Dialogues et résistances: une anthologie de textes anglais de la fin du Moyen Âge 9782503534770, 2503534775

Les textes présentés dans ce recueil, traduits pour la première fois en français, ont été composés entre le milieu du XI

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Dialogues et résistances: une anthologie de textes anglais de la fin du Moyen Âge
 9782503534770, 2503534775

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TEXTES VERNACULAIRES DU MOYEN ÂGE

Volume 10

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TEXTES VERNACULAIRES DU MOYEN AGE Collection dirigée par Stephen Morrison À une époque où les médiévistes, toutes disciplines confondues, se tournent de plus en plus vers les sources en langues vernaculaires, Brepols publie une nouvelle série TEXTES VERNACULAIRES DU MOYEN AGE, destinée à répondre aux besoins des chercheurs, confirmés ou débutants dans ce domaine. Le principal but (mais non le seul) de sa création est la publication de textes qui, jusqu’ici, n’ont jamais bénéficié d’un traitement éditorial et qui, par conséquent demeurent inconnus ou mal connus de la communauté scientifique. Parmi les premiers volumes figurent des vies des saints en ancien et moyen-français ainsi que des textes scientifiques en français et en anglais. D’autres volumes sont en préparation active. At a time when medievalists of all disciplines are increasingly recognising the importance of source material written in the major European vernaculars, Brepols publishes a new series TEXTES VERNACULAIRES DU MOYEN AGE, designed to meet the needs of a wide range of researchers working in this field. Central to its conception, though not exclusively so, is the place given to the publication of texts which have never hitherto benefited from editorial activity, and which remain unknown or imperfectly known to the academic community. The inaugural volumes include lives of saints in old and middle French, as well as scientific treatises in both French and English. Further volumes are in active preparation. Collection dirigée par / General editor: Stephen Morrison (Centre d’Etudes Supérieures de Civilisation Médiévale, Université de Poitiers)

Comité scientifique / Advisory Board Alexandra Barratt (Université de Waikato, Nouvelle Zélande), Daron Burrows (Université de Man­chester, Royaume-Uni), Vittoria Corazza (Université de Turin, Italie), Irma Taavitsainen (Université de Helsinki, Finlande), Alessandro Vitale-Brovarone (Université de Turin, Italie)

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Dialogues et résistances Une anthologie de textes anglais de la fin du Moyen Âge

Sous la direction de Stephen Morrison et Aude Mairey

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© 2010, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. ISBN 978-2-503-53477-0 D/2010/0095/100 Printed in the E.U. on acid-free paper

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TABLE DES MATIÈRES Introduction......................................................................

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REMERCIEMENTS..................................................................

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TEXTES et TRADUCTIONS 1. Mum and the Sothsegger......................................................

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2. John Hoccleve, Regement of Princes...................................

109

3. Le sermon de Thomas Wimbledon......................................

255

4. Un sermon orthodoxe pour le quatrième dimanche du Carême...........................................................................

313

5. Sermon lollard pour le deuxième dimanche après Pâques.....

329

6. Les douze conclusions des Lollards....................................

337

7. L’eucharistie selon les Lollards............................................

351

8. Prologue de la Bible dite Wycliffienne [Wycliffite Bible] (extraits)...............................................................................

361

9. John Trevisa, Dialogue entre un clerc et un chevalier...........

397

BIBLIOGRAPHIE......................................................................

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Introduction

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INTRODUCTION

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Les textes présentés dans ce recueil, traduits en français pour la première fois1, ont tous été composés à une époque, entre le milieu du XIVe siècle et le milieu du XVe, où l’Angleterre a connu de fortes transformations dans tous les domaines, politiques, économiques, sociaux, culturels, qui ne sont pas seulement liées à la Guerre de Cent ans et à la Peste noire de 1348. Il n’est bien sûr pas question, dans ces quelques pages introductives, de détailler ces transformations, mais de fournir quelques clés de compréhension des textes présentés2. Les deux premiers textes, Mum and the Sothsegger et le Regement of Princes de Thomas Hoccleve, s’intéressent particulièrement, mais pas seulement, aux questions politiques (il est de toute façon impossible, au Moyen Âge, de séparer les questions politiques du reste). Dans ce domaine, le point le plus important est sans doute l’affirmation d’un dialogue entre le pouvoir et la société politique, dans le cadre de ce que plusieurs historiens ont appelé la genèse de l’État moderne3. La notion même de société politique est cependant très débattue par les historiens. On peut l’entendre soit dans un sens restreint, regroupant ceux qui participent à l’exercice du pouvoir, soit dans un sens plus large, regroupant tous ceux qui sont concernés par les décisions du pouvoir. Dans ce sens, elle englobe finalement tous ceux qui sont affectés par la fiscalité publique, puisque le consentement à l’impôt est l’un des fondements de la construction de l’État – et qu’il pose le problème du dialogue entre le roi et le pays, et donc la question de la représentation. Dans ce cas, la société politique, c’est donc la société entière (en tout cas celle des hommes…), en tant qu’elle est politisée par la construction de l’État. Cette conception est très importante pour comprendre nos textes, qui sont rarement le fruit de gens très proches du pouvoir. La question du dialogue entre le roi et le pays peut donc être posée à plusieurs niveaux. Un des lieux les plus importants de ce dialogue, dans l’Angleterre de la fin du Moyen Âge, est le parlement qui s’affirme alors comme une entité politique autonome, par rapport à une royauté solidement établie quoiqu’en butte à des crises fréquentes et répétées. Le parlement s’est constitué dans les luttes séculaires entre les grands barons et les rois pour le partage – ou non – du pouvoir, ainsi que dans la tourmente de la Guerre de Cent ans. Sa composition est devenue plus ou moins stable à partir du second quart du xive siècle. Étaient convoqués les grands barons 1

  Seule une partie du Dialogue entre un clerc et un chevalier de John Trevisa a été traduite par Jean-Philippe Genet dans le recueil Former, enseigner, éduquer dans l’Occident médiéval, 11001450, dir. P. Gilli, 2 vols, Paris, 1999, 2, p. 118-121. 2   Pour une présentation détaillée en français, voir l’ouvrage de Genet, La genèse de l’Etat moderne. Culture et société politique en Angleterre, Paris, 2003 ; en anglais, voir Gerald Harriss, Shaping the Nation, England 1360-1461, Oxford, 2005. 3   Sur cette notion, voir J.-P. Genet, « Génèse de l’État moderne : les enjeux d’un programme de recherche », Actes de la recherche en sciences sociales, 118, 1997, p. 3-18.

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(les Lords laïcs et ecclésiastiques), mais aussi des représentants des Commons, membres de la petite noblesse – la gentry, dominée par les chevaliers – et représentants des villes (les clercs n’étant pas représentés en tant qu’ordre, le parlement anglais n’est pas une assemblée des États). Les fonctions de cette assemblée étaient multiples : c’était une haute cour de justice ; on y présentait les pétitions au roi qui ont rapidement pris un caractère général et dont certaines furent à l’origine de la législation par statut ; surtout on y discutait des subsides et des taxes. Ce dernier point est le plus fondamental, la véritable raison d’être du parlement. Dans cet espace de dialogue, parfois houleux, ce sont surtout les Commons qui se sont s’affirmées. Les grands barons comme les rois ont fait de plus en plus de concessions à leurs membres pour obtenir ce qu’ils voulaient. Surtout, le besoin d’argent des rois, et en particulier d’Édouard III, pour faire face à la guerre, les a forcés à se tourner de plus en plus vers les Commons pour obtenir des fonds. Par là même, ils ont dû faire face aux exigences croissantes de ses membres. Ainsi, les membres des Commons ont-ils vu leur importance grandir. À la fin du règne d’Édouard III, en 1376 très exactement, cette importance a été concrétisée par l’apparition d’un Speaker of the Commons, sorte de porte-parole. Si elles n’ont pas forcément eu un rôle spectaculaire, les Commons n’en sont pas moins devenues, à la fin du siècle, une composante majeure de la vie politique. Ce mouvement traduit l’affirmation de classes (ou de groupes, selon la terminologie que l’on préfère) qui ont pris une place croissante dans le fonctionnement de la monarchie et de l’Etat moderne : la gentry – petite noblesse rurale très impliquée dans l’administration locale (les chevaliers et les squires) – qui exerçait notamment un grand nombre de charges par l’intermédiaire des offices et des commissions qui lui sont confiées. Les hommes de loi sont pour leur part devenus de plus en plus indispensables au fur et à mesure du développement de la Common Law, le droit anglais. Beaucoup se sont d’ailleurs intégrés à la gentry. Enfin, les marchands anglais ont de plus en plus évincé les marchands étrangers (surtout italiens) qui, auparavant, dominaient le commerce de l’île et, en particulier, celui de la laine. Ils ont joué un rôle-clé dans la gestion municipale et dans celle des finances du pays, y compris sur le plan de la fiscalité. Une véritable société politique se dessine donc au cours du xive siècle anglais, au sein de laquelle les affrontements pouvaient être intenses, en particulier dans le cadre de ce que les historiens anglais ont appelé le bastard feudalism, caractérisé par l’importance des relations contractuelles mais aussi par une violence endémique, légale ou extralégale. Ces affrontements se sont articulés avec les luttes politiques internes, particulièrement virulentes dans certaines périodes. Leur âpreté se mesure d’ailleurs

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INTRODUCTION

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aisément à l’aune d’un phénomène nouveau, les dépositions de rois qui sont pratiquement monnaie courante aux XIVe et aux XVe siècles : Édouard II est déposé en 1327, puis Richard II en 1399, ce qui a conduit à un changement de dynastie avec l’accession d’Henry IV de Lancastre. Dans la seconde moitié du XVe siècle, l’Angleterre fut secouée par les guerres civiles des Roses lancastriennes et yorkistes, qui ne prirent fin qu’en 1485 avec l’arrivée d’Henry VII Tudor au pouvoir. Ces événements ont soulevé des questions cruciales sur l’essence même de la monarchie anglaise et la nature de son pouvoir – qui apparaissent dans les deux premiers textes de ce recueil – mais n’ont pas entravé la complexification toujours croissante de l’État. En outre, les résistances de catégories moins élevées dans l’échelle sociale ne sont pas absentes, surtout dans la seconde moitié du xive siècle. La grande révolte de 1381 en constitue l’expression la plus flagrante 4. Elle révèle des tensions fondamentales au sein de la société anglaise, en particulier au niveau des classes tenues en marge de ces jeux de pouvoir, mais non situées en bas de l’échelle sociale : artisans, petits marchands, paysans aisés ainsi qu’une partie du clergé. Les résistances sociales et politiques ont donc été fortes, mais elles ont également été d’ordre religieux. Quatre des textes présentés sont liés à l’hérésie lollarde, née à la fin du xive siècle. Seule hérésie anglaise d’ampleur, elle a été initiée par l’universitaire John Wyclif dans les années 13701380 autour d’un certain nombre d’idées allant toutes dans le sens d’une contestation radicale de l’institution ecclésiastique : la suprématie absolue des Écritures comme référence unique pour la croyance divine, ce qui a conduit à la première traduction intégrale de la Bible en anglais, dont le succès à d’ailleurs largement dépassé les cercles hérétiques5 ; la distinction entre l’Église visible, celle d’un clergé majoritairement corrompu, et l’Église invisible, celle des vrais élus, la congregatio praedestinorum ; la remise en cause du sacrement de l’eucharistie (pour des raisons philosophiques essentiellement), maillon essentiel de la légitimité du clergé dans la mesure où c’était le pouvoir qu’a le prêtre d’effectuer la transsubstantiation qui constituait en grande partie cette légitimité. De ces différentes idées dérivait enfin un rejet de tout ce qui pouvait faire obstacle au contact direct entre le fidèle et Dieu. Il s’agissait surtout de rejeter tout ce qui pouvait conduire à l’idolâtrie, dans un contexte où seuls les rites présents dans les Évangiles étaient considérés comme valables. La remise en cause touchait surtout les rites privilégiant les intermédiaires, que ces derniers soient des saints (rejet des pélerinages, des dévotions aux reliques…) ou des images 4 5

  Voir The English Rising of 1381, éd. T. Aston et R. Hilton, Cambridge, 1984.   Voir ci-dessous, la traduction du prologue de cette Bible, p. 361.

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(iconoclasme). Cette hérésie a été qualifiée de Réforme prématurée6. Mais elle s’inscrit également dans une optique politique bien précise, car son promoteur a valorisé le rôle des élites laïques dans la conduite de la société et en a tiré des conséquences révolutionnaires sur le sort des biens de l’Église et le statut des clercs. Une des réponses de l’institution ecclésiastique, en dehors de la répression, est passée par une prédication intensive, et nous proposons ici deux exemples de sermons orthodoxes. Cette esquisse des transformations sociales, politiques et religieuses ne peut être séparée d’une approche des transformations culturelles. En effet, il faut insister sur le fait que cette « société politique n’est pas constituée politiquement », elle est constituée en réalité par des attitudes, des mentalités, un système de croyance, de représentation, bref par une culture politique et même une culture en général. Cette approche des transformations culturelles passe notamment par l’analyse de ce qu’on peut appeler un « système de communication », notion élaborée et utilisée depuis quelques temps par les historiens. Dans ce système s’articulent les acteurs, les médias (les outils) et un (ou plusieurs) langage « avec ses codes et ses convictions, rendu familier par la répétition et accepté dans l’usage »7. Ce système est historiquement construit et dynamique. La littérature en fait pleinement partie car elle est bien un langage avec ses codes et ses convictions. En Angleterre, les transformations de ce système à la fin du Moyen Âge peuvent avant tout être caractérisées par l’extension de la literacy, l’aptitude à lire et à écrire, à un large pan de la société laïque. Les clercs n’ont plus le monopole de l’écrit, ce qui coïncide d’ailleurs avec le fait qu’ils n’ont plus celui de l’administration8. Malcolm Parkes, et d’autres après lui, ont distingué plusieurs niveaux dans cette literacy : un premier niveau de lecteurs professionnels qui restent essentiellement des clercs, un second niveau de lecteurs cultivés qui lisent pour leur plaisir et leur instruction, un troisième niveau de lecteurs pragmatiques qui lisent ou écrivent dans le cadre de transactions (quelle que soit la nature de ces dernières)9. Pour décrire cette situation, dans laquelle tout le monde connaît l’existence de l’écrit et de ses fonctions, mais où tous ne le maîtrisent pas, l’anthropologue Jack Goody a employé le terme de restricted literacy. L’accroissement du nombre de personnes utilisant l’écrit de manière fréquente s’est accompagné de l’augmentation de l’usage écrit de la langue anglaise au détriment du latin et du 6

  A. Hudson, The Premature Reformation, Oxford, 1988.   Cf. J.-P. Genet, « Histoire et système de communication », dans L’Histoire et les nouveaux publics dans l’Europe médiévale (xiiie-xve siècles), éd. J.-P. Genet, Paris, 1997, p. 11-29. 8   Pour une étude détaillée de ce phénomène, on peut se reporter aux ouvrages de Michael Clanchy, From Memory to Written Record, 1066-1307, Londres, 1979 et de Janet Coleman, English Literary History 1350-1400. Medieval readers and writers, Londres, 1981. 9   M. Parkes, « The literacy of the laity », dans Literature and Western Civilization : The Medieval World, éd. D. Daiches et A. K. Thorlby, Londres, 1973, p. 555-576, p. 555. 7

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INTRODUCTION

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français. Cette extension rapide se manifeste par l’importance de la production écrite en anglais, surtout dans la période allant de 1350 à 1420. Au sein de cette production se situent de nombreux textes traduits, ce qui a conduit à un questionnement sur le statut de l’anglais et de la traduction elle-même. Deux exemples de cette réflexion sont donnés à la fin de ce recueil. Quoi qu’il en soit, l’Angleterre est alors un véritable creuset culturel et cette production foisonnante est l’indice principal – mais non le seul – de l’émergence d’une culture assez spécifiquement laïque (même s’il ne faut pas être trop tranché et que de nombreux clercs y participent). Cette culture n’a pas, comme dans l’Italie humaniste, de bases institutionnelles, mais elle n’en est pas moins bien réelle. Les textes présentés dans ce recueil évoquent donc, mais aussi nourrissent, nombre de ces transformations. Ils suggèrent tous qu’en réalité, ces transformations fonctionnent ensemble et ils constituent tous des lieux de communication, de dialogue ou de résistance (voire les deux) dans une société anglaise alors en pleine ébullition.

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REMERCIEMENTS Nous tenons à remercier vivement les maisons d’éditions suivantes qui nous ont accordé la permission de reproduire les textes en copyright dans leurs collections: –  J. M. Dent and Sons Ltd (Londres), pour la reprise de l’édition de Mum and the Sothsegger, établie par Helen Barr, et publiée dans The Piers Plowman Tradition en 1993 (texte n° 1); –  Duquesne University Press (Pittsburgh) pour la reprise de l’édition de Wimbledon’s Sermon, établie par Ione K. Knight, et publiée dans la série Duquesne Studies, Philological Series 9 en 1967 (texte n° 3); –  Oxford University Press (Oxford) pour la reprise de l’édition du Sermon lollard pour le deuxième dimanche après Pâques, établié par Anne Hudson et publiée dans English Wycliffite Sermons, vol. 1, en 1983 (texte n° 5); –  Cambridge University Press (Cambridge) pour la reprise des éditions de textes n° 6 et n° 7, Les douze conclusions des Lollards et L’eucharistie selon les Lollards, établies par Anne Hudson et publiées dans Selections from English Wycliffite Writings en 1978. Nos remerciements vont également à la Bodleian Library, Oxford, pour la permission de reproduire Un sermon orthodoxe pour le quatrième dimanche du Carême (texte n° 4), avant publication par Oxford University Press. Poitiers et Paris juin 2010

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Stephen Morrison Aude Mairey

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Mum et le diseur de vérité Le poème allitératif 1 intitulé Mum and the Sothsegger est très révélateur de la complexité des interactions entre cultures, langues et société2. Bien que ce texte incomplet3 ne subsiste que dans un seul manuscrit (Londres, British Library Additional 41666), il n’en est pas moins révélateur à bien des égards. Il date du début du XVe siècle (vers 1409) et a été composé sous le règne du premier roi lancastrien, Henry IV, à la suite de la déposition de Richard II. L’auteur, anonyme, mais sans doute proche des milieux parlementaires, s’interroge donc de manière aigue sur la nature du pouvoir royal. Des influences lollardes se retrouvent par ailleurs dans le texte. La trame narrative est la suivante : le narrateur part en quête d’un sothsegger, un diseur de vérité, et passe en revue toutes les catégories de la société politique active : les administrateurs, le clergé, les nobles, les élites urbaines. Chaque fois, il est confronté à la flatterie et à la corruption, par le biais du personnage de Mum, incarnation de ces vices qui sont bien pour le narrateur des vices politiques et sociaux, s’opposant au bon fonctionnement du gouvernement. Dépité par ses rencontres, rabroué par Mum, il s’endort, se met alors à rêver et rencontre un apiculteur qui lui explique ce qu’est réellement un diseur de vérité et surtout où il se trouve : dans le cœur de l’homme. Il conseille alors au narrateur de faire un livre pour transmettre la vérité. La fin du poème – qui est inachevé – est une critique renouvelée des différentes catégories envisagées précédemment4.

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  Dans les poèmes utilisant l’allitération, la répétition de consonnes et/ou de voyelles est utilisée pour donner sa cohérence au vers. L’utilisation de l’allitération est importante en Angleterre, pendant la période anglo-saxonne puis à nouveau au XIVe siècle. Elle accompagne le développement de l’anglais écrit, alors même, d’ailleurs, qu’elle renvoie à une forme de poésie de nature avant tout orale. 2   Ce texte est édité par Helen Barr dans le recueil The Piers Plowman Tradition (Londres, 1993) ainsi que par James Dean (Kalamazoo, 2000). Cette dernière édition est en ligne sur le site TEAMS – Middle English Texts (http://www.lib.rochester.edu/camelot/teams/mumfrm.htm). 3   Il manque le début et la fin. 4   Pour une étude de ce poème, voir A. Mairey, Une Angleterre entre rêve et réalité. Littérature et société en Angleterre au XIVe siècle, Paris, 2007.

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Mum and the Sothsegger 1 Hovgh the coroune moste be kept fro couetous peuple

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Al hoole in his hande and at his heeste eke, That euery knotte of the coroune close with other, And not departid for prayer ne profit of grete, Leste vncunnyng comyn caste vp the halter And crie on your cunseil for coigne that ye lacke, For thay shal smaicche of the smoke and smerte thereafter Whenne collectours comen to caicche what thay habben. And though your tresorier be trewe and tymbre not to high, Hit wil be nere the worse atte wyke-is ende; For two yere a tresorier twenty wyntre aftre May lyue a lord-is life, as leued men tellen. Now your chanchellier that chief is to chaste the peuple With conscience of your cunseil that the coroune kepith, And alle the scribes and clercz that to the court longen, Bothe iustice and luges y-ioyned and other, Sergeantz that seruen for soulde atte barre, And the prentys of court, prisist of alle, Loke ye reeche not of the riche and rewe on the poure That for faute of your fees fallen in thaire pleyntes; Haue pitie on the penylees and thaire pleynte harkeneth, And hire thaym as hertly as though ye hure had, For the loue of hym that your life weldeth; And graunteth thaym for God-is sake and with a good chiere The writing of writtz and the waxe eke; And thay wil loue you for the lawe as liege men aughte, More thenne for mayntenance that any man vseth, Or for any frounting for faute of the coigne.

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[Je vous ai dit] comment la couronne doit être protégée des gens cupides ; [elle doit être] entièrement dans ta main et ton commandement5, afin que chaque ornement de la couronne s’emboîte l’un avec l’autre et ne soit pas divisé pour la faveur ou le profit des grands, sous peine que les communes ignorantes ne rejettent sa contrainte 6 et ne se plaignent au conseil de son manque d’argent ; car elles goûteront alors à la fumée et à la douleur, lorsque les percepteurs viendront prendre ce qu’ils ont. Même si ton trésorier est loyal et ne bâtit pas trop grand, il n’en sera pas moins un des plus mauvais à la fin de la semaine, car s’il reste trésorier pendant deux ans, il peut ensuite vivre comme un seigneur pendant vingt hivers – c’est ce que les laïcs disent. En ce qui concerne ton chancelier qui doit d’abord corriger le peuple, avec la conscience de ton conseil qui protège la couronne, et tous les scribes et les clercs qui appartiennent à la cour, les magistrats, les juges nommés et les autres, les avocats qui pratiquent à la barre pour un paiement et les apprentis de la cour, les plus précieux de tous, assure-toi qu’ils ne se soucient pas des riches mais qu’ils prennent soin des pauvres qui, à cause de tes rétributions échouent dans leurs procès. Aie pitié de ceux qui n’ont pas d’argent et sois attentif à leur plainte, écoute-les sincèrement comme si tu avais reçu un paiement, pour l’amour de celui qui gouverne ta vie ; accorde-leur – pour l’amour de Dieu et avec bonne humeur – l’écrit d’un ordre scellé7 ; ainsi, t’aimeront-ils pour ta justice comme des hommes liges le doivent, davantage que pour la maintenance pratiquée par n’importe qui, ou pour la violence [subie] à cause de leur manque d’argent (1-28)8.

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  Le narrateur semble ici s’adresser directement au roi. Mais la syntaxe de ces premiers vers n’est pas très claire. 6   C’est-à-dire les taxes royales. 7   Un writ est une lettre brève utilisée dès l’époque anglo-saxonne, principalement par le roi, pour transmettre un ordre. À partir des rois anglo-normands, il devient le principal instrument de l’administration royale. Au fur et à mesure du développement de la Common Law (le droit anglais), le nombre de writs se multiplie jusqu’à atteindre plusieurs centaines. Les writs sont alors très formalisés et nécessitent une expertise importante, que la majorité des gens ne peut évidemment pas se payer, d’où la demande de l’auteur. 8   Sur la justice anglaise à la fin du Moyen Âge, voir J.-P. Genet, La genèse de l’Etat moderne, Culture et société politique en Angleterre, Paris, 2003, p. 71 sq.

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Now ye haue y-herde of the haselle names Of officiers withynne and without eke, But yit of alle the burnes the beste is behinde Forto serue a souurayn in somer and in wintre, And most nedeful at eue and at morowe eke, And a profitable page for princes or for ducz Or for any lay lord, lettrid or elles, That litel is y-take fourth or his tale lyeued; And yf ye willeth to wite what the wight hatte, Hit is a sothe-sigger that seilde is y-seye To be cherisshid of chief in chambre or in halle, But for his rathe reasons is rebukid ofte, And yf he fable to ferre, the foote he goeth vndre. There is no clerc with the king that clothid hym ones, But clothid hym at cristmasse and al the yere after. Saunder the seruiselees shuld be his name, For he abidith in no household half a yere to th’ende But the lord and the lady been loeth of his wordes, And the meyny and he mowe not accorde, But al to-teereth his toppe for his trewe tales. He can not speke in termes ne in tyme nother But bablith fourth bustusely as barn vn-y-lerid; But euer he hitteth on the heed of the nayle-is ende, That the pure poynt pricketh on the sothe Til the foule flessh vomy for attre. Thenne is this freeke a-frountid for his feithful tale, And y-ferked vndre foote while falsenes goeth aboute With cautelle and with coigne forto caste deceiptz Hough trouthe might be trauerssid and tournid of the weye. Thenne fareth fals fourth and flatereth atte beste And lightly is y-lyved withoute long tale, And euery gome of hym glad, so glorieusely he loketh Thorough the peynture of the preynte that in the palme hongeth. Right as the cockil cometh fourth ere the corne ripe, With a cleer colour, as cristal hit semeth, Among the grayne that is grene and not ful growe, Right so fareth falsnesse that so freysh loketh Thorough the colour of the crosse that many men incumbreth. But whenne trouthe aftre tornement hath tyme forto kerne And to growe fro the grovnde anone to th’ende, Thenne fadeth the flour of the fals cockil.

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Tu as entendu les noms des retenus9 et des officiers de l’intérieur et de l’extérieur ; mais parmi tous ces gens-là, le meilleur est encore à venir : [quelqu’un pour] servir un souverain en été comme en hiver, ce qui est aussi nécessaire le soir que le matin, et [qui soit] un page profitable pour les princes ou les ducs ou pour n’importe quel seigneur laïc, lettré ou non, qui est peu avancé et dont la parole n’est pas convaincante ; et si vous voulez savoir comment l’homme est appelé, c’est un diseur de vérité. On le voit rarement, alors qu’il doit être tenu en honneur dans la chambre ou le hall ; il est au contraire souvent repoussé à cause de ses arguments fervents, et s’il va trop loin dans ses paroles, il est exclu. Aucun clerc du roi ne l’a jamais habillé bien qu’il s’habille lui-même à Noël et tout le long de l’année. Saunder le sans service devrait être son nom : il ne reste pas dans une maisonnée plus de six mois, car le seigneur et sa dame n’aiment pas ses paroles et il ne peut s’accorder avec la maisnie ; mais tous lui arrachent les cheveux à cause de ses histoires vraies. Il ne peut prononcer un discours formel ou approprié et il babille bruyamment comme un enfant non éduqué ; mais il frappe toujours de la pointe du clou sur la tête afin que son argument vrai perce la vérité, jusqu’à ce que la folle chair vomisse son poison (29-53). Ainsi l’homme est-il repoussé pour ses honnêtes histoires et foulé aux pieds pendant que la fausseté se répand et ourdit ses fraudes par la tromperie et l’argent, pour que la vérité puisse être déniée et détournée de sa voie. Ainsi le faux s’avance-t-il et flattet-il au mieux ; il est cru aisément, sans longue histoire, et chaque homme est content de lui, tant il paraît glorieux par l’impression de la gravure qui tient dans la main10. De même que la nielle s’en vient avant que le grain ne mûrisse, avec une couleur brillante (comme si c’était du cristal) parmi le grain vert et encore immature, ainsi vient la fausseté qui semble si vigoureuse et qui tente de nombreux hommes par la couleur de la croix11. Mais lorsque la vérité, après un renversement, a le temps de façonner une semence, et de la faire croître du début à la fin, alors la fleur de la fausse nielle se

9   Le phénomène de la retenue est un aspect important de la féodalité anglaise de la fin du Moyen Âge. Un homme pouvait être retenu par un seigneur dans le cadre d’un lien contractuel pour diverses raisons. Mais il existait plusieurs formes de retenue dont certaines étaient considérées comme illégales. Sur ce problème important de l’historiographie anglaise, voir Genet, La genèse de l’Etat moderne, op. cit., p. 63 sq. 10   Ce pourrait être une image pour évoquer la main graissée par de l’argent sale. 11   La croix étant celle qui est gravée sur une pièce de monnaie.

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That lykne I to lyers, for atte the long goyng, Of euery segge-is sawe the sothe wol be knowe. Yit is hit not my cunseil to clatre what me knoweth In sclaundre ne scathe ne scorne of thy brother, For though thy tale be trewe thyn tente might be noyous, For whiche thou mighte be harmed and haue that thou serues. For go to the gospel that grovnd is of lore, And there shal thou see thyself, yf thou can rede, Whethir I wisse the wel wisely or elles. He seith that thou shuldes the synne of thy brother Telle hym by tyme and til hymsilf oon, Yn ful wil to amende hym of his mysse-deedes. Si peccauerit in te frater tuus corrige, etc. And yf he chargeth not thy charite but chideth the agaynes, Yit leue hym not so lightly though he lovre oones, But funde hym to freyne efte of the newe, And haue wittenes the with that thou wel knowes, And spare not to speke, spede yf thou mowe, And he that moost is of might thy mede shal quite For suche soeth sawes that sounen into good, And of a reasonable man rewarde to haue. For whenne thy tente and thy tale been temprid in oone, And menys no malice to man that thou spekys, But forto mende hym mukely of his misse-deedes, Sory for his synne and his shrewed taicches, And the burne be y-blessid and balys cunne eschewe And thrifty and towarde, thou shal thanke gete. Were I a lord of a lande that lawe aughte gouuerne, Suche a siker seruant shuld haue robes, Though he seide euer sothe and seruyd of noon other. But now wolde I wite of a wise burne, What kynnes creature that me couthe telle Where to finde this freek, yf the king wolde Haue hym in housholde as holsum were. ‘By Crist,’ cothe a clerc that conceipte he had, ‘There is no wiseman, I wene, wolde be y-weddid To suche a simple seruice, a-say where the liketh, For no maniere mede that thereto belongeth, Ne ferthryng ne frendship while flatryng helpeth. For alle the greet clercz that with the king lendith

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fane. Je compare cela aux menteurs, car sur le long terme, la vérité sera connue par tous les discours des hommes (54-71). Pourtant, mon conseil n’est pas de jaser sur ce que l’on sait, par une fausse accusation, un reproche ou du mépris envers ton frère. Car bien que ton histoire puisse être vraie, ton intention peut être nuisible et pour cela, tu peux être défait et n’avoir que ce que tu mérites. Va à l’évangile qui est la source de l’enseignement et tu y verras par toi-même – si tu peux le lire – si je te guide bien, sagement ou non. Il dit que tu ne devras évoquer le péché de ton frère qu’à lui seul et au bon moment, avec le désir complet de le réformer de ses mauvaises actions. (Si peccauerit in te frater tuus corrige etc.12). Et s’il n’a aucun regard pour ta charité mais qu’il s’emporte contre toi, ne l’abandonne pas si aisément ; même s’il fait grise mine, essaie de le conduire à s’interroger à nouveau, en prenant avec toi un témoin que tu connais bien ; n’hésite pas à plaider, si tu veux réussir, et celui qui a le plus grand pouvoir te paiera ta récompense ; car de telles paroles véritables – celles d’un homme raisonnable – qui résonnent pour le bien ont une récompense. Car lorsque ton intention et ton discours sont en harmonie et que tu ne veux pas de mal à l’homme auquel tu parles, mais [que tu veux] l’amender humblement de ses mauvaises actions, qu’il soit désolé pour ses péchés et ses ignobles vices et qu’il soit béni, sache comment éviter les ennuis, [et sois] convenable et bien disposé ; tu recevras des remerciements (72-95). Si j’étais le seigneur d’une terre et que je devais rendre la justice, un serviteur si solide aurait des récompenses, pourvu qu’il dise toujours la vérité et ne serve personne d’autre. Mais maintenant je voudrais qu’un homme sage me dise quel genre d’être puisse m’indiquer où trouver cette personne, afin que le roi puisse l’avoir dans sa maisonnée, comme porteur de bien-être (96-102). – Par le Christ, dit un clerc qui avait de l’entendement, aucun homme sage ne voudrait, je pense, s’engager dans un tel service – essaye si cela te plaît – car on n’y trouve aucune sorte de récompense, ni avancement, ni amitié, alors que la flatterie est une aide. Car tous les grands clercs qui sont avec le roi savent cela aussi 12   « Si ton frère vient à pécher, reprends-le… » : cf. Math. 18 : 15. Les citations en latin sont toujours dans la marge du manuscrit. Il n’est donc pas tout à fait certain qu’elles soient le fait de l’auteur (le correcteur pourrait les avoir ajoutées). Mais tous les éditeurs les intègrent et nous les reprenons donc dans cette traduction.

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Knoweth this as kindely as clerc doeth his bokes; Hit is no siker seruice but for a somer saison, But yf hit wer for a fool that wold not be ferthred. He might sey sothe sum while among thaym And shuld be holde fooly though hit feul after.’ But muche now I meruaille, and so mowen other, That oure corouned king is kepte fro tho ludes, Forto saye hym the sothe sum while among, Hough he shuld grece the griefz er the woundz gunne festre And so to leede his life in loue of the royaulme. For the poure peuple hath prece of thaym many Forto telle thaym thaire toyes twyes a woke. Et nunc reges intelligite erudimini qui iudicatis terram, etc. David. And any neighebourgh be nigh on eue or a morowe, Hit wold not long be lefte, my life durste I wedde; And that is grace and thaire good happe to gouuerne thaym better And in welthe to be ware ere that woo falle. But the king ne his cunseil cunne not mete with thaym, But cleerly the cause I knowe not for sothe But dreede of the deeth dryveth thaym thens, Or elles looste of thaire likerous life vppon erthe. Thus is the court accumbrid and knoweth not thaire happes; Ne God neither goodman ne thaym-self nothir, Til fortune for foolie falle atte laste, And al the world wondre on thaire wilde deedes. But yf the king might knowe that the comune talketh Hough grotz been y-gadrid and no grief amendid And hough the lawe is y-lad whenne poure men pleyne, I bilieue loyally oure liege lord wolde Haue pitie on his peuple for his owen profit And amende that were amysse into more ease. But the cause why the king knoweth not the mischief Is for faute of a fabuler that I bifore tolde of Forto telle hym the texte, and touche not the glose, How the worde walketh with oon and with other.

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naturellement qu’un clerc connaît ses livres : ce n’est pas un service solide, sinon pour un été, à moins que ce ne soit pour un fou qui ne veuille pas de promotion. Il peut dire quelque vérité pendant qu’il est là, mais cela sera tenu pour folie même si cela se révèle vrai par la suite (103-113). Mais en vérité je m’étonne beaucoup – et d’autres le peuvent – du fait que notre roi couronné soit empêché de s’approcher de ces hommes (Et nunc reges intelligite erudimini qui iudicatis terram etc13) qui lui diraient la vérité sur la manière dont il devrait appliquer un onguent sur les blessures avant que les plaies ne s’infectent et ainsi mener sa vie pour l’amour du royaume. Car les pauvres ont parmi eux beaucoup de gens pour leur dire leurs petites misères deux fois par semaine; et si un voisin est à proximité le soir ou le matin, elles ne resteront pas longtemps de côté, j’en gagerais ma vie ; et c’est une grâce et leur bonne fortune que de les gouverner mieux et d’être attentif dans la prospérité, avant que les problèmes ne surviennent. Mais ni le roi ni son conseil ne peuvent les rencontrer ; je n’en connais pas réellement la cause, à moins que la peur de la mort ou le plaisir de leur vie terrestre luxurieuse ne les retienne. Ainsi les gens de la cour sont-ils embarrassés et ne connaissent-ils pas leurs fortunes, ni Dieu, ni aucun homme de bien, ni eux-mêmes, jusqu’à ce que la fortune s’affaisse finalement à cause de leur folie et que tout le monde s’interroge sur leurs actions désordonnées (114-132). Mais si le roi savait ce que raconte le commun sur la manière dont l’argent a été collecté sans qu’aucun tort ne soit réparé et sur la manière dont la loi est manipulée quand les pauvres déposent une plainte, je crois fermement que notre seigneur lige aurait – pour son propre profit – pitié de son peuple et réparerait ce qui est erroné avec plus de facilité. Mais la raison pour laquelle le roi ne connaît pas le mal est qu’il manque du narrateur dont j’ai parlé tout à l’heure pour lui dire le texte sans toucher à la glose, et [pour lui expliquer] la manière dont un mot fonctionne avec un autre14 (133-142).

13   « Et maintenant, ô rois, comprenez : recevez de l’instruction, vous qui jugez la terre » : cf. Ps. 2 : 10. 14   La question de l’interprétation – et donc des rapports entre le texte et la glose – est cruciale tout au long du Moyen Âge. C’était aussi un des grands points de friction entre les lollards et leurs opposants. Mais le passage peut également être relié au thème de l’ignorance du roi, parfois utilisé pour éviter de critiquer ce dernier tout en lui reprochant ses actions (cf. D. Embree, « The King’s Ignorance : A Topos for evil times », Medium Aevum 54, 1985).

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But whenne oure comely king came furst to londe, Tho was eche burne bolde to bable what hym aylid And to fable ferther of fautz and of wrongz, And romansid of the misse-reule that in the royaulme groved, And were behote high helpe, I herde hit myself Y-cried at the crosse, and was the king-is wille Of custume and of coylaige the comunes shuld be easid. But how the couenant is y-kepte I can not discryue, For with the king-is cunseil I come but silde. But piez with a papegeay parlid of oones, And were y-plumed and y-pullid and put into a cage. Sith the briddes were y-bete the beke is vndre whinge But yf thay parle priuyly to thaire owen peeris. But the king ne his cunseil may hit not knowe What is the comune clamour ne the crye nother, For there is no man of the meeyne, more nother lasse, That wol wisse thaym any worde but yf his witte faille, Ne telle thaym the trouthe ne the texte nothir, But shony forto shewe what the shire meneth, And beguile thaym with glose, so me God helpe, And speke of thaire owen spede and spie no ferther, But euer kepe thaym cloos for caicching of wordes. And yf a burne bolde hym to bable the sothe And mynne hum of mischief that misse-reule asketh, He may lose his life and laugh here no more, Or y-putte into prisone or y-pyned to deeth Or y-brent or y-shent or sum sorowe haue, That fro scorne other scathe scape shal he neure. Thus is trouthe doune y-troode and tenyd ful ofte, Y-bete and y-bounde in bourghes and in shires, And principaly of princes y-pyned thenne of other, Y-halowid and y-huntid and y-hoote trusse, That he shoneth to be seye forto shewe his harmes, But euer hideth his heede fro the hayl-stones, And is ouer-woxe with wrong and wickid wedes, And tenyd with tares and ill amisse temprid. Yit wol he growe fro greue and his grayne bere, And after sowe his seede whenne he seeth tyme. For alle the gomes vndre God goyng vppon erthe Were neuer so slygh yit forto sle trouthe; Though thay batre hym with battz and bete on hym euer,

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Lorsque notre noble roi est arrivé dans le pays15, chacun fut impatient de dire ce qui l’affligeait et d’évoquer davantage les fautes et les méfaits ; ils évoquèrent le mauvais gouvernement qui s’était développé dans le royaume, et on leur promit un grand redressement. Je l’ai entendu moi-même proclamé à la Croix, et aussi qu’il était de la volonté du roi que les communes soient soulagées des coutumes de la collecte des impôts. Mais je ne peux dire si la promesse a été tenue, car je viens rarement au conseil du roi (143-151). Pourtant, les pies et les perroquets en discutèrent un jour, mais ils furent plumés, dépouillés et enfermés dans une cage ; depuis que les oiseaux ont été battus, le bec est [caché] sous l’aile, à moins qu’ils ne parlent secrètement à leurs propres pairs16. Ni le roi ni son conseil ne peuvent connaître la clameur ou le cri du commun (des communes), car aucun homme de la maisnie, quelle que soit son influence, ne voudra leur enseigner quelque mot, à moins que ses sens ne s’égarent, ni leur dire la vérité ou le texte. Chacun évite de montrer ce que signifie le comté17, les trompe par la glose – que Dieu m’aide – et ne parle que de ses propres soucis sans regarder ailleurs ; mais chacun reste vigilant pour surprendre des paroles. Mais si un homme se risque à dire la vérité et avertit [le roi] du malheur qu’entraîne un mauvais gouvernement, il peut perdre la vie et ne plus jamais rire ici-bas, être mis en prison ou torturé à mort, brûlé, ruiné ou subir quelque douleur qui fera qu’il n’échappera jamais au mépris ou au malheur (152-170). Ainsi la vérité est-elle piétinée et très souvent mise à mal, elle est battue et emprisonnée dans les bourgs et les comtés, et elle est opprimée par les princes plus que par d’autres ; elle est poursuivie par des hurlements, elle est pourchassée et on lui ordonne de faire ses bagages afin qu’elle évite d’être vue en train de montrer ses malheurs ; elle doit toujours protéger sa tête des grêlons et elle est envahie par le mal et les mauvaises actions ; elle est étranglée par les tares et par tout ce qui manque d’harmonie. Pourtant, elle grandira du malheur et portera ses fruits, et elle sèmera ses graines quand il sera temps. Car tous les hommes qui marchent sur la terre, sous le regard de Dieu, n’ont jamais été si sournois qu’ils ont tué la vérité ; bien qu’ils la frappent avec des bâtons et la battent encore 15

  C’est-à-dire Henry IV de Lancastre, qui a pris le pouvoir en 1399 au détriment de Richard II.   Les auteurs de la période s’expriment souvent par allusion aux symboles héraldiques pour évoquer des individus. L’identification n’est pas toujours assurée. 17   Le shire est l’unité territoriale de base du royaume d’Angleterre. 16

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Trouthe is so tough and loeth forto teere And so pryuy with the prince that paradis made That he hath graunt of his lyfe while God is in heuene, For though men brenne the borough there the burne loiggeth, Or elles hewe of the heede there he a hows had, Or do hym al the disease that men deuise cunne, Yit wol he quyke agayne and quite alle his foes And treede ouer the tares that ouer his toppe groued, And al wickid wede into waste tourne. And therefore my cunseil (though the king knowe hit And alle the lordz of this londe, right lite is my charge) Ys to be at oone with trouthe and tarre hym nomore, Leste he tucke at your tabart ere two yere been endid, But ye suffre his seruant to be seye oones Among you in the moneth (but yf ye more wil) Forto saye you the sothe, though ye shame thenke. For hit wol sauere your mouthe swetely with-ynne short after Whenne fortune you fleeth and falleth elles-where ; And yf ye sauere on his sawe and serue thereafter And eke wirche by his worde, the whele wol tourne And eke chaunge his cours of care and of sorowe, And tourne into tidewel, terme of your lifes. Now is Henry-is hovs holsumly y-made And a meritable meyny of the most greet, And next I haue y-named as nygh as I couthe, And the condicions declarid of alle, Rehershing no rascaille ne riders aboute. But he hymsilf is souurayn, and so mote he longe, And the graciousist guyer goyng vppon erthe, Witti and wise, worthy of deedes, Y-kidde and y-knowe and cunnyng of werre, Feers forto fighte, the felde euer kepith, And trusteth on the Trinite that trouthe shal hym helpe; A doughtful doer in deedes of armes And a comely knight y-come of the grettist, Ful of al vertue that to a king longeth, Of age and of al thing as hym best semeth. But hit be wel in his dayes we mowe dreede aftre Lest feerelees falle withynne fewe yeres. But God of his goodnes that gouuernith alle thingz

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et encore, la vérité est si résistante, si difficile à détruire et si intime avec le prince qui a créé le paradis, que sa vie est assurée pendant que Dieu est au ciel ; car bien que des hommes brûlent le bourg où elle habite, qu’ils lui coupent la tête là où elle a une maison, ou qu’ils lui font tout le mal que les gens peuvent imaginer, elle revivra pourtant, remboursera tous ses ennemis, retournera toutes les tares qui ont poussé sur sa tête et transformera toutes les mauvaises actions en ordures (171-192). Mon conseil (bien que le roi et tous les seigneurs de cette terre sachent cela, bien légère est ma charge) est donc de ne faire qu’un avec la vérité et de ne pas la contrarier davantage, sous peine qu’elle ne tire sur votre tunique avant que deux ans ne soient passés ; et ce à moins que vous ne permettiez à son serviteur d’être vu parmi vous au cours du mois (et davantage si vous le voulez) pour vous dire la vérité, bien que vous trouviez cela honteux. Car cela vous sera agréablement savoureux à la bouche avant peu de temps, lorsque la fortune vous fuira et s’en ira ailleurs ; si vous savourez ses paroles, que vous les suivez et que vous agissez selon elles, la roue tournera, changera son cours de souci et de douleur et le transformera en bonne fortune pour le reste de vos vies (193-205). Aujourd’hui, la maison d’Henri est sainement constituée, une maisnie méritante de la plus grande noblesse, et j’ai donné les noms aussi exactement que j’ai pu et déclaré les positions de tous, ne comptant ni la racaille ni les cavaliers autour. Mais lui-même est souverain, et peut l’être longtemps ; il est le plus gracieux des gouvernants sur cette terre, astucieux et sage, valeureux dans les actions, reconnu, expérimenté et expert dans la guerre ; brave pour se battre, il tient toujours le champ de bataille et il croit sur la trinité que la vérité l’aidera ; [c’est] un vaillant exécuteur de faits d’armes et un noble chevalier issu des plus grands, plein des vertus qui appartiennent à un roi – il semble au mieux en âge et en toutes choses. Mais si tout est bien durant sa vie, nous pouvons craindre pour après que des merveilles ne se produisent sous peu d’années. Que Dieu qui gouverne toutes choses, dans sa bonté, lui accorde

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Hym graunte of his grace to guye wel the peuple ; And to reule this royaume in pees and in reste, And stable hit to stonde stille for oure dayes. But I dreed me sore, so me God helpe, Leste couetise of cunseil that knoweth not hymself (Of sum and of certayn, I seye not of alle) That of profitable pourpos putteth the king ofte, There his witte and his wil wolde wirche to the beste — ‘Nomore of this matiere,’ cothe Mum thenne ‘For I meruaille of thy momeling more thenne thou wenys. Saides not thou thyself, and sothe as me thoughte, That thees sothe-siggers seruen noon thankes ? And thou knowes this by clergie, how cans thou the excuse That thou ne art nycier than a nunne nyne-folde tyme, Forto wite that thy wil thy witte shal passe ?’ I blussid for his bablyng and a-bode stille And knytte there a knotte and construed no ferther; But yit I thoughte ere he wente, and he wold abide, To haue a disputeson with hym and spie what he hatte. ‘I am Mum thy maister’, cothe he ‘in alle maniere places, That sittith with souuerayns and seruyd with greete. Thaire wille ne thaire wordes I withseye neuer, But folowe thaym in thaire folie and fare muche the bettre, Easily for oyle, sire, and elles were I nyce. Thus leede I my life in luste of my herte, And for my wisedame and witte wone I with the beste; While sergeantz the sechith to saise by the lappe For thy wilde wordes that maken wretthe ofte. Thow were better folowe me foure score wynter Thenne be a soeth-sigger, so me God helpe, Oon myle and nomore waye, I Mvm wol avowe. And therefore I rede, yf thou reste wilnest, Cumpaignye with no contra yn no kynnes wise, But parle for thy profit and plaise more here-aftre. For there nys lord of this londe ne lady, I wene, Prince nether prelat ne peer of the royaulme, Bachillier ne bourgoys ne no barne elles That yf thay wite what thou arte, that wil the desire Or coueite to thy cumpaignie while contra the foloweth’. ‘Now to this altercation’ cothe I, ‘an answere behoueth; For I fele by thy fabelyng thou art felle of werkes

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par sa grâce de bien guider son peuple, de gouverner son royaume en paix et en repos, et de le rendre stable pour qu’il dure durant notre temps. Mais je crains amèrement – que Dieu m’aide – la convoitise de conseillers qui ne se connaissent pas et détournent souvent le roi d’un but profitable (je ne dirais pas cela de tous mais de quelques-uns et de certains). Sinon, son entendement et sa volonté marcheront pour le mieux…18 (206-231). – Assez sur ce sujet, dit alors Mum, je m’étonne de tes marmonnements plus que tu ne le penses. N’as-tu pas dit toi-même – et il me semble que c’est la vérité – que ces diseurs de vérité ne méritent aucun remerciement ? Et tu le sais bien grâce aux études, comment peux-tu t’excuser de n’être pas neuf fois plus fou qu’une nonne, pour savoir que ta volonté surpasse ton intelligence ? (232-238) Je rougis de ce discours, me tins silencieux ; je conclus et n’interprétai pas plus avant. Pourtant je pensais, avant qu’il ne s’en aille et s’il voulait rester, avoir un débat avec lui et voir comment il s’appelait (232-242). – Je suis Mum ton maître, dit-il, qui se tient partout avec les souverains et est servi avec les grands. Je ne contredis jamais ni leurs paroles ni leur volonté, mais les suis dans leur folie ; je m’en porte pour le mieux et aisément, grâce à la flatterie, sire, sinon je serais un fou. Ainsi je mène ma vie dans le plaisir de mon cœur, et par ma sagesse et mon intelligence, j’habite avec le meilleur, alors que les sergents te cherchent pour te saisir par le pli de ton vêtement pour tes paroles insensées qui causent souvent la colère. Tu ferais mieux de me suivre quatre-vingts hivers que d’être un diseur de vérité – que Dieu m’aide – pour seulement vingt minutes, moi Mum, je le déclare. Et donc je te conseille, si tu désires la paix, de ne jamais tenir compagnie aux contradicteurs mais de parler pour ton profit et de plaire davantage ensuite. Car il n’y a aucun seigneur ni dame dans ce pays, je pense, ni prince, prélat ou pair du royaume, bachelier, bourgeois ou quelque homme que ce soit, qui, s’il sait ce que tu es, aura le désir ou la convoitise de ta compagnie, s’il s’ensuit une contradiction (243-262). – Vraiment à cette charge, dis-je, une réponse est nécessaire ; car je sens par tes paroles que tu es mauvais dans tes actions, que tu

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  Sur ce portrait du roi, voir Mairey, Une Angleterre entre rêve et réalité, op. cit., p. 133-134.

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And right worldly wise of wordes and deedes, And euer kepis the cloos for casting bihinde. Thou wol not putte the in prees but profit be the more To thy propre persone, thou passes not the bondes Forto gete any grucche for glaunsyng of boltes. Thus me semeth that thou serues thy-self and no man elles, And has housholde and hire to holde vp thy oyles, And eke bouche of court for colte and for cnaue; And yit thou suffris thy souurayn to shame hym-self There thou mightes amende hym many tyme and ofte. Facientis culpam habet, qui quod potest corrigere negligit emendare in secretis, etc. Now suche a-nothir seruant, the same and noon other, Mote dwelle with the deueil til Do Bette hym helpe.’ Thus after talkyng we twynned a-sundre Bothe Mvm and I, and oure mote endid ; But muche mervailled I, whenne Mvm was passid, Of his opinion that he heulde euer, And prouyd hit by profitable poyntz y-nowe That better was a burne to abide stille Thanne the soeth to seye that sitteth in his herte, Forto warne the wy that he with dwellith, Or mynne hym of mischief that misse-rewle askith. And euer he concludid with colorable wordes That who-so mellid muche more than hit nedeth Shuld rather wynne weping watre thenne robes. And cleerly Caton construeth the same, And seyth soethly, I saw hit in youthe, Nam nulli tacuisse nocet, nocet esse locutum That of ‘bable’ cometh blame and of ‘be stille’ neuer, And a wise worldly worde, as me thenketh, Of the whiche I was hevy and highly abawyd, And for the double doute as dul as an asse, And troublid for the travers, and amisse temprid, That I wente in a wyre a grete while after For woo I ne wiste who had the better Of Mvm and me, and musid faste, Rehershyng the reasons of bothe two sides, The pro and the contra as clergie askith. But for witte that I wanne I wolde that he knewe; I was neuer the nyre, but as newe to begynne

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es instruit des choses de ce monde en paroles et en actes, mais que tu restes près de peur d’être laissé derrière. Tu n’exerceras pas de pression sur toi-même, à moins qu’il n’y ait plus de profit pour ta propre personne ; et tu ne passeras pas les limites afin d’éviter des reproches et des volées de flèches. Ainsi me semble-t-il que tu ne sers que toi-même et personne d’autre ; tu as les biens de la maisonnée et ton salaire pour tes flatteries, ainsi que la « bouche en cour » pour le cheval et pour le serviteur ; et pourtant, tu supportes que ton souverain soit diffamé alors que tu aurais pu l’empêcher maintes et maintes fois (Facientis culpam habet, qui quod potest corrigere negligit emendare in secretis, etc.19). Vraiment un tel serviteur, celui-là et pas un autre, doit aller avec le diable jusqu’à ce que Mieux-Faire l’aide20 (263-276). Après avoir parlé ainsi, nous nous séparâmes, Mum et moi et notre débat prit fin. Mais je m’étonnai beaucoup, lorsque Mum fut parti, du jugement qu’il maintenait ; il prouvait par suffisamment de points profitables, qu’il était mieux pour un homme de rester silencieux que de dire la vérité qui se tient en son cœur, afin d’avertir l’homme avec lequel il se trouve ou de lui rappeler le malheur que provoque un mauvais gouvernement. Et il concluait, toujours avec des paroles frauduleuses, que celui qui parle plus qu’il n’en est besoin, gagnerait plutôt des larmes que des tenues honorables. Et Caton interprète clairement les choses de la même manière et dit en vérité, je l’ai vu dans ma jeunesse, que le blâme vient de « parler » mais jamais d’« être silencieux » (Nam nulli tacuisse nocet, nocet esse locutum 21). [C’est] une parole instruite des choses de ce monde, je le pense, par laquelle je fus attristé et très bouleversé ; et pour ce très grand doute, [je me sentis] aussi stupide qu’un âne ; je fus troublé par le déni, et en manque d’harmonie (277-295). Je restais perplexe un long moment ensuite : par malheur je ne savais pas qui avait raison, de Mum ou de moi, et je méditai intensivement, récitant les arguments des deux parties, le pro et le contra, comme le savoir le requiert. Mais pour parvenir à cet entendement, je voulais qu’il sache que je n’en étais pas plus proche, mais aussi 19

  « Celui qui est capable de se réformer, mais qui secrètement néglige de le faire, partage la faute du coupable ». Au XIVe siècle, cette maxime était attribuée à Grégoire le Grand. 20   Il y a là une référence à un poème contemporain très diffusé, qui a influencé l’auteur tant sur la forme que sur le fond. Il s’agit de Piers Plowman de William Langland (Pierre le laboureur, trad. A. Mairey, Paris, 1999). 21   « Aucun mal ne vient du fait de se taire, le mal vient du fait de parler ». Cf. Caton, Distiques I, 12. Cet ouvrage du IIe siècle était très répandu au Moyen Âge. Il faisait partie des enseignements fondamentaux dans les écoles de grammaire.

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As clerc is to construe that can not reede. Thenne thoughte I on Sidrac and Salomon-is termes, And Seneca the sage I soughte for the nones, That whilom were the wisest wies vppon erthe Forto wise any wighte, what-so hym grieued. I bablid on thoo bokes that thoo barnes made, And waitid on thaire wordes aswel as I couthe, But of the matiere of Mvm might I nought finde, Ne no maniere nycete of the newe iette, But al homely vsage of the olde date, How that good gouuernance gracieusely endith. But glymsyng on the glose, a general revle Of al maniere mischief I merkid and radde : That who-so were in wire and wold be y-easid Moste shewe the sore there the salue were. Thenne was I wel ware what he wolde mene, That I shulde cunne of clergie to knowe the sothe, Forto deme the doute that me so dul made. I was wilful of wil and wandrid aboute, Til I came to Cambrigge couthe I not stynte, To Oxenford and Orleance and many other places There the congregacion of clercz in scole Were stablid to stonde in strengthe of bilieue. I moeued my matiere of Mvm, as ye knowe, And of the soethe-sigger in fewe shorte wordes; To alle the vij sciences I shewed as I couthe And how we dwellid in dome for doute of the better. Sire Grumbald the grammier tho glowed for anger That he couthe not congruly knytte thaym to-gedre. Music and Mvm mighte not accorde, For thay been contrary of kynde, who-so canne spie. Phisic diffied al the bothe sides, Bothe Mvm and me the soeth-siggre; He was accumbrid of oure cumpaignye, by Crist that me bought, And as fayn of oure voiding as foul of his make. Astronomy-ys argumentz were alle of the skyes, He-is touche no twynte of terrene thinges. Rethoric-is reasons me luste not reherce, For he conceyued not the caas, I knewe by his wordes; But a subtile shophister with many sharpe wordes Sette the soeth-sigger as shorte as he couthe.

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ignorant pour commencer qu’un clerc qui doit interpréter alors qu’il ne sait pas lire (296-303). Alors je pensai aux paroles de Sidrac et de Salomon, et je cherchai dans Sénèque le sage à dessein, [car ils] furent dans le temps les hommes les plus sages sur terre pour instruire n’importe quel homme sur n’importe quelle idée troublante22. Je lus à haute voix les livres que ces hommes ont faits, et étudiai leurs paroles aussi bien que je le pouvais, mais je ne pus rien trouver sur le sujet de Mum ni aucune subtilité de la nouvelle mode – seulement les simples usages de l’ancien temps, la manière dont le bon gouvernement est accompli avec grâce. Mais en regardant la glose, je notai et lu une règle générale à propos de n’importe quel mal : celui qui est perplexe et veut être soulagé doit montrer l’amertume là où le remède se trouve. Ainsi me rendis-je bien compte de ce qu’il voulait dire : je devais m’instruire auprès clergé pour connaître la vérité et pour trancher la question qui me rendait si fou (304-320). J’étais plein de volonté et me promenai, et je ne pus m’arrêter jusqu’à ce que j’arrive à Cambridge, Oxford, Orléans et dans bien d’autres lieux où la communauté des clercs en école était établie pour se tenir dans la force de la foi23. Je soulevai la question de Mum et du diseur de vérité, comme vous le savez, en quelques mots brefs  ; aux sept sciences24 je montrai ce que je pouvais et dans quelle position nous nous tenions jusqu’à une meilleure solution. Sire Grumbald le grammairien brûla alors de colère parce qu’il ne pouvait correctement les associer. Musique et Mum ne pouvaient s’accorder car ils sont de nature contraire, n’importe qui peut le voir. Physique désavouait toutes les parties, Mum, moi et le diseur de vérité ; il était embarrassé par notre compagnie, par le Christ qui m’a racheté, et aussi ravi de notre départ qu’un oiseau à propos de sa femelle. Les arguments d’Astronomie tenaient tous aux cieux ; il ne touche en rien aux choses terrestres. Les arguments de Rhétorique, il ne me plaît pas de les discuter ; il ne concevait pas le problème, je le sais par ses mots. [C’était] un sophiste subtil avec des mots acérés rendant le diseur de vérité aussi petit que possible. 22   Ces trois noms sont sans doute en partie assemblés à cause de l’allitération. Sidrac n’est pas une personne, mais une encyclopédie française de la fin du XIIIe siècle, très populaire. 23   Cambridge et Oxford sont bien sûr les deux grandes universités anglaises. L’université d’Orléans était réputée pour son cursus juridique (et l’auteur est manifestement assez compétent dans ce domaine). 24   Il s’agit des sept arts libéraux traditionnels (trivium : grammaire, rhétorique, logique ; quadrivium : arithmétique, géométrie, astronomie, musique). Mais ils étaient rarement enseignés dans leur totalité à l’université et tous n’avaient pas le même statut.

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But he wolde melle with Mvm ner more ner lasse, So chiding and chatering as choghe was he euer. Ieometrie the ioynour iablid faste, And caste many cumpas, as the crafte askith, And laide leuel and lyne a-long by the squyre. But I was not the wiser by a Walsh note Of the matiere of Mvm that marrid me ofte, And stoode al a-stonyed and starid for angre That clergie couthe not my cares amende, And was in pourpoos to passe fourth right in pure wreth. But a semely sage that satte al a-bouue, Y-chose to the chaire forto chaste fooles, Whom alle the vij. sciences seruyd at wille, Bothe in werke and in worde weren at his heste, And more bunne at his bede than boy til his maister. He satte as a souurayn on a high siege. A doctour of doutz by dere God he semyd, For he had loked al that lay to the vij. artz; He was as ful of philosophie and vertues bothe As man vppon molde mighte perceyue. This comely clerc me called agaynes, And cunseillid me so cleerly that I caughte ease, And seide, ‘soon, seest thou this semble of clercz, How thay bisien thaym on thaire bokes and beten thaire wittz, And how thay loken on the levis the letter to knowe ? For whenne thay knowen the scripture thay construen no ferther Forto soutille ne to siche no side-wayes. But as long as I haue lerned and lokid in bokes, And alle the vij. sciences y-soughte to th’ende, Yit knewe I neuer suche a caas, ne no clerc here, As thou has y-moeued among vs alle. Hit is sum noyous nycete of the newe iette, For the texte truly telleth vs nomore But how that goode gouuernance graciousely endith. But and thou woldes be wise and wirche as I telle, I wolde wisse the to wite where that thou shuldest Haue knowlaiche of thy caas cleere to thyn intent, And thy cumberouse question quycly be assoilled. Now harke and holde and hye to th’ende. Sum of this semble that thou sees here, Whenne thay haue loked the lettre and the lyfez ouer

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Mais il pouvait parler avec Mum, ni plus ni moins, se querellant et caquetant comme un crave qu’il était. Géométrie le charpentier babillait rapidement, il calculait de nombreux cercles, comme le métier le requiert et il posait le niveau et la ligne en utilisant l’équerre (321-348). Mais je n’étais pas [rendu] plus sage par une mélodie galloise sur la question de Mum qui m’a si souvent troublé. J’étais abasourdi et [mes yeux étaient] écarquillés par la colère parce que le clergé ne pouvait remédier à mes problèmes ; je me proposai de m’en aller droit devant, très en colère. Mais [il y avait] un honorable sage assis tout en haut, nommé à la chaire pour châtier les fous et que les sept sciences servaient à volonté ; [elles étaient] à ses ordres en actes comme en paroles, davantage à son commandement qu’un serviteur à son maître. Il était assis tel un souverain sur son trône. Il semblait un docteur en doutes, par le bon dieu, car il avait étudié tout ce qui appartenait aux sept arts ; il était aussi rempli de philosophie et de vertus qu’il est possible pour un homme sur cette terre (349-363). Ce noble clerc me rappela et me conseilla si clairement que j’en pris aise. Il dit : – Fils, vois-tu cette assemblée de clercs, comme ils sont occupés sur leurs livres et battent leurs esprits, et comme ils regardent les pages pour connaître la lettre ? Lorsqu’ils connaissent les Écritures, ils ne les interprètent pas plus avant pour argumenter subtilement ou pour chercher des chemins détournés. Mais depuis tout le temps où j’ai appris ou regardé dans les livres et cherché jusqu’au bout dans les sept sciences au complet, je n’ai jamais connu une telle affaire telle que celle que tu as soulevée devant nous – et aucun autre clerc non plus. C’est une subtilité nuisible de la nouvelle mode, car vraiment le texte ne dit pas davantage que la manière dont le bon gouvernement est accompli – avec grâce. Mais si tu désires être sage et œuvrer comme je le dis, je te montrerai où tu peux apprendre à acquérir la connaissance de ton cas, clairement, selon ton intention, et ta question embarrassante sera rapidement résolue. Maintenant écoute, considère et continue jusqu’à la fin. Tu peux voir certaines personnes dans cette assemblée qui, lorsqu’elles ont vu la lettre et les pages des sept sciences au complet

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Of alle the vij. sciences or sum as thaym liketh, Thay walken fourth in the worlde and wonen with lordes, And with a couetous croke Saynt Nicholas thay throwen, And trauaillen nomore on the texte, but tournen to the glose, And putten thaym to practike and plaisance of wordes. But thay cunne deme thy doute, by dere God in heuene, I can not knowe of thy caas who couthe elles.’ Thenne ferkid I to freres, alle the foure ordres, There the fundament of feith and felnesse of workes Hath y-dwellid many day, no doute, as thay telle. I frayned thaym faire to fele of thaire wittes, And moeuyd my matiere of Mvm, as ye knowe, And of the soeth-sigger in fewe shorte wordes. To euery couple I construed my caas for the nones, Til the cloistre and the quyre were so accorded To yeue Mvm the maistrie withoute mo wordes, And shewid me exemples, the sothest vppon erthe, Nad Mvm be a more frende to making of thaire houses Thenne the sothe-sigger, so God shuld thaym helpe, Hit had be vnhelid half a yere after. Now ne were thre skiles and scantly the ferthe, I wolde loue as litel thaire life and thaire deedes As man vppon molde, til Amendes me prayed. The furst is a faire poynt forto wynne heuene, Whenne thay stirid a statute in strengthe of bilieue That no preste shuld preche saue seely poure freres. But this deede dide thay not, 1 do you to wite, For no maniere mede that mighte thaym befalle, Ne forto gete the more good — God wote the sothe, But for good herte that thay haue to hele men-is soules. The secund is a pryvy poynt, I pray hit be helid; Thay cunne not reede redelles a-right, as me thenketh; For furst folowid freres Lollardz manieres, And sith hath be shewed the same on thaym-self, That thaire lesingz haue lad thaym to lolle by the necke; At Tibourne for traison y-twyght vp thay were. For as hit is y-seide by eldryn dawes,

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ou de celles qu’elles apprécient, marchent tout droit dans le monde et habitent avec les seigneurs  ; elles abandonnent saint Nicolas pour une tromperie avide et ne travaillent plus sur les textes mais se tournent vers la glose ; elles s’emploient à la pratique et au plaisir des mots. Mais elle peuvent résoudre tes doutes et par le haut dieu dans le ciel, je ne vois pas qui d’autre pourrait connaître ton cas25 (364-391). J’allai alors vers les frères, ceux des quatre ordres, où se tiennent depuis longtemps le fondement de la foi et l’astuce des actes, sans aucun doute, comme ils le disent26. Je les questionnai courtoisement pour juger de leurs esprits, et soulevai la question de Mum et du diseur de vérité, comme vous le savez, en quelques mots brefs. À chaque couple, j’expliquai mon cas dans ce but, jusqu’à ce que le cloître et le chœur soient d’accord pour reconnaître à Mum l’autorité sans plus de paroles ; ils me montrèrent des exemples, les plus véritables sur cette terre, sur le fait que si Mum n’avait pas été un meilleur ami pour la construction de leurs maisons que le diseur de vérité, que Dieu les aide, elles seraient encore sans toit six mois après. En vérité, s’il n’y avait trois raisons – et à peine une quatrième – je louerais aussi peu leur vie et leurs actes qu’un homme sur la terre, jusqu’à ce qu’Amendes m’en prie (392-407). Le premier point est plaisant pour gagner le ciel : ils ont mis en place un statut dans la force de la croyance afin qu’aucun prêtre ne prêche à part les pauvres saints frères. Mais ils n’ont pas fait cela, je vous le fais savoir, pour quelque récompense qui pourrait survenir ni pour obtenir plus de bien – Dieu connaît la vérité – mais à cause de leur bon cœur pour soigner les âmes humaines (408-414). Le second point est secret, je prie pour qu’il soit caché : ils ne peuvent lire les énigmes correctement, me semble-t-il. Car d’abord ils ont poursuivi les [noms des ?] lollards, mais depuis ils ont été eux-mêmes sujets à un plaid et leurs mensonges les ont menés à être pendus par le cou ; ils ont été ficelés à Tyburn pour trahison, tels qu’ils étaient. Car comme on le disait dans l’ancien temps, « L’idiot 25

  Le docteur évoque ici les frères des ordres mendiants. Sur ce passage, voir Mairey, Une Angleterre entre rêve et réalité, op. cit., p. 184-185.   Les ordres mendiants (principalement les Dominicains, les Franciscains, les Carmes et les Augustins) étaient très critiqués par une partie du clergé séculier ainsi que par les lollards. L’auteur relaie ici une tradition bien établie et l’on retrouve dans les lignes suivantes quelques attaques classiques visant les frères : l’usurpation du rôle des prêtres de paroisse, l’hypocrisie liée à leur cupidité, leur accaparement de la prédication. L’accusation de trahison est plus spécifique aux lollards. Cf. P. Szittya, The Antifraternal Tradition in Medieval Literature, Princeton, 1986 ; Mairey, Une Angleterre entre rêve et réalité, op. cit., p. 227-228. 26

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422 ‘That the churle yafe a dome whiche came by hym aftre’. 423 Patere legem quam ipse tuleris. Seneca. 424 425 426 427 428 429 430 431 432 433 434 435 436 437 438 439 440 441 442 443 444 445 446 447 448 449 450 451 452 453 454 455 456 457 458 459 460 461

The thrid is no lesing ne no long tale: Thees good grey freres that mouche loue geten For keping of thaire conscience clenner than other, Thay goon al bare abouue the foote and by-nethe double With smale semyd sockes and of softe wolle, For the loue of oure lord harde life induren; Thay mellen with no monaye more nother lasse, But stiren hit with a sticke and staren on hit ofte And doon thaire bisynes there-with by obedience of th’ordre; But in the herte ne in the hande ne may hit not come, For thenne thay shuld bee shent of the subpriour. The fourthe poynt is fructuous and fundid al in loue: Whenne freres goon to chapitre for charite-is sake, Thay casten there the cuntrey and coostz aboute, And parten the prouynce in parcelle-mele, And maken limitacions in lengthe and in breede, Til eche hovs haue his owen as hym aughte. Thenne hath the limitour leue to lerne where he cometh To lye and to licke or elles lose his office; But sum been so courtoys and kinde of thaire deedes That with thaire charite thay chaungen a knyfe for a peyre, But he wol pille ere he passe a parcelle of whete And choise of the chese the chief and the beste. He is so cunnyng in the crafte that where-so he cometh He leueth the lasse for the more deele. Thus with thaire charite and with thaire fayre chere Thees good God-is men gadren al to thaym And kepen hit to thaire owen croppe clene fro other. For though a frere be fatt and haue a ful coffre Of gold and of good, thou getys but a lite Forto bete thy bale, though thou begge euer. But that is no meruail, by Marie of heuene, Forto begge of a begger what bote is hit But who wolde balle with his browe to breke harde stones ? Thus thaire conscience is y-knowe and thaire crafte eeke, That hath be kepte cunseil and cloos many dayes, Til al the world wote what thay wolde meene; And that is this trevly, tende who-so wil, Thorough crafte of confession to knowe men intentz, —

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a rendu un jugement qui lui a ensuite été appliqué » (Patere legem quam ipse tuleris. Seneca 27) (415-422). Le troisième [point] n’est ni un mensonge ni une longue histoire : ces bons frères gris qui ont beaucoup d’amour pour la garde de leur conscience (plus pure que d’autres) vont tout nus au-dessus des pieds mais [ont] deux épaisseurs en dessous, avec de petites chaussettes cousues de douce laine ; ils endurent une vie difficile pour l’amour de notre seigneur ; ils ne s’intéressent pas à l’argent mais le remuent avec un bâton et le regardent souvent ; et ils font leurs affaires avec cela par obéissance à leur ordre. Mais cela ne peut venir ni dans le cœur ni dans la main, car ils devraient alors être punis par leur sous prieur (423-433). Le quatrième point est profitable et fondé dans l’amour : quand les frères vont au chapitre pour l’amour de la charité, ils divisent la contrée et les districts, partagent la province en portions et se fabriquent des districts propres en long et en large, jusqu’à ce que chaque maison ait le sien comme il le doit. Alors le frère licencié a la permission d’enseigner là où il veut, de mentir et d’extorquer – ou alors il perd son office. Mais certains sont si courtois et nobles dans leurs actions, qu’avec leur charité ils échangent un couteau pour une poire ; mais avant de s’en aller, ils volent une portion de blé et choisissent le meilleur du meilleur du fromage. Mais ils sont si habiles dans le métier que dans n’importe quel endroit où ils se rendent, ils laissent la moins bonne part pour la meilleure. Ainsi, avec leur charité et leur beau maintien, ces bons hommes de Dieu accumulent pour eux et se réservent leur propre moisson bien séparée des autres. Car bien qu’un frère soit gros et possède un coffre plein d’or et de biens, tu n’obtiendras pas grand-chose pour alléger ta détresse, même si tu mendies toujours. Mais n’est-ce pas extraordinaire, par Marie dans le ciel, car quelle aide est-ce que de demander l’aumône à un mendiant – qui frappera avec son front pour casser des pierres (434-456) ? Ainsi leur conscience est-elle connue et leur profession aussi, mais cela doit être tenu secret et privé longtemps, jusqu’à ce que tout le monde sache quelle est leur intention. Et voici ce que c’est vraiment – y prête attention qui veut. Ils veulent par le métier de la confession connaître l’intention des hommes, des seigneurs et

27   « Tu dois souffrir la loi que tu as proposée ». La citation n’est pas de Sénèque, mais apparaît dans une version des Distiques de Caton.

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Of lordz and ladies that lustes desiren, And with thaire wyly wittz wirchen on euer And mulden vp the matiere to make thaym fatte, And gouuernen the grete and guilen the poure. Now take my tale as my intent demeth, And ye shal wel wite I wil thaym no mischief By my worde no by my wille as wissely for sothe As God that is oure gouuernour me gye at my nede. Honora dominum de tua substancia propheta For whenne thay come to your cote to craue that thaym nedeth, Gyfe thaym for God-is sake and with a good wille Mete or monaye as ye mowe indure, And yefe thaym sauce there-with of the sothe-sigger Forto preche the peuple the peril of synne, How symonie shendith al hooly church, And not forbere bisshop ne baron that lyveth That thay teche treuly the texte as hit standeth, And abide thereby with a bolde herte, And spare for no spicerie ne no speche elles, But telle oute the trouthe and tourne not a-side How Couetise hath caste the knyght on the grene, And woneth at Westmynstre to wynne newe spores, And can not crepe thens while the crosse walketh. He multiplieth monaye in the mote-halle More for his mayntenance and manasshing of wordes Thenne with draughte of his swerde or deedes of armes. And telle the frere a toquen, that trouthe wote the sothe Why men meruaillen more on thaym thanne on othir, — That suche a cumpaignye of confessours cunne not yelde Oon martir among thaym in vij score wynter. Thay prechen alle of penance as though thay parfite were, But thay proue hit in no poynt there thaire peril shuld arise. Thaire clothing is of conscience and of Caym thaire werkes, That fadre was and fundre of alle the foure ordres, Of deedes thay doon deceipuyng the peuple, As Armacanes argumentz, that thaire actes knewe, Provyn hit apertly in a poysie-wise; For of Caym alle came, as this clerc tolde. For who writeth wel this worde and withoute titil, Shal finde of the figures but euene foure lettres: C. for hit is crokid for thees Carmes thou mos take,

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des dames qui désirent les plaisirs ; ils y travaillent toujours avec leurs esprits avides, pétrissent la matière pour se faire gros, gouvernent les grands et trompent les pauvres. Maintenant prenez mon histoire comme mon intention la considère, et vous saurez que je ne leur veux aucun mal ni par mes paroles ni par ma volonté, aussi sûrement en vérité que Dieu – qui est notre gouverneur – me guide dans le besoin. (Honora dominum de tua substancia propheta 28) (457-469). Car lorsqu’ils viennent dans votre chaumière pour mendier ce dont ils ont besoin, donnez-leur – pour l’amour de Dieu et avec bonne volonté – autant de nourriture ou d’argent que vous pouvez vous le permettre ; avec cela, donnez-leur le diseur de vérité en accompagnement afin qu’ils prêchent aux gens les périls du péché et la manière dont la simonie détruit toute la sainte Église, sans épargner l’évêque ou le baron qui vit ainsi. Qu’ils enseignent vraiment le texte comme il est et se tiennent ainsi avec un cœur fier ; qu’ils ne s’épargnent pas pour un pot-de-vin ou un discours mais qu’ils disent la vérité et ne s’en détournent pas – [par exemple] sur la manière dont la convoitise a jeté le chevalier dans le champ ; ce dernier vit à Westminster pour gagner de nouveaux éperons et ne peut par conséquent s’agenouiller quand la croix est en route. Il fait croître l’argent dans la chambre du conseil davantage par sa maintenance et ses menaces verbales qu’avec une épée tirée ou des faits d’armes (470-486). Et donnez aux frères un indice  : la vérité sait pourquoi les hommes sont davantage étonnés par eux que par d’autres, parce qu’une telle compagnie de confesseurs ne peut produire un martyr en sept vingtaines d’hivers. Ils prêchent tous sur la pénitence comme s’ils étaient parfaits, mais ils ne le prouvent aucunement et il y a danger à cela. Leur habit est de conscience et leurs œuvres de Caïn, père et fondateur des quatre ordres ; par leurs actions, ils trompent le peuple, comme les arguments d’Armagh29, qui connaît leurs actes, l’ont prouvé clairement dans de sages vers ; car de Caïn tout est venu, comme ce clerc l’a dit. Car celui qui écrit bien ce mot et sans abréviation trouvera ainsi exactement quatre lettres : C. car c’est tortueux pour ces Carmes – il faut le comprendre ; A. pour

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  « Honore le Seigneur avec tes biens ». Cf. Prov. 3 : 9.   Richard Fitzralph, théologien et évêque d’Armagh (Irlande) dans les années 1350, était un des principaux pourfendeurs anglais des ordres mendiants (cf. K. Walsh, A Fourteenth Century Scholar and Primate : Richard Fitzralph in Oxford, Avignon and Armagh, Oxford, 1981). 29

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A. for thees Augustines that amoreux been euer, I. for thees Iacobynes that been of Iudas kynne, M. for thees Menours that monsyd been thaire werkes. I seye of thaym that suche been and cesse agaynes other, But wel I wote that wilful and worldly thay been sum, And eeke spracke and spitous, and spices wel thay louen, For Symon-is sermons thay setten al to taske, And feele other fautz fourtene hunthrid Thay lepen ouer lightly, and lyen woundre thicke. I can not deme deuely of what degre thay bee; Thay been not weddid, wel I wote, though thay wifes haue; But knightz yit of conscience I couthe of thaym make, For thay haue ioygned in ioustes agayns Ihesus werkes; And forto proue thaym prestes thees poyntz been agayne thaym. I can not reede redily of what revle thay been, For hooly churche ne heuene hath not thaym in mynde, Saue in oon place thaire office and ordre is declarid, I sawe hit in a ympne and is a sentence trewe, And elles-where in hooly writte I herde thaym y-nempnyd. Auferte gentem perfidam. Credentium de finibus, Deleantur de libro viuencium et cum iustis non scribantur. But of the matiere of Mvm ne of the sothe-sigger This is not to pourpoos the pare of oon pere, And therfore my wil is to walke more at large Forto fynde sum freeke that of feith were Not double, but indifferent to deme the sothe, Whether Mvm is more better or Melle-sum-tyme Forto amende that were amysse into more ease. And for the fikelle freres were fully witholde And alied to Mvm in many maniere wises, And eeke ful partie, as prouyd by thaire wordes, I lyeued wel the lasse thaire lore and thaire deedes, And forto eschewe chiding I chalanged thaym alle, And lepte lightly fro thaym, leste I laught were; For thaire curtesie is crokid there thay caste ille, And that witen thay wel that han wrastlid with thaym. Thenne passid I to priories and personages many, To abbeys of Augustyn and many hooly places, There prestz and prelatz were parfitely y-closed To singe and to reede for alle cristen soules. But for I was a meen man I might not entre;

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ces Augustins qui sont toujours amoureux ; I. pour ces Jacobins qui sont de la lignée de Judas ; M. pour ces Mineurs maudits soient leurs œuvres30 (487-504). Je parle de ceux qui sont ainsi et ne le fais pas contre d’autres, mais j’en connais certains qui sont avides et mondains, alertes et rancuniers, et qui aiment beaucoup les pots-de-vin ; ils se mettent à la tâche pour les sermons de Simon, mais ils commettent quatorze centaines d’autres fautes qu’ils sautent facilement et ils mentent de manière surprenante. Je ne peux vraiment juger de quel rang ils sont ; ils ne sont pas mariés, je le sais, bien qu’ils aient des femmes. Je pourrais en conscience faire d’eux des chevaliers, car ils ont rejoint des joutes contre les œuvres de Jésus ; pour prouver qu’ils sont prêtres, ces éléments sont contre eux. Je ne peux pas lire vraiment de quelle règle ils relèvent, car ni la sainte Église ni le ciel ne les ont à l’esprit, excepté en un lieu où leur office et leur ordre est déclaré ; je l’ai vu dans un hymne – c’est un vrai jugement – et je les ai entendus nommés ailleurs dans les saintes Écritures. (Auferte gentem perfidam. Credentium de finibus. Deleantur de libro viciencium et cum iustis non scribantur 31) (505-520). Mais sur le sujet de Mum ou du diseur de vérité, tout cela ne vaut pas la peau d’une poire et ma volonté est donc de marcher plus librement, pour trouver quelque homme de foi [qui ne soit] pas trompeur, mais impartial pour juger de la vérité, à savoir si Mum vaut mieux que Parle-parfois ou non, pour réformer au mieux ce qui va mal. Et parce que les frères volages étaient pleinement soutenus et alliés à Mum de bien des manières, et aussi pleinement partie, comme le prouvent leurs paroles, je crus bien moins en leur enseignement et en leurs actes. Pour échapper à la critique, je les accusai tous et m’en allai rapidement, sous peine d’être attrapé ; car leur courtoisie est malicieuse et ils complotent le mal, ce que savent bien ceux qui ont lutté contre eux (521-535). Je me rendis alors dans de nombreux prieurés et cures, dans les abbayes des Augustins et dans de nombreuses places saintes où les prêtres et les prélats étaient parfaitement enclos, afin de chanter et lire pour toutes les âmes chrétiennes. Mais comme j’étais un 30   Cette accusation selon laquelle les mendiants auraient été fondés par le diable et issus de la lignée de Caïn était assez spécifiquement lollarde. Cf. Mairey, Une Angleterre entre rêve et réalité, op. cit., p. 244-245. 31   « Il emporte les traîtres. À ceux qui croient dans les fins ». Cf. les vêpres de la Toussaint. « Qu’ils soient effacés du livre des vivants et qu’ils ne soient pas écrits avec les justes ». Cf. Ps. 68 : 29.

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For though the place were y-pighte for poure men sake And eke funded there-fore yit faillen thay ofte That thay doon not eche day do beste of alle. Mutauerunt caritatem in cupiditatem. Sapiencia. For the fundacion as the fundours ment Was groundid for God-is men, though hit grete serue. Thay koueiten no comers but yf thay cunne helpe Forto amende thaire comers but yf thay cunne helpe Forto amende thaire mynstre and to maynteyne thaire rente, Or in worke or in worde waite thaire profit, Or elles entreth he not til thay haue y-sopid. Thus thaire portier for my pourete putt me thens, And grauntid me of his goodnesse to go where me luste And to wandry where I wolde without the gates. Thenne raughte I fro religion, redelees of wittes, And caried to closes and cathedralle churches There that pluralite was prisely y-stablid. I queyntid me with the quyre for my questions sake, And moevid of Mvm more thenne thaym liked. I was as wise whenne I wente as whenne I came to thaym, Thay wolde not intremitte of ner nother side, But euer kepte thaym cloos to cracche and to mangier, And fedde so the foule flesh that the velle ne might Vnethe kepe the caroigne but yf hit cleue shuld; And nad the gutte groned there thay gurde were, Thay had bee sike of swete mete, so me God helpe, For piking of prouendre passing th’assise; And nadde thay partid with the poure as prestz doon thaire offryng, That putten alle thaire masse penyes in thaire purses bottume, Thay had be blamyd of Belial for thaire bolde riding Yn gurdellz of good fold or gilte atte leste. Nolite possidere aurum neque argentum in zonis vestris. Thenne woxe I wondre wery of wandring aboute Thorough the wild weyes that I wente had, Ful woo ; for I ne wiste what was my beste Reed — forto reste or rome more at large Til I wiste wittrely who shulde haue The maistrie, Mvm or the sothe-sigger. And euery man that I mette mad for my wordes Wende that I were, wisten thay non other. And as I stoode staring, stonyd of this matiere,

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homme pauvre, je ne pus entrer ; car bien que ces lieux aient été établis et fondés pour le soutien des pauvres, [ces religieux] échouaient pourtant souvent à agir chaque jour pour le mieux de tous. (Mutauerunt caritatem in cupiditatem. Sapiencia32). Car ces fondations, dans l’intention de leurs fondateurs étaient faites pour les hommes de Dieu, et pourtant cela sert les grands. Ils ne convoitent pas de visiteurs, sauf si ces derniers peuvent contribuer à améliorer leurs églises, à maintenir leur revenu ou à contribuer à leur profit en actes ou en paroles ; sinon, on n’entre pas jusqu’à ce qu’ils aient dîné. Ainsi leur portier me jeta-t-il dehors à cause de ma pauvreté, en m’accordant dans sa bonté d’aller là où il me plaisait et d’errer où je voulais en dehors des portes (536-553). Je quittai alors les religieux, hors de mes sens, et voyageai vers les enceintes des églises cathédrales où le pluralisme était précieusement établi33. Je liai connaissance avec le chœur pour poser mes questions, et parlai de Mum plus qu’ils ne l’auraient voulu. Je partis aussi sage que j’étais arrivé : ils ne voulaient pas intervenir en faveur d’un parti ou de l’autre, mais ils se tenaient toujours proches du râtelier et de la mangeoire et ils mangeaient tant de mauvaise nourriture que la peau ne retenait qu’à peine leur chair pour qu’elle n’éclate pas ; si leurs boyaux n’avaient gémi là où ils étaient sanglés, ils auraient été malades de cette savoureuse nourriture, que Dieu m’aide, et pour manger, ils ne respectaient pas la coutume. Ils ne partageaient pas avec les pauvres comme les prêtres le font avec leurs offrandes mais ils mettaient tous les pennies de la messe au fond de leurs bourses. On les a blâmés d’être de Bélial pour leurs fières chevauchées, avec des ceintures en bon or ou au moins ornementés. (Nolite possidere aurum neque argentum zonis vestris 34) (554-570). Alors je commençai à m’interroger, fatigué d’errer à travers les chemins sauvages que j’avais emprunté, très malheureux parce que je ne savais pas ce que je devais faire – me reposer ou marcher en long et en large jusqu’à ce que je sache certainement qui devait avoir la victoire, Mum ou le diseur de vérité. Et chaque homme que je rencontrai pensait que j’étais fou à cause de mes paroles, il ne connaissait aucune autre [explication]. Et comme je restai en obser32

  « Ils ont transformé la charité en cupidité ». Source inconnue.   L’auteur évoque maintenant les chanoines, qui s’occupaient des églises cathédrales. 34   « Ne possédez pas d’or ou d’argent dans vos bourses ». Cf. Mat. 10 : 9. 33

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Mvm with his myter manachid me euer And cunseilled me to cusky and care for myself, And leste I soughte sorowe, cesse by tyme. I doutid of his deedes, for his delectacion Was more in his mynde thenne the masse-bokes, And boode til a baron, blessid be he euer, (His name is y-nempnyd among the ix. ordres) Sent a saufconduyt so that I wolde Maynteyne no matiere to amende myself, Ne caicche no colour that came of my wittes, But showe for a souurayn to shewe hit forth after. This boldid me to bisynes to bringe hit to ende Thorough grace of this good lord that gouuerneth al thing. Thenne sought I forth seuenyght and slept ful silde And cessid on a Saterday til sonne roose a-morowe And burnys and belles ballid to-gedre, Momeling on thaire matyns and to the masse after. I satte in a siege my seruice to hire Til the prest in a pulpite began forto preche The peuple to pees and the peril of synne And also t’offre as ofte as thaym likid. He taughte thaym by tyme thaire tithing to bringe Of al manier grene that groweth vppon erthe Of fructe and of floxe in felde and in homes, Of polaille and of peris, of apples and of plummes, Of grapes and of garlik, of gees and of pigges, Of chibollz and of chiries and of thaire chese eeke, Herbaige and oygnons and alle suche thinges That growen in thaire gardynes, lete God his parte haue, Of hony in your hyves and of your hony-combes, Of malte and of monaye and of all that multiplieth, Of wolle and of wexe and what-so yow increceth Or newith yow, the ix partie nymeth to your self, And trewly the tithing taketh hooly churche. And euer I waitid whenne he wolde sum worde moeve How hooly churche goodes shuld be y-spendid, And declare the deedes what thay do shulde To haue suche a harueste and helpe not to erie. But sorowe on the sillable he shewed of that matiere, For Mvm was a meen and made hym to leue; And as wery as I was yit was I wrothe eeke

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vation, abasourdi par ce sujet, Mum me menaça à nouveau avec sa mitre ; il me conseilla de me soumettre et de ne me soucier que de moi, et de cesser tout de suite, à moins que je ne recherche le malheur. Je doutai de ses actes, car son plaisir était plus dans son esprit que dans les livres de messe. J’attendis jusqu’à ce qu’un baron35, puisse-t-il être toujours béni (son nom est nommé parmi les neuf ordres), m’envoie un sauf-conduit afin que je puisse maintenir mon cas, non pas pour m’amender moi-même ou saisir quelque argument fallacieux sortant de mon esprit, mais pour l’expliquer à un souverain afin qu’il puisse être prouvé. Cela m’encouragea à mener cette affaire à sa fin, par la grâce de ce bon seigneur qui gouverne toute chose (571-592). Je cherchai alors pendant une semaine en ne dormant que très peu et je m’arrêtai un samedi alors que le soleil se levait dans le matin. Les hommes et les cloches sonnaient ensemble, marmonnant leurs mâtines puis se rendant à la messe. Je m’assis à une place pour entendre le service  ; le prêtre dans sa chaire commença à prêcher au peuple la paix et le danger des péchés, ainsi qu’à donner aussi souvent qu’ils le voulaient36. Il leur enseigna à apporter leur dîme au bon moment, [constituée par] n’importe quelle plante poussant sur la terre, des fruits et du lin dans les champs et dans les foyers, de la volaille et des poires, des pommes et des prunes, des raisins et de l’ail, des oies et des cochons, des civettes et des cerises et aussi du fromage. « Des herbes et des oignons et toutes les choses semblables qui poussent dans leurs jardins, laissez Dieu avoir sa part ; de miel dans vos ruches et de vos rayons, de malt et d’argent et de tout ce qui prospère, de laine et de cire et de tout ce qui augmente ou est renouvelé, [l’Église] vous en prend la neuvième part ». Vraiment la sainte Église prend la dîme. J’attendis en vain le moment où il dirait quelques mots sur la manière dont les biens de la sainte Église doivent être dépensés et qu’il évoque les actions qu’elle doit accomplir pour obtenir une telle récolte sans aider à labourer. Mais il ne prononça pas une seule syllabe sur le sujet car Mum était un intermédiaire et le fit cesser ; aussi las que j’étais,

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  Il s’agit de Dieu.   L’auteur s’attaque à la question de la dîme, qui constituait un autre sujet sensible de la période, notamment pour les lollards. Cf. Mairey, Une Angleterre entre rêve et réalité, op. cit., p. 220-221. 36

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With Mvm, for he made the moppe so lewed To lene men to lerne the lawe sith he knewe hit. Thenne ferkid I forth as faste as I mighte Seuene yere sunnedayes and solempne festes, Yf prest or prelat or prechour wolde Sey sothe of hymself and serue there-after And teche how the tithinge shuld trewly be departid. But as wide as I wente was noon of thaym alle Wolde moeve of that matiere more nother lasse. And why that thay wolde not wol ye gladly wite, Thay haue a memoire of Mvm among alle other; Ys more in thaire mynde thenne martires of heuene That token the deeth for trouthe of tirantz handes. But here a querele or a question quyk mighte thou make: Martires had more might and more mynde eeke, And couthe more on clergie thenne cunne now a thousand. But thereto I answere as I am lerid : Thou, lewed laudate, litel witte has. Hit was for no cunnyng ne clergie nother That thay chosid the deeth, but for derne loue And kindenes to oure creatour that creed vs alle, And for pure trouthe that thay taught euer. Propter veritatem dimittam omnem familiaritatem, etc. This made thaym martires more thanne ought elles, For clercz were not knowe by thaire clothing that tyme, Ne by royal raye ne riding aboute Ne by seruice of souuerayns, so me God helpe, Ne by revel ne riot ne by rente nothir Ne by thaire double dees ne thaire deupe hoodes, Ne by drynkyng of dollid wyne ne by datz at eue, Ne by worldly workes of writtes ne seelyng Ne by no maniere nicete that thay now vsen, But by the deedes that thay dide, I do you to wite. For I am but lewed and lettrid fui lite, And yit me semeth the sentence that I shewe couthe And teche how the tithing shuld trewly be departid, For in thre lynes hit lith and not oon lettre more. Now hendely hireth how I begynne: That ye clepe God-is parte lete God-is men haue hit, Reseruyng for yourself sustenance for your foode,

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j’étais pourtant en colère contre Mum, car il rendait le fou trop stupide pour donner aux hommes la permission d’apprendre la loi, alors qu’il la connaissait (593-622). Je voyageai alors aussi vite que je le pouvais, pendant sept ans, les dimanches et les jours fériés, [pour voir] si un prêtre, un prélat ou un prédicateur voudrait dire la vérité sur lui, agir en fonction de cela et enseigner la manière dont la dîme devrait réellement être partagée. Mais aussi loin que j’ai été, aucun d’entre eux ne voulut soulever ce sujet d’une manière ou d’une autre. Pourquoi ils ne le voulaient pas, vous le saurez aisément : ils ont un mémorial à Mum, parmi tous les autres, et il est davantage dans leur esprit que les martyrs du paradis ; ces derniers ont souffert la mort aux mains des tyrans pour la vérité. Vous pourriez rapidement soulever une objection (ou une question) : les martyrs ont davantage de force et aussi d’esprit, et ont plus de savoir que mille [personnes] de nos jours. Mais à cela je réponds comme on me l’a appris  : stupide laudate, tu as peu d’esprit37. Ce n’est pas pour une connaissance ou un savoir qu’ils ont choisi la mort, mais pour un amour profond et une affinité avec notre créateur qui nous a tous façonnés, ainsi que pour cette pure vérité qu’ils ont toujours enseignée (Propter veritatem dimittam omnes familiaritatem etc.38) (623-642). C’est cela qui les fait martyrs, plus que n’importe quoi d’autre ; car en ce temps, les clercs n’étaient pas reconnus par leurs vêtements, par une parure royale ou par une chevauchée, par le service des souverains – que Dieu m’aide – ou par les réjouissances, l’extravagance ou le revenu, par leurs doubles dais ou leurs profondes capuches, par l’absorption de vin chaud ou de dattes, par leurs actes matériels d’écritures ou de scellements ou par quelque subtilité que ce soit qu’ils utilisent de nos jours, mais par les actions qu’ils accomplissaient, je vous le fais savoir. Je ne suis qu’un ignorant et bien peu lettré, mais il me semble pourtant que la sentence que je pourrais montrer enseignant comment la dîme doit être vraiment partagée, tient en trois lignes et pas une lettre de plus (643656). Écoutez courtoisement la manière dont je commence : ce que vous appelez la part de Dieu, laissez les hommes de Dieu l’avoir ; réservez pour vous-mêmes le nécessaire pour votre nourriture et 37   Les psaumes 148 et 150, chantés lors des laudes (une des heures de prières), commençaient par le mot laudate. Par extension, l’auteur utilise peut-être ce mot en référence à des clercs ignorants, qui ne connaîtraient que ces deux psaumes. 38   « Pour l’amour de la vérité, éloigne toutes les affections ». Cf. Mat. 10 : 37-39.

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And the ouerplus ouer that for ornementz of the churche. Though this be shortly y-seide, yit so me God helpe, Who-so had cunnyng and a clerc were, Might make a long sermon of thees fewe wordes, And though he toke to his theme ‘the tresour is among thaym And the reuylle of the royaulme and the richesse bothe,’ He shuld not wende of the waye two whete cornes. For thay haue tollid so the tithing thay han the two dooles, And been so vsid to ease erly and late That thay cunne no crafte saue kepe thaym warme. Thay bisien more for benefices thenne bibles to reede, And been as worldly wise and wynners eeke Asman vppon molde, and asmuche louen Mvm and the monaye, by Marie of heuene, For mayntenance and mede been thaire two mates. ‘Yit wil thou melle more’, cothe Mvm, ‘thenne hit nedeth. Be stille lest thou stumble, for thou stondes ful slidre, And thou moeue any more suche maniere wordes. Thay been not holsum for thy heed ne for thy herte nother, For thou mos holde with the mo yf thou thy helthe willes; And so I haue y-tolde the twyes and oones. Thou art mad of thy mynde, and amysse levis That Mvm hath a maister there men been of goode; For Mvm maketh mo men at a moneth-ende Thanne the sothe-sigger in seuene score winter; For he is priuy with the pruttist and there the price caicchet, And is y-drawe to the deys with deyntees y-seruyd Whenne the sothe-sigger dar not be seye. For and a matier be moeued at mete or at eue Or in pryuy places there peeris assemblen, Mvm musith there-on and maketh many cautelles With a locke on his lippe and loketh aboute. He spendith no speche but spices hit make, Til he wite whitherward that wil doo drawe. But thenne he knittith a knotte and cometh al at ones And getith hym a greet thanke to go among the beste. Fle fooly therefore, and frendes the make, And a-rete, I the rede, and rome no ferther, For thou walkis of the weye forto wynne siluer. And carpe no more of clergie but yf thou cunne leepe,

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le surplus de tout cela pour l’ornement de l’Église. Bien que cela soit dit brièvement, que Dieu m’aide pourtant : celui qui a du savoir et qui est un clerc pourrait faire un long sermon de ces quelques mots ; et bien qu’il ait pour thème : « le trésor est parmi eux ainsi que la joie du royaume et la richesse », il ne devrait pas détourner deux grains de blé. Car c’est ainsi qu’ils ont prélevé la dîme : ils en ont les deux parts et ils ont été tant habitués à prendre leurs aises tôt et tard qu’ils ne connaissent pas d’autre occupation que de rester au chaud. Ils sont davantage occupés par leurs bénéfices que par la lecture de la Bible, ils sont aussi sages dans ce monde et aussi profiteurs qu’un homme sur la terre ; ils aiment Mum autant que l’argent, par Marie dans le ciel, car la maintenance et la corruption sont leurs deux compagnes (657-674). – Tu parles encore plus qu’il n’en est besoin, dit Mum. Sois silencieux ou tu vas tomber, car tu te tiens de manière bien instable ; et ne soulève pas davantage de telles paroles. Elles ne sont pas salutaires pour ta tête ou ton cœur car tu dois te tenir avec la majorité si tu désires la santé. Et je te l’ai répété encore et encore, tu divagues et tu crois faussement que Mum a un maître là où les hommes sont riches. Mum gagne plus de vassaux en un mois que le diseur de vérité en sept fois vingt hivers car il est intime avec les plus orgueilleux et c’est de là qu’il prend son prix. Il est tiré sous le dais et des friandises lui sont servies alors que le diseur de vérité n’ose pas être vu. Si un sujet est soulevé au souper ou le soir, ou dans les lieux privés où les pairs s’assemblent, Mum réfléchit, accomplit de nombreuses fraudes avec un verrou sur les lèvres et regarde autour de lui. Il ne se dépense pas en discours – sauf si on le corrompt – jusqu’à ce qu’il sache de quel côté vont les choses. Ensuite il fait une pause puis vient tout d’un coup et reçoit une grande récompense pour aller vers les meilleurs. Ainsi, fuis la folie et fais-toi des amis, arrête-toi, je te le conseille, et ne vas pas plus loin car tu te détournes du chemin où gagner de l’argent. Et ne parle pas davantage du clergé à moins que tu ne saches comment sauter car si tu

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For and thou come on thaire clouche, thou crepis not thens Til thou wite right wel with whom that thou mellys.’ ‘I-wis I wil not,’ cothe I, ‘fil 1 wite more; For prestz been not perillous but pacient of thaire werkes, And eeke the plantz of pees and full of pitie euer, And chief of al charite y-chose a-fore other; Forto fighte ne to flite hit falleth not to thaire ordre, Ne to prece to no place there peril shuld be ynne. That proueth wel by parlement, for prelatz shuld be voidid Whenne any dome of deeth shal be do there, Al for cause thaire conscience to kepe vn-y-wemmyd. A man may saye thaym the sothe sonest of alle, Withoute grucche other groyn, but gete many thankes. Thay moste bowe for the beste, God forbede hit elles, To shewe vs exemple of suffrance euer.’ Sic luceat lux vestra coram hominibus vt videant opera vestra bona, etc. ‘Yee, yit be ware of wiles and waite wel aboute, For me semeth that thy sight is sumdele a-dasid And al myndelees’, cothe Mvm ‘and al amysse demys; For though thou shuldes thy-silf be a sothe-sigger, Thou has no cleere conceypt to knowe alle thaire werkes. And that 1 pryved by a poynt thou perceipues neuer, Al a-twart thy intent and thy tale eeke, For Pilat in the Passion among al the peuple Wilned aftre watre to waisshe with his handes, To shewe hym by that signe, of the bloode-sheding Of Crist that vs creed and on the crosse deyed, His conscience was clensid as clene as his handes. Yit was he ground of the grame and moste guilty eeke, For euery man that mynde hath may wel wite That prelatz aughten haue pite when princz bee moeued, And reede thaym so that rancune roote not in hert, And ere the grame frowe ferre that ground so to wede And amende that were mysse ere any moore caicche Of man-slaughter or mourdre, as hath many dayes. For who hath knowlache of a cloude by cours of a-bouue, And wil stande stille til the storme falle, And wende not of the waye, the wite is his owen. Though hit heelde on his heede, who is to blame? For who hath sight of a showre that sharpely ariseth, And wil not caste hym to kepe with couryng abouue

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tombes dans leurs griffes, tu ne t’en sortiras pas, jusqu’à ce que tu saches bien à qui tu parles (675-701). – Je ne le ferai certainement pas, dis-je, jusqu’à ce que j’en sache plus ; car les prêtres ne sont pas dangereux mais patients dans leurs œuvres, [ils sont] également la plante de la paix, toujours plein de pitié, et meneurs de la charité, choisis avant les autres. Il ne convient pas à leur ordre de se battre ou de se disputer, ni de se dépêcher vers des lieux où il y a danger. Cela est bien prouvé par le parlement : les prélats doivent être exclus lorsqu’une sentence de mort doit être prononcée, afin de garder leurs consciences immaculées. Un homme peut leur dire la vérité au plus tôt, sans recevoir de grognement ni de grommellement, mais de nombreux mercis. Ils peuvent s’incliner pour le meilleur – Dieu interdit qu’il en soit autrement – pour nous montrer toujours l’exemple de la patience (Sic luceat lux vestra coram hominibus ut rideant opera vestra bona, etc.39) (702-714). – Oui, mais garde-toi des tromperies et sois bien attentif, car il me semble que ta vision est un peu confuse et sans esprit et que tes jugements sont faussés, dit Mum. Car bien que tu doives toi-même être un diseur de vérité, tu n’as pas une compréhension claire [qui te permette] de connaître leurs actes. Et cela, je l’ai prouvé par un point que tu n’as jamais perçu, contraire à ton intention et aussi à ton histoire : Pilate, durant la passion, a demandé à quelqu’un du peuple de l’eau pour se laver les mains, pour montrer par ce signe que sa conscience était aussi nettoyée que ses mains étaient propres, par rapport au sang versé du Christ qui nous a créé et qui est mort sur la croix. Il était pourtant la source du mal et aussi le plus [grand] coupable. Car chaque homme qui a de l’esprit peut bien savoir que les prélats doivent avoir pitié quand les princes sont en colère et qu’ils doivent les conseiller afin que cette colère ne s’enracine pas dans le cœur de ces derniers ; et avant que les dégâts s’étendent, [ils doivent] désherber le sol et améliorer ce qui ne va pas, où les assassinats ou les meurtres s’enracineront davantage, comme cela a été le cas depuis de nombreux jours. Car celui qui perçoit un nuage par le mouvement du ciel et se tient silencieux et immobile jusqu’à ce que la tempête éclate, le blâme est sien. Bien qu’il grêle aussi sur sa tête, qui est à blâmer si ce n’est lui ? Car celui qui a la vision d’une averse qui survient rapidement et ne s’arrange pas pour s’abriter avant que cela ne lui tombe dessus et ne le mouille 39   « Ainsi votre lumière doit-elle briller aux yeux des hommes pour que, voyant vos bonnes œuvres, ils en rendent gloire à votre Père qui est dans les cieux ». Cf. Mat. 5 : 16.

