Français du Canada - Français de France VI: Actes du sixième Colloque international d'Orford, Québec, du 26 au 29 septembre 2000 [Reprint 2013 ed.] 9783110928136, 9783484560185

The sixth international colloquium on »French in Canada - French in France« is part of the ongoing, triennial series of

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French Pages 371 [372] Year 2003

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Table of contents :
Présentation
Peter W. Halford (1942-2002)
Les Cantons-de-l’Est
I. L’apport des enquêtes linguistiques et corpus littéraires régionaux
Variétés régionales de France (Normandie, Ouest et Île-de-France)
Variation du français régional de Normandie dans la dénomination de quelques coquillages
Le français régional de jeunes Bas-Normands
Représentation géolinguistique : la diffusion du lexique dans l'Atlas linguistique de la Normandie
Analyse lexicologique d'un roman de Pierre Senillou : L’Arantèle
Les apports du sud-ouest de la région parisienne aux régionalismes de la France
Variétés régionales du Canada (Québec, Manitoba et Acadie)
Les parlers de l’Est et de l’Ouest québécois : essai de caractérisation linguistique
Distribution de quelques variantes géolinguistiques dans les parlers populaires de l’Est du Canada : essai de comparaison diachronique
Du corpus d'enquête de terrain au dictionnaire : le sort de poirette et zamboni, ou les écarts de la représentation lexicographique des particularismes topolectaux
La périphrase comme stratégie lexicale dans l’Atlas linguistique du vocabulaire maritime acadien
II. L’éclairage historique
L’accent dit provincial du français parlé au Canada aux XIXe et XXe siècles : le témoignage des voyageurs
Trois siècles de francophonie : archaïsmes et régionalismes dans le parler du Détroit
Variantes phonétiques, morphologiques et lexicales dans le français des deux groupes colonisateurs de la région du Détroit
Les proprionymes dans trois dictionnaires de l’époque classique
III. L’apport des corpus informatisés
Sortir des fardoches : les recherches prélexicographiques à l’ère de l’informatique
Le Réseau des corpus lexicaux québécois dans Internet
La base de données textuelles ChroQué : un nouvel outil pour élargir la description du français en usage au Québec
L'apport de la Banque de données textuelles de Sherbrooke : des nomenclatures enrichies
Les rectifications de l’orthographe du français en l’an 2000 : un premier bilan d'après les dictionnaires français et québécois
Première partie : un bilan de la lettre A
Deuxième partie : les apports de l’informatisation
IV. Contact des langues et autres voies de recherche
Variétés lexicales du français et anglicismes de part et d'autre de l’Atlantique
Du français québécois vers l’anglais québécois : les emprunts lexicaux
La description lexicographique de mots polycatégoriels dits adverbes : justement, seulement
V. Conclusions du colloque
Conclusions
Liste des participants
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Français du Canada - Français de France VI: Actes du sixième Colloque international d'Orford, Québec, du 26 au 29 septembre 2000 [Reprint 2013 ed.]
 9783110928136, 9783484560185

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CANADIANA

ROMANICA

publies par Hans-Josef Niederehe et Lothar Wolf Volume 18

FRANCAIS DU CANADA FRANCAIS DE FRANCE Actes du sixieme Colloque international d'Orford, Quebec, du 26 au 29 septembre 2000

Edite par Louis Mercier avec la collaboration de Helene Cajolet-Laganiere

Max Niemeyer Verlag Tübingen 2004

A la memoire de Peter W. Haiford

Bibliografische Information der Deutschen Bibliothek Die Deutsche Bibhothek verzeichnet diese Publikation in der Deutschen Nationalbibliografie; detaillierte bibliografische Daten sind im Internet über http://dnb.ddb.de abrufbar. ISBN 3484-56018-5

ISSN 0933-2421

© Max Niemeyer Verlag G m b H , Tübingen 2004 http://www.niemeyer.de Das Werk einschließlich aller seiner Teile ist urheberrechtlich geschützt. Jede Verwertung außerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist ohne Zustimmung des Verlages unzulässig und strafbar. Das gilt insbesondere für Vervielfältigungen, Übersetzungen, Mikroverfilmungen und die Einspeicherung und Verarbeitung in elektronischen Systemen. Printed in Germany Gedruckt auf alterungsbeständigem Papier Druck und Einband: A Z Druck und Datentechnik G m b H , Kempten

Table des matieres

Louis Mercier, Presentation Andre Lapierre, Peter W. Haiford (1942-2002) Antoine Sirois, Les Cantons-de-l 'Est

I. L'apport des enquetes linguistiques et corpus littiraires r^gionaux

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Vari^tfo regionales de France (Normandie, Ouest et ile-de-France) Renö Lepelley, Variation du frangais regional de Normandie dans la denomination de quelques coquillages Catherine Bougy, Le frangais regional de Jeunes Bas-Normands Patrice Brasseur, Representation geolinguistique : la diffusion du lexique dans l Atlas linguistique de la Normandie Brigitte Horiot, Analyse lexicologique d'un roman de Pierre Senillou : L'Arantele Marie-Rose Simoni-Aurembou, Les apports du sud-ouest de la region parisienne aux regionalismes de la France

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Varietes regionales du Canada (Quebec, Manitoba et Acadie) Claude Verreault et Thomas Lavoie, Les parlers de l'Est et de l'Ouest quebecois : essai de caracterisation linguistique Caroline Laflamme, Distribution de quelques variantes geoUnguistiques dans les parlers populaires de l 'Est du Canada : essai de comparaison diachronique Liliane Rodriguez, Du corpus d'enquete de terrain au dictionnaire: le sort de poirette et zamboni, ou les ecarts de la representation lexicographique des particularismes topolectaux Louise Pöronnet, Rose-Mary Babitch et Wladyslaw Cichocki, La periphrase comme Strategie lexicale dans l 'Atlas linguistique du vocabulaire maritime acadien

II. L'eclairage historique Jean-Denis Gendron, L 'accent dit provincial du frangais parle au Canada aux XDC et XX" siecles : le temoignage des voyageurs Peter W. Haiford, Trois siecles de francophonie : archa'ismes et regionalismes dans le parier du Detroit Marcel B6n6teau, Variantes phonetiques, morphologiques et lexicales dans le frangais des deux groupes colonisateurs de la region du Detroit Jean-Claude Boulanger, Les proprionymes dans trois dictionnaires de l'epoque classique

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Table des matteres

III. L'apport des corpus informatisds Pierre Cardinal et Christiane Melan9on, Sortir des fardoches: les recherches prelexicographiques ä l 'ere de l 'informatique Normand Maillet, Le Reseau des corpus lexicaux quebecois dans Internet Fröderick Gagne, Claude Verreault et Louis Mercier, La base de donnees textuelles ChroQue : un nouvel outil pour elargir la description du frangais en usage au Quebec Pierre Martel et H616ne Cajolet-Lagani^re, L'apport de la Banque de donnees textuelles de Sherbrooke : des nomenclatures enrichies Liselotte Biedermann-Pasques et Fabrice Jejcic, Les rectifications de l'orthographe du frangais en l'an 2000 : un premier bilan d'apres les dictionnaires frangais et quebecois Premiere partie : un bilan de la lettre A (L. Biedermann-Pasques) Deuxieme partie : les apports de l'informatisation (F. Jejcic)

IV. Contact des langues et autres voies de recherche Henriette Walter, Varietes lexicales du frangais et anglicismes de part et d'autre de iAtiantique Pamela Grant, Du frangais quebecois vers l'anglais quebecois : les emprunts lexicaux Jean-Marcel Leard et Denis Amyot, La description lexicographique de mots polycategoriels dits adverbes : justement, seulement

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V. Conclusions du colloque

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Lothar Wolf, Conclusions

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Liste des participants

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LOUIS MERCIER Centre d'analyse et de traitement informatique du frangais Universite de Sherbwoke

quebecois

Presentation Le sixieme Colloque international Frangais du Canada - franfais de France s'inscrit dans le prolongement d'une serie de rencontres scientifiques triennales qui a debute ä Treves (Allemagne) en 1985 et dont le but est de mieux comprendre les liens linguistiques qui unissent la France et le Canada. La mise sur pied de cette serie de colloques est l'oeuvre de deux romanistes allemands, Hans-Josef Niederehe, de l'Universite de Tr6ves, et Lothar Wolf, de rUniversite d'Augsbourg. Depuis le premier colloque, les actes sont publies par les Editions Niemeyer, dans la collection Canadiana Romanica, que dirigent ces deux romanistes. Le premier colloque (1985) a eu Heu dans un village voisin de Treves, d'oü la tradition de tenir ces rencontres internationales hors des grands centres urbains; l'objectif du colloque ötait de faire un tour d'horizon des etudes comparatives entre le fran9ais de France et celui du Canada {Canadiana Romanica, 1, 1987). Le deuxieme colloque (1988) s'est tenu ä Cognac, dans la province de Saintonge qui a laisse de nombreuses traces linguistiques au Canada, et particulidrement en Acadie; ce colloque a traite principalement de la langue maritime (Canadiana Romanica, 6, 1991). La troisi^me rencontre (1991) s'est deroulee ä Augsbourg, en Allemagne; on y a discute notamment des rapports entre langue et soci6t6 (Canadiana Romanica, 7, 1993). C'est la ville quebdcoise de Chicoutimi qui a accueilli le quatridme colloque (1994), centre sur la lexicologie du franfais canadien (Canadiana Romanica, 12, 1996). Le Perche fut l'höte du cinqui^me colloque (1997), ä Belleme, oü on s'est Interesse tout particulierement aux situations de contacts linguistiques et ä la question des emprunts (Canadiana Romanica, 13, 2000). Ä la fm de ce colloque, il a et6 convenu que la prochaine rencontre se tienne de nouveau au Canada en 2000 et que son Organisation soit confiee au Centre d'analyse et de traitement informatique du fran9ais quebecois (CATIFQ) de l'Universitö de Sherbrooke, repr^sente ä Belleme par Helene Cajolet-Laganiere et moimeme. En septembre 2000, le sixidme colloque s'est donc tenu dans la region quebecoise des Cantons-de-l'Est, et plus precisement dans celle de l'Estrie, au pied du mont Orford (Auberge Estrimont) qui commen9ait dejä ä afficher des couleurs automnales. Fideles ä l'objectif premier, les organisateurs de ce sixieme colloque ont cherche ä reunir les principaux chercheurs qui s'intöressent ä la Variation g^ographique du fran9ais, et plus particulierement ä la comparaison de ses vari^tös canadiennes et hexagonales. Compte tenu de l'orientation principale des travaux de recherche en cours au CATIFQ, et avec l'accord du comitö scientifique, ils ont propose le theme gen6ral suivant: « Vers une meilleure description lexicographique de la Variation du fran9ais: l'apport des enquetes linguistiques, des banques de donn^es textuelles et autres corpus ». Une trentaine de sp^cialistes de la dialectologie, de la lexicologie et de la lexicographie fran9aises, originaires de France, d'Allemagne et du Canada (Acadie, Manitoba, Ontario et Quebec), ont r^pondu ä leur invitation. Place sous la presidence d'honneur de Jean-Denis Gendron, professeur em^rite de l'Universite Laval, le colloque d'Orford a donne lieu ä vingt-deux communications, qui se

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Louis Mercier

rattachent ä quatre sous-thfemes. « L'apport des enquetes linguistiques et corpus litteraires regionaux » a ete couvert par neuf contributions, cinq d'entre elles axees sur les varietes regionales de France (Ile-de-France, Normandie et Ouest) et quatre sur les varietes du Canada (Acadie, Manitoba et Quöbec). Le deuxieme sous-theme, « L'öclairage de la documentation historique », a suscitö quatre interventions, portant notamment sur l'histoire de l'accent canadien et sur les sources de la colonisation francophone dans la region ontarienne du Detroit. « L'apport des corpus informatises » a fait l'objet de sept communications qui ont permis de decouvrir diverses utilisations complementaires de ces outils qui ouvrent de nouvelles voies aux recherches lexicologiques et travaux lexicographiques. Le demier soustheme « Contact des langues et autres voies de recherche » - qui fait echo au theme principal du precedent colloque - a abord6 dans trois contributions ; il a de nouveau 6te question des emprunts du fran9ais ä l'anglais, mais il a aussi ete question de la Situation inverse, observable en contexte quebecois, oü l'anglais emprunte au fran9ais. Dans ces Actes sont reunis les textes de toutes ces communications, ainsi que les conclusions du colloque, presentees par Lothar Wolf. Vient s'ajouter une page d'hommage consacree ä Peter W. Haiford, notre ami et collegue ontarien decede depuis la rencontre d'Orford, ä la memoire de qui l'ouvrage est d6die. Nous avons retenu egalement le texte d'ouverture d'Antoine Sirois qui presente diverses facettes de l'histoire des Cantons-de-l'Est, region associee ä cette rencontre et que d'agröables excursions ont par la suite permis de mieux connaitre (Sherbrooke et ses environs, village de North Hatley, lac Massawippi, lac Memphr^magog, mont Orford). Helene Cajolet-Laganiere et moi-meme desirons remercier toutes les personnes qui ont contribue directement au succes du sixieme Colloque international Frangais du Canadafrangais de France. Nous pensons en premier lieu aux membres du comite scientifique : Brigitte Horiot (France), Thomas Lavoie (Quebec), Hans-J. Niederehe (Allemagne), Louise Peronnet (Nouveau-Brunswick), Marie-Rose Simoni-Aurembou (France), Claude Verreault (Quebec) et Lothar Wolf (Allemagne). Nous pensons aussi aux autres membres du CATIFQ, professeurs et ötudiants, qui ont largement collabore ä l'organisation de la rencontre, et tout particulierement ä Ginette Thiffault, etudiante ä la maitrise, et ä Caroline Dubois, chargee de cours, qui ont efficacement veille au bien-etre des congressistes. Nous voulons egalement, au nom de tous, remercier Marcel Böneteau d'avoir enrichi notre programmation culturelle en acceptant tres spontanement et tres genereusement d'ajouter ses chansons aux contes et complaintes de Michel Faubert, ainsi que Mme Phylis Skeats, de la Societe historique de North Hatley, et son fils, M. Russell Pocock, qui ont eu la gentillesse de venir nous rencontrer dans le cadre chaleureux du pub Le Pilsen pour nous raconter l'histoire des communautes anglophones puis francophones qui se sont installees sur les rives du lac Massawippi. La tenue du colloque a rendue possible gräce ä l'appui financier de l'Universite de Sherbrooke, de la Fondation de l'Universite et de la Faculte des lettres et sciences humaines, du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et du Secretariat ä la politique linguistique du gouvemement du Quebec; nous tenons ä adresser de nouveau nos remerciements ä ces organismes ainsi qu'ä la ministre responsable de l'application de la Charte de la langue franfaise. II nous reste enfm ä remercier Johanne Rondeau, qui a egalement relu l'ensemble du manuscrit de ces Actes.

Presentation

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Ä l'invitation de notre collegue Brigitte Horiot, le prochain colloque aura lieu ä Lyon en 2003, trente ans aprös le deces de Mgr Pierre Gardette. On ne pourra alors manquer de rappeler l'influence sur les ötudes canadiennes de cet eminent dialectoiogue fran^ais qui, il y a d^jä un demi-siöcle, lan9ait un appel ä la mobilisation des universitaires du Quebec en faveur d'un « dictionnaire de la langue canadienne ».

ANDRE LAPIERRE Universite d'Ottawa

Peter W. Haiford (1942-2002) Peter Wallace Haiford est n6 le 7 novembre 1942 ä Maidstone, pres de Windsor dans le sudouest de rOntario. Apres ses etudes secondaires, il se dirige vers l'Universite de Windsor oü, en 1965, il complete un baccalaur^at specialise en franfais et en espagnol, suivi, en 1966, d'une maitrise en philologie romane. Peu de temps apr^s, il entreprend sa carriere de professeur dans la meme universit6, oü il enseigne le fran9ais et la linguistique. En 1983, le Conseil ontarien des associations de professeurs d'universit^ lui d6ceme un prix d'excellence en enseignement. Au cours des annees suivantes, il fait deux stages d'etudes ä l'Universitö des sciences humaines de Strasbourg qui le conduisent, en 1988, ä l'obtention d'un doctorat de troisieme cycle. Sa these lui permet d'approfondir ses liens avec son pays natal: il travaille ä l'edition diplomatique des cahiers manuscrits du pere Pierre-Philippe Potier, missionnaire jesuite au Detroit au XVlll^ siede, documents d'une richesse incomparable pour l'ötude des particularismes du parier fTan9ais de la Nouvelle-France. Ce travail sera public en 1994 aux Presses de l'Universite d'Ottawa. Comme tout bon romaniste, Peter etait un passionne des langues, mais aussi un adepte de la joie de vivre. Celles et ceux qui ont eu le privilege de le connaTtre se souviendront de sa bonne humeur, de sa generosite, de sa passion pour les voitures sport et pour la gastronomie, et surtout de la fiert6 qu'il prenait ä l'elaboration de son propre vin. Sans oublier son sens de l'humour, qu'il alliait si adroitement au serieux de sa demarche scientifique. Un coll^gue qu'il avait un jour invite ä prononcer une conference sur le pere Potier eut la surprise de se faire accueillir ä l'aeroport par un Peter Halford accoutre en soutane de missionnaire jesuite et de se faire conduire ä l'universite ä bord d'une Alfa GTV ! Plus que tout autre linguiste, Peter a su mesurer l'importance du parier du Detroit et de ses prolongements dans le sud-ouest ontarien pour l'etude des parlers franfais au Canada. Dans ses publications et ses communications, tant en Europe qu'au Canada, il a insiste sur la contribution de ce rameau ontarien du parier fran9ais ä la connaissance, plus generale, du parier populaire franco-canadien. Ä l'6te 2001, il a participe activement ä l'organisation du Premier colloque international sur la presence fran9aise au Detroit, 6v6nement qui a attire plus d'une centaine de specialistes d'Amerique et d'Europe. Outre son enseignement et ses publications, sa contribution la plus marquante reste la fondation, ä l'Universite de Windsor et en collaboration avec son collegue, ami et folkloriste Marcel Beneteau, du Centre de ressources pour l'ötude de la francophonie du Detroit, dont il a ete le premier directeur. Malgre une retraite anticipee prise en 1998, il a continue neanmoins son activitö de recherche et entrepris un deuxieme ouvrage sur le lTan9ais du Detroit, travail hölas laissö en chantier au moment de son depart inopine. Homme de culture, chercheur chevronne et universitaire engage, Peter Halford aura mis sa science au Service de son milieu et ä la promotion du fait fran9ais dans un des ilots les plus vivants et les plus sympathiques de la diaspora fran9aise en Amerique.

ANTOINE SIROIS Universite de Sherbrooke

Les Cantons-de-l'Est Des annees trente aux annees cinquante, le celebre geographe franfais Raoul Blanchard, alors professeur ä Harvard, arpente tout le Quebec et jette un regard admiratif sur les Cantons-del'Est, region d'accueil du sixieme colloque « Fran9ais du Canada - franfais de France ». Situes en bordure de la frontiere americaine, les Cantons-de-l'Est historiques s'etendent en gros Sur tout le territoire compris entre la riviöre Richelieu et la riviere Chaudiere. Iis comprennent aussi bien la zone de Granby, situee ä l'ouest de Sherbrooke, que Celles de Thetford Mines et de Lac-M6gantic, situ6es plus ä Test. Ce que l'on appelle l'Estrie couvre une partie des Cantons-de-l'Est historiques et constitue une rögion administrative, la region economique numero 5 ; la zone de Granby est alors exclue. Blanchard voit dans les Cantons-de-l'Est historiques une region naturelle au relief distinctif: un vaste plateau oü jaillissent des eminences isolees, des archipels de collines, des lignes de cretes continues sur de longues distances, entrecoup^es de vallees profondes. Ce relief appalachien contraste bien avec la plaine de Montreal. La Vegetation est abondante, et la foret prend une allure specifique gräce ä l'affluence des feuillus, parmi lesquels predominent les 6rables. La presence de nombreuses nappes d'eau confere ä la region les charmes les plus persuasifs. Ä titre d'exemple : le lac Memphr^magog, d'une longueur de 44,5 kilom6tres, qui ne cesse de söduire depuis deux siecles. Ce territoire, peuple plus tardivement que les rives du fleuve Saint-Laurent, devient une veritable terre promise pour un grand nombre de nouveaux arrivants: pour les Loyalistes americains qui veulent demeurer fideles ä la couronne britannique et remontent vers le nord avant 1810 ; pour une autre vague americaine qui vient s'ajouter ä partir de 1820 ; pour les Britanniques, Anglais, Ecossais et Irlandais, qui, s'echappant de la pauvrete et de la famine, emigrent jusqu'en 1840 ; pour les Canadiens franfais qui d^laissent les seigneuries situees le long du fleuve, devenues surpeuplees, et viennent coloniser le sud-est de son cours ä partir du milieu du XIX® siede. Cette nouvelle region de colonisation est divisde en townships, c'est-ä-dire en cantons de dix milles de cötö, et non en seigneuries, comme c'^tait la coutume alors, et les terres sont concedees en pleine propri6t6, degagöes de toute servitude seigneuriale. On abolira du reste le regime des seigneuries en 1854 au Bas-Canada. Une compagnie autorisöe par la Couronne et cr66e en 1833, la British American Land, contribue ä ouvrir le territoire et ä vendre les terres, ce qui attire des centaines d'immigrants europ^ens, surtout britanniques. « Mais oü sont les Amerindiens lä-dedans ? », peuvent nous demander nos amis europeens. Les Abenaquis sillonnent depuis longtemps les lacs et les rivieres de la region, faisant des Grandes-Fourches, au confluent des rivieres Magog et Saint-Fran9ois, un point de rencontre dans leur migration estivale. Plus tard, une reserve am^rindienne sera etablie ä la döcharge de la Saint-Franfois, celle d'Odanak. Cette nation de langue algonquienne imprime sur le paysage des noms övocateurs de nature : Memphremagog, Massawippi, Coaticook, Megantic.

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Anloine Sirois

Les uns apres les autres, les nouveaux arrivants inscrivent dans cette nature vierge les traits de leur propre culture, leurs goüts, leurs techniques de construction et leurs traditions artisanales. Comme le Signale l'architecte Gerald Domon, les paysages sont bien davantage que des elöments de döcor: Iis sont un miroir de la fa9on dont la population d'un territoire a, ä difKrentes öpoques, mls ä profit son bagage culture! et les ressources naturelles präsentes. Dans son 6tude sur les villages du Quebec, Yves Laframboise affirme que c'est l'architecture vemaculaire americaine qui a surtout contribue ä donner aux Cantons-de-l'Est leur cachet, avec leurs petites eglises protestantes de couleur blanche, leurs maisons de bois aux toits ä deux versants, maisons que des rideaux d'arbres dissimulent de la route, leurs bätiments publics arborant des Clements architecturaux inspires des constructions grecques anciennes. La region recelerait le plus grand nombre de villages pittoresques au Quebec, dont North Hatley, Ways Mills, Georgeville, Stanbridge East, Frelighsburg et plusieurs autres. Dans un style de construction plus moderne, signalons l'abbaye de Saint-Benoit-du-Lac, de Dom Beilot, et sa chapelle recente de Dan S. Hanganu. Le vingtieme siede verra une nouvelle generation de bätisseurs francophones. Le patrimoine construit connait encore d'autres formes transplantees dans la region : des granges rondes, des ponts couverts. L'exploitation des forces hydrauliques suscite la construction de moulins, dont subsistent plusieurs vestiges tels que le moulin Denison pres de Danville ou ceux de Kinnear's Mills et de Frelighsburg, entre autres. La creation de lignes ferroviaires, depuis 1852, entraine la construction de nombreuses gares dont s'enorgueillissent les municipalites. La ville de Sherbrooke, qui a celebre son 200' anniversaire en 2002, devient rapidement la capitale regionale. Elle compte maintenant 80 000 habitants. Gräce aux chutes de la riviere Magog qui lui foumissent l'önergie hydroelectrique, ä la construction des chemins de fer qui la relient ä Montreal et aux Etats-Unis, et gräce ä des promoteurs locaux anglophones, Sherbrooke connait un rapide developpement industriel entre 1840 et 1900. Parmi ces demiers se distingue Alexander Galt, qui d^fendra les interets des Cantons ä Ottawa, devenant meme ministre des Finances et Pere de la Confederation. Sherbrooke, ville de services apres 1950, connait depuis quelques annöes un redressement industriel important. La ville s'illustre aussi par son architecture. Elle comprend d'imposants bätiments religieux et civils de style, bien conserves ou restaures : datant du XIX® siede, notons l'eglise Plymouth Trinity, la banque Eastem Townships et le Bureau de poste; du debut du X X ' siede, l'eglise Saint-Jean-Baptiste, l'ancien Palais de justice et l'Eveche, avec sa chapelle decoree par Ozias Leduc. Selon Richard Milot, historien de l'art, l'architecture sherbrookoise, au XIX' siede, passe de la purete du neociassicisme virginien ä la complexite de l'influence anglo-americaine sous le long regne de Victoria. Le quartier du Vieux Nord se particularise par le caractere patrimonial de ses constructions. Loin de se sentir 6cras6s par la majorite anglophone, les Canadiens fran9ais, d'abord minoritaires dans la region et moins scolarises, sont stimules par eile. Iis se döveloppent culturellement et finissent par former 90 % de la population. Dös le milieu du XIX' siede, ils implantent un systeme scolaire et fondent le Mont-Notre-Dame (1857) pour les jeunes filles et le Seminaire Saint-Charles (1875) pour les jeunes gar9ons, deux institutions qui formeront leur elite civile et religieuse. Iis creent deux joumaux, en 1863 et en 1882, puis un troisieme, le quotidien La Tribüne, dont la publication se maintient depuis 1910. Ce demier imprimö devient, avec les annees vingt et trente, un important foyer de vie litteraire, avec Louis-Philippe Robidoux, son rödacteur en chef, et Alfred DesRochers (1901-

Les Cantons-de-l 'Est

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1978), qui se fait l'animateur du groupe des Ecrivains de l'Est. DesRochers se distingue par son celebre recueil de podmes intitule A l 'ombre de l 'Orford. Les jeunes femmes constituent une partie importante des Ecrivains de l'Est et marquent l'entr^e de la femme dans la vie litteraire quöbecoise. L'öminent critique Louis Dantin affirme en 1934 : « La region de Sherbrooke, que nous avons cru dominee par l'influence d'une autre race, est en passe de s'öriger en centre de culture fi-an9aise. » La musique prend son envol au XIX^ siede, gräce aux chorales et aux harmonies. Une association entre autres, 1'Union musicale, reussit ä presenter quasi annueilement, de 1922 jusqu'aux annees quarante, des festivals, des operettes et des operas (Faust, Carmen et autres), et ce, uniquement avec des musiciens et des chanteurs locaux. Une salle imposante d'un miliier de sieges, bätie en 1901, le theätre His Majesty's, offre une scene exceptionnelle, l'une des plus spacieuses de la province. De grands artistes, dont Sarah Bernhardt, s'y produisent. Le Thöätre Granada, de 1700 sieges, ouvert en 1929, prete aussi sa scene pour des concerts et accueille, gräce ä la Society des concerts, les plus grands musiciens de l'epoque, comme Yehudi Menuhin et Rudolf Serkin. Les Festivals de la Jeunesse s'implantent en 1948, suivis par la fondation des Jeunesses musicales du Canada. Les formations instrumentales se multiplient, en particulier depuis les annees dix, pour aboutir ä la cr6ation de l'Orchestre symphonique de Sherbrooke en 1941, ensemble qui existe toujours. Les Sherbrookois soutiennent aussi Gilles Lefebvre dans l'etablissement du Centre d'arts Orford en 1950, lieu qui enrichit la region depuis par ses classes de maltre pour ötudiants talentueux et par ses concerts. En 1954, tous les 616ments sont en place pour justifier la naissance d'une troisieme universite de langue fran^aise au Quebec : l'Universite de Sherbrooke, qui devient pour sa rögion un nouveau foyer de culture. En plus de proposer enseignement et recherche, eile erige en 1964 une grande salle de spectacle de plus de 1500 places, bien 6quip6e pour le theätre, la musique et une varietö de spectacles qui depassent la centaine annueilement. En 1969, cette salle, que jouxte une galerie d'art contemporain, devient le Centre culturel de l'Universitö de Sherbrooke. Le Departement de franfais de l'Universitö constitue un nouveau tremplin pour la vie litteraire : enseignement, recherche, mais aussi publications, entreprises d'edition par les professeurs et les 6tudiants. Le milieu litteraire est aussi nourri par le College de Sherbrooke et stimule par l'Association des auteurs des Cantons-de-l'Est. La musique, si bien ancröe dans le milieu culturel avant 1960, se voit enrichie par l'institutionnalisation : des 6coles primaires et secondaires offrent un enseignement musical, les Departements de musique du Cegep et de l'Universitö forment les musiciens. Ä l'Orchestre symphonique de Sherbrooke s'ajoutent l'Orchestre symphonique des jeunes ainsi que plusieurs autres ensembles instrumentaux et choeurs. Une formation dans les arts visuels est Offerte au Cegep et ä l'Universitd. Plusieurs rassemblements d'artistes et des galeries voient le j o u r ; un musee conserve et expose les ceuvres des artistes chevronnes des Cantons-de-l'Est. Plusieurs artistes de la region ont, par le passe, rayonnö dans l'ensemble du pays, que ce soit Allan Edson (1846-1888), Frederick S. Cobum (1871-1960), Alfred Lalibert6 (1878-1953), Louis-Philippe Hebert (1850-1917) ou MarcAurele de Foy Suzor-Cotö (1869-1937). Ajoutons le plus celebre portraitiste au monde, Yousuf Karsh (1908-1976), qui a amorcö sa carriere ä Sherbrooke en 1925.

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Antoine Sirois

Prenant la releve de plusieurs troupes de theätre amateur, une premiere troupe professionnelle apparait en 1968. Trois sont actuellement en activite, de meme que deux troupes de danse moderne. Si les initiatives de la Revolution tranquiiie ont contribue depuis 1960 ä revitaliser et ä institutionnaliser le domaine de la culture, 1'Intervention des municipalites constitue un fait marquant des annöes quatre-vingt. En 1983, la Ville de Sherbrooice est I'une des toutes premieres au Canada ä rediger et ä appliquer une politique culturelle. Elle apporte en particulier son soutien ä l'infrastructure des organismes et vise ä rendre leurs manifestations davantage accessibles. Elle cree de plus le Grand Prix litteraire de la Ville de Sherbrooke. Le Probleme de la region sherbrookoise aujourd'hui, dans le domaine de la culture, c'est la relation, la comp6tition meme avec la metropole, Montreal. Les regions ont besoin de maintenir une masse critique d'artistes pour assurer leur propre vitalite, et il appartient aux diverses instances d'etablir en region une infrastructure et des conditions de creation, de production et de diffusion. La metropole s'enrichit des artistes qui proviennent des regions. A-t-on dejä mesure la contribution apportee ä Montreal par Sherbrooke, par exemple avec Gilles Marcotte, le plus reconnu des critiques littöraires au Quebec; avec Serge Garant, un des premiers leaders en musique contemporaine; avec Michel Goulet, un des plus prestigieux sculpteurs en art actuel; avec Jean Besre, un des comediens les plus populaires ; avec Chantal Juillet, ancien Premier violon de l'Orchestre symphonique de Montreal et soliste röputee ? Ce bref rappel historique permettra, je l'espere, ä ceux qui ne connaissaient pas encore Sherbrooke et ses environs de mieux saisir comment, dans une region d'abord anglophone, les Estriens francophones ont röussi leur afFirmation culturelle, au-delä de la revanche des berceaux. L'ambiance anglophone, non per9ue comme un obstacle, a surtout constitu^ un facteur d'emulation non conflictuelle.

Bibliographie Sherbrooke, 1802-2002. Deux siecles d'histoire, compile par Andree Desilets, Sherbrooke, La Societö d'histoire de Sherbrooke, 1998. Kesteman, Jean-Pierre, Peter Southam et Diane Saint-Pierre (1998). Hisloire des Cantons-de-iEst, Quebec, Les Presses de l'Universite Laval - IQRC (« Les regions du Quebec, 10 »). Laframboise, Yves (1996). Villages pUtoresques du Quebec, Montreal, Les Editions de I 'hemme. Milot, Richard (1986). « Le Sherbrooke du XIX' siede », Conlinuite, ete-automne, p. 14-19. Sirois, Antoine (1994). « Affirmation et autonomie culturelles en region sherbrookoise », Possibles, vol. 18, n° 4 (automne), p. 65-77.

I. L'apport des enquetes linguistiques et corpus litteraires regionaux

RENE LEPELLEY Universite de Caen - Office universitaire d'etudes

normandes

Variation du fran9ais regional de Normandie dans la denomination de quelques coquillages

1.

Convergence et divergence onomasioiogiques dans les noms de la patelle sur l'ensemble des cötes de Normandie

S'il est un vocabulaire interessant ä etudier d'un point de vue onomasiologique, c'est bien celui des especes marines. Qu'il s'agisse de poissons, de coquillages, de crustaces, mais aussi d'oiseaux de mer ou de plantes marines, on constate que, selon les cotes considör^es, chaque espece porte des noms locaux souvent beaucoup plus employes que les appellations ofFicielles. Ce ph^nomene est d'ailleurs Signale par les dictionnaires courants. Prenons comme exemple la patelle (v. figure 1), puisque c'est d'elle que nous allons parier dans un instant. Figure 1 La patelle (Patella vulgatä), mollusque gastiropode'

1.1. Appellations de la patelle La demiere edition du Petit Larousse donne la description suivante de l'animal en question : « Mollusque gast^ropode comestible ä coquille conique, tres abondant sur les rochers d6couvrant ä maree basse, cour[amment] appel6 bernicle, bernique, ou chapeau chinois. » C'est sans doute ä cet ouvrage que se sont referes les rödacteurs d'une Information röpandue recemment sous forme de tract dans le nord-ouest du departement de la Manche. Vous savez sans doute que cette rögion est marqu6e par ses industries nucleaires dont on surveille les effets sur les espöces marines. Cette Information contient un diagramme concemant «le ruth^nium dans les patelles dans la Baie d'Ecalgrain », ainsi qu'une note rattachee au mot '

Les illustrations de coquillages (fig. 1 et 3) sont tirees de Louis Le roy, 1999, p. 45 ; les cartes de Jacques Morisse (fig. 2 et 5), de Lepelley, 1993, p. 20.

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Rene Lepelley

patelies : « Patelle : mollusque marin appele aussi chapeau-chinois ou bernique. » II est certain que, si l'on parlait de patelles aux habitants de ces cötes, la plupart ne verraient pas de quoi il s'agit. Ä vrai dire, sur le point 6tudi6 (la Baie d'Ecalgrain situ6e presque ä la pointe de la Hague), il n'est pas sür que tous ies iocuteurs comprennent les appellations chapeau chinois ou bernique, car c'est un autre terme qu'ils emploient couramment, comme vous pouvez le voir sur la carte des cötes de Normandie (v. figure 2). Figure 2 Les cötes de Normandie I

En partant du sud-ouest de la province, on constate que les appellations le plus souvent employees sont les suivantes : beni, substantif masculin, dans la Baie du Mont-Saint-Michel et j u s q u ' ä Granville ; belin (s. m.^) ä Agon-Coutainville ; ail-de-brebis, (s. m.) et bernique (s. f.) de Surville ä Portbail; flie (s. f.) de Carteret ä Utah Beach, c'est-ä-dire sur la plus grande partie des rivages de la presqu'ile du Cotentin. Sur la cote du Calvados, on emploie belin (s. m.) ä Grandcamp, puis chapeau-chinois (s. m.) de Port-en-Bessin ä Honfleur, c'estä-dire sur une distance de 80 kilometres. Ensuite, de l'estuaire de la Seine j u s q u ' ä Veules-lesRoses en Seine-Maritime, le terme le plus courant est lampote (s. f.). En plus de cette grande repartition des termes, on releve de fa9on plus isolee : bernique ä Honfleur, Le Havre et Etretat; flie ä Port-en-Bessin et Ouistreham; chapeau-chinois ä Veules. Ce sont lä des emprunts secondaires faits soit au fran9ais Standard familier, comme bernique et chapeau-chinois, soit au type qui est le plus röpandu sur la plus longue portion du littoral normand,y?/e. S. m. et s. f. correspondent respectivement ä substantif masculin et substantif feminin.

Variation du frangais regional de Normandie dans la denomination de quelques coquillages

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Toutefois, si ces divers termes designent, d'une fa9on generale, l'espöce « patelle », on releve egalement quelques autres appellations qui permettent de distinguer certains groupes d'individus ä l'interieur de l'espece. C'est essentiellement dans le nord du Cotentin que sont connues ces d6nominations sp6cifiques. Ce n'est pas ötonnant, car c'est sans doute lä que les cotes sont les plus rocheuses, donc propices ä la presence de l'animal. C'est lä aussi que les termes traditionnels se sont le mieux conserv6s. Dans la Hague, c'est-ä-dire ä Touest, on distingue parmi les flies: les chats, les chevaux et les rans. Ces trois appellations temoignent d'un systöme oü l'allusion ä des animaux s'explique ais6ment, du moins dans une civilisation rurale. Le chat est, parmi les animaux familiers d'une exploitation agricole, le plus petit; la patelle dite chat röfere ä un petit individu auquel s'oppose le cheval, c'est-ä-dire la grosse patelle. Quant au mot ran, il d6signe, dans les patois du nord de la Manche, le bölier. Or, cet animal a toujours 6te considere comme ayant, plus que tout autre, la tete dure, d'oü la notion d'obstination qui s'est attach^e ä cet etat. II faut avoir pech6 soi-meme des patelles pour comprendre ä quel point les trös grosses flies deploient une extraordinaire force d'adhörence aux rochers auxquels elles se cramponnent! Dans le Val de Saire, c'est-ä-dire ä Test, oü l'opposition temaire n'existe pas vraiment, on donne tout de meme parfois le nom de rans-flies ä ces mollusques particulierement rösistants.

1.2. Etymologie des appellations Avant de quitter ces intöressants coquillages que sont les patelles, il est interessant de regarder d'oü sont issues les differentes appellations qui viennent d'etre relev^es. On döcele facilement deux origines thematiques: l'aspect et la force de r^sistance ä laquelle je viens de faire allusion. II n'y a rien d'etonnant dans l'appellation chapeau-chinois si l'on se souvient que, pendant fort longtemps, on a representö les Chinois couverts de leur large chapeau traditionnel. Si ce terme fait r^förence ä la forme de la coquille, le mot ail-de-brebis renvoie ä l'animal lui-meme : une fois celui-ci detachö du rocher, la partie molle de son corps övoque l'ceil globuleux d'un mouton. Quant ä la force de rösistance, nous l'avons constatöe tout ä l'heure dans l'appellation ran qui sert aussi ä dösigner le belier. C'est au meme animal de la race ovine qu'est emprunt6 le terme belin, de meme origine que belier et que l'ancien franfais utilisait au Xlir siede sous les formes belin et berlin. Localement, ce type apparait sous la forme belin dans laquelle la chute du r a entrame l'allongement compensatoire de la voyelle precödente. Et c'est sans doute d'un croisement entre ce belin et le substantif breton bernique qu'est issu le beni que l'on entend dans le sud de la Manche, ä proximite de la Bretagne. En ce qui conceme l'origine ethnolinguistique des principales ddnominations relevees en Normandie, on ne s'^tonnera pas de la presence de l'ancien scandinave, du neerlandais et du breton. Le sens general de l'ancien scandinave flitha, qui a donne flie, etait celui de «rondelle mince ». On voit comment le mot s'est specialis^ pour d^signer un coquillage rond et relativement plat sur les rivages de l'ancienne Neustrie, oü les traces des noms communs apportös par les Vikings sont les plus nombreuses, c'est-ä-dire les cotes du Cotentin, avec une certaine ömergence dans deux ports du Calvados en contact avec ceux du Cotentin. Mais, au Moyen Äge, les ports normands ont 6te ögalement en relation avec les ports situ6s plus au nord, sur les cotes de la Picardie, elles-memes en relation avec les cotes flamandes. Et c'est bien au vocabulaire neerlandais qu'ont ete empruntes les mots ran et lampote que l'on trouve

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Rene Lepelley

dans les parlers cotiers de Picardie et de Normandie. D'ailleurs, si lampote a ete bien atteste en Haute-Normandie, il est presque inconnu en Basse-Normandie. Enfin, on ne peut oublier que le sud de la Normandie touche la Bretagne qui a foumi le terme bernique, soit directement, comme on le voit sur la cöte ouest du Cotentin, soit indirectement, par rintermediaire du franfais, comme cela a 6te le cas dans les ports de Honfleur, du Havre et d'Etretat.

