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French Pages 212 [220] Year 2013
Gau mais Champenois LES LANGUES RÉGIONALES DE WALLONIE
Ce livre donne accès à un site compagnon sur lequel figurent des enregistrements vidéos et audios d'auteurs wa llons d'hier et d'aujourd'hui, ainsi que des chansons wa llonnes trad itionnel les et contemporaines (voir description p . 213).
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wALLON, PICARD, GAUMAIS, CHAMPENOIS
Michel Francard WALLON, PICARD, GAUMAIS, CHAMPENOIS LES LANGUES RÉGIONALES DE WALLONIE
~~de boeck
EN COUVERTURE •Doudou: au départ, désigne vraisemblablement le Dragon combattu par saint Georges lors de la ducasse de Mons. Par extension, s'applique au jourd'hui ou chant qui accompagne ce combat et même parfois à l'ensemble des festivités liées à cette ducasse.
• Li bic bouquèt: 'Le beau bouquet', offert par le fian cé à sa belle, est le titre de l'hymne officiel des Namurois.
• Oufti : littéralement« ouf toi
» ; interjection emblématique des Liégeois ... qui s'est diffusée aujourd'hui dans l'ensemble de la Wallonie.
• Djan d' Mâdy : 'Jean de Montmédy', personnage très populaire dans le pays gaumais.
L'édition de cet ouvrage a été rendue possible grâce au sou~en du Comité roman du Comité belge du Bureau européen pour les Langues moins répandues (CROMBEL) et du Service des langues régionales endogénes (S.L.R.E.) de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
~
MicllmIANIA
FÉDÉRATION W'AllONlf · BRUXElLES
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Couverture : cerise.be lllustrotions : Valentine Safatly Mise en page : CW Design Cartagrophie : Afdec
©De Boeck Supérieurs.a., 20 13 Rue des Minimes 39, B- l 000 Bruxelles
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Tous droits réservés pour tous pays . Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l'éd iteur, de reprodui re (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au publ ic, sous quelque form e et de quelque manière que ce soit. Imprimé en Belgique Dépôt légal: Bibliothèque nationale, Paris: septembre 2013 Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles: 20 13/0035/006
ISBN 978-2-8011-1736-1
Table des matières
1
2
Avant-propos
11
Wallonie, Wallons
15
Une terre de contrastes
16
Une population en progression Une histoire récente, des racines séculaires
21
Wallon, Wallonie
31
Histoire linguistique de la Wallonie La Wallonie, terre romane rautonomisation des langues régionales face au français Lirrésistible progression du français La pratique actuelle des langues régionales en Wallonie I:influence des langues régionales romanes en français
23
37 38 44
47 50
56
5
3
4
Description des langues de la Wallonie
59
Les régions linguistiques de la Wallonie
60
Les caractéristiques linguistiques
63
Les études linguistiques
72
Les archives sonores et visuelles
78
L'orthographe wallonne
80
Aperçu de la littérature régionale Les périodes
86
Le théâtre
91
• La poésie
97
La prose
5
6
85
111
• La bande dessinée
122
Vitalité des langues régionales aujourd'hui
127
Les langues régionales dans la vie associative et culturelle
128
Les langues régionales dans les médias
160
Les langues régionales et les nouvelles technologies
164
Les langues régionales dans l'enseignement
167
Les langues régionales et la législation
171
6
Quel avenir pour les langues régionales de la Wallonie?
175
Des fragilités
176
Des espoirs
176
Des débats
178
Pour en savoir plus
181
Livres
181
Revues
187
Sites
187
Associations et institutions
188
Annexes
191
Site compagnon
213
7
À Émilie et Sacha cette invitation au voyage
Avant-propos
Qu'y a-t-il de commun entre la crèche communale de Noville (Bastogne), la confrérie folklorique de Tilff et le club de marche de Namur? Tous trois ont em prunté au wallon leur nom respectif: les p'tis leûs «les petits loups», les parais «les poireaux », les spitants «les délurés». Ce type de ch oix n'est pas rare en Wallonie, dans les secteurs du tourisme et de la culture n otamment, o u pour désigner des maisons de quartier, des clubs de jeun es, des groupes de seniors. Les exemples qui précèdent ne relèven t pas du hasard. Empruntés à la vie associative, ils illustrent combien le wallon est porteur de sentiments de solida rité, de convivialité, de bien vivre. Et cela, alors que la pratique de cette langue régionale est aujourd'hui plus que menacée, en particulier ch ez les jeunes. Q uel contraste entre la Wallonie d'il y a cent ans, dont la grande majorité des habitants ne s'exprimaient qu'en wallon, en picard ou en gaumais, et celle d'aujourd'hui, entièrement gagn ée à la cause du français! Quel déclin rapide pour des langues région ales multiséculaires, couvrant naguère l'ensemble des domaines de la vie sociale ... Et q uelle perte patrimoniale, tant linguistique que culturelle. Mais ce patrimoine, qui le connaît? S'il a été remarquablement décrit par des spécialistes, il est souvent ignoré des Wallon s eux-mêmes. D'où l'intérêt d'une publication comme celle-ci, Avant-propos
11
qui présente les langues de la Wallonie de manière synthétique et accessible à un large public. Ces langues régionales en Wallonie romane sont abordées d'un quadruple point de vue. Leur histoire d'abord, depuis le latin jusqu'à ce jour, marquée par l'irrésistible progression du français. Leur description linguistique ensuite, qui distingue le wallon du picard, du gaumais et du champenois. Leur fortune littéraire, culminant au 2oc siècle, mais inaugurée dès le l 7c siècle. Leur vitalité actuelle enfin, en net recul par rapport aux décennies passées, mais qui continue de s'observer dans des niches privilégiées. La (re)découverte de ce patrimoine original et riche n'a rien de passéiste. Elle invite à poser un regard critique sur la Wallonie d'aujourd'hui, ainsi que sur ses choix linguistiques et culturels. Sur son avenir aussi: une société se construit grâce aux langues qu'elle décide de faire vivre. Une Wallonie avec ou sans wallon? Cherchez la différence ...
12
AVANT-PROPOS
Note Ce livre reprend, en la développant significativement, la matière publiée en 2000 sous le titre Langues d'oïl en Wallonie, huitième volume de la collection Langues européennes éditée par le Comité roman du Comité belge du Bureau européen pour les Langues moins répandues (CROMBEL). J'adresse mes sincères remerciements aux personnes qui ont contribué, par des commentaires, des informations ou des documents iconographiques, à enrichir la version initiale de ce texte; en particulier à Esther Baiwir, Bruno Delmotte, Ch antal Denis, Christophe Dubois, Baptiste Frankinet, Jean Germain, Paul Lefin, Bernard Louis, Charles Massaux, Lucien Mahin, Maggy Pirotte, Jacques Remy-Paquay, Gennaro Tornincasa. Ma vive gratitude va à Nadine Vanwel.kenhuyzen et à Jean-Luc Fauconnier, respectivement Directrice du Service des langues régionales endogènes et Président du Conseil des langues régionales endogènes, pour leur contribution efficace et conviviale à la conception et à la réalisation de cet ouvrage.
Avant-propos
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Wallonie, Wallons Une terre de contrastes Une population en progression Une histoire récente, des racines séculaires Wallon, Wallonie
La Wallonie ne bénéficie pas toujours d'une image de marque positive. Il n'est pas rare d'entendre parler d'une Belgique à deux vitesses où une Flandre riche et conquérante compenserait les faiblesses d'une Wallonie à la traîne. Ces clichés sont partiellement contredits par les faits, mais ils ont la vie dure, y compris chez les Wallons eux-mêmes. Le portrait de la Wallonie est contrasté, à l'image de sa population . Ses indéniables fragilités, surtout au plan économique, ne doivent pas occulter les atouts prometteurs que lui procurent son environnement relativement protégé, sa démographie en progression et son dynamisme en matière d'innovation technologique. Portrait contrasté, à l'image aussi de ses racines historiques: la Wallonie, dont le nom même n'existe que depuis le 19• siècle, peine encore à trouver une identité qui transcende les divisions territoriales et linguistiques héritées d'un passé séculaire.
•
Une terre de contrastes
Située au carrefour des axes majeurs qui traversent l'Europe occidentale, la Wallonie présente un espace contrasté de 16 844 km 2 (55 % du territoire belge), alternant paysages ruraux et sites industriels. La majeure partie (51 %) de ce territoire est réservée à des activités agricoles, auxquelles s'ajoutent d'importantes zones boisées (29 %). Les zones construites n'occupent que 8 % de l'espace wallon. D'Ouest en Est, le long de la Sambre et de la Meuse, s'étend le sillon houiller. Formé par les deux bassins hennuyer et liégeois, il a été modelé par l'industrialisation du 19e siècle qui s'est surtout concentrée autour de deux pôles urbains, 16
CH A PITRE 1
Le Tombeau du Géant à Botassart (Bouillon)
Ce tertre boisé d'une trentaine de mètres de haut, dominé par le village de Botassart (province de Luxembourg) est entouré par la Semois. Son nom lui vient d'une légende qui prétend qu'un Gaulois géant y est enterré. Celui-ci, voulant échapper au déshonneur de l'esclavage après une victoire de César sur les tribus gauloises, s'est jeté dans le vide depuis le sommet du tertre. (Cliché LimoWreck, 2008)
Charleroi et Liège. La cessation des activités d'extraction du charbon - en 1980 dans le bassin liégeois ; en 1986 dans le bassin borain - , puis le déclin de la sidérurgie ont durement frappé les populations de ces régions et ont handicapé leur redéploiement économique. Un autre axe, du Nord au Sud, va du Brabant wallon à Arlon. Même s'il traverse des régions rurales à faible taux d'urbanisation , il est jalonné de villes qui sont de nouveaux moteurs de productivité, avec des activités à forte valeur ajoutée Wallonie, Wallons
17
Les régions agro-géographiques de la Wallonie FLANDRE
/ FRANCE
Hesbaye LILI Zone agro-géographique
D
Sillon industriel
50 km
(Ottignies-Louvain-la-Neuve, Namur, Marche-en-Famenne, Arlon). Si cet axe est porteur de renouveau économique, comme en attestent notamment les parcs scientifiques qui le jalonnent, il ne compense pas les faiblesses structurelles des pôles liégeois et carolorégien. Le chômage reste donc élevé en Wallonie (près de 14 %), certes bien moins que dans la Région de Bruxelles-Capitale (20 %), mais nettem ent au-dessus de la Flandre (7 %). Au Nord du sillon industriel et urbain se trouvent les bas plateaux - sous l'altitude de 200 mètres - qui se prêtent à la riche agriculture des régions hennuyère, brabançonne et hesbignonne, orientée vers la production de céréales et de betteraves sucrières. Au Sud du sillon Sambre-et-Meuse, un relief plus marqué s'amorce, avec le Condroz et la Fam enne, 18
C H AP ITRE 1
zones rurales où dominent les labours fourragers et les herbages, et le pays de Herve, caractérisé par ses nombreux vergers. Viennent ensuite les hauts plateaux del' Ardenne, culminant à 695 mètres (signal de Botrange), zone faiblement peuplée qui représente un tiers du territoire wallon. Cette région, au sol pauvre et au climat rigoureux, est occupée par de vastes étendues boisées, entrecoupées par les prairies des petites exploitations agricoles. Au Sud de l'Ardenne s'étend la Lorraine belge, appelée Gaume, dont le microclimat plus clément lui a valu la dénomination de «Provence belge ». La reconversion de la Wallonie, suite à la fermeture de ses charbonnages et au déclin de son industrie lourde, nécessite de relever de nombreux défis, en premier lieu dans le domaine de l'emploi. Elle se traduit par une augmentation du secteur tertiaire et par une diversification économique encourageant notamment l'implantation d'entreprises de haute technologie et le développement d'une économie fondée sur les énergies durables. Cette reconversion s'accompagne d'une rénovation de l'habitat ancien, particulièrement important dans le sillon industriel, pour faire face à la fo is au défi énergétique et aux difficultés d'accès à un logement décent pour les personnes à revenus modestes. À cela s'ajoute une restructuration des tissus urbains, rendue nécessaire par la désertification des centres-villes et répondant à la volonté de favoriser une réelle mixité sociale. Enfin, des fonds importants sont consacrés à l'assainissement et à la réaffectation des friches industrielles. Dans les régions rurales, l'agriculture, surtout orientée vers la production de viande et de lait, connaît un déclin continu, Wallonie, Wallons
19
Le charbonnage du Bois du Cazier (Marcinelle)
Ce site situé dans le Hainaut est gravé dans la mémoire collective à la suite de la tragédie du 8 août 1956 qui a coûté la vie à 262 hommes, de douze nationalités différentes (dont 136 Italiens et 95 Belges). Sa rénovation met en évidence une des industries les plus représentatives de la Wallonie des 19• et 20• siècles, ainsi que le souvenir du drame qui s'y est déroulé. (Cliché J.-L. Fauconnier, 2012)
20
CHAPITRE 1
tant dans le nombre d'exploitations que dans celui des personnes employées. La main-d'œuvre dans ce secteur a chuté de moitié en Wallonie durant les vingt dernières années. Le développement de petites entreprises artisanales ou industrielles ne compense que partiellement cette désaffection, qui touche surtout les jeunes. Les pouvoirs publics investissent également dans une politique de valorisation des sites paysagers et des milieux naturels, dont bénéficient la forêt, qui représente près d'un tiers du territoire wallon, et des réserves naturelles qui abritent notamment des landes marécageuses et tourbeuses, appelées fagnes.