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Til hit droppe al a-dovne and dung-wete hym make, And eeke falle on his frende, in feith as me thenketh, He is auctor of al the harme and th’ache And so pryuy to the peynes that peeres induren. And also in cuntrey hit is a comune speche And is y-write in Latyne, lerne hit who-so sil: The reason is qui tacet consentire videtur. And who-so hath in-sight of silde-couthe thingz, Of synne or of shame or of shonde outher, And luste not to lette hit, but leteth hit forth passe, As clercz doon construe that knowen alle bokes, He shal be demyd doer of the same deede. And eeke in lond-is lawe I lernyd by anothir: Yf a freeke for felonye is frayned atte barre For traison or for trespas and he a tunge haue And wil not answere to the deede he is of indited, But stont stille as a stoone and no worde stire, But he be deef or dum to deeth shal he wende, As atteynt for the trespas, and is a trewe lawe. This cursid custume hath cumbrid vs alle; The grucching of grete that shuld vs gouuerne Han y-shourid sharpely thorough suffrance of clercz That lightly with labour y-lettid thay mighte, The conseil of clergie yf thay had caste for hit. For there the heede aketh alle the lymes after Pynen whenne the principal is put to vnease Dum caput infirmum cetera membra dolent (Of sum and of certayn, 1 saye not of alle, But of the same seurely that suche maniere vsen.) ‘Now treuly,’ cothe I, ‘thy talking me pleasith, For thou has saide as sothe, so me God helpe, As euer sage saide sith Crist was in erthe, For thou has rubbid on the rote of the rede galle And eeke y-serchid the sore and sought alle the woundz. And yf thou woldes do wel wende to thaym alle And telle the same tale that thou has tolde here ; Thou might be man made and mensshid for euer.’ ‘Nay, there I leue the, Lucas, go loke for an othir; For I wil wende no waie but wit go bifore, No telle no tales for teryng of hodes, So taughte me the trusty techer on erthe,

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lui et ses amis, il me semble en vérité qu’il est l’auteur du mal et de la douleur, et qu’il est proche des peines que ses pairs endurent. Il y a également dans le pays une parole courante, écrite en latin, l’apprenne qui veut : la raison est qui tacet consentire videtur40. Celui qui perçoit des choses extraordinaires [concernant] le péché, la honte ou la disgrâce mais qui permet que cela arrive sans souhaiter l’empêcher, il sera jugé auteur de cette action – comme les clercs qui connaissent tous les livres l’interprètent. J’ai aussi appris autre chose dans la loi du pays : lorsqu’un homme est examiné à la barre pour félonie, trahison ou quelque violation, qu’il a une langue et qu’il ne répond pas à l’accusation, se tenant silencieux comme une pierre et ne prononçant pas un mot, il ira à la mort à moins qu’il soit sourd ou muet, accusé de parjure ; c’est une véritable loi41. Cette maudite coutume nous a tous troublés. Cette querelle des grands qui devraient nous gouverner s’est développée rapidement à cause de la tolérance des clercs ; le clergé aurait facilement pu l’empêcher par son action s’il avait prononcé un sage conseil contre le problème. Car là où la tête souffre et que le principal est mis en péril, tous les membres ensuite ont mal (Dum caput infirmum cetere membra dolent42). Je ne parle pas ainsi de tous, mais de ceux – certains et quelques-uns – qui sûrement se conduisent ainsi (715-767). – Vraiment, dis-je, ce que tu dis me plaît car aucun sage n’a parlé aussi vrai – que Dieu m’aide – depuis que le Christ a été sur terre ; tu as frotté à la racine de l’écorchure et cherché les douleurs et toutes les blessures. Si tu veux bien faire, va tous les voir et dis leur la même chose que ce que tu viens de me dire ; tu pourrais être fait vassal et honoré pour toujours (768-775). – Non je te laisse, Luc, va chercher quelqu’un d’autre. Je n’emprunterai pas de chemin où l’astuce n’ait pas été mise en avant, ni ne raconterai d’histoire pour des déchirements de capuches ; ainsi me l’a appris mon professeur de confiance sur cette terre, mon maître

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  « Celui qui se tait est vu comme consentant ». Source inconnue.   Si un accusé ne répondait pas aux charges avancées contre lui, la procédure ne pouvait continuer normalement, d’où la nécessité de le convaincre de répondre, éventuellement par la force. L’ironie est ici très présente, étant donné que c’est Mum qui parle. 42   « Quand la tête est malade, les membres souffrent ». Proverbial. 41

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My maister and maker, Mvm that I serue. Go walke where thy wil is and waite wel aboute, For thou has sought al a-side with thou begunne With clercz of Cambrigge and cathedralle churches. Fare forth therefore to finde that thou sechis, And come not with clergie leste thou a-croke walke But tourne now to tovnes and temporal lords, There prece is of peuple, and pray thaym to telle Yf any sothe-sigger serue thaym long.’ Thenne ferkid I to fre men and frankeleyns mony, To bonde-men and bourgois and many other barnes, To knightz and to comunes and craftz-men eeke, To citezeyns and souurayns and to many grete sires, To bachilliers, to banerettz, to barons and erles, To princes and peris and alle maniere estatz; But in euery court there I came or cumpaigny outhir I fonde mo mvmmers atte moneth-ende Than of sothe-siggerz by seuene score thousand. For alle the knyghtz of the court that with the king dwellen, For the more partie yee, mo than an hunthrid, Heulden Mvm for a maister, and more do mighte With king and his cunseil and al the court aftre. And euery tovne that I trade twelfe moneth to-gedre, Mvm was a maister and with the maire euer, And al of oon lyuraye and looke so to-gedre That a poure man-is prayer departe thaym ne mighte. There was no maner man the maire had levir Bydde of the burnes in benche there he satte As Mvm to the mete among al the rewe; For he couthe lye and laugh and leepe ouer the balkes There any grucche or groyne or grame shuld arise. He was ful couchant and coy and curtoys of speche, And parlid for the partie and the playnte lefte; The maire preisid hym apert for his plaisant wordes; He was a blessid barne and beste couthe suffre Whenne souurayns were assemblid to saye what thaym liked ; He toke no maniere travers tenne yere to-gedre, Among the comun cunseil lest he caste were, But euer shewid his seel to sitte among other. But who-so mvmmeth a mayre to maynteyne his rente, Maniere were that the mayre shuld mvmme hym agaynes

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et façonneur, Mum, que je sers. Marche là où est ta volonté et sois bien attentif, car tu as cherché tout à côté depuis que tu as commencé [en allant voir] les clercs de Cambridge et des églises cathédrales. Va donc de l’avant pour trouver ce que tu cherches, et ne reste pas avec le clergé, à moins que tu ne marches tortueusement ; tourne-toi vers les seigneurs temporels et les villes, là où il y a une multitude de gens et prie leur de te dire si un diseur de vérité les a jamais servis longtemps (776-788). Alors, j’allai vers des hommes libres et de nombreux franklins, des serfs, des bourgeois et bien d’autres gens, des chevaliers, des gens des communes et des artisans, des citadins, des seigneurs et de nombreux grands sires, des bacheliers, des bannerets, des barons et des comtes, des princes, des pairs et toutes sortes d’états43. Mais quelle que soit la cour ou la compagnie ou je me rendais, je trouvai plus de mummers à la fin du mois – par vingtaine de milliers – que de diseurs de vérité. Car tous les chevaliers de la cour qui étaient avec le roi, pour la plus grande partie en vérité (plus d’une centaine), tenaient Mum pour un maître et pouvaient faire [ainsi] davantage avec le roi, son conseil et toute sa cour (789-801). Dans chaque ville que j’arpentai pendant un an, Mum était maître et toujours avec le maire, et tous [avaient] une seule livrée et se ressemblaient tant que la prière d’un pauvre homme ne pouvait les départager44. Il n’y avait personne que le maire ne souhaitât davantage inviter au repas, parmi les hommes assis sur le banc en rangée, que Mum. Car Mum savait se tenir, rire et dépasser toutes les difficultés là où n’importe quelle mauvaise volonté, complainte ou dommage pouvait surgir. Il était tout à fait humble, réservé et courtois dans ses paroles, parlait pour sa partie et ignorait les mérites du procès légal. Le maire le louait ouvertement pour ses paroles plaisantes ; c’était un homme béni et il pouvait faire au mieux pour dire ce qui plaisait aux seigneurs quand ils s’assemblaient ; il n’offrit au conseil commun aucune contradiction durant dix ans, pour ne pas être exclu, mais il montrait toujours son sceau pour s’asseoir parmi d’autres. Pour celui qui jouait les

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  Les franklins sont des propriétaires libres, parfois considérés comme membres de la petite noblesse, mais le terme est en fait ambigu. Les bacheliers et les bannerets sont des catégories de chevaliers. 44   Ce passage constitue l’un des premiers développements littéraires de la période sur le gouvernement urbain. Cf. Mairey, Une Angleterre entre rêve et réalité, op. cit., p. 147-148.

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And yelde hum with a yere-is yifte ere the yere passed. Mvm with the mayre to the mete wente, And euer I after, al vn-a-spied, Forto knowe of my caas couthe I not stynte. There shuldrid sergeantz to serue atte mete For a male ful of misse-deedz that Mvm had in keping. I stoode stille as a stoone and starid aboute And lokid lightly a-long by the bordes, Yf any sothe-sigger were sette in the halle. But sorowe on the shyne I sawe of hym there, But yf he were a soleyn and seruyd al oon, For alle was huyst in the halle sauf ‘holde vp the oyles’. And forto saye sothe and shone long tale, The sunne and the sergeantz my sight so dasid That I might not eche messe merke as me luste. I askid of a eldryn man as I beste couthe Yf any sothe-sigger sate in the halle, And he answerid sharply that ‘the sothe-sigger Dyneth this day with Dreede in a chambre, And hath y-drunke dum-seede, and dar not be seye Sith Mvm and the mayer were made suche frendes’. Thenne waxe I woundre wrothe, as I wel might, And drowe me to the doreward and dwelled no lenger, But romed forth reedelees, remembring ofte That Mvm was suche a maister among men of good. And as I lokid the loigges along by the streetz, I sawe a sothe-sigger, in sothe as me thought, Sitte in a shoppe and salwyn his woundes. Beati qui persecucionem paciuntur propter iusticiam. euangelium. Thenne was I ful-come and knewe wel the sothe That Mvm vppon molde myrier life had Thenne the sothe-sigger, asay who-so wol; But the better barne to abide stille And to lyve with a lord to his life-is ende Ys the sothe-sigger, a-say who-so wol. Yit was I not the wiser for waye that I wente; This made me al madde as I most nede, And wel fleuble and faynt, and feulle to the grounde, And lay dovne on a lynche to lithe my boones, Rolling in remembrance my rennyng aboute And alle the perillous patthes that I passid had,

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Mum à un maire pour maintenir ses revenus, il était approprié que le maire joue les Mum à son tour et lui fasse présent d’un cadeau annuel avant que l’année ne soit passée (802-821). Mum alla au repas avec le maire, et moi de même, dissimulé, car je ne pouvais m’empêcher de [vouloir] connaître [la solution de] mon cas. Des sergents se pressaient pour servir la nourriture en échange d’un sac plein de mauvaises actions que Mum avait en sa garde. Je restai silencieux comme une pierre, observai autour [de moi] et regardai rapidement le long des tables s’il y n’avait pas un diseur de vérité dans la salle. Mais je n’en eus pas le moindre aperçu, à moins qu’il ne fut un solitaire et se servit tout seul, car tout était calme dans la salle excepté « flatte-bien ». Et pour dire la vérité et abréger une longue histoire, le soleil et les sergents troublaient tellement ma vue que je ne pouvais remarquer le plat qui me plaisait. Je demandai à un vieil homme, du mieux que je pus, s’il y avait un diseur de vérité dans la salle ; il me répondit durement : – Le diseur de vérité dîne aujourd’hui avec Terreur dans une chambre ; il a bu un breuvage qui rend muet et n’ose pas être vu depuis que Mum et le maire sont si bons amis (822-841). Alors je me mis vraiment en colère, comme je le pouvais bien, m’en allai vers la porte et ne restai pas plus longtemps, mais je m’en fus sans conseil, me rappelant souvent quel maître était Mum parmi les hommes riches. Et comme je regardai les habitations le long des rues, je vis un diseur de vérité – il me le semble en vérité – assis dans une échoppe et soignant ses blessures. Beati qui persecucionem paciuntur propter iusticiam. Euangelium 45 (842-848). Je fus donc informé et je sus bien la vérité : Mum avait une vie plus joyeuse sur cette terre que le diseur de vérité, l’examine qui veut ; mais le meilleur homme qui reste constant et qui vit avec un seigneur jusqu’à la fin de sa vie est le diseur de vérité – l’examine qui veut. Pourtant, je n’étais pas plus sage après avoir emprunté ce chemin ; cela me rendit fou de besoin, très faible et défaillant, et je tombai à terre ; je m’allongeai sur une bande en friche pour soulager mes os, retournant dans mon esprit mes voyages, tous les chemins périlleux que j’avais traversé, [me rappelant] les prieurés,

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  « Heureux ceux qui souffrent les persécutions dans l’intérêt de la justice ». Cf. Mat. 5 : 10.

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As priories and personagz and pluralites, Abbayes of Augustyn and other hooly places, To knightes courtz and crafty men many, To mayers and maisters, men of high wittes, And to the felle freris, alle the foure ordres, And other hobbes a-heepe, as ye herde haue — And nought the neer by a note this noyed me ofte That thorough construyng of clercz that knewe alle bokes That Mvm shuld be maister moste vppon erthe. And ere I were ware, a wynke me assailled, That I slepte sadly seuene houres large. Thenne mette I of mervailles mo thanne me luste To telle or to talke of, til I se tyme ; But sum of the silde-couthes I wol shewe here-after, For dreme is no dwele by Danyel-is wordes, Though Caton of the contrarye carpe in his bokes. Me thought I was in wildernesse walking al oon, There bestes were and briddes and no barne elles Yn a cumbe cressing on a creste wise, Al gras grene that gladid my herte, By a cliffe vn-y-knowe of Crist-is owen makyng. I lepte forth lightly a-long by the heigges And movid forth myrily to maistrie the hilles, For til I came to the coppe couthe I not stynte Of the highest hille by halfe of alle other. I tournyd me twyes and totid aboute, Beholding heigges and holtz so grene, The mansions and medues mowen al newe, For suche was the saison of the same yere. I lifte vp my eye-ledes and lokid ferther And sawe many swete sightz, so me God helpe, The wodes and the waters and the welle-springes And trees y-traylid fro toppe to th’erthe, Coriously y-courid with curtelle of grene, The flours on feeldes flavryng swete, The corne on the croftes y-croppid ful faire, The rennyng riuyere russhing faste, Ful of fyssh and of frie of felefold kinde, The breris with thaire beries bent ouer the wayes As honysoucles hongyng vppon eche half, Chesteynes and chiries that children desiren

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cures et bénéfices multiples, abbayes d’Augustins et autres saintes places, les cours de chevaliers et de nombreux hommes habiles, les maires et les maîtres, hommes de grands esprits, les mauvais frères, les quatre ordres, et plein d’autres voyous, comme vous l’avez entendu – pas plus proche du tout [de la solution]  ; et cela me contraria que, par l’interprétation des clercs qui connaissent tous les livres, Mum doive être le maître sur terre (849-869). Et avant que je ne m’en rendisse compte, le sommeil m’envahit et je dormis tranquillement pendant sept heures. Je rêvai alors de plus de merveilles qu’il ne me plaît d’évoquer ou de raconter, jusqu’à ce que cela soit le moment  ; mais certaines de ces merveilles, je vais les montrer ci-dessous, car le rêve n’est pas une illusion, selon les mots de Daniel, bien que Caton dise le contraire dans ses livres46. Je rêvai que je marchai dans une contrée sauvage où il y avait des bêtes et des oiseaux mais pas de gens, dans une vallée s’élargissant sur une crête, avec de l’herbe qui réjouissait mon cœur, et sur une falaise inconnue, de la propre fabrication du Christ. Je sautai légèrement le long des haies et me déplaçai joyeusement pour maîtriser les collines ; je ne pouvais m’arrêter avant d’être arrivé en haut d’une colline plus haute – d’une bonne moitié – que les autres. Je me tournai deux fois et regardai [tout] autour. Je vis les haies et les bois si verts, les maisons et les champs fraîchement fauchés, car telle était la saison en cette année-là. Je soulevai mes paupières et regardai plus avant, et je vis de nombreuses et douces visions, que Dieu m’aide : les bois, les eaux et les bonnes sources, les arbres festonnés de haut en bas, curieusement couverts de robes d’herbes, les fleurs dans les prés qui sentaient bon, le blé dans les champs coupé bien nettement, la rivière courante s’élançant rapidement, pleine de poissons et de frais de diverses sortes ; les buissons pleins de baies se penchaient sur les chemins, un chèvrefeuille pendant de chaque côté ; les châtaignes et les cerises que

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  La question de l’interprétation du rêve était débattue à la fin du Moyen Âge, y compris dans la poésie où le rêve était un motif très courant. Sur le rêve en général, voir notamment J.-C. Schmitt, « Le sujet du rêve », dans Le corps, les rites, les rêves, le temps. Essai d’anthropologie médiévale, Paris, 2001, p. 295-315. Sur le rêve dans la poésie anglaise contemporaine, voir Mairey, Une Angleterre entre rêve et réalité, op. cit., p. 43-45.

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Were loigged vndre leues ful lusty to seen. The havthorne so holsum I beheulde eeke, And hough the benes blowid and the brome-floures; Peris and plummes and pesecoddes grene, That ladies lusty loken muche after, Were gadrid for gomes ere thay gunne ripe; The grapes grovid a-grete in gardyns aboute, And other fruytz felefold in feldes and closes; To nempne alle the names hit nedith not here. The conyngz fro couert courid the bankes And raughte oute a raundon and retournyd agaynes, Pleyed forth on the playne, and to the pitte after, But any hovnd hente thaym or the hay-nettes. The hare hied hym faste and the hovndes after; For kisshyng of his croupe a-caunt-wise he wente, For nad he tournyd twies his tail had be licked, So ernestly Ector ycchid hym after. The shepe fro the sunne shadued thaymself, While the lambes laikid a-long by the heigges. The cow with hire calfe and coltes ful faire And high hors in haras hurtelid to-gedre, And preisid the pasture that prime-saute thaym made. The dere on the dale drowe to thaire dennes, Ferkid forth to the ferne and feulle dovne amyddes. Hertz and hyndes, a hunthrid to-gedre, With rayndeer and roobuc runne to the wodes, For the kenettz on the cleere were vn-y-couplid; And buckes fui burnysshid that baren good grece, Foure hunthrid on a herde y-heedid ful faire, Layen lowe in a launde a-long by the pale, A swete sight for souurayns, so me God helpe. I moued dovne fro the mote to the midwardz And so a-dovne to the dale, dwelled I no longer, But suche a noise of nestlingz ne so swete notz I herde not this halfe yere, ne so heuenely sounes As I dide on that dale adovne among the heigges, For in euery bussh was a brid that in his beste wise Bablid with his bile, that blisse was to hire, So cleerly thay chirmed and chaunged thaire notes, That what for flauour of the fruyte and of the somer floures, The smellyng smote as spices, me thought,

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les enfants désiraient, étaient logées sous les feuilles – c’était plaisant à voir. L’aubépine si salutaire, je la regardai également, ainsi que la manière dont les fèves s’épanouissaient comme les fleurs de genêt ; les poires, les prunes et les cosses de pois vertes que les dames désirent beaucoup étaient rassemblées pour les hommes avant qu’elles ne commencent à pourrir ; le raisin poussait abondamment dans les jardins alentour, et d’autres fruits variés dans les champs et les clos. Il n’est pas besoin de nommer ici tous leurs noms (870-910). Les lapins couvraient les rives de leurs abris, se précipitaient rapidement au-dehors et y retournaient à nouveau, puis jouaient sur la plaine et dans le terrier, à moins qu’ils ne soient attrapés par un chien ou un piège. Le lièvre s’avançait rapidement et les chiens ensuite pour toucher sa croupe ; il allait en zigzag et s’il n’avait pas tourné deux fois, sa queue aurait été léchée, tant Hector courait fougueusement après lui. Les moutons se protégeaient du soleil, pendant que les agneaux jouaient le long des haies. [Il y avait] la vache avec ses veaux, et de beaux poulains et de grands chevaux galopaient ensemble dans le haras et louaient le pasteur qui les avait faits si vigoureux. Dans le vallon, les cerfs allaient vers leurs tanières, allant droit dans les fougères et y tombant ; les grands cerfs et les biches, par centaines, couraient dans les bois avec les rennes et les chevreuils, car les chiens de chasse étaient lâchés dans la clairière  ; les daims bien brunis, qui portaient de la bonne graisse, [étaient] quatre cents et avaient des bois bien faits sur la tête ; ils se tenaient dans une clairière à l’orée de la forêt. [C’était] une douce vision pour les souverains, que Dieu m’aide (911-932). Je me déplaçai du sommet de la colline vers les pentes et vers la vallée, ne m’arrêtant jamais longtemps, mais [il y avait] un bruit d’oisillons, de douces notes et des sons célestes tels que je n’en avais pas entendu ces six derniers mois – et cela arriva dans cette vallée parmi les buissons. Dans chacun d’entre eux, il y avait un oiseau [qui] pépiait de son mieux avec son bec  ; c’était un bonheur à entendre. Ils gazouillaient si gaiement et variaient leurs notes. Quant à la fragrance du fruit et des fleurs d’été, l’odeur était aussi piquante que celle des épices. [Du coup], je ne prêtai plus attention

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That of my trauail treuly toke I no kepe, For al was vanesshid me fro thorough the fresshe sightes. Thenne lepte I forth lightly and lokid a-boute, And I beheulde a faire hovs with halles and chambres, A frankeleyn-is fre-holde al fresshe newe. I bente me aboute and bode atte dore Of the gladdest gardyn that gome euer had. I haue no tyme treuly to telle alle the names Of ympes and herbes and other feele thinges That growed on that gardyn, the grounde was so noble. I passid ynne pryuely and pulled of the fruytes And romed th’aleys rovnde al a-boute, But so semely a sage as I sawe there I sawe not sothely sith I was bore, An olde auncyen man of a hunthrid wintre, Y-wedid in white clothe and wisely y-made, With hore heres on his heede more thanne half white, A faire visaige and a vresse and vertuous to sene. His eyen were ai ernest, eggid to noon ille, With a broode besmet berde ballid a lite, As comely a creature as euer kinde wrought. He was sad of his semblant, softe of his speche, Proporcioned at alle poyntes and pithy in his tyme, And by his stature right stronge, and stalworth on his dayes, He houed ouer a hyue, the hony forto kepe Fro dranes that destrued hit and dide not elles; He thraste thaym with his thumbe as thicke as thay come, He lafte noon a-live for thaire lither taicches. I wondrid on his workes as I wel might, And euer I neyed hym nere as ney as me ought, And halsid hym hendily as I had lernyd; And he me grete agayne right in a goode wise, And askid what I wolde and anone I tolde My wil was to wite what man he were. ‘I am gardyner of this gate,’ cothe he, ‘the grovnde is myn owen, Forto digge and to delue and to do suche deedes As longeth to this leyghttone the lawe wol I doo, And wrote vp the wedes that wyrwen my plantes; And wormes that worchen not but wasten my herbes, I daisshe thaym to deeth and delue oute thaire dennes. But the dranes doon worste, deye mote thay alle;

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à ma peine car tout avait disparu de par ces fraîches visions (933944). Alors je continuai gaiement et regardai tout autour, et je vis une belle maison avec des salles et des chambres, la libre tenue d’un franklin [toute] pimpante de neuf. Je me tournai et m’arrêtai à la porte du plus beau jardin qu’un homme ait jamais eu. Je n’ai réellement pas le temps de dire tous les noms des arbres, des plantes et des autres choses variées qui poussaient dans ce jardin, dont la terre était si noble. J’y passai secrètement, cueillais des fruits et me promenai dans les allées tout autour. Je vis alors quelqu’un qui me semblait un sage – je n’en avais pas vu en vérité depuis que j’étais né. [C’était] un vieil ancien d’une centaine d’hivers, habillé d’un vêtement blanc fabriqué avec soin, avec des cheveux blancs sur la tête – plus qu’à moitié blancs – et un beau visage frais et vertueux à regarder. Ses yeux étaient sérieux, pas du tout inclinés à la méchanceté ; [il avait] une large barbe en forme de balai, un peu dégarnie. La nature ne pouvait pas faire plus noble créature. Il était d’apparence grave, doux dans ses paroles, proportionné en tous points et vigoureux pour son âge, et par sa stature bien fort et vaillant pour [le nombre de] ses jours. Il se tenait au-dessus d’une ruche pour protéger le miel des frelons qui le détruisaient et ne faisait rien d’autre  ; il les écrasaient avec ses bâtons bien qu’ils viennent fort nombreux, et il n’en laissait pas un en vie à cause de leurs ignobles vices. Je m’interrogeai sur ses œuvres – je le pouvais bien – et je continuai à m’approcher de lui d’aussi près que je le pouvais ; je le saluai poliment comme je l’avais appris, il me salua en retour de bonne manière, et me demanda ce que je voulais. Je lui répondis sans détour que ma volonté était de savoir qui il était (945-976). – Je suis le jardinier de ce jardin, dit-il, ce terrain est mien ; pour le creuser, le recreuser et accomplir les choses de cette sorte, de manière appropriée à ce jardin, je ferai la loi. J’enlève les mauvaises herbes qui détruisent mes plantes. Quant aux limaces qui ne travaillent pas mais qui ruinent mes plantes, je les frappe jusqu’à la mort et je vide leurs abris. Mais les frelons font pire, puissent-ils

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984 They haunten the hyue for hony that is ynne, 985 And lurken and licken the liquor that is swete, 986 And trauelyn no twynte but taken of the beste 987 988 989 990 991 992 993 994 995 996 997 998 999 1000 1001 1002 1003 1004 1005 1006 1007 1008 1009 1010 1011 1012 1013 1014 1015 1016 1017 1018 1019 1020 1021 1022 1023

Qui non laborat non manducet. Bernardus. Of that the bees bryngen fro blossomes and floures. For of alle the bestes that breden vppon erthe For qualite ne quantite, no question, I trowe The bee in his bisynes beste is allowed, And prouyd in his propriete passing alle other, And pretiest in his wirching to profite of the peuple.’ ‘Swete sire,’ sayde I in slepe as me thoughte, ‘The propriete of bees I pray that ye wolde Declare with thaire deedes, and of the drane eeke.’ ‘Blethely, burne, thy beede shal bee doo Yf thou wil tende treuly my tale to th’ende. The bee of alle bestz beste is y-gouuerned Yn lowlynes and labour and in lawe eeke. Thay haue a king by kinde that the coroune bereth, Whom thay doo sue and serue as souurayn to thaym alle, And obeyen to his biddyng, or elles the boke lieth. The highest hoole in the hyue he holdeth hit hymself, For there thay setten hym in his see by hym-self oone, And maken mansions by-nethe that mervail hit is to knowe The bilding of the boures that the bees maken. For the curiousiste carpintier vndre cope of heuene Couthe not caste thaire coples ne cuntrefete thare workes. Thaire tymbre and thaire tile stones and al that to thaym longeth, Thay feycchen hit of floures in feldes and in croftes. Thayr dwellingz been dyuyded, I do hit on thaire combes, And many a queynt caue been cumpassid wy-thynne. And eche a place hath a principal that peesith al his quarter, That reuleth thaym to reste and rise whenne hit nedith, And alle the principallz to the prince ful prest thay been at nede, To rere thaire retenue to righte alle the fautes; For thay knowen as kindely as clerc doeth his bokes Wastours that wyrchen not but wombes forto fille. Thaire workes been right wondreful wite thou for sothe, For sum, as thou sees thay shape thaym to the feldes To sovke oute the swettenes of the somer floures, And sum abiden at home to bigge vp the loigges, And helpen to make honey of that thay home bringen,

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tous mourir ; ils fréquentent la ruche pour le miel qui s’y trouve, ils se dissimulent et aspirent la douce liqueur, ils ne travaillent pas le moins du monde, mais prennent le meilleur de ce que les abeilles rapportent des bourgeons et des fleurs. Qui non laborat non manducet. Bernardus 47. De toutes les créatures qui procréent sur la terre en qualité ou en quantité, [il n’est pas en] question, je crois, que l’abeille est la mieux pourvue pour ses affaires, et il est prouvé qu’elle dépasse toutes les autres par ses propriétés et qu’elle est la plus habile dans son travail pour le profit du peuple 48 (977-992). – Doux sire, dis-je, en dormant me semblait-il, je vous prie de bien vouloir me citer les propriétés des abeilles, de même que leurs actions, ainsi que celles des frelons (993-995). – Avec joie, mon bon, ta requête sera exaucée si tu veux écouter maintenant mon histoire jusqu’à la fin. Les abeilles sont parmi toutes les bêtes les mieux gouvernées dans l’humilité, le travail et la loi. Elles ont par nature un roi qui porte la couronne, qu’elles suivent et servent comme leur souverain à toutes ; elles obéissent à son commandement, ou le livre ment. Il se tient lui-même dans la plus grande cavité de la ruche, et les abeilles le mettent sur son trône, [fait] pour lui seul. Elles se font des maisons en dessous, et il est merveille de connaître la construction des chambres que font ces abeilles. Le plus habile charpentier sous la voûte du ciel ne pourrait créer leurs chevrons ni imiter leurs œuvres. Elles prennent leurs matériaux, leurs briques et tout ce qui leur appartient, des fleurs dans les champs et dans les prés. Leurs habitations sont divisées, cela est prouvé par leurs rayons, et de nombreuses pièces élaborées peuvent être établies à l’intérieur. Chaque chambre a un chef qui maintient la paix dans son quartier, qui leur ordonne de se reposer et de se lever quand il en est besoin. Tous ces chefs se tiennent prêts pour le prince quand il en a besoin, ils rassemblent alors leurs retenues pour redresser les torts ; car ils connaissent, aussi naturellement qu’un clerc connaît ses livres, les gaspilleurs qui ne travaillent pas, si ce n’est pour remplir leurs estomacs. Leurs œuvres sont pour toi vraiment merveilleuses à connaître, en vérité ; certaines, comme tu le vois, vont dans les champs pour aspirer la douceur des fleurs d’été  ; certaines restent à la maison pour construire les pièces, aident à faire le miel de ce qui est rapporté et

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  « Celui qui ne veut pas travailler ne mangera pas ». Cf. 2 Thess. 3 : 10.   Sur cette métaphore politique courante, mais revue ici de manière assez originale, voir Mairey, Une Angleterre entre rêve et réalité, op. cit., p. 139-140.

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And doon other deedes thorough dome that is among thaym; And sum waiten the wedre, the wynde and the skyes, Yf hit be temperate tyme to trauaylle or to leue. Thay eten alle at oones and neuer oon by hymsilf, Thorough warnyng of thaire warthour leste waste were among thaym. The bomelyng of the bees, as Bartholomew vs telleth, Thair noyse and thaire notz at eue and eeke at morowe, Lyve hit wel, thair lydene the leste of thaym hit knoweth. The moste merciful among thaym and meukest of his deedes Ys king of bees comunely, as clergie vs telleth, And sperelees, and in wil to spare that been hym vnder, Or yf he haue oon, he harmeth ne hurteth noon in sothe. For venym doeth not folowe hym but vertue in alle workes, To reule thaym by reason and by right-ful domes, Thorough contente of the cumpaignie that closeth alle in oone. And yf the king coueite the colours to be-holde Of the fressh floures that on the feldes growen, Euermore a-myddes as maister of thaym alle His place is y-properid for peril that mighte falle; And yf he fleuble or feynte or funder dovneward, The bees wollen bere hym til he be better amended. But of the drane is al the doute, the deueil hym quelle, For in thaire wide wombes thay wol bide more Thenne twenty bees and trauaillen not no tyme of the day, But gaderyn al to the gutte and growen grete and fatte And fillen thaire bagges brede-ful of that the bees wyrchen. Quorum Deus venter est et gloria in confusione. Paulus. But hire hough thay ende with al thaire hole cropping: Whenne thay haue soope the swete the soure cometh aftre, For whenne the bee-is bisynes is bribed fro the hyve Thorough dranes that deceipuen thaym and doon no thing elles, Thenne seen the bees thair subtilite and seruen thaym there‑after As Bartholomew the Bestiary bablith on his bokes, And of other pryvy poyntz but I wol passe ouer.’ ‘By this skile,’ cothe I, ‘there shuld scant hony Yf euery hyve hurle thus and haue ruche a ende’.

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font d’autres actes comme le veut la règle [établie] parmi elles ; certaines regardent le temps, le vent et les cieux, [pour voir] si c’est un temps approprié pour travailler ou s’arrêter. Elles mangent toutes en même temps, jamais séparément, et grâce à l’avertissement de leur surveillant, il y a peu de gaspillage parmi elles. Croisle bien, la moindre d’entre elles connaît le langage du bourdonnement des abeilles, comme Barthélemy nous le dit49, ainsi que leurs bruits et leurs notes, le soir et le matin (996-1031). La plus miséricordieuse parmi elles et la plus humble de ses actes est, sans exception, le roi des abeilles, comme le savoir nous le dit ; il n’a pas de dard, ou s’il en a un, dans la volonté d’épargner ceux qui sont en dessous de lui, il ne touche ni ne blesse personne, en vérité. Car ce n’est pas le venin qui le suit, mais la vertu dans tous ses actes, pour gouverner [les abeilles] par la raison et par des jugements pleins de justice, [et cela] par le consentement de la compagnie qui est unie en tout. Et si le roi désire voir les couleurs des fleurs fraîches qui poussent dans les champs, sa place est fixée, toujours au milieu comme leur maître à toutes, à cause du péril qui pourrait survenir ; et s’il est affaibli, s’il défaille ou s’il tombe à terre, les abeilles le porteront jusqu’à ce qu’il aille mieux (10321044). Mais tout le problème vient des frelons, que le diable les tue, car ils peuvent cacher dans leurs larges ventres davantage que vingt abeilles ; sans travailler à aucun moment de la journée, ils peuvent tout collecter dans leurs boyaux et devenir gros et gras, et remplir leurs sacs pleins à craquer de ce que les abeilles ont récolté. Quorum deus venter est et gloria in confusione. Paulus 50. Mais écoute maintenant la manière dont ils vont tous finir avec leur collecte : quand ils auront bu la douceur, l’amertume viendra ensuite, car lorsque les affaires des abeilles sont attirées hors de la ruche par les frelons qui les trompent et ne font rien d’autre, alors les abeilles voient leur intrigue et agissent en fonction [de cela], comme Barthélemy le montre dans son livre, le bestiaire – ainsi que d’autres points de valeur mais je passerai là-dessus (1045-1056). – Pour cette raison, dis-je, il doit y avoir peu de miel si chaque ruche [doit] lutter ainsi et avoir une telle fin (1057-1058).

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  Il s’agit de Barthélémy l’Anglais, auteur d’une encyclopédie très populaire, le De proprietatibus rerum (XIIIe siècle). Cf. B. Ribémont, De natura rerum, Études sur les encyclopédies médiévales, Orléans, 1995. 50   « Ils ont leur ventre pour dieu et mettent leur gloire dans la honte ». Cf. Phil. 3 : 19.

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‘Be certayne,’ he seide, ‘that is a sothe tale But yf the gardyner haue grace and gouuerne hym the bettre And wisely a-waite whenne dranes furste entren, And nape thaym on the nolle ere thay thaire neste caicche; For been thay oones ynned his eyen shal be dasid Fro al kinde knowlache, so couert thaym helpeth.’ ‘Yit wolde I wite,’ cothe I, ‘yf your wil be, Hough to knowe kindely, thorough craft of your scole, The drane that deuoureth that deue is to other, By colour or by cursidnesse or crie that he maketh. Kenneth me the cunnyng, that I may knowe after.’ ‘Thay been long and lene,’ cothe he ‘and of a lither hue, And as bare as a bord, and bringen nought with thaym; But haue thay hauntid the hyve half yere to th’ende, Thay growen vnder gurdel gretter than other, And noon so sharpe to stinge ne so sterne nother.’ Nichil asperius paupero cum surget in altum. Gregorius. ‘Yit I mervaille,’ cothe I, ‘and so mowen other, Why the bees wollen not wirwe thaym by tyme, And falle on thaym fersly furst whanne thay entre, For so shuld thay saue thaym-silf and thaire goodes.’ ‘The bees been so bisi’, cothe he, ‘aboute comune profit, And tendeth al to trauail while the tyme dureth Of the somer saison and of the swete floures ; Thayr wittes been in wirching and in no wile elles Forto waite any waite til winter approche, That licour thaym lacke thair lyfe to susteyne. But as sone as thay see thaire swynke is y-stole, Thenne flocken thay to fighte thair fautes to amende, And quellen the dranes quicly and quiten alle thaire wrongz.’ ‘Now wol mote ye worthe’, cothe I, ‘for your wise tale, For hit hath muche menyng who-so muse couthe, But hit is to mistike for me, by Marie of heuene, So wol I leue lightly withoute long tale. But and ye dwelle, as I dar, derue I you preye Oone question to construe that I come fore; For I haue soughte seuene yere and sum dele more, And mette I neuer man yit that me wise couthe Cleere to my knowing, clerc nother lewed, Of the matiere of Mvm that moste me angrith, That he shuld haue maisters mor than oon hunthrid,

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– Sois certain, dit-il, que c’est une histoire véridique ; mais si l’apiculteur a la grâce et gouverne au mieux, il attend tranquillement que les frelons arrivent et il les frappe sur la tête avant qu’ils n’aient atteint les nids [des abeilles] ; car une fois [les frelons] à l’intérieur, ses yeux sont privés de toute connaissance intrinsèque, parce que la dissimulation les aide (1059-1064). – Pourtant, je voudrais bien savoir, dis-je, si vous le voulez bien, comment connaître naturellement, par l’instruction de votre école, ces frelons qui dévorent ce qui est dû à d’autres par la fraude, la méchanceté, ou leurs cris. Enseignez-moi ce savoir, que je puisse le connaître pour la suite (1065-1069). – Ils sont longs et maigres, dit-il, et d’une mauvaise couleur ; aussi nus qu’une planche, ils ne portent rien avec eux ; mais s’ils ont été présents dans la ruche pendant six mois, ils croissent sous leur abdomen  ; plus gros que les autres, ils deviennent désireux de piquer et sont violents. Nichil asperius paupero cum surget in altum. Gregorius51 (1070-1074). – Pourtant je m’émerveille, dis-je, et d’autres doivent [en faire] autant, de ce que les abeilles ne vont pas les détruire à temps et ne leur tombent pas dessus âprement dès qu’ils entrent, car de cette manière, elles se sauveraient elles-mêmes et leurs biens (1075-1078). – Les abeilles sont très occupées, dit-il, au profit commun, et ne prêtent attention qu’à leur travail ; avant que le temps de la saison d’été et des fleurs parfumées ne s’achève, leurs esprits sont au travail et à aucune autre activité, telle que surveiller chaque perte. [C’est ainsi] jusqu’à ce que l’hiver approche et que la boisson leur fasse défaut pour subvenir à leurs besoins. Mais aussitôt qu’elles voient que leur travail est volé, elles se rassemblent pour se battre, pour combler leurs pertes, tuent rapidement les frelons et se vengent de tous leurs méfaits (1079-1087). – Puissiez-vous prospérer, dis-je, pour votre sage histoire, car elle a de nombreux sens, pour qui peut les méditer ; mais cela est trop mystique pour moi, par Marie qui est aux cieux, aussi laisserai-je cela rapidement et sans long discours. Mais si vous restez, j’oserai vous prier orgueilleusement d’interpréter une question, pour laquelle je suis venu ; car j’ai cherché pendant sept ans – et encore un peu plus – et je n’ai rencontré aucun homme – ni clerc, ni laïc – qui puisse m’expliquer clairement, pour ma connaissance, le cas de Mum qui m’a fort mis en rage [et le fait] qu’il doive avoir des 51

  « Rien n’est aussi agressif qu’un pauvre élevé à la prospérité ». Attribué à Grégoire le Grand.

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Whenne the sothe-sigger shuld siche his mete. I haue trauailled tenne yere to temporal estatz, And spied of spirituel and sparid for no wreth Forto wite witterly who shuld haue The maistry, Mvm or the sothe-sigger. For alle the foure ordres agayne thaire fundacion Prouyd hit ofte by prechement, for peril that myght falle, That Mvm shuld be maister and maynteyne th’ordre; And alle other estatz euery after other Heulden muche more with Mvm thenne with the soth-sigger. And yf ye deme as thay doon, by dere God in heuene, By no witte that I wote I wol go no ferther Forto seke shadue there no sunne apperith.’ ‘Swete soon, thy seching,’ seide the freke thenne, ‘And thy trauail for thy trouthe shal tourne the to profit, For I wol go as nygh the grounde as gospel vs techeth Forto wise the wisely to thy waie-is ende. For of al the mischief and mysse-reule that in the royaulme groweth Mvm hath be maker alle thees many yeres, And eek more, a moulde, I may wel aduowe; And principally by parlement to proue hit I thenke, When knightz for the comune been come for that deede, And semblid forto shewe the sores of the royaulme And spare no speche though thay spille shuld, But berste out alle the boicches and blaynes of the heart And lete the rancune renne oute a-russhe al at oones Leste the fats felon festre with-ynne; For as I herde haue, thay helen wel the rather Whenne the anger and the attre is al oute y-renne, For better were to breste oute there bote might falle Thenne rise agayne regalie and the royaulme trouble. The voiding of this vertue doeth venym forto growe And sores to be saluelees in many sundry places Sith Sith souurayns and the shire-men the sothe haue eschewed Yn place that is proprid to parle for the royaulme And fable of thoo fautes and founde thaym to amende. For alle the perillous poyntz of prelatz and of other, As peres that haue pouaire to pulle and to leue, Thay wollen not parle of thoo poyntz for peril that might falle, But hiden alle the heuynes and halten echone And maken Mvm thaire messaigier thaire mote to determyne,

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maîtres, plus d’une centaine, alors que le diseur de vérité cherche sa nourriture. J’ai travaillé dix ans pour les états temporels, j’ai inspecté les [états] spirituels et ne me suis épargné aucune colère pour savoir certainement qui doit avoir la domination, Mum ou le diseur de vérité. Les quatre ordres, contre leurs principes fondateurs prouvent souvent par la prédication que Mum doit être le maître et maintenir l’ordre, à cause du péril qui peut survenir ; et tous les autres états, chacun à leur tour, se tiennent bien plus avec Mum qu’avec le diseur de vérité. Et si votre jugement est le même que le leur, par Dieu dans le ciel et par quelque esprit que j’aie, je n’irai pas plus loin pour chercher l’ombre là où aucun soleil n’apparaît (1088-1111). – Doux fils, ta recherche, dit alors l’homme, et ton travail pour la vérité tourneront à ton profit, car j’irai aussi près des fondements, comme les Évangiles nous l’enseignent, pour te guider sagement vers la fin de ta route ; toutes ces années, Mum a été le créateur de tous les maux et mauvais gouvernements qui se développent dans le royaume, et il en a été la racine et le modèle, je peux bien l’avouer. Je pense prouver cela principalement par le parlement : lorsque les chevaliers sont venus pour agir pour la communauté et se sont assemblés pour montrer les malheurs du royaume, ils se sont empêchés de parler alors qu’ils devraient mourir pour cela, faire éclater les furoncles et les boursouflures et laisser la colère sortir en courant, sous peine que le faux félon n’éclate de l’intérieur. Car comme je l’ai entendu, on soigne bien et plus tôt quand la colère et le poison sont drainés au-dehors, car il est mieux de [les] faire éclater quand le remède peut s’appliquer que de se soulever contre les regalia et troubler le royaume. L’absence de cette vertu provoque la croissance du venin et des blessures sans remèdes dans de nombreux lieux divers, [et ce] depuis que les seigneurs et les hommes des comtés évitent la vérité dans les lieux où il est approprié de parler pour le royaume, de converser des problèmes et de s’efforcer de les réparer. Car tous les points dangereux concernant des prélats et d’autres, tels que les pairs qui ont le pouvoir de piller et de faire des dons, ils ne les évoquent pas à cause du danger qui pourrait survenir mais cachent toutes les lourdeurs et hésitent en tout ; ils font de Mum leur messager pour qu’il détermine leur procès et

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1140 And bringen home a bagge ful of boicches vn-y-curid, 1141 That nedis most by nature ennoye thaym there-after.

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Qui potest contradicere peccato et non contradicit actor est peccati. Sidrac. And in al the king-is court there coiphes been and other Mvm is maister there more thenne men wenen, For sum of tho segges wolle siche side-wayes, Whenne thay witen wel y-now where the hare walketh, Thay leden men the long waye and loue-dayes breken And maken moppes wel myry with thaire madde tales Forto sowe siluer seede and solue ere thay singe, To haue ynne thaire harueste while the hete dureth. Fauor et premium timor et odium peruertunt verum iudicium. Canon. Now feithfully, my ful frende, I wol not feyne to the; There is no wronge on this world wrought, as I wene, Treason nother trespas ne trouble that falleth, Felonye ne falshede ne no faute elles, Rancune ne riotte ne reuyng of peuple Courshidnes ne cumbrance ne no caste of guile, That Mvm nys the maker and moste cause eeke. And that shal I shewe the by exemples y-nowe; For Lucifer the lyer that lurketh aboute Forto gete hym a grounde that he may graffe on And to sowe of his seede suche as he vsith, That groweth al to grevance and gurdyng of heedes, He leyeth his lynes along that luste may be clepid Of oure foule flessh that foundrith ful ofte, And of gloire of this grounde his griefz been y-made, That who be hent in his hoke he shal be holde faste Til he be caste with couetise or sum croke elles. Seminator zizanne et agricola diaboli Thenne fareth he forth felaship to gete, To holde his opinion ouer alle thingz. Whenne he is laught on the lyne he can not lepe thens, So the cursid couetise cleueth on his herte, Or elles dreede forto do wel dulleth his wittz. But seche what he seche wol and asaye eeke, There is no sothe-sigger that wol assent to hym, But conseilleth hym the contrary and construeth the doutes And poynteth hym the perillz and pleynely telleth As a sicour seruant, and sheweth hym the happes.

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ramènent à la maison un sac plein de furoncles non soignés qui par nature vont nécessairement les ennuyer. Qui potest contradicere peccato & non contradicit actor est peccati. Sidrac52 (1112-1141). Et dans toutes les cours royales, là où sont les coiffes [des hommes de loi] et d’autres, Mum est le maître plus que nous ne le pensons, car certains de ces hommes vont chercher des chemins tortueux, alors qu’ils savent bien où va le lièvre ; ils mènent les hommes par la longue route, cassent les jours de règlement et rendent les fous très joyeux avec leurs folles histoires afin de récolter des pots-de-vin, de solfier avant de chanter et de rentrer leur moisson avant que les chaleurs ne se terminent. Favor et premium timor et odium peruertunt verum indicium. Canon53 (1142-1149). Mais vraiment, mon cher ami, je ne ferai pas semblant avec toi ; je pense que les crimes commis dans ce monde, les trahisons ou les délits, les troubles qui surviennent, les félonies ou les faussetés ou n’importe quel autre forfait, la colère, l’émeute ou le pillage, l’opposition, l’oppression ou la combinaison de fraudes – Mum en est le créateur et aussi la plus grande cause. Et cela je le montrerai par des exemples en suffisance ; car Lucifer le menteur se tient partout caché pour lui obtenir une fondation sur laquelle il puisse greffer et semer les graines qu’il veut utiliser et qui ne poussent que pour le grief et les décapitations. Il étend ses filets de telle manière que tout cela puisse être qualifié de désir de notre folle chair qui sombre souvent et ses maux ont été fabriqués à partir de l’orgueil présent sur cette terre. Celui qui sera pris à son hameçon sera vite retenu, jusqu’à ce qu’il soit rejeté avec la convoitise ou quelque autre tromperie. Seminator zizannie & agricola diaboli54 (1150-1166). Ensuite, il va de l’avant pour trouver des partisans qui soutiennent son opinion par-dessus toutes choses. Quand [quelqu’un] est pris dans ses filets, il ne peut s’en échapper et la maudite convoitise s’attache à son cœur, ou alors la peur de bien faire rend ses esprits obtus. Mais cherche ce qu’il va chercher et examine le également. Aucun diseur de vérité ne partagera son avis, mais lui expliquera le contraire et interprétera les difficultés ; il fera remarquer le danger, lui parlera vraiment comme un serviteur loyal et lui montrera

52   « Celui qui peut contredire le péché et ne le fait pas est un fauteur de péché ». La citation ne se trouve pas dans le Sidrac. 53   « La faveur et la peur, la corruption et la haine pervertissent la vraie justice ». Résumé d’un chapitre de droit canon (Decreti Secunda Pars, causa xi). 54   « Le semeur de zizanie et le fermier du diable ». Peut-être une référence à Mat. 13 : 38-39.

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He shoneth for no salaire ne soulde that he fangeth, Ne for no likerous lyuelode ne loising of his office, That he ne telleth the tirant how hit tourne wol Hamward by his hows and harme most hymself. Thenne fleeth he fro his frend and to his foo tourneth, For til he mete with Mvm may he neuer reste. He wol abide with no burne that botene hym wolde Ne a-rayne hym arere with reason-is bridel, So loueth he go large to lepe where hym liketh, And kiketh faste as a colte that casteth downe hymsilf, And fondeth forto finde this freeke I haue nempnyd, That fayne is to folowe hym for fees and robes. Thenne meteth he with Mvm and his matiere sheweth, That shortly assentith as a shrewed hyne, And spareth for no spurnyng, but spedith the matiere, And wircheth vp with wiles a walle of deceiptes, Til the fals fundement falle atte laste, That thay stumblen after stroutyng and stappen no ferther, But lyen dovne on the diche as well nygh y-doluen, Bothe the maister and his man y-murid at oones. Suche maniere medes Mvm can deserue Forto mende his maister for meete and for hure, But by the feith that I finge atte vanstone Shal no Mvm be my man and I may a-spie, And namely nygh me but next shal he neuer. And therefore I fende the, by feith that thou aues, That thou lieue in no lore of suche lewed gomes That fikelly fablen and fais been withynne, But sue the sothe-sigger and seche thou no ferther. And though hit tene for a tyme hit tideth wel after And he that made the molde and man with his handes Shal quite the with a quitance whenne querellz been vp Of this newe nouellerie that noyeth men ofte. Hit is the holsemyst hyne for halle and for chambre To bringe boldely a-bedde the best of the royaulme And arise with the renke, rehershing agaynes Salomon and Seneca and Sidrac the noble. Hit is a sicour seruant forto serue Tordes, And to knightz of the cuntre his conseil availleth ; And thow he-dwelle with a duc and dide not elles

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les malheurs. Il ne se dérobera pas pour recevoir un salaire, une parure ou une plaisante nourriture ni s’il perd son office, pour dire au tyran comment cela va tourner. Retournant chez lui et se faisant beaucoup de mal, [cet homme55] fuit son ami et se tourne vers son ennemi, car il ne peut se reposer avant d’avoir rencontré Mum. Il ne restera pas avec quelqu’un qui souhaite l’amender et ne rebroussera pas chemin avec la bride de Raison, tant il aime aller librement et vadrouiller où il lui plaît ; il rue aussi vite qu’un poulain qui se jette lui-même à terre et il essaye de trouver cette personne que j’ai nommée, qui est contente de le suivre pour des gratifications et des tenues. Alors il rencontre Mum et présente son cas, qui donne vite son assentiment comme un maudit serviteur et ne s’embarrasse d’aucun obstacle mais accélère le cas ; avec des tromperies, il construit un mur de fraudes jusqu’à ce que ses fondements fallacieux s’écroulent, que le maître et son serviteur se prennent les pieds dans les étaiements et ne puissent faire un pas de plus, et qu’ils s’allongent dans le fossé, presque enterrés et emprisonnés en même temps (1167-1196). Mum peut mériter des récompenses – de la nourriture et de l’argent – pour le bénéfice de son maître, mais par la foi que j’ai reçue sur les fonts baptismaux, Mum ne sera pas mon homme et je peux y veiller ; jamais il ne sera à mes côtés et proche de moi en vérité. Je t’interdis donc, par la foi qui t’y oblige, de croire en l’enseignement de tels hommes ignorants, qui racontent des histoires trompeuses et sont faux en eux-mêmes ; suis le diseur de vérité et ne cherche pas plus avant. Et bien que cela soit pour un temps contrariant, cela tournera ensuite au mieux ; celui qui a créé la terre et les hommes avec ses mains t’acquittera avec une quittance de cette nouvelleté nouvelle qui m’ennuie beaucoup, et tu seras soulagé de tes dettes. C’est le serviteur le plus salutaire pour le hall et pour la chambre, pour porter fièrement au lit le meilleur du royaume et pour se lever avec l’homme, répétant toujours Salomon, Sénèque et Sidrac le noble. C’est un serviteur digne de confiance pour servir les seigneurs, et son conseil est de valeur pour les chevaliers des comtés ; il habite avec un duc et ne fait pas autre chose que de lui

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  C’est-à-dire celui qui est pris dans les filets de Mum.

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But forto seye hym the sothe in reasonable tymes, He might serue sum day seuene yeres wages.’ ‘Grand mercy, gardiner,’ cothe I, ‘and God the foryelde, For thou has demed deuely the doute I was ynne; But yit wote I not in sothe, ne am not infourmed How to come to the court there the kempe dwellith.’ ‘His dwellyng to discryue,’ cothe he, ‘I do hit on alle clercz That I shal teche the treuly the tournyng to his place. Yn man-is herte his hovsing is, as hooly writte techet, And mynde is his mansion that made alle th’estres. In corde fidelis est habitacio veritatis There feoffed hym his fadre freely forto dwelle, And put hym in possession in paradise terrestre Yn Adam oure auncetre and al his issue after. He spirith hym with his spirite that sprange of hymself To holde that habitacion and heuene afterwardes, To serue hym in sothenes and no souurayn eschewe For dreede of deyeng ne no disease elles. As wold God that eche gome that gre hath take in scoles Wolde holde that opinion and ouer-lepe hit neuer, For hit was neuer so nedeful as now sith Noe-is dayes. But Mvm wol be no martir while mytres been in sale, And but the sothe-sigger sey the same wordes Whenne thou comys to his court, kutte of myn eres. Qui non entrat per ostium in ouile sed aliunde fur est et latro. Euangelium. Now I haue y-wised the the weye to his place, Hye the hens to his hows and hippe euene amyddes; For though his loigge be lite hit is vnloke euer, That thou mays intre eche day bothe erly and late, Forto walke where thou wolt wythynne and withoute And to moeue of his mote in mesurable tyme And haue concours to Criste and come yn agaynes. For thay been brethern by baptesme, as the boke telleth, And he is y-sibbe to the sire abouue the seuene sterres For trouthe and the trinite been two nygh frendes. Yf thou wol folowe this fode, thou mos be faire of speche And soft of thy sawys, but souuraynete hit helpe; For pouerte hath a pressonere whenne he doeth passe bondes. And be wel ware of wiles the world is ful of mases; And loke wel-a-leehalf lest thou be beguilid,

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dire la vérité à des moments propices ; un jour, il pourrait mériter sept ans de gages (1197-1218). – Grand merci, jardinier, dis-je, que Dieu te récompense, car tu as dûment statué sur mon doute intérieur ; pourtant, je ne sais pas vraiment ni ne suis informé de la manière dont je peux aller à la noble maison dans laquelle cet homme habite (1219-1222). – Décrire son habitation, dit-il, je le base sur [ce que disent] tous les clercs ; je t’apprendrai réellement le chemin de son séjour. Sa maison est dans le cœur de l’homme, comme les saintes écritures l’enseignent et l’esprit qui a construit toutes les chambres est sa demeure. In corde fidelis est habitacio veritatis56. C’est là que son père l’a possessionné librement pour y habiter et lui a accordé le paradis terrestre – au sein d’Adam notre ancêtre et de toute sa lignée à suivre. Il inspire son esprit qui jaillit de lui-même pour tenir cette habitation – et le ciel ensuite – afin qu’il serve dans la vérité et ne fuie pas un souverain par peur de la maladie ou de la mort. Plût à Dieu que chaque homme ayant obtenu un degré à l’université tienne cette opinion et ne la transgresse jamais, car cela n’a jamais été aussi nécessaire de nos jours que depuis le temps de Noé. Mais Mum ne sera pas martyr tant que les mitres seront à vendre et si le diseur de vérité ne dit pas la même chose quand tu arriveras à sa demeure, que mes oreilles soient coupées. Qui non intrat per ostium in ouile sed aliunde fur est et latro. Euangelium57. Maintenant que je t’ai indiqué le chemin de son séjour, hâte-toi vers sa maison et vas-y directement, car bien que son logement soit petit, il n’est jamais fermé afin que tu puisses y entrer chaque jour, à n’importe quelle heure, pour marcher là où tu le veux (à l’intérieur et à l’extérieur), pour avancer son cas en temps voulu, pour avoir recours au Christ et pour revenir à nouveau. Ils sont frères par baptême comme le livre le dit et [le diseur de vérité] est apparenté au Seigneur [qui est] au-dessus des sept étoiles car la vérité et la trinité sont deux proches amies. Si tu veux suivre cet homme, tu dois être juste dans tes paroles et gentil dans tes discours, mais l’autorité y aide ; car la pauvreté a un gardien de prison quand il passe les bornes. Prends bien garde aux tromperies, le monde est plein de fausseté ; regarde bien sous le vent de peine d’être trompé,

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  « La vérité habite dans le cœur de l’homme fidèle ». Source non identifiée.   « Celui qui n’entre pas par la porte dans la bergerie, mais par un autre endroit, est un voleur ». Cf. Jn 10 : 1.

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For Mvm hath a man there, and is a muche shrewe, Antecrist-is angel that eche day vs ennoyeth. He dwellith faste by the dore and droppeth many wiles Yf he might wynne ouer the walle with a wronge entre. He debateth eche day with Do-welle withynne, And the maistrie among and the mote wynneth, And shoueth the sothe-sigger into a syde-herne And taketh Couetise the keye to come ynne when hym liketh. Thenne Dreede with a dore-barre dryueth oute the beste, And maketh the sothe-sigger seche a newe place, And to walke where he wol withoute on the grene Til sorowe for his synnes seese hym agaynes And the tenaunt a-tourne to treuthe al his life. Though thou slepe now my soon, yit whenne thou seis tyme, Loke thou write wisely my wordes echone; Hit wol be exemple to sum men seuene yere here-after. And loke thou seye euer sothe but shame not thy brother For yf thou telle hym trouthe in tirant-is wise, He wol rather wexe wrother thenne forto wirche after. But in a muke maniere thou mos hym asaye, And not eche day to egge hym, but in a deue tyme. Do thus, my dere soon, for I may dwelle no longer, But fare to my good frend that I fro come. I haue infourmed the faire loke thou folowe after And make vp thy matiere, thou mays do no better. Hit may amende many men of thaire misdeedes. Sith thou felys the fressh lete no feynt herte Abate thy blessid bisynes of thy boke-making Til hit be complete to clapsyng, caste aweye doutes And lete the sentence be sothe, and sue to th’ende; And furst feoffe thou therewith the freyst of the royaulme, For yf thy lord liege allone hit begynne, Care thou not though knyghtz copie hit echone, And do write eche word and wirche there-after.’ Thenne soudaynly of sweuene and slepe I abrayed And woke of my wynke and waitid aboute, Wondring on my wittz, as I wel aughte, Where the gome and the gardyn and the gaye sportz And alle the sightz that I sawe were so sone voidid. Hit ferde as a fairye but feithfully the wordes Were ful wise of the wye in the white clothes,

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car Mum a un serviteur qui est une grande racaille, l’ange de l’Antéchrist qui nous nuit chaque jour. Il se tient près de la porte et produit de nombreuses tromperies pour passer le mur par une entrée illégale. Il débat chaque jour avec Bien-Faire à l’intérieur et gagne la victoire et le procès ; il pousse ainsi le diseur de vérité dans un coin obscur et prend la clé Convoitise pour entrer quand il lui plaît. Alors Terreur expulse les gens les plus vertueux avec un bâton, oblige le diseur de vérité à chercher un nouveau lien et à marcher au-dehors, dans les champs, jusqu’à ce que la contrition pour ses péchés le saisisse à nouveau et que ce tenancier retourne à la vérité pour la vie (1223-1267). Bien que tu dormes pour le moment, mon fils, sois certain d’écrire sagement chacun de mes mots quand tu seras éveillé ; ce sera encore un exemple pour quelques hommes sept ans après. Et veille à dire toujours la vérité sans faire honte à ton frère, car si tu lui dis la vérité sur un mode tyrannique, il se mettra bientôt en colère plutôt que d’agir selon elle. Tu dois l’examiner humblement et ne pas le presser chaque jour mais au moment approprié. Agis ainsi, mon cher fils ; je ne peux rester plus longtemps, mais salue mon bon ami, de l’endroit où je suis. Je t’ai informé de la voie à suivre. Fais-en ton affaire, tu ne peux mieux faire. Cela peut amender bien des gens de leurs méfaits. Puisque tu te sens vigoureux, ne laisse pas ton cœur défaillir, termine cette occupation bénie qui est de faire un livre58. Défais-toi de tes doutes jusqu’à ce que ce [livre] soit complet et cadenassé, laisse ton jugement être véridique et suis-le jusqu’à la fin ; puis inféode-toi en premier lieu au plus noble du royaume. Car si ton seigneur lige commence seul [à le lire], les chevaliers le copieront, écriront chaque mot et les travailleront ensuite [en actes] – ne t’inquiète pas (1268-1288). Alors, soudainement, je m’éveillai de mon rêve et de mon sommeil et en alerte, je regardai tout autour, m’interrogeant en moi-même comme je le devais : où l’homme, le jardin, les joyeux divertissements et toutes les visions que j’avais eues avaient-elles disparu ? Tout cela s’était évaporé comme un enchantement, mais en vérité, les paroles de l’homme en habit blanc était très sages, nécessaires

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  Sur ce passage important, dans lequel l’auteur justifie l’écriture de son œuvre, voir Mairey, Une Angleterre entre rêve et réalité, op. cit., p. 329 sq.

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And eeke nedeful and notable for this newe world, And eeke plaisant to my pay for thay putten me reste Of my long labour and loitryng aboute. For he provid by profitable poyntz and fele That the sothe-sigger shuld haue the better Of Mvm, and the maistrie, malgre his chekes. He made Mvm a man-sleer and a-mys thewed And likenyd hym to a lorel atte long goyng. And shortly he sheweth right so by thayr werkes To clercz of conceipte that construen thaire workes. He chargid me cleerly to change not myn intent Til the matire of Mvm were made to th’ende, And that I shuld seye sothe and sette no dreede Of no creature of clay, for Criste so hym taughte. And though sum men of sweuenes sauery but lite, Yit the lore of the lude shal like me euer, For Daniel in his dayes declarid ful ofte Dreemes and vndide thaym as deede provid after; And Ioseph the gentil Genesis thou saye (The bible bereth witnesse, a boke of bilieue). He mette that the mone and elleuen sterres With the shynant sunne soudaynely at oones A-bowid to his bidding bonairely, hym thought, And dide hym worship therewith that wroth made after His brethern that bisied thaym to bringe hym of dawe. Hit semyd by his sweuene thay sayden tho among thaym, Shuld falle that thayr fadre and thay been fayne eeke To mete hym with thayre modre in a muke wise, And pray hym in his pouaire pite forto haue Of thaym and thaym helpe fro hungre and elles. And so hit feulle sothely thay sought hym thereafter Ernestly in Egipte or elles the boke lieth, For hunger that thay hadde and helpe couthe thay none But lowely to loute his lordship to sike, Forto graunt of his grayn what hym good likid That for faute of thayr fode famyne long durid. And so hit semeth in certayne that sum bee right trewe And sothe of thees sweuenes of sobre men wittes, And prouen ofte to the poynt of pourpoos in deede. And therefore my doute and dreede is the lasse

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et notables pour ce nouveau monde ; elles étaient plaisantes à mon goût car elles me mettaient en repos de mon long travail et de mes errances. En effet, il a prouvé par de nombreux arguments effectifs que le diseur de vérité devait avoir la meilleure [part par rapport] à Mum et la victoire en dépit de tout. Il a fait de Mum un meurtrier et [quelqu’un] de mauvaise nature et l’a relié finalement à une racaille. En bref, c’est par leurs actes qu’il a montré cela aux clercs de bonne compréhension, qui les interprètent. Il m’a chaleureusement chargé de ne pas changer mon objectif jusqu’à ce que le cas de Mum soit mené à son terme, de dire la vérité et de n’avoir peur d’aucune créature de la terre, car le Christ le lui a enseigné (12891309). Et bien que certains hommes apprécient peu les rêves, l’enseignement de cet homme me plaira néanmoins toujours, car Daniel en son temps a souvent exposé les rêves et les a interprétés justement, comme les faits l’ont ensuite prouvé. Et la Genèse te dit bien (la Bible en porte témoignage, un livre de foi) que le noble Joseph a rêvé que la lune et onze étoiles, soudainement et en même temps, se sont inclinées courtoisement devant le soleil brillant, à sa demande, pensa-t-il, et le révérèrent alors ; ce rêve mit en colère ses frères qui s’affairèrent à le mettre à mort. Ils se dirent entre eux qu’il semblait par ce rêve qu’il arriverait que leur père et eux-mêmes seraient contents de le rencontrer, avec leur mère, d’une humble manière, et de le prier dans son pouvoir d’avoir pitié d’eux et de les aider [à sortir] de la faim et d’autres choses. Il arriva vraiment qu’ils le cherchèrent plus tard avec ardeur en Égypte – ou le livre ment – car ils avaient faim ; ils ne purent s’empêcher de s’incliner humblement pour rechercher sa suzeraineté afin qu’il leur accorde du grain selon son bon vouloir car, par faute de nourriture, ils enduraient la famine. Ainsi paraît-il sûr que certains [rêves] sont vrais ; et il est souvent prouvé que la vérité de ces rêves [en provenance] des esprits d’hommes raisonnables fait correspondre les intentions et les actes. Mon doute et ma peur sont donc moindres pour accom-

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To do that the burne bade, that the bees kepte, Forto saye sumwhat of svth er I passe How the greete of this ground been y-gouuerned. Thenne softe I the soores to serche thaym withynne, And seurely to salue thaym and with a newe salue That the sothe-sigger hath sought many yeres And mighte not mete therewith for Mvm and his ferys That bare a-weye the bagges and many a boxe eeke. Now forto conseille the king vnknytte I a bagge Where many a pryue poyse is preyntid withynne Yn bokes vnbredid in balade-wise made, Of vice and of vertue fulle to the margyn, That was not y-openyd this other half wintre. There is a quayer of quitances of quethyn goodes, That bisshoppz han begged to binde al newe, And a penyworth of papir of penys that thay fongen For lemmans and lotebies in thees late dayes, And lien on the lettrure, for lawe was hit heuer. Ve illis qui vendunt peccatum propter pecuniam. There is volume of visitacion of viftene leves How persones and prestis been y-passid ouer Thorough fauour of fangyng and no faute amendid, But liggen in London in lorden courtz And pleyen lille for lalle with many levde kitte. Thay lusten for to lerne of lettrure no ferther Thenne to the lesson of laudate al thaire life-dayes, Forto preche thaire parroisshe how Pernelle is arayed And with the tolle of the tithing fetishly a-tired. Thay been losers of the lawe and lewde men maken The bolder for thaire badnes and breke the tenne hestes. There is a rolle of religion, how thay thaire rentz hadde Forto parte with the poure a parcelle other-while, But thay been rotid in a rewe to refresshe greete, To maynteyne thayre manhode and matieres thay haue to doo For pleding and for pourchas, to pasture thaym the swetter,

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plir ce que l’homme qui garde les abeilles m’a demandé – dire une part de la vérité avant de conclure sur la manière dont les grands de cette terre sont gouvernés (1310-1338). J’ai alors apaisé les blessures pour les examiner intérieurement et les guérir tout à fait avec un nouveau remède que le diseur de vérité a cherché de nombreuses années mais qu’il n’a pas pu trouver parce que Mum et ses associés avaient emporté les sacs et aussi de nombreuses boites. Mais pour conseiller le roi, j’ai ouvert le sac où sont écrits de nombreux vers secrets dans des livres non scellés, à la manière des ballades, pleins jusqu’aux marges des vices et des vertus59. Cela n’avait pas été fait cette dernière moitié d’hiver (13391348). Il y a un paquet de quittances de biens légués que les évêques ont mendiés pour les relier à nouveau et des reconnaissances de dettes de la valeur d’un penny de l’argent reçu ces derniers jours d’hommes et de concubines ; [ces évêques] mentent sur la question, car cela n’a jamais été la loi. Ve illis qui vendunt peccatum propter pecuniam. Lincolniensis 60 (1349-1353). Il y a un volume de quinze pages de la visite épiscopale, sur la manière dont les prêtres sont surveillés par la faveur de la corruption et sans qu’aucun tort soit réparé ; ils se tiennent à Londres dans les cours des seigneurs et lutinent avec des gamines ignorantes. Ils ne désirent pas davantage apprendre quelque savoir que d’aller à la leçon des laudate tous les jours de leurs vies pour prêcher à leurs paroissiens la façon dont Pernelle s’arrange  ; et ils s’habillent élégamment avec le produit de la dîme. Ce sont des violateurs de la loi et ils rendent les ignorants fiers de leur méchanceté et en rupture avec les Dix Commandements (1354-1364). Il y a un rouleau61 sur les religieux, sur la manière dont ils se procurent leurs revenus ; [ils devraient en] partager une parcelle avec les pauvres, parfois, mais ils sont enracinés dans une compagnie pour enrichir les grands. Ils doivent engager des procès pour maintenir leur dignité, pour plaider et pour acquérir, pour se nour-

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  Sur l’étonnant catalogue qui suit, qui recense de nombreux types d’écrits de la période, voir notamment F. Grady, « The Generation of 1399 », dans The Letter of the Law. Legal Practice and Literary Production in Medieval England, éd. E. Steiner et C. Barrington, Ithaca, 2002, p. 202-229. 60   « Malheur à celui qui vend le péché pour de l’argent ». Attribué à Robert Grosseteste, évêque de Lincoln au XIIIe siècle et auteur de nombreux ouvrages de toutes sortes. 61   Les Anglais enregistraient la plupart de leurs archives sur des rouleaux de parchemin (rolls).

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So poure thay been and penylees sith the pestilence tyme. Yit is there a paire of pamphilettz of prelatz of the royaulme Yn the bottume of the bagge, how boldely thay ride, Thees persones and thees prebendiers pluralite that hauen, Poperyng on thaire palefrays fro oone place to an other, And lernen to lede ladies and lewed men envien To do al thing as thay do as by thaire deedes proueth. Thay autorisen with argumentz and allegen for thaym That of oon kinde alle came there can no man seye other. Thus leden thay thaire lyves in lustes and in sportes, And spenden on thaire speciales that thay spare shuld For pouraile of thaire parroishens and present to be among thaym Forto salue thaire shepe whenne thay sike were. But how shuld a surgean serue wel his hyre That cometh not in seuene yere to se the sore oones, That they shal not se oon shyne how soutelly thay wirchen. Ve pastoribus. I say not but of sum that suche manieres vsen, For euery wyman that is wise, she wircheth to the beste. And conseilleth al to conscience leste there come happes. Yit is there a copie for comunes of culmes foure and twenty How sum tellen tidingz at home vppon thaire benches, Or elles at eue after souper or erely atte nale, And lyen on the lordz, — lorelles and noon other. Thaire tales been so trouble that tournen men thoughtz; The more that men musen on thaym, the madder thay been after. I mervail but thay mette so how hit might be That thay finde fables and been so ferre fro thens That though thou ride rennyng, and reste but a lite, Fro London forth the long waye to the land-is ende, And comes right from the king-is courte and his cunseil bothe, Fro prelatz vnto peris in pryuete or elles, council peers ; private Yit shal tidingz bee y-tolde tenne dayes ere thou come, That neuer was of worde spoke ne wroughte, as thou shal hire. Lesingz been so light of fote, thay lepen by the skyes, And as swifte as a swalue sheutyng ovte at oones As falsely forgid as though a frere had made thaym. Rumores fuge ne incipias nouus auctor haberi

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rir savoureusement, si pauvres soient-ils devenus depuis le temps des pestilences (1365-1370). Il y a encore dans le fond du sac une paire de pamphlets sur les prélats du royaume, sur la manière dont ils chevauchent fièrement, ces curés et ces prébendiers qui ont des bénéfices multiples, trottant sur leurs palefrois d’un lieu à l’autre, apprenant à conduire les dames et souhaitant faire tout ce que font les laïcs, comme leurs actions le montrent. Ils déclarent avec autorités et exemples à l’appui – et ils le défendent – que tous viennent d’une seule nature et que personne ne peut dire le contraire. Ainsi mènent-ils leurs vies dans les plaisirs et les divertissements et ils dépensent pour leurs maîtresses ce qu’ils devraient garder pour les pauvres de leurs paroisses ; [ils devraient être] présents parmi eux pour guérir leurs brebis quand elles sont malades. Mais comment un chirurgien peut-il bien mériter son salaire s’il ne vient pas voir les blessures [une seule fois] en sept ans. S’ils n’ont pas un regard, comment peuvent-ils travailler subtilement ? Ve pastoribus 62. Je ne parle que de celles qui usent de telles manières et non des femmes qui sont sages, travaillent pour le mieux et exhortent tout le monde à la conscience, pour éviter les mauvaises fortunes (1371-1388). Il y a aussi un registre de vingt-quatre articles pour les communes, sur la manière dont certains évoquent des rumeurs sur les bancs de la maison, le soir après souper ou tôt [autour] d’une bière ; ils mentent sur les seigneurs – ce sont des racailles et rien d’autre. Leurs histoires sont si confuses qu’elles tournent l’esprit des gens ; plus ces derniers y pensent, plus ils deviennent fous. Je m’étonne – à moins qu’ils n’aient rêvé – de la manière dont ils peuvent trouver des fables qui voyagent si loin ; car même si tu chevauches au galop et ne te reposes que très peu sur la longue route qui va de Londres – directement de la cour du roi et de son conseil, des prélats ou des pairs en privé ou ailleurs – au bout du pays, les rumeurs se répandent pourtant dix jours avant que tu n’arrives, sans avoir jamais été [issues] d’une parole prononcée ou écrite, comme tu vas l’entendre. Les mensonges ont le pied si léger qu’ils bondissent dans les cieux ; ils sont aussi rapides qu’une hirondelle s’élançant d’un coup et forgés de manière trompeuse, comme si un frère les avait fabriqués. Rumores fuge ne incipias nouus auctor haberi 63. Puissent62   « Malheur aux pasteurs [qui détruisent et dispersent les troupeaux de mon pâturage] ». Cf. Jérémie 23 : 1. 63   « Évite la rumeur si tu ne veux pas que l’on t’en croie l’auteur ». Cf. Caton, Distiques, I, 12.

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That harde happes mote thay haue that Henry so appeiren, Or any lord of this lande that loueth pees and reste, Though the burne my brother were, I bid hit with my herte. Yit wol thay carpe of the coroune as thay of cunseil were, And ordeyne more in oon houre than other half wintre Al the king-is cunseil couthe wel bringe aboute. Thus mellen thay with matieres to moustre thaire wittes, And grucchen whenne the gadryng is that goeth for vs alle. I seye yf hit be sette so and in suche thinges, Ful ille couthe thay corde with Changwys-is deedes, That conquerid many a cuntre as king withynne hymself ; And how he came to his coroune I shal you kenne sone. The greete God of goodnes that gouuerneth alle thingz, He nempned furst his name to the seuene nacions That were wel nygh destrued and disware of thaire lives And in disease and desperat thorough thaire double intentz. Thaire diuision dide thaym harme (and so hit doeth elleswhere), Omne regnum in se diuisum desolabitur. That thay were sette in seruitute by souurayns of the marches That had y-wonne and y-wastid wel nygh alle the landz. The principalz of this peuple pryuyly by nightz A voice thaym folowed in vision in fourthering of thaymself, And bade thaym coroune Changwys king of al thaire peuple, A eildren man of aunsetrie that aged was a lite. And so the deede was y-do when day and tyme came after And when this Changwys was y-corouned as cronicle of hym telleth, And sette in his se with sceptre on his handes, He stablid two statutz, as storie of hym writeth, I herde neuer harder and yit thay holde were. The furst that he funded to fele trewe hertz And his principal peuple to proue and a-saye, Was that the souurayns of the seuene nacions Shuld sle thayre soones the eldest and thaire hoires; The secund that thay shuld eeke sese hym in hire lande And yelde hit vp in erniste and yeue hit hym for euer, To haue and to holde in his high grace. And as the king commandid accordid thay were, Consentyng to his couetise with crie alle at oones. 1424 principalz] principal. 1425 in vision] by nightes.

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ils expérimenter le malheur, ceux qui ont nui à Henry ou à n’importe quel seigneur de ce pays qui aime la paix et la tranquillité ; quand bien même l’homme serait mon frère, je le souhaite de tout mon cœur64 (1389-1408). Pourtant, ils parlent de la couronne comme s’ils étaient du conseil et décrètent plus de choses en une heure que ce que tout le conseil du roi aurait pu apporter en un demi hiver. Ainsi se mêlentils des problèmes pour faire briller leur esprit, mais ils se plaignent quand arrive la collecte qui s’applique à nous tous. Je dis que si cela s’était produit dans le temps et les circonstances des actes de Gengis, ils s’y seraient mal accordés. Il a conquis de nombreux pays comme un roi, par lui-même et je vais vous enseigner la manière dont il a acquis sa couronne 65. Le grand Dieu de bonté qui gouverne toutes choses a d’abord nommé les sept nations qui furent bien proches d’être détruites et désespérées pour leurs existences ; elles étaient dans la maladie et la détresse à cause de leurs intentions frauduleuses. Omne regnum in se divisum desolabitur66. Leurs divisions leur ont causés tant de mal (et cela se passa ainsi ailleurs) qu’ils furent mis en esclavage par les souverains des marches et que ceux-ci conquirent et ravagèrent une bonne partie du pays. Mais une nuit, en secret, les chefs de ce peuple suivirent une voix [issue] d’une vision, afin de [pouvoir] s’aider ; elle leur instruisit de couronner Gengis roi de tout le peuple – c’était un homme mûr d’une noble lignée et pas trop âgé. Ainsi l’action futelle accomplie quand ce fut le jour et le moment, comme la chronique le dit ; et lorsque ce Gengis fut couronné et assis sur son trône avec le sceptre dans ses mains, il établit deux statuts comme l’histoire l’écrit de lui. Je n’en ai jamais entendu de plus durs, mais ils furent suivis : le premier, qu’il mit en place pour enquêter sur les cœurs fidèles, pour tester et pour examiner les chefs, était que les souverains des sept nations devraient tuer leurs fils, l’aîné et les autres héritiers. Le second [était] qu’ils devaient également lui céder leurs terres, les lui offrir en gage et les lui donner pour toujours, afin d’acquérir et de conserver sa haute grâce. Et comme le roi commandait, ils furent d’accord, consentant tous ensemble à 64   L’auteur fait référence aux rumeurs liées au retour de Richard II, pourtant assassiné après la prise de pouvoir d’Henry IV en 1399-1400. Sur cette question, voir S. Walker, « Rumour, sedition and popular protest in the reign of Henry IV », Past and Present 166, 2000, p. 31-65. 65   L’histoire de Gengis Khan rapportée ici est probablement inspirée des Voyages de Jean de Mandeville (un récit de voyage très populaire du XIVe en France et en Angleterre). Mais les transformations sont très importantes et ont une signification politique complexe. Voir Mairey, Une Angleterre entre rêve et réalité, op. cit., p. 140-142. 66   « Tout royaume qui se divise sera conduit à la désolation ». Cf. Lc 11 : 17 et Mat. 12 : 25.

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Thay sparid not to spille blode that spronge of thaymself, sprang Ne to lose thayre lordship and lande at his wille. Now forto telle trouthe, I trowe hit be no lesing, Who wolde haue griefed for a grote he wold haue grucched there. Thus preued this prince his peuple and thaire hertz, And to feil of thaire fiance ful felly he wroughte; And whenne he wiste that his wil was not encountrid, But that he had thaire hertz al hoole at his wil, He forgafe thaym thaire graunt and goodely thaym thanked. Thenne clepid he to cunseil knightz and other, And wroughte alle with oon wil as wise men shuld, And wanne wisely ayen withynne a while alter The lande and the lordship that thay loste had, And conquerid cuntrees, as Cathay-is lande, That is the richeste royaulme that reyne ouer houeth. Ecce quam bonum et quam iocundum habitare fratres in vnum. Now by Crist that me creed, I can not be-thenke A kindely cause why the comun shuld Contre the king-is wil ne construe his werkes. I carpe not of knightz that cometh for the shires, That the king clepith to cunseil with other; But hit longeth to no laborier the lawe is agayne thaym. And yit hit is y-vsid with vnwise peuple And a-vailleth not a ferthing, but vireth the hertz; That tournen with thaire tales the tente of the tordes, That thay leven the labour the londe to defende, To bisye thaym on the bordures to bete oute oure foes, And maynteyne the marches fro myschief and elles. Thus clappeth the comun and knocketh thaymself, For the tayl of thaire talking teneth thaym ofte. Thou mays lerne that lesson in the nexte lyne, For and thy heede be hurte thy honde wol apeire; And who-so hewe ouer heede though his hoode be on, The spones wol springe oute and spare not the eye. Thay finde many fautes and faillen moste thaymself Of deedes of deuete that thay do shuld. Thay shulde loue loyally the lordz aboute, That thay mighte lerne a lesson of thaire lowe hertz To reule thaym by reason and by right lawe. Thay shuld be reedy to ride and renne at thayre heste For soulde and for siluer as thay might a-serue,

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son désir, d’un cri. Ils ne s’épargnèrent pas de verser le sang de leur propre progéniture ni de perdre leur suzeraineté et leurs terres par sa volonté. Maintenant pour dire la vérité je crois que ce n’est pas un mensonge ; celui qui se serait soucié d’une pièce d’argent aurait beaucoup gémi. Ainsi ce prince testa-t-il son peuple et les cœurs [de ses gens] et il se comporta très cruellement pour essayer leur fidélité ; lorsqu’il sut que sa volonté n’était pas contrariée, mais qu’il tenait complètement leurs cœurs, il leur rendit leurs propriétés et les remercia bien. Il appela alors au conseil les chevaliers et d’autres, et ils travaillèrent tous d’une seule volonté comme les hommes sages le doivent et récupérèrent en peu de temps les terres et la suzeraineté qu’ils avaient perdues ; et ils conquirent [d’autres] contrées – à savoir le pays du Cathay qui est le royaume le plus riche sur lequel tombe la pluie. Ecce quam bonum & quam iocundum habitare fratres in vnum 67 (1409-1457). Vraiment, par le Christ qui m’a créé, je ne peux penser à une cause naturelle pour laquelle les communes devraient contredire la volonté du roi ou interpréter ses actes. Je ne parle pas des chevaliers qui viennent pour les comtés, que le roi appelle à son conseil avec d’autres, mais cela ne peut être le fait d’aucun travailleur – la loi est contre eux. Pourtant, cela est pratiqué par des gens manquant de sagesse, mais n’aide en rien, si ce n’est à enflammer les cœurs. Avec leurs histoires, ils détournent l’attention des seigneurs, ce qui conduit ces derniers à cesser leur travail de défense du pays – s’occuper sur les frontières de battre nos ennemis et maintenir les marches hors du malheur et d’autres choses. Ainsi les communes bavardent-elles et se nuisent-elles à elles-mêmes, car la conclusion de leur discussion les oppresse souvent. Tu peux apprendre cette leçon à la ligne suivante : quand ta tête sera blessée ta main deviendra faible ; et celui qui frappe au-dessus de la tête, même si elle est encapuchonnée, provoquera un jaillissement d’éclats qui n’épargneront pas l’œil. Ils évoquent beaucoup de fautes, mais eux-mêmes échouent souvent dans l’action et l’accomplissement de leur devoir. Ils devraient aimer loyalement leurs seigneurs et ils pourraient apprendre une leçon de leurs vils cœurs, afin d’être gouvernés par la raison et la juste loi. Ils devraient être prêts à chevaucher et accourir à leur commandement en échange d’un paiement et d’argent comme ils le méritent, obéir à leur

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  « Regardez comme il est bon et plaisant pour les frères de vivre dans l’unité ». Cf. Ps. 132 : 1.

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1483 And obeye to thayre bidding and bable no ferther,

Potencioribus pares non esse non possumus. Sapiencia. For suche lewed labbing the lande doeth a-peire. But God of his goodnes graunt thaym to amende, To knowe what thaire kinde is and commenche bityme The cunseille of Changwys and construe no ferther, But loue so oure liege al oure life-dayes That he may leede vs with loue as hymself liketh. There is a scrowe for squyers that a-square walken Whenne a tale is y-tolde, yf hit touche greete That piled han poure men of penys and of goodes; Thay wol neghen no neer but yf thay noye thenke And alleigge for the lord and lawe dovne bere, Leste soulde and thaire seruice cesse al at ones. Thus poure men pleyntz been pledid ful ofte, For reason-is retenue moste reste nedis There robes rehercyn the rightz of the parties. There is a writte of high wil y-write al newe Y-knytte in a cornier of the bagge-ende, And is a courssid couraige and coste-ful bothe That serueth al for souurayns of semblable pouaire; For euer egalite errith and stryueth More thanne the mene man with his more heigher For whenne a matiere is y-moeved among men of goode, Though there happe no harme saue hertz aggreiggid, They stele into strivyng and strien thaym-self And stiren so that stuffure and store doon apeire, And eeke losen thaire good loos with thaire lewed pride, reputation And annoyen thaire neighborowes nyne myle aboute. For euery feithful frend wol funde to helpe And leue there he loueth, for lothe or elles; Suche wilfulnes and wisedame wonen a-sunder. Thou mays baathe on a brooke to the breggurdelle; But passe not the polie forther for peril that foloweth. Ira odium generat concordia nutrit amorem Thus seyeth that oon side, ‘Shule I obeye 1517 Or make amendes or mukyn myself ? 1518 Nay, are I worke suche a worke but my witte faille, 1519 Hit shuld stande right straite with stoone of my howses, 1484 1485 1486 1487 1488 1489 1490 1491 1492 1493 1494 1495 1496 1497 1498 1499 1500 1501 1502 1503 1504 1505 1506 1507 1508 1509 1510 1511 1512 1513 1514 1515 1516

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demande et ne pas babiller plus longtemps. Potencioribus pares (non) esse non possumus. Sapiencia 68. De tels caquetages stupides nuisent au pays. Que Dieu dans sa bonté leur accorde de s’amender afin qu’ils sachent quelle est leur nature et commencent [au plus] tôt [à suivre] le conseil de Gengis sans l’interpréter plus avant ; qu’ils aiment notre seigneur lige tous les jours de leur vie, afin qu’il puisse nous gouverner avec amour, comme cela lui plaît (14581489). Il y a un rouleau pour les écuyers qui marchent au large quand un plaidoyer est prononcé, s’il concerne les grands qui ont pillé de pauvres gens de leurs pences et de leurs biens ; ils ne s’approchent pas plus avant, à moins qu’ils ne causent des troubles et ils fournissent des preuves pour le seigneur et accablent la loi, à moins que leur paiement et leur service ne cesse en même temps ; [ce n’est qu’] ainsi [que] les plaintes des pauvres gens pourront le plus souvent plaidées, car la retenue de la raison doit poser ses besoins quand les juges énumèrent les droits des deux parties69 (1490-1498). Il y a un writ de haute volonté récemment écrit et noué dans un coin au fond du sac70 ; c’est un poivre d’eau, mauvais et très cher, qui sert pour tous les seigneurs de semblable pouvoir  ; car les hommes égaux s’égarent toujours et luttent davantage que les hommes de peu contre leurs supérieurs ; lorsqu’un cas est soulevé parmi les hommes de bien, ils se volent, se querellent et se détruisent eux-mêmes, même s’il n’y a pas eu d’autre dommage que des cœurs exaspérés ; ils agissent de telle manière que les biens et les provisions des maisonnées sont endommagés et ils perdent leur bonne réputation avec leur fierté stupide tout en gênant leurs voisins dans un rayon de neuf miles. Car chaque ami fidèle essaye d’aider et de convaincre là où il est en faveur, pour du mal ou autre chose ; un tel entêtement ne marche pas avec la sagesse. Tu peux te baigner dans le ruisseau jusqu’à la poitrine, mais ne va pas jusqu’à la tête car le danger s’ensuit. Ira odium generat concordia nutrit amorem71 (1499-1515). – Ainsi, comme le dit une partie, devrais-je obéir, faire réparation ou me rabaisser ? Non, avant que je ne fasse une telle chose – à moins que mon esprit ne faillît – cela se tiendra bien droit avec les 68

  « Nous ne pouvons être les égaux des plus puissants ». Cf. Ecclésiastique 8 : 1.   Sur le problème de la corruption de la justice et de son fonctionnement en général, voir Mairey, Une Angleterre entre rêve et réalité, op. cit., p. 167 sq. 70   Voir ci-dessus, note 7, p. 19. 71   « La colère engendre la haine, la concorde nourrit l’amour ». Cf. Caton, Distiques, I, 36. 69

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For leuer thenne to Iowe me while my life dureth I wol do a deede that I dide neuer, Sille for siluer my sherte and my clothes, Or borowe til I begge thenne bowe oones. And I were caste in my cuntre and hit knowe were, I shuld be eschewid and ouer-sette ofte. Ney, 1 wol maynteyne my manhoode, maul-gre that gruccheth, And spare swete spices and spende on my foes’. That other side seyeth right so and the same wordes, As wilde and as wode and as wrothe eeke, And braggeth and bosteth and wol brenne watiers And rather renne in rede blode thenne a-rere oones. Ira requiescit non insanitas mentis ac corporis. Salomon. Thus they blowe as a bore til bothe repente. Hit is no witte, as I wene, to waste so siluer For a woode wil and wretthe in thy herte, And no harme on thy heede in bande ne in goodes, But y-hurte on the hert with a high pride. For suche maniere medling al to many tymes, Though hit gaine in the bigynnyng, hit groweth so aftre That lymes been y-loste and lyfes ful ofte, Superbia generat omnem maliciam vsque ad mortem. Salomon. And eeke hit is no worldly witte, as me thenketh, To toille there no trespas is do to a-countz. But hit semeth to a souurayn that ynnesight lacketh, Whenne his mynde is y-moevid to medle in his ire, That though his grovnde be not goode and he gaste were Or feynte forto folowe but fersse to th’ende, Hit shuld be aretted for reprouf whenne hit were rehercyd, And he y-sette the shorter at shire and a-boute. Suche cursid construyng accombreth the peuple. For contra that conceipt I can make a reason, And a trewe, as I trowe, who-so taketh hede : Whenne rancune the redeth to reere debatz, Or angre at attre arteth thy herte Forto commenche a cause not cleere in the winde, Bowe ere thou breste whenne thou arte bette y-fourmyd, And revle the by reason and renne not to faste, But gife hit vp with good wille whenne thy grovnde failleth, And falle of with fayrenes leste fors the assaille. For yf thou leue are thou ligge thenne wol thy loos springe,

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pierres de mes maisons ; plutôt que de me soumettre pendant que dure ma vie, je ferai quelque chose que je n’ai jamais fait, vendre pour de l’argent ma chemise et mes habits ou emprunter jusqu’à ce que je mendie, avant de m’incliner. Et si j’étais défait dans mon pays et que cela se sache, on me fuirait et je serais souvent en disgrâce. Non, je maintiendrai ma dignité en dépit de ceux qui se plaignent, je donnerai de douces épices et je dépenserai contre mes ennemis. L’autre partie parle de même et [prononce] les mêmes paroles, aussi sauvages que folles et colériques ; elle se vante, fanfaronne et brûle les eaux, et elle s’élancerait dans le sang plutôt que de se retirer. Ira requiescit non in sanitas mentis ac corporis. Salomon 72. Ainsi soufflent-ils comme des sangliers jusqu’à ce que les deux regrettent (1516-1532). Il n’est pas intelligent, je pense, de gaspiller de l’argent pour une folle volonté et de la colère dans ton cœur – il n’y a aucun mal pour ta tête, ta main ou tes biens, mais tu es blessé au cœur avec un grand orgueil. Car trop souvent, s’il y a un gain au début [pour] de telles menées, l’affaire grossit tellement ensuite que des membres sont perdus et aussi, trop souvent, des vies. Superbia generat omnem maliciam usque ad mortem. Salomon73. Il me semble également que ce n’est pas du bon sens que de se disputer là où il n’y a pas d’offense sur des propriétés enregistrées. Or, même si la cause n’est pas bonne, il semble à un seigneur qui manque de perspicacité – lorsque son esprit est remué et engendre sa colère – que s’il ne poursuit pas son cas avec violence jusqu’au bout, on le prendra pour un faible ou un craintif ; cela lui sera reproché lorsque les faits seront énumérés et on le considérera moins bien dans le comté et ailleurs. Un si mauvais raisonnement nuit au peuple. Je peux avancer contre lui un argument, et un véritable, je le crois, si l’on y est attentif : quand la colère te conseille de soulever des disputes ou que l’amertume contraint ton cœur à démarrer une procédure dont le fondement n’est pas clair, incline-toi avant d’éclater une fois que tu es mieux informé, gouverne-toi par la raison et ne cours pas trop vite. Abandonne avec bonne volonté quand ta cause échoue et retire-toi avec grâce de peur que la force ne t’assaille. Car si tu cesses avant d’être défait, ta réputation augmentera ; à moins que ton cas ne soit juste,

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  « La colère ne peut rester dans un corps ou un esprit sain ». Cf. Ecclésiaste 7 : 10.   « L’orgueil engendre le mal, y compris jusqu’à la mort ». Cf. Ecclésiastique 10 : 15.

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But yf thy tale be trewe, to toylle thou hatis. So wol the worde walke with oon and with other And cumforte thy cuntre in cumpas aboute To be nere at thy nede a-nother tyme after, And bilieue loyally, in lawe yf thou were, Or medlist with a matiere, thy mote were trewe, Elles woldes thou not worche on hit longe. There is a raggeman roue that Ragenelle hymself Hath made of mayntennance and motyng of the peuple, Hough thay sheue at sises and sessions aboute, And halen so the hockerope oon halfe agayne other Til the strong steriers and styuest on the heedes Strifen so and streicchen streight adovne the poure. (Gold and good thaym glewith so thay wol not go a-sundre) Til thay haue haled the howslord oute atte halle-dore And drawen hym clene fro his dees ; he dysneth there nomore. This same cursid custume the coroune doeth a-peyre And bringeth a bitter byworde a-brode among the peuple, And is in euery cuntre but a comune tale That yf the pouer playne, though he plede euer And hurleth with his higher hit happeth ofte-tyme That he wircheth al in waste and wynneth but a lite. Thus laboreth the loos among the comune peuple That the wacker in the writte wol haue the wors ende; Hit wol not gayne a goky a grete man forto plede, For lawe lieth muche in lordship sith loyaute was exiled, And poure men pleyntes penylees a-bateth. But Dauid demed not so, I do hit on his bokes. Munera super innocentem non accipies. Yit is there a forelle that I forgate that frayed is a lite, How the fleuble fareth that folowed bee in shires Whenne thay griefen greete, though the guilte be lite. And he haue any hors or elles hedid bestes, He shal be hourled so in high courte and holde so agogge That hym were bettre lose his lande thenne long so be toylid; Suche crokes been y-courid and coloured vnder lawe, To strue a man with strength the statutz been so made. For though men pleede and poursuye and in thaire playntz falle And newe thaym aftre nonsuytes nynetene hunthred, Withoute grovnde or guilte but forto gete a bribe, Yit shal thay haue no harme though thay hurle euer.

