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French Pages 1039 [1034] Year 1970
Tendances principales de la recherche dans les sciences sociales et humaines Première partie: Sciences sociales
Tendances principales de la recherche dans les sciences sociales et humaines Première partie: Sciences
Préface de René Maheu Directeur général
de V Unesco
Mouton/Unesco Paris • La Haye mcmlxxi
sociales
Premier tirage 1970 Deuxième tirage 1971
© Unesco 1970, place de Fontenoy, Paris Library of Congress Catalog Card Number : 74-114642
Table des matières
PRÉFACE,
par René
AVERTISSEMENT, INTRODUCTION
MAHEU,
par Samy
Directeur général de ¡'Unesco FRIEDMAN
La situation des sciences de l'homme dans le système des sciences, par Jean PIAGET
ix XXXI
1
Classification des disciplines sociales et des « sciences humaines », p. 1 ; Les dominances de l'histoire des sciences nomothétiques, p. 8 ; Particularités et fondements épistémologiques dts sciences de l'homme, p. 16 ; Les méthodes d'expérimentation et l'analyse des données de fait, p. 28 ; Sciences de l'homme et grands courants philosophiques ou idéologiques, p. 37 ; Les sciences de l'homme, celles de la nature et le système des sciences, p. 43 ; Les grandes orientations théoriques : prévision et explication, p. 5 1 ; Spécialisations et intégrations: recherche fondamentale et applications, p. 58 ; Notes, p. 63.
1. Tendances principales de la recherche dans les différentes sciences sociales CHAPITRE I
La sociologie, par Paul
F . LAZARSFELD
Introduction, p. 69 ; L'apport conceptuel des analyses d'enquêtes à la sociologie générale, p. 73 ; Macro-sociologie, p. 88 ; A la recherche d'une théorie, p. 105 ; Les variations nationales des activités sociologiques, p. 139 ; La sociologie et les autres sciences sociales, p. 154 ; Notes, p. 182.
69
Table des matières
VI CHAPITRE I I
La science politique, par W. J . M .
MACKENZIE
198
Introduction, p. 198 ; La portée de la science politique, p. 200 ; Ecologie de la science politique, p. 216 ; Recherches en cours, p. 222 ; Conclusions, p. 264 ; Notes, p. 270. CHAPITRE I I I
La psychologie, par Jean
PIAGET
274
Psychologies scientifique et philosophique, p. 275 ; L'empirisme sans structuralisme et le besoin d'explication en psychologie, p. 279 ; La tendance organiciste et les relations de la psychologie et de la biologie, p. 285 ; La tendance physicaliste et les différents paliers de la perception, p. 290 ; Les tendances psychosociologiques et les interactions entre le général et le social, p. 294 ; Les recherches psychoanalytiques de la spécificité mentale, p. 301 ; La spécificité du comportement et les structures de la mémoire, p. 305 ; Le structuralisme psycho-génétique (animal et enfant) et les théories de l'intelligence, p. 312 ; Les modèles abstraits, p. 317 ; Les relations de la psychologie avec les autres sciences, p. 324 ; Les applications de la psychologie - Recherches fondamentales et psychologie « appliquée », p. 330 ; Notes, p. 336. CHAPITRE I V
La science économique
340
Introduction, p. 340 ; L'évolution de la science économique et sa place parmi les sciences de l'homme, p. 341 ; La pensée économique : modèles et méthodes, p. 365 ; Quelques questions capitales qui se posent pour la science économique aujourd'hui, p. 391 ; Conclusion, p. 418 ; Notes, p. 419. CHAPITRE V
La démographie, par Jean
BOURGEOIS-PICHAT
Considérations générales sur la recherche démographique, p. 427 ; La recherche démographique et la biologie, p. 433 ; La recherche démographique et le développement économique, p. 446 ; La recherche démographique et l'écologie humaine, p. 457 ; La recherche démographique et la sociologie, p. 461 ; La recherche démographique et les moyens d'observation, p. 463 ; L'apport de la recherche démographique aux autres sciences, p. 465 ; L'organisation de la recherche démographique, p. 467 ; Retour sur le présent, p. 474 ; Quelques remarques pour conclure, p. 489 ; Notes, p. 490 ; Références, p. 492.
427
Table des matières CHAPITRE V I
vu
La linguistique,
p a r R o m a n JAKOBSON
504
Relations entre la science du langage et les autres sciences, p. 504 ; Sources mentionnées, p. 539 ; Caractères et objectifs de la linguistique contemporaine, p. 544 ; Travaux récents sur les problèmes actuels de la linguistique (1958-1968), p. 553.
2. Dimensions
interdisciplinaires
de la
recherche
CHAPITRE VII
Problèmes généraux de la recherche interdisciplinaire et mécanismes communs, par Jean PLAGET
559
Position des problèmes, p. 559 ; Structures et règles (ou normes), p. 573 ; Fonctionnement et valeurs, p. 589 ; Les significations et leurs systèmes, p. 608 ; Conclusion : le sujet de connaissances et les sciences humaines, p. 620 ; Notes, p. 626.
CHAPITRE VIII Modèles et méthodes mathématiques, par Raym o n d BOUDON
629
Introduction, p. 629 ; Les applications traditionnelles des mathématiques dans les sciences humaines, p. 631 ; Les grandes tendances caractérisant les applications des méthodes et modèles mathématiques dans les sciences de l'homme, p. 6 3 7 ; Les différents types de modèles, p. 661 ; L'avenir, p. 681 ; Notes, p. 683.
CHAPITRE I X
La recherche orientée, par Pierre DE BIE
686
Introduction, p. 686 ; La recherche orientée, p. 687 ; La dimension multidisciplinaire, p. 707 ; Les difficultés de la recherche orientée, p. 723 ; Les conditions de la recherche orientée multidisciplinaire, p. 743 ; Notes, p. 761.
CHAPITRE X
Recherche trans-culturelle, trans-sociétale et transnationale, par Stein ROKKAN Quelques distinctions élémentaires, p. 766 ; Trois traditions en recherche comparée, p. 779; L'épreuve décisive : construire des typologies de « macrosituations » contrôlant les variations du comportement humain, p. 793 ; L'organisation de la recherche, p. 806 ; Notes, p. 813.
765
Table des matières
VIII
3. Politique scientifique et développement dans les sciences sociales CHAPITRE
de la
recherche
XI Organisation et financement de la recherche, par Eric T R I S T
825
Nature et portée de l'enquête : les sciences sociales objet d'une politique de la recherche, p. 825 ; Etude de groupes de pays : les tendances aux EtatsUnis, p. 833 ; transition en Europe occidentale, p. 866 ; évolution des structures en Europe de l'Est, p. 894 ; progrès des sciences sociales dans le monde en voie de développement, p. 914 ; Analyse et commentaires : vers de nouvelles structures, p. 937 ; vers un changement du système des valeurs scientifiques, p. 945 ; description des ressources, p. 954 ; à la recherche d'une politique des sciences sociales, p. 962 ; Notes, p. 968 ; Bibliographie, p. 971. INDEX
981
Préface
Lorsque, à la fin de 1962, la Conférence générale de l'Unesco, réunie en sa douzième session, décida 1 d'inscrire au programme de l'Organisation pour les deux années suivantes l'examen des bases sur lesquelles pourrait être entreprise une étude des principales tendances de la recherche en sciences sociales et humaines, elle envisageait l'édification d'un ensemble dont l'étude sur les tendances dans les sciences exactes et naturelles, menée à bien sous la direction de M. Pierre Auger en 1959 et 1960 pour répondre à une demande du Conseil économique et social 2 , constituait le premier volet. Rappelant l'importance de cette dernière étude, et évoquant la contribution que la recherche en sciences sociales et humaines apporte, elle aussi, au progrès économique et social, la Conférence générale soulignait l'intérêt de mettre en lumière les tendances les plus marquantes qui s'y manifestent de nos jours. De cet intérêt, le volume qui est aujourd'hui présenté au public portera, je pense, témoignage. Il constitue la Première Partie de l'Etude internationale sur les tendances principales de la recherche dans le domaine des sciences sociales et humaines, dont le principe fut définitivement adopté par la Conférence générale lors de sa treizième session, en 1964. 3 Les travaux afférents à cette Première Partie furent entrepris dès l'année 1965, « en collaboration avec les institutions et organisations nationales et internationales compétentes, tant gouvernementales que non gouvernementales, avec le concours d'un comité consultatif et d'autres consultants et experts de disciplines différentes appartenant à diverses écoles de pensée et représentant les différentes orientations culturelles et idéologiques du monde contemporain ». Conformément aux directives établies par la Conférence générale, cette enquête porte sur un certain nombre de disciplines majeures visant à une connaissance de type nomothétique : sociologie, science politique, anthropologie sociale et culturelle 4 , psychologie, science économique, démographie, linguistique ; elle fait également une place importante à
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René Maheu
l'examen des dimensions interdisciplinaires de la recherche, ainsi qu'à l'organisation et au financement de celle-ci. La Deuxième Partie du projet, mise en chantier en 1967, est actuellement en cours d'exécution ; elle a pour objet de dégager les tendances principales des recherches afférentes aux sciences juridiques, aux sciences historiques, à l'archéologie et à la préhistoire, à l'étude des expressions artistiques et littéraires et à la philosophie ; en outre, certaines questions d'ordre théorique et d'ordre pratique, intéressant notamment le développement de la coopération interdisciplinaire et la contribution de l'étude de l'homme au progrès des sociétés et à la compréhension internationale, seront évoquées dans les conclusions des différents chapitres spécialisés et reprises dans un chapitre de synthèse ; certains types de recherches convergentes, comme celles qui ont trait à l'étude des cultures et des civilisations, feront ainsi l'objet d'un examen préliminaire visant à préparer les voies de travaux plus poussés. Les résultats de cette Deuxième Partie seront présentés en un second volume, dont la publication est prévue pour 1972. L'entreprise a été conçue de façon à aboutir à un ouvrage sur les principales tendances de la recherche, et non sur les résultats obtenus par la recherche ou même sur l'état des recherches en cours. En d'autres termes, il s'agissait de dégager — pour reprendre les formules frappantes utilisées par certains des spécialistes consultés — « les voies où pourront s'engager les sciences de demain » ( Claude Lévi-Strauss ), « la science en devenir, ... la science qui se fait » (Jean Piaget). Quant aux destinataires de l'Etude, on a eu en vue non seulement le public cultivé et les chercheurs eux-mêmes avec leurs associations professionnelles, mais aussi les institutions nationales et internationales dont la tâche consiste à organiser et à financer la recherche scientifique. Aussi trouvera-t-on dans cet ouvrage, à côté de considérations tenant aux directions et méthodes, des réflexions sur certains besoins sociaux qui sont à l'origine de recherches interdisciplinaires appliquées ou orientées, notamment sur l'organisation de l'enseignement et de la recherche, sur les modes de financement de la recherche et sur les regroupements des institutions qui apparaissent comme les plus propres à assurer le progrès des sciences sociales et humaines et à surmonter la crise que traversent actuellement, dans de nombreux pays, l'enseignement et la recherche en ce domaine. Compte tenu de la diversité de ces objectifs, on a suivi plusieurs méthodes de travail et, en particulier, plusieurs méthodes de collaboration avec les spécialistes et les organismes compétents. Ces méthodes, différentes mais parallèles, peuvent être ramenées à trois catégories principales : a) collaboration avec des spécialistes appelés à assurer par leurs contributions personnelles, dans un esprit d'universalité, l'unité de présentation des questions scientifiques relevant des différents chapitres ; b) collaboration avec des organismes nationaux ou régionaux, ainsi
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qu'avec certains spécialistes, appelés les uns et les autres à apporter, par leurs contributions et leurs commentaires critiques, une documentation appropriée sur les différents niveaux de développement scientifique et les différents domaines d'intérêt scientifique ; c) coordination de ces deux méthodes complémentaires par le Secrétariat de l'Unesco, responsable de la planification générale du projet et de sa mise en œuvre. En janvier 1965, le Secrétariat mit en place un dispositif de dépistage de la documentation nécessaire et entreprit, par voie de questionnaire, une consultation de quelque 150 spécialistes de différentes disciplines et de 500 organismes nationaux ou régionaux, conseils, fondations, instituts et centres de recherche, universités, associations professionnelles, etc..., dont les activités s'exercent, en totalité ou en partie, dans les domaines couverts par la Première Partie de l'Etude. De plus, douze organisations internationales non gouvernementales, dont on trouvera la liste en annexe 5 , ainsi que toutes les Commissions nationales pour l'Unesco, ont été invitées à apporter leurs suggestions, leurs conseils et leurs critiques en vue de préciser les modalités d'exécution et la conception même du projet. Le Secrétariat leur doit un nombre appréciable de propositions et d'informations, dont il a été tenu compte dans l'établissement du texte des différents chapitres. Enfin, ce travail de synthèse s'est appuyé sur l'apport irremplaçable de nombreux spécialistes, à qui l'on a fait appel pour éclairer ou approfondir, en une série d'études relativement brèves, certains aspects particuliers de l'activité scientifique — recherches récentes ou encore inédites, questions situées à la frontière de plusieurs disciplines, etc. — sur lesquels il eût été difficile, sans leur concours, de réunir une information et des analyses adéquates. Ces contributions ont déjà fait l'objet, pour la plupart, de publications séparées, et le plus grand nombre a trouvé place dans un volume collectif 6 ou dans la Revue internationale des sciences sociales.7 On trouvera en annexe la liste des auteurs de ces contributions ainsi que celle des spécialistes consultés à différents titres et auxquels l'Etude doit un apport particulièrement significatif. 8 La mise au point des différents chapitres a été suivie par un Collège de consultants constitué en mars 1965, après les prises de contact indispensables et la consultation des Commissions nationales pour l'Unesco intéressées. Les membres du Collège avaient pour tâche, dans leurs domaines respectifs de compétence, de donner des conseils spécialisés au Secrétariat, ainsi qu'aux rédacteurs des contributions requises pour l'exécution de l'entreprise. En même temps, ils étaient pour la plupart directement responsables ou co-responsables de l'élaboration des différents chapitres et formaient collectivement un Comité de rédaction pour l'ensemble de cette Première Partie de l'Etude. Avaient accepté de faire partie du Collège : MM. P. Auger, professeur à la Faculté des sciences de l'Université de Paris, auteur de l'étude précédemment effectuée sous les auspices de
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l'Unesco sur les tendances principales de la recherche dans les sciences exactes et naturelles ; P. de Bie, professeur à l'Université de Louvain ; R. Boudon, professeur à la Sorbonne ; P.N. Fedoseev, Vice-Président de l'Académie des sciences de l'URSS, assisté de M. V.S. Semenov, de l'Institut de philosophie de l'Académie des sciences de l'URSS ; R. Jakobson, professeur à l'Université Harvard et au Massachusetts Institute of Technology ; O. Lange, membre de l'Académie polonaise des sciences, assisté de MM. W. Brus, T. Kowalik et I. Sachs qui, après le décès de O. Lange survenu en 1965, assumèrent la responsabilité d'une version préparatoire du chapitre relatif à la science économique, dont l'achèvement et la mise au point sont l'œuvre du Secrétariat ; P.F. Lazarsfeld, professeur à l'Université Columbia de New York ; C. Lévi-Strauss, professeur au Collège de France qui, en raison de ses travaux personnels, dut céder sa place au sein du Collège à P. Mercier, directeur d'études à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes de Paris ; W.J.M. Mackenzie, professeur à l'Université de Manchester ; P.C. Mahalanobis, directeur de l'Indian Statistical Institute, remplacé, en dernier lieu, par J. Bourgeois-Pichat, directeur de l'Institut national d'études démographiques de Paris ; J. Piaget, professeur à la Faculté des sciences de l'Université de Genève ; S. Rokkan, professeur à l'Université de Bergen ; E.L. Trist, membre du Human Resource Centre, Tavistock Institute of Human Relations à Londres et professeur à l'Université de Californie ( Los Angeles ). Les membres du Collège formaient, avec 13 autres spécialistes, un organisme consultatif élargi, constitué de manière à assurer la représentation de différentes écoles de pensée ainsi que des grandes orientations culturelles et idéologiques du monde contemporain. Originaires de dixhuit pays d'Afrique, d'Amérique, d'Asie et d'Europe, les membres de cet organisme représentaient les disciplines scientifiques suivantes : démographie, psychologie, linguistique, anthropologie sociale et culturelle, sociologie, science politique, science économique, histoire, droit, philosophie.9 Comme tous leurs collaborateurs, ils ont été tenus régulièrement au courant du déroulement de l'élaboration de la Première Partie de l'Etude, et ont reçu toute la documentation préparatoire et les projets de chapitres pour commentaires et observations critiques. Que tous les savants éminents qui ont bien voulu, à ces titres divers, répondre à l'appel de l'Unesco et mettre au service de l'Elude leur compétence, leur expérience et leur talent en soient sincèrement et chaleureusement remerciés. Que les auteurs des différents chapitres, qui, malgré l'importance de leurs travaux personnels et le poids de leurs obli-
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gâtions professionnelles, ont tant donné de leurs temps et de leur énergie à cette entreprise commune, trouvent ici l'expression de la gratitude profonde de l'Organisation. Si le présent ouvrage peut, dans des domaines de recherche si complexes, présenter, sous une forme relativement condensée, une série de mises au point coordonnées, dans lesquelles une vaste information est dominée par un esprit de synthèse lucide et objectif, tourné vers l'avenir et soucieux du service de l'homme, c'est avant tout à leur autorité scientifique, à leur culte du vrai, à leur dévouement à la vie de l'esprit et à la coopération internationale qu'il faut en rendre hommage. Il appartenait, comme je l'ai dit, au Secrétariat de l'Unesco d'animer et de coordonner ce vaste ensemble de travaux et de ménager les conditions les plus propices à une convergence respectueuse des diversités d'inspiration. La tâche du secrétariat d'une organisation internationale est, par essence, collective et anonyme, et sa vertu est d'effacement, j'oserai dire d'abnégation. Qui pourrait croire, cependant, qu'une entreprise comme celle-ci puisse être menée à bien sans que les hommes qui ont la responsabilité de sa mise en œuvre n'y consacrent toutes les ressources de leur intelligence et de leur cœur, sans que, par-delà l'impartialité qui est leur règle, ils n'y laissent de quelque manière leur empreinte personnelle ? Ce rôle personnel à la fois inévitable et nécessaire, — car sans style il n'est pas d'oeuvre vivante — il ne serait pas juste de le passer sous silence. C'est ainsi qu'au seuil de cet ouvrage, je veux saluer d'abord la mémoire de Julian Hochfeld, Directeur adjoint du Département des sciences sociales, qui, jusqu'à sa disparition prématurée en juillet 1966, mena les premières consultations et assura la planification de l'Etude et la mise en place des dispositifs d'exécution : la clarté de ses conceptions d'ensemble, la vertu communicative de son enthousiasme, ses dons d'animateur et d'organisateur ont donné à ce projet, pour lequel il se dépensa sans compter, l'indispensable impulsion initiale et le style intellectuel qui devait se maintenir à travers les ajustements ultérieurs. Puis, sous l'autorité d'André Bertrand, Directeur du Département, disparu à son tour en novembre 1968 au terme d'une cruelle maladie, c'est à Samy Friedman qu'échut la lourde charge de mener à terme l'entreprise, d'accomplir et de porter plus avant l'inspiration première, de recruter de nouveaux collaborateurs, de coordonner leurs efforts, de veiller à la mise au point des manuscrits. C'est à lui qu'est dû l'Avertissement, riche en remarques stimulantes, qu'on lira ci-après. Je tiens à le remercier de tout ce qu'il a apporté à l'Etude. Faut-il risquer quelques réflexions d'ensemble sur la nature et la vocation des sciences « sociales et humaines » — ou, dira-t-on, des « sciences de l'homme » — dont les orientations sont ici mises en évidence, confrontées et interrogées ? Je ne le pense pas. Ce volume, avec celui qui le suivra, parlera, de lui-même, et il serait aventureux d'aller plus loin,
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en matière de conclusions générales, qu'un aréopage de spécialistes éminents n'a cru devoir le faire, et plus vain et dangereux encore d'indiquer à ces sciences les voies de leur avenir. Je m'attacherai plus modestement et sans doute plus utilement à replacer la présente Etude dans le cadre où elle s'insère : c'est-à-dire d'abord à en comparer le style intellectuel et méthodologique à celui de l'Etude sur les tendances de la recherche dans les sciences exactes et naturelles qui l'a précédée, ensuite à exposer les raisons qui ont motivé sa division en deux parties liées mais néanmoins distinctes, enfin à évoquer la signification qu'elle revêt du point de vue des intérêts de l'Unesco, qui sont ceux de la vie internationale et du développement de l'homme. Si l'Etude sur les tendances de la recherche dans les sciences exactes et naturelles devait bien évidemment servir de précédent et de terme de référence au présent ouvrage, les travaux et les consultations préparatoires menés en 1963 et 1964 confirmèrent que les sciences sociales et humaines, où la diversité des écoles de pensée et des positions culturelles et idéologiques vient s'ajouter à la variété, voire la rivalité des disciplines et des points de vue épistémologiques, ne sauraient donner lieu à une étude absolument parallèle. Devant la complexité d'un domaine dont l'ampleur ne pouvait être tronquée sans arbitraire et sans dommage, la prudence exigeait que, sans perdre de vue l'ensemble, on procédât du moins par étapes. Devant les divergences existant au sujet des conceptions fondamentales, des hypothèses de travail et des motivations, et devant les controverses auxquelles donne souvent lieu l'interprétation générale des résultats de la recherche, il convenait de refléter dans la diversité de ses aspects majeurs l'exercice effectif de l'activité scientifique en ces matières, toujours liée — quelle que soit la portée objective et universelle de certains résultats — à une situation sociale, à un moment historique. Cependant il apparaissait qu'au sein du vaste ensemble des sciences sociales et humaines, il existait certaines disciplines dont la méthodologie est relativement uniforme sur le plan international, dont, d'une manière générale, l'objet propre ne soulève pas de contestations, et qui s'attachent à dégager, au moins dans certains secteurs isolables par la pensée, les lois objectives qui régissent les phénomènes humains, notamment les phénomènes sociaux. C'est à la lumière de ces conclusions que la Conférence générale, lors de sa treizième session, reconnut qu'il était préférable de diviser l'Etude en deux parties et d'en échelonner la mise en œuvre dans le temps. Elle décida que le projet devait être lancé dès l'exercice 1965-1966 dans le domaine constitué par certaines disciplines nomothétiques, dont elle établit une liste illustrative, tandis que ces deux années seraient mises à profit pour préparer la rédaction, à partir de 1967, de la Deuxième Partie, qui devait porter sur les disciplines d'ordre historique, juridique, philosophique, artistique et littéraire. Cette division de l'Etude en deux parties et cet échelonnement des travaux en deux temps ne répondent donc pas seulement à un souci
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d'ordre pratique, dicté par l'étendue du domaine qu'il fallait couvrir en faisant appel à une gamme de concours la plus largement internationale. Mais ils ne se fondent pas non plus, je tiens à le souligner, sur une distinction entre « sciences sociales » et « sciences humaines », laquelle est considérée, de l'avis général, comme de plus en plus artificielle. Ils reflètent une certaine dualité de style au sein des démarches des « sciences de l'homme » dans leur ensemble : dualité qui, sans doute, à des degrés divers et avec des accentuations différentes, s'exerce à l'intérieur de chacune d'elles, mais qui, en gros, peut néanmoins légitimement fonder une répartition des disciplines en deux familles, pourvu qu'on n'oublie ni la diversité qui règne au sein de l'une et de l'autre, ni leurs affinités mutuelles et les multiples avenues de la coopération savante, ni non plus la tendance naturelle de toute démarche scientifique solidement fondée à se projeter en un modèle de toute connaissance de l'homme. Une première partie du vaste domaine des sciences qui tendent à la connaissance de l'homme, de sa vie sociale et de son existence individuelle est constituée par un ensemble de disciplines — celles qui font l'objet du présent volume — qui visent à dégager des lois et se réclament de l'idéal d'un savoir aussi objectif, aussi assuré, aussi indépendant des opinions, des attitudes et des situations humaines que celui des sciences de la nature. Dans d'autres secteurs de l'activité savante — ceux auxquels doit être consacré un second volume — la référence à l'ordre des valeurs, des normes et des fins, l'exigence de la réflexion et le souci de la libre détermination de l'homme par lui-même sur le plan des communautés et sur celui des individus dominent, sans pour autant se séparer de l'effort vers une connaissance rigoureuse et objectivement fondée ; car ce qui s'y propose à l'activité de la pensée, c'est moins l'identification des esprits dans l'adhésion à un corps de vérités cumulatives et universellement valables, que, par-delà différences et divergences, l'intelligence mutuelle, l'interpénétration et, à la limite, la convergence des points de vue et des options, sous la règle commune de la soumission au vrai. Et il paraissait raisonnable d'aborder en dernier celles d'entre toutes les sciences de l'homme dont l'idéal de savoir et de vérité est le moins aisément formulable et qui demeurent profondément liées à l'existence singulière des êtres humains et des groupes, à leurs expressions créatrices et aux choix fondamentaux où ils s'engagent. Donc, deux séries, parallèles si l'on veut, différentes sans doute et dont il fallait respecter les différences, mais surtout complémentaires, et finalement solidaires. L'exercice concret de cette solidarité, c'est la collaboration interdisciplinaire, qui culmine dans la recherche multidisciplinaire et s'incarne dans le travail en équipe : base indispensable de la connaissance de l'homme, mais idée aussi dont l'abstraite généralité se pare d'une dangereuse séduction, et dont on risquerait de ne faire qu'un usage verbal et stérile si les fondements et les modalités n'en étaient pas clairement dégagés, au contact de problèmes concrets offerts
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à la recherche, et en tenant compte des facteurs institutionnels, financiers, techniques, humains dont dépendent effectivement son développement, sa fécondité, sa capacité de novation et de création. S'il est vrai que la recherche se conçoit de moins en moins sans un degré élevé de spécialisation, le recours à une étroite coopération interdisciplinaire est la contrepartie naturelle et nécessaire de cette évolution. Une telle coopération est tout d'abord exigée par le renouvellement, à notre époque, des conditions intellectuelles du travail scientifique : tout concourt à faire éclater des cloisonnements hérités d'un âge révolu du savoir ; au sein de chaque discipline s'impose un recours aux hypothèses, aux méthodes, aux schémas d'intellection, aux résultats de disciplines voisines, et même de celles qu'hier encore on considérait comme les plus lointaines et les plus étrangères. Mais, à cet appel, il n'est encore trop souvent répondu qu'au hasard des nécessités de la recherche ou des occasions de la rencontre, sans une perception d'ensemble assez large, sans une continuité suffisante, sans une véritable ouverture d'esprit mutuelle des praticiens de ces différentes méthodes, et surtout sans une élaboration, une explicitation adéquates des fondements sur lesquels peut reposer la conjonction de celles-ci. Dresser une carte — certes provisoire et toujours à réviser — des points forts et des points faibles de la coopération interdisciplinaire et de leur sous-sol, identifier les secteurs sur lesquels devraient porter en priorité la réflexion des chercheurs et l'effort des institutions, tel est l'un des résultats les plus significatifs que devait tout naturellement dégager une étude comme celle-ci. Mais il y a plus ; car l'évolution amorcée de nos jours dans le style épistémologique des recherches est indissociable de l'évolution des situations et des problèmes humains auxquels ces recherches ont affaire. Sans doute, le caractère multidimensionnel du phénomène humain est de toujours ; mais il ne s'est pas toujours imposé à la science de manière aussi impérative. Si l'étude de l'homme prend un visage nouveau, c'est surtout parce qu'elle forme partie intégrante d'un monde en pleine mutation, auquel elle s'efforce d'apporter les éléments d'un savoir authentique, les moyens d'une prise de conscience informée et les fondements d'options réfléchies. C'est dans leur application aux aspects hier encore inconnus ou inaperçus de l'existence des individus, de la vie des collectivités, du devenir des cultures que les recherches révèlent leurs tendances les plus vivantes et les plus fécondes. La science et la technique ont créé des conditions de vie toutes nouvelles, ouvert des possibilités inouïes, suscité des problèmes sans précédents. L'horizon de l'expérience humaine s'est ainsi considérablement élargi. Dans le même temps, le développement des moyens d'expression et de communication a provoqué un véritable changement d'échelle de l'appréhension de l'existant : faisant vivre chacun dans la proximité voire la contemporanéité de l'événement, il donne à la vie individuelle, sociale et culturelle une nouvelle dimension qui tend à égaler celle même du présent du monde, tout en menaçant la qualité de la précieuse conscience
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personnelle. Plus généralement, le progrès de la connaissance dépasse les pouvoirs de l'esprit individuel, et l'élaboration du savoir, ainsi que la tâche permanente de sa réunification exigent que l'intellect humain se fasse relayer par des machines de son invention ; la science, qui bouleverse la conception courante de l'univers et ouvre de nouveaux aperçus sur l'homme, s'intègre de plus en plus difficilement à la culture générale, sinon sous des formes dégradées. La cadence et l'ampleur des changements actuels affectant la vie de tous les êtres humains donnent une acuité nouvelle au sens du caractère transitoire du présent, au besoin d'une interprétation dynamique de l'histoire qui se fait et d'une anticipation raisonnée de l'avenir, bases nécessaires d'une action bien adaptée au service de l'homme et de ses valeurs. Enfin l'affirmation généralisée du principe démocratique appelle de nouvelles formes d'organisation politique et de vie communautaire. La structure du monde est profondément transformée par l'accession de presque toutes les nations à l'indépendance politique et par l'établissement, sur tous les plans, de relations nouvelles entre elles : par là l'humanité, présente à elle-même dans sa totalité, prend progressivement la mesure de sa diversité interne et découvre une nouvelle notion et une nouvelle exigence d'universalité, fondées sur le respect et la compréhension réciproques des différences dans une volonté de dialogue et d'enrichissement mutuel. S'étant doté des moyens de la puissance, l'homme sait qu'il porterait désormais en lui-même sa propre destruction, s'il s'avérait incapable de concevoir et d'instaurer, à l'échelle planétaire, un ordre viable, favorable au progrès et conforme à une idée commune de justice. Cette situation propose, que dis-je ? impose aux sciences sociales et humaines des tâches renouvelées et plus ambitieuses, tout en mettant à leur disposition des moyens d'investigation plus puissants, une information plus étendue, un appareil conceptuel renforcé. E n revanche, elle accentue la difficulté de leurs problèmes, aggrave certaines de leurs incertitudes, compromet la capacité de l'homme de disposer de son savoir, requiert un effort permanent de reconquête de l'unité de la vie de l'esprit. C'est en faisant face à cette situation globale, en s'attachant à des thèmes de recherche qui reflètent ses aspects majeurs que les disciplines de la connaissance de l'homme peuvent s'affirmer dans la coopération mutuelle comme des démarches intellectuelles vraiment modernes et fécondes. E n même temps s'impose universellement avec le plus haut degré d'urgence un devoir commun : celui de faire disparaître de la face de la planète la misère, l'exploitation, l'ignorance, la stagnation, l'humiliation qui sont le lot des masses humaines défavorisées par l'histoire. Sans un effort délibéré de tout l'homme en tous les hommes ces masses sont menacées d'être enfermées par le mouvement accéléré de cette histoire devenue fatalité dans la condition sans espoir d'une sous-humanité :
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scandale pour l'esprit et le cœur, condamnation de toute chance d'entente véritable entre les peuples c'est-à-dire de paix, négation de l'humanité même. A la tâche qui incombe à la génération présente et qui est, dans l'acception la plus large et la plus élevée du terme, celle du développement : développement économique et social des collectivités et développement de l'homme même, la contribution que peuvent et que doivent apporter les sciences sociales et humaines est d'une importance centrale, pour peu qu'elles s'acquittent pleinement de leur double rôle, qui est, d'une part, d'apporter des éléments d'information rigoureusement contrôlés et des techniques d'action efficaces en fonction de structures économiques, sociales et culturelles et de situations historiques dûment analysées et, d'autre part, d'éclairer les options humaines et de mieux fonder entre les hommes la compréhension, le respect et le sentiment de la solidarité. Double fonction, à laquelle aucune discipline prise isolément ne peut suffire, mais qui appelle la plus large coopération entre elles toutes. Double ambition, par laquelle elles s'assument comme les formes et les démarches, diversement concrétisées mais communicantes, d'un même effort de connaissance, d'une même pensée et d'un même souci. J'estime que ce n'est pas là demander aux sciences sociales et humaines d'abdiquer leur vocation primordiale, qui est de poursuivre une vérité, celle de l'homme, sans jamais avoir à subordonner cette quête de la connaissance, cette exigence de la compréhension à la préoccupation de l'utilité immédiate, encore moins à celle de fonder un catéchisme. Il est banal de rappeler que l'utilité d'une proposition théorique ne se découvre souvent qu'après coup, en présence de problèmes jusque-là imprévisibles, et que la vérité spéculative peut se révéler source inépuisable d'inspirations éthiques qu'il n'appartient pas à la science de dégager, de déterminer, ni de devancer elle-même. Il reste que les sciences qui concourent à la connaissance de l'homme donnent lieu à des applications et permettent notamment de mieux ajuster au réel les techniques de l'action ; et aussi qu'elles comportent des enseignements, que leurs résultats et plus encore leurs démarches ont une vertu qu'on peut dire pédagogique. Elles rappellent l'homme à soi, elles l'invitent à s'interroger en termes concrets et sans complaisance sur lui-même, sur sa destinée, sur les voies d'un accomplissement concret de son être dans les conditions de la réalité, à égale distance de la résignation passive devant un destin indéchiffrable et de la fuite dans le rêve d'une liberté sans prise sur le réel. Ces deux fonctions naturelles de la connaissance se complètent et s'équilibrent ; leur complémentarité jusque dans les oppositions qui sont la vie des sciences sociales et humaines, est le terrain solide sur lequel on peut s'établir pour donner une solution au vieux conflit, toujours renaissant, entre leur vocation théorique désintéressée et l'appel constant que leur adresse la pratique. Car la pratique ne se réduit pas à un ensem-
Préface
XIX
ble de procédés ou de recettes : elle est aussi élargissement des perspectives du possible et détermination des objectifs du choix et par là à la fois acceptation du devenir et de la différence et émancipation par élaboration des fins, bref affirmation et reconnaissance de l'homme en soi et en autrui, ce qui ensemble postule l'universalité et la construit. Et pour la science, la pratique est la condition d'un dialogue fécond entre l'esprit et la réalité humaine. A l'homme d'aujourd'hui, rendu, en fait comme en droit, maître de son destin par les instruments d'une puissance sans précédent sur la nature, et en même temps étrangement démuni des moyens de se déterminer intérieurement selon l'humain devant ce monde inédit, foisonnant, imprévisible, trop souvfent aliénant qui est de plus en plus son œuvre, il faut autre chose qu'un humanisme de commande, simple formule creuse, verbale et sans conséquences. Il lui faut les moyens efficaces et fondés en vérité d'une authentique humanisation des rapports entre individus au sein des sociétés, entre peuples au sein d'un ordre humain. Tel est cet humanisme dont les sciences sociales et humaines sont, du moins en puissance, la garantie et même la source essentielle. Mais elles ne peuvent l'être que toutes ensemble, et solidairement, car, encore une fois, aucune n'y saurait à elle seule suffire. J'irai plus loin : je dirai qu'elles ne peuvent accomplir cette haute mission qu'appuyées aux sciences exactes et aux sciences de la nature, unies à elles et coopérant avec elles dans l'édifice un d'une Science que l'appréhension de sa signification et de sa portée doit avoir pour effet non point de brider ou de faire dévier dans sa quête de la vérité, mais d'enrichir et d'équilibrer en la chargeant de conscience. Les deux responsabilités majeures de l'Unesco en matière de science sont, d'une part, d'oeuvrer à l'avancement du savoir, de faciliter l'essor de l'activité scientifique dans les pays avancés comme dans les pays en voie de développement et de promouvoir les échanges scientifiques sur le plan international et, d'autre part, de faire en sorte que l'intensification et l'universalisation de la recherche concourent à l'amélioration des conditions d'existence des peuples, à l'accroissement de la compréhension mutuelle entre les nations et à l'approfondissement de la conscience de l'humanité en l'homme. Je suis sûr que la série d'études consacrées aux tendances principales de la recherche ne satisfait pas seulement à ces deux exigences, mais encore constitue la meilleure démonstration de leur caractère complémentaire et met en évidence la nécessité profonde de les unir dans une action vouée au progrès humain. René Maheu Directeur général de l'Unesco
XX
René
Mabeu
NOTES 1. Résolution 12 C 3.43. 2. Tendances actuelles de la recherche scientifique, par Pierre Auger, consultant spécial, ONU et Unesco, juin 1961. 3. Résolution 13 C 3.244. 4. Amorcée au titre de la Première Partie de l'Etude, l'élaboration du chapitre relatif aux tendances principales de la recherche dans le domaine de l'anthropologie sociale et culturelle sera achevée dans le cadre de la Deuxième Partie. Ce chapitre sera inclus dans le volume présentant les résultats de cette Deuxième Partie. 5. Voir Annexe I, page XXI. 6. Les sciences sociales : problèmes et orientations, Mouton/Unesco, La Haye/Paris, 1968, 507 pp. 7. Revue internationale des sciences sociales, Vol. X I X , 1967, n° 1, « Linguistique et communication » ; Vol. XX, 1968, n° 2, « La recherche orientée multidisciplinaire ». 8. Voir Annexe II, page X X I I . 9. Voir Annexe I I I , page X X I X .
ANNEXE I
Organisations non-gouvernementales ayant collaboré à l'étude
Association Internationale de Sociologie Association Internationale des Sciences Economiques Association Internationale de Science Politique Association Mondiale pour l'Etude de l'Opinion Publique Comité International pour la Documentation des Sciences Sociales Comité International Permanent de Linguistes Conseil International de la Philosophie et des Sciences Humaines Conseil International des Sciences Sociales Fédération Mondiale des Travailleurs Scientifiques Union Internationale pour l'Etude Scientifique de la Population Union Internationale de Psychologie Scientifique Union Internationale des Sciences Anthropologiques et Ethnologiques
ANNEXE II
Spécialistes consultés et auteurs de contributions auxiliaires
Alberoni, F Albou, P. Allardt, E. Angell, R.C. Anohin, P.K. Antilla, H. Armengaud, A . Armstrong, D. Aron, R. Austin, M. Ayman, I.A. Azuma, H . Baglioni, G . Bhatt, V . M . Barbut, M . Barnett, K.M.A. Bastide, R. Bauman, Z. Beijer, G . Bell, H.T. Bennike, B J . Bertalanffy, L. von Betocchi, G . V . Beyer, G . Bolle, L. Borrie, W . D . Bouc, A . Boulding, K.E. Bourdieu, P. Bourricaud, F. Brayfield, A . H . Bronfenbrenner, M. Butland, G .J.
Università Cattolica di Milano Institut Technique de Prévision Economique et Sociale, Paris Institut de Sociologie, Université de Helsinki University of Michigan, Ann Arbor Institut Sechenov de Physiologie, Moscou Société Finlandaise de Psychologie, Helsinki Université de Dijon Tavistock Institute of Human Relations, Londres Centre de Sociologie Européenne, Ecole Pratique des Hautes Etudes, Paris Australian Psychological Society, Sydney National Institute of Psychology, Teheran Japanese Psychological Association, Tokyo Università Cattolica di Milano Commission Economique pour l'Asie et l'Extrême-Orient, Bangkok Ecole Pratique des Hautes Etudes, Paris Department of Census and Statistics, Hong Kong Université de Paris Université de Varsovie Groupe de Recherches pour les Migrations Européennes, La Haye Economics Society of Australia and New Zealand, Sydney Danske Qkonomers Forening, Copenhague University of Alberta, Edmonton Università di Napoli Conseil Néerlandais pour les Sciences Sociales, Amsterdam Institut d'Etudes Politiques, Université de Grenoble Australian National University, Canberra Institut de Science Economique Appliquée, Dakar University of Michigan, Ann Arbor Ecole Pratique des Hautes Etudes, Paris Université de Paris American Psychological Association, Washington D.C. Carnegie-Mellon University, Pittsburgh University of New England, Armidale
Préface Buyssens, E. Canagaratnam, P. Caruso, I. Casimir, J . Catt, A.J.L. Chalmers, A. Cherns, A.B. Chiva, L. Chombart de Lauwe, P.H. Cohen, J . Colombo, B. Coster, W. de Coughlan, J . A . Dabin, J . Dahrendorf, R. Davis, K. Delatte, L. Desai, K . G . Diégues Jr., M. Dorsinfang-Smets, A. Dumazedier, J . Dury, G.H. Egloff, W. Eisenstadt, S.N. Ellenberger, H. Erke, H. Fahmi, M. Fassi, N. El Federici, N. Fedorenko, N. Ferracuti, F. Fic, V.M. Fishman, J.A. Flament, M.C. Floud, J . Fohalle, R. Fourastie (Mile), J . Fourastié, J . Fraisse, P. Fraisse, R. Fresson, M. Fujimoto, T. Galtung, J . Gentile, R. Georgiev, V.
XXIII Université Libre de Bruxelles Ceylon Association for the Advancement of Science, Colombo Wiener Arbeitskreis für Tiefenpsychologie Centro Latinoamericano de Investigaciones en Ciencias Sociales, Rio de Janeiro New Zealand Institute of Economic Research (Inc.), Wellington University of Sussex, Brighton University of Technology, Loughborough Laboratoire d'Anthropologie Sociale du Collège de France et de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, Paris Ecole Pratique des Hautes Etudes, Paris University of Manchester Istituto di Statistica, Università degli Studi di Padova Laboratoire de Psychologie Expérimentale Différentielle, Génétique et Anthropologique, Université de l'Etat à Gand Department of Social Studies, University of Dublin Université de Louvain Fachbereich Soziologie, Konstanz Universität University of California, Berkeley Université de Liège Tata Institute of Social Sciences, Bombay Centro Latinoamericano de Investigaciones en Ciencias Sociales, Rio de Janeiro Institut de Sociologie, Université Libre de Bruxelles Centre d'Etudes Sociologiques, Paris University of Sydney Société Suisse des Traditions Populaires, St. Gall Université Hébraïque, Jérusalem Université de Montréal Psychologisches Institut der Universität des Saarlandes College of Education, Ain-Shams University, Le Caire Centre Universitaire de la Recherche Scientifique, Rabat Istituto di Demografia, Università degli Studi di Roma Institut d'Economie Mathématique, Académie des Sciences de l'URSS, Moscou Università degli Studi di Roma Institute of Southeast Asia, Nanyang University, Singapour Yeshiva University, New York Laboratoire de Psychologie Sociale, Université d'Aix-Marseille University of Oxford Université de Liège Université de Paris Conservatoire National des Arts et Métiers, Paris Institut de Psychologie, Université de Paris Commissariat Général du Plan de l'Equipement et de la Productivité, Paris Fonds National de la Recherche Scientifique, Bruxelles Japan Federation of Economic Associations, Tokyo International Peace Research Institute, Oslo Università di Napoli Académie Bulgare des Sciences, Sofia
XXIV
Spécialistes
consultés
et auteurs
de contributions
auxiliaires
Instituut voor Culturele Anthropologie der niet-westerse Volken, Rijksuniversiteit, Leiden Office de la Recherche Scientifique et Technique OutreGleizes, M. Mer, Paris Fundación La Salle de Ciencias Naturales, Caracas Gines, H. Ecole Pratique des Hautes Etudes, Paris Glenisson, J . Godelier, M. Laboratoire d'Anthropologie Sociale du Collège de France et de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, Paris Ecole Pratique des Hautes Etudes, Paris Goldman, L. Institut de Sociologie et Philosophie, Université de Ljubjana Goricar, J . Gorskij, D.P. Institut de Linguistique, Académie des Sciences de l'URSS, Moscou Gourou, P. Collège de France, Paris Govaerts, F. Institut de Sociologie, Université Libre de Bruxelles Gratiot-Alphandery, H. Laboratoire de Psychobiologie de l'Enfant, Ecole Pratique des Hautes Etudes, Paris Grebenik, E. University of Leeds Greenslade, B. New Zealand Institute of Economic Research (Inc.), Wellington Greimas, A J . Ecole Pratique des Hautes Etudes, Paris Grosser, D. Freie Universität Berlin Haekel, J . Institut für Völkerkunde, Universität Wien Halle, M. Massachusetts Institute of Technology, Cambridge Harmsen, H. Deutsche Gesellschaft für Bevölkerungswissenschaft, Hambourg Sozialforschungsstelle an der Universität Münster, DortHartmann, H. mund Heiin, E. Université de Liège Henry, L. Institut National d'Etudes Démographiques, Paris Herz, T.A. Zentralarchiv für empirische Sozialforscbung, Cologne Heusch, L. de Université Libre de Bruxelles Hiatt, L.R. University of Sydney Hill, A.A. Linguistic Society of America, Austin Hill, R. Minnesota Family Study Center, University of Minnesota, Minneapolis Holas, B. Centre des Sciences Humaines, Abidjan Hopenhayn, B. Instituto Latinoamericano de Planificación, Económica y Social, Santiago Hudecek, J . Institut de Science Politique, Prague Hurtig, S. Fondation Nationale des Sciences Politiques, Paris Huxley, Sir J . Eugenics Society, Londres Iacono, G. Università di Napoli Ikola, O. Institut de Finnois, Université de Turku Jacoby, E.G. Department of Education, Wellington Jahoda, M. University of Sussex, Brighton Jain, S.P. Demographic Training and Research Center, Bombay Jong, S.J. de Rijksuniversiteit, Groningen Joset, C.J., S.J. Faculté des Sciences Economiques et Sociales, Namur Kannangara, I. Department of Census and Statistics, Colombo Kelle, V. Institut de Philosophie, Académie des Sciences de l'URSS, Moscou Keyfitz, N. Population Research and Training Center, University of Chicago Khatibi, A. Centre Universitaire de la Recherche Scientifique, Rabat Khubchandani, L.M. Linguistic Society of India, Poona Kirschen, E.S. Institut de Sociologie, Université Libre de Bruxelles Gerbrands, A.A.
Préface Klaff, H. Konüs, A. Kornai, J . Kötter, H. Kovalson, M.Y. Kowalewski, Z. Kula, W. Kunstadter, P. Lagos, G. Lajugie, J . Lancaster, J.B. Landsheere, G. de Lee, E. Lefer, P. Lektorski, V.A. Leplae, C. Lestapis, S. de, S.J. Levada, Y.A. Livingstone, F.B. Lowit, N. Lucas, M. de Luria, A.R. McDonald, T.K. MacKay, D.M. Mackensen, R. MacRae, D. MacRae, D.G. Maitre, J . Maniet, A. Marcus, S. Martinet, A. Martikainen, T. Matin, A. Matthiessen, P.C. Mauro, T. de Mayntz, R. Melcuk, I.A. Meyriat, J . Miro, C.A. Mitchell, J . Monteil, V. Moore, F.W. Moore, G.H. Mosse, R.
XXV Israel Institute of Applied Social Research, Jérusalem Institut de Recherche Scientifique Economique, Aci lémie des Sciences de l'URSS, Moscou Centre de Calcul, Académie Hongroise des Sciences, Budapest Institut für Agrarsoziologie der Justus Liebig-Universität, dessen Université d'Etat de Moscou Af.V. Lomonsov Académie Polonaise des Sciences, Varsovie Université de Varsovie Princeton University Instituto para la Integración de América Latina, Buenos Aires Université de Bordeaux University of California, Berkeley Université de Liège Korean Psychological Association, Séoul Délégation Générale à la Recherche Scientifique et Technique, Paris Institut de Philosophie, Académie des Sciences de l'URSS, Moscou Institut de Recherches Economiques, Sociales et Politiques, Université de Louvain Centre de Recherches et d'Action Populaire, Vanves Institut de Recherches Sociologiques Concrètes, Académie des Sciences de l'URSS, Moscou University of Michigan, Ann Arbor Centre d'Etudes Sociologiques, Paris Università di Napoli Université de Moscou New Zealand Institute of Economic Research (Inc.), Wellington University of Keele Sozialforschungsstelle an der Universität Münster, Dortmund Massachusetts Institute of Technology, Cambridge London School of Economics and Political Science Groupe de Sociologie des Religions, Paris Université de Louvain Institut de Mathématiques, Académie de la République Populaire Roumaine, Bucarest Institut de Linguistique, Université de Paris Association Finlandaise de Science Politique, Helsinki Board of Economic Enquiry, Peshawar University Université de Copenhague Università di Roma Freie Universität Berlin Institut de Linguistique, Académie des Sciences de l'URSS, Moscou Fondation Nationale des Sciences Politiques, Paris Centro Latinoamericano de Demografía, Santiago Social Science Research Council, Londres Institut Fondamental d'Afrique Noire, Université de Dakar Human Relations Area Files, New Haven National Bureau of Economic Research, New York Université de Grenoble
XXVI
Spécialistes consultés et auteurs de contributions auxiliaires
Moscovici, S. Mühsam, H.V. Niederer, A. Noponen, M. Nuttin, J . Ogata, N. Olsevich, Y . Oroz, R. Osgood, C. Ossipov, G . Ourlanis, B.C. Paillat, P. Pairault, C., S.J. Pankhurst, R. Pappi, F.U. Parsons, T. Partridge, P. Perrin, F. Philippart, A. Piatier, A. Piepponen, P. Pohl, J . Postal, P. Potter, R.G. Pouillon, J . Pozo, J . Y . del Quemada, B. Rapoport, A. Rémy, J . Reverdin, O. Reynaud, J.D. Riviere, J.R. Robinson, J . Ros-Jimeno, J . Rose, A. M. t Rosenmayr, L. Ross, S. Rowe, J.W. Russell, R.W. Ruwet, N. Sadovski, V.N. Schmitz, A. Schubnell, H.
Ecole Pratique des Hautes Etudes, Paris Université Hébraïque, Jérusalem Société Suisse des Traditions Populaires, Zurich Conseil National de Recherches en Sciences Sociales, Helsinki Institut de Psychologie, Université de Louvain Japanese Political Science Association, Tokyo Université d'Etat de Lvov Instituto de Filología, Universidad de Chile, Santiago Institute of Communications Research, University of Illinois, Urbana Institut de Philosophie, Académie des Sciences de l'URSS, Moscou Institut des Sciences Economiques, Académie des Sciences de l'URSS, Moscou Institut National d'Etudes Démographiques, Paris Institut Africain pour le Développement Economique et Social, Abidjan Institute of Ethiopian Studies, Haile Seiasse I University, Addis-Abeba Zentralarchiv für empirische Sozialforschung, Cologne Harvard University, Cambridge Research School of Social Sciences, Australian National University, Canberra Centre National de la Recherche Scientifique, Lyon Institut Belge de Science Politique, Bruxelles Ecole Pratique des Hautes Etudes, Paris Institut de Recherches Démographiques, Helsinki Université Libre de Bruxelles Queens College, Flushing Brown University, Providence Laboratoire d'Anthropologie Sociale du Collège de France et de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, Paris Instituto Ecuatoriano de Sociología y Técnica, Quito Centre d'Archives du Français Contemporain, Besançon Mental Health Research Institute, University of Michigan, Ann Arbor Centre de Recherches Socio-religieuses, Université de Louvain Société Suisse des Sciences Humaines, Berne Institut des Sciences Sociales du Travail, Université de Paris Servicio de Documentación de Organizaciones Científicas, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, Madrid University of Cambridge Escuela de Estadística, Universidad de Madrid University of Minnesota, Minneapolis Institut für Soziologie, Universität Wien American Psychological Association, Washington D.C. New Zealand Institute of Economic Research (Inc.), Wellington Indiana University, Bloomington Université de Paris Revue « Voprosy Filosofil », Moscou Frobenius-Institut, Johann Wolf gang Goethe-Universität, Francfort s ¡Main Statistiches Bundesamt, Wiesbaden
Préface Schnur, R.
XXVII
Sozialwissenschaftliche Abteilung der Ruhr-Universität, Bochum Conseil Supérieur des Lettres, des Arts et des Sciences SoSebai, Y. El ciales, Le Caire Research Center in Anthropology, Folklore and Linguistics, Sebeok, T. University of Indiana, Bloomington College of Physicians and Surgeons, Columbia University, Sheps, M.C. New York Slavik, V. Institut de Science Politique, Prague Smelser, N. University of California, Berkeley Solari, L. Université de Geneve Soleiman, F.H. University College for Women, Ain-Shams University, Le Caire Somoza, J.L. Centro Latinoamericano de Demografía, Santiago Spaey, J. Conseil National de la Politique Scientifique, Bruxelles Spaltro, E. Università Cattolica di Milano Spate, O.H.K. Research School of Pacific Studies, Australian National University, Canberra Spitaels, G. Institut de Sociologie, Université Libre de Bruxelles Stammer, O. Institut für politische Wissenschaft der Freien Universität Berlin Stegemann, H. Zentralarchiv für empirische Sozialforschung, Cologne Steiner, J. Société Suisse de Recherches Sociales Pratiques, Thun Stoetzel, J. Université de Paris Sussman, M.B. Western Reserve University, Cleveland Szabady, E. Institut de Recherches Démographiques, Budapest Szabo, D. Université de Montréal Szalai, A. Institut de Formation et de Recherche des Nations Unies, New York Université de Varsovie Szaniawski, K. Institut de Philosophie et de Sociologie, Académie PoloSzczepanski, J. naise des Sciences, Varsovie Szczerba-Likiernik, K. t Conseil International des Sciences Sociales, Paris Université de Paris Tabatoni, P. East African Institute of Social Research, Makerere UniTanner, R.E.S. versity College, Kampala Laboratoire d'Anthropologie Sociale du Collège de France Tardits, C. et de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, Paris Università di Roma Tentori, T. Thompson, J.D. Indiana University, Bloomington Centre d'Etude de la Vie Politique Française, Paris Touchard, J. Touraine, A. Laboratoire de Sociologie Industrielle, Ecole Pratique des Hautes Etudes, Paris University of Essex, Colchester Townsend, P. Trimborn, H. Seminar für Völkerkunde der Universität Bonn Trivedi, R.N. Indian Political Science Association, Ranchi Trystram, J.P. Université de Lille Tugby, E. University of Queensland, Brisbane Turner, K.I. University of Sydney Science Council of Japan, Tokyo Ukai, N. Ungeheuer, G. Institut für Phonetik und Kommunikationforschung der Universität Bonn Urzua, H.G. Centro de Investigaciones Sociológicas, Universidad Católica de Chile, Santiago Verbois, L. Ecole Royale Militaire, Bruxelles Viet.J. Maison des Sciences de l'Homme, Paris
XXVIII
Spécialistes consultés et auteurs de contributions auxiliaires
Vito, F. f Vratusa, A. Walhin, C. Ward, B. Watanabe, N. Winkler, W. Witney, S.B. Woitrin, M. Wurm, S.A. Yoo, C. Zapf, W. Zdravomyslov, A.G. Ziolkowski, J. Zólkiewski, S. Zvorykine, A.A.
Università Cattolica di Milano Institut des Sciences Sociales, Belgrade Ecole Royale Militaire, Bruxelles University of California, Berkeley Anthropological Society of Japan, Tokyo Universität Wien Institute for Social Research, University of Michigan, Ann Arbor Université de Louvain Australian National University, Canberra Korean Social Sciences Research Institute, Séoul Johann Wolfgang Goethe-Universität, Francfort s IMain et Universität Konstanz Université d'Etat de Leningrad Centre de Recherches de l'Unesco sur les Problèmes du Développement Economique et Social en Asie Méridionale, Nouvelle Delhi Section des Sciences Sociales, Académie Polonaise des Sciences Sociales, Varsovie Institut d'Histoire, Académie des Sciences de l'URSS, Moscou
ANNEXE III
Collège élargi de consultants
Auger, P. Barbachano, F.C. Beltran, G. Bie, P. de Bouah, G.N. Boudon, R. Bourgeois-Pichat, J . Brus, W. Bustamente, R. Fedoseev, P.N. Filine, F.P. Habachi, R. Jakobson, R. Janne, H. Klineberg, O. Knapp, V. Kowalik, T. Lange, O. f Lazarsfeld, P.F. Lévi-Strauss, C. Mackenzie, W.J.M. Mahalanobis, P.C. Marshall, T.H. Mercier, P. Onitiri, H.M.A. Piaget, J. Rpkkan, S. Sachs, I. Semenov, V.S.
Université de Paris Museo de Antropología de México, Mexico D.F. Instituto Nacional Indigenista, Mexico D.F. Université de Louvain Ministère de l'Education Nationale, Abidjan Université de Paris Institut National d'Etudes Démographiques, Paris Université de Varsovie Universidad de la Piata et Universidad de Buenos Aires Académie des Sciences de l'URSS, Moscou Institut de Linguistique, Académie des Sciences de l'URSS, Moscou Centre Régional de Formation des Cadres Supérieurs de l'Enseignement dans les Etats Arabes, Beyrouth University of Harvard et Massachusetts Institute of Technology, Cambridge Collège Scientifique de l'Institut de Sociologie, Université Libre de Bruxelles Centre International d'Etudes des Relations entre Groupes Ethniques, Paris Académie Tchécoslovaque des Sciences, Prague Académie Polonaise des Sciences, Varsovie Académie Polonaise des Sciences, Varsovie Columbia University, New York Collège de France, Paris University of Manchester Indian Statistical Institute, Nouvelle Delhi University of Cambridge Ecole Pratique des Hautes Etudes, Paris Nigerian Institute of Social and Economic Research, University of Ibadan Université de Genève Université de Bergen Centre de Recherche sur l'Economie des Pays Sous-développés, Varsovie Institut de Philosophie, Académie des Sciences de l'URSS, Moscou
XXX Svennilson, I. Terao, T. Trist, E.L.
Collège élargi de
consultants
Université de Stockholm Université Krio, Tokyo Tavistock Institute of Human Relations, Londres, et University of California, Los Angeles Westphal-Hellbusch, S. Institut für Ethnologie, Freie Universität Berlin
Avertissement
SAMY FRIEDMAN
A l'intérieur du cadre opérationnel et institutionnel qui vient d'être tracé, l'Etude internationale sur les tendances principales de la recherche dans les sciences sociales comporte trois parties. A la suite de cet Avertissement dont l'ambition est de donner une vue d'ensemble de l'étude entreprise et de l'Introduction qui se propose de situer les sciences sociales dans le système des sciences, on aborde dans une première section l'examen, sur un plan pour ainsi dire vertical, des tendances principales de la recherche dans les disciplines retenues : sociologie, science politique, psychologie, science économique, démographie et linguistique. Une deuxième section traite des dimensions interdisciplinaires et multidisciplinaires de la recherche, c'est-à-dire, au plan horizontal, de quelques-unes des caractéristiques communes à toutes les sciences envisagées. La troisième section apporte un nouveau recoupement cette fois du point de vue de l'organisation et du financement de l'enseignement et de la recherche dans les sciences sociales. Elle débouche sur des conclusions relatives à la politique scientifique latente ou manifeste concernant le développement de la recherche dans les sciences sociales. On ne dissimulera ni l'insuffisance de ce plan, ni ce qu'il peut surtout avoir d'arbitraire. Les disciplines choisies sont certes importantes, mais elles ne sont pas les seules à l'être. L'anthropologie sociale et culturelle aurait dû y figurer mais en dépit de tous les efforts le chapitre concernant cette science n'a pu être achevé à temps et cette discipline sera reprise dans la deuxième partie de l'étude. D'autres comme la criminologie, la géographie humaine, auraient pu figurer en aussi bonne place. On a dû cependant se limiter et respecter le plan tracé par la Conférence générale de l'Unesco, en souhaitant que cette étude puisse un jour être continuée et élargie. De plus, les disciplines retenues ont été abordées comme si elles constituaient des entités distinctes alors que de plus en plus les disciplines sont des sciences à tiroir et qu'il y a, pour ne prendre que l'exemple de la sociologie, autant de sociologies qu'il y a de domaines d'étude : sociologie médicale, électorale, des petits groupes, du comportement, du travail, militaire, religieuse, etc. On a préféré cependant se
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S. Friedman
limiter aux grandes tendances qui animent les sciences sociales et à montrer avec quelque détail les contacts qui se développent entre les unes et les autres au point d'estomper les frontières traditionnelles qui paraissaient si nettement définies, il y a peu. Surtout cet ouvrage n'est pas un « survey », une analyse systématique des tendances majeures établies à partir d'une enquête générale des directions où s'engage la recherche dans le monde et de ses progrès significatifs. En cela il se distingue nettement de l'étude menée par Pierre Auger sur les tendances actuelles de la recherche scientifique. 1 Une enquête de ce genre a bien été tentée et les consultations étendues auxquelles elle a donné lieu n'avaient pas un autre objet, mais il a fallu cependant se résigner à reconnaître qu'à part quelques exceptions, les réponses obtenues à partir d'un questionnaire d'enquête ont été trop fragmentaires et en trop petit nombre pour autoriser une vue exhaustive. Elle a donc été abandonnée, provisoirement on l'espère, en accord avec les membres du Collège de consultants. Les différents chapitres de l'ouvrage apparaissent ainsi comme des « essais », écrits en utilisant l'information la plus large dont disposaient leurs auteurs, sans prétention cependant à l'universalité. 2 Aussi cet ouvrage collectif a-t-il, malgré les précautions prises, les avantages, mais aussi les inconvénients du genre. La personnalité des auteurs, la diversité de leurs intérêts scientifiques ont profondément marqué la conception des différents chapitres. A l'intérieur de chacun d'eux, les stratégies sont souvent toutes personnelles. Certains, comme Paul Lazarsfeld, se sont attachés à souligner les épisodes caractéristiques d'une évolution. D'autres, comme Jean Piaget, s'efforçaient de dégager les grandes lignes de force des systèmes scientifiques ou, comme W . J . M . Mackenzie, étaient séduits par l'histoire d'un devenir intellectuel appréhendé objectivement du dehors, ou même, comme Jean Bourgeois-Pichat, abordaient hardiment la futurologie. Aux efforts des uns et des autres on est ainsi redevable d'un ouvrage dont on connaît bien les limites dues, pour partie, au cadre qui lui avait été assigné et, pour partie, aux conceptions souvent différentes des auteurs, mais que l'on voudra bien envisager dans leur complémentarité plutôt que dans leur opposition, car, au-delà et en dépit d'une professionnalisation croissante, elles illustrent elles-mêmes certains des grands courants qui traversent et animent les sciences sociales. Les uns et les autres, en décrivant les tendances principales de la recherche, ont montré sur le plan des méthodes comme sur celui des conceptions, tout le travail d'échange, de rapprochement, souvent d'intégration qui remue profondément l'ensemble des sciences sociales. Au fil des chapitres on verra se dégager un certain nombre d'orientations caractéristiques de l'ensemble des sciences sociales contemporaines. E t , tout d'abord, au niveau conceptuel, on constate un progrès continu de l'inter-disciplinaire sur le multi-disciplinaire, les mêmes phénomènes étant de plus en plus examinés par des techniques intégrées, plutôt qu'analysés séparément par des techniques autonomes et pour ainsi dire juxtaposées. Le processus a
Avertissement
XXXIII
sans doute été favorisé tantôt par 1'« éclatement » de vieilles disciplines et tantôt par leur interpénétration croissante aboutissant à des combinaisons nouvelles qui ont nom sociologie politique, anthropologie politique, comportement économique, etc... comme aussi par l'utilisation accrue du langage mathématique par toutes les sciences sociales. Au niveau de l'organisation scientifique, celles-ci ont rarement atteint le niveau de « big science » et certainement pas sur le plan financier, mais la tendance est dans ce sens. Il suffit à cet égard de souligner le développement de la recherche par équipe, l'utilisation de plus en plus fréquente d'équipements scientifiques souvent coûteux, la création de « banques » de données, qui sont par ailleurs comme autant de manifestations de l'internationalisation des sciences sociales. Ainsi s'esquissent entre elles de nouveaux regroupements, un langage commun leur devient familier, un même état d'esprit les anime, sûrs garants de progrès dans un domaine d'importance primordiale pour l'avenir de nos sociétés auquel on souhaite que cet ouvrage apporte sa contribution. C'est au professeur Jean Piaget qu'il incombait d'examiner dans l'introduction à ce volume, la situation des sciences de l'homme dans le système des sciences. L'auteur, d'emblée, s'est refusé de se placer sur la défensive et de réfuter les objections de ceux qui répugnent parfois à voir dans les sciences sociales de véritables sciences. Tout au contraire, il pose et oppose sciences nomothétiques d'une part, sciences historiques, sciences juridiques et disciplines philosophiques d'autre part. Nomothétiques les sciences sociales le sont au sens que toutes recherchent des lois, que celles-ci soient des relations quantitatives relativement constantes et exprimables dans un langage mathématique ou qu'elles soient des faits généraux, des relations ordinales ou structurales se traduisant dans le langage courant ou dans le langage formalisé de la logique. Caractérisées comme en psychologie par l'emploi des méthodes d'expérimentation stricte, de production et de modification de phénomènes en vue de leur observation, ou comme en sociologie et en économie d'expérimentation large, d'observation systématique des faits avec vérification statistique, elles se distinguent des sciences historiques qui visent moins à la formulation des lois qu'à retracer les caractères propres d'événements particuliers. L'expression « lois de l'histoire » est soit une métaphore soit la constatation de régularités effectives sociologiques, économiques, politiques ou autres, mais alors celles-ci ressortissent du domaine des sciences nomothétiques. Distinctes aussi des sciences juridiques qui s'attachent à l'étude des normes et des disciplines philosophiques de qui relève la coordination générale des valeurs humaines, c'est-à-dire d'une conception du monde, les sciences sociales affirment ainsi leur spécificité. Elles la renforcent par l'appui, les échanges et les emprunts auxquels elles se prêtent avec les sciences de la nature et qu'elles sont seules à pouvoir leur accorder du fait de la nature causale de leurs explications. La thèse centrale de l'auteur est celle de la con-
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quête de l'objectivité scientifique par les sciences sociales, grâce à la décentration du sujet connaissant par rapport à l'objet analysé, malgré la dépendance apparente où elles se trouvent de l'homme « à la fois sujet et objet ». Jean Piaget en arrive à soutenir l'impossibilité d'une classification linéaire des sciences à la manière d'un Auguste Comte. Pour lui l'ordre des sciences est circulaire. Sans que cela ait quoi que ce soit de « vicieux » les sciences sont engagées dans une spirale sans fin où les sciences sociales occupent une situation privilégiée. Elles sont les sciences du sujet qui construit les autres sciences et dont elles ne peuvent être détachées sans simplification abusive. L'analyse des caractéristiques essentielles des sciences sociales, de leur méthodologie et de leur classification est conduite à un niveau élevé d'abstraction. Elle ouvre des perspectives stimulantes sur les notions de structure et de structuration par lesquelles individus et sociétés traduisent les lois de leurs activités et qui ne peuvent être appréhendées en dehors d'une connaissance de leur genèse, perspectives qui invitent à leur tour à la confrontation avec les travaux des ethnologues modernes et notamment avec ceux de M. Lévi-Strauss. De même lorsque l'auteur aborde la question des « écoles » intérieures aux disciplines elles-mêmes et examine certaines tendances qui visent à « une intégration plus complète que celles dont témoignent les coordinations intra- ou inter-disciplinaires spontanées », souvent d'ailleurs pour les critiquer il renvoie, au moins implicitement, à des tentatives théoriques bien connues, comme celle par exemple de T. Parsons, dont on retrouvera l'écho dans d'autres chapitres de l'ouvrage. 3 La première partie de l'ouvrage, consacrée à l'examen des différentes sciences sociales, s'ouvre par le chapitre sur la sociologie de Paul Lazarsfeld. Placée en tête des sciences sociales, qu'est donc la sociologie ? Elle serait reine des sciences sociales suivant une tradition historiquement bien établie et qui depuis Saint-Simon et Quételet a affirmé sa prédominance. Il est cependant piquant de lire sous la plume d'un sociologue qui occupe précisément la chaire Quételet à l'Université de Columbia, l'affirmation toute d'humilité scientifique que la sociologie est une science résiduelle, créée soit pour compléter d'autres études de l'homme entreprises au cours des âges par la philosophie politique ou la philosophie de l'histoire, soit pour apporter une explication à des phénomènes que le développement de certaines sciences, comme l'économie, laissait en dehors de leur orbite. La sociologie, pour reprendre une boutade bien connue, serait donc la science dont s'occupent les sociologues, et il est vrai que son objet est changeant et que son rôle est de « remplir les espaces vides de la carte intellectuelle ». Retenons, à tout le moins, qu'il existe un mode de pensée sociologique caractérisé par une problématique et une méthodologie tiraillées entre le souci tout synthétique d'appréhender l'ensemble de la société et celui plus strictement scientifique de délimiter pour la sociologie un domaine qui lui soit propre. C'est à ce mode
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de pensée, ou plus exactement aux principales directions où elle s'engage, que l'auteur consacre ses développements. Et tout d'abord il insiste sur l'apport considérable des techniques d'enquête à la sociologie et à la systématisation des concepts qu'elle emploie. Nées à l'origine du besoin de contribuer à la compréhension de problèmes sociaux urgents d'où la quantification n'était pas cependant exclue, comme le montre l'étude des budgets familiaux par Le Play, les techniques d'enquête ont dominé aux Etats-Unis aux environs de 1930, tout en se raffinant. Après la guerre, la codification des concepts utilisés a conduit au langage des variables, ou plutôt des « variâtes » ayant certaines propriétés numériques, à la formation duquel l'auteur, on le sait, a lui-même apporté une éminente contribution. Langage ressemblant au langage ordinaire, car de même que « nous distinguons les mots et les phrases, nous avons [dans la recherche sociale empirique] des indices groupés en propositions » et qui rendent compte à la fois des processus et du contexte, c'est-à-dire des structures qui représentent, pour l'auteur, « l'influence qu'exercent les variations de contextes étendus sur les schémas de comportement individuel ». Ce langage débouche naturellement sur l'analyse qualitative, comme sur la recherche trans-culturelle, la formation de typologies, auxquelles sont consacrés d'autres chapitres de cet ouvrage, comme sur la macro-sociologie examinée par Paul Lazarsfeld. Celle-ci avait déjà occupé depuis le 19e siècle la sociologie européenne, et l'étude des grands problèmes (socialisme en URSS, démocratie en Allemagne, etc... ) apparaît aussi aux Etats-Unis après la guerre, mais elle est de nos jours plus circonscrite dans le temps et l'espace et utilise plus largement les données de fait. Ici s'est fait sentir l'influence des techniques d'enquête, mais aussi celle de la notion de processus dans le choix des sujets comme de leur interprétation, conduisant à l'examen de variables micro-sociologiques à l'intérieur de propositions macro-sociologiques et celles-ci à leur tour conduisent à des schémas d'explication linéaires avec Inkeles, stratégiques avec Moore ou dialectiques avec Smelser, suivant la manière dont se manifestent les variables confrontées. La recherche de théories est la troisième direction de la pensée sociologique analysée. Certes, au sens des sciences exactes, c'est-à-dire de celui d'une hypothèse souvent exprimée en langage mathématique et sujette à vérification expérimentale, il n'y a pas en général de théories dans les sciences sociales. Dans ce domaine les processus de classification, la formulation rigoureuse des problèmes, les essais d'interprétation en tiennent lieu. Cette absence de théorie se traduit par la notion de « théorie de moyenne portée » de R.K. Merton qui invite à utiliser l'analyse en allant au delà de la simple collecte des faits, pour atteindre l'interprétation systématique mais sans spéculation abusive. Le Marxisme, par contre, pourrait apparaître comme une théorie de la société globale. Il possède ses concepts de base ( classes, modes de production ), sa méthode (l'analyse dialectique) d'un emploi général. L'auteur montre comment la sociologie « concrète », tout en laissant aux Partis le monopole de la
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formulation théorique, essaye d'établir une corrélation entre la théorie et les données de l'observation. L'empirisme pénètre la recherche en U R S S et dans les pays avoisinants où l'on étudie les attitudes des ouvriers face au travail, la personnalité, les loisirs, les aspirations des jeunes, les petits groupes, où la recherche en est à ses débuts mais commence à envisager le rôle médiateur de ces derniers entre la société globale et l'individu, e t c . . . I l n'est pas interdit de penser que la « sociologie concrète » pourrait apporter une contribution importante à la planification sociale, aux stades de la conception comme à celui de l'exécution, ce qui lui donnerait une portée considérable. Sur ces bases s'esquissent des rapprochements entre sociologues des pays de l'Est et des pays de l'Ouest, les premiers accordant un intérêt accru à la recherche empirique, les seconds prenant plus clairement conscience des cadres théoriques de la recherche et de la systématisation souhaitable des résultats de la recherche. On rapprochera de cette analyse les développements que l'auteur consacre à deux autres tentatives d'appréhender la société dans sa totalité : la théorie critique d'Adorno et du groupe de Francfort et la dialectique sociologique de Gurvich, dont les opérations évoquent irrésistiblement les « pattern variables » de Parsons. A propos d'une autre théorie, le fonctionnalisme, défini par Durkheim, repris par les anthropologues anglais et de nombreux sociologues modernes (Parsons, Davies, Bourricaud), en passant par la distinction classique de Merton entre fonctions manifestes et fonctions latentes, l'auteur se montre sévère, car les formulations du fonctionnalisme sont si générales qu'elles ne paraissent vraiment pas donner l'explication des découvertes empiriques. Cependant, ajoute-t-il plaisamment, on ne peut vivre ni avec ni sans fonctionnalisme, et il relève quelques tendances récentes qui permettraient d'attribuer une signification nouvelle à la théorie. L'auteur aborde aussi les problèmes de conflit qui conduisent aux concepts de disfonction et d'anomie, si éloignés du fonctionnalisme traditionnel tourné vers l'équilibre et le conservatisme pour examiner la notion de systèmes auxquels ils ont donné lieu, et qui ont pour excellent effet de souligner la nature des processus eux-mêmes. Il poursuit avec les notions de mécanismes fonctionnels ( G o o d e ) et de réciprocité ( G o u l d n e r ) , qui conduisent le fonctionnalisme par son extension et sa dynamique à se rapprocher de la théorie des systèmes. Par contre, et contrairement à ce qui se passe en anthropologie et en linguistique, le structuralisme n'a encore fait que de modestes incursions en sociologie. Jean Piaget avait déjà, dans son Introduction, montré l'influence que les positions idéologiques ou philosophiques du savant pouvaient exercer sur la recherche. Il avait insisté sur les limitations que pouvait entraîner la sujétion du savant à une philosophie, fût-elle empiriste ou dialectique. Paul Lazarsfeld aborde dans son chapitre des considérations parallèles tenant aux effets des variations du caractère national sur la sociologie : variations de contenu lorsque les conditions sociales poussent vers l'étude de problèmes nationaux d'actualité (castes en Inde, migrations
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internes en Italie) ou inversement écartent certains sujets jugés peu intéressants (discrimination, minorités aux Pays-Bas, révolution aux EtatsUnis), variations culturelles lorsque par exemple les répugnances culturelles des Hollandais pour les grandes théories abstraites les poussent à préférer les théories de portée moyenne ou lorsque les Indiens font appel à leur ancienne philosophie ; mais aussi variations accidentelles causées par le rôle d'une personnalité exceptionnelle (Znaniécki en Pologne) ou par la création d'une institution nouvelle appelée à transformer l'exercice de la sociologie (Faculté latino-américaine des sciences sociales au Chili, Groupe de recherches sociologiques à Budapest). L'auteur conclut par un examen des liens existant entre la sociologie et d'autres sciences sociales. La technique des enquêtes est étendue à l'anthropologie (Stoetzel et l'étude du Giri japonais), à l'économie pour l'étude des propensions à l'épargne et à l'investissement, aux migrations ouvrières, etc..., à la psychologie sociale pour déterminer les caractéristiques de la vie en société, en science politique pour évaluer la complexité des structures de l'opinion. Les théories de la mesure ont également trouvé place en dehors de la sociologie. A l'inverse, les modèles économiques ont influencé les débuts de la sociologie mathématique et l'auteur montre également comment les progrès récents de la psychologie sociale contribuent efficacement à l'analyse sociologique en y introduisant les concepts si féconds de l'estime de soi, de la dissonance et de la spécialisation. Comme la sociologie avec laquelle elle a des liens évidents, la science politique, étudiée par W.J.M. Mackenzie, est également une science résiduelle lentement dégagée de la proto-histoire et où l'application de la méthode scientifique est difficile, où les données sont d'interprétation malaisée et où les conclusions sont souvent dépendantes du milieu. Science morcelée aussi comme le monde politique, mais qui s'efforce cependant d'assurer l'universalité des concepts et des méthodes. Avec des nuances et des réserves l'auteur adopte comme concept central de son analyse l'étude de l'Etat et des institutions politiques entreprise dans un territoire déterminé et en liaison avec un système culturel donné. Dans sa recherche la science politique est d'abord descriptive, mais utilise des cas particuliers pour s'élever à des conceptions théoriques générales adoptant le langage des variâtes. Elle est aussi normative car elle s'occupe de normes et offre des avis sur la conduite politique aux gouvernants et aux gouvernés. Elle est enfin, dans une certaine mesure, nomothétique, dégageant des constantes et offrant un certain degré de prévision. On pourrait évidemment se demander si ce concept de l'étude de l'Etat présenté comme focal n'évoquerait pas un système fermé qui laisserait en dehors les relations internationales et l'administration publique, et qui aurait de plus le désavantage d'envisager la politique du point de vue des gouvernants. Sans vouloir réduire la science politique à la sociologie, malgré des tentations évidentes, ne serait-il pas possible de voir dans la politique un sous-système de la société globale, ce qui pous-
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serait à l'analyse des relations et interactions entre sous-systèmes, et de jeter plus de lumière sur les concepts de stratification, de pouvoir politique ? W.J.M. Mackenzie en est certainement conscient car s'il maintient comme idée directrice de son exposé le concept central de l'Etat et des institutions politiques, il montre que l'étude de la politique se poursuit au delà de cette limite, à tous les niveaux, dans toutes les sociétés, les organisations et les groupes. Ce faisant il réintègre dans son étude les relations internationales et l'administration publique. Il souligne les relations établies entre la science politique et l'étude des petits groupes, de la micro-sociologie, de la socio-linguistique, de l'anthropologie et de la macro-sociologie d'où découlent des rapports constants entre cette science et les autres sciences sociales. La partie centrale du chapitre est consacrée à une systématisation toute pragmatique de la recherche en cours autour des concepts de pouvoir, de force, d'influence et d'autorité, c'est-à-dire des conditions nécessaires à l'existence de tous les Etats, qu'ils soient démocratiques ou autoritaires, développés ou non, ainsi qu'à l'étude des Etats constitutionnels, c'est-à-dire à l'étude des systèmes politiques, des institutions et de la participation politique, l'accent étant mis sur l'étude des pratiques électorales et des processus législatifs en relation avec les institutions économiques et sociales. Ainsi la science politique, malgré des difficultés et des faiblesses, noue avec les autres sciences sociales des liens étroits et rien de ce qui se passe dans ces sciences ne lui paraît étranger, ce qui amène l'auteur à un retour en arrière et à des réflexions sur ce que pourrait être la science politique étudiée du point de vue des processus de décision. Ceux-ci pourraient constituer un autre concept central supérieur aux concepts de pouvoir, d'autorité légitime, de système politique, ce qui permettrait de jeter de nouveaux ponts vers les autres sciences sociales, notamment l'économie et la psychologie sans parler de la sociologie, ce qui, méthodiquement parlant, pourrait déboucher sur des théories générales. Il serait intéressant en lisant ce chapitre de le comparer, comme le suggère l'auteur, avec le volume collectif La science politique contemporaine publié par l'Unesco en 1950. Par rapport à ce point commode de référence les progrès réalisés dans de nombreux pays paraîtraient sensibles et de nature à augurer favorablement de l'avenir. Longtemps tributaire de la philosophie, la psychologie étudiée par Jean Piaget n'a trouvé qu'à une date relativement récente l'objet spécifique de ses recherches. Ce ne sont ni les problèmes, ni les domaines d'études qui les séparent, car psychologues et philosophes s'occupent les uns et les autres, et légitimement, du comportement, du développement ou des structures. « La seule différence tient à la décentration du moi : là où le psychologue prétend n'avancer que des hypothèses vérifiables par chacun, en fournissant dans ses techniques bien différenciées les instruments de contrôle, le philosophe admet qu'il se connaît lui-même grâce à un ensemble d'intuitions jugées primitives et préalables à toute connaissance
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psychologique. » Mais si cette libération de la psychologie est accomplie et l'indépendance désormais affirmée, on pourrait se demander si le psychologue, lui, s'est toujours libéré des présuppositions philosophiques. La persistance à l'intérieur de la discipline d'écoles de pensées divergentes que Jean Piaget n'a pas manqué de relever dans l'Introduction au présent volume n'implique-t-elle pas la persistance d'attaches philosophiques, et celles-ci ne seraient-elles pas sous-jacentes à la manière dont il aborde lui-même ce chapitre ? Jean Piaget s'en est expliqué ailleurs 4 (pour lui la réflexion philosophique sert à poser les problèmes mais ne suffit pas à les résoudre) et peut-être eut-il été inutile d'y revenir dans un discours placé entièrement sur le terrain scientifique. Quoi qu'il en soit, l'auteur présente dans un saisissant raccourci l'étude des grandes tendances de la psychologie contemporaine sous l'angle des différentes interprétations proposées. Il montre les limites de la tendance organiciste qui est une mise en relation des processus mentaux et des comportements avec les processus physiologiques, car il est impossible de réduire la vie mentale à la vie organique. L'intelligence ne surgit pas toute faite, comme contenue dans l'organisme. Elle se construit peu à peu, par reconstructions successives, de palier en palier. De même est écartée la tentation de relier processus mentaux et processus physiques (Fechner). Ses travaux récents sur la perception et l'intelligence montrent en effet que les formes d'équilibre en jeu sont plus proches d'un système de régulation que d'une balance des forces. Les relations du mental et du social amènent l'auteur à souligner l'importance de la psychologie sociale à qui sont consacrés par ailleurs des développements déjà signalés 5 en même temps qu'à écarter toute réduction de l'un à l'autre, les relations étant plus d'interdépendance et d'apparentement que de dépendance. Il montre enfin au sujet du comportement, de l'apprentissage et de la mémoire comment ceux-ci sont inséparables, commandés par le développement de l'individu. L'approche adoptée est celle du structuralisme psychologique, ce qui donne à l'auteur l'occasion de reformuler ses conceptions célèbres sur la théorie de l'intelligence. Au delà du rôle joué par la maturation nerveuse, par la société ambiante, par l'expérience dans le développement de l'intelligence, s'ajoute un facteur de coordination, d'équilibration qui s'exprime par les structures bien connues de groupes, de réseaux, d'anneaux, etc. Celles-ci sont naturelles et se constituent spontanément avec les opérations elles-mêmes, portant sur les objets, l'espace, le temps, la causalité. L'analyse des tendances modernes de la psychologie, à partir des interprétations proposées, se présente ainsi avec une grande force. Elle souligne les ponts nombreux qui relient la psychologie aux autres sciences sociales et à certaines sciences naturelles, comme la biologie. Les développements remarquables de nouveaux secteurs de la psychologie scientifique n'en sont pas négligés pour autant, mais on regrettera que, faute de place, les recherches modernes sur les motivations, la neuro-psychologie, la psycho-linguistique et peut-être aussi la psycho-pharmacologie n'aient pu être traitées avec toute l'am-
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pleur que Jean Piaget aurait pu leur donner. Implicite est également la reconnaissance de la position pour ainsi dire stratégique occupée par la psychologie, à l'intérieur du système des sciences, vis-à-vis des sciences naturelles et des sciences sociales auxquelles des développements dans le chapitre introductif avaient déjà fait allusion et, pourrait-on ajouter, vis-à-vis aussi du développement des arts, ce qui jetterait un pont nouveau entre la première et la deuxième partie de l'Etude sur les tendances principales de la recherche dans les sciences sociales et humaines. Le chapitre sur l'économie requiert l'indulgence et la sympathie du lecteur car les circonstances lui ont été bien contraires. Confié tout d'abord au Prof. O. Lange de l'Université de Varsovie, celui-ci mourait peu après, non sans en avoir cependant dessiné les grandes lignes avec trois de ses disciples, MM. W. Brus, T. Kowalik et I. Sachs. L'œuvre était reprise par ces derniers, et un projet de chapitre rédigé qui fut, suivant la procédure suivie tout au long de l'exécution de l'Etude, soumis à de larges consultations. Pour des raisons contingentes et indépendantes de leur volonté, MM. Brus, Kowalik et Sachs ne furent pas en mesure d'en tirer parti et de mener à bonne fin leur entreprise. Celle-ci a donc été, une fois de plus, reprise et le Secrétariat de l'Unesco s'est efforcé d'en assurer la rédaction finale sur la base du projet de chapitre préparé par eux, et en utilisant tous les éléments d'information à sa disposition. On a bien entendu eu le souci constant de respecter la pensée directrice qui en avait inspiré la conception, mais on n'ignore pas non plus tous les dangers inhérents à une opération de reprise en sousœuvre. Aussi le lecteur, s'il trouve quelque intérêt à ce travail, devrat-il en reporter le mérite à ses inspirateurs, laissant au Secrétariat toute la responsabilité des imperfections et erreurs qui pourraient s'y être glissées en dépit de ses efforts. Le chapitre débute par un bref rappel des grandes tendances, historique, marxiste et marginaliste, qui ont marqué l'économie moderne. Les perspectives de rapprochement entre écoles font l'objet d'hypothèses que l'on s'est efforcé de nuancer, mais il n'a pas été possible d'ignorer les oppositions actuelles en raison de choix idéologiques auxquels on ne peut encore échapper. A cet égard on a marqué la généralisation, à l'Est comme à l'Ouest, de méthodes qui ont fait leur preuve et qui ont nom input-output, étude économétrique des marchés, recherche opérationnelle, etc. On a également souligné, dans le même ordre d'idées, l'emploi généralisé de concepts précis qui donnent à la science économique un outillage uniforme : revenu national, investissement, épargne, progrès techniques, etc. On s'est en particulier efforcé de décrire le cheminement de la pensée économique dans les manifestations concrètes de l'activité économique, son aspect praxéologique, et de montrer dans l'économie moderne une science sociale qui, elle aussi, utilise le langage des variâtes, procède à des choix dans un contexte social et historique changeant, à la recherche de ces compromis nécessaires que sont les conditions d'allocation, d'utili-
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sation et d'accroissement des ressources disponibles. La structure du chapitre repose sur l'examen des notions de croissance, de richesse et de distribution dont les combinaisons et les inter-réactions conduisent au concept de planification. En d'autres termes, plutôt que d'analyser les divisions traditionnelles de l'économie, finances, monnaie, etc., on a voulu montrer comment à l'intérieur d'un cadre analytique qui se généralise, évoluent en liaison constante les unes avec les autres, les théories modernes du fonctionnement de l'économie, de la croissance et du développement socio-économique. On a tenté ainsi d'identifier les grands problèmes qui se posent à l'économie contemporaine. Et, tout d'abord, le problème qui découle naturellement de l'analyse de « la nature et des causes de la richesse des nations » est celui des facteurs et des conditions de la croissance économique dont l'importance est générale autant pour les pays développés que pour les autres pour qui se posent également les questions de taux de la croissance et de l'augmentation des ressources. Le problème est envisagé dans une approche dynamique dans le cadre de la société globale. Les problèmes de distribution, d'abord limités à l'analyse des déterminants de la rémunération par unité des facteurs de production, s'élargissent désormais jusqu'à faire intervenir les systèmes politiques et institutionnels. L'acceptation graduelle de la planification est enfin la conséquence directe des changements intervenus dans les systèmes politiques et sociaux après ce que Myrdal a appelé « l'interlude du laissez-faire ». Tel qu'il ressort de ses nombreux avatars, le chapitre sur l'économie est peut-être partiel, sinon partial dans son inspiration première, mais il en est surtout ainsi parce que délibérément il a été orienté vers les problèmes considérés comme essentiels pour l'avenir. Sa plus grande nouveauté réside peut-être dans son insistance à situer l'économie à l'intérieur du système des sciences sociales et à souligner ses rapports étroits, indispensables non seulement avec la cybernétique, la théorie des décisions, les méthodes mathématiques, mais avec l'ensemble de la sociologie, de la science politique, de la psychologie, de la démographie et jusqu'à l'anthropologie sociale et culturelle. La démographie, abordée par J . Bourgeois-Pichat, est dans la situation heureuse de traiter d'un petit nombre de faits, qui se laissent aisément définir : naissance, vie (et reproduction), mort, faits qui sont éminemment quantifiables. La complexité et la richesse de la discipline proviennent de ce que les faits démographiques se rapportent à des individus qui vivent en groupes et de là procèdent des interrelations avec toutes les sciences sociales qui donnent à la recherche démographique une vocation interdisciplinaire par excellence. Dans cette optique l'auteur s'est attaché à décrire les problèmes qui ne sont pas encore résolus, mais dont l'importance est considérable pour l'avenir de l'espèce. Ainsi si chaque être humain est tiré pour ainsi dire au hasard dans l'ensemble des combinaisons génétiques possibles, il existe néanmoins un patrimoine génétique commun sur lequel l'individu
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peut agir par son comportement. Le contrôle qu'il exerce ou peut exercer sur sa fécondité naturelle soulève pour le démographe des problèmes qu'il ne peut résoudre qu'avec l'aide de la biologie, notamment en ce qui concerne, par exemple, les méthodes de contraception efficaces, le choix du sexe ou la maîtrise du vieillissement. Les rapports entre la démographie et l'économie sont nombreux, aussi bien lorsqu'il s'agit de planification autoritaire que de planification indicative. L'appréciation des besoins d'une population, la distribution des signes monétaires dépendent à chaque instant de la composition de la collectivité, de sa composition par âge, ainsi que des niveaux enregistrés de fécondité et de mortalité. L'homme par ailleurs vit dans la nature, il agit sur elle comme il en subit aussi les conséquences. A cet égard les problèmes de migration et d'urbanisation posent des problèmes à la fois démographiques et écologiques. On multiplierait aisément les illustrations de ces contacts pour lesquels on renvoie le lecteur au chapitre lui-même. Qu'il suffise ici de souligner d'une part l'apport considérable de la sociologie qui, à côté du « comment », s'efforce à toucher le « pourquoi » des choses, concrètement les variations des habitudes matrimoniales, la nuptialité dans ses rapports avec les classes sociales, la religion, le développement, etc., et, d'autre part, l'affinement remarquable des moyens d'observation qui sont à présent à la disposition du démographe. Non seulement les techniques de rassemblement et d'analyse des données ont naturellement profité ici des progrès réalisés ailleurs par les méthodes de sondage et d'enquête, mais l'utilisation des ordinateurs permet déjà l'équivalent d'une expérimentation par le développement des techniques de simulation des comportements dans des situations où l'expérimentation directe demeure difficile. La recherche démographique proprement dite s'attache actuellement, et sur une base internationale autant qu'interdisciplinaire, à l'étude de nombreux secteurs qui retiendront l'attention du lecteur. E t , tout d'abord, les problèmes liés à la santé. La mortalité est devenue un événement où, par suite des progrès (ou en l'absence de progrès) la société a de plus en plus son mot à dire. L'idée que l'état de santé s'explique par toute la vie passée d'un individu aussi bien que par l'importance des dispositifs sanitaires mis à sa disposition, évoque la question redoutable du prix social de la santé et de la vie humaine qu'il importe d'aborder avec lucidité. Les problèmes relatifs à la procréation donnent lieu à d'innombrables travaux et conduisent à l'étude des motivations qui décident de la dimension des familles. Les questions de développement économique se fondent sur les études des perspectives de la population active et des ménages et familles, etc. Il faut, après ce retour sur le présent, noter avec l'auteur et non sans quelque mélancolie, qu'il reste encore beaucoup à faire et qu'en de nombreux secteurs les progrès paraissent arrêtés parce que les sciences voisines, la biologie, la médecine, la sociologie surtout n'ont pas encore fait
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les progrès qu'attend d'eux le démographe. Souvent même ces sciences ne savent pas ce que l'on demande d'elles. Aussi est-ce par un appel angoissé à une meilleure information interdisciplinaire qu'il faut interpréter le message apporté par ce chapitre. De la linguistique dont on peut dire qu'avec la mathématique, elle est une des sciences les plus anciennes puisqu'elle peut être datée du deuxième millénaire avant notre ère (grammaire sumérienne), Roman Jakobson a voulu montrer deux aspects fondamentaux, à savoir que les sciences humaines pourraient s'ordonner à partir d'elle et que ses principales manifestations modernes s'orientent dans le sens de l'unification de la discipline. Le premier aspect de cet exposé apparaît comme une réponse à Jean Piaget. On a vu que celui-ci avait voulu montrer l'impossibilité d'une classification linéaire des sciences à la manière d'un Auguste Comte. Pour Jakobson, au contraire, les sciences humaines peuvent s'ordonner à partir de la linguistique. Le point d'insertion est la science des communications qui utilise un langage ou des signes, et qui se retrouve dans tous les actes de la vie sociale. On sait que dans cet ordre d'idées Lévi-Strauss a cherché à interpréter la société en fonction d'une théorie de la communication qui serait une science intégrée de l'anthropologie sociale, de l'économie et de la sémiotique caractérisée par l'échange des messages, l'échange des utilités et l'échange des femmes (ou des partenaires, précise Jakobson). Talcott Parsons a pour sa part décrit la science économique comme un langage spécialisé, les transactions économiques comme un type de conversation, la circulation de l'argent comme l'envoi de messages et le système monétaire lui-même comme un code. C'est en reprenant tous ces éléments que Jakobson, rejoignant Benveniste, soutient et veut démontrer que « le problème sera ... de découvrir la base commune à la langue et à la société, les principes qui commandent ces deux structures, en définissant d'abord les unités qui dans l'une et l'autre se prêteraient à être comparées et d'en faire ressortir l'interdépendance ». Les rapports de la linguistique avec les sciences naturelles, et notamment avec la biologie sont également étroits. Jakobson insiste sur l'acquisition du langage par l'enfant qui, bien que circonscrite dans des limites biologiques étroites, ne paraît pas présupposer des instructions génétiques déterminées. D'autre part, le déchiffrage récent de l'ADN montre que la spécificité génétique est écrite avec un alphabet. Elle utilise, comme langage, des unités vides de sens, mais dont le groupement, exécuté d'une certaine façon, prend un sens. Ainsi linguistes et biologistes découvrent le dessin constamment hiérarchisé des messages génétiques et verbaux et leur intégration en unités qualifiées de syntactiques. Si d'autre part la théorie linguistique moderne semble présenter une grande variété de doctrines, parfois opposées les unes aux autres, Roman Jakobson soutient qu'une étude plus attentive révèle l'existence d'un « tout monolithique » linguistique, les contradictions n'étant que de surface, alors que les fondements sont d'une remarquable généralité. L'ob-
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jectif contemporain est celui de l'examen des structures verbales, c'està-dire de leur cohérence et de la nature relationnelle et hiérarchiste de leurs parties constitutives. Historiquement influencée par la pensée de Husserl et la phénoménologie hégélienne, la formation de la linguistique structurale est retracée depuis les efforts de Baudoin de Courtenay et de Kruszewski jusqu'à Ferdinand de Saussure et son Cours de linguistique générale qui marque le début d'une ère nouvelle dans l'étude du langage. Toute la science moderne en dérive et Jakobson entreprend de le montrer, même lorsque cette science développe ou corrige la pensée de Saussure. Le chapitre est complété par une bibliographie des grands problèmes linguistiques étudiés entre 1958 et 1968 qui constitue un bien utile instrument de travail. On peut évidemment se demander, à la lecture d'un chapitre aussi dense, si les extensions que l'auteur donne à la linguistique peuvent déjà contribuer au progrès des sciences sociales, et si elles ne sont pas, dans une certaine mesure, métaphoriques. En particulier, si la théorie linguistique de la monnaie est suggestive, fait-elle vraiment avancer les connaissances en cette matière ? Il ne fait pas de doute que pour Jakobson il y a ici bien plus que des correspondances simplement extérieures. A tout le moins devra-t-on y voir le commencement d'un rapprochement entre nos disciplines et cela n'est pas le moindre intérêt de ce chapitre. Les quatre chapitres suivants sont consacrés aux dimensions interdisciplinaires de la recherche. On avait auparavant examiné, une à une, les principales disciplines des sciences sociales et cette étude avait déjà fait apparaître les liens nombreux qui les unissent les unes aux autres et, dans une certaine mesure, aux sciences exactes et naturelles. Il s'agit maintenant d'aborder l'analyse de ces interconnexions par elles-mêmes, et d'explorer deux domaines privilégiés où les tendances interdisciplinaires se montrent d'un emploi particulièrement encourageant. Ce faisant, est soulignée cette caractéristique des sciences sociales modernes qui les pousse à s'unir pour l'examen de problèmes abordés simultanément de différents points de vue et par des méthodes convergentes. Ce sont les problèmes généraux de la recherche interdisciplinaire et des mécanismes communs que Jean Piaget aborde dans un chapitre d'un grand intérêt épistémologique. L'auteur part de cette constatation que dans les sciences naturelles la recherche interdisciplinaire est pour ainsi dire imposée par la nature des choses, étant donné la hiérarchie des disciplines et la filiation des phénomènes qui entraînent constamment des problèmes de réduction. Il en serait tout autrement dans les sciences sociales où non seulement un ordre hiérarchique entre les disciplines ne paraît pas possible, mais où encore le cloisonnement « tragique » des enseignements dans des Facultés distinctes rend malaisés les contacts souhaitables. Aussi, se plaçant à un niveau élevé d'abstraction, Jean Piaget suggère-t-il qu'on retrouve dans les sciences humaines, comme en biologie, des notions fondamentales et convergentes : structures ou for-
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mes d'organisation, fonctions, sources de valeurs qualitatives ou énergétiques et significations dont l'analyse occupe une position centrale dans ce chapitre. Le progrès interdisciplinaire serait alors fonction de l'emploi de ces notions par les différentes sciences, car c'est autour de ces « réalités communes » que se groupent ou se regroupent les problèmes interdisciplinaires. On se doute bien que des spécialistes de sciences sociales moins intéressés par les questions de meta-méthodologie que par les problèmes soulevés par la recherche empirique concrète ne partageront pas entièrement ce point de vue. Ils pourraient non seulement hésiter sur la signification à attribuer à ces notions lorsqu'elles sont détachées d'un contexte expérimental, mais ils pourraient également soutenir que leur démarche intellectuelle suit une direction inverse de celle qui vient d'être décrite. Pour eux l'approche interdisciplinaire prendrait son point de départ à un niveau bien moindre d'abstraction ou plus précisément ils verraient dans l'abstraction la conséquence et le résultat de la recherche empirique concrète. On pourrait en d'autres termes également soutenir qu'un même phénomène concret, la famille par exemple, peut relever simultanément de plusieurs disciplines, sociologie, psychologie, économie, démographie, etc., dont les acquis sont d'abord juxtaposés et additionnés avant de se prêter à une abstraction et à une conceptualisation rendant nécessaire et possible une intégration ultérieure. Mais il convient peut-être de distinguer, à cet égard, l'approche « multidisciplinaire » dont relèvent les rapprochements concrets et la recherche proprement « interdisciplinaire » exigeant le niveau d'abstraction auquel se place Piaget, puisqu'il s'agit alors de la recherche des mécanismes communs et non plus de simple collaboration. Ainsi est posé le cadre d'un débat passionnant que l'on souhaiterait voir se poursuivre après la publication de cet ouvrage dont le déroulement même et les résultats pourraient avoir des conséquences incalculables pour la recherche interdisciplinaire. Elles opposeraient peut-être une notion circulaire de progrès interdisciplinaire dans les sciences sociales au progrès vertical par réduction qui semble être largement le propre des sciences exactes et naturelles. C'est précisément, nous semble-t-il, à ce dernier palier d'abstraction que se place R. Boudon lorsqu'il étudie l'emploi du langage mathématique et des modèles par les sciences sociales. Renonçant à en présenter une vue générale dans chacune des disciplines, ce qui risquerait d'empiéter sur des développements déjà couverts dans les chapitres « disciplinaires », R. Boudon s'est au contraire attaché d'abord à une caractéristique générale des mathématiques employées dans les débuts des sciences sociales et ensuite à cerner les applications modernes les plus marquantes. La première recherche n'est pas seulement d'intérêt historique. Elle révèle des tendances toujours présentes dans les sciences. C'est ainsi, par exemple, que la théorie des jeux peut remonter aux
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travaux de Buffon sur l'arithmétique morale, que les études de Condorcet sur le dépouillement des scrutins préfigurent la recherche opérationnelle moderne, Verhulst annonce les théories sur la diffusion des épidémies et la tradition du « curve fitting » est toujours utilisée pour la prévision en démographie, comme en économie ou en sociologie. Ce sont cependant les aspects plus modernes des mathématiques appliquées aux sciences sociales qui retiennent surtout l'auteur lorsqu'il souligne l'étonnante floraison d'œuvres (Luce et Bush en psychologie, Lazarsfeld et Coleman pour la sociologie, Alker pour la science politique, sans compter tous les travaux inspirés par Kemeny et Snell, etc.) qui ont marqué la littérature scientifique depuis 1960, et qui soulignent la diversification que l'on voit apparaître dans les emplois des mathématiques dans les sciences sociales. De nouveaux champs de recherche, en psychologie sociale avec les théories de la mesure, en linguistique avec les mathématiques de Chomsky, en économie avec la théorie des jeux, en anthropologie avec l'analyse des structures de parenté, etc., témoignent de la vitalité de ces approches. En même temps se développent des mathématiques nouvelles : algèbre supérieure, notamment linéaire avec les matrices de Leontieff en économie ; théorie des processus stochastiques avec les chaînes de Markov ; théorie des graphes de Koenig et Berge qui trouve de nombreuses applications dans l'analyse des structures sociales ; méthodes de simulation utilisées avec succès en démographie, en économie, en sociologie politique pour les problèmes de prédiction électorale, etc. Ainsi une « double naïveté » tend de plus en plus à être écartée. La première qui consiste à croire que les phénomènes humains, pour d'obscures raisons, ne sauraient faire l'objet d'un traitement mathématique, ce que l'on pourrait rapprocher d'une autre timidité vis-à-vis de l'utilisation des méthodes d'expérimentation appliquées aux phénomènes humains qui en a longtemps entravé les progrès. La seconde naïveté consiste à croire qu'on peut plaquer tel quel, sur les sciences sociales, un langage créé à l'usage des sciences naturelles. Or les sciences sociales requièrent un langage qui leur est propre et qui s'exprime désormais par le développement des modèles et la notion de structure. Pour elles les méthodes mathématiques doivent être « plus souvent inventées qu'appliquées ». Le chapitre se termine par un tableau des modèles et méthodes utilisés par les sciences sociales, utilisant une classification peut-être arbitraire entre modèles théoriques, descriptifs et inductifs, mais qui correspond cependant à des considérations épistémologiques. Il a, en tout cas, le grand mérite de montrer par de nombreux exemples à quelles fins pratiques ces instruments sont utilisés. La conclusion de l'auteur est raisonnablement optimiste. De nombreux facteurs, dont le moindre n'est pas l'intérêt croissant que les mathématiciens ressentent pour les sciences sociales, militent en faveur du développement d'une méthodologie mathématique dans ces dernières. En dépit de restrictions qui peuvent être difficilement dépassées, les
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sciences sociales se mathématiseront de plus en plus. Il n'est cependant pas certain, qu'à court terme tout au moins, il en résultera directement un plus grand rapprochement, pour ne pas parler d'unification, tant sont grandes encore les différences qui les séparent. C'est à un palier intermédiaire que se place Pierre de Bie. Entre la pensée théorique et l'action informée, la recherche orientée mêle en effet dans des proportions diverses, préoccupations théoriques et considérations utilitaires. Disons avec l'auteur que le mot, en français tout au moins, paraît mal forgé, soulevant des résonances fâcheuses, et qu'il faudrait peut-être bien lui préférer l'expression « d'action concertée » utilisée par la D.G.R.S.T. française. Quoi qu'il en soit la recherche orientée qui n'est pas nouvelle prend de nos jours une extension considérable car, participant à la fois de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée, elle établit entre les besoins sociaux et la recherche des rapports étroits. Elle se trouve ainsi englobée dans un système de valeurs, avec tous les risques de déformation que cela comporte. A ce sujet l'auteur énonce une idée particulièrement intéressante et originale qui ne manquera pas de frapper le lecteur, à savoir que la notion de recherche orientée pourrait être différente selon les pays, et être influencée par les différences existant entre leurs structures politiques et sociales. Dans un sens toute recherche dans les pays socialistes serait orientée. Les exemples de recherche orientée sont innombrables. On en trouvera décrits avec précision dans les domaines les plus variés et les plus préoccupants aussi : domaines de la faim dans le monde, de l'urbanisation, de la criminalité, du vieillissement des populations et tant d'autres encore qui ont donné naissance, par ailleurs, à de nouvelles disciplines des sciences sociales. Le processus est bien connu et nous y avons déjà fait allusion en le présentant avec Paul Lazarsfeld comme une des fonctions propres de la sociologie considérée comme une science résiduelle, c'est-à-dire comme la science de tous les phénomènes sociaux qui n'ont pas été encore étudiés avec suffisamment de cohésion et de pénétration pour faire l'objet d'une discipline portant une étiquette onomastique bien définie. Ce chapitre n'était évidemment pas le lieu où pouvait être étudié le mécanisme par lequel certaines connaissances parviennent à un moment donné à se cristalliser pour constituer de nouvelles unités ordonnées du savoir. Mais il pourrait être le point de départ de réflexions historiques montrant la part que la recherche orientée a prise dans la formation de ces sciences nouvelles. Ainsi pourrait-on montrer comment, au siècle dernier, la conjonction due à l'existence de statistiques administratives et à l'apparition de problèmes urgents concernant l'organisation pénitentiaire, le traitement des criminels, la nature de la criminalité, a conduit à la naissance d'une science de la criminologie devenue indépendante de la sociologie. Des réflexions du même ordre pourraient probablement être faites pour la démographie et d'autres sciences encore comme la science politique, la gérontologie, l'urbanisme, etc.
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Les difficultés de la recherche orientée qui, soit dit en passant, est le plus souvent multidisciplinaire mais peut être également monodisciplinaire (Quesnay et les Physiocrates soucieux de trouver des règles de conduite applicables aux Etats et aux individus, psychologues soucieux des problèmes d'orientation et d'aménagement des hôpitaux et des écoles, sociologues penchés sur les problèmes de relations humaines dans l'industrie ou sur les relations raciales, etc. ) sont au cœur de cet important travail. Ils touchent aux rapports existant entre la recherche et l'action. A ce sujet l'auteur montre bien les deux types de problèmes auxquels ces rapports donnent naissance : d'une part un problème de communication et de collaboration entre les chercheurs et les agents de décision (policy makers), d'autre part la nature du fossé qui sépare la connaissance de la décision et de l'action. Le premier problème est probablement un problème d'organisation et de relations institutionnelles. Le second une question intellectuelle de corrélation entre les problèmes de l'action et les schémas de recherche. La recherche orientée a apporté une contribution réelle à la recherche fondamentale et elle a apporté, en bien des secteurs, la preuve de l'utilité des sciences sociales. Avec raison l'auteur lui prédit un grand avenir dans tout ce qui concerne l'aménagement du territoire, l'éducation, la démographie, sans oublier la jeunesse et la condition de la femme au sujet desquelles une grande révolution est en train de s'accomplir, et où, paradoxalement, fait encore défaut un développement cohérent de la recherche interdisciplinaire orientée. Ce grand avenir apparaît même dans des domaines insoupçonnés comme celui assez inattendu mais fort pertinent souligné par l'auteur, de l'œcuménisme. Envisagé sociologiquement comme fonction du rapprochement des peuples et de leur développement solidaire, l'œcuménisme entraîne toute une série de recherches sur les contacts entre groupes religieux, sur l'organisation de l'église, sur la signification du culte, sur la présentation et la nature du message religieux et son insertion dans un système moderne de valeurs dont l'importance ne peut laisser indifférent, et qui sont toutes orientées vers la recherche d'un changement conscient des structures et des comportements. On l'a déjà dit, toute science sociale est en principe comparative. Mais, lorsqu'à l'aspect comparatif elle ajoute celui de l'internationalisation, qu'elle s'attache à coordonner la collecte et l'analyse de données par delà les cultures, les sociétés ou les entités politiques, elle permet de dégager avec infiniment de finesse les variables et les invariants qui conditionnent le fonctionnement et le développement des sociétés humaines. Domaine expérimental par excellence qui est celui où Stein Rokkan, par ses recherches personnelles comme par son action, a apporté une contribution majeure. Son chapitre sur la recherche trans-culturelle, trans-sociétale et trans-nationale illustre parfaitement cette nouvelle dimension de la recherche qui est aussi celle d'une tendance particulièrement féconde des sciences sociales.