•
Une population en progression
À l'instar d'autres pays européens industrialisés, la Wallonie
connaît un vieillissement de sa population depuis près d'un siècle. Un premier facteur décisif est la baisse du niveau de fécondité. Après avoir culminé à 2,7 enfants par femme au début des années 1960, effet du baby-boom consécutif à la seconde guerre mondiale, le taux de fécondité a atteint au début des années 1980 un plancher historique proche de 1,5. Toutefois, depuis le milieu des années quatre-vingt, le taux de fécondité remonte en Wallonie, pour atteindre aujourd'hui 1,7 - ce qui lui permet de dépasser la moyenne belge (et européenne). Un second facteur de vieillissement est l'augmentation continue de l'espérance de vie, qui atteint aujourd'hui en Wallonie un seuil moyen de 78 années, avec une différence importante selon le sexe: pour les hommes, 75 ans; pour les femmes, 81 ans. Toutefois, ces chiffres sont inférieurs à ceux qu'affichent toutes les régions limitrophes, dont la Flandre où Wallonie, Wallons
21
La répartition de la population en Wallonie
La carte illustre clairement la fo rte densité de population dans le sillon Sambre-et-Meuse, où se concentrent les pôles urbains de la Wallonie, à la différence des zones agricoles et boisées qui constituent la majeure partie du territoire. Les chiffres de population des principales villes wallonnes sont les suivants (février 2013): Charleroi: 204 794 habitants; Liège: 197 676; Namur: 111 207 ; Mons: 94 335; La Louvière: 79 729; Tournai: 69 913 ; Seraing: 64 238; Verviers: 56 340. À titre de comparaison, la métropole flamande d'Anvers compte 512 463 habitants et la Régi on de Bruxelles-capitale 1 160 000 habitants.
l'espérance de vie atteint une moyenne de 81 ans. La moyenne belge est aujourd'hui de 80 ans, alors qu'elle dépassait de peu 50 ans il y a un siècle. Lors de la création de l'État belge, la population wallonne était minoritaire (39,7 %) par rapport à celle du reste du pays. 22
CHAP ITRE 1
Malgré un accroissement spectaculaire entre 1830 et 1900, le nombre de Wallons passant alors de 1,504 à 2,742 millions (soit 42 % de la population belge), la Wallonie a toujours connu un développement démographique plus faible qu'en Flandre et à Bruxelles. Elle accueille aujourd'hui 32 % de la population belge, soit quelque 3 546 329 habitants (sur 11 035 948 en Belgique). Parmi ceux-ci, on trouve une population immigrée de quelque 345 000 personnes - naguère majoritairement d'origine italienne, aujourd'hui essentiellement d'origine française, maghrébine, turque et africaine subsaharienne -, dont l'apport a culminé entre les années 1960 et 1975. La densité de population en Wallonie est de 208 habitants par km 2 , chiffre nettement inférieur à la moyenne belge (355) et à celle de la Flandre (462). Elle varie significativement selon les endroits: de 60 habitants par km2 en Ardenne, où une grande partie de l'espace est occupée par des forêts et des exploitations agricoles, on passe à plus de 200 habitants par km 2 dans le sillon Sambre-et-Meuse, où se trouvent les prin cipales agglomérations wallonnes.
•
Une histoire récente, des racines séculaires
Durant des siècles, l'espace géographique qui correspond à la Wallonie actuelle a été divisé en territoires relevant de tutelles politiques différentes. Le morcellement de l'époque féodale - sept principautés - a été peu à peu réduit, d'abord par les ducs de Bourgogne, puis par les Habsbourg (d'Espagne, aux 16c - 17c siècles; d'Autriche, au 18e siècle). Du 16c au 18° siècle, la majeure partie de la future Wallonie est un Wallonie, Wallons
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Les Pays-Bas méridionaux vers 1600
Mer du Nord
ARTOIS
.
Arras
r
~ Frontière actuelle de la Belgique
SOkm
Durant l'Ancien Régime, l'espace wallon relève de plusieurs obédiences. Au sein des «Pays-Bas méridionaux», seuls échappent à la tutelle des Habsbourg la principauté de Liège, la principauté de Stavelot et le duché de Bouillon.
territoire des Habsbourg, mais coupé en deux par la Principauté de Liège, sous l'autorité du prince-évêque de Liège. Cette double obédience se prolongera jusqu'au moment où deux insurrections presque simultanées sonnent le glas de l'Ancien Régime dans le pays wallon. La « révolution brabançonne», fomentée contre Joseph II au sein des Pays-Bas autrichiens à l'instigation des députés des États de Brabant, aboutit à la création des éphémères «États belgiques unis» en 1790. S'y retrouvent, avec des provinces flamandes, la 24
CHAPITRE 1
La Belgique sous le régime français PAYS-BAS
FRANCE
Limites des départements à l'époque de la domination française Frontière actuelle de la Belgique SOkm
Durant la période du rattachement à la France (1795-1814), la t otalit é de l'espace wallon actuel est réun i pour la première fois. Différents départements composent ce territoire, dont les dénominations sont choisies pour la plupart en référence à l'hydronymie (Dyle, Deux-
Nèthes, Escaut, Lys, Ourthe, Meuse Inférieure, Sambre et Meuse). S'ajoutent à cela le département des Forêts, qui co rrespond
à l'actuelle
province de Luxembourg, très boisée, et ce lui de Jemmapes (aujourd'hui Jemappes, commu ne de Mons}, lié à la victoire des révolutionnaires fra nçais sur les troupes autrichiennes en 1792.
Wa llonie, Wallons
25
plupart des provinces wallonnes actuelles, à l'exception de Liège. Quant aux Liégeois, influencés par les idées de la Révolution française, ils récusent leur prince-évêque en 1789. Rapidement étouffées par les Autrichiens, ces deux révolutions précèdent de peu la première unification du territoire wallon à l'époque moderne, sous l'égide de la France révolutionnaire. L'annexion officielle a lieu en 1795 et les territoires wallons sont répartis en départements. Mais après la défaite de Napoléon à Waterloo, le congrès de Vienne (1815) cède les régions annexées au roi de Hollande, Guillaume J•r. Celui-ci suscitera l'opposition unanime des populations des provinces méridionales des Pays-Bas, qui aboutira à la révolution de 1830 dans laquelle les Wallons prennent une part décisive. L'indépendance de la Belgique, reconnue par les grandes puissances de l'époque lors de la conférence de Londres en novembre 1830, est cimentée par la haute bourgeoisie fran cophone, portée au pouvoir dans l'ensemble du pays grâce au suffrage censitaire. Cette classe dirigeante, où se côtoient les élites flamande, wallonne et bruxelloise, va imposer sa politique au nouvel état, notamment en matière linguistique: alors que le recours aux langues française, flamande ou allemande est autorisé pour les citoyens, le français est la seule langue employée dans les lois et les textes officiels durant les premières décennies du royaume de Belgique. Très tôt après la création de la Belgique naît le Mouvement flamand, à l'instigation initiale d'artistes et d'écrivains soucieux de promouvoir la culture flamande face à la culture française de l'élite, parmi lesquels Hendrik Conscience, Albrecht Rodenbach et Guido Gezelle. Il évoluera progressivement vers un mouvement politique qui revendiquera la néerlandisation de la vie publique en Flandre et qui obtiendra 26
CHAP ITRE 1
Le Mouvement wallon, en réaction aux avancées du Mouvement flamand À la différence du Mouvement flamand qui adoptera assez rapidement la revendication identitaire d'une «nation flamande », le Mouvement wallon sera d'abord partisan d'une Belgique unie, dont le ciment est le français. Le vote en 1898 de la loi Coremans-De Vriendt, dite loi d'Ëgalité parce qu'en son premier article elle impose l'usage du néerlandais à côté du français dans les textes légaux, fait prendre conscience de la nécessité de voir reconnue une Wallonie administrativement distincte de la Flandre, sous l'impulsion notamment de militants liégeois comme Albert Mockel et Julien Delaite. La fameuse «Lettre au Roi sur la séparation de la Wallonie et de la Flandre » de Jules Destrée en 1912, qui écrit notamment «11 y a, en Belgique, des Wallons et des Flamands ; il n'y a pas de Belges», confirme cette évolution séparatiste, qui sera toutefois mise en veilleuse par l'élan de patriotisme déclenché par la guerre 1914-1918. Le vote en 1921 d'une loi officialisant la frontière linguistique en Belgique, mais prévoyant des possibilités d'usage de chaque langue nationale de part et d'autre de cette frontière, relance la dynamique nationaliste wallonne. Mouvement flamand et mouvement wallon se rejoindront peu de temps après pour réclamer l'application stricte du principe de territorialité, soit l'unilinguisme dans chaque région du pays. À l'issue de la guerre 1940-1945, les positions vont se radicaliser, au point d'aboutir, lors du Congrès national wallon de 1945 à Liège, à un premier vote où la majorité des participants se déclarèrent partisans de l'annexion de la Wallonie à la France. Vote qualifié de «sentimental » et qui fut suivi, après diverses tractations, d'un vote «de raison » en faveur du fédéralisme. Il s'ensuivra des dissensions internes qui mineront le Mouvement wallon, dont les revendications seront progressivement reprises par les partis politiques.
Wa llo nie, Wa llons
27
Les Communautés de la Belgique fédérale PAYS-BAS
FRANCE
~ Communauté germanophone
-
Frontière linguistique
SOkm
rapidement des avancées significatives, dont l'introduction du néerlandais dans l'enseignement à partir de 1883 et dans la rédaction des textes de loi en 1898. En 1893, le remplacement du suffrage censitaire par le scrutin majoritaire diminuera l'influence de la grande bourgeoisie francophone au profit du groupe linguistique flamand, démographiquement majoritaire depuis la création de la Belgique. En réaction aux avancées du Mouvement flamand va se créer le Mouvement wallon, lequel se prononcera dès sa fondation (1880) à la fois contre l'extension du néerlandais et en faveur de la promotion du français - et non des langues régionales 28
CHAPITRE 1
Les Régions de la Belgique fédérale PAYS-BAS
FRANCE
Les Régions de la Belgique fédérale
D •
D -
Région wallonne (Wallonie) Région de Bruxelles-Capitale Région flamande (Flandre) Frontière linguistique Limite de province Frontière internationale
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50 krn
de la Wallonie. Allié objectif de la grande bourgeoisie francophone, le Mouvement wallon s'opposera au principe d'un bilinguisme néerlandais-français généralisé sur tout le territoire belge, tel que le réclamait la majorité flamande. Il en résultera la reconnaissance, en 1921, d'une frontière linguistique entre le Nord et le Sud du pays, puis l'adoption du principe d'unilinguisme territorial, consacrant l'usage (quasi) exclusif du néerlandais en Flandre et du français en Wallonie, Bruxelles étant reconnue en 1932 comme ville à statut bilingue. Ce principe de territorialité sera consacré définitivement en 1963, lorsque sera fixé de manière définitive Je Wallonie, Wallons
29
tracé de la frontière linguistique séparant les deux principales communautés linguistiques du pays. Quant à Bruxelles, ville bilingue où l'usage du français est largement dominant, elle est enclavée en territoire flamand. Les revendications flamandes ultérieures seront liées à la volonté grandissante d'obtenir une autonomie de plus en plus marquée entre les composantes de l'état unitaire belge. Elles aboutiront à la mise en place progressive, à partir de 1970, d'une nouvelle configuration institutionnelle de la Belgique, avec une répartition progressive des compétences entre l'État fédéral et les entités fédérées qui sont les Régions (Région wallonne, Région flamande, Région bruxelloise) et les Communautés (Communauté f rançaise, Comm unauté fla mande, Communauté germanophone) . Le découpage en Régions, fondé sur le principe de territorialité, ne correspond pas à des zones linguistiquement homogènes, du moins pour la Région wallonne où le français et l'allemand sont langues officielles, ainsi que pour BruxellesCapitale, qui bénéficie d'un statut bilingue français-néerlandais. Par contre, la répartition en Com m u nautés valorise la solidarité linguistique et culturelle: la Commu nauté française réunit les Régions wallonne et bruxelloise, qui ont en commun la pratique du français ; la Communauté fla mande associe les Régions flamande et bruxelloise sous l'égide du néerlandais; quant à la Co mm unauté germanophone, située dans la Région wallonne, elle regroupe quelque 70 000 personnes qui pratiquent l'allemand, à l'Est de la Belgique. La fédéralisation de la Belgique s'accentue à chaque réforme institutionnelle, vers ce que d'aucuns appellent une conf édération où le pouvoir central serait vidé de ses compétences au profit des entités fédérées. La complexité des structures de 30
CH A PITRE 1
Ce qui se conçoit bien .•. D'abord appelée Communauté culturelle française dans la loi du 3 juillet 1971, puis Communauté française en 1980, lem de l'adoption des lois de réformes institutionnelles, l'institution qui fédère les francophones de Wallonie et de Bruxelles se présente depuis 201 1 -de manière officielle, mais sans ratification constitutionnelle - comme la Fédération WallonieBruxelles. Ces modifications successives résultent de la volonté de choisir des dénominations plus parlantes et plus susceptibles de susciter l'adhésion des personnes qui constituent ces entités fédérées. Elles évitent aussi de fâcheuses méprises, comme celle commise en 1989 par le président français François Mitterrand, rencontrant Valmy Féaux, alors Ministre-président de la Communauté française, et lui demandant de combien de membres se composait son «association».
pouvoir, leur m ul tiplication et l'ingéniosité qu'elles requièrent pour fonctionner de manière satisfaisante font que la Belgique fédérale est un paradis pour les juristes constitutionnalistes, mais un dédale pour nombre de citoyens ordinaires ...