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tu dois haïr la dispute. Ainsi la parole marchera avec l’un et avec l’autre et confortera ton domaine dans les régions alentour, qui seront sensibles à tes besoins une autre fois ; et crois loyalement, si tu es mêlé à une procédure ou à une affaire, que ton procès doit être juste ou alors tu n’y travailleras pas longtemps (1533-1565). Il y a un document légal fabriqué par Ragnel74 lui-même sur la maintenance et les litiges du peuple, qui expliquent comment ils75 ont poussé aux assises et aux sessions, et tiré sur les cordes d’un côté et de l’autre, jusqu’à ce que les meneurs et les plus fortes têtes vainquent et tirent à bas les pauvres. L’argent et les biens les unissent tant qu’ils ne peuvent être séparés avant d’avoir arraché le seigneur en dehors de sa maison, au-delà de la porte de la salle et qu’ils l’aient arraché proprement à ses dais ; il ne dîne plus là. Cette même maudite coutume nuit à la couronne et fait courir un proverbe amer parmi le peuple ; c’est une histoire courante dans tous les districts : si le pauvre se plaint alors qu’il plaide toujours et s’il est en litige avec son supérieur – il est fréquent qu’il œuvre en vain et ne gagne rien. Ainsi le bruit se répand-il parmi le commun que la fin écrite dans le writ sera la plus mauvaise pour le faible. Cela ne bénéficie pas à un pauvre de continuer une action contre un riche car le droit ment beaucoup en faveur des seigneurs depuis que la loyauté a été exilée, et les plaintes des pauvres se concluent sans un son. Mais David ne jugeait pas ainsi, je le prouve par ses livres. Munera super innocentem non accipies 76 (1566-1586). Il y a encore une couverture de livre un peu usée sur ce qui arrive au pauvre quand il est poursuivi dans les comtés s’il a offensé les puissants, quelque légère que soit la faute. S’il a des chevaux ou des bêtes à cornes, il sera attaqué devant la haute cour et tenu en suspens ; ce serait mieux pour lui de perdre sa terre que d’être si longtemps en litige. De tels tours sont couverts et camouflés sous la loi et les statuts ont été ainsi faits pour détruire un homme par la force. Car si des hommes engage une action, la poursuivent, échouent dans leurs plaintes, rouvrent des non-lieux neuf cents fois, sans qu’il y ait un fondement ou une faute avérés, grâce à des pots-de-vin, il ne leur arrivera aucun mal, même s’ils luttent tou-

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  C’est-à-dire un démon.   C’est-à-dire les hommes retenus dans le cadre de la maintenance. Voir ci-dessus, note 8, p. 19. 76   « N’accepte pas de pots-de-vin contre les innocents ». Cf. Ps. 14 : 5. 75

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But shuld thay picche and paye at eche pleynte-is ende And compte alle the costz of men of court and elles, And taske al the trespas as trouthe wolde and reason, Thay wolde cesse sum tyme for sheding of thaire siluer. I seye aswel of simple men that suen ayenst grete, And of the poure proute that peyren ofte thaire better, That causelees accusen thaym to king and to the lordz, And chaunge al the chauncellerie and cheuallerie amende And ease be to euery man that been of euene states, And solas be to souurayns and to thaire seruantz alle, And a miracle w meen men that mote lite cunne, Were this oon yere y-vsid as I haue declarid, — That of euery writte withoute wronge there were amendes made, And paye for alle the costes at euery pleynte-is ende And tolle for the trespas as trouthe wolde and reason — The lawe wold like vs wel, and euer the lenger the bettre. But pouaire of prerogatife that poynt hath reseruyd That euery fode haue fredome to folowe vn-y-punysshid. But ciuile seith vs not so that serueth for al peuple That habiteth vndre heuene hethen men and other. And Crist-is lawe-is y-canonized canon, yf thou loke, And eeke the glorious gospelle grovnde of alle lawes, Techeth vs a trewe texte that toucheth this ilke matiere; Nullum malum impunitum. Euangelium. For in my conscience ne in my credo yit couthe I neuer vele But that oure lawe leneth there a lite, as me thenketh. There is a librarie of lordes that losen ofte thaym-self Thorough lickyng of the lordship that to the coroune longeth, And weneth hit be wel y-do but wors dide thay neuer Thenne sith thay gunne that game, I grovnde me on reason. For euery wighte wote wel but yf his witte faille, That hit is holsum forto haue a heede of vs alle, That is a king y-corouned to kepe vs vnder lawe, To put vs into prisone whenne we passe boundes. For but we had a souurayn to sette vs into reste, Thees rechelees renkes wolde renne on eche other. Thenne of fyne fors hit foloweth, as me thenketh, That a certayne substance shuld be ordeynid To susteyne this souurayn that shuld vs gouerne.

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jours. Mais s’ils devaient contribuer et payer lors de chaque conclusion de cas, s’ils devaient compter tous les coûts des hommes de cour et d’ailleurs et taxer toutes les violations, comme la vérité et la raison le veulent, ils cesseraient quelques temps de dépenser leur argent. Je dis la même chose des hommes simples qui poursuivent les grands et des pauvres orgueilleux qui injurient souvent ceux qui leur sont supérieurs, qui les accusent sans cause devant le roi et les seigneurs en parlement, que je le fais des ducs qui usent de telles pratiques  ; car les seigneurs et les laboureurs ne sont pas semblables en ce qu’ils peuvent dépenser. Cela pacifierait le peuple et diminuerait le nombre de plaintes, transformerait toute la chancellerie et réformerait la chevalerie. Ce serait une facilité pour tous les hommes d’états égaux, un soulagement pour les souverains et leurs serviteurs et un miracle pour les pauvres qui connaissent peu de choses des procès, si ce que j’ai proposé était appliqué pendant un an – [à savoir] que des amendes soient exigées pour chaque writ inutile, que tous les coûts soient payés à chaque conclusion de cas et que l’on paye pour le délit, comme la vérité et la raison le veulent. La loi serait bien plaisante ainsi, et le plus longtemps serait le mieux. Mais le pouvoir de prérogative a retenu que chaque homme a la liberté de poursuivre [quelque chose] d’impuni. Le droit civil, qui sert pour tous les gens qui habitent sous le ciel – les païens et les autres – ne dit pas cela. De même, si tu y prêtes attention, la loi du Christ qui fait du droit canon une autorité ainsi que le glorieux évangile, fondement de toutes les lois, nous enseignent un véritable texte qui concerne cette même matière Nullum malum impunitum ; et je ne pourrais jamais sentir autrement en ma conscience ou ma croyance : notre loi est un peu biaisée, je le pense (1587-1623). Il y a [toute] une bibliothèque sur les seigneurs qui se détruisent souvent eux-mêmes en violant la souveraineté qui appartient à la couronne ; ils pensent que cela est bien fait, mais ils n’ont jamais fait pire que depuis qu’ils ont commencé ce jeu, je me fonde sur la raison. Chaque homme sait bien, à moins que ses esprits ne lui fassent défaut, qu’il est salutaire d’avoir une tête au-dessus de nous tous, un roi couronné pour nous garder dans la loi et pour nous mettre en prison quand nous passons les bornes. Car si nous n’avions pas un souverain pour nous garder en paix, ces hommes irresponsables courraient les uns contre les autres. Il vient donc d’une juste force, il me semble, qu’une certaine substance doit être ordonnée pour soutenir ce souverain qui doit nous gouverner. Je sais bien

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And so I wote wel hit was atte furst tyme, But now hit is bynome hym th’olde and the newe, Not-withstanding statutz fui strattely y-made To stable many stablementz and strong lawes make. But execucion falle what may hit availle Ne more thenne the mose may or the maij floures To breke dovne bastiles that beste is y-made ? Hit is as dede as a dore nayle, though the dome come after, Withoute execucion thees wise men hit knoweth. Thees knightz of the conseil that nygh the king dwellen, And eeke lordz y-lettred of oone lawe and other, Forto kepe his coroune fro couetous peuple Han pulled thaymself the peres right to the pere stalke, And lickid so the leves he hath the leste dele, For thay holden of his honour halfendele and more. This was grovnde and bigynnyng of gurdyng of heedes, And eeke more of mourdre and many-folde wronges That han y-falle for foly withynne thees fourty wintre. For th’egre enuye that eche had to other Dide thaym preece to be pryvy and put aweye the beste, But muche more for the mede to make thaym-self riche Thenne to cunseille the king of the comune wele Or for any deue dome or defence of the royaulme. This same cursid custume oure coroune hath a-payred, And cause is most that comunes collectours haten, For nedis moste oure liege lord like his estat Haue for his houshold and for his haynous werres To maynteyne his manhoode there may no man seye other, But of his owen were the beste, who-so couthe hit bringge; To lyve vppon his laboriers, hit may not long indure. Whenne hit is haled al awey thenne is wo the nexte To you that shullen siluer to solue thenne were tyme. For trusteth right treuly, talke what men liketh, And wendith and trendith twys in oon wike, And clepith to your cunseil copes and other, And pleyne atte parlement, but yf the deede prouue That the coroune in his kinde come ynne agaynes, Clene in his cumpas with croppes and braunches, Lite and a lite, right as the lawe asketh, Wel mowe we wilne and wisshe what vs liketh And eeke waite after welthe but as my witte demeth,

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que c’était ainsi à un moment, mais de nos jours, il est privé de l’ancien et du nouveau pour maintenir de nombreuses ordonnances et de fortes lois, malgré l’existence de stricts statuts. À moins que les lois ne soient appliquées, peuvent-elles servir plus que la mousse ou les fleurs de mai pour détruire des tours fort bien faites ? Elles ne valent rien sans l’exécution, bien que le jugement vienne ensuite, ces hommes sages le savent bien. Ces chevaliers du conseil qui se tiennent proches du roi, et aussi les seigneurs érudits dans les deux lois, ont tiré les pêches à eux jusqu’à la queue et ont tant sucé les feuilles que le roi en a la moindre part, alors qu’ils devraient protéger sa couronne des gens cupides ; ils tiennent la moitié et plus de son honneur. Cela a été le fondement et le commencement des décapitations, et aussi de plus de meurtres et de nombreux crimes qui ont eu lieu à cause de la folie ces quarante dernières années. Car l’envie avide des uns par rapport aux autres les ont fait se presser d’être secrets et de mettre le meilleur de côté ; mais [ce fut] bien plus pour la récompense de devenir eux-mêmes riches que pour conseiller le roi sur le bien commun, pour juger de manière appropriée ou pour défendre le royaume. Cette maudite coutume a affaibli la couronne et a conduit les communes à haïr les collecteurs. Par nécessité, notre seigneur lige doit avoir [ce qu’il faut] pour sa maisonnée et pour ses guerres atroces, ainsi que pour maintenir sa dignité, comme son état [le requiert] ; personne ne peut parler autrement. Mais c’est de ses biens que cela devrait provenir ; vivre sur ses travailleurs, cela ne peut plus durer. Quand cela est emporté au loin, alors vient le malheur ; pour toi qui dois de l’argent, il sera alors temps de payer. Car crois-le bien, les gens aiment raconter, tourner et tortiller deux fois par semaine, en appeler à ton conseil des clercs et d’autres ou se plaindre en parlement ; mais si les actes ne montrent que pas que la couronne revient à nouveau dans sa nature, brillante dans son cercle avec du feuillage et des branches, petit à petit comme la loi le demande, nous pouvons bien vouloir et désirer ce qui nous plaît, et attendre notre

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Oure wynnyng and worship wol be the lasse With knight and with comune til the king haue Alle hoole in his hande that he haue oughte. There is a copie of couetise, how conscience is revled Whenne he hath gadrid a greete bagge and good at his wil, And wrongfully y-wonne hit thorough wiles of his hert, And is y-runne in riches thorough ryfling of the peuple, He maketh maisons deu therewith whenne he may live no lenger; But while he had power of the penyes the poure had but lite. Hit is a high holynes and grete helth to the soule, A man to lyue in lustes alle his life-dayes And haue no pitie on the poure, ne parte with thaym nother, But holde hit euer in his hande till the herte breke. But thenne he shapeth for the soule whenne the sunne is dovne, But while the day durid he delte but a lite; Now muche moste his merite be that mendeth so the poure, That gifeth his good for God-is sake whenne his goste is passed. There is a title of a testament that I tolde neuer, How pryuyly thay been provid and y-put a-side, For so the siluer be y-soluid for the seel of th’office And the feis alle y-funge thay folden thaym to-gedre And casten thaym in a coffre leste thay copied were, And sith thay seure thaym by thaymself and seyen thees wordes: ‘Hit is no wisedame forto wake Warrok while he slepeth’ For though a quynzieme were y-quethe oon quitance shal be geven Though executours after-warde execute hit neuer, And do noght for the dede as I do whenne I slepe. And yit thay seyen for thaymsilf right a subtile reason : ‘Why shuld we dele for the dede ? He dide not while he mighte. He made vs in his mynde among alle his frendes To be his trewe attourneys and treete for his debtes, For so that they haue halfendele thay mowe thaym holde content. Yit wol not the good go so ferre so mote we grovnde oure tale, For I wol seye for myself, seye thou whenne the liketh, Yf we do as he dude, may no man deme vs yuel, Ne rightfully by reason reproue vs here-after. He was bothe ware and wise while he was on live, And me lust not be lewed leste I fare the wors.

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profit. Comme mon esprit le juge, notre profit et notre louange seront moindres avec les chevaliers et les communes tant que le roi n’a pas tout ce qu’il devrait avoir dans sa main (1624-1680). Il y a une copie sur Convoitise, sur la manière dont sa conscience est gouvernée quand il a rassemblé un grand sac et des biens selon sa volonté, qu’il a frauduleusement gagné tout cela grâce aux tromperies de son cœur et qu’il s’élance dans la richesse en volant le peuple ; il fait des maisons dieux quand il n’en a plus pour longtemps à vivre, mais tant qu’il a le pouvoir des pièces, le pauvre n’a pas grand-chose. C’est une grande sainteté et un grand bien pour l’âme, [que celles d’]un homme qui vit toute sa vie dans les plaisirs, n’a aucune pitié des pauvres, ne partage rien avec eux et tient toujours cela dans sa main jusqu’à ce que le cœur se brise. Il fait des provisions pour son âme quand le soleil décline, mais pendant que le jour dure, il ne donne pas grand-chose ; combien grand doit être son mérite, à celui qui bénéficie ainsi au pauvre – en donnant ses biens pour l’amour de Dieu quand son esprit est parti (1681-1694). Il y a une section d’un testament dont je n’ai jamais parlé, sur la manière dont il a été approuvé et mis de côté subrepticement ; ainsi l’argent a été payé pour le sceau de l’office et ils77 ont plié en deux les honoraires reçus et les ont jetés dans un coffre de peur qu’ils ne soient copiés ; depuis ils s’assurent eux-mêmes et disent ces mots : « ce n’est pas sage de réveiller Warrock quand il dort ». Car bien qu’un quinzième ait été légué et un reçu donné, les exécuteurs n’appliquent jamais [ces dispositions] et ne font pas plus pour le mort que ce que je fais en dormant. Cependant, ils se donnent à euxmêmes une raison subtile : – Pourquoi devrions-nous faire l’aumône pour le mort ? Il ne l’a pas fait quand il le pouvait. Dans son esprit, il a fait de nous, parmi tous ses amis, ses vrais agents pour négocier ses dettes ; aussi longtemps qu’ils ont la moitié [de ce qu’ils devraient avoir], ils devraient être contents. Pourtant le bien ne va pas si loin et nous devons fonder notre opinion ; on peut dire pour nous ce que tu peux dire quand il te plaît : si nous faisons comme il a fait, personne ne peut mal nous juger, ni nous réprouver légalement et justement par la raison. Il était à la fois prudent et astucieux quand il était en vie, et nous ne désirons pas être stupides de peur que cela ne tourne

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  Les exécuteurs testamentaires.

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His custume was to kepe his good so lete vs kepe hit eeke, And thenne after oure deeth day lete dele for vs alle For oure executours aftre vs shal haue the same charge.’ Thus thay chiden with charite and chacheth eche other, That til the day of dome the dele is not parfourmid. Yit is there a poynt of prophecie how the peuple construeth And museth on the meruailles that Merlyn dide deuyse, And redith as right as the Ram is hornyd, As helpe me the high God, I holde thaym halfe a-masid. For there nys wight in this world that wote bifore eue How the winde and the wedre wol wirche on the morowe, Ne noon so cunnyng a clerc that construe wel couthe Ere sunneday seuenyght what shal falle. Thus thay muse on the mase on mone and on sterres Til heedes been hewe of and hoppe on the grene, And al the wide world wondre on thaire workes. Yit sawe I there a cedule soutelly indited With tuly silke intachid right atte rolle-is ende, Y-write ful of wordes of woundres that han falle, And fele-folde ferlees wythynne thees fewe yeris, By cause that the clergie and knighthoode to-gedre Been not knytte in conscience as Crist dide thaym stable. For who so loketh on the lawe may lerne, yf hym like, Thayre ordre and office and how thay ought wyrche. For thay folowe no foote of thaire forne-fadres, I do hit on thaire deeth-day, and deme no ferther, For seurly sumtyme I sawe hit not late Yn cronicle of clercz and kingz lygnees How prelatz of prouinces pride moste hatid For the theme that thay taughte was tachid on thaire hertz. Thay] preched the peuple and prouyd hit thaymself And were lanternes to lewed men to lyve thaym after. Thay p]ourchachid no prelacies with prince nother elles Thorough preyer ne povndes but thorough proufe of thayre workes.

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mal. Sa coutume était de garder son bien, alors gardons-le aussi, et puis après notre mort, qu’il soit distribué pour nous tous, car nos exécuteurs après nous aurons le même mandat. Ainsi grondent-ils contre la charité et se persécutent-ils les uns les autres, et du coup, au jour du jugement, l’aumône n’est pas distribuée (1695-1720). Il y a encore le thème d’une prophétie sur la manière dont les gens interprètent et méditent les merveilles que Merlin a imaginées et qu’ils lisent aussi directement que le Bélier est orné78 ; que m’aide le grand Dieu, je les tiens pour à moitié fous. Car il n’y a aucun homme dans ce monde qui n’ait su avant le soir comment le vent et le temps se comporteraient le matin, ni aucun clerc si habile qu’il puisse bien interpréter ce qui arriverait une semaine avant le dimanche. Ainsi réfléchissent-ils dans la confusion sur la lune et les étoiles jusqu’à ce que les têtes aient été coupées et tranchées dans le champ, et le large monde s’interroge sur leurs œuvres (17211731). J’ai encore vu une annexe subtilement écrite avec de l’encre rouge, bien attachée à la fin d’un rouleau, remplie d’écrits sur des étrangetés qui se sont produites et sur de nombreuses merveilles de ces dernières années, parce que le clergé et la chevalerie ensemble n’étaient pas liés à leur conscience comme le Christ l’a établi. Celui qui regarde la Loi peut apprendre, si cela lui plaît, leur ordre et leur office et comment ils devraient se comporter. Car ils ne suivent pas les traces de leurs aïeux, je le dis sur le jour de leur mort sans en juger plus avant ; en vérité, j’ai vu parfois, récemment, dans les chroniques des clercs et des lignées des rois comment les prélats des provinces haïssaient l’orgueil car le thème qu’ils enseignaient étaient attachés à leur cœur. Ce qu’ils prêchaient aux gens, ils le montraient eux-mêmes et ils étaient des lumières pour les ignorants afin que ces derniers vivent selon leur exemple. Ils n’achetaient aucune nomination d’un prince ou d’un d’autre, par leurs prières ou de l’argent, mais par la preuve de leurs actes… (1732-1749)

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  Les prophéties étaient courantes en Angleterre, souvent utilisées à des fins politiques. Cf. L. A. Coote, Prophecy and Public Affairs in Later Medieval England, York, 2000.

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Thomas Hoccleve Prologue du Regimen des princes On ne connaît rien des origines de Thomas Hoccleve (vers 1367-1426), mais on sait qu’il a été pratiquement toute sa vie clerc à l’office du Sceau Privé du roi, institution où les lettres et les décisions du roi et du Conseil étaient mises au net et authentifiées par le Sceau privé avant d’être envoyés à leurs destinataires (pour les lettres) ou aux autres administrations (pour les décisions). Hoccleve était donc un scribe gouvernemental et de ce fait proche des milieux de pouvoirs, même s’il n’était pas lui-même un homme de pouvoir. En plus de cette activité, Hoccleve a beaucoup écrit, notamment pour de puissants patrons laïcs, uniquement en anglais. Son œuvre est variée et va de poèmes dévotionnels et de textes « autobiographiques » (avec les guillemets d’usage) aux ballades politiques. Mais son grand œuvre est le Regement of Princes, un long poème de plus de 5000 vers, affilié au genre des miroirs au prince1. Ce texte a été composé vers 1410-1411 pour le prince Henry, qui ne sera Ve du nom que l’année suivante mais qui possède alors un pouvoir politique considérable. Le Regement a connu une grande popularité : près de 50 manuscrits subsistent, dont la plupart étaient en possession de membres de la noblesse ou de la gentry. Le Regement a parfois été qualifié d’ouvrage de propagande imitant servilement ses sources, toutes des best-sellers de l’époque – le De Regimine principum de Gilles de Rome, les Echecs moralisés de Jacques de Cessoles et le Secretum secretorum du pseudo-Aristote. De fait, il est clair que de nombreux passages réaffirment la légitimité des Lancastre et de leur politique, y compris sur le plan religieux. Mais la réalité est un peu plus complexe. Le texte est en fait composé de deux parties, pratiquement égales en longueur. La deuxième partie constitue le miroir proprement dit, dans laquelle Hoccleve présente les vertus nécessaires à un bon prince en les illustrant par des exempla, des histoires édifiantes, reprises de ses différentes sources, mais adaptées et souvent nuancés. Mais c’est la première partie, généralement qualifiée de prologue, qui est ici proposée en traduction. Elle est constituée par un long dialogue entre le narrateur – qui se présente comme étant Hoccleve lui-même – et un vieil homme dont on ne connaît pas le nom, qu’il a rencontré alors qu’il errait, hagard, dans la ville. Le narrateur est en effet malheureux parce qu’il ne gagne pas correctement sa vie et qu’il est inquiet pour ses vieux jours. Le vieil homme tente de le réconforter, et ce dialogue devient le lieu d’une réflexion sur nombre de sujets politiques, sociaux et aussi religieux. Finalement, il conseille au narrateur d’écrire un miroir pour le prince Henry qui saura, dit-il, l’écouter. Ce texte est donc marqué par l’imbrication constante entre d’une part les préoccupations individuelles du narrateur, marquées par son angoisse qui le conduit à écrire un texte qui est autant une forme de pétition pour son prince qu’un miroir, et d’autre part ses préoccupations constantes pour le bon gouvernement2. 1

  Le texte a été édité récemment par Charles Blyth (Kalamazoo, 1999) et se trouve en ligne sur le site de TEAMS (http://www.lib.rochester.edu/camelot/teams/hoccint.htm).   Sur les conceptions politiques et la réception du texte, voir N. Perkins, Hoccleve’s Regement of Princes : Counsel and Constraint, Cambridge, 2001.

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The Regement of Princes. Heere begynnyth the Book how Pryncys sholden be governyd. 1 1 2 3 4 6 7

Mvsyng vpon the restles bisynesse Which that this troubly world hath ay on honde, That othir thyng than fruyt of byttirnesse Ne yeldeth nought, as I can vndirstonde, 5 At Chestre ynnë, right fast be the stronde, As I lay in my bed vp-on a nyght, Thought me bereft of sleep with force and myght. 2

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And many a day and nyght that wykked hyne Haddë beforn vexid my poorë goost 10 So grevously, that of anguysh and pyne No richere man was nougher in no coost; This dar I seyn, may no wight make his boost That he with thought was bettir than I aqveynted, For to the deth it wel nigh hath me feynted. 3 15 Bysily in my mynde I gan revolue

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The welthe onsure of everye creature, How lightly that ffortune it can dissolue, Whan that hir lyst that it no lenger dure; And of the brotylnesse of hyre nature, 20 My tremlyng hert so gretë gastnesse hadde, That my spiritis were of my lyfë sadde. 4

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Me fel to mynde how that, not long ago, ffortunës strok doun threst estaat royal Into myscheef; and I took heed also 25 Of many anothir lord that had a fall; In mene estaat eek sikernesse at all Ne saw I noon; but I sey attë laste,

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Méditant sur le trouble infini dans lequel ce monde s’agite continuellement et qui ne produit rien d’autre que le fruit de l’amertume, à ce qui me semble, je reposai sur mon lit une nuit, à l’auberge de Chester, juste à côté de la Strand3 ; et Accablement me privait de la force et du pouvoir du sommeil. Nombreux étaient les jours et les nuits où cette cruelle personne avait déjà fait souffrir mon pauvre esprit, si durement que personne, nulle part, n’était plus riche d’angoisse et de tourment. J’ose le dire, que personne ne se vante d’être mieux que moi accointé avec Accablement, car il m’aura épuisé presque jusqu’à la mort. L’esprit préoccupé, j’ai sans cesse réfléchi au bien-être incertain de chaque créature et sur la manière dont Fortune peut si facilement le défaire ; il prend fin lorsque c’est son plaisir, et mon cœur tremble de la fragilité de sa nature avec une si grande terreur que mes esprits vitaux s’affaiblissent (1-21). Il me revint à l’esprit que, voici peu, Fortune a frappé et plongé un royal état dans le malheur4  ; je prêtai également attention à la chute de nombreux autres seigneurs. Dans les états inférieurs, je ne vis pas plus d’assurances mais finalement, 3

  Sur les rapports d’Hoccleve et de Londres, et plus généralement sur l’angoisse de ce dernier, voir L. Patterson, « What is me ? : Self and Society in the poetry of Thomas Hoccleve », Studies in the Age of Chaucer 23, 2001, p. 437-470. 4   Hoccleve fait sans doute référence au destin de Richard II, déposé en 1399 par le père du prince Henry, Henry IV de Lancastre.

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Wher sëwrte, for to abyde, hir caste. 5

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Yn poore estaat sche pyght hir paviloun, 30 To covere hire from the storm of descendyng;

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For [that] sche kneew no lowere discencion, Save oonly deth, fro which no wight lyvyng Defendyn hym may; and thus, in my musyng, I destitut was of joye and good hope, 35 And to myn esë no thyng koude I groope. 6

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For right as blyvë ran it in my thought, Though I be poore, yet som what leese I may; Than deemed I that seurëte would nought With me abyde, it is nought to hir pay, 40 Ther to soiurne as sche descendë may; And thus vnsikir of my smal lyfloode, Thought leyd on me full many an hevy loode. 7

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I thought eek, if I in-to povert creepe, Than am I entred in-to sykirnesse; 45 But swich seurete myght I ay wayle and weepe, ffor poverte breedeth but hevynesse. Allas! wher is this worldis stabilnesse? Heer vp, heer doun; heer honour, heer repreef; Now hool, now seek; now bounte, now myscheef. 8 Boecius de consolatione Philosophiæ; maximum genus infortunii est, fuisse felicem &c. 50 And whan I haddë rolled vp and doun

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This worldës stormy wawës in my mynde, I seey weel povert was exclusïon Of all weelfarë regnyng in mankynde; And how in bookës thus I wryten fynde, 55 “The werstë kynde of wrecchednessë is, A man to havë been weelfull or this.”

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je sus où la stabilité jetait son dévolu. Elle dressait son pavillon dans l’état de pauvreté pour se protéger des tempêtes descendantes, car elle savait qu’on ne pouvait descendre plus bas [que dans la pauvreté], sauf dans la mort, contre laquelle aucun être vivant ne peut se défendre. Ainsi étaisje privé dans ma réflexion de joie et de bon espoir, et je ne pouvais rien saisir pour m’apaiser (22-35). Car aussi promptement que surgissait dans mes pensées le fait que, bien que pauvre, je puisse être soulagé, alors je jugeai que la stabilité ne resterait pas avec moi. Ce n’était point son plaisir que de séjourner là où elle pouvait descendre. Aussi, peu assuré que j’étais par mon petit revenu, Accablement posait sur moi un lourd fardeau. Je songeai de plus que, si je glissais dans la pauvreté, j’entrerais dans la constance, mais en me lamentant et en pleurant toujours sur une telle stabilité ; car la pauvreté ne nourrit rien d’autre que du malheur. Hélas, où est la constance de ce monde ? Ici en haut, là en bas ; ici l’honneur, là, la réprobation ; ici la santé, là, la maladie ; ici la bonté, là, le mal (36-49). Et après avoir tourné et retourné dans mon esprit les vagues tempétueuses de ce monde, j’ai bien vu que la pauvreté est l’exclusion de tout bien être régnant dans l’humanité ; et j’ai trouvé cela écrit dans les livres : « La pire sorte de malheur pour un homme est d’avoir été heureux avant

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“Allas!” þoghte I, “what sykirnesse ys þat To lyue ay seur of greef and of nuisaunce? What schal I do? best is I stryuë nat 60 Agayne þe pays of fortunës balaunce; ffor wele I wote, þat hir brotel constaunce, A wyght no whilë suffer can soiourne In a plyt; þus nat wiste I how to torne. 10

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ffor whan a man weneþ stond most constant, 65 Þan is he nextë to his ouer throwyng;

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So flyttyng is sche, and so wariant, Ther is no trust vp-on hir fair lawhyng; After glad loue sche schapiþ hir to styng; I was a-drad so of hir gerynesse, 70 That my lif was but a dedly gladnesse.” 11

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Thus ilkë nyught I walwyd to and fro, Sekyng restë; but, certeynly sche Appeerid noght, for þoght, my crewel fo, Chaced hadde hir & slepe a-way fro me; 75 And for I schuldë not a-lonë be, Agayn my luste, Wach profrid his seruise, And I admittid hym in heuy wyse. 12

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So long a nyught ne felde I neuer non, As was þat samë to my iugëment; 80 Who so þat thoghty is, is wo-be-gon; Þe þoghtful wight is vessel of turment, Þer nys no greef to him equipolent; He graueþ deppest of seekenesses alle; fful wo is him þat in swich thoght is falle. 13 85 What whyght þat inly pensif is, I trowe,

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His moste desire is to be solitarie; Þat þis is soþ, in my persone I knowe, ffor euere whil þat fretynge aduersarie

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cela »5. Hélas, pensais-je, quelle constance est-ce là, que de vivre pour toujours [en étant] certain du malheur et de l’affliction ? Que pourrais-je faire ? Le mieux est de ne pas combattre le poids de la balance de Fortune, car je sais bien que personne ne peut toujours endurer sa fragile constance, ni un séjour dans le même état ; mais je ne sais comment me retourner. Car c’est lorsqu’un homme pense se tenir dans la constance qu’il est au plus proche de sa chute. [Fortune] est si changeante et si variable qu’on ne peut se fier à son beau sourire ; après un regard content, elle se prépare à frapper6. J’avais si peur de ses effrayants caprices, que ma vie n’était rien d’autre que mortelle réjouissance (50-70). Cette nuit-là, je m’agitai sans cesse en cherchant le repos ; mais il n’apparut pas, sans doute parce qu’Accablement, mon cruel ennemi, l’avait chassé, ainsi que mon sommeil. Et pour que je ne sois pas seul, il avait proposé ses services et je l’avais admis avec peine. Je n’avais jamais ressenti une nuit aussi longue que celle-ci, me semblait-il. Pour celui qui est anxieux, débute le malheur ; l’homme angoissé est le vaisseau du tourment. Il n’y a pas pour lui de malheur équivalent. Il creuse au plus profond de toutes les maladies : complet est le malheur de celui qui est tombé dans un tel accablement. Le plus grand désir de l’homme qui est intérieurement angoissé est d’être solitaire. C’est la vérité, je le sais bien en personne. Car chaque fois que 5

  Cf. Boèce, De Consolatione II, iv. La citation en latin est notée en marge avec la référence à Boèce : Boicius de consolatione : Maximum genus infortunii est fuisse felicem. Selon Charles Blyth, les gloses marginales sont sans doute l’œuvre d’Hoccleve. 6   Le thème des changements dans le cadre de l’allégorie de la Fortune est très développé au Moyen Âge. Voir J.C. Freikes, The Fate of Fortune in the early Middle Ages : the Boethian tradition, Leiden et New York, 1988.

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Myn hert[e] madë to hym tributarie, 90 In sowkynge of þe fresschest of my blod,

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To sorwe soule, me thoght it dide me good. Vnde Marcialis Cocus: Ille dolet vere qui sine teste dolet. 14

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ffor þe nature of heuynesse is þis: If it haboundë gretly in a wight, 95 Þe place eschewit he where as ioye is, ffor ioye & he not mowe accorde a-ryght; As discordant as day is vn-to nyught, And honur, aduersarie is vn-to schame, Is heuynessë so to ioye and game. 15 100 Whan to þe þoghtful whiȝt is tolde a tale,

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He heeriþ it as þogh he þennës were; Hys heuy thoghtës hym so plukke & hale Hyder and þedir, and hym greue & dere, Þat hys erës auayle hym nat a pere; 105 He vnderstondeþ no þing what men seye, So ben his wyttës fer gon hem to pleye. 16

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Þe smert of þoght, I by experience knowe as wel as any man doþ lyuynge; His frosty swoot & fyry hote feruence, 110 And troubly dremës, drempt al in wakynge, My mayzed heed sleeplees han of konnynge, And wyt dispoylyd, & so me be-iapyd, Þat after deþ ful often haue I gapid. [HOCCLEVE’S MEETING AND DIALOGUE WITH AN OLD BEGGAR.] 17

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Passe ouer whanne þis stormy nyght was gon, 115 And day gan at my wyndowe in to prye,

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I roos me vp, for bootë fonde I non In myn vnresty bed lenger to lye; In-to þe feld I dressed me in hye,

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mon adversaire mord, mon cœur lui paye tribut en l’arrosant de mon sang fraîchement versé. Et il me semble alors que me lamenter en solitaire me fait du bien (7192). Car la nature du mal est la suivante : s’il abonde grandement chez un homme, ce dernier évite les lieux de joie, car elle et lui ne peuvent bien s’accorder. Aussi dissonant que le jour pour la nuit, aussi contraire que l’honneur pour la honte, ainsi est l’angoisse pour la joie et le jeu. Lorsqu’une histoire est dite à l’homme anxieux, il l’entend mais en restant distant  ; ses sombres pensées le tirent et le traînent dans tous les sens, pèsent sur lui et le blessent tant que ses oreilles ne lui sont pas de plus d’utilité qu’une poire. Il ne comprend rien à ce qu’on lui dit, car son esprit, pour se divertir, est parti loin de là. Je connais par expérience la piqûre d’Accablement, aussi bien que n’importe quel homme vivant sa vie : ses sueurs froides et sa ferveur brûlante, ses rêves troubles rêvés durant l’éveil. Ma tête confuse connaît le manque de sommeil, mon esprit est troublé et je suis tant piégé que j’aspire souvent à la mort (93-113). Mais passons. Lorsque cette nuit de tourment fut passée et que le jour pointa à ma fenêtre, je me levai ; car je ne trouvai aucun avantage à rester plus longtemps étendu sur mon lit, sans repos. Je me préparai en hâte pour [aller] dans le champ et

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And in my wo, y herte-depe gan wade, 120 As he þat was bareyne of þoghtës glade.

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By þat I walkyd hadde a certeine tyme, Were it an houre, I not or more or lesse, A poore olde horë man cam walkyng by me, And seydë, “good day, syre, & god yow blysse!” 125 But I no word; for my seekly distresse ffor-bad myn eres vsen hire office, ffor which þis olde man helde me lewed & nyce, 19

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Tyl he tooke hedë to my drery chere, And to my deedly colour pale & wan; 130 Thanne thoghte he þus:—þis man þat I se here, Al wrong is wrestid, by oght þat I se can: He sterte vp to me, & seyde, “scleepys þou, man? Awake!” & gan me schakë wonder faste, And with a sigh I answerde attë laste. (Hoccleve and Beggar.) 135 “A! who is þer?” “I,” quod þis oldë greye,

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“Am heer,” & he me toldë the manere How he spak to me, as ye herd me seye; “O man,” quoþ I, “for cristës louë dere, If þat þou wolt aght done at my preyere, 140 As go þi way, talkë to me no more, Þi wordës al annoyen me ful sore; (Hoccleve and Beggar.)

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“Voydë fro me; me list no compaignye; Encressë noght my grife; I haue I-now.” “My sone, hast þou good lust þi sorwe drye, 145 And mayst releuëd be? what man art þou? Wirke after me! it schal be for þi prow; Þou nart but ȝong, and hast but litel seen, And ful seelde is, þat ȝong folk wysë been.

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je m’en allai le cœur lourd, dans mon malheur, tel celui qui va dépourvu d’heureuses pensées. Je marchai alors un certain temps – une heure ou plus ou moins je ne sais – quand un pauvre vieillard aux cheveux gris vint marcher à mes côtés et me dit : – Bonjour, sire, et que Dieu vous bénisse ! Mais je ne répondis pas, car ma détresse maladive empêchait mes oreilles de remplir leur office. Pour cette raison, le vieil homme pensa que j’étais stupide et fou, avant de noter ma triste expression, ainsi que mes pâles et ternes couleurs de mort. Alors, il pensa ainsi : « Cet homme que je vois là, est tout retourné par le mal, à ce que je comprends ». Il bondit vers moi et me dit : – Dors-tu, l’ami ? Réveille-toi ! Et il me secoua si fort que je répondis enfin, avec un soupir : – Ah, qui est là ? – Moi, dit ce vieil homme, je suis là. Et il me raconta comment il m’avait parlé, comme vous m’avez entendu le dire (114137). – Ô l’ami, dis-je, pour le cher amour du Christ, si tu veux faire quelque chose à ma prière, alors passe ton chemin et ne me parle plus ; tes paroles me troublent bien trop durement. Evite-moi, car aucune compagnie ne me plaît ; n’accrois pas ma douleur, j’en ai suffisamment. – Mon fils, n’as-tu pas quelque bon désir d’assécher ta tristesse et d’en être soulagé ? Marche avec moi, ce sera à ton avantage. Tu en encore jeune et tu n’as pas encore vu grand chose  ; et il est bien rare que les jeunes gens soient sages. S’il te plaisait

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(Hoccleve and Beggar.) 149

“If þat þe likë to ben esyd wel, 150 As suffre me with þe to talke a whyle.

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Art þou aght lettred?” “ya,” quod I, “som dele.” “Blissed be god! þan hope I, by seint Gyle, Þat god to þe þi wit schal reconsyle, Which þat me þinkeþ is fer fro þe went, 155 Þorgh þe assent of þi greuouse turment. (Beggar.)

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“Lettered folk han gretter discrecioun, And bet conceyuë konne a mannes saw, And raþer wole applië to resoun And from folyë soner hem with-draw, 160 Þan he þat noþer reson can, ne law, Ne lerned haþ no maner of lettrure: Plukke vp þin herte! I hope I schal þe cure.” (Hoccleve.)

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“Curë, good man? ya, þow arte a fayre leche! Curë þi self, þat tremblest as þou gost, 165 ffor al þin art wole enden in þi speche; It liþ not in þi power, porë gost, To helë me; þou art as seek almost As I; first on þi self kyþë þin art; And if aght leue, late me þanne hauë part. (Hoccleve.) 170 “Go forth þi way, I þe preye, or be stylle;

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Þou dost me more annoy þan þat þou wenest; Þou art as ful of clap as is a mylle; Þou dost nought heer, but greuest me & tenest. Good man, þou woste but lytyl what þou menest; 175 In þe, liþe not redressë my nuysance, And ȝit þou mayste be wele willéd perchaunce. (Hoccleve and Beggar.)

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“It mostë be a greter man of myght Þan þat þou art, þat scholdë me releue.” “What, sone myn! þou felist not a-right! 180 To herkene me, what schal it harme or greue?”

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d’être bien apaisé, permets-moi de parler avec toi un moment. Es-tu lettré ? – Oui, répondis-je, un peu. – Béni soit Dieu ; j’espère alors, par Saint Gilles, que Dieu restaurera tes esprits qui s’en sont partis, à ce qu’il me semble, loin de toi, assaillis par ton douloureux tourment. Les lettrés ont plus de discernement et peuvent mieux comprendre les paroles d’un homme. Ils vont plutôt s’appliquer à la raison et se détourner de la folie, plus tôt que ceux qui ne sont pas capables de raisonner, n’ayant en aucune manière appris leurs lettres. Reprends courage – j’espère pouvoir te guérir (138-162). – Me guérir, mon bon ami ? Ah, tu sembles être une belle sorte de médecin ! Guéris-toi d’abord, toi qui trembles alors que tu marches. Il n’est pas en ton pouvoir, pauvre esprit, de me soigner ; tu es presque aussi malade que moi ! Applique d’abord ton art sur toi-même, et s’il en reste, j’aurai alors ma part. Passe ton chemin, je t’en prie, ou reste silencieux. Tu me causes plus de trouble que tu ne le supposes. Tu es aussi bruyant qu’un moulin. Tu ne me comprends pas et me causes douleur et tourment. Bon homme, tu ne sais pas ce que tu dis et en toi, il n’y a rien qui puisse apaiser mon trouble même si tu es, par chance, bien intentionné. Il faudrait un homme d’un plus grand pouvoir que toi pour me soulager (163-178). – Vraiment, mon fils, tu ne te sens pas bien ; en quoi cela te nuira-t-il ou te troublera-t-il de m’écouter ?

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“Peter! good man, þogh we talke here tyl eue, Al is in veyne; þi myght may nat atteyne To helë me, swich is my woful peyne.” (Beggar and Hoccleve.)

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“What þat I may or can, ne wost þou noght; 185 Hardyly, sonë, telle on how it is!”

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“Man, at a word, it is encombrous þoght Þat causeþ me þis sorowe & fare amys.” “Now, sone, & if þer no þing be but þis, Do as I schal þe seye, & þin estat 190 Amende I schal, but þou be obstinat, (Beggar.)

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“And wilfully rebelle & dissobeye, And liste not to my lorë the conforme; ffor in swiche cas, what scholde I speke or seye, Or in my bestë wysë þe enforme? 195 If þow it wayue, & take an oþer forme After þi childissh mysrulëd conceyt, Þou dost vn-to þi self, harm & deceit. (Beggar.)

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“O þing seye I, if þou go feërlees Al solytarie, & counsel lakke, & rede, 200 As me þinkeþ, þi gyse is doutelees, Þou likly art to bere a dotyd heed. Whil þou art soulë, þoght is wastyng seed, Swich in þe, & þat in grete foysoun, And þou redeles, nat canst voyde his poysoun. (Beggar.) 205 “The boke seiþ þus,—I redde it yore agon,—

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‘Wo be to hym þat list to ben allone! Ve soli! quia, si cadat, non habet subleuantem. ffor if he fallë, helpe ne haþ he non To rysë’; þis seye I by þi persone; 210 I fonde þe soul, & þi wyttës echone ffer fro þe fled, & disparpled ful wyde; Wherefore it semeþ, þe nediþ a gyde,

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– Par saint Pierre, bon homme, même si nous discutions jusqu’au soir, ce serait en vain ; tu ne pourras réussir à me soigner, tant ma douleur est horrible (179-183). – Ce que je peux ou veux, tu ne le sais pas. Allez, fils, dis-moi ce qu’il en est. – L’ami, en un mot, c’est un accablement pesant qui est cause de ma peine et de mon mauvais comportement (184-187). – Vraiment fils, s’il n’y a que cela, fais ce que je te dis et je remédierai à ton état, à moins que tu ne restes obstiné, que tu ne te révoltes et ne désobéisses volontairement, et que tu ne désires pas te conformer à mon enseignement ; car en un tel cas, que pourrais-je dire, si ce n’est t’informer au mieux ? Si tu négliges cela et suis un autre cours, celui de tes conceptions infantiles et déréglées, c’est à toi-même que tu causes nuisance et tromperie. Je te dirai une chose : si tu vas sans compagnon, solitaire, et que tu manques de conseils, tu n’es sans aucun doute, me semble-t-il, qu’un pauvre fou. Tant que tu restes seul, Accablement sème en toi ses graines de destruction, à grande foison. Et toi, sans conseil, tu ne peux éviter ce poison. Le Livre le dit, je l’ai lu il y a longtemps : « Malheur à celui qui aime être seul, car s’il chute, il ne recevra aucune aide pour se relever  »7. Je te dis cela avec respect ; je t’ai trouvé solitaire, tes esprits enfuis au loin et complètement dispersés. Il me semble donc que tu as besoin d’un guide qui puisse te ramener à

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  Cf. Ecclésiaste 4 : 10.

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(Beggar.) 213 214 216 217 218 219

“Which þat þe may vnto þi wyttës lede; Þou graspist heer & þere, as doþ þe blynde, 215 And ay mys-gost; & ȝit haue I no drede, If þou receyuë wold in-to þi mynde My lore, & execute it, þou schalt fynde Þere-in swiche esë, þat þi maladye A-bregge it schal, & þi maléncolye. (Beggar.) 220 “fful holsum were it, stynten of þi wo,

Prouerbia. Animus gaudens etatem floridam facit; spiritus autem tristis desiccat ossa. 221 222 223 224 226

And take vnto þe, spirit of gladnesse; What profyt fyndest þou to mournë so? Salamon seiþ, þat sorowe & heuynesse, Bonës of man dryeþ by his duresse, 225 And hertë glad makiþ florissching age; Þerfore I redë þou þi wo a-swage. (Beggar.)

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“He seiþ, ‘as motthës to a cloþe annoyen, And of his wollë maken it al bare, And also as wormës a tre destruen 230 Item sicut tinea vestimento, & vermis ligno, &c.

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Þorogh hir percyng, riȝt so sorowe and care By-reuen man his helþe & his welfare, And his dayës a-bregge, & schorte his lyf; lo! what profyt is for to be pensyf ? (Beggar.) 235 “Now, godë sonë, telle on þi greuaunce;

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What is þi cause of þoght in special? Hast þou of worldly goodës hábundaunce, And carist how þat it i-kept be schal? Or art þou nedy, & hast nouȝt but smal, 240 And thristist sore a rychë man to be? Or louest herë þat not loueþ þe?

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tes esprits. Tu tâtonnes ici et là comme le fait l’aveugle et tu t’égares toujours  ; et pourtant, je n’en ai crainte, si tu acceptes de recevoir mon enseignement en ton esprit et de le mettre en pratique, tu y trouveras de quoi soulager ta maladie et de l’abréger ainsi que ta mélancolie. Cela mettrait pleinement fin à ton malheur et t’apporterait un esprit de contentement. Quel profit trouves-tu à tant te lamenter ? Salomon dit que la tristesse et la peine font sécher les os d’un homme par leur affliction, alors qu’un cœur content conduit à un âge prospère8. Je te conseille donc d’apaiser ta douleur. Et il dit : « De même que le papillon de nuit peut abîmer un vêtement et le dépouiller de sa laine, de même que les vers peuvent détruire un arbre par leurs trous, de même la peine et le souci privent l’homme de sa santé et de son bien-être, abrègent ses jours et écourtent sa vie »9. Vraiment, quel profit y-a-t-il à être triste ? (188-234) Allez, bon fils, dis-moi ton malheur  : quelle est la cause particulière de ton anxiété  ? As-tu des biens matériels en abondance et te soucies-tu de la manière de les conserver  ? Es-tu dans le besoin, n’ayant que peu de choses, et désires-tu grandement être un homme riche  ? Ou alors, aimes-tu celle qui ne t’aime pas ? J’ai

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  Prov. 17 : 22.   Prov. 25 : 20.

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(Beggar.) 242 243 244 246 247 248

“I haue herd seyn, in kepyng of richesse Is thoght and wo, & besy a-wayte al-way; The pore & nedy ek haþ heuynesse, 245 ffor to his purpos not atteyne he may; Þe louer also seen men day by day, Prolle after þat, þat he schal neuer fynde; Þus þoght turmentiþ folk in sondry kynde. (Beggar.)

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“If þou þe fele in any of þese i-greued, 250 Or elles what, tell on, in goddës name.

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Þou seest al day, þe begger is releued, Þat sitte and beggeþ, blynd, crokyd & lame; And whi? for he ne lettiþ, for no schame, his harmës & his pouert to by-wreye 255 To folk, as þey gon by hym in þe weye. (Beggar.)

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“ffor, and he kepe hym cloos, & holde his pees, And noght out schewe how seek he inward is, He may al day so sytten helpëlees; And, sonë myn, alþogh he faire a-mys 260 Þat hydith so, god wot þe wyt is his; But þis begger his hurtës wol not stele, He wele telle al and more; he can nouȝt hele. (Beggar.)

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“Ryght so, if þe liste haue a remedye Of þyn annoy þat prikkeþ þe so smerte, 265 The verray cause of þin hyd maladye Þou most discouer, & telle oute al þin herte. If þou it hydë, þou schalt not astarte Þat þou ne fallë schalt in som myschaunce; ffor-þi amendë þou þi gouernaunce. (Beggar.) 270 “Be war of þoght, for it is perillous;

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He þe streight wey to discomfórt men ledeþ; His violence is ful outragëous; Vnwise is he þat besy þoght ne dredeþ.

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entendu dire que l’anxiété, la tristesse et la soucieuse vigilance sont toujours dans la garde des richesses. Mais le pauvre et le nécessiteux sont aussi dans la peine, car ils ne peuvent atteindre leur but ; on voit également l’amoureux cherchant jour après jour ce qu’il ne trouvera jamais. Ainsi, l’accablement tourmente toutes sortes de gens. Si tu ressens un de ces troubles, ou un autre, dis-le-moi, au nom de Dieu. Tu peux voir tous les jours un mendiant soulagé, alors qu’il est assis et mendie, aveugle, courbé et boiteux. Et pourquoi ? Car il ne se retient pas, malgré la honte, de révéler ses ennuis et sa pauvreté aux gens qui passent devant lui. Car s’il se tenait dans la réclusion et restait silencieux, sans montrer à quel point il est malade, il pourrait rester assis sans aide toute la journée. Et, mon fils, il se fourvoierait en restant ainsi caché, Dieu le sait, et la faute serait sienne. Mais ce mendiant ne veut pas cacher ses blessures ; il dira tout et plus – il ne peut rien cacher. Ainsi donc, s’il te plaît d’avoir une solution à ta détresse qui te blesse si durement, tu dois découvrir la cause vraie de ta maladie cachée et dire ce que tu as sur le cœur. Si tu le caches, tu n’éviteras pas la chute dans quelque malheur. Réforme donc ta gouvernance (235-269). Prends garde à l’accablement, car il est dangereux. Il conduit les hommes droit au découragement et sa violence est extrême. Celui qui ne craint pas le dur accablement manque de sagesse. Lorsqu’il déverse son

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In whom þat he his mortel venym schedeþ, 275 But if a vomyt after folwe blyue,

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At þe port of despeir he may arryue. (Beggar.)

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“Sonë, swych thoghtë lurkynge þe with-ynne, Þat huntith after þi confusioun, Hy tyme it is to voyde & late hym twynne, 280 And walke at largë out of þi prisoun. Be war þe fendës sly conclusioun, ffor if he may þe vnto déspeir brynge, Þou mornë schalt, & lawgh he wol, & synge. (Beggar.)

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“Som man, for lak of occupacioun, 285 Museþ forþer þanne his wyt may strecche,

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And, at þe fendës instigacioun, Dampnable errour holdeþ, & can not flecche ffor no counseil ne reed, as dide a wrecche Not fern agoo, whiche þat of heresye 290 Conuyct, and brent was vn-to ashen drye. (Beggar.)

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“The precious body of oure lorde ihesu In forme of brede, he leued no[t] at al; He was in no þing abassht, ne eschu To seye it was but brede material; 295 He seyde, a prestës power was as smal As a Rakérs, or swiche an oþer wiȝte, And to mak it, hadde no gretter myȝt. (Beggar.)

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“My lorde þe princë—god him saue & blesse!— Was at his deedly castigacioun, 300 And of his soulë hadde grete tendernesse, Thristyngë sorë his sauacioun: Grete was his pitous lamentacioun, Whan þat þis renegat not woldë blynne Of þe stynkyng errour þat he was inne.

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mortel venin sur un homme, ce dernier peut vite arriver au port du désespoir, à moins qu’un remède ne suive immédiatement. Fils, un tel tourment est en toi embusqué, qui cherche ta ruine. Il est grand temps de l’éviter, de t’en séparer et de te libérer de ta prison. Prends garde aux habiles intentions du démon, car s’il t’apporte le désespoir, tu te lamenteras alors qu’il rira et chantera (270-283). Certains hommes, par manque d’occupation, réfléchissent trop par rapport à la capacité de leur entendement et, à l’instigation du démon, ils tombent dans des erreurs condamnables et ne peuvent les abandonner, faute de conseils. C’est ce qui arriva à un malheureux, voici peu de temps : il fut convaincu d’hérésie et réduit en cendres10. Il ne croyait pas en la transformation en pain du précieux corps de Notre Seigneur Jésus. Il ne voulait démordre en rien du fait que ce n’était que du pain « matériel ». Il disait que les pouvoirs d’un prêtre étaient aussi faibles que ceux d’un nettoyeur de rue ou de n’importe qui d’autre, et qu’il n’avait pas de plus grand pouvoir [qu’un autre] pour effectuer cela11. Mon Seigneur le Prince – que Dieu le sauve et le bénisse – alla à son châtiment mortel et eut grand soin de son âme, désirant ardemment son salut. Grandes étaient ses pieuses lamentations lorsque ce renégat ne voulut faire cesser l’horrible erreur

10   John Badby a été l’un des rares lollards brûlés pour hérésie, le 5 mars 1410. Sur cette affaire, ainsi que sur les réactions du prince Henry qu’Hoccleve nous décrit ici, voir notamment P. McNiven, Heresy and Politics in the Reign of Henry IV. The Burning of John Badby, Woodbridge, 1987. 11   C’est-à-dire la transsubstantiation.

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(Beggar.) 305 “This good lorde hiȝte hym to be sweche a mene 306 307 308 309 311

To his fader, oure ligë lorde souereyne, If he renouncë wolde his errour clene, And come vn-to oure good byleue ageyne, He schulde of his lif seure ben & certeyne, 310 And súfficiant lyflode eek scholde he haue, Vn-to þe day he clad were in his graue. (Beggar.)

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“Also þis nobyl prince & worþy knyght— God quyte hym his charitable labour!— Or any stikkë kyndled were or light, 315 The sacrement, oure blissed saueoure, With reuerencë grete & hye honoure He fecchë leet, þis wrecchë to conuerte, And make oure feiþe to synkyn in his herte. (Beggar.)

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“But al for noght, it woldë not bytyde; 320 He heeld forþ his oppynyoun dampnáble,

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And cast oure holy cristen feiþ a-syde, As he þat was to þe fende acceptáble. By any outward tokyn resonáble, If he inward hadde any repentaunce, 325 Þat wote he, þat of no þing haþ doutaunce. (Beggar.)

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“Lat þe diuinës of hym speke & muse Where his soule is by-come, or whider gon; Myn vnkonyng of þat me schal excuse, Of whiche materë knowleche haue I non. 330 But woldë god, tho cristes foos echon, Þat as he heeldë were I-seruëd soo, ffor I am seur þat þer ben many moo, (Beggar.)

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“The more ruthe is: allas! what men ben þey Þat hem delyten in swiche surquidrie? 335 ffor mannës reson may not preue oure fey, Þat þey wole it dispreuen or denye.

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dans laquelle il était. Ce bon seigneur lui promit de servir d’intermédiaire auprès de son père, notre souverain seigneur lige, s’il renonçait à son erreur et acceptait de se purifier en revenant notre vraie croyance : il pouvait être sûr et certain de [rester en] vie et d’avoir un revenu suffisant jusqu’au jour où il serait porté dans la tombe. Ce noble prince et ce valeureux chevalier – que Dieu le récompense pour son œuvre charitable – alla chercher, avant que les torches ne soient allumées et enflammées, le sacrement, Notre Sauveur Béni, avec grande révérence et honneur, pour convertir ce malheureux et faire que notre foi pénètre en son cœur. Mais tout cela pour rien, il n’arriva à rien : l’homme conserva sa damnable opinion, et rejeta la foi de notre Sainte Église contre celle qui était plaisante au démon. Il n’y en a eu aucun signe extérieur raisonnable, mais s’il a eu quelque repentir intérieur, Celui qui sait n’en aura aucun doute. Laissons les docteurs en divinité discuter et méditer de ce qu’est devenue son âme et où elle s’en est allée. Mon ignorance sur cela sera excusée ; je n’ai aucun savoir sur telle matière. Mais Dieu veuille que tous les ennemis du Christ, qui se tiennent comme cet homme, soient traités de même, car je suis certain qu’il y en a encore beaucoup (284-332). Quelle pitié ! Hélas, qui sont ces hommes qui se sont complus dans une telle présomption ? La raison des hommes ne peut prouver notre foi, et ils veulent pourtant la réfuter et la renier. Désirent-ils être égaux

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To oure lorde god þat sytte in heuenes hye, Schal þey desyre for to ben egal? Nay, þat was neuer, certes, ne be schal. (Beggar.) 340 “Þát oure lord god seiþ in holy scripture

341 342 343 344 346

May not be fals; þis knawit euery whiȝt, But he be mad; & þogh a creature In his goddës werk feelë not a-ryght, Schal he rebelle ageyn his lordës myght, 345 Which þat þis wydë world haþ made of noght, ffor reson may not knytte it in his thoght? (Beggar.)

347 348 349 351 352 353

“Was it not eek a moustre as in nature Þat god I-borë was of a virgine? Ȝit is it soþ, þogh man be cóniecture 350 Of reson, or what he can ýmagine, Not sauoure it, ne can it détermyne. He þat al myghty is, doþ as hym lyste; He wole his konnynge hydde be, & nat wyste. (Beggar.)

354

“Oure feiþ not were vnto vs meritórie [R] Fides non habet meritum ubi humana ratio præbet experimentum. 355 If þat we myghten by reson it preue;

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Lat vs not fro god twynnen & his glorie; As holy chirche vs byt, lat vs be-leue;— But we þere-to obeye, it schal vs greue Importably; lat vs do as sche byt, 360 Oure goedë fadres olde han folwyd it. (Beggar.)

361 362 363 364

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“Presumpcïoun, a! benedicite! Why vexest þou folk with þi franesie? þogh no þing ellës were, I seye for me, But se how þat þe worþi prelacie, 365 And vnder hem þe suffissant clergye,

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à notre Seigneur qui siège dans les hauteurs célestes ? Non, cela n’a jamais été, assurément, et ne sera jamais. Ce que dit Notre Seigneur Dieu dans les Saintes Ecritures ne peut être faux, cela chacun le sait, à moins qu’il ne soit fou. Et si une créature ne se sent pas à l’aise au sein de l’œuvre divine, se révoltera-t-il contre le pouvoir de son seigneur, qui a créé ce monde à partir de rien, parce que dans son esprit, sa raison ne peut le concevoir ? Le fait que Dieu soit né d’une vierge ne fut-il pas également une merveille de la nature ? Pourtant c’est la vérité, bien qu’un homme ne puisse, par la conjecture de la raison, le comprendre ou le déterminer. Celui qui est tout puissant fait ce qui lui plait. Il veut que son savoir soit caché et non connu. Notre foi ne serait pas pour nous méritoire, si nous pouvions l’expliquer par la raison. Ne nous séparons pas de Dieu et de Sa Gloire ; croyons, comme Sainte Église nous l’ordonne. Si nous n’obéissons pas, cela nous nuira de manière insupportable ; faisons comme elle nous le commande  ; nos anciens et bons pères l’ont suivi. Arrogance, que Dieu te bénisse  ! Pourquoi nuis-tu aux gens avec ton délire, comme s’il n’y avait rien d’autre – je le dis pour moi ? Mais vois comme ces dignes prélats, et en dessous d’eux ce clergé suffisant,

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Endowyd of profound intelligence, Of al þis land werreyen þi sentence; (Beggar.)

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“That seluë samë to me were a bridel, By whiche wolde I gouérned ben & gyed, 370 And ellis al my labour were in ydel. By holy churche I wole be iustified; To þat, al holly is myn herte applied, And euer schal; I truste in goddës grace, Swiche surquidrie in me schal haue no place. (Beggar and Hoccleve.) 375 “Sone, if god wolë, þou art non of þo

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Þat wrapped ben in þis dampnacïoun?” “I? criste forbede it, sire!” seyde I þo; “I þanke it god, non inclinacïoun Haue I to labour in probacïoun 380 Of his hy knowleche & his myghty werkys, ffor swiche mater, vn-to my wit to derk is. (Hoccleve.)

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“Of oure feiþ wol I not despute at all; But, at a word, I in þe sacrament Of þe auter fully bileue, & schal, 385 With goddës helpe, while life is to me lent; And, in despyt of þe fendës talent, In al oþer articles of þe feiþ Byleue, as fer as þat holy writ seiþ.” (Beggar.)

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“Now good thrifte come vn-to þe, sonë dere! 390 Þi gost is now a-wakyd, wel I se,

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And som-what eke amendid is þi chere; And firste I was ful sore a-gast of þe, Lest þat þou thorgh thoght-ful aduersyte, Not haddest standen in þi feyþe a-ryght; 395 Now is myn hertë waxen glad & lyght. (Beggar and Hoccleve.)

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“Hast þou in me ony gretter sauour

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dotés d’une intelligence profonde, font la guerre contre ton opinion. Cela doit être pour moi une bride, par laquelle je puis être gouverné et guidé, sinon, toute ma peine serait en vain. Sainte Église me trouvera juste ; mon cœur s’est appliqué à tout ce qui est sacré et le sera toujours. Je crois en la grâce de Dieu ; un tel orgueil n’aura pas de place en moi. Fils, que Dieu le veuille, tu n’es pas de ceux qui ont été plongés dans cette damnation ? (333-376) – Moi ? Que le Christ l’en empêche, monsieur, dis-je alors. J’en remercie Dieu, car je ne suis pas incliné à peiner pour l’examen de Son haut savoir et de Ses œuvres puissantes. Pour de telles affaires, mon esprit est obscur. Je ne discuterai pas de notre foi. Mais en un mot, je crois – et pour toujours, tant que la vie m’est donnée – au sacrement de l’autel, avec l’aide de Dieu et en dépit du désir des démons ; et je crois dans tous les autres articles de la foi, comme Sainte Église le dit (377-388). – Que la bonne fortune vienne sur toi, cher fils ; ton esprit est maintenant bien éveillé, je le vois, et ta contenance quelque peu restaurée. J’étais tout d’abord bien inquiet pour toi, de ce que dans ton accablement, ta foi ne se soit pas tenue bien droite ; mon cœur est maintenant content et léger. As-tu pour moi plus de goût que lorsque tu m’as

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Þan þat þou haddest first whan þou me sy, Whan I opposyd þe of þi langour? Seye on þe soþë.” “Ya, somdele,” quod I. 400 “My sone, in fayth, þat is seyde ful feyntly; Thi sauour yit ful smal is, as I trowe; But or oght longe, I schal þe soþë knowe. (Beggar.)

403 404 406 407 408 409

“I wote wel, sone, of me þus wold þou þinke:— Þis oldë dotyd Grisel holte him wyse, 405 He weneþ maken in myn heed to synke His lewed clap, of which set I no pryse; He is a nobil prechour at deuyse; Gret noyse haþ þorgh hys chynnëd lippës drye Þis day out past, þe deuel in his eye. (Beggar.) 410 “But þogh I olde & hore be, sonë myin,

411 412 413 414 416

And porë be my clethyng & aray, And not so wyde a gowne haue, as is þin, So smal I-pynchid, ne so fresche and gay, Mi redde, in happë, ȝit the perfet may; 415 And likly, þat þou demest for folye, Is gretter wysdom þan þou canste espye. (Beggar.)

417 418 419 421 422 423

“Vndir an old pore habyt, regneþ oft Grete vertu, þogh it moustre porëly; And where as gret array is vp on loft, 420 Vice is but seelden hid; þat wel wote I. But not report, I pray þe, inwardly, Þat fresch array I generally depraue; Þis worþi men mowe it wel vse & haue. (Beggar.)

424

“But þis me þinkiþ an abusïoun, 425 To se on walke in gownës of scarlet,

426 427

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xij ȝerdës wyd, wit pendant sleues downe On þe grounde, & þe furrour þer-in set

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vu pour la première fois et que je te questionnais sur ta langueur  ? Dis-moi la vérité. – Oui, un peu, dis-je (389-399). – Mon fils, vraiment, tu dis cela faussement ; ton goût est encore bien faible, je le crois. Mais avant de partir, je te ferai connaître la vérité. Je sais bien, fils, ce que tu penses de moi : ce vieux fou stupide, qui se tient pour sage, désire déverser dans mon esprit son bavardage ignorant, auquel je n’accorde aucun prix. C’est un noble prêcheur, très certainement ; beaucoup de bruits sont passés à travers ses lèvres sèches et craquées, toute la journée, et le diable est dans son œil. Mais bien que je sois vieux et grisonnant, mon fils, que mes vêtements et mon apparence soient pauvres et que je n’ai pas une robe aussi large que la tienne – ni aussi joliment plissée, fraîche et gaie – mes conseils peuvent pourtant t’être de quelque profit, et ce que tu tiens pour folie est sans doute d’une plus grande sagesse que tu ne peux le remarquer12 (400-416). Il règne souvent sous un vieil et pauvre habit une grande vertu, même si son apparence est modeste ; et là où un grand arroi se manifeste, le vice est rarement caché – je le sais bien. Mais ne prends pas pour toi, je te prie, ma critique générale sur le bel arroi ; certaines dignes personnes peuvent en avoir et en user13. Mais cela me semble une perversion : vois ceux qui marchent en robes d’écarlate de douze yards de long, avec des manches tombant à terre, dou12   Sur la question de l’autorité et de la légitimation du discours du poète, il est possible de faire un parallèle entre le vieil homme et l’apiculteur de Mum and the Sothsegger (voir ci-dessus, p. 67 et seq). 13   L’apparence vestimentaire était un élément courant de la satire sociale durant cette période. Voir Mairey, Une Angleterre entre rêve et réalité, op. cit., p. 321-325.

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Amountyng vnto twenty pound or bet; And if he for it payde haue, he no good 430 Haþ lefte him where-wit for to bye an hood. (Beggar.)

431 432 433 434 436 437

“ffor þogh he iettë forth a-mong þe prees, And ouer lokë euerey porë wight, His cofre and eke his purs ben penylees, He haþ no morë þan he goþ in ryght. 435 ffor lond, rent, or catel, he may go light; Þe weght of hem schal not so mochë peyse As doþ his gowne: is swiche array to preyse? (Beggar.)

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“Nay sothely, sone, it is al a-mys me þinkyþ; So pore a wight his lord to counterfete 440 In his array, in my conceyit it stynkith. Certes to blamë ben þe lordës grete, If þat I durstë seyn, þat hir men lete Vsurpë swiche a lordly apparaille, Is not worþ, my childe, with-outen fayle. (Beggar.) 445 “Som tyme, afer men myghten lordës knowe

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By there array, from oþer folke; but now A man schal stody and musen a long throwe Whiche is whiche: o lordes, it sit to yowe Amendë þis, for it is for youre prowe. 450 If twixt yow and youre men no difference Be in array, lesse is youre reuerence. (Beggar.)

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“Also ther is another newë get, A foul wast of cloth and an excessyf; Ther goth no lesse in a mannës tipet 455 Than of brood cloth a yerdë, by my lif; Me thynkyth this a verray inductif Vnto stelthe: ware hem of hempen lane! ffor stelthe is medid with a chekelew bane.

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blées de fourrure et coûtant vingt livres ou plus. Celui qui a payé pour cela, il ne lui reste plus rien pour acheter un couvrechef. Car même s’il va droit dans la foule et regarde un pauvre homme de haut, son coffre et sa bourse sont vides d’argent ; il n’a rien de plus que ce qu’il porte sur lui. D’une terre, d’un revenu ou d’un bien, il fait peu de cas ; leur poids sera bien léger par rapport à sa robe. Un tel vêtement doit-il être loué ? Non, vraiment, fils, cela ne va pas, me semble-t-il : quelqu’un de si pauvre contrefaisant son seigneur dans son apparence  ? Selon moi, c’est méprisable. Certes, on peut blâmer les grands seigneurs, si j’ose le dire, qui laissent leurs hommes usurper une noble apparence. Certainement mon enfant, ce n’est pas digne. Il y a longtemps, les hommes pouvaient reconnaître les seigneurs par leur apparence, différente de celle des autres. Mais désormais, un homme étudiera et réfléchira longuement sur qui est qui. Ô seigneurs, vous vous devez de réformer cela, ce serait à votre avantage. S’il n’y a pas de différence d’apparence entre vous et vos hommes, le respect [que l’on vous doit] est moindre. La nouvelle mode est au gaspillage fou et excessif de tissus, notamment pour les manches14 des hommes, qui font plus d’un yard de long, par ma vie ; il me semble que cela induit véritablement au vol. Informez-les sur le gibet, car le vol est récompensé par une mort violente.

14   Typet en moyen-anglais n’a pas véritablement d’équivalent en français. Selon le Middle English Dictionary, c’est une pièce d’ornement couvrant les épaules ou les manches.

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(Beggar.) 459

“Let euere lord, his ownë men deffende 460 Swiche gret array, and þan, on my peryl,

461 462 463 464

This land within a whilë schal amende. In goddys namë, putte it in exyl! It is synnë outragïous and vyl; Lordës, if ye your éstat and honour 465 Louen, fleemyth this vicius errour! (Beggar.)

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“What is a lord withouten his meynee? I puttë cas, þat his foos hym assaille Sodenly in þe stret,—What help schal he, Wos sleeuës encombrous so sydë traille, 470 Do to his lord? he may hym nat auaille; In swych a cas he nys but a womman; He may nat stand hym in steed of a man. (Beggar.)

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“His armys two han ryght y-now to done, And sumwhat more, his sleeuës vp to holde; 475 The taillours, trow I, moot heer-after soone Shape in þe feeld; thay shal nat sprede and folde On hir bord, thogh þei neuer só fayn wolde, The cloth þat shal ben in a gownë wroght; Take an hool cloth is best, for lesse is noght. (Beggar.) 480 “The skynner vn-to þe feeld moot also,

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His hous in london is to streyt & scars To doon his craft; sum tyme it was nat so. O lordës, yeue vnto your men hir pars That so doon, and aqwente hem bet with mars, 485 God of bataile; he loueth non array That hurtyth manhode at preef or assay. (Beggar.)

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“Who now moost may bere on his bak at ones Of cloth and furrour, hath a fressch renoun; He is ‘a lusty man’ clept for þe nones; 490 But drapers & eek skynners in þe toun,

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Laissez chaque seigneur interdire un tel arroi à ses propres hommes, et alors, je vous l’assure, cette terre s’amendera en un moment. Au nom de Dieu, exilez cela  : c’est un péché vil et outrageux. Seigneurs, si vous aimez votre état et l’honneur de votre rang, bannissez cette vicieuse faute (417-465). Qu’est-ce qu’un seigneur sans sa maisnie ? Soulevons le cas : si ses ennemis l’assaillent soudainement dans la rue, de quelle aide sera pour son seigneur celui dont les manches encombrantes pendent à ses côtés  ? Il ne pourra être d’aucun secours. Et en un tel cas, il n’est qu’une femme ; il ne peut pas se tenir à la place d’un homme. Ses deux bras ont suffisamment à faire, et plus encore, pour retenir ses manches. Les tailleurs, je crois, vont bientôt tailler [l’habit] dans un champ ; ils ne pourront étendre et plier sur leur table, même s’ils le désirent, le tissu qui sera façonné en robe ; prendre un ballot entier de tissu est ce qu’il y a de mieux  ; une quantité moindre est sans valeur. Le tanneur devra aussi aller dans le champ – sa maison londonienne est trop étroite et exiguë pour qu’il y fasse son travail  ; cela n’était pas ainsi dans le temps. Ô seigneurs, donnez à vos hommes leur part à accomplir et faites qu’ils connaissent mieux Mars, le Dieu du combat ; il n’aime pas l’arroi qui nuit à la mise à l’épreuve de la virilité. Désormais, celui qui porte sur son dos à la fois tissu et fourrure a un beau renom ; pour sûr, il est appelé un homme de bien. Mais les drapiers et les tanneurs

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ffor swich folk han a special orisoun That troppid is with curses heere & there, And ay schal, til þei paid be for hir gere. (Beggar.)

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“In dayës oldë, whan smal apparaille 495 Suffisid vn-to hy estat or mene,

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Was gret houshold wel stuffid of victaille; But now housholdes ben ful sclender & lene, ffor al þe good þat men may repe or glene, Wasted is in outragëous array, 500 So that housholdës men nat holdë may. (Beggar.)

501 502 503 504 506 507

“Pryde hath wel leuer bere an hungry mawe To beddë, than lakke of array outrage; He no prys settith be mesurës lawe, Ne takith of hym cloth[ë], mete, ne wage: 505 Mesure is out of londe on pylgrymage; But I suppose he schal resorte as blyue, ffor verray needë wol vs ther-to dryue. (Beggar.)

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“Ther may no lord tak vp no newë gyse But þat a knauë shal þe same vp take. 510 If lordës wolden in þis wyse, ffor to do swichë gownës to hem make As men did in old tyme, I vndertake The samë get sholde vp be take and vsid, And al þis costelew outrage refusid. (Beggar.) 515 “Of lancastre duk Iohn, whos soule in heuene

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I fully deme, And trustë sit ful hye— A noble prince I may allegge & neuene, (Other may no man of hym testifye)— I neuer sy a lord that cowde hym gye 520 Bet like his éstat; al knyghtly prowesse Was to hym girt: o god! his soulë blisse!

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de la ville ont une oraison spéciale pour de tels gens, parsemée çà et là de malédictions, et ce sera ainsi jusqu’à ce qu’ils soient payés pour leurs habits (466-493). Dans les jours anciens, quand un modeste accoutrement était suffisant, autant pour les états élevés que modestes, la grande maisonnée était bien approvisionnée en victuailles. Mais désormais, il n’y a que frugalité et pénurie, car tous les biens que les hommes peuvent moissonner ou glaner sont gaspillés dans des vêtements outrageux ; ainsi, les maisonnées ne peuvent plus soutenir leurs gens. Orgueil préférerait emporter un ventre affamé au lit que de manquer d’un arroi extravagant. Il ne fixe aucun prix par la loi de Mesure, ni ne prend de lui habit, nourriture ou gage. Mesure est parti hors du pays en pèlerinage ; mais je suppose qu’il reviendra aussi vite que possible, car un besoin réel va nous y conduire. Dès qu’un seigneur se met à une nouvelle mode, un serviteur la reprend. Si les seigneurs désiraient entraîner [la mode] de cette manière, en faisant faire des robes comme celles des hommes des temps anciens, je suis sûr que la même mode serait prise et employée, et que tous ces coûteux excès seraient refusés. Jean Duc de Lancastre15, dont l’âme est placée bien haut dans le ciel, je le juge ainsi et y mets toute ma confiance –un noble prince, je l’affirme et l’exprime – personne ne peut affirmer le contraire. Je n’ai jamais vu un homme se gouverner si bien selon son état ; la prouesse chevaleresque lui était attachée – ô Dieu, que son âme 15   Jean de Gand († 1399) était le troisième fils d’Édouard III et le père d’Henry IV de Lancastre. Sur ce prince, voir A. Goodman, John of Gaunt: The Exercise of Princely Power in FourteenthCentury Europe, Londres, 1992.

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(Beggar.) 522 523 524 526 527 528

“His garnamentës weren noght ful wyde, And yit þei hym becam wondérly wel. Now wold[ë] god þe waast of cloth & pryde 525 Y-put were in exyl perpetuel, ffor þe good and profet vniuersel. And lordes myght helpe al this, if þei wolde The olde get take, and it furth vse & holde. (Beggar.)

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“Than myghtë siluer walkë morë thikke 530 Among þe peple þan þat it doþ now;

531 532 533 534

Ther wold I fayne þat were y-set þe prikke,— Nat for my self; I schal doo wel ynow,— But, sonë, for þat swichë men as thow That with þe world wrastlen, myght han plente 535 Of coyn, where as ye han now scarsetee. (Beggar.)

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“Now hath þis lord but litil neede of broomes To swepe a-way þe filthe out of þe street, Syn sydë sleuës of penýlees gromes Wile it vp likkë, be it drye or weet. 540 O engelond! stande vp-ryght on thy feet! So foul a wast in so symple degree Bannysshe! or sore it schal repentë the. (Beggar.)

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“If a wight vertuous, but narwe clothid, To lordës curtës now of dayës go, 545 His compaignye is vn-to folkës lothid; Men passen by hym bothë to and fro, And scorne hym, for he is arrayed so; To hir conceit is no wight vertuous, But he þat of array is outrageous. (Beggar.) 550 “But he that flater can, or be a baude,

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And by tho tweynë, fressch array him gete, It holden is to him honur & laude. Trouth and clennessë musten men for-gete

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soit bénie  ! Ses habits n’étaient point si vastes, et pourtant, ils lui allaient parfaitement bien. Vraiment, Dieu veuille que le gâchis de tissus et l’orgueil soient mis en exil perpétuel pour le bien et le profit universels ; les seigneurs pourraient aider à cela, s’ils le voulaient, en reprenant l’ancienne mode et en l’utilisant à nouveau. L’argent circulerait alors parmi les gens davantage qu’il ne le fait maintenant. Je serais content que ce but soit fixé – non pour moi-même, je te le fais savoir – mais, fils, pour des hommes tels que toi, qui luttent dans le monde et pourraient avoir abondance d’argent, alors qu’ils sont maintenant dans la pénurie. Désormais ce pays n’a plus grand besoin de balais pour nettoyer la saleté des rues, puisque les grandes manches des serviteurs sans le sou vont l’aspirer, qu’elle soit mouillée ou sèche. Ô Angleterre, mets-toi debout, sur tes pieds ! Le gaspillage à un si simple rang est une telle folie – bannis-le ou tu devras t’en repentir. Si un homme vertueux mais modestement habillé va de nos jours à la cour d’un seigneur, sa compagnie est haïe par les autres ; les hommes passent devant lui et s’éloignent, et le méprisent pour la façon dont il est vêtu. Selon leur opinion, personne n’est vertueux à moins qu’il ne s’habille avec excès. Mais celui qui peut être un flatteur ou un ribaud, et qui ainsi peut obtenir des beaux habits, on lui porte honneur et louange. Les hommes doivent oublier la vérité et la pureté dans les cours

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In lordës courtës, for they hertës frete; 555 They hyndren folk: fy vpon tongës trewe!

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They displesaunce in lordës courtës breewe. (Beggar.)

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“Lo, sonë myn, þat tale is at an eende: Now, goodë sone, haue of me no desdeyn, Thogh I be old, and myn array vntheende; 560 ffor many a yong man, wot I wel certeyn, Of corage is so prowde and so hauteyn, That to þe poore and old mannës doctrine, fful seelde him deyneth bowen or enclyne. (Beggar.) Seneca ad Lucillum.

564

“Senek seiþ, ‘age is an infirmitee 565 Þat lechë non can curë, ne it hele,

566

ffor to þe deþ next neghëburgh is he; Nil cercius morte etc.

567 568 569

Ther may no wight þe chartre of lyf ensele, The ende is deþ of male & of femele; No thyng is morë certein þan deþ is, 570 Ne more vncertein þan þe tyme I-wis.’ (Beggar.) Exodus. honora patrem & matrem, vt sis longeuus super terram.

571 572 573 574 576 577

“As touchyng agë, god in holy writ Ryght þus seiþ: ‘fader & moder honure, Þat þou mayste be longlyued:’ þus he byt. Þan moot it folwen vpon þis scripture, 575 Age is a guerdoun to a crëature, And longlyuëd is non with-outen age; Where-for I seye, in eld is auauntage. (Beggar.)

578 579

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“And þe reuard of god may not be smal, His ȝiftës ben ful noble & profitabil; 580 ffor-þi ne lakkë þou not age at al;

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des seigneurs, car elles contrarient leurs cœurs et font injure à leur réputation. Fi des langues vraies  ! Elles apportent le déplaisir à la cour des seigneurs (494-556). Ah, mon fils, cette histoire arrive à sa fin. Vraiment, mon fils, n’aies pas de dédain pour moi, même si je suis vieux et que mon vêtement est de modeste qualité. Car beaucoup de jeunes gens, je le sais avec certitude, sont si fiers et hautains dans leur disposition, qu’ils ne daignent que rarement se pencher ou incliner vers l’enseignement des anciens16. Sénèque dit que l’âge est une infirmité qu’aucun médecin ne peut soigner ou guérir car il est proche voisin de la mort. Personne ne peut sceller la charte de la vie ; la mort est la fin des hommes et des femmes. Rien n’est plus certain que la mort et rien n’est plus incertain que le moment de sa venue. En ce qui concerne l’âge, Dieu nous dit clairement, dans les Écritures : « Honore ton père et ta mère, afin de pouvoir vivre longtemps »17 – ainsi l’ordonne-t-il. Il doit s’ensuivre de ce texte que l’âge est une récompense pour une créature, car une longue vie n’est rien sans l’âge. Je vois donc un avantage dans la vieillesse. Et la récompense de Dieu peut n’être point petite ; ses dons sont nobles et profitables. Ainsi, ne blâme aucunement l’âge. Quand la jeu-

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  Sur cette question des âges de la vie, voir notamment J. Burrow, The Ages of Man : a Study in Medieval Writing and Thought, Oxford, 1988. 17   Exode 20 : 12.

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Whan youþe is past, is agë sesonable. Age haþ in-sighte how vnsure & vnstable Þis worldës cours is, by lengthe of his yeeres, And can deffende hym from his scharpë breres. (Beggar.) 585 “Lord, wheþer it be maystrie to knowe

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Whan a man ofte haþ sundry weyës ride Which is þe bestë? nay, for soþe I trowe; Right so he þat haþ many a world abyde Þer he in youþë wroghtë mis or dyde, 590 His age it seeþ, & byt him it eschue, And seekiþ weyës couenable & due. (Beggar.)

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“Whan þat þou hast assaydë boþë two, Sad age, I seye, after þi skittish youþe, As þou must nedys atteynë ther-to, 595 Or steruë ȝong, þan trowe I þou wolt bowe þe To swichë conceytës as I haue nowþe; And þankë god deuoutly in þin herte Þat he haþ suffred þe þi youthe asterte. (Beggar.)

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“Youthë ful smal reward hath to goodnesse, 600 And peril dredith he non, wot I wel;

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Al his deuocioun and holynesse At tauerne is, as for þe mostë del; To Bachus signe & to þe leuësel His youþe him haliþ; & whan it him happiþ 605 To chirchë gon, of nycetë he clappiþ. (Beggar.)

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“The causë why men oghten þider gon, Nat conceyue can his wyldë steerissh heed To folwen it. Also bote is it non To telle it him, for thogh men sowen seed 610 Of vertu in a yong man, it is deed As blyue, his rebel goost it mortifieþ; Al þing sauf folye in a yong man dieþ.

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nesse est passée, l’âge convient ; il voit bien combien le cours de ce monde est incertain et instable, grâce à la longueur de ses années, et il peut le protéger de ses ronces piquantes. Seigneur, est-il possible d’avoir la capacité de connaître la meilleure des différentes voies que l’on peut emprunter ? Non, en vérité ; celui qui traverse de nombreux âges a pu dans sa jeunesse mal se comporter ou mal faire ; mais lorsque l’âge voit cela, il lui commande de s’abstenir et de chercher des voies convenables et appropriées. Je te le dis : puisque tu arriveras, par nécessité, à l’âge stable (sinon tu mourras jeune), alors je crois que tu te plieras à des idées comme celles que j’ai maintenant et que tu remercieras Dieu avec dévotion dans ton cœur, de ce qu’il a permis que tu échappes à ta jeunesse – que tu aies atteint tes besoins ici-bas ou que tu sois mort jeune (557-598). Jeunesse n’a que peu de récompenses pour la bonté et ne craint pas le péril, je le sais bien ; toute sa dévotion et sa piété sont à la taverne, la plupart du temps. Elle attire le jeune à l’insigne de Bacchus et au buisson vert ; et lorsqu’il lui arrive d’aller à l’église, il parle follement. La raison pour laquelle les hommes doivent s’y rendre ne peut conduire sa tête stupide à la suivre. De plus, ce n’est pas un remède que de le lui dire, car bien que des hommes sèment le grain de la vertu – chez un jeune homme, c’est lettre morte : son esprit rebelle l’a de suite extirpé. Chez un jeune homme, tout meurt, exceptée la folie. Quand j’étais

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(Beggar.) 613 614 616 617 618 619

“Whan I was yong I was ful rechëlees, Prowde, nyce, and riotous for þe maystrie, 615 And, among oþer, consciencëlees; By þat sette I naght þe worþ of a flye; And of hem haunted I þe compaignie Þat went on pylgrymagë to tauerne, Which be-for vnthrift beriþ þe lanterne. (Beggar.) 620 “There offryd I wel morë þan my tyþe,

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And wit-drowe holy chirche his duëtee; My frendës me counseylëd often siþe, Þat I, with lownesse & humylitee, To my curat go scholde, & make his gree; 625 But straw vnto hir reed! wolde I nat bowe ffor aght þey kouden preyen all, or wowe. (Beggar.)

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“Whan folk wel rulyd dressyd hem to bedde, In tymë due by redë of nature, To þe tauernë quykly I me spedde, 630 And pleyde at dees while þe nyghte wolde endure. Þere, þe former of euery creature Dismembred y with oþës grete, & rente Lyme for lyme, or þat I þennës wente. (Beggar.)

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“And ofte it fals was þat I swoer or spak, 635 ffor þe desire feruént of couetyse

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ffonde in periúrie no defaute or lak, But euer entyced me þat in al wyse Myn oþës gretë I scholde excercyse; And specially for lucre, in al manere 640 Swere and for-swere with boldë face & chere. (Beggar.)

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“But þis condicïoun, lo, hadde I euere: Þogh I prowde were in wordës or in speche, Whan strokës cam a place, I gan disseuere ffro my felawës; soghte I neuere leeche

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jeune, j’étais imprudent, orgueilleux, frivole et querelleur à l’extrême ; j’étais aussi sans conscience. Avec cela, je ne possédais rien qui ait la valeur d’une mouche. Et je hantais la compagnie de ceux qui allaient en pèlerinage à la taverne – Dissolution leur montre le chemin. J’offrais là bien plus que ma dîme et retirai son dû à la Sainte Église. Mes amis me conseillèrent souvent, alors, d’aller voir mon curé et de lui faire pénitence avec simplicité et humilité. Mais baste, je ne voulais pas me plier à leurs conseils – ils pouvaient tous aller prier au diable  ! Lorsque les gens bien réglés se préparaient à aller au lit, au moment voulu par les conseils de nature, je me hâtais vers la taverne et jouais aux dés la nuit durant. Là, je démembrai avec de grands jurons le créateur de toute créature, et le déchirai membre par membre, avant de m’en aller. Et souvent je jurai ou parlai faussement, car désir fervent et convoitise ne trouvent dans le parjure ni défaut ni blâme. Mais toujours ils m’encourageaient, à n’importe quel prix, pour que je m’exerce à mes grands jurons, et en particulier à jurer et parjurer à profit, de toutes les manières, avec une fière face et une expression itou. Mais hélas, je ne parvenais jamais à cette condition : si j’étais fière en paroles et en discours, je disparaissais de la place quand les coups venaient. Je ne recherchais jamais de remède pour

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645 ffor hurt which I there toke; what scholde I seche 646 647

A saluë, whan I þer-of hadde no nede? I hurtlees was ay, þurgh impressyd drede. (Beggar.)

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“Tho myghte I spende an hundred mark by ȝere, Al thyng deduct, my sone, I gabbë noght; 650 I was so prowde, I helde no man my pere; In pryde & leccherye was al my þoght; No more I haddë set þerby or roght, A wif or mayde or nunë to deffoule, Than scheete, or pleyën at þe bal or boule. (Beggar.) 655 “Ryght nycë girlës at my retenue

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Hadde I an heep, wyuës & oþere mo; What so þey werë, I wolde non eschue: And yeerës felë I contynued so; Allas! I no þing was war of þe wo 660 Þat folwyd me; I lookyd nat behynde; Conceytës yongë ben ful derke & blynde. (Beggar.)

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“An office also hadde I lucratyf, An wan y-nowgh, god wot, & mochel more; But neuer þoght I, in al my yongë lyf, 665 What I iniustly gat, for to restore; Wherefore I now repentë wonder sore; As yt mysgoten was, mys was despendid, Of whiche oure lord god gretly was offendid. (Beggar.)

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“He sy I nolde absteenë for no good 670 Of myn outragëous iniquitee;

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And whan þat his lust was, with-drow þe flood Of welþe, & at grounde ebbë sette he me; With pouert for my gylt me feffed he, Swiche wrechë toke he for my cursyd synne; 675 No morë good haue I þan I stond inne.

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les blessures que je prenais. Aurais-je cherché une médecine dont je n’avais aucun besoin ? J’étais toujours indemne, bien que marqué par la terreur (599-647). Je pouvais alors dépenser une centaine de marcs par an, touches choses déduites, mon fils, je ne mens pas. J’étais si fier que je ne tenais personne pour mon pair  ; toutes mes pensées étaient dans l’orgueil et la luxure. Je ne pensais ni ne me souciais pas plus d’une femme, d’une demoiselle ou d’une nonne – si ce n’est pour la violer – que de tirer à l’arc ou de jouer à la balle ou aux boules. Des jolies filles dans ma retenue, j’en avais un paquet, et des femmes et d’autres – quoi qu’elles étaient, je ne les évitais pas. Et je continuais ainsi pendant de nombreuses années. Hélas, je n’étais pas du tout conscient du mal qui me suivait ; je ne regardais pas en arrière. L’esprit de la jeunesse est obscurci et aveugle. J’avais bien un office lucratif, qui me rapportait bien, Dieu le sait, et plus encore, mais je ne pensais jamais, durant toute ma jeunesse, à restituer ce que j’avais injustement obtenu, ce dont je me repens douloureusement ; comme c’était mal acquis, ce fut mal dépensé, et notre Seigneur Dieu en fut grandement offensé. Il voyait que je ne m’abstiendrais pour aucun bien de mes outrageantes actions et, quand ce fut Sa volonté, il me retira des flots de la richesse et me rendis aux basses eaux ; pour mes fautes, il me donna la pauvreté en fief. Il décida de cette punition pour mes maudits péchés. Je n’eus plus aucune autre possession que ce que je portais. Or, argent,

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(Beggar.) 676 677 678 679 681 682

“Gold, siluer, iewel, cloþ, beddýng, array, Ne haue I non, oþir þan þou mayste se. Parde! þis bare olde russet is nat gay, And in my purs so gretë sommës be, 680 Þat þere nys countour in al cristente Which þat hem can at any noumbre sette; Þat schaltow se; my purs I wole vnschete. (Beggar.)

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“Come hider to me, sone, & look whedir In þis purs þer be any croyse or crouche, 685 Sauf nedel and þrede, & themel of leþer; Here seest þow naght þat man may handil or touche; Þe feend, men seyn, may hoppen in a pouche Whan þat no croys þere-innë may a-pere; And by my purs, þe same I may seye here. (Beggar.) 690 “O wher is now al þe wantoun moneye

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That I was maister of, and gouernour, Whan I knewe nat what pouert was to sey? Now is pouert þe glas and þe merour In whiche I se my god, my sauyour. 695 Or pouert cam, wiste I nat what god was; But now I knowe, & se hym in þis glas. (Beggar.)

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“And wherë be my gounës of scarlét, Sanguyn, murreye, & blewës sadde & lighte, Grenës also, ánd þe fayre violet, 700 Hors and harneys, fresche and lusty in syghte? My wykked lyf haþ put al þis to flighte; But certes ȝit me greueþ most of al, My frendschipe is al clenë fro me fal. (Beggar.)

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“O while I stode in wele, I was honoured, 705 And many on, of my compáignie glad,

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And now I am mys-lokyd on & loured; þere rekkeþ non how wo I be bystad.

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bijoux, habits, literie, arroi – je n’eus plus rien d’autre que ce que tu peux voir. Pardi, ce simple habit grisâtre n’est pas gai, et il y a dans ma bourse de si grandes sommes qu’aucun expert en calcul, dans toute la Chrétienté, ne pourrait en fixer le nombre. J’ouvre ma bourse, tu le verras bien. Viens par là, mon fils, et vois si dans cette bourse il y a autre chose – quelque pièce à croix – qu’une aiguille, un morceau de tissu et un dé en cuir ; tu ne vois rien là de ce qu’un homme peut saisir ou toucher. Il est dit que le diable peut sauter dans une sacoche, là où il n’y a pas de croix – je peux en dire autant de celle-ci. Ô, où est maintenant tout l’argent réfractaire dont j’étais le maître et le gouverneur – quand je ne savais pas ce que signifiait la pauvreté ? Désormais, la pauvreté est le miroir de verre dans lequel je vois Dieu, mon sauveur. Avant que la pauvreté ne vienne, je ne savais pas ce qu’était Dieu ; mais je le sais maintenant et je le vois dans ce miroir. Où sont mes robes écarlates, bordeaux, pourpres, bleues foncées et claires  ; et aussi les [robes] vertes et les belles violettes ; où sont mes chevaux et mes harnais, si frais et plaisants à la vue  ? Ma mauvaise vie a fait s’envoler tout cela. Et pourtant, ce qui m’attriste le plus, c’est la perte de toutes mes amitiés (648-703). Ô, quand j’étais dans la prospérité, j’étais honoré et beaucoup étaient heureux en ma compagnie. Désormais, on m’évite et on me méprise ; personne ne reconnaît la détresse dans laquelle je me tiens.

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O lord! þis world vnstabyl is, & vnsad, Þis world hunuriþ nat mannës persone 710 ffor him self, sonë, but for good allone. (Beggar.)

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“fful soþ fynde I þe word of salomon, þat to moneie obeien allë þinges; ffor þat my coyn & coynworþ is a-gon, Contrarien þei my wille & my byddynges; 715 Þat in my welþë with here flaterynges Helden with me what þat I wroght or seyde, Now disobeien þey þat þanne obeyde. (Beggar.)

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“Now seyn þey þus—‘I wistë wel al-way Þat him destroyë wolde his fool largesse; 720 I tolde hym so; & euer he seydë nay:’ And ȝit þey lyen, also god me blisse; Þey me comforted ay in myn excesse, And seyde I was a manly man with-alle: Hire hony wordys tornen me to galle. (Beggar.) 725 “God, whiche of his benyngnë curteseye

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And of his cheerë louyng tendirnesse, He of his synful haþ nat wele he die, But lyuë for tamende his wykkednesse; Hym thanke I, and his infynyt goodnesse; 730 His gracë likiþ þat, þorght worldly peyne, My soule eschapë may þe fendës cheyne. (Beggar.)

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“Iob hadde an heuyer fal þan I, pardee! ffor he was clumben hyer in rychesse; And paciently he his aduersite 735 Took, as þe byble berë can wytnesse; And after-ward, god al his heuynesse Torned to ioye; and so may he do myne, Whan þat it lykiþ to his myght dyuyne.

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Ô  ­S eigneur, ce monde est instable et inconstant  ; ce monde n’honore pas quelqu’un pour lui-même, mon fils, mais seulement pour ses biens. Je trouve qu’il y a beaucoup de vrai dans ces mots de Salomon : toute chose obéit à l’argent18. Car maintenant que mon argent et ce qui en a la valeur s’en sont allés, ceux qui se tenaient avec moi lorsque j’étais prospère et me flattaient dans mes actes ou mes paroles – ceux-là s’opposent à ma volonté et à mes ordres  ; ils désobéissent alors qu’ils obéissaient avant. Désormais ils parlent ainsi : « j’ai toujours su que sa folle largesse le détruirait ; je le lui ai dit et il m’a répondu que non  ». Et pourtant ils mentent, que Dieu me bénisse ; ils m’ont toujours conforté dans mes excès, et disaient que j’étais un homme véritable ; leurs paroles mielleuses ont tourné au vinaigre. Dieu, dans sa gente courtoisie et sa tendresse aimante, ne souhaite pas que le pécheur meure, mais qu’il vive pour se repentir de sa méchanceté ; je le remercie, ainsi que son infinie bonté ; il plaît à sa miséricorde que mon âme, à travers les peines de ce monde, échappe aux chaînes du démon. Job a eu un fardeau plus lourd que le mien, pardi, car il était monté plus haut dans la richesse ; mais il prit l’adversité avec patience, la Bible en témoigne. Et après cela, Dieu transforma toute sa peine en joie, et il peut faire de même avec la mienne, si cela convient à son divin pou-

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  Cf. Ecclésiaste 10 : 19.

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(Beggar.) 739

“Lord, as þe lyst, ryght so þou to me do, 740 But euer I hopë seur ben of þat place

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Whiche þat þi mercy boght vs haþ vnto, If þat vs list for to suë þi grace. A! lord almyghty, in my lyuës space, Of my gylt grauntë þou me répentaunce, 745 And þi strook take in greable souffraunce. (Beggar.)

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“I coude of youþe han talkyd more & tolde þan I haue done, but þe day passiþ swiþe, And eke me leuer is by many folde þy greef to knowë, whiche þat sit so ny þe. 750 Telle on anon, my goodë sone, and I the Schal herken, as þou [so longe] hast done me; And, as I can, wele I conseylë þe.” (Hoccleve.)

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“Graunt mercy, derë fadir, of youre speche; Ye han ryght wel me comforted & esyd; 755 And hertily I praye yowe, and byseche, What I firste to yow spak be nat displesyd; It rewiþ me if I yow haue disesyd, And mekely yow byseche I of pardoun, Me súbmittyng vn-to correccïoun. (Hoccleve.) 760 “I wot wel, first whan þat I with yow mette,

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I was ful mad, and spak ful rudëly, Þogh I nat sleptë, yit my spirit mette fful angry dremës; þoght ful bysily Vexid my goost, so þat no þing wyste I 765 What þat I to yow spak, or what I þoghte, But here & þerë I my seluen soghte. (Hoccleve.)

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“I preye yow demeth noght þat in dispyit I haddë yow, for age or poueretee; I mente it noght; but I stode in swiche plyit 770 Þat it was noþing likly vn-to me,

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voir. Seigneur, tu pourras agir ainsi avec moi, si cela te plaît. Mais j’espère être toujours certain de cet endroit que ta miséricorde nous a racheté, s’il te plaît de poursuivre tes grâces. Ah ! Seigneur tout puissant, accorde-moi le repentir durant ma vie et je subirai tes coups dans une volontaire acceptation. Je pourrais parler encore longtemps de la jeunesse et raconter ce que j’ai fait, mais le jour passe vite, et je préfère de beaucoup connaître les malheurs qui t’accablent maintenant. Dismoi tout, mon bon fils, et presse toi ; je t’écouterai comme tu l’as fait pour moi, et je te conseillerai autant que je le peux » (704-752). – Grand merci, cher père, pour tes paroles. Tu m’as bien réconforté et apaisé, et je te prie de tout mon cœur, de ne pas être mécontenté par ce que je vais te dire en premier lieu ; je regretterais de te fâcher. Je te demande humblement pardon et me soumets à tes rebuffades. Je sais bien, tout d’abord, que lorsque je te rencontrai, je fus bien fou et te parlai rudement. Bien que n’ayant pas dormi, mon esprit avait eu des rêves bien méchants. Angoisse tourmentait beaucoup mon âme, si bien que je ne me rappelle rien de ce que j’ai pu te dire ou penser, sinon que je me cherchai partout moi-même. Je t’en prie, ne me juge pas parce que j’ai d’abord méprisé l’âge ou la pauvreté. Ce n’était pas intentionnel, mais j’étais dans une telle détresse et si abattu, qu’il me semblait impossible – même si tu

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Þogh ye had knowen al my pryuete, Þat ye myghten my greef þus han abregged As ye han done; so sore I was aggregged. (Hoccleve.)

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“ffadir, as wisly god me saue and spede, 775 Ye ben not he whom þat I wende han founde;

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Ye ben to me ful welcome in þis nede; I wot wel ye in hy vertu habounde. Your wys reed, hope I, helë schal my wounde; My day of helþe is present, as me þinkiþ; 780 Youre confort deepe in-to myn hertë synketh. (Hoccleve.)

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“Myn hertë seiþ þat youre beneuolence, Of reuthë meeuëd, & verray pytee Of my wo, doþ his peyne & diligence Me to releue of myn infirmytee. 785 O goodë fadir, blissed mote ye be, Þat han swich reuthe of my woful estat, Which wel ny was of helpë desperat. (Hoccleve.)

788 789 791 792 793 794

“But, fadir, thogh ther be dyuersitee fful gret betwixt your excellent prudénce 790 And þe folyë þat regneth in me, Yit god it wot, ful litil differénce Is ther betwixt þe hete and þe feruénce Of louë wich to agid folk ye haue, And myn, al-thogh ye deeme I hem depraue. (Hoccleve and Beggar.) 795 “ffor if þat I þe sothë schal confesse,

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The lak of oldë mennës cherisshynge Is cause and ground [eke] of myn heuynesse, And éncheson of my wofúl murnynge; That schal ye knowe, if it be your lykynge, 800 Þe causë wite of myn aduersitee.” “Þis telle on, in þe name of crist,” seyde he;

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avais connu mes affaires – que tu puisses abréger ma souffrance comme tu l’as fait. Père, que Dieu me sauve et m’assiste avec certitude, tu n’es pas celui que je pensais rencontrer, mais tu as été pour moi très bienvenu dans mon besoin. Je sais bien que tu abondes en grandes vertus  ; ton sage conseil, je l’espère, soignera ma blessure. Le jour de ma guérison est présent, me semble-t-il et ton réconfort s’est versé profondément dans mon cœur. Mon cœur me dit que ta bienveillance, mue par la miséricorde et une réelle pitié pour mon malheur, a peiné avec diligence, pour me relever de mon infirmité. Ô, bon père, puisse-tu être béni, toi qui as tant pitié de mon malheureux état, qui était bien proche du désespoir. Mais, père, bien qu’il y ait une grande disparité entre ton excellente prudence et la folie qui règne en moi, pourtant, Dieu le sait, il y a peu de différence entre la chaleur et la ferveur de l’amour que vous avez envers les personnes agées, et la mienne, bien que vous jugiez que je la déprave. Car si je dois confesser la vérité, le manque de réconfort des hommes âgés est la cause et la fondation de toute ma peine, la raison de ma grande tristesse. Tu vas connaître, si tu le veux, la cause de mon adversité (753-800). – Oui, dis-la moi, au nom du Christ  »,

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(Beggar and Hoccleve.) 802 803 804

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“Sauf first, or þow any forthér preceede, On tyng of þe, wite wold I, my sone; Wher dwelles þow?” [Hoc.] 805 “fadir, with-outen drede, In þe office of þe priuee seal I wone; And wrytë þer, is my custume and wone Vn-to þe seel, and hauë xxti yeer And iiij, come estren, and that is neer.” (Beggar.) 810 “Now sekir, sonë, that is a fair tyme;

811 812 813 814 816

The token is goode of thy continuance. Come hidir, goode, and sitte a-doun heer by me, ffor I mot rest awhile, it is my penance; To me thus longë walke, it doth nusance 815 Vnto my crookid feeble lymës olde, That ben so stif, vnnethe I may hem folde.” (Beggar and Hoccleve.)

