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Méthodes des sciences sociales Mentions légales Cet ouvrage a été réalisé dans le cadre de l’exception au droit d’auteur en faveur des personnes en situation de handicap (articles L. 122-5, L.122-5-1, L. 122-5-2 et R. 122-13 à 22 du code de la propriété intellectuelle). Il est réservé à une consultation strictement personnelle par les personnes empêchées de lire, toute reproduction ou diffusion est interdite.
Table des Matières COURS DE SCIENCE SOCIALE. LEÇON D'OUVERTURE (1888) AVANT-PROPOS2 AVANT-PROPOS À LA 9e ÉDITION ET AUX SUIVANTES LIVRE 1 SCIENCE ET SCIENCES SOCIALES CHAPITRE 1 LE PROBLÈME DE LA CONNAISSANCE SECTION 1. LES CONDITIONS DE LA VÉRITÉ : LA LOGIQUE SECTION 2. LES PROBLÈMES DE LA CONNAISSANCE : L'ÉPISTÉMOLOGIE SECTION 3. LES MOYENS DE LA CONNAISSANCE : MÉTHODE, THÉORIE ET PROCÉDURE CHAPITRE 2 L'ÉVOLUTION DE LA RÉFLEXION SCIENTIFIQUE SECTION 1. LA NOTION DE SCIENCE SECTION 2. L'ÉVOLUTION DES SCIENCES JUSQU'AU XIXe SIÈCLE SECTION 3. LA SCIENCE DU XIXe SIÈCLE A NOS JOURS CHAPITRE 3 L'ÉVOLUTION DES SCIENCES SOCIALES SECTION 1. L'ÉVOLUTION DES
SCIENCES SOCIALES JUSQU'AU XIXe SIÈCLE SECTION 2. L'ÉVOLUTION DES SCIENCES SOCIALES DEPUIS LE XIXe SIÈCLE CHAPITRE 4 LES DIFFÉRENTES SCIENCES SOCIALES SECTION 1. LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE SECTION 2. LA SOCIOLOGIE MODERNE SECTION 3. L'ANTHROPOLOGIE ET L'ETHNOLOGIE SECTION 4. LA PSYCHOLOGIE SOCIALE SECTION 5. LA PSYCHANALYSE SECTION 6. L'HISTOIRE SECTION 7. LA GÉOGRAPHIE SECTION 8. LA DÉMOGRAPHIE SECTION 9. L'ÉCONOMIE POLITIQUE SECTION 10. LA SCIENCE POLITIQUE SECTION 11. LA LINGUISTIQUE SECTION 12. PROBLÈMES ACTUELS DES SCIENCES SOCIALES LIVRE 2 LA LOGIQUE DE LA RECHERCHE DANS LES SCIENCES SOCIALES CHAPITRE 1 LES CONFLITS DE MÉTHODES ** Définitions. Bibliographie o SECTION 1. HOLISME OU INDIVIDUALISME SECTION 2. NOMOTHÉTIQUE, IDIOGRAPHI QUE 830 SECTION 3. MÉTHODE CLINIQUE, MÉTHODE EXPÉRIMENTALE SECTION 4. QUALITATIF ET QUANTITATIF SECTION 5. LA TRANSFORMATION DE L'OUTIL MATHÉMATIQUE CHAPITRE 2 LES EXIGENCES DE LA RECHERCHE SECTION 1. LES ÉTAPES DE LA RECHERCHE SECTION 2. OBSERVATION, HYPOTHÈSE,
EXPÉRIMENTATION CHAPITRE 3 LES NIVEAUX DE LA RECHERCHE SECTION 1. DESCRIPTION ET CLASSIFICATION SECTION 2. L'EXPLICATION SECTION 3. MÉTHODES PROPOSÉES POUR ATTEINDRE L'EXPLICATION CHAPITRE 4 L'UTILISATION DES MATHÉMATIQUES § 1. Théories mathématiques utilisées dans les sciences sociales CHAPITRE 5 THÉORIE ET RECHERCHE DANS LES SCIENCES SOCIALES SECTION 1. RECHERCHE THÉORIQUE ET RECHERCHE CONCRÈTE SECTION 2. RECHERCHE FONDAMENTALE ET RECHERCHE APPLIQUÉE 1048 § 1. L'évolution des rapports entre recherche fondamentale et recherche appliquée dans les sciences LIVRE 3 LES TECHNIQUES AU SERVICE DES SCIENCES SOCIALES CHAPITRE 1 MISES EN GARDE, PRÉCISIONS, CLASSIFICATIONS § 1. La fin des illusions § 2. Précisions de terminologie § 3. Tentatives de classification des techniques des sciences sociales Bibliographie o CHAPITRE 2 QUE CHERCHE-T-ON ET COMMENT ? SECTION 1. QUE CHERCHE-T-ON OU LE CHOIX DE L'OBJET D'ÉTUDE SECTION 2. COMMENT CHERCHE-T-ON OU LE CHOIX DES TECHNIQUES 1095 SECTION 3. LA TECHNIQUE DES SONDAGES. LA DÉTERMINATION DE LA POPULATION CHAPITRE 3 ÉTAPES COMMUNES A TOUS LES TYPES D'ENQUÊTE
§ 1. Etapes préliminaires § 2. Étapes terminales de la recherche Bibliographie O TITRE 1 LES TECHNIQUES DOCUMENTAIRES CHAPITRE 1 LES SOURCES DE DOCUMENTATION CHAPITRE 2 LES MÉTHODES ET TECHNIQUES D'ÉTUDE DE DOCUMENTS TITRE 2 LES TECHNIQUES VIVANTES CHAPITRE 1 LES TECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS CHAPITRE 2 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES CONCLUSION ANNEXES I. BIBLIOGRAPHIES COURANTES BIBLIOGRAPHIES GÉNÉRALES DES SCIENCES SOCIALES BIBLIOGRAPHIES SPÉCIALISÉES POUR UNE SCIENCE IL BIBLIOGRAPHIES RÉTROSPECTIVES III. RÉPERTOIRES BIBLIOGRAPHIQUES IV. ENCYCLOPÉDIES GÉNÉRALES V. ENCYCLOPÉDIES ET DICTIONNAIRES SPÉCIALISÉS LISTE DES PRINCIPALES REVUES DE SCIENCES SOCIALES PETIT LEXIQUE BIOGRAPHIES1555 INDEX ALPHABÉTIQUE A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z Méthodes des sciences sociales Madeleine Grawitz Méthodes des sciences sociales 11e édition 2001 Madeleine Grawitz Professeur emèrite à l'Université de Paris I Ouvrage couronné par l'Académie des Sciences morales et politiques DALLOZ Le pictogramme qui figure ci-contre mérite une explication. Son objet est d'alerter le lecteur sur la menace que représente pour l'avenir de l'écrit, particulièrement dans le domaine de l'édition technique et universitaire, le développement massif du photocopillage. Le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or, cette pratique s'est généralisée dans les établissements d'enseignement supérieur, provoquant une baisse brutale des achats de livres et de
revues, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd'hui menacée. Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, de la présente publication est interdite sans autorisation de l'auteur, de son éditeur ou du Centre français d'exploitation du droit de copie (CFC, 20 rue des GrandsAugustins, 75006 Paris).
31-35, rue Froidevaux- 75685 Paris cedex 14 Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5, 2" et3° a), d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective» et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, «toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. © ÉDITIONS DALLOZ - 2001
COURS DE SCIENCE SOCIALE. LEÇON D'OUVERTURE (1888) Retour à la table des matières E. DURKHEIM « Ces études pourront, je crois, être utiles à des catégories assez différentes d'auditeurs. .
Il y a d'abord les étudiants en philosophie. S'ils parcourent leurs programmes, ils n'y verront pas mentionnée la science sociale ; mais si, au lieu de s'en tenir aux rubriques traditionnelles, ils vont au fond des choses, ils constateront que les phénomènes qu'étudie le philosophe sont de deux sortes, les uns relatifs à la conscience de l'individu, les autres à la conscience de la société : c'est de ces derniers que nous nous occuperons ici [...] En particulier c'est de la science sociale que relèvent les problèmes qui jusqu'ici appartenaient exclusivement à l'éthique philosophique [...] Seulement nous essaierons de la [la morale] traiter scientifiquement [...] nous l'observons comme un système de phénomènes naturels que nous soumettrons à l'analyse et dont nous chercherons les causes : l'expérience nous apprendra qu'elles sont d'ordre social [...] Mais les philosophes ne sont pas les seuls étudiants auxquels s'adresse cet enseignement. J'ai dit en passant les services que l'historien pouvait rendre au sociologiste, il m'est difficile de croire qu'en retour les historiens n'aient rien à apprendre de la sociologie [...] Pour opérer une sélection, il [l'historien] a besoin d'une idée directrice, d'un critérium qu'il ne peut demander qu'à la sociologie. [...] Enfin, Messieurs, il est une dernière catégorie d'étudiants que je serais heureux de voir représenter dans cette salle. Ce sont les étudiants en droit. Quand ce cours a été créé, on s'est demandé si sa place n'était pas plutôt à l'École de droit [...] les meilleurs esprits reconnaissent aujourd'hui qu'il est nécessaire pour l'étudiant en droit de ne pas s'enfermer dans des études de pure exégèse. Si en effet, il passe tout son temps à commenter les textes et si, par conséquent, à propos de chaque loi, sa seule préoccupation est de chercher à deviner quelle a pu être l'intention du législateur, il prendra l'habitude de voir dans la volonté législatrice la source unique du droit. Or ce serait prendre la lettre pour l'esprit, l'apparence pour la réalité. C'est dans les entrailles mêmes de la société que le droit s'élabore, et le législateur ne fait que consacrer un travail qui s'est fait sans lui. IÍ faut donc apprendre à l'étudiant comment le droit se forme sous la pression des besoins sociaux1, comment il se fixe peu à peu, par quels degrés de cristallisation il passe successivement, comment il se transforme. Il faut lui montrer sur le vif comment sont nées les grandes institutions juridiques, comme la famille, la propriété, le contrat, quelles en sont les causes, comment elles ont varié, comment
vraisemblablement elles varieront dans l'avenir. Alors il ne verra plus dans les formules juridiques des espèces de sentences, d'oracles dont il faut deviner le sens parfois mystérieux ; il saura en déterminer la portée, non d'après l'intention obscure et souvent inconsciente d'un homme ou d'une assemblée, mais d'après la nature même de la réalité. » Durkheim, Cours de Sden.ce Sociale. Leçon d'ouverture (1888). Revue internationale de l'enseignement, XV, pp. 23-48, in La Science Sociale et l'Action, P.U.F., coll. S.U.P., 1970, 334 p.
AVANT-PROPOS2 Retour à la table des matières Cet ouvrage vise à donner une initiation utile aux étudiants de toutes les disciplines, et également aux travailleurs sociaux. Traitant de la méthode, des méthodes et des techniques, nous pensons couvrir les différentes conceptions qui divisaient aussi bien les enseignants que les étudiants, sur le contenu de ce cours et répondre aux attentes de tous. Si une spécialisation est inévitable à partir d'un certain degré de formation, il paraît indispensable au stade de l'initiation, de donner une idée des diverses sciences sociales, en insistant sur la sociologie, la psychologie sociale et la science politique. Aspects sociologique et politique, qui, par l'étude des faits sociaux et de leurs déterminismes, permettent de découvrir la dimension collective des problèmes ; point de vue psychosociologique, qui, complétant le premier, favorise une prise de conscience des phénomènes collectifs et des rapports interindividuels, du comportement de chacun, y compris de soi-même avec les autres. Cette triple approche atténue le risque de voir la sociologie déformée par ceux qui préfèrent s'en prendre à la société qu'à eux-mêmes, ou la psychosociologie servir de refuge et d'alibi à certaines formes de narcissisme, de bons sentiments et de fuite devant les réalités et responsabilités collectives ; enfin la politique réduite aux passions partisanes. Cette extension de la conception de l'ouvrage et du public auquel il s'adresse présente quelques inconvénients : Ce livre est trop gros pour un manuel, trop long pour un cours semestriel ou même annuel : nul ne le sait mieux que l'auteur !
En voici les raisons. D'abord, évidemment l'ampleur même du programme, auquel s'ajoute le fait que la méthode ne s'étudie pas abstraitement. Sans écrire un ouvrage de psychologie sociale, de sociologie ou de science politique, il est nécessaire d'indiquer les grandes lignes de leurs domaines. Ensuite il s'agit d'une initiation, d'un langage, d'une façon particulière de poser les questions, il faut donc un certain temps pour y parvenir. Les sciences sociales se résument difficilement. Elles se comprennent plus qu'elles ne s'apprennent. Or il est sûrement moins difficile de comprendre un ouvrage plus explicite comportant des exemples, même s'il est long, qu'un exposé succinct et allusif. C'est pourquoi nous ajouterons aux remarques qui suivent un mode d'emploi. 1° Cet enseignement donné après, ou en même temps, qu'un début de spécialisation dans une autre discipline, exige une certaine période d'adaptation. 2° Comme dans les autres matières, mais semble-t-il avec un plus grand écart entre les extrêmes, tous les étudiants ne sont pas également intéressés. 3° A noter ceci, qui est particulier aux sciences sociales, c'est dans la plupart des cas, une « discipline-retard », dont les effets sont surtout sensibles à plus ou moins long terme. 4° Errfin on ne s'improvise pas plus sociologue ou anthropologue que juriste ou géologue. Les sciences sociales exigent une rigueur, une attitude intellectuelle particulières. Il faut comme dans les autres sciences, les acquérir par le travail et la réflexion. Ce livre n'est pas un « produit jetable » mais un investissement. Au-delà de l'inévitable matière d'examen, c'est d'une formation scientifique et humaine qu'il s'agit. Se contenter d'un bachotage rapide serait manquer l'essentiel. Parmi tous ceux qui m'ont aidée de leurs encouragements et de leurs conseils, je remercie plus particulièrement : M. Barbut, Ch. Carcassonne, R. Redon et D. Merllié pour les mathématiques et la statistique; D. Dufour pour l'économie ; H. Lefebvre pour la dialectique ; M. Pages et R. Pages pour la psychologie sociale ; J. Dubost, les techniques d'enquête et l'intervention psychosociologique ; P. Claval, J. Labasse, P. Pinchemel, la géographie ; D. Maingueneau, la linguistique ; J.
Lambert, la démographie ; les services si efficaces de la documentation et de la bibliothèque du Centre d'études sociologiques ; les utilisateurs dont les remarques et encouragements m'ont été précieux. Madeleine Grawitz
AVANT-PROPOS À LA 9e ÉDITION ET AUX SUIVANTES Retour à la table des matières Relisant cet ouvrage en vue de sa neuvième édition, j'ai naturellement été amenée à m'interroger sur sa conception essentiellement pluridisciplinaire. Si, il y a vingt ans, on évoquait souvent la pluridisciplinarité, aujourd'hui, sous prétexte de professionnalisation, les enseignements universitaires sont de plus en plus étroitement spécialisés. Fallait-il alors supprimer les chapitres sur les diverses sciences sociales, parce que les étudiants (et malheureusement trop souvent les enseignants) limitent leurs efforts et leur intérêt à leur seule discipline principale ? Dans des proportions différentes, toutes les sciences sociales utilisent les mêmes démarches et les mêmes techniques. Toutes réclament de leurs utilisateurs une réflexion épistémologique, tous doivent se demander ce qu'ils font, la valeur de leurs instruments de recherche et celle de leurs résultats. Ces similitudes justifient une formation commune, mais à l'intérieur de cet ensemble, ce sont les différences qui plus encore la rendent souhaitable. Il paraît en effet indispensable de compenser les inconvénients d'une formation trop spécialisée par la confrontation entre les points de vue de disciplines voisines, mais différentes. L'enseignement permet de développer la mémoire, d'acquérir des connaissances, d'améliorer la rigueur du raisonnement mais il n'existe aucune méthode pédagogique, aucun moyen de rendre plus intelligent. Parmi de nombreuses définitions, on peut définir l'intelligence de façon générale, non seulement comme l'aptitude à résoudre les problèmes, mais surtout comme la capacité de les voir, de
poser les bonnes questions, c'est-à-dire d'établir des rapports. Cette aptitude, dans la mesure où elle dépend de facteurs innés, constitutionnels, ne peut être modifiée. Mais elle comporte également une part de facteurs acquis susceptibles, eux, d'amélioration. Si l'on ne peut augmenter l'intelligence des étudiants, on peut au moins leur apprendre à mieux s'en servir. La pluridisciplinarité, parce qu'elle favorise les comparaisons et incite à découvrir des rapports, demeure actuellement un des meilleurs moyens d'améliorer l'efficacité de l'outil intellectuel. Pour cette raison, la neuvième édition et les suivantes, des Méthodes des Sciences Sociales maintiennent l'orientation pluridisciplinaire choisie au départ et qui paraît plus que jamais nécessaire ! Je renouvelle mes remerciements aux collègues et amis cités dans l'avant-propos de la lre édition. Madeleine Grawitz Juin 1993. J'ajoute pour cette 9e édition l'expression de ma reconnaissance à Jean Ferreux, ancien étudiant, exemple de fidélité lyonnaise, qui m'a aidée dans la tâche longue et difficile de moderniser la bibliographie et procuré la grande joie d'avoir suscité l'intérêt des étudiants pour les sciences sociales en dehors de tout objectif professionnel. « Chacun n'apprend que ce qu'il peut apprendre » Goethe. Mode d'emploi de l'ouvrage. La dimension du Précis de Méthodes des Sciences Sociales vous inquiète : Pas d'affolement Certains chapitres sont plus importants que d'autres. Reportez-vous à la table des matières. Il n'y a pas comme dans le guide Michelin de 4 étoiles vous assurant confort et quiétude, mais ** indispensable, à lire absolument, à méditer, comprendre et retenir. * important, à lire attentivement. Pas de signes. Il est conseillé de tout lire.
Mode d'emploi de la bibliographie. - Elle n'est naturellement pas, malgré ses dimensions, exhaustive, mais assez complète pour que l'enseignant chargé d'un cours, le chercheur, l'étudiant ayant un exposé, un mémoire, ou une thèse à préparer, trouvent des références utiles. Ici encore, les deux ** indiquent les livres importants, 1'* les ouvrages auxquels le texte se réfère, faciles à trouver et à comprendre. Les noms des auteurs cités sont suivis dans le texte de la date de parution de l'ouvrage. S'il y a plusieurs titres ou divers auteurs ils sont reportés en note en bas de page. Les références complètes des auteurs (cités ou non) se trouvent (ordre alphabétique) dans la bibliographie après chaque section. Pour éviter les répétitions, la date de parution d'auteurs déjà cités est suivie d'un B (pour bibliographie) et du n° dans lequel se trouve la référence complète. Ex. : Gurvitch, Traité de sociologie est cité de façon complète au n° 159 bis. Au n° 354 il est signalé simplement par Gurvitch (G.) (1958 B. 159 bis)1. 1. Pour alléger la bibliographie, il m'a paru préférable de noter pour l'étranger et la province le lieu de l'édition mais de supprimer la mention Paris pour tout le reste. En tout cas de conserver dans la mesure du possible le nombre de pages et surtout (tendance récente à la suppression scandaleuse I) le nom (indispensable) de la maison d'édition. Sont reportés en fin d'ouvrage : une liste des principales bibliographies, encyclopédies et des principales revues de sciences sociales ainsi que des dictionnaires les plus utilisés ; quelques définitions et des indications biographiques d'auteurs importants3 ; une annexe qui rappelle quelques notions de statistique et donne un exemple d'analyse factorielle après des éléments de base pour la construction de graphiques. Un lexique (éd. Dalloz) d'un format maniable, facilite la compréhension des termes les plus utiles de chacune des
sciences sociales et complète utilement les méthodes.
LIVRE 1 SCIENCE ET SCIENCES SOCIALES Retour à la table des matières Le titre du livre 1 de cet ouvrage soulève quelques questions fondamentales. D'abord qu'est-ce que la connaissance et qu'est-ce que la science ? Ensuite les sciences sociales sontelles des sciences, et en quoi diffèrent-elles des sciences physiques et naturelles ? Que faut-il entendre par méthodes ? Les sciences naturelles et les sciences sociales utilisent-elles les mêmes et lesquelles ? Nous reprendrons chacune de ces questions et verrons quelles réponses leur ont été données.
CHAPITRE 1 LE PROBLÈME DE LA CONNAISSANCE Retour à la table des matières «En philosophie, il est très important de ne pas être intelligent tout le temps » (L. Wittgenstein) «... en Sciences Sociales, c'est même indispensable » (Madeleine Grawitz).
SECTION 1. LES CONDITIONS DE LA VÉRITÉ : LA LOGIQUE Retour à la table des matières § 1. Logique et connaissance 1 Le sujet et l'objet O Le point de départ de la science réside dans la volonté de l'homme de se servir de sa raison pour comprendre et contrôler la nature. Le premier problème posé par la science est de savoir comment elle est possible. Comment le réel se prêtet-il à notre investigation ? Comment le sujet retrouvet-il l'objet, le connaît-il ? Une part importante de l'histoire de la philosophie constitue une tentative pour répondre à ces questions. Dans ce fait vécu : la
connaissance elle-même, la réflexion a séparé le sujet connaissant de l'objet à connaître et soumis à l'analyse, le lien qui les unit. La réponse diffère en fonction du terme à privilégier : l'objet ou le sujet de la connaissance, l'être ou la pensée, la matière ou l'esprit, la matière ou la conscience. L'accent porté sur l'un ou sur l'autre, distingue les deux grands courants de la philosophie : le matérialisme et l'idéalisme. Que l'on privilégie le sujet ou l'objet, quel que soit le point de départ du mouvement de l'un vers l'autre, c'est toujours par la pensée que l'on accède à la connaissance, c'est pourquoi la démarche logique de la raison a souvent été définie comme l'étude des conditions de la vérité, « la science des sciences » disait saint Augustin. Comme toutes les sciences, la logique est née de la philosophie, et n'aurait même pas d'histoire, étant, d'après Kant, « sortie achevée du cerveau d'Aristote» (384-322). Il fallut attendre les développements de la logique moderne pour que soit reconnu l'apport des prédécesseurs d'Aristote (Thaïes de Milet, 640-546, Pythagore, 570-496, Zenon d'Elée, 428-347 et même Platon (Ve s. av. J.-C.) et de ses successeurs : les Stoïciens, enfin des Logiciens médiévaux. Le raisonnement, base de la connaissance, implique, avons-nous vu, une certaine relation entre un sujet et un objet. Dire que Socrate est un homme suppose un objet ou un concept (substantif: Socrate), une activité ou un jugement par le sujet : « est un homme » (classification, mise en relation), enfin un raisonnement qui constitue une structure ou forme, un lien entre le sujet qui classe et l'objet qui est classé ou quantifié. On se heurte alors à deux obstacles. D'abord, l'impossibilité de savoir si ces structures ou formes appartiennent à l'objet, au sujet, à tous les deux ou à leur relation, donc d'acquérir une certitude sur la validité de cette relation (querelle de l'idéalisme et du matérialisme), mais plus grave encore se pose le problème de la réflexion elle-même, c'est-à-dire de la validité de la logique. La pensée s'interrogeant bute
sur ses propres fondements. De la même façon en mathématiques, K. Godei (1906) prouvait en 1932 qu'il n'était pas possible de démontrer la noncontradiction de l'arithmétique par ses propres moyens. Pour éviter ces problèmes insolubles, Aristote ne s'attachera qu'aux seules structures de raisonnement, à leur validité, sans se préoccuper du contenu vrai ou faux des propositions souvent remplacées par des lettres (a, b, c). Comme le grammairien ne s'intéresse qu'au respect des règles du langage sans se préoccuper du contenu, le logicien s'attache aux seules règles de cohérence gouvernant la pensée et réduit alors la logique à l'étude des conditions formelles de la vérité. § 2. Logique formelle, logique concrète 2 Forme et contenu O Le contenu expérimental de la connaissance est particulier, contingent, alors que l'exigence d'universalité rend un certain formalisme nécessaire. La logique formelle déterminera donc des opérations intellectuelles indépendantes du contenu, de toute affirmation concrète. Mais en éliminant le contenu objectif, historique, pratique et social de la connaissance, la logique formelle se transforme en pensée formaliste. L'intermédiaire entre la logique formelle et la recherche concernant le contenu, se nomme une problématique. Elle répond à un besoin de cohérence logique, met en œuvre un ensemble de problèmes qui orientent la recherche et un corps de concepts qui, directement ou indirectement, débouchent sur des hypothèses rendant compte d'un contenu riche de conflits. En fait, forme et contenu ne peuvent être totalement séparés et la logique, même formelle, garde malgré tout une signification concrète dont la limite imprécise laisse entier le problème essentiel : comment unir la forme et le contenu, passer de l'être pensant à l'être existant ? A cette question, la pensée occidentale cherchera vainement une réponse. Le dualisme kantien aggravera les conflits en séparant la
forme et le contenu, la pensée et l'objet à connaître, ou « chose en soi ». Cependant avec la notion de synthèse, Kant cherchera à concilier la rigueur du formalisme et la fécondité du concret, ouvrant la voie à une nouvelle logique. C'est à Hegel qu'il appartiendra, non comme on le croit trop souvent de découvrir la contradiction, mais le troisième terme qui, comme nous allons le voir, permet sinon de la résoudre, du moins de l'utiliser. § 3. La dialectique 3 Hegel (1770-1831) O La pensée de Hegel est confuse, son style difficile, on se bornera ici à donner des indications indispensables pour comprendre la suite, en particulier le marxisme. Hegel ne nie pas la logique formelle. Il veut réconcilier le principe d'identité avec son opposé, la contradiction. La logique formelle est limitée par ses affirmations, sa rigueur même : A est A. C'est la logique d'un monde simplifié, abstrait, définitif, incapable d'exprimer le mouvement, le devenir, la contradiction inhérente aux choses. La logique dialectique ne dit pas A est non A, ce qui serait absurde, mais si A correspond à une réalité, à moins d'être une tautologie sans signification, A possède en lui un devenir au-delà de lui : A est A mais aussi plus que A. « Alors que la logique formelle affirme qu'une proposition doit être vraie ou fausse, la logique dialectique déclare que toute proposition qui a un contenu réel, est à la fois vraie et fausse, vraie dans la mesure où elle est dépassée, fausse si elle s'affirme absolument4. » « Il n'est rien sur la terre et dans le ciel qui ne contienne en soi l'être et le néant5. » « L'être d'une chose finie est d'avoir en son être interne comme tel le germe de sa disparition ; l'heure de sa naissance est aussi l'heure de sa mort (Grande Logique II, 139)6. Au premier terme immédiat de l'affirmation succède un second terme sur le même plan, mais qui le complète en le niant. » « Les deux termes agissent et réagissent l'un sur l'autre [...]. Le troisième revient au premier en niant le second et les dépasse ainsi l'un et l'autre. » L'unité du monde s'exprime dans un
principe d'identité rendu concret et vivant par sa victoire sur les contradictions. La dialectique de Hegel a ouvert la voie permettant de dépasser la logique formelle mais elle n'a pas abouti, dans la mesure où l'idéalisme l'amène, comme le lui reprochera Marx, à remplacer toute la réalité humaine par la conscience qui se connaît elle-même. Lorsqu'il oppose le contenu à la forme ce n'est pas d'un contenu vivant qu'il s'agit, mais des idées qui s'opposent entre elles. La phénoménologie déclarera que : le contenu plus précisément défini... est l'esprit qui se parcourt lui-même et se parcourt en tant qu'esprit. De même le chapitre terminal de la Grande Logique affirme que le concept n'est plus externe au contenu : « L'idée logique est son propre contenu en tant que forme infinie7. » Ces discussions sur la logique ne doivent pas être considérées comme divertissements pour philosophes. Elles soulèvent le problème de notre raison donc de la rigueur de la science et de nos possibilités de connaître. Les solutions adoptées commandent des attitudes face au savoir et au monde. Marx et Lénine partis d'une analyse historique et pratique de la vie concrète, ont été amenés à remonter à ces problèmes philosophiques pour trouver le fondement du matérialisme dialectique 8. Tandis que les philosophes discutaient abstraitement des règles du bien-penser, sans enrichir le savoir, les sciences progressaient en constituant leurs propres méthodes de recherche. Ce risque d'une négation de la logique en général, dans un émiettement de logiques particulières, devait être surmonté. Comme l'écrit G. Bachelard (1968) : « Il fallait pour cela, à côté d'une logique formelle dont les impératifs : cohérence, rationalité, universalité, seront respectés, concevoir une logique concrète qui élucide de l'intérieur les méthodes des diverses sciences, mais aussi crée entre elles un lien. » Ces règles de la logique, considérées comme les outils d'analyse et de recherche des lois générales de la nature, « constituent la théorie d'une pratique : la connaissance9».
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Bibliographie o Pour l'utilisation de la Bibliographie cf. Avant-Propos. Bachelard (G.) 1968. - Le nouvel esprit scientifique, P.U.F., 10e éd., 181 p. **- 1965. - La formation de l'esprit scientifique, contribution à une psychanalyse de la connaissance objective, éd. J. Vrin, 295 p. (lre éd. 1938). Baudoin (J.) 1989. - Karl Popper, P.U.F., Que sais-je ? Blanche (R.) 1967. - L'axiomatique, coll. sup. P.U.F., 111 p. • ? 1968. - Introduction à la logique contemporaine, Colin, coll. U2, 204 p. • ? 1970. - La logique et son histoire, d'Aristote à Russell, Colin, coll. U, 366 p. Foulque (P.) 1949. - La dialectique, P.U.F., Que sais-je ?, 128 p. Goldmann (L.) 1970. - Marxisme et sciences humaines, Gallimard, coll. Idées, 361 p. Hegel (G.) 1939. - Trad. Lefebvre (H.) et Guterman (N.), Morceaux choisis, Gallimard, 2 vol., 319 + 383 p. - Hegel et la pensée moderne, 1970. Séminaire sur Hegel dirigé par J. Hyp-polite au collège de France (1967-1968), P.U.F., Épiméthée, 212 p. Hume (D.) 1748. - Tr. 1812, Œuvres philosophiques choisies, 1812. Kant (E.) 1783. - Tr. 1930, Prolégomènes à toute métaphysique future, Vrin. Kojeve (A.) 1947. - Introduction à la lecture de Hegel, Gallimard, 600 p. **Lefebvre (H.) 1969. - Logique formelle, logique dialectique, éd. Anthropos, 291 p. - 1971. - Le matérialisme dialectique, P.U.F. (Nouvelle encyclopédie philosophique), 6e éd., 167 p. **Léntne (V.l.) 1967. - Cahiers sur la dialectique de Hegel, Gallimard, coll. Idées, 307 p.
Nagel (E.) 1956. - Logic without metaphysics and other essays in the Philosophy of science, Glencoe (111.), Free Press, 433 p. Papaioannou (K.) 1962. - Trad. 1969, Hegel, Seghers, coll. philosophes de tous temps, 206 p. Popper (K.R.) 1935. - Tr. (1973), La logique de la découverte scientifique, Payot, 480 p. - 1972, tr. 1991, La connaissance objective, Bruxelles, éd. Complexe, 1978, 176p. Pourtois (J-P-) 1988. - Épistémologie et instrumentation en sciences humaines, Bruxelles, Mardaga, 235 p. Régnier (A.) 1966. - Les infortunes de la raison, Seuil, 166 p. Werkmeister (W.H.) 1957. - An introduction to critical thinking. A beginner's text in logic, revised ed., Lincoln (Nebraska), Johnsen pubhsbing company, 663 p.