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On lira avec intérêt les pages que Stein Rokkan consacre au développement des études trans-culturelles et aux efforts institutionnels et d'organisation qui ont facilité leur diffusion. On notera en particulier l'analyse très poussée qui est faite de l'histoire de la recherche comparée et des différentes traditions qui depuis le siècle dernier se sont manifestées dans cette recherche. Rokkan souligne l'effort considérable qui a été fait pour améliorer les données de base utilisables par ces recherches, et pour préciser les différentes stratégies scientifiques employées pour dominer la masse toujours plus considérable d'informations dont on dispose. Ici les progrès ont été la conséquence à la fois du développement de la technologie et de la création de différents organismes de recherche — académiques, commerciaux, internationaux — qui ont permis des mises en contact efficaces. L'auteur montre bien tout ce que l'on doit à cet égard à des Centres du type Roper, Gallup ou International Research Associates, ou encore à l'action de l'OCDE, de la Banque internationale, de l'Organisation des Nations Unies et de ses institutions spécialisées. On permettra de citer ici les travaux suscités par l'Institut d'éducation de Hambourg et le succès spectaculaire de l'étude entreprise par le Centre européen de coordination de recherche et de documentation en sciences sociales de Vienne dont la création résulte d'initiatives de l'Unesco, comme des efforts poursuivis par celle-ci en liaison avec le Conseil international des sciences sociales pour développer une infrastructure de la recherche comparée trans-culturelle en favorisant, sur le plan international, le rapprochement entre les méthodes et les sources d'information, et en facilitant l'accès aux données aux fins d'analyse. Quel est l'apport de la recherche trans-culturelle au développement théorique des sciences sociales ? Sans revenir sur le terrain couvert par les autres chapitres « disciplinaires » et sur les références qui ont été faites du point de vue de la sociologie, de la science politique et de l'anthropologie culturelle aux comparaisons entre nations, Stein Rokkan insiste sur les typologies et sur l'influence de ces typologies quant au choix des unités culturelles et géographiques des comparaisons au niveau des communautés, des ménages et des individus. Le terrain d'élection est celui de la construction des nations. Les comparatistes modernes cherchent soit à identifier un type de société utilisé ensuite comme paradigme pour la comparaison de cas historiques ( Eisenstadt ), soit à comparer des sociétés innovatrices ou développées pendant une période déterminée (Deutsch), soit encore à comparer toutes les sociétés existantes dans une région culturellement historiquement homogène ( Almond-Pye ). Plus récemment on s'est tourné vers la recherche et l'explication des stratégies de l'action adoptées par les élites soit par la comparaison de grandes nations dans des cultures différentes (Bendix, Moore), soit par la comparaison de toutes les unités situées dans un contexte culturel relativement uniforme. Il s'agit alors de comparaison entre petites nations, préférée par Lipset et Rokkan lui-même lorsqu'ils étudient les processus de démocratisation et de développement des partis
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politiques en Europe occidentale. L'objectif est la construction d'un modèle strictement défini destiné à délimiter les variables permettant de rendre compte de modifications observées dans le fonctionnement d'un système politique pluraliste de suffrage universel. « Au lieu de procéder comme si les distinctions socio-culturelles déterminaient directement le comportement politique, la nouvelle méthode consiste à considérer les partis comme des organes de mobilisation des massée et les divisions socio-culturelles de l'électorat comme autant d'ouvertures ou d'obstacles aux efforts de mobilisation. » Les implications méthodologiques de cette approche sont naturellement examinées en détail. Il suffira ici d'y renvoyer, tout en soulignant tout ce que cette méthode contient de promesses, si l'on veut scruter, démontrer et expliquer les ressorts et les mécanismes internes des sociétés. Comment se traduit, sur le plan de l'organisation et du financement, le développement de la connaissance scientifique dont les deux premières parties de cet ouvrage ont essayé de donner en profondeur et en extension une image que l'on croit ressemblante ? Le chapitre de E. Trist ne pouvait être une réponse complète tant la question est à la fois vaste, complexe et nouvelle dans sa formulation. La réflexion sur la politique scientifique en matière de science sociale remonte à quelques années à neine. Peu d'études sérieuses existent en la matière, et le chercheur dispose de bien peu de données cohérentes. L'intérêt est grand cependant, stimulé par le développement des recherches sur les allocations des ressources humaines et financières et sur l'efficacité des options que les Etats doivent trancher par le présent, comme pour l'avenir. Une enquête limitée a donc été entreprise par E. Trist et le Secrétariat de l'Unesco, sur la base d'un questionnaire largement diffusé et d'études consacrées à une douzaine de pays. On en trouvera le détail dans ce dernier chapitre de l'Etude qui est révélateur d'une situation en pleine évolution, et dont l'intérêt pour l'avenir de nos sociétés est immense. Il faut noter tout d'abord que les sciences sociales, aux Etats-Unis tout au moins, mais leur exemple est suivi ailleurs, sont devenues une « big science » en ce sens qu'elles sont l'objet d'investissements considérables dont l'accroissement relatif est souvent plus grand que celui des investissements consacrés aux sciences naturelles. Partout cependant, sauf de rares exceptions, on constate un divorce plus ou moins prononcé entre l'Université et l'enseignement d'une part et la recherche de l'autre. Partout le financement, quand il existe, est peu ou mal coordonné malgré de nombreux efforts par ci et par là pour mettre sur pied des organismes centraux dotés d'attributions plus ou moins étendues en matière de politique scientifique. Les ressources humaines relativement considérables dans les pays développés sont faibles dans les autres, et encore souffrent-ils ici et là, pour des raisons diverses, d'une organisation insuffisante de la recherche et d'un exode marqué des compétences. La situation exige des remèdes qui sont à la portée des Etats, ce qui
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ne veut pas dire qu'ils soient d'un maniement aisé. Il s'agit en premier lieu de construire des institutions modernes de sciences sociales. La séparation de ces sciences d'avec la philosophie ne s'est en général accompagnée d'aucune réorganisation institutionnelle correspondante et il en résulte une grande dispersion des enseignements et des recherches, ce que Piaget a pu qualifier de « tragique » parce qu'elle empêche les regroupements nécessaires entre disciplines. Il s'agit ensuite de réduire le décalage culturel qui se manifeste trop souvent entre l'état présent des connaissances et la conception que l'universitaire se fait de son rôle dans la société, ce que E. Trist appelle la « persistance disfonctionnelle de l'individualisme académique ». Tout s'est en effet passé historiquement, comme si la recherche avait été laissée libre, à condition d'être « pure », c'est-à-dire abandonnée au chercheur solitaire réfugié dans sa tour d'ivoire après accomplissement de quelques rites obligatoires de passage. Cette phase est bien dépassée par suite de l'interpénétration de plus en plus grande de la science et de la technologie, et du besoin de recherches collectives aussi bien que de recherches individuelles. Comme le montre E. Trist en termes satisfaisants, la persistance de cette disfonction se manifeste en Europe par l'opposition des Universités à toute recherche autre que la recherche fondamentale, par l'individualisme académique qui pousse au maintien de petites unités et à une dispersion d'efforts comme à une surcharge de l'enseignement lui-même aggravé par la prolifération des étudiants. L'individualisme ne peut plus être la philosophie dominante. L'Université et la société doivent se réunir. Des ressources institutionnelles nouvelles devraient être créées, capables de susciter des recherches de large échelle et de longue durée, ce qui implique des formes nouvelles de coopération entre les sources officielles et les sources de compétence dans le respect de la liberté individuelle et une nouvelle éthique des rapports entre chercheurs travaillant dans un même groupe. Les conséquences pourraient en être grandes pour le rapprochement sinon l'unification des disciplines et le progrès général de la science. Le tout débouche, comme le marque fort bien E. Trist, sur la nécessité d'entreprendre partout un effort résolu de planification assurant une répartition rationnelle des activités entre les Universités, les écoles professionnelles et les instituts de recherche, et une allocation de ressources humaines suffisantes, compte tenu des disponibilités du moment. Pour les petits pays et plus encore pour les pays en voie de développement des choix rigoureux s'imposent pour parvenir à un développement satisfaisant dans quelques directions déterminées, faute de pouvoir tout faire, c'est-à-dire à des spécialisations compensées par un développement rationnel de la coopération régionale ou internationale. C'est donc sur un appel à la raison et à l'action éclairée que se termine cet ouvrage, appel qui s'adresse également aux savants, aux Etats et aux Organisations internationales elles-mêmes.
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NOTES 1. Tendances actuelles de la recherche scientifique. Etude sur les tendances principales de la recherche dans le domaine des sciences exactes et naturelles, la diffusion des connaissances scientifiques et leur application à des fins pacifiques, par Pierre Auger, consultant spécial, O.N.U. et Unesco, 1961, New York et Paris. 2. O n n'a pas essayé, par exemple, d'unifier dans cet ouvrage l'emploi des termes : sciences sociales, sciences humaines, sciences de l'homme, sciences du comportement, etc., qui relèvent des traditions intellectuelles différentes ou simplement d'usages linguistiques différents et que les auteurs ont employés à leur guise, en toute liberté. 3. Voir notamment les chapitres « Sociologie », par P.F. Lazarsfeld, p. 69, et « Recherche trans-culturelle, trans-sociétale et trans-nationale », par S. Rokkan, p. 765. 4. Voir la Postface de la seconde édition de Sagesses et illusions de la philosophie. 5. Voir la partie pertinente du chapitre « Sociologie », p. 160.
INTRODUCTION
La situation des sciences de l'homme dans le système des sciences JEAN PIAGET
Il s'agira, en ce chapitre préliminaire, des particularités épistémologiques des sciences de l'homme quant aux conditions de leur objectivité, de leurs modes d'observation ou d'expérimentation et quant aux relations qu'elles établissent entre la théorie et l'expérience. Il s'agira de leurs rapports avec les sciences exactes et naturelles ou avec les philosophies et les grands courants idéologiques ou culturels. Mais avant toute chose, il convient de préciser ce que nous entendrons par sciences de l'homme et pour cela de commencer par un essai de classification.
1. C L A S S I F I C A T I O N D E S
DISCIPLINES
SOCIALES
E T D E S « S C I E N C E S HUMAINES »
La distribution des disciplines dans les facultés universitaires varie grandement d'un pays à un autre et ne suffit pas à fournir un principe de classification. Bornons-nous à cet égard à signaler que l'on ne saurait retenir aucune distinction de nature entre ce que l'on appelle souvent les « sciences sociales » et les « sciences humaines », car il est évident que les phénomènes sociaux dépendent de tous les caractères de l'homme y compris les processus psychophysiologiques et que réciproquement les sciences humaines sont toutes sociales par l'un ou l'autre de leurs aspects. La distinction n'aurait de sens (et c'est là l'hypothèse qui est à son origine) que si l'on pouvait dissocier en l'homme ce qui relève des sociétés particulières dans lesquelles il vit et ce qui constitue la nature humaine universelle. Bien entendu de nombreux esprits demeurent attachés à une telle distinction avec une tendance à opposer l'inné à ce qui est acquis sous l'influence des milieux physiques ou sociaux, la « nature humaine » reposant ainsi sur l'ensemble des caractères héréditaires. Mais on est de plus en plus porté à penser que l'innéité consiste essentiellement en possibilités de fonctionnement, sans hérédité de structures toutes montées 1 (contrairement au cas des instincts dont une part importante est « pro-
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grammée » héréditairement) : le langage, par exemple, s'acquiert socialement tout en correspondant à un centre cérébral (le centre de Broca), mais si ce centre est lésé avant l'acquisition de la langue, il y a alors suppléance par d'autres régions corticales non prédéterminées à cet usage. Rien n'empêche donc d'admettre que la « nature humaine » comporte entre autres, contrairement à ce que l'on pensait du temps de Rousseau, l'exigence d'une appartenance à des sociétés particulières, de telle sorte que l'on a de plus en plus tendance à ne conserver aucune distinction entre les sciences dites sociales et celles qui sont dites « humaines ». Par contre, il est indispensable d'introduire d'autres subdivisions dans l'ensemble considérable des disciplines qui concernent les multiples activités de l'homme, car, on l'a vu dans la Préface à cet ouvrage, celui-ci ne portera que sur certaines d'entre elles et exclusivement sur celles que l'on peut appeler « nomothétiques » ou poursuivant l'établissement de « lois ». Or, toutes les études portant sur les hommes ou les sociétés sont loin de s'assigner un tel programme. Nous allons donc chercher à les réduire à quatre grands ensembles, étant naturellement entendu d'avance qu'il s'agit là d'une classification qui, comme toujours, comporte des cas typiques mais aussi, en nombre plus restreint, des cas intermédiaires faisant la transition entre les situations exemplaires. I. Nous appellerons d'abord sciences « nomothétiques » les disciplines qui cherchent à dégager des « lois » au sens parfois de relations quantitatives relativement constantes et exprimables sous la forme de fonctions mathématiques, mais au sens également de faits généraux ou de relations ordinales, d'analyses structurales, etc. se traduisant au moyen du langage courant ou d'un langage plus ou moins formalisé (logique, etc.). La psychologie scientifique, la sociologie, l'ethnologie, la linguistique, la science économique et la démographie constituent, sans aucun doute possible, des exemples de disciplines poursuivant la recherche de « lois » au sens large qu'on vient de caractériser. Sans doute le psychologue peut-il étudier des cas individuels et faire de la psychologie « différentielle », le linguiste peut-il analyser une langue particulière ou faire de la typologie, etc., mais les plus délimitées de ces recherches n'en demeurent pas moins insérées dans des cadres de comparaison ou de classification qui témoignent encore d'un souci de généralité et d'établissement de lois, même si celles-ci ne portent que sur des questions de fréquence ou de distribution et d'extension des fluctuations (et même si, par prudence, on évite le terme de « lois » ). D'autre part, il va de soi que chacune de ces disciplines comporte des recherches sur des phénomènes se déroulant selon la dimension diachronique, autrement dit comportant une « histoire ». La linguistique étudie ainsi entre autres l'histoire des langues, la psychologie dite génétique étudie le développement du comportement, etc. Cette dimension historique, dont l'importance est fondamentale en bien des cas, rapproche donc certains secteurs des sciences nomothétiques de celles que nous
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appellerons tout à l'heure les sciences historiques. Mais certaines différences opposent néanmoins ces recherches diachroniques propres aux disciplines nomothétiques et celles des sciences historiques, encore que naturellement on trouve tous les degrés intermédiaires. D'une part dans le cas des développements individuels (du langage, de l'intelligence, etc. ) il s'agit de déroulements historiques qui se répètent à chaque génération et peuvent donc donner lieu à des contrôles expérimentaux et même à une variation des facteurs, de telle sorte que l'objectif principal demeure la recherche de lois, sous la forme de « lois du développement ». Quant aux déroulements historiques collectifs, comme le développement des langues, des structures économiques, etc., il y a toujours encore recherche de lois, soit qu'il s'agisse d'expliquer par son passé une structure générale donnée, ce qui nous ramène aux lois de développement, soit, au contraire, qu'il s'agisse d'expliquer des faits historiques antérieurs (par exemple le taux de l'intérêt sur un marché ancien) par des lois synchroniques vérifiables actuellement. L'établissement ou la recherche de lois, propre aux sciences fiomothétiques, va de pair avec un second caractère fondamental les distinguant des trois catégories II-IV que nous examinerons ensuite : c'est l'utilisation des méthodes, soit d'expérimentation stricte, telle qu'on la définit par exemple en biologie (et son emploi s'impose aujourd'hui dans la plupart des recherches en psychologie scientifique), soit d'expérimentation au sens large de l'observation systématique avec vérifications statistiques, analyse des « variances », contrôle des relations d'implication (analyse des contre-exemples), etc. Nous reviendrons sur les difficultés méthodologiques propres aux sciences nomothétiques de l'homme (sous 3 et 4 ), mais faciles ou difficiles, les méthodes de vérification consistant à subordonner les schémas théoriques au contrôle des faits d'expérience constituent le caractère distinctif le plus général de ces disciplines par opposition aux suivantes. Un troisième caractère fondamental va de pair avec les deux précédents ; c'est la tendance à ne faire porter les recherches que sur peu de variables à la fois. Bien entendu il n'est pas toujours possible d'isoler les facteurs comme en physique (et la remarque vaut dès la biologie), encore que certains procédés statistiques (analyse des variances) permettent en certains cas de juger des influences respectives de plusieurs variables simultanément en jeu. Mais, entre les sciences naturelles, dont les méthodes expérimentales permettent une dissociation précise des variables et les sciences historiques, sur le terrain desquelles les variables s'enchevêtrant de façon souvent inextricable, les sciences nomothétiques de l'homme disposent de stratégies intermédiaires dont l'idéal est nettement tourné vers celui des premières. II. Nous appellerons sciences historiques de l'homme les disciplines dont l'objet est de reconstituer et de comprendre le déroulement de toutes les manifestations de la vie sociale au cours du temps : qu'il s'agisse de la
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vie des individus dont l'action a marqué cette vie sociale, de leurs œuvres, des idées qui ont eu quelque influence durable, des techniques et des sciences, des littératures et des arts, de la philosophie et des religions, des institutions, des échanges économiques ou autres et de la civilisation dans son ensemble, l'histoire couvre tout ce qui intéresse la vie collective en ses secteurs isolables comme en ses interdépendances. La question qui se pose alors immédiatement est d'établir si les sciences historiques constituent un domaine à part, susceptible d'être caractérisé par des propriétés positives et spécifiques ou si elles portent simplement sur la dimension diachronique propre à chacune des disciplines nomothétiques, juridiques ou philosophiques. Le présent chapitre ne concerne pas les tendances mais l'état actuel des questions abordées. Nous n'avons donc pas à nous demander si les sciences historiques ne présentent qu'un statut provisoire et se résorberont tôt ou tard dans les autres catégories, mais simplement à dire pourquoi cet ouvrage (tout en soulignant sans cesse l'importance de la dimension diachronique des phénomènes) distinguera cependant les sciences historiques des sciences nomothétiques pour ne traiter que de ces dernières, car, dans l'état actuel, l'histoire proprement dite semble présenter certains caractères spécifiques et relativement stables. Même si tous les intermédiaires existent entre l'analyse nomothétique et l'analyse historique du déroulement des phénomènes ou des événements dans le temps, il semble en effet subsister entre elles une différence assez sensible, parce qu'elle repose sur une relation de complémentarité dans la manière dont elles traitent les facteurs de ce déroulement temporel. On peut distinguer à cet égard quatre facteurs principaux : ( a ) les déterminations dues à des développements (un développement étant une suite régulière ou même séquentielle de transformations qualitatives assurant une structuration progressive) ; ( b ) les déterminations dues aux équilibrations synchroniques en leur dynamique propre ; ( c ) les interférences ou événements aléatoires et ( d ) les « décisions » individuelles ou collectives. Or, quand les disciplines nomothétiques considèrent un déroulement temporel appelé ou non « histoire », leur effort est constamment de dégager des lois et pour cela d'isoler dans la mesure du possible les variables permettant d'obtenir ce résultat. Elles s'efforceront ainsi d'atteindre des lois de succession ( a ) ou d'équilibre ( b ) ; pour ce qui est du hasard ( c ) elles négligeront les cas singuliers, qui sont indéterminables, pour caractériser au contraire les effets de masses en tant que lois stochastiques ; et en ce qui concerne les décisions ( d ) elles s'intéresseront moins à leurs contenus qu'à leur processus même en tant que pouvant être analysé de façon probabiliste (théorie des jeux ou de la décision). Le propos de l'historien est au contraire, et de façon complémentaire (même s'il utilise comme il le fait aujourd'hui, toutes les données nomothétiques), non pas d'abstraire du réel les variables convenant à l'établissement de lois, mais d'atteindre chaque processus concret en toute sa complexité et par conséquent en son originalité
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irréductible. Dans les cas où se manifeste tel développement (a) ou telle rééquilibration ( b ) , et même s'il s'intéresse à leurs lois en tant que permettant leur compréhension, l'historien vise moins les lois que les caractères propres à ces événements particuliers, en tant précisément que particuliers. Pour ce qui est des interférences aléatoires (c), c'est, il va de soi, le contenu individuel des événements qui concerne l'historien, contenu incalculable, mais reconstituable et dont l'histoire vise précisément la reconstitution. Quant aux décisions (d) c'est en leur contenu également qu'elles représentent la continuelle nouveauté spécifique du devenir historique humain en tant que réponses aux situations concrètes (mélanges inextricables de détermination et d'aléatoire (a) - ( c ) . En un mot, si étroite que soit la liaison des sciences nomothétiques et des sciences historiques, dont chaque groupe a sans cesse besoin de l'autre, leurs orientations sont distinctes en tant que complémentaires, même lorsqu'il s'agit de contenus communs : à l'abstraction nécessaire des premières correspond la restitution du concret chez les secondes, et c'est là une fonction tout aussi primordiale dans la connaissance de l'homme, mais une fonction distincte de l'établissement des lois. Il est vrai que l'on parle souvent des « lois de l'histoire ». Mais (lorsqu'il ne s'agit pas d'une métaphore utilisée en particulier à des fins politiques), c'est qu'on se réfère à des régularités effectives, sociologiques (par exemple les phases des révolutions), économiques, etc. : en ces derniers cas, les régularités observées entrent ipso facto dans le domaine de sciences nomothétiques particulières, dont les méthodes pouvant naturellement être pratiquées par l'historien lui-même, s'il se fait sociologue ou économiste, etc., sont seules aptes à fournir les vérifications nécessaires et sont bien distinctes des méthodes de simple critique ou de reconstitution dont il vient d'être question. Il faut signaler à cet égard tout un courant contemporain visant à faire de l'histoire une science fondée sur la quantification et les structures (F. Braudel, J . Kruithof, J . Craebeckx, O. Lebran, etc.) 2 , point de vue certainement fécond, mais qui revient actuellement à faire de l'histoire la dimension diachronique de la sociologie ou de l'économie, ce qui, à l'avenir, pourrait conférer aux disciplines historiques le niveau d'une sorte de synthèse portant sur les dimensions dialectiques de toutes les sciences humaines. Bien entendu, il existe, d'autre part, de nombreuses formes de l'histoire se rapprochant de l'étude de développements plus ou moins purs au sens défini plus haut. L'histoire des sciences en est un exemple et, en son sein, l'histoire des mathématiques occupe une place exceptionnelle par les caractères internes de la structuration progressive qu'elle décrit : elle rejoint ainsi nécessairement les problèmes centraux de la psychologie de l'intelligence, de la sociogenèse des connaissances et de l'épistémologie scientifique. I I I . Les sciences juridiques occupent une position assez différenciée par le fait que le droit constitue un système de normes et qu'une norme se
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distingue en son principe même des relations plus ou moins générales recherchées sous le nom de « lois » par les sciences nomothétiques. Une norme ne relève pas, en effet, de la simple constatation de relations existantes, mais d'une catégorie à part qui est celle de « devoir être » (sollen). Le propre d'une norme est donc de prescrire un certain nombre d'obligations et d'attributions qui demeurent valables même si le sujet les viole ou n'en fait pas usage, tandis qu'une loi naturelle repose sur un déterminisme causal ou une distribution stochastique et que sa valeur de vérité tient exclusivement à son accord avec les faits. Mais si tranchée que soit cette distinction, il existe une série de régions frontières entre les sciences proprement juridiques et les autres. Il faut considérer naturellement que l'histoire du droit, en tant qu'histoire des institutions juridiques (sans parler de l'histoire des théories) n'est plus une discipline normative, mais une analyse de réalités qui ont été, ou en certains cas sont encore, reconnues comme des normes par les sociétés considérées, tout en constituant des faits historiques parmi d'autres pour l'historien lui-même du droit. Cette dualité de points de vue entre ce qui est norme pour le sujet, passé ou présent, et ce qui est fait pour l'observateur se retrouve encore plus nettement en une discipline proprement nomothétique, mais qui prend pour objet les comportements juridiques à titre de faits sociaux : telle est la sociologie juridique, dont l'objet n'est point d'étudier, comme la science juridique, les conditions de la validité normative, mais, ce qui est bien différent, d'analyser les faits sociaux qui sont en relation avec la constitution et le fonctionnement de telles normes. Aussi bien les spécialistes de cette discipline ont-ils introduit la notion féconde et générale de « faits normatifs », précisément pour désigner ce qui est normatif pour le sujet tout en étant objet d'analyse pour l'observateur qui étudie à titre de faits les conduites de ce sujet et les normes que celui-ci reconnaît. Cette notion est de portée générale comme dans l'étude des faits moraux où le sociologue n'a pas non plus à s'occuper de la validité des normes acceptées par les sujets, mais où il doit rechercher en vertu de quels processus ils se considèrent comme obligés par ces normes. En psychologie génétique de même, on étudie des « faits normatifs » lorsqu'il s'agit d'expliquer comment les sujets, d'abord insensibles à telles ou telles normes logiques, en viennent à les considérer comme nécessaires en vertu du processus dépendant en partie de la vie sociale et en partie de structurations internes de l'action. En bref, si le domaine juridique est de nature normative, il se trouve, comme c'est le cas de tous les autres domaines normatifs, donner prise à études de fait et à des analyses causales portant sur les conduites individuelles ou sociales en relations avec les normes considérées, et ces études sont alors nécessairement de caractère nomothétique. En particulier lorsqu'une école juridique considère que le sollen propre à la norme de droit n'exprime que la volonté de l'Etat, et, à travers lui, celle des forces sociales (classes) qui dirigent la société, le
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droit ne porte plus alors sur la catégorie formelle du devoir être, mais sur des relations purement matérielles donnant prise à une étude objective. Seulement, pour les normativistes, celle-ci relèverait de la sociologie juridique. On trouvera au chap. V I I d'autres exemples de relations entre les sciences juridiques et des recherches de catégories différentes, telles qu'en particulier la logique. I V . Enfin vient un groupe particulièrement difficile à classer celui des disciplines philosophiques, parce qu'entre les auteurs qui s'y consacrent règne un certain désaccord quant à la portée, l'étendue et même l'unité des branches qu'il convient de réunir sous ce terme. La seule proposition certaine, parce qu'elle semble commune à toutes les écoles, est que la philosophie se propose d'atteindre une coordination générale des valeurs humaines, c'est-à-dire une conception du monde tenant compte non seulement des connaissances acquises et de la critique de ces connaissances, mais encore des convictions et valeurs multiples de l'homme en toutes ses activités. La philosophie dépasse donc les sciences positives, et les situe par rapport à un ensemble d'évaluations et de signification s'étendant de la praxis aux métaphysiques proprement dites. Où les divergences débutent, c'est dès la question de la nature de cette prise de position par rapport à la totalité du réel. Pour certains, la philosophie est essentiellement une sagesse, une « mise en route », comme dit Jaspers, tandis que tout savoir apodictique devient nécessairement affaire de connaissance spécialisée, autrement dit de science. Pour d'autres, comme plusieurs dialecticiens, la philosophie est avant tout une prise de conscience des procédés dialectiques mis en œuvre par les sciences en marche, mais avec en plus une prise de position imposée par l'engagement dans l'action. Pour d'autres enfin, comme Husserl, la philosophie atteint un savoir véritable, supérieur au savoir scientifique, bien que le positivisme et plusieurs auteurs non positivistes contestent d'un point de vue épistémologique une telle possibilité. Nous n'avons point ici à prendre parti dans ces débats, qu'on retrouvera d'ailleurs inévitablement à propos des rapports entre les sciences nompthétiques et les courants philosophiques ( sous 5 ). Nous avons simplement pour l'instant à classer ce qu'il convient de situer parmi les disciplines philosophiques par opposition aux sciences nomothétiques de l'homme. Mais c'est précisément cette répartition qui fait problème, pour les raisons précédentes et surtout en raison d'un processus historique amorcé dès le X I X e siècle et qui s'affirme de plus en plus aujourd'hui : la différenciation d'un certain nombre de branches, initialement philosophiques, qui se constituent en tant que disciplines autonomes et spécialisées. Tel fut le cas de la sociologie et surtout de la psychologie, comme on y reviendra à l'instant à propos de l'histoire des sciences nomothétiques. Mais tel fut aussi le cas de la logique et aujourd'hui pour une bonne part de l'épistémologie scientifique, car, d'une part, la logique
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moderne s'est constituée en une discipline quasi-mathématique avec ses méthodes propres et un champ de recherche indépendant de toute métaphysique, et, d'autre part, chaque science naturelle ou humaine tend à élaborer sa propre épistémologie, dont les liens sont alors plus étroits avec celle des autres disciplines qu'avec les préoccupations métaphysiques. Mais la question difficile qui se pose au sujet de ces deux branches du savoir est alors de déterminer leur position par rapport aux sciences en général et aux sciences nomothétiques de l'homme. D'une part, la connaissance scientifique est à coup sûr une activité humaine et si la logique ou l'épistémologie scientifique nous donnent à son sujet des informations indispensables et vérifiables sans passer nécessairement par la philosophie au sens traditionnel et universitaire du terme, il va de soi qu'elles intéressent de près les sciences nomothétiques de l'homme. Il existe en particulier une parenté entre les recherches sur la psychogenèse de l'intelligence et ce qu'on a appelé l'épistémologie génétique, c'est-à-dire l'étude des procédés de la connaissance en leur développement. Mais d'autre part, la logique en tant qu'utilisant par la méthode axiomatique est plus proche des mathématiques que de toute autre discipline et l'épistémologie scientifique n'a encore conquis ses titres de noblesse que sur le terrain des connaissances mathématiques et physiques. Il faut donc voir en ces disciplines une attache parmi bien d'autres entre les sciences de l'homme et celles de la nature ou les disciplines déductives, et ce fait ajouté à d'autres nous montre d'emblée la complexité des rapports entre les sciences nomothétiques de l'homme et le système des sciences. Néanmoins, et malgré les multiples termes de transition que l'on a notés comme exemple, la répartition des sciences ou disciplines selon les quatre catégories qu'on vient de distinguer semble correspondre à l'état actuel du savoir et confère aux sciences nomothétiques de l'homme une position à la fois naturelle et relativement indépendante.
2 . L E S DOMINANCES DE L'HISTOIRE DES SCIENCES NOMOTHÉTIQUES
Cet ouvrage n'est point un traité appelé à fournir sur les sciences nomothétiques de l'homme des aperçus historiques que l'on trouve partout. Mais, devant dégager les principales tendances actuelles de ces sciences, il doit débuter par quelques données préalables, et, parmi celles-ci, il est utile de rappeler les orientations antérieures de ces disciplines, autrement dit, les tendances passées dont les mouvements présents sont issus par filiation directe ou au contraire en réaction contre elles. Le problème se pose dans les termes suivants. Depuis qu'il existe des penseurs et des enseignements, on a toujours discuté certaines questions de psychologie, de linguistique, de sociologie et d'économie. Les Mœurs des Germains de Tacite touchent à l'anthropologie culturelle et les géo-
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graphes ont dû de tous temps soulever certains problèmes démographiques. D'une manière générale on a toujours réfléchi et disserté sur les activités de l'homme et chaque système philosophique présente quelque aspect permettant de discerner une ébauche ou une annonce des disciplines spécialisées dont nous aurons à nous occuper. Mais autre chose est la réflexion, suivie ou épisodique, et autre chose est la constitution d'une science proprement dite, avec inventaire et délimitation des problèmes ainsi que détermination et affinement des méthodes. En termes plus précis, autre chose est un discours et autre chose sont les procédés d'observation et surtout de vérification. Le problème est alors d'analyser les facteurs qui ont conduit nos disciplines de l'état préscientifique à l'état ou du moins à l'idéal de sciences nomothétiques. On en peut distinguer cinq : I. Le premier de ces facteurs est la tendance comparatiste qui est loin d'être aussi générale et aussi naturelle qu'on pourrait le croire. Les deux tendances les plus naturelles de la pensée spontanée et même de la réflexion en ses stades initiaux sont de se croire au centre du monde, du monde spirituel comme matériel, et d'ériger en normes universelles les règles ou même les habitudes de sa conduite. Constituer une science ne se réduit donc nullement à partir de cette centration initiale et à accumuler des connaissances sur un mode additif, mais suppose également que cette addition s'accompagne de systématisations : or, la première condition d'une systématisation objective est une décentration par rapport au point de vue propre, dominant au départ. C'est cette décentration qu'assure l'attitude comparatiste tout en élargissant les exigences normatives jusqu'à les subordonner à des systèmes de références multiples. Cette dimension comparatiste est particulièrement claire dans l'histoire de la linguistique que l'on pourrait faire remonter à deux ou trois millénaires et qui a connu de multiples tentatives de systématisation avant l'époque contemporaine (qu'on se rappelle par exemple les essais sémantiques du Moyen Age). Or, la réflexion sur la langue s'impose dès l'enseignement et l'on peut donc se demander pourquoi la constitution d'une linguistique scientifique n'a pas été plus rapide ou plus continue. La réponse est évidemment que la réflexion sur le langage propre demeure à ses débuts soumise à une double centration : centration psychologique, tant que ne se multiplient pas les termes de comparaison, et centration normative qui pousse à croire que la science du langage se réduit à la grammaire et que la grammaire de la langue propre est un reflet plus ou moins direct de la logique universelle. Sans doute l'enseignement des humanités classiques a-t-il permis un début de décentration, jointe à la notion de filiation historique des langues (voir I I ) . Aussi Lancelot à côté de la Grammaire de Port-Royal s'est-il occupé également des Racines grecques, mais le titre seul de son ouvrage avec Arnauld Grammaire générale et raisonnée montre assez l'influence de cette centration normativiste dont il vient d'être question. C'est avec l'attitude résolument comparatiste de F. Bopp dans sa Gram-
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maire comparée des langues indo-européennes que débute effectivement la décentration nécessaire à l'attitude scientifique et l'on comprend pourquoi elle a été tardive. Le phénomène est très comparable en sociologie, où la réflexion initiale sur la société est à la fois dominée par un sociocentrisme idéologique, héritage d'une très longue tradition, et par les préoccupations normatives qui laissent indifférenciées la sociologie et la politique (ce qui ne signifie pas que les progrès de l'objectivité en sociologie ne puissent pas avoir d'incidences politiques ). La décentration comparatiste est en ce cas si difficile que Rousseau, pour penser le phénomène social en cherchant ses références dans les comportements élémentaires et non civilisés (ce qui marquait un grand progrès par rapport aux idées de son temps ), imagine le « bon sauvage » comme un individu antérieur à toute société mais en lui prêtant, sans s'en rendre compte, tous les caractères de moralité, de rationnalité, et même de déduction juridique que la sociologie nous apprend être les produits de la vie collective. Ce bon sauvage est même le produit d'une imagination si peu décentrée qu'il ressemble étonnamment à J.J. Rousseau lui-même, inventant le Contrat social. Et ce phénomène s'est encore reproduit en plein X I X e siècle, lorsque l'un des fondateurs de l'anthropologie culturelle, Tylor, a conçu pour expliquer l'animisme propre à la « civilisation primitive », un « philosophe sauvage » raisonnant sur le rêve, la maladie et la mort d'une façon très analogue à ce qu'aurait fait un empiriste anglo-saxon, placé dans la situation d'ignorance d'un non-civilisé mais raisonnant exactement comme Hume, etc. Néanmoins, le très grand progrès accompli par Tylor a été de découvrir la dimension comparatiste en s'efforçant d'accumuler des faits et pas seulement des idées. C'est dans cette direction d'une décentration par rapport à l'expérience sociale immédiate que se sont engagés au X I X e siècle les fondateurs de la sociologie contemporaine, sans que nous ayons à nous prononcer ici sur la réussite ou l'insuffisance de leurs tentatives, suivies par bien d'autres. Le sens de la loi des trois états de Comte est ainsi de dissocier des niveaux de représentations collectives pour situer la pensée scientifique par rapport aux autres attitudes intellectuelles. Le système de Marx est un vaste effort pour situer les idéologies par rapport aux classes sociales, celui de Durkheim pour situer nos représentations collectives par rapport aux stades élémentaires de la sociogenèse, etc. Or, en chacun de ces cas, la décentration principale consiste à ne plus partir de la pensée individuelle à titre de source des réalités collectives, mais de voir en l'individu le produit d'une socialisation. La décentration à laquelle a dû se livrer la psychologie pour se constituer à titre de science est d'une autre nature, mais qui a conduit également aux méthodes comparatistes. Sous l'influence de préoccupations normatives, la psychologie philosophique était centrée sur le moi en tant qu'expression immédiate de l'âme et la méthode qui paraissait suffire était alors celle d'introspection. Par un long cheminement où sont inter-
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venues les comparaisons systématiques entre le normal et le pathologique, entre l'adulte et l'enfant et entre l'homme et l'animal, le point de vue général qui a fini par prévaloir dans la psychologie scientifique est que la conscience ne peut se comprendre que dans son insertion dans l'ensemble de la « conduite », ce qui suppose alors les méthodes d'observation et d'expérimentation dont nous reparlerons. A comparer de même les développements multiples de la macroéconomie (et encore de la microéconomie à laquelle on revient dans la perspective de la théorie des jeux ), aux débuts de la science économique avec les Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations de A. Smith, ou sous une forme plus générale le Discours de l'inégalité de Rousseau, on ne peut qu'être frappé de la décentration qui s'est effectuée à partir de cette abstraction qu'était YHomo œconomicus, image de l'individu en certaines situations sociales restreintes et très spécialisées : tant dans la doctrine marxiste de l'aliénation que dans les analyses probabilistes et statistiques de Keynes ou de l'économétrie moderne il est impossible de ne pas retrouver cette dimension fondamentale de la décentration comparatiste. Il convient d'ailleurs de souligner le fait que cette décentration rendant possibles les progrès de l'objectivité en sociologie et en économie est souvent subordonnée à l'évolution de la société elle-même : par exemple le problème des classes sociales (déjà entrevu par Thierry, Mignet ou Guizot dès le début du XIX e siècle) n'a pu se poser en toute son ampleur qu'en fonction de transformations économiques bien connues. II. Plusieurs des exemples qui viennent d'être cités montrent déjà également qu'à la dominante précédente s'en ajoute nécessairement une seconde : il s'agit de la tendance historique ou génétique. L'une des principales différences, en effet, entre les phases préscientifiques de nos disciplines et leur constitution en sciences autonomes et méthodiques est la découverte progressive du fait que les états individuels ou sociaux directement vécus et donnant apparemment prise à une connaissance intuitive ou immédiate sont en réalité le produit d'une histoire ou d'un développement dont la connaissance est nécessaire pour comprendre les résultantes. Il s'agit encore d'une décentration, si l'on veut, mais qui, en plus de la possibilité de comparaison, fournit une voie à l'explication en tant que les développements en jeu constituent des formations causales. La linguistique a naturellement été la première des sciences de l'homme à bénéficier de cette dimension historique puisque les documents écrits ont conservé assez de textes des langues mères pour reconstituer l'histoire des principales langues civilisées modernes. Les filiations sont même suffisamment apparentes pour qu'on se voit livré très tôt, sans toujours disposer de méthodes assurées, à ces recherches étymologiques qui ont longtemps paru constituer l'essentiel de la science du langage avant que de Saussure ait distingué systématiquement les problèmes synchroniques des questions diachroniques.
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Appuyée sur l'histoire, la sociologie a pu également disposer de documents multiples sur le passé de nos sociétés et de nos civilisations. Mais en un tel domaine où les faits étaient ainsi relativement accessibles, il est remarquable de constater combien tardive a été la prise de conscience du problème de l'évolution comme telle, tant les préoccupations initiales étaient centrées sur la nature supposée permanente de l'homme et sur les conditions normatives de la vie sociale conçues comme émanant, de façon constante également, de la nature humaine. Après quelques précurseurs, dont peut-être Coménius 4 et Vico, c'est sans doute Hegel qui a le premier aperçu, mais sur un plan encore essentiellement conceptuel plus que factuel, la dimension sociologique de l'histoire en appliquant la dialectique au devenir social. Inutile de rappeler comment K. Marx a développé cette tendance, mais en passant de l'idée aux faits et en généralisant l'application de la dialectique historique aux structures économiques autant qu'à l'analyse sociologique des idéologies. L'un des facteurs décisifs de la constitution des sciences de l'homme selon la dimension génétique a été la découverte ou la redécouverte par Darwin de l'évolution des êtres organisés. Il va, en effet, de soi que dans la mesure où l'homme n'est plus conçu comme donné une fois pour toutes à partir d'un commencement absolu, l'ensemble des problèmes concernant ses activités se pose en des termes entièrement nouveaux : au lieu de pouvoir se référer à un statut initial concernant (à l'état préformé ou prédéterminé) l'ensemble des virtualités normatives qui déterminent la nature humaine, on se trouve en présence de questions d'explication causale obligeant à chercher selon quels facteurs de fait l'espèce humaine, dégagée de l'animalité, est parvenue à construire des langages, des sociétés, une vie mentale, à créer des techniques et une organisation économique, bref à engendrer ces innombrables structures dont la réflexion ne connaissait jusque là que l'existence et les caractères les plus apparents du fonctionnement, tandis qu'il s'agit dès lors de comprendre leur formation. Et même si les débuts de cette formation historique se perdent dans les mystères de la paléontologie humaine, toute question de transformation actuelle comme passée, acquiert, en cette perspective évolutionniste, une signification toute nouvelle en tant qu'exigeant l'analyse explicative. La doctrine positiviste de Comte, qui n'avait pas su retenir la leçon de l'évolutionnisme lamarckien et qui s'est constituée avant Darwin, pouvait réduire l'idéal scientifique à la seule fonction de la prévision fondée sur les lois : dans la perspective de l'évolution, il s'agit bien plus profondément de comprendre le « mode de production » des phénomènes, condamné par Comte et poursuivi inlassablement par les sciences nomothétiques de l'homme comme par les sciences de la nature. Si l'évolutionnisme darwinien a eu ainsi une influence incontestable sur la sociologie, à commencer par celle de Spencer, cette action a été plus directe encore sur la psychologie scientifique, en tant que la vie mentale et le comportement sont liés de plus près aux conditions organiques. Darwin lui-même est l'un des fondateurs de la psychologie comparée, avec
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ses études sur l'expression des émotions. En psychologie humaine, si nous ne savons que peu de chose des fonctions intellectuelles et affectives de l'homme préhistorique, dont nous ne connaissons que les techniques, l'idée d'évolution a animé cette sorte d'embryologie mentale qu'est la psychologie de l'enfant ainsi que ses combinaisons étroites avec la psychopathologie qui étudie les désintégrations en symétrie avec les intégrations propres au développement. C'est pourquoi dès la fin du X I X e siècle aux U.S.A. on a appelé « psychologie génétique » les études sur la formation des structures mentales chez l'enfant. I I I . Une troisième influence déterminante dans le développement des sciences de l'homme a été celle des modèles fournis par les sciences de la nature. Il faut ici distinguer d'ailleurs deux sortes de facteurs. L'un est l'action qu'a pu avoir la philosophie positiviste et diverses formes de métaphysiques scientistes du X I X e siècle dont le climat pouvait sembler propre à favoriser une extension générale de l'esprit scientifique à tous les domaines du savoir. C'est dans cet esprit, par exemple, que H. Taine voulait fonder la critique littéraire sur des considérations naturalistes et qu'il a écrit un ouvrage sur l'Intelligence pour la réduire à un « polypier d'images ». En fait, ce facteur philosophique a plutôt agi dans le sens d'une motivation ou d'une attitude générale réductionniste que dans le détail de la recherche objective. Par contre, un second facteur plus ou moins mêlé au précédent chez certains auteurs mais bien distinct chez d'autres a été l'action des modèles suggérés par les sciences naturelles et dont il était normal de se demander si leurs réussites en ces domaines ne pouvaient pas conduire à un succès analogue dans les sciences de l'homme. Un exemple bien clair est celui des débuts de la psychologie expérimentale dans le domaine des perceptions. La physiologie nerveuse nous met en présence de multiples processus dans lesquels un excitant extérieur déclenche une réaction et l'on peut analyser qualitativement et quantitativement de telles séquences. Dans le cas où la réaction s'accompagne d'états de conscience comme de « sensations » ou perceptions, il va de soi que le problème se posait de chercher à les évaluer de façon objective et de chercher à déterminer les relations exactes entre le stimulus physique et la manière dont il est perçu. De là est née la « psychophysique » dont un grand nombre de résultats demeurent valables aujourd'hui : les travaux de Weber et de Fechner, de Helmholtz, de Hering et de bien d'autres ont ainsi frayé en plein X I X e siècle une voie qui n'est nullement épuisée et dont le problème essentiel demeure la coordination entre le domaine physiologique et l'analyse psychologique. De même l'anthropométrie de Galton a soulevé des problèmes généraux de mesure, avec les méthodes d'analyse statistique et de corrélations qu'ils comportent, et il faut voir en cet effort l'un des points de départ de la technique des tests.
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Inutile d'en dire davantage ici puisque nous retrouverons (sous 6) le problème d'ensemble des relations entre les sciences de l'homme et les sciences naturelles. Notons seulement pour l'instant que si les débuts de ce rapprochement ont été surtout marqués par des tendances réductionnistes, la suite du déroulement historique des recherches a montré, d'abord que l'utilisation des modèles empruntés aux sciences de la nature n'excluait en rien la prise en considération de la spécificité des phénomènes d'ordre supérieur et, ensuite, que plusieurs techniques élaborées sur le terrain des sciences de l'homme ont influencé en retour les disciplines biologiques et même physico-chimiques : au X I X e siècle déjà les idées de Darwin sur la sélection ont été suggérées en partie par des notions économiques et démographiques et pas seulement par la sélection artificielle des éleveurs. IV. Le facteur essentiel du développement scientifique de branches qui, comme la psychologie et la sociologie, se sont détachées du tronc commun initial de la philosophie a été la tendance à la délimitation des problèmes, avec les exigences méthodologiques qui lui sont associées. Le positivisme considère, et c'est là sa principale originalité, qu'il existe des frontières ne varietur marquant les bornes de la science et permettant par conséquent de distinguer par leurs natures respectives ellesmêmes les problèmes considérés comme scientifiques et les problèmes philosophiques ou métaphysiques. En réalité, l'examen des développements historiques conduit à deux sortes de constatations. La première est que ces frontières se déplacent sans cesse et que les sciences sont toujours indéfiniment « ouvertes ». Par exemple, l'introspection de sa conscience par le sujet lui-même était jugée irrecevable par A. Comte et classée dans les questions métaphysiques (d'où la proscription de la psychologie du tableau comtien des sciences ) : un peu plus d'un demi-siècle plus tard l'école de Wurzbourg en Allemagne et A. Binet en France utilisent de façon méthodique l'introspection provoquée pour montrer que la pensée ne se réduit pas aux images mentales, mais consiste en actes proprement dits ; cela revenait à ouvrir la voie aux mises en relation entre l'intelligence et l'action et à la psychologie de la conduite qui réduit certes l'introspection à un rôle limité, mais après une longue suite d'expériences systématiques fournissant « objectivement » les raisons de ces limitations au lieu de procéder par décrets arbitraires. La seconde constatation essentielle est que, si les déplacements de frontières entre la philosophie et les sciences ne tiennent donc point à une répartition a priori des problèmes on peut cependant assigner à ces délimitations progressives certaines raisons précises qui sont les suivantes. La philosophie visant la totalité du réel comporte nécessairement deux caractères qui constituent son originalité propre. Le premier est qu'elle ne saurait dissocier les questions les unes des autres, puisque son effort spécifique consiste à viser le tout. Le second est que, s'agissant d'une coordination de l'ensemble des activités humaines, chaque position
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philosophique suppose des évaluations et un engagement, ce qui exclut la possibilité d'un accord général des esprits dans la mesure où les valeurs en jeu demeurent irréductibles (spiritualisme ou matérialisme, etc.). C'est d'un tel point de vue que l'introspection spiritualiste de Maine de Biran ou de Victor Cousin ne pouvait convenir à Comte, et qu'il parlait donc avec raison à son sujet de problèmes métaphysiques puisqu'elle avait pour but avoué de justifier la liberté, etc., c'est-à-dire des convictions sur lesquelles l'accord n'est pas réalisable ou n'était pas réalisé en fait. La science commence par contre sitôt que l'on convient de délimiter un problème de façon à subordonner sa solution à des constatations accessibles à tous et vérifiables par tous, en le dissociant des questions d'évaluations ou de convictions. Cela ne signifie pas que l'on sache d'avance ce que seront ces problèmes délimitables, car seule l'expérience montre si l'entreprise réussit. Mais cela signifie que l'on s'efforce de chercher une délimitation en vue d'un accord possible des esprits : c'est ainsi qu'en utilisant l'introspection pour décider des relations entre le jugement et l'image mentale et en écartant de leur champ d'études les problèmes de la liberté ou de la nature de l'âme, etc., les wurzbourgeois et Binet se sont engagés en une voie scientifique, en tant que bien délimitée, et l'expérience a montré qu'ils parvenaient à un accord (d'autant plus frappant que les recherches allemandes et françaises s'ignoraient au début). En bref, des sciences comme la psychologie, la sociologie, la logique, etc., se sont dissociées de la philosophie, non pas parce que leurs problèmes étaient une fois pour toutes de nature scientifique et n'intéressent pas la philosophie, encore moins pour s'attribuer d'avance une sorte de brevet d'exactitude supérieure, mais simplement parce que, pour progresser dans le savoir, il faut délimiter les questions, laisser à l'arrièreplan celles sur lesquelles aucun accord actuel n'est possible et aller de l'avant sur les terrains où la constatation et la vérification communes sont accessibles. Les séparations ou différenciations d'avec le tronc commun initial peuvent se faire sans bruit, comme ce fut le cas de la logique qui, sur son terrain déductif et algébrique, a trouvé d'emblée ses méthodes et son autonomie, avec d'autant plus de facilité que les non-initiés avaient quelque peine à suivre. En d'autres cas les déclarations d'indépendance ont été plus spectaculaires comme en psychologie où chacun se croit compétent et où les recherches spécialisées ont mis du temps à faire reconnaître leur validité et leur statut. Mais en tous ces cas, la marche a été inspirée par des principes analogues de spécialisation due à un besoin d'accord fondé sur l'emploi de méthodes communes et convergentes. V. Le cinquième facteur décisif dans la constitution des sciences nomothétiques de l'homme tient alors au choix de ces méthodes. Nous reviendrons plus loin (sous 4) sur leurs caractères propres. Ce qu'il convient maintenant de souligner, dans la perspective de leur genèse histo-
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rique, c'est leur fonction générale et décisive d'instruments de vérification. Une science ne débute qu'avec une délimitation suffisante des problèmes susceptibles de circonscrire un terrain de recherches sur lequel l'accord des esprits est possible et l'on vient de voir que c'est bien ainsi que sont nées les sciences qui avaient à se dissocier de la métaphysique. Mais en quoi consiste cet accord, et au moyen de quel critère les adeptes d'une science naissante sont-ils parvenus au sentiment d'avoir réussi à constituer un consensus de nature différente de celui qui réunit les membres d'une même école philosophique ou d'un même parti politique ou artistique ? Ce critère n'est nullement de nature statique, car il peut demeurer bien plus de discussions et de litiges entre des expérimentateurs s'occupant d'une même question qu'entre les disciples d'un créateur de doctrine spéculative. Ce qui a fait l'unité de nos sciences dès leur période de formation, c'est la volonté commune de vérification et d'une vérification dont la précision augmente précisément en fonction des contrôles mutuels et des critiques elles-mêmes. Les seules méthodes accessibles dans les domaines où interviennent les jugements fondamentaux de valeur et les engagements sont la réflexion et l'intuition. Le propre de la délimitation d'un problème destinée à le dissocier de ses attaches avec les convictions vitales ou affectives est alors la recherche d'un terrain commun de vérification : vérification expérimentale au sens large dès qu'il est question de fait, ou vérification algorithmique et formalisée s'il s'agit d'un corps déductif comme en logique. Bien sûr, tous les grands systèmes philosophiques abondent, à côté de l'élément spéculatif, en observations précises ou en données de fait et, surtout, les grands philosophes du passé ont presque tous été des créateurs en sciences naturelles ou humaines. Mais la phase scientifique de la recherche débute lorsque, dissociant le vérifiable de ce qui n'est que réflexif ou intuitif, le chercheur élabore des méthodes spéciales, adaptées à son problème, qui soient simultanément des méthodes d'approche et de vérification. Tel est le cinquième grand facteur qui, joint aux quatre précédents, semble rendre compte des mouvements historiques qui ont caractérisé la naissance et le développement des sciences nomothétiques de l'homme.
3 . PARTICULARITÉS ET FONDEMENTS
ÉPISTÉMOLOGIQUES
DES SCIENCES DE L'HOMME
De façon générale, les sciences expérimentales se sont constituées bien après les disciplines déductives. Les Grecs ont développé une mathématique et une logique et se sont essayé à résoudre les problèmes astronomiques, mais malgré les spéculations prometteuses des Présocratiques et malgré Archimède lui-même il a fallu attendre les temps modernes pour constituer une physique proprement expérimentale. Les raisons de ce retard de l'expérimentation sur la déduction sont de trois au moins,
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qui intéressent directement aussi l'épistémologie des sciences de l'homme, bien que leur situation soit encore plus complexe. I. La première de ces raisons est que la tendance naturelle 5 de l'esprit est d'intuitionner le réel et de déduire, mais non pas d'expérimenter, car l'expérimentation n'est pas comme la déduction une construction libre ou du moins spontanée et directe de l'intelligence, mais suppose sa soumission à des instances extérieures qui exigent un travail bien plus grand (et psychologiquement plus « coûteux ») d'adaptation. La seconde raison qui prolonge et explique en retour la précédente est que sur le terrain déductif les opérations les plus élémentaires ou les plus primitives sont en même temps les plus simples : réunir ou dissocier, enchaîner des relations asymétriques ( = ordonner) ou coordonner des symétries, mettre en correspondance, etc. Dans les domaines expérimentaux au contraire, le donné immédiat est d'une grande complexité et le problème préalable est toujours de dissocier les facteurs au sein de ces enchevêtrements : il a fallu en physique le génie de Galilée pour atteindre des mouvements simples susceptibles d'être mis en équations, tandis que la chute d'une feuille ou les déplacements d'un nuage sont d'une complication considérable au point de vue métrique. La troisième raison qui explique le retard de l'expérimentation sur la déduction est d'importance encore plus fondamentale : c'est que la soidisant « lecture » de l'expérience n'est jamais une simple lecture, mais suppose une action sur le réel, puisqu'il s'agit de dissocier les facteurs, et comporte donc une structuration logique ou mathématique. En d'autres termes, il est impossible d'atteindre le fait expérimental sans un cadre logico-mathématique et il est donc naturel, bien qu'on l'oublie sans cesse, qu'il faille disposer d'un certain nombre de cadres déductifs avant de pouvoir expérimenter et pour pouvoir le faire. Ces trois raisons sont a fortiori valables dans le domaine des sciences de l'homme, et même avec un renforcement considérable, dû à la complexité accrue des problèmes et surtout au caractère apparemment bien plus immédiat des intuitions possibles sur les réalités à connaître, ce qui retarde le besoin d'une expérimentation systématique. Il en est résulté d'abord que la tendance à déduire et à spéculer l'a emporté beaucoup plus longtemps sur les exigences expérimentales, que la dissociation des facteurs a été et demeure bien plus difficile et que les cadres logicomathématiques, qualitatifs ou probabilistes ont été bien moins aisés à construire (et sont encore loin d'être suffisants). Si la physique expérimentale a connu des siècles de retard sur les mathématiques, les sciences de l'homme n'ont donc point à s'étonner de la lenteur passée de leur formation et peuvent avec confiance considérer leur situation actuelle comme un début très modeste par rapport au travail qui reste à accomplir et aux espoirs légitimes. Mais en plus de ces difficultés communes à toutes les disciplines expérimentales, les sciences de l'homme se trouvent en présence d'une
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situation épistémologique et de problèmes méthodologiques qui leur sont plus ou moins propres et qu'il importe d'examiner de près : c'est que, ayant l'homme comme objet, en ses activités innombrables, et étant élaborées par l'homme en ses activités cognitives, les sciences humaines se trouvent placées en cette position particulière de dépendre de l'homme à la fois comme sujet et comme objet, ce qui soulève, cela va de soi, une série de questions particulières et difficiles. Il convient d'ailleurs de commencer par noter que cette situation n'est pas radicalement nouvelle et qu'on en trouve certaines formes analogues dans les sciences de la nature, dont les solutions peuvent en ce cas faciliter parfois les nôtres. Certes, quand la physique travaille sur des objets à notre échelle courante d'observation, on peut considérer son objet comme relativement indépendant du sujet. Il est vrai que cet objet n'est alors connu que grâce à des perceptions, qui comportent un aspect subjectif, et grâce à des calculs ou à une structuration métrique ou logicomathématique, qui relèvent eux aussi d'activités du sujet. Mais il convient dès l'abord de distinguer le sujet individuel, centré sur ses organes des sens ou sur l'action propre, donc le « moi » ou sujet égocentrique source de déformations ou illusions possibles de nature « subjective » en ce premier sens du terme ; et le sujet décentré qui coordonne ses actions entre elles et avec celles d'autrui, qui mesure, calcule et déduit de façon vérifiable par chacun et dont les activités épistémiques sont donc communes à tous les sujets, même si l'on remplace ces sujets par des machines électroniques ou cybernétiques pourvues au préalable d'une logique et d'une mathématique isomorphes à celles qu'élaborent les cerveaux humains. Or, toute l'histoire de la physique est celle d'une décentration qui a réduit au minimum les déformations dues au sujet égocentrique pour la subordonner au maximum aux lois du sujet épistémique, ce qui revient à dire que l'objectivité est devenue possible et que l'objet a été rendu relativement indépendant des sujets. Mais aux grandes échelles, comme celles qu'étudie la théorie de la relativité, l'observateur est entraîné et modifié par le phénomène observé, de telle sorte que ce qu'il perçoit est en réalité relatif à sa situation particulière sans qu'il puisse s'en douter tant qu'il ne s'est pas livré à de nouvelles décentrations (de telle sorte que Newton encore considérait comme universelles les mesures spatio-temporelles prises à notre échelle ). La solution est alors fournie par les décentrations de niveaux supérieurs, c'est-à-dire par la coordination des co-variations inhérentes aux données des différents observateurs possibles. A l'échelle microphysique, d'autre part, chacun sait que l'action de l'expérimentateur modifie le phénomène observé (situation réciproque de la précédente), de telle sorte que 1'« observable » est en fait un mixte au sein duquel intervient la modification due aux actions expérimentales : ici encore l'objectivité est possible grâce aux décentrations coordinatrices qui dégagent les invariants des variations fonctionnelles établies. Seulement la situation des sciences de l'homme est bien plus com-
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plexe encore car le sujet qui observe ou expérimente sur lui-même ou autrui peut être, d'une part, modifié par les phénomènes observés, et, d'autre part, source de modifications quant au déroulement et à la nature même de ces phénomènes. C'est en fonction de telles situations que le fait d'être à la fois sujet et objet crée, dans le cas des sciences de l'homme, des difficultés supplémentaires par rapport à celles de la nature où le problème est cependant déjà assez général de dissocier le sujet et l'objet. En d'autres termes la décentration qui est nécessaire à l'objectivité est bien plus difficile dans le cas où l'objet est formé de sujets et cela pour deux raisons, toutes deux assez systématiques. La première est que la frontière entre le sujet égocentrique et le sujet épistémique est d'autant moins nette que le moi de l'observateur est engagé dans les phénomènes qu'il devrait pouvoir étudier du dehors. La seconde est que dans la mesure même où l'observateur est « engagé » et attribue des valeurs aux faits qui l'intéressent, il est porté à croire les connaître intuitivement et sent d'autant moins la nécessité de techniques objectives. Il faut ajouter que, même si la biologie fournit une série de transitions entre les comportements des organismes élémentaires et les comportements humains, ces derniers présentent un certain nombre de caractères spécifiques qui se marquent par la formation de cultures collectives et par l'emploi d'instruments sémiotiques ou symboliques très différenciés (car le « langage » des abeilles n'est encore qu'un système d'indices sensori-moteurs ). Il en résulte que l'objet des sciences humaines, qui est donc un sujet, diffère assez fondamentalement des corps et des forces aveugles constituant l'objet des sciences physiques et même des objetssujets qu'étudient la biologie et l'éthologie. Il en diffère, cela va sans dire, par son degré de conscience, renforcé par l'emploi des instruments sémiotiques. Mais ceux-ci soulèvent en plus une difficulté épistémologique particulière aux sciences de l'homme : ces moyens de communication différant souvent de façon assez profonde d'une société humaine à une autre, le sujet psychologue ou sociologue est sans cesse obligé de vérifier si sa compréhension est en fait suffisamment « riche » pour atteindre le détail des structures symboliques de cultures éloignées de la sienne dans l'espace et dans le temps. Il est même conduit à se demander si et jusqu'à quel point des feedbacks reliant les outils sémiotiques et les caractères psycho-physiologiques de l'homme ne modifient pas ces derniers et de nouvelles disciplines comme la neuro-linguistique de A. Luria se posent de tels problèmes. En bref, la difficulté épistémologique centrale des sciences de l'homme étant que ce dernier est à la fois sujet et objet se prolonge en celle-ci que cet objet étant à son tour un sujet conscient, doué de parole et de multiples symbolismes, l'objectivité et ses conditions préalables de décentration s'en trouvent rendues d'autant plus difficiles et souvent limitées. I I . A commencer par la psychologie, les divers aspects de la situation circulaire du sujet et de l'objet et les difficultés de la décentration se
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retrouvent au maximum dans le processus d'introspection et expliquent les diverses méthodes auxquelles on a recouru pour surmonter ces obstacles fondamentaux, soit en les contournant au risque de laisser échapper l'essentiel, soit en les prenant pour problèmes et en étudiant les déformations dues aux centrations à titre de phénomènes révélateurs quant aux mécanismes de la vie mentale elle-même. Dans l'introspection sous sa forme pure un même individu est à la fois sujet de connaissance et objet de sa propre connaissance. En ce cas le sujet est d'abord modifié par l'objet à connaître et cela à deux points de vue. En premier lieu il l'est par ses pré-suppositions mêmes sur la valeur de l'introspection, en ce sens que sa propre vie mentale le pousse à croire qu'il possède une conscience exacte de lui-même, alors que la prise de conscience remplit en fait des fonctions plus utilitaires que strictement cognitives ou désintéressées : du point de vue cognitif elle est centrée sur les résultats extérieurs de l'action et ne fournit d'informations suffisantes ni sur le mécanisme de cette action ni en général sur les mécanismes internes de la vie mentale ; du point de vue affectif, elle a pour fonction essentielle de constituer et d'entretenir certaines valorisations utiles à l'équilibre intérieur et non pas de nous renseigner sur les lois de cet équilibre. En second lieu, le sujet qui s'introspecte est modifié par l'objet à connaître du fait que toute son activité, y compris cette introspection, est influencée à des degrés divers par son histoire antérieure, et qu'il ne la connaît pas : en effet, la mémoire de son passé est l'œuvre d'un historien très partial, qui oublie certaines sources et en déforme d'autres, en fonction à nouveau de valorisations qui tiennent sans cesse en échec l'objectivité attribuée par le sujet à sa connaissance du passé comme à son introspection actuelle. D'autre part, et réciproquement, l'introspection modifie constamment les phénomènes observés et cela à tous les niveaux. On sait, par exemple, que dans la perception des durées celles-ci paraissent plus longues si le sujet cherche à les évaluer pendant leur écoulement même. Le rôle des images mentales dans la pensée a donné lieu à toutes sortes d'erreurs introspectives avant qu'on ait vu la difficulté des problèmes par une comparaison des sujets entre eux. Au point de vue affectif il va de soi et a fortiori que l'introspection des sentiments les modifie, soit par le fait de leur adjoindre une dimension cognitive soit en les subordonnant aux valeurs dirigeant à l'insu du sujet l'introspection elle-même. Si les romanciers et les philosophes peuvent utiliser l'introspection avec succès, c'est précisément que leur analyse est solidaire de certaines visions du monde où l'évaluation joue un rôle central, mais si le problème est la recherche des mécanismes comme tels, l'introspection est donc insuffisante autant parce qu'elle modifie les phénomènes à observer que parce qu'elle est dès le départ déformée par eux. Les remèdes immédiats (sans parler pour l'instant des méthodes générales en leurs techniques différenciées) ont été de trois sortes. Le premier a naturellement consisté à décentrer l'introspection elle-même
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en comparant les sujets entre eux et en limitant la recherche à des problèmes bien circonscrits : en ce cas les questions posées au sujet constituent une canalisation de cette « introspection provoquée » et permettent une comparaison systématique. La méthode a fourni certains résultats positifs, par exemple quant à la dualité de nature du jugement en tant qu'acte et de l'image mentale. Mais elle a surtout mis en évidence les limites de l'introspection, d'où la boutade désabusée de Binet « la pensée est une activité inconsciente de l'esprit ». La seconde solution a consisté à bannir l'introspection et à ne plus étudier que le comportement. Solution très utile puisqu'elle a ouvert la voie à une psychologie des conduites bien plus féconde que l'on aurait osé espérer. Mais solution que bien des auteurs ont trouvé trop restrictive pour les deux raisons complémentaires suivantes. La première est que sauf à considérer avec Skinner, l'organisme comme une « boîte noire » dont on décrit simplement les inputs et les outputs sans chercher à rien expliquer », on recourt sans cesse implicitement à des données introspectives : 1'« expectation » dont Tolman souligne avec raison le rôle en tout apprentissage, constituerait un facteur incompréhensible si nous n'en possédions pas l'expérience introspective. La seconde raison est qu'il ne suffit pas de supprimer les problèmes pour les résoudre et qu'une psychologie ignorant la conscience renonce à s'occuper d'un nombre important de faits qui ont leur intérêt puisque ce sont des faits et dont le caractère « subjectif » n'empêche pas les béhavioristes de s'en servir sans cesse implicitement même s'ils ne veulent pas les apercevoir dans leurs objets d'étude. La troisième solution est par contre d'un grand intérêt pour l'épistémologie générale des sciences de l'homme : elle consiste à prendre acte du fait que l'introspection est trompeuse mais à se demander pourquoi et à étudier les déformations cognitives de la conscience, puisqu'elles constituent des phénomènes parmi d'autres et tout aussi dignes d'attention dans la mesure où l'on peut espérer en dégager les lois et les facteurs explicatifs. Notons que, toutes proportions gardées, il y a là une démarche de relativisation analogue à celle du physicien : quand celui-ci constate qu'une mesure temporelle prise à notre échelle cinématique ne peut pas être généralisée à d'autres, il ne rejette pas cette mesure mais la situe au contraire dans un système de co-variations qui lui confère sa signification limitée (l'erreur n'ayant consisté qu'à la croire universelle). Dans le cas de l'introspection la situation est naturellement bien plus complexe, parce que, aux erreurs systématiques et générales dues aux degrés variables ou aux insuffisances de coordination décentrée (par exemple ne prendre conscience que du résultat des opérations sans apercevoir celles-ci à titre de processus constructif comme cela a été le cas de la pensée mathématique des Grecs) il s'ajoute les erreurs individuelles dues aux multiples perspectives égocentriques. Mais celles-ci aussi obéissent à des lois et il reste intéressant et même indispensable de les dégager.
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Sur le terrain affectif, le grand mérite des mouvements psychanalytiques (même s'ils ne sont pas suivis par chacun, dans le détail de leurs doctrines ) a été ainsi de ne pas ignorer la conscience mais de chercher à les situer dans un système dynamique qui la dépasse et qui explique à la fois les déformations dont elle est l'objet et les activités limitées mais essentielles qui la caractérisent (par exemple la catharsis est un remède aux déviations dues à l'inconscient et un appel aux régulations conscientes ). Sur le terrain cognitif, la psychologie de la « conduite » par opposition à celle du seul comportement, replace la conscience dans sa perspective fonctionnelle, ce qui explique son rôle adaptatif comme ses insuffisances et ses erreurs. Claparède a par exemple appelé « loi de la prise de conscience » le processus selon lequel celle-ci se centre sur les zones de l'action où il y a désadaptation réelle ou possible et néglige les mécanismes fonctionnant d'eux-mêmes sans nécessité de contrôle : d'où le fait que la conscience remonte de la périphérie dans la direction des processus centraux (cf. la conscience du résultat des opérations précédant celle de leur pouvoir constructif ) au lieu de porter sur la vie intérieure comme le croit l'introspection naïve et de procéder de là par voie centrifuge. La psychologie de la conduite rend compte également des illusions du temps, qui demeurent inexpliquées dans la simple intuition de la durée vécue, en replaçant la conscience du temps dans le contexte des régulations cinématiques de l'action, etc. Bref, en de nombreux domaines, les faits de conscience si énigmatiques en leurs aspects déformants comme en leur efficience, trouvent une interprétation si tôt que la déformation devient un problème en lui-même et que les faits à expliquer sont situés dans une perspective décentrée où, nous le verrons sous V, le sujet psychologue se dissocie du sujet humain qu'il étudie comme objet ( il reste, à examiner comment il y parvient ). III. La sociologie pose un problème épistémologique plus grave encore que la psychologie parce que son objet n'est pas seulement un sujet individuel extérieur au sujet psychologue quoique analogue à lui, mais un « nous » collectif d'autant plus difficile à atteindre objectivement que le sujet sociologue en fait partie, directement ou indirectement (en ce cas par l'intermédiaire d'autres collectivités, semblables ou rivales). En une telle situation, le sociologue lui-même est sans cesse modifié par l'objet de sa recherche et l'est depuis sa naissance puisqu'il est le produit d'un développement éducatif et social continu. Et ceci n'est nullement une vue de l'esprit puisque l'on peut invoquer à cet égard des exemples précis. On sait ainsi que les multiples remarques politiques dont Pareto a farci son grand Traité de sociologie générale et qu'il considérait avec quelque candeur comme des témoignages de son objectivité scientifique sont dues à une attitude acquise en réaction contre un père de convictions progressistes : il y a là un double indice d'influences idéologiques difficiles à éviter quand on s'occupe de sociologie et d'une
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opposition des générations en un sens à la fois freudien et relatif à certains milieux sociaux où le conflit porte sur les idées autant que sur les problèmes affectifs. Réciproquement le sociologue modifie les faits qu'il observe. Ce n'est pas qu'il se livre comme le psychologue à des expérimentations qui placent le sujet en des situations nouvelles pour lui et transforment de ce fait en partie son comportement, puisqu'on n'expérimente pas sur la société en son ensemble. Mais et précisément dans la mesure où la sociologie veut saisir cet ensemble et ne se borne pas à des analyses microsociologiques de rapports particuliers, un tel problème (et cela reste d'ailleurs vrai de la recherche microsociologique elle-même) ne peut recevoir de solution que relativement à des concepts, théoriques ou opérationnels, métasociologiques ou portant sur les faits comme tels, qui impliquent un certain découpage du réel et surtout une structuration active de la part du chercheur. Or, celle-ci impose ainsi aux faits des modèles, conçus à leur contact ou empruntés à d'autres disciplines, mais dont le pouvoir d'objectivation, c'est-à-dire de mise en relations respectueuse des articulations de la réalité, ou au contraire la possibilité de déformation ou de sélection involontaire, sont extrêmement variables. Rappelons d'ailleurs, et ce rappel est de nature à montrer que le problème épistémologique de la sociologie est loin d'être sans solution, que cette structuration active du réel est inhérente à toute recherche expérimentale, physique ou biologique comme sociologique, car il n'existe pas de lecture de l'expérience, aussi précise soit-elle, sans un cadre logicomathématique ; et, plus est riche le cadre, plus la lecture est objective. Le simple relevé d'une température sur un thermomètre suppose ainsi, en plus des déplacements du niveau du mercure dans le tube qui sont indépendants du sujet ( encore qu'il a choisi ce phénomène comme indice et qu'il a construit l'appareil), tout un système de mesures faisant intervenir les classes logiques, l'ordre, le nombre, la partition d'un continu spatial, le groupe des déplacements, le choix d'une unité, etc. Mais le cadre, dont le sujet enrichit ainsi l'objet, ne le déforme pas et permet au contraire de dégager, grâce aux relations fonctionnelles ainsi construites, les processus objectifs qu'il s'agissait d'atteindre. Seulement dans le cas du tout social, le problème est bien plus complexe, puisque cette totalité n'est pas perceptible, et le choix des variables ou des indices que l'on choisira pour le mettre en évidence et l'analyser dépendra donc d'activités intellectuelles du sujet sociologue bien plus complexes que dans le cas d'une mesure physique et par conséquent plus indéterminées quant à leur pouvoir d'objectivation ou leurs possibilités de déformations ou d'erreurs. En fait les grands types de structurations possibles de la totalité sont au nombre de trois (voir le chap. VII sous 5 ) , avec un grand nombre de sous-variétés, et cela dans tous les domaines, ce qui montre d'emblée les facteurs de décision inconsciente et d'assimilation objectivante ou déformante du réel au nom desquels il faut dire que l'observation des
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faits par le sociologue revient toujours à les modifier, soit en les enrichissant sans les altérer, donc en utilisant des cadres schématisant simplement les liaisons objectives et les rendant conceptuellement assimilables, soit en les faisant dévier dans le sens de schémas laissant échapper l'essentiel ou le déformant plus ou moins systématiquement. Ces trois grands types sont ceux de la composition additive ou atomistique (la société conçue comme une somme d'individus possédant déjà les caractères à expliquer) de l'émergence (le tout comme tel engendre des propriétés nouvelles s'imposant aux individus) et de la totalité relationnelle (système d'interactions modifiant dès le départ les individus et expliquant par ailleurs les variations du tout ). G Or, selon le type de modèles choisi, et choisi (involontairement aussi bien que consciemment) pour des raisons théoriques générales et pas seulement en vertu de l'éducation individualiste ou autoritaire, etc., reçue en fonction du groupe social, il va de soi que les faits recueillis seront modifiés dès leur sélection et au cours de toute leur structuration, de la constatation à l'interprétation. C'est pourquoi là où Tarde part de l'imitation, Durkheim voit une contrainte formatrice et Pareto l'expression d'instincts héréditaires, etc. ; là où l'idéaliste voit l'influence de « doctrines » répandues dans le groupe, le marxiste aperçoit des conflits profonds dont les doctrines ne sont que le reflet symbolique et la compensation idéologique, etc. Mais il va de soi que, de même que les illusions introspectives soulèvent un problème de fait intéressant comme tel la psychologie, de même les modifications de l'esprit du sociologue par la société qui l'a formé et les modifications du donné social par l'esprit du sociologue qui cherche à le structurer constituent des faits sociaux intéressant la sociologie elle-même en tant que pouvant étudier ces faits. Si le problème épistémologique est ainsi plus compliqué encore en sociologie qu'en psychologie, il n'a rien d'insoluble et nous verrons sous V par quelles sortes de décentrations intellectuelles il peut être résolu. IV. La science économique est exposée aux mêmes difficultés. Il suffit pour s'en convaincre de constater combien, pour le marxisme, l'économie classique était le reflet d'une idéologie liée aux classes sociales. Il en résulte que, si précise que soit une loi économique par rapport aux faits constatés, on peut toujours se demander quel est le degré de généralité de cette loi vu sa subordination par rapport à une structure relativement spéciale que l'économiste est porté à croire générale s'il est formé par elle et qu'il la conçoit au travers de modèles non suffisamment décentrés. Et quand Fernand Braudel précise qu'il s'agit de « toutes les structures et toutes les conjonctures et non pas seulement d'infra-structures et d'infra-conjonctures matérielles », des « structures et conjonctures sociales » jusqu'à la « civilisation », il montre ainsi que, si les données métriques et statistiques sont bien plus aisées à réunir en économie qu'en sociologie, le problème épistémologique de la lecture objective de l'expérience autant que de l'interprétation demeure aussi complexe,
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quant à son principe, dans la première de ces deux disciplines que dans la seconde. Par contre l'ethnologie présente le grand avantage de porter sur des sociétés dont l'observateur ne fait pas partie intégrante. Mais la question subsiste d'établir ce que, en présence de données extérieures à lui, cet observateur introduit en elles d'instruments conceptuels nécessaires à leur structuration. Même si l'on ne connaissait rien du passé philosophique ni des habitudes intellectuelles d'un Frazer, d'un Lévy-Bruhl et d'un Lévi-Strauss, il ne serait pas tout à fait impossible de les reconstituer en examinant ce qu'ils disent du mythe ou de la manière de raisonner des sujets dont ils s'occupent : la question est alors de savoir si les lois de l'association des idées invoquées par le premier, le relativisme logique du second et le structuralisme du troisième sont plus proches de l'esprit de ces sujets ou de celui de ces auteurs. Or, on aperçoit d'emblée que si le structuralisme est plus adéquat aux faits que les deux autres positions (sans avoir rien de contradictoire d'ailleurs avec un constructivisme qui retiendrait l'essentiel de la « prélogique » décrite par LévyBruhl, pourvu qu'on ne parle plus d'hétérogénéités radicales ni de «mentalités » globales... en oubliant les techniques), ce n'est nullement parce qu'il se borne à copier les données d'observation : c'est au contraire parce qu'il intègre les faits en des systèmes algébrico-logiques qui en épousent les contours sans les déformer tout en les rendant assimilables selon des modes généraux d'explication. La linguistique connaît encore moins la modification de l'observateur par les faits observés puisqu'un linguiste est par profession un comparatiste qui ne réduit pas tout à sa langue et s'intéresse aux différences autant qu'aux similitudes entre les langages qu'il confronte. Mais, ici à nouveau cela ne signifie en rien que la théorie soit une copie conforme aux faits à interpréter, car, plus progresse le structuralisme linguistique, et plus il s'engage dans la voie de modèles abstraits enrichissant le donné au moyen de structures logico-mathématiques. La démographie enfin est celle de nos disciplines qui pose le moins de problèmes spécifiques aux sciences humaines, quant aux relations entre le sujet et l'objet : c'est que, portant sur des données plus aisément quantifiables, elle rencontre précisément le moins de ces situations circulaires ou dialectiques qui font la difficulté mais aussi la richesse propre des sciences de l'homme. 7 Les difficultés dont on vient de fournir un aperçu schématique, peuvent paraître insurmontables. Mais, lorsque l'on compare les débuts de la psychologie scientifique, discipline où elles sont particulièrement frappantes et graves à ce qu'est devenue cette science en plein épanouissement actuel, on ne peut qu'être rassuré tout en se demandant par quels moyens cachés on est parvenu, non pas encore à les surmonter pleinement, mais tout au moins à les démystifier. V. Ces moyens sont relativement simples en principe mais d'autant plus complexes en fait que l'expérimentation est plus difficile. La situa-
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tion telle que le sujet d'un mode de connaissance soit modifié par l'objet qu'il étudie, tout en le modifiant en retour constitue le prototype d'une interaction dialectique. Or, les méthodes d'approche de telles interactions sont au nombre de deux principales, et ce sont précisément ces deux sortes de méthodes que l'on a coutume de décrire également en termes dialectiques : il s'agit, d'une part, d'éclairer ces interactions en fonction de leur développement même, autrement dit de les placer dans une perspective historique ou génétique ; et il s'agit, d'autre part, de les analyser en termes de déséquilibres et de rééquilibrations, autrement dit d'autorégulations et de circuits d'interactions causales. Dans le domaine psychologique, par exemple, le moyen le plus efficace pour dissocier, en une interprétation ou même en une analyse descriptive de faits portant sur le comportement ou la conscience adultes est de retracer la genèse de ces conduites à partir de l'enfance et cela pour deux raisons. La première est que seule l'étude de la formation d'un système de réactions en fournit l'explication causale, car une structure n'est compréhensible que si l'on parvient à saisir comment elle s'est constituée. Même lorsqu'il s'agit de régulations dont le dynamisme est synchronique, encore reste-t-il à comprendre comment elles ont pu s'établir et ici encore l'étude du développement devient explicative. La seconde raison est que, dans la mesure où une structure attribuée à l'individu adulte peut être soupçonnée appartenir à l'observateur plus qu'aux sujets observés, l'étude des stades de son développement fournit un ensemble de références objectives qu'il est difficile de plier à volonté aux exigences de théories subjectives : autrement dit, si la structure incriminée n'existe que dans l'esprit du théoricien il n'est pas possible de déceler chez les sujets des stades antérieurs des traces de sa formation progressive, tandis que si cette formation peut être suivie pas à pas il n'y a plus de raison de douter de l'existence objective de son aboutissement final. 8 L'autre méthode pour s'assurer qu'une structure supposée à l'œuvre dans l'esprit du sujet y joue effectivement ce rôle et ne relève pas seulement de la conceptualisation de l'observateur consiste à étudier ses effets dans l'équilibre du comportement ou de la pensée de ce sujet. Par exemple, on croit pouvoir distinguer dans l'intelligence des enfants de 7-8 ans des structures de sériation A < B < C . . . construites par tâtonnements successifs. Or, la logique caractérise ces sériations comme une ordination des relations asymétriques, connexes et transitives : il suffit alors d'examiner si les sujets capables de sériation deviennent également aptes à conclure que X < Z (sans les voir ensemble) lorsque X < Y et Y < Z (ces deux faits étant seuls constatés par eux). Or c'est ce que l'on observe, alors que ce n'était nullement le cas auparavant. Dans les domaines sociologiques où l'expérimentation n'est guère possible, la méthode historique ou sociogénétique joue un rôle fondamental pour conduire l'observateur à comprendre dans quels courants sociaux il est lui-même entraîné. Quant aux crises ou conflits actuels au
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sein desquels il est à la fois juge et partie, l'analyse détaillée des formes de causalité sociale permet à l'observateur une certaine décentration, toujours plus ou moins limitée il est vrai, en lui montrant en quoi ce qu'il est porté à considérer comme des liaisons causales à sens unique constitue toujours des liaisons circulaires avec actions en retour. Il n'est pas possible en ce cas de poursuivre cette analyse sans être conduit à la constatation du fait, que sur le terrain social comme dans le comportement individuel, il existe au moins deux plans : celui du comportement effectif et celui d'une prise de conscience non toujours adéquate à ce comportement, autrement dit celui des substructures accessibles à la recherche proprement causale et celui des systèmes conceptuels ou idéologiques au moyen desquels les individus en société justifient et s'expliquent à euxmêmes leurs conduites sociales. C'est grâce à de telles recherches et de telles distinctions communes en fait à tous les sociologues que ceux-ci en viennent à une décentration objectivante, encore que celle-ci, tout en fournissant une méthode générale de dissociation entre les schémas de l'observateur et les faits observés, demeure toujours incomplète et sujette à révisions parce que ces schémas eux-mêmes demeurent influencés par une idéologie. Certains sociologues en concluent que l'objectivité scientifique, au sens des sciences naturelles, demeure inaccessible en sociologie et que le progrès cognitif n'est possible en ce domaine qu'en liant la recherche à un engagement de l'observateur et à une praxis déterminée : mais la volonté même d'en prendre conscience systématiquement constitue à cet égard un instrument de distinction entre le sujet et l'objet de la recherche puisque, même en physique, l'objectivité ne consiste pas à demeurer étranger ou extérieur au phénomène, mais à le provoquer en agissant sur l'objet, 1'« observable » n'étant jamais qu'un effet d'interaction entre l'action expérimentale et la réalité. La différence subsiste naturellement qu'en physique ces observables sont plus aisément mesurables et coordonnables en structures logico-mathématiques tandis que l'action sociale demeure bien plus globale. Mais en distinguant alors en sociologie les liaisons mesurables et toute la zone que certains appellent « méta-sociologique » parce qu'elle n'est accessible qu'à la réflexion théorique, on peut espérer reculer progressivement la frontière toujours mobile entre ces deux régions. La science économique connaît des problèmes semblables, mais comme les mesures y sont plus accessibles et la théorie mathématique ( ou économétrique ) bien plus poussée, le problème se réduit alors à celui de l'ajustement des modèles théoriques aux schémas expérimentaux (au sens le plus large ), ce qui nous conduit aux problèmes dont la discussion va suivre.
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L E S MÉTHODES
D'EXPÉRIMENTATION
E T L ' A N A L Y S E D E S DONNÉES DE F A I T
Les difficultés épistémologiques propres aux sciences de l'homme et dont on vient de donner un aperçu schématique se cristallisent naturellement autour des problèmes de méthodes puisque le résultat le plus clair des interactions entre le sujet et l'objet propres aux disciplines dont nous nous occupons ici est de rendre particulièrement difficile l'expérimentation au sens où elle est utilisée dans les sciences de la nature. Dans le cas de la psychologie, dont l'objet est la conduite d'individus extérieurs à l'observateur lui-même, l'expérimentation n'est en principe ni plus ni moins complexe qu'en biologie, la différence principale tenant au fait que l'on n'a pas le droit de soumettre des êtres humains à n'importe quelle expérience et que, dans le cas particulier, l'animal ne saurait remplacer l'homme comme c'est souvent le cas en physiologie. Par contre, dès qu'il s'agit de phénomènes collectifs, comme en sociologie, en économie, en linguistique et en démographie, l'expérimentation au sens strict, c'est-à-dire en tant que modification des phénomènes avec variation libre des facteurs, est naturellement impossible et ne peut qu'être remplacée par une observation systématique utilisant les variations de fait en les analysant de façon fonctionnelle ( au sens de la logique et des mathématiques ). I. Mais avant d'entrer dans le détail de ces diverses situations, il convient tout d'abord de rappeler que ces difficultés particulières de l'expérimentation ne sont pas spéciales aux sciences de l'homme et ne tiennent pas toutes au fait que l'objet d'études est une collectivité dont l'observateur est ou pourrait être partie intégrante. La difficulté est d'abord d'ordre plus général et tient à l'impossibilité d'agir à volonté sur les objets de l'observation lorsque ceux-ci sont situés à des échelles supérieures à celle de l'action individuelle : or, cet obstacle relatif à l'échelle des phénomènes n'est pas particulier aux sciences sociales et s'observe déjà en des sciences de la nature, comme l'astronomie et surtout comme la cosmologie et la géologie qui sont en plus des disciplines historiques. Le cas de l'astronomie est intéressant à un double point de vue. En premier lieu il montre la possibilité d'une grande précision sans expériences directes à l'échelle considérée, mais par convergence entre les schémas théoriques et les mesures prises, lorsque celles-ci sont suffisamment nombreuses et exactes. C'est ainsi que la mécanique céleste de Newton a abouti à une correspondance extrêmement remarquable entre le calcul et les données métriques, à l'exception d'une divergence minime (de l'ordre de la fraction de seconde) en ce qui concerne le périhélie de Mercure. Or, de telles convergences permettent d'organiser l'équivalent d'expériences, sous la forme d'une confrontation entre les mesures et les conséquences nouvelles tirées de la théorie à l'occasion d'un problème non encore soulevé : telle a été ce que l'on peut appeler « l'expérience »
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de Michelson et Morley, consistant à mesurer la vitesse de la lumière selon les déplacements de l'observateur et de la source lumineuse. Ces mesures ayant montré que de tels déplacements n'ont pas d'effet, il ne restait qu'à choisir entre trois solutions : mettre en doute les mesures, qui ont été en fait confirmées, renoncer au principe général de relativité, ce qui depuis Galilée est rationnellement exclu, ou rendre l'espace et le temps relatifs à la vitesse, voie qui a été suivie par la mécanique relativiste (laquelle fournissait du même coup une approximation satisfaisante dans le calcul du périhélie de Mercure ). On voit ainsi que la concordance du calcul et de la mesure conduit en fait à l'équivalent d'une expérimentation dans les cas où l'organisation des mesures s'effectue à l'occasion de prévisions possibles, c'est-à-dire dans des situations où l'observation permet de choisir entre les branches d'alternatives précises. Mais il reste également une voie indirecte toujours ouverte à l'expérimentation : de la théorie générale portant sur des phénomènes dont l'échelle les rend inaccessibles à la dissociation des facteurs, on peut tirer parfois des conséquences à l'échelle des actions de l'expérimentateur. En ce dernier cas les expériences de contrôle sont alors réalisables : c'est ce qui s'est produit dès la mécanique newtonnienne, en ce qui concerne ses applications à l'échelle des mesures de laboratoire (pesanteur, etc.) et avec la théorie de la relativité en un certain nombre de conséquences également vérifiables (expériences de Ch. E. Guye et Lavanchy sur les relations de la masse et de l'énergie, etc.). Notons d'emblée que ces succès de l'astronomie, malgré l'impossibilité d'expérimenter aux échelles supérieures, sont de nature à fournir quelque espoir à des disciplines telles que l'économétrie ou même la sociologie, pour autant que les mesures pourraient être assez précises et permettraient une confrontation suffisante avec les schémas théoriques. Mais la grande difficulté qui s'ajoute à celle de la mesure est que les phénomènes sociaux dépendent tous à des degrés divers de déroulements historiques et que de tels processus diachroniques ne donnent prises ni à l'expérimentation ni même à des schémas proprement déductifs. Seulement, ici encore, la situation n'est pas spéciale aux sciences de l'homme, puisque la géologie, par exemple, ne connaît elle non plus ni l'expérimentation ni la déduction au sens strict. Cependant la géologie, une fois établis les niveaux fournissant le repérage chronologique nécessaire ( stratigraphie appuyée sur les données minéralogiques et paléontologiques ), parvient grâce à eux à l'élaboration de séries causales proprement dites : on connaît en effet les théories générales de la tectonique concernant les nappes de charriage (Termier), les déplacements des continents (Wegener) et la formation des chaînes alpines par étapes successives (Argand). Or, ces lois géologiques, tout en s'appuyant sur les régularités des successions historiques, s'accordent par ailleurs avec certaines lois structurales : le mathématicien Wavre a, par exemple, établi les équations des effets dus à la rotation des masses
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plus ou moins fluides et cette analyse structurale fournit un appui aux interprétations de Wegener, etc. Quant aux sciences naturelles portant sur un déroulement historique à jamais révolu, mais en partie éclairé par l'expérimentation actuelle, comme la théorie de l'évolution des êtres organisés dans ses rapports avec la génétique, il va de soi que leur situation est en principe meilleure, puisqu'elles bénéficient à la fois de données expérimentales, quoique très partielles, et de schémas mathématiques (la génétique mathématique a déjà rendu de grands services dans l'élaboration des modèles de sélection et de recombinaison). Mais la complexité des problèmes en jeu et l'impossibilité d'expérimenter sur les variations aux grandes échelles rendent la position de ces disciplines assez comparable à celle des sciences sociales, de telle sorte qu'en définitive on ne saurait considérer les sciences de l'homme comme condamnées dès le départ à un état d'infériorité systématique. I I . Il n'en demeure pas moins que les problèmes méthodologiques de l'expérimentation, de la mesure et de la confrontation entre les données d'expériences et les schémas théoriques présentent dans les sciences de l'homme des difficultés assez particulières. Celles-ci ne tiennent pas tant, comme on vient de le voir, aux limitations de l'expérimentation elle-même, puisque le même problème se retrouve en certaines sciences de la nature pour des raisons d'échelles et de déroulement historique : en principe, l'expérimentation stricte peut, comme on l'a souligné, être remplacée par une analyse suffisante des données d'observation et des mesures. Le problème le plus grave, et sur ce point les obstacles que rencontrent les sciences de l'homme, sont assez comparables à ceux que connaissent un certain nombre de disciplines biologiques, est celui de la mesure comme telle, autrement dit du degré de précision dans la connotation des faits d'observation eux-mêmes. La mesure consiste, en principe, en une application du nombre aux données discontinues ou continues qu'il s'agit d'évaluer. E t , si l'on recourt au nombre, ce n'est pas en vertu du prestige des mathématiques ou en raison de quelque préjugé accordant un primat à la quantité, car celle-ci n'est qu'un rapport entre les qualités et il est impossible de dissocier les aspects qualitatifs et quantitatifs de n'importe quelle structure, même purement logique. 9 La valeur instrumentale du nombre provient du fait qu'il constitue une structure beaucoup plus riche que celle des propriétés logiques dont il est composé : l'inclusion des classes, d'une part, qui domine les systèmes de classification et l'ordre, d'autre part, qui caractérise les sériations. En tant que synthèse de l'inclusion et de l'ordre, le nombre présente donc une richesse et une mobilité qui rendent ses structures particulièrement utiles en toutes les questions de comparaison, c'est-à-dire de correspondances et d'isomorphismes : d'où la nécessité de la mesure. Seulement l'emploi de la mesure et l'application du nombre suppo-
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sant la constitution d'« unités », c'est-à-dire la considération d'éléments dont il est possible de négliger les qualités différentielles de manière à assurer leur équivalence. Tant qu'un système d'unités n'a pu être organisé, l'analyse structurale ne peut s'orienter que dans les deux directions complémentaires des systèmes d'emboîtements ou des systèmes ordinaux, qui fournissent des succédanés plus ou moins incomplets ou des approximations plus ou moins poussées de mesures, mais elle échoue à toute mesure exacte. Celle-ci ne débute, en effet, dans les domaines physiques, chimiques, astronomiques, etc., qu'à partir du moment où des systèmes d'unités ont été constitués, dans leurs propriétés intrinsèques et dans la définition des rapports permettant de passer d'une unité à une autre. La difficulté majeure des sciences de l'homme, et d'ailleurs de toutes les sciences de la vie dès qu'il s'agit de structures d'ensemble et non pas de processus isolés et particuliers, est alors l'absence d'unités de mesure, soit que l'on n'ait pas encore réussi à les constituer, soit que les structures en jeu, tout en pouvant fort bien être de nature logico-mathématique (algébrique, ordinale, topologique, probabiliste, etc.) ne présentent pas de caractères proprement numériques. (A) La seule des sciences de l'homme qui ne connaisse pas cette difficulté fondamentale est la démographie, où la mesure est fournie par le nombre des individus présentant tel ou tel caractère. Mais précisément parce que, en un tel cas, les méthodes statistiques utilisées peuvent demeurer relativement simples (malgré la complexité de certains problèmes de croissance), elles ne sont pas sans plus transposables en d'autres domaines des sciences humaines. Jl en résulte que le champ des études démographiques, bien que d'importance essentielle pour les recherches économiques et sociologiques, demeure relativement fermé 10 et néanmoins prospère, l'absence d'expérimentation possible (au sens strict de la dissociation des facteurs) étant compensé par la précision relative des mesures et le succès des différentes méthodes statistiques portant sur les variances et les diverses liaisons fonctionnelles accessibles au calcul. (B) La psychologie scientifique est située, à certains égards, aux antipodes de cette situation de la démographie, en ce double sens que l'expérimentation y est relativement aisée, mais que les unités de mesure font à peu près totalement défaut quant aux processus formateurs ou fonctionnels eux-mêmes. L'expérimentation est, comme on l'a dit, du même type en biologie et en psychologie puisque celle-ci a pour objet le comportement qui est l'un des aspects de la vie en général. Il est relativement possible en certains cas de faire varier un seul facteur ou un seul groupe de facteurs, en neutralisant plus ou moins les autres, la difficulté demeurant dans les deux cas de maintenir « toutes choses égales d'ailleurs » puisque l'organisme comme le comportement constitue une totalité fonctionnelle dont les éléments sont à des degrés divers interdépen-
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dants. Dans le cas du comportement humain la dissociation des facteurs n'est pas toujours possible pour des raisons morales autant que techniques, mais souvent les états pathologiques offrent à l'expérimentateur ce qui est interdit à l'expérience comme telle : par exemple l'aphasie ou la surdimutité réalisent en fait une dissociation du langage et de la pensée, etc. D'autre part, si le sujet humain est moins manipulable que l'animal, il présente le grand avantage de pouvoir en général décrire verbalement une partie de ses réactions. Quant aux dimensions historiques ou diachroniques de la psychologie, si les données de la paléontologie humaine et de la préhistoire sont à peu près inexistantes au point de vue mental (sauf à chercher comme Leroi-Gourhan une reconstitution de l'intelligence à travers les techniques), la psychologie du développement individuel parvient à utiliser l'expérimentation à tous les niveaux d'âge et constitue ainsi une mine inépuisable quant à notre connaissance des mécanismes formateurs. Par contre, la grande difficulté de la psychologie est l'absence d'unités de mesure. Certes la méthode des tests ainsi que les multiples procédés de la « psycho-physique » fournissent d'innombrables données dites métriques parce qu'elles portent sur le seul aspect actuellement mesurable des conduites, c'est-à-dire sur la résultante des réactions ou, si l'on préfère, sur les « performances ». Mais, même à s'en tenir à ces résultantes, on ne saurait encore parler d'unités de mesure : si un sujet retient, par exemple, 8 mots sur 15 et une épreuve de mémoire ou 4 secteurs d'un trajet spatial qui en comporte 6, on ne sait, ni si ces mots ou ces secteurs sont équivalents entre eux, ni comment comparer la mémoire des mots à celle des trajectoires. 11 D'autre part, et surtout, la mesure d'une résultante ne nous renseigne pas encore sur les mécanismes intimes de la réaction observée et ce sont eux qu'il s'agirait de mesurer. On parvient certes, par un système de corrélations à la seconde puissance, à une analyse dite « factorielle » mais on ne connaît ni la nature des « facteurs » ainsi découverts ni leur mode d'action et ils demeurent en fait entièrement relatifs aux épreuves utilisées, donc aux résultantes ou performances et ne relèvent pas directement des mécanismes formateurs. En un mot les procédés métriques de la psychologie fournissent des données utiles quant aux comparaisons de détail, de proche en proche et du point de vue du résultat des diverses opérations mentales, mais elles n'atteignent pas celles-ci faute de tout système d'unités qui permettrait de remonter des effets au mécanisme causal. La situation n'est nullement désespérée pour autant ni même inquiétante, car les structures numériques ou métriques n'épuisent en rien les structures logico-mathématiques et, si le nombre est d'un emploi particulièrement pratique dans les comparaisons il demeure bien d'autres variétés d'isomorphismes que les correspondances numériques. La difficulté de constituer des systèmes d'unités pourrait donc tenir à la structure même des totalités de nature biologique ou mentale (ou des deux) qui relèveraient alors de la topologie ou d'une algèbre qualitative plus
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que des « groupes », « anneaux », ou « corps » numériques. Les philosophes ont souvent spéculé sur ces résistances de la mesure en psychologie. Les psychologues, plus prudents, se refusent d'abord à croire la question résolue et, en attendant, ils se servent d'instruments et de structures logico-mathématiques plus larges et plus souples, s'étageant entre les deux pôles constitués par les multiples modèles probabilistes et ceux de la logique algébrique, sans oublier, bien sûr, les modèles cybernétiques. C'est ainsi que, dans le domaine de l'intelligence, les structures algébriques qualitatives permettent de décrire le fonctionnement des opérations elles-mêmes et pas seulement leurs produits ou résultantes, seuls (actuellement) mesurables, et que l'on peut en outre analyser ces structures opératoires en tant que formes d'aboutissement entièrement équilibrées des multiples régulations génétiquement antérieures qui relèvent alors de modèles cybernétiques (y compris ceux de la théorie des décisions ou des jeux). Dans toutes les questions de développement, là où la mesure stricte échoue, du moins actuellement, il demeure possible de recourir à des échelles d'ordination hiérarchique (comme celles de Guttman) et Suppes a décrit toute une gamme d'échelles s'échelonnant entre la classification nominale et les échelles métriques : on peut parler, en particulier, d'échelles « hyperordinales » lorsque les intervalles entre une valeur et la suivante ne sont pas réductibles à des compositions d'unités (équivalentes entre elles), mais peuvent déjà être évaluées en plus ou en moins. Grâce à ces divers modèles, la psychologie, même sans avoir dominé le problème de la mesure dans le sens d'une réduction entière au nombre et aux systèmes d'unités, est en possession de données statistiques et de structures logico-mathématiques qualitatives suffisantes pour permettre en bien des cas une certaine prévision des phénomènes (par exemple sur les terrains de la perception et de l'intelligence) et surtout certains débuts d'explication (voir plus loin sous 7 ) . ( C ) Les sciences économiques se trouvent à peu près à mi-chemin des situations extrêmes constituées par la démographie et la psychologie, en ce sens que la mesure y est plus aisée qu'en psychologie mais que l'expérimentation y est plus malaisée et d'une difficulté analogue à celle que l'on rencontre en démographie, sauf que les multiples manipulations étatiques ou privées de l'économie constituent en certains cas l'équivalent d'expériences (plus ou moins bien ou mal faites). La mesure est plus accessible en économie qu'en psychologie, car il est de la nature des échanges de valeurs intervenant en un tel domaine d'être quantifiés, par opposition aux échanges qualitatifs caractérisant les relations sociales d'ordre moral, politique ou affectif en général. Par exemple si deux étudiants prennent plaisir ou trouvent de l'intérêt à se voir librement et à parler l'un de mathématiques et l'autre de linguistique, on ne saurait y voir un échange économique ; mais s'ils conviennent de régulariser cet échange en fixant qu'il y aura chaque fois une
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heure de mathématiques contre une heure de linguistique, ce troc devient économique même si rien n'est changé aux contenus de l'échange, et ce troc comporte une mesure (ici une mesure du temps, à défaut de celle des informations ou des idées fournies). Les prix, la monnaie, etc., constituent ainsi un ensemble de quantifications, non pas simplement ordinales ou « intensives » , 1 2 mais extensives ou métriques. Il est donc aisé de trouver l'occasion de multiples mesures authentiques dans les domaines de la science économique, et comportant des unités particulières à tel ou tel secteur (par exemple le produit par habitant dans la comparaison des formations socio-économiques ). Mais nous sommes encore très loin d'un système complet d'unités, avec possibilité de mises en équivalences entre elles, comme en physique. Par contre, l'expérimentation ne saurait être pratiquée en économie dans le sens strict d'une dissociation et d'une variation systématique des facteurs et elle y est définie « en un sens très large, comme étant toute action directe ou indirecte effectuée sur une réalité donnée en vue de susciter ou de recueillir des conséquences observables » (Solari). En fait, l'expérimentation ainsi conçue consiste avant tout en une observation dirigée par un système d'abstractions, elles-mêmes inspirées par les modèles théoriques choisis à titre d'hypothèses. C'est donc l'union du modèle théorique et du schéma expérimental, c'est-à-dire en fait un schéma orientant l'observation et les mesures à prendre, qui constitue la démarche méthodologique fondamentale de l'économétrie et qu'on reconnaît immédiatement en cette interaction de la déduction et de l'expérience ainsi que dans ce rôle des abstractions méthodiques le caractère général de toute science, naturelle comme humaine. Mais la difficulté propre à cette discipline, en l'absence d'une expérimentation au sens strict et étant donnée l'extraordinaire complexité des facteurs synchroniques et diachroniques toujours en présence, est d'ajuster le modèle théorique aux schémas expérimentaux, ceux-ci risquant de demeurer trop globaux et insuffisamment différenciés pour permettre les décisions résultant de l'analyse. Un modèle théorique n'aboutissant pas à une interprétation concrète effectivement vérifiable ne constitue, en effet, qu'un schéma logique ; et réciproquement un ensemble d'observables sans une structuration assez poussée se réduit à une simple description. Or, les modèles théoriques utilisés par l'économie sont de plus en plus raffinés : la logique mathématique, les modèles mécaniques et stochastiques, la théorie des jeux et les méthodes opérationnelles (avec programmes linéaires et non linéaires), les modèles cybernétiques, etc., sont utilisés tour à tour et combinés, lorsqu'il le faut, avec les analyses historiques et avec celle des paramètres institutionnels. Mais, par ailleurs, l'application de toutes ces méthodes aux données d'expérience se heurte à la difficulté constante du découpage des champs d'observation, donc du niveau de l'abstraction opportune, car, à côté des lois générales et des lois non générales mais s'appliquant à plus d'une formation écono-
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mique, il existe des lois spéciales à une seule formation et il se pose sans cesse des problèmes de typologie selon les échelles des valeurs. (D) La linguistique fournit le bel exemple d'une science où l'expérimentation est à peu près impossible ( sauf en phonétique expérimentale et en psycholinguistique) et où l'analyse systématique des observables a suffi à constituer des méthodes dont la rigueur est un exemple pour d'autres sciences de l'homme. Et cependant, en ce domaine comme en psychologie, on ne parvient pas à élaborer de systèmes d'unités de mesure, sauf le cas d'unités pour ainsi dire locales, c'est-à-dire choisies arbitrairement au sein d'un contexte limité. La recherche des régularités (les linguistes parlent de moins en moins de « lois » pour ne pas créer de rapprochements trompeurs avec celles de la physique) s'y effectue essentiellement sur le modèle des foncteurs logiques, et en particulier de l'implication. On sait que l'expression « x implique y » signifie que l'on observe y toutes les fois que x est donné, que l'on peut observer y sans x ainsi que ni x ni y, mais que l'on n'a jamais x et non y. En phonologie, par exemple, on constate que les phonèmes p et b sont l'un et l'autre explosifs mais que seul le second exige l'utilisation des cordes vocales et cette situation permet de prévoir des régularités dans leur fonctionnement commun et leurs oppositions. Mais à partir de telles régularités de formes logiques et qualitatives on peut naturellement s'engager dans deux directions opposées et complémentaires : celle des régularités statistiques portant sur les résultantes extérieures du fonctionnement du langage et celle de l'analyse des structures internes dont le fonctionnement est l'expression. Comme exemple de la première tendance on peut citer la « loi » de Zipf, qui énonce un rapport plus ou moins régulier entre les espèces et les genres dans les classifications verbales. Le caractère probabiliste de telles constatations soulève alors le problème de leur explication à partir des objets désignés, du sujet de la langue ou des deux. Sur le terrain diachronique (et ses connexions avec l'équilibre synchronique ), Martinet a cherché à rendre compte des changements phonologiques par un compromis entre les besoins de l'expressivité et des raisons d'économie de source psychologique ou probabiliste. On connaît le rôle de l'entropie en théorie de l'information et Whatnough en a fait encore récemment un usage linguistique. Comme exemple de la seconde tendance il faut citer tous les travaux du structuralisme linguistique, visant entre autres, avec Chomsky, à atteindre les régularités dans les transformations mêmes des règles possibles, mais en laissant encore ouverte la question des modèles explicatifs, cherchés (avec Saumjan, etc.) dans la direction des structures cybernétiques. En bref on voit ainsi comment une science humaine, privée de presque tous les moyens de l'expérimentation ainsi que de l'emploi d'unités
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de mesure de caractère general parvient néanmoins sur le double plan des successions diachroniques et des régulations synchroniques, à se constituer une méthodologie assez précise pour permettre des progrès constants et souvent exemplaires. (E) La sociologie et l'ethnologie occupent sans doute parmi les sciences de l'homme la situation la plus difficile du triple point de vue de l'impossibilité de l'expérimentation, des résistances à la mesure faute d'unités générales et de la complexité des phénomènes, qui dépendent de la totalité des facteurs conditionnant la vie et le comportement humains (en opposition avec un secteur relativement bien délimité comme celui de l'objet de la linguistique). A reprendre les comparaisons avec les sciences naturelles dont il a été question sous I, la sociologie présente donc en commun avec l'astronomie le défaut d'expériences, mais sans bénéficier des mesures convergeant avec la déduction mathématique, et avec la géologie la prédominance des facteurs diachroniques et qualitatifs non déductibles, mais sans être en possession d'une stratigraphie ni d'une paléontologie suffisantes. Cinq voies méthodologiques demeurent cependant ouvertes en une situation aussi lacunaire. La première consiste naturellement à affiner l'analyse mathématique des variations et des dépendances fonctionnelles. Une série de progrès récents ont été accomplis à cet égard, en particulier au moyen de ce que l'on a appelé l'analyse multivariée, permettant de dépasser les corrélations dans la direction de la causalité. L'« école de Columbia » a ainsi fourni de nombreux travaux sur l'opinion publique (voir notamment ceux de P.F. Lazarsfeld sur le two step flow mettant en évidence les facteurs d'intérêt, de passivité ou de plasticité, les mécanismes en jeu dans les manipulations de l'opinion, etc. ). La seconde consiste à chercher sous les observables le rôle des « structures » en tant que systèmes de transformations, dont l'équilibre mobile se prête aux analyses de la mathématique qualitative ( algèbre générale ). C'est la méthode structuraliste utilisée par Cl. Lévi-Strauss et qui tend à dépasser la causalité en tant que dépendances fonctionnelles entre les observables par des explications à la fois causales et implicatrices rendant compte de ceux-ci par les systèmes d'ensemble sous-jacents. La troisième, surtout représentée dans les écoles ayant subi des influences marxistes, consiste à coordonner l'analyse structuraliste avec l'analyse historique, l'explication consistant alors à combiner la structure et la genèse. Jointes aux recherches ethnologiques (et il convient de signaler le regain d'intérêt qui depuis quelques années semble se manifester un peu partout pour les formes politiques et culturelles de développement ), ces tendances historico-structuralistes sont naturellement de nature à favoriser la « décentration » des observateurs occidentaux. Une quatrième voie méthodologique (dont on a vu l'analogie avec nos réflexions sommaires sur l'astronomie) consiste à étudier à une échelle inférieure les répercussions ou les correspondants des grands phé-
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nomènes d'échelle supérieure. La microsociologie se donne une telle tâche et elle a fourni des résultats notables dans les expériences sur la dynamique des petits groupes et les analyses des comportements sociaux élémentaires. Mais les problèmes qu'elle soulève constamment sont ceux du raccordement entre les diverses échelles, le problème central de la sociologie étant toujours celui des relations entre les sous-systèmes ou entre eux et le système d'ensemble. A cet égard, les débuts de réponses théoriques ont été de deux sortes. Les unes ont consisté en un effort assez systématique pour constituer des modèles abstraits (dans le langage du symbolisme logico-mathématique mais parfois aussi par des méthodes de simulation ). Les autres reviennent à combiner le structuralisme avec l'analyse fonctionnaliste dans le détail des relations ou actions sociales. C'est ainsi que la sociologie générale de T. Parsons, qu'il appelle luimême « structurale-fonctionnelle » ne vise pas seulement l'étude des formes d'équilibre d'ensemble de la société, mais également le raccord entre les échelles par une analyse de 1'« action sociale » élémentaire (valeurs, etc.). De même le « néo-fonctionnalisme » de A.W. Gouldner ou de P.M. Blau cherche dans l'étude des « réciprocités » et des échanges, l'instrument de coordination des sous-systèmes conduisant des relations inter-individuelles aux stratifications elles-mêmes. La cinquième méthode a été peu utilisée mais reste ouverte aux yeux de bien des auteurs : la condition nécessaire ( quoique non suffisante ) de toute vie sociale étant la formation des nouvelles générations par les précédentes, toute étude comparative sur le développement de l'être humain en différents milieux sociaux fournit une information décisive sur les apports collectifs à la nature de l'homme. En chaque question telle que celles du caractère social, mental ou biologique de la logique, des sentiments moraux, des systèmes sémiotiques ou symboliques, etc., une telle méthode d'analyse des processus formateurs est d'une indéniable fécondité, et elle a déjà permis de montrer l'identité profonde de nature entre les « opérations » de la pensée individuelle et celles qui interviennent en toute « co-opération » sociale.