•
Wallon, Wallonie
Comme on le verra dans les pages qui suivent, le territoire wallon est une aire d'une grande richesse linguistique et culturelle. Y coexistent deux langues officielles, le français et l'allemand, ainsi que plusieurs langues régionales. Parmi celles-ci, le francique ripuaire («des rives du Rhin»), pratiqué au Nord-Est de la province de Liège, et le francique mosellan («de la Moselle »), en usage dans le Sud-Est de la Wallonie, Wallons
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Il y a wallon et Wallons La polysémie du mot wallon est attestée dès les premières mentions écrites, qui datent du 1s• siècle. Du point de vue linguistique, il peut désigner tantôt une langue romane, pour l'opposer à une langue germanique, tantôt un parler roman particulier, pour l'opposer au français. Une autre signification est attestée chez les chroniqueurs des ducs de Bourgogne, qui désignaient par le terme wallon la population des Ëtats bourguignons parlant un idiome roman. Cet usage, qui se maintiendra pour les habitants de langue romane des Pays-Bas espagnols, puis autrichiens, explique pourquoi les habitants de la principauté de Liège, parlant wallon mais non soumis aux ducs de Bourgogne, ne seront pas, jusqu'à une époque récente, des Wallons au sens politique du terme. Le rapprochement entre les Liégeois et les autres Wallons se fera à la faveur de leur opposition commune au régime hollandais.
province de Luxembourg, se rattachent aux langues germaniques. Le wallon, le picard, le gaumais et quelques îlots champenois appartien nent au domaine linguistique roman. Il y a donc lieu de distinguer, pour le mot wallon, une double acception, politique et linguistique. Institutionnellement, wallon s'applique aujourd'hui aux citoyens de la Région wallonne (ou Wallonie aujourd'hui), qu'ils pratiquent ou non un parler wallon. Linguistiquement, le mot est souvent employé pour désigner l'ensemble des langues régionales romanes parlées au sud de la frontière linguistique en Belgique. Mais de plus en plus de Wallons sont conscients de la diversité linguistique de leur région et associent le mot wallon aux seuls parlers romans du centre et de la moitié orientale de la 32
CHAPITRE 1
Le coq wallon La Communauté (culturelle) française le 24 juin 1975, puis la Région wallonne le 1Ojuin 1998, ont adopté comme emblème un coq rouge sur fond jaune. Ce coq est différent de celui de la République française sur deux points: il lève la patte droite - il s'agit d'un coq «hardi » - et son bec est clos. Cet emblème, conçu par Richard Dupierreux et réalisé par le peintre Pierre Paulus dès 1912, avait déjà été adopté en 1913 par l'Assemblée wallonne - un Parlement wallon informel présidé par Jules Destrée comme drapeau de la Wallonie. Le choix du coq repose sur l'homonymie du latin gal/us, signifiant à la fois «gaulois » et «coq ». Quant aux couleurs jaune et rouge, elles sont reprises au blason de Liège. D'autres symboles seront également adoptés par la Région wallonne en 1998. Ce sera le cas du «Chant des Wallons » (voir p. 35), ainsi que de la date de la Fête de la Wallonie: celle-ci est fixée au troisième dimanche de septembre, en référence aux «Journées de Septembre 1830» qui virent des volontaires wallons prendre une part décisive dans l'expulsion de l'armée hollandaise hors de Bruxelles. © Province de Liège - Musée de la Vie Wallonne
Belgique romane, à l'exclusion des autres langues (picard, gaumais, champenois). Dans les pages qui suivent, wallon sera le plus souvent employé au sens large; son acception restreinte n'apparaîtra que dans le cadre d'une nécessaire distinction entre les langues romanes de la Wallonie. Si wallon est attesté dès le ise siècle, le m ot Wallonie est de création récente. Il figure en 1842 dans !'Essai d'étymologie Wallo nie, Wallons
33
philosophique dû à un érudit namurois, l'abbé H onoré Chavée, où il désigne le monde roman en opposition à l' Allemagne. Le sens actuel apparaît pour la première fois en 1844, sous la plume de François-Charles-Joseph Grandgagnage, dans la Revue de Liége. Il sera popularisé quelques années plus tard, lorsqu'Albert Mockel créera en 1886 la revue littéraire La Wallonie, d'inspiration symboliste, dans un contexte de prise de conscience progressive de l'identité wallonne, en réaction au nationalisme flamand déjà bien présent.
L'usage du mot Wallonie n'a pas tardé à se répandre, malgré les connotations anti-belges qui lui étaient associées dans certains milieux. Aujourd'hui il peut désigner, de manière restrictive, la communauté de langue et de culture romanes qui s'est construite, aux confins du monde germanique, dans la partie méridionale de la Belgique. Mais il s'impose de plus en plus aujourd'hui, de préférence à Région wallonne, lorsqu'il s'agit de désigner l'ensemble du territoire belge au Sud de la frontière linguistique, en ce compris la zone picarde du Hainaut (parfois appelée «Wallonie picarde »), la Lorraine belge (souvent appelée « Gaume »), ainsi que les régions germanophones du Sud-Est de la province de Luxembourg (le pays d'Arlon) et de l'Est de la province de Liège (les «cantons de l'Est ») .
34
CHAP ITRE 1
Li Tchant dès Walons - Le Chant des Wallons Le «Chant des Wallons » (Li Tchant dès Walons en wallon) est l'hymne officiel de la Région wallonne depuis 1998. Son text e initial a été composé en wallon par le Liégeois Théophile Bovy en 1900 et mis en musique par Louis Hillier en 1901. Traduction
Li Tchant dès Walons (original) Premier couplet Nos-èstans fîrs di nosse pitite patrèye, Ca lâdje èt long, on djâse di sès-èfants. Aprumî rang on I' mèt' po l'industrèye Èt d'vins lès-ârts èle riglatih ot'tant. Nosse tére èst p'tite, mins nos-avans I' ritchèsse Dès-ornes sincieûs qu'anôblihèt leû nom. Èt nos-avans dès libèrtés timpèsse: Vola poqwè qu'on-z-èst fîr d'èsse Walon ! (bis)
Nous sommes fiers de notre petite patrie, Car de tous côtés, on parle de ses enfants. Au premier rang, on la met pour /'industrie Et dans les arts, elle brille autant. Notre terre est petite, mais nous avons la richesse Des hommes de science qui ennoblissent leur nom. Et nous avons des libertés en masse: Voilà pourquoi on est fier d'être Wallon! (bis)
Le Chant des Wallons (version française officielle) Premier couplet Nous sommes fiers de notre Wallonie, Le monde entier admire ses enfants. Au premier rang brille son industri e Et dans les arts on l'apprécie autant. Bien que petit, notre pays surpasse Par ses savants de plus grandes nations. Et nous voulons des libertés en masse: Voilà pourquoi l'on est fier d'être Wallons! (bis) D'ap rès le site «Portail de la Wallonie»: www.wal/onie.be/fr/connaitre-/a-wal/onie/symboles-wallons/lhymne
Wallonie, Wallon s
35
Histoire linguistique de la Wallonie La Wallonie, terre romane L'autonomisation des langues régionales face au français L'irrésistible progression du français La pratique actuelle des langues régionales en Wallonie L'influence des langues régionales romanes en français
Pendant un millénaire, les Wall ons ont parlé des langues régionales issues en ligne directe du latin : wallon, picard, lorrain ou champenois. Durant la même période, certains d'entre eux ont également pratiqué une langue née en Îlede-France, le français. Cette coexistence séculaire ne prendra fin que dans la seconde moitié du 20• siècle, lorsqu e l'imposition du français par l' institution scolaire entraînera l'éradication progressive des langues régionales. En quelques décennies - moins d'un siècle-, une population qui, dans sa grande majorité, s'exprimait en wallon, en picard ou en gaumais, deviendra francophone. En se détournant de ce riche patrimoine linguistique, les Wallons ont perdu bien des clés de compréhension de la Wallonie d'hier, des mot s et des choses de son q uotidien. Dans quelle(s) langue(s) les Wallons constru iront-ils demain leur mémoire collective?
•
La Wallonie, terre romane
La conquête de la Gaule par Jules César, au milieu du 1er siècle avant notre ère, a entraîné la latinisation des populations autochtones qui parlaient gaulois. Le latin parlé au quotidien par les soldats et les colons romains prendra des contours différenciés selon les régions, mais il survivra dans une grande partie de la Gaule. Sur le territoire de la Belgique actuelle, le latin se maintiendra dans la partie méridionale du pays. Il y donnera naissance aux langues romanes dites «endogènes >» c'est-à-dire les continuateurs directs du latin vulgaire en Wallonie. En Flandre, par contre, l'expansion progressive des Francs dès le 3c siècle affaiblira la romanisation et imposera les langues 38
CHAPITRE 2
Langue, dialecte, patois ... Le wallon, le picard, le lorrain (gaumais), le champenois sont-ils des langues? Ou des dialectes, des patois? Cette question n'est pas seulement terminologique: elle renvoie à des jugements de valeur sur les pratiques linguistiques concernées et sur les personnes qui s'en réclament. Le terme patois, fréquemment employé pour désigner les parlers régionaux, est souvent porteur de connotations péjoratives, explicites dès la première attestation du mot (1285) pour désigner une « langue incompréhensible, grossière». Quant à dialecte, il relève du vocabulaire technique, où il peut désigner tantôt une variété de langue (tel le cockney, dialecte de l'anglais parlé à Londres), tantôt une langue régionale à part entière (le dialecte alsacien). Pour éviter l'ambiguïté du mot dialecte et la stigmatisation associée à patois, le choix s'est porté dans ce livre sur le terme langue pour désigner les continuateurs du latin en Wallonie. Le wallon, le picard, le lorrain (gaumais) et le champenois sont des systèmes d'expression partagés par une communauté linguistique, dont le fonctionnement et les ressources sont bien décrits par les spécialistes. De ce point de vue, et malgré d'évidentes différences de statut et de diffusion, ils sont des langues au même titre que le français ou l'anglais. Wallon, picard, lorrain et champenois sont désignés dans cet ouvrage comme les langues régionales de la Wallonie, en référence au territoire où leur pratique est traditionnelle: elles y sont donc «endogènes», à la différence d'autres langues régionales parlées par des migrants.
germaniques encore en usage aujourd'hui. La démarcation entre les parlers romans et les parlers germaniques en Belgique est à l'origine de l'actuelle frontière linguistique entre la Flandre et la Wallonie, dont le tracé n'a guère évolué depuis le Moyen-Âge. Histoire linguistique d e la Wall onie
39
Les langues d'oïl
Langues
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1'
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LANGUES D'OIL > dans les cours de récréation.
À la sortie des cours, l'enseignant confiait un objet (morceau de bois, bouton, etc.) à un élève, à charge pour celui-ci de le refiler à un condisciple surpris en train de parler wallon. Lequel tentait de s'en débarrasser auprès d'un élève pris à son tour en flagrant délit. Celui qui avait le signum en sa possession à la fin de la récréation était puni. Une telle pratique en dit long sur la détermination de certains enseignants dans leur lutte contre les langues régionales et sur l'opprobre que celles-ci entraînaient.
•
La pratique actuelle des langues régionales en Wallonie
Aucune statistique officielle n'est disponible pour quantifier les pratiques linguistiques à l'échelle de la Wallonie ou de l'ensemble de la Belgique. Si l'on excepte une vaste enquête menée en 1920 par J.-M. Remouchamps, les données disponibles sont fragmentaires; elles proviennent en outre d'enquêtes difficilement comparables en raison de leurs divergences méthodologiques. L'enquête effectuée auprès des administrations communales par Joseph-Maurice Remouchamps en 1920 donne un précieux aperçu de la situation linguistique en Wallonie, juste avant 50
CHAP ITRE 2
L'enquête de Remouchamps (1920) Sur les 1 444 administrations communales contactées en 1920 par J.-M. Remouchamps, près de 900 ont répondu. !.'.utilisation préférentielle du wallon (ou d'une autre langue régionale romane) dans les contacts avec l'administration communale est manifeste.
> Dans 73 % des communes concernées, plus de 90 % de la population utilise préférentiellement I.e wallon (ou une autre langue régionale romane) pour les contacts avec l'administration communale. > Dans 18 % de ces communes, la proportion se situe entre 50 et 90%. > Dans 1 % de ces communes, la proportion varie de 25 à 50 %. > Dans 8 % de ces communes, la proportion est inférieure à 25 %
À la même époque, 43 % des conseils communaux utilisent exclusivement le français dans leurs débats. Dans les autres cas, le wallon apparaît tantôt en alternance avec le français (33 %), tantôt comme langue unique (23 %).
que l'instruction prim aire obligatoire n'ait produit ses premiers effets. Les résultats obten us permettent de conclure à une vitalité remarquable des langues régionales, pratiquées par plus de 80 % de la population wallonne, sans différence significative d'une région à l'autre. À date plus récente (années 1990), nous disposons de quel-
ques estimations portant sur l'ensemble de la W allonie. Les résultats diffèrent considérablement suivant les sources, puisque le nombre des Wallons pratiquant une langue régionale romane varie, selon les évaluations les plus fiables, de 820 000 Histoire linguistique d e la Wa ll onie
51
L'irrésistible progression du français en milieu rural (d'après une enquête menée en 1987à Lutrebois-Bastogne)
Trois générations ont suffi ... Les maîtres d'école pressent les adultes (génération 1) d'abandonner la pratique du wallon avec leurs enfants. Ces recommandations sont particulièrement suivies par les mères, qui s'adressent dans un français approximatif à leurs enfants, tout en continuant de pratiquer le wallon avec leur conjoint ou avec les autres adultes de la communauté. Les enfants (génération 2), confrontés au français dans le cercle familial et à l'école, opèrent des choix différents selon leur sexe. Les garçons ont tôt fait de revenir à un bilinguisme actif wallon-français, au contact des hommes restés fidèles à l'idiome local. Les filles, par contre, confirment le choix de leur mère et se cantonnent à un bilinguisme passif. Devenues mères à leur tour, elles élèveront leurs enfants (génération 3) en français, sans distinction de sexe, avec l'assentiment des conjoints. Le français, devenu langue exclusive au foyer, à l'école et, progressivement, dans de nombreux échanges au sein de lacommunauté, a gagné la partie.