SECTION 2. LES PROBLÈMES DE LA CONNAISSANCE : L'ÉPISTÉMOLOGIE Retour à la table des matières « Chacun a son Kant à soi. » Einstein. § 1. Définitions 5 Science et philosophie O Abandonnés par la logique d'Aristote, les problèmes des relations entre le sujet et l'objet, de ce qui est introduit par l'un ou appartient à l'autre, enfin des slxuctures ou formes de l'objet par rapport aux activités du sujet, constituent l'un des grands chapitres de la philosophie. A l'origine, philosophie et science étaient confondues. La connaissance, la réflexion sur la démarche scientifique en général, ou sur les progrès de chacune des sciences, relevaient du domaine des philosophes.
La séparation du domaine scientifique devait amener un glissement de la signification des termes, qui aboutit aujourd'hui à une confusion regrettable. Théorie de la connaissance, philosophie des sciences, épistémologie, souvent employées l'une pour l'autre, méritent que soit précisé ce qu'elles recouvrent. La théorie de la connaissance ou gnoseologie, traite des problèmes de la connaissance, des relations entre le sujet et l'objet sur le plan le plus général et le plus abstrait. La philosophie des sciences recouvre une réflexion générale sur l'ensemble des sciences et leur développement A partir du moment où ce ne sont plus les philosophes qui s'intéressent à la science mais les savants qui s'interrogeant sur leur propre démarche scientifique, posent des pro blêmes philosophiques, ils empruntent à la philosophie son vocabulaire. Celle-ci reflétera forcément la différence de point de vue des utilisateurs et se modifiera. Un exemple frappant de cette évolution est fourni par le terme d'epistemologie. L'epistemologie à l'origine se distinguait du terme vague de philosophie des sciences par sa précision. D'après Lalande, il désigne moins des notions générales d'évolution que «l'étude critique des principes, des hypothèses et des résultats des diverses sciences, destinée à déterminer leur origine logique, leur valeur et leur portée objective ». L'epistemologie au sens strict, est donc une étude critique faite a posteriori, axée sur la validité des sciences, considérées comme des réalités que l'on observe, décrit, analyse. En fait, ces nuances se sont estompées, epistemologie et philosophie des sciences sont à l'heure actuelle deux termes souvent utilisés l'un pour l'autre. Cependant le terme d'epistemologie demeure utilisé au sens étroit, lorsqu'il s'agit de l'étude non plus des sciences en général, mais d'une science particulière. C'est ainsi que le recueil de la Pléiade qui s'intitule Logique et Connaissance scientifique (1967) comporte des chapitres sur l'epistemologie de la
chimie ou de la logique. De la même façon, sous l'influence du développement de la réflexion scientifique, l'epistemologie va absorber progressivement la théorie de la connaissance. Alors que le français, fidèle à l'étymologie grecque, distingue « gnoseologie » ou théorie de la connaissance au sens général, abstrait et philosophique du terme, et « epistemologie » ou philosophie des sciences, l'anglais et l'italien confondent les deux, les rapprochant du sens allemand, plus large, de Erkenntistheorie (Théorie de la connaissance). On peut donc admettre aujourd'hui que l'usage consacre l'emploi du terme « epistemologie » pour désigner à la fois la théorie de la connaissance et la « philosophie des sciences ». Encore faut-il justifier l'utilisation du terme par le contexte dans lequel on l'emploie, être conscient de la zone frontière des disciplines dans lesquelles on évolue. Nous insistons sur ce point, car parmi les termes que le jargon a mis à la mode en sciences sociales, l'epistemologie est un des plus souvent employés. Or c'est le souci de rigueur, non l'utilisation abusive de termes scientifiques, qui permettra aux sciences humaines d'accéder au statut de science. § 2. L'idéalisme Le monde extérieur s'imposant à tous comme une évidence, la philosophie, au moins à ses débuts, aurait pu reconnaître la suprématie de l'objet et s'orienter vers une interprétation matérialiste. Mais justement, l'évidence et l'importance des phénomènes de la nature, obligent à poser des questions : pour expliquer le réel, l'homme a inventé le surnaturel. Les esprits sinon l'esprit, sont au départ plus forts que la matière qu'ils commandent, la religion naîtra avant la science. Les progrès les plus rapides de la réflexion philosophique porteront sur le domaine du sujet connaissant : la perception pour le monde sensible, la logique pour la pensée. Le sujet pensant est pour lui-même plus évident que l'objet
pensé. 6 Les auteurs O La tendance idéaliste regroupe de nombreuses doctrines philosophiques, nous nous bornerons ici à indiquer ce qu'elles ont de commun et à rappeler quelques noms des auteurs les plus importants. Depuis l'Antiquité (Platon, Aristote) l'idéalisme reconnaît le primat de l'esprit par rapport au monde. « Que représentent les objets sinon des objets perçus par nos sens ? Or que percevons-nous, sinon nos idées et nos sensations ? N'est-il pas simplement absurde de croire que les combinaisons d'idées et de sensations peuvent exister sans être perçues » écrit Berkeley (1685-1753)10. Comme on le verra, Descartes est partagé entre le matérialisme indispensable pour créer la science et l'idéalisme nécessaire à la sauvegarde de la religion et à la sécurité des principes de la pensée. Leibniz (1596-1650), lui, s'en tire par une pirouette : « Rien dans l'entendement qui ne vienne des sens... si ce n'est l'entendement lui-même11. » Enfin Kant (1724-1804), pour lequel notre esprit incapable de sortir de lui-même, ne retrouve dans les choses que ce qu'il y a mis. Après avoir accepté le monde de l'expérience : les phénomènes, Kant se réfugie dans l'idéalisme le plus absolu, celui des vérités étemelles « nouménales ». Hegel (1770-1831) se distingue par un idéalisme objectif, c'est-à-dire qui attribue à nos instruments de connaissance une certaine valeur. Le monde réel est l'incarnation d'une « Idée » à laquelle l'esprit humain accède par une « conscience vraie ». Plus près de nous, Bergson (1859-1941) affirme que le monde n'est qu'un ensemble d'images. « Nous ne sommes assurés immédiatement que de l'idée, que ce soit l'idée de la pensée, ou l'idée des choses corporelles12. » Enfin Brunschvicg (1869-1944) : «Je crois toucher et voir ce qui m'entoure, en réalité, la maison dont je dis qu'elle est devant moi, ne se présente pas à moi d'une façon différente que ne le fait à ce même instant, le lac que je me souviens avoir traversé l'année dernière ; je ne saisis pas directement le monde... parce que je ne puis sortir de moi, sans cesser d'être moi ; le
monde qui est connu est en moi13. » En fait, comme l'écrit Lefebvre, l'idéalisme se referme sur le moi, « il porte à l'absolu, une petite expérience fort suspecte : la conscience purement subjective ». Cependant les idéalistes, par l'importance accordée à la pensée, ont plus que les matérialistes contribué aux progrès de la connaissance et forgé les instruments et concepts les plus pénétrants pour l'analyser. § 3. Le matérialisme 7 L'évolution O Si le philosophe est attiré par l'idéalisme, le savant, lui, à quelques exceptions près, ne peut être que matérialiste, car il n'y a pas de connaissance sans un objet à connaître, pas de science possible, sans une nature à observer. Le matérialisme apparaît très tôt dans l'Antiquité. Aux vie et ve siècles av.J.-C, des philosophes importants tels que Thaïes, Heraclite... plus tard Epicure (341-270), sont frappés par le fait que tout est mouvement dans la nature. Il s'agit là d'un matérialisme mécaniste et, a priori que l'état des sciences de l'époque ne permet pas de confirmer ou de rectifier, d'où sa faible extension14. « Le matérialisme est le vrai fils de la GrandeBretagne » écrivait Marx. Roger Bacon (1214-1294) invite à étudier le grand livre de la nature, Locke (1632-1704) déclare que nos idées ne peuvent venir que de notre expérience du monde extérieur. Le matérialisme qui s'épanouit progressivement est encore mécaniste parce que de toutes les sciences naturelles, la mécanique des corps solides terrestres et célestes est la plus avancée. Le mouvement mécanique est le plus simple à observer. Faute de connaissances en chimie, en biologie, en physique, le dynamisme du vivant n'apparaît pas et de ce fait le mouvement de la nature ne peut être que perpétuel, sans histoire et sans évolution.
Le matérialisme vulgaire, en niant la conscience, pour l'arracher au cercle clos où l'enfermait l'idéalisme, ne faisait que créer une autre métaphysique, non de l'esprit mais de la matière. A partir du xvne siècle, les deux courants apparaissent de plus en plus comme les défenseurs de deux idéologies opposées : l'idéalisme lié à la religion, à une certaine forme d'humanisme moral, le matérialisme, au développement scientifique. Les deux tendances vont s'affiner, se nuancer. De toute façon le débat entre l'idéalisme et le matérialisme ne peut se résoudre in àbstracto. Comme le dit Marx : « La discussion sur la réalité ou l'irréalité de la pensée - isolée de la praxis - est purement scolastique15 » L'essor scientifique favorise le développement du matérialisme. Sous sa forme moderne, soucieux de se détacher des conceptions métaphysiques, il ne cherche plus une identité entre les sensations, les représentations humaines et les objets de la nature, mais une correspondance de fait, grâce à laquelle la science existe, observe, expérimente. Il ne nie donc pas l'existence de la pensée, mais refuse de l'isoler. Position pratique que Lénine (1967) définit en ces termes : « L'admission du monde extérieur, de l'existence des objets en dehors de notre conscience, indépendamment d'elle, est le postulat fondamental du matérialisme. » De son côté, face au progrès de la science, l'idéalisme ne peut nier le monde extérieur. Devant l'excès d'un certain scientisme, il se camouflera, se modernisera, prendra des formes nouvelles, telle la phénoménologie. § 4. La phénoménologie Edmond Husserl (1859-1938) O La phénoménologie est une doctrine philosophique conçue par E. Husserl au début du xxe siècle en Alle-
magne. Elle est, comme toutes les doctrines, une protestation contre celles qui régnent à cette époque : le kantisme et la psychologie de l'école de Warzbourg. Mais ce qui fait son originalité c'est que hostile à l'idéalisme, elle s'oppose également à l'empirisme, lié au développement scientifique et industriel. Husserl reproche à ces deux tendances leur infidélité aux choses. Le point de départ de sa réflexion sur la nature de la scientifi-cité : « comment peut-il y avoir « un vrai » appréhendé par une subjectivité ? », l'amène à retrouver dans l'intention l'évidence de la subjectivité. Même les matériaux recueillis dans l'observation empirique sont construits au lieu d'être simplement vécus. La phénoménologie se veut une méthode de retour aux choses elles-mêmes, dans des descriptions, en dehors de toute conceptualisa-tion. Il s'agit d'une « eidétique » ou « science des essences » qui repose avant tout sur l'intuition. Comment se situe l'individu par rapport à cet objet vécu ? Il sera la conscience intentionnelle, «le rayon qui éclaire la chose», écrit G. Picon16, car «toute conscience est conscience de quelque chose », toute conscience vise un objet qui n'est pas elle, qui ne saurait être contenu en elle, qui est donc transcendant Le sujet face à la transcendance de l'objet est conscient de l'acte par lequel il donne à celui-ci une signification. Cette prise de conscience au centre de l'opération de réduction, est le propre de ce que Husserl appelle « l'Ego Transcendantal » qui a permis de qualifier cette philosophie d'idéalisme transcendantal17. L'évolution des idées de Husserl s'explique par son insatisfaction, ses hésitations. Ceci ne l'a pas empêché d'exercer une influence profonde : phénoménologie du langage, de la volonté, de l'imagination, de l'art, en particulier en France, sur M. Merleau-Ponty (1908-1961) qui fut son véritable continuateur et aux États-Unis sur A. Schutz. Enfin, la phénoménologie est à l'origine
des diverses théories existentialistes qui reprennent l'idée de la supériorité du vécu, du subjectif, sur les constructions conceptuelles. § 5. Le matérialisme dialectique Le marxisme d'inspiration historique, sociologique, économique peut-il aussi se réclamer d'une philosophie ? Il était normal que les opinions se divisent sur les problèmes de connaissance, celle de Marx lui-même ayant varié18. 9 Friedrich Engels (1820-1895) O A propos de Ludwig Feuerbach (1804-1872)19 il admet que la question première et dernière de la philosophie est ceUe des rapports entre la pensée et l'existence, entre l'esprit et la nature, l'idéalisme privilégiant la première, le matérialisme la dernière. Mais pour lui, c'est la religion et la philosophie qui ont séparé le réel de l'idéal. Le matérialisme en reconnaissant « le monde tel qu'il est » supprime le pseudoproblème philosophique. Dialectique et logique formelle pourraient se rattacher directement aux sciences, sans passer par la philosophie. En simplifiant le problème, Engels a refermé la théorie en un système clos. Comme le note Lénine, l'objectivité de la dialectique est illustrée par des exemples mais n'est pas prouvée. Les questions essentielles restent en suspens. Comment en partant des processus concrets des sciences particulières, généraliser pour atteindre des lois universelles ? Comment ne pas rattacher celles-ci aux concepts philosophiques : matières, loi, devenir. H. Lefebvre pose alors la question : « Si la dialectique vient de l'étude de la nature, comment et pourquoi est-elle révolutionnaire, si elle vient de la critique révolutionnaire et de l'analyse historique, comment et pourquoi la retrouve-t-on dans la nature ? » 10 Karl Marx (1818-1883) O Le matérialisme
historique de Marx ne retient que l'aspect économique, historique, social, humain des faits mais ne se préoccupe pas de logique formelle. La dialectique n'existe pas sinon comme donnée empirique. Après avoir en 1844 déclaré que le prolétariat devait s'accomplir et par là supprimer la philosophie, Marx est amené dans sa lutte contre la gauche hégélienne à opposer l'action révolutionnaire à la philosophie considérée comme une idéologie. C'est vers 1857 seulement qu'il découvre la dialectique de Hegel (après l'avoir tant décriée) et aborde les problèmes de la connaissance. Celle-ci résulte de l'appropriation20 d'un contenu par la pensée et se rattache donc à une théorie philosophique : le matérialisme dialectique. La position de Marx par rapport à l'hégélianisme est résumée dans le fameux texte de la préface du Capital : « Ma méthode dialectique n'est pas seulement différente par ses fondements de la méthode hégélienne, mais elle est exactement le contraire. Chez Hegel, elle se tient sur la tête, il faut la retourner pour trouver le noyau rationnel sous l'enveloppe mystique. » Marx reprend donc à Hegel la notion dialectique de contradiction. « Le rapport des contradictoires n'est pas un rapport statique, défini abstraitement et retrouvé dans la réalité, il devient un rapport vécu21. » La prise de conscience vraie pour Hegel, couronnement de son apologie de l'action, n'est pour Marx que son point de départ. Hegel part de l'idée, il s'agit de partir des faits. « L'action est une valeur, car c'est par l'action qu'on arrive aux conditions d'une pensée conceptuelle claire, consciente, à «l'en soi et pour soi» à la réalisation de l'esprit absolu, c'est la position de Hegel. La pensée claire et vraie est une valeur, car c'est par elle qu'on peut réaliser les conditions d'une action efficace pour transformer la société et le monde, c'est la position de Marx22. Le matérialisme dialectique ne conçoit plus la
raison universelle comme intérieure à l'individu, il ne la sépare plus de la nature, de la pratique, de la vie. La connaissance va de l'immédiat au concret, de la pratique spontanée à la pratique réfléchie, de l'expérience sensible à l'action rationnelle, à travers l'abstrait. « Les idées que l'on se fait sur les choses ne sont que le monde réel, matériel, exprimé et réfléchi dans la tête des hommes, c'est-à-dire qu'elles sont édifiées à partir de la pratique et du contact actif avec le monde extérieur par un processus complexe ou entre toute la culture23. Ce lien entre le vécu, la pratique et la pensée c'est ce que recouvre la notion de praxis « faire et se faisant se faire ». Celle-ci n'était pas étrangère à Hegel qui dans sa téléologie24 retrouvait la valeur de la pratique25. Certes, il ne s'agit pas encore pour lui par la philosophie de transformer le monde, mais seulement de le comprendre. Cependant le monde que la philosophie hégélienne s'efforce de comprendre n'est pas un monde tel que l'homme l'aurait reçu, mais tel qu'il le modifie selon ses fins dans une praxis26 . Lénine27 (1870-1924) O Lénine revenant à Marx, assouplit les positions d'Engels. Il aborde dans Matérialisme et empiriocriticisme (1908) et dans les Cahiers sur la dialectique de Hegel, les problèmes de la connaissance. Pour lui matérialisme et idéalisme, sont des postulats28 philosophiques c'est-à-dire des affirmations nécessaires et sans preuves, qui concernent deux interprétations opposées du monde ayant chacune leur histoire propre. L'une et l'autre ne pourront disparaître qu'ensemble, lorsque sera achevée la fusion entre les sciences particulières, la science et la philosophie. Mais ceci n'est qu'une orientation... le but est à l'infini. Conclusion sur le matérialisme O Nous dirons pour conclure : que la dialectique matérialiste privilégie le
contenu : l'être détermine la pensée. qu'elle est une analyse du mouvement de ce contenu dont elle tente d'établir les lois de développement, sous la forme d'une théorie de la connaissance, ou d'une analyse concrète. Elle n'est jamais un dogme, un système fermé mais toujours un instrument de recherche et d'action. Enfin que le matérialisme historique, grâce à ses analyses économiques concrètes, a réintroduit le vécu dans la dialectique lui faisant perdre sa forme idéaliste. La liaison du concret et de l'abstrait permet au matérialisme dialectique de dépasser à la fois l'idéalisme et le matérialisme méca-niste. Si d'excellents esprits ont mélangé contrariété, opposition, réciprocité, complémentarité avec la pensée dialectique c'est-à-dire avec la théorie des contradictions, ces confusions ont abouti à l'abus et à la dégénérescence de la notion de matérialisme dialectique dans les pays qui ont voulu l'utiliser et la vulgariser. C'est ainsi que dans les pays de l'Est et surtout en Chine, toute opposition devenait dialectique29. 13
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SECTION 3. LES MOYENS DE LA CONNAISSANCE : MÉTHODE, THÉORIE ET PROCÉDURE Retour à la table des matières § 1. La méthode 14 Ambiguïté de la notion O La notion de méthode est d'une ambiguïté souvent dénoncée. En ce qui concerne la méthode au sens élevé du terme, J. Piaget (1967) remarque qu'elle n'est pas une branche indépendante, car les problèmes d'epistemologie et de logique posent constamment des questions de méthode. A propos de méthode déductive, on est amené à traiter de logique et d'epistemologie mathématique ; quant à la méthode expérimentale, en physique ou en psychologie, sa conception, son application ou son échec sont subordonnés à l'epistemologie, à la logique appliquée. C'est pourquoi on ne peut traiter la méthode à part. De plus il existe plusieurs
conceptions : « Le propre de la méthode, dit A. Kaplan (1964), est d'aider à comprendre au sens le plus large, non les résultats de la recherche scientifique, mais le processus de recherche luimême. » Il ajoute que les attitudes concernant les problèmes de la connaissance dépendent de positions philosophiques beaucoup plus que des difficultés rencontrées dans la recherche scientifique elle-même. De la même façon, les questions de méthode seront influencées par les a priori philosophiques. Sans doute, mais les difficultés rencontrées dans la recherche relèvent, elles aussi, de la méthode. Pour toutes ces raisons nous renvoyons les différentes conceptions de la méthode au Livre II, chap. I. § 2. La théorie On ne donnera ici que des indications très sommaires car on retrouvera ces problèmes à propos de l'évolution des sciences. Le rationalisme O Pour le rationaliste, le critère de la vérité ne dépend pas de nos sens : il est intellectuel. Constructions logiques, schémas conceptuels, forment les démarches d'une pensée avant tout déductive, c'est-à-dire qui part du général pour s'appliquer au particulier. En fait, le rationalisme s'oppose surtout à la «révélation», à une certaine métaphysique. Il revêt des formes complexes et parfois proches d'un idéalisme rationalisé. L'empirisme O A l'opposé, l'empiriste affirme que l'origine de la connaissance se trouve dans l'expérience. Il croit en la valeur de l'observation, et en celle de la sensation. Le concret se trouve ainsi appréhendé par le sensible, c'est le contraire de la conception platonicienne. § 3. La procédure, les types de raisonnement : déduction, induction 17 La déduction O C'est avant tout un moyen de
démonstration. On part de prémisses supposées assurées, d'où les conséquences déduites tirent leur certitude. Aristote déclare qu'il est nécessaire que la science démonstrative, la seule véritable à ses yeux, parte de prémisses vraies, premières, immédiates, plus connues que les conclusions antérieures dont elles sont les causes. La mathématique, jusqu'à une époque récente, représentait le modèle de ce type de science. Mais si la déduction démontre, elle découvre rarement. Pour découvrir, il faut alimenter la réflexion du sujet par l'observation de l'objet. C'est ce qu'affirment les empiristes mais c'est une autre démarche qu'ils proposent. 18 L'induction O L'induction est une généralisation, opération par laquelle on étend à une classe d'objets ce que l'on a observé sur un individu ou quelques cas particuliers. La philosophie classique distingue l'induction rigoureuse, dite aristotélicienne, qui reconnaît certaines caractéristiques aux phénomènes observés (en principe la totalité des cas), les généralise ou les résume dans une loi, et l'induction amplifiante (à tort appelée baconienne) ou expérimentale, qui, d'un nombre déterminé de faits observés, généralise à un nombre infini de faits possibles. L'induction rigoureuse ne permet pas de passer des faits aux lois. La nouveauté qu'introduit l'expérience n'intéresse pas la logique formelle, c'est en dehors d'elle que se développeront les sciences. Mais alors leurs méthodes ne reposant pas sur une logique rigoureuse, se séparent de la logique et de la philosophie. « Le savant prouve le mouvement de la pensée en avançant dans la connaissance, mais le philosophe se venge en mettant en question la valeur de la science. Le conflit entre la rigueur et. la fécondité s'élargit, il fait naître le problème de la connaissance et de la valeur de la science30. » Si l'expérience ne peut vérifier au sens complet
du terme l'induction, ne peut-on admettre qu'elle la confirme plus ou moins ? Des auteurs comme R. von Mises (1883-1953), Rudolf Camap (1891-1976), précisent la notion de probabilité et admettent à côté d'un degré de confirmation contrôlé par la logique, une notion de fréquence statistique soumise à l'expérience elle-même31. Enfin K. Popper32 rejette en bloc l'induction même tempérée de probabilité, car de toute façon les conclusions dépassent les prémisses. Pour lui le problème de l'empirisme a été faussé au départ par une confusion entre l'analyse logique de la connaissance scientifique, qui ne s'occupe pas du fait lui-même de découvrir, mais seulement de la justification ou de la validation de ce qui a été découvert et l'inspiration qui relève de la psychologie empirique, mais pas de la méthode. Einstein indiquait que dans la recherche des lois universelles, il n'y avait pas de voie logique tracée d'avance : « Elles ne peuvent être atteintes que par une intuition basée sur quelque chose comme un amour intellectuel des objets de l'expérience33. » Tout en admettant l'existence d'une rupture dans la découverte, peut-on considérer la séparation entre la rigueur de la déduction et la fécondité de l'induction comme absolue, se demande H. Lefebvre. Selon Aristote, le syllogisme est un raisonnement dans lequel le moyen terme joue un rôle essentiel de médiation, de relation fondamentale. Il classe les objets d'après les qualités essentielles de leur nature. Le jugement donne un contenu au syllogisme. Dire : Socrate est un homme, tous les hommes sont mortels, donc Socrate est mortel, c'est reconnaître à Socrate la qualité d'homme et de mortel. On peut donc réduire l'antinomie classique entre induction et déduction, en constatant : 1° que la déduction du syllogisme formel pur est, à la limite, une tautologie si son contenu ne lui ajoute rien ; 2° que l'induction rigoureuse est rarement utilisable, car on n'est jamais sûr d'avoir la liste complète des objets d'où l'on
extrait la loi les concernant ; 3° qu'en revanche, dans la mesure où le syllogisme porte un contenu, où le jugement reconnaît une qualité (Socrate est un homme, etc.) dans ce cas, le plus fréquent, la déduction se rapproche de l'induction amplifiante qui généralise, sans certitude totale. Dans les deux cas, la pensée prend un risque, établit un compromis entre rigueur et invention. Dans les deux démarches de la pensée, l'important c'est de discerner l'essentiel, d'abstraire, de généraliser, de créer des concepts. § 4. Les outils : les concepts 19 Définition O L'opposition entre rationalistes et empiristes sur le plan du raisonnement (induction, déduction) se poursuit en ce qui concerne la valeur des concepts. Qu'est-ce qu'un concept ? Ce n'est pas le phénomène lui-même, c'est une abstraction, une pensée, un moyen de connaissance34. Le concept obéit à un double mouvement : d'une part il représente une activité pratique, sensible, le contact avec le monde sous la forme des êtres singuliers : tel objet, tel animal, et de proche en proche il s'élève en écartant les aspects particuliers, contingents, de ce contenu, pour atteindre par abstraction l'universel, le concept d'homme, d'animal. La formation d'un concept, pour Lefebvre, signifie que l'on a pénétré au-delà de l'immédiat sensible, de l'apparence, du phénomène, dans un degré supérieur d'objectivité. « La logique du concept est une logique de l'essence35 », de la qualité essentielle. 20 Extension. Compréhension O Le concept est plus ou moins étendu, plus ou moins compréhensif. Le concept de chien recouvre un certain nombre d'animaux : basset, griffon, cocker, etc., d'après leurs caractéristiques communes : vertébré, mammifère, etc., sans se préoccuper de leurs qualités particulières : poil ras, poil long, etc.
D'après la logique formelle, compréhension et extension varient en raison inverse l'une de l'autre. Le degré supérieur de l'abstraction : l'animal, a une grande extension, aucun animal ne lui échappe, mais peu de compréhension, il ne recouvre pas les particularités du cocker. En augmentant le nombre d'objets, on réduit à l'essentiel ce qui les unit. La distinction entre extension quantitative et compréhension qualitative, oppose surtout les concepts stables, déjà constitués, formés dans une hiérarchie (l'individu, le genre, l'espèce). Dans la réalité, les concepts se créent, s'enrichissent et disparaissent sans que leurs contours obéissent à une délimitation aussi rigoureuse. On reconnaît au concept une valeur de généralité. Quelle est l'origine de cette valeur ? Sur la constitution même des concepts, leur mode d'élaboration, s'affrontent empiristes et rationalistes. Prenons l'exemple du concept de frustration. Pour les empiristes, la généralité du concept résulte de la somme d'expériences, de situations de frustrations observées, d'où l'on a abstrait certaines propriétés qui leur étaient communes. Au contraire, pour les rationalistes, la généralité du concept de frustration résulte de sa définition même, c'est-à-dire de l'existence d'une propriété essentielle, abstraite, commune à toutes les situations qui relèvent du concept. Ceci soulève deux questions : le rapport entre concept et jugement, le lien entre concept et définition. 21 Concept et jugement O Dans la mesure où le concept retrouve une qualité essentielle, il implique un jugement. Logiciens et psychologues se sont demandé si le jugement précédait ou non le concept. Aristote affirme : « La perception porte sur le général, nous percevons l'homme en général avant de percevoir Rallias ». Pour Kant, au contraire,
l'acte élémentaire de l'intelligence est le jugement, le concept implique seulement une virtualité indéfinie de jugements36. On peut, d'après Lefehvre37, résoudre le problème en considérant que les deux thèses expriment deux moments de la pensée. La thèse aristotélicienne concerne le concept déjà formé : je vois un chien et le saisis immédiatement sous cet aspect. La thèse kantienne exprimerait plutôt la formation du concept : il faut observer un certain nombre de cas pour juger leurs qualités, saisir ensuite d'emblée le général. 22 Concept et définition O Pour comprendre ce qu'est une définition, il faudrait logiquement donner d'abord une définition de la définition. R. Robinson (1950) distingue dix-huit types de définitions. Pour Aristote la définition est une phrase signifiant «l'essence d'une chose». Dans la pratique, on se contente souvent de définir par des synonymes ou encore par des exemples, mais la véritable définition fait appel aux propriétés du concept. Elle est ontologique38. Or comme nous l'avons vu, le concept est une représentation rationnelle, comprenant les attributs essentiels d'une classe de phénomènes ou d'objets. On voit donc que définition et concept sont sinon synonymes, du moins liés. C'est pourquoi l'une et l'autre vont subir les conséquences des divers points de vue concernant ce qui est défini, c'està-dire dépendre de la notion de réalité. C'est ce problème qu'évoque Platon dans le dialogue d'Hermogènes et Cra-tyles, le premier déclarant que le sens des mots résulte de conventions arbitraires, sans lien nécessaire avec la réalité, tandis que Cratyles, à qui Socrate donnera raison, soutient que les mots signifient quelque chose en rapport avec les objets auxquels ils se réfèrent. Discussion toujours actuelle et qui oppose encore des sociologues tels que G. A. Lundberg (1946), qui veut définir « a priori », et H. Blumer qui lui oppose la nécessité de tester empiriquement le concept, l'expérience seule permettant de savoir si sa
définition est vraie. Mais que signifient vérité et réalité ? Les mathématiques par exemple, reposant sur des postulats, ne sont pas tenues par la réalité. C'est le sens de la fameuse boutade d'Einstein : « Dans la mesure où les mathématiques traitent de la réalité, elles ne sont pas certaines et dans la mesure où elles sont certaines, elles ne traitent pas de la réalité. » Bien des concepts des sciences physiques ne sont encore que des formules. Les atomes sont-ils réels ? Et en sciences sociales que signifient « culture », « opinion », « classe sociale » ? Les mots recouvrent-ils des réalités ? L'opinion est-elle une description, une mesure, un processus, une entité ou une invention ? On peut trouver une réponse conciliant les points de vue, en distinguant à quoi ils s'appliquent. 23 Définition nominale. Définition réelle O La définition nominale, utilise un mot ou une phrase (defmiens) comme substitut d'une autre (definiendum). Le concept dans ce cas a la signification qui lui est donnée arbitrairement. Il ne prétend à d'autre vérité que la conformité à sa propre définition. Il n'ajoute rien à nos connaissances, mais peut, sur le plan méthodologique, aider à les accroître. C'est le cas des symboles en algèbre. L'inconvénient des définitions nominales, c'est qu'elles risquent au bout d'un certain temps, d'être considérées comme réelles par ceux qui les emploient. La définition réelle désigne l'objet par ses caractéristiques essentielles, elle suppose donc une vérité. Tout en établissant une équivalence entre le défini et la définition, elle dépasse le plan du langage pour atteindre celui de la connaissance. Cette distinction entre les deux types de définition est importante car toute science repose sur des théories et celles-ci sur des concepts. Lorsqu'elles se réfèrent à des concepts possédant des définitions nominales, elles offrent un intérêt méthodologique, si au
contraire elles font appel à des définitions réelles, c'est leur contribution à la science qui est en cause. On juge les définitions nominales d'après leur utilité, les définitions réelles d'après leur vérité39. Les Anglo-Saxons distinguent les concepts substantifs ou phénoménaux qui ont trait au domaine à analyser, par exemple : culture, personnalité et les concepts méthodologiques qui concernent le processus même de la recherche tels que validité, théorie. F. S .C. Northrop (1947) distingue les concepts par intuition, dont la signification dépend d'un objet appréhendé immédiatement et les concepts par postulat, dont la signification dépend du système hypothéticodéduc-tif de la théorie dont ils font partie. 24 Conclusion O Nous avons jusqu'ici abordé les problèmes généraux que posait toute réflexion sur la connaissance. Loin de constituer le domaine réservé de philosophes abstraits, celleci, à des degrés divers, a toujours accompagné l'activité pratique des hommes de sciences euxmêmes. Comme le note R. Blanche : « Par le style selon lequel ils ont conduit leurs recherches, ils ont, qu'ils l'aient voulu ou non, manifesté l'idée qu'ils se faisaient du but et des moyens de leur science. Tout savant a ainsi impliqué dans son travail une épistémologie que l'on peut, pour cette raison, qualifier d'immanente. Parallèlement au progrès des sciences et en interaction étroite avec ceux-ci, se développe une réflexion scientifique. Les savants s'interrogent sur les méthodes qu'ils utilisent, leur signification et leur validité40. » C'est l'histoire de cette réflexion qui va maintenant nous retenir. 25
Bibliographie o Becker (H.) et Boskoff (A.), ed. 1957. - Modem sociológica! theory in conti-nuity and change, N.