817 818 819

Whan I was set adon, as he me prayede, “Telle on,” seyde he, “how is it with þe, how?” An I began my tale, and þus I seyde:— 820 “My ligë lord, þe kyng wich þat is now, Henricus iiijus [R.]

821 822 823

I fyndë to me gracïous ynow; God yelde him! he haþ for my long seruise Guer-douned me in couenable wyse. (Hoccleve.)

824

“In thé schequér, he of his special grace, 825 Hath to me grauntid an annuitee

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Of xxti mark, while I haue lyuës space. Mighte I ay paid ben of þat duëtee, It schuldë stondë wel ynow with me; But paiëment is hard to gete adayes; 830 And þat me put in many foule affrayes.

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dit-il. Mais d’abord, avant que tu n’ailles plus loin, il y a une chose que j’aimerais savoir, mon fils : où résides-tu ? » – Père, [je le dis] sans crainte, je suis à l’office du Sceau Privé et j’écris – tel est ma pratique habituelle – et réside sous le Sceau, depuis bientôt vingt-quatre ans – aux prochaines Pâques, ce qui est proche. – Vraiment, fils, cela fait un bon moment ; c’est un bon signe de ta persévérance. Viens par là, mon bon, et assieds toi près de moi, car je dois me reposer un peu ; une si longue marche est une pénitence pour moi – c’est une nuisance pour mes vieux membres faibles et abîmés. Lorsque je fus assis comme il m’en priait, il dit : – Continue, parle-moi de toi. Et je commençai mon histoire ainsi : – Mon seigneur lige, le roi qui est maintenant, a été pour moi plein de grâce. Que Dieu le récompense, il m’a, pour mon long service, récompensé convenablement. De sa grâce spéciale, il m’a accordé une annuité de l’Échiquier de vingt marcs, durant toute ma vie. Si j’avais toujours été payé de ce dû, tout irait bien assez pour moi. Mais le paiement est dur à obtenir de nos jours et cela m’effraie grandement. Les

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(Hoccleve.) 831 832 833 834 836 837

“It goht ful streite and scharp or I it haue; If I seur were of it be satisfiëd ffro yeer to yeer, than, so god me saue, My deepë rootid grief were remediëd 835 Souffissantly; but how I schal be gyëd Heer-after, whan þat I no lenger serue, This heuyeth me, so þat I wel ny sterue. (Hoccleve.)

838 839 841 842 843 844

“ffor syn þat I now, in myn agë grene, And beyng in court, with gretë peyne vnneth 840 Am paid; in elde, and out of court, I weene My purs for þat may be a ferthyng shethe. Lo, fader myn, þis dullith me to deth; Now god helpe al! for but he me socoure, My futur yeerës lik ben to be soure. (Hoccleve.) 845 “Seruyse, I wot wel, is non heritage;

846 847 848 849 851

Whan I am out of court an oþer day, As I mot, whan vpon me hastiþ age, And þat no lengere I labourë may, Vn-to my porë cote, it is no nay, 850 I mote me drawe, & my fortune abyde, And suffre storm after þe mery tyde. (Hoccleve.)

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“Þere preue I schal þe mutabilitee Of þis wrechéd worldës affeccioun, Which, whan þat youthe is past, begynneþ flee. 855 ffrendchipe, a dieu! farwel, dileccïoun! Age is put out of youre proteccioun; His loke vnlusty, & his impotence, Qwenchiþ youre loue & youre beneuolence. (Hoccleve.)

859

“That after-clap, in my myndë so deepe 860 Y-fycched is, & haþ swich roote y-caght,

861 862

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Þat al my ioye & myrthe is leyde to slepe; My schip is wel ney with dispeir y-fraght.

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choses vont rudement, avant que je l’obtienne. Si j’étais sûr d’être payé d’année en année, alors, que Dieu me sauve, ma douleur bien enracinée serait suffisamment soulagée. Mais comment serai-je protégé lorsque je ne pourrai plus servir – cela me pèse tant que j’en meurs presque de faim. Car si, alors que je suis dans un âge encore vert et au sein de la cour, je suis payé avec de grandes difficultés, j’imagine que, vieux et hors de la cour, ma bourse vaudra à peine un sou. Vraiment, mon père, cela me frappe à mort. Vraiment, à moins que Dieu ne m’aide et me secoure, mes futures années seront sans doute bien amères. Le service, je le sais bien, n’est pas un héritage  ; lorsqu’un jour je serai hors de la cour, comme l’âge tombera sur moi et que je ne pourrai plus travailler davantage, je devrai me retirer dans ma pauvre maison, ce n’est pas la peine de le nier, avec ma fortune au loin ; et je devrai subir la tempête après la joyeuse marée (801-851). Je serai alors la preuve de l’inconstance des émotions de ce monde maudit qui, lorsque la jeunesse passe, commencent à s’envoler. Adieu, amitié ! Adieu, plaisirs ! L’âge est exclu de votre protection  ; son regard déplaisant et son impotence détruisent votre amour et votre bienveillance. Ces malheureuses conséquences sont tellement ancrées dans mon esprit et y ont de telles racines, que toute ma joie et mon plaisir sont portés à dormir ; mon bateau est bien chargé de désespoir. Ceux qui sont

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Þey þat nat konnë lerned be ne taght By swiche ensaumples, smerte as þey han seen, 865 Me þinkeþ, certes, ouer blyndë been. (Hoccleve.)

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“Allas! I se reuthe & pitée exiled Out of þis land; allas, compassïoun! Whan schol ye þre to vs be reconsiled? Youre absence is my greuous passïoun; 870 Resorte, I preye yow, to þis regioun; O, come ageyn! þe lak of your presénce Manaceþ me to sterue in indigence. (Hoccleve.)

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“O fekil world! allas, þi variaunce! How many a gentilman may men nowe se, 875 Þat whilom in þe werrës olde of fraunce, Honured were, & holde in grete cheerte ffor hire prowesse in armës, & plente Of frendës hadde in youþe, & now, for schame, Allas! hir frendeschipe is crokéd & lame. (Hoccleve.) 880 “Now age vnourne a-wey puttéþ fauoúr,

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Þat floury youþe in his seson conquerde; Now al forgete is þe manly laboúr Þorgh whiche ful oftë þey hire foos afferde; Now be þo worþi men bet with þe yerde 885 Of nede, allas! & non haþ of hem routhe; Pyte, I trowe, is beried, by my trouþe. (Hoccleve.)

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“If sche be deed, god haue hire soule, I preye; And so schal mo hereafter preye, I trowe. He þat pretendiþ him of most nobley, 890 If he hire lakkë, schal wel wyte & knowe Þat crueltee, hire foo, may but a throwe Hym suffre for to lyue in any welþe; Hertë petous, to body & soule is helþe.

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incapables de recevoir instruction et enseignement de tels exemples pénibles sont, à mon avis, certainement pires que des aveugles. Hélas ! Je vois que la miséricorde et la pitié ont été exilées de cette terre. Hélas, la compassion ! Quand serez-vous toutes trois réconciliées avec nous ? Votre absence est ma douloureuse passion. Revenez, je vous en prie, dans cette région. Ô revenez  ! Le défaut de votre présence menace de me faire périr dans l’indigence. Ô monde trompeur, malheur à ton inconstance ! Combien de gentilshommes peuton voir maintenant, qui durant les anciennes guerres de France étaient honorés, tenus en grande affection pour leurs prouesses guerrières, et qui avaient de nombreux amis dans leur jeunesse  ; et maintenant, leur amitié est infirme et sans effet ! Maintenant, la décrépitude détourne la faveur que la jeunesse fleurie avait conquise durant sa saison ; maintenant, la valeur de l’homme, par laquelle il effrayait souvent ses ennemis, est oubliée. Maintenant, les hommes de valeur sont battus avec la croix du besoin et, hélas, personne n’a pitié d’eux ; la miséricorde est enterrée, je le crois bien. Si elle est morte, que Dieu ait son âme, je le prie et le prierai plus encore, je crois. Celui qui prétend être de la plus haute noblesse, qu’il sache vite que s’il manque [de miséricorde], la cruauté, son ennemie, ne souffrira pas longtemps qu’il vive dans le confort ; un cœur compatissant pour le corps et l’âme, voilà la

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(Hoccleve.) 894

“Ye oldë men of armës þat han knowe 895 By syghte & by report hire worþynesse,

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Lat nat mescheef tho men thus ouer-throwe! Kythe vp-on hem youre manly gentillesse! Ye yongë men þat entre in-to prowesse Of armes, eek youre fadres olde hunurith; 900 Helpe hem your self, or sum good hem procurith! (Hoccleve.)

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“Knyghthode, awakë! þou slepist to longe; Thy brothir, se, ny dyeth for myschief; A-wake, and rewe vp-on his peynës stronge! If þou heer-after come vn-to swych pref, 905 Thow wolt ful sorë triste after releef; Þou art nat seur what that ye schal be-fall: Welth is ful slipir, be ware lest þou fall! (Hoccleve.)

908 909 911 912 913 914

“Þou þat yclomben art in hy honoures, And hast þis worldës welth at thy deuys, 910 And bathist now in youthës lusty floures, Be war, rede I! þou standist on þe ys: It hath ben seen, as weleful and as wys As þou, han slide: and þou þat no pitee On othir folk hast, who schal rewe on þe? (Hoccleve.) 915 “Leeuë me wel, þer is non erthly man

916 917 918 919 921

Þat hath so stable a welth, but þat it May failë, do he what þat he do kan: God, as hym list, visitith folk, & smyt. Wher-fore I deme and hold it grace & wit, 920 In hy estat, man, god and himself knowe, And releeue hem þat myscheef hath doun throwe. (Hoccleve.)

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“God willë þat þe nedy be releeued; It is on of þe werkës of mercy; And syn tho men þat ben in armës preeued, 925 Ben in-to pouert fallë, trewëly

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santé. Vous, les vieux hommes d’armes, qui connaissez de vue et de réputation sa valeur, ne laissez pas ainsi le malheur détruire les hommes ; montrez-leur votre grande noblesse. Vous aussi, les jeunes hommes, qui entrez dans les prouesses guerrières, honorez vos anciens pères  ; aidez-les vous-mêmes, ou procurez leur quelque bien (852-900). Chevalerie, réveille-toi  ! Tu as dormi trop longtemps ; ton frère, tu le vois, est presque mort de misère  ; réveille-toi et prends pitié de ses dures peines. Si tu te retrouves un jour dans une telle situation, tu attendras avec impatience un tel soulagement. Tu ne peux être certain de ce qui t’arrivera. La richesse est bien glissante ; fais attention de ne pas tomber. Bien que tu sois monté haut dans les honneurs, que tu possèdes à ta volonté les richesses du monde et que tu te baignes dans les fleurs voluptueuses de la jeunesse, prends garde, je te le conseille : tu te tiens sur de la glace. Cela s’est vu : d’aussi chanceux et fortunés que toi ont glissé ; si tu n’as aucune pitié pour les autres, qui aura pitié de toi  ? Crois-le bien, aucun homme sur terre n’a une richesse si stable qu’elle ne puisse faillir ; il fait ce qu’il peut. Dieu visite et frappe qui lui plaît. Je tiens donc pour miséricordieux et sage celui, qui en haut état, soulage ceux que la misère a jetés à bas (il devrait comprendre l’homme, Dieu, ainsi que lui-même). Dieu veut que les nécessiteux soient soulagés, c’est une des œuvres de miséricorde. Et puisque des hommes sont tombés dans la pauvreté alors qu’ils avaient fait leurs preuves dans

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Ye men of armës oghten specialy Helpe hem: allas! han ye no pitous blood That may yow stirë for to do hem good? (Hoccleve.)

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“O now in ernest, derë fadir myn 930 This worthi men to me þe mirour shewe

931 932 933 934

Of sliper frenchipe, and vn-to what fyn I drawë schal with-in a yeerës fewe, Vp-on þis woful thoght I hakke & hewe, And musë so, that vn-to lite I madde, 935 And leuer dyë þan lyuén I hadde. (Hoccleve.)

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“In faith, fadir, my lyflodë, by-side Thainuittee of which aboue I tolde, May nat exceedë yeerly in no tyde Vj mark; þat sittiþ to myn herte so colde, 940 Whan þat I look abouten, and byholde How scars it is, if þat that othir faille, That I nat gladdë can, but murne & waille. (Hoccleve.)

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“And as ferforth, as I can deeme or gesse, Whan I at homë dwell in my poore cote, 945 I fyndë schal as frendly slipirnesse As tho men now doon, whos frendeschipe is rote. Nat wold I rekke as mochel as a mote, Thogh I no more hadde of yeerly encrees, So that I myght ay paiëd be doutlees. (Hoccleve.) 950 “Two partes of my lif, & mochil more,

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I seur am, past ben; I ne doute it noght; And if þat I schold in my yeerës hore ffor-go my duëtee, that I haue boght With my flessh and my blode, þat heuy thoght 955 Which I drede ay, schal fal, as I it thynke; Me hasteth blyue vn-to my pittës brynke.

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les armes, vous les hommes d’armes devez spécialement les aider. Hélas ! N’avez-vous pas de sang compatissant qui puisse vous mouvoir à faire le bien ? (901-928) Sérieusement, mon cher père, ces hommes valeureux me montrent le miroir de l’amitié trompeuse, ainsi que la fin vers laquelle je serai attiré dans quelques années. Je ressasse cette douloureuse pensée et y pense tant que j’en deviens presque fou  ; je préfèrerais mourir que de vivre ainsi. En vérité, père, mes revenus n’excèdent jamais six marcs, en dehors de l’annuité dont je t’ai parlé. Mon cœur se glace lorsque j’envisage à quel point cela est peu, si cette dernière me fait défaut et je ne peux me réjouir, mais seulement pleurer et me lamenter. Et aussi loin que je puisse en juger, lorsque je serai à la maison dans ma pauvre cabane, je trouverai autant d’instabilité, en guise d’amitié, que trouvent maintenant ceux qui offrent une amitié de pourriture. Je ne me soucierais pas de ne recevoir que ma rente annuelle, si j’étais certain que les paiements continuent à arriver. Deux périodes de ma vie sont passées et bien plus encore, très certainement – je n’en doute pas ; et la dure pensée que je puisse dans mes vieilles années perdre ce que j’ai dûment gagné avec ma chair et mon sang – et je crains toujours que cela se passera ainsi que je le pense – me conduit rapidement vers la mort. Père, la

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(Hoccleve.) 957 958 959 961 962 963

“ffaylyng, fadir, myn annuite, ffoot hoot in me crepith disese and wo; ffor þei þat han by-forë knowen me, 960 ffaillyngë good, me failë wole also. Who no good hath, is fer his frendës fro; In muk is al þis worldës frendlyhede; My goost is wrappëd in an heuy drede. (Hoccleve.)

964

“If þat I hadde of custume, or þis tyme, 965 lyued in indigences wrechednesse,

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The lesse heerafter schuld it sit by me; But in myn agë wrastle with hardenesse, That with hym stroglid neuere in grennesse Of youthë, þat mutacïon and chaunge 970 An othir day me seemë shulde al straunge. (Hoccleve.)

971 972 973 974 976 977

“He þat neuere knewe þe swetnesse of wele, Thogh he it lakke ay, lesse hym greue it schal, Than hym þat hath ben weleful yeerës fele, And in effect hath felt no greef at al. 975 O pouert! god me sheldë fro thy fal! O deth! thy strok yit is more agreáble To me, þan lyue a lyf so miseráble. (Hoccleve.)

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“VI marc, yeerly, and no more þan þat, ffadir, to me, me thynkyth is ful lyte, 980 Consideryng, how þat I am nat In housbondryë, lerned worth a myte; Scarsely cowde I charre a-way þe kyte That me bireuë woldë my pullaille; And more axith housbondly gouernaylle. (Hoccleve.) 985 “With plow can I nat medlen, ne with harwe,

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Ne wot nat what lond, good is for what corne; And for to lade a cart or fille a barwe,— To which I neuer vsed vas to-forne,—

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perte de mon annuité me mènerait rapidement à la maladie et au malheur, car ceux qui m’ont connu auparavant ne pourront pas non plus me rendre satisfaction, étant donné qu’ils sont dépourvus du bien. Celui qui n’a rien est loin de ses amis. Toute l’amitié de ce monde est dans l’argent  ; mon esprit est enveloppé dans une grande crainte (929-963). Si j’avais dans le passé vécu dans la misère et l’indigence, cela me pèserait moins ; mais à mon âge, lutter contre les difficultés alors que ça n’a jamais été le cas dans la verdeur de ma jeunesse – ce changement [effectué] d’un jour à l’autre me semblerait trop étrange. Celui qui n’a jamais connu le confort de la richesse et qui en a toujours manqué, cela lui pèsera moins qu’à celui qui a été riche pendant des années et qui en effet n’a pas eu à subir de maux du tout. Ô, que Dieu me protège de tomber dans la pauvreté  ! Ô, qu’être frappé par la mort me serait plus agréable que de mener une vie si misérable  ! Six marcs par an, pas plus – père, il me semble que cela est peu si l’on considère que je ne suis pas suffisamment au fait de la culture de la terre pour gagner quelque chose ; je peux à peine écarter le milan qui veut se servir dans mon poulailler, alors que [ce travail] demande une bonne administration. Je ne peux pas plus me débrouiller avec une charrue qu’avec une herse, et je ne sais pas quelle terre il faut pour quel grain, ni conduire un chariot ou remplir une brouette – je n’y ai jamais été habitué

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My bak vnbuxum hath swich thyng forsworne, 990 At instance of writyng, his Werreyour,

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That stowpyng hath hym spilt with his labour. (Hoccleve.)

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“Many men, fadir, wenen þat writynge No trauaile is; þei hold it but a game: Aart hath no foo but swich folk vnkonynge: 995 Ars non habet inimicum nisi ignorantem.

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But who so list disport hym in þat same, Let hym continue, and he schal fynd it grame; It is wel gretter labour þan it seemeth; Þe blyndë man of coloures al wrong deemeth. 1000 Cecus non iúdicat &c. (Hoccleve.)

“A writer mot thre thyngës to hym knytte, And in tho may be no disseuerance; Mynde, ee, and hand, non may fro othir flitte, But in hem mot be ioynt continuance. 1005 The mynde al hoole with-outen variance 1006 On þe ee and hand awaytë moot alway, 1007 And þei two eek on hym; it is no nay. 1001 1002 1003 1004

(Hoccleve.) “Who so schal wrytë, may nat holde a tale With hym and hym, ne syngë this ne that; 1010 But al his wittës hoolë, grete and smale, 1011 Ther must appere, and halden hem ther-at; 1012 And syn, he spekë may, ne syngë nat, 1013 But bothë two he nedës moot forbere, 1014 Hir labour to hym is þe alengere. 1008 1009

(Hoccleve.) 1015 “This artificers, se I day be day, 1016 1017 1018 1019

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In þe hotteste of al hir bysynesse Talken and syng, and makë game and play, And forth hir labour passith with gladnesse; But we labour in trauaillous stilnesse;

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auparavant. Mon dos, qui ne veut plus se courber, a renoncé à de telles choses ; c’est à cause du travail d’écriture, son persécuteur, qui l’a ruiné par sa dureté. Beaucoup de gens, père, croient que l’écriture n’est pas un travail  ; ils pensent que c’est un jeu19. L’art n’a d’ennemi que l’homme ignorant ; mais pour celui qui souhaite s’amuser de cette manière, laissez-le continuer et il y trouvera bientôt du désagrément ; c’est un bien plus grand travail qu’il n’y paraît. L’homme aveugle juge mal des différentes couleurs. Un scribe doit rassembler trois choses, qui ne peuvent être séparées : l’esprit, l’œil et la main – aucune [d’entre elles] ne peut être éloignée, mais elles doivent se situer dans la continuité. L’esprit tout entier, sans variation, doit surveiller sans cesse l’œil et la main, et réciproquement, on ne peut le nier. Celui qui doit écrire ne peut raconter d’histoire à tel ou tel, ni chanter ceci ou cela ; mais tous ses esprits, grands et petits, doivent apparaître et rester là. Et puisqu’il ne peut parler ou chanter, mais qu’il doit s’abstenir des deux, son travail est des plus fastidieux. Je vois chaque jour ces artisans, au plus fort de leur activité, parler, chanter, jouer et s’amuser, et accomplir son travail avec contentement ; mais nous travaillons dans un silence studieux. Nous nous courbons

19   Ce passage est l’un des rares dans la littérature de l’époque à évoquer les conditions matérielles du métier de scribe.

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1020 We stowpe and stare vp-on þe shepës skyn, 1021

And keepë muste our song and wordës in. (Hoccleve.)

“Wrytyng also doth grete annoyës thre, Of which ful fewë folkës taken heede Sauf we oure self; and thisë, lo, þei be: 1025 Stomak is on, whom stowpyng out of dreede 1026 Annoyeth soore; and to our bakkës, neede 1027 Mot it be greuous; and þe thrid, our yen, 1028 Vp-on þe whytë mochel sorwe dryen. 1022 1023 1024

(Hoccleve.) 1029

“What man þat thre & twenti yeere and more 1030 In wryting hath continued, as haue I,

1031 1032 1033 1034

I dar wel seyn it smerteth hym ful sore In euere veyne and place of his body; And yen moost it greeueth trewëly Of any crafte þat man can ymagyne: 1035 ffadir, in feth, it spilt hath wel ny myne. (Hoccleve.)

“Lo, fadir, tolde haue I yow þe substance Of al my greef, so as þat I can telle; But wel I wot it hath bene gret penance To yow with me so longë for to dwelle; 1040 I am right sikir it hath ben an helle, 1041 Yow for to herken me þus iangle & clappe, 1042 So lewdly in my termës I me wrappe. 1036 1037 1038 1039

(Hoccleve.) “But nathëlees, truste I, your pacïence Receyuë wole in gree my wordës all; 1045 And what mys-seyd I haue, of negligence, 1046 Ye wole it lete asidë slippe and fall. 1047 My fadir dere, vn-to your grace I call; 1048 Ye wote my grief; now redeth me þe best, 1049 With-outen whom my goost can han no reste.” 1043 1044

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et regardons nos feuilles de parchemin, nous réprimons nos chants et nos paroles. L’écriture provoque aussi trois grandes nuisances, auxquelles peu de gens prêtent attention à part nous. Voici ce qu’elles sont ; il y a d’abord l’estomac qui, courbé par crainte, s’aigrit  ; puis, elle cause de grands torts aux besoins de nos dos ; en troisième lieu, nos yeux doivent endurer beaucoup sur le blanc de la feuille. L’homme qui a écrit plus de vingt-trois ans en continu, comme je l’ai fait, j’ose le dire, ressent de grandes douleurs dans chaque veine et lieu de son corps. Les yeux sont les plus abîmés, en vérité, plus que pour tout autre métier imaginable. Père, en vérité, les miens sont pratiquement ruinés (9641035). Vraiment, père, je t’ai confié l’essence de ma peine, comme je peux le dire. Mais je sais bien que cela a été une grande pénitence de rester avec moi si longtemps ; je suis bien certain que cela a été un enfer de m’écouter ainsi causer et jacasser dans mon jargon de manière si ignorante. Mais néanmoins, j’ai confiance en ta patience pour que tu reçoives favorablement mes paroles ; et ce que j’ai mal dit par négligence, tu le laisseras de côté et l’ignoreras. Mon cher père, j’en appelle à ta grâce ; tu connais ma peine ; maintenant, conseillemoi au mieux car sinon, mon âme ne pourra avoir de repos (1036-1049).

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(Beggar and Hoccleve.) 1050 “Now, sonë myn, hast þou al seid and spoke

Þat þé good likyth?” [Hoccl.] 1052 “ya, fadir, as now.” [Beg.] 1053 “Sone, if oght in þin herte elles be loke, 1054 Vnlokke it blyue! com of; what seist þou?” [Hoccl.] 1055 “ffadir, I can no morë tellë yow 1056 Þan I beforë spoken haue and sayd.” [Beg.] 1057 “A goddes half, sone, I am wel appayd. 1051

(Beggar.) “Conceyued haue I, þat þou gret fere haast Of pouert, for to fallen in þe snare; 1060 Thow haast þer-innë caght so deep a taast, 1061 Þat of al ioyë þou art voide & bare; 1062 Þou ny dispeirëd art of al wele-fare, 1063 And þe strook of pouert art þou fer fro; 1064 ffor shamë! why makest þou al this wo? 1058 1059

(Beggar.) 1065 “I put cas,—as god þer-fro þe keepe!—

Þou were y-fall in indigent pouert; Suldest þou grucche, and thyn annoy by-weepe? Nay! be þou riche or poore, or seke or quert, God thank alway, of thyn ese and þi smert; 1070 Prydë þe noght for no prosperitee, 1071 Ne heuye þe for non aduersite. 1066 1067 1068 1069

(Beggar.) “Pouert hath in himself ynow greuance, With-outen þat that man more him purcháce; Who-so it taketh in pacient suffraunce, 1075 It is ful plesant beforn cristës face; 1076 And whoso gruchith, forfetith þat grace 1077 That he schuld han, if þat his pacïence 1078 Withstoode þe grief, and made it résistence. 1072 1073 1074

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– Vraiment, mon fils, as-tu dit et exprimé tout ce qui te semblait bon ? – Oui, père, pour le moment. – Fils, si tu as une autre chose enfermée dans ton cœur, ouvre ce dernier rapidement. Allez, que dis-tu ? – Père, je ne peux rien dire de plus que ce que je n’ai déjà dit. – Au nom de Dieu, fils, je suis satisfait. Il me semble que tu as grand peur de la pauvreté parce qu’elle te ferait tomber dans l’infortune ; tu en as attrapé un goût si profond, que tu es vide et dénué de toute joie. Tu désespères pratiquement de tout bienêtre, et tu as peur d’être frappé par la pauvreté ; fi, pourquoi provoques-tu tout ce malheur ? J’avance le cas – que Dieu t’en garde – que tu sois tombé dans une pauvreté indigente. Dois-tu grommeler et pleurer sur ton sort ? Non, que tu sois riche ou pauvre, malade ou en bonne santé, remercie toujours Dieu de ton confort ou de ta peine ; ne sois pas fier de ta prospérité, ne te trouble pas dans l’adversité. La pauvreté est en-elle même assez pénible pour que l’homme n’en rajoute pas davantage. Celui qui la subit dans une résignation patiente est plaisant au visage du Christ. Et celui qui se plaint est privé de cette grâce, qu’il aurait si sa patience repoussait la peine et le faisait résistant (1050-1078).

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(Beggar.) 1079

“My sone, as witnessith holy scripture, 1080 Discreet and honest pouert manyfold

1081 1082 1083 1084

Commendid is; crist himself, I þe insure, To loue and teche and prechen it hath wold. He did al þis; be þou neuer so bold, A-gayn pouert heer-after grucche, I rede; 1085 ffor forther-more in holy wryt I rede; (Beggar.)

1086

“Beholde þe lyf [eek] of our sauëour, Augustinus. Volue vitam saluatoris a tempore natiuitatis sue usque ad crucis patibulum, Et non inuenies in ea nisi stigmata paupertatis. Numquid ergo, homo melior est deo &c.

Right fro the tyme of his natiuite Vn-to his deth, as þat seith myn Auctour, And tokne in it schal þou non fynde or se, 1090 Bot of pouert, with which content was he. 1091 Is man better than god? schal man eschewe 1092 Swych lyf, syn god þat samë wolde ay swe? 1087 1088 1089

(Beggar.) 1093

“ffy! it is to gret an abusioun, Bernardus in sermone de vigile Natiuitatis domini None magna abusio est, et nimis magna, vt vbi diues esse velit vilis vermiculus propter quem deus magestatis, & dominus sabaoth, dignatus est voluntarie pauper fieri.

To seen a man, þat is but wormës mete, 1095 Desire richés, and gret possessioun, 1096 Wher as our lord god wold hym entremete 1097 Of no richés; he deynëd it nat gete; 1098 He lyued poorëly, and pouert chees, 1099 Þat myghte han ben ful riche; it is no lees. 1094

(Beggar.) 1100 “The poorë man slepith ful sikirly

Seneca in prouerbiis: Securus enim a nocturnis furibus

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Mon fils, comme en témoignent les Saintes Écritures, une pauvreté honnête et discrète est souvent recommandée. Le Christ lui-même, je te l’assure, l’a aimée, enseignée et prêchée ; il a fait tout cela. Ne fais donc pas preuve d’orgueil en te plaignant de la pauvreté, je te le conseille, car de plus, je lis dans les Saintes Écritures : réfléchis sur la vie de notre Sauveur, depuis sa nativité jusqu’à sa mort, comme le dit mon auteur, et tu ne trouveras rien, sinon la pauvreté, avec laquelle il était heureux. Y a-t-il un meilleur homme que Dieu ? Un homme évitera-t-il une telle vie, alors que Dieu lui-même l’a suivie ? Fi ! C’est un trop grand abus que de voir un homme, qui n’est que de la chair à vers, désirer la richesse et de grandes possessions, alors que notre Seigneur Dieu ne voulait rien avoir à faire avec la richesse – cela ne lui semblait pas convenir ; il a vécu pauvrement et a choisi la pauvreté, alors qu’il aurait pu être riche, je ne mens pas. L’homme pauvre dort en sécurité la nuit,

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dormit pauper, etiam si claustra non muniat; diuiti vero opes sue latronis semper ymaginantur occursum, & iugi sollicitudine noccium sompnum adimunt. On nyghtës, thogh his dorë be noght shit, Wher-as þe riche, a-beddë bisily Casteth and ymagineth in his wit, That necessarie vnto him is it 1105 Barrës and lokkës strongë for to haue, 1106 His goed from theeuës for to keep & saue. 1101 1102 1103 1104

(Beggar.) “And when þe deed sleep fallith attë laste On hym, he dremeth theeuës comen in, And on his cofres knokke, & leye on faste, 1110 And some hem pykë with a sotil gyn, 1111 And vp is broken, lok, hasp, barre & pyn; 1112 And in, þe hande goth, and þe bagge out takiþ; 1113 ffor sorwe of which, out of his slepe he wakiþ; 1107 1108 1109

(Beggar.) 1114

“And vp he rysith, foot and hand tremblyng, 1115 As þat assailed hym þe parlësye;

1116 1117 1118 1119

And at a stirt, withouten tarying, Vn-to his cofre he dressith hym in hye; Or he there come, he is in poynte to dye; He it vndoth, and opneth, for to se 1120 If þat his falsë goddës ther-in be: (Beggar.)

1121

“He dredith fynde it as þat he hath drempt. Idem Seneca: Saeculi autem potestas sine timore periculi nunquam est, sed paupertas semper secura est.

This worldës power ánd riche hábundance, Of drede of peryl neuere ben exempt; But in pouert is ay sikir constance: 1125 Who holdith hym content, hath sufficiance. 1126 And sonë, by my rede þou schalt do so, 1127 And by desir of good nat sette a slo. 1122 1123 1124

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bien que sa porte ne soit pas close, alors que le riche se couche préoccupé, calcule et imagine dans son esprit ce qui lui est nécessaire : des barres et des serrures pour protéger et garder ses biens des voleurs. Et quand enfin il tombe dans un sommeil profond, il rêve que des voleurs arrivent, attaquent ses coffres et s’en emparent rapidement ; et quelqu’un ouvre la serrure avec un subtil stratagème  ; serrure, fermoir, barres petite et grande sont cassés ; tout va dans sa main et le sac est pris ; par peine de tout cela, [le riche] est tiré de son sommeil. Et il se lève, pieds et mains tremblants, comme assailli par une paralysie ; et dans l’instant et sans délai, il s’habille pour aller vers son coffre et avant d’y arriver, il est sur le point de mourir. Il le défait et l’ouvre pour voir si ses faux dieux y sont. Il craint de le trouver tel qu’il l’a imaginé. Le pouvoir du monde et la riche abondance ne sont jamais exempts de la peur du danger, alors qu’une sûre constance se trouve toujours dans la pauvreté. Celui qui reste content a ce qui lui suffit et, fils, par mon conseil tu te conduiras ainsi et tu ne te soucieras pas plus du désir de richesse que d’une prune (1079-1127).

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(Beggar.) “Wilful pouért in princes ancïen So ferforth was, þat þey desired more 1130 Good loos þan good; bot now-of-dayes, men 1131 Yerne and desiren after muk so sore, 1132 Þat they good fame han leyd a watir yore, 1133 And rekken neuer how longe it þer stipe, 1134 Or thogh it drenchë, so þei good may grype. 1128 1129

(Beggar.) 1135 “Of Siȝilë whilom þer was a kyng 1136

With erthen wessel serued at his table; Nota

And men, wondryng faste vpon this thyng Seyd vn-to hym, it was nat honurable To his estat, ne nothyng comendable, 1140 Axynge hym why hym list be serued so; 1141 To which demandë he answerdë tho: 1137 1138 1139

(Beggar.) “He seyd: ‘thogh I kyng be of siȝilë, A potter was my fadir, is no nay; How long I schal induren, or what while 1145 In my prosperitee, nat knowe I may: 1146 ffortunës variance I drede alway; 1147 Ryght as sche madë me to clymbe on highte 1148 Sodenly, so sche may me make alighte. 1142 1143 1144

(Beggar.) “‘I thynke alway of my natiuitee, 1150 And of my poorë lenage & my blode; 1151 Erthen vessél, to swich a man as me 1152 fful sittyng is, and acceptable & good.’ 1153 O, fewë ben ther now left of þe brood 1154 That he cam of; he loued bet profyt 1155 Commun, than his a-vantage or delyte. 1149

(Beggar.) 1156 1157

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“How seystow by affrýcan Scipion?— Affrican clept, for þat he affryk wan;—

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La pauvreté volontaire était si présente chez les princes anciens qu’ils désiraient moins la richesse qu’une bonne réputation ; mais de nos jours, les hommes veulent et désirent trop avoir des possessions, alors que leur bonne renommée est depuis longtemps submergée dans l’eau ; et ils ne se soucient pas du temps qu’elle peut y passer ou de sa noyade – tant qu’ils peuvent saisir des biens. Il y a longtemps, en Sicile, se trouvait un roi qui avait de la vaisselle d’argile à sa table20. Des hommes s’étonnèrent rapidement de ce fait et lui dirent que ce n’était pas honorable pour son état, ni recommandable  ; et ils lui demandèrent pourquoi il lui plaisait d’être servi ainsi. À cette question, il répondit ainsi  : «  Bien que je sois roi de Sicile, mon père était un potier, je ne puis le nier. Je ne puis savoir combien de temps je profiterai de ma prospérité. Je crains toujours les changements de Fortune ; de même qu’elle m’a fait monter au plus haut, de même elle peut soudainement m’en faire descendre. Je songe toujours à ma naissance, à mon pauvre lignage et à mon sang ; la vaisselle d’argile convient tout à fait à un homme comme moi, elle est bonne et acceptable ». Il ne reste que peu de gens de l’espèce dont il provient – il préférait le profit commun à son avantage ou à son plaisir (1128-1155). Et que dis-tu de Scipion l’Africain, ainsi appelé parce qu’il avait conquis l’Afrique ?

20   Cet exemplum est emprunté au Jeu des échecs moralisés de Jacques de Cessoles. Voir L. Scanlon, Narrative, Authority and Power: The Medieval Exemplum and Chaucerian Tradition, Cambridge, 1994.

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To pouert hadde he swych affeccïoun, Of his ownë free wil & lust, þat whan 1160 He dyed, no good had þis worthy man, 1161 Wher-with his body in the erthë brynge, 1162 But þe común cost made his enterynge. 1158 1159

(Beggar.) “Be-forn þe senat was he bore on honde Ones, after he affrik wonnen hadde, 1165 That he was riche, as þey cowde vnderstonde, 1166 Of gold: to which, with wordes sobre and sadde, 1167 Answerde he þus: ‘thogh I be feble & badde, 1168 The sooth is, vnto youre subieccïoun 1169 I gat Affrik; of þat haue I renoun. 1163 1164

(Beggar.) 1170 “‘My namë was al þat I therë gat;

To wynne honour was only þe purpos Whiche þat I took, or þat I cam ther-at; Othir good hadde I non þan richë loos; ffor al þe good there was, opne or cloos, 1175 Myn hertë myghtë nat so wel content, 1176 As þe renoun only, þat I ther hent.’ 1171 1172 1173 1174

(Beggar.) “Of coueytise he was no þing coupáble, He settë nat þer by, þou mayst wel se. ffy on þe! gredynes insaciable, 1180 Of many a man, þat can nat content be 1181 Of muk, al thogh neuer so moch haue he! 1182 The kynde is euere of wreched couetyse, 1183 To coueyte ay, and haue, and nat suffyse. 1177 1178 1179

(Beggar.) “I wold, [that] euery knyght dide now þe same, 1185 And were of good no morë coueytous 1186 Than he was: what! to gete a noble fame, 1187 To knyghthode is tresór most precïous; 1188 But I was neuere so auenterous, 1189 Renoun to wynnë by swerdës conquest, 1190 ffor I was bred in á pesible nest. 1184

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Il était si attiré par la pauvreté – par sa propre volonté et son plaisir – que lorsqu’il mourut, cet homme digne ne laissa rien que son corps apporté sur terre, enterré grâce aux dépenses publiques. Un jour, après qu’il ait conquis l’Afrique, il fut accusé devant le Sénat d’être riche d’or, comme ils pouvaient le comprendre  ; à cela il répondit avec des mots sobres et sérieux : « Bien que je sois faible et mauvais, la vérité est que sous votre sujétion, j’ai conquis l’Afrique ; de cela j’ai acquis du renom. Mon nom était tout ce que j’avais ; acquérir de l’honneur était mon seul but avant d’y aller. Je n’avais pas d’autres biens qu’une riche réputation  ; mon cœur ne peut autant se contenter de toutes les richesses de là-bas, ouvertes ou cachées, que du seul renom que j’y ais acquis  ». Il n’était en rien coupable de convoitise ; il n’y accordait aucune valeur, tu peux bien le voir. Fi de l’insatiable avidité de beaucoup qui ne peuvent se contenter de leurs biens, alors que lui n’en a jamais eu  ! La nature de la méchante convoitise est de désirer toujours plus et ne pas s’en suffire (1156-1183). J’aimerais que chaque chevalier fasse de même et ne convoite pas plus la richesse qu’il ne le faisait. Quoi  ! Acquérir une noble renommée est le trésor le plus précieux de la chevalerie. Mais je ne fus jamais assez hardi pour gagner du renom par la conquête des armes, car je fus élevé dans un paisible nid. Je n’ai jamais eu de cotte

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(Beggar.) “Vpon my bak come neuere haburgeoun, Ne my knyf drew I neuere in violence; I may nat contrefetë Scipion In armës, ne his worthi excellence 1195 Of wilful pouert; but of indigence 1196 I am as riche as was euere any man, 1197 Suffre it in pacience if þat I can. 1191 1192 1193 1194

(Beggar.) “No richer am I þan þou maïst se; Of myne haue I no thyng to takë to; 1200 I lyue of almesse. if it stood with þe 1201 So streyte, and lyuedest as þat I do, 1202 I se þou woldest sorowe swychë two 1203 As I; but þou haast for to lyuen on 1204 A poore lyf; and swych ne haue I non. 1198 1199

(Beggar.) 1205 “Salamon yaf conseil, men shulden preye

Prouerbiis .30. Mendicitatem & diuicias ne dederis mihi, sed tamen victui meo necessaria. Two thyngës vn-to god, in soothfastenesse: Now herkne, sone, he bad men þus to seye: ‘Enhancë þou me, lord, to no richesse, Ne by misérie me so sore oppresse, 1210 That needë for to beggë me compelle:’ 1211 In his prouerbës þus, lo! can he telle. 1206 1207 1208 1209

(Beggar.) “But þis pouert menë conseiled he Men to desyr, þat was necéssarye To foode and clooth, dredyng lest plentee 1215 Of good hem myghtë makë to miscarie, 1216 And fro the knowlegyng of god to varie; 1217 And lest smert needë made hem god reneye: 1218 Now be war, sonë, lest þat þou folye. 1212 1213 1214

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de maille sur le dos, et n’ai jamais tiré mon couteau dans la violence. Je ne peux imiter Scipion dans les armes, ni dans sa digne excellence par rapport à la pauvreté volontaire ; mais je suis aussi riche en indigence que n’importe quel homme ; et je souffre cela avec patience si je le puis. Je n’ai pas plus de richesses que ce que tu peux voir. Je n’ai rien à prendre qui m’appartienne ; je vis d’aumônes. Si les circonstances étaient aussi dures pour toi et que tu vivais comme je le fais, je crois que tu serais deux fois plus triste que moi ; mais pour vivre, tu as un petit revenu, alors que je n’en ai pas. Salomon a conseillé aux hommes de prier Dieu que pour deux choses, en vérité. Écoute, fils, il a ordonné aux hommes de dire  : «  Ne m’élève pas, Seigneur, à la richesse, mais ne m’oppresse pas par la misère, au point que la nécessité ne m’oblige à mendier »21. Il parle ainsi dans ses proverbes. Mais il conseille une pauvreté modérée et aussi que les hommes ne désirent que ce qui est nécessaire pour se vêtir et se nourrir, de crainte que l’abondance de biens ne les conduisent à souffrir d’une mauvaise fortune ou à dévier de leur connaissance de Dieu, [de peur aussi] qu’un trop grand besoin ne les fasse renier Dieu. Prends garde, fils, ou tu agiras folle-

21

  Cf. Prov. 30 : 8.

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(Beggar.) 1219

“Sone, in þis menë pouert holde I þe, 1220 Sauf þat þou canst nat taken it ful weel.

1221 1222 1223 1224

What thogh þou lesë þin annuytee, Yit mayst þou leuen on þat othir del, Thogh nat ful delecate schal be þi meel. Of vj marc yeerly, mete & drinke & clooth 1225 Thow getë mayst, my child, with-outen oth.” (Hoccleve.)

“Ya, fadir myn, I am nat so perfite To take it so; I haue had hábundance Of welfare ay; and now stond in þe plite Of scarsetee, it were a gret penance 1230 ffor me: god scheldë me fro þat strait chance! 1231 Vj marc yeerly, to scars is to sustene 1232 The charges þat I haue, as þat I wene. 1226 1227 1228 1229

(Hoccleve.) “Tow on my distaf haue I for to spynne, Morë, my fadir, þan ye wot of yit, 1235 Which ye schal know, or þat I fro yow twynne, 1236 Yf your good lust be for to heren it; 1237 But, for as moche as it nat to me sit, 1238 Your talë for to interrupte or breke, 1239 Here-after to yow wil I þer-of speke. 1233 1234

(Hoccleve.) 1240 “Yit o worde, fader; I haue herd men seyn,

Who-so no good hath, þat he can no good; And þat fynde I, a plat sooth and a pleyn; ffor al-thogh that myn heed, vndir myn hood, Was neuere wys, yit while it with me stood, 1245 So þat I had siluer resonable, 1246 My litil wytte was sumwhat couenable. 1241 1242 1243 1244

(Hoccleve.) 1247 1248 1249

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“But now, for that I haue but a lyte, And lykly am heer-aftir to han lesse, My dul wit can to me no-thyng profyte; 1250 I am so drad of monyës scantnesse,

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ment. Fils, je crois que tu es dans cette pauvreté modérée, mais tu ne peux le prendre bien. Qu’en serait-il si tu perdais ton annuité ? Tu pourras toujours vivre de cet autre revenu, même si ton repas ne sera pas aussi raffiné. Avec six marcs par an, tu pourras obtenir de quoi manger, boire et te vêtir, mon enfant, assurément (11841225). – Oui, mon père, je ne suis pas si parfait pour le prendre ainsi  ; j’ai toujours eu abondance de biens, et maintenant, je suis en situation de manque. Ce serait grande pénitence pour moi – que Dieu me protège de cette sévère circonstance. Six marcs annuels sont trop insuffisants pour maintenir mes charges, je le crois. Je dois prendre soin de plus [de choses] que tu ne connais déjà, mon père, et tu le sauras avant que nous nous séparions, si ton bon plaisir est de l’entendre. Mais comme il ne m’appartient pas d’interrompre tes paroles, je parlerai après toi. Mais encore un mot, père. J’ai entendu dire que celui qui n’a aucun bien ne peut rien de bon ; et je trouve que c’est une claire et simple vérité. Car bien que ma tête sous ma coiffe n’ait jamais été sage, mon esprit a toujours à peu près convenu, tant que j’avais de l’argent en suffisance. Mais maintenant que je n’ai plus qu’un grand peu – et qu’il est probable que j’en ai bientôt moins – mon esprit stupide ne peut m’être profitable : je suis si effrayé par le manque d’argent que

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That myn hert is al nakid of lightnesse. Wisseth me how to gete a golden salue; And what I haue, I wele it with yow halue.” (Beggar.)

1254

“Sone, as for me, nouthir avaunte ne rere; 1255 But if disese algatës schal bityde,

1256 1257 1258 1259

ffor to be pacïent, rede I thow leere; ffor any thyng, with-holde hir on þi side; My reed wole it nat, sonë, fro the hide; Make of necessite, reed I, vertu; 1260 ffor better rede can I non, by Ihesu. (Beggar.)

“My sonë, they þat swymmen in richesse Continuelly, and han prosperitee, And neuere han felt but welëful swetnesse, Vnscourgid ay of any aduersitee, 1265 Leest god forgete hem, oughten ferdful be; 1266 Syn god in holy writ seith in þis wyse, 1267 ‘Whom so I loue, hym wole I chastyse.’ 1261 1262 1263 1264

(Beggar.) “Seint Ambroses legendë seith, how he Ones to Romë-ward took his viage, 1270 And in Tuscië, tóward þat contree, 1271 With a riche ost he took his herbergage; 1272 Of whom, as blyuë fair in his langage, 1273 Of his estate enqueren he be-gan; 1274 And vnto þat, answerde anon this man: 1268 1269

(Beggar.) 1275 “‘Right at my lust haue I al worldely welth;

Myn estat hath ben ay good, and yit is; Richesse haue I, frendschipe, and bodyes helth; Was neuere thynge me happid yit amys.’ And seint Ambrose, astonëd sore of this, 1280 Anon right rowned to his compaignye, 1281 ‘Sires, it is tyme þat we hennës hye; 1276 1277 1278 1279

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mon cœur est dépouillé de tout bonheur. Instruis-moi sur la manière d’obtenir un remède en or, et quand je l’aurai, je le partagerai avec toi à part égale (1226-1253). – Fils, en ce qui me concerne, c’est inutile ; de toute manière, si la détresse s’installe, je te conseille d’apprendre à être patient. Je ne te cacherai pas ce conseil, fils. Fais de nécessité, je te le conseille, une vertu ; je ne peux rien te conseiller de mieux, par Jésus. Mon fils, ceux qui nagent dans les richesses continuellement, qui connaissent la prospérité et qui n’ont jamais rien senti d’autre qu’un heureux plaisir et n’ont jamais été affligés par quelque adversité, devraient craindre Dieu sous peine qu’il ne les oublie ; car Dieu, par le Saint Esprit, a dit ainsi : « Celui que j’aime, je le châtierai  »22 . La légende de saint Ambroise raconte comme il entreprit un voyage vers Rome ; sur la route, en Toscane, il logea chez un homme riche23. De ce dernier et de son état, il s’enquit dans son beau langage. Et l’homme lui répondit ainsi : « J’ai les richesses de ce monde autant qu’il me plaît ; mon état a toujours été bon et l’est encore ; je possède des richesses, l’amitié et la santé du corps ; jamais rien ne me fit défaut ». Saint Ambroise fut ébahi par ces propos, et murmura aussitôt à sa compagnie : « Sires, il est temps de nous hâter. Je

22

  Cf. Apoc. 3 : 19.   La légende se trouve dans Jacques de Voragine, La légende dorée, trad. A. Boureau et alii, Paris, 2002, chapitre 57.

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(Beggar.) “‘I am adrad, god is nat in þis place; Go we fast hennës, lest þat hys vengeance ffal on vs!’ and with-in a litel space 1285 After they were agone, schop this myschance; 1286 The groundë claue and made disseuerance, 1287 And in sank man, womman, childe, hous, & al 1288 That to hym appertened, gret and smal. 1282 1283 1284

(Beggar.) 1289

“Whan þis come to Ambroses audience, 1290 He seidë to his felacheepë þus:—

1291 1292 1293 1294

‘Lo, bretheren! seeth heer in éxperience, How merciáblely our lord Ihesus Of his benyngë grace hath sparid vs! He sparith hem that vnwelthy heer ben, 1295 And to þe velthy dooth as þat ye seen.’ (Beggar.)

“This lyf, my sone, is but a chirie faire; Worldly riches, haue ay in þi memórye, Schal passe, al look it neuer on men so feire; Whil þou art heer in þis world transitórie, 1300 Enable þe to wynne eternel glorie 1301 Wher no pouert is, but perfite richesse 1302 Of ioye and blysse, and vertuous gladnesse. 1296 1297 1298 1299

(Beggar.) “O thyng tel I þe, sonë, þat is soth: Thogh a man hadde als moch as men han al, 1305 But vertu, þat good gye, al he mys dooth, 1306 Al þat swetnessë tournë schal to gal. 1307 Whan þat richesse is on a man yfal, 1308 If it be wrong dispendid or mys-kept, 1309 Another day ful sore it schal be wept. 1303 1304

(Beggar.) 1310 “Sum riche is large, and his good mys despendith 1311 1312 1313

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In mayntenance of syn and harlotrie; To swich despenses his lust hym accendith; And on þat othir parte, his nygardie

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crains que Dieu ne soit pas en ce lieu  ; hâtons-nous, de peur que sa vengeance ne tombe sur nous ». Et peu de temps après leur départ, ce malheur arriva. Le sol craqua, il y eut une fissure et l’homme, la femme, l’enfant, la maison et tout ce qui lui appartenait (petit ou grand) tombèrent dedans. Quand cela arriva aux oreilles d’Ambroise, il parla ainsi à ses amis : « Lo, mes amis, vous voyez par l’expérience comme notre seigneur Jésus peut être miséricordieux  ; dans sa grâce bienveillante, il nous a épargné. Il a épargné ceux qui n’étaient pas riches et a fait ce que vous avez vu aux riches » (1254-1295). Cette vie, mon fils, n’est qu’une fête des cerises ; aie toujours cela en mémoire, les richesses de ce monde passeront, bien qu’elles paraissent si importantes pour les hommes. Tant que tu es là dans ce monde transitoire, fais en sorte de gagner la gloire éternelle, où il n’y a pas de pauvreté mais la richesse parfaite, celle de la joie, du bonheur et du contentement vertueux. Je vais te dire une chose, fils, qui est la vérité  : même si un homme a autant que tous les autres réunis, s’il ne possède pas la vertu pour le guider, tout ce qu’il fait est mal ; toute cette douceur se transformera en bile. Lorsque la richesse tombe sur un homme, si elle est mal dépensée ou mal gardée, elle sera pleurée un autre jour. Un homme riche peut être prodigue et gaspiller ses biens en maintenant le péché et la débauche – son plaisir l’incite à de telles dépenses ; d’un autre côté, par son avarice,

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Suffrith hys neghtburgh by hym sterue & dye, 1315 Rathir þan with a ferthyng hym releeue:

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Tho two condicïons ben to repreue. (Beggar.)

“Whoso moost hath, he moost of schal answere; On day schal comë, sum men schal par chaunce Desire he neuere haddë ben rychere 1320 Than heer han hadde his barë sustinaunce. 1321 Whan þe day comth of ire and of vengeaunce, 1322 Than schal men see, how in þis world, I gesse, 1323 Richesse is pouert, and pouért richesse. 1317 1318 1319

(Beggar.) 1324

“Whyl er, my sonë, tolde I naght to þe 1325 What hábundance in youth I hadde of good,

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And how me blentë so prosperitee, Þat what god was, y nothing vnderstood? But ay whil þat I in my welthë stood, After my flesshly lust my lif I ledde, 1330 And of his wrechë no þing I me dredde. (Beggar.)

“And as I seid, he smot me with þe strook Of pouert, in which I contynue yit, Whos smert my good blood first so sorë sook, Or þat I was acqueyntid wel with it, 1335 Þat nye it haddë refte fro me my wit; 1336 But sithen, thanke I god, in pacïence 1337 I haue it take, and schal, for myn offence. 1331 1332 1333 1334

(Beggar.) “If þe list fle, þat may pouert engendre, ffirst synne eschue, and god honoure & drede; 1340 Also, for þi lyflode is scars and sclendre, 1341 Despendë nat to largëly, I rede. 1342 Mesure is good; let hir þe gye and lede; 1343 Be war of outrage, and be sobre & wys; 1344 Þus þou excludë hym, by myn avys. 1338 1339

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il peut faire souffrir ses voisins qui meurent de faim, au lieu de les soulager avec un sou. Ces deux circonstances sont à réprouver. Celui qui a beaucoup, devra répondre de beaucoup ; un jour viendra où certains désireront ne jamais avoir été plus riches que ceux qui ont juste de quoi subsister. Quand le jour de la colère et de la vengeance viendra, alors les hommes, je le suppose, penseront que dans ce monde, la richesse est pauvreté et la pauvreté richesse. Ne t’ai-je pas parlé tout à l’heure de l’abondance de richesses que j’avais dans ma jeunesse ? Et de la manière dont la prospérité m’a aveuglée – je ne comprenais rien à ce qu’était Dieu  ? Je me suis complu dans ma richesse, j’ai mené ma vie selon le plaisir de ma chair et je n’ai cru en rien à sa vengeance. Et, comme je l’ai dit, il m’a frappé du coup de la pauvreté, dans laquelle je me trouve encore, et dont la douleur m’a sucé tout mon bon sang et m’a pratiquement séparé de mon esprit, avant que j’apprenne à bien la connaître. Mais depuis – j’en remercie Dieu – j’ai pris et je prendrai patience pour mes offenses (12961337). Si tu veux fuir ce qui peut engendrer la pauvreté, évite d’abord le péché, honore et crains Dieu. De plus, si ton revenu est faible et insuffisant, ne le dépense pas avec trop de largesse, je te le conseille. La mesure est une bonne chose, laisse la te guider et te mener ; attention à l’extravagance, soit sobre et sage ; ainsi, tu tiendras [la pauvreté] à l’écart, à mon avis. Néan-

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(Beggar.) 1345 “Nathëlees þou maist ágeyn me replie,

‘To sum folk, thogh þei doon al as I seye, Agayn pouert it is no remedye; Þei mow it nat eschuë by no waye.’ I grauntë wel, but þan take heede, I preye, 1350 The iugëmentȝ of god ben to vs hid; 1351 Take al in gree, so is þi vertu kyd. 1346 1347 1348 1349

(Beggar.) “To þe plesaunce of god þou þe conforme, Aboutë þat be bisy and éntentif; Þat þou mis-done hast, þou blyue it reforme; 1355 Swych laborer þe kythe heere in þis lyf, 1356 Þat god þi soulë, which þat is his wyf, 1357 Reioisë may, for it is to him due, 1358 And his schal be, but þou þe deuors sue. 1352 1353 1354

(Beggar.) 1359

“O þou, fortunë, fals and deceyuáble! 1360 fful soþ it is, if þou do a good deede,

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Þu nat purpósist it schal be duráble; Of good ententë schal it nat procede. Wel oghte vs þi promesses blyndë drede; He sliperly stant who þat þou enhauncest, 1365 ffor sodeynlichë þou hym disauauncest. (Beggar.)

“Hadde I done, sonë, as I þe consayle, Whan þat fortunës déceyuáble cheere Lawhid on me, þan hadde I nat, sanȝ fayle, Ben in þis wrecched plyt as þu seest heere. 1370 Not knew my ȝouthe hir chaungeable maneere; 1371 ffor whan I satte on hy vp-on hir wheel, 1372 Hir gladsum look me madë truste hire wel. 1366 1367 1368 1369

(Beggar.) “I cowdë for no þing han wend or deemed Þat sche a-boutë baar dowble visage; 1375 I wende sche haddë ben swiche as sche semed. 1376 But nathëles, ȝit is it auantage 1373 1374

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moins, tu pourrais me répliquer que pour certains, ce n’est pas un remède, même s’ils agissent comme je l’ai dit, et qu’ils ne peuvent l’éviter en aucune manière. Je te l’accorde, mais prête tout de même attention [à mes conseils], je t’en prie. Les jugements de Dieu nous sont cachés  ; accepte tout avec bonne volonté, et ta vertu sera démontrée. Tu dois te conformer à ce qui plaît à Dieu, sois-y occupé et diligent. Ce que tu as mal fait, réforme le rapidement ; montre-toi un bon travailleur dans cette vie afin que ton âme, qui est la femme de Dieu, réjouisse ce dernier pour ce qui lui est dû, et qu’il ne veuille pas divorcer (13381358). Ô toi Fortune, fausse et trompeuse, il est bien vrai que, si tu fais une bonne action, ce n’est pas pour qu’elle soit durable  ; elle ne procédera pas d’une bonne intention. Nous devrions craindre tes promesses aveugles. Celui que tu fais avancer se tient de manière instable, car soudainement, tu le fais descendre. Si j’avais agi, fils, comme je te le conseille, quand Fortune, avec son visage trompeur, a ri de moi, alors je ne serais pas dans le dur état dans lequel tu me vois là, assurément. Je ne connaissais pas dans ma jeunesse ses manières changeantes, car lorsque j’étais assis au sommet de sa roue, son regard plaisant m’a fait avoir confiance. Je n’aurais jamais pu supposer ou estimer qu’elle avait un double visage ; je pensais qu’elle était ce qu’elle semblait. Mais néanmoins c’est un avantage pour celui qui est

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To him þat woful is, þat hir vsage Is for to flyttë fro placë to place; Hire variance is vn-to sum folke grace. (Beggar.) 1380 “Whom so þat nedë greueþ & trauaylliþ,

Hire change is vn-to hym no grief or wo; But þe contrárie of þat no þing auaylliþ, As whan a man is wel, put hym þerfro. What schal men calle hir? frende, or ellys fo? 1385 I not; but call hire frend, whan þat sche esiþ, 1386 And calle hir fo, whan þat sche man displesiþ. 1381 1382 1383 1384

(Beggar.) “But who so calle hir schal a sikir name? Men mote hir clepe ‘my lady chaungeabil,’ ffor hardily sche is þat seluë same; 1390 A! nay! I gabbe, I am vn-resonabil; 1391 Sche is ‘my lady stidëfast and stabil,’ 1392 ffor I endure in pouertës distresse, 1393 And sche nat liste remuë my duresse. 1387 1388 1389

(Beggar.) 1394

“I ymagynë whi þat nat hir list 1395 With me now dele; age is colde & drye;

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And whan þo two ben to a lady wist, And þat I poore am eek for þe maystrie, Swiche a man is vnlusty to hire ye, And wers to gropë: straw for impotence! 1400 Sche loueþ yong folk, & large of dyspence. (Beggar.)

“Al þis þat I haue of fortunë seyde, Is but a iapë, who seith, or a knak: Now I a whilë bourdyd haue & pleyde, Resorte I wol to that þat I first spake. 1405 By-holde, & cast þou þine yë a-bak, 1406 What þou god hast a-gilt in tymë past, 1407 Correct it, and to do so eft be a-gast. 1401 1402 1403 1404

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malheureux, que son usage soit d’aller de lieu en lieu ; son attitude changeante est une grâce pour certains. Pour celui que le besoin harasse et oppresse, son inconstance n’est ni une peine, ni un mal ; mais le contraire de cela ne donne aucun résultat si l’homme a bien pris ses distances a son égard. Comment les hommes doiventils l’appeler ? Amie ou ennemie ? Je ne sais pas, peut-être l’appeler amie quand elle réconforte l’homme, et l’appeler ennemie quand elle lui fait du mal. Mais pour ceux qui veulent la nommer d’un nom certain, ils l’appelleront ma dame changeante, car elle est rarement la même. Ah, je jase. Je ne suis pas raisonnable. Elle est ma dame ferme et stable, car ma détresse dans la pauvreté est durable, et il ne lui plaît pas de faire disparaître mon affliction. Je peux imaginer pourquoi il ne lui plaît pas de s’occuper de moi désormais : la vieillesse est froide et sèche ; quand les deux sont connus de la dame, et qu’en plus il y a une pauvreté extrême, un homme n’est pas plaisant à ses yeux et il est pire encore à toucher – au diable l’impuissance! Elle aime les hommes jeunes et prodigues. Tout ce que j’ai dit de Fortune n’est qu’une blague ou une farce, si l’on peut dire. Maintenant que j’ai plaisanté et joué un temps, je reviens à ce dont je parlais en premier. Fais attention et regarde derrière toi ; corrige ce qui a offensé Dieu dans le passé, avant d’être effrayé (1359-1407).

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(Beggar.) “Of holy chirche, my sonë, I conceyue As ȝit ne hast þou non a-vancëment: 1410 Ye courteours, ful often ye deceyue 1411 Youre soulës, for þe désirous talént 1412 Ye han to good; & for þat þou art brent 1413 With couetysë now, par auenture 1414 Only for muk, þou ȝernest soulës cure. 1408 1409

(Beggar.) 1415 “fful many men knowe I, þat gane and gape

After som fat & richë benefice; Chirche or prouendre vnneþe hem may eschape, But þei as blyue it henten vp and trice: God graunté þei accepte hem for þe office, 1420 And noght for þe profet þat by hem hongeþ, 1421 ffor þat conceytë nat to prestehode longeþ. 1416 1417 1418 1419

(Beggar.) “A-dayës now, my sone, as men may se, O chirche vn-to a man may not suffise; But algate he mote han pluralite, 1425 Elles he can not lyuen in no wyse. 1426 Ententifly he kepiþ his seruise 1427 In courte; his labour þerë schal not moule; 1428 But to his curë lokiþ he ful foule. 1422 1423 1424

(Beggar.) 1429

“Thogh þat his chauncel roof be al to-torn, 1430 And on þe hye auter it reyne or snewe,

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He rekkiþ noght, þe cost may be for-born Cristes hous tó repare or makë newe; And þogh þer be ful many a vicious hewe Vnder his cure, he takiþ of it no kepe, 1435 He rekkeþ neuer how rusty ben his schepe. (Beggar.)

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“The oynëment of holy sermonynge Hym loþ is vp-on hem for to despende; Som person is so threde-bare of konnynge Þat he can noght, þogh he hym wys pretende,

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Il me semble, mon fils, que tu n’as pas encore bénéficié d’une nomination au sein de la sainte Eglise. Vous autres courtisans, trompez souvent vos âmes à cause du désir d’avoir des biens  ; vous êtes nourris de cupidité, en vérité, et vous ne vous souciez des âmes que pour gagner quelque bien. Je connais beaucoup d’hommes qui soupirent après un gros et riche bénéfice ; une église ou une prébende peut leur échapper une fois, mais ils ne s’en saisiront que plus vite ensuite. Dieu veuille qu’ils les acceptent pour l’office et non pour le profit qu’ils en tireront, car cette idée ne convient pas à l’état de prêtre24. De nos jours, mon fils, on le voit bien, une église ne suffit plus à un homme ; il lui en faut plusieurs, où il ne peut vivre en aucune manière. Il garde consciencieusement son service à la cour et son travail n’y moisira pas, mais il ne prête aucune attention à sa cure. Bien que le toit du chœur soit tout abîmé et qu’il pleuve ou neige sur l’autel, il n’en tient pas compte ; le coût pour réparer ou remettre à neuf la maison du Christ peut être évité. Et bien qu’il y ait plus d’un vicieux dans sa paroisse, il n’y prête pas attention ; il ne voit pas combien ses ouailles peuvent être corrompues. Il lui répugne de s’employer en quoi que ce soit à l’onguent du sermon sacré. Certains curés sont tellement dénués de savoir qu’ils ne le peuvent pas, même s’ils prétendent être sages ; et ceux qui le

24

  Les accusations concernant le pluralisme, l’absentéisme et l’ignorance des prêtres et des clercs étaient des thèmes courants de la satire anticléricale. Cf. Mairey, Une Angleterre entre rêve et réalité, op. cit., p. 209 sq.

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1440 And he þat can, may not his hertë bende 1441 1442

Þer-to, but from his cure he hym absentiþ, And what þer-of comeþ, gredyliche he hentith. (Beggar.)

“How he despendiþ it, be as be may, ffor vn-to þat am I no-þing pryuee; 1445 But wel I wot, as nycë, fressh, and gay 1446 Som of hem ben, as borel folkës be, 1447 And þat vnsittynge is to hire degree; 1448 Hem hoghtë to be mirours of sadnesse, 1449 And wayuë iolitee and wantonnesse. 1443 1444

(Beggar and Hoccleve.) 1450 “But neuerþeles I wote wel þere-agayn,

Þat many of hem gye hem as hem oghte, And ellës were it grete pitee certayn: But what man wolt þou be for hym þe boghte?” (Hoccl.) “ffadir, I may not chese; I whilom þoghte 1455 Han ben a prest; now past am I þe raas.” 1456 (Beg.) “Þan art þou, sone, a weddid man per caas?” 1451 1452 1453 1454

(Hoccleve.) “Ya, soþly, fadir myn, ryght so I am. I gasyd longë firste, & waytid faste After some benefice; and whan non cam, 1460 By proces I me weddid attë laste; 1461 And god it wot, it sorë me agaste 1462 To byndë me, where I was at my large; 1463 But done it was; I toke on me þat charge.” 1457 1458 1459

(Beggar and Hoccleve.) 1464

“A, sone! I haue espied, and now se 1465 Þis is þe tow þat þou speke of ryght now.”

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“Now, by þe rodë, fadir, soþ seyn ye.” “Ya, sonë myn, þou schalt do wel y-now; Whan endyd is my talë, þan schalt þou Be put in swiche a way at schal þe plese, 1470 And to þin hertë do comforte and ese.

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peuvent n’y sont pas inclinés et s’absentent de leur paroisse, mais ils saisissent avec avidité ce qui en provient. La manière dont ils dépensent tout cela, je ne le sais car je ne suis pas dans la confidence. Mais je sais bien que certains sont aussi ignorants, immatures et insouciants que les laïcs et que cela ne convient pas à leur état. Ils devraient être des miroirs de constance et éviter les plaisirs et la luxure. Mais néanmoins, je sais aussi que beaucoup se conduisent comme ils le devraient – ou alors c’est grande pitié, assurément. Mais quel homme seras tu, pour Lui qui t’a racheté ? (1408-1453) – Père, je ne peux choisir. J’ai pensé un jour à être prêtre, mais aujourd’hui, je ne puis en être. – Alors, mon fils, es-tu un homme marié ? – Oui, mon père, je le suis  ; j’ai attendu longtemps et beaucoup espéré un bénéfice, et comme rien ne venait, je me suis finalement marié. Et, Dieu le sait, ce lien m’a beaucoup effrayé, alors que j’étais libre. Mais c’est fait, et j’ai pris cette responsabilité. – Ah mon fils, je l’ai noté et je le vois : c’est le trouble dont tu parles enfin ! – Vraiment par la Croix, père, vous avez vu la vérité. – Oui mon fils, tu feras bien maintenant. Quand j’aurai fini de parler, tu seras sur un chemin qui te plaira et apportera aise et réconfort à ton cœur. Aussi longtemps que

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(Beggar.) “So longe as þou, sone, in þe priuë sel Dwelt hast, & woldest fayn han ben auaunced Vn-to som chirche or þis, I demë wel Þat god not woldë hauë þe enhanced 1475 In no swich plyt; I holdë þe wel chaunced; 1476 God wot and knowith euery hyd entente; 1477 He, for þi best, a wyf vn-to þe sente. 1471 1472 1473 1474

(Beggar.) “If þat þou haddest per cas ben a prest, Þou woldest han as wantonly þe gyëd 1480 As doþ þe nycest of hem þat þou seest; 1481 And god for-beedë þou þe haddist tyëd 1482 Þer-to, but if þin hertë myght han plyëd 1483 ffor to obserue it wel! be glade and merye, 1484 Þat þou art as thou art, god þanke and herie! 1478 1479

(Beggar.) 1485 “Þe ordres of prestehode and of wedlok

Ben boþë vertuous, with-outen fabil; But vnderstondë wel, þe holy ȝok Of prestehode is, as it is resonabil Þat it so be, þe morë commendabil; 1490 Þe lesse of hem, of mede haþ hábundance; 1491 Men han meryt, after here gouernaunce. 1486 1487 1488 1489

(Beggar and Hoccleve.) “But how ben þi felawës lokyd to At hoom? ben þey not wel benéficëd?” “Ȝis, fadir, ȝis! þer is on clept ‘nemo’; 1495 He helpeþ hem; by hym ben þei chericëd: 1496 Nere he, þey weren porëly cheuycëd; 1497 He hem auanceth; he ful hir frende is; 1498 Sauf only hym, þey han but fewë frendes. 1492 1493 1494

(Hoccleve.) 1499 1501 1502

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“So many a man as þei þis many a yeer

1500 Han writen for, ȝit fyndë can þei non

So gentel, or of hir estat so cheer, Þat onys liste for hem to ryde or gon,

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tu es resté au Sceau Privé, fils, et que tu as voulu être nommé pour une église ou autre chose, il me semble bien que Dieu n’a pas voulu te soutenir pour une telle chose ; je crois que tu as de la chance ; Dieu sait et connaît tous les desseins cachés  ; il t’a envoyé une femme pour le mieux. Si tu avais été un prêtre, tu te serais conduit aussi follement que les plus ignorants que tu peux voir ; et Dieu n’a pas voulu que tu sois attaché ainsi si ton cœur ne voulait pas bien s’y conformer. Sois heureux et content : tu es ce que tu es, remercie et loue Dieu pour cela. Les ordres de la prêtrise et du mariage sont tous les deux vertueux, sans mensonge. Mais comprends le bien, le joug sacré de la prêtrise est le plus recommandable, cela est logique ; même les plus humbles d’entre [les prêtres] ont abondance de récompense ; les hommes acquièrent leur mérite de par leur gouvernement. Mais comment tes compagnons prennent-ils soin de leur maison ? N’ont-ils pas été pourvus de bons bénéfices ? (14541493) – Si, père. Il y a quelqu’un qui s’appelle Personne : il les aide et les traite avec affection  ; sans lui, ils seraient pauvrement pourvus. Il les fait avancer, il est leur ami ; sans lui, ils n’en auraient pas beaucoup. Parmi tous les hommes pour lesquels ils ont écrit dans l’année précédente, ils ne peuvent trouver quelqu’un de gentil ou soucieux de leur état, qui se soucie suffisamment d’eux lorsqu’il vient pour leur dire quelque chose  ; mais il reste aussi

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Ne for hem speke a worde; but dombe as ston Þei standen, where hir speche hem myght awayle; 1505 ffor swiche folk is vnlusty to trauaile. (Hoccleve.)

“But if a wyght hauë any cause to sue To vs, som lordës man schal vndertake To sue it out; & þat þat is vs due ffor oure labour, hym deyneþ vs nat take; 1510 He seiþ, his lord to þanke vs wole he make; 1511 It touchiþ hym, it is a man of his; 1512 Where þe reuers of þat, god wot, sooþ is. 1506 1507 1508 1509

(Hoccleve.) “His letter he takiþ, and forþ goþ his way, And byddeþ vs to dowten vs no-thyng 1515 His lord schal þanken vs an oþer day; 1516 And if we han to suë to þe kyng, 1517 His lord may þerë haue al his askyng; 1518 We schal be sped, as fer as þat oure bille 1519 Wole specifie þe éffecte of our wylle. 1513 1514

(Hoccleve.) 1520 “What schol we do? we dar non argument

Make a-geyn him, but fayre & wel him trete, Leste he roporte amys, & make vs schent; To haue his wil, we suffren him, & lete; Hard is, be holden suspect with þe grete: 1525 His talë schal he leeuëd, but nat ourys, 1526 And þat conclusïoun to vs ful soure is. 1521 1522 1523 1524

(Hoccleve.) “And whan þe mater is to ende I-broght, Of þe straunger, for whom þe suyte haþ be, Þan is he to þe lord knowén right noght; 1530 He is to him as vn-knowén as we; 1531 Þe lord not wot of al þis sotilte; 1532 Ne we nat dar lete him of it to knowe, 1533 Lest oure compleynte oure seluen ouerthrowe. 1527 1528 1529

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muet qu’une pierre alors que ses paroles pourraient être profitables. Une telle personne n’est pas disposée à travailler. Mais si quelqu’un veut nous faire faire une pétition, elle sera apportée par quelque homme d’un seigneur qui ne daignera pas nous donner ce qui nous est dû pour notre labeur ; il nous dit qu’il s’arrangera pour que son seigneur nous remercie ; que c’est une affaire du seigneur en question ; et que c’est un de ces hommes qui est concerné, alors que, Dieu le sait, c’est le contraire qui est vrai. Il prend sa lettre et poursuit son chemin, et nous enjoint de ne douter de rien  ; son seigneur nous remerciera un autre jour ; mais si nous devons présenter une pétition au roi, son seigneur peut alors avoir tout ce qu’il demande. Quant à nous, nous réussirons jusqu’au point où notre pétition fera clairement état de l’exécution de notre volonté. Que pouvons-nous faire ? Nous n’osons pas argumenter contre [le seigneur], mais nous le traitons bien et justement, car sinon, il peut parler contre nous et nous serons détruits. Pour garder sa [bonne] volonté, nous souffrons cela et nous abandonnons. Il est difficile d’être suspicieux avec les grands ; on croira son histoire, mais pas la nôtre, et la conclusion sera bien dure pour nous. Et quand l’affaire de l’étranger pour lequel il y a eu pétition arrive à sa fin, celui-ci n’est toujours pas connu du seigneur  ; il lui est aussi inconnu que nous ; le seigneur ne sait rien de toutes ces traîtrises et nous n’osons pas le lui faire savoir, car notre plainte risque

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(Hoccleve.) 1534

“And where þis bribour haþ no peny payed 1535 In oure office, he seiþ be-hynde our bak,

1536 1537 1538 1539

‘He payde, I not what’: þus ben we bytrayed, And disclaundrid, and put in wyte and lak, fful giltëles; & eeke by swiche a knak Þe man for whom þe suyte is, is deceyuëd, 1540 He weneþ we han of his gold receyuëd. (Hoccleve.)

“fful many swychë púrsuours þere ben, Þat for vs take, & ȝeue vs nat a myte: Þis makiþ vs þat we may neuer þeen. Eek where as lordës bydde hir men vs quyte, 1545 Whan þat we for hemself laboure and write, 1546 And ben a-lowëd for oure payëment, 1547 Oure handes þer-of ben ful Innocent. 1541 1542 1543 1544

(Hoccleve.) “I seyë nat, al lordes men þus do Þat sue vnto oure court; but many, I seye, 1550 Han þus don oftë. lo! my fadir, lo! 1551 Þus bothe oure þanke & lucre gon a-weye: 1552 God ȝeue hem sorowe þat so with vs pleye! 1553 ffor we it fynden ernest at þe fulle; 1554 Þis makyth vs of oure labóur to dulle. 1548 1549

(Hoccleve and Beggar.) 1555 “Now, fadir myn, how þinkiþ yow here-by?

Suppose ye not þat þis sittiþ vs sore?” “Yis, certes, sonë, þat ful wel wote I; Hast þou seyde, sonë? wolt þou aght sey more?” “Nay, sir, as now; but ay vp-on your lore 1560 I herkne as bisily as I best can.” 1561 “Sonë, þan lat vs spek as we by-gan: 1556 1557 1558 1559

(Beggar and Hoccleve.) 1562

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“Seye on þe soþe, I preye þe hertily,

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de nous défaire. Et alors que cette fripouille25 n’a pas payé un pence dans notre office, il dit derrière notre dos : « il ne m’a pas payé cela ». Ainsi sommes-nous trahis, discrédités et blâmés, alors que nous sommes innocents. Et par un tel tour, l’homme pour lequel était la pétition est trompé ; il croit que nous avons reçu de l’or lui appartenant. Il y a beaucoup de pétitionnaires qui nous prennent ainsi [quelque chose] sans rien nous donner  ; du coup, nous ne pouvons jamais prospérer. Et lorsque les seigneurs ordonnent à leurs hommes de nous payer le travail et l’écriture que nous avons faits pour eux, et que notre paiement a été autorisé, nos mains restent quand même innocentes. Je ne dis pas que tous les hommes des seigneurs qui font appel à notre cour agissent ainsi, mais c’est le cas, je le dis, de beaucoup. Lo, mon père, lo ! Notre bonne volonté et notre profit s’en sont allés ainsi. Que Dieu apporte la peine à ceux qui ont ainsi joué avec nous, car nous trouvons tout cela très sérieux  ; cela rend notre travail très ennuyeux. Alors, mon père, qu’en pensestu  ? Ne supposes-tu pas que cela nous affecte beaucoup ?  (1494-1556). – Si, bien sûr, mon fils  ; je le sais bien. As-tu tout dit, mon fils ? N’en diras-tu pas davantage ? – Non, sire, pas pour le moment, mais j’écoute tes enseignements aussi bien que je le peux. – Fils, revenons là où nous avions commencé. Je te prie instamment de me dire la 25

  C’est-à-dire l’homme du seigneur.

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What was þi causë why þou toke a wyf ? Was it to getë children lawfully, 1565 And in clennessë to ledë þy lyf; 1566 Or, for luste, or muk? what was þi motyf ?” 1567 “ffadir, no thyng wole I it queyntë make: 1568 Only for loue, I chees hire to my make.” 1563 1564

(Beggar.) 1569

“Sonë, qwat holdest þóu loue, I þe preye? 1570 Þow demest lust and loue conuertible,

1571 1572 1573 1574

Per cas; as whan þe list with þi wyf pleye, Þi conceyt holdeþ it good and lisible To doon; art þou oght, sonë myn, sensible In whiche cas þat þou oghtest the for-bere, 1575 And in whiche nat? canst þou to þis answere?” (Hoccleve and Beggar.)

“ffadir, me þinkeþ al is good y-nowe; She is my wyf; who may þer-of me lette?” “Nay, sone, a-byde; & I shal tellen how, If þat þou aght by goddës dredë sette, 1580 Thre causes ben, whiche I þe wole vnschette 1581 And open a-non, whi þou schalt with hire dele; 1582 Now herkne, sonë, for þi soulës hele. 1576 1577 1578 1579

(Beggar.) Þe firstë causë, procreacïoun Of children is, vn-to goddës honour; 1585 To kepe eke thè fro fornicacïoun; 1586 Þe next is, & þe thridde, of þat labour 1587 Yildë þi dette in whiche þou art dettour 1588 Vnto þi wyf; & othire ententes al, 1589 Ley hem apart, for aght þat may be-fal. 1583 1584

(Beggar and Hoccleve.) 1590 “ffor þisë causes thow hire vsë muste; 1591

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And for non othir, on peyne of dedly synne.”

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vérité. Pourquoi as-tu pris femme ? Etaitce pour avoir des enfants légitimement, et mener ta vie dans la pureté, ou bien étaitce pour le désir et le plaisir – quels étaient tes motifs ? – Père, je ne te tromperai en rien : c’est uniquement par amour que j’ai choisi ma compagne. – Fils, qu’est-ce que l’amour pour toi, je te prie ? Peut-être juges-tu que l’amour et le plaisir sont interchangeables et que, lorsqu’il te plaît de jouer avec ta femme, ton esprit tient cela pour bon et loisible ? Es-tu sensible, mon fils, aux cas dans lesquels tu devrais te l’interdire – ou pas  ? Peux-tu répondre à cela ? (1557-1575). – Père, il me semble que tout cela est assez bon. Elle est ma femme – qui pourrait me faire obstacle ? – Non, fils, sois patient, et je te dirai comment [faire] si tu veux être conduit par la crainte de Dieu. Je te dévoilerai les trois causes pour lesquelles tu peux avoir des rapports sexuels. Écoute, mon fils, pour le salut de ton âme. La première cause, la conception d’enfants, est à l’honneur de Dieu ; la seconde est pour te garder de la fornication ; et la troisième cause de ces rapports est le remboursement de la dette pour laquelle tu es débiteur de ta femme ; il faut mettre de côté toutes les autres intentions qui peuvent survenir. Tu ne dois agir que pour ces causes et pour aucune autre, sous peine de péché mortel (15761591).

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“ffadir, right now me thoghte, how a-geyn luste Ye helden, & children be goten therinne Where is no luste!” “o sone, or þat me a-twynne, 1595 Þou shalt wel vnderstondë how þat I 1596 Not holde agaynës luste al vttirly. 1592 1593 1594

(Beggar.) “I wote wel, leefful luste is necessarie; With-outen þat, may be non engendrure; But vsë luste for luste only, contrarie 1600 To goddës hestës is; for I thensure, 1601 Þogh þou take of it litel heede or cure, 1602 A man may wyth his wyf do lecherie: 1603 The entente is al; be war ay of folye. 1597 1598 1599

(Beggar.) 1604

“Weddë folk many leden holy lyf; 1605 flor þogh hire flesschly lustës hem assaile,

1606 1607 1608 1609

And stire hem often, þe man to þe wif, And she to him; þei maken swiche batail And strif a-gayn hir flesche, þat he shal fail. Of his purpos; but somë folke, as beestes 1610 Hire luste ay folwen; in hem non areeste is. (Beggar.)

“A-dayës now þer is swyche gouernaunce Among hem þat han paramours & wyues Þat, for luste of hire wommen & plesaunce, Nat suffice hem metës restauratyues, 1615 But þei receyuen eeke prouocatyues 1616 Tengendre hem luste, feyntyng hire nature, 1617 And suche þing causiþ hastyf sepulture. 1611 1612 1613 1614

(Beggar.) “Þis knowe I soþ is, & knew it fern a-gon, And thei þat so don, hyli god offende: 1620 Swich folk holde I homicidës echon; 1621 Þei slen hemself, or god deþ to hem sende. 1622 Mi sone, on goddës half I þe defende 1623 Swiche medycynës þat þou noght receyue, 1624 Syn þei god wraþ, & soule of man deceyue. 1618 1619

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– Père, il me semble là que tu es contre tout désir et que les enfants doivent être conçus sans désir. – Ô mon fils, avant que nous nous séparions, tu auras bien compris que je ne suis pas complètement contre le désir. Je le sais bien, un désir convenable est nécessaire ; sans cela, il ne peut y avoir de procréation ; mais user du désir pour le désir uniquement est contraire aux commandements de Dieu  ; je te l’assure, même si tu n’y prêtes pas beaucoup d’attention, un homme peut être dans la luxure avec sa femme ; l’intention fait tout. Prends toujours garde à cette folie. Beaucoup de gens mariés mènent une sainte vie ; car bien que les désirs de la chair les assaillent et les remuent souvent – l’homme pour la femme et la femme pour l’homme – ils mènent une telle bataille et luttent tant contre leur chair que [le désir] échoue dans son but. Mais certaines personnes suivent leur désir comme des bêtes – rien ne les arrête. De nos jours, il existe un certain régime parmi de nombreuses personnes qui ont des maîtresses et des femmes : par désir des femmes et du plaisir, les mets revigorants ne leur suffisent plus ; ils prennent aussi des aphrodisiaques pour engendrer en eux le désir, faussant leur nature. De telles choses sont la cause de sépultures hâtives. Je sais que c’est la vérité, et ce depuis longtemps ; ceux qui agissent ainsi offensent grandement Dieu. De tels gens sont des meurtriers ; ils se tuent eux-mêmes avant que Dieu ne leur envoie la mort. Mon fils, au nom de Dieu, je te défends d’utiliser de tels remèdes, car ils provoquent la colère de Dieu et trompent l’âme

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(Beggar.) 1625 “Pas ouer þis: þou seydest þenchesoun

Why þat þou took vp-on þè maryage, Was vn-to non oþer entencïoun, But loue only þe sentë þat corage: Now, sonë myn, I am a man of age, 1630 And many wedded couples haue I knowe,— 1631 Non of myn agë, many mo, I trowe,— 1626 1627 1628 1629

(Beggar.) “But I ne sawe, ne I ne spydë neuer, As longe as þat I hauë lyued ȝit, Þe loue of hem departen or disseuere 1635 Þat for goode louë bounden were & knyt; 1636 God loueþ loue, & he wole forþere it. 1637 At longë rennyng, louë beste schal preue; 1638 Þus haþ it ben, & ay schal, I bileue.

1632 1633 1634

(Beggar.) 1639

“But þey þat marien hem for muk & good 1640 Only, & noght for loue of þe persóne,

1641 1642 1643 1644

Not haue I wist þey any whylë stood In restë; but of stryf is þere swiche wone, As for þe morë part, twixt hem echone, Þat al hir lyf þei lede in heuynesse: 1645 Swich is þe fruyte to weddë for rychesse. (Beggar.)

“Among þe ryche also is an vsage, Eche of hem his childe vn-to oþres wedde, Þogh þei be al to yong & tendre of age, No-wher my ripe ynow to go to bedde; 1650 And hire conceyt in loue is leyde to wedde, 1651 Men wit it wel, it is no questïoun, 1652 Tyl yeerës come of hire discrecioun. 1646 1647 1648 1649

(Beggar.) “And whan þei han þe knoweleche of resoun, Þan may þei noþer fynden in hire herte 1655 To louë oþer; al out of sesoun 1656 Þei knyt ben, þat in-tó wedlók so sterte: 1653 1654

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de l’homme. Passe là-dessus. Tu as dit que la cause qui t’a conduit à te marier n’était rien d’autre que de l’inclination  ; mais l’amour seul t’a donné ce courage. Vraiment, mon fils, je suis un homme âgé, et j’ai connu de nombreux couples mariés – il n’y en a plus beaucoup de mon âge, je crois. Mais je n’ai jamais vu ni découvert, depuis que je vis, de départ ou de séparation parmi ceux qui étaient liés et attachés par un réel amour ; Dieu aime l’amour et il lui apporte son aide. Au bout du compte, l’amour prouvera qu’il est le meilleur ; il en a toujours été ainsi et le sera toujours, je le crois (1592-1638). Mais ceux qui se marient seulement pour les richesses et les biens, et non pour l’amour de la personne, je ne crois pas qu’ils restent en repos  ; leurs habitudes sont faites de luttes car [ces personnes] sont pour la plupart très différentes. Ainsi mènent-ils leur vie dans la rancœur ; tel est le fruit du mariage pour les richesses. Parmi les riches, il y a aussi un usage qui veut que chacun d’eux marie son enfant à un autre, bien qu’ils soient jeunes et d’âge trop tendre, et qu’ils ne soient pas matures pour s’unir. Et leur idée de l’amour est liée au mariage – ils le savent bien, assurément – jusqu’à l’âge du discernement. Et lorsqu’ils ont la connaissance de la raison, ils ne peuvent alors trouver dans leur cœur de l’amour pour l’autre ; ils ont été liés bien trop tôt et trop vite dans le mariage ; cela

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Þis makeþ many a couple for to smerte. O couetyse! þin is al þe gilt Of þis; & mo deceyuë ȝit þow wilt. (Beggar.) 1660 “Also þey þat for luste chesen hir make

Only, as oþer while it is vsage, Wayte wel, þat whan hir luste is ouerschake, And þere-with wole hir louës hete asswage, Þanne is to hem an helle, hire mariage 1665 Þanne þei desyren for to be vnknyt, 1666 And to þat ende studie in al hir wyt. 1661 1662 1663 1664

(Beggar.) 1667

“Styntynge þe cause, þe éffect styntiþ eek; Cessante causa.

No lenger forster, no lenger lemman; Loue on lust groundid, is not worþ a lek. 1670 But who for vertu weddeþ a womman, 1671 And noþer for muk ne for lust, þat man 1672 Þe formë due of matrimoignë sueþ, 1673 And soulës hurt & bodyes grief eschueþ. 1668 1669

(Beggar.) 1674

“I dar not medle of lordes mariágis, 1675 How þey hem knytten, hir makës vnseen;

1676 1677 1678 1679

But as to me it semeþ swiche vságe is Not worþ a strawe; for, also mot I theen, Reportës not so sikyr iuges ben, As man to se þe womannës persóne; 1680 In whiche a choys, lat man hymself allone. (Beggar.)

“Weddyng at hoom in þis land, holsom were, So þat a man hym weddë duëly; To se þe flesche firste, it may no þing dere, And hym avisë how hym lykiþ þer-by 1685 Or he be knyt; lo! þis conceyt haue I; 1686 In þis materë depper cowde I go, 1687 But passe I wole, & slippe away þer-fro. 1681 1682 1683 1684

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provoque la souffrance dans bien des couples. Ô convoitise, tu es coupable de tout cela, et tu en trompes beaucoup ainsi ! Il y a aussi ceux qui ne choisissent une compagne que par désir – alors qu’il est parfois d’usage d’attendre que son désir soit atténué et ses ardeurs tempérées. Ce mariage est alors un enfer  ; [les mariés] désirent en être déliés et étudient tous les moyens pour cela. La cause cessant, l’effet cesse aussi ; on n’est plus un pourvoyeur, on n’est plus un joli cœur ; l’amour fondé sur le désir ne vaut rien. Mais l’homme qui a épousé une femme par vertu et non pour les richesses ou le désir, suit la forme convenable du mariage et évite les blessures de l’âme et les griefs du corps. Je n’ose pas évoquer le mariage des seigneurs – comment ils sont liés alors qu’ils n’ont pas vu leur compagne. En ce qui me concerne, il me semble qu’un tel usage ne vaut rien car – puis-je prospérer – les rumeurs ne sont pas des juges aussi sûrs que le fait pour un homme de voir l’apparence d’une femme. L’homme doit faire un tel choix tout seul. Se marier chez soi, dans sa terre, est bénéfique, pourvu qu’un homme se marie convenablement. Voir le corps d’abord ne peut nuire en rien ; [un homme] doit pouvoir considérer s’il l’apprécie avant d’être lié – lo ! j’ai cette opinion. Mais je n’irai pas plus loin dans cette matière, je passe et glisse dessus (16391687).

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(Beggar.) “Now sythen þou hast, to my Iugëment, Þe maryëd vn-to goddës plesaunce, 1690 Be a trewe housbounde, as by myn assent; 1691 kepë þi bond; be war of þencombraunce 1692 Of þe feend, which, with many a circumstaunce 1693 fful sly, him castiþ þë wrappe in & wrye, 1694 To stirë þe for to done aduoutre. 1688 1689

(Beggar.) In canonibus. Adulterare sponte periurare, & hominem sponte occidere, equiparantur. Ieronimus dicit, Adulterium secundum locum habet in penis. 1695 “Aduoutrie and periurie, and wylful slaghtre,

Þe book seiþ, lik ben, & o peys þei weye. War aduoutre! it is no pleye or laghtre To don it; fle also þise oþer tweye! ffor þus wot I wel, seint Ierom can seye: 1700 ‘In peyne, aduoutre haþ þe secounde place.’ 1701 Þo þre to eschue, god þe grauntë grace! 1696 1697 1698 1699

(Beggar.) 1702

“I, in þe bible, rede how þat abram Genesis xijo. Cum que prope esset ut ingrediretur Egiptum, dixit Saray vxori sue, “Noui quod pulcra sis mulier, & quod cum te viderunt Egipcii, dicturi sunt, ‘vxor illius es,’ & interficient me, & te reseruabunt; dic ergo, obsecro, quod soror mea sis, vt bene sit mihi propter te, & viuat anima mea ob graciam tui,” &c.

To Egipt wentë, with his wyf saray, And whan þat þei ny vn-to Egipt cam, 1705 Þus seyde he vnto his wyf by þe way: 1706 ‘I wote wel þou art fair; it is no nay; 1707 Whan þei of Egipt se þe, þei wol seye, 1708 “Þou art his wyf,” & for þe, do me deye. 1703 1704

(Beggar.) 1709

“‘Thei welen kyllë me and þe reserue; 1710 ffor-þi, vnto hem seye, I þe be-seche,

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Puisque tu t’es, selon mon jugement, marié selon le plaisir de Dieu, sois maintenant un bon mari, selon ce que j’approuve : garde ton lien et prends garde aux obstacles du démon qui invente de nombreuses circonstances pour t’envelopper et te couvrir afin de te stimuler pour commettre l’adultère. L’adultère, le parjure et le meurtre volontaires sont similaires et pèsent du même poids, dit le livre. Prends garde à l’adultère, ce n’est pas un jeu ou une plaisanterie que de le commettre. Fuis aussi les deux autres car, je le sais bien, saint Jérôme le dit  : «  L’adultère a la seconde place parmi les châtiments »26. Si tu évites les trois, Dieu t’accorde sa grâce. J’ai lu dans la Bible comment Abraham alla en Égypte avec sa femme Sarah et comment, lorsqu’ils furent près d’y arriver, il parla à sa femme sur le chemin27 : « Je sais que tu es belle, je ne peux le nier ; et quand ceux d’Égypte te verront, ils diront que tu es ma femme et ils voudront me tuer à cause de toi. Et ils me tueront et te garderont. Dis-leur donc, je t’en prie, que tu

26 27

  La référence provient en fait du Decretum d’Yves de Chartres.   Cf. Genèse 12 : 11-18.

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Þou art my sustre, leste I for þe sterue; Þus may I wel ben esyd by þi speche; And þus þou mayste lengþë my lyf & eche.’ And whan þei into Egipt entred were, 1715 Þe gipcïans fastë behelden here, (Beggar.)

1716 1717 1718 1719

“And of hire beaute maden þei report To pharäo; & sche as blyue is take In-to his hous; & done is gret comfort Vnto Abram, for þis wommanës sake; 1720 And grete desport and cherë men hem make. Item, eodem capitulo: fflagellauit autem dominus pharaonem flagellis maximis, & domum eius, propter Saray vxorem Abraham; vocauit quoque pharao Abraham, eciam dixit ea: ‘Quidnam est hoc quod fecisti michi?’ &c.

1721 1722

But for saray, greuously pharäo Punysshyd was, & eke his hous þerto. (Beggar.)

“Pharäo clepte abram, & hym abreyde: ‘What is it þat þou hast don vn-to me? 1725 ‘Why naddest þou tolde vn-to me,’ he seyde, 1726 ‘How þat þis womman, wyf was vnto the? 1727 ffor what enchesoun seydestow,’ quod he, 1728 ‘Sche was þy suster? takë þi wyf here,’ 1729 Quod he, ‘and boþë go youre wey in fere!’ 1723 1724

(Beggar.) 1730 “The bible makiþ no manér of mynde

Wheþer þat pharäo lay by hire oght; But looke in lyre, & þerë schalt þou fynde, ffor to han done it, was he in ful þoght; But god preserued hire; he myghtë noght; 1735 And sethyn, for wil, god hym punissched so, 1736 How schal þe dedë vnpunýsshed go? 1731 1732 1733 1734

(Beggar.) 1737

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“Also not knewe he þat a wif sche was.

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es ma sœur, afin que je ne sois pas tué ; je serai bien réconforté par tes paroles et tu auras allongé ma vie et le reste  ». Et lorsqu’ils arrivèrent en Égypte, les Égyptiens la virent rapidement. Et ils allèrent rapporter sa beauté à Pharaon ; et elle fut rapidement emmenée dans sa maison et on fit bien des gratifications à Abraham grâce à cette femme et les hommes leur offrirent divertissements et bonne chère. Mais Pharaon fut durement puni à cause de Sarah, ainsi que toute sa maisonnée. Pharaon appela Abraham et lui lança des reproches : « Que m’as tu fait ? Pourquoi ne m’as-tu pas dit, dit-il, que cette femme était tienne ? Pour quelle raison as-tu dit qu’elle était ta sœur ? Reprends ta femme, et allez tous deux dans la peur ». La Bible ne dit pas si Pharaon se coucha à côté d’elle, mais regarde chez Lyre28 et tu trouveras que pour avoir fait cela, il tomba dans une grande anxiété. Dieu préserva [Sarah] alors qu’il aurait pu ne pas le faire. Et si Dieu a puni ainsi [Pharaon] à cause d’une intention, comment pourrait-il laisser l’action impunie  ? De plus, il ne savait pas

28

  Le franciscain Nicholas de Lyre († 1349) a composé des commentaires de la Bible très populaires à la fin du Moyen Âge. Cf. P.D. Krey et J.L. Smith éd., Nicholas of Lyra : the Senses of Scripture, Leiden et Boston, 2000.

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Non solum eternaliter, verum eciam temporaliter in ista vita, adulter manifestus est punitus, iuxta illud versus: ‘Ex istis quidem,’ &c. Now þannë, þey þat wyuës wetyngly Takyn and holde, and with hem don trespas, 1740 Stonde in harde plyt; sonë, be ware, rede I; 1741 If þou þere-inne agylte, eternelly 1742 Þou smertë schalt, & in þis lif presént 1743 Han scharp aduersitee & gret turment. 1738 1739

(Beggar.) Genesis xxo. Redde vxorem viro suo; si autem nolueris, scito quod morte morieris tu & omnia que tua sunt. 1744 1746 1747 1748 1749

“And to abymalech, god bade he shulde 1745 Ȝildë sara also to hir housbonde; ffor he and his, echon, if he ne wolde, Shulden ben dede, he did hem vndirstonde. Take heede, o sonë, þat þou clere ay stonde, ffor god stoppid eke the concepcioun Item in eodem. Concluserat autem dominus omnem vuluam domus Abymalech, propter Saram vxorem Abrahe. 1750 Of euery woman of his mancioun.

(Beggar.) 1751 1752 1753 1754

“Ne þat she was a wif, wist he no þing; Ne nogh hir knew in no flesshly folye. My godë sonë, rede of dauid kyng, How he bersabe toke, wyf of vrie, Regum ijo capitulis xo & xjmo 1755 Into his house, and did aduout[e]rie;

1756 1757

And how he made vrië slayne to be, And how þer-forë punysshed was he. (Beggar.)

“How was þe tribe also of beniamyn Punysshid, & put to destruccioun, 1760 ffor aduoutr[i]ë which þei lyued inne, 1761 In þe abhomynable oppressioun 1758 1759

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qu’elle était mariée. Mais ceux qui prennent et tiennent des femmes en connaissance de cause et commettent une transgression sont en très mauvaise posture. Fils, prends garde, je te le conseille : si tu te rends coupable, tu seras éternellement dans la douleur et tu connaîtras dans cette vie présente une dure adversité et un grand tourment. Et Dieu ordonna à Abimelech de rendre Sarah à son mari, car lui et les siens mourraient s’il ne le faisait pas – il le lui fit comprendre. Prends bien soin, mon fils, de rester pur, car Dieu a aussi empêché que toutes les femmes de sa maisonnée puissent concevoir. Et il ne savait pas qu’elle était femme, et il ne la connaissait que sexuellement (1688-1752). Mon fils, regarde le roi David, qui prit Bethsabée, la femme d’Uri, dans sa maison et commit l’adultère ; et il fit tuer Uri et fut châtié après cela29. [Vois aussi] la manière dont la tribu de Benjamin fut punie et détruite, parce que ses membres vivaient dans l’adultère, en opprimant abominablement les femmes des Lévites30.

29

  Cf. 2 Rois 10-11.   Cf. Juges 20 : 1.

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Iudicum xxo Egressi sunt &c. 1762 1763 1764

Of þe leuytës wyfe: lo! mencioun Þer-of is made, if þou loke holy writte, In iudicium, ful redily it syt. (Beggar.) 1765 “Who-so lith with his neyghëburës wyfe

Deutronomi xxvijo. Maledictus qui dormierit cum vxore proximi sui. Ad corinthos vjto. Neque fornicarii, neque idolis seruientes, neque adulteri, regnum dei possidebunt. Is cursyd; & who is any aduoutoure, Þe kyngdome faillë shal of endles lyfe; Of þat ne shal he be no póssessoure. Alasse! this likerous dampnáble errour, 1770 In this londe hath so large a þrede I-sponne, 1771 Þat wers peple is non vndir the sonne. 1766 1767 1768 1769

(Beggar.) “Of swichë stories cowde I telle an heepe, But I supposë þisë schol suffise; And for-þi, sonë, wole I make a leepe 1775 ffrom hem, and go wole I to þe empryse 1776 Þat I first took; if þu þe wel auyse, 1777 Whanne I þe mette, & sy þin heuynesse, 1778 Of comfort, sonë, made I þe promesse: 1772 1773 1774

(Beggar and Hoccleve.) 1779 1781 1782 1783 1784

“And of a trewë man, be-heste is dette.”

