déjà à la fin du xiiie siècle, limitée 205 Il est en poste depuis 1388 avec un salaire de 15 livres. 206 Institué par la duchesse Marguerite à la mort de Philippe le Hardi. 207 Le remplaçant était Jeannot de Certénuery. 208 F. Amblard, « La gruerie au duché de Bourgogne… » art. cit. 209 Ibid. Vente de bois ou de poissons mais aussi de parcelles de taillis délimitées par des arpenteurs. 210 Il y était depuis 1395, plus de dix ans. Lui succéderont Jean Carondelet jusqu’au 1er janvier 1408, puis Hugon Druet. Il manque les comptes entre 1408 et 1412, cependant il semble évident que le trésorier de Dole assumait cette fonction. Jacquot Vurry la détint de 1412 à 1437. 211 Rémunération de 40 sous par an. Trois vont se succéder à cette charge au cours de la période, Jean Fabert jusqu’en 1408, Jean Chappusot en 1412 et Guillaume le Lièvre de 1412 à 1420. 212 Dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Poligny. La tâche est attestée bien avant mais elle fut érigée en office seulement à cette époque. 213 Famille Nobis, Jean Nobis succéda à son oncle Étienne en 1400 et en 1407, Guillaume, frère de Jean, lui succéda jusqu’en 1441. 214 Salaire de 60 livres passé à 300 livres avec l’arrivée en 1411 de Jean de Vergy à cet office. À partir de cette date, il fut payé par le trésorier de Dole.

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à un rôle subalterne contrôlé par les châtelains. Mais Philippe le Hardi avait remarqué que ceux-ci ne résidaient pas dans leur château et possédaient peu de connaissances sur la saunerie215. Le Pardessus devint donc l’administrateur essentiel avec des compétences administratives, judiciaires et policières. On lui attribuait également le rang de chef de tous les autres officiers de l’entreprise, sans pour autant les nommer, ce qui relevait de la prérogative du comte de Bourgogne. Seule la charge de Pardessus bénéficiait de la dispense de confirmation de sa nomination à chaque changement de prince, dénotant une certaine indépendance, toute relative cependant. Il possédait également un certain pouvoir sur les autres officiers : droit de destituer les employés incapables ou fautifs mais toujours avec l’avis du reste du personnel ; application de sanctions disciplinaires envers ceux ne se pliant pas aux ordonnances, en stoppant le versement de leur salaire par exemple. De plus, c’est lui qui faisait prêter serment aux nouveaux officiers et il nommait également ceux appelés à détenir les plus basses charges : les ouvriers de la source par exemple. Le Pardessus détenait également un rôle judiciaire, placé à la tête d’un tribunal spécial chargé de tous les délits se rapportant au sel. En effet, les salines ne relevaient pas des tribunaux ordinaires, les murailles l’enserrant marquant les limites des juridictions des prévôt et échevins de Salins. Le Pardessus détenait la haute, moyenne et basse justice sur tout le personnel de la Grande Saunerie, officiers comme ouvriers, y compris sur les marchands de sel et les transporteurs. Ses journées de justice se tenaient de façon régulière dans la saunerie216. Les jugements de première instance portaient sur les abus d’usage de sel, à l’intérieur des murailles comme partout dans le comté, s’y ajoutaient tous les délits perpétrés à l’intérieur de l’enceinte. Les recours en appel étaient possibles au parlement de Dole. Cet officier important percevait un salaire élevé de 300 livres par an, auquel s’ajoutaient des gratifications : le droit de prendre du sel, du bois pour son usage personnel, et même la fabrication de ses meubles par la saunerie. Le Pardessus était également logé. À tout cela, les comtes de Bourgogne adjoignaient fréquemment des donations en charges de sel217. Les personnes détenant cette charge se plaçaient parmi les plus hauts serviteurs du comte. En 1405, Guy Armenier, conseiller, occupait l’office. Puis, à partir de 1410, Jean Chousat, déjà détenteur d’autres postes tout aussi prestigieux, devint Pardessus et le resta jusqu’à sa mort en 1429. Mais ces grands officiers aux activités multiples étaient souvent appelés à d’autres tâches, d’où la nécessité de nommer un suppléant en cas d’absence : le lieutenant du Pardessus. Dès le début du xve siècle, il remplaçait le Pardessus, séjournant à la saunerie et remplissant toutes ses fonctions en son absence. Son salaire de 150 livres se révèle relativement important. Cette charge fut souvent détenue par des hommes de loi, comme Jean Jaquelin, lieutenant de Jean Chousat en 1410. En cas d’absence des deux officiers, le Portier faisait office de remplaçant, surtout dans un rôle de préservation des richesses de la saunerie. Surveillant entrées et sorties et demeurant au plus près de la grande porte, il possédait les clés de toutes les entrées. Il se chargeait également de veiller sur les ouvriers, les ouvrages et de prévenir les incendies, très fréquents. Cette administration particulière fut marquée dès le milieu du xive siècle par un souci de hiérarchisation et de spécialisation. En dehors des trois officiers qui viennent d’être 215 Selon Marie-Thérèse Allemand-Gay, jusqu’à l’ordonnance de Jean sans Peur, le véritable chef de la Grande Saunerie est le Portier. M.-T. Allemand-Gay, « L’administration de la Grande Saunerie de Salins (milieu xve, fin xvie s.) », in Le sel et son histoire, Actes du colloque sur l’Association inter universitaire de l’Est, Nancy, 1981, p. 253-288. 216 Environ tous les quinze jours. 217 Il y en eut au cours de notre période, en 1405-1406, ADD, 1B298, fol. 12, cité par M. Prinet, « L’industrie du sel en Franche-Comté… » art. cit.

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présentés, trois Clercs des rôles, autrefois nommés Clercs de la table, contrôlaient les registres où s’inscrivaient toutes les opérations de la Grande Saunerie. Deux Clercs des sels se chargeaient de la commercialisation de la production. Diverses opérations se trouvaient sous le contrôle exclusif des Clercs des rôles chargés de surveiller l’entreprise. Mais l’autorité de ces Clercs transparaissait lorsqu’ils exerçaient leur commandement sur ceux pouvant être qualifiés de techniciens supérieurs comme les Clercs du puits, tout comme sur de simples « ouvriers spécialisés » : les « benatiers » ou « les guettes » par exemple218. Chaque activité de la saunerie semblait dépendre plus particulièrement des Clercs des rôles, Clercs des sels ou Portier. Clercs des rôles et Portier supervisaient conjointement certaines opérations, qui se transformaient dans quelques cas en contrôle réciproque219. Le comte de Bourgogne nommait tous ces officiers et l’ordonnance établie par Philippe le Hardi en 1402 interdisait tout cumul. Dans les grades inférieurs se trouvaient les officiers devant maintenir l’ordre. À l’intérieur de la saunerie les « guettes », d’un nombre variable, prévenaient les vols, les troubles, les abus. Ils détenaient le droit de fouiller toute personne quittant la saunerie, ainsi que d’arrêter les délinquants. À l’extérieur, des forestiers faisaient respecter les limites établies entre les cours des différents sels. Ils empêchaient l’entrée dans le comté de sel étranger et avaient le droit de poursuivre leurs recherches jusque dans les maisons. Les forestiers des chemins, au nom explicite, se distinguaient des forestiers forains chargés de visiter les villages. Possédant les mêmes compétences que des sergents, ils pouvaient ajourner les parties à comparaître aux assises du Pardessus. Dans les siècles qui suivirent cependant, la capture des fraudeurs ne fut plus de leur seule compétence. Un procureur, un clerc, voire d’autres officiers de la saunerie pouvaient également procéder à des arrestations220. La hiérarchisation et l’organisation de cette administration résulte donc de plusieurs ordonnances221. En parallèle des divers officiers, un Conseil dont l’existence était attestée dès le xive siècle, les rassemblait222, délibérant sur tout ce qui concernait la saunerie. Chaque semaine, il se réunissait dans la Chambre des rôles, évaluant les revenus, passant les marchés, s’inquiétant du bon fonctionnement de l’entreprise. Il intervenait directement sur les prix du sel chaque fois qu’existaient des risques de pénuries ou au contraire de mévente223. Par décision du Pardessus ou de son lieutenant se tenaient parfois des Conseils extraordinaires224. S’ajoutaient à tout cela deux Clercs du Puits surveillant l’entretien des sources et contrôlant la production et le fonctionnement des machines. Le Clerc portier délivrait le sel aux marchands qui l’avaient acheté. Il y avait encore les Clercs ventiers et payeurs ainsi qu’une foule d’ouvriers, plus ou moins spécialisés avec à leur tête, à chaque phase de la fabrication, un officier conduisant les travaux et portant le titre de maître : maître charbonnier, maître fèvre, etc. Le trésorier de Salins se chargeait aussi de la rémunération de deux portiers, à la porte de chêne et à la porte du pont. Toutes ces charges très 218 M.-T. Allemand-Gay, « L’administration de la Grande Saunerie de Salins…op. cit. 219 En particulier pour la délivrance du sel. 220 Existait même l’exemple de particuliers mais cela se passe au xvie siècle. A. Hammerer, Sur les chemins du sel. Activité commerciale des sauneries de Salins du xive au xviie siècle, Besançon, 1984, p. 165-166. 221 Ordonnance de Philippe le Hardi, 26 décembre 1402, bibliothèque de Salins, Ms 128, fol. 44, cité par Max Prinet. Il y a aussi l’ordonnance de Jean sans Peur de 1412, nous y reviendrons. 222 M. Prinet, « L’industrie du sel en Franche-Comté… » art. cit. 223 R. Locatelli, « Du nouveau sur les salines comtoises au Moyen Âge », SEJ, 1989, p. 153-168. 224 Les compétences du conseil était très vastes pour traiter toutes les affaires de la saunerie, depuis les questions techniques jusqu’aux provisions d’offices. C. Bébéar et H. Dubois, Le livre des délibérations…op. cit., p. 17-18.

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convoitées, bénéficiaient pour certaines de réels avantages : il pouvait s’agir de logement gratuit ou d’approvisionnement en bois, charbon, chandelle. L’ordonnance de 1402 supprima tous ces menus bénéfices pour les remplacer par des dons fixes. Par exemple, le châtelain de Bracon recevait du drap pour faire des robes, trois chandeliers, trois couvercles de fer et une lanterne. Tous ces objets comptabilisés dans les comptes de Bracon comme relevant des droits du châtelain signifiaient qu’il était toujours considéré comme un officier de la saunerie. Pourtant, en 1407225, les réformateurs commis par le comte de Bourgogne ordonnèrent que dorénavant aucun objet ne soit plus offert par la saunerie, interdiction touchant tous les officiers jouissant de ces bénéfices en nature. Dans les autres centres de production, tous ceux possédant une part du Puits à Muire assistaient, en personne ou par procuration, à la réunion annuelle qui pourvoyait les offices et réglait les comptes. Le trésorier de la Grande Saunerie du comte l’y représentait, à l’égal de tous les autres propriétaires. La majeure partie de la muire était amodiée à des Moutiers qui formaient une puissante corporation, se concertant pour ne pas faire baisser les prix des amodiations. Ce titre transmis de père en fils, possédait un statut fondamentalement différent de celui des autres fermiers226. De façon permanente un Conseil gérait ce puits, veillant à la qualité des sels et fixant le prix en fonction de l’abondance de muire et des frais de fabrication. Quelques officiers siégeaient également à ce Conseil, surveillant certaines branches de la fabrication. Enfin, des vendeurs, choisis par les Moutiers, écoulaient les produits sur les marchés. Les rentiers du Puits à Muire relevaient directement de la haute justice comtale. Un officier, le Prévôt du puits, se consacrait à tous les délits impliquant d’autres personnes. Dépendante du bailliage d’Aval, la charge, fief héréditaire, était octroyée par le comte. Enfin, le Gardien distribuait la muire en tenant une registre et le Contre gardien conservait le « registre rentier » : liste nominative de toutes les parties prenantes avec indication de leur portion227. L’administration de la Chauderette de Rosières apparait voisine de celle du Puits à Muire, excepté la production de sel qui ne s’amodiait pas. Une fois par an, les rentiers s’assemblaient pour recevoir les comptes des administrateurs permanents : les Assommeurs, qui répartissaient les revenus en fonction des quartiers possédés. Le « trésorier et receveur des chauderettes de la saulnerie pour monditseigneur » s’occupait spécialement des revenus liés au sel qui appartenaient au comte de Bourgogne. Perrin de Laule détenait cette fonction dans le compte daté de Noël 1403 au 27 avril 1404228. Ensuite, le premier compte disponible commençait à Noël 1406 pour se terminer le 14 septembre 1407229, Jean de Courchapon était alors receveur. Un nouvel officier, Huguenin Passart, comptabilisa les quinze dernières semaines230. Il conserva ce poste durant une longue période231. Le comte nommait un autre receveur aux attributions très particulières : un officier chargé de délivrer le sel spécialement destiné aux greniers du duché de Bourgogne. Les 225 ADCO, B 3352, fol. 5. 226 Leur nombre était élevé, certains apparaissant comme de véritables notables, en 1424, ils sont trentesix et fin xve siècle, une bonne partie s’était anoblie. M. Prinet, « L’industrie du sel en FrancheComté… » art. cit. 227 H. Dubois, « Du xiiie aux portes de la modernité… » art. cit. 228 ADCO, B 5959, il y a plusieurs comptes dans cette liasse. 229 ADCO, B 5960. 230 ADCO, B 5962. 231 Il reste jusqu’en 1416, année où il est remplacé par Raoulin de Machy. Le receveur du comte percevait un salaire de 25 livres par an, il était également rémunéré pour la tenue du registre de comptes réalisé en double.

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marchands pouvaient payer le sel, non à chaque voyage, mais à termes fixes en groupant les versements. Le receveur des cautions232 se chargeait du règlement de ces comptes. La caution se composait de billets que les voituriers présentaient comme preuve de leur commission233, le receveur des cautions devant alors indiquer le grenier destinataire. Selon André Hammerer, des sommes d’argent versées par les marchands du duché au receveur avant toute levée de marchandise représentait la caution234. Le comte de Bourgogne avait pris une part de plus en plus prépondérante dans la nomination des officiers de la Grande Saunerie. Il s’agissait cependant d’un fonctionnement très particulier que l’on ne peut pas traiter comme le reste du domaine. Max Prinet compare ces entreprises de production de sel à des sociétés par actions, le comte pouvant alors imposer sa domination dès lors qu’il possédait le plus grand nombre de part. Même si sa souveraineté était visible, elle s’avérait surtout administrative : nomination, ordonnances sur le rôle, l’organisation, les salaires du personnel. Les propriétaires du Puits à Muire échappant à cette souveraineté, la tendance fut par la suite d’essayer de les intégrer dans un système féodal classique235. Les agents comtaux géraient donc des ensembles disparates et divers, diversité que l’on retrouve dans la composition des redevances comme dans les modalités de prélèvement. 3. Les différentes redevances A. Cens et taille Dans la recette de deniers de Châtillon236, le cens se payait « a monseigneur de Bourgogne a cause de la souveraineté ». Cette redevance était donc la marque du véritable propriétaire de la terre237. Pourtant l’utilisation du mot cens ne s’appliquait pas uniquement au sol : existaient les expressions « cense du four » ou encore « cense pour garde ». Toutefois, le terme cens n’était pas utilisé au hasard. La définition communément admise en est la redevance liée à la tenure, sorte de loyer de la terre payé par le paysan. Le cens du four s’appuyait sans doute sur l’idée de propriété éminente de celui-ci. Mais la garde était en général choisie librement par celui qui « s’y est mis ». Doit-on envisager l’existence d’un sens générique pour les clercs ? Retenons simplement le terme dans son acceptation la plus fréquente découlant de la propriété éminente de la terre. Peu de centres ne percevaient pas de cens238. Dans le bailliage d’Aval, seuls les centres de perception les moins importants n’en comptaient pas dans leurs revenus239. Le cens 232 Officier touchant un salaire nettement supérieur à celui du receveur ordinaire : 60 livres par an en 1411, premier compte en bon état, il s’agissait alors de Jean Poupet. ADCO, B 5964, fol. 22. 233 M. Prinet, « L’industrie du sel en Franche-Comté… » art. cit. 234 Le paiement semble avoir lieu au moment de la signature du contrat d’achat. A. Hammerer, Sur les chemins du sel… op. cit., p. 165-166. Les deux charges, le receveur délivrant le sel et celui chargé de gérer les cautions auraient coexistées. 235 Voir S. Bépoix, « La grande saunerie de Salins et les premiers ducs-comtes Valois de Bourgogne ou la volonté d’une mainmise accrue », MSHDB, 2009, p. 57-71. 236 Châtillon-le-Duc, dép. Doubs, arr. Besançon, cant. Marchaux. 237 On peut rencontrer l’opposition entre les redevances « légitimes » telles la taille ou le cens, des redevances symboliques, expression de la domination seigneuriale. V. Corriol, « Redevances symboliques et résistance paysanne au Moyen-Âge. À propos du procès de Berthet de Lessart (1423) », HSR, n°37, 2012, p. 15-42. 238 Il y en avait trois dans le bailliage d’Amont. 239 Il y en avait onze en tout, par exemple : Pupillin, Aumont, Grozon, etc.

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pouvait aussi se prélever sur une « ville » ou des habitants240. L’expression d’un cens qui « ne croit ne décroit » se retrouve à diverses reprises241, correspondant à l’idée d’une redevance fixée définitivement, lors de l’accensement. Le plus souvent de faible valeur, il avait donc surtout un rôle de reconnaissance de la souveraineté. Pourtant, contrairement aux cens individuels, les cens pouvant être qualifiés de collectifs présentaient des montants plus élevés242. Les variations de cens existaient également dans des cas bien précis. Dans la châtellenie de Montjustin, les habitants : doivent de cense chascun an aus termes de la Saint Martin d’iver et de la Mikaresme chascun feu et hostel qui a bestes trayans a chascun des dis termes II solz, et a la dite Saint Martin d’iver qui a bestes trayans II amines d’avoine, et qui n’a bestes trayans doit XII deniers et une amine d’avoine. Et qui a bestes trayans au terme de la Mikaresme doit II solz sans avoine et qui n’a bestes trayans doit XII deniers sans avoine243.

Le total n’était pas fixe puisque la proportion de personnes possédant des bêtes de trait pouvait varier, mais la redevance elle-même était bien fixée. Ce cas de cens relativement complexe n’était pas unique244. Les personnes les plus taxées étaient celles possédant un train de labour, donc les paysans les plus aisés. Ce prélèvement ne concernait cependant qu’une petite partie de la population du domaine. Au sud, la châtellenie de Valempoulières présentait une modalité de cens encore différente. Ici, tous les animaux étaient concernés, chacun possédant son tarif propre245. Les habitants devaient jurer sur les Évangiles, devant le châtelain et le receveur de Valempoulières, qu’ils possédaient telle ou telle bête, il n’y avait visiblement pas de vérification sur le terrain. Le montant élevé de ce cens (39 livres 16 sous en 1404)246 semble dénoter un élevage important sur ces plateaux jurassiens. Le cens des bêtes existait également dans la châtellenie de Bracon où il concernait seulement quelques villages. Le tarif y était le même pour les bœufs, les chevaux et les vaches, s’ajoutaient les chèvres et les brebis247. Un autre cens, par feu, existait. Cette notion, habituellement plus en accord avec la taille se rencontrait en particulier dans le bourg de Faucogney. Le cens y était établi par « chef d’hostel » et le prélèvement s’effectuait en deniers en deux termes ainsi qu’en nature248 avec des montants fixés. Lorsqu’une personne imposable se révélait incapable de verser l’avoine qu’elle devait, le maire et le doyen s’en portaient garants et la personne bénéficiait d’une décharge de la redevance en nature. En cas de cens en deniers non versé aux limites fixées, il fallait verser le double du montant dû, à l’égal d’une amende249. Dans 240 Par exemple, dans le bailliage d’Aval : cens de Pontarlier (dép. Doubs, arr. Pontarlier) mais cens des habitants de Poligny. Pour chaque cas, tous les centres concernés sont énumérés dans mon travail de thèse : S. Bépoix, Le comté de Bourgogne au temps de Jean sans Peur…op. cit. 241 Par exemple : dans la châtellenie de Châtillon à Devecey, Cussey-sur-l’Ognon (dép. Doubs, arr. Besançon, cant. Marchaux), Bussières (dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Rioz), Chambornaylès-Pins (dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Marnay). 242 Par exemple : Pontarlier : 100 livres, Dole : 150 livres, Montmirey-le-Château (dép. Jura, arr. Dole) : 19 livres 13 sous 2 deniers obole poite. 243 ADCO, B 1561, fol. 8 (1410). 244 Avec quelques variantes, on le trouve à Baume ou à Châtillon. 245 Cheval : 5 sous, bœuf : 5 sous, vache : 3 sous, mouton : 6 deniers, chèvre : 6 deniers. 246 ADCO, B 1541, fol. 35. 247 ADCO, B 3352, fol. 6. Chèvre : 12 deniers, brebis : 6 deniers. Le montant était élevé, dans quatre villages le comte ne percevait que le tiers de la redevance qui se montait au total à 51 livres16 sous 8 deniers. 248 Mi-carême et Saint-Rémi (1er octobre) : 4 sous estevenants. Deux amines d’avoine, mesure de Faucogney et un chapon, à la Saint-Martin d’hiver (11 novembre). 249 Deux autres localités de la seigneurie : Montigny et Melisey, prévoyaient aussi une amende en cas de non-paiement du cens. À Montigny, un autre cens n’a pas de peine d’amende.

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la châtellenie de Montjustin où existaient également des cens par feu dans deux villages, le comptable précisait à chaque fois : « le maire du lieu ne paie neant ». Le cens ainsi fixé découlait visiblement de chartes de franchises antérieures, correspondant à des villages précis250. Enfin, une dernière catégorie de cens concernait des individus : le cens de la maison du tisserand251, des cens de meix252 ou encore un cens pour la place communale253. Nous sommes bien là dans l’acceptation du terme équivalent à un loyer. À Châtillon, un écuyer, Perrin de Moncley, devait six fers à cheval, seul cas pour l’ensemble du domaine. On recense aussi le cens des nouveaux venus à Thoraise254 ou le cens de Lombards habitant Rochefort. Ils devaient verser 45 livres chaque année à la Saint-Michel, mais « ne marchandent pas audit lieu ». Ici, le cens s’envisageait plus comme attaché à des personnes, mais en liaison avec leur installation sur le domaine du comte. À Arbent, le profit occasionné par la traversée du pont et le passage des bateaux sur la rivière de l’Ain était accensé à perpétuité. Enfin, dans la châtellenie de Poligny se levaient les « colonges » de Poligny et de La Châtelaine255. Cette expression, existant aussi dans le nord de la région, faisait référence au colon installé sur une terre. L’appellation apparait un peu archaïque. La levée s’effectuait normalement en nature, mais il y avait une personne qui ne versait plus son froment et son avoine car, à présent elle payait « cense d’argent », cens et colonge paraissant à priori similaires. C’est donc un lieu commun d’insister sur la complexité et la diversité de cette redevance, la définir précisément relevant de la gageure. Il est malgré tout possible d’envisager qu’au fil du temps, le terme ait pris un aspect générique chez les clercs qui l’utilisaient dès lors qu’une redevance relevait d’une approche foncière. Les termes de paiement n’étaient pas les mêmes entre les deux bailliages. Dans le nord, très peu de versements s’effectuaient en deux fois et la date la plus fréquente pour payer le cens était la Saint-Martin d’hiver (11 novembre). Dans le bailliage d’Aval, de multiples termes existaient256. Mais la grande majorité des versements en une fois avait lieu à la Saint-Martin d’hiver ou à la Saint-Michel (29 septembre). Pour ceux payés en deux termes, la mi-carême et Saint-Étienne d’août (16 août) dominaient. On retrouve cette diversité dans la modalité d’acquisition des censives, tout au moins pour les terres, les meix ou les vignes. Par exemple, le système pouvait être similaire à une amodiation : « toutes chouses laissées comme au plus offrant, icelles criées en marché d’Arbois publiquement par trois fois, portant loux, seignorie et amendes »257. L’accensement se faisait donc aux enchères, avec l’évocation de la souveraineté du comte, véritable propriétaire, puisque le droit de lods était rappelé. À Arbois, si les nouveaux possesseurs abandonnaient les terres, ils devaient les laisser en bon état, mais étaient aussi 250 Toujours à Montjustin, il existait d’ailleurs un cens des habitants francs de Bouhans (non localisé). 251 Châtellenie de Montjustin, à Aynans, « et la puet laissier selon la coutume du lieu ». On peut d’ailleurs souligner qu’à l’origine, les cens portaient uniquement sur les maisons et étaient fixes, en argent, tandis que sur les récoltes se faisait un prélèvement en nature, fixe également. G. Duby et A. Wallon, dir., Histoire de la France rurale, t. 1 : Des origines à 1340, Paris, 1975, p. 549. 252 À Montbozon, Châtillon. 253 À Châtillon : « Une place communale estans au finaige d’Auxon » (dép. Doubs, arr. Besançon, cant. Audeux) était gérée par les habitants la louant eux-mêmes et touchant une partie du cens. Ailleurs, on versait le cens aussi pour un curtil, un chasal, un meix, une vigne, un verger, un pré, une pièce de terre voire une chambre. 254 Le revenu dérisoire de 10 sous fut le même tout au long de la période. 255 Dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Arbois. 256 Par exemple : À Bolandoz, on payait le cens à la Saint-Étienne d’Août ou à la Saint-George (16 août et 23 avril), à Brainans (dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Poligny) à la mi-carême (fête mobile), à Ornans à la Sainte-Croix (14 septembre), à Pontarlier, à la Chandeleur ou à la Saint-Michel (2 février ou 29 septembre), etc. 257 ADCO, B 1541, fol. 24. Il s’agissait de trois vignes accensées à 3 livres 12 sous.

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tenus de payer 20 livres258. Peut-être qu’une certaine désertification propre à ces régions difficiles de piémont montagneux poussait à la mise en place de nouvelles conditions : la vente aux enchères afin de trouver un exploitant, et pour éviter qu’il cesse de cultiver sa terre et verser ses redevances, une amende était prévue. Cependant, sur l’ensemble des cens, six seulement comprenaient une amende en cas d’abandon. Plus rare encore était la mention d’amende imposée en cas de non-paiement de cens259. Mais il existait des modalités d’acquisition de censives différentes. À Montmirey en 1416 260, des meix et maisons vacants furent accensés, le trésorier et le procureur du comte pour le bailliage d’Aval se chargeant de la transaction. Pas de cris ou de mise aux enchères, un droit d’entrée était versé, puis le cens payé chaque année, à perpétuité. Les modalités d’accensement relevaient-elles d’une coutume propre à chaque aire géographique ? La châtellenie de Montmirey se trouve plus proche du nord du domaine comtal que celle d’Arbois. On peut également envisager des mises aux enchères concernant surtout des zones désertées et répulsives. Ailleurs, certaines mentions des registres se révèlent parfois déroutantes. À Arbois, un « fevre » versait un cens pour de petites meules qu’il avait installé sur une rivière « tant comme il lui plaira », mais à La Châtelaine, le cens d’un pré était amodié pour les fenaisons de l’année. Ou encore, à Santans261, des biens comprenant des terres et des prés portant un cens de 70 sous par an au profit du comte avaient été ôtés aux exploitants, une grande partie étant laissée en friche. Le trésorier de Dole afferma les terres à un couple pour treize ans à raison de 5 francs par an d’amodiation tout en continuant de verser le cens262. Il fallait remettre en culture ce qui était retourné à l’état de broussailles afin de rendre au terme des treize ans « franchement a monditseigneur en bon estat » les dites terres sous une sorte de statut hybride de ferme et de censive. La grande majorité des cens se payait en argent avec quelques exceptions. Certains étaient dus en blé : froment ou avoine, ou en cire. Existaient aussi des paiements en huile pour quatre cens dont deux provenant de vignes263. Cependant, ces versements en nature restaient très rares264. La deuxième redevance la plus présente après le cens était la taille. Ce prélèvement apparait un peu plus normalisé. Il existait dans toutes les châtellenies ou centres de perception du bailliage d’Amont, même si, à l’intérieur de chacune d’entre elles, il ne concernait pas nécessairement tous les villages ou lieux dits265. Dans le bailliage d’Aval, de nombreux centres de perception ne comptaient pas la taille parmi leur redevance, y compris dans des villes et villages d’importance très diverses. La part de l’impôt dans ce bailliage y était donc moins importante que dans le bailliage voisin. Lorsqu’elle était versée, la taille concernait une part très variable de la population. Parfois, la redevance

258 Cette condition existait aussi dans le village voisin de La Châtelaine, avec des sommes nettement moins importantes mais diverses. Par exemple pour un cens à 10 sous, 40 sous si abandon ; un cens à 6 sous, 20 sous si abandon ; cens à 6 sous, 15 sous si abandon ; cens à 11 sous, 30 sous si abandon, etc. 259 Deux chasaux à Bolandoz et deux chasaux joints aux murs du bourg de Salins, redevance perçue à Bracon. 260 ADCO, B 1586, fol. 62. 261 Dép. Jura, arr. Dole, cant. Montbarrey. 262 Deux sous par an pour trente-deux journaux. 263 Vignes à Arbois, un meix à Mesnay (dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Arbois), une pièce de terre aux Planches (Les Planches-en-Montagne : dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier) à côté de Mesnay. 264 Existe cependant le problème des meix, vignes ou maisons avec un versement sans indication s’il s’agissait de cens ou autre. 265 Par exemple, dans la châtellenie de Montbozon elle ne concernait que les villages de Fontenoislès-Montbozon et Authoison (dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Montbozon).

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portait uniquement sur les habitants du centre de perception266, ailleurs quelques villages s’ajoutaient267. Une troisième catégorie rassemblait des tailles disparates portant sur des villages alentours, ou bien seuls quelques individus devaient la payer268. À Faucogney, la taille était une redevance très présente. Dans quelques villages, il s’agissait même de la seule redevance prélevée au nom du comte de Bourgogne269. Dans les avoueries, les tailles étaient partagées avec des hommes d’Église. Un seul lieu échappait à la taille dans la seigneurie : le bourg lui-même. Le receveur tenta pendant plusieurs années d’y contraindre un ancien prêtre à payer ses redevances qui prétendait « non devoir a monditseigneur chouse, taille ne aultre servitude ». Pour lui la taille était liée à la condition serve. Dans d’autres villages270, l’article des comptes relevant la taille précisait : hommes de monditseigneur, taillaubles hault et bas au plaisir de monditseigneur […], de mortemain et serve condicion, justiciauble hault, moyen et bas de monditseigneur, et doivent tous charrois et pors de lettres quant il plaist a monditseigneur en eulx bailliant pain pour vivre.

Le paysan était plus ou moins libre en fonction des redevances pesant sur sa terre, cependant le statut des hommes en cette fin de Moyen Âge se révèle une réalité très complexe271. Certains auteurs avancent que pour les contemporains, la taille arbitraire représentait une ligne de partage encore plus nette272. Si les scribes classaient les hommes en catégorie taillables ou non, pour les habitants des campagnes, les non libres semblaient plutôt associés à la taille à merci. Dans le domaine comtal, seuls les habitants de Port-surSaône et Chaux273 devaient la taille à volonté. Dans la plupart des châtellenies du bailliage d’Aval, il n’était pas précisé si les tailles étaient abonnées ou à volonté, cependant leurs montants ne varièrent pas pendant la période. En comté, la taille, même abonnée, apparait bien liée à la servitude dès lors qu’elle était associée à d’autres éléments constitutifs de celle-ci274. Le maintien des « taillables et exploitables » subsistait principalement dans « quelques recoins montagneux et dans des paroisses de sol pauvre »275, mais si cette description correspond à la seigneurie de Faucogney apparaissant comme une région reculée, aux confins du comté, il faut rester mesuré car la servitude se maintenait ailleurs, dans des zones plus centrales, de plaines276. Cependant à l’exception de Faucogney, la taille restait résiduelle dans le domaine comtal. Dans le comté de Montbéliard voisin, 266 Par exemple à Salins, Santans ou encore Arbois et Pupillin (dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Arbois). 267 Par exemple, Fraisans : tailles de Fraisans, Dampierre (dép. Jura, arr. Dole), plus des hommes obtenus lors d’une acquisition. 268 Par exemple à Pontarlier : tailles de Bulle (dép. Doubs, arr. Pontarlier, cant. Levier) ou à Bolandoz : cinq personnes seulement doivent la taille. 269 Mairie de Quers et Citers (dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Saint-Sauveur), mairie de Servance (dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Melisey) et mairie du Teltre (non localisé). 270 Adelans, Servigney, Meurcourt et Montigny (Montigny-lès-Vesoul). 271 S. Bépoix, « Un état du servage dans le comté de Bourgogne (xive-xve s.) », in Histoire et Sociétés rurales, actes du colloque de l’Association d’Histoire des Sociétés rurales de Besançon en octobre 2007, 2010, p. 133-150. 272 M.-T. Lorcin, Les campagnes de la région lyonnaise…op. cit., p. 144-148. L’analyse lexicale est encore plus fine dans N. Carrier, «  Les origines d’un « nouveau servage » en Savoie d’après les enquêtes princières du xiiie siècle », in Histoire et Sociétés rurales, actes du colloque de l’Association d’Histoire des Sociétés rurales de Besançon en octobre 2007, 2010, p. 67-94. 273 Chaux-la-Lotière, dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Rioz. 274 S. Bépoix, « Un état du servage… » art. cit. 275 M.-T. Lorcin, Les campagnes de la région lyonnaise…op. cit., p. 144-148. 276 Mais surtout dans les fiefs, laïcs comme ecclésiastiques, S. Bépoix, « Un état du servage… » art. cit.

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les marques de dépendance semblaient privilégier l’élément réel, s’attachant moins à caractériser les individus277. À Montigny, seul véritable centre où existait la taille réelle dans le domaine comtal, chaque meix vacants trouvant un nouvel acquéreur devait être scrupuleusement noté, avec sa superficie, afin de permettre le calcul de la taille278. Au moment de faire un don à Jean de Neuchâtel en dédommagement de dettes dus par le duc de Bourgogne, le village de Montigny fut choisi279. À Montjustin dans le bailliage d’Amont, la baisse du nombre de feux conduisit à la rémission sur la taille qui était donc ici personnelle et répartie dans chaque village en fonction du nombre de familles. Il est pourtant difficile d’être toujours catégorique en raison du manque d’indices. Cet impôt direct, destiné à l’origine à payer la protection du seigneur, se justifiait de moins en moins au fil du temps. Une très forte majorité des habitants du nord du domaine devaient des tailles abonnées280, le montant en ayant donc été fixé dans le cadre de chartes de franchises. En règle générale, la somme totale était répartie et prélevée par quelques prudhommes choisis parfois par la communauté des taillables. Ce système était plus souple, plus humain car les répartiteurs pouvaient tenir compte de toutes sortes de facteurs individuels ou familiaux. Ce fonctionnement se perçoit bien en comté où était mentionnée dans plusieurs châtellenies la présence de prudhommes « gettant » les tailles. Les mêmes modalités existaient dans des zones géographiques proches comme le Lyonnais voisin281. La taille pouvait baisser si la population diminuait. Le comptable faisait alors référence au nombre de feux : « et plus n’en a l’on peu lever ». Sans renégocier la taille, le seigneur foncier était contraint de s’adapter aux « aléas » démographiques. Les tailles se payaient exclusivement en argent. À quelques exceptions près où la taille se levait à un seul terme à la Saint-Michel, le versement était partagé soit entre mi-carême et Saint-Étienne d’août, soit entre mi-carême et Saint-Michel. Montréal, Matafélon et Arbent, châtellenies se localisant dans l’actuel département de l’Ain et acquises depuis peu, se distinguaient par des redevances inusitées dans la région. Les tailles s’y payaient tous les trois ans. Il ne semblait pas y avoir de règles bien définies, la division entre les deux termes n’étant jamais à parts égales. Existaient quelques rares exemptions : à Montigny-les-Arsures, les nobles, les clercs et les hommes francs « ne paie neant » ou à Montjustin, les officiers bénéficiaient d’une exemption de taille et en échange, ils levaient les redevances, gardaient le finage, les corvéables et aidaient à la cueillette des vendanges. B. Les autres redevances Cens et tailles dominaient largement l’ensemble des redevances par leur présence. Pourtant, une multitude d’autres prélèvements existaient, renvoyant une image d’extrême diversité. Évidemment, la classique trilogie des banalités se retrouvait. Dans le bailliage d’Amont, les fours se révèlent la troisième source de redevance la plus présente. Le comte de Bourgogne en possédait plusieurs mais pas toujours en pleine 277 P. Pégeot, Vers la réforme : un chemin comparé et séparé… op. cit., p. 160. Il s’appuie pour cela principalement sur la mainmorte qui fixait le paysan à sa tenure, autre aspect très présent dans la seigneurie. 278 Par exemple, ADCO, B 4685, fol. 17 (1406-1407) : « De Thomas, fils de feu Jehan de Guere et Estevenote sa femme, vendue d’heritage qui etait aux enfants de Neteilly, un petit chasaul à Montigny, en tout un journal de terre et 1/3 ¼ de faux de pré, vendu 30 solz oultre frement et avoine… 3 sols 8 deniers ». 279 En 1415, ADCO, B 4691, fol. 17-18, texte de la donation. 280 Jussey (dép. Haute-Saône, arr. Vesoul), Chariez, Vaivre, Vesoul, Montbozon et Châtillon. 281 M.-T. Lorcin, Les campagnes de la région lyonnaise…op. cit., p. 104.

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propriété : il ne détenait que la moitié du four de Montjustin et le tiers du four d’Arpenans282 par exemple. Deux moulins seulement étaient cités pour tout le bailliage283. En règle générale, dans tout le domaine, fours et moulins étaient amodiés. Les enchères s’effectuaient le plus souvent à la Saint-Michel, pour une durée d’un an, parfois l’amodiation portait sur plusieurs années284, nécessitant un rendement très régulier puisque le montant était fixé la première année. Dans le bailliage d’Aval, les revenus des fours s’affermaient majoritairement en argent, seuls quelques-uns étaient uniquement en nature : en blé, froment ou avoine285. Très peu d’amodiataires optaient pour des versements en partie en argent, en partie en nature286. Particularité, dans la châtellenie de Pontarlier, les habitants du village de Bouchaiges pouvaient posséder un four personnel dans leur maison sans qu’il y ait de four commun appartenant au comte, moyennant, bien sûr, une rétribution287. Dans le bailliage d’Aval toujours, les moulins semblaient, plus volontiers que dans le bailliage d’Amont, vendus contre versements en nature288. Certaines pratiques existant dans la seigneurie de Faucogney méritent l’attention sur les choix de gestion de ces infrastructures. À Breuches289, l’amodiataire s’engageait à faire une maison neuve, plus grande que la précédente, à refaire à neuf le moulin et le batteur avec tous les éléments nécessaires, à rénover les écluses. L’ensemble devait être maintenu en bon état pendant dix ans, durée du contrat. À terme, tout revenait au seigneur de Faucogney. Bois et transport étaient fournis pour les travaux mais le charroi étant réalisé par des corvéables, l’amodiataire devait les nourrir. Rien n’était laissé au hasard et constituait un moyen peu onéreux de rénovation. D’autant que chaque année, le moulin générait une redevance290. Des moulins en bon état étaient récupérés et pouvaient ensuite être affermés sans que rien n’ait été déboursé pour les rénover. L’expression « cens du four » déjà évoquée plus haut correspondait à des fours non amodiés : le prélèvement évoluait mais se levait toujours à la Saint-Michel. L’appellation n’était donc pas anodine mais le cas apparait plutôt exceptionnel291. La redevance sous cette forme était localisée géographiquement et fait peut-être référence à des usages propres à un espace donné. Enfin, un seul pressoir, à vin, amodié, existait à Châtillon. Il faut cependant ne pas conclure hâtivement sur l’absence de ce type d’équipement dans le domaine comtal, en effet, prévôts et maires pouvaient en détenir dans leurs prérogatives, tout comme des redevances sur des fours292 ou des moulins, ces droits étant malheureusement rarement détaillés. Un autre ensemble de redevances peut être regroupé car liées aux activités économiques. Les taxes sur les foires, ventes et marchés étaient globalement peu nombreuses. Dans le bailliage d’Amont, à Montjustin, les officiers comtaux prélevaient la langue de toutes grosses bêtes tuées, ainsi que les filets des porcs abattus dans la ville, suggérant 282 Dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Lure-sud. 283 À Montjustin, le moulin de Burdillo et à Montbozon, moulin et batteur. Celui de la châtellenie de Montjustin ne donnait plus rien mais restait inscrit dans les comptes. 284 Par exemple, moulin et batteur de Montbozon amodiés pour trois ans en 1407, ADD, 1B101, fol. 12. 285 Par exemple le four de Bolandoz, froment et avoine ou à Quingey, quatre fours en avoine. 286 Four d’Ornans : argent et avoine. Four de La Loye : argent et cire. 287 Non localisé. Versée à Pâques fleuries, apparemment la somme était forfaitaire. 288 Moulins, foules et batteurs d’Ornans en froment ; moulin de Pontarlier en froment et cire ; à Quingey, moulins de Quingey en froment, avoine et cire, etc. Un seul lieu possédait des moulins à versement mixte : Dole en argent et en cire. 289 Dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Saint-Sauveur. ADCO, B 4685, fol. 3. 290 Deux francs. 291 Châtellenie de Baume et Clerval : four d’Hyèvre-Paroisse, four de Pont-les-Moulins, four d’Adamlès-Passavant (tous : dép. Doubs, arr. Besançon, cant. Baume-les-Dames). 292 Ainsi, le prévôt de Baume a dans ses droits les revenus de trois fours.

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l’existence d’un boucher. Mais ces taxes, rarement aussi détaillées, étaient en général intégrées dans les fermes de prévôtés, il est donc difficile de quantifier l’importance des marchés et des échanges locaux. Certaines activités particulières généraient des taxes comme à Poligny où quatre deniers se levaient sur tous les vins vendus sur place ou à l’extérieur, signe bien sûr d’une spécialisation de production de la région. À proximité, à Montigny, un denier se prélevait sur chaque cheval, bœuf ou vache vendus, preuve également d’une spécialité des foires du lieu. Les halles où se tenaient les échanges faisaient l’objet d’amodiations293. Dans la seigneurie de Faucogney, si parfois la vente du marché s’amodiait294, les sommes perçues étaient le plus souvent détaillées, nous permettant d’entrevoir quelques activités commerciales. À Port-sur-Saône, un loyer et des profits se prélevaient sur les halles où des merciers et des drapiers vendaient leurs produits pendant la foire, chaque étal versant 3 deniers. Des prélèvements s’effectuaient également sur les ventes et sur les « tavernages ». La foire durait huit jours, à partir de la Saint-Pancras295 et le comte de Bourgogne y détenait trois quart des profits296. Plus précis encore, à Quingey les tavernes ouvertes le jour de la Saint-Martin d’hiver donnaient une chaune de vin297. Une autre activité économique transparaissait au travers des prélèvements : la pêche. En effet, les pêcheries étaient nombreuses. Soit le prélèvement annuel était fixé298, soit il s’agissait d’une amodiation à des pêcheurs299. Mais, encore une fois, les pêcheries se trouvaient souvent incluses dans des fermes de prévôté. D’autres occupations étaient liées à l’eau, ainsi le droit de flotte des troncs de sapin à Baume. La rivière de l’Ain passant sur les terres d’Arbent et de Matafélon représentait aussi une source de revenus. À Matafélon, le péage du pont, tenu par deux hommes, correspondait en fait à une sorte de bateau navette permettant le passage des voyageurs : le pontenage s’appliquait à l’état de passeurs qui devaient construire « une nef » à leur frais, et tenir le passage « le temps que la nef pourroit durer sans renouveller ». À Arbent, le prélèvement portait sur les bateaux passant la rivière au lieu-dit « le péage du coude »300. D’autres contributions montraient des activités très spécifiques mais assez isolées. Dans le nord, le comte possédait deux mines de fer : une à Jussey et une à Pontles-Moulins301, une forge à eau s’ajoutant à cette dernière. Le tout était amodié. En revanche, dans le sud, les forges semblaient une activité importante à Fraisans où l’on en dénombrait huit qui versaient un droit pour pratiquer leur activité. Mais six étaient vacantes et deux en ruine, finalement une seule fonctionnait réellement302. 293 294 295 296 297 298 299 300 301 302

Rente de la halle d’Ornans, rente des grandes et petites halles du Bourg Dessous de Salins. À Melisey. L’un des trois saints de glace, le 12 mai. La moitié à cause de la seigneurie de Faucogney et un quart pour son comté de Bourgogne. Jean de Vergy récupérait un quart car il tenait le château de Port-sur-Saône mais en tant que châtelain indépendant, il ne touchait pas de salaire et n’était donc pas capitaine du château. Cependant le prélèvement est comptabilisé en argent, il y avait six chaunes prélevées donc six tavernes, chiffre non négligeable pour Quingey. Par exemple dans le bailliage d’Amont, les pêcheries de la rivière de Jussey ou dans le bailliage d’Aval, les pêcheries d’Ornans. Dans le bailliage d’Amont, la rivière banale de Montbozon. Dans le bailliage d’Aval : à Quingey il y avait treize pêcheurs, toujours les mêmes tout au long de la période, etc. Les « rades » ou « radels » payaient une livre d’épice. Les « veliers de mer » payaient plus, mais il s’agissait de « sapins pour faire vales en mer » sans doute la matière première de ces voiliers de mer, les billes de conifères, taxées lors du passage. Dép. Doubs, arr. Besançon, cant. Baume-les-Dames. Elle est tenue par une femme pour seulement 2 sous. Voir P. Gresser et J. Theurot, « Les Forges de Fraisans aux xive et xve siècles », MSHDB, 1984, p. 175-196. Un autre village dans ce bailliage, Valempoulières, possédait une forge appartenant au comte et le versement s’y effectuait en cire.

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La ­production de sel existait en dehors de Salins, la muire de Montmorot s’amodiait, ainsi que la berne pour la faire réduire. Mais il existait aussi des taxes liées indirectement à la Grande Saunerie par le biais du château de Bracon participant à la protection de la cité saunière. Des redevances très spécifiques étaient versées par Salins au châtelain303. Une recette tombait également tous les cinq ans, lors de la coupe du bois du Rathier destiné à la Saunerie, grande consommatrice d’énergie. Certaines activités apparaissent exceptionnellement comme « la maréschauciée de Thil »304. Il existait deux « chevillyes » au prélèvement fixé dans la châtellenie de Montbozon305. Le mot chevillier signifie creuser ou extraire en creusant, pouvant suggérer une carrière, cependant le terme chevilloir, au début du xvie siècle, correspond à un instrument à cheviller la laine. La présence de moutons n’étant guère attestée, la première hypothèse parait la meilleure. Des activités artisanales très spécifiques versaient également des redevances, comme les « rouhiers » de Dole : des constructeurs de roues. Mais le dernier héritier ne pratiquait plus le métier de « rouherie », il n’y avait donc plus aucun prélèvement, tout comme pour le « tireur » de Poligny « ou l’on souloit etendre les draps », en ruine. Et puis, seule la châtellenie de Bracon comptait des vergers qui étaient amodiés306. Enfin, une multitude de redevances existait, plus difficiles à classer, à commencer par la corvée. Dans les deux bailliages, les corvées citées explicitement dans les documents se révèlent exclusivement agricoles et assez rares. À Montjustin307, une corvée de labour dite corvée de charrue s’effectuait à trois saisons : « Tranois, sombre et vain », le travail n’étant jamais réalisé puisque la corvée était « vendue à ceux qui la doivent » à des tarifs différents suivant la période308. Même phénomène à Valempoulières dans le sud où les deux termes étaient « oston et primevoire ». Le travail obligatoire s’était donc transformé en redevance en deniers309. L’origine de cet usage pouvait provenir soit d’octrois seigneuriaux, soit de composition entre la communauté d’exploitants et le seigneur. Dans la seigneurie de Faucogney, la corvée apparait nettement plus importante, croissante ou décroissante, elle était exigible à volonté. Elle consistait par exemple à « fener les prés et fauciller fremens et avene »310. Mais comme dans les bailliages voisins, la corvée était le plus souvent rachetée avec cependant des tarifs variables : à Équevilley le rachat se montait à 6 deniers par corvée, à Montigny, 9 deniers. À Montigny existait aussi une corvée de faucheurs : un jour par personne sachant faucher sinon un jour à « fener » les prés311. « Fener » signifie simplement couper les foins tandis que 303 Un neuvième de la chair d’un bœuf à Noël et un neuvième de celle d’un porc à Pâques charnel, plusieurs objets : morceau de tissu, chandeliers, pot et lanterne, revendu et inclus dans les recettes d’argent. 304 Dép. Doubs, arr. Besançon, cant. Marchaux. Taxe due pour l’entretien des chevaux des gens d’armes du seigneur à l’origine en nature. 305 Sorans-les-Cordiers (Roche-sur-Linotte-et-Sorans-les-Cordiers, dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Montbozon) et Fontenois-lès-Montbozon. 306 Un quart seulement appartenait au comte. 307 Le même cas de figure existait à Fontenois-lès-Montbozon dans la châtellenie de Montbozon. 308 Deux sous 6 deniers en trannois, 2 sous en sombre, 3 sous en vain (automne). Sombre signifie jachère, donc période de repos de la terre, trannois et vain correspondaient donc aux périodes de travail de la terre. 309 Sur le sujet du rachat de la corvée, on peut consulter à profit : J. Demade, « Les « corvées » en Haute Allemagne. Du rapport de production au symbole de domination (xie-xive siècles) », in Pour une anthropologie du prélèvement seigneurial dans les campagnes médiévales (xie-xive siècles), t. 2, Réalités et représentations paysannes, M. Bourin et P. Martinez Sopena (dir.) Paris 2004, p. 337-363 : du système domanial au système seigneurial, on est passé d’un servitium lourd et non humiliant à des corvées pratiquement inexistantes mais symboliquement essentielles. 310 À Equevilley (dép. Haute-Saône, arr. Vesoul cant. Port-sur-Saône), cela concerne dix-huit personnes. 311 Vendues très cher : 18 deniers par corvée. Dans le village voisin de Meurcourt, ne pas payer la corvée entrainait une amende de 3 sous.

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f­ aucher impliquait l’utilisation d’une faux. Les corvées apparaissent liées à la spécialité de chacun, à leur savoir-faire comme à leur détention d’outils adéquats. On retrouve ici aussi la corvée de charrue aux trois mêmes périodes que dans le bailliage voisin mais à Meurcourt, en échange, le seigneur fournissait un taureau pour les vaches et un verrat pour les porcheries des exploitants312. Dans la seigneurie de Faucogney, charroi et port de lettre étaient obligatoires pour tous et le plus souvent effectués. À Montigny qui apparaît comme le village le plus asservi de la seigneurie, tous les détenteurs de voiture devaient le transport du bois servant à chauffer le seigneur à Noël et à la Toussaint313, la charge s’étant également transformée en versement de deniers. Et d’ailleurs, le terme de corvée était remplacé par l’expression « loiguier du bois ». Le transport de bois existait aussi dans le bailliage voisin : par exemple à Vesoul où ces droits relevaient du château de la ville314 : « les hommes de monseigneur qui ont chevaux et buefs trayans » devaient « charroi de bois pour chauffage », chaque voiture se vendant à ceux qui les devaient315. La corvée de transport avait donc aussi été remplacée par une nouvelle redevance en argent. En fait, la majorité des données visibles dans les comptes sont des corvées rachetées. Les corvées effectuées apparaissaient lorsqu’il fallait payer la nourriture des « corveours ». Par exemple, cela fut très fréquent lorsqu’il y eut des travaux au château et au bourg de Faucogney. Mais il devient très difficile de détecter la corvée si elle ne prend que quelques heures et ne comptabilise pas de dépenses de nourriture. Il parait cependant vraisemblable d’envisager une disparition majoritaire de la corvée de travaux agricoles dans les deux bailliages, dans sa forme travaillée. La chose parait plus évidente dans la seigneurie de Faucogney où par exemple la corvée de vendange dans les vignes de Dambenoit316 utilisait totalement le travail gratuit des corvéables. Autre redevance très résiduelle, le droit de gite existait à Montbozon, dans le bailliage d’Amont, où la taxe était due par les habitants de plusieurs villages à la SaintMartin d’hiver, en prélèvements fixes. Un habitant isolé résidant à Authoison devait quant à lui le gite des chiens. À proximité, dans la seigneurie de Faucogney, les gîtes ne se prélevaient que dans deux localités, tandis que dans le bailliage d’Aval, le droit de gîte, uniquement versé en argent, était présent dans quatre centres de perceptions, avec des modalités de prélèvement diverses. Le guet obligatoire apparait à peine plus fréquemment. Dans le sud, seuls deux centres devaient ce prélèvement par feu317. L’un des prélèvements équivalait au double de l’autre mais compte tenu de leur faiblesse, la différence se révèle assez dérisoire. Le guet obligatoire apparait plus développé dans les comptes de la châtellenie de Montjustin au nord, où les « habitans censaubles et taillaubles […] doivent chascune nuit mettre et paier oudit chastel IIII guettes et demie »318. Ailleurs dans le bailliage d’Amont, certains habitants de la châtellenie de Châtillon319 devaient payer chaque nuit une guette au château.

312 À Montigny : sept charrues à 2 sous 6 deniers par corvée. À Meurcourt : rachat amodié. 313 Trente-six voitures. 314 Habitants de Vaivre, d’Échenoz-la-Méline (dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Vesoul-ouest) et Coulevon (dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Vesoul-est). 315 Six deniers par voiture, il y a quinze voitures en 1404, ADD, 1B101, fol. 10. La même recette existait à Baume-les-Dames et était aussi présente et rachetée dans le bailliage d’Aval à Poligny, Apremont et Montrond. 316 Dambenoît-lès-Colombe, dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Saint-Sauveur. 317 À Montrond, 12 deniers par feu, moitié à Pâques, moitié à la Saint-Michel, soixante-deux feux et à Valempoulières, 2 sous par feu à la chandeleur, soixante-sept feux. 318 Les villages cités dans le registre ne versaient pas tous la même chose et le seigneur de Montjustin payait quant à lui l’équivalent de dix guets. 319 Voray (Voray-sur-l’Ognon, dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Rioz), Châtillon, Auxon et Bussières.

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Certaines redevances étaient liées aux récoltes comme celle intitulée moissons dans le bailliage d’Amont320, les prélèvements s’effectuaient exclusivement en nature mais nulle part n’était précisé si le montant équivalait à une proportion quelconque de la récolte ou s’il était fixé ou arbitraire. Les types de grains prélevés différaient suivant les lieux : froment, avoine ou leur combinaison. Les « breneries » existaient au nord comme au sud. Il s’agissait des droits sur le son : les rebuts du grain servaient à fabriquer du pain pour la meute seigneuriale. Dans la châtellenie de Châtillon, on dénombre sept prélèvements de ce type, fixes et effectués à la Saint-Michel. Le bailliage voisin ne comptait qu’une seule « brenerie » à versement mixte en avoine et argent321. À Montréal, un prélèvement par gerbe s’intitulait « gerberie », portant uniquement sur les moissons de froment, à raison de deux gerbes par feu322. L’avennerie se payait également par feu à Matafélon où elle était due uniquement par les hommes taillables de la châtellenie323. Gerberie et avennerie recouvraient-elles une même redevance avec simplement une différence de terme lié au produit prélevé ? La rubrique « recette d’avoine » de Montréal précisait que les personnes redevables de l’avennerie à merci, donnaient également « le pain des chiens »324 qui avait été remplacé par un impôt en argent. Plus anecdotique, dans la seigneurie de Faucogney se prélevaient des redevances originales comme les « banvardies » inconnues dans les bailliages voisins ou encore le banvin, les deux choses étant vraisemblablement similaires. Enfin, la dîme persistait, mais de façon très marginale. Prélevée en nature, elle était surtout amodiée. Proportionnelle aux récoltes, il arrivait cependant qu’elle soit fixée325. Les redevances intitulées les rentes posent un problème de vocabulaire. La signification de ce prélèvement existant dans la seigneurie de Faucogney et le bailliage d’Amont, est assez difficile à déterminer. Dans deux localités les rentes se répartissaient par chef ou seigneur d’hôtel326 et se versaient en argent et avoine. L’un des villages donnait une « trousse » de foin « vendus a ceulx qui les doivent pour ce que on n’a trouvé aultres qui les ait voulsu acheter »327. Deux autres lieux comprenaient des rentes mais apparaissent très différents328 : dans l’avouerie de Longchamp une rente surnommée le droit se payait aux mêmes termes que la taille, les mêmes contribuables devant deux autres rentes dont l’une à Pâques sous forme d’œufs, en fait perçue en argent. Cette appellation de rente fait ressortir l’extrême diversité de paiement à l’intérieur d’un même village, entre les villageois. Celui de Fessey329 où se donnaient les trousses de foin comprenait des habitants relevant de la grande mairie de Faucogney et ne devant rien d’autre que la 320 Et peut-être les « meusons » dans le bailliage d’Aval où plusieurs centres les comptabilisaient, toujours en nature. Seuls deux villages étaient prélevés en avoine, tous les autres payaient en froment et avoine. Une seule exception précisait qu’avant, les « meusons » étaient levées moitié en froment, moitié en avoine mais Madame d’Artois, l’ancienne comtesse, avait octroyé aux habitants le droit de payer la redevance en argent. 321 Il faudrait ajouter, dans la châtellenie de Montmirey, des pains de Noël dus par les habitants de Frasne (dép. Doubs, arr. Pontarlier, cant. Levier). Malgré l’appellation, il se prélevait par feu et en argent : 4 deniers par feu. 322 Gerberie de Bellignat (dép. Ain, arr. Nantua, cant. Oyonnax), environ quatorze feux. 323 Deux mictières d’avoine par feu, un quartal = douze mictières, payée à la Saint-Michel, quinze feux. On retrouve la même taxe à Arbent (habitants de deux villages), à la volonté du seigneur. 324 Pourtant, le fait avéré à Arbent et Matafélon ne l’était pas à Montréal. À Matafélon, les habitants taillables de toute la châtellenie devaient, de façon globale, dix pains (1 denier viennois par pain), à Arbent, les versements se faisaient par feu : sept pains chacun (1 engrogne par feu, douze feux). 325 Par exemple à Châtillon, dîmes de Sauvagney (dép. Doubs, arr. Besançon, cant. Audeux). 326 À Mailleroncourt (Mailleroncourt-Charrette, dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Saulx) était précisé par « colonge » définit communément comme des fonds possédés par un colon. 327 Les veuves étaient moins lourdement grevées ne payant que la moitié. 328 Mairie de Colombe : habitants de Baignes, avouerie de Longchamp. 329 Les Fessey, dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Faucogney-et-la-Mer.

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rente, en particulier ils ne payaient pas de taille. Dans ce cas précis il semble y avoir un lien entre la taille et la rente. Il est peu vraisemblable que le terme de rente ait été utilisé indifféremment par le trésorier. Peut-être la terminologie était-elle différente suivant les villages, en fonction de leur passé, chaque lieu conservait un sens qui lui était propre330. Existaient de très rares cas de vaine pâture. Le village abandonné de Valentin331 avait été intégré au domaine et le comte accordait aux habitants d’École le droit d’y faire pâturer leurs bêtes en échange d’un versement de cire. Malgré la proximité géographique, il ne s’agissait pas d’hommes du comte. La vaine pâture apparait comme une faveur octroyée, qui rapportait. Le seigneur de Faucogney avait quant à lui, le droit de faire trois courses dans les prés de Frotey devant Vesoul entre la Saint-Georges et la Saint-Jean-Baptiste332. Toute bête grosse ou petite trouvée à ce moment-là pâturant dans les lieux devenait sa propriété. En 1406333 « aucunes bestes n’y ont esté prinses ni trouvées pasturans combien que diligeamment aient esté faites desdites courses ». Il en fut de même tout au long de la période. Les populations, prévenues, ne s’aventuraient pas à laisser vaguer leurs bêtes durant les courses. Il est vraisemblable que le seigneur avait ici octroyé le droit de vaine pâture en échange de cette contrepartie. On ne peut que constater l’incroyable diversité à laquelle pourrait encore s’ajouter les gardes et bourgeoisies, versées majoritairement en cire et sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir. Si cens et taille prédominaient, il est pourtant évident que même pour ces redevances se dessinent des différences entre le nord et le sud. Et la multitude de versements, présents sous diverses appellations, révèlent un mille feuilles de prélèvements localisés géographiquement, réunis à terme dans les mains d’un même grand seigneur et dont le souci de normalisation ne se situait pas à une échelle aussi fine. Et d’ailleurs, certaines redevances étaient véritablement localisées géographiquement, comme les servis à Montréal, Arbent et Matafélon334. De nombreux villages étaient concernés entièrement pour des versements soit en argent uniquement, soit en argent et en froment, soit en argent et en avoine, soit plus fréquemment, en argent, froment et avoine. Exceptionnellement, des villages ne versaient le servis qu’en nature, froment et avoine voire uniquement en avoine. Des hommes isolés devaient aussi le servis, presque toujours en nature. Peut-être s’agissait-il d’une redevance archaïque portant sur les récoltes de blé et qui avait pu en partie être remplacée par des versements en argent dans les villages, le changement s’avérant sans doute plus difficile à imposer de façon individuelle. Redevance tout aussi isolée, à Montréal le receveur prélevait les « entraiges » qui s’ajoutaient aux charges habituelles : taille ou servis. Normalement, on nommait ainsi la somme versée en une seule fois lors de l’achat d’une terre, d’une vigne ou d’un pré, sous réserve de l’engagement à verser tous les autres impôts ou taxes pesant sur le bien acquis. 330 Dans la seigneurie de Faucogney, plusieurs personnes devaient payer une somme sans que la raison en soit précisée : par exemple, plusieurs habitants d’Equevilley devaient payer à Saint-Martin d’hiver et à Noël ou encore à Dambenoit, l’abbé de Bithaine devait un vêtement à la Saint-Martin d’hiver au seigneur de Faucogney, alternativement, deux chappes de camelin gris ou deux chappes de pelisses de brebis, mais seul l’argent est récupéré, etc. On trouve le même phénomène dans le bailliage d’Aval où rien n’était indiqué pour des prélèvements en nombre assez élevé. Certains villages payaient en argent, parfois les hommes relevaient d’autres seigneurs : par exemple, à Gendrey (dép. Jura, arr. Dole), le comte prenait un droit sur les hommes du prieur de Saint-Sauveur avec un montant fixé (17 livres 18 deniers). D’autre fois, seul un nom de village était indiqué. 331 École-Valentin, dép. Doubs, arr. Besançon, cant. Audeux. 332 Du 23 avril au 24 juin. Frotey-lès-Vesoul, dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Vesoul-est. 333 ADCO, B 4685, fol. 28. 334 Ils se payaient soit à la Saint-Michel soit en deux termes : Saint-Michel et mi-carême. Seuls les villages de Gendrey (Servis de Romain) et Quingey comprenaient aussi ce type de prélèvement mais concernait les pêcheurs du val de Quingey : servis de poisson, quatre fois par an, 2 sous par pêcheur.

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Ici, le versement s’effectuait annuellement et rajoutait encore du poids aux lourdes charges grevant les terres de cette châtellenie. Ce versement n’existait nulle part ailleurs dans le domaine sous cette forme. On peut envisager des redevances différentes dans un espace normalement rattaché à la Savoie voisine, cependant généralement les variations portaient sur les termes employés plutôt que sur la composition de la taxe proprement dite. C’est pourquoi, il est assez étonnant de constater le nombre relativement important de type de redevances existant uniquement dans le sud du domaine. Les commandises se levaient dans de très nombreux centres de perception dans le sud335. La signification communément admise était « ce qu’on payait en échange de la protection du seigneur »336. Cela ne se faisait pas au détriment de la garde octroyée par le comte en échange d’une contribution volontaire, également présente ici. L’utilisation du vocable de bourgeoisie en revanche avait presque totalement disparu et ne s’employait que pour quelques très rares villages. La commandise portait en majorité sur des individus, très rarement sur l’ensemble des habitants d’une localité qui avaient plus fréquemment recours à la garde. Cependant, dans les exploits de bailliage, seule la garde comtale pouvait être bafouée, nul ne fut jamais sanctionné pour avoir enfreint une commandise qui ne semblait donc pas avoir de rapport avec la justice comtale. Il s’agissait apparemment d’une protection purement formelle, dont on pouvait se dégager très facilement en versant le double du prélèvement habituel. Les gens trouvaient sans doute la commandise moins pesante que la garde car il y eut de nouveaux « commans » tout au long de la période et plusieurs payèrent le double pour s’en retirer. Dans trois centres de perception du bailliage d’Aval337, les nouveaux habitants devaient prêter l’hommage des nouveaux venus ou « survenuz » sans précision des modalités bien que dans l’un des villages il était question de cens des nouveaux venus338 tandis que dans un autre il s’agissait d’un cens pour hommage et commandise339. La liste des personnes payant cette redevance, établie en 1398, était identique sept ans plus tard, en 1405340, et le montant prélevé resta le même pendant toute la période. Apparemment l’expression « nouveau venu » ne signifiait pas un seul paiement à l’arrivée du nouvel habitant. Tous ces versements s’effectuant en argent, à la Saint-Michel ou la SaintMartin d’hiver paraissent propre à un ensemble géographique restreint. De la même façon, les « menades » concernaient peu de centres de prélèvements341, s’apparentant peut-être aux manaides : sorte de redevance consistant particulièrement en vivres mais qui pouvait également se payer en argent, ce qui était le cas ici. À Arbois, les « menades » se comptabilisaient avec les cens. Ailleurs, les montants prélevés se révèlent extrêmement faibles342. S’agissait-il d’une vieille redevance persistant de façon résiduelle sous cette appellation et qui ailleurs avait peut-être été intégrée dans les cens ? Enfin, les autres redevances n’existaient jamais dans plus de deux centres de perceptions qui ne se trouvaient pas nécessairement localisés l’un près de l’autre. Les montants concernés s’avéraient parfois importants. Seules les villes de Gray et Poligny comptaient des toises sur les maisons, « chasauls vuilz » donc non nobles à Poligny. Les habitants payaient un loyer en fonction de la taille de leur maison ou de leur terrain. 335 Soit la recette était en argent, soit en nature : avoine ou cire. 336 F. Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du ixe au xve siècle, vol. 2, 1881, p. 192. 337 Arbois, La Châtelaine et Thoraise. 338 À Thoraise : 10 sous pour l’homme et 18 deniers pour la femme. 339 À La Châtelaine : payable uniquement en cire, il se rapproche beaucoup de la commandise simple. 340 ADCO, B 1541, fol. 25. 341 Santans, Arbois, Fraisans. 342 Santans : 8 sous 4 deniers. Fraisans : 5 sous.

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Cette redevance rapportait : plus de 147 livres à Poligny et plus de 40 livres à Gray343. De façon aussi marginale existait l’office de crierie consistant apparemment à effectuer les différents cris nécessaires à toute vente, toute appellation ou toute information quelle qu’elle soit. Dans certains endroits il s’agissait d’un véritable office mais, au début du xve siècle, un seul centre de perception possédait un crieur et la fonction s’affermait en cire344. Plus exceptionnel, les « gaigneurs », c’est-à-dire les laboureurs d’Ivory payaient une taxe avec du fromage345. Détail très intéressant : étaient concernés uniquement ceux tenant « fructure de pluseurs vaiches estrangés ». L’exploitant versait donc la redevance lorsqu’il s’occupait des vaches d’autrui. Terminons avec un dernier prélèvement n’apparaissant étonnamment pas dans les comptes du bailliage d’Amont au cours de la période alors qu’il était relativement présent dans le sud : le droit de lods et vente. Le comte, propriétaire éminent de toute terre, laissait ceux qui en jouissaient et l’exploitaient opérer entre eux des transactions. Lorsqu’une terre changeait de mains, le comte prélevait une part du montant de la vente afin que tous gardent à l’esprit cette souveraineté. On sait que dans les châtellenies de Montréal, Arbent et Matafélon le droit était payé par les vendeurs et les acheteurs. À Arbent, pour chaque florin, 2 gros revenaient au comte tandis qu’à Montréal, cela coûtait 1 denier par sou. Ailleurs dans le bailliage, le droit de lods et vente ne se rencontrait que dans les villes importantes comme Arbois, Poligny ou dans le compte particulier de Bracon. Les comptes disponibles montrent des ventes portant à peu près exclusivement sur des maisons ou des vignes346. À Arbois, le prélèvement sur la vente s’élevait à 10 engrognes par florin ; à Bracon, 1 denier pour 12 deniers. Le taux de Poligny n’était pas fourni par les clercs, mais en 1411347, une vigne d’un journal et demi fut vendue 106 francs, le droit de lods se montant à huit francs 10 engrognes, équivalant donc à 1 gros par franc. Dans l’ensemble, le prélèvement s’élevait donc à 7 ou 8% du prix total de la vente, excepté à Arbent où il représentait environ 16%, ce qui se révèle très élevé. Ce revenu pouvait rapporter en cas de nombreuses transactions, ce qui était très loin d’être le cas, lui conférant donc plutôt un rôle symbolique348. Ces redevances isolées se révèlent finalement assez peu nombreuses en regard des points communs qui dominaient dans l’espace du comté de Bourgogne, avec les prélèvements les plus présents : le cens et la taille. 4. Modalités de prélèvement A. Argent ou nature ? Les comptabilités comtoises de ce début de xve siècle débutaient toujours par la recette de deniers349, les recettes en nature apparaissant seulement à la fin du compte : recette de blé, comprenant froment et avoine, recette de vin, de cire puis de poules ou gélines. Il s’agissait là des types de prélèvements les plus fréquents. Ont déjà été évoquées dessus les formes prises par les contributions : en nature, en argent ou mixtes. Certains seigneurs, à un moment donné, avaient choisi d’exiger de l’argent au lieu de 343 344 345 346 347 348 349

ADCO, B 1541, Poligny, fol. 16 et Gray, fol. 37. À Étrepigney (dép. Jura, arr. Dole, cant. Dampierre). Cinq livres à la Saint-Michel. Dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Salins-les-Bains, châtellenie de Bracon, une poise de fromage. Une seule exception, en 1416 (ADCO, B 1586, fol. 28), un meix est vendu. ADCO, B 1564, fol. 19-20. Jamais plus d’une vente ou deux par an, jusqu’à trois pour Bracon. Ce n’est pas systématique, dans le duché voisin, il commençait souvent par les recettes en nature, voir S. Bépoix et F. Couvel, « Rendre bon compte en Bourgogne… » art. cit.

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produit ou de travail, soit à des seigneuries complètes, soit avec des modalités individuelles. Cette transformation impliquait qu’il existe une économie d’échange où l’argent circulait. L’intérêt seigneurial étant de ne plus avoir à commercialiser le produit, il était cependant nécessaire que les inconvénients ne prennent pas le pas sur les avantages350. Selon Georges Duby, cela contribua à amoindrir les revenus seigneuriaux, la rente en argent apparaissant tendanciellement orientée à la baisse de valeur en raison de l’inflation et de l’érosion monétaire351. Pourtant, les choses se révèlent moins tranchées qu’il n’y parait, la gestion seigneuriale privilégiant alternativement revenus en nature et rente versée en argent, les puissants pouvant utiliser si nécessaire leur pouvoir de commandement pour transformer les structures de leurs revenus352. Pour autant, difficile de discerner une réelle prise de conscience économique amenant des décisions de gestion rationnelles car il ne faut pas oublier que la logique du prélèvement échappe alors à la « maximisation des profits », la contextualisation impose d’envisager avant tout le prélèvement comme la rémunération d’un service mais aussi comme marque de la domination353. Dans le comté, il apparait que les prélèvements en nature restaient importants de façon générale mais des inégalités apparaissent dans le détail. Le choix du prélèvement relevait certes de la volonté seigneuriale mais il existait d’autres rapports de force découlant des coutumes locales, de la capacité de négociation des paysans, aboutissant à une grande hétérogénéité, y compris à l’intérieur d’un même ensemble domanial354. Les redevances comtales se révèlent un exemple éloquent. Le terrage était une redevance encore très présente dans le bailliage d’Aval. Plus connue sous le nom de champart, il s’agissait d’un droit seigneurial prélevant annuellement une part des fruits de la terre. Tous les versements se faisaient donc en nature355. Cette redevance était fréquemment associée à des terres vacantes, certaines l’étant peut-être depuis trop longtemps pour attirer les exploitants356. Ainsi à Arbois, le terrage d’une pièce de terre s’élevait à trois boisseaux357 « de tel blé qu’il venoit en ladite terre ». Pourtant personne ne voulait l’amodier. L’appellation de terrage signifiait peut-être simplement un versement en nature destiné à attirer des exploitants sur des terres qui, autrement, restaient inoccupées. À Tourmont, personnes ne voulait exploiter des terres vacantes appartenant pour moitié au comte et où se prélevait du froment. En revanche, en recette d’avoine, plusieurs curtils et meix vacants y rapportaient trois quartaux358. Un paiement en nature plus attractif l’était-il encore plus s’il ne se faisait pas en froment ? Enfin, à Thoraise, le gaignage se prélevait sur les terres arables, en céréales, froment et avoine. De nouveau se pose la question du vocabulaire, on s’interroge s’il existe une réelle distinction entre cette redevance et le terrage. 350 L. Feller, « Les conversions de redevances. Pour une problématique des revenus seigneuriaux », in Calculs et rationalités dans la seigneurie médiévale : les conversions de redevances entre xie et xve siècle. Actes de la table ronde d’Auxerre, 26-27 octobre 2006, L. Feller (éd.), Paris, 2009, p. 5-25. 351 G. Duby, L’économie rurale et la vie des campagnes dans l’occident médiéval : France, Angleterre, Empire, ixe-xve s., essai de synthèse et perspectives de recherches, Paris, 1962, p. 444-446. 352 L. Feller, « Les conversions de redevances…op. cit. 353 Ibid. Comme le souligne Laurent Feller : entre détermination sociale et calculs économiques, où se trouve l’explication du comportement des seigneurs à l’égard de leurs dépendants et de leur travail et plus généralement à l’égard de la vie économique. 354 Ibid. 355 Il existait une seule exception où le versement s’effectuait en argent et en froment : châtellenie de Montrond : deux journaux de terre au finage de Molain (dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Poligny). 356 Par exemple à Blandans (Domblans, dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Voiteur) : plusieurs pièces de terres et meix vacants et personne n’a voulu les travailler. 357 Un quartal = deux boisseaux = quatre quarterons, mesure d’Arbois. 358 Tourmont, dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Poligny. En 1405. Mesure de Poligny : un quartal = deux boisseaux = quatre quarterons. ADCO, B 1541, fol. 134.

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Plusieurs prélèvements se composaient de gélines, dénotant la présence importante de ce type d’élevage. Dans le bailliage d’Aval, la redevance de volailles, uniquement de poules, était en fait remplacée par un versement en argent et concernait peu d’habitants comparativement au nord du comté359. À Montigny-les-Arsures, ni les nobles, ni les clercs, ni les arbalétriers ne devaient la géline par feu donnant à penser que la protection seigneuriale motivait ce prélèvement à l’égal de la taille. Ces ponctions uniquement en nature concernaient également le versement d’une contribution pour l’usage de la forêt de Chaux, délimité à quelques villages : Augerans ne payait que cette unique taxe au comte de Bourgogne360. Parallèlement, dans la châtellenie de Rochefort se percevaient les fouages de Baverans, Brevans et Azans, droit d’utilisation de la forêt de Chaux toute proche361. B. Spécificités de la seigneurie de Faucogney La seigneurie de Faucogney apparait encore plus complexe, en partie en raison de la présentation de sa comptabilité : les recettes en nature étaient classées exclusivement par produits et non par village comme dans les deux bailliages. Ici, existaient des versements en chapons bien qu’en réalité ils soient, comme souvent, vendus à ceux qui les devaient. Le versement en nature s’était transformé en versement en argent de façon très informelle. À Faucogney existait aussi des prélèvements en seigle, inconnus ailleurs. Ils provenaient exclusivement de rentes à volonté, payées par certains habitants de nombreux villages, la plupart appartenant à la seigneurie de Faucogney, mais quelques-uns ne se rattachant à aucun lieu362. À quelques exceptions près, les villages versant une rente en seigle en devaient également une en avoine363. Une autre particularité propre à la seigneurie de Faucogney portait sur la « vendue d’erbes » : vente de prés aux enchères. La date de la vente n’étant jamais précisée, on ne sait pas si l’acheteur pouvait juger de sa future récolte. Mais plusieurs prés étaient cédés pour plusieurs années, jusqu’à dix ans, pourtant on n’employait jamais le terme d’amodiation ou son équivalent. Il est difficile de connaitre l’historique de ces prés, ainsi que la raison de cette exploitation singulière, même si on trouve parfois quelques renseignements épars : un fief vendu sans autorisation à un serf aboutissant à une mainmise, des héritages ou encore le retrait d’un étang. Les surfaces herbeuses ne semblaient pas être figées, s’agrandissant ici, se

359 Présent dans huit châtellenies. Par exemple, à Poligny : une géline par personne, 6 deniers pièce. Le compte mentionne que les gélines sont la plupart du temps revendues à ceux qui les devaient, donc un versement en argent. Il est intéressant de comparer avec l’étude d’un village franconien où les gélines étaient très souvent payées par conversion en argent contrairement aux corvées et charroi presque toujours effectués. La géline aurait une importance symbolique plus grande car versement recognitif par excellence des droits éminents du seigneur sur la terre. J. Demade, «  Le paiement par conversion des redevances seigneuriales dans un village franconien au xve siècle », », in Calculs et rationalités dans la seigneurie médiévale : les conversions de redevances entre xie et xve siècle. Actes de la table ronde d’Auxerre, 26-27 octobre 2006, L. Feller (éd.), Paris, 2009, p. 27-54. 360 On ne sait pas pourquoi cela n’a pas été intégré dans les comptes de gruerie. Payée en céréales ou en cire pour des montants très élevés : jusqu’à dix bichots d’avoine à Augerans ou trente livres de cire à Santans. 361 Brevans, dép. Jura, arr. Dole, cant. Rochefort-sur-Nenon (Azans : ancienne commune). Payable en argent. Prélevée le 26 décembre, elle appartenait pour deux tiers au comte et un tiers au seigneur de Champdivers. 362 Trente villages ou lieux dits sont référencés, voir : S. Bépoix, Le comté de Bourgogne au temps de Jean sans Peur…op. cit., p. 55-61. 363 Six villages seulement en seigle.

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rétractant là364. En 1404, quatre-vingt fauchées de prés furent vendues à l’année365. Les prés de petites tailles étaient plutôt vendues pour dix ans366, généralement cédés à deux hommes, composés le plus souvent de buissons et d’épines. Les acheteurs devaient les nettoyer et les rendre en bon état au terme du contrat367. Trois prés étaient en partage, de petites superficies, ils étaient eux aussi vendus pour dix ans. Encore une fois, on peut s’interroger sur ces choix d’exploitation, ces friches ne trouvaient-elles pas preneur en censive ? Toujours à Faucogney, une autre recette n’existait nulle part ailleurs dans le domaine comtal : la recette de « chenove », c’est-à-dire de chanvre, à peu près exclusivement sous sa forme brute. Elle concernait des rentes368, des meix, des dîmes369. D’autres prélèvements en chanvre s’effectuaient sur des hommes du comte vivant dans divers villages, mais sans aucune précision. Les versements en cire représentaient une part importante des denrées en nature récupérées par les trésoriers et qui n’était pas remplacée par du numéraire. Dans les deux bailliages, la cire provenait essentiellement des prévôtés ainsi que des gardes et bourgeoisies. À Faucogney, les mêmes redevances se montraient également les principales pourvoyeuses de cire avec en plus de nombreux cens en cire370. Parallèlement à tout cela, certaines contributions apparaissent un peu anecdotiques car elles concernaient fort peu de personnes, évoquant des persistances de l’époque où tous les prélèvements s’effectuaient en nature. Existaient des rentes et des cens payés en épices371, des recettes de fromages372, de pois et de fèves373, ou encore d’oignons. Enfin des fers à chevaux dus pour bourgeoisie par le « favre » de Quers et son frère étaient immédiatement vendus. Mais existaient aussi certaines obligations, réalisées dans le but d’éviter de les payer : dans l’avouerie de Longchamp, on rétribuait le cuisinier et toutes les dépenses de l’avoué directement. Les comptes persistaient à transcrire ces droits seigneuriaux uniquement dans le but d’en conserver la mémoire puisqu’aucune recette n’était jamais perçue. Parfois, le droit à maintenir apparait de façon impromptue dans le registre comtal, car sinon invisible dès lors qu’il ne portait pas sur des hommes directs du comte374. Les habitants d’Écromagny Fessey, Amages375 et d’autres villages mais relevant du prieur d’Annegray, devaient chaque année un gîte pour les « braconniers » et les chiens du seigneur de Faucogney. Le capitaine Jean de Vergy accompagné

364 C. Beck, « Techniques et modes d’exploitation des prés dans le val de Saône aux xive et xve siècles », in Prés et pâtures en Europe occidentale, actes des XXXVIIIe journées d’Histoire de l’abbaye de Flaran, sept. 2006, F. Brumond (éd.), Toulouse, 2008, p. 65-78. 365 A.C.O., B. 4685, fol. 26. En tout cinq prés : un de vingt-cinq fauchées, un de trente-huit fauchées, un de dix fauchées, un de six fauchées et un fief aliéné qui ne fait qu’une fauchée. 366 Une seule exception, un pré de huit fauchée pour douze ans. Pour les autres : trois prés de huit fauchées, un de cinq fauchées, deux de quatre fauchées, un de trois fauchées et un d’une fauchée. 367 L’injonction « oster les espines », c’est-à-dire nettoyer le pré des ronces et des herbes non comestibles pour les animaux, se retrouve dans la Bourgogne voisine mais le mode d’exploitation y apparait différent, voir C. Beck, « Techniques et modes d’exploitation des prés… » art. cit. 368 Il y en a quatre. 369 Celle de Quers et Citers se payait en toile en partage avec le curé (avait la moitié à Quers, le quart à Citers). 370 Onze prélèvements. 371 Deux rentes et quatre cens à Port-sur-Saône, pour des maisons. 372 Deux prélèvements sur héritages, une rente et deux cens. 373 Résultat des menus dîmes partagées avec le curé à Quers et Citers. Amodiées, elles servaient à faire le potage des corvéables. S. Bépoix, « La nourriture fournie aux corvéables… » art. cit. 374 Poste recette commune dans les comptes. 375 Écromagny, dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Melisey. Amages, dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Faucogney-la-Mer.

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À l’avènement de Jean sans Peur  |  Chapitre 1

de son lieutenant s’y étaient rendus avec des compagnons et des chiens en 1404376 afin de maintenir le droit du comte. Les habitants refusèrent donc de payer lorsque le receveur tenta d’obtenir leur contribution, avec raison puisqu’ils avaient effectué ce qui était dû au seigneur de Faucogney. Se dessine de façon très nette des prélèvements de bailliage relativement similaires tandis que la seigneurie de Faucogney se détache par ses nombreuses particularités. Mais les redevances uniquement en nature, tout au moins dans leur acceptation première, apparaissent largement sous représentées. Finalement, au début du xve siècle dans le domaine comtal, le paiement uniquement en argent ou uniquement en nature apparait minoritaire. Coexistaient fortement versements en argent et en fruits de la terre pour une même redevance. On constate également qu’un même ensemble géographique dévoilait fréquemment des exceptions : sur les sept « breneries » de la châtellenie de Châtillon, trois se payaient en argent alors que les quatre autres versaient argent et avoine. Qu’il s’agisse d’une même activité ou d’une aire géographique limitée à une châtellenie, on relève d’importantes disparités377. Cette très grande diversité met en lumière les éléments agrégés pour former le domaine comtal. Les modes de prélèvements nous apparaissent aussi divers que les redevances elles-mêmes et il est facile de se perdre dans la multiplicité de cas rencontrés378. Il suffit d’étudier les états abrégés du trésorier pour s’en convaincre. Si au tout début du principat de Jean sans Peur, les recettes en argent étaient converties en francs, les recettes en nature revenaient à de fastidieuses énumérations, car on comptait presque autant de centres que de mesures. Il faut attendre le compte de 1415 pour voir le trésorier convertir la totalité de sa recette en argent379. Et n’oublions pas que la majeure partie des recettes en nature se revendaient, en général aux enchères, dans les châtellenies où elles avaient été prélevées, les recettes obtenues se comptabilisant sous le poste des « vendues de garnison »380. Enfin, on a pu constater le nombre important d’officiers, indispensables à la bonne marche du domaine. Plusieurs études se sont déjà interrogées sur l’appréhension de la position de ces hommes, par eux-mêmes comme par la société : s’agissait-il d’officiers ou de serviteurs ? Selon Philippe Contamine, avant 1500, les officiers royaux n’étaient pas clairement perçus comme formant un tout au sein du corps social381. Il apparait pour le domaine comtal bourguignon, que l’on doive opérer une distinction hiérarchique. Les plus hauts officiers semblaient réellement envisagés 376 ADCO, B 4685, fol. 28. 377 La diversité des modalités de prélèvements est mise en valeur dans l’étude portant sur un domaine ecclésiastique bourguignon : P. Beck, « Temps et lieux du prélèvement seigneurial dans le domaine du chapitre collégial de Saint-Denis-de-Vergy (Bourgogne xve siècle) », in Pour une anthropologie du prélèvement seigneurial dans les campagnes médiévales (xie-xive siècles). Les mots, les temps, les lieux, Paris, 2007, p. 343-362. 378 Jean Kerhervé remarquait déjà pour la Bretagne à quel point l’appellation des rentes domaniales était infini, tout en soulignant leur caractère instable et les redondances fréquentes. J. Kerhervé, L’État breton aux xive et xve siècles, les ducs, l’argent, les hommes, 2 tomes, Paris, 1987, p. 441-442. 379 Bailliage d’Aval : ADCO, B 1583, année 1415, cependant il faut noter qu’il nous manque l’année 1414. 380 L’importance des revenus en nature du domaine existait également en Bretagne où ils représentaient en moyenne le quart des recettes, J. Kerhervé, L’État breton…op. cit., p. 485-486. 381 P. Contamine, « Le Moyen Âge a-t-il connu des “serviteurs de l’État” ? », in Les serviteurs de l’Etat, 29e congrès de la SHMESP, Pau mai 1998, Paris, 1999, p. 9-20. Guido Castelnuovo affirme cependant qu’en Savoie, les termes d’offices et d’officiers s’imposent au xve siècle et toute charge administrative est considérée comme un office : G. Castelnuovo, « Physionomie administrative et statut social des officiers savoyards au bas Moyen Âge : entre le prince, la ville et la seigneurie (xive-xve s.) », in Les serviteurs…op. cit., p. 181-192.

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comme une catégorie de population au service de la chose publique, même s’ils se servaient de l’État pour leur intérêt, le sire de Vergy fut en ce sens assez emblématique. On peut y associer les baillis, trésoriers ou châtelains, hommes relativement lointains des populations. À l’instar d’Olivier Mattéoni, on peut affirmer que plus on s’élevait dans la hiérarchie administrative, plus la spécialisation était affirmée, contribuant à l’idée de compétence382. Pour les autres officiers, la prise de conscience était peut-être moins nette, la proximité sociale et géographique avec le reste des habitants leur donnait moins d’aura. Mais, en cas de problèmes ou de contestation, ils devenaient les principales cibles des mécontentements, signe malgré tout d’une identification par la population de leur fonction. Ce tour d’horizon du domaine comtal avec ses recettes foncières n’est évidemment pas complet puisqu’il n’intègre pas toutes les recettes provenant cette fois, non plus de la terre elle-même mais plutôt du pouvoir sur les hommes qui la peuplaient. Georges Duby l’avait énoncé en distinguant seigneurie foncière et seigneurie banale, distinction revue depuis mais utile pour tenter une classification face à la complexité de la situation383. Il n’est cependant pas toujours simple de percevoir clairement cette séparation.

382 O. Mattéoni, Institutions et pouvoirs…op. cit., p. 43-44. 383 Bien étudiée dans N. Carrier, «  Les origines d’un « nouveau servage » en Savoie… » art. cit.

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Chapitre 2 Les recettes variables Il est difficile d’établir une classification satisfaisante, ainsi la taille a été traitée avec les redevances foncières alors qu’elle découlait de la détention du droit de ban. Et ici, sont traités la gruerie comme les péages, ressortant bien du foncier. Nous avons voulu réunir ce qui semblait moins attaché géographiquement à une châtellenie que ne l’étaient les redevances présentées plus haut. L’empreinte judiciaire du comte de Bourgogne, tout comme les pratiques utilisées, permettent de constater que la justice était devenue un élément primordial du pouvoir seigneurial. En lien avec ces prérogatives le principe des « gardienneté » générait de nombreux actes de justice, accentuant la présence du comte là où à priori elle était peu marquée. Enfin, si la présence des recettes de gruerie, saunerie, péages peut paraitre ici un peu approximatif puisqu’il existait bien un lien avec le pouvoir foncier, il ne s’agit cependant pas de redevances pesant sur les habitants de façon régulière. 1. Les prérogatives judiciaires A. Haute, moyenne et basse justice La haute justice comprenait le droit de juger les crimes de sang ainsi que la prononciation des condamnations capitales. Majoritairement aux mains du comte de Bourgogne dans l’espace du comté, elle permettait également de récupérer les héritages de « bastards » qui s’avéraient parfois intéressants financièrement mais surtout essentiel symboliquement. Sur les terres relevant d’autres seigneurs, ces héritages échappaient parfois au comte, s’ensuivaient alors de longs procès pour déterminer le droit de chacun. D’autres seigneurs prétendaient aussi détenir la haute justice, quelques exemples existèrent au cours du principat de Jean sans Peur. Parmi eux, citons le cas de deux hommes en 1415, l’un de Filain, l’autre de Vy-lès-Filain1, appelés à comparaître devant le bailli pour un homicide : ils risquaient la confiscation et le bannissement. Comme ils ne s’étaient pas présentés à leur procès, leurs biens devaient revenir au comte de Bourgogne en tant que seigneur haut justicier. Mais damoiselle Guilleme de Filain prétendit que les biens lui appartenaient car l’un des deux condamnés était son homme « de mortemain et de toute justice, haulte, moienne et basse ». Le procureur du comte de Bourgogne défendit la thèse selon laquelle la haute justice était aux mains de son seigneur. De longs débats virent la demoiselle faire plusieurs appels, à son détriment. La haute justice comtale était également contestée dans la seigneurie voisine de Faucogney, et de façon réitérée comme l’indiquait le clerc : « certaines entreprises sont faites de novel a l’encontre de monditseigneur »2. Le prévôt et les officiers de l’église de Luxeuil avaient arrêtés un criminel à Breuchotte3. Emmené à Luxeuil, il fut exécuté et ses héritages saisis. Le procureur du comte récupéra les 1 2 3

ADCO, B 1583, fol. 30. Châtellenie de Montbozon. Dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Montbozon. ADCO, B 4691, fol 61, 1414-1415. Luxeuil-les-Bains, dép. Haute-Saône, arr. Lure. Breuchotte, dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Saint-Sauveur.

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biens et les vendit au profit du comte. Aucune mention de procès ou d’enquête pour déterminer le droit de chacun n’apparaissait dans ce cas. Le refus de la justice comtale pouvait, très rarement, émaner des justiciables eux-mêmes. Le roi de France avait fait mettre ses pennons dans le village de Melincourt, marquant par là sa souveraineté4. Le prévôt de Vesoul intima plusieurs fois l’ordre aux habitants de réinstaller les pennons du comte mais fut finalement contraint de le faire lui-même. Ils prirent alors contact avec le bailli de Chaumont5, lui demandant d’envoyer un ordre du roi afin que ses insignes soient replacés à Melincourt. On ne sait pas si le bailli de Chaumont répondit mais la justice du comte amenda les habitants du village de la très forte somme de 60 livres. Les officiers comtaux devaient donc être vigilants, certains seigneurs, laïques ou non, tentant de s’approprier certains pouvoirs. Le comte pourtant souverain n’utilisait cependant jamais la force pour imposer ses prérogatives : l’époque était devenue procédurière. Malgré tout, cela reste compliqué de délimiter les lieux précis ressortissant de la haute justice comtale6. Parfois, existaient des écrits explicites7. Mais tous ceux versant taxes et redevances au comte n’étaient pas nécessairement ses hommes8 : les pouvoirs se révèlent encore largement morcelés. Ainsi les délits moins graves de moyenne et basse justice se trouvaient fréquemment aux mains d’autres seigneurs que le comte9, sans oublier les lieux où les amendes étaient partagées10. Il est impossible de présenter une répartition satisfaisante de la justice. Mais il est certain que le comte ne voulait pas voir ce pouvoir lui échapper, la justice étant le signe de la souveraineté sur les hommes plutôt que sur les terres. Et le parlement, ultime recours judiciaire, représentait une marque profonde de cette emprise croissante sur les hommes, d’autant que le comté relevant directement de l’Empire ne subissait pas la domination de la justice royale française. Les exploits ordinaires révèlent bien le fonctionnement de la justice comtale11. La plus courante, basse ou moyenne, aux mains des sergents, des maires et des prévôts,

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ADCO, B 1557, fol 22. Dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Vauvillers. Cela se passait en 1409 et faisait vraisemblablement partie des multiples péripéties et volte faces royales marquant la période qui suivit l’assassinat du duc d’Orléans par Jean sans Peur. 5 Dép. Haute-Marne. 6 L’extrême complexité des juridictions a déjà été relevée dans le Lyonnais voisin où s’empilaient plusieurs pouvoirs. Les empiètements abusifs des ambitieux voisins étaient fréquents en raison des multiples enclaves seigneuriales et des abbayes, générant de nombreux conflits de compétence. N. Gonthier, Délinquance, justice et société dans le Lyonnais médiéval de la fin du xiiie au début du xive siècle, Paris, 1993, p. 67. 7 Par exemple, les serfs de la seigneurie de Faucogney : hommes de haute, basse et moyenne justice du comte. 8 Nous avons plusieurs exemples comme ces hommes de Breuches qui sont aux héritiers d’Etienne de Moncley mais qui doivent tout de même une rente de trois chapons au seigneur de Faucogney. Sur le problème « être l’homme d’un seigneur », voir N. Carrier, « Les origines d’un « nouveau servage »… » art. cit. 9 Par exemple ces dix ménages de Sainte-Marie venant de l’acquisition de Montby mais où moyenne et basse justice appartenaient au couvent de Luxeuil. Le comte, comme avoué, détenait la haute justice. 10 Exemple : l’avouerie de Longchamp (dép. Vosges, arr. Épinal, cant. Épinal est) dans la seigneurie de Faucogney, les amendes de 5 sous étaient moitié à l’église Saint-Pierre de Remiremont (dép. Vosges, arr. Épinal), moitié au seigneur de Faucogney, toutes les autres amendes revenaient au duc de Lorraine. 11 Il existait également des exploits extraordinaires portant sur des contrats usuraires. Des actes judiciaires avaient existé dans le passé pour de tels délits, mais depuis la mort de Philippe le Hardi, seul le bailliage d’Aval en avait enregistrés.

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Les recettes variables  |  Chapitre 2

était une justice au quotidien. Dans le bailliage d’Amont, seul le centre de Vaivre ne possédait pas de prévôt. Ailleurs, beaucoup de mairies, parfois même les sergenteries, s’intégraient aux amodiations des prévôtés. Dans le cas, inhabituel, où personne ne voulait acheter la charge, elle était alors confiée « en gouvernement »12 et le quart des amendes revenait au prévôt en tant que gouverneur de la prévôté, comme salaire à partager entre lui, son clerc et son sergent. Cette fonction représentait donc un des pivots de la justice au quotidien, secondée par des sergents qui agissaient au plus près des gens. Deux cas de figures existaient. Le délit pouvait déboucher sur une amende qui se payait aux agents de justice, les assises du maire ou du prévôt établissant le montant de l’amende fixée. Mais en cas de litige, on recourait aux assises du bailliage afin de « tauxer » l’amende qui devenait arbitraire. Une foule de petits délits courants ne posaient sans doute pas de problèmes majeurs aux officiers de justice, les usages fixant les tarifs des amendes en fonction des types de délits. Puis, le sergent se chargeait de gager les contrevenants, c’est-à-dire qu’il prenait un de leur bien, récupérable en échange du versement de l’amende. Il est vraisemblable que fréquemment, la vente de l’objet ait fait office de paiement. Gager les délinquants faisait partie des fonctions des sergents. Prévôts et maires gageaient parfois, officiant plutôt dans les villes et les villages, les sergents paraissant beaucoup plus présents sur le finage. Peut-être existait-il des délimitations géographiques aux compétences de chacun. Cependant, les sergents ne faisaient qu’exécuter les ordres des prévôts et des maires. Lorsque la justice était mise « en gouvernement », les amendes ne parvenaient au trésorier qu’après leur prélèvement, système donc plus complexe et d’une rentabilité moins immédiate, expliquant qu’il n’ait guère été privilégié. Tout ce personnel convoquait donc quiconque ayant commis un délit aux journées de justice afin de lui faire entendre son jugement. Il procédait également à des ajournements devant les assises du bailli qui se tenaient les jours ouvrables, les dimanches et jours fériés pour saints patronages ou autre étant interdits. Le bailli détenait un rôle judiciaire essentiel dans sa circonscription. Contrairement à la majorité des prévôts et des maires qui affermaient leurs charges, il s’agissait d’un officier nommé par le comte. On peut donc lui attribuer une expérience et des compétences supérieures13. Cependant, en raison de ses multiples activités, les assises étaient parfois tenues par ses lieutenants. Les ajournements devant les assises du bailliage étaient criées en place publique par des sergents14. Dans le bailliage d’Amont, elles se tenaient principalement à Vesoul et Baume15. Une délibération des officiers du bailliage décida même que « c’est a Vesoul qu’est le lieu et ressors le plus notable et la ou plus de genz, par dessus les aultres sieges dudit bailliage, ressortissent » et qu’alors « n’avoit aulcun lieu notablement fait comme il appartient a l’onneur de monditseigneur, de sa justice et soveraineté »16. Dans la seigneurie de Faucogney, les assises se tenaient dans le bourg deux fois par an17. Mais dans l’avouerie de Longchamp des journées de justice avaient

12 13 14 15

ADCO, B 1583, fol 1 : par exemple à Jussey en 1415. Jean de Champdivers, un des baillis d’Aval pendant la période étudiée, était docteur en lois. De nombreuses mentions de versements de salaire aux sergents nous le montre. Il y a d’autres lieux comme Cromary (dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Rioz), mais les deux villes semblaient les centres les plus importants. 16 ADCO, B 1561, compte 1411, fol. 47. 17 ADCO, B 4685 fol. 29, année 1405-1406 : premières assises commencées le 6 décembre 1405, deuxièmes assises commencées le 2 août 1406.

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également lieu deux fois par an18. La faiblesse des amendes perçues, ne dépassant pas 5 sous, laissent à penser que ces plaids étaient plus proches des actes de justice réalisés par les maires et les prévôts. L’ajournement aux assises par le prévôt ou le bailli était un premier cas de figure. On pouvait également être poursuivi par le procureur du comte de Bourgogne. Le bailli, le comte lui-même parfois, le chargeait de ces affaires. Il poursuivait les personnes concernées afin que l’affaire soit jugée aux assises. Ne pas se présenter aux ajournements ou aux appellations était passible d’amende. Ajournement et appellation différaient : l’un constituait un premier jugement tandis que le deuxième correspondait à une demande de révision d’un premier jugement. L’appelé devait obligatoirement être présent tandis que celui ayant lancé l’appel ne pouvait se rétracter. Ne pas poursuivre son appel était passible d’amende. Cela permettait d’éviter tout débordement de la part de la population mais n’empêchait pas les fréquents abandons d’appels. Enfin, un individu lançant une appellation et désavoué lors du nouveau jugement, versait une amende car il avait « mal appelé ». L’appel en parlement se révélait ensuite l’ultime possibilité. Les appels firent l’objet de nombreuses réflexions. Les multiples ordonnances sur l’administration de la justice qui avaient occupé le principat précédent nous en renvoient l’écho19, leur nombre étant révélateur des problèmes posés par leur application. Les éléments récurrents à améliorer portaient sur la longueur des procès et les salaires excessifs des officiers grevant les populations. L’ordonnance la plus proche de la période de Jean sans Peur, en 1399, fixait les contributions à donner pour les principaux actes judiciaires20. Mais il y avait tellement d’enquêtes que les clercs de baillis étaient débordés, certains procès durant jusqu’à dix ans. L’ordonnance établissait donc l’obligation pour les officiers de se charger des enquêtes21 et le rôle du procureur était redéfini : par exemple, il ne pouvait arrêter personne sans l’autorisation ou l’ordre du bailli. Enfin, l’ordonnance préconisait la tenue d’assises plus nombreuses car elles paraissaient insuffisantes pour régler tous les délits22. Il s’agit d’un bref aperçu de ces longues ordonnances où l’accent était régulièrement mis sur les actes des officiers de justice23. Les ordonnances se révèlent souvent le reflet des abus les plus courants mais on peut douter de leur efficacité puisque dès 1406, Jean sans Peur éprouva le besoin de lancer une grande réformation de la justice dans ses duché et comté afin de punir les délinquants comme les officiers ayant porté atteinte à la justice24. Mais les procès paraissaient toujours aussi longs et les appels désertés toujours aussi fréquents.