Y., Dryden Press, 756 p. Carnap (R.) 1935. - Trad. 1928, Le problème de la logique de la science, science formelle et science du réel, Hermann et Cie, 291 p. Cassirer (E.) 1977. - Substance et fonction. Éléments pour une théorie du . concept, Minuit, 435 p. Cohen (M. R.) et Nagel (E.) 1964. - An introduction to logic and scientific method, London, Routledge and Kegan Paul. Di Renzo ed. 1966. - Concepts, Theory and Explanation in the Behavioral sciences, N. Y., Random House, 203 p. Greer (S.) 1969. - The logic of social inquiry, Chicago, Aldine Pub. Co, 232 PHempel (G.) 1965. - Aspects of scientific explanation, Glencoe (111.), Free Press. Jamous (H.) 1968. - «Technique, méthode, epistemologie, suggestions pour quelques définitions », Epistemologie sociologique, pp. 20-37. Kaplan (A.) 1964. - The conduct of inquiry. Methodology for behavioral Science, San Francisco, Chandler ed., 428 p. Laiande (A.) 1929. - Théories de l'induction et de l'expérimentation, Boivin, 287 p. Lundberg (G. A.) 1946. - Social Research, New York, London, Toronto, Longmans Green and C°, 426 p. Mac Kinney (J. C.) 1957. - « Methodology, procedures and techniques », in Becker and Boskoff, Modem sociological theory, p. 186 à 236. Merleau-Ponty (M.) 1967. Les aventures de la dialectique, Gallimard,
313 p. Northrop (F. S. C.) 1947. - The logic of the sciences and humanities, New-York, Mac Millan, 402 p. Piaget (J-) 1967. - «Nature et méthode», pp. 3-131, in Logique et Connaissance scientifique (B. 13). Popper (K.) 1935. - Tr. 1973, La logique de la découverte scientifique, Payot, 480 p. 1972. - Tr. 1991, La connaissance objective, Aubier, 180 p. Tr. 1981, La quête inachevée, Calmann-Lévy. Robinson (R.) 1950. - Definition, Oxford, Clarendon Press, 208 p. - Symposium on Sociological Theory, 1959. Ed. Llewellyn Gross, White Plains, New york, Row, Peterson and C°, 642 p.
Zetterberg (H. L.) 1954. - On theory and verification in Sociology, New York, Tressler Press, 78 p.
CHAPITRE 2 L'ÉVOLUTION DE LA RÉFLEXION SCIENTIFIQUE Back to table of contents «Le réel n'est jamais ce qu'on pourrait croire mais il est toujours ce qu'on aurait pu penser. » Bachelard. Il ne s'agit pas ici de retracer l'histoire des découvertes de la science ni même de l'évolution de la philosophie des sciences, mais seulement, dans l'ensemble de conditions politiques, économiques et sociales qui caractérisent chaque époque, tenter de dégager les progrès de la méthode scientifique. Cette progression n'est pas linéaire. Chaque novateur porte en lui à la fois l'empreinte du passé et la marque de
son temps. Pas plus que l'être humain, la société ne mûrit de façon égale, et chacune des sciences progresse à son propre rythme. Les œuvres de quelques savants et philosophes, jalonneront brièvement les grandes étapes de l'évolution de la réflexion scientifique.
SECTION 1. LA NOTION DE SCIENCE Retour à la table des matières 26 Évolution de la définition O Le mot science n'a pas toujours eu la signification particulière qui est la sienne de nos jours. Aristote affirme que « la Science concerne le nécessaire et l'étemel ». Platon y voit le plus haut degré de la connaissance. Au Moyen Age la Vérité suprême est d'ordre religieux. D'après Lalande, dans la langue théologique, « science » désigne la connaissance que Dieu a du monde. Comme le dit G. Gusdorf (1966), selon la scolastique héritière de la pensée hellénique, la dignité de la science provient de la valeur de son objet. « La plus haute connaissance est celle de la réalité suprême ; elle est donc d'ordre ontologique et théologique41. » La révolution mécaniste du xvn6 siècle manifeste une attention particulière pour les méthodes et démarches de la pensée, un déplacement d'intérêt de la métaphysique vers la théorie de la connaissance. Évolution que caractérise la définition de la science donnée par C. Wolff au xviiie siècle : « l'usage de démontrer ce que l'on affirme, c'est-à-dire de déduire de principes certains et immuables par voie de conséquence légitime42». L'épistémologie a supprimé Dieu, c'est un des phénomènes importants du xviif siècle et Laplace sans scandale exposera à Bonaparte que l'on peut expliquer le réel sans recourir à l'hypothèse divine. Autrefois découverte de l'essence, la science tend à devenir recherche de l'ordonnancement des phénomènes. Désormais, le rapport de l'homme au
monde est plus important que la relation avec Dieu ou avec soi-même. La notion de science se rapproche de la nôtre, elle se caractérise par ce que nous appelons l'esprit scientifique, la manière de savoir plus que l'objet du savoir. Pour Karl Jaspers : « la science est la connaissance méthodique dont le contenu, d'une manière contraignante est à la fois certain et universellement valable43 ». Cette définition très large permet à de nombreuses branches du savoir de revendiquer le titre de science. Les juristes parlent de science juridique. Pour Newman et K. Barth, la théologie est une science. Parallèlement aux sciences physiques et naturelles, se développent depuis le xvme siècle des sciences morales, humaines, politiques, sociales. Cette évolution permet de penser comme l'indique G. Gusdof44 que l'idée de science est une variable historique et qu'à l'heure actuelle on peut en distinguer plusieurs acceptions. D'une part la notion large qui correspond à une certaine façon raisonnée, systématique, d'appréhender le réel, point commun à toutes les disciplines qui se veulent scientifiques. D'autre part une acception plus étroite, liée à la regrettable distinction universitaire entre lettres et sciences. 27 Distinction entre sciences et lettres O Il est curieux de constater qu'au début du xviie siècle, le mot « lettres » recouvre tout le domaine de la connaissance. Si l'on se reporte aux textes de l'époque, on n'aperçoit pas de distinction nette entre lettres et sciences. Descartes dans le Discours de la Méthode écrit : « J'ai été nourri aux lettres dès mon enfance, et pour ce qu'on me persuadait que par leur moyen on pouvait acquérir une connaissance claire et assurée de tout ce qui est utile à la vie, j'avais un extrême désir de les apprendre45. » Sous l'influence des jésuites, les « lettres » comprennent tout le programme des études alors que pour d'autres auteurs ce sont les sciences qui recouvraient le domaine entier de la connaissance. Cependant progressivement se précise la
distinction : les lettres correspondent, à partir du milieu du xvmc siècle environ, à l'idée d'une culture livresque c'est-à-dire plus littéraire, moins expérimentale. La querelle des Anciens et des Modernes manifeste la volonté des scientifiques d'être reconnus, honorés à l'égal des gens de lettres. Ch. Perrault écrit : « Les choses ont bien changé de face. L'orgueilleux désir de paraître savant par des citations a fait place au désir sage de l'être en effet par la connaissance de la nature46. » Leibniz réclame que l'enseignement de la poésie, de la logique et de la scolastique ne prédomine plus sur les sciences du réel : mathématiques, histoire, physique, géographie. Le lien perçu entre les Lettres et l'Ancien Régime, l'élimination souhaitée des valeurs traditionnelles grâce à une formation intellectuelle critique, vont susciter un clivage politique qui persistera jusqu'à nos jours. L'enseignement des sciences est à gauche, démocratique, anticlérical, celui du latin est le symbole de la réaction. Toujours en retard sur la réalité, l'enseignement continue à privilégier les Humanités. Alors qu'en 1807 Cuvier s'élève contre le faux problème que constitue pour lui la distinction entre Lettres et Sciences, la rupture est consacrée par la création en 1852 du Baccalauréat ès-sciences47 et surtout par l'Université impériale qui crée des Facultés des Sciences et des Facultés des Lettres séparées. A l'heure actuelle, l'ambiguïté de la définition demeure. A côté du sens large concernant tout corps de connaissance méthodiquement organisé, le développement et le modèle des sciences physiques et naturelles amène le plus souvent à appliquer le terme de science au sens étroit, à un ensemble de connaissances établi de façon systématique, à référence universelle et susceptible d'être vérifié. Encore en retard sur l'évolution de la pensée et les besoins de l'homme, le gouvernement aujourd'hui
souhaite la promotion des sciences et l'accès aux disciplines scientifiques au moment où les peuples civilisés inquiets des conséquences des découvertes et de leur utilisation militaire et industrielle manifestent un intérêt grandissant pour les sciences de l'homme. Sciences de l'homme dont la vulgarisation anticipée rappelle la mentalité préscientifique du xvme siècle et risque de susciter des obstacles au développement d'une connaissance véritable. La science de l'homme dont notre époque ressent le besoin, ne correspond pas à une culture livresque de citations ni à une perpétuelle adaptation à une société de plus en plus technique. Cette science porte sur le destin de l'homme dans une communauté humaine. Elle comprend certes le passé mais surtout l'avenir d'hommes vivants et la compréhension des rapports qui les unissent ainsi qu'à leur environnement. 28 Bibliographie o *Blanché (R.) 1969. - La méthode expérimentale et laphilosophie de laphysique, Colin, 370 p. Carnap (R.). - « Logical Foundation of the Unity of Science » in Intem. Encyc. of Unified. Sciences, vol. I, 760 p. Chalmers (A.P.) 1987. - Qu'est-ce que la science ? récents développements de la philosophie des sciences : Poper, Kuhn, Lakatos, Feyeràbend. Paris, La Découverte, 237 p. Descartes (R.) 1930. Discours de la Méthode, coll. Gilson, Vrin, 498 p. Dewey (].). - « Unity of Science as a Social Problem » in Intem. Encycl. of unified Sciences, vol. I, 760 p. Gusdorf (G.) 1960. - Introduction aux sciences humaines, Fac des Lettres de Strasbourg.
*- 1966. - De l'histoire des Sciences à l'histoire de la pensée, Payot, 340 p. (The) Sociology^ of Science 1962. - Edited by Barber B. and Hirsch W. Par-due University, Free Press of Glencoe, U.S.A., 639 p.
SECTION 2. L'ÉVOLUTION DES SCIENCES JUSQU'AU XIXe SIÈCLE Retour à la table des matières « Le chaos est la loi de la nature, l'ordre est le rêve des hommes. » Henry Adams (1903) § 1. Les origines 29 L'expérience première O II est difficile de se faire une idée précise des étapes premières de la formation de l'esprit scientifique. Sans doute, peut-on supposer avec Piaget qu'elles furent assez semblables à celles observées dans le développement mental de l'enfant qui comprend plus facilement la physique aristotélicienne : le haut, le bas, l'air, le feu, que la physique moderne. Les premiers éléments de réflexion scientifique sont plus sûrement nés des exigences de la pratique que des préoccupations religieuses qui leur ont quelque temps fait obstacle. La pratique amena un certain « acquis » d'expériences : la pierre qui tombe, la flamme qui s'élève, et même d'observations empiriques dont l'explication ne relevait aucunement d'un raisonnement scientifique. Les Azand, nous dit E.E. Evans-Pritchard (1959), constatent que l'écroulement d'un grenier à grains, rongé par les termites cause la mort d'un homme assis à l'ombre du mur. Où nous voyons un hasard malheureux, ils incriminent la sorcellerie. La compréhension des rapports critiques est chez les primitifs sans commune mesure avec leurs capacités déductives ou réflexives. Il est donc clair qu'il nous manque un chaînon : ou leur intelligence opératoire atteint déjà le niveau des opérations concrètes, mais est tenue en échec par une idéologie coercitive, ou dans l'action
même, elle demeure intuitive et pré-opératoire. Les articulations de leurs intuitions pratiques sont plus proches de l'opération que leurs représentations verbales et mythiques. On a coutume de considérer la science moderne comme caractérisée par le. triomphe de la méthode expérimentale et inductive. Le jugement doit être nuancé surtout en ce qui concerne la physique. Un fait peut être cependant tenu pour acquis : le progrès des sciences est d'abord dû au lent apprentissage de la méthode expérimentale et inductive. Celui-ci exige que soient réunies un certain nombre de conditions : détachement de toute arrièrepensée métaphysique, liberté de pensée, développement des moyens d'observation, mathématisation et spécialisation. L'histoire de la pensée scientifique est celle de la difficile conquête de ces conditions. § 2. L'antiquité 30 La Grèce O Quoi qu'il en soit de ses origines, la pensée scientifique apparaît d'abord chez les Grecs et ceci sur deux plans différents : celui de la pratique longtemps spontanée, limitée à une observation plus ou moins fine, d'autre part à l'opposé celui de la réflexion avec la mystique des nombres, le mathématisme pythagoricoplatonicien et la logique d'Aristote. Logique et mathématique sont les deux apports fondamentaux de la Grèce à la science. Les grands noms de Thaïes, d'Anaximandre (610-547), de Fythagore sont parmi ceux qui les premiers méritèrent le nom de philosophes et de physiologues (de physis : nature). Ils empruntent aux civilisations égyptienne et babylonienne des éléments d'astronomie et de mathématiques ; mais Pythagore « remonta aux principes supérieurs et rechercha les théorèmes abstraitement et par l'intelligence pure48 ». L'idée que les phénomènes devaient être régis par des nombres les amena à rechercher la
solution de problèmes de physique (en particulier d'acoustique) dans un esprit déjà scientifique et expérimental. L'école Eléate (Zenon) se distingue par une réflexion critique sur la connaissance scientifique. Enfin Hippocrate et ses disciples en perfectionnant l'art de guérir sans pratiques magiques, sont plus proches d'une médecine scientifique que les Égyptiens. Platon (428-347) O Élève de Socrate, fortement marqué par l'enseignement de Pythagore, il inscrit au fronton de l'Académie cette indication significative : « nul n'entre ici s'il n'est géomètre ». Cet effort de mathématisation se traduit par une volonté de « transcender les nombres pour leur conférer une valeur d'intelligibilité49 ». Platon par son détachement du réel, son idéalisme, va créer un courant puissant qui détournera de l'observation de la nature et par là même de la recherche scientifique. Aristote (384-329) O Élève de Platon, il établit son école dans les jardins du Lycée. Contrairement aux platoniciens, il insiste sur l'observation de la nature et la valeur des données sensorielles par lesquelles nous y parvenons. Ses trois ouvrages d'observation sur les animaux, l'amenèrent à déclarer : « qu'on doit accorder plus de confiance à la sensation qu'au raisonnement et se fier aux considérations rationnelles à condition qu'elles fournissent des résultats en accord avec les phénomènes50 ». Premier empiriste réfléchi, il n'incite cependant pas à l'expérimentation qui lui semble trop artificielle. Nous retrouverons Aristote et Platon à travers l'influence qu'ils ont exercée sur l'Europe au Moyen Age. Après la Grèce, c'est vers Alexandrie que se déplace le centre de réflexion philosophique et scientifique. Avec Euclide (- 300) s'ouvre l'âge d'or des mathématiques grecques. Archimède (287-212) par sa façon d'aborder les problèmes
techniques sous un angle théorique sera non seulement un mathématicien et un physicien de génie, mais le plus moderne des savants. Cependant, son mépris pour la pratique le rattache à son siècle51 33 La science gréco-romaine O C'est l'utilitarisme qui caractérise cette période. La tournure d'esprit philosophique des Grecs avait orienté la science mathématique ou physique vers une réflexion plutôt théorique, quels que fussent les progrès des applications pratiques. A Rome il en va tout autrement : l'indifférence des Romains pour la science et la philosophie est totale, ils n'éprouvent même pas le besoin de traduire les auteurs grecs. Les sciences naturelles seront au service de l'agriculture et de l'élevage, les mathématiques, de la physique, de l'architecture et des machines de guerre. Il faut cependant citer au début du ne siècle de notre ère Ptolémée, le dernier des grands astronomes, préoccupé de physique, plus particulièrement d'acoustique et d'optique. Sans nous avoir laissé d'écrits de méthodologie, Ptolémée équilibre dans sa propre pratique la recherche expérimentale et la réflexion mathématique. On peut après lui parler du déclin de la science, dans le bassin méditerranéen où elle avait pris son essor. Dès le début de notre ère, la chimie se dégrade en alchimie, l'astronomie en astrologie, la médecine utilise des amulettes plus que les principes d'Hippocrate, les mathématiques se transforment en arithmétique. § 3. Le Moyen Âge 34 L'influence arabe O Toute histoire implique des coupures arbitraires et donne lieu souvent à des interprétations abusives. Certains accentuent
l'aspect novateur des esprits qui les attirent, d'autres s'évertuent à déceler une continuité sans rupture. Le Moyen Age a peut-être été plus que d'autres époques victime des jugements contrastés de l'histoire52. Après l'enthousiasme des romantiques, il est apparu jusqu'à une époque récente, comme une période d'arguties sans intérêt, sous l'arbitrage d'Aristote et de Rome. La fameuse « nuit du Moyen Age » du vie au xie siècle, fut moins, comme l'a montré H. Pirenne, la conséquence des invasions germaniques, que le résultat de la rupture des relations entre l'Orient et l'Occident, la pensée latine et la pensée grecque. C'est par le monde arabe, héritier de la civilisation hellénistique que celleci suscitera l'essor de la pensée médiévale. Les Arabes n'ont pas été de simples intermédiaires mais les maîtres et éducateurs de l'Occident latin53. Alors que les philosophes de l'Antiquité imaginent des dieux différents, le philosophe médiéval est tenu par le cadre rigide d'une religion révélée, l'idée d'un Dieu créateur. Pourtant les questions posées sont^toutes les mêmes, d'abord métaphysiques elles concernent le savoir, l'Être : qu'est-ce que le monde, comment le connaître, me connaître ? « Sous le Dieu créateur, écrit Koyré, le philosophe du Moyen Age retrouve le Dieu-bien de Platon, le Dieupensée d'Aristote, le Dieu-un de Plotin. » Le souci majeur du Moyen Age sera la recherche d'un accord entre la philosophie et la théologie. La sco-lastique répond à ce but par l'emploi d'une dialectique rigoureuse. A l'intérieur de ce cadre méthodologique, les tendances opposées s'affrontent, soulevant indirectement les problèmes essentiels de la philosophie des sciences. 35 L'influence grecque, a) L'influence de Platon o Ce serait une erreur de croire qu'Aristote a régné sans contestation durant le Moyen Age. En
fait jusqu'au xme siècle, c'est surtout Platon qui exerce son influence et ceci par l'intermédiaire des commentateurs arabes, car les ouvrages en grec sont introuvables, sauf le Timée, mythe de la création du monde qui eut un grand succès. Cet ouvrage présente certains aspects essentiels de la pensée platonicienne : les idées-formes et la solution par l'action divine du problème des rapports entre les idées et le réel sensible. C'est la lecture de Platon qui convertit saint Augustin. La vérité des choses sensibles n'est pas dans les objets eux-mêmes, mais dans leur conformité aux essences étemelles de Dieu. C'est dans l'intérieur de l'âme qu'habite la vérité : « La primauté de l'âme, la doctrine des idées, riUuminisme qui supporte et renforce l'innéisme de Platon, le monde sensible conçu comme un pâle reflet de la réalité des idées, l'aphorisme et même le mathématisme, voilà un ensemble de traits qui caractérisent le platonisme médiéval » écrit A. Koyré54. Mais Platon est difficile à comprendre, il suppose un niveau de connaissances et de réflexion élevé, c'est pourquoi il sera plutôt vulgarisé, commenté, ou trahi qu'étudié. 36 b) L'influence d'Aristote O Aristote aura plus de chance. Il est en effet le seul philosophe grec dont l'œuvre entière est traduite, en arabe d'abord, puis en latin. De plus elle est pédagogiquement efficace car Aristote discute, il veut se persuader... et de ce fait persuade. Même l'interdiction dont il est frappé, dès 1210, par l'autorité ecclésiastique, n'empêchera pas la diffusion de son œuvre. Tout au plus sélectionnera-t-elle ses lecteurs, un autre milieu que ceux de Platon : celui des universités. Il faudra tout l'art d'un saint Thomas pour christianiser une doctrine si scientifique et déjà si laïque. En effet la soif de connaître de l'aristotélicien n'est pas tournée vers l'âme, mais vers l'extérieur. La perception première est celle des objets naturels qui l'entourent. Ceux-ci font partie d'un monde hiérarchisé, ordonné, composé de « natures », et la vérité des choses
repose en elle. Pour l'aristotélicien, le domaine du sensible est le domaine propre de la connaissance primaire, pas de sensation, pas de science, mais l'esprit de l'homme intervient et par l'abstraction il extrait la forme de la matière55. La nature, voilà le grand thème d'Aristote, et l'homme est une nature parmi d'autres. Sans doute a-t-il une âme, mais aussi un corps... il est un homme... un animal rationnel et mortel. La pensée, le propre de l'homme, doit donc l'engager tout entier et débuter par ce que lui permet son corps : la perception sensible, d'où son intellect abstraira ensuite, par le raisonnement, la forme de la chose perçue. Mais un problème demeure, comment une activité purement spirituelle peut-elle appartenir à un être humain ? C'est grâce à « l'intellect agent » qui permet de comprendre, comme la lumière permet à l'œil de voir. Le texte difficile à interpréter divisera les disciples d'Aristote en deux tendances : celle d'Avercoès qui privilégie l'élément extérieur à l'homme, brise son unité et s'oppose de façon camouflée à la religion, et celle de saint Thomas qui, élargissant pour les besoins de sa démonstration la pensée d'Aristote, considère l'agent extérieur comme venant de Dieu. 37 c) La querelle des universaux O La grande querelle qui oppose au Moyen Age les héritiers de Platon à ceux d'Aristote, est celle des universaux. Elle fait suite aux controverses des philosophes sur les concepts. L'idéalisme des platoniciens les conduisait à qualifier de réels, des concepts qui en fait ne correspondaient pas à la réalité du monde sensible. Tournés vers une recherche dialectique de l'intelligence, ils étaient en fait peu portés vers l'empirisme et une conception expérimentale de la science. Les nominalistes, au contraire, visant une extension des concepts au monde extérieur, cherchent la réalité dans l'observation des phénomènes.
3 8 Le développement des sciences O II ne faut pas confondre le développement technique, réel au Moyen Age et le développement scientifique. A. Koyré56 s'oppose aux affirmations de Crombie suivant lesquelles la révolution méthodologique du xrae siècle aurait donné naissance à une science nouvelle. Les inventions du harnais et du gouvernail arrière facilitent les communications, mais pas plus que l'art gothique, ils n'ont été le résultat de théories scientifiques et ils n'en ont suscité. Cependant la multiplication des encyclopédies est la preuve de l'intérêt que le Moyen Age porte au domaine scientifique. A côté de l'aspect de compilation, ou de recettes pratiques, se fait jour une recherche plus élaborée de signification. Quelques esprits vont contribuer au progrès méthodologique. Roger Bacon naquit à Oxford vers 1214. Son importance est contestée comme le sera plus tard celle de son homonyme Francis. Sans doute trouvera-t-on dans son œuvre à côté d'observations justes, des naïvetés et des contradictions nombreuses. Il faut reconnaître à son crédit, la place qu'il attribue à la méthode expérimentale, même s'il ne la pratique pas luimême et, fait plus remarquable encore, celle qu'il accorde aux mathématiques qui doivent « porter la science à son état de perfection ». Albert Le Grand naquit en 1206 en Souabe. Dominicain, il enseigna à Paris, à Cologne et apparaît comme un des meilleurs commentateurs d'Aristote. Doué d'un grand talent d'observation, il s'intéresse à la cMmie, à la géologie, mais surtout à la botanique et à la zoologie. En astronomie de nombreux travaux préparent la révolution copemicienne, tandis que les problèmes d'algèbre et de trigonométrie (repris aux Arabes) donnent lieu à des défis que se lancent entre eux les savants européens. L'alchimie elle-même se détache par certains côtés de la magie et devient expérimentale, tandis que biologie et médecine grâce à
l'autorisation de disséquer, accordée par Rome, préparent les progrès de l'anatomie. Signalons enfin en mécanique l'importance de l'école des nominalistes parisiens dirigés par le recteur J. Buridan, précurseur de Galilée, qui invente, à propos des lois de la chute des corps et du mouvement, la notion d'impetus, énergie, inhérente au projectile. § 4. La Renaissance 39 Progrès et obstacles O Au préjugé du Moyen Age barbare, correspond souvent l'image d'une renaissance miraculeuse. Sans doute le fut-elle sur le plan des lettres et des arts, non sur celui de la science. « La Renaissance a été une des époques les moins pourvues d'esprit critique que le monde ait connues », écrit A. Koyré57. C'est l'époque de la superstition la plus grossière et la plus profonde, une époque où la croyance à la magie et à la sorcellerie s'est étendue d'une manière prodigieuse. Elle était irmniment plus répandue qu'au Moyen Age. Une des explications proposées c'est qu'en détruisant la physique, la métaphysique, l'astrologie aristotélicienne, les savants du xvf siècle ont sans doute préparé le renouveau scientifique du xvnc siècle, mais se sont euxmêmes trouvés sans cadre, sans critère pour juger du réel, du possible. D'où le foisonnement imaginatif accompagné d'une immense crédulité. « C'est dans cette naturahsation magique du merveilleux que consiste ce qu'on a appelé le «naturalisme» de la Renaissance58». La rupture avec Aristote a libéré la Nature des quelques règles qui permettaient, quelque insuffisantes qu'elles fussent, de lui donner un sens ; on n'en a pas trouvé de meilleures et dès lors la nature redevient « l'universelle magie de l'imagination populaire ». Si la science d'Aristote se trouve à cette époque d'accord avec l'état d'esprit des politiques et des théologiens prêts à imposer une disciphne, celle de l'école naturaliste fait merveilleusement l'affaire, à la fois des esprits aventureux et de la masse.