5.
SCIENCES DE L'HOMME ET GRANDS COURANTS PHILOSOPHIQUES OU IDÉOLOGIQUES
Après avoir rappelé certains des aspects des sciences de l'homme et les principales difficultés qu'elles ont rencontrées en leur constitution et en leur développement, le moment pourrait paraître venu de les situer dans le système général des sciences, conformément au titre de ce chapitre. Mais à tous les obstacles déjà mentionnés qu'il s'agit de franchir pour aboutir à une connaissance objective des faits humains, s'en ajoute un dernier qui est peut-être l'un des plus importants et en tous cas le plus spécifique quant aux différences entre les sciences de l'homme et celles de la nature. Il importe donc d'y venir maintenant avant de pouvoir
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situer les unes par rapport aux autres dans le système d'ensemble des disciplines scientifiques. Cet obstacle suprême, lié de près aux difficultés de la décentration intellectuelle dont il a déjà été question sous 2 et à l'emprise du « nous » sur le sujet cognitif qui construit la science ( voir sous 3 ), tient simplement au fait qu'un homme de science n'est jamais un pur savant, mais qu'il est toujours également engagé en quelque position philosophique ou idéologique. Or, si ce fait n'a qu'une importance secondaire dans les recherches mathématiques, physiques ou même biologiques (en ce dernier cas nous sommes déjà en une région frontière), il peut être d'une grande influence en certains problèmes étudiés dans les sciences de l'homme. La linguistique est à peu près la même en tous les pays. La psychologie varie un peu plus selon les milieux culturels, mais sans contradictions inquiétantes, car les variations en jeu relèvent davantage de la diversité des écoles que de celle des idéologies. Avec l'économie et surtout la sociologie les oppositions s'accentuent. D'une manière générale il y a donc là un problème et il convient de l'examiner maintenant. Plus précisément il y a là plusieurs sortes de problèmes, selon que les courants idéologiques ou philosophiques renforcent telle ou telle orientation dans la recherche, selon qu'ils tendent à voiler tel ou tel aspect des domaines à explorer ou selon encore qu'ils aboutissent à stériliser telle ou telle discipline en s'opposant implicitement ou même explicitement à son développement. La méthode à suivre consiste donc à prendre quelques exemples particuliers pour ne conclure qu'à propos de chacun d'eux. I. Un premier exemple assez frappant est celui de la philosophie empiriste, dont la tradition demeure très vivante dans les idéologies anglo-saxonnes et dont l'un des aboutissements actuels est le mouvement appelé indifféremment « empirisme ou positivisme logiques ». Cette philosophie empiriste a, en effet, joué un rôle non négligeable dans la formation et le développement de divers aspects des sciences humaines, tout en leur imprimant par ailleurs des orientations que d'autres écoles jugent aujourd'hui quelque peu limitatives. A l'actif de la philosophie empiriste on peut certainement dire qu'elle a été l'une des sources de la psychologie et de la sociologie scientifique en ce sens qu'elle en a anticipé la nécessité future et a même contribué à leur développement. Locke voulait résoudre les problèmes en s'appuyant sur les faits et non plus sur la seule spéculation et Hume mettait en soustitre de son fameux traité Essai pour introduire le raisonnement expérimental dans les sujets moraux. Toute la psychologie anglo-saxonne a baigné à ses débuts dans une telle atmosphère et 1'« école anthropologique anglaise » avec Tylor, Frazer et bien d'autre en a été également alimentée. Il est donc indéniable qu'un tel courant idéologique a contribué, de façon positive, à l'avancement des sciences de l'homme et l'on ne saurait pas davantage négliger les apports contemporains de l'empi-
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risme logique au développement de la logique et de la théorie des sciences. Mais, en tant précisément que philosophie ou que cristallisation d'une idéologie, l'empirisme ( terme forcément très global et qui n'exclut en rien les innombrables variantes individuelles) a également joué en certains cas un rôle d'orientation ou de canalisation que les psychologues, sociologues ou logiciens non empiristes ont pu juger limitatives. L'empirisme ne se borne pas, en effet, à insister sur la nécessité de l'expérimentation en toutes les disciplines portant sur les questions de faits (psychologie, etc.), car sur ce point tout le monde est d'accord. Il ajoute à cela une interprétation particulière de l'expérience, tant de celle du savant que de celle du sujet humain en général ( objet des études psychologiques et sociologiques), en réduisant cette expérience à un simple enregistrement des données observables au lieu d'y voir comme d'autres épistémologies une structuration active des objets, toujours solidaire des actions du sujet et de ses essais d'interprétation. Il en résulte alors, par exemple, que, sur le terrain de la psychologie de l'apprentissage et de l'intelligence, les chercheurs se rattachant à la philosophie empiriste sont naturellement portés à sous-estimer ce que d'autres auteurs souligneront sous le nom d'activités du sujet : c'est ainsi que plusieurs théories de l'apprentissage conçoivent les connaissances acquises comme une sorte de copie de la réalité et mettent tout l'accent sur les « renforcements » externes qui consolident les associations, tandis que les théories non empiristes insistent sur les facteurs d'organisation et de renforcement internes. Sur le terrain de la logique qui, comme on le verra plus loin ( sous 6 ), n'est pas entièrement dissociable des facteurs psycho-sociologiques, l'empirisme logique a été conduit à présenter les structures logico-mathématiques comme l'expression d'un simple langage, en tant que syntaxe et sémantique générales, tandis que les auteurs ne se rattachant pas à cette école voient dans la logique naturelle le déploiement d'opérations qui plongent leurs racines jusque dans la coordination générale des actions à un niveau plus profond que celui du langage. Ces oppositions d'écoles philosophiques, dues aux influences idéologiques, sont d'ailleurs parfois fécondes et plus profitables que nuisibles au développement des sciences de l'homme. 1 3 II est certain, par exemple, que les théories américaines de l'apprentissage, inspirées par l'empirisme, ont joué un rôle positif, d'abord en poussant à l'extrême une forme d'interprétation dont il était utile de l'exploiter à fond et ensuite en provoquant une série de travaux sur les aspects négligés par cette sorte d'associationnisme. De même l'empirisme logique en dissociant de façon trop radicale les jugements synthétiques ou expérimentaux des jugements analytiques ou logico-mathématiques a conduit à des réactions de logiciens (comme W . V . Quine) ou de psychologues dont les travaux ont enrichi nos connaissances en fonction même des problèmes soulevés par
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les empiristes lorsqu'ils ont voulu mettre en doute le constructivisme logico-ma thématique. En bref, ce premier exemple met d'emblée en lumière les avantages et les dangers des influences philosophiques ou idéologiques. Les inconvénients l'emporteraient sans doute s'il y avait uniformisation de toutes les tendances ou absence de discussion et de coopération entre les écoles. Tant qu'il s'agit par contre de problèmes posés en termes de vérification possible, expérimentale ou par formalisation, la connaissance ne saurait que bénéficier d'oppositions qui, comme toujours en science, constituent des facteurs de progrès. I I . Ceci nous conduit aux philosophies dialectiques qui jouent un rôle essentiel dans les idéologies socialistes, notamment dans les domaines de la sociologie et de l'économie et, de façon générale, en toutes les disciplines comportant une dimension de développement historique. Mais, le cas de la dialectique est quelque peu différent de celui de l'empirisme en ce sens que, quand ce dernier souligne avec raison le rôle de l'expérience, il donne déjà de celle-ci une interprétation non acceptée par les non-empiristes, tandis que, quand la dialectique met en évidence la nature spécifique des développements historiques avec leurs conflits, oppositions et dépassements continuels, elle se borne souvent à dégager des mécanismes que chacun pourrait admettre, car l'esprit dialectique est sans doute plus large que l'appartenance à telle ou telle école. On peut, en effet, discerner deux courants dans les mouvements dialectiques contemporains, celui que nous appellerons la dialectique immanente ou méthodologique et celui d'une dialectique plus générale ou philosophique. Les représentants du premier de ces courants conçoivent la dialectique comme un effort épistémologique cherchant à dégager les traits communs ou au contraire différenciés d'un cas à l'autre de toutes les démarches scientifiques visant à rendre compte des développements se déroulant dans le temps. La dialectique ainsi conçue constitue donc une prise de conscience des méthodes d'interprétation effectivement employées en certaines recherches biologiques, psychogénétiques, économiques, etc. Et, respectueuse des faits, elle peut alors fréquemment converger, et souvent de très près, avec les considérations d'auteurs qui ne savaient rien ou ne voulaient rien savoir de la dialectique philosophique. Par exemple, Pavlov, dont les travaux ont eu une si grande importance dans les milieux de la dialectique soviétique, répétait fréquemment qu'il ignorait tout de cette philosophie, ce qui n'avait aucune importance puisque son œuvre comportait une méthodologie en actes, que d'autres se chargeaient de dégager réflexivement. En psychologie du développement psychogénétique, les travaux sur la formation des opérations intellectuelles à partir des régulations préopératoires et sensori-motrices, sur le rôle des déséquilibres ou contradictions et des rééquilibrations par synthèses nouvelles et dépassements, bref tout le constructivisme carac-
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térisant la constitution progressive des structures cognitives ont souvent été rapprochés des interprétations dialectiques sans qu'il y ait eu, sauf exception, d'influences directes. Il va donc de soi que de tels rapprochements peuvent être utilisés par les partisants d'une dialectique méthodologique qui ne cherche qu'à dégager les orientations des sciences du développement sans intervenir dans les sciences elle-mêmes et ce travail de comparaison et de réflexion épistémologique ne peut que leur être utile. Mais on peut concevoir également, depuis Kant et Hegel, une dialectique philosophique et il arrive parfois que comme bien des philosophies, elle en vienne à vouloir fonder et même orienter les sciences. En un tel cas, elle ne constitue plus alors qu'un système d'interprétation parmi d'autres. Il va néanmoins de soi que son rôle a été considérable, puisque, en l'espèce, elle peut s'appuyer sur une méthodologie éprouvée, qui coïncide avec la méthodologie spontanée de olusieurs disciplines, comme on l'a rappelé à l'instant. Le seul problème intéressant pour nous est donc celui de la conformité des idées avec les faits. L'influence de cette dialectique philosophique s'est traduite en des formes concrètes dans les domaines de la sociologie et de l'économie, et il est incontestable que la dialectique marxiste a exercé une action particulièrement importante à cet égard. Il est intéressant de noter à ce sujet, puisque cet ouvrage porte essentiellement sur les tendances des sciences de l'homme et n'a pas à fournir de synthèse doctrinale, que l'on peut distinguer en l'état présent trois sortes d'attitudes envers un tel mouvement. Pour les uns la dialectique marxiste exprime les vérités dominantes actuellement accessibles dans le domaine sociologique. D'autres sont d'avis contraire et y voient une interprétation parmi plusieurs sans privilège aujourd'hui décidable. Les troisièmes enfin la considèrent une « métasociologie » d'un intérêt évident à titre de guide sans doute le meilleur de la recherche mais sans contrôle expérimental possible et situé sur le terrain de la seule interprétation. I I I . Un troisième exemple est d'une tout autre nature : c'est celui de la phénoménologie, c'est-à-dire d'une philosophie qui ne prétend pas conduire à une recherche scientifique ou dégager les méthodes des sciences déjà constituées mais bien doubler ces sciences elles-mêmes en fournissant une connaissance plus authentique des réalités considérées. Il convient à propos de ce groupe de tendances ( dont le bergsonisme a été un exemple antérieur) de noter tout d'abord que les conflits entre les sciences et certaines philosophies ne datent guère que du X I X e siècle, à une époque où quelques philosophes ont révé d'un pouvoir spéculatif permettant d'embrasser la nature elle-même (comme Hegel en sa Naturpkilosophie) et où, réciproquement, quelques savants prétendaient tirer de leur savoir positif des métaphysiques scientistes (comme le matérialisme dogmatique) et provoquaient ainsi des réactions dans le sens de systèmes destinés à protéger les valeurs morales contre ces empiétements
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consideres comme illégitimes. Il en est résulté que la critique de la science, au sens de la réflexion épistémologique, a conduit en bien des cas certaines philosophies à assigner des frontières au savoir scientifique, ce que souhaitaient par ailleurs les doctrines positivistes, et à s'efforcer de constituer, par delà les frontières, un autre type de savoir revenant en ce cas à doubler la science elle-même en tel ou tel de ses domaines. La question est ainsi d'une grande importance puisqu'elle revient en dernière analyse à se demander si la science est « ouverte » ou s'il existe des frontières stables et définitives séparant par leur nature même les problèmes scientifiques des problèmes philosophiques. Cette seconde solution a donc été celle du positivisme qui, au temps de Comte, réservait à la science l'établissement des lois et éliminait de son domaine la recherche des causes jugée inaccessible, et, dans l'état actuel, veut réduire les sciences à une description des observables et à l'emploi du « langage » logico-mathématique en renvoyant à la métaphysique les autres questions jugées « sans signification ». De même et d'un tout autre point de vue, la phénoménologie de Husserl veut réserver à la science l'étude du « monde » spatio-temporel, mais en admettant alors, au-delà de cette frontière stable, une connaissance « eidétique » ou des formes et essences, fournie par l'intuition métaphysique. Or, depuis les révolutions successives de la physique, qui a modifié certaines de nos intuitions les plus fondamentales au profit, non pas d'un relativisme sceptique, mais bien d'une objectivité relationnelle de plus en plus efficace, la tendance générale des sciences est de se considérer comme « ouvertes » dans le sens d'une révisibilité toujours possible des notions ou principes et des problèmes eux-mêmes. Aucune notion fondamentale de la science n'est demeurée identique à elle-même au cours de l'histoire et ces transformations ont conduit jusqu'à des refontes successives de la logique comme telle. Il est donc sans doute assez vain de chercher à tracer des frontières immuables entre tel groupe de notions considérées comme seules scientifiques et tel autre qui serait réservé à la philosophie. Or s'il en est ainsi, il est peut-être aussi vain — du moins observe-t-on une tendance de plus en plus fréquente à le croire — d'établir des frontières définitives ou simplement stables entre les problèmes scientifiques et les problèmes philosophiques. Un problème demeure philosophique tant qu'il n'est traité que spéculativement et, comme on l'a vu (sous 2 ) il devient scientifique sitôt qu'on parvient à le délimiter d'une manière suffisante pour que des méthodes de vérification, expérimentales, statistiques ou algorithmiques, permettent de réaliser quant à ses solutions un certain accord des esprits par convergence, non pas des opinions ou croyances, mais des recherches techniques ainsi précisées. Cela étant, une philosophie parascientifique comme la phénoménologie court naturellement le danger de demeurer relative à l'état considéré des sciences dont elle fait la critique. Husserl (après Bergson) s'en est pris à une certaine psychologie empiriste et associationniste qui était
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celle des débuts de ce siècle et il en a montré avec raison les insuffisances. Mais, au lieu de travailler à la corriger et à la perfectionner, il l'a admise comme telle et a simplement voulu lui tracer des frontières, de manière à construire au-delà de celles-ci une autre forme de connaissance qui relèverait seulement des « intentions », des significations et des intuitions. Seulement entre deux la psychologie a évolué et s'est considérablement enrichie, de telle sorte que le problème se pose aujourd'hui en de tout autres termes. Il en résulte que des problèmes tels que celui de la libération de l'intelligence logique par rapport au « monde » spatio-temporel (la «réduction» phénoménologique) sont abordés aujourd'hui sur le terrain de la psychologie du développement par des méthodes susceptibles de vérification et que l'intuition phénoménologique paraît aux logiciens comme plus entachée de ce « psychologisme » 14 qu'il s'agissait de combattre, que ce n'est le cas des travaux des psychologues eux-mêmes. En bref, si la psychologie philosophique de nature phénoménologique a pu influencer momentanément quelques auteurs individuels (comme les fondateurs de la Gestaltpsychologie, qui s'est d'ailleurs orientée en une direction nettement naturaliste), elle n'a modifié en rien les grandes tendances de la psychologie scientifique contemporaine, qui s'est développée par elle-même.
6. LES SCIENCES DE L'HOMME, CELLES DE LA NATURE ET LE SYSTÈME DES SCIENCES
L'un des problèmes au sujet desquels les influences idéologiques parfois même nationales se sont le plus fait sentir est celui des relations entre les sciences de l'homme et celles de la nature. Dans les milieux les moins portés à la spéculation métaphysique, comme les pays anglo-saxons et les républiques populaires (malgré toutes les différences qui opposent les tendances empiristes aux tendances dialectiques), une telle question n'existe pas ou se présente sous une forme très atténuée : il va de soi, par exemple, que la psychologie y est considérée comme participant à la fois des sciences de la nature et des disciplines sociales. Dans les milieux sensibles, au contraire, aux orientations métaphysiques comme les pays germaniques ( à l'exception du positivisme traditionnel des Viennois ) ou latins, de nombreuses doctrines ont insisté sur la différence des Naturwissenschaften et des Geisteswissenschaften et la psychologie y a en général été rattachée à la philosophie. Il est d'un certain intérêt de noter que durant la maladie sociale qui s'est abattue sur l'Allemagne jusqu'à la fin du nazisme, l'opposition en question a été renforcée au paroxysme et, durant toute la période du fascisme, les chaires de psychologie et de sociologie scientifiques ont été supprimées dans ce pays et en Italie (et en cette dernière malgré les idées politiques très voisines qui avaient été celles de V. Pareto), pour ne refleurir qu'ensuite.
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I. La distinction des sciences de l'homme et de celles de la nature peut assurément être soutenue d'abord du point de vue des difficultés épistémologiques et méthodologiques sur lesquels on a insisté en 3 et 4. Mais, d'une part, comme on l'a vu, plusieurs de ces difficultés ne sont pas spéciales aux sciences de l'homme et le problème de l'objectivité expérimentale ne comporte pas seulement deux solutions extrêmes, selon que la recherche scientifique porte sur des objets physiques à notre échelle ou sur l'homme en société, mais il donne lieu à toute une gamme d'approximations successives, selon que les phénomènes physiques sont étudiés à différentes échelles et surtout selon que l'on passe de la physico-chimie à la biophysique et à la biochimie, de là aux disciplines proprement biologiques puis à la psychologie et enfin seulement aux sciences portant sur les sociétés humaines à titre de totalités. D'autre part, et surtout, les méthodes utilisées se prêtent à des échanges de plus en plus fréquents entre les sciences de la nature et celles de l'homme, et nous y insisterons tantôt. La principale raison de l'opposition entre ces deux groupes de sciences tient au rôle et aux propriétés du « sujet » et c'est pourquoi cette opposition varie selon que les milieux culturels où se développent les sciences de l'homme sont plus ou moins sensibles aux séductions métaphysiques. Pour les partisans irréductibles des Geisteswissenschaften conçues comme sui generis, le « sujet » ne fait pas partie de la nature, mais en est le spectateur ou parfois même l'auteur, tandis que, pour les partisans de la continuité, le fait que l'homme soit un sujet est un phénomène naturel comme un autre, ce qui n'empêche pas le sujet de dominer la nature ou de la modifier ni de présenter toutes les activités que la philosophie traditionnelle attribue aux « sujets ». Tel est l'enjeu du problème. Or, depuis l'époque où l'on a voulu opposer le sujet à la nature et en faire un champ d'études réservé à des sciences de l'esprit plus voisines de la métaphysique que des sciences dites « exactes et naturelles » un grand nombre de changements se sont produits dans l'évolution des sciences en général, de telle sorte que les tendances actuelles, tout en insistant sur la spécificité des problèmes à tous les niveaux de la réalité, sont loin d'être favorables à une simple dichotomie. Un premier fait à signaler, et il est fondamental, est l'évolution de la biologie, dont les apports actuels sont d'une grande importance pour les interprétations de la formation du « sujet ». Le néodarwinisme des débuts de ce siècle voyait dans l'évolution des êtres organisés le produit de deux facteurs fondamentaux dans lesquels l'animal comme sujet ne jouait aucun rôle : d'un côté des variations aléatoires ou mutations (par opposition aux recombinaisons du pool génétique de la population, sur lesquels on insiste de plus en plus aujourd'hui), et d'un autre côté une sélection imposée par le milieu, mais conçue comme un simple triage conservant les plus aptes et éliminant les autres. Le comportement de l'animal n'était donc considéré que comme un facteur très secondaire,
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jouant un petit rôle dans la survie mais sans aucune causalité essentielle. On est au contraire conduit aujourd'hui à comprendre que la sélection porte fondamentalement sur les variations phénotypiques, interprétées elles-mêmes comme des « réponses » du génome aux tensions du milieu ( Dobzhansky, Waddington, etc. ). Or la phénotype englobe déjà le comportement, puisque tous deux sont de nature adaptative. D'autre part, la sélection est aujourd'hui conçue sur des modèles de feedbacks et d'actions en retour : l'organisme choisit son milieu et le modifie, autant qu'il est influencé par lui. Mais le choix et les modifications de l'environnement dépendent entre autres du comportement, à titre de facteur de plus en plus important en cours de l'évolution. D'autre part, la notion de « progrès », éliminée par le néo-darwinisme classique après les excès d'optimisme de l'évolutionnisme initial, donne lieu à des recherches objectives (J. Huxley, Rentsch, etc.), dont les critères utilisés se réfèrent naturellement aussi au comportement. Pour toutes ces raisons, la zoopsychologie ou éthologie joue un rôle toujours plus essentiel en biologie zoologique pendant que les botanistes insistent toujours davantage sur les processus réactionnels. Or cette zoopsychologie fournit aujourd'hui un tableau déjà assez impressionnant des étapes de l'apprentissage et de l'intelligence des insectes ou des Céphalopodes à l'homme, et K. Lorenz a montré, en une étude très suggestive, comment les théories modernes de l'instinct pourraient se prolonger en une interprétation aprioriste (K. Lorenz est kantien!) des principales catégories de la pensée humaine. Sans adopter nécessairement cette dernière solution, il est en tous cas exclu aujourd'hui de considérer le « sujet » comme étranger à la nature, puisque les tendances les plus générales de la biologie et de l'ethnologie sont de considérer le comportement et la vie organique comme étroitement liés et d'étudier l'animal à titre de sujet. I I . Une seconde zone fondamentale de soudure entre les sciences de la nature et celles de l'homme est constituée par l'échange des méthodes. Nous disons bien « échange », car on va constater que ces services sont réciproques. En premier lieu, il va de soi que les sciences de l'homme sont conduites à utiliser de plus en plus des méthodes statistiques et probabilistes ainsi que des modèles abstraits qui ont été développés sur le terrain des sciences de la nature (le Chapitre V I I I renseignera le lecteur à ce sujet). Pour ne citer qu'un exemple de ces structures logico-mathématiques dues aux sciences naturelles et qui ont rendu service aux sciences de l'homme, rappelons les convergences bien connues entre les notions d'entropie en physique et en théorie de l'information. Rien, au premier abord, ne pouvait sembler être de nature à créer un lien entre des disciplines aussi éloignées l'une de l'autre que la thermodynamique et la linguistique. Cependant, en constituant une théorie mathématique de l'information et en comparant la forme des expressions servant à caractériser l'accroissement d'information par rapport aux « bruits » et au désordre, on s'est
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aperçu, d'un point de vue essentiellement formel et relatif aux symétries en jeu, qu'il existait un certain isomorphisme entre ces fonctions et celles qui sont utilisées dans les problèmes de l'entropie : en un tel cas, les techniques acquises en une science naturelle ont pu éclairer directement celles qu'il s'agissait de constituer pour résoudre un difficile problème, central pour les sciences de l'homme. Les partisans de la spécificité des Geisteswissenschaften peuvent naturellement objecter que de tels exemples, si nombreux soient-ils, ne prouvent rien, sinon l'esprit « naturaliste » qui sévit de plus en plus dans les sciences de l'homme, et, d'après eux, à tort ! Mais il existe une réponse, et elle est frappante, car elle est de nature à rassurer ceux qui voient en de tels rapprochements un danger d'affaiblissement en ce qui concerne l'originalité propre aux comportements humains et supérieurs. Il se trouve, en effet, et de plus en plus, que les sciences de l'homme, empruntant simplement aux sciences de la nature le grand modèle tout à fait général de l'union de la déduction logico-mathématique et de l'expérience, ont été conduites à construire pour leurs propres besoins certaines techniques logico-mathématiques nouvelles : or, ces techniques, d'intentions spécifiquement « humaines », se sont trouvées en bien des cas rejaillir sur les sciences de la nature et fournir des solutions imprévues sur des points où les techniques « naturalistes » étaient restées jusque là insuffisantes. En d'autres termes, s'il existe une tendance à « naturaliser » les sciences de l'homme, il existe aussi une tendance réciproque à « humaniser » certains processus naturels ! La théorie de l'information en est précisément un premier exemple, car, après avoir tiré de la thermodynamique ses inspirations formelles, elle a agi en retour sur les interprétations de cette discipline au point que L. de Broglie a pu considérer le rapprochement des problèmes d'entropie et d'information comme l'un des plus féconds et des plus suggestifs de ces dernières décades. D'autre part, il est impossible d'ouvrir quelque ouvrage contemporain de biologie sans retrouver sans cesse les problèmes d'information, depuis l'encodage de l'information génétique dans l'ordination des spirales d'ADN ( acide desoxyribonucléique constitutif du génome) jusqu'aux problèmes de la conservation acquise ou « mémoire » (ce terme à lui seul suffirait à révéler la tendance dont nous parlions à humaniser les processus élémentaires, mémoire qui suppose probablement l'intégrité de l'ARN (acide ribonucléique dont le rôle est fondamental durant toute l'épigenèse et jusqu'aux adaptations phénotypiques ). Un autre exemple très frappant est celui de la « théorie des jeux » ou de la décision, ajustée aux besoins de l'économétrie par V. Neumann et Morgenstern. Or, cette technique, dont l'utilité se trouve être de plus en plus grande pour l'étude des comportements humains (de la perception, avec Tanner, jusqu'aux conduites morales avec Braitswaithe ), a eu des répercussions dans les sciences de la nature et l'on peut en donner deux exemples. Le premier est celui du fameux problème du démon de
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Maxwell en thermodynamique, dont Szilard avait déjà fourni il y a une quarantaine d'années une révision pleine de promesses et dont on peut aujourd'hui donner une théorie rationnelle en se fondant sur la notion de son « coût d'information ». Le second relève de la biologie, où les problèmes d'économie se posent d'ailleurs sans cesse : Ashby a montré récemment que l'on peut fonder l'un des modèles les plus simples de régulation biologique ou nerveuse sur des « stratégies », et sur une table d'imputation relevant de la théorie des jeux. La cybernétique entière constitue aujourd'hui un chaînon essentiel dans le passage de la physique à la biologie. Portant à la fois sur les problèmes d'information, dont il a déjà été question, et de guidage, elle ne constitue peut-être pas, de ce second point de vue, une émanation directe des sciences de l'homme, puisque celui-ci songe parfois plus souvent à guider ses robots qu'à se guider lui-même. Mais il lui arrive aussi de songer à diriger sa propre conduite et il semble impossible de contester que ce guidage humain a joué un rôle dans la constitution de la cybernétique. Il suffit à cet égard de songer à l'évolution de l'idée de finalité. On sait assez, en effet, que le finalisme sous sa forme aristotélicienne un peu crue recouvre un système de notions inspirées par l'action intentionnelle de l'homme et qualifiées pour cette raison d'anthropomorphiques par le mécanisme cartésien et classique. Mais si l'idée de finalité reste obscure les problèmes d'adaptation, d'utilité fonctionnelle, d'anticipation, etc., soulevés par le finalisme sont demeurés entiers : or, en découvrant des « équivalents mécaniques de la finalité », et en mettant au point une « téléonomie » bien distincte par sa rationalité, de la téléologie du sens commun, la cybernétique a fourni une contribution essentielle à la fois aux sciences de l'homme et à leur action en retour sur celles de la nature ( dans le cas particulier sur la biologie entière ). I I I . La cybernétique est un premier exemple de ces disciplines que l'on ne sait pas exactement où classer entre les sciences de la nature et celles de l'homme. Or, il y en a bien d'autres et c'est là un troisième argument qui pèse de plus en plus actuellement en faveur de la continuité. Il convient tout d'abord de noter que les sciences dont on a coutume de les opposer à celles de l'homme, et de les réunir dans les Facultés des Sciences, sont généralement appelées « Sciences exactes et naturelles ». Que peut alors signifier le terme de « exactes » ? On l'applique souvent à la physique, car il existe une physique mathématique, mais il va de soi que toute science expérimentale n'est jamais qu'approximative, y compris la physique théorique. « Exactes » s'applique donc essentiellement aux mathématiques. Mais alors demeurent-elles « naturelles » ? Si l'on veut simplement dire qu'elles s'appliquent à la nature, il faut alors répondre qu'elles conviennent aussi à l'homme. Sinon elles ne sont pas naturelles au sens de tirées sans plus de l'expérience physique, car elles la dépassent très largement et connaissent une nécessité interne qu'elle ignore. Dire que les mathématiques sont exactes signifie donc qu'elles
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font corps avec la logique. Mais que serait la logique sans l'homme, même si elle plonge ses racines dans les nécessités de l'organisation biologique ? Le problème devient alors aigu à propos de la logique elle-même. Sous sa forme actuelle, la logique est une discipline axiomatique et algorithmique étroitement jointe aux mathématiques et qui s'enseigne souvent dans les Facultés des Sciences sous le nom de logique mathématique. Comme telle, elle appartient donc aux sciences exactes et naturelles et, à côté de ses applications proprement mathématiques elle connaît de multiples usages en physique et jusqu'en biologie (Woodger). D'un tel point de vue, elle n'est ainsi qu'une technique opératoire, comparable à la théorie des groupes ou à l'algèbre en général, et constitue par conséquent une « logique sans sujet » qui ne semble plus concerner les sciences de l'homme. Seulement, déjà sur le terrain de logique de la science ou de la théorie scientifique en tant que théorie, on ne peut pas dissocier entièrement la logique et le sujet logique. D'une part, le langage logique ou syntaxe générale appelle un métalangage ou système de significations et cette sémantique générale concerne le sujet humain. D'autre part, les multiples travaux sur les limites de la formalisation et issue des théorèmes de Goedel ( 1931 ) soulèvent également le problème du sujet puisqu'il s'agit d'expliquer cette impossibilité de tout formaliser à la fois et cette nécessité d'un constructivisme passant des théories plus « faibles » aux plus « fortes » sans jamais pouvoir se contenter des seules bases de départ. Mais surtout à côté de la logique du logicien il y a celle du sujet en général. En effet, si la logique est une axiomatique il faut bien qu'elle le soit d'une réalité antérieure à elle, de nature donnée et qu'il s'agit d'axiomatiser. Or, ce donné ne se réduit pas aux éléments de la conscience du sujet, mais tient aux structures opératoires utilisées par celuici en ses actions et ses raisonnements et dont il ne prend qu'une conscience partielle. De même qu'il existe des « nombres naturels » en jeu dans la numérotation préscientifique et dont l'arithmétique a ensuite fait la théorie en les dépassant largement, de même il existe ainsi des structures logiques naturelles (classifications, sériations, correspondances, etc. ) que construit et utilise le sujet en ses activités spontanées et qu'utilise le logicien lui-même en son travail de formalisation. Or ces structures logico-mathématiques du sujet sont celles qu'étudient par ailleurs la psychologie du développement, l'anthropologie culturelle et la sociologie elle-même en son secteur de sociologie de la connaissance. Il est donc exclu de dissocier la logique des sciences de l'homme, puisque la logique du logicien constitue un prolongement formalisé et largement enrichi de celle du sujet en ses opérations effectives. Ce caractère humain des sources structurales et opératoires de la logique est même si profond que, en-deçà des coordinations générales et même sensori-motrices de l'action dont procèdent les opérations, c'est jusqu'aux coordinations nerveuses que l'on peut aujourd'hui remonter ; Me Culloch
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et Pitts ont montré, en effet, qu'il y a isomorphisme entre les opérateurs intervenant dans les différentes formes de connexions neuroniques et les foncteurs de la logique des propositions ( réseau booléen ) et ce fait fondamental indique que si les structures logiques sont le produit de constructions progressives, se réorganisant et se poursuivant de palier en palier jusqu'à celui de la formalisation elle-même, ces constructions, sans être préformées puisqu'elles sont de plus en plus riches, remontent jusqu'aux coordinations nerveuses et sensori-motrices elles-mêmes. En bref la logique appartient à la fois aux sciences exactes et naturelles et à celles de l'homme et assure une connexion entre elles toutes qui échappe aux classifications linéaires. Mais, s'il en est ainsi, il faut en dire autant des formes scientifiques de l'épistémologie elle-même. L'épistémologie a été considérée classiquement comme une branche de la philosophie, mais deux sortes de faits nouveaux témoignent aujourd'hui de tendances à l'autonomie analogues à celles qui ont marqué l'indépendance progressive de la psychologie, de la sociologie et de la logique. Le premier de ces faits est que les sciences avancées constituent leur propre épistémologie par des recherches dues à des spécialistes appartenant à ces sciences elles-mêmes. Par exemple les problèmes des fondements des mathématiques sont de plus en plus traités par les mathématiciens eux-mêmes, et font intervenir des considérations de nature surtout logique mais souvent aussi historiques et proprement psychologiques (Poincaré, Brouwer, Enriques, Gonseth). La théorie épistémologique de l'expérience physique est, surtout depuis les révolutions de la microphysique, élaborée par les physiciens eux-mêmes. En biologie une tentative de mise au point épistémologique due à L. von Bertalanffy a abouti à un mouvement qui, sous le nom de « théorie générale des systèmes », cherche à dégager les mécanismes épistémiques communs aux diverses disciplines intéressées, y compris la psychologie, etc. Le second de ces faits est que certaines méthodes d'approche des recherches épistémologiques s'orientent dans la direction de l'étude du développement. Il y a longtemps déjà que sous le nom de « méthode historico-critique » des théoriciens de la connaissance ont compris en quoi l'analyse historique de la formation des idées et des méthodes éclaire les mécanismes du savoir scientifique. Des travaux comme ceux de A. Koyré ou de T.S. Kuhn sont par exemple extrêmement instructifs au point de vue de l'épistémologie de la physique et de la chimie et l'histoire des mathématiques a fourni à L. Brunschvicg et à P. Boutroux l'occasion d'analyses épistémologiques pénétrantes. Seulement l'histoire ne répond pas à toutes nos questions et, en dessous ou en deçà du plan historique il y a la psychogenèse et la sociogenèse. T.S. Kuhn lui-même, par exemple, se réfère explicitement à nos travaux sur l'enfant comme ce fut déjà le cas de Brunschvicg et cela montre que quand l'historien se fait épistémologiste ou l'inverse il a besoin de données psychologiques. D'une manière générale toute épistémologie scientifique se réfère implicitement ou explicitement à des interprétations psychologiques,
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qu'il s'agisse de perception, de langage (en ses relations avec la pensée) ou de structures opératoires. Mais au lieu d'une psychologie sommaire et parfois spéculative, on peut concevoir un ensemble de recherches qui se donneraient pour tâche de contrôler expérimentalement les diverses hypothèses psychologiques en jeu dans les multiples épistémologies du nombre, de l'espace, du temps, etc. C'est le travail qu'a entrepris systématiquement sous le nom d'« épistémologie génétique » un groupe de chercheurs travaillant de façon interdisciplinaire et faisant collaborer sur chaque question épistémologique des psychologues du développement, des logiciens et des spécialistes de la discipline considérée. Il est alors impossible de nier que ce mouvement participe des sciences de l'homme, tout en faisant porter les travaux sur des questions d'épistémologie pouvant relever des sciences exactes et naturelles. Ici encore, on trouve donc en l'épistémologie un trait d'union indissociable entre les deux groupes de disciplines. Si l'on en vient enfin à essayer de situer les sciences de l'homme dans l'ensemble du système des sciences, les différentes remarques qui précèdent montrent l'impossibilité de s'en tenir à une classification simplement linéaire. Le modèle de ces classifications linéaires a été fourni par A. Comte qui ordonnait les sciences selon leur complexité croissante et leur généralité décroissante. Une telle série, appliquée à notre problème reviendrait donc dans les grandes lignes à la suivante : mathématiques, sciences physiques, sciences biologiques, psychologie et enfin sciences sociales en leurs interdépendances. Mais on voit alors aussitôt que la difficulté est de situer la logique. Comte lui-même n'a pas abordé le problème sous cette forme, sans doute parce que la logique symbolique moderne n'était pas encore constituée, mais il parle souvent d'une « logique naturelle » soit pour insister sur son rôle dans la constitution des mathématiques, soit, plus implicitement, en la considérant comme l'un des produits de la vie collective, ce qui revenait en substance à la situer dans le domaine des réalités sociales (et le « positivisme logique » ultérieur la rattache explicitement à la linguistique en ses aspects les plus généraux ). Or, si la logique présente quelques rapports avec le sujet humain, et l'on a vu plus haut les bonnes raisons qu'on a de l'admettre aujourd'hui, elle appartient donc aux domaines situés au terme de la série, tout en jouant un rôle fondamental en mathématiques, c'est-à-dire aux débuts de la série ; cela revient donc à dire que l'ordre linéaire est illusoire et qu'il y a en fait circularité. En réalité, aucune des sciences ne peut être étalée sur un plan unique et chacune d'entre elles comporte des niveaux hiérarchiques : ( a ) son objet, ou contenu matériel de l'étude ; ( b ) ses interprétations conceptuelles ou technique théorique ; ( c ) son épistémologie interne ou analyse de ses fondements ; et ( d ) son épistémologie dérivée ou analyse des relations entre le sujet et l'objet en connexion avec les autres sciences. Si l'on s'en tient alors aux niveaux ( b ) et peut-être ( c ) , c'est-à-dire
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aux techniques théoriques des sciences, y compris leur épistémologie interne, l'ordre linéaire indiqué est entièrement acceptable et la logique doit être située en tête de série, car les logiciens n'ont recours ni aux psychologues ni même aux linguistes pour construire leurs axiomatisations ; les mathématiciens peuvent se subordonner à la logique mais point à la physique ou à la biologie ; etc. Par contre, sitôt que l'on considère l'objet des disciplines (soit a) et leur épistémologie dérivée ( d ) , il devient clair que l'objet de la logique ne peut être entièrement détaché du sujet, pour autant que la logique formalise des structures opératoires construites par ce dernier, et l'ordre des sciences redevient nécessairement circulaire. Cette circularité est d'ailleurs d'un grand intérêt pour l'épistémologie des sciences de l'homme, car elle tient au cercle fondamental qui caractérise les interactions du sujet et de l'objet : le sujet ne connaît les objets qu'à travers ses propres activités, mais il n'apprend à se connaître lui-même qu'en agissant sur les objets. La physique est ainsi une science de l'objet, mais elle n'atteint celui-ci que par l'intermédiaire des structures logico-mathématiques dues aux activités du sujet. La biologie est encore une science de l'objet, mais l'être vivant qu'elle étudie grâce aux instruments empruntés en partie à la physico-chimie est en même temps le point de départ d'un sujet de comportement qui aboutira au sujet humain. La psychologie et les sciences de l'homme étudient ce dernier en utilisant en partie les techniques des sciences précédentes, mais le sujet humain construit par ailleurs les structures logico-mathématiques qui sont au point de départ des formalisations de la logique et des mathématiques. Au total le système des sciences est engagé en une spirale sans fin, dont la circularité n'a rien de vicieux mais exprime sous sa forme la plus générale la dialectique du sujet et de l'objet. On voit ainsi que tout en demeurant les plus complexes et les plus difficiles, les sciences de l'homme occupent une position privilégiée dans le cercle des sciences : sciences du sujet qui construit les autres sciences, elles ne sauraient être détachées de celles-ci sans une simplification déformante et artificielle, mais, si l'on replace le sujet humain en sa véritable position, qui est celle, tout à la fois, d'un aboutissement, dans la perspective de l'objet physique et biologique, et d'un point de départ créateur, dans la perspective de l'action et de la pensée, les sciences de l'homme rendent seules intelligible la fermeture ou plutôt la cohérence interne de ce cercle des sciences.
7 . LES GRANDES ORIENTATIONS THÉORIQUES : PRÉVISION ET EXPLICATION
I. Dans la mesure où les sciences de l'homme ne sont pas isolables mais font partie du système d'ensemble des sciences et dans la mesure où celui-ci présente une forme générale circulaire ou en spirale, le premier
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problème dominant les grandes orientations théoriques est assurément celui de la spécificité ou au contraire de la réductibilité des phénomènes étudiés dans les différentes branches du savoir, car si les notions d'interactions et d'interdépendances tendent à se substituer aux séries linéaires ou aux arbres généalogiques simples, la question se pose naturellement de savoir si l'on tend à des assimilations générales ou à des modes relationnels ou dialectiques d'interprétation tenant compte des oppositions comme des analogies. Ce n'est nullement là une question académique, mais un problème très réel. Il existe une tendance en psychologie à réduire les faits observables à la physiologie, d'une part, et à la sociologie de l'autre, en éliminant la spécificité du mental. Il existe en sociologie une tendance à réduire les conduites à une échelle voisine de celle de la psychologie sociale ou aux secteurs économiques, linguistiques, etc., sans retenir d'objets spécifiques propres qui seraient les formes d'ensemble de la société. D'une manière générale partout où se manifestent des différences d'échelles — car, dans les sciences de l'homme comme dans celles de la nature c'est l'échelle qui crée le phénomène, selon la profonde remarque de Ch. E. Guye — la question est d'établir si les mécanismes d'échelle supérieure sont réductibles aux inférieurs, ou si les premiers sont simplement irréductibles, ou encore s'il existe entre deux quelque relation intelligible. Le problème est courant dans les sciences de la nature. Le déterminisme laplacien constituait le rêve d'une réductibilité intégrale tel que l'univers entier en ses manifestations innombrables se réduirait à une équation de base d'où l'on pourrait tirer toutes les autres. Au contraire A. Comte, malgré la forme linéaire de sa classification des sciences, considérait chaque palier comme caractérisé par quelque notion irréductible et s'opposait par exemple à la réduction de l'affinité chimique aux lois de la physique. Or, en fait, sauf dans les cas où il y a eu réduction simple (c'est-à-dire découverte d'une identité sous les apparences contraires), le problème du réductionnisme aboutit en général dans les sciences physico-chimiques à une causalité circulaire par assimilation réciproque. C'est ainsi qu'Einstein a pu faire l'économie de la force d'attraction à distance des Newtoniens en réduisant les mouvements des astres à des mouvements inertiaux selon les courbures d'un espace riemanien. Seulement cette géométrisation de la gravitation s'est accompagnée d'une physicalisation de l'espace en ce sens que les courbures ont été considérées comme dépendant des masses. De même les relations entre la mécanique et Pélectro-magnétisme, après une phase d'essais de réduction, ont abouti à des interdépendances et des dépassements d'où est sortie la mécanique ondulatoire. Dans le cas des sciences de l'homme, il va de soi que, si les problèmes de ce genre se posent sans cesse, quoiqu'en termes bien différents, la gamme des solutions possibles est en général plus restreinte faute de techniques logico-mathématiques et surtout expérimentales aussi pous-
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sées. Néanmoins on retrouve la même triade du réductionnisme, de la spécificité des phénomènes d'échelle supérieure et de la causalité avec action en retour. Un exemple banal est celui des relations entre le langage, mécanisme collectif et à cet égard supérieur, et l'intelligence ou pensée propres à l'individu et à cet égard d'échelle inférieure. Nous y reviendrons plus en détail au chap. VII (§ 16). Il suffit pour l'instant de rappeler que, si la réduction de la grammaire à la « raison » paraissait évidente aux XVII e et XVIII e siècles, la subordination inverse de la pensée au langage l'a emporté ensuite et jusque tout récemment. Par contre, Chomsky en revient en partie à la position classique, mais sa découverte des grammaires transformationnelles permet une analyse bien plus poussée qu'auparavant des interactions psycholinguistiques, en liaison avec l'étude psychogénétique des fonctions cognitives : dans l'état actuel des questions, il semble donc bien que l'intelligence précède le langage et conditionne son acquisition, mais avec actions en retour au sein de processus où l'inné et l'acquis sont tous deux dépassés par un mécanisme plus général d'équilibration progressive. C'est donc dans la direction de dépassements des thèses antithétiques initiales qu'on est conduit à s'engager, ce qui suppose un affinement continuel des formes de causalité utilisées. II. Ceci conduit au problème central des lois et des causes ou de la prévision et de l'explication. On sait assez combien le positivisme a constamment insisté sur l'obligation qu'il voulait imposer à la science de s'en tenir à la recherche des lois ou à la prévision fondée sur elles et d'exclure la recherche des causes ou du « mode de production » des phénomènes. Chez A. Comte, qui était convaincu, à tort ou à raison, du caractère utilitaire de la science, cette interdiction est d'autant plus étrange que, si la prévision est utile aux actions humaines, celles-ci consistent avant tout à produire autant qu'à reproduire et que, à ces deux points de vue, le « mode de production » est d'un intérêt bien supérieur à celui de la prévision. Dans le domaine des sciences de la nature, il est assez courant que les spécialistes des différentes disciplines se disent positivistes et insèrent en leurs préfaces quelque déclaration en ce sens, comme si la science ne revenait qu'à établir et généraliser des lois ainsi qu'à en tirer des prédictions à vérifier par l'expérience. Mais si, comme l'a souligné sans cesse E. Meyerson, on passe des préfaces au corps des ouvrages on trouve tout autre chose et aucun esprit scientifique digne de ce nom ne s'occupe de lois ou de fonctions sans en chercher la raison, sans chercher à dissocier les « facteurs » et sans introduire des hypothèses explicatives parmi les idées dirigeant la recherche. L'un des exemples les plus fameux de la vanité des interdictions est celui de l'atomisme, dont l'hypothèse était sévèrement condamnée par certains positivistes alors qu'elle n'était qu'une hypothèse explicative et qui, depuis lors, a eu les destinées que l'on connaît. Sans doute, si l'atomisme constitue un modèle causal pour
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les phénomènes d'échelle supérieure à lui, on ne trouve, à étudier l'atome, que des lois et non pas directement des causes. Mais les lois elles-mêmes requièrent à leur tour une explication, et ainsi de suite. Sur le terrain des sciences humaines, la condamnation de la recherche des causes ou du mode de production des phénomènes a certes eu moins de retentissement, d'abord parce que les disciplines sont plus récentes et plus modestes ( et que les courants s'intitulant « positivistes » y diffèrent les uns des autres encore davantage qu'ailleurs ), mais ensuite et surtout parce que le propre de l'homme est d'agir et de produire, et non pas simplement de contempler et de prévoir, de telle sorte que le besoin de comprendre et d'expliquer est, dans le domaine des sciences psychologiques et sociales, non pas plus vif qu'ailleurs (il est en fait constant partout), mais peut-être plus explicite et plus conscient. Il est vrai que, à la suite des réflexions de Dilthey et de la psychopathologie de Jasper s. certaines écoles tendent à dissocier 1'« explication » qui serait de nature matérielle et causale et la « compréhension », qui porterait sur les significations et intentions conscientes, mais ce n'est là qu'une complication du problème (voir plus loin sous I I I ) et personne ne songe à contester la nécessité de l'explication ; la notion même de « causalité » revient à la mode en sociologie à la suite des travaux sur 1'« analyse multivariée ». Mais en quoi consiste donc l'explication ? Dans les sciences de l'homme comme en celles de la nature, la recherche de la causalité comporte trois étapes, dont les deux dernières seules caractérisent l'explication : (a) Il y a d'abord l'établissement des faits et des lois, mais sans qu'il y ait là deux problèmes distincts, car le fait n'est qu'une relation répétable. La légalité se réduit donc à la constatation de la généralité du fait et ne comporte aucune explication par elle-même. Il est vrai que l'on parle souvent, mais à tort, de « lois causales » dans le sens de successions régulières dans le temps, mais la soi-disant loi causale n'est qu'une loi donnant prise comme toute autre à une recherche de la causalité et ne comporte aucune explication par elle-même. En outre toute loi permet une prévision, du seul fait qu'elle exprime une régularité de nature statistique ou entièrement déterminée, mais la prévision n'est que l'anticipation d'un nouveau fait, conforme à la généralité propre à la loi considérée, et ne comporte elle non plus aucune explication, c'est-à-dire rien qui ne dépasse la constatation de la généralité du fait. Par contre, si le critère de la causalité est l'intervention de conditions nécessaires et suffisantes, il existe, dès le domaine des lois, une étape intermédiaire conduisant à ces rapports de nécessité : c'est celle de la dépendance fonctionnelle y — / (x) ou de la détermination des variations de y par celles de x. En cas de multiples variations, il est donc légitime de reconnaître déjà un certain degré de causalité dans le rôle attribué aux facteurs déterminants. (b) La seconde étape débute avec mise en connexions, c'est-à-dire
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avec la déduction des lois. La différence entre la nécessité propre à l'explication et la généralité caractéristique des lois comme telles est que la généralité ne tient qu'aux faits ( quelle que soit la complexité des méthodes inductives, c'est-à-dire probabilistes ou statistiques qui permettent de l'établir), tandis que la nécessité est le propre des liaisons logiques ou mathématiques : en cherchant à déduire les lois au lieu de les constater simplement, on introduit donc un élément de nécessité qui nous rapproche de l'explication. Seulement il existe deux sortes de déductions. L'une est simplement inclusive ou syllogistique et n'est fondée que sur les rapports du « tous » et du « quelques » : d'un tel point de vue, une loi A (par exemple celle d'une illusion perceptive ou optico-géométrique comme dans la figure de Mûller-Lyer) peut être déduite d'une loi B (celle de toutes les illusions optico-géométriques relève des « effets de champ » ou de ce que nous avons appelé les centrations relatives) simplement parce que cette loi B est plus générale : en ce cas nous ne sortons pas du domaine des lois, et la déduction n'est qu'une généralisation, qui nous rapproche de l'explication mais en reculant sans plus le problème. L'autre forme de déduction, qui seule est explicative, peut être appelée constructive et consiste à insérer les lois dans une structure mathématique comportant ses normes propres de composition, non plus par emboîtement simple comme le syllogisme, mais selon des transformations plus ou moins complexes : une structure de « réseau », par exemple, ou de « groupe », ou de système à boucles (régulations ou feedbacks), etc. En ce cas la nécessité des transformations s'ajoute à la généralité des lois et s'oriente vers l'explication. (c) Seulement une déduction logico-mathématique même constructive, n'est que logique ou mathématique et ne concerne pas encore les faits sinon par une troisième démarche, nécessaire, à cette explication : c'est la construction d'un « modèle » adapté aux faits eux-mêmes et tel que l'on puisse mettre les transformations déductives en correspondance avec des transformations réelles : le modèle est donc la projection du schéma logico-mathématique dans la réalité et consiste ainsi en une représentation concrète retrouvant dans le réel des modes de composition ou de transformations exprimables en termes de ce schéma. Un circuit cybernétique, par exemple, ne se réduit pas à des équations, mais revient à retrouver dans les faits le détail des feedbacks supposés. Bien entendu les faits ne donneront alors lieu qu'à des constatations de lois, mais d'echelles différentes et le modèle consiste à les réunir en un système cohérent correspondant terme à terme aux transformations mathématiques déduites ou déductibles. En un mot le modèle est explicatif dans la mesure où il permet d'attribuer aux processus objectifs eux-mêmes une « structure » qui lui est isomorphe. Nous retrouvons ainsi les interprétations rationalistes classiques de la causalité, non plus seulement en tant que simples successions régulières comme le voulait l'empirisme de Hume, mais en tant que raison
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des choses (causa seu ratio, disait Descartes) ou qu'analogie entre la déduction de l'expérience (Kant) ou que construction dialectique. Que cette causalité relève du déterminisme strict ou des modèles probabilistes, qu'elle atteigne des successions linéaires ou s'oriente toujours, en définitive, vers les systèmes à boucles ou interactions circulaires, peu importe le détail, car entre l'inépuisable richesse de l'expérience et la fécondité indéfinie des structures logico-mathématiques se conserve en tous les cas ce caractère propre de la causalité de constituer une construction déductive faisant corps avec le réel. I I I . Mais un problème spécifique aux sciences de l'homme se pose alors nécessairement : c'est celui de l'interprétation des faits de conscience par opposition aux faits matériels, ce qui conduit à la question générale de la compréhension (Verstehen) par opposition à l'explication (Erklären ). La psychologie connaît bien le problème, qui est celui des relations entre la conscience et le corps. Deux solutions classiques lui ont été données : celle de l'interaction et celle du parallélisme ou isomorphisme. Selon la première, la conscience constitue ou possède une sorte de force susceptible d'agir sur le corps, de même que celui-ci agiraa sur elle. La difficulté est alors que l'on prête à la conscience des propriétés spécifiques de la matière (travail, force, énergie, etc.), ce qui, théoriquement, rend difficile le maintien du principe de la conservation de l'énergie 1 5 dans les cas où se produirait cette intervention de la conscience au sein des mécanismes physiologiques et ce qui, expérimentalement, est invérifiable car ce que l'on observe est l'action des concomitants physiologiques et non pas de la conscience comme telle. Il est à noter que les nombreux faits positifs réunis par la médecine dite ( selon les idéologies ) psychosomatique ou cortico-viscérale ne prouvent rien à cet égard, car ils démontrent seulement l'action de la vie mentale (conscience et activité nerveuse supérieure réunies) sur les organes soumis à des régulations hormonales et nerveuses et ne démontrent en rien l'action de la conscience comme telle indépendamment de ses concomitants nerveux. La seconde solution est alors celle du parallélisme ou isomorphisme psychophysiologiques, selon laquelle la conscience et ses concomitants organiques constitueraient les deux aspects, intérieur et extérieur, d'une même réalité, mais sans interaction causale possible entre ces aspects, qui sont les deux traductions possibles d'une même réalité (que l'on peut à volonté traduire en termes d'idéalisme, de matérialisme ou de dualité de nature). La solution est rationnelle mais son inconvénient est que l'on ne discerne plus la fonction de la conscience, qui se borne à accompagner certains processus matériels sans rien produire elle-même. Nous avons donc proposé une troisième solution, qui n'est d'ailleurs qu'une généralisation épistémologique de la seconde, mais conférant à la conscience une activité cognitive sui generis. A analyser les rapports
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entre états de conscience, on s'aperçoit, en effet, de cette circonstance essentielle qu'ils ne relèvent jamais de la causalité proprement dite, au sens caractérisé plus haut, mais d'un autre type de rapports que l'on pourrait appeler l'implication au sens large. Un état de conscience exprime essentiellement une signification, et une signification n'est pas la cause d'une autre mais elle l'implique (plus ou moins logiquement) : les concepts de 2 et 4 ne sont pas cause, par exemple, de la proposition 2 + 2 = 4 mais l'impliquent nécessairement, ce qui n'est pas la même chose, et si, en une machine à calculer, on peut obtenir 4 à partir de 2 et 2, ce produit causal ne constitue pas un état de conscience tant que l'utilisateur ne lui confère pas de significations et ne le traduit pas en implications conscientes. En bref, la conscience constituerait un système d'implications (entre concepts, valeurs affectives, etc.), le système nerveux un système causal et le parallélisme psychophysiologique constituerait un cas particulier de l'isomorphisme entre les systèmes d'implications et de causalité, ce qui restitue une fonction propre à la conscience. 1 6 Dans les sciences proprement sociales, la dualité des faits de conscience et de la causalité matérielle se retrouve sans cesse et si des sociologies comme celle de Weber insistent sur l'aspect phénoménologique des premiers, d'autres comme le marxisme ne se satisfont que d'explications englobant en outre les faits matériels. On en est donc venu, notamment avec les travaux psychopathologiques de Jaspers, à opposer deux grands types d'interprétations, les unes fondées sur la « compréhension » des intentions et significations conscientes, les autres sur 1'« explication » par causalité matérielle. Mais si cette distinction est utile, et même très pertinente, il ne saurait s'agir d'une opposition radicale, et l'on a déjà vu pourquoi en traitant des conflits artificiels que l'on a voulu établir entre les Geisteswissenschaften et les sciences de la nature. En réalité, si l'on veut bien utiliser l'hypothèse d'un parallélisme entre l'implication et la causalité, au sens général indiqué à l'instant, il y a là une complémentarité bien plus qu'une opposition fondamentale, et cette complémentarité se retrouve même, en des formes différentes mais comparables, dans les sciences exactes et naturelles : tandis que les mathématiques portent sur des implications, qu'il s'agit seulement de « comprendre » sans explication causale, la physique porte sur des faits matériels, qu'il s'agit d'« expliquer », et le parallélisme entre l'implication notionnelle et la causalité matérielle est alors si étroit que les modèles d'ordre causal ou explicatif établissent une liaison de plus en plus intime entre les séquences implicatives et les séquences matérielles. La tendance très générale des sciences de l'homme est de s'engager dans une direction analogue, c'est-à-dire qu'elles cherchent toutes à comprendre et à expliquer, mais non pas à comprendre sans expliquer ou à expliquer sans comprendre. Il y aurait bien d'autres questions à aborder en ce paragraphe sur les principales orientations théoriques des sciences de l'homme, mais on y reviendra dans le chapitre sur leurs mécanismes communs (Chap. V I I ) .
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58 8 . SPÉCIALISATIONS ET INTÉGRATIONS : RECHERCHE FONDAMENTALE E T APPLICATIONS
Il va de soi que le progrès de toute discipline est caractérisé par une différenciation des problèmes et des théories, ainsi que par des mises en relations intégratives intérieures à elle ou le reliant à ses voisines. Mais ce développement spontané, qui présente un aspect quasi biologique et résulte directement des lois de structuration propres à l'intelligence en ses opérations intra- et interindividuelles, se complique d'interférences sociologiques et parfois même idéologiques multiples, sans parler des considérations épistémologiques qui font en général plus ou moins corps avec les tendances spontanées de la science en devenir mais qui peuvent agir à titre de facteurs spéciaux, accélérateurs ou perturbateurs. I. Le facteur sociologique général qui, dans les sciences de l'homme, vient compliquer le processus naturel de spécialisation et substituer souvent à ses avantages certains inconvénients notables est la formation d'« écoles » proprements dites, intérieures aux disciplines elles-mêmes, avec ce que cela comporte d'isolement et de risques de dogmatisme. Ce phénomène est probablement spécial aux sciences de l'homme, car, si l'on a parlé d'écoles dans les sciences de la nature, il s'agit plutôt de courants de pensée liés à des positions contraires tant que l'expérience ou la déduction n'ont pas mis un terme au débat. Par exemple le conflit des énergétistes et des atomistes dans la physique de la fin du X I X e siècle était davantage une opposition de caractère épistémologique qu'une manifestation d'écoles et les faits nouveaux découverts dans la suite ont rallié toutes les opinions. Dans la microphysique contemporaine on parle bien de l'école de Copenhague et de celle de Paris, à cause des grands noms de Niels Bohr et de L. de Broglie, mais la discussion qui porte sur le caractère primaire ou dérivé de l'aléatoire et sur la non possibilité ou l'existence d'un déterminisme sous-jacent est de celles qui résultent de l'éventail des interprétations légitimes en attendant un accord ultérieur. Dans le cas des sciences de l'homme les idéologies elles-mêmes entraînent des oppositions d'écoles, ce qui est très naturel et conduit souvent à des oppositions fécondes. Mais sans revenir sur ce facteur, il convient de noter que le phénomène est parfois bien étendu et que des spécialisations par écoles se constituent encore à une échelle bien inférieure à celle des grands conflits idéologiques. Il peut donc être utile d'en donner un ou deux exemples et nous les choisirons dans le domaine de la psychologie en tant qu'il s'agit de la plus expérimentale de nos disciplines. Un exemple typique est celui des diverses écoles de psychanalyse. Freud a découvert un certain nombre de données et d'interprétations nouvelles, mais qui n'ont pas d'emblée rallié l'opinion à cause de leur caractère imprévu et des modes originaux de pensée que comportait le freudisme en opposition avec les courants mécanistes d'alors. Mais au lieu de chercher à convaincre les psychologues et les psychiatres en se
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plaçant sur leur terrain habituel de discussion, ce qui eût été possible en s'appuyant sur un certain nombre de réactions sympathiques comme celles de E. Bleuler, de Th. Flournoy, etc., Freud a préféré travailler à la tête d'une équipe de disciples de première heure et poursuivre sa voie sans tentatives systématiques de rapprochements. En raison de cette attitude scientifique, mais également en vue de protéger professionnellement leurs techniques naissantes, les freudiens ont alors fondé une société internationale de psychanalyse, ne groupant que des membres formés par elle. L'avantage de la constitution d'un tel esprit d'« école » est naturellement de permettre à des spécialistes s'accordant sur les mêmes principes d'aller de l'avant sans revenir sans cesse aux problèmes de départ. Mais l'inconvénient est double. D'une part, à s'entendre trop rapidement on néglige les vérifications et c'est surtout cet aspect de la psychanalyse qui a retenu des psychologues expérimentaux intéressés par ailleurs au fonctionnalisme freudien. D'autre part, les divergences d'opinions conduisent à la création de nouvelles écoles et c'est ce qui s'est produit avec Jung et Adler. Dans l'état actuel des choses, la situation est en voie de se modifier pour deux raisons. La première est qu'un certain nombre de psychanalystes ont senti la nécessité d'une assise expérimentale et d'une mise en connexion de la théorie avec celles de la psychologie en général : tel est par exemple le mouvement issu des travaux de D. Rapaport à Stockbridge. La seconde est que les psychologues expérimentaux tendent de plus en plus à intégrer non pas le détail du freudisme mais les idées directrices principales de la psychanalyse. Les « écoles » psychanalytiques n'en subsistent pas moins avec une tendance non négligeable et significative à la dissociation en « clans » particuliers. Un autre exemple, mais d'une autre nature, est celui de la tendance qu'a marquée pendant quelque temps le behaviorisme américain à s'opposer aux recherches suspectes de « mentalisme » ou se référant plus ou moins directement à la conscience des sujets. Le behaviorisme, illustré par Watson, mais correspondant à des courants convergents en bien d'autres régions que les Etats-Unis (cf. la psychologie soviétique avec Pavlov ou celle de langue française avec Piéron) préconise une méthodologie fondamentale qui consiste, pour étudier le sujet, à partir non pas de son introspection, mais de l'ensemble de sa conduite. D'un tel point de vue les mécanismes internes de la pensée apparaissent comme constituant essentiellement le produit d'une intériorisation des actions elles-mêmes : du langage une fois intériorisé, ou d'actions sensorimotrices, etc. Mais le propre de l'école behavioriste à ses débuts a été d'aller jusqu'à nier l'existence même de la pensée, sinon à titre de système des significations verbales et à proscrire toute allusion à la conscience. Ce sont donc les extrapolations théoriques d'une méthodologie par ailleurs valable qui ont caractérisé la formation d'une telle école et l'on comprend bien l'utilité qu'il peut y avoir eu pour faire fructifier une méthodologie nouvelle, de marquer les oppositions plus que les convergences entre les chercheurs. Mais depuis lors les positions se sont assou-
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plies et la « théorie du comportement », comme on dit aujourd'hui, en ralliant à son point de vue la grande majorité des chercheurs, comporte par cela même tout un éventail de nuances possibles, de telle sorte qu'il n'est plus légitime de parler d'« école » proprement dite : nous avons déjà dit que quand Tolman, par exemple, fait intervenir 1'« expectation » comme l'un des facteurs fondamentaux de l'apprentissage, on ne voit guère ce qui sépare cette notion des concepts mentalistes. Par contre lorsque Skinner se refuse à faire appel aux variables intermédiaires et considère l'organisme comme une « boîte vide » dont on ne connaît que les inputs et les outputs, il applique rigoureusement 'es règles behavioristes, mais par prudence méthodologique et non plus nécessairement par esprit d'« école », car il sait bien que l'avenir des recherches conduira à garnir sa « boîte » d'un contenu à la fois physiologique et psychologique. Un processus encore plus simple de formation d'« école » est celui de l'isolement ( sociologiquement comparable à ce facteur biologique qui, en certaines îles séparées des continents, conduit à la constitution d'espèces nouvelles ). On observe un mécanisme de ce genre dans les recherches actuelles de la psychologie sociale. Celle-ci est née de la découverte de problèmes nouveaux, entièrement légitimes : celui de l'action possible des interactions collectives sur des fonctions mentales qui au premier abord en paraissaient indépendantes (perception, etc.) ou celui de ia dynamique des interactions en de petits groupes sociaux. Or, si les meilleurs auteurs, en psychologie sociale, sont parfaitement au courant des recherches de la psychologie expérimentale en général et fournissent ainsi des synthèses fort utiles (cf. l'ouvrage récent de M. Brown : Social psychology ), une proportion importante de « psychologues sociaux » se cantonnent en leur seul domaine. En ce cas la spécialisation scientifique tend à s'accompagner de la formation d'une « école » due à un simple artéfact de nature psycho-sociologique. II. Si la constitution des écoles tend ainsi en général à renforcer la spécialisation, mais par interférence avec des facteurs plus ou moins extrascientifiques, il peut arriver au contraire que certaines d'entre elles visent une intégration plus complète que celles dont témoignent les coordinations intra- ou interdisciplinaires spontanées, et qu'elles y parviennent en partie mais en s'opposant à nouveau précisément par esprit d'école à d'autres intégrations possibles et qui eussent été parfois plus naturelles et en tous cas plus larges. On peut une fois de plus citer comme exemple le positivisme logique issu du « Cercle de Vienne » (le facteur psychosociologique est ici assez net car les Viennois ont toujours eu un talent particulier pour l'organisation de telles sociétés intellectuelles). Le but de l'école est en ce cas explicitement « l'Unité de la science » (cet idéal se retrouve dans le titre de YEncyclopedia for unified science et dans celui de l'Institut que Ph. Frank a créé à Harvard) et cette unité est recherchée dans la direction de la réduction des données scientifiques soit à des observables
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constatés perceptivement soit à la constitution d'un langage précis, celui de la logique et des mathématiques. Mais les adversaires du positivisme logique lui reprochent de manquer au contraire cette unité et pour deux raisons. La première est la coupure radicale introduite entre les faits d'expérience et le langage logico-mathématique, tandis que, à lier les structures logico-mathématiques aux actions et opérations d'un sujet, on atteint une unité plus grande dans les relations entre le sujet et l'objet. La seconde est que, en rétablissant les activités du sujet on se donne des sciences une conception plus constructiviste qui les rend plus « ouvertes » au lieu de les fermer grâce aux frontières classiques de tout positivisme. On voit ainsi que, source d'intégration pour les uns, le positivisme logique apparaît à d'autres comme lié à une « école » et comme restreignant l'intégration souhaitée. D'autres mouvements dont le caractère d'école est moins accentué se proposent également de favoriser l'intégration des recherches scientifiques. On a déjà cité à cet égard l'intéressant mouvement créé par L. von Bertalanffy sous le nom de « théorie générale des systèmes » et qui englobe les sciences de l'homme comme celles de la nature. Le but en est de chercher à dégager les structures théoriques communes qui interviennent en tous les essais de synthèses, qu'il s'agisse de l'organicisme en biologie ou des interprétations des données d'ensembles en sociologie et en psychologie. Un tel mouvement rejoint en fait tous les courants tendant à une mathématisation et surtout à une cybernétisation des sciences s'intéressant à la vie organique mentale ou sociale. I I I . Le double courant de spécialisation et d'intégration, dû aux mouvements des idées et des problèmes mais s'accompagnant, comme on a vu, d'incitations sociologiques diverses, interfère par ailleurs avec la division spontanée du travail en recherches fondamentales et en essais d'application. Il y a là une question d'importance essentielle pour le présent ouvrage, car si l'Unesco a entrepris cette enquête sur les tendances actuelles des sciences de l'homme c'est bien entendu parce qu'elles sont utiles à la société et le seront toujours davantage. Mais il nous a paru indiqué de lier ce problème à celui de la spécialisation et des « écoles », non seulement parce que c'est souvent le souci d'application qui domine dans la formation de celles-ci, mais encore parce que l'isolement fréquent des praticiens par rapport à la recherche théorique peut présenter les mêmes inconvénients que ceux dont témoigne la séparation en écoles et alors d'autant plus grave qu'ils diminuent l'efficacité de la pratique. Les rapports entre la recherche fondamentale et les essais multiples d'application diffèrent de façon profonde selon qu'il s'agit de disciplines dans lesquelles l'expérimentation au sens strict est possible ou de disciplines portant sur des échelles de phénomènes excluant l'expérimentation au profit de l'analyse statistique et probabiliste des observables. En ce second cas, en effet, l'application joue un rôle essentiel parce qu'elle tient
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lieu en fait de substitut de l'expérimentation. Le cas type de cette seconde espèce est celui de la science économique : lorsque l'on fait appel à l'économiste en vue d'organiser tel ou tel essai, le spécialiste se livre alors à un ensemble de prévisions fondées sur la théorie ; et l'expérience qui suit les confirme ou les infirme à la manière d'une expérimentation, sauf qu'il n'est pas toujours possible de dissocier tous les facteurs. Aussi bien ce genre d'applications fait-il corps avec la recherche fondamentale et l'on peut citer nombre de grands auteurs qui comme Keynes ont été à la fois des théoriciens de rang supérieur et les inspirateurs de multiples expériences pratiques. En ces cas il va de soi que l'application profite au maximum de l'état des recherches fondamentales, puisqu'elle favorise celles-ci. Toute autre est la situation de disciplines qui, telle la psychologie, peuvent poursuivre leurs recherches fondamentales en disposant de méthodes d'expérimentation sans s'appuyer nécessairement sur des applications. Il n'empêche que, presque dès ses débuts, la psychologie expérimentale a donné lieu à un grand nombre d'applications et que de grands auteurs comme Binet ont été à la fois les initiateurs de recherches fondamentales importantes (ses recherches sur l'intelligence par exemple) et de procédés pratiques largement répandus (ses tests de niveau intellectuel). La principale raison en est évidemment que toute théorie psychologique intéresse la vie humaine et que les circonstances conduisent sans cesse à un appel aux psychologues pour résoudre tel ou tel problème pratique. Mais une seconde raison tient peut-être à l'exemple de la médecine, avec laquelle la psychologie a toujours entretenu des rapports étroits et qui doit une bonne partie de son savoir à l'étude des applications, encore qu'elle puise néanmoins ses bases dans la physiologie et la biologie générales. Pour ce qui est alors des rapports, en psychologie, entre la recherche fondamentale et l'application, deux problèmes sont à distinguer : celui des apports de la seconde à la première, et celui des apports de sens inverse. Mais les deux problèmes sont plus ou moins liés et sont finalement de nature à mettre en question la notion même de « psychologie appliquée » du double point de vue de son interprétation théorique et des avantages de l'application en ses propres fins. Ces applications de la psychologie ont en somme peu contribué à la connaissance psychologique elle-même sauf sur le terrain de la psychologie pathologique où la maladie constitue une sorte d'expérimentation naturelle (par exemple la dissociation du facteur de langage dans l'aphasie, etc. ) et où la recherche appliquée prend alors une valeur heuristique comme nous l'avons noté pour l'économie. Par contre, dans les autres domaines on ne saurait citer de découvertes dues à l'application et Binet, par exemple, n'a rien tiré de ses tests dans ses interprétations de l'intelligence. Or, pourtant, comme on l'a vu, la « psychologie appliquée » est presque aussi ancienne que la psychologie et elle aurait donc pu féconder celle-ci. Mais, précisément pour cette raison, elle n'a pas toujours su
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profiter des recherches fondamentales qui lui auraient été utiles parce qu'elle est née trop tôt et qu'on a toujours voulu appliquer les connaissances en tel ou tel secteur avant qu'elles soient approfondies : on a donc cherché à mesurer des performances ou résultantes avant de connaître les mécanismes formateurs et il en est souvent résulté un appauvrissement mutuel. Il s'y est ajouté les effets de la formation d'« écoles ». La psychologie appliquée organise ses propres congrès et tend à constituer une sorte d'Etat dans l'Etat avec tous les inconvénients auxquels conduit en science un isolement relatif : à ne penser qu'à l'application, on limite forcément le champ des problèmes et ceux qui finalement seraient les plus utiles à résoudre du point de vue des applications elles-mêmes sont parfois négligés parce que sous leur forme initiale ils ne semblent concerner que la recherche fondamentale ou la seule théorie. Si nous insistons sur cet exemple c'est qu'il est très instructif en comparaison notamment avec le processus des applications dans le domaine des sciences de la nature. On sait, en effet, que les applications autrement plus solides de la physique, de la chimie et de la biologie sont souvent nées de la manière la plus imprévue de recherches fondamentales et parfois même purement théoriques qui ne visaient en rien la pratique : on a souvent cité à cet égard le rôle des équations de Maxwell dans les applications actuelles de l'électro-magnétique. A se cantonner au contraire dans l'application seule, et à vouloir, par exemple, mesurer l'intelligence des sujets avant de comprendre ce qu'est l'intelligence en général et comment elle se constitue ou n'aboutit qu'à des applications bien plus étroites que celles dont on peut attendre l'élaboration une fois que l'on aura compris les mécanismes formateurs. En un mot, il n'existe pas de « psychologie appliquée » en tant que discipline autonome, mais toute bonne psychologie conduit à des applications valables. D'une manière générale, les sciences de l'homme sont appelées à fournir des applications de plus en plus importantes et en tous les domaines, mais à la condition de développer la recherche fondamentale sans la limiter d'avance au nom de critères utilitaires, car ce qui paraît le moins utile au départ peut être le plus riche en conséquences imprévues, tandis qu'une délimitation initiale en vue de la pratique empêche de dominer l'ensemble des questions et peut laisser échapper ce qui est en fait le plus indispensable et le plus fécond.
NOTES 1. Il faut cependant noter un retour à l'hypothèse de l'innéité chez le linguiste Chomsky, mais dont les théories demeureraient tout aussi valables si l'on remplaçait son « noyau fixe inné » par un mécanisme autorégulateur issu du développement sensori-moteur au niveau du passage à la représentation. 2. A signaler aussi l'étude de G . Beaujouan sur « Le temps historique » dans L'histoire et ses méthodes (Encyclopédie de la Pléiade) qui porte sur les rythmes ou les cycles en histoire.
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3. Il est vrai que N. Chomsky se considère comme un héritier de la grammaire de Port-Royal parce qu'il admet (sans doute avec raison) une action de la logique sur le langage plus que l'inverse. Mais le seul fait qu'il ajoute au « noyau fixe » de la grammaire une série de processus transformationnels dont il a découvert l'existence et les lois montre le progrès accompli dans la direction de la décentration. 4. Dont les tendances quasi évolutionnistes étaient dues à son néoplatonisme récemment mis en lumière par les spécialistes de Prague. 5. Nous entendons sous ce terme les tendances qu'une étude objective du développement mental permet d'observer en tant que spontanées. C'est ainsi que chez l'enfant (et indépendamment des transmissions scolaires ou adultes), on constate que les opérations déductives se constituent bien avant les conduites expérimentales et que ces dernières sont nettement subordonnées aux formes supérieures de celles-là. De tels faits, qu'il est facile de contrôler dans le détail, montrent que les facteurs socio-économiques, dont en général le rôle n'est pas négligeable, ne suffisent pas à expliquer ce décalage de l'expérimentation par rapport à la déduction. 6. Un exemple fera comprendre la différence entre les types I I et I I I : pour Durkheim (émergence du type I I ) l'obligation de conscience résulte de la contrainte que le tout social exerce sur les individus y compris sur les parents, dont l'autorité sur leurs enfants est respectée en tant seulement qu'elle émane de la loi collective (cf. le respect chez Kant). Pour J.M. Baldwin, P. Bovet et Freud c'est au contraire le rapport affectif entre parents et enfants qui explique le respect et rend coercitifs les exemples ou les consignes des premiers ; et c'est à partir d'interactions analogues que se constituent les contraintes morales du groupe en son ensemble. 7. Sauf en des questions où, comme celles des migrations et de l'urbanisation, il y a sans doute interférence nécessaire entre la démographie et la sociologie. 8. Par exemple, nous avons cru trouver dans la « logique naturelle » de l'adolescent et de l'adulte une structure de « groupe » de quatre transformations telle que, à chaque opération propositionnelle (par exemple une implication) corresponde une transformation inverse, une réciproque, une corrélative et une identique. On a pu alors se demander si ce groupe de Klein existait bien dans le comportement intellectuel du sujet (nous ne disons naturellement pas dans sa conscience réfléchie, mais dans ses modes de raisonnements) ou si le psychologue avait simplement traduit les faits en ce langage commode tout en projetant abusivement cette structure dans l'esprit des sujets. Seulement comme il est facile de constater la formation, entre 7 et 12 ans, de structures fondées sur des opérations dont la forme de réversibilité est l'inversion (comme la classification où +A—A = 0) et d'autres sur des opérations dont la réversibilité se traduit par une réciprocité ( A=B d'où B=A), il est alors très probable que ces deux sortes de systèmes, une fois traduits en termes de propositions, se combinent finalement en une synthèse comportant les deux formes de réversibilité, d'où le groupe en question. 9. Quant aux structures proprement mathématiques, les mathématiciens contemporains insistent toujours sur leurs aspects qualitatifs et ce serait une pure méconnaissance des travaux actuels que d'identifier les mathématiques avec l'étude de la quantité. 10. « Relativement » par rapport aux autres sciences de l'homme, mais il existe, comme il va de soi, des problèmes communs à la sociologie et à la démographie, où les recherches sont essentiellement interdisciplinaires : telles sont en particulier les questions de migration et d'urbanisation. 11. En une correction d'examens, si un candidat est évalué 12 sur 20 en mathématiques et à 10 en histoire, on ne sait ni si la différence de 11 à 12 est équivalente à celles de 9 à 10 ou de 2 à 3, ni si ces nombres tout symboliques sont comparables dans les deux branches citées.
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12. Si A est inclus dans B sous la forme A+A'=B on parlera de quantité intensive si l'on sait seulement que AR), qui a remplacé pour beaucoup d'auteurs 1'« association » artificielle du passé, peut, selon les cas, conduire ou ne pas conduire aux mêmes inconvénients atomistiques, et ce seul fait prouve d'emblée qu'organisant son expérience le chercheur y projette toute une problématique dont l'existence même montre la difficulté de s'en tenir strictement à une ascèse positiviste. Si le dispositif expérimental est morcelé en petits stimuli discontinus et indépendants, le schéma S—>R ramène au strict associationnisme (mais naturellement entre perceptions et mouvements, sans plus d'allusion à des images problématiques). Si, au contraire, avec le talent de Skinner, on choisit comme stimulus une situation complexe faisant intervenir toute une causalité, bref un univers où l'activité du pigeon puisse se manifester plus librement, alors le schéma met en évidence des conduites instrumentales qui n'ont plus rien de simples associations. La tendance générale est donc aujourd'hui de considérer le schéma S—>R comme essentiellement complexe et à lui seul équivoque. Tout d'abord un fait fondamental a été mis en évidence par la psychologie animale et par les analyses électro-encéphalographiques : c'est l'existence d'activités spontanées du système nerveux (ondes) et de l'organisme (recherches de Adrian, etc. ), qui ne sont pas des réactions à un stimulus. Lorsqu'il y a réaction S—>R, on insiste de plus en plus sur le fait que si l'organisme répond c'est qu'il est sensibilisé au stimulus. Cette condition préalable de sensibilisation au stimulus est très visible dans les réactions instinctives (où le stimulus n'agit que s'il y a «appétence») et non moins claire dans les apprentissages, si l'on suit le sujet pas à pas au cours de son développement et que l'on observe les débuts de la sensibilité à un stimulus qui laissait jusque là le sujet indifférent. Or, cette sensibilisation indique la présence d'une disposition nouvelle, laquelle aboutit précisément à la réponse. On est donc de plus en plus porté à penser que le schéma S—>R n'est pas linéaire (—>) mais circulaire ce qui exclut de négliger l'organisme Or, d'où la relation complexe S(Or)R et l'impossibilité théorique de faire abstraction des variables intermédiaires. D'ailleurs, même en se conformant au schéma du plus strict positivisme, on est bien obligé de reconnaître que l'expérimentation destinée à décrire simplement les inputs et les outputs (par des relations répétables ou lois mais sans explication causale) est le produit d'un découpage en partie arbitraire. Nous avons déjà vu que le choix des inputs ou entrées suppose un découpage de l'univers par l'observateur. Mais la production ou présence des outputs ou sorties n'en est, on vient de le
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constater, pas moins relative au moment de la vie de l'organisme ou du sujet étudié, ce qui comporte un découpage dans le temps. L'expérience totale, même au point de vue positiviste, consisterait à essayer tour à tour tous les in put s possibles et à les étudier de façon continue dès la naissance (ou la vie fœtale) jusqu'à la mort. Le grand progrès de l'apprentissage instrumental par rapport aux conceptions classiques (voir plus loin sous § 7) est d'avoir élargi les inputs et d'avoir ainsi pu atteindre dans les oui put s une tranche de la vie des sujets, mais il faut continuer dans les deux sens et cela conduit nécessairement, même au point de vue positiviste, à une perspective génétique ou relative au développement tout entier. I I I . Si nous examinons alors les multiples travaux concernant le développement mental (on y reviendra sous § 8), nous constatons qu'il s'agit soit de répertoires de faits mais destinés à servir à des interprétations, soit de doctrines plus générales fondées sur des faits mais qui toutes visent à les expliquer et pas seulement à les décrire, autrement dit qui dépassent toutes le schéma positiviste : aucune, en effet, n'échappe à la nécessité, quasi inéluctable, de s'occuper à un moment donné des « facteurs » du développement (maturation organique, expérience, vie sociale, etc. ) ce qui est une recherche de l'explication causale et une tendance générale à meubler, ne fût-ce que par des hypothèses, l'intérieur de la « boîte » noire ou vide de l'empirisme strict. A en demeurer, d'ailleurs, sur le terrain de l'apprentissage, la tendance générale est aussi nettement aux théories explicatives. Pour ne citer qu'un petit fait, on peut en rester à la description simple tant que l'apprentissage est progressif et que les lois observées se confirment. Mais si une nouvelle acquisition, trop semblable à une précédente, en vient à l'effacer partiellement et qu'il y a, comme on dit, « inhibition rétroactive », personne ne s'abstiendra de chercher « pourquoi ». Ce qu'on trouvera consiste à nouveau en lois, bien entendu ; mais il restera alors à concilier ces lois partielles avec les lois plus générales et la coordination des lois n'est plus de la simple description, car une élaboration déductive devient en ce cas nécessaire, qui constitue précisément l'un des aspects de l'explication causale. Sur:le terrain des travaux de laboratoire concernant la perception, la mémoire, les processus intellectuels, etc., il en va constamment de même. Il est impossible, par exemple, si l'on reprend en tachistoscope avec un temps de présentation de 1/10 ou 5/100 de seconde, etc., un effet perceptif connu (comme une illusion optico-géométrique) et que l'on découvre une modification régulière nouvelle 7, de ne pas se demander à quoi ce changement est dû, ce qui est à nouveau une recherche de l'explication causale. Sous des noms très divers (et le vocabulaire ici employé peut ne pas convenir à chacun, mais ce n'est peut-être qu'une question de mots) 8 , la tendance générale est donc de dépasser la description dans la direction
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de l'interprétation, ce qui suppose trois étapes dans la recherche 9 : ( 1 ) Il y a d'abord la description des faits généraux ou relations répétables, c'est-à-dire l'établissement des lois. (2) Il y a ensuite la poursuite d'une déduction ou coordination des lois. Le plus bel exemple est celui de Hull qui, après avoir découvert une série de lois concernant l'apprentissage, le rôle des renforcements, les gradients de buts, la hiérarchie des habitudes en « familles », etc. (voir plus loin sous § 7 ) , a construit avec l'aide du logicien Fitsch une élaboration formalisée de ces lois à partir d'un certain nombre de postulats pouvant être considérés comme leurs raisons, puisqu'ils sont suffisants et nécessaires à leur déduction. D'autres auteurs ne prennent pas le soin d'une déduction mise en forme logique, mais, que la déduction soit intuitive ou plus ou moins formalisée, qu'elle soit explicite ou même implicite, il est impossible, dès que plusieurs lois sont en jeu et surtout lorsqu'elles sont d'échelles différentes (globales ou de plus en plus locales et particularisées ), de ne pas les grouper en un système où les unes dépendent des autres ou en dérivent. (3) Mais la déduction des lois n'est encore qu'une opération logique et, à elle seule, insuffisamment explicative. 10 Cette déduction, si elle est complète, aboutit bien à dégager les postulats de départ en tant que nécessaires et suffisants et ces postulats, en explicitant des « raisons », mettent sur la voie de l'explication. Mais si l'on s'en tient au jeu formel de la déduction, plusieurs systèmes déductifs sont toujours possibles dont les uns considèrent comme postulat ce qui est conséquence en d'autres, et réciproquement. Pour atteindre l'explication il est alors indispensable de concrétiser la déduction des lois sous la forme de « modèles » qui sont censés tout à la fois représenter les processus réels et les exprimer sous forme d'opérations déductives, le but étant atteint lorsqu'aux opérations de la déduction correspondent les transformations effectives en jeu dans la réalité étudiée (voir plus loin sous § 9, etc.). L'explication est alors obtenue lorsque, aux lois ( 1 ) correspond une déduction possible ( 2 ), se concrétisant en un modèle ( 3 ). Mais chacun sait qu'en psychologie plus encore qu'ailleurs, les hypothèses explicatives sont multiples et, si les tendances actuelles sont dominées par des efforts incontestables d'unification, dont nous verrons des exemples, il n'en reste pas moins que celle-ci est un programme d'avenir plus qu'une réalité et que, selon les secteurs multiples de notre domaine d'études, on trouve encore une hétérogénéité assez grande dans les interprétations. La raison n'en tient pas aux lois, sur lesquelles on s'accorde plus ou moins facilement dans les secteurs les plus expérimentaux et dont les vérifications donnent lieu à des tentatives multiples dans les domaines plus cliniques ou psycho-sociaux. La raison n'en tient pas non plus à la coordination ou déduction des lois, car si les uns poussent davantage la mise en forme logique et si d'autres se contentent de vues plus intuitives, les résultats ne diffèrent pas fondamentalement. La vraie raison est à chercher dans la diversité des modèles possibles, car la vie mentale tire ses sources de la vie organique, s'épanouit dans la vie sociale et se mani-
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feste par des structures multiples (logique, psycho-linguistique, etc.), d'où une grande diversité de modèles selon que dominent les essais réductionnistes de caractère organiciste (voir sous § 3), physicaliste ( § 4 ), sociologique ( § 5 ), les tentatives d'atteindre la spécificité psychologique dans les transformations de l'instinct en dialectique avec le moi ( § 6 ), dans les manifestations du comportement ( § 7 ) ou dans le développement en général ( § 8 ) , le tout sous des formes plus ou moins concrètes ou orientées vers les modèles abstraits ( § 9 ). C'est l'examen de ces multiples formes d'interprétation qui permettra de marquer le mieux à la fois les tendances actuelles de la psychologie, autres que positives, et les connexions toujours plus nombreuses que cette discipline entretient avec les autres sciences.
3. La tendance organiciste et les relations de la psychologie et de la biologie Il n'y a pas de vie mentale sans vie organique, tandis que la réciproque n'est pas nécessairement vraie ; et pas de comportement sans fonctionnement nerveux (à partir des Cœlentérés), tandis que celui-ci déborde celui-là. Et surtout, tout ce qui est organique donne lieu à vérifications concrète et à manifestations plus observables et mesurables que les conduites et la conscience : autant de raisons pour orienter les explications psychologiques vers une mise en relation des processus mentaux et des comportements avec des processus physiologiques. I. C'est bien là une tendance permanente de la psychologie et elle apparaît de plus en plus comme ayant un grand avenir, en plus des réalisations déjà connues. Mais il est essentiel de comprendre d'emblée qu'elle se manifeste sous deux formes distinctes et que les tendances actuelles ne sont point toujours identiques à certains courants d'idées passés : il y a la tendance réductionniste qui vise à une identification pure et simple du processus mental, conçu comme simple expression phénoménologique, à son concomitant organique conçu comme constituant sa vraie réalité ou tout au moins son explication directe ; mais il y a aussi une tendance que l'on peut appeler relationnelle ou dialectique et qui consiste à distinguer des échelles multiples de phénomènes, tant dans l'organisme ou le système nerveux que dans le comportement ou les conduites, et à discerner des interactions ou feedbacks entre les processus d'échelles différentes, de telle sorte qu'il n'y a plus réduction du supérieur à l'inférieur mais des solidarités de plus en plus étroites. Notons d'abord, pour prévenir toute équivoque, que ce problème des relations entre la psychologie et la physiologie ou la biologie déborde de beaucoup là question particulière des relations entre la conscience comme telle (donc non pas la réaction dans son ensemble ou conduite) et son concomitant nerveux, question dont il a été traité dans 1'« Introduction »
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(S 7 sous I I I ) . La tendance générale actuelle est d'admettre un isomorphisme et non pas une interaction entre les formes de cette conscience et celles de son concomitant ( isomorphisme que nous avons présenté comme existant entre les « implications » propres à la conscience et la causalité propre au processus nerveux), ce qui n'exclut en rien que les processus nerveux s'accompagnant de conscience soient différents des autres, comme les enregistrements électroencéphalographiques des états de « vigilance » pourraient le montrer. Mais nier l'interaction entre la conscience comme telle et ses concomitants nerveux ne signifie nullement que l'on conteste les interactions entre la conduite (qui comprend la conscience, mais la dépasse) et les processus physiologiques : toute la médecine psychosomatique (ou cortico-viscérale) montre de telles interactions, qui ne prouvent rien ni pour ni contre l'action de la conscience comme telle sur les activités nerveuses supérieures, mais bien l'action de ces activités psychophysiologiques sur les régulations de niveau inférieur. Il va de soi que de ce dernier point de vue les recherches psychosomatiques sont d'une grande importance théorique de même que toutes les thérapeutiques psychologiques de nature biologique. Il faut faire à cet égard une mention particulière des travaux en plein essor de la pharmacopsychologie. Cela dit, revenons aux tendances réductionnistes ou interactionnistes quant aux relations entre la vie mentale ou les conduites et la vie physiologique ou biologique. Il a existé de tout temps, en psychologie scientifique, certaines tendances essentiellement réductionnistes et, à l'époque où l'on expliquait les processus psychiques par l'association, on cherchait à montrer en celle-ci le reflet direct d'associations nerveuses (dont le nom est resté dans les « voies d'associations » du cortex) ou de frayages, etc. Lorsque Pavlov a découvert les réflexes conditionnés, il n'a pas hésité à les considérer comme « complètement identiques » aux « associations des psychologues » et l'on a naturellement commencé par voir dans ces réflexes conditionnés l'explication à tout faire permettant de réduire l'ensemble de la vie mentale aux conditionnements nerveux : il y a quelques années encore, un médecin-psychologue suisse cherchait à montrer dans le réflexe conditionné la cause unique non seulement des habitudes, du langage, du dessin, etc., mais encore de toute l'intelligence et de la volonté. Sans atteindre ce degré de réductionnisme, il existe cependant certaines tendances, toujours actuelles chez quelques chercheurs et postulant sans discussion une réduction possible des conduites supérieures aux comportements du rat ou du pigeon : or, s'il faut naturellement supposer un certain nombre de mécanismes communs, on ne saurait, sans courir le danger d'une sorte d'« animalisation » de l'homme, décider d'avance jusqu'où ils s'étendent et surtout ce qu'ils deviennent une fois intégrés en des conduites plus complexes et évoluées. I I . Rien n'est plus instructif, pour comprendre comment les tendances interactionnistes ou relationnelles tendent aujourd'hui à supplanter ce
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réductionnisme, que de retracer à grand trait les destinées de ce réflexe conditionné, sur les deux plans parallèles et finalement interdépendants de la physiologie et de la psychologie. Sur le terrain physiologique, les grandes découvertes de Pavlov ont conduit à distinguer des échelles de phénomènes et à reconnaître l'existence d'actions des niveaux supérieurs sur les inférieurs et pas seulement l'inverse. L'assimilation de 1'« association des psychologues » au condiditionnement était une réduction du supérieur à l'inférieur, mais aussitôt après, Pavlov a mis en lumière les effets exercés par l'activité nerveuse supérieure ( donc les réflexes conditionnés ) sur les mécanismes viscéraux, ce qui est une influence de l'échelle supérieure sur les phénomènes d'échelle inférieure. Puis il a découvert les deux systèmes de signalisations, l'un purement sensori-moteur, l'autre lié au langage et les psychologues soviétiques ont multiplié les exemples d'action des signalisations verbales sur les conditionnements d'échelle inférieure et jusque sur les réactions physiologiques de niveau périphérique. En troisième lieu, les techniques électrophysiologiques ont montré que le réflexe conditionné n'est pas purement cortical, mais intéresse aussi la formation réticulaire et comporte donc une intégration diencéphalique, ce qui suppose des interactions entre le système associatif cortical et ces systèmes de niveaux inférieurs. D'autre part, les physiologistes et les psychologues soviétiques ont renoncé à voir dans le conditionnement un simple enchaînement d'associations et en fournissent aujourd'hui des modèles cybernétiques à feedbacks, ce qui présente le grand intérêt de substituer à un schéma mécanique de niveau inférieur des schémas comparables à ceux des conduites de tâtonnements ou des régulations cognitives en général. Cela n'empêche en rien ces schémas de régulation d'être courants sur les divers terrains physiologiques et de montrer ainsi des analogies relationnelles entre les multiples échelles, analogies contraires à tout réductionnisme. Enfin, on en vient avec Fessard à chercher des modèles abstraits, à la fois probabilistes et algébriques, au processus même du conditionnement. Fessard constate d'abord qu'un apprentissage (du moins chez l'adulte) ne dépend pas de la croissance de nouveaux rameaux nerveux terminaux ou de nouvelles synapses et constitue donc seulement un nouveau fonctionnement de connexions déjà formées. Il construit alors un schéma de « réseau » (lattice) dont tous les éléments ont des propriétés identiques (d'où le rôle d'une détermination historiaue dans le choix des chemins préférentiels), mais avec possibilité d'introduire une certaine stabilité homéostatique malgré les substitutions d'itinéraires. Le pourquoi de ceux-ci s'explique alors par le caractère stochastique du système, le réseau envisagé étant présenté comme un « réseau stochastique subordonné », stochastique parce qu'à chaque élément du système s'attache une certaine probabilité de décharge, et subordonné parce qu'il est connecté avec d'autres champs neuroniques analogues dont il subit les influences. Nous voyons ainsi que, au point de vue physiologique, le condition-
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nement a cessé depuis longtemps d'être lié à une seule échelle de phénomènes, ce qui permettait des réductions supposées des processus supérieurs à cette échelle considérée comme inférieure : d'une part il commande ou contrôle toutes sortes de mécanismes inférieurs à lui, tout en dépendant de systèmes sous-corticaux ; d'autre part, l'élaboration théorique de plus en plus raffinée à laquelle il donne lieu le rend comparable à maints systèmes régulateurs de nature supérieure et à des structures algébriques et probabilistes qu'on retrouve à tous les niveaux de l'intelligence. Du point de vue des conduites psychologiques, le conditionnement a donné lieu à une dialectique analogue. On s'est d'abord aperçu du fait que le réflexe conditionné n'est pas par lui-même stable et ne se stabilise qu'au sein de conduites plus larges susceptibles de l'équilibrer : le chien de Pavlov cesse de saliver si le signal sonore constituant le stimulus acquis n'est plus suivi par la nourriture. Il en résulte que l'association comme telle ne constitue pas une unité naturelle et constante et ne joue qu'insérée dans un ensemble élargi comprenant le besoin initial et sa satisfaction finale : l'association est donc une assimilation, le son entendu présentant une signification dans la mesure seulement où il est assimilé au schème de la nourriture ; et encore s'agit-il d'une assimilation anticipatrice puisque le signal annonce mais n'indique pas encore une présence. Les conditionnements intervenant dans l'acquisition du langage n'acquièrent de même un sens et une stabilité que dans un contexte d'imitation et d'échanges significatifs, etc. Bref, à tous les points de vue, l'histoire des idées concernant le réflexe conditionné montre à titre d'exemple très représentatif pourquoi et comment les tendances réductionnistes cèdent le pas à une tendance de plus en plus répandue, caractérisée par une dialectique des niveaux et une assimilation relationnelle du supérieur à l'inférieur et réciproquement. I I I . A passer maintenant de cet exemple particulier aux considérations les plus générales, il faut, pour comprendre les tendances les plus actuelles de la psychologie dans ses relations avec la biologie n , mentionner les travaux concernant les rapports entre le comportement, ou spécialement les fonctions cognitives, et les régulations organiques. Pendant longtemps, les biologistes ont considéré le génome comme un ensemble atomistique formé de gènes indépendants les uns des autres, entièrement séparés du soma et porteurs chacun de caractères héréditaires ou génotypiques se transmettant sans plus, sous la double réserve de mutations, en général perturbatrices, et de combinaisons génétiques dues à l'amphiminie. Dans cette perspective, seul le germen paraissait important du point de vue de la variation et de l'évolution, le phénotype ne constituant qu'une sorte d'excroissance individuelle périssable et d'influence évolutive nulle, l'évolution étant due aux mutations et à leur sélection conçue comme un triage. A fortiori le comportement
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apparaissait-il comme négligeable, les instincts, les apprentissages et l'intelligence elle-même ne fournissant qu'une petite aide supplémentaire à la survie des organismes dans leur lutte pour la vie au sein des sélections. On sait au contraire aujourd'hui que le génome est un système régulateur à éléments interdépendants, que les combinaisons génétiques jouent un rôle plus important que les mutations et sont elles-mêmes soumises à des lois d'équilibration au sein du pool génétique des populations. On sait surtout que le phénotype est à concevoir comme une réponse du génome aux tensions du milieu et que la sélection ne porte pas directement sur les gènes, mais sur les phénotypes en tant que réponses plus ou moins adaptées. Quant au comportement, il n'a plus rien alors de secondaire ou négligeable puisqu'il constitue l'activité essentielle du phénotype. De plus, grâce au comportement, les relations entre l'organisme et le milieu deviennent circulaires : l'organisme choisit son milieu et le modifie, autant qu'il en dépend, et le comportement devient ainsi un facteur important de l'évolution elle-même. Il ne faut donc pas s'étonner de voir un des grands fondateurs de l'éthologie contemporaine, K. Lorenz, qui est un zoologiste et non pas un psychologue, écrire récemment : « En tant que naturalistes connaissant les réalités de l'évolution, nous sommes obligés de considérer les réalisations de l'appareil de connaissance humaine comme toutes les autres fonctions organiques, donc comme quelque chose de formé phylogénétiquement, qui doit ses caractéristiques spécifiques à la confrontation entre l'organisme et le milieu... Et, même si nous ne nous intéressons pas aux processus mêmes de la connaissance, mais exclusivement à sa portée « objective » et extrasubjective, nous sommes obligés de faire de la théorie de la connaissance, à titre de cas particulier de la science des appareils biologiques. » 1 2 Lorenz lui-même interprète la connaissance humaine comme essentiellement due à des formes a priori au sens d'antérieures à l'expérience, mais sans nécessité et considérées à titre d'hypothèses héréditaires sur le mode des instincts. Or, ces liaisons possibles entre l'organisation biologique et celle de la connaissance, en particulier entre les régulations organiques et les systèmes régulateurs cognitifs avec leur équilibration progressive ne justifient en rien une tentative réductionniste et cela pour une raison évidente au point de vue de la psychologie du développement : c'est que l'intelligence ne surgit pas toute armée, comme si elle était contenue d'avance dans l'organisme, ni n'évolue non plus en ligne droite à partir de mécanismes élémentaires qui seraient alors préformés dans les systèmes nerveux et génétiques, mais qu'elle se construit peu à peu, paliers par paliers, chacun de ces stades débutant par une reconstruction actuelle de ce qui était acquis sur un autre plan au niveau antérieur. On ne saurait, par exemple, considérer la logique comme innée et préformée dans le cerveau du seul fait que W. McCulloch et W. Pitts ont découvert que les diverses transformations intervenant dans les connexions synaptiques étaient isomorphes aux foncteurs de la logique des propositions : ces
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structures nerveuses doivent d'abord se traduire en structures sensorimotrices et celles-ci ne sont pas simplement tirées de formes héréditaires mais supposent une construction réelle au cours de laquelle des incitations sont certes tirées du fonctionnement cérébral mais à titre de cadre fonctionnel et non pas d'idées innées. Ce qui a été construit au plan sensori-moteur doit ensuite être reconstruit et dépassé à celui de la représentation ou pensée (car toute autre chose est de savoir exécuter une action et de pouvoir la retracer en pensée), et, dans le domaine même de la pensée, ce qui débute sous forme d'opérations concrètes portant directement sur les objets n'est transposé que plus tard au plan de la réflexion abstraite, etc. En bref, s'il existe des liaisons étroites entre l'organisation nerveuse ou physiologique en général et l'organisation cognitive, il s'agit là d'interactions multiples entre processus d'échelles superposées et nullement de réduction simple. Il en faudrait dire autant des mécanismes centraux de la motivation, des pulsions, des émotions, etc., mais dont l'étude qui est en plein essor ne permet pas encore de dégager les vues synthétiques dont il pourrait être question dans ce chapitre. 1 3
4. La tendance physicaliste et les différents paliers de la perception Une seconde forme d'explication pouvant conduire à des essais de réduction caractérise une tendance assez permanente de la psychologie mais qui, elle aussi, a donné lieu à une inversion de sens assez spectaculaire et très significative des tendances contemporaines de notre discipline comparées aux tendances du passé. Si l'affectivité, la formation des habitudes, certains aspects de l'intelligence elle-même dépendent manifestement de l'organisme, d'autres domaines tels que surtout la perception et les formes objectives, et pour ainsi dire dépersonnalisées, de la connaissance peuvent paraître reliées directement au monde physique : d'où des tentatives répétées pour relier ces processus mentaux aux processus physiques. La tendance a été d'autant plus marquée, naturellement, qu'elle a parfois été représentée par des auteurs ayant reçu une formation de physiciens avant de s'occuper de psychologie, comme jadis Fechner et aujourd'hui W . Kohler. I . S'il faut rappeler Fechner, bien qu'il appartienne à l'histoire, c'est pour signaler une fois de plus que les divers courants de la psychologie débutent par des manifestations de caractère atomistique avant d'en venir à des interprétations structuralistes. Nous avons déjà noté la nature profondément atomistique des conceptions associationnistes initiales, tandis que les vues actuelles sur le conditionnement témoignent, comme on l'a vu, d'un structuralisme cybernétique ou même algébrico-probabiliste. En ce qui concerne le courant physicaliste, Fechner, après Weber et le Français Bouguer, a de même voulu exprimer simplement la relation
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constante entre les sensations, considérées isolément, et les quantités physiques qu'elle traduisent subjectivement : d'où la fameuse loi logarithmique reliant l'excitation à la sensation et qui, quoique approximative ( Stevens la remplace même par une fonction puissance ), a été retrouvée en de nombreuses situations biologiques ; elle régit même les relations entre les intensités lumineuses et les impressions sur une plaque photographique (ce qui montre son caractère simplement probabiliste, cet exemple physique s'expliquant par les probabilités de rencontre entre les photons et les particules de sel d'argent de la plaque). Avec la psychologie de la Gestalt, par contre, nous nous trouvons en présence d'un physicalisme nettement structuraliste, ce qui explique la grande influence qu'a eue ce courant d'idées, et une influence qui dure encore sous des formes indirectes, ne serait-ce que parce qu'il représente l'une des sources du structuralisme contemporain. Le concept théorique central de la psychologie de la Forme ou Gestalt est celui de champ, au sens d'un champ électromagnétique. Inversant complètement le point de vue associationniste, pour lequel il existe d'abord des éléments isolés ou sensations, et ensuite des liaisons entre eux sous la forme d'associations, la théorie de la Forme part de la perception comme un tout (une mélodie, une physionomie, une figure géométrique). Même dans les cas où la figure semble consister en un élément unique, comme un point noir marqué sur une feuille blanche, il intervient encore une totalité, car le point est une « figure » qui se détache sur un « fond ». Les Gestaltistes ont alors dégagé les lois de ces totalités, telles que les lois de ségrégation entre les figures et les fonds, les lois de frontières, les lois de « bonnes formes » ou de « prégnance » ( les bonnes formes sont prégnantes parce que simples, régulières, symétriques, etc.), les lois d'effets consécutifs ( totalités dans le temps ), etc. Quant à l'explication proposée, elle est belle et simple : les formes perceptives sont l'expression de structurations nerveuses immédiates, au contact des objets, et comme les champs polysynaptiques et les analyses électroencéphalographiques suggèrent la notion de champs nerveux, on peut considérer ces structurations comme dues à des lois physiques de champs,de nature très générale (principes d'équilibre,de moindre action, etc.). Une Gestalt étant (par définition due à cette école) ) une totalité non additive, c'est-à-dire dont le tout n'équivaut pas à la somme des parties, Kohler s'est attaché à montrer qu'il existait des « Gestalts physiques », précisément dans le domaine des effets de champ (tandis que le parallélogramme des forces n'est pas une Gestalt, puisqu'il résulte d'une composition additive). Les lois de Gestalt 1 4 étant ainsi très générales, les psychologues de cette école ont voulu interpréter en outre, par leur moyen, les réactions motrices et l'intelligence elle-même, les lois logiques en particulier leur paraissent refléter les systèmes d'ensemble qu'ils ont découverts. Tout récemment encore, A. Michotte a cherché à rendre compte de cette manière de la perception de la causalité et de la notion même de cause.