18 Mars et septembre. Il s’agissait de plaids banaux tenus par l’avoué dont il a déjà été question. 19 E. Champeaux, Ordonnances Francs-Comtoises sur l’administration de la justice (1343-1477), Paris et Dijon, 1912. P. 16 à 32 : ordonnance générale sur l’organisation de la justice et de la procédure, 1386. P. 33 à 35 : mandement autorisant certaines dérogations à la précédente ordonnance, 1387. P. 36 à 39 : ordonnances corrigeant certains articles de 1386, 1388. P. 53 à 64 : ordonnance reproduisant en la résumant ou la corrigeant une partie de celle de 1386, 1399. 20 Ibid. Exemple : ceux commis à faire des enquêtes étaient payés 15 gros vieux par jour vaqué hors de leur habitation, les notaires ne touchaient que 6 gros vieux, si les commissaires enquêtaient sur leur lieu d’habitation, ils ne percevaient rien, etc. 21 Ibid. Article 13. 22 Ibid. Article 23. 23 Ibid. Exemple : ordonnance de 1386, les sergents ou les maires n’avaient pas le droit de gager sans requête de partie et sans licence de prévôt ou le prévôt devait faire ses appels avec fondement, etc. 24 ADCO, B 11401, Dole, 6 mai 1406. Nous y reviendrons plus loin.

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B. Les sentences judiciaires Parmi les peines encourues, les amendes apparaissent les plus fréquentes. Jamais détaillées dans la seigneurie de Faucogney, les sommes globales ne donnent pas réellement d’idée de leur répartition. Pour les bailliages, le poste des exploits de justice détaillait abondamment les délits en indiquant les différents types de sentence. Sur cet ensemble, comme dans le nord, la grande majorité des amendes se comptabilisaient en livres estevenantes25, celles en francs, peu nombreuses, ont été délibérément écartées de la représentation graphique. Les délits étaient similaires à ceux perpétrés dans le nord et concouraient aux mêmes montants. Les amendes les plus fréquentes de 20, 40 et 60 sous, correspondaient à des appels désertés ou non poursuivis et à des altercations entre voisins ou ayant lieu sur les grands chemins. Les amendes de 4 à 10 livres estevenantes, guère différentes, provenaient de délits ayant fait couler le sang ou commis par des personnes de qualité. La majorité des sommes récupérées montaient jusqu’à 6 livres, avec une très forte proportion jusqu’à 4 livres. Les amendes entre 8 et 20 livres étaient cependant plus importantes dans le sud en raison du plus grand nombre de cas. Au-delà de 10 livres, elles concernaient des cas de rébellion et surtout des lettres de grâce pour homicide monnayées parfois fort chères26. Une composition était possible entre les parties, se produisant plutôt dans les cas d’amendes les plus élevées. L’entente se faisait entre le procureur du bailliage et le délinquant, ou entre ce dernier et la partie lésée. Les amendes très fortes restaient faiblement représentées. Dans le bailliage d’Amont, elles n’excédaient pas 70 livres, dans le sud, cinq amendes apparaissent supérieures, la plus importante s’élevant à 200 livres. Si certaines amendes étaient parfois minorées comme des appels non poursuivis passibles d’une peine de 60 sous se transformant en amende de 20 ou 30 sous, un nombre croissant d’amendes impayées étaient signalées au fil des ans dans le bailliage d’Aval, chose inconnue au nord. On les défalquait dans le chapitre des dépenses communes. Le trésorier prenait donc en recette des amendes qui n’avaient jamais pu être recouvrées pour des raisons diverses comme la mort du délinquant par exemple ou, plus fréquemment, la pauvreté. Il arrivait également que l’amendé fuit le pays sans laisser aucun bien dont la vente pouvait compenser la perte de l’amende. À peu près systématiquement, le trésorier insistait sur la grande diligence des officiers pour tenter de récupérer l’argent, l’échec l’obligeant à reprendre l’amende en dépense. De plus, certaines personnes délinquantes qualifiées d’« étrangères », c’est-à-dire originaires des régions limitrophes, ne possédaient aucun bien dans le comté, il devenait alors impossible de recouvrer une quelconque amende27. Les affaires réellement graves se révélaient finalement assez rares : la justice de bailliage apparait surtout confrontée à la violence quotidienne et les petites infractions à la loi. Les homicides ou les tentatives d’homicides existaient pourtant bien, passibles des plus lourdes amendes résultant des lettres de grâces octroyées par le comte. 25 Bailliage d’Aval : proportion de 97,8%, seules 2% versées en francs, qui faisaient apparaitre une grande amplitude : de 2 à 400 francs, mais la majeure partie se montait à moins de trente francs (vingt amendes sur vingt-cinq). Une unique amende fut payée en florin ainsi qu’une en écu. 26 La rémission comme pendant à la peine exemplaire mais aussi moyen efficace pour régler les différends privés, voir sur le sujet les études de Claude Gauvard, par exemple : C. Gauvard, « Grâce et exécution capitale : les deux visages de la justice royale française à la fin du Moyen Âge », Bibliothèque de l’école des chartes, 1995, p. 275-290. 27 Existait également le cas unique d’un détenu qui bénéficia d’une amende minorée parce qu’il était resté longtemps prisonnier après son forfait, dans l’attente de son jugement : ADCO, B 1592, fol. 75, il avait blessé un sergent.

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Première partie  |  Le domaine comtal et ses recettes entre 1404 et 1419

Nombres d'amendes

1200 1000 800 600 400 200 0

Nombre d'amendes

Graphique 1 : Les amendes perçues dans le bailliage d’Aval entre 1404 et 1419.

500 400

1090

77

20

30et+ 0à10 10à20 20à30 Montant des amendes en livres estevenantes

393

354

300

197

200

108

100 0

17

33 0à2

2à4

4à6

6à8

8à10

Montant des amendes en livres estevenantes

a : Les amendes dans le bailliage d’Aval. b : Détail des amendes de 0 à 10 livres estevenantes. La miséricorde était source de profit mais détenait également une portée politique. Dans le royaume voisin, elle s’inscrivait pleinement dans le cadre de la genèse de l’État28, on peut lui attribuer les mêmes buts pour l’État bourguignon. La peine prononcée la plus fréquente était le bannissement de tous les pays du duc-comte de Bourgogne et la confiscation de tous les biens, cette sentence s’appliquant en cas de félonie envers le duc par exemple. Les biens de l’écuyer Guillaume de Moncley avaient été confisqués suite à l’homicide perpétré sur la personne du prieur de Bellefontaine. Il supplia la duchesse Marguerite de Bavière puis prouva sa bonne foi en allant combattre dans les armées du duc, ce qui lui permit de récupérer ses biens en échange d’une forte somme entérinant les lettres de grâce29. Mais la confiscation pouvait demeurer effective. En particulier si « doubtant rigueur de justice », les délinquants s’étaient enfuis. Dans le bailliage d’Aval, plusieurs confiscations résultaient d’actes criminels, certaines d’entre elles faisant l’objet de donations immédiates. Dans la châtellenie d’Arbois, les tailles de quelques habitants d’Aumont appartenant à Renaud Chaucin, objet d’une mainmise comtale suite à son exécution pour « desmerites », furent données à Jean le bâtard de Chalon. Citons encore le cas de ce couple qui, en 141330, s’enfuit du pays après avoir assassiné un prêtre, maître de la demoiselle. 28 J. Hoareau, « Argent et miséricorde. Les amendes dans les lettres de rémission des rois de France à la fin du Moyen Âge », in Justice et argent. Les crimes et les peines pécuniaires du xiiie au xxie siècle, B. Garnot (éd.), Dijon, 2005, p. 225-236. 29 Le montant de cette grâce est inconnu. 30 ADCO, B 1567, fol. 112.

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Les recettes variables  |  Chapitre 2

La maison de l’assassin décrite comme une méchante maison de bois fut vendue pour 12 francs, ainsi que les biens sa complice. Pourtant, ils eurent du mal à trouver preneur, personne ne désirant les acquérir en raison du meurtre31. Les confiscations de grande ampleur n’apparaissaient pas dans les comptes ordinaires, leur importance nécessitant des ordonnances et des comptabilités spécifiques. À l’opposé, la mainmise comtale pouvait toucher une vigne ou un pré, empêchant la récolte. Résultat d’une requête individuelle, lorsqu’un litige opposait deux personnes au sujet de la possession d’un terrain, la justice posait la main du comte en attendant que l’affaire soit tranchée. On menait vraisemblablement des enquêtes de voisinage. Mais en raison des lenteurs de la justice, certains protagonistes enfreignaient la mainmise. Ce bref type de confiscation n’avait qu’un seul but : établir le droit de chacun et n’avaient rien à voir avec la haute justice. Le bannissement ajouté à la confiscation était d’une certaine façon comparable à une mort sociale, sans être aussi définitif qu’une mort physique, le banni se retrouvait exclu sans guère d’alternative que la récidive ou le vagabondage. En ce sens, exil et peine de mort appartenaient au même registre : extrême et exemplaire32. La peine capitale s’appliquait finalement assez exceptionnellement dans le domaine comtal33, seuls quelques cas sont visibles au travers des registres comptables qui détaillaient principalement tous les frais engendrés. Dans le bailliage d’Amont, parmi les six exécutions qui eurent lieu citons celle des deux chefs de bande qui semaient le trouble sur les marches nord du bailliage34. Ils furent pendus. Mais leur procès avait généré beaucoup de frais : il avait fallu payer à boire aux hommes « de bonne volonté » réunis pour les attraper, établir les nombreux courriers destinés à convoquer les personnes utiles au procès, ou encore s’informer des actes des accusés et rétribuer le bourreau venu de Langres35. Il fallut aussi verser des dédommagements pour les quelques jours qu’ils passèrent en prison avant l’exécution et payer la corde nécessaire à leur pendaison36. Pour rembourser toutes ces dépenses, on ne put compter que sur la vente de leurs maigres biens37. C’était donc vraisemblablement pour diminuer les frais que l’on profita de la venue du bourreau pour exécuter la même année deux autres prisonniers. Détenus à Châtillon, ils avaient été jugés pour empoisonnement. L’audition de témoins généra de nombreux frais, de plus l’un des inculpés fut mis à la question afin d’obtenir ses aveux pour l’empoisonnement de puits et fontaines. Accusations souvent émises en période d’épidémies, aucun signe n’était cependant perceptible à ce moment-là, en 1418 dans le comté38. Les deux hommes vivaient « par le pais comme coquin, querrant leur pain pour dieu » selon le clerc, leur état d’errance n’étant donc certainement pas étranger au fait d’être ainsi accusés. Ils furent tous deux exécutés à deux jours différents : maintenus 31 La vente rapporta 51 francs 10 gros mais 6 francs 8 gros furent consacrés aux divers frais. 32 N. Demaret, « Du bannissement à la peine de mort, une même logique punitive ? Hainaut (1464-1474) », in Amender, sanctionner et punir, histoire de la peine du Moyen Âge au xxe siècle, M.-A. Bourguignon et al., Louvain-la-Neuve, p. 87-100. 33 Dans la quasi-totalité des cas, il s’agissait de personnes démunies voire miséreuses. Sur ce thème, Claude Gauvard énonce bien que la théorie judiciaire, édictant des principes, apparait très coercitive, donnant une large place à la peine de mort, or cette justice théorique n’était pas suivie par les juges car dans la pratique, la peine de mort était rare. C. Gauvard, Violence et ordre public au Moyen Âge, Paris, 2005, p. 50-52. Il pouvait pourtant y avoir des périodes de durcissement suivant le contexte comme le note Nicole Gonthier à Lyon où les exécutions capitales étaient plus systématiques au début du xive siècle qu’au-delà de 1350. Les comparaisons restent cependant difficiles, les études portant principalement sur des villes. N. Gonthier, Délinquance…op. cit., p. 252. 34 ADCO, B 1596, fol. 60-65. Le procès aura lieu à Jussey (1417-1418). 35 Nommé ici « le mictre ». 36 Il y avait une multitude de frais annexes : cire pour bougie, fer à chevaux, etc. 37 Chevaux et selles uniquement. 38 La seule récurrence attestée date de 1420, S. Jobard, Un déluge d’épreuves et de douleurs…op. cit., p. 99.

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par des chaînes et des crochets de fer, ils furent brûlés. Encore une fois, les deux suppliciés n’ayant aucun bien, le remboursement des dépenses engendrées s’avérait impossible. Comme les précédents, l’absence de ressources rendait impossible l’obtention d’une grâce. Les exécutions n’apparaissent pas plus nombreuses dans le bailliage d’Aval alors qu’en proportion, le nombre d’amendes y était beaucoup plus élevé. Il n’existait, dans toutes les sources comptables disponibles, que trois cas de peine capitale. Par deux fois étaient mentionnées des sanctions de noyade pour des femmes : en 1405, l’une avait tué une demoiselle d’Ornans, internée relativement longtemps car enceinte, le bourreau la noya ; en 1415, à Montrond, une veuve fut noyée « pour ses desmerites ». La méthode de sentence capitale la plus utilisée restait malgré tout la pendaison39. En 1417, le lieutenant du bailli d’Aval ordonna à un charpentier de dresser une fourche royale neuve constituée de quatre colonnes près du chemin, sur une place haute. Les anciennes s’étant effondrées, il en fallait de nouvelles pour toujours « entretenir la justice » comme « pour et entencion de faire executer es fourches neusves » des personnes emprisonnées à Poligny40. Si l’exécution capitale était finalement assez rare, l’emprisonnement n’était pas non plus très utilisé41. Il s’agissait aussi d’une sentence onéreuse. Pourtant, plusieurs mentions prouvaient l’existence de prison42. Tous ceux devant subir le dernier supplice y faisaient un séjour plus ou moins long. En dehors de cela, les cas de prisonniers n’étaient pas fréquents, perceptibles en fait par les frais de bouche. À Vesoul43, un individu fut incarcéré durant onze semaines pour « cas criminelz ». Au terme de cette période, par ordonnance du conseil du comte établi maître et exécuteur de la haute justice, il fut délivré et « mis hors desdites prisons ». Pendant quinze jours, on dépensa 15 sous par jour de pain et de viande, les neuf semaines restantes, on ne lui consacra plus que 3 deniers par jour pour du pain et de l’eau. Dans le sud du domaine comtal, les frais de bouche de prisonniers n’étaient pas plus fréquents. Par exemple, en 1416, un prisonnier était attesté à Arbois pendant vingt-trois jours : arrêté pour avoir volé une fillette d’environ trois ans44. Existaient donc des délinquants prisonniers, mais aussi des personnes devant se porter caution pour des détenus, voire des gens s’étant enfuis de prison. La détention parait correspondre majoritairement à des personnes en attente de jugement, allant en prison uniquement si personne n’acceptait de se porter caution pour elles45. Dans le cadre des comptabilités, cette sanction apparait comme dispendieuse lorsque les détenus ne parvenaient pas à rembourser leur frais de nourriture, ce que ne manquait pas de mettre en avant les registres en détaillant abondamment les coûts engendrés. Enfin, de façon totalement marginale dans le cadre de la justice comtale de bailliage, des peines corporelles s’appliquaient. En 1407, un coupable fut battu puis forcé 39 N. Gonthier, Le châtiment du crime au Moyen Âge, Rennes, 1998. La pendaison pouvait être transformée en noyade à la fin du Moyen Âge, ce supplice étant considéré comme moins infamant que la pendaison pour la renommée de la famille, C. Gauvard, « Peines et rituels judiciaires au Parlement de Paris à la fin du Moyen Âge », in Les rites de la justice, gestes et rituels judiciaires au Moyen Âge occidental, C. Gauvard, R. Jacob (dir.), Paris, 2000, p. 99-123. 40 ADCO, B 1590, fol. 111. Le tout coûta 20 francs 6 gros. 41 N. Gonthier, Le châtiment du crime…op. cit., p. 114-119. 42 ADD, 1B.101, fol 60, on mena un prisonnier dans la prison de Bracon, ADCO, B 4685, fol. 34, était mentionnée une prison lors des travaux réalisés dans la grande tour du château de Faucogney, etc. 43 ADCO, B 1557, fol. 54. 44 ADCO, B 1586, fol. 116. Le montant des dépenses comprenait à la fois les dépenses des sergents partis à sa recherche et les dépenses de bouche pendant vingt-trois jours : 25 sous. 45 Isabelle Mathieu parle de prison ouverte ou fermée, la prison ouverte impliquant que les prévenus étaient uniquement contraints de se présenter devant le tribunal au jour fixé, remettant entre les mains de la justice leur « corps prisonnier ». I. Mathieu, Les justices seigneuriales…op. cit., p. 123-124.

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Les recettes variables  |  Chapitre 2

à courir par-delà Dole et Rochefort. Puis, sous les fourches de Rochefort, le bourreau lui coupa une oreille. Tout cela, selon l’expression consacrée « pour ses desmerites »46. Il est possible de présenter un bilan chiffré des recettes de justice au tout début du xve siècle.

Tableau 2 : Revenus de la justice du bailliage d’ Amont et de la seigneurie de Faucogney en 1405.

Nombre Montant des de cas amendes Appellations

 2



Violence entre individus

 9

21 £ 10 s.

Abus provenant de personnes officielles

 1



Lettres de grâce

 1



Effraction sur le bien d’autrui

 6

39 £

Violence de groupe

 2

2£ 25 fr.

Atteinte au bon déroulement de la justice

 1



Composition avec le procureur

 2

11 £

Exploits de justice de Faucogney TOTAL

12 £ 12 s. 24

103 £ 2 s. et 25 fr.

Tableau 3 : Revenus de la justice du bailliage d’ Aval en 1405. Nombre Montant des de cas amendes Violence individuelle

28

76 £ 10 s. 10 francs

Appellations

 1



Atteintes aux biens d’autrui

 9

50 £ 10 s. 30 francs

Abus provenant de personnes officielles

 8

36 £ 5 s.

Gêne du bon déroulement de la justice

 3

30 £ 15 s.

Faux officiers

 4

10 £ 10 s.

Délits rares

 2

14 £ 10 s.

Indéterminés

 1

25 francs

TOTAL

56

222 £ 65 francs

46 ADCO, B 1549, fol. 95. Cela coûta 7 francs 1 gros 9 engrognes. Les frais avaient été avancés par le prévôt de Fraisans. Il s’agit de l’unique cas rencontré dans les comptabilités de la période, mais apparaissent ici uniquement les cas ayant engendré des dépenses.

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Les actes de détention ou d’exécution se révèlent donc finalement rares, loin de rapporter, ils devenaient très souvent onéreux. La sanction essentielle restait l’amende qui, à défaut d’être sérieusement dissuasive était réellement lucrative. Les confiscations faisaient également abondamment partie de l’arsenal judiciaire et elles aussi rapportaient. La hiérarchie des délits présentée pour 1405 se retrouve approximativement tout au long de la période, à l’exception des appellations. À partir de 1407 seulement leur nombre commença à prendre de l’ampleur. Le total des amendes procurait des sommes élevées, prouvant bien que la justice représentait un revenu aussi important que certaine châtellenie47. Certes, il faudrait défalquer les dépenses engendrées par les exécutions capitales et autres enquêtes pour obtenir le rapport réel de la justice dans les recettes48. Cependant, nous avons pu constater que ce type de frais était limité au maximum. La justice comtale bénéficiait également de l’échelon supérieur qu’était le parlement49, autre apport financier mais aussi élément prépondérant de la souveraineté supérieure du comte de Bourgogne. Il s’agissait sans doute de l’aspect le plus important pour le prince, dépassant le seuil de la justice féodale pour promouvoir une vraie justice territoriale, imposant autant que possible des procédures de recours50. C. Le parlement de Dole Il n’est pas question de détailler les origines de cette institution judiciaire si importante. Précisons simplement son apparition : au xiiie siècle, le 23 février 1306, pour la première fois le Conseil de la comtesse Mahaut d’Artois prit le nom de parlement51. Mais ses réunions n’étaient fixées ni dans le temps, ni géographiquement. L’institution connut une nouvelle vigueur sous Marguerite de France avec des assises régulières et une implantation qui se fixa progressivement à Dole. Sous Philippe le Hardi, le parlement connut une nouvelle impulsion grâce à l’« Ordonnance générale sur l’organisation de la justice et de la procédure » datée de 138652. Proclamée à Dole, elle organisait le parlement, fixant définitivement son siège dans la ville, déterminant son statut de capitale du comté de Bourgogne. La périodicité des sessions s’accrut, ainsi que leur durée qui passa de quatre ou cinq jours à un mois et plus. Enfin, le parlement prit une importance croissante, traitant des causes en appel émanant des assises de bailliage ainsi que l’ajournement de grands seigneurs dont les affaires ne passaient pas par l’intermédiaire des journées du bailli53. Philippe le Hardi utilisa le parlement 47 On peut prendre l’exemple de l’année 1419 où le revenu des amendes est de 1 233 livres 12 sous et 158 francs demi, plus que les revenus de Dole, la châtellenie la plus importante du bailliage, ADCO, B 1600, fol. 98. 48 La question demeure, la justice rapportait-elle ou était-elle surtout le symbole de l’autorité et de la puissance ? Nicole Gonthier fait la distinction entre une basse justice assurant plus de bénéfices que la haute qui elle, représentait surtout le pouvoir. N. Gonthier, Délinquance…op. cit., p. 282-283. Pourtant, des études chiffrées sur la Provence, dans la viguerie de Draguignan et la baillie d’Apt montrent au xive siècle des recettes toujours supérieures aux dépenses. J.-L. Bonnaud, « La bonne justice en Provence au xive siècle : coûts et revenus à l’échelle locale », in Les juristes et l’argent. Le coût de la justice et l’argent des juges du xive au xixe siècle, B. Garnot (éd.), Dijon, 2005, p. 15-26. On peut avancer, dans un contexte domanial plus proprement rural, avec en plus les recettes d’un parlement, que la justice dans le comté de Bourgogne se révélait réellement lucrative. 49 S. Bépoix, « Le parlement de Dole au temps de Jean sans Peur (1404-1419) », dans MSHDB, 2004, p. 77-87. 50 B. Demotz (dir.), Les principautés dans l’occident médiéval à l’origine de régions, Turnhout, 2007, p. 134-135. 51 P. Gresser, La Franche-Comté au temps… op. cit., p. 265. 52 E. Champeaux, Ordonnances Franc-comtoises… op. cit., p. 16 à 32. 53 P. Gresser, La Franche-Comté au temps… op. cit., p. 266.

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Les recettes variables  |  Chapitre 2

pour ses desseins politiques à l’égard de la noblesse comtoise, pour la soumettre. Et Jean sans Peur sut faire de même. Cette institution majeure contribua au bon fonctionnement de la justice, dans le déroulement de la procédure mais également en sauvegardant les intérêts du prince et des justiciables. Si les cours de bailliage pouvaient casser la sentence d’un prévôt, le parlement pouvait faire de même avec les jugements du bailli, du gruyer ou du pardessus. Les appels émanaient aussi de sujets relevant d’autres seigneurs justiciers, bien que cela soit déjà rendu possible au niveau des assises du bailli. Existait-il la possibilité d’un choix entre les deux ou y-avait-il un partage de compétence ? La faible présence des causes en appel de non justiciables du comte au niveau du bailliage démontre une préférence pour la cour souveraine peut-être en raison de son importance. Le parlement s’associait également à la vie législative du comté grâce aux ordonnances. Celle de 1386 précisait que tout baron devait accepter les sentences de la Cour. Deux sessions parlementaires se déroulèrent de façon certaine au cours de la période54. La première, à l’instigation de la mère de Jean sans Peur Marguerite de Flandre, commença le 9 mars 140555 pour se terminer le 19 mai. Sa composition était à forte dominante comtoise. La deuxième session, beaucoup plus longue, commença le 3 avril 1413 pour se terminer le 20 juillet de la même année. Cette fois, plusieurs de ses membres venaient de l’extérieur du comté. Sa longueur exceptionnelle provenait de l’intégration à la session des causes de la grande « réformation » de la justice instituée par Jean sans Peur. L’assemblée remplissait donc plusieurs rôles : l’appel, le premier jugement s’il s’agissait d’un seigneur ajourné, et toute initiative allant à l’encontre des grandes ordonnances et entrainant des abus. Sur ce dernier point, les officiers se trouvaient les plus visés bien qu’ils ne soient pas seuls en cause. Les deux sessions parlementaires n’eurent pas du tout la même importance : la première traita quatre-vingt causes, la deuxième 41056. Lors de la session de 1405, les quatre-vingt délits n’aboutirent pas tous à des amendes, trois cas se terminant par des confiscations ou des bannissements. Citons l’un d’eux : assigné à entendre l’arrêt prononcé au parlement pour vérification d’une grâce pour homicide obtenue de feu le duc Philippe, un coupable ne se rendit pas à la Cour. Toute convocation nécessitait que soient effectués trois cris, à intervalles réguliers aux endroits les plus favorables afin que le délinquant puisse les entendre. Toute absence à l’assemblée de justice conduisant à la peine de bannissement, la grâce fut annulée, bannissement et confiscation furent prononcés. Un des trois cas fait aussi apparaitre une pratique singulière : un groupe de quatre hommes57 convoqué au parlement et qui ne s’était pas présenté, conduisit à la confiscation de leurs possessions mais la décision de justice prévoyait le prélèvement de 50 livres afin de dédommager la victime. Il fallait également compenser les frais engendrés par ces affaires où aucune amende n’était perçue, fut donc établi un dédommagement prélevé sur la vente des biens des coupables. Ce genre de pratique apparait malgré tout marginal. Comme aux assises de bailliage, les amendes apparaissent majoritairement en livres estevenantes58. Soixante-quinze au total furent payées en livres et leur répartition est intéressante.

54 ADCO, B 1541, fol. 53-57 et B. 1567, fol. 74-100. En fait ce sont les seules que nous dévoilent les sources disponibles, il semble cependant qu’il y en ait eut un autre autour de 1410-1411. 55 Rappelons que la duchesse est morte le 21 mars 1405. 56 Si en plus, on rajoute les délits de la « réformation », on atteint le chiffre très élevé de 670 causes. 57 Dont un écuyer. 58 En 1405, il n’y eut que deux exceptions : une amende de 200 écus et une de 50 francs.

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Graphique 2 : Répartition des amendes perçues en livres au parlement de 1405. 100 à 500 livres 13%

40 à 75 livres 13%

2à4 livres 7%

5 livres 40%

10 à 25 livres 27%

Cette représentation n’a qu’une valeur d’exemple puisqu’elle ne porte que sur une seule année. D’autre part, le graphique a conservé le montant effectif des amendes, par exemple on constate qu’il n’y en a aucune entre 25 et 40 livres. Contrairement aux exploits de bailliage, les amendes inférieures à 4 livres se révélaient peu fréquentes. Les montants les plus faibles59 étaient assignés à une femme ne possédant aucun bien et à un sergent dont on soulignait également la pauvreté. Les amendes de 5 livres, les plus nombreuses, correspondaient certainement à une somme forfaitaire pour la majorité des appels ne posant pas de problème. Les fortes amendes, voire très fortes, symbolisaient bien la particularité du parlement. La plus élevée, 500 livres, concernait des actes délictueux formant la base des jugements de la Cour souveraine : la violence et l’usage de faux. L’un d’eux concernait Jacques de Vienne, membre de la haute noblesse comtoise qui avait commis plusieurs attentats. À peu près 49% des jugements du parlement étaient des causes en appel60. Pour une partie61, l’appelant avait renoncé ou n’avait pas relevé son appellation. Elle pouvait aussi être qualifiée de désertée ou encore n’ayant pas été poursuivie. Une seule fois les deux parties, appelés et appelant, ne se présentèrent pas. Les personnes faisant appel payaient une amende si elles ne venaient pas. En cas d’appel poursuivi, le parlement condamnait par arrêt. Jamais le délit initial n’était rappelé. Parfois, on qualifiait l’appel de « fol », signifiant un entérinement du premier jugement. Un appel débouté entrainait une amende, la majorité se montant à 5 livres62 mais pouvait malgré tout être beaucoup plus élevée : deux à 60 livres et un à 150 livres. Cependant, cette dernière correspondait à quinze appelants s’opposant à la partie des habitants du Bourg-Dessous de Salins. Il s’agissait pour la plupart de hauts personnages du comté63 et la Cour les condamna à 10 livres d’amende chacun. On ne connaît pas la raison de cet appel groupé.

59 Il n’y en a que deux, à 2 livres 10 sous, a été choisi de commencer à 2 livres pour des commodités de réalisations. 60 Trente-neuf cas sur les quatre-vingt parlent clairement d’appel ou d’appellation. 61 Quatorze cas. 62 Dix-sept cas sur les vingt-quatre appels poursuivis. 63 Dont le comte de Tonnerre, monseigneur de Vergy, le doyen et le chapitre de Besançon, le chapelain de Saint-Anatoile de Salins, les habitants du Bourg-Dessus, etc.

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Les recettes variables  |  Chapitre 2

Les autres jugements avaient essentiellement deux origines : la violence, nettement prédominante et les faux actes64. Il s’agissait vraisemblablement de jugements en premier recours, bien qu’on ne puisse l’affirmer avec certitude puisque rien n’était précisé. Mais ici, les termes d’appel, d’appelant ou d’appellation n’apparaissaient jamais tandis que le délit était toujours détaillé et l’amende plusieurs fois qualifiée d’arbitraire. Plus qu’un nouveau jugement, le détail de l’accusation paraissait plutôt destiné à accabler un coupable. Dans les cas de violence, si les délits semblaient plus graves dans leur ensemble, il y en avait pourtant peu qui n’aient déjà été traités dans des exploits de bailliage. Par exemple : un prévôt fut condamné pour injures envers l’abbesse de Château-Chalon65 ; d’autres délinquants avaient perpétré des attentats, plusieurs excès, voire plusieurs « ravissons » ou encore outrages et abus. Cinq délits de ce type concernaient des personnes de qualité66. Le statut des personnes concernées parait une bonne raison pour un jugement en premier recours au parlement. Les faux documents, nettement moins nombreux, furent pour la plupart réalisés par des clercs, notaires ou licenciés en loi. Par exemple, un notaire d’Orgelet condamné « pour certaines faulsetez par lui perpetrés en certains actes » fut amendé modérément comparé à l’utilisateur du faux67. Si l’on arrive assez bien à discerner la cause du jugement en parlement dans la plupart des cas, une petite minorité68 reste malgré tout difficile à expliquer : une simple amende reportée sans précision ou une personne réclamant un arbitrage par exemple69. Quantitativement, les revenus issus des exploits de justice du parlement apparaissent nettement plus rentables financièrement que les exploits de bailliage. Il ne faut pas oublier cependant que de telles sessions parlementaires avaient aussi un coût élevé sur lequel nous revenons ultérieurement lors de l’étude des dépenses. La question en effet, reste de savoir si le parlement dégageait ou non un gain substantiel. 70

Tableau 4 : Les revenus du parlement de 1405. £ est. Appels renoncés

82 £ 10 s.

Appels poursuivis

403 £

Violence

1 780 £ 10 s.

Faux

1 185 £

Usure

215 £

Isolé

95 £

TOTAL

3 678 £70

Écus

Francs

200 écus

50 fr.

200 écus

50 fr.

64 Vingt-et-un cas de violence pour neuf faux actes. 65 Prévôt de Voiteur, 5 livres d’amende. 66 Dont l’une fut aidée vraisemblablement de deux de ses hommes, ce qui porte les cas à sept. Le seigneur de Villeneuve, Jacques de Vienne, des religieux du couvent de Goille, le procureur de Jean de Chalon, etc. 67 Cinq cents livres, le notaire fut lui amendé de 10 livres. 68 Quatre cas seulement. 69 La somme à payer représentait-elle les frais demandés par le parlement pour trancher l’affaire : 10 livres ? 70 Le trésorier trouve 3 693 livres.

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La présentation de la session parlementaire de 1413 ne traite pas des affaires issues de la « grande réformation », aspect bien précis de la politique de Jean sans Peur visant à améliorer la justice comtale. Nous y reviendrons. L’intérêt de détenir ainsi les contenus de deux sessions parlementaires permet d’établir des comparaisons. Tout d’abord, la classification des causes apparait très différente entre les deux sessions. Les causes ordinaires, les plus nombreuses, représentaient 64% des condamnations. Mais, distinction absente de la session de 1405, existaient aussi des causes extraordinaires en 1413 : 29,3% de l’ensemble. Enfin, un peu plus de 6,5% des affaires traitées71 portaient sur des absences d’appelant.72

Tableau 5 : Répartition des causes ordinaires et extraordinaires du parlement de Dole de 1413. Ordinaire

Extraordinaire

Défauts

 77

72

Amendes

135

 8

Appellations

 33

 1

Amendes arbitraires sans détails de délits

 12

 5

Amendes arbitraires avec détails de délits

  2

33

Indéterminé

  4

 0

TOTAL

263

11972

Il est difficile de déterminer l’origine de cette distinction entre ordinaire et extraordinaire. On constate une plus faible présence d’amende arbitraire dans l’ordinaire que dans l’extraordinaire. La mention du délit apparait également plus présente dans les affaires extraordinaires. Il est possible d’envisager l’ordinaire comme représentant les causes en appel et l’extraordinaire, les jugements en premier ressort du parlement, expliquant alors leur plus faible nombre mais aussi des amendes plus élevées. Les amendes du parlement de 1413 se révèlent un peu différentes de celles de 1405. La représentation, toujours réalisée en fonction des montants d’amendes présents à cette session montre la persistance d’un nombre élevé d’amendes de 5 livres mais aussi une proportion d’amendes de faible valeur encore moins importante. Celles d’environ 10 livres sont nombreuses73. Enfin, la présence de montants très élevés apparait plus marginale : 4% seulement se situaient entre 50 et 200 livres. De façon tout à fait délibérée, n’apparaît pas sur cette représentation une amende totalement exceptionnelle et unique de 1 000 livres74. Amende pour défaut, la cause de cette convocation en justice est inconnue. Deux fois seulement, l’accusé avait bien commis les délits pour lesquels on l’avait appelé au parlement, entrainant le bannissement sans pour autant qu’il soit fait mention de confiscation, aucune recette n’étant alors enregistrée.

71 Vingt-sept cas. 72 Les deux cas manquants pour arriver au 121 cas sont des causes de bannissement sans amendes. 73 Ce sont les amendes de 10 livres qui sont les plus nombreuses, on retrouve ce montant 149 fois soit près de 37% des cas. 74 Ainsi que six autres cas dont les amendes étaient établies en francs ou en écus.

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Les recettes variables  |  Chapitre 2

Graphique 3 : Répartition des amendes perçues en livres au parlement de Dole de 1413. 15 à 40 livres 12%

50 à 200 livres 4%

5 livres 44%

8 à 13 livres 38% 2 à 4 livres 2%

Une première remarque sur le montant des amendes peut être établie. Par trois fois la somme demandée pour appellations poursuivies mais dont la personne ne s’était pas présentée se montait à trois livres, précisant que les appelants avaient renoncé « incontinent » à la procédure. Au travers l’étude de ces deux sessions parlementaires, il peut être établi qu’il existait des règles très précises se déclinant en trois temps. D’abord l’appellation orale devait vraisemblablement se faire immédiatement après la première sentence. Les officiers de justice l’inscrivaient dans un registre. Après un temps de réflexion, la personne à l’origine de l’appel venait poursuivre ou relever son action, ou encore avait la possibilité d’y renoncer. La décision quelle qu’elle soit était une nouvelle fois portée au registre. Dans l’ordonnance de 1401 établie par le parlement de Dole, l’article sept mentionnait que l’appellation devait être relevée devant le bailli sous peine d’amende75. Il est donc vraisemblable qu’en cas d’absence l’appellation soit qualifiée de non poursuivie ou non relevée. L’exécution se faisait huit jours avant les assises ordinaires. La duchesse Marguerite, dans son ordonnance faite au parlement de 1405, fit passer le délai de huit à quinze jours76. En revanche, quand il s’agissait du parlement, il fallait réagir dans les quarante jours suivant le dépôt de l’appel77. Les causes d’appel apparaissent comme un constant souci : tous les ajouts de l’ordonnance de 1405 portaient sur ce thème. Enfin, pour renoncer à son appel après l’avoir relevé, il fallait venir le signaler afin que la décision soit enregistrée six semaines avant la tenue du parlement. Sans cela, on était passible d’amende78. Le dernier temps était la présence obligatoire de l’appelant lors du nouveau jugement. Aux assises ordinaires, l’amende en cas d’absence avait été fixée par les ordonnances de justice à 3 livres. Le montant différait au parlement : 5 livres pour la plus faible, s’appliquant aux hommes sans titre, aux personnes de basse condition. À partir de 10 livres79, le statut social des personnes absentes à leur appel était systématiquement indiqué, par 75 E. Champeaux, Ordonnances Franc-comtoises… op. cit., p. 16-32. 76 Ibid., p. 73-75. 77 Ibid., p. 53-64, il s’agit de l’ordonnance de 1386. A été rajouté dans l’ordonnance de 1399 qu’on pouvait renoncer à son appel pendant dix jours, après il y avait une amende (art. 21). 78 Ibid., p. 16-32, ordonnance de 1386, art. 49. 79 Ibid. C’était normalement le montant forfaitaire établi par l’ordonnance de 1386, p. 16-32, art. 36-49.

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exemple, dans les sessions présentées : le seigneur d’Étrabonne, le procureur de l’abbé de Baume ou celui du seigneur de Longwy. Une autre catégorie payait 10 livres en cas d’absence, lorsque tout un village était concerné : par exemple, les habitants de SaintBroing80 appelant contre les habitants de Gray. Les prieurs versaient également 10 livres, pourtant quelques-uns ne payèrent que 5 livres. Cette hiérarchisation dans les montants des amendes en fonction du statut des personnes se retrouve dans tous les cas car il s’agissait des amendes qualifiées de fixées, s’opposant donc aux amendes arbitraires. La même différenciation existait pour les amendes d’appels poursuivis, dans les causes ordinaires. Ces appels étaient principalement lancés à l’encontre du procureur du comte de Bourgogne81, mais d’autres ne concernaient pas des officiers comtaux. Jacques de Vienne, seigneur de Russey par exemple, avait lancé sept appellations contre un autre seigneur, il dut payer 70 livres. Une seule appellation apparait non relevée dans les causes extraordinaires, allant à l’encontre de l’hypothèse énoncée plus haut selon laquelle ces causes étaient des jugements de premier recours. Soulignons cependant son aspect exceptionnel. La simple mention d’amende dominait dans les causes ordinaires. Mais 92,5% concernaient des personnes civiles s’opposant les unes aux autres. Les montants de 5 et 10 livres se révèlent les plus nombreux, dépassés seulement lorsqu’il y avait plusieurs amendes. Par exemple le seigneur de Bussières versa 20 livres pour deux amendes. Une personne non noble devant trois amendes donnait 15 livres. Un simple curé ou un chanoine payaient 5 livres. Plusieurs villages furent amendés82, toujours à 10 livres. On ne relève que huit exceptions sur l’ensemble des cas. Enfin, d’autres montants ne correspondent pas à 5 ou 10 livres ni à leurs multiples sans pour autant que l’amende soit qualifiée d’arbitraire83. N’oublions pas que l’amende du premier jugement devait toujours être payée et s’y ajoutait les 5 ou 10 livres de l’appel. Une seule fois le montant de la condamnation en premier ressort, établi par le gruyer, était rappelé, l’appellation étant taxée à cinq livres84. Les amendes fixées étaient rares dans les causes extraordinaires. On y retrouve les mêmes hiérarchies de tarifs en fonction du statut85. Les amendes arbitraires des causes ordinaires firent intervenir plusieurs fois le procureur du comte de Bourgogne86. Le plus souvent, l’amende passait à 10 livres pour des non nobles, mais la plus forte se montait à 40 livres. Pour les causes extraordinaires, les amendes arbitraires s’étalaient de 10 livres à la somme, élevée pour ce parlement, de 100 livres. La plupart des délits lorsqu’ils étaient évoqués, concernaient des actes de violence87 : gardes enfreintes, violences et injures. Rébellion, désobéissance, violence ou récupération de prisonniers se pratiquaient également à l’encontre de villages ou d’officiers du comte. Quelques cas portaient sur des violences faites à des femmes : deux pour tentatives de viols et une veuve qui fut tellement battue qu’elle mit au monde un enfant mort-né88. Très différent : un homme avait proféré « pluseurs mauvaises paroles

80 81 82 83 84 85

Dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Gray. Hommes de l’abbé de Cornuef. On ne sait pas s’il s’agissait de celui du bailliage d’Aval ou d’Amont : quatorze cas. Huit cas. Quatre cas dont une veuve à 30 livres et le chevalier Gauthier de Bauffremont à 13 livres. L’amende initiale était de 20 livres. Une seule exception pour un écuyer condamné à 50 livres, peine déclarée en plus de son défaut à 10 livres. 86 Six fois sur les douze. 87 Vingt cas sur les trente-trois. 88 Forte amende de 100 livres pour le coupable.

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contre monditseigneur »89. Les amendes s’étalaient entre 10 et 200 livres, les plus nombreuses étant de 20 à 60 livres90. Les autres délits concernaient pour la plupart des abus judiciaires comme la subornation de témoins ou les variations de déposition lors d’un procès par exemple91. Les autres affaires ressemblaient beaucoup à celles traitées dans les exploits de bailliage : aliénation de biens, vol de chevaux, etc. Seul cas intéressant, les habitants de Chouzelot92, hommes de l’abbé de Saint-Paul de Besançon et donc, à ce titre, bénéficiant de la garde du comte de Bourgogne, s’étaient d’eux-mêmes mis « en la bourgoisie de messire Jean de Neufchatel »93. Les défauts, causes ordinaires et extraordinaires confondues, représentaient la proportion très importante de 39% de l’ensemble. On retrouve les amendes de 5 et 10 livres pour ces personnes nobles ou non qui ne s’étaient pas présentées au parlement au terme d’un appel ou d’un ajournement. Il y a très peu d’exceptions. Dans les causes ordinaires seuls deux hommes sans mention de noblesse devaient la somme de 10 livres. Dans les causes extraordinaires, un chevalier, Henri d’Accolans, accompagné du sire de Charquemont et de huit hommes firent défaut à l’encontre du procureur du comte. Malgré leur nombre, l’amende s’éleva seulement à 30 livres. Un écuyer et ses deux fils durent verser une forte amende arbitraire de 200 livres pour défaut face au procureur mais parce qu’ils avaient poursuivi, en armes, un homme de Faucogney en venant au parlement ! Le parlement de 1413 rapporta beaucoup plus d’argent que celui de 1405. On peut s’interroger sur l’origine de l’inflation des causes traitées par la Cour souveraine. Cela ne peut provenir du laps de temps écoulé entre les deux sessions car il est à peu près certain, nous en avons quelques traces dans les sources, qu’un parlement s’était tenu en 1411. L’extraordinaire rapportait plus que l’ordinaire alors même que le nombre de causes était nettement inférieur.94959697

Tableau 6 : Revenus du parlement de Dole de 1413. Ordinaire

Extraordinaire

TOTAL

Défauts

540 £

1930 £

2470 £

94

Appellations

617 £



622 £

Amendes

1175 £ 10 s.

97 £ 10 s.

1273 £

Amendes arbitraires

251 £

1385 £ 218 francs 30 écus

1636 £ 218 francs 30 écus

Indéterminé

20 £

0

20 £

TOTAL

2603 £ 10 s.96

3417 £ 10 s.97 218 francs 30 écus

6021 £ 218 francs 30 écus

89 90 91 92 93 94 95 96 97

95

Cinquante livres d’amende. Onze cas, il y a aussi une amende de 30 écus. Sept cas. Dép. Doubs, arr. Besançon, cant. Quingey. Vingt livres d’amende. N’oublions pas qu’un seul défaut est taxé à lui seul de 1 000 livres. Dont 209 livres d’appellations relevées mais où les appelants ne se sont pas présentés. Le trésorier trouve 2 423 livres 10 sous. Le trésorier trouve 3 432 livres 10 sous.

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Mais la justice n’était pas la seule source de revenus liée au pouvoir sur les hommes, les autres recettes n’ayant cependant pas l’importance de celles qui viennent d’être présentées. 2. Les revenus liés au statut des personnes A. Bourgeoisie, garde et commandise Bourgeoisie, commandises, gardienneté, ces notions complexes s’employaient indépendamment ou ensembles suivant les cas. Le terme de commans, plus rare, était utilisé isolément98. La définition communément admise de bourgeois est l’habitant du bourg : on était le bourgeois d’une ville. Pourtant, dans les sources comptables du domaine comtal, on était « le bourgoiz de monditseigneur ». Il s’agissait de l’équivalent des lettres de bourgeoisies délivrées par le roi de France à partir de la deuxième moitié du xiiie siècle : on devenait bourgeois du roi en ne relevant que de la seule justice royale99. Mais dans ce cas, les lettres s’appliquaient à des habitants de villes dont le roi était le seigneur direct et où la justice était aux mains des représentants de la cité. Les conditions paraissaient différentes en comté, le terme de garde y étant très souvent accolé à celui de bourgeoisie. Parfois le clerc comptable employait indifféremment l’un ou l’autre. On peut donc en déduire que devenant bourgeois du comte, on se retirait de la justice du seigneur dont on était l’homme. Dès lors, le bourgeois du comte relevait de sa justice et ce dernier devait assurer la sûreté et la sécurité de son bourgeois. Le terme de gardien pose moins de problème, exposant clairement le rôle du comte de Bourgogne. Il était employé plus fréquemment dans le bailliage d’Amont tandis que dans la seigneurie de Faucogney celui de bourgeois était plus utilisé100. Comme pour les redevances, peutêtre existait-il des usages liés à une aire géographique dans l’utilisation du vocabulaire. Le terme de commans peut se rattacher à celui de commandise, correspondant à ce que l’on payait au seigneur pour le droit de protection qu’il accordait, ressemblant donc à la garde. Cependant devenir commans ne conduisait pas à relever de la justice du comte. Un seul cas se révèle particulier dans le cadre de « censes foraines » en lien avec des activités commerciales dans le nord du comté. Versée à la châtellenie de Châtillon, « pour commandises et gardes de monditseigneur », cette redevance concernait plusieurs personnes de divers villages101. Ils avaient choisi la protection du comte, établissant eux-mêmes le montant de la commandise « a tel pris que bon leur semble »102. 98 La commandise serait la pratique la plus ancienne, datant des xie-xiie siècles, il s’agissait d’un contrat : protection contre redevance. P. Petot, « La commendise peronnelle », in Mélanges Paul Fournier, Paris, 1929 et P. Duparc, « La commendise ou commende personnelle », Bibliothèque de l’École des Chartes, 1961, p. 50-112. Cités dans M. Bubénicek, Entre rébellion et obéissance, l’espace politique comtois face au duc Philippe le Hardi (1384-1404), Genève, 2013, p. 162-164 : par la suite, Philippe le Hardi aurait développé cet usage ainsi que la garde, sauvegarde ou bourgeoisie pour accroitre le nombre de ses justiciables directs. 99 J. Favier, Dictionnaire de la France médiévale, Paris, 1993, p. 165-166. 100 Si l’on prend les premiers comptes pour chacun des deux ensembles, A.D., 1B101 pour le bailliage d’Amont, année 1404-1405 et A.C.O., B. 4685, pour la seigneurie de Faucogney, année 1405-1406 : il y avait à Faucogney, treize gardes pour seize bourgeoisies et une garde et bourgeoisie ; dans le bailliage d’Amont, il y avait sept bourgeoisies pour cinquante-huit gardes et quatre gardes et bourgeoisies. 101 Pirey (dép. Doubs, arr. Besançon, cant. Audeux), École, Devecey. Autrey, également cité, ne se localisait pas comme les autres dans l’arrondissement de Besançon. 102 Seul cas dans le bailliage d’Amont alors qu’il y a plusieurs commans dans le bailliage d’Aval.

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Ces commandises, gardes et bourgeoisies avaient en commun de n’être jamais imposées car choisies délibérément par leurs bénéficiaires103. Deux cas de figures existaient : soit la garde était à vie, le versement s’arrêtant à la mort de la personne, soit il s’agissait d’une garde à perpétuité, les héritiers du protégé du comte se trouvant contraints et forcés de payer104. Parfois existait la possibilité de se soustraire à cette garde, la charge pouvant devenir lourde surtout lorsque cela ne résultait pas d’un choix. Il suffisait alors de payer le double de la somme due annuellement. Alternative fréquemment utilisée dans le bailliage d’Aval, aucun exemple n’existait en revanche pour le bailliage d’Amont. Dans la seigneurie de Faucogney, des hommes du seigneur de Bar105 avaient choisi la garde comtale, estimant sans doute que la proximité géographique du comté rendait cette protection plus efficace. Ils pouvaient, s’ils le désiraient, se libérer de cette garde en versant le double de leur dû « quant il leur plaist »106. La gardienneté de Besançon apparait comme un cas unique en comté, expliquant un traitement à part. Le 24 mai 1386, les Bisontins avaient signé un traité de garde avec Philippe le Hardi qui prenait ainsi la place d’Hugues de Chalon, gardien de la cité jusque-là. L’archevêque était seigneur de la cité, Besançon étant une enclave impériale à l’intérieur du comté107. Philippe le Hardi cherchait visiblement à s’y implanter durablement alors même qu’il n’y détenait aucun pouvoir. Le traité de garde fut renouvelé par Jean sans Peur en juillet 1405, le comte de Bourgogne ordonnant au gouverneur du comté, Jean de Vergy, de prêter serment de défendre les privilèges de Besançon. Il recommandait à ses juges de ne pas intervenir sur le territoire de la ville et des mesures de protections étaient établies pour les marchands se rendant aux foires de Besançon108. Le châtelain de Châtillon, châtellenie la plus proche de la cité, assurait sa protection109. Il récoltait les amendes judiciaires de la gardienneté de Besançon qui en 1405 s’élevèrent à la somme dérisoire de 50 sous110. À l’instar des autres bourgeois et commans du comté, les habitants de Besançon payaient pour être gardés par le comte de Bourgogne, une somme importante inscrite dans les comptes du bailliage d’Aval : 500 francs111. Très vite, cette somme fut mise à contribution sous forme de prêt déguisé : les Bisontins réglaient deux ou trois termes au cours de la même année puis ne versaient plus la garde pendant un ou deux ans112. Il faut s’interroger sur les motivations de ces individus se plaçant ainsi sous la protection du comte de Bourgogne moyennant une redevance et donc tenter tout d’abord de cerner leur composition. Tous ceux qui décidaient de se placer sous la protection du comte relevaient d’autres seigneurs. Deux cas devenaient alors possibles : soit des personnes vivant à proximité de centres relevant directement de Jean sans Peur, soit demeurant hors de cet espace, au-delà des marches du domaine, cas se rencontrant 103 Soit un individu, soit des habitants de tout un village. À l’exception vraisemblable des étrangers comme les Lombards par exemple, voir plus loin. 104 Exemple : dans la seigneurie de Faucogney, un homme de la Rochotte (lieu-dit, cant. Faucogney-et-la-Mer) paie au lieu de son père pour garde, une livre de cire, A.C.O., B. 4682-2, fol. 83. 105 Habitants de Hautevelle : dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Saint-Loup-sur-Semouse. 106 La garde se monnayait 2 sous par feu. 107 P. Gresser, La Franche-Comté… op. cit., p. 195. 108 C. Folhen, Histoire de Besançon, t. 1 : des origines à la fin du xvie siècle, Besançon, 1981, p. 432. 109 À l’arrivée de Jean sans Peur à la tête du comté, Jean d’Allenjoie venait d’être nommé capitaine de la châtellenie. Il remplaçait Thibaut de Battrans mort à la Toussaint 1404. 110 ADD, 1B101, fol. 20. 111 À la date de la Purification Notre-Dame, c’est à dire le 2 février. 112 Dès 1405 (ADCO, B 1541, fol. 61) le système s’instaurait et en 1406 et 1407, la garde ne fut pas payée. À nouveau en 1415 (ADCO, B 1582) : 1 500 francs étaient versés et en 1416 et 1417 rien ne fut payé. L’avance pouvait se faire aussi dans le cadre de l’aide, nous y reviendrons.

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uniquement dans les comptes de la seigneurie de Faucogney. Tout homme se plaçant sous la garde du comte entraînait automatiquement sa famille sur laquelle rejaillissait la protection. Garde ou bourgeoisie n’était payé par aucune femme excepté des veuves. Le versement pouvait être effectué par une personne seule, par les habitants d’un village ou encore par un seigneur. Dans ce cas, le seigneur sollicitait lui-même la protection qui s’étendait alors à ses hommes113. Par exemple l’abbesse de Remiremont versait douze livres de cire pour sa bourgeoisie personnelle et celle de ses paysans. Mais dans des zones éloignées, des individus isolés, demeurant à Remiremont114, au Thillot115, à Épinal116 donnaient également de la cire pour bourgeoisie. Les habitants du village de Vaudéville117 près d’Épinal se trouvaient sous la garde du comte « a tousjours ». Réparti par chef d’hôtel, le paiement s’effectuait en cire. Comme une sorte de droit d’entrée, tout nouvel arrivant dans le village devait payer le double au cours de la première année. En 1407, le receveur de Faucogney envoya un sergent à Vaudéville afin de récupérer la cire due depuis plusieurs années118. Les habitants refusèrent de payer, arguant que leur ville se situait en pays de Lorraine, hors de la puissance du comte de Bourgogne et à neuf lieues de Faucogney. Le sergent décida donc de se rendre auprès du seigneur de Vaudéville pour réclamer son dû. Celui-ci lui rétorqua que lorsque Jean de Neuchâtel avait fait la guerre en Lorraine119, ils avaient tout perdu, leur village avait brûlé et « Monseigneur ne les en avoit peu ne voulsu garder », ils ne se considéraient donc plus comme les bourgeois du comte de Bourgogne. Leur seigneur refusait que ses hommes s’acquittent de cette garde. Mais la grande majorité des personnes payant pour être protégées vivait à proximité du domaine comtal, ce qui leur permettait de bénéficier d’une réelle protection. Les individus isolés ayant requis la garde du comte vivaient en partie dans des villages où leur gardien était implanté : Melisey, Mailleroncourt120, Citers, La Rochotte, Fresse121 dans la seigneurie de Faucogney122. Dans les bailliages, ils étaient regroupés par châtellenie. Cette catégorie d’habitants relevant individuellement de la garde comtale évoluait beaucoup dans le temps, principalement en raison des décès. À l’inverse, on comptabilisait rarement de nouvelles entrées dans la garde du comte. À l’instar des décès, la pauvreté pouvait également provoquer l’arrêt des versements. Un habitant de Plombières123 n’ayant pas réglé sa cire pour garde depuis dix ans, deux sergents, envoyés à sa recherche pour le faire payer, le retrouvèrent à Luxeuil. Mais il était si pauvre « qu’il queroit amosnes »124 et ne possédait même aucun bien à vendre en dédommagement. Jonvelle ne relevait plus du domaine comtal, pourtant six de ses habitants s’étaient placés sous la protection du comte. Dans la châtellenie de Vesoul, les origines géographiques des personnes bénéficiant de la garde comtale se révélaient 113 114 115 116 117 118 119 120 121 122 123 124

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Ce pouvait être tous ses hommes ou seulement ceux habitant un village précis. Deux personnes. Dép. Vosges, arr. Epinal. Une personne. Une personne. Il y avait aussi deux hommes de Thann (dép. Haut-Rhin, arr. Thann), mais depuis 1398, ils ne payaient plus, de même qu’un homme de Remiremont depuis 1394 et deux hommes d’Epinal depuis 1398, ils étaient sans doute décédés. Dép. Vosges, arr. Epinal, cant. Epinal-Est. ADCO, B 4685-2, fol. 83, premier compte où nous possédons la cire. Ils ne payaient plus depuis six ans. On ne sait pas de quelle guerre il s’agissait. Le curé du lieu. Dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Melisey. Il y en avait encore quelques autres, par exemple une personne de Saint-Loup-sur-Semouse (dép. HauteSaône, arr. Lure). Plombières-les-Bains, dép. Vosges, arr. Épinal. ADCO, B 4685-2, fol. 84.

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multiples. Pourtant excepté le village de Traves qui comptait deux hommes et celui de Marnay quatre125, dans tous les autres villages concernés une seule personne était sous la garde du comte. On retrouve dans plusieurs châtellenies la prédominance d’individus isolées126. Châtillon apparait comme le centre récoltant le plus de contributions pour garde ou bourgeoisie mais avec une proportion par village toujours aussi faible127. Une personne de Deluz128 n’était même rattachée à aucune des châtellenies du bailliage et on la comptabilisait en recette commune. En parallèle à ces individus éparpillés dans un bailliage, tous les habitants d’un même village pouvaient bénéficier de la garde comtale sans que soit jamais indiqué l’origine de la situation. Par exemple, donnant leur tribut à la seigneurie de Faucogney, on trouve les habitants de Roye, de Saulx, de La Creuse129. Dans le bailliage d’Amont, il en existait dans de nombreuses châtellenies130, le village de la Rochelle131 fournissait même uniquement des versements pour garde et bourgeoisie provenant des habitants du lieu et des villages appartenant à son territoire. Les habitants de Vauconcourt132 payaient leur garde à la châtellenie de Jussey. Ils s’étaient mis sous la protection de l’ancien duccomte de Bourgogne, mais après sa mort, ils envoyèrent des représentants à Jussey dans le but de rencontrer le prévôt et le tabellion pour déclarer leur renonciation à la bourgeoisie, se justifiant par la mort de leur gardien. Rien ne fut apparemment tenté pour les faire changer d’avis. Cette démarche tend cependant à signifier que la garde pouvait être imposée puisque dès que possible, ces gens ont cherché à s’en dégager. La troisième catégorie, composée par l’ensemble des hommes d’un autre seigneur se révèle peu importante dans le bailliage d’Amont, concernant presque exclusivement des seigneurs ecclésiastiques : des hommes de l’Hôpital de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem133, des hommes de Saint-Paul de Besançon134. La dame de Saint-Valemont apparait comme une exception, requérant la garde pour elle et ses hommes de Mollans135. À l’inverse, à Faucogney, seuls des seigneurs laïques bénéficiaient de la garde pour eux et leurs hommes136. Toujours dans cette seigneurie, les habitants de Hautevelle, hommes du seigneur de Bar, s’étaient mis sous la garde du comte de Bourgogne à la fin du xive siècle137. On comptait alors quinze feux dans le village. En 1406, il ne restait que six feux et le receveur ne parvenait plus à percevoir la contribution. En 1407, ils se mirent de nouveau sous la garde du comte de Bourgogne, la population s’élevait alors à seize feux138. Mais, en 1413, le receveur indiquait qu’il ne percevait plus rien 125 Traves : dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Scey-sur-Saône. Marnay : dép. Haute-Saône, arr. Vesoul. 126 Dans la châtellenie de Montjustin, de Baume, etc. L’abbé de Saint-Paul de Besançon versait sa garde à la châtellenie de Baume mais elle était incluse dans les droits de la prévôté. 127 Pas plus d’une ou deux personnes dans les villages concernés. 128 Dép. Doubs, arr. Besançon, cant. Roulans. 129 Roye : dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Lure-sud. Saulx : dép. Haute-Saône, arr. Lure. La Creuse : dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Saulx. 130 Par exemple, les habitants d’Arbecey, de Cornot et d’Augicourt (tous dép. Haute-Saône, arr. Vesoul cant. Combeaufontaine) versaient leur contribution à la châtellenie de Jussey. 131 Dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Vitrey-sur-Mance. 132 Vauconcourt-Nervezain, dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Dampierre-sur-Salon. 133 Habitants de Velorcey et Villedieu (La Villedieu-en-Fontenette) : dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Saulx, Dampierre-sur-Linotte : dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Montbozon. Presle : réuni à Dampierre-sur-Linotte aujourd’hui. 134 Beaumotte, (Beaumotte-Aubertans), dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Montbozon. 135 Dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Lure-sud. 136 Jean le Vosgien d’Aucelle, messire Anceaul de Darnuelles, Perrin d’Avilly, Guillaume de Vy, Pierre de Percy et Jean de Servigney. 137 Dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Saint-Loup-sur-Semouse. Aux alentours de 1395. 138 ADCO, B 4685-2, fol. 10, compte de Faucogney, 1406-1407.

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d’Hautevelle, une guerre ayant eu lieu entre le seigneur de Bar et le duc de Lorraine, le village s’était vidé après avoir brûlé139. L’événement démontre le manque d’efficacité de la protection du comte de Bourgogne et nuisait certainement à son image. Dans le bailliage d’Aval, la garde concernait principalement des villages entiers, très rarement des personnes seules140. Tandis que les quelques versements pour commandises provenaient à peu près uniquement d’individus isolés. Quelques rares villages versaient des redevances pour commandise141. Enfin, plus marginalement, certains habitants relevant d’autres seigneurs bénéficiaient également de la protection comtale142. On perçoit une nette différence entre les deux bailliages, le nord du comté réclamait plus de protection individuelle, peut-être à cause des fréquents passages de troupes. Bien que cette garde ne concerne finalement que peu de personnes, les officiers du comte notaient scrupuleusement toute modification, tout décès. Il en résultait parfois de longues listes nominatives dans les comptabilités. Cet aspect du pouvoir comtal lui permettait d’être présent dans de nombreux villages où son empreinte était peu marquée. Quant aux bénéficiaires, ils devaient malgré tout en tirer des avantages sans cela pourquoi ajouter encore des versements à leurs redevances. Afin de comprendre l’intérêt des populations à se mettre sous la garde du comte de Bourgogne, il faut consulter les exploits de bailliage. Les hommes du comte se trouvaient automatiquement sous sa protection, ils n’avaient pas besoin de payer pour en bénéficier. Tandis que les autres, lorsqu’on leur cherchait querelle, disaient haut et fort être sous la garde du comte si c’était le cas. En 1405, dans le bailliage d’Amont, un homme de Châtillon avait enfreint la garde de Madame. La même année, un habitant de Vesoul « a feru un homme qui estoit en la saulvegarde de monditseigneur »143. Tout au long de la période, de nombreuses personnes revendiquèrent cette garde, leurs agresseurs aggravant leur cas quand ils n’en tenaient aucun compte. Pour la justice, cela signifiait qu’ils ne lui accordaient aucune importance et dénigraient donc indirectement le comte lui-même. L’efficacité de cette garde était sans doute réelle puisque les gens qui en bénéficiaient la brandissaient, évitant sans doute des violences. Cela explique donc le nombre de personnes qui payaient pour en profiter. Le comte restait malgré tout le principal bénéficiaire en raison des apports financiers qui en découlaient. Les gardes et bourgeoisies se percevaient sous trois formes : argent, avoine et cire. Seules les châtellenies de Montréal et Arbent comptabilisaient du froment pour garde. Dans la seigneurie de Faucogney, les versements en argent concernaient exclusivement des personnes relevant d’un autre seigneur, réparties sur plusieurs villages, à l’exception des habitants de Roye. Dans le bailliage d’Amont, il s’agissait essentiellement d’habitants de villages144. Les versements en argent avaient tous en commun d’être payables par feu. Dans la seigneurie de Faucogney existaient deux tarifs : 2 sous par feu145 ou 15 deniers par feu. Dans le bailliage d’Amont, la majorité des habitants payaient 12 deniers par feu, seuls les habitants de Mailly, versant leur dû à Vesoul, devaient 1 gros vieux par

139 140 141 142

ADCO, B 4689, fol. 14, compte de Faucogney, 1413. Uniquement à Montréal, dix-huit hommes en argent et un en froment. Cinq villages répartis dans diverse châtellenies. Uniquement dans la châtellenie d’Ornans, hommes de Jacques de Thoraise, du chapitre de Besançon, du prieur de Morteau. 143 ADD, 1B 101, fol. 8-10. Le comté est encore dans les mains de Marguerite de Flandre. 144 Seule exception, la garde de l’abbé de Saint-Paul, mais le montant est dans les droits de la prévôté, et l’habitant de Deluz dont on ne sait pourquoi il est en recette commune. 145 Demi-tarif pour les veuves.

80

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feu146. Plutôt que feu, le trésorier employait le terme de chef d’hôtel147. Les versements en avoine provenaient soit d’habitants de village, soit de plusieurs hommes relevant d’un autre seigneur. Une quantité globale est indiquée dans les comptes de la seigneurie de Faucogney148 alors que dans le bailliage d’Amont la perception s’effectuait par feu149. Les versements de cire existaient dans tous les cas de figure rencontrés, mais dans une plus forte proportion pour le cas des individus isolés. Dans la seigneurie de Faucogney, la majorité d’entre eux payaient deux livres de cire par personne150. Tandis que dans le bailliage d’Amont la somme était toujours fixée à une livre151. Pour les habitants de village ou les hommes relevant d’un autre seigneur un poids global de cire était indiqué pour un montant sans doute établi en fonction du nombre de personnes concernées152. Les mêmes remarques peuvent s’appliquer à la seigneurie de Faucogney153. Au sud du comté, seuls deux villages situés dans la châtellenie de Montréal permettent quelques constatations différentes. À Montchevillart, les habitants devaient verser 12 deniers et une géline par feu154 tandis qu’à Brénod155, tous les hommes de treize ans donnaient 10 deniers viennois. Le droit de protection rémunéré n’était donc pas exclusivement réservé au comte de Bourgogne, seigneur souverain, puisque Montréal appartenait peu de temps auparavant au sire de Villars. Le même constat peut être réalisé à partir de l’exemple de la châtellenie d’Orgelet. Certains villages ou certaines personnes versaient de l’argent pour commandise au comte de Tonnerre possesseur de la châtellenie avant la confiscation comtale156. Une évaluation du rapport de ces gardes, commandises et bourgeoisies se révèle possible, il est cependant irréalisable d’inclure les gains indirects provenant des amendes occasionnées par de nombreux faits de justice relatifs à ces gardes. Les revenus issus des gardes et bourgeoisies montrent des recettes en cire assez importantes. En revanche, les recettes en argent restent globalement peu élevées. Le rapport de la garde n’était peut-être pas l’essentiel pour le comte, son but étant vraisemblablement de s’implanter le plus largement possible dans tout l’espace des bailliages, il s’agissait là d’une manifestation de son pouvoir. Ajoutons également l’aspect symbolique que revêtait ce principe de gardien, ne pouvant qu’ajouter à l’aura souveraine du duccomte de Bourgogne.

146 Village aujourd’hui intégré à Vesoul. Demi-tarif pour les veuves dans tous les cas. 147 Par exemple, à Mailly, ils sont soixante-dix-huit. 148 Habitants de Saulx : deux bichots mesure du grenier, les hommes de Jean le Vosgien habitant le même village de Saulx : trois bichots mesure du grenier. 149 Par exemple à Villedieu : cinquante-deux feux et Velorcey : vingt-quatre feux, quatre quartes mesure de Vesoul par feu. 150 Sur dix personnes versant de la cire, trois donnaient une livre, tous les autres deux livres. 151 À quelques exceptions près : par exemple à Montjustin, une personne surnommée « le Lombard » devait dix livres sans doute en raison de son origine italienne. Sur les Lombards à Montjustin, voir S. Bépoix et J. Theurot, « Lombards et autres Italiens dans le comté de Bourgogne, entre xiiie et xvie siècles », Colloque du Centre Européen d’Études Bourguignonnes de Rome (automne 2008) « Bourguignons en Italie et Italiens en Bourgogne (xive-xvie s.) », in Publication du Centre Européen d’Études Bourguignonnes, 2009, p. 159-203. 152 Par exemple, les hommes de Saint-Paul de Besançon à Baumotte devaient 10 livres. 153 Par exemple, les hommes de l’abbesse de Remiremont devaient 12 livres. 154 Il y a quatre feux, revenus croissants et décroissants. 155 Montchevillard, aujourd’hui disparu faisait partie du canton de Brénod, dép. Ain, arr. Nantua. 156 ADCO, B 5578, fol. 4, compte de la châtellenie d’Orgelet de 1410 lorsque la terre appartenait au domaine comtal après sa confiscation, nous en reparlerons.

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Tableau 7 : Revenus issus des gardes, commandises et bourgeoisies, 1405-1406.159 159 Argent

Avoine

Cire

Faucogney

7£ 9 s. 6 d.

5 bich. mes. grenier

52 lb.

Vesoul

6 fr. 6 gr. 14 bich. 12 quartes mes. de Vesoul

16 lb.

Châtillon

16 s.

17 lb.

Baume



Jussey

2 £ 9 s.

4 lb.

157 158

Port-sur-Saône 4 £ 15 s.

1 lb.

Montbozon

1 bich. 22 quartes mes. de Vesoul

La Rochelle

5 bich. 18 quartes mes. de Jussey

24 lb.

Jonvelle

6 lb.

Montjustin

28 lb.

Fraisans

6 s.

2 lb.

La Châtelaine 10 £ 18 d.

36 lb. ½ pds Dijon

Montmirey

9 lb. ¾ pds Dole

Montmorot

14 £ 14 s.

Montront

3 s.

Thoraise

6 s.

Montréal

3 £ 18 s. 2 d. vien. 37 florins 12 gr.

Matafélon

9 s. vien.

Arbent

Froment

14 quartaux mes. Montmorot

175 lb.

15 quarterons

3 quarterons 2 mittières

157 Mais des gardes appartenaient à l’amodiation de la prévôté. 158 Comme à Baume, il y avait des gardes dans l’amodiation de la prévôté. 159 Il y a le problème des comptes incomplets, mais les gardes variaient surtout en fonction des décès donc sur un court laps de temps, il y avait peu de variations. Pour Faucogney, les comptes des années 1405-1406 et 1406-1407, ADCO, B 4685. Pour le bailliage d’Amont, l’année 1404-1405, ADD, 1B101, mais complété pour certaines recettes incomplètes par l’année 1407-1408, ADD, 1B102.

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Argent Bracon

1 £ 18 s. 6 d.

Ornans

6 £ 15 s. 1/6 d.

Rochefort

5 s.

Avoine

Cire

Froment

6 lb. 8 bich. 2 mines mes. Ornans

116 lb. ½ 50 lb.

Pontarlier

220 lb.

Poligny

64 lb. ½

Dole

1 £ 10 s.

5 bich. mes. Dole

150 lb.

TOTAL

54 £ 8 s. 6 d. 1/6 d. 4 £ 7 s. 2 d. vien. 37 florins 12 gr.

5 bich. mes. grenier 10 bich. 10 quartes mes. de Vesoul 5 bich. 18 quartes mes. de Jussey 14 quartaux mes. Montmorot 8 bich. 2 mines mes. Ornans 5 bich. Mes. Dole

932 lb 18 quarterons 36 lb. ½ pds 2 mittières Dijon 9 lb. ¾ pds Dole

B. Échoites de mainmorte et de bâtards Les échoites, biens revenant au comte en cas d’absence d’héritier à la mort de leur détenteur, pouvait concerner les bâtards, signe de la souveraineté comtale mais aussi les mainmortables, relevant alors plus de son pouvoir sur ses propres hommes. La mainmorte correspondait normalement à un droit versé par l’héritier afin de conserver les biens provenant de ses parents, redevance qui apparait différente dans le comté de Bourgogne. Les terres de l’exploitant mainmortable ne revenaient dans le domaine comtal que lorsque celui-ci mourait sans « hoirs directs »160. Sans enfants pour hériter, les collatéraux étant écartés, les biens revenaient alors au domaine en s’intitulant « echoite de morte main ». Les rares mainmortables du bailliage d’Amont étaient des hommes vivant sur des terres confisquées161. Seulement sept cas se recensaient dans le bailliage d’Aval où à peu près tous les exemples provenaient d’un unique village : Germigney à côté de Santans, à priori, l’un des derniers villages à subir cette situation162. Les biens d’une femme mainmortable y furent vendus à son père, pour une autre, ils le furent au mari. Les gains se révélaient très variables : du plus bas, 5 francs, au plus élevé, 52 francs deux gros. L’une des personnes mainmortables décéda à l’âge d’environ seize ans et bien qu’elle ne possédât aucun bien meuble, la vente de ses héritages rapportât tout de même 15 francs. La situation était totalement différente dans la seigneurie de Faucogney où les « echoites de morte main » se révèlent nombreuses et lucratives dénotant bien la différence de statut entre les hommes du comte de Bourgogne vivant dans la seigneurie de Faucogney et les habitants des bailliages163. 160 Voir J. Pétremand, Ordonnances et édits…op. cit. 161 À Cemboing, dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Jussey. 162 Dép. Jura, arr. Dole, cant. Montbarrey. 163 S. Bépoix, « Un état du servage dans le comté de Bourgogne… » art. cit.

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Apparaissent ici certaines conséquences financières. Pour la seule année 1405-1406164, les héritages de mainmorte de la seigneurie de Faucogney rapportèrent 113 francs 2 gros. Leurs valeurs étaient très variables, mais leur nombre se révèle parfois élevé. La mainmorte se résumait donc à récupérer les biens de la personne décédée lorsqu’elle n’avait pas d’héritiers issus de son corps selon l’expression consacrée. Le conjoint survivant montait fréquemment les enchères pour conserver l’héritage du défunt, parfois, il s’agissait du père ou du frère.

Tableau 8 : Nombre d’échoites de mainmorte advenues dans la seigneurie de Faucogney au temps de Jean sans Peur. Échoites de mainmorte 1405-6

 9

1406-7

 7

1407-8

17

1409-10

16

1411

21

1413

10

1414

 7

1415

13

1416

12

1417

 9

1418

 0

1419

16

À l’instar des échoites de mainmorte, les « eschoites de bastards » représentaient les biens de bâtard n’ayant pas d’héritier nés en « droite et directe ligne légitime ». Le conjoint se révélait la personne la plus souvent lésée en n’ayant aucun droit sur l’héritage, contrairement aux enfants. Une ordonnance datant de Jeanne de Boulogne en 1349165 précisait les droits sur les héritages de bâtards. Cette ordonnance réaffirmait « que chascuns sire en sa terre ait la succession des bastards », le but étant d’éviter toute dissension. Le texte faisait suite à une requête d’Hugues de Vienne, archevêque de Besançon, de Jean de Chalon Arlay et d’Henri, comte de Montbéliard et de Montfaucon. Cependant, le seigneur récupérait la succession des « bastards » en sa terre uniquement s’il y détenait la haute justice. Tous les protagonistes apposèrent leurs sceaux afin de confirmer le document. Mais la condition ajoutée à l’ordonnance pouvait entraîner des conflits, surtout face à la vigilance accrue des officiers comtaux pour récupérer les biens des enfants illégitimes pendant la période du principat de Jean sans Peur. Dans le bailliage d’Amont, en 1405, un seul héritage de « bastard » fut récupéré pour cinq en 1408, deux en 1409, douze en 1411, cinq en 1413, sept en 1415, six en 1416, onze en 1418 et deux en 1419166. Et malgré l’ordonnance de 1349, les dissensions existaient toujours. 164 ADCO, B 4685-1, fol. 23-25. 165 E. Champeaux, Ordonnances Franc-comtoises… op. cit., p. 10-11. Une ordonnance avait déjà été faite précédemment, dont l’article cinq est cité dans le texte de 1349. 166 ADD, 1B101, 1B102, ADCO, B 1557, B 1561, B 1574, B 1583, B 1587, B 1596, B 1597, soulignons qu’en 1411 le compte dure quinze mois.

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Les officiers du comte se heurtèrent à Thibaut de Neufchâtel en 1409167 comme possesseur de la châtellenie de L’Isle-sur-le-Doubs168. Ses officiers s’étaient emparés des biens d’une femme décédée, « bastarde ». Le procureur du comte de Bourgogne décrétant que l’héritage revenait au comte, mit la main sur les biens. S’ensuivit un long procès. Aux assises de Baume, le bailli d’Amont déclara que les biens appartenaient au comte de Bourgogne, mais le procureur de Thibaut de Neufchâtel fit appel. Tout resta en l’état jusqu’à un mandement de Jean sans Peur déclarant que les biens lui revenaient. Le procès avait surtout valeur d’exemple car ils ne valurent finalement que 60 sous ! En 1415169, les officiers du comte de Montbéliard tentèrent la même opération, récupérant plusieurs héritages de « bastards » sous prétexte qu’ils appartenaient à leur seigneur, voire qu’il s’agissait de biens vacants. Les officiers du comte de Bourgogne firent les procès nécessaires afin de tout récupérer. Un dernier conflit, en 1419170, opposa cette fois Jean de Neufchâtel et le comte de Bourgogne au sujet de la châtellenie de Fondremand. Le sire de Neufchâtel voulait « maintenir que les successions de bastards morts sans hoirs en ses villes qu’il a ou conté de Bourgogne lui appartiennent ». Les officiers du comte de Bourgogne, s’appuyant sur l’ordonnance de 1349 soutenaient le contraire : quel que soit le seigneur, les héritages de bâtards revenaient au comte puisqu’il avait la propriété éminente, la haute juridiction « et cela nonobstant les procès et contradictions que en ont fait et font les dits seigneurs de Montagu et autres ». Jean sans Peur rencontra donc une constante opposition quant à ses prérogatives sur les héritages d’enfants illégitimes. Il devait constamment réaffirmer ses droits, souvent pour des gains dérisoires. L’opposition provenait même parfois de personnes plus humbles : en 1413171, un bisontin récupéra des vignes, héritage de sa femme née illégitimement. Elle était morte et ses deux enfants l’avaient suivie de peu. Le mari s’empara des biens « sous ombre de ce qu’il dit que la coustume de Besancon est telle que le pere est hoir de ses enfants ». Mais le procureur déclara que cette coutume n’existait pas à Vesoul et prit possession des biens au nom du comte. La seigneurie de Faucogney, moins importante, compta très peu de « bastards » sans héritier172. Alors que dans le bailliage d’Aval, les « echoites de bastards » se révèlent relativement nombreuses173. Un seul seigneur, le seigneur d’Arlay, tenta et réussit à s’approprier ces biens. En 1415, une réunion du Conseil rassembla le procureur du bailliage d’Aval et Jean de Chalon-Arlay à Dijon sur le fait des successions de bâtards. Jean de Chalon-Arlay maintenait qu’elles lui appartenaient sur ses terres localisées dans le comté. Il obtint gain de cause car la même année, un receveur qui s’était emparé d’une succession de bâtard au nom du comte de Bourgogne avait été amendé par la justice comtale, allant « contre et oultre la teneur des lettres de monditseigneur ottroyées a monseigneur d’Arlay » qui reconnaissaient les droits du prince d’Orange sur les successions de « bastards » survenant sur ses terres174. Le nombre d’héritage récupéré au sud fut plus élevé qu’au nord avec des ventes majoritairement effectuées entre 15 et 50 francs175. En règle générale, les « bastards » n’étaient pas des personnes très fortunées, cependant aucune échoite ne descendit en dessous du prix de 1 franc. Un inventaire des biens devait être établi avant la vente aux enchères sur la place 167 168 169 170 171 172 173 174 175

ADCO, B 1557, fol. 20. Dép. Doubs, arr. Montbéliard. ADCO, B 1583, fol. 33. ADCO, B 1597, fol. 27. ADCO, B 1574, fol. 25. Les biens se situaient dans le bailliage d’Amont. Seulement cinq cas pour la période. Quarante et un cas. ADCO, B. 1582, fol. 69. Treize cas. L’héritage le plus important fut vendu 122 francs 8 engrognes.

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publique, impliquant des déplacements d’officiers ou de leurs représentants et donc des frais. Il est concevable que le zèle des officiers ait été proportionnel à la valeur estimée des biens. Deux fois seulement le dénuement des défunts était précisé176. Les frais de vérification se révélaient parfois élevés : un frère de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem possédait des biens si importants que l’inventaire nécessita 8 francs de dépenses177. Les « bastards » étaient assez souvent des hommes d’Église178 surtout des prêtres ou aussi des enfants d’hommes d’Église. Mais pas uniquement, comme ces deux bâtards ayant choisi le métier des armes : l’un d’eux « tué par cas d’aventures » possédait peu de biens, un cheval, une vieille selle, une bride et une épée179 tandis que l’autre, nettement mieux pourvu bien qu’il « ne tenoit feu ne lieu » avait en d’autres temps, détenu 100 écus. Il les avait confiés à un écuyer chargé de lui procurer de l’argent chaque fois que nécessaire, voire de payer d’éventuels créanciers. À la mort du bâtard, il restait 69 francs 2 gros sur les 100 écus. Mais une enquête chargée de déterminer s’il existait d’autres biens permit de trouver du vin180 et une maison gagée 12 francs. Cet homme d’arme avait donc prêté de l’argent, prêt établi sur une maison qui était peut-être pour lui l’espérance de récupérer un toit lorsqu’il ne pourrait plus chevaucher181. Cependant, et la raison en est difficile à déterminer, la vente de certains de ces héritages se trouvait dans des postes de comptabilité inhabituels182. En étudiant les acquéreurs, on peut établir un point commun susceptible de justifier leur présence dans les exploits de justice : six achats provenaient de collatéraux183, la vente ne semblant pas s’être faite aux enchères. Il est vraisemblable que les proches, désirant conserver les biens familiaux, aient émis une requête auprès de la justice de bailliage pour que la vente s’effectue à leur avantage. Autre cas, la succession d’un bâtard mort depuis trente ans rendait tout inventaire impossible, le Conseil décida la vente sans inventaire184 qui fut effectuée aux enchères. La présence des autres « echoites de bastards » dans les exploits de bailliage s’explique plus difficilement, peut-être le résultat de litige dont nous n’avons pas connaissance. Les droits du comte sur les héritages de bâtards morts sans héritiers traversait plusieurs générations, ainsi cette succession d’une fille de bâtard morte « senz hoirs »185. Le zèle des officiers pour récupérer ces biens montrent l’importance d’affirmer les prérogatives du prince, même pour des gains dérisoires. Ce statut particulier amenait encore d’autres types de revenus issus des légitimations. Cependant, une seule année en enregistrait entre 1404 et 1419 : en 1407, trois bâtards obtinrent des lettres patentes du comte de Bourgogne faisant disparaître leur illégitimité. Leur nouveau statut allait surtout leur permettre de faire hériter les collatéraux186. 176 Dont l’une avait tout de même un toit puisqu’elle possédait un tiers de maison qui fut vendue 4 francs. Deux francs furent retirés de la vente des biens de la deuxième. 177 Il y avait du vin, de l’avoine, des chevaux, des bœufs, des vaches, du fromage et une multitude d’objets, le tout vendu 65 francs. Il restait donc 57 francs pour le comte, cependant, il y avait encore un procès entre le procureur et les Templiers de Jérusalem qui semble-t-il, réfutaient les droits du comte. 178 En tout six cas recensés. 179 ADCO, B. 1590, fol. 88. Le tout vendu tout de même 11 francs 8 gros. 180 Quatre muids neuf setiers, vendus 4 francs 2 gros. 181 ADCO, B. 1549, fol. 65. L’ensemble de la succession monta à la somme élevée de 85 francs 4 gros. 182 Dans les exploits de bailliage au lieu des recettes foraines. Cela représente vingt-six cas où les ventes rapportèrent parfois des sommes élevées : au plus haut, un héritage fut vendu 112 francs 6 gros, en livres, le plus élevé fut de 110 livres. 183 Trois maris rachetèrent les biens de leurs femmes ; une veuve ceux de son mari ; deux frères payèrent pour leur sœur, un père acquit la succession de sa fille légitime « procréez ou corps de feu sa femme bastarde », son enfant étant morte sans héritiers. 184 Il s’agit sans doute de conseillers comtois pouvant donc être amenés à prendre des décisions propres à la région. La vente rapporta 110 livres. 185 ADCO, B. 1564, fol. 65. 186 ADCO, B 1549, fol. 66. Ils payent pour cela 25 francs, 20 francs et 10 francs.

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C. Revenus exceptionnels Existaient également dans les registres, d’autres recettes plus difficiles à classer, à commencer par celles pouvant être réunis sur le thème de la propriété souveraine de la terre détenue par le comte. Ainsi, des revenus provenaient des successions en déshérence. Ces biens vacants vendus aux enchères étaient enregistrés soit dans les exploits de justice, soit dans les « recettes foraines ». Leur présence dans les exploits de justice découlait vraisemblablement d’un litige, peut-être de contestations concernant la vacance de ces biens187. Les revenus issus des héritages inscrits dans les « recettes foraines » se révèlent plus nombreux dans le sud188. Quelques cas existaient également dans le bailliage d’Amont. Par exemple, en 1416, plusieurs héritages appartenant à un écuyer, Richart de Cheneveulle, revinrent au comte, le détail de ses possessions s’étalant sur deux feuillets189. L’autorisation octroyée par le comte pour toute transaction opérée sur des fiefs ou arrières fiefs dont il était le propriétaire souverain rapportait également de l’argent. Rien ne fut comptabilisé dans le bailliage d’Amont dans le court laps de temps du règne de Jean sans Peur tandis que le bailliage d’Aval nous dévoile trois exemples assez différents. En 1406, un maçon acquit un meix de la veuve d’un écuyer190 mais n’osa en prendre possession sans l’autorisation du comte de Bourgogne, craignant sans doute une mainmise pouvant s’éterniser en cas de procès. Il supplia donc « très humblement » le comte, alors Philippe le Hardi, de le laisser prendre possession de son bien. Le prince le lui octroya « de grace especial […] nonobstant qu’il ne soit pas noble personne » en échange d’un droit de 20 francs : le quint denier. En 1418, deux frères de Menétru191, sujets du comte192, avaient accensé deux vignes à Voiteur : l’une en 1396 portait huit sous de cens, l’autre en 1398 portait deux sous de cens, cens qui se payaient à ceux qui leur avaient cédés ces vignes193. Ils avaient versé en une fois 18 livres « d’entraige et admortissement », le seigneur de ces terres, Guiot de Saint-Martin, ayant consenti à ce nouvel accensement. Mais en 1399, les deux frères décidèrent de racheter les 10 sous de cens en versant 9 écus en une fois et le seigneur de Saint-Martin donna son accord en échange d’un cens féodal très symbolique d’une obole194. Mais ces terres relevaient de l’arrière fief du comte de Bourgogne, seigneur de Guiot de Saint-Martin. Son autorisation devenait nécessaire, d’autant que les acquéreurs n’étaient pas nobles. L’affaire se conclut dix-sept ans plus tard195 : les deux frères obtinrent le droit de tenir les deux vignes en échange d’une somme de 10 livres au trésorier de Dole plus 10 sous de cens à verser chaque année au comte de Bourgogne. Les deux frères n’avaient rien gagné au change. Un dernier cas portait sur un homme naguère taillable à volonté et mainmortable qui avait été affranchi par son seigneur. Le consentement du comte de Bourgogne étant nécessaire, il l’accorda, affranchissant également l’individu et toute sa descendance contre 30 livres196. Ces montants se révélaient souvent importants mais aussi très épisodiques. Ils démontraient surtout les droits souverains du comte, y compris indirects, montrant à quel point ce pouvoir s’insinuait partout, bien entretenu par le zèle de ses officiers. 187 188 189 190 191 192 193 194 195 196

Six biens vacants furent inscrits dans les exploits de justice du bailliage d’Aval au cours de la période. Cinquante-trois prises de possession d’héritages à partir des comptes disponibles du bailliage d’Aval. ADCO, B 1587, fol 27-28 : tailles, dîmes, cens, prés, terres labourables. ADCO, B 1546, fol. 68. L’achat date de 1398. Menétru-le-Vignoble, dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Voiteur. ADCO, B 1592, fol. 84. Il était bien écrit sujets et non hommes du comte, la nuance est importante. Deux hommes dont l’un est marié à la fille d’un écuyer. Soit un demi denier, ce qui est très faible. Donc sous Jean sans Peur. Lettres patentes du premier décembre 1416. Somme reportée au compte de l’année 1416, ADCO, B 1586, fol. 87.

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Autre type de revenus inclassables, certains actes de justice n’étaient pas comptabilisés en exploits de justice. Comme ce cas où la sentence n’avait pas été établie par le bailli ni par le parlement mais seulement par ses représentants. Un écuyer d’Arbois en jugement devant le prévôt de la ville avait « fery du poing au visaige » une personne jusqu’au sang. Un sergent l’avait alors gagé de deux chevaux. L’écuyer réagit si violemment à l’encontre de l’officier qu’il « lui sangla tellement les mains qu’il lui fist jaillir sang ». Des commis du parlement venus enquêter sur l’affaire197 entendirent l’écuyer déclarer que la victime mentait. Un compromis fut pourtant établi entre les différents protagonistes et les représentants du parlement, se chiffrant pour le coupable à 300 livres. Les clercs semblaient parfois ne pas très bien savoir où classer certains revenus. Existait dans le bailliage d’Aval, un poste intitulé « recettes foraines », sorte de « fourre-tout » pour placer ces recettes inclassables tandis que dans le bailliage d’Amont, il s’appelait « recette commune ». On y trouvait également certains cas de confiscation découlant d’actes de justice immédiats, sans ajournement à de quelconques assises. Deux exemples assez emblématiques portaient sur des marchands cherchant à éviter les péages. Le premier eut lieu vers Noël 1404. Un marchand de Soissons-sur-Nacey198 transportait de l’acier de Besançon à Langres. Son trajet le faisait obligatoirement passer par le péage d’Augerans, mais l’homme « avoit prins chemin estrange par devers Orchamps199 » pour éviter le péage. Le receveur de Rochefort le poursuivit et l’arrêta après une poursuite à cheval effectuée en compagnie d’un sergent. Après enquête, il s’avéra que le marchand n’avait pas payé le péage : acier, charrette et chevaux furent vendus aux enchères à Dole200. Plus tard, en 1413-1414, encore au péage d’Augerans, deux voituriers transportant des harengs n’ayant pas payé la taxe, leur chargement fut confisqué et vendu201. Les gens des comptes prononcèrent également la confiscation des deux chars et leurs quatorze chevaux contre 50 francs au profit du comte. Le propriétaire des harengs étant prisonnier des ennemis du comte de Bourgogne à Liège, sa femme s’était chargée du transport des fameux harengs pour aller les vendre à Salins. La duchesse intervint directement, diminuant l’amende de moitié, réclamant également la restitution des chevaux et ordonnant que le montant de la vente des caques soit remis au marchand. À terme, on ne préleva qu’un franc pour le péage. En fait, les dépenses montraient que plusieurs enquêtes avaient été menées pour des cas semblables202 et lorsqu’un marchand cherchait à éviter le péage, les gens de comptes établissaient eux-mêmes le jugement. Il arrivait aussi que la grâce comtale soit accordée à ceux qui se justifiaient par le coût du péage, menaçant de prendre le chemin lorrain. La justice comtale ne pouvait ici se permettre d’être trop oppressive sinon, les marchands se détournaient des voies du domaine. Si certains actes de justice n’étaient pas comptabilisés dans les exploits de justice, à l’inverse d’autres recettes y étaient reportées bien que n’étant pas des délits. Dans les exploits du bailliage d’Aval figuraient des revenus provenant de personnes très honorables. Par exemple, un prêtre avait reçu de l’argent pour élever une petite fille « bastarde », mais l’enfant décéda à l’âge de six ans et l’ecclésiastique restitua l’argent qui lui restait de la 197 198 199 200

ADCO, B. 1541, fol. 62. Il s’agit de maître Bon Guichart et Guy Armenier. Dép. Côte d’Or, arr. Dijon, cant. Pontailler-sur-Saône. Dép. Jura, arr. Dole, cant. Dampierre. ADCO, B 1541, fol. 90. Cris à intervalles réguliers en lieux publics comme d’habitude, il y avait neuf ballons et demi d’acier. Le tout fut vendu pour 36 francs 4 gros. 201 ADCO, B 1579, fol. 90. Quatorze caques vendues 6 francs demi la pièce : 91 francs. 202 ADCO, B 1546, fol. 97. Le receveur d’Augerans s’était déplacé à maintes reprises afin de connaître les chemins détournés empruntés par les marchands et plusieurs de ces derniers furent arrêtés. Signalons qu’on trouve aussi ce type de délit dans les exploits de justice. La distinction essentielle portait sur la peine appliquée à ce délit : soit la confiscation soit une amende pour s’être soustrait au passage obligé et payant.

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dotation au trésorier du comte203. On trouve également de l’argent comptabilisé en recettes mais non perçu, comme la vente des biens d’un mainmortable du comte, mort sans héritier et vendus pour 12 francs mais dont l’acquéreur n’avait rien versé204. La justice intervenait ici pour ce qui ressemblait à une injonction de paiement. Autre type de revenus : la validation de testament, le document étant officialisé par un sceau. Ces recettes existaient exclusivement dans la partie méridionale du comté, il n’en fut jamais question dans le nord à cette période. Très rares dans les premières années du principat de Jean sans Peur, elles augmentèrent nettement par la suite205. Leur présence dans le chapitre des exploits de bailliage s’explique par le fait que le montant à payer était établi lors des journées de justice, estimé sans doute en proportion de la valeur des biens ou des capacités de paiement des héritiers. La grande majorité des taxes du sceau se situait entre 1 et 3 livres206. 3. Des recettes particulières A. La gruerie Les eaux et forêts représentaient un espace à part dans le domaine, même si une partie était intégrée dans les comptes de bailliage, ponctuellement certains bois, étangs et pêcheries étant comptabilisés dans les recettes de châtellenies. Le récent ouvrage de Pierre Gresser207 nous évitant d’avoir à définir cette institution bien particulière, sont présentées directement les recettes de gruerie à l’avènement de Jean sans Peur208. Les étangs, tout comme le penage, ne donnaient pas des revenus réguliers car soumis aux aléas climatiques, à la nécessité de laisser le poisson grossir ou encore le besoin impératif de réparations. L’eau ne représentait pas le meilleur rapport dans l’administration des eaux et forêts209, cette activité subissant de nombreuses contraintes. Les pêcheries de rivière se comptabilisaient généralement dans les recettes de châtellenies. Seules deux rivières apportaient des revenus à la gruerie210 : à Faucogney et à Rochefort, toutes deux amodiées. La vente pour plusieurs années à Faucogney intégrait les amendes des mésusants au bénéfice de l’amodiataire. Les revenus étaient assez faibles211. Les étangs se révèlent plus nombreux, surtout dans la seigneurie de Faucogney212 où cependant certains d’entre eux nécessitaient de telles réparations qu’ils n’étaient plus utilisables. L’étang de Quers nous donne un aperçu de l’exploitation de ces retenues d’eau. La pêche, commencée le 1er mars 1405213, dura quinze jours, rapportant 56 francs 6 gros. Cependant, il ne faut pas négliger les dépenses qu’elle engendrait. La location des voitures pour amener les 203 ADCO, B. 1600, fol. 88. Il avait reçu 30 écus, on ne lui en compta que 20 en raison des six années où il éleva l’enfant, cela faisait 30 francs. Le père était apparemment un jeune prêtre. 204 ADCO, B. 1582, fol. 68. 205 Premier cas en 1411, ADCO, B 1564. Au total, on comptabilise soixante-quatre cas. 206 Quarante-six cas. 207 P. Gresser, La gruerie du comté de Bourgogne…op. cit. 208 Nous avons utilisé pour cela le compte de la gruerie de Jean Chousat du 1er mai 1404 au 30 avril 1405 (ADCO, B 1540), le compte du bailliage d’Amont du trésorier Pierre le Monniat du 1er novembre 1405 au 30 octobre 1405 (ADD, 1B101) et le compte de Simon Panez pour la seigneurie de Faucogney du 30 novembre 1405 à la Saint-André 1406 (ADCO, B 4686), les dates ne correspondent malheureusement pas. 209 Voir P. Gresser, Pêche et pisciculture dans les eaux princières en Franche-Comté aux xive et xve siècle, Turnhout, 2008. 210 Il s’agit de tronçon de rivière. 211 Seize livres pour l’année à Rochefort, 5 francs 3 gros à Faucogney. 212 C’est encore aujourd’hui une région richement dotée d’étangs, surnommée la région des mille étangs. 213 Effectuée en présence du lieutenant du gruyer et du lieutenant du receveur Henri le Clerc.

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filets : 6 gros ; l’achat de nourriture pour 4 francs 2 gros 11 engrognes214 ; la nourriture des deux lieutenants et leurs chevaux pour 4 francs 9 gros ; le travail de deux pêcheurs pendant quatorze jours : 3 francs 10 gros 8 engrognes215, un bateau neuf construit par un charpentier de Quers et « essoudié » à l’étang pour le garder : 1 franc. L’ensemble des dépenses s’élevait à 15 francs 4 gros 7 engrognes, soit un gain net de 41 francs 1 gros 5 engrognes. L’exploitation restait rentable tant que l’étang ne nécessitait pas de grosses réparations. Mais pour être complet, il faut aussi défalquer le coût du rempoissonnement de l’étang de Quers : achat d’alevins de carpes pour 18 francs, location de voiture avec conducteur pour les amener jusqu’à l’étang pour 7 francs 2 gros et enfin dépenses du lieutenant du gruyer qui accompagnait les charrettes216 pour un salaire de 2 francs 2 gros. Au bout du compte, le gain net se montait à 13 francs 9 gros 5 engrognes pour beaucoup de labeur. Le rendement apparait nettement moins intéressant. Aujourd’hui, nous dirions que des rendements aussi faibles justifiaient le peu d’alacrité à remettre les autres étangs en eau. Mais cette notion telle que nous l’entendons était relativement étrangère au Moyen Âge. Correspondant à un besoin alimentaire découlant des prescriptions religieuses, les étangs étaient indispensables et donc utilisés comme tels et non pas peutêtre dans un but réellement lucratif. Bien souvent, on attendait le dernier moment pour effectuer les améliorations ou les réparations. Quand la chaussée se rompit à l’étang de Sausse-les-Velesmes dans le bailliage d’Aval, il fallut transporter les poissons dans un autre étang jusqu’à ce qu’il soit possible de les vendre217. Malgré tout, l’étang le Comte dans la châtellenie de Gray pêché en carême 1405 fut d’un très bon rapport : 160 francs 7 gros 3 engrognes. Le poisson, vendu au détail, se composait de diverses sortes218.

Tableau 9 : Revenus issus de la pêche des étangs de Colonne en 1405. Date Poissons pêchés (pêche ou vente) Étang de Tonge 4 mars env. 12 carpes 17 mars 135 brochets adultes 145 carpes Étang du Vernoy semaine du 21 44 brochets adultes mars (vente) 43 petits brochets Étang du Gros 9 mars 134 carpes Genoux 6 petits brochets Étang au bailli 23 mars 536 carpes 1 petit brochet Étang de la Charme 26 mars « norrin » TOTAL 94 brochets 670 carpes

Prix de vente Remis en autre étang 32 fr. 10 gr. 3 engr. 25 fr. 9 gr. 10 engr. 20 fr. 5 gr. Remis en autre étang 79 fr. 1 gr. 1 engr.

214 Quinze douzaines de pains, du vin, épices, huile oignons et pois, plus des chandelles. 215 Cinq sous par jour nourriture incluse. 216 Cela a duré treize jours, il était payé 2 gros par jour. Sur toutes les méthodes de pêche et d’empoissonnement, P. Gresser, Pêche et pisciculture…op. cit., p. 193-206 et 210-212. 217 ADCO, B 1540, fol. 17. 218 Ibid., fol. 13-14. Carpes : 8 francs les 100, brèmes : 4 francs les 100, brochets dont le nom et le prix variaient en fonction de la croissance du poisson : le « lancier » désignait de petits brochets (12 francs les 100) et les grands « baichoz » des poissons adultes (7 gros pièce, pour avoir une équivalence, cela correspond à 58 francs 3 gros les 100, mais ces gros poissons étaient achetés à la pièce). Le menu poisson appelé « rosaille », avaient des prix variables sans mention de quantité (par exemple 6 blancs ou 4 gros).