à 1 200 000 personnes, soit de 25 à 37 % de la population. Certaines de ces enquêtes proposent en outre une répartition par zone dialectale: il apparaît que le wallon se maintient plus fermement que le picard et le gaumais, ce dernier étant le plus menacé des trois. Quant au champenois, il n'est plus parlé que par quelques dizaines de personnes.
D'autres enquêtes ont été menées dans les années 1980 sur des échantillons de populations issus des communautés rurales - où les parlers romans sont les mieux conservés - et ne sont donc pas représentatives de la Wallonie entière. Il s'en dégage quelques conclusions convergentes, dont le 52
CHAP ITRE 2
constat selon lequel il n'y a plus d'unilingue« wallon» (quelle que soit la langue régionale considérée). Les bilingues français-wallon représentent, toutes enquêtes confondues, un peu moins de la moitié de la population rurale, mais leur importance relative décroît proportionnellement avec l'âge. Toutes les enquêtes concordent également pour identifier la génération née au lendemain de la seconde guerre mondiale comme celle où la chute du nombre des bilingues françaiswallon est la plus brutale. Le degré de scolarisation joue lui aussi un rôle : plus le parcours scolaire s'allonge, moins le bilinguisme français-wallon est pratiqué. Enfin, à égalité d'âge et de statut socioprofessionnel, les femmes - qui ont été les premières à abandonner la pratique des langues régionales présentent un taux de bilinguisme inférieur à celui de leurs homologues masculins. Enfin, dans les années 1990, quelques enquêtes ont porté plus spécifiquement sur les jeunes Wallons, pour lesquels il est indispensable de distinguer une compétence active (production) et une compétence passive (compréhension) dans l'usage d'une langue régionale. On peut estimer qu'entre 40 et 55 % de la population âgée de 20 à 30 ans présentait encore une compétence passive satisfaisante à la fin du 2oe siècle. Mais dans le cas de la compétence active, l'estimation chutait à 10 %. Comme chez les aînés, la pratique était plus vivace en milieu rural et décroissait proportionnellement avec le degré de scolarisation. Par contre, la distinction de sexe ne paraissait plus significative. Les données quantitatives disponibles, même si certaines sont sujettes à caution, permettent de mesurer l'ampleur de la régression dans la pratique des langues régionales en Wallonie: on n'atteint plus la moitié des chiffres avancés par Histoire linguistique de la Wallonie
53
Remouchamps en 1920. La répartition des résultats suivant les classes d'âge accentue encore ce constat négatif: les jeunes Wallons capables de s'exprimer dans l'une des langues régionales sont une infime minorité au seuil du troisième millénaire. A cela s'ajoute un élément décisif en matière de survie des langues menacées: la transmission intergénérationnelle est aujourd'hui rompue dans la majorité des familles. Ni les parents, ni même les grands-parents ne sont aujourd'hui en mesure de léguer le patrimoine linguistique que les générations antérieures leur avaient confié.
A ces enquêtes portant sur les pratiques linguistiques, s'en ajoutent d'autres qui étudient les représentations associées aux langues régionales. Ces dernières sont au cœur d'une rhétorique ambivalente, oscillant entre la considération due à la langue dominante (le français) et la loyauté à la langue ancestrale en perdition. Cela, dans le droit fil des sentiments contradictoires qui animaient déjà Nicolas Defrecheux en 1861 (voir p. 48). D'où des discours qui, tantôt stigmatisent la variété dominée («le wallon, c'est pour les paysans et les ouvriers»; «parler wallon, c'est grossier»), tantôt développent, dans un mouvement de compensation, une mythologie flatteuse pour cette même langue. Celle-ci se voit alors parée de qualités (beauté, harmonie, intimité, convivialité, etc.) refusées à la variété dominante, jugée plus formelle, plus distante. La perte de vitalité des langues régionales modifie ces représentations et les discours qui y sont liés. On assiste aujourd'hui à un mouvement grandissant de sympathie, sinon d'intérêt vis-à-vis de ces langues, loin des anathèmes lancés naguère par l'institution scolaire. Certes, il aura fallu attendre qu'elles atteignent un stade critique dans leur évolution et qu'elles ne 54
C HAPITRE 2
Un pays de coupeurs de langues? Tant en Flandre qu'en Wallonie, les langues régionales bénéficiaient, dans les premières décennies de l'État belge, d'une situation favorable du point de vue de la vitalité de la langue, mais défavorable du point de vue du prestige et de la reconnaissance officielle. Le combat des Flamands pour la reconnaissance de leurs droits culturels et linguistiques s'est trouvé confronté à l'alternative suivante : soit promouvoir Je flamand, ce qui impliquait de faire émerger une langue commune au départ de la diversité des parlers flamands ; soit adopter une langue plus standardisée mais ressentie comme plus étrangère, le néerlandais des Pays-Bas. C'est la seconde solution qui a prévalu. Dans la Wallonie qui, en cette fin du 19• siècle, se découvre à peine un nom et a été jusqu'alors très morcelée politiquement, aucune des langues du cru n'est susceptible de recueillir l'adhésion des Wallons pour devenir leur langue de référence. De plus, ces usages essentiellement oraux des couches moins favorisées pèsent peu par rapport au français de l'élite. Au terme d'un processus qui s'est déroulé dans des contextes très différents, un résultat similaire est donc observé de part et d'autre de la frontière linguistique en Belgique: Wallons et Flamands ont choisi comme langue officielle une langue qui est (largement) exogène. La communauté germanophone, en adoptant l'allemand standard- Hochdeutsch - et non le francique - Plattdeutsch -, a fait de même. Il n'y a là aucune fatalité, comme le suggère le choix inverse des Catalans en Espagne, celui des Romanches en Suisse ou celui des Luxembourgeois du Grand-Duché de Luxembourg, préservant leur spécificité linguistique face à des langues de grande diffusion. La Belgique serait-elle, selon la formule de Claire Lejeune, un «pays de coupeurs de langues» ?
Histoire linguistique de la Wallonie
55
soient plus perçues comme menaçantes pour l'imposition du français. Mais ces représentations positives peuvent être un levier à utiliser par des politiques linguistiques volontaristes.
•
L'influence des langues régionales romanes en français
Comme en France et en Suisse romande, les langues régionales romanes influencent le français pratiqué en Wallonie. Aujourd'hui, cela se marque principalement dans deux domaines: celui de la prononciation et celui du lexique. Il s'agit d'une situation classique d'interférence entre des langues en contact, ce qui a été le cas dès le 16° siècle en Wallonie pour les élites. Il n'y a donc rien d'étonnant à découvrir, dès le début du 19• siècle, dans des ouvrages visant à améliorer le français des Wallons, de longues listes de «wallonismes» qui préfigurent les Chasses aux belgicismes popularisées dans les années 1970. La frontière entre les langues régionales et le français, parfois floue pour les élites bilingues, deviendra plus poreuse encore lors de la diffusion du français au sein des classes populaires parlant wallon (picard, gaumais). Aujourd'hui que les jeunes générations ont majoritairement abandonné la pratique des langues régionales, leur français recèle des «wallonismes» aisément repérables du point de vue de leur origine, mais complètement assimilés au français de cemc qui les ont adoptés. Quel jeune Wallon sait que, lorsqu'il désigne des chips ou de petits biscuits servis à l'apéritif par le mot tchinisse, il emprunte ce mot au wallon tchinisse 'saleté, ordure'? Quel jeune, utilisant en français le verbe 56
CHAPITRE 2
bleffer - ou ailleurs son synonyme gletter - à propos d'un enfant qui laisse échapper de la bave, sait qu'il utilise une forme picarde ou wallonne? Même s'il ne convient pas d'en surestimer l'importance quantitative, les wallonismes et autres picardismes sont bien présents dans le lexique non seulement des Wallons, mais parfois de l'ensemble des francophones de Belgique. Certains d'entre eux, à la suite de circonstances particulières, ont bénéficié d'une diffusion bien au-delà de leur région d'origine. La fête du dimanche de la Trinité à Mons, par exemple, a imposé son nom picard ducasse en français, alors que bien d'autres variantes wallonnes (dicâce, dicôce, etc.) existaient par ailleurs pour désigner la fête foraine annuelle. Et que dire du spirou, mot wallon désignant initialement un écureuil, puis une personne vive et débrouillarde, choisi pour désigner le célèbre groom en habit rouge et l'hebdomadaire de Charleroi qu'il a mis sur orbite internationale?
Histoire linguistique de la Wallonie
57
Description des langues de la Wallonie Les régions linguistiques de la Wallonie Les caractéristiques linguistiques Les études linguistiques Les archives sonores et visuelles •
L'orthographe wallonne
La perception des langues régionales de la Wallonie est souvent floue chez les Wallons eux-mêmes. La diversité des usages, observée d'une ville ou d'un village à l'autre, est fréquemment mise en avant et associée à des problèmes de compréhension entre Liégeois, Virtonais ou Tournaisiens. Même les personnes conscientes des grandes divisions linguistiques du territoire wallon éprouvent des difficultés à les identifier précisément. Pourtant les études scientifiques ne manquent pas pour décrire et analyser les continuateurs du latin en Wallonie. Leur nombre et leur qualité font du wallon, du picard et du gaumais les langues régionales les plus étudiées du domaine d'oïl. Les dialectologues wallons, depuis le 19e siècle, ont réuni une documentation exceptionnelle sur ces langues, étudiées à un moment où elles étaient langues maternelles d'une large majorité de Wallons.
•
Les régions linguistiques de la Wallonie
Le latin adopté par les Gaulois s'est progressivement différencié, au point de donner naissance à des parlers galloromans distincts dès avant 800. Et lorsque le latin classique, sous l'impulsion du moine Alcuin (vers 730-804), est rétabli dans l'instruction des élites, il devient patent que le latin de Cicéron ou de César est une autre langue que le «latin» pratiqué à la cour de Charlem agne. La segmentation du domaine d'oïl (voir p. 40) est chose faite dès la fin du premier millénaire. En Wallonie, le wallon, le lorrain, le picard et le champenois sont alors nettem ent distingués des autres parlers d'oïl. Il faudra attendre le 13e siècle pour voir apparaître, à l'intérieur d u domaine wallon pro60
CHAP IT RE 3
Les langues d'oïl en Wallonie FLANDRE
Bruxelles
FRANC E
-
Frontière linguistique
=i=' Limites des parlers wallons
-
Frontière nationale
D
Langues germaniques 50 km
prement dit, une nette différenciation entre les deux grandes composantes du wallon, liégeoise et namuroise. Les évolutions ultérieures accentueront l'individualisation de certains sous-ensembles du wallon, du moins jusqu'au 16° siècle. Après 1600, il n'y aura plus de transformation fondamentale des parlers wallons: ceux-ci, tels qu'ils nous apparaissent dans les textes de cette époque, sont très proches des parlers modernes. Outre le français, trois langues d'oïl sont donc actuellement en usage en Wallonie: le wallon, le picard et le lorrain, appelé gaumais à partir du 19° siècle. On y ajoutera le champenois, parlé dans cinq villages à la limite méridionale des provinces de Namur et de Luxembourg (Bohan, Membre, Bagimont, Description des langues de la Wallonie
61
Sugny et Pussemange), mais qui sera peu évoqué ici, vu sa faible expansion en Wallonie. Comme l'indique leur dénomination, le lorrain (gaumais), le picard et le champenois sont les prolongements en Wallonie d'aires linguistiques partagées avec la France. Par contre, le wallon est limité au territoire de la Wallonie actuelle, à l'exception de quelques ilots dans la botte de Givet (France) et, à l'opposé, dans le Nord du Grand-Duché de Luxembourg (Doncols-Sonlez). Les dialectologues considèrent que le domaine wallon proprement dit est constitué de deux zones relativement homogènes d'un point de vue linguistique : à l'est, le liégeois (encore appelé est-wallon) et au centre le namurois (centre-wallon) . Deux autres zones, plus hétérogènes, sont à la jonction de deux grands domaines linguistiques: l'ouest-wallon, entre le wallon et le picard, et le sud-wallon, entre le wallon et le lorrain. Dans ces régions, on observe une raréfaction des traits wallons à mesure que l'on s'éloigne du domaine wallon proprement dit et une présence de plus en plus marquée de traits picards ou lorrains selon qu'on se rapproche de la Picardie ou de la Lorraine. La fragmentation du domaine linguistique wallon a sans doute conservé l'empreinte d'anciennes divisions administratives romaines, lesquelles ont été perpétuées par l'Église dans l'organisation en diocèses. Le wallon proprement dit correspondrait approximativement au diocèse de Liège, le picard à celui de Cambrai, le lorrain à celui de Trèves et le champenois à celui de Reims. Des frontières naturelles ont également pu jouer un rôle, comme ces étendues forestières et marécageuses qui sépa62
CHAPI TR E 3
raient les domaines est-wallon et sud-wallon, ou les massifs boisés entre l'Ardenne (sud-wallon) et la Gaume (lorrain). Il en va de même pour des limites historiques, telle la frontière entre la principauté de Liège d'une part, le comté de Namur et le duché de Brabant d'autre part: celle-ci reproduit assez fidèlement la limite entre le liégeois et le namurois.
•
Les caractéristiques linguistiques
Êtes-vous tchapê, tchapî ou capiô? Ces dénominations du chapeau en Wallonie illustrent les différences linguistiques qui peuvent apparaître selon qu'on se trouve en région liégeoise, en Gaume ou dans la Wallonie picarde. Une diversité qui explique que la communication puisse parfois être entravée entre les trois langues régionales majeures de la Wallonie romane: le wallon, le picard et le lorrain (gaumais). Comme le montrent les tableaux ci-après, le picard et le lorrain (gaumais) offrent plus de proximité avec le français que le wallon. Celui-ci, qui est le plus septentrional des parlers d'oïl, est caractérisé par la présence de types lexicaux d'origine germanique en plus grand nombre qu'ailleurs et par des archaïsmes qui sont caractéristiques des régions périphériques.