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I I . Mais si le très grand progrès marqué par le physicalisme gestaltiste demeure sans conteste d'avoir frayé la voie aux interprétations résolument structuralistes, la suite des recherches a montré qu'un structuralisme plus poussé ne demeure pas forcément physicaliste et que, au contraire, en partant de structures plus spécifiquement biologiques ou psychologiques, on finit par éclairer sur certains points notre connaissance physique elle-même. Les débats ont d'abord porté sur la nature même de la perception. Il est dans la logique du physicalisme, car il prétend atteindre des lois communes à l'univers physique, au système nerveux et aux réactions mentales, de n'utiliser que des interprétations faisant abstraction des activités du sujet, puisque celui-ci constitue seulement le théâtre ou l'acteur d'une pièce écrite avant lui et qu'il n'en est pas l'auteur, et excluant toute transformation profonde en fonction du développement, puisque les lois d'équilibre invoquées sont celles d'un univers tout fait et non pas d'une équilibration biologique et progressive. C'est pourquoi dans le domaine perceptif, les Gestaltistes se sont surtout souciés de chercher à prouver que les structures principales n'évoluent pas avec l'âge, notamment les fameuses « constances » de la grandeur (évaluation de la grandeur réelle à distance), ou de la forme, etc. Or, sur ces points fondamentaux les travaux actuels n'ont pas donné raison à l'interprétation gestaltiste et ont montré que les formes d'équilibre en jeu sont bien plus proches d'une homéostasie biologique ( systèmes de régulations avec compensations de proche en proche ou même anticipatrices ) que d'une balance physique des forces. En psychologie animale, von Holst a construit un modèle cybernétique de la constance des grandeurs, avec régulation automatique, à l'intention des cas où cette constance est considérée comme innée. Quant à son développement de l'enfance à l'âge adulte, certains travaux ont mis en évidence deux sortes de faits : d'abord une évolution avec l'âge, procédant d'une sous-constance initiale très nette jusqu'à une constance approximativement exacte vers 7 ans et se prolongeant ensuite en une sur-constance ; en second lieu une sur-constance fréquente chez l'adulte, qui à 4 m de distance voit, par exemple, une tige verticale de 8 à 9 cm comme si elle en avait 10. Or cette sur-constance inexplicable dans une hypothèse physicaliste, relève évidemment d'une précaution inconsciente contre l'erreur, donc d'une « décision » au sens de la théorie des jeux et encore selon le critère minimax (minimisation maximale du risque), ce qui n'a plus rien d'une balance de forces physiques et trouve au contraire son équivalent en certaines formes biologiques d'homéostasie avec surcompensation en cas d'accident et non pas compensation exacte. D'une manière générale, la tendance actuelle des travaux sur la perception n'est nullement orientée dans le sens physicaliste étroit de la théorie des champs, mais, pourrait-on dire, dans la direction d'un physicalisme élargi qui passe par les inspirations biologiques. Les travaux américains de l'école qui se caractérise elle-même plaisamment par un
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new look en perception insistent surtout sur la dimension fonctionnaliste (rôle de l'affectivité et même de facteurs sociaux), mais les travaux soviétiques insèrent ces mêmes préoccupations dans un contexte de réflexologie pavlovienne avec les nouvelles interprétations cybernétiques du conditionnement. Il est à noter à cet égard que Pavlov, qui avait bien vu ce rôle du conditionnement dans la perception, en concluait à la vérité de « ce que le génial Helmholtz a désigné sous le terme célèbre de conclusion inconsciente », donc à la réalité des inférences ou préinférences perceptives. Mais c'est dans la direction du probabilisme que la théorie de la perception peut être considérée comme revenant à un physicalisme élargi. 15 Quant à l'intelligence, on tend de moins en moins à chercher à la réduire à des modèles de « Gestalts >• : pour cette raison que ces dernières sont des totalités à composition non-additive, précisément parce que probabiliste, tandis que les structures opératoires de l'intelligence (une sériation, une classification, la suite des nombres entiers, etc.) sont rigoureusement additives tout en comportant des lois de totalités bien définies (structures de «groupe», de «réseau» ou lattice, etc.). En d'autres termes, les opérations de l'intelligence sont réversibles au double sens logique (inversions, réciprocités et corrélatives ou transformations duales, involutives) et physique (retour au point de départ en passant par les mêmes états en ordre contraire), tandis que les processus perceptifs sont irréversibles parce que probabilistes et sans « nécessité » intrinsèque ou logique. Il est alors d'un certain intérêt de demander si cette grande bipolarité des fonctions cognitives (avec toutes sortes d'intermédiaires ontogénétiques entre les deux pôles extrêmes) ne correspondrait pas à ce qui constitue peut-être la dichotomie la plus importante des phénomènes physiques, qui se répartissent en processus réversibles (mécanique et cinématique) et irréversibles (par exemple la thermodynamique ). On est donc conduit à penser que l'aspect le plus intéressant, pour la psychologie, des références à la physique n'est sans doute pas la réduction hypothétique d'une structure mentale, fût-ce la perception, à une structure physique (de champ, etc.), mais l'analogie entre le mode de composition intervenant dans la première et le mode de composition utilisé par le physicien dans la connaissance de la seconde. A cet égard, il se pourrait que la coupure entre les phénomènes irréversibles et réversibles soit aussi une division entre le domaine des explications surtout probabilistes et celui de la déduction simple, comme dans la mécanique qui peut aussi bien être présentée comme une discipline rationnelle et mathématique que comme une science expérimentale. D'un tel point de vue, qui est celui des tendances les plus actuelles de la psychologie, il s'est produit une sorte de renversement assez impressionnant par rapport au physicalisme classique : la théorie de l'information, née de considérations essentiellement humaines, s'est trouvée converger en partie, mais de façon remarquable par son appareil formel
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et mathématique, avec les équations fondamentales de la thermodynamique concernant l'entropie (l'information pouvant être définie comme une néguentropie ) ; et la théorie de la décision ou des jeux, dont le domaine spécifique est l'économie, a trouvé des applications physiques (dans la théorie du démon de Maxwell jouant avec l'entropie). I l va donc de soi qu'en plusieurs domaines de la psychologie, on cherche à utiliser ces modèles en quelque sorte physico-humains (mais, nous l'avons noté dans 1'«Introduction» § 6 sous I I , nés des sciences humaines et retournés à la physique ), en particulier celui des jeux d'informations : W . P . Tanner a fourni de ce point de vue une théorie précise des «seuils» de la perception, Berlyne l'a appliquée au problème des intérêts, J . Bruner et nous-même aux stratégies de la pensée, etc.
5. Les tendances psychosociologiques et les interactions entre le général et le social On peut concevoir la vie mentale comme une vie organique socialisée, le mental s'évanouissant, à l'analyse, en ses sources organiques et son épanouissement social, ce qui peut même conduire en certains cas à s'engager vers un double réductionnisme, organiciste et sociologique ; ou bien on se placera à un point de vue dialectique ou relationnel en substituant à l'idée de réduction celle d'une suite d'interactions hiérarchisées. Or, nous avons vu, sur les terrains organicistes et physicalistes, la première de ces tendances céder nettement à la seconde, tout en accentuant les aspects structuralistes de l'explication. Dans le domaine des relations entre l'individu et le groupe social, on assiste à une évolution du même genre : les premières doctrines qui ont insisté sur la dimension sociale des mécanismes mentaux et des conduites ont été portées à vouloir réduire à cet aspect sociologique tout ce que comportait le psychisme supérieur de l'individu ; mais, au fur et à mesure que l'on est parvenu à mieux dissocier ce qui est général et commun à tous les individus, autrement dit précisément les « structures », et ce que chaque individu peut inventer ou différencier au cours du fonctionnement de ses spécialisations personnelles, le problème s'est assez profondément modifié en ses termes. Selon les tendances actuelles, la question n'est plus tant, en effet, d'établir jusqu'à quel point l'individu est socialisé (il l'est de sa naissance à sa mort, mais selon des modes bien divers), que de discerner si, entre les structures organiques et les structures sociales, il existe des structures « générales » ou communes à tous les individus membres de la société, mais non exclusivement ou spécifiquement sociales, et quelles sont les interactions entre les trois sortes de réalités. I . Il est entièrement inutile de retracer l'histoire des disputes classiques autour de la question de savoir si c'est la société qui forme l'individu,
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ce qui est évident du langage et ce que Durkheim soutenait de la logique naturelle, des sentiments moraux, etc., ou si c'est l'individu qui façonne la société par ses tendances « naturelles » ou organiques, comme le pensaient Rousseau et le sens commun avant la découverte de la sociologie, et comme le supposent les psychanalystes n'appartenant pas à la sousécole dite culturaliste, ainsi que d'autres auteurs s'occupant de celles des conduites qui sont peu modifiées par les sociétés particulières. Posé sur le seul terrain de la psychologie adulte, ce problème ressemble un peu trop à celui, non moins classique, de décider si c'est la poule qui fait l'œuf ou l'œuf qui fait la poule. Mais, de même que la biologie surmonte ce problème en étudiant le poussin et en réduisant simultanément la poule et l'œuf à des structures dynamiques de caractère génétique, ontogénétique et instinctif, ce qui suppose l'étude coordonnée de l'hérédité, du développement et du comportement, et non pas celle du comportement seul, de même l'étude des relations entre la psychologie individuelle et la vie sociale ne peut se réduire à l'étude des conduites achevées ou adultes. Le phénomène social le plus spécifiquement humain, comme Durkheim l'a bien vu, est la formation des nouvelles générations par celles qui les ont précédées, et une formation procédant par transmissions extérieures, ou éducatives au sens large (du langage aux contraintes économiques et politiques), et non pas par hérédité comme dans le cas de bien des instincts familiaux ou sociaux des animaux. Il n'en reste pas moins que les générations montantes paraissent au monde déjà munies de caractères héréditaires, dont un système nerveux non transmis par la société, et que le processus de socialisation ne se réduit nullement à déposer des empreintes sur une « table rase ». Pour comprendre ce que la société apporte à l'individu, il ne suffit donc pas de constater que chez l'adulte presque tout est socialisé, à part quelques réflexes ( et encore sont-ils en partie éduqués ), quelques structures perceptives (et encore le langage, la suggestion, etc. peuvent les influencer), quelques rêves (et encore...), etc. Il importe au contraire de connaître avec précision : ( 1 ) Le patrimoine psychologique héréditaire de notre espèce, ce qui n'est pas si simple puisque les psychanalystes ne sont pas en accord, même les uns avec les autres, pour savoir si les tendances « œdipiennes », etc., relèvent de 1'« instinct » ou encore de facteurs culturels ; puisque l'on continue à discuter de la part d'innéité dans les tendances criminelles, etc. ; et surtout puisqu'on ne sait encore que bien peu de choses quant aux facteurs de maturation nerveuse intervenant sans doute pour une part dans le développement des opérations intellectuelles. (2) Le développement de l'enfant et de l'adolescent, notamment le détail des processus de socialisation qui modifient la plupart de leurs caractères psychologiques. On a, en particulier, montré à cet égard que la socialisation ne se réduit nullement aux contraintes spirituelles ou matérielles exercées par l'adulte, dans la famille ou à l'école, et que la « coopération » entre contemporains peut aussi jouer un rôle essentiel,
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notamment dans le développement des Sentiments moraux. Quant aux facteurs de transmission proprement dite, il existe de nombreux processus bien distincts, et l'enfant ne se soumet certainement pas de la même manière aux règles de l'orthographe, par exemple, ou à des croyances collectives relevant des idéologies en cours, qu'aux règles logiques ou mathématiques dont il ne comprend le sens qu'en les réinventant en partie (et en oubliant ce qui n'a pas été reconstruit activement). ( 3 ) Les comportements sociaux de l'adulte, dans la dynamique des groupes ou la vie collective en général, y compris les innombrables conduites sociales intériorisées et appliquées à soi-même, selon un processus bien connu ( par exemple le langage intérieur ). On voit alors que le point ( 2 ) est en fait le plus important, d'abord parce qu'il porte sur la formation de l'individu et que seule la formation est explicative et source d'informations contrôlables, et ensuite parce qu'il comprend et éclaire les deux autres, les facteurs héréditaires ne se reconnaissant qu'à leur action au cours du développement et les comportements adultes dépendant des précédents. Or, chose curieuse, on a mis longtemps à s'apercevoir du fait que la psychologie du développement occupait à cet égard une position-clef et remplissait une fonction indispensable au sociologue autant qu'au psychologue. C'est J . M . Baldwin qui le premier sans doute en a eu une claire vision, mais malheureusement sans contrôle expérimental systématique : il reste cependant de lui l'idée très féconde et souvent vérifiée depuis que le sentiment du « moi » lui-même n'est nullement un produit inné ou spontané de la conscience comme telle, qui commence par une phase d'« adualisme » radical, et qu'il est dû aux échanges interindividuels débutant avec l'imitation. Pierre Janet ensuite, ce médecin-psychologue qu'un homme d'esprit appelait « le principal sociologue français » a sans cesse insisté, dans son tableau du développement et de la hiérarchie des conduites (inspirée par la pathologie), sur le mode de formation social d'une série de fonctions d'apparence toute intérieure : la réflexion comme produit de la délibération, la mémoire d'évocation liée à la « conduite du récit », la croyance comme promesse ou engagement, etc. Mais ce sont les psychologues de l'enfance qui ont naturellement fourni le plus de matériaux quant au détail des processus de socialisation, et ces matériaux contrôlés expérimentalement puisque l'on peut, à chaque âge, vérifier les hypothèses par des faits répétables à volonté. On pourrait à cet égard citer un grand nombre de travaux soviétiques, anglo-saxons, parisiens, genevois, etc., qui ne convergent d'ailleurs pas entièrement sur toutes les interprétations proposées. I I . Mais avant de dégager objectivement les deux principales tendances théoriques issues de ces recherches, indiquons encore les tendances de la recherche dans cette branche de la psychologie qu'on appelle psychologie sociale au sens strict et dans le domaine des travaux comparatifs qui, en fait, intéressent directement aussi le problème psycho-sociologique.
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La psychologie sociale rejoint tous les problèmes généraux de notre science (psychologie différentielle, personnalité, etc.), puisque l'homme est un être essentiellement socialisé. D'où un ensemble considérable de recherches sur la nature et l'étendue des influences sociales, sur la communication, les conflits, etc. Il faut y ajouter deux objectifs spécifiques et complémentaires, mais dont la complémentarité à elle seule témoigne plutôt d'une interaction entre les domaines psychologiques et sociologiques que d'une réduction à sens unique. L'un de ces buts est l'étude des relations inter-individuelles et de la dynamique des groupes. Il faut d'abord rappeler les travaux de Lewin et de ses collaborateurs sur les « champs » perceptifs et affectifs (en un sens gestaltiste élargi, comprenant le sujet et ses réactions), et surtout sur la dynamique d'ensemble de ces champs ; Lewin s'est efforcé de montrer que les caractères de désirabilité, les oppositions ou les inhibitions et « barrières psychiques », dépendent de la structure d'ensemble du champ autant que des besoins plus permanents des individus. D'autres modèles ont été élaborés par des auteurs tels que Heider et que Festinger, avec un retentissement analogue. Après que Moreno ait imaginé, sous le nom de « sociométrie », une technique d'estimation des jugements de valeur portés par chaque membre d'un groupe sur chacun des autres, on s'est efforcé de traiter les petits groupes comme des sortes de Gestalts dynamiques en en déterminant les lois de polarisation, les facteurs de leadership, etc. Un autre but constant de certains psychologues sociaux est de montrer par les exemples les plus variés étudiés expérimentalement en leur détail, que les fonctions mentales les plus indépendantes en apparence du groupe social sont en réalité influencées par le milieu collectif et présentent certaines variations d'un type de société à un autre ou d'un niveau de société à un autre : cela va de soi des catégorisations conceptuelles et affectives, mais on a poussé l'analyse jusqu'au niveau de la perception, etc. On voit alors que ces deux sortes de recherches s'orientent en réalité vers des schémas d'interdépendance plus que de réductions simples : si le dernier des buts mentionnés est souvent dirigé par un désir de réduction du psychologique au sociologique, l'étude de la dynamique des groupes aboutit par contre à une mise en valeur des relations interindi viduelles que les sociologues, sauf G. Tarde, ont en général voulu distinguer nettement des contraintes du tout social comme tel et subordonner à ce tout considéré comme inexplicable psychologiquement. Or, dans la mesure où la psychologie sociale étudie les petits groupes, elle les traite à titre de Gestalts dynamiques constituant l'extension progressive de groupes à 2, à 3, puis à n individus, la frontière sociale n'étant plus située entre le tout social et l'interindividuel, mais entre l'interindividuel, considéré comme constituant déjà une totalité, et l'individuel pur ou même l'organique. En rejoignant de cette manière la microsociologie contemporaine, la psychologie sociale s'oriente ainsi vers
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des relations d'interdépendance et non plus de réduction simple. Mais il y a plus. Les études comparatives selon les divers milieux sociaux rappelées à l'instant ne constituent qu'un aboutissement parmi d'autres d'une tendance aujourd'hui générale à adjoindre la dimension comparative à toute recherche psychologique portant non seulement sur l'adulte, mais encore sur le développement même de l'enfant et de l'adolescent. La tendance est même si importante que le Comité de l'Union internationale de psychologie scientifique a décidé récemment de promouvoir systématiquement de telles recherches et de fonder une Revue internationale spécialement affectée aux études comparatives. Or nous avons vu ( sous I ) que la méthode de choix pour analyser les actions de la société sur l'individu était l'étude du développement en tant que socialisation : il va alors de soi que si, dans une société on peut déjà discerner ce que l'organisme individuel possède par lui-même et ce qu'il reçoit du groupe social 51, la contre-épreuve qui s'impose est de répéter ces recherches dans les sociétés 52, 53, etc. Les éléments constants en ces divers milieux pourront alors être considérés avec quelque certitude comme dépendants ( 1 ) des facteurs organiques et psychologiques non dépendants du groupe et ( 2 ) d'une socialisation générale, en tant qu'interaction ou coopération entre les individus, et non pas des traditions culturelles et formes d'éducation propres à chacune de ces sociétés 5 1 , 52, etc. Par contre les éléments variables seront attribuables à ces derniers facteurs. 1 6 I I I . L'hypothèse que suggère la première des deux interprétations précédentes est que les opérations de la pensée et les structures logicomathématiques en leur sens le plus large tiennent aux coordinations générales de l'action (emboîtements, ordre, correspondances, etc.) et non pas au langage et aux transmissions sociales particulières, ces coordinations générales de l'action se fondant elles-mêmes sur les coordinations nerveuses et organiques qui ne dépendent pas de la société. Seulement, comme les actions humaines sont à peu près toujours à la fois collectives et individuelles, les lois de leur coordination générale s'imposent aussi bien aux relations interindividuelles qu'aux actions privées et notamment intériorisées. Il en résulte ainsi une convergence nécessaire entre les formes les plus « générales » de l'interaction sociale et celles de la coordination des actions individuelles : pour mieux dire ce sont là les deux aspects indissociables d'une seule et même réalité, qui est celle des opérations et de la co-opération (au sens étymologique du terme). Il semble donc assez vain de chercher à opposer l'une à l'autre une logique sociale et une logique individuelle : il s'agit des mêmes structures générales intéressant toutes les actions humaines, sans hiérarchie entre leurs aspects collectifs et leurs aspects individualisés, ces deux aspects correspondant l'un comme l'autre à des normes communes ainsi qu'à des déviations variables pouvant être légères ou quasi-pathologiques.
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Si tel est le cas, on doit retrouver de telles convergences jusque sur le terrain linguistique. La psychologie sociale au sens large ( telle qu'elle est exposée en particulier dans le bel ouvrage récent de R. Brown) comprend la psycholinguistique ainsi que l'étude du développement des opérations cognitives. Or, les lois du structuralisme linguistique, en particulier celles de la grammaire constructiviste de Chomsky, se manifestent chez l'enfant par toutes sortes de productions en partie spontanées qu'a étudiées entre autres Brown lui-même. On peut donc se demander quelles sont les relations entre le développement des opérations logiques chez l'enfant et celui de son langage. Dans un ouvrage récent, la psycholinguiste H. Sinclair a pu montrer que ces relations étaient étroites : il existe en particulier, entre les étapes de la sériation ou celles de la constitution des notions de conservation et celles du langage analysé du point de vue des « vecteurs » et des « scalaires » ( au sens de Bull ), une corrélation frappante qui marque l'interdépendance de ces deux systèmes opératif et linguistique. Mais un apprentissage verbal n'entraîne qu'un faible effet sur le progrès opératoire, sauf quand les mots employés obligent à des mises en relation conceptuelles nouvelles, tandis que la succession des schèmes opératifs relève d'une équilibration spontanée due aux actions du sujet. Le domaine des valeurs affectives interindividuelles donne lieu à des considérations du même ordre : leur contenu est sans cesse modifié par la dynamique des échanges et du groupe, qui débute à partir de deux individus, mais la forme même des échanges et notamment la structuration des valeurs selon des échelles isomorphes aux sériations et aux arbres ou graphes de nature logique témoignent à nouveau de coordinations générales, qui constituent le point d'aboutissement des régulations affectives intra-individuelles au sens de P. Janet (voir chap. V I I § 12). Ces interdépendances, succédant au réductionnisme psychosociologique direct dont on a parfois rêvé autrefois, se retrouvent jusque sur le terrain de l'étude de la volonté, cas particulier des « décisions » dont la théorie des jeux a fourni une étude détaillée à la fois psychologique et économico-sociologique. On sait assez que la volonté a longtemps passé pour le type même des actions individuelles irréductibles aux facteurs sociaux, puisque l'individu veut pour lui-même et que les volontés individuelles se contrecarrent souvent et s'opposent fréquemment aussi aux contraintes du groupe. Mais W. James a montré, il y a plus d'un demisiècle déjà, que la volonté ne se confond pas avec l'intention ou l'effort simples et qu'elle intervient seulement en cas de conflit de tendances : lorsqu'une tendance inférieure, mais momentanément forte, entre en conflit avec une tendance supérieure momentanément faible, l'acte de volonté consiste à renforcer celle-ci jusqu'à l'emporter sur l'autre, tandis que le manque de volonté se marque à la victoire de la première. Or, c'est là une référence implicite aux facteurs sociaux, car la tendance initialement faible mais ensuite renforcée se confond souvent avec le
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devoir. En outre, le défaut de l'explication est de faire appel à une « force additionnelle » dont on ne voit pas la provenance. Aussi bien, un psychosociologue français, Ch. Blondel, a-t-il cru résoudre le problème en considérant cette force additionnelle comme étant simplement celle des impératifs collectifs : solution réductionniste qui ne suffit pas, car si ces impératifs sont les plus forts, il n'y a plus besoin de volonté, et s'ils ne le sont pas, le problème subsiste. On peut donc faire l'hypothèse que la force et la faiblesse des deux tendances en conflit, avant l'acte de volonté, ne sont pas absolues mais relatives à la situation perceptive du moment ( toute perception, sociale et liée aux évaluations affectives, comme purement cognitive, se caractérise par des surestimations et sousestimations momentanées) ; il suffit alors de concevoir la volonté sur le modèle des opérations réversibles qui corrigent la perception en la subordonnant à des règles de transformation : en ce cas la volonté est l'opération affective (dernier terme des régulations énergétiques opposées par Janet aux régulations structurales) qui corrige l'évaluation en ramenant les valeurs momentanées à l'échelle plus ou moins permanente des valeurs, d'où le changement apparent du plus faible en plus fort. 1 7 En conclusion, dans tous les domaines psychosociologiques où l'on a débuté par des essais de réduction simple du mental au social, on se trouve actuellement en présence de trois sortes de niveaux et non pas de deux seulement : l'organique, le mental et le social. Mais cette trichotomie conduit à deux dichotomies correspondantes. D'une part, l'organique et le mental donnent lieu à des spécialisations différentielles distinguant les individus les uns des autres (selon les combinaisons de leur patrimoine héréditaire, leurs aptitudes et leur histoire), mais, d'autre part, les individus ont en commun certaines structures générales (opérations intellectuelles, etc.) qui se forment et se développent de façon relativement uniforme. Quant aux relations du mental et du social, il faut également distinguer, d'une part, les diversités sociales opposant les sociétés les unes aux autres selon leurs idéologies, leur histoire, etc., et, d'autre part, les structures générales de la coordination sociale. Or, la grande leçon de l'analyse relationnelle, en contraste avec les réductionnismes poursuivis aux débuts de la recherche, est que les structures générales mentales et les structures générales sociales sont de formes identiques et témoignent donc d'une parenté de nature, dont les racines sont sans doute en partie biologiques (au sens le plus large des interactions rappelées aux § 3 et 4) : quand Lévi-Strauss veut caractériser les structures de la parenté, etc., et donner une expression adéquate de son structuralisme anthropologique, il recourt aux grandes structures de l'algèbre générale (groupes, réseaux, etc.), de telle sorte que l'explication sociologique se trouve alors coïncider avec une mathématisation qualitative de nature analogue à celle qui intervient dans la construction des structures logiques, construction dont on peut suivre le développement chez l'enfant, chez l'adolescent, en leur pensée spontanée et non pas en leur apprentissage scolaire. Ainsi la découverte des interactions
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entre le général et le social conduit à des tendances explicatives autrement plus profondes que l'idéal de réduction simple, et cela en parallèle avec ce que nous avons vu sur les terrains organiciste et physicaliste.
6. Les recherches psychanalytiques
de la spécificité
mentale
Si les processus mentaux ne sont réductibles ni à la seule vie organique, ni à la vie sociale, un certain nombre de tendances de la psychologie contemporaine visent à les atteindre par des voies spécifiques : la psychanalyse par l'étude directe du contenu des représentations et des affects, la psychologie des conduites par l'établissement des lois du comportement ou de son intériorisation, et la psychologie génétique par l'analyse générale des structures successives du développement. Nous suivrons cet ordre d'exposition, même si la psychanalyse en ses diverses variétés se dit génétique, et le suivrons pour montrer le progrès des tendances structuralistes, dont on a déjà vu les manifestations dans les domaines précédents, et surtout pour montrer en quoi ces progrès sont solidaires de ce que l'on peut appeler le constructivisme, en opposition avec le réductionnisme. I. La psychanalyse a passé par un certain nombre d'étapes historiques qu'il est utile de rappeler brièvement pour faire comprendre ses tendances actuelles. Sous sa forme freudienne originelle, en effet, la psychanalyse a fourni cet exemple remarquable d'une doctrine expliquant le présent de l'individu par son passé, donc l'adulte par l'enfant, et qui en ce sens était bien d'intention génétique, mais qui a conçu la genèse non pas comme une construction continue mais comme le seul déploiement de certaines tendances initiales, de telle sorte que le présent s'en est trouvé réduit au passé et les diverses phases du développement réduites au seul déplacement des points d'application de l'énergie pulsionnelle de départ. En un mot, la situation exceptionnelle et unique en son genre des premières doctrines de Freud est d'avoir procédé selon l'idéal réductionniste, seulement par réduction non pas du mental à l'organique ou à du social, mais bien des formes psychiques supérieures à des formes élémentaires subsistant toute la vie sous les premières et dans 1'« inconscient ». Il y a donc là un bel exemple de l'explication par identification : les stades oral, anal, narcissique primaire, objectai, œdipien, etc. ne sont que les manifestations successives de la même libido, qui déplace ses « charges » énergétiques d'un objet à un autre en partant du corps pour aboutir aux personnes extérieures à lui et finalement à des sublimations variées ; les représentations elles-mêmes étaient soumises à ce mouvement d'ensemble, en hallucinant la réalisation des désirs ou en conservant dans l'inconscient le souvenir des désirs satisfaits ou des échecs et des conflits. Mais pour qu'il y ait identification du divers à un principe unique
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et non pas identité simple dès le départ, il faut des résistances ; d'où un premier dualisme qui fait obstacle à l'identité pure et qui est le dualisme de l'individu porteur de la libido et de la société qui s'oppose à ses désirs. De là la répression, le refoulement, la censure, le symbolisme comme déguisement, etc. Sur la voie des dualismes, Freud a ensuite introduit deux nouveautés : l'intériorisation des interdictions sociales sous la forme du « surmoi » ( Freud a d'ailleurs été précédé en ce concept par J.M. Baldwin et par P. Bovet), intégré ainsi dans l'appareil psychique mais sans que le « moi » lui-même conquière son indépendance par rapport à la libido ; et la promotion, sous l'influence de Jung, de la pensée symbolique en une sorte de pensée ou langage primitifs, en partie indépendants de la censure. II. L'étape importante qui a suivi et qui a mis un terme à ce réductionnisme intégral est celle de l'affirmation, due à Hartmann, de l'autonomie du moi, conçu comme un ensemble d'adaptations libres de conflits sexuels. La pensée, selon D. Rapaport, devient ainsi un système de mécanismes permettant de s'éloigner des sphères de conflits et de ne s'occuper que de conquêtes cognitives : tout travail mental n'est plus sublimation ou mécanisme de défense et il y a donc place pour une genèse réelle intéressant le moi. 1 8 Mais le problème important pour notre préoccupation de marquer les tendances, et non pas simplement de décrire les états de fait, est de discerner si cette porte ouverte au constructivisme génétique et au structuralisme va être franchie dans la direction de l'affectivité elle-même ( des stades de la libido ), ou s'il subsiste dans la psychanalyse contemporaine une dualité d'inspirations, les unes concernant la vie sexuelle et demeurant fidèles au réductionnisme identificateur de Freud, les autres concernant le moi et la pensée consciente et faisant place au constructivisme et au structuralisme. En réalité on peut discerner six tendances différentes dans les mouvements analytiques contemporains et il est utile de les noter car des divergences de doctrine sont assez instructives quant à la complexité des interprétations en psychologie et aux difficultés qu'un structuralisme constructiviste a de s'imposer en tous les domaines, même s'il correspond aux tendances les plus générales d'aujourd'hui. III. ( 1 ) La première de ces tendances est à certains égards régressive et revient à accentuer encore le caractère réductionniste de la doctrine freudienne : c'est celle de l'école de Mélanie Klein, qui fait remonter plus haut encore qu'on ne le pensait la représentation comme réalisation quasi-hallucinatoire des désirs, la mémoire sous forme de souvenirsimages et les divers complexes freudiens. Mais, selon les auteurs étrangers à cette sous-école kleinienne, le nourrisson devient ainsi curieusement assimilable à cet « adulte en miniature » que la psychologie non psychanalytique de l'enfant a constamment dénoncé comme un produit analogue à ceux du préformisme en embryologie.
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( 2 ) Une seconde tendance est celle, comme d'ailleurs certaines des suivantes, d'auteurs qui ne se contentent plus de reconstituer les stades du développement sur la base de quelques observations cliniques (ou, comme faisait Freud lui-même, des souvenirs d'enfance ramenés à la surface par des adultes en traitement), mais qui se livrent à des expérimentations proprement dites, ce qui est nouveau en psychanalyse : E. Kris, Spitz et K. Wolf, Th. Benedek, Th. Gouin-Décarie, etc. L'idée directrice en est que le développement consiste en constructions proprement dites intéressant le moi et qu'il y a corrélation entre les étapes des manifestations de la libido et ces stades de l'élaboration du moi. On distinguera, par exemple, dans l'évolution du nourrisson, un premier stade où il est centré sur lui-même, mais sans encore aucune différenciation du moi par rapport à l'autrui et aux objets, le milieu n'étant connu qu'à travers les activités du sujet. Un second stade est celui où les réactions d'attente et certaines perceptions privilégiées (sourires) introduisent un début de frontières, mais mobiles, entre l'activité propre et les « objets intermédiaires » tels que le « visage humain souriant » (Spitz). Enfin un troisième stade marque la différenciation stable du sujet et de l'objet, d'où la conscience du moi et une « cathexis qui investit de véritables objets libidinaux », autrement dit une fixation « objectale » de l'affinité sur la personne de la mère, etc. Or, par des expériences précises sur 90 bébés, où elle a repris nos résultats concernant la formation cognitive de l'objet permanent (chercher l'objet après sa disparition perceptive sous un écran, ce qui n'est nullement inné), Th. Gouin-Décarie a pu montrer une corrélation relativement bonne entre nos stades et ceux de l'affectivité préobjectale puis objectale ( relativement seulement, car si les stades cognitifs se sont confirmés suivre un ordre constant, ceux de la « libido » ne sont pas aussi séquentiels et comportent des retours). Nous sommes donc sur la voie du constructivisme. Seulement, il apparaît rapidement que les stades comportant des nouveautés réelles sont ceux du moi, tandis que la cathexis est conçue comme se déplaçant simplement d'objets en objets. Autrement dit, un sentiment nouveau n'est pas nouveau parce qu'il y aurait réélaboration des valeurs, etc. : il n'est nouveau que par son nouvel objet, et il y a simplement « éclosion de tous les éléments contenus en germe dans les étapes antécédentes » ( Gouin ). ( 3 ) Un constructivisme réel intervient par contre avec une troisième tendance qui est celle de la « psychanalyse culturaliste », mais il s'agit de constructions psychosociales et non plus d'un développement mental conçu comme général, c'est-à-dire commun à tous les individus de toutes les sociétés. La grande nouveauté est, en effet, que la « libido », à titre d'instinct général au sens défini à l'instant, n'est plus le principe unique de toute explication, non pas seulement du moi et des fonctions cognitives puisqu'ils sont devenus « autonomes » depuis Hartmann, mais même de l'affectivité en ses étapes particulières. Des psychanalystes
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comme E . Fromm, K. Horney, Kardiner, Glover, de même que des anthropologues comme R. Benedict et M. Mead ont montré à cet égard que les complexes freudiens, en particulier celui d'Œdipe, et par conséquent les stades des manifestations de la libido, ne se retrouvent pas dans toutes les formes de sociétés et qu'il s'agit par conséquent de produits culturels autant que psychologiques. Il y a là une contribution de grande valeur à l'étude des interactions psycho-sociales dont il a été question au S précédent. ( 4 ) Si le culturalisme recourt à l'anthropologie sociologique pour expliquer des faits jusque-là considérés comme relevant du seul instinct sexuel, Bowlby au contraire s'oriente vers l'éthologie et ses théories des indices innés ( I R M = innate releasing mechanisms). Rapprochement raisonnable, si l'on songe aux indices du visage, etc. Mais surtout il y a là une incitation fort utile à la vérification expérimentale, si l'on se rappelle que C.G. Jung a construit toute une théorie des « archétypes » considérés comme héréditaires, alors que le problème préalable à résoudre, en une telle hypothèse, était de distinguer le « général » (au sens d'une même formation constante assurant les convergences) et l'héréditaire. ( 5 ) La position d'Erikson est particulière et intermédiaire entre les précédentes, mais il a introduit en psychanalyse freudienne une notion importante, développée par ailleurs dans les travaux d'Adler (à qui l'on doit les notions célèbres de « complexes d'infériorité » et de surcompensation orientant certaines carrières) : c'est l'hypothèse selon laquelle nous assimilons sans cesse le passé au présent, en vue des adaptations actuelles, autant que notre présent dépend de notre passé dans la continuité des conduites et des représentations. Erikson a fait à cet égard d'intéressantes observations sur le jeu de l'enfant, où l'on voit le symbolisme remanier le passé autant que le prolonger. Nous sommes donc, cette fois, dans la direction d'un constructivisme psychologique réel, avec intégrations progressives et rétroactives comme dans le développement intellectuel. ( 6 ) Â signaler enfin les travaux de l'école de Stockbridge, inspirés par le regretté D. Rapaport et qui s'orientaient nettement vers l'unité entre les développements affectif et cognitif. D. Rapaport a publié dans ce sens en 1960 une étude sur Attention Cathexis dans laquelle, avec sa culture physique et mathématique, il fait la critique de l'énergétique freudienne, où la cathexis ne fait que se déplacer et investir ses « charges » en se liant à tel ou tel objet, et dans laquelle il fait d'intéressants rapprochements entre sa conception du freudisme et nos propres vues sur 1'« alimentation » des schèmes sensori-moteurs. Son élève Wolff a repris ces comparaisons entre le développement sensori-moteur de l'enfant et celui de la « libido » . 1 9 Au total, on voit ainsi les tendances qui se dégagent de l'évolution d'une école intégralement réductionniste à ses origines et que la conscience progressive des interactions entre les domaines cognitif et affec-
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tif, individuel et social et en partie mental et biologique conduit sur la voie d'un constructivisme nécessaire à la compréhension du développement en son ensemble.
7. La spécificité du comportement
et les structures de la mémoire
Dans sa recherche d'un domaine spécifique entre l'organique et le social, la psychologie s'est orientée entre autres vers l'étude du comportement qui satisfaisait les esprits positifs, méfiants à l'égard de l'introspection et encore plus à l'égard d'un inconscient qu'on ne reconstitue que par voies indirectes. Nous avons déjà parlé du comportement au § 1 à propos des tendances positivistes se refusant à toute « explication ». Mais l'analyse du comportement se prête à des positions différentes et il existe notamment de grandes théories américaines de l'apprentissage, dont les plus connues sont celles de Hull et de Tolman, qui veulent être explicatives, contrairement au point de vue de Skinner, tout en se refusant à des déductions organicistes jugées ou prématurées ou dépassant le champ de la psychologie, comme c'est le cas de la réflexologie pavlovienne. Or, il est intéressant de montrer que, sitôt abandonnée la préoccupation réductionniste pour atteindre dans les conduites comme telles la spécificité du phénomène psychologique, on s'engage dans une direction constructiviste, c'est-à-dire que, en cherchant à expliquer comment se forment des conduites nouvelles, on en vient à invoquer des constructions en partie endogènes dans la mesure où ces conduites ne sont pas contenues ou préformées dans les précédentes ; et que, sitôt adoptée cette voie constructiviste, on est tôt ou tard obligé de recourir à un structuralisme, c'est-à-dire à l'hypothèse de formes d'ensemble comportant leur autorégulation ou leurs opérateurs, par opposition aux interprétations de type atomistique. I. Le passage des théories de Hull à celles de Tolman est déjà très significatif à cet égard. Les présuppositions de Hull sont nettement empiristes, non pas au sens du positivisme de Skinner, car Hull ne craint pas les variables intermédiaires entre le stimulus S et la réaction R, tout en les reconnaissant inférées, mais en ce sens que pour lui la nouveauté des conduites acquises est exclusivement due aux données de l'expérience, donc aux liaisons fournies dans le milieu et dont les associations SR constituent une sorte de « copie fonctionnelle ». Mais ces associations SR ne s'accumulent pas d'une façon simplement additive, car il se forme des ensembles structurés que Hull appelle les « familles hiérarchiques d'habitudes », c'est-à-dire qu'une habitude déjà formée pour elle-même peut devenir un segment d'une habitude plus large, donc un moyen au service d'un nouveau but, ou un segment ordonné par rapport au suivant dans une chaîne finissant par constituer un nouvel ensemble. En outre l'activité du sujet n'est pas complètement négligée, car non seulement
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celui-ci répète ce qu'il a appris et généralise selon des généralisations de la réponse R ou du stimulus S (et Hull a prévu, sans s'en servir, des généralisations combinées stimulus-réponse), mais encore il fragmente et regroupe ses réactions, ou les accélère à l'approche du but (gradients de but). Mais en principe tout ce qu'apprend le sujet est déjà contenu dans les objets, et le constructivisme est ainsi minimal, puisqu'il ne s'agit que d'une construction de « copies ». Avec Tolman, par contre, nous assistons à deux nouveautés notables. D'une part, le milieu n'est plus présenté comme un ensemble de séquences indépendantes que le sujet apprend à « copier » une à une : il est d'emblée organisé par le sujet en totalités significatives, que Tolman appelle des « sign-gestalts ». Ce terme est à lui seul déjà instructif : il y a « gestalt » en ce sens qu'il y a ensemble structuré, par exemple du point de vue de l'organisation spatiale et des itinéraires à parcourir (le sujet, en ces théories de l'apprentissage, a longtemps été le rat blanc domestiqué, bien qu'il s'agisse d'un animal assez dégénéré qui a perdu l'essentiel de ses comportements de rongeur) ; mais il y a aussi les significations, ce qui dépasse l'associationnisme et montre que les caractères perçus sont assimilés et pas seulement associés aux actions possibles du sujet. D'autre part, Tolman invoque dans l'apprentissage une activité essentielle du sujet qui est une continuelle anticipation ( expectation ), résultant bien entendu d'assimilations antérieures, mais témoignant de généralisations actives et constantes, ne se bornant pas à appliquer la même réponse à des stimulus analogues ou des réponses voisines au même stimulus. Du point de vue de l'explication, ces théories de l'apprentissage élémentaire ont donné lieu, outre la formalisation logique à laquelle s'est livrée Hull avec Fitsch dont il a déjà été question (§ 2 sous I I I ) , à trois sortes de travaux qui méritent une mention par leur portée générale et actuelle. En premier lieu, Bush et Mosteller ont fourni un schéma probabiliste de l'apprentissage : étant donnée telle situation caractérisée par tels paramètres, on peut en déduire, connaissant telles lois, que telle réaction se produira selon telle probabilité calculable. Ceci n'est encore qu'une traduction, en termes de calcul, des états de fait et des lois observées et il reste à rendre compte du pourquoi de ces probabilités. Or, H. Harlow a fait à cet égard une remarque essentielle, en distinguant l'apprentissage d'une réaction donnée et la conduite générale qu'il appelle « apprendre à apprendre ». C'est bien là, en effet, la véritable question, car sans une logique interne poussant les sujets à assimiler à son schématisme les données extérieures tout en l'accommodant à leur diversité, on ne voit pas d'où viennent les nouveautés, et l'appel à la satisfaction ou réduction des besoins n'est qu'une interprétation finaliste tant que l'on ne comprend pas le comment des adaptations aux situations nouvelles. En troisième lieu, L. Apostel a dégagé, dans une étude d'ensemble sur les théories de l'apprentissage et en tenant précisément compte de cette notion de « learning sets » de Harlow, une algèbre de
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l'apprentissage, dont les opérateurs essentiels soulèvent cette question des activités structurantes du sujet. II. En fait, il se pose ici une question préalable dont on commence seulement à voir qu'elle est assez fondamentale parce qu'en travaillant sur cet animal dégénéré qu'est le rat blanc au lieu de s'adresser à des enfants en pleine activité de croissance, on en soupçonnait peu la portée : est-ce l'apprentissage qui constitue le phénomène primaire et qui explique le développement mental lui-même, ou bien le développement obéit-il à ses lois propres et l'apprentissage, en une situation particulière et bien délimitée, n'en constitue-t-il qu'un secteur plus ou moins artificiellement découpé (et cela à tous ies âges de la vie, car, au moins sur le terrain professionnel, le développement dure jusqu'à la sénilité) ? Le postulat implicite de la plupart des théories de l'apprentissage est assurément conforme à la première de ces deux solutions, et cela au mépris de l'esprit de toute la biologie contemporaine (qui voit dans les réactions phénotypiques un résultat de la « norme de réaction » du génotype ou du pool génétique, avec interactions constantes entre l'action organisatrice de ceux-ci et les influences du milieu ). La seconde solution est au contraire de plus en plus envisagée et elle modifie profondément les données du problème. Si, en effet, le développement précède et commande l'apprentissage, cela ne signifie nullement qu'il existe des connaissances innées, ou même acquises sans apprentissage, mais cela signifie que tout apprentissage comporte, en plus des données extérieures S et des réactions observables R, un ensemble de coordinations actives dont l'équilibration progressive constitue un facteur fondamental qui représente en fait une logique ou une algèbre. Aussi bien, le Centre international d'épistémologie génétique de Genève s'est-il posé deux problèmes : quel est le mode, classique ou spécifique, de l'apprentissage des structures logiques, et tout apprentissage, même de données contingentes ou arbitraires, suppose-t-il ou non une logique ? Sur ces deux points, les réponses de l'expérience, faite sur des enfants de différents stades connus quant aux structures opératoires qui les caractérisent, ont été assez claires. En premier lieu l'apprentissage d'une structure logique (inclusion de classes, etc.) ne procède pas par renforcements externes (réussites ou échecs connus d'après les résultats), seul facteur constamment invoqué par Hull, mais repose sur la généralisation et la différenciation de structures logiques ou prélogiques préalables : par exemple, découvrir que, si tous les A sont des B mais non pas tous les B des A, il y a davantage de B que de A (quantification de l'inclusion) ne s'acquiert pas en comptant simplement les B et les A après réponse donnée, mais la compréhension est favorisée si l'on part de l'intersection de deux classes non disjointes C et D, le fait qu'il y ait des objets qui sont « à la fois » C e t D conduisant à admettre que A bail, boy, girl —» hit, struck
En appliquant ces règles, on obtient les phrases : « a bail hit the girl », « a boy hit the girl », toutes grammaticalement correctes. Retenons simplement de ceci l'idée qu'une règle de grammaire peut être exprimée sous forme x —» y, où x et y représentent soit des termes d'un vocabulaire auxiliaire (dans l'exemple ce vocabulaire est constitué par les termes S, A, B, C, D, E) soit les termes d'un vocabulaire terminal (dans l'exemple : a, the, another, bail, boy, girl, hit, struck). Cette représentation des règles grammaticales a conduit Chomsky et d'autres auteurs à se poser des problèmes formels et à s'interroger par exemple sur les types de langages qu'on pouvait obtenir en imposant aux règles de grammaire telles ou telles restrictions. Pour donner un exemple plus précis de ces recherches formelles, imaginons qu'on astreigne les règles d'une grammaire à la condition suivante : « si x —> y est une règle de grammaire, alors x est une lettre unique du vocabulaire auxiliaire et y est un segment non nul ».
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Supposons que nous désignions par A, B, C, ..., les termes du vocabulaire auxiliaire et par a, b, c, ..., les termes du vocabulaire terminal, cette condition signifie que dans la grammaire considérée, des règles telles que : AB a AB —> ac etc. sont interdites. En effet, on ne peut, d'après la condition ci-dessus, trouver à gauche de la flèche deux termes du vocabulaire auxiliaire. De même, si on désigne par 0 le silence, une règle telle que A—>0 est interdite. On peut alors se poser le problème formel suivant : étant donné la condition restrictive énoncée plus haut, peut-on engendrer à partir d'une grammaire obéissant à cette condition des « phrases » de structure : aaaabbbaaaabbb, ou, plus généralement, de structure : anbmanbm ?
(1)
Autre exemple de question : peut-on engendrer à partir de ce type de grammaire ( que Chomsky appelle : context-free grammars ) des phrases de structure : (2)
aaaadbbdacadbbdaaaa
ou, plus généralement, de structure : a
n2k-i
d...db
ti2
da
ni
ca
ni
db
n2
d...b
n2k-2
da
n2k-i
où k, m, n2, ...n2k-i sont des entiers positifs quelconques? On le voit, ces questions sont purement formelles. Un théorème de la théorie formelle des grammaires nous dit que des phrases de type ( 2 ) peuvent être engendrées par la grammaire considérée. En effet, supposons les règles : règle 1 S —» adAda règle 2 S —> aSa règle 3 S —» aca règle 4 A bAb règle 5 A bdSdb La règle 2 permet de former le segment aSa. Une nouvelle application de la même règle permet de former le segment aaSaa, puis aaaSaaa. En appliquant ensuite la règle 1, on forme le segment : aaaadAdaaaa ou a 4 dAda 4 . En appliquant ensuite dans l'ordre les règles 4, 5 et 3, on obtient le segment de l'exemple : a 4 db 2 dacadb 2 da 4 . En revanche, bien que la structure des phrases de type ( 1 ) paraisse plus élémentaire que celle des phrases de type ( 2 ) , on peut démontrer
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qu'il est impossible d'engendrer des phrases de type ( 1 ) à l'aide des context-free grammars.31 Pour engendrer des phrases de ce type, il faut utiliser une grammaire sensible au contexte (context-sensitive grammar) comme la suivante : règle 1 S —> aS règle 2 S —» bS règle 3 0kS0-»0kk0 où k représente une suite quelconque de mots du vocabulaire terminal. Avec cette grammaire, on engendre bien, en appliquant la règle 1 n fois de suite, la substitution : S a"S, puis en appliquant m fois la règle 2, la substitution : S
a" b m S.
En appliquant la règle 3, on obtient enfin la phrase : a" bm an b m , qui est bien de type ( 1 ). Comme on le voit, la règle 3 est incompatible avec la définition des context-free grammars considérées plus haut, puisque l'expression qui apparaît à gauche de la flèche n'est pas « une lettre unique du vocabulaire non terminal ». Ces exemples suffisent à donner une idée du type de résultats contenus dans la « théorie formelle des grammaires ». Bien que ces recherches dérivent de considérations relatives à l'analyse des langages naturels, il est clair que les théorèmes obtenus ici sont de nature purement formelle. Les phrases considérées par la théorie formelle des grammaires sont des constructions de l'esprit, inspirées certes par les langages naturels, mais largement autonomes par rapport à ces derniers. La théorie des grammaires appartient donc à un ensemble de théories purement mathématiques pour lesquelles des phénomènes humains sont essentiellement une source d'inspiration. D'autres exemples, plus connus en général, de ce type de théories, sont les théories mathématiques liées au problème de la transmission de l'information : théorie de l'information ou théorie des codes. Les trois types de « théories » que nous venons de considérer épuisent à peu près les types de modèles théoriques généraux qu'on peut discerner dans les sciences humaines. Plus souvent, les modèles théoriques qu'on rencontre dans la littérature sont des modèles particuliers, traduisant des situations particulières et formant des unités en euxmêmes. Ce sont ces modèles particuliers que nous considérerons maintenant. Un cas typique de cette situation est celui des recherches mathématiques associées à la dynamique de groupe. Ces recherches ne constituent pas une théorie générale comparable à la théorie des jeux, ni même un ensemble de modèles présentant une affinité logique comme dans le cas
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de la théorie des cycles économiques. Ce domaine a donné lieu à de nombreuses tentatives de formalisation, mais les modèles qu'on peut citer s'intéressent chacun à des aspects particuliers du fonctionnement des groupes, utilisent des mathématiques de types très différents et revêtent des fonctions différentes. Sans entrer dans le détail, citons quelques exemples de modèles appliqués à ce domaine. Tout d'abord, on trouve des modèles dérivés d'expériences de laboratoire concernant les mécanismes de l'influence dans les groupes. L'expérience la plus célèbre dans ce domaine est l'expérience de Ash, qui consiste à exposer un sujet « naïf » à une séquence de stimuli telle qu'il donne à ces stimuli des réponses alternativement correctes et incorrectes. Tandis que les autres membres du groupe (en fait des « c o m pères » de l'expérimentateur) donnent des réponses systématiquement incorrectes. Cette expérience a été formalisée par un ingénieux modèle, dû à Cohen 3 2 , dans lequel les réponses du sujet sont censées dépendre de l'état où il se trouve. Ces états sont au nombre de 4 : 1 ) Nonconformisme absorbant (c'est un état absorbant au sens de la théorie des chaînes de Markov : le sujet qui atteint cet état au «-ième essai donnera des réponses non-conformistes dans tous les essais suivants) ; 2 ) Non-conformisme temporaire (le sujet qui atteint cet état a une certaine probabilité de passer à l'essai suivant dans l'état 1 et une certaine probabilité de passer dans l'état 3 ) ; 3 ) Conformisme temporaire (sa définition est symétrique de celle de l'état précédent) ; 4 ) Conformisme absorbant. En d'autres termes, le modèle conduit à définir une chaîne de Markov entre quatre états latents. Les probabilités de transition de ce modèle peuvent être estimées par des méthodes itératives. En général, on a obtenu un bon ajustement entre la courbe des réponses observées et la courbe des réponses théoriques. On le voit, il s'agit là d'un modèle dont l'appareil théorique est lié à une situation expérimentale très particulière. D'autres tentatives de formalisation — utilisant la théorie des graphes — sont associées à des expériences parentes de la précédente, mais d'un type plus général : il ne s'agit pas de savoir comment un individu réagit devant une opinion unanime de la part des autres, mais comment il modifie une de ses opinions en fonction des liens qu'il entretient avec les autres, des opinions des autres et des opinions qu'il a lui-même sur des thèmes en connexion logique avec l'opinion considérée. La théorie sous-jacente à ces tentatives de formalisation est qu'un individu cherche à réaliser au moindre coût un équilibre entre ses attaches sociales et ses opinions. On pourrait ainsi citer de nombreux modèles concernant la formation des opinions individuelles dans une situation sociale. Mais à l'heure actuelle, la formalisation n'est pas suffisamment avancée dans ce domaine pour qu'on puisse parler de théorie générale : on relève seulement un ensemble de modèles particuliers relativement isolés et dont aucun n'a jusqu'à présent donné lieu à une véritable tradition de recherche.
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En dehors de ces modèles sur la formation des opinions dans le groupe, on trouve des modèles analysant le fonctionnement des groupes. Le plus célèbre peut-être de ces modèles est dû à Simon. 3 3 Là encore, il s'agit de tentatives dispersées et isolées. Ces différents exemples suffisent à montrer que les modèles mathématiques théoriques prennent des formes différentes selon les sciences humaines. La théorie des jeux est sans doute le seul exemple de théorie dont l'objet est défini de manière formelle et dont les développements consistent en une série de modèles analysant les spécifications diverses d'une situation fondamentale. En revanche, la théorie des cycles économiques doit plutôt être considérée comme un ensemble de modèles ou d'hypothèses concurrentes sur la signification des cycles. Cette situation est caractéristique des sciences largement mathématisées comme l'économie. Dans les sciences moins développées, comme la psychologie sociale ou la sociologie, les modèles mathématiques théoriques apparaissent comme des tentatives isolées : ici, le modèle de Cohen appliqué à l'expérience de Ash ; là, les applications de la théorie des graphes à des expériences liées à la théorie de la discordance cognitive (cognitive dissonance) ; là encore, quelques modèles sur le fonctionnement des groupes. Si on examine la situation de la linguistique, on voit qu'elle occupe une position à part : en effet, elle a engendré des théories complètement formalisées comme la théorie des grammaires. Mais il faut noter que ces théories sont en fait des théories mathématiques plutôt que linguistiques. On peut se demander pourquoi on observe de telles différences entre les disciplines. Sans doute, faut-il tenir compte de faits institutionnels. Il n'est sans doute pas sans importance par exemple que les économistes de tous les pays aient reçu jusqu'à ces dernières années une formation mathématico-statistique plus importante que celle des sociologues. Mais il ne faut pas nier non plus que les diverses disciplines offrent une prise plus ou moins aisée à la mathématisation : ainsi, l'économiste a plus souvent affaire à des variables naturellement quantifiées (prix, revenus, investissements), que le sociologue. Cette situation n'est pas, dans l'absolu, un désavantage, mais elle explique en bonne part que la théorie économique ait donné lieu plus tôt à des tentatives de formalisation, car les mathématiques classiques supposaient des variables de nature quantitative. D'où il résulte que les économistes ont pu, à partir de ces mathématiques existantes, analyser certains problèmes économiques de manière formelle. En revanche, la nature des problèmes, et surtout des variables sociologiques, implique souvent des mathématiques non classiques. Ces deux remarques ont pour conséquence qu'il est difficile de faire des prévisions dans ce domaine : sans doute assistera-t-on dans les années à venir à une formalisation croissante des théories sociologiques et psychologiques par exemple. Mais il est difficile de prévoir les directions que prendront ces théories formelles.
Modeles et méthodes B. Les modèles
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descriptifs
Nous passons maintenant à une classe de modèles tout à fait distincte de la précédente. Il ne s'agit plus ici d'expliquer, mais de classer, d'ordonner ou de mesurer. Naturellement, classification, ordination et mesure ne sont pas des fins en soi et le but ultime est toujours d'expliquer : lorsqu'on classe des plantes en espèces, ou des vestiges archéologiques selon leur ancienneté, le but n'est pas de classer, mais de recueillir des informations permettant de mieux comprendre les phénomènes auxquels on s'intéresse. Il n'en demeure pas moins que les opérations de classification, d'ordination ou de mesure sont des Opérations indépendantes, dont la logique doit être considérée comme telle. Nous appelons modèles descriptifs les modèles visant à obtenir une classification, un ordre, une mesure sur une population d'objets. Comme nous le disions dans une section précédente, les modèles descriptifs ont connu depuis quelques années un essor considérable. Cet essor est parfois lié à des problèmes particuliers. Ainsi, la théorie de la mesure de l'utilité est née de besoins engendrés par la théorie économique. Mais le développement des modèles de mesure et de classification provient surtout de la psychologie et principalement de la psychométrie. C'est seulement par la suite que les psychologues sociaux et les sociologues se sont rendu compte de l'intérêt des modèles de mesure et de classification, notamment lorsqu'ils ont rencontré le problème de la « mesure des attitudes ». Aux modèles de classification et de mesure sont attachés les noms de Spearman, Thurstone, Guttman, Lazarsfeld et bien d'autres. Dans la plupart des cas, ces modèles consistent à exprimer un ensemble de variables observables (réussite à des épreuves, réponses à des questions d'attitude, etc.) en fonction de variables de classification inobservables, ou, comme on dit encore, latentes ou génotypiques. Ainsi, on écrira dans l'analyse factorielle classique de Spearman que la réussite zy d'un sujet i à une épreuve / est une fonction linéaire d'une mesure d'intelligence F¡ et d'un facteur spécifique à l'épreuve j, soit eij. Moyennant certaines conventions sur la manière dont sont mesurées les variables ej et F¡ et supposant toutes les variables inobservables indépendantes, il est possible de tester le modèle et d'estimer les quantités F¡. L'analyse de la structure latente de Lazarsfeld peut être considérée comme une adaptation de l'analyse factorielle de Spearman au cas, fréquent en sociologie et en psychologie sociale, où les variables sont qualitatives. En dehors des recherches situées dans la ligne directe de Spearman, une autre tradition de recherche est importante dans le domaine de la théorie de la mesure : c'est celle qui dérive des travaux de la psychophysique. Cette tradition a été fondée par Thurstone vers les années 19201930 et approfondie d'un point de vue mathématique par des auteurs comme Mosteller dans les années 1950-1960. On peut y ranger aussi les
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travaux récents de Luce sur la théorie de la mesure. Toutes ces recherches présentent le caractère commun de proposer au répondant, non des questions ou stimuli isolés, mais des ensembles de stimuli dont il doit comparer les termes. Ces modèles, qui supposent des procédures d'observation compliquées, sont surtout utilisables dans des situations expérimentales, tandis que les modèles appartenant à la tradition spearmanienne sont mieux adaptés aux situations d'observation (enquêtes par questionnaires, observations psychométriques, etc. ). Une autre tradition, qui s'est greffée sur une critique des deux précédentes, est représentée notamment par les travaux de Guttman et de Coombs. Alors que les modèles issus des travaux de Spearman et de Thurstone sont tous des modèles statistiques, ceux de Guttman et de Coombs sont algébriques ou combinatoires. Ils évitent les inconvénients des hypothèses introduites dans les modèles précédents (caractère linéaire des liaisons entre variables manifestes et variables latentes dans l'analyse spearmanienne ; hypothèses de normalité dans les modèles de Thurstone-Mosteller ), mais en introduisent d'autres. En effet, ils supposent que les données se conforment au modèle, non de façon statistique, mais de manière exacte (pour opposer les deux types de modèles, la théorie psychosociologique de la mesure recourt à une opposition de termes très contestable dans la mesure où elle peut être la source de confusions nombreuses : elle appelle les modèles de ce type déterministes et les oppose aux modèles probabilistes de type Spearman-Thurstone ). Le meilleur bilan des modèles de mesure proposés par les psychologues et sociologues a été dressé par Torgerson. Le plus récent est dû à Coombs. 3 4 Mais il existe aussi tout un ensemble de méthodes de mesure sans modèles, c'est-à-dire de méthodes qui, sans faire aucune hypothèse sur les propriétés souc-jacentes aux donnés observées, se proposent simplement de réaliser l'application de critères purement formels : par exemple, minimiser les différences entre les individus rangés dans une même classe et maximiser les différences entre les individus classés dans des classes différentes. L'origine de cette tradition de recherches doit sans doute être située dans les travaux de Fisher sur les fonctions discriminantes. D'autres méthodes de même type ont été proposées depuis par les biologistes et repris par les chercheurs en sciences humaines. 3 5 Si on voulait caractériser d'un mot l'histoire de la théorie psychosociologique de la mesure, on pourrait dire qu'elle a connu une grande vogue et un grand essor entre les années 1920-1930 et les années 19401950. Depuis, on ne note guère de progrès majeurs. La plupart des travaux parus depuis cette dernière période se bornent à approfondir les problèmes formels posés par les modèles conçus dans la période précédente, ou à résoudre les problèmes laissés en suspens. Aujourd'hui, la prolifération des modèles de mesure et de classification incline à un certain relativisme : plus personne ne pense, comme on pouvait le faire du temps de Spearman, que ces modèles puissent fournir des mesures
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aussi bien définies que celles de la physique. On sait par exemple que, lorsqu'on pose à des individus une série de questions visant à les classer par rapport à une attitude (l'antisémitisme par exemple) et qu'on applique un modèle de mesure à cette information, la classification qu'on obtient a de bonnes chances d'être meilleure que celle qu'on obtiendrait par des voies empiriques (en totalisant par exemple le nombre des réponses « antisémites » ). Mais on sait aussi qu'elle ne peut être considérée comme valide en un sens absolu, car un autre modèle — qu'on n'aurait aucune raison de rejeter — donnerait sans doute des résultats différents. La catégorie des modèles descriptifs comprend enfin une classe d'instruments qui ne sont pas à proprement parler des modèles de mesure ou de classification. Ce sont les modèles d'analyse dimensionnelle, dont la paternité revient également à Thurstone. L'analyse dimensionnelle résulte des échecs rencontrés dans l'application du modèle de Spearman : en effet, on s'est aperçu que certains résultats psychométriques ne pouvaient être expliqués par un modèle de forme Zij = âjFi + eij, où — rappelons-le — Zi j mesure le degré de réussite de l'individu i à l'épreuve j, Fi 1'« intelligence » de i, eij un facteur de réussite spécifique de l'épreuve j. L'équation de base du modèle suggère la généralisation : Zi j = aijFn + a2jF2i + ... + a„jF„i + eij. En d'autres termes, on considère que la réussite du sujet i à l'épreuve j est une fonction, non d'une aptitude unique, mais ce plusieurs aptitudes distinctes : Fi, F2, .... Fn. Si les « facteurs » r j , r2> • • • rn sont supposes indépendants, on peut les représenter par un système de n axes orthogonaux, chaque sujet étant alors représenté par un point dans cet espace. Ce type d'analyse permet par exemple d'identifier les aptitudes mises en jeu par une batterie d'épreuves psychométriques ou les « attitudes » expliquant les réponses à une enquête psychosociologique. Outre Thurstone, Hotelling est un des pionniers de ce type de recherches. Il a notamment montré que, si on admet certaines hypothèses classiques (généralisation des hypothèses de Spearman), les valeurs propres de la matrice de corrélation entre les épreuves mesurent l'importance relative des facteurs Fi, Fa, ..., F n , tandis que ses vecteurs propres mesurent les « saturations » ( coefficients a ). Récemment, des modèles dimensionnels moins restrictifs par les hypothèses qu'ils introduisent, ont été proposés par des auteurs comme Guttman ou Shepard. 36 On a beaucoup discuté sur la portée de ces méthodes d'analyse dimensionnelle. Comme dans le cas des modèles de mesure, on note une tendance, au moins dans les débuts, à interpréter les résultats de ces modèles de manière réaliste et absolue : il s'agissait, comme le dit Thurstone lui-même, d'identifier scientifiquement les « facultés » mentales chères à la philosophie scholastique. Aujourd'hui, on y voit surtout des modèles descriptifs permettant selon les cas de résoudre des pro-
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blêmes de classement, de construction de typologies ou de classification. Cette nouvelle attitude épistémologique provient sans doute en partie de ce que ces méthodes, d'abord appliquées dans le seul cadre de la psychométrie, ont été ensuite utilisées dans d'autres domaines (classification de groupes, de régions géographiques, etc.) en fonction d'un ensemble de caractéristiques apparentes. Notons pour finir que ce n'est sans doute pas un hasard si les modèles de classification et de mesure se sont développés surtout dans le cadre de la psychologie et de la sociologie. En effet, la plupart des variables utilisées dans ces disciplines, sont à la fois qualitatives et non directement observables. En économie, au contraire, les variables sont souvent naturellement quantitatives. Cela explique que, tandis que la psychologie et la sociologie ont construit ce qu'on peut appeler une théorie générale de la mesure, l'économie se soit surtout concentrée sur les problèmes de mesure posés par des concepts spécifiques, comme le concept d'utilité.
C. Les modèles indue tifs Les modèles inductifs constituent en quelque sorte une classe résiduelle par rapport aux deux classes précédentes. Ils ont en commun d'être des théories vêrifiables. D'où la différence avec la théorie des jeux ou la théorie formelle des grammaires, par exemple, qui sont des théories inspirées par la réalité mais non vêrifiables au sens propre du terme. On peut distinguer parmi les modèles inductifs plusieurs sous-catégories : les uns sont plutôt prédictifs, les autres plutôt explicatifs. Certains sont associés à l'expérimentation et certains à l'observation. Certains sont « structuraux » et d'autres non. La distinction entre les deux premiers types de modèles n'est pas toujours aisée. Néanmoins, on peut citer un grand nombre de modèles dont la fonction est seulement prédictive. C'est le cas par exemple des modèles électoraux associés à des noms comme ceux de Ithel de Sola Pool et de Rosenthal. 3 7 Ces modèles utilisent des informations bien connues, comme le résultat selon lequel le comportement électoral varie avec l'âge, le sexe, les aptitudes religieuses, le niveau socio-économique, etc. Le problème est alors d'utiliser cette information de la façon la plus efficace pour prédire les résultats électoraux. Les travaux de Hagerstrand 38 sur la diffusion de l'innovation en milieu agricole fournissent un autre exemple de modèle prédictif. Le modèle original utilisé par Hagerstrand ( modèle simulé ) peut être considéré comme une complication du modèle logistique. Il ne présente guère d'intérêt d'un point de vue explicatif ou théorique. En revanche, il s'est révélé être un excellent outil de prédiction. Les complications introduites par Hagerstrand sont les suivantes : tout d'abord la « contamination » n'est pas supposée uniformément efficace ; opérationnellement, cette
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hypothèse est traduite en supposant que le nombre de contacts nécessaires est distribué de façon symétrique. En outre, la probabilité pour qu'un individu i rencontre un individu j n'est pas constante comme dans le cas du modèle logistique, mais dépend de la distance entre i et j. Nous passons sous silence les applications prédictives des méthodes usuelles de la statistique 3 9 pour souligner seulement, à propos du problème de la prédiction, que d'excellents modèles prédictifs peuvent être formulés à l'aide d'hypothèses très simples : la qualité prédictive de travaux comme ceux de Hagerstrand ou de Orcutt réside dans deux faits ; dans les deux cas, les données réelles utilisées sont très nombreuses, ce qui revient à introduire dans le modèle un grand nombre de paramètres estimés empiriquement ; d'autre part, le recours aux ordinateurs permet d'introduire ces données dans un modèle stochastique simulé, qu'il serait impossible d'étudier par des voies analytiques (déductives ).
Modèles « structuraux » On peut appeler « structuraux » les modèles qui, comme les modèles d'analyse des structures de la parenté, visent à analyser la cohérence des éléments d'un système. D'autres exemples de modèles de cette sorte sont les modèles appliqués à l'analyse des mythes (qui se tiennent à l'heure actuelle en deçà d'une véritable mathématisation) et la plupart des modèles utilisés en linguistique. On peut associer à ces exemples les modèles utilisés par l'épistémologie génétique. Ce type de modèles est relativement nouveau et on peut penser qu'ils joueront dans l'avenir un rôle important dans des disciplines comme la sociologie ou la psychologie où des problèmes comme ceux de la cohérence des représentations collectives, des systèmes institutionnels, des systèmes de valeurs, aussi bien que des représentations individuelles sont évidemment centraux.
Modèles inductifs associés à
l'expérimentation
Comme nous l'avons noté dans une section précédente, l'introduction des méthodes mathématiques dans les sciences humaines a profondément modifié la nature de l'expérimentation dans certains domaines. Il est bon de le voir à propos de l'exemple sans doute le plus important : celui de la théorie de l'apprentissage. On peut dire que les travaux de W . K . Estes 4 f t , de Estes et Burke 4 1 , constituent les actes de naissance de ce qu'on peut appeler aujourd'hui la « théorie mathématique de l'apprentissage ». Avant ces travaux, l'intervention des mathématiques consistait surtout à essayer de découvrir
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la meilleure fonction permettant d'exprimer la relation entre performances et apprentissage.42 On trouve donc ici un type d'application de l'instrumentation mathématique caractéristique des débuts de la recherche méthodologique. Ce type de préoccupations est encore présent chez Hull, dont les travaux sur l'apprentissage sont d'importance considérable.43 Notons toutefois que les préoccupations de Hull dépassent déjà le stade qui consiste à chercher à appliquer une fonction à une courbe : il introduit par exemple des facteurs inobservables. Ainsi, il postule l'existence d'une variable inobservable, qu'il appelle « habit strength » ( 8 H r ) et dont il suppose qu'elle est liée au nombre N de renforcements par la relation sHr = m ( 1 — e ' i N ) , où m et i sont des constantes positives. A cette équation viennent s'en ajouter d'autres. Ainsi, Hull utilise le résultat de certaines expériences pour affirmer que la quantité m peut être considérée comme une fonction de la rétribution w liée à l'apprentissage, d'où la nouvelle équation : m = m' ( 1 —• e" kw ), où m' et k sont nouvelles constantes. De plus, il postule que la limite supérieure de s H r , à savoir m, décroît lorsque l'intervalle de temps t entre la réponse et le renforcement croît, d'où :
Ces rappels suffisent à caractériser d'un point de vue épistémologique la théorie de Hull. D'une part, il estime nécessaire d'introduire des variables inobservées dont les quantités observées sont des indicateurs : ainsi N est l'indicateur de s H r . En cela, il procède à une opération comparable à celle que Fechner fit subit à la loi de Weber. D'autre part, les relations entre les variables reçoivent une forme analytique imposée a priori : comme on le voit par les exemples cités, la fonction choisie est, conformément à la tradition de la théorie de l'apprentissage, de forme exponentielle. De plus, on notera que la variable s H r est conçue comme une moyenne (moyenne des performances). En d'autres termes, il n'est pas question d'analyser les processus d'apprentissage en termes séquentiels. Enfin, les situations analysées sont essentiellement des situations d'acquisition. L'épistémologie à laquelle se rattachent des auteurs comme Bush, Estes et Burke est différente. Des variables inobservables sont de nouveau introduites, mais la mathématique n'intervient pas pour exprimer analytiquement une courbe observée. Ce sont les mécanismes mêmes de l'apprentissage, mécanismes évidemment hypothétiques, qui sont traduits sous la forme d'une théorie mathématique. Quant à la courbe d'apprentissage, elle est une conséquence de cette théorie.
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Pour mesurer l'importance de ce changement, nous décrirons brièvement l'exemple du modèle de Estes et Burke 4 4 , qui se situe dans le cadre d'expériences d'acquisition, à l'instar de la théorie de Hull. Les expériences qui servent de toile de fond à la formalisation de Estes et Burke sont les expériences de Humphrey. Le dispositif expérimental est le suivant : la lampe de gauche s'allume ; le sujet doit alors deviner si la lampe de droite va s'allumer aussi. L'expérimentateur pour sa part peut choisir de « renforcer » la réponse avec des fréquences variables (par exemple dans 0, 25 ou 100 % des cas selon les expériences). Formellement, le sujet a le choix entre deux réponses Ai et A2. L'expérimentateur choisit entre E i (renforcement de Ai ou signe que la réponse Ai est la réponse correcte) et E2 (signe que A2 est la réponse correcte). Dans l'expérience considérée, la fréquence n avec laquelle on renforce une des réponses, par exemple A2, est indépendante des réponses du sujet. La formalisation que Estes et Burke font correspondre à ce processus d'apprentissage est la suivante : 1. Dans une expérience donnée, le sujet est mis en présence d'un ensemble S, qui décompose un stimulus en un nombre s fixe d'éléments. 2. A chaque étape, chaque élément est connecté soit avec la réponse Ai, soit avec la réponse A2. 3. A chaque étape, le sujet choisit au hasard une proportion 0 des éléments. 4. Si parmi les 6 éléments échantillonnés, i éléments sont connectés avec Ai et j avec A2, le sujet choisit Ai avec la probabilité i / ( i + j ) = i/s. 5. Si l'expérimentateur choisit E i , ceux des éléments échantillonnés qui étaient connectés avec A2 deviennent connectés avec Ai et réciproquement. Les éléments non échantillonnés ne changent pas leurs connexions. Il s'agit évidemment d'un schéma théorique abstrait. Dans certaines expériences, on a construit des réalisations simples des éléments du stimulus. Mais il n'est pas nécessaire de donner à ces éléments une interprétation physique : on peut les considérer comme réels, mais non observables. La fonction de ces éléments est simplement d'introduire le paramètre 0, qui peut être considéré comme un paramètre mesurant l'effet du renforcement. Selon que la valeur de 0 est plus ou moins élevée, le conditionnement va changer plus ou moins rapidement. L'avantage de la représentation symbolique de 6 sous forme d'éléments est qu'elle permet de représenter l'apprentissage comme un processus stochastique : les éléments jouent ici le rôle des boules dans un modèle d'urne. Quant à la courbe d'apprentissage, elle est déduite de ce processus. Supposons en effet que le sujet puisse être considéré à chaque étape de l'expérience comme dans un des états suivants : état 0 lorsque aucun des s éléments n'est connecté avec A2 ; état 1, lorsque 1 élément est connecté avec A2 (nous supposerons s = 2). Dans ce cas, la probalité de passer de l'état 0 à l'état 1 est égale à l'expression suivante :
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(probabilité pour que l'expérimentateur renforce la réponse A2 par E2) X (probabilité pour qu'un élément soit connecté à A2 et que l'autre ne le soit pas) d'où :
P«i =
ji X 2 6 ( 1 — 6)
L'ensemble des probabilités de transition Poo, Poi, P02, . - . , P22 peut ainsi être calculé : elles forment la matrice P. Considérons alors la probabilité r 2 ( n ) pour que le sujet donne la réponse A2 à la «-ième répétition de l'expérience. Elle est égale à : r2(n> =
(0)Po(n)
+
(l/s)Pi
+
... +
(s/s)PB
où les quantités ( 0 ) , ( 1 / s ) , ... ( s / s ) sont les probabilités de donner une réponse positive à A2 quand on est dans les états 0 , 1, . . . s. O n en déduit : r2
(n)
=
( 1 — 0 ) n In — r 2 ( 0 ) ]
O n voit donc que la probabilité de réponse A 2 à la «-ième répétition est une fonction de r 2 ( 0 ) , de 0 et de n. 0 est un paramètre mesurant la rapidité de l'apprentissage ; n est la probabilité de réponse A2 lorsque l'apprentissage est accompli (en effet, lorsque N—> ce, r 2 ( n ) —>-JI). L'intérêt de ce modèle est lié aux faits suivants. Tout d'abord, au lieu de rechercher directement une courbe d'apprentissage, on essaie de représenter le processus d'apprentissage par un modèle physique. Ce modèle a l'intérêt de tenir compte d'un paramètre évidemment essentiel : le paramètre 6, qui mesure l'effet de renforcement. En outre, le modèle est construit de telle sorte que la quantité s (nombre des éléments) soit éliminée dans l'équation donnant r 2 ( n ) en fonction de 6 et n. Enfin, le modèle a l'avantage de fournir un schéma fondamental qu'on peut compliquer pour l'adapter à d'autres situations expérimentales. De fait, les variantes de ce modèle sont nombreuses. Ainsi, on a procédé à des expériences où les fréquences de renforcement dépendent des réponses du sujet : dans ce cas l'expérimentateur choisit E i avec la probabilité jtu et E 2 avec la probabilité Jti2 si le sujet a choisi A2. D'autre part, ce modèle a été étendu par Estes, Suppes et Atkinson à des situations d'interaction sociale. 4 f l . A titre d'exemple, citons une expérience résumée par la matrice suivante :
*
B B ^
>
a,
a2
A2
a3
a4
A
A
Les deux sujets ignorent leurs réponses réciproques, mais la réponse de l'expérimentateur dépend de la combinaison des réponses des deux
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sujets : si A choisit Ai et si B choisit Bi la réponse de A est gratifiée avec une probabilité ai et celle de B avec une probabilité (1 — ai ). Les autres cases de la matrice doivent être interprétées de la même manière. Une analyse semblable à celle du modèle de Estes et Burke montre qu'on peut exprimer cette situation par une matrice de transition contenant des éléments tels que P21,12 (probabilité de passer d'une situation où A est dans l'état 2 et B dans l'état 1 à une situation où A est dans l'état 1 et B dans l'état 2). Comme précédemment, on peut en déduire des courbes d'apprentissage. Bien qu'il ne soit pas question de donner une vue d'ensemble, même sommaire, de la méthodologie utilisée dans la théorie de l'apprentissage, notons que la « théorie de l'échantillonnage » que nous avons considérée dans les paragraphes précédents n'est qu'une province dans l'ensemble des modèles appliqués à l'apprentissage. En dehors de la théorie de l'échantillonnage, il existe toute une tradition de recherche caractérisée par la procédure générale qui consiste à déduire r (11) à partir de l'application d'un opérateur. Si on désigne cet opérateur par Q u , r (n) est donnée par une équation de forme : r offre un excellent exemple de comparaison du premier type. Aucun essai d'analyse de cette ampleur et de cette profondeur n'a encore été tenté pour l'autre type important d'organisation trans-communautaire (cross-community ) de mobilisation des ressources et de domination territoriale : l'Etat-nation. Karl Deutsch nous a donné du processus d'édification des nations une modèle cybernétique suggestif mais ne l'a appliqué qu'à quelques cas concrets : les comparaisons quantitatives de son ouvrage d'avantgarde intitulé Nationalism and Social Communication, se limitent à quatre pays 0 0 et la « banque » des données qu'il a fondée à Yale pour analyser les variations enregistrées dans les Etats-nations ne couvre pas des périodes assez longues pour permettre la mise à l'épreuve de modèles de formation. 07 Son apport le plus important réside peut-être dans ce qu'il a fait pour codifier les procédures de mise au point d'indicateurs de variations des taux de mobilisation dans les limites des territoires réels ou potentiels des Etats-nations 6 8 : ces travaux ont suscité divers essais de vérification empirique et ont été le point de départ de nouvelles spéculations théoriques. 09 Les modèles de Deutsch enflammèrent l'imagination d'un certain nombre d'universitaires, mais ils se limitaient à un seul des nombreux processus de formation des communautés politiques nationales : ils étaient axés sur des variables expliquant les taux d'intégration des couches inférieures de population locale, considérées selon la distance matérielle et l'écart culturel qui les séparent du centre national, et s'attachaient beaucoup moins aux variations dans le temps des mesures politiques ou administratives de normalisation et d'unification nationale prises dans les centres territoriaux ou à l'ampleur des conflits nés au sein des élites au sujet de ces mesures. L'ouvrage de Deutsch et Weilenmann sur la formation de l'entité politique suisse 7 0 contient des indications curieuses pour la construction d'un modèle rendant compte des variations du processus de formation des alliances au centre national, mais il reste à établir les incidences de ce type d'analyse pour d'autres exemples d'édification de nations pluri-culturelles telles que les nations néerlandaise, belge, canadienne et libanaise. Le modèle mis au point par étapes successives au sein du Comité de politique comparative Almond-Pye71 offre un meilleur équilibre entre les variables de « formation de l'Etat » décrivant le processus qui est au centre de chaque système et les variables « de construction nationale » qui rendent compte de la transformation des couches inférieures des populations locales. Le plan Almond-Pye énonce six crises de développement : celles-ci définissent autant de séries d'épreuves, de décisions essentielles ou de tâches politiques auxquelles doit faire face toute élite ou contre-élite centrale dans son effort pour construire une communauté
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nationale et territoriale unifiée. Cela revient à proposer d'étudier dans le cadre d'un même système conceptuel tous les Etats-nations apparus dans l'histoire à une époque lointaine ou récente en Europe, dans des régions d'outre-mer où se sont implantés des Européens, en Asie ou en Afrique. L'objectif est une analyse comparative d'envergure mondiale : ce modèle est un instrument de classement des données relatives aux séries de décisions et de réactions conduisant à la formation d'Etats-nations à des niveaux différents d'unité culturelle, de mobilisation politique et d'aptitude à l'organisation. Trois de ces six crises naissent de conflits portant sur l'extension et la différenciation de l'appareil administratif de l'Etat-nation et trois reflètent des conflits entre les élites touchant la définition et la différentiation de la population du territoire. Il y a : la crise de pénétration — liée à une tâche initiale essentielle : la création d'un réseau coordonné d'agents administratifs territoriaux matériellement indépendants des autorités locales et obéissant aux directives des organismes centraux ayant le pouvoir de décision ; la crise d'intégration — liée aux conflits que suscite l'élaboration de règles équitables de répartition des services administratifs, des avantages et des ressources entre tous les secteurs et sous-secteurs territoriaux, politiques ou culturels de la communauté nationale ; la crise de distribution — liée aux conflits que suscite l'élargissement de l'appareil administratif de l'Etat-nation, lequel élargissement suppose la création de services et l'adoption de mesures de contrôle ayant pour but de procurer des conditions économiques égales à des couches de population et à des régions dont les ressources et le niveau de production diffèrent. la crise d'identité — liée à une tâche initiale essentielle, celle de la formation et de la propagation d'une culture collective et de la mise au point des moyens et organismes destinés à « socialiser » les citoyens futurs au sein de cette communauté de codes, de valeurs, de souvenirs et de symboles ; la crise de légitimité — liée aux conflits inhérents à la création de structures centrales d'information, de consultation et de représentation politiques déterminant la loyauté et la confiance de secteurs importants de la population nationale et garantissant le respect des lois et règlements édictés par les autorités que reconnaît le système ; la crise de participation — liée au conflit relatif, d'une part, à l'octroi des droits de consultation et de représentation à toutes les couches de la population du territoire et, d'autre part, à la protection des droits d'association, de manifestation et d'opposition. Ce modèle ne postule aucun ordre fixe pour la solution des six crises : au contraire, il a pour fonction d'indiquer exactement les variations survenant dans l'ordre des épreuves, conflits de politique et crises caractérisées qui se produisent dans des unités politiques connues par l'histoire et de susciter des hypothèses sur les conditions entourant
Recherche
trans-culturelle,
trans-sociêtale
et trans-nationale
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l'apparition de ces variations au cours du processus d'édification des nations. Malheureusement, on n'a pas fait grand-chose pour rendre exploitable cet ensemble de concepts généraux ou pour classer dans ce cadre le déroulement historique des conflits et des décisions. Il est caractéristique que la plupart des exemples utilisés pour la présentation et la discussion de ce plan ont été empruntés à la brève histoire des Etatsnations qui se sont dégagés du statut colonial après la seconde guerre mondiale. En fait, le mobile intellectuel décisif qui est à l'origine de ce modèle est la nécessité urgente d'ordonner et de codifier les connaissances profondes et les intuitions accumulées au cours des premières études consacrées à ces nouveaux Etats : rien de tel n'a été tenté pour mettre de l'ordre dans la profusion de données historiques dont on dispose sur les Etats-nations plus anciens d'Europe et les régions d'implantation européenne. Il ne fait guère de doute que ce modèle peut se révéler utile dans l'étude comparative de ces pays mais l'expérience concrète d'exploitation, de classification et d'interprétation n'a pas encore été faite. 72 Quels que soient les résultats de ces essais concrets, il est clair que ce paradigme des crises n'est pas en soi un modèle servant à rendre compte des variations de Y aboutissement du processus d'édification des nations : il facilite la mise en ordre des données relatives à chaque faisceau de processus mais ne forme pas un corps de propositions relatives aux conséquences des variations enregistrées dans l'ordre des crises et dans la coopération entre les élites et les hommes du commun pour la solution des crises. Ce domaine a fait, au cours des dernières années, l'objet d'une activité intellectuelle intense. Un certain nombre de sociologues et de politicologues ont essayé de mettre au point des modèles rendant compte des variations constatées dans les stratégies choisies par l'élite pour l'édification des communautés nationales et se sont efforcés d'en tirer des propositions concernant les conséquences des diverses stratégies d'alliance sur le développement ultérieur de chaque système. En ce sens, il serait opportun de distinguer deux modes de macrocomparaisons : — comparaisons portant sur de grandes nations à travers des régions culturelles de caractère opposé, — comparaisons d'unités petites ou grandes au sein d'une seule zone culturelle. Dans Nation-Building and Citizenship, Reinhardt Bendix axe son étude de la croissance des systèmes territoriaux de pouvoirs publics sur le cas de quatre communautés nationales — Allemagne et Russie, Inde et Japon — choisies en raison des contrastes qu'elles présentent. Samuel Huntington, de son côté, entreprend d'éclairer le double phénomène de « fusion des fonctions » et de « division des pouvoirs », caractéristique des Etats-Unis, à la lumière de l'évolution historique divergente de l'Angleterre et de la France. 78 Dans l'un et l'autre cas, les processus d'inter-
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action, d'alliance et de conflit entre les élites détentrices des principaux leviers du pouvoir social, économique et culturel, sont pris en tant que variables explicatives, et les caractéristiques structurelles des institutions administratives et politiques en tant que variables dépendant des premières. Inversement, dans une étude comparative du même ordre, portant sur un autre ensemble de nations « guides », les politicologues Robert Holt et John Turner 74 partent de ces mêmes données administratives et politiques pour expliquer la chronologie différente, selon les pays, de la phase de démarrage de la croissance économique accélérée : ils comparent et confrontent systématiquement, dans leur contexte culturel respectif, d'un côté, l'Angleterre et le Japon (tôt entrés dans la voie de l'industrialisation), de l'autre, la France et la Chine (qui y ont accédé plus tardivement), dans le dessein de vérifier le bien-fondé d'hypothèses relatives aux effets de la centralisation politique sur l'apparition et la diffusion des innovations économiques. Ce même thème — les liens entre le développement économique et l'évolution politico-constitutionnelle — se retrouve au centre de l'analyse novatrice que fait Barrington Moore des conditions de la montée des oppositions démocratiques et des dictatures monolithiques dans les grands Etats du monde moderne.T;> Moore distingue trois voies d'accès à l'ère moderne : la voie démocratique et capitaliste, la voie fasciste et la voie communiste, et entreprend de comparer l'évolution historique des nations dirigeantes d'Europe et d'Amérique, d'une part, d'Asie, d'autre part, qui ont connu l'une ou l'autre de ces destinées. Il considère d'abord, avec l'Angleterre, la France et les Etats-Unis d'Amérique, trois cas extrêmement différents de démocratie capitaliste en Occident, pour les comparer à celui de la seule nation d'Asie à laquelle cette voie soit encore ouverte : l'Inde. Il compare ensuite deux nations qui ont, du moins durant une phase de leur histoire, choisi la voie fasciste de modernisation : l'Allemagne en Europe, le Japon en Asie. Il fait de même, enfin, pour les deux géants du monde communiste, la Russie et la Chine. Les correspondances dégagées par ces comparaisons sont mises en lumière par un modèle uniforme d'alliances et d'oppositions qui fait intervenir quatre mêmes types d'acteurs : la bureaucratie centrale, la bourgeoisie commerciale et industrielle, les grands propriétaires fonciers, et, à l'échelon inférieur, la paysannerie. La logique de cette analyse est très simple mais ses développements sont d'une ample portée : une fois qu'une alliance ou une opposition s'est instaurée par la révolution ou par un processus plus lent d'interaction, l'ensemble du système politique tend à se figer dans un style déterminé qui limitera l'éventail des options ouvertes aux futurs responsables. Cette empreinte ineffaçable dont les premières alliances et oppositions marquent les Etats-nations est fort importante du point de vue de la recherche trans-nationale (cross-national) comparative ; nous y reviendrons plus loin, quand nous parlerons du modèle conçu par Lipset et Rokkan pour expliquer les variations des systèmes de partis. La force
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de l'analyse de Moore réside dans l'examen des conséquences que comportaient les options d'alliance et d'opposition offertes aux détenteurs de différents types de puissance : alliance de l'aristocratie terrienne et de la bourgeoisie urbaine contre la monarchie en Angleterre, par le truchement de la monarchie en France ; alliance des capitalistes du Nord et des fermiers de l'Ouest contre les planteurs du Sud aux Etats-Unis ; alliance des propriétaires fonciers et des administrateurs royaux en Prusse et au Japon ; débilité de toutes les alliances conclues entre les détenteurs de la puissance économique et la « bureaucratie agrarienne » en Russie et en Chine. Tout au long de son exposé, l'auteur s'attache essentiellement à éclairer les stratégies mises en œuvre, pour renforcer au maximum les moyens du pouvoir et pour organiser les forces antagoniques. Il se soucie fort peu — du moins dans ce qui constitue l'essence de son modèle explicatif — des facteurs culturels intervenant dans la détermination des stratégies et dans les résultats : il n'examine pas le rôle des communautés linguistiques en tant qu'éléments des décisions d'alliance ou d'opposition, pas plus qu'il ne mentionne le rôle que peuvent jouer les églises ou les sectes religieuses en susçitant des mouvements d'adhésion ou de protestation. Sans doute cette façon de faire est-elle justifiée pour un modèle explicatif volontairement simplifié, applicable aux seuls huit pays considérés, mais elle est assurément trop rigide pour que la portée de l'analyse ne s'en trouve pas restreinte. Moore répond à cela que la validité de son modèle n'a pas à être éprouvée en dehors de ces pays dirigeants, les innovations politiques capitales s'étant produites dans leur cadre et toute comparaison élargie aux développements survenus dans des pays de moindre importance ne pouvant rendre compte que de phénomènes de diffusion et d'adaptation. « Le présent travail est centré sur l'étude de certaines phases importantes d'un processus social de longue durée, qui s'est développé dans plusieurs pays. Dans le cadre de ce processus, des configurations sociales nouvelles se sont constituées —- par la violence ou autrement — qui ont conféré à certains pays un rôle de direction politique à différentes époques de la première moitié du XXo siècle. Ce qui nous intéresse ici, c'est l'innovation qui a conduit à la puissance politique, non pas la propagation et l'implantation d'institutions introduites ou imposées au-dehors, sauf quand elles ont elles-mêmes engendré un pouvoir important à l'échelle de la politique mondiale. Le fait que des petits pays dépendent économiquement et politiquement de pays grands et puissants atteste que les facteurs déterminants de leurs destinées politiques résident audelà de leurs frontières. Il s'ensuit aussi que leurs problèmes politiques ne sont pas réellement comparables à ceux des grands pays. C'est pourquoi, à vouloir énoncer les préalables historiques de la démocratie ou de l'autoritarisme pour les petits pays aussi bien que pour les grands, on risque fort d'aboutir à des conditions si générales et si abstraites qu'elles ne seraient plus que des truismes. » 76 Ces arguments en faveur d'une analyse centrée sur les nations
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« guides », sur les systèmes qui engendrent « une puissance importante à l'échelle de la politique mondiale », posent aux chercheurs de curieux problèmes de stratégie. En premier lieu, au nom de quelle logique limiterait-on les efforts des comparatistes à l'analyse des conflits et innovations dans les grands centres de puissance ? Il ne paraît pas difficile de justifier tout aussi bien des recherches centrées sur les mécanismes de diffusion et de réception : après tout, la plupart des entités qui se prêtent à l'analyse comparée sont des nations « suiveuses », non des nations « guides ». En second lieu, l'innovation politique ne peut certainement pas être traitée comme étant fonction de leur taille seulement. Deux petites entités politiques, la Grèce et Israël, furent les berceaux des plus grandes innovations du monde antique. Dans le monde moderne, de petits Etats comme l'Islande, la Suisse, les Pays-Bas et la Suède ont inventé des institutions qui n'ont pas leur correspondant exact dans les grandes nations. Talcott Parsons, en exposant sa théorie des différenciations entre les sociétés modernes, a été jusqu'à affirmer que les innovations ont plus de chances d'apparaître dans des unité isolées, en marge des grands systèmes étatiques : dans les cités italiennes, les provinces hollandaises et la monarchie anglaise des dix-septième et dix-huitième siècles se trouvaient des « sanctuaires où les innovations pouvaient mûrir avant d'être mises à l'épreuve plus sévère qu'une institutionnalisation élargie. » 77 Quelle que soit la valeur de cet argument, les petites nations méritent l'attention du comparatiste : elles ont réussi à survivre dans un monde dominé par des unités plus vastes et plus puissantes, elles ont mis au point des institutions qui leur sont propres, et elles sont assez nombreuses pour permettre une étude détaillée des variations dans plusieurs directions différentes. Nous n'avons pas à rechercher ici s'il y a intérêt à faire entrer toutes ces petites entités même en laissant de côté les « micro-Etats » actuellement étudiés par l'Institut de formation et de recherche des Nations Unies 78 dans les mêmes modèles que les nations plus étendues et les grandes puissances mondiales. Dans notre analyse comparative de l'évolution du système des partis, Seymour Martin Lipset et moi-même avons appliqué à seize systèmes européens, onze petits et cinq grands, le même modèle central d'explication 79 mais cela ne vaut pas nécessairement pour d'autres variables dépendantes. En fait, nous sommes arrivés à la conviction que Moore a raison de rejeter les comparaisons entre petites entités politiques, si ces comparaisons recoupent les grandes régions culturelles du monde : la comparaison des nations « guides » est significative en dehors de contextes culturels plus larges mais les petites entités sont généralement si tributaires de leur environnement qu'il sera plus intéressant de les comparer région par région plutôt que de les choisir indistinctement dans tous les continents. Cela vaut certainement pour les comparaisons entre institutions, organisations et comportements politiques et religieux, mais semblerait s'appliquer aussi à d'autres éléments de la structure sociale : configu-
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rations écologiques, stratification sociale et économique, établissements d'enseignement et niveau d'instruction. Il ressort de nos études comparatives sur les processus de démocratisation et l'évolution des partis politiques en Europe occidentale que les petites unités se sont plus généralement structurées autour de faits culturels que les grandes : des frontières ethniques et linguistiques traversent la Belgique, la Suisse et la Finlande et ont profondément marqué la politique intérieure de l'Irlande, du Danemark et de la Norvège ; des conflits religieux ont trouvé une expression originale dans les institutions des Pays-Bas, de la Suisse et de l'Autriche. Certes, des lignes de clivage apparaissent aussi dans les grands pays mais elles n'ont pas eu un rôle aussi déterminant dans la structuration des institutions et des organes de la communauté nationale. L'une des hypothèses que nous espérons confirmer dans l'étude que nous menons actuellement sur les petites démocraties européennes s " est que les grandes nations ont mobilisé de plus grandes ressources pour lutter contre ces forces de division culturelle : le poids du mécanisme centralisateur de normalisation tend à être plus lourd dans les grands pays qui sont moins disposés d'autre part que les petits à accepter et à institutionnaliser les différences culturelles. Ces considérations invitent fortement à limiter les comparaisons de la structure interne des petites unités à des groupes de collectivités nationales ayant la même expérience historique des conflits et de l'intégration culturelle : les entités politiques issues de l'Empire romain d'Occident et des conflits entre le pouvoir séculier et l'Eglise catholique romaine, celles qui sont issues de l'Empire romain d'Orient et de l'Eglise orthodoxe, celles qui appartiennent au monde musulman, celles qui sont nées du partage des empires espagnols et portugais d'Amérique, etc. Cette position équivaudrait à accepter la critique adressée par Galton à Tylor : il ne faut pas introduire au hasard les petites unités dans les tableaux statistiques, mais les grouper par aires et par appartenances culturelles. Telle est la troisième des stratégies distinguées au début de la présente section : l'analyse comparative des espaces dans lesquels se produisent les variations entre entités politiques au sein d'une région culturellement et historiquement homogène. Nous conclurons notre examen des types de macro-comparaisons par un bref compte rendu d'une tentative d'analyse intra-régionale. Le modèle des variations affectant les régimes de partis établi par Lipset et Rokkan 81 est strictement limité à l'ensemble des entités politiques issues des conflits culturels de la Renaissance et de la Réforme et dont les caractéristiques structurales se sont mises en place sous l'influence conjointe de la révolution démocratique déclenchée en France et de la révolution indutrielle qui s'est produite en Angleterre. L'objet du modèle est lui aussi strictement limité : il est de déterminer, avec la plus grande économie de moyens, les paramètres à utiliser pour rendre compte des variations observées dans les systèmes de partis à suffrage non restreint parmi les pays choisis. Il s'agit non pas d'expliquer l'appa-
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rition de tel ou tel système de parti national mais de dégager les espaces cruciaux où se produisent les variations qui dépassent les unités politiques et expliquent la présence ou l'absence de différentes options partisanes lors des élections suivant l'introduction du suffrage universel. L'opération se divise en trois étapes : — la première consiste à déterminer un ensemble d'espaces fondamentaux de la construction nationale et à énumérer les séries correspondantes de choix qui s'offrent aux élites nationales ; — au cours de la deuxième, on émet un ensemble de propositions sur les conséquences des décisions prises à l'occasion de chaque choix pour la formation d'alliances électorales durables entre partis ; — pendant la troisième, enfin, ces propositions sont confrontées aux solutions fournies par l'histoire et chaque cas aberrant fait l'objet d'un examen approfondi. Le modèle postule quatre espaces initiaux d'édification nationale et quatre « choix critiques » correspondants offerts aux élites nationales :
Espaces culturels : I.
Centre - périphérie
II.
Etat - Eglise
Espaces économiques : I I I . Urbain - rural
IV.
Propriétaire - travailleur
Choix correspondants :
Une seule langue nationale normalisée ou plusieurs ? Création d'une Eglise nationale ou alliance avec une Eglise supranationale ou création d'organismes séculiers rivaux ?
Protection des produits urbains ou des produits ruraux contre la concurrence étrangère ? Le problème douanier. Protection des droits de propriété ou égalisation des conditions économiques par une action syndicale et par l'intervention de l'Etat ?
Il va de soi que cette liste d'espaces et de choix pourrait être utilisée dans l'étude de n'importe quel Etat-nation, qu'il s'agisse d'un pays d'Europe, d'Amérique, d'Asie ou d'Afrique, mais cela ne suffirait pas à fournir des comparaisons théoriquement fécondes : tout comme dans le cas du paradigme d'Almond Pye, les espaces de variation initialement posés peuvent être reliés d'une part les uns aux autres et d'autre part avec un ensemble de variables dépendantes explicitement énoncées dans une série de propositions potentiellement vérifiables. Jusqu'à présent, nous avons pu formuler une série de ces propositions pour un seul ensemble de variables dépendantes relatives à seize pays d'Europe occidentale. D'autres chercheurs étudient actuellement des modèles analogues pour l'Amérique latine mais leurs travaux ne sont pas assez avancés pour donner des résultats précis. 8 2 Cela n'a rien d'étonnant car le
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modèle repose sur une gamme de variables dépendantes beaucoup plus étendue et ces variables elles-mêmes ne sont pas faciles à traiter. Ces efforts de codification et de vérification empirique ne sont pas seulement appelés à faire progresser l'étude comparative des processus de construction nationale, ils ne peuvent manquer d'avoir une incidence sur les recherches menées à partir de données intéressant le microéchelon du système politique. En fait, nous avons été directement amenés à mettre au point notre modèle d'explication des systèmes de partis européens par les difficultés auxquelles se heurtaient les essais d'interprétation des données trans-nationales que nous possédons sur les réactions des masses à la vie politique dans différents pays d'Occident. Seymour Martin Lipset et son collègue Juan Linz avaient accompli vers 1955 un gros travail pour collationner des données de nombreux pays sur les préférences politiques de plusieurs groupes professionnels mais ils avaient eu la plus grande difficulté à comparer les données existant à ce niveau en raison de la diversité des alternatives politiques offertes aux électeurs dans les différents pays. 8 3 Le modèle de Lipset et Rokkan avait pour but de lever les obstacles rencontrés par leurs prédécesseurs : il précisait les espaces ouverts aux variables dépendantes dans des études comparatives du comportement électoral et permettait de grouper les pays par nombre de solutions identiques et de classer les partis par degré d'originalité nationale. L'intérêt capital de ce travail est d'avoir dégagé de nouveaux aperçus sur l'interaction des micro-variations et des macrovariations dans les systèmes politiques. En mettant si délibérément en lumière les macro-variations, le volume consacré aux systèmes de partis a contribué en fait à renverser les stratégies de la comparaison : au lieu de procéder comme si les distinctions socio-culturelles déterminaient directement le comportement politique, la nouvelle méthode consiste à considérer les partis comme des organes de mobilisation des masses et les divisions socio-culturelles de l'électorat comme autant d'ouvertures ou d'obstacles aux efforts de mobilisation. Dans ce modèle, l'hypothèse nulle serait que chaque parti obtienne le même succès dans toutes les subdivisions du corps électoral : la structure des écarts par rapport à ces succès moyens définirait alors le système de parti donné. Cela implique une réorientation fondamentale de l'analyse : au lieu de chercher à établir un nombre de plus en plus grand de structures régulières à plusieurs variables dans la détermination de micro-comportements, nous commençons délibérément par les partis et nous utilisons les microdonnées pour caractériser les macro-solutions possibles de chaque système. Cette méthode a été exposée assez en détail au cours d'une conférence récente organisée par le Comité de sociologie politique de l'Association internationale de sociologie. Richard Rose et Derek Urwin ont présenté un plan pour l'utilisation de données d'enquêtes par sondage effectuées dans 12 à 15 pays, dans une analyse comparative de la cohésion et de l'originalité des électorats. 84 Ils ne voulaient pas utiliser des micro-données pour vérifier des propositions au niveau de l'électeur
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mais pour construire des typologies de macro-solutions qui fussent une étape dans la formulation et la vérification des hypothèses d'un ordre supérieur. Ces navettes entre différents niveaux d'analyse comparative sont appelées à se généraliser dans la plupart des domaines de la recherche en sciences sociales. Ce n'est évidemment pas un hasard si les exemples que nous avons donnés jusqu'ici de ces méthodes sont empruntés à la politique comparée : quiconque considère les nations comme unités d'analyse doit nécessairement se préoccuper des dimensions de la prise de décision politique, non seulement parce que les nations délimitent des zones de pratiques homogènes en matière de rassemblement et d'évaluation des données, mais aussi parce qu'une grande partie des événements et des faits constatés dans une nation sont le reflet de conflits et de compromis entre les élites politiques et les secteurs de l'opinion qu'elles ont pu mobiliser. Dans ce sens, toute comparaison transnationale oblige le spécialiste des sciences sociales à des tâches d'analyse politique : aucun corpus de données de sciences sociales, même s'il s'agit de données purement démographiques ou linguistiques, ne peut se prêter à des comparaisons sans un certain examen de son contexte politique.
IV.
L'ORGANISATION DE LA R E C H E R C H E
Nous avons passé en revue tout un éventail d'études trans-culturelles et trans-nationales et nous avons essayé de rendre compte des principales différences de méthodologie et d'orientation théorique. Nous n'avons abordé qu'incidemment les questions d'organisation de la recherche. Dans cette dernière section nous essayerons de préciser ce que l'on sait de l'infrastructure nécessaire à l'internationalisation des sciences sociales et nous centrerons particulièrement notre attention sur les fonctions de l'Unesco, et des organismes qui lui sont liés, dans le progrès des recherches comparatives de sciences sociales. Les spécialistes des sciences sociales appartenant à la génération actuelle, au moins en Occident, sont tiraillés entre deux séries d'exigences contradictoires ; d'une part, ils se sentent obligés de concentrer leurs efforts de rassemblement et d'analyse des données sur les nombreux secteurs de recherche négligés dans leur propre pays et, de l'autre, ils sont de plus en plus persuadés de la raison d'être méthodologique et de la nécessité théorique des recherches portant à la fois sur plusieurs communautés, plusieurs nations ou plusieurs cultures. Les débouchés qu'offrent ces deux orientations respectives varient considérablement selon les régions. Aux Etats-Unis, les ressources financières et humaines ont été suffisamment abondantes pour permettre à une phalange peu nombreuse mais croissante de comparatistes, d'axer leurs travaux sur des études trans-nationales et trans-culturelles. E n Amérique latine, les ressources nationales sont maigres et l'impulsion décisive vers la création
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d'un véritable service de recherche est souvent venue de l'étranger, par l'intermédiaire d'études trans-nationales. 8 5 En Europe, les crédits affectés aux recherches de sciences sociales ne cessent de s'accroître mais les recherches ont nettement tendance à se concentrer sur des tâches spécifiquement nationales. L'Europe offre un éventail remarquable de possibilités de recherches trans-nationales détaillées : elle dispose d'une mine de données encore inexploitées et d'un grand nombre de spécialistes nationaux qui auraient des avis à donner ; d'autre part, les responsables des décisions politiques s'intéressent de plus en plus aux études portant à la fois sur plusieurs nations et plusieurs régions. SR O n peut s'étonner que l'on n'ait guère essayé jusqu'ici de tirer parti de ces possibilités. Il est significatif que certaines des premières initiatives soient venues de spécialistes américains et qu'elles aient été financées par des capitaux américains. Les études dues à une initiative européenne et financées par des fonds européens ont jusqu'ici été assez clairsemées. Les deux séries d'expériences sur des groupes parallèles et d'enquêtes par sondage effectuées en 1953 sous les auspices de l'Organisation de recherches comparées de sciences sociales dont le siège était à Oslo étaient parmi les premiers exemples de recherches communes menées en Europe. 8 7 Le meilleur exemple d'étude internationale financée et conçue en commun est peutêtre l'étude faite dans douze pays sur les résultats obtenus en mathématiques 88 : cette étude a été préparée à l'Institut d'éducation de Hambourg (Unesco) et financée par l'Office of Education des Etats-Unis (pour les dépenses internationales) et par des organismes de financement nationaux des douze pays (pour les opérations sur le terrain). Nous avons là un modèle de coopération universitaire internationale. Elle montre qu'il est possible de parvenir à de bons résultats en répartissant les responsabilités entre de nombreuses équipes nationales et elle montre aussi comment l'Unesco et d'autres organismes internationaux peuvent jouer un rôle important d'intermédiaire entre les initiatives européennes et américaines. Les comités de recherche créés par l'Association internationale de sociologie ont préparé le terrain pour une liaison analogue, mais jusqu'à présent les plans d'action concertée peuvent se compter sur les doigts d'une main. Le Comité chargé d'étudier la stratification et la mobilité sociales a pris l'initiative d'organiser une série de réplications transnationales (cross-national) et a joué un rôle utile en tant que centre d'examen des problèmes de méthode et de fond. L'étude dite Metropolit, actuellement en cours dans trois pays, est le fruit direct des discussions qui ont eu lieu au sein du Comité. 8 9 En Europe, la situation est manifestement mûre pour une série d'études trans-nationales. Ce qui manquait jusqu'à présent était une organisation centrale, une base institutionnelle concrète pour une action concertée. C'est dans cette optique qu'il faut considérer la réussite spectaculaire d'Alexander Szalai qui a recruté des chercheurs dans une douzaine de pays désireux de participer à l'étude trans-nationale sur le budget-temps. 90 La décision de l'Unesco
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de créer un Centre européen de coordination de recherche et de documentation en sciences sociales à Vienne est intervenue à point nommé : les communications entre les sociologues de l'Ouest et de l'Est avaient atteint un point où la coopération à des tâches concrètes de recherche empirique était possible, et les organisations régionales des pays occidentaux avaient concentré leurs efforts sur des études purement économiques sans réussir à créer un minimum d'infrastructure pour des recherches trans-nationales dans les domaines essentiels de la sociologie. Les succès remportés par le Centre de Vienne et l'Institut d'éducation de Hambourg permettent de tirer d'importantes leçons pour l'avenir. Les recherches trans-nationales exigent un cadre institutionnel, une organisation de base. Des chercheurs passionnés réunis par le hasard peuvent établir des plans et procéder à des études expérimentales importantes mais la tradition de recherche trans-nationale ne peut se développer que dans un cadre institutionnel bien défini. Les démographes, les économistes et dans une certaine mesure les spécialistes de l'éducation ont pu constituer des corps professionnels largement internationaux dans le cadre de grandes organisations intergouvernementales comme l'O.N.U, les commissions économiques régionales, la Banque mondiale, l'O.C.D.E., la C.E.E. et le Département de l'éducation de l'Unesco, organismes qui offrent tous en permanence la possibilité d'acquérir une expérience de la manipulation et de l'évaluation de masses de données provenant d'un grand nombre de pays, et contribuent à développer une véritable spécialisation trans-nationale. Il n'existe pas de base aussi solide pour les études trans-nationales dans les autres sciences sociales : anthropologie, sociologie, science politique. On constate une certaine tendance dans ce sens dans les secteurs les plus proches de la démographie, de l'économie et de l'éducation. Il est intéressant d'observer que les deux comités de recherche de l'Association internationale de sociologie qui ont été les plus près de mettre au point un programme cumulatif d'études trans-nationales sont ceux qui ont trait à la famille, et à la mobilité : l'un et l'autre ont affaire à des variables proches des préoccupations des démographes et se fondent dans une grande mesure sur des données extraites de dénombrements ou d'enquêtes analogues au recensement. Il est également significatif que l'A.I.S. n'ait pas pu jusqu'à présent créer un Comité de recherche actif en matière de sociologie de l'éducation : il existe déjà une base de coopération en matière de statistique de l'éducation à l'Unesco et à l'O.C.D.E. et le besoin d'institutionnaliser les réseaux de communications personnelles ne se fait donc pas sentir aussi vivement. Dans d'autres domaines de la sociologie, il s'est révélé beaucoup plus difficile de mettre au point des programmes continus : il n'existe pas de cadre institutionnel permettant des enquêtes trans-nationales de longue portée et, ce qui est encore plus grave, presque rien n'a été fait pour évaluer ou pour normaliser la production de données provenant de deux ou plusieurs nations.