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Dans le sud, la châtellenie de Colonne possédait le plus grand nombre d’étangs219. Les trois réellement pêchés y apparaissent bien peu rentables comparés aux deux étangs de Faucogney et de Gray au nord. Dans l’étang de Tonges, l’eau était trop haute et il pleuvait au moment favorable pour la pêche, elle fut donc repoussée, l’eau demeurant très haute malgré les manœuvres pour la vider. Le gruyer estimant que la vente ne serait pas importante décida de mettre les brochets en garde dans l’étang du Vernoy tandis que les carpes étaient menées à l’étang de Chezabois et l’étang au Goy. Le poisson vendu à l’étang du Vernoy se révèle donc en fait être celui de l’étang de Tonges. Cependant, l’étang du Vernoy abritait des carpes qu’il fallut mener dans l’étang de la Charme. Ces innombrables transports de poissons avaient évidemment un coût. Finalement, peu de poissons étaient pêchés malgré les nombreuses allées et venues. La gestion de ces étangs nous apparait un peu anarchique mais les contraintes pesant sur ces exploitations obligeaient le gruyer à prendre des décisions rapides, à défaut d’être efficaces. L’exploitation et la gestion de la forêt se révèlent des réalités encore plus difficiles à appréhender que celle des étangs. Le penage était la recette forestière la plus présente dans les comptes de gruerie. Le terme de glandée, longtemps utilisé, a entraîné une confusion mais dans le comté, il ne fut jamais employé pendant tout le bas Moyen Âge220. Le penage était le droit de nourrir les porcs dans les bois avec les fruits tombés des arbres, en échange d’une redevance221. À trois exceptions près222, toutes les châtellenies présentes dans les comptes de gruerie font mention du penage, bien que beaucoup se contentait d’en signaler l’absence. Dans certaines châtellenies, le registre reportait uniquement le penage223, ce qui n’empêchait pas les instances judiciaires d’y frapper des délinquants. L’exploitation de la forêt ne se limitait donc pas au penage puisqu’il y avait des « mesusants », il existait certainement des droits d’utilisations fixés et strictes, sans pourtant aucune mention de redevance liée à cette exploitation. Il s’agissait peut-être de bois communs ou communaux : propriétés du comte de Bourgogne concédés aux habitants des lieux qui en jouissaient à titre d’entretien224. Ces bois communaux se différenciaient des forêts banales, directement exploitées par le comte qui en vendait les fruits. La majorité des bois mis en penage s’amodiaient, d’où l’absence de détail des revenus. Les montants très divers empêchent de se faire une idée de l’importance du nombre de bêtes. À Poligny, 100 porcs apportaient un revenu de 3 livres soit 7 deniers un cinquième par porc, alors que dans le village voisin de Darbonnay225, quarante porcs donnaient 2 livres c’est-à-dire 1 sous par porc. Bien sûr, il s’agissait d’adjudications, vendues au plus offrant. À Arbois, le gruyer lui-même procédait à l’amodiation mais le plus souvent, il se contentait de contrôler la vente ultérieurement. À Darbonnay, les porcs se nourrissaient également de pommes et de poires226. Cependant, on ne connait

219 On en compte en tout dix-huit dont quatre « estanchots ». Pour une comparaison dans le long terme des étangs comtaux, P. Gresser, Pêche et pisciculture…op. cit., p. 151-185. 220 P. Gresser, La gruerie du comté de Bourgogne… op. cit., p. 200. 221 La glandée signifierait le ramassage de ces mêmes fruits pour nourrir les porcs à domicile. 222 Montbozon, Montjustin et Valempoulières. 223 Par exemple : Apremont, Montmirey, Montrond, Quingey, etc. 224 P. Gresser, La gruerie du comté de Bourgogne…op. cit., p. 196. 225 Dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Sellières. 226 Au sujet des habitants de Darbonnay, le terme amodié n’était pas employé mais il semblerait que les habitants aient décidé eux-mêmes de verser une somme forfaitaire car le clerc indiquait « pour doubte de payer l’amende de 12 deniers pièce ».

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pas les modalités de paiement utilisées par l’amodiataire pour se rembourser. Nous détenons plus de détails lorsque les receveurs n’affermaient pas les revenus.227228

Tableau 10 : Revenus des amodiations de penage dans le domaine comtal en 1405.229 Écus Port-sur-Saône Chaux

1 écu

Florins

Francs

£ est.

Renseignements

3 fl.

Vesoul

27 fr. 10 fl.1/2

Châtillon227

6 fr.

Faucogney228

un peu de fèves pommes sauvages

Poligny : bois de Vaivres Darbonnay

3£ 2£

Arbois

40 £

Rochefort

1 £ 10 s.

229

TOTAL

100 porcs 40 porcs (pommes, poires et paisson )

1 écu

13 fl.1/2

33 fr.

46 £ 10 s.

230231232233

Tableau 11 : Revenus des penages non amodiés du domaine comtal en 1405. Jussey

Melisey230

Gray

Fessey

Tarif/ Nb. Tarif/ Nb. Tarif/ Nb. Tarif/ Nb. porc porcs porc porcs porc porcs porc porcs Élevage231

2 d.

381

Achat

1 s.

17

Surranne

232

Non surranne TOTAL

4 £ 6 d.

6 d. 1 d.

132

1 ob.

14

11 s. 7 d.233

378 1 d. 9 £ 9 s.

138

11 s. 6 d.

Les troupeaux se révèlent parfois très importants. En 1404, à Citers, 492 bêtes avaient été mises au penage dans des bois qualifiés de communaux, à l’instar du val de Melisey. Le porc parait vraiment dominer comme animal d’élevage dans la seigneurie. Les montants apparaissent à nouveau très divers. Existaient des tarifs très bas, comme un demi denier par porc à Melisey, mais pouvant s’élever jusqu’à un sous à Jussey : un écart donc 227 228 229 230 231 232 233

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Trois bois amodiés aux prud’hommes de Voray. Trois bois, deux forêts. Deux bois. Ce sont les mêmes tarifs à Citers où il n’y eut pas eu de penage cette année. On trouve également les appellations porcs de « norrin » ou porcs d’« aluchage ». Porc de plus d’un an. Seul les trois quart reviennent au comte, cela correspond à 8 sous 8 deniers poite.

Les recettes variables  |  Chapitre 2

très large. La distinction entre un porc jeune et un porc plus âgé s’explique à priori par la différence de quantité de nourriture ingérée et des dégâts provoqués en forêt. La différenciation entre porcs d’élevage et porcs achetés semblait quant à elle motivée par des comportements jugés vraisemblablement déviants : certains exploitants achetaient des porcs uniquement dans le but de les engraisser au moment de la paisson pour les revendre immédiatement. Existait donc une sorte de taxe au profit rapide. Le cas de la châtellenie de Colonne se révèle en ce sens exemplaire. Les habitants avaient obtenu le droit de paisson dans les bois appartenant au comte « senz licence du gruier ou de son lieutenant et senz paier aucuns pesnage » pour les porcs d’élevage comme d’achat. Le troupeau pouvait pâturer à partir du premier octobre. Pourtant, si des porcs avaient été achetés entre la Saint-Jean-Baptiste (24 juin) et la Saint-Michel, veille du premier octobre, l’autorisation du gruyer et le paiement de 12 deniers par bête devenaient obligatoires, au risque sinon d’une confiscation et d’une amende234. Si l’on s’engageait à garder les porcs acquis entre les deux dates pour son usage propre, mais pas plus de trois, il devenait possible de les mettre en penage gratuitement. Si malgré cette promesse, les bêtes étaient vendues, la sanction prévue restait la même : confiscation et amende. On voulait donc bien éviter que des porcs soient achetés dans le seul but de les engraisser dans les forêts comtales pour les revendre immédiatement. Le problème consistait dans l’application de toutes ces conditions. Chaque année un inventaire des bêtes achetées entre le 24 juin et le 29 septembre était établi, le « porchier » chargé de garder le troupeau collaborant avec le gruyer pour cette vérification235. Personne ne versa de taxe en 1404-1405236, ni ne fut amendé d’ailleurs. Au total, les revenus issus de la taxation directe du penage étaient faibles, expliquant sans doute le recours important à l’amodiation. Le conduit, droit de passage des véhicules dans les bois du comte, donc sous sa protection, ne concernait pas toutes les châtellenies et existait uniquement dans le bailliage d’Aval. À l’exception de Colonne, tous les conduits apparaissaient concentrés autour de la forêt de Chaux. À Colonne le conduit concernait seulement les charrettes venues s’approvisionner en bois : mort-bois pour affouage, bois nécessaire au chauffage et à la confection des cercles, c’est-à-dire à la fabrication des tonneaux. Les autres conduits n’apportaient aucune précision. Ils n’étaient pas amodiés, permettant d’accéder à tous les détails des versements. Le montant total s’avère honorable sachant que cela concernait à peu près exclusivement la forêt de Chaux.

Tableau 12 : Revenus des conduits forestiers en 1405. Châtellenies Colonne Dole Loye et Santans Orchamps Gendrey Rochefort TOTAL

Montant du conduit 3 £ 3 s. 7 £ 12 d. 7 £ 12 d. 15 s. 1£ 10 £ 29 £

234 Trois livres par penage. 235 Cet octroi était dit « main levée des genz de comptes », qui avaient donc donné la presque gratuité du penage, le 4 juin 1400. 236 ADCO, B 1540, fol. 1-2.

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Le mort-bois, bois vif mais composé d’essences secondaires237, pouvait être prélevé par les habitants, comme à Santans où on qualifiait ce droit de penage du mort-bois. Il pouvait aussi être vendu, comme à Faucogney où le gruyer touchait une partie des ventes. Les bois de Faucogney furent vendus trois fois au cours du principat de Jean sans Peur238 : deux fois pour une durée d’un an239 et une fois à un seul homme pour une durée de quatre ans240. Cependant, plusieurs fois, personne ne voulut les affermer. La vente de bois n’apportait que des revenus très épisodiques et là, plus que dans un but de conservation, il semble que ce soit surtout dû au manque d’exploitants potentiels. Les revenus issus des bois de Colonne étaient les plus diversifiés : vente de l’écorce des chênes abattus servant au tannage des peaux, habitants de Foulenay versant de la cire pour leur usage des communaux de Colonne241, habitants de Monay devant 2 deniers par feu pour leur usage en deux bois voisins242. Les droits d’utilisation apparaissent très encadrés : les bénéficiaires hébergeaient un sergent venu surveiller leur usage avec son cheval, un valet de pied et un chien pendant une nuit et une matinée jusqu’au repas, logement et nourriture de tous à la charge des habitants. Comme les étangs, les bois apportaient un revenu irrégulier. Les diverses coutumes aboutissaient le plus fréquemment à des recettes médiocres, les amendes s’abattant sur les contrevenants se révèlent bien l’aspect le plus rentable. Beaucoup de châtellenies, en grande majorité localisées dans le bailliage d’Aval, ne comptabilisaient que les amendes de la justice des eaux et forêts pour seul revenu de gruerie. Dans le nord du domaine, ces recettes étant incluses dans les comptes ordinaires, seule la somme globale était reportée avec, tout au plus, la précision des dates des jours du gruyer. En revanche, dans le sud, on reportait toujours le montant de l’amende avec le nom du mésusant et parfois la description du délit. La seigneurie de Faucogney comptait plus d’assises que les châtellenies voisines en raison des nombreux villages la composant.

Tableau 13 : Les revenus de la justice de la gruerie dans le nord du comté de Bourgogne en 1405-1406. Châtellenies

Dates des jours

Montant des amendes

Châtillon

29 mai 1405

9 £ 17 s. 9 d.

Faucogney

2 juin

4 £ 9 s.

Vesoul

4 juin



Port-sur-Saône

5 juin

3 £ 15 s.

Jussey

6 juin

8 £ 3 s.

Faucogney

25 juin 11 février 1406

6 £ 16 s. 31 £ 12 s.

TOTAL

67 £ 12 s. 9 d.

237 P. Gresser, La gruerie du comté de Bourgogne… op. cit., p. 196-200. 238 Compte tenu des lacunes documentaires bien sûr. 239 ADCO, B 4686, fol. 30. En 1408, une partie des bois ont été amodiés à plusieurs personnes pour 9 francs. ADCO, B 4688, fol. 26-27. En 1411, amodié à un seul homme pour 7 francs. 240 ADCO, B 4694, fol. 29. En 1418, pour 12 francs par an. 241 Dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Chaumergy. À saint Michel, 1 livre par feu, il y a sept feux. 242 Dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Sellières.

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Le montant très élevé des amendes aux journées du 11 février 1406 fausse un peu le total, un événement spécial l’ayant certainement motivé mais il nous est inconnu. En effet, tous les autres montants sans exception apparaissent inférieurs à 10 livres. Les dates des assises étaient établies selon un parcours rationnel, opérant une sorte de boucle dans le nord de la région, permettant de ne pas perdre de temps en trajets inutiles. Elles furent toutes tenues par le gruyer excepté le 25 juin à Faucogney où son lieutenant, Henri le Clerc, se chargea de les présider. À Jussey et Port-sur-Saône, le gruyer en tant que juge comtal établissait le montant de l’amende à partir des rapports des méfaits rapportés par des forestiers. Comme aux assises de justice ordinaires, le délinquant devait être présent lors de la tenue des jours. Dans la châtellenie de Montbozon, les héritiers d’un dénommé Perrin de Fontenois, ancien sergent du lieu, prenaient leurs « droits anciens de sergenterie » dans les bois du village de Fontenois-lès-Montbozon. La fonction octroyée à Perrin sa vie durant rapportait des bénéfices selon une répartition relativement complexe : un vingtième des amendes de 60 sous243, un neuvième de celles de 3 sous244 et un vingtième sur toutes les amendes comprises entre 3 et 60 sous. Après son décès, ses héritiers continuèrent à percevoir ces droits alors même qu’ils ne détenaient plus la fonction245. En 1405, le gruyer s’aperçut que les habitants de Fontenois payaient exclusivement des amendes de 3 sous. Apparemment, le maire se chargeait désormais de fixer les amendes en fonction du délit246, les habitants du lieu justifiant ces faibles montants par l’usage. Le gruyer s’opposa à cette version, les droits de sergenterie des héritiers de Perrin étant d’ailleurs en opposition flagrante avec cette assertion. Une journée extraordinaire se tint donc à Montbozon le 31 mai 1405 où furent comptabilisées vingt-trois amendes entre 3 et 60 sous et deux amendes de 3 sous247. Le conflit résultait visiblement de la disparition de la fonction de sergent. Les choses se passaient de façon différente dans le sud. Au cours des deux grandes sessions d’assises, le gruyer visita à peu près toutes les châtellenies248. Il apparait que les amendes rapportaient plus en hiver qu’en été. Les mésusants pensaient-ils pouvoir agir plus impunément en cette période d’activité ralentie ? La somme totale dévoile une justice de gruerie relativement lucrative, pourtant les montants par châtellenie n’étaient jamais très élevés à l’exception de Poligny et Arbois. Ornans fait figure d’exception avec une absence de délits.

Tableau 14 : Les revenus de la justice de la gruerie dans le sud du comté de Bourgogne en 1405.249 Châtellenies

Assises de juin 1404

Assises de nov.-dec. TOTAL 1404

Colonne

4 £ 12 s.

10 £ 18 s.

15 £ 10 s.

Loye et Santans

15 s.

7 £ 9 s.

8 £ 4 s.

Dole

2 £ 3 s.

2 £ 15 s.

4 £ 18 s.

243 244 245 246

L’équivalent de 3 sous. L’équivalent de 4 deniers. Les gens de compte en ont pris acte en 1393. Reporté au compte 1405, ADD, 1B101, fol. 26. Était écrit qu’aux temps passés, les amendes des bois de Fontenois étaient comprises dans l’amodiation de la mairie de Fontenois. 247 Le droit du sergent s’élevait donc à 14 sous 11 deniers et celui du comte à 13 livres 16 sous 1 denier. 248 En novembre-décembre, les amendes de Valempoulièrs ont été ajoutées à celles d’Arbois. 249 Velesmes-Echevanne, dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Gray.

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Première partie  |  Le domaine comtal et ses recettes entre 1404 et 1419

Châtellenies

Assises de juin 1404

Assises de nov.-dec. TOTAL 1404 1 £ 15 s.

Orchamps

6 s.

Ornans

7 s.

Poligny

4 £ 5 s.

7 s.

Voiteur Gendrey

2 £ 1 s.

10 s.

24 £ 3 s.

28 £ 8 s.

1 £ 6 s.

1 £ 6 s.

7 £ 14 s.

8 £ 4 s.

Arbois

1 £ 10 s.

34 £ 3 s.

35 £ 13 s.

Fraisans

3 s.



2 £ 3 s.

Quingey

18 s.

2 £ 19 s.

3 £ 17 s.

Rochefort

4 £ 14 s.

12 £ 9 s.

17 £ 3 s.

Valempoulières

18 s.

18 s.

Montrond

3 £ 6 s.

1 £ 3 s.

4 £ 9 s.

Montmirey

3 £ 8 s.

5 £ 17 s.

9 £ 5 s.

Gray

2 £ 2 s.

7 £ 16 s.

9 £ 18 s.

10 s.

2 £ 15 s.

3 £ 5 s.

Apremont

1 £ 4 s.

3 £ 7 s.

4 £ 11 s.

TOTAL

31 £ 11 s.

128 £ 9 s.

160 £

Velesmes

249

Nombre d'amendes

Graphique 4 : Amendes de gruerie du bailliage d’Aval en 1405. 150 100 50 0

1à5

6 à 10

11 à 15

16 à 20

21 et plus

Montant des amendes en sous estevenants

Les amendes de faible valeur dominaient, les sanctions les plus nombreuses ne dépassant pas 5 sous250. Au-delà de 1 livre, les amendes se faisaient beaucoup plus rares. Il est difficile de définir les délits les plus fréquents ou les atteintes les plus extraordinaires aux eaux ou aux forêts, les clercs précisant rarement les raisons de l’amende : sur 268 amendes comptabilisées en 1405 dans le bailliage d’Aval, seules soixante-dix expliquaient les causes de la sanction. Les amendes de 3 sous provenaient le plus souvent de défauts, donc d’absences aux assises du gruyer251. Quant à l’amende la plus élevée, 27 livres, il s’agissait de deux anciens forestiers de la forêt d’Arbois qui avaient vendu du bois mort en 250 À l’intérieur de celles-ci, les amendes de 3 sous étaient les plus importantes. Sur l’ensemble des amendes : 268, elles représentaient 30%. 251 Douze cas cités, tous à 3 sous.

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Les recettes variables  |  Chapitre 2

retirant un profit de 30 francs sans le notifier au gruyer ni à son lieutenant252. Le nombre d’amendes liées à la pêche était ridicule : un individu fut sanctionné pour avoir pêché dans la rivière de Quingey253 et un autre avait vendu des brochets malgré l’interdiction254. Les sanctions liées à la chasse étaient tout aussi rares mais les amendes un peu plus élevées. Par exemple, à Colonne, quatre personnes qui chassaient et tendaient des cordes sans autorisation durent verser 1 livre. Les prélèvements de bois représentaient les délits les plus fréquents. Existaient trois catégories : la ou les personnes prises en flagrant délit de couper des arbres entiers255, le prélèvement de bois sous diverses formes256 ou enfin l’interception de personnes transportant l’objet du délit, en général sur leur charrette257 mais dans ce cas, le doute subsistait de savoir si elles l’avaient coupé elle-même. Les délits étaient finalement peu diversifiés, expliquant sans doute que n’ai pas été jugé utile leur description systématique contrairement aux exploits ordinaires de bailliage. Il ne semble pas non plus y avoir des délits plus amendables que d’autres, dans un souci de protection d’une essence par exemple. Enfin, il apparaît clairement que l’eau était peu menacée par les délinquants contrairement aux bois. La gruerie apparait réellement comme un poste à part dans le domaine comtal, pouvant rapporter des sommes intéressantes surtout par l’intermédiaire des actes judiciaires. Mais elle pouvait également coûter cher lorsqu’il s’agissait de réparer ou de pêcher un étang. Il ne semble pas cependant, y avoir eu de réelle volonté de séparer nettement la comptabilité des eaux et forêts des autres revenus fonciers, maints revenus de cet ordre restant dans la comptabilité ordinaire. B. Les recettes du sel À l’instar de la gruerie, la saunerie faisait partie des revenus particuliers du domaine comtal, mais cette dernière se révèle extrêmement plus rentable. Ce produit jouait un rôle capital dans la vie quotidienne, on peut avancer une consommation de six à huit kilo par an et par personne258. Le sel servait pour la consommation courante, la conservation des aliments et était aussi utilisé dans l’artisanat259. Les comptes de la saunerie de Salins, établis par les trésoriers du comte de Bourgogne, nous sont parvenus en très mauvais état de conservation. Une partie est incomplète260. Les registres se composaient de deux ensembles distincts : l’ordinaire et le communal. Le premier comprenait l’ensemble des revenus retirés de la Grande Saunerie par le comte en tant que « parsonnier » et du Puits à Muire en tant que rentier. Étaient également comptabilisées 252 Cette amende très élevée explique aussi le montant élevé des revenus de justice à Arbois pour l’année. 253 Dans la Loue, 5 sous d’amende. 254 À Apremont : 60 sous d’amende. En fait le délinquant avait fait défaut, l’amende d’origine était de 3 sous. L’étude de Pierre Gresser sur le sujet montre bien la faiblesse des délits liés à l’eau. P. Gresser, « Les délits commis dans les rivières comtales en Franche-Comté aux xive et xve siècles », in Fleuves, rivières et canaux dans l’Europe occidentale et médiane. Actes du colloque de Strasbourg, 1er et 2 décembre 1995, p. 131 à 145. 255 Vingt et un cas, essentiellement des chênes : quatorze cas, beaucoup plus rarement des hêtres : deux cas, ou des poiriers et des pommiers : un cas. Était parfois simplement indiqué que les personnes coupaient du bois : quatre fois. À Colonne, six chênes tranchés valurent 5 sous d’amende alors qu’à Poligny un seul valait 12 sous et 20 sous pour le « débranchement ». Les amendes paraissent plus établies en fonction des lieux que des délits et n’étaient pas non plus liées aux essences, couper poiriers et pommiers ne valait que 5 sous d’amende. 256 Planches, « paisseaulx », branches ou encore « chevisses ». 257 Amendes les plus nombreuses. 258 R. Locatelli, « Du nouveau sur les salines comtoises… » art. cit. 259 Traitement des cuirs et peaux, trempe des métaux. 260 Même si la liste est longue : ADCO, B 5959, 5960, 5962, 5964, 5965, 5966, 5967, 5968, 5969, 5970, 5971, 5972.

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diverses rentes, comme par exemple celle obtenue à la suite de la fermeture de Grozon. Le communal correspondait à l’ensemble indivis de la Grande Saunerie, grevé d’une multitude de rentes. Les premiers comptes utilisables sont uniquement ceux de l’ordinaire jusqu’à Noël 1410261. L’année courant de Noël 1410 à Noël 1411 est la première pour laquelle les deux comptes complets, communal et ordinaire, sont disponibles. Le communal étant constitué de rentes fixes, seuls les comptes de l’ordinaire variaient en fonction de la quantité de sel produite. Les rentrées étaient majoritairement en argent mais on comptait aussi du sel262, voire des bouillons. Le revenu issu de la berne de Rosières échappa à l’ordinaire jusqu’en 1404, un receveur particulier se chargeant de son recouvrement263. Mais en 1411, il était reporté dans les comptes de l’ordinaire. À partir de 1414, il n’y avait plus aucune distinction avec la berne de Rosières et le reste des ventes de sel de la Grande Saunerie264. Le premier compte de l’ordinaire utilisé appartient à la période de Philippe le Hardi. Correspondant à l’année 1403, il a été synthétisé dans un tableau par Mme Nieuwenhuysen265. Le « gros de la table » comprenait la totalité de l’argent perçu lors de la vente de sel, les Clercs des rôles se chargeant ensuite de la répartition entre les « parsonniers ». Dans les comptes de l’ordinaire du domaine comtal, la totalité du « gros de la table » était reporté. Comptabilisé par semaine, avec cinquante-deux semaines pour une année266, il arriva maintes fois qu’aucune vente ne soit effectuée pendant une semaine, voire plusieurs d’affilée.267268269270

Tableau 15 : Gros de la table de la Grande Saunerie (1404-1419). 1403 1408267 1409268 1410 1411 1412 1413 1414 1415 1416269 1418270 1419

Nombre de semaines sans vente Total du gros de la table 42 1 993 £  6 12 935 £ ? 7 675 £ ? 12 636 £ 20 10 752 £ 17 16 641 £  7 20 319 £  1 23 986 £ 11 25 017 £ 10 13 469 £  4 33 317 £  0 25 488 £

261 ADCO, B 5959, antérieur à la période : 1402-1403, mais premier compte à nous fournir l’ordinaire. B 5960, 1406-1407, ordinaire incomplet, communal inutilisable. B 5962, 1407-1410, comptes inutilisables. 262 En charge de sel, 1 charge = 4 benates = 48 salignons. 263 A. van Nieuwenhuysen, Les finances du duc de Bourgogne…op. cit., p. 258-259. Guillaume Merceret à la mort de Philippe le Hardi. 264 Les clercs indiquaient qu’il y avait eu réunion avec le gros de la table. 265 A. van Nieuwenhuysen, Les finances du duc de Bourgogne… op. cit., p. 256. 266 Sauf si le compte n’était pas établi sur un an. 267 Ce sont les premiers feuillets du compte ADCO, B 5964 qui reportent le gros de la table de 1408. 268 Ces données et celles de 1410 proviennent des comptes du partage d’Auxerre, ADCO, B 5963. 269 Compte courant seulement de Noël 1415 à septembre 1416. 270 Données provenant du partage d’Auxerre cédé au comte de Charolais, ADCO, B 5971.

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Les recettes variables  |  Chapitre 2

Les revenus de la table apparaissent très variables, influençant les recettes qu’en retirait le comte de Bourgogne. Le nombre de semaines sans vente allaient en diminuant et inversement les revenus augmentaient, signe d’embellie commerciale ou volonté d’accroitre la production ? La part du « gros de la table » revenant au comte de Bourgogne se montait normalement au tiers, mais en 1403, Philippe le Hardi détenant la part de Jean de Chalon, son partage se montait alors à la moitié des recettes271. En 1411, la part comtale était à nouveau du tiers du « gros de la table »272. Les revenus du « gros de la table » étaient les plus importants. Deux prélèvements supplémentaires y ont été additionnés : les « menus cens » et les « coustumes des chauderettes », redevances dues par des bénéficiaires de rentes constituées sur la Grande Saunerie273.

Tableau 16 : Les revenus de l’ordinaire de Salins pour le comte de Bourgogne en 1411. Revenus en partage : le tiers du comte Le « gros de la table »

3 604 £ 9 s. 10 d.

Revenus de la Chauderette

2 134 £ 15 s. 3 d.

Rentes

1 545 £ 6 s. 8 d.

Rentes achetées ou confisquées

482 £ 10 s.

Conduite

2 £ 3 d.

Revenus de justice

7 £ 3 s. 9 d. ob.

Cens

3 s.

Autres revenus TOTAL

Revenus détenus en totalité par le comte

512 £ 8 s. 6 d. 90 £

5 751 £ 18 s. 9 d. ob.

2 626 £ 18 s. 6 d.

Les revenus du Puits à Muire n’apparaissaient pas dans les comptes de Huguenin Passart, receveur du comte de Bourgogne, car amodiés274 à un dénommé Guion de Montagu, pourtant, durant toute la période, aucun montant ne fut jamais reporté. Les « parsonniers » de la Grande Saunerie y possédaient un sixième de la « Demaine » et vingt seilles de muire275. Une fois le partage en trois effectué, cela représentait pour chacun quatre quartiers six seilles deux tiers276. L’amodiation à Guion de Montagu, vraisemblable Moutier exploitant la muire des rentiers, n’explique pas l’absence totale de revenus. 271 Il devait cependant verser les rentes qui étaient assises sur la part de Jean de Chalon, d’ailleurs en 1403, le receveur n’avait rien payé, les termes n’étaient pas échus au cours du compte qui avait pourtant bien été établi sur un an et sous le prétexte aussi qu’il n’y avait pas d’argent, ADCO, B 5959, fol 7. 272 Nous reviendrons plus loin sur la restitution et ses motivations. Elle varia encore par la suite en raison d’une autre confiscation. La moitié des revenus de la Grande Saunerie se trouvait à nouveau aux mains du comte en 1419, nous y revenons aussi plus loin. 273 M. Prinet, « L’industrie du sel en Franche-Comté… » art. cit. La première était établie en fonction de la production de sel (En 1411 : 18 livres 17 sous 4 deniers.), alors que la deuxième était fixe (4 livres 17 sous 6 deniers, pour le tiers du comte cela donne : 1 livre 12 sous 6 deniers). 274 En 1403, ils étaient en « gouvernement » aux mains des Clercs de rôles. 275 Une seille = 1/30 de quartier. 276 La « Demaine » représentait donc soixante-douze quartiers. Selon Henri Dubois, cela correspond à l’organisation primitive du Bourg-Dessous : soixante-douze quartiers au seigneur, soixante-douze à l’Église et 144 quartiers aux tenanciers laïques, mais les comtes de Bourgogne n’avaient pas conservé la totalité. H. Dubois, « Du xiiie aux portes de la modernité… » art. cit.

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Les recettes issues de la Chauderette étaient comptabilisées par le receveur de l’ordinaire du comte, la part comtale représentant un montant relativement élevé. Pourtant la production de la Chauderette se révèle loin d’être comparable à celle de la Grande Saunerie dont elle n’était finalement qu’une sorte de succursale, il arrivait même que les officiers n’approvisionnent pas la berne de Rosières en muire s’ils le jugeaient nécessaire277. Ont été réunis d’autres prélèvements propres à cette unité de production. Le Clerc du puits de la Grande Saunerie faisait payer une redevance aux gouverneurs de la Chauderette pour la muire qui leur était livrée : 6 sous 3 deniers par semaine sur la base de cinquante-deux semaines par an, plus 12 deniers par bouillon boichet et 20 deniers par bouillon volage278. En effet, la berne de Rosières ne s’approvisionnait pas uniquement en matière première brute à la Grande Saunerie, mais aussi en muire en partie transformée. La taxation en amont de la production se complétait d’un prélèvement en aval, fourni cette fois par le receveur de Rosières : tous les marchands achetant du sel aux Chauderettes devaient verser 2 deniers par charge. Ils payaient un denier en plus du prix établi par les officiers de la saunerie, de façon apparemment arbitraire279 et un autre denier destiné au benatier chargé de réaliser les benates de leur sel280 et de comptabiliser leur achat. Guillaume Bauleret, institué en 1401 par Philippe le Hardi, resta à ce poste tout au long de la période. La somme du denier par charge versé par les marchands était divisée entre les « parsonniers », 6 livres étant prélevées sur la part du comte de Bourgogne pour le salaire du benatier281. Au total, pour l’année 1411, les revenus complets issus de la Chauderette, plus faibles que ceux du « gros de la table », se révèlent malgré tout très élevés. Lorsque l’achat de sel s’effectuait au détail à la porte « Odin », on le dénommait sel de Porte. Conditionné en salignons, ce système entraînait un nouveau prélèvement. Le clerc chargé de la vente prélevait une « pugoise » par pain de sel : l’équivalent de 12 deniers par charge. Cette taxe n’apparut dans les comptes qu’en 1403 où on réclama les sommes obtenues aux clercs chargés du prélèvement282. À partir de 1411, même si la porte « Odin » apparaissait toujours dans les comptes aucune recette ne fut plus jamais reportée. Établie peu après 1376, la gabelle de 4 deniers par charge était due pour tout achat de sel. Elle servait à financer les reconstructions, si possible en pierre, des bâtiments de la saunerie fréquemment détruits par le feu. Mais très vite, le produit de cette gabelle fut tout bonnement partagé entre les « parsonniers ». Le fait est attesté en 1403283 mais en 1411 la gabelle avait retrouvé sa fonction d’origine. Jean sans Peur avait ordonné en 1409 que la taxe soit « convertie es ouvrages de maconneries et autres reparacions » pendant douze ans, ordonnance proclamée suite à un puissant incendie ayant détruit plusieurs bernes. La recette de la gabelle fut extraite des comptes de l’ordinaire et confiée à un receveur qui, nommé par le comte, percevait un salaire de 24 livres par an284.

277 A. Hammerer, Sur les chemins du sel…op. cit., p. 12. 278 En 1411, le tiers représente 11 livres plus soixante-six bouillons volages et 225 bouillons boichets. 279 Était-ce pour limiter la concurrence des Chauderettes pour la Grande Saunerie ? Cependant, une bonne partie des recettes revenait aux « parsonniers ». 280 Il s’agissait des paniers. 281 En 1411, 20 100 charges de sel furent vendues, 1 denier par charge font 83 livres 15 sous, pour le tiers du comte : 27 livres 18 sous 4 deniers. Pour l’autre denier, il faut soustraire les 6 livres du benatier prélevées entièrement sur le tiers du comte : 21 livres 18 sous 4 deniers. 282 Un nommé Jean Mathey, parti en 1387 sans laisser aucun bien, il devait 76 livres 14 sous 2 deniers deux tiers et Jean d’Orgelet, mort avant même 1387, devait 75 livres 8 sous 11 deniers deux tiers. Ces montants sont indiqués dans les recettes foraines de 1403 sans que l’argent soit récupéré. 283 Six cent neuf livres 14 sous 2 deniers obole au total. 284 En 1411, il s’agit de Jean Vincent, demeurant à Salins. La décision prise par le comte de Bourgogne découlait aussi « par l’advis du pardessus et autres conseillers, genz et officiers d’icelle saulnerie ».

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Les recettes variables  |  Chapitre 2

Le comte percevait également quelques rentes. La plus importante, d’un montant de 1 000 livres, provenait du communal car : « li conte de Bourgoingne doivent prendre chascun an davantage »285. Une deuxième rente de 600 livres représentait le dédommagement octroyé pour la fermeture de la saline de Grozon : 300 livres provenant du communal de la Grande Saunerie, 200 livres du Puits à Muire et 100 livres de la Chauderette de Rosières. Mais le chapitre de l’église Notre-Dame d’Arbois avait échangé avec le comte les villages de Montigny-lès-Arsures et Vauxelle contre une rente à Salins286. D’un montant de 90 livres, elle était prélevée sur les 200 livres de rente issus du Puits à Muire. La rente totale du comte de Bourgogne ne s’élevait donc plus qu’à 510 livres. Deux autres rentes étaient d’un faible montant, l’une se révélant très complexe, faisant apparaître les imbrications des divers prélèvements effectués sur la saunerie. Le seigneur de Montfaucon prenait 100 livres sur la rente du comte de Bar. Sur ces 100 livres, 22 livres échouèrent par héritage dans le douaire de Mme d’Artois qui en fit don à Anceau de Salins287. Le receveur du comte de Bourgogne prélevait les 22 livres sur la rente du seigneur de Montfaucon pour les verser ensuite au bénéficiaire du don, expliquant pourquoi cette somme figurait en recette pour être reprise intégralement en dépense. L’achat de rente faisait d’ailleurs partie de la politique de réappropriation des salines. Par exemple, une rente fut rachetée en 1402, faussant un peu le bilan de 1411 : trois termes de son montant de 30 livres avaient été comptabilisés parce que le trésorier avait omis de les reporter dans ses comptes précédents288. Différentes « strates » se formèrent ainsi au fil des années et des aliénations. La confiscation s’avère un autre moyen de récupérer des rentes, les recettes ordinaires comptant cependant peu d’exemples. La mainmise pouvait résulter d’une vente sans permission comtale : le chevalier Richard de Mailley, sans demander l’autorisation au comte, avait vendu sa rente de 25 livres annuelle à l’archevêque de Besançon, à prendre sur le communal289. En 1411, deux autres confiscations étaient apparues dans les comptes, cette fois pour défaut de titre290. La vente de ce sel confisqué donna 148 livres 8 sous pour la première rente et 34 livres 10 sous pour la seconde. En général, ces revenus ne duraient pas car une fois les droits rétablis, les titres retrouvés, le profit de la rente retournait à ses premiers bénéficiaires291. Deux conduites se rattachaient aux recettes de la Grande Saunerie dont le profit se répartissait entre les « parsonniers » : les passages à Villers-sous-Chalamont292 et à Pontarlier. Les montants issus de ces conduites, très faibles293 laissent supposer qu’il s’agissait d’un prélèvement réservé aux voituriers transportant du sel. Les revenus issus de la justice étaient divers. Les amendes résultant des délits perpétrés dans la saunerie se répartissaient entre tous les « parsonniers » mais ne fournissaient pas des recettes importantes294. À l’extérieur de la saunerie, des forestiers effectuaient des confiscations sur les transports de sel en chemins défendus. La revente du sel confisqué 285 Cette rente était rendue en recette par une ordonnance des gens de comptes datant de 1386. Avait-elle été instaurée par Philippe le Hardi pour marquer sa souveraineté sur la saunerie ? 286 Vauxelle, hameau situé à proximité de Montigny-lès-Arsures. Le chevalier Humbert de la Platière leur en avait fait don alors que lui-même les avait obtenus des libéralités de la comtesse d’Artois, nous l’avons évoqué plus haut. 287 C’est aussi une donation dont nous avons déjà parlé dans la présentation du bailliage d’Aval. 288 1407-1408-1409, il y a donc un excèdent de 90 livres dans le montant de 482 livres 10 sous qui est reporté dans le tableau. 289 Cette mainmise est déjà effectuée en 1403. 290 Rentes perçues en bouillons. 291 Dès l’année suivante, en 1412, (ADCO, B 5965), ces deux rentes ont disparu. 292 Dép. Doubs, arr. Pontarlier, cant. Levier. 293 En détail, 4 livres 4 sous 9 deniers pour Villers et 1 livre 16 sous pour Pontarlier. 294 Dix livres 6 sous.

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bénéficiait à tous les « parsonniers » et fournissait des recettes peu élevées295 tandis que la vente des chevaux saisis revenait entièrement au comte de Bourgogne « par vertu de certaines ordonnances et edit fait par auctorité du parlement de Dole ». Chevaux, chars et harnais, trouvés menant du sel par les chemins défendus et outrepassant les ordonnances de la saunerie étaient entièrement acquis au comte. En 1411, six chevaux vendus aux enchères à la porte de la saunerie rapportèrent plus que le sel confisqué296. En 1411, une unique condamnation judiciaire s’éleva à 500 livres, expliquant le montant élevé des recettes de justice comtale cette année-là : un ancien Clerc ventier et un coupeur des bois banaux avaient escroqué le comte, lui volant 400 livres. Il leur accorda sa grâce à condition qu’ils restituent les 400 livres dérobées sur l’argent du bois. Le bailli d’Aval et le Pardessus les condamnèrent en outre à 100 livres d’amende. De tels montants s’avéraient réellement exceptionnels. Le revenu du cens portait sur une maison de Salins appartenant aux « parsonniers ». La rubrique « autres revenus » se composait quant à elle de 50 livres prélevées sur les recettes de Châtelbelin297. Les 40 livres restantes étaient reportées chaque année : le trésorier de la saunerie officiant pour le comte de Bourgogne prélevait 100 livres par an sur le communal pour ses gages, mais comme ils avaient été établis à 60 livres, il reversait 40 livres dans les recettes de l’ordinaire298. Les revenus issus de la saunerie se révèlent très élevés. Pourtant, en se reportant au tableau donnant le montant total du « gros de la Table », on s’aperçoit que l’année 1411 produisit une des plus faibles sommes, ce qui permet d’imaginer des profits nettement supérieurs pour les années suivantes. Le Communal correspondait aux prélèvements de rentes effectués sur la part en indivision de la Grande Saunerie, perçue avant la répartition des profits entre les « parsonniers »299. En 1393, Philippe le Hardi instaura « le grant empeschement » : chaque bénéficiaire devait justifier la possession de sa rente. Le comte de Bourgogne avait été averti que certains rentiers de Salins percevaient des rentes bien que leur nom ne soit pas inscrit dans les registres300. En attendant la présentation des titres, les revenus étaient placés sous la mainmise comtale. Quant aux rentes perçues sans titres, elles restaient au domaine. Une ordonnance de Philippe le Hardi datée de juin 1395 confirmait ces dispositions301. Dans le compte du communal de 1411, de nombreuses confiscations étaient toujours présentes, la majeure partie d’entre elles étant d’ailleurs toujours là en 1419302. La rente primitive se trouvait le plus souvent grevée de plusieurs rentes qui pouvaient elles-mêmes avoir été subdivisées entre différents héritiers. Plus la rente était importante, plus le nombre de sousrentiers qui en profitait était élevé. Les clercs se trouvaient contraints d’indiquer tous les bénéficiaires afin d’obtenir de chacun la confirmation de leurs droits. Prenons en exemple la rente du comte de Bar, la plus élevée : 800 livres. Plus d’une vingtaine de sous-rentiers y prélevaient des sommes allant de 5 à 100 livres. L’un d’eux, le seigneur de Montfaucon, détenant 100 livres, les avait aussi grevées : sept personnes y prélevaient des rentes de 10 ou 15 livres. Il fallait retrouver le cheminement des donations afin de déterminer qui devait 295 Onze livres 5 sous 4 deniers obole. 296 Les prix des chevaux allaient de 15 à 45 sous, ce qui est faible, il ne s’agissait pas de très bons chevaux, plusieurs sont qualifiés de méchants chevaux, il y a même une jument aveugle. 297 Aux mains du comte depuis la confiscation des biens du comte de Tonnerre, il en avait fait don à son fils. 298 N’oublions pas que le trésorier touchait aussi 25 livres tournois prises en dépense sur le communal. 299 Nous ne savons d’ailleurs pas qui avait octroyé ces rentes, elles semblaient cependant être tombées sous le pouvoir de la souveraineté comtale. 300 M. Béchet, Histoire de Salins-Les-Bains, Paris, 1990, (1ère éd. 1826), t. 2, p. 32-33. 301 Ibid. 302 Les variations sont faibles jusqu’en 1418, dernière année du principat de Jean sans Peur où nous possédons les comptes du communal.

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Les recettes variables  |  Chapitre 2

produire quel titre attestant de la possession. Cependant, premier cas, il pouvait s’agir d’une donation en fief, le bénéficiaire devant alors posséder son titre de donation et en plus, avoir rendu le serment de foi et hommage au comte de Bourgogne, ainsi que le dénombrement de son bien, à l’égal d’un fief foncier. Tous les serments se rendaient dans les mains du comte de Bourgogne, prérogative due à sa souveraineté sur la Grande Saunerie. Mais, deuxième cas, le vocable de rente signifiait également un versement régulier résultant d’un achat, le bénéficiaire devant, dans ce cas, fournir en plus du titre de vente, la lettre d’autorisation du comte ou de la comtesse à la tête de la principauté au moment de l’achat ainsi que la preuve du paiement de « l’admortissement »303. À partir de là, chaque étage de la rente devait présenter son justificatif. Une fois tous les éléments fournis, les clercs mettaient la rente « a delivre » : le bénéficiaire en avait à nouveau la libre jouissance. Il arrivait fréquemment qu’à l’intérieur d’une rente primitive, certains sous-rentiers jouissent de leurs biens tandis que d’autres subissaient toujours la mainmise comtale. Le long cheminement de la récupération représentait une véritable procédure judiciaire. Prenons l’exemple d’un bénéficiaire de rente dont tous les titres avaient été produits lors des assises du bailliage à Quingey304, l’ancien trésorier de la saunerie, Perrin de Laule, ainsi qu’un ancien clerc des rôles témoignant en sa faveur. Un compte rendu fut envoyé aux gens des comptes à Dijon qui consultèrent le chancelier et les conseillers de Jean sans Peur et se renseignèrent dans les comptes des rentes communales de la saunerie. Une fois la décision enfin prise de rendre la rente, les gens des comptes établirent une lettre de « mise a delivre » permettant au bénéficiaire de récupérer son dû. La lettre pouvait également émaner du comte voire de la comtesse mais il fallait alors une autre missive de la Chambre des comptes donnant l’ordre de l’appliquer. En dehors de la pleine récupération de la rente ou de son maintien dans la mainmise comtale existait une autre possibilité305 : le « joyssement a terme ». Les frères mineurs de Lons-le-Saunier prenaient 25 livres sur les 100 livres de la rente de Jean de Ray. Lui-même les prélevait sur la rente du comte de Bar déjà citée. Les religieux avaient obtenu des « lettres de joyssement » des gens de compte avec une échéance et à son expiration, ils réclamèrent une prolongation. L’étude des pièces révéla que Jean de Ray avait acheté sa rente au comte de Bar sans verser l’amortissement suffisant. Malgré cela, les conseillers du duc de Bourgogne décidèrent de laisser la jouissance de leur rente aux religieux.

Tableau 17 : Rentes en argent sur le communal de Salins. Rentiers primitifs

Montant de la rente

Nombre de Montant de la sous division confiscation du de la rente306 comte307

Huguenin de Champvans Jean de Chenecey

20 £

2

Seigneur de Montfaucon

300 £

20 £ 300 £

303 C’était exactement le même principe que pour un achat de terre. 304 ADCO, B 5964, fol. 13. Cela dépendait vraisemblablement du lieu où demeurait le bénéficiaire de la rente, notre exemple repose sur le cas du chapelain d’une chapelle fondée en l’église Saint-Jean de Salins qui voulait récupérer sa rente. 305 ADCO, B 5964, fol. 14-15. 306 Ce peut être des divisions issues d’aliénations (dons ou ventes) ou simplement de divisions dues aux partages d’héritages. 307 Certains sous rentiers ont parfois récupéré leur rente, ce qui explique la différence de montant.

103

Première partie  |  Le domaine comtal et ses recettes entre 1404 et 1419

Rentiers primitifs

Montant de la rente

Nombre de Montant de la sous division confiscation du de la rente comte

200 £ Richard de Montbéliard Héritiers de Jean de Bellevevre308

8

112 £ 6 s. 8 d.

Comte de Montbéliard

50 £

2

20 £309

Seigneur d’Oiselay

150 £

4

98 £

Comte de Bar

800 £

23310

388 £

Héritiers de Guillaume d’Arguel

60 £

4

20 £311

Seigneur de Montfaucon

15 £

2

5 £312

Comte de Montbéliard

200 £

2

50 £313

Comte de Montbéliard

150 £

4

96 £

TOTAL

1 945 £

308309310311312313314

1 109 £ 6 s. 8 d.314

Après tous ces démêlés pour prouver sa bonne foi, la rente pouvait ne pas être délivrée au bénéficiaire car il n’avait pas prêté son hommage dans le temps imparti. Malgré tout, elle était parfois donnée « de grace especial » de Jean sans Peur ou Marguerite sous condition de prêter le serment dès la prochaine venue du comte en son comté315. Toujours aux mains du comte de Bourgogne dix-huit ans après « le grant empeschement », on trouvait des rentes en argent et des rentes en nature. La majorité des rentes payées en sel étaient reportées en livres estevenantes, mais dans le décompte final, ces sommes en argent n’étaient pas additionnées avec les rentes versées en argent : la précision du paiement en sel était toujours reportée. Le nom de Richard de Montbéliard apparait parfois alors qu’ailleurs on ne mentionnait que son titre de comte de Montbéliard. La même remarque peut être faite pour le seigneur de Montfaucon, la seigneurie ayant été réunie au comté de Montbéliard en 1332316. La précision de la titulature du bénéficiaire signifiait une rente attribuée antérieurement. En 1411, le comte de Montbéliard détenait six des rentes en argent317. La somme récupérée par le biais de la confiscation sur ces rentes en argent apparait élevée et lorsque la mainmise s’avérait définitive, la rente disparaissait des comptes du communal pour intégrer les comptes de l’ordinaire.

308 Richard, comte de Montbéliard de 1195 à 1237 309 Les 30 livres manquantes avaient été rachetées par le comte de Bourgogne et intégrées à l’ordinaire. 310 Nous n’avons indiqué que le nombre de la première sous-division, nous avons évoqué dans le texte qu’il y avait encore une autre « strate » de division. 311 Vingt autres livres vendues sans autorisation avaient été confisquées et intégrées à l’ordinaire. 312 Plus 5 livres de la même aliénation que la note précédente, intégrées à l’ordinaire. 313 L’acquisition par le comte de Bourgogne des 150 livres manquants était rendue dans l’ordinaire. 314 Le trésorier trouve 1 099 livres 6 sous 8 deniers. 315 Jean sans Peur était venu à Gray en mai 1409 « pour recevoir les foy et hommaiges de ses vassaulx de ce qu’ilz tiennent de lui à cause de son conté de Bourgoingne ». 316 P. Pégeot, Vers la Réforme  : un chemin composé et séparé…op. cit., volume annexe p. 3, tableau généalogique. 317 À l’époque qui nous préoccupe, Henriette, comtesse de Montbéliard, s’était mariée à Éberhard IV, le comte de Wurtenberg, devenu comte de Montbéliard.

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Les recettes variables  |  Chapitre 2

Tableau 18 : Rentes en nature sur le communal de Salins. Nombre Montant en £ est. Montant en Montant en de rentes payable en sel charge de sel bouillons  5 43  2

66 charges 507 £ 16 s. 4 bouillons 11/15

Les rentes en nature correspondaient vraisemblablement à des donations plus anciennes car, dès le xiiie siècle, la tendance évolua vers des rentes en argent. Pourtant, on constate une forte présence de rentes en nature dans le communal, principalement payables en sel, les clercs ayant tendance à n’indiquer que les derniers bénéficiaires, rarement plus de deux. Les rentes, d’un montant maximum de 40 livres318, étaient principalement détenues en fief, ecclésiastiques ou établissements religieux se révélant les principaux bénéficiaires319. Peu de rentes de faible montant furent « mise a delivre », leur ancienneté et la division entre héritiers expliquant peut-être la difficulté à prouver sa bonne foi. Une partie des rentes en deniers payables en sel n’apparaît pas dans le tableau320, le Conseil et la Chambre des comptes ayant décidé que les bénéficiaires jouiraient encore de leur rente cette année-là. Correspondant à l’application du principe de jouissance à terme vu plus haut, la rente était versée « jusque ad ce que l’en y eust plus grant advis »321. Toutes les confiscations profitaient uniquement au comte, malgré leur assise sur le communal les « parsonniers » n’en retiraient aucun bénéfice, Jean sans Peur étant le seigneur suzerain de la Grande Saunerie. Le « grant empeschement » correspondait à une volonté de mainmise croissante sur les revenus de l’entreprise entamée par Philippe le Hardi qui fut poursuivie par son fils322. La grande saunerie constituait pour Jean sans Peur les revenus les plus importants du comté qui contribuèrent donc en partie à financer ses besoins d’argent. Mais posséder une entreprise de production de sel représentait également un signe de puissance, la région ne dépendant ainsi d’aucun producteur extérieur pour obtenir cette précieuse denrée. Comme son prédécesseur et son successeur, Jean sans Peur mena une politique assez offensive en direction de la saunerie, visant à y accroitre sa mainmise323. C. Les péages Les péages étaient intégrés aux comptes de châtellenies : par exemple celui situé aux marges de la seigneurie de Faucogney, le péage du Thillot, connu seulement par un report de somme sans aucune explication324. Les autres péages comportaient plus de détails, à commencer par le principal parmi eux : le péage d’Augerans. Relativement

318 319 320 321

Ensemble les rentes de 10 et 5 livres représentent 56% du nombre des rentes payables en sel. Par exemple le chapitre de Besançon, les cordeliers de Lons-le-Saunier ou encore l’abbaye d’Acey. Au nombre de dix-sept. ADCO, B 5964, fol. 8. L’année suivante en 1412, elles furent toutes confisquées pour un total de 116 livres 19 sous 4 deniers. 322 S. Bépoix, « La grande saunerie de Salins et les premiers ducs-comtes Valois… » art. cit. 323 Ibid. 324 D’un rapport d’ailleurs relativement faible : 50 francs 6 gros en 1405, ADCO, B 4685-1, fol. 3.

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Première partie  |  Le domaine comtal et ses recettes entre 1404 et 1419

important, il était situé sur la route de Dijon à Pontarlier menant à Jougne325, en direction de la Suisse. Cette voie mettait en relation les régions très commerciales de l’Italie du nord et de la Champagne326. L’étude de Mme Nieuwenhuysen sur les finances de Philippe le Hardi offre un récapitulatif des péages comtois de 1387 à 1403 où il apparaît que le péage d’Augerans était le plus important327. En 1403, l’auteur reporte 378 livres de recette pour Augerans, mais comment expliquer qu’à peine deux ans plus tard la recette ne soit plus que d’environ 102 livres ? Rien ne parait motiver une telle chute de la circulation commerciale, hormis peut-être la mort presque simultanée du duc-comte d’abord, puis de sa femme Marguerite peu de temps après. Les marchands jugeaient-ils la région moins bien protégée ? La balle de laine, principale marchandise traversant ce péage, avait un tarif spécifique. Les draps étaient également très présents, ceux de couleurs coûtant plus cher que les gris328. Les harengs transitaient beaucoup par Augerans, tout comme l’acier et la cire.

Tableau 19 : Le péage d’Augerans en 1404-1405.329 Produits

Tarifs

Nombre

Total payé par les marchands

Balle de laine

8 s. / pièce + 1 d. de solte

236 balles 5 / 12 95 £ 10 s. 3 d.

Draps de couleur 8 d. / drap

89

2 £ 19 s. 4 d.

Draps gris

4 d. / drap

37

12 s. 4 d.

Harengs

10 d. / 1000

74 000

3 £ 1 s. 8 d.

Acier (en ballon) 4 d. / ballon

3 ballons

12 d.

Cire (en cent)

1/2 cent

6 d.

12 d. / cent

TOTAL

102 £ 3 s. 1 d.329

L’intérêt de présenter les autres péages réside dans la comparaison des tarifs. Un même receveur s’occupait des péages de Salins et Fraisans. Fraisans se situe sur la route Chalon-Dole-Besançon, tandis que Salins se trouve sur le même trajet que le péage d’Augerans.

Tableau 20 : Tarifs des péages de Salins et Fraisans. Produits

Salins

Laine

2s. / balle 10 s. /balle 1 d. de solte 1 d. de solte

Harengs

Fraisans

10 d. / 1000

Cire

4 d. / 100

Draps (gris ou couleur)

6 d. pièce

325 Dép. Doubs, arr. Pontarlier, cant. Mouthe. 326 P. Gresser, La Franche-Comté aux temps…op. cit., p. 350. 327 A. van Nieuwenhuysen, Les finances du duc de Bourgogne… op. cit., p. 190 à 192. 1402-1403 : 159 livres à Pontarlier, 104 livres à Salins et 378 livres à Augerans. 328 Draps non finis. 329 Le trésorier indiquait 102 livres 5 sous 9 d.

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Les recettes variables  |  Chapitre 2

Existait une différence importante de tarif pour la laine entre les deux péages motivée peut-être par une inégalité de trafic. Pourtant à Augerans, la conduite de balle de laine se payait 8 sous330. La cire apparait également beaucoup plus taxée à Augerans. Le prix du passage des draps semblait plus logique : fixé ici à mi-chemin des tarifs d’Augerans, entre les draps de couleur et les draps gris, la distinction n’existant pas à Salins ou Fraisans. Enfin, Pontarlier, lieu de passage peu éloigné de Jougne, dévoilait une taxation de produits très divers. Les marchandises semblaient passer plutôt « en gros ». Mais plusieurs tarifs paraissaient moins élevés que dans les autres péages du domaine : harengs, ballon d’acier ou balle de laine par exemple.331332333

Tableau 21 : Les tarifs du péage de Pontarlier. Balle Laine, futaine, mercerie, pelleterie, épicerie

Cent Ballon331 Autre

2 s. 1 d. + 1d. de solte

Grand cheval

8 s. 4 d.

Drap d’or

2 s. 9 d. + 1d. de solte

Toile de fer, chevreau

1 s. 7 d.

Batterie332, fer, graisse333, onguent

6 d.

Sup

3 d.

334

Clavins , acier, clous de chevaux 335

3 d.

1 chenalle d’huile

2 s.

1 000 harengs

9 d.

Personne juive

2 s. 6 d.

336

L’ensemble de ces revenus représentait des recettes non négligeables. La souveraineté sur les hommes pouvait se révéler lucrative si l’on additionne non seulement la justice mais aussi tous les prélèvements pouvant découler du pouvoir haut justicier : garde, bourgeoisie, échoites diverses. On voit des officiers à l’œuvre pour maintenir les droits du comte sachant que leur zèle se trouvait ensuite scruté par les clercs des compte dijonnais qui surveillaient attentivement l’application des droits du comte. Ajouté à cela, les recettes particulières montraient les manifestations de l’intérêt comtal pour la préservation de zones incultes au travers l’action de ses officiers mais représentaient aussi de solides recettes par le sel, aptes à soutenir la politique du prince. Enfin, les péages révèlent une autre expression du pouvoir comtal par le biais de sa présence à divers points de passage névralgiques pour le commerce.334 335 336 330 Salins aurait été alors moins cher pour la laine parce qu’elle avait déjà été fortement taxée à Augerans ? 331 Paquet de marchandises. 332 Métal battu réduit en feuilles minces employé sur les étoffes, en dorure sur les matières solides ou enroulé sur un fil de soie pour les broderies. 333 Graisse de porc. 334 Graisse pour aider les mécanismes, par exemple les pressoirs. 335 Sorte de clou, estimé 13 000 par ballon. 336 Mesure de liquide qui valait 100 pots (Suisse).

107

Chapitre 3 Les recettes de châtellenies en 1405 Cette présentation à vocation de tableau à une date donnée sera suivie dans un chapitre ultérieur par l’évolution des recettes. N’apparaissent que quelques échantillons représentatifs des différentes châtellenies, illustrant de manière chiffrée les explications antérieures1. Les centres sont classés par entité administrative et, à l’intérieur de celle-ci, groupés en fonction des redevances prélevées. 1. Châtellenies du bailliage d’Aval2 A. Des redevances peu variées et guère rémunératrices Dans les châtellenies de moindre importance se trouvaient tout d’abord des centres aux redevances peu diversifiées avec des points communs : le faible nombre de redevances, ainsi que la quasi absence de levées en nature. Les prévôtés y représentaient une source de revenus appréciable.3456

Tableau 22 : Centres du bailliage d’Aval aux redevances peu diversifiées (1405). Augerans Prévôté

Buvilly3 Château-Chalon Pupillin et Voiteur 54 £4

Tabellionnage Péage

86 £

15 £

4 £ 4 s.5 102 £ 5 s. 9 d.

Usage en forêt de Chaux 10 bich. avoine6 Tailles TOTAL

34 £ 102 £ 5 s. 9d. 10 bich. av.

54 £

90 £ 4 s.

49 £

Les tailles de Pupillin étaient à volonté mais le clerc signalait qu’en raison de la pauvreté des habitants le trésorier ne les avait imposés que de 17 livres à chacun des deux termes, la somme restant malgré tout élevée. Le nombre de feux à Pupillin étant inconnu, il est difficile de se faire une idée de leur rapport. 1 2 3 4 5 6

La totalité des recettes chiffrées de châtellenies à l’avènement de Jean sans Peur est disponible dans ma thèse, S. Bépoix, Le comté de Bourgogne…op. cit., p. 26-219. L’ensemble des données pour le bailliage d’Aval sont issues du compte : ADCO, B 1541 (1405). Dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Poligny. Prévôté et four sont amodiés ensemble. Revenus de deux ans, 24 sous n’avaient pas été rapportés au compte précédent. Mesure d’Augerans, un bichot = vingt-quatre mesures.

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Une deuxième catégorie de châtellenie montrait des redevances un peu plus variées, la rubrique « divers » correspondant à des redevances citées une seule fois. Sont juxtaposés ici des villages à faibles revenus, comme Bolandoz, à d’autres qui rapportaient plus comme Colonne. Mais, dans l’ensemble, se retrouve la diversité relativement moyenne des redevances et la faible présence de versements en nature qui caractérise à peu près tous les centres présentés dans ces châtellenies moins importantes. Seuls les cens étaient présents partout. Soulignons également la faiblesse de la taille. Cinqcens payait des gîtes. Il s’agissait également d’un des rares centres à verser des dîmes, en nature elles n’étaient pas affermées mais prélevées par le maire du village7. La majeure partie des revenus de Colonne avait été donnée à Jean d’Arguel par le duc Eudes de Bourgogne en 1339. Ajouté à cela, la moitié d’un don de 200 livres était assis sur les revenus de la châtellenie, à rachat par le comte de 2 000 livres estevenantes en une ou deux fois. En 1395, le duc Philippe l’avait racheté aux héritiers : Jacques de Pontailler8 et sa mère, contre 1 000 francs or. Philippe le Hardi, à l’inverse de la comtesse Marguerite et plus tard, de son fils Jean sans Peur, chercha plutôt à reconstituer son domaine évitant aussi de l’aliéner.9101112131415

Tableau 23 : Centres du bailliage d’Aval aux redevances un peu plus variées (1405). Bolandoz

Cinqcens

1£ 9s. 3d.

11 s.

Tailles Pêcheries Fours Moulins Prés Sergenterie

7£ 18s.

16 £ 5£ 40 £

Divers

3 mines froment 2 bich. 3 mines avoine10 9 £ 7 s.3 d. 13 bich. de céréales

Prévôté Cens

TOTAL

10 bich9

Colonne 86 £ 10 £ 2 lb. cire pds. de Dijon

61 £

Mesnay 22 £ 3 pintes d’huile

Toulouse 25 £ 2 £ 6 s. 1 d. ob.

10 s.

6 £ 10 d.

42 £ 10 s.

9 £11 1 bich.12

100 £13

70 £ 11 s. 257 £ 1 bich. 2 lb. de cire de céréales

30 s. 15 lb. cire pds Dijon

40 £14

7 quarriz 12 pintes vin

105 £15 3 pintes d’huile

34 £ 16 s.11 d. ob. 15 lb. cire 7 quarriz 12 pintes vin

7 Mais comme dans beaucoup d’endroits, le comte n’en récupérait que le tiers. 8 Fils de Guy de Pontailler, jadis chevalier et maréchal de Bourgogne. 9 Moitié froment, moitié avoine, mesure d’Ornans : un bichot = six mines = douze penaux. 10 Trois meix amodiés. 11 Gîtes. 12 Dîmes, moitié froment, moitié avoine, mesure d’Orchamps. 13 Rente. 14 Ventes. 15 Le trésorier ne trouvait que 68 livres.

110

Les recettes de châtellenies en 1405  |  Chapitre 3

Mesnay récupérait un montant de taille dérisoire malgré des revenus assez importants. La redevance s’élevait en réalité à 10 livres par an16, mais en 1389 tous les hommes taillables avaient fui le village par pauvreté. Deux seulement restaient qui payaient 15 sous, ne pouvant verser plus. En 1396, l’un d’eux était mort or le montant de la redevance ne diminua que de cinq sous. Inévitablement, les prélèvements s’amenuisaient au rythme de la baisse de la population. Cependant, les autres revenus découlant des ventes, des foires et des moulins apparaissent notables, signifiant donc que les habitants taillables ne représentaient qu’une petite partie de la population. Et il semble bien qu’elle cherchait à échapper à sa condition, y compris par la fuite. Le versement de cens en pintes d’huile17 se révèle une particularité intéressante de la châtellenie de Mesany. Ajoutons quatre pintes d’huile des vergers du lieu : dus tous les deux ans, ils avaient été payés l’année précédente. La châtellenie de Toulouse, objet des libéralités de la comtesse Marguerite, avait été donnée à Thibaut de Rye à vie pour 20 livres de don. Lorsque Thibaut mourut, tout revint au domaine. L’intermède avait tout de même entraîné certaines approximations sur les appellations des redevances : à l’article des tailles était ajouté bourgeoisie et corvée18. B. Des recettes plus complexes et plus rentables Cette fois, les centres réunis avaient en commun de détenir un nombre croissant de redevances, mais également, comme les châtellenies déjà détaillées, une faible représentation des prélèvements en nature. Notons également les revenus des cens qui s’étoffent.19

Tableau 24 : Châtellenies du bailliage d’Aval aux revenus de plus en plus ­complexes (1405). Fraisans

Gendrey

Montmorot

9 £ 11 s. 10 d. 1 lb. cire pds de Dole

52 £ 11 s. 10 d.

8 £ 3 s. 1lb. cire pds de Dijon

Prévôté

170 £

50 £

42 £ 14 s. 6 d.

Tabellion

19 s. 11 d.

7 s. 8 d.

12 £ 9 s.

18 £

3 £ 12 s. 6 d. 6 quartaux froment19

Tailles

41 £ 11 s. 4 d.

Cens

Fours et Moulins Garde Commandise Hommage

6 s. 2lb.cire

14 £ 14 s. 14 quartaux avoine 175 lb. cire

Prés

14 s.

Habitants

17 £ 18 d.

1£ 1 franc 8 gros

16 Moitié à la mi-carême, moitié à la saint Étienne d’août (2 août). 17 On retrouve ce type de prélèvement à proximité : Arbois et les Planches. 18 Les clercs faisaient en général appel au dernier compte élaboré avant celui en cours. Le montant total étant peu élevé, il est indiqué à la rubrique taille dans le tableau. 19 Mesure de Montmorot : un quartal = quatre quarterons = huit mesures.

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Première partie  |  Le domaine comtal et ses recettes entre 1404 et 1419

Fraisans

Gendrey

Montmorot

Forges

2 s.

Divers

5 s.20

9 s.21

14 quartaux avoine22 4barreaux vin 34 gélines23

TOTAL

222 £ 15 s. 7 d. 3 lb. cire

139 £ 4 s.

82 £ 13 s. 1 franc 8 gros 34 quartaux céréales 4 barreaux vin 176 lb. cire

20212223

À Fraisans, les tailles se payaient sur les meix amodiés, les amodiations n’étant pas toujours au même prix d’un acheteur à l’autre : par exemple un meix qui valait autrefois dix sous n’en coutait plus que sept à la nouvelle adjudication. Cette redevance évoque plus un cens qu’une taille. Quant à la baisse du montant de l’amodiation, elle tend à démontrer une faible demande pour ce genre d’achat. Les officiers se trouvaient contraints de brader les terres afin qu’elles soient exploitées, cela même dans cette zone relativement fertile de la vallée du Doubs. Fraisans était également marquée par la présence des forges. Pourtant cette activité semble à ce moment-là en voie d’extinction comme cela a déjà été dit. Finalement une seule était encore en activité, et fait rare, une femme la détenait, mais pour un rapport bien faible. À Gendrey, pas de taille et des revenus relativement élevés de cens. Un homme de Poligny prenait 10 livres sur le cens pesant sur le village de Malange24, vraisemblablement le résultat d’une donation ou d’un fief rente. Cependant, la somme demeurait inscrite dans les recettes pour n’être soustraite que dans les dépenses : dans « charges à perpétuité ». Le total inscrit ne correspondait donc pas à la recette réelle revenant au comte25. Montmorot fait ici figure d’exception : les redevances étaient nombreuses et presque tous les types de prélèvements, en argent comme en nature, présents. Seul le total perçu dans cette châtellenie la différenciait des grands centres présentés plus loin. Le vin prélevé à Montmorot provenait de vignes exploitées en faire valoir direct. Deux redevances n’apparaissent pas dans le tableau. L’une d’elle portait sur les langues de bœufs de la boucherie de Montmorot appartenant au comte, aucune bête n’ayant été tuée dans l’année. Pourtant, en 140626, douze bœufs furent abattus puis dans les années suivantes le chiffre ne tomba jamais en dessous de huit. Enfin, il s’agissait d’une des rares châtellenies à devoir des gélines, pour l’amodiation de la berne. La châtellenie de Montmorot devait aussi payer pour ses privilèges : 60 livres, uniquement en cas de mariage de l’aîné des enfants du comte. De nombreuses châtellenies détenaient des recettes beaucoup plus diversifiées. Leurs points communs étaient des redevances en argent et des prélèvements en nature

20 Menades. 21 Services de Romain, dép. Jura, arr. Dole, cant. Gendrey. 22 Amodiation de muire. 23 Amodiation de la berne. 24 Dép. Jura, arr. Dole, cant. Gendrey. 25 À déjà été évoqué le rôle des registres de comptes dans la préservation des droits et biens du comte, S. Bépoix et F. Couvel, « Rendre bon compte en Bourgogne à la fin du Moyen Âge… » art. cit. 26 ADCO, B 1546, fol. 20. Treize bœufs par an de 1407 à 1411, puis huit par an.

112

Les recettes de châtellenies en 1405  |  Chapitre 3

assez nombreux en ajoutant un montant total des revenus élevé qui parfois atteignait même de très fortes sommes. Montréal, choisi comme exemple parmi les trois châtellenies méridionales adjointes au domaine, est traitée à part car utilisant des monnaies totalement inusitées ailleurs dans le domaine comtal : le denier genevois et le denier viennois avec une partie des redevances se payant également en florins.2728293031

Tableau 25 : Revenus de la châtellenie de Montréal en 1405.

Servis

£ viennois Florins ou genevois 65 £ 9 s. 8 d. 23/24 v.

Justice 78 £ 17 s. Amendes 7 d.g. Sergenterie Foires et 10 d. v. marchés Prés Cens

4 florins 2 gros 14 florins 11 florins

Gardes

37 florins 12 gros

Moulins Foresterie

3 £ 18 s. 2 d. v. 1 £ 5 s. v.

Avoine

Cire

Gélines

53 quart. 85 quart. 4 mit.7/24 4 mit. 6 quart°1/327 11/1228

17 lb. 3 quart.

3 quart.

12 florins 2 francs 2 quart. 15 quart. 13 quart.

Lods et vente Gerberie Pains à chien Habitants Cire Gélines TOTAL 78 £ 17 s. 7 d. g. 70 £ 13 s. 8d 23/24 v.29 27 28 29 30 31

Francs Froment

12 quart.

5 florins 6 gros 54 florins 4 gros

5 lb.

3 mit. 1/2 mit. 4 gél. 80 lb.5/6 139 florins30

39 gél. 2 francs 119 quartaux 68 quart. 102 lb. 43 gél. 1 mit. 7/24 5 mit. 5/6 pds 6 qurt° 1/3 5/1231 Montréal

Mesure du froment : un quartal = six mittières. Mesure d’avoine : un quartal = douze mittières. Arrondi à 9 deniers par le trésorier. Le trésorier trouvait 138 florins. Le trésorier trouvait huit mittières.

113

Première partie  |  Le domaine comtal et ses recettes entre 1404 et 1419

Les revenus en espèces n’apparaissent pas très importants, contrairement aux rentrées en céréales, relativement élevées. On note également une prédominance des revenus des servis, redevance du domaine comtal qui n’existait qu’ici. Les tailles se percevaient seulement tous les trois ans d’où leur absence en 140432. Les taillables de la châtellenie de Montréal devaient également amener le bois de chauffage à l’hôtel du comte lorsqu’il était présent.33

Tableau 26 : Revenus de la châtellenie de Pontarlier en 1405. £ est. Péage

48 £ 2 s. 2 d. ob. poit.

Cens

108 £ 5 s. 6 d.

Tailles

3 £ 5 s.

Gîtes

46 £

Mairies

42 £ 11 s.

Amendes

9 £ 11 s.

Tabellion

4 £ 10 s. 5 d. ob.

Fours

41 £

Froment

Avoine

2 quartiers 6 mines33

2 quartiers 6 mines

Moulins

30 quartiers

Eminage

8 quartiers 6 mines

Ventes et foires

5 £ 12 s.

Pêcheries



Habitants

Cire

30 lb. 8 quartiers 6 mines

12 quartiers

Gardes

220 lb.

Terres amodiées 3 s. 9 d. TOTAL

313 £ 11 d. poit.

41 quartiers 23 quartiers 250 lb. pds de Pontarlier

Pontarlier appartenait aux châtellenies récoltant des revenus déjà élevés avec plus de 300 livres estevenantes par an. Mais, en juillet 1402, Philippe le Hardi avait prolongé une rémission octroyée dans le but de permettre la continuation de certains travaux commencés au château. La baisse, de 100 livres, correspondait à l’exemption du versement des cens à la Chandeleur durant quatre années34. Comme de coutume, le receveur maintint les 100 livres dans ses recettes pour en préserver la mémoire, les soustrayant ensuite dans le chapitre des dépenses.

32 Levées en 1407, ADCO, B 1549, fol. 43-44. Elles représentaient peu de choses à Arbent : 8 florins et 45 sous viennois, par contre 60 florins étaient prélevés à Montréal. 33 Mesure de Pontarlier : un quartier = douze mines, le quartier était l’égal du bichot. 34 1405 : troisième année sur les quatre, il s’agissait d’une pratique assez courante.

114

Les recettes de châtellenies en 1405  |  Chapitre 3

Tableau 27 : Revenus de la châtellenie de Gray en 1405.35 £ est.

Avoine

Cire

Tailles

147 £ 15 s.

Cens

3 £ 4 s. 5 d. ob.

8 lb. pds de Dijon

Prévôté

255 £

127 lb. 1/2

Tabellion

8 £ 15 s. 3 d.

Fours Moulins

29 bich.35

Habitants

60 bich.

Pêcheries



Toises

40 £ 17 s. 6 d.

TOTAL

461 £ 12 s. 2 d. ob.

135 lb. 1/2 pds de Dijon

Bien que présentant des redevances peu diversifiées et des prélèvements en nature limités à l’avoine et la cire, seules les châtellenies de Dole et Poligny détenaient des recettes supérieures à celle de Gray. Les revenus des toises étaient élevés, il faut attendre 1419 pour obtenir des précisions chiffrées : les maisons avaient été toisées en 1420 et les résultats reportés au compte de 141936. Les mesures se montaient à 761 toises dixneuf vingt-quatrième de toise, chiffre inférieur à celui de 140537 car vingt-huit maisons avaient brûlé en mars 1418, plusieurs autres ayant déjà subi le même sort environ douze ans auparavant. Les sommes avaient cependant été reportées sans correction pendant toutes ces années38. Les redevances les plus rentables étaient la prévôté et les tailles. Enfin, le village de Villers les Gray39 bénéficiait d’une rémission : les tailles se montaient à 38 livres par an à l’époque de leur abonnement, le village comptant environ soixante feux. Depuis, les « guerres, feux, mortalitez et autrement » l’avait dépeuplé. En 1389, la duchesse Marguerite établit un nouveau montant de tailles : 12 livres par an. Mais en 1405, les habitants étaient si pauvres qu’on ne pouvait les faire payer plus. Le but originel de la baisse des tailles étant de repeupler le village, cela ne semble pas avoir eu les effets escomptés40. C. Les châtellenies les plus fructueuses Ce tour d’horizon des châtellenies du bailliage d’Aval se clôt avec la présentation des deux plus importantes d’entre elles : Dole et Poligny. À Poligny, tous les prélèvements, en argent ou en nature, aboutissaient à des montants très élevés. Cens et tailles étaient importants. Mais plus qu’à Gray, on remarque la somme obtenue pour la redevance des toises. Plusieurs prélèvements uniquement en 35 Mesure de Gray : un bichot = six minotes = douze boisseaux (ou mesures). 36 ADCO, B 1600, fol. 63. 37 ADCO, B 1541, fol. 37. On est passé de 40 livres 17 sous 6 deniers à 38 livres 1 sou 9 deniers obole, au prix de 12 deniers par toise. 38 On voit bien encore une fois à quel point la mémoire des droits du comte prévaut sur la réalité économique, posant évidemment question sur la réalité économique des registres de comptabilités. Les rectificatifs avaient lieu mais souvent tardivement. 39 Sans doute Velet, dép. Haute-Saône, arr. Gray. 40 Dans le total des tailles le montant de 38 livres est toujours comptabilisé.

115

Première partie  |  Le domaine comtal et ses recettes entre 1404 et 1419

nature existaient ici : colonge, meusons, terrages, les dîmes apparaissant également très présentes. Les mentions de terres désertées se révèlent fréquentes. Certaines trouvaient preneur par le biais d’une amodiation tandis que d’autres restaient abandonnées41. Les faits remontaient à 1370 : des Compagnies avaient écumé la région et les défenses de Poligny avaient « esté arses et mises a destruccion », plusieurs maisons ayant brûlé. Impossible de les rapporter dans les comptes, à moins que leurs possesseurs ne les aient « rediffiés et remaisonnées ». Plus de trente ans avaient passé et une partie de ces meix et maisons étaient toujours à l’abandon42. Les dévastations causées par les gens d’armes laissaient des traces durables et visibles dans les comptabilités. Mais les ruines pouvaient avoir des origines encore plus anciennes. Cinq moulins avaient été détruits au temps des guerres du duc Eudes, comte de Bourgogne43 qui avait dressé contre lui la noblesse du comté par des mesures très impopulaires44. Les ruines dataient donc de plus de cinquante ans et pourtant les moulins apparaissaient toujours dans les comptes. Le vin rapportait beaucoup à Poligny, surtout par l’intermédiaire des dîmes payées partie en argent et partie en nature. Les rendements de vignes exploitées en partage ou en faire valoir direct semblaient nettement moins importants. On préférait lever les fruits déjà récoltés, ce qui s’avérait nettement moins onéreux. Enfin, cette châtellenie comprenait une des rares prévôtés du bailliage à verser de la cire. Celle comptabilisée dans la colonne commandise correspondait à des versements individuels sans précisions.45

Tableau 28 : Revenus de la châtellenie de Poligny en 1405. £ est.

Froment

Avoine

Cens

35 £ 6 s. 9 d.

3 quartaux45

3 quartaux 2 quarterons

Tailles

69 £ 19 s. 9 d.

Prévôté

217 £

Vin

Cire 46 lb. Pds de Dijon 87 lb. 1/2

Tabellion 14 £ 12 s. 5 d. Moulins Foules Batteurs

189 £ 10 s.

Fours

74 £

Prés

4 £ 17 s.

Dîmes

36 fr. 2gros 9 eng. 1/2

Ventes Foires Marchés

40 £

2 lb. 1/2 80 quartaux

80 quartaux

65 muids

41 Il était indiqué pour plusieurs d’entre elles que personne ne voulait les amodier. 42 Le trésorier indiquant que plusieurs de ces maisons brûlées avaient peu de valeur en toises, tant qu’elles seront à « remaisonner », il n’en sera payé que la moitié. 43 Duc de Bourgogne, marié avec la petite fille de Mahaut d’Artois. Il s’agit de la première fois où le duché fut réuni au comté en 1330-1349. 44 R. Fiétier, Histoire de la Franche-Comté…op. cit., p. 165. Il avait tenté de remplacer la justice seigneuriale par la sienne et s’était entouré d’hommes ne professant que mépris pour la noblesse comtoise. À trois reprises de 1335 à 1348, des soulèvements seigneuriaux eurent lieu. 45 Mesure de Poligny : un quartal = deux boisseaux = quatre quarterons.

116

Les recettes de châtellenies en 1405  |  Chapitre 3

£ est.

Froment

Avoine

Colonges et Meusons

14 quartaux 3 quarterons 1/2

111 quartaux

Terrages

1 quarteron 1/2

6 quartaux 1 boissel

Toises

Vin

147 £ 11 s. 9 d. ob.

Corvées de Bois



Gélines

1 £ 10 s.

Vin

95 £ 12 s 9 d.46

8 muids 2 quarriz47

Terres amodiées

5 quartaux 1 boissel

Commandises TOTAL

Cire

64 lb. 1/2 896 £ 5 d. ob. 98 quartaux 36 fr. 2 gros 1 quarteron 9 eng. 1/2

206 quartaux 73 muids 1 boissel 2 quarriz

200 lb. 1/2

4647

Dole était sans conteste la ville la plus importante du comté et aussi celle qui rapportait le plus au comte de Bourgogne, surtout en argent. Les prélèvements en nature apparaissent assez négligeables si l’on excepte la cire. Les cens étaient élevés, la part des habitants de Dole y étant prépondérante48. Les villages environnants faisant partie de la châtellenie devaient la taille49, contrairement aux habitants de Dole. Villette-lès-Dole appartenait à ces villages situés autour de la cité doloise, versant 20 livres de taille par an jusqu’en 1391. Mais les habitants, trop pauvres, étaient partis « tant pour la mortalitez come pour les guerres et compaignies ». De nombreux meix étant vacants, le montant prélevé fut donc fortement diminué50. Plusieurs pièces de terre également abandonnées avaient été mises en terrage par le receveur « jusqu’a ce que nouvel admoissonneur y viegne ». Les officiers du comte considéraient donc cette mise en valeur comme transitoire. À l’instar de Poligny, la prévôté versait de la cire ainsi que plusieurs amodiations commerciales. Gardes et commandises produisaient, quant à elles, les montants les plus élevés de cire.

46 47 48 49 50

Ce sont les quatorzièmes. Amas et partage. Trois cents livres. Sampans, Champvans, Villette-lès-Dole (tous dép. Jura, arr. Dole, cant. Dole nord-est). Seulement 6 livres 17 sous 6 deniers obole.

117

Première partie  |  Le domaine comtal et ses recettes entre 1404 et 1419

Tableau 29 : Revenus de la châtellenie de Dole en 1405. £ est. Cens

303 £ 2 s. 3 d.

Tailles

45 £ 10 s. 6 d. ob.

Prévôté

165 £

Gardes Commandises

1 £ 10 s.

Tabellion

39 £ 15 s. 1 d. ob.

Usage en forêt de Chaux

Céréales

Cire

Gélines

8 lb. pds de Dole

10

82 lb. 1/2 150 lb.

5 bich.51 avoine

20 bich. avoine

Quart, 1/5 et autres Moulins

Vin

4 muids 275 £

Terrage

55 lb. 26 quarterons52

Ban des vins



2 lb.

Éminage

110 £

Ventes Foires Marchés

50 £

25 lb.

Halles aux Bouchers

10 £

5 lb.

TOTAL

4 muids 357 lb. 1003 £ 17 s. 25 bich.3 mines 1 quarter. avoine 1/254 2 d.53 3 mines 1 quarter. froment

10

2. Châtellenies du bailliage d’Amont555152535455 A. Vaivre : la moins notable Vaivre était le centre le moins important de tout le bailliage : les prélèvements, dont plusieurs en nature, se révèlent faibles. On peut s’interroger sur l’opportunité de conserver un tel centre qui aurait pu être rattaché à Vesoul. L’absence de prévôt ou même de tabellion provenait vraisemblablement d’un partage de la châtellenie avec un autre seigneur détenant la basse justice. 51 52 53 54 55

118

Mesure de Dole : un bichot = six mines = vingt-quatre quarterons. Moitié froment, moitié avoine. Le receveur trouvait 1 004 livres 17 sous 2 deniers. Le receveur trouvait 495 livres. L’ensemble des données pour le bailliage d’Amont sont issues des comptes suivants : ADD, 1B10 : 1404-1405, ADD, 1B102, 1407-1408.

Les recettes de châtellenies en 1405  |  Chapitre 3

Tableau 30 : Recettes de Vaivre en 1405. £ est Taille

28 £

Cens

6 s. 4 d. ob.

Dîme TOTAL

28 £ 6 s. 4 d. ob.

froment

avoine

vin

1 bich. 14 quartes

1 bich. 14 quartes

14 muids

1 bich. 14 quartes

1 bich.14 quartes

14 muids

B. Montjustin et Châtillon : plus importantes Mais le bailliage d’Amont comptait aussi des centres plus importants avec des prélèvements relativement élevés, complexes et divers à la fois, Montjustin en étant une bonne illustration. Dans cette châtellenie, les cens rapportaient peu, celui portant sur les bêtes de trait montre quatre exploitants en possédant et quinze n’en ayant pas. Les tailles se révèlent d’un meilleur rapport que les cens même si le comte en détenait seulement un tiers56. Bouhans, Amblans et Velotte sous Amblans57 versaient 80 livres de taille, l’abonnement ayant été établi sur quatre-vingt feux. Les habitants de Bouhans versaient 23 livres sur les 80 dues, mais au début du xve siècle, il ne demeurait au village que trois ménages « qui n’ont pain a manger » mais versant tout de même 6 livres de taille. À proximité, la taille d’Aillevans58 s’élevait à 12 livres pour douze feux. Comme à Bouhans, il n’y demeurait plus que trois ménages, à qui l’on prélevait également 6 livres de taille alors que le trésorier soulignait encore leur pauvreté. La proportion avait tout de même beaucoup augmenté : dans les deux cas, l’abonnement de la taille à l’origine établi à une livre par feu était passé à deux livres par feu. Vy-lès-Lure59 payait 50 livres de taille par an, l’abonnement ayant été établi sur la base de soixante-douze feux mais encore une fois, en raison des guerres et des mortalités60, seuls restaient huit ou neuf taillables du comte qui devaient également payer le guet les grevant lourdement61. Pendant vingt ans, jusqu’en 1394, les habitants de Vy-lès-Lure ne purent verser la taille. Une enquête dut être diligentée car en 1395 le trésorier connaissait désormais leur faculté de paiement.62

Tableau 31 : Recettes de la châtellenie de Montjustin en 1408. £ est.

froment62

avoine

cire

Tailles

48 £ 15 s.

Cens

12 £ 11 s.

5 bich. 6 lb. 22 quartes

Fours

36 s.

12 quartes

Prévôté

64 £

gélines

32 lb.

56 Un tiers revenait au roi et un tiers à l’abbé de Luxeuil. 57 Bouhans-lès-Montbozon, dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Montbozon. Amblans-et-Velotte, dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Lure nord. Velotte sous Amblans, lieu-dit localisé à Amblans-et-Velotte. 58 Dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Villersexel. 59 Dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Lure sud. 60 Seul village où la cause était indiquée aussi clairement. 61 Le receveur les avait qualifiés de pauvres et insistait sur le surplus des guettes à payer. 62 Mesure de Montjustin : un bichot = six amines = vingt-quatre quartes (la même que celle de Vesoul).

119

Première partie  |  Le domaine comtal et ses recettes entre 1404 et 1419

£ est. Tabellion

froment

avoine

cire

gélines

3 £ 12 s.

Droits du château 13 s. Moulins

3 bich. de blé mouturé

Garde

27 lb.

Gélines

36

Divers

13 £ 2 s. 6 d.

TOTAL

144 £ 9 s. 6 d.63

3 bich. de blé mouturé

6 bich. 65 lb. 36 gélines 10 quartes

63

Les prélèvements en gélines permettaient également de connaître le nombre de feux de plusieurs villages : Bouhans, Amblans et Velotte sous Amblans comptaient dix feux, ensemble ils versaient 63 livres de taille, c’est-à-dire plus de 6 livres par feu ! Vy-lès-Lure comptait huit feux64, et Aillevans quatre feux65. Les droits de la châtellenie se limitaient à la pêcherie d’Aynans. Quant à la rubrique « divers », elle recouvrait des éléments très différents, s’y trouvait par exemple, la vente des corvées de charrue66. Existait également un ensemble disparate de prélèvements économiques : le four de Montjustin, la vente des aminages et le poids des balances, la langue des grosses bêtes et les filets des porcs tués, le comte ne possédant que la moitié de ces derniers prélèvements67. Enfin, les redevances en nature apparaissent relativement secondaires.68

Tableau 32 : Recettes de la châtellenie de Châtillon en 1405. £ est. franc froment 68 avoine Taille 80 £ Cens 7 £19 s.3 d. Rente 9 s.2 d. Breneries 25 s.3 d. 2 bich. 5 quartes 9 amines Prévôté 150 £ Tabellion 4 £ 2 s.6 d. Activités 13 £ 3 s. 2 bich. 4 bich. économiques demi 6 penaux diverses 2 amines 63 64 65 66

vin

cire

gélines

15 lb.

75 lb.

2 lb.

Le trésorier reportait 165 livres 9 sous 6 deniers. Dans l’article de la taille, il est question de huit ou neuf feux. Trois pauvres ménages dans l’article sur la taille. Trannois : deux sous six deniers, sombre : deux sous et vain : neuf sous. Nous avons déjà évoquée les charrues de Montjustin, il y en avait une seule en 1404 et trois en 1408. 67 La moitié appartenait aux héritiers d’Érart de Montjustin, chevalier. 68 Mesure de Châtillon : un bichot = douze penaux.

120

Les recettes de châtellenies en 1405  |  Chapitre 3

£ est. Moisson Fours Dîme Garde

franc froment 1 bich. 6 penaux 1 bich. 10 penaux 4 bich.

16 s.

Droits du château Géline TOTAL 257 £ 15 s. 2 d69

avoine 3 amines

cire

gélines

9 bich. 4 bich. 34 bich. 2 amines

5 fr

5 fr.

vin

64 lb. 1 muid 8 tines

9 bich. 53 bich. 1 muid 10 penaux 11 penaux 8 tines 16 amines70 7 sextiers

54 156 lb. 54 gél.

6970

Comme dans beaucoup d’endroits, les revenus des tailles et prévôté dominaient dans la châtellenie de Châtillon. Seuls les habitants de Devecey devaient une rente dit « le chapon » et deux setiers de vin qui leur étaient vendus. Ces prélèvements, à l’origine en nature, se payaient donc désormais en deniers mais la somme perçue était très faible. Les mêmes habitants et ceux des autres villages environnants Châtillon payaient le cens dont le montant apparait peu élevé. Plusieurs activités économiques existaient mais ne rapportait guère. Cromary et Bussières possédaient des pêcheries. Un citoyen de Besançon amodiait une place du village d’Auxon, les habitants du village procédant eux-mêmes à la mise à ferme. L’amodiataire s’engageait à y construire une tuilerie et en échange à verser une redevance aux habitants et au comte. La « mareschauciée » de Thise, le pressoir à vin de Châtillon, les aminages de Cromary ou encore la vaine pâture à Valentin sont également inclus à cet ensemble disparate. Les droits appartenant au château se composaient d’une vigne exploitée directement et de deux prés amodiés qui étaient d’ailleurs les seuls à être prélevés en francs. L’importance des levées en nature apparait comme la principale caractéristique de cette châtellenie. Il s’agissait du seul endroit du bailliage où se réunissaient tous les prélèvements de ce type, les montants se révélant souvent élevés, en particulier l’avoine et la cire. Les gardes en étaient principalement à l’origine. Tout cela fait de Châtillon une des châtellenies les plus complexes du bailliage. La dime et les guettes n’apparaissent pas dans le tableau puisque les habitants les payaient. Enfin, la châtellenie comptait un village déserté : Valentin, où plus aucune maison ni aucun édifice n’existait en raison des destructions dues à la guerre. Mais on ne sait pas de quelle guerre il s’agissait. C. Jussey et Montbozon : les plus rentables Les châtellenies rapportant le plus, Jussey et Montbozon, dépassaient 400 livres estevenantes de revenus annuels en argent. Il s’agissait des plus rémunératrices du bailliage mais elles comportaient des différences.

69 Le montant donné par le trésorier différait (260 livres 7 sous 6 deniers) car ont été enlevés les amendes de la justice de la gardienneté de Besancon. 70 Le trésorier trouvait soixante bichots et un penal.

121

Première partie  |  Le domaine comtal et ses recettes entre 1404 et 1419

Tableau 33 : Recettes de la châtellenie de Jussey en 1408.71 £ estev. Taille

180 £

Cens

1 £ 16 s.

Activités économiques diverses

45 £ 10 s.

Tabellion

7 £ 18 s.

Prévôté

170 £

Garde

2 £ 9 s.

TOTAL

405 £ 13 s.71

£ tournois

francs

4 s.

1 fr.

cire

20 lb. 4 s.

1 fr.

20 lb.

Les redevances se prélevaient dans le seul village de Jussey, excepté les gardes72. À l’instar de la majorité des châtellenies du bailliage, les tailles détenaient le meilleur rapport. Les cens, très marginaux, correspondaient à de faibles rentrées d’argent provenant d’un héritage récupéré par le comte. Quant aux activités économiques, elles correspondaient au péage de la chaussée de Jussey, la pêcherie de la rivière, la mine de fer, mais parmi elles, les étalages rapportaient le plus73. La prévôté montrait aussi un bon rapport grâce à la présence des amendes. Il n’y avait quasiment pas de prélèvement en nature.7475

Tableau 34 : Recettes de la châtellenie de Montbozon en 1405. £ est.

francs

avoine74

cire

Taille

131 £ 16 s.

Gîte

54 £ 13 d.

1 penal

Chevillye

3 s. 3 d.

10 quartes

Cens

3 s.

5 lb.

Prévôté

182 £

91 lb.

Tabellion

6 £ 10 s.

Mairie

39 £

Sergenterie

19 lb. demi 40 fr.

Moulins et batours

60 £

Pêcheries

13 £

Garde TOTAL

71 72 73 74 75

122

487 £ 2 s. 4 d.75

40 fr.

1 bich. 22 quartes

26 lb.

2 bich. 1 penal 8 quartes

141 lb. demi

Le trésorier indiquait 433 livres 13 sous. Arbecey et Cornot. Trente-six livres. Mesure de Montbozon : un bichot = douze penaux = vingt-quatre quartes. Le trésorier trouvait 481 livres 13 sous 4 deniers.

Les recettes de châtellenies en 1405  |  Chapitre 3

À Montbozon, de nombreux gites concernaient plusieurs villages. Pourtant, ils rapportaient peu en regard de la taille. Les moulins étaient également d’un relativement bon rendement. Le village d’Authoison dévoile comment les habitants s’adaptaient aux variations d’activités. Ils avaient obtenu le droit de tenir un lieu d’échanges, mais comme il s’agissait d’un pauvre village, le marché y était de peu d’importance quand il parvenait à exister. Les habitants avaient donc pris l’habitude d’aller au marché de Montbozon « qui est notable » et plus aucun marché ne se tenait à Authoison. Les ventes du marché de Montbozon devaient être incluses dans la prévôté, la somme étant relativement élevée. Enfin, le cens était à peu près inexistant. Ces données chiffrées font apparaitre une grande disparité dans les recettes et des répartitions entre les différentes redevances souvent très divergentes. En ressort une impression d’extrême hétérogénéité, pas une châtellenie n’était vraiment semblable à une autre. Cette absence d’unité est encore plus flagrante si l’on étudie les données de la seigneurie de Faucogney. 3. La seigneurie de Faucogney76

Il a paru plus judicieux de présenter les prélèvements effectués à Faucogney en fonction des différents statuts des villages observés dans la seigneurie, plutôt que d’examiner les centres de prélèvements individuellement. Et, comme dans le registre, recettes de deniers et en nature sont présentées séparément. A. Le bourg de Faucogney

Tableau 35 : Prélèvements en argent dans le bourg de Faucogney en 1405. £ est. Cens

8 £ 14 s.

Amendes

84 £ 6 s.

Francs

Vente du marché

20 fr.

Banvin

16 fr. 3 gr.

Péage

50 fr. 6 gr.

Tabellion

1 £ 7 s. 9 d.

Moulins et battants

19 fr.

Grange des bois

8 fr.

Banvardié

11 fr. 3 gr.

Un homme et son partage

1 d.

TOTAL

94 £ 7 s. 10 d.

125 fr.

Le total des redevances du bourg de Faucogney apparait relativement élevé bien que les habitants ne versent pas de tailles, résultat vraisemblable de l’octroi des franchises. Le cens se révèle de faible valeur mais se complétait avec des versements d’avoine et de gélines. On comptait quarante-deux chefs d’hôtel relevant du comte de Bourgogne dans le bourg, dont un maire ne payant rien et un doyen ne devant qu’un demi-cens. À l’exception des 76 À partir de : ADCO, B 4685-1, année 1405-1406 et B 4685-2, 1407-1408 pour certaines recettes en nature.

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amendes de la mairie et de la prévôté, toutes les autres sommes étaient perçues indirectement par adjudication, y compris le tabellionage. Le péage du Thillot, d’un rapport relativement faible si l’on tient compte de sa position sur les marches de Lorraine, ne représentait pas une voie très empruntée. Pendant trois ans, la moitié du prélèvement de la « banvardié » de la Croix d’Annegray77 revenait au comte et l’autre moitié aux héritiers d’Étienne de Moncley. La quatrième année seul le seigneur de Faucogney en était bénéficiaire : en 1402, il avait tout perçu, seule la moitié lui revint donc en 1405-1406. B. Mairies et avoueries L’ordre de présentation des mairies respecte celui employé par le clerc, apparemment de façon dégressive, à l’exception de celles de Servance. La taille était ici omniprésente : aucune mairie n’y échappait. Les versements, proportionnels au nombre de ménage, ne faisaient pourtant jamais apparaitre le terme de feu. La taille existait sous forme de deux versements inégaux à deux termes dans la majorité des mairies78. Le reste des redevances prélevées ici ne révèle pas de différences fondamentales avec ce que nous avons déjà rencontré plus haut.7980818283848586

Tableau 36 : Prélèvements en argent dans les mairies de la seigneurie de Faucogney (1405). Taille Cens Rente Four Indéterminé Divers79 Grande mairie 220 £ 4 d. 3 s. 8 d. de Faucogney Quers et Citers 73 £ 5 fr. Franchevelle80 38 £ 8 eng. 18 £ Servance81 Mailleroncourt 60 £ 12 s. 7 fr. 6 gr. 6£ 14 £ 30 s. Port-sur-Saône 3 £ 6 s. Colombe82 Graasses83

Equevilley85



40 s. 10 s. 3 s. 6 d. ob. 10 s.

5 fr.

2 d. 70 s. 2 d.

TOTAL 220 £ 4 s.

73 £ 38 £ et 5 fr. 8 eng. 18 £ 60 £ 12 s. et 7 fr. 6 gr. 18 s. 8 £ 18 s. 8 £ 14 s. 24 £ 14 s et 23 fr. et 23 fr. 5 fr. 5 gr. 3 £ 9 s. 8 d. et 1 fl. ob. et 5 gr. Et 1 fl.84 7 £ 10 s. 18 £ 10 s. 2 d.86

77 Annegray, commune de la Voivre, dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Faucogney-et-la-Mer. 78 À deux exceptions près : mi-carême et Saint-Michel. 79 Cela comprend les terres amodiées, les amendes, les corvées, les pêcheries, les banvardiés, la vente des marchés, le loyer des halles et les gardes et bourgeoisies. 80 Dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Lure nord. 81 Dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Melisey. 82 Dambenoit-lès-Colombe, dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Saint-Sauveur. 83 Non localisé. 84 Le receveur n’indiquait ici que 2 livres 9 sous 8 deniers obole. 85 Dép. Haute-Saône, arr. Vesoul, cant. Port-sur-Saône. 86 Le receveur reportait 18 livres 18 sous 8 deniers obole.

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Les recettes de châtellenies en 1405  |  Chapitre 3

Tableau 37 : Recettes des avoueries de la seigneurie de Faucogney (1405).78 Montby87

Taille

Cens Rente

Amodiation Divers

TOTAL

43 £ 16 s.

2 s. 6 d.

6 s. et 8 fr.

44 £ 4 s.6 d. et 8 fr.

Longchamp 33 florins

15 d. et 16 gr.

4 florins et 15 d. 1 fr. 10 gr. 37 florins 3 fr. 2 gr.

Comme dans les mairies voisines la recette la plus élevée des avoueries était celle des tailles, les autres redevances apparaissant très anecdotiques. Montby était disséminé dans un vaste ensemble88. S’ajoutaient onze hommes89 taillables et justiciables du roi et de l’abbé de Luxeuil devant seulement des gélines au seigneur de Faucogney. Immédiatement revendues, la somme se trouvait donc comptabilisée en recette de deniers. Ces revenus advenus au domaine comtal mais appartenant auparavant à un plus petit seigneur nous permettent d’entrevoir le véritable émiettement de leurs biens. C. Les villages La présentation des recettes des villages rappelle que les habitants de la seigneurie de Faucogney connaissaient encore un statut déprécié : taillables et corvéables à volonté. À déjà été évoquée la taille réelle du village de Montigny. Meurcourt qui comptait trente-trois ménages payait trente-sept livres de taille, alors que Montigny qui détenait trente feux versait plus de soixante-trois livres. Cela tend à corroborer l’hypothèse selon laquelle la taille réelle n’était pas apte à attirer les populations, les grevant plus lourdement et peut expliquer le nombre élevé de meix vacants à Montigny.90

Tableau 38 : Prélèvements en argent dans les villages de la seigneurie de Faucogney (1405). Taille

Cens Corvées

Montigny (30 feux)

63 £ 3 s. 11 d.

17 s.

Servigney (5 feux)

9 £ 10 s.

Adelans et 13 £ 10 s. 2 s. la Lauchiere (14 feux)

Vente ou amendes TOTAL amodiation

7 £ 2 s. 6 d. 3 £ 19 s. 18 fr.1/2

4 £ 14s.

18 fr. 1/2 79 £ 16 s. 5 d.90 9 £ 10 s. 13 £ 12 s.

87 Fontenelle-Montby, dép. Doubs, arr. Besançon, cant. Rougemont. 88 Onze ménages à Quers, dix à Sainte-Marie partagés par moitié avec l’abbé et le couvent de Luxeuil, un homme et une femme à Linexert (dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Saint-Sauveur), un cens à Malbouhans, un chasal amodié, un moulin et la banvardié à Melisey et encore trente-sept ménages non localisés. 89 Dont un maire qui ne paie pas. 90 Le receveur trouvait 79 livres 15 sous et 5 deniers.