2.

Convergence et divergence semasiologiques et phonetiques dans l'emploi du iy^egofiche

II existe donc une grande diversite dans les fafons de nommer un coquillage aussi insignifiant que la patelle. Avec un diametre qui, le plus souvent, ne depasse pas trois centimetres, avec une valeur culinaire qui est loin d'etre reconnue meme par les amateurs de fruits de mer, ce mollusque gasteropode peut pourtant susciter des discussions entre des locuteurs appartenant ä des cotes voisines. Ceux qui ont mene sur le terrain des enquetes onomasiologiques le savent bien, en particulier les auteurs d'atlas linguistiques : les discussions peuvent devenir de veritables disputes quand, prenant les choses dans l'autre sens, on demande ä ces locuteurs de clarifier la signification de tel ou tel terme, de tel ou tel type lexical. Les röponses obtenues temoignent d'une diversite semasiologique qui montre combien il serait hasardeux de chercher ä unifier ä la legere des parlers voisins sous pr^texte qu'ils appartiennent ä une region presentant elle-m€me une unite d'ordre historique ou geographique. C'est pour en faire la demonstration que, sans m'eloigner du sujet que je viens de traiter, je vais, dans la suite de cette contribution, m'interesser ä une d^nomination qui appartient au meme vocabulaire, celui des mollusques marins, tel que releve sur les rivages de Normandie.

2.1. Les formes II existe une appellation de coquillage que je qualifierai plutot de type lexical tant sont nombreuses les formes sous lesquelles eile apparalt tout au long des cotes. Ce type est interessant non seulement ä cause des multiples formes qu'il affiche, mais aussi et surtout parce qu'il peut designer deux cat^gories bien difförentes de mollusques marins. Ce type, je le presenterai ici sous la forme qui m'est familiere dans mon parier natal, tout en cherchant ä en atteindre le prototype. Je partirai donc de la forme gofiche qui, toujours dans le parier qui m'est le plus familier, designe l'ormeau ou oreille de mer, que les specialistes nomment Haliotis tuberculata. Dans un tres interessant article paru dans la Revue de linguistique romane de juillet 1988 et intitule « Fran^ais Ormeau "Haliotide" », Jean-Paul Chauveau a etudie le probleme que j'aborde ici. Je ne vais donc chercher qu'ä ajouter quelques details ä cette etude.

Variation dufranfais regional de Normandie dans la denomination de quelques coquillages 17 Figure 3 L'ormeau (Haliotis tuberculata), mollusque gasteropode

La dizaine de formes courantes sous lesquelles se realise le type gofiche en Normandie apparaissent dans le tableau suivant, qui ne tient compte que des evolutions phon^tiques possibles d'une forme ä l'autre, lesquelles portent sur la consonne initiale et sur la troisidme consonne, ainsi que sur la voyelle initiale. Tabicau I Les variantcs courantes du type goflche Variantes

Caract^risCiques phon^tiques Consonne initiale

gofiche goßque goufiche goufique goußgue godefiche goleßche coßche codeflche coteßche coqueßche

C.sonore

Voyelle initiale

Deuxiime consonne (variantes i q u a t r e consonnes)

V. libre en [o]

Troisi^me consonne (variantes k truis consonnes) fricative dentale sourde occlusive vilaire sourde

V. libre en [u]

fricative dentale sourde occlusive vilaire sourde occlusive v^laire sonore

V. suivie d'une

occlusive dentale sonore occlusive dentale sourde

C.sourde

V. libre V. suivie d'une

occlusive dentale sonore occlusive dentale sourde occlusive völaire sourde

Pour atteindre le prototype, il est indispensable de rechercher l'etymologie du mot, laquelle, bien sür, est controversöe. Je ne m'arreterai pas sur l'hypothese de ceux qui veulent voir dans les parlers de Normandie un certain nombre de traces anglaises heritees de l'epoque du royaume anglo-normand des XI' et XII' siecles ou de la guerre de Cent Ans, et qui voient dans goßche une graphie ä la fran9aise des deux mots anglais God fish - je dis bien deux mots - , car l'appellation *godfish n'existe pas en anglais, ä ma connaissance, pour designer

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Rene Lepelley

un poisson ou un coquillage. Aussi les ötymologistes s'arretent-ils plus volontiers sur le substantif v^ritablement anglais codfish, qui designe la morue, le cabillaud. Le prototype semblerait alors etre godefiche. Tableau 2 Ä partir d'un prototype coquefiche Caract^ristiques phonetiques

Variantes Consonne initiale coquefiche cotefiche gotefiche codefiche godefiche cofiche gofiche gofique goufiche goufique goufigue

C.sourde C.sourde C. sonore C.sourde C. sonore C. sourde C. sonore C. sonore C. sonore C. sonore C. sonore

Voyelle initiale

V. suivie d'une V. suivie d'une V. libre V. libre en [o] V. libre en [u]

Deuxi^me consonne (variantes ä quatre consonnes) occlusive occiusive occlusive occlusive occlusive

Troisi^me consonne (variantes ä trois consonnes)

velaire sourde dentale sourde dentale sourde dentale sonore dentale sonore fricative dentale sourde occlusive velaire sourde fricative dentale sourde occlusive velaire sourde occlusive velaire sonore

11 serait cependant difficile d'expiiquer le glissement d'emploi qui aurait affecte ce prototype : il y a en effet peu de rapport entre le cabillaud et l'ormeau ou n'importe quel autre mollusque. Et c'est ä juste titre que J.-P. Chauveau a rejete ces diverses interpr^tations. Allant partiellement dans le meme sens que lui, je propose de voir, dans le type que nous etudions aujourd'hui, un compose de deux ^löments dont le second est bien, comme le pense Chauveau, un deverbal de l'ancien fran^ais fichier, qui avait le sens de « fixer », « attacher ». Ce verbe ötait issu du latin tardif *ßggicare, lui-meme produit par le classique figere « fixer». Bien entendu, dans le domaine franfais du nord-ouest, le c latin devant un a pouvait se maintenir sous la forme [k]. II s'agit maintenant d'identifier l'^lement qui prec^de ce verbe. Ä mon avis, et c'est lä que je m'^loigne de Chauveau, il s'agit du substantif coque, avec son sens de « coquille ». On retrouve cet element en Normandie dans plusieurs noms de coquillages : c'est lui, par exemple, qui constitue le premier Clement de coquecigrue et le second de calicocot, lesquels designent tous deux le buccin ou bulot. Le prototype recherchö serait alors coquefiche, la demiere des formes apparaissant dans le tableau 1. On voit qu'ä partir de celle-ci, il est facile de reconstituer la « genealogie » des autres formes, plus ou moins marquees par des phenomenes phonetiques dialectaux (v. tableau 2). Partant donc de coquefiche, on peut passer facilement ä cotefiche, puis ä gotefiche, codeftche et godefiche. Ensuite, par chute de la consonne implosive de la premiere syllabe, on passe ä cofiche, gofiche et gofique ; puis, par fermeture de la voyelle initiale, ägoufiche, goufique et goufigue. La coquefiche serait alors un coquillage dont la surface inferieure adhere au rocher encore plus fortement que celle de la patelle. Cette defmition s'applique particulierement bien ä l'ormeau ou haliotide (Haliotis tuberculata) (v. figure 4).

Variation du frangais regional de Normandie dans la denomination de quelques coquillages Figure 4 La coquille Saint-Jacques {Pecten maximus),

2.2.

19

mollusque bivalve

Les emplois

C'est en efFet pour d^signer ce mollusque gasteropode ä coquille univalve que le type lexical gofiche est le plus employö. Cependant, en un certain nombre de points des cotes normandes, il dösigne exclusivement la coquille Saint-Jacques ou grand geigne (Pecten maximus), un mollusque de la classe des bivalves, qui est sans attache fixe avec les rochers. La carte suivante (v. figure 5), illustrant les emplois du type gofiche, permet de constater qu'ils varient depuis le Mont-Saint-Michel, dans la Manche, jusqu'ä Senneville, en SeineMaritime. On y identifie clairement trois zones d'emploi: Figure 5 Les cötes de Normandie II

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Rene

Lepelley

• du Mont-Saint-Michel ä Agon-Coutainville, le type goflche est compris comme designant la coquille Saint-Jacques; • de Surville ä Saint-Vaast-la-Hougue, il r^ßre ä l'ormeau ; • de Grandcamp ä Senneville, c'est ä nouveau la coquille Saint-Jacques qui est ainsi denommöe. D'oü une difficulte d'intercompr^hension sur ce sujet entre la plupart des habitants de la Manche, d'une part, et ceux du Calvados et de la Seine-Maritime, d'autre part. Certes, ces demiers sont les plus nombreux, mais on recueille l'ormeau presque uniquement sur les cotes de la Manche, plus precisement Celles du Cotentin, entre Surville et Saint-Vaast. C'est donc lä qu'il faut situer les premiers emplois du type; c'est lä egalement que l'appellation correspond le mieux ä la rrälit^ physique de l'animal.

3.

Conclusion

Voilä qui donne un aper9u des denominations de la patelle, de la coquille Saint-Jacques et de l'ormeau qui ont ete recueillies sur les cötes normandes. On voit bien que ces denominations prösentent une grande vari^te ä i'intörieur d'un domaine limite, varietö qu'elles doivent soit ä des origines diverses, soit ä des röpartitions d'emploi parfois secondaires entre les difförentes portions de cötes. Or, parmi ces portions de cotes, il en est une qui apparaTt comme la mieux structuree : c'est celle qui borde le nord de la presqu'ile du Cotentin. En effet, de Carteret ä Saint-Vaast-la-Hougue, soit sur environ cent vingt kilometres, on constate une double permanence : la patelle y est toujours appelee flie, et le type goßche, quelles qu'en soient les formes, y designe toujours l'ormeau. Cette constatation permet de penser que c'est sur ces rivages qu'ont d'abord ete utilisöes les appellations qui viennent d'etre presentees.

References Chauveau, Jean-Pierre (1988). « Frangais Ormeau "Haliotide" », Revue de linguistique n"» 207-208 Ouillet-decembre), p. 339-353. Lepelley, Rene (1993). Dictionnaire etymologique des noms de communes de Normandie, - Caen, Editions C. Corlet - Presses universitaires de Caen. Le roy, Louis (1999). Je ramasseje cueilleje cuisine..., Paris, Le lou du Lac Editeurs. Le Petit Larousse Illustre 2000, Paris, Larousse, 1999.

romane,

tome 52,

Conde-sur-Noireau

CATHERINE BOUGY Centre de recherche inter-langues sur le signification Universite de Caen-Basse-Normandie

en contexte

Le fran9ais regional de jeunes Bas-Normands

1.

Presentation de l'enquete

II y a onze ans, Renö Lepelley publiait son Dictionnaire du frangais regional de BasseNormandie (Lepelley 1989), suivi, peu apres, d'un ouvrage semblable etendu ä la Normandie tout enti^re (Lepelley 1993). Ces travaux ont fait decouvrir aux Bas-Normands la specificit^ et la vitalitö de leur « franfais ordinaire » et ont contribue ä les debarrasser de la honte qu'ils 6prouvaient face ä ce qu'ils prenaient soit pour du patois, seit pour de rargot. Les enquetes de Lepelley s'adressaient ä des tömoins de tout äge, originaires des cinq departements normands. J'ai, pour ma part, dans le cadre de mes cours de dialectologie ä rUniversite de Caen, cherch6 ä obtenir une image actuelle du fTan9ais regional de BasseNormandie' chez de jeunes locuteurs, le plus souvent des urbains. Cette enquete a et6 menee au printemps 2000 et dans un premier temps aupres de mes ^tudiants, qui ont decouvert ä cette occasion que certains termes qu'ils utilisaient röguli^rement n'etaient pas du franfais Standard : « il a tres interessant de remarquer que, pour tous ainsi que pour moi, ces mots et expressions etaient jusqu'alors consider^s comme frangais ä part entidre », a notö Tun d'entre eux. C'est bien la defmition du mot regional donn^e par Charles Bruneau au Colloque de lexicologie et lexicographie frangaises et romanes qui s'est tenu ä Strasbourg en novembre 1957: Le mot regional est un mot qui est connu de tout le monde, des gens des villes comme des gens des campagnes, dans un espace [...] comprenant souvent plusieurs departements, mot que, dans cet espace, tout le monde croit etre frangais, alors qu'en r6alit6 il ne Test pas. (Imbs [dir.], 1961 : 164)

Et c'est la meme defmition qu'on retrouve dans les Actes du Colloque sur les franfais r^gionaux, qui s'est tenu ä Dijon en 1976, citee d'abord par Georges Straka, puis reprise par Kurt Baldinger dans sa presentation du mot regional usuel comme « un mot connu par tout le monde et qui est senti comme appartenant au frangais » (Taverdet et Straka, 1977 : 227-242). On peut citer en exemple cette 6tudiante recourant tout naturellement, dans une Version anglaise, ä la locution c 'est chani (« moisi », Question 26) pour traduire mildew et cette autre, au connecteur courant en Basse-Normandie tout pendant que (« du moment que », Q. 47), dans la traduction d'un texte m^dieval. Ce fut la decouverte aussi de la diversite onomasiologique, la majorite ensaugant une salade que quelques-uns (les Manchots) embeurrent, quand d'autres (du Pays d'Auge, comme ceux de Haute-Normandie) Vaffaitent (Q. 3 1 ) ; ou de la diversite semasiologique

Pour une carte de la region, voir la contribution de Rene Lepelley.

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Catherine Bougy

pour le verbe locher, qui peut signifier « faire tomber des pommes » ou « l'emporter dans une competition » ( Q . 41). Dans un deuxi^me temps, mes ötudiants ont interrog^ leur famille proche (si possible sur trois generations), me procurant des indications biographiques et linguistiques precieuses et me permettant de comparer leurs compötences avec celles de leurs parents et de leurs grandsparents. J'ai retenu les temoignages de 100 jeunes Bas-Normands, äges de onze ä vingt-neuf ans, en majorite aux etudes : 49 etudiants, 34 lyceens et 4 collegiens; 13 jeunes actifs professionnellement ont aussi repondu au questionnaire. Tous vivent en Basse-Normandie depuis au moins dix a n s ; par le hasard des temoins interroges cette annee, ils habitent surtout le Calvados ( 8 0 ) ; 10 seulement resident dans la Manche et 10 autres, dans l ' O m e . Ces donnöes geographiques brutes sont ä nuancer du fait de la mobilite professionnelle contemporaine: ainsi, un temoin vivant dans l ' O m e a un pöre originaire de Livarot, dans le Calvados, et une mere de Cherbourg, dans la Manche, et cette Situation n'est pas unique. Parmi mes temoins figurent aussi des jeunes nes en Basse-Normandie il y a pres de vingt ans, mais dont les parents sont etrangers ä la r e g i o n : leur temoignage permet de se rendre compte de l'acquisition du fran9ais regional dans de telles conditions. Dans la somme des reponses obtenues, precises et d^taillees - dont tous les Clements ne sont pas encore analyses j ' a i sölectionne quelques mots qui me semblent appartenir tout d'abord au fran^ais regional d'aujourd'hui (ceux que mes jeunes temoins ont en commun avec leurs parents et leurs grands-parents), puis au fran9ais regional d'hier (ceux qu'ils sont peu nombreux ä employer, contrairement aux generations precedentes) et enfm au fran9ais regional de demain (mots qu'ils emploient avec une frequence plus importante ou avec de nouveaux sens). J'ai egalement tentö de degager les caracteristiques de chacune de ces trois categories.

2.

Le fran^ais regional d'aujourd'hui

Largement employes par les jeunes locuteurs et par leur famille, clenche « poignee de porte », change « t e n u e de rechange », salle « salle ä manger, salle de söjour», lout de suite « en ce moment » appartiennent pour la forme au fTan9ais Standard et sont pour eux des mots du fran9ais : « La salle, mais c'est... la salle ! », s'est exclame un temoin. Pourtant, il s'agit bien de sens rögionaux. Ainsi le mot salle (Q. 17) - courant en fran9ais Standard avec le sens de « p i e c e » et gönöralement suivi de de o\iä + determinant indiquant sa destination {salle de classe, salle de bains, salle ä manger...) - a 6te defini par les 90 temoins qui l'emploient et les 8 qui le connaissent comme la salle ä manger ou le sejour, avec dans leurs explications une nette nuance. Pour 59 d'entre eux, il s'agit d'une salle ä manger qui ne sert pas tous les j o u r s : « Chez mes parents, il y a une piece que l'on appelle la salle. C'est une salle ä manger oü l'on va rarement. Mot employ^ par mes parents et qui nous est reste. » (etudiante de l'Orne) Mais pour 41 des temoins, dont la majorite des plus jeunes, la salle, c'est la piece principale, le sejour, cette piece double des appartements modernes, avec d'un cote une salle ä manger et de l'autre un canape, des fauteuils et la television : « le lieu de vie principal de la maison ».

Le frangais regional de Jeunes Bas-Normands

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Le terme a donc pour eux un sens un peu different de celui qu'il a pour les genörations precedentes: de « salle de reception », son sens premier en ancien fran9ais (v. FEW 15, 14b, SALA), la Salle est devenue pour les jeunes la pi6ce ä vivre, « la piece canape-tele », selon I'expression de Tun d'eux. Pour change (Q. 14), employö par 86 jeunes et connu de 14, aucun des temoins n ' a le sentiment d'un regionalisme lexical.^ II faut dire que ce deverbal de se changer est largement atteste en fran9ais Standard, avec differents sens, dont un tres proche : changes (pour beb6) « couches-culottes jetables », qu'ils considerent comme une Variante ä sens restrictif de l'emploi qui est le leur. Le terme est en outre pratique d'utilisation face ä la locution « t e n u e de rechange » par laquelle ils l'ont glose : cela explique que la majorite y ait recours. II en est de meme pour clenche (Q. 4), employe par 87 tömoins, connu de 11 et inconnu de 2 seulement: les jeunes emploient, comme leurs aines, ce mot plus simple que la periphrase poignee de parte et ignorent le sens tres technique du fran9ais Standard, « petit bras de levier dans le loquet d'une porte », qui est connu seulement des specialistes du bätiment. Tout de suite (Q. 6) est un rögionalisme lexical tres röpandu (employe par 62, connu de 25, inconnu de 13) au sens de « en ce moment », « au moment oü j e parle ». II s'agit d'un präsent ä l'extension relativement longue; on peut d i r e : « Tout de suite, il fait son service militaire. » Cela n'empeche pas les locuteurs d'employer aussi tout de suite avec le sens du fran9ais Standard, celui de [j'arrive] tout de suite « immediatement apr^s » (le moment oü j e parle), le contexte excluant toute ambiguit^. Moins massivement attestee, mais tout de meme employee par 39 jeunes temoins et connue de 49, la locution faire un mi (Q. 23) est glosee par « faire un bisou » (sur la joue), « faire une bise, un b6cot», dont eile est l'exact synonyme. Si plusieurs ont note qu'elle appartient au lexique affectif et enfantin ou ä celui « des grands-meres », ils ont specific que s'ils la connaissaient sans l'employer, c'est qu'ils n'avaient pas d'enfants dans leur entourage. Tun d'eux ajoutant que, depuis qu'il avait une niece, il se servait ä nouveau de I'expression. La fröquence d'emploi du mot semble donc liee ä Tage du locuteur et aux circonstances de sa vie familiale. On peut toutefois constater que, malgre la concurrence du substantif bisou, de meme sens et de meme niveau de langue, la locution a conserve une certaine vitalit^, imputee ä son appartenance au lexique de l'affectivite, dans lequel l'abondance des synonymes est frequente; on le constate d'ailleurs avec bise, bisou et meme becot, serie que completent les donner un bec et donner un bi du franco-quebecois. Les termes qui viennent d'etre mentionnes existent en fran9ais Standard, mais avec un sens different; certains depassent la frontiere göolinguistique de la Basse-Normandie comme clenche^ et salle*, ou sont Ii6s ä la vie intime des locuteurs comme faire un mi: telles sont les caracteristiques de ces mots d'aujourd'hui. Celles des mots d'hier sont ä l'opposö : ils sont difficilement sentis comme integres ä une s^rie lexicale, morphologique ou morphosyntaxique du fran9ais Standard.

V. FEW 2/1, 122b, CAMBIARE : « norm[and] vetement de rechange ». V. Rezeau (dir.), 1999 : « Nord, Normandie, Haute-Bretagne, Lorraine, Haute-Saöne »(p. 103 ). Selon Blanche! et Walter, 1999 (p. 105), cet emploi est« usuel ä tres frequent» en Haute-Bretagne.

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3.

Catherine Bougy

Le fran9ais regional d'hier

Parmi les mots les moins employes par les temoins figurent se redimer « se restreindre », malaucceureux « facilement degoüt6 », rendant Service « serviable » et picot« dindon ». Se redimer (Q. 38) est inconnu pour 91 temoins; 7 le connaissent et 3 temoins de la Manche l'etnploient. Ceux qui connaissent seuiement le verbe vivent dans la Manche ou bien un de leurs parents est originaire de ce departement. Ce verbe, qui signifie « se limiter sur la nourriture», mais aussi « s e restreindre sur les depenses quand on n'a pas beaucoup d'argent», a l'inconv^nient de ne pas pouvoir etre rapproche par les locuteurs d'un terme simple du fran9ais, le substantif dime ne venant pas spontanement ä l'esprit (v. FEW 3, 25a, DECIMUS). Son usage semble actueilement iimite au departement de la Manche, que l'isolement geographique transforme en conservatoire de mots ; se redimer est partout en voie de disparition devant la concurrence du fran9ais Standard se restreindre ou se mettre au regime. Pour « qui a facilement mal au cceur, qui est facilement degoüte (de la vue du sang, de la nourriture)» (Q. 26), 10 temoins seuiement emploient malaucceureux (ou malencceureux), dont 2 freres qui vivent dans la Manche et 8 autres jeunes qui sont originaires de petites communes du Calvados, 3 de ces derniers ayant des attaches familiales dans la Manche. Les 13 temoins qui disent connaitre l'adjectif ont le meme profil. Si l'adjectif a l'avantage d'etre tres synthetique, donc en theorie pratique d'emploi comme clenche ou change, c'est, note une etudiante, « un mot qui semble etrange et dont on voit sur-le-champ qu'il n'appartient pas au fran9ais Standard ». 11 est en effet le seul de son espece, aucun adjectif n'ayant ete construit ä partir de (avoir) mal ä la tete, mal aux dents, mal aux pieds. Quant aux rares adjectifs du franfais d^riv^s de noms composes, ils n'appartiennent pas au lexique courant: on en jugera par fleurdelise, avant-gardiste ou jusqu 'au-boutiste. C'est son etrange construction qui explique aussi la rarete de l'emploi chez les jeunes de rendant service (employe seuiement par 19, connu par 40 et inconnu de 41). Formö sur rendre service, cet adjectif verbal est employe comme attribut du sujet dans « (// est) rendant Service » ; meme s'il est dote d'un complement d'objet direct, cet adjectif est confusement senti comme incorrect, car une teile construction n'est pas representee dans le systeme syntaxique du fran9ais. De plus, les locuteurs sont perplexes quant ä la forme de son feminin : d'une part, la majorite opte pour « { e i l e est) rendant service », mais cette forme marqu6e comme un masculin gene, et l'on evite de l'employer; d'autre part, quelques-uns disent « {eile est) rendante service », mais on retrouve alors l'adjectif possedant la marque de feminin alors qu'il est dote d'un complement d'objet direct. L'hesitation entre ces differentes constructions provoque un sentiment d'insecurit6, resolu par le recours au simple serviable... On ajoutera ä la serie le substantif picot « dindon » (Q. 42), relativement peu connu : il n'est employe que par 21 temoins, habitants de petites communes rurales ; il est connu de 27, inconnu de 52, dont les urbains, pour qui n'existent que dindon et dinde. Ce substantif s'est maintenu dans le Pays d'Auge gräce ä la faire ata picots qui se tient en aoüt ä Lisieux. Une etudiante bourguignonne, qui vit depuis dix-huit ans dans la region, note que c'est ce qui explique que picot soit connu de toute sa famille, qui l'a d'abord compris avec le sens general de « volaille ». Elle-meme a longtemps cru qu'il s'agissait d'arbres ou d'arbustes, « car on en vendait ä cette foire ». Le mot regional peut donc etre connu au sein d'une locution, independamment de son sens. Plusieurs temoins ont d'ailleurs cite l'expression grand picot.

Le frangais regional de jeunes Bas-Normands

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äquivalente de grand dadais : 1 (dont le plus jeune, äge de onze ans) l'emploient ou la connaissent tout en Ignorant l'existence - et bien sür le sens - du simple picot. Peut-etre estce l'amorce d'un d^veloppement futur de l'expression, debarrassee de ses connotations rurales et integree definitivement au lexique de l'affectivite ? Parmi ces mots de la ruralite ou mots que les locuteurs sentent comme n'ötant « pas fran9ais », certains pourtant pourraient bien connaitre un certain essor chez les generations ä venir.

4.

Le fran9ais regional de demain ?

Le bilan de horzain « quelqu'un qui n'est pas du village ou de la region » (Q. 33) est actuellement modeste : 12 t6moins l'emploient (5 de la Manche, 1 de l'Ome et 6 du Calvados) et 7 le connaissent (tous ^tudiants du Calvados, 5 ayant au moins un de leurs parents originaire de la Manche). II faut dire que le signifie de ce substantif a perdu, en cette fin de XX' siede, sa caracteristique pejorative d'autrefois. Ainsi, dans une famille de la region de Caen oü le terme, inconnu des enfants, est employe par la grand-mere et le pere, ce demier se rappeile avoir et6 traite de horzain quand ses parents, originaires du centre du Calvados et de la Sarthe, sont venus s'installer dans un village de la cöte est du Calvados. De nos jours, un tel deplacement familial est devenu banal, et Ton se fait rarement traiter de horzain dans de telles circonstances. Cependant, parmi les t^moins qui l'emploient ou qui le connaissent, un dit l'avoir adoptö depuis peu, l'ayant appris « par ses lectures », alors qu'un autre, d'origine flamande, dit l'avoir appris « par acquis universitaire » : c'est qu'on explique horzain dans les cours d'ancien fran9ais ou de litterature de notre universitö ! Ces details sont revelateurs d'un reemploi moderne de horzain. Le livre d'un pretre haut-normand, intitule Le Horsain, a fait connaitre le mot, qui a et6 remis ä la mode, une fois debarrasse de ses connotations xenophobes. Le horzain, c'est aujourd'hui « quelqu'un qui n'est pas du coin », terme utile pour designer selon les cas celui qui n'est pas fran9ais, ou pas normand, ou meme qui n'est pas originaire de la localite dont parle le locuteur. Les syndicats d'initiative l'utilisent pour « faire couleur locale » aupres des touristes, et on l'entend de plus en plus dans les salons. Peut-etre ce phönomene de mode va-t-il favoriser son maintien, voire la progression de son usage ? Teurgoule « riz au lait ä la cannelle (Q. 13) que Lepelley (1989: 137) note comme usuel dans le Calvados, connu dans l'Orne et attestö seulement dans la Manche, est toujours massivement connu ou employö des jeunes du Calvados, y compris des 6trangers installes dans le d^partement. Alors que ces demiers, dont l'etudiant flamand, peuvent en donner une bonne döfinition, certains Manchots ou Omais avouent des ignorances. « Personne de ma famille ne fait jamais de teurgoule », confie une etudiante de l'Ome. Une autre, de l'Ome aussi, Signale que pour sa grand-mere, la teurgoule n'est pas un dessert, mais une entree consistante, avec des charcuteries, tandis que pour la grand-mere des deux freres de Fermanville dans le nord de la Manche, la teurgoule est « un liquide alcoolise, trös fort,

V, FEW 13/2, 86 b, TORQUERE : « norm[and] teurt-goule, riz cuit au four dans du lait sucre auquel on ajoute de la cannelle ».

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Catherine

Bougy

comme de la goutte ». Ce sont lä des traces d'emplois plus anciens du terme, qui, au strict sens etymologique, signifiait « ce qui fait tordre la goule », « ce qui fait faire la grimace et qui, par extension, a servi ä dösigner aussi bien un alcool tres fort qu'un plat trop bourratiP avant de se fixer avec le sens qu'on lui donne gön^ralement maintenant. Au sens actuel, le « score » de teurgoule est döjä tres encourageant: 71 temoins remploient, 24 le connaissent et 5 seulement l'ignorent. Mais les deux freres dejä cites du nord de la Manche ne le connaissent que depuis que s'est implante dans leur village, il y a trois ans, un bouchercharcutier qui pr^pare des « specialites normandes ». Ce dessert, auparavant inconnu dans la Manche, est aujourd'hui en vente dans des chames de supemiarches presentes dans les trois döpartements bas-normands ; il figure au menu de nombreux restaurants du Calvados et dejä ä celui de quelques auberges de la Manche et de l'Ome. On peut donc envisager pour les prochaines ann6es, du fait de l'accroissement previsible de la commercialisation et de la consommation du produit, une progression de Templci du substantif, devenu incontoumable, car il n'y a pas d'autre mot pour dösigner ce plat. L'avenir de teurgoule semble assure et, pourquoi pas, peut-etre meme en dehors des frontieres de la Basse-Normandie ! Le cas des verbes bouiner et locher est un peu different dans la mesure oü leur diffusion se fait par le canal de l'ecole : tous deux sont actuellement bien implantes dans le langage des lyceens. Dans la locution qu'est-ce que tu bouines ?, prononcee [kestybwin] (Q. 19), bouiner est employe par 70 jeunes, connu de 27 et ignore de 3 (il s'agit, dans ce demier cas, de jeunes dont les parents sont ^trangers ä la region ou peu enclins aux regionalismes lexicaux). La locution äquivaut globalement ä « qu'est-ce que tu fais ? », mais dans un niveau de langue moins soutenu; eile correspond donc plus precisement ä « qu'est-ce que tu fabriques, bricoles, trafiques ? », synonymes le plus souvent propos^s; eile est aussi moins grossiere que « qu'est-ce que tu fous ? », donne par un seul t6moin. D'apres les equivalents fournis, 2 temoins l'ont comprise comme une marque d'impatience : « döpeche-toi » ou « j e t'attends ». En outre, la locution est plutöt pejorative : on considere que ce que bouine l'interlocuteur est sans grand interet. Cette nuance apparalt d'ailleurs bien nettement dans l'expression j'ai bouine taute la journee, d'un emploi moins repandu chez les etudiants que chez les lyceens. Si les temoins äg6s la glosent plutöt par le neutre «j'ai travaille », les jeunes font etat d'une connotation nettement pejorative : « j ' a i fait des petits trucs », «j'ai pas fait grand chose », « j ' a i traine », « j ' a i perdu mon temps », « j e n'ai rien fait» et meme « j ' a i glande » (pour 5 d'entre eux). On voit que la locution, facile d'emploi, evite le recours ä des verbes plus grossiers ; dans les patois de la Basse-Normandie, bouiner a le meme sens que le verbe fran?ais foutre - on dit par exemple que le lapin a bouine la lapine - , mais ce sens n'est pas connu en franfais regional. Bouiner s'integre dans le lexique des jeunes au point que la majorite des jeunes horzains le connait ou l'emploie. 11 en est de meme pour le verbe locher (Q. 41), qui a le sens general de « secouer». Les locuteurs äges et ceux de la Manche le connaissent dans les syntagmes locher les pommes, locher les noix « secouer l'arbre pour en faire tomber les fruits » ; en emploi transitif, il est aussi atteste, dans la Manche, avec le sens de « bercer (un enfant) » ; en emploi absolu, on parle d'un arbre ou d'une dent qui loche, c'est-ä-dire « qui remue ». Une etudiante de la Manche a aussi Signale l'usage courant du verbe ä la forme passive : etre loche pour « etre '' '

V. FEW, ibid. V. FEW, ibid. : « Chablis tord-gueule, festin ».

eau-de-vie de marc » ; FEW 4, 31 la, GULA : « norm,

teurt-goule

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secoue (sur les maneges ou lors d'une sortie en mer en bateau par gros temps) ». Ces sens et ces constructions sont attestös par le FEW (16, 487a, LUGGi). Un emploi flgure existe 6galement, au sens de « secouer moralement, öbranler» : un temoin de la rögion de Caen l'a relevö chez ses voisins, qui, aprös une grosse tempete survenue en decembre 1999, lui ont affirm^ qu'ils avaient et6 bien loches par les degäts subis. Mais chez les plus jeunes, origlnaires des trois döpartements, locker est surtout synonyme de « frapper, battre », et le verbe est courant pour 6voquer les bagarres de la cour de recreation : il m 'a loche signifie « il m'a battu », « il m'a fait mal », « il m'a marche sur le pied », et il existe une Variante plus grossiere, se faire locher la gueule, citee par l'ötudiant flamand qui l'a apprise au College. On releve aussi un emploi impersonnel et intransitif du verbe : ga loche « 9a fait mal ». Du sens de « brutaliser physiquement», les t^moins passent ä celui, figure, de « battre (quelqu'un), l'emporter sur (quelqu'un)» : je t'ai loche peut etre employe ä propos d'un rösultat scolaire meilleur que celui du voisin ; on dira aussi d'une equipe de football qu'elle ä'e^/ fait locher par une autre, qu'on s 'est fait locher au babyfoot, ä la belote... Ainsi, ä une öpoque 011 les activites agricoles sont en r^gression, le verbe locher connait une interessante reconversion (similaire ä celle qui pourrait s'amorcer pour grand picot) qui lui permet de se maintenir et d'etre meme tr6s vivant dans le lexique des ecoliers, des lyc^ens et des etudiants bas-normands, ce qui incite ä formuler un pronostic favorable quant ä ses chances de survie ä l'aube du X X r si^cle. Ä l'occasion d'une question sur la mouvette « cuiller de bois permettant de remuer les preparations culinaires » (Q. 35), que peu de jeunes connaissent, certains ont suggerö un rapprochement avec le verbe mouver « bouger, remuer » (transitif et intransitif) (Q. 36), qu'ils emploient aussi ä la forme pronominale : se mouver « se remuer ». Je n'ai malheureusement pas pu faire d'enquete systömatique sur ce verbe, mais il me semble utile de livrer ä son propos les indications foumies par 47 des temoins que j'ai pu interroger : Faut qu'on se mouve « il faut que l'on se remue », mouve de lä « va t'en » sont des locutions souvent eitles, de meme que mouve ton corps « remue-toi » ou meme « danse ». Les plus jeunes, les moins instruits, les moins ancres r^gionalement rapprochent ce verbe de l'anglais to move, qu'ils considörent comme son etymon. En revanche, ceux dont les grands-parents disent mouver la salade pour « la remuer » (v. Q. 31), mouver ou se mouver pour « se remuer, s'activer », ceux-lä indiquent que ce n'est pas l'anglais qui a pu influencer leur grand-mere ! Argument juste,^ mais on peut penser que le verbe a et6 «reactiv^ » aupres des jeunes par un rapprochement avec l'anglais to move, de meme sens et de meme prononciation, dont il est effectivement bien plus proche au present de l'indicatif (je, tu, il, ils mouve(s/nt) [muv]) que des formes correspondantes du fran9ais Standard mouvoir (je, tu, il meu(x/t) [me]; ils meuvent [moev]). Ce rapprochement avec l'anglais a donn6 ä mouver un « coup de jeune », ce qui permet d'envisager son avenir de fa9on tres encourageante. Des termes simples, dont la forme semble fran9aise, voire anglaise (clenche, salle, change, mouver); des termes pratiques et sans ambiguTte (clenche pour poignee de porte, change pour vetement de rechange); certains benöficiant d'un phenomene de mode, large (horzain, teurgoule) ou plus restreint {bouiner, locher, mouver) mais prometteur, car il concerne les locuteurs les plus jeunes, ceux de demain : telles sont donc les caract^ristiques de quelquesuns de ces mots que les jeunes Bas-Normands emploient, le plus souvent sans se rendre compte de leur dimension regionale.

V. FEW 6/2, 164a, MOVERE : « mouver [v. tr.] remuer, [v. pron.] se mouvoir, bouger; norm[and] [v. tr.] et [en emploi absolu] remuer; mouver se mouvoir».

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Catherine Bougy

5.

Les Premiers enseignements de l'enquete

5.1.

L'influence familiale

La transmission la plus naturelle de ce lexique regional, qui vaut pour la majorite des moins, est la transmission familiale. Le cas de figure evidemment le plus favorable est celui de familles originaires de Basse-Nontiandie, plutöt rurales ou vivant relativement ä l'ecart des centres urbains, dans un cercle familial uni, avec des grands-parents proches de leurs petits-enfants, göographiquement et affectivement. Pour preuve de cette influence, on peut invoquer ces deux freres de vingt-sept et vingt-huit ans, qui vivent et travaillent ensemble dans le meme village de la Manche, mais qui n'ont pas tout ä fait le meme « langage ordinaire ». L'un d'eux, dans son enfance, passait tout son temps libre aupres de sa grand-mere ; verification faite, on constate que les termes qu'il n'a pas en commun avec son fr^re ni avec sa mere sont par ailleurs employes par sa grand-mere. Un autre temoin vivant dans le contexte familial « favorable » que je viens d'evoquer, mais faisant etat d'un fran9ais regional etonnamment pauvre, permet d'illustrer une influence contraire. Celui-ci a explique que sa mere avait toujours soigneusement veille ä bannir du lexique de ses enfants les termes qu'elle considerait comme n'6tant pas fran9ais et notamment ceux qu'employait sa grand-mere paternelle, vivant pres d'eux : « Ma mere, ma soeur et moi, nous ne disons jamais la collation (« le goüter») sauf quand il s'agit d'aller chez ma grand-mere. Mot fortement impr^gne de sa personnalite. » Ä l'oppose, on peut citer le cas d'une brillante etudiante de vingt-quatre ans qui vit avec ses parents et ses grands-parents, agriculteurs, ä une dizaine de kilometres de Caen et qui a revele un fran9ais regional equivalent ä celui des personnes ägees. Bien que consciente de sa difförence par rapport ä ses camarades des etablissements scolaires de Caen, eile n'a jamais rejete le parier de sa famille. Elle a plutot appris ä s'adapter aux differentes situations linguistiques qu'elle pouvait vivre : en famille, eile parle un franfais regional tres riche, « une autre langue » selon ses propres termes ; tandis qu'ä l'ecole, eile dit opter pour un fran9ais Standard de plus en plus maitrise, avouant rencontrer quelques difficultes ä passer de l'un ä l'autre aux retours des vacances ! Mais eile a aussi contribue ä enrichir le fran^ais des petits horzains qu'elle a pu cotoyer sur les bancs de l'ecole : une de ses camarades, Caennaise, fille d'enseignants au fran9ais standardise, affirme lui devoir le peu de fran9ais regional qu'elle connait ou emploie.

5.2.