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Que peut-on faire pour assurer une base internationale plus solide à ces secteurs défavorisés de la sociologie et des autres sciences sociales ? Le Département des sciences sociales de l'Unesco a essayé plusieurs stratégies dans les efforts qu'il a déployés pour encourager une orientation nettement internationale de ces disciplines. Lors de ses premières tentatives dans cette voie, l'Unesco a centré son attention sur quelques secteurs présentant un intérêt immédiat pour son programme général : étude des sources de tension entre les nations et les races, étude des stéréotypes et des préjugés, étude des opinions relatives aux affaires internationales. Ces premiers efforts de recherche comparative ont eu pour principal fruit l'enquête par sondage Cantril, effectuée dans neuf pays en 1949 et dont il est rendu compte dans l'ouvrage intitulé How Nations See Each Other. Ces premières initiatives n'ont pas abouti à un programme à long terme : les grandes enquêtes portant sur plusieurs pays exigeaient un réseau administratif complexe et l'on reprochait aux études elles-mêmes leur tendance à la comparaison abstraite faisant litière des contextes historiques et des particularités structurales de certains ensembles de réponses. Vers 1955, le Département des sciences sociales de l'Unesco, qui se préoccupait de plus en plus d'encourager la formation et la recherche dans les pays en voie de développement, éprouvait des difficultés croissantes à mener des études comparatives. Une tentative faite en 1956 pour lancer un programme d'enquêtes comparatives ne démarra qu'à grande peine. Une petite étude portant sur quatre nations a bien été organisée, mais on s'est vite aperçu que l'on faisait fausse route. !U C'est en un sens la conscience de cet échec qui a provoqué les efforts actuels visant à faire progresser les recherches trans-nationales. Il est devenu de plus en plus évident que l'Unesco pouvait utiliser beaucoup plus efficacement ses ressources limitées si, au lieu d'organiser de nouvelles études comparatives en partant de zéro, elle concentrait ses efforts sur ce que l'on peut appeler l'infrastructure de la recherche comparative : si elle s'attaquait, en un travail de longue haleine, à l'amélioration des services destinés aux spécialistes de l'analyse trans-culturelle (cross-cultural) ou trans-nationale (cross-national) de telle ou telle catégorie. Cela suppose, au moins dans une première étape, une attention centrée sur les méthodes, les sources d'information et l'accès aux données qu'il s'agit d'analyser. Cette nouvelle orientation s'est traduite pour la première fois dans le programme de l'Unesco pour 1961-1962 ; tous les spécialistes qui ont à faire des recherches comparatives d'un niveau élevé ont des motifs d'être reconnaissants à T.H. Marshall, à feu André Bertrand et à Samy Friedman des efforts qu'ils ont déployés pour faire accepter cette nouvelle orientation dans le cadre administratif de l'Unesco. Le Conseil international des sciences sociales s'est vu confier un rôle essentiel dans la mise au point et l'exécution du nouveau programme. Le Conseil a décidé d'axer la première série de conférences prévue par le
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programme sur les méthodes quantitatives de comparaison. La conférence qui s'est tenue à La Napoule, sur la Côte d'Azur, en juin 1962, a traité des enquêtes comparatives. 92 et la conférence qui s'est tenue à l'Université Yale en septembre 1963 s'est essentiellement occupée des statistiques nationales agrégatives et des possibilités d'analyses corrélatives utilisant les nations comme unités de base. 9 3 Ces deux méthodes ont été employées dans des conférences et des publications ultérieures. En matière de données d'enquêtes comparatives, les travaux ont essentiellement porté sur les problèmes d'accès aux données, d'archives et de localisation et rappel de l'information. 84 Les travaux sur les comparaisons agrégatives se sont poursuivis dans deux directions. La Conférence de Yale a recommandé que la méthode exposée dans le World Handbook of Political and Social îndicators de Russett et divers auteurs soit examinée en détail, dans chaque grande région du monde, afin d'étendre la portée des données disponibles, d'en améliorer l'évaluation et d'en faire des analyses plus conformes à la réalité. Une première conférence régionale a été organisée au titre de ce programme à Buenos Aires en septembre 1964 9r> et une seconde en mars 1967 à New Delhi. La Conférence de Yale a recommandé aussi que les programmes de données du type mis au point par Deutsch et Russett soient complétés par des archives écologiques intra-nationales de manière à permettre l'étude des sources de variations entre les différents types de localités et entre les régions avancées et arriérées de chaque pays. 90 La création de ces archives écologiques a donné lieu à une première discussion à la Deuxième conférence sur les archives de données qui s'est tenue en septembre 196 4 97 et à une conférence technique sur l'analyse écologique quantitative qui s'est réunie à Evian en septembre 1 9 6 6 . 9 8 Le Conseil international des sciences sociales se préoccupe depuis quelque temps de dépasser l'exploration de ces méthodes strictement quantitatives et d'étudier de nouvelles méthodes de comparaison systématique entre unités culturelles et politiques. Les participants à une conférence internationale qui s'est tenue à Paris en 1965 ont essayé de concevoir une stratégie de la recherche comparative dans trois nouveaux domaines.99 Le premier sujet à considérer était la méthode trans-culturelle ( crosscultural) : solution qualitative opposée aux comparaisons d'agrégats préconisées par Karl Deutsch et son équipe. Bruce Russett et ses collaborateurs avaient choisi comme unité d'analyse les unités politiquement et territorialement définies que sont les nations et avaient réuni les données quantitatives disponibles sur leurs propriétés. George Peter Murdock et ses collaborateurs avaient choisi comme unité un échantillon de sociétés culturellement définies et avaient mis au point un système de codes qualitatifs destinés à déterminer les caractéristiques de chacune de ces unités. Robert Textor, allant plus loin, avait essayé d'organiser, sur la base de ces codages, un résumé trans-culturel obtenu à l'aide d'un
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ordinateur pour un échantillon de 400 cultures : cet important travail de traitement des données, qui à l'époque n'étaient disponibles que sous forme de bandes de sortie, a servi de base pour la discussion du premier thème de la conférence. Le second et le troisième thèmes de la conférence étaient étroitement liés l'un à l'autre : le débat sur l'analyse comparative de l'évolution historique s'est axé sur la constitution d'Etats-nations en Europe et en Occident et l'étude de l'analyse comparative des processus de modernisation a essentiellement porté sur les possibilités et les limites de modèles génétiques généralisés dans l'étude de l'évolution politique et sociale qui se produit dans une partie quelconque du monde, qu'il s'agisse des vieilles nations d'Europe et d'Occident ou des nouveaux Etats de l'Afrique et de l'Asie post-coloniales. Les notions de développement, de changement directionnel, de modernisation, avaient déjà fait l'objet de nombreuses études au titre du programme du Conseil international des sciences sociales, mais on s'était surtout occupé jusqu'à présent de la disponibilité de données codables et quantifiables en vue d'un traitement systématique : données sur les degrés de développement et les taux de croissance, sur les différences entre régions avancées et régions arriérées, sur la diffusion des innovations matérielles et culturelles, sur la rapidité de la mobilisation économique, sociale et politique. Mais ces données doivent être analysées et interprétées dans le cadre d'un savoir historique plus large : les spécialistes des sciences sociales ne peuvent envisager les faits dans leur « développement » qu'en coopérant étroitement avec les historiens qui étudient la vie sociale dans sa dimension temporelle. C'est la première fois que le programme du C.I.S.S. prévoyait de réunir des historiens et des spécialistes des sciences sociales afin qu'ils se rendent compte de quelle utilité ils pouvaient être les uns pour les autres dans des études comparatives sur la formation des nations et les processus de modernisation. Les débats de la conférence ont fait apparaître une large entente sur les priorités à observer dans un programme de recherches transculturelles et trans-nationales. Il y eut accord général sur ce fait que le Conseil international des sciences sociales est à même de jouer le rôle d'un intermédiaire important dans le progrès d'une recherche comparative étendue au-delà des frontières politiques, idéologiques et culturelles. Les participants ont estimé aussi que le Conseil ne peut guère aller loin tout seul. Il doit fonder son action sur des initiatives prises dans les centres d'innovation intellectuelle des pays avancés et investir ses ressources dans le développement de services de communication et de coopération entre les groupes de chercheurs les plus actifs des différents pays. Certes, de grands progrès ont déjà été accomplis et peuvent encore être accomplis grâce à des initiatives purement nationales : comme nous l'avons vu, la grande masse des opérations de rassemblement de données comparatives a jusqu'à ce jour été préparée en fait aux Etats-Unis et exécutée sous contrat dans les autres pays sur lesquels
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porte la comparaison. Le Conseil international des sciences sociales peut apporter une contribution décisive au développement d'une coopération mondiale entre les spécialistes des sciences sociales en ouvrant des possibilités d'initiative à un plus grand nombre de groupes de chercheurs et en facilitant le rapprochement des chercheurs ayant les mêmes centres d'intérêt de part et d'autre des frontières. Telle est essentiellement la manière dont procède le Centre européen de coordination de recherche et de documentation en sciences sociales 100 : ce dernier a été créé par le Conseil en 1963 et joue déjà un rôle utile d'intermédiaire pour de nombreux groupes de chercheurs désireux de se livrer à des comparaisons trans-nationales en Europe. Les experts réunis à la Conférence de Paris sont convenus de recommander que l'action se poursuive dans chacun des cinq secteurs jusqu'à présent délimités dans le programme du C.I.S.S. L'Unesco et un certain nombre d'organismes nationaux de financement ont pu contribuer à l'exécution du programme sur un certain nombre de points. La coordination des travaux d'archives se poursuit et un Comité international permanent a été chargé d'assurer la coopération la plus étroite entre les archivistes, les experts en exploitation des données et les spécialistes des sciences sociales qui les utilisent. Un Comité permanent a également été créé pour la planification et l'exécution de recherches comparatives portant sur plusieurs nations et sur plusieurs cultures. Ce comité espère organiser une série de colloques, de cours de formation et de « stages d'études comparatives de données », afin de familiariser un nombre toujours plus grand de spécialistes des sciences sociales avec les problèmes que pose la logique de l'analyse comparative. Le Comité consacrera de grands efforts à la recherche de nouvelles méthodes permettant d'établir une confrontation, dans un cadre trans-national, entre les analyses nationales. La nouvelle génération d'ordinateurs permettra techniquement d'organiser des séances d'analyse communes grâce à une interaction systématique entre l'homme et la machine : des données émanant de n pays et correspondant à peu près au même nombre de variables seront réunies dans un centre de calcul, remises en forme de manière à répondre aux exigences de la machine utilisée et soumises à toute une série de procédures d'analyses ; des spécialistes des mêmes n pays se réuniront alors pour étudier les interprétations possibles des résultats obtenus par l'ordinateur et demander à la machine de procéder à plusieurs contreanalyses de manière à accroître la comparabilité des données ou à élucider des différences entre pays alors que des spécialistes sont encore présents et à pied d'œuvre. Il s'agit bien entendu d'éviter le défaut habituel de la plupart des analyses comparatives effectuées jusqu'à présent : arrêter les plans d'analyse avant toute consultation avec les spécialistes nationaux. Tout essai de ce genre visant à obtenir des comparaisons « instantanées » comporte des risques évidents, mais la présence de spécialistes connaissant bien chaque contexte national devrait permettre d'aboutir à des solutions acceptables. Une première expérience dans ce sens s'est
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déroulée sous les auspices de l'Inter-University Consortium d'Ann Arbor (Michigan) en 1969 : elle a porté sur des données concernant des localités d'une dizaine de pays avancés. On espère que des expériences similaires pourront être financées à l'avenir pour d'autres types de données : données provenant d'enquêtes par sondage, biographies de personnalités, statistiques agrégatives concernant la formation nationale dans des provinces et des pays entiers, données du type H R A F (Human Relations Area Files). Ce mouvement n'en est qu'à ses débuts et il est certainement appelé à connaître toutes sortes de maladies d'enfance, mais nous avons de bonnes raisons de penser que les réunions d'étude de ce genre seront plus fréquentes à l'avenir : l'ordinateur et les archives de données ne peuvent manquer de modifier radicalement les conditions nécessaires au progrès des recherches comparatives trans-culturelles et transnationales. Pour tout ceci, l'Unesco, le Conseil international des sciences sociales et les organisations analogues comptent beaucoup sur l'enthousiasme et le dévouement des chercheurs des centres nationaux et sur la bonne volonté des dirigeants des conseils et des fondations des différents pays. Il n'existe pas de raccourci « économique » pour atteindre le but fixé. Les sciences sociales ne peuvent être internationalisées d'un coup de baguette magique ou par une décision supérieure : nous devons encourager les chercheurs eux-mêmes à prendre une part active à l'action internationale et cela ne peut se faire que par des efforts conscients et soutenus visant à mobiliser les jeunes de manière qu'ils se familiarisent avec les conditions et les données de pays autres que le leur. En l'absence d'une phalange d'honimes de bonne volonté plongés dans divers contextes culturels, les ordinateurs et les archives de données ne nous feront pas avancer vers la constitution d'une science mondiale de l'homme et de la société.
NOTES 1. Cf. G.P. Murdock, « The Cross-Cultural Survey », American Sociological Review 5 ( 3 ) , 1940 : 361-370 ; A.J. Kobben, « New Ways of Presenting an Old Idea : The Statistical Method in Social Anthropology », Journal of the Royal Anthropological Institute 82 ( 2 ) , 1952 : 129-146. 2. On trouvera une analyse détaillée de la question dans l'ouvrage de R.M. Marsh, Comparative Sociology : A Codification of Crçss-Societal Analysis, New York, Harcourt, 1967, Chap. I. 3. Une des premières en date parmi les études consacrées à ces distinctions figure dans : H.C.J. Duijker, S. Rokkan, « Organizational Aspects of Cross-National Social Research », Journal of Social Issues 10 ( 4 ) , 1954 : 8-24. 4. On trouvera des listes de ce genre de travaux dans l'ouvrage de S. Rokkan, S. Verba, J. Viet, E. Almasy, Comparative Survey Analysis : A Trend Report and Bibliography, Paris, Mouton, 1969. 5. On trouvera un résumé des conclusions dans S.M. Miller, « Comparative Social Mobility », Current Sociology 9, 1960 : 1-89. Pour une bibliographie plus complète, voir S. Rokkan et al. : Comparative Survey Analysis, op. cit.
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6. Cf. S. Rokkan et al., op. cit., sect. I I I 22. 7. Cf. C. Osgood, « On the Strategy of Cross-national Research into Subjective Culture, Information sur les sciences sociales 6 ( 1 ) , fév. 1967 : 6-37. 8. On trouvera des détails dans G. Germani, « Social Stratification and Social Mobility in Four Latin American Cities : a Note on the Research Design », America Latina 6 ( 3 ) , 1963 : 91-93, et dans les différentes études énumérées par S. Rokkan et al., op. cit., sect. I I I , 43. 9. Voir H. Duijker et S. Rokkan, op. cit. 10. T. Husçn (éd.), International Study of Achievement in Mathematics, Stockholm, Almqvist et Wikseil ; New York, Wiley, 1967, 2 vol. : voir notamment le calendrier des travaux, p. 62-63. 11. K. Davis, «Problems and Solution in International Comparison for Social Science Purposes », communication à la Conférence sur la recherche comparative dans les pays en voie de développement (Amérique latine), Buenos Aires, septembre 1964. Les arguments en faveur de la constitution en archives de données trans-nationales ont été exposés dans les ouvrages suivants : B. Russett et al., World Handbook of Political and Social Indicators, New Haven, Yale University Press, 1964, et H. Alker Jr., « Research Possibilities Using Aggregate Political and Social Data», i n : S. Rokkan (éd.), Comparative Research across Cultures and Nations, Paris, Mouton, 1968. 12. Il s'agit là d'une synthèse de diverses formulations figurant dans les ouvrages de Lazarsfeld et de ses collaborateurs et, en particulier, dans les suivants : P. Kendall, P.F. Lazarsfeld, « Problems of Survey Analysis » in : R.K. Merton, P.F. Lazarsfeld (éds.), Continuities in Social Research Studies in the Scope and Method of «The American Soldier», Glencoe, Free Press, 1950, p. 133196 ; E.A. Suchman, The Comparative Method in Social Research, Ithaca, Cornell University, 1955, 88 p., mimeo ; P.F. Lazarsfeld, M. Rosenberg (éds.), The Language of Social Research, Glencoe, Free Press, 1955, en particulier la sect. IV, « Formal Aspects of Research on Human Groups », p. 290-384 ; P.F. Lazarsfeld, H. Menzel, « On the Relationship between Individual and Collective Properties », in : A. Etzioni (éd.), Complex Organizations, New York, Holt, 1961, p. 422-440. 13. D'après S. Rokkan : « The Comparative Study of Political Participation », in : A. Ranney (éd.), Essays on the Behavioral Study of Politics, Urbana, Univ. of Illinois Press, 1962, p. 58-59. 14. T.K. Hopkins, I. Wallerstein, « The Comparative Study of National Societies », Information sur les sciences sociales 6 ( 5 ) , 1967 : 25-58. 15. Cet exemple précis est tiré de S. Rokkan, A. Campbell, « La participation des citoyens à la vie politique : Norvège et Etats-Unis d'Amérique », Revue internationale des sciences sociales 12 ( 4 ) , 1960 : 78-112. 16. On trouvera des exemples pratiques de classifications croisées de ce genre dans I.D. Coult, R.W. Habenstein, Cross-tabulations of Murdock's World Ethnographic Sample, Columbia, Mo., Univ. of Missouri Press, et R.B. Textor, A Cross-Cultural Summary, New Haven, HRAF Press, 1969. 17. On trouvera un exemple typique de la façon « murdockienne » de considérer les ensembles politiques en tant qu'Etats-nations dans la collection constituée en grande partie grâce à un ordinateur par A.S. Banks, R.B. Textor, A CrossPolity Survey, Cambridge, MIT Press, 1963. Pour un ensemble utile d'exemples de collections de variables trans-nationales continues, cf. B. Russett et al., World Handbook of Political and Social Indicators, op. cit. 18. Il ressort d'un examen des titres rassemblés dans S. Rokkan et al. : Comparative Survey Analysis, op. cit., et dans R.M. Marsh, Comparative Sociology, op. cit., que le terme «cross-national» (trans-national) est très largement utilisé pour désigner des études réplicatives. 19. Aux termes d'une définition déjà ancienne, les « recherches trans-nationales » sont « des recherches entreprises aux fins de comparaison et portant sur
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des catégories identiques de données recueillies parmi des populations nationales différentes ou des secteurs équivalents de populations nationales différentes», H. Duijker, S. Rokkan, Journal of Social Issues 10 ( 4 ) , 1954, p. 9. 20. L'histoire générale des vicissitudes de la méthode comparative dans le domaine des sciences sociales n'a jamais été écrite. Parmi les ouvrages qui peuvent à cet égard être le plus utilement consultés, il faut citer les suivants : F.J. Teggart, Theory of History, New Haven, Yale Univ. Press, 1925 ; A. Köbben, « New Ways of Presenting an Old Idea : the Statistical Method in Social Anthropology », Journal of the Royal Anthropological Institute 82 ( 2 ) , 1952: 129-146 ; E.H. Ackerknecht, « On the Comparative Method in Anthropology » in : Method and Perspective in Anthropology (publié sous la direction de R.F. Spencer), Minneapolis, Univ. Minnesota Press, 1954), pp. 117-125 ; S. Tax, « From Lafitau to Radcliffe-Brown, a Short History of the Study of Social Organization», i n : Social Anthropology of North American Tribes (publié sous la direction de F. Eggan, édition augmentée), Chicago, Univ. Chicago Press, 1955, pp. 443-480 ; K.E. Bock, The Acceptance of Histories, Berkeley, Univ. California Press, 1956. 21. Les ouvrages fondamentaux à signaler ici sont les suivants : H.D. Lasswell et al., Language of Politics, New York, G.W. Stewart, 1949 ; H.D. Lasswell, D. Lerner, I. de Sola Pool, The Comparative Study of Symbols, Stanford, Hoover Institute Series, 1952 ; B. Berelson, Content Analysis in Communication Research, Glencoe, Free Press, 1952 ; R. North et al., Handbook of Content Analysis, Evanston, Northwestern Univ. Press, 1963. Le volume le plus important à consulter sur la convergence des techniques d'analyse des textes utilisées dans les recherches relatives à la linguistique, au folklore, à l'anthropologie et à la grande information est celui qui a été publié sous la direction d'I. de Sola Pool sous le titre : Trends in Content Analysis, Urbana, Univ. of Illinois Press, 1959. 22. D. McClelland, The Achieving Society, Princeton, Van Nostrand, 1961. L'ouvrage d'Herbert Hendin intitulé Suicide and Scandinavia. A Psychoanalytic Story of Culture and Character, Londres, Grune and Stratton, 1964, fournit d'autre part un curieux exemple de l'emploi d'analyses trans-culturelles (cross-cultural) de contenu (portant sur des plaisanteries, des bandes dessinées) pour l'étude des caractéristiques modales de la personnalité. 23. Voir : P.J. Stone et al., « The General Inquirer : A Computer System of Content Analysis and Retrieval Based on the Sentence as a Unit of Information », Behavioral Science 1 ( 4 ) , oct. 1962 : 484-498 ; voir aussi les chapitres de l'ouvrage de P.J. Stone et al. intitulé The General Inquirer, Cambridge, M I T Press, 1967. 24. G.P. Murdock, « The Cross-Cultural Survey », American Sociological Review 5 ( 3 ) , juin 1940 : 361-370 ; cf. F.W. Moore (éd.), Readings in Cross-Cultural Methodology, New Haven, HRAF Press, 1961. 25. L'ouvrage de G.P. Murdock et al. intitule An Outline of Cultural Materials, New Haven, HRAF Press, 4'' édition rév., 1961, donne le code utilisé pour la classification des informations. Une liste dûment mise à jour des types de sociétés que l'on rencontre dans le monde figure dans l'ouvrage de G.P. Murdock intitulé An Outline of World Cultures, New Haven, HRAF Press, 3 e éd., 1963. En élargissant la gamme d'échantillonnage et en ajoutant un certain nombre de rubriques au code, R. Textor a ultérieurement compilé un annuaire de base qui contient des informations sur 400 sociétés ; voir son ouvrage intitulé A Cross-Cultural Summary, op. cit. K. Deutsch et C.-J. Friedrich ont récemment mis en route des travaux collectifs de recherche sur les possibilités d'application des données et techniques des HRAF à l'étude comparée des systèmes politiques.
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26. Voir G.P. Murdock, Social Structure, New York, Macmillan, 1949, ainsi que toute la série d'études qui ont fait suite à cet ouvrage ; cf. O. Lewis, « Comparaisons in Cultural Anthropology », pp. 259-292, in : W.L. Thomas Jr., Current Anthropology, Chicago, Univ. of Chicago Press, 1956, et W . J . McEwen, « Forms and Problems of Validation in Social Anthropology », Current Anthropology 4 ( 2 ) , 1963 : 155-183. 27. Un premier essai pour appliquer des techniques comme celles des H R A F à des entités politiques plutôt qu'à des sociétés a été fait par A. Banks et R. Textor dans leur ouvrage A Cross-Polity Survey, op. cit. 28. En ce qui concerne les possibilités et les problèmes de l'histoire comparée, voir notamment : M. Bloch, « Pour une histoire comparée des sociétés européennes », étude publiée en 1928 et ultérieurement reproduite dans Mélanges historiques (Paris, S.E.V.P.E.N., 1968), Tome I, pp. 16-40 ; S. Thrupp, « T h e Role of Comparison in the Development of Economic History », journal of Economic History 1 7 ( 4 4 ) , dèe. 1 9 5 7 ; F. Redlich, «Toward Comparative Historiography », Kyklos 11, 1958 : 362-389 ; D. Gerhard, Alte und neue Wege der vergleichenden Geschichtsbetrachtung, Göttingen, Vanderhoock, 1960. S. Thrupp a fait un effort original pour développer, grâce à la création de l'importante revue internationale Comparative Studies in Society and History, les échanges réguliers entre les historiens et les spécialistes des sciences sociales qui s'intéressent aux analyses trans-culturelles (cross-cultural). 29. S.N. Eisenstadt, The Political Systems of Empires, New York, Free Press, 1963. 30. R. Bendix, New York, Wiley, 1964. 31. B. Moore, Social Origins of Dictatorship and Democracy, Boston, Beacon Press, 1966. 32. S.M. Lipset, Political Man, Garden City, Doubleday, 1960. 33 S.M. Lipset, The First New Nation : The United States in Historical and Comparative Perspective, New York, Basic Books, 1963. Voir aussi les comparaisons de caractère historique qui figurent dans l'article de S.M. Lipset, S. Rokkan intitulé « Cleavage Structure, Party Systems and Voter Alignments : an Introduction », in : S.M. Lipset, S. Rokkan (éds.), Party Systems and Voter Alignments, New York, Free Press, 1967. 34. Ces efforts ont abouti à la production d'une énorme quantité de documents. Une liste fondamentale de références pour les normes envisagées est donnée par le Bureau de statistique des Nations Unies, sous le titre de Répertoire de normes statistiques internationales, New York, Nations Unies, Sér. Stat. M. N" 22, Rév. 1, 1960. Cet ouvrage ne donne cependant que peu ou pas de renseignements sur le contenu concret des normes ni sur les problèmes d'application. Pour plus de détails sur les travaux des Nations Unies dans le domaine des statistiques, voir le chapitre rédigé par D.V. McGranahan, dans l'ouvrage de R.L. Merritt, S. Rokkan (éds.), Comparing Nations, New Haven, Yale University Press, 1966. 35. P.A. Sorokin, Social Mobility, Londres, Harper, 1927 ; réédité à Glencoe, The Free Press, 1959. 36. S.M. Miller, «Comparative Socia! Mobility», Current Sociology 9 ( 1 ) , 1961 : 1-89 ; D.V. Glass, R. König, Soziale Schichtung und soziale Mobilität, Cologne, Westdeutscher Verlag, 1961, ainsi que les ouvrages cités dans S. Rokkan et al., Comparative Survey Analysis, op. cit. Pour une bibliographie complète des travaux consacrés à l'analyse comparée dans d'autres domaines de la sociologie, voir D.C. Marsh, Comparative Sociology, op. cit. 37. Un excellent ouvrage de référence sur ces indicateurs est l'Atlas of Economic Development, Chicago, University of Chicago Press, 1961, de N. Ginsburg ; il comporte aussi un exemple (dû à B.J.C. Berry) d'une forme d'analyse par corrélation, que de telles données rendent maintenant possible. 38. The International Population and Urban Research Program de Berkeley a mis au point un système de dossiers de renseignement concernant toutes les villes
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et agglomérations urbaines du monde comptant 100.000 habitants et plus ; cf. International Urban Research, The World's Metropolitan Areas, Berkeley, University of California Press, 1959. Voir notamment K. Deutsch, « Toward an Inventory of Basic Trends and Patterns in Comparative and International Politics », American Political Science Review 54 (1), 1960: 34-57; B. Russett et al., World Handbook, op. cit. ; et R.L. Merritt, S. Rokkan (éds.), Comparing Nations, op. cit. Telle est essentiellement la raison d'être du plan qui est maintenant à l'étude à l'Unesco pour un projet de collection de Guides internationaux de la recherche comparée. Le premier ouvrage, le Guide international des statistiques électorales, est déjà très avancé : le premier volume en sera publié, en 1969, par le Comité international pour la documentation des sciences sociales, en coopération avec le Conseil international des sciences sociales. Aux Etats-Unis, le Social Science Research Council a financé une étude préliminaire effectuée par Walter D. Burnham, sur les possibilités de composer un répertoire central de données historiques sur les élections, recueillies par comtés, en vue de leur traitement par ordinateur. L'Inter-University Consortium for Political Research, à Ann Arbor, Michigan, poursuit actuellement des efforts dans ce sens et accumule un vaste répertoire de données sur les recensements et les élections par comtés pour permettre une analyse des tendances écologiques. Pour un examen général des possibilités d'aborder sous cet aspect l'étude comparée de l'écologie politique, voir S. Rokkan, « Electoral Mobilization, Party Competition and Territorial Integration», i n : J. La Palombara, M. Weiner (éds.), Political Parties and Political Development, Princeton, Princeton University Press, 1966, et son introduction à l'ouvrage publié sous la direction de S. Rokkan et J. Meyriat, Guide international des statistiques électorales, vol. I. Elections législatives en Europe occidentale, Paris, Mouton, 1969 ; cf. aussi M. Dogan, S. Rokkan (éds.), Quantitative Ecological Analysis in the Social Sciences, Cambridge, Mass., MIT Press, 1969. On n'a jamais analysé méthodiquement l'important ensemble d'écrits consacrés à ces questions. Parmi les centaines d'articles et de chapitres composés au cours de ces controverses, les plus importants sont peut-être les suivants : T. Harrison, « What is Public Opinion ? », Political Quarterly 11, 1940 : 368383 ; H. Blumer, « Public Opinion and Public Opinion Polling », American Sociological Review 13, 1948 : 542-565 ; H. Arbuthnot, «Democracy by Snap Judgment », Listener, 4 mars, 1948 : 367-368 ; L. Rogers, The Pollsters, New York, Knopf, 1949 : H. Speier, « The Historical Development of Public Opinion », dans son ouvrage Social Order and the Risk of War, New York, Steward, 1952 ; H. Hyman, Survey Design and Analysis, Glencoe, Free Press, 1955, ch. V I I I ; P. Lazarsfeld, « Public Opinion and the Classical Tradition », Public Opinion Quarterly 21, 1957 : 39-53. Les hypothèses plébiscitaires de l'enquête commerciale ont été analysées avec beaucoup d'esprit critique par le philosophe allemand W. Hennis dans Meinungsforschung und repräsentative Demokratie, Tübingen, Mohr, 1957. Cet ouvrage présente un intérêt particulier parce qu'il vise à combler la lacune entre la théorie politique de la représentation et de la démocratie et les controverses actuelles concernant les hypothèses qui justifient les interrogations de masse. Ce thème est examiné, dans une perspective plus large de sociologie historique, dans l'ouvrage de T. Habermas, Strukturwandel der Öffentlichkeit, Neuwied, Luchtherhand, 1961. La position des « enquêteurs » a été défendue par G. Schmidtchen, Die befragte Nation, Freiburg, Rombach, 1959, et M. Kuhn, Umfragen und Demokratie, Allensbach, Verlag für Demoskopie, 1959. On trouvera une bibliographie sur cette question dans S. Rokkan et al., Comparative Survey Analysis, op. cit. W. Buchanan, H. Cantril, How Nations See Each Other, Urbana, Univ. Illinois Press, 1953.
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45. H. Cantril, M. Strunk (éds.), Public Opinion, 1935-46, Princeton, Princeton University Press, 1951. Le Public Opinion Quarterly a donné une liste de résultats de « sondages » réalisés de 1940 à 1951 puis de nouveau depuis 1961, mais cette liste n'a pas été établie de manière très systématique. L'Institut Steinmetz de l'Université d'Amsterdam a rassemblé une importante documentation composée de communiqués et de rapports d'organismes de sondage et publie depuis 1965 un périodique Poils où sont enregistrées les questions et la répartition générale des réponses se rapportant à des études effectuées dans le monde entier. 46. Le premier rapport systématique est dû à Y . Lucci et S. Rokkan. Il est intitulé : A Library Center for Survey Research Data, New York, Columbia University School of Library Services, 1957 ; voir, en outre, les rapports subséquents dans le numéro spécial sur « Les données dans la recherche comparative », Revue internationale des sciences sociales 16 ( 1 ) , 1964, et dans S. Rokkan (éd.), Data Archives for the Social Sciences, Paris, Mouton, 1968. 47. D. Lerner, The Passing of Traditional Society, Glencoe, Free Press, 1958. 48. H. Cantril, The Pattern of Human Concerns, New Brunswick, Rutgers Univ. Press, 1965. 49. D.C. McClelland, The Achieving Society, op. cit. 50. Premier rapport : D.H. Smith, A. Inkeles, « The OM Scale : a Comparative Social Psychological Measure of Individual Modernity», Sociometry 26(4), dèe. 1966 : 353-377. 51. Cf. C. Osgood, « O n the Strategy of Cross-National Research into Subjective Culture », Information sur les sciences sociales 6 ( 1 ) , fév. 1967 : 6-37. 52. Voir H.H. et G.L. Anderson, « Image of the Teacher by Adolescent Children in Seven Countries », American Journal of Orthopsychiatry, juil. 1961 : 481482 ; W.E. Lambert, O. Klineberg, Children's Views of Foreign Peoples : a Cross-National Study, New York, Appleton, 1966. 53. B.B. Whiting (éd.), Six Cultures: Studies of Child Rearing, New York, Wiley, 1963 ; J.W.M. Whiting et al., Field Guide for the Study of Socialization, New York, Wiley, 1966. 54. G.A. Almond, S. Verba, The Civic Culture, Princeton, Princeton Univ. Press, 1963. 55. S.M. Lipset, Political Man, op. cit. ; W. Kornhauser, The Politics of Mass Society, New York, Free Press, 1959 ; R. Alford, Party and Society, Chicago, Rand McNally, 1963. 56. D. Lerner, « Interviewing European Elites», Polls 2 ( 1 ) , 1966 : 1-7. 57. K.W. Deutsch, France, Germany and the Western Alliance. A Study of Elite Attitudes on European Integration and World Politics, New York, Scribners, 1967 ; R.L. Merritt, D.J. Puchala (éds.), Western European Perspectives on International Affairs : Public Opinion Studies and Evaluations, New York, Praeger, 1967. 58. S. Rokkan, A. Campbell, « La participation des citoyens... », op. cit. ; A. Campbell, H. Valen, « Party Identification in Norway and the United States », Public Opinion Quarterly 25, 1961 : 505-525 ; P.E. Converse, G. Dupeux, « De Gaulle et Eisenhower», Revue française de science politique 1 2 ( 1 ) , mars 1 9 6 2 : 54-92. 59. A. Przeworski, H. Teune, « Equivalence in Cross-National Research », Public Opinion Quarterly 30 ( 4 ) , 1966 : 551-568. 60. Cf. en particulier O. Lewis, « Comparisons in Cultural Anthropology », op. cit. 61. E.B. Tylor, « On a Method of Investigating the Development of Institutions », Journal of the Royal Anthropological Institute 28, 1889 : 245-280. 62. Voir notamment R. Naroll, « Two Solutions to Galton's Problem », in : F.W. Moore (éd.), Readings in Cross-Cultural Methodology, New Haven, HRAF Press, 1961, et Data Quality Control: A New Research Technique, Glencoe, Free Press, 1962.
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63. J . Goody, I. Watt, « The Consequences of Literacy », Comparative Studies in Society and History 5, 1963 : 304-345. 64. T. Parsons, Societies : Comparative and Evolutionary Perspectives, Englewood Cliffs, Prentice-Hall, 1967, et The System of Modern Societies, Englewood Cliffs, Prentice Hall, 1970. 65. S.N. Eisenstadt, The Political System of Empires, op. cit. 66. K.W. Deutsch, Nationalism and Social Communication, Cambridge, M.I.T. Press, 1953, éd. rév. 1966. 67. L'édition révisée du World Handbook de Russett et al. contiendra cependant plusieurs séries chronologiques embrassant de 20 à 30 années pour les pays industrialisées : sa parution est prévue pour 1970. 68. K.W. Deutsch, « Social Mobilization and Political Development », American Political Science Review 65 ( 3 ) , sept. 1961 : 493-514. 69. Cf. S. Rokkan, H. Valen, « The Mobilization of the Periphery », in : S. Rokkan (éd.), Approaches to the Study of Political Participation, Bergen, Michelsen Institute, 1962 ; S. Rokkan, « Electoral Mobilization, Party Competition and National Integration», in : J . La Palombara, M. Weiner (éds.), Political Parties and Political Development, Princeton, Princeton Univ. Press, 1966 ; P. Nettl,Political Mobilization, Londres, Faber, 1967 ; et S.M. Lipset, S. Rokkan (éds.), Party Systems and Voter Alignments, op. cit. 70. Cf. K.W. Deutsch, H. Weilenmann, « The Swiss City Canton : a Political Invention », Comparative Studies in Society and History 7 ( 4 ) , 1965 : 393-408, et l'ouvrage des mêmes auteurs à paraître prochainement : United for Diversity : the Political Integration of Switzerland. 71. Formulé initialement dans G. Almond, J . Coleman (éds.), The Politics of the Developing Areas, Princeton, Princeton University Press, 1960 ; pour la suite de ces études, cf. les six volumes de la série Studies in Political Development, Princeton, Princeton University Press, 1963-1966, ainsi que les études théoriques suivantes : G. Almond, « A Developmental Approach to Political Systems », World Politics 17, 1965 : 183-214 ; L.W. Pye, « The Concept of Political Development », Annals of the American Academy of Political and Social Science 358, 1965 : 1-114 ; G. Almond, L.B. Powell, Comparative Politics : a Developmental Approach, Boston, Little Brown, 1966, et L.W. Pye, « Political Systems and Political Development », in : S. Rokkan (éd.), Comparative Research across Cultures and Nations, Paris, Mouton, 1968. Les manuscrits de cinq projets de chapitres devant former le prochain volume collectif sur les Crises of Political Development ont été diffusés dès 1966 mais la date de publication finale n'est pas encore connue. 72. Cf. pour un premier examen du processus d'exploitation l'étude préparée par S. Rokkan, « Models and Methods in the Comparative Study of NationBuilding », Acta Sociologica 12(2), 1969 : 53-73. 73. S. Huntington, « Political Modernization : America vs. Europe », World Politics 18 ( 3 ) , 1966, p. 378-414. 74. R. Holt, J . Turner, The Political Basis of Economic Development, Princeton, Van Nostrand, 1966. 75. B. Moore, The Social Origins of Dictatorship and Democracy, op. cit. 76. B. Moore, op. cit., pp. X I I - X I I I . 77. T. Parsons, The System of Modern Societies, op. cit. 78. UNITAR, The Status and Problems of Very Small States and Territories, New York, UNITAR, 1967, multigraphié. 79. S.M. Lipset, S. Rokkan, « Cleavage Structures, Party Systems and Voter Alignments : an Introduction », in : Party Systems and Voter Alignments, op. cit. Pour plus de détails voir S. Rokkan, « The Structuring of Mass Politics in the Smaller European Democracies », Comparative Studies in Society and History 10 ( 2 ) , 1968 : 173-210.
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Rokkan
80. Sur cette étude voit V.R. Lorwin, « Historians and Other Social Scientists : the Comparative Analysis of Nation-Building in Western Societies », in : S. Rokkan (éd.), Comparative Research Across Cultures and Nations, op. cit. Cette étude («SED») sur les petites démocraties européennes porte sur les cinq pays nordiques, les trois pays du Benelux, l'Irlande, la Suisse et l'Autriche. La plupart des analyses comparent ces pays entre eux mais on a essayé à l'occasion de comparer les plus petits (dont deux sont des «micro-Etats», l'Islande et le Luxembourg, tandis que deux autres sont de dimension moyenne pour l'Europe : la Belgique et les Pays-Bas ) avec les quatre grandes démocraties : la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne et l'Italie, et quelques fois même avec l'Espagne « polycéphale ». 81. S.M. Lipset, S. Rokkan, op. cit. 82. O. Cornblit et al., « A Model for Political Change in Latin America», Information sur les sciences sociales 7 (2), 1968 : 13-48. 83. S.M. Lipset, J.J. Linz, The Social Basis of Political Diversity, Stanford, Center for Advanced Study, 1956, multigraphié. Seule une petite partie des données recueillies a été ultérieurement reprise dans le travail de Lipset : Political Man, op. cit. 84. R. Rose, D. Urwin, « The Cohesion of Political Parties : A Comparative Analysis ». Communication présentée à la Conférence internationale sur les élections, Loch Lomond, juillet 1968. 85. Pour plus de détails, voir le rapport de G. Germani sur la Conférence du C.I.S.S. qui s'est tenue à Buenos Aires en 1964. Information sur les sciences sociales 4 (2), 1965 : 150-172. 86. Voir le rapport récent de l'O.C.D.E., Les sciences sociales et la politique des gouvernements, Paris, O.C.D.E., 1966, en particulier pp. 85-87. 87. H. Duijker, S. Rokkan, op. cit. ; voir aussi le numéro spécial du Bulletin international des sciences sociales 7 (1), 1955 ; cf. S. Rokkan et al., Comparative Survey Analysis, op. cit. 88. T. Husén, op. cit. 89. C.G. Janson, «Project Metropolitan», Acta Sociologica 9 (1-2), 1965: 110115. 90. A. Szalai, « Trends in Comparative Time-Budget Research », American Behavioral Scientist 9 ( 9 ) , mai 1966 : 3-8. « The Multinational Comparative Time Budget Research Project», American Behavioral Scientist 1 0 ( 4 ) , dec. 1966: 1-31. 91. Voir S. Rokkan, « Les sondages d'opinions courantes concernant les pays étrangers », Bulletin international des sciences sociales 9 (1), 1957: 128-136; E. Reigrotski, N. Anderson, « National Stereotypes and Foreign Contacts », Public Opinion Quarterly, hiver 1959-1960 : 515-528 ; et M. Brouwer, « International Contacts and Integration-mindedness, a Secondary Analysis of a Study in Western Europe », Polls, été 1965 : 1-11. 92. Un premier rapport succinct sur cette conférence a paru dans Information sur les sciences sociales 1 (3), 1962 : 32-38. Un rapport plus complet et un choix de communications ont paru dans un numéro spécial sur « Les données dans la recherche comparative » de la Revue internationale des sciences sociales, 16 (1), 1964 : 7-109. 93. Les documents de cette conférence ont été publiés dans : R. Merritt, S. Rokkan (éds.), Comparing Nations, op. cit. 94. Un rapport sur la première Conférence sur les archives de données de sciences sociales (Cologne, juin 1963) a paru dans Information sur les sciences sociales 2 (4), 1963 : 109-114. Les documents de la seconde Conférence (Paris, septembre 1964) ont paru dans S. Rokkan (éd.), Data Archives for the Social Sciences, Paris, Mouton, 1966. On trouvera un compte rendu des faits intervenus depuis cette date dans : R. Bisco, « Social Science Data Archives : Progress and Prospects », Information sur les sciences sociales 6 (1), 1967 : 39-74.
Recherche
trans-culturelle,
trans-sociétale
et
trans-nationale
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95. Voir les rapports dans Information sur les sciences sociales 4 (2), 1965 : 156172, et dans Revista Latinoamericana de Sociología 1, 1965 : 39-151. 96. Voir le rapport dans Information sur les sciences sociales 2 (4), 1963 : 98-103, et les chapitres d'E. Allardt, S. Rokkan, H. Vallen, dans : Comparing Nations, op. cit. 97. Voir Introduction à S. Rokkan (éd.), Data Archives for the Social Sciences, op. cit. 98. Voir l'ouvrage de M. Dogan, S. Rokkan (éds.), Quantitative Ecological Analysis in the Social Sciences, Cambridge, M.I.T. Press, 1969. 99. Les documents de cette conférence ont paru dans : S. Rokkan (éd.), Comparative Research Across Cultures and Nations, Paris, Mouton, 1968. 100. Voir les rapports dans Information sur les sciences sociales 2 ( 3 ) , 1963 : 90123 ; 3 (3), 1964 : 70-76 ; et 4 (2), 1965 : 128-155.
CHAPITRE
XI
Organisation et financement de la recherche ERIC TRIST
Première partie : Nature
et portée de
l'enquête
I . L E S SCIENCES SOCIALES OBJET D'UNE P O L I T I Q U E DE LA RECHERCHE
Apparition d'un nouveau domaine
d'investigation
1. L'intérêt que suscitent l'application de méthodes scientifiques et l'organisation et le financement de la recherche en tant que secteur justiciable d'une étude systématique est d'origine très récente dans le cas des sciences sociales. C'est dans les années soixante que se manifeste cette prise de conscience, et il vaut la peine de rappeler dans un même ordre d'idée, que pendant les années cinquante l'attention s'est portée sur la nécessité d'études systématiques, dans le domaine des sciences exactes et naturelles, lorsqu'on a reconnu qu'il fallait désormais compter, notamment en physique, avec ce qu'on pourrait appeler « big science », qui exige la mise en œuvre de puissants moyens d'investigation, et pose donc de nouveaux problèmes de « choix scientifique » et de répartition des ressources. 2. En décidant d'inclure dans son étude sur les tendances principales de la recherche dans les sciences sociales et humaines des questions de politique scientifique, d'organisation et de financement de la recherche, l'Unesco ne se faisait aucune illusion, sachant qu'à l'heure actuelle ces questions ne peuvent encore faire l'objet que de conclusions hypothétiques et fragmentaires. On a d'ailleurs vu les difficultés auxquelles il faut s'attendre lorsque l'OCDE a dû établir pour la seconde Conférence ministérielle sur la science en 1966 son rapport sur Les sciences sociales et la politique des gouvernements (168), dont les auteurs signalent que « les matériaux statistiques de base nécessaires à une étude de
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ce genre sont actuellement fort rares. Non seulement il n'existe pas de statistiques à l'échelle internationale des ressources consacrées à la recherche mais encore rares sont les pays qui ont essayé d'en établir de rigoureuses sur le plan national ». 3. L'étude nationale la plus détaillée qui existât alors était le Report of the committee on social studies qui fut soumis au Gouvernement britannique en 1965 sous la présidence de Lord Heyworth ( 5 5 ) . Ce travail s'appuie sur des renseignements — information verbale ou documents écrits — fournis par un grand nombre d'organismes et d'individus représentant aussi bien ceux qui font les sciences sociales que ceux qui les utilisent ; sur des séminaires et des entretiens avec les représentants de groupes à la fois intéressés et compétents, tant au sein de l'université qu'à l'extérieur ; sur toutes sortes de statistiques provenant de toutes les sources possibles ; et enfin sur les réponses à un questionnaire complet et détaillé. Malgré toute la peine qu'elle a prise, cette Commission a eu les plus grandes difficultés à établir les faits, et à plus forte raison à les interpréter, simplement parce que pour bon nombre de secteurs parmi les plus importants, les renseignements nécessaires n'avaient jamais été recueillis. 4. Néanmoins, les rapports de la Commission Heyworth et de l'OCDE ont beaucoup contribué à faire mieux apprécier les sciences sociales. Ces rapports témoignent que, dans le dernier tiers du vingtième siècle, les sociétés commencent à reconnaître que les sciences sociales sont capables d'aider beaucoup à comprendre et à résoudre le genre de problèmes complexes qui se posent maintenant avec de plus en plus d'acuité et à une échelle toujours plus grande à toutes les nations, quel que soit leur stade de développement. Jusqu'à la décennie en cours, seul un très petit nombre de pays avaient commencé à envisager sérieusement la possibilité d'utiliser les sciences sociales, distinctes ici de la science économique, au niveau des décisions politiques, et attachaient en conséquence un plus grand intérêt à leur développement. 5. Depuis 1960, la Division de la politique scientifique du secteur des sciences de l'Unesco a fait un certain nombre d'études consacrées à la politique scientifique dans un certain nombre de pays (189). Instituée en raison de l'intérêt croissant que les gouvernements portaient aux sciences exactes et naturelles, cette division a ensuite étendu ses activités aux sciences sociales. C'est en soi une décision importante qui marque l'intérêt croissant porté sur le plan international aux sciences sociales. Ce qui a incité l'Unesco à s'engager dans cette voie, c'est le vif intérêt manifesté à plusieurs reprises par la Conférence générale de l'Unesco pour le rôle de la science et de la technique dans le développement économique et social.
Organisation et financement
de la recherche
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6. Il a fallu rédiger le questionnaire établi par l'Unesco en vue de la présente étude dans des termes extrêmement généraux. Il n'était pas sûr que les réponses permettraient de tenter même une ébauche d'analyse. En fait, l'Unesco a reçu quelque 100 réponses de la part d'organismes régionaux et nationaux ainsi que d'un certain nombre d'associations scientifiques et professionnelles. Quelques-unes de ces réponses fournissaient non seulement toutes les statistiques disponibles, mais aussi un matériel descriptif et des remarques critiques. D'autres contenaient des renseignements de toutes sortes mais ne fournissaient guère d'appréciations. La plupart étaient fragmentaires. Dans le cas d'un grand nombre de pays venant d'accéder à l'indépendance et les moins développés, les renseignements étaient inexistants et il en fut de même de quelques pays plus anciens et plus développés où l'organisation des activités scientifiques est encore si rudimentaire qu'aucun tableau d'ensemble ne pouvait être dressé sans enquête préalable. 7. Les centres régionaux de l'Unesco dans les pays en voie de développement ont fourni, outre la réponse au questionnaire, un bilan aussi complet que possible de la situation et des perspectives des sciences sociales dans les territoires de leur ressort. Plusieurs Commissions nationales firent de même dans des pays d'Europe orientale où la science est organisée selon des systèmes extrêmement différents de ceux que connaît l'Occident. Il y avait déjà une bibliographie non négligeable concernant directement ou indirectement le sujet qui nous intéressait, composée d'ouvrages qui provenaient d'un grand nombre de sources différentes et dont on pouvait se procurer la plupart au siège de l'Unesco, en s'adressant à la section d'information du Département des sciences sociales. Nous avons procédé au dépouillement systématique de cette bibliographie. 8. Cette étude a attiré notre attention sur deux points. Le premier est que les recherches théoriques ont pris plus d'ampleur ; elles ne se limitent plus à l'histoire de la science puisqu'elles englobent désormais des aspects tels que son développement, le cadre et les formes d'organisation qui stimulent ou entravent ses progrès, les problèmes de main-d'œuvre et de dépense, la valeur éthique et pratique des diverses perspectives dans lesquelles la science apparaît liée aux décisions politiques et susceptible en principe d'applications économiques et sociales. Une nouvelle discipline, appelée parfois la « science de la science » s'est créée, qui va plus loin que la « sociologie de la connaissance » (173). Un organisme intitulé la Foundation for the Science of Science mène des études très diverses à Londres. Aux Etats-Unis, des chaires spéciales ont été créées à Yale et à Brandeis ; un centre doté d'un programme à long terme a été constitué à Lund en Suède, et un autre à l'Académie tchécoslovaque des sciences. Bien qu'essentiellement axée sur les sciences exactes et naturelles, cette nouvelle discipline tend maintenant à englober les sciences sociales.
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Cette recherche théorique est nécessaire à un double titre : ( 1 ) pour mettre au point les notions plus précises et les méthodes plus efficaces dont on a besoin pour améliorer la qualité des renseignements recueillis par les services officiels ; ( 2 ) pour soumettre ces renseignements à un examen critique satisfaisant. Enfin, en raison de leurs répercussions politiques, les problèmes centraux de politique scientifique et d'organisation de la science sont matière à controverse, ce qui rend d'autant plus nécessaire la recherche indépendante. 9. En second lieu, nous avons constaté qu'il y a de plus en plus d'études consacrées à l'avenir. C'est ainsi que le Commissariat français du Plan a créé le Groupe '85 et qu'aux Etats-Unis l'American Academy of Sciences a créé la Commission on the Year 2 0 0 0 . En Grande-Bretagne, le Social Science Research Council, de création récente, a institué une commission chargée d'étudier les 30 années à venir. Parallèlement, les pays d'Europe orientale accordent de plus en plus d'attention à la planification à long terme, intéressant les vingt années à venir, sinon davantage. Il ressort des renseignements fournis par la Fondation C I B A que des instituts chargés d'étudier l'avenir se sont multipliés dans le monde entier. Un congrès international, réuni en Norvège en 1967, a abouti à la création d'une société internationale. L'étude de l'avenir constitue désormais une discipline reconnue, au même titre que l'étude de la science. Les deux sont logiquement liées. En effet le développement de la science, accélérant le rythme du changement, nous donne le sentiment que l'avenir sera vraisemblablement moins calqué sur le passé qu'il ne le fut jusqu'à présent. 10. Sous l'effet de cette prise de conscience, l'orientation de la planification a pris de l'extension dans tous les types de société, quel que soit leur stade de développement, et indépendamment de leurs principes idéologiques. L'intérêt que suscite la planification s'explique par l'accroissement du sentiment d'incertitude engendré par l'accélération de l'évolution dans le monde contemporain. Une fois qu'il existe une orientation de la planification et que les perspectives d'avenir se précisent, on met davantage à contribution les sciences sociales afin d'obtenir davantage de renseignements de toutes sortes sur les hommes et les sociétés où ils vivent, de mettre au point des méthodes et des techniques de prévision et de prédiction et d'élaborer des logiques et des systèmes de valeur permettant d'établir les modèles de différents avenirs possibles.
Les groupes de pays 11. La disparité des renseignements disponibles nous a amenés à concentrer nos recherches sur neuf pays témoins, caractéristiques des divers
Organisation et financement de la recherche
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types de sociétés, des divers stades de développement, et des différentes régions du monde. Des rapports documentés 1 ont été rédigés, que l'on a comparés aux informations plus facilement accessibles sur d'autres pays, afin de dégager tendances et structures. Les groupes de pays et les pays témoins sont énumérés ci-après. 12. Les Etats-Unis méritaient d'être considérés comme un groupe à eux seuls étant donné que leurs activités dans le domaine des sciences sociales sont plus considérables et plus variées que dans tous les autres pays pris ensemble. En outre, le développement des sciences sociales s'est ralenti en Europe durant l'entre-deux-guerres et l'arrivée du nazisme a contraint la plupart des principaux spécialistes allemands et autrichiens à émigrer aux Etats-Unis, de sorte que, durant quelque trente années, ce sont les travaux américains qui ont le plus influencé, techniquement parlant, les spécialistes des sciences sociales des autres pays. Ce n'est qu'avec les années soixante qu'a commencé à s'opérer un net redressement de ce déséquilibre. 13. Le second groupe se compose des grands pays avancés d'Europe occidentale où les sciences sociales ont pris naissance. L'Allemagne, qui a produit tant d'idées fondamentales, a été retenue comme pays témoin, parce qu'on était beaucoup moins bien renseigné sur la situation qu'y occupent actuellement les sciences sociales que dans le cas de la France et de la Grande-Bretagne sur lesquelles on possède déjà des rapports détaillés. C'est en outre un pays où jusqu'à présent la politique scientifique et la planification ne sont pas très développées. La République fédérale est un bon exemple de pays où la recherche dans les sciences sociales tend à se séparer des universités. C'est là l'effet sur leur structure, restée la même, de la surcharge des activités d'enseignement imposée par l'accroissement spectaculaire du nombre des étudiants. 14. Les petits pays avancés d'Europe occidentale sont d'un type un peu différent et se caractérisent par leur tendance à avoir une politique scientifique nationale et à accorder davantage de prix aux sciences sociales, encore que ceci devienne également vrai des grands pays. Ce troisième groupe se caractérise également par la dispersion de la recherche et la rigidité persistante des systèmes universitaires. Mais encore une fois, ce trait s'observe également, quoiqu'à des degrés divers, dans les pays plus importants. Le pays retenu est la Belgique ; il aurait été souhaitable également de faire une étude approfondie d'un pays Scandinave, la Suède par exemple, où l'on attribue aux sciences sociales une part des ressources globales affectées à la science plus importante que dans aucun autre pays d'Europe. Cette étude avait heureusement déjà été faite pour les Pays-Bas, où la répartition proportionnelle des crédits est analogue ( 3 6 ) .
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15. Un autre grand groupe est composé des pays socialistes d'Europe orientale où les académies des sciences, qui embrassent à la fois les sciences sociales et les sciences exactes et naturelles, constituent un système original d'organisation de la recherche. Tout porte à croire que ces pays vont beaucoup augmenter les ressources qu'ils consacrent aux sciences sociales. La Tchécoslovaquie a été retenue à la fois parce qu'elle est représentative de la plupart des problèmes et parce qu'elle témoigne de l'importance qu'ont prise ces temps derniers les études empiriques. On disposait en outre de nombreux rapports concernant la Pologne et la Yougoslavie où l'on peut détecter, notamment dans le domaine de la sociologie, des tendances analogues à celles constatées en Tchécoslovaquie. A propos de l'Union soviétique, en revanche, on n'a guère pu obtenir que des renseignements assez formels, bien que détaillés, en matière de personnel utilisé et de financement. 16. Du point de vue du niveau scientifique, il faut ranger les pays d'Europe occidentale les plus traditionalistes et les moins industrialisés dans le groupe des pays en voie de développement. Les sciences sociales ne s'y distinguent pas encore bien des études littéraires. Cependant, sous la pression des besoins pratiques, les recherches prennent un caractère plus concret. L'Espagne a été retenue en tant que pays représentatif et parce que c'est, avec le Portugal, le pays auquel l'Amérique latine doit sa « culture d'origine ». 17. Les très petits pays en voie de développement posent des problèmes particuliers pour ce qui est du « choix scientifique ». L'Irlande a été retenue dans la mesure où c'est un cas relativement bien connu dans le contexte occidental. Si l'on a fait ce choix, c'est qu'on peut y constater une tendance à associer utilement les sciences sociales aux problèmes de développement national. C'est aussi parce que les problèmes que posent les sciences sociales dans un pays de ce genre permettraient de fructueuses comparaisons avec ceux qui confrontent les petits pays en voie de développement situés dans d'autres parties du monde où le contexte régional, historique, linguistique et culturel est totalement différent et qui se trouvent plus éloignés des sociétés qui, jusqu'à présent, ont été les centres du progrès scientifique. 18. Pour les pays en voie de développement des autres parties du monde il a fallu se contenter de groupes très larges, tels que le Sud-Est Asiatique, l'Afrique et l'Amérique latine. Il s'agit la plupart du temps de pays où les ressources intérieures disponibles pour les sciences sociales sont infimes. Dans certains d'entre eux, elles sont inexistantes. C'est un trait dont il faut se souvenir, car les rapports à leur sujet reflètent plutôt des aspirations que des possibilités. En outre, les relations entre ces pays d'une part et d'autre part les sources étrangères qui peuvent apporter un soutien aux sciences sociales ont souvent abouti involontairement à
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paralyser les réalisations locales. Les problèmes qui se posent dans ces pays restent à résoudre. L'Inde a été choisie en tant que pays représentatif de l'Asie. Ce pays d'une taille exceptionnelle, qui bénéficie d'une des plus grandes civilisations de l'histoire, sera certainement, dans un avenir plus ou moins proche, une source importante de vocations scientifiques. Cependant les valeurs et la structure de la société traditionnelle, jointes aux différences linguistiques, créent un certain nombre d'obstacles. L'Angleterre étant l'ancienne puissance coloniale, le développement des sciences s'est effectué conformément aux institutions et aux prédilections britanniques. 19. On n'a pas reçu beaucoup de renseignements d'Afrique, notamment des Etats arabes, où résidera sans doute, dans les quelques décennies à venir, une part importante du potentiel scientifique d'Afrique. Etant donné que beaucoup de pays neufs d'Afrique sont de petits pays, il y avait intérêt à choisir un petit pays ; en outre, il était préférable que ce pays reflétât plutôt l'influence française que l'influence britannique, cette dernière ayant déjà été illustrée par le cas de l'Inde. L'ancienne Afrique française était la mieux connue, grâce aux organismes qui ont leur siège à Paris et qui gardent d'étroites relations dans le domaine de l'éducation avec les anciens territoires français. C'est le Sénégal qui a été retenu comme pays témoin pour l'étude des problèmes de ces régions d'Afrique où c'est le français qui constitue la « langue d'accès à la science ». 20. Le cas de l'Amérique latine est unique. Cette région doit, en effet, à plusieurs siècles de colonisation espagnole et portugaise une extraordinaire homogénéité linguistique et culturelle. Les valeurs de cette tradition n'ont pas favorisé le développement de la science lorsqu'au X I X e siècle les pays d'Amérique latine ont conquis leur indépendance. Dans ces pays, il s'est instauré avec les Etats-Unis une « relation particulière » de dépendance scientifique qui demande à être appréciée. Outre les rapports nationaux et les communications personnelles, le Centro Latinoamericano de Investigaciones en Ciencias Sociales à Rio de Janeiro a fourni des informations intéressant l'ensemble de la région.
Le cadre de l'analyse 21. L'analyse de la documentation réunie demandait un cadre général ( 1 2 3 ) . Nous sommes partis de l'idée que l'évolution théorique et l'utilisation pratique de la science sont une fonction de trois facteurs largement inter-dépendants : ( a ) les caractéristiques internes et l'état des secteurs et disciplines scientifiques ; ( b ) les structures selon lesquelles s'organisent les activités scientifiques et les ressources sur lesquelles elles s'appuient ;
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(c) les traits culturels et socio-économiques des milieux où ces activités s'insèrent. Ce chapitre est essentiellement consacré au point ( b ) , concernant structures et ressources ; toutefois, il n'est pas possible de séparer totalement cet aspect des deux autres, parce que c'est le résultat final, le développement et l'utilisation réels des sciences sociales, qui fournit le critère selon lequel il convient d'apprécier tel type d'organisation et telle politique scientifique. 22. Les caractéristiques internes et le milieu dans lequel s'insèrent les activités scientifiques sont particulièrement importants dans le cas des sciences sociales qui sont moins développées que les sciences de la nature. Loin de nous pourtant l'idée de contester la valeur des résultats accumulés, notamment dans certains secteurs. Nous voulons simplement dire que l'issue de maints projets reste extrêmement incertaine étant donné l'absence, notamment dans les secteurs les plus récents, de principes généraux solidement acquis et permettant de définir les corrélations entre de grands groupes de faits établis en toute certitude. Quelle forme d'organisation et de formation sont le mieux à même de favoriser les progrès de la recherche dans des conditions caractérisées par un degré élevé d'incertitude quant à la qualité des connaissances de base ? Il ne s'agit ni d'encourager des attitudes doctrinaires, des spéculations invérifiables ou un goût immodéré pour la théorie et l'élaboration de modèles ambitieux, ni de se confiner dans des questions susceptibles d'une analyse rigoureuse du point de vue de la méthode ou de la mesure mais ne présentant qu'un intérêt secondaire. Quels sont les types de société qui accepteront le plus volontiers de consacrer des ressources autres que marginales à des disciplines caractérisées par la situation que nous venons d'analyser ? Sans doute pas celles qui restent le plus attachées à l'orthodoxie et aux traditions. Le problème est d'autant moins facile à résoudre que les moeurs académiques et les structures universitaires auxquelles nous sommes habitués ont été mises au point pour répondre aux besoins des sciences exactes et naturelles. E n outre, le public conçoit la science sur le modèle des sciences de la nature, notamment dans le domaine des relations entre théorie et pratique. 23. O n est en droit d'avancer que les sociétés n'apporteront un soutien substantiel aux sciences sociales que lorsqu'elles sentiront un besoin urgent du type de connaissance qu'on peut en attendre, et lorsqu'elles commenceront à se convaincre que ces connaissances peuvent avoir un effet pratique. Le rythme inégal et accéléré des changements qui se produisent partout à l'heure actuelle accroît la complexité de l'existence et rend l'avenir de plus en plus incertain, toutes choses qui créent rapidement aujourd'hui un état d'esprit favorable aux sciences sociales. Cette situation s'explique, ce qui est paradoxal, par les changements techniques et démographiques imputables aux progrès des sciences physiques
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et biologiques. Ce sont eux qui rendent indispensables le progrès et l'utilisation des sciences sociales. 24. Cette situation soulève des problèmes importants en ce qui concerne les politiques et les types d'organisation qui favoriseront le développement des sciences sociales le mieux adapté aux besoins sociaux. Les traditions académiques de formation et de recherche qui, dans une première période, ont favorisé l'essor des sciences sociales, sont-elles les plus indiquées pour les faire progresser à l'avenir ? Maints indices prouvent qu'on les arrache à leur cadre habituel pour les mettre à même de mieux contribuer à la compréhension et à la solution des grands problèmes sociaux. Cette situation est riche de possibilités et de périls. Il est manifeste qu'il faut procéder à une réévaluation radicale. Le présent chapitre est consacré à l'examen de l'organisation des sciences sociales, et plus précisément à la question de savoir si cette organisation permet de répondre à une demande accrue d'utilisation desdites sciences, mais à partir de l'hypothèse selon laquelle le meilleur nioyen de hâter le développement intrinsèque des sciences sociales et de favoriser les progrès de la théorie, sera sans doute de généraliser la méthode qui consiste à déterminer concrètement et pratiquement les problèmes, notamment dans le cas de problèmes d'ordre général.
Deuxième
II.
partie : Étude de groupes de pays
LES TENDANCES AUX ÉTATS-UNIS "
La science sociale devient une « big science » 1. Vu ses dimensions, le présent examen des tendances aux Etats-Unis commencera par un aperçu des ressources disponibles. Par comparaison avec n'importe quel autre pays, les Etats-Unis consacrent aux sciences sociales des ressources considérables, qu'il s'agisse des sommes dépensées, du nombre de chercheurs, d'enseignants et d'étudiants, du volume, de la variété et de l'ampleur des projets, ou de l'équipement et des autres facilités. D'autre part, les coûts sont excessivement élevés par rapport à ce qu'ils sont partout ailleurs, et c'est là un facteur qui rend plus difficile la comparaison internationale. 2. Aucune estimation de la dépense totale n'a été publiée. Pour la recherche seule, Y American Behavioral Scientist a donné pour 1961 une estimation très controversée (pour toutes les sources et non pas simplement les services de l'Etat) (12). Les chiffres qu'elle avançait ont été considérés en général comme trop élevés (voir le tableau figurant dans la note 3 à la fin du chapitre ), et l'on prend désormais pour référence les
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résultats de l'enquête menée récemment par le Survey Committee on the Behavioral and Social Sciences (BASS) (23). Une analyse des tendances actuelles et les renseignements que l'auteur a pu se procurer ces temps derniers l'amènent à conclure que les dépenses annuelles consacrées à la recherche sociale aux Etats-Unis pourront atteindre un chiffre de l'ordre de 1 milliard de dollars à la fin de la décennie. 3. Bien que les fonds de recherche et développement (R et D) alloués aux sciences sociales demeurent modestes si on les compare à ceux dont bénéficient les sciences biologiques et physiques, le niveau qu'ils ont atteint en montant absolu fait de la science sociale aux Etats-Unis, pour la première fois dans le monde, une « big science ». Dans les sciences biologiques et physiques, le passage de la science normale à la « big science » a posé, tant pour les milieux scientifiques que pour l'ensemble de la société, des problèmes entièrement nouveaux. 4 Dans le cas des sciences sociales, ces problèmes risquent d'être plus nouveaux encore et plus complexes. 4. Pour 1961, le montant global de la dépense nationale de R et D a été évalué à 15,8 milliards de dollars, soit environ 3 % du PNB. Depuis 1961, le R et D du Gouvernement fédéral a augmenté à tel point qu'il égale aujourd'hui à lui seul le montant des sommes qui provenaient à l'époque de toutes les sources : 15,9 milliards de dollars pour les exercices 1966 et 1967. Ce qui est surprenant, c'est la déclaration suivante émanant de la National Science Foundation (NSF) : « Entre 1956 et 1966, les crédits consacrés aux sciences psychologiques et sociales ont augmenté plus rapidement (27 % par an) que ceux consacrés à l'ensemble des autres sciences ( 20 % ). Le point de départ étant plus modeste, il est naturel que le rythme tende à être plus rapide, mais l'orientation de la tendance est clairement établie. » En 1964, les dépenses fédérales consacrées à la recherche dans les sciences sociales s'élevaient à 230 millions de dollars ; en 1967, elles ont atteint 380 millions. 5. En 1967, le développement a représenté 65 % de la dépense fédérale de R et D, mais la part attribuée dans ce poste aux sciences sociales est très faible. Lorsque l'on considère la seule recherche, on constate que cette part est de 6,3 % pour la recherche fondamentale et de 5,7 % pour la recherche appliquée, chiffres deux à trois fois plus élevés que ceux (2 et 2,5 % ) cités dans les ouvrages internationaux sur les dépenses scientifiques qui prennent les chiffres globaux de R et D pour la comparaison (168). Si l'on exclut une ou deux disciplines des sciences exactes et naturelles où les coûts sont très élevés — par exemple la physique des hautes énergies — la tendance à un soutien plus marqué en faveur des sciences sociales qui s'est manifestée au cours des années soixante dans la nation la plus avancée du monde sur le plan économique apparaît plus clairement encore.
Organisation et financement de la recherche
835
6. Si le « choix scientifique » dépendait exclusivement de la maturité et des promesses de chaque discipline, la biologie moléculaire et d'autres secteurs essentiels des sciences de la vie auraient dû recevoir un soutien plus important que celui dont elles ont bénéficié (199). D'autres pressions se sont exercées, qui ont amené à accroître l'investissement dans les sciences sociales. Ces pressions sont liées au fait que l'Amérique se trouve actuellement au seuil de ce que Daniel Bell ( 1964, 1967) (129) (130), après Riesman (1958) (178), a appelé la «société post-industrielle ». L'expérience américaine semble indiquer qu'avec l'avènement du post-industrialisme, les problèmes concernant la « qualité de la vie » — sous tous ses aspects — se poseront avec de plus en plus d'acuité (131). 7. Une indication des incidences que cette tendance a sur les sciences sociales est la somme importante consacrée à la « collecte de données scientifiques de portée générale » sur les phénomènes économiques et sociaux, même si celle affectée aux phénomènes naturels reste très supérieure. Depuis 1962, la NSF établit, dans les dépenses fédérales, une distinction entre ces deux aspects. Environ 30 % des crédits globaux (qui sont passés de 220 millions de dollars en 1962 à 381 millions en 1967) ont été consacrés à la collecte de données économiques et sociales (25), soit dix fois plus que la part des sciences sociales dans l'ensemble des activités de R et D. En 1967, sur le montant total des sommes consacrées au rassemblement de ces données de portée générale, les sciences sociales ont reçu 103 millions de dollars, ce qui représente plus du quart des crédits alloués au R et D. Bien qu'une partie seulement de ces données ait été rassemblée pour la recherche, ces chiffres mettent en relief l'importance qu'a pour l'utilisation des sciences sociales ce que l'on appelle en France « l'information de base » (67). Dans la mesure du possible, il faut rassembler ces données afin qu'elles puissent être utilisées pour la recherche (4). A cet égard, des améliorations considérables ont été apportées aux Etats-Unis à toute une série de programmes statistiques fédéraux. 5 8. Toute cette évolution, qui s'accompagne d'un engouement pour les statistiques sociales (23), ne peut se comprendre que si l'on tient compte des progrès obtenus dans l'archivage par ordinateur des données de sciences sociales. Ce mouvement a débuté vers 1955 et a provoqué initialement la création de dépôts où étaient emmagasinées les données brutes résultant de recensements organisés par des entreprises commerciales et d'enquêtes universitaires par sondage. C'est le Survey Research Center de l'Université du Michigan qui est à l'origine de la plus importante de ces organisations. Il s'agit de l'Inter-University Consortium qui est financé actuellement au moyen des contributions de quelque 120 universités et de subventions de la National Science Foundation. Cet organisme, non seulement met à la disposition des étudiants diplômés et des chercheurs
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les résultats d'enquêtes, mais il a également pris des mesures pour constituer un vaste dépôt de données des années passées qui pourront être récupérées au moyen d'ordinateurs. A partir de 1960, les économistes ont pris des dispositions analogues pour traiter par ordinateur les masses énormes de statistiques fédérales. Ils ont dressé des plans en vue de la création d'un Centre fédéral d'échange de données mais ils se sont heurtés à des difficultés d'ordre politique du fait qu'on ne voulait pas donner accès aux dossiers personnels. 6 On s'est beaucoup inquiété des atteintes à l'individu et des menaces pour sa liberté que constituerait la création de banques de données centralisées rendue possible aujourd'hui par l'emploi des ordinateurs. Néanmoins les avantages que l'on pourrait retirer de l'analyse de ces données sont immenses. La recherche d'une solution à ce problème deviendra sans doute une question fondamentale de la politique en matière de sciences sociales (23) (26).
Le déséquilibre
enseignement-service-recherche
9. Il existe aux Etats-Unis un grand nombre d'universités, d'importance très variable et de niveaux d'excellence divers. Les unes sont des institutions privées, les autres des institutions publiques, ces dernières étant financées soit par un Etat, soit par une municipalité. Parallèlement, il existe plusieurs autres types d'établissements d'enseignement supérieur, tels que les liberal art collèges, les teachers collèges ( écoles normales ) et les instituts de technologie, qui décernent les grades de bachelor et de master. Ce sont des organismes d'enseignement plutôt que des organismes de recherche avec des programmes de doctorat. En 1966, les EtatsUnis comptaient 1.582 établissements d'enseignement supérieur où la durée des études était de quatre ans, dont 157 classés dans la catégorie des universités ; ces établissements décernaient 94 % des P h . D . (31). 10. Aujourd'hui les trois-quarts environ des jeunes gens du groupe d'âge de 17 à 18 ans mènent à bien leurs études secondaires. « Près de la moitié des jeunes gens de ce groupe (soit approximativement un tiers des jeunes filles et la moitié des jeunes gens) entrent dans des établissements d'enseignement supérieur, et un peu plus de la moitié d'entre eux obtiennent un grade de « bachelor ». En résumé, aujourd'hui aux Etats-Unis d'Amérique, plus de 15 % des jeunes (quelque 25 % pour les garçons) reçoivent un grade dans l'enseignement supérieur. » (31) Un faible pourcentage seulement de ceux qui obtiennent l'un de ces premiers grades poursuivent leurs études dans des « gradúate schools » (établissements d'enseignement supérieur spécialisé). Il n'empêche que ces étudiants constituent un important potentiel de chercheurs par comparaison avec le nombre des étudiants commençant des études supérieures spécialisées dans tout autre pays. En 1964-65, non moins de 538.900 étudiants des deux sexes faisaient des études supérieures spé-
Organisation
et financement
de la
837
recherche
cialisées ; 16.500 ont obtenu un Ph.D. Comme il ressort du second tableau ci-après, 3.000 d'entre eux environ avaient choisi les sciences sociales. 7 ETATS-UNIS — Grades décernés par des établissements d'enseignement supérieur pendant certaines années universitaires s'échelonnant entre 1869 1870 et 1964 - 1965 Années
Grades de « bachelor » et premiers grades universitaires
Grades de « master »
Doctorats
9.400 27.400 122.500 186.500 432.100 392.400 535.000
0 1.600 15.000 26.700 58.200 74.400 112.100
1 382 2.299 3.290 6.420 9.829 16.467
1869 - 1870 1899 - 1900 1929 - 1930 1939 - 1940 1949 - 1950 1959 - 1960 1964 -1965
Source : U.S. Office of Education ETATS-UNIS — Grades de « bachelor » et de docteur décernés en 1954 - 1955 et 1964-1965, et prévisions pour 1974-1975 par discipline (en milliers) 1954 -1955
1964 -1965
1974 -1975
Grades de « bachelor » et premiers grades universitaires Sciences physiques (a) . Sciences biologiques Sciences de l'ingénieur . Sciences agricoles (b) . Médecine, etc. (c) . Sciences sociales (d) . Pédagogie . . . . Divers Total
18 9 23 7 23 40 53 114 287
40 25 37 8 28 100 96 205 539
99 50 46 4 27 203 151 322 902
Doctorats Sciences physiques (a) Sciences biologiques Sciences de l'ingénieur Sciences agricoles (b) Médecine, etc. (c) Sciences sociales (d) Pédagogie . . . . Divers Total
1.97 .99 .60 .51 .19 1.76 1.47 1.36 8.84
3.53 1.92 2.12 .55 .17 3.03 2.37 2.75 16.47
7.64 3.78 6.88 1.00 .17 6.03 4.35 5.95 35.80
. . . . .
(a) Comprend aussi les mathématiques, la statistique et le programme général des sciences. (b) Comprend la sylviculture. (c) Comprend la médecine, l'odontologie, les soins infirmiers et d'autres professions concernant la santé. (d) Comprend l'anthropologie, l'économique, l'histoire, les sciences politiques, la sociologie, la psychologie, etc. Source : National Science Foundation, sur la base de données fournies par le U.S. Office of Education.
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11. O n peut dire qu'aux Etats-Unis d'Amérique, les sciences sociales sont une discipline à part entière du point de vue de la culture générale. Dans ce contexte, elles sont traitées comme l'une des sciences humaines ( voir, par exemple, le nombre des « bachelors » ). E n tant que discipline fondamentale préparant aux professions à caractère social, leur importance est reconnue par beaucoup mais pas par tous. Dans certaines de ces professions, les sciences sociales sont encore considérées comme un bagage souhaitable plutôt que nécessaire ; d'autres leur accordent une part croissante dans les disciplines exigées. Dans la liste des domaines d'étude pour lesquels des travaux de recherche intenses sont notoirement indispensables, les sciences sociales font encore figure de parent pauvre, bien qu'elles aient accédé au statut de « big science » et que plus de 3.000 P h . D . de science sociale soient décernés chaque année. 12. Le tableau ci-dessous donne, pour les universités et les collèges d'enseignement supérieur dispensant un enseignement sur quatre années, le nombre en 1962 des membres du corps enseignant 8 dans les disciplines fondamentales des sciences sociales (anthropologie, économique, science politique, psychologie, sociologie) ; les disciplines professionnelles et appliquées connexes (études commerciales et administratives, travail social, pédagogie, droit, économie agricole et certains domaines liés à la santé) ; les disciplines fondamentales des sciences exactes et naturelles (physique et biologie) ; les disciplines professionnelles et appliquées connexes (sciences de l'ingénieur, sciences et professions de la santé, agriculture). La dernière ligne des chiffres, calculés sur une ETATS-UNIS — Effectif du corps enseignant dans les disciplines fondamentales des sciences sociales et des sciences exactes et naturelles, ainsi que dans les disciplines connexes théoriques et appliquées (1962) * ; effectif des chercheurs travaillant dans des établissements universitaires (1960)** Disciplines
Sciences sociales
Sciences exactes et naturelles
SS
- %
Fondamentales Professionnelles et appliquées
12.920
22.450
S.N. 58.0
25.690
22.390
115.0
Nombre des chercheurs
38.610 8.000
44.840 47.000
86.0 17.0
* Ces chiffres ont été établis sur la base de données puisées dans : R.E. Dunham et P.S. Wright, Teaching faculty in higher éducation 1962-3 (11). ** Données de la NSF pour 1960, citées dans l'annexe 25 de National science policies of the U.S.A. ( 3 1 ) . Ces données concernent le nombre total des chercheurs travaillant dans des établissements d'enseignement supérieur (nombre des spécialistes des sciences physiques et sciences de la vie et des ingénieurs par rapport au nombre des spécialistes des sciences sociales, à l'exclusion des techniciens, assistants, etc.) Ce sont les chiffres qui permettent le mieux d'établir une comparaison avec les données de l'Office of Education ; il convient de les comparer à ceux qui figurent sous la rubrique « Enseignement supérieur » dans le Tableau relatif à l'emploi des hommes de science par secteur (p. 840).
Organisation et financement de la recherche
839
base différente, diffère beaucoup du nombre des chercheurs dans les sciences sociales, exactes et naturelles (y compris les sciences de l'ingénieur) en 1960. Ce tableau met en lumière un certain nombre de faits qui, en gros, restent vrais aujourd'hui : a) le grand nombre d'enseignants dans les disciplines fondamentales des sciences sociales — plus de la moitié de ceux des sciences exactes et naturelles ; b ) le fait que, dans le cas des enseignements professionnels et appliqués connexes, les enseignants sont maintenant plus nombreux pour les sciences sociales que pour les sciences exactes et naturelles ; c ) le fait que, par comparaison avec les sciences exactes et naturelles, l'effectif des enseignants effectuant de la recherche dans les sciences sociales est toujours inférieur. 13. L'importance croissante des professions dérivant des sciences sociales témoigne nettement des besoins de la société post-industrielle. L'écart entre les effectifs enseignants des enseignements professionnels et ceux des enseignements fondamentaux qui existe dans les sciences sociales, par comparaison avec ce qui se passe dans les sciences exactes et naturelles, semble indiquer que les professions sociales sont encore trop dissociées des sciences qui leur sont sous-jacentes. Encore que nombre de ces dernières ne soient pas encore à même de fournir les bases équivalentes, une grande partie de ce qui pourrait servir n'est pas effectivement utilisé. Le déséquilibre entre la situation de la recherche et celle de l'enseignement montre qu'une société telle que les Etats-Unis, tout en acceptant des services qui dépendent des sciences sociales, ne reconnaît pas encore que leur amélioration ne peut résulter que d'un effort de recherche entrepris sur une tout autre échelle que ce qui a été tenté jusqu'ici. La situation à la fin de la décennie sera sans aucun doute meilleure qu'elle n'était au début, mais il n'est guère probable que tous les changements nécessaires se seront produits. L'écart du point de vue des effectifs semble inférieur à ce que montrent les ouvertures de crédit, à cause du coût exorbitant de la recherche dans certains domaines, particulièrement dans les sciences physiques, mais cette différence n'est pas moins un anachronisme. 9 14. Il est possible d'analyser avec plus de précision cette situation par la comparaison du nombre des spécialistes en sciences sociales et autres hommes de science employés dans l'administration publique, l'industrie, les organisations à but non lucratif et l'enseignement supérieur. Les 100.000 spécialistes des sciences sociales qui figurent dans le tableau pour 1960 représentaient 8 % du total des hommes de science et ingénieurs employés et 6 % des chercheurs dans tous les secteurs. Proportionnellement, on trouvait le plus grand nombre de spécialistes des sciences sociales dans les organismes à but non lucratif et c'est dans ce secteur également que la plus forte proportion se consacrait à la re-
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cherche. Il vaut la peine de noter le contraste avec les pourcentages dans l'enseignement supérieur (29 %, 45 % et 24 %, 15 %). Par comparaison, aussi bien l'Etat que l'industrie employaient relativement très peu de spécialistes des sciences sociales, le nombre dans les services publics étant néanmoins près du triple de celui de l'industrie. Si l'on considère les effectifs on constate que la plus forte concentration d'hommes de science autres que de sciences sociales se trouvait dans l'industrie et la plus forte concentration des spécialistes des sciences sociales était dans l'enseignement supérieur ; toutefois, la proportion de ces spécialistes faisant de la recherche n'était pas supérieure à celle enregistrée dans l'industrie. Si l'on distingue les ingénieurs des spécialistes des sciences exactes et naturelles (physique et biologie), les proportions des chercheurs dans tous les secteurs sont les suivantes : spécialistes des sciences exactes et naturelles, 44 % ; ingénieurs, 30 % ; et spécialistes des sciences sociales, 27 % . Dans l'enseignement supérieur, les activités autres que la recherche sont essentiellement l'enseignement, mais elles comportent des tâches administratives assez lourdes ; dans les autres secteurs, elles englobent divers services en même temps que des travaux d'administration. ETATS-UNIS
— Emploi des hommes de science par secteur, type d'activité et discipline (1960) (en milliers) *
Administration publique A R %
Enseignement supérieur
Industrie A
R
%
A
%
47 (40) 8 (22)
A 50 20
R
%
Total A
R
%
N S
171 14
51 (30) 836 289 (35) 4 (29) 29 6 (21)
11 (22) 9 (45)
1.175 398 (34) 100 27 (27)
T
185 (8)
55 (30) 865 295 (34) 155 55 (35) 70 20 (29) (24)(15) (7) (3) (2) (29)(45)
1.275 425 (33) (8) (6)
%
118 37
R
Organismes sans but lucratif
Code :
A = Toutes activités R = Recherche N = Sciences naturelles : englobent les physiciens, les biologistes et les ingénieurs S = Sciences sociales : englobent toutes les disciplines T = Total * D'après l'annexe 25 de National science policies of the U.S.A. (31). Source originelle : NSF.
15. O n dispose de données sur les tendances de l'emploi des hommes de science dans les services publics de 1954 à 1964. Des statistiques plus récentes qui portent sur une gamme plus large des spécialistes en sciences sociales indiquent le chiffre de 7.248 pour 1964 et de 9.533 pour 1966. La Commission de la fonction publique prévoit que ces catégories auront augmenté de 19,2 % en 1970 alors que l'augmentation sera seulement de 8,4 % pour l'emploi fédéral total et de 15,9 % pour toutes les catégories professionnelles.
Organisation
et financement
de la
841
recherche
ETATS-UNIS — Hommes de science et ingénieurs employés par le Gouvernement fédéral, par groupe professionnel, pour certaines années de 1954 à 1964 Groupe professionnel Hommes de science Sciences physiques Mathématiques et statistiques Sciences biologiques Sciences sociales Autres sciences Ingénieurs Total
1954 40.878
1958
1960
1962
50.910
61.982
13.301
15.750
53.264 17.984
23.043
1964 68.122 26.218
3.366 16.359 3.197 4.655
4.627 21.198 4.469 4.866
4.664 21.636 4.672 4.308
5.163 23.666 5.479 4.631
5.912 24.883 5.680 5.429
47.385
57.122 108.032
60.978 114.242
67.500 129.482
74.869 142.991
88.263
Source : U.S Civil Service Commission et la National Science Foundation. 16.
O n dispose également de certains renseignements sur l'importance
relative des diverses disciplines des sciences sociales représentées chez les fonctionnaires fédéraux. ETATS-UNIS — Spécialistes de sciences sociales employés par le Gouvernement fédéral (pour certaines disciplines) * G.F. Economistes Statisticiens Psychologues Sociologues Anthropologues
1.274 568 1.378 137
Total
3.357
—
1964
N.R. 12.143 2.843 16.804 2.703 —
34.493
G.F. 1.348 614 1.379 163 41 3.545
1966
N.R. 13.450 3.042 19.027 3.640 919 40.078
Code : G.F. = Gouvernement fédéral. N.R. = Nombre indiqué dans le National register of scientific and technical manpower, NSF. * Cf. Behavioral sciences and the federal government, note en bas de page 47 ( 1 ). A ce sujet, il est bon de noter les commentaires qui figurent dans le rapport Behavioral sciences and the federal government : « O n constate des différences marquées dans la structure de l'emploi des spécialistes des sciences du comportement par le Gouvernement fédéral. P a r exemple, les premiers rapports du National register of scientific and technical manpower où figuraient certains domaines des sciences du comportement ( p o u r 1 9 6 4 et 1 9 6 6 ) ont montré que le Gouvernement fédéral employait relativement beaucoup moins de sociologues et d'anthropologues que d'économistes, de statisticiens et de psychologues. Il faut y voir le fait que les pouvoirs publics ont reconnu beaucoup plus tôt la nécessité d'avoir des experts pour l'analyse économique, les services statistiques, les tests psychologiques et les services de santé mentale. Les renseignements et les connaissances qu'exigent les
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nouveaux programmes sociaux aux Etats-Unis et les programmes d'assistance aux pays en voie de développement imposeront que l'on ait recours à de nouvelles catégories d'experts. En effet, l'exécution de ces programmes repose pour une bonne part sur les études menées dans les domaines de la sociologie, de la psychologie sociale, de l'anthropologie et des sciences politiques. »
Les trois types d'établissement
du système universitaire
américain
17. Le tableau ci-après, emprunté à l'Université de Californie à Los Angeles ( U C L A ) , montre quelle est la situation des sciences sociales dans une université américaine de bon niveau. ETATS-UNIS —• Les sciences sociales dans une université américaine : Université de Californie - Los Angeles ( 1 9 6 6 ) Professeurs titulaires
Autres enseignants
Nombre total d'enseignants
Départements de Sciences sociales fondamentales Anthropologie Economie Linguistique Science politique Psychologie Sociologie
Ecoles
professionnelles
Administration des entreprises Education Psychiatrie Santé publique Service social
Organes spéciaux de
12 12 10 11 20 10
22 25 20 29 75 30
34 37 30 40 95 40
"75
201
276
30 33 6 24 4
59 41 76 98 24
89 74 82 122 28
"97
298
395
recherche
Institute of Industrial Relations (Institut des relations industrielles) Western Management Sciences Institute (Institut occidental des sciences de gestion) Institute of Government and Public Affairs (Institut de science politique et d'administration publique) T h e Law Science Research Center (Centre de recherches sur la science juridique) African Studies Center (Centre d'études africaines) Center for Latin American Studies (Centre d'études latino-américaines) T h e Near East Center (Centre pour le Proche-Orient) Center for Russian and East European Studies (Centre d'études russes et d'Europe de l ' E s t ) Center for Research in Languages and Linguistics (Centre de recherche sur les langues et la linguistique) Center for Comparative Folklore and Mythology (Centre de folklore et de mythologie comparés) Western Data Processing Center (Centre occidental de traitement de données)
Organisation et financement de la recherche
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Ailleurs, la liste des différentes sections serait peut-être plus longue et le corps enseignant plus nombreux, chaque université présentant des traits particuliers, mais la structure générale serait identique. 18. La première caractéristique du système est l'existence de vastes « départements » comportant de multiples chaires étayées, dans toutes disciplines fondamentales des sciences sociales, par des groupes assez nombreux de professeurs associés et assistants. On compte souvent plus de cent candidats au doctorat pour une discipline donnée. Le grand nombre de chaires permet d'enseigner tous les éléments principaux dont se compose chaque discipline. L'étroite spécialisation qui en est résultée commence d'être corrigée par l'influence croissante de la théorie générale des systèmes. Cette division des grandes disciplines des sciences sociales en leurs principaux composants a l'avantage de permettre des combinaisons plus variées avec les principaux composants d'autres disciplines que ne le permettrait l'enseignement de « disciplines totales ». Les frontières qui séparent de vastes domaines tels que l'économie, la psychologie et la sociologie sont arbitraires. Leur maintien sert des intérêts établis, mais devient de moins en moins utile. Les secteurs des sciences sociales qui conservent le plus de prestige dans les universités américaines n'en demeurent pas moins les disciplines théoriques fondamentales. Ces universités ont tendance d'une part à rester orientées vers la science « pure » et à mépriser le travail appliqué, d'autre part à se centrer sur les méthodes et à surestimer les analyses quantitatives. 19. Depuis quelques années, la discipline dominante a été, dans toutes ses nombreuses branches, la psychologie, serrée de près par l'économique. 10 ETATS-UNIS — Sciences sociales: effectifs du corps enseignant ( 1 9 6 5 ) * et des associations professionnelles (1967) ** Discipline
Corps enseignant A plein temps
Anthropologie Economie Science politique Psychologie Sociologie Total
Associations
A temps partiel
Etudiants gradués donnant un enseignement
1.000 6.395 4.882 6.963 4.840
250 1.537 1.037 2.486 1.421
200 1.228 913 1.757 869
6.634 23.305 14.685 25.800 12.000
24.080
6.731
4.967
82.424
~ Les données relatives au corps enseignant portent sur les universités et les collèges d'enseignement supérieur où la durée des études est de quatre ans. -* Estimations. Source : Science activities in universities and colleges (NSF 68-22), National Science Foundation, Washington, D.C., 1969.
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La raison en est peut-être que certaines parties de cette discipline empiètent sur la biologie et que d'autres se prêtent à des recherches modernes, à des méthodes de laboratoire et à un traitement statistique élaboré. Le tableau ci-dessus donne le nombre d'enseignants dans chacune des disciplines fondamentales, avec le nombre de membres des associations professionnelles correspondantes. 11 20. Des écoles professionnelles dont l'enseignement relève des sciences sociales ont également été créées dans toutes les grandes universités. C'est là la deuxième caractéristique du système. Ces écoles accueillent des étudiants gradués et exécutent des recherches approfondies à tendance pluri-disciplinaire ; elles apportent ainsi un correctif aux départements d'enseignement théorique, encore que leurs relations avec ces derniers laissent beaucoup à désirer. Si l'on combine la psychiatrie et la santé publique, le tableau relatif à l'UCLA fait ressortir la prédominance du secteur santé, ce qui est caractéristique de l'orientation pratique (« problem-oriented ») prise aux Etats-Unis par la science sociale. Les écoles d'administration des entreprises constituent une autre innovation américaine qui s'est étendue à la plupart des pays ; les sciences sociales s'y sont établies, non seulement dans l'économie des entreprises, mais encore dans l'application de la psychologie et de la sociologie aux études d'organisation. Ces écoles ont aussi contribué au développement de la recherche opérationnelle et de l'analyse des systèmes. Des disciplines comme l'éducation et le service social servent de cadre non seulement à la formation de praticiens, mais aussi à l'exécution de programmes de recherche. Plus récemment, ces écoles professionnelles ont commencé d'étendre le champ des sciences sociales aux sciences de l'ingénieur, à l'architecture et à l'urbanisme. 21. Le troisième élément du système est représenté par les instituts d'université qui se consacrent exclusivement à la recherche. Alors que dans les départements d'enseignement fondamental et même dans les écoles professionnelles, la recherche tend à être individuelle et associée en grande partie à la préparation d'un doctorat, les travaux des instituts sont généralement fondés sur des programmes organisés impliquant un travail d'équipe. En dehors de quelques exceptions comme l'Institute of Social Research de l'Université du Michigan, ces instituts sont souvent de dimensions très restreintes. Ils font appel aux services à temps partiel des enseignants intéressés de n'importe quel département de l'université et emploient aussi à plein temps des chercheurs ne faisant partie d'aucun département. Leurs travaux tendent à être multidisciplinaires et orientés vers la solution de problèmes concrets, encore qu'il y ait des exceptions notables. 12 A l'UCLA, le premier groupe d'instituts qui figure sur la liste est né des écoles professionnelles. Le deuxième représente le groupement connu sous le nom à'area stuàies. Le troisième relie les lettres à l'an-
Organisation et financement de la recherche
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thropologie et à la linguistique. Tous ces instituts, comme d'ailleurs tous les départements et écoles de l'université, bénéficient des services d'un vaste centre de traitement de données, qui est lui-même un foyer de recherches automatisées. Malgré ces facilités, les instituts représentent, sur le plan de la recherche sociale, l'aspect le moins développé des universités américaines.
Mécontentement
et innovation dans les universités
22. L'un des moyens de renforcer la capacité de recherche consiste à améliorer la qualité de la préparation au doctorat. Dix écoles d'études avancées ont élaboré un programme septennal financé en partie par la Fondation Ford (41 millions de dollars) et en partie par les universités elles-mêmes (160 millions de dollars), qui est actuellement en cours d'exécution et qui a pour objet de permettre des études à plein temps d'une durée de quatre ans incluant des travaux de recherche et des stages pédagogiques (34). Ce programme intéresse quelque 10.500 candidats au doctorat (Ph. D.). Les doyens qui y participent notent que : « La grande faiblesse actuelle de la préparation au doctorat est le gaspillage éhonté des meilleurs talents de la nation, gaspillage qui est particulièrement évident dans les lettres et les sciences sociales. Même dans les grandes institutions, moins de la moitié des étudiants qui commencent à préparer le doctorat persévèrent jusqu'au bout. Ceux qui y parviennent prennent un temps démesurément long. La préparation au Ph. D. demande maintenant en moyenne sept ans et demi, contre cinq ans pour les sciences exactes et naturelles. Moins de 15 % des candidats l'obtiennent en quatre ans. Ces chiffres reflètent des structures qui ne sont plus en rapport avec les besoins de la deuxième moitié du vingtième siècle. » Ces dix universités décernent 30 % de tous les doctorats en lettres et en sciences sociales. 23. Un autre ensemble de changements est lié à la prise de conscience croissante du fait que, si l'on veut réaliser des progrès dans les secteurs critiques, il importe de regrouper, soys une rubrique donnée, les principales compétences qui sont actuellement dispersées (31). Des ententes commencent à s'établir. Un exemple en est fourni par le programme en matière de « formation des institutions » qui est commun aux écoles d'administration publique de l'Université de Pittsburgh et des Universités d'Etat de l'Indiana et du Michigan et à la Maxwell School of Government de Syracuse (142). On pourrait citer d'autres exemples, qu'il s'agisse des disciplines fondamentales ou des enseignements appliqués, mais la croyance selon laquelle il ne peut y avoir de collaboration que dans le cadre d'une même institution a la vie dure.
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24. Un nouveau sujet de préoccupation est celui de la crise urbaine et des problèmes connexes posés par la discrimination raciale et la pauvreté. Il est vraisemblable que la crise urbaine amènera à redéfinir les rapports entre les sciences sociales et la société américaine comme aucun autre problème ne l'a fait depuis la « grande crise » des années 30, et sur une base plus permanente que les deux guerres mondiales, encore que celles-ci aient fait progresser notamment les tests psychologiques et la médecine psychologique. C'est à la suite de cette crise que l'idée d'une gestion informée de l'économie a commencé de prendre corps et que les fondements d'une comptabilité économique nationale ont été posés. Elle a donné à l'économie une orientation pratique mais a en même temps imprimé un nouvel élan à la théorie. La crise urbaine a aujourd'hui le même effet sur la sociologie et sur la psychologie sociale, qu'elle incite en outre à se rapprocher de l'urbanisme. Un mouvement s'est dessiné pour la création d'« universités urbaines », capables de « contribuer à débrouiller la masse de problèmes matériels et sociaux qui assaillent les plus grandes villes de la nation ». Lors d'une conférence tenue en mai 1967, et à laquelle ont pris part les représentants de quarante universités, les propositions suivantes ont été faites : a) « Il faut concevoir ou réaménager les universités urbaines de façon qu'elles assument au sein de la société leur rôle, longtemps négligé, d'instruments d'autocritique et d'évolution sociale permanentes. Alors que l'université devrait devenir un laboratoire, nous pensons encore en fonction des 18'' et 19° siècles. » (Dr. M. Tarcher, Centre médical de l'Université de Californie, San Francisco.) b ) « Ce que recherchent les universités, c'est un véhicule analogue à ce qu'ont été, il y a bien des années, les stations agricoles expérimentales. Des stations urbaines expérimentales pourraient être pour la ville ce que les stations agricoles ont été pour les zones rurales. » (L.B. Mayhew, professeur de pédagogie, Université Stanford.) Depuis lors, un Urban Institute a été créé à Washington, D.C., et un centre commun d'études urbaines par l'Université Harvard et le Massachusetts Institute of Technology. A Détroit, les représentants des milieux d'affaires, des salariés et de la municipalité ont collaboré avec l'université pour donner le jour à un nouveau Center for Urban Studies orienté à la fois vers l'action et vers la recherche ; bien que situé à l'Université d'Etat de Wayne, il bénéficiera de la collaboration de l'Université du Michigan et de l'Université d'Etat du Michigan, qui sont les deux autres universités du réseau universitaire du Michigan. 25. Si l'on veut établir un lien véritable dans les universités américaines, entre les sciences sociales et les problèmes auxquels se heurte la société, le système des valeurs universitaires doit être entièrement repensé. Traditionnellement l'Université vit sur le principe « publier ou périr » et sur la notion de « travail individuel ». Ces valeurs sont devenues dysfonctionnelles. Elles encouragent la poursuite d'une recherche
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compétente mais à court terme, sans grands risques et envisagée comme la garantie d'une carrière. Les sciences physiques ont été plus loin que les sciences sociales dans la solution de ces problèmes ( 2 0 1 ) .
Types d'organismes de recherche
indépendants
26. Vu l'état dysfonctionnel de certains types de recherche universitaire, il n'est guère étonnant que se soient multipliés les organismes de recherche indépendants à but non lucratif. Nombre d'entre eux ont été créés pour accomplir des tâches précises, mais d'autres sont orientés vers la solution de problèmes de caractère stratégique. Parmi ceux-là, beaucoup s'adonnent à un travail fondamental. Ils présentent cet avantage que leur personnel peut consacrer tout son temps à la recherche et s'attaquer en équipe à des problèmes à long terme. L'inconvénient est que, travaillant surtout sur contrats, ces organismes ont une situation financière incertaine, de sorte que leurs clients prennent parfois trop d'ascendant sur eux. 27. Certains des instituts indépendants qui existent aux Etats-Unis remontent à plusieurs décennies. Leurs dimensions sont considérables et ils jouissent d'une réputation internationale. Les plus anciens, tels que la Brookings Institution de Washington et le National Bureau of Economie Research (Bureau national de la recherche économique) de New York, ont une vocation économique et fournissent des analyses objectives des tendances économiques et sociales. Le Bureau national de la recherche économique a été le pionnier de la comptabilité économique nationale. En collaboration avec des fondations privées, des membres du Congrès et de hauts fonctionnaires, ces organismes ont contribué à réorienter dans une direction plus efficace une grande partie des efforts accomplis dans le domaine de la recherche sociale. C'est ainsi qu'ils ont récemment donné la première place à l'établissement d'une comptabilité sociale et d'indicateurs sociaux. 28. Parmi les autres innovations figure la création de centres contractuels fédéraux. 1 3 Comme dans le cas de l'Armée de l'air des Etats-Unis créant la Rand Corporation, ces centres peuvent être fort importants dès le début, car les problèmes à résoudre sont d'une telle complexité qu'il est indispensable de grouper un nombre suffisant d'hommes de première valeur dans des conditions permettant un travail d'équipe. Sans doute peut-on regretter que la Rand ait dû son existence à la guerre froide, mais il importe de ne pas confondre l'étiologie et les propriétés d'un système ou la pertinence de celles-ci, dans des conditions entièrement différentes ; une contrepartie civile ne tarda d'ailleurs pas à voir le jour, sous la forme de la Systems Development Corporation. Au début, les organismes de ce type étaient fondés essentiellement sur les
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sciences physiques et mathématiques, et s'appliquaient à élaborer des techniques et des concepts évolués dans le domaine de la technologie des systèmes. Mais, dès l'origine, les sciences sociales y ont eu leur place. Les recherches en économétrie et les recherches opérationnelles ont amené Rand à mettre au point le Planning-Programming-Budgeting System (PPBS) (Système de planification de programmation et d'établissement des budgets). Ce système essayé avec succès au Pentagone est actuellement expérimenté par tous les services du gouvernement fédéral (30). L'intérêt porte actuellement sur la nécessité d'améliorer les méthodes d'évaluation des programmes et de l'analyse coût-bénéfice dans le secteur public ( 1 ) ; d'aucuns reprochent aux sciences sociales de n'avoir pas encore progressé dans la recherche des problèmes du « choix où entrent en considération de multiples valeurs » ( 197 ). 29. Dans quelle mesure des organismes de cette nature peuvent-ils, notamment en approfondissant leur connaissance des variables psychologiques et sociologiques, appliquer leur capacité d'analyse des systèmes aux grands problèmes de la planification de la médecine ou de l'enseignement et de la rénovation urbaine ? Un récent recueil d'essais sur les besoins d'une « grande société » suggérait la création d'au moins sept organisations du type Rand, qui seraient chargées d'activités stratégiques de recherche et développement dans le domaine civil (143). On qualifie parfois de « méta-problèmes » les problèmes à multiples facettes qui se posent dans une grande société moderne en rapide transformation ( 137 ). Les nombreux aspects de ces problèmes étant non seulement liés entre eux mais aussi conçus comme tels, la société exige de plus en plus des solutions globales, qui nécessitent la mise en commun de ressources scientifiques de grande envergure. Dans le domaine des sciences physiques, c'est là une notion qui est devenue familière à des organismes tels que la National Aeronautics and Space Agency (Agence nationale de l'aéronautique et de l'espace) de même qu'aux grandes entreprises industrielles dont l'activité a une base scientifique. C'est à de telles sources que non seulement les organismes publics fédéraux mais aussi les administrations des Etats et les municipalités ont maintenant tendance à demander l'aide dont ils ont besoin. Actuellement, certaines universités, dans le cadre d'une collaboration entre leurs écoles professionnelles et les instituts d'université, s'efforcent d'offrir d'autres possibilités différemment structurées. Elles peuvent aussi unir leurs efforts à ceux des grands instituts indépendants et, dans certaines conditions, des entreprises de pointe pour résoudre les gigantesques problèmes qui se posent actuellement à la société américaine. Faute d'adopter ces solutions sur une vaste échelle, elles devront céder la première place, dans divers domaines des sciences sociales, aux instituts de caractère technologique et aux entreprises industrielles évoluées. Certaines de ces dernières s'essaient déjà à construire de nouvelles villes et font appel à un grand nombre de spécialistes des sciences sociales. Le pluralisme, sain
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de la recherche
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lorsque les ressources sont abondantes, devient dangereux au-delà d'une certaine limite lorsque ceux qui ont pour mission essentielle de faire progresser la connaissance perdent tout contrôle sur le développement d'un domaine quelconque des sciences sociales. Il en sera ainsi tant qu'on se heurtera à l'isolationnisme universitaire, à l'individualisme et à la défense des intérêts acquis dans des disciplines données. 30. Des instituts indépendants d'un autre type ont fait depuis peu leur apparition ; ce sont ceux qui s'occupent d'études sur l'avenir. On peut citer comme exemples le Hudson Institute et Resources for the Future (Ressources pour l'avenir). Ces organismes ne se contentent pas d'« écrire des scénarios », ils améliorent les conceptions et les méthodes de la planification à long terme qui, en dehors des entreprises commerciales, a été négligée aux Etats-Unis. Sans la participation des universités, le danger est que ces instituts demeurent aussi trop étroitement technologiques. Toutefois, une nouvelle et ambitieuse entreprise en association a commencé à fonctionner à Middletown ( Connecticut ) en septembre 1968 : The Institute for the Future (Institut de recherche sur l'avenir). Bien que cet Institut soit indépendant, il travaille en collaboration avec la Wesleyan University. Le Conseil d'administration est composé de personnalités représentant plusieurs grandes universités, d'autres instituts, l'Académie nationale des sciences, la National Industrial Conférence Board, l'industrie, les syndicats, et les milieux communautaires. Des subventions initiales ont été accordées par la Rand et plusieurs fondations telles que Russel Sage et Ford. Cet Institut travaillera en étroite coopération avec le National Industrial Conférence Board. Pour le moment, le personnel supérieur est composé de dix personnalités. L'intention est de porter ce personnel à plusieurs centaines en quelques années au moyen d'un budget annuel de plusieurs millions de dollars, les études portant à la fois sur les sciences fondamentales, et sur des problèmes spécifiques dans tous les domaines des sciences sociales. L'Institut offrira des possibilités de formation à la recherche avancée ; il prévoit également des échanges de personnel avec divers types d'institutions universitaires, gouvernementales et privées. De nombreux milieux suivent avec un grand intérêt l'exécution de ce programme. 31. Un autre type d'organisme indépendant est représenté par les National Training Laboratories for Group Development ( N T L ) (Laboratoires nationaux de formation pour le développement des groupes) qui ont créé un Institute of Applied Behavioral Science (Institut de science appliquée du comportement) divisé en sept secteurs qui établissent la liaison sur tout le territoire des Etats-Unis entre divers groupements et particuliers faisant ou non partie de l'Université. Cet organisme s'occupe de développer les compétences nécessaires pour introduire des changements dans le domaine de l'organisation, changements qui dépendent pour une part non négligeable d'une modification des attitudes et
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des valeurs des intéressés. Une société en rapide mutation a besoin d'édifier de nouvelles institutions et de refaire les anciennes, et le travail à accomplir dans ce domaine est considérable. Les concepts et les méthodes utilisés ne sont encore qu'à un stade élémentaire d'élaboration, et font l'objet de controverses ; ils impliquent une recherche orientée et des tâtonnements au niveau socio-clinique. Les universités ont tendance à se désintéresser des efforts de cette nature. Les NTL servent d'intermédiaires entre le chercheur universitaire et les nombreux usagers, qui autrement feraient appel à des consultants nullement tenus de faire progresser la connaissance. Cette organisation vient de commencer l'élaboration d'un plan quinquennal conçu stratégiquement. 32. Une part de ce travail confine à la psychothérapie, et empiète sur le domaine réservé de la médecine. Cette question des frontières professionnelles envisagées du point de vue de l'évolution sociale est l'un des problèmes critiques qui, aux Etats-Unis, se posent aux spécialistes des sciences sociales. Pendant les années 50, le dbrriaine de la santé mentale s'est rapidement développé, mais la « vision psychiatrique du monde » a dans une certaine mesure fait place à une « vision sociologique du monde ». On a davantage conscience du nombre immense de ceux qui, d'une façon ou d'une autre, doivent être considérés comme des « victimes » et pour lesquels des mesures thérapeutiques au niveau de l'individu sont insuffisantes. Tout comme les « institutions » universitaires, les « institutions » professionnelles établies risquent de faire obstacle à la recherche novatrice et aux expériences pilotes qui leur paraissent empiéter sur leur domaine propre. En médecine sociale, néanmoins, la recherche se développe rapidement, sur la base d'une méthode d'étude des systèmes qui fait appel, en dehors de la profession médicale, à des hommes de science de disciplines très diverses. 33. Le Center for Advanced Study in the Behavioral Sciences (Centre d'études avancées dans les sciences du comportement) de l'Université Stanford, fondé en 1955 par Ralph Tyler, grâce à une subvention de la Fondation Ford, offre un exemple unique d'organisme indépendant. Ce centre affirme une valeur qui va à l'encontre des valeurs « de productivité » en honneur dans les universités américaines. Il accueille chaque année cinquante boursiers résidents (dont certains viennent d'outremer), qui sont libres de faire ce qu'ils veulent, y compris ne rien faire. Il n'y a pas de direction et personne n'est tenu d'écrire un livre ou même de participer à un groupe d'étude. L'éventail des disciplines couvre toutes les sciences sociales. Les âges sont aussi mêlés que les disciplines, de telle sorte que de jeunes et brillants spécialistes en début de carrière se trouvent sur un pied d'égalité avec des savants chevronnés. Grâce à l'absence de pressions, de frontières entre les disciplines et de valeurs, les conditions idéales ont été réunies pour beaucoup de travail original (qu'il faut distinguer du travail simplement « productif ») qui doit
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parfois être mis en train, parfois achevé. Nombreux sont les spécialistes des sciences sociales dont l'orientation et la carrière ont été profondément modifiées. Divers indices donnent à penser que d'autres centres de nature similaire verront peut-être le jour. En outre, l'idée s'étend à d'autres pays. 1 4
L'appui des institutions fédérales aux sciences sociales 34. Il y a peu de coordination, aux Etats-Unis, au sein des grands secteurs qui fournissent des fonds pour la recherche sociale, et entre ces secteurs. Par ordre décroissant de grandeur de leurs contributions, ces secteurs sont : les pouvoirs publics, les universités (crédits internes), les entreprises et les fondations. En ce qui concerne les pouvoirs publics, les subventions sont accordées par l'intermédiaire d'un grand nombre d'institutions spécialisées, selon leurs propres besoins et préférences. La National Science Foundation ( N S F ) est le seul organisme scientifique central du gouvernement des Etats-Unis dont l'activité couvre toutes les sciences ; créée en 1950 pour soutenir la recherche fondamentale dans les sciences exactes et naturelles, elle accorde aussi maintenant aux sciences sociales un appui qui s'étend à certains domaines de la recherche appliquée ( 1 ). Mais les sciences sociales ont jusqu'à présent reçu leur principal soutien des services techniques du gouvernement. Le tableau ci-dessous montre dans quelle mesure en 1967 les divers organismes de l'administration fédérale ont soutenu la recherche sociale ( 2 5 ) . ETATS-UNIS — Dépenses fédérales consacrées à la recherche dans les sciences sociales ( 1 9 6 7 ) (en milliers de dollars) Administrations Santé publique, éducation et protection sociale Office of Economic Opportunity (Bureau de la promotion économique) Agriculture National Science Foundation (Fondation nationale des sciences) Commerce Défense Travail Intérieur Smithsonian Institution Département d'Etat Administration nationale de l'aéronautique et de l'espace ( N A S A ) Army Control and Disarmament (Contrôle des armées et désarmement) Peace Corps
Total
Recherche fondamentale
Recherche appliquée
54.042
123.088
177.130
1.200 6.448
33.800 21.505
35.000 27.953
20.235 3.239 8.531 2.187 2.587 2.953
817 15.326 7.427 10.014 1.056 2.925
21.052 18.565 15.958 12.201 3.643 2.953 2.925
917
1.961
1.900 1.400
1.900 1.400
—
1.044 — —
—
852 Administrations Tennessee Valley Authority Small Business Administration (Administration des petites entreprises) Federal Trade Commission (Commission fédérale du commerce) Veterans' Administration (Administration des anciens combattants) Federal Home Loan Bank Board (Conseil fédéral des banques de crédit au logement) Housing and Urban Development (Habitation et développement urbain) Civil Service Commission (Commission de la fonction publique) Civil Aeronautics Board (Conseil de l'aéronautique civile) Relations intergouvernementales Postas Office of Emergency Planning (Bureau de la planification d'urgence) Federal Aviation Agency (Agence fédérale de l'aviation) Total
Eric Recherche fondamentale
Recherche appliquée
Trist Total
—
727
727
527
132
659
—
310
310
96
201
297
—
270
270
—
233
233
32
168
200
— — —
153 145 50
153 145 50
—
40
40
—
16
16
103.121
222.620
325.741
Source : Federal funds for research development and other activities (NSF XV, 66-25), National Science Foundation (25).