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Les corvées rachetées ont déjà été évoquées, cependant à Montigny leur décomposition montre qu’elles ne concernaient pas tous les habitants. Le charroi portait sur les possesseurs de voitures : trente-six charrois vendus à ceux les devant au tarif de 3 deniers obole par voiture91. La corvée dite de charrue était due trois fois par an et vendue 2 sous 6 deniers par charrue92. On en dénombre sept, ce qui correspondait à environ deux corvées de labour par terme, laissant supposer une très faible présence de cet outil à Montigny. Les corvées de bras, au contraire, concernaient un nombre élevé d’individus, ne nécessitant ni la détention d’un outil ni une quelconque spécialisation93. Elles étaient vendues seulement 9 deniers l’une tandis que douze faucheurs devant un jour de fauche de corvée versaient 18 deniers chacun. D. Les prélèvements en nature Il existait d’autres particularités de la seigneurie parmi les versements en nature, à commencer par la vendue d’herbe qui n’existait nulle part ailleurs, nous l’avons déjà dit. Les prés s’installaient le plus souvent dans les fonds humides, expliquant sans doute leur importance dans cette seigneurie couverte d’étangs94. Cinq ensembles se vendaient de façon classique, au plus offrant, pour les fenaisons 1406, qui rapportèrent 10 francs 7 gros 6 engrognes. Existaient des disparités dans les rapports superficie, somme versée95. L’autre système, beaucoup plus employé, était la vente pour plusieurs années : dix ou douze96, les sommes et les superficies étant moins importantes. Les différences de proportion apparaissent plus élevées que dans les ventes pour un an97. Il s’agissait visiblement d’attirer des exploitants sur des terres désertées. Mais par exemple dans le val de Longchamp, la Moselle « par crehue d’eaul croist et decroist », permettant de vendre à plusieurs personnes de Lorraine des prés à faucher en plusieurs endroits98. Au total, les prés rapportèrent 12 livres 18 sous et 19 francs 4 gros 6 engrognes, ce qui paraît peu important en regard des bénéfices précédents. On s’interroge sur les motivations poussant à conserver de telles méthodes d’exploitation séparée. Les recettes en nature se révèlent de bien meilleur rapport. Parmi les plus importantes se trouvaient celles de blé. Leur présentation est rendue difficile par la multiplicité des mesures donnant une idée des calculs complexes auxquels devait se livrer le receveur. Les relevés étaient beaucoup moins précis que ceux des prélèvements en espèces. Les recettes n’étaient pas classées par ensemble géographique et l’appellation des redevances avait tendance à être simplifiée. Plusieurs s’intitulaient rente de façon presque générique99, conduisant à des rentes élevées en blé, le terme ne reflétant peutêtre pas toujours la réalité de la redevance.

91 À deux termes, Noël et Toussaint, il y avait donc dix-huit voitures en tout. 92 Pour comparaison, nous avions vu dans le bailliage d’Amont qu’elles étaient vendues à trois tarifs différent : 2 sous 6 deniers en tranois, 2 sous en sombre et 3 sous en vain. 93 Cela concernait trente personnes. 94 C. Beck, « Techniques et modes d’exploitation des prés… » art. cit. 95 Six francs pour vingt-cinq fauchées, 1 franc pour dix fauchées, 2 francs pour six fauchées. 96 Nous avons déjà présenté les conditions qui entouraient ce genre de contrat dans le premier chapitre. 97 Vente pour un an, entre 1 gros à 4 gros par fauchée, alors que dans les ventes pour dix ans cela va de 3 sous à 11 sous par fauchée c’est-à-dire entre 2 gros et un peu plus de 7 gros par fauchée. 98 Environ trente-huit fauchées pour 7 francs 6 gros. 99 Si l’on compare avec les redevances en argent lorsqu’elles sont couplées avec des redevances en nature et qu’elles sont indiquées dans la recette de deniers, c’est le cas surtout pour l’avoine, le cens de Faucogney était noté rente, ainsi que toutes les tailles de Montigny dans les recettes en nature.

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Tableau 39 : Recettes de blé de la seigneurie de Faucogney en 1405102.

10101

Rentes Froment 3 bich. 5 quartes mes. du grenier Seigle

13 bich. 26 quartes mes. du grenier 2 bich. 8 quartes 3/4 mes. du marché 1 muid mes. Remiremont

Avoine

3 muids mes. Remiremont 9 bich. 23 quartes mes. d’Annegray 9 bich. 19 quartes 4/15 mes. du marché 27 bich. 10 quartes 17/24 mes. du grenier

Cens

Dîmes

2 quartes 7 bich. 2 2/3 mes. quartes du grenier 1/2 mes. du grenier

Tailles

Amodiations100

7 bich. 1 quarte mesure de Vesoul

1 bich. mes. du grenier 2 bich. 14 quartes mes. de Vesoul

10 quartes mes. du grenier

5 bich. 22 quartes 1/2 mes. du marché 1 bich. 12 quartes 2/3 mes. du grenier

7 bich. 1 quarte 1/2 mes. du grenier

3 bich. 11 quartes mes. du grenier101

7 bich. 8 quartes 1/2 mes. de Vesoul

2 bich. 15 quartes mes. de Vesoul 5 bich. mes. du grenier 3 quartes mes. du marché

102

Les montants des cens étaient faibles et les tailles, exclusivement en mesure de Vesoul correspondaient à celles de Montigny. Comparativement, les dîmes apparaissent relativement importantes. À Dambenoit et La Lauchière103 où un quart revenait au curé, se versait une gerbe sur quatorze. Si dans le bailliage d’Amont les dîmes se payaient exclusivement en nature, dans la seigneurie de Faucogney, cela semblait plutôt l’exception. À Quers et Citers ou Bouhans et Amblans, elles se payaient à la volonté des habitants. Dans tous les cas de figure, elles étaient affermées. Parmi les diverses amodiations regroupées en un seul ensemble pour des raisons de commodité, on constate la rareté des moulins. À l’instar du bailliage voisin, leur utilisation se payait de plus en plus en argent. Une redevance payable en céréales, à peu près essentiellement en seigle, n’était pas versée depuis 1401 : le blé des guettes. Le montant dû par les habitants des villages

100 Moulins, terres arables, meix vacants à froment et avoine, gerberie à seigle. 101 Cependant, cela correspond à six ans de versements reçus en une seule fois pour trois bichots huit quartes mesure du grenier, cette amodiation n’avait pas été recouvrée pendant tout ce temps. 102 Une quarte mesure du grenier = 2 quartes 1/8 mesure d’Annegray = 2/3 de quarte mesure de Vesoul = 12/11 de quarte mesure du marché = 4/15 de muid de Remiremont. Il faut attendre le compte ADCO, B 4689, année 1413 pour que le receveur essaie de simplifier les mesures dans son état abrégé final en réunissant tout sous la mesure du grenier, cependant il écrivait : « appert par estat ecrit a la fin du compte precedent », qui ne nous est pas parvenu. 103 Non localisé.

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fut toujours reporté dans les comptes jusqu’en 1410 où ils payèrent de nouveau104. Il s’agissait donc d’un dégrèvement provisoire dont le total se montait à deux bichots trois quartes un tiers de la mesure du grenier en seigle et dix-neuf quartes demi de la même mesure en avoine. Une multitude de villages versait cette redevance pour des montants souvent peu élevés. Le versement en nature se faisait majoritairement en céréales mais d’autres types de produits étaient également comptabilisés. La cire, les volailles et le chanvre n’ont rien de commun mais ont pourtant été regroupés car ils représentaient une proportion importante des prélèvements en nature. Les versements en cire n’avaient pourtant pas un poids comparable à ceux du bailliage d’Amont car les prévôtés étaient inexistantes, gardes et bourgeoisies fournissant principalement la cire. Le versement de chapons n’existait nulle part ailleurs dans le domaine et provenaient surtout du cens payé par les habitants du bourg de Faucogney. Le nombre de gélines perçu apparait très élevé105, tous les ménages de la seigneurie devant cette redevance établie par feu. Seul le bourg de Faucogney y échappait vraisemblablement en raison du dégrèvement obtenu avec ses chartes. Le versement des gelines parait donc bien lié à la taille. Le prélèvement de chanvre n’existait également que dans la seigneurie de Faucogney, sans doute le signe d’une petite spécialisation agricole.106107

Tableau 40 : Prélèvements de cire, volailles et chanvre dans la seigneurie de Faucogney en 1407.

Cire

Cens

Garde et Divers106 Indéterminé Rente Bourgeoisie

21 lb. 1/2

52 lb.

Gélines 45 et chapons chapons 1/2 Chanvre 3 maisses

9 lb.1/2

13 lb.

Redevance par feu

4 lb. 3 gélines 675 gélines et 4 1/2 chapons

18 aunes 18 maisses107 10 maisses de toile

La plupart des autres versements n’existait que dans cette seigneurie, l’ensemble est donc assez disparate. Le vin provenait en partie d’une exploitation en faire-valoir direct108, en partie d’une exploitation à part de fruits109. D’autres prélèvements apparaissent très anecdotiques. Les pois, les fèves et les oignons étaient utilisés pour réaliser des potages pour les corvéables110.

104 ADCO, B 4687, 1409-1410. 105 Pour comparaison 132 gélines sont perçues dans le bailliage d’Amont en 1406. Et il y en a très peu de perçus dans le bailliage d’Aval, là où la taille a quasiment disparu. 106 Pour la cire : franchise, héritages, terres amodiées, pour le chanvre : dîmes. 107 Très vraisemblablement des rentes même si ce n’est pas précisé. 108 Deux vignes à Dambenoit donnant six muids de vin en 1407. 109 À Montigny, la moitié de la récolte aux exploitants, la moitié au propriétaire, sans doute un contrat de complant. 110 Le cens en oignons, indiqué, n’était pas comptabilisé, pourtant les pois et fèves connaissant le même sort étaient bien comptabilisés.

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Tableau 41 : Versements divers dans la seigneurie de Faucogney en 1405. Rente Cens Vin Épices

Héritages

1 muid 1/2 2 lb.

Fromage 20 lb.

Vignes appartenant au comte 11 muids 1/2111

3 quarterons 13 livres

Pois et fèves Oignons

Dîmes

1 poise 1/2112 6 quartes pois 6 quartes fèves

3 quartes

111112

La pulvérisation en une multitude de redevances apparait encore plus poussée dans la seigneurie de Faucogney. Ne se dessine aucune volonté uniformisatrice que ce soit à l’intérieur des bailliages ou dans une seigneurie isolée comme celle de Faucogney. Cette sorte de mille-feuille complexe provenait de la volonté de garder en mémoire l’ensemble des droits domaniaux alors même que les recettes en découlant se révélaient parfois dérisoires113. Les rapports des différentes redevances apparaissent également extrêmement variables : soit les cens amenaient d’importantes recettes, soit les tailles. Les prévôtés représentaient les apports les plus intéressants. Mais le domaine du comte de Bourgogne ne constituait pas un ensemble extrêmement riche comparé simplement au duché voisin beaucoup plus important en superficie114. On peut également s’arrêter sur le cas de ces denrées rachetées par les redevables eux-mêmes, supposant un accord de principe entre le seigneur et ses paysans découlant d’intérêts convergents. Ce système présentait l’avantage pour le seigneur de ne plus avoir à collecter, entreposer et mettre en vente les produits, tandis que le paysan pouvait espérer obtenir du numéraire en écoulant sa production115. Mais comment s’établissait le prix du prélèvement ? En Dauphiné et dans la Savoie voisine, ils paraissent établis sur des prix coutumiers, stables mais pas immuables et variant d’une châtellenie à l’autre116. L’approche suivante de ces recettes est évolutive, les revenus ont-ils connus de notables transformations au cours du principat de Jean sans Peur ?

111 Les deux vignes de Dambenoit plus les vignes Montigny laissées à part de fruits, moitié, moitié. 112 Un poise = quatre-vingt livres. 113 Voir S. Bépoix et F. Couvel, « Rendre bon compte en Bourgogne… » art. cit. 114 Voir J. Rauzier, Finances et gestion d’une principauté…op. cit., ou A. van Nieuwenhuysen, Les finances du duc de Bourgogne…op. cit. 115 N. Carrier, « Le rachat des redevances en nature en Dauphiné et en Savoie à la fin du Moyen Âge, d’après les « venditiones » des comptes de châtellenies (xiiie-xve s.), in Calculs et rationalités dans la seigneurie médiévale : les conversions de redevances entre xie et xve siècle. Actes de la table ronde d’Auxerre, 26-27 octobre 2006, L. Feller (éd.), Paris, 2009, p. 145-166. 116 Ibid.

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Chapitre 4 Les recettes entre 1404 et 1419 Le principat de Jean sans Peur fut de courte durée, pourtant, en une quinzaine d’années des changements sont perceptibles. L’étude débute par une approche générale pour ensuite s’affiner avec une distinction entre les revenus importants et les plus faibles. Sont également présentés les prix des denrées disponibles dans les sources. Parmi les bailliages et les recettes particulières ont été choisis les exemples les plus démonstratifs. 1. Trésoreries de Vesoul et de Dole Les éléments faisant varier les revenus étaient à peu près toujours les mêmes, les seules différences provenant du moment où avaient lieu ces variations et leur ampleur. L’étude commune des revenus des deux bailliages se révèle tout de même difficile car il n’y a pas de correspondance chronologique. A. Les variations Neuf comptes de la trésorerie de Vesoul nous sont parvenus, courant du premier novembre 1404 au 31 décembre 14191. Leur état est relativement satisfaisant car il manque peu de données cependant leurs termes d’échéances diffèrent, ce qui pose des problèmes de représentation. Á cela s’ajoutent les comptes courant sur des années incomplètes : par exemple lorsque le trésorier décédait en cours d’exercice ou était remplacé. Pour le bailliage d’Amont, deux comptes couraient sur plus de douze mois2 et au début du principat de Jean sans Peur, les comptes se terminaient à la Toussaint3. Pour simplifier la représentation graphique, ils sont représentés dans l’année où l’exercice comptait le plus de mois. Ensuite, le troisième compte disponible court sur quatorze mois4 et le quatrième sur quinze mois5. Il est difficile d’en comprendre la raison d’autant que le trésorier resta en exercice. Conserver ces données en l’état faussait la comparaison, on ne pouvait mettre en parallèle des comptes de douze mois avec des comptes de quatorze ou quinze mois. Avec toutes les réserves que cela implique, nous avons choisi de rétablir ces comptes sur douze mois par une règle de proportionnalité. Les montants obtenus s’avèrent très voisins des suivants6. Les cinq comptes postérieurs sont d’une utilisation plus simple car le trésorier avait utilisé des échéances correspondant à l’année civile telle que nous la connaissons aujourd’hui : du premier janvier au 1 2 3 4 5 6

Voir la présentation des sources. ADCO, B 1557, B 1561. Nous avons ainsi le compte du premier novembre 1404 au premier novembre 140 : ADD, 1B101 et le compte du premier novembre 1407 au premier novembre 140 : ADD, 1B102. ADCO, B 1557 : premier novembre 1408 au 31 décembre 1409. ADCO, B 1561 : premier janvier 1410 au 31 mars 1411. Le compte 1408-1409 (quatorze mois), comptabilisait 4 061 livres tournois de revenus, remis sur douze mois, nous obtenons 3 481 livres tournois et le compte 1410-1411 (quinze mois) comptabilisait 5 042 livres tournois, remis sur douze mois nous obtenons 4 034 livres tournois demi.

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31 décembre, facilitant la représentation des données. Malheureusement, il s’agit des seuls cas parmi tous les comptes sur lesquels nous avons travaillé7. Á l’exception des années 1405 et 1408, les recettes du bailliage d’Amont montrent une remarquable stabilité, évoluant entre 3 500 et 4 000 livres tournois. Au temps de Philippe le Hardi, elles montraient un écart relativement similaire : entre 3 000 et 4 000 francs8. Le plus faible résultat9 correspondait à l’année 1408-1409, le compte de quatorze mois rétabli sur douze.

Graphique 5 : Recettes du trésorier de Vesoul (1405-1419). Livres tournois

14000 12000 10000 8000 6000 4000 2000 0 1400

1405

1410

1415

1420

Années

Les montants très élevés des années 1405 et 1408 s’expliquent par l’existence d’un prêt forcé la première année et une aide la seconde. Ces recettes extraordinaires n’ont pas été séparées des autres revenus dans la représentation graphique car le trésorier de Vesoul comptabilisait les aides et emprunts qui rentraient dans le total de la recette. L’emprunt forcé s’élevait à 8 840 livres tournois, soustrait au montant de la recette complète, on obtient 4 060 livres tournois, ce qui s’avère proche des montants « habituels ». En 1408, l’aide accordée fut très inférieure à l’emprunt forcé : 2 885 livres tournois10. Une fois le montant de l’aide déduit, la recette s’élève à 3 818 livres tournois, se situant donc toujours dans la fourchette des revenus du bailliage. On peut en conclure une remarquable stabilité des revenus du bailliage d’Amont si l’on excepte les apports extraordinaires. Contrairement à ceux de Vesoul, les officiers qui s’étaient succédé à la tête de la trésorerie de Dole avaient peu modifié les dates de termes des comptes. Jusqu’en 1413, les échéances avaient lieu le 29 septembre, à la Saint-Michel puis furent remplacées à partir de 1414 par la Toussaint. Un seul compte sur les douze disponibles ne court pas sur douze mois : d’avril à décembre 1411. Le 31 de ce mois, un nouveau trésorier avait été institué. Les données de ce compte de neuf mois, de plus en très mauvais état, ont délibérément été écartées dans plusieurs représentations, certaines échéances étant comptabilisées, d’autres non, cela fausse trop les données11. Autre problème, le compte 7

ADCO, B 157 : 1er janvier-31 décembre 1413, B 158 : 1er janvier-31 décembre 1415, B 158 : 1er janvier-31 décembre 1416, B 159 : 1er janvier-31 décembre 1418, B 159 : 1er janvier-31 décembre 1419. 8 En excluant les produits de l’extraordinaire comme les aides. M. Rey, « La politique financière… » art. cit. Les données correspondent aux années 1401 à 1404. 9 C’est-à-dire 3 481 livres tournois. 10 Le trésorier de Vesoul a comptabilisé l’aide du bailliage d’Amont alors que l’emprunt portait sur les deux bailliages. 11 Nous avons utilisé pour le bailliage d’Amont des comptes dépassant un an car toutes les recettes avaient été comptabilisées au moins une fois, ce qui n’est pas le cas ici.

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Les recettes entre 1404 et 1419  |  Chapitre 4

de 1406 est un débris12. Toutes les sommes des postes de comptabilité ont été reconstituées à l’aide de quelques montants intermédiaires disponibles. Le compte de 140813 est dans un bon état relatif, cependant cinquante folios établissant le bilan de toutes les recettes ont disparu. La recette totale a été reconstituée à partir des dépenses. Le même problème se pose pour l’année 1415 où il manque de nombreux folios. La majeure partie des sommes a été reconstituée à l’aide des dépenses. Enfin, on ne peut que déplorer les données manquantes entrevues parfois en manipulant d’autres sources14. Comme pour le bailliage voisin, chaque compte est représenté graphiquement dans l’année comportant le plus grand nombre de mois. Il est difficile de percevoir une tendance dans l’évolution des recettes du trésorier de Dole car beaucoup de revenus extraordinaires intervenaient. Les années que l’on pourrait qualifier de « normales » étaient rares : on en dénombre cinq, correspondant aux revenus les plus faibles, autour de 12 000 à 13 000 livres tournois. Pour comparaison, sous Philippe le Hardi, les recettes s’établissaient entre 10 500 et 16 000 francs entre 1395 et 1403, les revenus avoisinant les 11 000 francs étant les plus fréquents15. Se retrouve donc, comme dans le nord, une certaine stagnation des rentrées d’argent, masquée par des apports extraordinaires. Les recettes provenant des deux parlements, en 140516 et en 141317, sont bien visibles. En 1414, les revenus élevés résultaient d’une aide octroyée au comte de Bourgogne18. En 1418, il s’agissait cette fois d’un prêt19. Le montant de l’aide fut plus important que celui du prêt forcé car requise dans tout le comté tandis que le prêt ne fut levé que sur les habitants du bailliage d’Aval.

Graphique 6 : Recettes du trésorier de Dole (1405-1419). Livres tournois

30000 25000 20000 15000 10000 5000 0 1400

1405

1410 Années

1415

1420

Deux recettes importantes restent à expliquer : 1408 et 1415. Il s’avère qu’une aide fut également levée en 1415, des dépenses étant enregistrées pour son prélèvement. Malheureusement, les folios 72 à 8120, perdus, correspondaient précisément à la recette de l’aide. Si l’on se réfère aux montants des années dites « normales », l’aide devait 12 ADCO, B 1546. 13 ADCO, B 1555. 14 Nous savons par exemple qu’un emprunt a été prélevé en 1411 dans les duché et comté de Bourgogne. Ne possédant pas les comptes de cette année, cela ne peut apparaître ici mais était cité dans les comptes généraux : ADCO, B 1563. 15 M. Rey, « La politique financière… » art. cit. 16 Apport de 4 378 livres 10 sous tournois. 17 Le parlement, avec la réformation de la justice, rapporta 13 441 livres tournois. 18 ADCO, B 1579, fol. 93-98. D’un montant de 7 889 livres tournois. 19 ADCO, B 1592, fol. 87-89. D’un montant de 5 633 livres tournois. 20 ADCO, B 1582.

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s’élever à environ 5 000 livres tournois21. Nous n’avons pas trouvé d’explication à la recette relevée en 140822. La part des revenus extraordinaires étant désormais établie, l’origine des rentrées d’argent dans le détail montre les mêmes répartitions dans les deux bailliages : les châtellenies étaient l’élément rapportant le plus. B. Les châtellenies : l’exemple du bailliage d’Aval Les châtellenies du bailliage d’Aval ont été choisies pour la représentation, les revenus y variant de façon plus importante que dans le bailliage d’Amont, les baisses de recettes s’expliquant en partie par une succession d’aliénations. En revanche, les hausses qui leur succédaient se révèlent plus difficiles à interpréter. Malgré tout, la tendance d’ensemble sur la période apparait plutôt à la hausse, même faible, des recettes.

Graphique 7 : Revenus des châtellenies du bailliage d’Aval (1405-1419). Livres tournois

8600 8400 8200 8000 7800 7600 1400

1405

1410

1415

1420

Années

En 1405, trente-neuf châtellenies versaient des revenus dans le bailliage d’Aval. En 1406 et 1407, les recettes augmentèrent respectivement de 150 puis 100 livres tournois, soit une hausse de 1,6% la première année et de 1% la deuxième, évolution assez dérisoire, correspondant vraisemblablement à une légère augmentation des prix des fermes. La baisse ne fut guère plus importante entre 1407 et 1413, s’expliquant en partie par des donations23. La châtellenie de Santans et les villages de Cinqcens et Étrepigney donnés à perpétuité par le comte à son chambellan Aimé de Viry24 remplaçait une pension à vie de 500 francs par an, la valeur des nouveaux biens étant établie à 200 livres tournois. Donation à rachat, les biens étaient récupérables contre 3 000 francs25. L’année précédant la donation, en 1408, l’ensemble des recettes se monta à 237 livres tournois26. La châtellenie de Quingey, délivrée le 24 novembre 1410 à Jean de Neuchâtel, seigneur de 21 Les sergents apportèrent 4 450 francs au receveur général des duché et comté. 22 On peut d’ailleurs arguer qu’il s’agit d’une recette reconstituée. 23 Lettres de donation : compte de 1411, ADCO, B 1564, qui n’a pas été intégré car ne comptant que neuf mois. 24 Lettres de donation, ADCO, B 1564, fol. 10. Devenu conseiller de Jean sans Peur après sa participation à la campagne d’Othée en 1408, cela lui valut une pension à vie. Entre 1405 et 1408, Jean sans Peur utilisa la Savoie comme réservoir de troupes de bonne qualité. Viry, écuyer banneret, faisait partie de ces capitaines dont le nombre augmenta dans les troupes bourguignonnes après la campagne contre Liège. B. Schnerb, « Bourgogne et Savoie au début du xve siècle, évolution d’une alliance militaire », Publication du Centre Européen d’Études Bourguignonnes, 1992, p. 13-29. 25 Avec lesquels le bénéficiaire s’engageait à acquérir des rentes en fief du comte pour demeurer son homme. 26 ADCO, B 1555, fol. 12-13.

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Les recettes entre 1404 et 1419  |  Chapitre 4

Montaigu pouvait revenir au domaine contre 2 000 francs27. Cette somme une fois versée, Jean de Neuchâtel s’engageait à ne plus rien réclamer sur ce qui pouvait encore lui être dû. En effet, il avait effectué de nombreux voyages, des chevauchées, des conduites de gens d’armes pour le compte du duc de Bourgogne. Les données de 1408 fournissaient une valeur approximative de la donation28 : 383 livres tournois. La châtellenie de Thoraise, toujours inscrite dans les biens en donation en 147029 était à l’origine un don à vie fait à l’écuyer Jean Pourcellot de Besançon30. Après sa mort, ses héritiers la conservèrent jusqu’à perception d’une somme de 1 200 francs, montant que Jean sans Peur leur devait sur un prêt de 1 500 francs. Chaque année étaient défalqués 1 200 francs des revenus de Thoraise jusqu’à complète disparition de la dette. Le comte de Bourgogne pouvait récupérer sa châtellenie en payant le résidu de la créance en une seule fois. Mais Jean sans Peur établit de nouvelles lettres patentes le 12 décembre 141231, le bénéficiaire du don ayant réalisé plusieurs travaux dans le château et les moulin, batteur et écluses, 300 francs supplémentaires lui étaient donnés. Le montant annuel des revenus de Thoraise fut établi alors à 100 livres tournois. Le compte de 140832 montrait des recettes en argent se montant à 32 livres tournois. Á cette somme s’ajoutaient d’importantes recettes en nature : avoine et froment évalués à environ 50 francs de revenus en 1408. En ajoutant les prélèvements en cire et en vin, les revenus de Thoraise devaient effectivement approcher les 100 livres tournois. Il faut encore évoquer les donations faites à Guigue de Salenove, chambellan33 et capitaine savoyard engagé dans les armées du duc de Bourgogne. Cependant, les lettres de donation précisaient que les possessions rapportaient non plus 200 livres de rente mais 250 livres malgré un montant du rachat en baisse : 2 000 francs en une fois. Ce don agita beaucoup les gens des comptes : maintes copies de lettres et diverses mentions nous le prouvent. Quant à Quingey, le premier mars 1412, Jean de Neuchâtel rendit la châtellenie au domaine et obtint en récompense la châtellenie de Chay à perpétuité34 d’une valeur établie à environ 277 livres 10 sous tournois35. En 1413, une partie des recettes de Quingey étaient déjà revenus au domaine36 et dès l’année suivante, elles le furent entièrement. Malgré cela, les recettes des châtellenies baissèrent de façon importante, principalement en raison de la disparition dans les comptes de Montréal, Arbent et Matafélon37. Le 6 septembre 1414, les trois châtellenies furent données au comte et à la comtesse de Savoie. Marie de Bourgogne, sœur de Jean sans Peur s’était mariée avec Amédée VIII de Savoie en 139338. Jean sans Peur, désireux de se réconcilier avec ses voisins dans un contexte tourmenté, régla avec Amédée VIII le différend résultant de la confiscation des châtellenies de la montagne. L’accord établi le 24 avril 27 En échange du maintien du château en bon état, contre remboursement des frais en cas de rachat. 28 ADCO, B 1555, fol. 33 à 35. 29 ADD, 1B 529, le registre, établi en 1470, récapitulait toutes les aliénations et donations encore effectives à cette date et remontait aux donations datant de la comtesse d’Artois, depuis 1362. 30 La donation est présentée pour la première fois dans le compte d’Hugon Druet de 1409 qui a disparu. Les lettres de donations sont dans le compte ADCO, B 1564, fol. 31. 31 Copie dans le compte de 1413, ADCO, B 1579, fol. 44. 32 ADCO, B 1555, fol. 36-37. 33 Il récupère les châtellenies données à Viry, mort au siège de Bourges. B. Schnerb, « Bourgogne et Savoie au début du xve siècle… » art. cit. A.C.O., B. 1579, fol. 14, la donation apparait dans le compte de 1413. En 1470, Santans, Cinqcens et Etrepigney étaient toujours aux mains de la famille Salenove : ADD, 1B529. 34 ADCO, B 1579, fol. 39. Lettres du 9 septembre 1413. 35 Exactement 333 florins. Le sire de Montaigu pensait que l’évaluation avait été surestimée. 36 Une partie était échue alors que la châtellenie était encore aux mains de Jean de Neuchâtel. 37 ADCO, B 1582, fol. 60. 38 Marie mit dix ans à rejoindre son mari. C.-A.-J. Armstrong, « La politique matrimoniale des ducs de Bourgogne de la maison de Valois », Annales de Bourgogne, 1968, p. 5-58, p. 89-139.

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1414 rendait tout ce qui appartenait au sire de Thoire et de Villars, évalué à 26 000 francs or, en déduction des dettes contractées envers le comte de Savoie et découlant du contrat de mariage39. Á la mort de Marie en 1422, une partie de la dot restant impayée, Philippe le Bon s’en acquitta en versant seize paiements échelonnés40. Dans le compte de 141341, les revenus des trois châtellenies de la montagne se montaient à 384 livres 10 sous tournois sans compter les recettes en nature, très importantes. Pour l’ensemble des châtellenies, la baisse de revenus représentait 554 livres tournois, la différence correspondant à la valeur des ventes de « garnisons »42. Pourtant, dès 1415, les recettes retrouvaient un montant presque équivalent à celui de 1413. Par la suite, chaque baisse fut suivie d’une hausse supérieure à la chute. La châtellenie de Rochefort fut donnée en 1416 à Elyon de Jacleville43, conseiller et chambellan du duc, pour services rendus. Il avait tout perdu au terme des derniers combats menés par Jean sans Peur. Il obtint les gages de capitaine et les revenus de la châtellenie sa vie durant, Jean sans Peur lui octroyant également une rente annuelle de 1 000 livres tournois à prendre sur la saunerie de Salins. En 141544, la châtellenie avait rapporté 315 livres 10 sous tournois, un revenu relativement confortable. En décembre 141745, à la mort de Jacleville, Rochefort fut de nouveau rattaché au domaine. Une lettre de Jean sans Peur datée du 14 novembre 1415 établit la deuxième donation. Gauthier de Bauffremont qui avait participé aux campagnes de Jean sans Peur menées en France en 1413, puis en Artois, demandait une rémunération pour les « gens d’armes et de trait » qui l’accompagnaient. Le calcul portait la créance à 15 527 francs 15 sous tournois. Ayant déjà obtenu le village de Vaivre dans le bailliage d’Amont, le seigneur de Ruppes récupéra également la châtellenie de Valempoulières dans le bailliage d’Aval. L’année précédente46, elle avait rapporté 86 livres 10 sous tournois47. En 1418, le retour de la châtellenie de Rochefort au domaine ne réussit pas à infléchir la tendance à la baisse des revenus, motivée sans doute en partie par une nouvelle et dernière donation : la châtellenie de Fraisans, donnée le 12 juin 1418 à l’écuyer Jean Bernart, sire d’Asne, chambellan, pour services rendus au roi de France comme au duc-comte. L’assiette des revenus, 300 livres tournois par an, se prélevait sur les revenus de la châtellenie, excepté tout ce qui relevait de la gruerie. Ce don à rachat de 3 000 francs comportait les conditions habituelles : tout restituer en bon état au domaine comtal, racheter des terres ou des rentes en fief du comte. En 141748, la châtellenie de Fraisans représentait 242 livres tournois de revenus. La donation ne demeura pas effective au-delà du principat de Philippe le Bon. Des aliénations importantes se succédèrent donc dans le bailliage d’Aval montrant avec constance les moyens employés par Jean sans Peur pour régler ses dettes ou récompenser ses bons serviteurs, la même politique étant utilisée dans le bailliage d’Amont. Ajoutée à cela, on peut également relever deux donations de moindre importance : 6 soitures de prés du finage d’Apremont49 ou la taille des mesures neuves de Montmirey50 qui représentait 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50

136

Ibid. Ibid. ADCO, B 1567, fol. 57 à 67. Recettes en nature de 1405 présentées plus haut : plus de 232 quarteaux de froment, plus de 30 quarteaux d’avoine et 173 livres de cire, sans compter les gélines. Lettres datées du 11 octobre 1415. ADCO, B 1590, fol. 50. ADCO, B 1582, fol. 47. Cela apparaît dans le compte de 1418, ADCO, B 1592, fol. 50. Compte de 1415, ADCO, B 1582, fol. 48. Sans comptabiliser les céréales or il y avait beaucoup d’avoine dans cette châtellenie. ADCO, B 1590, fol. 43-44. ADCO, B 1579, fol. 54, donné en 1410, cela n’apparaît que dans le compte de 1414. ADCO, B 1586, fol. 59, en 1416.

Les recettes entre 1404 et 1419  |  Chapitre 4

tout de même 60 francs par an, le comte en ayant fait don au châtelain du lieu. Au terme du principat de Jean sans Peur, neuf châtellenies avaient disparu du domaine comtal dans le bailliage d’Aval, la zone géographique ayant été plus touchée par les aliénations que le nord, vraisemblablement en raison de son importance. Mais le choix parait le plus souvent tributaire du montant de la donation. Parfois, à l’inverse, des confiscations abondaient les recettes, comme en 1407 la châtellenie de Torpes51. Le seigneur Jean de Thoraise avait menacé de mort un sergent du comte de Bourgogne à Ornans, or ce dernier décéda. Une procédure de grâce fut lancée à la requête du coupable pour réduire la peine de bannissement et de confiscation. En attendant la décision, la mainmise fut posée en 1407, rapportant 380 livres tournois pour les trois villages possédés par le sire de Torpes52. C. Les différents postes de comptabilité La hiérarchie des autres revenus des deux bailliages apparait relativement similaire, cependant, celui d’Amont ajoutait les « echoites de bastards » dans ses recettes importantes d’où le choix de ce bailliage comme exemple. Recettes qui se composaient en fait de trois ensembles : les exploits de justice, les héritages de bâtards et la vente des garnisons. Les sommes, ici moins élevées que les précédentes, expliquent l’aspect chaotique de la représentation graphique : les variations de 13 à 730 livres tournois étaient à peine plus importantes que celles constatées lors de la représentation des revenus des châtellenies. L’évolution des recettes des héritages de bâtards et des exploits de justice n’était tributaire d’aucune véritable logique. Le nombre plus ou moins élevé des revenus de la justice correspondait simplement à la présence de quelques amendes plus fortes que d’habitude ou à un nombre de délits plus importants. L’augmentation constante des revenus issus des héritages de bâtards amène plus de questions. Cela ne signifiait pas une augmentation du taux de mortalité dans le bailliage, la proportion de « bastards » dans la population étant totalement aléatoire. Le nombre d’héritages récupéré tout comme leur montant fluctuait beaucoup.

Graphique 8 : Les revenus importants du bailliage d’Amont, 1405-1419. Exploits de justice. Héritages de bâtards.

Livres tournois

Vendue de garnisons. 800 700 600 500 400 300 200 100 0 1400

1405

1410

1415

1420

Années

51 Dép. Doubs, arr. Besançon, cant. Boussières. ADCO, B 1549, fol. 68 à 70. Voir troisième partie. 52 Compris la vente des prélèvements en nature et les recettes foraines. Les villages sont : Torpes, Germigney et Lods (dép. Doubs, arr. Besançon, cant. Ornans).

137

Première partie  |  Le domaine comtal et ses recettes entre 1404 et 1419

La constante augmentation des revenus provenant des héritages de bâtards n’était pas seulement due à un zèle accru des officiers pour les récupérer, en effet, le montant moyen obtenu lors de leur revente allait dans le sens d’un accroissement. Il faut rester prudent, ces héritages se vendant aux plus offrants, les variations pouvaient donc résulter d’enchères plus fortes motivées par une demande accrue en terres, en meubles ou autre. Mais la conjoncture démographique plutôt défavorable en ces périodes troublées amène à douter de cette hypothèse. On ne peut exclure la possibilité d’un hasard en raison de la brièveté de la période53.54

Tableau 42 : Les revenus des héritages de bâtards, bailliage d’Amont (1404-1419). Nombre d’héritages de bâtards

Montant total récupéré

Moyenne par héritage54

1405

 1

13 £ 10 s. t.

13 £ 10 s. t.

1408

 5

66 £ t.

13 £ 10 s. t.

1409

 2

115 £ t.

57 £ 10 s. t.

1411

12

263 £ 10 s. t.

22 £ t.

1413

 5

330 £ t.

66 £ t.

1415

 7

355 £ 10 s. t.

51 £ t.

1416

 6

444 £ 10 s. t.

74 £ t.

1418

11

618 £ 10 s. t.

56 £ 10 s. t.

1419

 2

59 £

29 £ 10 s. t.

Le temps était révolu où le seigneur consommaient froment, avoine, poulets et vin dans son château. Le numéraire intéressait Jean sans Peur et la majeure partie des revenus en nature était vendue. Il est cependant légitime de s’interroger, à l’instar de Nicolas Carrier dans son étude sur Faucigny, sur les conditions dans lesquelles étaient vendus ces produits. Était-ce en gros ou au détail, selon des prix coutumiers ou obéissant à la loi du marché55 ? Difficile de répondre. Lorsque tous les produits n’avaient pu être écoulés, la vente s’effectuait l’année suivante. Les sommes provenant de ces ventes variaient beaucoup alors qu’une bonne partie des prélèvements se composait de quantités fixes. La vente de 130 gélines chaque année à ceux qui les devaient montre la transformation d’un prélèvement en nature en une levée en argent. Cette façon de le présenter dans les comptes en gardant le souvenir du produit en nature laisse à penser qu’il s’agissait d’un usage établi sans doute par compromis. Le prix de la volaille, fixé à 6 deniers estevenants, ne varia jamais. Les autres produits, froment, avoine, vin et cire, se vendaient aux enchères sur les marchés, uniquement lorsque les officiers locaux en avaient été requis par une lettre qui, en règle générale, émanait du receveur général des finances 53 Nous ne pouvons pas comparer avec les autres comptabilités en raison de la très faible présence d’« echoite de bastards » à Faucogney ou dans le bailliage d’Aval et il n’y en a aucune dans la châtellenie de Bracon pendant toute la période. 54 Arrondi à la demie livre supérieure. 55 N. Carrier, La vie montagnarde en Faucigny à la fin du Moyen Âge, économie et société fin xiiie, début xvie siècle, Paris, 2001, p. 115. Dans le duché de Bretagne, au cours de la première moitié du xve siècle, les tarifs étaient imposés au receveur ordinaire par le trésorier général mais sur quelle base ? Selon Jean Kerhervé, peut-être sur la foi de renseignements glanés dans la juridiction, J. Kerhervé, L’État breton…op. cit., p. 485-486.

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Les recettes entre 1404 et 1419  |  Chapitre 4

des duché et comté de Bourgogne. Quelques exceptions existaient comme en 1405 où les ventes furent effectuées par mandement de maître Oudart Douay, receveur général de la duchesse Marguerite, mère de Jean sans Peur. Sans cette injonction, la vente ne pouvait avoir lieu, les produits étant alors conservés dans les châteaux. N’étant pas réalisée à des périodes fixées, l’annonce de la vente se criait sur les marchés des villes et villages : on constate un glissement de l’hiver vers le printemps. Le compte de 1418 précisait que le mois de mars était le « temps et saison deue de les vendre aux plus offrans comme a l’accoustumée »56, coutume pour le moins récente. On peut s’interroger s’il s’agissait ou non d’un acte délibéré : plus on attendait pour vendre les céréales et le vin, plus il y avait une chance de voir les prix monter.

Tableau 43 : Dates de vente des garnisons du bailliage d’Amont (1404-1419). Période de vente 1405

fin déc.-début janv.

1408

oct.-déc.

1409

janv.-fév.

1411

fév.-mars

1413

fév.-mars

1415

mai

1416

mars

1418

mars

Le franc a été utilisé pour l’étude de l’évolution car il s’agissait de la monnaie la plus fréquemment employée, livres ou florins ont donc été convertis. La diversité des mesures représente le principal problème57. Toutes avaient la même parité : un bichot équivalant à vingt-quatre quartes, excepté à Châtillon, petite mesure, où un bichot correspondait à douze penaux ou quartes. De façon logique, le prix du bichot à la mesure de Châtillon se révèle le plus faible. L’évolution générale des différents prix du froment apparait assez similaire malgré la différence des mesures. On constate une baisse entre l’avènement de Jean sans Peur et 1408, suivie d’une relative stabilité jusqu’en 1413, date où les prix remontèrent de façon plus ou moins importante selon les mesures. Mais la hausse fut de courte durée, une nouvelle baisse s’amorça dès 1416. En 1419, tous les prix relevés apparaissent inférieurs à ceux de 1405. Seule l’évolution des prix du froment de Châtillon fut un peu différente avec une légère baisse entre 1411 et 1413, la hausse ne se produisant qu’en 1415, puis les prix se stabilisèrent jusqu’en 1419, le prix final étant lui aussi inférieur à celui de 1405. Avec quelques variantes marginales, les prix évoluèrent de la même façon dans le bailliage voisin58. Les valeurs du froment à Vesoul et Baume paraissent les plus propres à être généralisées. La première baisse fut très importante, de 4 à 5 francs le bichot, on passa à 2 francs ; la hausse de 1413 amena des prix nettement supérieurs à ceux de 1405, 5 ou 6 francs le bichot ; pour finir en 1419 à des prix de 3 ou 4 francs et demi le bichot. Ces variations de 56 ADCO, B 1596, fol. 40. 57 Nous ne citons que la mesure de Vesoul car Vaivre et Chariez possédaient la même. 58 Toutes les données des deux bailliages sont disponibles dans ma thèse, S. Bépoix, Le comté de Bourgogne au temps de Jean sans Peur…op. cit., p. 357-374.

139

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Graphique 9 : Prix du bichot de froment dans le bailliage d’Amont (1405-1419). Mesure de Vesoul. Mesure de Montjustin. Mesure de Baume-les-Dames. Mesure de Chatillon-le-Duc. 7 6 Francs

5 4 3 2 1 0 1400

1405

1410

1415

1420

Années

prix pouvaient résulter du contexte, par exemple, une mauvaise récolte pouvait entrainer une hausse des prix. Pourtant, les quantités de froment mises en vente variaient faiblement. L’année 1411 apparait exceptionnelle mais correspondait à la vente de deux années de recette, sans conséquence cependant sur les prix pratiqués. Les variations de quantité les plus importantes portaient sur la mesure de Vesoul et s’explique en partie par la donation du village de Vaivre en 1415, sans incidence sur les prix, encore une fois. Comprendre l’origine des variations se révèle complexe, les quantités vendues ne paraissant pas influer sur les prix. La présence de villes plus nombreuses dans le bailliage d’Aval permet cependant quelques constatations ponctuelles. En 1416, le prix du froment augmenta à Poligny, le receveur décida donc de convoquer plusieurs boulangers ainsi que des personnes « vendant et achetant blez oudit marché » leur faisant confirmer sous serment que le prix était bien celui pratiqué59. Parfois, le clerc apportait quelques précisions : par exemple que le prix communal était le même toute l’année ou qu’il s’agissait seulement de celui pratiqué en juin-juillet. Il semble donc que dans les villes importantes où l’approvisionnement et le prix du blé était un souci constant, le tarif était fixé. Il y avait dans ce cas peu de mentions de vente aux enchères, moins surveillés, les prix pouvaient alors flamber.

Tableau 44 : Quantité de froment vendue dans le bailliage d’Amont (1405-1419). Mesure Chariez Vaivre Vesoul

Mesure de Montjustin

Mesure de Baume

Mesure de Châtillon

1405

3 bich. 4 quartes

2 bich.

3 bich. 9quartes

3 bich. 4 quartes

1408

1 bich.

3 bich.

3 bich. 16 quartes

6 bich. 9 quartes

1409

1 bich. 2 quartes1/2

3 bich.

3 bich. 21 quartes

4 bich. 5 quartes

59 Huit gros par quartal. ADCO, B 1586, fol. 68.

140

Les recettes entre 1404 et 1419  |  Chapitre 4

Mesure Chariez Vaivre Vesoul

Mesure de Montjustin

Mesure de Baume

Mesure de Châtillon

1411

5 bich. 23 quartes 1/2

3 bich.

7 bich. 20 quartes

12 bich. 4 quartes

1413

3 bich. 1quarte

3 bich.

3 bich. 12 quartes

5 bich. 3 quartes 1/2

1415

2 bich. 9 quartes

2 bich. 12 quartes

3 bich. 10 quartes

9 bich. 1 quarte

1416

1 bich. 21 quartes

2 bich.

3 bich. 10 quartes

6 bich. 5 quartes

1418

1 bich. 19 quartes

2 bich.

3 bich. 8 quartes

7 bich. 8 quartes

1419

2 bich. 1 quarte

2 bich.

3 bich. 8 quartes

8 bich. 6 quartes

Pour l’avoine, on retrouve la petite mesure de Châtillon. Apparait Jussey qui commercialisait la céréale60, en revanche ne sont pas représentées les données concernant Montjustin et Montbozon qui vendaient bien de l’avoine mais dont les tarifs se fondaient approximativement avec ceux de Vesoul. Au moment où les prix du froment baissaient, entre 1405 et 1408, ceux de l’avoine augmentaient de façon assez importante pour redescendre aussitôt en 1409 et tomber à une valeur inférieure à celle de 1405. Jusqu’en 1416, les hausses et les baisses se succédèrent dans des variations moindres. Le prix de l’avoine de Châtillon fut quant à lui, remarquablement stable. En 1416, un peu plus tardivement que le froment, les prix de l’avoine montèrent en flèche, pour dépasser parfois largement ceux de 1405. On ne retrouve pas la baisse constatée dans les prix du froment à la fin de la période.

Graphique 10 : Prix du bichot d’avoine dans le bailliage d’Amont (1405-1419). Mesure de Vesoul. Mesure de Châtillon-le-Duc. Mesure de Baume-les-Dames. Mesure de Jussey. 3

Francs

2.5 2 1.5 1 0.5 0 1400

1405

1410 Années

1415

1420

60 Il s’agit des gardes de la Rochelle. Mesure de Jussey : un bichot = douze penaux = vingt-quatre quartes.

141

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Les conditions de vente furent fondamentalement différentes dans quelques-unes des châtellenies, en effet, une ordonnance enjoignait de ne pas vendre l’avoine de Montjustin, de Baume et de Jussey, les céréales y étant stockées dans les châteaux. Perrin Proudon, le nouveau capitaine de Montjustin constatant que « l’on a veu qu’il n’estoit guere besoing de les garder pour garnison qui feust oudit chastel »61 décida donc de dépenser l’avoine, les capitaines de Baume et de Jussey faisant de même. La dépense fut décomptée de leurs salaires avec un tarif établi sur le prix du marché de la châtellenie : 2 florins par bichot à Montjustin et Baume et 3 florins par bichot à Jussey. Cela correspondait aux prix très élevés de 1419. La même année, le prix de l’avoine vendue aux enchères à Vesoul fut lui aussi très élevé, deux ventes de garnisons comtales ayant été réalisées : une en février et une en mars avec des prix similaires. Le prix de l’avoine était inférieur à celui du froment, oscillant pour l’essentiel entre 1 et 2 francs le bichot. La hausse qui débuta en 1416 est difficile à expliquer. Comme avec le froment, les quantités mises en vente n’expliquaient pas les variations. L’année 1411 commercialisa ici aussi deux années de prélèvements. Pour le reste, une relative stabilité prévaut. Une faible quantité d’avoine fut vendue en 1408 sous la mesure de Vesoul sans qu’il existe une explication satisfaisante. Et les prix ne furent pas plus influencés par cette baisse de quantité.62

Tableau 45 : Quantité d’avoine vendue dans le bailliage d’Amont (1405-1419). Mesure Mesure de Mesure de Mesure de de Vesoul Montjustin Montbozon Baume

Mesure de Châtillon

Mesure de Jussey

1405 23 bich. 9 bich. 2 quartes62 16 quartes

6 bich. 14 quartes

59 bich. 4 quartes

5 bich. 17 quartes

1408 2 bich.

6 bich. 12 quartes

59 bich. 8 quartes

6 bich. 2pen.

69 bich.

6 bich. 7 pen.

9 bich. 2 bich. 10 quartes 12 quartes

1409 18 bich. 10 bich. 14 quartes 3 quartes

2 bich. 6 bich. 1 quarte 1/2

1411 34 bich. 18 bich. 8 quartes 8 quartes

5 bich. 5 bich. 124 bich. 10 bich. 8 quartes 1/2 2 quartes 3/4 10 quartes 1/2 10 pen.

1413 18 bich. 9 bich. 10 quartes

2 bich. 10 quartes

6 bich. 6 quartes

59 bich. 7 bich. 10 quartes 1/2 3 pen

1415 16 bich. 7 bich. 1 bich. 23 quartes 23 quartes 22 quartes

9 bich. 6 quartes

60 bich. 1 quarte

5 bich. 8 pen.

1416 15 bich. 8 bich. 2 bich. 19 quartes 11 quartes 2 quartes

9 bich. 6 quartes

63 bich. 3 pen

6 bich.

1418 16 bich. 8 bich. 16 quartes 3 quartes

2 bich. 4 quartes

9 bich. 6 quartes

63 bich.

6 bich. 1 pen.

1419 16 bich. 8 bich. 2 quartes 3 quartes

2 bich. 2 quartes

9 bich. 6 quartes

67 bich.

6 bich. 11 pen.

61 ADCO, B 1597, fol. 34. Institué en 1419, à la mort de son prédécesseur (fol. 40). 62 Comprise l’avoine de Montbozon.

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Les recettes entre 1404 et 1419  |  Chapitre 4

Restons dans le bailliage d’Amont pour étudier les tarifs appliqués à la cire car les quantités concernées y étaient relativement importantes. L’évolution du prix de la cire apparaît simple. Après une stagnation au début de la période, une hausse progressive se dessina à partir des années 1413-1415. Une brusque poussée des tarifs en 1419 aboutit au double du prix de 1405. Les quantités vendues n’étaient pas en cause, leurs variations, relativement faibles, correspondaient aux différents poids de cire obtenus annuellement lors des mises à ferme des prévôtés. 63646566

Tableau 46 : Vente de la cire du bailliage d’Amont (1405-1419). Cire vendue 1405 1500 lb. pds Vesoul63

Prix 16 fr./cent64 = 2 gros / lb.

1408 562 lb. 1/2 pds Vesoul 16 fr. / cent 104 lb. pds de Baume 1409 600 lb. pds Vesoul 120 lb. pds de Baume

16 fr. / cent

1411 537 lb. 1/2 pds Vesoul 15 fr. 4 gros / cent65 130 lb. pds de Baume 16 fr. / cent = 2 gros / lb. 1413 544 lb. 3/4 pds Vesoul 16 fr. 8 gros / cent66 101 lb. pds de Baume 1415 449 lb. 1/2 pds Vesoul 18 fr. 9 gros / cent = 2 gros 4 eng. / lb. 110 lb. pds de Baume 1416 487 lb. pds Vesoul 119 lb. pds de Baume

18 fr. 9 gros / cent

1418 533 lb. pds Vesoul 139 lb. pds de Baume

20 fr./cent = 2 gros 6 eng / lb. 21 fr.4 gros / cent = 2 gros 8 eng / lb.

1419 503 lb. pds Vesoul 127 lb. pds de Baume

32 fr. / cent = 4 gros / lb.

Les clercs tentèrent de justifier les hausses de prix, par exemple en 1416 : « c’est le prix que on vendoit et achetoit la cire au pais »67. À l’instar des gélines vues plus haut, la majeure partie de cette cire se vendait à ceux qui la devaient, les débiteurs appréciant sans doute peu ces variations à leur détriment. En 1418, la cire au poids de Vesoul vendue moins chère que celle de Baume était motivée : « et plus ne valoit adonc audit Vesoul ne ou pais la entour »68. En 1419, année où les prix dépassèrent de beaucoup tous les précédents, la justification fut cette fois : « tant a valu la cire communement au marché en ceste presente année »69. Contrairement aux autres produits, la cire ne semblait pas vendue aux enchères, les receveurs paraissaient donc s’aligner sur les prix des marchés. 63 Vente des recettes de 1404-1405. 64 Un cent = quatre-vingt-seize livres. 65 Équivalent de 1 franc 11 gros par livre, seules 137 livres et demi poids de Vesoul ont été vendues à ce prix. 66 Cependant, le clerc indique toujours 2 gros par livre, ce devrait être un peu plus. 67 ADCO, B 1587, fol. 41. 68 ADCO, B 1596, fol. 43. Cire versée partout ailleurs dans le bailliage d’Amont à l’exception de Baume. 69 ADCO, B 1597, fol. 35-36. Certains auteurs ont déjà fait remarquer à quel point le juste prix est le prix du marché, c’est-à-dire un prix d’équilibre, un prix de référence aussi. I. Theiller, « Les marché

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Pour l’étude du prix du vin, il a semblé préférable de s’appuyer sur la production de la zone la plus viticole, le bailliage d’Aval, l’importance des prélèvements ou de la production de vin s’y révélant une particularité. Les principaux centres producteurs ont été mis à part dans le tableau ci-dessous où on constate des périodes de vente pouvant s’étaler sur plus de la moitié de l’année, en 1415 par exemple. Le vin se vendait chaque année en août, ainsi que très souvent en septembre, mais la présence de vente en hiver et au printemps se révèle également assez fréquente.

Tableau 47 : Période de mise en vente du vin à Blandans et Poligny entre 1405 et 1419. Date de vente pour les vins de Poligny et Blandans 1405 Mars-mai-août 1407 Nov.-avril-août-sept. 1411 Mars-avril-août-sept. 1413 Mars-avril-juin-août 1414 Mars-juin-août 1415 Février-mars-mai-juin-juil.-août-sept. 1416 Mars-juin-juil.-août-sept. 1417 Fév.-juin-août-sept.-oct. 1418 Fév.-mai-juin-août 1419 Fév.-août

Graphique 11 : Prix du muid de vin dans le bailliage d’Aval entre 1405 et 1419.

Francs

Ornans. Montmorot. Dole. Montmirey. 7 6 5 4 3 2 1 0 1400

1405

1410

1415

1420

Années

Le vin des autres châtellenies se vendait en même temps que les autres produits avec quelques exceptions : en cas de vin qualifié de « petit » où on estimait qu’il ne passerait pas l’hiver, qu’il « ne s’eust garder jusque a chaud temps », la vente avait lieu en février, hebdomadaires à la fin du Moyen Âge : le cas normand », in La Normandie dans l’économie européenne (xiie-xviie s.), M. Arnoux et A.-M. Lambard-Héricher (dir.), Caen, 2010, p. 39-49.

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Les recettes entre 1404 et 1419  |  Chapitre 4

mars, plus rarement en mai. Les châtellenies produisant un vin de petite qualité étaient surtout Quingey et Dole. Effectuer la vente avant que le vin ne se gâte permettait de conserver un prix correct. Le vin de ces châtellenies, produit de qualité moyenne, était pourtant vendu à des prix un peu plus élevés que dans le bailliage d’Amont70 excepté à Montmorot où la mesure était petite71. Après une légère baisse, le tarif du vin de cette châtellenie connut une remarquable stabilité. En revanche, la valeur du vin augmenta fortement dans les châtellenies d’Ornans et de Montmirey en 1413, résultat vraisemblable d’une mauvaise année de production : les quantités vendues furent partout très faibles. Cependant, le phénomène de hausse des prix ne toucha pas la châtellenie de Dole. De 1414 à 1416, elle produisit du « petit vin » sans aucune incidence sur le prix qui augmenta même en 1416. À ces exceptions près, l’évolution apparait toujours la même : baisse des prix suivie d’une relative stagnation, puis augmentation des tarifs aux environs de 1416 et enfin nouvelle baisse en 1419. Le prix moyen se situait entre 2 et 3 francs le muid et à l’exception de Montmorot, en 1407 tous les prix étaient à peu près équivalents.

Tableau 48 : Quantité de vin vendue dans le bailliage d’Aval entre 1405 et 1419 (1). Ornans

Dole

Montmirey Montmorot

1405 6 muids 1 quarri

3 barraux

1407 10 muids 9 muids 3 sextiers

7 muids 3 quarris

4 barraux

1411 5 muids

9 muids

11 muids

14 barraux

1413 2 muids

2 muids

2 muids

1414 8 muids

12 muids (petit vin) 12 muids

1415 10 muids 12 muids (petit vin) 8 muids

14 barraux 26 barraux

1416 16 muids 12 muids (petit vin) 6 muids 1/2 26 barraux 1417 11 muids 11 muids

6 muids

1418 1 muid

9 muids (petit vin)

5 muids 1/2 23 barraux

22 barraux

1419 6 muids

14 muids

11 muids

16 barraux

Pourtant les prix du vin dans les zones véritablement vinicoles du bailliage se révèlent différents. Les châtellenies de Poligny et Blandans produisaient beaucoup : les quantités vendues en apportent la preuve.

Tableau 49 : Quantité de vin vendue dans le bailliage d’Aval entre 1405 et 1419 (2). Poligny

Blandans

1405 65 muids 1/2 1407 102 muids

46 muids

70 Dans le bailliage d’Amont, les prix se situaient surtout entre 2 et 4 francs. 71 Un barrau = quatre pintes, en général, un muid = soixante-quatre pintes.

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Poligny

Blandans

1411 139 muids 2 quarris

23 muids 1 quarri

1413 75 muids 3 quarris

10 muids

1414 115 muids 7 quarris 7 pintes

16 muids 2 quarris

1415 174 muids

25 muids

1416 141 muids

29 muids

1417 134 muids 15 muids 5 barraux 11 pintes 2 quarris 28 pintes 1418 87 muids 1 quarri 4 pintes

18 muids 2 quarris

1419 66 muids

18 muids

Un muid = quatre quarris, un quarri = deux barraux, un barrau = quatre sextiers, un sextier = quatre chaunes, une chaune = deux pintes. Divers facteurs faisaient varier les prix. Il pouvait s’agir de vin blanc ou de vin rouge ou plutôt « vermeil ». Le vin était parfois qualifié de « gras », donc de moins bonne qualité72. Pour distinguer les vins n’ayant pu être vendus l’année précédente, on qualifiait la récolte la plus récente de vin nouveau. Le vin pouvait aussi être vendu en gros, sous forme de muid, à des marchands ou à de simples consommateurs ayant la possibilité de le stocker. Lorsqu’il était vendu à des taverniers, le prix se révèle un peu plus bas. La vente s’effectuait également « en menu » c’est-à-dire à la pinte.

Tableau 50 : Prix du muid de vin à Poligny (1405-1419). Vin blanc

Vin rouge

Indéterminé

Vin médiocre

1405 3 fr. 4 gros (D) 6 fr. 8 gros (D-N) 4fr. 8 gros (D-N)

5 fr. (V)

2 fr. 6 gros (D) (blanc)

1407

5 fr. (D)

3 fr. 4 gros (D) (blanc)

6 fr. 8 gros (D) 4 fr. 2 gros (D) 5 fr. 10 gros (D)

1411 3 fr. 4 gros (D) 3 fr. 4 gros (D-V) 2 fr. 1/2 (D) 5 fr. (D) 4 fr. 2 gros (D) 4 fr. (G)

2 fr. 1/2 (D) (blanc et rouge)

72 On ne sait pas conserver le vin, il faut le consommer l’année de la récolte. En général, on préférait les vins blancs, une des qualités du vin étant sa clarté. C’est le vin rouge de Beaune qui va changer les goûts et l’appréciation du vin vermeil. J. Verdon, Boire au Moyen Âge, Paris, 2002, p. 152-156.

146

Les recettes entre 1404 et 1419  |  Chapitre 4

Vin blanc

Vin rouge

Indéterminé

Vin médiocre

1413

8 fr. 4 gros (I) 6 fr. 8 gros (D)

8 fr. 4 gros (D)

5 fr. (D) (blanc et rouge)

1414 2 fr. 1/2 (D)

3 fr. (G) 2 fr. 1/2 (D) 3 fr. 4 gros (D et G) 2 fr. 1/2 (G)

2 fr. 1/2 (D) (blanc) 1 fr. 7 eng (D) (blanc)

1415 1 fr. 8 gros (D) 2 fr. 1/2 (G) 2 fr. (G) 2 fr. (G) 2 fr. 3 gros (G) 1 fr. 8 gros (G) 2 fr. 1/2 (D) 3 fr. 4 gros (D) 1 fr. 8 gros (D)

1 fr. 8 gros (G)

1 fr. 1/2 (G) (blanc) 1 fr. 8 gros (D)

1416

2 fr. 6 gros (D)

2 fr. 6 gros (D-V) 1 fr. 8 gros (D-V) 5 fr. (D-N) 1 fr. 8 gros (D) 3 fr. 4 gros (D-N) (blanc)

1417

4 fr. 5 gros 8/9 (I) 5 fr. (D) 3 fr. 4 gros (D et 4 fr. 2 gros (D et G) 4 fr. 2 gros (G) G) (blanc) 4 fr. 4 gros (G) 4fr. 4gros 6eng (I) 4fr. 9gros 6eng (I)

1418

5 fr. 5 gros (G)

5 fr. 10 gros (G) 5 fr. (D) 6 fr. 8 gros (G) (blanc) 6 fr. 3 gros (G) 6 fr. 5 gros 1/2(G) 8 fr. 4 gros (D) 6 fr. 8 gros (D) 5 fr. (D)

1419

6 fr. 8 gros (D)

5 fr. (D) (blanc)

G : Vente en gros. D : Vente au détail. I : Indéterminé. N : Vin nouveau. V : Vin vieux. À Poligny, on rémunérait les vendeurs 2 gros 4 engrognes pour chaque muid vendu73. Tous les ans se comptabilisaient des bris de verres ou de pots survenus au cours de la vente, ces frais divers s’ajoutant donc au prix du vin. Prix qui variaient beaucoup d’une année sur l’autre, mais aussi au cours d’une même année. Dans le tableau, ils sont rangés par ordre chronologique d’apparition, la tendance semblant plutôt à la baisse entre le premier et le dernier prix, bien que cela ne soit pas systématique. Que la vente soit effectuée au détail ou en gros avait peu d’incidence, en revanche les vins vieux se vendaient moins chers que les vins nouveaux et le vin blanc en général moins 73 À partir de 1411, ce n’était plus que 2 gros par muid vendu.

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cher que le vin rouge. Lorsque le vin « cheoit sur le gras », il s’agissait à peu près systématiquement de vin blanc devant alors être commercialisé rapidement. En 1406, du vin blanc nouveau se vendit seulement 4 francs 2 gros le muid car écoulé plus tôt en raison de fortes crues ayant inondé le cellier. En 1411, vingt muids de vin vermeil n’ayant pu être vendus l’année précédente furent écoulés à un tarif plus faible : stocké dans un grand récipient n’ayant rien contenu depuis longtemps, le vin avait pris le goût du tonneau et fut donc vendu à bas prix à des taverniers afin de l’écouler rapidement74. Les prix les plus faibles correspondaient aux années de plus fortes productions : 1414 à 1416. Les prix plus hauts coïncidaient avec les années de moindre quantité : 1413 et 1418. Quant au vin de Blandans, ses prix connaissaient des variations similaires à ceux de Poligny, avec un maximum de trois prix différents par an, pour le vin blanc comme pour le vin rouge. Si l’on excepte les donations, évolutions ponctuelles et aléatoires, les trois postes des exploits de justice, des « echoites de bastards » et de « vendue de garnisons » étaient à l’origine des variations de recettes. Le reste des revenus se révèlent peu important comparé à tous ceux qui viennent d’être présentés. Parmi eux se trouvaient, dans le bailliage d’Amont, deux postes intitulés « autres recettes » et « recette commune », connaissant d’importantes variations75.

Livres tournois

Graphique 12 : Recettes foraines du bailliage d’Aval (1405-1419). 4000 3500 3000 2500 2000 1500 1000 500 0 1404

1406

1408

1410

1412

1414

1416

1418

1420

Années

Les « autres recettes » découlaient des terres relevant des fiefs du comte de Bourgogne : aliénation sans autorisation ou dont les usufruitiers n’avaient pas réalisé les démarches obligatoires, hommage et dénombrement, entrainant la mainmise. Cela procurait des revenus jusqu’à la récupération par leurs propriétaires. Quant aux revenus de la « recette commune », ils représentaient des montants très aléatoires composés de gardes ou de mainmise attendant d’être vendues par exemple. Ensemble, ces deux recettes variaient entre 30 et 140 livres annuelles. Elles peuvent être comparées au poste intitulé « recette foraine » du bailliage d’Aval un peu fourre-tout où existaient également d’importantes irrégularités dans les revenus, mais avec des gains beaucoup plus élevés. Les fortes évolutions, faciles à expliquer, y correspondaient au paiement de la garde des Bisontins versée plusieurs fois en avance entrainant un montant élevé des recettes foraines en 1405. Les habitants de la cité impériale avaient versé en tout quatre échéances sur cette seule année, c’est-à-dire 2 000 francs, le versement suivant ne 74 Trois francs 4 gros le muid. 75 On trouve également la gruerie comptabilisée dans la trésorerie de Vesoul, ses recettes connaissaient de fortes variations pour les raisons déjà évoquées, oscillant entre 20 et 30 livres.

148

Les recettes entre 1404 et 1419  |  Chapitre 4

devant pas avoir lieu avant 1408. Cette même année 1405, un écuyer paya 300 livres pour un délit de justice jugé par le parlement. S’ajoutèrent aussi quelques héritages de bâtards et la confiscation des biens des marchands ayant évité délibérément le péage de Pontarlier. L’ensemble explique donc la somme récoltée en 1405. La disparition de ces revenus supplémentaires les années suivantes permet de comprendre la chute des recettes : ne furent plus comptabilisés que quelques héritages de bâtards de faible valeur et des compositions pour légitimation de bâtards. Le compte de 1411 ne dura que neuf mois, la garde des Bisontins ne fut pas comptabilisée, la date d’échéance n’étant pas incluse dans cette période. En revanche, les trois années suivantes représentaient des périodes de plus fortes rentrées d’argent. En 1413 fut comptabilisée la garde des Bisontins, une composition pour légitimation et plusieurs successions de bâtards et de mainmortables, ainsi que les héritages de deux meurtriers en fuite. De l’argent avait aussi été fourni par les gens des comptes de Dijon pour acheter la terre de Marigny76 à Jean de Chalon Arlay. Louis de Chalon, comte de Tonnerre, son neveu, lui avait vendu ce bien, fief du comte de Bourgogne. Le comte de Tonnerre ayant été jugé félon et proscrit, ses biens confisqués, le conseil estimait que Marigny devait réintégrer le domaine comtal. Le sire d’Arlay refusa le rachat, les terres furent donc confisquées et les 564 francs destinés à une autre fonction77. En 1414, la hausse des recettes fut exceptionnelle. En dehors des rentrées habituelles, la garde des Bisontins, les quelques héritages de bâtards et la confiscation de chars de marchandises, 100 francs versés par le receveur général des finances étaient destinés à payer le capitaine de Montréal pour qu’il « se departit sans difficulté de la dite capitainerie » après la donation des châtellenies de la montagne au comte de Savoie. Pourtant cela ne suffit pas à expliquer la forte hausse de revenus. Cette année-là, les habitants du comté et du duché octroyèrent une aide, le duché contribuant de façon beaucoup plus importante78. Prélevée sur la contribution du duché, 2 985 francs et 9 gros furent envoyés en comté par le receveur de l’aide afin de rembourser des marchands parisiens ayant financé fortifications, artilleries, canon et poudre pour le duché et le comté de Charolais79. On ne comprend pas très bien pourquoi le trésorier de Dole jouait le rôle d’intermédiaire. Les dernières années ne dévoilaient rien de particulier : en 1415, les Bisontins versèrent 1 500 francs de garde et 500 francs en 1418, le reste des recettes provenant de quelques héritages de faibles valeurs. La période de quinze ans qui nous préoccupe permet de faire apparaître les variations à court terme, souvent compréhensibles et logiques mais parfois aussi déroutantes. Les recettes des deux bailliages montrent bien ces évolutions mais voyons à présent, comment se comportaient les recettes particulières. 2. Les recettes particulières A. Faucogney Les comptes de Faucogney ont été bien conservés pour la période de Jean sans Peur. Treize d’entre eux nous sont parvenus, occasionnant moins de rupture de données. 76 Dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Clairvaux-les-Lacs. 77 Servant à payer ce qui était dû à la duchesse d’Autriche, pour payer sa dot promise. Nous n’avons pas trace de la confiscation de Marigny dans les comptes. 78 Le duché octroya 15 000 francs, cela s’élevait à 7 889 francs dans le comté. 79 Apparemment les revenus du parlement de Dole auraient dû être affectés à cette fonction mais ils devaient finalement être destinés à la dépense du duc de Bourgogne.

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À l’instar du bailliage d’Amont, les échéances furent modifiées. La période débuta avec un compte courant de la Saint-André 1405 à la Saint-André 1406, soit le 30 novembre, l’année suivante étant identique. Le troisième compte commença le 30 novembre 1407 et se termina le 31 décembre 1408, s’étalant donc sur treize mois. Ces données ont été rétablies sur douze mois pour la cohérence de la représentation graphique. L’année 1410 commença le premier janvier et se termina le 31 décembre. Les deux comptes suivants correspondaient à une même année : l’un courant du premier janvier au 31 mars 1411 et le deuxième du premier avril au 31 décembre 141180. Cette rupture coïncida avec un changement de receveur81. Les deux comptes ont été réunis en un seul puisque, ensembles, ils formaient une année complète. Ensuite, de 1413 à 1419, les comptes sont complets ne posant aucun problème de dates ou de folios manquants82. Les revenus de Faucogney variaient peu, essentiellement entre 1 500 et 2 000 livres tournois. Comme dans les deux bailliages, on retrouve la similitude des recettes entre la période de Philippe le Hardi et celle de Jean sans Peur : entre 1396 et 1404, les revenus étaient compris entre 1 500 et 2 300 francs83. L’année 1411 correspondant à la somme des deux comptes fut la seule un peu exceptionnelle.

Graphique 13 : Les revenus de la seigneurie de Faucogney (1405-1419). Livres tournois

3000 2500 2000 1500 1000 500 0 1405

1410

1415

1420

Années

L’augmentation des recettes résultait essentiellement des ventes d’héritages et des produits en nature de la seigneurie. Faucogney apparait comme un territoire ayant de bons rendements. À l’instar des deux bailliages, les recettes principales étaient issues des revenus fonciers, des héritages et des ventes de garnison. Les premiers furent à l’origine de la baisse des recettes à partir de 1414-1415. Les revenus provenant des différents villages se trouvaient loin devant tous les autres. Ces recettes eurent tendance à stagner jusqu’en 1414-1415. La baisse fut alors très nette, une partie de l’explication se trouvant dans les donations effectuées par le comte de Bourgogne. Les dons grevant la seigneurie de Faucogney constituèrent des compléments à ceux réalisés dans les deux bailliages. La donation du village de Montigny

80 Comptes utilisés : ADCO, B 4685 (1406), B 4685 (1407), B 4686 (1408), B 4687 (1410), B 4688 (1411). 81 Simon Panez fut remplacé pour neuf mois par son clerc Henri. 82 ADCO, B 4689 (1413), B 4690 (1414), B 4691 (1415), B 4692 (1416), B 4693 (1417), B 4694 (1418), B 4695 (1419). 83 M. Rey, « La politique financière… » art. cit.

150

Les recettes entre 1404 et 1419  |  Chapitre 4

Graphique 14 : Principales recettes de Faucogney (1406-1419). Revenus fonciers. Recettes des héritages.

Livres tournois

Ventes des garnisons. 1600 1400 1200 1000 800 600 400 200 0 1405

1410

1415

1420

Années

à Jean de Neuchâtel était enregistrée dans le compte de 141584. Les revenus de l’année précédente85 s’élevaient à 127 livres 10 sous tournois, sans compter les levées en nature. Mais cela n’explique pas totalement l’importante baisse des recettes foncières. L’année suivante, Gauthier de Bauffremont obtint la châtellenie de Valempoulières dans le bailliage d’Aval et le village de Vaivre dans le bailliage d’Amont. Deux villages de la seigneurie de Faucogney complétaient le don : Mailleroncourt et Betoncourt86 à rachat de 4 000 francs payable en une fois. Leurs revenus de l’année précédente se montaient à 133 livres tournois pour Mailleroncourt et 34 livres tournois pour Betoncourt : un total de 167 livres tournois. La perte occasionnée apparait plus importante que celle de Montigny. Cependant, d’autres prélèvements compensaient et masquaient les baisses de revenus engendrées par les donations. Les sommes issues des ventes de garnison augmentèrent progressivement. Deux origines à cette situation : une quantité accrue de produits mis en vente ou une évolution des prix, voire les deux à la fois. À déjà été dit que l’ordonnance du receveur général des finances des duché et comté de Bourgogne s’avérait nécessaire pour que la vente puisse avoir lieu. Dans la seigneurie de Faucogney, les ordres s’étaient faits pressants au début de la période. En 1406, le receveur général « en consideration des grants frais et missions qu’il a convenu faire pour monditseigneur »87 demandait que toutes les garnisons soient vendues rapidement au meilleur prix. Malheureusement personne ne voulut les acheter. Le receveur de Faucogney se rendit alors au marché accompagné du lieutenant du capitaine de Faucogney88 pour s’informer des prix du froment, de l’avoine et du vin et fit vendre ensuite les garnisons aux prix les plus hauts pratiqués sur le marché. Il est difficile d’établir d’où provenait le refus d’acheter ces marchandises la première fois, peut-être le prix d’appel proposé par les officiers comtaux pour lancer les enchères avait-il été jugé trop élevé.89 84 85 86 87 88 89

ADCO, B 4691, fol. 17-18. Don complété par les dîmes de vin de Chariez dans le bailliage d’Amont. Année 1414, ADCO, B 4690. Betoncourt-Saint-Pancras, dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Vauvillers. ADCO, B 4685-1, fol. 31. Jean Gauthier de Beljeul. Le receveur note ici, comme de coutume.

151

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Tableau 51 : Dates de mise en vente des garnisons dans la seigneurie de Faucogney. Date de vente 1406

Bordes

1407

Avril

1408

Juillet

1410

Février89

1ère 1/2 de 1411

Mai 1411

1/2 de 1411

Juin 1412

2

ème

1413

Mars 1414

1414

Mars 1415

1415

Janvier 1416

1416

Mars 1417

1417

Avril 1418

1418

Mars 1419

1419

Avril 1420

Le système de vente des garnisons dans la seigneurie de Faucogney paraît un peu différent de celui des deux bailliages voisins. En 1407, le receveur général demanda encore instamment que tout soit vendu « au plus grant proufit de monditseigneur »90 : le receveur de Faucogney devait les crier partout où on avait l’habitude de le faire. En vertu de ce commandement, un sergent annonça la vente à Luxeuil, à Lure et au marché de Faucogney. La nécessité pressante de liquidité peut expliquer les dates fixant les périodes de vente choisies par les hauts fonctionnaires des finances du duché, se révélant très différentes de celles des deux bailliages au début de la période. Les ventes s’effectuaient plutôt autour de la fête de Pâques, malgré la précision de 1410 indiquant des ventes ayant lieu en février « comme a l’acoustumé »91. Les autres dates montrent que c’était loin d’être le cas. À partir de la seconde moitié de 1411 apparut un décalage entre l’année de compte et l’année de vente, la présentation de la comptabilité à la Chambre de Dijon à la fin de l’année courante devenant dès lors impossible92. Les mesures, nombreuses et compliquées, avaient été unifiées avec d’un côté la mesure de Vesoul et de l’autre la mesure du grenier de Faucogney. Durant toute la période, trois acheteurs seulement se partagèrent les produits vendus sous la deuxième mesure. Le froment, l’avoine, le vin et toute la cire furent achetés par Jean Branquart en 1407, 1408, 1410 et 1411. En 1413, Jean Jasset de Dambenoit parvint à acheter l’ensemble des produits mais l’année suivante, il n’obtint que le vin, le reste étant vendu à Jean Branquart qui acheta tout en 1415. En 1416, il ne céda que le vin à Jean Jasset. En 1417 apparut un troisième acheteur, Jean Millot, qui réussit à acheter toutes les garnisons et y parvint également en 1419 mais en 1418 elles avaient à nouveau été partagées entre Branquart et 90 ADCO, B 4685-2, fol. 31-32. 91 ADCO, B 4687, fol. 30-31. 92 Allant totalement à l’encontre des volontés des gens des comptes résultant des préconisations de l’ordonnance de 1386, voir l’ordonnance, P. Riandey, L’organisation financière… op. cit., p. 175-187.

152

Les recettes entre 1404 et 1419  |  Chapitre 4

Jasset : le premier obtenant le froment, le seigle et la cire, le deuxième le vin. Les acheteurs potentiels se révèlent donc fort rares93, expliquant peut-être la difficulté de vendre les garnisons en 1406 ainsi que l’ordre donné de sortir des limites de la seigneurie pour tenter de les écouler à Luxeuil ou à Lure. Les produits à la mesure de Vesoul ne connaissaient pas cette restriction d’acheteurs mais ils disparurent dès 1414 en raison des donations.

Graphique 15 : Prix du bichot de froment dans la seigneurie de Faucogney (1406-1419). mesure du grenier94. mesure de Vesoul, froment de gerbe. mesure de Vesoul, froment blanc. 6 Francs

5 4 3 2 1 0 1405

1410

1420

1415 Années

Les quantités vendues à la mesure de Vesoul apparaissent stables, contrairement au froment vendu à la mesure du grenier de Faucogney. En 1414, le village de Montigny disparut du domaine comtal, or ses habitants versaient la taille réelle dont une partie se composait d’importantes quantités de céréales. Mais la baisse de volume de produit mis en vente fut compensée par une hausse du prix du froment de la mesure de Faucogney. Cependant, la baisse des prix constatée dans les deux bailliages au début de la période se retrouvait à Faucogney, suivie d’une relative stagnation jusqu’en 1414. Dans le bailliage d’Amont, la baisse se poursuivait jusqu’en 1419.94

Tableau 52 : Quantité de froment vendu dans la seigneurie de Faucogney (1406-1419) Mesure du grenier de Faucogney

Mesure de Vesoul Froment de gerbe

Mesure de Vesoul Froment blanc

1406

8 bich.

4 bich.

1407

9 bich. 1/2

7 bich.

1408

17 bich.

7 bich. 1/2

1410

14 bich. 1/2

8 bich. 1/2

3 bich.

1411

6 bich.

1 bich. 11 quartes

1 bich. 20 quartes

1412

5 bich.

7 bich.

1 bich. 6 quartes

2 bich.

93 Les modalités de vente sont connues pour le Dauphiné au xive siècle où l’on sait que les châtelains avaient un droit de préemption à condition que nul n’offre un meilleur prix. Il arrivait fréquemment que le trésorier adjuge les denrées à un ou plusieurs surenchérisseurs, bas officiers ou marchand de grains. Mais au xve siècle la situation a changé et le châtelain rachète systématiquement à titre privé ce qu’il a reçu à titre public. N. Carrier, « Le rachat des redevances en nature en Dauphiné… » art. cit. 94 Les deux mesures sont de vingt-quatre quartes pour un bichot.

153

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Mesure du grenier de Faucogney

Mesure de Vesoul Froment de gerbe

Mesure de Vesoul Froment blanc

1413

12 bich.

7 bich.

3 bich.

1414

14 bich.

7 bich.

1 bich. 16 quartes

1415

9 bich.

1416

4 bich.

1417

9 bich. 6 quartes

1418

10 bich.

1419

9 bich. 1/2

Dans la seigneurie de Faucogney, malgré le déficit d’acheteurs potentiels, les prix à la mesure du grenier eurent plutôt tendance à monter entre 1407 et 1419. L’acheteur ne semblait donc pas avoir de poids réel face à une conjoncture locale pouvant amener les officiers à monter les prix d’appel des enchères. Concernant l’avoine, la stagnation puis la hausse assez importante à la fin de la période des valeurs prouvaient une évolution similaire entre les tarifs du froment et de l’avoine. Quant aux prix eux-mêmes, on retrouve de fortes similitudes avec ceux du bailliage d’Amont. Quelques données, malheureusement très fragmentaires, du prix du seigle à la mesure du grenier de Faucogney existaient dans les comptes de garnison. Cette denrée, peu commercialisée, avait une valeur très proche de celle du froment. Les quantités mises en vente, peu importantes, s’expliquaient par l’importante utilisation du seigle pour réaliser le pain des corvéables. Sa commercialisation signifiait donc l’existence d’un surplus qui était vendu. L’évolution du prix du seigle se révèle à peu près la même que celle des autres céréales, la baisse de tarif étant un peu plus marquée en 1418.

Graphique 16 : Prix du bichot de seigle dans la seigneurie de Faucogney (1408-1419). 5 Francs

4 3 2 1 0 1406

1408

1410

1412 1414 Années

1416

1418

Tableau 53 : Quantité de seigle vendue dans la seigneurie de Faucogney (1408-1419). 1408 1414 1416 1417 1418 1419 154

Mesure du grenier 17 bich. 8 bich. 5 bich. 5 bich. 1/2 5 bich. 5 bich.

1420

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Quelques données existaient également sur la valeur d’une denrée très spéculative : les épices. Elles provenaient d’une redevance composée pour moitié de poivre et moitié de gingembre. Le prix des deux composants apparait indifférencié puisque vendus ensemble. La quantité resta la même tout au long de la période : deux livres trois quarterons. La valeur des épices fit plus que doubler entre 1406 et 1419. À l’exception de la baisse enregistrée en 1413, l’augmentation fut régulière. Les diminutions de prix constatées pour les autres produits en début et en fin de période ne concernèrent pas les épices.

Graphique 17 : Prix de la livre d’épices dans la seigneurie de ­Faucogney (1406-1419). Gros vieux

8 6 4 2 0 1405

1410

1415

1420

Années

De manière générale, les données concernant les prix placent bien le début du xve siècle dans une conjoncture de hausse. Héritages et confiscations représentaient des recettes non négligeables pour la seigneurie. La majeure partie des biens récupérés provenait de mainmortables, quelques héritages de bâtards et quelques confiscations faisant également partie de ces recettes. Aucune logique ne prévaut dans l’évolution des montants mais en moyenne, la valeur des biens était généralement peu élevée. Cependant, les disparités entre les individus pouvaient être importantes.95

Tableau 54 : Revenus issus des héritages et des confiscations dans la seigneurie de Faucogney entre 1406 et 1419.

1406 1407 1408 1410 1411 1413 1414 1415 1416 1417 1418 1419

Nombre de biens récupérés 12 15 18 19 30 14 11 23 17 14 22 30

Montant total récupéré (£ tournois) 141 £ 47 £ 10 s. 284 £ 214 £ 614 £ 104 £ 89 £ 129 £ 183 £ 75 £ 119 £ 289 £

Moyenne par héritage95 (£ tournois) 12 £ 4£ 16 £ 11 £ 20 £ 10 s. 7 £ 10 s. 8£ 6£ 11 £ 5 £ 10 s. 5 £ 10 s. 9 £ 10 s.

95 Valeur arrondie à la somme supérieure.

155

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Un grand nombre de récupérations d’héritages eut lieu en 1411 et de plus, leur valeur moyenne fut supérieure. Le même nombre récupéré en 1419 amena une recette bien moindre, démontrant le caractère totalement aléatoire de ces recettes. Mais leur apport se révèle important puisque la hausse générale des recettes de 1411 en fut fortement tributaire. Ajoutons également que cela donne une idée de la richesse moyenne de ces populations rurales excentrées : les biens récupérés, provenant principalement de mainmortables, dévoilaient de médiocre patrimoine sans pour autant être vraiment misérables. Les recettes les moins importantes dans les apports à la recette générale se composaient de la « vente » d’herbes, c’est-à-dire l’amodiation de la fauche des prés dont nous avons déjà parlé, la recette commune, similaire dans son contenu aux recettes équivalentes existant dans les deux bailliages et enfin les revenus de la gruerie : chacune des recettes évoluant entre 25 et 150 livres tournois. Une seule exception notable concernait la gruerie qui vit ses revenus atteindre presque 350 livres tournois en 1418, pour diverses raisons : un étang pêché, une vente de bois et une confiscation de porcs dans le val de Melisey. Les habitants possédaient seulement le droit de mettre leurs propres porcs dans les bois communaux. Or, des bêtes « étrangères » furent confisquées par le lieutenant du gruyer et le receveur de Faucogney. Les contrevenants purent récupérer leurs bêtes en échange d’un versement en argent96. La même année, une confiscation identique eut lieu dans les bois de Citers où les habitants avaient établi des règles avec l’autorisation des officiers comtaux : chacun pouvait mettre seulement quatre porcs dans les communaux. Ceux qui outrepassèrent les usages virent leurs bêtes confisquées, les amendes étant partagées entre le comte et les habitants97. Il s’agit d’un aspect intéressant de règles communautaires, vraisemblablement destinées à préserver les bois dont la possession était commune. Les habitants participaient à cette protection, ayant le plus grand intérêt à conserver les forêts en bon état. Enfin, existaient des revenus irréguliers ou extraordinaires : les exploits de justice et les compositions. Les premiers montraient des recettes faibles et irrégulières sans aucun détail des amendes. Les recettes de composition résultaient de lettres patentes du comte de Bourgogne datées du 15 décembre 140898 où il autorisait les habitants à choisir leur héritier. Il y avait des conditions : le bénéficiaire désigné devait résider dans la seigneurie, un montant à verser au receveur étant établi au terme d’un accord avec les intéressés.

Tableau 55 : Les recettes extraordinaires de Faucogney. Exploits de justice 1406

Composition

4 £ tournois

1407 1408

40 £ 10 s. tournois

1410 1411

32 £ tournois

1413

5 £ tournois

1414

15 £ tournois

1415

14 £ tournois

96 Soixante-treize francs 10gros. 97 Mais le montant est faible ici : 4 livres 3 sous. 98 ADCO, B 4686, fol. 80.

156

85 £ tournois 180 £ tournois

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1416

Exploits de justice

Composition

8 £ tournois

5 £ tournois

1417

13 £ 10 s. tournois

1418

3 £ tournois

1419

7 £ 10 s. tournois

L’octroi, principalement destiné à satisfaire les mainmortables et les « bastards », permettait de toucher un public plus large qu’une simple abolition du statut de mainmorte contre redevance. Cependant, les personnes sollicitant ce droit de choisir leur héritier se révèlent le plus souvent être des mainmortables. Entre 1408 et 1417, seules vingt demandes aboutirent. Au début, le statut du ou des demandeurs se révèle toujours précisé, par la suite, était seulement indiqué s’il s’agissait, ou non, de bourgeois du comte de Bourgogne. Précision malgré tout essentielle car elle signifiait que le comte pouvait octroyer le droit de tester à des personnes sur lesquelles il n’avait aucun pouvoir, mais donnant aussi le sentiment de méthodes de type pragmatique pour accroitre son champ d’action par opportunisme. Les personnes en mal d’héritier étaient le plus souvent des couples sans enfant99, des veuves. Parmi les demandeurs se trouvaient également un curé, des personnes paraissant n’avoir aucun lien entre elles et une veuve remariée désirant voir hériter les enfants de son nouveau mari. Ce dernier cas n’aboutit pas. Les enfants étant francs, pour obtenir l’héritage, ils devaient prendre le statut de mainmortable de leur bellemère. La lettre d’accord n’était pas signée lorsque le mari, père des futurs héritiers, décéda, aucun des survivants ne désirant avaliser l’accord et surtout payer la somme demandée. En règle générale, faire bénéficier une personne de son héritage entraînait la réciprocité : par exemple un curé désirait qu’une femme et son fils « soient ses hoirs et heritiers quant le cas y adviendroit et pareillement qu’il feust le leur »100, le survivant héritant donc de tout. Plus particulier, en 1408, un couple « de franche condition » demandait le droit d’hériter l’un de l’autre « et aucunes de leurs parens s’il leur plaist ». On distinguait les biens possédés par chacun avant le mariage de ceux acquis pendant l’union qui devenaient communs. Au terme de l’accord, le couple franc conservait son statut mais devait donner une déclaration inventoriant l’ensemble de ses biens et verser également trois livres de cire chaque année au trésorier de la seigneurie101. Les autres solliciteurs donnèrent en général une somme en une fois pour sceller l’accord. Une autre composition, complexe, fut réglée personnellement par le lieutenant général du bailli d’Amont102. La femme mainmortable d’un dénommé Estevenin étant morte sans héritier, la moitié de tous les biens meubles et acquisitions réalisées pendant l’union revenait au comte de Bourgogne. L’inventaire fut réalisé par les agents comtaux et la partie devant revenir au domaine vendue au veuf, comme cela se pratiquait assez souvent. Mais les officiers, après élaboration d’un nouvel inventaire, constatèrent que le mari de la défunte avait caché « un grand papier de debtes communes », obtenant ainsi l’héritage à moindre coût : la perte pour le comte s’élevait à plus de 200 francs. On réalisa un nouvel inventaire après la mort d’Estevenin puis de ses héritiers. Les nouveaux bénéficiaires « estoient estrangers et de estrange baronnie », ne pouvant donc obtenir la succession. La main du comte fut posée sur les biens. Pour le procureur 99 100 101 102

Dix cas sur l’ensemble. ADCO, B 4688, fol. 28. ADCO, B 4686, fol. 80. ADCO, B 4691, fol. 28. Cela se passe en 1415, il s’agit de Jean Sardon.

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de Jean sans Peur, la disparition des principaux protagonistes entraînait des difficultés pour découvrir la vérité sur les pertes réelles du comte : mieux valait composer avec les héritiers contre une somme de 160 francs103. En règle générale, l’accord établissait un montant compris le plus souvent entre 4 et 8 francs, exceptionnellement, la somme montait à 10 ou 20 francs sans que l’on sache pourquoi, peut-être en fonction de la valeur de l’héritage. Un accord préalable réunissait les différents bénéficiaires de la composition pour évaluer le montant à payer104, vraisemblablement devant un notaire. Ensuite, après accord de la Chambre des comptes, les protagonistes signaient le document et versaient la somme due au receveur. B. Le sel et la gruerie Les recettes du sel et de la gruerie représentaient les deux dernières comptabilités particulières mais elles vont être traitées brièvement, en raison de l’état fragmentaire des sources tout d’abord et aussi parce que les différents éléments à l’origine des variations de revenus ont déjà été abordés.

Graphique 18 : Les revenus de Salins (1403-1419). Recettes de l’ordinaire. Recettes du communal.

Livres tournois

35000 30000 25000 20000 15000 10000 5000 0 1400

1405

1410

1415

1420

Années

Les premières données des comptes de l’ordinaire de Salins portaient sur la période immédiatement antérieure à l’arrivée de la mère de Jean sans Peur à la tête du comté, correspondant au compte courant de Noël 1402 à Noël 1403105. Les Archives dijonnaises détiennent ensuite les comptes de Salins pour les années 1407 à 1410106, malheureusement, ils sont totalement inutilisables : les pages sont collées et presque totalement détruites. Les premières données complètes correspondent à l’année 1411. Sont disponibles à la fois les comptes de l’ordinaire et ceux du communal107. Les données sont ensuite complètes jusqu’à l’année 1415. L’échéance ne varia pas : le 25 décembre108. 103 104 105 106

L’héritage devait donc être intéressant. Ce montant explique le total élevé des compositions en 1415. On ne sait pas si les bénéficiaires qui héritaient devaient participer financièrement. ADCO, B 5959. ADCO, B 5960 : Noël 1406 au 4 septembre 1407, B 5962 : trois comptes de Noël à Noël, 1408, 1409 et 1410. 107 ADCO, B 5964. C’est à partir de ceux-ci que nous avons réalisé l’étude des revenus de Salins pour le domaine dans un chapitre précédent. 108 ADCO, B 5965, Noël 1411-1412, B 5966, Noël 1412-1413, B 5967, Noël 1413-1414, B 5968, Noël 1414-1415.

158

Les recettes entre 1404 et 1419  |  Chapitre 4

En 1416, un nouveau receveur établit un compte de l’ordinaire incomplet, courant de septembre à Noël mais inutilisable car en fort mauvais état. Seules les recettes du communal sont disponibles pour 1418. Puis, la dernière année vit une modification des termes d’échéance : du premier janvier au 31 décembre 1419, mais avec l’avantage d’un compte complet109. Les revenus du communal apparaissent faibles comparés à ceux de l’ordinaire et ils ne variaient quasiment pas110. Après le « grant empeschement » de 1393, ceux qui disposaient de leur titre de propriété avaient plus ou moins rapidement récupéré leurs biens, les autres n’ayant pu prouver leur bonne foi immédiatement n’y parvinrent pas beaucoup plus sous le principat de Jean sans Peur, mais la détermination de le faire se transmettait de génération en génération. En fait, les comtes de Bourgogne désiraient posséder le plus grand nombre de rentes et il ne faut pas oublier que celles du communal se prélevaient avant que les « parsonniers » ne récupèrent leur part. Les recettes de l’ordinaire, fortement tributaires de la production, augmentèrent tout au long de la période. Entre 1396 et 1402, ces revenus s’étalaient entre 8 500 et 10 500 francs111. Il apparaît bien que Jean sans Peur a cherché à augmenter les revenus retirés de la saunerie. La hausse est évidente jusqu’en 1413, suivie d’un léger tassement jusqu’en 1415. Le manque de données empêche ensuite d’être précis, mais les recettes s’envolèrent en 1419 pour atteindre un total de plus de 30 000 livres tournois. Cependant, la majeure partie des revenus se situaient autour de 15 000 livres tournois. Qui décidait des augmentations de production ? Le comte de Bourgogne nommait le Pardessus qui se trouvait à la tête de toute l’entreprise, ainsi que la majorité des officiers supérieurs. Il semble donc probable que le comte soit le principal responsable des augmentations de production, les autres « parsonniers » étant vraisemblablement mis au courant ensuite sans que l’on sache s’ils avaient un mot à dire dans la décision. La part de Jean de Chalon-Arlay, confisquée par Philippe le Hardi112, fut rendue à son propriétaire par Jean sans Peur bien que ces revenus aient représenté un montant important. Le nouveau duc préféra s’allier un des plus grands barons du comté plutôt que de les conserver. Il opéra pourtant, par la suite, la confiscation du partage d’Auxerre, un sixième des recettes de la Grande Saunerie, qui appartenait au comte de Tonnerre, tous ses fiefs comtois ayant subi la mainmise comtale. Jusqu’en 1411, le partage d’Auxerre bénéficia d’un compte séparé113 avec un receveur particulier : Guyon de Montaigu. Ensuite, il fut intégré aux recettes domaniales et y demeura jusqu’en 1416. Lorsque le partage d’Auxerre fut intégré dans l’ordinaire, le receveur ne sépara que les recettes spécifiques au partage, pour l’essentiel des recettes de bois, le reste étant ajouté au tiers possédé par le comte. En 1417, Jean sans Peur donna le partage d’Auxerre à son fils, le comte de Charolais, entrainant sa disparition des comptes de l’ordinaire. Il y fut réintégré en 1419 en raison de la mort de Jean sans Peur, les biens du comte de Charolais, nouveau comte de Bourgogne, faisaient désormais partie du domaine comtal. La période où le partage d’Auxerre fut intégré aux comptes du domaine correspondait au fléchissement des recettes, laissant envisager une baisse de la production à ce moment-là. 109 Comptes utilisés : ADCO, B 5969, le nouveau receveur est Raoulin de Machy (1416), B. 5970 (1418), B 5971 : le communal, B. 5972, l’ordinaire (1419). 110 Attention cependant à l’échelle, ils représentaient tout de même près de 2 000 livres tournois. L’amplitude fut d’une dizaine de livres maximum au cours de la période. 111 M. Rey, « La politique financière… » art. cit. 112 Sur ce thème, voir, M. Bubénicek, Entre rébellion et obéissance…op. cit., p. 37-129. 113 ADCO, B 5961, du 29 mars à Noël 1407, inutilisable. Sous la même cote, il y a le compte 1408. Toujours sous cette cote, il y a le compte de Noël 1406 à mars 1407, inutilisable. Il devait être destiné à connaître les prélèvements effectués pour le partage d’Auxerre car la confiscation prend effet en mars 1407.

159

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Tableau 56 : Les recettes du partage d’Auxerre de 1408 à 1419. Recettes indépendantes 1408

3299 £ 9 s. 9 d. ob. est.

1409

2595 £ 11 s. 9 d. poit. est.

1410

3432 £ 3 s. 8 d. et 10/12 d. est.

1411

4010 £ 6 s. 1 d. tournois

Recettes intégrées à l’ordinaire

1413

115 £ 1 s. 4 d. est.

1414

72 £ 13 s. 4 d. est.

1415

93 £ 5 s. 4 d. est.

1416

86 £ 13 s. 4 d. est.

1419

72 £ 14 s. 4 d. est.

Les salines de Salins représentaient de loin le revenu le plus profitable de toutes les recettes retirées du comté de Bourgogne, cette première place ne faisant que se renforcer au cours du principat de Jean sans Peur. À côté, les revenus de la gruerie pouvaient paraître dérisoires. Pourtant le comte montra de l’intérêt pour ces richesses naturelles, en effet, à plusieurs reprises lorsqu’il effectua des dons, il conserva les eaux et forêts. De nombreuses données sur la gruerie sont disponibles : neuf comptes nous sont parvenus. Mais l’un d’eux ne durant que quatre mois, du premier janvier au 30 avril 1412, il a délibérément été écarté de la représentation graphique. Tous les autres comptes, uniformément, commençaient le premier mai pour se terminer le 30 avril. Chronologie avantageuse pour la comparaison mais qui pose un problème pour la représentation graphique. À quelle année attribuer la somme prélevée ? Par exemple, le premier compte débutait le premier mai 1403 et se terminait le 30 avril 1404 : huit mois se situant sur la première année, quatre sur la deuxième, les recettes ont donc été représentées sous l’année comptant le plus grand nombre de mois114.

Livres tournois

Graphique 19 : Recettes de la gruerie du comté de Bourgogne (1403-1419). 1600 1400 1200 1000 800 600 400 200 0 1400

1405

1410

1415

1420

Années

114 ADCO, B 1537 : 1403, B 1540 : 1404, B 1545 : 1405, B 1548 : 1406, B 1550 : 1407, B 1575 : 1412, 1413, 1414, 1415, 1416, 1417, 1418, 1419.

160

Les recettes entre 1404 et 1419  |  Chapitre 4

Les recettes de gruerie apparaissent globalement en hausse, passant d’environ 400 livres tournois à environ 800 livres tournois. Nous avons déjà vu que trois éléments essentiels faisaient varier ces revenus : la présence ou non de « penage », les revenus de la justice et la réalisation ou non de pêche dans les étangs. Ces composants plus ou moins combinés expliquaient les variations existantes. L’augmentation globale des recettes provenait des confiscations des biens de Louis de Chalon-Auxerre en comté, les revenus forestiers de ces possessions ayant été intégrés à la gruerie comtale115. Cependant, les recettes, multipliées par deux au cours de la période, ne peuvent être entièrement imputées à ces confiscations. 3. Des évolutions conjoncturelles

À une échelle plus fine, les évolutions découlaient d’événements imprévisibles : la quantité de blé ou de vin produite ou, plus fréquemment, la vente aux enchères des différentes charges. Le détail des revenus des châtellenies et leur évolution dans le temps rend possible leur perception. Nous avons choisi deux exemples : un dans chaque bailliage. Les châtellenies de faible rapport montrant de très faibles évolutions, ont donc été choisies une châtellenie moyenne dans le nord, Vesoul, et une châtellenie très importante dans le sud, Dole. Les péages abordés séparément, mettent en valeur la stagnation des échanges commerciaux ou inversement font apparaitre une économie à peine plus florissante lorsque les échanges reprenaient. A. Châtellenie de Vesoul

Livres estevenantes

Graphique 20 : Revenus de la châtellenie de Vesoul (1405-1419). 700 600 500 400 300 200 100 0 1400

1405

1410

1415

1420

Années

À l’exception des années 1408, 1409 et 1410, les revenus de la châtellenie de Vesoul eurent tendance à stagner. Il est aisé de déterminer les origines des hausses et d’en expliquer la brièveté. Les principales recettes fixes étaient comme toujours les tailles et les cens, les tailles rapportant nettement plus116. À partir de 1413, les montants des cens augmentèrent très légèrement en raison d’un accroissement de 2 sous 4 deniers imposé uniquement à la ville de Vesoul117. L’augmentation apparait cependant dérisoire rapportée à

115 Châtellenie d’Orgelet et châtellenie de Saint-Aubin. C’était indiqué clairement dans le compte de 1410-1411, ADCO, B 5578. Sur le sujet, consulter P. Gresser, « La gruerie de la châtellenie d’Orgelet au xve siècle », SEJ, 1977-78, p. 39-103. 116 Taille : 99 livres 13 sous. Cens : 1 livre 6 sous et deux livres un quart de cire. 117 Les autres cens étaient fixés.