Descriptio n des langues de la Wallonie
63
Français, wallon, lorra in, picard: quatre langues issues du latin Traits phonétiques 1. Traits communs aux parlers belgo-romans, les distinguant du français
latin
français
wallon'
lorrain
picard
1.1.
TEN(E)RU
tendre
tinre, ténre tére
tanre
ténre, tére
1.2.
VESPA,
guêpe
wèsse, wèspe
wape
wèpe
*WESPA
2. Traits communs au wallon et au picard, les distinguant du français et du lorrain latin
français
wallon
lorrain
picard
2.1.
DENTE
dent
dint
dat
dént, dint
2.2.
FERRU
fer
fièr, fiér, fiêr
fér, fêr
fiér, fiêr fir
l.l. Groupe latin N 'R, avec présence (en français) ou absence (en
wallon, en picard et en lorrain) d'une consonne intercalaire D. 1.2. Initiale du latin v(espa), devenue *w(espa) par influence du germanique, qui se maintient en wallon, en picard et en lorrain, à la différence du français. 2.1. Groupe latin E + N +consonne, qui donne tantôt des formes nasalisées (éventuellement dénasalisées ensuite) en [s] (wallon, picard), tantôt des formes en [a] (français, lorrain). 2.2. Groupe latin E tonique entravé+ R, qui se diphtongue en wallon et en picard, mais pas en français ni en lorrain.
1. «wallon» désigne, dans les tableaux, les formes de l'aire proprement wal lonne et non celles des zones de transition (ouest-wallon, sud-wallon).
64
C H APITR E 3
3. Traits communs au wallon et au lorrain, les distinguant du français et du picard
3.1.
latin
français
wallon
CARRU
char
tchâr, tchôr
lorrain
picard
tché, tchiè
câr, côr
tchî 3.2.
3.3. 3.4.
GAMBA
- ELLU
PEDEM
jambe
-eau pied
djambe, djombe djan.me
djambe
gambe
-ê, -é
-é, -î -ié, -iè
-iô
-ia pîd, pid
pîd, pid
pié, piè
gan.me
3.1. Latin c +A qui devient [tf] en wallon et en lorrain, se réduit à [J] en français, devient [k] en picard. 3.2. Latin G + A qui devient [d3} en wallon et en lorrain, se réduit à [3] en français, devient [g] en picard. 3.3. Suffixe latin -ËLLU qui présente le timbre [o] en français et en picard, à la différence des formes wallonnes et lorraines. 3.4. Latin Ë tonique libre qui, après s'être diphtongué, se m onophtongue en wallon et en lorrain, m ais non ailleurs.
Description des langues de la Wallonie
65
4. Traits spécifiques au wallon, le distinguant des autres langues romanes
4.1.
latin
français
wallon
lorrain
picard
MORTUUS
mort
mwart, mwârt
mort, môrt
mort, môrt
moûrt
moûrt
mwèrt, mwêrt
4.2.
LECTUS
lit
lét, lèt
lit, lît
lit, lît, lit'
4.3.
TESTA
tête
tièsse, tésse
tête, téte
tiète, tête
4.4.
SPINA
épine
s(i)pine, s(u)pine
èpine
tiète, tîte èpène èpeune
s(i)pène, s(u)pène èspine, -ène
4.5. 4.6.
*EXQUADRA LING UA
équerre
scwére
ékère
ékère
langue
linwe, lêwe
langue
langue
4.1. Groupe latin 6 tonique entravé + R, qui se diphtongue en wallon, mais non ailleurs (en lorrain, il s'agit de diphtongues dites «secondaires ») . 4.2. Groupe latin E tonique+ yod qui devient [e] ou [E] en wallon; [i] ou [i :] ailleurs. 4.3. Groupe latin -ST- gui se simplifie en [s] en wallon, en [t] ailleurs. 4.4. Initiale latine s + P avec une voyelle épenthétique (si-, su-) en wallon, mais non ailleurs. 4.5. Groupe latin cw qui demeure [kw] en wallon, [k] ailleurs. 4.6. Groupe latin GW qui devient [w] en wallon, [g] ailleurs.
66
CH AP ITRE 3
5. Traits spécifiques au picard, le distinguant des autres langues romanes latin
français
wallon
5.1.
CARRU
char
tchâr, tchôr tché, tchiè tchî
câr, côr
5.2.
GAMBA
jambe
djambe, djombe djan.me
djambe
gambe
lorrain
picard
gan.me
5.3.
CINERE
cendre
cène, cinde çane
çade, cède
chène, chinde
5.4.
"FOLIA
feuille
fouye, foye
fûye, fe uye
feule, furète
6. Traits spécifiques au lorrain, le distinguant des autres langues romanes latin
français
wallon
6.1.
MAGI STER
maître
mêsse, mésse mâte mwêsse
méte, mête
6.2.
-ATA
-ée
-é, -éye, -êye
-âye
-ée, -éye, -êye
6.3.
FAMES
faim
furin
fé, fi
fin
6.4.
PORCELLU
pourceau
porcê, -ia pourcê, -ia
pouché, -iè, -î
pourché, -ô pourciô
lorrain
picard
5.1. Latin c +A qui devient [k] en picard, mais [tf] en wallon et en lorrain, réduit à lf] en français. Voir 3.1. 5.2. Latin G +A qui devient [g] en picard, mais [d3] en wallon et en lorrain, réduit à [3] en français. Voir 3.2. 5.3. Latin c + r qui devient U'J en picard, mais [s] ailleurs. 5.4. Latin L + yod qui devient [l] en picard (dans l'ouest du Hainaut), mais (j ] ailleurs. 6.1. Groupe latin A+ yod qui devient [a] en lorrain, [e, E, E :] ailleurs. 6.2. Suffixe latin - ATA qui donne la diph tongue [a :j] en lorrain, mais des timbres plus fermés ailleurs. 6.3. Latin A tonique libre + nasale, qui donne des nasales partout, sauf en lorrain. 6.4. Groupe latin R + s qui se maintient par tout ([Rs] ou Rf], sauf en lorrain où il se réduit à lf]. Description des langues de la Wa llonie
67
Traits morphologiques 1. Trait commun aux parlers belgo-romans, les distinguant du français
Ll.
latin
français
wallon
lorrain
picard
-ANT
-ent
-èt
-ant
-tèt
-nut, -neut 2. Trait commun au wallon et au picard, les distinguant du français et du lorrain
latin
2.1.
français
wallon
lorrain
le - la
li ou lu ou èl le - la
èl
mon - ma
mi ou mu
èm
me-ma
picard
3. Traits communs au wallon et au lorrain, les distinguant du français et du picard français
wallon
lorrain
picard
3.1.
leur
lèzî, l'zî
lèzî, leûzî
leû, leur, lyeû
3.2.
eux
zês, zèls
zous, zoûs
eûs: yeùs'
3.3.
un
onk, ink
ènk, îk, ék
un, yun
latin
1. 1. La finale de la 3e personne du pluriel de l'indicatif présent (ils chantENT) présente une flexion toujours audible dans les parlers belgo-romans, alors qu'elle s'est amuïe en français.
2.1. La distinction morphologique masculin/féminin dans les déterminants (définis et possessifs) est présente en français et en lorrain, mais absente en wallon et en picard, où la fo rme est identique au masculin et au féminin (les variantes indiquées sont phonétiques, et non morphologiques). 3.1. Le pronom personnel indirect atone de la 3e personne du pluriel (je LEUR dis) est du type en wallon et en lorrain ; du type en français et en picard. 3.2. Le pronom personnel direct tonique de la 3" personne du pluriel (c'est pour EUX) est du type en wallon et en lorrain ; du type en français et en picard. 3.3. Le pronom numéral UN (j'en veux UN) est du type en wallon et en lorrain ; du type en français et en picard. 68
CHAPITRE 3
4. Traits spécifiques au wallon, le distinguant des autres langues romanes
4.1.
latin
français
wallon
lorrain
picard
Type -EBAT
-ait
-ot, -out, -oût -ét, -eût, -eut
-ot, -out
-ot, -oût -wat, -wot
mi
pas - point gné, né
-t'
-t'
-éve, -eûve, -ive
Type -ABAT 4.2.
(ne) pas
-ès
4.3. 4.4.
nin
-tu
-s'
4.1. La finale de la 3° personne du singulier de l'indicatif imparfait se réalise suivant deux types concurrents en Wallonie: les continuateurs du latin -ebat (connus partout) et ceux du latin -abat (que seul le domaine proprement wallon présente). 4.2. Le second terme de la négation présente des types différents pour le wallon nin (cf. ancien français nient), pour le lorrain mi (cf. français mie), pour le français pas, point, pour le picard pas, point (et des variantes du type wallon NIENT) . 4.3 . La finale du féminin pluriel des adjectifs antéposés au nom (blankès fleû rs 'fleurs blanches', bèlès paumes 'belles pommes') est caractéristique du wallon aujourd'hui, m ais est en très nette régression en picard et absente du lorrain. 4.4. Le pronom personnel de la 2° personne du singulier postposé au verbe, après voyelle (veux-Tu ?), est -TU en français, qui peut s'abréger en -t' [t] en picard et en lorrain (veû-t'; vou-t'); en wallon, il est rendu par la seule forme du verbe, augmentée de -s' [s] (vous).
Êtes-vous tchâpê ou tchapia? Le dom aine wallon p roprement dit comprend deux p arties : le liégeois et le namurois . Si l'intercomp réh ension entre ces d eux variétés du wallon est plus aisée qu'entre le wallon et les Description des langues de la Wallonie
69
autres langues de la Wallonie (picard et lorrain), quelques traits emblématiques permettent de distinguer aisément l'origine géographique de son interlocuteur. Un Namurois dira tchapia là où un Liégeois préférera tchapê. Par ailleurs, le liégeois est le seul des parlers wallons à conserver vivaces les formes du passé simple, ainsi que celles du subjonctif imparfait et plus-que-parfait. Dans les zones de transition entre le wallon d'une part et le picard ou le lorrain d'autre part, d'autres formes apparaissent. Ainsi, l'ouest-wallon connaît une fo rme capia, qui emprunte son initiale ca- au picard et sa finale -ia au namurois. Dans le sud-wallon, c'est une autre variante qui est relevée: tchèpê. L'inventaire des traits linguistiques qui précède est loin d'être exhaustif. Il n'aborde pas la phonologie, domaine dans lequel les langues régionales de la Wallonie romane ne diffèrent pas fondamentalement du français parlé dans cette aire. Mentionn ons toutefois deux traits particulièrement saillants. Le prem ier s'observe dans l'ensemble de la Wallonie (et dans certaines régions de France): les consonnes sont assourdies en finale. Ainsi, binde 'bande' se prononce binte; viadje 'village' se prononce viatche. Le même phénomène se produit après la réduction d'un groupe consonantique: on prononce âBe [ -p] 'arbre', pièDe [-t] 'perdre'. Le second trait est associé à l'Est du domain e liégeois (Herve, Verviers): on y entend fréquemment des dénasalisations qtù transforment les in [f: ] en ê [i:;:], les on [5] en ô [o :], etc. Quant à la syntaxe wallonne, elle ne présente que peu de différences avec le français parlé en Wallonie. On notera toutefois que l'adjectif épithète précède souvent le nom (do neûr cafè 'du café noir'); que la possession est exprim ée au 70
CHAPITRE 3
Liégeois, narnurois, carolo, ardennais ... : des variétés différentes du wallon français
Liège bwègne CHER tchîr DU dè ÉCHELLE hàle ÉCRABOUILLER sprâtchî ÉCUME ho urne ENSEMBLE èsson.ne ET èt ÉTOILE steûle ÊTRE (v.) ès se HAIE hâye MAISON mohon MIROIR mireü MORT mwért PAIN pan PELLE houpe PEI NE pon.ne PERDU pièrdou PLUME plome POIRE peûre POURCEAU pourcê POUSSI ÈRE poûssîre QUELLE (+cons.) kéle QUEUE cowe SEMAI NE samin.ne SOIF seü SOLEIL solo VOISIN wèzin BORGNE
Namur bwagne tchêr do chôle spotchi churne èchone èt stwèle yèsse aye môjone murwè mwârt pwin chupe pwin.ne pièrdu plume pwâre pourcia poûssêre kéne kèwe samwin.ne swè soli a vwèzin
Description des langues de la Wallonie
Charleroi bwagne tchêr dou skîye spotchî èscume èchène èyèt stwèle yèsse aye môjo mirwè môrt pwin scoupe pène pièrdu plorne pwâre pourcha poussêre ké keuwe samwène swè soya vijin
Bastogne bwagne tchîr do châle spotchi chou me assone èt steüle sèy hèye mwêjon murè mwart pwin choupe pon.ne pièrdou ploume pware porcê poüssîre ké cawe sumwin.ne sè slo vèjin
71
moyen d'un type Djè téreû I' blèfôd qu'a scrît ça, djè li fé in neûd avou s' goyî.
L'ôte, avou sès-îs qui n' boudjint pus wére, i m'èrwéteut ètou. Peû d' mi ? ln.ne dè mi? Qwè-ce qu'i poleut bin pinsér dins s' tièsse a skèrlache, a m' vir insi? Qu'i voûreut bin yèsse a m' place èt qu' mi dj' fuche al sène. Èt qu'i véreut s' palantér ôtoû d' mi corne in coq dè sôte qu'a gangni. Èt télcôp m'èrtoûrnér m' visâdje conte têre avou I' ponte dè s' bote. C'èst çoula qu' tu pinses? Crève insi, sale Boche! Tout d'in côp, sès-îs ont pôpyi, sès léves ont frum'ji 'ne miyète. Çît corne s'i m'freut signe. Djè n'é seû m' rastèni d' m'abachî sur li, t't-asto d' li, dè clinsî m' tièsse, avou m'n-orêye conte ès' bouche. « Warum Krieg? », qu'i m'a dit. Warum Krieg? Pouqwè I' guêre?