1780 “ffader, god ȝilde it ȝow, and so ȝe diden;

Ye hyghten me in esë me to sette.” “Now, sone, & þogh I longë haue abiden, Thi gryfe is noght out of my myndë slyden; To þi greuancë wole I now resorte, 1785 And schewë þe how þou þe schalt comforte. (Beggar.)

1786 1787 1788 1789

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“In schort, þis is of þi grief énchesoun: Of þin annuitee, þe paiëment, Whiche for þi long seruyse is þi guerdoun, Þou dredest, whan þou art from court absent,

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Il en est fait mention dans les Saintes Écritures, tu peux les regarder ; on peut le lire dans le livre des Juges. Celui qui dort avec la femme de son voisin est maudit, et celui qui commet l’adultère perdra le royaume de la vie éternelle ; il n’en sera pas le possesseur. Hélas, cette erreur licencieuse et damnable a tissé un fil si grand sur notre terre qu’il n’y a pas de pire peuple [que le nôtre] sous le soleil. Je pourrais te raconter de nombreuses histoires semblables, mais je suppose que celles-là suffiront. C’est pourquoi je vais m’en détacher et retourner à mon projet initial. Quand je t’ai rencontré et que j’ai vu ta peine, j’ai fait la promesse, mon fils, de te réconforter. Et pour un homme sincère, une promesse est une dette. – Père, tu l’as fait, que Dieu te le rende ; tu m’as promis de me remettre à l’aise (17531781). – Vraiment, mon fils, et bien que je sois resté longtemps, ton grief n’est pas sorti de mon esprit ; je retourne maintenant à tes difficultés et je vais te montrer comment tu peux te réconforter. En bref, voici la cause de ton malheur  : tu crains que le paiement de ton annuité, qui est la récompense de ton long service, ne soit restreint quand tu seras absent de la cour, alors

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1790 Schal be restreynëd, syn þou now present 1791 1792

Vnneþës mayst it gete, it is so streit; Þus vnder-stode I, sonë, þi conceit; (Beggar and Hoccleve.)

“ffor of þi liflode is it þe substaunce; Is it nat þus?” “Ȝis, sooþly, fader, it.” 1795 “Now, sone, to remedïe þis greuánce, 1796 Canstow no weyës fynden in þi wyt?” 1797 “No, certes, fader, neuere koude I ȝit.’ 1798 “May no lordschepë, sonë, þe auayle, 1799 ffor al þi long seruice & þi trauaile?” 1793 1794

(Hoccleve.) 1800 “What, fadir? what? lordës han for to done

So mych for hem-self, þat my mateere Out of hir myndë slippith away soone. The world is naght swich now, my fadir deere, As ye han seene; farwel, frendely maneere! 1805 So go[d] me amende, I am al destitut 1806 Of my lyflodë; god be my refut! 1801 1802 1803 1804

(Hoccleve.) “I am vn-to so streyt a poynt ydryue, Of thre conclusïons moot I cheese one: Or begge, or stele, or sterue; I am yschryue 1810 So ny, þat oþer way ne se I noon. 1811 Myn hert is also deed as is a stoon; 1812 Nay, ther I faile, a stoon no thyng ne felith; 1813 But thoght me brenneth, and freesyngly keelith 1807 1808 1809

(Hoccleve.) 1814

“To beggë, schame is myn impediment; 1815 I wot wel, rather schulde I die and sterue;

1816 1817 1818 1819

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And steltlës guerdon is swich paiëment, Þat neuer thynke I his wages disserue. Wolde honest deth come, and me ouerterue, And of my grauë me put in seisyne, 1820 To al my greef þat were a medecyne.”

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même que tu l’obtiens avec difficulté quand tu es présent ; c’est ainsi que je comprends, mon fils, ton esprit. Car c’est la substance de ton revenu – n’est-ce pas cela ? (1782-1794) – En vérité, mon père, c’est cela. – Maintenant, mon fils, ne peux-tu trouver dans ton esprit aucune manière de remédier à cette difficulté ?  – Non, père, en vérité, je ne le peux pas. – N’y a-t-il pas un pouvoir qui puisse t’aider pour ton long service et ton travail ? – Quoi, mon père, quoi ? Les seigneurs ont tellement à faire avec eux-mêmes que ma situation glisse rapidement hors de leur esprit. Le monde n’est plus tel que tu l’as connu, mon cher père. Adieu, belles manières ! Que Dieu m’aide, je suis privé de mon revenu. Que Dieu soit mon refuge. Je suis conduit à un tel point, que je ne peux choisir qu’entre trois alternatives  : mendier, voler ou mourir de faim  ; je confesse que je ne vois pas d’autre moyen et mon cœur est aussi mort qu’une pierre. Non, je me trompe  : une pierre ne sent rien, alors que l’anxiété me brûle et me refroidit en même temps. La honte m’empêche de mendier  ; je préférerais plutôt mourir de faim. Et la récompense du vol est une telle sorte de paiement, que je ne penserai jamais mériter son salaire. Je préférerais qu’une mort honnête vienne, me renverse et me mette en possession de ma tombe – ce serait un remède pour tous mes malheurs (1794-1820).

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(Beggar.) “What, sone! how now? I se, wel smal effecte, Or ellës non, my wordës in thè take; Outhir ful symple is þin intellect, Or hokirly thow hast hem ouershake, 1825 Or þi goost slept hath; what, my sone! a-wake! 1826 Whyl er þou seydist þou were of me glad, 1827 And now it semeth þou art of me sad. 1821 1822 1823 1824

(Beggar and Hoccleve.) “I demë so, syn þat my longe sermoun Profitith naght, it sorë me repentith.” 1830 “ffadir, beth nat of þat opynyoun; 1831 ffor as ye wele I do, myn hert assentith; 1832 But ay among, fadir, thoght me tormentith 1833 So sharply, ánd so trowblith and dispeireth, 1834 That it my wit foule hyndryth and appeireth.” 1828 1829

(Beggar.) 1835 “O my good sonë, wolt þou yit algate

Despeirëd be? nay, sonë, lat be þat! Þou schalt as blyue entre in-to þe yate Of þi comfort. now telle on pleyn and plat: My lord þe princë, knowyth he þe nat? 1840 If þat þou stonde in his beneuolence, 1841 He may be salue vn-to þin indigence. 1836 1837 1838 1839

(Beggar and Hoccleve.) “No man bet, next his fadir, our lord lige.” “Yis, fadir, he is my good gracious lord.” “Wel, sonë, þan wole I me oblige,— 1845 And god of heuen vouch I to record,— 1846 Þat if þou wolt be ful of myn accord, 1847 Thow schalt no cause haue morë þus to muse, 1848 But heuynessë voide, and it refuse. 1842 1843 1844

(Beggar.) 1849

“Syn he þi good lord is, I am ful seur 1850 His gracë to þe schal nat be denyed;

1851 1852

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Þou wost wele, he benyng is and demeur To sue vnto; naght is his goost maistried

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– Quoi, mon fils ! Comment cela se peutil ? Je vois bien que mes paroles n’ont eu que peu d’effets – ou pas du tout – sur toi ; soit ton intelligence est insuffisante, soit tu t’en es débarrassé avec mépris, soit ton esprit a dormi. Allons, mon fils, réveilletoi  ! Tu disais à l’instant que tu étais content de moi, et maintenant il semble que tu en sois mécontent. Il me semble que mon long sermon ne t’a pas profité – je m’en repens amèrement. – Père, ne sois pas de cette opinion ; ce que tu veux, je le veux ; mon cœur y consent. Mais, père, Anxiété me tourmente encore et toujours si durement, il me trouble et me désespère tant qu’il cause obstruction et blessures à mon esprit (1821-1834). – Ô mon bon fils, seras-tu toujours désespéré ? Non, fils, laisse cela ! Tu accèderas rapidement à la porte de ton réconfort. Maintenant parle-moi clairement et simplement  : mon seigneur le Prince, ne te connaît-il pas ? Si tu es dans ses bonnes grâces, il peut être un remède à ton indigence. Aucun homme n’est meilleur, à l’exception de son père, notre seigneur lige. – Oui, père, il est mon bon et gracieux seigneur. – Eh bien, fils, je m’y engage – et que j’en appelle à témoin Dieu dans le ciel, si tu veux être en accord avec moi, tu n’auras plus de cause de t’angoisser, mais tu éviteras la peine et la refuseras. Puisqu’il est ton bon seigneur, je suis certain qu’il ne pourra te dénier sa grâce. Tu sais bien qu’il est généreux et bon, et facile d’accès  ; son esprit n’est pas dominé par une réserve

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With daunger, but his hert is ful applied To graunte, and nat þe needy werne his grace; 1855 To hym pursue, and þi releef purchace. (Beggar.)

“Compleyne vnto his excellent noblesse, As I haue herd þe vn-to me compleyne; And but he qwenche þi gretë heuynesse, My tongë take, and slitte in peeces tweyne. 1860 What, sonë myn! for goddës derë peyne, 1861 Endite in frensch or latyn þi greef clere, 1862 And, for to write it wel, do thi poweer. 1856 1857 1858 1859

(Beggar and Hoccleve.) “Of allë thre þou oghtist be wele leerid, Syn þou so long in hem labóurëd haast, 1865 Þou of þe pryue seel art old I-yeerid.” 1866 “Yit, fadir, of hem ful smal is my taast.” 1867 “Now, sonë, þan, foulë hast þou in waast 1868 Despent þi tyme; and nathelees, I trowe 1869 Þou canst do bet þan þou wilt do me knowe. 1863 1864

(Beggar and Hoccleve.) 1870 “What schal I callë þe? what is þi name?”

“Hoccleuë, fadir myn, men clepen me.” “Hoccleuë, sone?” “I-wis, fadir, þat same.” “Sone, I haue herd, or this, men speke of þe; Þou were aqueynted with Caucher, pardee— 1875 God haue his soulë best of any wyght!— 1876 Sone, I wole holdë þe þat I haue hyght. 1871 1872 1873 1874

(Beggar.) 1877 1878 1879

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“Al-thogh þou seyë þat þou in latyn, Ne in frenssh nowther, canst but smal endite, In englyssh tongë canst þou wel afyn,

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hautaine, mais son cœur s’emploie à donner et il ne refuse pas sa grâce à ceux qui sont dans le besoin. Fais appel à lui et tu obtiendras ton soulagement. Exprime ton grief à son excellente noblesse, comme je t’ai entendu me l’exprimer, et il détruira ta grande peine, ou que l’on arrache ma langue et me la découpe en morceaux ! Vraiment, mon fils, pour la souffrance de Dieu, écris clairement ta peine en français ou en latin et emploie bien tes pouvoirs pour cela. Tu devrais bien connaître les trois [langues], puisque tu les as pratiquées si longtemps – toi qui es au Sceau Privé de longue date. – Pourtant, mon père, je n’en ai que peu l’expérience (1835-1866). – Vraiment, fils, tu as passé ton temps en gaspillage  ; et pourtant, je crois que tu peux faire mieux que tu ne me le fais savoir. Comment t’appellerai-je, quel est ton nom ? – Hoccleve, mon père, ainsi m’appellent les hommes. – Hoccleve, fils ? – Oui, père, lui-même. – Fils, j’ai entendu parler de toi  ; tu connaissais Chaucer, pardi, le meilleur de tous les hommes – que Dieu ait son âme31 ! Fils, je tiendrais ma promesse. Bien que tu dises que tu ne puisses vraiment écrire qu’un petit peu en latin ou en français, tu peux le faire parfaitement en anglais. 31

  Geoffrey Chaucer (†1400), auteur notamment des Contes de Canterbury, était le plus grand poète anglais de la période. Il est fréquemment cité par les poètes du XVe siècle.

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1880 ffor ther-of can I eekë but a lite; 1881 1882 1883

Ye straw! let be! þi pennë take, and write As þou canst, and þi sorowe tourne schal Into gladnesse; I doute it naght at al. (Beggar and Hoccleve.)

1884

“Syn þou maist nat be paied in thescheqer, 1885 Vnto my lord þe princë make instance

1886 1887 1888 1889

Þat þi patent in-to þe hanaper May chaunged be.” “fadir, by your suffrance, It may not so, bi-cause of þe ordenance; ‘Longe aftir þis schal no grant chargeable 1890 Out passe;’ fadir myn, this is no fable.” (Beggar.)

“An egal change, my sonë, is in soothe No charge, I wot it wel ynow in dede. What, sonë myn! good hert take vnto þe! Men seyn, who-so of euery grace hath drede, 1895 Let hym beware to walk in any mede. 1896 Assay! assay! þou simple-hertid goost! 1897 What grace is shapen þe, þou naght ne woost.” 1891 1892 1893 1894

(Hoccleve.) “ffadir, as siker as I standë here, Whethir þat I be simple, or argh or bolde, 1900 Swych an eschangë get I non to yeere; 1901 Do as I can, with þat I haue in holde; 1902 ffor, as for þat, my comfort is but cold; 1903 But wel I fyndë your good wyl alway 1904 Redy to me, in what ye can and may.” 1898 1899

(Beggar.) 1905 “That is sooth, sonë; now, syn þou me toldist 1906 1907 1908

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My lord þe princë is good lord þe to, No maistri is it for þe, if þou woldist To be releeuëd; wost þou what to do?

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– Père, je ne l’ai fait qu’un tout petit peu jusqu’ici. – Bah, laisse cela ! Prends ta plume et écris comme tu le peux, et ta tristesse se transformera en joie – je n’en doute pas du tout. Puisque tu peux ne pas être payé à l’Échiquier, demande à mon seigneur le Prince que ta patente soit transformée à la chancellerie. – Père, avec ta permission, il se peut qu’il n’en soit pas ainsi à cause de l’ordonnance. Durant longtemps aucune annuité ne sera ordonnée – mon père, ce n’est pas une fable32. – Un échange juste, mon fils, n’est en vérité pas une charge, je le sais bien dans la pratique. Allez, mon fils, reprends courage ! On dit de celui qui a peur de chaque brin d’herbe qu’il doit faire attention lorsqu’il marche dans un pré. Essaye, essaye, esprit de peu de cœur ! Quelle grâce te façonnet-elle pour que tu n’essayes pas ? – Père, aussi sûrement que je me tiens ici, que ce soit parce que je suis ignorant, timide ou orgueilleux, je n’ai pas eu un tel échange de l’année ; je fais ce que je peux avec ce que je tiens ; mais malgré cela, mon réconfort est froid. Mais je trouverai toujours ta bonne volonté prête pour moi, par rapport à ce que tu peux (1867-1904). – C’est la vérité, mon fils. Mais puisque tu me dis que mon seigneur, le Prince, est ton bon seigneur, il n’est pas difficile pour toi d’être soulagé. Que peux-tu faire ? Écris32

  En 1410, des restrictions budgétaires avaient été annoncées.

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1909

dialogues et résistances

Writtë to hym a goodly tale or two, 1910 On which he may desporten hym by nyghte,

1911

And his fre gracë schal vp-on þe lighte. (Beggar.)

“Sharpë thi penne, and write on lustily; Lat se, my sonë, make it fresh and gay, Outë thyn art if þou canst craftily; 1915 His hyë prudence hath insighte verray 1916 To iuge if it be wel y-made or nay; 1917 Wher-forë, sone, it is vn-to the neede, 1918 Vn-to þi werk, takë þe gretter heede. 1912 1913 1914

(Beggar.) 1919

“But of a thyng be wel waar in al wise, Prouerbiarum xxixo. Qui blandis fictis que sermonibus loquitur amico suo, expandit rethe gressibus suis. 1920 On flaterië þat þou þe nat founde;

1921 1922 1923 1924

ffor þer-of, sonë, Salamon þe wise,— As þat I haue in his prouerbës found,— Seith thus: ‘thei þat in feynëd speche habounde, And glosyngly vnto hir freendës talke, 1925 Spreden a net bi-forne hem wher they walke.’ (Beggar.)

1926 1927

“If a deceyuour yeue a man to sowke Wordës plesant, in hony al by-wrappid, Prouerbiarum I. ffili mi, si te lactauerint peccatores, ne adquiescas eis.

Good is a man eschewë swich a powke; Thurgh fauel haþ ful many a man mys-happid; 1930 ffor when þat he hath ianglid al and clappid 1931 With his freend, tretyng of pees openly, 1928 1929

Ieremie ix. In ore suo pacem loquitur cum amico suo, & occulte ponit ei insidias. 1932

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He in a-wayt lith of hym couertly.

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lui une ou deux bonnes histoires avec lesquelles il puisse se divertir la nuit, et sa libre volonté se posera sur toi. Taille ta plume et écris avec plaisir ; mon fils, fais quelque chose de frais et de joyeux ; expose ton art si tu le peux avec habileté  ; sa grande sagesse possède une véritable vision intérieure pour savoir si cela est bien fait ou non. Et donc, fils, il est nécessaire pour toi de porter la plus grande attention à ton ouvrage. Mais tu dois faire bien attention à une chose, de toutes les manières : tu ne dois pas te fonder sur la flatterie, parce que, fils, comme je l’ai trouvé dans ses proverbes, Salomon parle ainsi : « Ceux qui abondent en faux discours et parlent à leurs amis en les flattant, tendent un piège devant l’endroit où ils marchent ». Quand un homme trompeur nourrit quelqu’un avec des paroles plaisantes, bien recouvertes de miel, il vaut bien mieux éviter un tel démon. Car Fauvel33 détourne plus d’un homme  : alors qu’il discute et plaisante avec son ami, traitant de la paix ouvertement, il le guette en

33

  Fauvel était une figure de la basse flatterie, d’après un poème français composé dans la première moitié du XIVe siècle et intitulé le Roman de Fauvel.

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(Beggar.) 1933

“Þe mostë lak þat han þe lordës grete, Seneca libro vijo de beneficiis. Summa loca tenentibus maxime deest qui veritatem dicat. Adulacionis certamen omnibus officium est, vna omnium contencio quis blandissime fallat.

1934

Is of hem that hir soothës shuld hem telle; 1935 Al in þe glosë folk labour and swete;

1936 1937 1938 1939

Thei stryuen who best ryngë shal þe belle Of fals plesance, in þat hir hertës swelle If þat oon can bet than othér deceyue; And swich deceyt, lordës blyndly receyue. (Beggar.) 1940 “The worldly richë men, han no knowleche

Item Seneca. Ignorant seculi potentes vires suas, dum se credunt tam magnos quanti predicantur. What þat thei bene of hir condicioun; Thei ben so blent with fauellës gay speche, Wich réportith to hem, þat hir renoun Is euerywherë halwid in the toun, 1945 That in hem-self they demen gret vertu, 1946 Where as þer is but smal or naght a gru, 1941 1942 1943 1944

(Beggar.) “ffor vnneth á good word men speke of hem: This falsë tresoun comon is and rif; Bet were it the ben at ierusalem, 1950 Sonë, þan þou were in it defectif. 1951 Syn my lord þe prynce is, god help his lyf, 1952 To thè good lord, good seruant þou þe quyte 1953 To him, and trewe, and it shal the profyte. 1947 1948 1949

(Beggar and Hoccleve.) 1954

“Write him no thyng þat sowneth in-to vice; 1955 Kythë thi loue in matere of sadnesse;

1956 1957 1958

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looke if þou fyndë canst any tretice Groundid on his estatës holsumnesse; Swych thing translate, and vnto his hynesse,

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secret. Ce dont les seigneurs manquent le plus est quelqu’un qui leur dirait leurs vérités. Les gens travaillent et transpirent toujours dans la glose  ; ils se battent pour savoir qui sonnera le mieux la cloche des fausses faveurs  ; leurs cœurs grossissent s’ils peuvent tromper mieux que l’autre – et les seigneurs reçoivent de telles tromperies aveuglement. Les hommes riches de ce monde n’ont pas connaissance de leur condition [réelle] ; ils sont aveuglés par les discours spécieux de Fauvel qui leur rapporte que leur renom est tenu pour sacré dans la ville ; alors ils jugent que la vertu est grande en eux, alors qu’il n’y en a pas ou peu, à moins que quelqu’un ne prononce une bonne parole sur eux. Cette mauvaise trahison est commune et habituelle ; il vaudrait mieux pour toi être à Jérusalem, fils, que d’être coupable de cela. Puisque mon seigneur le Prince est – que Dieu le garde – ton bon seigneur, tu dois être un bon serviteur pour lui, et loyal ; ce sera pour ton profit. N’écris rien qui puisse le conduire au vice. Exprime lui ton amour d’une manière sérieuse. Vois si tu peux trouver quelque traité fondé sur une sagesse morale. Traduis de telles choses et présente les à sa grandeur, aussi

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As humblely as þat þou canst, present; 1960 Do thus my sone.” “fadir, I assent.

(Hoccleve.) “With hert as tremblyng as þe leef of aspe, ffadir, syn ye me redë to do so, Of my symple conceyt wole I the claspe Vndo, and lat it at his largë go. 1965 But weylaway! so is myn hertë wo, 1966 That þe honour of englyssh tonge is deed, 1967 Of which I wont was han consail and reed. 1961 1962 1963 1964

(Hoccleve.) “O, maister deere, and fadir reuerent! Mi maister Chaucer, flour of eloquence, 1970 Mirour of fructuous entendëment, 1971 O, vniuersel fadir in science! 1972 Allas! þat þou thyn excellent prudence, 1973 In þi bed mortel mightist naght by-qwethe; 1974 What eiled deth? allas! whi wolde he sle the? 1968 1969

(Hoccleve.) 1975 “O deth! þou didest naght harme singuleer,

In slaghtere of him; but al þis land it smertith; But nathëlees, yit hast þou no power His namë sle; his hy vertu astertith Vnslayn fro þe, which ay vs lyfly hertyth, 1980 With bookës of his ornat éndytyng, 1981 That is to al þis land enlumynyng. 1976 1977 1978 1979

(Hoccleve.) “Hast þou nat eeke my maister Gower slayn, Whos vertu I am insufficïent ffor to descreyue? I wote wel in certayn, 1985 ffor to sleen al þis world þou haast yment; 1986 But syn our lorde Crist was obedient 1987 To þe, in feith I can no ferther seye; 1988 His creäturës mosten þe obeye. 1982 1983 1984

(Hoccleve and Beggar.) 1989

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“ffadir, ye may lawhe at my lewdë speche.

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humblement que tu le peux. Agis ainsi, mon fils (1905-1960). – Père, j’y consens. Avec un cœur aussi tremblant que le tremble, père, puisque tu me conseilles de le faire, je vais défaire l’étreinte de mes conceptions ignorantes et les laisser partir. Mais vraiment, mon cœur est blessé parce que l’honneur de la langue anglaise est mort, et je ne pourrai plus prendre conseil ni avis auprès de lui. Ô mon cher maître et mon révérend père, mon maître Chaucer, fleur de l’éloquence, miroir de l’entendement fertile, ô père universel du savoir ! Hélas, pourquoi n’as-tu pu léguer ton excellente sagesse sur ton lit de mort ! Que s’est-il passé avec la mort ? Pourquoi t’a-t-elle tué ? Ô mort, tu n’as pas commis un mal unique en le tuant, mais tu as blessé toute cette terre. Néanmoins, tu n’as pas le pouvoir de tuer son nom ; sa grande vertu ne peut être tuée par toi, elle nous réconforte toujours de manière vivante avec les livres de ses compositions ornementées. N’as-tu pas tué aussi mon maître Gower, dont je ne peux suffire à décrire la vertu34 ? Je le sais certainement, tu as ainsi voulu tuer le monde entier. Mais puisque le seigneur Christ t’a été obéissant, en vérité, je ne peux rien dire de plus ; ses créatures doivent t’obéir. Père, tu peux rire de mon humble discours si cela te plaît

34   John Gower, auteur notamment de la Confessio amantis, était un autre poète connu de la fin du XIVe siècle.

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1990 If þat þow list; I am no thyng fourmeel; 1991 1992 1993 1994

My yongë konyng may no hyer reche, Mi wit is also slipir as an eel; But how I speke, algate I menë weel.” “Sone, þou seist wel I-nogh, as me seometh, 1995 Non oothir feele I, so my cónceyt demeth. (Beggar.)

“Now, farwel, sone! go homë to þi mete, It is hy tyme; and go wil I to myn; And what I haue y-seid þe, naght forgete; And swych as þat I am, sone, I am thyn. 2000 Thow seest wel, age hath put me to declyne, 2001 And pouert hath me maad of good al bare; 2002 I may naght but preyë for þi welfare.” 1996 1997 1998 1999

(Hoccleve and Beggar.) “What, fadir? wolden ye thus sodeynly Depart fro me? Petir! crist, for-beede! 2005 Ye shal go dynë with me, trewëly.” 2006 “Sone, at a word, I moot go fro þe neede.” 2007 “Nay, fadir, nay!” “Yis, sone, as god me speede!” 2008 “Now, fadir, syn it may non othir tyde, 2009 Almyghty god yow saue, and he your gyde! 2003 2004

(Hoccleve and Beggar.) 2010 “And grautë gracë me þat day to se,

That I sumwhat may quytë your goodnesse. But, goodë fadir, whan and wher schul ye And I efte metë?” “Sone, in soothfastnesse, I euery day heere at þe Carmes messe, 2015 It faileth naght o-boute þe hour of seuene.” 2016 “Wel, fadir, god bytake I yow, of heuene!” 2011 2012 2013 2014

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– je ne suis correct en rien. Mon jeune savoir ne peut aller plus loin ; mon entendement est aussi glissant qu’une anguille. Mais ce que je dis, néanmoins, je le pense vraiment (1960-1993). – Fils, tu parles bien, à ce qu’il me semble ; je ne pense pas autrement, ainsi que mon jugement m’y invite. Maintenant adieu, fils, rentre chez toi pour ton repas ; il est grand temps et je vais me rendre au mien. Et n’oublie pas ce que je t’ai dit. Et tel que je suis, fils, je suis tien. Tu vois bien que l’âge m’a fait décliner, et que la pauvreté m’a rendu nu de tout bien ; je ne peux que prier pour ton bien-être. – Quoi, mon père, tu veux partir ainsi, soudainement ? Pierre, que le Christ l’interdise ! Tu vas venir dîner avec moi, en vérité. – Fils, en un mot, je dois te quitter. – Non, père, non. – Si, mon fils, Dieu m’y invite. – Alors, père, puisqu’il ne peut en être autrement, que Dieu te sauve et soit ton guide ; et accorde-moi la grâce de te revoir un jour pour que je puisse m’acquitter de ta bonté. Mais, bon père, où et quand pourrai-je te rencontrer à nouveau ? – Fils, en vérité, je vais tous les jours entendre la messe des Carmes, sans faillir, vers sept heures. – Eh bien, père, je te confie à Dieu dans le ciel (1994-2016).

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(Hoccleve.) Recordyng in my myndë þe lessoun That he me yaf, I hoom to metë wente; And on þe morowe sette I me adoun, 2020 And penne and ynke and parchemyn I hente, 2021 And to performe his wil and his entente 2022 I took corage, and whiles it was hoot, 2023 Vn-to my lord the princë thus I wroot:— 2017 2018 2019

[HOCCLEVE’S “REGEMENT” FOR HENRY V. WHEN PRINCE OF WALES.] 289 2024

Hyë and noblë princë excellent, 2025 My lord the prince, o my lord gracïous,

2026 2027 2028 2029

I, humble seruaunt and obedient Vnto your éstate hye & glorious, Of whiche I am full tendir & full ielous, Me recomaunde vnto your worthynesse, 2030 With hert entier, and spirite of mekenesse. 290

Right humbly axyng of you [the] licence, That with my penne I may to you declare (So as that kan my wittës innocence,) Myne inward wille that thursteth the welefare 2035 Of your persone; and ellës be I bare 2036 Of blisse, whan þat the coldë stroke of deth 2037 My lyfe hath quenched, & me byraft my breth. 2031 2032 2033 2034

291 Though that my livelode and possession Be skant, I riche am of beneuolence; 2040 To you therof kan I be no nygon: 2041 Goode haue I none, by whiche your excellence 2042 May plesëd be; &, for myne impotence 2043 Stoppeth the way to do as I were holde, 2044 I write as he þat your goode lyfë faynë wolde. 2038 2039

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Enregistrant dans mon esprit la leçon qu’il m’avait donnée, je rentrai chez moi. Le lendemain, je m’assis et pris une plume, de l’encre et du parchemin et, pour accomplir sa volonté et son intention, je pris courage  ; pendant qu’il était frais, j’écrivis ainsi à mon prince : Très noble, très puissant et excellent prince, mon seigneur le Prince, ô mon seigneur gracieux, moi, ton humble et obéissant serviteur, sous ton état haut et glorieux pour lequel je suis tout dévoué et plein d’attention, je me recommande à ta noblesse, avec un cœur sincère et un esprit humble. Je te demande humblement la permission de te déclarer avec ma plume (autant que le peuvent mes esprits simples) ma volonté intérieure qui s’est languie des bienfaits de ta personne, sans lesquels je resterai dépourvu de bonheur au moment où, par le froid coup de la mort, ma vie me quittera et mon souffle m’abandonnera. Bien que mes biens et mes possessions soient limités, je suis riche de bonne volonté  ; je ne peux pas être mesquin envers vous. Je n’ai pas de bien qui pourrait plaire à votre excellence mais, parce que ma pauvreté m’empêche d’agir comme je le devrais, j’écris comme celui qui désire pour vous une bonne vie (2017-2044).

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292 2045 Aréstotle, most famous Philosofre,

His Epistles to Alisaundre sent, Whos sentence is wel bette than gold in cofre, And more holsomer grounded to trewe entent: For all þat euer tho Epistles ment, 2050 To settë was þis worthy Conquerour, 2051 In reulë, how to sústene his honour. 2046 2047 2048 2049

293 The tendir loue, and the feruént chiertee That this worthy clerk ay to this kyng bere, Trustyng his welthë durable to be, 2055 Vnto his hert[è] stak and satte so nere, 2056 That by writýng his counseill yave he clere 2057 Vnto his lord, to kepe hym fro myschaunce, 2058 As witnesseth his booke of gouernaunce. 2052 2053 2054

294 2059

Of which, and [eek] of Gyles of regyment 2060 Of princes, plotmel thynke I to translate.

2061 2062 2063 2064

And thogh that senple be my sentëment, O worthi prince, I yow biseeche al-gate Considerith, how endityng hath in hate Mi dul conceyt, and nat accordë may 2065 With my childhode; I am so childissh ay. 295

Also byseeche I that þe altitude Of your estate—þogh þat þis pamfilet Non ordre holdë, ne in him include— Nat greuëd be, for I can do no bet. 2070 Anothir day, whan wit & I be met, 2071 Which longe is to, and han vs freenly kist, 2072 Descouere I wole, thát now is nat wist. 2066 2067 2068 2069

296 2073 2074

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Nathëles, swich as is my smal konyng, Withal so treewe an herte, I wole it oute, 2075 As þo two dide, or euere Clerc lyfynge;

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Aristote, le plus fameux des philosophes, a envoyé ses lettres à Alexandre, et leur contenu vaut plus que de l’or dans un coffre35  ; et [ce contenu] est sainement fondé sur une véritable intention. Car l’objectif de ces épîtres a toujours été de fixer par écrit, pour ce valeureux conquérant, la manière dont [il faut] soutenir son honneur dans le gouvernement. Ce digne clerc a toujours porté un tendre amour et une fervente affection à ce roi, poussant à ce que son bien être soit durable, jusqu’à ce que son cœur soit percé et qu’il soit assis au plus près [du roi] ; ainsi, il donna clairement, par écrit, son conseil à son seigneur pour le garder de tout dommage ; son livre du gouvernement en témoigne. Ce livre, ainsi que le Gouvernement des Princes de Gilles, j’ai pensé à en traduire des morceaux36. Et bien que mon caractère soit simple, ô valeureux prince, je vous prie particulièrement de considérer que la composition tient en haine mon stupide entendement, et que ma pensée peut ne point s’accorder avec mon immaturité – je suis toujours si enfantin. Je prie aussi que la hauteur de votre état ne soit pas ennuyée, car ce petit livre ne conserve ni ne contient un [bon] ordre – mais je ne peux faire mieux. Un autre jour, quand Entendement et moi nous rencontrerons – ce qui prendra du temps – et que nous nous serons embrassés amicalement, je révélerai ce qui maintenant n’est pas connu. Néanmoins, aussi petit que soit mon savoir, avec un cœur loyal, je ferai comme ont fait ces deux clercs et tout clerc vivant. Mais mon 35

  Hoccleve évoque ici le Secretum Secretorum, attribué à Aristote, mais qui est en fait une œuvre d’origine arabe datant du Xe siècle largement diffusée en Occident. 36   Il s’agit du De Regimine Principum de Gilles de Rome, composé à la fin du XIIIe siècle pour le roi de France Philippe le Bel, qui fut le miroir au prince le plus populaire de la fin du Moyen Âge.

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But tremblyng is my spirit out of doute, That to performë þat I am a-boute; Allas! þe stuf of sad intelligence Me faillith, to speke in so hy presence. 297 2080 Simple is my goost, and scars my letterure,

Vnto your excellencë for to write Myn inward loue, and yit in áuenture Wyle I me puttë, thogh I can but lyte. Mi derë maistir—god his soulë quyte!— 2085 And fadir, Chaucer, fayn wolde han me taght; 2086 But I was dul, and lernèd lite or naght. 2081 2082 2083 2084

298 Allas! my worthi maister honorable, This landës verray tresor and richesse, Deth, by thi deth, hath harme irreparable 2090 Vnto vs doon; hir vengeable duresse 2091 Despoilèd hath þis land of þe swetnesse 2092 Of rethorik; for vn-to Tullius 2093 Was neuer man so lyk a-mongës vs. 2087 2088 2089

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Also, who was hiër in philosophie 2095 To Aristotle, in our tonge, but thow?

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The steppës of virgile in poesie Thow filwedist eeke, men wot wel y-now. That combre-world, þat þe, my maistir, slow, Wold I slayn were! deth was to hastyf 2100 To renne on þe, and reuë the thi lyf. 300

2101 2102 2103 2104

Deth hath but smal consideracïoun Vnto þe vertuous, I haue espied, No more, as shewith þe probacïoun, Than to a vicious maistir losel tried; 2105 A-mong an heep, euery man is maistried; Ecclesiastici ijo. Moritur doctus simul & indoctus.

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esprit tremble, sans aucun doute, d’accomplir ce que je souhaite. Hélas, j’échoue à parler de la substance de ces sujets sérieux devant une si haute présence. Mon esprit est simple et mon érudition bien insuffisante pour écrire à votre excellence mon amour intérieur ; et pourtant, j’entreprendrai l’aventure, même si je ne peux pas faire grand chose. Mon cher maître – que Dieu récompense son âme – et mon père, Chaucer désirait m’enseigner, mais j’étais stupide et n’appris rien, ou si peu. Hélas, mon maître digne et honorable, vrai trésor et richesse de cette terre – par ta mort, la mort nous a nui irréparablement ; par sa dureté vengeresse, elle a privé cette terre de la douceur de la rhétorique, car personne d’autre ne fut si semblable à Tullius37. Et en philosophie, qui fut l’héritier d’Aristote dans notre langue, si ce n’est toi  ? Tu as également suivi les traces de Virgile, en poésie. Les hommes savent bien quel fauteur de troubles en ce monde tu as tué, mon maître. Que ne puis-je être tué ! La mort se hâta trop d’aller vers toi et de prendre ta vie (2045-2100). La mort n’a pas beaucoup de considération pour les vertueux, je l’ai remarqué ; [elle n’en a] pas plus, comme l’expérience le montre, pour un maître vicieux, une racaille découverte parmi la multitude. Elle domine chaque homme, aussi bien le

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  C’est-à-dire Cicéron.

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With hire, as wel þe porre as is þe riche; lered and lewde eeke standen al y-liche. 301

She myghte han taried hir vengeance awhile, Til that sum man had egal to thè be. 2110 Nay, lat be þat! sche knew wel þat þis yle 2111 May neuer man forth bryngë lyk to the, 2112 And hir officë needës do mot she; 2113 God bad hir so, I truste as for thi beste; 2114 O maister, maister, god þi soule reste! 2108 2109

302 2115 Now to my matere, as that I began:

There is a booke, Iacob de Cessoles, Of þe ordre of Prechours, made, a worthy man, That “the Chesse moralisèd” cleped is, In which I purpose eke to laboure y-wis, 2120 And here & there, as that my litell witte 2121 Afforthë may, I thynkë tránslate it. 2116 2117 2118 2119

303 And al be it that in that placë square Of the lystës, I mane þe eschekere, A man may lernë to be wise & ware, 2125 I, that haue auentured many a yere, 2126 My witte there-in is but litill the nere, 2127 Save that somwhat I knowe a kyngës draught; 2128 Of other draughtës, lerned haue I naught. 2122 2123 2124

304 2129

And, for that among the draughtës euerychone 2130 That vnto þe chessë appertenë may,

2131 2132 2133 2134

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Is none so nedëfull vnto your persone To knowe, as that of the cheertë verray That I haue hade vnto your noblesse ay, And shall, yf your plesaunce it be to here, 2135 A kyngës draught, reporte I shall now here.

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riche que le pauvre ; les lettrés et les ignorants se tiennent identiques devant elle. Elle aurait pu un peu retarder sa vengeance, jusqu’à ce qu’un homme égal à toi apparaisse – non, que cela soit ainsi ! Elle savait bien que cette île ne portera peutêtre [plus] jamais un homme comme toi ; et elle doit accomplir son office. Dieu le lui a commandé, je le crois, pour le meilleur ; ô maître, maître, que Dieu accorde le repos à ton âme ! (2101-2114). Mais je reviens au sujet que j’avais entrepris. Il existe un livre qu’a fait Jacob de Cessolis, de l’ordre des prêcheurs – un digne homme  ; on l’appelle les Echecs moralisés, et je vais aussi y travailler dans le dessein qui est le mien ; et ça et là, selon ce que mon petit esprit permet, je pense le traduire38. Et tout ce qui est dans cette place carrée, à l’intérieur des barrières – je veux dire l’échiquier – un homme peut l’apprendre, pour devenir sage et informé. J’y ai conduit mon esprit durant bien des années, mais je n’en suis pas plus proche, si ce n’est que je connais quelque peu le mouvement du roi ; mais des autres mouvements, je n’ai pas appris grand chose. Mais parmi tous les mouvements qui appartiennent aux échecs, un seul doit être nécessairement connu de votre personne – ce me semble, de par la grande affection que j’ai toujours eue pour votre noblesse ; et, si cela est votre plaisir de l’entendre, je relaterai ici le mouvement du roi. Je suis

38   Jacques de Cessoles, un dominicain italien, a composé ce traité sur les échecs dans la première moitié du XIVe siècle. Ce dernier a été traduit en français à plusieurs reprises, en particulier par Jean de Vignay. Cf. J. Adams, Power Play : The Literature and Politics of Chess in the late Middle Ages, Philadelphie, 2006.

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305 I am sure that the bookës allë thre, Redde hath & seen your Innat sapience; And, as I hope, her vertues folwen ye; But vnto you compile I this sentence, 2140 That, at the goode luste of your excellence, 2141 In short ye may behold and rede 2142 That in hem thre is skatered ferre in brede. 2136 2137 2138 2139

306 And álthough it be no manér of nede Yow to counseilë what to done or leve, 2145 Yf þat you liste of stories to take hede, 2146 Somwhat it may profitë, by your leve: 2147 At hardest, when þat ye ben in Chambre at eve, 2148 They ben goodë to drivë forth the nyght; 2149 They shull not harme, yf þey be herd a-right. 2143 2144

307 2150 To your hyenessë, thynke it not to longe,

Though in that draught I somwhat wadë deepe; The thewës vertuous that to it longe Wacchen my gost, & letten him to slepe. Now God in vertu mayntene you and kepe! 2155 And I besechë your magnificence, 2156 Yeve vnto me benignë audience. 2151 2152 2153 2154

308 For though I to the steppes clergyall Of thisë clerkës thre [may] not atteyne, Yit, for to putte in prees my cónceyte small 2160 Goode wille me arteth take on me the peyne; 2161 But sorë in me quappeth euery veyne, 2162 So dredefull am I of myne ignoraunce; 2163 The crosse of criste me spedë and auaunce! 2157 2158 2159

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certain que vous avez lu ces trois livres et que vous y avez vu votre sagesse innée ; et, je l’espère, leurs vertus vous suivent. Mais je compile pour vous leur contenu afin que, pour le bien de votre excellence, vous puissiez regarder et lire rapidement ce qui est dispersé dans ces trois [livres]. Et il n’est en aucune manière nécessaire de vous conseiller en ce que vous devez faire ou ne pas faire ; pourtant, s’il vous plaît de prêter attention à ces histoires, cela peut vous être profitable – avec votre permission. Au moins, lorsque vous serez dans votre chambre, le soir, elles seront bonnes pour vous conduire dans la nuit ; elles ne seront pas nuisibles si elles sont bien entendues (2115-2149). [J’espère que] cela n’apparaîtra pas trop ennuyeux à votre majesté, d’autant que je m’implique profondément dans ce mouvement, et que les qualités qui y appartiennent réveillent mon esprit et l’empêchent de dormir. Et que Dieu vous maintienne et vous garde dans la vertu, et je prie votre magnificence de m’accorder son audience bienveillante. Car même si je ne puis atteindre les marches érudites de ces clercs, la bonne volonté me presse de me mettre à la peine, pour mettre à [votre] service mon faible esprit. Mais la douleur fait battre en moi chaque veine, tant la terreur que j’ai de mon ignorance est grande ; que la Croix du Christ hâte mon travail et le fasse avancer (2150-2163).

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Un Sermon de Thomas Wimbledon On ne sait pratiquement rien de Thomas Wimbledon (il a peut-être été chapelain d’un membre de la gentry et il a peut-être été formé à l’université), si ce n’est qu’il a prononcé ce sermon dans un des haut lieux de la prédication londonienne, St Paul’s Cross, en 1387 ou 1388. Ce sermon a connu une diffusion assez large1, car il est aujourd’hui conservé dans dix-sept manuscrits (sans compter une version en latin dans deux autres manuscrits), ce qui est considérable pour un sermon isolé. La structure du sermon a une forme « moderne » ou universitaire, avec un thème, en l’occurrence un verset de l’Évangile de Luc, un prothème, dont la fonction était de clarifier l’importance du thème, des divisions, des subdivisions et des simplifications. Un des intérêts majeurs de ce sermon réside dans son traitement des trois états de la société (le clergé, la noblesse et le reste) qui constituaient alors un motif largement répandu 2. En effet, Wimbledon fait la part belle aux marchands, en offrant, selon Patrick Horner, « une justification idéalisée de l’activité marchande comme méthode de distribution équitable de la générosité naturelle de la création. En un sens, il a incorporé les marchands dans la traditionnelle vision harmonieuse d’une société mutuellement interdépendante »3.

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  Wimbledon’s sermon : Redde rationem villicationis tue, éd. I. K. Knight, Pittsburgh, 1967.   Cf. J. Mann, Chaucer and medieval estates satire, Cambridge, 1973. 3   Horner, « Preachers at Paul’s Cross », p. 273. 2

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“Redde racionem villicacionis tue”. Luce sexmo decimo. My dere ferendis, ye shullen undirstonde that Crist Iesus, auctour and doccour of trewthe, in his book of the gospel liknyng the kyngdom of heuene to an housholdere, seith on this maneres : “Lik is the the kyngdom of heuene to an housholdynge man that wente out first on the morwe to hire werkemen into his vine. Also about the thridde, sixte, nyenthe, and eleuene houris he wente out and fond men stondynge ydel and sey to hem : Go yee into my vyne and that right is I wole gheue yow. Whanne the day was ago, he clepid his styward and heet to gheue eche man a peny” To spiritual undirstondyng this housholdere is oure lord Iesu Crist, that “is heed of the houshold of holi chirche”. And thus he clepith men in diuerse houris of the day, that is in diuerse ages of the world ; os in tyme of lawe of kynde he clepide by enspirynge Abel, Ennok, Noe, and Abraham ; in tyme of the olde lawe Moyses, Dauid, Ysaye, and Jeremie ; and in tyme of grace apostelis, martiris, and confessoures, and virgines. Also he clepeth men in diuerse agis, summe in childhood ad Jon Baptist, summe on stat of wexenge as Jon the Euangelist, summe in stat of manhod as Petir and Andrew, and summe in old age as Gamaliel and Josep of Aramathie. And alle these he cleplith to trauayle on his vyne, that is the chirche, and that on diuerse maneres. For right as yee seeth that in tilienge of the material vine there beeth diuerse laboreris : for summe kuttyn awey the voyde braunchis ; summe maken forkes and rayles to beren vp the veyne ; and summe diggen awey the olde erthe fro the rote and leyn there fattere. And alle theise offices ben so nescessarie to the veyne that yif eny of hem fayle it schal harme gretly or distroye the vyne. For but yif the vine be kut, he schal wexe wilde ; but yif she be rayled, she shal be ouergoo with netles and wedis ; and but yif the rote be fettid with donge, she for feblenesse shold wexe barayne.

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Redde racionem villicacionis tue. Luce sexmo decimo4. Mes chers amis, vous devez comprendre que Jésus-Christ, auteur et docteur de vérité, dans son livre de l’évangile, relie le royaume du ciel à la tête d’une maisonnée et parle ainsi : « Le royaume du ciel est comme un chef de maisonnée qui sort dans le matin pour engager des travailleurs pour sa vigne. À la troisième, à la sixième, à la neuvième et à la onzième heure, il est sorti et a trouvé des hommes ne faisant rien et il leur a dit, allez dans ma vigne et je vous donnerai quelque chose. À la fin de la journée, il a appelé son intendant et lui a dit de donner un sou à chacun »5 (1-12). Au sens spirituel, ce chef de maisonnée est notre Seigneur Jésus-Christ, c’est-à-dire « la tête de la maisonnée de la sainte Église »6. Et ainsi a-t-il appelé des hommes à diverses heures du jour, c’est-à-dire à divers âges du monde ; au temps de la loi de nature, il a appelé par l’inspiration divine Abel, Ennok, Noé et Abraham ; au temps de l’ancienne loi Moïse, David, Isaïe et Jérémie  ; et au temps de la grâce les apôtres, les martyrs, les confesseurs et les vierges. Il a aussi appelé des hommes à divers âges [de leur vie], certains dans leur enfance comme Jean-Baptiste, certains dans l’adolescence comme Jean l’Evangéliste, certains dans la maturité comme Pierre et André, et certains dans la vieillesse comme Gamaliel et Joseph d’Arimathie. Et il a appelé tous ceux-là pour travailler dans sa vigne, c’est-à-dire l’Église, et cela de diverses manières (13-26). Car, vous le voyez, il y a dans la culture de la vigne divers travaux : certains coupent les branches mortes ; certains fabriquent des pieux et des treilles pour soutenir la vigne ; et certains enlèvent la vieille terre autour des racines et en mettent de la plus grasse. Et tous ces offices sont si nécessaires à la vigne que si l’un d’entre eux n’est pas accompli, cela risque de nuire grandement à la vigne et de la détruire. Car si la vigne n’est pas taillée, elle devient sauvage ; si elle n’est pas treillée, elle est envahie par les orties et les mauvaises herbes ; et si ses racines ne sont pas nourries de fumier, elle devient faible et se dénude (27-37).

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  Luc 16 : 2 : « Rends compte de ta gestion ». Ce verset est issu de la parabole de l’intendant infidèle (Luc 16).   Matthieu 20 : 1-10. 6   Voir Colossiens 1 : 18. 5

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Ryght so in the chirche beeth nedeful thes thre offices : presthod, knyghthod, and laboreris. To prestis it fallith to kutte awey the voide braunchis of synnis with the swerd of here tonge. To knyghtis it fallith to lette wrongis and theftis to be do, and also to kepe the lond fro enemyes of other londes. And to laboreris it falleth to trauayle bodily and with here sore swet geten out of the erthe bodily liflode for hem and for other parties. And these statis beth also nedeful to the chirche that non may wel ben withouten other. For yif presthod lackede the puple for defaute of knowyng of Goddis lawe shulde wexe wilde on vices and deie gostly. And yif the knythod lackid and men to reule the puple by lawe and hardnesse, theues and enemies shoden so encresse that no man sholde lyuen in pes. And yif the laboreris weren not, bothe prestis and knyghtis mosten bicome acremen and heerdis, and ellis they sholde for defaute of bodily sustenaunce deie. And herfore seith a gret clerk, Auycenne, that “euery vnresonable beest, yif he haue that that kynde hath ordeyned for hym as kynde hath ordeyned it, he is sufficiaunt to lyue by hymself withouten eny other of the same kynde”. As yif there were but one hors other oon sheep in the world, yit yif he hadde graas and corn as kynde hath ordeyned for suche bestes, he shulde lyue wel jnow. But yif ther were but oon man in the world, though he hadde all that good that is the in, yit for defaute he scholde die, or his lif shulde be worse than yif he were nought. And the cause is this : for thyng that kynde ordeyneth for a mannus sustinaunce withoutyn other arayng than it hath of kynde acordith nought to hym. As though a man haue corn as it cometh fro the erthe, yit it is no mete acordynge to hym into it be by mannis craft chaungid into bred. And though he haue flesche other fissche, yit while it is raw, as kynde ordeyneth it, forto it be by mannus trauayle sothen, rosted, other bake, it acordith not to mannis liflode. And ryght so wolle that the sheep berith mot by many diuerse craftis and trauaylis be chaungid er it be able to clothe eny man. And certis o man bi hymsilf shulde neuere don alle thise labouris. And therfore seith this clerk, it is nede that summe beth acremen, summe bakeris, summe makeris

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De même, il y a dans l’Église trois offices nécessaires : la prêtrise, la chevalerie et les travailleurs. Les prêtres doivent couper les branches mortes du péché avec l’épée de leur langue. Les chevaliers doivent empêcher les mauvaises actions et les vols, faire observer les commandements de Dieu et défendre ceux qui les enseignent, et ils doivent aussi protéger leur pays des ennemis des autres pays. Et les travailleurs doivent travailler avec leur corps et leur transpiration pour faire sortir de la terre la nourriture pour eux et pour les autres parties. Et ces états sont nécessaires à l’Église et aucun ne peut prospérer sans les autres. Car s’il n’y avait pas de prêtres, les vices se répandraient irrésistiblement parmi le peuple, par manque de connaissance des lois divines et ce serait sa mort spirituelle. Et s’il n’y avait pas de chevalerie et d’hommes pour gouverner le peuple avec loi et rigueur, les voleurs et les ennemis augmenteraient tellement que les hommes ne pourraient plus vivre en paix. Et si les travailleurs n’existaient pas, les prêtres et les chevaliers devraient devenir des cultivateurs et bergers, ou alors ils mourraient par manque de nourriture (38-55). Et un grand clerc, Avicenne, dit que « si chaque bête dénuée de raison a ce que Nature a prévu selon son ordonnancement pour cette bête, cela lui suffit pour vivre par elle-même sans aucune bête semblable »7. Ainsi, s’il n’y avait qu’un seul cheval ou qu’un seul mouton dans le monde, s’il avait du grain et de l’herbe comme Nature l’a prévu pour de telles bêtes, il vivrait correctement. Mais s’il n’y avait qu’un seul homme dans le monde, même s’il avait tous les biens qui s’y trouvent, il mourrait ou sa vie serait pire que s’il n’existait pas. En voici la raison : une chose que Nature a prévu pour nourrir un homme ne convient pas à ce dernier si elle n’est pas transformée. Car pour un homme, du grain venant directement de la terre n’est pas de la nourriture avant d’avoir été transformé en pain par le savoir-faire de l’homme. Il en est de même pour de la viande ou du poisson tant que cela est cru, comme Nature l’a prévu – cela doit être attendri, rôti ou cuit par le travail de l’homme ou cela ne convient pas à son régime. De même, la laine que le mouton porte doit être transformée par divers travaux et techniques jusqu’à ce qu’elle puisse habiller quelqu’un. Et donc, dit ce clerc, il est nécessaire que certains soient cultivateurs, certains boulangers, certains fabricants d’habits et certains mar-

7   Cf. Avicenne, De anima, Sextus Naturalium V. Avicenne († 1037) fut l’un des plus grands philosophes de l’Islam médiéval. Une grande partie de son œuvre a été traduite en latin au XIIe siècle, en particulier son Canon de la Médecine, devenue incontournable pour les études de médecine.

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of cloth, and summe marchaundis to fecche that that o lond fauteth from another ther it is plente. And certis this shulde be o cause why euery staat shul loue other and men of o craft shulde neither hate ne despise men of another craft sith they beth so nedeful euerych to other. And ofte thilke craftis that semen most vn- honest myghthen worst be forbore. And o thyng y dar wel seye : that he that is neither traueylynge in this world on prayeris and prechynge for helpe of the puple, as it falleth to prestis ; neither in fyghtinge ayenis tyrauntis and enemyes, as it fallith to knyghtis ; neither trauaylynge on the erthe, as it fallith to laboreris – whanne the day of his rekenyng cometh that is the ende of this lif, ryght as he lyuede here withoutyn trauayle, so he shal there lacke the reward of the peny, that is the endeles ioye of heuene. And as he was here lyuynge aftir noon staat ne ordre, so he shal be put thanne “in that place that noon ordre is inne, but euerlastynge horrour” and sorwe that is in helle. Herfore “euery man see to what astaat God hath clepid hym and dwelle he ther inne” by trauayle acordyng to his degre. Prima Corinthios vij° (20). Thou art a la- borer or a crafti man “do this trewli”. 2 Timotheum 4° (5). “Yif thou art a seruant other a bond man be soget and low” in drede of displesynge “to thy lord”. Prima Petri 2° (18). Yif thou art a marchaunt, “disceyue nought thy brother” in chafferynge. Prima Thessalonicenses 4° (6). Yif thou art a knyght other a lord, “defende the pore man and nedy fram his houndis that willen harmen hym”. Psalmo 81 (4). Yif thou art a iustice other a iuge, “go nought into the ryght hond” by fauour, “neither into the lefte honde” to punysche eny man for hate. Proverbia 4° (27). Yif thou art a prest “vndirnyme, praye, and reproue in alle maner pacience and doctrine”. Duo Timotheum 4° (2). Glossario. Vndirnyme thilke that beth necligent ; praie for thilke that beth obedient ; reproue hem that ben vnobedient to God. And so eueri man trauayle in his degre ; for whanne the euen is come that is the ende of the world, “thanne euery man shal take reward, good other euyl, aftir that he hath trauayled here”. Prima Corinthios iiij° (8).

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chands pour apporter une chose qui manque à un endroit d’un autre endroit pourvu [de cette chose]. Et certainement, c’est une raison pour laquelle chaque état doit aimer les autres [états] et les artisans ne doivent ni haïr ni mépriser les hommes d’un autre métier – puisque chacun est nécessaire à l’autre. Et souvent, de tels métiers qui semblent les moins honorables sont ceux dont on se débarrasse le moins facilement. Et il y a une chose que j’ose affirmer : à celui qui, dans ce monde, ne travaille ni à la prière ou à la prédication pour le soutien du peuple, comme cela appartient aux prêtres ; ou qui ne combat pas contre les tyrans et les ennemis, comme cela appartient aux chevaliers ; ou qui ne travaille pas la terre, comme cela appartient aux travailleurs – il lui manquera, lorsque le jour du jugement viendra lors de la fin de sa vie, la récompense d’un sou, c’est-à-dire de la joie céleste infini, parce qu’il a vécu sans travailler. Et comme il n’aura pas vécu dans un état ou un ordre, il sera placé « dans cet endroit où n’existe aucun ordre, mais seulement l’horreur éternelle »8 et il se lamentera en enfer (56-96). Ainsi, « chaque homme voit à quel état Dieu l’a appelé pour qu’il y demeure » par le travail, selon son rang. Prima Corinthios vij° 9. Tu es un travailleur ou un artisan, « fais le sincèrement ». 2 Timotheum 4°10. « Si tu es un serviteur ou un serf, sois soumis et humble » de peur de déplaire à ton maître. Prima Petri 2°11. Si tu es un marchand, « ne trompes pas ton frère » en commerçant. Prima Thessalonicenses 4°12. Si tu es un chevalier ou un seigneur, « défends le pauvre et le nécessiteux des blessures qui peuvent lui nuire ». Psalmo 8113. Si tu es un juge ou un magistrat, « ne va pas dans la main droite », à cause d’une faveur, « ni dans la main gauche », pour punir quelqu’un par haine. Proverbia 4°14. Si tu es un prêtre, « explique, prie, admoneste avec toute la patience et la connaissance possibles ». Duo Timotheum 4 : 215. Glossario. Réprimande ceux qui sont négligents ; prie pour ceux qui sont obéissants ; morigène ceux qui désobéissent à Dieu. Ainsi, chaque homme travaille selon son rang. Car lorsque le soir – c’est-à-dire la fin du monde – sera arrivé, « alors chaque homme aura sa récompense, bonne ou mauvaise, par rapport à ce qu’il aura accompli ». Prima Corinthios iiij°16 (97-117). 8

  Cf. Job 10 : 22.   I Cor 7 : 20.   Cf. 2 Tim 4 : 5. 11   Cf. 1 Pierre 2 : 18. 12   Cf. 1 Thess. 4 : 6. 13   Cf. Ps. 81 : 4. 14   Cf. Prov. 4 : 27. 15   Cf. 2 Tim 4 : 2. 16   Cf. 1 Cor. 3 : 8. 9

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My wordes that y haue taken to maken of this sermon beth thus myche to seye : “Yilde rekenynge of thy bailie”. Crist, auctor of pite and louere of the saluacion of his peple, in the processe of this gospel enformeth eueriche man, that is his baile, by maner of a parable of a bayly that he speketh of to araye hym for to answere of the goodis that God hath bytaken hym whanne the day of streyt rekenyng shal come, that is the day of doom. And so I at this tyme, thourgh the helpe of God, folwynge hym that is maister of so gret auctorite, by the cause that y knowe no thyng that shulde more drawe awey mannis vnresounable loue fro the passynge ioye of this world than the mynde of that dredful rekenyng, as myche as y suffice for now I shal shewe yow how ye shal dispose you to auoide thanne the vengeaunce of God, whan ther shal be tyme of so streyt dome that we shulle “Yelde rekenyng of euery ydel word that we hauen spoken”. For thanne shal it be sayd to vs, and we shul not mow flee it : “Yelde rekenynge of thy baylie”. But for ferther proces of this firste partie of this sermoun, ye shal wite that ther beth thre bayleis that shullen be clepid to this streyte rekenyng, tweyne to answere for hemself and for other, that beth prestis than han cure of mennis soulis, and temperal lordis that hauen gouernayle of peplis ; and the thridde baylie shal acounte only for hymself, and that is euerich other Cristene man, of that he hath resceyued of God. And euerich of thyse shal answere to thre questiouns : the first questioun, how hast thou entred ; the secunde, how hast thou reulid ; and the thridde, how hast thou lyuyd. And yif thou canst wel assoyle these thre questiouns, was ther neuere noon erthely lord that so rewardith his seruant withoute comparisoun as thy Lord God shal reward the, that is with lif and ioye that euere shal laste. But on that other side, yif thou wilt now be recheles of thyn owen welfare and take noon hede of this rekenyng, yif that deth take the sodeynly so that thou passe hennis in dedly synnes, as thou wost neuere what shall falle to the, alle the tongis that euere weren other shal be mowen not telle the sorwe and woo that thou shal suffre. Therfore the desire of so gret ioye and the drede of so gret

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Les mots que j’ai pris pour faire ce sermon peuvent être rendus ainsi : « Rends compte de ton office ». Le Christ, auteur de miséricorde et amoureux du salut de son peuple a, dans un passage de cet évangile, informé chaque homme – c’est-à-dire son bailli – grâce à une parabole ; il y parle d’un bailli qui doit se préparer pour répondre des biens que Dieu lui a confiés lorsque le jour des comptes viendra, c’est-à-dire le jour du jugement. Et je fais de même aujourd’hui, avec l’aide de Dieu, suivant celui qui est un maître d’une si grande autorité, parce que je ne connais rien qui ne puisse davantage détourner l’amour déraisonnable qu’ont les hommes des joies passagères de ce monde, que la pensée de ces comptes terrifiants. Pour autant que j’en sois capable, je vais vous montrer comment vous conduire pour éviter la vengeance de Dieu, lorsque viendra le temps d’un jugement si net que nous devrons « prendre en compte chaque parole vaine que nous avons prononcée  »17. Car alors il nous sera dit « Rends compte de ton office », et nous ne pourrons pas y échapper (118135). Mais pour compléter la première partie de ce sermon, vous saurez qu’il y a trois baillis qui doivent être appelés à ce type de comptes  ; deux répondront pour eux-mêmes et pour les autres – les prêtres qui ont la cure des âmes des hommes et les seigneurs temporels qui ont le gouvernement du peuple ; et le troisième bailli ne rendra des comptes que pour lui-même de ce qu’il a reçu de Dieu – ce sont tous les autres Chrétiens (136-143). Et chacun d’entre eux répondra à trois questions : la première question est, comment es-tu entré ; la deuxième, comment as-tu gouverné ; et la troisième, comment as-tu vécu. Et si tu peux résoudre ces trois questions, tu seras récompensé par le Seigneur mieux que n’importe quel serviteur peut l’être par un seigneur de cette terre, c’est-à-dire par la vie et la joie éternelles. Mais d’un autre côté, si tu es indifférent à ton propre bien-être et que tu ne te soucies pas de tes comptes, si la mort te prend soudainement et que tu trépasses en état de péché mortel (comme tu ne sais jamais ce que tu subiras), toutes les langues qui ont été ne pourront dire la douleur et le malheur que tu souffriras. Ainsi le désir d’une si grande joie et la terreur d’une si grande peine devraient te conduire à remercier d’avoir

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  Cf. Matt. 12 : 36.

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peyne, though louedrede of God were not in thyn herte, sholde make the to thenke euermore that thou shalt gheue rekenyng of thy baylie. Therfore, as I seie, the first questioun that shal be purposid to the firste baylif, that is a prelat other a curat of mennis sowlis, is this : How hast thou entred ? “Frend, how entredist thou hidir ?” Who broughte the into this offys ? Trewthe other symonie ? God or the deuyl ? Grace or monye ? The flessh or the spirit ? Yif thou thy rekenyng yif thou canst. Yif thou canst nought, I rede that thou tarie nought to leerne. For vpon hap or nyght thou shalt be clepid, and yif thanne thou stonde dowmbe for vnkunnyng or ellis for confusioun of thy conscience, thou falle into the sentence that anoon folwith : “Byndith his hondis and his feet, and troweth hym into vttrewarde of derkenesses ; there shal be wepyng and gryntyng of teth”. Therfore y conseyle the that thou avise the how thou wilt answere to this questioun : How hast thou entrid ? Whether by cleping or by thyn owen pro- curinge ? For thou woldist trauayle on Goddis gospell other for thou woldest ben richelich arayed ? Answere to thyn owen conscience now as thou shalt or longe aunswere to God, thout that hast take the ordre of prest, whether thou be curat or no. Who stirid the to take vpon the so highe astaate ? Whether for thou woldest lyue on Goddis contemplacion, other for to lyue a delicious lif vpon other mennis trauayle and thyself trauayle nought ? Why also setten men here sones other here cosynus to scole ? Whether for to gete hem grete auauncementis other to make hem the betere to knowen how they shulden serue God ? This men may see openly by the science that they setten hem to. Why y praye yow putteth men here sones rathere to lawe syuyle and to the kyngis court to writen lettres or writis than to philosophie other deuinite but for they hopen that thyse occupacions shul be euere menis to make hem grete in the world. I hope that ther wole no man seie that they ne shulde betere lerne reule of good lyuyng in the book of Goddis lawe than in eny bokes of mennys worldly wysdom. But certis now it is soth that Seynt Jon Crisostome seith : Moderis beth lowynge the bodies of here

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à rendre compte de ton office – même si l’amour de Dieu n’est pas dans ton cœur (144-159). Ainsi, comme je l’ai dit, la première question qui sera soumise au premier bailli, c’est-à-dire à un prélat ou un autre curateur des âmes humaines, est celle-ci  : comment es-tu entré  ? «  Ami, comment es-tu entré ? »18 Qui t’a conduit dans cette office ? La vérité ou la simonie ? Dieu ou le diable ? La grâce ou l’argent ? L’esprit ou la chair ? Rends tes comptes, si tu le peux. Si tu ne le peux, je te conseille de ne pas tarder à apprendre [à le faire]. Car tu seras peut-être appelé avant la tombée de la nuit et si tu restes muet à cause de ton ignorance ou de la confusion de ta conscience, tu seras sujet à la sentence suivante : « que ses mains et ses pieds soient liés, et qu’il soit jeté au loin dans l’obscurité ; il y aura des pleurs et des grincements de dents »19. Ainsi, je te conseille de te renseigner sur la manière dont tu vas répondre à la question : comment es-tu entré ? Est-ce par un appel ou à ta propre instigation ? Voulais-tu travailler sur les évangiles de Dieu ou voulais-tu être richement habillé ? Réponds à ta propre conscience car tu devras avant longtemps répondre à Dieu, sur la manière dont tu as pris l’ordre de prêtre, que tu aies cure d’âme ou non. Qui t’a conduit à prendre un si haut état ? Est-ce pour vivre dans la contemplation de Dieu, ou est-ce pour vivre une vie délicieuse grâce au travail des autres, alors que tu ne travailles pas toi-même ? Et pourquoi les hommes placent-ils leurs fils ou leurs cousins à l’école  ? Est-ce pour leur obtenir de grands avancements, ou pour leur permettre de mieux connaître la manière dont ils doivent servir Dieu ? Ces hommes peuvent voir clairement grâce aux savoirs auxquels ils se sont consacrés. Pourquoi, je vous en prie, des hommes ont-ils plutôt placé leurs fils dans le droit civil et dans les cours royales pour écrire des lettres et des writs 20, plutôt que dans la philosophie ou la théologie, si ce n’est parce qu’ils espéraient que ces occupations seraient de bons moyens de les élever dans le monde. J’espère que personne ne dira qu’ils ne feraient pas mieux d’apprendre les règles d’une bonne vie dans les livres de la loi divine que dans n’importe quel livre de la sagesse des hommes de ce monde. Mais il est tout à fait vrai que saint Jean Chrysostome a dit  : les mères aiment constamment les corps de leurs enfants, mais elles méprisent leurs âmes21. 18

  Cf. Matt 22 : 12.   Cf. Matt 22 : 13. 20   Sur les writs, voir ci-dessus, la note 7 de Mum et le diseur de vérité, p. 19. Il faut souligner que les attaques sur la place des clercs dans les structures du pouvoir temporel étaient fréquentes, à la mesure de leur implication (cf. Mairey, Une Angleterre entre rêve et réalité, op. cit., p. 228-234). 21   Cf. Pseudo-Jean Chrysostome, Opus Imperfectum, In Matthaeum Homilia XXV, dans Patrologiae Cursus Completus, Series Graeca, éd. J.-P. Migne, Paris, 1854-1866, 58, 826. 19

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children, but the soule they dispiseth. They desireth hem to wel fare in this world, and they taketh noon hede what they shul suffre on that other. Summe ordeynen fees for here childeren, but noon ordeynen hem to Godwar. The lost of ther bodies they wolleth dere bygge, but the helthe of here soule the rechheth nought to take of yifte. Yif they see hem poore, they sorweth and syketh ; but though they see hem synnen, they sorwen nought. And in this they sheweth that they broughten forth the bodies but nought the soules. And yif we taken hede trewly what abhominacions ben scaterrid in the chirche nowadays among prestis, we shulde wel wite that they alle cometh nought into the folde of Crist by Cristis clepynge for to profite but by other weyes to gete hym worldly welthe ; and this is cause of many errouris among the puple. And herfore it is writen in the Book of Mornynge, where the prophete speketh thus to God : “The enemye hath put his hond to alle thyngis desirable to hym, for he hath seyn folk laweles entrid into the seyntewarie of the wiche thou haddist coumaundid that they shulde not entre into thy chirche”. This enemye is Satanas, as is name sowneth, that hath put his hond to al that hym liketh. What synne y praie yow wolde the fend haue sowe on men that it nis now vsid ? In what plente is pride, enuye, wrathe, and coueytuse ! Whanne were they so grete as they beth now, and so of alle other synnes ! And why trowest thou but for ther beth lawles peple entrid into the temple that neyther keep in hemself the lawe of God ne kunne teche othere. And to euerych suche seyth God by the prophete Osee : “For that thou hast put awey kunnynge, y shal putte the awey that thou shalt vsen no presthod to me”. Lo, that God expressely here on holy writ forbedith men to take the stat of presthod on hem but they haue kunnyng that nedeth hem. Thou than that canst neyther reule thyself ne other aftir the lawe of Gode, bewar how thou wolt answere to God at his dredeful dom, whan he shal seye to the that y tok to my teme : Yelde rekenyng of thy balie how thou hast entrid. The secunde question that euery curat and prelat of holy chirche shal answere to is this : How hast thou reulid, that is to seye the soulis of thi sugetis and the goodis of pore men. Gheue now thyn acounte. First, how thou hast

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Elles désirent qu’ils se portent bien en ce monde, sans prêter attention à ce qu’ils vont souffrir dans l’autre. Certaines ordonnent des revenus pour leurs enfants, mais aucune ne les prépare à être attentif à Dieu. Ils paieront cher pour la perte de leur corps, mais ne sont pas disposés à s’occuper de la santé de leurs âmes, même si elle ne coûte rien. Si elles les voient pauvres, elles se lamentent et soupirent, mais si elles les voient pécher, elles ne s’attristent pas. Et en cela, elles montrent qu’elles ont élevé les corps mais non les âmes. Et si nous prêtons vraiment attention aux abominations qui sont répandues de nos jours dans l’Église parmi les prêtres, nous devons bien savoir qu’elles ne viennent pas sur la terre du Christ pour profiter de son appel, sauf en suivant les voies différentes afin d’accumuler les richesses de ce monde ; et cela est la cause de nombreuses erreurs parmi le peuple. Et il est écrit dans le Livre des Lamentations, dans lequel le prophète parle à Dieu : « L’ennemi a mis dans sa main toutes les choses pour lui désirables, car il a vu les gens sans loi entrer dans ton sanctuaire, alors que tu avais ordonné qu’il n’entrent pas dans ton église »22. Cet ennemi est Satan – son nom sonne ainsi – et il a mis dans sa main tout ce qui lui plaît. Je vous en prie, quel péché planté en l’homme par Satan n’est pas aujourd’hui courant ? En quelle abondance trouvons-nous l’orgueil, l’envie, la colère et la convoitise ! Quand ont-ils été si importants que maintenant, de même que les autres péchés ! Et pourquoi croyez-vous que les hommes sans loi sont entrés dans le temple alors qu’ils ne préservent pas eux-mêmes la loi de Dieu et qu’ils ne peuvent l’enseigner aux autres ? Et à chacun de cela, Dieu dit par le biais du prophète Osée : « Comme tu as abandonné tout savoir, je te mets de côté afin que tu ne puisses être prophète pour moi »23. Vous le voyez, dans les saintes écritures, Dieu interdit expressément à ceux qui n’ont pas le savoir nécessaire de prendre l’état de prêtrise. Si tu ne peux te régler toi-même d’après la loi de Dieu, prends garde à la manière dont tu devras répondre à Dieu au jour de son jugement terrifiant, quand il te dira ce que j’ai pris pour thème : tu devras rendre compte de l’office dans lequel tu es entré (160-232). La deuxième question à laquelle chaque curé et chaque prélat de l’Église devra répondre est la suivante : comment as-tu gouverné les âmes de tes sujets et les biens des pauvres  ? Premièrement, comment as-tu

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  Cf. Lam 1 : 10.   Cf. Osée 4 : 6.

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gouerned Goddis folk that was taken to the kepe ? As an herde outher as an hyred man that doth al for the loue of his bodily hire ? As a fadir outher as a wolfe that etith the shep and kepet hem nought ? Seye whom thou haast turned fro here cursid lyuynge by thy devout preching. Whom hast thou tawth the lawe of God that was arst vnkunnynge ? Ther shal ben herd a greuious acusynge of fadirles children and an hard alleggynge that they haue lyued by here wages and not don awey here synnes. Yelde also the rekenynge how thou hast reulid and spendid the goodis of pore men. Here what seith Seyn Bernard : “Dredeth clerkis, dredith mynistris of the chirche the whiche, in the place of seyntis, that they doth so wickidly that they, nofht holdynge hem apaied wyth swyche wagis that were sufficiaunt to ham, that ouerplus that nedy men sholde be susteyned by they beth not shamed to waste in the houses of here pride and here lecherie, and witholdith to hemselue wickidly and cursidly the liflode of pore men. With dowble wickidnesse trewly they synneth ; first for they reueth other mennes goodes, and siththe for they mysuse holy thyngis in here vanites and in here filthedis”. Euerych such bailie therfore bewar, for anoon to the laste ferthyng he shal rekene. Trowist thou not thanne that thou ne shalt be disalowid of God of that thou hast dispendid in fedynge of fatte palfreies, of hondes, of hawkes, and, yif it so be that is worst of alle, on lecherous wommen. Here what is seid of suche ? “They haue lad here dayes in welthe and in a poynt they beth go doun in helle”. Thenk therfore, I rede, that thou shalt ghilde rekenynge of thy baylie. The thridde questioun that this first baylife shal answere to is this : how hast thou lyued ? What light of holynesse hast thou shewid in thy lyuynge to the puple, or what meroure hast thou be of holynesse to hem ? Gheue now by reke- nynge how thou hast lyued. As a prest other as a lewid man ? As a man or as a best ? It is to wondry trewly how the lif of prestis is chaunged. They beth clothed as knyghtes ; they speken as vnhonestly as cherlis, other of wynnynge as marchaundis ; they riden as princes ; and al this that is thus spent is of the goodis of pore men and of Cristis heritages. Herfore seith an holy doctour : the clay of Egipte was

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gouverné les gens de Dieu confiés à ta garde ? Comme un pasteur ou comme un homme gagé qui fait tout pour l’amour de sa récompense matérielle ? Comme un père ou comme un loup qui mange les moutons au lieu de les garder ? Vois qui tu as détourné de son mauvais mode de vie par tes pieux sermons. À quels ignorants as-tu enseigné la loi de Dieu ? Là sera entendue la grave accusation [contre] les enfants sans père et la dure allégation qu’ils ont vécu pour leurs gages et qu’ils n’ont pas abandonné leurs péchés24. Rends compte aussi de la manière dont tu as géré et dépensé les biens des pauvres. Entends ce que dit saint Bernard : « Que les clercs et les ministres de l’Eglise prennent peur – ceux qui, au lieu d’être saints, agissent si mal que, ne se considérant pas comme suffisamment rémunérés par des gages qui sont [pourtant] suffisants pour eux, n’ont pas honte de dépenser le surplus qui devrait être réservé aux nécessiteux dans les maisons de leur orgueil et de leur luxure  ; et ils retiennent ainsi pour eux-mêmes, dans le mal, le revenu des pauvres. Et vraiment, ils pèchent doublement dans le mal : d’abord parce qu’ils privent d’autres hommes de leurs biens, et ensuite parce qu’ils font mauvais usage de choses sacrées, dans leur vanité et leur corruption  »25. Que chaque bailli soit donc attentif, car il devra rendre des comptes jusqu’au dernier farthing. Ne croyez pas que vous ne serez pas réprouvé par Dieu pour ce que ce vous avez dépensé en nourriture pour de grasses montures, en chiens, en faucons et, ce qui est le pire de tout, en femmes licencieuses. Savez-vous ce qui est dit à ce propos ? « Ils ont passé leurs jours dans la richesse, mais avant peu, ils iront en enfer »26. Réfléchissez donc, je vous le conseille : vous devrez rendre compte de votre office (233-265). La troisième question à laquelle ce premier bailli devra répondre est : comment as-tu vécu ? Quelle lumière de sainteté as-tu montré dans ta vie au peuple, quel miroir de sainteté as-tu été pour eux ? Rends maintenant compte de la manière dont tu as vécu. Comme un prêtre ou comme un laïc ? Comme un homme ou comme une bête ? Il est vraiment surprenant de voir comme la vie des prêtres a changé. Ils sont habillés comme des chevaliers  ; certains parlent aussi malhonnêtement que des vilains, d’autres [parlent] de gains, comme des marchands  ; ils chevauchent comme des princes ; et tout cela est dépensé sur les biens des pauvres et l’héritage du Christ. Et un saint docteur évoque cela27 : l’argile de l’Égypte 24

  On notera la présence importante du lexique et des tournures juridiques dans ce texte, que l’on retrouve à plusieurs reprises. 25   Cf. saint Bernard, Sermones in Cantica, Sermo XXIII, dans Patrologiae Cursus Completus, Series Latina, éd. J.-P. Migne, Paris, 1844-1866, 183, 891. 26   Cf. Job 21 : 13. 27   Selon une note marginale, il s’agirait d’Hugues de Saint-Victor (un théologien du XIIe siècle), mais la référence n’a pas été identifiée.

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tough, stynkynge, and medlid with blood ; the sclattes weren harde to be vndo, for they were bake with the fier of coueytise and with the lighe of lustis. In this trauayleth riche men ; in this they waketh awaytynge pore men ; in this trauayleth prelatis that beth blente with to myche schynynge of richesses, that maketh hem housis lich chirches in gretnesse, that with diuerse peyntoures colouren her chaumbres, that with diuese clothynge of coloures maketh yamgis gaye. But the pore man for defaute of clothes beggeth, and with an empti wombe crieth at the dore. And yif y shal soth seye, seith this doctour, ofte tymes pore men ben robbed for to clothen with trees and stones. To swiche speketh the prophete Ysaye : “Hoo art thou here, or as who art thou here” ? Here thou art ocupienge the place of Petir, other of Poul, other of Thomas, other of Martyn. But how ? As Judas was among the apostelis, as Symound Magus was amonge disciplis, as a candel newe queynt that stynketh al the hous in stede of a lyght lanterne, and as a smoke that blendeth mennys eighen in place of clier fier, yif thou contrarie thus the forme of lyuynge that Crist and his apostelis leften to prestis. Therfore seith the prophete Jeremye : “They haueth entrid, and they haueth had and not ben obedient”. They haueth with fals tytle other fals and corupt intencion, and they haueth had pore mennes goodis to here mysvsyng, and they haueth not ben obedient to the lawe of God in here owne lyuynge. Therfore it is writen that “the hardeste dom shal fallen vpon suche” ; an hard dom for they haueth mysentrid, an hardere dom for they haueth mysreulid and the hardeste dom for they haueth so cursidly lyued. Thenk therfore, y rede, how thou wolt ghelde rekenynge of thy baylye. The secunde baylif that acounteth at this dom for hymself and also for othere is he that kepynge hath of eny comunyte, as kynges, princys, maire, and schyreuys, and justices. And thise schullen also answere to the same thre questiouns. The firste question : how has thou entrid, that is to seye into thyn offis ? Other for helpe of the peple to destroie falshed and fortheren trewthe, other for desir of wynnyng other werldly wordschip ? “Yif that thou take such an offys more for thyn owne worldly profyt than for helpe of the comunyte, thou art a tyraunt”, as the phylosophre seyth. For it is to drede last ther ben manye that desiren suche

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était dure, puante et teintée de sang ; les tuiles étaient difficiles à détruire, car elles étaient cuites avec le feu de la convoitise et la chaleur de la luxure. Les riches y travaillaient et réveillaient les pauvres qui attendaient ; les prélats y travaillaient, aveuglés par le brillant des richesses, faisant de leurs maisons des églises grandioses, avec des chambres colorées de diverses peintures, égayées par divers tissus colorés. Mais les pauvres mendient par manque d’habits et crient à la porte avec le ventre vide. Et si je dois dire la vérité, avec ce docteur, les pauvres sont souvent volés pour habiller des arbres et des pierres (266-288). À ceux-là, le prophète Isaïe dit : « Comment êtes vous-là, de qui vous réclamez-vous ? »28 Vous êtes là, occupant la place de Pierre, de Paul, de Thomas ou de Martin. Mais comment ? Comme Judas parmi les apôtres, comme Simon Magus parmi les disciples, comme une de ces nouvelles chandelles étranges qui empuantissent la maison au lieu de donner une lumière claire, ou comme une fumée qui aveugle les yeux des hommes à la place d’un feu clair ? Ainsi êtes-vous contraire à la forme de vie que le Christ et ses apôtres ont laissée aux prêtres. Ainsi dit le prophète Jérémie : « Ils sont entrés, et ils n’ont pas été obéissants »29. Ils ont un faux titre et de fausses intentions corrompues, ils utilisent les biens des pauvres à mauvais escient et ils n’ont pas obéi à la loi de Dieu dans leur propre manière de vivre. Ainsi est-il écrit que « le plus dur châtiment tombera sur ceux-là »30 ; un dur châtiment car ils sont entrés faussement, un plus dur châtiment car ils ont mal gouverné, et le châtiment le plus dur car ils ont si mal vécu. Réfléchissez donc, je vous le conseille, à la manière dont vous rendrez compte de votre office (289-306). Le second bailli qui devra rendre compte à ce jugement pour lui-même et pour les autres est celui qui a la garde d’une communauté, comme les rois, les princes, les maires, les shérifs et les juges. Et ceux-là devront répondre également aux trois mêmes questions. La première question est : comment es-tu entré dans ton office ? Pour aider les gens à détruire la fausseté et à soutenir la vérité, ou par désir d’acquérir un pouvoir mondain ? « Si tu acceptes un tel office pour ton propre profit terrestre plus que pour l’aide de la communauté, tu es un tyran », comme le dit le philosophe31. Car il est à craindre que beaucoup ne désirent de tels offices

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  Cf. Is. 22 : 16.   Cf. Jer. 32 : 23.   Cf. Sag. 6 : 6. 31   Cf. Aristote, Ethique à Nicomaque, VIII, x. 29

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states that they may the rapere oppresse thilke that they hateth and take ghiftes to spare to punysche thilke that haued trespaced and so maketh hem partineres of here synnes. And many suche, whan they beth so heye, they thenketh not that they beth pore mennys bretheryn, but they weneth to passe hem in kynde as they passeth in worldly worschipe, that is but wynde. Of wheche God seith by the prophete : “They haueth regyned, but not of me ; they haueth be princes, but I knowe hem nought”. So we redeth of Roboam that was the sone of Kyng Salamon. “What tyme he was first kyng the puple of Israel comen to hym and seyden : thy fadre in his laste dayes putte vpon vs a gret charge. We prayeth that thou wole sumwhat make it lyghttere, and we wole serue the. And the kyng tok consel of the olde wise men, and they conseileden hym to answere hem fayre, and that shulde be for the beste. But he lefte this olde wise mennis conseyl, and dide after the conseyl of children that weren his pleiferen, and seyde to the peple whan they comen aghen : My lest fyngere is grettere than my fadres rygge ; my fadir greued yow sumwhat, but y wole eken more. And the peple herden this, and rebelledyn to hym, and toke hem another kyng. And sithe come neuere the kyngdom agheen hool”. And therfore it is good that euery lowere of comunytes that they be not lad be foolis ne be none ere rowneres that he ne haue an eyghe of loue to the comynite that he hath to reule. For wyte he wel, be he neuere so high, that he shal come byfore his heighere to yelde the rekenyng of his bayle. The secunde questioun : how hast thou rewlid, that is to seye the peple and the office that thou haddist to gouerne ? Thou that hast ben a juge in causis of pore men, how hast thou keped this hest of God ? “Thou schalt not take hede of the persone of a pore man to be to hym the hardere for his pouert” ; ne thou schalt not beholde a riche mannis semblaunt to spare other to fauoure hym in wrong for his richesse. O Lord God, what abusioun is there among officeres of here bothe lawes nowadays. If a gret man plete with a pore to haue owt that he holdeth, euerich officer schal be redy, al that he may, and highe that the riche man myght haue suche an ende as he desireth. But yif a pore man

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pour pouvoir opprimer plus facilement ceux qu’ils détestent, et qu’ils prennent des dons pour éviter de punir ceux qui ont commis un crime – mais ainsi, ils se font les associés de leurs péchés. Et beaucoup, quand ils sont aux sommets, ne pensent pas qu’ils sont les frères des pauvres – ils désirent les dépasser en nature comme ils les dépassent en pouvoir terrestre, mais ce n’est que du vent. De ceux-là, Dieu dit par le biais du prophète : « Ils ont régné, mais pas par moi ; ils sont princes, mais je ne les connais pas »32 (307-326). Ainsi lisons-nous sur Roboam, qui était le fils du roi Salomon : « Dans les premiers temps où il était roi, le peuple d’Israël vint le voir et lui dit : ton père, dans ses derniers jours, a fait pesé sur nous une grande charge. Nous te prions de la rendre un peu plus légère, et nous te suivrons. Et le roi prit conseil de vieux hommes sages, qui lui conseillèrent de répondre justement, et que ce serait pour le mieux. Mais il laissa le conseil de ces hommes sages et suivit le conseil d’enfants qui étaient ses compagnons de jeux ; et il dit au peuple, quand il revint : mon plus petit doigt est plus grand que le dos de mon père ; mon père vous a fait quelque tort, mais je ferai plus. Le peuple entendit cela, se rebella et prit un autre roi. Et le royaume ne fut plus jamais entier »33 (327-340). Et donc, il est bon que les membres inférieurs de la communauté ne soient pas menés par des fous ou par des calomniateurs sans amour pour la communauté qu’ils ont à gouverner. Car ils le savent bien : si haut qu’ils soient, ils devront rendre compte de leur office devant plus haut qu’eux (341-345). La seconde question est : comment as-tu gouverné le peuple et l’office dont tu avais le gouvernement ? Si tu as été juge dans une affaire [impliquant] des pauvres, comment as-tu suivi ce commandement de Dieu, « Tu ne prêteras pas attention à la personne d’un pauvre en étant plus dur à cause de sa pauvreté »34 ? Et tu ne t’arrêteras pas aux richesses extérieures d’un homme pour l’épargner ou pour le favoriser dans le mal à cause de ces richesses (346-354). O Seigneur Dieu, que d’abus n’y a-t-il pas de nos jours parmi les officiers des deux lois35 ! Si un grand homme accuse un pauvre d’avoir pris ce qu’il possède, chaque officier est prêt à faire tout ce qu’il peut pour que cet homme riche puisse avoir la résolution qu’il désire. Mais si un 32

  Cf. Osée 8 : 4.   Cf. 2 Chron. 10 : 4-14. 34   Cf. Lev. 19 : 15. 35   C’est-à-dire le droit royal (la Common Law anglaise) et le droit ecclésiastique. On notera à nouveau l’importance du vocabulaire juridique et la fréquence de ce type d’attaques. 33

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plede with a riche man, than ther schal be so many delayes that, though the pore mannes right be open to al the comite, for pure faute of spendyng he shal be glad to cese. Schirreues and ballies wolleth retourne pore mennes writis with tarde venit but they felen mede in her handes. And yit y here men seye, that han asayed bothe lawes, that thilke court that is clepud Cristen court is muche more cursed. Therfore it is write : “Ghiftes they take owt of mennes bosomes to ouerturne the weyes of right dom”. But it is to drede the word of Crist : “In what dom ye demeth ye schulleth be demed” whan ye comen to yelde rekenyng of youre baylie. The thrid questioun is : How hast thou liued, thou that demest and punysschist other men for her trespas ? A grete doctour seith : the behoueth to flee the wikkednesse of other men that thou chastisest for here trespacis. For yif thyself do vnlawfulliche in demynge other men, thou dampnest thyself sith thou dost that thou dampnest. And Poul seith : “Whi techist thou not thyself that techist othere ; why stelist thou that techist not other men to stele ?” Seynt Gregory seith : “He schal not take gouernayl of othere that cannot go byfore hem in good lyuynge”. And whan any man stant byfore hym in dom, he most take hede tofore what Juge he shal stonde hymself to take his dom aftir his dedis. But it is to drede that many fareth as the tweye false prestis that wolde haue dampned to deth holy Susanne, for sche nolde nought assente to here lecherie. Of whiche it is writen : “They turneden awey here eighen, for they wolde not se heuene ne haue mynde of the ryghtful dom”. So it happith ofte they that were more worthy to be honged dampneth hem that beth lasse worthy. As a clerk telleth of Socrates the philosofre : Vpon a day a man axkid of hym why he leyghede ; and he seyde, for y see grete theues lede a litil thef to hongynge. Y preie ye, whether is he the grettere thef that bynemeth a man his hous and his lond fro hym and from his eyres for euermore other he that for makynge of a gret nede steleth a schep other a calf ? Whether trowe ye now that it happe suche extorcioneris to be other-wile juges and deme men thus to deth. But y rede the that thus

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pauvre accuse un homme riche, il y aura tant de délais que, bien que les droits du pauvre soient clairs pour toute la communauté, il sera content de finir [l’affaire] faute d’argent. Les shérifs et les baillis retournent les writs des pauvres avec écrit tarde venit36, à moins qu’ils ne sentent une récompense dans leur main. Et pourtant j’entends dire par ces hommes qui ont expérimenté les deux lois, que celle qui est appelée cour du Christ est plus mauvaise encore. Ainsi est-il écrit : « Ils prennent des dons du seing des hommes pour détourner le juste jugement »37. Mais ces paroles du Christ sont à craindre : « Vous serez jugés selon ce que vous avez jugé »38 quand vous devrez rendre compte de votre office (355-370). La troisième question est : comment as-tu vécu, toi qui as jugé et puni des hommes pour leurs crimes ? Un grand docteur dit : tu dois fuir la méchanceté des hommes que tu as pourchassé pour leurs crimes. Car si tu agis illégalement en jugeant d’autres hommes, tu te damnes toi-même comme ceux que tu as condamnés39. Et Paul dit : « Pourquoi n’apprendstu pas ce que tu enseignes aux autres ? Pourquoi voles-tu alors que tu apprends aux autres à ne pas voler ? » Saint Grégoire dit : « Il ne gouvernera pas les autres celui qui ne peut aller devant eux avec une bonne manière de vivre »40. Et quand un homme se tiendra devant lui pour être jugé, il devra faire attention au Juge devant lequel il se tiendra lui-même pour être jugé de ses actions (371-383). Mais il est à craindre que beaucoup se comportent comme les douze faux prêtres qui ont condamné à mort la sainte Susanne, parce qu’elle n’acceptait pas leur débauche. Il est écrit à ce propos : « Ils ont tourné les yeux, car ils n’ont pas vu le ciel et n’ont pas pensé au jugement correct  » 41. Ainsi arrive-t-il souvent que ceux qui méritent le plus d’être pendus condamnent ceux qui le méritent. Ainsi un clerc écrit-il à propos de Socrate le philosophe : un jour, un homme lui a demandé pourquoi il riait ; et il répondit : parce que je vois de grands voleurs mener un petit voleur à la pendaison. Je te prie, qui est le plus grand voleur ? Celui qui dépouille un homme et ses héritiers de sa maison et de ses terres pour toujours, ou celui qui, dans le besoin, vole un mouton ou un veau. Croyez-le, certains de ces extorqueurs sont aussi des juges et condamnent certains hommes à mort. Mais je te conseille, quand tu juges, de réfléchir 36

  C’est-à-dire que ces writs ne sont pas pris en compte pour initier une procédure.   Cf. Prov. 17 : 23. 38   Cf. Matt. 7 : 12. 39   Dans deux manuscrits, une note marginale identifie ce docteur comme Raban Maur (776-856), mais la référence n’a pas été identifiée. 40   Cf. Saint Grégoire, Moralia in Job, XXIV, 25. 41   Cf. Daniel 13 : 9. 37

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demest other thynke on that dom that thou shalt come to yelde rekenyng of thy balie. The thridde bailif that schal be cleped to this dredful acounte schal be euery Cristene man that schal rekene to his Lord God for the goodis that he hath had of hys. And here y wole speke but of the firste questioun, that is this : How entredist thou ? And here bewar, yee that haueth geten any wordly good, other take by extorciones, by raueyne, by vsure, other by disceit. Woo shal be to the at this dredful days. As Seynt Austen seyth : “Yif he be cast into the fier that hath nought gheuen of his owne good, where trowest thou schal be cast that hath reued other menned from hem ? And yif he schal brenne with the fend that hath nought clothed the nakede, where trowest thou schalt he brenne that hath maad hym nakid that was erst clothed ?” But as Seynt Gregory seyth : “To thyngis maketh men to lyue thus by raueyne of ther neighebores : that beth desir of hyeghnesse, and drede of pouerte”. And what vengeaunce fallith of this synne of coueytise y may se by figure in holy writ, “whan the aungel seide to the prophete Zacarie : Rere vp thyn eighen and see what is that that goth owt. And the prophete seyde : What is it ? Than the aungel seyde : This is the pot goynge owt ; this is the eighe of hem on al the erthe. And there was a whight of led ybore, and ther was a womman sittande in the myddel of this pot. And the aungel seyde : This is impiete. And he tok the gobet of led and keste it into the pottis mouth. And the prophete lifte vp his eighen, and he saye to wommen comynge owt and spiritis in here wyngis. And they hadde wynges lik to kites other gledis. And they rered vp this pot bytwyn heuene and erthe. And than the prophete spak to the aungel : Whider wole there bere this pot ? And he seyde : Into the lond of Sennar”. This pot is coueytise. For ryght as a pot hath a wid open mouth, so coueytise eueremore gapith aftir worldly goodis. And ryght as the licour in the pot profiteth not to the pot but to men that drawen and drynketh therof, so worldly goodis ofte profiteth not to clynchis but to othere that cometh aftir. As it is write : “He that hath moneye shal haue no fruyt of hit”. And this coueytise is the eighe of coueytouse men. For they beth blynde to see how they shulle go

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au jugement [qui surviendra] lorsque tu devras rendre compte de ton office (384-400). Le troisième bailli appelé pour rendre ces terribles comptes sera chaque Chrétien qui devra rendre des comptes à son Seigneur de ses biens. Et je parlerai maintenant de la première question, qui est celle-ci : comment es-tu entré ? Et prenez garde, vous qui avez acquis des biens terrestres par extorsion, par pillage, par usure ou par quelque autre tromperie. Le malheur sera sur vous au jour terrible [du jugement]. Comme le dit saint Augustin : « Si celui qui n’a pas donné de ses propres biens est jeté dans le feu, où crois-tu que sera jeté celui qui a dépouillé les autres hommes ? Et si celui qui n’a pas habillé l’homme nu brûle avec le diable, où crois-tu que brûlera celui qui a dénudé celui qui était habillé ? » 42 Mais comme saint Grégoire le dit : « Deux choses font vivre l’homme du pillage de ses voisins : le désir de grandeur, et la crainte de la pauvreté »43 (401416). Et la vengeance contre ce péché de convoitise, je peux la voir par cette figure des saintes écritures, quand l’ange a dit au prophète Zacharie 44 : « Lève tes yeux et regarde ce qui s’avance. Et le prophète dit : Qu’est-ce que c’est ? Et l’ange répondit : C’est un vase ; c’est l’œil de tous ceux qui sont sur la terre. Et il y avait un poids de plomb posé dessus et une femme était assise au milieu de ce vase. Et l’ange dit : c’est l’impiété. Et il prit le morceau de plomb et le jeta dans la bouche du vase. Et le prophète leva les yeux, et il vit deux femmes en sortir avec des souffles dans leurs ailes. Et elles avaient des ailes comme des milans ou des rapaces. Et elles élevèrent ce vase entre le ciel et la terre. Et le prophète parla à l’ange : Où ce vase va-t-il être porté ? Et il répondit : dans le pays de Shinéar » (417431). Ce vase est la convoitise. Car de même qu’un vase a une grande bouche ouverte, la convoitise ouvre toujours plus la bouche pour les biens de ce monde. Et de même que la boisson contenue dans le vase ne profite pas au vase mais aux hommes qui la tirent et la boivent, de même les biens de ce monde ne profitent pas aux avares mais à ceux qui viennent après. Comme il est écrit : « Celui qui a l’argent n’en aura pas le fruit » 45. Et cette convoitise est l’œil des hommes cupides. Car ils sont aveugles pour voir la manière dont ils peuvent aller au ciel, mais ils voient beaucoup de

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  Cf. Saint Augustin, Sermones lxxv(a), PL, 39, 1890.   Cf. Saint Grégoire, Moralia in Job, XV, 25.   Cf. Zach. 5 : 5-11. 45   Cf. Eccl. 5 : 9. 43

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to heuene, but to wynnyng of worldly thyng they seeth many weies lik to owles and nyctrowes that seen betre be nyght than by day. The gobet of led is the synne of obstinacion. The womman sittynge in the pot is vnpite, as the aungel seyde, that folweth auarice. For thurgh auarice a man leseth the pite that he schulde haue of the myschef of his sowle sith ofte men lesith the lif of here sowle by dedly synne that they doith to haue wynninge. And also they leseth the pite that they schulde haue to here body, puttynge hemself to many grete bodily trauayles and perilis, bothe of se and of lond, and al maketh coueytise. This pot is stoppid with the gobet of led whand vnpite is thus by synne of obstina- cion closid in coueytise that he may not go owt of the chynches hertes by penaunce. As Job seith : “Whan he is fulfillid, he schal be stoppid”. The tweye wommen that baren vp this pot beth pride and lust of flesch, that beth clepid in holy writ “the tweye dowgh- tren of the waterleche criyng : Bryng, bryng”. And they hadden wengis. The firiste wenge is grace spiritual, as cunnynge, wisdom, and conseyl, and any othere, for whiche ghiftes ofte men wexith proude. The secunde wenge is bodily grace, as strengthe, fayrhed, gentrie, and other suche, of whiche men wexeth proude ofte. The wengis of the secunde wommand, that is fleschly desir, beth glotonye and slewthe. Of glotonye speketh Seynt Gregory : “Whan the wombe is fulfillid, the prikkes of lecherie beth meued”. And of slewthe seith Seynt Austen : “Loth, wil he in bysinesse dwellynge among schrewes in Sodome, he was a good man ; but whan he was in the hil slow for sikernesse, he in his dronkynschipe lay by his doutren”. And these wommen hadden wengis lik to kitis, “that with a criynge vois seketh here mete”, as Bartho- lomeus seith. And thus fareth coueytise of men, witnessyng Seynt Austyn : “What is the gredynesse of fleschly desir sith rauenes fisches haueth sum mesure. Whan they hungreth, they rapeth ; but whan they beth fulle, they spareth. Only couey- tise of men may not be fulfillid. Euere he takith and neuere hath ynow. Neuere he dredeth God ne schameth men. He ne spareth fadir, ne knowith moder, ne acordeth with brother, ne kepeth trowthe to his frend. He oppresseth wydues and

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chemins pour gagner les richesses de ce monde, comme les hiboux et les engoulevents, qui voient mieux la nuit que le jour (432-442). Le morceau de plomb est le péché d’obstination. La femme assise dans le vase est l’impiété, comme l’ange l’a dit, qui suit l’avarice. Car l’avarice fait perdre à l’homme la pitié que l’homme devrait avoir du malheur de son âme, car les hommes perdent souvent la vie de leur âme à cause des péchés mortels qu’ils commettent pour acquérir des biens. Et ils perdent aussi la pitié qu’ils devraient avoir de leur corps, se mettant eux-mêmes dans de grands voyages et périls corporels, sur terre et sur mer, et tout cela participe de la convoitise. Ce vase est clos par le morceau de plomb de même que l’impiété l’est par le péché d’obstination, enfermée dans la convoitise et ne pouvant sortir des cœurs des avares par la pénitence. Comme Job le dit : « Quand il sera rempli, il sera clos »46 (443-455). Les deux femmes qui portent ce vase sont l’orgueil et la luxure, qui sont appelées dans les saintes écritures « les deux filles du suceur de sang criant : apporte, apporte ! » 47. Et elles ont des ailes. La première aile est une grâce spirituelle, comme l’intelligence, la sagesse, le conseil ou autre chose, dons pour lesquels les hommes deviennent souvent orgueilleux. La seconde aile est la grâce corporelle, comme la force, la beauté, la noblesse, ou autre chose, pour laquelle l’homme devient souvent orgueilleux. Les ailes de la seconde femme sont le désir charnel, la gloutonnerie et la paresse. Saint Grégoire parle ainsi de la gloutonnerie : « Quand le ventre est rempli, les aiguilles de la luxure se meuvent » 48. Et saint Augustin parle ainsi de la paresse : « Lot, même s’il était en affaires avec des mauvaises gens à Sodome, était un homme bon ; mais quand il était dans la colline, affaibli par la maladie, il s’allongea avec ses filles dans son ivresse »49. Et ces femmes ont des ailes comme celles des milans, « qui cherchent leur nourriture avec une voix criarde », comme le dit Barthélemy50 (456-472). Et ainsi fonctionne la convoitise des hommes, comme en témoigne saint Augustin : « Ce que l’on appelle l’avidité de la chair, les poissons voraces en ont avec mesure. Quand ils ont faim, ils prennent ; mais quand ils sont repus, ils épargnent. Seule la convoitise de l’homme ne peut être contentée. Toujours il prend, et jamais il n’en a assez. Jamais il ne craint Dieu, jamais il n’a honte devant les hommes. Il n’épargne pas le père, ne connaît pas la mère, ne s’accorde pas avec le frère et n’est pas fidèle à ses amis. Il oppresse les veuves et nuit aux orphelins. Il rend esclaves les 46

  Cf. Job 20 : 22.   Cf. Prov. 30 : 15. 48   Cf. Saint Grégoire, In Librum Primum Regnum V, i, PL, 79, 315. 49   Cf. Saint Augustin, De Conflictu Vitiorum et Virtutum XIV, PL, 40, 1098. 50   Cf. Barthélemy l’Anglais, De Proprietatibus rerum, XII, 27. 47

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harmeth moderles children. Fre men he maketh bonde, and bryngeth forth fals wittenesse, and occupieth dede mennys thyngis, as they shulde neuere dye. What mannede is this”, seith this doctour, “thus to lese lyf of grace and gete deth of soule ? Wynne gold, and lese heuene” ? And herfore seyth the prophete : “Trauayle in the middes therof and vn- rightwisnesse”. Also Innocent, spekyng of the harmes that han come of coueytise, seith thus : “O how many men hath coueytise disseyued and spilt. Of coueytise that Balaham wolde, for ghiftes that the kyng profrede hym, haue acursid Goddis peple ; his oune asse reprouede hym and hurt his food toghenes the walle. Achor was stoned, for coueytise made hym to stele gold and clothes agheynis the comaunment of God. Gyeghy was smyte with meselrye, for he solde a mannes helthe that cam of Goddis grace. Judas for coueytise solde Crist and aftirward heng hymself. Ananye and Saphira his wyf weren dede sodeynly, for they forsoke to Petir her monye that they hadden”. And coueytise maketh also that riche men etith the pore, as bestis don here leswes, holdynge hem lowe. This may we see in dede al day, I drede. For yif a riche man haue a feld and a pore man haue in the myddis or in the syde therof oon acre, or yif a riche man haue al a strete saue oon hous that sum pore brother of hys oweth, he cesseth neuere into that he gete that out of the pore mannys hondis oither by prayere, oither by byggynge, oither by pursuynge. Thus ferd it by Kyng Achab, that thurw his fals quenes engyn slow the pore man Nabyoth, for he wolde nought sille hym his vynegherd that was nygh to the kyngis pale. Vpon whiches processe thus seith Seynt Ambrose : “How fer wole ye riche men strecche youre coueytise. Wole ye dwelle alone vpon the erthe and haue no pore man with yow ? Why putte ye out yowre felawe in kynde and chalangeth to youreself the possessioun comune by kynde. In comune to alle, riche and pore, the erthe was maad. Why wole yee riche men chalenge propre ryght herinne ? Kynde knowith no richessis, that bryngeth forth alle men pore. For we beth nought gete with riche clothis, neither bore with gold ne with

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hommes libres et met en avant de faux témoins ; il prend possession des biens des hommes, comme s’il échappait pour toujours à sa propre mort. Quelle humanité est-ce là, dit ce docteur, que de perdre la vie de grâce et d’obtenir la mort de l’âme ? Gagner de l’or et perdre le ciel ? »51 Et ainsi dit le prophète  : «  Travaille dur au cœur de cela et obtiens ce qui est immoral »52 (473-487). De même, Innocent, parlant des maux qui viennent de la convoitise, s’exprime ainsi : « Ô combien d’hommes la convoitise a-t-elle trompés et perdus ? C’est par convoitise que Balaham a fait maudire le peuple de Dieu, à cause des dons que le roi lui avait offerts ; son propre âne l’a repoussé et a jeté sa nourriture contre les murs. Akân fut lapidé, car la convoitise l’a poussé à voler de l’or et des habits contre le commandement de Dieu. Géhazi a été frappé par la lèpre, car il a vendu la santé d’un homme alors qu’elle venait de la grâce de Dieu. Judas a vendu le Christ par convoitise et s’est pendu ensuite. Ananie et Saphire sa femme sont morts soudainement, car ils ont refusé à Pierre l’argent qu’ils avaient »53 (488-499). Et la convoitise fait aussi que les riches dévorent les pauvres, comme les bêtes le font pour leur pâturage, les mettant bien bas. Nous pouvons voir cela en action chaque jour, je le crains. Car si un homme riche possède un champ et qu’un homme pauvre possède un acre au milieu ou à côté, ou qu’un homme riche possède une rue à l’exception d’une maison qu’un pauvre frère possède, il n’aura de cesse qu’il puisse les obtenir du pauvre homme, que ce soit par prière, par achat ou par quelque persécution (500-508). Cela s’est passé ainsi avec le roi Achab, qui par les tromperies de sa mauvaise reine, a tué le pauvre homme Naboth, car ce dernier ne voulait pas lui vendre son vignoble qui se trouvait à côté des murs du roi54. Ainsi s’exprime saint Ambroise à propos de tels procédés : « Jusqu’où allezvous étendre votre avidité  ? Allez-vous rester seul sur terre sans plus aucun pauvre à vos côtés ? Pourquoi expulsez-vous votre compagnon en nature et vous battez-vous pour des possessions communes en nature ? La terre fut créée en commun pour tous, les riches et les pauvres. Pourquoi, vous les riches, défiez-vous le bon droit ? Nature ne connaît pas les richesses, car il a fait tous les hommes pauvres. Car nous n’avons pas été conçus avec de riches habits, nous n’avons pas été portés avec de l’or ou 51

  Cf. Saint Augustin, De verbis Domine, Sermon 367, PL, 39, 1651.   Cf. Ps. 54 : 11. 53   Cf. Innocent, De Contemptu Mundi, II, 9. L’histoire de Balaham est racontée dans Nombres 22, celle d’Akân (Achor) dans Josué 7 : 19-26, celle de Géhazi (Gyeghy) dans 2 Rois 5 : 20-27 et celle d’Ananie et de Saphire dans les Actes 5 : 1-10. 54   Cf. 3 Rois 21. 52

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siluer. Ynakid he bryngeth vs in to the world, nedy of mete, clothynge and drynke. Nakid the erthe taketh vs as sche nakid broughte vs hider. Sche cannought close with oure possessionis in the sepulcre. Kynde maketh no difference bytwyn pore and riche in comyng hidre, neither in goynge hennes. Alle oon in a maner he bryngeth forth ; alle oon in a manere he closeth in the graue. Whoso maketh difference of pore and riche abide al for to they haue leye a litel wile in the graue, and thanne opene, and loke among dede bones who was riche, and who was pore, but yif it be with this : that moo clothes roteth with the riche than with the pore. And that harmeth to hem that beth on lyue, and profiteth not to the dede”. This seith the doctour of suche extorcioneres. It is writen : “Other mennes feld they repeth, and the vyne of hym that they haueth oppressid they plukkith awey the grapes. They leeueth men nakid, and taketh awey here clothes, that haueth not werwith to hile hem in cold”. “ ‘And they leften vp this pot bytwene heuene and erthe’, for coueytouse men neither haue charite to here bretheren vpon erthe neither to God in heuene. ‘And they bar this pot into the lond of Sennar’, that is to seye into the lond of stench”, that is helle. For “ther schal be stench in stede of soote smellynge” , as Ysaye seith. Be war, y rede, that ye be nought with this pot ne with the womman therinne, and on al manere that ye be not weddid to hire, for thanne ye most ne bothe oon. This is thilke fowle lecherous womman “the kyngis and the marchaundis of the erthe haueth do lecherie with, and of here vertu they haueth be maad riche”. Whos dampnacion is write in the bok of Priuytes in thes wordis : “In oo day shal come alle the vengeaunces of here : deth, wepynge, and hungre, and fier shal brenne hire. For strong is God that shal venge hym on hire. And than schulleth wepe and weyle vpon hire the kyngis of the erthe that haueth do lecherie with hyre and han lyued in delicis, whan they schulleth see smok of hire brennynge stondynge afeer, wepynge, and weylynge, and seyinge : Alas, alas thilke grete citee that was clothed with bisse and purpre and brasile, and ouergilt with gold and precious stones and perles. For in on hour alle these grete richessis beth distroied”. Than shulleth they seye that shulleth be dampned with hire : “We haue erred fro the wey of trewthe

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de l’argent. Il nous a conduits nus dans le monde, nécessiteux en nourriture, en vêtements et en boissons. Et la terre nous prend nus comme elle nous a conçus nus. Elle ne peut nous enfermer avec nos possessions dans le sépulcre. Nature ne fait aucune différence entre les pauvres et les riches lors de notre venue et de notre départ. Il créée tout le monde de la même manière ; il enferme tout le monde de la même manière dans la tombe55. Que celui qui ferait la différence entre les pauvres et les riches attende de les voir en repos dans leurs tombes, qu’il l’ouvre et qu’il regarde parmi les os des morts ceux qui étaient riches et ceux qui étaient pauvres, et il ne verra que cela : que davantage d’habits pourrissent avec les riches qu’avec les pauvres. Et cela nuit à ceux qui sont en vie, et ne profite en rien à ceux qui sont morts »56. Ainsi s’exprime le docteur à propos de ceux qui pratiquent de telles extorsions. Il est écrit : « Ils moissonnent les champs des autres, ils coupent les grappes des vignes de ceux qu’ils ont oppressés. Ils laissent les hommes nus et prennent leurs habits, et ces hommes n’ont plus de quoi se couvrir contre le froid »57. « Et ils ont laissé ce vase entre ciel et terre, car les avides n’ont de charité ni envers leurs prochains sur terre ni envers Dieu dans le ciel. Et ils ont porté ce pot dans la terre de Shinéar, c’est-à-dire dans la terre de la puanteur », c’est-à-dire l’enfer. Car « il y aura de la puanteur à la place des douces odeurs », comme le dit Isaïe58. Prenez garde, je vous le conseille, à ne pas être dans ce vase ni avec la femme [qui se trouve] à l’intérieur, et de n’y être marié en aucune manière, car vous serez tous les deux les mêmes. C’est avec cette femme folle et lubrique que « les rois et les marchands de la terre ont commis le péché de luxure, et c’est par son pouvoir qu’ils sont devenus riches »59. Leur damnation est écrite dans le livre des Révélations en ces termes : « En un jour s’abattront toutes les vengeances : la mort, le deuil, la faim et le feu la consumeront. Et les rois de la terre pleureront et se lamenteront sur elle, eux qui ont commis la luxure et ont vécu dans les délices, quand ils verront la fumée de ses flammes se dressant ; ils pleureront, se lamenteront et diront : hélas, hélas, cette grande cité était parée de lin fin, de pourpre et d’écarlate, chargée d’or, de pierres précieuses et de perles. Car en une heure, toutes ces richesses ont été détruites »60. Ensuite, ils diront qu’ils seront damnés avec elles : « Nous avons erré hors du chemin de la vérité et de la droiture. La lumière n’a

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  Nature est considérée comme un personnage masculin.   Cf. Saint Ambroise, De Nabuthe Jezraelita, II, PL 14, 731-732. 57   Cf. Job 24 : 6-7. 58   Cf. Is. 3 : 24. 59   Cf. Apoc. 18 :3. 60   Cf. Apoc. 18 :8-17. 56

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and of ryghtfulnesse. Light hath not schyned to vs, and the sunne of vndirstondyng hath not rysen to vs. We haueth be maade wery in the wey of wikkednesse and of loost, and we haueth go harde weyes. But the wey of God we knewe not. What hath pride profited to vs other the bost of oure richesse ? What hath it brough to vs ? Al is go as a schadewe of deep, and we mowe now schewe no tokene of holynesse ; in oure wikkednesse we beth wasted awey”. Thynk therfore, I rede, that thou schalt yelde rekenyng of thy balye. Here endith the first partie of this sermoun.