161

Première partie  |  Le domaine comtal et ses recettes entre 1404 et 1419

l’ensemble des revenus118. Seule l’année 1410, comptabilisant plusieurs termes, entraina un montant supérieur pour les tailles119 mais ne suffit pas pour expliquer l’augmentation importante des revenus cette année-là. Il faut se référer à une ordonnance de Jean sans Peur dont nous ne connaissons pas la date exacte120, enjoignant de vendre à ferme la charge de tabellion ainsi que la clergie de bailliage comptabilisée dans la châtellenie de Vesoul121. Le nouveau statut des clergies fut appliqué en 1408, 1409 et 1410, les trois années aux revenus les plus élevés122. Hormis une rente fixe de 10 francs par an ainsi qu’un pré, vendu invariablement tous les ans pour 2 francs et demi, toutes les autres recettes variaient. Les prélèvements pour gardes évoluaient très peu. Ceux payés en cire provenaient d’individus isolés ou de petites fratries s’étant placées volontairement sous la protection du comte de Bourgogne, versant généralement une livre par personne. Les montants prélevés oscillèrent entre douze et quatorze livres jusqu’en 1415, année où seules huit livres de cire furent comptabilisés, de nombreux décès ayant eu lieu les années précédentes. Puis, le nombre de personnes continua de diminuer : en 1419, six livres de cire furent perçues. Les variations paraissent plus irrégulières lorsque les prélèvements pour garde ou bourgeoisie concernaient des villages entiers. Les habitants de Mailly123 versaient 1 gros par feu, 6 engrognes pour une veuve chef du foyer. Les villageois de Dampierre, Villedieu et Velorcey payaient quant à eux leur garde en avoine : à Dampierre deux quartes par feu ; dans les deux autres villages, quatre quartes par feu. Les variations de versement étaient donc proportionnelles à l’évolution du nombre de feux : entre 1405 et 1419 existait plutôt une tendance à la baisse du nombre d’habitants.

Tableau 57 : Évolution du nombre de feux dans quelques villages de la châtellenie de Vesoul entre 1405 et 1419. Dampierre Mailly

Velorcey Villedieu

1405 22

78

24

52

1408 23

81 + 1 veuve

26

50

1409 23

77 + 5 veuves

28

50

1410 20

69 + 6 veuves

26

50

1413 19

78 + 4 veuves

25

55

1415 19

77 + 1 veuve

24

50

1416 20

61 + 8 veuves

24

50

1418 19

61 + 10 veuves 25

54

1419 19

62 + 6 veuves

50

24

118 En 1409 et 1410, les montants étaient également un peu plus élevés en raison de l’échéance de plusieurs termes en sus. 119 Cent quarante-deux livres 3 sous. 120 Après la mort du père et de la mère de Jean sans Peur, donc sans doute en 1405, voir troisième partie. 121 Dans le bailliage d’Aval, cela faisait l’objet d’une rubrique à part. 122 En 1408, la vente de la ferme s’éleva à 168 livres 15 sous ; en 1409, à 180 livres. En 1410, la plus forte somme de 308 livres 17 sous 4 deniers correspondait aux paiements de termes supplémentaires par le fermier, le compte courant sur plus de douze mois. En 1413, il ne restait plus qu’un reliquat de 17 livres 4 deniers, la clergie ayant réintégré le domaine en 1412, ce qui signifie qu’il y eut aussi des recettes importantes en 1411 et 1412. 123 Il existe aujourd’hui une rue de Mailly à Vesoul laissant à penser que le village a été englobé dans l’agglomération.

162

Les recettes entre 1404 et 1419  |  Chapitre 4

Certains droits, réservés au châtelain, se comptabilisaient avec les autres prélèvements : des corvées de « charroi » remplacées par un versement en argent124 et des amendes judiciaires provenant des habitants demeurant aux alentours du château, « es haberges », pour des délits de moindre importance. Le total de ces amendes évoluait de façon tout à fait aléatoire. Les revenus de la prévôté variaient de façon beaucoup plus importante. Partout dans le domaine, ces recettes se révélaient les plus élevées. On constate une véritable proportionnalité entre les versements de cire et ceux en livres estevenantes. Par ailleurs, on peut percevoir une nette tendance à l’augmentation des prix de vente de la ferme de la prévôté.

Graphique 21 : Revenus de la prévôté de la châtellenie de Vesoul (1405-1419). livres de cire. 250

100

200

80

150

60

100

40

50

20 0

0

Livres estevenantes

120

1405 1406 1407 1408 1409 1410 1411 1412 1413 1414 1415 1416 1417 1418 1419

Livres de cire

livres estevenantes.

Années

Livres estevenantes

Graphique 22 : Revenus des tabellionnages de la châtellenie de Vesoul (1405-1419). 35 30 25 20 15 10 5 0 1400

1405

1410

1415

1420

Années

Les recettes issues des tabellionnages étaient peu élevées. En hausse tout au long de la période, elles connurent deux fortes augmentations. Début 1408, la charge étant encore amodiée, une partie de la ferme était donc comptabilisée. En cours d’année, la charge remise « en gouvernement » entraina la perception d’arriérés suite au changement de statut. Le montant le plus élevé, en 1413, provenait d’un nombre important de lettres scellées, ainsi que l’élaboration d’un contrat particulier par le tabellion : 124 Six deniers par voiture, il y avait quinze voitures à Vesoul, le versement s’élevait donc à 7 sous 6 deniers.

163

Première partie  |  Le domaine comtal et ses recettes entre 1404 et 1419

l’accord de mariage du chevalier Didier de Cicon, seigneur de Gevigney avec dame Bietrix de Villers. Le sceau certifiant l’authenticité du document coûta 10 francs au chevalier. La vigne surnommée « de Faucogney » était exploitée en faire-valoir-direct, nécessitant donc l’intervention de salariés chargés de l’entretien, de la récolte et de la vinification. L’année 1408 fut une année de faible production contrairement à 1410 et 1413. Enfin, 1419 apparaît également comme une année de vendanges fructueuses. 30 25 20 15 10 5 0 14 05 14 06 14 07 14 08 14 09 14 10 14 11 14 12 14 13 14 14 14 15 14 16 14 17 14 18 14 19

Muids de vin

Graphique 23 : Production de la vigne de Faucogney entre 1405 et 1419.

Années

Les recettes de Vesoul, assez nombreuses, montraient pourtant des montants relativement modestes. La plus importante provenait de l’amodiation de prévôté mais les variations découlaient principalement des changements de statut des tabellionnages. B. Châtellenie de Dole Dole correspondait à la plus importante châtellenie du domaine, présentant le double intérêt de revenus particulièrement élevés mais également très diversifiés. Au début, les recettes totales eurent plutôt tendance à stagner puis l’année 1411 marqua une rupture. Livres estevenantes

Graphique 24 : Revenus de la châtellenie de Dole (1405-1419). 1200 1000 800 600 400 200 0 1400

1405

1410

1415

1420

Années

À partir de 1413, les revenus de la châtellenie augmentèrent doucement, mais les recettes de 1419 s’avèrent à peine plus importantes que celles de 1405125. Les variations les plus fortes ne dépassaient guère 100 livres, ce constat de faibles modifications était valable pour toutes les châtellenies du bailliage. Les revenus fixes, toujours les mêmes, 125 En 1405 : 1 004 livres 17 sous 2 deniers. En 1419 : 1 118 livres 2 sous 9 deniers obole.

164

Les recettes entre 1404 et 1419  |  Chapitre 4

se composaient de cens126, tailles127, gardes et « commandises »128, « terrages »129, en ajoutant les recettes obtenues auprès des usagers de la forêt de Chaux, également constantes130.

Graphique 25 : Amodiations des moulins de la châtellenie de Dole (1405-1419).

1419

1418

1417

1416

1415

1414

1413

1412

1411

1410

1409

1408

1407

1406

Livres estevenantes

350 300 250 200 150 100 50 0

180 160 140 120 100 80 60 40 20 0 1405

Livres de cire

Livres estevenantes. Quantité de cire.

Années

Les variations provenaient comme toujours en grande partie d’amodiations, la plus rentable concernant la vente des moulins, affermés en cire et en argent. Au début, les deux montants paraissent n’avoir aucun rapport entre eux, puis rapidement la proportionnalité s’instaura. L’absence de montant de prélèvement de cire en 1415 provient d’une vraisemblable erreur du scribe qui indiquait trente livres de cire, montant illogique au vu des recettes obtenues les autres années131. À peu près un tiers des revenus en argent de la châtellenie provenait de cette amodiation. Ils eurent donc la même évolution que celle des revenus globaux du centre de perception, c’est-à-dire une augmentation, faible mais continue des recettes.

Graphique 26 : Revenus de la prévôté de la châtellenie de Dole (1405-1419).

300 250 200 150 100 50 1419

1418

1417

1416

1415

1414

1413

1412

1411

1410

1409

1408

1407

1406

0

Livres estevenantes

140 120 100 80 60 40 20 0 1405

Livres de cire

livres estevenantes. quantité de cire.

Années 126 127 128 129 130 131

Trois cent trois livres 2 sous 3 deniers, 6 livres de cire et huit gélines. Quarante-cinq livres 10 sous 6 deniers obole. Une livre 10 sous, cinq bichots d’avoine et 150 livres de cire. Vingt-six quarterons, moitié froment, moitié avoine. Vingt bichots d’avoine et trente livres de cire. Ce montant correspondait à celui récupéré pour l’amodiation des ventes et marchés et qui était placé immédiatement après la recette des moulins dans les comptes. Pour cette dernière amodiation, la proportionnalité était respectée, on va le constater.

165

Première partie  |  Le domaine comtal et ses recettes entre 1404 et 1419

Les revenus de la prévôté de Dole se situaient, en importance, immédiatement derrière ceux des moulins. Le poids de cire versé correspondait exactement à la moitié des livres estevenantes récupérées. Les recettes, élevées, connurent le même type d’évolution que celles des revenus des moulins. Nous n’avons pas d’explication pour l’année 1415, exceptionnelle. La différence de recettes entre 1405 et 1419 s’avère finalement relativement faible.

Livres estevenantes

Graphique 27 : Amodiation de l’éminage de la châtellenie de Dole (1405-1419). 160 140 120 100 80 60 40 20 0 1400

1405

1410

1415

1420

Années

La baisse des recettes de l’éminage apparait nettement au début de la période et la hausse éphémère en 1413 fut immédiatement suivie d’une nouvelle baisse, l’augmentation des revenus ne s’amorçant réellement qu’en 1415, pour obtenir à terme en 1419, une recette supérieure à celle de 1405. La tendance à la hausse des revenus était donc toujours présente.

Graphique 28 : Revenus des ventes, foires et marchés de la châtellenie de Dole (1405-1419).

Livres estevenantes

1419

1418

1417

1416

1415

1414

0 1413

20

0 1412

10 1411

40

1410

60

20

1409

30

1408

80

1407

100

40

1406

50

1405

Livres de cire

livres estevenantes. quantité de cire.

Années

Les ventes s’amodiaient en cire et en argent et à l’exception de 1413 où la part de cire fut nettement plus importante, la proportionnalité était présente. Les recettes les plus élevées se situaient en 1414. On constate une tendance globale à la hausse des revenus sur les taxes commerciales mais restant cependant très mesurée, on ne peut guère parler d’une véritable embellie. 166

Les recettes entre 1404 et 1419  |  Chapitre 4

Graphique 29 : Amodiation de la halle aux bouchers de la châtellenie de Dole (1405-1419).

16 14 12 10 8 6 4 2 0

Livres estevenantes

1419

1418

1417

1416

1415

1414

1413

1412

1411

1410

1409

1408

1407

1406

8 7 6 5 4 3 2 1 0

1405

Livres de cire

livres estevenantes. quantité de cire.

Années

L’activité des bouchers apparaît importante à Dole où les recettes étaient relativement élevées. Le métier pouvait s’organiser en puissante corporation et comptait parfois dans ses rangs des personnages très riches132. L’importance des bouchers dans la capitale comtoise transparaissait par les taxes qu’ils versaient. L’activité de la halle culmina aux alentours de 1413, 1414 et 1415, mais les revenus de l’amodiation en 1419 furent les mêmes qu’en 1405.

Graphique 30 : Amodiation du ban des vins de la châtellenie de Dole (1405-1419).

Livres de cire

5

12 10 8 6 4 2 0

4 3 2 1 1419

1418

1417

1416

1415

1414

1413

1412

1411

1410

1409

1408

1407

1406

1405

0

Livres estevenantes

livres estevenantes. quantité de cire.

Années

Deux autres mises à ferme concernaient le vin. L’amodiation du ban des vins respectait la proportion entre la cire et l’argent. L’évolution de ces recettes apparait proche de celle de l’amodiation précédente : augmentation des revenus amorcée en début de période, avec un inexplicable point culminant en 1411, s’achevant en 1415 pour ensuite montrer une baisse prononcée. Cette diminution des recettes semble évoquer

132 J. Theurot, « Boucherie et bouchers à Dole, Jura, du xive au xve siècle », in Du lard ou du cochon : approches archéologiques et ethnologiques de l’histoire de l’alimentation : actes des séminaires publics d’archéologie, Besançon : Centre régional de documentation archéologique, 1990, p. 62-63.

167

Première partie  |  Le domaine comtal et ses recettes entre 1404 et 1419

un moindre intérêt de la part des amodiataires potentiels pour les fermes de peu de rapport.

16 14 12 10 8 6 4 2 0 14 05 14 06 14 07 14 08 14 09 14 10 14 11 14 12 14 13 14 14 14 15 14 16 14 17 14 18 14 19

Muids de vin

Graphique 31 : Revenus des quarts et des cinquièmes de vin dans la châtellenie de Dole (1405-1419).

Années

La dernière amodiation contenue dans les recettes de Dole s’intitulait les quarts et les cinquièmes et correspondait à un prélèvement sur la production de vin : donc des revenus en nature. Le terroir de Dole ne semblait pas très apte à produire du bon vin. L’amodiation avait lieu pendant les vendanges, expliquant les fluctuations relativement importantes de la recette : les personnes intéressées pouvaient directement constater la qualité de la production, proposant vraisemblablement un montant en adéquation avec leur appréciation. D’une façon générale, les muids de vin obtenus étaient en hausse. On peut souligner l’importante différence de quantité entre 1405 et 1419133.

Livres estevenantes

Graphique 32 : Revenus des tabellionnages de la châtellenie de Dole (1405-1419). 45 40 35 30 25 20 15 10 5 0 1400

1405

1410

1415

1420

Années

L’étude des revenus de Dole se termine avec les recettes des tabellionnages. Comme dans le nord, la fonction connut des alternances entre amodiations de la charge et tabellion nommé. Jusqu’en 1406, les tabellions de Dole étaient donc nommés. La hausse des revenus succédant à cette date coïncida avec la période de mise à ferme des tabellionnages. Cependant, en 1411, la baisse des recettes fut très nette. En 1413, la charge était à nouveau mise « en gouvernement » et l’était toujours en 1414, année où les recettes baissèrent de nouveau. À partir de 1415, la charge fut de nouveau amodiée et le resta avec des revenus alors plutôt en hausse, faible mais continue, démontrant un certain intérêt pour la fonction. 133 Quatre muids en 1405 et quatorze muids et demi en 1419.

168

Les recettes entre 1404 et 1419  |  Chapitre 4

L’étude dans le détail des revenus de châtellenie montre à quel point leurs évolutions pouvaient modifier l’ensemble des recettes. Ces variations conjoncturelles provenaient essentiellement des amodiations, rentrées d’argent ayant l’avantage de ne pas être éparpillées dans le temps mais totalement tributaires des élites rurales et urbaines. C. Recettes de péages Terminons avec les péages qui favorisaient les échanges commerciaux en accélérant le rythme de la circulation par l’amélioration de la viabilité, permettant ainsi une certaine rentabilité. Rentabilité ensuite nécessaire pour assurer la sécurité, l’aménagement et l’entretien des routes134. Des préoccupations d’ordre politique, économique ou des nécessités géographiques déterminaient l’emplacement des principaux péages comtois qui ont déjà été présentés. Le péage du Thillot par exemple, se trouvait sur la route rejoignant la Champagne et la Lorraine par le versant méridional des Vosges135. En 1415, une rumeur prétendit que des seigneurs allemands avaient défié le duc, personne ne voulut donc amodier le péage, il fallut le fermer et cela se produisit plusieurs fois au cours de la période, toujours en lien avec des craintes d’interventions armées lorraines. Nous nous contentons de produire les recettes d’Augerans, principal point de passage du domaine et même du comté jusqu’au xviiie siècle et seul péage où la comptabilité précisait tarifs et quantités des produits en transit qui constituaient l’unique rentrée d’argent136. La donation de la châtellenie voisine de Santans au chambellan Guigue de Salenove spécifiait que le péage d’Augerans n’en faisait pas partie, démontrant l’importance qu’il revêtait aux yeux du comte. Les recettes issues du péage eurent tendance à augmenter, la baisse en 1411 correspondant au compte ne courant que sur neuf mois. On remarque également une baisse d’activité en 1414, suivie d’une reprise immédiate ainsi que la hausse des recettes en 1419.

Livres estevenantes

Graphique 33 : Revenus du péage d’Augerans (1405-1419). 180 160 140 120 100 80 60 40 20 0 1400

1405

1410

1415

1420

Années

Les marchandises de meilleur rapport se révèlent sans conteste être les balles de laine passant au poids137, pesées par un receveur spécial.

134 V. Chomel et  J. Erbesolt, Cinq siècles de circulation internationale vue de Jougne, Paris, 1951, p. 45. 135 Ibid. p. 43. 136 Il y avait aussi quelques rentrées en nature. 137 Poids de vingt-deux pierres.

169

Première partie  |  Le domaine comtal et ses recettes entre 1404 et 1419

Graphique 34 : Le passage des balles de laine à Augerans (1405-1419).

160

350

140

300

120

250

100

200

80

150

60

100

40

50

20

0

0

Livres estevenantes

400

1405 1406 1407 1408 1409 1410 1411 1412 1413 1414 1415 1416 1417 1418 1419

Quantité de balles

Quantité de balles. Montant prélevé (conduite).

Le commerce du transport de laine venait d’entrer dans une période de récession, selon Henri Dubois la décennie 1383-1393 connut, selon son expression : « un trafic de laine misérable »138. Si les choses s’arrangèrent un peu entre 1404 et 1411, d’une façon générale, le volume commercial eut tendance à s’effondrer et entre 1412-1413 et 1421-1422 était toujours très déprimé. L’année 1414 qui apparaît visiblement sur les représentations, correspondait à une période de conflit. La guerre en Picardie et en Artois gênait les échanges entre Paris et la Flandre, ce qui eut des répercussions sur le transit d’Augerans139. L’année 1419 s’avéra la plus fructueuse avec 372 balles traversant le péage. N’apparait pas dans cette représentation le denier de la « solte » : montant forfaitaire prélevé sur chaque balle de laine140. Produits transformés cette fois, les draps représentaient une autre denrée importante transitant par Augerans. On distinguait draps de couleur et draps gris, nous l’avons vu. La conduite des draps de couleur était nettement plus chère. Les draps se comptabilisaient à l’unité et ceux de couleur apparaissent beaucoup plus nombreux. Les baisses enregistrées en 1411 et en 1414, plus marquées pour les draps de couleur, signifient que les draps gris étaient vraisemblablement transportés par des marchands locaux, donc moins tributaires du contexte politique. Les gains obtenus sur les draps gris s’avéraient minimes.

Graphique 35 : Le passage des draps de couleur au péage d’Augerans (1405-1419). 8 7 6 5 4 3 2 1 0

Quantité

250 200 150 100 50 1405 1406 1407 1408 1409 1410 1411 1412 1413 1414 1415 1416 1417 1418 1419

0

Livres estevenantes

livres estevenantes. quantité de draps.

Années 138 H. Dubois, Les foires de Chalon et le commerce de la vallée de la Saône à la fin du Moyen Âge, (vers 1280-vers 1430), Paris, 1976, p. 512. 139 Ibid, p. 514. Le marasme que connut la route transjurassienne se poursuivit jusqu’à la moitié du xve siècle. 140 Revenus récupérés s’étalant entre 10 sous et 1 livre, avec un maximum de 1 livre 11 sous 1 denier en 1419.

170

Les recettes entre 1404 et 1419  |  Chapitre 4

Graphique 36 : Le passage des draps gris au péage d’Augerans (1405-1419). sous estevenants. 18 16 14 12 10 8 6 4 2 0

60 Quantité

50 40 30 20 10 1419

1418

1417

1416

1415

1414

1413

1412

1411

1410

1409

1408

1407

1406

1405

0

Sous estevenants

quantité de draps.

Années

Au début de la période, les harengs furent une marchandise très présente à Augerans. Les variations apparaissent identiques à celles des autres denrées, cependant à la fin, le déclin se révèle très net : en 1418, rien ne fut comptabilisé et en 1419, la quantité était si faible qu’elle est invisible sur la représentation141. Cette denrée venant de contrées plus lointaines subissait donc plus fortement le contexte difficile de guerre civile.

Graphique 37 : Le passage des harengs au péage d’Augerans (1405-1419).

14 19

14 17

14 15

14 13

14 11

14 09

14 07

20 18 16 14 12 10 8 6 4 2 0

Livres estevenantes

450000 400000 350000 300000 250000 200000 150000 100000 50000 0 14 05

Quantité

livres estevenantes. quantité de harengs.

Années

Les autres marchandises traversant le péage d’Augerans étaient d’un rapport beaucoup moins intéressant, par exemple les quantités de ballons d’acier en transit, d’importance très variable selon les années. La quantité comptabilisée se révèle fréquemment très faible voire nulle comme en 1411. Les années les plus rentables restaient toujours les mêmes : 1413 et 1419, cependant, les montants récoltés par la conduite d’acier atteignaient rarement les tarifs de 1 livre.

141 Il y a 2 000 harengs pour 1 sous 8 deniers.

171

Première partie  |  Le domaine comtal et ses recettes entre 1404 et 1419

Graphique 38 : Le passage des ballons d’acier au péage d’Augerans (1405-1419).

70 60 50 40 30 20 10 0

20 15 10 5

14 19

14 17

14 15

14 13

14 11

14 09

0

Sous estevenants

25

14 07

14 05

Nombre de ballons d'acier

sous estevenants. quantité de ballons d’acier.

Années

Les balles de laine et les draps de couleur étaient donc à l’origine des revenus élevés d’Augerans. Existèrent aussi quelques recettes issues de passage de cire mais ne concernant que peu d’années. En 1405, des marchands tentèrent d’échapper au péage d’Augerans et furent poursuivis par le receveur qui les rattrapa et les contraints à lui verser la conduite s’élevant à 21 francs 8 engrognes142. Le registre qualifiait ce type d’événement de « chose extraordinaire » alors que nous en avions présenté plusieurs exemples issus des recettes foraines. Les marchands cherchant à outrepasser les péages de Jean sans Peur faisaient d’ailleurs de même avec les passages des Chalon-Arlay143. Certains marchands venant du royaume de France et se dirigeant vers la Savoie, le pays de Vaud ou les marchés de Lombardie, prenaient un autre chemin que celui imposé « crié et enjoint du temps de nostre besayeule la contesse d’Artois » qui passait par Saint-Jeande-Losne144 puis par La Loye (Augerans) et par Salins puis Chalamont et Pontarlier pour enfin atteindre Jougne, le péage du prince d’Orange. Les marchands qui prenaient la direction de Saint-Claude145 après Saint-Jean-de-Losne tombaient donc sous le coup de la loi. Les chemins interdits empruntaient des sentiers où les chars ne pouvaient passer, contraignant à transborder les denrées sur des bêtes. Les peines encourues correspondaient au versement du double du péage plus une amende arbitraire établie par les officiers de justice ou le bailli d’Aval. La première mention de détournement de route remontait à 1402 : trois voituriers de Septmoncel avaient chargé sur leurs bêtes les marchandises de commerçants de Genève pour les mener en foire froide de Chalon. Arrêtés par les gens du seigneur d’Arlay, les denrées furent confisquées. L’affaire fit du bruit. Le maître de foire de Chalon prétendait que ce n’était pas la première fois qu’on évitait ainsi le chemin normal. À la fin de 1410, Jean de Chalon obtint enfin le droit

142 ADCO, B 1541, fol. 61. Soit plus de 18 livres. 143 Les Chalon avaient obtenu de l’empereur en 1288 le droit de percevoir 10 sous lausanais de taxe sur chaque « balle, sac, trousse, fardeau » contenant la valeur d’une balle ou environ de laine, drap, toile, poivre, peaux et autres marchandises transitant par leur château de Jougne. V. Chomel et  J. Erbesolt, Cinq siècles de circulation…op. cit., p. 33-34. Sources : ADD, 1B324, lettre de Jean sans Peur du 31 octobre 1410, et ADD, 1B458, 8 novembre 1410, octroyant à Jean de Chalon-Arlay le droit de lever des amendes sur ces marchands. 144 Dép. Côte-d’Or, arr. Beaune. 145 Dép. Jura, arr. Saint-Claude.

172

Les recettes entre 1404 et 1419  |  Chapitre 4

d’amender lui-même. L’octroi était une récompense résultant de tous les services rendus par le prince d’Orange au duc de Bourgogne146. Entre 1399 et 1410, on assiste à un changement de la structure du trafic international. L’importance des foires de Champagne définitivement amoindrie, le trafic par mer entre la Méditerranée et les ports de Flandre prit de l’ampleur. L’impulsion commerciale ne venait plus du marché italien où l’activité cessa de croître, le commerce s’orientait vers de nouvelles voies. Le déclin des échanges internationaux se compensa au niveau local par des échanges plus régionaux147. Au milieu du xve siècle, on assista à un détournement du trafic en raison de l’attraction des foires de Genève : le duc de Bourgogne autorisa les marchands à transiter par le péage de Montmorot en évitant celui d’Augerans148. La route passait désormais par Lons-le-Saunier, Orgelet et Saint-Claude149. L’étude micro-économique met en valeur l’origine des variations ponctuelles de revenus et quelques points intéressants. En règle générale, les revenus fonciers issus des redevances, qui ont été présentées dans le détail, ne faisaient pas varier les recettes à l’exception du bailliage d’Aval où donations de terre et confiscations furent nombreuses, contrairement aux autres divisions administratives du comté. Cependant, ces revenus fonciers représentaient toujours une part élevée des recettes. Les variations avaient principalement trois origines : les recettes de justice, les héritages et les ventes de produits en nature, éléments sur lesquels, à priori, les trésoriers, les receveurs ou tout autre officier, n’avaient pas d’influence. Le prix des matières premières se révèle particulièrement intéressant. Si l’on intègre la période du principat de Jean sans Peur dans une phase de mouvement long des prix, elle se situe au début, dans une période de baisse, puis aux environs de 1410, les prix remontent150. Dans un premier temps, la masse monétaire insuffisante se couplait à une nouvelle augmentation de la production alors que l’accroissement de population était encore balbutiant. Après 1410, l’augmentation démographique fut véritablement amorcée. Entre 1419 et 1422, les prix s’enflammèrent artificiellement en raison d’une vague d’inflation monétaire. Le même schéma se retrouve dans les évolutions de prix du comté : les tarifs eurent tendance à baisser au début du principat de Jean sans Peur pour connaître une relative stagnation jusque vers les années 1413-1415 et ensuite remonter. En revanche, la hausse des prix en fin de période ne fut pas générale sur l’ensemble du comté. Alain Girardot, dans son étude sur le Verdunois151, remarque des prix ayant tendance à baisser jusque vers 1413 pour remonter aux alentours de 1418, 1420 et ensuite connaître une nouvelle récession. On retrouve approximativement les mêmes phases d’évolution que pour les prix comtois. Henri Dubois qui a réalisé une étude sur les variations annuelles de prix aux xive et xve siècles152 évoque, pour le xve siècle en Bourgogne, une orientation à la hausse des prix du froment et de l’avoine, signalant plusieurs années de prix élevés dont 1404 au moins pour l’avoine, 1415 et 1424-1425, pour la période qui nous préoccupe. Une dernière comparaison peut être réalisée avec des régions plus lointaines. Une étude portant sur les prix du froment à Rouen au

146 H. Dubois, Les foires de Chalon… op. cit., p. 255. Cependant, dans les faits, l’application du mandement de Jean sans Peur ne se fit pas réellement puisqu’il y eut des suites sous Philippe le Bon. 147 V. Chomel et  J. Erbesolt, Cinq siècles de circulation… op. cit., p. 93-108. 148 Les tarifs d’Augerans étaient alors appliqués à Montmorot. 149 H. Dubois, Les foires de Chalon… op. cit, p. 515. Autres routes par Poligny ou par Champagnole. 150 É. Carpentier et M. Le Ménée, La France du xie au xve siècle, population, économie et société, Paris, 1996, p. 390-394. 151 A. Girardot, Le droit et la terre. Le Verdunois à la fin du Moyen Âge, Nancy, 1992, p. 443-445. 152 H. Dubois, Les foires de Chalon… op. cit., p. 407-408.

173

Première partie  |  Le domaine comtal et ses recettes entre 1404 et 1419

xve siècle153, prix établis cependant en marché urbain, les montre très sensibles aux variations de courte durée, subissant également des fluctuations saisonnières. Sur la longue durée, de 1398 à 1408, les prix baissèrent, pour entamer à cette date, un mouvement de hausse qui prit surtout de l’ampleur après 1420. Les mêmes tendances semblent se dessiner un peu partout154. Enfin, l’étude des recettes des châtellenies met en lumière des variations obéissant rarement à des règles établies : parfois, des centres de perception proches les uns des autres ne connaissaient pas du tout les mêmes évolutions. Mais le meilleur rapport, toutes châtellenies confondues, étaient les diverses amodiations155, et à l’intérieur de celles-ci, la mise à ferme des prévôtés. Les revenus levés par les prévôts n’étant pas détaillés dans les comptes, cette réalité nous échappe ici totalement. Les aspects conjoncturels établis, est-il judicieux de s’interroger sur l’existence de possibles interventions seigneuriales pour accroitre les revenus. En d’autres termes, le comte de Bourgogne, ou tout au moins ses exécutants, avaient-ils un comportement économique rationnel ? Les contraintes externes représentées par la conjoncture étant inéluctables, elles se combinaient à des choix paraissant démontrer une grande adaptabilité156. Les recettes et l’évolution des modes de prélèvement le démontrent mais le fait se révèle également au travers l’étude des dépenses peut-être encore de façon plus nette où l’on va également constater qu’il vaut mieux percevoir moins que ne rien percevoir du tout. Les officiers devaient alors se montrer persuasifs pour convaincre la Chambre des comptes du bien-fondé de l’évolution.

153 G. Bois, « Le prix du froment à Rouen au xve siècle », Annales ESC, 1968, p. 1262-1282. 154 On retrouve aussi la même évolution dans des zones de montagnes, voir N. Carrier, La vie montagnarde…op. cit., p. 156. À l’aide des calculs de poids effectués grâce à l’ouvrage de N. Fourcault, Évaluation des poids et mesures de la province de Franche-Comté ou de Comté de Bourgogne, Besançon, 1872, nous avons pu reconstituer le poids de certaines mesures. Or Guy Bois donne comme équivalence de la mine de Rouen, entre 90 et 100 litres, très approximativement. Nous présentons toutes ces données avec beaucoup de réserves. Les prix rouennais s’étalaient de 10 sous au plus bas à 18,5 sous au plus haut, tous deux situés au début de notre période. Cela correspond à 6 et 11,1 gros. À Dole, le bichot pesant 245,76 litres était à la même date au prix de 4,5 francs. En moyenne, 6 gros les 95 litres de froment à Rouen donne un tarif de moins de 1 engrogne par litre tandis qu’en comté, à Dole, on obtient moins de 3 engrognes par litre. Cela représente des écarts de prix très importants, mais les données sont sujettes à caution, en particulier celles des poids et de plus nous comparons les prix d’un marché urbain à Rouen avec des prix représentant l’achat de produits provenant du domaine comtal qui normalement se passait aux enchères. 155 Jean Kerhervé avait déjà remarqué que les revenus affermés occupaient une place essentielle dans les recettes de châtellenies bretonnes au xve siècle, plus de 50% de l’ensemble des rentrées dans la moitié des châtellenies connues. J. Kerhervé, L’État breton…op. cit., p. 455, 527. 156 M. Bourin, « Propos de conclusion : conversion, commutation… » art. cit.

174

Deuxième Partie Les Dépenses

Une partie importante des recettes présentées dans la première partie étaient destinées à être utilisées sur place, dans le comté luimême. Ces dépenses générales peuvent se décomposer en « fixes » et « variables » qu’il convient donc de définir. Une part non négligeable concerne plus précisément les travaux effectués dans le domaine qui sont donc abordés séparément. Et encore une fois, les données chronologiques montrent des évolutions de court terme qui ont leur intérêt.

Chapitre 5 Dépenses générales On peut classer les dépenses en deux catégories : « fixes » c’est-à-dire basées sur des données ne variant pas ; ou évoluant. Ne sont présentées ici que les dépenses effectuées localement, elles prenaient parfois une place importante telles les dépenses difficilement compressibles représentées par les salaires par exemple mais aussi tout ce qui touchait aux frais de fonctionnement. 1. Définitions A. Dépenses fixes On retrouve à peu près dans tous les comptes présentés jusque-ici la classification des dépenses en plusieurs catégories, seule l’appellation différait selon les lieux. Les dépenses « fixes » correspondaient à des montants déterminés, en général, par le comte de Bourgogne lui-même, mais les sommes totales de ces dépenses pouvaient varier. Tous les comptes comportaient le paiement des salaires des officiers car la contrepartie de l’office était bien sûr le gage1 : les bailliages, la seigneurie de Faucogney, la châtellenie de Bracon ou de Salins et la gruerie. Dans les deux bailliages, cela comprenait les salaires des capitaines et des châtelains alors que dans les autres recettes, il s’agissait principalement de rémunérations de receveurs ou de portiers. Les salaires de ces officiers, normalement fixés, connaissaient malgré tout des variations puisqu’un des moyens utilisés par Jean sans Peur pour obtenir de l’argent consistait à baisser périodiquement et brièvement les salaires, nous le verrons plus loin. Cependant, même dans ces cas exceptionnels, la rémunération initiale était toujours rappelée. En règle générale, un paragraphe s’intitulait « gaiges d’officiers » ou « gaiges de capitaines ». Seul le bailliage d’Aval comportait une autre partie : « pensions et gaiges a volonté », titre sous-entendant des variations. Y étaient comptabilisés les salaires d’officiers plus importants comme le bailli ou les conseillers dont le nombre varia au cours de la période. Le montant total des dépenses de salaires pouvait donc évoluer en fonction des créations ou des disparitions de postes mais, de façon générale, les rémunérations étaient fixés une fois pour toute. Les rétributions des receveurs de châtellenies se comptabilisaient également sous ce poste, nombre et montants les concernant ne varièrent jamais au cours de la période. Très rarement, en fonction des circonstances, Jean sans Peur décidait d’augmenter un salaire2. Le deuxième type de dépenses « fixes », les rentes, se révèle beaucoup plus complexe. Quasiment aucune comptabilité n’y échappait3, cependant Salins en supportait la plus grande part. Ne variant jamais lorsqu’il s’agissait de « fiez et rentes 1 O. Mattéoni, Servir le prince. Les officiers des ducs de Bourbon à la fin du Moyen Âge (1356-1523), Paris, 1998, p. 369 : il ne s’agissait pas des seuls revenus, les lettres de nomination ajoutaient « les droits, profits et esmoluments accoustumés ». Nous en verrons des exemples comtois plus loin. 2 Ce fut le cas des baillis lorsqu’ils perdirent les bénéfices des « clergies » de bailliages mises à ferme, nous en parlerons plus loin. 3 Exceptées la châtellenie de Bracon et la gruerie.

177

Deuxième partie  |  Les dépenses

perpetuelles » ou de « charges a tousjours », seule la création de nouvelles rentes perpétuelles pouvait en modifier le montant. À côté de ces rétributions, normalement inaliénables, existaient les rentes à vie, disparaissant des comptes à la mort du bénéficiaire. Un peu différentes, les pensions à vie récompensaient les bons serviteurs. Dans les comptes du bailliage d’Amont, des rentes à volonté pouvaient être interrompues à tout moment, dès que le comte le désirait. Quant aux rentes à rachat, celui-ci une fois effectué, on ne les trouvait plus mentionnées dans les dépenses. Les rentes non perpétuelles apparaissait ou disparaissait donc dans les comptes au gré des circonstances. Cependant, le comte de Bourgogne en fixait toujours les montants. L’Église apparait comme une des principales bénéficiaires. Par exemple, le poste intitulé « aumônes » dans les comptes du trésorier de Vesoul correspondait à des versements annuels à des ecclésiastiques. Cependant, l’ordinaire de Salins se révèle le seul compte versant d’importantes rentes à l’Église. Les établissements religieux, abbayes, maladreries ainsi que les pauvres de quelques villes du bailliage d’Aval percevaient les « aumônes ». Les « anniversaires » correspondaient aux versements à différents chapitres afin qu’ils récitent des messes en l’honneur des défunts appartenant à la famille comtale. Enfin, les « chappellenies » signifiaient un paiement pour l’installation de chapelains dans des chapelles nouvellement créées. Mais tous les comptes comprenaient également des dépenses qui évoluaient et qui se révèlent beaucoup plus diverses. B. Dépenses variables À l’exception du communal de Salins et des comptes de gruerie, toutes les autres comptabilités comprenaient des « despenses communes », souvent sorte de « fourretout » très pratique permettant d’y classer des choses très diverses. On y trouvait la rémunération des personnes chargées d’établir les inventaires après décès4 ou les voyages extraordinaires dont était chargé tel ou tel officier, trésorier ou bailli5. S’y comptabilisait également le remboursement des frais de réalisation du registre de comptabilité. Certains comptes mettaient à part les dépenses liées à l’envoi de lettres : la « messagerie »6, comprenant uniquement la rémunération des sergents chargés de porter des lettres, majoritairement à l’intérieur du comté, plus rarement à l’extérieur. Le point commun entre toutes ces dépenses était qu’elles concernaient pour l’essentiel des officiers comtaux et s’établissaient sur une base de rémunération journalière. Elle pouvait soit être fixée une fois pour toute en fonction du travail réalisé, soit être inscrite dans l’ordre de mission. Dans les comptes de bailliages et de la seigneurie de Faucogney, un chapitre de dépenses s’intitulait « dons et rémissions ». À la différence d’une rente, versée de façon régulière chaque année, le don correspondait à une somme versée en une fois, pour un but pourtant souvent similaire : récompenser un fidèle serviteur. Ce type de dépense n’apparaissait donc qu’une fois. D’un tout autre ordre, les rémissions représentaient pour l’essentiel, une baisse de redevance : diminution octroyée gracieusement par le comte de Bourgogne, les raisons de cette bienveillance étant diverses. En cas de diminution de population dans un village, le montant de la taille était revu à la baisse ou si la ville avait besoin d’argent pour réaliser des travaux, la diminution de redevance 4 5 6

178

En particulier des « bastards » ou des mainmortables morts sans héritiers. Très présent dans les comptes de bailliages. Dans les deux comptes de bailliages et dans la seigneurie de Faucogney, dans cette dernière, tous les voyages étaient également classés avec la messagerie.

Dépenses générales  |  Chapitre 5

pendant un nombre limité d’années servait à en faciliter le financement7. Les « rémissions » pouvaient résulter d’une demande des officiers comtaux ayant constaté les difficultés de paiement des habitants, ou bien elle provenait d’une demande officielle de la part des villageois eux-mêmes. Seul le comte de Bourgogne détenait le pouvoir d’accorder ces baisses d’impôt, tout comme celui de les annuler quand bon lui semblait. Ce type de faveur se prolongeait rarement indéfiniment. Le principe comptable utilisé pour ces diminutions de redevance se révèle assez particulier, la baisse n’étant pas prise en compte dans les recettes où l’on continuait d’indiquer le montant dû initialement8. On reportait ensuite la « rémission » dans les dépenses, alors que cette somme n’avait jamais été perçue. Il est évident que cette méthode relevait d’une volonté de garder inscrite la somme initialement due. Pouvait cependant se poser un problème lorsque la Chambre des comptes considérait la baisse comme indue pour diverses raisons et refusait de l’avaliser. Le comptable se trouvait alors redevable d’une somme qu’il n’avait jamais perçue. Certaines dépenses s’avèrent exceptionnelles, apparaissant de façon ponctuelle dans les comptes. Par exemple, le trésorier du bailliage d’Aval avait la charge de toutes les dépenses inhérentes à la tenue du parlement de Dole. Il rémunérait toutes les personnes présentes ainsi que les enquêteurs officiant pour la Cour suprême. La levée d’un emprunt ou d’une aide, événement exceptionnel, suscitait également des dépenses extraordinaires dont le versement de salaire aux sergents ou aux officiers apportant l’argent à Dijon par exemple9. Ces dépenses se rencontrent à peu près exclusivement dans les comptes de bailliages. Reste à présenter deux postes très importants dans la comptabilité de cette période. Tout d’abord d’importants frais étaient engagés pour les constructions ou réparations des divers bâtiments appartenant au comte dans son domaine. Les travaux réalisés dans la saunerie de Salins ne sont pas étudiés ici car ne relevant pas uniquement du comte de Bourgogne. À la charge de l’ensemble des « parsonniers », des comptabilités spéciales les traitaient10. Dans le reste du domaine comtal, on distingue deux types d’interventions : d’un côté celles portant sur des bâtiments, de l’autre le financement de l’entretien des vignes et les sommes destinées à la gruerie, essentiellement pour le maintien en bon état des étangs, de leur pêche ou de leur empoissonnement. Réaliser des travaux dans les vignes signifiait qu’elles étaient à la charge du comte. Souvent affermées ou plus rarement bénéficiant d’une mise en valeur partagée, les vignes où avaient lieu des travaux indiquaient donc une exploitation en faire valoir direct. Ce mode d’exploitation existait dans les deux bailliages et dans la seigneurie de Faucogney, apportant des détails intéressants sur les différentes étapes de l’entretien de la vigne, la rémunération des ouvriers employés et le nombre de vendangeurs recrutés avec la part des femmes et des enfants embauchés pour la réalisation de ces travaux. La rénovation des bâtiments portait en partie sur des ouvrages défensifs mais pas uniquement. Le maintien en état des forteresses et châteaux du comté faisait partie des devoirs du comte de Bourgogne, ainsi que l’approvisionnement en armes offensives : arcs, arbalètes, flèches, carreaux, et, beaucoup plus dispendieux, canons et bombardes. 7 8

Nous verrons des exemples plus loin. Parfois, le clerc précisait qu’il y avait une « rémission » et son montant, mais la redevance était toujours indiquée dans son montant initial. 9 Par exemple, dans le bailliage d’Amont en 1404-1405, existait un chapitre intitulé : « mission pour portaige d’argent ». 10 ADD, 1B198, marchés passés par les agents de la saunerie pour réaliser des travaux, le tout géré par le conseil de la saunerie.

179

Deuxième partie  |  Les dépenses

Les travaux dans les châteaux ne portaient pas nécessairement sur des parties stratégiques mais visaient plutôt à l’aménagement de zones parfois dans une situation proche du délabrement. Le maintien en état des divers bâtiments économiques comme les fours, les moulins, les batteurs ou les écluses réclamaient aussi beaucoup d’argent. Parfois, leur dégradation ayant entraîné l’écroulement, il fallait entièrement reconstruire. Plus rarement, on finançait des constructions neuves. Qu’il s’agisse de dépenses d’entretien ou de constructions de bâtiments, tous les corps de métiers intervenant sur les chantiers étaient détaillés dans les comptes avec leur salaire, le travail s’effectuant à la tâche ou à la journée. Enfin, les receveurs généraux des finances sollicitaient toutes les comptabilités comtoises à l’exception des comptes du communal de Salins et de la gruerie. Le poste « deniers bailliez comptans » comptabilisait des montants très élevés mais avec d’importantes fluctuations. Le receveur général de toutes les finances et le receveur général des duché et comté de Bourgogne opéraient ces prélèvements d’argent soit pour leur propre comptabilité, soit pour le donner à une personne déterminée. Les raisons invoquées se révèlent multiples. L’étude de ce type de prélèvement sera effectuée dans l’ultime partie car correspondant pleinement à une volonté de gestion liée à un contexte ainsi qu’au prince alors au commande de la principauté. L’ensemble des dépenses « non fixes » variaient beaucoup d’une année sur l’autre. La différence avec les dépenses « fixes » motive donc le traitement séparé des deux types de charge. 2. Les différentes dépenses fixes A. Les salaires

Graphique 39 : Répartition des salaires des officiers dans le comté de Bourgogne. Nombre d’officiers.

2500 2000 1500 1000 500 Br ac on

Sa lin s

ey

ru er ie G

gn Fa uc o

Am

on t

0

Nombre d'officiers

50 45 40 35 30 25 20 15 10 5 0

3000

Av al

Montant total des salaires en francs

Montant des salaires.

Nous commençons par la façon dont se répartissaient les montants distribués aux différents officiers à l’intérieur de chaque ensemble avant d’étudier comment évoluaient les dépenses liées à leurs salaires, ainsi que les causes principales de ces changements. Il a fallu recréer une situation un peu artificielle car nous n’avons aucune année de référence correspondant à tous les endroits du domaine. En gommant tout ce qui 180

Dépenses générales  |  Chapitre 5

était susceptible de faire varier ce type de dépenses11 et en se basant sur des salaires annuels « normaux »12, on obtient une répartition de la charge entre les différentes circonscriptions13. Le bailliage d’Aval, partie du comté la plus importante, comptait plus de capitaines et de receveurs, le trésorier de Dole ayant également à sa charge les salaires des conseillers. Cela explique à la fois le nombre important d’officiers dans le bailliage tout comme le total distribué, très élevé14. Les données se basent sur les salaires versés au début de la période. En établissant une hiérarchie entre les différents agents en fonction de leurs émoluments, il est possible de constater que la catégorie moyenne représentait la plus forte dépense. Le trésorier, le procureur, tous les capitaines et les conseillers ainsi que les receveurs sont classés dans la catégorie moyenne. Particularité de ce bailliage, les salaires des hauts fonctionnaires occasionnaient une forte dépense ne concernant que deux personnes : le bailli et le gouverneur du comté, Jean de Vergy. Leurs deux rétributions représentaient à elles seules 29% de l’ensemble versé par le trésorier de Dole. Les officiers inférieurs comprenaient les portiers, guetteurs, sous receveurs. Le bailliage d’Aval en comptait quatre se partageant 2% des versements15.

Graphique 40 : Répartition des salaires des officiers du bailliage d’Aval. Petits officiers (salaire < 20 livres est.). Officiers de catégorie moyenne (salaire de 100 à 20 livres est.). Officiers de catégorie supérieure (salaire > à 100 livres est.). 3 29%

1 2%

2 69%

11 Nous y revenons dans la suite : ordonnance de baisse de salaire, versements d’arriérés, etc. 12 Bien qu’il soit relativement rare que tous les traitements correspondant à cette normalité se retrouvent dans une année. 13 Il est intéressant de souligner la charge que représentaient les gages des officiers en Bourgogne alors que Jean Kerhervé faisait remarquer que dans le duché de Bretagne, les gages restaient très modérés, un sénéchal, donc l’équivalent d’un bailli y touchant autour de 30 ou 40 livres. J. Kerhervé, L’État breton…op. cit., p. 507. 14 Quarante-sept officiers, 2 571 francs. 15 Leurs salaires étaient le plus souvent proches de 5 livres.

181

Deuxième partie  |  Les dépenses

Les nombreuses donations de châtellenies eurent des conséquences sur les versements de salaires dans ce bailliage et de plus six nouvelles charges de conseillers furent créées au cours de la période ainsi que d’autres fonctions, moins hautes16. Au total, le bilan des créations d’offices fait apparaitre une augmentation des dépenses de salaire d’un peu plus de 322 francs. Parallèlement, les donations faisant disparaître plusieurs gages de capitaines et de receveurs17, la baisse de 854 francs, se révèle plus importante que les nouvelles dépenses. En prenant en considération tous ces éléments, les traitements baissèrent de 20,6% dans le bailliage d’Aval. Les dépenses de salaires dans le bailliage d’Amont apparaissent nettement moins élevées pour un nombre d’officiers également moins important18. La répartition apparait cependant similaire à celle du sud du comté. Seul officier supérieur, le bailli touchait à lui seul 39% de la totalité des versements. Les salaires moyens concernaient le trésorier, le procureur et les capitaines. Proportionnellement plus nombreux que dans le bailliage d’Aval, les officiers inférieurs étaient cinq à se partager 3% des salaires. Existaient également dans la châtellenie de Montjustin deux gardiens rémunérés en nature : six quartes de blé chacun, mode de paiement exceptionnel qui n’apparait pas dans la représentation graphique.

Graphique 41 : Répartition des salaires des officiers du bailliage d’Amont. Petits officiers (salaire < 20 livres est.). Officiers de catégorie moyenne (salaire de 100 à 20 livres est.). Officiers de catégorie supérieure (salaire > à 100 livres est.). 1 3%

3 39%

2 58%

16 Un receveur institué à Colonne, un portier au château de Montmirey, un guetteur au château de Poligny et un couvreur qui surveillait les toits des forteresses et maisons comtales. 17 Sans tenir compte des châtellenies données pendant une courte période puis revenues au domaine comme ce fut le cas pour Rochefort par exemple. 18 Treize officiers : 574,4 francs.

182

Dépenses générales  |  Chapitre 5

Graphique 42 : Répartition des officiers de la ­seigneurie des Faucogney. Petits officiers (salaire < 20 livres est.). Officiers de catégorie moyenne (salaire de 100 à 20 livres est.). Officiers de catégorie supérieure (salaire > à 100 livres est.). 1 0%

2 18%

3 82%

La seigneurie de Faucogney détenait la particularité de verser un montant total de salaire élevé comparé au nombre d’officiers rémunérés19, leur répartition permettant d’en comprendre la raison. Un seul homme, Jean de Vergy, percevait 82% de la totalité des salaires, touchant en fait deux rémunérations affectées à des fonctions très différentes : l’une en tant que maréchal du comté, l’autre comme capitaine de Faucogney. Deux personnes représentaient les officiers moyens : le receveur et le capitaine de Château-Humbert. Enfin, il n’y avait qu’un officier inférieur, un portier dont le salaire se montait à 2 francs par an20.

Graphique 43 : Répartition des salaires des officiers de la gruerie. Petits officiers (salaire < 20 livres est.). Officiers de catégorie moyenne (salaire de 100 à 20 livres est.). 1 24%

2 76%

19 Quatre officiers : 487 francs. 20 Ce qui explique que cela n’apparaisse pas sur le graphique, le salaire représentant 0,4% du total.

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Deuxième partie  |  Les dépenses

La gruerie comptait peu d’officiers dont aucun de catégorie supérieure, le montant total des salaires se révèle donc assez faible21. La catégorie moyenne, prédominante, concernait seulement deux officiers : le gruyer et le trésorier. Les agents inférieurs, guère plus nombreux, se composaient essentiellement de forestiers qui n’existaient que dans le cadre de la gruerie.

Graphique 44 : Répartition des salaires des officiers de Salins. Petits officiers (salaire < 20 livres est.) Officiers de catégorie moyenne (salaire de 100 à 20 livres est.) Officiers de catégorie supérieure (salaire > à 100 livres est.) 1 1%

2 22%

3 77%

Le trésorier de Salins rencontrait une situation à peu près similaire à celle du receveur de Faucogney : un montant des salaires non proportionné au nombre d’officiers22 pour une cause à peu près similaire : le seul salaire d’un officier supérieur représentait 77% des versements. Il s’agissait encore de Jean de Vergy qui, ne se contentant pas d’être capitaine de Faucogney, occupait le même office à Bracon. Le trésorier et le receveur des cautions représentaient les officiers de moyenne catégorie et un unique officier inférieur, un portier, touchait 5 francs et demi de salaire annuel. La châtellenie de Bracon apparait comme le seul endroit où un nombre relativement élevé d’officiers correspondait à un total de salaires très faible23. L’explication en est simple : la majorité des salaires correspondait à des offices inférieurs, 66% des sommes étant versées à des portiers, des guetteurs, des veilleurs de nuit avec même un chef pour l’ensemble24. À l’instar du bailliage d’Aval, un « recouvreur » touchait 30 sous par an pour surveiller les toits du château. Les officiers moyens se composaient du receveur et du procureur : ensembles, ils touchaient un bon tiers des versements. Rappelons que

21 Cinq officiers : 104,8 francs. 22 Sont réunies les dépenses de salaires versées par le compte de l’ordinaire et le compte du communal. Quatre officiers : 390,5 francs. 23 Seize officiers : 107 francs. 24 « L’eschargaiteur » de la grande salle de Bracon était chargé de surveiller les autres guetteurs du château.

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Dépenses générales  |  Chapitre 5

le trésorier de Salins prenait en charge le salaire du capitaine de Bracon, la recette de la châtellenie aurait vraisemblablement eu du mal à supporter cette charge financière.

Graphique 45 : Répartition des salaires des officiers de la châtellenie de Bracon. Petits officiers (salaire < 20 livres est.). Officiers de catégorie moyenne (salaire de 100 à 20 livres est.).

2 34%

1 66%

La part prépondérante de Jean de Vergy parmi les officiers du comté générait de véritables incidences financières. Par ailleurs, les officiers de catégories supérieures se révélaient relativement nombreux, pesant fortement sur certaines comptabilités. La répartition, parfois, de la contrainte financière apparait comme un élément de gestion intéressant. Il faut également insister encore sur l’absence complète de normalisation, on le voit au travers du cas des receveurs, présents ou non ou avec des rétributions très inégales. Ayant établi comme postulat de départ l’utilisation d’une situation figée afin de permettre les comparaisons entre les différentes entités constituant le comté, il est désormais intéressant de faire réapparaitre les variations. N’ont été conservées que les recettes principales en écartant délibérément les officiers rémunérés à Salins où, dans les comptes du communal, les dépenses engendrées par leurs salaires restaient invariablement les mêmes25 et l’ordinaire comportait des montants beaucoup plus élevés en raison de la nomination de Jean de Vergy à la tête du château de Bracon26. Il faut ajouter que les officiers de Salins ne subirent pas les ordonnances d’emprunts forcés ou de baisse de salaire qui firent plusieurs fois diminuer les dépenses dans les autres comptes domaniaux. Les salaires des officiers de la gruerie ont également été écartés : les montants concernés étant peu élevés et le nombre de bénéficiaires peu important27. De la même façon, la châtellenie de Bracon montrant une stagnation des salaires qui ne représentaient pas des sommes élevées28, les officiers n’y subissant pas de baisse forcée de salaire, elle n’apparait pas dans la représentation.

25 Autour de 30 livres tournois. 26 Rappelons que son salaire était de 300 livres tournois. Le receveur des cautions percevait également un salaire important : 60 livres tournois. 27 Le gruyer avait un salaire de 60 livres, le trésorier de 12 livres. S’ajoutaient quelques forestiers. 28 Jamais plus de 130 livres tournois.

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Deuxième partie  |  Les dépenses

Graphique 46 : Salaires des officiers du comté de Bourgogne entre 1405 et 1419. Officiers du bailliage d’Aval. Officiers du bailliage d’Amont.

Livres tournois

Officiers de la seigneurie de Faucogney. 3500 3000 2500 2000 1500 1000 500 0 1400

1405

1410 Années

1415

1420

La tendance à une baisse des salaires apparait à peu près générale, de façon plus ou moins importante selon les endroits. Le montant des rémunérations versées à Faucogney apparait très proche de celui du bailliage d’Amont, principalement en raison des salaires de Jean de Vergy. En 1413, les sommes versées furent plus élevées29 à cause de nombreux arriérés réclamés par les officiers, retards de versements qui se réglaient avec l’accord de la Chambre des comptes, prenant parfois du temps. Les salaires non acquittés s’additionnaient quelquefois sur plusieurs années. Le receveur pouvait être contraint de tout payer en une seule fois, à la demande de la Chambre ou à celle de Jean sans Peur, gonflant alors brièvement les dépenses30. Le cas se produisit plusieurs fois. À partir de 1414, la principale explication de l’affaissement des dépenses à Faucogney fut la mort de Jean de Vergy. Son petit-fils Antoine, qui le remplaça, ne détenait que la charge de capitaine de la châtellenie et la Chambre refusa même d’enregistrer son salaire. Ce type de comportement n’était pas inhabituel, mais la raison de ce rejet nous est inconnue. À partir de 1417, les seules dépenses de salaire acceptées par la Chambre furent les rémunérations d’un portier et du receveur31. Les données du bailliage d’Amont sont un peu faussées car en 1409, les rémunérations correspondaient à quatorze mois de versements et en 1410, quinze mois, année où le comte avait imposé des emprunts forcés sur les traitements des officiers32. L’ordonnance de baisse de salaires datait de 1408 et le fléchissement constaté en 1415 avait la même origine. De façon générale pourtant, les dépenses de rémunérations dans le bailliage d’Amont connaissaient plutôt une tendance à la stagnation, contrairement au bailliage d’Aval où la baisse du montant total des salaires fut importante. Le trésorier de Dole paya en 1405 de nombreux arriérés. La mort de Philippe le Hardi, suivie très rapidement de celle de Marguerite, avait laissé en suspens la situation de plusieurs officiers. À son avènement, Jean sans Peur en reconduisit la majorité dans leur fonction, mais nombreux étaient ceux qui n’avaient pas été payés depuis la mort du duc Philippe. Le nouveau comte ordonna que tous 29 Montant de 657 livres tournois. 30 Par exemple en 1406 : le receveur versa 685 livres tournois. Jean de Vergy n’avait pas touché son salaire de capitaine en 1405, n’ayant pas prêté serment. Une fois cette condition remplie, il fut ordonné au trésorier de lui payer en 1406 les 200 francs non payés en 1405, expliquant le montant. ADCO, B 4685-1, fol. 35. 31 Un montant de 27 francs. 32 Raison pour laquelle les données ont été laissées en l’état.

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Dépenses générales  |  Chapitre 5

les arriérés de salaires soient versés, même sans détention de lettres de nomination de la défunte Marguerite33. L’année 1407 apparait également exceptionnelle. Le salaire de quatre années du châtelain de Dole fut versé34, le château de Montréal récupéra six guetteurs, à la charge du trésorier de Dole35 et enfin on nomma de nouveaux conseillers36. La diminution des dépenses relevée en 1413 correspondait à quelques baisses de salaires37. À partir de 1414, les donations de terres entraînèrent d’importantes économies38. L’année 1415 fut marquée par des emprunts. Puis39, en 1419, la Chambre refusa de prendre en compte plusieurs versements de salaires. Bien que les agents nommés par Jean sans Peur aient officié une année complète, le duc-comte avait été assassiné le 10 septembre 1419 avant la clôture du compte au 30 septembre. Il est aisé de résumer les principales raisons faisant varier les dépenses de salaires : les ordonnances d’emprunts ou de baisse sur les rémunérations avaient le plus de poids, les donations jouaient également un rôle important. De façon plus diffuse se manifestait aussi le refus de paiement par les gens des comptes ou à l’inverse, l’ordre de payer les arriérés. Le décès d’officiers suivi d’une vacance jusqu’à une nouvelle nomination pouvait aussi entraîner des baisses dans les versements de salaires annuels. Plus rarement existait la création de nouveaux officiers, essentiellement des guetteurs et des conseillers. Il n’en demeure pas moins que plus que des variations mécaniques dues à la conjoncture, les salaires des divers officiers comtaux connaissaient surtout des ponctions imposées par le prince40. B. Les rentes Les rentes apparaissent comme le deuxième poste de dépenses « fixes ». Le cas particulier de la rente versée à Catherine, duchesse d’Autriche et sœur de Jean sans Peur mérite d’être traité individuellement avant d’aborder la répartition des versements. Le mariage de leurs enfants se révèle pour les ducs de Bourgogne comme un véritable acte politique. L’essor de la maison bourguignonne résultait lui-même d’un mariage : celui de Philippe la Hardi et de Marguerite, héritière de Flandre, en 136941. En choisissant de grandes familles européennes, comme ce fut le cas pour Catherine, le duc de Bourgogne s’alliait avec les plus grands personnages d’Europe. Mais les conséquences financières pouvaient s’avérer importantes : ici 100 000 francs de dot promis au duc d’Autriche, dont 40 000 seulement avaient été versés. Une rente de 6 000 francs par an fut établie pour solder le débit avec rachat possible conditionné au remboursement des 60 000 francs en une seule fois. Lors de la négociation de mariage, les deux familles s’efforçaient de préciser la dot de la mariée ainsi que la valeur du douaire, la somme offerte par le père de la mariée relevant également d’une question de prestige42. Philippe le Hardi n’ayant fait qu’entamer le versement de la dot promise, Jean sans 33 34 35 36 37 38

En effet, celle-ci n’avait pas eu le temps de s’occuper de tous les anciens officiers de son mari. Plus de 126 livres. Soixante-douze francs. Bon Guichart : 45 livres, Pierre de Clairvaux : 40 livres. Concernant surtout les conseillers. Par exemple, la donation au comte de Savoie des châtellenies de la montagne entraîna de substantielles économies : le trésorier, le procureur, le bailli, touchaient plus de 40 francs supplémentaires uniquement pour le travail opéré dans ces châtellenies. Capitaines et receveurs percevaient ensemble 571 livres 15 sous. 39 Nous ne possédons malheureusement pas les données de 1416, il manquait les feuillets 89 à 96 qui portaient sur les dépenses de salaires de capitaines. 40 Voir troisième partie qui traite cet aspect de la politique de Jean sans Peur. 41 C.-A.-J. Armstrong, « La politique matrimoniale des ducs de Bourgogne… » art. cit. 42 Il était rare d’ailleurs que les dots soient payées dans les conditions strictes du traité.

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Deuxième partie  |  Les dépenses

Peur se retrouva donc débiteur de Léopold IV d’Autriche au nom de son père décédé, continuant de verser les arriérés de la dot afin de préserver les droits au douaire de sa sœur43. On trouve la première mention de cette rente dans les comptes de 1406 de la seigneurie de Faucogney44. Les versements se répartissaient entre diverses trésoreries : 2 000 francs pour le receveur des foires de Chalon, 2 000 francs pour le trésorier de la saunerie de Salins, celui de Dole versait 1 000 francs et les 1 000 francs restants se partageaient pour moitié entre le trésorier de Vesoul et le receveur de Faucogney. Les officiers de la duchesse d’Autriche venaient chercher les sommes en personne auprès des différents trésoriers. Les comptes disponibles montrent des versements effectués : en 1406, le receveur de Faucogney versa les 500 francs prévus, en 1407 également45 ; la même année, le trésorier de Dole paya 1 000 francs qui lui étaient assignés46. Le trésorier de Vesoul n’avait pu répondre à l’engagement pour l’année 1406 car avant de recevoir l’assignation des 500 francs de rente à verser à la duchesse il avait engagé sa recette complète auprès de plusieurs créanciers du duc de Bourgogne. En 140847, il paya les 500 francs qui auraient dû être donnés en 1407, mais devait toujours la somme pour les échéances de 1406 et 1408. Le 11 juin 1407, le trésorier recevait une lettre de Jean sans Peur lui ordonnant de verser le plus rapidement possible les 1 000 francs de créance, mais le 31 août 1408, le paiement n’ayant toujours pas été effectué, le comte intima au trésorier de ne rien donner tant qu’il n’en aurait pas décidé autrement. À partir de là, Catherine d’Autriche ne perçut plus rien des officiers du bailliage d’Amont. La même missive parvint certainement au receveur de Faucogney qui évoquait une lettre datée de 1408 pour justifier le non-paiement des 500 francs de rente dus au prince autrichien. La condition de rachat en une seule fois avait en fait été contournée : 400 francs de rente avaient été rachetés par un versement de 4 000 francs à Catherine d’Autriche48. Restait donc 5 600 francs à payer chaque année49 qui furent assignés sur Gray50. En cas de recettes insuffisantes, le reliquat se prélevait sur le trésorier de Dole et les lieux proches de Gray. Le rachat était toujours établi à dix fois le montant de la rente additionné de quelques nouvelles conditions comme le retour au domaine en cas de mort sans héritier et l’engagement de Jean sans Peur de payer les funérailles de sa sœur. L’octroi d’une dot avait pour but la conservation du patrimoine entre les mains des enfants mâles, pour cela, les ducs limitaient les droits héréditaires que les princesses bourguignonnes apportaient à leur mari. Depuis 1364, la maison d’Autriche pratiquait cette méthode en exigeant des princesses qui se mariaient le renoncement à toute exigence sur les territoires dynastiques. En fournissant des revenus en comté afin d’assurer 43 C.-A.-J. Armstrong, « La politique matrimoniale des ducs de Bourgogne… » art. cit. 44 ADCO, B 4685, fol. 33-34. 45 ADCO, B 4685, fol. 33. 46 ADCO, B 1549, fol. 86, rubrique « charges à rachat ». 47 ADD, 1B102, fol. 37, rubrique « fiez et rentes ». 48 Nous l’apprenons par le compte du bailliage d’Aval de 1413 : ADCO, B 1567, fol. 121. 49 Nous continuons à utiliser des francs pour plus de commodités, le trésorier emploie à partir de là les livres tournois, équivalentes. 50 La capitainerie de Gray avait été donnée à Catherine d’Autriche. Traité du 27 décembre 1412. Jean sans Peur avait ordonné de payer à la princesse les rentes du domaine. Abbés Gatin et Besson, Histoire de la ville de Gray et de ses monuments, 19842, p. 96-97. En fait, les revenus de la châtellenie de Gray furent toujours enregistrés dans les recettes domaniales jusqu’en juin 1422 où la duchesse d’Autriche obtint enfin la délivrance des rentes de Gray sous Philippe le Bon. Elle décéda au château de Gray en 1426. F. Genevrier, Une ville comtale de marche : Gray et son aire d’influence ( fin xiiie-début xvie siècle), thèse non publiée, Besançon, 2009, p. 195-196.

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Dépenses générales  |  Chapitre 5

le paiement de la dot de Catherine, Jean sans Peur allait à l’encontre de cette volonté de conservation du patrimoine, la clause de retour des terres après la mort de la duchesse se révélait dès lors nécessaire. En 1413, le trésorier de Dole versa 3 100 francs à la duchesse d’Autriche51 dont 60 francs servaient à rembourser ses frais de déplacement entre Rochefort et Gray, puis son retour à Belfort, chef-lieu des terres de son douaire52. Une partie de la somme provenait de la vente d’une couronne et deux colliers ordonnée par Jean sans Peur pour pouvoir payer la rente de Catherine53. Le reste fut recueilli en détournant certaines sommes des fonctions auxquelles elles devaient être employées54. Le trésorier versa finalement 3 100 francs à la duchesse d’Autriche, pourtant la rente s’élevait à 5 600 francs. En 141455, le résidu de la rente de 2 800 francs fut versé apparemment sans difficulté par le trésorier de Dole. En 1415, les paiements s’arrêtèrent, et en 1418 Érart du Four récupérait sa fonction de châtelain de Gray. Catherine se déplaça très régulièrement à Gray pendant qu’elle détenait la capitainerie, ses droits sur la ville apparaissant relativement importants : elle jura de maintenir les franchises des habitants et il existe de nombreux actes munis de son sceau et datés dans la ville. La souveraineté était cependant restée dans les mains de Jean sans Peur56. Cette rente particulière pesait sur l’ensemble des recettes du domaine comtois, mais le plus souvent, ce type de dépenses était circonscrit à certaines recettes. Les sommes versées par le trésorier de Vesoul augmentèrent de façon importante, chaque poste de dépense ne jouant pas le même rôle dans cette hausse : par exemple, les aumônes ne varièrent jamais. Les percevaient des ecclésiastiques, en majorité des abbayes57, un chapitre bénéficiait même d’une rente spéciale pour brûler une lampe devant une représentation de la Vierge Marie58. Ces aumônes pesaient sur diverses recettes59 pour des montants très inégaux : de 30 sous par an pour une lampe à 20 livres pour les religieuses de Baume. Les rentes en fief ne variaient pas beaucoup plus que les aumônes. En 1405, quatre fiefs rentes étaient assignés sur des recettes précises comme les gîtes de Montbozon ou les tailles de Baume par exemple. Le plus faible, 10 sous par an, était destiné à deux femmes chargées de lever les tailles de Voray-sur-l’Ognon, tandis que le plus haut se montait à 30 livres annuelles. En 1408 et 1409, l’augmentation des versements coïncidait avec l’échéance de plusieurs termes sur ce compte. Les cent florins correspondaient à une rente versée au châtelain de Baume60 qui ne fut pas délivrée en 1410 pour absence de serment. L’argument fut utilisé plusieurs fois par les gens des comptes, d’autant que Jean sans Peur s’était rendu spécialement à Gray en 1409 afin 51 ADCO, B 1567, fol. 121-122. Le duc de Bourgogne ordonna le paiement de 3 000 francs immédiatement. 52 Le douaire de Catherine était composé de Belfort, Thann et plusieurs seigneuries voisines. P. Pégeot, Vers la réforme : un chemin composé et séparé…op. cit., p. 216. Tous ses gens devaient également être défrayés par Jean sans Peur, le montant des dépenses était établi à 50 francs par jour. 53 Somme de 926 francs. En fait Jean Chousat et Jacques de Villers étaient caution auprès de marchands parisiens pour cette somme car ces bijoux avaient déjà été mis en gage chez ces marchands qui les avaient déjà plusieurs fois vendus et revendus. En février 1413, ils étaient définitivement perdus pour la somme de 926 francs. Les deux fidèles serviteurs s’étaient engagés à rendre la somme aux marchands. 54 Somme de 560 francs remise à l’origine par le receveur général pour racheter la terre de Monnet qui avait été confisquée à Louis de Chalon-Auxerre puis vendue à son oncle Jean de Chalon-Arlay. Le comte de Bourgogne désirait récupérer tout ce qui avait appartenu au comte de Tonnerre. 55 ADCO, B 1579, fol. 105. 56 Abbés Gatin et Besson, Histoire de la ville de Gray…op. cit., p. 96-97. 57 Baumes-les-Dames, La Charité, Bellevaux, Battant, prieur de Moutherot. 58 Dans l’église Notre-Dame de Colomoustier. Les autres aumônes étaient des messes anniversaires. 59 Les tailles de Vesoul, la prévôté de Chariez, les rentes de Voray-sur-l’Ognon ou encore les gîtes d’Authoison. 60 Le chevalier Pierre de Cly. La rente était à l’origine de 300 florins, 200 avaient déjà été rachetés.

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Deuxième partie  |  Les dépenses

que ses vassaux puissent lui prêter serment en mains propres. Le chevalier parvint malgré tout à obtenir une dérogation lui permettant de rendre son serment dans les mains du bailli et put continuer à percevoir sa rente61. Enfin, les 500 francs versés en 1408 correspondaient à la rente de Catherine d’Autriche.

Tableau 58 : Rentes versées par le trésorier de Vesoul (1405-1419). Aumônes Fiefs et rentes

Pension à vie TOTAL

1405

66 £ 10 s.

45 £ 10 s. 100 florins 20 francs

25 fr.

252 fr. 9 gros

1408

66 £ 10 s.

45 £ 10 s. 100 florins 500 francs

40 fr.

747 fr. 9 gros

1408/1409

106 £ 10 s.

100 £ 10 s. 100 florins

80 fr. 20 £

414 fr. 4 gros

1410/1411

68 £

55 £ 10 s. 100 florins

120 fr. 20 £

361 fr. 6 gros

1413

66 £ 10 s.

55 £ 10 s. 100 florins

80 fr. 5£

354 fr. 9 gros

1415

66 £ 10 s.

55 £ 10 s. 50 florins

160 fr. 80 £

476 fr. 5 gros

1416

66 £ 10 s.

55 £ 10 s. 100 florins

520 fr.

789 fr.

1418

66 £ 10 s.

55 £ 10 s. 100 florins

520 fr. 40 £

833 fr. 10 gros

1419

66 £ 10 s.

55 £ 10 s. 100 florins

520 fr. 80 £

922 fr. 10 gros

Les pensions à vie apparaissent les plus fluctuantes, correspondant principalement à des récompenses destinées aux bons serviteurs. En 1405, 25 francs versés à un ancien valet de pied de Marguerite de Flandre disparurent avec la mort de la duchesse. À partir de 1408, 80 francs de pension furent payés à Loyset Mulier, ancien officier de Philippe le Hardi devenu valet de chambre de Jean sans Peur62. Il parvint même à obtenir une reconduction de sa rente après la mort du duc. Pendant une courte période, de 1409 à 1413, Jean Perrot reçut 20 livres de pension en raison de sa charge de conseiller et d’avocat63. À partir de 1415, les montants augmentèrent fortement. La femme du sei61 En 1415, l’office de châtelain de Baume fut donné à Jean d’Amance. Un seul terme de la rente fut versé, sans doute en raison d’une vacance temporaire de la charge. Jean d’Amance avait racheté la rente à Jean de Cly pour 1 000 florins. Le duc de Bourgogne devait donc la somme au nouveau châtelain. ADCO, B 1583, fol. 45. 62 Les évolutions du montant proviennent des manipulations dont cette somme fit l’objet en raison des ordonnances de baisse des salaires et pensions. Par exemple en 1411, il obtient 40 francs de plus car cela lui avait été retiré de sa pension de 1408. Nous en reparlons plus loin. 63 Nous ne possédons pas le compte de 1414 mais en 1415 les versements ont disparu. En 1413, il ne toucha que 100 sous de résidu à cause des baisses de salaire : ADCO, B 1574, fol. 44.

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Dépenses générales  |  Chapitre 5

gneur d’Allenjoie, châtelain de Châtillon, avait obtenu 40 livres de pension en plus d’une vigne et d’un pré dans la châtellenie. La première année du versement faisait suite à une année de baisse des pensions résultant d’une ordonnance ducale. Jean sans Peur désirant que cette personne bénéficie tout de même du don, un forfait de 80 francs fut établi pour les échéances de 1414 et 1415. En 1416, elle ne perçut rien, puis ensuite les 40 livres furent payées sans difficulté. Jean Sardon dont la pension avait été octroyée par le roi lui-même connut une situation similaire. Il toucha 80 francs en 1415 ce qui équivalait au double de la pension. Par la suite, seuls 40 francs furent déduits de la recette de Vesoul. En 1416, 400 francs s’ajoutèrent aux dépenses de pensions. L’allocation récompensait les bons services rendus par Antoine de Vergy, petit fils de Jean de Vergy qui avait déjà beaucoup profité des libéralités de Jean sans Peur. Les recettes de Chariez et Port-sur-Saône se chargeaient du paiement. Antoine de Vergy perçut sa rente sans difficulté jusqu’en 1419, date où la duchesse dut intervenir pour que le versement soit effectué, en raison du décès de son mari. Par ce biais de pensions pour récompenser les bons serviteurs, le prince tissait des liens de clientèle, cependant, les gens des comptes se montraient toujours prêts à les annuler ou les diminuer dès qu’ils en avaient l’opportunité. Malgré l’importance des recettes de la trésorerie de Dole, le montant des rentes versées n’apparait pas plus élevé que dans le bailliage voisin à l’exception des années 1407, 1413 et 1414 où le paiement de sommes importantes correspondait à la rente accordée à Catherine d’Autriche.

Tableau 59 : Rentes versées par le trésorier de Dole (1405-1419). Rentes à perpétuité

Rentes à rachat

Rentes à vie

TOTAL

1405

394 £ 8 s. 5 d. ob. 9 £

313 fr.

761 fr. 3 gros

1407

260 £ 3 s. 9 d.

4 £ 10 s. 1000 £ t.

200 fr.

1494 fr.

1413

391 £ 4 s. 1 d.

4 £ 10 s. 3128 fr.

409 fr. 2 gros 10 eng.

3977 fr.

1414

339 £ 8 s. 1 d.

4 £ 10 s. 2800 fr.

200 fr.

3382 fr.

1415

344 £ 3 s.

4 £ 10 s.

200 fr.

587 fr. 4 gros

1416

297 £ 8 s. 1 d.

4 £ 10 s.

---------

335 fr. 5 gros

1417

229 £ 13 s. 1 d.

4 £ 10 s.

---------

260 fr.

1418

252 £ 3 s. 1 d.

---------

10 £ 15 s.

292 fr.

1419

194 £ 3 s. 1 d.

---------

146 £ 18 d.

378 fr.

Les assignations de rentes sur recettes n’étaient donc pas en corrélation avec leur importance. Point intéressant, les appellations utilisées dans ce bailliage ne recouvraient pas du tout celle du bailliage voisin. Les ponctions provenaient essentiellement de rentes à perpétuité. Les raisons de variation des montants se révèlent toujours les mêmes : la rente n’avait pas été versée l’année précédente pour une cause quelconque, des arriérés étant comptabilisés, portant parfois sur plusieurs années. Comme dans le bailliage d’Amont se retrouve l’absence de serment, une fois celui-ci prêté, la rente 191

Deuxième partie  |  Les dépenses

était de nouveau versée. Des revenus précis de la recette de Dole devaient acquitter les sommes dues, à l’instar du bailliage voisin. En 1405 et 1407, deux rentes à prélever sur le péage d’Augerans ne furent pas versées aux bénéficiaires car « ledit péaige ne vaut rien »64. Les versements s’effectuèrent ensuite normalement pour un montant de 50 livres à l’héritière de l’écuyer Renaud de Brissey65, en revanche les 120 livres appartenant aux frères du Saint-Ésprit de Besançon ne furent jamais versés66. Le non-paiement de la rente pouvait aussi provenir de la donation de la châtellenie où elle se prélevait. Maintes fois, des problèmes de quittance entrainèrent la retenue de la rente : très exigeante sur ce point, la Chambre des comptes les jugeait souvent insuffisantes, ou refusait le paiement en raison de leur absence. Ces contestations faisaient donc varier les montants, car aucune nouvelle rente ne fut attribuée jusqu’en 1419. Ecclésiastiques ou maisons religieuses en bénéficiaient majoritairement : 76,4% de l’ensemble. Le versement le plus élevé se montait à 35 livres, mais la majorité se situait entre 5 et 10 livres67. La plus faible rente : 8 sous par an, destinée aux malades de la « maladrerie » de Poligny, se révèle le seul cas d’aumône aux pauvres existant dans les deux bailliages. Les autres rentes d’ecclésiastiques servaient principalement à la desserte de chapelle ou à la célébration de messes anniversaires. Il semble donc que le prince ne se sentait pas tenu à une action caritative, laissant le relais ecclésiastique prendre en charge l’intervention directe auprès des populations démunies. Les rentes laïques, seulement 23,6% des rentes perpétuelles, se composaient majoritairement de fiefs, astreints aux conditions habituelles : serment et dénombrement. D’autres types de rentes existaient comme celle versée aux prud’hommes de Poligny afin qu’ils maintiennent la fontaine de la ville en bon état68. À l’exception de celle de Catherine d’Autriche, une seule rente à rachat grevait les recettes du bailliage d’Aval pour le faible montant de 4 livres 10 sous, l’écuyer Pierre Bouchey en avait héritée de son père. Prélevée sur les fours de Montrond, son rachat se montait à 100 florins69. En 1418 et 1419, la Chambre des comptes en refusa le versement sans raison apparente. Enfin, les rentes octroyées à vie disparaissaient soudainement en raison du décès du bénéficiaire. En 1405, la somme des rentes à vie se montait à plus de 200 francs car la pension versée à Loyset Mulier déjà citée plus haut avait été assignée sur les recettes du trésorier de Dole. Mulier toucha 80 francs auxquels s’ajoutèrent 33 francs d’arriérés. En 1413, le total, de nouveau supérieur à 200 francs, s’explique par la rente de Jean de Neuchâtel, remplacée par le don de la châtellenie de Chay70. Au cours des deux dernières années du principat de Jean sans Peur, les clercs rajoutèrent un chapitre intitulé « arréraiges de rentes en fiez ». Les montants reportés en 1418 et 1419 sous la rubrique rentes à rachat correspondaient donc à des rentes n’ayant pas été versées depuis plusieurs années. La première, 21 sous 6 deniers par an, procédait d’une mainmise comtale en raison d’un défaut d’hommage. En 1417, le serment prêté, le trésorier se trouva contraint de verser dix ans d’arriérés. La deuxième, 10 livres, avait été achetée. Les arriérés, vieux de vingt-huit ans, se montaient à 250 livres, pourtant, seuls 145 livres 64 65 66 67 68 69 70

192

1405 : ADCO, B 1541, fol. 70. 1407 : ADCO, B 1549, fol. 82. Une dénommée Marguerite de Montrichier. Nous ne connaissons pas les raisons de cette retenue. Cela représentait 40% des rentes ecclésiastiques, douze sur les trente existantes. Rente de 3 livres à prendre sur les revenus des sceaux de la ville. Les 9 livres de la première année correspondent à un double versement en raison d’un arriéré. ADCO, B 1567, fol. 122. Il avait d’abord obtenu Quingey, échangée contre Chay. Entre le moment où il avait restitué Quingey et celui où il avait obtenu Chay, 114 jours s’étaient écoulés. N’ayant rien perçu durant cette période, il fut dédommagé au prorata du nombre de jours de perte : 209 francs 2 gros 10 engrognes.

Dépenses générales  |  Chapitre 5

furent délivrés au bénéficiaire. Les rentes à vie tendaient donc à disparaître des comptes du bailliage d’Aval malgré son importance. Le montant des rentes assignées sur la recette de Faucogney apparait bien faible : exactement 37 sous 2 deniers. Trois rentes composaient ce total, toutes destinées à des églises : de Luxeuil, du prieuré de Fontaine et du prieuré d’Annegray et toutes pour que brûlent, sans discontinuer, des lampes devant les images d’un saint : saint Étienne à Luxeuil, saint Pancras à Fontaine et saint Jean-Baptiste à Annegray. En 1406 et 1407 s’ajouta le versement de 500 francs à Catherine d’Autriche. À l’exception de ces deux années, les montants accordés par le receveur de Faucogney ne varièrent pas. En fait, la majeure partie des rentes prélevées en comté pesaient sur la comptabilité de Salins. Seules les rentes de l’année 1411 sont présentées ici, ce qui correspond au premier compte lisible disponible pour la période. Les éléments susceptibles de faire varier les montants versés demeurant toujours les mêmes, nous nous contentons donc d’établir l’importance des rentes prélevées à Salins à peu près à mi-parcours du principat de Jean sans Peur. Apparaissent toutes les rentes dans ce bilan, y compris celles n’ayant pas été versées en 1411 pour un problème de quittance71. En revanche, les rentes subissant la mainmise comtale pour défaut de titre ou de prestation d’hommage n’ont pas été comptabilisées car l’absence de paiement pouvait perdurer sur de longues périodes.72

Tableau 60 : Rentes sur la saunerie de Salins au début du xve siècle. Ordinaire

Communal

TOTAL

Fiefs et rentes

1000 fr. 1624 £ 6 s. 8 d.72

440 £ 6 s. 8 d. 257 £ en sel 44 charges 4 salignons de sel

2964 £ 13 s. 4 d. 257 £ en sel 44 charges 4 salignons de sel

Rentes sur Grozon

36 £ 6 d

36 £ 6 d.

Anniversaires

146 £ 10 s.

1416 £ 10 s.

Aumônes

279 £

279 £

Chapellenies

106 £

106 £

TOTAL

3091 £17 s. 2 d.

440 £ 6 s. 8d. 257 £ en sel 44 charges 4 salignons de sel

3532 £ 3 s. 10 d. 257 £ en sel 44 charges 4 salignons de sel

Les recettes de Salins apparaissent extrêmement sollicitées pour les versements de pensions, pesant principalement sur les comptes de l’ordinaire. Dans le Communal, une grande partie des rentes à verser avant la répartition des bénéfices entres les « parsonniers » se trouvait aux mains du comte de Bourgogne à cause du « grant empeschement ». Les rentes en fiefs grevaient lourdement les revenus de l’ordinaire de la Saunerie. La fourchette des montants apparait très large : les versements de 5 livres, peu nombreux, représentaient la plus faible rente tandis qu’au plus haut, un unique versement se montait à 400 livres73. Les bénéficiaires étaient des laïcs ou des 71 Mais par contre nous n’avons pas compté les arriérés versés. 72 Une somme de 231 livres 13 sous 4 deniers n’a cependant pas été comptabilisée, le plus souvent pour défaut de serment de fidélité. 73 Le bénéficiaire était Jean de Vienne.

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Deuxième partie  |  Les dépenses

ecclésiastiques74. L’ordinaire de Salins versait en tout trente et une rentes, la majorité d’entre elles ne présentant pas de particularités, excepté 100 livres versées à l’hôpital de Bracon : aumône aux pauvres octroyée par Mahaut d’Artois75. La distribution de cette somme se déroulait dans des conditions très strictes : six sergents gardaient les portes du village, surveillant les pauvres, deux hommes du bourg s’occupaient quant à eux des portes de l’hôpital par où rentraient les quémandeurs et deux prud’hommes du bourg ou de la saunerie de Salins distribuaient l’aumône, en présence de deux personnes de l’hôpital76. Enfin, le châtelain de Bracon ou son lieutenant, accompagné du prévôt, présidait l’ensemble afin que la donation s’effectue en paix77. Le duc de Bourgogne prenait 1 000 livres de plus sur la saunerie en raison de son titre et sur cette somme, trois rentes étaient versées pour un montant total de 160 livres, rajouté au total des rentes en fief prélevées sur les comptes de l’ordinaire de Salins. Le compte du communal s’acquittait de trente-neuf rentes, toutes en fief. Les montants apparaissent plus faibles que ceux pesant sur l’ordinaire. Sans tenir compte des versements en sel, la plus petite rente se montait à 3 livres, mais elles ne s’élevaient jamais au-dessus de 40 livres. La grande majorité ayant subi le « grant empeschement », lors du paiement, on rappelait que la rente avait été mise « a delivre ». Parmi les rentes restantes, onze étaient versées, soit par obtention par le bénéficiaire d’une « lettre de joissement » reconductible, accordée par la Chambre des comptes, soit grâce à une lettre patente de Jean sans Peur accordant au bénéficiaire un délai lui permettant de toucher l’argent jusqu’à ce qu’il ait prouvé sa bonne foi ou prêté son hommage. Voici quelques exemples. Deux cousins possédaient 27 livres 6 sous 8 deniers de rente sur 200 livres appartenant à Richard de Montbéliard. Cette donation s’était effectuée sans le consentement du comte de Bourgogne, Philippe le Hardi. Pourtant, Jean sans Peur décida de restituer leur rente aux deux cousins qui l’avaient bien servi au cours de la bataille d’Othée78. Parmi les bénéficiaires ecclésiastiques, l’abbaye d’Acey prélevait 30 livres de rente sur les 800 livres du comte de Bar. Les règles féodales voulaient que tout vassal faisant un don à un établissement ecclésiastique devait obtenir de son seigneur des lettres d’amortissement assorties d’un droit à payer. Cette condition n’ayant pas été appliquée pour l’abbaye d’Acey, le « defaut d’admortissement » entraina la mainmise comtale. Les 30 livres furent malgré tout versées en échange de la célébration d’une messe annuelle pour le duc et la duchesse défunts79. Les rentes intitulées chapellenies ou anniversaires bénéficiaient uniquement à des ecclésiastiques. Les premières correspondaient à une rente versée à des chapelains afin qu’ils desservent leur chapelle pour un montant soit de 10, soit de 12 livres80. Quatorze rentes servaient à la célébration de messe anniversaire, leurs montants s’échelonnant de 5 à 26 livres. Cinq des rentes anniversaires étaient destinées à célébrer des messes en souvenir de

74 75 76 77

Abbaye de Bellevaux, de Cherlieu, de Citeaux, de Cornuef, etc. On ne comprend pas pourquoi cette rente est classée dans les fiefs et non dans les aumônes. Un chanoine et un gardien des frères mineurs. Tout le déroulement se trouvait dans la lettre de donation de la duchesse datée de 1327. Sur ce thème, voir N. Brocard, Soins, secours et exclusion : établissements hospitaliers et assistance dans le diocèse de Besançon, xive et xve siècles, Paris, 1998. 78 ADCO, B 5964, fol. 15-16. En 1408, ils étaient sous la bannière de Jean de Chalon-Arlay. Existait une condition : ils devenaient ses hommes et lui devaient l’hommage. 79 L’origine de l’amortissement est qu’un tel don entraînait une diminution de revenus car il n’y aurait jamais de droit de succession à percevoir sur ces biens, pourtant les droits de succession n’existaient en comté. ADCO, B 5964, fol. 10. Était aussi prévue une messe anniversaire pour Jean sans Peur et sa femme après leur décès. 80 Onze chapellenies en tout.

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Dépenses générales  |  Chapitre 5

Philippe le Hardi81, les autres devant célébrer le souvenir du comte Othe, d’Étienne de Bourgogne ou encore du duc Eudes IV. Enfin, le montant total des aumônes se révèle relativement important : Mahaut d’Artois avait donné 300 livres à plusieurs églises, hôpitaux ou pauvres gens. En 1411, la Chambre des comptes refusa d’en entériner plusieurs en raison de problèmes de quittances82. On dénombre quarante-neuf versements à des ensembles très divers : abbayes, maladreries mais aussi à des pauvres. Pour eux, les sommes, entre une et 28 livres, étaient allouées à la ville chargée vraisemblablement de la redistribution. La saunerie de Grozon fermée, les rentes pesant sur ses recettes avaient automatiquement été reportées sur les comptes de l’ordinaire de Salins : sept rentes dont la plus faible de 15 sous et la plus forte de 20 livres, cinq des bénéficiaires étant des établissements ecclésiastiques. Les rentes représentaient donc une lourde charge pour la saunerie de Salins. Mais de façon plus générale, ce type de versement variait principalement par l’action des gens des comptes mettant beaucoup de zèle à toutes les vérifications. Leur nombre restait relativement stable, hormis dans le cadre plus circonscrit des pensions ou rente à vie servant à récompenser de façon éphémère de bons serviteurs sans que cela ne grève perpétuellement les recettes domaniales. Semble bien apparaitre une volonté de maintenir le patrimoine comtal au maximum de son intégrité. 3. Les différentes dépenses variables Les dépenses variables grevaient parfois lourdement les comptes domaniaux. Les frais de fonctionnement courants évoluaient de façon relativement importante et parfois, s’ajoutaient des dépenses exceptionnelles en raison d’événements particuliers comme la tenue du parlement. A. Frais de fonctionnement Les frais de fonctionnement courants, dans la rubrique « dépenses communes », comptabilisaient tous les coûts résultant des rapports nécessaires entre la Chambre des comptes dijonnaise et les officiers domaniaux. Le temps du contrôle des comptes se révèle le temps par excellence d’un dialogue entre l’administration centrale et les officiers locaux83. S’ajoutaient à cet ensemble d’autres dépenses, en particulier liées à la justice. Certains comptes comprenaient également un chapitre intitulé « messageries »84 correspondant généralement au coût du transport des lettres. Les trésoriers avaient à leur charge la rémunération des sergents transportant les lettres dans tout leur bailliage. Elles provenaient d’officiers comtaux comme le bailli ou le gouverneur, ou aussi d’officiers supérieurs dijonnais85, voire de Jean sans Peur ou de la duchesse. Dans les bailliages, les prévôts étaient fréquemment sollicités pour faire office d’intermédiaire : ils payaient les sergents porteurs de lettres, déduisant ensuite du montant de leur ferme les dépenses occasionnées. Pour le trésorier, cela signifiait des sommes jamais reçues plutôt que des sorties d’argent. Les agents comptables recouraient fréquemment à ce genre de pratique. 81 Dons inscrits dans son testament : trois à des chapitres de Salins, un à Dole, un à Baume-les-Messieurs. 82 ADCO, B 5964, fol. 18. L’addition de toutes les aumônes donne 279 livres. Les cordelières de Battant auraient dû percevoir 15 livres mais ne demandaient rien. Malgré cela, nous n’arrivons pas à 300 livres. 83 O. Mattéoni, Institutions et pouvoirs…op. cit., p. 123-152. 84 Faucogney : « voyages et messageries ». Bailliage d’Amont : « messageries ». 85 Chancelier, Chambre des comptes, conseillers, receveurs généraux.

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Deuxième partie  |  Les dépenses

Les dépenses revenant le plus fréquemment concernaient les voyages d’officiers, puisqu’ils avaient droit à des défraiements en plus de leur salaire à la condition cependant que les déplacements soient effectués en dehors de leur ressort administratif. Un montant journalier leur était alors alloué. Les receveurs des trésoreries particulières et les trésoriers des deux bailliages apparaissent comme les plus fréquemment sollicités86. Les voyages s’effectuaient principalement à Dijon, suite aux mandements émanant de la Chambre des comptes, plus rarement du chancelier ou des conseillers. Cela répondait à l’application du principe selon lequel le comptable devait venir en personne pour défendre sa comptabilité, générant des déplacements nombreux et coûteux87. La duchesse de Bourgogne convoquait parfois les officiers mais alors dans sa résidence principale de Rouvres88. Épisodiquement, le duc faisait venir auprès de lui certains officiers locaux, mais très rarement lorsqu’il était loin de la Bourgogne. On relève malgré tout quelques voyages à Paris. En revanche, lorsque Jean sans Peur fit un séjour à Montbéliard en 1418, il en profita pour convoquer plusieurs personnes. Parfois, le comte de Charolais, futur Philippe le Bon, appelait des trésoriers afin de demander de l’argent pour faire marcher sa maison89. Des déplacements exceptionnels avaient lieu malgré tout comme en 1405 lorsque la duchesse Marguerite envoya le trésorier de Dole à Paris auprès des ducs de Berry et d’Orléans afin d’obtenir une partie des aides levées pour la guerre, le trésorier dut s’y rendre par trois fois90. Les lettres enjoignant aux officiers de venir se présenter se révélaient parfois pressantes, notifiant ainsi au receveur de venir « toutes excusations cessantes » sinon il encourait « l’indignacion de monseigneur ». Les déplacements les plus fréquents visaient à présenter l’état final du compte ou la situation des recettes en cours d’année, le plus souvent pour réclamer de l’argent en fonction des revenus déjà enregistrés. Autre raison entrainant les déplacements des trésoriers : une demande directe d’argent de la part du duc ou de la duchesse. Soit ils réclamaient un prêt, soit il s’agissait d’une avance sur recette, ce qui n’était guère différent. Les trésoriers étaient aussi requis pour être garants d’emprunts effectués auprès de marchands, le cas étant plus rare. Les montants journaliers octroyés pour ces voyages étaient fixés. Les officiers, toujours accompagnés, en général d’un valet, se déplaçaient à cheval. Normalement, le défraiement se montait à 6 gros par jour91. Les officiers de Faucogney perçurent invariablement ce salaire tandis que le receveur de Bracon, jusqu’en 1411, toucha 8 gros par jour mais il ne bénéficiait d’aucun autre salaire de la part du comte et à partir de 1412, ses défraiements passèrent également à 6 gros par jour. À Salins, les deux montants journaliers de 6 ou de 8 gros coexistaient. Lorsque le trésorier se rendit à Rouvres en 86 Par exemple, la synthèse réalisée par Jacky Theurot reconstitue tous les déplacements du trésorier de Dole, Guiot Vurry, dans le temps et l’espace ainsi que ses rémunérations. J. Theurot, Dole, genèse d’une capitale provinciale. Des origines à la fin du xve siècle, Dole, 1998, 2 tomes, p. 360-362. 87 O. Mattéoni, Institutions et pouvoirs…op. cit., p. 123-152. À la Chambre des comptes de Lille, les officiers n’étaient pas tenus de rendre leur compte personnellement et pouvaient se faire représenter par un receveur ou un procureur, J.-B. Santamaria, La Chambre des comptes de Lille de 1386 à 1419. Essor, organisation et fonctionnement d’une institution princière, Turnhout, 2012, p. 172. 88 Dép. Côte d’or, arr. Dijon, cant. Genlis. 89 Les voyages se faisaient alors où se trouvait le fils de Jean sans Peur : par exemple à Rochefort en 1408, à Gray en 1409, la même année à Rouvres, toujours pour lui apporter de l’argent. 90 Cela résultait d’un accord, le duc de Bourgogne ayant alors la fonction de gardien du château de l’Écluse et percevant une rémunération. Le trésorier devait recevoir 12 000 francs par an qui ne lui furent pas payés puisqu’en 1407 une lettre du roi établissait les dettes de la couronne envers le duc de Bourgogne. R. Vaughan, John the fearless…op. cit., p. 42. 91 Pour comparaison, tarifs octroyés dans le duché voisin au temps de Philippe le Hardi : les trésoriers percevaient 2 livres 10 sous tournois par jour, soit 2 francs 6 gros, les baillis 1 livre tournois par jour, c’est-à-dire 1 franc. J. Rauzier, Finances et gestion d’une principauté…op. cit., p. 442.

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Dépenses générales  |  Chapitre 5

1411 pour livrer 1 000 francs à la duchesse, il fut payé 8 gros par jour, mais la même année lorsqu’il se rendit à Dijon pour présenter sa recette, il n’obtint que 6 gros92 : les défraiements variaient donc en fonction des circonstances. Dans le bailliage d’Amont, la coutume établissait également un versement de 6 gros par jour, pourtant dans certains cas, le trésorier fut payé 8 gros. Et lorsqu’en 1409, il se rendit à Paris afin de se porter garant d’un emprunt de 500 francs destiné à la dépense du comte de Charolais, son défraiement se monta même à 1 franc par jour93. Certaines remarques contenues dans les registres font apparaitre l’état d’esprit des officiers face à ces salaires. Lorsque Pierre le Monniat, trésorier de Vesoul, se déplaça à Dijon à la demande des gens des comptes en 1418, il s’octroya un défraiement de 1 franc par jour « consideré la cherté du temps et le changement de monnoie »94. Le voyage ayant duré six jours, Monniat s’accorda donc 6 francs mais les officiers des comptes dijonnais ne lui octroyèrent que 2 francs 6 gros, montant journalier inférieur aux 6 gros habituels. L’année suivante pourtant, le trésorier réitéra ses doléances, ajoutant à la « cherté du temps », « le grant nombre qu’il convient avoir de monnoyes », preuve d’une certaine dépréciation monétaire. Pierre le Monniat s’octroya alors 18 gros par jour, pour 11 jours de déplacement, donc un total de 14 francs 8 gros, les gens des comptes ne lui accordant que 5 francs 6 gros, exactement le montant coutumier de 6 gros par jour95. Dans le bailliage d’Aval, le montant habituel était de 8 gros par jour, correspondant à la somme perçue pendant toute la période, malgré quelques tentatives pour augmenter le salaire à 1 franc par jour96, constamment refusé par les gens des comptes. Lorsque le trésorier, occupé ailleurs ou malade, ne pouvait se déplacer lui-même, il envoyait des clercs de sa trésorerie ou son lieutenant97. Il arrivait que la mission de transport d’argent soit confiée à de simples sergents. Dans tous ces cas, les défraiements journaliers, inférieurs à ceux octroyés au trésorier, correspondaient généralement à 4 gros par jour, excepté dans le bailliage d’Aval où les salaires, plus élevés, se montaient à 6 gros par jour pour les clercs. Parfois, les baillis, leurs lieutenants ou les conseillers comtois recevaient aussi des convocations. En 1413, les conseillers furent appelés plusieurs fois à Dijon à cause de la tenue du parlement et la même année, plusieurs y allèrent donner leur avis sur la confiscation des biens du comte de Tonnerre98. Leur défraiement se montait toujours à 2 francs par jour. Pour les baillis, en fonction des destinations, les montants attribués variaient de 1 à 3 francs par jour99. Tous ces déplacements résultaient de convocations provenant d’officiers supérieurs ou de la famille ducale. Certains voyages s’effectuaient aussi dans le cadre comtois pour l’application des ordonnances. Les salaires octroyés étaient alors supérieurs à ceux qui viennent d’être présentés. Il n’y avait cependant pas de règle établie, le duc de Bourgogne fixant les montants en même temps qu’il organisait l’application de ses ordres. Par exemple, dans le bailliage d’Aval, l’amodiation pour une durée de trois ans rapporta en 1411 à Gray un tiers de moins que l’année précédente : le trésorier Hugon Druet se trouva contraint de se déplacer pour en connaître

92 93 94 95 96 97

ADCO, B 5964, fol. 24. ADCO, B 1557, fol. 38. ADCO, B 1596, fol. 56. ADCO, B 1597, fol. 53. Tentatives en 1413 (ADCO, B 1567, fol. 132) et 1417 (ADCO, B 1590, fol. 111). En 1418, le trésorier de Vesoul ne put se déplacer en raison d’une maladie, il envoya son fils à sa place, ce qui était exceptionnel. ADCO, B 1596, fol. 60. 98 ADCO, B 1567, fol. 32. 99 Il pouvait aussi arriver que le duc ou la duchesse établissent un montant forfaitaire.