116
C H AP ITRE 4
Lui, celui qui était étendu sur le pré... Lui, celui qui était étendu sur le pré, le soldat qui mourait, c'était un Boche. Un Boche, comme nous disions à cette époque. Après, on les a surnommés les Fritz, les Fridolins, les Gris, les Doryphores, les Chleuhs. Aujourd'hui, je dis les Allemands. Debout, du haut de mon mètre quatre-vingt et quelques, je le regardais tout désemparé - c'était mon premier - qui rendait le dernier soupir. Même si c'était un Boche, ce n'était pas beau à voir.
«Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie... »Je tiendrais le baveux qui a écrit cela, je ferais un nœud avec son cou. L'autre, avec ses yeux qui ne bougeaient plus guère, il me regardait aussi. Peur de moi? Haine de moi? Que pouvait-il bien penser dans sa tête balafrée, à me voir ainsi? Qu'il voudrait bien être à ma place et que je sois à la sienne. Et qu'il viendrait se pavaner autour de moi comme un coq de combat qui a gagné. Et peut-être me retourner le visage contre terre avec la pointe de sa botte. C'est ça que tu penses? Crève alors, sale Boche! Tout à coup, ses yeux ont cligné, ses lèvres ont frémi quelque peu. C'était comme s'il me faisait signe. Je n'ai pas pu me retenir de me pencher vers lui tout près de lui, d'incliner la tête, avec mon oreille contre sa bouche. «Wa rum Krieg? »,qu'il m'a dit. Warum Krieg? Pourquoi la guerre? Willy Bal, Warum Krieg ?Charleroi : èl bourdon, 1996.
Aperçu de la littérature régiona le
117
Auguste LALOUX (1906-1976) Auguste Laloux est un authentique romancier, comme le prouve Li P'tit Bêrt ' Le Petit Albert', roman qui conte la vie du héros depuis sa jeunesse insouciante jusqu'au lent déclin provoqué par un accident de travail. L'extrait se situe au moment de la mort du curé du village, dont li P'tit Bêrt va saluer la dépouille. Devant celle-ci, il pense à sa propre mort, qu'il pressent.
Li P'tit Bêrt Èt s'i pleut causè one miète avou. Lî dîre tot. Tot, ç' côp-ci. Lî d'mandè ci qu'i saveut bin, li, asteûre. Bêrt n'èst nin stornè assèz po n' nin bin sèpe qu'il a s' croke ossi. Qu'on djoû ou l'ôte ... 1n' si r'mèt nin rwè assèz. Après si-t-accidint, i lî choneut yèsse rifêt po d' bon: sès fwaces ruv'nint ; tos lès djoûs, il èsteut pus virlitche. Li? On-orne à vikè cint-ans. Moru? Bon po l's-ôtes. Tot nintieûs qui dj' su, djè l's-ètèr'rè tortos. 1faurè on côp d' ma po m'awè. Qué côp di stomac' quand ça lî aveut r'fêt mô tot do long di s' gauche djambe. Èt ç' n'aveut nin stî on côp en passant. Li jinne ènn'a leut jamais po d' bon. Il èsteut djostè, rin d' pus sûr. On n' pèrit nin pas' djambe. Non, mins in' lî fa leut pus fè I' luron asteûre, en solèvant dès tchèdjes. 1div'neut todi pus flôwe. Èt I' minme pîre, li mwès passè qu'i fieut bôd'lè corne rin, asteûre i d'veut ratinde papa ou I' Blanc po I' lèvè zèls deûs. Èt dj' n'è pou rin, é mi, s'i m' faut massyi, èt r'massyi li min.me goléye corne si dji mougneu dès spènes. Èt qu' ça n' distchind nin. Si dj' n'a pus goût po rin di ç' qu'i gn'a à I' tôve. [...)Co bin ça lî done di l'angoche ... one angoche qu'i cour'reut bin fou. One rad je ossi. Èt n' rin sawè fè conte, don!
118
CHAPIT RE 4
Le Petit Albert
Et s'il pouvait bavarder un peu avec [lui = le curé du village, qui est décédé). Lui dire tout. Tout, cette fois. Lui demander ce qu'il savait bien, lui, maintenant. Albert n'est pas assez stupide pour ne pas bien savoir qu'il a son coup également. Qu'un jour ou l'autre ... If ne se retape pas suffisamment. Après son accident, il lui semblait être guéri pour du bon; ses forces revenaient; tous les jours, il était plus fort. Lui? Un homme à vivre cent ans. Mourir? C'est bon pour les autres. Tout chétif que je suis, je les enterrerai tous. If faudra un coup de masse pour m'abattre. Quel coup au cœur quand ça lui avait fait mal à nouveau le long de sa jambe gauche. Et ce n'avait pas été une fois en passant. La gêne ne s'en allait jamais pour de bon. If était vilainement touché, rien de plus sûr. On ne périt pas par la jambe. Non, mais if ne lui fallait plus faire le fort maintenant, en soulevant des charges. JI s'affaiblissait toujours plus. Et la même pierre qu'il aurait, Je mois passé, fait tournoyer comme si de rien n'était, maintenant if devait attendre papa ou Je Blanc pour la soulever à deux. Et je n'en peux rien, eh moi, s'il me faut mâcher et remâcher la même bouchée comme si je mangeais des épines. Et que ça ne descend pas. Si je n'ai plus goût pour rien de ce qu'il y a à table. [ ...)Voilà /'angoisse qui le prend... une angoisse [telle] qu'il s'enfuirait bien. Une rage aussi. Et ne rien savoir faire contre, allons! D'après Maurice Piron, Anthologie de la littérature wallonne, pp. 513-51 4. Ëdition initiale: Auguste La loux, Li p'tit Bêrt. Ciney : Imprimerie Epécé, 1969.
Aperçu de la littérat ure rég ionale
119
Rodolphe DEDOYARD (1913-1993) Venu sur le tard à la composition de textes wallons, Rodolphe Dedoyard excelle à dresser, dans un wallon d'une grande beauté, le portrait des Ardennais de naguère, souvent très sensibles sous des dehors parfois rugueux. Le roman  pus Ion dès djoûs raconte comment Adèle prend progressivement sa vie en main, surmontant bien des adversités et des animosités. L'extrait suivant décrit le désarroi de la jeune fille qui s'est sauvée du village à la suite d'une déception amoureuse et qui est surprise par un orage violent.
 pus Ion dès djoûs Li cawêye di I' oradje s' acheuvéve èt I' solé vléve pèrcè. Èle si rlève èt â sûhant I' corote dins lès mwêchès-ièbes, èle dischind po-z-arivè â pîd dol crèsse. Sès solès wachotint, si cote lî plakéve su I' dos èt dins lès djan.mes. Avou sès tchfès avâ I' figure èt su lès spales, èlle av' I' êr d' one barakrèsse.
Li crèsse èstéve la, mês comint pleur arivè al plate pîre? 1 faléve montè dins lès cayôs, lès ronches èt lès spines. On lî av' dit k' i-gn-av' dès vipéres. Èle s' è foutéve ! Lès vrês vipéres, c' èstéve si mére èt Juliète !Èlle èstéve disgrètêye dins lès djan.mes èt lès brès, sès tchfès s' acrotch'tint dins lès spines, ça n' lî fzéve ki do bin. Vo l'la al grande pîre dol crèsse do leû, dins on trô di deûs mètes su cink di hôt; â fond, one plate pîre k' on pout s' coûtchè dsus sins ridchinde. Èle n' av' nin tchôd, mês ç' n' èstéve nin freûd assè. Èle si coûtche dreûte dissus, lès brès stindous po pleur s' agritchtè, li tchèsse di costè po I' rabrèssè.
120
CHAPITRE 4
Au plus loin des jours L'orage touchait à sa fin et le soleil voulait percer. Elle se relève et en suivant le layon dans les mauvaises herbes, elle descend pour parvenir à la crèsse. Ses souliers ballottaient, sa robe lui plaquait au dos et auxjambes. Avec ses cheveux sur la figure et les épaules, elle avait l'air d'une vagabonde. Le rocher était là, mais comment pouvoir arriver à la pierre plate? Il fallait monter dans les cailloux, les ronces et les épines. On lui avait dit qu'il y avait des vipères. Elle sen moquait! Les vraies vipères, c'était sa mère et Juliette. Elle avait les jambes et les bras griffés, ses cheveux s'accrochaient dans les épines, ça ne lui faisait que du bien. La voilà à la grande pierre de la crèsse do leû, dans une anfractuosité de deux mètres sur cinq de haut; au fond, une pierre plate sur laquelle on peut se coucher sans tomber. Elle n'avait pas chaud, mais ce nëtait pas froid assez. Elle se couche dessus de tout son long, les bras tendus pour pouvoir s'agripper, la tête de côté pour /embrasser. Rodolphe Dedoyard, Â pus Ion dès djoOs. Bastogne: Musée de la Parole, 1987.
Ap erçu de la l ittérature rég io nale
121
Wallon et français: un savoureux mélange... Une veine a été très exploitée en Wallonie: l'association du wallon et du français dans un même texte, tantôt en alternance comme dans les romans d'Arthur Masson {1896-1970), tantôt en créant une sorte de code mixte dans lequel les deux langues sont imbriquées, chez des auteurs comme Marcel Remy {1865-1906), Aimé Quernol - pseudonyme de Léon Marique - (1886-1950), Paul Biron (1920-1998) et Louis Chalon (1938). Le plus connu est Arthur Masson, auteur d'une sorte d'épopée centrée sur la figure emblématique de Toine - d'où l'appellation de Toinade -, héros dont le caractère est aussi rond que le physique. Arthur Masson rédigera successivement Taine Culot, obèse ardennais (1938), Taine, maïeur de Trignolles (1 940), Toine dans la tourmente {1946), Toine, chefde tribu {1965) et enfin Taine retraité (1966). Le seul Taine Culot, obèse ardennais a été tiré à plus de cent mille exemplaires à ce jour, ce qui donne une idée du succès éditorial rencontré par les romans d'Arthur Masson.
•
La bande dessinée
Au pays de Tintin, Spirou, Lucky Luke et autres schtroumpfs , les langues régionales ne peuvent être absentes de la bande dessinée. Elles y sont bien présentes, essentiellement grâce à des traductions d'œuvres existantes. Le m ouvement a été lancé avec l'album Li vî Bleû, de François Walthéry (dessinateur) et Raoul Cauvin, publié en 1980 par les éditions Dupuis. Il s'agit d'une adaptation en wallon liégeois, par Jeanne Houbart-Houge, d'une série d'aventures parues en français à partir de 1974 dans le journal Spirou, sous le titre Le vieux 122
CHAP ITRE 4
bleu. Le succès de cette bande dessinée - plus de cent mille exemplaires vendus de l'album en wallon - a incité l'éditeur Noir Dessin Production à publier un second tome des aventures du Vî bleû en 2012 (versions française et wallonne).
Le succès est également au rendez-vous de diverses adaptations en langues régionales des aventures de Tintin. La voie sera ouverte en 1980 aux éditions Casterman avec Les bijoux de la Castafiore, qui devient, traduit en picard par Lucien Jardez, Les pinderleots de l' Castafiore. D'autres personnages suivront, comme Martine, héroïne créée par Gilbert Delahaye et Marcel Marlier, dont l'album Martin e à la f erme deviendra Martine à l' cinse dans la version picarde de Bruno Delrnotte (Casterman, 2006). Le même Bruno Delmotte fera parler en picard le Chat de Philippe Geluck, dans l'album El Cat i-ést contint 'Le Chat est con tent' (Casterman, 2010). Sans oublier le gaffeur le plus célèbre de la BD: l'album n° 10 de Gaston Lagaffe - devenu Gaston la Biestreye - a été publié en 2007 par l'éditeur breton Yoran Embanner, dans une traduction de Yannick Bauthière en rfondou walon. Et pour boucler la boucle, signalons que Walthéry, avec le concours de PaulHenri Thomsin, a ressorti deux albums de la célèbre hôtesse de l'air Natacha (Le Grand Pari et Les Cu lottes de fer) en version wallonne, sous le titre In e wadjeûre di sôléye 'Un serment d'ivrogne' (Noir Dessin Production, 2006). On mentionnera également le succès en Wallonie du classique pour enfants Max und Moritz, publié par Wilhelm Busch en 1865. Cette histoire de deux garnements, composée de sept farces et diffusée internationalement, peut être considérée comme la première bande dessinée en wallon. Elle a fait l'objet d'une adaptation en wallon liégeois (teinté de verviétois) due à Jean-Guillaume Levaux, sous le titre Li Aperçu de la littérature régionale
123
Tintin en wallon, en picard et en gaumais La Wallonie est bien représentée dans lescentaines de traductions auxquelles les albums d'Hergé ont donné lieu. On citera notamment On è pitroléy su la June 'On a marché sur la lune' traduit en gaumais par André Petit (2001 ), ainsi que El' sécrét d' la Licorne 'Le secret de la Licorne' et El' trésor du Rouche Rackham 'Le trésor de Rackham le Rouge', traduits en picard par Bruno Del motte (2005). Le dernier en date - du même Bruno Del motte - est El crape as pinches d'or 'Le crabe aux pinces d'or' (2013). Mais l'album le plus traduit est Les bijoux de la Castafiore. Après la version picarde de Lucien Jardez en 1980, les éditions Casterman ont publié Les berlokes del Castafiore (wallon de Nivelles [aclot], 2005, par Marc Chapelle), Les pindants del Castafiore (wallon d'Ottignies, 2006, par Christine Tombeur), L'èmerôde d'al Castafiore (wallon de Liège, 2007, par Georgette Bodry, Yannik Delairesse et François Nyns), Lès-ôr'rîyes dèl Castafiore (wallon de Charleroi, 2008, par Jean-Luc Fauconnier), Les berloqu's d'el Castafiore (picard de Frameries, 2009, par Max Grégoire), Lèsôrerîyes dè /' Castafiore (wallon de Namur, 2009, par Charles Massaux) et Les oûr'rîyes dèl Castafiore (wallon de La Louvière, 2010, par les Scriveûs du Cente). Aqui le tour?