L'influence de l'ecole

L'ecole entre donc en jeu dans l'acquisition du fTan9ais regional, non pas du cötö de la salle de classe, bien que plus d'une institutrice du Calvados emploie par exemple le mot bacouette pour designer ses ecolieres bavardes et leur fasse meme conjuguer ä tous les temps son derive bacouetter. Mais c'est surtout dans la cour de recreation que s'opere la transmission du fran9ais regional et que les jeunes urbains ou etrangers ä la region en acquierent les Clements essentiels. Ainsi, l'etudiante bourguignonne connait lochet dans les locutions ga loche « 9a fait mal » et tu m 'as loche « t u m'as fait mal ». Elle peut aussi rapporter ä propos du verbe piler (Q. 39) - courant aussi dans le fran9ais du Quebec - ces traditions ecolieres que l'on

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garde en memoire pendant toute sa vie : « Ä l'ecole primaire, on pik sur le pied des gens. Et ä la marelle ou au saut en longueur, on pile sur la ligne ; on va alors hurler en chceur: pile ! ä celui qui jouait; 11 a perdu et est ^limine. » L'influence des camarades permet aussi aux enfants dont les parents se censurent d'enrichir malgrö cela leur lexique regional: « Ainsi, ma soeur et moi avons-nous decouvert ä l'ecole la plupart des expressions ou termes que nous connaissons, comme carte "cartable" [Q. 10], clenche "poignee de porte" [Q. 4], carre "coin, angle" [Q. 2] », a note cette fille de professeur de fran^ais d'Ifs, pres de Caen. Ce peut 6tre aussi le scoutisme : « Pour un döpart en camp, il faut toujours prevoir un change. » (Q. 14); ou encore un chantier de fouilles sur lequel les bibets « petits insectes, moustiques, moucherons, qui piquent ou qui ne piquent pas (selon les temoins...)» (Q. 7) genent les archeologues ! Tous ces facteurs ont pour consequence que meme le temoin le moins influence par le fran9ais regional de Basse-Normandie, une etudiante de dix-huit ans, nee ä Caen de parents parisiens, emploie clenche et teurgoule et connait une quinzaine de mots parmi lesquels figurent les plus courants, cites precödemment. Ces influences exterieures peuvent entramer, au sein d'une meme famille, de nettes diff6rences. L'ötudiante bourguignonne note ä propos de carabot (Q. 1): Mon pere est le seul ä l'employer. Je me souviens du prämier jour oü il l'a dit ä la maison. Nous Tavions regarde avec des yeux ronds. II ne se rappeile pas qui le lui a appris. C'est le mot qui a l'eventail le plus important de sens : «rigolo, con, äne, chien, vantard, romanichel, tetu ». Pour lui, il n'est pas forcement p6joratif.

Ces differentes nuances sont absolument conformes ä Celles indiquees par Lepelley (1989 : 43 a). La difference peut egalement etre de nature semasiologique : deux freres de quatorze et treize ans ne donnent pas le meme sens ä l'adjectif chani « moisi » (Q. 26): pour le premier, qui fröquente assidüment la ferme voisine, chani signifie « rouille, pourri » et s'applique au toit du tracteur du cultivateur, alors que pour le second, qui joue beaucoup avec ses camarades du village, chani se dit d'un air, d'une chanson « sans int^ret», « pourrie » (au sens figure),« nulle ».

6.

En guise de conclusion : un attachement sentimental au fran^ais regional

Certes, ä partir de l'etude de ces quelques mots - qu'il faudra confirmer ulterieurement quand tous auront

analyses - , on constate qu'une partie du lexique li^e ä la ruralite n'est plus

employee par les jeunes (du moins avec son sens propre) et qu'il y a aussi regression de mots ou de locutions qui ne peuvent s'integrer ä des series du fTan9ais : le syst6me linguistique de ces jeunes est indöniablement celui du fran9ais Standard.

Certes egalement, lorsqu'on compare les compötences des enfants ä celles de leurs parents (sauf quand ces deniers sont des horzains...), elles sont toujours plus faibles. Mais nous avons vu aussi que certains mots jouissent chez les jeunes d'une nette popularit6 et que d'autres beneficient meme d'un phenomöne de mode plus general.

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Catherine Bougy

Mais l'enseignement encourageant de cette enquete, c'est qu'il n'est pas rare que les jeunes Bas-Normands acceptent l'heritage familial. Iis se demarquent en cela de la generation de leurs parents, souvent empress6e de gommer certaines habitudes langagieres jugees devalorisantes. Certains jeunes ont döclare que, meme conscients du caractere regional d'un mot ou d'une construction, ils les gardaient en usage, par fidelit^ familiale : Nous employons tres souvent les mots de nos aines et nous en avons la meme defmition [...]. Je pense que le langage regional a une dimension affective importante. Nous employons des termes pour imiter un de nos proches, et lorsqu'il n'est plus, nous continuons ä employer certains termes pour faire perdurer son Souvenir. C ' e s t la gräce qu'il faut souhaiter, pour l'avenir, au fran9ais regional de Basse-Normandie !

References Blanchet, Philippe, et Henriette Walter (1999). Dictionnaire du franfais regional de Haute-Bretagne, Paris, Bonneton. Bougy, Catherine (2000). « Le langage ordinaire d'ltaliens implantes en Normandie », dans Mariella Colin et Franijois Neveux (dir ), Les Italiens en Normandie. Actes du Colloque de Cerisy-la-Salle (8-11 octobre 1998), Caen, Musee de Normandie (« Cahier des Annales de Normandie, 29 »). FEW : Wartburg, Walther von. Französisches Etymologisches Wörterbuch. Eine darstellung des galloromanischen Sprachschatzes, Tübingen, J. C. B. Mohr (Paul Siebeck), 1948—[Reimpr. de la l'* ed. de 1922—.] Imbs, Paul (dir.) (1961). Lexicologie et lexicographie frangaises et romanes : Orientations et exigences actuelles, Actes du Colloque de Strasbourg, du 12 au 16 novembre 1957, Paris, Editions du Centre national de la recherche scientifique. Lepelley, Rene (1989). Dictionnaire du frangais regional de Basse-Normandie, Paris, Bonneton. — (1993). Dictionnaire du frangais regional de Normandie, Paris, Bonneton. Rezeau, Pierre (dir.) (1999). Varietes geographiques du frangais de France aujourd'hui. Approche lexicographique, Paris - Bruxelles, De Boeck & Larcier - Duculot (« Champs linguistiques »). Taverdet, Gerard, et Georges Straka (ed.) (1977). Les fran^ais regionaux. Colloque sur le frangaisparle dans les villages de vignerons (Dijon, 18-20 novembre 1976), Paris, Klincksieck.

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Annexe 1

Questionnaire sur le langage ordinaire Catherine Bougy (mars 2000) L

Comprehension : les competences passives

• Employez-vous (E), Connaissez-vous (C), Ignorez-vous (I) le mot figurant en gras dans les phrases suivantes ? • Indiquez le(s) sens que vous lui donnez, le(s) sens que vous lui connaissez (avec commentaires et exemples, 6ventuellement). • Selon vous, est-il « vivant », «tres vivant », « peu vivant » ? Questions 1. 2. 3. 4.

5. 6. 7.

Quel carabot, ce gargon ! Je me suis cogne ä la carte de la table Si tu n es pas sage, tu n 'iras pas sur les camors J ai posi ma vesle sur ta clenche => Le verbe clencher est-il E, C, 1 pour vous ? Quel sens lui donnez-vous ? Qu 'esl-ce qu 'il versait. ce malm ' II est vraiment de mauvaise humeur, tout de suite ' II ya beaucoup de bibets dans ce camping

8.

Essuie ta goule => il est de la goule; eile a de la goule

9. 10.

C'esl ricopl son pere II faut que j'achete une carte neuve pour ma ßlle II a encore icali son pantalon C 'est l 'heure de ta collatlon Je vous ai apporte de la leurgoule As-tu prevu un change pour le week-end ? C 'est une vraie bacouette => Le verbe bacouetter est-il E, C, 1 de vous ? Autant, plus, moins que bacouette ? Aujourd'hui il faut toller la maison => Utilisez-vous, connaissez-vous un autre teime. une autre locuticn ? Dimanche demier, on a retapisse la Salle Pas de Probleme, ma voiture est rustlque

II. 12. 13. 14. 15.

16.

17. 18.

R^ponses fournies par les l^moins « mauvais garfon, clochard, garfon mal £levd » « r angle » « autos tamponneuses » « poignee de porte » « actionner la poignöe de porte ; ouvrir la porte ; fermer la porte » « pleuvoir ä verse » « en ce moment» «insectes volants. qui piquent (moustiques. aoütats) ou qui ne piquent pas (moucherons)» «ta bouche » « aimer manger, Stre gourmand » ; « fitre bavarde, avoir la langue bien pendue » « c'est son p^re tout crachö » « un cartable » « fendu le long de la couture, trouö, d^chire » « goüter de 16-17 heures » « riz au lait ä la cannelle » « une tenue de rechange » « une grande bavarde »

« passer la serpilli^re »

« Salle ä manger; salle de sejour; salon » « solide »

32

Catherine

Bougy

Ripunses fournies p a r les t^moins

Questions Qu 'est-ce que tu bouines ?

« faire ; fabriquer; trafiquer; foutre »

=>J 'ai bouini loule la journee

«travailler; bricoler; s'occuper ä des petits riens sans importance ; ne rien faire ; s'ennuyer; glander»

20.

Le BS va bienlöl

« L e Bon Sauveur, höpital psychiatrique de Caen et de Saint-Lö »

21.

II faisait vilain. 1 'autre jour

« faire mauvais temps ; faire grise mine »

22.

Fais gentil ä ta grand-mere

« 6tre aimable ; sourire »

23.

Fais-lui un mi

« petit baiser sur la joue ; bise ; bisou; b i c o t ; en franfais du Canada: bec, bi »

24.

II faut que je redouble, j 'ai oublie mon Portemonnaie

« faire demi-tour ; revenir sur ses pas »

19.

II.

demenager

Recherche de mots : les competences actives

C o m p l ^ t e z les phrases suivantes par le m o t qui v o u s parait le m i e u x c o n v e n i r au s e n s general. Indiquez pour c h a q u e röponse E, C o u I. Pour un m o t s u g g e r e dans un d e u x i e m e t e m p s par l'enqueteur, n o t e z E 2 , C 2 , 1 2 .

R^ponses fournies par les t^moins

Questions 25. 26.

De quelqu'un qui a un cheveu sur la langue, on dit qu'il... De quelqu'un qui est facilement degoüt^ (de la nourriture, de la vue du sang, de certaines odeurs...), on peut dire qu'il est...

(sttuce)

(malaucaeureux)

27.

D'un plat releve, savoureux on dit aussi qu'il est...

(goütu)

28.

Quand il y a de la moisissure sur la tapisserie, la confiture. le pain, on peut dire que...

(ily a du mucre, c'est nutete;

29.

Le dispositif pour mettre du linge ä söcher s'appelle... Un lance-pierre peut aussi Stre appele... Avant de servir la salade, on v6rifie qu'elle est...

30. 31. 32. 33.

c'est

chani)

(un(e) Hente ä linge; un(e) ätente) (une

ilingue)

On peut aussi appeler la tetine du bebe une... Quelqu'un qui n'est pas du village, de la r^gion, du pays, on peut l'appeler un...

(ensaucie;

embeurrie;

34.

La demi^re crdpe dans la podle, c'est le/la...

(le

35.

Connaissez-vous un autre nom pour la cuiller de bois qui sert ä remuer les sauces ?

{la mouvette)

36.

Le verbe mouver; se mouver est-il E, C, 1 de vous ? Dans quel type de phrase l employezvous ? Est-il pour vous un verbe du fran?ais ?

37.

La petite bouteille dans laquelle on empörte parfois du cafe ou de l'alcool s'appelle un/une...

(topette)

38.

Pour perdre du poids, il a döcide de...

(se

(suce; sucette; totote; (horzain) galichon)

ridimer)

affaitie; teuteute)

mouvie)

Le frangais regional de jeunes

Bas-Normands

QuMtions 39. 40. 41.

Pour il tn'a march^ sur le pied, on peut aussi dire... Fais attention au chien, il pourrait te... Ce gar^on s'est fait taper dessus dans la cour de r^creation. il s'est fait... => Employez-vous ce verbe avec d'autres sens ? dans d'autres constructions ?

42.

Un dindon. on peut aussi l'appeler un(e)... => Employez-vous, Connaissez-vous ce nom avec d'autres sens? dans d'autres constructions ?

K^ponses fournieü par les t^moins (pUer sur le pied) (gaffer; (locker)

chiquer)

(locker les ponunes; une dent qui locke; se faire locker ä un devoir, ä la belote, au football; f « locke) (un picot) (grandpicot:

« grand Mta. grand dadais »)

III. Recherche de tournures E m p l o y e z - v o u s (E), C o n n a i s s e z - v o u s (C), I g n o r e z - v o u s (I) les c o n s t r u c t i o n s s u i v a n t e s ? Pr6cisez et c o m m e n t e z v o t r e r ^ p o n s e , le c a s echdant. Qucstions 43. 44. 45.46. 47. 48. 49.

50.

Je vais faire la vaisselle moi-meme. car j'ai peur ä mes verres. Iis soni resUs cdte-c&te. A maiin. UablancgeU. TOM penäant qu'on a du travail, on est content ' D'un sens comme de l'autre. (a lui fait du bien. On l'avu ä la television, l'autrejoursoir. => Employez-vous (Connaissez-vous) aussi l'aulre Jour nuitin ? // est tres rendant service. => Comment transposeriez-vous la phrase au feminin : EHe est tres rendant service; rendante service ; rendante de service ?

33

« pour mes verres » « cöte i cöte » « ce matin. il a gelö blanc » « du moment que... » « dans un sens ou dans l'autre »

34

Catherine Bougy

Annexe 2

Mesure des competences des temoins P o u r c h a q u e m o t e m p l o y e (E), d e u x points ont ete attribues ; p o u r c h a q u e m o t c o n n u (C), un seul point. Le « s c o r e m a x i m a l » ( s i t o u s les m o t s etaient e m p l o y e s ) serait d e 116. Resultats

Profil des timoins

Nombre

Temoins du Calvados (n° 14)

80

Les 2 parents du Calvados

29 7

de 38 ä 91 points

Les 2 parents de Normandie 1 parent du Calvados, 1 de la Manche

2

de 45 ä 87

1 parent du Calvados, 1 de l'Ome

1

70

Les 2 parents de la Manche

5

Les 2 parents de Haute-Normandie 1 seul parent de Normandie

1 27

de 34 464 39 de 29 ä 76

Les 2 parents horzains

g

de 20 ä 46

Temoins de la Manche (n° 50) Les 2 parents de la Manche

10 5

de59ä99

Les 2 parents du Calvados

1

49

1 parent de la Manche

4

de 39 ä 71

T6moins de l'Ome (n" 61)

10

Les 2 parents de l'Ome

6

1 parent de l'Orne, 1 du Calvados

1

52

1 parent de l'Ome, 1 de la Normandie 1 parent du Calvados, 1 de la Manche

1 1

33 71

Les 2 parents horzains

1

23

de 27 ä 57

de 27 ä 75

PATRICE BRASSEUR Universite d'Avignon

Representation geolinguistique : la diffusion du lexique dans VAtlas linguistique de la Normandie Les atlas rögionaux ont precise les contours des isoglosses phonetiques connues depuis la publication de VAtlas linguistique de la France (ALF). Iis tracent ainsi les frontieres dialectales et montrent l'^volution de la Situation linguistique de la France, notamment l'extension mais aussi la degradation des dialectes, surtout dans leurs specificit6s phon6tiques. La mise en evidence de la d^perdition lexicale est beaucoup plus delicate. Elle ne pourrait se mesurer, de toutes fa9ons, qu'en termes de frequence. Nous nous intöresserons plutöt ici ä la vitalite des aires lexicales. La m^thode des aires ä dominantes degagees, reprise par VAtlas linguistique de la Normandie (ALN) Sur le modele cree par Jean Seguy, facilite la lecture en mettant bien en Evidence les types lexicaux representes. Ä la difförence des isoglosses phonetiques, cependant, les aires lexicales delimitees ont souvent des contours dEconcertants. Elles ne se superposent que tres rarement d'une carte ä l'autre. Dans un meme espace, pour un meme signifiant, les chevauchements sont de regle, obligeant ainsi le dialectologue cartographe ä faire des choix qui peuvent parfois paraitre arbitraires, s'ils ne sont pas dejä le r^sultat d'une premiere analyse, explicite ou non. Ä partir de ces observations, nous pensions que la cartographie informatisee, teile que nous la pratiquons depuis une dizaine d'ann^es, nous permettrait de degager des sortes de « super-aires » lexicales. L'idee etait simple : il s'agissait de superposer l'ensemble des traces pour obtenir des « bourrelets » et d'observer s'ils correspondaient ä des isoglosses phonetiques dejä connues, comme la ligne Joret, par exemple. Ce qui ne pouvait etre visible sur chaque carte prise isolement pouvait peut-etre s'observer avec l'accumulation des donnees. Nous avons test6 cette hypothese ä partir des cartes du quatrieme volume de l'ALN en cours de realisation. Le bilan de cette recherche a ete decevant, et les difförents types de repr^sentation des rösultats obtenus n'ont permis de tirer aucune conclusion pertinente. La difficulte tient aussi ä la d^fmition des aires lexicales ä considerer. Faut-il prendre en compte les differences tenues (suffixes differents, par exemple) ou doit-on en rester au niveau de l'etymon ? Ä quelle öchelle s'arreter ? Deux points contigus constituent-ils une aire ? Comment « reconstituer » les nombreuses aires qui se chevauchent ? Dans cet article, nous nous livrons d'une certaine maniere ä une demarche inverse. Nous essayons de mesurer la diffusion du lexique dans l'espace dialectal normand et de reperer les solutions de continuite notables, en prenant comme exemples six points de l'atlas - abrege cidessous en ptfsj repartis ä peu pr^s 6galement: le point 12, dans le Cotentin ; le point 27, dans le tiers sud-est du d^partement de la Manche; le point 50, dans la Plaine de Falaise (Calvados); le point 57, central dans le departement de l'Ome; le point 84, occupant lui aussi une zone centrale du departement de l'Eure ; et le point 108, ä l'est du Pays de Caux, en Seine-Maritime. Les points 12, 50, 84 et 108 sont situes au nord de l'importante ligne Isoglosse du « c + a latin initial ou int^rieur derriere consonne », qui traverse la Normandie et, au-delä, la Picardie, sur un axe est-ouest. Au nord de cette Isoglosse, appelee communement

36

Patrice Brasseur

ligne Joret, le c reste d u r : [ k ] ; au sud, il subit un traitement identique ä celui du franfais, pour aboutir ä [J]. Les points 27 et 57 sont situes au sud de cette ligne.

1,

Le corpus

1.1. La methode Notre etude se fonde sur le releve des cartes du tome 3 de l'ALN consacröes au champ lexical de r^levage des bovins (cartes 781 ä 859). En prenant tour ä tour comme reförence chacun des 6 points qui viennent d'etre identifiös, nous compterons combien de fois chacun des 114 points de l'atlas appartient ä la meme aire lexicale. Ceci devrait nous permettre de determiner la « distance lexicale » qui s6pare tous les points de l'atlas de chacun des points choisis pour notre etude. Nous considerons ici que la similitude des reponses se situe au niveau du type lexical, faisant ainsi abstraction de toute difference phonetique. Dans cette optique, par exemple, les suffixes [u] et [0] de [tetu] / [tet0] « veau qui tete sa mere » (carte 800) ne sont pas comptabilises separement, car ils sont les produits regionaux d'un meme suffixe latin -ore, ä la difference de [teto] et [tete] ou [teth5] qui comportent des suffixes differents. (L'appreciation des difförences est parfois delicate puisque la voyelle intermödiaire entre [o] et [0], au point 12, est le produit local d'un [o] originel.) Dans une meme carte, quel que soit le nombre de types lexicaux recueillis au point de reference, nous avons procede de maniere binaire, en ne comptabilisant que les valeurs zero (0) ou un (1), qu'il s'agisse d'une seule ou de plusieurs reponses communes.

1.2. Le choix des cartes Les cartes portant sur l'elevage des bovins sont au nombre de 79, mais seules 54 d'entre elles ont pu etre retenues. Voici la liste des cartes eliminees, classees selon les cinq criteres d'exclusion appliqu^s : • Celles qui peuvent faire doublons : 782 « meneur (de bestiaux) » (avec 781 « mener (les vaches) » ) ; 790 « marchand de bestiaux mesquin » (avec 791 « marchander mesquinem e n t » ) ; 828 « faire tarir (une vache) » (avec 829 « ( l a vache est) tarie » ) ; 842 « mugir » (avec 841 « m e u g l e r » ) ; 858 « masquer (un taureau)» (avec 857 « masque (du taureau)»); • Celles qui ne presentent pas de difiFerenciation lexicale: 794 « suif (de boeuf)», 797 « vaches », 799 « veau », 803 «(vache) ä la robe "caille" », 804 « (vache) ä la robe "bringee" », 807 « come », 833 « verrues », 851 « chaine » ; • Celles qui, pour diverses raisons, sont incompletes : 798 « vieille vache », 809 « vache sans comes », 821 « Colostrum », 855 «tribart » ; • Celles qui sont complexes et portent des distinctions semantiques difficiles ä apprecier: 801 « j e u n e b o v i n » , 802 « g e n i s s e » , 815 «(genisse) sterile de naissance», 836 « diarrhee », 839 « faire du bruit en respirant », 854 « entraver » ;

Representation geolinguistique : la diffusion du lexique dans l 'Atlas linguistique de la Normandie

37

Celles, enfin, dont l'interprötation est particulierement delicate : 792 « le cri pour appeler les vaches » et 793 « le cri pour appeler les veaux ».

1.3. Les types lexicaux Carte 781 « mener (les vaches) » : chasser (pts 12, 27, 50, 108), toucher (pts 27, 57), pousser (pt 84). Autres types : conduire, mener. Carte 783 « rentrer (les vaches) ä l'ötable » : metlre iens (pt 12), loger (pts 27, 50, 57), etabler (pt 84), rentrer (pt 108). Autres types : amener (ou mettre) en dedans, auger, entrer, hiverner, mettre äl'abri, mettre ä coucher dedans, (re)mettre (ou remettre) ä l'etable, ramasser, reloger. Carte 784 « stalle (du veau)» : cotin (pts 12, 57), coti (pt 12), coin, racoin (pt 108). Autres types : barrage, bas-flanc, cabille, cage, cagibi, carre (ä veau), claie, dos, enclos, löge, niche, parquet, partage, place au veau, refend. Carte 785 « affourrager (les bestiaux) » : soigner (pts 12, 27, 50), rafourrer (pt 57), enfourrer (pt 84), renfourrer (pt 108). Autres types : afourrager, afourrer, dejeüner, deseirer, enfourrager, enseirer,fourrer, panser, rembourrer, souper. Carte 786 « nettoyer l'etable » : vider sous les betes (pt 12), vider l(es) etablefs) (pts 27, 108), eurer (les betes) (pts 50, 57, 84). Autres types : eurer sous les vaches, ecurer les betes (bu les vaches), fremboyer, nettoyer, nettir l'etable, parer sous les vaches, (re)parer (l'etable), reparer l'etre, tirer le furnier (bu male, malet), haier le fient. N.B. : vider dessous est considere comme une röponse similaire ä celle du pt 12. Carte 787 « faire la litiere » : faire la (bu les) litiere(s) (pts 12, 27, 50, 57, 84), eternir (pt 108), liter (pt 108). Autres types : alitierer, faire la paille, faire le lit, faire du lit, mettre bas le lit, mettre la litiere,preparer l'etable, (re)pailler, refaire l'etable. Carte 788 « auge » : auge (pts 12, 27, 50, 57, 84, 108), ovale (pt 27). Autres types : äuget, baquet, carniau, gatte, mangeoire, tro. Carte 789 «nourriture (des animaux)» : mangeaille (pts 12, 27, 50, 57, 84), mäquaille (pt 108), mäque (pt 108). Autres types : manger, mangerie, moche, nourri, nourriture. Carte 791 « marchander mesquinement » : boustoler (pt 12), haricoter (pt 12, 27, 50, 57, 84), tirasser (pt 108). Autres types : arquiller, baculer, ballotter, bargui(g)ner, bassicoter, boursicoter, bricoler, chicoter, chiner, chip(el)oter, chiquetonner, croquasser, grappiner, gratter, harlander, maquignonner, marchander, rimbigner, tirailler, tirer (sur la ficelle, sur la sonnette), tirer dessus. Carte 795 «taureau » : taureau (pts 12, 27, 50, 57, 84, 108), robin (pt 84), cadet (pt 84). Autres types : bceuf bouc, digueux, redigueux, robineux, robinier, taur, taurin, veau. Carte 796 «jeune taureau » : taureliquet (pt 12), taurichon (pt 27), taurillon (pts 27, 57, 84), robin (pt 108). Autres types : bouc, boucassin, bouet, bouquetin, bouqueton, bouvassin, bouvetin, cadet, redigueux, sauteux, taurassin, taurin, tauriquot, tauriquet. Carte 800 «(un veau) qui t^te sa mere » : teteret (pt 12), tetot (pts 12, 27), tetoux (pt 27), tetewc (pts 50, 57, 84, 108), laiton (pt 57). Autres types : courard, tetard, teteron.

38

Patrice Brasseur

Carte 805 « (les) sabots (d'une vache) » : ergots (pts 12, 27, 50, 57, 84, 108), sabots (pt 108). Autres types : caßgnons, caquots, cornes (du pied). Carte 806 « fanon » : fanion (pt \2),fanon (pt 27), bavette (pt 27, 50), gouttiere (pt 51), faloux (pt84), yä/e, gorgis (pt 108). Autres types : ba\erette, bavoir, brüquet, dessous de gorge, epi de poitrine, fahrt, falot, faloure, fanoux, ganache, gaviau, gorge, gorg(i)ere, gorg(i)ette, gorgillon, loupe, marjoUe, nappe, poitrail, serviette. Carte 808 « cornillon » : cornillot (pt 12), cornot (pt 27), cornillon (pts 50, 84), cornaillon (pt 57), teton (pt 108). Autres types : bus, bul, caillon, petite cornaille, cornet, cornichon, cornoux, glu, gelatine, manchon, moelle, moignon, moignot, mougnet, pied de la corne, tendron. Carte 810 « prolapsus du vagin » : gril (pts 12, 108), ro (pt27), bouquet (pt 50), manche (pt 57), boulet (pt 84). Autres types : boule, boulet, boulot, bouquillon, bourdon, bourgeon,franche mule,frelon, gref, greve, manche, ceillet, portoire, rond, rosette, rol, sabot, tournant, veliere, vervette. N . B . : Les formes gree (Bessin, Pays de Caux), gref (m.) et greve (m. ou f.) sont ä rattacher ä gril. De meme rol se rattache ä ro. Carte 811 «(la) matrice»: veliere (pt 12), veloure (pt27), porture (pts 50, 57), portoire (pt 84), portiere (pt 108). Autres types : boulet, boulot, manche, matrice, mere, portee, rol (bu ro, rou, reu), velure, velouse. Carte 812 « (vache) en chaleur » : en chasse (pts 12, 50, 57, 84, 108), chaude (pt 27). Autres types : en folie, en saison. Carte 813 « (faire) saillir (une vache) » : saillir (pts 12, 27, 57, 84, 108), sauter (pts 12, 27, 50), piquer (108). Autres types: assaillir, chasser, couvrir, recouvrir, mener, servir, suiter. Carte 814 «(la vache) revient en chaleur (apres la saillie) » : recoupe (pts 12, 50, 57, 108), n'en retient pas (pt 12), rechauffe (pt 27), a recoupe (pt 27), ne prendpas de veau (pt 57), recourt (pt 84). Autres types : r 'est en saison, r 'est en chasse, rechasse, revient en chasse, rebine, redemande, redouble, retourne, retaurelle, a coule, n 'a pas repris, n 'a pas deteint. Carte 816 « (une vache) devenue sterile et nymphomane »: taureliere (pts 12, 27, 50, 57, 84), robiniere (pts 84, 108). Autres types : barattoire, degeneree, ribaude, ribaudiere, robine, taure, taurailleuse, taurassiere, taurätre, taurelle, tribouliere. Carte 817 «(la vache va bientöt veler, eile)... » : amouille (pts 12, 27, 50, 57), s'apprete (pts 84, 108), se prepare (pt 84). Autres types: est amouillee, s'amouille, fait de l 'amouille, fait de l 'annonce, s 'annonce,fait de l 'appret, est prete ä faire, fait de la preparation, se prepare en amouille, raffraichit, refraichit. Carte 818 «(la vache va veler dans quelques heures, eile)... » : se casse (pts 12, 27, 50, 57, 84, 108), est rompue (pt 12), se fend (pt 57). Autres types : i 'amollit, est tout net cassee, se decabasse, se decoche, se decroche, se defait, est defaite, se dessole, se detend, se fait du passage, se lache, s 'ouvre, est ouverte. Carte 819 «(les) "eaux" (expulsees au velage) » : [pucet dje] «(litt.) poches d'eau » (pt 12), bouteillees (pt27), bouteilles (pts 50, 57, 84, 108), [poj] «(litt.) sac ». Autres types: boudines, boules (d'eau), bourses, boursees (d'eau), bousinees, cloques (d'eau), eaux, pots de vin. N . B . : [puk] est un equivalent phonetique de [poj].

Representation geolinguistique : la diffusion du lexique dans l Atlas linguistique de la Normandie

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Carte 820 « arri^re-faix » : parure (pt 12), guerison (pt 27), delivrure (pts 50, 57), delivre (pt 84), [tj0] (pt 108), equivalent phonetique local de nettiure. Autres types : arriere, decharge, delivrance, depeche, lit, liture, tenure, velure. Carte 822 « (le) pis » : mamelle (pts 12, 27, 50, 57, 84, 108), baratte (pt \2),puits (pt 50),pw (pts 57, 84). Autre type : piechot. Carte 823 «trayons » : trans (pts 12, 50), trayons (pts 27, 50, 57, 84, 108), tetes (pt 57), pis (pt 108). Autres types : branes, mamelles, tetines, tirants. Carte 824 «(une vache) dont un trayon ne donne pas de lait» : manquette (pts 12, 57, 84, 108), manque (pts 27, 50, 57). Autre type : quartiere. Carte 825 «traire (les vaches) » : traire (pts 12, 27, 108), tirer (pts 50, 57, 84). Autre type : delaiter. Carte 826 «(la) traite » : traite (pts 12, 50, 57, 84), heure (pt27), maree (pt 108). Autres types : heuree, mouesse, mouesson. Carte 827 : «traire ä fond » : etriquer (pt 12), epurer (pt 27), egoutter (pts 50, 57, 84, 108). Autres types : agouttiner, anettir, epuiser, epureter, puroter, traire net, trayonner. Carte 829 «(la vache est) tarie » : seche (pts 12, 27, 50, 57, 108), tarie (pts 57, 84). Autres types : a sec, assechee, sechee, coupee (de lait), delaitee, elaitee, quitte, quittee de lait, sevree, vide. Carte 830 «trayeur (-euse) » : triolet, -ette (pt 12), vacher (pts 50, 108), vachere (pt 50), trayeuse (pt 50), tireuse de vaches (pt 50). Autres types : bouvier,fille ä traire, pätour. Carte 831 «tabouret ä traire » : sellette (pt 12), table ä traire (pt 27), banseile (pts 50, 57, 84), seile (pts 57, 108). Autres types : (petit) banc (ä traire), banquet, bique-selle, escabeau, table ä tirer, table tire-vaches, tablette, tabouret, trois-pattes, trois-pieds. Carte 832 «(r)inflammation du pis » : renße (pts 12 [REIC], 27), [gjed] «(litt.) glandre » (pt \2),flaon (pts 50, 57, 84, 108). Autres types : afference, agomissement, enflammation, engrou,feu, veliment, vrement. Carte 834 «(une vache) metöorisee » : gonflee (pts 12, 27, 50, 57, 108), enflee (pts 27, 50, 57, 84). Autres types : ballonnee, bouchee, bouffie, empansee, empouchee, tendue. Carte 835 « (le veau a une Indigestion ; il est) ... » : daru (pt 12), ballonne (pt 27), empanse (pts 50, 57), bouche (pt 84), embarque (pt 108). Autres types : barcu, barque, barriquote, bourre, bride, embeurre, emmeulete, empalete, empouche, encombre, encope, endarote, enfle, etoque, gonfle, oeille, tendu, teusi. Carte 837 « s'^toufFer en avalant une pomme » : s'empommer (pts 12, 27, 50, 57, 84), se boucher (pt 108). Autres types: s'empaffer, s'empanser, s'empoucher, s'engober, s 'engoncer, s 'engorger, s 'engoser, s 'engouer, s 'etouper, s 'etrangler. Carte 838 « (la vache) grince des dents » : gruge des dents (pt 12), grince des dents (pts 27, 50, 57, 84), grince les dents (pt \0%),fait peter ses dents (pt 27). Autres types : casse des noix, choque des dents, claque des dents, craque des dents, croque des dents, fait craquer ses dents, gnaque des dents, grage des fbu les) dents, griche (des dents), pape. Carte 840 «ruminer»: repasser (pt 12), runger (pts 27, 57), derunger (pt 50), ruminer (pt 84), ronger son frein (pt 108), rebattre son mäque (pt 108). Autres types : brouetter.

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Patrice Brasseur

deronger sa couree, manger son frein, ramener au runge, remanger, rentier, remouler, rortger (sa couree, sort foirt, son rigolisse). Carte 841 « meugler (crier en parlant d'une vache) » : bräler (pt 12), braire (pt 27), gueuler (pts 50, 108), beugler (pt 57), meugler (pts 57, 84). Autres types : mioner, remeugler. Carte 843 «(les) crottes collöes sur l'arriöre-train des vaches» : couittes (pt 12), sonnettes (pt 12), crottons (pts 27, 57), couaillons (pt 57), calots (pt 84), grelots (pt 108). Autres types : catolles, cloches, couailles, couettes, couittons, cretons, crottes, crottiers, crottins, croütes, galons, galots, gloutons, grumelots, loques, loquets, loquetons, loquettes, noquettes, nouctons, tapons. Carte 844 «(une) bouse (de vache) » : bouse (pts 12, 27, 50, 84), bousee (pts 50, 57), merde (pt 108). Autres types : bousac, bousard, bousat, bousette, coueme, fiente (de vache), foure (de vache). Carte 845 « (les vaches) se chevauchent » : cavalent (pt 12), tiboulent (pt 12), sautent (pts 27, 50), se grimpent les unes sur les autres (pt 57), robinent (pts 84, 108). Autres types : bidaillent, bidassent, carabinent, chevalent, cruchent,folagent,font le taureau, gripent,jercaillent, patraillent, s 'entresautent, (se) grimpent, se grimpaillent, tauraillent, taurelent. Carte 846 « se prendre aux cornes (en parlant des vaches) » : se bigorner (pt 12), se heurter (pt 12), cornailler (pts 27, 50), se cornailler (pts 57, M),jouter (pt 84), se beuguer (pt 84), se corner (pt 108). Autres types : se beuguer, se beurquer, (se) bouter, s'entre-bouter, brocher, se büchiller, buter, s 'entre-buter, se chamailler, (se) corner, s 'encorner, s 'entrecorner, s'entre-cornailler, se cornarder, s'entre-cornasser, (se) cornicher, se corniller, s 'entre-corniller, se ferrailler, se hurquer, s 'entre-heurter, (se) lutter, se teter, se toquer. Carte 847 « (les vaches) prennent la mouche » : galvaudent (pt 12), besent (pts 27, 50, 108), mouchent (pt 57), ont la queue en trompette (pt 84). Autres types : affolent les mouches, besinent, besondent, courent la queue en trompette, galopent la queue sur le dos, ont le bourdon (bu la mouche), pissent, sont emouchees, sont prises aux taons, vesent. Carte 848 « (les vaches) sont en liberte (dans un herbage) » : au libre (pt 12), lächees (pt 27), de banon (pt 50), ä l'herbe (pt 57), ä l herbage (pt 57), ä vague (pt 84), libres ä l'herbage (pt 108). Autres types : ä banon, ä l'abandon, ä leur libre, ä (bu en) päture, ä travers, ä vrague, en champ, libres, (au) lige, parquees, vacantes. Carte 849 «(la vache) donne un coup de pied » : tape (pts 12, 27, 50, 84, 108), donne un coup de pied (pt 50), tape en vache (pt 57), cogne (pt 84), gigue (pt 84). Autres types : chaussonne, coup-de-pie, etrique, fauche, flaille, fout une pattee,fout un coup de semelle (de savate), gigote, gingue, housse, repuche, ruche, rue, savate. Carte 850 « s'echapper (en parlant des bestiaux) » : passer (pts 12, 27), echapper (pts 12, 57, M), s'echapper (pts 50, 108), brocher (pts 57, 84), sortir (pt 57). Autres types : faire une breche, faire une echappee, foncer, sauter, traverser (la haie), s'abanoner, s'echapper, se sauver. Carte 852 « emerillon (de la chaine) » : clou tournant (pts 12, 108), tourniquet (pt 27), tourniant (pt 50), tourillon (pt 57), anneau tournant (pt 84). Autres types : bilboquet, graillon, maille tournante, aeillard tournant, quiniette, touret, touris, tournet, tournis, tournoux.

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Carte 853 « maillet (pour enfoncer le piquet) » : mailloi (pts 12, 50, 108), mail (pts 27, 57), masse (pt 84). Autres types : maillet, mailloche, massue. Carte 856 « museli^re (de veau) » : bonnette (pt 12), panier (pts 27, 50, 57, 84, 108), bannet (pt 50). Autres types : bourrequin, bourhche, bouteillon, corbeillon, muselier, museliere. Carte 857 « masque (du taureau) » : b6(g)ne (pts 12, 50), bögniere (pt 12), bögneau (pt 57), masque (pt 84). Autres types : bögnet, bönas, embönas, lunettes, aillere, peque, tetiere. Carte 859 « anneau nasal (du taureau) » : melle (pt 12), anneau (pts 27, 50, 57, 84), bague (pt 108). Autres types : boucle, mouchette, ringue.

2.

Les cartes synthetiques

Pour faciliter la lecture comparative, les zones de valeurs correspondantes (ecart lexical entre le point de r^förence et chacun des autres points de l'atlas) prösentent les memes teintes de grises. Le cercle trace en pointille sur chaque carte donne une idee de Teloignement geographique par rapport au point de röförence. 11 indique une distance d'environ 55 km. Les valeurs relev6es chutent parfois brutalement d'un point ä l'autre; nous considerons que le seuil de rupture de la continuite lexicale est constitue par un ecart supörieur ä 8 entre ces valeurs (soit environ 30 %). Sur les cartes apparait alors un trait (fonce ou blanc, selon le fond de carte) qui reiie le milieu de l'intervalle existant entre les points contigus qui presentent cette caracteristique. Plus ces lignes sont longues, plus il nous semble que la cohesion de Tensemble qu'elles enferment est forte.

2.1. Observations generales concernant les valeurs relevees Nous avons retranchö 15 unit^s ä chacune des valeurs relevees, considerant que les similitudes observ^es au moins jusqu'ä ce niveau sont essentiellement dues aux types lexicaux fran9ais (non-dialectaux) initialement pris en compte. Ceci ne signifie pas que nous aurions pu ^liminer d'emblöe 15 cartes, puisque la francisation est variable selon les rögions et selon les mots ötudiös. Par ailleurs, nous evitons aussi une certaine « dilution » des resultats qui pourrait partiellement masquer les faits significatifs. Nous obtenons donc une valeur maximale de 39. Queis que soient les points de reference pris en compte, les valeurs les plus faibles se trouvent dans les lies anglo-normandes et varient peu : sur le nombre initial de 54, les valeurs relevees dans i'ile de Sercq vont de 5 ä 11, ä Guernesey de 8 ä 14 et ä Jersey de 10 ä 16, ce qui donne une idee du faible degrö de francisation, de la specificite et de l'autonomie lexicale du parier de ces Ties.'