Cependant en marge de cette exubérance, la science progresse grâce à quelques grands esprits qui, les uns et les autres, vont saper la synthèse aristotélicienne. Mais l'évolution ne suit pas une ligne droite, elle est faite de quantités de contributions diverses. Les progrès de l'astronomie achèvent le travail de démolition du « cosmos » aristotélicien commencé par les philosophes (Nicolas de Cues). La terre était au centre de l'Univers en vertu de la structure de cet univers. Avec Copernic (né en Pologne, 1473-1543) un principe et une force physiques se substituent à un lien métaphysique et à une structure cosmique. La terre fait partie dorénavant d'un univers unique non hiérarchisé. Kepler (1561-1630), lui, est un savant plus qu'un philosophe. En affirmant que physique céleste et physique terrestre n'en font qu'une, il apporte l'idée neuve d'un univers régi par les mêmes lois, de nature mathématique. Cependant, sa conception encore animiste le rattache davantage à son époque que son contemporain Galilée. On étudiera celui-ci au xvtf siècle, auquel il appartient par son modernisme. 40 Léonard de Vinci (1452-1519) O Certains auteurs (P. Duhem, 1906) rattacheront Vinci au Moyen Age et le considéreront comme un érudit, alors qu'à l'opposé, d'autres rappellent que ses contemporains voyaient en lui un homme sans culture. Dans son cas il ne s'agit pas de latin fleuri mais d'art et de science.. Vinci est un artiste et un ingénieur plus qu'un théoricien. Malgré ses dons d'observation, son intérêt pour les solutions pratiques, ce n'est pas un pur empiriste car il ne sous-estime pas la théorie. Gêné par les abstractions, son sens du concret s'épanouit dans la géométrie, mais là encore il se montre plus inventeur que constructeur. En fait, son génie est celui d'un technologue bien
plus que d'un technicien. En tant qu'artiste et savant, Vinci explique que la peinture, « la plus belle langue de l'esprit, est le seul art capable de nous montrer les choses comme elles sont ». Pour la première fois dans l'histoire, le savoir par l'ouïe, c'est-à-dire par les autres, est remplacé par la vision directe et l'intuition personnelle. Cependant son goût de la rigueur lui permet de résister à l'ambiance de son époque à laquelle il appartient tout de même par son humanisme, son rejet de l'autorité et d'une conception chrétienne du monde. 41 Francis Bacon (1561-1626)59 O F. Bacon, baron de Verulam, naquit à Londres. Les jugements sur l'importance scientifique de son œuvre ont varié. A part ses compatriotes qui lui voueront une grande admiration, il déçoit ses contemporains et leurs successeurs immédiats : Descartes, de Mersenne, Hobbes et même Newton. Il semble en effet paradoxal qu'en cette époque où les découvertes scientifiques se multiplient, celui qui sera considéré comme le fondateur de la science expérimentale ne découvre ni loi, ni théorème. « Il promet tout et ne livre rien, dit-on de lui, sa gloire est l'œuvre des historiens. » L'histoire commence avec Leibniz qui voit en lui « un génie divin ». Curieux homme que ce Bacon. Proche de la Renaissance par son côté « touche-à-tout enthousiaste », tempéré par sa nature d'anglosaxon pratique, il sera à la fois historien, juriste, philosophe, savant et homme politique (chancelier d'Angleterre) d'une honnêteté douteuse puisqu'il fut emprisonné pour ses indélicatesses. Quelle que soit la place qu'on lui attribue dans l'évolution des sciences, on ne peut nier qu'avec lui l'atmosphère change. Il n'a sans doute rien découvert, sa pensée est encore prisonnière de nombreuses chimères, mais on lui doit quelquesunes des plus belles pages de la litté-
rature scientifique et des réflexions, qui non seulement marquent une rupture avec le passé, mais surtout préparent l'avenir, 42 a) La rupture avec le passé O Le moins contesté des jugements portés sur Bacon c'est qu'il est un antiscolastique. Que lui offre cette époque de la Renaissance ? D'une part une science théorique autrefois intouchable, portant sur une nature ordonnée, hiérarchisée, mais qui commence à se lézarder: l'aristotélisme, d'autre part les divagations de l'art des alchimistes, enfin des techniques artisanales. 43 L'unité de la nature O En affirmant que la chaleur du soleil est la même que celle de nos fourneaux, que « les forces du ciel (les naturalia) sont de même nature que celles que nous manipulons sur la terre (artifitilia) », Bacon unifie l'idée de nature, la désacralise. Non seulement la peur de porter atteinte à l'œuvre du Créateur n'a plus de raison d'être, mais encore écrit Bacon : « Il faut lutter contre le préjugé qui considère que l'homme peut à la rigueur ajouter à la nature, mais non la transformer. » Avec enthousiasme il va même découvrir une valeur morale dans cet intérêt : « [...] cette ambition d'étendre l'empire et la puissance du genre humain tout entier sur l'immensité des choses, cette ambition, on conviendra qu'elle est plus pure, plus noble et plus auguste que toutes les autres, or l'empire des hommes sur les choses n'a d'autre base que les arts et les sciences, car on ne peut commander à la nature qu'en lui obéissant60 ». Le thème de la richesse de la nature est constamment évoqué. Comme le note R. Lenoble61 toute l'œuvre de Bacon semble inspirée du fameux aphorisme de son compatriote et contemporain Shakespeare : « Il y a plus de choses dans le ciel et sur la tene que dans toutes les philosophies. » Mais pour connaître la nature, la pensée ne suffit pas, la réhabilitation de la pratique
s'impose et Bacon ne cessera de proclamer la nécessité de l'union de la raison et de l'expérience. 44 Le rationalisme et l'empirisme O « L'empirique, semblable à la fourmi se contente d'amasser et de consommer ensuite ses provisions. Le dogmatique, tel l'araignée ourdit des toiles, dont la matière est extraite de sa propre substance. L'abeille garde le milieu ; elle tire la matière première des fleurs, des champs ; puis par un art qui lui est propre elle la travaille et la digère. La vraie philosophie fait quelque chose de semblable. Notre plus grande ressource, celle dont nous devons tout espérer c'est l'étroite alliance de ces deux facultés : expérimentale et rationnelle, union qui n'a point encore été formée62. » Méprisant les expériences anti-scientifiques des alchimistes, Bacon sait déjà que c'est avec sa raison que l'on expérimente. Il faut « quitter Vulcain pour Minerve63». 45 La méthode o Le titre même de l'ouvrage de F. Bacon : Organon, signifie outil et traduit bien le but de l'auteur qui dans une curieuse utopie égalitaire écrit : « de même que pour tracer un cercle, un bon compas dispense de l'adresse de la main, notre méthode d'invention dans les sciences rend tous les esprits presque égaux et laisse bien peu d'avantages, à la supériorité du génie64 ». Bacon par méthode entend à la fois le retour à l'expérience mais aussi la démarche positive de la pensée et les précautions pour la protéger. « La vérité, écrit-il, survit plus aisément à l'erreur qu'à la confusion65. » Ni empirisme sensible et désordonné, ni rationalisme fermé. Contre ses prédécesseurs, Bacon affirme que la recherche ne peut partir de la perception du particulier mais bien « des généralités confuses du sens commun » pour observer les cas particuliers et revenir dans la mesure du possible à une autre généralité, celle-là rationnelle et ordonnée. Loin d'opposer induction et déduction qui jouent
chacune un rôle essentiel dans la méthode expérimentale, il déclare que « toute philosophie naturelle solide et fructueuse emploie une double échelle ; [...] l'une qui monte de l'expérience aux axiomes (principes ou hypothèses), l'autre qui descend des axiomes aux nouvelles inventions66 ». Bacon comme Aristote et même Descartes, souhaite des énumérations les plus complètes possibles car il connaît bien les risques d'extrapolations hâtives. La nature est à la fois « éparse » et « variée » tout en formant une « unité » ou des « sommes ». Comme tous les savants qui l'ont précédé, il prêchera la nécessité d'une observation attentive, mais insistera sur les exceptions, les exemples solitaires, les cas limites qu'il appelle si joliment « les exemples clandestins » ou « du crépuscule ». Enfin sur l'importance de cette « expérience cruciale » si contestée en physique : « Je les appelle ainsi, en empruntant le nom de ces croix qu'on élève à l'entrée des chemins fourchus et qui indiquaient les lieux où conduisent les deux routes67. » Il ajoute à ces impératifs de bon sens des considérations plus modernes sur la nécessité d'écarter les quatre fantômes qui altèrent notre vision. D'abord ranthropomorphisme commun à tous les hommes, qui leur fait croire que le sens humain est la mesure des choses alors que toutes les perceptions « sont construites à la ressemblance de l'homme, non à la ressemblance de l'univers » ; puis les préjugés du milieu, fantômes évoqués par Platon dans le mythe de la caverne : « Ils ont leur origine dans la nature propre de chaque individu, l'éducation, les conversations, les lectures, les sociétés, l'autorité des personnes qu'on admire et qu'on respecte », les fantômes du commerce, car « les hommes s'associent par les discours et les noms qu'on impose aux choses sont proportionnés à l'intelligence du vulgaire ». Enfin les fantômes qui amènent les systèmes de philosophie à nous donner en une représentation
totale et définitive les mondes imaginaires sont de véritables « pièces de théâtre ». Sous ces formules imagées, nous trouvons déjà évoqués la pensée socialisée, « l'ethos de classe » des sociologues contemporains et surtout les « obstacles épistémologiques » dénoncés quatre siècles plus tard par Bachelard dont la belle formule : « Le réel n'est jamais ce qu'on pourrait croire, mais il est toujours ce qu'on aurait pu penser», fait écho à l'inquiétude de Bacon: «les choses sont de telle nature qu'avant qu'elles fussent découvertes, il était difficile d'en avoir le moindre soupçon68 ». f) La critique de la tradition O Réhabiliter la pratique, faire confiance à la raison, c'est diminuer le poids de la tradition. «Tout homme suffisamment instruit doit user de son propre jugement » (De Dign., I, p. 33). Bacon reprochera aux aristotéliciens de considérer comme définitifs des principes rationnels qui correspondent simplement aux connaissances scientifiques de leur.temps, écrivant ainsi «la métaphysique de leur insuffisance technique ». Il s'attaquera à la fameuse distinction de la matière et de la forme, à celle classique des quatre éléments, au mouvement circulaire des astres, bref, aux fameux principes à partir desquels Aristote déroulait ses irréfutables syllogismes. Non qu'il nie la valeur du raisonnement, il remarque simplement qu'il ne «lie pas la nature », indiquant une fois de plus que la subtilité du discours ne peut jamais égaler celle des opérations de la nature. c) Le maintien de l'influence du passé O Moderne par quelques-unes de ses intuitions, par la hardiesse réfléchie de sa pensée, Bacon demeure tout de même encore marqué par l'influence d'Aristote (la théorie du mouvement, et la théorie des quatre causes : matérielle, efficiente, formelle, finale). L'importance accordée par Bacon à cette notion de forme l'oriente vers des notions purement qualitatives : sympathies, affinités, langage, fort peu
scientifiques, où il est constamment question du moyen d'atteindre la « nature des choses ». Il nous donne de précieux conseils certes pour définir des « natures », en utilisant ces trois fameuses tables de présence, d'absence, de degrés. Mais nous sommes encore loin des règles de StuartMill (concordance, différence, variations concomitantes). Comme le remarque R. Lenoble, Bacon ne vise pas à travers les causes efficientes à traduire des lois, mais seulement à établir des définitions. Il rêve d'écrire « une histoire des qualités ellesmêmes, qui constituent proprement les forces de la nature et qui sont comme ses premières passions et ses premiers désirs69». Peut-être le sens du concret, si remarquable chez lui, contribue-t-il aussi à le détourner des abstractions. Il ne comprend pas l'importance des mathématiques, de ce qui permet de les appliquer : la mesure et ses instruments. Il regrette que l'astronomie ne présente que « l'extérieur des phénomènes célestes... la peau du ciel » au lieu des choses telles qu'elles sont. Et s'il parle des instruments de mesure : microscope, astrolabe, c'est en passant et pour indiquer que cela « ne mène pas loin » (De Dign., II, Préface70). Sur le plan de la méthode qui nous intéresse, Bacon méritait une place particulière. Il avait dit lui-même que d'autres feraient ce qu'il n'avait pu faire ; ceci pourrait paraître banal mais manifeste, ce qui est neuf : la foi dans le progrès, une pensée consciente de sa nouveauté et tournée vers l'avenir. Homme du passé par son dédain pour les mathématiques, son attachement à une physique qualitative trop souvent mêlée de métaphysique, il prépare la pensée moderne en préconisant l'union de l'expérience et de la réflexion. Il a compris le sens du raisonnement inductif et donné une valeur morale à l'observation de la nature. « Homme de transition, écrit Lenoble,
homme du xvf siècle encore. D'un savant de la Renaissance, il garde tous les caractères. Il est éclectique, curieux, tumultueux, et aussi plein de confiance dans l'avenir71. » § 5. Le XVIIe siècle 48 Le changement O R. Lenoble note que l'apparition d'une doctrine neuve dans les sciences est comparable à celle d'un type nouveau en biologie, elle explose partout à la fois. Sans doute ceci provient-Il du fait qu'il n'y a pas ou peu de doctrines véritablement neuves, mais le plus souvent des tendances, un glissement des théories elles-mêmes, mais aussi ou sur- tout de ce qui les entoure. Les oppositions s'assouplissent. C'est ainsi que le xviie siècle voit triompher les institutions et tendances novatrices du siècle précédent. Les découvertes se multiplient dans tous les domaines de la science : loi de la chute des corps et lunette astronomique (Galilée 1604 et 1610), circulation du sang (Harvey 1628), expérience sur la pesanteur de l'air (TorriceÛi 1644), théorie de la lumière (Newton 1670), microscope, calcul différentiel (Bemouili 1690), machine à vapeur (Papin 1690). Le plus frappant, c'est l'apparition d'une mentalité scientifique moderne, qui a permis de comparer ce siècle au nôtre pour son importance. 49 René Descartes (1596-1650)72 O Si certains sont victimes de légendes, Descartes comme Bacon, a au contraire bénéficié, en France surtout, d'une simplification flatteuse de ses conceptions et c'est à tort qu'on le considère à l'origine du développement de la pensée moderne. Il insiste sur la valeur des mathématiques non pour leur précision quantitative, mais seulement pour la certitude et l'évidence de leur démarche. Il cherche à prouver la validité de la science et pose les questions laissées en suspens par
Aristote et ses successeurs : Comment concilier l'univers quantitatif et la perception qualitative ? Qui nous dit que nos représentations s'accordent avec les choses et que le monde est intelligible ? Il ne donne pas de justification scientifique mais une réponse métaphysique : la raison s'accorde aux choses parce que toutes deux sont l'œuvre de Dieu. L'évidence, critère de la vérité, apparaît à l'esprit, dégagé du sensible. La base de la science n'est donc pas expérimentale. Pourtant si les commentateurs de Descartes ont vu en lui un précurseur, c'est qu'à côté de ces affirmations théoriques, il pratique lui-même le raisonnement expérimental. Il suggère même de détacher la physique de la métaphysique, d'une part en reconnaissant la valeur de l'hypothèse : adoption d'un système hypothético-déductif, d'autre part en le justifiant par ses conséquences expérimentales. « Et on ne doit pas imaginer que je commette en ceci la faute que les logiciens nomment un cercle ; car l'expérience rendant la plupart de ces effets très certains, les causes dont je les déduis ne servent pas tant à les prouver qu'à les expliquer ; mais tout au contraire, ce sont elles qui sont prouvées par eux73. » De cette liberté rendue à la physique vont profiter les successeurs de Descartes. Malebranche (1638-1715) qui prêche le retour au concret et surtout Huyghens (1629-1695) physicien au sens le plus moderne du terme. Biaise Pascal (1623-1662) O On doit retenir en ce qui concerne la méthode, l'insistance de Pascal sur la valeur des expériences : « véritables maîtres qu'il faut suivre dans la physique74 » et la nécessité de distinguer divers aspects de la preuve. « De sorte que pour faire qu'une hypothèse soit évidente, il ne suffit pas que tous les phénomènes s'ensuivent, au lieu que s'il s'ensuit quelque chose de contraire à un seul des phénomènes, cela suffit pour assurer de sa fausseté75. »
Isaac Newton (1642-1727) O II clôt le xvne siècle, mais surtout débute le xvnr\ Moderne, Newton l'est par le lien qu'il établit entre les mathématiques et la méthode expérimentale. Les cartésiens sont opposés à l'idée de gravitation parce que pour eux elle est inintelligible. Pour Newton, il suffit que l'expérience atteste le principe. Comme le note R. Blanche : « Newton n'a pas découvert la gravitation céleste en ce sens qu'il en aurait eu le premier l'idée, il l'a découverte en ce sens qu'il a le premier réussi à la mathématiser et à la soumettre ainsi à un contrôle expérimental précis76. » Mais une fois de plus, on constate les déformations de l'histoire. Les scrupules scientifiques de Newton, sa volonté de raisonner sur les phénomènes sans le secours d'hypothèses imaginaires, de déduire les causes des effets jusqu'à ce que l'on soit parvenu à la cause première ; de considérer les certitudes expérimentales comme seules garantes de la vérité, son célèbre : « je ne fais pas d'hypothèse », ont amené les positivistes à l'annexer. Il est involontairement responsable de l'aversion du xvitf siècle pour les théories et les hypothèses. Pourtant sa physique demeure elle aussi liée à une théologie et Newton lui-même est plus croyant que Descartes. La science newtonienne est plus philosophique que scientifique. Comme le dit R. Blanche : La physique de Newton procède de façon analytique partant des phénomènes pour remonter à Dieu, tandis que Descartes procédant déductivement allait de Dieu au monde [...] Le Dieu invoqué par Descartes pour fonder sa physique est un foyer d'intelligibilité, une lumière, le Dieu auquel conduit la physique de Newton est une puissance, une force qui se manifeste par des actions contingentes et irrationnelles que seule l'expérience peut nous révéler77. 52 Gàlïleo Galïlei (1564-1642) O Professa d'abord à Pise puis devint mathématicien et ingénieur du duc de Florence. Il réparait les
sonnettes du palais et surveillait dans les jardins les canalisations utilisées les jours de grandes eaux. Il est heureux qu'il ait eu le temps de penser à autre chose. Nous sommes bien dans la tradition physique (et aquatique !) de celui qu'il admirait tant : le divin Archimède. Comme Bacon, il s'attaquera au conformisme intellectuel des héritiers d'Aristote. « Jamais autant que possible je ne poserai des affirmations de principe comme vraies. Cette méthode-là est celle que m'ont enseignée mes mathématiciens » (Démocrite et Archimède) et il s'en prend à ceux « qui ne savent jamais rien par les causes, mais croient seulement par la foi, sur cette raison précisément que c'est Aristote qui l'a dit78 ». Rejet des principes, recours à l'expérience, Galilée renforce la tendance la plus moderne, mais il est deux points sur lesquels il se montre vraiment un novateur en particulier par rapport à Bacon ; c'est d'abord l'idée de distinction entre le réel et le sensible. Car le danger qui va longtemps freiner le développement de la physique moderne c'est comme nous le verrons la confusion dans l'observation ou mieux dans l'expérimentation, entre la notion scientifique d'objectivité et l'évidence du sens commun. Si Galilée prêche le retour à l'expérience ce n'est pas pour y retrouver les fameuses « qualités » de Bacon, car pour lui la science est quantitative : « La première est écrite dans un grand livre qui se tient toujours ouvert devant nos yeux, mais on ne peut le comprendre si d'abord on ne s'applique à en comprendre la langue et à connaître les caractères avec lesquels il est écrit. Il est écrit dans la langue mathématique, et les caractères sont des triangles, des cercles et autres figures géométriques79. » Bien plus ces fameuses qualités dépendent de la quantité des mouvements invisibles de la matière elle-même que l'on peut calculer grâce à des indivisibles. Par une intuition géniale, Galilée relie la physique des atomes à la théorie
mathématique, franchissant de Démocrite à Einstein un fossé de 20 siècles. Comme l'admet Coumot : « grâce à Galilée on sait enfin que mettre sous le terme de « matière » dont on avait parlé si longtemps et que tant de philosophes du xvic siècle employaient encore à l'aventure. Et la notion de forme fit place dans la science à celle d'équilibre mathématique80. » Connu par ses études sur le mouvement, sur la chute des corps, par d'innombrables réflexions sur les problèmes philosophiques les plus divers, Galilée sera, pour la postérité, l'homme condamné par Rome pour avoir affirmé « que le soleil est le centre de l'Univers, qu'il ne se meut pas d'Orient en Occident, que la terre se meut et n'est pas le centre du monde » ce qui est contraire à l'Écriture et « insensé et absurde en philosophie ». On sait moins que le procès de Galilée n'a pas ému l'opinion de son époque, ni gêné la diffusion de ses idées. Mais l'histoire a besoin d'exemples et d'idées simples. La lutte de la science, de la liberté et de la vérité contre l'autorité et l'obscurantisme, voilà ce qui reste du procès de Galilée. Jles belles études de Koyré corrigent cette image81. Dans ce procès intenté par l'Église, elle était sur le plan des idées, défenderesse comme diraient les juristes. Au demandeur d'apporter les preuves. Car si Galilée avait raison comme la suite devait le montrer, il ne le prouvait pas ou plutôt les preuves qu'il avançait étaient fausses ou invérifiables. A cette époque la physique de Galilée : l'héliocentrisme, paraissait absurde par rapport au critère de vérité que constituait : « la raison naturelle », mélange de révélation, de doctrine, d'autorité des grands penseurs, et d'habitudes. Accepter de faire du soleil le centre du monde, c'était faire basculer tout l'Univers, traiter la Terre en planète parmi d'autres, bref renoncer à cette hiérarchie de la nature, principe d'ordre fondamental, or l'Église ne se situe pas sur le plan de la science mais sur celui des principes82.
Alors soyons justes et reconnaissons les risques courus par les juges. Ils devaient trancher, sans preuves suffisantes, un problème remettant en cause non seulement des connaissances, mais tout un équilibre : la conception du monde, la démarche de la pensée, sans parler du halo d'images sensibles mais aussi affectives : l'image du Cosmos, de la terre, l'idée que chacun en avait83. Comme l'écrit R. Lenoble, dans l'affaire Galilée : « Il s'agit non comme on le croit d'un simple épisode de la lutte de l'intelligence contre la bêtise, mais d'une « grande cause » parce qu'elle tendait à un drame de l'esprit... Si l'on comprend que les savants aient tout risqué pour les progrès de leur technique, il faut aussi comprendre que les hommes d'une autre formation et sur lesquels pesaient de lourdes responsabilités, n'aient pas osé tenter l'aventure... A trop simplifier le débat on perd jusqu'à la perception exacte de ce qui fut le premier acte de «la crise de conscience européenne84. [...] Deux époques se heurtent et non pas seulement des hommes ; voilà pourquoi ce procès allait prendre un jour la valeur d'un symbole85. » § 6. Bilan du développement de la pensée scientifique 53 1o Les obstacles aux progrès des sciences O Les sciences ne se développent pas dans un vide social. Si elles influencent les progrès de l'esprit humain et modifient par leurs conséquences techniques les civilisations, elles-mêmes naissent à un moment donné de l'histoire, elles utilisent les moyens d'expérience et de réflexion que leur offre leur époque et se heurtent comme nous l'avons dit aux obstacles philosophiques, religieux, politiques ou sociaux que celle-ci leur oppose. Certains s'étonnent que l'humanité ait mis si longtemps pour étudier la nature de façon scientifique. C'est que le véritable esprit scientifique consiste, on ne le répétera jamais assez, à poser « les bonnes questions ». Or les
Anciens étaient d'une part gênés par l'insuffisance de leurs moyens d'observation mais surtout par les obstacles « épistémologiques » liés au mode de pensée réaliste ou ontologique des aristotéliciens, en même temps qu'archaïque, magique ou mystique, mentalité qui, il faut bien le dire, empêchait justement de ressentir le besoin d'instruments précis. 54 a) L'insuffisance des moyens d'observation o Lorsqu'il s'agit des difficultés rencontrées par exemple au Moyen-Age, on invoque l'autorité de l'Église, mais il est d'autres éléments sans doute moins connus qui ont constitué des obstacles aussi considérables. Ce sont d'une part l'absence du calcul, car l'usage des chiffres arabes n'est pas généralisé, d'autre part l'absence d'instruments d'observation et de mesure86. En 1647 Mersenne faisant des expériences sur la chute des corps s'indigne de ne pouvoir mesurer avec précision les temps de chute, faute de synchronisation des pendules. Au Moyen Age chacun vit dans une exactitude très relative, même le commerçant qui pourtant calcule et mesure. En dehors du négoce soumis au chiffre, la véritable réflexion est d'ordre philosophique. Il faudra attendre Bacon, Descartes, Pascal, pour réhabiliter l'expérience scientifique et ce qu'elle implique d'humble rigueur. Malgré ces obstacles, le xviie siècle marque tout de même un progrès considérable. Galilée en est le symbole. Il est anti-magique et sans doute le premier à avoir cru que les formes étaient réalisées effectivement dans le monde. L'expérimentation est pour lui une question posée à la nature dans un langage mathématique et géométrique. Enfin il créé les premiers véritables instruments scientifiques compléments de ses recherches. 55 b) Les obstacles philosophiques et sociaux. Le primat de la théorie sur la pratique O Comme l'a dit P.M. Schuhl : « L'existence de l'esclavage [...] entraîne une hiérarchie particulière des valeurs provo- quant le mépris du travail manuel. L'idéal
du sage est la réflexion et la contemplation87. » Après l'abolition de l'esclavage, le travail, signe de la condamnation d'Adam, aura de la peine dans l'Europe chrétienne à se réhabiliter. Il faudra attendre Bacon pour que soit avancée l'idée de féconder l'une par l'autre la réflexion et la manipulation. 55-1 c) Le respect de la nature O Le goût de la recherche scientifique implique la volonté de mettre la « nature à la question », de la violer, pour finalement la modifier. Or le respect de la nature, œuvre de Dieu, rend suspecte toute intervention. Un exemple moins connu que la condamnation de Galilée, illustre cette affirmation, c'est l'invention des lunettes, ou plus exactement des lentilles dont l'usage fut condamné pendant plus de trois siècles. Une légende historique88 veut que les lunettes aient été découvertes vers 1285 par hasard, par un maître verrier âgé qui, vérifiant des disques de verre, s'aperçut qu'à travers eux les objets lui paraissaient aussi nets et distincts que dans sa jeunesse. Mais il se heurta à l'opposition des savants, toujours méfiants en ce qui concerne les illusions de la vue. Trois siècles plus tard, même opposition pour la lunette « instrument trompeur qui ne fait pas voir la vérité ». Galilée, qui préférait lire dans le livre de la nature, plutôt que dans ceux de ses maîtres, comprit dès 1609 l'intérêt de ce nouvel instrument qu'il perfectionna pour en faire cette « machine à défoncer le ciel », grâce à laquelle il révolutionna l'astronomie en découvrant : la Voie Lactée, le satellite de Jupiter, les phases de Vénus. Mais surtout il défonça le système de Ptolémée en reléguant l'humanité sur cette petite planète comme les autres : la Terre. « Comme vous ririez, écrivait Galilée à Kepler, si vous pouviez entendre les plus considérables philosophes de notre école, s'efforcer de supprimer du ciel les nouvelles planètes par des arguments logiques, comme si c'étaient des
paroles magiques... Cette sorte d'homme croit que la philosophie est un livre [...] et que la vérité doit se chercher non dans le monde ou dans la nature, mais par la comparaison des termes 89. » 56 d) La mentalité présdentifique O La Renaissance a marqué une réaction contre l'esprit scolastique et l'attitude réaliste et ontologique des aristotéliciens, mais ce siècle était dans l'ensemble peu scientifique. Bacon, pourtant novateur, fait figurer la magie dans la classification des sciences et Descartes dut lutter contre les Docteurs de la Sorbonne autant que contre les alchimistes. L'observation n'est plus celle de l'esprit curieux, elle devient scientifique et éloignera le physicien du philosophe pour le rapprocher de l'artisan et de l'ingénieur. Les instruments d'observation qui deviendront d'un usage courant seulement au xvtne siècle, se perfectionnent, facilitant la précision et la mesure. Les degrés de température se substituent au chaud et au froid. L'hypothèse se détache de l'imagination, de la fiction, ou même des postulats, pour devenir ce que Blanche appelle « l'hypothèse conjecture », liée à l'expérience qui prouvera sa vérité ou sa fausseté. Attitude qui entraîne une nouvelle façon de concevoir. Le raisonnement Aristote, lui, s'intéresse surtout à la cohérence formelle, à la déduction et à l'induction (généralisation à partir des faits). La science moderne se distingue non par un refus de l'une et l'autre, mais par sa façon d'utiliser ces deux formes de raisonnement. Elles ne se situent plus sur le plan de la pure logique, mais sont liées à l'expérience. L'induction des savants s'ajoute à celle des logiciens. Il ne s'agit plus simplement de généraliser une observation : je vois tomber cette pierre, donc toutes les pierres tombent, mais de trouver la formule de la chute des corps. Parallèlement à l'importance croissante accordée au contrôle de
l'expérience, se transforme la notion de probable ; pour les scolastiques, équivalent de prouvable : le résultat de leur argumentation. L'intérêt porté au calcul des probabilités (cf. Pascal, Montmort 1678-1719) signifie comme le dit Blanche « que le probable devient le possible, numériquement quantifié ». 57 2° Les progrès de l'esprit scientifique, a) Le rejet de l'autorité O C'est le plus frappant. Cette revendication d'indépendance vis-àvis des Anciens apparaissait déjà chez les novateurs du siècle précédent, mais à titre individuel. La majorité des savants cette fois la réclament. On peut même dire qu'elle va au-delà d'un simple besoin de liberté. Si l'on revendique celle-ci c'est parce que l'on croit en la raison, surtout parce que l'on croit au progrès et qu'on en prend les risques. Il y a sur le plan scientifique, dans ce xviie siècle, par ailleurs ordonné et rationnel, une sorte d'allégresse qui, au xvme siècle atteindra la société tout entière. Bacon écrivait déjà : « La vraie nature ne nous est pas donnée au principe de nos recherches, elle est à conquérir comme le terme final, mais toujours fuyant de la science. » La science n'est ni un acquis définitif, ni une initiation confidentielle à l'interprétation des textes sacrés. La vérité est une conquête et le savant n'est plus celui qui sait, mais celui qui cherche. Pour faire accepter cette idée, de nombreuses citations de l'époque insistent sur la continuité nécessaire avec le passé. « Il est bien facile et même nécessaire, écrit Mer-senne, de voir plus loin que nos devanciers, lorsque nous sommes montés sur leurs épaules90. » b) L'institutionnalisation. A la fois conscients des progrès accomplis et confiants dans leurs propres capacités pour en accomplir d'autres, les savants du xvrf siècle voient les mérites de la
science officiellement reconnus. Le groupe des «virtuosi» disciples de Bacon, obtient en 1662 le droit de constituer la « Royal society of London for improving natural knowledge». Colbert crée en 1666 l'Académie des Sciences dont Fontenelle sera nommé l'historiographe. 58 c) La notion d'expérience et de méthode expérimentale O Alors qu'au Moyen Age on distinguait la science, « l'intelligible en soi » et la technique, avec ses applications pratiques, l'expérimentation devient au xviie siècle la science elle-même. Il faut bien ici s'entendre : les savants ont toujours fait des expériences. Mais pour la science moderne, il ne suffit pas de constater des phénomènes ni même d'en organiser dans un laboratoire, ce n'est pas entre l'expérience spontanée et l'expérience provoquée que se situe la différence, mais dans une nouvelle attitude d'esprit. Il s'agit d'une façon d'interroger les faits, de raisonner sur les résultats, comme devait l'écrire C. Bernard, de concevoir les deux fonctions de l'expérimentation : la naissance de l'hypothèse et son contrôle. 59 d) La mathématisation O C'est sur ce point que se situe la vraie coupure entre le xvne siècle et le Moyen Age. En accord avec Aristote, les médiévaux distinguent les mathématiques concernant les choses idéales et la physique qui traitait des choses réelles. Galilée proclame : « Il faut mathématiser la nature. » L'Antiquité connaissait le poids, la longueur, parce qu'ils correspondent à nos sens. La masse et l'énergie ne se perçoivent pas. Pour mathématiser, encore fallait-il accepter l'identité de l'abstraction avec la réalité, se défaire de la croyance spontanée dans l'évidence et le sensible. « Le passage à la science moderne, écrit
Blanché91 suppose une vraie révolution mentale [...], la substitution à l'espace concret de la physique prégaliléenne, de l'espace abstrait, de la géométrie euclidienne. » Ceci implique le bouleversement de l'idée même de réalité et de celle d'objectivité. 60 e) La réalité et l'objectivité O La réalité, pour Platon, intelligible comme un reflet de « l'en-soi », devenait au Moyen Age, reflet de Dieu. Au xviie siècle la science se sépare de la métaphysique, le but de la connaissance se modifie. Le réel existe mais n'est plus l'affaire du savant. Comme l'écrit Mersenne : « Les concepts scientifiques, les fameux universaux de la scolastique, ne sont pas le réel mais ce qu'une époque donnée a pensé du réel. Si on les croit achevés, on bloque la recherche et ils deviennent alors les asiles de l'ignorance92. » La vérité scientifique va se définir par la possibilité d'organiser les faits dans un système de lois. 61 f) La notion de causalité O Elle exige une nouvelle définition. Se détachant de la métaphysique, elle devient le rapport constant qui unit deux phénomènes donnés empiriquement, sans rechercher d'où ils viennent. Ainsi se dissocient les deux composantes du réel : le donné concret immédiat, ce qui tombe sous nos sens et se trouve au point de départ de notre connaissance de la nature, et ce qui existe en dehors de la perception que nous en avons : le monde « objectif », but de la connaissance scientifique. « Entre le concret et l'objectif, il faut désormais choisir. Le réel du physicien ne peut plus être le même que celui du sens commun93. » § 7. Le XVIIIe siècle 62 1° La vulgarisation de la science O Sur le plan scientifique le xvme siècle est newtonien. Malgré quelques opposants : les philosophes Leibniz (1646-1716) et Berkeley (1685-1753), la science de l'époque se méfie des systèmes et cherche à
découvrir les lois des phénomènes. D'Alembert (1717-1783) dans son discours préliminaire de l'Encyclopédie parle de ces « conjectures frivoles qu'on honore du nom de système ». L'expérimentation triomphe. C'est au XIXe siècle qu'il appartiendra de remettre en question ce triomphe. Le xvnie siècle lui, semble plutôt se griser des succès de la science. Il fait des bilans et les premières histoires des sciences apparaissent. Les découvertes se multiplient dans tous les domaines. En mathématiques Ber-noulli (1654-1705) écrit le premier traité sur le calcul des probabilités (1713), d'Alembert (1717-1783) sur la systématisation de la mécanique. Euler (1707-1783) découvre les principes généraux du mouvement des fluides (1755). En physique et chimie, Fahrenheit (1686-1736) précise les règles pour la construction du thermomètre, Franklin (1706-1790) invente le paratonnene (1747), Pierre Leroy (1717-1785) le chronomètre de précision (1772), Priestley (1733-1804) découvre l'oxygène (1774). Les frères Montgolfîer réalisent la première ascension (1783), Lavoisier (1743-1794) écrit (1789) le premier traité élémentaire de chimie. En astronomie, W. Herschel (1738-1822) fondateur de l'astronomie moderne découvre Uranus (1781). Les sciences physiques ne sont pas seules à évoluer. Les progrès en sciences naturelles sont aussi importants. Cari von Linné (1707-1778), naturaliste suédois propose un code, une classification correspondant à l'ordre naturel « instauré par le Souverain créateur ». Le lien est maintenu entre Dieu et la nature mais celle-ci devient peu à peu, surtout à la fin du xvinc siècle, l'objet de la science seule. De la même façon, l'éthologie94 n'est plus constituée d'une suite d'anecdotes et devient une science rigoureuse.