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Here bygynneth the secunde part. In this secunde partie, thurgh the helpe of God, I wole schewe first who shal clepe vs to this rekenyng, aftirwar byfore what iuge we shulleth rekene, and last what puny- schynge shal be to do hem that ben fonden false seruantis and wickid and what reward schal be gheue to hem that ben founden goode and trewe. For the firste ye shal wyten that ther shullen be tweye domes : the firste anoon aftir the departyng of the body and the soule, and this shal be special, and of this rekenynge other doom speketh the gospel of Luke ; the secunde rekenynge orther dom shal be anoon aftir the general resurrectcion, and that shal be universal, and of this it is spoke in the gospel of Matheu. To the first eueriche man shal be cleped aftir other, as the world passith ; to the secunde alle schulle come togidere in the strook of an eighe. To the first men schulleth be clepid with thre somoners other seryauntis : the firste is sekenesse ; the secunde is elde ; and the thridde is deth. The first warneth ; the secunde breteneth ; and the thridde takith. This is a cundelich ordre, but other wile it fallyt vnkyndelich. For summe we seeth dye that wisten neuere what was sekenesse ne elde, as childeren that beth sodenly slayn. And summe, ye the most part, that dieth nowadayes dieth bifore here kynde age of deth. Therfore y seye that the first that clepeth to this special rekenynge is sekenesse. And this is double : for sum is sekenesse that folwith al mankynde, so that euery man hath it ; and sum is sikenesse that sum men haueth, but not alle. Yit

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pas brillé pour nous, et le soleil de la compréhension ne s’est pas levé pour nous. Nous nous sommes inclinés dans les chemins de l’iniquité et de la perdition, et nous sommes allés par de rudes chemins. Mais nous ne connaissions pas le chemin de Dieu. À quoi nous a servi notre orgueil ou l’étalage de notre richesse ? Qu’est-ce que cela nous a apporté ? Tout cela est passé comme une ombre d’obscurité, et nous ne pouvons montrer maintenant aucun signe de sainteté ; dans notre méchanceté, nous avons tous été consumés »61. Pensez donc, je vous le conseille, aux comptes que vous allez rendre de votre intendance (509-571). Ainsi prend fin la première partie de ce sermon (572). Ici commence la deuxième partie. Dans cette seconde partie, avec l’aide de Dieu, je vous montrerai d’abord qui sera appelé à ce jugement, puis devant quel juge nous devrons rendre des comptes, et enfin les châtiments qui seront infligés à ceux qui auront été jugés de faux et méchants serviteurs, et les récompenses qui seront accordées à ceux qui auront été considérés comme bons et sincères (573-579). En premier lieu, vous saurez qu’il y aura deux sortes de jugements : le premier après le départ du corps et de l’âme, est le [jugement] particulier ; et l’évangile de Luc parle de cette délibération ou jugement. Le second jugement ou délibération sera celui qui viendra après la résurrection générale : c’est [le jugement] universel, dont parle l’évangile de Matthieu. Chaque homme sera appelé au premier, l’un après l’autre, tant que le monde dure ; tous viendront ensemble au deuxième, en un clin d’œil. Pour le premier, les hommes seront appelés par trois convocateurs ou serviteurs : le premier est la maladie ; le second est la vieillesse ; le troisième est la mort. Le premier avertit ; le second détruit ; et le troisième emporte. C’est un ordre naturel, mais parfois il ne survient pas naturellement. Car nous voyons que certains meurent alors qu’ils n’ont jamais connu la maladie ni la vieillesse, comme les enfants qui sont tués soudainement. Et certains – la plupart en fait – meurent de nos jours avant l’âge naturel de leur mort (580-597). Ainsi, je dis que le premier [convocateur] qui appelle à ce jugement particulier est la maladie. Et celle-ci est double : car certaines sont des maladies qui atteignent toute l’humanité, de sorte que chaque homme en est affecté ; et certaines sont des maladies qui affectent certains hommes,

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  Cf. Sagesse 5 : 6-13.

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the first sekenesse is double, for sum is withinne in the myghttes of the soule, and sum is withouten in feblenesse of the body, that nedis most be distroied on wham tyme by hymself is cause of corrupcion, as the philosopfre seith. That there be feblenesse and sekenesse may we se herby : that though a man schutte out of the hous of his herte al maner of wordly and fleschly thoughtis, yit vnnethe shal a man for out that he can do, thenke on God only the space of a Pater Noster that sum other thought of thyng that is passynge entrith into the soule and drawith hire fro that contemplacion. But O Lord God, what sekenesse is this and heuy birdene vpon the sones of Adam that on the foule muk and fen of the world we mowe thynke long ynow, but vpon that that the soule shulde most delectaction haue by kynde mowe we not thynke only so litle a space but yif the kokkil entre among the whete. Of this sikenesse spak Poule whan he seide “I se a lawe in my limes fyghttynge aghenis the lawe of my spirit and takynge me into the lawe of synne”. So that it fareth by vs a man that wolde loke stedefastly aghens the sunne and may not do it longe for nothyng. And certis that is for no defaute that is in the sunne, for sche is most cler in herself, and so bi resoun best shulde be yseye ; but it is for feblenesse of the mannes eye. Ryght so sith Adam, oure first fadre, was put out of paradis, al his ospryng hath be thus sek. As the prophte seith : “Oure fadres haueth bite a bytter grape, and the teeth of the children ben woxe on egge”. The secunde sekenesse, that is comune to al mankynde, cometh of feblenesse of the body : as hunger, and thrust, cold and hete, sorwe and werynesse, and many othere. As Job seith : “A man that is borne of a womman, lyuinge a litle wile, is fulfillid with many myseses”. But ther is other sikenesses that cometh to sum men, but not to alle, as lepre, palesie, feuere, and dropesie, and blyndnesse, and many othere. As it was seith to the puple of Israel in holy writ : “But yif thou kepe the mawdementis that beth wryten on this book, God schal eken the sekenesse of the and of thy seed, grete sekenesses and abidynge, worst and euerlastynge”.

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mais pas tous. Et le premier type de maladie est double, car une partie se trouve à l’intérieur, associée à la force de l’âme, alors qu’une autre partie se trouve à l’extérieur, associée à la faiblesse du corps qui, par définition, est assujetti à l’anéantissement provoqué simplement par le passage du temps, comme dit Aristote. Qu’il y ait faiblesse et maladie, on peut le voir ainsi : bien que l’on puisse fermer la maison de son cœur à toute pensée mondaine ou charnelle, on ne peut guère penser à Dieu le temps d’un Pater Noster sans qu’une autre pensée qui passe entre dans notre âme et ne nous tire de notre contemplation. Mais, Seigneur Dieu, quelle maladie est-ce là et quel lourd fardeau pour les fils d’Adam, que de pouvoir penser autant à la boue et à la fange de ce monde plutôt qu’à ce que devrait naturellement penser l’âme avec délectation, non pas durant un court moment, à moins que l’ivraie ne soit pas mélangée avec le blé. Paul parle de cette maladie lorsqu’il dit ; « Je vois la loi de mes membres combattant la loi de mon esprit et m’emportant dans la loi du péché »62. Ainsi, il se trouve qu’un homme peut regarder directement le soleil mais ne peut le faire longtemps. Et certainement, ce n’est pas à cause d’un défaut du soleil, car il est très brillant en lui-même, et donc devrait pouvoir être regardé selon la raison ; mais c’est à cause de la faiblesse des yeux de l’homme. Ainsi, depuis qu’Adam, notre premier père, fut rejeté du paradis, toute sa progéniture a dû ainsi être malade. Comme le dit le prophète, « Notre père a mangé un fruit amer, et les dents de ses enfants ont été agacées »63 (598-628). La seconde maladie, celle qui est commune à toute l’humanité, vient de la faiblesse du corps : [il y a] la faim, la soif, le froid et le chaud, la douleur et la fatigue, et bien d’autres choses. Comme Job le dit : « Un homme né d’une femme est empli de nombreux maux lorsqu’il vit quelques temps »64. Mais il y a d’autres maladies qui viennent à certains, mais pas à tous, comme la lèpre, la paralysie, la fièvre, les œdèmes, la cécité et beaucoup d’autres. Comme il l’a été dit au peuple d’Israël dans les saintes écritures : « Si tu ne gardes pas les commandements qui sont écrits en ce livre, Dieu augmentera les maladies pour toi et ta descendance, des maladies grandes et persistantes, terribles et tenaces »65 (629-640).

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  Cf. Rom. 7 :23.   Cf. Ezec. 18 :2.   Cf. Job 14 : 1. 65   Cf. Deut. 58 : 58-59. 63

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And ye shulle vndirstonde that God sendith other-wile such sekenesse to goode men and other-wile to schrewis. To goode men God doth it for two causis, and that is soth of sykenesse I wole be vnderstonde also of alle maner tribulacion. The first cause : for they shulden euere knowe that they haueth no perfeccion of hemself but of God only, and to ekene here mekenesse. And thus seith Poule : “Lest the gretnesse of reuelaciouns rere me vp into pride, me is yive a prikke of my flesch, the angel of Sathanas to smyte me on the necke. Wherfore y haue thrythes prayed God that he schulde go fro me ; and He answerede me, ‘My grace is sufficiaunt to the, for vertu is fulfillid in sykenesse’”. Wheron thus seith the glose : the fend, askyng Job to be temptid, was herd of God, and nought the apostle axinge his temptacion to be remowid. God herde hym that schulde be dampned, and he herde not hym that he wolde saue. For ofte the seke man axkith many thyngis of the leche that he wole not gyue hym, and that is for to make hym hool of his sykenesse. Also God sendith seyntis often sykenesse, and persecucion to gyue vs senful wrecchis ensaumple of pacience. For yif he suffre his seyntis to haue suche tribula- cion in this world, and they thankyn hym therof, moche more wrechis, that God sendith to nought the hondrid parte of here sorwe, shulde bere it mekely, sith we haue disserued a thousand so moche as they haueth. Wherfore of Tobie, that an a day whan he was wery of buryenge of pore men, the whiche schulde haue leyen vnbiried and han ben etyn of houndis and foulis as carienes of othere vnresonable bestis, “whan for werynesse he had leid hym to reste, and thourh Goddis sufferaunce the salwes that bredden aboue on his hous maden ordure onto his eighen, and he wexe blynd”, thus it is write : “This temptacion forsothe, therfore, God suffride to come to hym that to hem that comen aftir schulde be yeue ensaumple of pacience, as by the temptacion of holy Job. For sith fro his childehod euermore he dredde God, and euere kepte his hestis, he was not agreued ayens God that the myscheues blyndenesse fel to hym, but vnmouable dwellide in the drede of God, thankyng hym alle the dayes of his lif ”. Lo that holy writ seith expressely that God suffrede this holy man to haue this syke-

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Et tu dois comprendre que Dieu envoie parfois de telles maladies aux hommes de bien et parfois aux méchants. Pour les hommes de bien, Dieu le fait pour deux raisons, et je voudrais faire comprendre que ce qui est vrai au sujet de la maladie l’est aussi au sujet de toutes sortes de tribulations (641-645). La première cause [est celle-ci] : ils doivent savoir qu’il n’y a pas de perfection en eux-mêmes mais seulement en Dieu et accroître leur humilité. Ainsi dit Paul : « Et pour que la grandeur de ces révélations ne m’entraîne pas dans l’orgueil, il m’a été mis une écharde dans la chair, l’ange de Satan, pour me frapper le cou. Et j’ai par trois fois prié Dieu pour qu’il s’éloigne de moi ; et il m’a répondu que “Ma grâce est suffisante pour toi, car la vertu se déploie dans la maladie” »66. Et la glose dit ainsi : Dieu entendit le démon, alors qu’il demandait à Job de se laisser tenter, mais [n’entendit] pas l’apôtre demandant que sa tentation soit enlevée. Dieu entendit celui qui devait être damné, mais il n’entendit pas celui qu’il sauverait. Car souvent, l’homme malade demande de nombreuses choses au médecin, qui ne les lui accordera pas, et c’est pour le guérir de sa maladie (646-659). Par ailleurs, Dieu envoie souvent la maladie aux saints, ainsi que la persécution, pour nous donner, à nous mauvais pécheurs, l’exemple de la patience. Car s’il souffre que ses saints connaissent de tels tourments en ce monde et qu’ils l’en remercient, les nombreux pécheurs à qui Dieu n’envoie pas la centième part de la douleur [des saints] devraient la supporter humblement, car nous l’avons méritée mille fois plus qu’eux. Ainsi de Tobie qui, un jour, alors qu’il était épuisé d’avoir enterré de pauvres hommes qui sans cela seraient restés sans tombe et auraient été mangés par les chiens et des oiseaux comme les charognes ou d’autres bêtes sans raison : « quand il s’étendit pour se reposer, du fait de sa fatigue, Dieu souffrit que les moineaux qui se tenaient sur sa maison laissent tomber leurs fientes sur ses yeux, et il en fut aveuglé » ; ainsi est-il écrit, « Ce test, en fait, Dieu a souffert qu’il vienne à lui pour qu’il soit donné un exemple de patience à ceux qui viennent après lui, de même que pour la tentation du saint Job. Car comme depuis son enfance, depuis toujours, il craignait Dieu, il n’était pas en colère contre Dieu parce que cette dure cécité lui était venue, mais il se tenait sans faille dans la crainte de Dieu, le remerciant tous les jours de sa vie »67. Les saintes écritures disent expressément

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  Cf. 2 Cor. 12 : 7-9.   Cf. Tob. 2 : 10-14. La comparaison avec la situation de Job est un ajout de la Vulgate.

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nesse to yeue hem that shulden comen aftir hym ensauple of pacience. Also otherwile Gode sendith sikenesse and tribulacion to wickid men, and that for two causis. First, for they schulde the rathere drede God and leue here synne. As it is writen : “Ther sikenesse haueth be multiplied, and aftir they haue highed to Godward”. For we seeth ofte men in sekenesse knowe here God that neuere wolden haue turned to hym while they hadden ben hoole. Also God sendith hem syknesse ofte to agaste other men leste they folweden here wynnes. As the sekenesse of Antioche, whom “God smot with suche a sekenesse that wermes skatered out of his body while he lyuede – in so ferforth that he stank so foule that he was heuy therwith and myght not suffre it, and at the laste that he ne myght nought hymself suffre his owne stynch. And than he gan to knowe hymself and seyde, ‘It is rughtful to be suget to God, and a dedly man nought to holde hymself euene to God’”. And the story seith that “he axkid mercy of God, of whom he shulde no mercy haue, and made a uow to God : that he schulde make the citee of Ierusalem free, and the Iewes to make hem as free as men of Athenis ; and that he wolde honoure Goddis temple with preciouns aray, and multiplie the holy vesselis, and fynde of his owne rente cost and spensis pertinynge to be sacrifise ; and he wolde bycome a Iew, and go ouer al the lond, and preche Goddis myght. And yit God yaf hym no mercy”. And I trowe certeyn that that was for he axkid it to late. What mede was it to him to forsake his wickidnesse whan he was unmyghty to do good othere euel ? And by this vengeance that God tok of this kyng shulde men see what it is to be vnobedient to God. And also it is to take hede that whan so euere sekenesse cometh, euere it scheweth that he that suffreth is dedly and that he schal nede dye. For thowgh he may skape his sikenesse, yit may he not skape the deth. And so thou most nedis come to thy rekenynge. The secunde somner that schal clepe the to this parti- culer dom is elde. And the condicion of this is this : that though he tarie with the, he wole not leue the til he brynge the to the thridde, that is deeth. But ther be many that though they haue this somenour with hem, they taken none hede. He seeth his hed hory, his bak

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que Dieu a souffert que ce saint homme ait cette maladie pour donner à ceux qui viendraient après lui un exemple de patience (660-683). Quelquefois, Dieu envoie aussi la maladie et le tourment aux méchants, là aussi pour deux raisons. Premièrement, pour qu’ils craignent Dieu et qu’ils abandonnent leurs péchés. Comme il est écrit : « Leurs maladies ont été multipliées, et après cela, ils se sont élevés vers la garde de Dieu »68. Car nous voyons souvent des hommes malades reconnaître leur Dieu alors qu’ils ne s’étaient jamais tournés vers lui quand ils étaient en bonne santé. Dieu leur envoie aussi souvent la maladie pour terrifier les autres au cas où ils persisteraient à commettre des péchés. C’est le cas d’Antioche, que « Dieu a frappé d’une telle maladie que les vers se déversaient hors de son corps vivant – et à cause de cela il sentait si mauvais qu’il en était plein de trouble et qu’il ne pouvait le souffrir, et à la fin, lui-même ne pouvait plus supporter sa propre puanteur. Et alors, il commença à se connaître et il dit, “Il est juste d’être sujet de Dieu, et un homme mortel ne doit pas se comparer à Dieu” ». Et l’histoire dit qu’« il demanda la miséricorde de Dieu, duquel il ne devait en avoir aucune, et il promit à Dieu de rendre sa liberté à la cité de Jérusalem ; de rendre les Juifs aussi libres que les hommes d’Athènes ; d’honorer le temple de Dieu avec de précieuses choses, de multiplier les vases sacrés et de prendre sur ses propres revenus les coûts et les dépenses liées aux sacrifices ; et enfin, de devenir lui-même un Juif, de parcourir tout le pays et d’y prêcher le pouvoir de Dieu. Et pourtant, Dieu, ne lui accorda pas sa miséricorde »69. Et je suis sûr que c’est parce qu’il le demanda trop tard. Quelle récompense pouvait-il y avoir alors qu’il n’avait abandonné sa méchanceté que lorsqu’il fut impuissant à agir, en bien ou en mal ? Et par la vengeance que Dieu prit sur ce roi, les hommes doivent voir ce que c’est que de lui être désobéissant. Et il faut aussi prendre garde au fait que lorsqu’une telle maladie survient, ce peut être pour montrer que celui qui en souffre est mortel et qu’il devra mourir. Car s’il peut échapper à la maladie, il ne peut échapper à la mort. Ainsi, tu dois venir pour rendre tes comptes (684-716). Le second convocateur qui t’appellera à ce jugement particulier est Âge. Et sa disposition est celle-là : bien qu’il t’accompagne, il ne te laissera pas avant de te conduire au troisième, c’est-à-dire la mort (717-720). Mais nombreux sont ceux qui, bien qu’ils soient avec ce convocateur, n’y prêtent pas attention. Chacun voit sa tête se corrompre, son dos se

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  Cf. Ps. 15 : 4.   Cf. II Macc. 9 : 9-18.

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croketh, his breth stynketh, his teeh falleth, his eighen derketh, his visage reuelith, his eren wexeth heuy to here. What meneth al this but that elde sommouneth the to the dom ? But what more madhede may be than a man be clepid and drawe to so dredful a rekenynge there, but he answere wel there ? He forfeteth bothe body and soule to damnacion foreuere, yif he, seeynge a litle myrthe on the weye, thinke so mochel theronne that he forgetith who draweth hym other whedir he draweth hym. So doth he that is smyten with age, and lyketh so on the false wordliis welthe that he forgetith whodir he is aweye. Herfore seith the holy doctour : that among alle the abusiones of the world, most is a olde man that is obstinat. For he thynkith not on his owght goynge of this world, ne of his passyng into the lyfe that is to come. He heereth massan- geres of deth, and he leeueth hem nought. And the cause is this : for the threfold cord that suche an old man is bounde with is hard to breke. This cord is custom, that is of thre plytis : that is of ydel thought, vnhonest speche, and wickid dede – the whiche yif they growe with a man fro the childhod into mannes age, they make a treble corde to bynde the olde man in custom of synne. Herfore seith Ysaye ? “Breke the bondes of synne”. Thynke, herfore, who so euere that thou be that art thus somened, that thou myght not skape that thou ne schalt yelde rekenynge of thy bailye. The thridde somenour to this rekenyng is deth, and the condicion of this is this : that whanne so euere he cometh – first, other secunde, other last – he ne spareth neyther powere, ne yougthe ; ne he dredeth no thretyng, ne takith hede of no praiere ne of no yifte ; ne he graunteth no respit ; but withouten dalay he bryngeth forth to the dom. Herfor seith Seynt Austyn : “Wel aughte euery man drede the day of his deeth ; for in what state so euere a mannes laste day fyndeth hym whan he goth out of this world, in the same state he bryngeth hym to his dom”. Herfore seith the wyse man : Sone, thenk on thy laste end, and thou schalt neuere synne. Therfore, y rede, thenk that thou schalt yelde rekenynge of thy bailie. I seyde also that ther schulde be another dom to the whiche alle men schullen come togydere, and this schal be vniuersel. And right as to that other dom euery man schal be clepid with

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courber, son haleine puer, ses dents tomber, ses yeux s’obscurcir, son visage se rider, ses oreilles avoir de plus en plus de mal à entendre. Que signifie tout cela si ce n’est qu’Âge l’a convoqué au jugement ? Mais quelle plus grande folie peut-il y avoir que le fait, pour un homme appelé et entraîné vers un si terrifiant jugement, de ne pas y répondre correctement ? Il condamne à la fois son corps et son âme à la damnation éternelle si, voyant quelque chose de joyeux sur le chemin, il y pense tant qu’il oublie le lieu vers lequel il est mené. Ainsi fait celui qui est frappé par l’âge et aime tant les fausses richesses de ce monde qu’il oublie ce dont il s’éloigne (721-733). Ainsi dit le saint docteur70 : parmi tous les maux de ce monde, un des pires est le vieil homme qui s’obstine. Car il ne pense pas à son propre départ du monde, ni à son passage dans la vie qui est à venir. Il entend les messagers de la mort et ne les croit pas. Et la raison en est qu’un vieil homme est lié trois fois par une corde bien difficile à rompre. Cette corde est l’habitude et elle est faite de trois brins : les pensées oiseuses, les discours malhonnêtes et les actes mauvais – si elles croissent chez un homme de l’enfance à la vieillesse, elles font une triple corde qui lient le vieil homme dans l’habitude du péché. Ainsi dit Isaïe : « Brise les liens du péché »71. Pense donc que, qui que tu sois, tu seras convoqué et que tu n’échapperas pas aux comptes que tu as à rendre de ton office (734-747). Le troisième convocateur à ce jugement est la mort, et sa disposition est celle-ci : quel que soit le moment où elle vient – en premier, en second, en dernier – elle n’épargne ni le pouvoir ni la jeunesse ; elle ne craint aucune menace, ne tient compte d’aucune prière ni d’aucun don ; elle n’accorde aucun répit, mais elle te conduit au jugement sans délai72. Ainsi dit saint Augustin : « Chaque homme ferait bien de craindre le jour de sa mort ; car l’état dans lequel il sera lors de son dernier jour, lorsqu’il partira de ce monde, est celui dans lequel il sera conduit au jugement »73. Ainsi dit l’homme sage : Fils, pense à ta fin dernière, et tu ne pécheras jamais. Je le conseille, donc, pense que tu devras rendre compte de ton office (748-760). J’ai parlé également d’un autre jugement auquel se rendront les hommes tous ensemble – c’est le jugement universel. Et de même que pour l’autre jugement chaque homme sera appelé par trois convocateurs, de même le 70

  Cf. Hugues de Saint-Victor, De Claustro Animae, II, xv, PL, 176, 1064.   Cf. Is. 58 : 6.   Dans le texte original, la mort est du genre masculin. 73   Ce passage n’a pas été identifié. 71

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thre somenoures, so to this dom al this world schal be clepid with thre general cleperis. And right as the othere thre messageth a mannes ende, so these telleth the ende of the world. The firste os the worldlis sykenesse ; the secunde is feblenesse ; and the thridde is his ende. And the sekenesse of the world thou schalt knowe by charites acoldyng ; his elde and his feblenesse though schalt knowe by tokenes fulfillynge ; and his ende thou schalt know by Antecristis pursuynge. First y seye thou schalt knowe the worldis sykenesse by charites acoldynge. Clerkes that treteth of kyndis seith that a body is sik whan his kyndely heete is to lytle or whanne is vnkindely heete is to moche. Sith than al manlynde is oo body whos kyndely heete is charite, that is loue to oure God and to oure neyghebore, vnkyndely heete is lustful loue to othre creatures. Whan therfore thou seest that the loue of men to Godward and to here neighebores is litle and feynt and the loue to wordly thyngis and to lustes of the flesch is gret and feruent, thanne wite thou wel that vnkyndely hete is to gret and kyndely heete is to lytle. That this be a knoweleche of this siknesse may I preue by auctorite of Crist ; for he hymself yaf hem as a sygne of the drawynge to the ende of the world, “for that wickednesse schal be in plente, charite schal acolde”. Therfore whanne thou seest charite thus litle in the world and wickednesse encresse, knowe wel “that this world passith, and his welthe”, and that this somenour is come. And thus seith Seynt Poule : “Wite thou wel that in the last dayes schal come perilous tymes. And there schulleth be men lowyng hemself, that is to seye here bodies, coueytous by pride, vnobedient to fadre and modre ; vnkynde felowes withouten affeccion, withouten pees ; blameres, vncontinent, vnmylde, withouten benignite ; traytoures, rebel ; swellynge loueres of lustes more than of God, hauynge a liknesse of pite, and denyenge the ventu therof ”. And thes flee. Whan thou seest the pe- ple byside on suche condiciones, wite wel that the first somenour warneth al the world that the day of rekenynge draweth toward. The secunde somenour warneth al the world is elde of the the world and his feblenesse. And this schewith tokenes fulfillyng, but y knowe wel that we “be not sufficiaunt to knowe the tymes other the whyles, that the Fadre in Trinite

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monde entier sera appelé à ce jugement par trois convocateurs. Et de même que les trois autres portaient à un homme le message de sa fin, de même ces trois-là diront la fin du monde. Le premier est la maladie du monde ; le second est sa faiblesse et le troisième est sa fin. Et tu connaîtras la maladie du monde par le refroidissement de la charité ; sa vieillesse et sa faiblesse, tu la connaîtras par l’accomplissement des signes  ; et tu connaîtras sa fin par le harcèlement de l’Antéchrist. Premièrement, tu connaîtras la maladie du monde par le refroidissement de la charité. Les clercs qui traitent de la nature disent qu’un corps est malade quand sa chaleur naturelle est trop faible ou quand elle est trop élevée, de manière non naturelle. Puisque l’humanité n’est qu’un seul corps dont la chaleur naturelle est la charité, c’est-à-dire l’amour envers Dieu et envers nos voisins, la chaleur non naturelle est l’amour concupiscent des autres créatures. Ainsi, quand tu verras que l’amour des hommes pour Dieu et pour leurs voisins est faible et feint, et que l’amour des choses de ce monde et des luxures de la chair est grand et ardent, alors tu sauras bien que la chaleur non naturelle est trop grande et que la chaleur naturelle est trop faible. Je peux prouver par l’autorité du Christ que c’est un signe de la connaissance de cette maladie car lui-même l’a donné comme signe de l’arrivée de la fin du monde : « car la méchanceté sera là en abondance, et la charité se refroidira »74. Ainsi, lorsque tu verras la charité faiblir dans le monde et la méchanceté augmenter, sache bien « que ce monde est en train de passer, et sa richesse »75, et que ce convocateur est venu. Et ainsi parle saint Paul : « Sache bien que dans les derniers jours viendront des temps périlleux. Des hommes s’abaisseront eux-mêmes, égoïstes, ils seront avides par orgueils, désobéissants envers leur père et leur mère ; [ils seront] des hommes corrompus et sans cœur, sans paix ; médisants, intempérants, intraitables et sans bonté ; traîtres et rebelles ; anormalement amoureux des plaisirs de la chair plus que de Dieu, ayant les apparences de la piété, mais en en reniant la force intérieure »76. Fuis ces gens. Quand tu verras les gens dans de telles dispositions, sache bien que le premier convocateur aura averti le monde entier que le jour du jugement arrive (761-800). Le second convocateur qui avertit le monde est son âge et sa faiblesse. Et cela sera montré par l’accomplissement des signes, mais je sais bien que nous « ne pouvons connaître les temps et les moments que le Père de

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  Cf. Mat. 24 : 12.   Cf. 1 Jn 2 : 17. 76   Cf. 2 Tim. 3 : 1-5. 75

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hath putte in his owne power” to schewe certeynly the day, yer, other hour of this dom, sith this knowleche was hid fro the priue aposteles of Crist and also fro Crist manhod, as to schewe it to vs. Natheles we moweth by auctorite of holy writ, with resounes and exposiciones of seyntis, wel and openly schewe that this day of wreche is nyghe. But yit lest any man seye in his herte, as it is write of folye baileues, that they schal seye : “My lord that is tarieth to come to the dome, and vpon hope herof he take to smyte seruantis and hynen of God, ette and drynke and make hym drunke”, I schal schewe that this day is at the hond. How nyghe, netheles, can y not seye, ne wole ; for yif Poule seyde, now for a thousand yeer and thre hundryd and mo passid, we ben thilke “into whom the endes of the world beth come”, moche rathere mowe we seye the same that beoth so moche nerre the ende than he was. Also Seynt Johan Crisostom seith : “Thou seest oueral derkenesses, and thou doughtist that the day is go. First on the valeyes is derkenessis, whan the day drawith donward. Whan therfore thou seest the valeis is derkid, why doutis thou whether it be neigh euen. But yif thou see the sunne so lowe that derkenesse is vpon the hillis, thou wolt seye douteles that it is nyght. Ryght so, yif thou see first in the seculeres and lewede Cristene men bygynne dirkenessis of synnes to haue the maystrie, it is tokene that this world endith. But whan thou seest prestes, that beth put on the highe coppe of spiritual dignites, that schulde be as hilles aboue the comune peple in parfit lyuynge, that dirkenesse of synnes hath take hem, who douteth that the world nis at the ende ?” Also About Joachym in exposicion of Jeremye seyth : Fro the yeer of oure Lord a thousand and two hundred, alle tymes beth suspecte to me, and we be passid on this suspect tyme neigh two hundrid yeer. Also mayde Hildegare in the book of hire proprechie the thridde partye, the eluenthe visioun, the seuenthe chapitre, meueth this resoun : “Ryght as on the seuenthe day God maad the world, so in the seuene thousand yeer the world schal And ryght as in the sixte day man was maad and formed, ryght so in the sixe thousand of yeris he was bout ayen and reformed. And as in the seuenthe day the world was ful maad and God restede of his worchynge, ryght so in the seuenthe

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la Trinité a fixés de son propre pouvoir »77, pour montrer avec certitude le jour, l’année ou l’heure de ce jugement, puisque ce savoir fut caché aux apôtres du Christ et à l’humanité du Christ, comme il nous le fût caché. Néanmoins, nous pouvons, par l’autorité des Saintes Ecritures, avec les arguments et les expositions des saints, montrer clairement et ouvertement que ce jour terrible est proche (801-810). Mais qu’un homme se dise en son cœur, comme il est écrit des baillis fous qui disent : « “Mon seigneur tarde à rentrer à la maison”, et en prévision de cela, il se met à frapper les serviteurs et les servantes de Dieu, à manger et à boire et à s’enivrer »78, et je lui montrerai que ce jour est tout proche. À quelle proximité exactement, je ne peux le dire ni ne le veux ; car si Paul a dit, voilà maintenant plus de mille trois cents ans, que nous sommes « là où les fins de ce monde arrivent », nous pouvons seulement dire que nous sommes plus proches de la fin qu’il ne l’était (811820). De même, Jean Chrysostome a dit : « Tu vois les ténèbres partout et tu doutes que le jour est venu. Mais l’obscurité est d’abord dans la vallée, quand le jour touche à sa fin. Quand donc tu vois que la vallée est assombrie, pourquoi doutes-tu que la nuit est proche ? Mais si tu vois le soleil si bas que l’obscurité est sur les collines, tu verras sans doute possible que c’est la nuit. De même, si tu vois d’abord sur les Chrétiens laïcs et ignorants s’étendre les ténèbres des péchés qui les maîtrisent, c’est un signe que le monde se termine. Mais quand tu vois que l’obscurité des péchés envahit les prêtres, qui portent la haute couronne des dignités spirituelles et qui devraient être comme des collines au-dessus du commun, dans une vie parfaite, qui doute que le monde n’en est pas à sa fin ? »79 De même, l’abbé Joachim, dans un commentaire sur Jérémie, dit : à partir de l’année mille deux cents de notre Seigneur, tous les temps sont incertains pour moi, et nous avons déjà passé près de deux cents ans depuis ce moment incertain80 (821-837). La vierge Hildegarde avance également cet argument, dans la troisième partie du livre de ses prophéties (onzième vision, septième chapitre) : « De même que Dieu a créé le monde le septième jour, de même le monde trépassera dans la sept millième année, et de même que l’homme fut créé et formé le sixième jour, de même il sera racheté et reformé dans la six millième année. Et de même que le monde fut créé le septième jour et que Dieu s’est reposé de son travail, de même dans la sept millième 77

  Cf. Actes 1 : 7.   Cf. Luc 12 : 45.   Cf. Pseudo-Jean Chrysostome, Opus imperfectum, Homilia XXXIV, PG, 56, 818.. 80   Ce passage de Joachim de Fiore (théologien du XIIe siècle) n’a pas été précisément identifié. 78

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thousand of yeris the noumbre of hem that shullen be saued shal be fulfillid, and reste schal be to seyntis ful in body and in sowle”. Yif than it be so as it semeth to folewe of this maidenes wordis that seuene thousand of yeeris in passynge of the world acordith to seuene dayes makynge, lat see what lackith that this seuene thousand yeeris ne be fulfillid. For yif we eke the noumbre of yeeris fro the natyuite of Crist to the yeeris fro the bygynnynge of the world to Crist, and thou wolt folewe Austyn, Bede, and Orosye, and most probabyle doctoures tretynge of this matere, passith now almost sexe thousand ans sexe hundred, as it is open in a book that is clepid Speculum Iudiciale. So it sweth that this last day is more than half agoo, yif we shulde yeue credence to this maydenes resoune. But yif we schul leeue to the gospel, thanne we schal fynde in the gospel of Matheu that the disciplis axeden of Crist thre questiouns : “First, what tyme the cite of Ierusalem shulde be distroyed ; the secunde, what tokene were of his comynge to the dom ; and the thridde, what signe were of the ende of the world”. And Crist yaf hem no certeyn tyme of thes thyngis whan they schulle falle, but he yaf hem tokenes by whiche they myghte wite whan they drowen nygh. And so as to the first question of destruccion of Ierusalem he seyde : “Whan that the Romaynes come to bysege that citee, than sone aftir sche schulde be distroyed”. And to the secunde and to the thridde he yaf hem many tokenes that is to seye that “rewme schulde ruse ayens rewme, and peple ayens peple, and pestilences and erthe schakynges”, the whiche we haue seye in oure dayes. But the laste tokene that he yaf was this : “Whan ye seen the abhominacion of the elengenesse seyd of Danyel the prophete stondynge on the seyntuarie, thanne whoso rede vndirstonde”. Vpon which tiwte thus argueth a doctour in a book that he makith of the ende of the world : yof the wordes of Danyel han auctorite, as God seyth that they haueth, it sufficit of noubre of yeeris of the ende of the world. Take that Danyel hath writen. Now Daniel in the twelthe chapitre, spekynge of this abhominacion, “puttith bytwene the sesynge of the bysy

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année, le nombre de ceux qui seront sauvés sera rempli, et le repos sera pour les saints dans leur corps et leur âme »81 (838-848). S’il en est ainsi et que l’on suit les mots de cette vierge selon lesquels le monde passera au bout de sept mille ans, voyons ce qui manque avant que les sept mille années ne soient accomplies. Car si nous comptons le nombre d’années depuis la nativité du Christ et depuis le commencement du monde jusqu’au Christ, et l’on peut suivre Augustin, Bède, Orose et de nombreux docteurs traitant de cette matière, il s’est passé presque six mille six cents ans, comme il l’est noté dans un livre appelé Speculum Iudiciale 82. Il s’ensuit donc que plus de la moitié du temps d’ici au dernier jour est déjà passée, si nous devons prêter foi à l’argument de cette vierge (849-860). Mais si nous suivons l’évangile, nous trouverons dans l’évangile de Mathieu que les disciples du Christ lui ont posé trois questions : « Premièrement, à quel moment la cité de Jérusalem sera-t-elle détruite ; deuxièmement, quels seront les signes de la venue du jugement  ; et troisièmement, quels seront les signes de la fin du monde »83. Et le Christ ne leur donna pas de certitude sur le moment où ces choses arriveraient, mais il leur donna des indices par lesquels ils pourraient savoir quand ils en seraient proches. En ce qui concerne la première question sur la destruction de Jérusalem, il dit : « Quand les Romains viendront assiéger la cité, alors elle sera détruite peu après »84. Et à la seconde et à la troisième question, il leur donna de nombreux indices, c’est-à-dire que «  les royaumes se dresseront contre les royaumes et les peuples contre les peuples, [et qu’il y aura] des pestilences et des tremblements de terre »85, ce que nous avons vu de nos jours. Mais le dernier indice qu’il leur donna fut celui-ci : « Quand vous verrez l’abomination de la désolation dont a parlé le prophète Daniel se tenant dans le sanctuaire, alors ceux qui lisent comprendront »86 (861-878). À partir de cela, un docteur a ainsi argumenté dans un livre qu’il a fait sur la fin du monde87 : si les mots de Daniel ont quelque autorité – et Dieu a dit qu’ils en avaient – le nombre d’années mentionné, jusqu’à la fin du monde, est juste. Prenez ce que Daniel a écrit. Dans le douzième chapitre, Daniel, parlant de cette abomination, « la place après l’abolition du sacri81

  Cf. Hildegarde de Bingen, Scivias, III, xi, PL, 197, 714-716. Hildegarde était une religieuse et mystique allemande du XIIe siècle. 82   Cette œuvre n’a pas été identifiée. 83   Cf. Mat. 24 : 3. 84   Cf. Luc 21 : 20. 85   Cf. Mat. 24 : 7. 86   Cf. Mat. 24 : 15. 87   Il s’agit de Joachim de Fiore. Voir son Divinivatis Abbatis Joachim.

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sacrifice of Iewis”, the which felle whan by Titus and Vaspacian Ierusalem was distroied, “and the puple of Iewes disparpullid into al the world”. And this abhominacion, that doctour seith schal be the grete Anticrist dayes, “thousund two hundred and nynty”. Now preueuth this doctour that a day mot be take here for a yeer, bothe by auctorite of holy writ in the same place and on othre and also by resoun. So it semeth to this clerk that the grete Anticrist schulde come in the fourtenthe hundred yeer fro the birthe of Crist, the which noumbre of yeeris is now fulfillid not fully twelue yeer and an half lackynge. This resoun put I not as to schewe any certeyn tyme of his comynge, sith y haue not that knowelechynge, but to schewe that he is nygh, but how nygh I wote neuere. But take we hede to the ferth party of the secunde vision of Ion put in the book of Pryuetes, in the which vndir openynge of seuene sealis is declarid the staat of holy chirche fro the tyme of Crist into the ende of the world. The openynge of the foure first sealis scheweth the staat of the chirche fro tyme of Crist into the tyme of Anticrist and his forgoeris, the which is schewid by the openynge of the othre thre sealis. The openynge of the first seal telleth the staat of the chirche in tyme of the prechynge of Crist and of his apostles. For than the first beest, that is the lioun, yaf his vois, that tokeneth the prechoures of Cristis resurreccion and his assencion. “For than yede out a whight hors, and he that sat vpon hym had a bowe in his hond, and he yede ouercomynge to ouercome”. By his whight hors we vndirstondeth the clene lyf and conuersacion thes prechoures hadde, and by the bowe here trewe techynge, prickynge sorwe in mennes hertis for here synnes withoute flaterynge. And they wenten out of Jeuerye that they comen of, ouercomynge summe of the Jues, and make to leeue the trust that they hadden in the olde lawe, and bileue in Iesu Crist, and sue his techynge. And they wenten out to ouercome the paynemes schewynge to hem that here ymagis were none Goddis but mannes werkes, vnmighty to saue hemself or ony othere, drawynge hem to the bileue of Iesu Crist, God and man.

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fice perpétuel des Juifs »88, ce qui survint quand Jérusalem fut détruite par Titus et Vespasien, « et le peuple des Juifs se dispersa dans le monde ». Et cette abomination, dit le docteur, sera celle des jours du grand Antéchrist, « deux mille deux cent quatre-vingt dix »89. Et ce docteur montre qu’un jour peut être pris ici pour une année, à la fois par l’autorité de la Sainte Écriture au même endroit et ailleurs, ainsi que par la raison. Ainsi, il semble que pour ce clerc, le grand Antéchrist doive venir dans la mille quatre centième année suivant la naissance du Christ, lequel nombre d’années est maintenant presque accompli – il manque douze ans et demi. Je ne donne pas cet argument pour donner un temps certain pour sa venue, puisque je n’ai pas ce savoir, mais pour montrer qu’il est proche – mais de combien, je ne l’ai jamais su (879-898). Mais prêtons attention à la quatrième partie de la seconde vision de Jean dans le livre des Révélations, dans lequel, par l’ouverture des sept sceaux, est déclaré l’état de la sainte Église du temps du Christ à la fin du monde. L’ouverture des quatre premiers sceaux montre l’état de l’Église du temps du Christ jusqu’au temps de l’Antéchrist et de ses messagers, ce dernier étant montré par les trois derniers sceaux (899-906). L’ouverture du premier sceau parle de l’état de l’Eglise au moment de la prédication du Christ et de ses apôtres. Car lorsque la première créature, c’est-à-dire le lion, a fait porter sa voix, cela signifiait les prédicateurs de la résurrection et de l’ascension du Christ. «  Car voici qu’apparut un cheval blanc, et celui qui le montait tenait un arc dans sa main, et il partit en vainqueur pour vaincre »90. Ce cheval blanc doit être compris comme la vie pure et la conversation de ces prédicateurs, et l’arc comme leur véritable enseignement, perçant de douleur le cœur des hommes pour leurs péchés, sans flatterie. Et ils sortirent de la terre de Judée dont ils venaient, victorieux de certains Juifs, leur faisant abandonner la foi qu’ils avaient dans l’ancienne loi, croire en Jésus-Christ et suivre son enseignement. Et ils allèrent pour vaincre les païens, leur montrant que leurs images n’étaient pas divines mais qu’elles étaient des œuvres des hommes, impuissantes à les sauver eux-mêmes ou quiconque et les attirant dans la foi de Jésus-Christ, de Dieu et de l’homme (907-924).

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  Cf. Dan. 12 : 11.   Ibid. 90   Cf. Apoc. 6 : 2. 89

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In the openynge of the secunde seal, ther criede the secunde beest, that is a calf, that was a beest that was woned to be slayn and offrid to God in the olde lawe. This schewith the staat of the chirche in tyme of martiris, that for stedefast prechyng of trewthe and trewe Goddis lawe schedde here blod. That is signified by the rede hors that wente out at this seal openynge. And this staat began in the tyme of Nero, the cursed emperour, and durede in the tyme of Constantyne the Grete that enduede the chirche. For in his tyme many of Cristis seruantis and namely the lederes of Goddis folk were slayn. For of two and twenty bischopes of Rome that weren bytwen Petir and Siluestre the firste, I rede but of foure that ne weren martiris for the lawe of Crist. And also in the tyme of Dioclician the emperour, the persecucioun vpon Cristen men was so gret that withinne thretty dayes ther were two and twenty thousand men and wymmen slayn by diuerse countrees for Goddis sake. The openynge of the thridde seal telleth the staat of the chirche in tymes of heretikes, that beth figured by the blake hors for fals vndirstondynge of holy writ. For than criede the thridde best that is a man. For at that tyme was it nede to preche the misterie of Cristis incarnacion and his passioun toyens these heretikes, that felede mys of thes poyntes : how Crist toke verey mannes kynde of oure lady, hym beynge God as he was byfore, and his modre beynge maide byfore and aftir. The openynge of the ferthe seal tellith the staat of the chirche in tyme of ypocritis, that then signified by the pale hors, that beth sygnes of penaunce withoute forth to blynde the puple. “And he that sat vpon this hors, his name was deeth”. For they schulle sle gostly hem that they leden and techith to trist upon othre thyng than God. “And helle folewyth hym”, for helle resceyueth thilke that these disceyueth. At that time schal it nede that the firth best, that is the egle, make his cry, that fleth hyghest of foules to rere vp Goddis gospel and to preyse that lawe aboue othere, laste mannes wit and here tradicions ouergoo and trede doun the lawe of God by enformynge of thes ypocrites. And this is the laste staat that is or schal be in the chirche before the comynge of grete Anticrist.

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À l’ouverture du second sceau, la seconde créature – qui était un taureau, une bête destinée à être tuée et offerte à Dieu dans l’ancienne loi – cria. Cela montre l’état de l’Eglise au temps des martyrs qui, pour leur prédication loyale de la vérité et de la véritable loi de Dieu ont versé leur sang. Cela est signifié par le cheval rouge qui sortit à l’ouverture de ce sceau. Et cet état commença au temps de Néron, l’empereur maudit, et dura jusqu’au temps de Constantin le Grand qui dota l’Eglise. Car durant le temps [de Néron], de nombreux serviteurs du Christ, et en particulier les chefs du peuple de Dieu, furent tués. Car sur les vingt-deux évêques de Rome qu’il y eut entre Pierre et Silvestre Ier, j’ai lu que seuls quatre ne furent pas des martyrs pour la loi du Christ. De même, du temps de l’empereur Dioclétien, les persécutions des Chrétiens furent si grandes qu’en trente jours, deux mille deux cents hommes et femmes furent tués en divers pays pour l’amour de Dieu (925-941). L’ouverture du troisième sceau évoque l’état de l’Église au temps des hérétiques – le cheval noir figure la fausse compréhension des saintes Écritures. Alors cria la troisième créature qui est un homme. Car en ce temps, il était nécessaire de prêcher le mystère de l’incarnation et de la passion du Christ contre ces hérétiques, qui comprenaient mal ces points : comment le Christ prit sa propre nature humaine de notre Dame, lui étant Dieu comme il l’était avant, et sa mère étant vierge après comme avant (942-950). L’ouverture du quatrième sceau parle de l’état de l’Église au temps des hypocrites, symbolisés par le cheval pâle, qui portent des signes de pénitence sans [la ressentir] pour aveugler le peuple : « Et celui qui montait ce cheval, son nom était la mort”91. Car ils tueront spirituellement ceux à qui ils enseignent et apprennent à croire à autre chose qu’à Dieu. “Et l’enfer les suit »92, car l’enfer reçoit ceux qui trompent. À ce moment, la quatrième créature, c’est-à-dire l’aigle qui vole plus haut que tous les oiseaux, devra émettre son cri pour élever l’Evangile de Dieu et pour louer cette loi au-dessus des autres car sinon, l’esprit des hommes et leurs traditions disparaîtront et la loi de Dieu sera foulée aux pieds par l’enseignement de ces hypocrites. Et ceci est le dernier état qui est ou qui sera dans l’Eglise avant la venue du grand Antéchrist (951-964).

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  Cf. Apoc. 6 : 8.   Ibid.

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The openynge of the fifte seal tellith the stat of the chirche that than schal folewe and the desir that loueris of Goddis lawe schulleth haue aftir the ende of this world to be delyuered of this woo. The openyng of the sixte seal telleth the staat of the chirche in tyme of Anticristis lymes, the whiche staat ye mowe knowe to be in the chirche whan ye seeth fulfillid that Seynt Jon prophecieth to falle on the openynge of his, where he seith thus : “Aftir this y seye foure aungelis stondynge vpon foure corneris of the erthe, holdynge the foure wyndes of the erthe that they blowe nought vpon the erthe ne vpon the see ne vpon any tree”. These foure aungelis beth the noubre of alle the dewellis mynistris that in that tyme schulleth in plesaunce of here lord Anticrist stoppe the foure wyndes, that beth the foure gospellis to be prechid, and so lette the breth of the grace of the holy goost to falle vpon men mornynge for synne and castynge hem to amendement and outher vpon hem that wolde encresse in vertues, outher vpon parfite men. What is ther aftir thys to falle but that the mysterie of the seuenthe seal be schewid, that he come into his owne persone, “that Iesu Crist shal slee with spirit of his mouth” whan the fend schal schewe the vttermest persecucion that he and his seruantis may do to Cristes lymes ; and that schal be the thridde warnyng that the world schal haue to come to this dredful dom. In al this mater haue y nought seid of myself, but of othere doctoures that beth preued. I seyde also in my secunde principale, that it were to wite tofore what iugge we schulde rekene, werfore we schulle wite that God hymself schal heren this rekenynge, he that seeth alle oure dedes and alle oure thoughtis fro the begynnynge of oure lyf to the ende. And he schal schewe there the hidde thyngis of oure herte, openynge to al the world the rightfulnesse of his dom. So that with the myght of God euery mannys dedis to al the world schal be schewid. And so it semeth by the wordis of Seynt Jon in the book of Priueytes, ther he seith thus : “I seye dede men, littul and grete, stondynge in the syght of the trone. And bookes weren opened. And another book was opened that was of lyf. And dede men weren iuged aftir the thyngis that weren writen in the bookis aftir here werchynges”. These bokes beth mennis conciensis, that now beth closed ; but than they schulleth ben

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L’ouverture du cinquième sceau rapporte l’état de l’Église qui suivra et le désir qu’ont ceux qui ont aimé la loi de Dieu d’être délivrés de ce tourment après la fin de ce monde (965-968). L’ouverture du sixième sceau décrit l’état de l’Église au temps des partisans de l’Antéchrist, et vous saurez que l’Église se trouvera dans cet état lorsque vous verrez l’accomplissement de ce que saint Jean a prophétisé pour l’ouverture de ce sceau, lorsqu’il nous dit : « Après quoi, je vis quatre anges se tenir aux quatre coins de la terre, retenant les quatre vents de la terre pour qu’ils ne soufflent ni sur la terre, ni sur la mer, ni sur aucun arbre »93. Ces quatre anges représentent le nombre de tous les ministres du démon qui, en ce temps, arrêteront pour plaire à leur Seigneur l’Antéchrist les quatre vents, qui sont les quatre Évangiles devant être prêchés ; car ces derniers empêchent le souffle de la grâce du Saint-Esprit de tomber sur les hommes pour qu’ils se lamentent sur le péché et se jettent dans la réforme d’eux-mêmes et, autrement, sur ceux qui souhaitent mener une vie encore plus vertueuse, ou autrement sur ceux qui sont parfaits (969-982). Et après cela, qu’arrivera-t-il si ce n’est que le mystère du septième sceau sera montré : il viendra en personne, « celui que Jésus Christ tuera par le souffle de sa bouche »94, au moment où le diable fera preuve de la plus grande persécution que lui et ses serviteurs peuvent accomplir contre les disciples du Christ ; et ce sera le troisième avertissement de ce que le monde devra en venir au terrifiant jugement. Tout cela, ce n’est pas moi qui le dis, mais d’autres docteurs qui l’ont prouvé (983-990). J’ai dit aussi dans ma seconde division que nous devrions connaître le juge auquel nous devrons rendre des comptes ; nous devons savoir que c’est Dieu lui-même qui entendra cela, lui qui voit tous nos actes et toutes nos pensées depuis le début de notre vie jusqu’à sa fin. Et il montrera les choses cachées de nos cœurs, révélant au monde entier la droiture de son jugement. Ainsi, par le pouvoir de Dieu, tous les actes des hommes seront révélés au monde entier (991-998). Et cela apparaît avec les paroles de saint Jean dans le Livre des Révélations, car il dit cela  : «  Je vis des morts, petits et grands, se tenant debout devant le trône. Et des livres étaient ouverts. Et un autre livre fut ouvert qui était celui de la vie. Et les morts furent jugés d’après ce qui était écrit dans ces livres, selon leurs œuvres  »95. Ces livres sont les consciences des hommes et sont pour le moment fermés ; mais alors, ils 93

  Cf. Apoc. 7 : 1.   Cf. 2 Thess. 2 : 8. 95   Cf. Apoc. 20 : 12. 94

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opened to al the world to rede therinne, bothe dedis and thoutis. But the book of lif is Cristis lyuynge and doctrine that is now hid to men that shulleth be dampned though here owne malice, that demeth men to swe the world rathere than God. In the first bok schal be write al that we haue do ; in the tother book schal be write that we schulde haue do. And than shulle dede men be demed of thilke thyngis that beth writen in the bookis. For yif tho dedis that we haueth do, the whiche beth writen in the bokis of oure conscience, be acordynge to the book of Cristis techynge and his lyuynge, the whiche is the bok of lyf, we schulleth be saued ; and ellis we schulleth be dampned. For the dom schal be youe aftir oure werkis. Loke therfore now what thyng is writen in the bok of thy conscience whyle thou art here. And yif thou fyndest out contrarie to Cristis lif other to his techynge, with the knyf of penaunce and repentaunce scrape it awey, and write it beterer, euermore hertily thynkynge that thou schal yelde rekenynge of thy baylie. Also y seyde principaly that it were to wite that reward schal be youen in that dom to wyse seruantis and goode, and what to false seruantis and wiskede. For the whiche it is to wite that oure lord Iesu Crist schal come to the dom here in this world in the same body that he tok of oure lady, hauynge therinne the woundes that he suffrede for oure ayen-byggynge. And al that euere schul be saued, takynge ayen here bodies, clyuynge to here heed Crist, schulle be rauyssched, “metyng hym in the aiere”, as Poul seyth. They that schulle be dampned lyuynge upon the erthe as in a tounne of wyn dregges dwellith bynethe, and the clere wyn hoouereth aboue. Thanne schal Crist axke rekenynge of the dedus of mercy, reprouynge fals Cristene men for the leuynge of hem, rehersynge the dedis of the same and othre trewthis, by the whiche his trewe seruantis haue folewede hym. Thanne schulle thilke false seruantis goo with the deuel, whom they haue serued, the erthe hem swelwynge into the endeles fier. And ryghtful men schullen go into euerelastynge lyf. Than schal be fulfillid that is writen in the bok of Pryuetes : “Woo, woo, wo to hem that dwelleth in the erthe”. Wo to the paynyme, that yaf that worchipe to dede ymagis wrought of mennes hondis, and to other creatures that he schulde

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seront ouverts pour que le monde entier les lise – [il y aura] à la fois les actes et les pensées. Mais le livre de la vie, c’est la vie et la doctrine du Christ, qui est maintenant caché aux hommes qui seront damnés par leur propre malice, cette dernière les conduisant à suivre le monde plutôt qu’à [suivre] Dieu. Dans le premier livre, il sera écrit tout ce que nous avons fait et dans le second tout ce que nous aurions dû faire. Et les morts seront jugés par rapport à ce qui est écrit dans les livres. Et si les actes que nous avons accomplis – ceux qui sont écrits dans les livres de nos consciences – s’accordent au livre de l’enseignement et de la vie du Christ – qui est le livre de la vie – nous serons sauvés ; sinon, nous serons damnés. Car le jugement sera rendu selon vos actes. Regardez donc ce qui est écrit dans le livre de votre conscience pendant que vous êtes là. Et si vous trouvez [quelque chose] de contraire à la vie du Christ ou à son enseignement, grattez-le avec le couteau de la pénitence et du repentir et écrivez mieux, en pensant toujours fortement aux comptes que vous devrez rendre de votre office (999-1023). J’ai dit également, en particulier, quelle récompense serait donnée dans ce jugement aux serviteurs sages et bons et ce qui le serait aux serviteurs faux et méchants. Car il faut savoir que notre Seigneur Jésus-Christ viendra à ce jugement, dans ce monde, dans le corps qu’il prit de notre Dame, avec les blessures qu’il souffrit pour notre rachat. Et ceux qui seront sauvés pour toujours reprendront leurs corps, adhéreront à leur tête, le Christ, et seront élevés, « le rencontrant dans les airs », comme dit Paul96. Et ceux qui seront damnés vivront sur terre, de même que la lie du vin dans un tonneau reste au fond, alors que le vin clair flotte au-dessus. Alors le Christ demandera le compte de tous les actes de miséricorde, condamnant les faux chrétiens qui les ont abandonnés, énumérant les actions [de miséricorde] et d’autres vérités, pour lesquelles ses véritables serviteurs l’ont suivi. Alors, les faux serviteurs iront avec le diable qu’ils ont servi, la terre les avalant dans un feu éternel. Et les hommes justes connaîtront la vie éternelle (1024-1042). Alors sera accompli ce qui est écrit dans le Livre des Révélations : « Malheur, malheur à ceux qui habitent cette terre »97. Malheur au païen, qui a vénéré des images mortes façonnées par la main des hommes et

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  Cf. 1 Thess. 4 : 17.   Cf. Apoc. 8 : 13.

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haue youe to God that hym wroughte. Wo to the Iewe, that tristed so moche in the olde lawe ; than schal he see Marie sone demynge the world, whom he despised and sette on the cros. Wo to the false Cristene man, that knewe the wille of his Lord and fulfillid it not. Also wo for synne of thynkyng to the that hast schit out the mayne of God, that is mynde of his passioun, holy contemplacion of his godnesse and memorie of his benfetis, fro the chaumbre of thyn herte, and hast maad it an hous of swyn and a den of theues by vnclene thoughtes and delitis. As thou here hast spered God out of thyn hert, so he schal spere the out of heuene. Thou hast herberwed the meyne of the fend, and wyth hem in helle thou schalt euere abyde. Wo also for synne of speche, for thou myght not opene thilke foule and stynjynge mouth, with the whiche thou schalt speke vnhoneste cursynge, fraude, disceyt, lesynges, for- sweryng, scornynge, and bacbitynge, to plese God in the felaschipe od seyntis. For louynge is not commeliche in mowthis of synneris. For in the whiche, yif thou haddist kep thy mouthe clene, thous schuldest haue songe in heuene in felachipe of angelis thys blissed song : “Sanctus, sanctus, sanctus, dominus deus omnipotens” ; holy, holy, holy, Lord God Almighty. Than yellynge and wepynge, thou schalt crye in cumpanye of deueles : ve, ve, ve, quante sunt tenebre ; wo, wo, wo, how grete beth thes derkenessis. Wo also for synne of dede. Thous hast be proud. “Thy pride schal be drawe to helle”, as Ysaye seyth. Or thou hast be brent with envye. “Though enuye of the deuel, enuye entrid into the world, and they schulleth folewe hym that beth on his syde”, as Salamon seyth. Or thou hast be styred with wrathe. “And eueryche man that beryth wraththe to his brother is gilty in dom”, as Crist seyth in the gospel of Matheu. Or thou hast be slow to goode dedis. “Myssayse schal come to the as a weyferynge man, and thy pouert as a man armed”, as the book of Prouerbis seith. Or thou hast haunted lecherye, glotonye other coueytyse. That for sothe wite ye that “eueriche auoutir other vnclene man that is gloton other chynche schal neuere haue heritage in the rewme of Crist and of God”, as Poul seyth. “But fier, brymston, and the spirits of tempestis,

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d’autres créatures, alors qu’il aurait dû vénérer Dieu qui l’a façonné. Malheur au juif, qui a cru si fort en l’ancienne loi ; il verra le fils de Marie juger le monde, alors qu’il l’a méprisé et mis sur la croix. Malheur au faux chrétien, qui connaît la volonté de son Seigneur et qui ne l’a pas accomplie (1043-1051). Malheur aussi à celui qui a péché en pensée, qui a expulsé la maison de Dieu – c’est-à-dire l’esprit de sa passion, la sainte contemplation de sa divinité et la mémoire de ses bienfaits – hors de la chambre de son cœur ; et qui en a fait une porcherie et un nid de voleurs, avec des pensées et des désirs impurs. De même que tu as fermé ton cœur à Dieu, de même il te fermera le ciel. Tu as entretenu la maisonnée du diable, et tu resteras pour toujours avec elle, en enfer. Malheur aussi à celui qui a péché en parole ; car tu ne peux ouvrir ta bouche sale et puante avec laquelle tu profères des jurons malhonnêtes, des paroles frauduleuses, des mensonges et autres, des blasphèmes, des railleries et des ragots, pour plaire à Dieu en la compagnie des saints. Car l’amour n’est pas le bienvenu dans la bouche des pécheurs. Et si tu avais conservé pure ta bouche, tu chanterais dans le ciel, en compagnie des anges, ce chant béni : Sanctus, sanctus, sanctus, dominus deus omnipotens 98 ; saint, saint, saint, Seigneur tout puissant. Mais, hurlant et pleurant, tu crieras en compagnie des démons : ve, ve, ve, quante sunt tenebre ; malheur, malheur, malheur, comme ces ténèbres sont profondes (1052-1071). Malheur aussi à celui qui pèche en actes. Tu as été orgueilleux. « Ton orgueil sera entraîné en enfer », comme dit Isaïe99. Ou tu as été détruit par l’envie. « Par l’envie du diable, l’envie est entrée dans le monde, ils suivront ceux qui sont de son côté », comme le dit Salomon100. Ou bien tu as été piqué par la colère. « Et chaque homme qui apporte la colère à son frère est jugé coupable  », comme dit le Christ dans l’Évangile de Matthieu101. Ou tu as été trop lent pour les bonnes actions. « L’indigence viendra à toi tel un rôdeur, la pauvreté comme un homme d’arme  », comme le dit le Livre des Proverbes102. Ou tu as poursuivi la luxure, la gloutonnerie ou quelque autre avidité. Sache, en vérité, qu’«  aucun homme adultère, impur, glouton ou avide, n’aura jamais l’héritage dans le royaume du Christ et de Dieu », comme le dit Paul103. « Mais le feu, le soufre et les souffles des tempêtes, c’est-à-dire le démon de l’enfer, feront

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  Cf. Apoc. 4 : 8.   Cf. Is. 14 : 15. 100   Cf. Sag. 2 : 24-25. 101   Cf. Mat. 5 : 22. 102   Cf. Prov. 6 : 11. 103   Cf. Eph. 5 : 5. 99

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that is the fend of helle, schulleth be a party of here peyne”, as it is write in the Sautere. Whan these dampned men beth in this woo they schulleth synge this rewful song that is writen in the Book of Mornynge : The ioye of oure herte is ago ; Oure wele is turned into woo ; The coroune of oure heued is falle vs fro ; Alas for synne that we haue doo. But ioye and ioye and ioye to hem that beth saued – ioye in God, ioye in hemself, ioye in othre that beth saued. Also ioye for her trauayle is brought to so graciouns an ende, ioye for they beth scaped the peyne of helle, ioye for the endeless blisse that they haue in syght of God. Cui sit honor et gloria in secula seculorum. Amen.

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partie de leur châtiment », comme il est écrit dans le Psautier104 (10721087). Quand ces hommes damnés seront dans ce malheur, ils chanteront ce chant douloureux qui est écrit dans le Livre des Lamentations : La joie de notre cœur est partie, Notre bien-être s’est transformé en malheur, La couronne est tombée de notre tête, Hélas, à cause du péché que nous avons commis105. Mais la joie, la joie et la joie seront pour ceux qui sont sauvés – joie pour Dieu, joie pour eux-mêmes, joie pour les autres qui sont sauvés. La joie aussi sera pour leur travail, conduit à une fin si pleine de grâce, et la joie sera pour ceux qui ont échappé aux peines de l’enfer, et la joie sera pour le bonheur éternel qu’ils connaîtront à la vue de Dieu. Cui sit honor et gloria in secula seculorum. Amen.

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  Cf. Ps. 10 : 6.   Cf. Lam. 5 : 15-16.

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Sermon orthodoxe du XVe siècle Quatrième Dimanche du Quadragésime (Carême) Ce sermon, pour le quatrième dimanche du Carême, est tiré d’un cycle complet de tempore subsistant aujourd’hui dans sept manuscrits. Ils représentent les trois stades connus du développement de ce cycle. Le stade primitif est représenté par le manuscrit Cambridge, University Library, Gg. 6. 16, qui ne conserve que neuf textes. Un stade intermédiaire, qui présente un texte augmenté, se trouve dans deux manuscrits de la British Library à Londres : les Harley 2247 et Royal 18. B. xxv. Leur contenu est semblable à celui du manuscrit de Cambridge. Enfin, le dernier stade connu, conservant un texte encore plus développé que celui des manuscrits intermédiaires, est conservé dans quatre manuscrits, qui ont tous été copiés par la même main : Oxford, Bodleian Library, e Musaeo 180 ; Lincoln, Cathedral Library, 50 et 511 ; Gloucester, Cathedral Library 22 ; et Durham, University Library, Cosin V. iv. 32. Tous les manuscrits datent de la deuxième moitié du XVe siècle. Le texte proposé ici est tiré du manuscrit d’Oxford, considéré comme le manuscrit de base pour l’édition qui paraîtra au printemps 20113. L’intérêt principal du texte est la présence d’un exemplum, long et détaillé, qui concerne la transformation de l’hostie en forme d’enfant mâle représentant le personnage du Christ4. L’objet de l’enseignement semble être lié à la doctrine de la présence réelle, ou de la transsubstantiation, mise en cause en Angleterre par un mouvement de réformateurs dont l’aile extrême constituait un nœud d’hérétiques connu sous le nom de Lollards5. Les exempla qui traitent de ce phénomène de l’hostie transformée sont nombreux, mais il est rare d’en rencontrer un aussi élaboré que celui conservé dans ce sermon6.

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  Il s’agit d’un seul manuscrit conservé aujourd’hui dans deux reliures.   Il a été postulé que le fait d’avoir reproduit ce cycle en copies multiples indiquait l’existence d’un marché pour ce type d’aide à la prédication, nécessitant une vente au détail. Voir Alan J. Fletcher, « Unnoticed Sermons from John Mirk’s Festial », Speculum, 55, 1980, p. 514-522. 3   L’édition sera publiée par la Early English Text Society en deux volumes, OS 337 et OS 338, sous le titre A Late Fifteenth-Century Dominical Sermon Cycle. 4   Sur les exempla, voir C. Brémond, J. Le Goff et J.-C. Schmitt, L’exemplum, Typologie des sources du Moyen Âge occidental 40, Turnhout, 1996. 5   Voir l’introduction du volume. 6   Frederic Tubach, Index Exemplorum (Helsinki, 1960), § 2689, fournit une liste longue de tels épisodes. 2

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iiija quadragesime

The gospel that `is´ litterally red in the chyrche þis day expressiþe a glorius feste be owre sauiowre Ihesu þat he mynysterde vnto the pepyll, in þe whiche feste were fede [wythe] v lovys and ij fyssches, v thowsande pepyll wiþeowte women and childerne; and the levyng that was lefte of this feste was xij skeppys replete and fulfilled. Therfore, seen it is so that owre mercyfull Lorde þu`s´ graciusly fedde the pepyll withe bodily sustynaunce wherby þey were gretely comfortid, relevyd and well refressched, therfore I purpose withe the gostly comforte of God to fede ȝow gostly. And specially after the litterall sence of þis gospell, ȝe schall be fede wythe v lovys þat schall/284v/be this: the firste love schal be mekenes, the secunde is charite, and þe þerde is mercy or compassion, the iiijth is penaunce and the v th schall be þe blissed sacrament on þe awter. As for þe first, þat is mekenes, it growndythe many vertues: charite quekenethe all maner of grace in mans sowle; compassion norysschethe and comfortiþe every good sowle; penaunce purgythe every synfull sowle frome synne; and þe blyssed sacrament on the awter makethe every clene sowle strong, and at þe last, it bryngethe hem to everlastyng blys. And I dare sey this: he that wyll fede hys sowle hertyly withe this gostly foode, when he schall parte owte of this worlde, þen he schall haue moste swetteste sustentacion in the kyngdome of heven everlastyng. The firste blyssed fode I seyde that ȝe schall fede ȝow withe is þe feyre and swete vertu of mekenes, of þe whiche rehersithe Criste hymselfe in þe gospell/285r/of Mathew, Mathei vndecimo, where he seythe thus: Di[s] cite a me, quia mitis sum, et humilis corde; et inuenietis requiem animabus vestris; ‘Lerne ȝe of me, for I am meke and mylde of hert and ȝe schall fynde reste vnto ȝowre sowlis.’ But þer is moche pepyll þat had lever to

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Thème : Matthieu 14 : 13-217 L’Évangile, lu de manière littérale à l’église en ce jour, relate un festin glorieux que notre sauveur Jésus a offert au peuple : à ce festin, cinq mille personnes, sans compter les femmes et les enfants, furent nourries avec cinq morceaux de pain et deux poissons ; et ce qui resta de ce festin remplit douze couffins complets8. Ainsi notre Seigneur miséricordieux a-t-il gracieusement nourri le peuple avec de la nourriture pour le corps, par laquelle il fut grandement réconforté, soulagé et rasséréné. Je me propose également de vous nourrir spirituellement avec le réconfort spirituel de Dieu (1-9). En particulier, d’après le sens littéral de cet évangile, vous serez nourris avec cinq morceaux de pain qui sont les suivants : le premier morceau est l’humilité, le second la charité, le troisième la miséricorde ou la compassion, le quatrième la pénitence et le cinquième le sacrement béni [accompli] sur l’autel9. Le premier, c’est-à-dire l’humilité, fonde de nombreuses vertus ; la charité donne de la force à toutes les formes de grâce de l’âme humaine ; la compassion nourrit et réconforte toutes les bonnes âmes ; la pénitence purge toutes les âmes pécheresses du péché ; et le sacrement béni [accompli] sur l’autel renforce chaque âme pure et finalement conduit au bonheur éternel. Et j’ose le dire : celui qui nourrit de tout son cœur son âme avec cette nourriture spirituelle connaîtra, lorsqu’il s’en ira de ce monde, le plus doux des régimes dans le royaume éternel des cieux (10-21). La première nourriture bénie avec laquelle j’ai dit que vous vous sustenteriez est la belle et douce vertu d’humilité, que le Christ explique lui-même dans l’évangile de Matthieu, Mathei undecimo, où il parle ainsi : Discite a me, quia mitis sum, et humilis corde ; et inuenietis requiem animabus vestris ; « apprenez de moi, car je suis humble et doux de cœur, et vous trouverez le repos pour vos âmes »10. Mais beaucoup de gens préfèrent se nourrir 7

  « À cette nouvelle, Jésus se retira en barque dans un lieu désert, à l’écart ; ce qu’apprenant, les foules quittèrent les villes et partirent à sa suite, à pied. En débarquant, il vit une grande foule et il en eut pitié ; et il guérit leurs infirmes. Le soir venu, les disciples s’approchèrent et lui dirent : “L’endroit est désert et l’heure est déjà passée ; renvoie donc les foules pour qu’elles aillent dans les villages s’acheter de la nourriture”. Mais Jésus leur dit : “Il n’est pas besoin qu’elles y aillent ; donnez-leur vous-mêmes à manger”. “Mais, disent-ils, nous n’avons ici que cinq pains et deux poissons”. “Apportez-les moi ici”, dit-il. Et, ayant donné l’ordre de faire étendre les foules sur l’herbe, il prit les cinq pains et les deux poissons, leva les yeux au ciel et dit la bénédiction ; puis, rompant les pains, il les donna aux disciples qui les donnèrent à la foule. Tous mangèrent à satiété, et l’on ramassa le reste des morceaux : douze pleins couffins ! Or, à manger il y avait bien cinq mille hommes, sans compter les femmes et les enfants ». 8   Cf. Jean 6 : 1-14. 9   C’est-à-dire le sacrement de l’eucharistie. 10   Cf. Mat. 11 : 29.

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fede hem withe the brede of pride, of þe whiche synne of pride spekythe Prosper, De Vita Contemplatiua, and seythe there may no synne be donne witheowte pryde. And that he prevythe thus: when a synner dothe a dedely synne, then is he vnobedyent to God and to his commawndementis the whiche forbedythe all maner of synne. And when þu obeyeste not to Goddis commawndementis, þen þu, prowde [man] or woman, synneste in þe synne of pride. Of þe whiche seythe þe scripture: Inicium omnis peccati et causa perdicionis est superbia; ‘The begynnyng of all synne and þe cause of dampnacion of many synful sowlis is the synne of pride.’ And therfore take /285v/ ȝow to this vertu of mekenes and þat schall refressche ȝowre sowlis in everlastyng ioye, as thus: firste, remember þe of what filthe þu art made, and, moreover, þi synfull lyvyng ever haue in þi remembraunce, whether thi lyvyng be to þe plesure of God or no; then on the grevos and peynefull departyng, when the body and þe sowle schall parte atweyne, and how þe body schall be browȝte to the fowle erthe þat it cam of. And the sowle schall departe into everlastyng saluacion [or everlastyng dampnacion], and þe erþe schal haue thi fowle flessche, and God or the devyll thi sowle. And therfore seythe seynt Barnard: Homo nichil aliud est quam saccus stercorum et esca vermium; ‘A man as to the body is no þing ells but as it were a sakfull of dong or wormys mete.’ So then these maner of remembraunce of these thyngis afore-seyde scholde cawse the that art disposed in this synne of pride to fede þi sowle wythe this vertu of mekenes. But þu/286r/muste take this brede vnder asschis, þat is to sey, remember that þu art asschis and to asschis þu schalt turne aȝene. And þen maist þu sey wythe Dauid: Cinerem tanquam panem manducabam. The secunde bred þat I seyde ȝe scholde fede ȝow withe is the brede of charite, of the whiche seyth seint Paule, Ad Philipenses primo: Oro vt caritas magis ac magis abundet; ‘I pray to God that charite may increce more and more’ to the plesure of God and to þe saluacion of ȝowre sowlys. But sum delytiþe to ete the brede that Salamon spekythe of: Suauis est homini panis mendacij; ‘Lesyngis, bacbityngis and fals communicacions, sum pepyll etiþe and delytythe therein ful delicately.’ Owte of this [synne] of envy commethe detraccion and bacbytyng. Detrahere est deorsum trahere. Bacbityng is no more but to draw abak a

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avec le pain de l’orgueil, péché dont parle Prosper (De vita contemplativa)11 ; et il dit qu’aucun péché ne peut être commis sans orgueil. Et il le démontre ainsi : quand un pécheur commet un péché mortel, il désobéit à Dieu et à ses commandements qui interdisent toute forme de péché. Et quand tu n’obéis pas aux commandements de Dieu, alors, femme ou homme orgueilleuse, tu es dans le péché d’orgueil. Les écritures en parlent ainsi : Inicium omnis peccati et causa perdicionis est superbia ; « le commencement de tout péché et la cause de la damnation de nombreuses âmes pécheresses est le péché d’orgueil »12 (22-36). Ainsi dois-tu t’appliquer à cette vertu d’humilité, qui restaurera ton âme dans la joie éternelle, de cette manière : premièrement, souviens-toi de la matière impure dont tu es fait ; de plus, garde toujours ta vie de pécheur dans ton souvenir, que cette vie s’accomplisse selon le plaisir de Dieu ou non ; [rappelle-toi] ensuite le douloureux et triste départ, lorsque le corps et l’âme se séparent et que le corps revient à la poussière dont il est venu. Et l’âme partira vers le salut éternel [ou vers la damnation éternelle] ; et la terre récupérera ta faible chair, et Dieu ou le diable ton âme. Ainsi dit saint Bernard : Homo nichil aliud est quam saccus stercorum et esca vermium ; « le corps d’un homme n’est rien d’autre qu’un sac d’excréments ou de la nourriture pour vers »13 (37-47). Ainsi, le souvenir de ces choses évoquées ci-dessus devrait-il t’inciter, toi qui es disposé au péché d’orgueil, à nourrir ton âme avec cette vertu d’humilité. Mais tu dois prendre ce pain sous les cendres, c’est-à-dire que tu dois te souvenir que tu n’es que cendres et que tu redeviendras cendres. Ainsi peux-tu dire avec David : Cinerem tanquam panem manducabam14 (48-53). Le second pain avec lequel je vais vous nourrir est le pain de charité, dont parle saint Paul. Ad Philipenses primo : Oro ut caritas magis ac magis abundet ; « je prie Dieu que la charité puisse s’accroître encore et encore » pour le plaisir de Dieu et le salut de vos âmes15. Mais certains se délectent en mangeant le pain dont Salomon parle : Suauis est homini panis mendacii ; « les mensonges, les calomnies et les fausses paroles, certaines personnes en mangent et s’en délectent avec délices »16. C’est du fait de ce [péché] d’envie que l’on s’adonne à la calomnie et à la médisance. Detrahere est deorsum trahere17. La médisance n’est rien d’autre que la mise à terre 11

  L’attribution de ce texte à Prosper d’Aquitaine (théologien du Ve siècle) est rejetée par les érudits. 12   Cette citation est proche d’un extrait de la Summa de vitiis de Guillaume Perault († 1271). 13   Pseudo-Bernard, Meditationes Piissimae, ch. 3, PL 184.490B. 14   Cf. Ps. 101 : 10 : « La cendre est le pain que je mange ». 15   Cf. Phil. 1 : 9. 16   Prov. 20 : 17. 17   Hervé de Bourg-Dieu († 1150), Expositio in Epistolam ad Romanos, ch. 1, PL 181 : 617A.

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mans good name, of the whiche seythe Salamon: Non comedas cum homine inuido, et ne desideres cibos [eius]; ‘Ete þu not wythe an envius man ne desyre none of hys mete.’/286v/For when an enuyose man fallythe owte withe malyce into bacbityng, then hathe he fowle and myschevos wordys of slawnderyng of his evencristen. Wherfore Criste seythe in the gospell of Mathew: Ve homini illi, per quem scandalum venit; ‘Woo be to hym by whome the slawnder commethe.’ Þerfore I avyce the, þu that art disposed in these fowle synnes of envy, bacbytyng and slawnderyng, voyed hem clene owte of thi sowle and fede the fast vpon the brede of charite. For seint Paule seythe, Ad Corinthios tercio decimo: Tanta est caritas, si desit, frustra habentur [c]etera; si assit, recte habentur omnia; ‘Charite is so hye and so excellent a vertu of hymselfe that and he feyle, all other vertues are but idyll and in veyne. And there as he is, all other vertues ben ryȝtwysly rewlyd and disposed.’ The therde brede is þe brede of compassion and mercy þat a man scholde haue on his evencristen, and specially on them that stondythe in grete necessite and nede. Of the whiche/287r/seythe the scripture: Date elimosinam: et ecce omnia munda sunt vobis; ‘Gyfe almus, and so all ȝowre synnes schall be wassched clene awey frome ȝow.’ But these covetose pepyll, they haue litill pyte or non vpon the pore pepyll. Seynt Paule rehersithe, Ad Ephesios quinto capitulo, Hoc autem scitote: quod omnis auarus, quod [est] ydolorum seruitus, non habet hereditatem in regno Christi et Dei; ‘Wete ȝe this, þat every man covetose that servithe to mawmentis hathe none erytage in the kyngdome of Criste.’ For þu, couetose creature, that settiþe thi hert and thi mynde more vpon thi riches then þu doiste vpon almyȝti God, then worschepiste þu fals goddys þe whiche wyll dysceyve the at the laste. After the discrypcion of seynt Austen, he seythe a covetose man or a covetose woman settythe all his mynde specially rememberyng ever how he may cum to riches of the worlde. And when he hathe it, þen he stodyethe the menys to gete more and /287v/ to kepe that he hathe. And ever he is aferde of thevys, lest he scholde be robbyd. And litill or nowȝte he wyll departe to þem that stondiþe in necessite and nede; and if he dele eny þing, it schal be in makyng of gret festis to þem þat be as riche as he, or richer. Thowȝe þe pore man dye for hunger and cold, he rekiþe not ne

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de la réputation d’un homme, ce dont parle Salomon : Non comedas cum homine inuido, et ne desideres cibos ; « ne mange pas avec un homme envieux et ne désire pas sa nourriture »18. Car lorsqu’un homme envieux tombe par malice dans la médisance, il prononce alors des paroles de méchanceté fausses et mauvaises vis-à-vis de ses congénères. Et le Christ dit dans l’évangile de Matthieu : Ve homini, illi per quem scandalum venit ; « malheur à celui par qui le scandale arrive »19 (54-69). Ainsi vous conseillerai-je, à vous qui avez une inclination pour ces horribles péchés de l’envie, de la médisance et de la calomnie, de les purger de votre âme et de la nourrir avec le pain de charité. Car saint Paul dit, Ad Corinthios tercio decimo : Tanta est caritas, si desit, frustra habentur cetera ; si assit, recte habentur omnia ; « la charité est vertu si élevée et si excellente par elle-même que si elle échoue, toutes les autres vertus ne sont qu’inutiles et vaines. Mais si elle est là, toutes les autres vertus sont justement réglées et bien en place »20 (70-76). Le troisième pain est le pain de la compassion et de la miséricorde qu’un homme doit avoir pour son semblable, et particulièrement pour ceux qui sont dans la nécessité et le besoin. Les écritures disent à ce sujet : Date elimosinam : et ecce omnia munda sunt vobis ; « faites des dons, et vous serez nettoyés de vos péchés »21. Mais les gens avides n’ont pas ou peu de pitié envers les pauvres. Saint Paul l’explique, Ad Ephesios quinto capitulo : Hoc autem scitote : quod omnis auarus, quod est ydolorum seruitus, non habet hereditatem in regno Christi et Dei ; « Sachez cela : l’homme avide qui sert des idoles n’aura pas à l’héritage dans le royaume du Christ »22. Car toi, la créature avide, qui fixe ton cœur et ton esprit sur tes richesses plus que sur Dieu tout puissant, tu adores de faux dieux qui te tromperont en fin de compte (77-89). Selon l’interprétation de saint Augustin, un homme ou une femme avide porte surtout son esprit à considérer la manière dont il peut parvenir aux richesses de ce monde. Et quand il les possède, il étudie les moyens d’en avoir davantage et de conserver ce qu’il a. Et il craint toujours les voleurs, de peur d’être cambriolé. Et il ne se sépara d’aucune d’entre elles (ou de très peu) en faveur de ceux qui sont dans la nécessité ou dans le besoin ; et s’il dépense quoique ce soit, c’est pour faire de grandes fêtes pour ceux qui sont aussi riches, ou plus riches que lui. Bien que le pauvre meure ou de 18

  Prov. 23 : 6.   Mat. 18 : 7. Sur l’importance des péchés de langue à la fin du Moyen Âge, voir C. Casagrande et S. Vecchio, Les péchés de la langue. Discipline et éthique de la parole dans la culture médiévale, Paris, 1991. 20   En fait, voir Augustin, In Ioan. Evang. tract 9, pars 8 ou Pierre Lombard, Sententiae, l. 3, dist. 23, ch. 9, PL 192 : 807. 21   Luc 11 : 41. 22   Cf. Eph. 5 : 5. 19

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mornythe not for hym. He lokethe after grete reverens. Woo is þat pore man þat hathe grete nede to many þat hathe riches, for and þe pore man schold haue eny þing of þe riche man, he muste cum many tymes þerfore and gyfe grete attendaunce in so moche he muste bye it dere withe his grete attendaunce. Þen þe riche man, and he may, he wil begyle þe pore man. Þe pore man is indewyd withe hevynes, þe riche man withe gladnes; þe pore man is in aduersite, þe riche man in prosperite; þe pore man is indewyd withe poverte, þe riche man withe grete riches; þe pore man is litill set by, þe riche man is moche preysid; þe pore man is fede withe herd fare, þe riche man withe delicius metis and drynkis; the pore man goþe nakyd, þe ryche man ryally/288r/clothed. But the worste of all is a[t] þer departyng; parauenture, þe riche man procedythe to peyne and þe pore man to ioye. Then may þe riche man sey: Transmisit in affectu cordis. And þerfore seiþe Dauid in þe Sawtur: Neque descendit cum eo gloria eius. Þis is certen, þu riche man, when þu schalt passe hens, þu schalt not haue all þi ioyes withe þe. And þerfore I cowncell þe þat þu dispose þi riches or þu passe hens to þe plesure of God, þat it may be to þe saluacion of þi sowle. And þen schalt þu be fede withe eternall ioyes of heven, as Dauid rehersithe: Labores manuum tuarum qui[a] manducabis; ‘Then schalt þu be fedde in everlastyng ioyes withe the almusdedys that þu dyddiste withe þine hondys.’ The fowrte brede þat ȝe schal fede ȝour sowlis withe I seyd is þe blissed sacrament of penaunce, of þe whiche rehersiþe our sauiour Ihesu in þe gospell of Mathew, Mathei quarto: Agite penitenciam et appropinquabit regnum celorum; ‘Do penaunce for ȝour synne and þe kyngdom of heven is ȝowrs.’ But be ware, fede ȝow not as it is seyd in scripture, Sapiencie tercio: Venite, fruamur bonis, et in iuuentute vino precio[so]/288v/coronemus nos. ‘[Com ȝ]e and gyfe vs to lustis and likyngis, and lete vs vse in our ȝowþe good metis and drynkis and precius cloþing; over all þingis lete vs vse myrthe and be gladly disposed.’ Þis is not þe very perfite menys to cum to heven, for and þu wylt opteyne þe ioyes celestiall, þen muste þu do penaunce withe contriscion of hert and confescion of mowþe so effectually þat þu mayst sey withe Dauid: [Erunt] lacrime mee panes die ac nocte; ‘My teerys of penaunce schall be my bred boþe day and nyȝte.’

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froid, il s’en moque et ne pleure pas pour lui. Il recherche une grande reconnaissance. Malheureux est le pauvre qui a grand besoin de celui qui possède des richesses ; car, s’il espère obtenir quelque chose de l’homme riche, il doit venir à de nombreuses reprises et donner beaucoup d’attentions jusqu’au point où il doit le payer cher. De fait, l’homme riche trahit le pauvre. Ce dernier n’est doté que de peines, alors que le riche [est doté] de joies ; le pauvre est dans l’adversité, alors que le riche est dans la prospérité ; le pauvre est doté de la pauvreté, alors que le riche l’est de grandes richesses ; le pauvre est peu considéré, et le riche est fort prisé ; le pauvre ne se nourrit que d’aliments simples, et le riche de nourritures et de boissons délicieuses ; le pauvre va nu, le riche est somptueusement habillé (90-108). Mais le pire survient lors de leur départ ; car alors, le riche se retrouve dans la peine et le pauvre dans la joie. Alors le riche peut dire : Transmisit in affectu cordis23. Ainsi dit David dans le Psautier : Neque descendit cum eo gloria ejus 24. Cela est certain : toi le riche, quand tu trépasseras, tu n’emporteras pas tes plaisirs avec toi. Aussi, je te conseille de disposer de tes richesses de façon acceptable aux yeux de Dieu avant de mourir, pour le salut de ton âme. Ainsi seras-tu nourri des joies éternelles du ciel, comme David l’explique : Labores manuum tuarum qui manducabis ; « Ainsi serastu entretenu dans les joies éternelles avec les mêmes aumônes que tu as faites de ta main »25 (109-118). Le quatrième pain que j’ai évoqué, avec lequel tu nourriras ton âme, est le sacrement béni de la pénitence, que notre sauveur Jésus explique dans l’évangile de Matthieu, Mathei quarto : Agite penitenciam, et approprinquabit regnum celorum ; « Faites pénitence pour vos péchés et le royaume du ciel sera vôtre »26. Mais prenez garde à ne pas vous nourrir comme il l’est dit dans les Ecritures, Sapience tercio : Venite, fruamur bonis et in iuuentute vino precioso coronemus nos. « Venez donc, adonnons-nous aux plaisirs et aux délices, usons dans notre jeunesse de bonne chair, de [délicieuses] boissons et d’habits précieux » ; pour toutes choses, jouissons des plaisirs et soyons bien disposés27. Ce n’est pas vraiment une manière parfaite de parvenir au ciel, car si tu veux obtenir les joies célestes, tu dois faire pénitence avec la contrition de cœur et la confession de bouche, afin que tu puisses dire effectivement avec David : Lacrime mee panes die ac nocte ; « mes larmes de repentir seront mon pain nuit et jour »28 (119-131).