Le rapport de la recherche appliquée à la recherche fondamentale est de 2/1. Dans le présent contexte, la recherche appliquée doit s'entendre comme incluant certaines études à long terme orientées vers la solution de problèmes concrets, mais plus encore des contrats à court terme. La courbe de distribution de fréquence est en forme de J, douze administrations fournissant moins d'un million de dollars, six entre 1 et 10 millions, six entre 10 et 100 millions, et une plus de 100 millions. 35. Le Département de la santé publique, de l'éducation et de la protection sociale ( H E W ) a été le principal contributeur qui a fourni la moitié du total des crédits fédéraux attribués aux sciences sociales en 1967. Parmi les multiples activités de ce département, il faut signaler les Instituts de santé qui couvrent toutes les spécialités de la médecine, l'organe qui s'est le plus particulièrement intéressé aux sciences sociales étant le National Institute of Mental Health ( N I M H ) (Institut national de santé mentale). Comme les autres instituts, il a un vaste programme intérieur de recherche pour lequel il dispose d'un hôpital de recherche, de plusieurs sections de spécialistes et d'un certain nombre de laboratoires. Il met aussi en œuvre un programme extérieur massif, accordant bourses et subventions dont certaines à des pays d'outre-mer.
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Les bourses pour spécialistes de la recherche (Career Investigatorships) sont l'une des rares possibilités qui soient offertes aux spécialistes chevronnés des sciences sociales de se consacrer totalement à la recherche pendant un certain nombre d'années. Un grand nombre des projets bénéficiaires ont relevé de la recherche fondamentale et n'ont eu sur les problèmes médicaux que des incidences indirectes. D'autres ont été orientés vers l'étude clinique, concernant soit le milieu social, soit le domaine psychologique, soit encore le domaine neuro-physiologique. Bien que l'intérêt que la NSF porte depuis peu aux sciences sociales l'ait rendu moins nécessaire, une institution spécialisée, telle que le N I M H , joue, faute de mieux, le rôle d'un conseil de la recherche en science sociale. Un rôle similaire a été partiellement assumé par l'Office of Naval Research (Bureau de la recherche navale) ( O N R ) , qui tout au long de la période d'après-guerre a favorisé dans les sciences sociales la recherche fondamentale et la recherche à long terme orientée vers la solution de problèmes concrets ; sans son aide, bon nombre des plus intéressants projets de recherche fondamentale, notamment en psychologie, n'auraient pas pu être réalisés. 36. Dans le cadre des activités éducatives de H E W , un réseau de 23 laboratoires pédagogiques et centres de développement vient d'être créé pour mener des recherches fondamentales en étroite liaison avec les systèmes d'enseignement des états et des municipalités ( 3 1 ) . Ces laboratoires pédagogiques sont l'analogue des stations expérimentales en agriculture. Du côté de la protection sociale, l'évaluation des programmes est un domaine auquel on consacre beaucoup de recherches systématiques. Grâce au développement des séries statistiques, on dispose de données valables pour l'ensemble de la nation qui permettront de mettre en route de nouveaux types d'enquêtes écologiques et démographiques ( 1 ) . 37. Le dernier-né des six organismes qui ont en 1967 distribué entre 10 et 100 millions de dollars est l'Office of Economic Opportunity ( O E O ) (Bureau de la promotion économique), l'un des principaux organes administratifs du « Programme de lutte contre la pauvreté ». Le fait qu'il se place désormais au deuxième rang, derrière le H E W , est le signe que la science sociale américaine commence à se préoccuper de la crise interne de la société. L ' O E O a déjà créé un Institute for Poverty Research (Institut de recherche sur la pauvreté) à l'Université du Wisconsin. Le Département de l'habitation et du développement urbain ( H U D ) , qui figure parmi les organismes ayant fourni en 1967 moins d'un million de dollars, est en train de passer à un rang nettement supérieur ; on estime en effet qu'en 1968 il a financé des projets pour un montant total proche de 11 millions de dollars ( 1 ). On envisage la création de « laboratoires urbains » dans les grandes villes. L'institution qui fait figure de vieux routier dans ce groupe est le Département de l'agriculture dont l'emploi depuis plusieurs dizaines d'années de la
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science économique et de la sociologie a stimulé des efforts analogues dans de nombreux pays. 38. Il est un domaine qui appelle des observations particulières, c'est celui de la recherche concernant les aires culturelles (foreign area research). Il y a quelques années, le projet « Camelot » créa un scandale, en raison de l'utilisation par l'armée de la recherche sociale à des fins qui furent interprétées comme politiques au Chili. Depuis lors, l'intervention de la C I A comme source de fonds pour divers projets a été rendue publique. Le débat qui s'est ensuivi a entraîné des modifications positives. En 1964, le Département d'Etat a créé un Foreign Area Coordination Research Group (Groupe de coordination des recherches concernant les aires culturelles) ( F A R ) . En 1966, vingt-deux institutions participantes dépensaient 36 millions de dollars par an. Une conférence a été organisée par la Division des sciences du comportement du complexe National Academy of Sciences / National Research Council, et un rapport a été publié en janvier 1967 ( 2 4 ) . Cette conférence a institué un mécanisme grâce auquel un dialogue ouvert peut s'établir entre les fonctionnaires des administrations, les spécialistes des sciences sociales et les administrateurs des fondations en vue de fixer des critères qui permettent de distinguer sans ambiguïté le bon et le mauvais usage de la recherche sociale en politique étrangère. Le processus d'apprentissage qui a été déclenché peut avec le temps ouvrir la possibilité d'une recherche sociale offrant les garanties requises dans des domaines controversés. Des efforts de cet ordre commencent d'être faits sous des auspices internationaux, notamment ceux entrepris par le Centre européen de coordination de recherche et de documentation en sciences sociales à Vienne, qui a été créé avec l'aide de l'Unesco. l r > Sources de financement
privées pour la recherche
39. Une source considérable d'aide à la recherche, en dehors du Gouvernement fédéral, est constituée par les fonds intérieurs des universités. A cet égard, les universités d'Etat, même importantes et de premier plan comme l'Université de Californie, sont mal placées par rapport aux universités privées plus anciennes. Grâce à des legs, à des dons, aux cotisations des anciens élèves, à l'appui des fondateurs, à des propriétés foncières et aux honoraires reçus (notamment du Gouvernement) pour des travaux sous contrat, les plus éminentes de ces institutions ont accumulé au cours des ans des fonds considérables qui leur permettent de prendre des initiatives indépendantes en matière de recherche sociale, parmi leurs nombreux champs d'intérêt. La plus grosse partie de ces fonds est dépensée pour créer les conditions de travail (bâtiments, équipements, utilisation d'ordinateur, recrutement d'assistants de recherche, de secrétaires). Ils permettent de créer de nouvelles chaires, notamment pour la recherche, et servent à aider les candidats au doctorat. Les fonds intérieurs servent également à financer des tra-
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vaux exploratoires ou à promouvoir un effort important dans un domaine nouveau. L'ensemble des dépenses afférentes aux recherches de sciences sociales qui figurent sur des budgets distincts s'est élevé en 1967 à 48 millions de dollars ( 2 3 ) . Mais si l'on ajoute à ce chiffre une fraction — conventionnellement fixée à 1 / 3 — des dépenses ordinaires des départements (y compris les traitements du personnel enseignant), c'est plutôt à 2 0 0 ou même à 300 millions de dollars qu'on peut évaluer la somme des apports directs et indirects. 40. Les entreprises des industries à base scientifique apportent un appui considérable à la recherche sociale, qui a été évalué à 2 8 9 millions de dollars en 1967 ( 2 3 ) . Outre qu'elles possèdent leurs propres installations de recherche, elles confient à des instituts indépendants et à des universités la réalisation de certains projets. La plupart de ces derniers entrent plutôt dans la catégorie des recherches en vue d'applications déterminées, mais certains efforts ont été très novateurs. Une bonne partie du travail de développement en matière d'organisation, qui a modifié le visage de la théorie de l'organisation, a été exécutée par des entreprises de pointe, en collaboration avec des spécialistes des sciences du comportement rattachés à des écoles de gestion des entreprises. C'est à l'instigation des entreprises que la planification à long terme, en tant que champ d'étude, s'est développée aux Etats-Unis. La philosophie sociale générale qui gagne du terrain parmi les grandes entreprises à mesure que leurs activités les mettent davantage en contact avec les autres secteurs de la société et avec d'autres pays, les incite à considérer comme liés à leurs intérêts beaucoup de domaines de la recherche sociale autres que le domaine économique. 41. Les fondations privées représentent un autre facteur d'influence dans l'éducation, l'action sociale, la science et la culture américaines. ETATS-UNIS — Subventions accordées par les fondations, par secteur de recherche et selon l'importance de la fondation ( 1 9 6 6 ) (en millions de dollars - pourcentages entre parenthèses) Secteurs 237 grandes Education Protection sociale Activités internationales Santé Sciences Religion Lettres Total
Nombre de fondations 10.500 5.339 1.227 petites très petites moyennes
282 ( 3 7 ) 76 ( 1 0 )
77 ( 3 3 ) 54 ( 2 3 )
52 ( 2 4 ) 58 ( 2 7 )
7 (21) 8 (25)
160 ( 2 1 ) 84 ( 1 1 ) 99 ( 1 3 ) 23 (3) 38 (5) 762 ( 6 1 )
5 (2) 42 ( 1 8 ) 16 (7) 21 (9) 19 (8) 234 (19)
4 (2) 37 ( 1 7 ) 4 (2) 52 ( 2 4 ) 9 (4) 216 ( 1 7 )
1 (3) 4 (12) 1 (2) 11 ( 3 3 ) 1 (4) 32 (3)
17.303 total 418 196
(34) (16)
170 ( 1 4 ) 167 ( 1 3 ) 120 ( 1 0 ) 107 (9) 67 (5) 1.244 ( 1 0 0 )
Avoirs : grandes fondations — 10 millions de dollars ou plus fondations d'importance moyenne — 1 - 1 0 millions de dollars très petites fondations — 200.000 - 1 million de dollars petites fondations — moins de 200.000 dollars D'après le Foundation directory (13).
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Comme le montre le tableau ci-dessus, la science vient au dernier rang de leurs centres d'intérêt. Cependant, la relation des fondations avec la recherche sociale est complexe ; cette dernière touche à tous leurs grands centres d'intérêt, et l'influence qu'elles exercent dans ce domaine est plus considérable que leur contribution financière ( 24 millions de dollars en 1967 ( 2 3 ) ). 42. Parmi les sciences qui retiennent leur attention, les sciences de la vie, comme le montre le tableau suivant, occupent le premier rang, ce qui s'explique par un intérêt persistant pour la recherche médicale. Les sciences sociales viennent en second. Les sciences physiques reçoivent peu d'aide, car on estime généralement qu'elles trouvent ailleurs les ressources dont elles ont besoin. Dans les sciences sociales l'ordre de préférence est différent de celui des universités et du gouvernement fédéral ; l'accent mis sur le droit et les institutions politiques, qui est récent, témoigne d'un souci d'orienter le travail vers des domaines qui ont été jusqu'ici négligés. ETATS-UNIS — Subventions accordées par les fondations aux sciences (1966) milliers de dollars) D'après le Foundation directory (13). Catégorie
Nombre de fondations
Sciences de la vie : Recherche médicale Conservation Biologie Agriculture
68 22 28 22 •
Sciences sociales : Droit Science politique Economie Sociologie Administration des entreprises et de la main-d'œuvre Psychologie Anthropologie
Nombre de subventions
124*
10
8.549 6.828 3.414 2.562
33 9 1
52 17 1
2.481 1.549 170
14
101* Sciences physiques : Générales Chimie Sciences de l'ingénieur Astronomie et espace Physique Mathématique Sciences de la terre
20 9 8 4 8 6 3
215 27 19 15 6 11 6 3
43 6 4
3 38.439
231 42 53 33 17
33 30
Fo'i rcentage par -apport à l'ensemble des sciences
Montant
29.551 3.759 3.055 2.074
133 37 35 26
56 12 10 5 4
4
2 —
25.553 1.579 928 916 521 495 379 38
(en
37 2 1 1 1 1 1 —
4.856 7 87 43* Total 68.848 100 229* 533 * Les totaux particiels ainsi que le total général ne correspondent pas à l'addition de leurs composants car si une fondation couvre plus d'une activité, elle figure dans chacune de ces activités.
Organisation et financement de la recherche
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43. Les fondations américaines ont joué un rôle essentiel dans la promotion de la recherche sociale hors des Etats-Unis, en Europe et dans le monde en voie de développement. A l'étranger, les fondations jouent un rôle effacé, mais leur nombre et leurs ressources vont croissant en Europe occidentale. 44. Les fondations américaines les plus anciennes, comme la fondation Rockefeller, sont devenues extrêmement habiles à discerner les innovations qui méritent d'être encouragées dans les sciences sociales. « Russell Sage », « Carnegie », « Field », « 20th Century Fund », « Foundations Fund for Psychiatry », voilà d'autres noms classiques. Ces fondations ont toujours été sélectives, mais elles ont tendance à modifier leur orientation lorsque les domaines où elles encourageaient jusqu'alors la recherche sont annexés par des universités ou des institutions fédérales. Elles le font quelquefois trop hâtivement. 45. L'avènement de la fondation Ford, disposant de ressources d'une échelle supérieure à toutes les autres, a modifié le caractère du monde des fondations. Cette fondation et quelques autres ont tendance depuis quelque temps à se considérer comme une force indépendante de transformation de la société américaine, que ce soit dans la perspective des crises actuelles ou dans celle d'un avenir plus lointain ( 2 7 ) .
Recherches multiples sur les questions de politique
générale
46. Devant la crise intérieure qui menace actuellement la société américaine et l'importance de plus en plus visible des sciences sociales, le Congrès comme les milieux scientifiques américains portent un intérêt croissant aux incidences de ces sciences sur le plan de la politique générale et aux moyens de les utiliser plus efficacement. Les sciences sociales ont beau être devenues une « big science », même si l'on va bientôt dépenser près d'un milliard de dollars par an pour la recherche sociale, il n'y a qu'un très petit nombre de programmes qui soient véritablement de grande envergure. La recherche sociale américaine est caractérisée par ce que l'économiste britannique Peter Wiles a appelé « investment scatter » 1 6 (la dispersion des investissements) — phénomène qui, s'il dépasse certaines bornes, arrête le processus de croissance. Il y a peutêtre pléthore de travaux, mais bien peu d'entre eux sont poussés jusqu'à la limite de ce qui est possible du point de vue conceptuel, méthodologique et empirique. Les affectations tactiques de ressources réalisées par des moyens non coordonnés en sont arrivées au point où les rendements commencent à décroître. 47. Cette situation ne saurait se prolonger davantage, mais la question de savoir ce qu'il convient de faire pose des problèmes d'une très grande complexité. Il faudra longtemps et beaucoup d'efforts pour que la multi-
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plicité des intérêts scientifiques et publics en cause permette d'arriver, dans un pays aussi vaste et aussi varié que les Etats-Unis d'Amérique, à un accord sur une série de principes généraux mieux coordonnés concernant les sciences sociales. Cependant, cette évolution se dessine nettement et prend une forme qui est typique de la tradition pluraliste des Etats-Unis. 1 7 48. Un certain nombre d'enquêtes importantes sont en cours, auxquelles participent de près ou de loin le Congrès ou la Présidence des EtatsUnis. Trois de ces enquêtes portent sur des propositions de loi qui ont été déposées devant le Sénat en 1967, et dont l'objet est le suivant : ( a ) « A Select Committee on Technology and Human Environment » (création d'un comité restreint sur la technologie et le milieu humain), proposition de loi déposée par le sénateur Edmund Muskie (Maine) et appuyée par 19 autres sénateurs ; ( b ) « A National Foundation for the Social Sciences» (création d'une fondation nationale pour les sciences sociales), proposition de loi déposée par le sénateur Fred Harris (Oklahoma) et appuyée par 20 autres sénateurs ; ( c ) « The Full Opportunity and Social Accounting Act » (loi sur la promotion maximale et la comptabilité sociale ), proposition de loi déposée par le sénateur Walter Mondale (Minnesota) et appuyée par 10 autres sénateurs. La présentation de ces diverses propositions a donné lieu à de longs débats publics. Beaucoup de spécialistes des sciences sociales parmi les plus éminents des Etats-Unis ont apporté leur témoignage. La création du comité sur la technologie et le milieu humain a déjà été autorisée. 49. En avril 1967, le député Henry Reuss (Wisconsin), Président du « Research and Technical Sub-Committee » ( Sous-comité sur la recherche et la technique) du « Committee on Government Operations » (Comité sur les activités gouvernementales) de la Chambre des Représentants, a rendu public un rapport en quatre volumes intitulé The use of social research in federal domestic programs ( 1 4 ) (L'utilisation des recherches sociales dans les programmes fédéraux intérieurs), où sont examinés les problèmes suivants : ( a ) Quelles sont l'étendue et la qualité de la recherche sociale actuellement financée par le gouvernement fédéral ? ( b ) La recherche sociale actuelle est-elle utile, ou même utilisée ? ( c ) Evite-t-on le gaspillage de ressources et les activités faisant double emploi par une coordination administrative et la diffusion rapide des résultats des recherches ? ( d ) Les pouvoirs publics sont-ils suffisamment informés des limites et des possibilités des moyens de recherche sociale auxquels ils peuvent avoir recours pour l'élaboration et l'exécution de programmes intérieurs fédéraux ? Rendant compte de ce rapport, le professeur Albert Cherns, qui était
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Secrétaire du Heyworth Committee on Social Studies en Grande-Bretagne, fait observer que rares sont les organismes qui sont en mesure de présenter une évaluation exacte de l'utilisation qu'ils ont faite des recherches patronnées par leurs soins. Le professeur Cherns considère d'ailleurs que la chose est impossible si la stratégie applicable à cette utilisation n'est pas définie dès le stade de la conception du projet de recherche lui-même ( 8 ). Le Human Resources Research Office ( Bureau de recherches sur les ressources humaines), centre opérant sous contrat pour les forces armées et administré par l'Université George Washington, a fait œuvre de pionnier à cet égard, ayant, depuis sa création, mis au point des procédures de nature à assurer l'utilisation de ses recherches sur l'instruction militaire par les services de formation de l'Armée ( 1 ). Ces problèmes d'utilisation sont en train de devenir un thème central de recherche. 1 8 50. L'Advisory Committee on Government Programs (Behavioral Sciences) (Comité consultatif sur les programmes du gouvernement, Sciences du comportement) du complexe National Academy of Sciences/ National Research Council, à la suite d'une enquête, a présenté de nombreuses recommandations dans le rapport qu'il a publié en septembre 1968 ( 1 ). Ce Comité a été créé pour étudier spécialement les « sensitive areas » (zones sensibles), mais son mandat a été élargi pour englober les relations entre les sciences sociales et l'ensemble des activités gouvernementales. La recommandation la plus controversée est que « le Président et le Congrès créent, en lui fournissant un budget autonome, un Institut national de la recherche avancée et de la politique de l'Etat à Washington, D.C. ». A certains égards ce concept n'est pas sans rappeler celui de l'Institute for the Future. 1 9 II est proposé dans le rapport que chaque institution mette au point une stratégie à long terme en matière de sciences sociales qui soit adaptée à ses propres besoins ; qu'elle se dote d'un personnel interne compétent (ainsi que de conseillers extérieurs) ; et qu'elle veille à ce que ses administrateurs, particulièrement les directeurs, reçoivent une formation spéciale en matière de sciences sociales pour qu'ils puissent en apprécier la contribution. On y préconise également que les organismes de la Présidence chargés de prendre les décisions au sommet en matière de science soient considérablement renforcés. Une recommandation particulièrement importante est celle où il est conseillé que la National Science Foundation « s'attache particulièrement à obtenir des subventions accrues aux institutions et aux départements et soutienne les centres organisés pour développer les connaissances cumulatives ». En fait, la NSF a déjà commencé à le faire, ce qui traduit une orientation nouvelle dans la politique scientifique aux Etats-Unis. Il est intéressant de noter que l'étude préparée par la NSF à l'intention de l'Unesco ( 3 1 ) déclare : « Le soutien apporté par les autorités fédérales aux institutions d'enseignement supérieur a été principalement axé sur l'aide à la recherche scientifique et aux acti-
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vités pédagogiques. Jusqu'aux premières années qui ont suivi 1960 l'aide était essentiellement accordée à des projets précis de recherche et de développement. Mais de 1963 à 1966 un changement s'est produit et l'effort a porté sur l'enseignement scientifique dans les institutions plus que sur des activités spécifiques de R et D. Par exemple, si les ouvertures de crédits directes sur le budget fédéral pour les études de R et D dans les universités ont augmenté au total, leur proportion dans le total de l'aide fédérale à la science universitaire (recherche et enseignement scientifique) qui était de 58 % en 1963 n'était plus que de 42 % en 1966. D'après les estimations actuelles des services fédéraux, cette tendance persiste. » L ' é t u d e note également que dans une directive de 1 9 6 5 la Présidence indique que « les services, lorsqu'ils décident d ' a p p o r t e r un soutien à la science et à la recherche dans les universités doivent tenir c o m p t e du développement global des institutions d'une haute tenue
scientifique
dans l'ensemble du pays ». 51.
L e c o m i t é le plus récent est le Survey C o m m i t t e e on the Behavioral
and Social Sciences ( C o m i t é d'étude sur les sciences du c o m p o r t e m e n t et les sciences sociales) Research par
Council
l'intermédiaire
et
du
du
(BASS), Social
créé sous les auspices du National Science
Committee
on
Research Science
Council
and
agissant
Public
Policy
( C o m i t é sur la science et la politique des pouvoirs publics) de l'Académie nationale des sciences ( 2 3 ) . Depuis 1 9 6 2 , ce comité
(COSPUP)
a fait établir par c o n t r a t des rapports sur les sciences et les techniques qui visent à p e r m e t t r e au Council of Scientific Advisers ( C o m i t é des conseillers scientifiques) du Président de donner à celui-ci des avis clairs et bien informés sur les priorités en matière de recherches. L a
plus
récente de ces études p o r t e sur les sciences du c o m p o r t e m e n t et les sciences sociales. C'est une entreprise considérable, qui doit durer d e u x ans et demi et sera en principe terminée en 1 9 6 9 ; le Central Planning C o m m i t t e e ( C o m i t é central de planification) est présidé par M . E a r n e s t H i l g a r d de l'Université Stanford, Social
Science
Research
Council
tandis que M . H e n r y en
Riecken,
assure la co-présidence
à
du
plein
temps ( 2 8 ) . L a déclaration ci-après a été publiée : « Le Comité sur la science et la politique des pouvoirs publics a demandé qu'il soit procédé à une étude sur les sciences du comportement et les sciences sociales. Donald Hornig, Conseiller scientifique auprès du Président des Etats-Unis, a formulé une recommandation analogue à l'occasion de l'inauguration du nouveau siège de l'American Psychological Association, à Washington. La présente proposition est non seulement une réponse directe à ces invitations et à l'intérêt suscité chez les membres du Congrès, mais aussi une réponse au désir exprimé par les spécialistes eux-mêmes des sciences du comportement et des sciences sociales qui ont estimé nécessaire une enquête dans ces domaines. Il convient que les milieux des sciences sociales et des sciences du comportement réagissent de façon sérieuse et réfléchie devant ces manifestations d'intérêt et les divers espoirs que celles-ci recouvrent. Une auto-évaluation de ce genre aurait un certain nombre de résultats importants : (a) Elle permettrait de dresser un inventaire des points faibles et des points forts de ces domaines, qui servirait de base à une politique nationale informée et efficace, visant à renforcer et développer les sciences du comportement et les sciences sociales. Certaines priorités pourraient être suggérées, non seulement en ce qui concerne les besoins généraux de recherche, mais aussi pour répondre à certains besoins spéciaux :
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de la
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banques de données, installations spéciales sut le terrain, matériel de calcul, laboratoires centraux ou nationaux, etc. Ces recommandations pourraient être utiles aux directeurs de programmes des organismes publics et aux doyens ou recteurs d'université en mettant à leur disposition des avis informés sur les mesures qui ont le plus de chances d'agir efficacement dans le sens d'une amélioration des sciences du comportement et des sciences sociales. (b) Elle appellerait l'attention des milieux intéressés sur les méthodes, les problèmes, les concepts et les approches connexes ou communs au sein d'une même discipline ou dans plusieurs disciplines différentes, d'où pourraient se dégager des principes nouveaux et unificateurs. C'est là une perspective stimulante du point de vue intellectuel. (c) Elle fournirait des indications sur les aspects des sciences du comportement et des sciences sociales qui ont les meilleurs fondements du point de vue de la théorie, du contenu et des techniques et qui, de ce fait, sont le plus aptes à être exploités pour résoudre les problèmes sociaux. La délimitation des réalisations dans l'état actuel des connaissances permettrait d'évaluer de façon plus objective comment les sciences du comportement et les sciences sociales pourraient contribuer au bienêtre de la nation. (d) Elle préciserait la nature des relations entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée, notamment en ce qui concerne les programmes d'action subventionnés soit sur des fonds publics soit sur des fonds privés, et elle montrerait en particulier comment on peut encourager la recherche fondamentale dans un contexte de recherche appliquée pour le plus grand profit des travaux tant fondamentaux qu'appliqués. (e) Elle servirait de base à une évaluation des relations optimales entre les programmes du secteur privé et du secteur public d'aide aux sciences du comportement et aux sciences sociales, en ce qui concerne l'élaboration et l'exéution de programmes de recherche, de programmes d'éducation et de programmes d'action. (f) Elle permettrait l'estimation des besoins pédagogiques et des besoins en personnel pour l'enseignement, la recherche et les applications dans ces domaines. Cette analyse pourrait également comprendre une étude et des recommandations touchant les programmes de formation et les plans d'études les meilleurs pour former les futurs spécialistes des sciences du comportement et des sciences sociales. Elle permettrait aussi de déterminer comment des enseignements auxiliaires portant sur les sciences du comportement et les sciences sociales pourraient être introduits dans les programmes d'études commerciales, juridiques, médicales, religieuses, etc. (g) Elle constituerait une source générale d'informations et de précisions sur la nature et le caractère des sciences du comportement et des sciences sociales, non seulement pour les éducateurs, les administrateurs du secteur public, les parlementaires, etc., mais aussi pour le profane intelligent — contribuant par là à l'appréciation et à la compréhension générales de ces domaines. »
Un premier rapport, daté de décembre 1969, recommande la création d'établissements multidisciplinaires d'enseignement supérieur des sciences appliquées du comportement ( 2 3 ) . 52. Pour comprendre la portée de ces enquêtes, il faut avoir des indications générales sur les organes de politique scientifique du Gouvernement des Etats-Unis et sur la place que les sciences sociales s'y sont faite. On trouve des indications de ce genre dans la déclaration faite par Herbert Simon devant le Sénat lors des auditions relatives à la création d'une fondation nationale pour les sciences sociales ( 2 9 ) . « Le développement des sciences depuis vingt ans et le fait qu'elles sont de plus en plus liées à la politique des pouvoirs publics ont eu pour résultat la création d'un certain nombre d'institutions chargées de permettre au gouvernement d'obtenir plus
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aisément des avis scientifiques compétents. Les principales institutions de ce genre, au niveau du Congrès et de la Présidence, sont sans doute aujourd'hui les suivantes : (a) le complexe formé par le Council of Economie Advisers (Comité des conseillers économiques) (CEA), le Département du Trésor et le Fédéral Research Board (Conseil fédéral de la recherche) ; (b) le President's Science Advisory Committee (Comité consultatif scientifique de la Présidence des Etats-Unis) (PSAC) et le Fédéral Council for Science and Technology (Conseil fédéral pour les sciences et les techniques) (FCST) ; (c) le complexe composé de la National Academy of Sciences / National Research Council (Académie nationale des sciences / Conseil national de la recherche) (NAS/ NRG). Les dispositifs actuels n'offrent pas des moyens absolument satisfaisants d'accéder aux meilleures connaissances et aux meilleurs avis scientifiques pour résoudre les problèmes publics. Le CEA et les organismes connexes sont peut-être ceux qui laissent le moins à désirer, du fait que leur domaine de compétence est relativement bien défini et qu'ils sont essentiellement de caractère économique. Cependant, la juestion de savoir quelles proportions doit prendre le plein emploi dans notre société revêt de plus en plus des aspects sociologiques et d'autres aspects non économiques importants. Il serait souhaitable que, dans ces organismes, la participation des sciences sociales soit élargie de façon à déborder le cadre de l'économie technique. Le fait que les spécialistes des sciences sociales soient exclus du PSAC est peutêtre le plus grave défaut des dispositifs actuels. 2 0 L'avion supersonique et l'usage des stupéfiants sont deux exemples de problèmes dont le PSAC peut se trouver saisi de temps à autre sous diverses formes. Ces problèmes, s'ils présentent bien entendu des aspects techniques relevant de la physique, de la biologie et de la chimie, touchent aussi, manifestement, aux sciences économiques, à la sociologie, à la psychologie et même aux relations internationales. A la vérité, les spécialistes des sciences sociales commencent à être las de se voir soumettre des problèmes que l'on a « résolus » des points de vue physique, biologique et industriel sans prêter une attention compétente particulière à leurs aspects humains, pour venir ensuite les prier de porter remède aux conséquences sociales et psychologiques regrettables qui en sont résultées. Si la collaboration des spécialistes des sciences sociales n'est pas sollicitée dès les premiers stades — c'est-à-dire aux stades où le problème est défini et où sont esquissées les différentes façons de s'y attaquer — nous continuerons indéfiniment à vivre dans un monde ayant beaucoup d'automobiles mais peu de parcs de stationnement, beaucoup de loisirs et seulement des stupéfiants pour les meubler. Une mesure limitée, mais importante, qui pourrait modifier cet état de choses consisterait à faire siéger un grand nombre de spécialistes des sciences sociales du PSAC et à les faire participer aux travaux des organismes qui lui sont associés. La situation du complexe NAS/NRC est moins critique, car le champ d'activité de la division compétente du NRC a été élargi et comprend désormais l'ensemble des sciences du comportement et sciences sociales. Mais tant que le Congrès donnera à l'Académie nationale des sciences un droit de contrôle sur le Conseil national de la recherche, la représentation actuelle — insuffisante et mal équilibrée — des sciences sociales au sein de l'Académie sera à l'origine d'un problème grave. »
Le diagramme figurant à la page suivante résume la structure décrite à l'intention du lecteur international dans l'étude préparée pour la Division de la politique scientifique de l'Unesco (31 ). 53. L'idée de la création d'une fondation nationale pour la recherche sociale ( 3 2 ) a suscité, chez les spécialistes américains des sciences sociales, des réactions quelque peu ambivalentes. Une autre proposition
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ETATS-UNIS — Structure des organismes scientifiques au niveau fédéral
Source : Office of Science and Technology.
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consiste à développer la Division des sciences sociales de la NSF, qui a créé sa propre commission chargée d'étudier cet aspect de ses travaux, notamment les problèmes de la société. 2 1 Une fondation nationale aurait pour rôle de favoriser la recherche fondamentale. Les auteurs de la proposition de loi soutiennent que les organismes chargés de missions bien définies ont pris une place trop importante, et que, malgré les progrès récents, la recherche sociale est réduite au rôle de parent pauvre au sein de la National Science Foundation. Lors des auditions du Sénat sur la question, le sénateur Harris a souligné la nécessité, pour la future fondation, de protéger la recherche fondamentale en matière de sciences sociales contre les ingérences politiques et d'encourager la recherche « non conformiste » : « Pour que les sciences sociales puissent devenir innovatrices, créatrices et originales, comme elles doivent l'être à mon avis pour faire face aux problèmes contemporains avec tous les moyens que ceux-ci exigent, il faut qu'elles aient, par définition, un caractère polémique. Il me semble que si la fondation aborde sa tâche en s'appuyant sur des travaux législatifs préparatoires du genre de ceux que nous avons accomplis au cours de ces auditions du Sénat, il y a de bonnes chances pour qu'elle puisse obtenir le genre de résultats que vous et moi souhaitons. »
En exprimant l'opinion rapportée ci-après : Gardner Murphy s'est fait l'écho d'une pensée de plus en plus répandue parmi les spécialistes américains des sciences sociales. Il a déclaré : « Ce serait manquer du sens des réalités, me semble-t-il, que de croire qu'un organisme fédéral quelconque puisse faire grand-chose pour la recherche fondamentale en matière de science sociale si l'on ne voit pas grand dès sa création, s'il ne bénéficie pas du plein appui du Congrès, et si le grand public n'est pas profondément persuadé de notre détermination à agir... Si nous prenons au sérieux le rôle des sciences sociales dans la vie moderne, l'œuvre que nous entreprendrons sera en effet considérable. »
Robert Sears a exprimé des idées analogues :
« On ne peut obtenir actuellement, dans la meilleure hypothèse, qu'une aide minime pour les travaux de recherche qui sont véritablement à longue échéance. Il se peut fort bien que l'étude diachronique d'enfants de la naissance à la fin de l'adolescence se révèle l'une des méthodes de recherche les plus importantes à avoir été élaborées au cours du prochain demi-siècle. Il semble que rien ne puisse remplacer les études diachroniques lorsqu'il s'agit des éléments extrêmement complexes qui déterminent les motivations, l'adaptation sociale et la croissance intellectuelle. »
Ceux qui s'opposent à l'idée d'une fondation nationale pour les sciences sociales craignent qu'elle n'absorbe des crédits venus d'autres sources de soutien, et que la concentration des travaux dans une seule institution, loin de protéger les services, les rende plus vulnérables aux critiques d'ordre politique, particulièrement lorsqu'il s'agit de projets impopulaires. Ils font valoir également que la séparation des autres sciences aurait des inconvénients. Les objectifs indiqués dans les témoignages que nous avons cités sont en général appuyés par les hommes de science. Beaucoup de spécialistes américains des sciences sociales estiment que les initiatives prises par des organismes de valeur reconnue, tels que le National Research Council, le Social Science Research Council et des grandes institutions comme Brookings et une ou
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deux fondations ayant une grande expérience en la matière, mèneront à une concentration plus efficace et plus rapide des travaux dans les zones stratégiques que la mise en place d'institutions nouvelles qui ne peut se faire dans l'adoption de lois. 54. La loi sur la comptabilité sociale a pour objectif l'établissement d'indicateurs sociaux parallèlement aux indicateurs économiques, la création d'un Council of Social Advisers (Comité de conseillers sociaux) parallèlement au Council of Economie Advisers (Comité des conseillers économiques) et la présentation d'un Rapport social parallèlement au Rapport économique qui est soumis chaque année au Congrès par le Président ( 3 3 ) . Le sénateur Mondale a résumé comme suit ce qu'il recherchait ( 2 2 ) : « La structure que propose la loi sur la promotion maximale et la comptabilité sociale peut aider les fonctionnaires du gouvernement à évaluer, comprendre et orienter l'évolution et à faciliter l'application des informations sociales aux problèmes qui se posent de façon pressante dans notre société. Depuis plusieurs années, un effort limité de comptabilité sociale est accompli par des organismes gouvernementaux ainsi que par des centres universitaires de recherche dans le pays. Les faits qui laissaient prévoir des désordres violents existaient, de façon visible, à Watts, Hough et Newark bien avant que des émeutes aient appelé, sur les problèmes douloureux des êtres humains emprisonnés dans ces ghettos, une attention bien intentionnée mais éphémère. L'une des sciences sociales, la science économique, a prouvé qu'elle était capable d'éviter les crises économiques et les catastrophes en définissant minutieusement et en observant attentivement des indicateurs tels que le volume des ventes au détail, le montant des investissements nouveaux, le niveau des stc cks et le niveau du produit national brut. Nous n'avons pas actuellement, pour nous avertir des catastrophes sociales qui se préparent, un système comparable d'indicateurs sociaux, largement diffusés, grâce auquel nous pourrions exercer une surveillance générale sur les processus sociaux en jeu dans la nation et établir des plans en vue du progrès ordonné de la société. Il n'est pas nécessaire de chercher à mettre au point un système aussi perfectionné ; nous avons simplement besoin d'un système plus complet que celui dont nous disposons. »
John W . Gardner, ancien Secrétaire d'Etat au Département de la santé publique, de l'éducation et de la protection sociale ( H E W ) et actuellement Président de la National Urban Coalition (Coalition urbaine nationale), est en faveur d'études sur la comptabilité sociale. La Russell Sage Foundation mène des études sur les indicateurs sociaux, sous la direction de Wilbert Moore et Eleanor Sheldon. Le Twentieth Century Fund a chargé Bertram Gross de diriger des recherches sur l'évolution en Amérique. Ces travaux sont liés aux études sur l'avenir. Le Project on the Year 2 0 0 0 (Projet relatif à l'an 2 0 0 0 ) , de la National Academy of Sciences, s'exécute sous la présidence de Daniel Bell ( 131 ). Le rapport du Comité d'étude sur les sciences du comportement et les sciences sociales ( B A S S ) propose l'établissement d'un «rapport social annuel de caractère privé » et d'un « système national de données assurant la protection de l'anonymat» ( 2 3 ) .
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55. La vague d'intérêt qui se manifeste à propos des incidences des sciences sociales sur la politique générale a amené un certain nombre d'éminents spécialistes américains des sciences sociales à réfléchir avec une largeur de vues qui n'apparaissait guère il y a dix ans. L'allocution présidentielle prononcée en 1966 par Kenneth Boulding devant l'American Association for the Advancement of Science (Association américaine pour l'avancement des sciences), intitulée « Prenons-nous les sciences sociales au sérieux ? », illustre cette tendance ( 6 ) . « Il nous reste à répondre à deux questions : premièrement, pouvons-nous prendre les sciences sociales au sérieux ? deuxièmement, le devons-nous ? Je répondrai à ces deux questions par l'affirmative, mais une affirmative circonspecte. Certes, on ne voit pas pourquoi il nous serait impossible d'améliorer notre structure théorique, nos processus de déduction et notre appareil perceptif si nous confions à nos meilleurs cerveaux le soin de résoudre ce problème et si nous sommes disposés à consacrer des ressources économiques à l'acquisition d'instruments du genre de ceux qu'exige aujourd'hui, par exemple, le spécialiste de la physique nucléaire. L'établissement d'un réseau de stations de données sociales, que j'ai proposé plus haut, ne coûterait vraisemblablement pas plus d'un milliard de dollars par an, et cette mise de fonds pourrait rapporter des revenus immenses en évitant des catastrophes, en permettant l'établissement d'une paix stable et en favorisant le développement. D'une manière générale, les sciences sociales ne se sont pas montrées assez ambitieuses et n'ont pas cherché à étudier la sociosphère comme un tout. Elles se sont contentées du genre de progrès professionnel résultant du traitement approprié de renseignements de portée limitée. Elles ne se sont pas placées dans l'optique plus large de l'étude de la sociosphère considérée dans sa totalité. »
Pour qu'une politique américaine en faveur des sciences sociales puisse se dégager, il faudra sans doute attendre que cette optique plus large devienne celle d'un nombre accru d'hommes de premier plan dans les domaines politique, industriel et universitaire. Quelle que soit la forme qu'en prendra l'application, et quel que soit le rythme auquel elle se fera, les nouvelles « prises de conscience » (196) se manifestent ou se préparent. Il ne saurait tarder longtemps avant qu'on s'aperçoive des progrès réalisés depuis les années cinquante.
III.
TRANSITION EN EUROPE OCCIDENTALE
La situation dans les universités 1. Les années soixante représentent pour les sciences sociales en Europe occidentale une décennie de transition au cours de laquelle ces sciences commencent à jouir, pour la première fois, de la considération générale. Si aux Etats-Unis l'on a jugé du statut qui leur est accordé d'après l'ampleur et la nature des ressources financières mises à leur disposition, en Europe occidentale, ce seront la structure et la situation des universités qui serviront de critère sur ce point. C'est que les universités d'Europe occidentale sont des institutions d'Etat, ou bien, si elles sont indépendantes, des institutions financées au premier chef par l'Etat. La majorité des gouvernements se sont engagés à développer l'enseignement
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supérieur et néanmoins, dans leur ensemble, les universités n'ont pas vu augmenter leur personnel enseignant pas plus d'ailleurs que les moyens dont elles disposent : bibliothèques, équipements, locaux ou services auxiliaires, pour faire face à une demande croissante d'enseignement supérieur. 2. Depuis la deuxième guerre mondiale, la population estudiantine de l'Europe occidentale s'est plusieurs fois multipliée. En Belgique et en Norvège, cet accroissement dépasse le triple (64, 65). En France et dans la République fédérale d'Allemagne, où l'enseignement connaît la surcharge la plus grave, il atteint le sextuple ou le septuple (49, 39). Or cette surcharge est plus considérable pour les disciplines sociales que pour les disciplines physiques et biologiques et les enseignants y sont moins nombreux. L'on ne dispose pas de chiffres complets sur l'encadrement des étudiants mais le tableau ci-après qui se rapporte à l'enseignement de la psychologie dans la R.F.A en 1963 nous en donnera peutêtre une idée (39). RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D'ALLEMAGNE
Enseignants à Enseignants à Etudiants des Candidats au
— Taux d'encadrement en psychologie
plein temps temps partiel deux premiers cycles doctorat
(1963)
141 93 12.340 425
Si l'on compte pour moitié les enseignants à temps partiel, le ratio enseignants/étudiants ressortit à 1/70. Certains pays ont enregistré, pour plusieurs disciplines, des ratios inférieurs à 1/100. La GrandeBretagne constitue une exception à cet égard : de 1938 à 1963, les étudiants et les enseignants des sciences sociales y ont progressé les uns et les autres du quintuple (55). Toutefois, jusqu'à l'expansion universitaire que ce pays a récemment enregistrée, sa population estudiantine était peu nombreuse même en comparaison de celle des autres pays de l'Europe occidentale. D'autres nations comme les Pays-Bas ont su, grâce à une politique d'une habileté peu commune, faire marcher de pair le développement de leurs moyens d'enseignement et celui de leurs effectifs d'étudiants (36). 3. La proportion des étudiants en sciences sociales dans le total des étudiants est également en accroissement. En Belgique, de 1957-1958 à 1964-1965, le pourcentage des étudiants en droit est tombé de 12,2 à 5,9 tandis que celui des étudiants en sciences économiques, politiques ou administratives montait de 18 à 26,8 (64). En France, on s'attend à ce que l'effectif des étudiants en sciences sociales double de 1965 à 1970 (48). En Grande-Bretagne, les effectifs des étudiants ayant obtenu un diplôme avec « honours » en sciences sociales sont passés de 2.835 en 1963 à 4.276 en 1966. Dans les collèges techniques — qui forment une
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sorte de système d'enseignement universitaire d'appoint — les sciences sociales comptaient, en 1965, 9.784 étudiants dont 36 pour cent s'étaient inscrits pour le premier cycle ( first degree ) des sciences économiques et 42 pour cent pour ce même cycle en sociologie ( 6 0 ) . Il y a dix ans, la majorité de ces jeunes gens auraient opté pour des disciplines technologiques où les places offertes ne sont pas toujours prises. Ces données marquent une évolution des intérêts professés par la génération estudiantine actuelle. 4. Une chose a fait obstacle au développement des sciences sociales en Europe occidentale et c'est la survivance de formes désuètes d'organisation souvent héritées telles quelles du X I X e siècle. Les sciences sociales sont partagées entre les facultés des lettres, de droit ou de philosophie encore que les facultés d'économie politique ne soient pas rares et enseignent parfois la sociologie. La sociologie et la science politique ne sont pas reconnues partout comme disciplines indépendantes, notamment pour le premier cycle {first degree). L'anthropologie s'étudie souvent dans les facultés des sciences où elle s'appuie traditionnellement sur l'anthropologie physique. Il arrive que ces mêmes facultés enseignent intégralement la psychologie. Comme l'étudiant doit conquérir son premier grade dans une faculté unique, le système exclut nombre d'intéressantes combinaisons de matières. 5. Dans les pays scandinaves et aux Pays-Bas, le premier grade ne demande pas moins de 5 et parfois 6 années d'études. En France, il convient de distinguer — et cela peut être fort difficile — entre l'élite des étudiants qui fréquentent les grandes écoles et la masse de ceux qui ne visent qu'à obtenir une licence ès sciences sociales d'un niveau pas trop élevé. Dans la République fédérale d'Allemagne, 50 % des candidats qui se sont présentés en 1963 aux examens généraux de leur premier diplôme ont échoué ( 3 9 ) . Leur faculté leur permettait de choisir n'importe quelle combinaison de matières mais ne se préoccupait guère de les orienter. A l'autre extrémité, l'on trouve l'enseignement intensif des sous-gradués pratiqué en Grande-Bretagne où toutefois, jusqu'à une époque récente, une spécialisation précoce empêchait toute prospection. Les nouvelles universités britanniques ont mis sur pied des écoles de sciences sociales dotées de larges éventails d'études qui donnent à l'étudiant une grande souplesse de choix portant sur des disciplines pour lesquelles il existe des chaires mais non pas des départements. Plusieurs collèges universitaires spécialisés dans certaines disciplines des sciences sociales ont maintenant vu le jour dans la République fédérale. Des enseignements multidisciplinaires sont en cours d'essai à Constance et à Wilhelmshaven ( 5 1 ) . 6. L'importance que présente le premier diplôme du point de vue de l'aptitude à la recherche ne peut être appréciée qu'en tenant compte
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de l'enseignement dispensé dans les cycles postérieurs. Les grandes écoles offrant aux gradués des programmes méthodiquement conçus telles qu'elles existent aux Etats-Unis ne se rencontrent guère ailleurs. Les grands établissements français répondent en quelque sorte à un modèle exclusif (67). Le doctorat à la mode du XIX e siècle persiste dans la plupart des pays. En Italie, il n'existe pas à vrai dire de licence, mais seulement un doctorat (69). En dépit de la confusion qui résulte du grand nombre d'étudiants fréquentant les universités, il ne faudrait pas moins qu'une loi votée par le Parlement italien pour modifier cet état de choses. Dans plusieurs pays — en Belgique, par exemple — seuls des textes législatifs peuvent amender une réglementation applicable aux grades universitaires (38). Ce n'est que progressivement que le Ph. D. britannique devient la sorte de passeport que le doctorat constitue ailleurs. A l'époque où seuls les brillants sujets détenteurs de diplômes avec first honours pouvaient s'essayer à la recherche, cela n'avait pas d'importance mais en présence d'une demande de spécialistes des sciences sociales accrue et d'un enseignement de premier cycle (undergraduate éducation) qui se généralise, l'absence de programmes organisés pour gradués ne laisse pas d'exercer certains effets négatifs. 7. Depuis la deuxième guerre mondiale, une proportion substantielle de spécialistes ouest-européens des sciences sociales reçoivent dans les écoles de hautes études des Etats-Unis l'enseignement intensif qui les qualifie pour faire de la recherche sociale. Le temps n'est plus cependant où l'Europe occidentale pouvait compter sur cet enseignement. Il lui appartient maintenant de créer ses propres écoles de hautes études, en nombre suffisant — quel qu'en soit le type. Une certaine appréhension se fait jour, sur ce point, dans les rapports émanant de la France et de la R.F.A. (48) (51). En Grande-Bretagne, le Social Science Research Council a décidé de concentrer ses bourses de perfectionnement dans certains centres choisis plutôt que de les disperser dans les 300 cours de maîtrise offerts actuellement par l'université britannique (60). Deux grandes écoles multidisciplinaires de hautes études commerciales pour étudiants déjà diplômés, destinées à conjuguer de larges activités de recherche avec divers types de formation d'étudiants gradués, ont été fondées (52), et des centres de moindre importance mis sur pied dans de nombreuses universités.
La recherche dans les départements
d'enseignement
8. Si l'on excepte certains pays comme la Grande-Bretagne et les PaysBas, la recherche sociale est maintenant dissociée, en Europe occidentale, de l'enseignement unidisciplinaire dispensé par les départements d'universités. Deux séries de facteurs, liés les uns à des structures, les autres à des attitudes ont amené cette rupture. Les facteurs structurels sont :
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la surcharge imposée aux enseignants, l'absence de fonds pour la recherche dans les budgets universitaires, la persistance des petits départements à un seul professeur et le manque de services logistiques tant administratifs que techniques. Les facteurs liés à l'attitude sont : une préférence trop exclusive pour la recherche fondamentale, le peu de goût pour les projets interdisciplinaires et un individualisme scientifique très poussé. La conjugaison de ces facteurs est responsable de la profonde dichotomie qui caractérise la recherche et l'enseignement dans les universités allemandes et françaises. 9. En Grande-Bretagne, la recherche sociale et l'enseignement restent unis en partie parce que le personnel enseignant et l'effectif estudiantin ont augmenté de pair et en partie parce que le University Grants Committee, organisme autonome qui répartit entre les universités les subventions versées par le Gouvernement, fournit, ne serait-ce qu'en quantité limitée, des fonds, des services ou de l'équipement à la recherche ( 5 5 ) . Les universités britanniques n'en demeurent pas moins attachées à la formule du petit département à un seul professeur et à la recherche fondamentale individuelle et unidisciplinaire. Il existe au Royaume-Uni bien plus de 40 universités et plusieurs centaines de départements de sciences sociales, sur lesquels 340 ont présenté, en 1967, des demandes d'allocations pour spécialistes gradués au Social Science Research Council ( 6 0 ) . La plupart de ces départements comptent moins de dix maîtres qui assurent l'enseignement et la recherche avec l'aide d'une poignée d'étudiants déjà diplômés qui s'orientent vers la recherche. 10. Les universités néerlandaises jouent au mieux sur les deux tableaux, leurs départements créant des instituts qui leur restent attachés et où se produisent des échanges de personnel ( 3 6 ) . On évite ainsi le divorce de la recherche fondamentale et des travaux sous contrat sur des problèmes d'application. Les chaires multiples à temps partiel sont entrées dans les mœurs. Les départements universitaires constituent, aux PaysBas, le tiers des instituts de recherche se consacrant aux sciences sociales. Le chef du département est également celui de l'institut, lequel engage à temps partiel non seulement la majorité du personnel enseignant du département mais un certain nombre de jeunes chercheurs. Ces derniers, qui reçoivent des contrats relatifs à des projets déterminés, se recrutent parmi les étudiants déjà diplômés et les sous-gradués les plus avancés dont le département dirige les études. Les dépenses courantes du département sont payées par l'Etat ou par les organisations fondatrices. De diverses sources parviennent des subventions affectées à des objets précis. Un organe officiel, la Nederlandse Organisatie voor Zuiver-Wetenschappelijk Onderzoek (Organisation néerlandaise pour l'avancement de la recherche pure), finance les travaux fondamentaux qui donnent lieu à des thèses. Le département négocie les contrats passés avec les
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organismes publics ou privés. Le bon fonctionnement et l'essor du département dépendent moins des conditions matérielles qui y régnent que de la forme de son organisation et de la qualité de son personnel. 11. La plupart des professeurs acceptent de remplir des fonctions de caractère non universitaire au sein d'associations bénévoles, de mouvements politiques ou religieux ainsi que dans d'autres secteurs de la vie publique, commissions gouvernementales comprises. Ces activités représentent une fraction considérable de leur travail quotidien et sont consenties à titre gratuit pour une bonne part. Un tel cumul est considéré comme un trait caractéristique de la structure des études sociales aux Pays-Bas et par là se manifeste la forte interaction qui s'exerce maintenant entre la recherche sociale et la politique publique. Un professeur ne peut mener de front ses obligations d'enseignant, de chercheur et d'organisateur que si son service est limité ; à cet égard six heures de cours par semaine sont considérées comme une lourde charge. Ce système ne peut fonctionner que parce que l'université s'adjoint régulièrement des personnes travaillant à temps partiel pour l'industrie, l'Etat ou d'autres entités. Ce sont les « professeurs extraordinaires ».
Etablissements intégrés ou rattachés aux universités 12. Les unités de recherche intégrées ou rattachées aux universités mais distinctes de leurs départements voués à l'enseignement se retrouvent dans tous les pays d'Europe occidentale. En Italie presque chaque département est doublé d'un institut financé soit par l'université, soit par des organisations publiques ou privées (69). Le Consiglio Nazionale delle Ricerche (CNR) dispense une aide financière de plus en plus importante. Un projet de recherche est poursuivi parfois par un institut unique, parfois en collaboration par plusieurs instituts. Le CNR accepte des programmes proposés tant par des instituts que par des particuliers. Le Comitato per le Scienze Economiche, Sociologiche e Statistiche ( CSESS ) se charge de les trier. Le Ministère de l'éducation publique accorde également des subventions. Si la recherche fondamentale prédomine dans les universités et la recherche appliquée dans les unités non universitaires, les universités n'en conduisent pas moins des recherches axées sur des problèmes déterminés, les questions théoriques étant l'apanage des autres centres. Au sein d'un système d'enseignement supérieur qui ne fait aucune différence entre le premier et le deuxième cycle, il est essentiel de protéger la recherche d'une façon ou d'une autre. C'est ainsi notamment que sont allés à la recherche collective 54 pour cent des fonds alloués par le CSESS en 1965, sur lesquels 66 pour cent étaient absorbés par les instituts universitaires ; 44 pour cent de ces mêmes fonds ont été affectés à des projets interdisciplinaires qui étaient en même temps des projets de groupes.
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13. En France il nous faudra séparer l'Université des grands établissements et d'autres organismes semblables parmi lesquels le Centre national de la recherche scientifique ( C N R S ) ( 4 5 ) . Bien que la recherche sociale se poursuive dans toutes les universités françaises, le rapport relatif à 1964 de la Délégation générale à la recherche scientifique et technique ( D G R S T ) en fait ressortir la faible ampleur et la précarité ( 4 7 ) . L'Université de Paris ne possédait que 12 centres de recherche pour toutes les branches des sciences sociales. Seulement trois de ces centres comptaient un minimum de 10 chercheurs travaillant à plein temps et deux entre cinq et neuf de ces chercheurs. Dans les quatorze universités de province, on dénombrait 56 centres dont seulement deux comptaient un minimum de 10 chercheurs à plein temps et cinq entre 5 et 9 de ces chercheurs. Sur les 49 autres centres, un assez grand nombre n'étaient dotés que d'un personnel à temps partiel. Quant au personnel auxiliaire, il était encore plus rare que le personnel de recherche. Depuis, la situation à l'université s'est quelque peu améliorée. 14. A partir de 1960 de grands efforts ont été déployés pour développer les possibilités qu'offrent les grands établissements et le CNRS en matière de hautes études et de recherches avancées. La troisième section (sciences naturelles) de l'Ecole pratique des hautes études ( E P H E ) comprend actuellement trois laboratoires de psychologie et un centre de recherches anthropologiques qui unissent l'anthropologie sociale à l'anthropologie physique. La sixième section (sciences économiques et sociales) a mis sur pied quatre divisions relatives : à l'histoire économique et sociale (3 centres) ; à la sociologie, l'anthropologie sociale et la psychologie ( 13 centres ) ; à la science économique ( 4 centres ) et aux aîres culturelles ( 1 0 centres) ( 5 0 ) . Le Centre de mathématique sociale et de statistique et le Laboratoire de cartographie appartiennent en commun à l'ensemble des divisions. S'occupent de recherche sociale, en dehors de l ' E P H E , d'autres grands établissements tels que le Conservatoire national des arts et métiers ( 4 centres ), la Fondation nationale des sciences politiques ( 3 centres), le Centre international d'études pédagogiques de Sèvres ( 1 centre ) et l'Institut pédagogique national ( 2 centres). Bien qu'une chaire d'anthropologie ait été créée en 1958 au Collège de France et confiée à Claude Lévi-Strauss, le centre de recherche qu'il dirige également fait partie de l ' E P H E . Un organe de service, le seul, est mis à la disposition des intéressés par la Maison des sciences de l'homme qui dispose d'un Centre de calcul et d'un Service d'échange d'informations scientifiques. Ce dernier fait constamment le point des sciences, du développement de leur organisation et entreprend des recherches en matière de politique scientifique. L'extension des grands établissements a été réalisée en conjonction avec le CNRS, lequel, en plus de ses 3 centres de recherches sociales de la région parisienne, a créé 9 centres associés dont plusieurs appartiennent à l ' E P H E . Dans l'intervalle, on a réuni les diverses sections anthropologiques du Musée de l'homme.
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15. Le rapport de la D G R S T donne la liste des 51 unités de recherche rattachés, à la date de 1964, au système formé par les grands établissements et le CNRS. En 1966, leur nombre était de 56. Ces centres, outre qu'ils disposaient de ressources plus considérables tant en professeurs qu'en enseignants travaillant à temps partiel, comptaient en 1964 324 chercheurs à plein temps contre 176 pour les 80 centres universitaires. La moitié avaient un minimum de 5 scientifiques à plein temps, quatorze un minimum de 10 scientifiques à plein temps, et quatre — le Centre d'études sociologiques, le Centre d'études des relations internationales, l'Institut pédagogique national et le Centre d'étude du développement économique — un minimum de 25 scientifiques à plein temps. Si de nombreux centres restaient de dimensions modestes, l'on en comptait en 1966 onze dont le personnel dépassait 25 scientifiques ( 5 0 ) . Les centres dépendant des grands établissements et du CNRS étaient dotés de trois fois plus d'auxiliaires que les centres universitaires. 16. Dans la République fédérale d'Allemagne, deux catégories d'instituts ont pris naissance dans le cadre universitaire ( 3 9 ) . Ceux de la première catégorie font partie de l'université à laquelle appartient leur personnel ; ils reçoivent, le cas échéant, des fonds d'associations d'encouragement ( Fórderergesellschaften ) et qui sont soit destinés à couvrir leurs dépenses générales soit affectés à des projets déterminés. Ceux de la seconde catégorie ne font pas partie de l'université bien qu'ils lui soient rattachés. En droit, ce sont des associations enregistrées dépendant d'une association d'encouragement. Certains se bornent à faire de la recherche alors que d'autres font également de l'enseignement. L'association d'encouragement rémunère le personnel mais les cours et travaux pratiques comptent comme travaux universitaires. Les instituts universitaires financés par l'Etat seulement ne disposent que de ressources limitées et se bornent à des travaux théoriques. La recherche empirique dépend presque entièrement du financement que lui accordent les associations d'encouragement et les autres organisations. 17. Juridiquement, l'Institut fiir Siedlungs und Wohnungswesen (Institut pour l'étude de l'habitat et de l'établissement) de l'Université de Münster est un institut universitaire mais il est également reconnu comme un service d'utilité publique qui se consacre aux questions d'habitat. L'Institut fiir empirische Soziologie (Institut de sociologie empirique) de l'Université de Mannheim est financé en partie par le Land et en partie par la George-Washington-Stiftung (Fondation George Washington). L'Institut fiir Sozialforschung (Institut de recherches sociales) de l'Université de Francfort est financé par l'Etat de Hesse et la ville de Francfort ; il reçoit des contracts de recherche et collabore avec l'Institut Sigmund Freud qui est un centre interdisciplinaire de recherche clinique dont la création est également due à l'autorité du
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Land. Le Sozial Forschungstelle (Centre de recherches sociales) de l'Université de Münster, le plus important des instituts rattachés aux universités, a le statut d'une association enregistrée liée par contrat à l'Université de Münster et patronnée par la Gesellschaft für Sozialforschung an der Universität Münster, qui englobe des organes publics, des associations privées et des particuliers. Il dessert un consortium d'universités (37). Axé sur la sociologie industrielle, il est divisé en sections dont chacune est dirigée par un professeur d'université. Il est lié à d'autres instituts du même domaine en raison de son affiliation à l'Arbeitsgemeinschaft Sozialwissenschaftlicher Institute (Groupe de travail des instituts de sciences sociales ) et à la Deutsche Gesellschaft für Soziologie (Association allemande de sociologie). Citons encore l'Institut für Weltwirtschaft (Institut pour l'économie mondiale) de Kiel, rattaché statutairement à l'Université Christian Albrechts. Son directeur est obligatoirement l'un des professeurs en titre de la faculté des sciences juridiques et politiques mais l'institut lui-même est financé par sa propre association d'encouragement. 18. Les petits Etats du Nord-Ouest de l'Europe pratiquent la même dispersion d'efforts au-dedans et au-dehors des universités qui caractérise les pays plus grands (36). La plupart se sont toutefois dotés d'un ou de deux grands instituts complexes à titre de centres nationaux. Ces grands instituts entreprennent un vaste éventail de recherches interdisciplinaires (fondamentales, orientées vers des problèmes particuliers ou appliquées). Ils se chargent de la formation de certaines catégories de spécialistes diplômés. Ils sont parfois rattachés à une ou à plusieurs universités du pays comme de l'étranger. On peut citer à cet égard le Nederlands Instituut voor Praeventieve Geneeskunde (Institut néerlandais de médecine préventive) de Leyde. Fondé par l'Etat, ses principaux enseignants sont en majeure partie titulaires de chaires à temps partiel dans l'ensemble des Pays-Bas. Autre exemple néerlandais : celui de l'Economisch Instituut de Rotterdam qui a créé une école des hautes études d'administration des affaires liée, par un système de nomination commun, au Tavistock Institute de Londres et à la Business School et à l'Institute of Social Research de l'Université de Michigan. 19. En Norvège, une des terres classiques de l'économétrie (Frisch, Haavelmo), le pas décisif dans la voie de la création d'un milieu de recherche active en socio-psychologie, sociologie et science politique a été franchi en marge de l'université lorsque fut créé l'Institutt for Samfunnsforskning (Institut de la recherche sociale) d'Oslo financé par des fonds privés. Cet institut a permis à des vingtaines de jeunes spécialistes des sciences sociales d'acquérir une formation avancée. Il a donné naissance à un certain nombre de centres de recherche appliquée : l'Institut de la recherche sociale appliquée (financé par l'Etat) et l'Institut international de recherche sur la paix (financé par les fonds publics). Sorte
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de soupape de sûreté dont avait besoin une Université surchargée, l'Institut de la recherche sociale joue un rôle de plus en plus important dans la formation des étudiants déjà gradués et bénéficie, dans cette tâche, de l'appui du Norges Almenvitenskapelige Forskningsrâd (Conseil norvégien de la recherche scientifique pure ). Des intérêts industriels patronnent des Arbeidsforskningsinstituttene ( Instituts de recherche du travail ). On trouve, en Suède, un Stiftelsen Foretagsadministrativ Forskning (Institut de recherche administrative) et, au Danemark, la Dansk Socialforskningsinstituttet (Institut danois de recherche sociale). Tous ces établissements ont effectué des travaux originaux d'une portée internationale. Il est envisagé de créer un réseau régional d'instituts qui s'étendrait à toute la Scandinavie. 20. En Grande-Bretagne, les centres de recherche des sciences sociales en tant qu'organes distincts des départements voués à l'enseignement tendent à s'intéresser à des problèmes de nature parfois — mais non nécessairement — interdisciplinaire. Ils se concentrent dans les grandes universités où ils peuvent s'appuyer sur de solides départements d'enseignement. Citons à cet égard l'Institute of Applied Economies et l'Applied Psychology Unit de Cambridge ; l'Institute of Agricultural Economies et l'Institute of Race Relations d'Oxford. Une « université » des sciences sociales telles que la London School of Economies and Political Science offre un large cadre dans lequel il est possible de faire vivre ces centres spécialisés qui seraient trop petits et chétifs pour subsister s'ils étaient laissés à eux-mêmes. On s'efforce actuellement d'en créer hors de l'orbite des universités de Londres, Oxford et Cambridge. Instituts non universitaires 21. Il existe, dans la plupart des pays d'Europe occidentale, un grand nombre d'établissements de recherche qui n'appartiennent pas aux universités. Les uns ont pour fonction de collecter, d'analyser et de développer l'information de base, les autres de susciter des améliorations de système et de faire évoluer l'organisation. 22. En France (49), l'application du Plan a donné lieu à la constitution de l'organisme de recherche sociale le plus important du pays, à savoir l'Institut national de la statistique et des études économiques ( INSEE ) qui correspond au premier type d'entités mentionné au paragraphe précédent. Créé par le Ministère des finances, cet institut est un établissement public. Il comptait en 1966 : 3.769 personnes employées à plein temps (dont 246 cadres scientifiques) (50). Les centres régionaux étaient au nombre de 18. L'INSEE remplit les fonctions d'un office central de la statistique chargé également d'une tâche permanente d'enquête sociale. Il conduit, en outre, des recherches de théorie statistique, d'économétrie et de comptabilité nationale tant fondamentales
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qu'axées sur des problèmes déterminés. Il coordonne les statistiques des divers ministères et prête son concours à l'établissement des budgets annuels et des plans quinquennaux. Son personnel est recruté parmi les élèves d'un établissement spécialisé : l'Ecole nationale de la statistique et de l'administration économique ( ENSAE ). C'est d'ailleurs au contact de ses activités que ces jeunes gens préparent leur diplôme. Il fait paraître plusieurs publications dont quelques-unes se situent au plus haut niveau de la spéculation scientifique tandis que d'autres sont d'ordre plus concret. Il existe un service du même genre, fondé par le Ministère de la santé, qui n'a pas le caractère d'organisme d'Etat : l'Institut national d'études démographiques ( I N E D ) . Cet institut participe également à la formation de diplômés, il fait de la recherche pure et de la recherche appliquée en France comme à l'étranger. Il comptait, en 1966, 37 chercheurs pour un effectif de 76 personnes. 23. Le CLERES est une sorte de clearing house créée en vue de coordonner l'activité de quatre vastes organismes de recherche de première importance qui s'occupent de développement économique et social : le Bureau d'information et de prévisions économiques (BIPE), le Centre de recherches et de documentation sur la consommation (CREDOC), la Société d'études pour le développement économique et social (SEDES) et la Société pour la conversion et le développement industriels (SODIC). Il s'agit d'organismes semi-publics, fondés par la Commission du Plan, par des banques ou par des entreprises industrielles, qui n'en fonctionnent pas moins comme l'INSEE et l'INED, prêtant comme eux leur concours à la formation de diplômés. Citons encore un autre organisme indépendant, dont le rôle est primordial : l'Institut français de l'opinion publique ( I F O P ) . Le personnel de ces organisations en 1966 ressort du tableau suivant dressé par la DGRST : ( 50 ) Cadres scientifiques BIPE CREDOC SEDES SODIC IFOP
51 47 126 36 19
(48) (37) (115) (32) (16)
Auxiliaires 30 55 83 42 51
Total 81 102 209 78 70
Les chiffres entre parenthèses concernent le personnel de recherche à plein temps. Les chiffres se rapportant aux auxiliaires ne concernent que du personnel à plein temps. Le personnel de l'IFOP comprenait, en outre, 300 enquêteurs dont 50 à plein temps.
24. Les organismes de ce genre sont plus concentrés et coordonnés en France que dans les autres pays de l'Europe occidentale. Dans la République fédérale d'Allemagne (39) des besoins du même ordre sont satisfaits par des associations d'encouragement qui ont fondé une série d'instituts chargés d'analyser les tendances économiques, industrielles et
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sociales. Ces instituts ont leur siège dans les « capitales » régionales : le Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung (Institut allemand de recherche économique) à Berlin, l'IFO-Institut für Wirtschaftsforschung (IFO-Institut de recherche économique) à Munich, le Rheinisch* Westfälisches Institut für Wirtschaftsforschung (Institut rhénowestphalien de recherche économique) à Essen et le Deutsches Industrieinstitut (Institut allemand de l'industrie) à Cologne. Le Wirtschaftswissenschaftliches Institut der Gewerkschaften (Institut économique des syndicats ouvriers ) fait partie d'un petit nombre d'organismes ouest-européens patronnés par les syndicats mais il existe également de tels instituts aux Pays-Bas et en Suède (36). L'Institut für Demoskopie et le DIVO-Institut étudient l'opinion publique. Dans le domaine que nous venons d'examiner, ce sont les intérêts industriels plutôt que l'Etat qui ont été l'élément moteur. 25. Au Royaume-Uni, le National Institute for Social and Economic Research (NISER) remplit certaines des fonctions de l'INSEE. Outre qu'il entreprend divers projets de recherche, il procède à des analyses de l'économie qui sont indépendantes de celles que font le Department of Economic Affairs et la Treasury dans le cadre gouvernemental. Il se tient en liaison avec des organes universitaires tels que l'Institute of Applied Economies de Cambridge. Toutefois le service d'études sociales britannique le plus important fait partie de l'administration officielle mais un autre organisme de même genre a été fondé à l'Université de Strathclyde. Le Central Statistical Office (officiel également) s'est vu renforcer d'un point de vue technique (60). Enfin, le Social Science Research Council est en train de mettre sur pied une unité d'enquête sociale. 26. Une autre grande catégorie d'établissements de recherche non universitaires a pour tâche d'apprécier et d'améliorer le rendement des systèmes sociaux actuels sur les plans industriel et non industriel, local et régional ou de permettre la création, dans ces domaines, d'autres systèmes. Cette tâche est complémentaire de la tâche d'information et implique une orientation de l'action. C'est en un sens une stratégie de la recherche opérationnelle couvrant toutefois une gamme beaucoup plus étendue de disciplines puisqu'elle englobe tous les aspects de l'évolution organique — même ceux d'ordre psychologique et social — et tous les types de systèmes. En elle s'incarne également l'idée de la création d'institutions et de l'aménagement du milieu. 27. Ici encore c'est en France que se trouvent les organisations indépendantes les plus importantes. Ce sont des organisations de consultation plutôt que de recherche au sens habituel du mot car elles ont affaire à une clientèle. La DGRST cite notamment les suivantes : ( a ) La SEMA ( Société d'économie et de mathématiques appliquées ) exécute des projets de recherche opérationnelle, de mathématiques appli-
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quées à l'industrie, de statistique appliquée, d'économie de l'entreprise, de développement urbain, et des études de marché. Son registre va des projets conçus spécialement pour certains usagers à la recherche fondamentale en passant par des études axées sur des problèmes déterminés. Elle comptait, en 1964, 125 chercheurs en France et d'autres encore à l'étranger. Elle fait partie d'un groupe international auquel appartiennent huit organisations ( METRA-International ), lesquelles ont une direction scientifique commune forte de 21 chercheurs et publient la revue METRA ainsi que des monographies. (b) La CEGOS (Commission générale d'organisation scientifique) étudie les problèmes se rapportant aux évaluations de plans, aux critères de coût et d'efficacité, au recrutement et à la formation du personnel de gestion, aux systèmes de salaires, etc. Elle comptait quelque 75 chercheurs en 1964. (c) Le groupe CFRO/SEDRE (Centre français de recherche opérationnelle et Société d'étude du développement et de la rationalisation des entreprises) s'occupe surtout d'applications de la recherche opérationnelle. Il comptait 40 chercheurs et 204 auxiliaires en 1966. Il existe bien un certain nombre d'instituts indépendants dont le domaine est la psychologie et la sociologie plutôt que la science économique et la recherche opérationnelle, mais ils sont de taille modeste et n'exercent pas la même influence. Le danger de l'optique « en tunnel » qui résulterait d'une importance exagérée accordée à l'économétrie, à la recherche opérationnelle et à la planification physique n'a pas échappé à la DGRST qui s'emploie à le corriger. Cependant ni la France ni les autres pays du continent européen ne possèdent d'organisation comparable au Tavistock Institute de Londres qui, lui, met l'accent sur les aspects psychologiques et sociologiques et s'est doté d'une unité de recherche à la fois psychiatrique et opérationnelle en plus de celles qui font des études d'organisation. 28. Bien qu'en France tous les développements dont nous venons de parler se situent dans le cadre de la science « appliquée », les travaux ne s'y sont pas cantonnés dans le domaine pratique. Certes, il y a eu fourniture de services spécifiques, mais la connaissance scientifique n'en a pas moins été avancée en économétrie, en recherche opérationnelle et en méthodologie de la prédiction. Les institutions plus « universitaires » se sont emparées de ces innovations mais il reste à voir avec quelle rapidité les études de développement, aile marchante de la science sociale appliquée française, pourront influencer la structure et l'orientation de l'enseignement universitaire. Soutien
financier
29. Certains pays n'ont pas pu fournir de chiffres concernant le soutien financier accordé à la recherche sociale, d'autres n'avaient que des don-
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nées incomplètes. D'une façon générale, on peut estimer que les sciences sociales ont été plus pauvrement dotées que les sciences exactes et naturelles, encore qu'il ne faille pas oublier que la majeure partie des fonds que ces dernières reçoivent est destinée au développement technologique ( 1 6 4 ) . Dans la plupart des pays d'Europe occidentale, les dépenses de recherche et de développement augmentent plus vite que le produit national brut (163) ( 1 6 5 ) . Les dépenses consacrées aux sciences sociales croissent aussi (168) et durant la présente décennie plus rapidement que pendant la précédente. On ne saurait dire d'ailleurs si elles progresseraient plus vite que les dépenses relatives aux sciences exactes et naturelles une fois qu'on aurait déduit des montants affectés à ces dernières — ainsi qu'il est de coutume aux Etats-Unis — les sommes affectées au développement. Néanmoins, étant donné l'étroitesse de la base d'où elles sont parties, il est à présumer qu'on se trouve en présence d'une accélération assez analogue, du moins dans les pays où les sciences sociales sont le plus solidement implantées. 30. Nous faisons allusion ici aux petits pays du Nord-Ouest de l'Europe, Pays-Bas et Suède, par exemple, où le Riksbankfond finance des projets de grande envergure à concurrence de 4 millions de dollars par an. Durant les premières années 1960, le Gouvernement suédois accordait aux sciences sociales presque autant que le Royaume-Uni dont la population est cependant sept fois plus élevée ( 1 6 8 ) . Aux Pays-Bas, les sciences sociales reçoivent des fonds de sources plus variées qu'en n'importe quel autre pays du fait que tant de collectivités locales et d'associations bénévoles néerlandaises financent des projets en plus de ceux qui s'exécutent à l'initiative des entreprises et des départements ministériels de l'Etat ( 3 6 ) . Environ 80 pour cent de ces travaux s'accomplissent sous contrat. Il se pourrait que non moins de 10 pour cent de toutes les dépenses consenties en Hollande et en Suède pour les sciences aillent maintenant aux sciences sociales. Cela représente cinq fois la proportion habituelle dans les grands pays les mieux disposés à l'égard de ces sciences. 31. Dans la République fédérale d'Allemagne, en 1964, les dépenses consacrées à la recherche et au développement représentaient 1,6 pour cent du produit national brut (51 ). La part combinée des sciences humaines et des sciences sociales s'élevait à 5 pour cent de cette fraction et celle des sciences sociales elles-mêmes à 2 pour cent. Une bonne partie de ces fonds provenait de groupes industriels et autres groupes d'intérêt. De leur côté, les autorités des Länder se montraient plus généreuses que le gouvernement central. En France, en 1963, les dépenses consacrées à la recherche et au développement représentaient 1,7 pour cent du produit national brut et la part combinée des sciences humaines et des sciences sociales s'élevait à 2,1 pour cent de cette fraction ( 4 9 ) , ou à 3 pour cent si l'on ne fait entrer en ligne de compte que les fonds
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publics. Ces derniers provenaient presque exclusivement de l'Etat luimême. Au Royaume-Uni, en 1963, les dépenses consacrées à la recherche et au développement représentaient 2,4 pour cent du produit national brut et la part des sciences sociales (non compris les sciences humaines) s'élevait à un peu moins de 1 pour cent de cette fraction ( 55 ). Environ 70 pour cent de ces fonds passaient par les services du gouvernement mais il n'est pas tenu compte ici de l'apport — presque impossible à chiffrer — du commerce et de l'industrie. Il n'existe pas d'estimations pour l'Italie. Les autres pays Scandinaves (par ex. Norvège (65) : 1963, sciences sociales 4,6 pour cent, sciences humaines 5,5 pour cent), la Belgique, 1963 (64) (sciences sociales 3,4 pour cent, sciences humaines 5,2 pour cent) se situent entre le groupe Pays-Bas Suède et le groupe France - Allemagne (R.F. ). 32. Pour déterminer le rapport existant entre les secteurs de financement et ceux du fonctionnement de la recherche, nous nous en sommes tenus aux usages internationaux : à l'intérieur du secteur public nous avons distingué entre l'enseignement supérieur et les autres services de l'Etat ; à l'intérieur du secteur privé, nous avons distingué entre organisations à but non lucratif, fondations, etc. et entreprises privées et sociétés commerciales ; les fonds collectés et dépensés à l'étranger sont séparés de ceux qui sont collectés et dépensés dans le pays. Le tableau ci-après qui se rapporte au Royaume-Uni (1962-1963) a été dressé à l'aide de données destinées à la Commission Heyworth ( 55 ). ROYAUME UNI — Dépenses de recherche sociale
Secteurs bailleurs de fonds Enseignement supérieur Etat Commerce et industrie Non lucratif Etranger Total
Enseignement supérieur
1.655 560 85
Secteur de la recherche Etat Commerce et Non industrie lucratif
1.000 N.d. (1.000)*
126 154
(en milliers
de £)
Etranger
Total
90
457 140
471 248 3.019
(1962- 1963)
1.000
N.d. (1.000)*
877
90
1.655 1.776 239 (1.000)* 928 388 4.986 (1.000)*
N.d. = Non disponible * = Evaluation non officielle
En ce qui concerne la France, la DGRST a dressé un tableau analogue pour 1963 où se trouvent ventilées les sources de fonds officiels (49). Les chiffres afférents à l'enseignement supérieur comprennent le CNRS. Les dépenses portées au titre du Ministère des finances sont relatives à l'INSEE. Les dépenses consenties par le commerce et l'industrie soit
Organisation
et financement
de la
recherche
881
pour leurs propres unités de recherche soit pour des organisations à but non lucratif doivent être aussi élevées qu'au Royaume-Uni. Les Français ont tendance à créditer le secteur « privé » des dépenses effectuées par les industries nationalisées. FRANCE — Affectation donnée aux fonds publics destinés à la recherche sociale (1963) (en millions de francs) Secteurs bailleurs de fonds
Enseignement supérieur
Enseignement supérieur Etat Premier ministre (DGRST) Ministère de l'agriculture Ministère des finances Autres ministères Commerce et industrie * Non lucratif Etranger Total
Etat
Secteur de la recherche Commerce et Non industrie lucratif
0,3
Etranger
Total
95,6
92
1,7
3
0,5
0,4
2,7
3,1
20,5
20,5
0,1
0,1
0,1
0,6
95,6
32,8
6,1
2,5
3,9 2,9
1,6
N.d.
N.d. N.d.
4,9
8,9
N.d. N.d.
2,9 0,7
0,1
2,8
137,8
6,5
N.d. = Non disponible = y compris l'industrie nationalisée. * 33. Le peu d'informations dont on dispose au sujet du secteur privé confère un certain intérêt aux données ci-dessous concernant la Belgique ( 4 4 ) . Elles indiquent le nombre de chercheurs sociaux ( e n équiBELGIQUE — Recherche sociale de secteur privé ( 1963 ) Industries
Alimentation, boissons et tabac Caoutchouc, produits chimiques et pharmaceutiques Métaux pour construction Textiles et vêtements Métallurgie Industries diverses Transports, bâtiments et travaux publics Total
Nombre de sociétés
Nombre de chercheurs
Dépenses en milliers de francs belges
10
10
353
10 28 40 8 30
33 51 46 16 53
2.159 1.860 1.166 435 2.025
9
9
235
135
218
8.233
Eric Trist
882
valents à plein temps) de 135 entreprises — qui ont toutes déclaré se livrer à la recherche sociale — et les dépenses effectuées. Celles-ci représentent 3 pour cent des dépenses de recherche et de développement ( élaboration technique) afférentes à 1963 pour le secteur privé. Sont compris dans le chiffre : l'économie appliquée, la psychologie et la sociologie, les études d'organisation et la recherche opérationnelle. 34. Les chiffres que nous avons cités se rapportaient jusqu'ici au passé. Pour ce qui est de l'avenir, les subventions de l'Etat à la recherche sociale sont majorées de 44 pour cent dans le Vème Plan français qui court jusqu'en 1970 (48). Le financement prévu pour ce plan figure sous deux rubriques : « Investissements », qui a trait à des crédits destinés à renforcer certaines branches de la recherche par priorité, et « Actions concertées », qui est relative à des mesures visant à stimuler l'étude de certains problèmes immédiats de développement économique et social. FRANCE — Sciences sociales et sciences humaines. Résumé des prévisions inscrites au Vème Plan ( 1 9 6 5 - 1970) (en millions de francs) Crédits par
ministères
Education nationale CNRS Enseignement supérieur Finances Justice Santé Interministériels « Actions concertées » Total Crédits par
58,90 1,60 3,00 5,00 15,00 36,50 120,00
secteurs
Développement Education Communication Recherche fondamentale
« Actions concertées » Total
21,80 37,10
29,10 14,30 9,60 30,50 83,50 36,50 120,00
35. On possède aussi certaines données afférentes à la période 19651970 pour le Royaume-Uni. En partant de l'hypothèse que les dépenses globales effectuées au titre de la recherche sociale en 1965 (mis à part les montants (inconnus) dépensés par l'industrie) s'élèveraient à 6,5 millions de livres sterling, la Commission Heyworth recommandait que le
Organisation et financement de la recherche
883
nouveau Social Science Research Council augmente annuellement ses dépenses des montants suivants : Première année 6 0 0 . 0 0 0 livres sterling Deuxième année 1.000.000 d° Quatrième année 2.225.000 d° Dans ces chiffres figurent les engagements repris du Department of Scientific and Industrial Research, mais ils n'en représentent pas moins un changement de niveau des allocations. S'ajouteraient d'ailleurs aux dépenses propres du Social Science Research Council celles du Médical Research Council et de l'Agricultural Research Council dont le soutien en faveur de la recherche sociale se fait de plus en plus actif. Le Science Research Council qui s'occupe des sciences physiques et biologiques continue à subventionner la psychologie physiologique et expérimentale. Il était entendu que les services ministériels du gouvernement augmenteraient la part faite aux sciences sociales dans l'utilisation de leurs budgets. Il était prévu que les fonds généraux attribués aux universités par l'intermédiaire du University Grants Committee serviraient à améliorer les moyens mis à la disposition des départements universitaires et à renforcer les effectifs enseignants des sciences sociales. L'austérité qui a été imposée à l'économie britannique a retardé la mise en pratique de ces intentions mais non point altéré leur orientation. 36. On sait pertinemment que les petits pays, qui ont déjà pris de l'avance sur le Royaume-Uni et la France, ont augmenté substantiellement les crédits qu'ils affectent aux sciences sociales entre 1965 et 1970 ( 1 6 8 ) . Il est virtuellement certain que, dès cette dernière date, le CNR italien prendra systématiquement des dispositions en faveur des sciences sociales ( 6 9 ) comme il l'a déjà fait pour les sciences exactes et naturelles et que les mesures financières arrêtées dans la République fédérale d'Allemagne aboutiront à une coordination impliquant un niveau de soutien élevé ( 5 1 ) .
Personnel 37. Les données sur le personnel des sciences sociales sont encore plus maigres que celles qui se rapportent à l'origine de leur soutien financier. Et cependant, dans presque tous les pays d'Europe occidentale, une crise du personnel des sciences sociales existerait ou serait sur le point d'éclater. Dans une conjoncture où l'on a de plus en plus besoin des services que rend ce personnel, les Pays-Bas semblent être de loin le pays le mieux placé. Il est le seul en fait qui soit capable d'envoyer des spécialistes des sciences sociales chez ses voisins ( 3 6 ) . 38. Les données les plus complètes proviennent de la Belgique ( 4 4 ) ( 6 4 ) . Pour 1962, le total du personnel de recherche employé dans les
Eric
884
Trist
unités scientifiques — y compris les établissements d'enseignement supérieur — figure dans le tableau ci-dessous qui distingue entre le personnel de cadre qualifié (possédant un premier grade universitaire) et le personnel de techniciens et d'auxiliaires. Parmi les cadres s'occupant de certaines disciplines, non moins d'une moitié, et pour les autres disciplines, au moins un tiers n'avaient pas encore l'envergure nécessaire pour assumer la responsabilité de projets indépendants. BELGIQUE — I . P e r s o n n e l d e recherche ( 1 9 6 2 )
Scientifiques seulement Sciences physiques Sciences biologiques
3.604 1.829
%
53,8 27,3 5.433
Sciences sociales Sciences humaines
880 390
81,1
%
69,9 21,3
15.723 4.797 20.520
12,1 6,8 1.270 6.703
Total
Toutes catégories techniciens et auxiliaires compris
91,2
1.262 623 18,9 100,0
5,1 3,7 1.885 22.405
8,8 100,0
39. Le tableau suivant donne la ventilation du personnel scientifique et du personnel auxiliaire par discipline et secteurs ( 1 6 8 ) . BELGIQUE
— II. Personnel de la recherche sociale (1962) Science économique
Enseignement supérieur Scientifiques Auxiliaires Total Etat Scientifiques Auxiliaires Total Commerce et industrie Scientifiques Auxiliaires Total Non lucratif Scientifiques Auxiliaires Total Tous secteurs Scientifiques Auxiliaires Total
Socio- Psychologie logie
Sciences Droit politique. administrative, etc.
Autres Total sciences
169 39 208
113 25 138
108 23 131
14 1 15
56 2 58
1 0 1
461 90 551
51 81 132
15 11 26
55 27 82
0 0 0
0 0 0
6 13 19
127 132 259
17 16 33
7 13 20
0 0 0
5 6 11
—
186
—
—
—
186
212 35 247
6 6 12
20 14 34
6 2 8
0 0 0
29 5 34
26 11 37
87 38 125
243 142 385
155 63 218
166 52 218
19 7 26
85 7 92
219 24 243
887 295 1.182
Organisation et financement
de la recherche
885
Le troisième des tableaux (44) reproduits ci-dessous présente les disciplines d'une façon plus détaillée. Il contient une évaluation en pourcentage du temps passé à la recherche ou « en faveur de la recherche » par différence avec le temps passé à l'enseignement ou à d'autres activités. La proportion est généreuse. La recherche sociale offre, en Belgique, dans les premières années 1960, le tableau d'une branche dans laquelle environ 800 personnes, dont une bonne partie est encore très débutante (et ne consacre audit secteur jamais plus de 70 pour cent de son temps), doivent faire face à des travaux ressortissant à toutes les disciplines — pures, axées sur des problèmes déterminés ou appliquées — dans les universités comme dans les secteurs public et privé. BELGIQUE — III. Travailleurs de la recherche sociale (1963) Enseignement supérieur N % temps
Secteur public N % temps
Secteur privé N % temps
70 88
62 20
57 25
20 18
N.d.
77 75 73 86
12
10 3
40
Science économique Sociologie Psychologie/ Pédagogie Science politique Droit Démographie Criminologie Aménagement du territoire Géographie humaine
185
17
53
Total
593
77
123 138 30 91 4 5
6
51
99
75
Total N
% temps
267 161
69 82
150
67 70
33 91 10 5
73 90 75
3
48
40
66
43 17
63 53
103
55
81
60
777
70
40. En 1964-1965, les universités belges comptaient 16.807 étudiants dans leurs facultés de sciences sociales et humaines, soit 45 pour cent de l'effectif total estudiantin ( 6 4 ) . Sur ce chiffre, 10.000 ou peut-être même 12.000 préparaient leur premier grade en sciences sociales. A supposer qu'ils n'aient eu d'autres maîtres que les 593 indiqués — et qui se livraient également à de la recherche — leur taux d'encadrement ressortirait à 1/200. En 1962, il n'a été décerné que 48 doctorats de sciences sociales et humaines contre 450 thèses (dissertations) portées dans le Register van Lopend Onderzoek in de Sociale Wetenschappen (Registre de la recherche en sciences sociales) des Pays-Bas, les deux pays ayant plus ou moins la même population. Les données se rapportant à la Belgique mettent en évidence une difficulté majeure qui est commune à la plupart des pays d'Europe occidentale : il existe un contingent raisonnable de jeunes gens titulaires d'une licence comportant une certaine formation en sciences sociales et, après cela, une brusque baisse se constate. Cet état de choses provient sans doute de l'absence, d'une part, de cours après licence et de l'autre de possibilités d'emploi. Les carrières
Eric Trist
886
en sciences sociales continuent d'appartenir à un avenir, peut-être très proche, dont les besoins ne seront probablement pas satisfaits. 41. En France, la DGRST a étudié pour l'année 1963 l'effectif des chercheurs (en équivalents plein temps) de l'enseignement supérieur et du secteur public ( 49 ). Elle n'a pas distingué entre sciences sociales et sciences humaines. Ces deux branches de la connaissance s'attribuaient 7 pour cent de tout le personnel de la recherche. Les universités étaient très pauvrement dotées en personnel auxiliaire. La plus forte proportion de spécialistes des sciences exactes et naturelles appartenaient au secteur public. Huit cent vingt membres du CNRS travaillaient à plein temps dans les sciences sociales. Le chiffre de 870 personnes (équivalents plein temps) de l'enseignement supérieur représentait le service partiel offert par 3.480 maîtres qui se livraient à quelque travail de recherche en dehors de leurs tâches d'enseignement. FRANCE
— Chercheurs de l'enseignement supérieur et du secteur public (1963) Enseignement supérieur
Sciences sociales et humaines Chercheurs Personnel auxiliaire Toutes sciences Chercheurs Personnel auxiliaire
Secteur public
Total
1.690 1.490
260 1.400
1.950 2.890
3.180
1.660
4.840
10.940 13.240
5.870 31.450
16.810 44.690
24.180
37.320
61.500
42. Une autre enquête, incomplète, a été faite en 1966 sur la recherche sociale du secteur privé. Les renseignements collectés concernaient le personnel de 38 organismes à but non lucratif (services d'études et sociétés d'études) employant un total (en équivalents à plein temps) de 551 chercheurs et de 455 auxiliaires (56). Six de ces organismes, rattachés au secteur public, s'attribuaient 223 des chercheurs et 195 des auxiliaires susmentionnés. Un comptage portant sur les organisations ayant fourni, quant à leur personnel de recherche, des renseignements qui ont été publiés dans le Répertoire national des laboratoires (à l'exclusion des laboratoires qui relèvent du Ministère de l'Education nationale) a donné les résultats suivants (en équivalents plein temps) : Ministères (Education nationale excepté) Associations, etc. Sociétés d'entreprises Services d'études Total
527 378 130 699 1.734
Organisation et financement de la recherche
887
L'on comptait plus de chercheurs en sciences sociales en dehors qu'à l'intérieur des universités, du CNRS et des grands établissements, phénomène qui souligne éloquemment la dichotomie existant non seulement entre la recherche et l'enseignement en général, mais aussi entre la recherche et l'enseignement supérieur. 43. En assumant, bon gré mal gré, le rôle d'instructeurs, les grands organismes qui se livrent à la recherche ont marqué d'.un trait essentiel le système de formation des gradués en sciences sociales français durant les années 1960. Ces organismes ont joué un rôle analogue en Italie et aussi dans la République fédérale d'Allemagne où les instituts patronnés par les associations d'encouragement continuent à combler une lacune. Au Royaume-Uni on compte beaucoup sur ce que les chercheurs peuvent apprendre en service. Le danger inhérent à ces méthodes est que les intéressés ne reçoivent une formation d'esprit trop technique et trop limitée aux besoins des organismes qui les emploient. 44. En France, le Vème Plan ( 4 8 ) prévoit l'introduction d'une licence de sciences économiques dans les programmes des facultés de droit, et de sociologie dans ceux des facultés de lettres. Les cours préparant ces licences comporteront des mathématiques et de la statistique. On envisage également d'améliorer les doctorats. De son côté, le président du Social Science Research Council britannique a demandé aux proviseurs des établissements secondaires d'inciter les élèves se destinant aux sciences humaines à continuer d'étudier les mathématiques étant donné qu'un si grand nombre d'entre eux sont destinés à prendre un premier grade en sciences sociales ( 6 0 ) . Au Royaume-Uni, toujours, un certain nombre d'universités offrent aux étudiants titulaires d'un premier grade des cours accélérés et notamment des stages de conversion pour ceux qui n'ont jamais fait de sciences sociales. Les bourses de deux ans destinées aux gradués ont été doublées et sont susceptibles de prolongation lorsque l'intéressé est candidat à un Ph. D. Toutefois, ici, la demande dépasse l'offre. Il y avait, en 1967, 2.930 preneurs pour 813 bourses offertes par l'intermédiaire du Social Science Research Council. En Italie, il y avait plus de bourses — souvent offertes par l'industrie — que de preneurs parce que, en raison de certaines anomalies, le nombre des candidats réunissant les conditions nécessaires est limité ( 6 9 ) . Le Wissenschaftsrat (Conseil scientifique) dans ses recommandations relatives au développement des universités allemandes jusqu'en 1970 ( 5 3 , 5 4 ) , propose le recyclage du personnel subalterne des sciences sociales, une préparation spéciale à la recherche et l'institutionnalisation des études postérieures au premier grade. La majorité des pays sont d'accord sur le fait qu'une réforme universitaire sera indispensable pour obtenir le personnel dont on aura besoin en sciences sociales.
888
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Coordination et planification 45. Etant donné la pénurie de personnel, la dispersion de la recherche, les lourdes charges pesant sur l'enseignement, la rigidité des structures universitaires, on aspire fortement en Europe occidentale à une meilleure coordination des sciences sociales (168). Divers organes centraux de planification existent dans certains pays et sont envisagés dans d'autres. Les questions de politique scientifique font l'objet de discussions de plus en plus larges. On se demande avec quelque anxiété si les chercheurs ne vont pas perdre leur liberté de choix scientifique et si nos connaissances dans de nombreuses disciplines sont assez avancées pour permettre les applications escomptées. On redoute l'officialisation de la science sociale. Et cependant tout le monde est d'accord pour estimer que les choses ne peuvent rester en l'état. On se rend compte qu'il doit y avoir de meilleurs moyens de développer et d'utiliser les sciences sociales, que seul pourrait permettre de découvrir un long processus d'étude sociale auquel devraient participer aussi bien les scientifiques que la communauté et où l'Etat aurait un rôle actif à jouer. 46. Nous nous proposons d'étudier ce qui a été fait jusqu'ici en commençant par la République fédérale d'Allemagne, pays où l'action officielle s'est assez peu manifestée (39). Cela n'a pas empêché une vaste infrastructure de voir le jour. Citons, par exemple, la Deutsche Forschungsgemeinschaft (Association allemande pour la recherche) qui attribue des subventions soit à des instituts soit à des particuliers. Il s'agit d'une association privée soutenue par le Gouvernement fédéral, les gouvernements des Länder et la générosité privée. Parmi ses membres figurent des représentants des divers établissements d'enseignement supérieur, des académies des sciences et des sociétés scientifiques. Elle agit de concert avec des fondations privées comme la Volkswagenwerk Stiftung et la Fritz-Thyssen-Stiftung qui disposent de fonds importants. Elle possède un programme-cadre qui délimite les secteurs importants et influence ainsi l'orientation de la recherche. 47. Les « groupes de travail » des instituts de recherche présentent également une certaine importance. L'Arbeitsgemeinschaft deutscher wirtschaftswissenschaftlicher Forschungsinstitute ( Groupe de travail des instituts de recherche économique allemands) et ^Arbeitsgemeinschaft sozialwissenschaftlicher Institute (Groupe de travail des instituts de sciences sociales) coordonnent l'activité de nombreux établissements affiliés. La Forschungsgesellschaft für Agrarpolitik und Agrarsoziologie (Société des recherches sur la politique agraire et la sociologie rurale) gérée par un conseil de cinquante membres parmi lesquels figurent des représentants de divers départements ministériels s'est assurée la participation de treize instituts spécialisés. La constitution du Groupe de
Organisation et financement de la recherche
889
travail des instituts de recherche économique allemands définit ses propres buts de la façon suivante : ( a ) les membres s'informeront mutuellement de leurs activités courantes et des résultats qu'ils obtiennent, dans la mesure où ceux-ci ne sont pas publiés ; ( b ) ils s'aideront les uns les autres par l'échange d'informations et la fourniture de matériels ; ( c ) les projets de recherche seront coordonnés dans la mesure où ils chevaucheront ou sembleront devoir être complétés les uns par les autres ; ( d ) certains thèmes ou projets seront débattus et le cas échéant poursuivis en commun selon une formule de division des tâches ; ( e ) les membres étudieront ou entreprendront en commun les travaux découlant de certains problèmes économiques ou les tâches que le Gouvernement fédéral ou d'autres organes officiels seront appelés à entreprendre. 48. Le Gouvernement fédéral a créé en 1957 un Conseil scientifique ( Wissenschaftsrat ) ( 53 ) chargé « de mettre au point un large plan pour l'avancement de la science ; d'harmoniser les plans des Etats et du Gouvernement fédéral ; de présenter des propositions concernant les tâches essentielles et les ordres de priorité ; de présenter des propositions touchant la répartition des ressources existant dans le budget fédéral et dans les budgets des Etats ». Le Conseil a également formulé des recommandations sur la structure à donner aux nouvelles universités allemandes ( 54 ). I l a manifesté la préoccupation que lui inspiraient certaines tendances à l'isolement et au particularisme. « Il y aurait donc lieu de fonder un certain nombre d'instituts qui, coiffant les autres, favoriseraient un travail en commun dont bénéficierait la cohésion de plus amples ensembles de disciplines — actuellement menacées par la spécialisation — qui débordent même les cadres des diverses facultés. De tels instituts, de par leur importance et leur situation centrale, seraient en mesure de grouper les méthodes et les résultats propres à plusieurs disciplines et de les faire concourir à la solution de problèmes communs qui transcendent les spécialités. » Il a suggéré également un plan pour le développement des sciences sociales. Le rapport adressé à l'Unesco préconise la création d'un conseil allemand des sciences sociales qui ne se contenterait pas de coordonner les ressources financières et de mettre sur pied un service central de documentation mais, en outre, avec la participation des principaux organismes intéressés : ( a ) « élaborerait un cadre pour les programmes se rapportant aux projets de recherche particulièrement difficiles et ( b ) » déléguerait le traitement des questions de détail aux organisations membres ».
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Trist
Si, comme il apparaît probable, une organisation de ce genre voit le jour, l'on assistera à une nouvelle phase de la réalisation des conceptions qui ont actuellement cours. 4 9 . Au Royaume-Uni, le Social Science Research Council fondé à la suite des recommandations de la Commission Heyworth fonctionne depuis 1 9 6 5 . I l fait partie du groupe de conseils autonomes de la recherche qui se développe en Grande-Bretagne depuis la première guerre mondiale. Ces conseils constituent le principal instrument dont le gouvernement se sert pour gérer les fonds destinés à la recherche scientifique ( par différence avec la recherche technologique ). Bien que leurs membres soient désignés par le Ministre de l'éducation et de la science et qu'ils soient pourvus de secrétariats assurés par la Fonction publique, ce sont des organes indépendants formés en grande partie mais non exclusivement de scientifiques ; les intérêts des principaux utilisateurs y sont représentés. Ils comprennent, outre le Social Science Research Council, le Science Council ( pour les sciences physiques et biologiques ) , le Medical Research Council, 1'Agricultural Research Council et le Natural Resources Research Council. Le Council on Scientific Policy, en liaison avec un comité plus large qui s'occupe également de la technologie, donne des conseils sur les répartitions de fonds en général. Les conseils de recherche travaillent en collaboration avec le University Grants Committee et sont représentés au sein du Council on Scientific Policy. Chaque département ministériel est doté d'un budget de la recherche qui lui est propre et dont il use pour les fins qui sont de sa compétence. 5 0 . Le Social Science Research Council doit son existence au besoin qu'avaient les pouvoirs publics de connaître la contribution que les sciences sociales apportent à la vie de la société, au fonctionnement de l'économie et à celui du gouvernement. Sa création a marqué une étape dans les relations des sciences sociales avec la société. Les principales propositions émises par la Commission Heyworth (en dehors des propositions financières dont nous avons déjà parlé) donneront une idée de l'étendue du mandat confié à cet organisme : « Notre principale recommandation vise la création d'un Conseil de la recherche en sciences sociales dont l'objet serait d'offrir un soutien à cette recherche, de surveiller en permanence l'état de celle-ci, de conseiller le Gouvernement sur ses besoins, de surveiller en permanence ses réserves de chercheurs qualifiés, de diffuser des informations et de fournir des avis concernant tant cette recherche que les applications auxquelles elle donne lieu. Nous avons examiné des propositions tendant à la création de conseils de la recherche s'occupant spécialement de l'éducation et des espaces bâtis (built environment) ; nous sommes d'avis que le meilleur moyen de satisfaire ces besoins consisterait, dans le cas de l'éducation, à prendre des dispositions spéciales dans le cadre de l'organisation du Social Science Research Council et, dans le cas des espaces bâtis, à prévoir un comité conjoint groupant les conseils de la recherche intéressés. Le Social Science Research Council comprendrait un président indépendant et une dizaine ou une douzaine de membres nommés par le Secrétaire d'Etat à l'édu-
Organisation et financement
de la
recherche
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cation et à la science, et dont la majorité serait des sociologues. Certains membres devraient être des hommes ayant acquis une expérience pratique et appartenant à l'industrie ou à des « organisations d'utilisateurs » d'autres secteurs. Le Gouvernement central serait représenté au sein du Conseil et de ses commissions par des assesseurs, comme dans le cas des conseils de recherche déjà en existence. Si l'on décide d'appliquer au Social Science Research Council le système qui veut que le Council on Scientific Policy formule un avis sur la façon dont devraient être réparties les ressources destinées aux conseils de la recherche, ce Conseil devrait comprendre un ou deux membres possédant une connaissance toujours actuelle des besoins des sciences sociales. Le Social Science Research Council devrait être en mesure d'attribuer aux étudiants déjà gradués des allocations et des bourses de sciences sociales. Des dispositions devraient être prises afin que soient utilisées les possibilités de formation à la recherche qu'offrent les instituts non universitaires, le Social Survey et les unités de recherche sociale des services officiels et autres. Les universités, l'administration — à l'échelon central et à l'échelon local — et l'industrie devraient offrir un ensemble de postes de recherche. Les échanges de personnel sont à encourager. Les personnes dont la carrière principale s'écoulera dans la fonction publique, l'administration locale, l'enseignement, l'industrie, etc., devraient avoir la possibilité de s'adonner un certain temps à la recherche. Il appartiendrait aux universités d'examiner l'agencement des charges d'enseignement et de recherche à l'intérieur des départements de sciences sociales, les méthodes présidant à la répartition des crédits pour personnel auxiliaire et des moyens mis à la disposition de la recherche. Les pouvoirs locaux et les conseils d'administration des collèges techniques devraient admettre le principe que le personnel enseignant doit se voir offrir la possibilité de participer à la recherche. L'application de la recherche sociale exige que ses spécialistes travaillent aux endroits mêmes où les problèmes font leur première apparition, et aident à les cerner et à les traiter. S'il est vrai qu'on a besoin de spécialistes de toutes les disciplines sociales pour l'étude des problèmes de grande importance qui se posent aux pouvoirs publics, seuls cependant les économistes et les statisticiens sont utilisés à une plus ou moins grande échelle. Nous recommandons que les départements ministériels revoient leurs besoins et se demandent où les spécialistes de toutes les disciplines sociales peuvent rendre les meilleurs services. Les départements devraient compter, parmi leur personnel, un fonctionnaire supérieur de formation sociologique placé dans un « poste d'écoute ». Il incomberait à ce fonctionnaire d'appeler l'attention des administrateurs sur les faits nouveaux concernant la recherche, de se tenir en contact avec la recherche effectuée à l'extérieur, de veiller à ce que l'information relative à la recherche soit diffusée de façon utile et d'exercer un contrôle sur les contrats de recherche attribués par son département. Lorsqu'ils établissent et revisent leurs besoins dans le domaine de la recherche, les départements devraient se demander, à la lumière des critères que nous venons d'exposer, s'ils n'auraient pas besoin d'unités de recherche opérant au milieu de leurs propres services. La Treasury devrait pouvoir disposer de spécialistes des sciences sociales. Elle pourrait ainsi dispenser des conseils sur l'utilisation de ces sciences à l'occasion des services de gestion qu'elle rend aux départements et faire figurer cette matière dans ses propres programmes de formation. Il lui appartiendrait de faire une plus large place à ces sciences dans le plan d'étude du Centre for Administrative Studies. Elle devrait également réexaminer les conditions d'emploi des sociologues au sein de la fonction publique et procéder, de son point de vue d'organe central, à un examen des budgets ministériels afin de se rendre compte des recherches que les départements poursuivent pour leur propre compte. Aux discussions qu'elle aurait avec les départements viendraient utilement s'ajouter des consultations avec le Social Science Research Council. Le besoin se fait sentir de statistiques sociales officielles meilleures, plus complètes, mieux coordonnées et plus promptes. Puisqu'elles sont les éléments de base
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de la recherche, il serait désirable d'en améliorer la qualité. Le Central Statistical Office devrait montrer la voie de la coopération qui passerait par une commission interdépartementale à créer. Une liaison entre les pouvoirs publics et les sociologues de l'extérieur devrait être instituée en utilisant le Social Science Research Council. On devrait faire meilleur usage du Social Survey qui fait partie, à tort, des services officiels. Nous recommandons que la Treasury en assume la responsabilité tandis que ses programmes seraient fixés par une commission présidée par une personnalité de la Treasury et formée de représentants des principaux départements utilisateurs et du Social Science Research Council. Nombre des recommandations que nous adressons au Gouvernement seraient, dans leur principe, valables pour les organisations industrielles ou commerciales, les pouvoirs locaux, les organismes dits statutory et autres. Ils devraient, en particulier, reconsidérer l'intérêt qu'il y aurait pour eux, de poster des sociologues aux échelons les plus élevés de la hiérarchie de façon que les conquêtes de la recherche sociale soient utilisées dans la détermination de la politique à suivre. Des subventions spéciales devraient être attribuées aux associations « coopératives » de recherche industrielle afin que ces associations puissent faire figurer les sciences sociales parmi les domaines où elles peuvent offrir leurs services. »
51. Le Conseil a créé douze commissions de base, six uni-disciplinaires et dix interdisciplinaires. Font partie du premier groupe les commissions de science économique, de science politique, de psychologie, de socio-anthropologie, de sociologie et de statistique. Font partie du second, celles d'histoire économique et sociale, de gestion et de relations sociales, de géographie humaine et de planification, de science sociale et de science de l'Etat, le comité de la recherche en matière d'éducation, la commission des « trente années à venir ». Ces commissions ont procédé, pour orienter leurs travaux, à des examens d'ensemble des domaines qui leur sont confiés et elles ont recommandé l'octroi de subventions. Une série de comités spéciaux est en cours de création pour l'étude de questions telles que le paupérisme, l'urbanisme, etc. Il a été récemment proposé de créer également un Institut d'études de la prévision. Une collaboration s'institue avec d'autres conseils de la recherche. Des mesures ont été prises tendant à une utilisation plus intensive de la science sociale dans les départements ministériels et à une amélioration des services statistiques. Une banque de données nationale a été créée et l'on fait paraître un bulletin. Le Conseil a éveillé chez les sociologues britanniques la conscience de la solidarité qu'implique leur appartenance à une communauté scientifique. Il a engagé avec eux un dialogue libre sur les problèmes de politique générale. La première mise à l'épreuve viendra lorsque, en raison des fonds limités dont il dispose, il sera conduit à soutenir de propos délibéré certaines orientations de la recherche, certaines institutions, de préférence à d'autres. Jusqu'à présent il s'est occupé de projets plutôt que de programmes, mais tout en étant appelé lui-même à assumer le rôle principal, il aura la chance d'avoir autour de lui d'autres organismes officiels, universitaires et privés soutenant également la recherche sociale.