Buffon (1701-1788) s'opposera à la classification linnéenne qu'il juge arbitraire et mal fondée. De la même façon il critiquera l'usage des mathématiques « appliquées à des objets encore mal connus ». Au-delà de ces oppositions, on observe cependant une attitude commune moderne : ne tenir pour vrai que ce qui peut être vérifié et une démarche semblable : la quête d'une explication globale de l'évolution de la nature et de la place des hommes dans leurs rapports avec elle. La découverte des mondes nouveaux qui fera progresser l'éthologie (cf. n° 172) jouera un rôle important « dans la transformation progressive de l'histoire naturelle en une sorte d'économie politique de la nature, prémice de l'écologie95 ». Galvani (1737-1798) poursuit ses expériences sur l'excitabilité des muscles des grenouilles et Wolff (1738-1794) est le précurseur de l'embryologie moderne. A côté de cette science fondée sur une méthode expérimentale rigoureuse et qui poursuit les conquêtes du xvne siècle, se multiplient des expériences que l'on peut qualifier de mondaines. Le xviie siècle se heurtait à l'alchimie, la vraie science est au xvme siècle victime de la vulgarisation et de la déformation de ses propres découvertes96. 63 2° Les obstacles au développement, a) La contre-pensée o Dans la formation de l'esprit scientifique, G. Bachelard affirme que c'est en termes d'obstacles qu'il faut poser le problème de la connaissance : « L'historien des sciences doit prendre les idées comme des faits. L'épisté-mologue doit prendre les faits comme des idées en les insérant dans un système de pensée. Un fait mal interprété par une époque, reste un fait pour l'historien. C'est au gré de l'épistémologue un obstacle, c'est une contre-pensée97. » Ces contre-pensées, ce sont les idées toutes faites, les préjugés, les fausses évidences : le soleil se lève, la terre est plate... et
pourquoi pas, aussi bien, les nègres sont paresseux et les femmes bavardes. 63-1 b) L'expérience première O Les sciences du xviif5 siècle font appel à l'expérience quotidienne. La pensée préscientifique est entrée dans le siècle comme une distraction, non comme une réflexion véritable. La facilité, le pittoresque, gages de succès, suppriment la recherche, le sens du problème. Tout homme cultivé s'intéresse à la science, surtout lorsqu'elle permet comme l'électricité, quantité d'expériences qui amusent les gens du monde : araignée électrique, baiser électrique, etc. L'aspect scientifique construit, réfléchi, de l'expérimentation, s'efface devant l'inusité, le sensationnel. 64 c) La connaissance générale O D'Aristote à Bacon la généralisation, l'induction sont considérées comme scientifiques. Or « ces lois générales définissent des mots plus que des choses ». Après avoir été attiré par le singulier (premier obstacle), l'esprit est tenté par l'universel (second obstacle). Ce sont, nous l'avons vu les deux aspects du concept : compréhension et extension. Mais si l'un et l'autre bloquent la pensée, d'où viendra le progrès ? « [...] la richesse d'un concept scientifique, écrit Bachelard, se mesure à sa puissance de déformation98. » La science ne trouve pas les objets tout faits, elle doit constamment rectifier, compliquer l'idée qu'elle se fait des choses. « Le physicien essaiera de compléter le phénomène, de réaliser certaines possibilités que l'étude mathématique a décelées [...] Ce qui retient son attention ce n'est plus le phénomène général, c'est le phénomène organique, hiérarchique, portant la marque d'une essence et d'une forme et en tant que tel perméable à la pensée mathématique99. » Toute généralisation hâtive détourne de la voie patiente de l'expérience. Bachelard donne l'exemple de concepts issus de ce genre de procédé. La coagulation qui amène à
la congélation et par des analogies, aboutit à des affirmations sans fondement sur l'identité du lait, du sang, de l'eau et même de la sève des arbres. De la même façon le concept de fermentation suggère celui de digestion et de mouvement... secouez donc les nourrissons après chaque têtée ! Enfin un seul mot sert d'explication à toute une série de phénomènes : c'est le cas de l'éponge qui donne lieu à des raisonnements étranges concernant l'air (Réaumur), l'électricité (Franklin), la terre, etc. Alors que dans la mentalité scientifique l'analogie peut servir à illustrer une théorie et intervient après, elle joue avant, on pourrait presque dire « à la place de », dans la mentalité préscientifique. La généralisation est souvent accompagnée d'un besoin d'unité : la nature ne peut être hostile. L'homme du xvme siècle l'aime plus qu'il ne cherche à la domestiquer. La concision, du langage scientifique ne s'est pas encore imposée et les commentaires littéraires survalorisent, les bons sentiments aidant, les soi-disant découvertes. Les livres accumulent une érudition non sélectionnée, foisonnant dans toutes les directions. « Toute pensée non scientifique, a écrit Bachelard, est une pensée surdéterminée100. » 65 d) Le substantialisme et l'animisme o Nous trouvons, dans l'importance accordée à l'aspect qualitatif des choses un héritage de l'alchimie. Le phénomène tel qu'il est perçu par nos sens est pris comme signe d'une propriété qui explique tout. Le feu électrique est substantiel, il est « glutineux, onctueux, tenace ». Cette accumulation d'adjectifs caractérise le procédé substantialiste dont Bachelard pense que l'explication se trouve dans l'inconscient. Ce procédé utilise le symbole ou l'image. La science moderne aussi invente des images parfois utiles, mais elles peuvent bloquer la réflexion : c'est ainsi que Fresnel a retardé la découverte de la relativité. La tendance à glorifier la vie, la vitalité, à privilégier les explications de type
biologique, constitue l'obstacle animiste. Le flux vital est une explication commode souvent utilisée, qui n'explique rien101. La vulgarisation, revers du succès de la science contre « l'obscurantisme », a permis l'extension d'une mentalité qui se croyait scientifique alors qu'elle accumulait des contre-pensées. Sans doute est-ce une des raisons du retard pris par la chimie. Les caractères de rigueur et de difficulté, propres à la physique, protégeaient mieux celle-ci contre les engouements dangereux. 66 Bibliographie o Alembert (d') 1821. - Œuvres, Bossange, tome 1. **Bachelard (G.) 1938. - La formation de l'esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance objective. J. Vrin, 10e éd., 1968, 181 p. Bacon (F.) 1943. - Œuvres du chancelier Bacon, trad. Hachette, 3 vol. Blanche (R.) 1949. - La méthode expérimentale et la philosophie physique, Colin, 384 p. Brunlt (P.) 1957. - « La Science dans l'Antiquité et le Moyen Age » in Histoire de la science. Cournot (A.) 1872. - Considérations sur la marche des idées et des événements dans les Temps modernes, Hachette, 2 t. 860 p. Descartes (R.). - Discours de la méthode. Alquié. Duhem (P.) 1906. - La théorie physique : son objet, sa structure, 2e éd., Marcel Rivière, 1914. - 1984. - Le système du monde, rééd. vol. II, IV, VI, Hermann, 528, 604, 752 p. Enriquez (F.) 1934. - Signification de l'histoire de la pensée sdentifique, Hermann, 68 p. Escat
(G.) 1968. - Bacon, P.U.F., 127 p. Evans-Prltchard (E.) - 1951, trad. (1969). Anthropologie sociale, Payot, 194 p. Histoire de la Science, 1957 sous la dir. de M. Daumas, Gallimard, Encyclopédie de la Pléiade. Husserl (E.) 1949. - La crise des Sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, trad. Études philosophiques n° 4. Impact. Science et Société. Unesco. *Koyre (A.). 1968. - Études newtoniennes, Gallimard, 353 p. 1966. - Études galiléennes, Herman, 343 p. 1973. - Études d'histoire de la pensée scientifique, Gallimard. 1973. - « De l'influence des conceptions philosophiques sur l'évolution des théories scientifiques » in Etudes d'Histoire de la Pensée scientifique, Gallimard, 415 p. **Lenoble (R.) 1957. - «Origines de la pensée scientifique moderne» dans Histoire de la science, pp. 378 et s. Mandrou (R.) 1973. - Histoire de la pensée européenne, 3. Des humanistes aux hommes de science, Seuil, 235 p. Monod 00 1970. - Le hasard et la nécessité, Seuil, 190 p. Mornet (D.) 1911. - Les sciences de la nature au xvnf siècle, Colin, 291 p. Pernoud (R.) 1977. Pour en finir avec le Moyen Age, Seuil, 152 p. Pirenne (H.). - Histoire de l'Europe. Rey (A.) 1942-1948. - La science dans l'Antiquité, 5 vol., coll. Évolution de l'Humanité, Albin Michel, 496, 539, 575, 315, 323 p. Ronchi (V.) 1959. - « Les influences sociales du progrès de l'optique » in Impact, vol. LX, n° 3,
pp. 142-158. Schuhl (P.M.) 1947. - Machinisme et philosophie, P.U.F., 132 p. - 1949. - La pensée de Bacon, P.U.F. Taton (R.) 1957. - Histoire générale des Sciences, P.U.F., 3 tomes. Ullmo (J.) 1964. - «Remarques sur l'Histoire conceptuelle et le Positivisme » dans l'Aventure de l'Esprit, Mélanges Koyré, t. II, Hermann, 618 p. Védrine (H.) 1970. - Les Philosophies de la Renaissance, P.U.F., 128 p. - 1976. - Censure et pouvoir. Trois procès: Savonarole, Bruno, Galilée, Mouton, 155 p. Vinci (L. de) 1953. - Léonard de Vinci et l'expérience scientifique au xvf siècle, en coll., C.N.R.S. et P.U.F., 276 p.
SECTION 3. LA SCIENCE DU XIXe SIÈCLE A NOS JOURS Retour à la table des matières § 1. Le XIXe siècle 67 Les oppositions théoriques O Après le triomphe de la méthode expérimentale au xviiie siècle, il appartient au XIXe siècle, avons-nous dit, de se poser à son sujet de nouvelles questions. L'ambiguïté de la notion de méthode : discipline intellectuelle ou ensemble de procédés techniques, prête à des conceptions différentes. Suivant que l'on insiste sur l'état d'esprit qu'anime l'expérimentation ou les règles qui la régissent, on adopte un point de vue différent sur les buts de la science, le rôle de l'hypothèse, celui des théories et la signification des lois.
Pour les uns, dit R. Blanche, il ne s'agit pas de comprendre mais seulement de connaître. « [...] l'aptitude à la prévision est le but dernier de la science, la possibilité de la vérification, son exigence première. Tout le reste est métaphysique ». Pour d'autres, plus fidèles à l'inspiration cartésienne, « le but dernier de la science est d'atteindre par-delà la prévision des phénomènes leur explication102. » Les deux courants sous des formes plus ou moins complexes ont partagé la pensée occidentale à travers l'histoire. Sur le plan philosophique, la première tendance s'appelle le positivisme, la deuxième rallie ce qui lui est opposé. Sur le plan scientifique, la première est liée à l'énergétique, la deuxième au mécanisme103. 68 Positivisme et scientisme, a) Auguste Comte (1798-1857) O C'est le plus illustre représentant du positivisme. D'après lui, le caractère fondamental de la philosophie positive est « de regarder tous les phénomènes comme assujettis à des lois naturelles invariables104 ». Il assigne un rôle restreint aux hypothèses qu'il distingue en deux classes : « Les unes jusqu'ici peu multipliées sont simplement relatives aux lois des phénomènes, les autres, ... concernant la détermination des agents généraux auxquels on rapporte les différents genres d'effets naturels... les premières sont seules admissibles ; les secondes, essentiellement chimériques ont un caractère antiscientifique et ne peuvent désormais qu'entraver radicalement le progrès réel de la physique bien loin de le favoriser. » Pour lui, « la vraie théorie relative à l'institution des hypothèses est que toute hypothèse scientifique, afin d'être réellement jugeable, doit exclusivement porter sur les lois des phénomènes et jamais sur leur mode de production ». E. Mach (1838-1916). Le positivisme allemand se développe dans une atmosphère très différente
de celle du positivisme français. Il s'oppose avant tout à la métaphysique allemande (Fichte, Schelling, Hegel) et surtout à Kant. E. Mach exerça une profonde influence en particulier sur Einstein jeune. Il déclare : « [...] nous devons limiter notre science physique à l'expression des faits observables, sans construire des hypothèses derrière ces faits [...]. On se tromperait en attendant des hypothèses plus d'éclaircissements que des faits eux-mêmes105 [...] ». 69 b) Le scientisme O Pour comprendre les excès des théoriciens, il faut tenir compte des éléments irrationnels qui les motivent, contre qui et contre quoi ils luttent. Renouvier a qualifié de « scientisme » la position des « ultra » de l'esprit scientifique, qui s'opposent à la religion et à tout ce qui de près ou de loin rappelle la métaphysique. Comme le note G. Bachelard : « Dès qu'une difficulté se révèle importante, on peut être sûr qu'en la tournant on butera sur un obstacle opposé. Une telle régularité dans la dialectique des erreurs ne peut naturellement venir du monde objectif. A notre avis, elle provient de l'attitude polémique de la pensée scientifique devant la cité savante106. » Pour abattre la religion, on crée le mythe de la science. Un nouveau dogmatisme est né, dogmatisme induc-tif, dont les certitudes fondamentales étaient situées au niveau de l'expérience au lieu de l'être à celui des principes. Le plus curieux, comme le remarque R. Blanche, « la réflexion théorique est en retard sur la science elle-même. Hume a mis en doute le fondement de la science expérimentale, lorsque celle-ci s'affirmait et c'est au moment où les certitudes de la science traditionnelle commencent à s'effriter avec les systèmes non euclidiens, à se fractionner avec l'électromagnétisme, que les scientistes dogmatisent et prophétisent la synthèse du savoir107 ». 70 L'opposition au dogmatisme positiviste, a) Le conventionalisme O Pour se défendre contre le
dogmatisme des scientistes, Poincaré (1854-1912), propose une conception de la théorie physique appelée « conventionalisme », car elle fait ressortir la part arbitraire que comportent les définitions scientifiques. Elle est aussi caractérisée par l'importance donnée à la notion de commodité. Cette notion retient l'efficacité des hypothèses comme critère pour les utiliser, d'où une grande souplesse dans leur adoption et abandon. A côté de la croyance qu'il manifeste dans la valeur de la science, fondée sur le caractère stable des relations entre objets, Poincaré témoigne d'un scepticisme rare vis-à-vis des objets scientifiques créés par le savant. Une théorie pour Poincaré, comporte des principes, définitions a priori, et des images substituées aux objets réels. « Les rapports véritables entre ces objets réels, sont la seule réalité que nous puissions atteindre, et la seule condition, c'est qu'il y ait les mêmes rapports entre ces objets qu'entre les images que nous sommes forcés de mettre à leur place108. » Marquant un progrès dans la lutte contre le dogmatisme, le conventionalisme, malgré sa souplesse, ne résistera pas à l'épreuve des théories de la relativité (cf. n° 83). Le nominalisme dont le principal représentant est E. Roy (1870-1954) peut être considéré à l'intérieur du conventionalisme comme un extrémisme. Il tend vers une philosophie de l'intuition et considère les constructions scientifiques non comme des reproductions du réel mais comme des inventions contingentes de l'esprit humain. 71 b) Causalisme et réalisme O A l'opposé des positivistes, une orientation cartésienne et causaliste réhabilite l'hypothèse et les démarches, même aventureuses, de l'esprit. Comme l'illustrent les citations cidessous, ces auteurs reconnaissent une réalité en dehors de nous et accordent à la science une vocation plus large.
W. Whewell (1794-1866) né en Grande-Bretagne écrit: « [...] Les faits sont connus, mais demeurent isolés et sans lien, jusqu'à ce qu'un esprit inventif fourrusse, de son propre fonds, un principe de connexion. Les perles sont là, mais elles ne forment pas un collier avant que quelqu'un n'apporte le fil109. » E. Meyerson (1859-1933) : «La loi joue certes un rôle immense dans la science, puisqu'elle permet la prévision et partant l'action. Mais elle ne contente pas l'esprit qui cherche au-delà d'elle une explication du phénomène110. » M. Planck (1858-1947) réclame pour la science une définition plus ambitieuse. « Le point essentiel, c'est que le monde de la sensation n'est pas le seul monde dont on puisse concevoir l'existence, mais qu'il y a encore un autre monde. » « [...] ce noble nom « science exacte » ne doit pas entraîner qui que ce soit à sousestimer la valeur de cet élément d'irrationalité111. » 72 Énergétique et mécanisme O Fidèle à l'idéal du positivisme, se développe sous le nom d'énergétique, une physique générale qui proteste contre le mécanisme traditionnel. Fondée par Rankine (1820-1872) en Angleterre, développée par Mach et Ostwald (1853-1922) en Allemagne, et Pierre Duhem (1861-1916) en France, l'énergétique veut « fonder une théorie physique d'où toute hypothèse sur la réalité fût exclue, qui ne se présentât pas comme une explication mais seulement comme une correspondance entre un formalisme mathématique et un ensemble de lois expérimentales112 ». Pour Duhem : « Une théorie physique n'est pas une explication, c'est un système de propositions mathématiques, déduites d'un petit nombre de principes qui ont pour but de représenter aussi simplement, aussi complètement et aussi exactement que possible, un ensemble de lois expérimentales [...]. L'accord avec l'expérience est pour une théorie
physique, l'unique critère de vérité113. » De même que l'énergétique se rattache à la philosophie positiviste, c'est au mécanisme plus traditionnel que se rattachent leurs opposants. Les progrès de la physique rabattront les prétentions des uns et des autres. Le succès de l'atomisme est une victoire des mécanistes, mais l'irruption de l'électro-magnétisme ne permet plus d'expliquer les phénomènes par le seul jeu de corpuscules matériels régis par des forces contradictoires. La physique de l'onde et du champ (Maxwell) se révèle irréductible à la mécanique. Une physique de la continuité (le relativisme) se juxtapose à la physique des éléments, ponctuelle et discontinuiste. L'opposition entre l'onde et le corpuscule est âprement discutée. Mais la dualité lumière-matière interviendra dans chacun des deux domaines, avec l'introduction par Einstein du proton dans l'onde lumineuse, et l'adjonction par L. de Broglie d'une onde aux corpuscules de matière. Avant d'aborder les problèmes du XXe siècle, résumons ce qu'au-delà de leurs oppositions, les savants ont apporté à la réflexion scientifique. 73 L'évolution des notions fondamentales, a) Le déterminisme O Les réflexions sur la causalité sont nées à la fois d'une exigence de la raison : expliquer, trouver des causes, et de l'observation et de la pratique : le feu brûle. L'évolution de l'animisme à la science, passe par l'explication en termes de causalité. Si l'origine de cette notion se perd dans la nuit des temps, celle du déterminisme en revanche, plus élaborée, est aussi plus récente. Elle apparaît vers 1820. Le monde étant souvent comparé à une machine, le déterminisme fut appliqué à l'Univers. Cette nouvelle définition permit une extension de la méthode scientifique. C'est ainsi qu'on ne la croyait pas applicable aux phénomènes de la vie du fait de leur caractère imprévisible114. C'est C. Bernard qui utilisant la méthode expérimentale en biologie la fit entrer dans le
domaine scientifique. A.-A. Coumot, un des premiers, mit en doute la portée universelle de la mécanique classique115. L'extrapolation n'était en effet pas sans danger. Comme le remarque J. Ullmo (1958)116 l'empire de la mécanique au XIXe siècle a amené une confusion entre le déterminisme dans le sens partiel et scientifique du postulat méthodologique : isoler un groupe de phénomènes pour en découvrir les lois, et le déterminisme universel, hypothèse métaphysique impliquant une prise de position totalitaire, étrangère à la science. Le premier postule la prévisibilité et s'oppose à une certaine conception métaphysique du hasard. La seconde nie notre intuition de liberté, en réduisant toute activité à des interactions mécaniques. Le déterminisme au sens strict, tel que l'avait formulé Laplace, implique la connaissance de toutes les conditions initiales et de toutes les interactions agissantes. Or il est impossible de connaître la totalité de celles qui interviennent dans l'Univers. De ce fait, comme le note F. Enriquez (1934)117, le déterminisme absolu ne devrait pas avoir de sens pour des positivistes qui déclarent tenir compte seulement de ce qui se mesure et se vérifie. Une extrapolation scientiste, non scientifique et une vulgarisation peu rigoureuse ont donc associé une hypothèse métaphysique : le déterminisme universel, à une attitude philosophique : le positivisme. Cette déformation peut sans doute s'expliquer une fois encore par la lutte antireligieuse, la volonté de nier l'existence de Dieu et la liberté de l'homme. Le vertige du savant découvrant les lois de la nature, peut aussi fournir une explication psychologique, à l'extrapolation abusive du particulier à l'universel. Malgré ses exagérations qui porteront la discussion sur un terrain qui n'est pas le sien, le déterminisme scientifique est à la fin du xrxe siècle, accepté par l'ensemble du monde des savants. 74 b) La loi O La découverte des lois de la
physique relève moins de la nature que du laboratoire et les faits observés sont de plus en plus soumis à des expériences éloignées de la réalité. De ce fait, la loi n'apparaît plus un décret de la Providence, mais une propriété de la nature. Cependant même sécularisée, elle garde de son origine théologique un caractère sacré, surtout, bien qu'ils ne s'en doutent pas, pour les scientistes. Alors qu'auparavant on pensait que l'imperfection de notre esprit compliquait les choses, on s'aperçoit que c'est nous qui simplifions les phénomènes. La nature est complexe et la loi n'est simple que grâce à notre esprit ! Elle n'est jamais qu'un moyen, une régularité statistique comme le dit J. UUmo (1958), et sa définition pourrait être acceptée par les savants de toutes tendances. « Il est ainsi bien clair que les lois sont tirées des phénomènes, que c'est une expression vicieuse que de dire : les faits sont soumis à des lois, qu'il faut lire : les faits comportent des lois. » Par cette relation répétable, le savant cherche à construire des objets scientifiques. La loi d'Ohm par la notion de résistance électrique, transforme un simple fil métallique en un objet scientifique. Cet objet n'est pas concret au sens du perçu par nos sens, il est sur le plan scientifique « construit par notre jugement118 ». La formule de Wundt résume toute cette évolution de la notion de loi. « Au xvnie siècle c'est Dieu qui établit les lois de la nature ; au xvme siècle c'est la nature elle-même, au xixe siècle ce sont les savants qui s'en chargent119. » 75 c) La vérité O Le xixe siècle évolue vers une relativisation générale des conceptions scientifiques. En même temps que la notion de loi, celle de vérité va se transformer, s'assouplir.
Tant que le sujet (l'esprit), et l'objet, (le réel) étaient séparés, la notion d'une vérité absolue et préexistante paraissait indispensable pour garantir la validité de leur rencontre, leur adéquation. A partir du moment où l'effort de la connaissance a pour but de distinguer sujet et objet, la vérité devient relative, elle est fonction du succès de la conquête du monde et de la pensée. « La vérité qui est accord, s'est monnayée en vérité, vérification qui est accord avec l'objet, et vérité consistante qui est accord du sujet avec soi-même.120 » En conclusion, empruntons à R. Blanche son jugement sur l'évolution de l'épistémologie au xlx6 siècle : « Celle-ci n'est pas sceptique, elle est antidogmatique, ou si l'on préfère une qualification moins négative, elle est relativiste. La vérité ne réside pas dans tel ou tel énoncé isolé, dont la somme ferait la vérité totale ; elle est dans le système, dont chaque élément n'a de vérité et même de sens que par sa relation à l'ensemble121. » § 2. Le xxe siècle 76 L'empirisme logique o Les oppositions se poursuivent sur le plan philosophique entre la tendance scientiste et la réaction qu'elle suscite : berg-sonisme, etc. Sur le plan de l'épistémologie des sciences, l'orientation la plus nouvelle et la plus intéressante est celle de l'empirisme logique. C'est un courant philosophique dont les manifestations principales furent l'atomisme logique122 en Grande-Bretagne, le néo-positivisme ou positivisme logique, issu du cercle de Vienne et la philosophie logique contemporaine, son prolongement aux États-Unis. Participant de la philosophie et des sciences, ces trois tendances présentent des caractéristiques communes : méfiance à l'égard de la métaphysique et du subjectivisme et, ce qui fait leur originalité, attachement à la fois à l'expérience sensible et à la logique.