Pour une autre analyse du lexique des iles anglo-normandes, v. Brasseur, 2001.

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Patrice Brasseur

2.2. Commentaires sur les cartes —

Carte 1 : point de r6Krence n° 12

Deux lignes apparaissent de maniere interrompue, l'une au nord, l'autre selon une orientation nord-est/sud-ouest. On voit ainsi que l'extension des formes lexicales du point 12 vers le nord, bien qu'elle reste ä un niveau 61ev6, enregistre une chute brutale ä l'entree au nordouest dans la Hague et au nord-nord-est dans le Val de Saire. La ligne orientee nord-est/sudouest montre la parente des parlers du Bessin et du Nord de la Manche, au-delä des isoglosses phonetiques importantes qui vont de la Baie des Veys ä la lande de Lessay. La ligne est interrompue vers le sud, meme si l'extension diminue rapidement ä l'entree dans l'Avranchin et le Mortainais. Des six situations que nous avons choisi d'examiner, c'est celle du point 12 qui presente la plus forte coherence. La similitude lexicale est nette dans le rayon de 55 km que nous avons trace, notamment vers Test. Les valeurs enregistrees dans l'est du Bessin sont peu differentes de Celles du Bauptois ou meme du Bocage de Coutances, par exemple. Au-delä, elles faiblissent rapidement, pour devenir peu nombreuses et meme insignifiantes dans presque les trois quarts de la Normandie. Ä la lumi^re des observations que nous ferons plus loin, il semble bien que ceci puisse etre interprete comme un tömoignage de l'originalite lexicale des parlers du nord de la Manche. —

Carte 2 : point de r^Krence n° 27

La chute des valeurs marquant la similitude lexicale intervient assez rapidement ä la fois au nord et au sud, ä une trentaine de kilom^tres du point de reftrence. L'extension est plus large vers l'ouest. On observe lä une ligne continue qui fixe en quelque sorte des « frontieres lexicales » nettes. On peut ainsi considerer le point 27 comme le centre d'une zone qui comprend le nord du Mortainais et de l'Avranchin, le sud du Bocage de Coutances et Saint-L6, le Bocage virois et le nord-ouest du Bocage omais. Ces parlers sont probablement moins originaux (aussi bien d'un point de vue lexical que phonetique); leur extension couvre, dans des proportions significatives, environ un tiers du domaine normand et se prolonge dans plus de la moitie de la province. —

Carte 3 : point de ref^rence n° 50

On observe ici une premiere ligne de rupture qui, dans son orientation nord-ouest/sud-est, suit les limites entre le Calvados et l'Eure. Cette ligne delimite pour ainsi dire les parlers basnormands, nous permettant d'observer le changement lexical vers les parlers de la Bretagne romane et du Maine. Ce phenom^ne est renforcö localement entre les points 56 et 55, ce qui nous rappeile que le point 55 ressortit nettement au parier du Maine. On per9oit aussi sur cette carte, comrne en negatif, une certaine homogenöite du lexique de la presqu'ile du Cotentin, marquöe localement par une brusque chute des valeurs relevees au niveau de la Baie des Veys. Plus pres du point de reförence, la rupture est egalement assez brutale avec les parlers du Bessin, de la Plaine de Caen et du Nord du Pays d'Auge.

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L'extension du lexique ä partir du point 50 se fait aussi bien vers Test que vers l'ouest. Mais la diffusion dans le cercie des 55 kilomäres et au-deiä est large, probabiement en raison de la proximite de la ville de Caen, pole culturel ancien, mais sans doute aussi ä cause du caractere peu specifique du lexique dialectal de la Plaine de Falaise, largement francise. —

Carte 4 : point de r6Krence n° 57

C'est une certaine incohörence qui semble se degager de ces traces trös morceles et meme disparates, et nous ne risquerons pas de commentaire genöral. Toutefois, il apparait que le parier du point 57 partage plus de traits lexicaux avec les regions situ^es au nord qu'avec Celles qui se trouvent au sud. Ceci pouvait dejä etre observ6 dans les relev^s effectues pour le point 50, meme si, bien sür, le faible eloignement et aussi les seuils que nous nous sommes fixes pour nos traces masquent quelque peu la deperdition rapide avec le sud de l'Ome. Situ6 au centre de l'Ome, ä mi-chemin entre les limites est et ouest de la province, le point 57 est resolument normand. —

Carte 5 : point de reKrence n° 84

Les lignes de rupture, peu nombreuses et morcelees, temoignent d'un lexique dialectal peu specifique dans cette r^gion, comme nous l'avons aussi vu pour le point 57. Ceci nous semble confirme par le fait que les valeurs restent ä un niveau moyen dans une aire assez large, qui s'ötend vers l'ouest (et sans doute aussi vers Test). Mais l'extension du lexique ä partir du point 84 est, somme toute, assez faible et chute rapidement, probabiement en raison du manque de vitalite du dialecte. Elle diminue rapidement vers le nord, ä l'interieur meme du cercie. —

Carte 6 : point de reförencen" 108

Ä l'ouest, la Situation du point 114, assez proche de la ville du Havre, a certainement contribu6 ä lui faire perdre plus rapidement ses couleurs dialectales. De plus, la difference assez nette avec les valeurs relevöes au point 110 est accentuee par la vitalite du parier de ce dernier point ä l'epoque de l'enquete. La Seine et les forets du nord-ouest de l'Eure marquent, au sud, une rupture brutale: par exemple, le point 74, situe sur la rive sud du fleuve, presente beaucoup plus d'affinites avec le Roumois, dont il est pourtant isoie par la vaste foret de Brotonne. A Test, l'entree dans le Pays de Bray, transition vers la Picardie proche, provoque aussi un net changement. Au nord-est, cependant, la transition est plus douce avec le Petit Caux, qui possede pourtant, dans le domaine de la morphologie notamment, de nombreuses affinitös avec le picard. La specificitö dialectale du lexique cauchois est evidente sur cette carte. Les valeurs relevees diminuent tres rapidement ä l'interieur de notre cercie, que ce soit vers le sud ou vers Test. On voit bien ici que la zone grisee la plus claire est peu significative puisque le nombre de traits communs est plus faible ä Beaubec-la-Rosiere (point 96), situö ä 50 kilometres, que dans les points 15 et 16 du Bocage de Coutances, ä 150 kilometres de lä. Cet eclairage permet ainsi de constater intrinsequement que l'extension significative du lexique dialectal doit etre observöe dans la zone de valeurs situees entre 39 et 15.

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3.

Patrice

Brasseur

Conclusion

Les six points de r^ference ne sont que des exemples destinös ä illustrer la methode proposee pour mesurer les ecarts lexicaux. 11 s'agit toujours d'une mesure relative, ä partir d'un point donn6. C'est pourquoi les rösultats sont difficilement comparables : selon que le point choisi se trouve au centre ou ä la p6riph6rie du domaine, que ce soit au contact de parlers voisins ou sur la cote, l'extension des types lexicaux variera sensiblement. Le recoupement avec les isoglosses phonetiques n'est pas non plus envisageable, sauf si ces lignes ötaient particuliörement impermeables, ce qui n'est jamais le cas, comme nous avons pu le montrer ä plusieurs reprises (v. Brasseur, 1973, 1982, 1985). En conclusion generale, nous observons que seuls les points 12 et 108 possddent une cohesion tr6s forte. (L'isolement des lies anglo-normandes est sans doute aussi ä mettre au compte du meme phenomene.) Nous posons comme hypothese que ceci est sans rapport avec les sp^cificites phonetiques de ces parlers. Nous y voyons plutöt un phenomene pour ainsi dire mecanique. La presqu'ile du Cotentin, notamment, constituee de bocages varies mais enfermee dans des limites exiguös, est isolee g^ographiquement. Et l'on con9oit aisement que, les distances etant courtes, les echanges y aient ete nombreux, mais sans apports externes. Le cas du Pays de Caux est similaire : plateau coincö entre la mer, la vallee de la Seine et le bocage du Pays de Bray, il possede, lui aussi, une forte « individualite lexicale ».

Bibliographie ALN : Brasseur, Patrice (1980-1997). Atlas linguistique et ethnograf>hique normand, t. 1 (1980), cartes 1-373 ; t. 2 (1984), cartes 374-779 ; t. 3 (1997), cartes 780-1068, Paris, Editions du Centre national de la recherche scientifique (« Atlas linguistiques de la France par region »). Brasseur, Patrice (1973). « L'isoglosse de k issu de c + a latin d ^ s le departement du Calvados », dans Les dialectes romans de France [Strasbourg, mai 1971], Paris, Editions du Centre national de la recherche scientifique, p. 311 -320. — (1982). « Limites dialectales en Haute-Normandie », Etudes normandes, n° 4, p. 11-23. — (1985). « L e s frontieres dialectales de la Normandie », dans Actes du XVF Congres international de linguistique etphilologie romanes, t. 2, Palma de Majorque, Editorial Moll, p. 573-590. — (2001). « Le patrimoine lexical des iles anglo-normandes », dans Jean Foyard et Philippe Monneret (6d.), Melanges de dialectologie, toponymie, onomastique qfferts ä Gerard Taverdet, Dijon, ABELL (Universite de Bourgogne), p. 61-76. — (2003). « La distribution lexicale dans l'espace dialectal: l'exemple des recipients ä usage domestique en Normandie », dans Catherine Bougy, Stephane Laine et Pierre Boissel (ed.), A l'ouest d'oil, des mots et des choses... Actes du septieme Colloque international de dialectologie et de litterature du domaine d'oil Occidental (Caen, 18-20 mars 1999), Caen, Presses universitaires de Caen.

BRIGITTE HORIOT Universite Lyon 3

Analyse lexicologique d'un roman de Pierre Senillou L 'Arantele

Le theme du 6' colloque international Fran9ais du Canada - franfais de France : « Vers une meilleure description lexicographique de la Variation du fran9ais, gräce ä l'expioitation des atlas linguistiques, des banques de donn^es textuelies et autres corpus » m'a fourni l'occasion de relire, crayon ä la main, un roman regionaliste saintongeais paru en 1991, L'Arantele. Cette seconde lecture, par les quelques 200 traits linguistiques regionaux repertories, apporte un enrichissement aux donnees de VAtlas linguistique et ethnographique de l'Ouest (Poitou, Aunis, Saintonge, Angoumois) (ALO) et au Dictionnaire des regionalismes de l'Ouest entre Loire et Gironde (Rezeau, 1984), mais eile me conduit egalement ä poser la question de la diffusion du roman regionaliste hors de son aire geographique et, surtout, ä un public non familiaris^ avec les parlers rögionaux. Pour rester dans le cadre limit6 d'une communication, j'aborderai l'analyse uniquement sous l'angle lexical.

1.

Presentation du roman

Pierre Senillou, l'auteur de L 'Arantele, connait bien la campagne charentaise pour l'avoir sillonnee pendant de longues annees comme Ingenieur des travaux publics et expert aupres des tribunaux. En contact permanent avec des Charentais, il n'a pu que noter tous les mots regionaux qui s'öchappaient inconsciemment, comme c'est le cas pour les regionalismes, de la bouche de ses interlocuteurs et son roman est le reflet de toutes ses observations. Le röcit se passe dans un bourg de la campagne saintongeaise, Charmiac, en r^alitd Archiac, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Jonzac, en Charente-Maritime. Par rapport aux points d'enquete de l'ALO, la localisation du roman ä Charmiac-Archiac n'est pas sans intöret, Archiac correspond au point 112, Arthenac, qui jouxte Archiac, ä la limite avec le departement de la Charente. Geneviöve Massignon a effectue l'enquete en 1963. Ä travers le Journal d'une de ses habitantes, Herminie Godet, qui, ä la suite de ses parents, tient «le magasin de mode et de mercerie » (p. 15) de Charmiac, Pierre Senillou nous fait participer ä la vie quotidienne du village entre les deux guerres. Compos6 de six cahiers, le Premier commence en 1923, alors que la narratrice a 55 ans, et le sixi^me se termine en 1938, sur une note humoristique : En rangeant mon tiroir, je m'apertois que j'ai rempli cinq cahiers. Le sixieme arrive ä sa ftn. Dieu luimeme a travaille six jours ä faire le monde, le septieme, il a repris son souffle. Ce sera ma maniere de repos etemel. (p. 259)

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Brigitte Horiot

L'humour, Herminie Godet n'en manque pas, et son joumal relate avec malice non seulement la vie quotidienne d'un petit village oii tout le monde se connait et s'öpie, mais egalement les nouveautes qui mettent en ^moi les habitants de Charmiac : le goudronnage de la rue principale et les mösaventures qui arrivent ä ceux, betes et humains, qui se sont aventurös ä traverser avant que le goudron soit sec, les projets d'ölectrification et d'adduction d'eau du village, l'arrivee des premiers postes de TSF, des premieres voitures, le passage d'a^roplanes, sans compter la vente de son magasin et sa modernisation par un Parisien. Tout le röcit d'Herminie Godet est 6maill6 de mots regionaux et, parfois meme, de quelques saillies patoises qu'elle souligne alors d'un « comme dit le pdre ... », « pour parier comme le pere ... ».

2.

Le vocabulaire fran9ais temoin d ' u n e epoque

L 'Arantele reflete l'histoire au quotidien d'un village saintongeais des annees de l'entre deux guerres et, par consequent, le franfais lui-meme est le temoin de cette epoque. Nombre de mots, tout en ayant toujours leur entree dans le Tresor de la langue frangaise (TLF) ou Le Grand Robert de la langue frangaise (Robert), portent la mention « vieilli », « archaTque » ou encore « vieux et regional », « vieilli et familier », ... . D'autres encore, tout en etant depourvus d'etiquette, sont largement sortis de l'usage comme en t^moignent les trois mots suivants : agent voyer, roulier et fardier. Agent-voyer, « Fonctionnaire charge de veiller ä l'entretien et/ou ä l'amenagement des voies de communication, de la voirie d'une ville, d'un departement » (TLF, sous l'entröe Voyer. Agent voyer figure Egalement ä l'article Agent, sous II: C, 2, et avec une definition analogue). L'agent-voyer est un personnage tres present dans la vie de Charmiac, Herminie en parle souvent. Ex. : « J'aurais bien voulu voir l'agent-voyer au sujet du bomage. » (p. 147) Roulier, « Autrefois, voiturier qui assurait le transport public des marchandises » (TLF, sous A. - transport); fardier « Chariot ä deux ou quatre roues, servant ä transporter des fardeaux tres pesants (blocs de pierre, troncs d'arbre, madriers...) » (Robert). Dans le TLF fardier figure sous l'entree Forde, comme derive. Roulier et fardier reviennent plusieurs fois sous la plume d'Herminie. Ex.: « Sa construction [une rue] a fait la fortune de plusieurs rouliers qui, avant cela, n'avaient qu'un fardier servant ä porter le vin et l'eau-de-vie ä Cognac, et pendant quelques mois seulement. »(p. 14-15) Äg6e de 55 ans en 1923, nöe par consequent en 1868, sous Napoleon III, Herminie parle encore de jaunets (TLF « Vieilli et fam. Petite piece d'or; en partic. louis d'or ou napoleon ») comme aujourd'hui on parle toujours d'anciens et de nouveaux francs. « Avec ses vignes et sa chaudiere, il doit posseder un bon matelas de billets. Meme quelque pot de jaunets cache dans un recoin ! »(p. 104). La politique n'est pas absente du journal, il y est question d'election et, par consequent, de campagne electorale. 11 y a le clan des republicains, celui des monarchistes, mais aussi celui des badinguets, Badinguet etant le sumom donne ä Napoleon III et emprunte au nom de l'ouvrier dont les vetements avaient ete utilises pour l'evasion de Louis-Napoleon en 1846. « Ä propos du percepteur, je me souviens de ce qui se disait quand les badinguets relevaient la tete. » (p. 67)

Analyse lexicologique d 'un roman de Pierre Senillou: L'Arantele

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D'autres mots, sans rapport avec l'actualit^ ou avec des signifies disparus, dtiquetös « vieux » par le TLF ou par le Robert, sont bien vivants sous la plume de la narratrice. J'en citerai sept. Colique de Miserere, « Med, vx. Coliques de miserere, p. eil., miserere. (Douleurs provoquees par) rocclusion intestinale » (TLF, sous l'entröe Miserere, miserere); « Spec., vx. Colique due ä une occlusion intestinale » (TLF, sous l'entr^e Colique). « Elle a p6ri d'une maladie d'int^rieur, une colique de Miserere. » ( p . 23) Jeunesse, «jeune fille, jeune femme » (TLF pop.). « Enfin, voilä une jeunesse comme j e les aime, bien elevee, franche, sans manieres. » ( p . 149) Malice, « Sens fort (vieilli). Aptitude et inclination ä faire le mal, ä nuire par des voies detoumees » (Robert). « Si j'ai envie aujourd'hui [d'ecrire], c'est ä cause que j e suis contrariee par des malices que j e ne merite pas. » ( p . 7) Picote, « Vx, pop. Variole » (TLF). « J'etais aussi agrälante [« avenante »] qu'une autre, surtout que j'etais passöe ä cote de la grande epidemie de picote qui avait fait tant de mal en 1871. » ( p . 21) Portement, « Vieilli, pop. Etat de sante » (TLF). « Comme il me demandait le portement et que j e suis assez libre avec lui, j'ai cru bon de le taquiner : — Tres bien, docteur, tant que vous ne me soignez pas ! » ( p . 115-116) Sac reticule, relicule etant defini « Vieilli. Petit sac ä main ou bourse, autrefois ä mailles fmes, qui etait tres en vogue sous le Directoire » par le TLF. « Celä [ä/c] me donnait le virounä [« vertige »], j e ne voyais plus rien ni personne, occupee ä me serrer avec mon sac reticule contre Madame Matrat. » ( p . 171) Topette, Orthographie taupette par Herminie, « A. - Vieilli. Fiole generalement longue et ötroite, en verre ou en terre. [ . . . ] - P. meton. Son contenu »(TLF). « Iis sont partis au matin emportant un bon casse-croüte : gratons, roti froid, comichons et les bouteilles qui vont avec, sans oublier la taupette, evidemment. » ( p . 160) De cette premi^re liste de mots sortis de l'usage en fTan9ais, notons que fardier continue ä vivre dans le fran9ais queb&ois, il a une entr^e dans le Dictionnaire quebecois d'aujourd'hui (DQA) mais il dösigne non plus le chariot ä deux ou quatre roues mais un « gros vehicule de transport portant de lourdes charges». Toujours dans le Dictionnaire quebecois d'aujourd'hui, roulier est certes absent, mais on releve rouliere «trace, plus ou moins profonde, laissee dans une voie (boue, neige, etc.) par le passage de vehicules munis de roues ou de patins ». Toujours dans le meme DQA, reticule est egalement atteste au sens de « petit sac ä main (de femme) » et picote est d'un emploi familier. Cet echantillon de mots vieillis, dont l'emploi s'expllque naturellement sous la plume d'une personne de 55 ans, ecrivant il y a pres de 70 ans, n'est cependant pas d6nue d'intöret. Jeunesse, malice, picote, portement et topette sont des mots encore bien vivants dans les döpartements charentais.

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3.

Brigitte Horiot

La richesse des regionalismes, leur apport aux dictionnaires de fran^ais regional

II ne m'est pas possible de presenter tous les regionalismes lexicaux releves dans L 'Aranlele, j e me contenterai d'en signaler quelques-uns parmi ceux qui apportent un enrichissement aux donnees de l'ALO et au Dictiomaire des regionalismes de l'Ouest entre Loire et Gironde (Rezeau, 1984). Les regionalismes couvrent un peu tous les domaines avec, cependant, une sous representation du monde agricole, ce qui s'explique par le sujet meme du roman : un Journal tenu par une commerfante, dans un petit bourg. Au debut de son Journal la narratrice se presente et decrit son village, ce qui nous donne dejä un bon nombre de regionalismes. Charmiac a « une gare consequente ä la cafourche^ ["embranchement"] des routes » (p. 10); il s'agit des routes de Pons, Cognac, Barbezieux et Jonzac. De ses parents eile a un magasin, une petite benasse ("propriete") de terres (p. 15) et quelques terres qui lui donneront bien du souci et qu'elle vendra. Aprds la mort de sa mere, le notaire fait le relev6 de tous les biens de ses parents. « 11 les connaissait aussi bien que moi : la maison, le magasin, la petite cour et le ballet ["petit Hangar"] du derriere, le jardin de la rue des Voituriers, la vigne des Justices et les terres des Laignes. » ( p . 28) Herminie Godet est restee celibataire, non pas qu'elle ait 6te moins agralante, « avenante », qu'une autre, mais parce que son pere « ne voyait autour de nous personne d'assez bien qui pouvait convenir. - Ce sont tous des gavagneurs ["mauvais ouvriers"], des beurdassons ["personnes qui bavardent ä tort et ä travers"], des soülins ["ivrognes"], disait-il. Iis courent les frairies ["fetes de village"] comme des saute-bergeres et vont le soir depenser l'argent au cafe. » (p. 21) Apr^s les obseques de sa mere, eile est « restee toute acabassee ["accabl^e"] pendant des jours et des Jours, tournant sans savoir que faire, tourinant ["toumicotant"], triant dans les armoires » (p. 23). Elle avait eu la consolation de pouvoir veiller sa mere et de «recueillir son dernier remelon ["räle"] » (p. 23). Elle tient ä ne pas se laisser « prendre pour une coubisse » ( « personne repli^e sur elle-meme », p. 117). k Charmiac, comme souvent dans les villages, « Presque tout le monde a un chäfre, un sobriquet comme on dit pointu.» (p. 40) L'enumeration de ces chäfres (p. 40) nous vaut quelques regionalismes : Patte-de-bisse (« patte de rouge-gorge »), Tete-d 'oueille («tete de mouton »), Traine-bots («trame sabots »), Jhouque-tard (« leve tard »). « 11 y a aussi Biribi, le casseur de cailloux ä moitiö raballoux ["vagabond"]. » (p. 40) Sous des dehors charitables, la commer9ante Herminie est pingre et hypocrite : « Quand sa femme viendra au magasin. Je trouverai bien quelque äcrie ["chose ancienne ou demodee"] qui a vu le soleil, et m'arrangerai pour qu'elle la prenne en lui faisant un prix, afin de remercier. » (p. 34-35) Äcrie peut 6galement s'appliquer ä une personne et Herminie se fait traiter un Jour de « vieille äcrie » (p. 140). Un autre Jour, c'est de crassouse (p. 44), d'« avare », qu'elle sera qualifiee par un marchand de biens. Epiant sans cesse, quand eile ne peut le faire de chez eile, de son magasin ou derriere ses volets en tuile (p. 99), « ä l'espagnolette », c'est d'un air detache qu'elle parcourt le village. « Ce soir, J'ai donc mis ma pelote de laine dans ma poche de devanteau ["tablier"] et suis montee en tricotant mon basjusque vers la Croix-

Dans les extraits cites, Titalique est de nous.

Analyse lexicologique d'un roman de Pierre Senillou : L'Arantele

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de-Mission. » (p. 169) Herminie considere d'ailleurs sa maison cotnme une arantele, une «toile d'araign^e », oü tout converge de la vie de son village (p. 229). Les bavardages, les medisances et les calomnies ne manquent pas ä Charmiac et iis donnent Heu ä des rögionalismes: « C'est bien amüsant d'entendre ces hommes qui nous accusent habituellement de jhavasser ["bavarder", "cancaner"] ! Iis pourraient nous en remontrer, ä nous les femmes, sur le chapitre des beurdasseries ["bavardages", "ragots"] ! L'un de ces bavassoux ["bavard"], faisant ailusion ä la tenue de Jamain, disait qu'il aurait interet ä faire la grande bughee ["lessive"] avant le mariage. » (p. 104) Mais il n'y a pas que les hommes qui sont bavassoux, il existe aussi des clientes plutot bavassieres (p. 18) et Herminie ne se prive pas de petucher (« bavarder») avec ses amies (p. 19). Charmiac a ses chenassiers, « coureurs de jupons » (p. 33), et ses garciers, « d6bauches », (p. 19), mais aussi des gens un peu dörangös, comme la pauvre Bertine qui sebraille, « hurle »(p. 65), et meloune, « ronchonne », des choses inintelligibles (p. 66). Charmiac accueille les premieres voitures automobiles, ce qui inspire ä Herminie quelques descriptions pittoresques, notamment quand eile decrit les premiers essais du eure de Charmiac (p. 141-143). Des amis d'Herminie sont parmi les premiers ä Charmiac ä posseder une voiture, ils l'emmenent passer une joumee ä Royan. Comme tout promeneur du dimanche, ils ont eu soin de mettre le boutyon («panier d'osier ä couvercle et anses mobiles ») dans le coffre de la voiture et ils en tireront un bon dejeuner. « Plusieurs fois, des gens nous ont souhaite le bon appetit en riant. L'un d'eux a meme dit, avec un accent bordelais : — Ah, ces cagouillards ["Charentais"] ! Iis periront par la goule ["bouche"] ! » (p. 172)

4.

Localisation des regionalismes releves

Voici un echantillon de la richesse lexicale de L 'Arantele. II me reste maintenant ä localiser cette trentaine de regionalismes. Un seul figure dans les Varietes geographiques du frartfais de France aujourd'hui (R6zeau, 1999): goule. Je me limiterai ä situer ces regionalismes dans le domaine de l'ALO, une 6tude plus approfondie depasserait le cadre de cette communication. Quatorze regionalismes appartiennent ä l'ensemble du domaine de l'ALO: acabasse, agralante, arantele, ballet, bavassoux, bots, bujhee, chenassier, devanteau, s'ebrailler, goule, se jouquer, melouner, oueille tandis qu'un quinzieme, benasse, n'est absent que du departement de la Vendee (Gl). Pierre Rezeau dans son Dictionnaire des regionalismes de iOuest entre Loire et Gironde n'a enregistre que ballet, benasse, goule et devanteau, sous l'entree Devantier, devantiere. Dans l'etat actuel de la publication de l'ALO, trois cartes confirment l'aire dessinee par arantele (ALO 455), benasse (ALO 671), oueille (ALO 540). Si arantele se trouve maintenant vulgarise par Pierre Senillou, bots l'a ete avant lui par Raymond Doussinet, de l'Academie de Saintonge et de l'Academie d'Angoumois, qui a beaucoup ceuvr6 pour faire connaitre le parier saintongeais et qui a intitulö un de ses ouvrages Le paysan saintongeais "dans ses bots ". Dix-sept autres regionalismes sont propres aux deux departements charentais: acries, bavassiere, beurdasson, beurdasserie, bisse, boutyon, cagouillard, chafre, coubisse, crassou,

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Brigitte

Horiot

frairie, garcierjhavasser, raballoux, remelon, soulin, en tuile. Crassou, toujours au sens qui nous Interesse ici, est egalement employe en Vendee et le verbe jhavasser occupe lui aussi une aire plus large que celle de l'adjectif jhavasse,^ egalement attestö dans le roman, eile deborde largement sur les deux d^partements des Deux-Sevres et de la Vienne (Gl). Pierre Rezeau (1984) n'a d'entree que pour boutillon, cagouillard, chafre, frairie et souline (curieusement, il ne semble pas avoir rencontre dans ses depouillements de textes des soulins, mais seulement des soulines). P. R6zeau localise souline « femme alcoolique, qui "boit" » dans les departements de la Charente-Maritime, des Deux-Sevres, de la Vendee et de la Vienne. Sur ces dix-sept regionalismes, seul bisse «rouge-gorge » a fait l'objet d'une carte dans l'ALO (carte 425). 11 reste trois regionalismes dont les aires se limitent au departement de la CharenteMaritime : cafourche, gavagneux et touriner et un quatrieme, petucher qui, au sens restreint de «bavarder en parlant bas», semble plutöt localis^ en Charente (Gl). Ces quatre regionalismes ne flgurent pas dans Rezeau (1984), et seul cafourche est atteste dans l'ALO ( I V , « carrefour »). Ces regionalismes sont-ils attest^s dans les parlers franfais du Canada ? Ne faisant pas ici une etude dialectologique, j e m'en tiendrai ä rechercher leur presence dans le Dictionnaire des canadianismes de Gaston Dulong, le Glossaire du parier frangais au Canada (GPFC) et le Glossaire acadien de Pascal Poirier. Ces regionalismes existent pour bavassoux, sous la forme bavasseux, beurdasserie, crassou (surtout en Acadie), devanteau (en Acadie), goule, javasser. Si gavagnoux/gavagneux ne semble pas atteste, en revanche le verbe gavagner Test, comme d'ailleurs dans L'Arantele, dans un passage que j e n'ai pas cite et oü Herminie note dans son journal: « Depuis que je suis seule, je leur ai fait comprendre [aux quenailles ("petits enfants") qui quetent pour Mardi-Gras] que l'argent est plus dur ä gagner qu'ä gavagner. » ( p . 63)

5.

En guise de conclusion

Les quelques trente-six regionalismes que j e viens de presenter ont, je l'esp^re, montre tout l'interet que präsente L 'Arantele pour un dialectologue ou un lexicologue. Ce roman a rencontre un tres vif succ^s auprös des Charentais, il en est ä sa troisieme publication, et l'editeur, le Croit vif, explique ainsi son succ6s : [...] son regard port6 sur Chamiiac durant Tentre-deux-guerres (en fait Archiac), la finesse de son vocabulaire juste mele de patois et l'humour de ses portraits et situations font veritablement de L 'Arantele un des classiques de l'identite charentaise. (Lettre d'information datee de fevrier 2000)

Si la lecture de L 'Arantele est source de plaisir pour les linguistes et les Charentais, qu'en est-il pour le lecteur peu familiarise avec les parlers regionaux ? II y a fort ä parier qu'il ne saisira pas toute la fmesse du texte et qu'il sera peut-etre meme rebute par trop de mots inconnus. Faut-il pour autant conseiller aux romanciers regionalistes de faire suivre leurs ^

« Elle est si jhavasse, charentais.

avec sa langue de serpent! » (p. 98), adjectif atteste dans les deux departements

Analyse lexicologique d'un roman de Pierre Senillou : L'Arantele

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textes d'un glossaire ? L e Bourguignon Henri Vincenot a tente cette expörience dans l'un de ses ouvrages, La billebaude, faisant suivre son roman d'un lexique intitulö « Lexique des quelques mots du langage bourguignon ou de venerie que l'on rencontre fatalement dans ce röcit ». L e resultat est d^cevant mais il n ' a rien d'etonnant, Vincenot croit fran9ais des mots qui ne le sont pas et regionaux des mots qui appartiennent au registre du fran9ais Standard. L a Solution reside-t-elle dans l'^tablissement par des specialistes et la publication ä part, mais dans la meme maison d'edition, d'un glossaire qui accompagnerait les romans regionalistes et leur permettrait ainsi de franchir les limites de leur region ?

References ALO : 'Massignon, Genevieve, et Brigitte Horiot (1971-1983). Atlas linguistique et ethnographique de l'Ouesl (Poitou, Aunis, Saintonge, Angoumois), Paris, Editions du Centre national de la recherche scientifique (« Atlas linguistiques de la France par regions »), vol. I, 1971 ; vol. II, 1974 ; vol. III, 1983 ; vol. IV, manuscrit. Doussinet, Raymond (1975). Le paysan saintongeais "dans ses bots", T edition, La Rochelle, Editions Rupella. DQA : Dictionnaire quebecois d'aujourd'hui, redaction dirigee par Jean-Claude Boulanger, supervisee par Alain Rey, Saint-Laurent (Quebec), DicoRobert inc., 1992. Dulong, Gaston (1999). Dictionnaire des canadianismes, 2" Edition, Sillery (Quebec), Editions du Septentrion. Gl: Dubois, Ulysse, Jacques Duguet, Jean-Fran^ois Migaud et Michel Renaud (1992-1999). Glossaire des parlers populaires de Poitou, Aunis, Saintonge, Angoumois, Saint-Jean-d'Ang6ly, Societe d'etudes folkloriques du Centre-Ouest, 4 volumes. Glossaire du parier frangais au Canada, prepare par la Societe du parier franifais au Canada, Quebec, L'Action sociale It6e, 1930. [R^impression : Quebec, Les Presses de l'Universite Laval, 1968.] Poirier, Pascal (1993). Glossaire acadien, edition critique etablie par Pierre M. Guerin, Moncton (NouveauBrunswick), Edition d'Acadie - Centre d'ötudes acadiennes. R^zeau, Pierre (1984). Dictionnaire des regionalismes de l'Ouest entre Loire et Gironde, Les Sables d'Olonne, Le Cercle d'Or. Rezeau, Pierre (dir.) (1999). Varietes geographiques du frangais de France aujourd'hui. Approche lexicographique, Paris - Bruxelles, De Boeck & Larcier - Duculot (« Champs linguistiques »). Robert: Le Grand Robert de la langue franfaise. Dictionnaire alphabetique et analogique de la langue fran(aise, 2° edition entierement revue et enrichie par Alain Rey, Paris, Le Robert, 9 volumes, 1985. Senillou, Pierre (1991). L'Arantele, Paris, Le Croit vif (« Imaginaires »). TLF : Tresor de la langue frangaise. Dictionnaire de la langue du XIX" et du XX" siede (1789-1960), sous la direction de Paul Imbs, puis de Bemard Quemada, Paris, Editions du Centre national de la recherche scientifique, puis Gallimard, 1971-1994, 16 volumes. Vincenot, Henri (1983). La billebaude, Paris, Denoöl.

MARIE-ROSE SIMONI-AUREMBOU CNRS - Institut national de la Langue frangaise

Les apports du sud-ouest de la region parisienne aux regionalismes de la France Les demiers vestiges de la base dialectale de la langue fran9aise ont ete recueillis sur le terrain, en ile-de-France, dans la seconde moitie du XX' siöcle. Iis figurent dans les deux atlas lingulstiques qui entourent Paris: Champagne-Brie et Ile-de-France-Orleanais. Mais ces donnees sont en nombre limite, de par la nature essentiellement lexicale du questionnaire dialectologique; elles demandent ä etre complötees et enrichies par Celles que d'autres observateurs ont recueillies, amateurs passionnös souvent, linguistes plus rarement. Au sud-ouest de Paris, nous avons retenu, pour le present colloque, la region comprise entre les points 6, 7, 9, 14 et 8 de VAtlas linguistique et ethnographique de l'Ile-de-France et de l 'Orleanais, Perche, Touraine (ALIFO). Cette petite zone toute proche de Paris dispose en effet d'un nombre relativement important d'enquetes de terrain faites au X1X° et au XX' si^cle. Elle correspond ä peu pres au pays de VYveline, nom traditionnellement au singulier qui, on ne sait trop comment, est devenu en 1964 celui du nouveau departement des Yvelines, au pluriel (Mulon, 1997 : 121 et 124). Dans un premier temps, j'examinerai successivement chacune de ces collectes ; ensuite, je donnerai quelques exemples de renrichissement qu'elles peuvent apporter ä des travaux plus g6n6raux.

1.

Les differentes collectes (1866-1980)

Ne sont mentionnös ici que les documents de terrain dates et localises avec precision. Les travaux d'Emile Agnel, qui se contente de dire que son terrain a ete « la campagne, dans un rayon de 6 ä 8 lieues autour de Paris » (Agnel, 1855), n'ont donc pas ete retenus, bien que sa collecte, eflfectuöe au milieu du XIX' si^cle, soit fiable. Quant ä Nisard, son ötude sur le patois de Paris et de sa banlieue (1872) se fonde en grande partie sur des textes des XVII' et XVIir si^cles.

1.1. Contribution des instituteurs d'Eure-et-Loir (1866-1868) 11 s'agit du concours national initiö en 1866 par Victor Duruy, alors ministre, secretaire d'Etat au Departement de l'Instruction publique. Voici un extrait de l'arrete du 24 aoüt 1866 : Un prix de 1500 francs sera deceme en 1869, pour le concours de 1868, ä la Societe savante des departements qui aura transmis au Ministere le meilleur Glossaire du patois ou langage rustique et populaire d'une region ou d'une localite d^terminee de la France [...].

60

Marie-Rose

Simoni-Aurembou

On devra recueillir dans ce glossaire, non seulement les mots, mais les locutions, les proverbes (tant ceux qui trouveront place sous les noms communs que ceux qui pourraient etre ranges ä part sous les noms de lieux), les sentences ou dictons de l'idiome, et on les empruntera de preftrence au langage parle. (Texte cit^ dans GPEL, 1999 : 306)

Les enquetes en Yveline (fond de carte de VAtlas de l'Ue-de-France)

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Les parlers de l 'Est et de l Ouest quebecois : essai de caracterisation linguistique

85

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SOURCE : SffC. cat>la> d* oompaanon n" $, iim*nitife 19(W PROJECnON Tianoanale de Morealof modMt« (OUMXK MTM z m 8)

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SOURCE SPFC, cahtor d« conwtelkm n* S. noramtif« 1906 PfWUECrnON : Trannwwta Minalar niod«M* (QiiMiw Mn< ZWM

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88

Claude Verreault et Thomas Lavoie

Comme le montre la carte 1, about et cintre ont releves respectivement dans l'Est et dans rOuest au moment des enquetes du PPQ; au debut du siede, ces deux variantes connaissaient une distribution semblable (v. cartes 2 et 3), ce qui t^moigne d'une relative stabilit6. La carte 4 montre que cavreau et cabaneau ont aussi 6te releves respectivement dans l'Est et dans l'Ouest au moment des enquetes du PPQ. Si l'aire occupöe par cavreau est restee assez stable par rapport ä celle dont rendent compte les donnees de l'enquete de la SPFC (v. carte 5), il en va autrement de cabaneau qui, au debut du XX' siede, paraissait bien connu aussi dans l'Est (v. carte 6), ce qui lui conferait un caractdre relativement general qu'il n'aura plus quelque 70 ans plus tard. Independamment des differences de methode entre les deux enquetes, cette regionalisation graduelle de cabaneau s'explique sans doute par le fait que, meme s'il etait connu dans l'Est, il ne faisait pas le poids par rapport ä cavreau qui y etait dejä beaucoup mieux implante, ce dont rendent compte d'ailleurs les donnees de l'enquete de la SPFC.

3.6. Regionalismes de l'Est et de l'Ouest quebecois et parlers acadiens Gaston Dulong (1987: 130) a mis en evidence l'existence d'une certaine parente entre les regionalismes de l'Ouest quebecois et ceux du domaine acadien. Afm de nous faire une meilleure idee de cette parente, nous avons dresse la liste des regionalismes de l'Est et de l'Ouest qui sont egalement bien attestes en Acadie (c'est-ä-dire relevös dans au moins 4 points d'enquete situes dans les Iles-de-la-Madeleine ou dans les provinces maritimes), d'apres les donnees combinees du PPQ et de Massignon. Tableau 6 Regionalismes de l'Est et de TOuest bien attestes en Acadie (consider^s par rapport ä l'ensemble du corpus)

Acadie auripiaux barbe braguetle breeching cani Champignon grand, gros, pelil dipper ^gremiller en/ailer foutreau gueret guipon hak larguer marionnettes masse

Est qu^b^cois

Ouest

+

-t+

+

+ +

-f +

f if + +

Les parlers de l 'Est et de l'Ouest quebecois : essai de caracterisation linguistique

Acadie

Est qu^Mcois

menoire

+

mumps queue-de-poelon ou queue-de-poelonne

+

räche

+

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Ouest quib^cois +

+

spring +

vernousser IWQ

(31 %)

10/70 (14 %)

12/70 (17%)

Le tableau 6 precedent montre que 22 (31 %) des 70 regionalismes analyses se rencontrent egalement dans les parlers d'Acadie: 10 (14%) caracterisent les parlers de l'Est et 12 (17 %), ceux de l'Ouest; par rapport ä l'ensemble du corpus, les regionalismes de l'Ouest ne s'averent donc guere plus apparentes aux parlers acadiens que ceux de l'Est. Par ailleurs, si on considöre les rögionalismes de l'Est et de l'Ouest non plus par rapport ä l'ensemble des 70 regionalismes du corpus mais plutöt par rapport ä ceux qui appartiennent respectivement ä la meme aire (24 pour ce qui est de l'Est et 46 pour l'Ouest), il ressort que 42 % (10/24) des mots de l'Est sont bien attestes aussi en domaine acadien; en revanche, c'est le cas pour seulement 2 6 % (12/46) de ceux de l'Ouest. Notre corpus ne nous autorise donc pas ä conclure ä une parente plus grande entre les regionalismes de l'Ouest et ceux de l'Acadie ; il nous invite plutöt ä penser le contraire. Encore une fois, il faudra completer l'etude d'aujourd'hui par l'analyse de nombreuses autres donnees pour en arriver ä une conclusion satisfaisante.