23

  Cf. Augustin, Enarr. In Psalmos 141, pars 2, l. 1.   Cf. Ps. 48 : 18 : « [À sa mort, il n’en peut rien emporter], avec lui ne descend pas sa gloire ». 25   Ps. 127 : 2. 26   Cf. Mat. 3 : 2. 27   Cf. Sag. 2 : 6-8. 28   Ps. 41 : 4. 24

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The v th glorius foode þat ȝe schal fede ȝow withe is þe blissed sacrament on þe auter, of þe whiche seiþe Crist in þe gospell of Iohn: Qui manducat carnem meam et bibit meum sanguinem indigne, reus erit corporis et sanguinis Domini; ‘Whoso’, he seiþe ‘þat etiþe my flessche and drynkeþe my blod vnworthily, he schal be gilty of þat bodi, boþe flesche and blod, for he þat resceyviþe þat precius Lord in forme of brede vnworþili, he schall [never be þe creature þat schall be savyd by þe passion of Criste ne he schall] not be þe child of saluacion.’ And therfor seythe seynt Paule: Probet autem seipsum homo: et sic de pane illo edat, et de calice bibat. / L124v/’Every man preve hymselffe’, he seythe ‘þat he be worthy to ete þat brede and drynke þat bloode’, þat is to sey þat a man be inwardly in his sowle holy and clene witheowte eny fowle spot of/125r/dedely synne, and þen mayste þu well and worthily resceyve that blessid body of owre Lorde. But in this þu muste be well ware of þe false subgestions of þe devyl. That is to sey, if there cum eny wickyd temptacion to þe of the fende by þe whiche þu semyst be thy foly þat it scholde not be þe very body of Criste, þen it commyþe frome þe devyll. And þat I may preve by a glorius exsampyl in the sermons of seynt Gregory þe whiche he made in grete worchyp of þe blessid sacrament on the awtyr (and it was also one of the cawses why þat the holy feste of Corpus Christi was firste ordende and fownde), and seyde þus. There was some tyme a woman, and sche was ever in perfit beleve on the blessid sacrament on þe awter, and ever sche had in hyr prayers to the blessid sacrament þis maner of sayng: ‘O þu blessid Lorde Ihesu/125v/Crist, very flessche and bloode in forme of brede.’ Þen consideryng þe fende how stedfastly þat sche was sett in þe feiþe of Criste, and also of the sayng of hyr gracius wordis to þe sacrament, wherefore he had grete envy to þis woman. And so it befell in þe begynnyng of Lent þat þis woman went to þe chyrche to be schreven. And as sche enterid at þe chyrche style þe devill came to hyr in the lykenes of the holy-watyr clerke of þe chirche and seyde to hyr, ‘Woman, whydyr goiste þu?’ And sche seyde: ‘I go to þe chyrche to be schreven of my synnys þat I may be abyll and worþi to resceyve at Ester my saviowre Ihesu Criste his flessche and his blode in forme of brede.’ But then the devill was woode and angry and seyde: ‘Þu arte but a foole, for I knowe more þen þu. Am not I the paressche clerke of the chirche? For to sey that it is as þu sayste, it is not so, and þat I wyll make a/126r/large preve before the. Loke when þu haste take þat brede of þe preste on Ester Day þat þu bring it home, and þen schalt þu see verely

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Le cinquième pain glorieux avec lequel je vous nourrirai est le sacrement béni de l’autel dont parle le Christ dans l’évangile de Jean : Qui manducat carnem meam et bibit meum sanguinem indigne, reus erit corporis et sanguinis Domini ; « Celui qui mange ma chair et boit mon sang de manière indigne, il sera coupable vis-à-vis de ce corps – sa chair et son sang ; car celui qui a reçu ce Seigneur précieux sous forme de pain de manière indigne, ne sera jamais la créature sauvée par la passion du Christ ni l’enfant du salut »29. Et saint Paul dit ainsi : Probet autem seipsum homo : et sic de pane illo edat, et de calice bibat. « Chaque homme se prouve à luimême qu’il est digne de manger ce pain et de boire ce sang »30 ; c’est-à-dire, un homme peut être intérieurement, dans son âme, saint et pur de toute trace de péché mortel et il peut alors recevoir le corps béni de notre Seigneur. Mais en cela, tu dois être bien averti des fausses suggestions du Diable : c’est-à-dire que s’il te vient quelque tentation mauvaise et diabolique par laquelle il te semblerait follement que ce n’est pas vraiment le corps du Christ, cela vient bien du Diable (132-148). Cela, je peux le prouver par un bel exemple issu des sermons de saint Grégoire, qu’il a faits en grande vénération du sacrement béni de l’autel (c’est aussi une des causes par laquelle la sainte fête du corpus christi fut en premier lieu ordonnée et fondée31) ; il parle ainsi32. Il y eut, il y a longtemps, une femme qui était dans la parfaite croyance du sacrement béni de l’autel et qui s’exprimait toujours de cette manière dans ses prières au sacrement béni : « Ô Jésus Christ, seigneur béni, véritable chair et sang en forme de pain ». Le démon considéra alors la manière bien nette dont était fixée sa foi, ainsi que l’expression de ces gracieuses paroles envers le sacrement, et il en conçut une grande jalousie à l’égard de cette femme (149-159). Ainsi arriva-t-il qu’au début du Carême, cette femme alla à l’église pour être absoute. Et lorsqu’elle arriva au seuil de l’église, le diable vint à elle sous la forme du clerc [préposé] à l’eau bénite de l’église et il lui dit : « Femme, où vas-tu ? » Et elle répondit : « Je vais à l’église pour être lavée de mes péchés afin de pouvoir être apte et digne de recevoir à Pâques la chair et le sang de mon sauveur Jésus Christ sous forme de pain ». Alors le diable fut en colère et enragé, et dit : « Tu es folle et j’en sais plus que toi. Ne suis-je pas le clerc de paroisse de cette église ? Car il n’en va pas comme tu l’as dit, et je vais te le prouver largement. Lorsque tu auras pris le pain du prêtre le jour de Pâques et que tu le rapportes à la maison, tu verras bien que ce 29

  Cf. 1 Cor 11 : 27 et Jean 6 : 54-58.   1 Cor 11 : 28. 31   La fête du corpus christi fut instituée en 1264 et se développa de manière importante au XIVe siècle. Elle a contribué à asseoir l’importance du culte de l’eucharistie. 32   Le prédicateur introduit ici un exemplum, bref récit destiné à capter l’auditoire (voir Brémond, Le Goff et Schmitt, L’exemplum, op. cit. 30

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that it is but brede and noþer flessche ne blode, as þu sayste.’ Wherevpon þe woman gafe grete credens to þe fende and þowȝte it scholde be so as he withe his falsenes had informyd hyr. Notwithstondyng ȝit sche went into þe chyrche [to hyr gostly fadur] and made a cowntenaunce of holynes; but sche thowȝt oþerwyse, and so contenewyd till Ester Day was come. And when sche had resceyvid þat blessid sacrament, sche kepte it prevely and browȝt it home to hir place hole and sownde. And then to hyrselffe sche seyde: ‘Now sothely I wolde þat þe clerke were here þat I myȝte see þis prevyd þat it is not so as holy chyrche haþe tawȝt me.’ But in certeyne, anon as sche had seyde these wordis, þe fende cam to hyr in þe lykenes afore-sayde. /126v/ Þen anone seyde sche: ‘Let me se what prefe þat þu canste make þat þis is not þe very flessche and blood of Crist.’ And þerewythe þe devyll toke hyr a knyfe and bad hyr smyte it or cut it in two ‘And þen schalte þu see that it is but brede.’ ‘Nay’ seyd sche, ‘cut it þiselffe.’ Þen seyde þe devill: ‘If I scholde do þat dede myselfe, þu wilt sey þat þere is some wylis or some sotelteis in me, if it com not to þe conclucion as we spake of before.’ The intent of his wordis was for þis cawse: he had no powere to make so large a profyr, and therfore he bad þe woman not spare but cut it atwo. And þen sche dyd acordyng as þe fende bad hyr. And withe the stroke þat sche stroke, sodenly there stode vp a lytyll childe as it had ben a ȝere of age. And in every honde and foote and [in] his syde he had a grete wounde, and ever þe woundis blede. And þe childe lokyd as pituosly vpon hyr/127ar/as who seythe: ‘Þu haste hurt me sore.’ Wherfore þe woman cryed lowde, and withe grete lamentacion sche seyde to þe fende: ‘Alas, þu cursyd creature! What haste þu made me to do? For ever I haue had my feythefull beleve in þe blessyd Lorde Ihesu Criste his flessche and his bloode in forme of brede. And for þis dede that I haue done, now schall I be dampnyd.’ ‘Nay! Certen’, seyde þe fende, ‘and þu wilt take þe same knyfe and smyte þiselffe to the herte, þen schalt þu be saffe, or els þu arte but dampnyd.’ ‘Why! Trowyste þu’, seyde sche, ‘if I do so that I may be savyd?’ ‘Ȝee, certen’ seyde he. ‘Now forsoþe’, seyde sche, ‘I had lever styke myselfe to the herte withe þis knyfe raþer þen my sowle scholde peressche for þis myschevos dede.’ And therewithe sche purposyd to smyte hyrselfe to þe herte withe þat knyfe. And sodenly þat blessyd Lorde in þe lickenes of a chylde withe a lawȝyng/127av/chere toke the woman by the honde and helde hyr so fast þat sche myȝt not bryng hyr purpose abowte. And then þe good Lorde commawndyd the fende to passe to þe peynes of hell. And anone þe devyl voyded frome thens and bare awey an ende of þe howse withe hym. And then came in moche pepyll and saw this same syȝte, and ever þe good Lorde stode styll in þe same symylytude

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n’est que du pain et non de la chair et du sang, comme tu l’as dit ». Là-dessus, la femme prêta grand crédit au démon et pensa que ce devait être comme sa fausseté l’en avait informée. Néanmoins, elle entra dans l’église [voir] son père spirituel en se donnant une apparence de sainteté, mais elle pensait autrement et continua ainsi jusqu’à la venue du jour de Pâques (160-175). Et lorsqu’elle eut reçu le sacrement béni, elle garda par devers elle et le rapporta à la maison en entier. Et elle se dit alors : « En vérité, j’aimerais que ce clerc soit là afin qu’il puisse me prouver qu’il n’en est pas comme la sainte Église me l’a enseigné ». Et certainement, aussitôt qu’elle eut prononcé ces paroles, le diable vint à elle sous la même apparence qu’auparavant. Alors elle dit : « Voyons quelle preuve tu peux me donner que ce n’est pas la propre chair et le propre sang du Christ ». Sur quoi le diable prit un couteau et lui ordonna de le couper en deux. « Et tu verras alors que ce n’est que du pain ». « Non, dit-elle, coupe le toi-même ». Alors le diable dit : « Si je faisais cela moi-même et que cela n’en venait pas à la conclusion dont nous avons parlé, tu dirais qu’il y a quelque piège ou quelque tromperie en moi » (176-187). La signification de ces paroles était liée à cette cause : il n’avait pas le pouvoir d’effectuer un si grand effort, et il ordonna donc à la femme de ne pas l’épargner mais de le couper en deux. Et elle agit alors comme le démon le lui avait ordonné. Et lorsqu’elle eut frappé, surgit soudainement un petit enfant qui avait l’air d’avoir un an. Et ses mains et ses pieds portaient une grande blessure, et ces blessures saignaient toujours. Et l’enfant la regarda misérablement en ayant l’air de dire : « tu m’as durement blessé ». Alors, la femme pleura très fort et elle dit au démon en se lamentant grandement : « Hélas, créature maudite ! Que m’as tu fait faire ? Depuis toujours, j’ai fidèlement cru en notre Seigneur béni JésusChrist et à sa chair et son sang en forme de pain. Et pour l’action que j’ai commise, je serai maintenant damnée ! » « Non ! Certes non, dit le démon. Si tu prends ce même couteau et que tu te frappes toi-même au cœur, tu ne seras pas damnée ». « Vraiment ! Crois-tu, dit-elle, que je serai sauvée si j’agis ainsi ? » « Oui, certainement », dit-il. « En vérité, dit-elle, je préférerais me percer le cœur avec ce couteau que [de voir] mon âme périr pour cette horrible action ». Et elle entreprit alors de se percer le cœur avec ce couteau. Mais soudainement, le Seigneur béni à l’apparence d’un enfant, avec un rire joyeux, prit la femme par la main qui tenait le couteau et la tint si fort qu’elle ne put accomplir son objectif (187-207). Et alors, le bon Seigneur ordonna au démon de s’en aller dans les agonies de l’enfer. Et le démon s’enfuit en emportant une partie de la maison. Et beaucoup de gens arrivèrent et virent cela, et le bon Seigneur se tenait calmement, avec la même apparence décrite plus haut. Et le curateur de

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afore-seyde. And þen cam in the curate of þe chyrche, and by a sovereyne commawndement he cawsid moche pepyll for to come thedyr. And withe grete reverence he toke vp þis glorius Lorde in a solempne procession and so browȝte þe good Lorde to the chirche. And þe woman folowyd aftyr withe grete contriscion, cryyng to God for mercy. And anone in the syȝte of all pepil, þe blessid Lorde turned into þe forme of brede aȝene, and withe þe same glorius oste sche was howselyd /G250/and so sche resceyvyd hym to hyr everlastyng saluacion. And þerfore if eny wickyd temptacion come to þe by eny vngoodly menys, anone voyde þem clene owte of þi mynde. For þu knowist well be reson, and if þere com a byrde flyyng thorowȝe þine howse, þu can not lett hym by no menys; but ȝit þu mayste lett hym þat he schall not belde in þine howse but if þu lyst þiselffe. So in lyke wyse, if eny wyckid temptacion com to [þe] by þe dysceyvabyll trappis of þe devyll, in no wyse suffyr not hem to reste in þi sowle lest [þei] bring forthe þe byrdis of many wyckyd dedis. Þerfore leyve all soche vyce and take ȝow to vertuesnes, and so schal ȝow come to þe ioyes everlasting, et cetera.

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l’église arriva, et par un commandement souverain, il fit s’avancer les gens. Et avec une grande révérence, il conduisit ce Seigneur glorieux dans une grande procession et amena le bon Seigneur à l’église. Et la femme suivit avec une grande contrition, suppliant Dieu de sa miséricorde. Et alors que tous le voyaient, le Seigneur béni se transforma à nouveau en pain, et avec la même gloire, l’hostie fut administrée [à la femme] qui la reçut pour son salut éternel (208-19). Et donc, si quelque mauvaise tentation te vient par des moyens dénués de bonté, nettoie-là de ton esprit. Car tu le sais bien, par la raison : si un oiseau vole dans ta maison, tu ne peux l’empêcher en aucune manière ; mais tu sauras l’empêcher de construire son nid dans ta maison, sauf si tu l’acceptes. De même, si une mauvaise tentation te vient par les pièges trompeurs du diable, ne souffre en aucune manière qu’ils restent dans ton âme, sous peine qu’ils apportent les oiseaux de nombreuses mauvaises actions. Ainsi, laisse là de tels vices et applique toi à la vertu, et ainsi arriveras-tu aux joies éternelles, et cetera (220-28).

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Sermon lollard n°48 Ce texte fait partie d’un cycle de 294 sermons composé probablement dans les dernières décennies du XIVe siècle ou au tout début du XVe siècle par un ou des lollards anonymes1. Ce cycle couvre toute l’année et les fondements en sont les Évangiles et les Epîtres. Les lollards étaient extrêmement attachés à la prédication qu’ils considéraient comme la tâche essentielle des trewe prestes – les vrais prêtres, la seule tâche qui possède une réelle légitimité en fait. Mais selon leurs éditrices, ces sermons étaient probablement avant tout destinés aux laïcs. La forme en est relativement traditionnelle ; en tout cas, ce ne sont pas des sermons académiques comme celui de Thomas Wimbledon2. Ils ont fait l’objet d’une production organisée, de même que toutes les autres grandes entreprises lollardes (en particulier la traduction de la Bible). Le sermon présenté ci-dessous évoque la question des bons et des mauvais pasteurs, et constitue une virulente attaque anticléricale contre les religieux en général et contre les ordres mendiants en particulier.

1

  English Wycliffite Sermons, éd. A. Hudson et P. Gradon, 5 vols, Oxford, 1983-1996, vol. 1, p. 438-442. 2   Voir ci-dessus, p. 255.

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Dominica ii post Pascha. Euangelium. Sermo 48 1 Ego sum pastor bonus. lohannis 10. 2

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Crist telluþ in þis gospel þe maneris of a good herde, so þat herby we may wyten how owre herdis faylen now. And defawte of syche herdys is moste perele in þe chyrche for, as ryȝt offis of hem schulde moste bringe men to heuene, so defawte in þis offis draweþ men moste to helle. Crist telluþ of hymself how he is a good herde. For he is þe beste herde þat mankynde may haue, for he is good by hymself and many no weyȝe defayle, for he is boþe God and man, and God may no weye synne. And þus we han þe mesure to knowen a good herde and an yuel, for þe more þat an herde is lyȝk to Crist he is þe betture, and þe more þat he straungeþ from hym he is þe worse in þis offys. And eft whan Crist haþ ȝyue þe mesure for to knowe goode herdys he telluþ þe hyest proprete þat falluþ to a good herde: a good herde, as Crist seiþ, putteþ his lyȝf for hise schep, for more charite may noon haue þan to putte his lyf for hys frendis, and, ȝif he worchep wysly, for to brynge þese schep to heuene, for þus þe herde haþ moste peyne and þe schep moste profiȝt. þus may we see who is good herde and who fayluþ in þis offys. For as Crist putteþ wysly his owne lif for his schep, so anticrist putteþ prowdly manye lyues for his fowle liȝf; as, ȝif þe feend ladde þe pope to kylle manye þowsande men to hoolden his worldly state, he sewede anticristus maner. And, siþ þis proprete of heerde growndeþ charite in men, eche man schulde haue herof algatis more – or lasse, as he is fer fro þis maner þat wole not ȝyuen his worldly goodis to his schep or his breþren, whon þei han gret nede herto, for syche ben worse þan mannys lyf. And þus semon owre religiows to be exempte fro charyte, for, nede a man neuere so myche to haue help of syche goodis, ȝe ȝif þei han stonys or oþur iewelus þat harmen hem, þei wole not ȝyue suche goodys ne valuȝ of hem to helpe þer breþren, ne ceson to anoyen hemself in buyldyng of hiȝe howsys, ne to gedre suche veyne goodis ȝif hit do

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Ego sum pastor bonus (Johannis 10)3 Le Christ nous parle dans l’Évangile des caractères d’un bon pasteur, afin que nous puissions savoir comment nos pasteurs faillissent de nos jours. Et les défauts de ces pasteurs constituent un grand danger pour l’Église car, de même que leur juste office doit conduire les hommes au paradis, de même un manque dans cet office entraîne les hommes en enfer. Le Christ nous explique comment lui-même « est un bon pasteur ». Il est le meilleur pasteur que l’humanité a pu avoir, car il est bon par lui-même et ne peut échouer en aucune manière, parce qu’il est à la fois Dieu et homme. Et Dieu ne peut pécher en aucune manière. Ainsi, possédons-nous la mesure [qui permet] de distinguer un bon pasteur d’un mauvais, car plus un pasteur ressemble au Christ, mieux il est ; et plus il s’en éloigne, plus il est mauvais dans son office (1-10). De plus, le Christ a donné la mesure pour distinguer les bons pasteurs en nous parlant de la caractéristique la plus importante qui soit pour faire un bon pasteur : « un bon pasteur, dit le Christ, donne sa vie pour son troupeau » ; car il n’y a pas de plus grande charité que de donner sa vie pour ses amis et, en se comportant avec sagesse, de conduire son troupeau au paradis ; ainsi le pasteur a-t-il la plus grande souffrance et le troupeau le plus grand profit. Ainsi pouvons-nous voir qui est le bon pasteur et qui échoue dans son office. Car, alors que le Christ a donné sa vie pour son troupeau avec sagesse, l’antéchrist prend orgueilleusement de nombreuses vies pour sa propre vie folle ; ainsi, si le démon conduit le pape à tuer des milliers d’hommes pour conserver sa situation dans ce monde, c’est la voie de l’Antéchrist qui est suivie. Et puisque cette caractéristique du pasteur ancre la charité dans les hommes, ce que chaque homme reçoit en termes de charité dépendra de sa proximité à la volonté de distribuer les biens à son troupeau ou à ses semblables, lorsqu’ils éprouvent le besoin, car ceuxlà se trouvent dans une situation indigne de la vie d’un homme (11-24). Ainsi, certains de nos religieux manquent-ils de charité  ; car si un homme a besoin de quelque bien pour l’aider, [ces religieux], s’ils ont quelque pierre précieuse ou quelque bijou qui leur est une nuisance, ne donneront aucun de ces biens ou de choses de valeur pour aider leur prochain ; et ils ne cesseront pas de se nuire à eux-mêmes avec les constructions de leurs maisons, ou de rassembler de vaines richesses, alors que cela nuit 3

  Les citations bibliques du texte sont adaptées de Jean 10.

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harm to þer breþren. Syche auerowse men ben fer fro manerys of a good herde. And so þese newe religiows þat þe feend haþ tillud in, by colowr to helpe þe formere herdys, harmen hem manye gatis, and letten þis offys in þe chirche, for trewe prechyng and worldly goodys ben spuyled by such religiows. And herfore techeþ Crist to fleen hem, for þei ben rauyschynge woluys: somme wolen as brerus tere wolle of schep and maken hem coolde in charyte, and somme wolen sturdily as þornes slee þe schep of holy chirche. And þus is owre modyr schent for defawte of mennys help. And more mede myȝte no mon haue þan to helpe þis sory wydwe, for prynces of prestus and pharisees þat calluden Crist a gylour han crochyd to hem þe chesyng of manye herdys in þe chirche, and þei ben taȝte by anticrist to cheson hise herdys and not Cristis. And þus fayluþ Cristus chyrche. Lord! siþ herdys schulden passe þer schep as men passen bletynge schep, how schulde Cristus chirche fare ȝif þese herdys weron turnede to wolues? But Crist seiþ þat þus hit faruþ among þe herdys of þe chyrche, þat mony of hem ben huyrude hynes and not herdys ouer þe schep, for þe schep ben not þer owne and so þei louen to luytel þe schep. For, ȝif þei han þer temporal huyre, þei recke not how þer floc fare. And þus doon alle þese curatowres þat tellen more by worldly wynnyng þan by vertewys of þer sugetis, or sowle heele to come to heuene. Syche be not herdys of schep but of donge and wolle of hem, and þese schal not haue in heuene ioye of þe schep þat þei kepon. Syche hynes seen wolues comynge to flockes þat þey schuldon kepe, and þei fleen for drede of nowht. And þese wolues rauyschen þese schep and scateron hem for þis eende þat þanne þei may sonnere perische. And þis meuede Powle to fownde noon ordre, for Cristes ordre is ynow, and þanne schulden alle cristone men be more surly in o floc. Lord! ȝif coowardyse of suche hynen be þus dampnyd of Crist, how myche more schulden wolues be dampnyde þat ben put to kepe Cristus schep? But Crist seyþ a clene cause why þis huyrede hyne fleþ þus: for he is an huyred hyne and þe schep pertene not to hym, but þe donge of syche schep, and þis donge sufficeþ to hym howeuere þe schep faren. Somme ben wolues wiþowteforþ, and somme

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à leur prochain. De tels hommes avides sont éloignés des manières d’un bon pasteur. Ainsi, ces nouveaux religieux4 que le démon a fait croître, sous couleur d’aider les pasteurs les plus anciens, nuisent-ils énormément et empêchent-ils cet office de bien fonctionner dans l’Église ; car la vraie prédication et les biens de ce monde ont été spoliés par de tels religieux. Le Christ apprend donc à les fuir, car ce sont des loups rapaces : certains vont, comme des ronces, mettre en pièce la laine du troupeau et refroidir la charité de ce dernier ; et certains vont, comme des épines, tuer violemment le troupeau de Sainte Église. Ainsi notre mère est-elle détruite faute de l’aide des hommes (24-36). Or, il n’y a pas de plus grande récompense que d’aider cette pauvre veuve, alors que les princes des prêtres et les pharisiens, qui ont appelé le Christ trompeur, ont pris possession du choix de nombreux pasteurs de l’Église – et l’antéchrist leur a appris à choisir ces pasteurs et non le Christ. Ainsi l’Église du Christ faillit-elle. Seigneur ! Puisque les pasteurs font traverser leur troupeau comme les hommes le font de leurs moutons bêlants, comment doit se comporter l’Église du Christ si ces pasteurs sont transformés en loups ? (37-43) Mais le Christ dit que parmi les pasteurs qui se comportent ainsi, beaucoup d’entre eux « sont des serviteurs gagés et non des gardiens de leurs troupeaux, car ce dernier ne leur appartient pas » ; ainsi n’aiment-ils pas suffisamment leur troupeau. Car tant qu’ils ont leur salaire matériel, ils ne se soucient pas de la manière dont le troupeau se comporte. Ainsi sont tous ces curateurs qui ont plus de considération pour les biens de ce monde que pour les vertus de leurs sujets ou pour le soin des âmes qui veulent aller au paradis. Ils ne sont pas gardiens des moutons mais de leurs déjections et de leur laine, et ils ne connaîtront pas au paradis la joie du troupeau qu’ils ont eu à garder. « De tels serviteurs ont vu les loups venir vers leurs troupeaux », qu’ils devaient garder, « et ils se sont enfuis », par peur du mal. « Et ces loups se sont emparés des moutons, et ils les ont dispersés », à cette fin que ces derniers périssent bien vite. Et cela a conduit Paul à ne fonder aucun ordre, car l’ordre du Christ est suffisant, et que les Chrétiens sont plus en sécurité dans un seul troupeau. Seigneur ! Si la lâcheté de tels serviteurs est condamnée par le Christ, combien de loups auxquels on a donné la garde du troupeau du Christ seront-ils encore condamnés  ? Mais le Christ donne la bonne raison pour laquelle « ces serviteurs gagés ont fui ainsi : car ce sont des serviteurs gagés et le troupeau ne leur appartient pas », hormis les déjections de ce troupeau ; et ces déjections leur suffisent, et ce quelle que soit la manière dont le troupeau se comporte (43-60). 4   Il s’agit des ordres mendiants, qui ont été fondés au XIIIe siècle, qui faisaient l’objet d’une attaque récurrente de la part des lollards.

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ben wolues wiþinne, and þese ben more perelowse, for homly enemyes ben þe worste. Yuele wolues ben religiouse þat Crist seiþ in Mathew book ben woluys rauyschyng, al ȝif þei comen in schep cloþus, for by þis ypocrisye þei disseyuen sonnere þe schep. And, al ȝif þeire dwellyng be wiþowte parisches of þese schep, and þei ben straunge and newe browt in by þe feend, ȝet þei forȝeton not to comen and visite þese schep; but comunly whan þei comen, þei comen moste for to spuyle. And þus doon generally boþe frerys, monkus and chanownes. But þei ben wolues wiþinne þat seyn þat þei han cures of sowles, and rauyschen goodis of þes schep and feedon hem not goostly, but raþere meuon hem to synne, and wake not in herdis offis. But Crist seiþ he is a good herde and knoweþ his schep and þei hym, for þe offys þat falluþ to herdys makiþ hym knowen among hem. `As my Fadur knew me and I aȝen knowe my Fadur, so,’ seiþ Crist, ‘1 putte my liȝf to kepe my schep aȝen wolues.’ And as þis knowyng myȝte not qwenche bytwixe Crist and his Fadur, so schulden þese herdys waken vpon þer schep, and þei schulden knowen hym, not by bodily feestis ne oþre synnys þat he doþ, but by þre offis of herde þat Crist haþ lymyted to hym. Hit falluþ to a good herde to ledon hise schep in hoole pasturis, and whanne hise schep ben hurte or scabbude to heelon hem and to greson hem, and whan oþre yuele bestys assaylen hem þanne helpon hem. And herto schulde he putte his 1iȝf to saue hise schep fro syche beestys. þe pasture is Godes lawe þat euermore is greene in trewþe, and roton pasture ben oþere lawys and oþre fables wiþowte grownd. And cowardise of suche herdys þat dar not defende Godis lawe witnessuþ þat þei faylen in two offisus sewyng aftyr: for he þat dar not for worldys dreede defende þe lawe of his God, how schulde he defendon his schep for loue þat he haþ to hem? And ȝif þei bryngon in newe lawys contrarye to Godis lawe, how schulde þei not faylen aftur in oþre offisus þat þei schulden haue? But Crist þat is heed of herdys seiþ þat he haþ oþre schep þat be not ȝet of þis floc, and hem mot he brynge togedre, and techen hem to knowen his voys. And so schal þer ben o floc and on herde ouer hem alle. þese schep ben heþene men or Iewes þat Crist wole conuerte, for alle þese schal maken o f loc, þe whiche f loc is hooly chirche, – but fer fro þis vndyrstondyng þat alle men schulle be conuertyde.

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Certains sont des loups extérieurement, certains sont des loups intérieurement, et ces derniers sont les plus dangereux, car les ennemis familiers sont les pires. Les mauvais loups sont les religieux, les loups rapaces dont parle le Christ dans le livre de Matthieu ; et ils viennent dans les habits du troupeau, car ils peuvent disperser plus rapidement ce dernier par cette hypocrisie. Et, alors que leur résidence ne se situe pas dans les paroisses du troupeau et qu’ils sont étrangers et nouvellement introduits par le démon, ils n’oublient pas de venir et de visiter le troupeau ; mais généralement, quand ils viennent, c’est pour spolier [le troupeau]. Et ainsi font généralement les frères, les moines et les chanoines. Mais ce sont des loups de l’intérieur qui prétendent avoir cure d’âme mais qui ravissent les biens du troupeau ; et ils ne le nourrissent pas spirituellement, mais le conduisent plutôt au péché ; et ils ne veillent pas à leur office de pasteur (60-71). Mais le Christ dit, « il est un bon pasteur et connaît son troupeau, et son troupeau le connaît », car l’office qui échoit aux pasteurs les fait connaître. « Comme mon père m’a connu et que j’ai connu mon père, dit le Christ, ainsi donné-je ma vie pour protéger » mon troupeau contre les loups. Et de même que cette connaissance du Père et du Fils ne peut s’éteindre, de même ces pasteurs devraient veiller sur leur troupeau et le connaître, non par des fêtes corporelles ou par d’autres péchés, mais par l’office de pasteur que le Christ lui a assigné. Un bon pasteur doit mener son troupeau dans tout le pâturage ; lorsque le troupeau est blessé ou irrité, il doit le soigner et lui appliquer des pommades ; et lorsque d’autres bêtes l’assaillent, il doit l’aider. Ainsi doit-il donner sa vie pour sauver son troupeau de telles bêtes (72-82). Le pâturage est la loi de Dieu, qui est toujours dans la verdeur de la vérité et les pâturages pourris sont les autres lois et les autres fables sans fondement. Et la lâcheté des pasteurs, qui n’osent pas défendre la loi de Dieu, témoigne du fait qu’ils ont échoué dans les deux offices qui en découlent : car celui qui n’ose pas défendre la loi de son Dieu à cause d’une crainte terrestre, comment peut-il défendre son troupeau avec l’amour qu’il a envers eux ? Et s’ils introduisent de nouvelles lois contraires à la loi de Dieu, comment peuvent-ils ne pas échouer dans leur autre office ? (83-95) Mais le Christ, qui est le chef des pasteurs, dit que « celui qui a des moutons qui ne font pas encore partie de son troupeau peut néanmoins les rassembler et leur apprendre à connaître sa voix. Ainsi n’y aura-t-il qu’un troupeau et un pasteur », pour eux tous. Ces moutons sont les païens ou les Juifs que le Christ va convertir, car tous ceux-là ne feront qu’un troupeau, lequel est la Sainte Église – mais on est loin de la compréhension du fait que tous les hommes doivent être convertis (83-95).

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Les Douze Conclusions des Lollards Ce texte ne nous est connu que par les ennemis des lollards1. Il est conservé dans une chronique (le Fasciculi Zizaniorum2) et dans un texte écrit pour réfuter ces conclusions par le dominicain Roger Dymmok, le Liber Contra duodecim errores et hereses Lollardorum3. Ces sources s’accordent (et elles sont confirmées par le chroniqueur Thomas Walsingham) sur le fait que ces conclusions auraient été placardées aux portes de Westminster Hall pendant la session du parlement de 1395 (fin janvier-début février). Walsingham ajoute qu’elles ont aussi été placardées à la porte de la cathédrale saint Paul de Londres. Il faut noter que, jusqu’en 1415, de nombreuses pétitions lollardes ont été présentées au parlement (ces pétitions constituaient un mode de communication politique important), ce qui prouve d’ailleurs une certaine implantation des lollards au sein des Communes (ou au moins une certaine sympathie de la part de ces dernières). Il n’est pas du tout certain que ces conclusions aient été formellement présentées, mais en tout cas, le simple fait de les placarder à cet endroit au moment d’une session parlementaire impliquait la volonté d’une publicité importante. Quoi qu’il en soit, ce tract présente les principales revendications des lollards, sous une forme simplifiée et propose une réforme de la société chrétienne sur de nombreux plans.

1

  Il est édité dans Selections from English Wycliffite Writings, éd. A. Hudson, Cambridge, 1978, p. 24-28. 2   Thomas Waldensis, Fasciculi zizaniorum magistri Johannis Wyclif cum tritico, éd. W.W. Shirley, Londres, 1858, rep. 1965. 3   Ed. H.S. Cronin, Londres, 1922.

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We pore men, tresoreris of Cryst and his apostlis, denuncyn to the lordis and the comunys of the parlement certeyn conclusionis and treuthis for the reformacioun of holi chirche of Yngelond, the qwiche hath ben blynde and leprouse many yere be meyntenaunce of the proude prelacye, born up with flatringe of priuat religion, the qwich is multiplied to a gret charge and onerous to puple her in Yngelonde. Qwan the chirche of Yngelond began to dote in temperalte aftir hir stepmodir the gret chirche of Rome, and chirchis were slayne be apropriacion to diuerse placys, feyth, hope and charite begunne for to fle out of oure chirche ; for pride with his sori genealogie of dedly synnes chalingith it be title of heritage. This cunclusiun is general and prouid be experience, custum and manere, as thu schalt herin aftir. The secunde conclusion is this. Oure usuel presthod, the qwich began in Rome, feynid of a powere heyere than aungelis, is nout the presthod the qwich Cryst ordeynede to his apostlis. This conclusion is prouid for the presthod of Rome is mad with signis, rytis and bisschopis blissingis, and that is of litil uertu, nowhere ensampled in holi scripture, for the bisschopis ordinalis in the newe testament ben litil of record. And we can nout se that the Holi Gost for oni sich signis yeuith oni yiftis, for he and his noble yiftis may not stonde with dedly synne in no manere persone. The correlary of this conclusion is that it is ful vncouth to manye that ben wise to se bisschopis pleye with the Holi Gost in makynd of here ordris, for they yeuen in caracteris in stede of whyte hartys, and that is the leueree of antecryst brout into holy chirche to colour ydilnesse. The thirdde conclusiun sorwful to here is that the lawe of continence annexyd to presthod, that in preiudys of wimmen was first ordeynid, inducith sodomie in al holy chirche ; but we excusin us be the Bible for the suspecte decre that seyth we schulde not nemen it. Resun ans experience prouit this conclusiun. For delicious metis and drinkis of men of holi chirche welen han nedful purgaciun or werse. Experience for the priue asay of suche men is, that thei like non wymmen ; and whan thu prouist sich a man mark him wel for he is on of tho. The correlary of this conclusiun is that the priuat religions, begynneris of this synne, were most worthi to ben anullid. But God for his myth of priue synne sende opyn ueniaunce.

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Nous, pauvres hommes, trésoriers du Christ et de ses apôtres, rapportons aux Seigneurs et aux communes du parlement certaines conclusions et vérités pour la réforme de la Sainte Église d’Angleterre, aveugle et lépreuse depuis de nombreuses années à cause du maintien d’orgueilleux prélats, soulevés par la flagornerie d’une religion exclusive, qui s’est développée pour devenir une grande charge très onéreuse pour le peuple d’Angleterre. (1-6) Quand l’Église d’Angleterre a commencé à se doter de biens temporels à la suite de sa belle-mère, la grande Église de Rome, et que les églises furent tuées par l’appropriation en divers lieux, la foi, l’espoir et la charité ont commencé à s’enfuir de notre Église. Car l’orgueil, avec sa triste généalogie de péchés mortels, la défie au titre de son héritage. Cette conclusion est générale et prouvée par l’expérience, la coutume et la manière, comme vous l’entendrez dans ce qui suit. (7-12) La deuxième conclusion est la suivante. Notre prêtrise habituelle, qui a débuté à Rome, a feint un pouvoir plus haut que celui des anges ; ce n’est pas la prêtrise que le Christ a ordonnée à ses apôtres. Cette conclusion est démontrée par le fait que la prêtrise de Rome est constituée par des signes, des droits et les consécrations des évêques ; cela est de peu de vertu, et l’on n’en trouve nul exemple dans les saintes écritures, car les règles concernant la nomination des évêques n’y sont pas consignées. Et nous ne voyons pas que le Saint Esprit a fait un don pour de tels signes, car lui et ses nobles dons ne peuvent coexister avec le péché mortel chez un homme. Le corollaire de cette conclusion est que, pour beaucoup de gens sages, il est bien étrange de voir des évêques jouer avec le Saint Esprit en constituant leurs ordres, car ils donnent comme insignes des pièces de monnaies4 au lieu des cerfs blancs, qui constituent la livrée de l’Antéchrist, introduite dans l’Église pour dissimuler la paresse. (13-24) La troisième conclusion, pénible à entendre, est que la loi de continence attachée à la prêtrise, qui a d’abord été ordonnée au dam des femmes, induit la sodomie dans toute la Sainte Église ; mais nous nous excusons en nous appuyant sur le décret biblique douteux qui dit qu’il ne faut pas le nommer. La raison et l’expérience prouvent cette conclusion. L’expérience concernant le comportement privé de ces hommes est qu’ils n’aiment pas 4

  Le terme crownys signifie aussi tonsure, ce qui constitue en fait un jeu de mot. Le cerf blanc était l’insigne de Richard II que portaient ses hommes et était censé représenter la pureté morale. Il y a donc ici une double ironie.

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The ferthe conclusiun that most hermith the innocent puple is this : that the feynid miracle of the sacrament of bred inducith alle men but a fewe to ydolatrie, for thei wene that Godis bodi, that neuere schal out of heuene, be uertu of the prestis wordis schulde ben closid essenciali in a litil bred that thei schewe to the puple. But wolde God that thei wolde beleue that the Doctour Euangelicus seyth in his Trialoge, quod panis materialis est habitudinaliter corpus Christi. For we suppose that on this wise may euery trewe man and womman in Godis lawe make the sacrament of the bred withoutin oni sich miracle. The correlari of this conclusiun is that if Christis body be dewid with euerlasting ioye, the seruise of Corpus Christi imad be frere Thomas is vntrewe and peyntid ful of false miraclis. And that is no wondir, for frere Thomas that same time, holding with the pope, wolde haue mad a miracle of an henne ey, and we knowe wel that euery lesyng opinli prechid turnith him to velanye that euere was trewe and withoute defaute. The fyfte conclusiun is this : that exorcismis and halwinge made in the chirche of wyn, bred and wax, water, salt and oyle and encens, the ston of the auter, upon vestiment, mitre, crose and pilgrimes stauis be the uerray practice of nigromancie, rathere thane of the holi theologie. This conclusiun is prouid thus : for be siche exorcismis creaturis been chargid to ben of heyyere uertu that here owne kynde, and we sen no thing of chaunge in no sich creature that is so charmid but be fals beleue, the whiche is the principal of the deuelis craft. The correlary of this that, if the bok that charmith hali waterspred in holy chirche were al trewe, us thinkis uerrily that holy water usid in holi chirche schulde ben the beste medicine to alle manere sykenesse : cuius contrarium experimur. The sexte conclusiun that mayntenith michil pride is that a kyng and a bisschop al in o persone, a prelat and a iustise in temperel cause, a curat and an officer in worldly seruise, makin euery reme out of god reule. This conclusiun is openly schewid, for temperelte and spirituelte ben to partys

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les femmes ; et lorsque tu rencontres un tel homme, retiens-le bien car il est l’un d’entre eux. Le corollaire de cette conclusion est que les religions exclusives, à l’origine de ce péché, sont dignes d’être éliminées. Mais Dieu, de par sa force face au péché secret, inflige une vengeance ouverte. (25-35) La quatrième conclusion, qui nuit à beaucoup de gens innocents est la suivante : le miracle feint du sacrement du pain induit presque tous les hommes à l’idolâtrie, car ils s’imaginent que le corps de Dieu, qui ne quittera jamais le Ciel par la vertu des mots des prêtres, est enclos par essence dans un petit pain, qu’ils montrent au peuple. Que Dieu veuille qu’ils acceptent de croire ce que le Doctor Evangelicus5 dit dans son Trialogus, quod panis materialis est habitudinaliter corpus Christi 6. Car nous supposons que de cette manière, chaque homme et femme fidèle à la loi de Dieu peut accomplir le sacrement du pain sans un tel miracle. Le corollaire de cette conclusion est que si le corps du Christ est doté avec la joie éternelle, le service du Corpus Christi établi par frère Thomas7 est sans vérité et orné de nombreux faux miracles. Et ce n’est pas une surprise car frère Thomas, au même moment, se tenant avec le pape, aurait voulu fait de la ponte d’un œuf de poule un miracle, et nous savons bien que chaque mensonge prêché publiquement transforme celui [qui prêche ainsi] en homme déshonoré, lui qui était auparavant constamment honorable et sans péché. (36-50) La cinquième conclusion est la suivante : les exorcismes et les consécrations du vin, du pain, de la cire, de l’eau, du sel, de l’huile et de l’encens, de la pierre de l’autel, des vêtements, mitres, crosses et des bâtons de pèlerins effectués à l’église, sont des pratiques de nécromancie plutôt que de la sainte théologie. Cette conclusion se démontre ainsi : avec de tels exorcismes, les créatures devraient être chargées d’une plus haute vertu que le reste de leur espèce, mais nous ne voyons pas de changement dans de telles créatures ainsi charmées, si ce n’est la fausse croyance, qui est la plus grande part de l’œuvre du diable. Le corollaire de cela est que si le livre qui charmait l’eau bénite utilisée dans la sainte église était assujettie à l’incantation, il nous semble réellement que l’eau bénite utilisée dans la sainte église serait la meilleure médecine pour toutes les sortes de maladies ; cuius contrarium experimur 8. (51-61) La sixième conclusion qui maintient beaucoup d’orgueil, est celle-ci : un roi et un évêque en une seule personne, un prélat et un juge dans une cause temporelle, un curé et un officier dans un service mondain, font que le royaume n’est pas dans un bon gouvernement. Cette conclusion est mon5

  C’est-à-dire John Wyclif.   « Que la substance du pain est habituellement le corps du Christ ». Cf. Trialogus, p. 266-277. 7   Il s’agit de saint Thomas d’Aquin qui a écrit la liturgie de cette fête instituée officiellement en 1264 et qui a pris une grande ampleur au XIVe siècle. 8   « Que le contraire de celui-là soit prouvé ». 6

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of holi chirche, and therfore he that hath takin him to the ton schulde nout medlin him with the tothir, quia nemo potest duobus dominis seruire. Us thinkith that hermofrodita or ambidexter were a god name to sich manere of men of double astate. The correlari is that we, procuratouris of God in this cause, pursue to this parlement that alle manere of curatis bothe heye and lowe ben fulli excusid of temperel office, and occupie hem with here cure and nout ellis. The seuenthe conclusiun that we mythtily afferme is that special preyeris for dede men soulis mad in oure chirche preferryng on be name more than anothir, this is the false ground of almesse dede, on the qwiche alle almes houses of Ingelond ben wikkidly igroundid. This conclusiun is prouid to skillis. On is, for preyere meritorie and of ualue schulde ben a werk proceding of hey charite, and perfyth charite accepte no persones, quia diliges proximum tuum etc. Qwerfore us thinkis that the giftis of temperel godis to prestis and to almes housis is principal cause of special preyeris, the qwiche is nout fer from symonie. Anothir skil : for special preyere mad for men dampnid to euerelasting peyne is to God gretli displesing. And, thow it be doute, it is lythli to trewe Crystis puple that the founderes of the almesse housis for here uenimous dotaciun ben for the most part passid the brode way. The correlari is : the preyere of ualue springand out of perfyth charite schulde enbrace in general alle tho that God wolde haue sauid, and leue ther marchaundise now usid for special preyeris imade to mendynauns and possessioneris and othere soulis prestis, the qwiche ben a puple of gret charge to al the reme mayntenid in ydilnesse, for it was prouid in a bok that the kyng herde that an hundrid of almes housis suffised to al the reme, and therof schulde falle the grettest encre possible to temporel part. The viii conclusiun nedful to telle to the puple begylid is that the pilgrimage, preyeris and offringis made to blynde rodys and to deue ymages of tre and of ston, ben ner of kyn to ydolatrie and fer fro almesse dede. And thow this forbodin ymagerie be a bok of errour to the lewid puple, yet the ymage usuel of Trinite is most abhominable. This conclusiun God opinly schewith, comanding to don almesse dede to

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trée ouvertement, car la temporalité et la spiritualité sont deux parties de la Sainte Église, et donc, celui qui s’est consacré à l’une ne peut se mêler de l’autre, quia nemo potest duobus dominis servire 9. Nous pensons qu’hermaphrodite ou ambidextre sont des noms justes pour de tels hommes de double état. Le corollaire de cela est que nous, procurateurs de Dieu pour cette cause, pétitionnons en parlement que toutes les sortes de curés, supérieurs et inférieurs, doivent être complètement excusés pour un office temporel, et s’occuper de leurs cures et de rien d’autre. (62-72) La septième conclusion que nous pouvons puissamment affirmer est que les prières spéciales pour les âmes des hommes morts faites dans notre église, préférant le nom de quelqu’un à celui d’un autre, sont le faux fondement des aumônes, sur lequel toutes les maisons charitables sont mauvaisement fondées. Cette conclusion peut être prouvée de deux manières. La première est qu’une prière méritoire et de valeur devrait être une œuvre procédant de la haute charité, et la charité parfaite n’accepte pas de personnes [particulières], quia diliges proximum tuum, etc10. Nous pensons donc que les dons de biens temporels à des prêtres et à des maisons d’aumône sont la cause principale des prières spécifiques, ce qui n’est pas éloigné de la simonie. L’autre raison est que les prières particulières effectuées pour des hommes condamnés au châtiment éternel déplaisent grandement à Dieu. Et bien qu’il y ait un doute, il n’est pas difficile de corriger les fidèles [pour qu’ils comprennent] que les fondateurs de ces maisons [d’aumônes], à cause de leurs dons vénéneux, sont pour la plupart partis aux enfers. Le corollaire en est que la prière de valeur jaillissant de la charité parfaite devrait embrasser de manière générale tous ceux que Dieu veut sauver, et qu’il faut abandonner les marchandises utilisées pour les prières spécifiques faites par les mendiants, les bénéficiaires et les autres prêtres des âmes, lesquels, maintenus dans la paresse, sont une grande charge pour le royaume. Car il a été démontré dans un livre que le roi a entendu [lire] qu’une centaine de maisons d’aumônes suffirait pour tout le royaume, et qu’il découlerait de tout cela la plus grande prospérité possible pour la part temporelle. (73-92) La huitième conclusion, nécessaire à dire aux gens trompés, est que les pèlerinages, les prières et les offrandes faites à des crucifix aveugles et à de sourdes images de bois et de pierres sont proches de l’idolâtrie et loin des actes charitables. Et bien que ces images interdites soient un livre d’erreur pour les gens ignorants, l’image habituelle de la Trinité est la plus abominable. Cette conclusion est ouvertement démontrée par Dieu, qui ordonne de faire des aumônes aux hommes qui sont dans le besoin, car ils sont 9

  Mat. 6 : 24 : « parce qu’aucun homme ne peut servir deux maîtres ».   Marc 12: 31 : « Car tu aimeras ton prochain ».

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men that ben nedy, for they ben the ymage of God in a more liknesse than the stok or the ston, for God seyth nout, Faciamus lignum ad ymaginem et similitudinem nostram aut lapidem, but faciamus hominem etc. For the heye worchipe that clerkis clepin latria longith to the godhed alone, and the lowere worchipe that is clepid dulia longith to man and to aungel and to lowere creatures. The correlari is that the seruise of the rode, don twyes euery yer in oure chirche, is fulfillid of ydolatrie, for if the rode tre, naylis, and the spere and the coroune of God schulde ben so holiche worchipid, thanne were Iudas lippis, qwoso mythte hem gete, a wondir gret relyk. But we preye the, pilgrym, us to telle qwan thu offrist to seyntis bonis enschrinid in ony place, qwethir releuis thu the seynt that is in blisse, or the pore almes hous that is so wel enduwid ? For men ben canonizid, God wot how, and for to speken more in playn, trewe cristemen supposin that thet poyntis of thilk noble man that men clepin seyn Thomas, were no cause of martyrdom. The ix conclusiun that holdith the puple lowe is that the articlis of confessiun that is sayd necessari to saluaciun of man, with a feynid power of absoluciun enhaunsith prestis pride, and yeuith hem opertunite of priui calling othir than we wele now say. For lordis and ladys ben arestid for fere of here confessouris that thei dur nous seyn a treuth, and in time of confessiun is the beste time of wowing and of priue continuaunce of dedli synne. They seyn that thei ben commissariis of God to deme of euery synne, to foulin and to clensin qwom so thei lyke. Thei seyn that thei han the keys of heuene and of helle, thei mown cursyn and blissin, byndin and unbyndin at here owne wil, in so miche that for a busschel of qwete or xii.d be yere thei welen selle the blisse of heuene be chartre of clause of warantise, enselid with the comown sel. This conclusiun is so seen in use that it nedith non othir prof. Correlarium : the pope of Rome that feynith him hey tresorer of holi chirche, hauande the worthi iewel of Crystis passiun in his keping, with the dissertis of alle halwen of heuene, be qwiche he yeuith the feynid pardoun a pena et a culpa – he is a tresourer most banisschid out of charite, seyn he may deliueren the presoneris that ben in peyne at his owne wil, and make himself so that he schal neuere come there. Here may euery trewe cristene man wel se that ther is michil priuy falsnesse hid in oure chirche. The tenthe conclusiun is that manslaute be batayle or pretense lawe of ryhtwysnesse for temperal cause or spirituel withouten special

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davantage à l’image de Dieu que le bois ou la pierre, car Dieu ne dit pas, Faciamus lignum ad ymaginem et similitudinem nostram aut lapidem, mais faciamus hominem etc11. Car la haute révérence que les clercs appellent latria n’appartient qu’à Dieu, tandis que la moins grande révérence qui est appelée dulia appartient aux hommes, aux anges et aux moindres créatures. Le corollaire en est que le service de la croix, accompli deux fois par an dans notre église, est rempli d’idolâtrie ; car si la croix, les clous, les épines et la couronne de Dieu devaient être révérées de manière si sacrée, alors les lèvres de Judas devraient l’être aussi et celui qui pourrait les obtenir aurait une grande et merveilleuse relique. Mais pèlerin, nous te prions de nous dire si, lorsque tu fais des offrandes à des os sacrés conservés quelque part, tu soulages davantage le saint qui est dans la béatitude ou les pauvres maisons d’aumônes si bien dotées ? Car Dieu sait pourquoi les hommes sont canonisés et, pour parler plus clairement, les vrais Chrétiens supposent que les arguments de ce noble homme que l’on appelle saint Thomas n’étaient pas une cause de martyr.(93-113) La neuvième conclusion qui retient les gens bien bas est que l’article de confession, que l’on dit nécessaire pour le salut de l’homme, avec un pouvoir feint d’absolution, augmente l’orgueil du prêtre et lui donne l’opportunité de requêtes privées différentes de ce que nous connaissons bien. Car les seigneurs et les dames se retiennent de dire la vérité par peur de leurs confesseurs, et le temps de la confession constitue le meilleur moment pour courtiser et pour la continuation privée du péché mortel. Ils disent qu’ils sont les commissaires de Dieu pour juger de tous les péchés, pour salir et nettoyer qui ils veulent. Ils disent qu’ils ont les clés du paradis et de l’enfer, qu’ils peuvent maudire et bénir, lier et délier comme ils le veulent. De cette manière, pour une mesure de grain ou pour douze deniers par an, ils vendent la béatitude du paradis avec une charte comprenant une clause de garantie, scellée du sceau commun. Cette conclusion est si visible qu’elle n’a pas besoin d’autre preuve. Correlarium : le pape de Rome qui se feint d’être le trésorier de la sainte Église, ayant les dignes joyaux de la passion du Christ en sa garde, avec les mérites de tous les saints dans les cieux, par lesquels il donne un faux pardon a pena et a culpa – c’est un trésorier banni de la charité ; il dit qu’il peut délivrer les prisonniers qui sont châtiés de sa propre volonté et qu’il se comporte de manière à ce qu’il n’en arrivera jamais là. Chaque vrai Chrétien peut voir là qu’il y a beaucoup de fausseté secrète cachée dans notre Église. (114-34) La dixième conclusion est que le meurtre par bataille ou par la prétendue loi de justice pour une cause temporelle ou spirituelle, sans révélation 11   Cf. Genèse 1: 26 : « Faisons le bois à notre image, comme notre ressemblance ou bien (faisons) la pierre », mais « faisons l’homme… ».

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reuelaciun is expres contrarious to the newe testament, the qwiche is a lawe of grace and ful of mercy. This conclusiun is opinly prouid be exsample of Cristis preching here in erthe, the qwiche is most taute for to loue and haue mercy on his enemys, and nout for to slen hem. The resun is of this that for the more partye there men fyhte, aftir the firste strok, charite is ibroke ; and qwoso deyth out of charite goth the heye wey to helle. And ouer this we knowe wel that no clerk can fynde be scripture or be resun lawful punschement of deth for on dedly synne and nout for another. But the lawe of mercy that is the newe testament, forbad al mannisslaute : in euangelico dictum est antiquis, Non occides. The correlary is : it is an holy robbing of the pore puple qwanne lordis purchase indulgencis a pena et a culpa to hem that helpith to his oste, and gaderith to slen the cristene men in fer londis for god temperel, as we haue seen. And knythtis that rennen to hethnesse to geten hem a name in sleinge of men geten miche maugre of the King of Pes ; for be mekenesse and suffraunce oure beleue was multiplied, and fythteres and mansleeris Iesu Cryst hatith and manasit. Qui gladio percutit, gladio peribit. The xi conclusiun is schamful for to speke, that a uow of continence mad in oure chirche of wommen, the qwiche ben fekil and unperfyth in kynde, is cause of bringging of most horrible synne possible to mankynde. For thou sleying or thei ben cristenid, aborcife and stroying of kynde be medicine ben ful sinful, yet knowing with hemself or irresonable beste or creature that beris no lyf passith in worthinesse to ben punschid in peynis of helle. The correlary is that widuis, and qwiche as han takin the mantil and the ryng deliciousliche fed, we wolde thei were weddid, for we can nout excusin hem fro priue synnis. The xii conclusiun is that the multitude of craftis nout nedful, usid in oure chirche, norsschith michil synne in wast, curiosite and disgysing. This schewith experience and resun prouith, for nature with a fewe craftis sufficith to nede of man. The correlari is that, sitthin seynt Powel seyth, ‘We hauende oure bodili fode and hilling, we schulde holde us apayed’, vs thinkith that goldsmethis and armoreris and alle manere craftis nout nedful to man aftir the apostle schulde ben distroyd for the encres of uertu. For thou these to craftis nemlid were michil more nedful in the elde lawe, the newe testament hath voydid these and manie others.

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spéciale, est expressément contraire au Nouveau Testament, qui est une loi pleine de grâce et de miséricorde. Cette conclusion est prouvée ouvertement par l’exemple du Christ prêchant sur terre, qui nous a enseigné à aimer et à être miséricordieux envers nos ennemis, et à ne pas les tuer. La raison en est que lorsque les hommes se battent, pour la plus grande part, la charité est détruite après le premier coup ; et celui qui meurt en dehors de la charité prend la grande route vers l’enfer. De plus, nous savons bien qu’aucun clerc ne peut trouver, par l’écriture ou par la raison, le châtiment légitime de la mort pour un péché mortel et non pour un autre. Mais la loi de miséricorde qui est le nouveau testament interdit tout meurtre : in euangelio dictum est antiquis, Non occides12. Le corollaire en est : c’est un vol sacré du pauvre peuple lorsque les seigneurs achètent des indulgences a pena et a culpa pour ceux qui ont participé à leur ost et se sont rassemblés pour tuer des Chrétiens dans des terres lointaines pour des biens temporels, comme nous l’avons vu. Et les chevaliers qui se précipitent contre le paganisme pour se faire un nom en tuant des hommes n’obtiennent que le blâme du Roi de Paix ; car notre croyance se multiplia par l’humilité et la souffrance, et Jésus-Christ déteste et menace les combattants et les meurtriers : Qui gladio percutit, gladio peribit13. (135-53) La onzième conclusion est honteuse à dire : un vœu de continence fait dans notre Église par des femmes, qui sont inconstantes et imparfaites par nature, est la cause de la venue du pire péché possible pour l’humanité14. Car bien que le meurtre d’enfants avant qu’ils ne soient baptisés, l’avortement et la destruction de la nature par des remèdes soient de grands péchés, les actes sexuels entre eux et les animaux non vivants méritent encore plus (que les autres) d’être punis aux tourments de l’enfer. Le corollaire en est que nous préférerions que les veuves et celles qui ont pris le manteau et l’anneau, délicatement nourries, soient mariées, car nous ne pouvons les excuser de ce péché particulier. (154-62) La douzième conclusion est que la multitude de métiers inutiles utilisés dans notre Église nourrit beaucoup le péché dans le gaspillage, la curiosité et le déguisement. Cela est montré par l’expérience et la raison, car la nature et quelques savoirs-faire suffisent aux besoins d’un homme. Le corollaire en est que, comme saint Paul le dit, « nous avons la nourriture et le vêtement, nous devrions nous en contenter » ; nous pensons que les orfèvres, les armuriers et tous les métiers qui sont inutiles pour l’homme, d’après l’apôtre, doivent être détruits pour l’augmentation de la vertu. (16371) 12

  « Dans la Bible, il est dit depuis longtemps : tu ne tueras point ».   « Qui frappera par l’épée périra par l’épée ». 14   Il s’agit de l’avortement. 13

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This is oure ambaciat, that Cryst has comaundid us for to pursue, at this time most acceptable for manie causis. And thou these materis ben here shortly knit, thei ben in another book longli declarid, and manie othere mo al in oure langage, the qwyche we wolde were communid to alle trew cristene men. We preye God of his endeles godnesse reforme oure chirche al out of ioynt to the perfectiun of the firste begynninge. Amen.

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Cela est notre ambassade, celle que le Christ nous a ordonnés de poursuivre, acceptable en ces temps pour de nombreuses causes. Et bien que ces questions soient ici posées rapidement, elles sont déclarées plus longuement dans un autre livre, et beaucoup d’autres, dans notre langue, et nous voudrions qu’elles soient communiquées à tous les vrais Chrétiens. Nous prions Dieu pour que, dans sa bonté infinie, il réforme l’Église toute disloquée vers la perfection des premiers temps. Amen. (172-78)

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L’eucharistie selon les lollards La remise en cause du sacrement de l’eucharistie par les lollards constituait un maillon essentiel de l’attaque de la légitimité du clergé, dans la mesure où c’est le pouvoir qu’a le prêtre d’effectuer la transsubstantiation qui constitue en grande partie cette légitimité. Cette remise en cause est issue des positions philosophiques de Wyclif. Ce dernier est en effet un réaliste, et même un réaliste extrême, par opposition aux nominalistes, plutôt majoritaires à Oxford. Pour lui, les universaux (c’est-à-dire les modèles des choses ou les idées générales) sont seuls réels, alors que les accidents (c’est-à-dire les choses et les êtres qui en sont dérivés) n’ont de réalité qu’accidentelle et non essentielle. Or, dans le rite de l’eucharistie, le pain et le vin sont censés se transformer pour devenir le corps du Christ et donc perdre leur essence pour ne garder que leur apparence (l’accident). Mais selon Wyclif, un accident n’est que le reflet de son essence : il n’y a donc pas de transsubstantiation possible. Le problème était cependant que la phrase du Christ, « ceci est mon corps », se trouve bien dans les Évangiles qui sont la seule vérité possible. Wyclif semble donc avoir défendu la juxtaposition, c’est-à-dire la présence concomitante de la substance du pain et de la divinité – mais il est toujours resté prudent dans sa formulation. Ses disciples n’ont pas été aussi précautionneux. Ils s’en sont d’abord servis pour rejeter la légitimité du clergé, comme le suggère ce petit texte dont l’objectif était essentiellement de faire la liste des autorités pouvant autoriser cette interprétation1.

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  Le texte est édité dans Selections from English Wycliffite Writings, éd. A. Hudson, Cambridge, 1978, p. 110-112.

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Cristen mennes bileeue tauȝt of Iesu Crist, God and man, and hise apostles and seynt Austyn, seynt Ierome and seynt Ambrose, and of þe court of Rome and alle treue men is þis: þat þe sacrament of þe auter, þe which men seen between þe prestis handis, is verre Cristis body and his blode, þe whiche Crist tok of þe virgyn Mary, and þe which body diȝed vpon þe crosse and laye in þe sepulcre, and steie into heuen and shal come at þe daye of dome for to deme alle men aftur her werkis. Þe ground of þis beleeue is Cristis owne worde in þe gospel of seynt Matthew, where he seþ þus, ‘Þe whiles Cristis disciples soupeden, Crist toke bred and blessid it and ȝaue it vnto his disciples and seyd þus, “Take ȝe and eteþ þis is my body”; and Crist, takyng þe coppe, did þankyngis and þaue it vnto hem and seyde, “Drynkeþ ȝe alle herof, þis is my blood of þe new testament þat shal ben ishedd out into remyssion of synnes.”’ And þe gospd of seynt Marke techiþ þe same wordis also, and þe gospel of seynt Luk techiþ þe same wordis. But þis sacrament is boþe brede and Cristis body togedre, as Crist is verre God and verre man; and, as Cristes manhed suffrid peyne and deþe and ȝitt þe godhed myȝt suffre no peyne, so, pouȝ þis sacrament be corupted, neuerþele[s] þe body of Crist may suffre no corrupcioun, for seynt Poul þat was rauyshed into þe þridde heuen bi autorite of God writeþ þus in hooly writt, and þree tymes he calleþ þe sacrament bred [a]ftur þe fourme of consecracion. And also Poule calleþ þe sacrament ‘bred þat we breken’. Also seynt Austyn in þe popis lawe seiþ þus, ‘Þat þing þat is seene is brede, and þe chalis or þe copp þat þei shewen, but vnto þat þe feiþ askiþ to be tauȝt þe bred is Cristis body and þe chalis, þat is þe wyne in þe chalis, is Cristis blood’. And þe oold prest seynt Ierom seiþ in a pistle þat he made vnto a womman Elbediam, ‘Here we þat þe brede þat Crist brake and gaue it hise disciples to ete is þe body of our Lord sauyour, for as he seiþ, “Þis is my body”’. Also seynt Ambrose askeþ hou þat þing þat is bred may be Cristis body, and seiþ þat his consecracioun is made not oonly bi wordis of þe prest but bi wordis and vertu of God

9 Mart. 26. 26-8   14-15 Mark 14. 22-4, Luke 22. 19-20   20 I Cor. 10. 16-17, I Cor. 11. 23-9, II Cor. 12. 2-5   21 after] oftur   22 I Cor. 10. 16

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La croyance des chrétiens, enseignée par le Christ, Dieu et homme, ses apôtres et saint Augustin, saint Jérôme et saint Ambroise, la cour de Rome et tous les hommes justes, est celle-ci : le sacrement de l’autel, que les hommes voient entre les mains des prêtres, est le vrai corps du Christ et son sang, que le Christ a pris de la Vierge Marie, lequel corps est mort sur la croix et a reposé dans le sépulcre, reste dans le ciel et viendra au jour du jugement pour juger tous les hommes d’après leurs actes. Le fondement de cette croyance est la parole même du Christ dans l’évangile de saint Matthieu, où il est dit : « Alors que les disciples du Christ soupaient, le Christ prit du pain et le bénit, il le donna à ses disciples et dit, “Prenez-le et mangez-le, ceci est mon corps” ; (1-11) et le Christ, prenant la coupe, rendit grâces et leur dit : “Buvez-en tous, ceci est mon sang, celui du nouveau testament qui sera versé en rémission des péchés” »2. Et l’évangile de saint Marc enseigne les mêmes paroles, de même que l’évangile de Luc. Mais ce sacrement est à la fois le pain et le Christ, tout comme le Christ est vraiment Dieu et vraiment homme : et, de même que l’humanité du Christ a souffert les tourments et la mort alors que la divinité ne peut souffrir aucun tourment, de même, bien que ce sacrement soit corrompu, le corps du Christ ne peut souffrir aucune corruption. Car saint Paul, qui fut élevé au troisième ciel par l’autorité de Dieu, écrit ainsi dans les saintes écritures et il nomme trois fois le sacrement pain, d’après la forme de la consécration. (11-22) Et Paul a également appelé le sacrement, « le pain que nous avons rompu »3. Et saint Augustin, dans la loi du pape, dit ainsi : « Cette chose qui est vue est du pain, tout comme le calice ou la coupe qui est montrée, mais sur cela, la foi demande qu’il soit enseigné que le pain est le corps du Christ et que le calice, c’est-à-dire le vin dans le calice, est le sang du Christ »4. Et le vieux prêtre saint Jérôme dit dans une épître qu’il a écrite à une femme, Elbediam : « Nous entendons que le pain que le Christ a rompu et donné à manger à ses disciples est le corps du Seigneur notre Sauveur, car il a dit : “Ceci est mon corps” »5. (22-29) Saint Ambroise demande également comment cette chose qui est du pain peut être le corps du Christ et dit que cette consécration n’est pas seulement effectuée par les paroles du prêtre, mais aussi par les paroles et la vertu de Dieu tout 2

  Cf. Mat. 26 : 26-28.   Cf. I Cor 11 : 23-29.   Il s’agit du droit canon. Cf. Decretum, De consecratione, dist. II. 5   Epistola 120 (PL 22, 986). 3 4

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almyȝti; and so þe þing þat was bred before þe consecracioun is now Cristis body aftur þe consecracioun, for Cristis word changeþ þe creature. And so of þe bredde is made Cristis body, and þe wyn mengide wiþ watur in þe chalise is mad Cristis blod bi consecracioun of heuenly wordis. And þe determynacioun of þe court of Rome wiþ a hundrid bishops and þrittene, sende into many londes, is þis: ‘1 knowleche wiþ herte and mouþe þat þat brede and wyn, þat ben put in þe auter, ben aftur þe consecracioun not oon1y þe sacrament, but also verrey Cristis body and his blood’. Þenne þe men þat seyn þat þis sacrament is nouþur bred nor Cristis body, but an axidens or nouȝt, ben fonned heritikis if þei may[n]Tenen þis errour aȝeyne lesu Crist and aȝeyne seynt Poule, and aȝeyne seynt Austyn, seynt lerom and seynt Ambrose and many moo hooly seyntis, ageyne þe court of Rome and aȝeyne alle treue cristen men of true beleeue of Iesu Crist. And also þe gospel of Luk seiþ þat þe disciples knewen Crist in brekyng of bred. And seynt Austyn seiþ in a sermoun þat he made þat þis bred was þe sacrament of þe auter. And þerfor seynt Poule calliþ it ‘bred þat we breken’. Also seynt Austyn seiþ þat þing, þe whiche is gedryngis of frutis of þe erþe and is halewid bi priuey praier, is Cristis body. Also seynt Yllarie seiþ þat Cristis body þat is taken of þe auter is boþe figure and truþe: hit is figur þe while bred and wyn ben sene wiþouteforþe, and it is truþe þe while it is heleeued wiþinneforþe to be Cristis body in truþe. Also seynt Austyn seiþ þat þe sacrament or þe sacrifice of þe churche is made of two þingis: þat is of visible liknes of elementis þat ben bred and wyn, and of inuisible flesche and bloode of oure lord Iesu Crist, as Crist is boþe God and man. Also a grete clerke, autor of dyuyne office, seiþ ‘As oure bishop Iesu Crist is of two kyndes boþe togidre, verre God and verre man, so þis sacrament is of two kyndes, of kynde of bred and of kynde of Cristis body’, and telleþ many feire treuþes in þis mater. A Lord! siþ Crist seiþ þar þis sacrament of þe auter is his own body, and seiþ also bi seynt Poule þat þis is brede þat we breken, wheþer cristen men shulun bileeue? For ȝisturdaye [h]eritikis [seiden] þat þis sacrament is no wise or no maner Cristis body, but accident wiþouten

46 Luke 24. 30-5   49 I Cor. 10. 16   64 heritikis] keritikis

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puissant6 ; et donc la chose qui était du pain avant la consécration est le corps du Christ après la consécration, car la parole du Christ change la chose créée. Ainsi le pain est-il transformé en corps du Christ et le vin mélangé à l’eau dans le calice est-il transformé en sang du Christ par la consécration des paroles célestes. Et la doctrine officielle de la cour de Rome comprenant cent trente évêques et envoyée dans de nombreuses terres est la suivante : « Je reconnais avec le cœur et la bouche que ce pain et ce vin, qui ont été mis sur l’autel, sont après la consécration non seulement le sacrement, mais aussi le vrai corps du Christ et son sang »7. (29-40) Donc, les hommes qui disent que ce sacrement n’est ni le pain ni le corps du Christ, mais un accident ou rien du tout, sont considérés comme hérétiques s’ils maintiennent cette erreur contre Jésus Christ et contre saint Paul, contre saint Augustin, saint Jérôme, saint Ambroise et contre de nombreux hommes saints, contre la cour de Rome et contre tous les vrais Chrétiens dans la vraie croyance de Jésus Christ. Et l’évangile de Luc dit aussi que les disciples reconnurent le Christ lorsque le pain fut rompu. Et saint Augustin dit dans un de ses sermons que ce pain est le sacrement de l’autel8. Et donc, saint Paul l’appelle « le pain qui fut rompu ». Saint Augustin dit aussi que cette chose, qui vient de la moisson des fruits de la terre et qui est sanctifiée par les prières particulières, est le corps du Christ. (4151) Saint Hilaire dit également que le corps du Christ qui est pris sur l’autel est à la fois une figure et une vérité : c’est une figure tant que le pain et le vin sont vus de l’extérieur et c’est une vérité tant qu’il est cru à l’intérieur que c’est en vérité le corps du Christ. Saint Augustin dit aussi que le sacrement ou le sacrifice de l’Église est fait de deux choses : de l’apparence visible des éléments qui sont le pain et le vin, et de la chair et du sang invisibles de notre seigneur Jésus Christ, de même que le Christ est à la fois Dieu et homme. Un grand clerc, auteur de l’office divin, dit aussi : « De même que notre évêque Jésus Christ est de deux natures ensemble, vraiment Dieu et vraiment homme, de même ce sacrement est de deux natures, de la nature du pain et de la nature du corps du Christ »9, et il dit de nombreuses justes vérités en la matière. (51-61) Ah Seigneur ! puisque le Christ dit que ce sacrement de l’autel est son propre corps et qu’il est dit aussi par saint Paul que c’est le pain que nous rompons, que doivent croire les Chrétiens ? Hier, des hérétiques disaient que ce sacrement n’est pas sage et qu’il n’est en aucune manière le corps du 6

  Cf. De Sacramentis IV.4.   Il s’agit d’une formulation du concile de Rome de 1059, condamnant Berengarius, archevêque de Tours († 1088), qui avait soutenu que le sacrement ne représentait que la figure du corps du Christ. Wyclif a parfois été accusé par ses ennemis d’être un nouveau Berengarius. 8   Sermon n°227 (PL 38, 1100). 9   Cf. Liber de divinis officiis (PL 101, 1260). 7

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subiecte or nouȝt; [but] þis is nouȝt tauȝt expresly in wordes in eny party of hooly writt ne be resoun ne bodily witt. But seynt Austyn techeþ in þre volumes or moo wiþ grete studie and diliberacioun þat þer may no accident be wiþou[te] subicte, ȝe where he treteþ of þe sacrament of þe auter. And þe same techeþ seynt Ion wiþ þe gilden mouþe, and þe same techen alle witty philosophurs, and al resoun and witt shewen opy[n]ly þe same. And þerfor cristen men shulde knowleche and mayntene þe wordis of hooly writte and vndurstonde hem algates in g[e]neraltee, as þe Hooly Goost vndurstondeþ hem, þouȝ oure bodily witt or naked reson may not comprehende hit. A Lord ! what wurship don þise new heretikes vnto þis sacrament, whenne þei seie þat [it] is not brede, but accident wiþoute subiecte or nowȝte? And if þer be any accident wiþout subiecte as þei seyne, it is wars in kynde þenne is any lumpe of cleye, as clerkis knowen wele. And whanne þei seie þis sacrament is in no maner Cristis body, but þervndur Cristis body is hidde, for þat is neuer seid of Crist ne hise apostles in alle þe gospeles þat euer God made. A Lord! wheþer þise ȝisturdaies heritikes han fonden a bettir bileue and more trewe in þe tyme þat Sathanas was vnbunden, þenne Iesu Crist vnto hise apostles or eny oþer clerke by a þousand ȝer and more. For in al þis tyme Crist tauȝt neuer þat þe sacrament of þe auter was an accident wiþoute subiecte and in no maner Cristis body, as þis newe ypocrites seyne. But bi him and hise apostlis and seynt Austyn specialy and oþer hooliest seyntis is seid þat þis sacrament is bred and his own body, and þat þer may be noon accident wiþout subiecte. Lord! wheþer men shul forsake Cristis owne wordis and take straunge wordis vnknowen in hooly writt and aȝens resoun [of] þe moost witty and þe best seyntis, for, as men seyne, many ypocritis han hyred by many hundred poundes hishops vnkunny[n]ge in hooli writt for to dampne cristen mennes bileeue and Cristis owne wordis, for enemyte to oon singuler persone þat tauȝt þe gospel of Crist and his pouert, and dampned couetise and worldly pride of clerkis. Lord! wheþer þis be grete deynte þat many capped monkes or oþer pharisees shulde profer hem redy to þe fyre for to mayntene þis heresie, þat þe sacrament of þe auter is an accident wiþout subiecte, and in no

66 but] siþen 74 þouȝ] þorouȝ

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Christ, mais un accident sans substance ou rien du tout. Mais, dans les saintes écritures, cela n’est nulle part enseigné expressément en paroles, ni par la raison ni par la connaissance humaine. Mais saint Augustin enseigne dans trois volumes et plus, après de grandes études et délibérations qu’il ne peut y avoir d’accident sans substance, en particulier là où il traite du sacrement de l’autel10. Et saint Jean à la bouche dorée enseigne la même chose11, ainsi que tous les brillants philosophes ; et toute la raison et l’esprit montrent ouvertement la même chose. (62-72) Les Chrétiens devraient donc connaître et maintenir les mots des saintes écritures et les comprendre complètement de manière générale, comme le Saint Esprit les comprend, bien que notre esprit ou notre raison nue puisse ne pas les comprendre. Ah Seigneur ! quelle vénération ces nouveaux hérétiques ont-ils de ce sacrement, lorsqu’ils disent que ce n’est pas du pain, mais un accident sans substance ou rien du tout ? Et s’il peut y avoir accident sans substance, comme ils le disent, cela est pire en nature qu’un grumeau d’argile, comme les clercs le savent bien. Et [quelle vénération ont-ils] quand ils disent que ce sacrement n’est en aucune manière le corps du Christ, mais que le corps du Christ est caché en dessous, cela n’a jamais été dit par le Christ ou par ses apôtres dans aucun des évangiles que Dieu a fait. Ah Seigneur ! Ces hérétiques d’hier, avaient-ils fondé une meilleure croyance, plus véritable, dans le temps où Satan fut délié, que Jésus Christ à ses apôtres, ou n’importe autre clerc pendant mille ans et plus ? Car durant tout ce temps, le Christ n’a jamais enseigné que le sacrement de l’autel était un accident sans substance ou qu’il ne soit en aucune manière le corps du Christ, comme ces nouveaux hypocrites le disent. (72-86) Mais par lui et par ses apôtres, par saint Augustin particulièrement et par d’autres saints sacrés, il est dit que ce sacrement est le pain et son propre corps, et qu’il ne peut y avoir d’accident sans substance. Seigneur ! Les hommes devraient-ils abandonner les propres paroles du Christ et accepter d’étranges paroles inconnues dans les saintes écritures et contre la raison des plus sages et des meilleurs saints ? Car, comme on le dit, de nombreux hypocrites ont acheté avec des centaines de livres des évêques ignorants des saintes écritures pour condamner la croyance des hommes chrétiens et les propres paroles du Christ, par inimitié envers une personne singulière qui a enseigné les paroles du Christ et sa pauvreté et qui a condamné la convoitise et l’orgueil mondain des clercs12. (86-95) Seigneur ! N’est-ce pas un grand honneur que de nombreux moines encapuchonnés ou d’autres pharisiens se disent prêts à souffrir sur le bûcher pour maintenir cette hérésie – que le sacrement de l’autel 10

  Cf. Augustin, De Trinitate, livres v, vii et ix.   Il s’agit de Jean Chrysostome (ou plutôt du pseudo-Chrysostome). 12   La référence est sans doute à Wyclif. 11

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maner Cristis body, aȝeyne Cristis owne techyng and hise apostlis and þe best seyntis and þe wisest in Goddis lawe and resound, and traueilen not spedily to distruyȝe heresie of symonye þat regneþ opynly and is fully dampned in Goddis lawe and mannes also, and to distruyȝe wordly pride and coueitise of prestis aȝeynes Cristis mekenesse and wilful pouert? Hit semeþ wele bi here dedis þat þei conspiren aȝeynes Cristis gospel and his pore Iyuyng for to maynten here owne pride, coueitise and worldlynesse and wombe-ioye and ydulnesse and many moo grete synnes. Almyȝty God kepe his churche fro such false prophetis and here sotie ypocrisiȝe and fals heresye! Amen.

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est un accident sans substance ou qu’il n’est en aucune manière le corps du Christ, contre le propre enseignement du Christ et de ses apôtres, des meilleurs saints et des plus sages dans la loi de Dieu et la raison – au lieu de travailler rapidement à détruire cette hérésie de simonie qui règne ouvertement et qui est pleinement condamnée par la loi de Dieu et des hommes, ainsi qu’à détruire l’orgueil mondain et la convoitise des prêtres contre l’humilité du Christ et sa pauvreté volontaire ? Il semble bien par leurs actes qu’ils conspirent contre l’évangile du Christ et son pauvre mode de vie pour maintenir leur propre orgueil, la convoitise, l’amour des choses matérielles, la joie du ventre, la paresse et de nombreux autres grands péchés. Que Dieu tout puissant garde son église de tels faux prophètes, de leur subtile hypocrisie et de leur fausse hérésie ! Amen. (96-108)

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Prologue de la Bible wycliffite (extraits) La traduction intégrale de la Bible en anglais (ancien et nouveau testament), dans les dernières décennies du XIVe siècle, a constitué la grand œuvre des lollards1. Cette traduction a connu un vif succès, qui a largement dépassé les cercles hérétiques : environ 250 manuscrits sont actuellement conservés, ce qui est le plus grand nombre subsistant pour un ouvrage en anglais à la fin du Moyen Âge. Sur ce total, 21 manuscrits contiennent toute la Bible, 89 le Nouveau Testament, 15 les évangiles seuls, 4 les épîtres et 6 le Psautier. Pour les autres manuscrits, la situation est plus confuse. Nombre de ces copies ont été possédées à un moment ou à un autre par des gens parfaitement orthodoxes, y compris des membres de la famille royale. De fait, la traduction intégrale de la Bible constituait un enjeu qui dépassait largement l’hérésie et beaucoup de clercs orthodoxes y étaient d’ailleurs assez favorables. Il existe deux versions principales de cette traduction, ce qui suggère les difficultés rencontrées pour traduire le texte sacré : une première traduction dite « littérale » souvent très obscure ; une seconde traduction révisée est moins littérale, mais plus claire. C’est surtout elle qui a été diffusée, parfois accompagnée de commentaires (sur les évangiles surtout). Dans quelques manuscrits (11 sur 250), cette traduction est précédée d’un prologue général en 15 chapitres présentant et expliquant le projet, qui date probablement du début des années 13902. Évidemment, ce prologue est anonyme (même s’il y a eu de nombreuses tentatives d’identification parmi les premiers disciples de Wyclif, tels John Purvey), d’abord parce qu’il était dangereux de se proclamer l’auteur d’opinions condamnées comme hérétiques, mais aussi parce que cette traduction a forcément été un travail collectif. Les premiers chapitres rappellent les principaux temps forts de l’Ancien et du nouveau testament, mais les trois derniers sont plus militants et polémiques. Alors que les chapitres 13 à 15 renouvellent les attaques contre le clergé (sur le plan intellectuel) et expliquent les principes qui ont présidé à la traduction, le chapitre 12 est consacré aux différentes manières de connaître la Bible et à l’importance de la question de l’interprétation.

1

  Sur la Bible wycliffite, voir M. Dove, The first English Bible : the text and context of the wycliffite versions, Cambridge, 2007.   La seule édition complète de ce prologue (comme de la Bible d’ailleurs) est dans The Holy Bible, Containing the Old and New Testaments, with the Apocryphal Books, in the Earliest English Versions Made from the Latin Vulgate by John Wycliffe and His Followers, éd. J. Forshall et F. Madden, Oxford, 1850, rpt. New York, 1982, 4 vols. Des extraits ont été publiés dans Selections from English Wycliffite Writings, éd. A. Hudson, Cambridge, 1978 et dans Medieval English Political Writings, éd. J. Dean, Kalamazoo, 1996 (en ligne à l’adresse suivante : http://www.lib. rochester.edu/camelot/teams/wyclifrm.htm). 2

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Cap. XII But it is to wite that Holy Scripture hath iiij. undirstondingis : literal, allegorik, moral, and anagogik. The literal undirstonding techith the thing don in deede, and literal undirstonding is ground and foundament of thre goostly undirstondingis, in so myche as Austyn, in his Pistle to Vincent, and othere doctouris seyn, oonly bi the literal undirstonding a man may argue agens an adversarie. Allegorik is a goostly undirstonding that techith what thing men owen for to bileeve of Crist either of Hooly Chirche. Moral is a goostly undirstonding that techith men what vertues thei owen to sue and what vices thei owen to flee. Anagogik is a goostly undirstonding that techith men what blisse thei schal have in hevene. And these foure undirstondingis moun be taken in this word Jerusalem ; forwhi to the literal undirstonding it singnefieth an erthly citee, as Loundoun, either such another ; to allegorie it singnefieth Hooly Chirche in erthe, that fightith agens synnes and fendis ; to moral undirstondinge it singnefieth a Cristen soule ; to anagogik it singnefieth Hooly Chirche regnynge in blisse either in hevene, and tho that ben therinne. And these thre goostly undirstondingis ben not autentik either of beleeve no but tho ben groundid opynly in the text of Holy Scripture, in oo place other other ; either in opin resoun that may not be distroied ; either whanne the Gospelris either other apostlis taken allegorie of the Eelde Testament, and confeermyn it (as Poul in the Pistle to Galat. in iiij.o co. preveth) that Sara, the free wijf and principal of Abraham, with Isaac hir sone, singnefieth bi allegorie the Newe Testament and the sones of biheeste; and Agar, the hand mayde, with hir sone Ismael, signefieth bi allegorie the Elde Testament and fleschly men that schulen not be resseyved in to the eritage of God with the sones of biheeste, that holden the treuthe and freedom of Cristis Gospel with endeles charite.

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Chapitre XII Mais il faut savoir que les Saintes Écritures ont quatre sens de compréhension : littérale, allégorique, morale et anagogique3. Le sens littéral enseigne la chose faite en acte, et il est la fondation et le fondement des sens spirituels  ; comme le disent saint Augustin (dans son Epître à Vincent4) et d’autres docteurs, ce n’est que par le sens littéral qu’un homme peut argumenter contre son adversaire. L’allégorique est un sens spirituel qui enseigne ce que les hommes doivent croire par rapport au Christ ou à la sainte Église. Le moral est un sens spirituel qui enseigne aux hommes les vertus qu’ils doivent suivre et les vices qu’ils doivent fuir. L’anagogique est un sens spirituel qui enseigne aux hommes le bonheur qu’ils auront dans le ciel. Et ces quatre sens peuvent être appréhendés avec le mot Jérusalem. Ainsi, dans le sens littéral, il signifie une ville terrestre, comme Londres ou une autre ville ; dans le sens allégorique, il signifie la sainte Église sur terre, qui combat les péchés et les démons ; dans le sens moral, il signifie une âme chrétienne ; dans le sens anagogique, il signifie la sainte Église régnant dans la béatitude ou dans le ciel, et ceux qui y appartiennent. Et ces trois sens spirituels sont authentiques, non à cause d’une croyance, mais parce qu’ils sont fondés clairement dans le texte de la sainte Écriture, à un endroit ou un autre ; ou par un argument ouvert qui ne peut être détruit ; ou lorsque les évangélistes ou d’autres apôtres prennent une allégorie de l’Ancien Testament et confirment (comme le montre Paul dans son Epître aux Galates) que Sarah, la femme libre et première d’Abraham, avec son fils Isaac, signifie allégoriquement le nouveau Testament et les fils de la promesse ; et qu’Agar, la servante, avec son fils Ismaël, signifie l’Ancien Testament et les hommes de chair qui ne doivent pas être reçus dans l’héritage de Dieu avec les fils de la promesse, qui possèdent la vérité et la liberté de l’Evangile du Christ dans la charité infinie5. (1-27)

3

  Sur ces catégories fondamentales de l’interprétation biblique (exégèse), voir H. de Lubac, Exégèse médiévale, Les quatre sens de l’Écriture, 2 tomes, 4 volumes, Paris, 1964 et G. Dahan, L’éxégèse chrétienne de la Bible en Occident médiévale, XIIe-XIVe siècles, Paris, 1999. 4   Vincentius était le chef d’une secte donatiste à Ténès (Afrique du Nord), auquel Augustin s’opposa, notamment à propos de l’interprétation de la Bible. 5   Cf. Genèse 16 et Gal 4 : 21-31. Pour l’interprétation chrétienne classique, voir Augustin, La Cité de Dieu, 15-34.

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Also Holy Scripture hath many figuratif spechis, and as Austyn seith in the iij. book Of Cristen Teching, that autouris of Hooly Scripture usiden moo figuris – that is, mo fyguratif spechis – than gramariens moun gesse, that reden not tho figuris in Holy Scripture. It is to be war, in the bigynnyng, that we take not to the lettre a figuratif speche, for thanne, as Poul seith, the lettre sleeth but the spirit, that is, goostly undirstonding, qwykeneth ; for whanne a thing which is seid figuratifly is taken so as if it be seid propirly, me undirstondith fleschly ; and noon is clepid more covenably the deth of soule than whanne undirstonding, that passith beestis, is maad soget to the fleisch in suynge the lettre.

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Whatever thing in Goddis word may not be referrid propirly to onesté of vertues neither to the treuthe of feith, it is figuratyf speche. Onestee of vertues perteyneth to love God and the neighebore ; treuthe of feith perteyneth to knowe God and the neighebore. Hooly Scripture comaundith no thing no but charité, it blamith no thing no but coveitise ; and in that manere it enfoormeth the vertues either goode condiscouns of men. Holy Scripture affermith no thing no but Cristen feith bi thingis passid, present, and to comynge, and alle these thingis perteynen to nursche charité, and make it strong, and to overcome and quenche coveitise.

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Also it is figuratijf speche, where the wordis maken allegorie, ether a derk lycnesse either parable. And it is figuratyf speche in i.o c.o of Jeremye : “To day I have ordeyned thee on folkis and rewmys, that thou draw up bi the roote, and distroie, and bylde, and plaunte.» That is, that thou drawe out elde synnes, and distroie circumstaunces either causis of thoo, and bylde vertues, and plaunte goode werkis and customys. Alle thingis in Holy Scripture that seemyn to unwijse men to be ful of wickidnesse agens a man himself either agens his neighebore ben figuratyf spechis, and the prevytees, either goostly undirstondinges, schulden be sought out of us, to the feeding either keping of charité.

Such a reule schal be kept in figuratif spechis, that so longe it be turned in 58 mynde bi diligent consideracioun, til the expownyng either undirstonding 59 be brought to the rewme of charité ; if eny speche of Scripture sounneth 60 propirly charité, it owith not to be gessid a figuratif speche ; and forbeedith

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Les saintes Écritures ont aussi de nombreux discours figuratifs et, comme Augustin le dit dans le troisième livre de la Doctrine chrétienne, les auteurs des saintes Écritures utilisent plus de figures – c’est-à-dire, plus de discours figuratifs – que les grammairiens ne le devinent, car ils ne décryptent pas ces figures dans les saintes Écritures6. Il faut être attentif, tout d’abord, à ne pas prendre à la lettre un discours figuratif, car alors, comme Paul le dit, la lettre tue l’esprit, c’est-à-dire que le sens spirituel éveille7. Car lorsqu’une chose qui est dite de manière figurative est perçue littéralement, on la comprend charnellement ; et rien n’est appelé plus convenablement la mort de l’âme que l’assujettissement de l’intellect (qui surpasse celui des bêtes) au charnel, en suivant la lettre. (28-37) Toutes les paroles divines qui ne peuvent être renvoyées directement à l’honnêteté des vertus ou à la vérité de la foi sont des discours figuratifs. L’honnêteté des vertus conduit à aimer Dieu et son prochain ; la vérité de la foi conduit à connaître Dieu et son voisin. Les saintes Écritures n’ordonnent rien si ce n’est la charité, et ne condamnent rien si ce n’est la convoitise ; et de cette manière, elles enseignent les vertus et les bonnes habitudes des hommes. Les saintes Écritures n’affirment rien que la foi chrétienne, par les choses passées, présentes et à venir, et toutes ces choses conduisent à nourrir la charité et à la rendre forte ; et à dépasser et détruire la convoitise. (38-46) Il y a aussi discours figuratif quand les mots construisent une allégorie, une analogie obscure, ou une parabole. Et il y a un discours figuratif dans [le livre de] Jérémie : « Aujourd’hui, je t’ai établi pour que tu déracines, détruises, construises et plantes »8. C’est-à-dire que tu dois déraciner les vieux péchés, détruire leurs circonstances et leurs causes, construire les vertus et planter les bonnes actions et les bonnes coutumes. Tout ce qui, dans les saintes Écritures, peut sembler pour les ignorants être plein de méchanceté contre un homme ou contre son voisin, c’est du discours figuratif, et les secrets – ou sens spirituels – doivent être cherchés, pour nourrir et protéger la charité. (47-56) Une règle doit être observée pour le discours figuratif : il doit être retourné dans l’esprit avec une réflexion diligente aussi longtemps que nécessaire, jusqu’à ce que l’interprétation ou la compréhension arrive au royaume de la charité. Si une parole des Écritures réfère clairement à la charité, elle ne 6

  Augustin, De la Doctrine Chrétienne, 3-5.   2 Cor 3 :6. 8   Jer. 1 : 10. 7

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wickidnesse, either comaundith profyt either good doynge, it is no figuratyf speche ; if it seemith to comaunde cruelté, either wickidnesse, either to forbede prophit, either good doinge, it is a figuratijf speche. Crist seith : “If ye eten not the flesch of mannis Sone and drinke not His blood, ye schulen not have lijf in you”. This speche semith to comaunde wickidnesse either cruelté, therfore it is a figuratif speche, and comaundith men to comune with Cristis passioun, and to kepe in mynde sweetly and profitably, that Cristis flesch was woundid and crucified for us. Also whanne Hooly Scripture seith, “If thin enemy hungrith, feede thou hym, if he thurstith, geve thou drinke to hym”, it comaundith benefice, either good doinge. Whanne it seith, “Thou schalt gadere togidere coolis on his heed”, it seemith that wickidnesse of yvel wille is comaundid. This is seid bi figuratijf speche, that thou undirstonde that the coolys of fijer ben brennynge weylyngis, either moornyngis of penaunce, bi whiche the pride of hym is mad hool, which sorwith that he was enemy of a man that helpith and relevith his wrecchidnesse. Also the same word either the same thing in Scripture is taken sumtyme in good, and sumtyme in yvel, as a lyoun singnefieth sumtyme Crist and in another place it singnefieth the devyl. Also sour dough is set sumtyme in yvel, where Crist seith, “Be ye war of the sour dough of Farisees, which is ypocrisie” ; sour dough is sett also in good, whanne Crist seith, The rewme of hevenes is lyk sour dough,» etc. And whanne not oo thing aloone but tweyne, either mo, ben feelid either undirstonden, bi the same wordis of Scripture, though that it is hid, that he undirstond that wroot it is no perel, if it may be prevyd bi othir placis of Hooly Scripture that ech of tho thingis acordith with treuthe. And in hap the autour of Scripture seith thilk sentense in the same wordis which we wolen undirstonde ; and certys the Spirit of God, that wroughte these thingis bi the autour of Scripture, bifore sigh withoute doute, that thilke sentense schulde come to the redere, either to the herere – yhe, the Holy Goost purveyde – that thilke sentence, for it is groundid on trewthe, schulde come to the redere, either to the herere, forwhi what myghte be purveyed of God largiliere and plentyvousliere in Goddis spechis than that the same wordis be undirstonden in manye maners, whiche maners, either

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doit pas être interprétée comme un discours figuratif ; si elle interdit la méchanceté, ou commande un bienfait ou une bonne action, ce n’est pas un discours figuratif ; si elle semble commander la cruauté, la méchanceté, ou interdire un bienfait ou une bonne action, c’est un discours figuratif. Le Christ dit : « Si tu ne manges pas la chair du Fils de l’homme et que tu ne bois pas Son sang, tu n’auras pas la vie en toi »9. Ces paroles semblent commander la méchanceté ou la cruauté ; c’est donc un discours figuratif, qui ordonne aux hommes de communier avec la passion du Christ, et de garder à l’esprit, avec facilité et profit, que la chair du Christ a été blessée et crucifiée pour nous. De même, lorsque les saintes Écritures disent, « Si ton ennemi a faim, nourris-le, s’il a soif, donne-lui à boire »10, elles ordonnent un bienfait ou une bonne action. Quand elles disent, « Tu verseras des charbons sur sa tête »11, il semble que la méchanceté d’une mauvaise volonté soit demandée. Mais par le discours figuratif, il faut comprendre que les charbons de feu sont de brûlantes lamentations, dans la tristesse de la pénitence, par lesquelles l’orgueil de cet homme affligé, l’ennemi de celui qui l’a aidé et qui a soulagé son affliction, est enlevé. (57-76) De plus, un même mot ou une même chose peuvent, dans les Écritures, être considérés parfois en bien, parfois en mal : par exemple, un lion peut signifier parfois le Christ et dans un autre passage, il signifiera le diable. De même, le levain est parfois quelque chose de mauvais, comme lorsque le Christ dit, « Prenez garde au levain des pharisiens, qui est l’hypocrisie »12 ; mais il est aussi quelque chose de bon, comme lorsque le Christ dit, « Le royaume des cieux est comme un levain »13, etc. (77-82) Et lorsque non pas une mais deux choses, ou plusieurs, peuvent être comprises dans les mêmes mots de l’Écriture, même lorsque cette chose demeure cachée, la compréhension (de cette chose) par celui qui l’a écrit ne représente pas un danger, à condition que dans d’autres endroits de l’Écriture, on ait la preuve que ces deux choses expriment la vérité. Et peut-être l’auteur des Écritures évoque-t-il ces significations avec les mêmes mots que nous comprenons ; et certainement l’esprit de Dieu, qui a transmis ces choses par l’auteur des Écritures, a prévu, sans doute, que cette interprétation viendrait au lecteur ou à l’auditeur – en vérité, le saint-Esprit y a pourvu – car cette interprétation, qui est fondée sur la vérité, doit venir au lecteur ou à l’auditeur, ce pourquoi Dieu a prévu de manière large et universelle que dans les paroles divines, les mêmes mots puissent être com9

  Jean 6 : 54.   Prov 25 : 21 ; Rom 12 : 20. 11   Prov 25 : 22. 12   Mat 16 : 6. 13   Mat 13 : 33. 10

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95 wordis of God, that ben not of lesse autorité, maken to be preved. Austin 96 in iij. book Of Cristen Teching seith al this and myche more, in the bigyn97 nyng therof. 98

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Also he whos herte is ful of charité conprehendith, withouten any errour, the manyfoold abundaunce and largest teching of Goddis Scripturis, forwhi Poul seith, ‘The fulnesse of lawe is charité’, and in another place, ‘The ende of lawe’, that is, the perfeccioun (either filling) of the lawe, ‘is charité of clene herte, and of good conscience, and of feith not feyned’ ; and Jhesu Crist seith, ‘Thou schalt love thi Lord God of al thin herte, and of al thi soule, and of al thi mynde, and thi neighebore as thi-self, for in these twey comaundementis hangith al the lawe and prophetis’. And ‘as the roote of all yvels is coveitise’, so the roote of alle goodis is charitee. Charite, bi which we loven God and the neighebore, holdith sykirly al the greetnesse and largnesse of Goddis spechis. Therfore if it is not leisir to seeke alle Holy Scriptures – to expounne alle the wlappingis of wordis, to perse alle the prevytes of Scripturis – holde thou charite, where alle thingis hangen, so thou schalt holde that that thou lernedist not ; for if thou knowist charite, thou knowist sum thing whronne also that hangith that in hap thou knowist not. And in that that thou undirstondist in Scripturis, charite is opin, and in that that thou undirstondist not, charite is hid. Therfore he that hooldith charite, in vertues either in goode condiscouns, hooldith bothe that that is opyn and that [that] is hid in Goddis wordis (Austyn seith al this and myche more in a sermoun of the preysing of charite). Also, thei that have lykinge for to studie in Holy Writ schulen be chargid that thei kunne the kyndes and maners of spekingis in Holy Scriptures, and [that thei] perseyve diligently and holde wel in mynde hou a thing is wont to be seid in Holy Scripturis. Also – that is sovereyn help and moost nedful – preie thei that God yeve hem the veri undirstonding of Holy

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pris de nombreuses manières, lesquelles manières, autrement dit les paroles de Dieu, qui ne sont pas d’une moindre autorité, fournissent la preuve. Augustin, au début de son troisième livre de la Doctrine chrétienne, dit tout cela et bien plus. (83-97) De même, celui dont le cœur est plein de charité comprend, sans aucune erreur, la grande multiplicité [des sens] de tous les Écrits de Dieu. C’est pourquoi Paul dit : « La plénitude de la loi est la charité »14, et ailleurs, « la fin de la loi (c’est-à-dire la perfection ou la complétude de la loi) est la charité d’un cœur pur, de la bonne conscience et d’une foi non feinte »15. Et Jésus Christ dit, « Tu aimeras ton Seigneur Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit, et [tu aimeras] ton voisin comme toimême ; car dans ces deux commandements résident toute la loi et les prophètes »16. Et de même que « la convoitise est la racine de tous les maux »17, de même la charité est la racine de tout le bien. La charité, par laquelle nous aimons Dieu et le voisin, retient certainement toute la grandeur et l’ampleur des paroles de Dieu. (98-108) Il est donc opportun de chercher [à comprendre] toutes les Saintes Écritures – d’exposer toutes les circonvolutions des mots, de percer tous les secrets des Écritures. Pourvu que tu conserves la charité, dont toutes les choses dépendent, tu conserveras ce que tu auras appris [dans les Écritures]. Et tu auras aussi ce que tu n’y as pas appris : car si tu connais la charité, tu connaîtras alors aussi quelque chose qui en dépend mais que tu ne connaissais pas. Et dans ce que tu comprends des Écritures, la charité est dévoilée et dans ce que tu ne comprends pas, la charité est cachée. Ainsi, celui qui s’en tient à la charité, par ses vertus ou ses bonnes qualités, a à la fois ce qui est dévoilé et ce qui est caché dans les mots de Dieu (Augustin dit tout cela et beaucoup plus dans un sermon louant la charité). […]18 (109-118) De même, il devrait être requis de ceux qui ont l’inclination pour étudier les Saintes Écritures, qu’ils connaissent les différentes sortes et manières de parler des Saintes Écritures, et qu’ils considèrent et aient bien à l’esprit la manière dont une chose est dite dans les Saintes Écritures. De même – et c’est une aide importante et nécessaire – ils doivent prier que Dieu leur donne [le pouvoir] de comprendre véritablement les Saintes Écritures, car 14

  Rom 13 : 10.   1 Tim 1 : 5. 16   Mat 22 : 37-40. 17   1 Tim 6 : 10. 18   Suit un passage assez obscur sur les règles permettant d’expliquer les contradictions de la Bible, que nous n’avons pas retenu. 15

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Scripture, for thei reden in to Scripturis, aboute whiche thei ben studiouse, that God yeveth wisdom, and kunnyng, and undirstonding of his face, that is, gifte and grace. Also, if her stodie is don with meknesse and love of Cristen lore it is of God (Austyn writith al this is the iii. book of Cristen Teching, about the myddyl and in the ende. Isidre, in the i. book of Sovereyn Good, touchith these reulis shortliere, but I have hym not now, and Lyre, in the bigynnyng of the Bible, touchith more opinly these reulis, but I have him not now, and Ardmacan in the bigynnyng of his book De questionibus armenorum yeveth many goode groundis to undirstonde Holy Scripture to the lettre and goostly understonding also, but I have him not now). Also, nothing maye seme to be wisere, nothing of more eloquence than is Hooly Scripture and the autours therof, that were enspiirid of God. And thei oughten not to speke in othere manere than thei diden, and the prophetis (and moost Amos) weren ful eloquent, and Seint Poul was ful eloquent in his pistlis. Also, the autoris of Hooly Scripture spaken derkly that the prevyteis therof ben hid fro unfeithful men and goode men ben exercisid either ocupied, and that in expounynge Hooly Scripture thei have a newe grace, diverse fro the first autouris (Austin, in the bigynnyng of the iii. book of Cristen Teching). Also, as the little richessis of Jewis which thei baren awey fro Egypt weren, in comparisoun of richessis thei hadden aftirward in Jerusalem in the tyme of Salomon, so greet is the prophitable kunnynge of filosefris bookis, if it is comparisouned to the kunnynge of Hooly Scripturis ; for whi, what ever thing a man lernith withouten Hooly Writ, if the thing lerned is veyn it is dampned in Holy Writ, if it is profitable it is foundid there. And whanne a man fyndith theere alle thingis whiche he lernyde profitably in other place, he schal fynde myche more plenteuously tho thingis in Hooly Scripture, whiche he lerned nevere in other place but ben lerned oonly in the wondir-

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ils peuvent lire dans les Saintes Écritures qu’ils étudient, que Dieu donne la sagesse, le savoir et la compréhension de son visage, c’est-à-dire le don et la grâce. De plus, si leur étude est entreprise avec humilité et dans l’amour de l’enseignement chrétien, elle relève de Dieu (Augustin écrit tout cela dans le troisième livre de la Doctrine chrétienne, vers le milieu et à la fin. Isidore, dans le premier livre du Bien souverain, évoque plus rapidement ces règles, mais je ne l’ai pas maintenant19 ; et Lyre, au début de la Bible, touche plus profondément à ces règles, mais je ne l’ai pas maintenant20 ; et Armacane21, au début de son livre De questionibus armenorum, donne de nombreuses et bonnes bases pour comprendre la lettre des Saintes Écritures, ainsi que son esprit, mais je ne l’ai pas maintenant22. (119-133) De plus, rien ne semble plus sage, ni plus éloquent que les Saintes Écritures, ainsi que ses auteurs, inspirés par Dieu. Et il n’était pas possible qu’ils écrivent d’une autre manière qu’ils le firent ; et les prophètes (et particulièrement Amos) étaient plein d’éloquence, et saint Paul fut plein d’éloquence dans ses épîtres. Et si les auteurs des Saintes Écritures écrivent de manière obscure, c’est pour que ses mystères soient cachés aux hommes de peu de foi et pour que les hommes de bien s’y exercent et s’en occupent, et qu’en expliquant les Saintes Écritures ils acquièrent une grâce nouvelle, différente de celle des premiers auteurs (Augustin, au début du troisième livre de la Doctrine chrétienne). (134-142) De plus, de même que les richesses des Juifs étaient fort maigres lorsqu’ils s’enfuirent d’Egypte, en comparaison de ceux qu’ils possédèrent ensuite à Jérusalem au temps de Salomon, de même est le savoir profitable des philosophes, comparé au savoir des saintes Écritures. Car chaque chose apprise en dehors de la Sainte Écriture est vaine si elle est damnée dans la Sainte Écriture, mais elle est profitable si elle s’y trouve. Mais si un homme trouve là toutes les choses qu’il a apprises de manière profitable dans d’autres endroits, il trouvera pourtant ces choses bien mieux développées dans la Sainte Écriture ; il ne les aurait jamais apprises autrement, si ce n’est dans la magnifique grandeur et la magnifique humilité des Saintes 19

  Il s’agit d’Isidore de Séville († 636) qui fût l’un des grands penseurs chrétiens de la période. Il est surtout connu pour ses Etymologies. Mais aucune œuvre portant ce nom ne lui est attribuée. 20   Nicolas de Lyre (v. 1270-1349), un franciscain, fût un grand exégète. Ses commentaires sur la Bible (Postilla litteralis super totam Bibliam et Postilla moralis seu mystica) furent des références aux XIVe et XVe siècles. 21   Il s’agit de Richard Fitzralph (v. 1300-1360), archevêque d’Armargh (Irlande) et grand théologien en opposition fréquente avec les ordres mendiants, notamment sur la question de la pauvreté. Il était apprécié des lollards. 22   Le fait que l’auteur avoue ne pas avoir tous ces ouvrages à sa disposition participe à la fois de la critique récurrente des lollards sur la question de l’accessibilité aux livres et d’une réalité de la période médiévale où le livre constituait de toute façon un objet rare.