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52. Si la coordination et le soutien de la recherche sont peut-être plus structurés au Royaume-Uni qu'en France, il existe dans ce dernier pays, depuis la mise au point du Vème Plan, une politique en matière de science sociale plus explicitement formulée que nulle part ailleurs en Europe occidentale ( 4 8 ) . Les objectifs, les priorités, les moyens d'un programme stratégique destiné à accélérer le développement et l'application des sciences sociales y ont été élaborés méthodiquement et l'on y est passé à l'exécution. Le but primordial est de parvenir à une synthèse des facteurs qui jouent un rôle dans le développement économique et social : facteurs psychologiques, sociologiques et biologiques aussi bien qu'économiques et technologiques. La tentative est d'ordre multi-disciplinaire et orientée vers le problème. On cherche à constituer un corps de doctrine sociologique propre à influencer la politique nationale. Cela ne saurait être accompli — de l'avis des planificateurs intéressés —- en concevant dans un esprit étroit de petits projets à court terme mais en mettant sur pied des programmes à long terme obéissant à une certaine thématique et coordonnés dans leurs grandes lignes. Les priorités ne sauraient être fixées que par référence à un cadre d'action. 53. Quatre thèmes d'orientation principaux ont été retenus et pour chacun de ces thèmes l'on a défini plusieurs secteurs de programmation : ( a ) Sous la rubrique processus de développement économique et social, un programme prévoira l'étude des conditions et des conséquences de l'innovation technique, et un autre programme, la relation entre les niveaux et les modes de vie. Un troisième programme portera sur les modalités d'administration qui facilitent le développement et un quatrième sur les problèmes urbains et régionaux. ( b ) Le développement des ressources humaines couvre un vaste secteur de programmation concernant les études de main-d'œuvre ainsi qu'un autre concernant les questions psychologiques. ( c ) L'accent est mis sur l'éducation par des programmes d'enseignement et de motivation, par de nouvelles méthodes pédagogiques, par l'élimination, dans les plans d'étude, des notions périmées et par la formation des enseignants futurs. ( d ) La compréhension mutuelle des sociétés a trait aux problèmes de la communication, par toutes les méthodes et tous les moyens et à tous les niveaux de l'interaction humaine, ainsi qu'aux conditions d'équilibre et de déséquilibre socio-culturels. 54. Pour faire pendant à ce programme global, il en a été établi un autre qui porte sur la recherche fondamentale libre. Ce dernier est axé sur les sciences humaines plutôt que sur les sciences sociales et un sort spécial y est réservé à la logique et aux mathématiques. Ajoutons à cela les « actions concertées » dont la première se rapporte à une étude intensive des organismes de recherche et de développement et d'autres à l'enseignement programmé et à l'aménagement des espaces urbains.
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Enfin, on y trouve un plan concernant une étude des aspects jusqu'ici négligés de la communication et de l'adaptation au sein des groupes dont le mode de vie évolue sous l'effet du développement technique et économique. 55. En recommandant les mesures à prendre pour donner effet à tout ce qui précède, la D G R S T insiste sur la nécessité de mettre sur pied, dans les organismes utilisateurs et notamment dans les ministères, des centres spéciaux qui se verraient confier la double tâche de coordonner les projets en cours d'exécution et d'opérer la liaison entre les chercheurs et le pouvoir exécutif. Le plus important de ces centres serait installé dans le cabinet du Premier ministre, à proximité du Commissariat général au Plan et porterait le titre de Centre de coordination et d'orientation des recherches sur le développement économique et social ( CCORDES ).
I V . ÉVOLUTION DES STRUCTURES EN EUROPE DE L ' E S T
Académies des sciences 1. Les pays socialistes d'Europe de l'Est organisent leurs activités scientifiques sur un modèle commun dont le trait prédominant est constitué par les académies des sciences. Quoiqu'elles ne fassent pas partie des gouvernements, les académies jouent un rôle prépondérant dans l'établissement des politiques scientifiques. Elles assument la majeure partie des travaux de recherche, soit fondamentale soit orientée sur des problèmes spécifiques. La création de « conseils scientifiques par problèmes », intervenue en Union soviétique en 1959, a été pour les académies le point de départ d'une évolution très prometteuse pour les sciences sociales ( 8 7 ) . Malgré les différences de culture ou d'organisation, elle se situe dans la même ligne que la tendance observable en Europe occidentale et aux Etats-Unis, où la recherche s'oriente vers l'étude interdisciplinaire de problèmes généraux. 2. Il importe de rectifier une erreur courante qui consiste à croire qu'en Europe de l'Est, l'académie détient le monopole de la recherche. Il existe des académies spécialisées qui n'entrent pas dans le cadre général, comme l'Académie des sciences médicales de l'URSS et l'Académie des sciences agricoles de l'URSS ou l'Académie d'économie urbaine de la RSFSR en Russie. Les instituts universitaires de recherche, moins nombreux il est vrai que les établissements académiques, prennent de plus en plus d'importance à mesure que l'enseignement universitaire se développe. Enfin une bonne part des travaux de recherche appliquée sont effectués soit par les services ministériels, le « hinterland » technicoscientifique, soit par des entreprises utilisatrices, notamment, mais pas exclusivement, dans le secteur industriel. Les travaux d'économie appliquée, de recherche opérationnelle et de planification, sont de plus en
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plus exécutés par les organismes utilisateurs dans les pays d'Europe de l'Est. 3. Le système académique n'en reste pas moins le trait caractéristique de l'organisation de la recherche scientifique. L'académie des sciences se compose d'une part d'une association d'académiciens élus, d'autre part d'instituts de recherche et d'établissements chargés de coordonner et de planifier le développement scientifique à l'échelle nationale (82). Les académiciens, élus au scrutin secret par les membres de l'académie réunis en assemblée générale, sont choisis parmi les représentants les plus éminents des diverses disciplines scientifiques. Le nombre des académiciens varie en fonction de l'importance du pays et de son degré de développement scientifique ; c'est en Union soviétique qu'il est le plus élevé. En juillet 1966 l'Académie des sciences de l'URSS comptait 223 membres titulaires, 433 membres correspondants et 36 membres étrangers (87). En janvier 1967, l'Académie tchécoslovaque des sciences comptait 57 membres titulaires et 135 membres correspondants. Les académiciens ne représentent qu'une petite partie du personnel scientifique qui s'élève à 11.000 travailleurs scientifiques en Tchécoslovaquie et dépasse 30.000 en URSS, auxquels il importe d'ajouter quelque 30.000 autres travailleurs répartis entre les établissements de 14 Académies des sciences des républiques de l'Union, qui sont des organismes indépendants, non affiliés à l'Académie des sciences de l'URSS. 4. L'organe directeur de l'académie est le présidium ; ses membres sont élus par les académiciens ; leur mandat dure quatre ans. Les dirigeants rendent compte de leur activité à l'assemblée générale qui se réunit une ou deux fois par an. En plus de l'administration interne, ils s'occupent des grandes questions de politique scientifique et de planification et assurent les relations avec le gouvernement et les autres organismes. Outre le présidium il y a deux types d'organismes qui exercent des fonctions complémentaires : les départements et les instituts. Les départements correspondent aux principaux secteurs scientifiques et sont comparables par certains côtés aux facultés des universités, et par d'autres, aux conseils de recherche. 22 Les instituts organisent et exécutent les programmes et les projets de recherche. A la suite des changements intervenus depuis 1959, les départements des académies d'un certain nombre de pays d'Europe de l'Est possèdent des « comités scientifiques », des « conseils scientifiques par problèmes » ou des « collèges » qui comprennent non seulement d'éminents hommes de science, universitaires ou académiciens, mais aussi de hauts fonctionnaires des ministères et des cadres d'entreprises utilisatrices. Ce sont ces organismes qui proposent des candidats pour l'élection des nouveaux membres. Ils constituent la forme la plus récente de collaboration entre académies, universités et entreprises utilisatrices pour déterminer les secteurs stratégiques qui doivent bénéficier de ressources accrues.
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5. Les instituts publient des revues ; ils organisent des conférences et des séminaires permanents ; ils assument la responsabilité de projets de recherche dont l'exécution peut être confiée à plusieurs organismes appartenant ou non à l'académie et qui offrent parfois à des diplômés l'occasion de poursuivre leur formation. Il y a à la tête d'un institut une direction composée d'un directeur élu par l'assemblée générale (ou nommé, comme en Pologne, par le secrétaire général de l'académie) pour une période de quatre ans, et du personnel qui l'aide, et un conseil scientifique qui exerce des fonctions consultatives et prend des décisions ; c'est à lui notamment qu'incombe l'approbation définitive des plans de recherche. Enfin, ce sont les instituts qui examinent les candidats aux titres de docteur et de Kandidat ès sciences. 6. Les académies sont organisées en fonction des trois principes qui président à l'ensemble des activités scientifiques en Europe de l'Est : ( a ) « le caractère planifié de la recherche scientifique et du développement technique ; (b) le caractère collectif de la recherche et de l'évaluation des résultats ; (c) la participation active du plus grand nombre possible d'intéressés à la direction des projets, c'est-à-dire chercheurs et personnes travaillant dans d'autres organismes » ( 8 6 ) . On se fera une idée plus claire des incidences de ces principes en analysant quelques exemples tirés de projets en cours en Pologne et en Tchécoslovaquie. Comme il est indispensable d'obtenir le plus large accord possible sur la décision à prendre, compte tenu des nombreuses options à envisager, et des nombreuses opinions qui peuvent se faire jour, le stade de la décision est extrêmement délicat, notamment dans le domaine des sciences sociales, qui sont relativement moins bien définies que les sciences exactes et naturelles. Si les traditions individualistes de l'Europe occidentale et de l'Amérique du Nord créent des difficultés, le collectivisme en vigueur dans les pays socialistes de l'Europe de l'Est en crée d'autres. Sans doute faudrait-il emprunter quelque chose à chaque système et y ajouter encore quelque chose qui reste à déterminer, pour être en mesure d'élaborer et de réaliser les projets vastes mais révolutionnaires qui sont indispensables au développement des sciences sociales. 7. Toutes les académies s'occupent aussi bien des sciences sociales et humaines que des sciences de la nature et de la vie. La philosophie sousjacente à cette organisation postule en effet l'unité des sciences, de même qu'elle refuse d'opposer les sciences humaines définies comme des disciplines historiques aux sciences sociales caractérisées comme sciences « nomothétiques » de l'homme. Cela dit, l'organisation des académies est identique à la traditionnelle division des universités européennes en facultés. En Union soviétique, les sciences humaines sont réparties entre
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les départements d'histoire et les départements de lettres et de langues ( 8 7 ) . Quant aux sciences sociales, elles sont regroupées dans le département de philosophie et de droit dont relèvent également la science politique et la sociologie, parce que l'on estime que toutes ces disciplines sont liées les unes aux autres. L'économie, en revanche, forme un département à part. 2 3 8. En Tchécoslovaquie, les sciences sociales se répartissent entre les «collèges» suivants: philosophie (y compris la sociologie), histoire, science économique, science de l'Etat et du droit, arts, linguistique (71 ). La pédagogie et la psychologie relèvent d'une commission spéciale dépendant de l'Académie et du Ministère de l'éducation nationale. En Pologne, les sciences sociales et les sciences humaines sont toutes groupées dans un département unique, mais celui-ci se divise en dix-sept « comités scientifiques » dont les membres ne sont pas tous académiciens (78). Certains de ces comités correspondent à des disciplines — démographie, psychologie, pédagogie par exemple — d'autres s'occupent de problèmes déterminés, comme le Comité de recherche sur la culture contemporaine. Ce dernier se divise en plusieurs commissions respectivement chargées de promouvoir la recherche sur la culture des masses, les colonies polonaises à l'étranger, et les « aspects humains » de l'architecture et de l'urbanisme. Autre exemple, le Comité de recherche sur les problèmes sociaux de la République populaire de Pologne, qui a entrepris de vastes études sur le revenu réel dans les différentes classes et les modifications de la stratification sociale. Le Comité économique de l'Académie coopère avec la Commission économique du Comité d'Etat de la science et de la technique et avec la Commission du Plan. 9. Pour ce qui est des instituts, on peut prendre à titre d'exemple l'organisation des travaux de sociologie au sein de l'Académie polonaise des sciences en 1965 ( 7 8 ) . Il y eut tout d'abord la division de sociologie de l'Institut de philosophie et de sociologie, qui emploie 60 chercheurs répartis entre quatre sections respectivement chargées de la sociologie urbaine, de la sociologie rurale, de la sociologie du travail et de la recherche fondamentale en sociologie. Puis vinrent deux centres de recherche interdisciplinaires : le laboratoire de recherches sur les régions industrialisées, et le laboratoire de recherches sur les problèmes sociaux et culturels de l'Afrique contemporaine, qui emploient respectivement 21 et 7 sociologues. En outre l'Institut pour l'histoire de la science et de la technique, qui est également pluridisciplinaire, et qui emploie 4 sociologues, effectue des recherches sur la planification et l'organisation de la science. Cet exemple montre comment la recherche fondamentale coexiste avec un style de recherche orientée. L'Académie polonaise des sciences se place parmi les plus importantes après celle de l'Union soviétique. La sociologie y est plus étudiée que dans les autres pays d'Europe de l'Est.
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En 1968 l'Institut de philosophie et de sociologie a été réorganisé. Trois sections ont été créées dans la division de sociologie, ayant dans leurs attributions la théorie de la société socialiste, le changement social, les structures sociales, une quatrième section étant chargée de suivre l'exécution des études. Les sections se préoccupent d'établir un plan commun de recherche portant sur le système socio-politique du socialisme, le changement des structures sociales sous l'influence du progrès technique dans la production industrielle et agricole, et l'organisation de la vie sociale et culturelle. 24
La planification dans les sciences sociales à l'échelle nationale 10. Dans tous les pays d'Europe de l'Est, la planification des activités scientifiques, y compris les sciences sociales, rentre dans le cadre de la planification centrale qui caractérise ce type de sociétés. Il y a tout un processus de collaboration et de discussion qui préside aussi bien à l'élaboration du plan qu'à son exécution et qui implique la participation d'un grand nombre d'organismes, les décisions se prenant à de nombreux niveaux successifs. Adam Schaff a exposé comment s'était élaboré le plan quinquennal de recherche pour la division de sociologie de l'Institut de philosophie et de sociologie de l'Académie polonaise des sciences ( 8 2 ) . Il fallait choisir un thème de recherche assez vaste pour que les plans individuels de recherche s'y intègrent, et dont l'orientation soit compatible avec celles des quatre sections de la division ; il fallait aussi qu'il soit attrayant pour les chercheurs, capable de conduire à des résultats utiles et de servir de base à la coopération scientifique internationale. Après une série de consultations en Pologne et avec l'étranger, le choix s'est fixé sur les conséquences sociales de l'industrialisation et du progrès technique. Le Conseil scientifique a donné son accord. Les diverses sections ont alors dressé leurs propres plans, conformément aux grands thèmes qui leur étaient proposés, comme celui des changements sociaux que provoque l'industrialisation dans les campagnes polonaises. Comme il s'agissait d'un projet d'intérêt national, on a procédé à des « travaux d'analyse » auxquels ont pris part le présidium de l'Académie aussi bien que la direction et le conseil scientifique de l'Institut. Profitant de ce qu'on construisait un grand centre industriel dans une zone agricole, on a constitué un comité scientifique ad hoc ( ces comités comprennent non seulement du personnel universitaire, étranger ou non à l'académie, mais toutes sortes de personnes effectivement intéressées par la question) avec pour mission d'étudier les conséquences sociales, économiques, démographiques et culturelles de l'industrialisation. Le Comité a alors examiné avec la division de sociologie de l'Institut la possibilité d'intégrer dans le plan de recherche à long terme de l'Institut l'étude systématique de cette zone rurale.
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11. Au cours de la présente décennie, les pays avancés d'Europe de l'Est ont ajouté aux deux plans traditionnels — le plan annuel à court terme et le plan quinquennal à moyen terme — un plan à long terme qui porte sur 20 ans. Ils commencent à réfléchir à la mise au point de plans à long terme pour les sciences, y compris les sciences sociales. Plusieurs académies étudient à l'heure actuelle la planification de la science à la fois comme activité sociale et comme fonction technique. Le but est de définir de manière plus rigoureuse les options d'une planification à long terme afin d'améliorer la qualité des plans à moyen terme qui deviennent de plus en plus précis, même dans le domaine scientifique. En Tchécoslovaquie, l'Académie tchécoslovaque des sciences, la Commission d'Etat pour le développement et la coordination de la science et de la technique (CEDCST), la Commission d'Etat du plan et le Ministère des finances ont élaboré un plan d'Etat pour la recherche scientifique portant sur la période 1961 -1965 (73). Ce plan se présente sous la forme d'un ensemble de 16 « projets complexes » dont certains répondent à des orientations de recherche fondamentale, tandis que d'autres sont définis en fonction de problèmes précis. Ces projets complexes se divisaient à leur tour en 95 « projets fondamentaux », euxmêmes subdivisés en 370 « grands problèmes », qui constituent l'unité de base de la planification. Les travaux de recherche relatifs aux grands problèmes sont répartis entre plusieurs institutions de recherche dont chacune s'occupe d'un « problème partiel ». Chaque projet complexe est assigné à un « collège » de 8 à 10 membres, qui sera le collège compétent de l'Académie, si le projet correspond à un secteur de la recherche fondamentale. Dans le cas contraire, on crée un collège spécial. Si le projet est de nature plus technique que scientifique, le collège répond de ses travaux devant la CEDCST, même s'il a un académicien à sa tête. Y participent, outre les présidents chargés des « projets fondamentaux » en quoi le projet unique se subdivise, des personnes appartenant aux services académiques, universitaires et administratifs ou politiques intéressés. Le collège veille à la réalisation des objectifs politiques, économiques et culturels du plan et évalue l'ensemble des résultats obtenus. Au niveau des projets fondamentaux, fonctionne un organe d'experts plus spécialisés chargé d'apprécier et d'améliorer la solution des principaux problèmes et de veiller au bon échelonnement des travaux dans le temps. Pour les grands problèmes, il y a des coordinateurs qui assurent la liaison entre les institutions qui participent aux travaux et le conseil qui correspond au projet fondamental. 12. Des seize projets complexes du plan quinquennal pour 1961-1965, trois relèvent des sciences sociales (71), et concernent respectivement : ( a ) Le rôle des écoles et de l'éducation dans le passage du socialisme au communisme : recherche fondamentale en psychologie de l'acquisition des connaissances et en sociologie de l'éducation ; analyse philosophique
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et sociologique de la théorie de l'éducation ; recherche orientée sur des cas concrets concernant d'une part les méthodes d'enseignement et la conception des programmes et d'autre part les rapports entre l'éducation, la formation et l'emploi, sous l'angle notamment de la biologie et de la physiologie du travail.
(b) les facteurs qui interviennent
dans l'efficacité
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durant le passage du socialisme au communisme : plusieurs projets concernant la théorie économique, les institutions économiques et l'économie appliquée ; des recherches de sociologie industrielle et de théorie de l'organisation ; une étude consacrée à la fonction sociale de la science.
(c) les changements sociaux et la révolution culturelle durant le
passage graduel au communisme : études interdisciplinaires de sociologie, de politique et de philosophie avec la participation d'historiens et d'ethnologues.
13. D'autres projets complexes intéressent à la fois les sciences sociales et la biologie ou la physique : ( a ) L'épanouissement des jeunes générations : facteurs écologiques et sociaux du développement physique et psychique, compte tenu des aspects psychiatriques de la question.
(b) Protection de la nature et salubrité du milieu naturel : coopéra-
tion entre urbanistes, techniciens, biologistes, sociologues et économistes.
(c) Amélioration du niveau de vie du point de vue matériel et cul-
turel grâce à l'amélioration du rendement social des investissements : études concernant l'économie de la construction, l'urbanisme, etc., analyse coût-profit.
(d) L'automation appliquée aux systèmes complexes : recherche fon-
damentale sur la théorie de l'information et ses applications aux sciences sociales, étude des conséquences sociales et psychologiques de l'automation. Comme ces projets sont orientés par les conditions du milieu, ils nécessitent la collaboration interdisciplinaire des spécialistes des sciences sociales avec les biologistes ou les physiciens. 14. On constate une tendance analogue en Pologne où l'on distingue deux types de plans de recherche : ceux qui intéressent uniquement les centres académiques, et les plans de recherche nationaux qui bénéficient de ressources plus importantes réparties par le canal des comités scientifiques. Selon les renseignements obtenus, les programmes nationaux suivants étaient en cours en 1966 ( 7 6 ) ( 8 3 ) : ( a ) étude des effets économiques de l'investissement et du progrès technique ; ( b ) recherche et élaboration de principes rationnels pour déterminer la structure des salaires, les coûts de production et la fixation des prix ;
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(c) étude de l'apparition de nouvelles formes de vie sociale et de nouvelles attitudes sociales dans la République populaire de Pologne ; (d) étude de l'introduction dans le système socio-économique de nouveaux principes d'organisation scientifique du travail ; (e) étude des problèmes juridiques concernant la gestion de l'économie socialiste ; ( f ) formulation de principes fondamentaux en vue d'une réforme du système d'enseignement ; (g) étude de la coexistence pacifique entre Etats dotés de systèmes économiques et sociaux différents ; (h) préparation de manuels et de monographies pour la formation de travailleurs scientifiques et la vulgarisation scientifique. 15. Cette tendance vers la recherche interdisciplinaire axée sur la solution de problèmes stratégiques s'est confirmée lorsqu'en 1957, le Présidium de l'Académie des sciences de l'URSS a créé un Conseil scientifique spécial chargé d'étudier le rendement économique des investissements et des techniques modernes (87). En 1961 tous les organismes intéressés à l'économie étaient en possession d'un important rapport. Une équipe de 38 économistes et ingénieurs avait été appelée à travailler au projet : ils provenaient d'organismes divers tels que les départements académiques, le Gosplan et le Conseil économique de l'Etat. A l'époque, le nombre des conseils créés spécifiquement pour l'étude d'un problème était passé à 70. Citons, au nombre des nouveaux instituts récemment créés au sein de l'Académie des sciences de l'URSS, l'Institut sur l'application des méthodes mathématiques à la recherche et à la planification économiques. Un des principaux objectifs de l'actuel plan quinquennal pour les sciences est d'intensifier les recherches permettant d'améliorer la gestion de l'économie. 16. La plupart des pays d'Europe de l'Est ont pour principe de limiter le temps consacré aux recherches effectuées dans le cadre de projets qui relèvent du plan d'Etat, encore que le temps imparti soit plus important dans le cas des académies que dans celui des instituts universitaires de recherche. En Tchécoslovaquie, par exemple, à l'Académie, de 10 à 20 % du temps de travail sont réservés aux recherches à usage interne et la proportion est de 50 % dans les universités. En Pologne, on parle de « chercheurs indépendants », à côté de ceux qui travaillent aux projets de l'Académie ou aux projets nationaux. Mais il n'apparaît pas clairement dans quelle mesure ils choisissent eux-mêmes leur projet (78). Pour l'Union soviétique et pour la plupart des pays plus petits, rien n'a été indiqué sur le degré de latitude laissé au chercheur pour le choix de son projet. L'observateur de l'extérieur se demande nécessairement si ces marges sont suffisantes et voudrait en savoir davantage. Etant donné le fort coefficient d'incertitude qui caractérise la recherche dans les sciences sociales, il reste encore à explorer bon nombre de voies différentes et à sortir des chemins battus.
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17. E n Union soviétique, le total des ressources dégagées et leur rythme de progression ont été indiqués dans l'exposé suivant : ( 87 ) « De 1959 à 1966 le total des dépenses affectées à la recherche scientifique et des dépenses en capital pour la construction de laboratoires et de bases expérimentales est passé de 3,3 milliards à 7,7 milliards de roubles, ce qui revient à multiplier le chiffre initial par 2,3. D'une part, en effet, les dépenses affectées aux projets de recherche sont passées de 2,8 milliards à 6,8 milliards ; d'autre part, les dépenses en capital sont passées de 500 millions à 1,2 milliard de roubles. Durant cette période, les crédits ont donc augmenté en moyenne d'environ 15 % par an. » En valeur absolue, ces sommes sont considérables : elles représentent approximativement le quart des dépenses globales affectées à R et D aux Etats-Unis, si l'on prend pour base les taux de change admis par les Nations Unies, encore que l'on ne sache pas très bien ce qu'ils représentent en termes réels. E t ces chiffres n'englobent pas les dépenses de R et D engagées par les entreprises, qui sont comptabilisées séparément. Si donc on les comparait avec les crédits fédéraux aux Etats-Unis, le pourcentage serait encore plus élevé. On peut admettre que, comme d'ailleurs aux Etats-Unis, seule une faible proportion de ces crédits est affectée aux sciences sociales. Il n'empêche que cela représente des ressources considérables, par comparaison avec les crédits dont bénéficient les sciences sociales dans les pays plus petits, même si proportionnellement ces crédits sont plus importants. TCHÉCOSLOVAQUIE
— Dépenses prévues pour la recherche scientifique (en millions de couronnes tchécoslovaques)
A) Budget de l'Etat Dépense globale Total des dépenses pour les sciences, en pourcentage :
1960 *
1967 **
103.406 2.163 2,09
142.522 4.165,6 2,9
1. Tâches nationales et sectorielles Académie des sciences Recherche scientifique dans les établissements d'enseignement supérieur Instituts de recherche des secteurs productifs Instituts de recherche des secteurs non productifs 2. Fonds pour le développement technique centralisés et gérés par des organes centraux 3. Projets de recherche et de développement technique dans les entreprises Subventions d'affectation spéciale B) Fonds de développement technique Dépense globale Total de A) et B)
1.407 505
3.682,5 728,4
62 673
169,0 2.394,3
167
390,8
116
419,8
640
63,3
1.250
3.178,8
M13
7.344,4
* Unesco, Science policy and organization of scientific research in the Czechoslovak socialist Republic (« Science policy studies and documents » No. 2), Paris, 1965. ** Information statistique sur le développement de la science et de la technologie en Tchécoslovaquie, Ministère de la technologie, 1968.
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Organisation et financement de la recherche
18. Dans le cas de la Tchécoslovaquie, on connaît la ventilation des crédits de recherche financés sur le budget de l'Etat pour un certain nombre de catégories d'institutions de recherche (86). Cela permet de faire une comparaison avec le total du budget. Mais il y a une autre source de financement de la recherche : le Fonds de développement technique, qui accorde des prêts aux entreprises pour le financement de leurs recherches — soit la rubrique (B) dans le tableau ci-dessus. Dans un pays comme la Tchécoslovaquie, les dépenses afférentes à R et D servent principalement à financer le développement technique, comme dans les pays de l'Ouest. Dans le cas de la recherche et du développement technique d'orientation plus fondamentale, l'Académie est plus favorisée que les universités. Sa part est plus restreinte dans des pays comme la Pologne ou la Hongrie. 19. Voici la répartition des crédits par discipline scientifique d'après le budget d'Etat tchécoslovaque pour 1961 (où ne figurent pas les subventions accordées aux entreprises individuelles pour leurs projets de développement technique) : TCHÉCOSLOVAQUIE
— Dépenses prévues pour la recherche scientifique par secteur scientifique (1961) (en millions de couronnes tchécoslovaques) Montant
%
1.297
62,3
598 187
28,7 9,0
2.082
100,0
Sciences physiques, mathématiques, chimiques et technologiques Sciences de la vie, y compris les sciences agricoles et les sciences médicales Sciences sociales, y compris les sciences humaines Total
Le pourcentage total des crédits affectés aux sciences sociales et aux sciences humaines est le même qu'en Pologne, si l'on considère exclusivement le budget de l'Académie. Il est probable qu'un peu plus de la moitié de cette somme correspond aux sciences sociales empiriques. POLOGNE
— Dépenses prévues pour la recherche scientifique (en millions de zlotys)
(1965)
A) Budget central Etablissements de recherche scientifique Secrétariat de l'Académie polonaise des sciences Dépenses afférentes au développement « des techniques et du progrès économique » Recherches effectuées par les professeurs d'université Formation de personnel scientifique Autres dépenses afférentes à la science Total des dépenses ordinaires B) Fonds pour le progrès économique et technique
357 206 86 55 2.217 4.687
Total de A) et B)
6.905
1.393 120
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Eric
Trist
20. Le Ministère des finances, en Pologne, présente les crédits affectés à la recherche scientifique pour 1965 sous une forme à peu près identique à celle utilisée en Tchécoslovaquie dans le tableau ci-dessus (78). Le budget de l'Académie polonaise des sciences en 1964 s'élevait pour les dépenses de fonctionnement à 549.795.000 zlotys, dont environ 46 millions au titre des sciences sociales et des sciences humaines. 21. La Commission polonaise du Plan en 1964 a évalué à 1 % environ le rapport entre les dépenses globales afférentes à la recherche scientifique et le PNB. En Hongrie, l'ensemble des dépenses affectées en 1963 à la recherche représentait 1,5 % du revenu national net de l'année (85). Ces chiffres sont assez voisins de celui de 2,9 % qui correspond au budget d'état de Tchécoslovaquie pour 1967 ; il est représentatif du niveau général des dépenses afférentes à R et D dans les pays d'Europe de l'Est vers le milieu des années 60. Il se peut qu'en Union soviétique ce pourcentage soit plus élevé. 22. Dans la République populaire de Slovénie, les crédits attribués aux sciences sociales et aux sciences humaines pour l'exercice 1964 représentaient 0,6 % du PNB (75). Les sciences sociales et les sciences humaines ont absorbé, toujours en 1964, 6,6 % des crédits de recherche en Slovénie et 8 % dans l'ensemble de la Yougoslavie, pourcentage plus élevé qu'en Pologne ou en Tchécoslovaquie si la comparaison porte sur le total des dépenses afférentes à R et D, et non pas seulement les crédits affectés à l'Académie. Cela ne signifie pas nécessairement que la Yougoslavie fasse davantage de recherches dans les sciences sociales et humaines mais plutôt sans doute qu'elle effectue relativement moins de R et D technologiques. De même, le fait que le tiers du budget de l'Académie de la République socialiste de Roumanie (en 1963) ait été consacré aux sciences sociales et aux sciences humaines (81) donne à penser que la recherche avancée dans le domaine des sciences physiques, avec les dépenses considérables que cela implique, n'est pas encore très développée. 23. En ce qui concerne la Hongrie ( 1963), il est possible de comparer les crédits respectivement alloués à l'Académie, aux universités et aux autres institutions qui effectuent des recherches dans les sciences sociales et les sciences humaines, ainsi que le pourcentage de leur budget total que ces diverses institutions affectent à ce type d'activités. Il ressort de ces chiffres que l'Académie assume la majeure partie des recherches avancées et coûteuses, non seulement dans le domaine des sciences physiques et des sciences biologiques mais également dans celui des sciences sociales, alors que les recherches en sciences humaines se répartissent entre les universités. L'Académie accorde aux établissements universitaires des subventions pour effectuer des travaux de recherche dans les domaines qui ne sont pas de la compétence de ses organes spé-
Organisation et financement de la recherche
905
cialisés, pour aider les universités dans leurs recherches, ou pour alléger la tâche de ses propres instituts lorsque ceux-ci sont surchargés. Il est fréquent qu'elle accorde des subventions spéciales dans le cas des sciences sociales, à telle enseigne qu'en 1964 plus de 50 organismes ont reçu des subventions à ce titre (85). Elle détache également des chercheurs auprès de ces organismes. La politique qui consiste à concentrer les moyens et les crédits nécessaires à la recherche dans un établissement centralisé qui devra à son tour favoriser le développement du système universitaire est une solution à encourager dans les pays où les ressources disponibles pour les sciences sont relativement faibles. HONGRIE — Dépenses afférentes aux recherches dans les sciences sociales et les sciences humaines (1963) (en millions de forints) Montant des crédits
Pourcentage par rapport au budget de l'établissement
Instituts de l'Académie Universités Autres établissements de recherche
60,4 23,8 6,1
4,9 10,4 1,6
Total
90,3
26,9
24. Des données complémentaires (1966) montrent la répartition des fonds affectés à la recherche dans les principales disciplines des sciences sociales et humaines. HONGRIE — Fonds affectés à la recherche en sciences sociales et humaines (1966) (en millions de forints)
Philosophie Economie nationale Histoire Droit et Science politique Pédagogie Linguistique et Littérature Géographie Arts Autres Total
%
Montant 7,4 73,8 10,2 5,0 8,2 15,0 4,8 5,2 5,3
5,5 54,7 7,6 3,7 6,1 11,1 3,6 3,8 3,9
134,9
100,0
Source : « A magyar tudományos kutatás helyzete az országos kutatási statiszika 1966. évi adatai tükrében. » Tudományszervezési Tájékoztató 8 ( 1 ) , janvier, 1968, p. 33.
Plus de la moitié des fonds disponibles ont été affectés à l'économie et la plus grande partie du reste aux sciences humaines. La part des sciences sociales autres que l'économie représente une proportion non identifiable dans l'ensemble des allocations accordées à la philosophie, au droit, à la
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science politique et à la pédagogie. Dans l'ensemble, seulement 15,3 % des ressources leur sont allouées, ce qui amène à penser que peu de chose a été fait jusqu'à présent en matière de psychologie et de sociologie. Il faut cependant noter que l'allocation totale aux sciences sociales et humaines s'est élevée de 90,3 millions de forints en 1963 à 1 3 4 , 9 millions en 1 9 6 6 . Une comparaison avec les sommes affectées à la recherche dans les autres sciences est donnée ci-après. HONGRIE
— Fonds affectés à la recherche dans les principaux secteurs scientifiques (1966) (en millions de forints)
Technologie Sciences naturelles Sciences agronomiques Sciences médicales Sciences sociales et humaines
Montant 1.731,1 395,9 333,9 189,5 134,9
Total
2.785,3
% 62,2 14,2 12,0 6,8 4,8 100,0
Source : « A magyar tudomânyos kutatâs helyzete az orszâgos kutatâsi statiszika 1966. évi adatai tiikrében. » Tudomânyszervezési Tâjékoztatô 8 (1), janvier, 1968, p. 33. La part accordée aux sciences sociales et humaines semble plus petite que dans les autres pays de l'Europe de l'Est, ainsi qu'il résulte d'une comparaison avec les budgets de Tchécoslovaquie et de Pologne (budget central ). On note un développement marquant de la science économique.
Personnel 2 5 . Nous possédons des renseignements sur le nombre des travailleurs scientifiques et leur répartition par catégorie dans le cas de quatre pays : URSS — Travailleurs scientifiques diplômés par catégorie de titres universitaires et de grades scientifiques (en milliers) Total des travailleurs scientifiques Titres universitaires de : Docteur ès sciences Kandidat ès sciences Grades scientifiques de : Académicien, membre, correspondant, professeur Docent Travailleurs scientifiques (senior) Travailleurs scientifiques (junior et assistants)
1958
1967
284,0
770,0
10,3 90,0
18,3 169,3
9,6 32,7 17,2
14,7 56,9 32,4
23,6
46,3
Source : Narodnoe Khoziaistvo SSSR V 1%3, Moscou, Statistika, 1965, p. 476. Narodnoe Khoziaistvo SSSR V 1967, Moscou, Statistika, 1968, p. 809.
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Organisation et financement de la recherche
l'URSS, la Tchécolovaquie, la Hongrie et la Pologne. En URSS, le nombre total de travailleurs scientifiques et assimilés était de 1.338.000 pour 1958 et de 2.850.000 en 1967. 25 Le tableau ci-dessous compare les effectifs des diplômés pour les mêmes années. Le potentiel scientifique est considérable, le progrès indiscutable, encore qu'on connaisse mal l'affectation des travailleurs scientifiques qui ne sont ni docteurs ni Kandidats. Il est difficile de distinguer, dans la masse des travailleurs scientifiques, ceux que leur qualification destine aux sciences sociales, ainsi qu'il ressort du tableau ci-après. URSS — Travailleurs scientifiques diplômés dans les sciences sociales et les sciences humaines, par titre universitaire * Diplômés
1958 Docteurs Kandidats ès sciences
1967 Diplômés Docteurs Kandidats ès sciences
Economique Géographie Histoire et Philosophie Droit Pédagogie Philologie
11.614 3.799
243 160
4.475 1.440
42.475 6.344
651 288
10.485 2.194
17.088 1.934 12.765 19.715
359 102 80 299
8.311 1.230 2.192 4.936
32.257 3.759 26.639 42.191
1.150 239 168 641
12.726 1.917 3.895 7.938
Total
66.915
1.243
22.584
153.665
3.137
39.155
Source : Narodnoe Khoziaistvo SSSR V 1963, Moscou, Statistika, 1965, p. 589. Narodnoe Khoziaistvo SSSR V 1967, Moscou, Statistika, 1968, p. 810. * Les diplômes sont l'équivalent des premiers grades dans les pays occidentaux ; le titre de Kandidat ès sciences correspond à la maîtrise ; le doctorat ès sciences est une distinction réservée aux chercheurs qui ont fait leurs preuves, et n'est décernée en général que dix ans après le grade de Kandidat. Le D.Sc. britannique est à peu près du même niveau.
Ces catégories ne sont pas satisfaisantes : ou trop globales ou ne permettant pas de distinguer les spécialistes de la recherche empirique dans les sciences sociales de ceux qui se spécialisent dans les sciences humaines. La seule catégorie qui soit à la fois claire et significative est l'économique. Les chiffres pour cette discipline révèlent un important effectif de chercheurs ayant les titres de Kandidat et de docteur ès sciences. On ignore combien de psychologues sont classés comme pédagogues ; de même, la catégorie d'histoire et de philosophie peut dissimuler des sociologues et la catégorie de droit des spécialistes de la science politique. Sans doute leur nombre est-il relativement faible. A partir de cette hypothèse, on commence à se demander si le nombre des docteurs spécialisés dans ces disciplines, à la différence de l'économique, n'est pas à ce point insuffisant qu'il faille limiter le nombre de « projets complexes » où ils jouent un rôle d'animateurs. Il existe un groupe assez
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nombreux de chercheurs débutants mais qualifiés, au niveau du diplôme. Etant donné d'ailleurs le nombre des étudiants qui font à l'heure actuelle des études universitaires et la part que prennent les instituts académiques à la formation supérieure, il devrait y avoir d'ici relativement peu d'années un nombre considérable de nouvelles recrues. Ils proviendront vraisemblablement du groupe des diplômés qui accomplissent à l'heure actuelle leurs deux années de stage comme chercheurs. 26. En Tchécoslovaquie, les étudiants sont maintenant nombreux et le rapport étudiants-enseignants est faible puisque, en 1967, il se chiffrait à 8,8/1, si l'on compte les assistants au nombre des enseignants. Cependant, exception faite des économistes, il y a pénurie de chercheurs dans le domaine des sciences sociales empiriques, si l'on tient compte uniquement des docteurs ès sciences. Comme en URSS, il est difficile d'estimer le nombre de psychologues expérimentés et bénéficiant d'une bonne formation théorique qui sont classés dans la catégorie « pédagogie » ; de même pour le nombre des sociologues et des spécialistes de science politique, respectivement classés comme philosophes et comme juristes. Si l'on prend pour hypothèse qu'un tiers de ces chercheurs appartiennent aux disciplines « nomothétiques », le nombre total des chercheurs qualifiés actuellement disponibles dans le domaine de la psychologie, de la sociologie et de la science politique s'élèverait à 165. Si à ce chiffre on ajoute les 49 chercheurs figurant sous la rubrique psychologie, on obtient un total de 214 chercheurs qui représenté l'ensemble des forces disponibles en psychologie, sociologie et science politique. Ces chiffres apparaissent dans la table suivante : TCHÉCOSLOVAQUIE
— Travailleurs scientifiques* dans les sciences sociales (1963)
Discipline Economique Psychologie Pédagogie (Psychologie) Philosophie (Sociologie) Droit (Science politique) Histoire Philologie Total
Nombre de travailleurs scientifiques 478 49 186 195 114 454 399 1.875
Source : Annuaire statistique de Tchécoslovaquie, p. 430. * Les titulaires de grades scientifiques (C.Sc.,D.Sc.), les professeurs associés et les professeurs d'université sont compris dans le groupe des travailleurs scientifiques.
27. Il faudra sans doute plus longtemps en Tchécoslovaquie qu'en URSS pour former un nombre suffisant de chercheurs d'un haut niveau théorique car un grand pays atteint plus facilement un premier seuil critique. Si l'on laisse de côté le domaine des sciences humaines, et qu'on ne tienne compte que des chercheurs qualifiés, l'Académie tchécoslo-
Organisation çt financement de la recherche
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vaque des sciences ne comptait en 1964 que cinq membres titulaires spécialistes des sciences sociales, parmi lesquels ne figuraient ni économistes ni psychologues. On ne comptait que 18 membres correspondants, dont trois économistes et pas un seul psychologue. Dans ces conditions, on est fondé à se demander s'il est possible de réaliser les éléments des projets complexes qui dépendent de disciplines des sciences sociales empiriques autres que l'économique. 28. Les statistiques des ressources humaines en Hongrie ( 1 9 6 6 ) permettent de comparer les instituts relevant de l'Académie ou qui lui sont associés avec les Universités. 2 6 HONGRIE — Nombre de travailleurs dans les instituts de recherche ( 1 9 6 6 ) Nombre total de travailleurs Philosophie Economie nationale Histoire Droit et Science politique Pédagogie Linguistique et Littérature Géographie Arts Autres
Nombre de chercheurs scientifiques
Personnel auxiliaire pour 100 chercheurs
39 1.244 125 52 76 161 75 44 56
28 505 64 30 38 98 35 24 24
1.872
846
45
Sciences naturelles Sciences médicales Sciences agronomiques Technologie
3.051 2.284 2.315 13.001
1.020 367 787 3.269
115 145 105 192
Total
22.523
6.289
146
—
65 16 70 22 4 26 9 9
Source : « A magyar tudományos kutatás helyzete az országos kutatási statiszika 1966. évi tükrében, » Tudományszervezesi Tájékoztató 8 ( 1 ) janvier, 1968, p. 31.
Le temps disponible pour la recherche universitaire dans les sciences sociales et humaines équivaut à moins de la moitié du temps des chercheurs dans les instituts. Les auxiliaires sont pratiquement inexistants. Même dans les instituts le nombre des auxiliaires et employés est faible comparé à celui travaillant dans les autres secteurs scientifiques. Les économistes se concentrent dans les instituts et représentent la seule force de recherche appréciable dans les sciences sociales. Le groupe le plus important de chercheurs dans les sciences humaines (linguistique et littérature) est également réparti entre les universités et les instituts. Le nombre des enseignants dans les sciences sociales et humaines est comparable à celui des enseignants des autres secteurs scientifiques. La recherche se concentre dans les instituts, à l'exception cependant de la médecine.
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HONGRIE — Enseignants, potentiel de recherche, chercheurs et personnel auxiliaire dans les chaires universitaires ( 1 9 6 6 ) Enseignants
Potentiel de Chercheurs Personnel recherche (en auxiliaire pour nombre de 100 enseignants chercheurs ) chercheurs
381 277 102
50 47 24
1 10 3
129 131
32 29
2 10
2 5
397 64 83 20
96 12 15 4
16
3 19 2
1.584
309
58
4
Sciences naturelles Sciences médicales Sciences agronomiques Technologie
1.571 1.947 574 1.270
390 456 128 245
231 90 128 94
57 32 80 47
Total
6.946
1.528
601
39
Philosophie Economie nationale Histoire Droit et Science politique Pédagogie Linguistique et Littérature Géographie Arts Autres
—
13 3
2 5 —
—
Source : « A magyar tudomânyos kutatâs helyzete az orszâgos kutatâsi statiszika 1966. évi adatai tiikrében, » Tudomânyszervezesi Tâjékoztatô 8 ( 1 ) janvier, 1968, p. 32.
29. On peut trouver dans un rapport spécial sur l'année 1965 les résultats d'une étude sur les ressources humaines dans les sciences sociales en Pologne ( 7 8 ) . A cette date on recensait environ 140.000 travailleurs adultes qui avaient fait des études supérieures en sciences sociales ou en sciences humaines. La moitié avaient surtout fait de l'économique. Un grand nombre d'entre eux travaillaient en 1965 dans divers domaines de la recherche appliquée, ou dans les services d'étude de ce qu'on appelle en Pologne le « hinterland technico-scientifique » de l'industrie et de l'Etat. Ils se répartissaient entre 1346 institutions différentes et 6.895 unités de travail. On trouvera plus bas un tableau d'ensemble des travailleurs de ce « hinterland » en 1965. La catégorie des « ingénieurs-techniciens » désigne des personnes qui n'ont pas fait d'études supérieures. Les « autres travailleurs employés à des activités de base » ont fait des études du niveau de la licence ou d'un diplôme équivalent. 27 Ils comprennent des ingénieurs et des économistes. La plupart de ceux qui ont fait des études plus poussées sont des économistes ; les autres sont des ingénieurs, encore qu'il y ait également parmi eux un petit nombre de sociologues et de psychologues. Le plan à long terme pour 1980 a pour objectif de porter à 100.000 le nombre des économistes qui auront bénéficié d'une formation supérieure. Il s'agit là
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POLOGNE — «Hinterland technico-scientifique » de l'Etat et de l'industrie (1965) Nombre et niveau des travailleurs Docteurs Maîtres *
809 25.069
Autres travailleurs diplômés employés dans les activités de base Travailleurs à temps partiel
22.796 1.518
Ingénieurs-techniciens Autres
34.953 18.285
25.878
24.314 53.238 103.430
Total * Cinq années d'études au moins.
d'une tendance commune à tous les pays d'Europe de l'Est qui ont pris pour objectif prioritaire « l'information de base » dans l'économie et dans les disciplines connexes. 30. Passant de 1'« hinterland technico-scientifique » des entreprises d'exécution au cas de l'Académie et des établissements d'enseignement supérieur, nous avons pu séparer les chercheurs qui travaillent dans le domaine des sciences sociales empiriques, y compris la linguistique générale, de ceux qui ont une formation de juriste et de philosophe, d'historien ou de linguiste. Le tableau ci-dessous montre comment ils se répartissent entre l'Académie et l'enseignement supérieur. La plupart des chercheurs recensés dans ce tableau sont des docteurs, encore qu'y figurent un certain nombre de « maîtres » qui exercent les fonctions d'attaPOLOGNE — Nombre d'établissements et personnel qualifié (doctorat ou titre équivalent) à l'Académie et dans l'enseignement supérieur (1965) Académie
Etablissements Démographie Linguistique Anthropologie sociale Psychologie Sociologie Economique Total
Personnel
—
2
21
1 3 3 2 11
20* 12 87 34 174
Université et Ecoles supérieures Etablissements
Total
Personnel
Etablissements
Personnel
8 6
29 24
8 8
29 45
15 20 15 106 170
29 119 152 600 953
16 23 18 108 181
49 131 239 634 1.127
* Non compris l'ethnographie qui n'est pas considérée comme de l'anthropologie sociale.
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chés de recherche ou de maîtres assistants. Si le personnel de l'Académie consacre la totalité de son temps à la recherche, les enseignants en revanche n'y passent pas plus de 20 % du leur, encore que ce soit moins vrai dans les écoles supérieures spécialisées comme l'Ecole supérieure d'économique de Poznan. 31. Le cas de la Pologne est exceptionnel en Europe de l'Est, étant donné l'importance relative qu'y occupe la sociologie. On peut considérer que la psychologie y a fait son entrée, encore qu'elle soit faiblement représentée à l'Académie. On s'explique aisément que les disciplines aussi spécialisées que la linguistique et l'anthropologie sociale soient peu développées ; en revanche, on s'étonne de voir la démographie si mal représentée. En 1965 on s'occupait encore seulement de mettre sur pied un premier centre académique de démographie. C'est pourtant une discipline indispensable si l'on veut avoir une information de base correcte. La science politique n'est pas considérée comme une discipline indépendante : elle reste, comme dans les autres pays de l'Est, intégrée aux études juridiques. Il semble que, dans l'immédiat, la Pologne soit dans l'ensemble mieux préparée qu'un pays comme la Tchécoslovaquie à entreprendre des projets complexes du genre de ceux qui s'exécutent sous les auspices de la Section des sciences sociales de l'Académie. Néanmoins ces moyens sont limités et, en psychologie, l'apport ne peut guère être qu'insignifiant. 32. Il y a une documentation abondante pour 1965 sur les diverses divisions académiques qui s'occupent des sciences sociales. Nous la reproduisons dans le premier tableau de la page suivante. A l'époque, quatre unités de recherche seulement possédaient au moins 20 chercheurs, toutes quatre s'occupant de recherches intéressant la sociologie, l'anthropologie sociale et l'économique. Ces faits permettront de corriger l'impression erronée selon laquelle, dans les pays d'Europe de l'Est, tous les instituts académiques sont importants. En fait, en dehors de l'Union soviétique, la plupart ne le sont pas, tout au moins dans le domaine des sciences sociales, encore qu'ils coordonnent effectivement les travaux de recherche effectués par d'autres établissements dans le cadre de projets complexes. 33. En Pologne, les activités de recherche étaient encore extrêmement dispersées en 1965. C'est ainsi que les 600 économistes travaillant dans les universités et les écoles supérieures se répartissaient entre 106 établissements. La situation était à peu près analogue en Yougoslavie ( 8 9 ) . En Hongrie, en 1962, il y avait 1.444 enseignants répartis entre 227 centres universitaires et 554 chercheurs répartis entre 20 départements académiques s'occupant à la fois de sciences sociales et de sciences humaines ( 7 9 ) . En 1966, la situation des instituts d'Académie et des chaires universitaires se présentait comme indiquée dans le second tableau.
Organisation et financement de la recherche
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POLOGNE — Départements académiques s'occupant des sciences sociales (1965) Discipline
Description
Démographie
Un premier centre est en cours d'organisation Institut de Varsovie Institut de Cracovie Laboratoire de psychométrie Laboratoire de psychologie sociale de l'Institut d'hygiène Institut de culture matérielle
Linguistique Psychologie Anthropologie sociale Sociologie
Economique
Nombre de travailleurs — 10 11 7 3 2 20
Section de sociologie de l'Institut de philosophie et de sociologie Laboratoire de recherches sur les régions industrielles Laboratoire de recherches sur les problèmes sociaux et culturels de l'Afrique contemporaine Institut de recherche économique Laboratoire d'étude des problèmes généraux d'organisation du travail ( praxéologie)
Total
60 21 6 27 7 174
HONGRIE — Instituts de recherche et chaires universitaires (1966) Discipline Philosophie Economie nationale Histoire Droit et Science politique Pédagogie Linguistique et Littérature Géographie Arts Autres
Sciences naturelles Sciences médicales Sciences agronomiques Technologie
Instituts de recherche
Chaires universitaires
Autres postes de recherche
1 9 2 1 1 2 2 2 2
30 28 21 37 16 59 13 10 4
22
218
18
20 15 22 48
163 122 103 102
4 2 5 69
—
3 2 —
1 3 —
5 4
Source : « A magyar tudomânyos kutatâs helyzete as orszâgos kutatâsi statiszika 1966. évi adatai tûkrében », Tudomânyszervezési Tâjekoztatô 8 ( 1 ) janvier, 1968, p. 29.
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L'image est de concentration dans les instituts et de dispersion dans les universités. Il existe actuellement 505 économistes d'instituts répartis entre 9 institutions, ce qui représente une concentration très poussée, alors que 277 enseignants en économie (qui accordent à la recherche un temps équivalent à celui de seulement 47 chercheurs et qui ne disposent que d'un personnel de 10 personnes) sont répartis entre 28 chaires. Pour l'ensemble des sciences sociales et humaines, 846 chercheurs sont répartis entre 22 instituts, alors que 1.584 enseignants (qui accordent à la recherche un temps équivalent à seulement 309 chercheurs, aidés de 58 autres) sont répartis entre 218 chaires. La dispersion entre les chaires est plus grande que dans n'importe quel autre secteur scientifique. 34. A maints égards, la situation des sciences sociales est très semblable en Pologne et en France. L'organisation C N R S / g r a n d s établissements ressemble beaucoup à celle de l'Académie polonaise en tant qu'institution groupant l'élite. On observe la même tendance à multiplier les universités tout en s'efforçant de combattre la dispersion que cela entraînerait par une concentration accrue des disciplines. L'accent mis sur l'économique appliquée et le développement de la sociologie sont des caractéristiques des deux pays où la planification dans les sciences sociales évolue elle aussi dans le même sens : même volonté d'augmenter le nombre des chercheurs ; même tendance à concentrer des recherches sur des thèmes liés à des problèmes déterminés intéressant le développement économique et social. Si la France est un bon exemple des tendances communes aux pays d'Europe occidentale, la Pologne joue le même rôle à l'égard des pays de l'Est. Les dissemblances proviennent des différences des structures sociales globales des deux pays témoins, de leurs systèmes de valeurs, et du genre de liberté et de contrainte, dans la mesure où ces caractéristiques peuvent influer sur la recherche dans les sciences sociales.
V.
PROGRÈS DES SCIENCES
SOCIALES
DANS L E MONDE E N V O I E DE D É V E L O P P E M E N T
Amérique
latine - Perspectives
régionales
1. C'est par une analyse à l'échelon régional qu'on peut le mieux savoir où en est la recherche en matière de sciences sociales en Amérique latine. L e Centro Latino-americano de Investigaciones Sociales ( Rio de Janeiro ) financé par les gouvernements de certains pays latino-américains et jusqu'à une date récente par l'Unesco, assure une certaine coordination des activités de recherche ( 1 0 7 ) . Il fait pendant à la Facultad Latinoamericana de Ciencias Sociales (Santiago du Chili) également subventionnée par l'Unesco (jusqu'en 1 9 6 9 ) . Certains gouvernements latinoaméricains ne contribuent pas à l'entretien de ces organismes.
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de la
recherche
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2. I l existe dix institutions régionales d'une certaine importance qui favorisent le développement et l'application des sciences sociales en Amérique du sud et en Amérique centrale. O n trouvera dans le tableau ci-dessous leurs titres et le lieu où elles sont situées. Elles sont pour la plupart largement financées à l'aide de fonds internationaux. La région est ainsi dotée d'un ensemble d'établissements d'excellente qualité et aux compétences multiples. E n sciences sociales comme dans bien d'autres domaines, les échanges entre pays latino-américains sont restreints. Ayant acquis dans bien des spécialités une expérience susceptible d'être partagée alors que les ressources en la matière sont rares, ces organisations régionales compensent cette lacune. AMÉRIQUE LATINE — Institutions de sciences sociales à l'échelon régional Institution Instituto Universitario Centroamericano de Investigaciones Sociales
Ville
Pays
San J o s é
Costa Rica
Santiago
Chili
Santiago Mexico et Santiago
Chili Mexique Chili
Buenos Aires
Argentine
Mexico
Mexique
Latina Centro Interamericano de Vivienda y
Buenos Aires
Argentine
Planeamiento Instituto de Derecho Comparado C e n t r o Latino-americano de Demografía
Bogotá Mexico Santiago
Colombie
Centro para el Desarrollo E c o n ó m i c o y Social de América Latina Instituto Latino-americano de Planificación E c o n ó m i c a y Social (Nations Unies) Consejo E c o n ó m i c o para América Latina Centro de Sociología Comparada del Instituto T o r c u a t o Di Telia Instituto Panamericano de Geografía e Historia Instituto para la Integración de América
Mexique Chili «
m
3. Les organismes régionaux ne peuvent cependant être efficaces en l'absence de centres actifs qui exécutent les projets nécessaires dans les divers pays. Le Centre établi à Rio s'est mis en rapport en 1 9 6 5 avec les organismes de recherche dont il connaissait l'existence en Amérique du sud et en Amérique centrale. Sur ces 1 2 5 institutions, 5 8 ont répondu. O n trouvera ci-après leur répartition par pays, avec indication du nombre de projets entrepris et de l'importance de leur personnel. Les six pays les plus avancés du point de vue économique et social groupent la quasi-totalité des centres ( 1 0 5 sur 1 2 5 ) . Dans les autres, les recherches de sciences sociales sont presque inexistantes. L e Pérou mis à part, ces derniers pays sont très peu peuplés — ils comptent moins de 5 millions et parfois moins de 3 millions d'habitants, avec une prédominance d'éléments autochtones et métis et un taux d'analphabétisme élevé.
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Eric Trist
AMÉRIQUE LATINE — Principaux centres de recherches de sciences sociales (1965) Pays
Argentine Brésil Chili Colombie Mexique Venezuela
8 autres pays Total
Centres interrogés
Centres ayant répondu
Nombre de projets
Centres comportant dix chercheurs ou davantage
28 29 17 10 16 5
9 29 4 3 6 2
81 92 39 23 35 18
4 2 3 2 2 1
105
53
288
14
20
5
14
125
58
302
—
14
En plus des huit pays de ce genre dont les institutions ont été interrogés, il en existe quatre autres à propos desquels le Centre n'a eu aucun renseignement. Les pays relativement importants et avancés où les recherches de sciences sociales ont commencé à se développer sont l'Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Mexique et le Venezuela ; chacun d'entre eux possède au moins un centre employant dix chercheurs ou davantage et une ou deux autres institutions dont les effectifs sont légèrement inférieurs. Lorsqu'ils sont situés dans des villes d'importance internationale, ces organismes sont informés des travaux scientifiques menés ailleurs. Les centres provinciaux sont coupés du monde extérieur et n'entretiennent même pas de relations avec les instituts de la capitale. 4. La majorité des travaux se fait en Argentine et au Chili : c'est là que se trouvent à peu près la moitié des centres et que s'effectuent les deux tiers des projets. L'ensemble de la population de ces deux pays ne représente cependant que le tiers de celle du Brésil — de loin le pays le plus important, qui dispose des ressources les plus diverses et jouit des meilleures possibilités de développement industriel. Pour diverses raisons — à cause, peut-être, de l'importance des disparités régionales et de la persistance de l'instabilité politique — les sciences sociales n'y ont pas progressé aussi rapidement qu'on aurait pu l'escompter. Au Mexique, les activités sont limitées mais mieux implantées. En Colombie et au Venezuela, elles sont de date récente. La stabilisation politique a joué un rôle non négligeable. 5. Les renseignements concernant les qualifications et l'expérience du personnel ont été fournis par les 38 centres qui emploient la quasitotalité des chercheurs expérimentés — 180 pour toute l'Amérique latine. On a pu identifier les spécialités du personnel de 31 centres, les sociologues étant de loin les plus nombreux. L'éventail des disci-
Organisation
et financement
de la recherche
917
plines représentées est vaste, et les grands centres sont pour la plupart interdisciplinaires. — Effectifs et qualification du personnel employé dans de recherche de sciences sociales (1965)
AMÉRIQUE LATINE
Centres
Chercheurs de catégorie supérieure
Chercheurs de deuxième catégorie
centres
Nombre total de chercheurs
Argentine Brésil Chili Colombie El Salvador Mexique Pérou Uruguay Venezuela
9 11 4 3 1 6 1 1 2
61 33 24 10 1 35 1 3 12
68 36 59 29 2 23 1 1 11
129 69 83 39 3 58 2 4 23
Total
38
180
230
410
AMÉRIQUE LATINE
38
— Spécialités du personnel employé dans 31 centres de recherches de sciences sociales (1965)
Spécialité
Nombre de chercheurs
Sociologie Planification, écologie, sciences de l'ingénieur, etc. Sciences économiques Anthropologie sociale Ethnographie Psychologie Statistiques Histoire Démographie Anthropologie physique Droit Sciences politiques Folklore Archéologie
104 51 38 17 10 8 6 6 5 5 3 3 2 1
Total
259
6. La forte proportion de sociologues peut surprendre ; il faut toutefois se rappeler que le Centre de Rio de Janeiro n'a pas tenu compte des organisations publiques ou privées participant directement à la planification économique, au développement régional ou à la modernisation industrielle. Ce sont là des organismes d'usagers plutôt que des centres de recherches, mais un certain nombre d'entre eux emploient des spécialistes de l'économie appliquée et de disciplines connexes.
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Trist
Il est courant aussi, au Mexique notamment, qu'ils utilisent pour une grande part les services d'ingénieurs, dont certains ont complété leurs connaissances en s'intéressant à la recherche opérationnelle et à diverses techniques de planification. Si l'on avait tenu compte de ces organismes, le groupe dont ces ingénieurs font partie se serait classé en tête du tableau. U n rapport provenant du Venezuela illustre cet état de choses ( 1 0 0 ) : « Des recherches sont menées en permanence dans les domaines touchant directement à la politique économique nationale — la production agricole, la production pétrolière, le commerce international, les activités financières et bancaires par exemple. Certains programmes régionaux de recherche en vue de la planification sont actuellement mis en œuvre par la Corporación de Desarrollo de Los Andes et par le Consejo Zuliano de Planificación notamment. Ces deux organismes qui commandent des travaux de recherches et qui en font eux-mêmes ont été créés à l'instigation du Gouvernement national afin de favoriser le développement des régions dans lesquelles ils sont implantés. A l'échelon national, l'Oficina Central de Coordinación y Planificación de la Presidencia de la República (CORDIPLAN) et la Banco Central de Venezuela exécutent de façon permanente des programmes de recherches afin de déterminer l'orientation, l'un, du plan national de développement et l'autre, de sa politique monétaire. La Corporación Venezolana de Guyana, qui est chargée du développement de la région ainsi dénommée mène aussi des travaux de recherche à divers échelons qu'elle utilise directement pour ses programmes régionaux de développement. Les universités publiques et privées sont dotées d'instituts de recherche économique qui se préoccupent essentiellement des besoins en matière d'enseignement. Certaines entreprises mènent aussi des recherches économiques limitées qui portent surtout sur la production et la distribution de biens manufacturés et sur les problèmes commerciaux. Il existe enfin des instituts privés de recherche économique qui mettent en œuvre des programmes particuliers ; dans le cas de la Fundación La Salle, par exemple, les études économiques font surtout partie des projets de recherches de sciences sociales que son Instituto Caribe de Antropología y Sociología mène à l'échelon sub-régional ou à celui de la petite collectivité, généralement pour le compte d'institutions de protection sociale telles que l'Instituto Venezolano de Acción Comunitaria ou l'Instituto de Servicios Rurales et en vue de déterminer des programmes de développement communautaire ou d'amélioration des conditions socio-économiques locales. On a généralement recours pour toutes ces recherches à la méthode des enquêtes, celles-ci étant plus ou moins vastes et approfondies selon les cas et toujours précédées, bien entendu, d'un rassemblement aussi complet que possible de la documentation et des renseignements statistiques existants. Parmi les instituts de recherche économique du Venezuela, il faut aussi mentionner le Ministère de l'agriculture et de l'élevage qui procède en permanence à la collecte de statistiques et à la réalisation d'études et le Centro de Estudios Nacionales para el Desarrollo Económico y Social (CENDES) qui, travaillant en étroite collaboration avec les organismes publics de planification, exécute un certain nombre de programmes de recherche d'une haute technicité en vue de l'orientation de la politique économique du Gouvernement. » 7. Parmi les 14 centres de recherche les plus importants, six sont financés en totalité ou en grande partie (plus de 5 0 % ) par des fonds internationaux ou étrangers et cinq au moyen de crédits de l'Etat ; quatre font un certain nombre de travaux sous contrat et deux présentent les caractéristiques d'une fondation nationale privée. Ces organismes ont beaucoup de peine à se procurer des fonds suffisants auprès des autorités
Organisation et financement de la recherche
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publiques ou du secteur privé. Les contributions des gouvernements ne couvrent généralement que les traitements et salaires et l'entretien. En l'absence de crédits directement affectés à la recherche, les travaux empiriques sont négligés, dans les universités notamment. Des subventions, rares il est vrai, sont parfois consenties par les banques, l'exemple à cet égard ayant été donné par la Banque du Mexique et par la Banque internationale pour la reconstruction et le développement. Ces organismes se contentent de financer les activités de recherche et de formation à l'échelon post-universitaire menées dans les principales institutions. On estime au Centre de Rio de Janeiro que dans la plupart des pays latino-américains on n'a pas tenté de rechercher systématiquement les possibilités de financement existant à l'échelon national. 8. Les bailleurs de fonds étrangers ont parfois imposé non seulement les théories et les méthodes, mais aussi les problèmes à étudier. A son septième congrès ( 1 9 6 4 ) , l'Asociación Latino-americana de Sociología a jugé ces pratiques désastreuses. Il y a été dit que les sciences sociales en Amérique latine devraient être développées d'une part à l'aide de fonds provenant de la région elle-même et d'autre part grâce à l'assistance d'organisations internationales exemptes de toute préoccupation politique. Il existe néanmoins des exceptions. Des fondations catholiques européennes, telles que Misereor, ont donné une aide non liée à certaines organisations particulières. La France et les Pays-Bas, dans le cadre de leurs programmes d'assistance technique et le Congrès pour la liberté de la culture (Paris) ont fourni une aide indirecte fort utile. La Fondation Ford et la Fondation Rockefeller ont apporté leur soutien à des projets visant à développer l'équipement universitaire local par l'intermédiaire de recherches en commun, de programmes pédagogiques et d'une aide d'ensemble aux établissements d'enseignement. 9. On s'intéresse beaucoup aux programmes conjoints, dont certains sont déjà en cours et qui, étant exécutés en collaboration avec des institutions universitaires et des organismes de recherche étrangers, permettent d'exploiter à la fois le savoir et les techniques propres à d'autres pays et la connaissance qu'ont les chercheurs des conditions particulières à l'Amérique latine. On peut citer à titre d'exemple les relations que certaines universités d'Amérique du Nord entretiennent avec la Fundación La Salle et d'autres organismes du Venezuela, ainsi que l'œuvre accomplie par l'institution française Economie et Humanisme avec le concours d'un personnel vénézuélien. Le Management Sciences Center de l'Université de Pennsylvania a établi un système d'échange de professeurs assistants avec l'Université nationale du Mexique. Certains ont suggéré que l'on pourrait étendre avantageusement le projet qu'étudie actuellement le Centro Latino-americano de Venezuela ( C L A V E ) et qui consisterait à organiser, en collaboration avec l'Université de Californie (Los Angeles) et l'Instituto Caribe de Antropología de Venezuela, des
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Trist
cours d'été sur les problèmes sociaux en Amérique latine et les méthodes de recherche. Ces cours, qui servent à donner une formation spécialisée aux chercheurs, sont d'un type particulier. Ce sont les professeurs qui se rendent à l'endroit où se trouvent les élèves. Comme les cours de ce genre ont lieu à une période où les enseignants n'ont pas à faire face à leurs obligations habituelles, on peut y admettre davantage d'élèves et le coût en est sensiblement réduit. 10. Peu de spécialistes latino-américains des sciences sociales ont une prédisposition pour la recherche empirique. Dans l'état actuel des choses, la recherche est trop étroitement liée à l'enseignement universitaire de type didactique. La notion du chercheur spécialisé en sciences sociales n'a pas pris racine ; sa condition est encore celle d'un parent pauvre, sans profession bien reconnue. Ce phénomène résulte en partie de l'absence de matériel et de moyens financiers, mais il traduit aussi une attitude culturelle plus profonde qui a nui à la pratique de la vérification des hypothèses par des moyens empiriques. 11. Il est indispensable que les universités concluent des arrangements avec ceux qui, dans les sociétés auxquelles elles appartiennent, peuvent leur apporter des fonds. Il faut pour cela qu'elles entreprennent des recherches appliquées. « Cela leur permettra de ne plus être les critiques passifs de l'ordre social existant et de contribuer aux efforts déployés par les organismes gouvernementaux et les entreprises privées en vue de faciliter les transformations et de créer les conditions requises pour le développement économique et social. Ce serait une source d'enrichissement et pour la recherche et pour les activités sociales. »
Cette nécessité est soulignée dans le rapport vénézuélien ( 100 ) : « La recherche fondamentale est bien évidemment essentielle puisqu'elle permet à l'homme d'accroître ses connaissances et qu'elle constitue le point de départ de toute recherche appliquée. Néanmoins, à mesure que les problèmes gagnent en acuité, il devient de plus en plus nécessaire de trouver des solutions pratiques et, par conséquent, d'orienter les travaux de recherche vers la découverte de celles-ci. Cela ne signifie pas nécessairement qu'il nous faille persister à considérer la recherche appliquée comme le seul type d'investigation. Il faut rendre la recherche fondamentale « opérationnelle », c'est-à-dire qu'il faut la mener compte tenu d'un problème particulier à résoudre. En fait, et c'est là le point le plus important, il convient de ne pas abandonner la recherche fondamentale pour la recherche appliquée, — ce qui, comme on l'a déjà dit, ne serait ni rationnel ni souhaitable — mais tout d'abord de mettre au point des méthodologies nouvelles permettant un gain de temps dans l'exécution des deux types de travaux et, ensuite, d'effectuer les uns et les autres en fonction d'un objectif opérationnel à atteindre. »
Un autre rapport ( 1 1 1 ) souligne la nécessité de créer des motivations orientant les spécialistes vers la recherche : « D'une manière générale, les pays en voie de développement disposent d'un capital humain qui est mal exploité. Il faut rendre la profession de chercheur attrayante et orienter davantage les méthodes et les systèmes d'aide pédagogique et financière vers la formation de chercheurs si l'on veut remédier à cette insuffisance des pays en voie de développement, qui ne pourront jamais résoudre leurs problèmes de façon satisfaisante en l'absence de chercheurs autochtones : quelle que soit la
Organisation et financement de la recherche
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complexité des techniques de recherche, ils sont les seuls à pouvoir saisir bien des aspects essentiels d'une situation donnée, cette remarque étant particulièrement vraie en matière de sciences humaines. »
12. Un rapport émanant de l'Instituto Ecuatoriano de Sociología y Técnica à Quito (105) montre ce qu'il en est dans les très petits pays où les recherches de sciences sociales sont presque inexistantes. Le manque d'études empiriques a compliqué la tâche des spécialistes chargés de planifier l'exécution du programme de l'Alliance pour le progrès. Il a donné lieu à des conceptions inexactes et entraîné de graves erreurs sur certains points tels que la réforme agraire. On envisage de créer un institut central de recherches de sciences sociales qui serait autonome, bien que financé par des crédits budgétaires réguliers. Il déterminerait son programme en fonction des besoins véritables du pays. 13. Le rapport du Venezuela indique clairement dans quel sens il faut agir : « En ce qui concerne les recherches économiques, qui devraient toujours viser à résoudre un problème précis, le Venezuela a besoin : (a) d'un développement et d'une diversification des investigations relatives à la structure économique, le but étant non seulement de compléter les études en cours mais aussi de faire porter les recherches sur des groupes suffisamment restreints pour que l'on puisse se faire une idée aussi objective que possible des structures réelles, assez différentes bien souvent de celles qui ressortent des moyennes statistiques obtenues par des études nationales, régionales ou sub-régionales ; (b) d'études opérationnelles de viabilité économique visant à déterminer des micro-structures de production adaptées aux ressources dont peuvent disposer de petits groupes et susceptibles d'être intégrées dans des ensembles plus vastes ; (c) d'enquêtes d'ensemble portant sur les macro-structures économiques à l'échelon national — marchés, crédit, etc. — Néanmoins, et d'une manière générale, c'est de spécialistes formés à la recherche que le pays manque le plus, les ressources financières étant suffisantes dans l'ensemble. »
14. L'une des principales difficultés rencontrées par les pays d'Amérique latine tient au fait qu'ils n'ont pas pu prendre exemple sur les nations dont leurs cultures sont originaires, l'Espagne et le Portugal (93). Ces dix ou quinze dernières années, cependant, les sciences sociales ont commencé à se développer en Espagne parallèlement à l'expansion économique et industrielle. Bien que les « facultés » traditionnelles ne se soient guère modifiées, un certain nombre d'instituts universitaires se sont constitués en dehors d'elles. Des organismes indépendants se sont également créés. En 1956, une école d'administration des entreprises a été fondée dans le cadre de la nouvelle université privée de Guipuzcoa, à San Sebastián. L'enseignement, d'une durée de cinq ans, comprend des cours de psychologie et de sociologie, matières pour lesquelles les universités d'Etat ne décernent pas de premier diplôme. Il est complété par un programme d'études post-universitaires axées sur certains problèmes internationaux. Des écoles de psychologie, de sociologie et de sciences sociales auxquelles ont accès les étudiants titulaires
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Eric Trist
d'un premier diplôme ont été rattachées à un certain nombre de petites universités, ainsi qu'à celles de Madrid et de Barcelone. 15. Le Consejo Superior de Investigaciones Científicas ( 9 7 ) a joué un rôle considérable dans cette évolution. Créé par le Gouvernement dès 1940, il est chargé de « développer, orienter et coordonner les recherches menées par les universités, les divers instituts de recherche, les écoles et les organismes scientifiques disséminés dans tout le pays et de patronner des investigations systématiques dans des domaines nouveaux ou dans ceux qui ont été négligés faute de moyens financiers ». Le CSIC est une fédération d'instituts de recherche qui a acquis certaines des caractéristiques des académies d'Europe de l'Est. Parmi les établissements indépendants figurent des organismes tels que l'Instituto Nacional de Psicología Applicada y Psicotecnia. La Commission de Planification et le Conseil national pour la productivité ainsi qu'un certain nombre d'entreprises industrielles patronnent aujourd'hui diverses sortes de recherches de sciences sociales. 16. L'ensemble des dépenses de R et D en Espagne représente 0,9 % du budget net de l'Etat et 0,02 % du PNB. Le CSIC emploie 7 7 5 chercheurs qualifiés, spécialisés en sciences humaines. On ignore combien d'entre eux se consacrent aux recherches de sciences sociales proprement dites, mais la proportion est probablement considérable. Cette évolution a été guidée, en dépit des contraintes politiques, par une certaine élite à la fois préoccupée de l'expansion industrielle et de la croissance économique et consciente de leurs incidences sociales. Cette transformation de l'Espagne traditionnelle aidera peut-être les pays de langue espagnole du Nouveau monde à ne plus voir dans leur « culture de référence » une civilisation essentiellement pré-industrielle et semi-féodale, hostile aux changements et à l'esprit scientifique.
L'Inde,
grand « pays témoin » pour l'Asie
17. Un certain nombre de pays d'Asie n'ont fourni aucun renseignement. Ceux reçus des autres pays sont fragmentaires sauf dans le cas de l'Inde. On dispose en effet à son sujet de plusieurs rapports dont l'un a été spécialement préparé pour les besoins de la présente étude par l'ancien Centre de recherches de l'Unesco sur les problèmes du développement économique et social en Asie du sud-est ( 1 1 0 ) . Ces documents et certaines communications présentées par des spécialistes des sciences sociales tant indiens qu'étrangers permettent de donner un aperçu de l'organisation et du financement des recherches de sciences sociales dans le sous-continent ( 9 1 ) . L'Inde tend à devenir actuellement un « pays témoin » pour l'Asie dans le domaine scientifique. Si l'on excepte le Japon, c'est probablement le premier grand pays hors d'Eu-
Organisation et financement de la recherche
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rope et d'Amérique du Nord à être doté des moyens nécessaires pour l'exécution de travaux de sciences sociales d'une haute tenue. 18. L'Inde comptait, en 1963, 55 universités groupant plus d'un million d'étudiants et 6 3 . 0 0 0 enseignants, dont 14 % étaient des professeurs. Les universités sont des établissements publics habilités à délivrer des diplômes valables dans tout le pays. La plupart d'entre elles ont une structure composite puisqu'elles comportent des départements centraux chargés de la formation et de la recherche à l'échelon post-universitaire et des collèges qui leur sont rattachés et où se font les quatre premières années d'études supérieures. L'organisation des examens incombe aux départements centraux. Les échanges de personnel entre les deux types d'établissements sont réduits. Environ 90 % des étudiants indiens non gradués suivent les cours dispensés dans un millier de collèges « affiliés » disséminés dans tout le pays. 19. Les universités sont financées par des crédits annuels émanant soit du Gouvernement central, soit de celui des Etats. Les fonds octroyés par le Gouvernement central sont distribués par l'intermédiaire de l'University Grants Committee, constitué sur le modèle de l'organisme britannique correspondant. Si l'on en juge par l'année 1960-1961, les sommes qu'il répartit représentent plus du 1 / 5 e du total des dépenses publiques pour l'enseignement supérieur et vont pour plus d'un tiers à quatre universités « centrales ». Quant aux collèges « affiliés », ils bénéficient bien souvent de fonds provenant de souscriptions publiques ou privées ou émanant d'institutions de bienfaisance ou d'organismes fondateurs ». 20. Des commentateurs tant indiens qu'étrangers ont critiqué cette séparation entre les établissements d'enseignement post-universitaire et les collèges où se font les premières années d'études supérieures, qui s'accompagne d'une dispersion et d'un développement rapide de ces derniers. Ils considèrent que l'expansion continue des collèges et des « universités » des divers Etats de l'Inde depuis l'indépendance traduit l'aspiration des membres des castes « inférieures » à une amélioration de leur condition économique et sociale, qu'ils tentent d'obtenir en se faisant décerner un diplôme reconnu qui leur permette d'accéder à la fonction publique ou de faire partie des cadres supérieurs ou moyens. C'est d'ailleurs ce que faisaient les membres des castes supérieures à l'époque de la domination britannique. On en vient à voir dans l'Université un organisme chargé de délivrer un diplôme sanctionnant une formation professionnelle. De ce fait, l'opinion publique réclame de plus en plus un enseignement supérieur « universel » jugé comme un droit social et l'accent est mis à l'excès sur la préparation et l'enseignement de programmes d'examens susceptibles d'être appliqués tels quels par un grand nombre d'unités quasi indépendantes, les collèges. On cesse de con-
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Eric Trist
sidérer que l'enseignement post-universitaire et la recherche sont indispensables dans une université. Même dans les universités où ces activités se poursuivent, leur rendement est réduit du fait qu'elles sont séparées matériellement et administrativement de l'enseignement dans les collèges et qu'elles ont peu d'ampleur. 21. Dans la mesure où il faut aménager rapidement un système d'enseignement supérieur de masse, on peut se demander si la solution choisie par l'Inde est très différente de celle qui a été adoptée aux EtatsUnis, où les collèges des Etats et les liberal arts collèges coexistent avec les universités. Même en Grande-Bretagne, les collèges techniques constituent un système complémentaire de l'enseignement supérieur. Les pays d'Europe de l'Est n'ont pu mettre simultanément sur pied un système d'enseignement supérieur et un réseau d'instituts de recherche qu'en maintenant au début une nette séparation entre l'enseignement et la recherche. 22. Il est intéressant de noter que, parmi les propositions formulées en vue d'améliorer la situation, celle de l'UGC vise en priorité à assurer les meilleures conditions de travail à un nombre restreint d'étudiants, tout en laissant se poursuivre l'expansion des collèges. L'UGC préconise la création, dans certains départements ou dans des instituts rattachés à l'Université, de centres de hautes études (centres of advanced study), où une formation universitaire de troisième cycle serait combinée avec la recherche. Ces centres devraient être peu nombreux, afin que leur personnel puisse comprendre un nombre suffisant d'hommes de science éminents. Ils deviendraient des « centres d'excellence ». Vingt-six centres de ce genre avaient déjà été créés en 1965. 23. Au niveau des études supérieures du 3ème cycle, une très grande partie des activités de formation et de recherche se poursuit dans des organismes semi-autonomes. Dans le domaine des sciences sociales, on peut mentionner, par exemple le Gokhale Institute of Politics and Economies (Institut Gokhale des sciences politiques et économiques) à Poona, le Tata Institute of Social Sciences (Institut Tata des sciences sociales) à Bombay, les instituts de sciences sociales d'Agra, de Bénarès et de Lucknow, ainsi que plusieurs centres de recherches agro-économiques. Ces établissements sont rattachés au système universitaire au niveau du troisième cycle. Leurs membres peuvent être titulaires d'une chaire dans un département universitaire et faire des cours conduisant à des grades de niveau supérieur. Ces instituts reçoivent une aide provenant de diverses sources tant privées que publiques. Dans une certaine proportion, leurs travaux résultent de contrats passés avec des organisations qui font appel à leurs services. Ce ne sont en aucune façon de grands établissements. En 1963, le personnel scientifique de l'Institut Gokhale
Organisation et financement de la recherche
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comptait 26 membres et son personnel administratif 8 membres ; le personnel scientifique de l'Institut Tata se composait de 9 membres employés à plein temps et de 4 membres travaillant à temps partiel. L'Institut Tata comme l'Institut Gokhale sont des fondations privées qui ont été créées sous le régime colonial. L'Institut Gokhale comprend maintenant l'un des nouveaux centres de hautes études, qui est spécialisé dans l'économie agricole. 24. Dans le domaine des sciences sociales, il existe aussi plusieurs instituts de recherche extérieurs au système universitaire et administrativement indépendants des pouvoirs publics ou de tout utilisateur particulier. En voici quelques exemples : Institute of Economic Growth (Institut de développement économique), Delhi Indian Institute of Economics (Institut indien des sciences économiques ) National Institute of Community Development ( Institut national du développement communautaire ) Indian Institute of Asian Studies (Institut indien d'études asiatiques ) National Council of Applied Economic Research (Conseil national de la recherche économique appliquée) Indian Institute of Public Administration (Institut indien d'administration publique) All Indian Institute of Local Self-Government (Institut pan-indien de l'auto-administration locale) Demographic Training and Research Centre (Centre de formation et de recherche démographiques), Bombay Indian Institute for Population Studies (Institut indien d'études démographiques ) Indian Statistical Institute (Institut indien de statistique) Indian Institute of Public Opinion (Institut indien de l'opinion publique ). Le Centre de formation et de recherche démographiques de Bombay a été créé en 1956 sous le patronage commun du Gouvernement indien, de la Fondation Dorabji Tata et de l'Organisation des Nations Unies pour effectuer des recherches sur les problèmes démographiques en Asie et en Extrême-Orient et pour former du personnel local dans le domaine de la démographie. Le Centre décerne ses propres diplômes mais il s'adresse, pour l'enseignement, aux départements du troisième cycle de l'Université de Bombay. Les cours portent à la fois sur les sciences sociales, la statistique et les méthodes de recherche, sur la génétique et la physiologie de la reproduction humaine et sur la planification familiale. Les activités de formation sont financées en grande partie au moyen de bourses accordées par le gouvernement, l'Organisation des Nations Unies et le Population Council (Conseil de la population) à New York. Les
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candidats comprennent des ressortissants de pays appartenant à la région de la C E A E O . L'attribution de crédits pour la recherche n'est pas subordonnée à la réalisation de projets déterminés. Beaucoup de programmes du Centre sont exécutés en coopération avec les gouvernements des Etats de l ' I n d e ou avec des organisations régionales telles que la C E A E O . 25. A l'exception de l'Institut de l'opinion publique, tous ces organismes assurent une formation portant sur la méthodologie et les techniques de recherche. Certains, tels que l'Institut indien d'administration publique, remplissent aussi certaines fonctions des sociétés savantes. En ce qui concerne la recherche, la plupart d'entre eux dépendent des subventions et des contrats accordés par le gouvernement central et les gouvernements des Etats, par des organismes privés et par des fondations étrangères et internationales. L'Institut indien de l'opinion publique exécute des travaux sous contrat pour des entreprises commerciales et l'Institut indien de statistique bénéficie de contrats du gouvernement. Seul l'Institut indien de statistique est un organisme important, qui emploie à plein temps ou à temps partiel quelque 2.000 personnes, dont 500 enquêteurs. Il accomplit un travail considérable dans le domaine des statistiques sociales. C'est ainsi qu'il s'est récemment livré à des enquêtes sur les conditions de vie de différentes classes sociales, à une enquête nationale portant sur une période de cinq ans et à des études sur la mobilité sociale. O n peut le comparer à l ' I N S E E . 26. La création de deux écoles supérieures de gestion des entreprises (graduate schools of management), en coopération avec des universités américaines et avec l'aide de la Fondation Ford, est un fait relativement récent. L ' u n de ces établissements, situé à Calcutta, est lié à la Sloan School of Management du M.I.T. ; l'autre, installé à Ahmedabad, se rattache à la Harvard Business School. Des enseignants américains font régulièrement des séjours en Inde. Il s'agit de développer la recherche aussi bien que l'enseignement. L'Administrative Staff College à Delhi reflète l'influence de modèles britanniques. D'autres écoles de gestion des entreprises combinant la recherche et l'enseignement universitaire du troisième cycle — telle que celle de Bombay — ont été entièrement créées par les milieux d'affaires indiens. Comme il est essentiel d'accélérer l'industrialisation, il importe particulièrement d'acquérir par la recherche une meilleure connaissance de ce que l'industrialisation exige dans les conditions qui sont celles de l'Inde. 27. Il existe, notamment dans les domaines de l'anthropologie et de l'économie agricole, un certain nombre de centres de recherche qui relèvent directement du gouvernement central ou des gouvernements des Etats. En ce qui concerne l'anthropologie, le Département d'anthropologie du gouvernement central est chargé de faire des enquêtes sur les
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tendances démographiques (migrations intérieures, conditions de vie des réfugiés, nouvelles agglomérations, développement communautaire) et sur la structure sociale (en accordant une attention particulière à la répartition et à l'organisation des tribus ). Les gouvernements de certains Etats (Orissa, Madhya Pradesh, Bengale occidental et Bihar par exemple) ont leurs « instituts de recherches tribales ». Ces recherches portent essentiellement sur le développement, la dispersion et l'intégration des tribus qui depuis l'accession à l'indépendance (comme avant celle-ci) posent d'importants problèmes de politique sociale, à l'échelon tant national que local. C'est aussi pour des considérations de politique générale que la priorité a été accordée à la création de centres de recherches agro-économiques dans l'est, le nord-ouest et l'ouest de l'Inde, dans l'Etat de Madhya Pradesh, etc. 28. Dans certains ministères, des économistes sont employés à des travaux concernant la planification économique, tandis que des spécialistes d'autres branches des sciences sociales apportent leur concours à la mise au point de politiques d'action sociale. On trouve aussi du personnel de cette catégorie dans des établissements publics, ainsi que dans des entreprises et associations privées. Cependant, ces dernières font exécuter, sous contrat, une grande partie de leurs travaux de recherche par des instituts extérieurs. Malgré ces activités, les attitudes des organisations utilisatrices ont suscité de nombreuses critiques. On critique tout particulièrement le fait que, même là où les travaux de recherche et développement sont encouragés (notamment dans les domaines des sciences exactes et naturelles et de la technologie ), aussi bien les pouvoirs publics que l'industrie montrent peu d'empressement à tirer parti des résultats obtenus. Lorsqu'il s'agit de poser les problèmes, l'initiative est laissée aux institutions scientifiques. On ne s'efforce guère de créer des liens réels entre les chercheurs et les utilisateurs. De ce fait, ainsi que l'écrit S. Dedijer, la recherche « appliquée » se transforme souvent en recherche « p u r e » , faute d'applications (98). On trouve derrière cette tendance des attitudes très répandues qui prennent racine dans la culture traditionnelle. 29. Selon les estimations fournies par S. Dedijer, l'ensemble des dépenses (publiques et privées) consacrées à toutes les activités de recherche et développement (y compris les sciences sociales) représente pour l'Inde 0,1 % du PNB. En ce qui concerne le personnel, le Centre de recherches de l'Unesco a dressé pour 1963 le tableau détaillé suivant : Chercheurs Sciences économiques Statistiques sociales Anthropologie (sociale et culturelle) « Sciences sociales » Science politique
1.982 922 290 175 131
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Eric Sociologie Démographie Psychologie
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70 49 43
Ces chiffres sont incomplets et ne sont plus à jour. Voici quelques estimations plus récentes pour l'année 1965 : Psychologie Sociologie Démographie
150 - 200 100 -120 50- 70
On entend par « chercheurs » les spécialistes employés dans les instituts et centres de recherche sur lesquels a porté l'enquête. De très nombreux professeurs des collèges universitaires affiliés ne sont pas compris dans ces chiffres. 30. L'intérêt particulier qui est accordé aux sciences économiques témoigne du souci que l'on a du développement. L'importance qui leur est donnée tient aussi peut-être à ce que les sciences économiques sont, parmi les sciences sociales, celles qui jouissent de la plus longue tradition dans les institutions britanniques qui ont servi de modèle aux universités indiennes, c'est-à-dire les universités d'Oxford et de Cambridge et la London School of Economies and Political Science. Tant du point de vue de la solution des problèmes nationaux que de celui du développement des sciences sociales à plus long terme, cette préférence pour les sciences économiques risque de faire plus de mal que de bien. Il est peu probable que les problèmes du développement puissent être pleinement compris ou résolus simplement par l'application de modèles économiques. 31. La progression des statistiques sociales s'explique par la demande des organisations utilisatrices, qui s'appuient sur ces statistiques pour prendre des décisions de politique générale. Mais le développement excessif de cette discipline par rapport à d'autres, telles que la sociologie, risque d'aboutir à un dysfonctionnement, produisant des masses de données qui ne s'accompagnent pas de concepts pouvant servir de cadres à l'analyse et à l'explication. 32. L'influence qu'exerce la situation sociale et culturelle de l'Inde est révélée par la vigueur de l'anthropologie, comparée à la sociologie et à la psychologie, ainsi que par la place faite à la démographie en tant que discipline distincte. 33. Il n'existe pas en Inde d'organisme central chargé de planifier et de coordonner les sciences sociales. Cependant, un comité vient d'être constitué pour procéder à une enquête dans ce domaine, un peu comme l'a fait la Commission Heyworth au Royaume-Uni.
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34. Sur le plan plus général de la politique scientifique, il existe à l'échelon du gouvernement central plusieurs organes consultatifs qui groupent des hommes de science, des membres du gouvernement et des représentants d'entreprises ou associations publiques et privées. La politique scientifique est devenue un sujet de controverses. Ces dernières partent du fait que l'on n'est pas satisfait des résultats de la science indienne, en particulier de sa contribution au développement de la technologie. Certains milieux ont réclamé l'établissement d'un système mieux coordonné, suivant l'exemple des pays d'Europe orientale. Des progrès ont été réalisés depuis lors grâce à un organisme de coordination.
Le Sénégal, petit « pays témoin » pour l'Afrique 35. Comme en Asie et en Amérique latine, les activités sont très limitées dans un certain nombre de pays d'Afrique, notamment ceux qui sont secoués par des troubles politiques. Néanmoins, les progrès réalisés ont été supérieurs à ce que l'on attendait. Les données extraites d'une étude spéciale qui a été consacrée au Sénégal serviront à le montrer ( 1 1 8 ) . Le Sénégal constitue une base régionale pour l'enseignement des sciences sociales et la recherche dans les parties de l'Afrique occidentale qui étaient placées autrefois sous le régime colonial français. L'Université de Dakar et les institutions qui lui sont affiliées jouent un rôle important dans cette évolution. Dakar est aussi le siège d'un organisme des Nations Unies qui s'occupe du développement et de la planification économiques en Afrique. 36. Il y a interpénétration entre les organisations de recherche et d'enseignement, mais la meilleure façon de décrire leurs activités consiste à les présenter séparément, en commençant par les établissements d'enseignement. Ces établissements se divisent en cinq catégories : les facultés de l'Université de Dakar, les instituts de faculté, les instituts rattachés à l'Université, les écoles de l'Etat et les organisations internationales. On trouvera ci-après un bref exposé de leurs rôles respectifs dans l'enseignement des sciences sociales : ( a ) Les facultés de l'Université (lettres et sciences humaines, droit et sciences économiques) se consacrent principalement à l'enseignement et offrent des cours à plein temps aux étudiants non gradués et gradués. Ces cours sont organisés selon le système français : certificat d'études littéraires générales sanctionnant l'année de propédeutique ; certificats d'études supérieures ; doctorat de 3ème cycle. ( b ) Deux instituts de faculté dispensent un enseignement dans le domaine des sciences sociales. Ce sont : l'Institut d'études islamiques ( I E I ) qui organise des cours de langue et de civilisation arabes à Dakar, Saint-Louis et Thiès et l'Institut d'études administratives africaines ( I E A A ) qui offre aux fonctionnaires de l'Etat des cours par correspon-
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dance portant sur le droit public, les finances, l'économie politique, etc. Il prépare aussi aux concours de l'Institut des hautes études d'outre-mer de Paris et des Ecoles nationales d'administration. ( c ) L'un des instituts rattachés à l'Université, l'Institut de promotion économique et sociale de l'Afrique noire ( I P E S A N ) comprend des sections de statistique et de sciences économiques. Les cours sont faits par des professeurs de la Faculté de droit et des sciences économiques et ont lieu le soir. L'année d'études est sanctionnée par un examen qui conduit à un certificat de statistique ou de sciences économiques. (d) L'Etat assure le fonctionnement de deux écoles destinées à former ses fonctionnaires. L'Ecole nationale d'administration du Sénégal (ENAS) recrute par concours des licenciés et des fonctionnaires de catégorie B, âgés de trente ans au moins. Le programme comprend des cours de droit, de sociologie, d'ethnologie, de géographie humaine, de psychologie sociale, etc. Le brevet de l'ENAS donne accès à diverses branches de la fonction civile. L'Ecole nationale d'économie appliquée ( E N E A ) organise un cours de trois années destiné à former les « cadres moyens du développement ». Ce cours comprend un enseignement théorique, des travaux pratiques et des exercices portant sur la recherche appliquée. ( e ) L'organisme international qui dispense un enseignement au Sénégal est l'Institut africain de développement économique et de planification des Nations Unies ( IADEP ). Cet institut organise des cours et des stages d'études spéciaux et offre un programme de formation d'une durée de neuf mois à des licenciés présentés par leur gouvernement qui désirent se spécialiser dans la planification économique. 37. La recherche, pour sa part, est organisée dans de nombreux petits centres. Contrairement à ce que l'on constate dans certains pays, les facteurs psychologiques et sociologiques y occupent une place importante. Les projets en cours d'exécution et les organismes qui en sont responsables sont décrits ci-dessous : (a) La Faculté des lettres et sciences humaines de l'Université de Dakar comprend une section de sociologie et une section de psychologie qui entretiennent de multiples contacts avec les facultés voisines, les chercheurs des instituts et les ministères, ainsi que les professeurs des écoles secondaires ou techniques. Elles collaborent avec d'autres universités — africaines, américaines et européennes. Dans les activités de recherche sont compris les publications des professeurs, les travaux exécutés sous leur direction et les thèses de doctorat. ( b ) L'Institut des sciences psychologiques et sociales rattaché à l'Université comprend un Centre de recherches psycho-sociales et un Centre de recherches psycho-pathologiques ; l'Institut se livre à des enquêtes sur les transformations sociales en cours et leurs effets sur les individus et étudie les méthodes d'enseignement. ( c ) Plusieurs ministères procèdent à des enquêtes sociologiques : le
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Ministère de l'information étudie l'industrie touristique et l'emploi des moyens de grande information ; le Ministère de l'économie rurale fait des enquêtes sur la santé, les loisirs, les migrations rurales, l'information économique et les activités agricoles. Des études sur l'urbanisation ont été entreprises sous les auspices du Ministère du plan et du développement. Le Service de la statistique étudie les budgets familiaux en milieu urbain et rural, la nutrition et la natalité. ( d ) L'Institut fondamental d'Afrique noire ( I F A N ) a une Section de sociologie qui comptait 4 chercheurs en 1964 : un sociologue, un psychologue, un démographe et un urbaniste ; ils étudiaient les problèmes résultant de l'urbanisation et de l'industrialisation de l'Afrique occidentale. ( e ) Le Centre hospitalier de Fann se livre à des recherches orientées sur des problèmes spécifiques qui ont trait à l'adaptation des connaissances et des théories psychologiques à la situation africaine : la schizophrénie dans le milieu africain, la mère africaine et la fréquentation scolaire ; les rapports d'un malade mental avec sa famille ; l'hôpital en tant qu'institution psychothérapeutique ; l'emploi des techniques projectives dans un cadre africain. ( f ) La Fraternité Saint-Dominique dispose d'un chercheur qui fait une étude socio-démographique de la population africaine chrétienne de Dakar. ( g ) Certaines des recherches poursuivies par la Faculté mixte de médecine et de pharmacie concernent les sciences sociales ; elles portent sur l'évolution des habitudes alimentaires des mères et des jeunes enfants et sur l'éducation pour la santé publique dans les communautés urbaines. L'Institut de pédiatrie sociale étudie les aspects sociaux de la pédiatrie, la vie de l'enfant africain dans une communauté urbaine, les effets du milieu social sur la santé. ( h ) Le Centre de linguistique appliquée de Dakar étudie les aspects psycho-linguistiques de l'acculturation et la Fraternité Saint-Dominique les problèmes que pose la traduction des textes chrétiens dans les langues africaines. 38. Le deuxième des grands domaines qui font l'objet de recherches est celui de la démographie, de la statistique et des sciences économiques dans leurs rapports avec les problèmes du développement. Cela correspond aux structures qui se sont créées en France. ( a ) Le Service de la statistique, qui dépend du Ministère du plan et du développement, fait des études démographiques et socio-économiques. Il coordonne les statistiques produites par les services ministériels et publie un périodique sur l'activité économique. La Section des sciences humaines de l'Office de la recherche scientifique et technique d'outre-mer ( O R S T O M ), section sénégalaise de l'organisme parisien, collabore avec lui à des études sur les statistiques de l'état-civil et sur les migrations dans les communautés urbaines et rurales.
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(b) L'ORSTROM fait également des recherches économiques. La Section des sciences humaines a étudié les systèmes de comptabilité régionaux en vue de trouver des indicateurs rapides permettant de contrôler l'exécution des plans régionaux. Il évalue aussi les projets proposés par les régions. (c) Au Sénégal — et même dans toute l'Afrique occidentale — la principale institution qui s'occupe de recherches économiques est l'Institut de science économique appliquée de Dakar (ISEA). Ses principaux sujets de recherche sont : l'industrialisation ( traitement mathématique des problèmes posés par l'implantation d'industries, critères de sélection des industries, application de la technologie moderne aux pays insuffisamment développés, aspects coûts-bénéfices de la création d'industries de base ; l'économie agricole ; l'influence de l'économie internationale sur les pays d'Afrique. Il n'est pas surprenant que les statistiques produites au Sénégal n'aient pas été jusqu'ici quantitativement et qualitativement suffisantes pour justifier l'emploi des techniques mathématiques et économétriques. L'ISEA a souligné la nécessité d'une approche multidisciplinaire des problèmes du développement. N'étant pas luimême en mesure de financer des équipes de recherche multidisciplinaires, il collabore avec d'autres institutions. (d) La Société d'aide technique et de coopération (SATEC) s'efforce d'accroître la productivité dans le domaine des denrées alimentaires, notamment les arachides. Son action est complémentaire de celle des organisations rattachées aux Ministères de l'économie rurale et du plan. Elle nécessite des recherches économiques, psychologiques et ethnologiques ; une étude de la culture sénégalaise et des contraintes qu'elle impose. (e) La Compagnie d'études industrielles et d'aménagement du territoire (CINAM) se propose de perfectionner les méthodes de planification décentralisée et de les mettre en application ; elle s'intéresse à l'organisation du travail et aux méthodes de formation des agents des Centres d'expansion rurale, ainsi qu'à la méthodologie des petits projets exécutés à l'intention des communautés rurales et à la formation des fonctionnaires chargés de les exécuter et de les contrôler. ( f ) SCET-Coopération est un organisme français qui effectue pour le Gouvernement sénégalais des recherches portant sur l'urbanisation, l'économie rurale et la pêche. Elle a participé à la création à Dakar d'un complexe industriel pour la production de conserves de thon. (g) Le Centre africain des sciences humaines appliquées d'Aix-enProvence (CASHA) a choisi le Sénégal en 1962 pour y étudier « la nature des exigences que le développement économique et social impose à une administration de pays sous-développé et... en rechercher les conséquences sur le plan politique, économique et social ». 39. Le troisième grand domaine de recherches est celui des études africaines, qui bénéficie d'une attention croissante depuis que l'on
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apprécie mieux le rôle des cultures traditionnelles dans le processus de développement et que l'on aborde avec plus de réalisme les problèmes posés par leur immense diversité — qu'il s'agisse du langage, de la structure sociale ou des coutumes. Les organisations ci-après se livrent à des travaux dans ce domaine : (a) L'IFAN étudie l'homme d'Afrique occidentale — son histoire, sa civilisation, sa langue et son art, ainsi que l'évolution de la structure traditionnelle de la société d'Afrique occidentale. (b) Le Centre de recherches et de documentation du Sénégal (CRDS) étudie le climat, le folklore, les arts et la littérature du Sénégal. Par l'intermédiaire de son musée, il s'efforce de diffuser la culture sénégalaise. Le gouvernement bénéficie de ses services en matière de documentation et de recherche. (c) Le Centre de recherches, d'études et de documentation sur les institutions et la législation africaines (CREDILA) recueille des documents et en fait la synthèse afin de faciliter l'étude des problèmes africains dans les domaines du droit, de la législation et de l'administration. Il est rattaché à la Faculté de droit et des sciences économiques. (d) Le Département d'arabe et de civilisation musulmane de l'Université et la Fraternité Saint-Dominique font également quelques recherches. 40. Une certaine division du travail s'est instaurée entre les organismes internationaux tels que l'Institut des Nations Unies et les organisations ayant leurs homologues en France et celles qui sont nées d'initiatives africaines. Les études sur le développement économique et social sont essentiellement faites par les premières institutions, tandis que les secondes jouent un rôle prépondérant pour ce qui est des études de la culture et des langues africaines, ainsi que des problèmes que soulève l'abandon des modes de vie traditionnels. Les Africains ont besoin de prendre eux-mêmes conscience de leur patrimoine et de pouvoir le mettre effectivement en contact avec les ressources internationales qui peuvent les aider à acquérir les multiples compétences techniques nécessaires au développement de leurs sociétés. 41. Bien que l'ordre de grandeur des activités décrites — qu'il s'agisse d'enseignement ou de recherche — soit modeste, elles n'en ont pas moins quelque chose de complet. Elles constituent une esquisse de ce qui est nécessaire. C'est compte tenu de ce critère qu'il faut se garder d'en critiquer la dispersion excessive. Comment pourrait-on renoncer à une partie quelconque des efforts déployés ? Tout ce processus en est au stade de la chrysalide. A mesure que les ressources deviendront plus abondantes, l'expérience tirée des explorations entreprises dans de nombreuses directions permettra de procéder à des investissements décisifs dans quelques directions seulement. Ces orientations ne seront pas toujours les mêmes pour d'autres pays d'Afrique, mais ces derniers peuvent tirer la leçon de ce qui a été fait au Sénégal.
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d'Irlande,
« pays intermédiaire »
42. L'expérience acquise au Sénégal indique que les « postes d'apprentissage » qui existent parmi les pays en voie de développement euxmêmes peuvent jouer un rôle extrêmement important en tant qu'organes de transmission des connaissances à d'autres pays de la même catégorie. Il est facile à ces derniers pays de s'identifier aux premiers qui ont, à peu de chose près, les mêmes problèmes à résoudre. Ils ne sont ni menaçants, ni suspects. Les anciennes puissances coloniales suscitent des sentiments ambivalents et complexes. Les super-puissances sont écrasantes. Si les pays en voie de développement ont confiance dans les institutions des Nations Unies, ils ont quelquefois de la difficulté à s'en faire entendre, car il leur faut emprunter les voies officielles ; de plus, ils n'ont guère leur mot à dire pour le choix des experts. Dans de nombreux cas, les pays en voie de développement ne savent pas quoi demander. Tout cela incite à penser que les pays relativement petits et peu développés d'Europe pourraient jouer le rôle d'« intermédiaires » particulièrement acceptables pour les pays en voie de développement, qui ont le sentiment que ces petits pays, eux-mêmes relativement sous-développés, appartiennent au monde en voie de développement. Mais à cause de leur situation en Europe, ils ont un pied dans l'autre camp. Pour utiliser une image, ils peuvent servir de passerelles joignant deux rives. De plus, il est possible de prendre avec eux des contacts sans caractère officiel. Des réseaux de relations peuvent se créer par l'entremise de personnes qui se rencontrent et font connaissance à des conférences internationales, lors de missions et dans diverses circonstances particulières. 43. Un pays tel que la République d'Irlande a de grandes possibilités à cet égard ( 9 2 ) . L'Irlande a l'expérience de l'indépendance. A la fois petite et pauvre, elle a maintenant donné la preuve qu'elle pouvait se développer par ses propres moyens, ce qui ne l'a pas rendue moins apte à tirer parti de ressources d'origine étrangère et internationale. Tout en conservant la marque des institutions britanniques, elle a l'avantage d'être catholique, ce qui lui permet d'être plus aisément acceptée en Amérique latine et dans les régions catholiques d'Afrique et d'Asie. Cependant, elle ne fait aucun prosélytisme. 44. L'Irlande est un pays où les sciences sociales ont pris un grand essor ces dix dernières années. Ces progrès sont dus à l'initiative d'une élite tournée vers la modernisation, dont les membres appartiennent à tous les milieux sociaux : les partis politiques, la fonction publique, l'Eglise, l'industrie, les syndicats, les professions libérales et les universités. S'ils sont peu nombreux et doivent faire face à une forte opposition et à une apathie plus grande encore, ils se connaissent les uns les autres et trouvent à Dublin une capitale ayant un rayonnement mondial.
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45. Les deux tendances que nous nous proposons de décrire maintenant sont complémentaires. La première se manifeste sur le plan des relations personnelles et résulte du fait qu'un ou deux éminents spécialistes irlandais des sciences sociales ont rencontré des collègues dont les dispositions d'esprit leur ont semblé proches des leurs dans des établissements britanniques tels que l'Institut Tavistock et des organisations des Pays-Bas et de Norvège avec lesquelles ils étaient entrés en rapport. Tous ces organismes s'intéressaient à des recherches orientées d'ordre général. Très rapidement, les représentants de ces organismes ont pris contact avec des éléments novateurs des milieux industriels et officiels irlandais. C'est dans ces conditions qu'a été entreprise l'exécution d'un certain nombre de projets concernant les relations professionnelles, le développement régional et l'installation de nouvelles industries, dans lesquels tous les intéressés étaient associés à un processus commun d'acquisition de connaissances. Ces projets avaient un caractère international et les membres des organisations clientes comme ceux des instituts de recherche ont visité des zones de développement dans différents pays. Dans le cas de certains projets, les travaux les plus avancés se trouvaient en Irlande, si bien que le pays le moins développé est devenu un moniteur et un professeur. Cela peut se produire dans n'importe quelle partie du monde. Par exemple, certaines expériences originales et complexes d'utilisation des méthodes de groupe pour la formation à la fonction publique ont été faites en Afrique occidentale et orientale avec l'aide d'un consultant rémunéré par la Fondation Ford et, plus récemment, en R.A.U. et dans d'autres Etats arabes avec le concours de l'European Institute for Transnational Studies in Group and Organizational Development. 46. Les activités sans caractère officiel que nous venons de décrire se sont trouvées rattachées à un ensemble d'initiatives de caractère plus officiel qui ont été prises par l'Irish Institute for Public Administration. Ces initiatives ont abouti à la constitution d'un comité de la recherche dans les sciences sociales (Social Research Committee), qui aura pour mission de mettre en route un plus grand nombre d'études expérimentales et de préparer le terrain pour la création d'un conseil autonome de la recherche dans les sciences sociales. Ce comité était très largement représentatif des intérêts gouvernementaux et non gouvernementaux. Il en est résulté qu'une demande a été adressée à l'Organisation des Nations Unies afin d'obtenir l'envoi d'un expert qui devait passer en revue la situation en Irlande et formuler des recommandations sur l'utilisation des sciences sociales aux fins du développement national. Il vaut la peine de noter que l'expert désigné pour cette mission, le Dr. Henning Friis, était lui-même un ressortissant d'un petit pays, le Danemark ( 9 9 ) . Cet expert a recommandé qu'on élargisse les fonctions d'un organisme existant, l'Economic Research Institute, pour en faire un institut polyvalent de recherches de sciences sociales, qui s'occuperait
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de sociologie et de psychologie aussi bien que de sciences économiques et de statistique, et devrait créer un centre de recherches par voie d'enquêtes. Cet institut élargi se situerait en dehors des universités comme du gouvernement, mais il aurait des liens fonctionnels avec eux. Il se consacrerait surtout à des travaux axés sur des problèmes spécifiques se posant plutôt au niveau des programmes que des projets, qui susciteraient des études fondamentales dans les universités, mais auraient en même temps un but pratique puisqu'ils seraient liés aux besoins les plus urgents du pays. Ces besoins seraient diagnostiqués par les représentants des nombreux groupes d'intérêts composant le conseil, en coopération avec le personnel scientifique. Friis a estimé qu'il était trop tôt pour aller jusqu'à créer un conseil de recherches de sciences sociales dans la pleine acception du terme, qui aurait pour but d'arrêter une politique d'ensemble en ce qui concerne les sciences sociales. Il a recommandé que l'on franchisse la première étape sur le chemin de l'expansion. Ainsi, on a évité la dispersion sans créer un monopole. On a institué un « premier rôle », ce qui pourra assurer une certaine cohésion, tout en laissant d'autres voies ouvertes. 47. Les traits les plus importants du développement de l'Irlande sont les suivants : ce développement a été dirigé par l'élite soucieuse de l'avenir qui existait dans le pays et les membres de cette élite appartiennent aux milieux sociaux les plus divers. A ce niveau de cohésion et d'initiative internes, il y a tout lieu de croire que l'on obtiendra le concours de ceux des spécialistes de sciences sociales qui désirent contribuer à la solution des problèmes considérés et sont convaincus qu'ils enrichiront ainsi leurs connaissances scientifiques. Dans ces conditions, il est également plus facile d'assurer que les chercheurs étrangers auxquels le pays fait appel contribuent à développer ses propres moyens en matière de sciences sociales. L'un des cas où cela est le plus probable est celui où le genre de travail à réaliser est tel qu'il ne puisse être très aisément entrepris par les spécialistes étrangers dans leur propre pays. Des pays différents du point de vue des traditions, des structures sociales et des problèmes d'actualité offrent des possibilités diverses pour faire progresser les connaissances dans un certain nombre de secteurs critiques des sciences sociales. Quelques-uns des petits pays en voie de développement offrent des possibilités uniques à cet égard, de même que les pays intermédiaires comme l'Irlande. Ils ont un rôle de premier plan à jouer dans le développement des sciences sociales, et bénéficieront en même temps de 1'« assistance » dispensée.