4.

Conclusion

Si les parlers de l'Est et de l'Ouest quöbecois correspondent ä des aires linguistiques distinctes, il reste encore difficile de les caracteriser du point de vue linguistique. La Variation lexicale observ^e entre ces deux aires permet de penser qu'elles se sont developpöes de fa9on independante et ä partir de fonds relativement differents, mais seules des etudes plus approfondies permettront de mieux en cemer la personnalite linguistique. Par ailleurs, les regionalismes que nous avons 6tudies donnent Heu ä un large spectre d'isoglosses plutöt qu'ä un faisceau concentrd qui pourrait rendre compte d'une veritable frontiere linguistique entre les parlers de l'Est queböcois et ceux de l'Ouest. Par consequent, les limites areales de ces parlers restent difficiles ä fixer (v. cartes 7 et 8). Dans sa plus petite extension, l'aire de l'Est est delimitee par une ligne passant par Charlevoix et par la Cöte-duSud, voire un peu en aval (v. larguer et panse-de-vache, par exemple, annexe 2, n°' 13 et 16); dans sa plus grande extension, eile atteint les portes de la region montrealaise qu'elle peut meme parfois englober (v. braguette et carcan (du cou), annexe 2, 4 et 7). Quant ä la limite de l'aire de l'Ouest, eile peut etre situee en amont de la r6gion montrealaise (v. breeching, annexe 2, n° 31) ou se prolonger tres loin en aval, jusqu'ä une ligne passant par Portneuf et la Beauce (v. ajets et barbe, annexe 2, n°' 25 et 28). Cette Situation, qui n'a pas

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Claude VerreauU et Thomas Lavoie

encore öte expliquöe, est ä l'origine d ' u n e zone tampon que nous avons dejä appelee l'aire du C e n t r e ; subissant les influences tantot des parlers de l'Est, tantot de ceux de l'Ouest, cette aire centrale se caracterise par son instabilitö (v. Verreault et Lavoie, 1996 : 437, et Lavoie et Verreault, 1999). Carte 7 Isoglosses des regionalismes de l'Est

Les parlers de l 'Est et de l 'Ouest quebecois : essai de caracterisation linguistique

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Carte 8 Isoglosses des r^gionalismes de l'Ouest

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Les parlers de l 'Est et de l 'Ouest quebecois : essai de caracterisation linguistique

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Claude Verreault et Thomas Lavoie

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Les parlers de l 'Est et de l 'Ouest quebecois : essai de caracterisation linguistique

Annexe 1

Liste des 58 questions s^lectionnies dans le PPQ Question ii° 0028 0070a 0083 0086 0112 0123 0184 0186 0187 0195 0229 0268a 0269 0278 0288 0440 0543 0551 0716d 0725 0730 0736 0769 0795 0879b 0892 0912 0916 0986 1068 1071 1086 1119 1139 1151 1152 1161 1261a 1262 1349 1558

Intitulf Allonge au corps principal de la maison Lieu de rangement du bois de chaufTage dans la maison Boite ä cendre du poöle ä bois Tirage de la chemin^e Amwire sous l'escaiier qui mene ä l'^tage Arceaux (de la chaise ber(;ante) Laisser tomber (un plat) (Pain) mal leve (Pain) moisi Emietter (du pain) Döpöt (au fond d'un contenant) (Etre) ivre Ivrogne, grand buveur Faire de menues besognes Linge pour laver le parquet Avaloire Pore plus petit que les autres Pätee des porcs (Charrue) ä roues Roues de l'avant-train de l'aneienne charrue Terre nouvellement labour^e Chaintre (oü toume la charrue) Barbes de l'orge Rumex (oseille) Combler (une mesure) Tige de mals ddgamie de son epi Oseille cultiv6e Ciboulette Döpöt dans le sirop d'erable mal coule S'embourber Fondri^re due ä la gelee S'enliser dans la neige, dtre enlise Brancard Les 12 jours (fin et debut d'annte) qui annoncent le temps qu'il fera pendant l'annee Grande Ourse Petite Ourse Aurore boreale Loupe d'arbre Gros Champignon en tablette sur un arbre Source Tetard de la grenouille

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Claude Verreault et Thomas Lavoie

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Intitul^

Question n° 1563

Papillon de nuit

1587

Mouffene d'Am^rique

1588

Vison

1632

Vösicule de resine sur le sapin

1763

Bedeau

1806

Filleul

1919

Cravate

1928

Braguette

1936

Espadrilles

2129

Clavicule

2139

Envies autour des ongles

2191

Frileux

2211

Diarrhte

2212

Oreillons

2215

Ampoule

2242a

Bavard

2268

Faire des menus travaux, musarder

Les parlers de I 'Est et de l 'Ouest quebecois : essai de caracterisation

linguistique

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Annexe 2

Regionalismes analyses' A) 1.

Regionalismes de l'Est About [abu(t)] n. m. 0 Aux deux extremites d'une piece de terre, d'un champ, endroit oü peut toumer la charrue. Relev6 essentiellement dans l'Est, depuis une ligne passant, du nord au sud, par Portneuf (pt29), Drummond (pt 92) et Stanstead (pt 94), jusqu'en Acadie ; ä l'ouest de cette ligne, on utilise plutot cintre (v. ci-dessous, n°34) (PPQ, q. 736 ; Lavoie, q. 1025 ; Massignon, q. 635). Herit6 des parlers de France : relev6 en orlöanais (FEW 15/1, 220b, ancien francique BOTAN).

2.

Auripiaux [oRipjo] n. m. pl. 0 Oreillons. Releve principalement ä Test d'une ligne nord-sud passant par Montcalm (pt 50), Terrebonne (pts49 et 46), l'ile-Jesus (pt45), Verchferes (pt 84), Richelieu (pt85), Yamaska (pt90), Bagot (pt 89) et Stanstead (pt 94), puis en domaine linguistique acadien, ä c6t6 de oreillons (un peu partout), mumps (surtout dans l'Ouest, v. cidessous, n°57) et grenouilles (en Acadie) (PPQ, q. 2 2 1 2 ; Lavoie, q. 2481 ; Massignon, q. 1603). Höritage dialectal: releve notamment dans les parlers du Nord-Ouest et de l'Ouest fran9ais ( F E W 2 5 , 1013a, AURIS).

'

Les regionalismes sont d'abord regroupes selon qu'ils caractörisent la region de l'Est ou celle de l'Ouest puis, ä l'interieur de chacun de ces deux groupes, ils sont classes selon l'ordre alphabetique. Les cartes rendent compte des donnees du PPQ. Les abreviations c., q. et pt(s) renvoient respectivement aux cartes, questions et points d'enquSte des sources citees.

98

Claude Verreaull et Thomas Lavoie

3. Barbillon [baRbijö] n. m. 0 Chacune des pointes effilees des epillets de l'orge. Releve surtout dans l'Est, depuis une ligne passant, sur la rive nord du Saint-Laurent, par Portneuf (pt 26) et, sur la rive sud, par Nicolet (pt 101), Arthabaska (pt 103) et Frontenac (pts 109 et 108); ä l'ouest de cette ligne, on utilise plutöt barbe (v. ci-dessous, n ° 2 8 ) (PPQ, q . 7 6 9 ; Lavoie, q. 1061). Höritage dialectal: releve dans les parlers du Nord et du NordOuest (FEW 1,245a, B A R B A ) . 4. Braguette [baaget] ou [bRajet] n.f. • • bfBgueHeiEst) 0 Ouvertüre verticale sur le • patteletteiOuesti devant d'une culotte, d'un pantalon d'homme. Relev^ surtout ä Test d'une ligne passant, dans la direction nord-sud, par Berthier (pts 43 et 38), Joliette ( p t 4 2 ) , Verch^res (pt 83) et Saint-Jean (pt 80), ä cote de pattelette (ä l'ouest de cette ligne, v. ci-dessous, n° 58) et d e ß y (presque partout) (PPQ, q. 1928 ; Lavoie, q. 2581). Atteste en fran9ais depuis 1680 (TLF et RobertHist). 5. Brülette [bRylEt] n. f. 0 Ciboulette. Releve essentiellement dans l'Est, depuis une ligne passant, du nord au sud, par Montmorency ( p t 2 2 ) et Bellechasse (pt 123), ä cote de ciboulette, releve quant ä lui ä peu prös partout (PPQ, q. 9 1 6 ; Lavoie, q. 1187). Atteste seulement dans la documentation canadienne ; dörive de brüler.

18

33

30 ^ ^ ^ ^ ' > 7

122

119 S! "5 "" ,-'91 9910H 3 1,3 112! l t 00 ® liS 110

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31 51 a «2 56_ IM !6

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25

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/

;

Les parlers de l 'Est et de l 'Ouest quebecois : essai de caracterisation

99

linguistique

6.

Cani, ie [kani] adj. 0 Moisi. Releve essentiellement dans > canl (Est; l'Est, depuis une ligne passant par Montmorency (pt22), sur la rive nord du Saint-Laurent, puis par L6vis (pt 117), la Beauce (pt 114), Frontenac (pts I I I et 109), Sherbrooke (pt 97) et Stanstead (pt 96) «3 sur la rive sud, jusqu'en Acadie, ä cote de tnoisi, relev6 partout (PPQ, q. 187; Lavoie, q. 2266 ; Massignon, q. 1306). Hörite de France : releve dans les parlers du Nord-Ouest et donne comme appartenant au vocabulaire maritime par certains dictionnaires depuis 1773 (DFQ, sous Canir; Brasseur, 1996 : 1617).

7.

Carcan [kankä] n. m. 0 (Souvent dans carcan du cou) Clavicule. Relev6 principalement ä Test d'une ligne nord-sud passant par Montcalm (pt50), Argenteuil et Deux-Montagnes (pt 48), I'ile Jesus (pt 45), Laprairie (pt 79) et Chäteauguay (pt 78); ä l'ouest de cette ligne, on — dit plutöt anse du cou (v. ci• > carcan (du cotij (Esl) • - - - • an» du cou (Ousstl dessous, n° 26), sans compter V / cercle du cou (releve un peu partout, y compris dans l'Est) (PPQ, q. 2129 ; Lavoie, q. 2370). 32 a 26 14 3! 26 „ Atteste seulement dans la docutir 122 1 T21 mentation canadienne ; se rattache I I 36 ä carcan «collier de fer pour 37/'^ 'äl 39 "2 120 W attacher un criminel au pilori», i08 ^ atteste dans la documentation fran^aise depuis le XII® siede

7/

,

( F E W 2, 3 6 1 a , CARCANNUM).

100

Claude Verreault et Thomas Lavoie

8.

Cavreau [kavRo] n. m. 0 Reduit, placard manage sous un escalier et destinö au rangement du bois de chauffage et de divers objets d'utilite courante. Releve principalement dans l'Est, ä partir d'une ligne passant, du nord au sud, par Champlain (pt28), Lotbiniöre ( p t l l 6 ) , la Beauce (ptll4), Frontenac (pt 109), Compton (pt 106) et Stanstead (pt 94); ä l'ouest de cette ligne, on utilise plutöt cabaneau (v. ci-dessous, n° 32) (PPQ, q. 70a et 112; Lavoie, q. 1924 ; Massignon, q. 1147). Atteste seulement dans la documentation canadienne (DHFQ); cp. cependant cavreau «petite cave » en franfais des XVI° et X V I s i t e l e s , puis dans les parlers du Nord-Ouest, de l'Ouest et du Centre de la France (DFQ ; DHFQ).

9.

Chanteau [Jäto] ou (plus souvent) chäteau [foto] n. m. 0 Patin arque d'une chaise berceuse. Releve essentiellement dans l'Est, depuis une ligne passant, du nord au sud, par Portneuf (pts 29, 26 et 25), Lövis ( p t l l 7 ) et la Beauce (pt 120), jusqu'en domaine acadien; ailleurs au Quebec, on utilise plutöt berceau (relevö un peu partout, mais plus sporadiquement dans le Bas-SaintLaurent et en Gaspesie) et berce (principalement dans le CentreSud); en Acadie, on recourt surtout ä rouloire (PPQ, q. 123 ; Lavoie, q. 1998; Massignon, q. 1166). Atteste seulement dans la documentation canadienne ; a cependant dü se dire en France pour designer les pieces de bois sur lesquelles se balance un berceau, comme l'indique chateaux de bers, releve en 1789 dans la documentation quebecoise (v. Juneau, 1972 : 249); cp. par ailleurs cantiaux « pieces de bois sur lesquelles se balance un berceau » en normand, chanteau « petite douve qui termine le fond d'un tonneau, d'un moulin ä vent », atteste dans la documentation franfaise depuis 1680 (des 1271 sous la forme chantel) (FEW 2, 230a, CANTHUS ; TLF).

Les parlers de l 'Est et de l 'Ouest quebecois : essai de caracterisalion

101

linguistique

10. Fournil [fliRni] n. m. 0 Allonge au corps principal d'une maison, oü Ton sejourne habituellement en etö. Relevö essentiellement dans l'Est, depuis une ligne passant, du nord au sud, par Joliette (pts42 et 39), Yamaska (pt91) et Brome (pt93), ä c6t6 de cuisine d'ete, relev6 un peu partout (PPQ, q. 28 ; Lavoie, q. 1816). N ' a pas releve comme tel ailleurs qu'au Canada; cp. cependant fournil « piece attenante au four, oü l'on p6trit la päte », atteste dans la documentation fran9aise depuis le Xll^ siöcle, et «local muni d'un foumeau, oü l'on fait la lessive», depuis Bescherelle 1845 (FEW 3, 904b, FURNUS).

11. Haie [(h)al] n. f. QU m. 0 Tirage d'une cheminee. Relevö essentiellement dans l'Est, depuis une ligne passant, du nord au sud, par Berthier (pt 37), Richelieu (pt 85), Richmond (pt 98) et Stanstead (pt 94), jusqu'en Acadie, ä cote de tire, releve quant ä lui un peu partout (PPQ, q. 86 ; Lavoie, q. 2029). Attestö seulement dans la documentation canadienne; cp. hol n. m. « action, effort de tirer» en nonnand (FEW 16, 131b, germanique occidental •halon). 12. Journaux buRno] n. m. pl. 0 Dans la croyance populaire, nom donn6 aux douze jours qui suivent Noel et qui annoncent le temps qu'il fera au cours de chacun des douze mois de la nouvelle annee. Relevö principalement dans l'Est, depuis une ligne passant, du nord au sud, par Montmorency (pt 23) et Montmagny (pt 124), ä cote de aJets, releve quant ä lui de fafon

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102

Claude Verreault et Thomas Lavoie

plus importante ä l'ouest de cette ligne (v. ci-dessous, n°25) (PPQ, q. 1139; Lavoie, q. 43 ; Massignon, q. 1807). Atteste seulement dans la documentation canadienne. 13. Larguer [laRge] V. tr. 0 Laisser tomber (qqch.) accidentellement, le laisser echapper. Sur la rive nord du SaintLaurent, relevö surtout depuis Charlevoix (pt20) jusque sur la Cöte-Nord et, sur la rive sud, depuis le Bas-Saint-Laurent (pt 129) jusqu'en Acadie, ä cote de echapper, relev6 partout (PPQ, q. 184 ; Massignon, q. 1236). Herit6 de France: relev6 dans les dictionnaires depuis Tr^voux 1771 jusqu'ä Landais 1851, ainsi que dans les parlers du Nord, du Nord-Ouest et de l'Ouest (FEW, 5, 1 8 7 a , LARGUS).

14. Marionnettes [maRjonet] n. f. pl. 0 Phenomdne meteorologique consistant en l'apparition d'une serie de bandes ou d'arcs lumineux dans le ciel des regions nordiques. Releve essentiellement dans l'Est, depuis une ligne passant, sur la rive nord du Saint-Laurent, par Champlain (pt 30) et, sur la rive sud, par Nicolet (pts 100 et 99), Arthabaska (pt 103), Richmond (pt 98) et Stanstead (pt 94), jusqu'en Acadie, ä cote de clairons (surtout dans le Centre, dans Charlevoix et au Saguenay-LacSaint-Jean), tirants (principalement dans le Centre-Sud), signaux et aurore boreale (surtout dans l'Ouest, V. ci-dessous, n"' 27 et 62) (PPQ, q. 1161 ; Lavoie, q. 66 ; Massignon, q. 68). Atteste seulement dans la documentation canadienne; cp. cependant marionnette « eclair de chaleur » en Bretagne romane et mariennette « vibrations de l'air echauffö au contact du sol pendant les grandes chaleurs » en Anjou (Massicotte, 1978 : 45).

Les parlers de l'Esl et de iOuest quebecois : essai de caraclehsation

103

linguistique

15. Menoire [manwcR] ou [manweR] n. f. 0 Brancard. Relev6 essentiellement dans t • menoim Sal'Est, depuis une ligne passant, sur » - - - • travaHfOuesti la rive nord du Saint-Laurent, par Champlain (pt 31) et Saint-Maurice (pt34) puis, sur la rive sud, par ® Yamaska (pt91), Bagot (pt89, 30 Zi^f Brome (pt 93) et Stanstead (pt 94), 'w , "5 IM 119 jusqu'en Acadie ; ä l'ouest de cette ^ 113 U! 120 , ligne, on utilise plutöt travail (v. ci-dessous n° 68) (PPQ, 9T 'WT / q. 1119 ; Massignon, q. 678). Herit6 de France: atteste en moyen franfais (sous la forme menueres) ainsi que dans les parlers du Nord, du Nord-Ouest et du Centre (FEW 6/2, 1 0 3 b , MINARE).

16. Panse-de-vache [päsdavaj^ n.f. 0 Fondriöre due ä la gelöe. Relev6 essentiellement dans l'Est, depuis une ligne passant, du nord au sud, par Charievoix (pt 20) et L'lslet (pts 127 et 126), jusqu'en Acadie; ailleurs au Quebec, on utilise plutöt ventre-de-bceuf (v. cidessous, n°69) et panse-de-bauf (surtout dans le Centre) (PPQ, q. 1071 ; Lavoie, q. 180). Atteste seulement dans la documentation canadienne. 17.

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Pinturon [petyRÖ] ou paturon

[patyRo] n. m .

0 Excroissance ligneuse qui se developpe sur certains arbres. Relev6 essentiellement dans l'Est, depuis une ligne passant, du nord au sud, par Montmorency (pt22), M6gantic (pts 115 et 113), Sherbrooke (pt 97) et Stanstead (pt 94), ä cöte de Champignon (surtout dans l'Ouest et en Acadie, V. ci-dessous, n° 33) et de punk (surtout dans l'Ouest, v. ci-

> pMuron oti paturon {Est) I ctBmpigiKmlOuestj - • pgnkiOuesij 32 »» 26 '

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104

Claude Verreault et Thomas Lavoie

dessous, n° 59) (PPQ, q. 1262 ; Lavoie, q. 369). Releve seuletnent dans la documentation canadienne; il doit s'agir d'une Variante ancienne de potiron « sorte de gros Champignon », älteste dans la documentation fran9aise depuis le XV' siede, mais donn6 comme vieux ou comme rdgionalisme de l'Ouest de nos jours (FEW 19, 49b, arabe FUTR ; RobertHist; GLLF ; Robert 1985 et 2001). 18. Queue-de-poelon [k0tpwElo] ou queue-de-po§lonne [k0tpwebn] n. f. 0 Tetard de grenouille. Releve surtout dans l'Est, — • qiies»^ie-j)o«lon ou twufne (d* gomm) (Ouesl)

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Atteste seulement dans la documentation canadienne; analogique de vessie « petite ampoule sur la peau », attestö en lTan9ais de France depuis le X I V siede jusqu'ä la fm du XIX" (FEW 14, 341b, VESICA; RobertHist).

Les parlers de l 'Est et de l Ouest quebecots : essai de caracterisation

B)

linguistique

107

Regionalismes de l'Ouest

25. Ajets [a3e] ou [asa] n. m. pl. 0 Dans la croyance populaire, nom donne aux douze jours qui suivent Noel et qui annoncent le temps qu'il fera au cours de chacun des douze mois de la nouvelle annee. Relevö principalement dans l'Ouest, depuis une ligne passant, du nord au sud, par Portneuf (pt 27), Nicolet (pt 101), Frontenac (pt 109), Compton (pt 106) et Stanstead (pt 9 6 ) ; ä Test de cette ligne, on recourt plutot ä journaux (v. ci-dessus, n° 12) (PPQ, q. 1139; Lavoie, q. 43 ; Massignon, q. 1807). Heritage dialectal: releve dans les parlers du Nord-Ouest fran9ais (FEW 24, 159b, ADJECTUM).

26. Anse [äs] n. f. 0 Anse du cou : clavicule. Relevö exclusivement dans l'Ouest, depuis une ligne passant par Terrebonne (pts 49 et 46), Sur la rive nord du Saint-Laurent, puis par Beauhamois (pt 77), sur la rive sud ; ä Test de cette ligne, on dit plutot carcan (du cou) (v. ci-dessus, n° 7) (PPQ, q. 2129 ; Lavoie, q. 2370). Heritage dialectal: relevö en lorrain (FEW 24,633b, ANSA). 27. Aurore [ORDR] n. f. 0 Aurore boreale : ph^nomene meteorologique consistant en l'apparition d'une s6rie de bandes ou d'arcs lumineux dans le ciel des regions nordiques. Relev6 surtout dans l'Ouest, depuis une ligne passant, sur la rive nord du Saint-Laurent, par Portneuf (pt 29) et Champlain (pt 28) puis, sur la rive sud, par Nicolet (pt 100), Wolfe (pt 104) et Frontenac (pt 107), ä cöte de signaux (v. ci-dessous, n°62), clairons (surtout dans le Centre, dans Charlevoix et au Saguenay-Lac-Saint-Jean), tirants (principalement dans le Centre-Sud) et marionnettes (surtout dans l'Est, v. ci-dessus, n° 14) (PPQ, q. 1161 ; Lavoie, q. 66 ; Massignon, q. 68). Dans la documentation fran9aise, atteste une fois en 1646, puis regulierement depuis 1704 (FEW 25, 1017a, AURORA). 28. Barbe [baab] n. f. 0 Chacune des pointes effilees des epillets de l'orge. Releve surtout dans l'Ouest, depuis une ligne passant, sur la rive nord du Saint-Laurent, par Portneuf (pts 29 et 27) et, sur la rive sud, par Megantic (pt 115), Frontenac (pts 112 et 107), Compton (pt 106) et Stanstead (pt96), puis en domaine acadien; ä Test de cette ligne, on utilise plutot barbillon (v. ci-dessus, n° 3) (PPQ, q. 769 ; Lavoie, q. 1061). Atteste dans la documentation franfaise depuis 1680 (v. TLF, sous Barbe-\).

108

Claude Verreault et Thomas Lavoie

29. B o u f r i e ( l ) [ b u f i ] n . f . 0 Ampoule, cloque sur la peau. Releve principalement dans l'Ouest, ä partir d'une ligne passant, du nord au sud, par Champlain (pt30), Nicolet (pt 101) et Sherbrooke (pt 97), ä cote de ampoule (un peu partout) (PPQ, q. 2215 ; Lavoie 2451 ; Massignon, q. 1543).

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43

122 1

Heritage dialectal: releve en poitevin et en dauphinois (FEW 1, 596b, BUFF-). 30. Bouffie (2) [bufi], parfois [bofi] n. f. 0 (Seul ou dans bouffie de gomme) Ampoule de resine sur l'ecorce d'un arbre. Releve principalement dans l'Ouest, depuis une ligne passant, sur la rive nord du SaintLaurent, par Portneuf (pt 29) et Champlain (pt 28), puis, sur la rive sud, par Nicolet (pt 101), Arthabaska (pt 102), Wolfe (pt 105) et Frontenac (pt 107), avec quelques points en domaine acadien; ä Test de cette ligne, on utilise plutot vessie (v. ci-dessus, n° 24) (PPQ, q. 1632; Lavoie, q. 372). Atteste seulement dans la documentation canadienne; analogique de bouffie « ampoule, cloque sur la peau »(v. ci-dessus, n° 29). 31.

Breeching [bRitJm] n. f. 0 Avaloire. Releve dans l'Ouest depuis une ligne nord-sud passant par Labelle (pt51), Argenteuil et DeuxMontagnes (pt 48), Vaudreuil (pt 74) et Huntingdon (pt 76), puis en Acadie, ä cötö de acculoire (presque partout) et avaloire (surtout dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspesie) (PPQ, q. 4 4 0 ; Lavoie, q. 1548). Emprunte ä l'anglais (Verreault et Lavoie, 2000 : 201).



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32. Cabaneau [kabano] n. m. 0 Reduit, placard menage sous un escalier et destin6 au rangement du bois de chauffage et de divers objets d'utilit^ courante. Releve principalement dans l'Ouest, ä partir d'une ligne passant, du nord au sud, par Portneuf (pt 29), Lotbiniere (pt 116), Mögantic (pt 115), Wolfe (pt 104), Brome (pt 93) et Missisquoi ( p t 8 1 ) ; ä Test de cette ligne, on utilise plutot cavreau (v. ci-dessus, n° 8) (PPQ, q. 70a et 112 ; Lavoie, q. 1924 ; Massignon, q. 1147).

Les parlers de l 'Est et de l Ouest quebecois

: essai de caracterisation

linguistique

109

Attest^ seulement dans la documentation canadienne ; d6rive de cabane. 33. Champignon [fäpijiS] n. m. 0 Excroissance ligneuse qui se döveloppe sur certains arbres. Relevö surtout dans l'Ouest, depuis une ligne passant, du nord au sud, par Portneuf (pt25), Nicolet (pt 101), Arthabaska (pts 102 et 103), Wolfe (pt 104), Megantic (pts 115 et 113), Frontenac (pts 108 et 107), Compton (pt 106) et Stanstead (pt 96), ä cöte de punk (dans la meme zone, v. ci-dessous, n° 59) et de pinturon (surtout dans l'Est, v. ci-dessus, n° 17) (PPQ, q. 1262 ; Lavoie, q. 369). Atteste dans la documentation franfaise depuis le XIV' siede (FEW 2, 152b, CAMPANIA).

34. Cintre [set(R)] n. m. 0 Aux deux extremites d'une piece de terre, d'un champ, endroit oü peut toumer la charrue. Releve surtout dans l'Ouest, depuis une ligne passant par Portneuf (pt 29), sur la rive nord du Saint-Laurent, ainsi que par Lotbini^re (pt 116), Arthabaska (pt 102), Shefford (pt 88), Stanstead (pt 95), Sherbrooke (pt 97) et Compton (pt 106), sur la rive sud ; ä Test de cette ligne, on utilise plutot adout (v. ci-dessus, n° 1) (PPQ, q. 736 ; Lavoie, q. 1025 ; Massignon, q. 635). Atteste seulement dans la documentation canadienne; Variante de chaintre, terme d'origine poitevine qui a pdnetre dans le vocabulaire de l'agricuiture en France (TLF). 35. Cliche [klij] n. f. 0 Diarrhee. Relev6 principalement dans l'Ouest, ä partir d'une ligne passant, du nord au sud, par Montcalm (pt 50), Richelieu (pt 85), Shefford (pt 88) et Missisquoi (pt 81), ä cöte de ßtix, Cholera et va-vite, tous les trois releves un peu partout (PPQ, q.2211 ; Lavoie, q. 2515). Mot d'origine normande qui, en France, a p^netre dans la langue populaire oü il est attestö depuis 1836 (TLF; GLLF; FEW 17, 153a, ancien francique *SLITAN).

110

Claude Verreault et Thomas Lavoie

36. Col [kol] n. m. 0 Cravate. Relev6 principalement dans rOuest, ä partir d'une ligne passant, du nord au sud, par Champlain (pts 31 et 30), Nicolet (ptlOl), Drummond (pt92), Sherbrooke (pt97) et Stanstead (pt95), ä cote de cravate, releve quant ä lui ä peu prds partout (PPQ, q. 1919). Heritage dialectal: releve en champenois; cp. en outre col « cravate sans bouts, qui s'agrafe derriere le cou », attest6 dans les dictionnaires depuis Academie 1740 jusqu'ä DG (FEW 2,915a, COLLUM). 37. Dipper [dipccR] n. m. 0 Grand, gros dipper: grande Ourse. Petit dipper : petite Ourse. Relev6 dans l'Ouest, depuis une ligne passant par Saint-Maurice (pt34), sur la rive nord du SaintLaurent, ainsi que par Mdgantic (pt 115) et Frontenac (pt 107), sur la rive sud, puis en domaine acadien, ä c6t6 de grande Ourse et petite Ourse (un peu partout) (PPQ, q. 1151 et 1152 ; Lavoie, q. 54 et 55 ; Massignon, q. 49 et 50). Emprunte ä l'anglais (Verreault et Lavoie, 2000:201-202). 38. Drague [dRag] ou [daaj] n. f. 0 Pätöe des porcs. Releve exclusivement dans l'Ouest, depuis une ligne passant par Saint-Maurice (pt34), sur la rive nord du Saint-Laurent, puis par Laprairie (pt 79) et Chäteauguay (pt 78), sur la rive sud, ä c6t6 de bouette (ä peu pres partout), pätee (surtout au Saguenay-Lac-Saint-Jean) et feed (surtout en Acadie, v. Verreault et Lavoie, 2000 : 197) (PPQ, q. 551 ;

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Les parters de l 'Est et de l 'Ouesl quebecois : essai de caracterisation

III

linguistique

Massignon, q. 945). Probablement un heritage dialectal: cp. draque «betteraves hachees en menus morceaux que l'on m61ange avec de la courte paille ou du son et qu'on donne aux vaches » en picard (FEW 3, 156b, *DRASCA) ; cp. par ailleurs drave « fourrage de grains mel^s » en ancien frangais (FEW 3,157b, gaulois DRAVOCA). 39. Egrdmiller [egRemije] v. tr. 0 Emietter (du pain). Releve essentiellement dans rOuest, depuis une ligne passant, sur la rive nord du Saint-Laurent, par Berthier (pts 43 et 38) et Joliette (pt42) ainsi que, sur la rive sud, par Vercheres (pt 83) et Iberville (pt 82), puis en Acadie, ä cote d'emietter et d'egrainer, relevös ä peu pres partout (PPQ, q. 195 ; Lavoie, q. 2262; Massignon, q.l313). Höritage dialectal: bien atteste dans les parlers d'oil (FEW 4, 287b-288a, GRUMUS). 40. Empanner [äpane] v. intr. et pron. 0 S'enfoncer, s'enliser (dans la neige, dans la boue). Relev6 principalement dans i'Ouest, depuis une ligne passant, sur la rive nord du SaintLaurent, par Portneuf (pt29) et 16 „-"X--Champlain (pt 30) puis, sur la rive - - - • (s'jempanner (Ouestj sud, par Arthabaska (pt 102), • - « stuck« (Ouesl) 19/ / Bagot (pt89), Shefford (pt 88) et • / / / Missisquoi (pt81), ä cote de stucker (dans la meme zone, v. ciV. 32 a / dessous, n°65), de (s')ancrer 43 42 (surtout dans les environs de [ ® ./"löO < "5 114 119 ' 38 36' Montreal et en Abitibi-T^misca57 mingue), puis de s'embourber et 56 J, m ^ ..... ,t ^ ^ _ * ' 1.m 07 caler (ä peu pres partout) (PPQ, äf r 9 6 q. 1068 et 1086; Lavoie, q. 175 et »i 96 » 78 176 ; Massignon, q. 654 et 657). Attest^ seulement dans la documentation canadienne ; decoule de empanner v. tr. « mettre (un vaisseau) en panne, en disposer tellement les volles qu'il n'avance pas », atteste dans la documentation frangaise depuis le XVlIf siede (FEW 8, 530a, PINNA ; Robert 1985 et 2001).

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112

41.

Claude Verreault et Thomas Lavoie

E n f a i t e r [äfate], parfois [äfete] • entaTlef{Oue«j v.tr. 0 Remplir ä ras bord, par-dessus 80,. bord. Relev6 principalement dans r O u e s t depuis une ligne passant, a 27 J?/' --'"^tJ 1» 'S, k du nord au sud, par Berthier (pts 43 IIS «1 , 50 1!5 114 HS ' et 37) et Laprairie (pt 79), puis en 49 äs !13 m IK 5 55 Acadie, ä cote de combler, faire ou at äf> S? 1 •G9III HO 54 mettre un comble, relev^s un peu Iffi partout (PPQ, q. 879b ; Massignon, q. 1420). Atteste dans la documentation fran9aise depuis 1872 et r^pandu dans plusieurs parlers d'oil (FEW 15/2, 131a, ancien francique * F I R S T ; Robert 1985 et 2001, qui le donne comme rare).

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42.

16 I T v Envieux [äyjo] n. tn. • envieux (Ouest) 0 Petite peau qui se souleve sur le «y / pourtour des ongles. / / Releve principalement dans « 2«6 9 4 / 38 29 rOuest, depuis une ligne passant, sur la rive nord du Saint-Laurent, par Terrebonne (pt 49), Argenteuil .50 4! 39 X' et Deux-Montagnes (pts 48 et 47) 57 puis, sur la rive sud, par Laprairie 68 ( p t 7 9 ) et Chäteauguay ( p t 7 8 ) , ä SS cote de reculons (presque partout) ' 7K 71 -i an ® 81 94 96 (PPQ, q . 2 1 3 9 ; Lavoie, q. 2477 ; Massignon, q. 1537). Attest^ seulement dans la documentation canadienne ; derive de envie, atteste dans le meme sens dans la documentation fran9aise depuis 1640 (FEW 4, 799b, I N V I D I A ) .

/

43.

Fillot [fijo] n. m. Filleul. Releve principalement dans rOuest, depuis une ligne passant par Saint-Maurice (pt 34), sur la rive nord du Saint-Laurent, ainsi que par Drummond (pt 92) et Compton (pt 106), sur la rive sud, puis sur la C6te-du-Sud et dans le Bas-Saint-Laurent, ä cotö de ß/h/, releve quant ä lui un peu partout (PPQ, q. 1806; Lavoie, q. 2732 ; Massignon, q. 1931).

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113

Les parlers de l Est et de l 'Ouest quebecois: essai de caracterisation linguistique

Herit6 de France : älteste en ancien francomtois, puis en fran9ais du XVl^ s i e d e ; repandu par ailleurs dans bon nombre de parlers d'oil (FEW 3, 519a, FILIOLUS). 44.

Foutreau [fiitRo] n. m. Vison. Releve dans 1'Ouest, depuis une ligne passant, sur la rive nord du Saint-Laurent, par Champlain (pt 33) et Maskinonge (pt 35) ainsi que, sur la rive sud, par Verchöres (pts 84 et 83), puis en domaine linguistique acadien, ä c6t6 de vison (presque partout) (PPQ, q. 1588; Lavoie, q. 6 6 1 ; Massignon, q. 380). Atteste seulement dans la documentation canadienne; d'origine incertaine (Pellerin, 1978 : 54-56). 0

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45.

Fr^dileux, euse [fkedila, 0z], parfois [fkedije, 0z] adj. et n. 0 (Personne) qui est frileuse. __ "TV Relevö principalement dans » - - - • (rtdlleuxSOuest) 18/ rOuest, depuis une ligne passant par Saint-Maurice (pt 34), sur la rive nord du Saint-Laurent, ainsi 127 136 que par Richelieu (pt85), Saint32 29 26 5 2 4 31 123 156, Hyacinthe (pt 87), Shefford (pt 88), 122 I « ne ne «1 ; Brome (pt 93) et Missisquoi r,4 113 (pt81), sur la rive sud, puis en (10 domaine acadien, ä cote de frileux, relevö partout (PPQ, q. 2 1 9 1 ; Massignon, q. 1596). M aii' * / Höritage dialectal: releve dans les parlers du Centre sous la forme ferdilleux; cp. en outre froidileus, atteste dans le meme sens en ancien et en moyen fran9ais (FEW 3, 798b, FR]GIDUS).

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114 46.

47.

Claude Verreault et Thomas Lavoie

Garde-chien [gaRdaJje], parfois [gaRdajjä] n. m. 0 Bedeau. Releve principalement dans rOuest, ä partir d ' u n e ligne passant, du nord au sud, par Champlain (pt28), la Beauce (pt 114) et Frontenac (pts I I I et 109), ä c6t6 de bedeau, relevö quant ä lui ä peu pres partout (PPQ, q. 1763 ; Massignon, q. 1917). Sans doute une cr^ation canadienne. Gomme, ie [gome] adj. Ivre. Relevö principalement dans rOuest, ä partir d ' u n e ligne passant, du nord au sud, par Champlain (pt28), Nicolet (pt 101), Arthabaska (pt 103), Frontenac ( p t l l l ) et Compton (pt 106), ä cöt6 de soü/ et paquete, tous les deux relevös presque partout (PPQ, q. 2 6 8 a ; Lavoie, q. 2 2 7 9 ; Massignon, q. 1363).

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3.

Variantes morphologiques

Nous ne nous sommes arrete que tres brievement sur les aspects morphologiques des deux parlers compar^s. Un survol rapide des mots du lexique revele, dans les deux zones, des archaismes bien attestes ailleurs au Canada fran9ais, tels que l'emploi de ä et de de pour introduire l'infinitif complöment de certains verbes (aimer ä, essayer ä, ainsi que croire de, penser de, esperer de). L'emploi du clitique ce que semble universel dans les constructions quoi ce que, qui ce que, quand ce que, ivou ce que, comment ce que, etc. Pour ce qui est de la construction des mots, ici encore, une 6tude approfondie serait necessaire pour determiner la distribution de suffixes et de prefixes dans les deux zones ; ä en juger par la recolte de mots en -age, les habitants des deux Cotes manifesten! bien la creativite des Canadiens-franfais en ce qui a trait ä ce suffixe. En distribution plus ou moins egale, on releve une cinquantaine de derivös : arretage, barattage « bataille, dispute », boulangeage, bourrage, braillage, brenage (Variante de brenante « brunante »), büchage, buvage, chamaillage, chantage, charroyage, corrigeage, coupage, couraillage, cultivage, dansage, drogeonage « enlever les drageons des plants de tabac », endodichage « action d'endormir, d'endorlicher », environnage, ßtage, frottage « onguent », herbages « mauvaises herbes », jouage, lamentage, lyrage « action de lyrer, pleurer », machinage, mächouillage, mangeage, mangeaillage, mouvaillage, parcage, parlage, pensage, plantage, ramage, repetage, saccage « une grande quantite », seinage « peche ä la seine », tirage, virage, voisinages et l'incomparable voyageage. Une distinction notable, cependant, concerne la formation d'adjectifs en -eux; la frequence de ce suffixe est beaucoup plus ölevee ä la Cote du lac Sainte-Claire, oü l'on en releve plus de 25 exemples : agaceux «taquin », amancheux « qui a des manieres ou des fa9ons pretentieuses », bousieux « ( s e dit de la terre) dans laquelle on s'enfonce en marchant », bretteux « lambin, tramard », cacasseux « bavard », caleux « (se dit de la terre) dans laquelle on s'enfonce », cendreux «(se dit de la terre) dans laquelle on s'enfonce en marchant», chienneux «paresseux», cöteux « ( s e dit d'un) terrain accidente», crasseux « riche », criailleux « qui crie souvent », croüteux « ( s e dit de la neige) dont la surface est

204

Marcel Beneteau

durcie », elriveux « taquin », figureux « lambin », flatteux « qui aime ä se faire caresser », fourgailleux « fläneur », gratteux « avare », licheux « flatteur », lyreux « pleurnicheur », piauleux «(enfant) qui piaule », pineux «(homme) qui court apres les femmes », sableux « (se dit de la terre) qui seche toujours », vanteux « vantard », vaseux « glaiseux », viandreux « gras». Ä la Cote du Detroit, par contre, on n'en releve que quatre exemples: crasseux (avec une acception lögerement difförente, « riche » au lieu de « avare », licheux (qui alterne aussi avec licheur),jongleux « inquiet » et mousseux « veloute ».