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la raison avec un défraiement de 1 franc par jour100. Lorsque le gruyer visita les forteresses de la région en 1413 afin de constater leur état, il effectua aussi les « monstres d’armes » dans chaque prévôté, choisit des capitaines et évalua l’importance des armements. Une somme forfaitaire de 100 francs lui fut allouée101. Le montant journalier de 2 francs était le plus fréquent lorsque les déplacements concernaient les visites des châteaux et des forteresses du comté, effectuées soit par un prévôt dans le cadre de son ressort, soit par un conseiller. Le maître des œuvres de maçonnerie allant constater si les travaux avaient été réalisés dans les règles ou si d’autres s’avéraient nécessaires ne percevait quant à lui que 4 gros par jour. Enfin, dans le bailliage d’Amont, une somme forfaitaire ayant été accordée au trésorier pour le récompenser d’avoir levé l’aide102, il put déduire 50 francs du montant de ses recettes. Au vu de ces exemples, il semble évident que les défraiements accordés pour les déplacements exceptionnels apparaissent en général d’un montant supérieur à ceux correspondant aux voyages « ordinaires » où le statut de l’officier était pris en compte pour établir la somme allouée. Il n’en demeure pas moins que la règle plus ou moins établie se révèle souvent contournée. La « façon » du compte s’avérait parfois relativement dispendieuse, en particulier dans le bailliage d’Aval où la comptabilité des recettes et des dépenses nécessitait beaucoup de parchemin. L’année 1405 additionnait le plus faible nombre de feuillets : 160, mais en 1414, il en fallut 254. Sans oublier qu’il fallait produire le compte en double, un exemplaire pour la Chambre l’autre pour le receveur. Le tarif établi pour cette réalisation comprenait le salaire du clerc, papier et parchemin nécessaires ainsi que l’encre. Le bailliage d’Aval comptabilisait un montant de 15 deniers tournois par feuillet103. Plusieurs fois le trésorier tenta d’augmenter sa rétribution, ce qui lui fut toujours refusé par la Chambre des comptes104. L’agent comptable se justifiait par l’augmentation du prix du parchemin et l’important travail que cela représentait. Il fallut attendre 1419 pour que les gens des comptes octroient un salaire légèrement supérieur aux tarifs habituels105. Dans le bailliage d’Amont, cela coûtait beaucoup moins cher : le prix ne dépassa jamais les 10 francs 4 gros demi sans trace de tarif établi par feuillet106. Le trésorier tenta lui aussi d’augmenter son salaire plusieurs fois107, invoquant les mêmes raisons que son collègue, ce qui lui fut tout autant refusé. À Salins, la réalisation du compte, rémunérée à 20 deniers tournois par feuillet, concernait des registres nettement moins importants, d’environ une vingtaine de folios108. Le compte de Bracon n’apparait pas non plus très coûteux à réaliser, le salaire du receveur ne dépassant jamais les 3 francs. À Faucogney, la rémunération du receveur était inscrite de façon irrégulière. Elle ne fut établie par feuillet qu’en 1416 à raison de 1 gros chacun109. Le receveur de Faucogney 100 ADCO, B 1564, fol. 92. 101 ADCO, B 1567, fol. 132. Mais l’article fut refusé par les gens de compte. La même année, le conseiller Guy Armenier tint le même rôle pour 2 francs par jour et il reçut bien ses 54 francs. 102 En 1408, ADD, 1B102, fol. 82. 103 Le tarif était indiqué dans le compte de 1418, ADCO, B 1592, fol. 113. 104 Plusieurs tentatives en : 1405, 1407, 1413, 1414, 1416 et 1419. 105 ADCO, B 1600, fol. 125. Pour 246 feuillets doublés, le trésorier inscrivit 60 francs de rémunération : près de 2 sous 5 deniers tournois par folio. La Chambre accorda 51 francs 3 gros : 2 sous 1 denier tournoi par folio. 106 ADCO, B 1596, fol. 56. En 1418. En divisant le nombre de feuillets et le tarif versé, cela donne environ 8 à 10 engrognes par folio en fonction des années. 107 En 1415, 1418 et 1419. 108 La rémunération allait de 4 à 7 francs. 109 ADCO, B 4692, fol. 42.

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comptabilisait d’autres écritures : un clerc transcrivait les recettes en nature pour un salaire forfaitaire de 4 francs et la prévôté de Faucogney n’étant pas amodiée, toutes les écritures se trouvaient donc à la charge du receveur de la seigneurie110. La rédaction d’inventaires entrainait également diverses dépenses : l’enquête menée avant la confiscation des biens, ainsi que les cris des sergents destinés à annoncer la vente. En règle générale, ces coûts dépassaient rarement 5 ou 6 francs. Dans les comptes de bailliages, les recensements de successions apparaissent relativement rares. Un cas exceptionnel existe dans le bailliage d’Amont en 1411111 où plusieurs enquêtes, voyages d’officiers, inventaires et ventes « d’echoites de bastards » eurent lieu dans la châtellenie de Baume. Cette accumulation résultait d’un litige entre le procureur du comte de Bourgogne et les officiers du comte de Montbéliard qui s’emparaient systématiquement des successions de bâtards sous prétexte qu’elles relevaient du droit de leur seigneur. Pourtant, ni le trésorier du bailliage, ni le procureur ne se déplacèrent malgré le nombre élevé de cas, envoyant le substitut du procureur à leur place en raison « d’une grande mortalitez qui lors estoit a Baulmes et en la chastellenie ». Afin que le comte de Bourgogne ne perde pas ses droits sur toutes ces successions, nombreuses étant donné l’épidémie112, les deux officiers avaient promis au substitut qu’il percevrait un salaire supérieur à ses dépenses : 5 livres. À Salins et Bracon, ces dépenses n’existaient pas, se révélant principalement présentes dans la seigneurie de Faucogney, en raison de la condition de mainmortables des habitants. Les inventaires, réalisés par le clerc du receveur accompagné parfois d’un sergent, plus souvent du maire du lieu où habitait le défunt, étaient rémunérés en fonction du nombre de jours nécessaires à leur réalisation et de la distance entre le bourg de Faucogney et le village du décédé. Aucune règle n’apparait cependant bien définie quant à la proportion. Par exemple, quatre jours d’inventaire réalisés à cinq grandes lieues de Faucogney rapportaient 10 gros et deux ans plus tard dans les mêmes conditions, 6 gros. La rémunération était peut-être également proportionnelle à la valeur des biens recensés. Les dépenses les plus nombreuses, aux montants parfois élevés, provenaient de la justice113. Normalement, tout prisonnier payait sa nourriture, il arrivait cependant qu’il en soit incapable. Dans ce cas, le prévôt prenait les dépenses à sa charge pour, ensuite, être remboursé par le trésorier114. Parfois, ces modalités se retournaient contre le prévôt. En 1415, les gens du Conseil ordonnèrent l’arrestation de trois croisés rançonnant les habitants du comté. Ils demeurèrent quatre mois et trois semaines en prison, ce qui coûta environ 90 francs au prévôt de Châtillon115. Le comte de Bourgogne ordonna de les libérer, contre versement de 61 francs 4 gros. Un des prisonniers retourna dans son pays d’origine afin de rassembler la somme. Pendant ce laps de temps, les deux autres dépensèrent encore l’équivalent de 10 francs de nourriture pour finalement parvenir à s’enfuir en cassant une porte. Malgré l’ordre de Jean sans Peur de les poursuivre, ils réussirent à quitter la région. Le prévôt s’étant endetté pour acquitter toutes les dépenses de ses prisonniers, s’adressa donc à la duchesse Marguerite en réclamant un remboursement. Il obtint 60 francs116. 110 111 112 113

En particulier les amendes, les enquêtes, le tout confié à des clercs pour un montant total de 5 livres. ADCO, B 1561, fol. 46. Sans précision de la maladie. Jean Kerhervé remarque pourtant qu’en Bretagne, les frais de justice étaient insignifiants en dehors des salaires, J. Kerhervé, L’État breton…op. cit., p. 512. 114 En fonction des sommes, cela pouvait être déduit du montant de l’amodiation de la prévôté. 115 Ce qui correspond à peu près à 3 gros par jour et par personne. 116 ADCO, B 1583, fol. 60.

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Lorsqu’il s’avérait nécessaire de poursuivre des délinquants, le prévôt rassemblait plusieurs hommes à cheval qui se lançaient à leur recherche. Il fallait alors rémunérer les participants, les nourrir ainsi que leurs bêtes. Encore une fois, le prévôt avançait les frais, tout comme lorsqu’il devait transférer un prisonnier. Certaines exécutions nécessitaient de faire venir un bourreau et payer toutes ses dépenses dont l’acquisition des matériaux dont il avait besoin117. Les prévôts étaient aussi chargés de l’entretien et de la rénovation des prisons, en revanche, la réalisation d’une fourche patibulaire relevait du trésorier118. Avant d’en arriver à l’exécution de la sentence, il y avait les enquêtes. La procédure judiciaire utilisée dans le comté de Bourgogne avait subi diverses influences, du Saint Empire et surtout du royaume de France où depuis le xiiie siècle se généralisait le recours au témoignage au détriment de la preuve irrationnelle119. En comté, on assiste courant xiiie siècle, à un progrès de la technicité judiciaire120. La procédure comprenait une convocation des parties, l’audition de témoins, la relation des preuves écrites et des contre preuves s’il y en avait, puis enfin les constatations et la prononciation d’une sentence. L’oralité conservait malgré tout une place essentielle, cependant, le compromis permettait souvent de mettre fin au procès, bien plus que l’aveu. Les enquêtes apparaissent surtout nombreuses dans le bailliage d’Amont, effectuées principalement par le procureur ou son substitut, accompagné d’un sergent. Il pouvait y avoir des exceptions comme lorsque le trésorier, accompagné d’un valet, alla s’informer, treize jours durant, sur les prétentions de Jean de Neuchâtel concernant la haute justice de Fondremand121. Le prévôt menait également des enquêtes : à Baume il finança les recherches sur les agresseurs d’un religieux122. La convocation de plusieurs témoins entrainait parfois des enquêtes très coûteuses qui se multiplièrent surtout après 1415. Plus rares dans le bailliage d’Aval, elles portaient sur des cas graves, relevant de la haute justice, comme les homicides. Il s’agissait aussi de quêtes d’informations pour la « grande reformacion » : par exemple, l’enquête menée sur les excès commis par le prévôt de Baume123. Seules deux enquêtes exceptionnelles ne rentraient pas dans ces cadres. En 1407, une information fut réalisée sur « pluseurs extorcions et exactions pecunielle » commises par l’archevêque de Besançon sur des personnes du comté. L’enquête coûta 10 francs et fut menée au moment même où le comte de Bourgogne tentait de s’établir dans la cité impériale124. Une deuxième exception concernait un litige portant sur les limites 117 Chaînes, crochets, paire de gants par exemple. Ce problème n’était pas propre à la région puisqu’on le retrouve en Provence où l’absence de bourreau générait également des frais. J.-L. Bonnaud, « La bonne justice en Provence… » art. cit. 118 En 1417, à Poligny, ADCO, B 1570, fol. 111. 119 L’utilisation de la procédure inquisitoire remontait au xiie siècle en Anjou pour les pouvoirs les plus élevés et à partir du xiiie siècle pour les pouvoirs intermédiaires. B. Lemesle, « L’enquête contre les épreuves. Les enquêtes de la région angevine (xiie-début xiiie s.) », in L’enquête au Moyen Âge, C. Gauvard (éd.), École Française de Rome, 2008, p. 41-74. Dépense de 17 francs 10 gros. 120 J. Gay, « Recherches sur l’histoire de la procédure judiciaire dans le comté de Bourgogne (xie-xive) », MSHDB, 1977, p. 107-181. 121 ADCO, B 1583, fol. 65. En 1415. 122 ADCO, B 1583, fol. 69. Cela coûta 9 livres 6 sous 6 deniers. Les cours de basse justice menaient donc également des enquêtes. En Normandie, elles utilisaient déjà largement la procédure d’enquête depuis la fin du xive siècle, D. Angers, « Voir, entendre, écrire. Les procédures d’enquêtes dans la Normandie rurale de la fin du Moyen Âge », in L’enquête au Moyen Âge, C. Gauvard (éd.), École Française de Rome, 2008, p. 169-183. 123 Dirigée par deux conseillers, Bon Guichart et Aubri Bouchart, coût : 35 francs. ADCO, B 1567, fol. 166. 124 D’ailleurs, les résultats furent apportés à Jean sans Peur qui se trouvait alors à Gand. ADCO, B 1549, fol. 92.

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de la châtellenie de Montréal et du comté de Savoie. Le procureur du bailliage d’Aval, chargé de l’affaire, se rendit sur place et écouta des témoins125. À Faucogney, en 1414, le receveur prit en dépenses les frais résultant d’une enquête sur les « rescoux, injures et rebellions » qui avaient eu lieu dans la seigneurie à l’encontre des officiers comtaux126 : seulement deux francs. Des mémoires s’apparentaient parfois à une enquête comme celui que réalisa le procureur en 1411127. La localité de Fresne-les-Vaudois-lesJonvelle128 relevait moitié de la justice comtale et moitié de celle du duc de Bar. Les assises ne pouvaient avoir lieu qu’en présence des officiers des deux seigneurs or depuis quarante ou cinquante ans, aucune journée ne s’était tenue, le procureur estimant le préjudice financier à environ 200 livres. Le trésorier de Vesoul accorda donc 20 francs au procureur pour s’enquérir de tous les faits. Au final, ces enquêtes judiciaires n’étaient pas très nombreuses à être prises en dépenses par les trésoriers. La majorité des affaires se réglait aux assises qui, pleinement inscrites dans les attributions du bailli, n’entrainaient pas de rémunération particulière. On convoquait parfois des personnes à des journées exceptionnelles, par exemple en 1404 les gens du duc de Bourgogne et ceux du duc de Lorraine « pour certains desbat estant entre eux »129 ou dans le nord, le bailli d’Amont mandé à des assises tenues par Jean de Vergy130 où tous les délinquants étaient des nobles, toutes ces affaires engendrant plusieurs dépenses. En relation directe avec des actes de justice, on trouvait aussi les salaires des personnes s’occupant des terres et seigneuries confisquées, récoltes et redevances étant prélevées jusqu’à ce que l’avenir des biens soit arrêté : retour au possesseur ou vente en cas de maintien de la mainmise. Ces rétributions ne représentaient pas des sommes importantes, au plus quelques francs. Les cas les moins généraux se localisaient tous dans les ressorts du bailliage d’Amont comme en 1416 où le prévôt de Jussey appliqua une sentence bien particulière, les criminels n’étant pas des hommes : trois porcs de Jussey avaient mangé un petit enfant et dans un autre village à proximité, trois autres avaient perpétré le même forfait. Les dépenses recouvrèrent « l’execution de la justice », les porcs étant abattus131. Ont été présentées les dépenses les plus fréquentes ainsi que les cas particuliers les plus intéressants. Il reste cependant une contrainte importante ayant un rapport direct avec la justice : les sommes jamais perçues. Quelques-unes provenaient d’amendes établies au cours d’assises de bailliage, mais les plus nombreuses découlaient de sentences du parlement de Dole. Les trésoriers insistaient sur leur diligence à tenter de récupérer cet argent132. Les exemples les plus abondants concernaient des personnes ayant quitté la région sans rien laisser pouvant être vendu. Il y avait également des délinquants n’habitant pas le comté et n’y possédant ni terre ni maison. Autres raisons : l’extrême 125 Cela se passait en 1413 et coûta 40 francs 6 gros. ADCO, B 1567, fol. 132. 126 Cette affaire advint lorsque les officiers réclamèrent une taxe supplémentaire pour améliorer les défenses de la forteresse de Faucogney. ADCO, B 4690, fol. 42. Jules Finot a édité le tout dans la Revue d’Histoire du Droit de 1883, article disponible en ligne sur le site gallica. 127 ADCO, B 1561, fol. 46. 128 Non localisé. 129 Le déplacement des clercs fut payé 2 francs 8 gros. ADCO, B 4685, fol. 41. Journées tenues à Faucogney. 130 ADD, 1B101, fol. 52. 131 Cela coûta 9 francs 9 gros 10 engrognes. ADCO, B 1587, fol. 59. Les exemples de procès intentés contre les porcs sont relativement abondants à partir de la moitié du xiiie siècle et perdurent jusqu’à la fin du xve siècle. Les porcs n’étaient pas les seuls animaux soumis à des sentences de justice mais étaient les plus présents car étant vagabonds, ils occasionnaient de nombreux accidents. De plus, ils étaient pensés comme le plus proche de l’espèce humaine. M. Pastoureau, Bestiaire du Moyen Âge, Paris, 2011, p. 122. 132 Il y avait même parfois des certificats de sergents prouvant la bonne foi du trésorier.

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pauvreté des contrevenants qui parfois mendiaient pour vivre, ou plus rarement ils étaient décédés. Parfois, le comte intervenait, entrainant le non versement de l’amende. Par exemple, dix-huit hommes relevant de l’abbé de Luxeuil ne se présentèrent pas à leur convocation aux assises de Vesoul133 : condamnés à 10 livres d’amende chacun, les officiers du comte les gagèrent pour obtenir l’argent, confisquant entre autre plusieurs bêtes. Leur vente réunit 100 livres 17 sous, mais l’abbé de Luxeuil obtint du comte de Bourgogne un délai de paiement et la restitution des gages ou de la somme obtenue lors de leur vente. Comptabilisée en recette, elle fut donc entièrement reprise en dépense. Les cas de non versement augmentèrent au fil des ans, principalement pour le trésorier de Dole. Par exemple, en 1413, trente-trois amendes ne furent pas perçues, dont l’une de 1 030 livres134 due par « un homme vacabont suivant guerre » ne détenant aucun bien en comté, ni dans aucun autre territoire appartenant au duc de Bourgogne. Ces sommes absentes grevaient lourdement les comptes du trésorier de Dole. Dès lors, on voit à quel point il est important d’étudier les dépenses en même temps que les recettes. Et si les prélèvements représentaient un aspect du pouvoir comtal, on peut établir que l’accord du non versement était tout autant un symbole de l’autorité. Enfin, des restitutions de prêts se trouvaient dans presque tous les comptes, sans distinction. Bien qu’il existe des chapitres réservés aux travaux de construction ou de rénovation, de façon exceptionnelle, certains coûts de ce type étaient comptabilisés dans les « dépenses communes » comme à Faucogney en 1407 où le montant de la ferme du moulin fut diminué proportionnellement à la perte occasionnée par l’arrêt de l’activité résultant de travaux de rénovation135. Les ouvrages pouvaient avoir des conséquences bien différentes. Les maçons réparant les halles de Dole avaient abattu deux grands murs afin de récupérer des pierres dont une partie tomba dans la cour du trésorier, commettant quelques dégâts, certains pans des murs faisant même partie de sa propriété. Il fut dédommagé et on nettoya sa cour pour un montant total de 100 francs136. Dans le bailliage d’Amont, un nouvel auditoire à Vesoul, siège pour tenir les assises, fut financé par le trésorier, nécessitant achat et transport de bois137. Enfin, en 1415, deux coffres de fer, destinés l’un au tabellion de Vesoul, l’autre à celui de Baume, devaient renfermer les sceaux, avec chacun une fermeture à deux clés : une pour le tabellion, une pour le gardien. Les précédents coffres avaient été emmenés à Besançon suite à l’ordonnance de réunion des sceaux du bailliage dans la cité. Après l’échec de la réforme, les tabellions virent revenir les sceaux mais sans les coffres138. Malgré ces quelques exemples, les coûts de travaux présents en « dépense commune » découlaient surtout des déplacements d’experts assignés pour vérifier la nécessité des interventions. Par exemple, en 1414, un conseiller et un maître des comptes se rendirent à Dole pour apprécier les réparations à réaliser dans les halles139. Mais le maître des œuvres de maçonnerie effectuait majoritairement ces visites, déterminant les travaux nécessaires ou constatant leur bonne réalisation140. Pour la vérification des forteresses, on s’adressait plutôt à des officiers supérieurs : Guy Armenier ou le gruyer Hugues de Lantennes par 133 134 135 136 137 138 139 140

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ADCO, B 1574, fol. 56, en 1413. ADCO, B 1567, fol. 132. ADCO, B 4685, fol. 54. Estimé à 140 francs, seuls 100 francs furent déduits de sa recette plus 20 francs de salaire pour le maçon. ADCO, B 1586, fol. 114 (1416). ADCO, B 1561, fol. 46, 1411. ADCO, B 1583, fol. 60. ADCO, B 1579, fol. 115. Ils furent payés 18 gros par jour pendant 6 jours : 9 francs. Il est souvent accompagné du maître des œuvres de charpenterie.

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exemple141. D’ailleurs, la défense de la région greva lourdement les recettes. On retrouve de multiples échanges de lettres sur ce thème. En 1407, le capitaine de Montréal reçut un message du trésorier lui ordonnant de bien garder son château en raison du « doubte de gens d’armes »142. En fait, Aimé de Viry réunissait des hommes d’armes pour les mener en Lorraine en traversant le comté. Le bailli et trois gentilshommes se déplacèrent auprès de Jean de Chalon Arlay afin qu’il fasse intervenir son châtelain de Jougne pour empêcher l’entrée de Viry143. Pourtant, Aimé de Viry, capitaine savoyard, était un allié de Jean sans Peur144. À cette date, il rassemblait vraisemblablement une armée destinée à rejoindre les troupes du duc. Les officiers comtois durent instaurer des mesures préventives pour épargner les terres bourguignonnes au passage des troupes des mercenaires savoyards. Leur indiscipline croissante posait des problèmes aux autorités bourguignonnes et il fallait organiser leur déplacement pour éviter les désordres145. Autre exemple, en 1413, le conseiller Guy de Salins passa quarante-trois jours à vérifier les armées146 et la même année, les cinq « corneurs » de la terre de Colonne perçurent un salaire car ils devaient « corner et amasser » les gens pour les montres d’armes, touchant pour cela 3 sous par deux fois au cours de l’année 1413, six sergents de cette châtellenie touchant la même somme pour propager la date de la réunion et relever les noms des absents147. Cette rémunération permet d’établir la fréquence de ces réunions armées : en 1414 et en 1415, en 1416 il y en eut deux, comme en 1418 et en 1419148. N’oublions pas qu’il fallait aussi prévoir la nourriture nécessaire lors de la réunion de gens d’armes. Toujours concernant la défense, d’autres dépenses découlaient de la levée du ban. En septembre 1415, les prévôts crièrent publiquement que tous les vassaux, nobles « et autres qui ont coutume de faire arme » devaient se tenir prêts à partir en compagnie du comte de Charolais149. L’année suivante, un clerc établit une liste de tous ceux ayant répondu à ce mandement dont l’objectif était d’aider le roi de France contre les Anglais, mais qui « s’etaient departis de la compaignie de monseigneur sans son accord et etaient retournés en leur hostel »150. Beaucoup plus rares dans le bailliage d’Amont, les seuls mandements dont nous ayons la trace se situaient en 1419 : des lettres faisaient parvenir l’ordre à plusieurs destinataires151. 141 Il arrivait pourtant, marginalement, que des clercs reçoivent un salaire pour avoir vérifié les forteresses. 142 ADCO, B 1549, fol. 92. 143 Viry ne passa pas. On retrouve des dépenses de lettres destinées à Jean de Chalon Arlay pour le même sujet dans les comptes du bailliage d’Amont de 1405, ADD, 1B101, fol. 49. 144 Il fut le premier bénéficiaire de la donation de la châtellenie de Santans. 145 B. Schnerb, « Bourgogne et Savoie au début du xve siècle : évolution d’une alliance militaire », Publication du Centre Européen d’Études Bourguignonnes, 1992, p. 13-29. Par la suite, des commissaires furent chargés de les accueillir et de les accompagner dans leur traversée, malgré cela, de nombreux dégâts furent commis en 1415 et 1420, ils menaçaient principalement la sécurité des marchands. 146 Il aurait dû toucher 129 francs, mais il n’y avait pas d’argent. Jean sans Peur lui donna les profits de la rivière en aval du moulin de Rochefort : 14 à 16 livres par an de revenus. Les gens des comptes refusèrent cette donation : « ne povoient laisser tenir heritaiges de monseigneur en autre main pour paiement » demandant au trésorier de verser 20 francs par an jusqu’à extinction de la dette. ADCO, B 1567, fol. 132. 147 ADCO, B 1567, fol. 141. 148 En 1414 : ADCO, B 1579, fol. 113 (plus l’achat de quatre-vingt-quinze feuillets de parchemin destinés à l’écriture « des défauts et exploits » pendant la montre d’armes). Les officiers chargés de visiter les forteresses devaient parfois vérifier l’armement des populations et leur fournir des armes si elles s’avéraient insuffisantes. 149 ADCO, B 1582, fol. 98. 150 ADCO, B 1586, fol. 112, 1415, année d’Azincourt. 151 ADCO, B 1597, fol. 49.

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La situation troublée contraignait également à l’achat de très nombreuses armes, voire leur récupération, comme en 1414 après la donation de la châtellenie de Montréal152, contraignant à louer une maison à Auxonne pour entreposer cette artillerie. Les « traits », c’est-à-dire des flèches, constituaient les principaux achats d’arme dans tous les comptes. La flèche comprenait le « fust », partie en bois et le « pilloz d’acier », pointe en métal. En 1415, le trésorier de Salins paya près de 9 500 pointes de flèches153. Ailleurs, on achetait des armes complètes. En 1405, le clerc du trésorier de Vesoul acquit six arbalètes, deux canons et de la poudre pour la châtellenie de Jonvelle où la mainmise comtale venait d’être instaurée154. Les salaires d’hommes d’armes supplémentaires dans certains châteaux, comme à Montjustin en 1415155, s’ajoutaient à tout cela. Tout comme l’embauche de nouveaux guetteurs : en 1410 à Faucogney156, six personnes furent rétribuées pour surveiller le château de nuit. Restaient, dans ce contexte troublé, les expéditions organisées pour défendre la région car les malfaiteurs profitaient de la situation pour attaquer les habitants. En 1413, deux écuyers se déplacèrent dans toutes les régions avoisinantes afin de constater l’existence d’éventuels rassemblements de gens d’armes157. En 1418, Fedry de Osselle et ses complices allemands rançonnèrent les habitants de Faucogney. Le bailli d’Amont organisa une expédition, armant plusieurs gentilshommes158. Les Allemands, logés dans la châtellenie de Jussey, furent faits prisonniers par le prévôt du lieu et le chef et son valet mis au dernier supplice159. Avec leurs compagnons, acquittés par le bailli, ils avaient opéré des chevauchées dans les marches de Lorraine et de Bar, commettant plusieurs méfaits dans les terres du comte de Bourgogne. Toujours en 1418, on frôla le conflit armé pour une maison forte appartenant à l’abbaye de Luxeuil : Baudoncourt160. Jean de Neuchâtel, capitaine général des duché et comté et aussi gardien de Luxeuil au nom du roi, désira à ce titre occuper la maison forte. Un parent de l’abbé qui y logeait refusa de la quitter. Jean de Neuchâtel en appela à la noblesse comtoise pour assiéger la maison forte, écrivant à la duchesse de Bourgogne pour lui réclamer de l’artillerie. Le Conseil délibéra sur l’opportunité de cette intervention armée, pensant qu’un conflit entre grands seigneurs comtois n’arrangeait pas les affaires du duc. Le bailli d’Amont et son clerc effectuèrent plusieurs voyages afin de juger de la situation et pour éviter que le conflit ne dégénère, le bailli s’installa sur les marches de Luxeuil. La duchesse quant à elle, interdit toute voie de fait et convoqua les grands seigneurs, voulant « obvier à la guerre ». Mais Jean de Vergy avait déjà défié les habitants de Luxeuil, se proclamant capitaine de Baudoncourt et y installant sa bannière. L’ensemble des déplacements pour tenter de régler cette malheureuse affaire dont la conclusion nous est inconnue coûtèrent 115 francs161. 152 ADCO, B 1579, fol. 113. Des charretiers touchèrent 15 francs pour transporter l’artillerie à Auxonne. 153 ADCO, B 5968, fol. 48. 1 240 étaient des petits « pilloz » ou dit de « reffus », sans doute en acier récupéré. Les « pilloz » normaux coûtaient 6 francs les 1 000, les autres 6 gros les 100, un demi florin les 100, voire moins. Au total, cela coûta 55 francs 5 gros. 154 ADD, 1B101, fol. 60. 155 Deux hommes plus deux arbalétriers pendant trois mois : 60 francs. ADCO, B 1583, fol. 60. 156 ADCO, B 4688, fol. 19. 157 ADCO, B 1567, fol. 132. En Beaujolais, Forez, Bourbonnais, jusque sur les marches du Berry et d’Auvergne. Ils touchèrent 50 francs. 158 Pour 12 francs 8 gros demi, ADCO, B 4694, fol. 37. Le bailli se déplaça pour prévenir le duc de Bourgogne. 159 ADCO, B 1596, fol. 60, l’expédition du prévôt comptait soixante personnes. Il avait reçu l’ordre de procéder ainsi avec tous les gens d’armes « qui ne feussent cogneuz […] ou service ou mandement de monseigneur ». Les dépenses liées à l’exécution sont évoquées dans les dépenses judiciaires. 160 Dép. Haute-Saône, arr. Lure, cant. Saint-Sauveur. 161 ADCO, B 1596, fol. 56.

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Dépenses générales  |  Chapitre 5

Sans plus de rapport avec la défense, certaines dépenses s’avéraient nécessaires pour le bon fonctionnement des bailliages. Présentes chaque année, leurs montants n’étaient pas très élevés. Dans le bailliage d’Aval, plusieurs officiers étaient défrayés pour leur participation à la mise en vente des fermes. Tandis que dans le bailliage d’Amont, les voitures transportant l’avoine pour garde de certains villages étaient à la charge du comte, comme les valets, à pied ou à cheval, allant prélever la cire versée pour la même raison. Lorsqu’il n’y avait pas de château, on louait des maisons pour conserver les prélèvements en nature162. À Salins, les frais s’élevaient fortement lors de l’achat du combustible pour la saunerie. En 1412, la dame de Jouhe et de Montfort vendit ses bois du Fay à l’entreprise qui devait se charger de la coupe et du transport en échange de 80 francs163. Plus épisodiquement, avaient lieu des cris d’information dans un bailliage comme par exemple en 1409 pour faire savoir à tous les vassaux du comte qu’ils viennent prêter serment de foi et hommage à Gray164. Ajoutons les récompenses octroyées aux bons serviteurs ayant en charge un travail difficile à effectuer : en 1413, le trésorier de Salins reçut 100 francs pour « bons services rendus »165. Tout un tas de dépenses variées étaient également enregistrées, illustrant la gestion quotidienne166. Dans les comptes de Salins, d’importantes sommes furent prélevées lors de l’emprisonnement d’hôtes de marque : les enfants de Bourbon. Nous ne connaissons ni les tenants ni les aboutissants de cette détention résultant vraisemblablement du contexte de guerre civile167. Des draps, des pelleteries, des toiles, des étoffes, acquis auprès de marchands, servirent à réaliser des vêtements pour les enfants, pour un montant, élevé, de 364 francs 10 gros 6 engrognes. L’année suivante, en 1414, le trésorier continuait de rembourser les marchands à hauteur de 174 francs 3 sous 9 deniers tournois168. Enfin, des dépenses spécifiques, liées au train de maison de la famille princière, s’avéraient souvent très hautes. Par exemple, en 1413, le trésorier de Dole s’acquitta de tous les frais engendrés par la venue à Rochefort de la duchesse d’Autriche, sœur de Jean sans Peur qui resta vingt et un jours avec tous ses gens169, ce qui coûta 626 livres tournois. Ces diverses dépenses représentent des inventaires sans guère de cohérence, on ne comprend d’ailleurs pas toujours leur présence ici. Ce poste apparait comme un fourretout pratique où pouvaient se glisser à peu près n’importe quel frais en cas de besoin. Il est possible de présenter une évaluation chiffrée de ces dépenses de fonctionnement. Dans le bailliage d’Amont, elles oscillaient entre 200 et 400 francs par an. Seules deux années comptabilisaient des sommes exceptionnelles. En 1411, le compte courait sur un an et trois mois avec une dépense d’à peine 170 francs, une partie étant sans doute reportée sur des années postérieures, pratique relativement fréquente. En 1415, à l’inverse, une forte hausse des sorties d’argent donnait un montant dépassant 691 francs. Aucune raison particulière n’explique cette forte augmentation, on constate 162 163 164 165 166

La maison de Chariez était louée 3 florins par an, celle de Vesoul, 5 francs. ADCO, B 5965, fol. 38, 1412. Bois vendu pour quatre ans et demi. ADCO, B 1557, fol. 38. ADCO, B 5966, fol. 42. Le « retoisement » de Gray ou des frais occasionnés par un curé pour ensevelir une personne en terre consacrée. On pourrait encore rajouter à cet inventaire fourre-tout la restitution d’un prêt aux habitants de Dole afin qu’ils achètent une horloge, l’achat d’une pinte à Faucogney pour prendre la mesure des taverniers vendant le vin au détail, etc. 167 ADCO, B 5966, fol. 42. Il y a aussi quelques dépenses dans le compte de Bracon de 1412, ADCO, B 3355. 168 ADCO, B 5967, fol. 46. 169 Leur nombre n’était pas donné, on comptabilisait le nombre de chevaux : 118. ADCO, B 1567, fol. 132.

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Deuxième partie  |  Les dépenses

seulement un nombre plus élevé de petites dépenses de l’ordre d’une vingtaine de francs auxquelles s’ajoutèrent l’achat d’un cheval pour le comte de Charolais et la restitution d’un prêt de 100 francs.

800 700 600 500 400 300 200 100 0 14 05 14 06 14 07 14 08 14 09 14 10 14 11 14 12 14 13 14 14 14 15 14 16 14 17 14 18 14 19

Francs

Graphique 47 : Frais de fonctionnement dans le bailliage d’Amont.

Années

Dans le bailliage d’Aval, la fourchette des frais de fonctionnement s’établissait approximativement entre 500 et 800 francs, les exceptions s’avérant cependant plus nombreuses que dans le bailliage voisin. En 1407, les faibles dépenses ne sont pas compréhensibles. L’année 1413, véritablement exceptionnelle, s’expliquait par la tenue du parlement ayant entraîné de nombreuses amendes jamais perçues. Cette année qui avait montré la plus forte rentrée d’argent de la période, fut donc aussi l’année des plus fortes sorties170. En 1416, plusieurs amendes non perçues, de montants relativement élevés, s’ajoutèrent au dédommagement accordé au trésorier pour les dégâts causés dans sa maison171. L’année 1418 se démarquait aussi par une hausse des sorties d’argent, la différence par rapport à la moyenne étant cependant moins importante172. Les origines se révèlent encore une fois être des amendes non perçues et des remboursements de prêts.

4000 3500 3000 2500 2000 1500 1000 500 0 14 05 14 06 14 07 14 08 14 09 14 10 14 11 14 12 14 13 14 14 14 15 14 16 14 17 14 18 14 19

Francs

Graphique 48 : Frais de fonctionnement dans le bailliage d’Aval.

Années

Les données de la saunerie de Salins, très fragmentaires, montrent une nette augmentation des dépenses de 1412 à 1414. Un don au trésorier explique la hausse de 1412. Pour 1413 et 1414, la hausse correspondait aux sommes importantes engendrées 170 Argent noté en entrée puis en sortie mais que le trésorier n’a jamais touché, comme dit plus haut. 171 De plus, cette année-là nous ne possédons pas le montant des dépenses de messageries. 172 Les dépenses auraient dues être plus élevées mais de nombreux articles furent rayés par la Chambre.

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Dépenses générales  |  Chapitre 5

par la détention des enfants de Bourbon à Bracon. En règle générale, les dépenses avoisinaient 150 francs et seule l’année 1407 apparait faible en comparaison173.

Francs

Graphique 49 : Frais de fonctionnement dans les comptes de la saunerie de Salins. 1000 900 800 700 600 500 400 300 200 100 0 1407 1408 1409 1410 1411 1412 1413 1414 1415 1416 1417 1418 1419 Années

La moyenne des dépenses de la seigneurie de Faucogney se situait entre 50 et 80 francs, ce qui s’avère peu élevé.

Francs

Graphique 50 : Frais de fonctionnement dans la seigneurie de Faucogney. 300 250 200 150 100 50 0

1406 1407 1408 1409 1410 1411 1412 1413 1414 1415 1416 1417 1418 1419 Années

Les dépenses plus importantes de 1408 résultaient de défraiements pour plusieurs voyages inhabituels effectués par le bailli d’Amont, depuis Gray, son lieu d’habitation, jusqu’à Belfort, Beaune et Paris. Ces déplacements extraordinaires rémunérés 3 francs par jour, permirent au bailli d’obtenir un salaire de 135 francs, expliquant les fortes dépenses de l’année. En 1411, les frais avoisinèrent 150 francs sans véritable explication. Les petites sorties d’argent de quelques sous ou quelques francs apparaissent seulement un peu plus nombreuses. En 1415, la forte hausse découlait de quelques frais de justice plus importants que la normale174 ajouté à un prêt de 100 francs remboursé par le receveur. Puis, 1418 correspondait à l’année où la duchesse réclama des saumons frais, engendrant de nombreux coûts, ajoutés à quelques dépenses judiciaires175. Enfin, en 1419, l’achat d’arbalètes neuves greva lourdement le budget de la seigneurie176. Les frais de fonctionnement de la seigneurie de Faucogney apparaissent relativement faibles, augmentant pourtant considérablement lors de dépenses extraordinaires. Par comparaison, la « dépense commune » de Bracon était encore moindre. 173 Pour 1407, nous ne possédons qu’un débris de compte, ADCO, B 5960, avec la « dépense commune » intacte mais présentant peu d’intérêt en dehors de son faible montant. 174 ADCO, B 4691, fol. 61 : 243 francs 7 gros. 175 Le saumon coûta environ 30 francs, les enquêtes du procureur, 47 francs. 176 Plus de 92 francs auquel il faut encore ajouter un don de 50 francs fait au receveur.

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Deuxième partie  |  Les dépenses

Francs

Graphique 51 : Frais de fonctionnement dans la châtellenie de Bracon. 120 100 80 60 40 20 0 1408 1409 1410 1411 1412 1413 1414 1415 1416 1417 1418 1419 Années

En 1409 et 1410, les dépenses n’atteignirent pas 2 francs, portant exclusivement sur la réalisation du compte. La majeure partie des années restantes comptabilisaient des montants allant de 3 à 7 francs, l’année 1411 apparaissant donc véritablement exceptionnelle. Une seule cause motiva cette forte dépense : le non recouvrement de plusieurs amendes évaluées à plus de 76 livres, pour cause de décès, de fuite ou de pauvreté. En 1412, quelques dépenses supplémentaires provenaient de la détention des enfants de Bourbon au château. La forte somme visible en 1413 avait la même origine : un voyage du receveur à Paris pour « l’assignation » de la dépense des enfants177. En 1414, le château fut nettoyé puis, en 1415, un prêt de 20 francs fut remboursé par le receveur. Pour les recettes particulières, les variations de dépenses de fonctionnement provenaient souvent des mêmes causes mais de façon générale, ce qui grevait le plus les recettes se révélaient être les remboursements de prêts et les amendes non perçues. B. Dons et remissions La rémission, octroi très particulier, consistait en une baisse de redevance, le plus souvent au profit d’une communauté. Cette faveur brève et limitée dans le temps pouvait être reconduite. Elle résultait d’événements particuliers et seul le comte de Bourgogne décidait de la baisse, de son montant et de sa durée, la Chambre des comptes entérinant la rémission. Ce type d’octroi, bien différent des autres, n’existait que dans les comptes de bailliages. Quant aux dons présentés ici, ils diffèrent de ceux déjà étudiés dans le cadre des rentes car l’argent était offert par le comte « en une fois ». Occasionnellement, on employait même le terme de récompense. À l’instar des rémissions, les dons étaient octroyés par le comte, ses lettres patentes en faisant foi. Au dos du document, la donation recevait l’accord de toutes les personnes impliquées qui décidaient sur quelle recette le don devait être assigné. L’agent comptable concerné recevait alors l’ordre de payer le don à son bénéficiaire. Généralement d’origine comtoise, il arrivait, rarement, qu’il ne le soit pas. Les « dépenses communes » contenaient quelques dons sans que l’on puisse en expliquer la raison. Parmi les différentes recettes, les comptes de bailliages comptaient le plus grand nombre de cas, un petit nombre seulement étant prélevé ailleurs. Le trésorier de Salins, sollicité uniquement en 1419, versa un total de dons s’élevant à 1 035 francs 6 gros178. La majeure partie des bénéficiaires fut des officiers : le clerc du pardessus, le lieutenant du pardessus, le prévôt d’Arbois179. Parfois, la cause était rappelée, par exemple le trésorier de Salins reçut deux dons très importants : 177 ADCO, B 3355-2, fol. 16. Voyage rémunéré à 1 franc par jour pendant cinquante-neuf jours. 178 Tout au moins dans les sources qui nous sont parvenues. ADCO, B 5972, fol. 49. 179 Guion de Montberrel, 70 francs ; Jean Carondelet : 200 francs ; Henri Melon, déduit de sa ferme : 64 livres 8 sous.

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Dépenses générales  |  Chapitre 5

pour une rançon à payer180 et pour la charge des paiements à la porte de la saunerie lors des livraisons de bois, de charbon et de fer181. En dehors du trésorier de Salins, seul le receveur de la seigneurie de Faucogney s’acquitta de quelques dons, les autres recettes particulières n’étant pas concernées. Il ne fut sollicité que trois fois. Citons simplement la troisième et dernière : en 1414182, un écuyer de Colombe reçut 50 francs pour bons services rendus dans les armées comtales où il avait perdu plusieurs chevaux. Le don servait également à maintenir la fidélité envers le prince. Mais les recettes des deux bailliages apparaissent bien les plus sollicitées pour s’acquitter de la générosité comtale, où aux dons s’ajoutaient les rémissions. On ne peut affirmer que cela relevait d’une volonté délibérée, attribuant ces sorties d’argent occasionnelle aux recettes les plus fournies, car cette démarche gestionnaire rationnelle n’était pas toujours systématique. Dans le bailliage d’Amont, l’année 1409 apparaît exceptionnelle : un montant de 640 francs fut octroyé par le prince, essentiellement sous forme de dons. En règle générale, les sommes avoisinaient plutôt 300 à 400 francs, la plus faible s’élevant à 224 francs 6 gros en 1419 et ne comptait que des rémissions183. Celles-ci dominèrent de toute façon au cours de toute la période. Les rémissions se composaient principalement d’une baisse des tailles dans la châtellenie de Baume remontant à 1395184. Malgré les tentatives du receveur pour revenir au montant établi lors de l’abonnement de la redevance, la rémission fut reconduite de manière presque obligatoire, les habitants ayant déserté les lieux. La somme de l’abonnement avant 1395 se montait à 280 livres, le montant récupéré année après année se révélant nettement inférieur. Le nombre de foyers capable de payer variait car le montant de la taille ne fut jamais constant185. Au chapitre des dépenses, le receveur reportait donc la différence entre la somme initiale de l’abonnement et celle qu’il avait reçue.

Graphique 52 : Dons et rémissions octroyés dans le bailliage d’Amont. Dons.

1419

1418

1417

1416

1415

1414

1413

1412

1411

1410

1409

1408

1407

1406

700 600 500 400 300 200 100 0 1405

Francs

Rémissions.

Années

180 181 182 183

Montant de 200 francs. Montant de 150 francs. ADCO, B 4690, fol. 42. Était-ce en raison de l’assassinat du duc, la Chambre des comptes ayant préféré repousser les donations afin d’être certaine qu’elles allaient être confirmées par le nouveau duc ? 184 Cela a déjà été évoqué dans la première partie. 185 De 64 livres au plus bas en 1409 à 103 livres en 1411. Cela variait chaque année.

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Deuxième partie  |  Les dépenses

Les autres rémissions octroyées dans ce bailliage bénéficiaient plus souvent à des individus que des communautés. Certaines fois, des amodiataires rencontraient des difficultés pour acquitter la totalité de leur ferme en raison d’événements exceptionnels. Par exemple, en 1415, deux prévôts bénéficièrent d’un tel octroi186. La prévôté de Vesoul connut « pluseurs pestilence et inconvenients survenus durant ladite année », des compagnies commettant « pluseurs innumerables dommaiges » à Vesoul, comme dans la région environnante. Deux passages avaient eu lieu cette année-là : une première compagnie composée de 900 et « mil chevaulx » et une deuxième qui logea environ trois semaines dans la prévôté de Vesoul, comptant « seulement » 120 chevaux. Le prévôt accueillit les hommes d’armes dans son hôtel, ne pouvant donc « vaquer a la desserte de sa prevosté » car il devait approvisionner ses hôtes forcés. Le comte de Bourgogne, de « grace especial », lui rabattit 30 livres sur le montant de sa ferme187. Le prévôt de Châtillon connut les mêmes désagréments : les « gens d’armes et compaignies » logeant plusieurs fois à Cromary où habitait l’officier, lieu des assises de la châtellenie, dans l’hôtel du prévôt. Il avait subi « pluseurs dommaiges de ses vivres comme de ses meubles pour occasion de ce qu’il estoit prevost ». Des coffres lui appartenant avaient été ouverts de force, les gens d’armes s’étant emparés de leur contenu, ainsi que tous les registres et papiers de la prévôté qui avaient été brûlés. Le prévôt se réfugia à Besançon. Ayant entendu le récit de ces événements de la bouche même du bailli d’Amont, Jean sans Peur décida de rabattre le montant de la ferme de 50 livres188. On ne sait pas si ces compagnies d’hommes d’armes étaient des « routiers », soldats désœuvrés vivant sur le territoire en attendant la reprise des combats, ou si les prévôts se trouvaient confrontés à des levées d’armées organisées par Jean sans Peur en raison de la guerre civile. Leur comportement n’était cependant guère différent. Autre type de rémission : l’annulation d’amende. Seul le comte de Bourgogne possédait le pouvoir de l’octroyer. Un unique cas dans la région fut comptabilisé en 1408189, bénéficiant à deux communautés. L’amende, due par quelques hommes d’Échenozla-Méline et Coulevon résultait de la désobéissance à la règle voulant que lorsque la cloche de Vesoul sonnait « l’effroi », tous les sujets du comte avaient obligation de venir se réfugier à Vesoul. On craignait, début 1408, la venue de gens d’armes ayant défié le duc de Bourgogne190. Au moment de la sonnerie, plusieurs habitants des deux villages ne répondirent pas à l’appel, prétendant qu’ils dormaient au moment des faits et que, réveillés brutalement et jugeant qu’il était trop tard pour rejoindre Vesoul, s’enfuirent dans les bois. Le duc fut magnanime, à condition qu’ils ne recommencent plus. Les amendes étaient de toute façon bien faibles191. L’obligation de retraite dans la forteresse du gardien générait des amendes en cas de non application. Il en existait également des exemples dans les forteresses voisines du duc de Bar192. Mais l’annulation d’amende démontrait une attitude relevant pleinement de la symbolique de la grâce dont le seul et unique dispensateur ne pouvait être que le comte protecteur. Les dons récompensaient comme toujours de bons serviteurs : le bailli, le trésorier de Vesoul, le procureur du bailliage193 ou de fidèles vassaux194. Certains obtenaient parfois 186 ADCO, B 1583, fol. 50. 187 Qui était de 167 livres et 83 livres demi de cire cette année-là. 188 Elle s’élevait cette année-là au total à 140 livres et soixante-dix livres de cire. 189 ADD, 1B102, fol. 73. 190 Les hommes d’Henri le Loup qui venaient d’Allemagne. 191 Cinquante sous pour ceux d’Echenoz et 30 sous pour ceux de Coulevon. 192 A. Girardot, Le droit et la terre…op. cit., p. 475. 193 Type de récompense individuelle contribuant à la difficulté de distinguer l’officier du serviteur. 194 Par exemple : en 1409, le chevalier Jean de Valay reçut 300 francs pour avoir réuni les armées, en particulier à Liège. ADCO, B 1557, fol. 40.

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Dépenses générales  |  Chapitre 5

une somme d’argent en raison de pertes subies au service de Jean sans Peur, essentiellement pour des chevaux195. Une dernière sortie d’argent apparaissait dans le chapitre des dons et rémissions : en 1416, un litige portant sur un traité de mariage aboutit à une requête auprès du comte et se termina par le versement de 50 francs à la veuve s’estimant lésée196. Sans que ce ne soit la règle, le trésorier de Dole pouvait, quant à lui, être sollicité pour des montants parfois très élevés. En 1411 et 1416, les faibles sommes ne comportaient que de rémissions. En revanche, en 1405 et 1418, le trésorier fournit des montants très supérieurs, les rémissions représentant l’essentiel la première année tandis que la deuxième, les dons prédominaient largement. Aucune règle établie ne prévalait, les ponctions s’opéraient au gré des besoins. Quelques villages bénéficiaient de diminutions de redevances durant de longue période. Villers-les-Gray197 profitait depuis 1389 d’une baisse de taille. Elle avait été abonnée à 38 livres par an à un moment où le village comptait environ soixante feux, mais depuis, pour « guerre, feux, mortalitez comme autrement », la population avait diminué. Pour repeupler les lieux, la duchesse de Bourgogne ramena les tailles à 12 livres. Mais en 1405, les habitants « en si grande povreté » pouvaient à peine s’acquitter de cette somme198. En 1413, la duchesse Marguerite prolongea la rémission199. En 1418, les habitants envoyèrent une requête au comte de Bourgogne car il ne restait plus que sept ménages et deux veuves dans le village qui, ensemble, ne parvenaient plus à réunir les 12 livres. Jean sans Peur leur accorda une taille de 10 sous par feu et par an pendant 10 ans, ce qui ne donna plus qu’une recette de 4 livres 10 sous200.

Graphique 53 : Dons et rémissions octroyés dans le bailliage d’Aval. Dons. Rémissions. 2500

Francs

2000 1500 1000 500

1419

1418

1417

1416

1415

1414

1413

1412

1411

1410

1409

1408

1407

1406

1405

0

Années

195 Par exemple : en 1418, le sommelier de l’échansonnerie du duc obtint 20 francs pour acquérir un cheval. ADCO, B 1596, fol. 47. 196 Son mari décédé était un bâtard. Des cas similaires se trouvaient dans les « dépenses communes ». 197 S’agit-il de Velet, situé à côté de Gray ? 198 ADCO, B 1541, fol. 97. La rémission se montait à 26 livres (de 17 sous 6 deniers pour 1 franc). 199 Deux fois la rémission fut inférieure à 26 livres, en 1411, toutes les échéances ne furent pas comptabilisées, la baisse fut de 15 livres, et en 1415, la baisse fut seulement de 12 livres. 200 La rémission passa à 33 livres 10 sous (de 17 sous 6 deniers pour 1 franc).

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Deuxième partie  |  Les dépenses

Les habitants de Champregnard201, village situé au-dessus de Poligny, bénéficiaient d’une rémission de taille depuis 1397, pour les mêmes raisons que Villers-les-Gray. En 1407, de nouveaux villages bénéficièrent aussi de rémission de taille : Plasne202 au-­dessus de Poligny ou encore Pupillin. Il arrivait que la Chambre des comptes les refuse. La ville de Pontarlier bénéficia d’une prolongation de quatre ans de la rémission obtenue en 1402. Importante, elle représentait 100 livres sur les cens de la ville203, somme destinée à terminer des travaux d’amélioration commencés dans le château de Pontarlier. La réfection, beaucoup plus coûteuse que prévue comprenait la rénovation des fossés dans lesquels il fallait « en iceulx faire aller une partie de la riviere Doubs » pour défendre le château. Une nouvelle prolongation de rémission eut lieu le 7 août 1405 : trois années supplémentaires204, ajoutée à une exemption de toute aide pendant le même laps de temps. En échange, les habitants étendaient les travaux de réfection déjà engagés aux ponts. Un seul montant de ferme fut diminué dans ce bailliage. Lors du siège de Vellexon, le prévôt de Dole, Jean Landon ayant armé une grande partie des habitants, se trouvait donc absent de sa prévôté « pendant le temps qu’est la meilleure saison de l’année ». En 1418 seulement, la Chambre des comptes accepta une remise de 50 livres sur les 130 livres de sa ferme205. Mais elle refusa les autres requêtes. À Montmirey en 1415206, immédiatement après la mise à ferme, le comte céda la fonction « en gouvernement » au châtelain du lieu. Le fermier initialement prévu n’avait donc rien à verser, il obtint une lettre du comte officialisant la situation. Le trésorier devait désormais lever les recettes auprès du châtelain qui ne voulut rien donner. Mais la Chambre des comptes refusa cette justification du trésorier207. Il ne s’agissait pas vraiment d’une rémission : la présence de cette somme non perçue dans ce chapitre montre encore une fois la difficulté de classifier pour les clercs. Le prévôt d’Arbois en 1416 avait, quant à lui, amodié la fonction pour 160 livres, ce qui apparut par la suite comme une « fole enchère » car il ne put s’acquitter de la somme208. La charge se revendit à un autre pour 20 livres de moins. Les officiers comtaux ne paraissaient donc pas exiger que l’acheteur soit sûr financièrement ou qu’il ait des cautions suffisantes. Ils ne devaient pas l’estimer nécessaire, ce cas apparaissant totalement isolé. En 1405, l’important montant de rémissions provenait de nombreuses annulations d’amendes accordées par le comte de Bourgogne. Par exemple, Jacques de Vienne devait 600 livres, la moitié étant annulée définitivement et l’autre moitié mise « en souffrance » jusqu’à ce que le comte se soit renseigné sur les faits209. Jean sans Peur, après informations, pouvait revenir sur un cas jugé en assises, étant d’ailleurs le seul habilité à le faire. L’amende était parfois annulée en totalité210 ou seulement en partie, comme pour cet écuyer passible d’une amende de 500 livres qui bénéficia d’une remise de 200 livres en souvenir de son frère qui trouva la mort à la croisade de Nicopolis au 201 202 203 204 205 206 207 208 209

Non localisé. Dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Poligny. De 17 sous 6 deniers pour 1 franc. ADCO, B 1549, fol. 107. ADCO, B 1592, fol. 133 (17 sous 6 deniers pour 1 franc). Le siège de Vellexon eut lieu en 1408. ADCO, B 1582, fol. 107. Le montant à percevoir était de 65 livres (17 sous 6 deniers pour 1 franc). ADCO, B 1586, fol. 122. Est souligné le « défaut de plaiges ou caution souffisante ». À 18 sous pour 1 franc. En fait Jacques de Vienne devait 500 livres dont 300 livres furent annulées et 200 livres mises en attente, les 100 livres restantes étant dues par plusieurs de ses officiers. 210 Par exemple cette année-là, une amende de 100 livres fut annulée pour un écuyer d’écurie du comte, 30 livres au seigneur d’Andelot ou encore 20 livres à un écuyer qui devait verser la somme directement au couvent de Dole, le comte lui ayant fait un don équivalent à ce montant.

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Dépenses générales  |  Chapitre 5

service de Jean sans Peur211. Le parlement de 1413 apporta de nombreux exemples de rémission d’amendes concernant toutes des écuyers pour des sommes variables212. Par la suite, ces octrois se firent plus rares : seuls deux cas existaient en 1414213, dont l’un mérite que l’on s’y arrête. Un écuyer, ayant commis un larcin à la foire de Longwy, était passible de 10 francs d’amende. Emprisonné à Dole, il fut libéré grâce à une véritable amnistie princière, Jean sans Peur fêtant sa « joyeuse et première entrée »214. Deux années comptaient des rémissions sur les aides prélevées sur des communautés, toujours justifiées. En 1414215, les villages de La Perrière216 et de La Châtelaine virent leur portion d’aide diminuée de 80 francs car, depuis trois ou quatre ans, de nombreux gens d’armes traversaient la châtellenie ce qui représentait une lourde charge pour les habitants. La duchesse octroya cette baisse, comme pour Arbois qui obtint de verser 40 francs de moins sur les 180 francs de son aide. Cette fois, la cause était un incendie ayant brûlé soixante maisons en février, la rémission devant être employée à la réfection de la porte217. L’année suivante, deux autres villes bénéficièrent de rémissions218 : le Bourg-Dessous de Salins vit son aide passer de 500 à 400 francs pour l’entretien de ses fortifications, quant à Poligny, le nettoyage des fossés de la ville remplis de terre et d’ordures permit que l’eau atteigne de nouveau les moulins du comte. L’aide des habitants diminua de 100 francs, comme ils ne devaient plus que 32 francs, la rémission s’apparentait plus à un don. La prédominance des rémissions sur les dons apparait assez évidente au début. À partir de 1413, la proportion de dons augmenta, les officiers en étant les principaux bénéficiaires. Les dons s’adressaient rarement à d’autres personnes : en 1415, la fille d’un écuyer de Dole en reçut un pour des dommages causés à sa maison par les travaux réalisés dans les halles219. En 1417, le montant des dons se révèle supérieur à celui des rémissions et en 1418, les dons atteignirent des montants inégalés. Certains bénéficiaires devenaient des habitués : le trésorier tendait à percevoir un don de 200 francs chaque année et Poligny apparait profiter particulièrement de dons exceptionnels. En 1408, Jean sans Peur lui octroya 50 livres par an durant six ans afin de construire une nouvelle église paroissiale mais en 1415, les travaux n’ayant toujours pas commencé, rien n’avait été versé. En 1417, le prince écrivit une nouvelle lettre à la Chambre ordonnant que 50 livres soient allouées aux habitants, plus les arriérés depuis 1415 se montant à 150 livres. Poligny avait par ailleurs obtenu un autre don de la part du comte pour améliorer ses fortifications : pendant quatre ans, le trésorier de Dole devait verser 400 florins, les habitants complétant la somme avec 800 florins pour réaliser des travaux. En 1415, Jean sans Peur diminua la part des habitants à 600 florins annuels. Les versements demandés aux bourgeois de la ville étaient sans doute mal accueillis puisque de nouvelles lettres, en 1418, autorisaient les gens de Poligny à se soustraire au droit de regard des gens des comptes sur ces 600 florins. La seule obligation se limitait à montrer le total des versements à la clôture du compte en présence du prévôt et de quelques

211 ADCO, B 1541, fol. 97. Les amendes sont toutes à 18 sous pour 1 franc. 212 ADCO, B 1567, fol. 168. Amendes entre 10 et 200 livres. 213 ADCO, B 1579, fol. 124. 214 Signe qu’en 1414, il entrait à Dole, visite dont nous n’avons aucune trace. 215 ADCO, B 1579, fol. 124. 216 Non localisé. Il existe une rue de la Perriere à Miery, village localisé au sud-ouest de Poligny. 217 Ce type de décision était pris lors des délibérations du Conseil auquel assistait certainement la duchesse. 218 ADCO, B 1582, fol. 107. 219 ADCO, B 1582, fol. 107 : 40 francs.

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Deuxième partie  |  Les dépenses

conseillers220. La totalité des quatre versements du trésorier fut comptabilisée en 1418 : 1 600 florins, expliquant le montant enregistré cette année-là, largement supérieur à celui des autres années. Deux octrois comtaux ne furent pas avalisés par la Chambre des comptes. Depuis 1395, date de l’institution du trésorier de Poligny, on lui avait comptabilisé ses recettes à la valeur de 17 sous 6 deniers pour 1 franc au lieu de 18 sous. Lui était réclamé, en 1407221, l’équivalent de 6 deniers supplémentaires par franc, sur douze ans, ce qui s’élevait à 113 francs 9 deniers tournois. Le comte accorda le remboursement de la somme au trésorier, tandis que les gens des comptes opposèrent des résistances222. Quant à la ville de Dole, elle aurait dû bénéficier des mêmes avantages que d’autres villes. Les habitants avaient supplié le comte, désirant que leur ville soit fortifiée de neuf mais ils ne pouvaient poursuivre les travaux sans une aide financière. Après plusieurs enquêtes et délibérations du Conseil, Jean sans Peur accorda un don d’une durée de quatre ans à partir de Pâques 1412 : 300 francs par an. En échange, les habitants versaient 600 francs. Les modalités apparaissent donc bien similaires à celles de Poligny. Les Dolois avaient choisi l’écuyer Louis de la Platière pour réceptionner l’argent et organiser les travaux, devenant redevable des sommes devant les gens des comptes. Mais les 600 francs à verser chaque année furent estimés beaucoup trop importants par les bourgeois mécontents qui avaient déjà plusieurs charges à leur frais comme l’entretien des eaux alimentant les moulins de la ville. Leur argument se révèle assez classique : « pluseurs habitans delaisseroient la ville, s’en yroient demorer ailleurs, la ville poroit estre grandement depeuplée et cheoir en grande ruyne », la menace du départ des populations revenant régulièrement en cas de désaccord. Le comte divisa le versement par deux, mais sur huit années, ne faisant donc que rallonger le problème. Le don comtal fut de toute façon refusé par la Chambre à partir de 1413223 puis tous les ans jusqu’en 1419 où la situation n’était toujours pas réglée224. Ces exemples mettaient cependant en évidence la difficulté du financement des fortifications, les bourgeois refusant de s’en charger seuls225. Cette question des défenses urbaines apparait de façon récurrente dans les actes des ducs de Bourgogne qui semblaient conscients de la charge écrasante que cela représentait pour les villes. On retrouve d’ailleurs dans le duché voisin le principe du don d’argent ducal agrémenté de l’exigence d’un effort financier équivalent fourni par les habitants, tout comme le renoncement à un revenu ou une imposition devant être converti en travaux défensifs226. Quant aux rémissions, elles apparaissent comme une adaptation consécutive au dépeuplement. Les cherches de feux bourguignonnes ont déjà été évoquées, elles avaient l’intérêt d’établir la faculté contributive censée être proportionnelle au nombre d’habitants, le nombre de feux déterminant donc le montant global des contributions

220 ADCO, B 1592, fol. 135 (1418). Bon Guichart, Giles Jourdain, Jean Chousat qui devaient clore le compte. 221 ADCO, B 1549, fol. 110. 222 Tout d’abord à Jean Chousat puis à Jean Carondelet. On ne sait pas comment se régla le litige car nous n’avons pas de données avant 1411. 223 ADCO, B 1567, fol. 168. 224 Les clercs reprenaient l’article de donation chaque année, il était toujours radié par les gens des comptes. 225 Sur le thème, voir A. Rigaudière, « Le financement des fortifications urbaines en France du milieu du xive à la fin du xve siècle », Revue Historique, 1985, p. 19-95. 226 B. Schnerb, « La politique des ducs de Bourgogne Philippe le Hardi et Jean sans Peur en matière de fortifications urbaines (1363-1419) », in Les enceintes urbaines (xiiie-xvie s.), G. Blieck et al. (éd.), Paris 1999, p. 345-352.

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Dépenses générales  |  Chapitre 5

exigées227. Cependant, les habitants cherchaient à obtenir une réduction du nombre officiel de feux, baisse qui découlait des malheurs du temps. À terme, le nombre de feux provenant d’un marchandage cessa d’être une unité réelle : le « feu fiscal » remplaça le « feu réel », s’éloignant de la réalité et au xve siècle, le nombre de feux n’avait plus aucun rapport avec la population réelle. Il s’agissait d’un coefficient représentant la valeur contributive des habitants228. Il est surtout intéressant de noter pour le comté que les habitants bénéficiaient de l’appui des receveurs pour obtenir des rémissions qui n’étaient jamais définitives. Elles aboutissaient parfois à des enquêtes pour déterminer la part de vérité sans que cela prenne le caractère systématique utilisé dans le duché voisin. Mais qu’il s’agisse de don partiel ou de rémission, le prince pliait souvent devant les revendications, laissant à sa Chambre des comptes le soin de s’y opposer. C. Les dépenses extraordinaires Ces dépenses s’avéraient diverses. Tout d’abord, celles issues de la tenue des deux parlements apparaissent de deux types : les salaires des magistrats et des officiers qui siégeaient et tous les frais annexes comme les messageries et surtout les enquêtes.

Tableau 61 : Les dépenses des parlements de 1405 et de 1413. 1405

1413

Salaires

1553 fr.

80%

4673 fr.

91%

Enquêtes et messageries

399 fr. 4 gros 2 eng. 1/2

20%

458 fr. 10 9% gros

TOTAL

1952 fr. 4 gros 2 eng. 1/2

5131 fr. 10 gros

Le parlement de 1413 fut beaucoup plus coûteux que celui de 1405, siégeant plus longtemps et comprenant des affaires appartenant à la « grande réformation ». La majeure partie des frais résultait des salaires. Le parlement de 1405 qui siégea soixantedeux jours concerna onze personnes : hommes de loi et conseillers du prince229. Les salaires, établis par la duchesse Marguerite et confirmés après sa mort par son fils Jean, se montaient à 2 ou 3 francs par jour. Au cours de ce parlement, les frais consacrés aux enquêtes furent relativement importants. Citons simplement celle qui portait sur les habitants d’Arbois ayant refusé d’ouvrir leurs portes aux gens de Montigny en temps de guerre. Des investigations furent menées par deux clercs. Il fallait parfois convoquer les témoins qui, avec le clerc qui les avait réunis, étaient nourris : l’enquête menée à Arbois rassembla quarante personnes. Les messagers représentaient aussi des frais importants. Ainsi, lorsque la duchesse Marguerite mourut, des émissaires partirent pour Arras rejoindre le nouveau comte Jean afin qu’il confirme la tenue du parlement convoqué par sa mère. Sans document officiel de Jean sans Peur, la Chambre des comptes aurait certainement refusé toutes les dépenses postérieures à la mort de Marguerite. Les frais du parlement de 1413 représentaient plus du double de ceux de 1405. Plusieurs rai227 P. Beck, Archéologie d’un document d’archives. Approche codicologique et diplomatique des cherches de feux bourguignonnes (1285-1543), Paris, 2006. Pour les aspects généraux, voir J. Favier, Finances et fiscalité au bas Moyen Âge, Paris, 1971, p. 190-199. 228 Ibid. 229 ADCO, B 1541, fol. 53-57. Voir première partie.

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Deuxième partie  |  Les dépenses

sons l’expliquaient. La Cour siégea longtemps en 1413 : 109 jours230. Les magistrats et officiers furent deux fois plus nombreux à être convoqués : vingt-deux personnes dont la plupart venait de l’extérieur du comté. Il y avait des personnages très importants, comme maître Guillaume le Clerc, conseiller royal, ce qui entraîna des salaires beaucoup plus élevés : de 2, 3 ou 5 francs par jour. Seul le greffier reçut 1 franc par jour. Plusieurs dépenses découlaient de la « réformation » : le substitut du procureur du bailliage d’Amont convoqua de nombreux témoins231, des prévôts et sergents s’informèrent secrètement sur des abus de justice et des prêts usuraires illicites, convoquant également des témoins et réalisant des recherches dans les documents officiels, contrats ou registres de notaires. Quatre conseillers du parlement se chargeaient spécialement de la « grande réformation » : deux pour le bailliage d’Amont, Girart Basan et Jean Mercier, et deux pour le bailliage d’Aval, Thierry le Roy et Jean Jacquelin232. En dehors de ces frais particuliers se retrouvaient les dépenses habituelles à une session parlementaire : enquêtes, voyages et messageries. On construisit également un pilori neuf « pour justicier aucun ad ce condempné oudit parlement ». Le trésorier ne fournissait pas les détails de toutes les dépenses, présentant une somme totale, importante, de 329 francs 2 gros auxquels s’ajoutèrent quelques frais comme 9 francs versés au portier de la saunerie de Salins pour se rendre à Dijon afin de présenter au chancelier le déroulement du parlement. En dehors du parlement existaient d’autres dépenses d’origines variées. Dans les comptes du bailliage d’Aval, des dépenses supplémentaires apparurent en 1405233 dans le but d’un réajustement des comptes : toutes les dépenses refusées par la Chambre pendant les cinq ans où officia Jean Chousat à la trésorerie du bailliage234 furent défalquées des recettes de 1405. Les refus des gens des comptes provenaient essentiellement d’absence de lettres ou mandement du feu duc Philippe. Jean Chousat ayant « supplié a monseigneur de Bourgoingne son fils et heritier, d’en avoir relievement et decharge », Jean sans Peur ordonna le remboursement de toutes ces dépenses au fidèle serviteur. Le total représentait une somme importante. Les refus d’enregistrement eurent principalement lieu en 1404, année de la mort de Philippe le Hardi. Quelles que soient les circonstances et les personnes concernées, la Chambre des comptes apparait inflexible : la mort du duc ne constituait pas une excuse à l’absence de documents officiels. Les périodes de changement de prince s’avéraient donc très délicates pour tous les trésoriers. Jusqu’en 1404, les frais refusés se composaient surtout de salaires ou de transports, mais, en 1399, la rémission des habitants de Champregnard fut également écartée. Il y eut aussi un nombre élevé de sorties d’argent rangées sous l’appellation « dépense commune », par exemple plusieurs déplacements du trésorier ne furent pas reconnus par la Chambre235. Les autres dépenses refusées par les gens des comptes provenaient principalement d’actes de justice : la poursuite de marchands ayant « brisié le peaige

230 ADCO, B 1567, fol. 74-100. 231 Guillaume de Colomoustier. Cela coûta 57 francs 4 gros. 232 Pour le bailliage d’Aval ne furent comptabilisés que des frais d’écriture de lettres relatives à la « réformation » : 23 francs 4 gros. Pour la même raison, dans le bailliage d’Amont, on comptabilisa 10 francs. 233 ADCO, B 1541, fol. 88 à 92. 234 De 1399 à 1404. 235 Pour 96 francs. Ou encore un prêt octroyé par plusieurs habitants du comté pour financer une armée pour récupérer les terres de Montréal. Une chevauchée avait été nécessaire pour obtenir ces châtellenies confisquées sur décision du parlement. En janvier 1404, Jean Chousat avait inscrit en recette le montant total de cette avance qui fut immédiatement dépensée, sans que cela n’apparaisse dans la comptabilité des sorties d’argent.

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Dépenses générales  |  Chapitre 5

de La Loye », le salaire du bourreau pour « la mise au dernier supplice »236, des frais pour mener des enquêtes ou tenir des assises.

Tableau 62 : Dépenses réalisées entre 1399 et 1404 et prises en compte en 1405. 1399

1400 1401 1402

1404

Dépense commune

35 fr.

1566 fr. 5 gros 4 eng.

Messageries

17 fr.

11 fr.

Garde de châteaux

26 fr. 8 gros

Dons et rémissions 58 fr. 3 gros Pensions et gages à volonté

80 fr. 6 gros

Deniers baillés comptants

200 francs

TOTAL

58 fr. 3 gros 52 fr.

11 fr. 26 fr. 8 gros 1846 fr. 11 gros 4 eng.

En 1407237, les dépenses extraordinaires apparaissent totalement différentes. Suite à une décision judiciaire, les terres du sire de Torpes, Germigny238 et Lods, furent confisquées. Des commis se chargèrent d’exploiter le domaine, ce qui généra des recettes mais aussi des dépenses. Les salaires d’officiers, les rentes ou la dépense commune ne différaient pas de ce qui a été vu précédemment. Les dépenses d’ouvrages correspondaient à tous les frais de réfection et de maintien en état des bâtiments « publics » : le moulin et les écluses de Torpes, la remise en état du pressoir à vin, etc. Entretenir et cultiver la vigne coûtaient très cher, nécessitant un nombre important d’opérations étalées sur toute l’année, il fallut donc payer des manouvriers.

Tableau 63 : Dépenses entrainées par la confiscation des terres de Jean de Thoraise. Torpes Salaires d’officiers

16 fr. 1 gros

Rentes

4 fr. 2 gros

Dépense commune et messageries

28 fr. 4 eng.

Ouvrages

22 fr. 3 gros 10 eng.

Culture de la vigne

37 fr. 9 gros

Culture des champs

8 fr. 10 gros

TOTAL

117 fr. 5 gros 10 eng.

Lods

Germigny 9 fr. 7 gros

18 fr. 11 gros 18 fr. 11 gros

9 fr. 7 gros

236 À Dole sur les fourches, le bourreau vint de Dijon. À Ornans, noyade d’une femme, bourreau de Besançon. 237 ADCO, B 1549, fol. 98. 238 Non localisé.

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Deuxième partie  |  Les dépenses

En revanche, les frais pour cultiver les champs apparaissent très inhabituels, il s’agit du seul exemple dans le cadre de l’exploitation du domaine comtal. Cela démontre que ce petit seigneur détenait encore une part importante de son domaine en réserve, exploitée en faire valoir direct. Tout d’abord concernant les fenaisons et les moissons, du foin, du froment et de l’avoine étaient récoltés. Il fallait les « charroier » jusqu’au château de Torpes. Les travailleurs se composaient de manouvriers salariés ou de corvéables pour qui on ne comptabilisait que des dépenses de nourriture au tarif forfaitaire d’un pain par personne239. La corvée de transport de la récolte rapportait un pain de moindre valeur : seulement 4 deniers demi. La majeure partie des labours et semailles était réalisée par des corvéables mettant leur charrue à la disposition des commis. Le châtelain de Torpes possédant deux bœufs, il ne fut pas nécessaire d’en louer. L’avoine et le froment réutilisés pour les semailles ainsi que les céréales servant à la confection des pains provenaient en grande partie des greniers du château. L’une des dépenses extraordinaires relevées dans les comptes du bailliage d’Aval se composait d’une seule somme inscrite dans le registre de 1418240. Une maison avait été achetée à Poligny pour un montant de 800 francs, la moitié ayant été assignée sur les recettes du trésorier de Dole, le trésorier de Salins versant l’autre moitié241. Il s’agissait d’une maison à laquelle s’ajoutait une tour en pierre. Située sur une place de Poligny, elle devait servir de lieu de « garnison » pour les prélèvements en nature du domaine, blé et vin, mais également entreposer l’artillerie et toute autre chose nécessaire. Le précédent lieu de stockage, donné aux religieuses cordelières de Poligny, avait été transformé en monastère. Le problème d’entrepôt ne se posait jamais lorsqu’il y avait un château mais dans les villes, posséder ou louer une maison devenait une obligation, aspect contraignant mais aussi coûteux242. Enfin, affaire déjà évoquée, le receveur de Bracon dut faire face à une dépense extraordinaire en 1412, en raison de la détention des enfants de Bourbon243. Cet événement découlait certainement du contexte de guerre civile. L’emprisonnement des deux enfants « Loys et Ysabeau » débuta le 19 juin 1412 et se poursuivit jusqu’au 16 mars 1413, date à laquelle le duc de Bourgogne rendit les enfants à leur famille. Servis par trois femmes de chambre et deux valets du Bourbonnais, un valet, une femme et un chapelain de Salins leur furent adjoints pour assurer un meilleur service, le comte de Bourgogne se trouvant donc contraint de verser leurs salaires. À cette dépense s’ajoutèrent cinq muids huit « chevannes de vin vermeil », cinquante et un poulets et un bœuf, pour un total de 427 francs244. De l’argent fut envoyé afin de subvenir à tous leurs besoins245. L’ultime dépense extraordinaire que nous avons voulu présenter portait sur un épisode guerrier effectué dans le comté même : le siège du château de Vellexon. L’origine de cet événement militaire fit l’objet de nombreuses confusions, dues en particulier à 239 240 241 242 243 244

Comptabilisé à 6 deniers pièce. La durée du travail n’était pas indiquée. ADCO, B 1592, fol. 128. Nous ne possédons pas le compte de Salins de 1418. Le cas existe aussi à Vesoul où une maison était louée. ADCO, B 3355, fol. 16-17. Sans compter les sommes déjà importantes dépensées pour les vêtir, évoquées dans les dépenses de Bracon. 245 En 1412, ADCO, B 5965, fol. 37 : 90 francs versés par le trésorier de Salins au receveur de Bracon sur une vente de sel spécialement effectuée pour l’obtention des liquidités nécessaires aux frais des prisonniers.

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Dépenses générales  |  Chapitre 5

Dom Plancher qui mélangea les seigneurs de Blamont en comté, sires de Neuchâtel, avec les comtes de Blamont en Lorraine246. Vellexon relevait du château de Beaujeu dont la famille venait de s’éteindre. Jean, quatrième fils de Thierry de Blamont, hérita de la forteresse. En guerre avec son frère aîné, Henri, il fit donation de tous ses biens à Guillaume de Vienne, seigneur de Saint-Georges et Sainte Croix247. Mais en 1408, par revirement filial, Jean fit un nouveau testament léguant tout à son frère Henri et ses enfants. La lutte opposait donc Henri de Blamont et Guillaume de Vienne qui revendiquait l’héritage, les parties ayant eu recours au parlement qui avait rendu un arrêt en faveur de Guillaume de Vienne. La sentence signifiée au comte de Blamont n’avait eu aucun effet. Jean sans Peur décida donc de châtier le coupable qui refusait d’avaliser une décision de sa cour souveraine : « prendre de fait et mettre en nostre obeissance ledit chastel a l’onneur de nous et au relievement de nostre justice et par ce, donner exemple a tous autres »248. La confiscation ordonnée par Jean sans Peur n’ayant pu être réalisée, il ordonna la prise de la forteresse par la force et pour étudier la situation, envoya le maréchal de Vergy et les deux baillis. Ces derniers pensaient qu’une attaque surprise suffirait à l’emporter mais ils apprirent des seigneurs de la région que le château était bien gardé et capable de soutenir un siège249. Il s’agissait d’une des forteresses les plus importantes de la rive gauche de la Saône, bâtie sur une crête surplombant de près de quarante mètres la vallée en contrebas. L’escarpement rendait donc tout assaut difficile : il fallait « engins, canons, bombardes et autres choses necessaires pour battre et desrouchier le chastel »250. Le siège réunit trente-six chevaliers, 350 écuyers251, environ 1 000 chevaux, plus les milices urbaines et rurales de tout le comté et d’une partie du duché. Des arbalétriers de Dijon, de Chalon et de Besançon, furent convoqués, 150 en tout. L’armée se composait au total de 2 000 hommes. La garnison installée dans le château comptait trente hommes ayant incendié le village avant l’arrivée des assiégeants, contraignant à prévoir des logements pour les hommes et construire une cloison autour du château252. Le siège nécessita la présence de nombreux artisans, des charpentiers, des maçons et des forgerons253 qui arrivèrent le 30 septembre 1409 mais on s’avisa alors que rien n’avait été prévu pour les rémunérer. Afin qu’ils acceptent de travailler, on leur fournit chaque jour une pinte et demi de vin, trois pains et 3 engrognes de viande. En octobre, Jean de Vergy et les deux baillis écrivirent à Jean sans Peur que le siège devenait impossible sans argent254. Le 3 novembre fut ordonné aux maîtres des comptes de Dijon de délivrer tout le blé, le vin, la cire et autres denrées détenues et à percevoir 246 U. Plancher, Histoire générale et particulière de la Bourgogne, Dijon, 1739-1781, 4 vol., t. 3, p. 290-296. 247 Des précisions sur l’épisode de Vellexon et sur Guillaume de Vienne : G. Pelot, Les derniers grands feux d’une maison comtoise et bourguignonne : Guillaume de Vienne, seigneur de Saint-Georges et de Sainte-Croix, 1362-1437, thèse non éditée, 2012, p. 663-667. 248 J. Bertin, « Le siège du château de Vellexon, en 1409, détail de l’attaque et de la prise d’une forteresse féodale au commencement du xve siècle », SALSA, 1900, p. 1-190. 249 ADCO, B 11878. 250 ADCO, B 11877. J. Bertin, « Le siège du château de Vellexon… » art. cit. 251 Il y eut quelques résistances de la part des vassaux du bailliage d’Amont et de la mauvaise volonté du côté de ceux du bailliage d’Aval. Le 31 octobre, une lettre de Vergy criant la levée annonçait que tous vassaux et tous bourgeois devant servir monseigneur, ayant moins de soixante ans, devaient aller à Vellexon sinon, ils risqueraient une amende. Le 6 novembre, un nouvel envoi annonçait cette fois des peines de confiscation. 252 J. Bertin, « Le siège du château de Vellexon… » art. cit. 253 ADCO, B 11877 : registre où tous les travaux réalisés par les artisans avaient été recensés. 254 Les charpentiers n’arrivant pas à fournir des habitations suffisantes, les nobles réclamaient une solde.

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Deuxième partie  |  Les dépenses

par les receveurs des duché et comté, en partie pour nourrir les assiégeants, en partie pour être vendue255. La première vague de travaux concerna soixante-deux charpentiers venus des deux bailliages, trente-trois maçons, dix maréchaux, douze conducteurs de charrettes et quatre cordiers, au total 121 personnes nourris jusqu’au 22 novembre256. L’oisiveté des hommes d’armes posait problème comme la recherche de poudre faisant cruellement défaut en raison du manque d’argent. Face aux bombardes inactives, les assiégés narguaient les assiégeants en leur jetant des projectiles et en les insultant. Le mécontentement des assiégeants dégénéra en une opposition entre nobles et miliciens s’accusant mutuellement de l’échec des opérations, aboutissant à une bataille rangée où les deux parties comptèrent des morts et des blessés. Des amendes sanctionnèrent ces agissements257 mais l’armée était totalement désorganisée. Les milices repartirent chez elles, les nobles menaçant de faire de même car ils n’étaient pas payés. Jean sans Peur envoya deux hommes de confiance pour rétablir l’ordre258. Le 22 novembre, Jacques de Courtiambles et Jean Chousat arrivèrent à Vellexon259, stoppant immédiatement les paiements en nourriture260. À partir de cette date, les 121 charpentiers, maréchaux et maçons touchèrent un salaire. Les deux conseillers vendirent une partie de leur héritage et contractèrent plusieurs emprunts afin de contribuer aux dépenses du siège tandis que le duc demandait à plusieurs receveurs qu’ils versent une partie de leur recette pour financer le siège. Il y eut des résistances261. L’argent obtenu en novembre permit de tenir jusqu’en janvier mais désormais les finances étaient épuisées. Une assemblée se tint à Gray en présence de Jacques de Courtiambles, Érart du Four, les trésoriers et de nombreux gentilshommes : il fallait trouver un moyen de financement. Jean sans Peur suggéra d’engager les marchands fournissant les greniers à sel du duché d’en acquérir une certaine quantité à Salins, payable comptant. Ils en profitèrent pour obtenir le sel à plus bas prix mais le moyen permit en partie de payer les frais du siège de Vellexon262. Le récapitulatif des dépenses les plus importantes du siège montre que les deux conseillers furent largement défrayés pour leur activité : toutes leurs dépenses étaient remboursées or tous les chevaliers et écuyers du siège venaient dîner ou souper en leur compagnie comme l’avait ordonné Jean sans Peur263. Ils s’occupèrent aussi des blessés, en particulier ceux sans ressources264 et jusqu’au 22 janvier, deux chirurgiens se trouvaient 255 U. Plancher, Histoire générale…op. cit., p. 290-296. 256 Somme totale : 481 francs 1 gros uniquement pour la nourriture des ouvriers pour 106 artisans plus quinze maçons affectés plus spécialement à des carrières et touchant une rémunération différente. 257 ADCO, B 1561, fol. 20. Les gens des communes payèrent le plus grand nombre d’amendes. 258 J. Bertin, « Le siège du château de Vellexon… » art. cit. 259 Jean de Vergy avait été rappelé à Paris par Jean sans Peur qui avait nommé les deux conseillers pour le remplacer. Ils étaient investis des pleins pouvoirs pour se procurer les ressources nécessaires. 260 Seules en bénéficiaient encore quelques artisans, en particulier les canonniers et les forgerons. 261 Jean sans Peur réclama 500 francs au receveur de Langres mais il ne s’exécuta que le 11 décembre, sous la menace, versant 400 écus, c’est-à-dire 450 francs. Le duc requit également 300 francs sur les aides levées pour la guerre de Lyon, payés seulement le 8 décembre. Le 11 novembre, les deux commis allèrent voir le trésorier de Dole mais ne purent rien obtenir de lui. J. Bertin, « Le siège du château de Vellexon… » art. cit. 262 U. Plancher, Histoire générale…op. cit., p. 290-296. 263 « tant pour ce que nous n’avions pas pris lors de quoy payer ne contenter les gaiges des chevaliers et escuyers du siege », mais aussi en raison « du grant yver et froidure » qu’ils faisait alors. Un boucher de Rochefort fut réquisitionné à cet effet ainsi qu’un cuisinier et son aide. 264 Par exemple, un homme de Beaune avait reçu deux flèches envoyées par les assiégés, il reçut 1 franc.

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Dépenses générales  |  Chapitre 5

présents sur le siège, ainsi qu’un prêtre265. Les sources fournissent une multitude de certificats prouvant que les chevaliers et écuyers venus avec leur bannière avaient bien été rémunérés266.267

Tableau 64 : Dépenses du siège de Vellexon. Montant Nourriture

624 fr. 3 gros 8 eng.

Achat de fer (avec transport)

105 fr. 2 gros 1/2

Achat de charbon

21 fr. 5 gros

Achat de corde

29 fr. 9 gros 1/2

Salaires (depuis le 22 novembre)

390 fr. 3 gros 9 eng.

Salaires des deux conseillers

426 fr. 5 gros 3 eng

« Charroi »

225 fr. 8 gros

Ouvriers de bras

79 fr. 6 gros 3 eng.

Divers

55 fr. 2 gros 8 eng.

Ouvriers qui ont servi les bombardes

29 fr. 10 gros

TOTAL

1987 fr. 8 gros 7 eng.

267

On se préoccupait beaucoup de la noblesse mais la milice semblait abandonnée à elle-même. Après l’échauffourée entre assiégeants du début et le départ des milices présentes, principalement originaires du bailliage d’Amont, les commis firent appel à celles du bailliage d’Aval. Les milices, servant aux frais de leur communauté, ne coûtaient rien et il leur était interdit de s’emparer de nourriture dans les campagnes environnantes sans payer. Il y eut pourtant du brigandage, certains miliciens s’emparant de tête de bétail lorsque le propriétaire ne pouvait payer une rançon268. Un salaire forfaitaire fut versé aux huit maréchaux mais en plusieurs fois et en petites quantités de peur qu’ils ne se sauvent si on leur versait la totalité en une fois269. Certains émoluments se payaient « à la tâche », par exemple pour la réfection d’une bombarde ou pour la fabrication de clous. La somme octroyée aux charpentiers fut beaucoup plus élevée en raison de leur nombre : soixante-trois percevaient un salaire270, réalisant deux engins et des « manteaux » sur roue. Les logis du siège, près de la forteresse, « tous martellez de gres » en raison des canonnades des assiégés, furent reconstruits. La cloison établie autour du château faisait environ une lieue de long, comportant même des portes. Enfin, bombardes et canons étaient fixés sur des « plots de bois » 265 J. Bertin, « Le siège du château de Vellexon… » art. cit. Jean de Neuchâtel fit même installer un orchestre chez lui. On tenait à disposition des gentilshommes des cahiers de papier au cas où ils voulaient écrire. 266 Cela nécessiterait une étude plus pointue, chaque capitaine indiquait le nombre d’hommes, la paie, en général 3 francs par personne. ADCO, B 11878. 267 Engins, « terraillons ». 268 Nous avons rencontré ce genre de méfait dans les exploits de justice du bailliage. 269 Le clerc indiquait qu’on leur donnait 3 gros par ci, 4 gros par-là, pour les apaiser, en tout : 33 francs 3 gros demi. ADCO, B 11878. 270 Deux cent soixante-douze francs 2 gros 9 engrognes. Les charpentiers étaient légèrement mieux payés que les maréchaux, mais les deux touchaient aux alentours de 4 francs par personne.

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Deuxième partie  |  Les dépenses

qui se fendaient à chaque tir à cause de la grosseur des armes, on en utilisait sept ou huit par jour271. Dix-huit maçons taillaient essentiellement les pierres pour les bombardes, les canons et les engins272. Quarante-huit ouvriers de bras furent également embauchés afin d’aider les charpentiers à lever les engins et les manteaux et débarrasser les alentours du château du bois lancé par les assiégés. Des ouvriers, salariés, aidaient au chargement et au tir des bombardes, travaillant jour et nuit, plusieurs trouvèrent la mort. En fonction de l’arme, le salaire était différent : par exemple, le service de la grosse bombarde de Bourgogne rapportait entre 6 et 10 francs, la bombarde de cuivre de Dijon, seulement 3 francs et demi. Le fer, matière première indispensable très coûteuse, principalement utilisé pour la réfection des bombardes, s’achetait 2 francs le cent à Besançon ou à Gray273. Le charbon acheté 9 engrognes par panier servait pour les forges et pour réchauffer ceux faisant le guet ou gardant les bombardes. Jean sans Peur prit conscience de la nécessité de verser des salaires et donner de la nourriture, sinon le siège allait durer quarante ans devant ce château « qu’est hors de tout assaulx ». Mais l’argent manquait toujours cruellement. Hugon Druet, alors trésorier de Dole reçut une missive du comte l’enjoignant de délivrer aux deux commis toute sa recette, en argent comme en nature et avancer la prochaine, le comte proposant même « la vendue de rente » et le retardement de tous les versements et les travaux274. Le 7 janvier, 1 400 francs furent envoyés au siège. Il est possible, à partir de janvier, d’à peu près reconstituer la quête inlassable des deux conseillers pour obtenir de l’argent. Par exemple, un emprunt de 1 200 francs fut réalisé auprès de la ville d’Auxonne et de 800 francs auprès de celle de Poligny ; Jean Chousat avança 1 000 francs275. En plus des salaires, il fallait armer le siège, acheter des flèches, de la poudre, des lances, des arbalètes, faire venir des bombardes. On utilisa également des engins en raison du manque chronique de poudre à canon entrainant d’ailleurs un problème, le recours croissant aux armes à feu pour le jet ayant peu à peu fait disparaitre l’office très spécialisé de maître d’engin. Début janvier, une action décisive fut décidée, les armes et la poudre ne faisant plus défaut, on se rapprocha du château. À l’argent envoyé par le trésorier de Dole, s’ajoutèrent 1 500 francs des marchands de sel et 1 500 francs des échevins de Dijon. La nouvelle bombarde de Bourgogne réalisée spécialement pour le siège et arrivée à Vellexon le 10 janvier, tira sans interruption à partir de cette date, servie continuellement, jour et nuit, par neuf ouvriers276. Mais une fois le siège terminé, de nouvelles dépenses s’avérèrent nécessaires277.

271 La grosse bombarde de Bourgogne ne pouvait être posée sur des plots « car ils sont incontinent fenduz », certainement en raison de son poids. 272 Ils devaient « bien les diminuer » afin de ne pas casser les bombardes lors de la mise à feu. Ils touchèrent 38 francs 7 gros demi, donc les moins bien payés, aux alentours de 2 francs par personne. 273 Fer de Lyon ou d’Espagne. 274 ADCO, B 11878, 3 janvier 1410. Il s’agissait d’une dérogation exceptionnelle puisque les receveurs étaient normalement obligés de verser les deniers de leur recette uniquement aux receveurs généraux. 275 Les 3 000 francs obtenus permirent surtout de payer les gens d’armes. Une montre d’armes réalisée le 20 décembre montrait la présence de trente-cinq chevaliers et 351 écuyers, sans compter les arbalétriers et les gens des communes. Les gens servant sous la bannière de Guillaume de Vienne ne voulurent rien recevoir. Les écuyers touchèrent 7 francs, les chevaliers le double. En tout : 2 772 francs. 276 Plusieurs bombardes arrivaient sur le siège, celle du sire de Pagny explosa après un essai réalisé avant son départ pour Vellexon, une devait venir de Suisse, elle était encore à Pontarlier quand le siège se termina. La bombarde Chalon arriva à bon port. 277 ADCO, B 11877.

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Dépenses générales  |  Chapitre 5

Tableau 65 : Dépenses réalisées après la prise du château de Vellexon. Montants Déferrer les bombardes et nettoyer la place

15 fr. 10 gros 6 eng.

Réparations du château

18 fr. 10 gros

Démolition du château : Dépenses de nourriture et de voyages

80 fr. 3 gros 3 eng.

Démolition du château : Salaires des ouvriers

55 fr. 8 gros

Divers

21 fr. 8 gros

TOTAL

192 fr. 3 gros 9 eng.

Afin de servir d’exemple, la forteresse devait être rasée. Pour le comte de Bourgogne, la prise du château de Vellexon représentait un exemple pour tous les nobles du comté qui auraient pu avoir quelques velléités de rébellion. La destruction de la forteresse s’avérait un symbole plus fort encore que le siège, montrant la détermination de Jean sans Peur. Le bailli, le gruyer et Jean Carondelet furent chargés de recevoir l’allégeance des châtelains de toutes les possessions du comte de Blamont, les forteresses d’Oricourt et de Vernes et des « penons » aux armes du comte de Bourgogne furent mis sur les plus hautes tours des deux châteaux278. Les sommes présentées dans les tableaux sont incomplètes puisqu’il manque une donnée très importante, les soldes versées aux hommes d’armes. Tous les comptes de bailliages ou de receveurs particuliers ne nous sont pas parvenus pour 1410 mais les comptes disponibles d’Amont, de Faucogney et de Bracon ne comportaient aucune dépense spécialement destinée au siège de Vellexon. Le bailliage d’Aval avait-il soutenu seul la charge pour le comté ? On ne sait pas non plus si le trésorier de Salins fut sollicité279. Les receveurs participèrent indirectement au financement du siège, ceux de Faucogney et de Bracon et le trésorier de Vesoul, furent sollicités plusieurs fois pour rembourser des prêts contractés pour financer le siège. Il faut également ajouter l’existence d’apport extérieur au comté puisque l’exercice 1409-1410 de la recette générale de Bourgogne montrait la somme de 12 400 livres destinée aux paiements des frais du siège du château de Vellexon280. Les capitaines assiégés dans le château furent fait prisonniers une fois la forteresse prise et détenus à Poligny, Rochefort, Bracon et Gray. En avril, tous ceux n’étant tenus d’aucun lien de vassalité envers le duc-comte de Bourgogne furent renvoyés chez eux avec la promesse de ne jamais revenir en Bourgogne. Les autres, vassaux ou sujets de Jean sans Peur, furent soit décapités, soit pendus, soit marqués au fer des armes de Bourgogne281.

278 Plus seize gentilshommes qui reçurent un salaire : 10 francs 5 gros. Les « penons » : 11 francs 3 gros. 279 Le partage d’Auxerre participa en 1410 pour 700 francs. ADCO, B 5963, fol. 10. 280 B. Schnerb, « Un aspect de la politique financière de Jean sans Peur : la question des dépenses de guerre », in Finances et financiers des princes et des villes à l’époque bourguignonne, J.-M. Cauchies (éd.), Turnhout, 2004, p. 11-28. 281 Il s’agissait, pour ceux-là, d’étrangers, marqués au front et bannis. Comme ils étaient Allemands et ne pouvaient se faire comprendre, on leur donna de l’argent, 3 sous 6 deniers chacun. U. Plancher, Histoire générale…op. cit., p. 290-296. La sentence à l’encontre d’Henri de Blamont nous est inconnue.

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Deuxième partie  |  Les dépenses

Une grande partie des dépenses était destinée au bon fonctionnement du comté, les salaires des officiers en étant un élément important en y ajoutant les rétributions supplémentaires auxquelles toutes les catégories pouvaient prétendre282, comme les rentes ou les frais non fixes inhérents à la bonne marche d’un domaine. Le siège de Vellexon se révèle un bon exemple des importantes dépenses que représentait une opération militaire. Ce fut, heureusement pour le comté, le seul événement belliqueux ayant lieu véritablement dans la région. En effet, à l’étude des multiples dépenses engendrées et la difficulté d’y faire face, on conçoit que l’utilisation de la force pour mettre au pas la noblesse n’avait plus vraiment la primauté. Une fois l’épreuve de force engagée, Jean sans Peur ne pouvait plus reculer, il en allait de son prestige. On voit d’ailleurs bien comment il surveilla de près les rentrées d’argent nécessitées par les innombrables besoins, avançant même des propositions pour trouver les fonds manquants. Cet épisode apparait riche d’enseignement sur l’évolution des modes de fonctionnement des princes pour imposer leur autorité. Ils passaient désormais par la voie judiciaire et ici, seul le refus d’accepter la sentence de la cour suprême aboutit à l’intervention armée. Dans cette affaire, Jean sans Peur parait n’avoir guère eu le choix. Les dépenses imprévues apparaissaient de façon ponctuelle dans les comptes, montrant parfois les difficultés de gestion rencontrées par les trésoriers. Ils devaient jongler avec les nécessités et la réalité du terrain tout en justifiant constamment leurs actes face à des gens des comptes extrêmement vigilants dont l’attention à scruter toutes les dépenses ne se démentait jamais.

282 O. Mattéoni, Servir le prince…op. cit., p. 378. Cela a déjà été évoqué plus haut.

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Chapitre 6 Les travaux Les dépenses pour travaux, exclusivement locales à l’instar de dépenses de fonctionnement, finissaient à terme par représenter des sommes importantes. Les coûts entrainés par l’exploitation des vignes domaniales sont étudiés à part car cette activité particulière ne concernait pas des bâtiments, mais les dépenses s’avèrent tout de même relativement élevées. Une partie des recettes domaniales se réinvestissait sur place dans le but d’assurer une bonne protection aux habitants du comté grâce à une amélioration des forteresses et à l’achat des armes nécessaires à une bonne défense1. Tous les bâtiments « publics » c’est-à-dire utilisés par les populations2 bénéficiaient de réparations : les moulins, les fours, etc., leur bon fonctionnement étant d’ailleurs synonyme de meilleur rendement. Enfin, il fallait aussi entretenir toutes les constructions appartenant au comte dans le domaine. L’image que cela renvoyait aux yeux des contemporains avait son importance, signe de la présence du seigneur qui ici, en l’occurrence était un prince. Pourtant, que de bâtiments en ruine ou délabrés décrits par les officiers3. N’était-ce cependant pas un préalable à l’acceptation des travaux par la Chambre, en démontrant leur nécessité ? 1. Nature des travaux A. Des chantiers variés Les types de travaux effectués dans les limites du comté au cours de la période offre un large éventail de cas. Les bâtiments appartenant au comte et bénéficiant d’interventions comprenaient tout d’abord les résidences des châtelains : un château ou une simple tour. Il fallait les entretenir correctement car ils représentaient un lieu de refuge, de protection, pour tous les hommes de la châtellenie. Jean sans Peur édicta une ordonnance le 31 août 14084 obligeant la réalisation d’une visite de toutes les forteresses lui appartenant et précisant les travaux nécessaires destinés à augmenter la sécurité qu’elles pouvaient offrir. Ces châteaux symbolisaient également la puissance du comte, un rempart contre l’éventuelle venue d’ennemis multipliés par les ambitions politiques de Jean sans Peur. Les réfections réalisées dans ces forteresses ne concernaient pas uniquement l’aspect défensif. On trouve également des rénovations de salles, de charpentes, de pont-levis ainsi que la réparation de moulins, de fours ou de puits, de fontaines, situés à l’intérieur du château et dont l’utilisation n’était pas destinée aux villageois. 1 2 3 4

Jean sans Peur était à l’origine d’une ordonnance obligeant tous les détenteurs de châteaux de contribuer à une amélioration des défenses de leurs possessions, tout comme lui l’appliquait dans son domaine. On entend par là les hommes du comte bien sûr, d’où une notion restreinte malgré tout de bâtiment dit « publics ». Jean Kerhervé remarque lui aussi que les travaux ne semblaient entrepris qu’en cas « d’urgente nécessité » visant plus à une préservation sommaire qu’à de véritables investissements. J. Kerhervé, L’État breton…op. cit., p. 509-512. Maintes fois utilisées à partir de l’année où elles sont édictées, les lettres sont recopiées plusieurs fois tant au xvie qu’au xviie siècle. Voir l’édition proposée par Ernest Champeaux : E. Champeaux, Ordonnances franc-comtoises…op. cit., p. 87-92. Cela correspond aux cotes : ADCO, B 16 et B 17.