Comme le note L. Vax (1970), les véritables sources de l'empirisme logique sont l'empirisme anglo-saxon et la logique formelle moderne. « Empiriste plutôt qu'empirique, cette philosophie est au contraire un discours très abstrait sur une science elle-même abstraite, encore que fondée sur l'observation123. » 76-1 a) L'atomisme logique o B. Russell (1871-1970) en est le plus illustre représentant. Malgré des modifications d'étiquettes et des nuances dans les théories, l'essentiel de l'empirisme logique demeure l'accord sur la séparation entre le factuel et la logique, le cognitif et l'émotif. Il semble que leurs contemporains aient à tort vu dans Wittgenstein (1889-1951) un disciple de Russell et fort mal interprété le Tractatus (1918)124. Le caractère original de l'auteur ne facilitait pas la compréhension de son œuvre. E. Mach et les premiers néo-positivistes croyaient à une coreespondance entre une théorie et la série de sensations ou d'observations qui lui donnent une « signification physique ». Pour Wittgenstein au contraire, toute axiomatique demeure probabilité. La théorie ne peut dérïnir qu'un ensemble formel et les relations logiques ne sont vraies qu'à l'intérieur d'une symbolique. En fait Wittgenstein était un philosophe qui cherchait non à déterminer les bases de la connaissance mais la nature et les limites du langage et sur ce point encore il s'opposait aux positivistes. «Le positivisme soutient - et c'est son essence même - que nous pouvons parler de tout ce qui importe dans la vie. Tandis que Wittgenstein est passionnément convaincu que « tout ce qui importe dans la vie est précisément ce qu'il faut taire »125. Le Tractatus était une tentative pour séparer le domaine de la raison de celui de l'imagination, comme l'auteur estimait devoir séparer les faits des valeurs et s'opposait aux tendances
techniques et à l'empirisme logique des universitaires américains de 1950, héritiers du Cercle de Vienne. 77 b) Néo-positivisme ou positivisme126 O Cette tendance regroupe autour de la revue Erkenntis, fondée en 1940 par H. Reichenbach, Carnap, Hempel, d'autres savants qui forment ce qu'on appelait le groupe de Vienne127. Après l'Anschluss, la plupart d'entre eux émigrent aux Etats-Unis où leur influence est encore grande128, à l'inverse de la France, plongée dans la querelle entre bergsonisme et existentialisme. L'apport de l'école de Vienne, c'est l'importance accordée dans la théorie de la connaissance à la logique sous sa forme moderne, c'est-à-dire proche des mathématiques. La logistique fait elle aussi usage de symboles donnant lieu à un calcul, permettant de tirer les conséquences vraies d'un système de propositions. Les logiciens distinguent l'apport de l'expérience, qui fournit un contenu à la pensée et l'exercice de la pensée, de nature tauto- logique. On en revient à la logique formelle, à la syntaxe indépendante du contenu objectif. Pour les positivistes, la loi est l'œuvre du savant qui l'invente. « Elle n'appartient pas à la nature des choses, mais au langage des hommes129. » De ce fait, elle ne correspond pas à un ordre sacré ou immuable et la philosophie n'est qu'un « exercice intellectuel de recherche de la vérité130 ». Ceci facilite le changement de point de vue, en fonction de cet élément essentiel pour les positivistes : la vérification. Il ne s'agit pas de la validité des techriiques d'observation, préoccupation du savant qui expérimente, mais de façon de. formuler les propositions, souci du philosophe intéressé par la structure du langage scientifique. Comme l'énonce Scblick131 : la signification d'une proposition réside dans sa méthode de vérification. Lorsque les positivistes déclarent que telle proposition n'a pas de sens, cela ne signifie pas, comme le croient ceux qui en sont choqués, qu'elle est absurde, mais simplement qu'elle échappe à la vérification
scientifique. 78 c) La philosophie logique O La philosophie américaine issue du courant de Vienne revient indirectement à la métaphysjque et soulève en d'autres termes les vieux problèmes de la scolastique. Écartant le réalisme (les idées ont une existence indépendante des objets dans lesquels elles s'incarnent, l'idée de l'homme existe comme modèle éternel), le conceptualisme (les idées sont conçues par nous sans expérience des objets), les logiciens sont nominalistes. Comme leurs inspirateurs anglais, c'est d'un nominalisme linguistique plutôt qu'ontologique qu'il s'agit. On renonce à considérer la nature des choses, on s'intéresse au sens des mots. Les empiristes logiques refusent non seulement la notion « d'essence » chargée de métaphysique mais même celle plus couramment acceptée de « signification » qui pour eux n'en est qu'un succédané. Ils ne retiennent que celle de langage. Alors que la plupart des philosophes étaient jusque-là, comme Bacon, frappés du fait qu'il y avait plus de choses dans la réalité que dans leur philosophie, les logiciens austères et scrupuleux répondent comme Nelson Goodman « qu'ils sont avant tout soucieux de ne pas inclure dans' leur philosophie, des choses qui n'existeraient ni dans le ciel ni sur la tene132 ». 79 La réticence des Français O Bien que leur premier congrès ait eu lieu à Paris en 1935, les néo-positivistes eurent peu de succès en France. Leur pensée heurtait la vieille tradition rationaliste hostile à la logique, de la philosophie française. Curieusement, on constate que les philosophes qui reconnaissaient la valeur du sensible (Aristote, Saint-Thomas) admettaient également celle de la logique, alors que les rationalistes (Descartes, Brunschwig) la méprisaient comme une simple
technique, fastidieuse par rapport à la noble intuition intellectuelle. Mais si le subjectivisme de l'intuition rend le rationalisme suspect, la logique amène aussi à douter de la pensée, à se méfier de la raison, dans la mesure où sa production échappe à la vérification. Comme le note L. Vax : « La philosophie de jadis prétendait imposer à l'homme des règles de connaissance et de conduite ; celle d'aujourd'hui se contente souvent de décrire l'expérience vécue. Le passage de la phénoménologie transcendantale, qui voulait fonder la connaissance, à la phénoménologie existentielle, qui décrit l'expérience vécue du vulgaire, en est un témoignage frappant133. » Plus grave était la volonté des néo-positivistes de limiter la philosophie au plan linguistique. Pour eux, la science s'occupe des choses, la philosophie, du langage qui en parle. On a comparé son rôle à celui des cours de cassation qui ne jugent pas des faits mais des jugements. Enfin dernier grief contre les néo-positivistes, en renouant avec l'ancienne tradition des philosophes-savants, ils heurtaient en France la regrettable et sacro-sainte séparation entre les Sciences et les Lettres. 80 Bilan de l'empirisme logique O On doit retenir à l'actif de l'empirisme logique : d'abord la dénonciation des faux problèmes, une grande rigueur scientifique alliée à beaucoup de souplesse due à la conception de la vérité comme recherche, non comme absolu, ensuite la remise à l'honneur d'une logique formalisée, symbolique, proche des mathématiques modernes, qui elles-mêmes échappent à l'intuition sensible et rendent possible la solution de problèmes nouveaux. Mais on peut reprocher au néo-positivisme la prétention de détenir des critères pour juger a priori de
la légitimité d'une recherche. Négliger ce qui n'est pas vérifiable sous prétexte de chasser la métaphysique, c'est courir le risque de se priver de découvertes. La logique fournit des preuves mais elle ne découvre rien, or la science a besoin d'imagination, d'invention autant que de rigueur. Par refus d'admettre des objets « réels », Ostwald, Duhem et Mach ont été passionnément anti-atomistes. Enfin dernière critique : l'empirisme logique trouve ses meilleurs arguments dans le domaine de la logique et aurait dû s'en tenir là. Dans la mesure où il se prétend une philosophie, on doit constater les faiblesses de sa théorie de la connaissance et son incapacité à la compléter par une théorie de l'action. L'exigence de rigueur propre aux néopositivistes les empêche plus que d'autres de camoufler leurs lacunes sur le plan des valeurs. 81 Io La première révolution : la théorie de la relativité o La méthode expérimentale marque l'accord de la raison de l'homme avec la nature. Par sa pensée, aidé d'instruments construits pour l'observation, le savant découvre les règles du monde qui l'environne. Le xxe siècle va ébranler plus encore que le XIXe siècle ces certitudes raisonnables. La mécanique relativiste remet en question ce qui paraissait évident, nos certitudes : l'espace et le temps. Elle détruit la notion ancienne de simultanéité, pseudo-idée non susceptible d'être traduite en terme d'expérience. Rappelons rapidement l'expérience du train décrite par Einstein pour montrer que la simultanéité n'est pas absolue mais dépend du système de référence spatial dans lequel on se place : la voie ou le train. J. Ullmo résume l'expérience de la façon suivante134 : si A' et B' dans le train coïncident avec A et B sur la voie, il est impossible d'émettre des signaux lumineux
en A et B tels qu'ils atteignent en coïncidence le milieu O de AB sur la voie et aussi le milieu M de A'B' dans le train puisque M et O qui coïncident au départ des signaux se seront écartés pendant leur trajet et ne coïncideront plus à leur arrivée... Il est impossible que deux événements distants soient à la fois simultanés pour le système de référence « voie » et pour le système « train ». En bousculant l'espace et le temps, Einstein atteignait cette zone métaphysique, la plus obscure de la matière, qui se trouve à l'intersection des propriétés spatiales et des propriétés temporelles. Pour révolutionnaire qu'ait paru la théorie relativiste, du moins n'atteignait-elle que les formes de l'intuition sensible, l'aspect le plus superficiel de notre raison. Il en ira autrement de ce qui fut une véritable révolution, l'ébranlement des fondements mêmes de l'esprit humain : la mécanique quantique. Cette fois l'essentiel est remis en cause : principes d'identité, de contradiction, de déterminisme, notions de cause et de substance. 82 2° La seconde révolution : la mécanique quantique. a) Les quanta O Max Planck découvrit en 1900 qu'au niveau microphysique, les échanges d'énergie ne sont pas continus mais discontinus, par quanta. Comme dans un mouvement de foule c'est l'effet de masse qui donne une apparence de continuité. Les corpuscules de la mécanique quantique ne peuvent être localisés exactement avec certitude. Pour Niels Bohr (1885-1962) l'atome fonctionne « hors du temps », succession discontinue de transitions instantanées, le saut quantique d'un électron ne comporte pas de trajectoire et s'accomplit « hors de l'espace ». Tous les caractères de l'espace-temps de la science classique et de nos intuitions les plus évidentes sont niées, mais il y a plus : à partir d'un certain degré de petitesse, on ne peut distinguer, donc mesurer, ni supprimer l'action de l'observation sur le phénomène observé. Pour
situer un électron il faut l'éclairer par un photon mais ceci modifie la place de l'électron et la fréquence du photon. On ne peut plus considérer le phénomène comme objectif au sens habituel du terme, c'est-à-dire indépendant des conditions dans lesquelles il a été observé135. 83 b) Les inégalités d'Heisenberg o A cette « subjectivité » de la microphysique, s'ajoute l’indétermination, relation d'incertitude qu'expriment les inégalités d'Heisenberg (1901). On peut les résumer dans l'impossibilité de prévoir l'évolution d'un phénomène, faute de pouvoir déterminer la place et la vitesse d'un électron dans un atome. Simultanément les deux facteurs éventuels, l'énergie et la durée, la figure et le mouvement, par lesquels Descartes voulait expliquer les phénomènes naturels, se dissocient. Cette incertitude ne provient pas des limites de notre esprit, elle est dans la nature elle-même. «L'évolution de l'onde entre deux mesures, écrit L. de Broglie (1953), est entièrement déterminée par sa forme initiale et par l'équation de propagation : elle obéit par suite à un déterminisme rigoureux mais il n'en résulte nullement un déterminisme rigoureux des phénomènes observables et mesurables, parce que l'onde ne représente que la probabilité de ces phénomènes. Et c'est parce que cette probabilité sera bouleversée quand nous ferons une mesure, laquelle perturbera de manière imprévisible le phénomène observé, que l'évolution de l'onde n'est déterminée qu'entre deux mesures136. » On n'ose plus parler d'observation pour ce qui en fait ne s'observe pas. Habituellement, une observation continue est le moyen employé pour s'assurer de l'identité d'une entité imprécise. En microphysique cette possibilité nous est refusée. « Les observations y sont des événements discrets, séparés par des intervalles que nous pouvons bien resserrer, mais non abolir. C'est
pourquoi quand on s'interroge sur l'être du corpuscule, il faut bien distinguer deux cas : sa réalité au moment d'une observation137, sa réalité entre deux observations.138 » Mais entre les deux que se passe-t-il ? Ce stade, note Heisenberg, ne peut se décrire à l'aide des concepts classiques ; il n'existe aucune description de ce que devient le système dans l'intervalle entre l'observation initiale et la mesure suivante... la seule chose que l'on puisse donner comme une description, c'est une fonction de probabilité. L'on s'aperçoit donc que même la qualité d'exister (si l'on peut appeler cela une « qualité ») est refusée à ce que l'on décrit. « Il s'agit d'une possibilité d'exister ou d'une tendance à exister139. » Ainsi s'évanouit la notion de substance et avec elle disparaissent les principes d'identité et la notion de causalité. Le corpuscule n'est pas quelque chose pourvu de qualités concrètes, doté d'une forme, d'une certaine vitesse et d'un volume occupant une position dans l'espace etc., c'est une structure mathématique, un état virtuel, une probabilité d'existence. On assiste avec la mécanique quantique à ce que Mach appelle une « désubstantialisation de l'univers physique ». En chimie également l'objet se mathématise, la preuve expérimentale se rapproche de la preuve mathématique : « La substance chimique n'est que l'ombre d'un nombre140. » Il y a plus, la liaison entre l'aspect dynamique et l'aspect spatiotemporel du phénomène microphysique implique la complémentarité des explications ondulatoires ou corpusculaires que l'on peut en donner. N. Bohr a remarqué que cette relation d'incertitude était placée à la frontière commune des deux intuitions fondamentales : corpusculaires et ondulatoires. Le déterminisme classique est solidaire d'une
conception de la matière liée aux notions de chose et de mouvement. Et R. Blanche (1969) de conclure : « Au lieu d'avoir comme jadis le déterminisme de l'événement, nous avons maintenant le déterminisme de la probabilité de l'événement. » Cette notion de complémentarité « ondecorpuscule » achève donc le travail de démolition du déterminisme et la causalité si efficacement commencé. Comment une même substance peut-elle s'étendre dans l'espace comme une onde et se localiser en un point comme un corpuscule ? La comparaison de Bachelard : « L'onde est un tableau de jeux, le corpuscule est une chance », incite au rêve plus qu'à la précision. Au rêve, au fantastique... disons plutôt à l'abstraction, car « l'imagination ne suit pas la pente mathématique141 », et le corpuscule et l'onde ne sont pas des choses liées par des mécanismes. Leur association est d'abord mathématique... on doit les comprendre comme « des moments de la mathématisation de l'expérience142 ». Ce passage dans le monde de l'inimaginable renforce la position de ceux pour lesquels une saine théorie physique n'est rien de plus qu'une « architecture de relations mathématiques ». Du même coup sera modifié l'équilibre entre la raison et l'expérience dans la méthode expérimentale. Einstein déclare : « L'expérience peut bien entendu nous guider dans notre choix des concepts mathématiques à utiliser mais il n'est pas possible qu'elle soit la source d'où ils découlent143. » 84 c) L'école de Copenhague et l'école de Paris O En présence de problèmes aussi complexes et graves nous retrouvons les deux attitudes d'esprit habituelles : l'école de Copenhague représentée par N. Bohr et W. Heisenberg, de tendance phénoméniste et probabiliste, regroupe les savants qui veulent jouer le jeu du modernisme, quitte à reconstruire la physique
sur des bases nouvelles, en rectifiant les concepts pour les adapter aux besoins actuels. La tendance de ce qu'on a appelé l'École de Paris (L. de Broglie) représente le vieux courant cartésien, avec son exigence d'intelligibilité. Plus prudente, elle considère ne pas devoir renoncer aux catégories fondamentales de la pensée sous prétexte d'une suprématie, sans doute provisoire, des interprétations probabilistes. L. de Broglie se demande si ce n'est pas plutôt vers un retour à la clarté des représentations spatio-temporelles qu'il faudrait s'orienter. Le changement ne fut pas celui qu'il prévoyait. 84-1 La révolution morphologique O Depuis plusieurs décennies, la science moderne délaissant notre monde s'est engagée dans la découverte de rinfiniment grand et de l'infiniment petit. A cette image d'une science à la fois envahissante (technoscience) et lointaine, se substitue avec de plus en plus d'importance une nouvelle figure du savoir, ce que les philosophes des sciences appellent " un changement de paradigme144 ". Les promoteurs sont des savants non conformistes qui, délaissant les quarks, les neutrons et autres éléments imaginaires de la physique atomique, se penchent sur le monde où nous vivons. Le monde est celui des formes qui nous entourent, monde qui n'est pas susceptible d'une analyse limitée « par le fait même que la forme est précisément la libre diversité145 ». La relativité a éliminé l'illusion newtonienne d'un espace et d'un temps absolus, la théorie quantique a supprimé le rêve newtonien d'un processus de mesure contrôlable, le chaos, lui, élimine l'utopie lapla-cienne d'une prédictibilité déterministe [...]. L'expérience quotidienne et les images réelles du monde sont devenues des objets d'étude légitimes »146. Légitimes même si non quantifiables et que, pour cette raison, la physique classique ne se risquait pas à aborder. Alain Boutot insiste sur les limites des modèles
physiques « impuissants à formaliser les discontinuités empiriques classiques parce qu'ils font intervenir des fonctions régulières qui sont par nature continues alors que le monde des formes est discontinu. « L'impuissance de la physique à aborder les faits de forme tient en partie à l'inadaptation de l'outil mathématique, mais surtout au caractère presque insaisissable des phénomènes à considérer147 : volutes de fumée d'une cigarette, tourbillons de l'eau d'un torrent, chute d'une feuille. La forme est une notion fondamentalement qualitative. Voilà remis en cause les efforts des sciences sociales pour se quantifier en poursuivant un modèle de la science déjà contesté sinon périmé. Pourtant les notions de gestalt, d'ordre, indiquent déjà une orientation plus proche des aspects les plus récents de la science. a) La théorie des catastrophes. Le terme de catastrophe est certainement en partie responsable de la notoriété de la théorie, au moins hors du cercle des mathématiciens148. Il ne s'agit pas de catastrophe au sens courant du terme : élément imprévu et bouleversant, mais d'une signification mathématique précise. « Il y a catastrophe lorsqu'une variation continue des causes entraîne une variation discontinue des effets149. » D'après R. Thom, « il y a catastrophe dès qu'il y a discontinuité phénoménologique »150, ce qui implique le nonrespect du principe suivant lequel : «l'effet ne peut être supérieur à la cause». Thom distingue les points réguliers : zones de continuité et les points catastrophiques, ceux dans lesquels les propriétés qualitatives du support présentent une discontinuité. Cette distinction permet d'analyser toutes les morphologies de l'univers quotidien : le passage du noir de l'écriture au blanc de la feuille représente un point catastrophique comme le gris du nuage au bord découpé sur un ciel blanc. Le support de la morphologie peut être plus complexe : en acoustique l'espace substrat de la morphologie
est l'espace fonctionnel de dimension infinie qui décrit les vibrations de l'air. Sont également concernées les formes les plus abstraites telles que les catégories du langage ou même de la pensée. La théorie des fractales. Due au mathématicien Benoîst Mandel-brot151, cette théorie ne propose pas l'étude des formes en général mais seulement celles dites « fractales ». Ce néologisme formé par Mandelbrot en 1975 à partir du latin fractus (du verbe franqere : casser) s'applique à ce qui est irrégulier, brisé, caractérisé par une complexité intrinsèque. Pour Mandelbrot, il s'agit d'une nouvelle discipline à part entière et plus révolutionnaire que la première géométrie non euclidienne152, laquelle conserve les catégories fondamentales implicites de ligne, surface et contestées par la théorie des fractales. La théorie des structures dissipatives. Cette théorie s'intéresse « aux phénomènes d'autoorganisation dont peuvent être le siège, dans certains cas et sous certaines conditions, des populations composées d'individus a priori identiques (molécules en chimie, cellules en biologie, agents économiques, habitants d'une ville) »153. L'auteur de cette théorie Ilya Prigogine154 n'est pas un mathématicien mais un physicien chimiste intéressé par les phénomènes en rapport avec le temps (histoire, musique) et la thermodynamique. Les phénomènes d'autoorganisation155 sont connus depuis longtemps mais de façon fragmentaire. Prigogine a unifié les diverses expériences et en tire une théorie applicable à une grande variété de systèmes macroscopiques, en particulier aux « brisures de symétrie » qui rompent la stabilité de l'équilibre thermodynamique du système dans lequel elles apparaissent. d) La théorie du chaos. Cette théorie doit son nom au mathématicien américain James York qui aurait en 1875 qualifié
un régime de chaotique156, donnant au terme une signification et un statut mathématiques précis. La théorie du chaos intéresse surtout le domaine des formes irrégulières ou « chaotiques » et fait appel comme la théorie des catastrophes aux principes mathématiques des systèmes dynamiques. Comme toute nouveauté « dérangeante », la théorie du chaos a été mal accueillie par les scientifiques, sous le prétexte que ces systèmes ne pouvaient décrire aucun processus physique réel. Grâce au succès des expériences de David Ruelle (1971) sur la turbulence en hydrodynamique157 une véritable mode a succédé à la méfiance158. La turbulence, facile à observer dans les remous d'un fleuve, constitue un des problèmes les plus difficiles de la physique159. Lev Landau160 est un des premiers a avoir tenté en 1914 une théorie du phénomène. Celle-ci fut acceptée jusqu'en 1971, date à laquelle deux physiciens théoriciens : David Ruelle et Horis Takens, la contestèrent pour proposer une analyse fondée sur la notion à'attracteur étrange. Il s'agit là non d'objets euclidiens (repérables par des lignes, surfaces, volumes) mais d'êtres « frac-tals » encore mal connus, et impossibles à préciser de façon géométrique. David Ruelle dans son ouvrage : Hasard et chaos (1991), raconte avec humour les avatars de sa découverte et profite de l'occasion pour dénoncer l'état d'esprit de certains savants, l'ambiance régnant dans le milieu de la recherche scientifique et les difficultés rencontrées pour faire paraître un article non conformiste161. Les théories morphologiques que nous venons de citer sont très différentes les unes des autres. Cette diversité, reflet de la variété des formes n'entraîne entre elles aucune opposition mais plutôt une complémentarité. Le plus important c'est qu'au-delà de leurs différences, ces théories présentent des caractéristiques communes, en particulier toutes partagent vis-à-
vis de la science une attitude nouvelle que l'on peut qualifier de phénoménologique. C'est d'abord l'opposition au réductionnisme. L'approche réductionniste consiste à déduire les phénomènes d'autres facteurs que d'eux-mêmes. On bute alors sur l'insoluble problème de la causalité... Les théories morphologiques ne cherchent pas à déduire les phénomènes de processus autres mais les envisagent « comme des réalités autonomes, indépendantes de la nature des forces qui leur ont donné naissance»162. C'est reconnaître à la fois l'indépendance de la forme par rapport au substrat et admettre que si la matière a ses lois, les formes obéissent à d'autres règles précises163. Cette indépendance est la conséquence de la neutralité ontologique des théories de la forme qui n'ont pas à connaître la nature du substrat des formes qu'elles étudient et ne sont donc pas influencées par les progrès de la physique164. Autre trait fondamental qui caractérise la méthodologie des théories morphologiques : le holisme165. Les formes sont perçues comme des entités non seulement indépendantes mais aussi « globales » : totalités irréductibles à la somme de leurs parties 166. Enfin dernier point commun : toutes ces théories sont classificatoires • car leur première tâche consiste à « recenser les forces mathématiques élémentaires qui vont entrer dans la composition de toutes les autres167 ». Ces traits particuliers aux théories morphologiques auraient pu leur faire reconnaître le statut de branche particulière de la physique et les confin-rer à l'étude des formes. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit mais d'une visée plus ambitieuse : la remise en cause d'une tradition scientifique dont la science moderne, qualifiée à juste titre de techno-science, est aujourd'hui l'aboutissement. L'opposition à l'actuelle conception de la science est ce qui caractérise les théories morphologiques. Le lien entre la science et la
technique a toujours existé mais la technique est devenue le moteur essentiel du progrès scientifique et tend de plus en plus à finaliser la recherche. Ce que les scientifiques ont surtout reproché aux théories morphologiques c'est de n'aboutir à aucune application pratique, de s'inspirer d'un vitalisme dont la science a eu beaucoup de peine à se dégager, enfin de renouer avec la philosophie, qui, elle aussi, l'a si longtemps dominée. A ces critiques il est facile de répondre par un reproche plus grave : celui de la perversion de la science. Son objectif aujourd'hui n'est plus de connaître le réel, le monde, mais d'agir sur lui. « La science, dit Thom, a oublié sa vocation première [...] qui était de faire comprendre la réalité. » Au désir de connaissance, s'est substituée la volonté de puissance, il ne s'agit plus de comprendre le monde mais de le dominer. D'après A. Bou-trot, la théorie morphologique correspond non seulement à une science plus proche, plus spéculative, plus rationnelle et pour tout dire plus « spirituelle » et néanmoins « terrestre ». « Et qui sait même si l'émergence de ces théories, en contraste avec le matérialisme de l'époque ne serait pas le signe avant-coureur d'une renaissance de l'esprit, d'un retour du souffle de la raison sur le devant de la scène du monde168 ? », se demande-t-il. 85 Réalisme et rationalisme au XXe siècle : l'épistémologie concordataire O En dehors du courant morphologique, deux attitudes fondamentales intitulées de façon classique et peu satisfaisante : rationalisme et réalisme, continuent à s'opposer, mais avec moins de virulence. On s'est orienté vers la position de G. Bachelard que G. Canguilhem (1957) intitulait « épistémologie concordataire » c'est-à-dire établissant un compromis. A l'heure actuelle : « toute pensée scientifique s'interprète à la fois dans le langage réaliste et dans le langage rationaliste169 ». Pour le savant, l'Être n'est saisi en bloc, ni par l'expérience, ni par la
raison. « Il faut donc que l'épistémologie rende compte de la synthèse plus ou moins mobile de la raison et de l'expérience. [...] Ce n'est pas seulement l'induction baconienne qui est ainsi bouleversée mais toutes les étapes de la méthode expérimentale. On ne sélectionne plus dès le stade de l'observation, en fonction d'une hypothèse plus ou moins précise. La science moderne va au-delà. La nécessité de l'expérience est saisie par la théorie avant d'être découverte par l'observation... D'ailleurs l'instrument de mesure est toujours lié à une théorie. Innovations douloureuses. Les savants du XXe siècle ont dû singulièrement modifier leurs façons de penser et de raisonner en relativement peu de temps, tandis que leurs contemporains continuent à vivre dans un monde où le feu brûle, la lumière onde ou corpuscule, éclaire, et une voiture, masse ou énergie, s'écrase parfois contre un arbre. Les instruments intellectuels efficaces pour notre vie quotidienne ne le sont plus lorsque l'on passe à un autre ordre de grandeur. L'histoire des sciences, cette longue conquête de la vérité paraît la plus passionnante des aventures. En reste-t-il au moins une vibration dans ce rapide survol de notions difficiles ? Les lecteurs impatients (du moins nous l'espérons) de s'initier aux sciences sociales, ne vont-ils pas escamoter ces pages qui leur rappelleront de vagues réminiscences philosophiques. Elles sont pourtant utiles pour comprendre la suite. Il y a des livres qu'il faut relire à divers âges, des thèmes de réflexion que l'on peut aborder plusieurs fois... même toute la vie. Ce qui paraît fondamental dans l'évolution des sciences et exemplaire pour les sciences sociales, c'est de constater combien chaque époque a eu ses certitudes, plus ou moins vites démolies par la suivante. N'oublions pas le nombre d'erreurs partagées par tous et considérées comme des vérités évidentes, ni les
efforts qu'ont représenté, non seulement la lente acquisition de la vérité, mais surtout la suppression des préjugés, superstitions, croyances. Les savants du xxe siècle ont été obligés, depuis vingt ans, de reconstruire trois ou quatre fois leur raison. Ceci donne à réfléchir si on les compare aux savants en sciences sociales, dont certains exploitent jusqu'à la fin de leur existence, dans une théorie excessive et par là même inexacte, la petite idée, souvent juste, qui les a un jour frappés. En sciences sociales, la preuve de la vérité ou de la fausseté d'une opinion n'apparaît pas toujours de façon manifeste. Le démenti de l'expérience n'est pas aussi évident que dans les sciences naturelles. Cette difficulté soulevée par la vérification devrait rendre les sociologues particulièrement prudents dans leurs affirmations et interprétations. C'est, à eux, autant sinon plus qu'aux savants des sciences naturelles, que s'appliquent les consignes de Bachelard sur le doute scientifique, la méfiance vis-à-vis de ses impressions, la nécessité d'une rupture épisté-mologique. L'industrialisation, l'urbanisation, la violence, posent aujourd'hui des problèmes aussi difficiles à résoudre que la chute des corps pour nos ancêtres. Les problèmes humains sont autres et il ne s'agit pas de les comparer abusivement, mais de rapprocher des attitudes semblables face à des problèmes différents. Il faut se méfier des certitudes, des évidences, c'est la grande leçon que l'histoire des sciences peut donner aux sciences sociales. Seuls une longue patience, un mélange de doute prudent et de curiosité passionnée peuvent amener des progrès dans la compréhension de vérités provisoires. En sciences sociales, nous en sommes au stade de l'alchimie, la différence avec le XVe siècle, c'est que nous le savons. 86
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CHAPITRE 3 L'ÉVOLUTION DES SCIENCES SOCIALES Retour à la table des matières «Les richesses les vins précieuses sont les méthodes » Frédéric Nietzsche.
SECTION 1. L'ÉVOLUTION DES SCIENCES SOCIALES JUSQU'AU XIXe SIÈCLE Retour à la table des matières § 1. Les auteurs 170 87 1° L'Antiquité O Dans l'Antiquité, les mêmes philosophes s'intéressaient sous le nom de sciences, à la philosophie, à la physique ou aux mathématiques, mais les trois domaines pouvaient en partie se distinguer par leur objet. Il en est autrement des sciences sociales, où se mêlent considérations morales, politiques, sociales et philosophiques. Alors que les
sciences naturelles sont nées de l'expérience pratique journalière, les sciences sociales, elles, se développent grâce aux crises. Il est difficile de mesurer l'influence de la vie quotidienne sur la pensée psychologique ou sociologique, mais une chose paraît sûre, la réflexion sur la société commence par des considérations sur la politique. Aristote (385-322) aborde l'étude de la réalité sociale et passe en revue divers facteurs dont l'équilibre détermine les formes gouvernementales (densité démographique, distribution des richesses, etc.). Dans l'Éthique, il distingue « le savoir scientifique » et la connaissance que nous pouvons avoir des « choses humaines ». Mais celles-ci étant variables, on ne peut tirer de leur observation des principes généraux, mais seulement arriver à une « opinion vraie et raisonnable ». Qu'il s'agisse de Platon, des Épicuriens ou d'Aristote, tous étudient la société et cherchent en partant de l'origine des gouvernements, à imaginer pour l'avenir la cité modèle. De l'Antiquité au xixe siècle, les nombreux obstacles à l'idée même de sciences sociales s'atténueront progressivement. Il ne s'agit pas d'étapes nettes, de progrès précis, mais de façon diffuse, d'une lente évolution des façons de penser, dans lesquelles tous les facteurs philosophiques, religieux, sociaux sont imbriqués. Nous rappellerons rapidement les noms des principaux auteurs ayant apporté une contribution à ces changements, sur le plan de la méthode. 88 2° Moyen Âge et Renaissance. Thomas More (1478-1535) o Publie à Louvain en 1516 le De optimo reipublicae statu digne Nova Insula Utopie, traduit en anglais en 1551. Il oppose à la réalité de la société anglaise contemporaine, la république communiste laborieuse, fondée sur les familles, dénommée Utopie. Avec More se débute la lignée des utopies politiques.
Nicolas Machiavel (1469-1527)-. A partir d'une description réaliste, elle aussi, de la société italienne, il définit non une société idéale conforme à la justice, mais les moyens de réussir en politique. Cette attitude paraît déjà plus proche d'une science politique objective que les vœux pieux de ses prédécesseurs171. 89 3° Le XVIIe siècle. Thomas Hobbes (1588-1679) O Considère que l'état de nature est celui de guene de tous contre tous ; seul le contrat par lequel les individus renoncent au droit absolu qu'ils ont sur toute chose assure avec la paix, la suprématie de l'État, la souveraineté absolue et perpétuelle de ce grand Léviathan. John Locke (1632-1704). Préfigurant les thèses de Rousseau, il considère, à l'opposé de son compatriote Hobbes, que les hommes sont à l'origine sociables et pacifiques. Le contrat qui les lie protège leurs droits, en particulier le droit de propriété. Ces deux auteurs cherchent à justifier des positions politiques et interprètent les faits en fonction de leurs présupposés. C'est ainsi que les mêmes Indiens d'Amérique, exemple de société apolitique, vivent d'après Hobbes de manière sauvage, alors que Locke les considère comme illustrant les vérins de l'état de nature. 90 Baruch Spinoza (1562-1677) O Nous sommes au xvne siècle, il n'est donc pas surprenant de voir surgir une explication mécaniste des phénomènes sociaux. Spinoza, plus scolastique que Hobbes, analyse de façon plus complète et plus fine les divers types de sociétés-États. Les Anciens avaient cru faire œuvre scientifique en méditant sur la politique. Platon n'affirmait-il pas qu'elle est l'objet d'une science ? Il paraît plus surprenant que Hobbes, Machiavel ou Spinoza, contemporains d'un développement rapide des mathématiques et de la physique, donc d'un modèle scientifique déjà moderne, n'aient pas perçu plus nettement la différence entre sciences naturelles et sciences sociales. Spinoza est persuadé que l'on peut traiter des
rapports humains comme de la physique. Pour Hobbes, ce qui sépare les mathématiques des sciences sociales, c'est que les « premières unissent les hommes parce que la vérité et leurs intérêts ne se trouvent pas en opposition, alors que les secondes les divisent, car chaque fois que la raison est contraire à l'homme, l'homme est contraire à la raison». En fait, comme le dit L. Althusser (1969), les théoriciens tels que Hobbes et Spinoza ne font pas une théorie de l'histoire réelle, ils font une théorie de l'essence de la société [...] et en donnent un modèle idéal et abstrait. Ce qui au-delà de leurs différences, unit les divers auteurs que nous venons de voir et leurs contemporains des xviie et xvme siècles (exception faite de Vico et de Montesquieu), c'est qu'ils se posent la même question : quelle est l'origine de la société ? et lui donnent la même réponse : l'état de nature et le contrat social. Partant d'une absence de société, ils croient trouver dans ce vide du passé, l'idéal d'une société à recréer. Le passage du néant à la société existante est assuré par le contrat social. Cette notion de contrat pour discutable qu'elle soit comme explication, est importante, car elle est volontariste. Elle signifie que la société n'est pas une institution divine, ni ce qui revient au même, issue d'un ordre naturel mais qu'elle est l'œuvre d'individus égaux. De ce fait, elle s'oppose aux conceptions féodales d'une hiérarchie naturelle et nécessaire des ordres, des états et des hommes. Ceci explique l'attitude non plus moralisante, mais polémique, des auteurs, antérieurement cités. D'après Althusser : « Ils ne voulaient pas comprendre tous les faits, mais fonder, c'est-à-dire proposer et justifier un ordre nouveau.172 » Une véritable science sociale exigeait au contraire la recherche des faits et pour cela une vue plus objective, moins utilitariste. C'est chez Vico et chez Montesquieu que l'on trouvera pour la première fois une telle attitude.