4.

Variantes lexicales

C'est sur le plan lexical que les 6carts entre les deux groupes s'averent les plus significatifs. Nous avons departag^ le vocabulaire archai'que et regional en trois sous-ensembles ou lexiques : le Lexique 1 regroupe les mots releves seulement ä la Cote du Detroit; le Lexique II reunit les mots recueillis exclusivement ä la Cote du lac Sainte-Claire ; le Lexique III est constitu^ des emplois communs aux deux zones. Chacun de ces lexiques se distingue par des caract^ristiques propres. Une premiere difference apparait quand on compare leur contenu avec l'usage qui a cours ailleurs au Canada fran9ais : la distribution n'est pas la meme. Les vocables du Lexique III, c'est-ä-dire ceux communs aux deux populations, sont pour la plupart (88 %) largement attestes ailleurs au Canada fran^ais. On y retrouve tous les canadianismes bien connus, tels que mitaines, bordee, banc de neige, capot, culottes, diner, Souper et bien d'autres sur lesquels nous ne nous attarderons pas. Les mots du Lexique II, recueillis seulement ä la Cöte du lac Sainte-Claire, ont aussi tendance ä etre bien attestös ailleurs au Canada franfais (67 %). Toutefois, un tiers de ces archaismes et regionalismes semble specifique ä la region, d'apres les ouvrages consultes ; il est vrai, cependant, que la grande majoritö de ces mots sont des constructions telles que les deriv6s en -eux de la s^rie mentionnee ci-dessus et d'autres derives construits ä partir de mots connus ailleurs au Canada franfais, tels que poussettes « broussailles »,fardocher (apparente ä effardocher mentionn^ dans le Glossaire du parier frangais au Canada), baillarger (de baillarge « orge »), s'abouser « s'embourber », äger « vieillir », alarme « en larmes », morvailler « pleumicher », guenillon « homme en guenilles ». Les locuteurs de cette zone semblent davantage portös ä creer de nouveaux vocables qu'ä maintenir de vieux vocables herites du XVIII' siede. Les mots du Lexique I, c'est-ä-dire ceux recueillis exclusivement ä la Cöte du Detroit, dans la plus ancienne colonie, sont moins largement distribues. Seulement 49 % d'entre eux sont attestes ailleurs au Canada fran9ais, d'apres les ouvrages consultes. Pour le reste, et dans une proportion elevee, ils ne sont attestes ailleurs que tres sporadiquement, dans certaines regions de France ou ä l'intörieur du continent nord-americain (v. surtout Carriere, 19371939 ; Dorrance, 1935 ; McDermott, 1941); plusieurs röferent ä la specificite g^ographique et historique de cette premiere zone de peuplement. Nous en mentionnons ici quelques echantillons : affroque « amitie », relev6 seulement dans la Muse normande ; apparteneurs « proche parente des mari^s » ; bouillon « fete, festin », egalement recueilli au Missouri par J.-Medard Carriere ; bousure « petite armoire sous un escalier » ; faire le cagou « bouder, pleumicher»; couiche-couiche «cochon », un emprunt ä une langue algonquienne;

Variantes [...] dam le frangais des deitx groupes colonisateurs de la region du Detroit

205

depantenne « mal habille, d^penaille », sans doute du terme maritime en pantenne « en dösordre » ; derouine « voyage, excursion » ; egouinche « infirme, estropi^ » ; fagot « crepinette »;ßrou « anus », un autre emploi qui n'est attestö que dans la Muse normande ; licharde « lambeau de peau » ; marlie ä chässis « moustiquaire » ; ouindigo « poisson castor», autre emprunt aux langues amerindiennes; et enfin tailler «travailler fort, aller vite, forcer, etre ä peine, etc. », un verbe extremement polysemique qui a aussi ete releve au Missouri par Carriere dans des acceptions semblables. Le temps ne permet pas de dresser l'inventaire complet de cette richesse lexicale, mais nous allons commenter brievement trois sous-ensembles onomasiologiques qui illustrent bien les particularites du lexique du Detroit: les emplois relatifs ä la faune indigene, ceux relatifs ä la göographie physique et enfin les sacres et jurons.

4.1. Nomenclature populaire de la faune indigene Le nombre de mots relevant de la nomenclature populaire de la faune indigene qui ont ete recueillis ä la Cöte du Detroit (111) est deux fois plus eleve que celui des emplois rencontrös ä la Cöte du lac Sainte-Claire (55). On a vu que, pour le premier groupe colonisateur, la peche, la chasse et la traite des fourrures ont joue un röle important au XVIII^ et au XIX' siede ; dans certaines familles, ces activites ont persistö jusqu'ä tres recemment. Voilä sans doute ce qui explique l'importance de cette composante dans le vocabulaire de ce groupe. 11 faut toutefois souligner que cette difference est peut-etre due au fait que les francophones de la Cöte du lac Sainte-Claire designent la faune indigene en ayant recours aux noms usuels fran9ais ou encore ä des noms anglais. Les mots suivants, recueillis exclusivement ä la Cöte du lac Sainte-Claire, appuient cette deuxieme Hypothese : menaud « vairon », souris de chevreuil « espece de mulot (Peromyscus maniculatus)» et travaillant « abeille femelle » semblent calques sur les dösignations anglaises {minnow, deer mause, worker bee); on peut aussi citer la Variante phonetique truite samonee «truite saumonee » que Hull attribue aussi ä l'anglais. Mais de tels exemples laissent ä penser que, pour dösigner la faune indigene, les locuteurs de la Cöte du lac Sainte-Claire ont davantage alimente leur lexique ä partir de sources savantes ou mediatiques qu'ä partir d'un mode de transmission li6 ä un contexte traditionnel et familial. Le vocabulaire de la Cöte du Detroit foisonne par contre de noms d'animaux qui ne figurent pas dans les ouvrages consultös : seulement 38 % d'entre eux sont attestes ailleurs au Canada franfais. La liste de ces dönominations constitue l'une des principales richesses lexicales du Detroit et m6rite d'Stre presentöe ici au complet (v. liste 1). En plus, on retrouve ä la Cöte du Detroit une quantitö de mots attestes seulement dans le franfais de 1'Interieur : marionnette « petit garrot (Bucephala albeola) », espece de canard d6jä mentionn^e par le pere Potier; aussi bete-ä-cornes «cerf-volant {Pseudolucanus capreolus) » ; perdreau « colin de Virginie (Colinus Virginianus) » et rat de bois « opossum (Didelphis virginiana) ». Deux autres mots de 1'Interieur sont partagös par les deux zones : caille des prairies « sturnelle des pres (Sturnella magna) » et canard de France « malard colvert {Anas platyrhynchos) ». Aucun mot de l'interieur ne figure dans le vocabulaire sp6cifique ä la Cöte du lac Sainte-Claire. Meme dans le groupe restreint de mots releves exclusivement dans cette zone, nous trouvons des canadianismes qui different de ceux employes ä la Cöte du Detroit (v. liste 2).

206

Marcel Beneteau Liste 1 D^oominations de la faune indigine (Cöte du Ditroit)

achigan ä grande gueule achigan ä petite gueule

« achigan ä grande bouche (Micropterus salmoides) » « achigan ä petite bouche (Micropterus dolomieui)»

batte-feu bourdeau canard de bois

« räle de Virginie (Rallus limicola) » « col6optere du genre Phyllophaga » ; « canard branchu (Aix sponsa)» (peut-^tre un anglicisme, d'apres Wood duck, releve par Johnson)

casior Collier noir du lac

« « « « « « « «

petit Collier noir cou-rouge crapet soleil dos-blanc ecurgeon ecurgeon mayeux epaon elourneau ä ailes rouges jars misligri mulat oiseau de plerie (prairie) oiseau jaune oiseau rouge ouindigo poisson urgente poisson dore räle roi tortue tortue tortue tortue

insecte aquatique (Gerris conformis) » grand morillon (Aythya marila)» petit morillon (Aythya affmis)» morillon ä t£te rouge (Aythya americana) » poisson d'eau douce du genre Pomoxis (sunfish) » pochard (Aythya valisineria)» esturgeon » esturgeon maille »

« paonne » « carouge ä öpaulettes (Agelaius phoeniceus)» « canard male » « « « « « «

dor6 bleu (Stizostedion vitreum glaucum) » petit poisson appät» stumelle des pr6s (Sturnella magna)» chardonneret jaune (Carduelis tristis)» oriole du Nord (Icterus galbula) » poisson castor (Amia calva) »

« silver bass » « dor6 (Stizostedion vitreum vitreum)» « foulque d'Amerique (Fulica americana) » « abeille mäle » ; teteux de vache «couleuvre tachetöe triangulum)»

de lac de röche galeuse perceux

(Lampropeltis

« ieatherback (Trionyxspiniferus) » «tortue peinte (Chrysemis pictä) » «tortue happante (Chelydra serpentina) » «tortue mouchetee ou tortue-coffre (Emydoidea blandingi ou Terrapene Carolina)» Liste 2

Nom usuel

Cöte du Detroit

caille

perdreau

caille des bois

vairon

mulat

mulon, menaud

räle

coot (anglais) poule d 'eau

foulque

d'Amerique räle taon

batte-feu frappe

d'abord

Cöte du lac Sainte-Claire

mouche ä chevreux mouche ä joual mouche ä chevaux

Vahantes [...] dans le fi-angais des deux groupes colonisateurs de la region du Detroit

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Notons aussi que le terme rat musque est utilis6 dans les deux zones pour designer l'ondatra, mais qu'on relöve en plus rat d'eau ä la Cöte du lac Sainte-Claire, terme inconnu ä la C6te du Dötroit. Pour ce qui est des mots communs aux deux zones, la grande majorite d'entre eux sont attestes ailleurs au Canada fran9ais, comme achigan « poisson d'eau douce {Micropterus dolomieu et M salmoides) », barbotte « barbeau », bebitte « petite bete ou insecte », dore « poisson d'eau douce {Stizostedion vitreum vitreum) », foutreau « vison (Mustela vison) », mahngouin « moustique », maskinonge «poisson d'eau douce {Esox masquinongy)», mouche ä miel « abeille », outarde « bemache du Canada {Branta candemis) », serpent sonnette « crotale {Crotalus horridus horridus)», etc. En plus des deux mots de I'intörieur du continent citös plus haut, deux mots inconnus ailleurs figurent dans le lexique commun aux deux zones : bossu « poisson d'eau douce (Aplodinatus probatosephalos) » et tortue vaseuse {Sternotherus odoratus). Ces donnöes confirment alors ce que le temoignage historique suggere : que le deuxieme groupe de Colons - celui qui est arriv^ au XIX' siede dans le but de s'adonner ä un mode de vie base sur l'agriculture - aurait porte beaucoup moins d'attention ä la faune naturelle de la rögion. De fa9on generale, ses membres ont continu^ ä utiliser le vocabulaire connu dans leur region d'origine (poule d'eau, rat d'eau, siffleux, etc.). C'est dans un moindre mesure que les circonstances - ou parfois simplement le hasard - qui les ont amenes ä adopter quelques noms dejä connus ä la Cöte du Detroit et ä l'interieur du continent nord-am6ricain {bossu, caille des prairies, canard de France, tortue vaseuse); mais en gönöral, les attestations que nous avons recueillies ä la Cöte du lac Sainte-Claire ne refletent pas une connaissance approfondie de la faune spöcifique ä la region. En revanche, le vocabulaire de la Cöte du lac Sainte-Claire est marque par une frequence elevöe d'emplois ayant rapport ä l'agriculture et ä l'elevage, refl6tant ainsi le contexte different dans lequel ce groupe s'est 6tabli dans la region.

4.2. Vocabulaire relatif ä la geographie physique L'existence d'6carts lexicaux entre deux communaut^s linguistiques peut temoigner de deux visions difförentes de la r^alite röförentielle ; cela est particulierement övident dans le vocabulaire relatif ä la geographie physique. D'une part, presque tous les archaismes et regionalismes relev6s ä la Cöte du Detroit (24 sur 26) sont en lien avec le contexte maritime ou aquatique, incluant ceux faisant reförence aux terrains marecageux. D'autre part, la grande majorite des mots relev^s ä la Cöte du lac Sainte-Claire tiennent au contexte agricole, ä la description des terres cultivees (type, qualit6 ou division). Un autre aspect du vocabulaire en usage ä la Cöte du Detroit peut egalement servir d'indicateur quant ä ses Mens historiques avec les particularit^s g^ographiques de la region : neuf des vocables encore en usage dans cette rögion (soit un peu plus du tiers) avaient dejä et^ r^pertori^s au XVIII' siede par le p^re Potier : c'est le cas de chenail « chenal », cöte « etablissement situe en bordure d'une riviere, quartier », coulee « chenal sans issue », deriver « s'en aller, en parlant des glaces sur la riviere »,fourche « crique, chenal, branche (d'une riviere) », ilet « petite Tie boisee », (pays) planche « uni, plat», prairie « marais » et racroc « petite anse (dans un cours d'eau) ». Trois autres mots signal6s au XVIII' si^cle figurent parmi les emplois communs aux deux r^gions : rigolet « petit chenal », röche « caillou » et roulin « vague » ; ce demier mot, usuel ä la Cöte du Detroit, n'a par ailleurs et6 atteste que dans des documents historiques ayant trait ä

208

Marcel

Beneteau

l'interieur du continent nord-americain. II nous semble significatif de ne retrouver aucun des mots de Potier dans le vocabulaire sp^cifique ä la Cöte du lac Sainte-Claire. On voit donc une forte corrölation entre l'6poque, le contexte de peuplement dans chaque zone et le vocabulaire relatif ä la geographie physique. Ä la Cöte du Detroit, on constate l'existence d'un vocabulaire largement herit6 du XVlir siede, fortement reli^ ä l'environnement physique et tenant compte de l'importance des cours d'eau de la r^gion. Ä la Cöte du lac Sainte-Claire, la description du terrain fait appel ä un vocabulaire moins specifique, ce qui reflete encore une fois de tres pres l'activite principale des habitants. Une autre particularite que Ton se doit de mentionner ici conceme la fa9on distincte de designer les Etats-Unis. A la Cöte du lac Sainte-Claire, nous avons releve ä plusieurs reprises aux Etats ou meme en Amerique, designations bien attest^es au Canada fran9ais. Pour les habitants de la Cöte du Detroit, la d^signation est presque universellement l'autre bord, qui correspond ä une description plutöt litterale et qui rappeile la perception de l'espace qui a prevalue pendant presque un siede avant l'etablissement de la frontiere americaine en 1796. Des sources du XVlir siede attestent que l'autre bord etait utilise egalement du cöte americain pour designer la cöte sud, c'est-ä-dire celle qui se trouve aujourd'hui du cöte canadien (v. Crete, 1777-1778, par exemple).

4.3. Sacres et j u rons Jean-Pierre Pichette, dans son Guide raisonne des Jurons (1980), situe le juron canadien dans son contexte historique, depuis l'epoque de la Nouvelle-France jusqu'ä son aboutissement comme el6ment reconnu de la culture quöböcoise. Les sources historiques indiquent que le « blaspheme » 6tait objet de condamnation dans des ordonnances des les döbuts de la colonie. Quant ä l'emploi göneralise des jurons au Quebec, l'habitude daterait environ du milieu du XIX'' siede, si l'on en croit les nombreux mandements ä ce sujet emis par les eveques canadiens de 1849 ä 1851. D'apres Pichette, «cette recrudescence du blaspheme semble donc avoir coincide avec les commencements des chantiers au Canada » (p. 134), pour devenir en quelque sorte, au XX^ siede, « la marque de commerce » du peuple quebecois. II nous semble donc particulierement significatif que le lexique de la Cöte du Detroit, peuplee au XVIII' siede, ne comporte que tres peu de sacres ou jurons ; la categorie est beaucoup mieux repr^sentee ä la Cöte du lac Sainte-Claire (40 mots contre 27 seulement ä la Cöte du Detroit). Regardons de plus pres la composition de ce sous-ensemble lexical en fonction de chacune des zones comparees. En ce qui conceme directement la mention du nom de Dieu, on retrouve Cfiris/ et torrieu dans les deux zones ; on releve aussi le verbe c(h)risser «jeter, chasser» ä la Cöte du lac Sainte-Claire. Par contre, les references au diable et ä l'enfer sont plus communes ä la Cöte du Detroit; on y reldve demon « espiegle », etre en diable « fache », mener le diable « causer du trouble », infernal (nom) et maudit (usuel aux deux cötes); ä la Cöte du lac Sainte-Claire, on releve en maudit « beaucoup » ou « en colere », les expl6tifs maudit noir et en diable « beaucoup ». Les formes attenuees de jurons sont aussi plus communes ä la Cöte du Detroit: harre, mauseusse, en mauseusse, sapre, saprement, saprer, ti-possible, tornom ainsi que tort-belette, tort-maudit, tort-bätard, etc. Les formes mon doux, mautadit et torvisse sont communes aux deux Cötes ; on releve les formes attenuees calvasse, sarpent et ti-ben ä la Cöte du lac Sainte-Claire.

Vahantes [...] dam le frangais des deux groupes colonisateurs de la region du Detroit

209

L'emploi comme jurons de noms d'objets de culte est beaucoup plus frequent ä la Cöte du lac Sainte-Claire. Sans Egaler la creativit^ attestee dans les sources de Pichette, les locuteurs de cette zone emploient la plupart des termes qui ont cours au Quebec: calice, calvaire, ciboire, sacrement et viarge ; ils partagent aussi les emplois suivants avec les habitants de la Cote du Detroit: bapteme, sacrer «jeter » et sacrement (adverbe). Par contre, aucun emploi de ce type n'est specifique au vocabulaire de la Cote du Detroit. Nous ne pouvons nous attarder ici sur la signification de ce phenom^ne. Nous nous contenterons de faire un lien entre ce que nous avons observe et ce que rapporte Pichette dans son ouvrage sur les jurons. En effet, celui-ci cite la relation de voyage de l'eveque anglican Jacob Mountain qui, en 1794, commente l'absence de jurons dans le vocabulaire des canotiers canadiens-fran9ais qui l'accompagnent de Quebec jusqu'au Niagara. Pichette a probablement raison d'attribuer ce rapport ä la nafvete de l'evSque ; il faut toutefois noter que ni Potier ni les lexicologues du franfais de l'interieur du continent nord-americain ne rel^vent dans leurs glossaires les blasphemes et jurons etudiös par Pichette, ce qui appuie l'hypothdse Selon laquelle l'usage de ces mots se serait developpe au Quebec au XIX' siede. Un temoignage ancien du Detroit a tendance ä confirmer cette hypoth^se. Dans une lettre ecrite en 1848 dans la paroisse de l'Assomption, le Pere Pierre Point commente la «douceur et la bontö » du caractere des Canadiens sous sa charge ä la Cöte du Detroit. Selon lui, le Canadien se met rarement en colere ; quand il se fache, il dit simplement: « J'ai quelque chose sur le cceur», sans avoir recours aux jurons, comme il le dit explicitement dans le passage suivant: La plus grande colfere que j ' a i e vue depuis cinq ans est celle d'un homme qui, ayant eu un proces avec son frere, fut condamne au[x?] frais. II refusa de payer et s'enfuit de l'autre cöte de la riviere, aux Etats-Unis. On mit sa terre en vente. Quand il l'apprit, il s'emporta... Un franfais aurait appele ä lui tous les demons, blaspheme Dieu et tous les saints, Celui-ci, hors de lui-meme[,] se contenta de rep^ter sans cesse : « c'est un coquin, mon frere, c'est un coquin, Mr B ; c'est un coquin, mon oncle Gabriel; c'est un coquin, mon Cousin M.... Je le dirai au Pere Point [...]. (Cadieu, 1973 : 477-78)

Sans aucun deute, cet aspect du lexique des francophones du Detroit merite ä lui seul une etude approfondie. Dans l'ensemble de nos recherches, il temoigne encore une fois de la sp^cificite historique et culturelle de chacun des deux lexiques qui se cötoient sur le terrain de l'ancienne colonie du Detroit.

5.

En guise de conclusion

Nous n'avons pu decrire ici que quelques-unes des tendances generales que nous avons pu degager de l'examen du vocabulaire employe par les francophones du Sud-Ouest ontarien, et il faut rappeler que nos observations sont basees sur un corpus tire de sources preexistantes. Un questionnaire d^taille administre dans toutes les communautes francophones du Detroit saurait profiter davantage des conditions uniques de ce laboratoire de langue vivante et servirait sans doute ä jeter un nouvel eclairage sur plusieurs aspects du fran9ais parl6 en Amerique du Nord.

210

Marcel

Beneteau

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JEAN-CLAUDE BOULANGER Universite Laval

Les proprionymes dans trois dictionnaires de l'epoque classique

1.

Un carrefour de I'histoire des dictionnaires

Les projets de dictionnaires, leurs contenus et leurs realisations dependent ötroitement de l'etat des civilisations dans lesquelles ils naissent et s'inserent. Lorsque l'on se remömore l'epoque classique en matiere de lexicographie, le r^flexe immediat est d'evoquer trois noms systematiquement associes dans l'esprit des chercheurs et des curieux. Dans l'ordre chronologique surgissent les ceuvres de Pierre Richelet, d'Antoine Furetiere et de l'Acadömie fran9aise. Ce n'est certes pas un hasard si ces trois dictionnaires fran9ais, puisant au meme röservoir des mots classiques, paraissent en bouquet, c'est-ä-dire ä quelques annees d'intervalle (v. Anatole, 1979: 5). Andre Collinot (1985 : 13) explique ce phönomene de rapprochement par le fait que les trois dictionnaires forment un ensemble, un tout qui obeit ä la regle des trois unit^s du th^ätre classique : • L'unite de temps : les trois röpertoires sont mis ä la disposition du public ä la fin du XVII^ siede, au cceur du regne de Louis XIV, et sur un tres court laps de temps, quatorze ans. Iis font partie de la meme g^neration dictionnairique. • L'unite de lieu: les trois repertoires sont confectionnes ä Paris, plus pr&isement ä l'Academie fran9aise ou dans son orbite immediate. II est utile de rappeler qu'Antoine Furetiere fut academicien avant d'etre exclu de Institution en 1685. De son cote, Pierre Richelet peut etre qualifi6 de p6ri-academicien, tandis que ses principaux collaborateurs et conseillers, Olivier Patru et Nicolas Perrot d'Ablancourt, etaient des membres respectös de la Compagnie. • L'unite d'action: les travaux sont menös par quelques hommes de loi (Olivier Patru, Pierre Richelet et Antoine Furetiere avaient des ant^cedents d'avocats ou de procureurs fiscaux) et une compagnie d'auteurs consacres qui ceuvrent sur un meme etat de langue. Ce tout configure trinitairement, car un dictionnaire ne va pas sans les deux autres, illustre bien que les affirmations des auteurs des trois ouvrages quant ä la langue sont conditionnees, precon9ues et, qu'en bout de course, elles se rejoignent. Autrement dit, elles sont le resultat d'une selection des Clements dignes d'etre reproduits tels quels ou amenagös s'ils ne sont pas conformes, d'une part, ä l'ideologie classique commune - voir le Roy, la Cour, le Parlement (aussi evoques chez les grammairiens comme Vaugelas) - et, d'autre part, ä l'ideologie individuelle de Pierre Richelet et d'Antoine Furetiere ainsi qu'ä l'ideologie institutionnelle de l'Academie. La question est donc de savoir dans quelle(s) mesure(s) les lexicographes avaient l'entiere liberte du choix des contenus de leur dictionnaire respectif, compte tenu de la Situation de concentration de la lexicographie de l'epoque et des opinions dominantes qui prevalaient sur la langue. II en va de meme pour les principes methodologiques.

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Du point de vue historique, ces trois dictionnaires sont ä la source des courants lexicographiques d'aujourd'hui, car, en mettant en action « une nouvelle et puissante machine, le dictionnaire monolingue » (Rey-Debove, 1982 : 147), ils ont inaugure les deux traditions qui rögnent encore. Ä travers l'institution academique, le demier quart du XVII' siede est ä I'origine d'un axe de r^flexion commun sur la langue. Encourage par le pouvoir politique - le Cardinal de Richelieu lors de la fondation de l'Academie en 1635, Colbert ä sa suite - , ce foyer « devait mener ä une triple description du fran^ais pour lui-meme, ä une evacuation du latin du discours metalinguistique bilingue au profit d'une prise en Charge totale du franfais et de la creation d'un discours metalinguistique monolingue » (Rey-Debove, 1982 : 137). De plus, les trois dictionnaires sont des ouvrages synchroniques - presque tout le X V i r siede pour l'Academie - qui proposent la construction d'un mötalangage lexical lexicographique francisö, ce qui constituait un « hardi degagement du bilinguisme fran9ais-latin ne de la conscience collective et politique d'une langue adulte et rayonnante qui prenait elle-meme le relais du latin » (Rey-Debove, 1982 : 139). La mouvance autonomisee du fran9ais devenait un projet unificateur en soi. Ces dictionnaires sont aussi situes dans une demarche ideologique dont le principe orienteur consistait en une « politique qui visait ä porter une langue au comble de sa gloire » (Collinot, 1985 : 13). L'honnete homme doit donc prendre conscience de la superiorite de la langue fran9aise que l'on exporte aussi hors des frontieres de la France. C'est la langue aimee des «Nations les plus polies » (Richelet, 1680 : 3), la langue parlee dans «toutes les Cours de l'Europe » (Bayle, 1690 : 6), « la Langue dominante de la plus belle partie du monde » (Academie fran9oise, 1694 : 3). Ä l'inteme, cet objectif est tout ä fait conforme au triptyque louis-quatorzien en matiere de langue: un roi patronnant une Institution linguistique qui fa9onne un dictionnaire (v. Leca-Tsiomis, 1999 : 18). Pour parier de cet ordre qui doit regner dans la langue comme dans les lettres, Alain Rey decline l'idee ainsi : « un roi, une Academie, un dictionnaire » (1978 : 51). Toutefois, si l'orientation idöologique globale demeure commune, certains des objectifs des auteurs sont singuliers. L'evolution du fTan9ais sera interpretee differemment dans les trois produits lexicographiques. Pierre Richelet propose une entreprise rhetorique pour rendre compte d'une langue distinguee. Antoine Furetiere prelude ä une epoque et ä une epopee encyclopediques en s'ouvrant sur l'universel, ä savoir sur une langue etendue, edatee, rendant compte du c y d e ou du cercle des connaissances - comme l'indique l'etymologie du mot encyclopedie - et qui peut etre diffusee dans le monde (v. Darmon, 1990). C'est dans le Dictionaire universel [...] (DU) d'Antoine Furetiere que prendra naissance l'esprit encyclopedique moderne. 11 se developpera dans ses reeditions et chez ses successeurs, notamment les dictionnaires de Trevoux. II atteindra son apogöe dans l'immense entreprise encyclopedique de d'Alembert et Diderot au milieu du XVllP siede (v. Macary, 1973 : 145). En vertu des rapports privilegids entre l'Etat et l'Academie, le dictionnaire institutionnel prendra Charge de cette langue d'Etat dans un esprit d'entreprise politique. Car c'est un fait acquis que l'Academie participe aux pouvoirs politique et intellectuel. Vouloir une langue fran9aise parfaite et definitive, c'est louer le roi qui, ä son tour, louera l'Academie, car si le dictionnaire voit le Roy, il sera aussi vu du Roy (v. Brevot-Dromzee, 1996 : 132). En imposant son monument lexicographique, l'Academie impose sa langue fran9aise, eile etablit sa mainmise totale sur le fran9ais. «Pour Furetiere, en revendiquant un monopole sur la langue, l'Academie, au nom du Roi, usurpe la place de l'universel. » (Darmon, 1990 : 15) Par delä leur destinee commune, ces dictionnaires ont leurs sp6cificites maintes fois scrutees par l'entremise d'etudes mötalexicographiques qui se sont fixees tantöt sur les textes

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prödictionnairiques ou d'ouverture, tantöt sur les contenus des articles, tantöt sur les deux ä la fois. Une foule de themes ont 6te etudies et ils sont maintenant bien documentes : la norme, les marques de registre, les döfinitions, la metalangue, etc. Nous souhaitons ajouter un volet ä ce collectif de textes en nous aventurant au pays des noms propres [Npr] ou proprionymes presents dans les textes d'introduction et dans les exempies, cherchant ainsi ä savoir s'ils jouent un ou des röles determinants dans ces aventures lexicographiques. La panoplie proprionymique dissöminee dans les dictionnaires sert de reference exemplaire pour retracer les climats d'epoque: etat de la soci6t6, visöes politiques, modes de pensee, influences culturelles, modes de construction des mots, ainsi de suite (v. Boulanger et Cormier, 2001). Qu'ils soient 6voqu6s dans les introductions ou qu'ils apparaissent dans le texte fragmente des articles rassemblant une suite de discours fonctionnels sans liens apparents, les proprionymes demeurent les t^moins de la soci6te du temps et des idees qui circulent dans toutes les spheres d'activites. II s'agit ici de voir si l'hypothdse tient la route pour les ceuvres classiques selectionnöes.

2.

Les textes d'ouverture

Depuis que la lexicographie existe comme discipline scientifique au Moyen Age, les dictionnaires offrent des textes d'ouverture contenant des messages de tous ordres, reli6s ou non ä leurs contenus. Les grands dictionnaristes m6dievaux comme Papias, Osbem de Gloucester, Hugotio de Pise, Guillaume le Breton et Jean de Genes ont senti le besoin de s'expliquer sur leur demarche respective, inaugurant ainsi les premiers chapitres des manuels de lexicographie (v. Boulanger, 2001). Des le Dictionaire francoislatin [...] de Robert Estienne (1539), ces ecrits sont proposes en fTan9ais (v. le court texte d'Estienne qui ouvre son dictionnaire). 11 faudra cependant attendre le X V i r siede pour voir la metalangue articulaire se franciser totalement. Ce n'est qu'ä partir de ce moment que Ton parlera veritablement des dictionnaires monolingues. Les introductions des dictionnaires du XVI' siede demontrent les sentiments de grande humilite qui prevalaient dans le travail de description des premiers lexicographes qui cherchaient ä donner un Statut dictionnairique ä la langue en train de se developper et de se nationaliser. Ces sentiments se rattachent aussi au manque d'assurance des lexicographes vis-ä-vis trois Clements au moins : • le Statut encore precaire du fran9ais ä titre de langue d'usage ; • la reförence prepond^rante au latin et son utilisation metalangagiere pour expliquer le fonctionnement du fran9ais; • l'6tat embryonnaire des principes möthodologiques d'une lexicographie encore tributaire du latin et de ses modeles. Ä l'origine de la lexicographie fran9aise, les textes predictionnairiques n'avaient pas, comme aujourd'hui, de vis6e fonctionnelle. Iis procedaient plutot du discours d'intention. Au XVII' siede, ils s'inscriront souvent dans le sillage d'6changes polömiques, comme entre Antoine Furetiere (dans ses factums) et l'Academie, ou ideologiques. Iis prendront plutot la figure du manifeste que celle du texte purement informatif (v. Grimaldi, 1993 : 124).

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Plus que d'une theorie de la langue, les prefaces sont le reflet d'une port ä la langue, position souvent contradictoire avec le corps de rinclusion d'un tout (senti, seien les epoques, comme le vrai, ou le savent bien qu'il est, de par la formule mdme de l'ouvrage, (Maziere, 1985 : 43-44)

Position des sujets-r6dacteurs par rapl'objet, cense combler le lecteur par bien, ou le reel) et dont les redacteurs exclusion de reels et de possibles.

Au X V i r siede, fort de son triomphe relativement rapide sur la langue latine, le fratifais cherchera ä se fixer de maniere definitive. Les temps forts de l'intervention sur la langue seront la gramtnaire et le dictionnaire, principalement l'oeuvre de Vaugelas et le trio de dictionnaires de la fin du siede. On verra ainsi apparaitre dans les introdudions quelques idees sur la norme et sur les attentes des auteurs ä l'egard de l'etat de la langue comme ä l'egard de la langue de l'Etat, que les redacteurs cherchent ä capter dans leurs colonnes. Le Dictionnaire fran^ois [...] (DF) de Pierre Richelet est Tun des premiers repertoires lexicographiques dont les pages predictionnairiques - signees par l'auteur lui-meme contiennent des renseignements relatifs ä l'ideologie de son concepteur, ä l'objet et au contenu du dictionnaire, ä l'organisation macro- et microstructurelle ainsi qu'au contenu grammatical des articles. De ce demier point de vue, l'auteur traite des rectifications de l'orthographe dans une perspective d'evolution progressiste et veritablement francisante. La preface du dictionnaire d'Antoine Furetiöre est de la main de Pierre Bayle, ecrivain et lui-meme lexicographe ; mais ce demier n'est pas l'auteur du Dictionaire universel [...]. 11 explique qu'il rödige une Präsentation parce qu'il s'est assure que, si son ami Furetiere, mort en 1688, « avoit vecu jusques ä cette heure, il auroit mis une Preface ä la tete de son Dictionaire » (Bayle, 1690 : 1). Bayle retrace l'aventure du Furetiere plus qu'il n'en d^crit le contenu et la methode. II situe cependant le projet furetierien dans l'histoire du genre tout en rappelant quelques evenements de la vie de l'abbe de Chalivoy. II livre aussi un tres bei exposö sur le dictionnaire de I'Academie, sur ses objectifs litt^raires et institutionnels. Demeure anonyme pendant un certain temps, le texte baylien fut l'occasion pour le prefacier de conduire « une reflexion sur la conception meme du Dictionnaire universel et sur le caractere profondöment novateur de celui qu'il presentait»(Leca-Tsiomis, 1999 : 23). La preface du Dictionnaire de I'Academie fran^oise (DAF) est l'ceuvre de Fran9ois Charpentier. Du moins, il en a la paternite partielle, d'autres academiciens ayant pu intervenir, comme Fran9ois Seraphin des Marais ou Regnier-Desmarais (v. Brevot-Dromzöe, 1996: 132). Au moment de l'impression du dictionnaire, Charpentier aurait substituö sa preface ä celle preparee par Desmarais (v. Benhamou, Roucher et Buffin, 1997 : 20). Andrö Collinot (1985 : 17) indique que le texte academique est de Jean Baptiste Henri du Trousset de Valincour ; il reprend cette idöe dans le livre qu'il publie quelques annees plus tard avec Francine Maziere (1997 : 23). Mais Valincour(t) ne sera elu ä I'Academie qu'en 1699 !

3.

Le maillage des proprionymes dans les textes predictionnairiques

Les dictionnaires du corpus renferment difförents types de textes introductifs. • Le dictionnaire de Pierre Richelet contient deux textes : une adresse A [^/c] tres-haut, trespuissant et tres-excellent prince, Ferdinand, evesque de Munster et de Paderborn [...],

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d'une longueur de quatre pages; un Avertissement qui semble de la main de Richelet, ^galement de quatre pages. • Le dictionnaire d'Antoine Furetiere contient deux textes : une Preface qui est de Pierre Bayle, d'une longueur de onze pages; un privilege, rödigö en neerlandais (Privilegie), d'une seule page. • Le dictionnaire de l'Acadömie contient trois textes : une epitre Au Roy, d'une longueur de quatre pages ; une Preface qui fait neuf pages ; un Privilege du Roy, de deux pages. D'autres types de textes sont egalement presents, comme une liste d'auteurs, une liste de livres depouillös et des remarques... chez Richelet, la nomenclature des academiciens et une liste des abr^viations dans le DAF. Mais nous ignorerons ces donnees ainsi que les privildges du DAF et du DU, ce dernier privilege etant redige en neerlandais. Ces textes ne contiennent pas d'elements pertinents pour la recherche proposee ici. On peut se demander si les noms propres ou proprialises - ä savoir eleves au Statut de noms propres, comme Roy, Parlement - qui sont utilises dans les ecrits predictionnairiques caractörisent un dictionnaire ; s'il est possible d'identifier un dictionnaire ä la seule nomenclature des proprionymes qui sont mentionnes dans son introduction. En outre, il s'agit de voir si les noms propres des röpertoires de notre echantillon forment un reseau qui permettrait d'etablir une filiation entre les trois ouvrages.

3.1. Le Dictionnaire frangois /.../ de Richelet Dans l'adresse au prince Ferdinand, dix noms propres ou proprialises difförents apparaissent: Auguste, Empire (deux fois), Europe, France, Horace, lesus-Christ, Muses (deux fois), Parnasse, Romains (deux fois), Virgile (v. annexe 1, section 1.1.). L'auteur fait reference ä l'Antiquitö classique politique (Auguste, Empire, Romains) et litteraire (Horace, Parnasse, Muses, Virgile) de meme qu'au monde contemporain (Europe, France) et ä la religion (lesusChrist). Richelet s'associe encore profondement ä l'Antiquite, surtout au monde romain : sept des dix noms y renvoient. Le fran9ais est toujours per9u dans ses relations etroites avec le latin, et sa möcanique de description en depend encore passablement. Le passe garantit l'ceuvre du präsent sous les sceaux romain et religieux. Si Richelet fait oeuvre historique dans l'adresse, ce qui est normal, dans son Avertissement le ton est tout autre : le redacteur est resolument synchronique et fran9ais. 11 ne mentionne en fait que deux noms identifiant les principaux artisans qui l'ont aide ä röaliser son dictionnaire. 11 s'agit de Nicolas Perrot d'Ablancourt (deux occurrences sous la forme Monsieur d'Ablancourt), l'historien acadömicien qui fut « Tun des excellens Esprits & des meilleurs Ecrivains de son s i e d e » (Richelet, 1680: 9) et d'Olivier Patru (sous la forme Monsieur Patru), avocat et academicien, et sans doute le principal redacteur du dictionnaire. Les noms Tucidide et Marmol sont egalement cites, mais ils font partie du titre des livres de Patru. Richelet remercie abondamment les deux academiciens de leurs pr6cieux conseils. Sans la nommer, il fait Egalement allusion ä l'Academie franfaise qui peine sur son dictionnaire depuis 43 ans. Le prefacier se concentre donc sur ses collaborateurs et sur le contenu linguistique de son livre dont il presente les differentes facettes.

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Jean-Claude

Boulanger

3.2. Le Dictionaire universel [...] de Furetiere Pierre Bayle raconte l'histoire periph^rique du Furetiere plus qu'il ne s'arrSte sur son contenu et sur les principes de redaction. II situe l'oeuvre dans l'evolution du genre et il distingue bien les ouvrages traitant des mots de ceux qui abordent simultan^ment les mots et les choses. II compare la faisabilitd des dictionnaires des langues anciennes avec celle des dictionnaires des langues vivantes. A son dire, il est difficile de recenser tous les mots grecs et latins de l'Antiquitö. L'absence de certains mots dans les depouillements - emplois oraux, specialis^s, familiers, etc. - s'explique par le manque de sources ecrites. En ce qui a trait aux mots des langues vivantes comme le franfais, « il s'ensuit que quand on s'en veut donner la peine avec les talens requis pour cela, on peut faire des Dictionaires qui les representent dans toute leur etendue »(Bayle, 1690 : 5). Les projets « universels» dans le Furetiere sont un gisement pour observer les noms propres. Ceux-ci montrent en effet le caractere « universel » de la langue fran9aise bien avant Rivarol. Iis apparaissent en grand nombre dans le texte de presentation, certains revenant meme ä plusieurs occasions : Furetiere est mentionne une dizaine de fois, l'Academie une vingtaine de fois, sous divers noms : Academie, Academie Frangoise, Compagnie, Illustre Compagnie. Pierre Bayle cite un total de 70 noms, la plupart äant des noms propres naturels, quelques-uns ötant proprialises, comme Roy, Palais, Pariemens... On peut les regrouper en sept categories (v. annexe 1, section 1.2.): 1.