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Deuxième partie  |  Les dépenses

La maison du gardien pouvait faire l’objet de travaux, ainsi que les prisons. Quelques manouvriers étaient parfois employés pour nettoyer les déchets accumulés dans les cours de châteaux. Enfin, la dernière dépense, à but exclusivement offensif, consistait à acheter des armes et à les installer5. En dehors de ces symboles du pouvoir comtal que représentaient les châteaux, de multiples bâtiments appartenant au comte devaient être entretenus. Existaient deux catégories : les bâtiments « publics » c’est-à-dire utilisés par tous et ceux dont seuls les officiers se servaient. Il s’agissait pour les premiers des fours, pressoirs, moulins, foules et batteurs6 et les écluses nécessaires à leur fonctionnement. Il y avait aussi les halles pour le commerce, la rénovation de salles où se tenaient les assises ainsi que les ponts et les chemins. Plus rarement furent rénovés, ou même construit, des « raffours », c’està-dire des fours à chaux. La deuxième catégorie de bâtiments bénéficiant de réfection, beaucoup moins nombreux, était : la maison du receveur ou celle contenant les « garnisons » comtales7 comme la rénovation de granges ou de greniers comtaux. Il s’agissait principalement de réfections, de rénovations, très rarement de destructions et il n’y avait presque pas de cas de constructions neuves. L’ordonnance de Jean sans Peur allait développer les travaux dans les châteaux, cependant, trésoriers et châtelains n’avaient pas toujours attendu les ordres du comte pour effectuer des réparations s’avérant souvent nécessaires. Le bailli donnait l’autorisation de faire des travaux, toutefois certaines mentions donnent à penser que plusieurs se réalisaient dans l’urgence, surtout concernant les bâtiments « publics », même si les châteaux n’étaient pas épargnés. Par exemple, les sources mentionnent des travaux réalisés dans la précipitation au château de Bracon en 1410, en raison de rumeurs persistantes au sujet de la venue du comte de Tonnerre accompagné de plusieurs gens d’armes8. On répara et fortifia le château nuit et jour « pour le defendre seurement et faire pluseurs barrieres, paliz, clousons, barbacanes ». Quelques expressions prises au hasard montrent à quel point les travaux se faisaient fréquemment dans l’urgence : « estoient en peril d’estre rompuz », « en ruyne, pourry et gasté », « estoit cheu ». Le trésorier indiquait par-là des travaux devenus inévitables. Mais cela faisait également office de justificatif car sans ces remarques peut-être excessives, difficile de le savoir, il y avait un risque de refus de la part de la Chambre des comptes. En dehors du bailli, le maître d’ouvrage du comte déterminait également la nécessité de réaliser des réfections, mais uniquement dans le cas de travaux effectués dans les forteresses. La saunerie de Salins n’est pas traitée ici, les travaux financés par l’ensemble des « parsonniers » faisaient l’objet de comptabilités spécifiques. Quant à la gruerie, la présence ponctuelle de dépenses dans les sorties d’argent destinées aux travaux portait essentiellement sur des empoissonnements d’étangs9. Dans le bailliage d’Aval, les receveurs prenaient souvent les travaux à leur charge. Ils fournissaient un cahier détaillant toutes les opérations effectuées ainsi que leur montant. Le trésorier de Dole reportait seulement la dépense totale dans son registre, nous privant de détails intéressants10. Dans le bailliage d’Amont, les prévôts avançaient le plus souvent l’argent des travaux, déduisant ensuite les sommes dépensées du montant de la ferme. La même démarche pouvait également 5 6 7

Principalement des arbalètes. Il pouvait parfois simplement s’agir de la maison qui les contenait. Ces maisons se situaient principalement dans les villes, ailleurs les « garnisons » étaient gardées dans les châteaux. 8 ADCO, B 3353, fol. 8. 9 Nous n’avons pas intégré ces dépenses dans les travaux. Il s’agissait principalement de l’alevinage de l’étang de Montjustin. A.D., 1B101, fol. 41. 10 Cependant, il faut souligner qu’au fil des années, les dépenses étaient de plus en plus détaillées.

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Les travaux  |  Chapitre 6

être utilisée pour les fermiers détenant un moulin, un four : ils assuraient les réparations et le montant de leur ferme diminuait proportionnellement aux dépenses effectuées. Certaines dépenses se trouvaient dans ce chapitre des travaux bien que n’ayant pas vraiment de rapport, peut-être parce qu’il s’agissait d’activités publiques. Il y eut le cas de l’achat d’un « fleal » : balance servant à la pesée des marchandises ou encore d’un récipient servant à l’éminage, utilisé lors des mesures où l’on prélevait une portion de grains comme redevance11. D’autres dépenses, placées dans le chapitre « ouvrages » des registres de comptes, n’y avaient pas non plus leur place12 : dans certaines châtellenies, le trésorier rémunérait des hommes chargés de garder les foires13 tandis que dans d’autres, certains officiers percevaient un salaire pour « jetter » les tailles14. Ces sommes, s’élevant à quelques sous, se retrouvaient chaque année avec les mêmes montants et concernaient exclusivement le bailliage d’Aval. On ne comprend pas bien la raison de leur présence dans ce chapitre plutôt que dans celui de « dépenses communes ». B. Les préalables Une fois les travaux décidés, il fallait les réaliser, on retrouve alors toujours à peu près les mêmes modalités. La première préoccupation des officiers comtaux était de trouver à qui confier les travaux. Le principe équivalait à un appel d’offre : les ouvrages à effectuer se criaient sur les marchés, en général trois fois comme lors des ventes aux enchères, afin qu’un maximum de personnes soit au courant. Celui proposant le meilleur prix, le plus bas, obtenait le marché : la personne chargée de financer les travaux ou son représentant choisissait « lequel marché, apres ce qu’il fut crié sollenepment es lieux et manieres acoustumées en tel cas, li demoura et encheut comme a celui qui par le moindre pris le voulsit faire »15. Une seule mention dans les sources disponibles soulignait la difficulté de trouver des ouvriers pour réparer les moulins et batteurs de Montbozon en 141816. Il fallut rémunérer deux sergents qui mirent six jours « a cerchier et faire venir a tres grande peine » les ouvriers indispensables à la bonne marche des ouvrages. Les termes du marché passé entre l’officier et l’artisan se révèlent de deux types : soit un contrat à la tâche et payé en fonction du travail réalisé, soit à la journée, un tarif étant alors fixé. Ce dernier cas, plus rare, concernait plutôt des ouvriers non qualifiés. Les différences de salaires pouvaient être importantes : par exemple, un « recouvreur » était payé 3 sous par jour tandis que le simple brassier employé à l’aider touchait seulement 18 deniers17. Certaines indications démontrent que l’embauche des ouvriers de bras devait se faire en priorité dans la châtellenie. Sinon, on les qualifiait d’ouvriers étrangers et leur salaire était plus faible18. 11 12 13 14 15

Ce ne sont là que quelques exemples. Elles ne sont d’ailleurs pas intégrées dans l’étude chiffrée qui va suivre. À La Châtelaine, à Montmorot. À Voiteur, le prévôt et des sergents sont rémunérés. À Rochefort aussi, pour « geter » les cens. ADCO, B 4685, fol. 34. Nous sommes en milieu rural et les comparaisons sont difficiles car les études portent plutôt sur les chantiers urbains. Dans ce cas, la réalité quotidienne du salaire se définissait par un jeu de force entre la loi de l’offre et de la demande sur le chantier et dans la région mais aussi les qualités de l’artisan, sa force, son expérience. Dans l’échelle des salaires, au plus bas se situaient les femmes. P. Braustein, Travail et entreprise au Moyen Âge, Paris, 2003, p. 409-414. Ici, nous avons surtout affaire à des salaires fixés. 16 ADCO, B 1596, fol. 50. 17 Les femmes étaient fréquemment embauchées puisque payées moitié moins que les hommes, un peu moins souvent on rencontrait des enfants. 18 Par exemple dans le bailliage d’Aval en 1414, ADCO, B 1579, fol. 154 : pour des travaux dans la châtellenie de Poligny, les ouvriers qualifiés d’étrangers venaient de Chamole (dép. Jura, arr.

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Deuxième partie  |  Les dépenses

Au début de la période, principalement dans le bailliage d’Amont et la seigneurie de Faucogney, en plus du prix établi par marchandage, un forfait de 12 deniers par livre versée s’ajoutait pour la « forge des aisements ». Ce montant, toujours identique, correspondait certainement aux frais de nourriture. Dans d’autres cas, le salaire comprenait « les despens », plutôt à la fin de la période et cette fois dans le bailliage d’Aval. Une partie du tarif établi lors du marché comprenait donc les dépenses de nourriture, sorte de défraiement intégré au salaire final. Il arrivait aussi, rarement, qu’en plus de l’argent, l’ouvrier reçoive des céréales, le poids obtenu faisant partie du marché19. Au fil des années, le travail à effectuer et les défraiements paraissent avoir été réunis, le travailleur touchant un salaire global. Le contenu du marché apportait des précisions, principalement concernant la fourniture des matériaux et leur transport. L’ensemble, toujours « aux missions de mondit seigneur » lorsqu’il s’agissait de bois ou de pierres, provenait essentiellement des forêts comtales et de « perrières » appartenant également au comte. Il fallait rémunérer les bûcherons coupant les arbres et les « perriers » extrayant les pierres des carrières et, parfois, les taillant. Les matières premières employées étaient évidemment caractéristiques de la période. On construisait les murs en pierres et on les cimentait à l’aide d’un mortier composé d’un mélange de chaux et de sable, l’obtention de chaux, travail long, demandait beaucoup de soin. Le bois, autre matériau de base utilisé dans la construction, comprenait comme essences principales les résineux et les chênes20. Les arbres, en général écorcés avant d’être abattus, se coupaient plutôt en hiver, avant la montée de sève. Les couvreurs utilisaient plusieurs types de matériaux, la lave apparaissant le plus employé : soit scellée au mortier, soit fixée sur des lattes à l’aide d’un clou de fer forgé. L’utilisation de la tuile semblait plus rare excepté s’il existait une tuilerie dans les environs. La tuile plate, préférée dans nos régions, était plus adaptée aux toitures en pente élevée, destinées à mieux évacuer l’eau de pluie. Les tuiles se clouaient sur des chevrons, les couvreurs ajoutant souvent au bas du versant de la toiture une « chanlatte » : pièce de bois triangulaire relevant le dernier rang de tuiles et empêchant le ruissellement d’eau de pluie sur la façade. Enfin, le bardeau ou tavaillon, petite tuile en bois, se fixait à l’aide d’un clou comme la lave21. Il ne devait pas être scié afin que le fil du bois reste intact et empêche l’imprégnation de l’eau. Il fallait le poser bien sec pour éviter toute déformation ultérieure avec l’extrémité taillée en biseau afin d’éviter la prise au vent. Ce matériau de couverture présentait beaucoup d’avantages : léger, facile à couper, il pouvait être posé sur de fortes pentes, enfin, il était solide et sa durée de vie moyenne était d’un siècle22. Comme les travaux portaient principalement sur des réfections ou des rénovations, on récupérait les anciens matériaux dans la mesure du possible, cela faisait d’ailleurs partie du marché : l’ouvrier devait réutiliser prioritairement l’ancienne lave ou les vieilles tuiles et les pierres. Le bois s’avérait, quant à lui, plus rarement récupérable. Son obtention nécessitait plusieurs phases de transformation : de la bille de bois abattue, débranchée, Lons-le-Saunier, arr. Poligny) et Beauchemin (non localisé), villages proches de la ville, payés 10 engrognes par jour « seulement » dit le scribe. 19 Plus rarement, le salaire comprenait du vin et une seule fois, dans la seigneurie de Faucogney, une robe. 20 Sur l’importance du bois dans les constructions, voir Le bois dans le château de pierre au Moyen Âge, colloque de Lons-le-Saunier 23-25 octobre 1997, J.-M. Poisson et J.-J. Schwien (dir.), Besançon, 2003 ou J. Theurot, « Le bois dans la construction en pays dolois au xive siècle dans les châtellenies de Dole, Gevry, La Loye, Rochefort, Montmirey, Fraisans d’après la documentation comptable », SEJ, 2002, p. 57-92. 21 Le trou était percé à l’aide d’une petite tige en fer rougie au feu. 22 T. Hatot, Bâtisseurs au Moyen Âge, une abbaye romane, Boscodon, Clermont Ferrand, 2001.

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Les travaux  |  Chapitre 6

convertie en poutres, en planches, en lattes ou en matériaux plus petits comme les tavaillons. Le maçon avait lui, besoin de divers matériaux bruts pour fabriquer son mortier. Il arrivait qu’il récupère le sable des vieilles maçonneries en le tamisant, mais cela s’avère assez rare23, la plupart du temps, il venait des rivières voisines. La chaux, également indispensable, pouvait s’acheter à un particulier possédant un four à chaux ou provenait de « raffour » appartenant au domaine, plus nombreux dans le bailliage d’Aval que dans celui d’Amont. Les artisans travaillant le fer, les maréchaux et les serruriers, réutilisaient systématiquement les anciens métaux, le marché précisant la matière première susceptible de manquer, le maréchal se chargeant alors toujours de la fournir. Une fois déterminés les matériaux nécessaires aux travaux, il fallait les livrer « en place ». Le transport, toujours à la charge du comte, était rémunéré en fonction de l’importance des véhicules, à deux ou trois chevaux et du nombre de voyages effectués. Un ouvrier de bras accompagnait fréquemment le charretier, l’aidant à charger et décharger les matériaux, toujours payé à la journée. Le plus systématiquement possible, les officiers recouraient aux corvéables. La corvée dite de « charroi », encore très présente, coûtait peu d’argent car on se contentait de fournir du pain aux charretiers, plus rarement on leur donnait aussi du vin. À Faucogney, où les travaux pour la réfection du château prirent beaucoup de temps, on nourrissait les corvéables de façon plus complète avec un potage. Ici, il arrivait que le travail ne se limite pas aux transports : par exemple des corvéables participèrent à l’élaboration des fondations d’un mur. Parfois, on avait recours à de non corvéables pour des travaux gratuits. À Faucogney encore, certains hommes « qui n’étaient point à monseigneur » avaient transporté « de courtoisie » les matières premières nécessaires aux travaux du château. Dans le bailliage d’Amont, plusieurs habitants des « Haberges » du château de Vesoul se réunirent pour aider à installer planches et poutres dans la forteresse. On leur fournissait le pain et le vin comme aux corvéables. On peut s’interroger sur la spontanéité de cette aide gratuite. La matière première à leur disposition, les ouvriers pouvaient commencer les travaux. Parfois, certaines préparations s’avéraient nécessaires, comme la fabrication d’outils spéciaux financés par les agents comtaux. Il pouvait s’agir d’objets d’importance moyenne comme des « branquars » pour transporter la chaux ou un tombereau en sapin pour fabriquer le mortier. Plus fréquemment, il fallait construire des échafaudages constitués de pieux, de perches, de clous, utilisés soit par les maçons, soit par les charpentiers24. En 1408, une maison construite à Quingey nécessita la création d’un échafaudage montant « jusque plus haut de la maconnerie » afin de porter les pierres et le mortier25 car il n’y avait pas « d’engin ». Ces derniers, plutôt utilisés pour porter tous les matériaux lourds, pouvaient aussi être employés à soulever une charpente. En règle générale, les ouvriers possédaient leurs propres engins ou certains châteaux les conservaient en cas de besoin. Mais parfois, il fallait en construire un neuf. La fabrication d’un engin marchandée par le lieutenant du trésorier auprès de deux charpentiers de Montrond devait être : tout quarrey, ouquel aura 4 colonnes, chascune colonne d’un pié le compte de gros et 15 pié d’hault, garni de seules, bras, racines, saublieres, garni d’une rouhe, laquelle sera dedans les colonnes pour monter pierres et bois. Y mettre une baiche de 46 pié d’hault et la rendre toute asseniz et mis et assis en la place où l’on veult encommancier a fonder la tour. 23 Encore plus rarement, nous avons la mention de récupération de vieilles tuiles que l’on battait en gros mortier pour faire du ciment et du plâtre. 24 Voir A. Baud et al., L’échafaudage dans le chantier médiéval, Lyon, 1996. 25 ADCO, B 1555, fol. 129.

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Deuxième partie  |  Les dépenses

Cela correspondait à un système de treuil avec un écureuil à l’intérieur26. Tout était enfin prêt pour que les travaux puissent débuter. Une dernière formalité, finale cette fois, consistait en l’inspection des ouvrages une fois terminés. Un officier ou un notable27 vérifiait que les termes du marché avaient bien été appliqués, produisant alors un certificat de conformité. Le trésorier réclamait aussi les quittances rendues par les ouvriers pour chaque somme versée en salaire. La Chambre des comptes n’acceptait la prise en charge de toutes les dépenses qu’après consultation de l’ensemble des documents. 2. Coûts des travaux A. Bailliage d’Aval Deux comptes s’avèrent incomplets pour les dépenses de travaux : 1408 a perdu cinquante feuillets28, il manque donc les dépenses effectuées à Colonne, Ornans et Pontarlier29. Le même problème se pose en 141630 pour les mêmes châtellenies de Colonne, Ornans et Pontarlier. Les dépenses indéterminées, uniquement présentes dans ce bailliage, correspondaient aux châtellenies où le receveur prenait en charge les travaux, faisant un rapport détaillé au trésorier : les « menus parties », l’agent comptable ne jugeant pas utile d’en reporter le contenu dans ses registres. Seul le montant total était précisé avec indication que des « reparacions et maintenemens necessaires » avaient été effectués dans le château, les moulins, fours et autres bâtiments du lieu. Cette situation apparait plus fréquente au début de la période qu’à la fin. Les sommes des travaux indéterminés se révèlent élevées lorsque plusieurs châtellenies étaient concernées31. À la fin de la période la situation eut tendance à devenir plus exceptionnelle, démontrant une évolution dans la prise en compte détaillée de ces dépenses. Les sommes allouées aux rénovations s’avéraient notables car le comte possédait de nombreux villages. Bien que des travaux aient déjà été effectués dans les châteaux en 1405, il apparaît que l’ordonnance de Jean sans Peur de 1408, encourageant la réfection des forteresses, avait porté ses fruits. Exceptée l’année 1414 où les ouvrages dans les châteaux furent encore importants, ensuite, ils eurent plutôt tendance à décliner. En revanche la réfection des autres bâtiments prit progressivement de l’ampleur, concernant principalement les constructions « publiques ». En 1418, on rénova la « volte » de pierre où était stocké le vin comtal pour, dessus, construire une maison, augmentant donc les dépenses de façon substantielle.

26 Ibid., fol. 148, travaux effectués au château de Valempoulières : tambour dans lequel marchaient des hommes pour augmenter la puissance de traction. Cela pouvait lever des charges allant jusqu’à 500 ou 1 000 kg. 27 Un notaire, un lieutenant, un sergent, un châtelain, le maître d’ouvrages. 28 ADCO, B 1555, fol. 50 à 100. 29 Colonne et Ornans n’avaient pas de château et la tour où vivait le châtelain de Pontarlier fut rénovée en 1419, ce qui incite à penser que les dépenses manquantes étaient de faible valeur. 30 ADCO, B 1586, il manque seulement quatre feuillets. 31 Même si pour chaque châtellenie le total dépensé était modique.

230

Les travaux  |  Chapitre 6

Graphique 54 : Travaux et réfections dans le bailliage d’Aval (1405-1419). Châteaux. Autres bâtiments. Indéterminé. Vignes. 1600 1400

Francs

1200 1000 800 600 400 200 19

18

14

17

14

16

14

15

14

14

14

13

14

12

14

11

14

10

14

09

14

08

14

07

14

06

14

14

14

05

0

Années

Enfin, le travail de la vigne jouait un rôle important dans les sorties d’argent. Quelques-unes exploitées en faire valoir direct nécessitaient des interventions tout au long de l’année. Même en cas de contrat à partage, plusieurs frais restaient à la charge du comte : l’entretien, le nettoyage des récipients destinés à contenir le vin, les vendanges et tous les travaux postérieurs à la récolte. L’évolution des dépenses liées à la vigne apparait irrégulière mais semblait plutôt à la hausse. B. Bailliage d’Amont Le compte de 1405 est incomplet, il manque quelques feuillets au milieu, incluant le début du chapitre portant sur les travaux32. Les dépenses issues des réfections dans le nord étaient à peu près dix fois inférieures à celles du bailliage voisin. Pourtant de nombreux ouvrages avaient été réalisés. Les dépenses de rénovation de châteaux en 1408, liées à l’ordonnance de Jean sans Peur, se retrouvent dans le bailliage d’Amont, les agents en profitant d’ailleurs abondamment pour rénover aussi l’intérieur des forteresses. Les autres bâtiments bénéficièrent également de réparations mais les montants alloués, très irréguliers, s’avéraient parfois très faibles. En 1409, on dépensa seulement 1 franc 10 gros et l’année suivante 1 franc 6 gros33. La somme élevée de 1413 correspondait à la réfection des halles de Vesoul. L’importance des dépenses destinées à l’exploitation des vignes apparait comme une des caractéristiques du bailliage d’Amont, en particulier les années 1410 et 1413.

32 ADD, 1B101. Il en manque cependant très peu, nous détenons la fin des travaux effectués à Jussey, châtellenie classée la première dans les comptes d’Amont. 33 Il faut faire attention, le compte de 1409 comptait quatorze mois (ADCO, B 1557), alors que celui de 1410 ne portait que sur trois mois (ADCO, B 1561).

231

Deuxième partie  |  Les dépenses

Graphique 55 : Travaux et réfections dans le bailliage d’Amont (1405-1419).

1419

1418

1417

1416

1415

1414

1413

1412

1411

1410

1409

1408

1407

1406

160 140 120 100 80 60 40 20 0 1405

Francs

Châteaux. Autres bâtiments. Vignes.

Années

C. Faucogney et Bracon Les recettes particulières apparaissent différentes. Dans la seigneurie de Faucogney, les sommes engagées s’avéraient parfois plus élevées que dans le bailliage d’Amont. L’année 1410, divisée en deux comptes, a été réunie34. Les années 1406, 1413, 1414 et de 1416 à 1419 comptabilisaient exclusivement des frais d’exploitation des vignes. Pourtant, des ouvrages avaient bien été réalisés mais les sorties d’argent de 1406 furent adjointes aux dépenses de l’année suivante. Les travaux de 1413 et 1414 furent tous comptabilisés en 1415 où cependant, les sommes engagées n’apparaissaient pas exceptionnelles, sous entendant des dépenses minimes. Les dernières années de la période comportaient la même indication à chaque fois : le report au compte suivant. Rien ne fut comptabilisé avant la fin de 1419, mais il paraît vraisemblable qu’aucune rénovation importante n’avait été vraiment effectuée. Les dépenses destinées à la réfection du château de Faucogney commencèrent dès 1407 mais ne furent réellement importantes qu’en 1410, se poursuivant en 1411. Les sommes allouées à la rénovation des autres bâtiments, élevées en 1407, correspondaient à de multiples travaux engagés dans les halles, les moulins, les fours, la maison où logeait le receveur. Enfin, contrairement aux deux bailliages voisins, les dépenses liées à l’exploitation de la vigne restèrent relativement stables, mais de faible importance.

Graphique 56 : Travaux et réfections dans la seigneurie de Faucogney (1406-1419).

350 300 250 200 150 100 50 0 14 06 14 07 14 08 14 09 14 10 14 11 14 12 14 13 14 14 14 15 14 16 14 17 14 18 14 19

Francs

Châteaux. Autres bâtiments. Vignes.

Années 34 ADCO, B 4688.

232

Les travaux  |  Chapitre 6

Un nombre de données important existe pour la châtellenie de Bracon35.

Graphique 57 : Travaux et réfections dans la châtellenie de Bracon (1406-1419). Châteaux. Autres bâtiments. Vignes. 60

Francs

50 40 30 20 10

19

18

14

17

14

16

14

15

14

14

14

13

14

12

14

11

14

10

14

09

14

08

14

07

14

14

14

06

0

Années

Un problème se pose à partir de 1416 où les montants apparaissent très différents des années précédentes. En fait, les dépenses réalisées dans les vignes ou les réfections de bâtiments autres que le château furent toutes refusées par la Chambre des comptes. En 1417, elle accepta uniquement les frais liés à la vigne : 9 gros. En 1418, aucune dépense ne fut acceptée, puis, en 1419, seul l’entretien des vignes trouva grâce aux yeux des gens des comptes. Majoritairement, les refus découlaient de l’absence de justificatifs. Les montants dépensés se révèlent peu importants, difficilement comparables à ceux évoqués précédemment. Étonnamment, 1408 fut l’année des plus faibles dépenses de réfection de châteaux et en 1409 aucune somme ne fut engagée dans ce but. Tous les ans, l’entretien de la fontaine de Bracon générait des frais. Excepté ce cas particulier, les bâtiments rénovés apparaissent similaires au reste du comté. L’année 1409 comporte la somme la plus élevée uniquement en raison d’un nombre élevé de travaux. Les dépenses pour les vignes, réellement dérisoires, atteignaient au maximum 3 francs 10 gros en 1414, avoisinant plus souvent 2 francs. 3. La vigne, une activité particulière On sait qu’au Moyen Âge, la vigne était présente partout, y compris dans des endroits peu propices à ce genre de culture. Le vignoble avait atteint sa plus forte densité en même temps que la démographie, la deuxième moitié du xive siècle montrant ensuite des friches, vignes en désert36. Sur l’ensemble du comté, les vignes domaniales se localisaient surtout dans le bailliage d’Aval, mais il en existait également dans le reste de la région. Le vignoble s’était développé au xiiie siècle en comté avec Arbois et Dole 35 Les deux comptes composant l’année 1411 ont été réunis : ADCO, B 3353. 36 M. Le Méné, « Le vignoble français à la fin du Moyen Âge », in Le vigneron, la viticulture et la vinification en Europe occidentale, au Moyen Âge et à l’époque moderne, onzième journées d’histoire de l’abbaye de Flaran, Auch, 1991, p. 189-205.

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Deuxième partie  |  Les dépenses

comme centres principaux, la protection et l’encouragement des ducs de Bourgogne y avaient contribué37. Le mode d’exploitation va retenir principalement notre attention ici, car il détermine le nombre et le type de frais. A. Les différents modes d’exploitation On peut regrouper les différentes situations en trois grands ensembles. Tout d’abord, les prélèvements de dîmes ou de redevances en vin suscitaient des dépenses mais dans ces cas les frais d’exploitation des vignes ne relevaient pas du trésorier domanial. Les situations étaient malgré tout diverses en fonction des lieux : à Ornans, le vin des dîmes nécessitait la rémunération des personnes chargées de lever la redevance, d’en faire les mesures, des tonneliers qui entretenaient les récipients chargés de contenir le vin ; à Chariez, dans le bailliage d’Amont, s’y ajoutait un sergent surveillant la bonne menée des opérations. Pourtant à Vaivre, Poligny ou Faucogney, on ne salariait guère que des tonneliers38, on peut imaginer que les producteurs de vin étaient tenus de l’amener eux-mêmes. Les redevances autres que la dîme levées sur les produits de la vigne s’avéraient plus rares. À Dole, les quarts et les cinquièmes prélevés à Champvans et Sampans étaient amodiés à deux fermiers qui apportaient le vin obtenu, les seules dépenses portant donc sur son stockage. Les vignes à partage constituaient le deuxième ensemble. Généralement, ce type d’exploitation signifiait qu’une vigne appartenant au comte était laissée aux mains d’un exploitant qui se chargeait de tous les travaux nécessaires. Lors de la récolte, une partie revenait au propriétaire39. Mais au moment des vendanges, les situations se diversifiaient. Dans les vignes à partage d’Arbois, les agents du comte levaient la part prévue lors du contrat, se contentant de prendre le raisin déjà vendangé. Dans la châtellenie de Bracon une vigne surnommée la « vigne aux chiens », cédée à un exploitant contre un tiers de la récolte donnait apparemment du vin déjà transformé car aucune dépense, ni de vendange, ni de foulage, de pressage ou autre n’était enregistrée. Dans la seigneurie de Faucogney, les vignes de Montigny étaient laissées à partage à sept exploitants différents, la moitié des fruits devant revenir au comte mais le contrat ne comprenait pas la vendange de la part revenant au domaine, le travail étant laissé sans doute à des corvéables, si nombreux dans cette partie du comté40. En fait, la majeure partie des vignes à partage comptait des dépenses pour les vendanges41, la seule différence étant la part de fruits revenant au propriétaire. Dans le bailliage d’Aval, plusieurs vignes à partage se localisaient à Nevy42. À Poligny, elles étaient « laissées à tousjours » à plusieurs personnes en échange du sixième des fruits à prendre au temps des vendanges. La proportion prélevée n’était pas indiquée pour les vignes de Toulouse et de Rochefort où était précisé que seule la partie du comte se vendangeait à ses frais. Enfin, un tiers de 37 J. Verdon, Boire…op. cit., p. 108. D’ailleurs, les vins d’Arbois, Poligny et Blandans avaient été utilisés, au même titre que ceux de Beaune, pour le mariage du futur Jean sans Peur à Cambrai en 1385. 38 Dans la seigneurie de Faucogney, une dîme du vin levée à Dambenoit ne faisait même l’objet d’aucune dépense. 39 Le complant était souvent utilisé pour remettre en culture des terres en friches, plus rapide que les champs, la reconstruction était encouragée par des mesures d’incitation. M. Le Méné, « Le vignoble français… » art. cit. 40 On peut avancer cette hypothèse car pour l’autre vigne de la seigneurie, à Dambenoit, exploitée en faire valoir direct, tous les travaux étaient comptabilisés en dépenses, hormis les vendanges : seule solution à envisager, la corvée, d’autant que des officiers étaient rémunérés pour plusieurs jours passés sur place pour surveiller la récolte. 41 Les comptes parlaient plutôt de « recueilleurs » des partages. 42 Nevy-sur-Seille, dép. Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Voiteur.

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Les travaux  |  Chapitre 6

la production des vignes de Thoraise revenait au domaine. Une fois le raisin obtenu, les dépenses devenaient similaires. Il fallait transformer le raisin en vin : « fouler, truilier, embocier » et s’occuper de tous les récipients chargés de la conservation. Les tonneliers apparaissent très sollicités juste avant les vendanges car il était rare qu’aucun « vaissaux » ou « quehues » n’ait besoin de réparation. Le dernier cas concerne les vignes exploitées en faire valoir direct. Peu nombreuses, leur entretien complet nécessitait un nombre important d’interventions. S’ajoutaient aux dépenses présentes pour les vignes à partage toutes les opérations précédant la transformation et le stockage. Il fallait également rémunérer un « closier » : gardien des vignes. Dans le bailliage d’Aval, les seules vignes exploitées en faire valoir direct se situaient à Blandans, dans le bailliage d’Amont, une seule, localisée sous le château de Vesoul, s’appelait vigne de Faucogney43. Les deux vignes de Dambenoit : la vigne « Dessus colombe » et la vigne « Dessus la ville », faisaient exception. Là, toutes les opérations précédant les vendanges entraînaient des dépenses ainsi que l’entretien des tonneaux et la rémunération d’un gardien, pourtant rien n’était dépensé pour les vendanges ou la transformation, opérations vraisemblablement effectuées par des corvéables. Cette pratique paraît bien attestée ici, le receveur notant les dépenses effectuées en nature et plus particulièrement en seigle avec lequel on réalisait des pains pour nourrir les corvéables ayant transporté le raisin44. D’autres vignes citées dans les comptes de trésorier n’indiquaient pas clairement le mode d’exploitation. Par exemple, dans le bailliage d’Aval, du vin se prélevait à Montmorot dans les vignes du comte qui détenait également deux parts dans l’exploitation d’un dénommé maître Jean. Mais aucune dépense ne fut jamais enregistrée pour l’ensemble. Plus exceptionnellement, dans le bailliage d’Amont, cinquante ouvrées de vignes localisées sous le château de Châtillon ne trouvèrent pas d’acquéreur lors de leur amodiation en 140845. Du vin fut pourtant comptabilisé en recette sans qu’aucune dépense ne soit notifiée, on ne sait pas comment il fut obtenu. B. L’entretien de la vigne Les nombreuses opérations d’entretien de la vigne sont présentées brièvement précisant la période approximative où elles s’effectuaient46. Tout d’abord, il fallait acheter de nouveaux pieux, de nouvelles perches sur lesquels allait venir s’accrocher la vigne. À Blandans, on en acquérait chaque année quatre à cinq douzaines au tarif de 12 francs et demi la douzaine. À Dambenoit, on se procurait 5 à 600 « faiz de paisseaulx » achetés au prix de 5 sous les cent : vraisemblablement des perches plus fines rejoignant les pieux et permettant une vigne en treille47. Dans les régions les 43 Elle appartenait au comte en raison de ses droits sur la seigneurie de Faucogney, d’où son nom. Il était plus logique que le trésorier de Vesoul en recueille les fruits et non le receveur de Faucogney, trop éloigné. 44 En fait, il y a dans les comptes de Faucogney, de longues listes du nombre de pains réalisés pour toutes les personnes faisant des corvées, cela pour tout type de travaux, pas seulement les vendanges. Jeannette des Molières était rémunérée pour faire tous ces pains, ainsi que des potages. Cependant, il est à peu près exclusivement question de transport de raisins, jamais de vendanges ou autres. Voir S. Bépoix, « La nourriture fournie aux corvéables… » art. cit. 45 ADD, 1B102, fol. 95. 46 Pour toute la période, seule la vigne de Blandans présente les époques des travaux, nous les donnons le plus largement possible car cela dépendait des années. On peut retrouver l’ensemble des travaux de la vigne dans l’iconographie, voir P. Mane, « L’iconographie du travail viticole en France et en Italie, du xiie au xve siècle », in Le vigneron, la viticulture et la vinification en Europe occidentale, au Moyen Âge et à l’époque moderne, onzième journées d’histoire de l’abbaye de Flaran, Auch, 1991, p. 9-48. 47 Cependant, à Dambenoit, aucun pieu ne fut jamais acheté.

235

Deuxième partie  |  Les dépenses

plus septentrionales, le plantage en treillage avec une bonne exposition permettait de bénéficier de la quantité de chaleur importante nécessaire à la maturation des grains. À Blandans, en janvier, on déblayait la vigne : on cueillait les tiges ayant repoussé un peu anarchiquement après les vendanges et on les conservait pour les utiliser comme liens par la suite. À partir de 1414, elles ne suffirent plus, contraignant à en acheter : des « faiz d’avans » à 15 engrognes pièce48. Fin février, début mars, débutait la taille de la vigne. À Dambenoit, les ouvriers commençaient par enlever l’ancien système de palissage avant d’effectuer cette opération. Le travail réalisé ensuite, début mars, consistait à « essermenter » c’est-à-dire éradiquer les sarments excédentaires pour permettre à la vigne de fructifier. Il y avait deux opérations distinctes, une deuxième taille consistant à compléter ou corriger la première pendant la période de fructification. À Blandans, seules des femmes effectuaient le travail sur les sarments tandis que des ouvriers se chargeaient de réunir les sarments coupés « qui estoient par monceaulx par dedans la vigne et le porter hors d’icelle ». À Vesoul, après la taille, la vigne était « treillicé » puis seulement « essermenté » alors qu’à Dambenoit, le palissage s’effectuait après que les sarments aient été taillés. Fin mars, début avril, on liait la vigne à ses supports, puis commençaient les opérations de bêchage autour des pieds consistant à déchausser puis recouvrir à nouveau les pieds de vigne, en général deux fois au cours de l’hiver, exceptionnellement trois fois49. À Blandans, selon les années, le « premier cop » se faisait fin mars ou en avril, voire en mai et le deuxième en juillet, août. À Dambenoit, on bêchait le vignoble trois fois. Entre le premier et le deuxième coup de bêche à Blandans, des « effeuilleurs abourgeonner la vigne la ou besoin estoit », à Vesoul, elle était « essourcellée ». On enlevait les pousses consommant la sève qui ne donneraient vraisemblablement pas de fruits et on ôtait les feuilles excédentaires empêchant les grappes de recevoir le soleil. Une dernière opération de moindre importance s’effectuait à Dambenoit avant les vendanges : « rebrassier et redressier » les vignes. Toutes ces opérations avaient bien sûr un coût, différent selon les vignes exploitées car leur importance s’avérait diverse. Trois ensembles permettent une représentation graphique grâce aux données qui nous sont parvenues. Les dépenses variaient peu, l’entretien de Blandans s’avérant le plus coûteux. Dans ce village, comme à Vesoul, les travaux s’effectuaient sur une seule vigne tandis qu’à Dambenoit, l’exploitation portait sur deux parcelles : la vigne « Dessus colombe » et la vigne « Dessus la ville », leur production étant pourtant inférieure à celle de Vesoul et de Blandans. Une comparaison est possible en choisissant deux années de production, une bonne et une nettement moins productive, afin d’avoir un ordre d’idée sur leur importance respective. Les productions de Blandans et Vesoul apparaissent à peu près comparables, tandis qu’à Dambenoit les vignes donnaient moins de vin. Pourtant, les frais d’entretien de Vesoul se révèlent très proches de Dambenoit.

48 Dans le Lyonnais voisin, l’exploitant devait planter des échalas et l’échalassage représentait la dépense la plus coûteuse, un tiers des frais d’exploitation. M.-T. Lorcin, Les campagnes de la région lyonnaise… op. cit., p. 62. Les modes de culture paraissent donc un peu différents. 49 Ibid., p. 59. En Région Parisienne, cela se pratiquait régulièrement trois fois et dans le Bordelais, quatre fois.

236

Les travaux  |  Chapitre 6

Graphique 58 : Dépenses pour l’entretien des vignes comtales (1405-1419). Vigne de Blandans. Vigne de Vesoul. Vignes de Dambenoit. 120

Francs

100 80 60 40 20 1419

1418

1417

1416

1415

1414

1413

1412

1411

1410

1409

1408

1407

1405

1406

0

Années

Tableau 66 : Production de vin des vignes exploitées en faire valoir direct à Blandans, Vesoul et Dambenoit en 1408 et en 1419. Blandans

Dambenoit

Vesoul

1408

5 muids

4 muids

6 muids

1419

24 muids

12 muids 1/2

24 muids 3 tines

Le recours aux enchères pour la totalité des travaux expliquait vraisemblablement les faibles dépenses engagées à Vesoul. Au montant global s’ajoutaient quelques menus frais : une personne surveillait le travail des ouvriers pour 1 gros par jour, en fonction des années durant six à vingt jours. De plus, la vigne de Faucogney se trouvait le long du grand chemin, il se révélait nécessaire de la clôturer afin de la protéger des animaux et des hommes. Le coût des travaux utilisant « paulx, verges, espines » ne dépassait jamais 5 ou 6 gros. Contrairement à celle de Vesoul, les vignes de Dambenoit et de Blandans étaient exploitées par des journaliers dont le nombre variait. À Dambenoit, les dépenses évoluèrent peu. Dans la seigneurie de Faucogney, tous les hommes entretenant les vignes furent invariablement payés 15 deniers par jour jusqu’en 141150. À partir de 1413 apparut une distinction : le tarif normal demeurait de 15 deniers mais les ouvriers redressant les vignes avant les vendanges ne recevaient plus que 13 deniers obole par jour, ce salaire plus faible perdurant jusqu’à la fin de la période51. En 1419, on relève une légère augmentation des dépenses car les journaliers à 13 deniers et demi percevaient à nouveau 15 deniers par jour, les autres touchant dorénavant 18 deniers52. Autre fait intéressant, malgré les écarts importants de production relevés ci-dessus, le nombre d’ouvriers embauchés restait relativement stable. À Blandans, au début, une majorité d’ouvriers percevait le même salaire qu’à Dambenoit : 10 engrognes par jour. La coupe des sarments, effectuée par des femmes, n’était payée que 6 engrognes. D’autres travaux apparaissent mieux rémunérés : les lieurs, les bêcheurs et les effeuilleurs percevaient 1 gros par jour. Enfin, le gardien des travaux et des vignes, officier 50 L’équivalent de 10 engrognes. 51 ADCO, B 4689, fol. 39. 52 ADCO, B 4695, fol. 37.

237

Deuxième partie  |  Les dépenses

comtal nommé, était rétribué en fonction du nombre de jours passés sur le terrain53, au salaire de 1 gros par jour. Il surveillait tous les travaux et on ne sait pas dans quelle mesure il n’intervenait pas lui-même dans l’entretien de la vigne si le besoin s’en faisait sentir. Son salaire journalier ne varia jamais, pas plus que celui des bêcheurs et des effeuilleurs. Entre 1413 et 1415, le salaire des femmes tomba à 5 engrognes par jour, mais en 1416, il revenait au montant initial de 6 engrognes. Les lieurs avaient le salaire le plus variable, oscillant entre 10 engrognes et 1 gros sans qu’aucun des tarifs ne soit parvenu à s’imposer tout à fait54. En 1413, les ouvriers originaires de la région de Blandans en nombre insuffisant obligèrent au recours à « d’autres gens estrangiers », ne relevant donc pas de la châtellenie comtale. Il n’y eut cependant pas de réelle incidence sur les prix. En 1415, une sécheresse gêna le bon déroulement des opérations, durant si longtemps que le sol « estoit si dur et si fort que l’on ne pouvoit entamer ». Cette pénibilité accrue des travaux ne fit pas non plus évoluer les salaires, pourtant, ce fut l’année où les dépenses furent le plus élevées à Blandans car pour bêcher en avril et mai, il fallut embaucher beaucoup plus de monde. La hausse des coûts en 1417, comme en 1415, provenait d’une embauche accrue pour bêcher les pieds de vigne. Il apparait bien que les frais portant sur l’entretien complet des vignes avant la récolte représentaient les dépenses les plus importantes55. C. Récolte et transformation Bien entretenue, la vigne donnait des fruits qu’il fallait ensuite récolter. Pour la dernière étape de la culture de la vigne, les exemples se révèlent beaucoup plus nombreux puisque la plus grande partie des vignes à partage se vendangeaient « aux missions de monseigneur ». Écartons cependant les vignes de la seigneurie de Faucogney où ces dépenses apparaissent très faibles, quelques sous, en raison du recours aux corvéables56. À l’instar de l’entretien des vignes, les différentes étapes de la récolte et de la transformation du raisin se révèlent à peu près toujours les mêmes. Cela commençait par la remise en état des récipients destinés à recevoir du vin : « vesselz » ou « vaissaux », « quehues » ou « tynes », chacun correspondant à une contenance particulière. Les tonneliers intervenaient fréquemment à plusieurs pour « reloyé les vaissaux », c’est-à-dire rénover le cerclage. Le prix des cercles variait en fonction du diamètre, le bois utilisé n’étant jamais précisé. De l’osier maintenait le tout. Le trésorier distinguait les prix de la matière première du coût de la main d’œuvre. Il fallait ensuite nettoyer les récipients en les échaudant avec du sel57. Plus rarement, des ouvriers débarrassaient le cellier ou lavaient le pressoir. La surveillance était importante, parfois jour et nuit dans la période précédant les vendanges, cela afin d’éviter dommage ou vol. Si à Vesoul nous avons vu que se recrutait un gardien, Poligny et Blandans possédaient un « closier » chargé de la surveillance. 53 Il touchait aussi de quoi s’acheter une robe. 54 De 1405 à 1408 : 1 gros. En 1413, 1414 : 10 engrognes. 1415 : 1 gros. 1416 : 10 engrognes. 1417-1418 : 1 gros. 1419 : 10 engrognes. 55 Dans le duché voisin à vocation beaucoup plus vinicole, pour la période allant de 1364 à1384, cela représentait entre 75% et 82% de la totalité des dépenses. J. Rauzier, Finances et gestion d’une principauté…op. cit., p. 539. 56 Les dépenses portaient sur la remise en état de tonneaux, les salaires des gardiens des vignes et celui d’Hugot de Montigny qui aidait à faire le vin. Sont aussi écartées les vignes de la châtellenie de Bracon et celles d’Arbois où le contrat prévoyait la restitution du vin déjà transformé. N’étaient comptabilisés que quelques menus frais : à Arbois, inférieurs à 1 franc ; à Bracon, la remise en état des récipients entraînait des dépenses variant autour de 2 livres. 57 On trouve souvent la mention d’achat de sel.

238

Les travaux  |  Chapitre 6

Ensuite, les vendanges pouvaient commencer avec des tâches en général bien définies. Une partie des personnes présentes cueillait le raisin, on embauchait beaucoup de femmes pour ce travail. Jusqu’au xiiie siècle, l’iconographie montrait une main d’œuvre exclusivement masculine, mais postérieurement apparaissent des femmes58. Puis, il fallait porter la récolte dans des paniers jusqu’aux charrettes qui conduisaient la vendange au lieu de vinification, chaque trajet étant rémunéré. Enfin, on procédait à la transformation du raisin59. La première étape consistait à « asieschié » la vendange : fouler le raisin. Le résultat obtenu, le « jus », était mené au pressoir. Ensuite, il fallait « embocier » le liquide, c’est-à-dire le mettre en tonneaux, en utilisant un « embosseur » en bois qui devait s’apparenter à une sorte de gros entonnoir. Nous ne connaissons pas les délais existant entre chaque étape, les rémunérations portées sur les registres de comptes n’en faisant pas mention. Normalement, le passage au pressoir ne s’effectuait pas immédiatement après le foulage puisqu’il fallait une période de fermentation. À Blandans, on récupérait le marc, la matière solide restant après le passage au pressoir, qui était utilisée pour réaliser une boisson destinée aux ouvriers vendangeurs en la mélangeant avec de l’eau60. Le marc servait également d’engrais. Toutes ces étapes nécessitant une grande surveillance, des gardiens étaient recrutés ou le travail était confié au « closier ». Pour terminer, quelques dépenses annexes s’ajoutaient comme l’achat de chandelles pour éclairer les travailleurs transformant le vin, même durant la nuit, ainsi que l’acquisition de graisse pour « oindre le truil »61. Il fallait aussi acheter de la nourriture, œufs, fromage, viande, pour nourrir les travailleurs62. Le pain fourni ne représentait que des dépenses en nature car réalisé avec du froment provenant des greniers comtaux63. Afin d’évaluer les sommes dépensées pour ces différents travaux, trois vignes ont été choisies : Poligny, Blandans, et celle dite de Faucogney, située à proximité de Vesoul. Les deux dernières permettent de comparer les dépenses d’exploitation avec celles d’entretien, quant à Poligny, il s’agissait de la zone viticole la plus notable de toute la région. Les autres sont écartées en raison de leur moindre importance comme les vignes à partage de Toulouse ou de Montmirey qui, chaque année, entraînaient des dépenses avoisinant les 2 ou 3 francs. Quant aux vignes de Rochefort, la transformation en vin y avait des coûts approximativement similaires à ceux de Vesoul64. Certaines variations apparaissent relativement importantes, pouvant s’expliquer en partie par une production plus ou moins élevée en fonction des années. Mais il existait d’autres causes. Dans le cas des vignes exploitées en faire valoir direct comme la vigne de Faucogney à Vesoul ou celle de Blandans, les coûts des vendanges et de la transformation se révèlent nettement inférieurs aux dépenses d’entretien. Les frais engendrés par l’exploitation de la vigne de Faucogney variaient peu. Comparés avec le nombre de vendangeurs embauchés, on peut voir que les deux données étaient étroitement liées. 58 P. Mane, « L’iconographie du travail viticole… » art. cit. Avec une répartition des tâches, les femmes coupent et les hommes transportent. 59 Ibid. Les scènes relatives à la vinification étaient assez rares, offrant peu de diversité. Dans nos comptabilités, les opérations menées à Vesoul fournissent de nombreux détails. 60 On appelle cela du vin de deuxième cuvée, il est très médiocre. La réalisation de cette boisson était parfois confiée à des femmes qui étaient alors rémunérée. 61 Ce type de dépenses ne représentait pas des sommes importantes, quelques gros seulement. 62 On achetait des quartiers de vache, voire une vache entière pour la somme de 2 francs. S. Bépoix, « La nourriture fournie aux corvéables… » art. cit. 63 Certains salaires précisaient « despense compris » donc l’employeur n’avait pas à nourrir le salarié. 64 Douze à 16 francs.

239

Deuxième partie  |  Les dépenses

100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0

14

05 14 06 14 07 14 08 14 09 14 10 14 11 14 12 14 13 14 14 14 15 14 16 14 17 14 18 14 19

Francs

Vigne de Vesoul. Vigne de Blandans. Vignes de Poligny.

Années

Graphique 59 : Coût des vendanges et de la transformation du vin à Vesoul, Blandans et Poligny (1405-1419). Dans le tableau suivant, nous voyons qu’une seule année ne répond pas à ce critère : 1416 où il y eut moins de vendangeurs que l’année précédente pourtant les coûts furent plus élevés. Cela s’explique par les montants des salaires : payés jusque-là 6 engrognes par jour, en 1415 les vendangeurs obtinrent 9 engrognes puis, en 1416, leur rémunération s’éleva à 1 gros. Les variations de coût étaient donc principalement tributaires du nombre de vendangeurs nécessaires65.66

Tableau 67 : Dates des vendanges et nombre de vendangeurs à Vesoul entre 1405 et 1419. Dates des vendanges

Nombre de vendangeurs

1405

28 sept.

44

1408

24 sept.

50

1409

11 sept.

111

1410

27 sept.

127

1413

5 sept.

123

1415

18 sept.

1416

28 et 29 sept.

1418

6 et 7 sept.

55

1419

6 et 7 sept.

137

29 66

25

65 Nous ne connaissons malheureusement pas la durée des vendanges. Selon Marie-Thérèse Lorcin, dans le Lyonnais voisin les vendanges commençaient dans les deux premières semaines de septembre et pouvaient durer jusqu’à trois ou quatre semaines dans les paroisses les plus riches. Il est peu vraisemblable que cela ait duré aussi longtemps en comté. M.-T. Lorcin, Les campagnes de la région lyonnaise… op. cit., p. 64. 66 Lorsque les vendanges duraient deux jours, le nombre de travailleurs indiqué correspondait à l’addition des deux jours, même s’il s’agissait vraisemblablement des mêmes personnes.

240

Les travaux  |  Chapitre 6

Tableau 68 : Salaires journaliers des ouvriers viticoles à Blandans, Poligny et Vesoul au début du xve siècle.67686970 Blandans

Poligny

Vesoul

Tonneliers

2 gros 1/2 2 gros 1 gros

2 gros 1/2 2 gros 3 eng.67

2 gros

Nettoyage

1 gros

1 gros 1 gros 3 eng. 1 gros 6 eng.

Vendangeurs

Hom.Fem. Enfants 6 eng. 3 eng. 5 eng. 4 eng. 6 eng.1/2 7 eng. 8 eng. 9 eng.

Recueil des partages

6 eng. 9 eng. 1 gros 6 eng.

Hommes Femmes 1 gros 6 eng. 15 eng. 8 eng. 10 eng. 7 eng. 9 eng.

Porteurs

Hommes Femmes 1 gros 2 gros1/2 6 eng. 10 eng. 9 eng.

1 gros

Transport (cheval + valet)

1 gros 2 eng. 2 gros 1 eng. 2 gros 2 gros1/2 3 gros

5 gros 4 gros 3 gros 2 gros 6 eng.

Transport (voiture)

9 eng.

Entre 3 eng. et 2 gros

Transformation du vin

Hommes Femmes 10 eng. 8 eng. 1 gros 6 eng. 9 eng. 10 eng.

Hommes Femmes 1 gros 9 eng.68 1 gros 6 eng. 2 gros 6 eng. 15 eng. 8 eng. 9 eng. 10 eng.

Closier ou gardien

1 gros69

Payé à l’année70

9 eng./voit.

1 gros

Les salaires versés à Vesoul étaient relativement stables, sans distinction entre les hommes et les femmes alors que ces dernières se révélaient relativement nombreuses 67 68 69 70

Certains tonneliers ont des aides qui sont payés 15 ou 16 engrognes par jour. Pour le jour et la nuit. Plus 6 livres par an pour s’acheter une robe. Vingt-deux sous 6 deniers.

241

Deuxième partie  |  Les dépenses

parmi les vendangeurs. Nous avons établi une comparaison des salaires versés à tous les ouvriers viticoles entre les trois vignes dont les variations de coût apparaissent sur le graphique. Plusieurs tarifs se pratiquèrent au cours de la période, ils sont indiqués dans le tableau dessus par ordre d’apparition chronologique. Cependant, aucune évolution précise ne se dessine. Les variations apparaissant relativement faibles, l’explication de la hausse brutale des dépenses en 1414, à Blandans comme à Poligny, doit donc se chercher ailleurs. À Vesoul, il a été démontré qu’une augmentation des coûts pouvait être due au recours nécessaire à un nombre élevé d’ouvriers en raison d’une récolte abondante. À Blandans, nous ne détenons pas les dates des vendanges, on ne sait donc pas sur combien de jours elles se répartissaient. La comparaison du nombre d’ouvriers embauchés avec le coût des vendanges représenté sur la courbe montre une évolution à peu près similaire. À Poligny, les cueilleurs des partages voyaient leur nombre augmenter en fonction de la production, expliquant la hausse la même année qu’à Blandans.

Tableau 69 : Nombre de vendangeurs à Blandans entre 1405 et 1419.71 Nombre de vendangeurs 1405

8

1407

125

1408

42

1413

132

1414

329

1415

158

1416

3671

1417

99

1418

77

1419

237

Parfois, certaines dépenses exceptionnelles faisaient varier les sorties d’argent. En 1413, la duchesse, depuis son château de Rouvres, réclama du vin cuit. Réalisé avec du vin de Blandans, il nécessita plusieurs dépenses72. Ajouté à l’achat de douze queues en chêne neuves et un nombre plus élevé de vendangeurs, cela explique l’augmentation des dépenses, les raisons étant similaires en 1414, avec à Blandans, le transport de marc en hiver pour l’étendre dans la vigne. En février et mars, 134 ouvriers de bras avaient « provignier » la vigne « en pluseurs lieux et places qui y sont depuis l’an du grant hiver que fut 1407 »73. Les dernières années font apparaitre des hausses pour des raisons toujours semblables. Les travaux comme la culture de la vigne représentaient un élément important des dépenses, démontrant par leur existence un entretien des biens immeubles du comte. Destinés à rapporter de l’argent pour la plupart, les réparations participaient donc à la bonne gestion du comté. En obligeant à d’importants travaux dans ses forteresses, le comte agissait aussi sur la sécurité des habitants. 71 Dont quatorze enfants. 72 Le tout coûta environ 5 francs, 3 muids de vin furent consommés. 73 ADCO, B 1579, fol. 137. Le tout coûta 15 francs 7 gros. « Provignier » correspond au marcottage, c’est-à-dire que l’on enfouit une tige aérienne qui s’enracine puis on la sépare de la plante mère, c’est un procédé de multiplication des plants.

242

chapitre 7 Les dépenses entre 1404 et 1419 Les deux comptabilités de bailliage et les recettes particulières sont séparées pour une classification plus simple, les différents comptes étant difficilement comparables entre eux. 1. Les bailliages

Graphique 60 : Recettes et dépenses du bailliage d’Aval (1405-1419).

1419

1418

1417

1416

1415

1414

1413

1412

1411

1410

1409

1408

1407

1406

30000 25000 20000 15000 10000 5000 0 1405

Livres tournois

Recettes. Dépenses.

Années

4000 3000 2000 1000 0 −1000 −2000 −3000 −4000 14 05 14 06 14 07 14 08 14 09 14 10 14 11 14 12 14 13 14 14 14 15 14 16 14 17 14 18 14 19

Livres tournois

Graphique 61 : Soldes des comptes du bailliage d’Aval entre 1405 et 1419.

Années

Les mêmes sources que pour l’étude des recettes sont utilisées. Seule l’année 14061 ne comporte pas les dépenses. De façon générale, elles étaient comprises dans une large 1

ADCO, B 1546.

243

Deuxième partie  |  Les dépenses

fourchette de 10 000 à 25 000 francs, alors qu’au cours du principat de Philippe le Hardi, elles se situaient plutôt entre 12 000 et 14 000 francs2. L’évolution des recettes et des dépenses se révèle relativement similaire, même s’il n’y avait pas équilibre des comptes. Lorsque les recettes diminuaient, les dépenses avaient tendance à faire de même. L’adaptation à une baisse ou une hausse des recettes pouvait parfois se faire avec un peu de retard, comme on peut le constater entre 1414 année excédentaire et 1415 au déficit important. L’étude des soldes des comptes montre des budgets rarement équilibrés. Seules cinq années sur les dix disponibles eurent un solde positif, avoisinant alors 2 000 livres tournois, excepté en 1414 où il fut proche de 3 000 livres tournois, excédent loin d’être négligeable. Les déficits se révèlent plus irréguliers. En 1413, la différence entre recettes et dépenses se montrait si faible que l’on peut presque parler d’équilibre3. Mais en 1408 et 1415, le solde négatif dépassait 3 000 livres tournois. Les deux dernières années déficitaires virent un manque à gagner supérieur à 2 000 livres tournois. Les déficits apparaissent plus importants que les excédents, il est cependant intéressant de constater qu’ils se trouvaient presque à part égale sur les sources disponibles. Le bailliage d’Amont connut une évolution très différente. Les données sont moins nombreuses que celles du bailliage d’Aval puisque nous ne possédons que huit comptes complets.

Graphique 62 : Recettes et dépenses du baillage d’Amont (1415-1419).

1419

1418

1417

1416

1415

1414

1413

1412

1411

1410

1409

1408

1407

1406

14000 12000 10000 8000 6000 4000 2000 0 1405

Livres tournois

Recettes. Dépenses.

Années

Le compte de l’année 1405 est fragmentaire4, avec des recettes présentes mais un total des dépenses disparu. Nous avons tenté de les reconstituer à l’aide des récapitulatifs intermédiaires, cependant, la somme obtenue se révèle anormalement faible : 2 575 livres 15 sous tournois. En ajoutant le montant de l’emprunt prélevé cette année-là, 8 840 livres tournois, on obtient un total de 11 415 livres 15 sous tournois, affichant un excédent très important comparé aux résultats des années suivantes. Dans le bailliage d’Amont, comme dans celui d’Aval, se retrouvait une relative adaptation des dépenses aux recettes, le manque de vraisemblance du résultat nous a poussé à ne pas le faire apparaitre dans les représentations du bailliage. Les dépenses se situaient entre 3 000 et 2 3 4

244

Il n’y eut que deux exceptions, en 1396-1397 : 16 500 francs et 1404-1405 : 18 000 francs. M. Rey, « La politique financière… » art. cit. La différence était de 14 livres 15 sous tournois. ADD, 1B101.

Les dépenses entre 1404 et 1419  |  Chapitre 7

6 000 livres tournois, dont une forte proportion autour de 4 000 livres tournois, montants relativement similaires à ceux de la période antérieure5. Ont été laissés en l’état les deux comptes comptabilisant plus de douze mois : 1409 correspondait aux recettes et dépenses de quatorze mois6 et 1410 comptait en réalité quinze mois7. La différence entre recettes et dépenses pour ces deux années apparait relativement équivalente en proportion, aux autres années.

Livres tournois

Graphique 63 : Soldes des comptes du bailliage d’Amont (1408-1419). 1200 1000 800 600 400 200 0 –200 –400

1408 1409 1410 1411 1412 1413 1414 1415 1416 1417 1418 1419 Années

Le rapport entre excédent et déficit se révèle différent du bailliage d’Aval. Tous les comptes étaient excédentaires à l’exception de l’année 1413, le solde positif le plus important étant l’ultime de la période, dépassant les 900 livres tournois8. Le solde négatif de 1413, important si l’on considère les sommes comptabilisées dans ce bailliage, dépassait de peu 300 livres tournois9. 2. Les comptabilités particulières

Graphique 64 : Recettes et dépenses de la seigneurie de Faucogney (1406-1419). 3000 2500 2000 1500 1000 500 0 14 06 14 07 14 08 14 09 14 10 14 11 14 12 14 13 14 14 14 15 14 16 14 17 14 18 14 19

Livres tournois

Recettes. Dépenses.

Années

5 6 7 8 9

Entre 3 300 et 4 600 francs. M. Rey, « La politique financière… » art. cit. ADCO, B 1557. ADCO, B 1561. ADCO, B 1597 : 938 livres 19 sous 9 deniers obole poite tournois. ADCO, B 1574 : 304 livres 18 sous 10 deniers tournois.

245

Deuxième partie  |  Les dépenses

L’étude de la seigneurie de Faucogney procède de la même façon que pour l’étude des recettes. L’année 1411 étant composée de deux comptes, les dépenses ont été additionnées : les trois premiers mois de l’année apparaissaient fortement excédentaires10 tandis que la fin de l’année présentait un solde négatif11. Une fois le déficit soustrait, le solde devenait positif.

Graphique 65 : Soldes des comptes de la seigneurie de Faucogney (1406-1419). Livres tournois

1000 500 0 −500 −1000

1406 1407 1408 1409 1410 1411 1412 1413 1414 1415 1416 1417 1418 1419 Années

Les données sont plus nombreuses que pour l’étude des bailliages. Les dépenses se situaient rarement en dessous de 1 500 livres tournois, approchant fréquemment les 2 000 livres tournois. Les montants apparaissent similaires à la période de Philippe le Hardi où les sorties d’argent se situaient entre 1 200 et 2 300 francs12. Les dépenses semblent encore une fois adaptées aux recettes, avec cependant un écart à la fin de la période, défavorable au receveur de Faucogney qui devait payer, avec ses propres deniers, l’excédent comptabilisé. Au début, le budget de la seigneurie se montrait déficitaire de façon peu importante mais à partir de 1410, la situation s’inversa et les années excédentaires furent plus nombreuses, avec des montants parfois relativement élevés. L’année 1414 connut un déficit important mais succédait à une année fortement excédentaire. Le solde positif de l’année précédente permettait-il de résorber sans trop de difficultés le déficit ?

Graphique 66 : Recettes et dépenses de la châtellenie de Bracon (1407-1419).

800 600 400 200 0 14 07 14 08 14 09 14 10 14 11 14 12 14 13 14 14 14 15 14 16 14 17 14 18 14 19

Livres tournois

Recettes. Dépenses.

Années

10 ADCO, B 4688, 395 livres 19 sous 8 deniers tournois. 11 Ibid., 141 livres 10 sous 10 deniers obole poite tournois. 12 M. Rey, « La politique financière… » art. cit.

246

Les dépenses entre 1404 et 1419  |  Chapitre 7

Dans la châtellenie de Bracon, 1411 était, comme à Faucogney, décomposé en deux comptes13, mais d’une durée totale de seize mois. A délibérément été choisi d’additionner les deux comptes en conservant la somme totale, l’intérêt étant de montrer les rapports entre les entrées et les sorties.

Graphique 67 : Soldes des comptes de la châtellenie de Bracon (1407-1419). Livres tournois

600 400 200 0 −200 −400 1407 1408 1409 1410 1411 1412 1413 1414 1415 1416 1417 1418 1419 Années

Certaines années, un écart important existait entre recettes et dépenses, principalement en 1412 de façon déficitaire et en 1415 de façon excédentaire. Bracon est la seule série de données complètes que nous possédons, même si elle ne débute qu’en 1407. Cependant, les sommes en jeu y étaient nettement inférieures à toutes de celles étudiées jusqu’à présent, le receveur ayant sans doute moins de mal à résorber un éventuel déficit. Mais la norme semblait plutôt à un léger excédent. Selon Mme Nieuwenhuyssen14, la recette était équilibrée sous Philippe le Hardi grâce à des versements du trésorier de Salins : en moyenne des sommes avoisinant 160 livres estevenantes destinées aux réparations et à l’entretien du château de Bracon. Les comptes ici ne portaient pas trace de ces versements qui avaient vraisemblablement cessé à cette période. Nous regrettons beaucoup de ne pas avoir plus de données à notre disposition pour Salins. Les comptes de l’ordinaire et du communal sont présentés séparément, pour l’ordinaire nous ne disposons que de six registres, deux de plus nous étant parvenus pour le communal. En 1411, le montant des dépenses apparait équivalent à ceux rencontrés au temps de Philippe le Hardi, autour de 10 000 ou 11 000 francs15. Mais dès 1412, le même phénomène constaté pour les recettes se produisit : les dépenses augmentèrent considérablement, s’adaptant approximativement aux recettes, comme dans les comptes de bailliage et de Faucogney. Il faut cependant faire attention car les montants représentés ici sont nettement plus importants que tous ceux étudiés jusqu’à présent : les écarts entre recettes et dépenses représentaient donc des sommes importantes.

13 ADCO, B 3353. 14 A. van Nieuwenhuysen, Les finances du duc de Bourgogne…op. cit., p. 260. 15 M. Rey, « La politique financière… » art. cit.

247

Deuxième partie  |  Les dépenses

Graphique 68 : Recettes et dépenses de l’ordinaire de Salins (1411-1419).

Livres tournois

Recettes. Dépenses. 35000 30000 25000 20000 15000 10000 5000 0

1411 1412 1413 1414 1415 1416 1417 1418 1419 Années

Livres tournois

Graphique 69 : Soldes des comptes de l’ordinaire de Salins (1411-1419). 4000 3000 2000 1000 0 –1000 –2000 –3000

1411

1412

1413

1414

1415

1416

1417

1418

1419

Années

Les déficits s’avèrent assez élevés, la saunerie de salins étant une activité rapportant beaucoup d’argent, il parait compréhensible que les trésoriers généraux aient sollicité de façon substantielle ses recettes. Pourtant, il arrivait que le budget soit excédentaire : l’année 1419 montrait un solde largement positif. Les données restent malgré tout trop fragmentaires. Les comptes du Communal de Salins faisaient figure d’exception avec ses recettes toujours identiques, pourtant les dépenses fluctuaient. Elles avaient plutôt tendance à augmenter, mais jamais elles ne dépassèrent les recettes16. Les soldes des comptes du communal étant toujours positifs, ce poste se révèle donc lucratif mais n’a pourtant jamais été utilisé pour résorber les déficits de l’ordinaire, tendant à prouver un fort cloisonnement entre tous ces postes de comptabilité.

16 Il faut souligner que nous ne faisons apparaître que les rentrées en argent, celles en argent dès l’origine et celles passées de versements en sel en versements en argent. N’apparaît donc pas ici tout ce qui concernait les rentes en charges de sel ou en bouillon. Nous avions procédé de même pour l’étude des recettes.

248

Les dépenses entre 1404 et 1419  |  Chapitre 7

Graphique 70 : Recettes et dépenses du communal de Salins (1411-1419).

Livres tournois

Recettes. Dépenses. 2500 2000 1500 1000 500 0

1411 1412 1413 1414 1415 1416 1417 1418 1419 Années

Livres tournois

Graphique 71 : Soldes des comptes du communal de Salins (1411-1419). 1000 800 600 400 200 0

1411

1412

1413

1414

1415

1416

1417

1418

1419

Années

Il est difficile d’étudier les comptes de gruerie comme un ensemble unique, les données se retrouvant dans trois comptes différents : celui du bailliage d’Amont, celui de la seigneurie de Faucogney et le compte de gruerie séparé portant sur les revenus des eaux et forêts du bailliage d’Aval. Les fluctuations importantes que connaissaient les dépenses ont déjà été observées. Nous avons décidé de ne représenter que les données du bailliage d’Aval. La gruerie était un poste fréquemment excédentaire et de façon souvent importante. Les sommes concernées n’étaient pas nécessairement élevées sans pour autant être négligeables. Au début, les excédents apparaissent peu importants, 1406 montrant même un équilibre budgétaire17. Ensuite, les montants récupérés furent rarement inférieurs à 500 livres tournois et souvent proches de 700 à 800 livres tournois. Deux années furent réellement exceptionnelles : 1407 avec des recettes très importantes malgré un compte ne courant que sur huit mois18 et des dépenses très faibles donnant un solde supérieur à 1 300 livres tournois et 141819 avec un excédent dépassant 1 000 livres tournois. On comprend mieux pourquoi Jean sans Peur décida de récupérer les eaux et forêts des terres confisquées pour les intégrer à l’institution centralisée que représentait la gruerie. Aucun ouvrage ne fut comptabilisé en 1407 et les salaires versés étaient inférieurs à ceux d’une année complète.

17 ADCO, B 1548, les recettes et les dépenses étaient toutes deux de 250 livres et quelques sous tournois. 18 ADCO, B 1550. 19 ADCO, B 1575.

249

Deuxième partie  |  Les dépenses

Graphique 72 : Recettes et dépenses de la gruerie du bailliage d’Aval (1404-1419).

1500 1000 500

1419

1418

1417

1416

1415

1414

1413

1412

1411

1410

1409

1408

1407

1406

1405

0 1404

Livres tournois

Recettes. Dépenses.

Années

1500 1000 500 0 –500 14 04 14 05 14 06 14 07 14 08 14 09 14 10 14 11 14 12 14 13 14 14 14 15 14 16 14 17 14 18 14 19

Livres tournois

Graphique 73 : Soldes des comptes de la gruerie du bailliage d’Aval (1404-1419).

Années

Les postes de gruerie du bailliage d’Amont et de la seigneurie de Faucogney présentaient des sommes beaucoup plus faibles. Dans le bailliage d’Amont, seules les dépenses de trois ans furent comptabilisées, aucun frais n’ayant été engagés dans les six autres comptes20 et elles ne dépassèrent jamais 50 francs. Dans la seigneurie de Faucogney, quelques années furent marquées par des dépenses plus importantes s’élevant jusqu’à 80 francs mais trois années ne comptabilisaient aucune dépense. Étudier les dépenses à l’égal des recettes permet de faire des constatations intéressantes, à commencer par la mise en lumière de la gestion comptable cherchant à adapter les deux éléments l’un à l’autre. Ainsi, on a pu voir des dépenses de travaux reportées sur des comptabilités ultérieures, pour éviter peut-être des déséquilibres trop importants. Le trésorier mettait sa fortune en jeu. Ajoutons que la Chambre veillait aussi fidèlement sur les dépenses dans un grand souci de maintien du patrimoine, nous allons y revenir plus loin, mais aussi dans le cadre d’une surveillance administrative de plus en plus accrue. Quittances et autres certifications de sortie d’argent obligeaient à une gestion tatillonne où l’écrit avait pris une place totalement prédominante, seule preuve habilitée de la dépense. Rien ne sortait qui ne soit justifié, scruté, vérifié et attesté21. L’outil de gestion devient alors un habile mélange d’équilibre des entrées et sorties d’argent auquel tendait le trésorier additionné d’une recherche assidue de la Chambre pour augmenter les entrées et diminuer les sorties. 20 Les années 1416 et 1417 représentaient également 0 franc de dépenses, tout comme à Faucogney. 21 Comme le souligne Jean-Baptiste Santamaria, le caractère impitoyable de la Chambre était un lieu commun. J.-B. Santamaria, La Chambre des comptes de Lille…op. cit., p. 197-202.

250

Troisième Partie L’administration du comté par Jean sans Peur

L’étude des différentes trésoreries nous permet de poser un constat, certains revenus évoluaient librement : tout ce qui était issu des biens fonciers, les différentes redevances ou dépenses ainsi que tout ce qui était tributaire d’enchères. Mais d’autres rentrées ou sorties d’argent se révélaient directement imputables au comte ou à ses agents, avec principalement deux causes : les mouvements de biens fonciers, donation, confiscation, ou les prélèvements, extraordinaires et obligatoires. Résultats d’interventions des agents comtaux ayant pour origine des ordonnances diverses, cela amène à s’interroger sur leur importance et leur nombre. Ordonnances modifiant la gestion ou instaurant de véritables réformes, elles apparaissent comme le véritable révélateur d’une administration personnelle renvoyant l’image d’un prince réellement concerné par ses territoires1. Bien sûr, cette implication résultait de besoins financiers pressants et croissants mais démontre également l’intérêt pour une administration économique destinée à répondre à ces besoins. Comme le roi, le prince légifère, agissant aussi souvent pour répondre à une requête, une « supplication », confortant ainsi son autorité2. Le prince de la fin du Moyen Âge cherchait à accroitre son pouvoir dans le cadre de la mise en place des États forts et centralisés, l’emprise économique y contribuait également fortement.

1

Jean sans Peur fut très actif en Flandre, même si Jean-Marie Cauchies a bien montré qu’il existait une réelle connivence entre la production législative et les entreprises extérieures au comté de Flandre. Cela ne l’empêcha pas d’être un législateur réellement impliqué. J.-M. Cauchies, « Jean sans Peur, comte de Flandre (1405-1419)… » art. cit. On peut lui attribuer le même intérêt dans le comté de Bourgogne même si l’ampleur fut nettement moindre, ni que l’on parvienne à y appliquer les mêmes objectifs politiques. 2 O. Mattéoni, Institutions et pouvoirs…op. cit., p. 11.

Chapitre 8 Les réformes Toutes ordonnances visant à modifier la gestion ou l’organisation, voire dans le sens premier d’ordonner étaient réellement le signe d’une implication princière. L’action législative s’effectuait souvent en fonction des besoins immédiats, liée aux circonstances mais l’implication tendait à transcender la diversité des situations, frein à une souveraineté réellement territoriale1. Nous avons déjà abordé l’historiographie négative accordant une faible implication, pourtant Jean sans Peur a édicté de nombreuses ordonnances. Cela a été amplement démontré pour les territoires du nord avec leur édition par Jean-Marie Cauchies2. La prise de conscience d’une réelle politique locale de la part des duc-comte apparait donc déjà ancienne. Certaines ordonnances de portée générale, ne sont pas vraiment abordées ici où nous avons choisi de présenter surtout ce qui a trait aux réformes à portée locale. N’oublions pas cependant que les ordonnances étaient le plus souvent édictées pour une application géographiquement localisées mais que leur contenu se révélait similaire dans des espaces différents, cette situation étant relativement fréquente entre le duché et le comté. 1. Ordonnances touchant les officiers Après la mort de sa mère Marguerite de Flandre, Jean sans Peur avait maintenu ses officiers, facilitant ainsi la transition. Mais, progressivement, tout au long de son principat, il révoqua de nombreux officiers ou changea leur statut pour parfois revenir au statut initial. Son éternel besoin d’argent l’amena également à des manipulations diverses sur les salaires. Finalement, seuls les officiers de la saunerie de Salins bénéficièrent d’une véritable politique visant à réformer la gestion. A. Trésoriers et receveurs Le comte tenta malgré tout d’améliorer la restitution des recettes au travers l’office des trésoriers et receveurs. Il y avait trois trésoriers, de Vesoul pour le bailliage d’Amont, de Dole pour le bailliage d’Aval et de la saunerie de Salins. Le receveur recouvrait la même réalité dans les châtellenies ou seigneuries possédant des recettes particulières : Bracon, Faucogney, gruerie du bailliage d’Aval. Ces comptables étaient nommés receveurs bien qu’ils rendissent directement leurs comptes à Dijon. Il existait, dans la hiérarchie, un office de receveur inférieur à celui de l’agent comptable chargé des recettes particulières malgré une appellation similaire : les collecteurs de fonds des châtellenies qui rendaient compte au trésorier chargé de centraliser les recettes et dépenses de bailliage. L’ordonnance visant à améliorer le rendu des comptes, datée de 14113, ne concernait que les officiers supérieurs, trésoriers et receveurs des recettes particulières, même si 1 J.-M. Cauchies, «  Le prince territorial… » art. cit. 2 J.-M. Cauchies, Ordonnances de Jean sans Peur, 1405-1419, Bruxelles, 2001. 3 Le texte nous est parvenu grâce à un compte de Bracon. ADCO, B 3354, fol. 1-2.

253

Troisième partie  |  L’administration du comté par Jean sans Peur

tous n’apparaissaient pas systématiquement touchés. Elle faisait suite à un précédent texte n’ayant pas été appliqué et concernant tous les « recepveurs generalx et particuliers, chastelains, grenetiers et autres officiers ayans main aute de nos finances »4. L’ordonnance concernait le duché autant que le comté et édictait que tous les gens de compte « comptassent et affinassent chascun an leurs comptes » sitôt l’année ­terminée. Le duc-comte désirait connaître la valeur réelle de ses recettes « afin que l’on peust appoincter le fait de nostre despense », c’est-à-dire la sienne mais également celle de la duchesse et de son fils le comte de Charolais, tous deux possédant des comptes particuliers. Le but paraissait être le désir de finances plus saines permettant une connaissance régulière des disponibilités pour faire face à l’accroissement des dépenses. Les officiers concernés n’appliquèrent pas l’ordonnance : certains rendaient leurs comptes au bout de deux ans, d’autres au bout de trois et même plus. Des officiers abusaient même de leur charge en parvenant, par de subtiles manœuvres, à ne rendre aucun excédent. Présentant parfois plusieurs années de comptes à la Chambre, ils compensaient les années déficitaires avec les années bénéficiaires, les recettes n’étant plus annuelles dans les faits, difficile de les chiffrer. Ce genre de pratique, appliqué sans aucune autorisation, devint coutumier au fil du temps. L’office de trésorier n’était cependant pas facile à assumer, nécessitant la possession de fonds importants : continuellement sollicité pour des dépenses avec des recettes n’arrivant que ponctuellement, le trésorier se trouvait contraint de prélever sur ses fonds propres, cherchant ensuite à se rembourser. Sa recette était confondue avec sa caisse personnelle5. La présentation des comptes sous cette forme non annuelle lui évitait donc d’avoir à verser de fortes sommes. Selon le duc-comte, les dépenses se faisaient sans se préoccuper du montant réel des recettes, ayant pour résultat des dépenses de la famille comtale « mises en debtes et acreues, et nos autres frais necessaires retardés et empechés en nostre tres grant prejudice et dommage ». Les dépenses domestiques endettaient, empêchant la mise en pratique de la politique de Jean sans Peur6. Une première tentative d’assainir les comptes échoua, une deuxième fut donc mise en œuvre en 1411. Jean sans Peur ordonna la suspension de tous ses officiers de finance jusqu’à ce qu’ils aient rendu la totalité de leurs comptes. Deux hommes nommés pour exécuter l’ordonnance, maître Richard de Chancey, licencié en lois, conseiller de Jean sans Peur et maître des requêtes de son hôtel et Jean Moreaul, commis à la recette générale des duché et comté de Bourgogne, se déplaçaient afin de suspendre eux-mêmes les officiers concernés et à leur place « y commectent gens ydoines et souffisant pour exercer ledit office ». Les nouveaux trésoriers ou receveurs rendaient immédiatement serment dans les mains des deux commissaires de loyalement occuper l’office, s’engageant à tenir correctement les comptes et verser au commis de la recette générale des duché et comté, et à lui seul, tout argent qu’ils pourraient recevoir. Le reste de l’ordonnance portait essentiellement sur quelques applications particulières, principalement que tout argent versé par les officiers nouvellement nommés soit « rabattus de leur recepte sans contredit par les gens de compte ». Nous avons pu voir en effet qu’il arrivait que la Chambre des comptes refuse la justification du versement d’argent qui avait pourtant bel et bien été donnée par le trésorier, les gens des comptes estimant alors que le montant se trouvait toujours détenu par le receveur. On voit bien là les difficultés de la charge expliquant l’attitude de certains officiers des finances tentés de louvoyer lors de la présentation de leurs comptes. 4

Il s’agit de l’ordonnance de 1386 édicté par Philippe le Hardi qui a déjà été évoquée dans la première partie, voir P. Riandey, L’organisation financière…op. cit., p. 175-187. 5 P. Pégeot, Vers la réforme…op. cit., p. 512. Souvent, le receveur délivrait de l’argent avant la fin de l’exercice sans savoir s’il y aurait de l’excédent. 6 Surtout qu’il ne bénéficiait plus autant d’argent provenant du trésor royal comme son père.

254

Les réformes  |  Chapitre 8

L’ordonnance fut-elle appliquée en comté7 ? Pierre le Monniat connut une exceptionnelle pérennité à la tête de la trésorerie de Vesoul, ses compétences devant être reconnues puisqu’en 1411, les commissaires ne jugèrent pas nécessaire de le destituer. La charge de trésorier de la saunerie de Salins connut la même longévité avec Huguenin Passart qui ne fut remplacé qu’à sa mort en 14158. Les modifications à la tête de la trésorerie du bailliage d’Aval ou de la gruerie furent plus nombreuses9. Hugon Druet qui arriva à l’office de gruerie en 140810 avait déjà officié à Bracon, le chancelier Jean de Saulx lui-même l’avait recommandé, vantant son habileté et sa diligence. Le nouveau trésorier prêta serment dans les mains des gens des comptes. Il était cautionné par Renaud de Mailly, dolois, son « plaige »11 à hauteur de 1 000 francs. Il s’agit de la seule fois ou le fait était reporté dans le registre. Peut-être était-ce le signe de l’insolvabilité de Jean Carondelet, son prédécesseur, justifiant son renvoi. Le compte du bailliage d’Aval de 1411 étant un débris, nous avons seulement retrouvé la mention de Guiot Aubry commis à la charge de trésorier jusqu’au 31 décembre 141112. Il s’agissait d’une commission, non d’une nomination, incitant à penser qu’il faisait partie des trésoriers nouvellement institués par Chancey et Moreaul dans le cadre de l’ordonnance de Jean sans Peur de 1411, Jaquot Vurry lui succédant immédiatement conforte dans cette idée. À Bracon, le receveur Jean de Traves fut destitué et Guillaume Bauleret nommé à sa place après enquête sur sa bonne foi et sa loyauté. Généralement, les personnes choisies avaient été recommandées. Enfin, la seigneurie de Faucogney semblait également touchée par l’ordonnance. En 1411, Henri le Clerc fut receveur neuf mois, nommé par Richard de Chancey et Jean Moreaul qui avaient suspendu le précédent agent comptable, Simon Panez. Mais dans ce cas précis, la duchesse Marguerite avait opéré elle-même le changement de personnel à la requête du dénommé Panez13. En 1413, André Chardon devint receveur de la seigneurie de Faucogney, Henri le Clerc ayant seulement fait office de remplaçant pour un temps. Durant la période où le Clerc détenait l’office, Simon Panez était toujours considéré comme le détenteur légitime de la charge. Le changement de personnel ne paraît donc pas avoir de lien avec l’ordonnance de 1411, malgré une concordance de date et de personnes. Après 1411, une remarquable stabilité s’installa. Excepté le changement de personnel à Salins en raison d’un décès, toutes les personnes nommées en 1412 se trouvaient toujours à la tête de leur office en 1419. Était-ce un constat d’échec dans la tentative d’application de l’ordonnance ou plus positivement, le signe d’une amélioration dans la tenue des comptes ? Difficile de répondre. B. Capitaines et châtelains Aucun texte officiel ne nous est parvenu concernant les tentatives pour améliorer l’efficacité de la fonction de capitaines et de châtelain, dans le domaine comtal, les deux termes recouvrant dans la grande majorité des cas, la même réalité. Cependant, 7 8 9 10 11 12 13

En duché, elle ne le fut pas, S. Bépoix et F. Couvel, « Rendre bon compte en Bourgogne… » art. cit. Par Raoulin de Machy. ADCO, B 5968, 3e cahier. Les deux charges étaient aux mains de la même personne : Jean Chousat jusqu’en 1406 puis Jean Carondelet jusqu’en 1408, Hugon Druet jusqu’en 1413 et enfin Jaquot Vurry, mais avec l’intermède de 1411. ADCO, B 1555, fol. 1. Ou « portant caution ». Nous ne savons pas à quelle date il avait été nommé. Elle l’avait nommé châtelain de Brasey et receveur de la « menue conduite » de Saint-Jean-de-Losne : lettre datée du 31 décembre 1411, André Chardon rendit son serment le 20 janvier 1412. ADCO, B 4688 et B 4689.

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Troisième partie  |  L’administration du comté par Jean sans Peur

plusieurs allusions confortent dans l’idée qu’il existait des ordonnances obligeant les capitaines à faire « continuelle résidence » dans leur châtellenie. Leur rôle étant avant tout militaire, la garde du château et la protection des habitants de la châtellenie leur incombaient. De trop nombreuses absences de leur part empêchaient donc la bonne marche de ces obligations. Le compte du bailliage d’Amont de 1415 contenait une remarque explicite14. Henri de Chauffour, qui venait d’être institué capitaine de Vesoul15, fit desservir l’office à sa place par l’écuyer Pierre de Romain. Le comte de Bourgogne enjoignit la Chambre des comptes de payer son salaire à Chauffour « non obstant les ordonnances faites par lui nagueres », leur contenu étant donc certainement que le capitaine se faisant remplacer et ne logeant pas dans la châtellenie, ne devait pas recevoir son salaire. Plusieurs fois au cours de la période, le versement fut refusé par les gens des comptes pour défaut de certificat de résidence. Encore une fois, on ne peut que constater la difficulté d’application des ordonnances, Jean sans Peur multipliant les dérogations. En règle générale, les capitaines du bailliage d’Amont jouissaient d’une importante longévité à leur poste. À Jussey, Gauthier de Chatenois donnait même toute satisfaction puisqu’il devint chevalier en 141516. En effet, les capitaines étaient en majorité des écuyers, l’office ne paraissant pas recherché par la haute noblesse. À Châtillon, Jean d’Allenjoie demeura également à son poste et à Montbozon, Philibert de Vaudrey ne prit la place de Jean de Bucey qu’en 141917. Dans la seigneurie de Faucogney, Guillaume de Silley demeura capitaine de Château-Humbert durant toute la période et Jean de Vergy capitaine de Faucogney jusqu’à sa mort le 25 mai 1418 où son fils Antoine le remplaça18. Un seul des capitaines du nord de la région obtint une dérogation lui permettant de ne pas installer sa résidence dans son château : Guillaume de Silley à Château-Humbert. En 1413, il reçut une lettre de Jean sans Peur lui permettant de faire remplir l’office par « personne ydoine et souffisante » après accord du bailli d’Amont ou de son lieutenant, le certificat de résidence étant alors établi au nom du remplaçant19. Dans le bailliage d’Aval, le nombre élevé de châtelains expliquait la fréquence des dérogations. Au cours de la période, les conditions changèrent avec l’intégration d’une durée déterminée à la dérogation, souvent trois ans. Pourtant, en règle générale, l’autorisation était reconduite20. La pérennité dans la fonction apparait dans le sud plus aléatoire que dans le bailliage voisin : seules les châtellenies de Montront et Apremont ne connurent pas de changement de châtelains. Cependant, à partir de 1413, une certaine stabilité s’installa. Le poste de capitaine de Poligny connut l’évolution la plus complexe. La duchesse Marguerite, à la mort de son mari, avait institué Catherine de Flandre, dame de Montsaugeon, à cette charge « tant par elle en sa personne, comme par un gentilhomme avec elle en son absence ». À l’avènement de Jean sans Peur, l’office ne fut pas confirmé car la dame n’avait pas fait « continuelle résidence ». Elle lui fut imposée ajouté à l’obligation de présence d’un gentilhomme, écuyer, résidant au château. 14 15 16 17 18 19

ADCO, B 1583, fol. 48. Son père, Guillaume avait renoncé à l’office. ADCO, B 1587, fol. 45. ADCO, B 1597, fol. 40. ADCO, B 4694, fol. 32. ADCO, B 4690, fol. 35. En 1414 : Guillemin Preudon. En 1415, ils étaient deux : Demoingin genre au fol et Perrin Ribaul du val de Servance tenant l’office jusqu’en 1419. 20 Neuf capitaines l’obtinrent au cours de la période : à Ornans, Pontarlier, etc. Ce droit permettait aux capitaines de participer aux armées de Jean sans Peur, expliquant sans doute la facilité avec laquelle il l’octroyait.

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Pourtant, Pierre de Reculot commis en novembre 1406 à la garde du château « en lieu et absence de dame Katherine », fut institué définitivement le 5 juin 1407 châtelain de Poligny à la place de la dame de Montsaugeon21. L’ordonnance de non résidence semblait avoir été bien appliquée. Mais en 1414, la duchesse nommait Antoine de Montsaugeon : fils de dame Catherine ? Jean et Philippe, ses frères, témoignaient de sa résidence22. La passation de pouvoir par filiation à la tête d’une châtellenie, bien qu’il s’agisse d’un office comtal, eut lieu à Vesoul, à Faucogney, à Fraisans et sans doute peuton la présumer pour Poligny. Mais terminons avec un aspect difficile à appréhender : les revenus afférents à la fonction. Dans les châtellenies de la montagne, le capitaine avait pour obligation de rémunérer un personnel plus ou moins important23 peut-être en prélevant sur son propre salaire. Certaines mentions confirment que, parfois, des revenus étaient attachés à la fonction24. Pour conclure sur les améliorations apportées, il semble que l’office de capitaine ait été mieux tenu au cours de la période, grâce à la menace de destitution et aux dérogations attribuées, un remplaçant efficace à la tête de l’office étant préférable à un capitaine toujours absent. Concernant les receveurs ou les capitaines, l’objectif était de tendre à une meilleure administration et dans la deuxième partie de la période étudiée, les officiers à la tête des trésoreries ou des châtellenies connurent une plus grande continuité, pouvant signifier une meilleure efficacité. D’autres officiers bénéficièrent également d’une grande pérennité : les baillis25, les procureurs26, le gruyer Hugues de Lantenne et enfin les conseillers ajoutant à la longévité du poste une augmentation de leur nombre27. C. Tabellions et personnel de la saunerie : des modifications plus radicales Les ordonnances ne visaient pas uniquement à l’amélioration d’un système existant mais pouvaient également avoir pour but une modification plus radicale, ce fut le cas pour deux catégories de personnel bien particulier même si sans aucun rapport entre elles : les tabellions et le personnel de la saunerie. L’ordonnance concernant les notaires fut élaborée très rapidement après l’avènement de Jean sans Peur, dès novembre 140528, les gens des comptes accusant réception le 12 décembre de la lettre où il ordonnait la mise à ferme de « tous les tabellionnages, clergies de chancelleries de bailliages et chastellenies de ses duchié et conté ». Le 12 janvier 1406, un long document émis par la Chambre donnait les « instructions sur baul et gouvernement des tabellionnages et clergies des chancelleries, bailliages et ­chastellenies » des duché et comté, nouvellement mis au domaine29. Vingt-cinq articles élaboraient le fonctionnement précis des charges de tabellions et clercs 21 ADCO, B 1549, fol. 81. 22 ADCO, B 1579, fol. 101. 23 Par exemple à Montréal : trois gentilshommes, trois valets, six guetteurs. Salaires établis par la Chambre mais payés par le capitaine. 24 Dans les recettes du bailliage d’Amont se rencontre plusieurs fois la mention de « droits du châtelain ». 25 Érart du Four, bailli d’Amont pendant tout le principat. Quatre personnes dans le bailliage d’Aval : Bon Guinchart, homme de loi, Jean de Champdivers, chevalier, Guy Armenier, homme de loi puis Guillaume de Champdivers. 26 Jean de Martigny dans le bailliage d’Aval, Jean de Sampans dans la châtellenie de Bracon. Dans le bailliage d’Amont, Nicolas Cullet le jeune meurt en 1408, remplacé par Guillaume de Colomoustier, remplacé en 1409 par Jean Sardon puis Jean Thomassin. 27 Si nous écartons les baillis, il y avait cinq conseillers en 1405 et neuf en 1419. 28 Tous les documents concernant cet événement, sont regroupés sous la cote ADCO, B 11220. 29 D’autres lettres de Jean sans Peur avaient suivi, datées du 27 décembre 1405.

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f­ ermiers, la vente se faisant aux enchères. À l’instar des officiers nommés, tabellions et clercs prêtaient serment. Le versement d’une caution suffisante préludait à toute entrée en charge, ensuite le montant annuel de la ferme se versait en deux échéances. Les personnes détenant déjà un office au nom du comte n’avaient pas le droit de briguer aux charges de tabellions ou de clercs fermiers. On distinguait ce qui relevait des notaires de ce qui incombait aux clercs qui réalisaient toutes les enquêtes, procès, mémoires, sentences et toutes écritures nécessaires, uniquement défrayés de leurs dépenses et ne touchant aucun salaire30. Les tabellions s’installaient où ils le désiraient, à leur frais. Tous les contrats dont ils se chargeaient devaient être enregistrés, portant leur « seing manuel » plus la signature d’un témoin. Lorsqu’il y avait des sceaux, un garde des sceaux nommé devait toujours être à la disposition du tabellion, scellant les contrats à la demande, la cire nécessaire étant livrée aux notaires, avec interdiction de sceller un document ne portant pas la signature du notaire. Une fois l’échéance de l’année terminée, le notaire bénéficiait encore de quarante jours pour faire sceller ses lettres, passé ce délai, il fallait en référer à la chancellerie. Enfin, les tarifs ne devaient pas être modifiés, restant équivalents à ceux pratiqués avant la mise à ferme. En cas d’abus, des amendes étaient fixées. Dans certains pays de droit romain, comme la Savoie, la signature manuelle du notaire suffisait pour authentifier un acte, tandis qu’en comté, terre impériale, la naissance des tabellions était liée, à l’origine, au développement de la justice princière. Le sceau du prince, dont l’utilisation était devenue obligatoire, signifiait l’élargissement de son autorité car il servait également à authentifier les actes privés concernant les transactions de tous ordres31. Il s’agissait donc d’un office important, les notaires détenant une grande responsabilité : sceller un document avec le sceau de la châtellenie engageait la bonne foi du comte lui-même. Une nouvelle lettre de Jean sans Peur le 21 février 1406 réglait des problèmes de dernière minute : les anciens notaires encore en possession de contrats pouvaient percevoir leur dû dans un temps limité au-delà duquel ils devraient payer une amende. En fait, la mise en œuvre de cette ordonnance sembla rencontrer des difficultés. Une nouvelle lettre de Jean sans Peur, datée cette fois du 4 juillet 1411, remettait en question le changement de statut des tabellions et des clercs. Une information provenant de ses conseillers et ses gens des comptes démontrait que la mise à ferme de ces offices n’avait pas été nécessairement une bonne chose, qu’il y aurait « plus grant profit de remettre lesdis offices en l’estat et gouverner de la manière qu’ils estoient avant ladite application ». L’ordonnance fut donc annulée. Deux raisons paraissent l’expliquer : la mise à ferme n’aurait pas été d’un si grand profit par rapport aux recettes antérieures, avec même des pertes et il paraît vraisemblable que certains fermiers aient abusé d’un office aux responsabilités relativement importantes32. Ce retour en arrière nécessita une complète réorganisation car il fallait prévoir qui allait prendre le relais des anciens fermiers. Dans sa lettre révoquant son ordonnance, 30 Si l’un d’eux se mêlait d’établir des documents étant du ressort des notaires, les contrats ne valaient rien et le clerc incriminé versait une amende dont la moitié revenait au comte et l’autre moitié au tabellion lésé. 31 J. Theurot, Dole, genèse d’une capitale…op. cit., p. 312-313. Le seing manuel était requis, donnant aux écritures la « forme publique » mais le sceau conférait l’authenticité. J.-M. Thiébaud, Notaires et tabellions de Franche-Comté et du pays de Montbéliard du Moyen Âge à la fin du xvie siècle, 5 vol. Thèse manuscrite, Besançon, 1994, p. VI. 32 Dans le duché de Bretagne, les droits d’enregistrement et de sceau étaient affermés et des ordonnances ducales ne cessèrent de dénoncer les abus des clercs de papiers résultant principalement de la pratique de l’affermage, J. Kerhervé, L’État breton…op. cit., p. 476.

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Jean sans Peur demandait à ses gens des comptes et à ses conseillers de s’informer sur les personnes détenant les offices avant les ordonnances. Ceux les tenant par don à ce moment-là et désirant les récupérer, recouvraient leur charge aux mêmes conditions. Quant à ceux qui avaient été dédommagés de la perte de leur office, ils pouvaient restituer l’argent et reprendre la charge. Sinon, il suffisait de trouver quelqu’un prêt à verser cette somme en une fois, voire ce que la personne voulait ou pouvait verser. Les gens des comptes établissaient un versement fixe en fonction de la valeur du tabellionnage. Enfin, les coadjuteurs étaient « creez au peril et fortune des tabellions et a leur requestes », les notaires étant responsables de ces adjoints. Jean sans Peur était-il versatile, n’allant jamais au bout de ses réformes ? Il s’agissait bien ici d’un retour en arrière après un essai de changement. Pourtant, le nouveau statut des tabellions et des clercs n’était pas réellement destiné à améliorer cet aspect administratif incontournable mais plutôt à le rendre plus rentable. Si Jean sans Peur essayait des réformes, il ne paraissait pas s’enferrer dans ses erreurs. Le comte de Bourgogne n’avait fait qu’appliquer dans ses principautés ce qui était déjà couramment pratiqué en France où à la fin du xive siècle, l’affermage des sceaux et des écritures était aussi général que celui des prévôtés. Dans le royaume, les ordonnances se succédèrent, le roi décidant alternativement de vendre à son profit les sceaux et les « clergies » pour ensuite les abandonner à nouveau aux baillis33. Dans la période immédiatement postérieure, dès 1422, Philippe le Bon ordonna d’affermer les tabellionnages tous les deux ans, mais ils furent rapidement remis à l’état ancien, cela ne s’étant pas révélé suffisamment avantageux pour les finances ducales. Pourtant, les amodiations se poursuivirent jusqu’à la mort de Philippe le Bon34 comme une continuation des atermoiements de Jean sans Peur, similaires au royaume voisin. Les inconvénients liés à la mise à ferme se retrouvaient dans une lettre de Jean sans Peur35 résumant le comportement abusif des tabellions fermiers auprès de qui les habitants se trouvaient contraints de faire réaliser leurs lettres et contrats : les notaires ou leurs clercs exigeaient parfois des sommes d’argent déraisonnables et tous ne possédaient pas les compétences requises. À l’évidence, plusieurs sujets du comte se plaignirent de nombreux abus, entrainant la fin de l’amodiation de la charge, Jean sans Peur désirant ainsi faire cesser ces exactions et « veiller a l’augmentation du bien public et ycellui preferer au sien particulier », remarque intéressante posant les prémices d’un « service public » pour le bien commun. La réalité se révèle très différente entre les deux bailliages où amodiations et mises « en gouvernement » des tabellionnages ne furent pas simultanées. L’alternance prévalut dans le bailliage d’Aval, alors que dans le bailliage d’Amont, les ordonnances furent appliquées. Le comte avait-il vraiment renoncé à un revenu pouvant s’avérer rentable, uniquement pour le bien public ? À l’origine, les clergies étant détenues par les baillis, ils en percevaient les revenus, la mise à ferme représentant donc une perte importante pour eux. Afin de la compenser, Jean sans Peur augmenta leurs salaires annuels36 de 70 33 B. Guenée, Tribunaux et gens de justice…op. cit, p. 150-151. 1331 : mise à ferme, 1347 : abandon, 1349 : retour de la mise à ferme puis à nouveau abandon. On y revient en 1389 pour y renoncer en 1391. En 1413, l’ordonnance « Cabochienne » prescrit à nouveau le fermage des sceaux et des écritures. Mais, dans le bailliage de Senlis par exemple, l’auteur constate que vers 1400, presque toutes les « clergies » de bailliage un peu importantes et à peu près tous les tabellionnages étaient affermés. 34 M.-A. Hosotte, Philippe le Bon et les institutions judiciaires, financières et militaires en FrancheComté, Thèse manuscrite de l’Ecole des Chartes, 1934, p. 122. 35 ADD, 1B102, fol. 3. 36 Le trésorier du bailliage d’Amont notait en 1413 : « cuidant monseigneur en ce, faire son grant profit et augmenter fort son demaine ». ADCO, B 1574, fol. 8.