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Troisième partie : Analyse et commentaires
V I . VERS DE NOUVELLES STRUCTURES
Un contexte universitaire à
modifier
1. Il y a beau temps que dans la plupart des pays les principales disciplines des sciences sociales qui sont autant de domaines de la recherche empirique se sont détachées de la philosophie, du droit ou des humanités où elles étaient confondues à leur origine. Or cette différentiation scientifique ne s'est pas accompagnée d'une différentiation organique au sein des facultés. Des organigrammes anachroniques ont séparé ces disciplines de la vie réelle, les ont séparées aussi les unes des autres et, qui pis est, les ont rétrécies. La nouvelle tendance est à la création de grandes écoles de sciences sociales où sont groupées toutes les disciplines sociales. On les ouvre ainsi les unes aux autres et au monde extérieur. On les met aussi en mesure d'atteindre plus rapidement la taille que requièrent les activités qui s'y rattachent. Leurs groupes de comparaison forment maintenant les sciences de la vie dans leur totalité, les sciences physiques dans leur totalité ou, si l'on préfère, les sciences humaines dans leur totalité. Elles se perçoivent désormais — et sont appréhendées — en association dans un complexe d'un ordre de grandeur plus élevé relié au milieu social tout entier. Et si on ne les envisageait que comme des entités indépendantes et non associées, d'un ordre de grandeur plus modeste, il ne serait possible de les relier qu'à des parties de ce milieu. Il est difficile de modifier des structures universitaires et ce dans certains pays plus que dans d'autres. Or il devient urgent de fournir aux sciences sociales les moyens de se développer rapidement et c'est une tâche prioritaire que celle de remanier le cadre organisationnel qui leur est donné au sein de l'université, dans tous les cas où celui-ci ne convient plus. 2. Un certain nombre de grandes écoles professionnelles ont vu le jour ; les unes sont directement tributaires des sciences sociales, les autres le deviennent chaque jour davantage. Citons parmi les premières celles qui sont consacrées à l'éducation, à l'administration sous toutes ses formes et au service social et parmi les secondes, celles qui se consacrent à la médecine, aux sciences de l'ingénieur, à l'architecture et à l'aménagement du milieu. Il existe maintenant des professions sociales comme il existe des sciences sociales et des technologies sociales parallèlement à un élargissement des connaissances fondamentales. Ces deux catégories se renforceront sans doute l'une l'autre comme l'ont fait la technologie et la connaissance fondamentale dans le domaine des sciences physiques et biologiques. La création de professions et de technologies sociales démolit les cloisons qui séparent les disciplines. En raison de la nature
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même de leurs tâches, les écoles professionnelles universitaires, à l'inverse des départements de sciences sociales, tendant à devenir multidisciplinares. Leur croissance facilite la formation de facultés générales de sciences sociales.
Apparition de la recherche orientée 3. Une troisième tendance qui se manifeste est celle d'une recherche « orientée sur le problème » et dont l'objectif ne concerne pas tant le bagage dont il faut munir les praticiens cadres qu'une information nouvelle, un meilleur discernement des options, un ensemble plus large de perspectives à offrir aux grands responsables du gouvernement, de l'industrie, pour ne pas dire de tous les domaines de la vie sociale. On a voulu tout d'abord y voir une notion erronée de la relation entre science pure et science appliquée dans laquelle la seconde succéderait à la première. On en tirait la conclusion que les sociologues devraient se garder de toute recherche orientée tant qu'ils n'auraient pas suffisamment élargi leurs connaissances de base. On sait maintenant que c'est l'inverse qui est vrai. Un excellent moyen de faire progresser la science fondamentale est de pratiquer la recherche orientée et la raison en est qu'une forte proportion des données indispensables aux sociologues ne peuvent être « extraites » de leur contexte vital. Il faut que les sociologues se fraient un accès vers elles et qu'ils y soient autorisés. Or cette permission ne leur sera accordée que par des gens liés à eux par la poursuite en commun d'un objectif suprême qui les rendra solidaires les uns des autres à l'intérieur d'un système auquel tous auront le sentiment d'appartenir (138). Telle est la base de ce qu'on a appelé « relation collaborative » (139). 4. Cette relation, envisagée comme mode de recherche, engendre entre « chercheurs » et « sujets de la recherche » un processus mutuel d'acquisition de connaissances. Une certaine compréhension de la science sociale peut être diffusée dès l'instant où elle est créée en tant que connaissance, ce qui revient à dire que les « clientèles » pour lesquelles le sociologue travaille à tous les niveaux du système — de l'individu à l'organisation multiple — s'intègrent au peloton dont la tâche est de poursuivre le développement des sciences sociales. C'est le troisième volet de l'entreprise — les disciplines universitaires et les professions liées à ces disciplines étant les deux autres.
Les sciences sociales dans l'enseignement
général
5. Pour justifier une augmentation de la part faite à la science sociale dans l'enseignement général, nous pourrions développer ce que nous
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avons dit à propos des « clientèles ». Plus rapide est l'évolution, plus complexe le milieu et plus vif est le besoin de l'individu de se comprendre soi-même et de comprendre la société. Plus vif, par voie de conséquence, est le besoin, pour cette société, d'être composée de gens qui possèdent cette compréhension élargie. Afin donc de répondre à une tendance toujours plus affirmée, il y aurait lieu d'introduire des cours très largement conçus de sciences sociales d'abord dans les programmes des premières années d'études universitaires (antérieures au premier diplôme) puis dans ceux des dernières années de l'enseignement secondaire ( 5 ) . 6.
Les dits cours devraient : ( a ) revêtir le caractère de cours théoriques de base comportant d'emblée une démarche multidisciplinaire et utilisant les concepts relatifs aux systèmes généraux. L'approfondissement du secteur choisi pourrait avoir lieu plus tard ; ( b ) viser à doter l'élève d'une base mathématique et statistique qui serait elle aussi d'un caractère très général ; ( c ) impliquer, pour l'élève, la participation aux travaux d'investigation sociale : observation du milieu, rassemblement de données, études de cas ou travaux de groupes permettant d'acquérir des « connaissances fondées sur l'expérience pratique ». Tout en élevant le niveau général de la compréhension de la science sociale que la population instruite possédera à l'avenir, des cours efficaces tels que ceux-là auraient pour effet d'encourager plus vivement et, qui plus est, un plus grand nombre parmi les meilleurs étudiants à se préparer intensément, lorsque le moment viendra, à embrasser l'une des carrières sociales ou à se livrer à la recherche sociale. L'on aura besoin d'une réserve généreuse de sujets excellents pour faire face à des problèmes complexes et opérer sur un terrain encore mal connu. 7. Un autre aspect critique de la science sociale réside dans le rôle qu'elle joue en matière d'éducation permanente. Cette éducation devient aussi importante que l'éducation de base car on a de plus en plus besoin de lutter contre le vieillissement des connaissances acquises. L'influence que les sciences sociales peuvent exercer sur la politique des organes responsables sera mieux comprise par un sujet qui aura quelque expérience de la vie et de la façon dont les décisions sont prises en haut lieu ( 1 8 5 ) .
Ce qu'il faut attendre d'un personnel
social-cadre
8. Le grand défaut de la préparation aux carrières sociales réside dans le divorce qu'on y observe entre les principes et usages en honneur dans les diverses formes de la pratique sociale et l'instruction de base en sciences sociales. Les uns et les autres en ont souffert en définitive.
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De nombreuses tentatives sont faites actuellement pour intégrer plus complètement la théorie et la pratique sociales. Dans la mesure où elles seront couronnées de succès, de nombreux emplois seront reclassés et passeront du niveau subalterne au niveau cadre et un bien plus grand nombre de sociologues accéderont à une expérience de cadres. Il en résultera une plus grande interchangeabilité entre la recherche, l'enseignement et la pratique ainsi que, par voie de conséquence, une plus grande souplesse dans la conception des carrières. Il est très généralement admis que la rigidité actuelle constitue, dans ce domaine, l'un des obstacles principaux qui s'opposent à une avance rapide des sciences sociales. 9. Ce statut plus solide conféré aux professions sociales aura pour corollaire la possibilité d'une approche plus scientifique du « développement social » par différence avec la « recherche sociale ». Il y a eu peu de développement social « éclairé par la science sociale » parce qu'on manquait, dans les organisations compétentes, de cadres possédant cette science. Or de tels cadres représentent une nécessité maintenant que l'intervention de l'Etat dans le fonctionnement de la société a atteint des proportions inconnues jusqu'ici. De vastes programmes sont mis en chantier sans qu'on se préoccupe de suivre de façon continue leur exécution dans leur phase initiale. De nouvelles institutions voient le jour sans qu'on organise leur « pilotage ». On ne fait guère de recherche méthodique touchant les causes des « erreurs sociales inattendues ». On ne surveille pas assez — et ce défaut est général — les conséquences involontaires qui atteignent les sujets non directement visés par les programmes. Les retouches possibles sont souvent apportées avec de très grands retards. Parfois les investissements ont été si massifs qu'on ne peut plus faire machine-arrière lorsqu'on s'aperçoit qu'on a pris la mauvaise direction. La présence de sociologues-cadres dans les organismes compétents permettra un travail de développement dans le domaine social. Dès que leur influence se fera sentir, les moyens de la recherche sociale s'en trouveront puissamment renforcés et cette recherche se concentrera sur des problèmes mieux choisis.
Formes typiques de l'organisation de la
recherche
10. En ce qui concerne les organismes de recherche proprement dits, on peut en distinguer trois espèces dont chacune répond à un type particulier 2 8 que nous appellerons type A, type B et type C. Type A. Centres d'une activité de science sociale de niveau cadre, comportant des établissements de recherche et de développement qui travaillent directement sur des problèmes d'ordre pratique. Ces centres se trouvent au sein même des organisations utilisatrices ( cas du Home Office Social Research Unit au Royaume-Uni ) ou forment
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des groupes de consultants travaillant sous contrat pour ces organisations (cas de la Société d'économie et de mathématiques appliquées en France). Faute de tels centres, les organisations utilisatrices sont privées d'agents capables de discerner les domaines des sciences sociales auxquels ressortissent leurs problèmes et n'ont pas davantage de sociologues-cadres en contact permanent avec le personnel administratif. Les problèmes de recherche sont fonction des besoins de la « clientèle » encore qu'il soit difficile de distinguer entre besoins réels et apparents, et que les besoins profonds soient loin d'être toujours ceux qui sont exprimés dans les termes les plus pressants. On se trouve en présence ici d'une activité composite participant à la fois de la recherche et du service. Type B. Centres de recherche de base associée à un enseignement fortement constitué. Ce sont les opposés — et les complémentaires — des centres de type A. On les trouve dans les universités où ils forment des départements autonomes consacrés à des disciplines particulières (psychologie et sociologie, par exemple). Ils dispensent un enseignement de premier cycle comme de cycles ultérieurs. Les problèmes sur lesquels porte la recherche dépendent ici de la théorie, de la méthodologie ou peuvent correspondre à des tentatives d'explorer ou de créer de nouveaux domaines d'investigation universitaire. Ici aussi, l'on est en présence d'une activité composite recherche et enseignement. Type C. Centres où la recherche appliquée s'associe à une formation à la recherche avancée. Ces derniers centres peuvent être considérés comme procédant des centres A et B. Ils fournissent le lien nécessaire entre ces deux types de centres car leur position est intermédiaire entre celle des organisations utilisatrices et celle des départements universitaires. Ils sont situés soit dans l'université et reliés à divers départements du type B (tels que l'Institute of Social Research de l'Université de Michigan) soit en dehors de l'université et revêtent le caractère d'instituts indépendants (tels que l'Institut néerlandais de médecine préventive de Leyde ). Ils sont « axés sur le problème » et interdisciplinaires tout en se spécialisant dans les problèmes généraux plutôt que spécifiques. Ils assument la responsabilité de l'encadrement professionnel aussi bien que scientifique des projets dont ils entreprennent l'exécution. Ils contribuent aussi bien au développement théorique qu'à l'amélioration pratique. On se trouve ici en présence d'une activité composite recherche et application. Nous présentons dans le tableau ci-dessous les critères distinctifs des trois types de centres. 11. Ces trois types forment un système interdépendant. Aucun d'eux n'est efficace seul car le développement de l'ensemble ne sera assuré que par l'interaction de tous les types qui le composent. Les extrémités de A et de B compénètrent C et celles de C compénètrent soit A soit B.
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Caractéristiques des principaux types d'organisation de la recherche
Type d'encadrement Genre de travaux
Organisations utilisatrices
Départements universitaires
Instituts spécialisés
Sources des problèmes
Besoins spécifiques d'une clientèle
Besoins relatifs à la théorie et à la méthodologie
Besoins généraux du travail sur le terrain
Caractères des problèmes
Concret
Abstrait
Générique
Complexe d'activité
Recherche/ Service
Recherche/ Enseignement
Recherche/ Application
Complexe disciplinaire
Multiple
Unique
Interrelié
Schème général
Type A
Type B
Type C
Un certain chevauchement est souhaitable tant en ce qui concerne les activités que le personnel. De nombreuses organisations de recherche comportent des combinaisons qui leur sont propres des types fondamentaux : A et B ; A et C ; B et C ; A, B et C. Les hautes écoles professionnelles rattachées aux universités englobent l'ensemble des types. Les écoles sont par définition inter- et multidisciplinaires puisqu'elles associent l'enseignement à la recherche fondamentale et appliquée ainsi qu'à la démonstration pratique. Néanmoins les écoles d'administration, de médecine, de sciences de l'ingénieur, d'architecture et planification, de pédagogie, etc. souffrent souvent de conflits qui naissent d'une méconnaissance totale des activités composites auxquelles elles devraient se livrer. Elles n'accordent pas toujours une valeur égale aux différentes composantes de leur activité et oublient parfois de s'organiser de façon à tenir suffisamment compte de la diversité de leurs besoins. 12. Plusieurs sortes d'unités de recherche se présentent à l'intérieur de chacun des types fondamentaux. On les trouvera dans le tableau qui va suivre. Toutes les rubriques de ce tableau s'expliquent d'elles-mêmes mais nous consacrerons quelques brèves remarques à l'une ou deux d'entre elles. Par organes internationaux du type A l , nous entendons les sièges de groupes de recherche et de développement proches des centres de direction responsables de la politique générale. Ils ont pour tâche de définir les problèmes plutôt que de procéder à des investigations. Ils peuvent lancer eux-mêmes des programmes exploratoires ou des programmes pilotes et entreprendre des enquêtes urgentes et de peu
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de durée. Mais ils transféreraient toutes entreprises d'un caractère plus massif, plus fondamental ou de plus longue durée à l'un des établissements de recherche placés sous leur autorité directe, à une société de consultants de type A2 ou A3, à une université acceptant des contratsprogrammes (après-doctorat) de type B3 ou enfin à un organisme de type C. Les instituts nationaux et trans-nationaux de genre C3 (avec Genres d'unités de recherche se rattachant à chaque type fondamental Type fondamental
Genres
Centres s'occupant des organisations utilisatrices Type A
1. Services internes 2. Etablissements sous dépendance directe 3. Sociétés de consultants
Centres liés à des départements universitaires Type B
1. Programmes avant-doctorat 2. Programmes après-doctorat (fondamentaux) 3. Programmes après-doctorat (contrats)
Centres comprenant des instituts spécialisés Type C
1. Organisations s'appuyant sur l'université 2. Organisations indépendantes 3. Organisations nationales (avec partage des installations ou services coûteux) 4. Organisations nationales (avec partage des installations ou services courants)
partage des installations ou services coûteux) existent depuis quelque temps en sciences exactes et naturelles ; on en trouve des exemples dans les instituts de physique nucléaire. Ils semblent se fonder autour des ordinateurs pour les sciences sociales : par exemple, on voit se créer des banques de données nationales et se constituer des collections de programmes pour ordinateurs. Les organisations nationales du genre C4 (avec partage des installations ou services courants) ont été instituées, dans les sciences sociales, en vue de rassembler et analyser des données statistiques (recensements, enquêtes sociales, etc.). 13. La recherche interdisciplinaire, orientée sur des problèmes de caractère général, se trouve institutionnalisée dans le type C. Tout centre de ce type — auquel il incombe de se montrer capable d'entreprendre le genre de recherche en question — doit être en mesure : ( a ) d'assurer la mobilisation des ressources techniques — personnel de cadres supérieurs compris — nécessaires pour suivre, pendant des périodes prolongées s'étendant sur cinq à dix années, et même bien davantage, dépassant le cas échéant la durée d'une génération de savants — des processus sociaux sélectionnés parmi ceux d'apparition récente. (b) d'élargir, selon les besoins du problème étudié, le caractère inter-
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disciplinaire de leur complexe ; d'admettre, par exemple, d'un côté des politicologues, des économistes, des psychologues et des sociologues et, de l'autre, des ingénieurs et des spécialistes de la recherche opérationnelle ou des biologistes et des écologistes. (c) de s'associer au besoin avec d'autres organisations du pays ou de l'extérieur — étant donné qu'une seule organisation disposera rarement de toutes les ressources nécessaires. 14. On trouve des instituts présentant quelques-unes des caractéristiques du type C dans tous les pays où les sciences sociales connaissent un certain essor et ils sont réclamés dans d'autres pays où rien encore n'a été fait, comme l'Equateur ; il faut bien dire cependant que nulle part ces instituts n'atteignent à leur plein développement. Certaines sections des sciences sociales des Académies des sciences existant en Europe orientale paraissent en offrir des modèles très avancés. Elles représentent le complexe C-B qui peut être une innovation de grande importance. Les centres du genre Rand aux Etats-Unis constituent une autre nouveauté : le complexe C-A. Des organismes comme l'INSEE et l ' I N E D français sont axés sur le type C tout en englobant des composantes B et A. Ils ont appris à dominer cette gamme de caractéristiques. Les grands instituts de l'Inde et parfois d'Amérique latine sont d'une forme analogue. Un institut indépendant de type C comme le Tavistock de Grande-Bretagne est sollicité trop vivement dans la direction A et la raison n'en est pas seulement financière. Il est en effet souvent difficile de savoir d'avance jusqu'à quel point les projets de type A ne développent pas des caractéristiques C plus intéressantes pour l'avancement des sciences sociales que celles qui sont liées à d'autres projets relevant au départ du type C. Les instituts universitaires ont, eux, tendance à être trop attirés dans la direction B. Il existe une certaine incompatibilité entre le complexe recherche/enseignement et le complexe recherche/ application, à moins qu'on ne parvienne à intégrer l'enseignement dans les programmes en cours d'exécution. Il n'est pas facile de se lancer dans des missions scientifiques de grande envergure, comportant de gros risques, et de se soumettre, en même temps, à une réglementation applicable aux grades universitaires — à moins que des dispositions spéciales ne favorisent cette dualité. 15. Pourtant lorsqu'il s'agit de compléter un enseignement universitaire fondamental par une formation pratique qui non seulement porte sur les techniques de recherche mais implique de surcroît des travaux sur le terrain, un grand nombre de chercheurs ayant obtenu leur doctorat depuis peu d'années seulement et une certaine proportion de ceux qui collaborent à l'exécution de programmes avant-doctorat ont besoin de poursuivre leurs études dans des centres de ce type (notamment C l et C2). Un minimum de centres tels que ceux-là sont une nécessité pour les pays qui veulent développer leur potentiel sciences sociales.
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16. Les instituts du type C ont coutume de se livrer à une variété de travaux sous contrat ou subventionnés, financés par des sources diverses, publiques ou privées. Pour travailler efficacement, ils ont besoin de stabilité financière. En dehors de ce que peuvent leur apporter les allocations ou contrats de recherche ordinaires, il leur faut un soutien financier de base. En raison de leur caractère novateur et de la part qu'ils prennent à la formation avancée, ils ont des frais élevés. Ils posent de délicats problèmes aux organismes bailleurs de fonds. Les universités peuvent alimenter les caisses de ces instituts en puisant dans leurs avoirs propres. Quant aux conseils et fondations de la recherche, il leur arrive, parfois à tort, de se refuser à fournir un appui permanent s'adressant à l'institution même. Toutefois, l'opportunité d'un tel appui institutionnel est de plus en plus largement admise. 17. Pour utiliser complètement l'éventail de disciplines qu'ils sont tenus d'offrir, les instituts de type C doivent être d'une taille respectable mais non pas nécessairement très considérable. Un personnel de trente-cinq chercheurs semblerait convenir pour un petit institut. On atteint un autre niveau critique avec un effectif de soixante à soixante-dix personnes. Il permet de disposer d'équipes d'importance et de compétence variées capables de mener simultanément tout un éventail d'études qui ont des incidences les unes sur les autres et l'on possède, dans ces conditions, des ressources suffisantes pour pouvoir : s'attaquer en force à certains problèmes critiques ; redistribuer le personnel au fur et à mesure que s'ouvrent de nouvelles perspectives sans pour autant porter préjudice aux travaux en cours, ainsi que faire face, sans tension excessive, au fort pourcentage de gaspillage et d'incertitude inhérent à toute recherche complexe. 2 9 18. Nous n'avons décrit qu'un modèle général des formes institutionnelles de base. Ces formes, combinées de diverses manières, se retrouvent dans des systèmes d'enseignement très divers ainsi que dans des infrastructures scientifiques différant beaucoup par leur efficacité. Néanmoins le développement des sciences sociales suppose une certaine structuration et la reconnaissance de certaines corrélations-clés. Ce sont ces corrélations et cette structuration dont nous avons cherché à donner l'image dans notre modèle.
VII.
VERS UN CHANGEMENT DU SYSTÈME DES VALEURS SCIENTIFIQUES
L'individualisme universitaire persistant et ses effets
dysfonctionnels
1. L'ensemble de conditions constituant un « préalable » au développement général optimal des sciences sociales n'existe encore nulle part au
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monde. Si l'on considère l'ampleur et le rythme d'une demande en plein essor, on est fondé à se demander pourquoi les choses en sont encore là. Il est un facteur sur lequel la documentation consultée par nous, qu'elle se rapporte au questionnaire ou provienne d'autres sources, a attiré notre attention et c'est le désaccord foncier et grave qui, selon nous, existe entre certaines caractéristiques de la tradition universitaire occidentale et les besoins des sociétés contemporaines désireuses d'acquérir un savoir social d'une haute qualité. Et pourtant c'est cette même tradition qui a permis aux universités, dans le sillage de la Renaissance, de proclamer le droit de procéder, sans immixtion de l'Eglise ou de l'Etat, à des études s'étendant à tout le domaine de la connaissance. Si ce droit n'avait pas été établi, les sciences physiques d'abord, les sciences biologiques ensuite n'auraient jamais pu se développer ; bien plus, les fondements des sciences sociales elles-mêmes n'auraient jamais été posés. 2.
Ici trois points méritent examen : ( a ) Le privilège de libre enquête n'a été accordé aux gens d'étude et intégré au statut d'autonomie des universités qu'au prix d'un divorce avec la grande société. Telles investigations qui auraient pu avoir lieu sans danger dans une « tour d'ivoire » pouvaient être lourdes de menaces une fois transportées sur la place publique. La science pouvait rester libre tant qu'elle serait « pure ». ( b ) A l'intérieur de l'université autonome mais séparée du monde, le privilège de libre enquête faisait partie du droit de l'universitaire à mener ses études comme il l'entendait. Il était permis à ses collègues de « disputer » avec lui et le cas échéant de désapprouver ses conclusions, mais non pas de l'empêcher de travailler sur ce que bon lui semblait. Il était maître et seul maître de ce choix et des risques qu'il comportait. On estimait que c'était là le moyen de faire progresser le savoir. Ainsi prit racine la tradition de l'individualisme universitaire dans la poursuite de la connaissance pure. ( c ) Le droit de poursuivre ses études à son gré n'était pas conféré à la légère : seuls l'obtenaient ceux qui avaient réussi à inspirer confiance aux maîtres en place, d'où le côté rituel de l'élévation au doctorat, le caractère individuel sacro-saint de la thèse, même si le sujet nécessitait l'approbation de la faculté. Ainsi la tradition de l'individualisme universitaire était maintenue par une sanction intérieure à la communauté scientifique. 3. Aussi longtemps que l'avancement du savoir a dépendu d'une séparation de la science d'avec ses applications éventuelles, et de l'apport personnel d'un nombre assez restreint d'hommes de science de grande valeur, la tradition de l'individualisme universitaire a représenté un compromis à partir duquel pouvait s'organiser le travail scientifique. Mais cette phase, comme l'a dit Sartre, est maintenant dépassée. Il convient d'employer d'autres moyens qui restent encore à trouver.
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4. Il y a là un état de choses dont on est plus conscient dans le domaine des sciences exactes et naturelles que dans celui des sciences sociales. Dans les premières, en effet, l'interpénétration de la science et de la technologie est un phénomène admis depuis longtemps, de même que la nécessité de l'effort collectif aussi bien qu'individuel, cela pour la recherche à grande comme à petite échelle si elle est prolongée. Mais c'est dans les sciences sociales que l'individualisme universitaire a la vie la plus dure. 5. Ses effets dysfonctionnels se constatent le plus aisément dans ceux des pays d'Europe occidentale où il a le moins évolué depuis la guerre. Dans ces pays : (a) Les universités, répugnant à reconnaître toute forme de recherche qui n'est pas fondamentale, ont contraint la recherche appliquée, tant générique que concrète, à s'exiler dans des organisations extérieures. ( b ) Du fait que la tradition de l'individualisme universitaire a persisté au sein de ces organisations également, celles-ci, tout en devenant extrêmement nombreuses, tendent à rester très petites. Il en est résulté un certain émiettement des efforts. (c) Dans le même temps, les petits départements universitaires, en présence d'une population estudiantine croissante, doivent faire face à de lourdes tâches d'enseignement qui restreignent le temps qu'ils peuvent consacrer à la recherche fondamentale universitaire. (d) Les jeunes étudiants en sciences sociales ont dû procéder à des choix traumatisants. Rester à l'université, c'était pour eux la perspective de ne faire guère autre chose que de l'enseignement. S'en aller, revenait à accepter de ne se livrer à guère autre chose qu'à une recherche épisodique dans des organisations trop petites et trop peu stables pour leur offrir une carrière ininterrompue. La persistance de cet état de choses explique dans une large mesure le manque d'originalité qui se constate dans la sociologie de nombreux pays, en dépit de l'activité accrue qu'ils déploient dans ce domaine. Cette situation contraste avec celle de l'entre-deux-guerres où l'individualisme universitaire avait gardé son caractère fonctionnel et où l'originalité était grande.
La nature de l'évolution
nécessaire
6. En quoi consistent les changements nécessaires ? Il semblerait qu'ils impliquent une mutation fondamentale : (a) Le droit, pour l'homme d'étude, de s'adonner librement aux travaux qu'il a choisis subsistera partout où l'accès au domaine social ne pose pas de problème critique. Il pourra aussi subsister aussi longtemps que la complexité et l'ampleur des problèmes ne dépasseront pas ce que peut embrasser l'esprit d'un seul homme. Toutefois, un nombre
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de plus en plus grand des matières-clés qui commencent à relever des sciences sociales soulèvent des problèmes critiques touchant aux possibilités d'accès et aux participations pluralistes. (b) Il s'ensuit que l'individualisme universitaire ne peut plus être le protagoniste 30 d'une philosophie des sciences sociales. Il ne saurait donc apporter le critère de base capable d'orienter les organisations nécessaires au développement de ces sciences. Il ne peut, en l'occurrence, que jouer un rôle secondaire. Accepter cette idée c'est, pour le corps des sociologues actuels, accomplir une mutation difficile mettant en jeu leurs conceptions et leurs valeurs. 7. Plusieurs conséquences s'ensuivent : (a) Si le fait de s'adonner à une recherche appliquée de caractère générique équivaut à une stratégie fondamentale dont l'objet est de faire progresser les connaissances de base, la science sociale universitaire doit faire en sorte de renouer avec la grande société. Par là même seront modifiés les systèmes de relations existant entre les centres de type A, B et C. (b) Il conviendra d'associer au choix du sujet de recherche des représentants des « clientèles » avec lesquelles les spécialistes des sciences sociales inaugurent leur collaboration. Cela donnera naissance à un nouveau faisceau de critères applicables à la « codétermination » des thèmes et des priorités de recherche. (c)Le chercheur doit maintenant rendre des comptes non seulement à ses collègues mais aussi aux « clientèles »participantes. Cela revient à transférer la responsabilité professionnelle du secteur service au secteur recherche. (d) Pour ce qui est de la complexité, on peut s'attendre que d'importantes innovations résultent du fait que l'aptitude créatrice sera celle du groupe et non plus de l'individu. Cela modifiera les conceptions touchant le statut des chercheurs et leur récompense, lesquelles jusqu'ici ne concernaient que l'individu. (e) Pour ce qui est des questions d'échelle, le cumul des ressources apparaît indispensable afin que les problèmes de large portée puissent être étudiés en fonction non seulement de cette portée — qui sera souvent trans-nationale — mais aussi de leur durée qui dépassera dans de nombreux cas la période de vie active d'une génération de scientifiques.
Le retour de l'université
vers la société
8. Les retrouvailles de l'université et de la grande société sont à certains égards moins avancées en Europe occidentale que dans d'autres parties du monde. Aux Etats-Unis, les universités et notamment les plus célèbres, sont actuellement considérées comme faisant partie d'un com-
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plexe « gouvernement-industrie-enseignement ». Ce que cette notion peut avoir de péjoratif montre bien quel est le risque inhérent à ce retour. Néanmoins celui qui croirait y voir une aberration passagère témoignerait d'une certaine incompréhension d'un changement profond. Et pourtant, même aux Etats-Unis, la recherche orientée n'est pas encore unanimement reconnue comme une stratégie éminemment capable de faire progresser la connaissance de base. On ne s'y est pas assez efforcé non plus de relier entre elles les disciplines fondamentales enseignées par les écoles générales de sciences sociales. Sur ce point, l'évolution la plus encourageante est celle qui a pour théâtre les nouvelles universités de Grande-Bretagne. 9. Dans les pays d'Europe orientale, c'est entre les universités, sièges du complexe recherche/enseignement et les académies des sciences, sièges du complexe recherche/application que s'est marquée la coupure. Elle répond à un type de politique scientifique naturel pour des pays qui ont simultanément à se constituer, en partant d'une base étroite, un vaste système d'enseignement tertiaire et une recherche avancée. Le risque impliqué par le maintien de cette coupure à son niveau actuel alors que la base de départ s'est élargie n'est pas passé inaperçu. 10. Les pays en voie de développement commencent à voir dans les sciences sociales le corpus de connaissances critiques qui leur permettra de comprendre et d'accélérer la marche du développement. Assez récemment encore, les problèmes du développement étaient abordés dans un esprit trop exclusivement économique et technologique. La série de déceptions qu'a procurée l'exécution des programmes d'aide technique et économique — sans oublier les plans conçus dans le pays même — suscite un climat nouveau caractérisé par une meilleure disposition à tenir compte des relations complexes existant entre les facteurs culturels, psychologiques, sociaux, d'une part, et les facteurs économiques et techniques, de l'autre. Il en résulte qu'on demande de plus en plus aux sciences sociales d'entreprendre une « action concertée » en vertu de laquelle la priorité serait accordée d'abord aux activités de type A, puis à celles de type C en enfin à celles de type B. Dans les décennies à venir, ce seront peut-être les sciences sociales plutôt que les sciences exactes et naturelles qui assumeront le rôle principal dans les affaires scientifiques des pays en voie de développement.
Responsabilité
partagée
11. Les questions concernant tant le choix scientifique à faire en commun que le secteur devant assumer la responsabilité de l'encadrement professionnel ont été examinées en relation avec les problèmes liés à 1'« accès » à certains domaines puissamment gardés de l'activité et de
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l'expérience humaines et aux travaux conduits de concert avec les « clientèles » en vue d'atteindre des objectifs d'une importance sortant de l'ordinaire. A moins que ces points ne soient réglés, des questions d'un intérêt fondamental pour certains êtres humains resteront inaperçues des sociologues qui continueront à axer leurs études sur des objets ne présentant pas grande utilité. Les questions fondamentales impliquent en effet des jugements de valeur : c'est le cas en particulier des modifications d'ordre social ou personnel, par exemple. Ou bien le sociologue ne les abordera pas ou bien il les abordera en collaboration avec d'autres. On ne s'en remettra jamais, en ce qui concerne ces questions, à sa seule expérimentation personnelle. 12. Le point essentiel est que le sociologue et ses « clientèles » assument leur responsabilité conjointe. En prenant eux-mêmes une part active à l'effort de recherche, les représentants des réseaux de « clientèles » permettront au sociologue de jouer de son côté un rôle efficace. L'« appréciation » 3 1 du problème peut s'en trouver modifiée. Les mesures à prendre par la suite sont l'affaire du « client » ; les conséquences à tirer d'un point de vue théorique sont celles du sociologue. 13. Dans le modèle ci-dessus, le sociologue prend sa place à côté des autres acteurs dans la situation de départ. En acceptant les contraintes qui découlent de l'appartenance à ce groupe, il acquiert le degré de liberté dont il aura besoin pour étudier les faits d'évolution sociale — lourds de signification — au fur et à mesure qu'ils se produisent. S'il se tient à l'écart du groupe, il devra se contenter d'un examen rétrospectif sur documents. Par elle-même, l'histoire ne suffira pas. 14. Certes beaucoup de secteurs des sciences sociales peuvent se passer de cette « stratégie » mais on ne se rend pas encore bien compte du nombre de ceux qui l'exigent. La forme d'organisation qui convient à ce type d'étude est celle du groupe de « chercheurs » et de « sujets de la recherche » travaillant de compagnie.
Créativité
du
groupe
15. La nécessité d'avoir, en dehors de la créativité de l'individu, une créativité de groupe pour se rendre maître de questions très complexes pose des problèmes d'organisation d'un ordre nouveau. Il existe une croyance bien enracinée qui veut que l'innovation scientifique soit le produit d'un cerveau exceptionnel et d'un seul. Les faits sembleraient donner raison à cette opinion qui appartient à la tradition de l'individualisme universitaire. Et cependant elle ne contient pas toute la vérité. Des esprits exceptionnels tendent à se manifester dans des réseaux d'influences mutuelles qui se développent dans le temps et dans l'espace.
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II en était déjà ainsi au 17ème et au 18ème siècles, à l'aube des sciences exactes et naturelles ( 1 6 0 ) . Dans le monde contemporain, ces réseaux sont devenus plus nombreux, plus denses, ils se recouvrent davantage et sont l'occasion de rencontres plus fréquentes et plus immédiates. Ce sont à vrai dire des systèmes de choix interpersonnels au sein desquels des individus deviennent « sélectivement interdépendants » . 3 2 Ils sont assez mouvants et temporaires, rarement liés par des relations formelles, encore que ceux qui en font partie les reconnaissent comme une condition nécessaire de leur pouvoir d'innover. 16. Le rôle de plus en plus important que la recherche orientée joue dans l'avancement de la recherche fondamentale renforce la tendance dont témoignent les groupes « sélectivement interdépendants » à se constituer en organisations plus permanentes comme les instituts de type C, par exemple. Ce phénomène s'explique par le fait que la recherche orientée exige que le groupe se dévoue à une tâche commune, engagement par le biais duquel sera réalisée une direction d'ensemble des idées scientifiques. Comme cette direction devra se matérialiser dans le contexte de la vie réelle, elle impliquera nécessairement des relations avec diverses espèces de « clientèles » dont la confiance ne sera captée que si elles se rendent compte qu'elles ont affaire à un organisme de recherche stable. 17. Afin de parvenir à cette stabilité, ces organismes doivent se doter d'un système de valeurs fondé sur la mise en commun de leurs ressources. ( a ) Cela est plus facile si les principaux parmi leurs adhérents jouissent d'un même statut, comme celui de fellows d'un college, par exemple. ( b ) La constatation qu'une production de groupe est supérieure à une production individuelle ajoute à la solidarité de l'organisme. ( c ) Lorsque l'apport de certains membres est supérieur à celui des autres, le fait mérite d'être sanctionné. ( d ) Les membres d'organismes de ce genre tendent à se répartir en sous-ensembles dont le couplage est assez lâche et les domaines se chevauchent. Les récentes recherches faites en neuro-physiologie ont montré que c'est ainsi apparemment que le cerveau travaille. 3 3 C'est un analogue du cerveau, dans un système de niveau supérieur, qu'on cherche à découvrir. Ce schéma global est à l'opposé de l'individualisme universitaire. Il cadre assez mal avec les fonctions et statuts fixes des départements universitaires, notamment en ce qui concerne la personnalité du professeur unique dans sa spécialité que cette tradition tend à perpétuer. 18. A cet égard, les grands départements, fréquents dans les universités américaines, qui comportent plusieurs chaires et dans lesquels les pro-
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fesseurs « associate » et « assistant » participent à la prise de décision répondent mieux aux besoins. D'un autre côté, les universités américaines maintiennent la tradition de l'individualisme universitaire en imposant à leurs membres la règle « publier ou disparaître ». Les laboratoires de recherche et de développement de quelques grandes firmes industrielles de l'Occident sont organisés d'une façon plus étroitement conforme au système des valeurs de groupe que certaines universités. Il y aurait lieu d'étudier empiriquement le climat et le processus de décision dans les instituts des académies des sciences de l'Europe orientale. 34 19. Quelques universités manifestent une tendance non seulement à fonder des centres composés de personnes « sélectivement interdépendantes » prises dans plusieurs départements d'enseignement mais encore à associer ces centres à d'autres organisations appartenant à des universités et à des pays divers pour former des consortiums de recherche. Ces consortiums ne sont d'ailleurs pas limités aux organismes universitaires. Il y a peu de chances pour que le gros des moyens indispensables à l'exécution de programmes importants provienne d'une source unique. Il faudra donc se préoccuper de grouper ces moyens dans des centres solidement constitués afin de pouvoir en utiliser la masse à des expéditions de recherches comportant de gros risques et dont le caractère restera temporaire même si leur durée se prolonge quelque peu. Un système interdépendant à la fois stable et mobile devra être mis sur pied.
Moyens
d'études
à long
terme
20. Une autre direction que peut prendre la recherche d'un substitut à l'individualisme universitaire est celle de la création de moyens institutionnels permettant d'entreprendre des recherches de longue durée en même temps que de grande envergure. Nous avons déjà abordé le problème fondamental qui se pose ici. L'évolution accélérée, l'incertitude, la complexité du milieu qui caractérisent le monde moderne obligent les sociétés à rassembler des données plus exactes sur leurs populations, leurs institutions, leurs individus, les tendances et niveaux de leurs réalisations économiques et sociales, et à s'efforcer d'en savoir davantage aussi sur les autres sociétés. On a eu tendance à laisser le soin de rassembler les faits économiques et sociaux aux administrations publiques toujours lentes à employer les techniques de pointe et peu enclines à élargir, dans un intérêt scientifique, des catégories d'informations répondant à des besoins administratifs limités. 21. Le premier problème consistera à combler le fossé qui existe entre la pratique et les conceptions et méthodes utilisables. Il s'agira soit de modifier les rapports entre les services officiels et les spécialistes des
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sciences sociales dans les universités et les instituts spécialiés, soit de créer des organismes nouveaux et plus adéquats. Sur ce point des progrès sont accomplis dans plusieurs pays mais ils sont trop lents pour répondre aux besoins d'une société en évolution de plus en plus rapide. 22. Un second problème portera sur la mesure dans laquelle il siéra de rendre publics les renseignements sociaux et économiques d'ordre général. Seront-ils présentés sous une forme qui permettra au monde de la sociologie de les évaluer ? Seules de pertinentes raisons de sécurité devraient empêcher une publication de bonne tenue scientifique. Le problème comporte encore un autre aspect d'ailleurs : l'inviolabilité de la vie privée. 23. La tâche qui consiste à rassembler et analyser des données économiques et sociales peut être exécutée et développée de la façon la plus efficace et la plus rapide par les instituts des types C3 et C4, sous le contrôle de sociologues, d'un commun accord de l'Etat, des universités et des associations professionnelles. Les ministères seraient les clients principaux mais non point les seuls clients de ces instituts. Ils disposeraient d'un personnel spécialisé, chargé d'interpréter les conclusions des instituts et d'exécuter certaines analyses ayant des objets spéciaux. Toutefois les instituts auraient également le droit de lancer des enquêtes et par conséquent de contribuer à édifier le corpus public de données scientifiques sur lequel s'appuyera toute action sociale menée en connaissance de cause dans tous les domaines intéressant la société. 24. Certains problèmes qui se posent ici ne laissent pas d'être formidables. Alors que les données doivent concerner des périodes de temps de plus en plus longues, les conceptions et les méthodes ne cessent de se perfectionner et les phénomènes à observer de se déplacer. Il est souvent impossible de procéder aux comparaisons dont on aurait besoin. Si l'on s'attaquait à ces difficultés selon un plan stratégiquement conçu, d'ordre scientifique plutôt qu'administratif, l'on parviendrait à des solutions d'une perfection bien supérieure à ce qu'on juge réalisable actuellement. 25. L'une des perspectives les plus séduisantes qui s'ouvrent aujourd'hui devant les sciences sociales est l'unification progressive des disciplines reposant sur les sources de documentation historiques et contemporaines. Améliorer le rassemblement des données de base économiques et sociales est le meilleur moyen de parvenir à ce qu'on pourrait appeler l'extension du présent. Plus l'homme se sent tenu de se préparer à un avenir incertain et de le représenter par des modèles correspondant à diverses hypothèses et plus grand sera son besoin de se procurer une information qui équivaudra à cette extension du présent.
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26. Ici les progrès continus de l'informatique qui permet l'emmagasinage de longues séries de données de masse faciles à rappeler et à analyser rapidement se révéleront sans aucun doute d'une importance déterminante. L'organisation d'archives de données relatives au présent aussi bien qu'au passé modifiera de fond en comble les conditions de la recherche collective et cumulative en sciences sociales. Ces archives non seulement offriront une base plus large à l'effort collectif d'analyse, d'interprétation et à la planification de recherches nouvelles, elles permettront encore de coupler par delà le temps un projet à un autre puisque les résultats de l'analyse nouvelle iront rejoindre ceux des analyses passées dans les informations assimilables par les machines. Elles ajouteront une nouvelle dimension aux bibliothèques de sciences sociales et modifieront le caractère de l'enseignement et de la formation dispensés en sciences sociales. 35
V I I I . DESCRIPTION D£ S RESSOURCES
Les comparaisons
générales au niveau
international
1. La Division de la politique scientifique de l'Unesco a publié en 1965 un document intitulé Directives générales pour l'élaboration des études de politique scientifique nationale ( 1 8 9 ) , qui propose un modèle global pour recueillir systématiquement les renseignements relatifs à l'ensemble des activités scientifiques d'un pays. Le modèle en question ne distingue malheureusement pas entre sciences sociales et sciences humaines et ne permet pas de répartir les données d'après les disciplines et les secteurs interdisciplinaires des sciences sociales auxquels elles se rapportent. Il est cependant indispensable d'établir une distinction entre les sciences sociales et les sciences humaines si l'on veut obtenir des statistiques internationales comparables. A l'intérieur des sciences humaines, il faut distinguer entre les sciences historiques et les arts et lettres ( arts ). Par « arts et lettres » on entend la création et l'expression d'œuvres d'art, quels que soient les moyens employés et la critique, qu'elle s'exprime sous forme de jugements esthétiques ou de jugements de valeur. On peut, selon les besoins de la cause, associer les sciences historiques aux sciences sociales ou au contraire les en dissocier. 2. Dans son rapport intitulé Les sciences sociales et la politique des gouvernements ( 1 6 8 ) , l'OCDE s'est demandé dans quelle mesure un modèle voisin de celui qui a été mis au point par la Division de la politique scientifique de l'Unesco, et conçu pour recueillir des renseignements sur les sciences exactes et naturelles, pourrait être appliqué aux sciences sociales ; elle a soulevé à ce sujet un point extrêmement important :
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« Le manuel ne traite de façon détaillée que l'établissement des statistiques de recherche et de développement, à l'exclusion des « activités scientifiques connexes ». Ces activités connexes ont cependant une importance particulière ; elles sont étroitement liées à la recherche en sciences sociales, car elles fournissent et distribuent une grande quantité de « matières premières » dont les chercheurs ont besoin, particulièrement en économie et en sociologie. Le manque de données sûres tirées de recensements ou de statistiques commerciales peut, par exemple, être aussi gênant pour les économistes que l'absence de fonds pour financer la recherche. »
L'information de base, autrement dit les renseignements statistiques d'ordre économique ou social d'intérêt général, doit naturellement être recensée dans un exposé complet des activités d'un pays dans le domaine des sciences sociales. Mais il ne faut évidemment pas l'imputer au même compte que les autres types de recherche. 3. Une autre difficulté tient à ce qu'il n'y a pas encore de distinction bien nette dans les sciences sociales entre la recherche, fondamentale ou appliquée, et l'équivalent de la mise au point technique. Or il est d'usage de comparer les crédits affectés aux sciences sociales, excepté l'information de base, aux dépenses nationales totales afférentes à R et D. On aboutit donc à un pourcentage ridiculement faible pour les sciences sociales, car le coût technique des projets de mise au point technique des résultats de la recherche en sciences physiques absorbe une proportion impressionnante des crédits globaux R et D. Les statistiques internationales relatives à la science gagneraient donc à une présentation séparée des dépenses afférentes à la mise au point technique. 4. Il y a certainement un accroissement général des crédits affectés aux sciences sociales, même si la situation varie beaucoup selon les pays. Mais il est indispensable de tenir des statistiques nationales sur la science pour pouvoir faire des comparaisons systématiques des tendances de ce genre. Pour autant que l'on puisse se fier aux renseignements incomplets dont on dispose, il semble que dans les différents pays les crédits affectés aux sciences sociales croissent d'autant plus rapidement qu'ils sont plus importants au déparf. 5. Un autre usage international couramment suivi consiste à exprimer les dépenses totales afférentes à R et D en pourcentage du P N B ou de tout autre aggrégat significatif du revenu national. Si intéressant que le procédé puisse être, par exemple pour étudier le rapport entre l'investissement dans la recherche et le taux de croissance économique, il n'est d'aucune aide pour résoudre un autre problème qui complique beaucoup la comparaison des efforts nationaux dans le domaine des sciences, et qui consiste à comparer le coût relatif de la recherche dans deux pays. On a cru voir un commencement de solution dans la comparaison des salaires moyens versés aux différentes catégories de travailleurs scientifiques spécialistes des sciences sociales, calculés d'après les taux de change internationaux. Ce procédé a l'inconvénient de ne fournir aucun
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renseignement sur la valeur relative des salaires, par rapport aux conditions de vie du milieu, ce qui interdit de comparer la situation sociale. Il faudrait également tenir compte du coût de production que représente la formation d'un spécialiste de sciences sociales. Si l'on voulait tenir compte des immobilisations, des frais d'équipement et du financement des services auxiliaires, on se heurterait à de nouvelles complications. Il faut également prendre en considération les coûts de substitution, notamment dans le cas de pays soit petits soit relativement peu développés. Ce problème mériterait une étude spéciale.
La méthode qui consiste à comparer les principaux organismes des différents pays 6. On trouvera ci-dessous un tableau établi par la Division de la politique scientifique de l'Unesco : il indique, pour plusieurs pays, la répartition des crédits dont dispose l'institution considérée comme fondamentale. Comme il est difficile de se procurer des statistiques complètes, cette méthode semble offrir beaucoup d'avantages. En effet, le pourcenDépenses annuelles des principaux organismes de recherche de différents pays (1965) Organismes
Fonds national de la recherche scientifique (Belgique) Académie tchécoslovaque des sciences Centre national de la recherche scientifique (France) Deutsche Forschungsgemeinschaft (République fédérale d'Allemagne) Fondation royale de la recherche scientifique (Grèce) Nederlandse Organisatie voor Zuiver-Wetenschappelij k ( Z.'W .O. ) ( Pays-Bas ) Académie des sciences de Hongrie Académie des sciences de Pologne Consejo Superior de Investigaciones Científicas (Espagne) National Science Foundation (Etats-Unis) Académie des sciences de l'Union des Républiques socialistes soviétiques
Sciences physiques et biologiques, y compris les sciences technologiques
Sciences sociales et sciences humaines
%
%
72
18
88
12
92
8
83
17
94
6
89 83 83
11 17 17
92
8
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tage de crédit affecté aux sciences sociales serait nettement moindre si on le calculait en fonction des crédits globaux pour R et D. Mais il faut noter que les divers organismes cités dans le tableau ci-dessous n'exercent pas tous des fonctions identiques. Si tous en effet s'occupent de recherche fondamentale, certains n'ont rien à voir avec la recherche appliquée. Beaucoup travaillent dans le domaine des sciences humaines, mais pas tous. Pour appliquer correctement la méthode qui consiste à comparer les institutions fondamentales, il faut donc vérifier que les organismes en question exercent des fonctions analogues.
Un modèle général pour analyser les dépenses 7. En ce qui concerne les sources de financement, le grand problème est de déterminer la part qui revient au gouvernement. Dans tous les pays, les gouvernements ont tendance à prélever, au bénéfice des activités scientifiques, une part croissante des fonds publics. Ils peuvent agir à trois niveaux : (a) comme pourvoyeurs de fonds destinés à la recherche en général et répartis par le canal d'organismes tels que les conseils de recherche ou les académies des sciences ; (b) comme pourvoyeurs de fonds destinés au système d'enseignement supérieur, qui à son tour affectera une partie des crédits aux activités de recherche effectuées en liaison avec l'enseignement ; (c) en tant qu'utilisateurs, dans la mesure où un grand nombre de départements ministériels et de services administratifs, au niveau national, régional ou local, ont besoin de recherche dans les sciences sociales. Il convient de distinguer soigneusement ces divers niveaux d'intervention de l'Etat si l'on veut obtenir des statistiques qui permettent d'établir des comparaisons internationales. 8. L'expression de « secteur privé » n'a pas de sens dans les pays où le socialisme est effectif. Mieux vaut employer la notion d'organisme utilisateur qui vaut pour tous les types de société. De même, les « fondations privées » n'ont pas d'existence légale dans un grand nombre de pays, alors que n'importe quel groupe d'intérêts, n'importe quel organisme utilisateur qui prévoit de financer des activités scientifiques, joue le rôle de fondation. Autre problème : il est important de déterminer, notamment pour les pays en voie de développement, les pourcentages respectifs des ressources nationales et des ressources d'origine étrangère. Il semble que si les modalités de financement varient, les fonctions restent constantes. De même, les modalités d'utilisation des crédits peuvent varier, mais les fonctions restent là encore constantes au niveau des trois catégories essentielles : recherche et enseignement, recherche et application, recherche et prestation de services. Il est donc théoriquement
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possible de construire un modèle général pour représenter la manière dont les crédits sont affectés aux sciences sociales, ce qui permettrait de faire des comparaisons internationales. 9. Dans cette perspective, il faut étudier de près la manière dont les décisions se prennent dans les organismes intéressés, et par conséquent déterminer les facteurs qui interviennent dans l'octroi des subventions : valeurs, besoins, préférences, préjugés, priorités, etc. 10. Il serait également utile de posséder un certain nombre de renseignements sur la composition des organismes en question, et notamment : (a) sur leur degré de dépendance ou d'indépendance, de subordination ou au contraire d'autorité ; (b) sur leur nombre, leur diversité et leur importance relative ; (c) sur leurs rapports avec les utilisateurs, autrement dit les organismes et les individus qui exécutent les projets de recherche dans les diverses catégories indiquées ci-dessus : recherche/enseignement, recherche/application et recherche/prestation de services. L'état actuel des connaissances et des méthodes dans les sciences sociales permet parfaitement de réaliser des études qui nous éclaireraient sur les problèmes en question. Il est moins sûr que les autorités compétentes donnent leur accord à l'exécution des études de ce genre. D'ailleurs si elles se limitent à établir des faits, de telles études ne présentent qu'un intérêt limité.
La méthode branches
qui consiste à décomposer
les disciplines
en
plusieurs
11. En étudiant avec soin les renseignements sur la répartition des moyens entre les diverses disciplines contenus dans les réponses au questionnaire de l'Unesco et dans les études relatives aux pays témoins, on s'est aperçu que la terminologie variait tellement d'un pays à l'autre, voire à l'intérieur d'un même pays, qu'elle rendait pratiquement impossibles les comparaisons. Les grandes disciplines des sciences sociales énumérées dans l'étude de l'Unesco renvoient à des domaines extrêmement vastes de l'étude de l'homme, dont les frontières sont changeantes et mal définies. Lorsqu'on se propose de faire une étude analytique on a intérêt à choisir pour élément de comparaison une branche comme la psychologie de l'enfant, la sociologie rurale, la théorie de l'organisation, la psycho-linguistique, l'économétrie, ou l'enseignement programmé. Cette méthode a l'avantage de s'appliquer à toutes les disciplines et aux divers types de recherche, pure, appliquée et interdisciplinaire. 12. A partir de là, on pourrait étudier la fréquence avec laquelle l'unité retenue se rencontre dans diverses catégories d'établissements et dans
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divers pays, se demander avec quelle autre unité on la trouve le plus fréquemment associée, et quelles sont les variations de contenu. Voilà autant de problèmes qui appelleraient des études particulières.
Domaines
d'application
13. Il faut en outre établir la répartition des crédits globaux par domaine d'application. Quels sont les principaux domaines, quels sont les grands secteurs sociaux auxquels s'appliquent les diverses formes de recherche dans les sciences sociales ? La Division de la politique scientifique de l'Unesco a suggéré une liste type de secteurs pour les sciences ROYAUME-UNI
— Pourcentage du coût des recherches sociales pour chaque domaine d'application (1962-1963)
Santé et protection sociale Industrie Education Agriculture Economie nationale (générale) Pays en voie de développement, relations internationales et raciales, etc. Etudes urbaines et rurales, transports, et études régionales Justice Préservation de l'enfance, services de la jeunesse et des personnes âgées Logement Population Administration Divers Total
16 14 11 10 9 9 7 5 3 3 3 2 8 100
naturelles (189). Cette liste n'est pas applicable aux sciences sociales ; on trouvera reproduite dans le tableau ci-dessus la liste proposée par la Commission Heyworth (55). 14. Il serait possible d'améliorer ces listes en précisant l'acception des termes. L'idéal serait d'avoir une liste de secteurs de recherche applicable à tous les pays. Elle servirait à définir et à comparer les types d'activité des écoles professionnelles qui se créent et des centres de recherche interdisciplinaires chargés d'exécuter la recherche orientée. Il est clair que les sciences sociales gagneraient en cohérence si au lieu de remanier les disciplines universitaires traditionnelles on organisait les travaux de recherche en fonction de problèmes déterminés. 15. Il faudrait, semble-t-il, établir une matrice indiquant les relations entre agents individuels ou collectifs et secteurs d'activité.
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960 La liste des agents serait la suivante : Particuliers Ménages Organismes officiels Collectivités Régions Pays Institutions supra-nationales
La liste des secteurs d'activité comprendrait les systèmes sociaux intéressant des domaines tels que : L'enseignement L'administration La santé L'industrie Le droit Le bien-être
Un tableau de ce genre permettrait de connaître par exemple dans quelle mesure les recherches sur les problèmes de santé sont effectuées par des individus ou des communautés, ou celles intéressant l'industrie et l'emploi sont réalisées au niveau national ou régional. Il serait utile d'avoir plusieurs matrices de ce genre.
Caractéristiques du
personnel
16. Ce sont les données relatives à la main-d'œuvre scientifique qui ont été les plus difficiles à recueillir lors de l'enquête sur les sciences sociales. Et cependant les réponses indiquaient que la pénurie de personnel de recherche et son manque de qualification causaient plus de préoccupations que n'importe quel autre sujet. Il s'agit d'un domaine où les méthodes utilisées pour recueillir les données statistiques et les concepts appliqués à l'analyse des problèmes-clés sont encore plus disparates que dans l'analyse des dépenses. Quatre aspects nous paraissent fondamentaux : ( a ) la nature et la valeur de l'enseignement reçu ; ( b ) les catégories et les niveaux d'emploi ; ( c ) le degré d'organisation de la profession et le statut de celui qui l'exerce ; ( d ) les possibilités d'emploi et les conditions de carrière. Il est indispensable d'affectuer des études spéciales sur chacun de ces aspects pour mettre en relief les problèmes essentiels et voir sur quels points doivent porter les comparaisons internationales. 17. En ce qui concerne l'enseignement, il faut distinguer deux aspects importants. Le premier est la nature et la valeur de l'enseignement au niveau des deux premiers cycles d'études supérieures. Disons que le
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nombre d'étudiants qui obtiennent leur premier grade universitaire dans des disciplines qui relèvent des sciences sociales ou qui s'y rattachent constitue ce qu'on pourrait appeler la « matière première ». Le second aspect sera la nature et la valeur de la formation au niveau des hautes études supérieures. Le nombre d'étudiants qui obtiendront le titre de docteur (Ph. D.) constituera ce qu'on pourrait appeler les «produits finis ». Les Etats-Unis sont le seul pays où le système d'enseignement soit suffisamment développé à l'un et l'autre niveau dans toutes les disciplines des sciences sociales. Et pourtant même dans ce pays, on considère que l'effectif immédiatement disponible est insuffisant. Il y aurait donc intérêt à rechercher les méthodes les plus efficaces et les plus rapides pour rendre utilisables les « réserves », c'est-à-dire les étudiants ayant obtenu leur premier grade, et à étudier les nouveaux types de formation interdisciplinaire qui se précisent et les nouvelles sources où puiser les spécialistes potentiels des sciences sociales. 18. Pour représenter la répartition de l'emploi dans le domaine des sciences sociales il faut tout d'abord distinguer trois grandes catégories : le personnel enseignant des établissements d'enseignement supérieur ; le personnel des instituts de recherche, liés ou non aux établissements universitaires ; le personnel des organismes utilisateurs. Après quoi il faudrait obtenir le maximum de détails sur les disciplines et les fonctions. Il faudra noter aussi les chevauchements qui se produisent lorsque des postes amènent à exercer simultanément des fonctions dans plusieurs établissements. Dans beaucoup de pays les organismes utilisateurs emploient beaucoup plus de spécialistes des sciences sociales qu'on ne le croit généralement, mais la plupart à des postes subalternes. Il serait intéressant de savoir si le nombre de ceux qui occupent une position influente tend à s'accroître. 19. Les associations professionnelles, dans le cas des disciplines de base, sont plutôt du type sociétés savantes. Il faut faire une exception pour la psychologie, notamment aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Cela tient à ce que, pour exercer dans certaines branches comme la psychologie clinique, il faut non seulement des titres universitaires mais aussi de l'expérience. Plus les spécialistes des sciences sociales considéreront leur travail sous l'angle professionnel, plus il est vraisemblable que leurs sociétés savantes prendront l'allure d'associations professionnelles. Si elles étaient bien organisées sous ce rapport, ces associations pourraient obtenir au nom de leurs membres des avantages considérables en matière de niveaux des traitements et de conditions d'emploi. Elles pourraient également jeter les bases d'une déontologie qui aurait autrement de portée que les usages actuellement en vigueur. Enfin, si leur prestige s'améliorait elles exerceraient une grande influence sur la politique et l'orientation de la recherche, dans la mesure même de leur représentativité. Leur évolution dans ce sens est une chose à suivre, ainsi que toute ten-
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dance à la recherche d'une identité de vues et d'une action concertée avec les associations représentatives d'autres disciplines. 2 0 . Même aux Etats-Unis, la possibilité de faire une carrière de chercheur dans les sciences sociales est un phénomène tout récent. Naguère encore, la recherche n'était qu'une étape vers des fonctions plus élevées dans l'enseignement ou dans l'administration. I l serait donc intéressant d'accumuler des renseignements sur les nombreuses perspectives qui commencent à s'ouvrir. Quelles sont les plus recherchées ? Quels sont les obstacles qui persistent ? Il y a beaucoup de secteurs de recherche qui exigent une intelligence brillante jointe à une grande expérience. On ne saurait prétendre aux postes-clés qui, par-delà l'université ou l'institut spécialisé, rattachent les sciences sociales aux institutions les plus importantes de l'ensemble de la société, sans posséder des titres dans l'un et l'autre domaine. Combien sont-ils à les posséder, ces titres ? Deviendront-ils plus nombreux avec les nouveaux types de carrière qui se dessinent ?
IX.
A LA RECHERCHE D'UNE POLITIQUE DES
Nécessité
d'une
SCIENCES SOCIALES
planification
1. Le droit des sciences sociales à figurer, avec les sciences biologiques et physiques, parmi les sciences tout court, n'est plus contesté — pas plus d'ailleurs que leur utilité. Ce sont là des questions qui ne se posent plus dans la réalité. Une vraie question en revanche est celle de savoir s'il sera possible de satisfaire efficacement la demande, en accroissement extrêmement rapide, qui vise le développement et l'utilisation des sciences sociales. Etant donné l'état actuel de quelques-unes de leurs disciplines, leurs schèmes d'organisation et de formation, leurs niveaux de financement et leurs dotations en personnel, les chances de ce côté-là apparaissent inexistantes si l'on ne fait effort en vue d'introduire des changements de grande portée et répondant à un plan. 2. Les inquiétudes qui régnent à ce sujet amènent un nombre croissant de pays à rechercher une politique des sciences sociales. En Europe occidentale, on assiste à la création, à l'échelon national, d'organismes qui s'occupent, à un titre ou à un autre, de coordination et de planification. Ailleurs, y compris aux Etats-Unis, la situation fait l'objet d'enquêtes ayant pour objet de déterminer le potentiel sciences sociales du pays. E n Europe orientale, des organismes chargés de planifier la politique à suivre aussi bien dans les sciences sociales que dans les autres sciences existent depuis un certain temps déjà mais ce n'est que depuis peu qu'ils se trouvent avoir à envisager la répartition de ressources d'un montant substantiel.
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3. Dans les pays avancés, la recherche d'une politique des sciences sociales s'intensifie du fait que les ressources consommées par ces sciences sont désormais assez importantes pour frapper la vue du public, quelle que soit par ailleurs leur modicité si on les compare aux ressources allouées aux sciences exactes et naturelles ou au chiffre qu'elles devraient atteindre pour répondre aux besoins. De plus, les dépenses consacrées aux sciences sociales augmentent dans certains pays plus rapidement que les dépenses consacrées à l'ensemble des autres sciences, encore qu'il y ait lieu de remarquer qu'elles sont parties d'un niveau incomparablement plus bas. 4. Ajoutons que l'Etat fournit la plus grosse partie de ces fonds, directement ou indirectement, et que, dans ces conditions, un élément politique se glisse dans la situation faite aux sciences sociales. Aux EtatsUnis, elles se sont hissées au rang de « big science » et l'on s'est aperçu qu'en leur distribuant des ressources considérables au fur et à mesure des besoins, et sans souci de coordination, l'on n'obtient d'elles qu'un rendement décroissant. Dans l'intérêt aussi bien du développement des sciences sociales en tant que sciences que de leur utilité pour la société, il faut reconnaître qu'on en est arrivé au point où il devient nécessaire de leur appliquer quelque forme de planification « stratégique ». Cette planification n'ira pas sans de grandes difficultés ni sans un gros risque de faire plus de mal que de bien car on n'a que très peu d'expérience en la matière et toute planification est sujette à de graves erreurs. Les options qui se présentent sont nombreuses et il faudra un certain temps pour discerner celles qu'il convient de préférer dans le contexte des diverses sociétés.
De quelques
risques inhérents
à la
planification
5. Quels que soient les moyens de coordination qu'on mettra en œuvre, il faudra prévoir de multiples sources de fonds et de multiples centres de décision. En agissant autrement, on s'exposerait à de sérieux dangers. Les sciences sociales ne sauraient se développer hors d'une certaine volonté de tolérance vis-à-vis des points de vue exprimés et des priorités suggérées. Tant de questions de théorie et de méthode restent encore sans réponse qu'une grande ouverture d'esprit est de rigueur. L'élaboration de politiques efficaces exige un dialogue libre, constant, entre les spécialistes appartenant à toutes les disciplines, à toutes les organisations — quel que soient leurs types — de sciences sociales, et les responsables de la politique suivie tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Etat dans tous les grands secteurs de l'action sociale. La formule d'un faisceau (cluster) d'organismes reliés entre eux et agissant les uns sur les autres, dotés de fonctions complémentaires, est celle qui paraît prévaloir, de
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préférence à celle de l'organisme unique, dans les pays qui ont entrepris de planifier la science dans quelque domaine que ce soit. 3 6 6. Il existe un risque réel, celui qu'une proportion trop forte des ressources disponibles soit réservée à des projets ne correspondant qu'aux préoccupations ( théoriques et pratiques ) du moment et non point à des besoins futurs qu'on aurait su prévoir. Si l'on veut que les sciences sociales soient l'élément qui permette de mieux choisir entre les solutions intéressant l'avenir, la faculté de discerner les besoins futurs prend une valeur cruciale. Certes ce problème commence à attirer l'attention des spécialistes mais il conviendra d'élucider un certain nombre de questions difficiles tant conceptuelles que méthodologiques avant qu'on ne puisse résolument aller de l'avant. 3 7
Création
d'institutions
7. Les trois complexes de production que nous avons précédemment distingués doivent être étudiés par les organes à qui sont confiées les questions de politique générale et de planification, afin de créer les types d'institutions de sciences sociales les plus adaptables possibles : (a) le complexe recherche/application dans lequel une recherche — habituellement mais non pas nécessairement — interdisciplinaire concernant des problèmes génériques déterminés par le milieu est effectuée par des étudiants assumant des fonctions subalternes dans des programmes « à clientèle » en cours d'exécution ; (b) le complexe recherche/enseignement dans lequel une recherche fondamentale — habituellement mais non pas nécessairement — disciplinaire peut s'effectuer dans des secteurs où il n'est pas indispensable de s'engager vis-à-vis d'une « clientèle » et où les étudiants sont très rapidement en mesure d'apporter une contribution originale ; (c) le complexe recherche/service plus axé sur les problèmes concrets mais où les étudiants ont l'occasion d'acquérir de l'expérience en tant que stagiaires. Les départements universitaires classiques sont surtout du type b) avec quelques éléments a) et un peu d'éléments c) ; les écoles professionnelles sont du type c) avec quelques éléments a) et un peu d'éléments b) ; les instituts spécialisés (appartenant ou non à l'université) sont du type a ) avec quelques éléments b ) et un peu d'éléments c ). Ces trois formules sont toutes nécessaires, mais à moins que leurs objectifs restent distincts, il se produira entre elles des interférences dysfonctionnelles, et tout en souffrira : étudiants, « clients » et conclusions. Ces interférences se constatent en assez grand nombre aujourd'hui. Un des buts que devrait avoir en vue une politique des sciences sociales serait de mettre au point un système bien équilibré d'institutions complémentaires qui ferait disparaître ce défaut.
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8. Les processus de la prise de décision seront probablement, et à juste titre, différents selon qu'il s'agira du complexe de recherche/application, de celui de recherche/enseignement ou de celui de recherche/service. Dans le cas de la recherche/application, les choix les mieux faits résulteront sans doute d'« appréciations » complexes qui se dégageront des contacts qu'auront entre eux les groupes de sociologues, les organisations « clientes » et les représentants de secteurs plus larges de la société. Ce genre de contacts pourra conduire à l'instauration — sous des appellations diverses — de conseils de la recherche appliquée qui auront pour tâche de mettre au point des relations « stratégiques » entre les sciences sociales et les principaux secteurs de la société. Le complexe recherche/ enseignement sera l'affaire d'organismes chargés d'observer en permanence les voies les plus prometteuses de la recherche fondamentale. Assez paradoxalement, des innovations qui n'auront pas les faveurs de la mode pourront, le cas échéant, être soutenues par des utilisateurs qu'intéresse le complexe recherche/service ; c'est dans ce secteur, en effet, que naissent certaines idées parmi les plus riches en potentialités. Elles ne sont pas grosses consommatrices de ressources spéciales dans leur phase de début et peuvent se développer sans publicité sous la rubrique « service » jusqu'au moment où elles sont mûres pour être prises en charge par l'un des deux autres complexes. C'est là, par exemple, un processus bien connu de la recherche clinique. 9. Le progrès s'est trouvé retardé par la confusion qui persiste au sujet des rapports liant la recherche pure à la recherche appliquée. Ces rapports diffèrent selon qu'il s'agit de sciences sociales ou de sciences exactes et naturelles. En ce qui concerne ces dernières, les données dont on a besoin peuvent être extraites de leur milieu naturel bien plus facilement que ce n'est le cas pour les sciences sociales. De plus, il n'y a pas de « permission » à solliciter avant d'utiliser un renseignement du domaine des sciences exactes et naturelles, alors que, hors le cas de certains secteurs spéciaux, le sociologue doit puiser les matériaux enfouis dans leur milieu naturel en veillant à ne heurter personne. Il s'ensuit qu'un moyen « stratégique » majeur de faire progresser la connaissance de base dans le domaine des sciences sociales consiste à s'adonner à une recherche orientée. 10. Le développement effectif des sciences sociales en vue de besoins futurs exige que soit créée une recherche vraiment programmée, durable, portant sur des sujets choisis avec soin par des instituts pourvus de la stabilité, de l'ampleur et, pour ce qui est de leurs ressources, de la diversité qui leur permettront d'orienter leurs membres vers ces objectifs. Pour des motifs qui ont trait à la fois à l'état des sciences sociales et aux besoins des sociétés, une bonne part des programmes devra se rapporter à des recherches orientées sur des problèmes génériques déterminés par le milieu. On constate aujourd'hui un trop grand éparpille-
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ment des efforts de recherche parmi des organisations petites et instables. Il en résulte une accumulation de projets conçus au hasard plutôt qu'un corpus évolutif de découvertes. C'est une situation qui a eu pour cause, notamment, la persistance, chez les chercheurs, d'une tradition d'individualisme universitaire conjuguée avec une tendance, parmi les organismes bailleurs de fonds, à préférer le risque — en apparence minime — inhérent au soutien d'une multiplicité de petits projets à l'autre risque — en apparence plus grave — qui s'attache à la conduite d'un nombre restreint de programmes répondant à une « stratégie » donnée. Ce serait une tâche majeure, à prévoir dans une politique des sciences sociales, que celle de redresser cette situation et de créer les conditions qui permettront de mettre en train des programmes « stratégiques ».
Problèmes de
personnel
11. Les dispositions pratiques à prendre à l'égard de l'ensemble du « système des sciences sociales » d'un pays doivent faire l'objet d'un plan qui assurera au personnel scientifique un maximum de liberté de mouvement entre les organisations appartenant aux trois complexes. Ce personnel devrait pouvoir aussi circuler librement entre les organisation relevant au premier chef du monde universitaire et les organisations utilisatrices qui, tout en employant des spécialistes des sciences sociales, exercent avant tout des activités opérationnelles. Faute d'une telle liberté de mouvement, l'on manquera de l'éventail de carrières nécessaires à la formation d'un corps de spécialistes assez important et assez souple pour répondre à une demande croissante. On assistera à un divorce dysfonctionnel entre l'enseignement et la recherche comme entre les recherches qui se poursuivent à l'intérieur et à l'extérieur des universités. Il y aura également rupture grave entre le monde universitaire et les organisations utilisatrices auxquelles appartiennent ces « clientèles » indispensables au développement de la connaissance de base. Ce genre d'inconvénients se manifeste aujourd'hui dans la plupart des pays et très souvent à un degré assez sérieux. 12. Il convient de s'attendre, dans le domaine des sciences sociales, à des insuffisances de personnel en ce qui touche tant la quantité que la qualité. Il y aurait lieu d'encourager les universités à accroître leur potentiel d'enseignement social et les gouvernements comme les autres bailleurs de fonds à fournir les appuis nécessaires. Ce sera en créant des écoles générales de sciences sociales englobant toutes les disciplines de base au niveau du premier cycle universitaire comme à celui des autres cycles qu'on obtiendra les meilleurs résultats. On préférera les départements à plusieurs professeurs aux départements à professeur unique. On s'attachera essentiellement à fonder un certain nombre de « centres
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d'excellence » capables d'atteindre la « masse critique ». De nombreux pays devront organiser, en première priorité, une formation universitaire accélérée s'adressant aux étudiants déjà gradués. 13. L'enseignement professionnel — qu'il faut distinguer ici de l'enseignement fondamental — demande également à être intensifié. Ce n'est que par l'extension et l'élargissement des professions sociales qu'on parviendra à faire appliquer les sciences sociales par les organisations utilisatrices. Les professions sont de deux espèces : celles qui découlent directement des sciences sociales (administration et enseignement) et celles qui comportent une forte dose de sciences sociales (sciences de l'ingénieur, médecine, droit, architecture, urbanisme et autres formes de planification ). Un grand nombre de décisions revêtant une haute importance pour l'avenir seront prises par des membres de ces professions. Il est essentiel que l'enseignement qu'ils recevront les mette à même de comprendre les sciences sociales.
Petits
pays
14. Plus un pays est petit, plus ardu est pour lui le problème du choix scientifique. Il ne lui est pas possible de développer sa recherche sociale dans un nombre illimité de voies. S'il compte moins de cinq millions d'habitants, il se trouve dans un cas extrême mais à moins de 20 millions il sera déjà en face de dilemmes graves. Même des pays plus importants ne peuvent pas « tout faire ». Ces difficultés d'option existent même si le pays en question compte parmi les plus avancés. A supposer qu'il dispose d'un arsenal de moyens savants et perfectionnés, il lui faudra encore savoir comment il les mettra en œuvre de façon à atteindre la « masse critique » dans un nombre suffisamment élevé de cas. 15. Une solution possible consisterait à établir des liens entre pays d'une même région représentant de grandes affinités de culture, de langue et d'environnement géographique. Le nombre de « centres d'excellence » de la région pourrait alors être porté à un maximum. En raison de leurs traditions particulières, il arrive souvent que de petits pays se distinguent dans certains domaines de la recherche et peuvent s'y assurer un avantage relatif. Il peut arriver aussi qu'ils offrent les milieux les plus favorables pour l'étude de certaines catégories de problèmes à l'égard desquels ils ont alors des chances de devenir des centres mondiaux. 16. Les petits Etats peuvent jouir d'une plus grande marge d'innovation lorsqu'ils rompent avec le traditionalisme universitaire. L'énorme appareil professionnel caractéristique des grands Etats peut gêner le progrès et il est digne de remarquer qu'un petit pays comme la Norvège s'est
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acquis une grande notoriété dans les recherches sur la paix, dans les études trans-culturelles sur la science politique et dans les recherches actives (action research ) sur la démocratie industrielle. L'écologie de ces développements mériterait qu'on lui consacrât une étude méthodique, visant à déterminer quelles sont les conditions socio-mésologiques les plus favorables — eu égard au chiffre de la population — à l'éclosion d'une pensée originale en matière de sciences sociales.
Pays en voie de
développement
17. Au cours des prochaines décennies, il faut s'attendre que ce soit les sciences sociales — et non point les sciences exactes et naturelles — qui contribuent le plus efficacement à accroître le potentiel scientifique général des pays en voie de développement. Ces pays pourront laisser pour le moment aux nations plus avancées le soin de faire progresser les sciences physiques et biologiques du moment que les résultats d'ordre technologique peuvent « s'acheter » dans une certaine mesure. Ce qu'ils doivent acquérir par eux-mêmes, en revanche, c'est la compréhension profonde de tous les aspects du processus de développement, et la maîtrise des sciences sociales leur sera d'une utilité capitale à cet égard. En outre, ils devront former un personnel de cadre assez étoffé pour que puissent être mises en pratique les leçons acquises lors de l'exécution de programmes évolutifs autodéterminés, ce qui ne manquera pas d'ailleurs d'augmenter l'efficacité des sciences exactes elles-mêmes. 18. Il appartient aux pays avancés d'aider les pays en voie de développement à acquérir les aptitudes dont ils ont besoin en matière de science sociale et d'exécution des plans. A l'heure actuelle, trop de sociologues et de cadres appartenant à ces derniers pays prolongent exagérément leur séjour dans les universités des nations industrialisées et un certain nombre d'entre eux y restent à demeure. Une part trop importante de la recherche sociale qui s'effectue dans les pays en voie de développement est due à des spécialistes appartenant aux pays développés. C'est là une tendance qu'il conviendra de renverser à l'aide de la coopération internationale, en s'inspirant notamment des propositions de la récente Table ronde de l'Unesco sur l'organisation, la planification et le financement de la recherche sociale réunie sur l'initiative de l'Institut danois de recherche sociale. Ces propositions, qui seront publiées dans le premier numéro pour l'année 1970 de la Revue internationale des sciences sociales, reflètent les besoins des pays en voie de développement tels que les ressentent les spécialistes des sciences sociales de ces mêmes pays. Elles indiquent ce qui pourrait être accompli grâce à la coopération de tous dans le cadre de la Deuxième Décennie du Développement.
Organisation
et financement
de la
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recherche
NOTES
1. L'auteur de la présente étude est redevable à M. David Armstrong du Tavistock Institute de Londres, qui a collationné la documentation pour la plupart de ces rapports. 2. L'auteur est reconnaissant à M. Henry Riecken du Behavioral Science Survey ( 23 ) ( 28 ) de lui avoir donné des explications sur les statistiques américaines et de lui avoir communiqué des statistiques provisoires qui ne sont pas encore prêtes à être publiées. 3. ETATS-UNIS —
Estimation du soutien accordé à la recherche scientifique par origine et par domaine scientifique (1961) [Chiffres provisoires calculés par l'American Behavioral Scientist] (en millions de dollars).
Source de soutien
Pouvoirs publics Gouvernement fédéral Autres sources Entreprises Universités et collèges d'enseignement supérieur Fondations Total
4. 5. 6. 7. 8.
%
Total
%
Sciences exactes et naturelles
%
9.000 580 4.400
57 4 28
8.790 500 4.250
58 3 28
210 80 150
32 12 23
11
1.600 33
11 —
200 12
31 2
100
652
100
1.800 45 15.825
—
100
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Sciences sociales
Dans ces chiffres figurent des sommes importantes consacrées : (1) au rassemblement de données ordinaires (cela dans les contributions fournies principalement par l'Etat mais dans une certaine mesure par les entreprises ; voir à ce sujet OCDE, Les sciences sociales et la politique des gouvernements, Annexe I, où est analysée l'impcrtance des « activités scientifiques connexes » dans la recherche pour ce qui est des sciences sociales par comparaison avec les sciences exactes et naturelles ; et la section VIII, 2, du présent chapitre sur la nécessité d'imputer séparément ces dépenses) ; (2) aux contributions indirectes des collèges d'enseignement supérieur et universités. Dans les rubriques « recherche organisée » utilisée par l'Office of Education des Etats-Unis et « recherche horsbudget » utilisée par la National Science Foundation, ces coûts indirects ne sont pas compris. Néanmoins il faut noter que de 1953 à 1965 la participation de l'administration fédérale à l'ensemble de R et D dans les établissements d'enseignement supérieur a augmenté de 56 % à 69 % tandis que la part des universités et des collèges tombait de 33 % à 25 96. Ces problèmes ont été examinés dans une série d'articles publiés dans Mtnerva 1963-4 (135) (157) (188) (199). Cf. The behavioral sciences and the fédéral government, pp. 23-31 (1). Sur l'évolution au niveau international, se référer au chapitre X de S. Rokkan et à des recueils de données tels que celui de R.C. Merritt et S. Rokkan (éds.), Comparing nations (180). S'il faut déduire de ce chiffre un certain nombre d'historiens, cela est compensé par les spécialistes des sciences sociales appliquées, classés sous la rubrique « pédagogie », qu'il conviendrait d'y ajouter. On estime que dans les universités américaines les professeurs titulaires de leur chaire consacrent en moyenne un tiers de leur temps à la recherche, mais cette proportion est beaucoup plus faible dans les collèges d'enseignement supérieur à 4 années d'études. Il y a en outre un grand nombre d'assistants qui ne sont
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pas titularisés et font à la fois de l'enseignement et de la recherche, ainsi que des chercheurs à temps partiel ou à plein temps à différents niveaux (31). 9. A la question que posait récemment Kenneth Boulding (6) : « Prenons-nous les sciences sociales au sérieux ? » la réponse semble devoir être : sur le plan des services et de l'éducation, « oui » ; sur le plan de la recherche, « non ». 10. Aux Etats-Unis comme ailleurs, l'économique est de loin la science sociale qui a le plus d'influence sur les décisions d'ordre politique. / 11. La grande majorité des membres de ces associations ont le gradé de docteur, mais il existe dans certaines d'entre elles une catégorie margjnale de membres associés, composée de « masters » préparant leur doctorat. 12. La situation semble se présenter très différemment dans de nombreux secteurs des sciences biologiques et physiques où les recherches interdisciplinaires peuvent reposer plus facilement sur des prémisses théoriques. 13. Leur nom officiel est Federally Funded Research and Development Centers (Centres de recherche et de développement financés par le Gouvernement fédéral). Ils peuvent travailler en collaboration avec des universités aussi bien qu'avec des organisations à but non lucratif. Leurs travaux sont de nature très diverse (31). 14. Citons par exemple la création du Centre for Developmental Sciences à Minster Lowell à proximité d'Oxford. 15. Nous pouvons mentionner dans ce contexte le Centre for the Analysis of Conflict (Centre d'analyse des conflits), de l'University College de Londres. Il a fourni des analyses à un stage d'études de diplomates des deux camps, qui a joué un rôle, si faible soit-il, dans la désescalade de l'affrontement entre l'Indonésie et la Malaisie et a abouti en outre à la formation de nouveaux concepts en matière de sciences sociales. 16. C'est-à-dire il y a trop de travaux en cours exécutés simultanément dans trop d'endroits et dans trop de directions ; trop peu sont menés à bien et il y a trop peu d'« effet cumulatif » (142). 17. L'étude National science policies of the U.S.A. préparée par la NSF pour l'Unesco expose comment la science américaine a évolué dans le cadre de cette tradition (31). 18. Au Canada, les accords conclus entre l'administration fédérale et les Provinces pour l'exécution de programmes de développement socio-économique des régions « faibles » contiennent les dispositions détaillées concernant l'évaluation des résultats par les spécialistes des sciences sociales. 19. Les arguments avancés pour la création d'instituts de ce genre sont donnés aux pages 102 à 107 du Rapport et peuvent être comparés avec ceux figurant à la Section VI, 10-18, du présent chapitre qui distingue différents types fondamentaux d'organisations de recherche en fonction de différentes catégories de « productions ». 20. La représentation des sciences sociales au PSAC vient d'être décidée, et c'est Simon lui-même qui en devient membre. 21. M. Orville G. Brim dirige la Commission des sciences sociales de la NSF. Celle-ci a pour mandat de « préparer des analyses et des recommandations destinées à mettre en œuvre l'application des sciences sociales aux problèmes sociaux les plus importants ». Créée en janvier 1968, la Commission a publié son rapport en septembre 1969. 22. Un autre niveau d'organisation a été défini en 1960 en URSS où il existe désormais, à côté du Présidium et des départements et instituts, des sections qui regroupent des sciences apparentées. Ainsi les sciences humaines et les sciences sociales, bien que relevant de départements différents, forment actuellement une Section des sciences de la société. Chaque société est dirigée par un vice-président de l'Académie. 23. Ces départements sont maintenant regroupés dans la Section des sciences de la société.
Organisation et financement
de la
recherche
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24. Renseignements fournis pat l'Académie polonaise des sciences, 1969. 25. La distribution des savants diplômés entre instituts de recherche et établissements d'enseignement supérieur était de (87) : 1958 1964 Instituts de recherche scientifique 141.000 356.700 Etablissements d'enseignement supérieur 135.700 206.300 Des chiffres plus récents ne sont pas disponibles. 26. Une attention particulière a été accordée en Hongrie aux statistiques de la science, cf. A. Szalai, « Statistics, sociology and economics of research in Hungary », Social Science Information 5 (4), 1966, pp. 57-69. 27. Le titre correspondant à la licence a depuis cette date été supprimé. 28. D'après le schéma exposé dans Social research and a national policy for science, pp. 7-15(139). 29. Au cas où l'on envisagerait des effectifs beaucoup plus élevés, on devrait se poser la question de savoir s'il ne vaudrait pas mieux — à moins de circonstances spéciales — fonder plusieurs établissements de préférence à une seule organisation qui en raison de sa taille deviendrait bureaucratique et risquerait de perdre de sa capacité novatrice. 30. Pour un exposé de la façon dont s'est développé ce concept du rôle de protagoniste en biologie puis, par extension, dans les sciences sociales, voir Andras Angyal, Foundations for a science of personality (124). 31. Sur ce concept d'« appréciation », voir The art of judgment — a study of policy making de Sir Geoffrey Vickers (196). 32. Selon l'expression de F.E. Emery. 33. Cf. Silvan Tomkins, Affect, imagery and consciousness, Vol. I (186). 34. Des études en profondeur ont été faites en Hongrie sur des instituts de recherche. On en trouvera une analyse dans Dr. A. Szalai, « National research planning and research statistics », in : A. de Reuck et al., éds., Decision making in national science policy. Londres, J. & A. Churchill Ltd., 1968. 35. Voir S. Rokkan (éd.), Data archives in the social sciences (180) et la section de Information sur les sciences sociales, publié par le Conseil international des sciences sociales, consacrée aux sources de données. 36. Pour ce qui est de la préférence à accorder au faisceau (cluster) d'organismes plutôt qu'à l'organisme unique dans le processus de planification même très centralisé, voir Action under planning par Bertram M. Gross (éd.) (142) et The state of the nation par le même auteur ( 141 ). 37. F.E. Emery, The next thirty years : concepts, methods and anticipations (140).
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Organisation
et financement
de la
recherche
977
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Organisation
et financement
de la recherche
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201. H.A. Zuckerman. Nobel laureates in the United States : a sociological study of scientific collaboration. Ph. D. Dissertation. New York, Columbia University, 1965. Note. Cette bibliographie est sélective. On peut trouver des références à des bibliographies plus complètes dans les articles sur la « Science » parus dans l'International encyclopaedia of the social sciences. New York, Macmillan and Free Press, 1968. La contribution auxiliaire préparée pour la présente étude par Jean Viet : Tendances et organisation des recherches relatives à la politique scientifique : éléments d'information, donne des références complètes classées sous un grand nombre de rubriques.
Index
Algèbre, XLVI, 647 et Linguistique, 575 et Science économique, 575 matricielle, 640 Analyse causale, X X X I I I , 6, 27, 52-57, 280, 318, 578 comparative, XLVII-L, 9-11, 25, 26, 37, 298, 469, 507, 522, 765-821 de contenu, 551, 781, 790 de régression, 639 de structure latente, 94, 101, 257-259, 647, 671, 789 de systèmes, 659, 660 de variance, 639 des composantes principales, 640 des données, XLII, 464 des données d'enquête, 73-88, 639, 645, 655 des motivations, 159 des variables, 90-98 dimensionnelle, 77, 673 écologique, 810 factorielle, 259, 321, 462, 481-483, 639, 640, 647, 671 ; voir aussi Analyse des composantes principales fonctionnelle, 37 historique, 4, 36, 49 input-output, voir Input-output mathématique, 36, 481-482, 545, 629685 ; voir aussi Mathématiques micro-macro, 11, 248, 366-368, 382, 396, 480, 482 multivariée, XXXV qualitative, XXXV quantitative, voir Méthode quantitative
secondaire, 790 sémantique, voir Analyse de contenu séquentielle, 101 statique-dynamique, 397-402 statistique, 13 ; voir aussi Statistique structurale, 36, 97-103, 515, 516, 520, 545, 642, 660 trans-culturelle, XXXV, XLVIII-L, 765-821 ; voir aussi Analyse comparative trans-nationale, XLVIII, XLIX, L, 765-821 ; voir aussi Analyse comparative trans-sociétale, 765-821 ; voir aussi Analyse comparative typologique, XXXV Anthropologie politique, X X X I I I sociale et culturelle, IX, XXXI, XXXVI, XXXVIII, X L I I I , XLVI, XLIX, 2, 36, 48, 512, 749 et Démographie, 432 et Histoire, 8, 621 et Linguistique, 504, 515, 517, 612, 682 et Mathématiques, 632, 637, 641, 646-647, 650, 675 et Science économique, XLI, 385 et Science politique, X X X I I I , 248 et Sociologie, 156 recherche comparative, 779, 792, 794, 795, 808 recherche orientée, 717 Apprentissage, voir Théorie de l'apprentissage Archéologie, X Archive
Index
982 de données, 773, 791, 797, 810, 813, 892, 954 écologique intra-nationale, 810 Associationnisme, 279, 281 Automates, 646, 651 ; voir aussi Cybernétique Axiomatisation, 662 ; voir aussi Formalisation ; Modèles Banque de données, voir Archives de données Batterie de tests, 789 Behaviorisme, 59, 276, 277 Biologie, X X X V I I I , X X X I X , X L I I , X L I V , 44, 648 et Démographie, 428, 430-432, 433447, 477-479, 631, 636 et Linguistique, X L I I I , 521-537 et Mathématiques, 652 et Psychologie, 285, 288, 308-309 et Psychologie sociale, X X X I X , 6 et Science économique, 373 et Sociologie Calcul des probabilités, 389, 632, 647 différentiel, 389 Calculateur électronique, voir Ordinateur Chaînes de Markov, X L V I , 648, 650, 669 Changement d'échelle, voir Analyse micro-macro Constructivisme, 25, 301-305 Criminologie, X X X I , X L V I I et Démographie, 432 recherche orientée, 713-714 Cybernétique, X L I , 47, 389, 532, 564, 614, 651, 660-661, 680, 683 ; voir aussi Automates ; Modèles cybernétiques et Logique, 582 et Science économique, 377, 602-605 Décentration (méthode d'observation), 9-11, 18-20, 27 comparatiste, 9-11, 18-20, 27 Décision, voir Processus de décision ; Théorie de la décision Démographie, V, X X X I , X X X I I I , X L I , X L V I I , X L V I I I , 2, 25, 31, 427-503 et Anthropologie sociale et culturelle, 432 et Biologie, 428, 430-432, 433-447, 477-479, 631, 636 et Criminologie, 432
et et et et et et et et et et et
Ecologie, 432, 457 Géographie, 9, 432 Histoire, 430-432, 466-467 Mathématiques, 631, 637 Médecine, 432, 475-476 Morale, 432 Pédagogie, 432 Philosophie, 432 Physiologie, 477-479 Psychologie, 428-429, 432-442, 479 Science économique, X L I I , 432, 443, 446-457, 480-484 et Science politique, 432, 467 et Sciences juridiques, 432 et Sociologie, X L I I , 428, 432, 453, 457-459, 461-463, 467, 479 et Statistique, 432 et Technologie, 432 et Théologie, 432 recherche comparative, 784, 808 recherche orientée, 744-749 Déterminisme, 12, 52 ; voir aussi Analyse causale Dialectique, 40, 133, 136-138 Dissonance cognitive, voir Théorie de la discordance cognitive Droit, voir Sciences juridiques Dynamique de groupe, 37, 82, 297 ; voir aussi Groupes restreints Echantillonnage, 85, 429, 477, 640 Echelles d'attitude, 33, 37, 74, 85, 87, 112, 7 8 9 ; voir aussi Mesure des attitudes Ecologie et Démographie, 432, 457 Econométrie, X L , 11, 27, 34, 355, 575, 624, 646, 680 Economie politique, voir Science économique Empirisme, X X X V I , 38-40, 279-285 et Structuralisme, 281 Enquête, X X X V I I , X L I I , 73-88 , voir aussi Analyse des données d'enquête commerciale, 788, 789 sociale, 789 par sondage, voir Sondages Enseignement programmé, 281 Entretien d'orientation, 790 non directif, 789 psychotechnique, 790 thérapeutique, 790 Epistémologie, 5, 7, 8, 18, 49-50, 620, 623, 654-661 génétique, 8, 625, 675, 680
Index
983
Ethnologie, voir Anthropologie sociale et culturelle Ethologie, 312-314, 524, 625 Etude de marché, 788, 790 Expérimentation, X X X I I I , XLII, XLVI, 1, 28-31, 642, 643, 672, 675-680 Explication causale, voir Analyse causale. Finalisme, 47, 597-601 Fonctionnalisme, XXXVI, 72, 121-131, 279, 590, 591 ; voir aussi Analyse fonctionnelle Formalisation, 419, 582, 643, 657, 669670 ; voir aussi Axiomatisation ; Modèles Futurologie, XXXII Génétisme, 277 Géographie, XXXI et Démographie, 9, 432 Gérontologie, XLVII, 690 recherche orientée, 693, 714-716 Grammaire, voir Théorie des grammaires Graphes, voir Théorie des graphes Groupes restreints, 102, 114, 297 ; voir aussi Dynamique de groupe Histoire, X, X X X I I I , 3-5, 11, 24 et Anthropologie sociale et culturelle, 8, 621 et Démographie, 430-432, 465-467 et Linguistique, 565, 587, 617, 621 et Mathématiques, 5 et Science économique, 343-345, 361, 385, 387, 565, 605-606 et Science politique, 247, 248 et Sciences sociales, 811 et Sociologie, 589 Indice, 75 ; voir aussi Langage indiciel Induction, 657, 674 statistique, 388 Information, voir Théorie de l'information Input-output, XL, XLVI, 280, 282, 369, 481, 647 Introspection, 20-21 Interview, voir Entretien Keynésianisme, 352-357, 392 Langage indiciel, 78-79, 83 Linguistique, IX, XXXI,
XXXIII,
XXXVI, XLIII, XLVI, 2, 8, 9, 11, 25, 35, 504-556 et Algèbre, 575 et Anthropologie sociale et culturelle, 504, 515, 517, 612, 682 et Biologie, X L I I I , 521, 537 et Histoire, 565, 587, 617, 621 et Logique, 508, 611 et Mathématiques, 509, 637, 641-642, 645-646, 650, 651, 653-654, 666668, 670, 675, 680 et Philosophie, 504, 546 et Physique, 537-538 et Psychologie, 299, 504, 518-521, 544-548 ; voir aussi Psycholinguistique et Science économique, 513-514, 584, 595 et Sociologie, 504, 515, 517, 518, 612, 652, 654 ; voir aussi Sociolinguistique structurale, 544-550 Logique, 2, 7, 8, 15, 17, 48-49, 50 et Cybernétique, 584 et Linguistique, 508, 611 et Psychologie, 324, 583, 645, 651 et Sociologie, 651 formelle, 581-584 mathématique, 34 Loi scientifique, 2, 6 ; voir aussi Sciences nomothétiques Macro-économie, 11 Macro-micro, voir Analyse micro-macro Macro-sociologie, XXXV, XXXVIII, 71, 88-104 Marginalisme, 349-353 Marxisme, XXXV, 10, 11, 12, 24, 41, 72, 110, 386, 402, 451, 617 et Science économique, 345-349, 353354 Matérialisme, 275 Mathématiques, XXXIII, XXXV, X L I I I , XLVI, XLVII, 5, 17, 45, 475, 629-685 et Anthropologie sociale et culturelle, 632, 637, 641, 646-647, 650, 675 et Biologie, 652 et Démographie, 631, 637 et Linguistique, 508, 637, 641-642, 645-646, 650-651, 653-654, 666-668, 670, 675, 680 et Philosophie, 651 et Psychologie, 318, 326, 631, 632, 636-638, 643-645, 647, 650, 653654, 671 ; voir aussi Psychométrie
Index
984 et Psychologie sociale, 645, 647, 651, 670-671 et Science économique, 388-390, 630631, 638, 644-645, 647, 652-654, 665, 666, 670, 680 ; voir aussi Econométrie et Sémiotique, 651 et Sociologie, 630, 632, 637-638, 644, 647, 650, 655, 670, 680-681 Médecine, X L I I et Démographie, 431, 474-475 Mesure, X X X V I I , X L V I , 7 6 ; voir aussi Théorie de la mesure des attitudes, 26, 83, 112 ; voir aussi Echelles d'attitude Méthode comparative, voir Analyse comparative d'enquête, voir Enquête d'observation, voir Observation déductive, 17 des modèles, voir Modèles des sondages, voir Echantillonnage ; Sondages expérimentale, 17 historique, 26, 49 ; voir aussi Analyse historique logico-mathématique, 23 mathématique, 629-685 ; voir aussi Analyse mathématique ; Mathématiques quantitative, 655 sociogénétique, 26 statistique ; voir Analyse statistique ; Statistique structuraliste, 36 ; voir aussi Analyse structurale ; Structuralisme Méthodologie, 18, 30-37 ; voir aussi Analyse... ; Méthode... ; Recherche... Micro-économie, 11 Micro-macro, voir Analyse micro-macro Micro-sociologie, X X X V , X X X V I I I , 37 Modèles, X L V , X L V I , 13, 55, 284, 382, 415, 416, 480, 488, 516 abstraits, 317-324 cybernétiques, 602-605 ; voir aussi Cybernétique déterministes, 6, 648-650 mathématiques, X L I , 629-685 mécaniques, 34 stochastiques, 34, 375, 575, 648-650 ; voir aussi Chaînes de Markov ; Théorie des processus stochastiques Morale et Démographie, 432
Neuropsychologie,
XXXIX
Objectivité, X X X I V , 1, 19, 22, 27, 277 Observation, X X X I I I , X L I I , 1, 26, 672, 680 ; voir aussi Décentration ; Enquête directe, 19, 429 Ordinateur, L U , 388, 411-412, 464, 487, 652, 653, 675, 681, 773, 781, 812, 813 Organicisme, X X X I X Pédagogie et Démographie, 432 Phénoménologie, X L I V , 546-547 Philologie, 551 Philosophie, X , X X X I I I , LI, 7-8, 14, 15, 38 et Démographie, 432 et Histoire, X X X I V et Linguistique, 504, 546 et Mathématiques, 651 et Psychologie, 275-279 et Science politique, 246, 260 et Sciences nomothétiques, 7 et Sociologie, 69 politique, X X X I V Physiologie et Démographie, 477-479 et Psychologie, 285 Physique et Linguistique, 537-538 et Psychologie, 293, 327 Positivisme, 14, 15, 42, 50, 52-53, 279281, 320 logique, 61 Praxéologie, 593, 596 et Science économique, 351, 361-365 Préhistoire, X Prévision, X L V I , 636, 652, 674-675; voir aussi Calcul des probabilités ; Modèles stochastiques Processus de décision, X X X V I I I , 461 ; voir aussi Modèles stochastiques ; Théorie de la décision markoviens, voir Chaînes de Markov Programmation, 355 dynamique, 645 linéaire, 384, 390, 645 Psychanalyse, 22, 58-59, 302-305, 615 Psychogenèse, 8 Psycholinguistique, X X X I X , 614, 624 Psychologie, IX, XXXI, XXXIII, X X X I X , X L , 2, 5, 7, 8, 10, 12, 14, 15, 19-22, 28, 31-33, 43, 48, 51, 52, 58, 62, 63, 274-339, 749 appliquée, 330-336
Index et Biologie, 285, 288, 308-309 et Démographie, 428-429, 432, 442, 479 et Linguistique, 299, 504, 518-521, 544-548 ; voir aussi Psycholinguistique et Logique, 324, 583, 645, 651 et Mathématiques, 318, 326, 631, 632, 636-638, 643-645, 647, 650, 653654, 671 ; voir aussi Psychométrie et Philosophie, X X X V I I I , X X X I X , 275-279 et Physiologie, 285 et Physique, 293, 327 et Science économique, XLI, 293, 349, 373, 385, 559 et Science politique, 262 et Sociologie, 157, 294, 462, 621 génétique, 13, 622, 625 recherche comparative, 792 recherche fondamentale, 853 sociale, X X X V I I , X X X I X , XLVI, 60, 162-166, 294-301, 625, 749 et Biologie, X X X I X , 6 et Linguistique, 299 et Mathématiques, 645, 647, 651, 670-671 recherche orientée, 698 Psychométrie, 632, 639, 646, 650, 671 Psycho-pharmacologie, XL Psychophysiologie, voir Psychologie et Physiologie Psychophysique, 671 Psychotechnique, 335 Psychothérapie, 334 Quantification, X X X V , 5, 34, 388 ; voir aussi Méthode quantitative Quasi-expérimentation, 644 Recherche appliquée, XLVII, 697-698, 851, 852 comparative, voir Analyse comparative empirique, X X X V I , XLV ; voir aussi Empirisme ; Enquête ; Expérimentation ; Observation, etc. fondamentale, XLVII, 851, 852, 853, 951 fondamentale libre, 693-697 interdisciplinaire, 708-723, 743-761, 901, 943 opérationnelle, XL, XLVI, 34, 227, 266, 355, 475, 633 orientée, XLVII, XLVIII, 686-764, 853, 938, 951
985 orientée multidisciplinaire, 708-723, 743-761 sur les aires culturelles, 854 trans-culturelle, X X X V , XLVIII-L, 765-821 ; voir aussi Analyse comparative trans-nationale, 765-821 ; voir aussi Analyse comparative trans-sociétale, 765-821 ; voir aussi Analyse comparative Réductionnisme, 52, 286, 288, 300-304 Régularités, 35 Schémas explicatifs, 98-103 ; voir aussi Modèles Science des communications, X L I I I ; voir aussi Cybernétique Science économique, IX, XXXI, X X X I I I , X X X V I I , XL, X L I I I , XLVI, 2, 8, 11, 24-25, 33-35, 340426, 512 et Algèbre, 575 et Anthropologie sociale et culturelle, XLI, 385 et Biologie, 373 et Cybernétique, 377, 602-605 et Démographie, XLI, 443, 446-457, 480-484 et Histoire, 343-345, 361, 385, 387, 565, 605-606 et Linguistique, 513-514, 584, 595 et Marxisme, 345-349, 353-354 et Mathématiques, 388-390, 630-631, 638, 644-645, 647, 652-654, 665666, 670, 680 ; voir aussi Econométrie et Praxéologie, 351, 361-365 et Psychologie, XLI, 293, 349, 373, 385, 559 et Science politique, XLI, 232, 248 et Sociologie, XLI, 156, 385, 682 recherche comparative, 784-785, 808 recherche orientée, 698, 717 Science politique, IX, X X X I , X X X V I I , X X X V I I I , XLVII-XLIX, 198-269 et Anthropologie sociale et culturelle, 248 et Démographie, 432, 467 et Histoire, 247, 248 et Philosophie, 246, 260 et Psychologie, X X X V I I I , 262 et Science économique, X X X V I I I , XLI, 232, 248 et Sciences juridiques, 249, 254-256 et Sociologie, X X X I I I , X X X V I I ,
986 X X X V I I I , X L V I , 157, 234, 236238, 240, 242-243, 253, 261-262 recherche comparative, 785-786, 792, 794-802, 806, 808 recherche orientée, 698, 742 Sciences juridiques, X , 5-7 et Démographie, 432 et Histoire, 6 et Science politique, 249, 254-256 et Sociologie, 6 Sciences nomothétiques et Histoire, 3-5 et Philosophie, 7 Sémiologie, 506-507, 615-617 Sémiotique, X L I I I , 506-511, 512, 610611, 613 ; voir aussi Théorie des codes et Mathématiques, 651 Simulation, X L I I , X L V I , 651, 652, 653, 680, 681 Sociogramme, 640, 647, 651 Sociolinguistique, X X X V I I I , 94, 749 Sociologie, IX, XXXI, XXXIII, XXXIV, XXXV, XXXVI, XXXVII, XLII, XLVI, XLVII, X L I X , 2, 7, 8, 10, 11, 12, 14, 15, 22-24, 36, 48, 51, 52, 69-193, 475 et Anthropologie sociale et culturelle, 156 et Biologie, 69 et Démographie, X L I I , 428, 432, 453, 457-459, 461-463, 467, 479 et Histoire, 589 et Linguistique, 504, 515, 517, 518, 612, 652, 654 ; voir aussi Sociolinguistique et Logique, 651 et Mathématiques, X X X V I I , 630, 632, 637-638, 644, 647, 650, 655, 670, 680-681 et Philosophie, 69 et Psychologie, 157, 294-301, 462, 621 et Science économique, X L I , 156, 385, 682 et Science politique, XXXIII, X X X V I I , X X X V I I I , X L V I , 157, 234, 236-238, 240, 242-243, 253, 261, 262 recherche comparative, 779, 784-786, 792, 794-796, 799, 805, 807, 808 recherche orientée, 695, 698, 742, 747-749 Sociologisme, 10 Sociométrie, 297, 640, 647
Index Sondages, X L I I , 74, 83, 94, 154, 429, 463, 639, 645, 655, 807 contextuels, 640, 681 par panel, 640, 681 d'opinion, 257, 787-788, 790 Statistique, 13, 31, 45, 257, 476-477, 486, 646, 682 ; voir aussi Analyse statistique et Démographie, 432 mathématique, 464, 634-635, 638 Structuralisme, XXXVI, XXXIX, X L I V , 5, 25, 37, 138-139, 277, 290-294, 299-302, 316-318, 321324, 544-550, 573-578, 590, 591, 612-614, 617, 660 ; voir aussi Analyse structurale et Empirisme, 281 Structure, 26, 32, 656, 659-661 ; voir aussi Analyse structurale ; Modèles ; Structuralisme latente, voir Analyse de structure latente Subjectivité, 21 Systèmes, voir Analyse de systèmes ; Théorie des systèmes généraux
Technologie et Démographie, 432 Tests, 13, 645, 789 Théologie et Démographie, 432 Théorie, 656-659 de l'apprentissage, 306-311, 643, 644, 645, 675-680, 682 de l'évolution, 12 de l'imitation, 633 de l'information, X L I X , 46, 293, 614, 651, 668, 683 de l'intelligence, 316 de l'organisation, 385 de la communication, X L I I I ; voir aussi Cybernétique de la décision, X L I , 33, 389, 680 de la discordance cognitive, 169-178, 642 de la mesure, 645, 671-673 de la programmation, 355 de la valeur, 350, 351 ; voir aussi Marginalisme de moyenne portée, X X X V , 107-110 des automates, 646, 651 ; voir aussi Cybernétique des codes, 668 des cycles économiques, 665-666, 670 des ensembles, 509 des grammaires, 646, 653, 660, 666668, 680
987
Index des graphes, X L V I , 375, 640, 643, 650, 651, 653, 669-670 des jeux, XLV, 4, 11, 33, 34, 46, 227, 228, 294, 299, 373, 389, 559, 564, 575, 584, 601, 624, 633, 634, 646, 651, 653, 657, 662, 663-665, 670, 680, 683 des processus stochastiques, 643, 648650, 654, 681 ; voir aussi Modèles stochastiques des systèmes généraux, 373, 661, 682 sociale, 106
Topologie, 651 Urbanisme, X L V I Utilité marginale, voir Marginalisme Valeur, 350, 351 Vérification, X X X I I I , Vitalisme, 660 Zoopsychologie, 625
XXXV
Printed in the Netherlands