L'Antiquite:

19 noms

2.

Les institutions :

3.

Les lexicographes:

4.

Les toponymes :

11 noms

5. 6. 7.

Laroyaute: Les contemporains: Divers:

4 noms 3 noms 14 noms

9 noms 8(10) noms

Aristote, Empire Romain, Gaben, Mercure, Plalon, Plutarque... Academie della Crusca, Academie Frangoise, Palais, S. Pierre du Vatican... Calepin, Mr. Du Cange, Henry Estienne, Robert Estienne, Mr. Furetiere (ainsi que les variantes Mr l'Abbe Furetiere, Antoine Furetiere), Joannes de Janua, Papias, Ugotion Abbaye de Chalivcy, Abbaye de St. Germain des Prez, Angleterre, Bourges, Europe, France, Hollande, Paris, Pays-Bas, Prieure de Chuines, Rome Anne de Boulen, Charles-Quint, Henry VUl, Roy Cardinal de Richelieu, Mr. de la Fontaine, Vaugelas Philippe de Commines, Eglise latine, Frangois, Froissard, Job, Joinville, Reinier Leers, Republique des Lettres, VilleHardoüin...

L'introduction de Pierre Bayle est un v6ritable cours d'histoire des civilisations. L'auteur rattache le fil des contemporains (Du Cange, la Fontaine, Richelieu, Vaugelas) aux epoques anterieures, proches ou plus ou moins lointaines: la Renaissance (Calepin, Robert Estienne), le Moyen Äge (Froissard, Joannes de Janua, Joinville, Papias, Ugotion), l'Antiquit6 gr6coromaine (Aristote, Galien, Piaton, Plutarque). Fidele au dessein de Furetiere, il fait preuve d'un « universalisme temporel». II n'oublie pas les institutions politiques (Conseil d'Etat, Palais, Pariemens), religieuses (Eglise latine, S. Pierre du Vatican) et litteraires/linguistiques (Academie della Crusca, Academie Franfoise). 11 fait aussi une excursion dans quelques pays d'Europe (Angleterre, France, Hollande/Pays-Bas), question d'affirmer son « universalisme geographique ».

Les proprionymes dans trois dictionnaires de l 'epoque classique

219

II faut rappeler que Pierre Bayle produit un texte personnel d'hommage ä un autre texte qui n'est pas le sien, mais celui de son ami Antoine Fureti6re. II est moins intimiste que Richelet et moins autocontemplateur que TAcademie. La perspective est historique et diachronique; le prefacier replace le travail de Furetiere dans un contexte d'övolution de la soci^te fran9aise. II prelude au concept d'« universalitö » qui s'epanouira dans toute son envergure au XVIII' siede.

3.3. Le Dictionnaire de l'Academie frangoise Dans l'epitre Au Roy, l'auteur centre naturellement ses propos sur Louis XIV qui est successivement designe par les appellations proprialisöes Sire, Personne, Regne, auguste Nom, Puissance, Vostre Majeste. Louis XIV figure aussi parmi les grands Rais et Heros de l'Histoire. Le texte contient egalement des allusions ä l'Antiquitö (Grecs, Romains) et fait reference ä VEurope, aux Cours de l'Europe, ä la France, sans oublier le Ciel et VAcademie Frangoise. Au total, 15 formes differentes apparaissent dans ce texte (v. annexe 1, section 1.3.) Si rintroduction du Furetiere est universaliste, les propos introductifs du DAF prennent une allure institutionnaliste, tous convergeant vers un foyer unique, l'Academie et ses projets ä l'egard de la langue. Ce corps constitu^ est mentionne directement sous divers noms: Academie Frangoise (I fois), Compagnie (6 fois), Academie/Academie (27 fois). Dans la preface, on denombre un total de 34 autoreferences ä l'institution. Outre Institution ellememe, le prefacier cite quelques noms de personnages-cles qui y sont associes (Cardinal de Richelieu!Monsieur le Cardinal, Monsieur le Chancelier Seguier!Monsieur le Chancelier, M. de Vaugelas) ou qui appartiennent au monde politique {Roy, Colbert). Le cortege des noms atteint le total de 30 (v. annexe 1, section 1.3.). L'auteur associe egalement l'Academie aux grands travaux de la reforme caroiingienne (Charlemagne), Observation qui sert de passerelle pour remonter ä l'Antiquite, plusieurs references etablissant ce lien essentiel: Aristote, Aulugelle, Jule Cesar, Ciceron, Demosthene, Romains, Servius, Rome... Les references au monde contemporain sont quasi absentes, ce qui permet d'inferer que, malgr6 l'^tat de langue defendu, on a affaire ä une synchronie decal6e dans le temps, toumee vers le passe. En r^alitö, Institution acadömique defend une langue 6pur6e, figöe avant le milieu du siede. Tout pari du Roy, principe d'unite, de rassemblement accepte pour aboutir ä son alter ego en langue, l'Academie, la Compagnie etant elle-meme une ömanation du Roy et ramenant sans cesse ä lui. Une trentaine de noms propres suffisent pour etablir ce protocole habile : un roi, une Institution, un h^ritage antique, temoignant d'une langue faite et ayant atteint son plus haut degre de perfection, le corollaire de ce discours 6tant justement de prouver qu'on ne voudrait pas qu'elle soit tout ä fait autonome par rapport au latin. Le refus des rectifications orthographiques montre qu'on ne souhaite pas rompre avec le pass^. Des trois dictionnaires examin^s, le DAF est celui qui defend le plus fort la döpendance du fran9ais par rapport ä la langue mere des Romains. L'illusion de la souverainet6 du fran9ais est parfaite.

220

Jean-Claude Boulanger

3.4. Trois dictionnaires et un etat de langue Comme on devait s'y attendre, c'est dans le Fureti^re que les proprionymes sont les plus nombreux. Vient ensuite l'Acadömie, puis Richelet. La longueur des textes joue sans doute un role dans ces röpartitions. Les proprionymes illustrent que la preface de l'Acadömie est un texte en trois temps superposes : l'Antiquite, le Moyen Äge et le XVII'' siede, alors que les textes du Richelet et du Furetiere sont lineaires, c'est-ä-dire que les ouvrages envisagent une langue dejä autonome par rapport au latin. L'Acadömie se r^clame de trois pouvoirs: le pouvoir politique contemporain (Cour, Louvre, Paris, Roy), le pouvoir civilisationnel de l'Antiquite (Aristote, Jule Cesar, Ciceron, Empire Romain), le pouvoir langagier contemporain (Academie, Compagnie). 11 s'agit plus d'une superposition que d'une continuite. L'Academie se justifie et eile justifie tous ses gestes; mais, curieusement, eile n'en appelle pas ä Dieu, comme le font Richelet et Bayle, car il n'est pas opportun d'opposer Dieu au roi Louis XIV. Au contraire, le message est subliminal en ce sens qu'il y a identite de figures : un Roi Soleil est un dieu roi et/ou un roi dieu (v. D'Oria, 1988). Le DAF etant chronologiquement le demier dictionnaire de la serie, son quasi-silence sur ses pr^decesseurs ^tonne et n'etonne pas. II est volontaire, et ses rares propos sont allusifs, comme dans l'evocation de la comparaison des difficultes ä definir le mot lelescope et le verbe voir (v. Academie fran9oise, 1694: 6). Le terme technique fait reference au travail censement facile de Furetiere ; le verbe, ä l'application acadömique. La preface du DAF est un discours dos, boucl^ sur lui-meme et passeiste, alors que les propos de ses deux concurrents sont des discours ouverts sur un contenu t^moin du present dans le Richelet et incluant l'avenir dans le Furetiere. Richelet dit ce qu'il a fait; Bayle, ce que Furetiere a voulu faire ; 1'Academie, ce qu'elle n'a pas fait, interdisant ainsi tout jugement de valeur sur le contenu. Les deux premiers ouvrages proposent une lexicographie qu'on peut qualifier de positive, tandis que l'Academie se refugie dans une sorte de lexicographie de la negation et/ou de l'absence. 11 est bien evident aussi que le choix des noms propres est conditionne par le Statut et la stature des prdfaciers: Richelet est l'auteur de la preface de son dictionnaire, du moins en partie, et le texte est contemporain de l'ouvrage; le DU est une ceuvre faite quand Bayle l'augmente d'une preface; le texte d'ouverture du DAF est prefabriqu6 par rapport au dictionnaire, qui est repute etre l'ceuvre collective d'une soci6t6 qui possede une mainmise sur la langue. Seul Richelet est directement associe au contenu r^el du dictionnaire qu'il presente. Trois prefaces, trois portraits d'auteurs et d'intentions. Pourtant, les trois textes ne vivent plus independamment Tun de l'autre tant l'histoire et la m^talexicographie les ont imbriques et reli^s au sort du fran9ais classique. Les trois approches sont neanmoins complementaires, et un seul dictionnaire ne saurait proposer un portrait adequat et complet du fran9ais du XVIT siede. Pour obtenir une image claire et reelle de l'etat de la langue, il faut superposer les trois descriptions.

Les proprionymes

4.

dans trois dictionnaires de l 'epoque classique

221

Le maillage des proprionymes dans les articles

L'etude des noms propres et des noms proprialises dans les articles s'est accomplie sur une tranche nomenclaturelle allant de lac ä laque pour le DF, de lac ä laquelle pour le DU et de lac ä laquais pour le DAF. Seuls les articles complets ont etö retenus. Les entrees renvois (DF : landit voir landi; DAF : lapereau voir lapiri), les derives ou mots de la m6me famille (DAF : langue voir langage, languette) ainsi que les divisions des sens principaux, les locutions, les expressions ou les unites lexicales complexes placös en sous-entrees (DF : lanterne -> lanterne sourde ; DU : lacs lacs d'amour) n'ont pas ete conserves. Ce toilettage fait, le nombre d'articles etudiös dans le Richelet s'eldve ä 101, ä 125 dans le Furetiere et ä 44 dans le DAF. Les noms propres et les formes proprialisöes n'ont ete localises que dans les exemples construits, ä l'exclusion, donc, des citations dans le Richelet et des döveloppements encyclopediques dans le Furetiere. II n'a toutefois pas toujours ete facile de distinguer les donnees encyclopediques du Furetiere des exemples forgös.

4.1. Le Dictionnaire frangois [...] de Richelet Les figures proprionymiques paraissent dans seulement 6 des 101 articles du Richelet, seit 5,9 % des articles. Au total, les 6 articles livrent 7 unites pertinentes (v. annexe 2, section 2.1.): •

3 toponymes



3 anthroponymes



1 gentile

->

Bourdeaux, Geneve,

Paris;

Alain Chartier, Jeremie,

Molinel;

Franfois.

Les donnees proprionymiques ne revelent rien de particulier, sinon qu'elles sont conditionnees par des collocations {le lac de Geneve, les lamentations de Jeremie, les landes de Bourdeaux), par l'ethnocentrisme {II est maitre laiettier ä Paris, 11 est autant possible de fixer la langue Frangoise qu 'il est possible de fixer l 'humeur des Frangais) ou par la convenance historique (l'entree lai appelle des maitres du genre : Alain Chartier, Molinet). La s^quence d'articles integre une entröe ^ponymique, lange, forme issue de melon de Lange par aph^röse de la base de l'unitd complexe, puis par la lexicalisation du toponyme tourangeau Lange.

4.2. Le Dictionaire universel [...] de Furetiere Chez Furetiere, la röcolte proprionymique est abondante. De telles formes paraissent dans 31 des 125 articles, soit dans 24,8 % des cas, certains articles convoquant plusieurs unitös : lac (10 noms propres cites), langue (12 noms propres cites). Au total, 71 noms differents figurent dans les exemples (v. annexe 2, section 2.2.). Les cat6gories sont les suivantes :

222 •

Jean-Claude Boulanger 25 toponymes

• 20 anthroponymes

• 9 gentiles • 9 noms de groupes • 4 noms d'institutions • 4 noms divers

Afrique, Angleterre, Bordeaux, Chasteau de Meudon, Constance, Coree, Damas, Fez, France, Galilee, Gascogne, Geneve, Gennasareth, Inde, Matthe, Mans, Mer Morte, Orient, Orleans, Rhosne, Rome, St. Denys, Suisse, Tiberiade, tour de Babel; —> Alexandre, Aristote, Demosthene, Dieu, Diogene, Duc d Orleans, Epictete, Grand Mogol, Jeremie, Jesus-Christ, Judas, Pallas, Paul, Petrone, Seigneur, St. Esprit, St. Estienne, Tite-Live, Vaugelas, Vierge ; —> Allemands, Barbares, Eoliens, Grecs, Hollandais, Mores, Orientaux, Rhodiens, Tartares ; Anciens, Apostres, Courtisans, Dieux, Innocents, Juifs, Pape, Princes, Psalmiste ; Chambre des Comptes, Cour, empire Romain, Palais ; Bible, Cantique, Saint Sacrement, Soleil.

L'universalite du Furetiere est manifeste, surtout dans l'evocation des toponymes. II enumere plusieurs noms de pays, villes et lieux d'Europe {Angleterre, France, Suisse; Bordeaux, Orleans, Rome ; Chasteau de Meudon, lac de Geneve), du Proche Orient {Damas, Galilee; lac de Gennasareth, Mer Morte), d'Asie {Coree, Inde), d'Afrique, etc. Dans ce segment nomenciaturel, seule l'Amerique est absente, tout comme eile Test du Richelet et du DAF. Le rappel de la reiigion catholique et de son histoire transparait ä travers les lieux {Galilee, Tiberiade, tour de Babel), les noms bibliques {Dieu, Jeremie, Jesus-Christ, Judas, Paul, Seigneur, St. Esprit, St. Estienne, Vierge), les noms de groupes {Apostres, Innocents, Juifs, Pape, Psalmiste) et les noms divers {Bible, Cantique, Saint Sacrement). Furetiere n'oublie pas sa culture et sa vocation religieuses, il ne renie pas son titre d'abbe de Chalivoy. L'Antiquite marque aussi sa prösence de differentes manieres : les noms de personnes {Alexandre, Aristote, Petrone, Tite-Live), les noms de dieux {Pallas), les gentiles {Eoliens, Grecs, Rhodiens) et les noms d'institutions politiques {empire Romain). La Palette des couleurs proprionymiques brille de tous ses feux dans le Furetiere. Plusieurs proprionymes entrent d'ailleurs dans la composition d'unites lexicales complexes (v. Boulanger et Cormier, 2001): acier de Damas, languiers du Mans.

4.3. Le Dictionnaire de l'Academie frangoise Dans le DAF, des Clements proprionymiques paraissent dans 11 des 44 articles du corpus, soit dans 25 % des cas. Au total, il y a 23 noms difförents repartis dans les categories suivantes (v. annexe 2, section 2.3.): •

16 toponymes

• 4 anthroponymes • 1 nom de groupe • 2 noms d'institutions

-> -> ->

Arragon, Auvergne, Bordeaux, Cardan,Come, Damas, Espagne, France, Geneve, Orient, Orleans, Paris, Provence, Rome, tour de Babel, Vienne ; Duc de Bourgogne, Jesus-Christ, Roy, saint Estienne ; Jui/s ; Hospital, Hostel-Dieu.

L'Academie est resolument europeenne, 17 des 23 noms etant associes ä ce continent: 13 des 16 toponymes, 2 des 4 noms de personnes et les 2 noms d'institutions. Les el^ments restants font allusion ä la reiigion {Jesus-Christ, Juifs, saint Estienne, tout de Babel) et ä l'Orient {Damas, Orient).

Les proprionymes

dans trois dictionnaires de l 'epoque classique

223

Sur la base de cette sequence de mots, et proportionnellement, le DAF constitue donc le plus riche des trois dictionnaires en matiere d'inclusion de noms propres et de formes proprialisees dans les exemples.

5.

Signification des formes proprionymiques et intertextualite

Les noms propres ou proprialises recenses personnalisent-ils chacun des dictionnaires et/ou rövelent-ils une communautö ou une convergence d'interets ? On peut remarquer que l'adresse au prince Ferdinand du DF et l'epitre Au Roy du DAF usent des memes arguments, et souvent des memes noms. Les textes empruntent le meme ton quand ils s'arriment ä l'Antiquite. Cette reference historique est imparable pour parier en palimpseste de Louis XIV. C'est fort probant dans le discours academique qui n'aborde finalement que deux sujets : le Roy et l'institution elle-meme. On n'est pas sans s'etonner du silence sur les autres lexicographes classiques et sur leurs oeuvres, comme si l'Academie avait travaille en vase d o s et ne voulait pas s'en reporter ä des predecesseurs ou ä des concurrents deloyaux qui n'ont pas respecte le privilege re9u par la Compagnie. Tandis que les deux autres pröfaciers font des projections sur le projet academique, qu'ils ne rejettent pas par ailleurs. Leur critique majeure conceme la duree de preparation du dictionnaire. Pour le reste, leurs propos sont plutot mesur^s et encourageants, et ils n'h^sitent pas ä dire qu'ils ont, anachroniquement, une dette ä l'egard d'un dictionnaire encore en devenir! La mise en comparaison des textes d'ouverture avec les textes lexicographiques r^vele une importante dichotomie, commune aux trois dictionnaires : les prefaciers ne sont pas necessairement les auteurs des parties lexicales. Si Richelet parait bien etre le responsable des ecrits de presentation de son dictionnaire, il semble que la redaction des articles doive beaucoup ä Patru. Dans le DU, Bayle n ' a rien ä voir avec le contenu de l'ceuvre qui fut entierement 61abor6e par Furetiere. Dans le DAF, il est aussi malais6 de determiner qui sont les auteurs de la preface que de deviner qui etaient les redacteurs des articles, et s'ils etaient tous academiciens. Aussi, cette disparite entre le predictionnairique et le dictionnairique dans les trois repertoires peut-elle etre interpretee comme un trait commun aux trois projets, ce qui caracterise encore plus profondement une similarit^ et une simultanöite dans l'exercice lexicographique, cette ressemblance fut-elle le fruit des Hasards de l'histoire individuelle des dictionnaires. Les trois dictionnaires constituent-ils une chaine ou un double palimpseste ? Autrement dit, Richelet et Furetiere utiliserent-ils des materiaux de l'Academie auxquels ils avaient acces, par Patru et d'Ablancourt dans le premier cas, par Furetiere lui-meme dans le second, ou bien l'Academie s'inspira-t-elle de ces deux predecesseurs en alterant leurs oeuvres dejä publiques ? Sans doute y a-t-il un peu des deux, de sorte que, dans la succession des repertoires, il est difficile de dire quel est le dictionnaire primitif ä la source des deux autres. Ce sont en fait des produits interdependants, mais seule l'Academie s'en defend. D'ailleurs, eile le fait trop äprement pour qu'il n'y ait pas anguille sous röche. Le fait que le DAF soit posterieur aux deux autres n'est pas un obstacle, les materiaux de la Compagnie s'etant accumules depuis 43 ans au moment oü parait le Richelet et depuis 53 ans au moment de la publication

224

Jean-Claude Boulanger

du Furetiere. Aucun auteur n'avoue avoir empruntö des materiaux ä l'autre, TAcadömie ne mentionne meme pas les noms de Richelet et de Furetiere. Le DP cite 3 toponymes dont 2, BourTableau 1 deatix et Genexe, se retrouvent associes Les toponymes et leur distribution aux meines entrees chez Fureti6re et dans DU DAF Toponymes le DAF : lande et lac respectivement. Mais sous sous c'est entre Furetiere et l'Acadömie que la comparaison devient eclairante. En effet, 8 Bordeaux lande lande des 16 toponymes du DAF sont dejä Damas lame lame France laid, lambel lambel, langue presents dans le DU : Bordeaux, Dornas, Geneve lac lac France, Geneve, Orient, Orleans, Rome, Orient langue langue tour de Babel, dont 7 figurent dans les laier Orleans lambel memes articles. Seul le nom Orleans est Rome langue langue distribue differemment (v. tableau 1). tour de Babel langue langue M6me si les probabilites de cröer les memes phrases exemples sont grandes en raison des cooccurrences faciles, il reste que cette etroite correspondance est Strange ou, ä tout le moins, suggestive. II est cependant difficile de retracer les voies d'inspiration et d'identifier les auteurs des travaux originaux. Qui a emprunte le premier et ä qui ? Les sources historiques sont fort discretes lä-dessus. Chose certaine, la cause principale du parallelisme n'est pas l'oeuvre du seul hasard ou celle du conditionnement langagier qui associe spontanement des mots entre eux. Les trois dictionnaires classiques forment bien une trinite et ils sont le reflet parfait d'une intertextualit^.

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Boulanger, Jean-Claude (2001). Les inventeurs de dictionnaires. De l'eduba des scribes mesopotamiens au scriptorium des moines medievaux, (manuscrit incdit), 600 p. Boulanger, Jean-Claude, et Monique C. Cormier (2001). Le nom propre dans l'espace dictionnairique general. Etudes de metalexicographie, Tübingen, Max Niemeyer Verlag (« Lexicographica, Series Maior, 105 »), XV + 215 p. Brevot-Dromzee, Claude (1990). « L a mise en sc6ne du Dictionnaire de l'Academie dedie au Roy (1694): "dire d'avance" par la Preface », Etudesfranfaises, vol. 32, n° 1, p. 129-137. Collinot, Andre (1985). « L'ouverture des dictionnaires », Lexique, n° 3 (Lexique et institutions), p. 11-31. Collinot, Andre, et Francine Maziere (1997). Un pret ä parier: le dictionnaire, Paris, Presses universitaires de France (« Linguistique nouvelle »), 226 p.

Les proprionymes dans Irois dictionnaires de l 'epoque classique

225

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226

Jean-Claude Boulanger

Annexe 1

Les proprionymes dans les textes predictionnairiques 1.1. Le Dictionnairefianfois Adresse Auguste Empire Europe France Horace

/...J de Pierre Richelet Total: 10 lesus-Christ Muses Pamasse Romains Virgile

Avertissement Monsieur rf'Ablancourt [Marmol] Monsieur Patru [Tucidide]

1.2. La priface du Dicäonaire universel{.../ d'Antoine Furetiire Abbaye de Chalivoy Abbaye de St. Germain des Prez Academie della Crusca Academie (Fran5oise) Angleterre Aristarque Aristote Ascensius Badius Paul Beni Bibliotheque du Vatican Pierre Borel Borrichius Anne de Boulen Bourges Calepin Mr. Du Gange Castres Charles-Quint Ciceron Compagnie Conseil d'Etat Demosthene Didyme Eglise latine

Empire Romain Esope Henry [Estienne] Robert Estienne Euripide Europe France Fran9ois Froissard Anloine Furetiere Mr. Furetiere Mr. l'Abbe Furetiere Galien Henry VIII Hollande Illustre Compagnie Joannes de Janua Job Joinville Mr de la Fontaine Reinier Leers Mercure Monstrelet Palais

Total: 2 + [2]

Total: 70 Papias Paris Parlemens/Parlement Pays-Bas Nicolas Perottus Philippe de Commines Piaton Plutarque Prieur6 de Chuines Republique des Lettres Cardinal de Richelieu Rome Roy S. Pierre du Vatican Tomasini Tucydide Ugotion Varron Vaugelas Ville-Hardoüin Xenophon Zeuxis

Les proprionymes dans trois dictionnaires de iepoque 1 J . Le Dictionnaire de

227

classique

l'Acadinüefrangoise

Epitre Total; 15 Academie Fran5oise auguste Nom Ciel Cours de l'Europe Europe France Grecs Heros Personne Puissance Regne Rois Romains Sire Vostre Majestö

Prtface Academie/Academie Academie de Florence Academie Fran^oise Antiquitö Aristote Aulugelle Monsieur le Cardinal Jule Cesar Monsieur le Chancelier Charlemagne Ciceron Colbert Compagnie Cour [Academia] della Crusca

Total; 30 Demosthene Empire Romain Estrangers Fran9ois Oeorgiques Louvre Paris Pompee Cardinal de Richelieu Romains Rome Roy Monsieur le Chancelier Seguier Servius M. de Vaugelas

Annexe 2

Les proprionymes dans les textes dictionnairiques (les exemples) Total: 7

2.1. Le Dictionnaire franfois /.../ de Pierre Richelet E)ourdeaux Alain Chartier

Frangois Geneve

Jeremie Mol inet

Paris

Innocents Jeremie Jesus-Christ Judas Juifs Malthe Mans Mer Morte Mores Orient Orientaux Orleans Palais Pallas Pape Paul Petrone Princes

Psalmiste Rhodiens Rhosne Rome Saint Sacrement Seigneur Soleil St. Denys St. Estienne St. Esprit Suisse Tartares Tiberiade Tite-Live tour de Babel Vaugelas Vierge

T o t a l : 71

2.2. Le Dictionaire universel /.../ d'Antoine Furetiire Afrique Alexandre Allemands Anciens Angleterre Apostres Aristote Barbares Bible Bordeaux Cantique Chambre des Comptes Chasteau de Meudon Constance Cor« Cour Courtisans Damas

Demosthene Dieu Dieux Diogene Duc d'Orleans empire Romain Eoliens Epictete Fez France Galilee Gascogne Geneve Gennasareth Grand Mogol Grecs Hollandais Inde

228

Jean-Claude Boulanger

IX U Didionnaire de

t'Acadimie/ranfoise

Arragon Auvergne Bordeaux Cardan Come Damas

Duc de Bourgogne Espagne France Geneve Hospital Hostel-Dieu

T o t a l : 23 Jesus-Christ Juifs Orient Orleans Paris Provence

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III. L'apport des corpus informatises

PIERRE CARDINAL et CHRISTIANE M E L A N ^ O N Universite du Quebec en Outaouais

Sortir des fardoches : les recherches prelexicographiques ä l'ere de rinformatique Dans sa pröface ä l'ouvrage La Bibliotheque ideale (SW-1), Bernard Pivot rappeile qu'autrefois, les livres se serraient les uns contre les autres, rösistant ainsi, tant bien que mal, aux attaques des souris qui, hardiment, les grignotaient. Si les livres se tiennent toujours en rangs serres dans les bibliotheques, nous pouvons ajouter, forts de l'avenement des grandes bases de donn^es textuelles, que les souris ont subi une importante mutation et qu'au creux de nos mains, leurs cousines informatiques sont devenues des associees indispensables des rats de bibliotheques virtuelles que nous sommes. Depuis 1985, on estime en effet que le nombre de bases de donnees textuelles s'est accru de 400 % (v. William, 1996 : xvii). La creation de telles bases informatisees, comme Celles du Röseau des corpus lexicaux quebecois, a permis de degager les recherches prelexicographiques de multiples embüches methodologiques - les fardoches textuelles (pour reprendre le mot de la regrettee Anne Hebert) - et surtout de faciliter le reperage de variantes topolectales, sociolectales et situationnelles. Toute personne qui a connu l'avant et l'apres de ces bases de donnees ne peut que se rappeler, avec un m^lange de soulagement et de regret, le moment oü eile s'est rendu compte qu'elle pouvait, en dix secondes, trouver une occurrence qui, naguöre, aurait exig6 dix mois d'efforts !

1.

Avenement de grandes bases de donnees textuelles

Que signifie concretement l'avenement de ces grandes bases de donnees textuelles pour la recherche sur le lexique ? Dans un premier temps, c'est vraiment l'aspect quantitatif de la recherche qui s'est ^panoui, pour ainsi dire, par l'accds ä ces corpus 6largis que permet rinformatique ; quantitatif par le nombre de contextes auxquels on a acc^s et, surtout, par la vitesse ä laquelle les nouvelles bases permettent d'acc6der ä des usages concrets et quotidiens de la langue. En plus d'eiargir notre champ d'observation et d'accdlerer le processus de la recherche, le passage des corpus traditionnels aux corpus informatis^s, amorce ä partir de la fin des ann^es 1980, nous a 6galement servi une le9on de prudence. Voilä que ce qui etait consid6r6 comme acquis en raison des generalisations fondöes sur nos idiolectes se trouvait nuanc6, sinon carrement contredit, par la confrontation de ces idiolectes avec ceux des autres locuteurs, auxquels donnaient acces les masses de donnees foumies par les grandes bases textuelles. Nous sommes donc devenus plus humbles dans l'expression de nos intuitions de locuteurs natifs et de linguistes. Loin de nous l'id^e d'ignorer nos intuitions ; il s'agit plutöt de les v6rifier en nous appuyant sur une base d'observation beaucoup plus vaste qu'auparavant.

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Pierre Cardinal et Christiane Melangon

L'avenement des grandes bases de donnees textuelles a ögalement marquö une difference qualitative essentielle. Notre corpus papier initial, le Corpus des usages mediatiques ecrits du Quebec (CUMEQ), comportait, il y a dix ans, un tiers de million de mots. Comparö ä celui auquel Actualite Quebec nous donnait acc^s ä l'dpoque, soit environ 100 millions de mots, ou encore ä ce que nous offre maintenant la base de textes joumalistiques Eureka, notre corpus 6tait d'une taille minime, lilliputienne meme. Les corpus preinformatiques correspondaient au produit des observations du lexicographe. Alors qu'elles ötaient, auparavant, limitees ä ce que foumissaient les sources papier, ces observations doivent maintenant emprunter le parcours oblige d'une recherche elargie, ä la fois sur les plans qualitatif et quantitatif, au moyen des grands corpus textuels informatises.

2.

Evolution du processus de recherche

2.1. Le cas du verbe graduer Le cas du verbe graduer, qui connait des emplois qu^b^cois particuliers, peut ^loquemment servir ä illustrer Revolution du processus de recherche et l'avancee permise par le recours aux grands corpus textuels. Ä l'epoque du CUMEQ, dans les anndes 1980, nous n'avions releve, comme emploi particulier de ce verbe, que le sens traditionnel - associö au monde de l'education - qui est celui d'« obtenir un diplöme », de «terminer ses etudes », de « sortir d'un etablissement d'enseignement». En fait, nous n'avions jamais observe, en raison de l'insuffisance quantitative de notre corpus, les autres emplois particuliers de ce mot en fran9ais queböcois. L'acces ä de grandes bases de donnees textuelles a permis de faire plus et mieux. Au Premier sens releve du verbe graduer sont venus s'ajouter, dans nos observations, les trois emplois apparentes suivants : celui de «donner ou d'accorder une promotion ä (quelqu'un) » ou encore celui de « monter en grade dans une hierarchie » et, dans le monde des affaires, celui d'« acceder ä de nouveaux marches ». Nous avons ainsi pu observer que les emplois quöbecois du mot graduer etaient plus varies et complexes que nous l'avions cru ä l'origine.

2.2. D'autres cas eloquents Nous pouvons citer d'autres cas öloquents. Si on depasse le cadre meme des bases de donnees comme telles pour inclure Internet dans la masse des corpus textuels, les d^couvertes se multiplient. Par exemple, c'est gräce ä la consultation des textes publies dans Internet par des entreprises europeennes, que nous avons r^cemment d^couvert que des termes jusqu'ici qualifies d'anglicismes, comme pulpe ä papier et alignement des roues - ce dernier etant d6jä consign^ dans des dictionnaires europöens - , ötaient couramment employ^s en fran9ais d'Europe dans divers contextes techniques. Ainsi, pulpe ä papier se rencontre dans un texte de source franfaise decrivant les activites forestieres du Vietnam, comme dans l'exemple suivant: « Plantation de 20 000 [hectares]

Sortir desfardoches : les recherches prelexicographiques ä l 'ere de l 'informatique d'arbres pour la fabrication de papier et construction d'une usine de pulpe ä papier, d'une capacite de 10 ä 20 000 [tonnes par annee] [...]. » (SW-2) II n'y aurait donc pas Heu de critiquer cet emploi, comitie le font ä tort bon nombre des commentateurs d'ici (Dagenais, 1984 ; Dulong, 1989 ; De Villers, 1997 ; Forest et Boudreau, 1999), et encore moins de l'ecarter de l'usage du fran9ais Standard nord-am6ricain. Comme le confirme cet exemple, Internet constitue une vöritable percee quant ä la precision des descriptions lexicales que favorise ce nouvel outil. Dans le cas d'alignement de roues, nos decouvertes ont ete tout aussi interessantes. Cette expression, taxee d'anglicisme jusqu'ä aujourd'hui au Quebec - notamment dans Le Colpron (Forest et Boudreau, 1999) et le Multidictionnaire (De Villers, 1997) - , figure, entres autres, dans un texte du Groupement des organismes agrees de contröle automobile de Bruxelles, aux cotes d'autres expressions equivalentes comme reglage de la position des roues : Ce second contröle des roues vise ä verifier deux elements majeurs en particulier: la geometrie des roues sur un banc d'alignement des roues afin de v6rifier si le reglage de la position des roues est correct [...]. (SW-3)

Ainsi, geometrie des roues, souvent presentee comme une formule de remplacement possible, dösignerait plutot l'^tat des roues bien alignöes plutöt que l'action d'aligner les roues. Quant ä l'expression contröle du train avant, eile renverrait ä l'acte de verification plutöt qu'au reglage lui-mSme, comme l'illustre l'extrait suivant d'un texte Web fran9ais : Contröle du train avant: Vous avez constate une usure anormale de vos pneus? Un contröle de votre train avant rivelera les actions ä mener pour rouler en toute securit6. (SW-4)

3.

Vers des jugements plus fins et plus exacts

En comparant les usages trouves dans les grandes bases de donnees textuelles, comme Eureka, avec les r^sultats des recherches efFectuees dans Internet, nous en arrivons ä poser des jugements beaucoup plus fins et plus exacts que lorsque notre aire d'observation se trouvait plus limit^e. L'avis exprime par Claude Poirier, des 1984,' selon lequel « ceux qui travaillent sans corpus ne savent pas de quoi ils parlent» n'a jamais dementi par les quinze ann^es d'expörience que nous avons accumulees depuis; au cours de ces annees, nous avons et6 constamment amenes ä la verite et ä la complexite de l'usage par notre analyse d'un sousensemble du lexique quebecois ä partir d'un corpus de textes vivants. De ce point de vue, la sentence du mathematicien fran9ais Poincarr6 (Carlier et autres, 1977 : 456) s'applique tout autant ä la lexicographie qu'ä la physique : « La science n'est pas faite d'opinions [linguiste, il aurait parlö d'intuitions] mais de faits. » Le corpus infmi des bases de donnees textuelles ouvertes que sont les inforoutes est qualitativement sans contröle et n'est donc que partiellement fiable. Les sites dits personnels '

Cette opinion a et6 emise ä l'occasion d'une rencontre scientiflque, mais au cours d'echanges personnels auxquels participaient quelques-uns des chercheurs presents au sixieme Colloque « Franfais du Canada franfais de France ».

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Pierre Cardinal et Christiane

Melanfon

presentent certes des possibilites interessantes sur le plan de l'observation langagiere ; toutefois, ces Oeuvres d'auteurs sans pr6tentions professionnelles ni linguistiques ne peuvent etre assimilees, du point de vue notionnel et langagier, ä des sites d'entreprises ou d'organismes publics. Si nous ne nous dotons pas de balises dignes de foi pour explorer ces nouvelles bases, les faits linguistiques que nous y observerons n'auront pas plus de valeur, finalement, qu'un vulgaire tas de pierres, pour rappeler encore Poincarrö, Selon lequel «[...] une accumulation de faits n'est pas plus une science qu'un tas de pierres n'est une maison. »(ibid.) Parce que quantifier n'est pas juger, toute approche de ces nouvelles bases de donnöes textuelles qui se respecte sur le plan scientifique doit s'accompagner d'un doute plus grand encore que celui suscite par les corpus traditionnels. Nous savons maintenant que la taille de nos corpus determine le contenu meme de nos observations. Comme l'ont ecrit avec justesse Gracia Pagola et Rejean Roy dans La gestion du savoir et de l 'information electronique : [...] reperer ne sufTit pas [...]. Quiconque s'est servi une fois d'Altavista ou d'Infoseek pour faire un travail de recherche est en mesure de comprendre intuitivement Timportante difference existant entre des mots comme « donnees », « information » et « savoir ». Ainsi les 32 546 pages Web contenant les mots d e s recherches par un utilisateur sont des donnees, une matiere brüte sous laquelle il est facile de perir enseveli. (Pagola et Roy, 1997 : 190)

« 11 est plus difficile d'interpreter une temperature que de la prendre », nous disent encore fort ä propos ces auteurs (p. 192). Les nouveaux moyens que nous foumissent les inforoutes vont ainsi appeler de nouvelles methodes et de nouveaux Instruments de travail, mieux adapt6s et pouvant repondre ä des criteres scientifiques plus rigoureux. On n'a qu'ä penser ä la Classification des sources multiples que recelent les inforoutes, qui sera un defi de taille.

4.

Autres influences

Une approche scientifique veritable nous demandera aussi de nous interroger ä propos de l'influence de ces grands corpus mondiaux sur les langues elles-memes. En effet, au moment oü, historiquement, nous semblons entrer dans l'ere - longtemps souhait^e - de la Variation transtopolectale du franfais, ere qu'on pourrait qualifier de centrifuge, les contraintes de la communication transnationale semblent ä leur tour exercer une force centripete sur les normes de la langue Standard. Pour communiquer efficacement par le canal des inforoutes, les locuteurs n'auront-ils pas tendance ä delaisser les variantes topolectales au profit d'une langue standardisee, neutralis6e? Beau paradoxe que voilä. « Rien ne dösarme les createurs de paradoxe comme un paradoxe », ecrivait Fran9ois Hertel (1959 : 80). Chez les specialistes en tout cas, le fran9ais a longtemps et6 une langue monocentrique du point de vue de la norme, alors que des langues comme l'anglais et l'espagnol etaient devenues polycentriques. Le grand paradoxe que nous permettent d'observer les inforoutes, c'est qu'il existe dorenavant un double courant. Au moment oü le fran^ais commen9ait ä imiter les autres grandes langues transnationales et ä voir ses variantes nationales et topolectales imposer leur norme, l'explosion et l'universalisation des communications viennent rendre cette polycentrification du fran9ais moins facilement realisable. Cela pose la question de l'identite. Le polycentrisme permet le respect des identites topolectales.

Sortir des fardoches : les recherches prelexicographiques ä l 'ere de l 'informatique

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La recentrification normative se trouverait ä contrarier ce mouvement, encore embryonnaire en franfais. Que font les lexicographes devant cette Situation? Comment se situer, linguistiquement et ideologiquement, devant les contraintes d'homogeneit6 minimale des normes exigee par les nouveaux medias de la communication?

5.