4° Le XVIIIe siècle, a) La science politique. Vico (G.B.) (1668-1744) O Philosophe napolitain, précurseur de Comte (qui regrettait de ne pas l'avoir connu), Vico par sa loi des trois états, (âge divin, âge héroïque, âge humain) tente de découvrir dans l'histoire les critères de la vérité173. Il nous intéresse par le modernisme de ses techniques de recherches (études de documents, analyse linguistique), parce qu'il veut appliquer aux faits sociaux les principes de Bacon en écartant les vues normatives, en faveur d'une étude réaliste et objective. Charles de Montesquieu (1689-1755) O (Baron de Segondat) Premier politologue mais aussi anthropologue, Montesquieu est pour tous le précurseur de la sociologie moderne174. Pour R. Aron175 (1967) il en est même le fondateur, à la fois le dernier des philosophes classiques et le premier des sociologues. On étudiera ici seulement ce qu'il apporte de nouveau sur le plan de la méthode. La nouveauté réside dans le but qu'il se propose : «J'ai d'abord examiné les hommes et j'ai cru que dans cette infinie diversité des lois et des mœurs, ils n'étaient pas uniquement conduits par leur fantaisie176. » Le point de départ de la recherche et sa nouveauté c'est de supposer que cette infinie diversité n'est pas seulement la manifestation de la faiblesse des hommes, mais qu'un ordre intelligible peut lui être substitué. Ceci suppose d'une part que l'on puisse trouver des causes, d'autre part qu'elles ne soient pas transcendantes. Faire œuvre scientifique implique le rejet d'explications théologiques ou morales. Le propre de Montesquieu sociologue, sera donc de chercher les causes des événements et de les classer, de les ramener à un petit nombre. Comme le note R. Aron : « On rend le devenir intelligible lorsque l'on saisit les causes profondes qui ont déterminé l'allure générale des événements. On rend la diversité intelligible lorsqu'on l'organise à l'intérieur d'un petit nombre de types ou de concepts177. »
93 La notion de loi O Montesquieu déclare... : « Plusieurs choses gouvernent les hommes : le climat, la religion, les lois, les maximes du gouvernement, les exemples des choses passées, les mœurs d'où il se forme un esprit général qui en résulte. » La recherche des causes est une première étape qui mène à la découverte de lois : « rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses. » Nous avons vu dans l'histoire des sciences que la loi était, à l'origine, un commandement en vue d'une fin, et que la loi divine régnait au-dessus de tout. C'est progressivement que s'est dégagée l'idée précisée par Newton de la loi, rapport entre les choses. Si les termes choisis par Montesquieu sont donc newtoniens et modernes, les appliquer aux affaires humaines représente une véritable révolution. Cela signifie que l'on peut tirer de l'histoire, de la politique, des institutions humaines, Pexplication de leur changement. On trouve déjà dans les arguments de Montesquieu, une théorie sociologique des croyances religieuses et morales. On voit alors le danger. S'il peut être utile de montrer que telle hérésie dépend du climat, que telle religion fausse n'a qu'une cause humaine, comment empêcher cette science profane de s'attaquer aussi à la vraie religion : le christianisme ? Montesquieu réclame une séparation des domaines de la religion et de la science. Cela même le fera traiter d'athée. D'autres avant lui (Hobbes, Spinoza) avaient déjà tenté de considérer la religion et la morale comme des faits historiques, mais en s'appuyant sur le droit naturel, ils donnaient à leurs revendications un caractère polémique et revendicatif. Montesquieu, en critiquant la doctrine du droit naturel, refuse ces impératifs politiques et prend une attitude scientifique que résume sa fameuse phrase : « décrire ce qui est, non ce qui doit être ». Parce qu'il est le premier à défendre le point de vue suivant lequel une science du politique ne peut se fonder que sur l'autonomie du politique, et qu'il reconnaît
même sans la définir, la spécificité du politique, Montesquieu mérite le titre de premier politologue européen. La conception de la loi qu'il propose est également moderne, en ce sens qu'elle ne s'applique qu'à des situations limitées : l'importance des facteurs dépend de l'ensemble dans lesquels ils s'exercent. Montesquieu est le premier à affirmer l'interdépendance des phénomènes sociaux. Il est aussi le premier à définir les sciences sociales par une méthode empirique, où l'hypothèse vérifiée devient principe: «Je suivais mon objet sans former de dessein : je ne reconnaissais ni les règles ni les exceptions ; je ne trouvais la vérité que pour la perdre, mais quand j'ai découvert les principes, tout ce que je cherchais est venu à moi178. » En distinguant la « nature » d'une société, ce qui la fait telle, et son « principe », ce qui la fait agir, Montesquieu prévoit la différence entre la structure sociale et le système des valeurs qui fonctionne à l'intérieur de celle-ci. Enfin on peut dire que pour lui l'État n'est pas seulement une totalité idéale, comme chez Platon ou Hobbes, mais une totalité réelle, concrète. Législation, institutions, coutumes, ne sont que la conséquence et l'expression de son unité. Avec Montesquieu, écrit L. Althusser (1969) «la totalité qui était une idée devient une hypothèse scientifique destinée à rendre compte des faits179 ». A côté de la réflexion politique, d'autres sciences humaines s'orientaient elles aussi vers une recherche plus scientifique. Comme dans les sciences naturelles, c'est tout l'ensemble qui évolue. Avant d'aborder les facteurs de progrès et les obstacles aux sciences sociales, signalons rapidement les progrès de l'économie, de la statistique et les noms de quelques auteurs qui les illustrent. 94 b) L'économie. En 1615 Antoine de Montchretien (1575-
1621) O Auteur dramatique, publie le premier traité d'économie politique. En 1750, E. Quesnay (1694-1774) médecin de Louis XV fonde l'école physiocra-tique. Les considérations qu'il expose débordent l'économie et rejoignent le droit et la sociologie. Fondée sur le droit naturel et le contrat, c'est une doctrine libérale qui tente d'élaborer une science sociale sur des principes rationnels. Adam Smith (1723-1790) économiste écossais reprend dans les Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776) les idées des physiocrates. Cet ouvrage qui eut un grand succès est intéressant par sa logique qui annonce la méthode comparative. 95 c) La statistique O C'est au xvtf siècle que s'est affirmée l'idée que certains événements sociaux pouvaient être quantifiés. Les problèmes de dénombrement démographique furent les premiers à être abordés systématiquement malgré la réticence des sujets intenogés. Les premières tables de mortalité furent établies par un Anglais : Graunt et publiées en 1662180. A la fin du XVIIe siècle, l'art de « l'arithmétique politique » suivant la dénomination de W. Petty (1623-1687) est devenu une spécialité britannique. Pourtant, à la même époque en Allemagne, H. Corning (1606-1682) s'intéresse aussi aux problèmes de gouvernement et cherche le meilleur ensemble de catégories pouvant caractériser un État. Son « modèle » est celui de l'État comme unité active. Sous son influence posthume s'ouvre, en 1737, l'université de Gôttingen qui enseigne la statistique, entendue comme science de l'État. Gottfried Achenwàn. (1719-1772) y sera considéré comme le fondateur de la science allemande non quantitative. Celle-ci s'opposera avec véhémence aux statisticiens vulgaires. « Ces pauvres imbéciles répandent l'idée insensée que l'on peut comprendre la puissance d'un État en ne connaissant que sa superficie, sa population, son revenu national et le nombre d'animaux broutant alentour». L'opposition à la quantification des sciences sociales s'exerce
même dans le domaine du mesurable... parce que l'on n'en voit pas l'intérêt. J. P. SuessmUch (1707-1767) auteur allemand est intéressé par la médecine. Devenu pasteur, il publie en 1742 : L'ordre divin prouvé par la natalité, la mortalité et la fertilité du genre humain. Il est le premier à avoir étudié non seulement les taux de naissance et de décès mais la fertilité dont il cherche les facteurs de variation. Il s'agit là de précurseurs, le fondateur de la statistique est un médecin belge : Adolphe Quételet (1796-1874). § 2. Facteurs de développement et obstacles aux sciences sociales 96 1° Les facteurs de changement o L'absence de liberté de pensée constituait dans le domaine des sciences humaines un obstacle plus gênant et plus fort peut-être que dans les sciences physiques et naturelles. Plus gênant parce que les préjugés y sont tenaces, l'expérimentation et l'administration de la preuve compliquées, et plus fort, parce qu'au dogme catholique s'ajoute la censure politique. Pourtant, les contraintes extérieures étaient presque moins pesantes que la limitation inconsciente qu'imposait le milieu lui-même, ses façons de penser et de sentir. J. Piaget (1965) parle de la « décentration » nécessaire non seulement à l'acquisition d'une attitude objective, à l'accumulation d'observations utiles, mais aussi à une systématisation de ces données181. La « décentration » implique que l'on sorte soimême du milieu observé, que l'on considère celui-ci comme contingent pour chercher à comprendre et expliquer pourquoi il est ainsi et pas autrement Ce qui peut faciliter un tel état d'esprit assez peu spontané, c'est d'une part le changement, l'évolution, d'autre part l'observation de milieux différents, changement et comparaison sont les deux facteurs les plus efficaces de relativisation.
97 a) Changement et comparaison o Dans le climat intellectuel de l'Europe jusqu'au xvme siècle, la tendance naturelle à croire universellesses propres manières de vivre, se trouvait renforcée par l'autorité, la hiérarchie, la vérité révélée. Mais à l'intérieur de ce cadre rigide s'effectuaient de nombreux changements : la Réforme, les guerres civiles, l'abaissement de la noblesse et la montée de la bourgeoisie, enfin la transformation de la structure traditionnelle de l'État. L'évolution est en elle-même facteur de réflexion, car tout changement relativise les croyances, suscite des questions. C'est aussi la période des grandes explorations. Or, la possibilité de comparer ce qui paraît aller de soi, à d'autres solutions, tout aussi évidentes pour ceux qui les ont adoptées, permet d'utiles réflexions. La découverte du Nouveau Monde, de façons de vivre différentes, facilite la mise en question de la société, indispensable pour que naisse la sociologie, et prépare l'abondante documentation, d'où naîtra au XIXe siècle l'ethnographie scientifique182. La linguistique, sans doute la plus ancienne science sociale, a donné lieu à de nombreuses tentatives de systématisation (cf. les essais sémantiques au Moyen Age) mais son évolution vers un statut scientifique a été gênée par l'absence de termes de comparaison. Le langage se réduisant à une grammaire, celle de la langue maternelle, qui paraissait liée à la logique universelle. C'est l'enseignement des humanités classiques (latin-grec) et surtout l'histoire de l'évolution des langues (donc du changement) qui permit par des comparaisons d'élargir ces points de vue. 98 b) Histoire et évolution O La décentration dans l'espace devait s'accompagner d'une décentration dans le temps. Il était indispensable de découvrir que les états individuels ou sociaux saisis de façon immédiate, ont en réalité une histoire, sont le résultat de causes, qu'il faut connaître pour en comprendre les conséquences. Il était nécessaire de passer du stade de la réflexion sur des événements
particuliers, à une histoire de phénomènes récurrents. Ces problèmes devaient être l'objet de discussions (surtout en Allemagne) et préparer le grand développement de l'histoire au xdî siècle. L'apparition de l'histoire des sciences au XVIIIe siècle, liera la notion d'histoire à celle de progrès. La découverte par Darwin de la dimension génétique de l'évolution des êtres organisés, constituera un facteur décisif de changement. Quelle décentration pouvait être plus considérable pour l'homme que l'idée de descendre du singe ! Quel choc pour la doctrine de la nature humaine immuable, et sa conséquence : une vie sociale stable. Pourtant la sociologie a détourné le choc et n'a pas intégré rapidement un événement si étranger à ses préoccupations183. L'histoire en revanche restait son histoire, proche de son mode de réflexion, d'un désir de prévoir les phénomènes, plus que d'un besoin scientifique de comprendre leur mode de production. 99 c) Le modèle des sciences de la nature O Les sciences de la nature ne se développaient pas en vase clos. S'il n'existait pas de moyens d'information de masse, les idées circulaient dans tout le milieu intellectuel européen. L'extension de l'esprit scientifique, l'influence de l'Encyclopédie, puis au xixe la philosophie positiviste, devaient modifier les façons de penser dans tous les domaines. Ajoutons à cela que les succès réels et mondains des sciences de la nature au xvrne siècle offraient aux sciences humaines à la fois un stimulant et un modèle. 100 d) La délimitation des problèmes O La philosophie vise une réflexion d'ensemble et met en jeu des valeurs qui relèvent de croyances subjectives (idéalisme, matérialisme) dont on ne peut prouver la vérité. La science implique la mise à l'écart de ces convictions et la recherche d'observations, d'explications et de solutions même limitées, mais véri-fiables par des
méthodes accessibles à tous. Les sciences sociales devaient donc pour atteindre un statut scientifique, se détacher des réflexions générales et se limiter à des secteurs où les rapports et les relations entre facteurs pouvaient être mis en évidence. Ceci impliquait que soit réduit le champ d'observation. Ces changements étaient subordonnés à ce qui au fond résume tout le reste : l'emploi de méthodes scientifiques.2° Obstacles au développement des sciences sociales, a) La difficulté d'utiliser une méthode scientifique O Nous retrouvons ici le problème des obstacles épistémologiques rencontrés dans les sciences de la nature. Dans le cas des sciences de l'homme ils se révèlent plus difficiles encore à surmonter. On l'a vu, les sciences expérimentales se sont constituées après les disciplines déductives. Ce retard est encore plus net dans les sciences de l'homme, car la tendance à déduire et spéculer à partir de sentiments éprouvés, vécus, ou compris instinctivement, l'a emporté longtemps faute d'un cadre logique, sinon mathématique, permettant d'observer les facteurs après les avoir dissociés et isolés. L'intuition peut donner lieu à des vues pertinentes, à des hypothèses, mais l'observation utile, la vraie lecture de l'expérience, nécessitent une préparation que l'on n'était pas en mesure d'organiser. b) La confusion entre État et société o C'est aux philosophes du contrat social que l'on doit la distinction entre gouvernement et société. Nous avons vu Hobbes et Locke découvrir le fondement de la société politique dans l'union sociale des gouvernés, indépendamment de la forme du gouvernement. Mais c'est seulement au xix5 siècle, que la distinction entre l'étude politique de l'État, et l'étude sociologique de la société sera définie, acceptée, et reconnu le fait que la vie en commun crée entre les hommes un lien particulier, différent du lien de subordination à l'État184.
c) Le réformisme O Un des obstacles au développement des sciences sociales, c'est le réformisme. En science politique, la recherche du bon gouvernement et de la société idéale, détournera de l'observation des faits. Le désir d'évangéliser et de civiliser les sauvages, couvrira tous les trafics et empêchera l'ethnographie d'acquérir dès le départ un statut scientifique. Cependant ce désir de réformer (malgré tout ce qu'il implique) constituera aussi au xixe siècle un puissant stimulant au développement des sciences sociales. Bibliographie o *Althusser (L.) 1969. - Montesquieu, la Politique et l'Histoire, P.U.F., Coll. sup., 126 p. Becker (H.), Barnes (H.E.) 1961. - Social thought from lore to science, Dover publications inc., New York, 3 volumes, 422 p., 720 p., 178 p. Becquemont (D.) 1992. - Darwin, darwinisme, évolutionnisme, Kimé, 360 p. Cassirer (E.) 1966. - 1932. Tr. fr. La Philosophie des lumières, Fayard, 352 p. Castels (M.) et Ipola (E. de) 1973. - «Pratique epistémologique et sciences sociales », in Théorie et Politique, 1er décembre 1973 pp. 30-61. *Chevallier Q.-J.) 1949. - Les grandes œuvres politiques, Colin, 406 p. nouvelle éd. coll. U 1970, 304 p. - 1979. - Histoire de la pensée politique, 3 tomes, Payot. Qlaval (P.) 1980. - Les mythes fondateurs des sciences sociales, P.U.F., 263 PEhrard (J.) 1970. - L'idée de nature en France à l'aube des lumières, Flammarion, coll. Science de l'histoire, 425 p.
Gayon (J.) 1992. - Darwin et l'après Darwin, Kimé, 470 p. Hozelttz (B. F.) (ed.) 1970. - A Reader's Guide to the Social Sciences, Lon-don, New York, Me Millan, 425 p. *Lazarsfeld (P.) - 1970. Trad. fr. Philosophie des sciences sociales, Gallimard, Bibliothèque Sciences Humaines, 509 p. Montesquieu (C. P. de) 1949, 1951. - Œuvres Complètes, La Pléiade, Gallimard, t. I, t. II. Starobinski 00 1957. - Montesquieu par luimême, Seuil, 192 p. Thuillier (P.) 1918. - Darwin et compagnie, P.U.F., 224 p.
SECTION 2. L'ÉVOLUTION DES SCIENCES SOCIALES DEPUIS LE XIXe SIÈCLE Retour à la table des matières 105 1° Impérialisme et division O Ce qui caractérise le savant en sciences sociales, comme en sciences naturelles, ce n'est pas tellement l'accumulation du savoir, ce qu'il sait, que le sens des problèmes qui se posent, c'est-à-dire ce qu'il ne sait pas. L'un et l'autre sont d'ailleurs complémentaires, le paradoxe étant qu'il faut savoir de plus en plus de choses, pour mieux se rendre compte de tout ce que l'on ignore. Il est indispensable de comprendre que toute science naît de « pourquoi » et que toute formation scientifique, consiste avant tout à développer l'aptitude à poser de bonnes questions, celles qui visent les vrais problèmes. Les sciences sociales comme les sciences de la nature, vont se diviser autour de quelques questions clefs. Lorsque ces questions essentielles formeront, avec les questions secondaires qu'elles auront suscitées, un ensemble cohérent, elles se sépareront du domaine plus général d'où elles sont
issues. Les hasards de l'histoire sembleraient à certains suffisants pour expliquer la manière dont la division s'est faite. Cependant, une observation plus attentive amène à penser qu'en fait, les sciences sociales ont suivi une évolution logique qui leur était propre à chacune et qui incita chacune d'elles à se scinder du tronc originel. La sociologie s'est séparée de la philosophie, puis la psychologie sociale de la sociologie ; la démographie, de son côté, est devenue une spécialité, comme l'urbanisme est en train de le devenir. On distingue parmi les sciences sociales : celles entre lesquelles subsistent des liens étroits de dépendance, qui, à titre de spécia lité, demeurent à l'intérieur d'une disdpline à laquelle elles continuent d'appartenir (la sociologie du travail ou la sociologie religieuse), et celles dont l'objet, le point de vue et les méthodes, deviennent si spécifiques, qu'elles se transforment en véritables sciences sociales indépendantes, telles la psychologie sociale, ou la démographie. On ne peut prévoir à l'avance le processus de spécialisation, qui se calque sur la transformation du monde luimême. Les différentes sciences sociales étudient les secteurs d'un même ensemble : l'activité humaine. Ces secteurs ne sont pas toujours très clairement définis et leur séparation, leur classification, ne peuvent être qu'arbitraires et temporaires. D'autre part, le fait même que chacune des sciences ait pour objet essentiel les activités humaines et admette que l'homme est un tout, les rend impérialistes, alors qu'elles devraient être surtout solidaires. Il faut erifin noter que les spécialisations correspondant à la logique propre de chaque science, ont encore été aggravées par une division universitaire arbitraire. Si chaque science de la nature n'étudie également qu'un aspect de la réalité, il existe du moins une
philosophie des sciences, représentant une synthèse de toutes les recherches particulières. Rien de semblable dans les sciences sociales, qui ne disposent pas de science générale, dont la fonction spécifique consisterait à examiner et synthétiser les résultats acquis dans les domaines séparés, d'où leur crainte d'une subordination possible à l'une ou à l'autre d'entre elles. Les sciences sociales ont parfois été comparées à un paysage où chacun se promène avec un point de vue différent, l'un pense au sous-sol, il est géologue, l'autre est peintre, les suivants géomètre, botaniste, etc. Chacun voit bien, sans doute, la totalité du paysage, mais n'en approfondit qu'un aspect et chacun de ces aspects ne rejoint pas l'autre. Tous sont d'accord sur ce qui est superficiel, visible, mais, lorsqu'il s'agit d'interprétation, d'explication en profondeur, chacun propose sa solution, fournit ses propres critères. Reconnaître la totalité de l'homme, c'est, pour chaque science sociale, qu'elle le veuille ou non, présenter ses propres conclusions comme la vision de l'homme la plus adéquate. D'où le danger d'impérialisme ou de morcellement, alors que l'on ressent le besoin de synthèse, synthèse qui devra s'opérer à différents niveaux: celui de la recherche, par des travaux en équipe où chacun apporte sa contribution, celui de la réflexion, par une connaissance suffisante des diverses spécialités. A l'heure actuelle, on considère que les principales sciences sociales sont : la sociologie, l'anthropologie, la psychologie sociale, l'histoire, la géographie, la démographie, l'économie politique, la science politique et la linguistique. Cette liste n'est naturellement pas limitative. Chaque science sociale comporte un très grand nombre de définitions, chaque auteur ou presque proposant la sienne. Or, une définition n'est jamais qu'une façon de considérer l'objet, de le connaître, elle dépend donc de la nature de celui-ci, mais au moins autant de la façon dont il est perçu par l'observateur et de l'état actuel des connaissances. Les unes et les autres évoluent. C'est pourquoi il nous paraît préférable de marquer les étapes
essentielles de développement des diverses sciences sociales, plutôt que d'insister au début sur leur définition. De même, nous ne donnerons pas de liste exhaustive des domaines de chaque science, mais nous attacherons plutôt à faire le point sur leur nature, sur leur orientation, et surtout leurs problèmes méthodologiques. 106 2° Sciences sociales et sciences humaines O A voir utiliser tantôt le titre de sciences humaines (cf. anciennes facultés de lettres) tantôt celui de sciences sociales (cf. nouvelles universités) enfin de'sciences de l'homme, on peut se demander quelle est la différence... s'il y en a une, ou s'il ne s'agit que d'une division universitaire historique. Pour C. Lévi-Strauss (1964) l'expression même de sciences sociales recèle un pléonasme, car en se déclarant « sociales », elles impliquent déjà qu'elles s'occupent de l'homme, et il va de soi qu'étant donc d'abord humaines, elles sont « sociales » automatiquement. Pour lui le critère de distinction serait d'ordre pratique « sous le manteau des sciences sociales, on trouve toutes celles qui acceptent sans réticence de s'établir au cœur même de leur société, avec tout ce que cela implique en fait de préparation des élèves à une activité professionnelle et de considération des problèmes sous l'angle de l'intervention pratique ». Ceci regrouperait études juridiques, sciences économiques et politiques, psychologie sociale, certaines branches de la sociologie. En revanche, les sciences humaines seraient celles qui se mettraient en dehors de chaque société particulière : « vis-à-vis des sciences exactes et naturelles, les sciences sociales sont en position de clientes, alors que les sciences humaines aspirent à devenir des disciples [...] la différence n'est pas seulement affaire de méthode ; elle est aussi affaire de tempérament... [...]. Aux sciences exactes et naturelles les sciences humaines ont emprunté la leçon, qu'il faut commencer par récuser les apparences, si l'on aspire à comprendre le monde ; tandis que les sciences sociales se prévalent de la leçon symétrique, d'après laquelle on doit accepter le monde si on prétend le changer. »
Ces formules séduisantes ne sont pas convaincantes car nous verrons qu'en sciences sociales comme en sciences humaines, il faut récuser les apparences si l'on veut faire œuvre scientifique. La distinction proposée par J. Piaget185 paraît plus proche de la réalité. Après avoir déclaré qu'aucune différence de nature ne permettait de distinguer sciences sociales et sciences humaines, il pense que l'on peut regrouper : 1° les sciences « nomothétiques », disciplines qui cherchent à dégager des lois ou des relations quantitatives. Ce sont la psychologie scientifique, la sociologie, l'ethnologie, la linguistique, l'économie et la démographie. Toutes utilisent des méthodes soit d'expérimentation stricte soit d'expérimentation au sens large d'observation systématique, et de ce fait sont amenées à ne faire porter leurs recherches que sur peu de variables à la fois. 2° les sciences historiques qui reconstituent le déroulement de la vie sociale au cours des temps. 3° les sciences juridiques. 4° enfin les disciplines philosophiques. Pour notre part nous utiliserons dans ce livre ^différemment les appellations sciences de l'homme, sciences humaines et sciences sociales. 107 Bibliographie O Beck (L. W.) 1958. - Philosophical Inquiry, Englewood Cliffs, Prentice Hall, 6e éd., 470 p. Caille (A.) 1986. - Splendeur et misère des Sciences Sociales, Genève, Droz. Cohen (M. R.) 1959. - Reason and Nature, Glencoe (III.), Free Press, 3e éd., 457 p. Conant (J- B-) 1957. - Modem science and Modem man, New York,
Columbia Univ. Press, 4e éd., 111p. Drouard (A) 1983. Actes ss. dir.- Le développement des sciences sociales en France, C.N.R.S., 189 p. Foulquié (S.) 1978. Vocabulaire des Sciences Sociales, P.U.F., 378 p. **Grawltz (M.) 1988. - Lexique des Sciences Sociales, Dalloz, 384 p. Guillaume 1988. - L'état de la science sociale en France, La Découverte. Ladriëre (J.) Avril-Juin, 1978. - « Les sciences humaines et le problème de la scientificité » in Etudes philosophiques, p. 131-150. Lévi-Strauss (C.) 1964. - « Problèmes posés par une étude des Sciences Sociales et Humaines », Revue Intern, des Sciences Sociales, vol. XVI, n° 4, pp. 578-596. Loubser (J.J.)1976. - éd. «Explorations in general theory in social science, Essays in honor of. Talcott Parsons », 2 vol. N. Y. Free Press, 909 p. Merton (R. K.) 1959. - «Notes on problem finding », in Merten et Broom, (Sociology to day, B 170) p. X à XXXIV. Michiels 1981. - Les sciences sociales avant et après}. Piaget, Genève, Droz, 1981. Mouchot (C.) 1986. - Introduction aux sciences sociales et à leurs méthodes. Univ. Lyon. 320 p. Panorama des Sciences humaines, *1973. ss. dir. D. Hollier, Gallimard, 670 p. Piaget (j.) 1970. - « La situation des sciences de l'homme dans le système des sciences », in (Tendances, B 170) pp. 4-65. Philosophie des Sciences sociales, 1973. ss. dir. F. Chatelet, Hachette Littérature, 380 p.
CHAPITRE 4 LES DIFFÉRENTES SCIENCES SOCIALES Retour à la table des matières
SECTION 1. LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE Retour à la table des matières La sociologie est l'étude de la réalité sociale. Les préoccupations philosophiques sur la nature de la société, ou morales sur les moyens de l'améliorer, sont aussi anciennes que la réflexion sociale, politique ou philosophique, mais ce n'est qu'à partir du moment où l'on a observé les faits sociaux, en les séparant des jugements de valeur, que la sociologie est née en tant que science. 108 Les tendances O Au xrx2 et au XXe siècle, persistent, affermies ou affaiblies, les diverses tendances décelées au xvme siècle. Parmi celles-ci, à côté de l'utopie et du réformisme toujours plus ou moins présents, les courants qui se précisent sont l'évolutionnisme, la réflexion théorique et la recherche empirique. Il est intéressant de constater, car ce n'est pas un hasard, que l'on retrouve dans les sciences sociales, les deux orientations déjà signalées dans l'évolution des sciences de la nature. En effet la sociologie se développe comme une lutte, une juxtaposition ou une conciliation entre deux tendances préexistantes et opposées : une pensée théorique et une recherche pratique, souvent inspirée par une volonté réformatrice. L'une ou l'autre domine, suivant les périodes et les pays. A l'empirisme des anglo-saxons, s'opposent l'idéalisme allemand et le rationalisme français. Les tendances, peuvent même se manifester suivant des dosages différents, chez le même individu. Les premiers sociologues : Saint-Simon, Comte, Marx, Durkheim, tout en poursuivant des
buts scientifiques demeurent des utopistes, des prophètes ou des réformateurs. SOUS-SECTION 1. Le courant évolutionniste 109 1° En Europe O Le courant évolutionniste, directement lié à la philosophie de l'histoire, est antérieur au darwinisme, et compte des représentants dans toute l'Europe. Ceux-ci se caractérisent par leur tendance plus ou moins organiciste186. On peut citer Lilenfield Toailles (1829-1903) russe d'origine suédoise. En France A. Espi-nas (1844-1922) qui enseignait à Bordeaux en même temps que Durkheim. René Worms (1869-1926) qui fonda la Revue internationale de sociologie en 1892. A. J. E. Fouillée (1838-1912), G. V. de Lapouge (1854-1936). En Allemagne : A. E. F. Schaffle (1831-1903) et J. A. de Gobineau (1816-1882) enfin en Pologne, Ludwig Gumplowicz (1838-1909). Ces derniers, darwinistes, sont préoccupés des problèmes raciaux et biologiques. Mais c'est tout de même en Grande-Bretagne et aux États-Unis que le courant évolutionniste trouve l'accueil le plus favorable et se développe dans le dernier quart du xixe siècle, à la fois chez les sociologues liés à une tradition historique, et chez les anthropologues intéressés par l'évolution de la culture. 109-1 2° En Grande-Bretagne et aux États-Unis. H. Spencer (1820-1903) O Le plus important parmi les représentants de la tendance naturaliste, est un des premiers à avoir précisé la notion de types sociaux mais sa notion d'évolution demeure vague, son psychologisme déterministe et ses nombreuses comparaisons biologiques pour expliquer la société, peu convaincantes. Ajoutons à cela que ses définitions et points de vue sont souvent contradictoires (cf. la notion d'organisme social). Les faiblesses de cette œuvre suscitèrent
de très nombreuses critiques en France et en Allemagne, mais ne l'empêchèrent pas d'exercer une grande influence en Grande-Bretagne, et surtout aux États-Unis où la distinction, empruntée à la biologie, entre structure et fonction, et la notion d'équilibre sont à l'origine du structuro-fonctionnalisme (cf. n° 384). Benjamin Kidd (1858-1919), mérite d'être signalé car pour lui le progrès dans l'évolution se produit grâce aux conflits. Lester F. Word (1841-1913) et Fran-ïdin H. Giddings (1858-1931), l'un et l'autre influencés par Comte et Spencer, tentent de sauvegarder la liberté et la dignité de l'homme à travers l'évolution : «L'environnement transforme l'animal, tandis que l'homme transforme son environnement187 » écrit Ward. « La société est plus qu'un organisme... c'est une organisation... partiellement le produit d'une évolution inconsciente […] partiellement le résultat d'un plan conscient188. » L. T. Hobhouse (1864-1929) est préoccupé par l'évolution morale et voit dans la rationalité une conquête de l'esprit humain, mais la méthode comparative qu'il utilise, ne remplit pas les conditions de rigueur scientifique requises. SOUS-SECTION 2. Le courant théorique La différenciation de la pensée scientifique en fonction des nationalités eût été incompréhensible au Moyen Age. C'est un phénomène moderne, qui se conçoit particulièrement pour la sociologie, puisqu'elle se développe en réponse aux problèmes posés par des crises. Il existe chez Prou-dhon, Comte, Durkheim, un ensemble de réflexions issues de la situation politique et sociale de la France. Elles forment ce que l'on a appelé l'école sociologique française. Il existe également une sociologie allemande mais pas une école. Les conditions politiques et sociales ne le permettaient pas.
§ 1. La sociologie en France
110 Claude Henri Comte de Saint-Simon (1760-1825) O D'après Durkheim, il mérite plus que Comte le titre de père spirituel de la sociologie contemporaine. On trouve en germe chez Saint-Simon, les idées qui ont alimenté la réflexion de notre époque : notion de réalité sociale, rapport entre production matérielle et production spirituelle :... « c'est dans l'industrie que résident en dernière analyse toutes les forces réelles de la société [...] opposition de classes et dornination de l'une d'elle par l'État, enfin opposition de la réalité sociale rigide, aux forces spontanées qu'elle recouvre. » Sur le plan de la méthode, il réaffirme à la suite des encyclopédistes la nécessité de constituer une « science autonome des faits sociaux ». Influencé par des idéologues et des médecins (Cabanis, Bichat), il est intéressé par la physiologie et c'est sur le modèle de cette science qu'il conçoit ce qu'il nomme « la science nouvelle ». Dans son mémoire sur La science de l'homme (1813) il insiste sur la nécessité de raisonner à partir de faits vérifiés et prouvés. Mais il reste un utopiste encore marqué par l'influence de la philosophie de l'histoire. Pierre Proudhon (1805-1865) O Pour lui la «science sociale» a pour objet de révéler les antinomies qui opposent dans la société groupes et classes... « Après avoir produit la raison et l'expérience sociale, l'humanité procède à la construction de la science sociale ». Comme chaînon intermédiaire entre SaintSimon et Marx, Proudhon est important. Sur le plan méthodologique, il reste un utopiste plus dogmatique que Saint-Simon. Sur le plan politique, c'est avec M. Bakounine, le père de l'anarchie.