Vicarèie di Simon èt Linâ mèttowe ès ligwet, et publiée sans nom d'auteur chez Jacques Godenne dès 1889. Les éditions Tintenfafi, en collaboration avec le CROMBEL, ont publié récemment cinq nouvelles adaptations, dues respectivement à Jean Lechanteur en wallon liégeois (Lès sèt' furdin.nes di Djîles èt Tournas, 2011), à André Capron en picard borain (Max éyét Morice. Dès-istwâres dë p 'tits vôriègn, 201 1), à JeanLuc Fauconnier en wallon de Châtelet (Miyin èyèt Môrice. 124
CHA PITR E 4
Djustin Titorval Depuis 2010, le journal L:avenir publie chaque semaine dans ses pages «Luxembourg » une série créée par Joël Thiry (textes) et José Schoovaerts (dessins), dont le héros, Djustin Titorval, a une langue bien pendue (en wallon ardennais) et un gosier bien pentu.
Sèt' quétes dès-ârnagats, 2011), à Bernard Louis en wallon de Namèche (Miyin èt Maurice. Sèt' paskéyes dès deûs-ârsouyes, 2011) et à Bruno Delmotte en picard tournaisien (Max et Maurice. Histoire ed capénoules in sièpt farces, 20 12).
Plusieurs périodiques wallons proposent des planches ou des séries de bande dessinée en langue régionale. Le mouvement remonte au début des années 1970, lorsque Jules Flabat (1925- 1998) fait paraître plusieurs séries (dont les Fîrins) dans des revues du Brabant wallon. Plus récemment, on mentionnera notamment des planches d'albums de JeanClaude Servais, traduites en wallon par Lucien Mahin et parues dans Les Cahiers wallons dans les années 1980; ou encore les planches originales de José Schoovaerts qui illustrent chaque numéro de la revue Li rantoele. Quant à la revue èl bourdon (Charleroi), elle accueille chaque mois les dialogues entre Coquia 'jeune Coq' et Mésse Coq 'Maître Coq', dus à Jacques Raes (dessins) et Jean -Luc Fauconnier (textes) ; cette matière a été réunie dans trois volumes, parus en 2002, 2007 et 2013.
Aperçu de la littératu re régionale
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Coquia èt Mésse Coq
C'èst I' vré, c'èst dès-afêres qu'ariv'nut souvint ôzès gaz'tîs èy' on sét bé qui 1' cé qui print boû pou vatche, il-âra dès rûjes pou-z-awè du lacia 1
Celui qui prend un bœuf pour une vache, Il aura des difficultés pour avoir du /ait/
À Mésse Coq 'Maître Coq', qui s'exprime dans un françai s châtié, Coquia 'jeune Coq' répond dans un wallon dont la saveur n'a d'égale que le bon sens ... À découvrir chaque mois dans è/ bourdon (Charleroi).
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CHAPI TRE 4
Vitalité des langues régionales aujourd'hui Les langues rég ionales dans la vie associative et culturelle Les langues régiona les dans les médias Les langues régiona les et les nouvelles technologies Les langues régionales dans l'enseignement Les langues régiona les et la législation
On sait à quel point la sortie en 2008 du film de Dany Baon, Bienvenue chez les Ch'tis, a provoqué un engouement, non seulement pour la région où le film se déroule, mais aussi pour ses spécialités, en ce compris le ch'ti. Ce coup de projecteur a fait sortir de l'ombre un picard qui s'était peu à peu replié dans des espaces privés, loin de la sphère publique. À y regarder de près, la Wallonie d'aujourd'hui est mieux lotie que le Nord-Pas-de-Calais en matière de langues régionales. Même si la pratique privée a incontestablement régressé, il reste bien des« poches de résistance» du wallon, du picard et du lorrain dans la vie sociale. Que ce soit dans des domaines réputés propices pour ces langues comme la vie associative ou dans des secteurs plus officiels comme la législation, les références au patrimoine linguistique wallon continuent d'être bien présentes.
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Les langues régionales dans la vie associative et culturelle
Le constat dressé à la suite des enquêtes de vitalité des langues régionales en Wallonie est sans appel : la connaissance active du wallon et du picard est devenue très faible, et la situation est plus défavorable encore pour le lorrain (gaumais). Corrélativement, les représentations négatives associées à ces langues se sont en partie estompées, laissant la place à un réel potentiel de sympathie et d'intérêt.
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CHAPITRES
Le théâtre La vie associative et culturelle témoigne de cette évolution des mentalités, tout particulièrement le théâtre amateur en wallon et en picard. Alors que le déficit de connaissance linguistique pouvait laisser craindre un désintérêt progressif vis-à-vis des spectacles en langue régionale, près de 250 troupes - un chiffre stable depuis plusieurs années - réunissent des centaines d'acteurs de tous milieux et de tous âges, y compris des jeunes qui apprennent ainsi des rudiments de wallon ou de picard. Le nombre de spectateurs se situe, quant à lui, dans une fourchette allant de 300 000 à 350 000 personnes. Ce public, fidèle et généralement conquis d'avance, est caractérisé par la même diversité que celle des acteurs: les aînés y côtoient les plus jeunes, dans une ambiance souvent chaleureuse. Et si la compréhension de la langue n'est pas toujours assurée, la pièce de théâtre est une immersion linguistique qui donne parfois l'envie de prolonger la découverte de la langue du «pays». À côté du théâtre amateur, on mentionnera l'existence de cabarets wallons, dont le plus ancien est le Royal caveau liégeois, fondé en 1872 et qui poursuit aujourd'hui encore son
œuvre de préservation du patrimoine liégeois. Ce nom de caveau vient de Paris, où des caves à vin accueillaient des cabarets littéraires et gourmands. À l'autre extrémité du sillon Sambre-et-Meuse, on trouve la non moins connue Royale Compagnie du Cabaret Wallon Tournaisien, ainsi dénommée parce qu'à sa fondation en 1907, le picard de Tournai était considéré comme étant du ... wallon. Entre ces deux temples de la joie de vivre et de chanter, des cabarets plus modestes accueillent annuellement des salles combles.
Vitalité des langues régionales aujourd'hui
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Du théâtre en wallon au Royaume-Uni En 1914, lors du déclenchement de la première guerre mondiale, une colonie belge est installée dans le village de Birtley (sur la route reliant la ville de Newcastle-on-Tyne à Durham) pour pallier la pénurie de main-d'œuvre en Angleterre suite à la mobilisation des forces armées. Le gouvernement belge, chargé d'y faire fonctionner une manufacture d'obus, construit à cet endroit - rebaptisé Élisabethville en l'honneur de la reine Élisabeth - des bâtiments administratifs, des écoles, un hôpital, des magasins et l'infrastructure nécessaire à la production de munitions. La colonie cessera ses activités en 1918, à la suite de la signature de l'armistice. Pour animer la vie sociale de cette colonie, il y avait une fanfare, des cercles culturels, des clubs sportifs et.. .un cercle «Amon nos-ôtes ». Celui-ci proposait des pièces de théâtre en wallon, puisées dans le répertoire existant ou créées pour les besoins de la cause. Des initiatives similaires ont été signalées dans les camps de prisonniers wallons en Allemagne, ainsi qu'au Congo avant l'indépendance. Quelles que soient les circonstances, les Wallons sont viscéralement attachés à leur théâtre.
Les associations Si le théâtre est un instrument de promotion efficace pour les langues régionales, celles-ci s'inscrivent dans un tissu associatif plus large, où l'action des institutions spécialisées côtoie des initiatives occasionnelles émanant des Maisons de la Culture, des comités de quartier, etc. La principale activité des associations spécialisées est l'édition de revues, d'anthologies ou de collections littéraires. 130
CHAPITRE 5
Leurs productions sont jugées de bon niveau et témoignent d'un professionnalisme accru de la part des éditeurs - souvent occasionnels - qui les diffusent. Elles touchent toutefois un lectorat de plus en plus réduit, pour lequel il est devenu quasi indispensable d'accompagner les textes en langue régionale d'une traduction en français. La plus ancienne de ces associations est la So ciété de langue et de littérature wallonnes, fondée en 1856, déjà évoquée (p. 75) pour ses activités philologiques et littéraires. La Société a toujours privilégié l'édition d'ouvrages de qualité, dans des collections où sont publiés les meilleurs auteurs wallons, picards et gaumais. D'autres ont suivi, dont le Club wallon de Malmedy, créé dès 1898 pour maintenir le wallon et défendre la culture romane dans la Wallonie «prussienne », c'est-à-dire le territoire de Malmedy rattaché à la Prusse par le Congrès de Vienne. Depuis 1927, le Royal Club wallon publie une revue littéraire, Lu vî sprâwe. Plus que centenaire également est !'Association littéraire wallonne de Charleroi, fondée en 1908. Elle a stimulé la production littéraire dans l'ouest-wallon, dont une part essentielle est diffusée par le mensuel èl Bourdon (créé en 1949) et la collection qui lui correspond. De même que Lès Rèlîs Namurwès de Namur, dont la fondation remonte à 1909, et dont la revue littéraire Les Cahiers wallons existe depuis 1937. Sont venus s'ajouter plus récemment Les Scriveûs du Cente (La Louvière), association qui voit le jour en 1945 et qui a repris la publication de la revue littéraire Èl mouchon d' aunia (créée dès 1912). Quant au Mu sée de la Parole en Ardenne, actif depuis 1982 dans le Luxembourg belge, il édite le trimestriel Singuliers depuis 1990 et la collection « Paroles du terroir » (textes littéraires et études). Vitalité des langues régionales aujourd'hui
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Tchantchès et Nânèsse
Le théâtre de marionnettes renvoie souvent à des personnages populaires et à leur mode d'expression. En témoigne le succès des marionnettes de Toone, indissociables de leur sabir «bruxellois », dans lequel français et flamand coexistent joyeusement. En Wallonie, qui ne connaît la célèbre marionnette à tringle Tchantchès, incarnation de l'esprit frondeur (et principautaire !) des Liégeois? Même si sa création date vraisemblablement du 19• siècle, ce valeureux Liégeois né en Outremeuse donne la réplique à Charlemagne en personne, avec une gouaille qui ne dédaigne pas le wallon. Par contre, il est beaucoup plus conciliant avec Nanèsse, sa binamée crapôde 'sa bien-aimée' ... Le succès de Tchantchès et de Nanèsse est tel que leur effigie géante est particulièrement bien en vue lors du cortège folklorique des fêtes du 15 août en Outremeuse. Tchantchès y porte aujourd'hui - comme au théâtre - le costume traditionnel des ouvriers pour les jours de fête, au tournant des 19• et 20• siècles: sarrau bleu, foulard rouge à pois blancs et casquette noire. Sur la photo ci-dessus, prise lors des fêtes du 15 août 2005, Tchantchès est accompagné de Charlemagne (à gauche) et de Nanèsse. © Province de Liège - Musée de la Vie Wallonne.
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Signe d'ouverture de la Wallonie au domaine d'oïl tout entier: depuis 1992 paraît la revue m icRomania, initialement produite par l'a.s.b.l. Traditions et p arlers populaires de WallonieBruxelles, puis par le CROMBEL (Comité roman du Comité belge du Bureau européen pour les langues moins répandues) depuis 1997. Chaque numéro propose des compositions contemporaines en plusieurs langues romanes régionales. A titre d'illustration, on peut citer la traduction en wallon de textes romanches, rassemblés dans Screiver per rumantsch (micRomania, 2003); ou le recueil de poèmes en vénitien d'Alfio Centin, publié avec des traductions en italien, en français et en wallon sous le titre Erbario - Cayér as-yèbes (micRomania, 2001); ou encore le recueil de haïkus composés en wallon de Châtelet par Jean -Luc Fauconnier et qui a fait l'objet d'une édition trilingue (wallon, provençal, français) parue sous le titre Fôvetes - Fabletouno (micRomania 2011).
A côté de ces revues et collections dévolues en tout ou en partie à la création littéraire, il convient d'ajouter des périodiques plutôt orientés vers l'information générale, tels les mensuels Djazans walon (wallon de Liège) depuis 1992, Li Chwès (wallon de Namur) depuis 1995 et le trimestriel Li rantoele (en rfondou walon, Neufchâteau) depuis 1996. Parmi les associations qui militent en faveur des langues régionales, une mention particulière doit être réservée à l'Union culturelle wallonne (U.C.W.). Issue de l'Union nationale des fédérations dramatiques et littéraires wallonnes fondée en 1930, elle a eu longtemps pour tâche prioritaire de promouvoir le théâtre amateur sur l'ensemble du territoire wallon. En 1994, ses objectifs se sont élargis à un Projet culturel global, ambitieux programme de valorisation des langues et des cultures régionales de Wallonie qui plaidait pour la Vitalité des langues régionales aujou rd'hui
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création d'une Fondation culturelle wallonne, financée par un partenariat entre le privé et le public. Cet appel est resté sans suite. Aujourd'hui, l'U.C.W. est à la base d'importantes initiatives de valorisation de la création en langue régionale, que ce soit dans le domaine du théâtre par l'organisation du Grand Prix du Roi Albert Jcr (voir p. 200), ou dans celui de la chanson par la coproduction, avec la RTBf, du Grand Prix de la Chanson wallonne (voir p. 205). Elle publie chaque mois un Agenda culturel wallon et chaque trimestre le magazine Cocorico, lequel a pris la relève en 2007 de la WALO+Gazète, tous deux consacrés à l'actualité des langues régionales en Wallonie. Bien d'autres associations sont à mettre en évidence, dont plusieurs dizaines qui proposent des activités liées à la pratique des langues régionales: cours d'initiation, tables de conversation (parfois appelées copin 'rèyes, -îes), ateliers de création littéraire (soces dès scrîjeûs), cours de langue et de littérature régionales, etc. Généralement animées par des bénévoles, ces associations réunissent un public convaincu : leur mise en réseau tisserait une robuste trame de solidarité à travers toute la Wallonie. On ne soulignera jamais assez combien cette vie associative doit à des personnalités généreuses et éclairées, qui stimulent par leur action une vie culturelle en osmose avec les langues régionales de la W allonie. Des pionniers du début du 20° siècle aux acteurs d'aujourd'hui, il y a une fùiation ininterrompue au service du patrimoine wallon.