Conclusion

Du simple Journal « papier », nous sommes passes ä Eureka, pour aboutir ä Internet, qui integre les autres medias en a m o n t ; les inforoutes nous convient maintenant ä une totale... remise en question. Internet n'est pas une base de donn^es, mais un ensemble de contenus ouvert, theoriquement illimite, vivant. C'est le livre infini dont revait Barges, qualit^ litt^raire en moins et sans contröle aucun de qualitö textuelle. Parmi nos remises en question, il faudra bien faire aussi celle de la fiabilite ou de la valeur comme echantillon d'observation scientifique d'une partie des textes de ce livre infini. Sans compter que les inforoutes ne se limitent pas ä l'ecrit, mais qu'elles integrent aussi un nombre sans precedent d'autres medias (radio, telövision, etc.). Le recours aux inforoutes pour effectuer des recherches lexicographiques serait ainsi une pratique ä risque... A'infobesite, pour reprendre le neologisme ingenieux propos6 par Pagola et Roy. La prölexicographie afFirmera son Statut de science ä partir du moment oü eile reposera sur le recours ä des m6thodes veritablement scientifiques permettant aux lexicographes de verifier leurs intuitions au moyen du filtre des faits. Toute pratique scientifique qui se respecte doit se situer dans ce que Nathalie Sarraute a joliment nomme « l'ere du soup9on ». La proliföration des megabases de donnees nous confirme que nous y entrons ä peine. Comme on pourrait le dire familierement chez nous : « On sort des fardoches, mais on n'est pas sorti du bois ! »

References Actualite/Quebec, base de textes journalistiques sur cederom, Outremont (Quebec) CEDROM-SNI. [Comprend : La Presse, Le Soleil, Le Devoir, L'Actualite, Voir et Le Droit.] Cardinal, Pierre et coli. (1994^). «Corpus des usages mediatiques ecrits du Quebec» (CUMEQ), inedit, Gatineau (Quebec). Carlier, Robert, et autres (dir.) (1977). Citationsfran^aises, Paris, Larousse, 659 p. Dagenais, Görard (1984). Dictionnaire des difficultes de la langue frangaise au Canada, Bourcheville (Quebec), Les Editions franijaises Inc. De Villers, Marie-Eva (1997). Multidictionnaire de la langue frangaise, S'^edition, Montreal, Editions Quebec/Amerique. Dulong, Gaston (1989). Dictionnaire des canadianismes, Montreal, Larousse ; (1999). Nouvelle edition revue et augmentee, Sillery (Quebec), Septentrion. Eureka. Actualite francophone Canada. Actualite francophone Europe. Base de textes journalistiques sur cederom, Montreal, CEDROM-SNI. Forest, Constance, et Denise Boudreau (1998). Le Colpron. Le dictionnaire des anglicismes, 4' edition. Laval (Quebec), Beauchemin. Hertel, Fran9ois (1959). Jeremie et Barrabas, Paris, Diaspora franijaise.

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Pierre Cardinal et Christiane

Melanfon

Pagola, Gracia et Rejean Roy (1997). « La gestion du savoir et de rinformation electronique », Documentation et bibliotheques, vol. 43, n''4 (octobre-decembre), p. 189-196, document Internet consulte en septembre 2000 (http ://www.ceveiI.qc.ca/docbib.html). SW-1 : (http ://www.citationsdumonde.com) Citations du monde. Document Internet consulte en aoüt 2000. SW-2 : (http ://ambafrance-vn.org/accesdec/vcgialai.htm) Ambassade de France au Vietnam. Le Vietnam et la Cooperation decentralisee franfaise, document Internet consulte le 14 septembre 2000. SW-3 : (http ://www.goca.be/fr/Inspection/tendance/accident.asp) Groupement des organismes agrees de contröle automobile. Contröle apres accident, document Internet, Bruxelles, consulte le 14 septembre 2000. S W - 4 : (http ://www.debette.fr/presta.htm) Carrosserie Debette. Document Internet, France, consulte en septembre 2000. William, Martha E. (1996). « The State of databases today », Gale Directory of Databases, volume 1 : Online Databases [sans lieu], p. xvii-xxiv.

NORMAND MAILLET Secretariat ä la politique linguistique, Gouvernement du Quebec

Le Reseau des corpus lexicaux quebecois dans Internet

1.

Resultat d'une reflexion commune amorcee depuis dix ans

En 1990, le Conseil de la langue franfaise emettait un avis sur ramenagement de la langue dans lequel il recommandait le developpement d'un fonds de donnöes linguistiques qui permettrait l'analyse et la description de la langue fran9aise en usage au Quebec. Dans cet avis, le Conseil insistait pour que ce fonds soit, d'abord et avant tout, con9u comme une ceuvre collective dont l'accds serait accordö, moyennant certaines conditions raisonnables, ä toute personne et ä tout organisme d^sireux d'en exploiter le contenu ä des fins de recherche ou de production d'outils linguistiques. Prevoyant dejä que ce fonds pourrait etre alimentö par des corpus mis au point par diverses equipes de recherche universitaires, le Conseil soulignait l'importance de reconnaitre les droits d'auteur attaches aux sources qui seraient versees ä ces corpus ainsi que les droits de propri6te attaches aux corpus qui seraient foumis par les institutions universitaires associees au projet. Ä la suite de cet avis, le Secretariat ä la politique linguistique a mene, en 1991, une consultation aupr^s d'universitaires (linguistes et sociologues), d'editorialistes et de repr6sentants d'organismes, tous observateurs attentifs du developpement linguistique et cuhurel du Quebec. De plus, la meme annee, dans le cadre des rencontres du groupe de reflexion sur le Tresor informatis6 des vocabulaires francophones, le Secretariat a organisö, en collaboration avec le Tresor de la langue franfaise au Quebec, une rencontre d'universitaires quebecois dans le but de faire le point sur les travaux en cours dans le domaine des banques de donnees textuelles. II est ressorti de toutes ces discussions un consensus qui rejoignait les recommandations du Conseil: on reconnaissait la necessitö de mettre en commun les ressources quöbecoises pour developper un fonds de donnees sur le fran9ais queböcois. Par ailleurs, rendu public en mars 1996, le rapport du Coniit^ interminist6riel sur la Situation de la langue fTan9aise confirmait l'urgence d'accentuer les mesures necessaires ä l'amelioration de l'emploi et de la qualite du fran9ais au Quebec, notamment ä la suite des observations suivantes : • la maitrise du fran9ais est de plus en plus un crit^re d'embauche sur le marche du travail; • la norme de reftrence du « bien parier et öcrire au Quebec » est encore mal decrite ; • les grandes organisations, ä la suite de compressions budg^taires, ont reduit l'importance des services d'aide charg6s d'assurer la qualite de la langue d'usage ou de dövelopper la terminologie fran9aise; • il y a un manque d'outils pour aider les institutions ou les citoyens ä utiliser une langue de qualite, et il faut repenser 1'Implantation terminologique en tenant compte des technologies de l'information; • il y a un manque patent de recherche sur la qualite de la langue en usage.

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Normand Maillet

C'est ä la lumiere de ces observations que Ton reconnaissait ä nouveau, dans la proposition de politique linguistique, la n^cessite de favoriser la Constitution de fonds de donnees linguistiques sur l'usage du franfais au Quebec qui permettraient de produire et de diffuser les outils de reförence dont ont besoin les Quebecoises et les Queböcois, ainsi que tous ceux qui s'interessent ä la question linguistique. Plutot que d'opter pour la creation d'un fonds unique, rattach^ ä un organisme particulier - avec les moyens actuels de la telematique, il n'est plus necessaire de reunir toutes les donnees en un seul lieu - , le Secretariat a choisi d'instituer un programme d'aide gouvernementale pour soutenir le d^veloppement, en milieu universitaire, de divers fonds quebecois de donnees linguistiques et textuelles, dont il assurerait egalement l'accessibilite. Dans ce contexte, il a procödö ä la mise en place d'un comitö scientifique de coordination, auquel il a donn6 la responsabilite generale d'evaluer les projets soumis et de recommander l'allocation des sommes prevues au programme selon des modalites et criteres de participation d^fmis. Au cours des trois premieres annees du programme (1997-2000), les diverses universitös participantes ont refu des subventions de 850 000 $ pour l'ensemble des projets soumis et acceptös. Pour son programme de subventions, le Secretariat a retenu les objectifs generaux suivants: • accroitre la participation et la visibilite du Quebec au sein de la communaut^ francophone internationale; • favoriser les recherches et la röflexion sur le franfais en Amerique du Nord en donnant acces aux materiaux linguistiques indispensables ä ces d^marches scientifiques ; • sauvegarder, valoriser et promouvoir le patrimoine linguistique quebecois ; • aider ä la diffusion de bases de donnees lexicographiques, textuelles, linguistiques et metalinguistiques qui permettent de realiser une description plus exhaustive du fran9ais quebecois; • susciter l'elaboration d'ouvrages de röference qui puissent tenir compte de la realite qu6becoise; • permettre aux industries de la langue d'avoir acces ä des donnees representatives de l'usage quebecois, afin de favoriser la prise en Charge de cette variete de fTan9ais dans le döveloppement d'outils d'analyse et de traitement linguistiques de documents electroniques.

2.

Un guichet unique d'interrogation

Afin d'assurer l'accessibilitö des corpus subventionnes ä l'ensemble de la communaute scientifique et aux intemautes Interesses (chercheurs, journalistes, ecrivains, etc.), et afin d'en faciliter l'exploitation, le Secretariat a procede, de concert avec les universites participantes, ä la mise en place d'un guichet unique d'interrogation, qui donne acces ä tout le Reseau des corpus lexicaux quebecois. Ce reseau est constitue de onze banques de donnees linguistiques

Le Reseau des corpus lexicata quebecois dam Internet

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et textuelles, dont la somme des contenus depasse largement cent millions de mots.' II s'agit lä d'une premiere au Quebec, qui vient r^pondre aux besoins exprimes depuis plusieurs annöes par de nombreux observateurs et specialistes de l'usage linguistique quebecois. Le Reseau des corpus lexicaux quebecois est dejä accessible depuis le site Web du Secrötariat ä la politique linguistique (www.spl.gouv.qc.ca/corpus/index.htmI). On peut rapidement y prendre connaissance des cinq universites qui participent au reseau actuel, de la liste et du contenu des corpus dejä consultables, ainsi que de la procedure ä suivre pour interroger ces corpus. Des liens permettent ä ceux qui le desirent d'aller chercher un Supplement d'informations, sur le contenu de ces corpus ou encore sur les equipes de recherche qui les ont constituds, directement sur les sites Web de ces öquipes. Des l'entröe, on a egalement un accös immediat au guichet unique d'interrogation. 11 suffit d'y inscrire l'objet de sa requete, de choisir le corpus ä balayer et de lancer la recherche (bouton « Soumettre w).^ L'interrogation peut porter sur un mot simple, un mot compose ou une expression. De nature tres variöe, les renseignements disponibles peuvent repondre ä des interets tres divers. On peut consulter pour obtenir des attestations, pour verifier ou mieux cemer l'usage de certains mots ou sens particuliers, pour mieux identifier leur contexte d'emploi (linguistique, thematique ou encyclopödique), pour degager des Clements de phraseologie (collocations, cooccurrences, syntagmes et expressions), pour reperer des citations d'auteurs (dans les corpus litteraires notamment) ou d'autres exemples d'emplois, pour mesurer la vitalitö de s^ries de synonymes, etc. Les resultats de la recherche s'affichent selon le format determine de chaque corpus : fiches, extraits de quelques lignes, concordances, index ou autres. Dans le cas des corpus dont les textes sont toujours sous la protection des droits d'auteur, les rösultats ne peuvent etre presentes que sous la forme de concordances ou de Courts extraits, de maniere ä ce que le contenu global de ces textes ne soit pas accessible. Une fois le r^sultat obtenu, on a le choix de poursuivre d'autres recherches ä l'interieur de l'une ou l'autre des bases disponibles (pour exploiter la methodologie d'interrogation propre ä une equipe participante)^ ou encore de revenir au guichet unique pour formuler une nouvelle requete.

Depuis, le reseau s'est enrichi d'une douzieme banque de donnees (voir ci-dessous 4. Developpements recents). Depuis le colloque, des ameliorations ont ete apportees ä notre guichet ä la lumiere des commentaires et suggestions foumis par ses utilisateurs. Pour des recherches plus approfondies dans Tun ou l'autre des corpus du reseau (qui demanderaient un acces plus large ou un protocole d'exploitation plus elabore), il est possible de prendre entente directement avec le ou les responsables des equipes participantes.

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Normand

Maillet

3.

Presentation des c o r p u s mis en reseau''

3.1.

Les corpus de l'Universite Laval



Fichier lexical du Tresor de la langue fran^aise du Quebec

Le fichier lexical du Tresor de la langue franfaisc du Quebec a ete constitue ä partir du depouillement d'une grande diversite de sources: recits et relations de voyage, documents d'archives (manuscrits ou imprimes), joumaux et magazines, textes litteraires et scientifiques, manuscrits de radioromans et de teleromans, enregistrements oraux, relevös d'enquetes sur le terrain, etc. Au total, ce fichier lexical contient plus de 1 200 000 fiches manuscrites comportant chacune un ou plusieurs exemples d'emploi d'un mot-vedette; ces exemples couvrent une Periode qui commence avec les voyages de Jacques Cartier (XVI' siede) et s'etend jusqu'ä nos jours. Le corpus actuellement interrogeable sur notre site Web contient quelque 60 000 citations extraites entre autres de joumaux et de romans. Ce fichier offre de multiples possibilitds de recherche de type synchronique (notamment sur les particularismes queböcois, leur developpement semantique et leur phraseologie) ou diachronique (recherche d'attestations anciennes et evolution semantique, par exemple).



Index lexicologique qu^bicois

Ulndex lexicologique quebecois (ILQ) repertorie la plupart des mots et expressions du fran?ais nord-americain (surtout du frangais quebecois) ayant fait l'objet d'un relevö, d'un commentaire ou d'une ötude dans l'une ou l'autre des sources suivantes depuis le milieu du X V l i r siede jusqu'ä aujourd'hui: glossaires, manuels de bon usage, listes de mots, dictionnaires, articles de periodiques, chroniques de langage, theses, etc. Cet index repose sur le depouillement d'environ 3300 sources difförentes et comprend pres de 133 000 entr^es regroupant elles-memes plus de 476 000 releves distincts. Ainsi, on peut v6rifier rapidement si l'emploi qui nous Interesse a dejä ete traite et, le cas echeant, obtenir les references exactes de tous les passages oü il en a et6 question (depuis 1750 jusqu'ä aujourd'hui). Cette base de donnöes de type mötalinguistique ou epilinguistique est fort pertinente pour les travaux de nature lexicographique, car eile permet d'avoir rapidement acces ä l'ensemble des jugements metalinguistiques portes sur tel ou tel emploi lexical.



Section qu^becoise de la Base de donn^es lexicographiques panfrancophone

La Base de donnees lexicographiques panfrancophone (BDLP) est une base informatisöe produite par le groupe international du Tresor des vocabulaires francophones, qui reunit

Cette presentation est principalement basee sur les textes descriptifs integres ä notre site ; nous en utilisons de larges extraits qu'il serait trop lourd de präsenter comme des citations.

Le Reseau des corpus lexicaux quebecois dans Internet

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actuellement des equipes de la Belgique, de la Suisse, de la France et du Quebec. La BDLP vise ä reunir de rinformation portant sur les particularitös lexicales des diverses vari^t^s geographiques de fran9ais en usage dans le monde, incluant les fran9ais regionaux de France. Notre reseau donne acces ä la section quebecoise de cette base, qui repose sur les donnees du Dictionnaire historique du frangais quebecois (publie en 1998). II est pr6vu que tout le dictionnaire soit incorpore ä cette base qui offrira de multiples possibilitös de recherche, autorisant en outre des rapprochements entre les usages quebecois et ceux des autres pays et communautes francophones. Le projet international envisage Integration de donnees acadiennes et louisianaises ainsi que l'integration de donnees provenant d'^quipes nationales africaines. Ainsi, la BDLP porterait en principe sur les emplois caracteristiques des communautes francophones beige, suisse, quebecoise, africaines, etc., de fa9on ä ce que, en la jumelant au grand dictionnaire qu'est le Tresor de la langue frangaise, on puisse couvrir l'ensemble des usages du fran9ais dans le monde ; c'est lä l'objectif de depart de ce projet international. A l'heure actuelle, les sections beige, suisse et quebecoise de la BDLP sont en chantier, la section quebecoise etant de lein la plus avanc^e en ce qui a trait ä la quantite de materiaux informatises. Elle contient actuellement 2448 entr^es et 3842 citations.



Base de donnees textuelles Queb^text

La base de donnees textuelles Quebetext est formee de deux corpus principaux. Le premier se compose d'environ 100 textes litteraires, dont une vingtaine, s'echelonnant de 1837 ä 1919, peuvent etre interroges depuis notre guichet; les autres textes, non affranchis de droits d'auteur, ne peuvent etre interrogös que sur place, au Tresor de la langue fran9aise au Quebec. Les ceuvres integröes ä Qu^bötext ont ete choisies en raison de leur importance historique, de leur qualite formelle, de leur influence et, enfin, en raison de la place qu'elles occupent dans l'enseignement de la litterature au Quebec. Le second corpus de la base Quebetext est constitue de 38 textes (courts articles ou extraits d'ouvrages) portant sur l'anglicisme au Quebec et publies entre 1826 et 1930.



Base de donnees textuelles ChroQu^

La base de donnöes textuelles ChroQue, realisee par le Laboratoire de lexicologie et de lexicographie quebecoises (LexiQue),® est constituee de 260 chroniques quebecoises de langage. Elle vise ä favoriser la diffusion, la consultation et l'exploitation ä des fins de recherche de textes qui ont joue un röle determinant dans la formation de la conscience linguistique des Quebecois ainsi que dans leur rapport ä la norme. En effet, ces chroniques font etat des jugements qui ont ete publiquement emis sur toute une serie d'usages quebecois, jugements etroitement associes aux notions de norme et de bon usage dont elles ont assure une tres large diffusion.

'

La base ChroQue est stockee ä l'Universite Laval, mais l'equipe de LexiQue est egalement composee de chercheurs de l'Universite de Sherbrooke et de l'Universite du Quebec ä Chicoutimi.

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3.2. Corpus de l'Universite de Montreal —

Base de donnees textuelles Textum^

La base de donnees textuelles Textum reunit essentiellement des textes litteraires et joumalistiques contemporains. Elle comprend, dans sa partie consacree au fran9ais queböcois, 91 millions de mots qui se röpartissent en trois ensembles: le premier est constitue d'oeuvres 6ditees chez Lemöac ; le deuxieme, de pres de 170 000 articles de joumaux ou pöriodiques ; le troisieme, de textes scientifiques parus de la revue Interface de l'Association francophone pour le savoir (ACFAS) (qui a prec6d6 l'actuelle revue Decouvrir). La base Textum est surtout utilisee pour effectuer des etudes lexicographiques et des Stüdes de fröquences. Elle pennet notamment d'analyser la cooccurrence lexicale et la combinatoire syntaxique de diverses expressions.

3.3. Corpus de l'Universite du Quebec ä Montreal —

Corpus linguistique en environnement queb^cois

Le corpus linguistique en environnement quebecois (CLEQ) est constitu6 d'un ensemble de documents ecrits relatifs au domaine hydroelectrique du Quebec. II s'agit d'un corpus de plus de 1,5 million de mots r^partis en plusieurs sections consacrees ä des sources de nature aussi variee que des archives historiques, des Stüdes techniques, des devis de construction, etc. Dans son etat actuel, le CLEQ met ä la disposition du visiteur un document technique relatif ä la construction et ä l'amdnagement de l'aeroport de Grande-Baleine. Les textes presentes renferment une richesse lexicale interessante, notamment en matiere de terminologie du sol, de la flore, de la faune, de la toponymie fran9aise, anglaise et amerindienne, etc. On y trouve de nombreux toponymes, des sigles et acronymes, des termes techniques normalises et non normalisös, avec les problemes inherents aux langues de spöcialite (mots anglais, latins, etc.).

3.4. Corpus de l'Universite du Quebec ä Rimouski —

Corpus du Temiscouata (1930-1936)

Le corpus du Temiscouata a extrait du fonds Leo-Pierre Bemier appartenant au Service des archives de l'Universite du Quebec ä Rimouski. 11 est constitue en grande majoritö de lettres adressöes ä l'abbe Löo-Pierre Bemier, missionnaire-colonisateur du Bas-SaintLaurent, qui ont ete redigees entre 1930 et 1936 par des Colons generalement peu lettres. En parallele, on a ajoutö des Clements de correspondance avec d'autres acteurs de la colonisation : agents des terres, cur6s de paroisse, religieuses, gardes-malades. Toutes les lettres originales sont manuscrites. Ce corpus diachronique contient 180 000 mots. On constate, sur le plan linguistique, que les Colons auteurs de ces lettres, malgre leur connaissance approximative de l'orthographe - les cas de confusions graphiques sont

Rebaptisee Lexiqum depuis 2001.

Le Reseau des corpus lexicaux quebecois dans Internet

243

fröquents : ses mis pour c 'est, par exemple - connaissent et maitrisent certaines regles du style epistolaire (formules de politesse, salutations, etc.) et de la rh^torique propre ä la requete et ä la persuasion. On peut trouver dans ce corpus des expressions regionales, des tournures syntaxiques populaires, des denominations particuliöres, certains archaismes et parfois des graphies phonetiques qui laissent transparaitre l'accent du scripteur. Dans ce genre de corpus, on peut observer la « collision » entre deux univers de langage, l'oral populaire et l'öcrit releve, ainsi que le contraste entre formes prestigieuses du parier de reference et tournures orales du parier local ou individuel. Etudier cette «tension » linguistique dans les ecrits des generations pr^cedentes permet de mieux appr^hender cette meme «tension » qui persiste dans la langue actuelle et qui persistera encore longtemps. On est alors ä meme de mesurer le chemin parcouru depuis le siede demier.

3.5. Corpus de I'Universite de Sherbrooke —

Banque de donn^es textuelles de I ' U n i v e r s i t e de Sherbrooke

Le corpus de la Banque de donnees textuelles de I'Universite de Sherbrooke (BDTS) consultable depuis notre guichet comprend quelque deux millions d'occurrences (pour 61 843 formes) tir^es de 1054 textes differents. II constitue un sous-ensemble d'une base qui a maintenant d^passö les 20 millions de mots). Ce corpus est composö de huit sous-corpus d'environ 250 000 mots chacun et dont le traitement repond ä une norme commune, ce qui rend leurs donnees comparables ; plusieurs d'entre eux sont en outre lemmatisds. Les textes retenus sont repr^sentatifs de divers domaines, types de discours et niveaux de langue : • Textes techniques • Textes joumalistiques • Textes scientifiques • Textes litteraires • Textes sociopolitiques • Textes environnementaux • Textes administratifs • Textes oraux Tous les mots du corpus ont etö Indexes. Theoriquement, il existe donc exactement deux millions de contextes correspondant ä chaque « mot » ou occurrence du corpus. Pour des raisons pratiques visant ä respecter les droits d'auteur des ceuvres stockees dans la BDTS (il ne peut etre question de donner acces ä des parties « substantielles » de ces ceuvres), le nombre de contextes disponibles pour chacun des mots flgurant ä l'index est limite ä 50.



Repertoire d'exemples d'emprunts critiques ä l'anglais tir^s de la BDTS

Le Repertoire d'exemples d'emprunts critiques ä l'anglais tires de la BDTS met en contexte 1400 des 4216 emprunts repertories dans le Dictionnaire de frequence des mots du franfais parle au Quebec et dans les principaux ouvrages normatifs quebecois qui ont fait l'objet d'un depouillement pröalable : le Dictionnaire des anglicismes de Gilles Colpron (Colpron, 1970, 1982 et 1994), le Multidictionnaire des difflcultes de la langue franfaise de Marie-Eva de Villers (1992), le Dictionnaire des canadianismes de Gaston Dulong (1989), ainsi que diverses chroniques et ouvrages publies par l'Office de la langue fran9aise. Presque tous les emprunts recensös reldvent de la cat^gorie des anglicismes lexicaux. Ä ceux-ci s'ajouteront quelque 750 emprunts de sens.

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Normand Maillet

Le Quebec par les mots (fonds Louis-Edmond Hamelin)

Le Quebec par les mots est un repertoire comptant plusieurs tnilliers de mots et d'expressions rassemblös et trait6s selon une approche multidisciplinaire faisant appel, entre autres, ä la göographie, ä l'histoire, ä la ntologie et ä la terminologie, le tout r^parti en trois sousensembles thömatiques: le rang des campagnes, 1'hiver et le Nord, les Laurentides. Ce repertoire rösulte d'une vaste etude menöe par Louis-Edmond Hamelin, geographe, neologue et specialiste du Nord. Les textes presentes ainsi que les documents connexes qui les accompagnent rendent compte d'un important travail de collecte de donnees, de reflexion et d'analyse qui s'est poursuivi sur de nombreuses annees. Le tout permet de brosser un large tableau geoculturel du Quebec qui revele de multiples nuances et particularites. La premiere partie de ce repertoire, consacr6e au rang des campagnes, comprend quelques milliers de mots, termes et toponymes repartis dans quelque 350 fiches. 11 est prevu que les deux parties suivantes viennent s'y ajouter.

4.

Developpements recents

Devant l'int^ret suscite par la cr^ation du reseau des corpus lexicaux quebecois et les demandes encore nombreuses formul6es par plusieurs equipes de chercheurs, le Secretariat ä la politique linguistique d^cidait, en 2001, de reconduire le programme pour une autre Periode de trois ans. De nouvelles subventions ont accordees, portant jusqu'ä maintenant le budget global ä plus d'un million de dollars. Cela a permis, d'une part, l'enrichissement de plusieurs bases de donnöes ; c'est la cas du Fichier lexical du Tresor de la langue fran9aise du Quebec, de l'Index lexicologique queböcois, des bases de donnees textuelles ChroQue, Lexiqum et Le Quebec par les mots; et d'autre part, l'ajout d'un nouveau corpus, sous la responsabilite de l'Universit^ de Sherbrooke : le Repertoire de la qualite de la langue au Quebec. II s'agit principalement d'un corpus de textes d'opinions publies dans le quotidien montrealais La Presse entre 1960 et 1992, auxquels s'ajoutent de nombreux extraits des introductions, avant-propos et prefaces d'une soixantaine de dictionnaires et ouvrages normatifs publi^s au Quebec de 1881 ä 1993. Ces declarations officielles, opinions de specialistes ou avis de lecteurs rendent compte des divers points de vue emis sur la qualite de la langue au Quebec au cours de ces periodes. D'autres corpus viendront enrichir le reseau dans un proche avenir, notamment celui des textes des memoires presentes aux audiences publiques et aux joumees thematiques tenues par la Commission des Etats generaux sur la Situation et l'avenir de la langue fran9aise au Quebec au cours de l'annöe 2000.

Le Reseau des corpus lexicaux quebecois dans Internet

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References

Beauchemin, Normand, Pierre Martel et Michel Theoret (1992). Dictionnaire de frequence des mots du franQais parle au Quebec : frequence, dispersion, usage, ecart reduit, New York, Peter Lang (« American University Studies. Series xill, Linguistics », 26). Colpron (1970; 1982 ; 1994) : Colpron, Gilles. Les anglicismes au Quebec. Repertoire classifie, Montreal, Libraire Beauchemin limitee, 1970. - Dictionnaire des anglicismes, Beauchemin, 1982, - Le Colpron. Le nouveau dictionnaire des anglicismes, mise ä jour de Constance et Louis Forest, Laval, Editions Beauchemin Itee, 1994. Dulong, Gaston (1989). Dictionnaire des canadianismes, Boucherville (Quebec), Larousse Canada. De Villers, Marie-Eva (1992). Multidictionnaire des difficultes de la langue franfaise, 2' edition, Montreal, Editions Quebec/Amerique. Poirier, Claude (dir.) (1998). Dictionnaire historique du frangais quebecois. Monographies lexicographiques de quebecismes, Sainte-Foy (Quebec), Les Presses de l'Universit^ Laval, xlviii-641 p. Site Web du Reseau des corpus lexicaux quebecois, Secretariat ä la politique linguistique, Gouvernement du Quebec (www.spl.gouv.qc.ca/corpus/index.html).

FREDERICK GAGNE, CLAUDE VERREAULT et LOUIS MERCIER Labomtoire de lexicologie et lexicographie quebecoises Universite Laval et Universite de Sherbrooke

La base de donnees textuelles ChroQue : un nouvel outil pour elargir la description du fran9ais en usage au Quebec Les jugements de tous ordres - et le plus souvent negatifs - auxquels la variete quebecoise de franfais a ete soumise depuis la deuxieme moitie du XIX® siede ont largement contribu^ ä la construction de Timaginaire linguistique des Quebecois. Dans la diffusion de ces jugements, les chroniqueurs de langage ont joue un röle de premier plan, aussi important que celui joue par les auteurs des innombrables ouvrages prescriptifs qui jalonnent l'histoire de la lexicographie quebecoise, ä qui les chroniqueurs ont du reste beaucoup emprunte tout en ne manquant pas de les alimenter en retour. Si la description lexicographique du fran^ais usite au Quebec necessite la Constitution de bases de donnees textuelles sufFisamment representatives de l'ensemble des usages linguistiques qui ont cours dans cette variete, eile ne saurait s'y limiter. Elle doit aussi rendre compte des jugements portes sur un bon nombre de ces usages par ceux qui sont reconnus comme des autorit^s en matiere de langue. Ainsi, la description de breuvage « boisson » ne sera complete que si le lexicographe precise que cet emploi a ete et est toujours critique (v. ChroQue et ILQ), ce qui ne l'empeche pas de rester courant pour autant; l'omission de cette Information risque de fausser la description, comme c'est le cas dans le DFP et dans le DQA, oü breuvage est donne ä tort comme familier. C'est dans ce contexte que Claude Verreault, Louis Mercier, Thomas Lavoie et JeanDenis Gendron, du Laboratoire de lexicologie et lexicographie quebecoises (LexiQue), ont eu l'id^e de constituer une base de donnees textuelles de chroniques quebecoises de langage : la base ChroQu^. Developpee gräce au soutien fmancier du Secretariat ä la politique linguistique, cette base vise ä favoriser la diffusion, la consultation et l'exploitation, ä des fms de recherche, de textes qui ont joue un röle determinant dans la construction de l'imaginaire linguistique des Quöbecois ainsi que dans le rapport que ces demiers entretiennent avec la norme. Apres avoir brievement decrit le contenu de la base ChroQue, nous ferons etat des differents traitements auxquels les textes doivent etre soumis avant d'y etre versus ; par la suite, nous livrerons un aperfu des diverses interrogations possibles.

1.

Contenu

Apparues dans le demier tiers du XIX' siede, les chroniques quebecoises de langage sont tres nombreuses et il a forc^ment fallu proceder ä une selection. Ä partir de diverses

248

Frederick Gagne, Claude Verreault et Louis Mercier

bibliographies, notamment Celles effectuees sous la direction d'Andrö Clas (1975 et 1976), nous avons identifie environ 25 chroniqueurs importants et reprösentatifs, dont le nom etait, dans le public, garant d'une certaine autoritö en matiere de langue et dont la production totalise autour de 5500 chroniques. Nous avons retenu des chroniques de diverses epoques, depuis Celles d'Arthur Buies (1865-1866), qui ont ete les premieres du genre, j u s q u ' ä celles de Philippe Barbaud (19841986), qui figurent parmi les plus recentes, en passant par celles d'Alphonse Lusignan (18841885), de Louis Frechette (1893-1903), de Raoul Rinfret (1895), de Louis-Philippe Geoffrion (1923-1927), de G6rard Dagenais (1959-1961, 1961, 1965-1966 et 1966a et 1966b) et de Louis-Paul Beguin (1975-1982), sans oublier une partie de celles - tres nombreuses et souvent repetitives - d'Etienne Blanchard (1912, 1918-1919 et 1949-1952). Nous avons aussi retenu un certain nombre de chroniques publikes ä l'exterieur des grands centres que sont Montreal et Quebec et qui temoignent de preoccupations souvent plus regionales, par exemple celles de Narcisse Degagne (1927-1940) Tableau 1 et d'Alfred Carrier (1942-1946). Certaines Contenu actuel de la base ChroQui chroniques ont parfois suscite de vives reactions qui ont pris la forme de veritables «contreS^rie Nombre chroniques » ; le cas echeant, nous avons aussi Barbaud (1984-1986) 96 verse ces reactions dans la base (c'est le cas, par Böguin (1975-1982) 973 exemple, de la rubrique de Firmin Paris, 1899Blanchard (1912) 4 1900, en reponse ä la chronique de Louis Blanchard (1918-1919) 65 Fröchette, 1893-1903). Blanchard (1949-1952) 132 A ce jour, la base ChroQue comprend 3586 Buies (1865-1866) 5 chroniques constituees de 26 söries signees par Carrier (1942-1946) 188 une vingtaine de chroniqueurs difTerents Chantal (1953-1963) 482 (v. tableau 1), dont pres de la moiti6 sont dejä en Dagenais (1959-1961) 80 ligne sur le web. Dans la base, chaque serie de Dagenais (1961) 4 chroniques est identifiee par un sigle compose du Dagenais (1965-1966) 39 nom de famille ou du Pseudonyme du Dagenais (1966a) 122 chroniqueur, le plus souvent reduit ä sa premiere Dagenais (1966b) 17 syllabe, suivi d'un mot (souvent abrege) du titre Darbelnet (1%3-1%7) 18 de la serie (LusFaut, par exemple, qui renvoie ä la Degagnö(1927-1940) 567 s6rie d'Alphone Lusignan intitulee « F a u t e s ä Frtehette (1893-1903) 155 Geoffrion (1923-1927) 158 corriger. Une chaque j o u r » ) . Ce sigle est ä son 191 Lusignan (1884-1885) tour suivi d'un trait d'union puis du numero de Paille(1865) 1 chaque chronique ä l'interieur de la serie Paris (1899-1900) 13 (LusFaut-015, par exemple, qui renvoie ä la Rinfret (1895) 25 quinzieme chronique de la meme serie). Cette Saint-Denis (1923-1926) 17 fa9on de coter les chroniques, qui est semblable ä SPFCCorr (1930-1945) 148 Celle dejä utilisee dans VIndex lexicologique 1 Timon(l865) quebecois (ILQ) du Trösor de la langue fTan9aise Troestler(1995) 39 au Quebec, permettra eventuellement d'ötablir Vien (1995-1996) 46 des hyperliens entre cet index et la base ChroQu^. Total

3586

La base de donnees textuelles ChroQue : un nouvel

2.

249

outil...

Saisie, mise en forme et edition des textes

De fa9on generale, les chroniques ont ete saisies manuellement ä l'aide d'un logiciel de traitement de texte, en l'occurrence Microsoft Word; seul un petit nombre d'entre elles ont pu etre numerisöes, ce qui s'explique par la mauvaise qualit^ typographique des photocopies obtenues ä partir de microfilms de joumaux. Ä l'aide d'un modele de document prealablement etabli ä cette fin, nous avons essay6, dans toute la mesure du possible, de respecter la mise en forme originale. Ainsi, la face des caracteres a ete maintenue teile quelle, sauf dans le cas d'erreurs Evidentes (pour un exemple, V. tableau 2). Tableau 2' Modification de la face des caracteres Texte M i t i

Texte original De meme Ton dira encore : « Manger des pommes est bon pour la sante », avec 6on au neutre. et non pas bonnes sous pretexte d'accord avec le mot pommes.

De meme Ton dira encore : « Manger des pommes est bon pour la santö », avec bon au neutre, et non pas bonnes sous_pr6texte d'accord avec le mot pommes.

Source

CarrQFr-070

L'edition de textes d'abord parus dans des joumaux pose divers problemes et nous avons jugö bon d'intervenir dans un certains nombre de cas. Pour ne pas compliquer inutilement la recherche en mode texte, ces interventions ne sont pas signalöes dans la base. Les coquilles et les fautes Evidentes, nombreuses dans les j o u m a u x et en particulier dans les j o u m a u x anciens, ont ete systömatiquement corrigees (pour des exemples, v. tableau 3). Tableau 3 Correction des coquilles et des fautes Evidentes Texte ^diti

Texte original

Source

des obligations

FriehCorr-008

Mesieurs

Messieurs

FrechCorr-Oll

Vallefield

Valleyfield

FrechCorr-023

agravantes

aggravantes

FrechCorr-135

portant

pourtant

FrechCorr-151

des Obligation

La ponctuation originale a et6 respectee, sauf quand eile risquait de nuire ä la bonne compröhension du t e x t e ; ainsi, nous avons supprim^ certaines virgules söparant un verbe de son sujet immediat (comme dans l'exemple du tableau 4).

Dans ce tableau et dans ceux qui suivent, le soulignement est de nous.

250

Frederick Gagne, Claude Verreault et Louis Mercier Tableau 4 Correction de la ponctuation Texte original

Texte iditi

Source

Si vous ajoutez demain, il n'y a point de distinction ä faire ; mais si vous n'indiquez en rien l'epoque du paiement,

Si vous ajoutez demain, il n'y a point de distinction ä faire ; mais si vous n'indiquez en rien l'epoque du paiement, je vous paierai indique simplement la promesse vague de payer, tandis que je vais vous payer donne ä entendre que vous etes sur le point de payer.

FrechCorr-019

promesse vague de payer, tandis que Je vais vous payer donne ä entendre que vous 6tes sur le point de payer.

D a n s le m e m e ordre d ' i d e e s , les signes de ponctuation places ä l'interieur des guillemets ont ete deplac^s ä l'exterieur q u a n d ils n ' a p p a r t e n a i e n t pas au passage guillemete (pour un exemple, v. tableau 5). Tableau 5 Deplacement des signes de ponctuation Texte original On s'obstine dans certains quartiers ä traduire « dollar » par « piastre. » sous pretexte que dollar est un mot anglais.

3.

Texte «diti On s'obstine dans certains quartiers ä traduire « dollar » par « oiastre », sous pretexte que dollar est un mot anglais.

Source FrechCorr-148

Balisage et encodage linguistique des textes

Une fois saisies et apres avoir 6te relues attentivement, les chroniques sont sauvegardees au format XML {Extensible Mark Up Language ou Langage extensible de balisage). Caractörise par sa souplesse, le langage XML offre ä l'utilisateur la possibilit^ de g^nerer ses propres balises en fonction de ses besoins sp6cifiques. Avant d'etre versees dans la base, les chroniques font l'objet de deux types de balisage. Le Premier sert ä la mise en forme et ä la mise en page des documents ainsi qu'ä la gestion de la base de donnees (reference, delimitation du texte, etc.); il est genere automatiquement ä l'aide d'une macro Visual Basic, qui procede en outre ä la sauvegarde des documents au format XML et ä la conversion des caracteres speciaux (guillemets, cedilles, espaces insecables, etc.). Le deuxieme, que nous appelons encodage linguistique, sert ä indexer diverses donnees jugöes pertinentes; contrairement au premier, il nöcessite une reflexion sur les textes. Les choix qui ont conduit ä l'elaboration de l'encodage linguistique refletent avant tout les preoccupations de recherche des membres du LexiQue; cependant, rien n'empecherait d'autres chercheurs de dövelopper un encodage complementaire ou tout ä fait difförent, en fonction de ieurs propres preoccupations. A partir de quelques textes-temoins, nous avons d'abord identifiö les ^l^ments que nous souhaitions pouvoir indexer (pour un aperfu, v. annexe 1). Nous avons ensuite defmi les balises necessaires ä cette indexation dans un document DTD {Document Type Defenition ou Definition de type de document). Celles-ci

La base de donnees lexluelles ChroQue : un nouvel outil...

251

peuvent comporter divers attributs auxquels sont associöes des valeurs tantot contextuelles, c'est-ä-dire variables selon les contextes, tantot pröd^finies, c'est-ä-dire invariables d'un contexte ä l'autre (v. tableau 6). Tableau 6 Balises relatives ä l'encodage linguistique^ COMPOSANTES NOM

Valeurs

Attributs EMPLOI

forme nature

VC lexical phonaique grammaticai gtolinguistique historique sociostylistique

THfeME

condamnation formulalion sujet

O/0 VC/0 VC

AÜT0RJT6





CITATION

source sexe occupation domicile

VC/0 M/F/0 VC/0 VC/0

CORRES FONDANT

Nous presentons maintenant plus en detail chacune de ces balises, que nous illustrerons ä partir d'exemples puises dans les chroniques de Louis Fröchette (1893-1903). La balise EMPLOI sert ä indexer les divers emplois traites par les chroniqueurs ainsi que les commentaires qui les accompagnent. Elle comporte quatre attributs : le premier sert ä identifier la forme proprement dite, le second ä preciser la nature du commentaire, le troisi^me ä indiquer si l'emploi commente a donne lieu ä une condamnation et le quatri^me ä preciser les termes de cette condamnation. Par exemple : r«Tourbouille», mot acadien, dans le sens de nettoyage periodique d'une maison, n'est pas fran