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ful hignesse and in the wondirful meeknesse of Hooly Scripturis (Austin seith this in the ende of ii. book of Cristen Teching). Also, Hooly Scripture conteyneth al prophitable treuthe and alle othere sciencis prevyly in the vertu of wittis eitheir undirstondingis, as wynes ben conteyned in grapis, as ripe corn is conteyned in the seed, as bowis ben conteyned in the rootis, and as trees ben conteyned in the kernels (Grostede, in a sermoun Premonitus a venerabili patre). Also Hooly Scripture wlatith sofymys and seith ‘He that spekith sofisticaly either by sofymys schal be hatful and he schal be defraudid in ech thing’, as the wise man seith in xxxvii. c. of Ecclesiastici. If filosoferis, and moost the disciplis of Plato, seiden eny treuthis and prophitable to oure feith, not oonly tho treuthis owen not to be dred, but also tho schulen be calengid into oure us eithir profiit to hem, as fro unjust possessoris. And as Jewis token bi autorite of God the gold, and sylver, and clothis of Egypcians, so Cristene men owen to take the trewe seyingis of filosoveris for to worschipe oo God, and of techingis of vertues, whiche treuthis the filosoveris founden not but diggeden out of the metals of Goddis purvyaunce, which is sched everywhere. So dide Ciprian, the swettest doctour and moost blessid martir, so diden Lactancius, Victorinus, and Illarie, and Greekis withoute numbre (Austin in ii. book of Cristen Teching).

Bi these reulis of Austin and bi iiii. undirstondingis of Hooly Scripture and bi wiis knowing of figuratiif spechis, with good lyvynge and meeknesse and stodyinge of the Bible, symple men moun sumdel undirstonde the text of Holy Writ and edefie myche hemself and other men. But for Goddis love, ye symple men, bewar of pride, and veyn jangling and chyding in wordis ayens proude clerkis of scole and veyn religious, and answere yee mekely and prudently to enemyes of Goddis lawe, and preie ye hertly for hem, that God of his greet mercy yeve to hem very knowing of scripturis and meekenesse and charite. And evere be ye redy, whatever man techith eny treuthe of God, to take that meekely and with greet thankingis to God ; and if eny man in erthe either aungel of hevene techith you the contrarie of Holy Writ either enything ayens resoun and charite, fle fro him in that as fro the foul

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Écritures (Augustin dit cela à la fin du deuxième livre de la Doctrine chrétienne). Les Saintes Écritures contiennent aussi toutes les vérités profitables, et tous les autres savoirs potentiellement présents, en vertu de l’entendement ou de la compréhension des gens, de même que le vin est contenu dans les grappes de raisin, la céréale mature dans le grain, les branches dans les racines, ou les arbres dans les noyaux (Grosseteste, dans le sermon Premonitus a verabili patre23). (143-158) Et la Sainte Écriture abhorre tous les sophismes et dit « Celui qui parle de manière sophistiquée ou par sophismes est haïssable et sera privé de tout », comme dit l’homme sage en Ecclésiastique xxxvii. c.24. Si les philosophes, et particulièrement les disciples de Platon exprimaient des vérités et [des choses] profitables pour notre foi, ces vérités doivent non seulement ne pas être craintes, mais elles doivent aussi être récupérées pour notre profit [de la même manière] que de ceux qui approprient de telles vérités injustement. De même que les juifs ont pris, de par l’autorité de Dieu, l’or, l’argent et les vêtements des Égyptiens, de même les Chrétiens doivent prendre les paroles vraies des philosophes pour vénérer Dieu et pour l’apprentissage des vertus ; et les philosophes n’ont pas découvert ces vérités mais les ont extraites du métal pourvu par Dieu, qui est présent partout. Ainsi fit Cyprien, le plus doux des docteurs et le plus béni des martyrs, ainsi firent Lactancius, Victorinus, Hilaire et de très nombreux grecs (Augustin, dans le deuxième livre de la Doctrine chrétienne)25. (159-171) Avec ces règles d’Augustin, les quatre sens des Saintes Écritures et la sage connaissance des discours figuratifs, avec une bonne vie, de l’humilité et l’étude de la Bible, les hommes simples peuvent comprendre le texte de la Sainte Écriture et s’édifier eux-mêmes ainsi que les autres hommes. Mais pour l’amour de Dieu, vous les hommes simples, prenez garde à l’orgueil, aux vains bavardages et aux mauvais débats avec les clercs orgueilleux de l’école et les vains religieux ; répondez humblement et prudemment aux ennemis de la loi de Dieu et priez sincèrement pour que Dieu, dans sa grande miséricorde, leur donne la vraie connaissance des écritures, l’humilité et la charité. Et soyez toujours prêts à accueillir humblement et en remerciant Dieu une vérité divine, quelque soit l’homme qui l’enseigne ; et si un homme sur la terre ou un ange du paradis vous enseigne [quelque chose de] contraire aux Saintes Écritures, à la raison ou à la charité, fuyez23

  Robert Grosseteste (v. 1175-1253), évêque de Lincoln, fût un grand théologien anglais.   Ecclésiastique 37 : 23. 25   L’auteur reprend là des pères de l’Église cités par Augustin dans De la doctrine chrétienne, II.40.61 : saint Cyprien (220-258), Lactantius (v. 240-v. 320), Victorinus (IVe siècle) et saint Hilaire (évêque de Poitiers au IVe siècle). 24

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devel of helle, and holde ye stedfastly to liif and deeth the treuthe and freedom of the Hooly Gospel of Jhesu Crist, and take ye mekely meenis seyingis and lawis onely in as myche as thei acorden with Holy Writ and good conscience and noo ferthere, for liif neither for deth.

From Cap. XIII

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Also holy scripture is betere knowen bi licnesse and bi derknessis ; it doth awey anoyes, and we owe to thenke and bileeue, that the thing that is writen in holy scripture, yhe, thou it be hid, either not knowen, is betere and trewere than that we moun vndirstonde bi vsself ; and worschipfully and heelfully the Holy Gost mesuride so holy scripturis, that in opyn placis he settide remedie to oure hungir, and in derk placis he wipte awey anoies ; for almest not thing is seyn in tho derknessis, which thing is not founden seid ful pleynly in other placis. Therfore bifore alle thingis it is nedeful that a man be conuertid bi Goddis drede, and be mylde bi pite, either cristen religioun ; and that he ayensie not hooly scripture, wher it be vndirstonden, though it smyte eny synnes of oure, whether it be not vndirstonden, as if we moun vndirstonde betere, either comaunde, either teche betere. Be the yifte of drede and of pitee, me comith to degre of kunnyng, for whi ech fructuous man of hooly scripturis exercisith himself in this thing, and to fynde noon other thing in tho, than for to loue God for God himself, and for to loue his neighebore for God. Thanne thilke drede, bi which he thenkith on Goddis dom, and thilke pite, bi which he must nedis bileeue and geue stide to autorite of holy bookis, conpellith hym to beweyle hymself, for whi this kunnyng of good hope makith a man not to auaunce himself, but biweile himself ; and bi this affeccioun, either good wille, he geetith with besy preieris the coumfort of Goddis help, that he be not broken bi despeir ; and he bigynneth to be in the fourthe degre of goostly strengthe, in whiche he hungrith and thirstith rightfulnesse ; thanne in the v degree, that is, in the counceyl of mercy, he purgith the soule, that makith noise and vnrestfulnesse of coueitise of erthly thingis ; and thanne he dispisith filthis of soule, and louith God and neighebouris, yhe enemyes ; bi this he stiyith to the vj degre, where he purgith the iye of soule, bi whiche iye God may be seyn, as myche as he may be seyn of hem that diyen to this world, as myche as thei mowen ; for in so myche thei seen God in her soule, thourgh feith and loue, hou myche thei diyen to this world ; and in as myche as thei leuyn to this

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le comme le démon de l’enfer, et tenez-vous en fermement – dans la vie et dans la mort – à la vérité et à la liberté du Saint Évangile de Jésus Christ ; et retenez humblement les paroles et les lois des hommes, autant qu’elles s’accordent avec la Sainte Écriture et la bonne conscience – mais pas plus – dans la vie et dans la mort. (172-187) Chapitre XIII De plus, on peut mieux connaître la Sainte Écriture par l’analogie et la métaphore ; cela éloigne les tribulations, et nous devons rendre grâce et croire que ce qui est écrit dans la sainte Écriture est meilleur et plus vrai que ce que nous pouvons comprendre par nous-même – vraiment ; car le Saint Esprit a procédé à des ajustements avec dévotion et équilibre de manière à remédier à notre faim dans les passages clairs et à éloigner notre trouble dans les passages obscurs. Car il n’y a presque rien dans ces passages obscurs qui ne soit expliqué clairement dans d’autres passages. Ainsi est-il avant tout nécessaire qu’un homme soit converti par la crainte de Dieu et adouci par la pitié ou par la religion chrétienne ; et, même si une telle incompréhension nous enlève un péché, qu’il ne contredise pas la Sainte Écriture, si elle n’est pas comprise ; sommes-nous capables de mieux comprendre, mieux ordonner ou mieux enseigner ? Qu’un certain degré de savoir me vienne par les dons de la crainte et de la pitié, car pour être efficient, un homme s’exerçant aux saintes écritures ne doit trouver rien d’autre que l’amour de Dieu pour Dieu lui-même, et l’amour de son voisin pour Dieu. Ainsi cette crainte, grâce à laquelle il s’en remet au jugement de Dieu, et cette pitié, grâce à laquelle il doit croire et donner sa place à l’autorité des livres sacrés, l’empêchent de se lamenter, parce que cette connaissance de l’espoir empêche un homme de se vanter ; elle l’induit plutôt à se lamenter ; et par sa capacité émotionnelle ou par sa bonne volonté, il obtient avec de grandes prières le réconfort de l’aide de Dieu et n’est pas brisé par le désespoir ; et il entre alors dans le quatrième degré de la force spirituelle, dans lequel il devient affamé et assoiffé de droiture ; puis, dans le cinquième degré, c’est-à-dire, dans celui du conseil de miséricorde, il purge de son âme ce qui produit le bruit et le tumulte de la convoitise des choses terrestres ; et il se met à mépriser les impuretés de l’âme, il aime Dieu et ses voisins, ainsi que ses ennemis ; de cette manière, il s’élève au sixième degré, où il purge l’œil de l’âme, par quoi l’œil de Dieu peut être vu, autant qu’il peut être vu de ceux qui sont morts pour ce monde, autant qu’ils le peuvent. Car ils ne peuvent voir Dieu dans leur âme, par la foi et l’amour, qu’autant qu’ils sont morts en ce monde ; et tant qu’ils restent dans ce

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world, thei seen not God ; and in this degre, wherinne a man diyith to the world, he neither preferrith, neithir makith euene himself, neither his neighebore, with the treuthe of holy writ ; therfore this hooly man schal be so symple and clene of herte, that neither for plesaunce of men he be drawe awey fro treuthe, nether bi cause to eschewe eny harmys of himself, that ben contrarie to this lijf, such a chiild stiyith to verey wisdom, which is the laste and the vij, which he vsith in pees and in reste. Seynt Austyn seith al this in the bygynnyng of the ij book of Cristen Teching. Heere is a blissid entring bi these vij vertues to the kunnyng of holy scripture in this lijf, to haue here reste of soule, and aftirward ful reste of bodi and soule in heuene withouten ende. Alas ! what don proude and coueitouse wrecchis at hooly scripture, that seeken the world and fleschly eese, and wolen not conuerten hem fro these curchidnessis ; thei disseyuen hemself, and the puple that gessen hem wijse men, whanne thei ben opyn foolis ; and maken hemself, self deppere dampned, and other men also that suen her folye, and blasfemyn God. Thes worldly foolis schulden wite that hooly lijf is a launterne to bringe a man to very kunnynge, as Crisostom seith, and the drede and love of God is the bigynning and perfeccioun of kunnyng and wijsdom ; and whanne these fleschly apis and worldly moldewerpis han neither the bigynnyng of wijsdom, neither desyren it, what doon thei at Hooly Scripture, to schenschipe of hemself and of othere men ? As longe as pride and coveitise of worldly goodis and onouris is rootid in her herte, thei maken omage to Sathanas, and offren to him bothe bodi and soule, and al her witt and fynding. Such foolis schulden thenke that wijsedom schal not entre into an yvel willid soule, neither schal dwelle in a body soget to synnes  ; and Jhesu Crist seith that the Fadir of hevene hijdith the prevytees of Hooly Scripture fro wijse men and prudent, that is wijse men and prudent to the world, and in her owne sight, and schewith tho to meke men; therfore worldly foolis, do ye first penaunce for youre synnes, and forsake pride and coveitise, and be ye meke, and drede ye God in alle thingis, and love Him over alle other thingis, and youre neigheboris as youre self ; and thanne ye schulen profite in stodie of Hooly Writ. But alas, alas, alas ! The moost abomynacoun that ever was herd among

254 Cristen clerkis is now purposid in Yngelond, bi worldly clerkis and feyned

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monde, ils ne voient pas Dieu ; et dans ce degré, celui où un homme meurt au monde, il ne se sert pas de la vérité des Écritures pour s’avancer ni pour s’équilibrer, ni pour faire autant avec son voisin ; ainsi, cet homme sera si simple et si pur dans son cœur, qu’il ne s’éloignera jamais de la vérité pour le plaisir des hommes ou pour éviter quelque mal pour lui même – cela serait contraire à cette vie ; un tel enfant s’élève vers la vraie sagesse, qui est le dernier et le septième [degré], dont il use dans la paix et la sérénité. Saint Augustin dit tout cela dans le deuxième livre de la Doctrine chrétienne. (188-226) Ces sept vertus constituent un accès béni à la connaissance de la Sainte Écriture en cette vie, afin d’accéder ici au repos de l’âme et ensuite au plein repos du corps et de l’âme dans le ciel, à jamais. Hélas ! qu’ont fait de méchantes personnes, orgueilleuses et cupides, aux saintes écritures, elles qui recherchent le monde et les facilités de la chair, et qui ne veulent pas se détourner de ces abominations ; elles se trompent elles-mêmes, ainsi que les gens qui les prennent pour des sages, alors qu’ils ne sont clairement que des fous ; et ils se damnent eux-mêmes, et condamnent ceux qui suivent leurs folies, et ils blasphèment Dieu26. (227-234) Ces fous mondains devraient savoir qu’une vie sainte est une lanterne pour conduire un homme au vrai savoir, comme le dit Crisostome, et que la crainte et l’amour de Dieu sont le commencement et la perfection du savoir et de la sagesse. Et alors que ces singes charnels et ces taupes mondaines n’ont pas le commencement de la sagesse et ne le désirent pas, que font-ils aux saintes Écritures, pour se détruire eux-mêmes et les autres hommes ? Aussi longtemps que l’orgueil et la convoitise des biens et des honneurs de ce monde seront enracinés dans leurs cœurs, ils feront hommage à Satan et lui offriront leur corps et leur âme, leur esprit et leurs découvertes. De tels fous devraient éprouver de la gratitude pour le fait que la sagesse n’entre pas dans une mauvaise âme, ni ne reste dans un corps sujet au péché ; et Jésus Christ dit que le père des cieux cache les secrets des saintes Écritures aux hommes sages et prudents – c’est-à-dire aux hommes sages et prudents pour ce monde et pour leur propre vision – et qu’il les révèle aux hommes humbles. Ainsi donc, fous mondains, faites d’abord pénitence pour vos péchés et abandonnez l’orgueil et la convoitise ; soyez humbles, craignez Dieu en toutes choses et aimez-le par dessus tout, ainsi que vos voisins, comme vous-même ; et alors, vous profiterez de l’étude des saintes Écritures. (235-252) Mais hélas, trois fois hélas ! La pire abomination dont on ait jamais entendu parler parmi les clercs chrétiens se prépare maintenant en Angleterre du 26

  Les personnes en question sont des clercs : l’attaque anticléricale est ici très nette.

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religiouse, and in the cheef universitee of oure reume, as manye trewe men tellen with greet weylyng. This orrible and develis cursednesse is purposid of Cristis enemyes and traytouris of alle Cristen puple, that no man schal lerne dyvynité, neither Hooly Writ, no but he that hath doon his fourme in art, that is, that hath comensid in art, and hath ben regent tweyne yeer aftir. This wolde be ix. yeer either ten bifore that he lerne Hooly Writ aftir that he can comunly wel his gramer, though he have a good witt and traveile ful soore, and have good fynding ix. either x. yeer aftir his gramer. This semith uttirly the develis purpos, that fewe men either noon schulen lerne and kunne Goddis lawe. But God seith bi Amos, on thre greete trespasis of Damask and on the iiij., “ I schal not converte him”; where Jerom seith, the firste synne is to thenke yvelis, the ij. synne is to consente to weyward thoughtis, the iij. synne is to fille in werk, the iiij. synne is to do not penaunce aftir the synne, and to plese himself in his synne. But Damask is interpretid drinkynge blood, either birling blood. Lord, whether Oxunford drinke blood and birlith blood, bi sleeinge of quyke men and bi doinge of sodomye, in leesinge a part of mannis blood, wherbi a chijld myte be fourmed, deme thei that knowen ; and wher Oxunforde drinke blood of synne, and stirith othere men of the lond to do synne bi booldnesse off clerkis, deme thei justly that seen it at iye and knowen bi experiens. Loke now wher Oxunford is in thre orrible synnes and in the fourthe, on which God restith not til He punsche it.

Sumtyme children and yunge men arsistris weren devout and clene as aungels in comparisoun of othere ; now men seyn thei ben ful of pride and leccherie, with dispitouse oothis, needles and false, and dispising of Goddis heestis. Sumtyme cyvylians and canonistris weren devout and so bisy on her lernyng that they tooken ful litil reste of bed ; now men seyn that thei ben ful of pride and nyce array, envye, and coveitise, with leccherie, glotonie, and ydilnesse. Sumtyme dyvynys weren ful hooly and devout, and dispisiden outtirly the world, and lyveden as aungels in meeknesse, clennesse, sovereyn chastité, and charité, and taughten treuly Goddis lawe in werk and word ; now, men seyn, thei ben as deligat of hir

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fait des clercs mondains et des faux religieux, dans la principale université du royaume, comme beaucoup d’hommes vrais peuvent le dire avec de grandes lamentations. Cette infamie horrible et diabolique est conçue par les ennemis du Christ et les traîtres contre tout le peuple chrétien : aucun homme ne pourra apprendre la théologie, ni les saintes Écritures, à moins qu’il n’ait accompli son cursus d’art, c’est-à-dire qu’il soit maître ès art et qu’il soit régent depuis deux ans. Il se passera donc neuf ou dix ans entre le moment où il connaîtra bien sa grammaire et celui où il étudiera les saintes Écritures, même s’il a un esprit vif, qu’il travaille durement et qu’il fait de bonnes découvertes – neuf ou dix ans après [avoir appris] sa grammaire. Le fait que si peu d’hommes puissent étudier et connaître les lois de Dieu semble relever complètement de l’intention du diable. Mais Dieu dit, par le biais d’Amos, à propos des trois grandes transgressions de Damas et des quatre [crimes], « Je ne le convertirai pas »27 ; et Jérôme dit que le premier péché est de remercier le mal, que le deuxième est de consentir aux pensées perverties, que le troisième est de les transformer en actes et que le quatrième est de ne pas faire pénitence après le péché et de s’y complaire. Mais Damas est interprété comme buvant du sang ou comme se versant du sang. Seigneur, si Oxford boit du sang et se verse du sang, en tuant des hommes vivants et en pratiquant la sodomie, en perdant une part du sang de l’homme par lequel un enfant pourrait être éduqué, que ceux qui savent, jugent ; et quand Oxford boit le sang du péché et que, par l’orgueil des clercs, elle encourage les autres hommes du pays à commettre le péché, [ces derniers] jugent justement ce qu’ils ont vu de leurs yeux et ont connu par l’expérience. Voyez comme Oxford est dans les trois horribles péchés et dans le quatrième – Dieu ne se reposera pas tant qu’il n’aura pas puni cela. (253-276) Autrefois, les enfants et les jeunes artistes étaient dévots et purs comme des anges, en comparaison avec d’autres ; maintenant, les gens disent qu’ils sont remplis d’orgueil et de luxure, qu’ils sont faux et excessifs, et qu’ils méprisent les commandements de Dieu. Autrefois, les civilistes et les canonistes étaient dévots et si préoccupés de leur savoir qu’ils ne prenaient que peu de repos ; maintenant, les gens disent qu’ils sont remplis d’orgueil et d’arroi extravagant, d’envie et de convoitise, de luxure, de gloutonnerie et de paresse. Autrefois, les théologiens étaient fort saints et dévots, ils méprisaient absolument le monde et vivaient comme des anges dans l’humilité, la pureté, la souveraine chasteté et la charité, et ils enseignaient véritablement la loi de Dieu, en paroles et en actes ; maintenant, les gens disent qu’ils sont aussi avides par leur bouche et par leur ventre, et aussi cupides 27

  Cf. Amos 1 : 3-5.

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mouth and wombe, and as coveitouse as othere worldly men, and flateren, and maaken leesingis in preching, to eschewe bodyly persecuscoun, and to gete benefices. The firste grete synne is generaly in the université, as men dreden and seen at iye ; the ij. orrible synne is sodomye and strong mayntenaunce thereof, as it is knowen to many persones of the reume, and at the laste parlement. Alas, dyvynys, that schulden passe othere men in clennesse and hoolynesse, as aungels of hevene passen freel men in vertues, ben moost sclaundrid of this cursed synne agens kynde ! The iij. orrible synne is symonie, and forswering in the semble hous, that schulde be an hous of rightfulnesse and hoolynesse, where yvelis schulde be redressid ; this symonie with portenauncis thereof is myche worse and more abomynable than bodily sodomye. Yit on these thre abomynacouns God wolde graciously converte clerkis if thei wolden do very penaunce, and geve hem hooliche to vertues. But on the iiij. most abomynacoun purposid now to letten Cristen men – yhe, prestis and curatis – to lerne freely Goddis lawe til thei han spendid ix. yeer either x. at art, that conprehendith many strong errouris of hethene men agens Cristen bileeve, it seemith wel that God wole not ceese of venjaunce til it and othere ben punschid soore ; for it seemith that worldly clerkis and feyned relygiouse don this, that symple men of wit and of fynding knowe not Goddis lawe, to preche it generaly agens synnes in the reume.

But wite ye, worldly clerkis and feyned relygiouse, that God bothe can and may, if it lykith Hym, speede symple men out of the universitee, as myche to kunne Hooly Writ as maistris in the université ; and therfore no gret charge, though never man of good wille be poisend with hethen mennis errouris ix. yeer either ten, but evere lyve wel and stodie Hooly Writ, bi elde doctouris and newe, and preche treuly and freely agens opin synnes, to his deth. See therfore what Jerom seith on Amos. God bifore seith yvels to comynge, that men heere, and amende hemself, and be delyvered fro the perel neighinge, either if that thei dispisen, thei ben punschid justiliere ; and God, that bifore seith peynes, wole not punsche men that synnen but that thei be amendid. Jerom seith this in the ende of the j. book of Amos. God, for His greet mercy, graunte that clerkis here the greet venjaunce manasid of God, and amende hemself treuly, that God punsche not hem ; for if thei amenden not hemself, thei ben eretikis maad hard in her synnes.

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que les autres hommes de ce monde, et qu’ils flattent et mentent lorsqu’ils prêchent, pour éviter les persécutions corporelles et obtenir des bénéfices. Le premier péché est général dans l’université, comme les gens le craignent et le voient de leurs yeux ; le deuxième horrible péché est la sodomie et sa grande maintenance, comme cela est connu de nombreuses personnes dans le royaume – et du dernier parlement. Hélas, les théologiens, qui devraient surpasser les autres hommes en pureté et en sainteté, comme les anges du ciel surpassent les hommes faibles en vertus, sont fort affectés par cet horrible péché contre nature ! Le troisième horrible péché est la simonie, et il y a des faux serments dans la maison de l’assemblée, qui devrait être une maison de la justice et de la sainteté, dans laquelle le mal devrait être redressé ; la simonie et ses dépendances sont bien pires et plus abominables que la sodomie corporelle. Et pourtant, Dieu détournerait gracieusement les clercs de ces trois abominations, s’ils voulaient bien faire vraiment pénitence et s’adonner saintement aux vertus. Mais pour la quatrième abomination dont l’intention est d’empêcher les Chrétiens – c’est-à-dire les prêtres et les curés – d’étudier librement la loi de Dieu avant d’avoir passé neuf ou dix ans [à apprendre] les arts (qui comprennent de nombreuses erreurs venues des païens contre les croyances chrétiennes), il semble bien que Dieu ne cessera pas sa vengeance avant que cela ne soit rigoureusement puni. Car il semble que les clercs mondains et les faux religieux fassent tout cela pour que les simples hommes d’esprit et de découverte ne connaissent pas la loi de Dieu et ne puissent la prêcher généralement contre les péchés du royaume. (277-307) Mais sachez-le, clercs mondains et faux religieux, Dieu peut, s’il le désire, assister les hommes simples en dehors de l’université pour apprendre les saintes Écritures, aussi bien que les maîtres de l’université. Et ce n’est donc pas une grande affaire – aucun homme de bonne volonté ne sera empoisonné par des erreurs de païens durant neuf ou dix ans, mais il vivra bien et étudiera les saintes Écritures, grâce aux anciens docteurs et aux nouveaux, et il prêchera véritablement et librement contre les péchés commis, jusqu’à sa mort. Voyez donc ce que dit Jérôme à propos d’Amos. Dieu a évoqué les maux à venir pour que les hommes l’entendent, s’amendent et soient délivrés des périls approchants, et pour que s’ils méprisent cela, ils soient justement punis ; et Dieu, qui a évoqué ces peines, ne punira pas les hommes qui ont péché mais qui se sont amendés. Jérôme dit cela à la fin du premier livre d’Amos. Dieu, dans sa grande miséricorde, a accordé que les clercs entendent la grande vengeance dont Dieu les menaçait, pour qu’ils s’amendent véritablement et que Dieu ne les punisse pas ; car s’ils n’amendaient pas, ils seraient des hérétiques endurcis dans leurs péchés. (308-322)

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But see what Jerom seith agens eretikis and in comendinge of Hooly Scripture. He seith thus on Amos : “Eretikis that serven the wombe and glotonye ben clepid rightfully fattest kyin, either kyin ful of schenschipe”. We owen to take Hooly Scripture on thre maneris. First, we owen undirstonde it bi the lettre and do alle thingis that ben comaundid to us therinne ; the ij. tyme bi allegorie, that is, goostly undirstonding ; and in the iij. tyme bi blisse of thingis to comynge.” Jerom seith this in the ij. book on Amos, and in iiij. co. of Amos. Natheles for Lyre cam late to me, see what he seith of the undirstonding of Holy Scripture. He writith thus on the ij. prologe on the Bible : “Joon seith in v. co. of Apoc. ‘I sygh a book written withinne and withouteforth in the hond of the sittere on the trone’ ; this book is Holy Scripture, which is seid writen without forth as to the literal undirstonding and withinne as to the prevy and goostly undirstonding”. And in the j. prologe he declarith iiij. undirstondingis of Hooly Writ in this manere : “Holy Writ hath this specialté, that undir oo lettre it conteyneth many undirstondingis ; for the principal autour of Hooly Writ is God Himself, in whose power it is not oonly to use wordis to singnifie a thing as men don, but also He usith thingis singnefied bi wordis to singnefie other thingis ; therfore, bi the singnyfying bi wordis is taken the literal undirstonding (either historial) of Holy Scripture, and bi the singnefying which is maad bi thingis is taken the prevy either goostly undirstonding, which is thre maneres – allegorik, moral (either tropologik), and anogogik. If thingis singnefied bi wordis ben referrid to singnefie tho thingis that owen to be bileeved in the Newe Testament, so it is taken the sense of allegorik. If thingis ben referrid to singnefie tho thingis whiche we owen to do, so it is moral sense either tropologik. If thingis ben referrid to singnefie tho thingis that scholen be hopid in blisse to comynge, so it is anagogik sense. The lettre techith what is doon ; allegorie techith what thou owist for to bileeve ; moral techith what thou owist for to do ; anagogic techith whedir thou owist to go. And of these iiij. sensis (either undirstondingis) may be set ensaumple in this word Jerusalem. For bi the literal undirstonding Jerusalem singnefieth a cyté that was sumtyme the cheef citée in the rewme of Jude ; and Jerusalem was foundid first of Melchisedech, and aftirward it was alargid and maad strong bi Salomon. Bi moral sense it singnefieth a feithful soule, bi which sense it is seid in lij. c. of Isaie, ‘ Rise thou, rise thou, sette thou Jerusalem.’ Bi sense allegorik it singnefieth the Chirche fightinge agens synnes and feendis, bi which sense it is seid in xxj. co. of Apoc : ‘ I sigh the hooly

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Mais voyez ce que Jérôme dit contre les hérétiques, avec la caution des saintes Écritures. Il dit cela à propos d’Amos : « Les hérétiques qui servent leur ventre et leur gloutonnerie sont appelés justement les troupeaux les plus gras ou les troupeaux pleins de destruction ». « Nous devrions envisager les saintes Écritures de trois manières. Nous devons les comprendre premièrement à la lettre et accomplir tout ce qui nous y est ordonné ; deuxièmement par l’allégorie, c’est-à-dire par le sens spirituel ; et troisièmement par la bénédiction des choses à venir  ». Jérôme dit cela dans le deuxième livre sur Amos, et dans le quatrième chapitre d’Amos. Néanmoins, puisque Lyre est venu à mon attention plus tardivement, voyons ce qu’il a à dire sur la compréhension des saintes Écritures. Il écrit ainsi dans le deuxième prologue sur la Bible : « Jean dit dans le cinquième chapitre de l’Apocalypse, “J’ai vu un livre écrit au recto et au verso dans la main de celui qui est assis sur le trône”28 ; ce livre, ce sont les saintes Écritures, que l’on dit écrit au verso pour le sens littéral et au recto pour les sens secrets et spirituels ». Et dans le premier prologue, il expose les quatre sens des saintes Écritures de cette manière : « Les saintes Écritures ont cette particularité, qui est que sous la lettre, elles contiennent de nombreux sens ; car l’auteur principal des saintes Écritures est Dieu lui-même, qui a non seulement le pouvoir d’utiliser un mot pour signifier une chose – comme les hommes font – mais aussi d’utiliser des choses signifiées par des mots pour signifier d’autres choses ; ainsi, la signification par les mots est comprise comme le sens littéral (ou historique), et la signification qui est faite par les choses [est comprise comme] le sens secret ou spirituel, qui est de trois sortes – allégorique, morale (ou tropologique) et anagogique. Si les choses signifiées par les mots renvoient aux choses qui doivent être crues dans le Nouveau Testament, c’est alors le sens allégorique. Si les choses renvoient aux choses que nous devons faire, c’est alors le sens moral ou tropologique. Si les choses renvoient à ce qui doit être espéré dans la bénédiction à venir, c’est alors le sens anagogique. La lettre enseigne ce qui est fait ; l’allégorie enseigne ce qu’il faut croire ; le sens moral enseigne ce qu’il faut faire ; l’anagogique enseigne sur l’endroit où l’on doit aller. Et pour ces quatre sens (ou interprétations), le mot Jérusalem peut être pris en exemple. Car selon le sens littéral, Jérusalem est une cité qui fut jadis la capitale du royaume de Judée ; et Jérusalem fut fondée par Melchisédech, et fut ensuite élargie et fortifiée par Salomon. Selon le sens moral, Jérusalem représente une âme fidèle, sens qui est mentionné dans le 52e chapitre d’Isaïe, “Lèvetoi, lève-toi, debout Jérusalem”29. Selon le sens allégorique, cela représente l’Église combattante contre les péchés et les démons, sens qui apparaît 28 29

  Apoc. 5 : 1.   Cf. Isaïe 51-52.

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citée newe Jerusalem comynge doun fro hevene, as a spouse ourned to hire housbonde.’ Bi sence anagogik it singnefieth the Chirche rengninge in blisse ; bi this sence it is seid in iiij. co. to Galat. : ‘ Thilke Jerusalem which is above, which is oure modir, is free ‘ ; and as ensaumple is set in oo word, so it might be set in oo resoun, and as in oon, so and in othere.” Lire seith al this in the firste prologe on the Bible.

Chapitre XV

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For as myche as Crist seith that the Gospel shal be prechid in al the world, and Davith seith of the apostlis and her preching, “The soun of hem yede out into ech lond, and the wordis of hem yeden out into the endis of the world” ; and eft Davith seith, “The Lord schal telle in the Scripturis of puplis, and of these princis that weren in it”, that is, in Holi Chirche. And as Jerom seith on that vers : “Hooly Writ is the scripture of puplis, for it is maad that alle puples schulden knowe it”. And the princis of the Chirche that weren therinne ben the apostlis that hadden autorite to writen Hooly Writ, for bi that same that the apostlis writiden her scripturis bi autorite and confermynge of the Hooly Goost, it is Hooly Scripture, and feith of Cristen men, and this dignite hath noo man aftir hem, be he nevere so hooly, never so kunnynge, as Jerom witnessith on that vers. Also Crist seith of the Jewis that crieden Osanna to Him in the temple that, though thei weren stille, stoonis schulen crie, and bi stoonis He undirstondith hethen men that worshipiden stoonis for her goddis. And we Englische men ben comen of hethen men, therfore we ben undirstonden bi thes stonis, that schulden crie Hooly Writ ; and as Jewis, interpretid knowlechinge, singnefien clerkis that schulden knouleche to God bi repentaunce of synnes and bi vois of Goddis heriyng, so oure lewide men, suynge the corner ston Crist, mowen be singnefied bi stonis, that ben harde and abydinge in the foundement. For, though covetouse clerkis ben woode by simonie, eresie, and manye othere synnes, and dispisen and stoppen Holi Writ as myche as thei moun, yit the lewid puple crieth aftir Holi Writ, to kunne it, and kepe it, with greet cost and peril of here lif.

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dans le 21e chapitre de l’Apocalypse, “J’ai vu la sainte cité, Jérusalem la nouvelle, descendre du ciel comme une épouse parée pour son mari”30. Selon le sens anagogique, cela représente l’Église régnant dans la béatitude ; ce sens est mentionné dans le quatrième chapitre de Galates, “Voici que Jérusalem qui est au-dessus, qui est notre mère, est libre”31 ; et de même que cet exemple porte sur un mot, il pourrait porter sur un argument et sur bien d’autres ». Lyre dit tout cela dans le premier prologue sur la Bible. (323-366) Chapitre XV Car le Christ dit que l’Évangile doit être prêché dans le monde, et David dit des apôtres et de leur prédication : « leurs voix ont été dans chaque terre, et leurs paroles ont été jusqu’à la fin du monde » ; et David a dit aussi, « le Seigneur parlera du peuple dans les Écritures, et de ces princes qui sont là »32, c’est-àdire dans la Sainte Église. Et Jérôme dit dans ce passage : « La Sainte Écriture est l’écriture du peuple, car elle a été faite pour que tous la connaissent ». Et les princes de l’Église qui se trouvaient là étaient les apôtres qui avaient autorité pour écrire la Sainte Écriture ; et de même, les apôtres ont composé leurs écrits par autorité et confirmation du Saint Esprit – ce sont les Saintes Écritures, foi des Chrétiens – ; et aucun homme n’a reçu cette dignité par la suite, quelle que soit sa sainteté ou son savoir, comme Jérôme en témoigne dans ce passage. Le Christ a aussi dit des Juifs qui lui ont crié «  Hosannah  » dans le temple que si eux se taisent, les pierres crieront  ; et par les pierres, il entendait les païens qui vénèrent des pierres comme leurs dieux33. Et nous, Anglais, sommes venus des païens, et ainsi nous devrions être compris comme ces pierres, qui devraient réclamer la Sainte Écriture ; et de même que les Juifs, interprétant le savoir, signifient les clercs qui devraient connaître Dieu par la repentance des péchés et par la voix des louanges de Dieu, de même les laïcs, grimpant la pierre d’angle – le Christ – devraient signifier les pierres, solides et fermes pour les fondations. Car, bien que les clercs cupides aient été rendus fous par la simonie, l’hérésie et beaucoup d’autres péchés, et qu’ils aient méprisé et étouffé les Saintes Écritures autant qu’ils l’ont pu, le peuple laïc réclame pourtant les Saintes Écritures, pour les connaître et les protéger, à grand coût et grand péril de leur vie. (367-391)

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  Cf. Apoc. 21 : 2.   Cf. Gal. 4 : 26.   Cf. Ps. 86: 6. 33   Cf. Luc 19 : 40. 31

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For these resons and othere, with comune charite to save alle men in oure rewme whiche God wole have savid, a symple creature hath translatid the Bible out of Latyn into English. First, this symple creature hadde myche travaile, with diverse felawis and helperis, to gedere manie elde Biblis, and othere doctouris and comune glosis, and to make oo Latyn Bible sumdel trewe ; and thanne to studie it of the Newe, the text with the glose, and othere doctouris as he mighte gete, and speciali Lire on the Elde Testament, that helpide ful myche in this werk. The thridde tyme to counseile with elde gramariens and elde dyvynis of harde wordis and harde sentencis, hou tho mighten best be undurstonden and translatid. The iiij. tyme to translate as cleerli as he coude to the sentence, and to have manie gode felawis and kunnynge at the correcting of the translacioun.

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First it is to knowe that the best translating is out of Latyn into English to translate aftir the sentence and not oneli aftir the wordis, so that the sentence be as opin (either openere) in English as in Latyn and go not fer fro the lettre ; and if the lettre mai not be suid in the translating, let the sentence evere be hool and open, for the wordis owen to serve to the entent and sentence and ellis the wordis ben superflu either false. In translating into English, manie resolucions moun make the sentence open, as an ablatif case absolute may be resolvid into these thre wordis, with covenable verbe, the while, for, if, as gramariens seyn  ; as thus  : the maistir redinge, I stonde mai be resolvid thus, while the maistir redith, I stonde, either if the maistir redith, etc. either for the maistir, etc. And sumtyme it wolde acorde wel with the sentence to be resolvid into whanne either into aftirward ; thus, whanne the maistir red, I stood, either aftir the maistir red, I stood. And sumtyme it mai wel be resolvid into a verbe of the same tens, as othere ben in the same resoun, and into this word et (that is, and in English) ; as thus, arescentibus hominibus prae timore, that is, and men shulen wexe drie for drede. Also a participle of a present tens either preterit, of actif vois eithir passif, mai be resolvid into a verbe of the same tens and a conjunccioun copulatif ; as thus, dicens, that is, seiynge, mai be resolvid thus : and seith eithir that seith. And this wole, in manie placis, make the sentence open, where to Englisshe it aftir the word wolde be derk and douteful. Also a relatif, which mai be resolvid into his antecedent with a conjunccioun copulatif ; as thus, which renneth, and he renneth. Also whanne oo word is oonis set in a reesoun, it mai be set forth as ofte as it is undurstonden either as ofte as reesoun and nede axen. And this word autem either vero mai stonde for forsothe either

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Pour ces raisons et pour d’autres, [dans un esprit de] charité commune pour sauver tous les hommes de notre royaume que Dieu voudrait sauver, une humble créature a traduit la Bible du latin en anglais. Premièrement, cette humble créature a beaucoup travaillé, avec diverses personnes et divers soutiens, pour rassembler de nombreuses Bibles anciennes, ainsi que d’autres [textes] de docteurs et des gloses ordinaires, pour obtenir si possible une bonne Bible en latin34  ; et puis pour l’étudier à nouveau, le texte et la glose, avec d’autres [textes] de docteurs qu’il a pu obtenir, et notamment Lyre sur l’Ancien Testament, qui a beaucoup aidé pour ce travail. Troisièmement, il a pris conseil auprès de grammairiens et d’honorables théologiens, sur la manière dont les mots et les interprétations obscurs pouvaient être compris et traduits. Dans un quatrième temps, il a traduit aussi fidèlement que possible selon le sens, et beaucoup d’hommes de bien et de savoir ont corrigé cette traduction. (392-404) Il faut d’abord savoir que, pour traduire au mieux du latin vers l’anglais, il faut traduire d’après le sens et non pas seulement d’après les mots, afin que le sens soit aussi clair (ou plus clair) en anglais qu’en latin et ne s’éloigne pas trop de la lettre : et si la traduction ne peut suivre exactement la lettre, il faut que le sens soit toujours droit et clair, car les mots doivent servir à l’entendement et au sens, sinon ils sont superflus ou faux. Pour la traduction en anglais, de nombreuses solutions peuvent clarifier le sens  : un ablatif absolu peut être transformé par un verbe approprié et ces trois mots, pendant, car, si, comme les grammairiens le disent ; par exemple, le maître lisant, je me tiens debout peut être transformé ainsi : pendant que le maître lit, je me tiens debout, ou si le maître lit ou car le maître lit, etc. Et quelquefois, cela s’accordera bien avec le sens en étant transformé en quand ou en après que ; ainsi, quand le maître lisait, je me tenais debout ou après que le maître ait lu, je me tiens debout. Et parfois, cela peut être transformé avec un verbe du même temps, comme sont d’autres dans le même énoncé, et avec ce mot et (c’est-à-dire et en anglais) ; ainsi, arescentibus hominibus prae timore devient et les hommes devront s’assécher par la peur. Par ailleurs, un participe présent ou un prétérit, à la voix active ou passive, peut être transformé en un verbe du même temps avec une conjonction copulative ; ainsi, dicens, c’est-à-dire, disant, peut être transformé ainsi : et il dit ou ce qu’il dit. Et cela rendra, en de nombreux endroits, le sens plus clair, alors que [la traduction] en anglais mot à mot serait obscure et douteuse. Il y a aussi la relative qui peut être rendue par son antécédent avec une conjonction copulative  : ainsi, qui court, et il court. De même, lorsque l’on place une fois un mot dans un énoncé, on peut l’utiliser autant de fois pour qu’il soit compris, ou autant que la raison et le besoin le requièrent. Et les mots autem ou vero peuvent être traduits par en 34   L’auteur exprime là une préoccupation importante vis-à-vis de la qualité de son texte, que l’on retrouve détaillée plus bas.

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for but, and thus I use comounli ; and sumtyme it mai stonde for and, as elde gramariens seyn. Also whanne rightful construccioun is lettid by relacion, I resolve it openli. Thus, where this reesoun, Dominum formidabunt adversarij ejus, shulde be Englisshid thus bi the lettre, the Lord hise adversaries shulen drede, I Englishe it thus bi resolucioun, the adversaries of the Lord shulen drede him ; and so of othere resons that ben like. At the bigynnyng I purposide, with Goddis helpe, to make the sentence as trewe and open in English as it is in Latyn, either more trewe and more open than it is in Latyn ; and I preie, for charité and for comoun profyt of Cristene soulis, that if ony wiys man fynde ony defaute of the truthe of translacioun, let him sette in the trewe sentence and opin of Holi Writ, but loke that he examyne truli his Latyn Bible, for no doute he shal fynde ful manye Biblis in Latyn ful false, if he loke manie, nameli newe. And the comune Latyn Biblis han more nede to be correctid, as manie as I have seen in my lif, than hath the English Bible late translatid ; and where the Ebru, bi witnesse of Jerom, of Lire, and othere expositouris, discordith fro oure Latyn Biblis, I have set in the margyn, bi maner of a glose, what the Ebru hath, and hou it is undurstondun in sum place. And I dide this most in the Sauter, that of alle oure bokis discordith most fro Ebru ; for the Chirche redith not the Sauter bi the laste translacioun of Jerom out of Ebru into Latyn, but another translacioun of othere men, that hadden myche lasse kunnyng and holynesse than Jerom hadde ; and in ful fewe bokis the Chirche redith the translacioun of Jerom, as it mai be previd bi the propre origynals of Jerom, whiche he gloside. And where I have translatid as opinli or opinliere in English as in Latyn, late wise men deme, that knowen wel bothe langagis and knowen wel the sentence of Holi Scripture. And where I have do thus or nay, ne doute – thei that kunne wel the sentence of Holi Writ and English togidere and wolen travaile, with Goddis grace, theraboute – moun make the Bible as trewe and as opin, yea, and opinliere, in English than it is in Latyn. And no doute to a symple man, with Goddis grace and greet travail, men mighten expoune myche openliere and shortliere the Bible in English than the elde greete doctouris han expounid it in Latyn, and myche sharpliere and groundliere than manie late postillatouris, eithir expositouris, han don. But God, of His grete merci, geve to us grace to lyve wel and to seie the

467 truthe in covenable manere, and acceptable to God and His puple, and 468 to spille not oure tyme, be it short be it long at Goddis ordynaunce. But 469 summe, that semen wise and holi, seyn thus: if men now weren as holi as

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vérité ou par mais, et je les utilise ainsi en général ; mais parfois, ils signifient et, comme de vénérables grammairiens le disent. De plus, quand une construction correcte est empêchée par le contexte, je la transforme de manière claire. Ainsi, alors que cette phrase, Dominum formidabunt adversarij ejus, serait ainsi rendue mot à mot en anglais, le Seigneur ses ennemis doit craindre, je la traduis en le transformant ainsi, les ennemis du Seigneur doivent le craindre ; et il en est de même pour d’autres phrases semblables. (405-437) Au début, mon objectif était – avec l’aide de Dieu – de rendre le sens aussi vrai et clair en Anglais qu’il l’est en latin, ou encore plus vrai et plus clair ; et je prie, pour la charité et pour le profit commun des âmes chrétiennes, que si un homme sage trouve quelque défaut à la vérité de la traduction, il établisse le vrai et clair sens de la Sainte Écriture ; mais voyez s’il examine vraiment sa Bible latine, car il trouvera sans aucun doute de mauvaises Bibles en latin, s’il en regarde beaucoup, et notamment des récentes. Car les Bibles latines ordinaires ont plus grand besoin d’être corrigées – et j’en ai vu beaucoup dans ma vie – que la Bible anglaise traduite récemment ; et lorsque [la bible en] hébreu, d’après le témoignage de Jérôme, de Lyre et d’autres commentateurs, diverge d’avec les bibles latines, j’ai noté dans la marge, sous forme de glose, la version hébraïque, et la manière dont cela est parfois compris. Et je l’ai fait surtout pour le Psautier, qui est le livre où il y a le plus de divergences d’avec l’hébreu ; car l’Église ne lit pas le Psautier dans la dernière traduction de Jérôme de l’hébreu vers le latin, mais dans une autre traduction, faite par des gens qui possédaient beaucoup moins de savoir et de sainteté que Jérôme. Et que les hommes sages jugent le fait que j’ai traduit aussi clairement ou plus clairement en anglais qu’en latin, eux qui connaissent à la fois la langue et le sens des Saintes Écritures. Et que je l’ai fait ou non, il n’y a pas de doute que ceux qui connaissent bien à la fois le sens des Saintes Écritures et l’anglais et qui travaillent là-dessus, pourront en faire une aussi vraie et claire, et même plus claire, en anglais qu’en latin, avec la grâce de Dieu. Et il ne fait pas de doute pour un homme simple, qu’avec la grâce de Dieu et un grand travail, les hommes peuvent exposer plus clairement et plus brièvement la Bible en anglais, que les vénérables grands docteurs ne l’ont fait en latin, et avec plus de sagacité et de fondements que beaucoup de commentateurs récents ne l’ont fait. (438-465)

Mais que Dieu, dans sa grande miséricorde, nous donne la grâce de vivre bien et de dire la vérité de manière appropriée, acceptable pour Dieu et son peuple, et de ne pas gaspiller notre temps, qu’il soit court ou long selon l’ordonnance de Dieu. Mais certains, qui semblent sages et saints, disent ceci : si les hommes

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Jerom was, thei mighten translate out of Latyn into English, as he dide out of Ebru and out of Greek into Latyn, and ellis thei shulden not translate now, as hem thinkith, for defaute of holynesse and of kunnyng. Though this replicacioun seme colourable, it hath no good ground, neither resoun, neithir charité forwhi this replicacioun is more agens Seynt Jerom and agens the firste LXX. translatouris, and agens Holi Chirche, than agens symple men, that translaten now into English. For Seynt Jerom was not so holi as the apostlis and evangelistis, whos bokis he translatide into Latyn, neither he hadde so highe giftis of the Holi Gost as thei hadden ; and myche more the LXX. translatouris weren not so holi as Moises and the profetis, and speciali Davith, neither thei hadden so greete giftis of God as Moises and the prophetis hadden. Ferthermore Holi Chirche appreveth not oneli the trewe translacioun of meene Cristene men, stidefast in Cristene feith, but also of open eretikis, that diden awei manie mysteries of Jhesu Crist bi gileful translacioun, as Jerom witnessith in oo prolog on Job and in the prolog of Daniel. Myche more late the chirche of Engelond appreve the trewe and hool translacioun of symple men, that wolden for no good in erthe, bi here witing and power, putte awei the leste truthe – yea, the leste lettre either title – of Holi Writ that berith substaunce either charge. And dispute thei not of the holynesse of men now lyvynge in this deadli lif, for thei kunnen not theron, and it is reservid oneli to Goddis doom. If thei knowen ony notable defaute bi the translatouris either helpis of hem, lete hem blame the defaute bi charité and merci and lete hem nevere dampne a thing that mai be don lefulli, bi Goddis lawe, as weeryng of a good cloth for a tyme either riding on an hors for a greet journey, whanne thei witen not wherfore it is don; for suche thingis moun be don of symple men, with as greet charité and vertu as summe that holden hem greete and wise kunnen ride in a gilt sadil either use cuyssyns and beddis and clothis of gold and of silk, with othere vanitées of the world. God graunte pité, merci, and charité, and love of comoun profyt, and putte awei such foli domis, that ben agens resoun and charité. Yit worldli clerkis axen gretli what spiryt makith idiotis hardi to translate now the Bible into English, sithen the foure greete doctouris dursten nevere do this ? This replicacioun is so lewid that it nedith noon answer no but stillnesse eithir curteys scorn ; for these greete doctouris weren noon English men, neither thei weren conversaunt among English men neither in caas thei kouden the langage of English, but thei ceessiden nevere til they hadden Holi Writ in here

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d’aujourd’hui étaient aussi saints que Jérôme, ils pourraient traduire du latin en anglais, comme il le fit de l’hébreu et du grec vers le latin ; mais ils pensent que par défaut de sainteté et de connaissance, ils ne devraient pas traduire aujourd’hui. Bien que cet argument semble plausible, il n’a ni fondement, ni raison, ni charité ; car cet argument est davantage [tourné] contre saint Jérôme, contre les LXX traducteurs et contre la sainte Église, que contre les simples hommes qui traduisent aujourd’hui en anglais35. Car saint Jérôme n’était pas aussi saint que les apôtres et les évangélistes, dont il a traduit les livres en latin, et il n’a pas eu les dons si élevés du saint Esprit qu’ils ont eu ; et plus encore, les LXX traducteurs n’étaient pas aussi saints que Moïse et les prophètes, en particulier David, et ils n’avaient pas les grands dons de Dieu qu’avaient Moïse et les prophètes. De plus, la Sainte Église n’a pas seulement approuvé la bonne traduction d’humbles chrétiens fermes dans leur foi chrétienne, mais aussi celle d’hérétiques déclarés, qui laissèrent de côté de nombreux mystères de Jésus Christ par une traduction trompeuse, comme en témoigne Jérôme dans son prologue de Job et dans le prologue de Daniel. Que l’Église d’Angleterre donne davantage son approbation à la vraie et solide traduction d’hommes simples, qui ne voudraient pas, pour obtenir un bien matériel) par moyen de leur plumes et de leur pouvoir, obscurcir la moindre des vérités, oui, la moindre lettre ou titre, de l’Écriture Sainte qui comporte des propos significatifs ou importants. Et ils n’ont pas discuté de la sainteté d’hommes vivant alors dans cette vie mortelle, car ils ne la connaissaient pas – et cela est réservé au seul jugement de Dieu. S’ils connaissent un défaut notable des traducteurs ou de ceux qui les ont aidés, laissez-les blâmer ces défauts par charité ou par miséricorde, mais ne laissez pas condamner une chose qui a été faite de manière licite, par la loi de Dieu, comme porter un bon habit pour un temps ou monter à cheval pour un long voyage ; car de telles choses peuvent être faites par des hommes simples avec autant de charité et de vertu que ceux qui se tiennent pour grands et sages, et savent chevaucher sur une selle dorée ou utiliser des coussins, des lits et des vêtements de soie et d’or, ainsi que d’autres vanités de ce monde. Que Dieu leur accorde pitié, miséricorde, charité et amour du commun profit, et qu’il les détourne de tels stupides jugements, qui vont contre la raison et la charité. Pourtant, des clercs mondains se demandent beaucoup quel esprit a rendu des idiots assez hardis pour traduire la Bible en anglais, alors que les quatre grands docteurs n’ont jamais osé le faire. Cet argument est si stupide qu’il n’est pas besoin d’y répondre, sinon par le silence ou par un mépris courtois ; car ces grands docteurs n’étaient pas des Anglais, ne conversaient pas avec des Anglais et ne pouvaient connaître la langue anglaise ; mais ils n’eurent de cesse d’avoir 35

  Les Septantes constituent la plus ancienne traduction de la Bible en grec. Selon la tradition, elle aurait été réalisée par 70 (ou 72) traducteurs juifs pour Ptolémée II au IIIe siècle avant J.C. En fait, sa rédaction a bien commencé à ce moment, mais s’étend sur une période plus longue.

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modir tunge, of here owne puple. For Jerom, that was a Latyn man of birthe, translatide the Bible bothe out of Ebru and out of Greek, into Latyn, and expounide ful myche therto. And Austyn and manie mo Latyns expouniden the Bible for manie partis, in Latyn, to Latyn men, among whiche thei dwelliden, and Latyn was a comoun langage to here puple aboute Rome and biyondis  ; and on this half, as Englische is comoun langage to oure puple, and yit this day the comoun puple in Italie spekith Latyn corrupt, as trewe men seyn that han ben in Italie. And the noumbre of translatouris out of Greek into Latyn passith mannis knowing, as Austyn witnessith in the ij. book Of Cristene Teching, and seith thus : “ The translatouris out of Ebru into Greek moun be noumbrid, but Latyn translatouris either thei that translatiden into Latyn, moun not be noumbrid in ony manere.” For in the firste tymes of feith, ech man, as a Greek book came to him and he semyde to him-silf to have sum kunnyng of Greek and of Latyn, was hardi to translate ; and this thing helpide more than lettide undurstonding, if rederis ben not necligent, forwhi the biholding of manie bokis hath shewid ofte eithir declarid summe derkere sentencis. This seith Austyn there. Therfore Grosted seith that it was Goddis wille that diverse men translatiden, and that diverse translacions be in the Chirche ; for where oon seide derkli, oon either mo seiden openli. Lord God – sithen at the bigynnyng of feith so manie men translatiden into Latyn, and to greet profyt of Latyn men, lat oo symple creature of God translate into English, for profyt of English men ! For if worldli clerkis loken wel here croniclis and bokis, thei shulden fynde that Bede translatide the Bible and expounide myche in Saxon that was English either comoun langage of this lond in his tyme ; and not oneli Bede but also King Alvred, that foundide Oxenford, translatide in hise laste daies the bigynning of the Sauter into Saxon, and wolde more if he hadde lyved lengere. Also Frenshe men, Beemers, and Britons han the Bible and othere bokis of devocioun and of exposicioun translatid in here modir langage. Whi shulden not English men have the same in here modir langage I can not wite – no but for falsnesse and necgligence of clerkis either for oure puple is not worthi to have so greet grace and gifte of God, in peyne of here olde synnes ? God for His merci amende these evele causis, and make oure puple to have, and kunne, and kepe truli Holi Writ to lijf and deth ! But in translating of wordis equivok – that is, that hath manie significacions under oo lettre – mai lightli be pereil ; for Austyn seith in the ij. book Of Cristene Teching that if equivok wordis be not

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les saintes Écritures dans leur langue maternelle, celle de leur propre peuple. Car Jérôme, qui était un latin de naissance, a traduit la Bible de l’hébreu et du grec en latin et l’a beaucoup commenté. Et Augustin et beaucoup d’autres latins ont commenté de nombreuses parties de la Bible en latin, pour des hommes latins, parmi lesquels ils vivaient ; et le latin était le langage commun du peuple de Rome et des alentours  ; et de la même manière que l’anglais est le langage commun de notre peuple, le peuple commun de l’Italie parle encore aujourd’hui un latin corrompu, comme le disent d’honnêtes hommes qui ont été en Italie. Et le nombre de traducteurs du grec vers le latin dépasse la connaissance des hommes, comme en témoigne Augustin dans le deuxième livre de la Doctrine chrétienne ; il dit ainsi : « les traducteurs de l’hébreu vers le grec peuvent être dénombrés, mais les traducteurs latins, ou qui ont traduit en latin, ne peuvent être dénombrés en aucune manière ». Car dans les premiers temps de la foi, chaque homme était assez hardi pour faire une traduction, lorsqu’un livre grec venait à lui et qu’il lui semblait posséder suffisamment de connaissances en grec et en latin. Et cela a plus aidé à la compréhension que cela ne l’a diminué, sauf si les lecteurs sont négligents, car le fait d’aller voir de nombreux livres a souvent éclairé ou expliqué des sentences obscures. Ainsi écrit Augustin. Grosseteste dit donc que ce fut par la volonté de Dieu que des hommes divers ont fait des traductions, et qu’il existe diverses traductions au sein de l’Église  ; car si une était obscure, une autre pouvait être plus claire. Seigneur Dieu, puisque aux commencements de la foi tant d’hommes ont traduit en latin, et pour le grand profit des Latins, laisse une humble créature de Dieu traduire en anglais, pour le profit des Anglais ! (466-530) Et si les clercs mondains regardent bien les chroniques et les livres, ils trouveront que Bède a traduit la Bible et l’a beaucoup commenté en saxon, qui était alors l’anglais ou le commun langage de cette terre  ; et pas seulement Bède, mais aussi le roi Alfred, qui a fondé Oxford, qui a traduit à la fin de sa vie le début du Psautier en saxon et qui en aurait fait plus s’il avait vécu plus longtemps36. Et les Français, les Bohémiens et les Bretons possèdent la Bible et d’autres livres de dévotion et de commentaires traduits dans leur langue maternelle. Pourquoi les Anglais ne pourraient-ils avoir la même chose dans leur langue maternelle  ? Je ne le sais pas. Par fausseté et par négligence des clercs pour notre peuple, indigne d’une si grande grâce et du don de Dieu, en châtiment des anciens péchés ? Que Dieu dans sa miséricorde amende de si mauvaises causes, et fasse que notre peuple ait, connaisse et protège les vraies saintes Écritures à la vie et à la mort ! Mais la traduction de mots équivoques – c’est-à-dire qui ont de multiples significations sous une lettre – est facilement périlleuse ; car Augustin dit dans le deuxième livre de la Doctrine chrétienne que si les mots 36

  Sur Bède et Alfred, voir les notes 6 et 8, p. 405, du Dialogue de John Trevisa.

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translatid into the sense (either undurstonding) of the autour, it is errour. As in that place of the Salme, the feet of hem ben swifte to shede out blood, the Greek word is equivok to sharp and swift ; and he that translatide sharpe feet erride, and a book that hath sharpe feet is fals and mut be amendid. As that sentence unkynde yonge trees shulen not geve depe rootis owith to be thus : plauntingis of avoutrie shulen not geve depe rootis. Austyn seith this there. Therfore a translatour hath greet nede to studie wel the sentence both bifore and aftir, and loke that suche equivok wordis acorde with the sentence ; and he hath nede to lyve a clene lif, and be ful devout in preiers, and have not his wit ocupied about worldli thingis, that the Holi Spiryt, autour of wisdom, and kunnyng, and truthe, dresse him in his werk, and suffre him not for to erre. Also this word ex signifieth sumtyme of, and sumtyme it signifieth bi, as Jerom seith ; and this word enim signifieth comynli forsothe and, as Jerom seith, it signifieth cause thus, forwhi ; and this word secundum is taken for aftir, as manie men seyn, and comynli it signifieth wel bi eithir up, thus bi youre word either up youre word. Manie such adverbis, conjuncciouns, and preposiciouns, set ofte oon for another, and at fre chois of autouris symtyme ; and now tho shulen be taken as it acordith best to the sentence. Bi this maner, with good lyvyng and greet travel, men moun come to trewe and cleer translating, and trewe, undurstonding of Holi Writ, seme it nevere so hard at the bigynnyng. God graunte to us alle grace to kunne wel, and kepe wel Holi Writ, and suffre joiefulli sum peyne for it at the laste ! Amen.

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équivoques ne sont pas traduits dans le sens (ou l’interprétation) de l’auteur, c’est une erreur. Comme dans ce passage des Psaumes, “que leurs pieds soient rapides à verser le sang”37, où le mot grec signifie à la fois tranchant et rapide ; et celui qui a traduit les pieds tranchants s’est trompé, et un livre qui contient pieds tranchants est faux et doit être amendé. De même que la phrase les jeunes arbres dénaturés ne doivent pas donner de profondes racines doit être rendue ainsi : les plantations de l’adultère ne doivent pas donner de profondes racines. Augustin écrit cela. (531-552) Ainsi un traducteur a-t-il grand besoin de bien étudier le sens à la fois avant et après [la traduction] et il doit veiller à ce que les mots ambigus s’accordent avec le sens ; de plus, il a besoin de mener une vie pure, et d’être bien dévot dans ses prières, et de ne pas avoir son esprit occupé par les choses de ce monde, afin que le Saint Esprit, auteur de la sagesse, de la connaissance et de la vérité, le guide dans son travail, et le soutienne pour qu’il ne se trompe pas. De même, le mot ex signifie parfois de et parfois par, comme Jérôme le dit ; et le mot enim signifie généralement en vérité, mais comme Jérôme le dit, il peut signifier par cette cause et pour quelle raison  ; et le mot secundum est rendu par après, comme beaucoup d’hommes le disent, mais il signifie aussi ordinairement par ou selon, et ainsi par votre parole, ou selon votre parole. Ainsi, de nombreux adverbes, conjonctions et prépositions peuvent être pris l’un pour l’autre, et parfois au libre choix de l’auteur ; mais il doit être rendu selon ce qui s’accorde le mieux avec le sens. De cette manière, avec une bonne vie et un grand travail, les hommes peuvent arriver à une traduction claire et vraie, et à une vraie compréhension des saintes Écritures, même si cela a semblé impossible au début. Que Dieu nous accorde à tous la grâce de bien connaître et de bien protéger les saintes Écritures, de souffrir joyeusement les peines pour cela, finalement ! Amen. (553570)

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  Cf. Ps. 13 : 3.

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John Trevisa, Dialogue entre un clerc et un chevalier John Trevisa (v. 1342-v. 1402) a été durant une grande partie de sa vie (probablement à partir de 1374) le vicaire du manoir principal d’un des plus grands nobles du royaume, Thomas Berkeley, après avoir étudié à Oxford (où il se rend d’ailleurs régulièrement jusqu’en 1386). Il a réalisé jusqu’à sa mort plusieurs traductions de plus ou moins grande ampleur : - le Polychronicon de Ranulf Higden, dont ce Dialogue constitue le prologue1, est une chronique universelle composée par ce moine bénédictin dans la première moitié du XIVe siècle ; cette traduction est achevée en avril 1387 ; elle est conservée dans 14 manuscrits. - le De Proprietatibus Rerum de Barthélemy l’Anglais, encyclopédie best-seller du XIIIe siècle, terminée en février 1399 ; - le De Regimine Principum de Gilles de Rome, le miroir au prince le plus célèbre de la période, sans doute pas tout à fait terminé au moment de la mort de Trevisa en 1402. On lui attribue aussi la traduction de l’évangile apocryphe de Nicodème (un des évangiles apocryphes les plus diffusés au Moyen Âge, qui développe de nombreux épisodes de la vie du Christ, notamment son enfance et sa descente en Enfer après sa passion) ; celle d’un ouvrage théologique de Richard Fitzralph, le Defensio curatorum ; et enfin celle du Dialogus inter Clericum et militem attribué au théologien Guillaume d’Ockham (première moitié du XIVe siècle). Cet ensemble de traductions constitue une sorte de viatique comportant une véritable volonté d’universalité dans le domaine de la connaissance, mettant à la disposition des laïcs un ensemble de larges savoirs : « Trevisa a fourni à Thomas une analyse complète du monde créé, qui place l’homme parmi toutes “choses” (Propriétés) ; une description complète de l’activité humaine (dans l’histoire universelle d’Higden) ; et un modèle pour l’exercice du contrôle sur le monde (De regimine) »2. On pourrait ajouter à cela les aspects plus proprement dévotionnels, avec notamment l’évangile de Nicodème. Mais cette volonté est clairement celle, au départ, du patron de Trevisa, Thomas Berkeley. Ce dernier a, en effet, eu une activité de patronage importante. Outre les traductions qu’il a commandées à Trevisa, on sait qu’il a commandité une traduction à un autre clerc après la mort de Trevisa, celle du De re militari de Végèce (probablement le manuel sur la guerre le plus célèbre du Moyen Âge), et sans doute aussi plusieurs manuscrits dont un psautier glosé en anglais. Le prologue de la traduction du Polychronicon est l’occasion pour Trevisa d’une réflexion approfondie sur le statut de l’anglais et sur ses rapports avec les évolutions de la culture des laïcs. Cette réflexion suggère une véritable conscience des enjeux culturels et politiques de l’utilisation du vernaculaire et des tensions que cela a pu provoquer durant cette période.

1   Le prologue a été édité par R. Waldron, dans Medieval English Studies presented to George Kane, éd. E. D. Kennedy, R. Waldron et J. S. Wittig, Woodbridge, 1988, p. 285-299. 2   R. Hanna, « Sir Thomas Berkeley and His Patronage », Speculum 64, 1989, p. 878-916, p. 898.

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[Dominus :] Seththe that babyl was ybuld men speketh dyuers tonge, so that dyuers men buth straunge to other and knoweth noght of here speche. Speche ys noght yknowe bote yif hyt be lurned. Commyn lurnyng of speche ys by huyryng. And so alwey deef ys alwey dombe, vor he may noght hure speche vor to lurne. So men of ser contrayes and londes that habbeth dyuers speches yef nother of ham hath lurned otheres speche, neyther of ham wot what other meneth they hy meete and haue greet neode of informacion and of loore, of talkyng and of speche. Be theo neode neuer so gret, neyther of ham vndersondeth otheres sqpeche no moore than gaglyng of gees. For iangle the on neuere so vaste the other ys neuere the wyser they a schrewe hym in stude of good morowe. This ys a gret meschef that volweth now mankuynde ; bote Gode of hys mercy and grace hath ordeynd doubel remedy. On ys that som man lutneth and knoweth meny dyuers speches. And so, bytwene strange men of the woche nother vnderstondeth otheres speche, such a man may be mene and telle eyther what thother wol mene. The other remedy ys that on langage ys ylurned, yvsed and yknowe in meny nacyons and londes. And so Latyn ys ylurned, yknowe and yvsed specialych a thys half Grees in al the nacions and londes of Europa. Tharfore clerkes of here godnes and cortesy maketh and wryteth here bokes in Latyn vor here wrytyng and bokes scholde be vnderstonde in dyuers nacyons and londes. And so Ranulph, monk of Chester, wrot yn Latyn hys bookes of cronykes that discreueth the world aboute yn lengthe and yn brede and maketh mencyon and muynde, of doyngs and of dedes of meruayls and of wondres and rekneth the yeres to hys laste dayes fram the vurste makyng of heuene and of erthe. And so tharynne ys noble and gret informacion and lore to hem that can tharynne rede and vnderstonde. Tharvore Ich wolde haue theus bokes of cronyks translated out of Latyn ynto Englysch, for the mo men scholde hem vnderstonde and haue thereof konnyng, informacion and lore.

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[Le seigneur] – Depuis que l’on a construit Babel3, l’homme parle diverses langues, de telle sorte que des hommes étrangers l’un à l’autre ne reconnaissent pas leurs langages respectifs. On ne sait une langue qu’à condition de l’avoir apprise. L’apprentissage d’une langue se fait ordinairement en l’entendant. Et ainsi le sourd reste-t-il à jamais ignorant, puisqu’il ne peut entendre la langue pour l’apprendre. Aussi les hommes de contrées et de terres qui ont diverses langues, si aucun d’entre eux n’a appris la langue de l’autre, aucun d’entre eux ne sait ce que veulent dire ceux qu’ils rencontrent, et ont grand besoin d’information et de savoir, de conversations et de paroles. Le besoin serait-il encore plus grand, ils ne comprendraient pas plus leurs langues que le cacardage des oies. Car il peut bien cacarder, l’autre ne comprend rien, même s’il lui jette un sort plutôt que de le saluer avec un « bonjour ». (1-11) Ceci est un grand méfait qui maintenant poursuit l’humanité ; mais Dieu, dans sa merci et sa grâce, a ordonné un double remède. L’un est qu’un certain homme apprenne et sache plusieurs langues différentes. Et ainsi, parmi des étrangers dont aucun ne comprend la langue de l’autre, un tel homme peut servir d’intermédiaire et dire à l’un ce que veut dire l’autre. L’autre remède est que l’on apprenne, utilise et connaisse un seul langage dans de nombreux pays et nations. Et ainsi le latin est appris, utilisé et connu spécialement à la place du grec dans tous les pays et les nations d’Europe. (11-19) Aussi les clercs, dans leur bonté et courtoisie, composent-ils et écriventils leurs livres en latin pour que leurs écrits et leurs livres soient compris dans divers pays et nations. Et ainsi Ranulph, moine de Chester, écrivit en latin ses livres de chroniques qui décrivent le monde en long et en large, mentionnent et expliquent les actes, les faits, les merveilles et les exploits, et comptent les ans depuis la première création des cieux et de la terre jusqu’à aujourd’hui. Et il y a là pour eux un savoir et une information grands et nobles qui peuvent être ici lues et comprises. C’est pourquoi je voudrais avoir ces livres de chroniques traduits du latin en anglais, car davantage d’hommes pourront ainsi les comprendre et en retirer ainsi connaissance, information et savoir. (19-30)

3

  Cf. Genèse 11 : 1-9.

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Clericus : Theus bokes of cronyks buth ywryte in Latyn and Latyn ys yvsed and vnderstonde a thys half Grees yn al the nacions and londes of Europa, and comynlych Englysch ys noght so wyde vnderstonde, yvsed and yknowe ; and the Englysch translacion scholde no man vnderstonde bote Englyschmen alone. Thanne how scholde the mo men vnderstonde the cronyks they a were translated out of Latyn that ys so wyde yvsed and yknowe into Englysch that ys noght yvsed and yknowe bote of Englyschmen alone ?

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Dominus  : Thes question and doute ys esy to assoyle, vor yef theus cronyks were translated out of Latyn into Englysch, thanne by so meny the mo men scholde vnderstonde ham as vnderstondeth Englysch and no Latyn.

43 Clericus : Ye cunneth speke and rede and vnderstonde Latyn. Thanne 44 hyt nedeth noght to haue such an Englysch translacion. 45 46 47 48 49

Dominus : Y denye thys argument, for they Ich cunne speke and rede and vnderstonde Latyn ther ys moche Latyn in theus bokes of cronyks that Y can noght vnderstonde, nother thou withoute studyinge and auysement and lokyng of other bokes. Also they hyt were noght neodful for me hyt is neodful vor othere men that vnderstondeth no Latyn.

50 Clericus : Men that vnderstondeth no Latyn may lerne and vnderstonde. 51

Dominus : Noght alle. For som may noght vor other maner bysynes, som 52 vor elde, som vor defaute of wyt, som vor defaute of katel other of frendes 53 to vynde ham to scole and som vor othere dyuers defautes and lettes. 54

Clericus : Hyt neodeth noght that al soche knowe the cronykes. 55 56 57 58 59 60 61 62

Dominus : Spek noght to strytlych of thyng that neodeth, for streytlych to speke of thyng that neodeth on lych thyng that ys and may noght fayle nedeth to be, and so hyt neodeth that God be for God ys and may noght faile ; and so vor to speke no man nedeth to knowe the cronykes vor hyt myghte and may be that no man ham knoweth. Otherwyse to speke of thyng that neodeth, somwhat neodeth vor to susteyne other to haue other thynges tharby, and so mete and dryngke nedeth vor kepyng and sustenaunce of lyf, and so vor to speke no man neodeth to knowe the

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[Le clerc] – Les livres de chroniques sont donc écrits en latin, et le latin est utilisé et compris à la place du grec dans toutes les nations et les pays d’Europe, alors que communément l’anglais n’est pas si généralement compris, utilisé et connu ; et une traduction en anglais ne devrait être comprise de personne si ce n’est des seuls Anglais. Alors, comment plus d’hommes pourraient-ils comprendre les chroniques traduites du latin qui est si généralement utilisé et connu, une fois traduites en un anglais qui est si peu utilisé et connu si ce n’est des seuls Anglais ? [Le seigneur] – Il est facile de répondre à ces questions et à ces doutes. Car si ces chroniques étaient traduites du latin en anglais, alors tant d’hommes pourraient les lire qui comprennent l’anglais et non le latin. [Le clerc] – Vous connaissez, parlez, lisez et comprenez le latin. Il n’y a donc nul besoin d’avoir une telle traduction anglaise. [Le seigneur] – Je récuse cet argument, car bien que je parle, lise et comprenne le latin, il y a beaucoup de latin dans ces livres de chronique que je ne peux comprendre, à moins de l’étudier et de consulter d’autres livres. Et puis aussi si cela n’est pas nécessaire pour moi, c’est nécessaire pour d’autres qui ne comprennent pas le latin. [Le clerc] – Ceux qui ne comprennent pas le latin, ne peuvent-ils l’apprendre et le comprendre ? [Le seigneur] – Pas tous. Certains ne le peuvent parce qu’ils ont d’autres affaires, d’autres à cause de l’âge, d’autres par manque de capacités, d’autres par défaut de biens ou d’amis pour leur trouver une école et d’autres par d’autres manques et abandons. [Le clerc] – Il n’est pas nécessaire que tous les gens de cette espèce lisent les chroniques. (31-54) [Le seigneur] – Ne parle pas à la légère de ce qui est nécessaire, car parler à la légère de ce qui est nécessaire, ce n’est rien d’autre que de parler de ce qui est et qui ne peut manquer d’être, comme Dieu est et ne peut manquer d’être ; ainsi, dire qu’aucun homme n’a besoin de lire les chroniques, c’est dire qu’il se pourrait et se peut qu’aucun homme n’ait lu les chroniques. Une autre façon de parler des choses nécessaires est de parler de ce qui est nécessaire à la subsistance ou pour l’obtention d’autres choses en échange ; ainsi, la nourriture et la boisson sont-elles nécessaires pour la subsistance et la conservation de la vie, et à parler ainsi, nul n’a besoin de lire les chroniques. Mais en une troisième façon de parler des choses qui sont néces-

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63 cronyks. Bote in the thridde manere to speke al men neodeth to knawe 64 the cronykes. 65 Clericus  : Thanne hy that vnderstondeth no Latyn mowe axe and be 66 informed and ytaught of hem that vnderstondeth Latyn. 67 68 69 70 71 72

Dominus : Thous spekst wonderlych, vor the lewed man wot noght what a scholde axe, and namelych of lore of dedes that come neuere in hys mynde, nother wot comynlych of whom a scholde axe. Also noght al men that vnderstondeth Latyn habbeth such bokes to informe lewed men. Also som konneth noght and som wol noght and som mowe noght a whyle ; and so hyt nedeth to haue an Englysche translacion.

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Clericus : The Latyn ys bothe good and fayr. Tharvore hyt neodeth noght 74 to han an Englysch translacion. 75 Dominus : This reson ys worthy to be plonged yn a plod and leyd in 76 pouther of lewednes and of schame. Hyt myghte wel be that thou makest 77 thys reson onlych in murthe and game. 78 Clericus : The reson mot stonde bot hyt be assoyled. 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96

Dominus : A blere-yghed man, bote he were al blynd of wyt, myghte yseo the solucion of this reson ; and they a were blynd a myghte grope the solucion, bote yef hys velyng hym faylede. Vor yef this reson were oght worth, by such manere argement me myght preoue that the thre score and ten, and Aquila, Symachus, Theodocion, and he that made the vyfte translacion, and Origenes were lewedlych ocupyed whanne hy translated holy wryt out of Hebrew into Grw  ; and also that Seint Ierom was lewedlych ocupyed whanne he translatede holy wryt out of Hebreu ynto Latyn, vor the Hebreu ys bothe good and feyre and ywryte by inspiracion of the Holy Gost ; and al theuse vor here translacions but hyghlych y preysed of al holy cherche. Thanne the vorseyde lewed reson ys worthy to be pouthred, yleyd a water and ysouced. Also holy wryt in Latyn ys bothe good and fayr, and yet for to make a sermon of holy writ al yn Latyn to men that konneth Englysch and no Latyn hyt were a lewed dede, vor hy buth neuer the wyser vor the Latyn bote hyt be told hem an Englysch what hyt ys to mene, and hyt may noght be told an Englysh what the Latyn ys to mene withoute translacion out of Latyn into Englysch. Thanne hyt nedeth to haue an Englysch translacion. And for

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saires, tout ce qui est profitable est nécessaire, et si l’on parle ainsi, tout homme a besoin de connaître les chroniques. [Le clerc] – Alors, celui qui ne comprend pas le latin n’a qu’à demander à celui qui le sait pour être informé et enseigné. [Le seigneur] – Tu parles à merveille, car l’ignorant ne sait pas ce qu’il pourrait demander, et en particulier sur la connaissance de choses qui ne lui viennent jamais à l’esprit, et il ne sait pas non plus à qui il pourrait normalement les demander. Et tous ceux qui comprennent le latin n’ont pas les livres qui permettraient d’informer ces ignorants. Et aussi certains ne savent pas, d’autres ne veulent pas, et d’autres ne peuvent pas pour le moment ; ainsi, est-il nécessaire de disposer d’une traduction anglaise. [Le clerc] – Le latin est bel et bon ; ainsi n’est-il pas nécessaire de disposer d’une traduction anglaise. (55-74) [Le seigneur] – Cet argument mérite d’être plongé dans une flaque de boue et de reposer dans la poudre de la bêtise et de la honte. Il se peut bien que tu l’avances uniquement pour jouer et plaisanter. [Le clerc] – Cet argument peut tenir, à moins qu’il ne soit réfuté. [Le seigneur] – Un homme aux yeux abîmés pourrait voir la résolution de cet argument, à moins qu’il n’ait l’esprit aveugle ; et même un aveugle pourrait saisir cette résolution, pourvu que son sens du toucher ne lui fasse pas défaut. Cette raison est sans aucune valeur, et je pourrais te le prouver soixante-dix fois avec de tels arguments : et Aquila, Symachus, Theodotion, et celui qui a fait la cinquième traduction, et Origène, étaient-ils occupés à une activité de rustre quand ils traduisaient la Sainte Écriture d’hébreu en grec 4 ? Et saint Jérôme, était-il occupé à une activité de rustre quand il traduisait la sainte écriture d’hébreu en latin, car l’hébreu est bel et bon et écrit par l’inspiration du Saint Esprit ? Ces traductions sont hautement louées dans toute la Sainte Église. Le stupide argument évoqué mérite donc d’être pulvérisé, placé dans l’eau et immergé. (75-90) Aussi, bien que la Sainte Écriture en latin soit à la fois belle et bonne, pourtant, pour faire un sermon avec la Sainte Écriture tout en latin à des gens qui ne connaissent que l’anglais et pas le latin, c’est une activité de rustre, car ils n’en sont pas plus sages avec le latin si on ne leur dit pas ce que cela signifie en anglais, et on ne peut le dire en anglais sans une traduction du latin en anglais. Donc, il est nécessaire d’avoir une traduction 4

  Aquila, Symachus et Théodotion ont traduit la Bible en grec dans le courant du IIe siècle. Origène (v. 185-v. 254) a réalisé les Hexaples, qui présentent en parallèle le texte en hébreu et plusieurs traductions en grec (dont celles des trois auteurs nommés ci-dessus).

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to kepe hyt in mynde that hyt be noght voryut hyt ys betre that such a translacion be ymad and ywryte than yseyd and noght ywryte. And so this vorseyde lewed reson scholde meeue no man that hath eny wyt to leue the makyng of Englysch translacion.

101 Clericus : A gret del of theuse bokes stondeth moche by holy wryt, by 102 holy doctors and by philosofy. Thanne theuse bokes scholde noght be 103 translated ynto Englysch. 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118 119 120 121 122 123 124 125

Dominus : Hyt ys wonder that thou makest so feble argumentis and hast ygo so long to scole. Aristoteles bokes and othere bokes also of logyk and of philosofy were translated out of Gru into Latyn. Also, atte praying of Kyng Charles, John Scot translated Seint Denys hys bokes out of Gru ynto Latyn. Also holy wryt was translated out of Hebrew ynto Gru and out of Gru into Latyn and thanne out of Latyn ynto Frensch. Thanne what hath Englysch trespased that hyt myght noght be translated into Englysch ? Also Kyng Alured, that foundede the vnyuersite of Oxenford, translated the beste lawes into Englysch tonge and a gret del of the Sauter out of Latyn into Englysch, and made Wyrefryth, byschop of Wyrcetre, translate Seint Gregore hys bokes Dialoges out of Latyn ynto Saxon. Also Cedmon of Whyteby was inspired of the Holy Gost and made wonder poesyes an Englysch nyght of al the storyes of holy wryt. Also the holy man Beda translatede seint Iohn hys gospel out of Latyn ynto Englysch. Also thou wost where the Apocalips ys ywryte in the walles and roof of a chapel bothe in Latyn and yn Freynsch. Also the gospel and prophecy and the ryght fey of holy churche mot be taught and ypreched to Englyshmen that conneth no Latyn. Thanne the gospel and prophecy and the ryght fey of holy cherche mot be tolde ham an Englysch, and that ys noght ydo bote by Englysch translacion. Vor such Englysch prechyng ys verrey Englysch translacion, and such Englysch prechyng ys good and neodful ; thanne Englysch translacion ys good and neodful.

126 Clericus : Yef a translacion were ymad that myghte be amended yn eny 127 poynt, som men hyt wolde blame.

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en anglais. Et il faut garder à l’esprit et ne pas oublier qu’il vaut mieux qu’une telle traduction soit faite et écrite que dite et non écrite. Et ainsi cette susdite raison [que c’est une activité de rustre] ne devrait détourner aucun homme sensé de faire une traduction anglaise. [Le clerc] – Beaucoup de ces livres touchent de très près à la sainte écriture, aux saints docteurs et à la philosophie. Alors, ces livres ne devraient pas être traduits en anglais. (90-103) [Le seigneur] – C’est merveille que ton argumentation soit aussi débile alors que tu es allé si longtemps à l’école ! Les livres d’Aristote et aussi d’autres livres de logique et de philosophie ont été traduits de grec en latin. De même, à la prière du roi Charles, Jean Scot a traduit le livre de Saint Denis du grec au latin5. De même, la sainte écriture a été traduite de l’hébreu en grec, du grec au latin et du latin en français. Quel crime aurait commis l’anglais pour qu’on ne puisse rien traduire en anglais ? Le roi Alfred, qui a fondé l’Université d’Oxford, a également traduit les lois les meilleures en langue anglaise, ainsi qu’une grande partie du Psautier de latin en anglais, et il a fait faire par Wyrefryth, évêque de Winchester, une traduction des livres des Dialogues de Saint Grégoire de latin en saxon6. Et Cedmon de Whyteby a aussi été inspiré par le Saint Esprit et a composé des poèmes anglais à partir de presque toutes les histoires de la sainte écriture7. Aussi, le saint homme Bède a traduit l’évangile de Saint Jean de latin en anglais8. Et tu sais que l’Apocalypse est écrite en latin et en français sur les murs et le toit d’une chapelle. De même, l’Évangile, la prophétie et la foi vraie de Sainte Église peuvent être enseignés et prêchés aux Anglais qui ne savent pas le latin. Alors l’Évangile, la prophétie et la foi vraie de Sainte Église doivent leur être dits en anglais, et cela ne peut être fait que s’il existe une traduction anglaise. Car une telle prédication en anglais est une vraie traduction en anglais, et une telle prédication est bonne et nécessaire ; alors une traduction en anglais est bonne et nécessaire. (104-125) [Le clerc] – Pourtant si l’on faisait une traduction telle qu’il faille l’amender en quelque point, certains pourraient la blâmer. 5   Jean Scot Erigène († 876) a traduit du grec en latin une partie des écrits du Pseudo-Denys l’Aréopagite (Ve ou VIe siècle) qui ont connu un succès certain dans l’Occident médiéval. 6   Alfred le Grand (v. 849-899), roi du Wessex à partir de 871, n’a pas fondé l’université d’Oxford (Trevisa reprend ici une erreur d’Higden) et n’a sans doute pas traduit lui-même les textes mentionnés. Mais il a effectivement conduit un vaste mouvement de traduction de textes en anglosaxon. 7   L’histoire de ce Caedmon, qui a vécu au VIIe siècle, est racontée par Bède le vénérable (voir note suivante). 8   Bède le Vénérable (673-735), moine anglo-saxon et père de l’Église, est cependant surtout connu pour ses écrits en latin.

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Dominus : Yef men blameth that ys noght worthy to be blamed, thanne hy buth to blame. Clerkes knowerth wel ynow that no synfol man doth so wel that he ne myghte do betre, nother maketh so good a translacion that he ne myghte make a betre. Tharvore Orygenes made twey translacions and Ierom tranlatede thryes the Sauter. Y desire no translacion of theus bokes, the beste that myghte be, for that were an ydel desyre vor eny man that ys now here alyue, bote Ich wolde haue a skylfol translacion that myght be knowe and vnderstonde.

136 Clericus : Whether ys yow leuere haue a translacion of theuse cronyks in 137 ryme other yn prose ? 138 Dominus : Yn prose, vor comynlych prose ys more cleer than ryme, more 139 esy and more pleyn to knowe and vnderstonde. 140 141 142 143 144 145 146 147 148 149 150 151 152 153 154 155 156 157 158 159 160 161 162 163 164 165 166 167

Clericus  : Thanne God graunte grace greithliche to gynne, wyt and wysdom wysly to wyrche, myght and mynde of ryght menyng to make translacion trysty and truwe, plesyng to the Trynyte, thre persone and o god in maieste, that euer was and euere schal be, and made heuene and erthe and lyght vor to schyne, and departede lyght and derknes and clepede lyght ‘day’ and derknesse ‘nyght’ ; and so was maad euetyde and morowe tyde on day that had no morow tyde. The secunde day he made the firmament betwene watres aand departede the watres that were vnder the firmament vram watres that were aboue the firmament and clepede the firmament ‘heuene’. The thridde day he gadrede the watres that buth vnder heuene ynto on place and made the erthe vnheled and clepede the gadryngs of watres ‘sees’ and drye erthe ‘lond’, and made tren and gras. The verthe day he made sonne and moone and sterres and sette hem yn the fermament of heuene, that vor to schyne and to be toknes and sygnes to departe tymes and yeres and nyght and day. The vyfte day he made voules and bryddes yn aer and fysches in the water. The sixte day he made bestes of the lond and man of erthe and put hym yn paradys for he scholde worche and wone tharynne. Bote man brak God hys heste : he vyl ynto synne and was pot out of paradys ynto wo and sorowe worthy to be dampned to the peyne of helle withoute eny ende. Bote the Holy Trynyte hadde mersy of man and the Vader sende the Sone, and the Holy Goste alyghte on a mayde, and the Sone tok vlesch and blod of that blysfol mayde, and deyde on the Rode to saue mankynde, and aros the thrydde day, gloryous and blysfol, and taughte hys disciples, and stygh into heuene whanne hit was tyme, and schal come atte day of dome and deme quyk and ded. Thanne al men that but ywryte yn the bok of lyf schal wende with hym ynto the blysse of heuene and be there in body and in soul, and se and knowe hys godhede and manhede in ioye without enyy ende.

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[Le seigneur] – Si des gens blâment ce qui n’est pas à blâmer, alors ce sont eux qui sont à blâmer. Les clercs savent bien assez qu’aucun homme ne fait si bien qu’il ne puisse faire mieux, ni donc que l’on fasse une traduction si bonne que l’on ne puisse en faire une meilleure. C’est pourquoi Origène a fait deux traductions, et Jérôme a traduit trois fois le Psautier. Je ne désire pas les meilleures traductions de ces textes qui puissent être, car cela serait un vain désir pour tout homme qui est ici-bas vivant, mais je voudrais avoir une traduction bien faite qui pourrait être apprise et comprise. [Le clerc] – Aimeriez-vous que cette traduction des chroniques soit en vers ou en prose ? [Le seigneur] – En prose, car en général la prose est plus claire que les vers, plus facile et plus simple à connaître et à comprendre. (126-139) [Le clerc] – Alors, que Dieu accorde volontiers sa grâce pour travailler sagement avec habileté, entendement et sagesse, [qu’il accorde] le pouvoir et l’esprit du juste sens pour faire une traduction vraie et valable, plaisante pour la Trinité – trois personnes en une et un Dieu en majesté. Il fut et sera toujours, il a fait le ciel et la terre et la lumière pour qu’elle brille, il a séparé la lumière des ténèbres et a nommé «  jour  » la lumière et «  nuit  » les ténèbres ; et ainsi furent créés le soir et un matin pour un jour qui n’avait pas de matin. Le deuxième jour, il créa le firmament et les eaux et partagea les eaux qui étaient sous le firmament et il nomma le firmament « ciel ». Le troisième jour, il rassembla les eaux qui étaient sous le ciel dans un lieu et créa la terre sèche et il nomma les eaux « mers » et la terre sèche « terre », et il fit les arbres et l’herbe. Le quatrième jour, il fit le soleil, la lune et les étoiles et les fixa au firmament du ciel, pour qu’ils brillent et constituent des indices et des signes pour départager le temps, les années, les nuits et les jours. Le cinquième jour, il créa les oiseaux dans l’air et les poissons dans l’eau. Le sixième jour, il fit les animaux de la terre et l’homme et le mit au paradis pour qu’il puisse y travailler et y habiter. Mais l’homme brisa le commandement de Dieu. Il tomba dans le péché et fut exclu du paradis pour [être mis] dans le malheur et la peine, méritant d’être damné à la peine éternelle de l’enfer. Mais la Sainte Trinité eut pitié de l’homme, et le Père envoya le Fils, et le Saint Esprit descendit sur une vierge ; et le Fils prit la chair et le sang de cette vierge bénie, et il mourut sur la croix pour sauver l’humanité ; et le troisième jour, il ressuscita, glorieux et béni, et il transmit son enseignement à ses disciples, et il monta au ciel quand ce fut le moment, et il reviendra au jour du jugement et jugera les vivants et les morts. Alors tous ceux qui auront été dans le livre de la vie iront avec lui dans la béatitude du paradis et seront là dans leur corps et leur âme ; et ils verront sa divinité et son humanité, dans la joie, sans fin. (140-167)

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Explicit Dialogus. Incipit Epistola. 168 169 170 171 172 173 174 175 176 177 178 179 180 181 182 183 184 185 186 187 188 189 190 191 192 193 194 195 196 197 198

Welthe and worschip to my worthy and worschypfol lord Sire Thomas, lord of Berkeleye, Y Iohn Treuysa youre preost and youre bedman, obedyent and boxum to worche youre wylle, holde in herte and thenke in thoght and meue in mynde youre meedfol menyng and speche that ye speke and seyde that ye wolde haue Englysch translacion of Ranulf of Chestre hys bokes of cronikes. Tharvore Y wol vonde to take that trauayl and make Englysch translacion of the same bokes as God graunteth me grace. For blame of bakbyters wol Y noght blynne, for enuye of enemys, for euel spyghtyng and speche of euel spekers wol Y noght leue to do this dede. For trauayl wol Y noght spare. Comforte Ich haue in medfol makyng and plesyng to God, and in wytynge that Y wot that hyt is youre wylle. For to make this translacion cleer and pleyn to be knowe and vnderstonde, in som place Y schal sette word vor word and actyue vor actyue and passiue vor passiue arewe ryght as a stondeth withoute changyng of the ordre of wordes. But yn som place Y mot change the rewe and the ordre of wordes and sette the actyue vor the passiue and ayenward. And yn som place Y mot sette a reson vor a word to telle what hyt meneth. Bot vor al such chaungyng, the menyng schal stonde and noght be ychanged. Bot som wordes and names : of contrayes, of londes, of cites, of waters, of ryuers, of mounteyns and hulles, of persones and of places, mot be yset and stonde vor hem sylf in here oune kuynde, as  : Asia, Europa, Affrica and Siria, Mont Athlas, Syna and Oreb, Marach, Iordan and Arnon, Bethleem, Nazareth, Ierusalem and Damascus, Hanybal, Rasyn, Assuerus and Cyrus, and meny suche wordes and names. Yef eny man maketh of theus bokes of cronyks a betre Englysch translacion and more profitable, God do hys mede. And for ye make me do this medfol dede, He that quyteth al good dedes quyte youre mede yn the blys of heuene, in welthe and lykyng with alle the holy seyntes of mankunde and the nyghen ordres of angles : angels, archangels, pryncipates, potestates, virtutes, dominaciones, thrones, cherubyn, and seraphyn, to se God on Hys blysfol face yn ioye withoute any ende. Amen.

199 Explicit Epistola.

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Explicit Dialogus. Incipit Epistola. Richesse et honneur pour mon digne et honorable seigneur Sire Thomas, seigneur de Berkeley. Moi, John Trevisa, votre prêtre et votre chapelain, obéissant et disposé à agir selon votre volonté, j’ai retenu dans mon cœur, absorbé dans mes pensées et remué dans mon esprit votre intention et vos paroles méritoires demandant que je fasse une traduction anglaise du livre de chroniques de Ranulph de Chester. J’entreprends donc ce travail, faire une traduction anglaise de ces livres, si Dieu m’en accorde la grâce. Je ne serai pas arrêté par les diffamateurs, ni par l’envie des ennemis ; je n’abandonnerai pas cet acte à cause de mauvaises paroles ou des discours des mauvais parleurs. Je ne m’épargnerai pas dans ce travail. Je trouverai mon réconfort dans une action méritoire et plaisante à Dieu, et j’espère que, en connaissance de cela, c’est votre volonté. Pour rendre cette traduction claire, et pour qu’elle soit simple à connaître et à comprendre, je garderai à certains endroits un mot pour un mot, l’actif pour l’actif et le passif pour le passif dans l’ordre dans lequel il se trouve, sans changer l’ordre des mots. Mais à certains endroits, je changerai la place et l’ordre des mots et mettrai l’actif pour le passif et inversement. Et à certains endroits, je mettrai l’idée pour le mot pour dire ce que cela signifie. Malgré de tels changements, le sens restera et ne sera pas modifié. Mais certains mots et noms – ceux des contrées, des pays, des villes, des eaux, des rivières, des montagnes et des collines, des personnes et des lieux – seront conservés et garderont leur propre nature : l’Asie, l’Europe, l’Afrique et la Syrie, le mont Atlas, le Sinaï et l’Oreb, Marésha, le Jourdain et l’Arnon, Bethléem, Nazareth, Jérusalem et Damas, Hannibal, Rasin9, Assyrius et Cyrus et de nombreux autres mots et noms. Si quelqu’un fait de ces livres de chroniques une traduction anglaise meilleure et plus profitable, que Dieu le récompense. Et pour vous qui me faites accomplir cette action méritoire, que Celui qui récompense toutes les bonnes actions vous donne votre récompense dans le bonheur du paradis, dans la bénédiction et l’amour de tous les ordres saints de l’humanité et des neuf ordres d’anges : les anges, les archanges, les principautés, les puissances, les vertus, les dominations, les trônes, les chérubins et les séraphins ; [tout cela] pour voir le visage béni de Dieu dans la joie, sans fin. Amen. (168-198) Explicit epistola.

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  Rasin est un roi de Syrie qui apparaît dans le chapitre 7 du livre d’Isaïe.

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Bibliographie indicative • Sources : - The Piers Plowman Tradition, éd. H. Barr, Londres, 1993 [Mum and the Sothsegger] - Thomas Hoccleve, The Regiment of Princes, éd. C.R. Blyth, Kalamazoo, 1999 (en ligne sur le site TEAMS : http://www.lib.rochester.edu/camelot/ teams/hoccint.htm). - Wimbledon’s sermon : Redde rationem villicationis tue, éd. I.K. Knight, Pittsburgh, 1967. - English Wycliffite Sermons, 5 vols, éd. A. Hudson et P. Gradon, Oxford, 1983-1996. - Selections from English Wycliffite Writings, éd. A. Hudson, Cambridge, 1978. - E. D. Kennedy, R. Waldron et J. S. Wittig éd., Medieval English Studies presented to George Kane, Woodbridge, 1988 [John Trevisa, Dialogue between a clerk and a knight]. - The Holy Bible, Containing the Old and New Testaments, with the Apocryphal Books, in the Earliest English Versions Made from the Latin Vulgate by John Wycliffe and His Followers, 4 vols, éd. J. Forshall et F. Madden, Oxford, 1850, rpt. New York, 1982. - A Late Fifteenth-Century Dominical Sermon Cycle, 2 vols, éd. Stephen Morrison, Early English Text Society, os 337 et 338, à paraître. • Références critiques : Barr H., Signes and Soth : Language in the Piers Plowman Tradition, Oxford, 1994. Barr H., Ward-Perkins K., « ‘Spekyng for one’s sustenance’ : the Rhetoric of counsel in Mum and the Sothsegger, Skelton’s Bowge of Court and Elyot’s Pasquil the Playne », The Long Fifteenth Century. Essays for Douglas Gray, éd. H. Cooper et S. Mapstone, Oxford, 1997, p. 249-272. Barr H., Socioliterary practice in late medieval England, Oxford, 2001. Carruthers L., L’anglais médiéval, Turnhout, 1997 (L’Atelier du médiéviste 4). Clanchy M., From Memory to Written Record, 1066-1307, Londres, 1979, 1993.

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Bibliographie

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