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La chanson La chanson en langue régionale, dont l'essor remonte au 19e siècle (voir p . 97), s'est longtemps cantonnée dans un registre assez conventionnel. Celui-ci n'a pas disparu: les chansons en wallon de Charleroi de Bob Dechamps (19142002) sont représentatives, pour la seconde moitié du 20 Grand Prix et Prix du public : Jesebel (Brigitte HALLET) de Lodelinsart
> Prix de la meilleure chanson originale: FORON EKO de Morville
> Prix des auditeurs de Fréquence Wallonie: Vincent DELIRE (alias Mimile) de Couvin
2003
> Grand Prix: Elmore D. (Daniel DROIXHE) d'Oup eye > Prix de la meilleure chanson originale: Julie DUBAR de Rèves > Prix du public: Jean-Pierre DARRAS de Soumagne > Prix des auditeurs de Fréquence Wallonie: le duo Dominique COLSON de Comblain-au-Pont et Raymond MISSOTTEN d'Anthisnes 2004
> Grand Prix, Prix spécial« Studio » de l'asbl Climax et Prix de l'asbl Concours Jean DARLIER: Francis V ANDER MAELEN de Petite-Chapelle > Prix de la meilleure chanson originale: Michel LEFÈVRE (groupe Lariguète) d' Ath > Prix du public et Prix des auditeurs de VivaCité : Myriam CRISMER de Stavelot
2005
> Grand Prix: Éric ELROSSE de Morville > Prix de la meilleure chanson originale: Xavier BERNIER, de Crupet
> Prix du public et le Prix des auditeurs de VivaCité : le duo DORAYMI (Dominique COLSON de Comblain-au-Pont et Raymond MISSOTTEN de Anthisnes) 206
ANNEXES
>-
Prix spécial «Studio » de l'asbl Climax et Prix de l'asbl Concours Jean DARLIER: le groupe Tchipot M'Blues de la région de Malmedy
2006 Grand Prix: Jesebel (Brigitte HALLET) de Lodelinsart >- Prix de la meilleure chanson originale, Prix de l'asbl Concours Jean DARLIER et Prix des Auditeurs de VivaCité: Vincent DELIRE (alias Mimile) de Couvin >- Prix du public : Alain SIMONIS de Liège >- Prix spécial «Studio» de l'asbl Climax: Rosa CARNIER de Velaine-sur-Sambre >-
2007 Grand Prix: le duo SARTIAUX et CAUDRON de Herbiseul >- Prix de la meilleure chanson originale: le groupe Lès Drôles di lodjeûs de Herstal >- Prix du public et Prix spécial« Studio» de l'asbl Climax: Michel BELLY de Soumagne >-
2008 Grand Prix: le groupe Loù Ange de Sart-en -Fagne Prix du Public: Eva JANE de Flémalle >- Prix spécial « Studio » de l'asbl Climax et Prix du meilleur texte original: le groupe Angezya de Montignies-surSambre >- Prix VivaCité: Tchipot M'Blues de la région de Malmedy et Lès Drôles di lodjeûs de Herstal >>-
Annexes
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2009
> Grand Prix: le groupe Dietrich de Tournai > Prix du public: le groupe Woûrs Dès Rayes de Gottignies > Prix du meilleur texte original et Prix du carré des associations de la Ville de Mons: Bernard BAUMANS de Sars-la-Bruyère > Prix VivaCité: Vincent DELIRE (alias Mimile) de Couvin > Prix de la Fédération culturelle du Hainaut : le groupe Einwell de Bray 2010-2011
> Pas organisé 2012
> Grand Prix: William WARNIER de Jehay > Deuxième Prix: Michel AZAÏS de Sprimont > Troisième Prix: Vincent DELIRE (alias Mimile) de Couvin > Quatrième Prix: Véronique KAPPLER de Heure-leRomain
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ANNEX ES
ANNEXE 7 Textes de loi relatifs aux langues régionales endogènes 1
Le corpus des textes de loi relatifs aux langues régionales endogènes dans la Fédération Wallonie-Bruxelles s'établit comme suit.
24 janvier 1983 - Décret relatif au recours à un dialecte de Wallonie dans l'enseignement primaire et secondaire de la Communauté française. 24 décembre 1990 - Décret relatif aux langues régionales endogènes de la Communauté française. 19 mars 1991 - Arrêté de l'Exécutif de la Communauté française instituant un Conseil des Langues régionales endogènes de la Communauté française. 11 juillet 2002 - Décret relatif aux biens culturels mobiliers et au patrimoine immatériel de la Communauté française. 10 avril 2003 - Décret relatif au fonctionnement des instances d'avis œuvrant dans le secteur culturel. 20 juillet 2005 - Décret modifiant le décret du 10 avril 2003 relatif au fonctionnement des instances d'avis œuvrant dans le secteur culturel. 23 juin 2006 - Arrêté du Gouvernement de la Communauté française instituant les missions, la composition et les aspects essentiels de fonctionnement d'instances d'avis tombant dans le champ d'application du décret du 10 avril 2003 relatif au 1. D'après l'inventaire établi par le Service des langues régiona les endogènes. Site: www.languesreg iona les.cfwb.be/ index.php?id= l 220
Annexes
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fonctionnement des instances d'avis œuvrant dans le secteur culturel.
30 juin 2006 - Arrêté du Gouvernement de la Communauté française portant exécution du décret du 10 avril 2003 relatif au fonctionnement des instances d'avis œ uvrant dans le secteur culturel.
Deux décrets sont d 'une importance particulière pour les langues régionales endogènes en Wallonie. Le premier est le Décret Urbain du 24 janvier 1983 (voir p. 168) . 24 janvier - Décret relatif au recours à un dialecte de Wallonie dansl' enseignement primaire et secondaire de la Communauté française. Article 1cr_ Dans !'enseignement primaire et secondaire le recours à un des dialectes de Wallonie est autorisé chaque fois que les enseignants pourront tirer profit pour leur enseignement, notamment pour l'étude de la langue française. Article 2. Dans l'enseignem ent primaire, l'autorisation de la Direction générale est requise pour inscrire cette activité dans la limite d'une heure par semaine. Si l'enseignement subventionné officiel ou libre tient à inscrire cette activité dans la limite d'une heure par semaine, le pouvoir organisateur doit demander l'autorisation requise à l'alinéa l cr du présent article, via l'inspection cantonale. Pour l'enseignemen t de l'État, cette autorisation sera demandée par le chef d'établissement, via l'inspection. Le pouvoir organisateur ou le chef d'établissement désireux de le fai re doit fournir un contenu structuré de cet enseignement. Dans l'enseignem ent secondaire, l'enseignement d'un dialecte ainsi que de la littérature et des arts populaires locaux, peut prendre place dans le cadre des activités complémentaires et des activités para- et extrascolaires. Article 3. Le présent décret entre en vigueur le jour de sa publication au Moniteur belge. 210
ANNEXES
Le décret Féaux du 24 décembre 1990 (voir p. 171) renforce et élargit le décret précédent.
24 décembre 1990 - Décret relatif aux langues régionales endogènes de la Communauté française. Article 1er. La Commlli1auté française de Belgique reconnaît en son sein la spécificité linguistique et culturelle de ceux qui usent à la fo is d'une langue régionale endogène et du français, langue officielle de la Communauté. Article 2. Les langues régionales endogènes font partie du patrimoine culturel de la Communauté; cette dernière a donc le devoir de les préserver, d'en favoriser l'étude scientifique et l'usage, soit comme outil de communication, soit comme moyen d'expression. Article 3. L'Exécutif de la Communauté française confiera la tâche d'étudier et de proposer toutes les mesures aptes à préserver et à favoriser ces langues régionales en dogènes aux organismes consultatifs dont il reconnaît la compétence.
Dans la foulée du décret Féaux du 24 décembre 1990, est pris le 19 mars 1991 un Arrêté de !'Exécutif de la Communauté fran çaise instituant un Conseil des Langues régionales endogènes de la Communauté française. Cet arrêté est partiellement remplacé par un Arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 23 juin 2006, fixant les missions, la composition et les aspects essentiels de fo nctionnement des diverses instances d'avis, dont le Conseil.
Annexes
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23 juin 2006 - Arrêté du Gouvernement de la Communauté française instituant les missions, la composition et les aspects essentiels de fonctionnement d'instances d'avis tombant dans le champ d'application du décret du 10 avril 2003 Section 2. - Du Conseil des Langues régionales endogènes Art. 28. Le Conseil a pour mission de: 1° proposer toutes mesures visant à protéger et à promouvoir les langues régionales endogènes de la Communauté française; 2° donner avis sur toutes mesures visant à protéger et à promouvoir les langues régionales endogènes de la Communauté française; 3° donner avis sur les demandes de subventions et aides financières en matière d'édition de travaux relatifs aux langues régionales endogènes de la Communauté française et, le cas échéant, d'assurer une assistance scientifique préalable à l'édition de ces travaux; 4° proposer les membres des jurys des prix annuels de la Communauté française destinés à récompenser des travaux en matière de langues régionales endogènes de cette Communauté.
Art. 29. Le Conseil se compose de treize membres effectifs avec voix délibérative nommés par le Gouvernement conformément à l'article 3 du décret sur les instances d'avis et répartis comme suit: 1° sept experts, dont un issu de l'Académie royale de Langue et de Littérature françaises, justifiant d'une compétence ou d'une expérience en matière de littérature et de linguistique concernant les langues régionales endogènes (champenois, francique, lorrain, picard, thiois brabançon, wallon, et cetera) de la Communauté française; 2° deux représentants d'organisations représentatives d'utilisateurs agréées; 3° quatre représentants de tendances idéologiques et philosophiques. 212
ANNEXES
Site compagnon
Ce livre donne accès à un site compagn on , qui peut être co nsulté gratuitement (voir p. 2 de couverture). Ce site contient des enregistrem ents vidéos et audios illustrant les langues régionales de la Wallonie, réperto riés selon leur genre.
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Des chansons
Li Tchant dès Walon s, Lèyîz-m' plorer, Li bia bouquèt, Li ptite gayôle, Lolote, Noël wallon ... Des succès d' hier et d'aujourd'hui, interprétés par des groupes d'am ateurs o u p ar des chanteurs bien connus comme Julos Beaucarne, vVilliam Dunker et plusieurs lauréats du Grand Prix de la Chan son wallonne.
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Des textes littéraires
Un e sélection de documents audios et vidéos, dans lesquels des auteur s originaires de toutes les régio ns de la Wallonie interprètent leurs propres compositions.
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Du cinéma
Un extrait de la version wallonne du cour t -m étrage Le mulot menteur, réalisé par Andrea Kiss d'après une nouvelle d'Ervin Lazar.
DU MÊME AUTEUR
Aspects de la phonologie générative du français contemporain. Louvain - Leiden: Bibliothèque de l'Université de Louvain E.J. Brill, 1975, 192 p. Le parler de Tenneville. Introduction à l'étude Linguistique des parlers wallo-lorrains. Louvain-la-Neuve: Cabay, 1980, 307 p.
(en collaboration avec Joëlle Lambert et Françoise Masuy) L'insécurité linguistique en Comm unauté française de Belgique. Bruxelles: Service de la langue française, 1993, 43 p. (en collaboration avec Geneviève Geron et Régine Wilmet [dir.]) L'insécurité linguistique dans les communautés francophones p ériphériques. Volume I: Cahiers de l'Institut de Linguistique de Louvain 19 (3-4), 1993, 223 p. - Volume II: Cahiers de l'Institut de Linguistique de Louvain 20 (1-2), 1994, 145 p. Dictionnaire des parlers wallons du pays de Bastogne. Bruxelles: De Boeck Université, 1994, 1069 p.
(en collaboration avec Danièle Latin [dir.]) Le régionalisme lexical. Louvain-la-Neuve: Duculot, 1995, 244 p. (en collaboration avec Geneviève Geron et Régine Wilmet [dir.]) Le frança is de référence. Constructions et appropriations d'un concept. Vol ume I: Cahiers de l'Institut de Linguistique de Louvain, 26 ( 1-4), 2000, 409 p. - Volume II : Cahiers de l'Institut de Linguistique de Louvain , 27 (1-2), 2001, 240 p. Scrîjeûs d' Ârdène. Florilège d 'au teurs ardennais 1982-2002. Bastogne: a.s.b. l. Musée de la Parole au Pays de Bastogne, 2002, 340 p. - 2 CD (1 60 minutes].
(en collaboration avec Geneviève Geron, Régine W ilmet et Aude Wirth) Dictionnaire des belgicismes. Bruxelles: De Boeck, 2010, 400 p.
Cet ouvrage invite à (re)découvrir nos langues régionales, sous toutes leurs facettes : • leur histoire, marquée par l'irrésistib le progression du français • leurs caractéristiques : ce qui distingue le wallon du picard, du gaumais et du champenois • leur vie littéraire et cu lturelle : chansons, pièces de t héâtre, poésie, BD ... • leur vitalité actuelle : entre convivialité et bien vivre. Un livre qui porte un regard neuf sur nos racines, notre identité et notre société : une Wallonie avec ou sans wallon? Cherchez la différence .. .
EN LIGNE : CHANSONS TRADITIONNELLES ET CONTEMPORAINES
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