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livres chacun. Les prélèvements résultant de la mise à ferme s’avéraient relativement élevés : par exemple 180 livres en 1408, plus de 218 livres en 1410 dans le bailliage d’Amont et 279 livres en 1411 dans le bailliage d’Aval pour les clergies de bailliage. L’année 1412 apparaît comme la fin du système de la mise en vente des clergies dans le bailliage d’Aval où il fut décidé de les remettre à l’état initial, aux mains des baillis, la même chose se produisant dans le bailliage d’Amont en 141337. Les baillis paraissaient capables de s’adapter plus aisément aux diverses situations se présentant lors de la réalisation d’actes officiels. À l’origine, le but du changement du statut des clergies de bailliages était de percevoir rapidement une somme élevée, mais les inconvénients parurent supérieurs aux avantages. Concernant les tabellionages, lorsque la charge se trouvait aux mains d’une personne nommée, la recette correspondait au nombre de lettres ou de contrats traités, parfois réalisés en double. Certaines lettres étaient gratuites, plusieurs personnes bénéficiant de ce privilège : le tabellion lui-même, tous les gardiens des sceaux s’il s’agissait d’une personne différente, le bailli et son lieutenant, le trésorier et son lieutenant, ainsi que des personnalités comme Jean de Vergy ou Jean de Neuchâtel, et bien sûr tout document émanant de Jean sans Peur lui-même38. Le notaire défalquait ensuite du montant perçu, le prix de la cire, toujours verte39 et le salaire des ouvriers « seelleurs ». Dans le bailliage d’Amont comme dans celui d’Aval, les notaires étaient des clercs et si certains vivaient comme des laïcs, pouvant même être mariés, d’autres accédaient à la prêtrise40. Le retour à la mise en gouvernement fut appliqué dès janvier 1408 dans le bailliage d’Amont rendant difficile la comparaison chiffrée. Mais la même année, le trésorier comptabilisa le deuxième et dernier terme des mises à fermes courant sur deux ans, nous permettant de calculer le montant annuel. Les montants des mises à ferme se révèlent finalement correspondre approximativement à la valeur des offices41. À partir de la remise en gouvernement de la charge, chaque tabellion devait verser chaque année 10 sous « pour desservir l’office », cette somme étant parfois la seule comptabilisée. Il arrivait ponctuellement que la recette soit élevée : par exemple, en 1413, à Vesoul, 10 francs de plus furent comptabilisés, provenant d’un contrat de mariage établi entre dame Bietrix de Vellers et le seigneur de Gevigney42. Il pouvait donc s’avérer intéressant de ne pas amodier cette charge, des revenus importants et inattendus pouvant survenir en cours d’année, qui bénéficiaient uniquement au fermier en cas d’amodiation. Dans le bailliage d’Aval, l’année 1406 débuta avec une mise en gouvernement de la charge, et se termina avec l’amodiation de l’office, souvent le notaire en poste acheta la charge. La transition entre la mise à ferme et le retour à la situation antérieure eut lieu dans les années 1413-1414 et jusqu’en 1415 pour les tabellionnages les plus importants. Mais contrairement au bailliage d’Amont, après cette période de tâtonnement, l’amodiation de la charge fut choisie à la seule exception de la châtellenie de Pontarlier. Aucune explication ne prévaut sur cette différence entre les deux bailliages, on peut seulement constater que le sceau était plus rentable dans le bailliage d’Aval que dans celui d’Amont. Le prix d’achat des charges apparait souvent inférieur aux 37 Lettre du duc : 1er octobre 1412 et lettre des gens de comptes : 1er février 1413. 38 En 1408, un rajout apparaît sur la châtellenie de Chariez concernant les lettres gratuites : pour les lettres « d’acquests », tous doivent payer le sceau, même les exemptés, à l’exception des très anciens exemptés comme le tabellion, les gardes des sceaux et le gouverneur du pays. ADD, 1B102, fol. 9. 39 Au prix de 4 sous par livre. 40 R. Fiétier, La cité de Besançon de la fin du xiie au milieu du xive siècle, étude d’une société urbaine, Paris, 1978, p. 597. 41 Suivant les châtellenies, de 3 livres à Montbozon ou Montjustin à un peu plus de 12 livres à Vesoul. 42 Le chevalier Didier de Cicon. ADCO, B 1574, fol. 7.

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recettes retirées en période de mise en gouvernement, surtout dans les tabellionnages importants contrairement aux moins notables43 mais on constate également en fin de période, une tendance à l’obtention d’un montant fixe pour la ferme44. L’étude des recettes sur cette courte période montre une meilleure rentabilité de l’amodiation de la charge notariale lorsqu’il s’agissait d’un tabellionnage peu important, tout au moins dans le bailliage d’Aval, le principal avantage restant évidemment un revenu assuré. Sur le personnel de la saunerie de Salins, deux documents essentiels ont été édités dans leur intégralité45 : le premier correspond au récapitulatif de tous les principaux offices de la saunerie avec, pour chacun, l’énumération des attributions et des devoirs respectifs indiquant les nouvelles responsabilités lorsqu’il y avait lieu ; le deuxième reprend l’ordonnance établie par Jean sans Peur le 13 avril 1412. Le texte récapitulant le rôle de chacun passait en revue les offices les plus importants qui ont déjà été présentés plus haut46. Quelles étaient les motivations de Jean sans Peur quant à l’élaboration de cette réforme ? Un rapport, établi par Jean Chousat, pardessus de la saunerie, avec l’aide de son lieutenant Jean Carondelet, résultait des requêtes d’officiers se plaignant de la faiblesse de leur salaire qui ne leur permettait pas de vivre de façon décente, certains allant jusqu’à commettre des vols de sel ou d’autres choses dans la saunerie voire délaissaient leur office ou y renonçaient. La situation était telle qu’il devenait difficile de recruter de nouveaux salariés pour toutes ces charges connues pour être insuffisamment rétribuées. Le pardessus proposait dans son rapport de supprimer quelques offices, soit jugés inutiles, soit en charge d’un trop nombreux personnel. Les salaires récupérés serviraient à augmenter ceux des autres offices indispensables. Jean sans Peur ordonna à ses gens de comptes de Dijon de mener une enquête. Après audition de plusieurs témoins, ils émirent un avis favorable et Jean sans Peur édicta l’ordonnance établissant les augmentations de salaires, de nouvelles responsabilités s’ajoutant parfois pour l’officier qui en bénéficiait. On constate des inégalités dans les hausses de salaire avec une certaine logique, les plus gros bénéficiaires étant ceux en contact avec l’argent. On surnommait le clerc ventier, qui avait l’obligation de résider à la porte de la saunerie, le payeur : il vérifiait toutes les dépenses effectuées à la porte. Celui qui taxait le bois à l’entrée établissait tous les montants que recevait le payeur et le surveillait, il l’aidait aussi à établir le total des dépenses journalières. Les clercs des rôles et le clerc portier ou délivreur, bénéficièrent également de fortes augmentations de salaire, les premiers voyant s’ajouter à leur fonction déjà importante, un rôle de surveillance des ouvrages réalisés dans la saunerie. Le portier les accompagnait, se portant garant de la réalisation des travaux. L’ordonnance lui enjoignait également de s’assurer de la prestation de serment des rentiers de vendre leur sel hors de Salins. Les clercs des Puits se trouvaient chargés par la nouvelle ordonnance, de surveiller le fer en dépôt dans la saunerie, ils détenaient la clé du lieu où se gardait le métal et tenaient des registres afin de connaître les dépenses et le fer disponible. Les deux clercs des sels ajoutaient à leur charge, la tenue d’un « arrest des sels 43 Par exemple, à Dole, en gouvernement, le tabellionage rapporta plus de 39 livres en 1409 alors que les amodiations donnèrent au maximum 30 livres en 1407 et 1419, tournant plutôt autour de 20 à 25 livres. Dans les tabellionages moins importants comme Rochefort, en 1405, le mode en gouvernement rapporta un peu plus de 5 livres, amodié en 1407, il rapporta un peu plus de 7 livres. 44 Exemples : Gendrey, 4 livres de 1415 à 1419 ; Ornans, 9 livres de 1416 à 1419. 45 M. Prinet, « L’industrie du sel en Franche-Comté… » art. cit. Tous deux sous la cote M. 128, le premier, fol. 1 à 44 et le deuxième fol. 62 à 71. 46 Voir première partie.

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Troisième partie  |  L’administration du comté par Jean sans Peur

de ladite saulnerie » chaque semaine, afin de connaître précisément les disponibilités. Enfin, le clerc du sceau s’engageait à signer de sa main toutes les cédules établies pour les ouvriers de la saunerie. Les nouvelles charges portaient essentiellement sur la surveillance, en particulier des constructions réalisées dans la saunerie. Un seul officier, le maître d’œuvre, détenait dorénavant la charge de toutes les transformations qui, à l’origine étaient tenues par trois personnes. Les moutiers furent les plus touchés par la réduction de personnel, passant de huit à quatre personnes pour les mêmes charges, entrainant de substantielles économies. D’autres offices furent totalement supprimés : le « contreroleur », le maître charbonnier, le maître « fevre » et le contre-clé de la porte47, fonctions redistribuées aux officiers restants. Jean sans Peur annula également toutes les compensations en nature, robes, lanternes, chandelles48, ainsi que toutes les récompenses ponctuelles en sel.

Tableau 70 : Officiers de la saunerie concernés par l’ordonnance de Jean sans Peur (13 avril 1412). Office

Ancien salaire annuel

Nouveau salaire annuel

Officier en place en 1412

Augmentation du salaire en %

Portier *

40 £ 8 s.

60 £

Gile de Laule

48,5%

Trois clercs des rôles *

30 £ / pers.

50 £ / pers. Jean de Traves Nicolas Oiselet Pierre Lebau

66%

Clerc ventier

27 £ 4s.

55 £

Estevenin Lanternier

102,2%

Payeur du bois de la porte

34 £

55 £

M Pierre Arbalestier

61,1%

Taxeur des bois 23 £ 4 s. à la porte

45 £

Guillemin Martine

93,9%

Clerc du grand 27 £ 4 s. puits d’Amont *

30 £

Jean d’Orbe

10,2%

Clerc du puits à Gres *

30 £

Guillemin le Bauleret 35%

22 £ 4s.

e

Deux clercs des 22 £ 4s. / sels* pers.

30 £ / pers. Guillemin Robert Renaud Macle

35%

Clerc portier ou délivreur *

45 £

Nicolas de Bleigny

65,4%

Clerc du sceau* 27 £ 4s.

27 £ 4s.

Huguenin de Poupet

0%

Moutiers *

50 £ / pers. Maitre Moutier : Huguenin Bauleret Moutiers : Thomas de Seurre, Étienne de la Perriere, Guillemin Maxilly

27 £ 4 s.

47 Ils n’ont pas tous été présentés dans l’étude sur la saunerie plus haut, mais leurs noms sont explicites. 48 Il était compté 70 livres d’économie sur les robes et 56 livres sur le reste.

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Les réformes  |  Chapitre 8

Office

Ancien salaire annuel

Nouveau salaire annuel

Officier en place en 1412

Augmentation du salaire en %

Clerc de la porte Oudin

17 £ 18 s. 4 d.

17 £ 18 s. 4d

Bien Aventureux

0%

Maitre d’œuvre49

22 £ 4 s.

36 £

Pierre de Villers

62,1%

4 sergents et gardes

16 £ 8 s. 25 £ / pers. Nicolas de Gray 4 d. / pers.

52,2%

Receveur de la gabelle

25 £

0%

25 £

Jean Vincent

* : Offices où ont été ajoutées de nouvelles charges.49 Le comte de Bourgogne désirait rendre sa saunerie plus rentable, les « defaus et negligences d’aucuns officiers qui au temps passez y ont esté » n’ayant pas contribué au bon fonctionnement de l’entreprise qui aurait dû être source d’un plus grand profit. Les choix de Jean sans Peur en la matière se révèlent intéressants puisqu’ailleurs, en duché comme en comté, il diminuait les salaires de ses officiers de manière arbitraire ou sous forme d’emprunts comme nous allons le voir, tandis qu’à Salins il les augmenta de façon parfois très importante. Il sut percevoir où était son intérêt et comment obtenir l’argent qui lui faisait tant défaut. La réforme du personnel de Salins était destinée à produire des retombées à moyen et long termes : mieux payés, les officiers devaient moins voler et mieux administrer l’entreprise. De plus, certains durent apprécier l’augmentation de responsabilités. On voit ici un prince soucieux de rentabilité, y compris à long terme, mais aussi à l’écoute des doléances tout comme des conseils puisqu’il ne fit rien d’autre qu’appliquer les préconisations du Pardessus. Jean sans Peur avait donc l’intelligence d’écouter ceux qui apparaissaient les plus à même d’élaborer des transformations efficaces ou tout au moins de suivre les avis des gens des comptes qui avaient mené toute cette réforme avec compétence. On perçoit donc bien les motivations qui conduisirent aux transformations de l’organisation de l’entreprise salinoise. En revanche, les ordonnances portant sur les réductions de salaires ou de pensions paraissent avoir eu un but à beaucoup plus court terme : obtenir des liquidités ou faire des économies immédiates. D. Les baisses de salaires Jean sans Peur établit plusieurs ordonnances portant sur des réductions de salaires qui concernaient tous ses territoires, quelques-unes étant plus limitées géographiquement voire parfois aussi chronologiquement. Richard Vaughan nous livre toutes celles visibles dans les sources50.

49 Il y avait d’autres maîtres, comme le maître des chemins et le maître couvreur qui touchaient à l’origine le même salaire que le maître d’œuvre, mais seul ce dernier fut maintenu dans sa charge par l’ordonnance. 50 R. Vaughan, John the fearless…op. cit., p. 115. La seule citée nommément dans les sources que nous avons dépouillées était datée du premier décembre 1408 (ADCO, B 1065), rappel de l’ordonnance de 1407 révoquant toutes les pensions puis la modération apportée par l’ordonnance de 1408 qui les diminuait seulement de moitié. Dans ce document se trouve aussi la liste des exemptés : toutes les personnes travaillant dans l’hôtel ducal.

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Troisième partie  |  L’administration du comté par Jean sans Peur

Tableau 71 : Liste des ordonnances de réduction de pensions et de salaires (1404-1419) tiré de R. Vaughan, John the fearless, the growth of Burgundian power, Londres, 1966, p.115. Dates Références

Période de réduction Nature des réductions

1407

A.D.N., B.1600, fol. 53.

Pas de date limite

Toutes les pensions accordées depuis 1405 ne sont pas payées.

1408

A.D.N., B.1600, fol.69.

1er janv. 1408-31 déc. 1408

Tous les salaires et les pensions des territoires du nord sont réduits de moitié.

1409

B.N., coll. Bourg. Pas de date limite 54, fol.204.

Arrêt de paiement de toutes les pensions.

1410

B.N., coll. Bourg. Un an 54, fol.302.

Tous les salaires, pensions et autres paiements, réduits de moitié.

1412

A.D.N., B. 1600, 1er janv. 1412-31 déc. 1412 fol. 144. A.D.N., B. 17614 B.N., coll. Bourg. 55, fol. 35.

Arrêt de paiement de toutes les pensions. Autres paiements réduits de moitié.

1413

B.N., coll. Bourg. 1er janv. 1413-31 déc. 1413 55, fol. 92-93.

Tous les salaires et les pensions des territoires du sud réduits de moitié.

1413

A.D.N., B. 1601, 1er oct. 1413-31 déc. 1413 fol. 26.

Arrêt de paiement de tous les salaires et toutes les pensions.

1415

B.N., coll. Bourg. 1er janv. 1415-31 déc. 1415 55, fol. 160.

Tous les salaires et pensions des territoires du sud réduits de moitié.

1416

A.D.N., B. 1601, Pas de date limite fol. 115.

Arrêt du paiement des pensions dans les territoires du nord.

Celles concernant également les territoires du nord ont été éditées par Jean-Marie Cauchies51. Les ordonnances se succédèrent à un rythme soutenu mais les baisses de salaires ou annulations de pension étaient fréquemment suivies d’exemptions accordées par le duc lui-même. Pour Richard Vaughan, les conséquences s’avéraient importantes sur la rémunération des officiers, les paiements devenant irréguliers et incertains. Le but principal visait à obtenir rapidement les sommes correspondant aux économies réalisées par les baisses de versements qui s’avéraient le plus souvent de faible importance. Les baisses de salaires ou de pensions touchèrent, en comté, les deux bailliages et les recettes particulières, la zone la plus concernée semblant être le bailliage d’Amont. Les lacunes des sources ne permettent pas de distinguer l’application de l’ordonnance de 1407 tandis que celle de 1408 fut assurément appliquée dans le bailliage d’Amont52,

51 J.-M. Cauchies, Ordonnances de Jean sans Peur…op. cit., p. 141-142, 268, 283, 289. 52 ADD, 1B102, fol. 70.

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la châtellenie de Bracon53 et la seigneurie de Faucogney54. Une lettre de Jean sans Peur, datée du 23 mai 1408, ramenait les salaires ou pensions de tous les officiers à la moitié de leur montant habituel. Mais ils furent nombreux à effectuer de multiples démarches afin d’obtenir des exemptions individuelles. Dans le bailliage d’Amont, le comte exempta le bailli, en considération de son rôle important55, il annula aussi l’application pour toute la châtellenie de Bracon qui ne fut ensuite plus jamais concernée par les différentes manipulations de traitements. Dans la seigneurie de Faucogney, le comte exprima le désir que soient versés intégralement le salaire du receveur ainsi que les deux rémunérations de Jean de Vergy, en tant que gouverneur et en tant que capitaine, excluant donc toute baisse à son encontre56. D’autres personnes bénéficiant de pensions furent également touchées par l’ordonnance de 1408 : Loyset Mulier, valet de chambre du duc, ne perçut que la moitié de sa pension à vie de 80 francs, payée par le trésorier de Dole. Les receveurs généraux réclamaient ensuite au trésorier les économies réalisées grâce à l’application de l’ordonnance. En 1408, ils demandèrent 366 francs au trésorier de Vesoul57 et 112 francs et demi au receveur de Faucogney58. Dans les années qui suivirent, Jean sans Peur eut à subir les réclamations des officiers qui avaient connu des baisses de salaires. Le compte de 1409 du bailliage d’Amont mentionnait la récupération par le trésorier de la moitié non versée l’année précédente qui s’ajoutait à son salaire annuel normal, le comte de Bourgogne « n’entendoit point que les gaiges ou pension ordinaire d’icellui son trésorier feussent aucunement compris en ladite ordonnance »59. Il fut question de l’ordonnance de 1408 jusqu’en 1411 : le capitaine Guillaume de Chauffour réclamant que lui soient payés tous ses arriérés de salaires, Jean sans Peur ordonna que son salaire de 1408 lui soit entièrement versé, la modération des rémunérations ne devant pas le concerner60. L’ordonnance de 1409 ne portant que sur les pensions, concernait donc Loyset Mulier, pourtant le comte de Bourgogne octroya une nouvelle fois une exemption, mandant le receveur de verser la totalité de la pension, ajoutant que tout nouvel ordre sur ce sujet ne concernerait pas ledit Mulier. L’ordonnance de 1409 ne fut donc pas appliquée en comté. Loyset Mulier obtint même en 141161 qu’on lui restitue la moitié non perçue de sa pension de 1408, le comte donna à son exemption établie en 1409, un effet rétroactif. En 1410, une nouvelle ordonnance cassait les salaires et les pensions de moitié, seule l’application dans le bailliage d’Amont étant décelable62. Il s’agissait plus précisément d’un emprunt sur les salaires, la moitié non versée devant l’être l’année suivante63. Tous les officiers n’étaient pas concernés : seuls les capitaines de Jussey et de Montbozon reçurent la moitié de leur salaire, ainsi que le gardien de la porte du château de Jussey, tous les autres percevant la totalité de leur rémunération. La somme empruntée s’avérait donc très faible64. Aucune lettre d’exemption accordée par Jean sans Peur aux autres officiers n’étant mentionnée, on ne sait pas comment les choix furent opérés et par qui. La seule 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63

ADCO, B 3352, fol. 9. ADCO, B 4686, fol. 33. Un des officiers les mieux payés du bailliage : 270 livres. Encore une fois, il s’agissait des salaires les plus élevés : 400 francs en tout. ADD, 1B101, fol. 50. Il s’agissait du receveur général de toutes les finances, Jean de Pressy. ADCO, B 4686, fol. 43. Cette fois à la demande du receveur des deux Bourgognes, Guillaume Chevilly. ADCO, B 1557, fol. 40. Octroi de Jean sans Peur, 20 juin 1410. ADCO, B 1561, fol. 37. ADCO, B 1561, fol. 40. ADCO, B 1561, fol. 36. Nous ne possédons malheureusement pas le compte de l’année suivante qui nous aurait permis de constater si le remboursement avait bien eu lieu. 64 Pour les deux capitaines, 35 francs et 1 livre 10 sous pour le portier.

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Troisième partie  |  L’administration du comté par Jean sans Peur

trace d’application de l’ordonnance de 1412 apparaît dans la seigneurie de Faucogney65 où comme en 1410, il s’agissait d’un emprunt forcé. Jean de Vergy y participa pour ses deux salaires de capitaine et de gouverneur mais en 1413, il récupéra 200 francs supplémentaires ajoutés à sa rémunération habituelle, en raison « de la moitié retardée de paier » de 1412. Les deux ordonnances qui se succédèrent en 1413 ne furent pas appliquées dans la seigneurie de Faucogney. Il devenait en effet difficile de rembourser la moitié des salaires de l’année précédente, tout en réduisant de moitié ceux de l’année en cours. En revanche, certaines pensions du bailliage d’Amont furent touchées comme celle de 20 livres de l’avocat Jean Perrot « mise au néant »66. Pour les autres, il faut se reporter au compte de 141567. La femme de Jean d’Allenjoie, capitaine de Châtillon, bénéficiait d’un don de 40 livres par an. Suite à l’ordonnance, elle avait été rayée des comptes de 1413 et 1414. Pourtant Jean sans Peur désira que la pension soit versée « non obstant ledit cassement », la dame perçut donc 80 francs68. Jean Sardon, nommé conseiller en 1413, ne toucha pas sa pension de 40 livres en raison de l’ordonnance. Encore une fois, le comte intervint, à l’égal de la femme de Jean d’Allenjoie, on ne lui donna que 80 francs. Mais l’octroi de Jean sans Peur ne portant que sur la première ordonnance de 1413, Jean Sardon subit aussi l’application de la deuxième. Il adressa une requête à Jean sans Peur arguant qu’il ne pourrait supporter sa charge sans compensation et en avril 1416, lui fut accordé le paiement de la totalité de ce qui lui était dû. En 1413, pour la première fois, le bailliage d’Aval fut concerné, mais cela toucha peu de personnes, seulement un petit nombre de conseillers pensionnés69. Le receveur général Jean de Noident réclama 120 francs, somme bien supérieure à l’économie réalisée. Dès l’année suivante70, des lettres du comte ordonnaient aux gens des comptes le relèvement de toutes les pensions diminuées, pourtant, en 1414, la situation des conseillers étaient toujours la même. Le mandement de Jean sans Peur comprenait le conseiller Guy Gelinier et sa pension de 40 livres qui aurait été réduite à 40 francs, pourtant en 1413, le conseiller Gelinier avait bien touché ses 40 livres ! L’ordonnance de 1415 fut la plus largement appliquée, touchant les deux bailliages et la seigneurie de Faucogney. Deux manipulations coexistèrent71 : une baisse de salaire pour tous les officiers72 et le prélèvement de la moitié de tous les émoluments et pensions ordinaires des officiers « par manière d’emprunt »73. Dans la seigneurie de Faucogney, le seul salaire que le receveur ait tenté de diminuer fut celui de Jean de Vergy pour son office de capitaine, le ramenant à 100 livres. Mais comme les autres fois, Vergy fit appel à la mansuétude de Jean sans Peur qui céda, le receveur fut donc contraint de lui verser la totalité de sa rémunération après entérinement par les gens des comptes de l’exemption. Les salaires des autres officiers furent tous versés aux tarifs habituels, le receveur n’appliqua donc aucune baisse, ce qui n’empêcha pas le receveur général de toutes les finances de prélever 134 francs sur la recette de Faucogney « a cause de la moitié de tous les gaiges des officiers de monditseigneur »74. Dans le bailliage d’Amont, l’application 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74

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Dans le compte de 1413, ADCO, B 4689, fol. 38. Jean de Vergy fut le seul touché par l’ordonnance. ADCO, B 1574, fol. 44. ADCO, B 1583, fol. 53. Au lieu de 80 livres, donc l’équivalent à peu près de 72 livres. ADCO, B 1567, fol. 122. Par exemple, Bon Guichart, avait une pension annuelle de 45 livres par an, elle passa à 40 francs : 36 livres. Un autre, Pierre de Clairvaux, ne perçut rien du tout. ADCO, B 1579, fol. 106. Lettres datées du 19 octobre 1413. La meilleure présentation des applications se trouvent dans les comptes de 1415 du bailliage d’Aval, ADCO, B 1582, fol. 81. Ordonnance du 7 avril 1415. Nouvelles lettres patentes rédigées le 17 avril. ADCO, B 4691, fol. 58.

Les réformes  |  Chapitre 8

de l’ordonnance de 1415 n’eut pas beaucoup plus d’efficacité : seuls quelques capitaines furent touchés75. Enfin, le bailli Erart du Four n’ayant reçu que la moitié de ses 200 livres de salaire, bénéficia d’une lettre de Jean sans Peur accordant le paiement intégral de sa rémunération76. Toutes ces exemptions n’empêchèrent pas Jean de Noident, receveur général de toutes les finances, de prélever 260 francs sur la recette de Pierre le Monniat, en raison de la diminution des salaires77. Dans le bailliage d’Aval78, tous les capitaines furent touchés, cependant de nombreux articles étaient rayés des comptes. Les clercs distinguaient bien la diminution de salaire de l’emprunt de la moitié. Quelques-unes des nombreuses pensions versées dans le bailliage subirent le retard de paiement de la moitié « en manière d’emprunt ». Trois conseillers seulement furent touchés79, les autres comme le trésorier, le procureur, conservèrent la totalité de leur revenu. Le portier d’Ornans contribua également à l’emprunt forcé ainsi que deux receveurs. Enfin, le maréchal de Vergy qui percevait 500 francs par an pour sa charge sur la recette d’Aval ne fut pas concerné par l’emprunt forcé. Jean de Noident préleva 600 francs sur la recette du trésorier de Dole en raison de la moitié des salaires et pensions non versées80.818283

Tableau 72 : Application de l’ordonnance de 1415 sur les salaires des capitaines du bailliage d’Aval. Châtellenie

Anciens salaires Nouveaux salaires

Emprunts de la moitié

Apremont

40 £

------------

20 £

Château-Châlon 12 £



----------

Fraisans

25 £

20 £

10 £ (rayé)

La Châtelaine

25 £

12 £

----------

Montmirey

40 £

30 £ (rayé) ----------

Montmorot

30 £ (rayé)

----------

----------

Ornans

40 £

15 £

13 £ 15 s.82

Poligny

38 £

19 £

---------

Pontarlier

40 £

60 £

Quingey

80 florins

40 florins

---------

Rochefort

100 £

40 £

---------

Valempoulières

50 £

25 £

----------

81

---------83

75 ADCO, B 1583, Le châtelain de Montjustin toucha 30 francs au lieu de 40 mais sollicita le comte pour récupérer le salaire total. Le capitaine de Chatillon vit son salaire diminué de 60 à 50 livres et n’en perçut que la moitié mais devant être remboursé, seul officier du bailliage qui l’année suivante, percevait toujours un salaire modéré de 50 livres. 76 Ibid. fol. 49. La lettre est datée du 27 juin 1415. 77 Ibid., fol. 54. 78 ADCO, B 1582, fol. 81. 79 Guillaume de Chassey, Giles Jourdain et Bon Guichart. 80 ADCO, B 1582, fol. 93. Pour le voyage de la fille de Jean sans Peur mariée au comte de Clèves. 81 Salaire cassé à 20 livres mais relevé à 30 livres par accord du duc. 82 Payé la moitié de l’année à 40 livres, l’autre moitié à 15 livres. La moitié de tout pris en manière d’emprunt. 83 Le salaire devait passer à 15 livres, mais Jean sans Peur accorda 40 florins : 33 francs demi.

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Troisième partie  |  L’administration du comté par Jean sans Peur

La dernière ordonnance de 1416 ne paraît pas avoir été appliquée en comté : aucune baisse de salaire n’était mentionnée, pas plus que le remboursement de la moitié des rémunérations empruntées l’année précédente. Pourtant, Jean Fraignot, le receveur général des deux Bourgognes, préleva auprès du trésorier de Vesoul, de l’argent qu’il devait « pour restruiction de gaiges »84. Il est difficile de déterminer les modalités d’application de ces ordonnances : par exemple, qui décidait quels officiers allaient être touchés par les baisses de salaires ? Et puis, comment appliquer une ordonnance de baisse des traitements alors que l’année précédente avait été promis le remboursement de celle venant d’être effectuée. Remboursement qui d’ailleurs n’avait lieu qu’après intervention du comte par une lettre. Mais surtout, la multiplication des exemptions montre les limites du système : Jean sans Peur cédait systématiquement à toute requête personnelle, ne désirant pas s’aliéner ses officiers. Cette pratique engendrait surtout des mécontentements et ne permettait d’obtenir que de petites sommes supplémentaires. Il est assez étonnant de voir avec quelle constance la méthode fut pourtant reconduite85. Certaines ordonnances visaient donc à tenter d’améliorer la gestion des comptes et la protection des habitants, peu cherchèrent des transformations radicales à l’exception de la réforme touchant la saunerie de Salins. Quant aux manipulations sur les salaires et pensions, elles s’évertuaient avant tout à pallier aux besoins d’argent immédiat du comte. En fait, chaque principat connaissait des réformes administratives plus ou moins importantes et celui de Jean sans Peur ne fit pas exception. 2. Les ordonnances judiciaires A. Contrôler les appels À l’encontre de ses prédécesseurs, dans le domaine judiciaire, Jean sans Peur promulgua peu d’ordonnances ayant une portée sur le comté86. Sa mère fut cependant à l’origine d’une ordonnance réformatrice édictée le 7 mars 1405, la date n’étant pas anodine, le parlement de Dole siégea à partir du 9 mars 1405. Cette ordonnance tentait, comme plusieurs avant elle, d’enrayer la multiplication abusive des appels « frivoles »87. D’autant que les personnes s’opposant aux sentences judiciaires ne se pressaient pas de le faire savoir aux officiers comtaux, il en résultait retards et perte de temps. La perception de l’amende établie en première instance s’en trouvait également repoussée, Marguerite parlant même dans ce cas de « fraude et malice ». Le principal problème ici résidait dans l’application de l’ordonnance, il semblerait y avoir eu impossibilité inavouée de faire appliquer les nouvelles règles par les officiers. Les délais impartis et les modalités de l’appel ont été détaillés lors de l’étude des deux parlements, insistons simplement sur les points censés assurer l’application de l’ordonnance. Les sergents prenant connaissance des appels poursuivis devaient rapporter ­l’information au bailli ou à ses clercs qui l’enregistraient immédiatement. S’ils n’opéraient 84 ADCO, B 1587, fol. 50 : 201 francs 3 gros, mais aussi pour prélèvements sur les ventes de garnisons. 85 Mais on retrouve les mêmes pratiques dans le duché de Bretagne où se succèdent les « cassements » de gages, les suspensions temporaires totales ou partielles, les réductions de moitié, etc. Mesures éphémères à portée limitée compte tenu de la part des salaires dans le budget, J. Kerhervé, L’État breton…op. cit., p. 508. 86 Elles ont déjà été évoquées, elles sont réunies dans : E. Champeaux, Ordonnances franc-comtoises… op. cit. 87 Ibid., p. 73 à 75.

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pas ainsi, ils étaient passibles d’une amende de 5 livres pour chaque appellation « qu’ils auroient failly de rapourter ». À l’étape suivante, les baillis envoyaient leurs sentences faisant l’objet d’un appel au greffier du parlement. L’appellation ayant été relevée, le procès et la sentence du bailli devaient parvenir au greffier « cloz et scellez seurement deans quinze jours apres l’execution desdiz relievement ». En cas de défaut d’application, le bailli payait obligatoirement 10 livres, un montant élevé. Les sommes à verser en cas de fautes apparaissent liées à la place dans la hiérarchie, les sanctions augmentant en fonction des responsabilités. Il paraît y avoir également une volonté d’impliquer de façon plus importante les officiers judiciaires dans l’organisation des appels, afin qu’ils s’effectuent plus rapidement, sans pour autant que baillis et sergents aient un droit de regard pour juger le bien-fondé de ces appels. Nous avons cependant pu constater précédemment que les appellations continuaient à être pléthoriques. L’ordonnance n’eut donc aucun effet sur ce point. On ne sait pas si les délais étaient bien respectés, mais les appels désertés ou renoncés restaient très nombreux. Et sans oublier les cas d’appels relevés, la procédure ayant été respectée, mais où les personnes concernées ne s’étaient pas déplacées. On voit donc toutes les limites de cette ordonnance, l’encombrement des tribunaux continuait malgré tout à être monnaie courante. Dans le royaume voisin, la procédure apparait différente88 : lorsqu’un plaideur avait appelé et le regrettait, il pouvait obtenir des lettres afin d’annuler son appel, puis s’il désapprouvait cette renonciation, de nouvelles lettres pouvaient l’en relever. Il s’agissait de lettres royales, capables de modifier constamment la procédure. Le plaideur pouvait également y mettre fin sans attendre de décision du juge, étant mis alors « hors de cour »89. En appelant à tout moment, sans raison, du moindre acte ou de la moindre décision, le justiciable freinait le cours de la justice et « l’art suprême du mauvais plaideur consistait à retarder constamment son procès en entamant des procédures d’appel sans jamais les achever »90. Ce type de comportement parait avoir eu tendance au xve siècle, à toucher également le comté avec pourtant ici, une volonté d’en limiter les effets par des possibilités plus encadrées, moins souples. B. Tenue des assises Jean sans Peur s’était-il rendu compte de la difficulté d’instaurer des réformes profondes dans le système judiciaire ou n’avait-il simplement pas eu ni le temps ni l’envie réelle d’effectuer une tentative ? En examinant les ordonnances dont il fut l’instigateur, nous constatons de sa part une démarche différente. La première dont il va être question avait été établie pour le duché91. Elle portait sur la tenue des assises le dimanche et les mêmes restrictions furent vraisemblablement appliquées au comté. Écrite le 4 janvier 1413, sa rédaction résultait de « la saincte et devote remonstrance » de certaines personnes reprochant au duc de Bourgogne la tenue d’assises les dimanches et fêtes, coutumière dans le duché malgré « l’ordonnance et commandement de dieu et nostre mere sainte eglise, mais aussi selon droit escript ». Dans le duché, on ne se préoccupait pas de l’heure du service divin pour la tenue des jours de justice, ce qui pour les quémandeurs, s’affirmait être une véritable offense divine. Certaines personnes convoquées par la justice ducale ne pouvant assister à la messe dominicale en étaient tellement troublées que les débats lors des procès s’en ressentaient. Fut donc interdit de tenir les jours de justice 88 B. Guenée, Tribunaux et gens de justice…op. cit., p. 237. 89 Ibid., p. 244. 90 Ibid., p. 298-299. 91 ADCO, B 11683.

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les dimanches et fêtes annuelles et tous les jours de fêtes des saints patrons de paroisses. En cas de transgression de l’ordonnance, toute sentence établie ce jour-là deviendrait nulle et non avenue, des amendes étant prévues, dont la moitié reversée à la fabrique de l’église touchée par la tenue des assises et l’autre moitié destinée à la fortification des lieux où les habitants devaient « retraire ». Cette ordonnance, même ducale, montre les préoccupations de Jean sans Peur, différentes de celles de ses prédécesseurs. Il répondait favorablement à une demande qu’il jugeait fondée et portant plutôt sur le salut des âmes de ses sujets. L’interdiction de tenir les jours de justice ne se limitant pas au dimanche, cela diminuait d’autant la possibilité de tenir un grand nombre d’assises. Seuls le bailli et son lieutenant pouvaient tenir des journées de justice, les territoires sous leur juridiction s’avérant assez vastes. L’ordonnance apparait donc plutôt en faveur des justiciables, même s’il ne s’agissait pas d’une transformation fondamentale. Il est difficile d’affirmer l’application de cette ordonnance sur l’ensemble du comté, elle le fut cependant de façon certaine dans la châtellenie de Bracon. Un dénommé Jean Pourte de Salins bénéficia de la donation à vie de la recette des « clergies » sous certaines conditions : il devait verser 25 livres par an au trésorier de Dole, somme se montant à 38 livres si les officiers comtaux tenaient les assises de Bracon le dimanche « comme l’on souloit faire naguaires »92 démontrant donc que l’on cherchait à l’éviter. La proximité des dates entre l’ordonnance ducale et la mention découverte dans les registres de Bracon conduit à l’hypothèse d’une application de l’interdiction des jours de justice le dimanche dans cette partie du comté. Il est possible de constater, grâce aux registres suivants qu’il n’y eut jamais d’assises le dimanche à Bracon. C. La « grande réformation » Le seul acte véritablement réformateur pour l’ensemble du comté fut « la grande réformation ». Déjà sous le duc Eudes IV, ce type d’institution fonctionnait, tout en restant exceptionnel. Lorsque certaines affaires faisaient un peu trop scandale, deux réformateurs étaient commissionnés dans le duché ou le comté, afin de tenir des assises dans les villes, d’y recevoir les plaintes portées contre les officiers, voire de réformer l’administration de la justice. Cela fait inévitablement penser aux premières enquêtes réalisées dans le royaume voisin dès le xiiie siècle lorsque Louis IX envoya des enquêteurs à travers la France chargés « de faire cesser les abus des agents royaux et de faire droit aux plaintes de ses sujets »93. Par la suite, la pratique devint courante et imitée. Sous les Valois, cette méthode perdura avec cependant un but fiscal plus affirmé en recherchant les fraudes sur le sel ou sur les monnaies. Les tentatives pour stopper les abus des officiers visaient, selon Jean Richard, à remplir les caisses ducales plutôt qu’à « soulager les sujets »94.

92 ADCO, B 1579, fol. 58. Ces recettes étaient déjà présentes dans les comptes des années précédentes, la précision apparait pour la première fois en 1414. 93 O. Canteaut, « Le juge et le financier. Les enquêteurs réformateurs des derniers capétiens (13141328) », in L’enquête au Moyen Âge, C. Gauvard (éd.), École Française de Rome, 2008, p. 269318. On peut également se reporter à l’étude de l’utilisation du terme réformation dans le royaume de France, apparu sous Louis IX et où il semble disparaitre aux alentours de 1420 car trop connoté aux tentatives au cours de la guerre civile. P. Contamine, Des pouvoirs en France, 1300-1500, Paris, 1992, p. 37-47. 94 J. Richard, « Les institutions ducales… » art. cit.

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L’ampleur de la « réformation » engagée par Jean sans Peur, sa durée et le nombre de commissaires nommés, montrait cependant un désir d’améliorer plus profondément le système judiciaire. La réforme, présentée dans la lettre instituant le parlement de 141395, établissait les compétences, dont celles des procès de la « réformation » pouvant toucher tous les sujets, officiers et autres, du comte de Bourgogne. Si les procès eurent lieu en 1413, il s’avère que la « grande réformation » était bien antérieure, témoin un document contenant copie de l’ordonnance de Jean sans Peur datée du 15 juin 140596. Un début d’application s’effectua par l’intermédiaire de conseillers dijonnais du comte en mai 1406, personnes commises pour appliquer sa réforme : le bailli de Dijon, Antoine Chussaing ; le bailli et maître des foires de Chalon, Guichart de Saint-Seine ; le bailli d’Auxois, Jean de Rochefort et Guillaume Macenet, chanoine de Vienne, Besançon et Autun. Leurs pouvoirs s’étendaient au duché, au comté et à toutes les terres par-delà la Saône relevant de la souveraineté du duc de Bourgogne. Le recrutement apparait à peu près exclusivement ducal. Le but de la réforme consistait à ce que « toutes choses contraire au bien de justice soient extirpés de nosdit pays » et que « les exces, abuz, delis, fait et perpetrés ou temps passé en noz pays, dont pugnition n’a esté faite, soient convenablement reparez ». Cela correspondait souvent à une rhétorique élaborée montrant un souverain, ou comme ici, un prince, se souciant au plus haut point du bien être de son peuple97. La réforme qui devait aboutir à la punition de tous les délinquants, officiers ou non, donnait le sentiment que la justice avait jusque-là fait preuve de laxisme, laissant en liberté, sans aucune sanction, des personnes passant leur temps à abuser de leur fonction, de leur position. Or, il existait des cas d’amendes prélevées sur des officiers indélicats dans les assises de bailliage98 comme aux assises parlementaires où quelques officiers furent mis en jugement en 1405, bien que cela reste très minoritaire. L’ordonnance édictait également que la « grande réformation » s’appliquait aussi aux délinquants ayant échappé à la justice, on ne pouvait être moins précis. La constatation première est qu’à l’instar de l’ordonnance précédente sur les jours de justice, il s’agissait avant tout de contenter les justiciables. Les contemporains vivant des périodes d’insécurité fréquentes en rejetaient sans doute en partie la faute sur les agents comtaux ou tout au moins faisaient-ils office d’exutoire. En affichant une justice comtale n’épargnant personne, Jean sans Peur désamorçait indirectement les mécontentements. Les expressions utilisées dans l’ordonnance apparaissent en ce sens révélatrices, par exemple tous les cas étudiés par les réformateurs devaient regarder « nostre justice et nos sujets et le bien publique de nostre dit conté », lui donnant par ailleurs la possibilité d’intervenir partout dans son domaine et également là où se trouvaient ses sujets même s’ils relevaient de la justice d’un autre seigneur. « La grande réformation » n’était pas une réforme de la justice comme celles proposées par Philippe le Hardi, elle ne touchait pas au fonctionnement judiciaire, cherchant plutôt à en améliorer l’application en nommant des commissaires extraordinaires chargés de traquer les causes enterrées, oubliées voire dissimulées, mais ne modifiant en rien le système judiciaire du comté. Ces enquêtes

95 ADCO, B 11412. 96 ADCO, B 11401. 97 O. Canteaut, « Le juge et le financier… » art. cit. 98 Il est vrai que leur nombre était faible. Par exemple dans le bailliage d’Aval, cela représentait 6,5% de l’ensemble des cas.

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présentent d’ailleurs un côté ambigüe car si elles paraissaient guidées par un souci de justice, les premiers bénéficiaires en étaient le prince et ses finances99. Les causes découvertes par les commissaires furent jugées par le parlement de 1413, il y eut donc un long délai entre la nomination des commissaires en 1405 et les premières sanctions. Les moyens donnés aux réformateurs apparaissent importants. Le bailli de Dijon fut institué président de la réforme. Jean sans Peur établit également un greffier, notaire et donna aux commissaires « puissance de faire ordonner procureur au nom de nous ». Ils choisirent Jean Fraignot de Chalon, optant donc pour l’unicité de la fonction sur l’ensemble des territoires où était appliquée la réforme, Fraignot ayant cependant la possibilité de nommer des substituts. Ces officiers, ayant obtenu leur fonction de façon extraordinaire, devaient être obéis sans aucune opposition possible, Jean sans Peur interdit même dans le comté et les terres d’outre Saône toute possibilité d’appel pour les causes traitées par les réformateurs, véritable atteinte aux droits coutumiers des populations. Les compétences des commissaires s’avéraient être les mêmes que celles de tous les officiers de justice de l’époque : mener des enquêtes, recevoir des requêtes, convoquer les personnes concernées et découvrir la vérité le plus brièvement possible. Une fois celle-ci faite, les commissaires avaient le droit de punir et corriger comme de suspendre les officiers de leur charge si la preuve de leur délit avait été établie. Les pouvoirs octroyés laissaient cependant augurer une justice expéditive avec la décision immédiate de la culpabilité ou de l’innocence, les présumés délinquants n’ayant alors plus aucun moyen de se défendre. Dans les faits, le procureur poursuivait toutes les causes touchant le duc-comte. Il détenait plein pouvoir pour faire appel publiquement au témoignage ou à la délation envers des officiers, encore en charge ou non, ou simplement d’autres sujets du comte. La requête devait parvenir par écrit, les commissaires employant d’ailleurs le terme de dénonciation. L’enquête permettait ensuite au procureur d’emprisonner « les crimineulx ou culpables », leurs biens inventoriés et mis en lieu sûr, les réformateurs sommant les officiers locaux de prêter leur prison en cas de besoin. S’il ne s’agissait que de simples délinquants, le procureur les convoquait devant les commissaires qui, après avoir pris connaissance des éléments de l’enquête établie par Jean Fraignot, évaluaient l’amende à attribuer pour le délit. Les réformateurs utilisaient une démarche plus proche de la procédure usuelle pour les cas moins graves, une instruction permettant de produire des témoins100. En 1413, les réformateurs se contentèrent de rapporter les cas qu’ils avaient rencontrés101, une distinction étant faite entre les délits perpétrés dans le bailliage d’Amont, le bailliage d’Aval et les terres d’outre Saône. La seule et unique sanction rencontrée dans les sources était l’amende alors que l’ordonnance envisageait l’emprisonnement et la confiscation des biens. Un seul cas présenté lors du parlement de 1413 évoquait deux coupables demeurés longtemps en prison pour leur délit, ce qui justifiait la minoration de leur amende102.

99 O. Canteaut, « Le juge et le financier… » art. cit. 100 L’ensemble de ces éléments provient toujours du document ADCO, B 11401. Le texte contient la copie de l’ordonnance, plus les premiers actes des réformateurs. Ensuite nous n’avons aucune trace de l’application de la « grande réformation » avant le Parlement de 1413. 101 On ne sait pas cependant s’il s’agissait de la totalité des cas rencontrés depuis 1406 ou simplement les plus récents. ADCO, B 1567, fol. 89-100 : délits de la « réformation ». 102 Pour un homme battu sur le grand chemin, 60 sous tournois.

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Graphique 74 : Répartition géographique des délits de la réformation. Bailliage d’Aval. Bailliage d’Amont. Terres d’outre Saône. 12% 29%

59%

Une importante disproportion existait entre les deux bailliages, celui d’Aval comptant presque cinq fois moins de délits jugés par les commissaires de la réforme que celui d’Amont. Comment expliquer une telle différence alors que le bailliage d’Aval était plus grand et plus peuplé ? Les habitants du nord, y compris la seigneurie de Faucogney, avaient-ils moins de scrupules à jouer de la délation ou le laxisme judiciaire y était-il jugé plus important ? Les délits des terres d’outre Saône, localisées autour d’Auxonne et de Chaussin, apparaissent également très nombreux si l’on tient compte de la faiblesse de l’aire géographique concernée. À travers cette répartition, le bailliage d’Aval offre l’image d’un secteur préservé à la justice bien rendue. Il faut aussi envisager une autre hypothèse, une partie des terres du sud étant enclavée, éloignée, cela pourrait justifier, en partie, le peu de délits dénoncés dans cette partie du comté. L’hypothèse ne suffit pas cependant à expliquer la disproportion du nombre de cas existant entre les deux bailliages, les délits découverts par les réformateurs ne devaient donc pas tous être présentés dans ce compte de 1413, une partie en ayant vraisemblablement été comptabilisée ailleurs. La répartition des amendes sanctionnant les délits dévoile des proportions quasiment similaires à la répartition géographique, signifiant que le montant moyen des amendes était comparable dans les trois secteurs envisagés, tendant à démontrer d’une part l’équité des réformateurs, mais aussi vraisemblablement l’analogie des délits rencontrés. Le montant des amendes perçues apparait souvent très bas. Sur 400 cas comptabilisés pour l’ensemble des trois régions, dix seulement représentaient une amende de plus de 100 francs103 et vingt-sept concernaient des amendes comprises entre 20 et 90 francs104. La grande majorité des versements montrait une valeur inférieure à 20 francs, dont une forte proportion en dessous de 5 francs : 65,5% de toutes les amendes105. Le total rapporta 6 437 francs, somme non négligeable. 103 Donc 2,5% du total. 104 Représentant 6,7% du total. 105 En tout 262 cas.

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Troisième partie  |  L’administration du comté par Jean sans Peur

Graphique 75 : Répartition du montant des amendes de la réformation par secteur géographique. Bailliage d’Aval. Bailliage d’Amont. Terres d’outre Saône. 14% 27%

59%

Comme pour les assises de bailliage ou du parlement, les raisons amenant une personne à verser une amende dans le cadre de la « grande réformation » se trouvaient en général indiquées, malgré quelques exceptions106. Le nombre de délits commis par les officiers y compris les agents non comtaux apparait très minoritaire : 3,5% des cas recensés107. La majorité signalait seulement des abus ou des excès commis dans l’exercice de la fonction, sans détail. Lorsqu’ils étaient fournis, six cas seulement concernaient des officiers ayant abusé de leur pouvoir comme par exemple cet ancien prévôt du Bourg-Dessous de Salins qui avait « levé deniers pour son droit »108. Quant aux autres délits, ils portaient plutôt atteinte aux droits du comte qu’au bien être des habitants du comté. Les agents d’autres seigneurs commettaient des abus assez classiques comme ce sergent du sire d’Arlay ayant gagé sur le domaine sans en référer à la justice comtale109. En dehors d’un faux tabellion, un cas apparait plus exemplaire : le châtelain de la Rivière avait prélevé sur des hommes relevant du comte de Bourgogne, poulets, pièces de lard et autre, en échange de sa protection contre les gens d’armes qui passaient « en tousjours foulant les subgets de monditseigneur »110. La « grande réformation » destinée à diminuer les abus des officiers ne parait pas avoir eu l’effet escompté peut-être par peur de représailles ou cela démontrait simplement que les officiers ne commettaient pas autant d’excès qu’on leur en prêtait. Enfin,

106 Parfois, seul un nom était inscrit. Rarement pour le bailliage d’Aval : sept cas, plus fréquemment pour le bailliage d’Amont : trente-deux cas et cent sur les 107 recensés en terre d’outre-Saône. 107 Quatorze sur 400. Aucun n’a été trouvé pour les terres d’outre Saône, cinq pour le bailliage d’Aval et neuf pour le bailliage d’Amont. 108 Passible de 50 livres d’amende. 109 Passible de 10 livres d’amende. 110 Six écus d’amende.

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on peut souligner les montants des amendes bien supérieurs en général à ceux établies par les assises de bailliages pour le même ordre de délit. En dehors des abus d’officiers, en nombre de cas recensés, les délits les plus nombreux portaient sur un aspect de la vie quotidienne des habitants du comté : le problème d’endettement111. Les montants réclamés pour ces délits se révèlent très variables. En règle générale de faible valeur, l’amende s’élevait si la personne avait produit plusieurs faux contrats112. La règle choisie par les réformateurs semblait être de 1 franc par « gaigerie illicite » mais elle ne fut pas toujours respectée113. Tous ces délits avaient en commun la même réalité, l’endettement. Les cas revenant le plus fréquemment, surtout dans le bailliage d’Amont, étaient les « gaigeries ». Les sergents comtaux procédaient ainsi, prélevant des gages sur les personnes ayant commis des délits. Ils pouvaient également cautionner la levée de gages de personnes civiles voulant récupérer un prêt, nécessitant pour cela l’autorisation du prévôt. En effet, dans le cas d’une rente constituée, le créancier avait, dans certains lieux, la faculté de saisir un bien au moindre défaut de paiement114. Un contrat faux ou qualifié de « gaigerie illicite » signifiait vraisemblablement qu’il était effectué en dehors de toute autorité, en particulier celle du prévôt, engendrant des abus, voire des exactions lorsque le créancier se transformait en usurier115. Les « gaigeries illicites » apparaissent de loin les plus nombreuses. Le gage était fréquemment assis sur des biens fonciers : sur une pièce de terre, le créancier prélevait à son profit les « premiers fruits », sur un pré, il récupérait la « première toison ». Le prêt était parfois si important que la récolte du champ ou du pré se retrouvait aliénée pour de nombreuses années116. Le prêt sur gage représente le plus bas niveau de la confiance et de la réciprocité, instrument par excellence des économies « pauvres » car il s’agit d’une forme sans danger pour le créancier117. Il existait malgré tout des remboursements en argent : une personne ayant prêté 4 francs aux habitants de Bouhans réclamait 12 sous 9 deniers d’intérêt118. 111 Dans les trois ensembles géographiques concernés, 50,25% portaient sur des « gaigieres illicites » ou de « faux contrats » ou encore « contrats usuraire ». Avec une importante majorité, 77,6%, le bailliage d’Amont comptait le plus grand nombre de cas recensés (156 cas sur 201 au total.), contre seulement 9% dans les terres d’outre Saône (dix-huit cas) et 13,4% dans le bailliage d’Aval (vingt-sept cas). 112 Dans les terres d’outre Saône, une personne à l’origine de quarante-deux contrats dut verser 100 livres, une autre qui en avait produit trente-deux, dut payer 50 livres. 113 Il y avait une amende de 6 francs pour six contrats et une amende de 10 francs pour quatre contrats. 114 J.-M. Yante, « Crédit urbain, crédit rural, crédit industriel. Le cas du pays mosan (xive-xve s.) », in Crédit et société : les sources, les techniques et les hommes (xive-xvie s.), rencontres d’Asti-Chambéry, 24-27 sept. 1998, Publication du Centre Européen d’Études Bourguignonnes, 1999, p. 133-150. La rente résultait du prêt d’un réel capital, à différencier des prêteurs « à la petite semaine » qui acceptaient la mise en gage de modestes outils, de vêtements ou d’ustensiles. 115 La « gaigerie » était alors qualifiée d’usuraire. Une « gaigerie » illicite n’était donc pas obligatoirement usuraire, mais elle pouvait aussi être les deux à la fois. En 1403, dans le royaume voisin, le souverain donna pouvoir à de nouveaux commissaires d’ouvrir une information sur les personnes pratiquant des contrats usuraires, C. Gauvard, « De la requête à l’enquête. Réponse rhétorique ou réalité politique ? Le cas du royaume de France à la fin du Moyen Âge », in L’enquête au Moyen Âge, C.  Gauvard (éd.), École Française de Rome, 2008, p. 429-458. Ce problème apparait donc bien présent et vraisemblablement récurrent. 116 Par exemple deux pièces de terre dont le créancier récupéra les récoltes pendant seize ans : prêt de 3 florins. 117 L. Fontaine, « Introduction », in Endettement paysan et crédit rural dans l’Europe médiévale et moderne, Actes des XVIIIe Journées Internationales d’Histoire de l’Abbaye de Flaran, sept. 1995, M. Berthe (éd.), Toulouse, 1998, p. 7-21. 118 Amende : 12 sous. Définition de l’usure : prêt d’argent à un taux d’intérêt supérieur de plus de moitié aux taux normalement pratiqués dans les mêmes conditions.

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On pouvait distinguer deux formes principales de prêt dans les campagnes : des prêts à court terme, « de survie », pour les semailles et la soudure, engageant seulement la prochaine récolte, ou uniquement un faible nombre d’années ou le prêt à long terme, emprunt d’un véritable capital destiné à un achat de terre ou de maison, le remboursement s’apparentant alors à une rente119. Les taux d’intérêt s’avéraient parfois très élevés, au milieu du xive siècle, ceux pratiqués par les prêteurs juifs dans les campagnes allaient de 20% à 80%120, véritables taux usuraires. La « grande réformation » traita donc de nombreux cas concernant le crédit, démontrant qu’il s’agissait d’un véritable lien social aidant les plus pauvres à vivre en leur donnant un peu de grains ou d’argent alors qu’ils étaient déjà pour certains endettés au-delà de la valeur de leurs biens121. La multiplication des cas apparait comme la manifestation d’un surendettement paysan amenant à porter en justice des situations qui devenaient vraisemblablement intenables. On ne connait pas les taux pratiqués par les contrevenants découverts par les commissaires de la « grande réformation » mais dominaient les cas ne comptant qu’une ou deux « gaigeries » donc de petits prêts destinés à aider des voisins connaissant une gêne passagère. Ce qui expliquerait que l’on ne jugeait pas nécessaire de recourir à l’autorité comtale pour établir l’accord. Il est en effet vraisemblable qu’une grande partie de la réalité de l’endettement paysan échappe aux yeux de l’historien car la majorité des contrats étaient oraux, passés entre parents et amis, ils ne s’établissaient pas devant des notaires, ce qui aurait signifié une marque de défiance122. Quant aux autres délits découverts par les réformateurs123, ils ne s’avèrent pas différents de ceux déjà rencontrés dans les assises de bailliage. Plus de la moitié correspondait à des attaques, agressions, garde enfreinte, lettres prises de force, sergents « rescoux » de leurs gages ou autres actes de violence. Aucune affaire ne sortait véritablement de l’ordinaire hormis deux agressions ayant entraîné la mort de la victime quinze ou vingt ans auparavant, ce qui allait bien dans le sens de la « réformation » dont le but se voulait en partie la punition de ceux ayant échappé à la justice. Mais cela restait cependant des cas isolés. D’autres délits pourraient être regroupés sous l’appellation d’atteinte aux droits du comte : acquisitions de fiefs ou d’éléments de fiefs sans l’autorisation de Jean sans Peur124 ou encore construction d’une galerie sur le chemin comtal par exemple. Enfin, les actes restants correspondaient surtout à des défauts aux assignations faites par les réformateurs. Certaines affaires n’apparaissent pas dans les sources comptabilisant les amendes. Les habitants du Bourg-Dessus cités à comparaitre devant les réformateurs généraux par le procureur de Jean sans Peur étaient accusés d’avoir abusé de leurs ­privilèges au détriment du comte125, le procureur demandait donc l’abolition de ces privilèges. Les habitants produisirent leurs lettres de franchises mais le procureur ne voulait rien savoir. Jean sans Peur, averti, fit retarder le jugement et mener une enquête avec, comme décision finale, le maintien des privilèges du Bourg-Dessus en échange de 100 francs par an, plus 1 000 francs de dédommagement pour les frais judiciaires126. 119 La rente pouvait même être perpétuelle et être évaluée entre 6% et 8% de la valeur empruntée. É. Carpentier, M. Le Ménée, La France du xie au xve siècle…op. cit., p. 231. 120 A. Girardot, Le droit et la terre…op. cit., p. 49-50. Chiffres extraits de J. Gauthier, Les juifs et les Lombards dans les deux Bourgognes, Paris, 1906. 121 L. Fontaine, « Introduction  » art. cit. 122 Ibid. 123 Représentant 11,5% des délits, quarante-six cas. N’oublions pas que 139 cas (34,75%), n’étaient pas détaillés. Les amendes dépassaient rarement 10 francs mais pouvaient monter jusqu’à 100 ou 200 francs. 124 Trois cas, avec des amendes entre 10 et 25 francs. 125 Nous n’en savons pas plus. M. Bechet, Histoire de Salins…op. cit., p. 48-50. 126 La somme de 100 francs était déjà prévue par la charte.

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Les événements manquant de précisions dans les faits et la chronologie, permettent malgré tout de constater que, vraisemblablement, un nombre important d’affaires traitées par les réformateurs nous échappent totalement. Pourtant, de façon générale, les cas traités n’apparaissent pas très éloignés de la justice ordinaire, la seule particularité se révélant être la très forte présence des « gaigeries illicites ». On ne retrouve pas vraiment ce qui paraissait avoir poussé Jean sans Peur à la « grande réformation » : le désir d’une meilleure justice rendue par des officiers plus intègres. Une partie de la population avait cependant dû être satisfaite de voir punir les usuriers, ou même simplement les habitants un peu plus nantis faisant des envieux dans les campagnes. On ne peut pas vraiment accorder au comte de Bourgogne une grande volonté d’innovation dans ses essais d’améliorer la justice, pourtant le dossier n’apparait pas vide, ce qui signifie que des tentatives eurent lieu, des essais pour améliorer l’existant, malgré un principat très court. Le comté de Bourgogne ne fut donc pas totalement négligé et l’affaire qui va suivre en est l’exemple le plus emblématique. 3. Besançon, « une réforme administrative avortée »127 Cette tentative en direction de la cité impériale de la part de Jean sans Peur apparait très révélatrice de sa volonté d’étendre sa domination sur la ville la plus importante du comté. Il ne faisait d’ailleurs que poursuivre les essais de son père Philippe le Hardi aux objectifs relativement similaires128. Besançon, véritable cité à part à l’intérieur du comté, relevait directement de l’empereur, son seigneur étant un archevêque. Le comte de Bourgogne n’y détenait à priori aucun pouvoir. La ville de Dole était considérée à l’égale d’une capitale du comté, ayant été choisie pour accueillir le parlement. Pourtant, en dehors de ce ressort judiciaire, aucune réelle institution administrative ne se tenait dans le comté qui relevait directement des institutions dijonnaises. La réforme visait donc à transformer Besançon en véritable capitale administrative129. A. Une ville épiscopale moyenne Implantée dans la vallée du Doubs, le site défensif de Besançon se prêtait à la croissance de l’agglomération130 qui avec ses fonctions religieuses aurait dû faire figure de véritable métropole131. D’une superficie intra-muros de 120 hectares, comparée à des cités évoluant dans un contexte de civilisation et d’économie équivalent qui comptaient une moyenne de soixante-dix à 120 habitants à l’hectare, Besançon devait se situer dans une fourchette de 8 500 à 14 000 habitants. Des chiffres à appréhender avec précaution car ils proviennent de l’étude de Roland Fiétier qui clôt son travail aux alentours de 1350132, or la cinquantaine d’années écoulées jusqu’au principat de Jean sans Peur ne fut pas sans incidence, la peste noire ayant sévi. Cependant, même 127 Pour reprendre l’expression de Pierre Gresser : P. Gresser, « Jean sans Peur ou l’histoire d’une réforme administrative avortée (1408-1419) », in De l’autonomie des villes, Besançon, 1290-1990, actes du colloque organisé par l’association du 7e centenaire des Franchises de Besançon, Besançon, 1992, p. 123-142. 128 S. Bépoix , Une cité et son territoire, Besançon en 1391, l’affaire des fourches patibulaires , Besançon, 2010. 129 P. Gresser, « Jean sans Peur ou l’histoire d’une réforme… » art. cit. 130 P. Gresser, La Franche-Comté au temps…op. cit., p. 346-350. 131 R. Fiétier, La cité de Besançon…op. cit., p. 295-296. Roland Fiétier reprend la formule du doyen Schneider : Besançon est implantée dans un « désert de ville ». 132 R. Fiétier, La cité de Besançon… op. cit., p. 295-296.

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en tenant compte de la mortalité dramatique générée par le fléau, cela permet d’établir l’importance moyenne de la cité. Son économie ne contenait aucune activité véritablement spécifique pour la rendre célèbre et les foires s’y déroulant n’avaient pas de caractère international. Il s’agissait pourtant d’un véritable nœud de voies de communication, par sa situation mais aussi grâce à la présence d’un pont, ouvrage rare dans la région. Les échanges demeuraient malgré tout très locaux, Besançon subissant même la concurrence de villes comme Salins, voire Poligny ou Dole133. La base de l’oligarchie, principalement marchande, y voisinait avec une vieille noblesse urbaine en recul par sa présence comme par sa richesse. Dès le milieu du xive siècle, la bourgeoisie commençait à accéder à la noblesse, tout en continuant à adhérer à l’oligarchie134. L’administration épiscopale comptait quant à elle de nombreux officiers et détenait le monopole de la publication des testaments passés dans le diocèse. Jusqu’en 1350, personne ne le contesta. La comtesse Marguerite, puis Philippe le Hardi après elle, tentèrent de s’y attaquer135. Une différence notable existait entre le nord et le sud au sujet des testaments : dans le bailliage d’Aval, les recettes de justice comptaient plusieurs rentrées d’argent provenant de testaments, alors qu’ils étaient absents des recettes du bailliage d’Amont. Le monopole de l’officialité avait-il été partiellement entamé ? L’institution possédait également le pouvoir de juger tout ce qui touchait aux questions religieuses136. La cité comptait un nombre élevé de clercs en raison de la forte implantation d’établissements religieux. L’archevêque, principal personnage de la ville, tenait directement son autorité de l’empereur germanique dont toute la province dépendait depuis 1032137. Ce fut peu après cette date qu’en tant que seigneur temporel de la ville, le prélat échappa au contrôle comtal comme vassal direct de l’empereur. Cette dépendance, moins rigide que la vassalité classique, se rapprochait plus de l’immunité, l’archevêque se contentant de prêter un serment de fidélité138. La seigneurie de l’archevêque ne dépassait pas la cité bisontine et sa banlieue, il n’y eut donc pas constitution d’une véritable principauté ecclésiastique avec un arrière-pays139. Cependant, les pouvoirs de l’archevêque étaient très étendus, il détenait la plupart des droits régaliens. Mais si, à l’origine, tous les droits de seigneuries et juridictions se trouvaient entre ses mains, progressivement ils furent en partie inféodés, l’archevêque conservant tout de même plusieurs prestations140. Le droit de battre monnaie lui appartenait totalement ainsi que les droits sur les marchés et la possession du territoire de Bregille141. Ibid., p. 359-513. Ibid., p. 875-882. Ibid., p. 921-1027. Ibid., tous les problèmes relatifs aux sacrements, en particulier le mariage, les pratiques de l’usure et les délits contre la foi, intervenant aussi chaque fois qu’un clerc était en cause et à propos des tutelles. L’officialité pouvait aussi intervenir chaque fois qu’on faisait appel à elle. 137 Ibid., p. 9-18. 1032 : guerre de succession de Bourgogne entre deux rivaux : Eudes de Blois et Champagne et l’empereur Conrad II qui fut victorieux. Son successeur, Henri III (1039-1056), octroya une chancellerie particulière à l’archevêque ainsi que la seigneurie totale de la ville (juridique, politique, fiscale, économique). 138 M. Picquard, « Thibaud de Rougemont, archevêque de Besançon (1405-1429) », SED, 1931, p. 86-101. 139 R. Fiétier, La cité de Besançon… op. cit., p. 9-18. Mouvement connu dans l’Empire au xie siècle sous le nom de Reichkirchensystem. 140 Ibid., p. 192. Banvin, gabelle, taille, succession de bâtards et étrangers, lods et prélèvements sur quelques corps de métier. 141 Il détenait également un important temporel en dehors de Besançon libre de toute sujétion car le nom de l’archevêque n’apparait jamais dans les contribuables aux aides et aux emprunts levés par le comte. 133 134 135 136

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Milieu xiiie siècle apparut une avouerie détenue par Othon III, comte de Bourgogne142, nommé à vie par l’empereur. La fonction n’entrait donc pas dans les droits traditionnels des comtes de Bourgogne143. Le titre d’avoué lui-même disparut au profit de celui de vicomte, bien que ce dernier semble avoir eu, avant tout, un rôle judiciaire. La cité se retrouvait partagée en deux ensembles territoriaux : Bregille et ses environs relevant de la justice de l’archevêque rendue par un prévôt, et le reste de la ville et sa banlieue où le vicomte et un maire exerçaient la justice, les prérogatives de chacun demeurant une énigme. Depuis 1293, la vicomté et mairie se trouvait aux mains des Chalon-Arlay qui cherchaient depuis longtemps un moyen de s’insinuer dans la cité. La situation financière des vicomte et maire le leur permit, les créances grevant leurs charges furent acquises par Jean de Chalon qui se retrouva à la tête des deux offices. L’archevêque qui n’avait pas été consulté, tenta sans succès de s’y opposer. La détention de la vicomté et mairie par la plus grande famille du comté marqua la fin de toute dépendance de la fonction envers l’archevêque144. Il n’abandonna pourtant jamais la totalité de l’exercice de la justice au vicomte et au maire, créant son propre tribunal : la Régalie. Les plaignants avaient la liberté du choix du tribunal145. Au début du xve siècle, les droits de l’archevêque apparaissaient donc déjà entamés par les fonctions du vicomte et mairie. La communauté des citoyens fut, quant à elle, instaurée officiellement en 1290 par une charte accordée par l’empereur Rodolphe de Habsbourg donnant aux Bisontins une partie des droits de seigneurie. Comme à l’ordinaire, il s’agissait plus d’une reconnaissance de droits coutumiers déjà acquis que de l’octroi de privilèges nouveaux146. La Commune de Besançon relevait directement de l’empereur147. Ses pouvoirs apparaissent relativement limités, les Bisontins ayant seulement obtenu la possibilité de participer aux opérations judiciaires par l’institution d’un jury. En 1398, l’empereur Wenceslas réaffirma le pouvoir du jury des citoyens, le principe de la résidence d’un an et un jour et quelques avantages économiques148 et il décréta également que tous les citoyens laïques relevaient des justices temporelles. Ce privilège allait avoir une incidence importante dans le déclenchement des événements. Le traité fut annulé le 10 juin 1399 par l’empereur lui-même : l’argent lui avait fait répondre favorablement aux exigences des Bisontins et un an plus tard, l’argent toujours, mais cette fois celui de l’archevêque, lui fit prétendre qu’il avait été induit en erreur. Malgré tout, les habitants de la cité feignirent toujours d’ignorer la rectification149. La direction municipale se trouvait aux mains de quatorze gouverneurs et vingt-huit notables150. Cette brève présentation de Besançon montre une cité épiscopale qui apparaît comme une sorte d’exception dans le comté, ville privée de toute possibilité de jouer un 142 L’empereur Frédéric II l’aurait octroyée mais cette nomination est seulement connue par l’acte de révocation datant de 1248. 143 R. Fiétier, La cité de Besançon…op. cit., p. 177-195. 144 Ibid., p. 209. 145 Le choix n’était cependant possible que pour les personnes vivant dans le deuxième ensemble territorial, entre le tribunal du maire, du vicomte et de l’archevêque. 146 R. Fiétier, La cité de Besançon…op. cit., p. 232-233. 147 Pour plus d’information sur ce sujet et voir la part prise par Jean de Chalon-Arlay, consulter G. Moyse, « La charte de franchises de Besançon (1290), présentation diplomatique du document », in De l’autonomie des villes, Besançon 1290-1990, Actes du colloque organisé par l’Association du 7e centenaire des franchises de Besançon, Besançon, 1992. 148 Droit de percevoir la gabelle sur les marchandises vendues en ville, dispense de taxe d’éminage sur les grains et légumes vendus, droit de tenir quatre foires par an. 149 C. Fohlen (dir.), Histoire de Besançon, t. 1…op. cit., p. 429-432. 150 Deux gouverneurs par bannière et quatre notables par bannière.

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rôle politique officiel dans la province, mais aussi de profiter d’éléments de croissance liés à la fonction de capitale du comté151. Jean de Chalon qui avait obtenu la reconnaissance incontestée de ses droits de justice sur Besançon, réussit à arracher un traité de garde d’une durée de soixante ans à partir de 1308, lui permettant d’intervenir plus largement dans les affaires locales152. Ce traité avec le vicomte et maire, d’une durée limitée dans le temps, amena les Bisontins à passer un nouvel accord avec, cette fois, le nouveau comte de Bourgogne, le 24 mai 1386. Il n’était pas rare de rencontrer ce type de sauvegarde dans des régions limitrophes : par exemple, la ville de Verdun avait contracté des traités de garde avec les comtes de Bar ou de Luxembourg au cours des xiiie et xive siècles afin de défendre le patrimoine des bourgeois153. Jean sans Peur reprit le traité de garde de son père lorsqu’il accéda à la tête de la province en 1405154. Le texte du traité comprenait, d’une part, les engagements du duc de Bourgogne envers la cité, de l’autre, ceux que devaient tenir les Bisontins, la sauvegarde étant valable jusqu’à la mort du prince et de la princesse de Bourgogne et après eux, pendant le principat de leurs fils le comte de Nevers. Au cas où leur fils n’aurait pas repris le comté, la garde devait revenir à celui de leurs enfants qui leur succéderait à sa tête, montrant donc la volonté affirmée de ne pas séparer la gardienneté du titre de comte de Bourgogne, même si tout au long du traité de 1396, seules les appellations de duc ou duchesse de Bourgogne étaient employées. Le gardien s’engageait à conserver tous les privilèges, usages, coutumes et franchises de la cité et protéger les personnes comme leurs biens. Pour l’application du traité, il s’avérait nécessaire de nommer sur place un représentant du comte. Philippe le Hardi avait choisi le châtelain de Châtillon, lui donnant les pleins pouvoirs pour garder la cité et intervenir si cela s’avérait nécessaire. Les habitants de la ville pouvaient avoir recours au gardien de Châtillon ou à son lieutenant, mais il était également possible de s’adresser aux autres officiers du duché ou du comté, à l’exception cependant des parlements de Dole et de Beaune. Les Bisontins n’avaient pas le droit de recourir à l’appel judiciaire auprès de leur gardien, démontrant ainsi que le comte de Bourgogne ne désirait pas empiéter sur les prérogatives judiciaires de l’archevêque ou du vicomte et maire. Évidemment, les Bisontins s’engageaient à verser une somme d’argent servant à l’accomplissement du traité : 500 francs par an155, mais aussi à participer au financement des compagnies levées par le comte de Bourgogne156. Les habitants de Besançon désiraient un gardien puissant en particulier pour les cas d’hypothétiques conflits armés, cependant, ils ne désiraient pas s’aliéner les liens existants entre la communauté et l’archevêque ou le vicomte, créant une sorte d’équilibre de la protection afin que personne ne puisse empiéter sur leurs droits. À l’avènement de Jean sans Peur, les ambassadeurs des gouverneurs de la cité vinrent lui demander la reconduction du traité comme prévu. Après avoir soumis le traité à son Conseil, le nouveau duc-comte décida d’accéder à leur requête. Les serments furent de nouveau prêtés le 18 juillet 1405, Jean sans Peur assurant la poursuite du traité par 151 C. Fohlen (dir.), Histoire de Besançon, t. 1…op. cit., p. 490. 152 R. Fiétier, La cité de Besançon… op. cit., p. 244-248. 153 A. Girardot, Le droit et la terre…op. cit., p. 129. 154 AMB, AA 13. 155 Nous avons déjà présenté cette recette comptabilisée dans les comptes du bailliage d’Aval. Elle devait être en « or du coin et forge du roi, de bon or et juste prix » ou en monnaie de la valeur du trésorier de Dole. 156 Excepté lorsqu’elles étaient dirigées contre l’empereur, l’archevêque de Besançon ou le vicomte et maire de la cité. Au temps de Jean sans Peur, le vicomte est Jean de Chalon qui a succédé à Hugues mort en 1392.

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ses successeurs, ce qui n’était pas anodin puisque le document, établi par son père, ne faisait pas mention de ce qui devait arriver après sa mort. Une seule nouveauté fut la mise en place de mesures de protection pour les marchands se rendant aux foires de Besançon157. B. « L’affaire de la Régalie » Le point de départ de la tentative de décentralisation administrative fut l’apparition de tensions entre le nouvel archevêque, Thibaut de Rougemont158 et la Commune. Un incident mineur déclencha « l’affaire de la Régalie » : deux laïcs délinquants avaient été arrêtés par la justice épiscopale. Les gouverneurs de la cité, arguant du diplôme obtenu de Wenceslas, s’emparèrent des détenus159. Les problèmes impériaux vinrent alors interférer dans cette affaire mineure. En 1400, Wenceslas fut déposé en raison de son incurie au profit du comte palatin Robert, cependant, Wenceslas persista à se proclamer empereur, refusant sa destitution160. Si les Bisontins lui restèrent fidèles, l’archevêque n’avait pas jugé bon de solliciter auprès de lui son investiture. Les habitants de la cité y virent une occasion de contester la légitimité de Thibaut de Rougemont, décidant de s’emparer du fief de la régalie. L’archevêque quitta alors la ville après avoir lancé un interdit le 6 août 1406161 qui pesa durant six ans sur la cité. La population était très affectée par cette situation mais les gouverneurs refusèrent de céder, offrant le fief de la régalie à Jean sans Peur162. Le traité établissant la donation comprenait un quinzième article important : le parlement siègerait désormais à Besançon, une Chambre du conseil et une des comptes seraient instaurées dans la cité et enfin, un gouverneur de la chancellerie serait nommé. Une nouvelle répartition des pouvoirs judiciaires donnait le droit aux gouverneurs de juger les causes criminelles et civiles, les causes séculières se tenant devant la régalie ou la vicomté et mairie163. Jean sans Peur n’accepta qu’à la condition d’obtenir la reconnaissance de l’empereur. La confirmation de Wenceslas du 26 février 1408 établissait l’hommage nécessaire pour la détention de la régalie164, le document ayant coûté 800 florins aux Bisontins que le comte de Bourgogne s’engageait d’ailleurs à rembourser. Trop occupé par la révolte liégeoise, Jean sans Peur délégua ses pouvoirs à son fils qui vint prendre possession de la régalie le 2 octobre 1408165. Ensuite, la chronologie des événements, ordonnances, volte-face du comte ou requêtes des habitants de la cité apparait un peu confuse166. Le premier texte daté du 19 juillet 1408 instaurait toutes les institutions réclamées par les Bisontins167. Guy Armenier fut même nommé président en chef du Conseil le 19 juillet 1408 et 157 C. Fohlen (dir.), Histoire de Besançon, t. 1… op. cit., p. 429-432. 158 M. Picquard, « Thibaut de Rougemont… » art. cit. Il fit son entrée solennelle dans la ville le 5 mai 1405. À la tête de l’évêché de Vienne en 1395, il s’était déjà heurté au futur Charles VI car très jaloux de ses prérogatives. 159 C. Fohlen (dir.), Histoire de Besançon, t. 1… op. cit., p. 433-434. 160 F. Rapp, Les origines médiévales de l’Allemagne moderne, de Charles IV à Charles Quint (1346-1519), Paris, 1989, p. 61-76. Sigismond fut élu en 1410 à la mort de Robert, mais Wenceslas contesta le vote et se considéra empereur jusqu’à sa mort en 1419. 161 Il se retira à Gy où il détenait des biens temporels. R. Fiétier, La cité de Besançon… op. cit., p. 1392. 162 Qui était déjà gardien de la cité. Document officiel de donation : 12 octobre 1407, AMB, AA 14. 163 Le traité comportait de nombreux éléments annexes sur les redevances, le statut des Bisontins, etc. 164 AMB, AA 14. Impliquant que Jean sans Peur reconnaissait Wenceslas, ce qui pour certains auteurs n’était pas le cas en 1405, C. Fohlen (dir.), Histoire de Besançon, t. 1… op. cit., p. 433-434. 165 Texte du serment AMB, AA 15. 166 Les documents sont dispersés dans diverses archives, départementales et communales. 167 Texte édité dans E. Champeaux, Ordonnances Franc-Comtoises…op. cit., p. 78 à 86. Original : ADCO, B 1055. Voir aussi P. Gresser, « Jean sans Peur ou l’histoire d’une réforme… » art. cit.

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gouverneur de la nouvelle chancellerie comtoise168. Plusieurs ordonnances suivirent, semblant montrer une réelle volonté du comte d’établir toutes ces institutions à Besançon comme par exemple le rassemblement de tous les sceaux du comté dans la cité, déjà évoqué précédemment169. Dans son étude sur l’essai du transfert du parlement à Besançon, Georges Blondeau reprend abondamment les théories de ses prédécesseurs, Dom Plancher et Édouard Clerc selon qui Guy Armenier fut l’instigateur de toute cette affaire170. Nous avons cependant pu constater que si Jean sans Peur consultait fréquemment ses conseillers, il n’était pas homme à se laisser imposer des actes allant à l’encontre de ses propres ambitions. Si Guy Armenier a pu souffler l’idée de la réforme au comte de Bourgogne, il fut plus vraisemblablement un instrument aux ordres du prince. Mais dès 1409, un clan opposé aux transformations en faveur de la cité bisontine se formait, manifestant également une certaine hostilité à l’égard de Guy Armenier beaucoup trop en faveur auprès de Jean sans Peur. Plusieurs officiers ducaux en faisaient partie171. Ils firent parvenir leur avis sur cette affaire : si l’empereur pouvait offrir le fief de la régalie au comte, en revanche, Besançon étant cité impériale, elle ne pouvait devenir capitale administrative de la province puisque ne faisant pas partie des États du duc de Bourgogne172. Suite à cette intervention, Jean sans Peur recula, revenant en mai 1409 sur la création de la chancellerie bisontine, renvoyant tous les sceaux à leurs anciens gardiens173. Puis les événements s’accélérèrent en défaveur des Bisontins. Jean sans Peur entama une réconciliation avec l’archevêque, un texte fut signé où le prélat cédait la régalie au comte en échange de la restitution des fiefs qui en dépendaient, ainsi que tous les biens en découlant174. Au final, seul le tribunal demeurait dans les mains du comte de Bourgogne. La nouvelle ordonnance édictée le 3 juin 1409 annulaient tous les articles portant préjudice à l’archevêque175. Le comte justifiait aussi son refus d’établir le parlement à Besançon : la souveraineté de la cité se trouvant dans les mains de l’empereur, la cour suprême deviendrait alors son sujet. Jean sans Peur faisait cependant la distinction entre le ressort géographique et le pouvoir sur les personnes puisque les non-résidents de la cité venant pour un appel ne ressortaient pas de la souveraineté impériale, il n’en était cependant pas certain d’où son recul. Il arguait également que le transfert de la chancellerie pouvait déboucher sur « noises et debaz ». Tous les articles concernant la réforme institutionnelle se trouvaient donc annulés176. 168 ADCO, B 1055. Avec cette double fonction dans les mains du même, Jean sans Peur ne faisait que reproduire le fonctionnement du duché, J. Richard, « Les institutions ducales… » art. cit., p. 209-247. 169 Dans le compte du bailliage d’Amont ADD, 1B102 (1407-1408), pour chaque châtellenie possédant un tabellion, l’ordonnance instituant la chancellerie bisontine est indiquée, il y a d’ailleurs interférence avec la réforme du statut des tabellions étudiée plus haut. 170 Guy Armenier, conseiller du duc et ancien gouverneur de Besançon. G. Blondeau, « Essai de transfert du parlement de Dole à Besançon au xve siècle », SEJ, 1926, p. 185-203. 171 Le chancelier du duché, le bailli de Dijon, ainsi que les deux baillis du comté, le gruyer, ils étaient huit en tout. C. Fohlen (dir.), Histoire de Besançon, t. 1… op. cit., p. 435-436. 172 Selon Georges Blondeau, les conseillers avaient donné leur avis sans en avoir été requis par Jeans sans Peur, G. Blondeau, « Essai de transfert… » art. cit. 173 E. Champeaux, Ordonnances Franc-Comtoises… op. cit, p. 101 à 105. L’auteur date le texte du 18 mai 1409 alors que l’original est daté du 24 mai, ADD, 1B53. Le texte évoquant « la complainte d’aucunz des nobles et gens d’aucunes de noz bonnes villes dudit nostre conté » amène à penser qu’il s’agissait d’une requête de plaignants. Il semble que certains notaires n’osaient pas recevoir de contrats. 174 ADD, 1B501. 175 Ibid. 176 La création des deux Chambres n’était cependant pas évoquée, il semblerait que les conseillers aient jugé bon de les maintenir, C. Fohlen (dir.), Histoire de Besançon, t. 1…op. cit, p. 435-436.

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Les Bisontins, s’estimant lésés, adressèrent une supplique à Jean sans Peur, rappelant que le propre fils du comte avait juré les ordonnances sur les Évangiles, engageant donc la bonne foi de son père. Les citoyens de la cité tentèrent des ambassades, sans succès, et à terme, Guy Armenier fut relevé de toutes ses fonctions en juillet 1410. Il fut décidé de se tourner à nouveau vers Wenceslas. Le premier juin 1410, l’empereur avait accordé au comte de Bourgogne le gouvernement et le domaine réel de Besançon177, annulant donc le péril de la souveraineté impériale. Puis, après proposition des gouverneurs acceptant certains des contenus de l’ordonnance de 1409, en particulier les restitutions à l’archevêque, Jean sans Peur établit un nouveau texte le 7 juillet 1411178 : si la suspension de la chancellerie subsistait, en revanche, la création du parlement et des deux Chambres était finalement maintenue. Et, le 7 juillet 1411, Pierre de Clairvaux était nommé à la tête de la cour de la chancellerie remplaçant la cour de la gardienneté auparavant établie à Châtillon179. Pourtant, la disparition de l’enclave bisontine dut attendre. Une certaine lassitude semblait s’installer. Toutes les négociations et démarches finissaient par s’avérer coûteuses et l’interdit gênait les activités commerciales. Le comte, dans une lettre datée du 10 avril 1412, chargea Jean de Neuchâtel, Richard de Chancey et Hugues Morel, doyen de la chapelle de Dijon, de se rendre à Besançon afin de veiller à l’application du traité du 7 juillet 1411180. Mais dans le même temps, une autre résistance se faisait sentir, venant de l’archevêque. Toujours réfugié à Gy, il n’avait pas donné suite aux premiers accords passés avec Jean sans Peur en 1409. Succédant à une ambassade envoyée par le comte, un document daté du 14 avril 1412181 accordait les revenus de la régalie à l’archevêque, le tribunal devant quant à lui, demeurer aux mains des comtes de Bourgogne sans que cela porte préjudice aux droits de l’Église. Le prélat s’engageait à obtenir un accord officiel du traité émanant du pape ainsi que de l’empereur. Jean sans Peur posait une seule condition : que l’archevêque lève l’interdit qui avait de graves conséquences commerciales pour toute la région, Besançon perdant même des habitants182. Le comte de Bourgogne reprochait explicitement à l’archevêque de n’avoir pas appliqué les termes du traité, celui-ci attaqua aussitôt le comte avec des arguments similaires. La situation paraissait bloquée : sans entérinement, l’archevêque ne touchait pas les revenus de la régalie et comme il ne percevait rien, il ne faisait aucun effort pour régler le conflit avec les Bisontins. C’était l’impasse. Selon Thibaud de Rougemont, Jean sans Peur n’avait pas à se mêler d’une affaire d’interdit, question spirituelle ne le regardant en rien. L’archevêque refusait d’être traité en inférieur, n’hésitant pas à bousculer le prince. Lorsque maître Bon Guichart lui demanda au nom de Jean sans Peur, la levée de l’interdit avant le 30 novembre 1412, l’archevêque refusa. Il s’engageait pourtant à obtenir l’accord du pape au sujet du traité portant sur la répartition de la régalie. Le document établi à Bregille le 31 mai 1412 et signé manuellement par l’archevêque, signifiait qu’il avait entamé son retour vers la cité Bisontine183. En mai, l’interdit 177 ADD, 1B329. 178 ADD, 1B2306. Sous cette cote se trouve également la donation de fief de Wenceslas. 179 E. Champeaux, Ordonnances Franc-Comtoises… op. cit, p. 106 à 108. Original : ADCO, B 11412. Mais l’administration bourguignonne refusa son installation, invoquant l’ordonnance non enregistrée de mai 1409 qui suspendait la création de la chancellerie, C. Fohlen (dir.), Histoire de Besançon, t. 1… op. cit, p. 437-438. 180 AMB, AA 16. 181 Ibid. 182 Il s’agissait de l’argumentation de maître Bon Guichart, représentant du comte auprès de l’archevêque. 183 ADD, 1B501. Mais le document ne parlait pas de l’interdit.

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fut enfin levé et le retour en ville de l’archevêque fêté par les bourgeois, contraints de lui offrir le vin et les épices en signe de joyeux retour184. Parallèlement, Jean sans Peur continuait de réitérer les ordonnances d’installation des Chambres et de la chancellerie à Besançon sans réel succès185. Il devient, à ce stade, difficile de trancher : Jean sans Peur montrait-il son impuissance face à des officiers récalcitrants ou était-ce lui-même qui opposait de plus en plus de résistance à cette réforme administrative ? En février 1413, la duchesse Marguerite reçut une lettre de son mari lui enjoignant de mener une enquête sur « le fait de Besencon »186. C. Le dénouement Marguerite était chargée de présider une assemblée réunissant tous les gens du Conseil à qui seraient présentés l’ensemble des documents concernant la réforme administrative, le but étant « pour savoir se par lesdites convenances nous sommes contraint a faire tenir audit Besancon nostre Parlement de nostre conté de Bourgoingne ». Sa parole ayant été engagée, Jean sans Peur parait montrer une volonté de se libérer de son serment. Le comte mettait en garde les conseillers car « pouvoit nostre dit parlement estre subgiet a l’empire se il se tenoit audit Besancon ». Cette dernière injonction adressée à Marguerite montrait l’état d’esprit de Jean sans Peur qui ne tenait plus du tout à l’implantation de la cour suprême à Besançon, situation trop dangereuse pour ses prérogatives. Il avait bien obtenu la seigneurie pleine et entière de la régalie mais l’octroi émanait de Wenceslas au titre impérial plus que contestable. La réunion eut lieu le 16 février 1413 à l’hôtel du duc à Dijon. On dénombrait cinquante-neuf participants en plus de la duchesse187. La restitution des revenus de la régalie à l’archevêque ne posa pas de problème aux conseillers qui ne présentèrent aucune opposition jusqu’à l’évocation de l’instauration d’un parlement à Besançon. Ils estimaient que les Bisontins devaient obtenir des lettres patentes du roi des Romains où il consentirait officiellement à la tenue du parlement dans la cité en reconnaissant toute la souveraineté du comte de Bourgogne sur cette cour suprême qui aurait cependant tout pouvoir de faire siéger son parlement dans une autre ville. Les conseillers ne paraissaient pas s’opposer ouvertement à l’installation de la cour suprême à Besançon, désirant surtout une confirmation totale de la souveraineté. Ils ne s’opposaient pas non plus à l’instauration des Chambres et de la chancellerie après toutes les modérations apportées au fil des négociations. Le contenu de ce dossier présent aux archives départementales de Côte-d’Or amène à s’opposer à la thèse avancée par Ernest Champeaux188 où il dit d’ailleurs que le Conseil s’était réuni à Sainte-Bénigne de Dijon alors que le texte original indiquait bien une réunion dans l’hôtel dijonnais de Jean sans Peur. Le résumé restitué par Ernest Champeaux, extrait d’un ouvrage écrit

184 A partir de cette date, l’archevêque mena une politique favorable à Jean sans Peur, il fut par exemple ambassadeur à Constance. M. Picquard, « Thibaud de Rougemont… » art. cit. 185 Nouvelle lettre du duc le 14 mai 1412. E. Champeaux, Ordonnances Franc-Comtoises… op. cit., p. 109-111. Deux originaux existent, ADD, 1B62 et 1B329. 186 ADD, 1B2306, 4 février 1413. 187 Document officiel retraçant les débats : ADCO, B 1055. Présents : le chancelier de Dijon, l’évêque de Bayeux, les abbés de Cîteaux, de Saint-Bénigne de Dijon, de Saint-Seigne, plusieurs hauts personnages du comté comme monseigneur d’Arlay, Jean de Neuchâtel, Jacques de Vienne, Jacques de Courtiamble, Jean Palouset, ainsi que tous les baillis des duché et comté, le gruyer Hugues de Lantennes et une multitude d’hommes de lois. 188 E. Champeaux, Ordonnances Francs-Comtoises… op. cit., p. 109-111. Reprise dans C. Fohlen (dir.), Histoire de Besançon, t. 1… op. cit., p. 438-439.

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par François Félix Chevalier189, ne correspond à aucun des documents originaux de la réunion des conseillers mais plutôt à un résumé de plusieurs éléments des négociations qui viennent d’être présentées. Selon Chevalier, au terme de la réunion, deux délégués du conseil seraient allés signifier cette décision aux Bisontins alors que ce ne fut qu’en mars 1422 que le chancelier et Jean Chousat, allèrent porter aux Bisontins le résultat d’une enquête menée par Philippe le Bon190. Il s’agissait alors de l’opinion de plusieurs personnes envoyée à Jean Chousat et donnant un avis personnel sur le traité passé par le père du nouveau comte de Bourgogne avec les Bisontins. La confusion entre les deux événements provenait sans doute du fait que, pour une bonne partie, il s’agissait des mêmes personnes191, par exemple : l’abbé de Cîteaux estimant que le traité se faisait au détriment de l’Église ; Le sire d’Arlay pour qui le duc devait plutôt s’entendre avec l’archevêque et ne pas tenir ses promesses auprès des Bisontins, conservant ainsi la régalie ; les habitants de Dole s’opposant à la tenue du parlement à Besançon, ce qui contribuerait au dépeuplement du comté au bénéfice de la cité qui s’enrichirait bien qu’elle ne soit pas sujette du comte de Bourgogne. Plusieurs personnes avançaient que l’octroi de Wenceslas n’avait aucune valeur. Il est presque impossible, sur l’ensemble des témoignages écrits, de trouver un avis favorable aux Bisontins. Les personnes les plus notables des bonnes villes du comté pensaient que le comte devait avantager plutôt ses vrais sujets et non ceux d’empire, certaines lettres étant même très virulentes à l’égard des habitants de la cité, les accusant de vouloir tous les pouvoirs sans avoir à subir la sujétion du prince. L’avis du chancelier, très pragmatique, rappelait que l’établissement d’une Chambre du conseil en Flandre avait coûté plus de 20 000 francs. Les seuls témoignages un peu plus modérés émanaient de Jean de Neuchâtel estimant que le comte de Bourgogne ne devait pas se désengager totalement auprès des Bisontins afin de conserver le pouvoir judiciaire acquis dans la cité, de plus renier son serment c’était risquer le déshonneur, et de Guy Armenier pour qui les doutes que l’on pouvait avoir sur la légitimité de l’empereur nécessitait d’attendre avant de convoquer le parlement. Le résultat fut, de toute façon, une non application des traités. Une lettre des « recteurs et gouverneurs de la communauté et université de Besançon »192 adressée à Philippe le Bon en mars 1422 annulait toutes les convenances puisque Jean sans Peur n’avait pas réalisé ses promesses, les Bisontins estimaient donc qu’ils n’étaient plus engagés envers lui. Il semble que la mort de Jean sans Peur ait fourni à l’archevêque l’occasion de revenir sur la donation de ses droits dans la cité, expliquant l’enquête ordonnée par Philippe le Bon en mars 1422193. Il s’était déplacé jusqu’à Besançon pour restituer le tribunal à Thibaut de Rougemont, là où il en avait lui-même pris possession en 1408 au nom de son père. Que s’était-il passé entre 1413 et 1422 ? Il paraît vraisemblable que la cité épuisée financièrement par le long interdit jugea préférable d’attendre des jours meilleurs. En 1410, l’empereur Wenceslas, soutien indéfectible des Bisontins face à l’archevêque, était mort, son frère Sigismond l’ayant remplacé. L’attitude de Thibaud Rougemont fut, envers lui, radicalement différente car il lui prêta immédiatement son serment de fidélité au cours du concile de Constance. En 1415, le nouvel empereur confirma tous 189 F.-F. Chevalier, Mémoires historiques sur la ville et seigneurie de Poligny, avec des recherches relatives à l’histoire du comté de Bourgogne et de ses anciens souverains et une collection de chartes intéressantes, Lons-le-Saunier, 1767, t. 2, p. 643-644. 190 Enquête citée d’ailleurs dans C. Fohlen (dir.), Histoire de Besançon, t. 1… op. cit., p. 440. 191 Toutes les lettres se trouvent sous la côte : ADCO, B 1055. 192 ADD, 1B329. 193 C. Fohlen (dir.), Histoire de Besançon, t. 1…op. cit., p. 440.

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les anciens privilèges du prélat, révoquant les diplômes de Wenceslas jugés trop favorables aux Bisontins194. Le soutien impérial à l’archevêque ne fut sans doute pas étranger au revirement final du duc de Bourgogne. Enfin, si la chronologie des enquêtes successives menées par les deux duc-comtes se révèle bonne, cela amène à s’interroger sur l’attitude des conseillers : ensemble et face à Jean sans Peur, ils ne s’opposaient pas formellement à sa réforme, son échec découla plutôt d’une sorte de résistance passive de la part des officiers. Lorsque Philippe le Bon interrogea les conseillers de façon individuelle, leur réaction fut radicalement différente, beaucoup plus virulente, amenant à s’interroger sur la possible existence d’une crainte à s’opposer ouvertement à Jean sans Peur. Philippe le Bon, lui, se désengagea totalement de la cité, ne conservant que le titre de gardien obtenu par son grand-père Philippe le Hardi, semblant plus préoccupé de ses territoires du nord, Artois, Flandre, contrées riches où il avait grandi. Il ne lui semblait plus primordial de s’implanter dans la cité bisontine. Pourtant, cette tentative de s’installer durablement et profondément à Besançon apparait intéressante, montrant Jean sans Peur qui cherchait à accroître son pouvoir sur la région. Poursuivant la politique de son père, il désira aller plus loin en transformant l’enclave impériale bisontine en une véritable capitale. Ce fut un réel échec. La gestion du comté ne fut pas profondément modifiée au cours de cette période malgré quelques tentatives pour améliorer la restitution des comptes ou essayer de stabiliser les officiers dans leur poste. Plusieurs ordonnances furent bien édictées mais il semble que ce soit une méthode coutumière : tenter d’améliorer, sans véritable réforme, la gestion du comté. Philippe le Hardi paraît avoir procédé de même. Le principal problème venait de l’application des changements, parfois difficile, les officiers pouvant opposer une certaine résistance. Seule la grande saunerie vit son organisation administrative réellement modifiée dans la hiérarchie de ses officiers ainsi que leurs salaires. La principale innovation vint en fait de l’essai de transformer l’enclave impériale de Besançon en véritable capitale administrative du comté, qui n’aboutit pas.

194 Cité dans M. Picquard, « Thibaud de Rougemont… » art. cit. Bibliothèque de Besançon, collection Droz, t. XXXIV, fol. 295-304 (13 février 1415).

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Chapitre 9 Les mouvements fonciers La politique de donations, comme les arrêts judiciaires de confiscations, répondait à une volonté princière qui n’était pas toujours similaire en fonction des princes envisagés. Cela explique que les mouvements fonciers appartiennent pleinement à la gestion personnelle. Mais le rôle de la Chambre des comptes ne peut être occulté et surtout celui que lui laissait jouer le prince, de préserver le domaine lorsqu’il le voulait bien. 1. Les confiscations A. La famille de Chalon Les donations, qui grevaient les recettes, ont déjà été abordées. Sont donc traitées ici exclusivement les confiscations à commencer par celles découlant des démêlés avec la puissante famille des Chalon. Le principat de Jean sans Peur s’ouvrit sur une restitution à cette famille, la mainmise des biens ayant été opérée sous Philippe le Hardi suite à l’affaire du meurtre d’un officier comtal. Selon Loys Gollut1, Jean de Chalon avait voulu sauver un de ses serviteurs de la corde, ce dernier ayant pris part au meurtre d’un sergent. Cependant Gollut ajoute que Jean de Chalon-Arlay était accusé d’avoir ordonné ce crime et malgré ses dénégations, le château de Chatelguyon, ses dépendances ainsi que le partage d’Arlay à la Grande Saunerie furent confisqués par Philippe le Hardi en 13942. Le retour en grâce du baron comtois auprès de Jean sans Peur résultait de son intervention dans la première échauffourée qui eut lieu entre le duc de Bourgogne et Louis d’Orléans. En août 1405, le nouveau duc, accompagné de ses frères et plusieurs hommes d’armes, se dirigeait vers Paris pour effectuer sa première entrée après son accession à la tête des États Bourguignons. Le duc d’Orléans qui se trouvait dans la capitale choisit de s’enfuir accompagné de la reine Isabeau de Bavière. Ordre fut également donné au jeune dauphin, Louis de Guyenne, âgé de neuf ans, de quitter la ville. Jean sans Peur entra à Paris le 19 août mais apprenant le départ du dauphin, il se lança à sa poursuite, le ramenant à Paris. Mettant en action son don pour s’adjoindre les foules, il fit circuler un texte racontant sa version de « l’enlèvement » du dauphin. Dans les mois qui suivirent, le duc de Bourgogne renforça progressivement son armée et en octobre 1405, plus de 3 000 de ses hommes campaient dans la capitale. La situation s’enlisant, Jean Chousat, lui-même présent à Paris, s’inquiéta du paiement de tous ces gens de guerre. En septembre, des négociations entamées par la reine aboutirent à la première d’une longue série de paix sans suite signées entre le duc de Bourgogne et le parti Orléanais, l’une des conditions étant de licencier les troupes3. Jean de Chalon-Arlay faisait partie des capitaines Bourguignons venus à Paris à l’appel de Jean sans Peur et lorsque ce dernier congédia son ost, Jean de Chalon rentra chez 1 L. Gollut, Les mémoires historiques de la république séquanoise et des princes de la Franche-Comté de Bourgoingne, Arbois, 1846, p. 869-70. 2 Voir M. Bubénicek, Entre rébellion et obéissance…op. cit., p. 37-129. 3 B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, la maudite guerre, Paris 1988, p. 58 à 63.

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lui avec des lettres lui rendant tous ses biens4. Malgré tout, diverses ordonnances furent édictées jusqu’au début 1412. La première lettre de restitution, datée du 6 janvier 14065, avait été rédigée par Guillaume de Tignonville, conseiller et chambellan du roi Charles VI, garde de la prévôté de Paris. Elle contenait la restitution à Jean de Chalon de Chatelguyon et ses dépendances ainsi que du partage d’Arlay sur la Grande Saunerie agrémentée de quelques conditions : Jean de Chalon avait trois jours pour rendre le tout en bon état et sans nouvelles charges si le comte le désirait mais dans ce cas, Jean sans Peur s’engageait en échange à lui donner en fief la châtellenie de Vieux-Château6. Jean de Chalon accepta toutes les conditions sous engagement de la totalité de ses biens, le serment avait une bonne caution7. Jean sans Peur justifia cette restitution par les grands services rendus et « pour qu’il soit toujours plus enclin a nous servir ». Il s’agissait d’un acte politique, le duc de Bourgogne ayant besoin de tous ses grands vassaux dans la lutte qu’il engageait envers Louis d’Orléans et il désirait ainsi s’attirer les bonnes grâces du plus puissant de ses barons comtois. Le 9 janvier 1406, une nouvelle lettre de Jean sans Peur8 rappelait la composition du partage d’Arlay sur lequel pesaient deux rentes9 : non versées pendant la confiscation, le total des arriérés se montait à 10 000 francs. Jean de Chalon annula cette dette contre 4 000 francs. Il se trouva très vite mêlé de nouveau aux luttes menées par le duc-comte de Bourgogne. Lors de la révolte des bourgeois et gens de métiers de Liège, ville détenue par le frère et le beau-frère de Jean sans Peur10, les armées bourguignonnes écrasèrent les Liég