Auguste Comte (1798-1857) O II est considéré (lui aussi !) comme le père de la sociologie. Après l'avoir appelée « physique sociale », nom déjà utilisé par le statisticien Quetelet, il créa le terme de « sociologie ». Il mérite son titre de fondateur, pour une autre raison moins anecdotique. Il est le premier dans son Cours de philosophie positive189 et son fameux Discours sur l'esprit positif190, à présenter de façon systématisée les principaux problèmes sociologiques. Secrétaire de Saint-Simon, A. Comte reconnaît avoir subi l'influence de Bos-suet et de Maistre dont il retient le goût pour l'histoire, de Montesquieu et Condorcet auxquels il emprunte, au premier la notion de déterminisme, au second l'idée des étapes des progrès de l'esprit humain. A l'origine de la vocation de Comte, polytechnicien, se trouve cette affirmation : « Soyons en rapport avec les hommes pour travailler à l'amélioration de leur sort191 ». Il est un exemple parmi beaucoup d'autres, de l'influence des événements politiques et sociaux sur la naissance d'une vocation de sociologue et de l'orientation d'une réflexion sociologique. Dans une société industrielle en plein développement, basée sur l'organisation du travail, il voit s'accumuler les injustices. Il refuse le socialisme, car la disparition de la propriété privée ne lui paraît pas un remède dont l'efficacité soit scientifiquement démontrée. Il attribue la crise de la société à la contradiction entre le type théologique et militaire du passé, et le type scientifique et industriel du présent II en déduit, avec une logique très polytechnicienne, la nécessité de créer un .système d'idées scientifiques, pour présider à l'ordre social futur. Comte prévoit le rôle des technocrates. La réforme intellectuelle indispensable, devra s'inspirer de l'esprit avec lequel l'intelligence
humaine ordonne le réel : les sciences exactes et les sciences de la nature (mathématiques, astronomie, physique). L'histoire de ces sciences nous apprend comment elles se sont progressivement dégagées de la métaphysique. Chacun d'entre nous se souvient aussi « en contemplant sa propre histoire, avoir été successivement, quant à ses notions les plus importantes, théologien dans son enfance, métaphysicien dans sa jeunesse et physicien dans sa virilité192 ». D'où la fameuse loi des trois états des sociétés : théologique, métaphysique et positif. 113 La méthode O Comte propose ses règles de méthode sociologique dans la quarantehuitième leçon du Cours de philosophie positive après avoir annoncé : « Il ne peut ici être nullement question d'un vrai traité logique préliminaire de la méthode en physique sociale193». Pourtant l'aspect méthodologique de son œuvre, qui sera seul retenu ici, est capital194. Le titre même de physique sociale : « j'entends par physique sociale, la science qui a pour objet propre l'étude des phénomènes sociaux195» est significatif. Il implique la volonté de s'inspirer de la physiologie et d'étudier les faits sociaux comme les phénomènes astronomiques, physiques, chimiques ou physiologiques. Pour la première fois est affirmée la nécessité d'une observation rigoureuse des faits. « L'observation des faits est la seule base solide des connaissances humaines196. [...] Envisageant toujours les faits sociaux non comme des sujets d'admiration ou de critique, mais comme des sujets d'observation, elle (la science sociale) s'occupe uniquement d'établir leurs relations mutuelles197. » L'observation est indispensable pour connaître la réalité, mais Comte combat dans les trois premiers volumes du cours, les
doctrines empiristes et réclame un cadre théorique : « car il n'y a jamais d'action sans une spéculation préliminaire ». C'est comme le dit P. Arnaud : « la transposition de la méthode hypothético-déductive de la physique des corps bruts à celle du corps social198 ». « La science se compose de lois, non de faits » et le but de la science c'est « d'agrandir le domaine rationnel aux dépens de l'expérimental, c'est pourquoi toute science véritable est déductive199 ». La connaissance ne devient scientifique qu'à partir du moment où elle s'organise et se généralise. «Aucune véritable observation n'est possible qu'autant qu'elle est primitivement dirigée et finalement interprétée par une théorie quelconque200. Le meilleur exemple de ce « besoin logique » dit Comte nous le trouvons dans l'exemple de la statique et de la dynamique. Il s'agit là de deux notions essentielles, pour l'auteur. 114 La statique et la dynamique O La « sociologie dynamique », but de la sociologie, concerne ce qui varie dans les sociétés, leur histoire. Son étude repose sur les données scientifiques que lui fournit la sociologie statique qui comprend l'ordre spontané des sociétés humaines, ce qui est commun à toutes et demeure stable. Il s'agit là non d'une coupure épistémologique arbitraire, mais d'une division méthodologique commode pour l'étude des faits sociaux, comparable à la distinction entre l'anatomie (statique) et la physiologie (dynamique). Malgré sa volonté de dépasser l'empirisme, de chercher des lois, d'utiliser la déduction, Comte ne va pas jusqu'à admettre l'utilisation de procédés mathématiques en sciences sociales. Son admiration pour Condorcet, son «père spirituel », ne l'empêche pas de déclarer à propos du calcul des probabilités que « les travaux de ce genre, exécutés jusqu'ici, n'ont réellement ajouté aucune notion d'importance
à la masse des idées acquises ». Les efforts des mathématiciens pour appliquer aux sciences sociales leurs procédés n'ont abouti au terme d'un « long et pénible travail algébrique » qu'à quelques propositions presque triviales dont la justesse est aperçue du premier coup d'oeil avec une parfaite évidence par tout homme de bons sens201. » Les réserves exprimées par les biologistes doivent être partagées par les sociologues car la « variabilité » et la « complication » des faits sociaux sont au moins égales à celles des phénomènes physiologiques. Comte se méfie du risque d'abstraction des mathématiques : « l'analyse mathématique isolée de l'observation de la nature, n'a qu'un caractère métaphysique202». Les faits sociaux sont concrets et exigent une science positive. En identifiant ainsi réel et concret, le positivisme de Comte malgré ses disciples abusifs est aux antipodes du scientisme. Enfin, pour réserver l'avenir du développement des mathématiques, Comte émet des doutes sur l'aptitude des mathématiciens à observer les faits sociaux et la sociologie n'est pas encore mûre pour cette quantification. 115 Les méthodes comparative et historique O Après l'observation, Comte se préoccupe de l'expérimentation. La manipulation étant difficile, c'est l'histoire qui offrira les « cas pathologiques » à observer. Les perturbations « constituent pour l'organisme social, l'analogue exact des maladies proprement dites de l'organisme individuel203 ». Comte insiste sur la valeur des méthodes comparative et historique. Comparer les divers états consécutifs de l'humanité est le but même de la science sociale. L'étude des phénomènes du passé envisagés dans leur ensemble permet la prévision. Celle-ci est légitime lorsqu'elle est «fondée sur l'exacte connaissance générale de
ces relations nécessaires204 ». Ce qui importe c'est d'établir entre les faits un enchaînement réel, « les lois qui président au développement social de l'espèce humaine205 ». Mais cet enchaînement est égalitaire, il lie plus ou moins entre eux des séries de phénomènes humains différents (série scientifique, esthétique, morale, etc.) qui sont à la fois cause et effet et ne peuvent être étudiés qu'au sein de la totalité qu'est la société. Comte, par opposition à toute métaphysique et du fait de l'interdépendance des phénomènes sociaux, s'interdit de rechercher les causes au sens mécaniste ou providentiel du terme, car la notion de cause ne peut convenir à la nature des faits sociaux. Le but de la loi, étape ultime de la physique sociale, n'est plus de rechercher des concomitances, mais de rendre le réel compréhensible, c'est-à-dire de l'expliquer en le rendant intelligible. Pour Comte, l'intelligibilité proviendrait de la qualité compréhensive de l'explication206, dont le caractère subjectif est indispensable lorsqu'il s'agit d'un phénomène reliant des hommes entre eux. Comprendre une relation entre deux faits sociaux c'est être capable de les intégrer à une visée humaine207. Le fait que l'observation des hommes soit faite par des hommes, fait prédominer le caractère humain de la science sur son aspect positif. La spécificité des faits sociaux o Autre élément à l'actif d'A. Comte, il affirme après Montesquieu (qui l'appliquait au domaine politique) la spécificité des faits sociaux. La science sociale, pour se constituer en discipline autonome, doit déterminer son domaine, sélectionner des faits qui lui soient propres. Ceux-ci relèvent d'abord de la notion de « consensus fondamental » idée que l'on retrouvera chez de nombreux sociologues sous diverses formes (solidarité de Durkheim, imitation de Tarde). Cette notion de consensus
lui fournit la solution du problème des rapports entre l'individu et la société, qui le trouble moins que d'autres auteurs : « l'activité collective du corps social n'étant que la résultante des activités individuelles de tous ses membres, dirigées vers un but commun, ne saurait être d'une autre nature que ses éléments ». Ennemi du monisme, Comte veut que la sociologie appréhende la diversité du réel. La réalité comporte des aspects irréductibles les uns aux autres208, mais après Montesquieu, il note l'interdépendance des facteurs et surtout le caractère de totalité des phénomènes sociaux. Cette notion de totalité apparaît très tôt dans l'œuvre de Comte et s'applique à des groupes différents, depuis l'histoire générale de l'humanité, jusqu'aux histoires particulières « qui en constituent le tout organique parce qu'elles sont elles-mêmes des totalités209». Toute étude des phénomènes sociaux s'applique donc à des totalités dont le facteur humain assure l'homogénéité. A l'inverse de Montesquieu, Comte est le sociologue de l'unité humaine. Il cherche : « la coordination rationnelle de la série fondamentale des divers événements humains d'après un dessein unique ». Cette coordination rationnelle se rattache à deux idées essentielles. D'abord la notion de système, ensuite celle de l'universalité du fait social. Comte dans sa quarante-huitième leçon, s'est élevé « contre ceux qui s'efforcent de dépecer le système des études sociales ». Il a toujours refusé de définir à l'avance et arbitrairement une division des sciences sociales mais leur « solidarité » lui dicte une attitude intransigeante et même impérialiste. Il proclame la suprématie de la sociologie. Sans doute pourrait-on dater de cette époque le fossé creusé entre économistes et sociologues. Malgré son admiration pour A. Smith, Comte se montre très sévère pour
l'économie : « En économie politique comme en physique, comme en tout, on a fait des systèmes avant d'établir des vérités210. » L'homo economicus lui paraît un exemple de fiction inspirée par un matérialisme grossier et simplificateur. Toutes les discussions sur la valeur, l'utilité, ne sont « qu'oiseuses disputes des mots » et la doctrine du laissez-faire revient à « systématiser l'anarchie ». Tout en reconnaissant la nécessité des points de vue complémentaires et d'un pluralisme, il refuse de séparer les aspects économiques, politiques, en les isolant de façon abstraite. L'objet de la science sociale c'est une « indivisible existence », une réalité concrète, complexe, spontanée. La sociologie «n'est une étude globale et totale que parce qu'elle répond et est faite pour répondre à une question globale : celle que pose la société de notre temps211 ». Malgré l'importance reconnue à l'histoire, la sociologie est pour Comte la science du présent « parce qu'elle a l'action pour objet et dans certaines limites, elle est action212». C'est pourquoi toute sociologie, comme nous aurons l'occasion de le redire, suppose une vision de l'homme, c'est-à-dire une philosophie. Pour Comte la sociologie en tant que connaissance scientifique est une solution au problème social. La société instruite saura se diriger. Importante sur le plan de la méthodologie et par la richesse de sa pensée, l'influence de Comte n'a pas été ce qu'elle aurait pu être. Son œuvre très vaste, son style peu agréable, expliquent que sa doctrine ait été souvent mal comprise, mais surtout ses prophéties (le pacifisme à venir) à côté de vues pénétrantes, ont trop souvent été démenties. Comme chez de nombreux sociologues, sa doctrine ne suit pas les règles de sa méthode scientifique. La philosophie soi-disant positive recouvre une métaphysique dogmatique, d'inspiration théorique et sa sociologie se transforme en
sociolâtrie. 117 Alexis de Tocqueville (1805-1859) O R.Aron note que Tocqueville ne figure pas parmi les inspirateurs de la pensée sociologique. Sans doute comme Montesquieu est-il avant tout un penseur politique, « le Montesquieu du xixe siècle » dit de lui RoyerCollard213. Mais alors que Montesquieu peut être considéré comme un précurseur de la rigueur scientifique dans les sciences sociales, les idées de Tocqueville exercent une influence, non ses méthodes. Sa seule méthode est d'être intelligent, subtil, intuitif, et de savoir écrire ! Ne serait-ce qu'à titre d'exemple de résultats d'analyse qualitative, il mérite d'être cité. Tocqueville a écrit deux livres importants214, publiés de son vivant : La Démocratie en Amérique (1835), et L'Ancien Régime et la Révolution (non terminé). Il étudie non seulement les facteurs historiques, politiques et économiques, mais également sociologiques : « On peut m'opposer sans doute les individus, écrit-il, je parle des classes, elles doivent seules occuper l'histoire. » Sans donner de définitions des classes ni des groupes sociaux, il les analyse, montrant leur manque d'unité, leur tendance à l'uniformité et à la séparation, les privilèges des uns, les ambitions des autres. Analyse descriptive sans doute, mais plus riche d'explication que bien des tentatives plus ambitieuses. Si Tocqueville excelle dans l'analyse politicosociologique, ou dans la description et le portrait d'une société particulière, il utilise, note R. Aron, dans le second volume de la Démocratie en Amérique une troisième méthode : « une sorte de type idéal, la société démocratique, à partir duquel il déduit quelques-unes des tendances de la société future215 ». A partir d'éléments connus il essaie de poser les questions essentielles pour
l'avenir et d'y répondre en termes de tendance et d'alternative. C'est le même type de procédé qu'utilisera Weber pour imaginer un autre passé possible. L'aristocrate Tocqueville ne croit pas que l'industrie suscite une aristocratie nouvelle. Comme le dit R. Aron : « [...] contre la vision catastrophique et apocalyptique du développement du capitalisme propre à la pensée de Marx, Tocqueville faisait, dès 1835, la théorie plus résignée qu'enthousiaste du wellfarestate ou encore de l'embourgeoisement généralisé216 ». On doit enfin noter que Tocqueville n'éprouve pas de scrupules à juger. A côté de toutes les professions de foi scientifiques (Comte, Durkheim, Pareto) et serments d'objectivité constamment transgressés, il est reposant de lire un auteur qui, après avoir analysé d'une façon qu'il croit honnête, les événements, les juge en fonction de sa propre échelle de valeurs. « Je n' ai même pas prétendu juger si la révolution sociale, dont la marche me semble irrésistible était avantageuse ou funeste à l'humanité ; j'ai admis cette révolution comme un fait accompli, ou près de s'accomplir, et, parmi les peuples qui l'ont vu s'opérer dans leur sein, j'ai cherché celui chez lequel elle a atteint le développement le plus complet et le plus paisible, afin d'en discerner clairement les conséquences naturelles et d'apercevoir s'il se peut, les moyens de la rendre profitable aux hommes217. » En ce sens, écrit Aron, « il appartient à la tradition des philosophes politiques classiques, qui n'auraient pas conçu d'analyser les régimes sans les juger simultanément218. 118 Vïlfredo Pareto (1848-1923)219 O Le Traité de sociologie générale « énorme bloc » au sens physique du terme, hors des courants de la sociologie, demeure l'objet des jugements les plus contradictoires... ce qui est
rare après un demi-siècle, constate R. Aron220. Si l'on considère l'ensemble de l'œuvre de Pareto221, on s'aperçoit qu'elle n'atteint pas les buts qu'il s'était fixés. Alors qu'il insiste sur la nécessité de l'objectivité scientifique, ses raisonnements s'appuient sur de nombreux a priori et jugements de valeurs. Malgré son horreur du réformisme et du moralisme, son œuvre s'apparente plus à celle des auteurs du début du xrx5 siècle (Comte) qu'à celle de ses contemporains (Durkheim, Weber). Pourquoi faut-il dans une histoire succincte des méthodes de la sociologie, faire une place à Pareto ? Parce qu'il est sans conteste un des précurseurs de la sociologie systématique et un des premiers à avoir tenté de rendre compte des changements politiques et sociaux. La formation d'ingénieur de Pareto le prédisposait sans doute à une vue mécaniste de la société. Économiste, il succède à la chaire de Léon Walras à l'université de Lausanne. Après des articles d'économie il publie en 1902, un ouvrage critique économico-politique : Les systèmes socialistes et en 1916 le fameux Traité de Sociologie Générale. Pour Pareto la distinction fondamentale est celle qui oppose les formes d'actions logiques aux formes non-logiques. Alors que les premières sont reliées aux buts qu'elles poursuivent: activité de l'ingénieur ou de l'économiste, les deuxièmes concernent le reste des actions humaines, dont l'étude revient à la sociologie. Celle-ci doit donc étudier logiquement les actions non logiques : sentiments, croyances, instincts, ce que les hommes rationalisent mais ignorent le plus souvent eux-mêmes, et que Pareto nomme résidus222. Ces sentiments peuvent être rationalisés, justifiés en quatre classes de dérivatioris223. Comment fonctionnent ces éléments ? Comment agissent-ils pour maintenir l'équilibre de la société ? Nous voyons ici abordés les problèmes qui seront
ceux des structuro-fonctiorrnalistes modernes comme T. Parsons224 et G. C. Homans qui ont certainement subi l'influence de Pareto. L'autre aspect important de la contribution de Pareto est son analyse du changement social. S'opposant à Marx en élargissant la notion de lutte de classes, il pense que celle-ci n'est que la forme contemporaine et transitoire d'oppositions qui sont celles de la lutte pour la vie. Le plus important pour Pareto est le problème de la circulation des élites, en fonction de la distribution des résidus et de leur nature225. Suivant sa formule célèbre « l'histoire est un cimetière d'aristocraties ». Sur le plan de la méthode, la conception qu'il appelle logico-expérimentale fait appel à l'observation et même à l'expérimentation. Ne se préoccupant pas de l'essence des choses, Pareto se contente d'hypothèses. Les lois ne sont pas nécessaires. Il émet le vœu très moderne de voir la sociologie « atteindre le niveau auquel se trouve déjà la philologie ». En fait dans la lre partie du Traité, Pareto constate les sentiments à travers les conduites, sans donner d'explication réelle. Il s'arrête au seuil de la psychologie. Dans la seconde partie au contraire, les élites sont caractérisées par des traits psychologiques qui limitent l'explication en n'abordant pas l'organisation des pouvoirs et de la société. « La méthode de Pareto n'est ni proprement psychologique ni spécifiquement historique, elle est géné-raiisatrice », écrit R. Aron226... Sa volonté de voir la sociologie étudier ce que les hommes font, sans savoir vraiment pourquoi ils le font, est proche également des préoccupations de la sociologie contemporaine. Pareto « confond les traits communs à toutes les sociétés avec les traits essentiels à tout ordre social, dévalorise les différenciations historiques et enlève presque toute signification au devenir lui-même227». 119 Emile Durkheim (1858-1917). a) L'homme et l'œuvre O Premier sociologue à avoir élaboré une méthode scientifique dans Les
règles de la méthode sociologique228, Durkheim n'en reste pas moins avant tout un philosophe et un moraliste, lui aussi marqué par les problèmes de son époque et ses problèmes personnels: l'affaire Dreyfus229, la défaite de 1870, la commune, la guerre de 1914, la mort de son fils tué en 1917. « Notre premier devoir actuellement est de nous faire une morale » déclare-t-il en conclusion de sa thèse sur La division du travail social (1893), et d'affirmer que la sociologie ne vaudrait pas une heure de peine si elle n'était que spéculative. On n'insistera pas ici sur l'aspect philosophique de l'œuvre de Durkheim. Il demeure de son époque, proche de Comte par son moralisme, sa façon de réifier et même de déifier la société : « Entre Dieu et la Société, il faut choisir. [...] Ce choix me laisse assez indifférent, car je ne vois dans la divinité que la société transfigurée et pensée symboliquement230. » Il faut en revanche insister sur le modernisme de ses conceptions scientifiques. On doit à Durkheim le premier effort conscient et réussi pour allier théorie sociologique et recherche empirique. En effet, après la publication (1895) des Règles de la méthode sociologique, Durkheim fait paraître (1897) une étude sur Le suicide qui illustre sa méthode. Le suicide est une étude d'après des documents statistiques qui commencent à se multiplier. Durkheim s'aperçoit que la notion même de suicide est difficile à définir parce qu'elle recouvre un même phénomène dont les causes peuvent être très différentes. En comparant l'évolution des taux de suicide
des divers pays, Durkheim s'aperçoit que ceux-ci sont fonction des groupes sociaux. Il en conclut que le suicide est un fait social, indépendant de chaque décision individuelle. Restaient alors à découvrir les facteurs sociaux en cause. Se livrant à des analyses que l'on a depuis perfectionnées et que l'on appelle aujourd'hui multivariées231, Durkheim isole tour à tour les divers facteurs : sexe, état-civil, religion, pour en mesurer l'importance. Il est également le premier à avoir utilisé la « variable intervenante » c'està-dire le facteur non compris dans une statistique, mais que l'on soupçonne d'agir, et dont il faut trouver un indice révélateur mesurable. C'est le cas par exemple de la cohésion sociale, qui n'apparaît pas dans les documents adrrumstratifs et que Durkheim recherche à travers les taux de divorce, etc. Posant alors le problème des degrés d'intégration à la société il découvre la notion d'« anomie » qu'il rendit célèbre et que l'on peut définir comme l'état de trouble, d'absence d'intégration sociale qui fait suite au dérèglement des besoins par rapport aux possibilités qu'offre la société de les satisfaire. Ce sont ces innovations, les scrupules et l'extrême conscience avec laquelle sont exploités les chiffres de cette étude, malgré ses imperfections, qui ont permis de considérer Durkheim comme le premier grand sociologue empirique. Mais, Durkheim ne sera pas qu'un empiriste. Les volontés individuelles sont insuffisantes à expliquer ces lois que traduisent la régularité de certains événements, comme le suicide. Il faut admettre que des forces extérieures impersonnelles agissent, qu'il existe donc bien des phénomènes sociaux. C'est le propre de la sociologie de les étudier, d'observer les habitudes collectives et leurs transformations. On imagine l'effet que pouvait produire en
1895 une démonstration de ce genre. Si elle enthousiasmait les esprits scientifiques, désireux de démonter la mécanique sociale, comme celle des planètes ou des fluides, en reléguant sorciers et soutanes232, quelle pouvait être la réaction de l'homme, même sans parti pris, pour lequel la décision de vivre ou de mourir représentait l'action la plus personnelle et la plus libre que l'on puisse entreprendre ? Les lois de la physique sont extérieures, elles nous conditionnent seulement matériellement, il est plus facile de s'en accommoder. Mais ces impondérables lois sociales, fabriquées par nous-mêmes à notre insu, qui nous détermineraient sans que nous le sachions... comment en accepter l'idée ? 119-1 b) Durkheim et l'exemple de la physiologie : C. Bernard et L. Pasteur o Si Durkheim heurte les tendances majoritaires de son époque : la métaphysique, le vitalisme, le psychologisme, il n'est tout de même pas seul. Saint-Simon, A. Comte et Spencer ont montré le chemin mais ne l'ont pas suivi233. C'est un contemporain, un physiologiste, C. Bernard qui lui servira d'exemple dans son entreprise scientifique. Il le cite rarement, car ce n'est pas au savant qu'il emprunte, mais à la physiologie234. Comme l'écrit J. Michel (1990)235 : D'après Durkheim « [...] pour une science, s'autonomiser veut dire à la fois se libérer et se servir des autres savoirs [...] mais une science ne peut efficacement emprunter à une autre, qu'à la condition que celle-ci soit établie, autonome tant dans sa méthode que dans son champ d'investigation ». Ce n'est pas de métaphore qu'il est question, Durkheim a reproché à Spencer d'en abuser, mais de comparaison. Il s'agit d'une similitude des points de vue236, non d'une activité semblable que la différence d'objet rend impossible. On a de nombreuses preuves et les réflexions de Durkheim lui-même sur l'influence
qu'exerça sur lui C. Bernard dont la notoriété n'était en rien comparable à celle de Pasteur. Alors pourquoi Pasteur n'a-t-il pas lui aussi, par ses recherches empiriques, intéressé Durkheim ? D'abord une opposition sociale et psychologique explique cette distance. Pasteur est un catholique pratiquant, ambitieux, conservateur, cultivant ses relations et sa popularité. Durkheim, un juif, socialiste et ce qui ne facilitait pas les échanges, tous deux également austères, convaincus et entêtés. Mais plus que ces traits de personnalité, leurs objectifs scientifiques les opposaient. Pasteur s'intéressait à la microbiologie et poursuivait des résultats pratiques, limités à un domaine précis, « un symptôme, un microbe, un vaccin » disait-on. Au contraire, Durkheim trouvait chez Claude Bernard, toutes proportions gardées, un objectif semblable au sien. Tous deux entreprenaient des recherches empiriques rigoureuses, mais avec la même ambition d'en généraliser les résultats, pour C. Bernard aux grandes fonctions de l'organisme, pour Durkheim à la société tout entière. C'est chez Claude Bernard que Durkheim trouvera la solution ou du moins la confirmation de la vérité qu'il apporte aux problèmes délicats de la sociologie : L'incontournable question des rapports de l'individu et de la société, des parties et du tout, du déterminisme et de la liberté, enfin de la psychologie et de la sociologie. « Il y a entre la psychologie et la sociologie, la même solution de continuité qu'entre la biologie et les sciences physico-chimiques »237 écrit-il. Si la sociologie se heurte à des difficultés propres aux sciences sociales, la solution est la même : « L'origine première de tout processus social de quelque importance doit être recherchée dans la constitution du milieu social interne [...]. L'effort principal du sociologue devra donc tendre à découvrir les différentes propriétés de ce milieu »238. La notion de milieu interne, avec tout ce qu'elle implique est une création de C. Bernard que
Durkheim s'approprie. De même que pour le physiologiste, les organismes élémentaires ne peuvent survivre séparés de leur environnement, l'individu ne peut se concevoir hors de la société dont il fait partie, au sein des diverses consciences collectives : (morales, familiales, religieuses, juridiques) au milieu desquelles il a grandi et dont l'étude forme le champ de la sociologie. L'anomie est bien la preuve de la nécessité pour la liberté de l'être humain d'une subordination de l'individu à l'ensemble social. « Comme chez C. Bernard, l'autonomie et la subordination doivent être pensées ensemble »239 A la question fondamentale de la sociologie : comment une somme d'individus peut-elle former une société ? Durkheim répondra : par la solidarité, élément commun à toute existence sociale. S'opposant à Spencer qui considérait deux types de société possible sans rapports entre eux, il distingue la solidarité mécanique dans les sociétés à conscience collective forte, et la solidarité organique dans les sociétés complexes, où, sous l'influence de la division du travail, la complémentarité unira des parties et des intérêts interdépendants. On trouve déjà dans la division du travail social des idées fondamentales que Durkheim explicitera dans la suite de ses œuvres. La conscience collective est : « l'ensemble des croyances et des sentiments communs à la moyenne des membres d'une société. » Cet ensemble forme un « système déterminé qui a sa vie propre ». Durkheim affirme ensuite la priorité de la société, de la structure sociale, du tout sur les parties : les individus, les phénomènes individuels. 120 c) Existe-t-il des faits sociaux? O Sur le plan méthodologique, nous trouvons pour la première fois une réflexion organisée, systématisée, sur ce qu'est la sociologie et à quelles conditions elle peut être une science.
Les deux textes essentiels, qui d'ailleurs se recoupent en bien des points, sont Les règles de la méthode sociologique et l'article de P. Fauconnet et M. Mauss240 sur la sociologie, paru dans la Grande encyclopédie française du XXe siècle (1901). La première question posée par Durkheim est celle-ci. : peut-il exister une science appelée sociologie comme il existe une science physique241 ? A quelles conditions peut-on parler de science ? Lorsqu'il y a un objet et une méthode scientifiques, c'est-à-dire la possibilité de relier les faits entre eux. D'où deux questions : y a-t-il un domaine, un objet, des faits sociaux spécifiques ? y a-t-il une méthode scientifique applicable à cet objet ? Admettre des faits sociaux spécifiques, c'est prendre une position anti-psychologiste et reconnaître que les phénomènes collectifs sont autre chose qu'une simple addition de réactions individuelles. Non content de découvrir ces faits sociaux, Durkheim ajoute que leur caractéristique, ce qui permet de les reconnaître, c'est la contrainte242. « Les faits sociaux consistent en des manières d'agir, de penser et de sentir extérieures à l'individu et qui sont douées d'un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s'imposent à lui243 [...] Un fait social se reconnaît au pouvoir de coercition externe qu'il exerce ou est susceptible d'exercer sur les individus 244. » Les institutions constituent cet ensemble d'actes et d'idées que les individus trouvent en naissant, qui sont antérieures à chacun et qui s'imposent à tous, mais elles vivent, se transforment. La sociologie a pour but de les étudier. L'éducation est l'opération par laquelle l'être social est surajouté à l'enfant et
l'adapte à cette contrainte qu'exerceront sur lui les institutions245. 121 d) L'explication des faits sociaux O Comment expliquer cette contrainte et ce qui détermine les faits sociaux. Durkheim repousse les explications trop générales que propose la philosophie de l'histoire (Comte, Spencer), car elles ne rendent pas compte de la variété des coutumes, et également les explications particulières par l'histoire ellemême. La méthode comparative montre, sans fournir de raisons, qu'il existe des institutions identiques chez des peuples différents. Il écarte enfin et surtout, l'explication par la psychologie individuelle, très répandue chez les sociologues de l'époque, qui attribuent à l'homme les sentiments que sa conduite manifeste (la jalousie par l'instinct sexuel) au lieu d'en expliquer l'origine. « Puisque leur caractéristique essentielle consiste dans le pouvoir qu'ils ont d'exercer du dehors une pression sur les consciences individuelles, c'est qu'ils n'en dérivent pas et que par suite la sociologie n'est pas un corollaire de la psychologie. [...] L'individu écarté, il ne reste que la société, c'est donc dans la nature de la société elle-même, qu'il faut aller chercher l'explication de la vie sociale246. » Pour Durkheim, on s'en doutait, l'explication doit être de nature sociologique. « La cause déterminante d'un fait social doit être cherchée parmi les faits sociaux antécédents, et non parmi les états de la conscience individuelle. [...] La fonction d'un fait social doit toujours être recherchée dans le rapport qu'il soutient avec quelque fin sociale247. » La pensée de Durkheim que Malinowski considérait comme le père du fonctionnalisme, oscille entre une explication historique : « l'origine première de tout processus social doit être recherchée dans la constitution du milieu social interne » et une attitude que l'on qualifierait aujourd'hui de
fonctionnelle. Confondant parfois la recherche des origines et la découverte des fonctions, il tente une conciliation en déclarant qu'il faut utiliser ces deux points de vue de façon indépendante. Cependant Durkheim rend un immense service à la sociologie en la débarrassant du fma-lisme historique, cette forme d'utopie, obstacle à son développement scientifique. « Quand on entreprend d'expliquer un phénomène social, il faut rechercher séparément la cause efficiente qui le produit et la fonction qu'il remplit248. » [...] « Faire voir à quoi un fait est utile, n'est pas expliquer comment il est né, comment il est ce qu'il est [...] un fait peut exister sans servir à rien249. » A la recherche d'une explication sur la valeur impérative des institutions sociales, Durkheim découvre l'opinion, système de représentations collectives qui expriment l'état de la société. Les institutions n'existent que par les représentations que s'en fait la société, leur force vient des sentiments qu'elles inspirent. 122 e) La méthode d'étude des faits sociaux O L'existence de l'objet de la sociologie : les faits sociaux, étant admise, reste à savoir comment ils peuvent être étudiés de façon scientifique. La première règle, fondamentale est de « considérer les faits sociaux comme des choses ». « Nous ne disons pas en effet que les faits sociaux sont des choses matérielles, mais sont des choses au même titre que les choses matérielles, quoique d'une autre manière. Qu'est-ce en effet qu'une chose ? La chose s'oppose à l'idée, comme ce que l'on connaît du dehors à ce que l'on connaît du dedans [...] Traiter des faits d'un certain ordre comme des choses, ce n'est donc pas les classer dans telle ou telle catégorie du réel, c'est observer vis-à-vis d'eux une certaine attitude mentale250. » C'est grâce à Durkheim que la sociologie française a la
première admis que la sociologie est une science comme les autres et que son but est la découverte de relations générales entre les phénomènes. Mais Durkheim ne s'est pas contenté de vouloir appliquer la démarche de la recherche scientifique aux faits sociaux. Le processus est vécu, pensé, systématisé en fonction de son objet particulier. Si la démarche est semblable, c'est parce que le but identique, la science, impose les mêmes conditions. Après avoir attiré l'attention sur l'importance de la définition pour « limiter le champ de la recherche et savoir ce dont on parle », Durkheim insiste sur la nécessité de substituer aux notions du sens commun une première notion scientifique. Les notions ou concepts, « [...] ne sont pas les substituts légitimes des choses. Produits de l'expérience vulgaire, ils ont avant tout pour objet de mettre nos actions en harmonie avec le monde qui nous entoure. Ils sont formés par la pratique et pour elle251 ». L'observation ne doit pas être un simple compte rendu car la sociologie ne décrit pas les faits, elle doit les constituer, thème que reprendra Bachelard. Durkheim insiste sur le fait que les observations doivent être faites de façon impersonnelle, utilisables et vérifiables par tous, avant d'être systématisées rationnellement. Devant les difficultés de l'expérimentation, il reconnaît que «la méthode comparative est la seule qui convienne à la sociologie252 ». Donriant une fois de plus la preuve de son esprit scientifique, il insiste sur la qualité d'une expérience, plus importante à son avis qu'une accumulation de constatations secondaires. « Dès qu'on a prouvé que dans un certain nombre de cas, deux phénomènes varient l'un comme l'autre on peut être certain qu'on se trouve en présence d'une loi »253
123 Influence de Durkheim O L'œuvre de Durkheim a exercé une influence souvent indépendante des idées de son auteur. Les sociologues américains ont trouvé chez lui, sur le plan théorique, les notions de fonction, de solidarité et d'anomie et sans doute un moralisme convenant à leur puritanisme. Parsons en particulier, y a puisé des éléments pour sa théorie de l'équilibre social254. Sur Je plan pratique, les règles de la méthode donnaient aux chercheurs des États-Unis la garantie scientifique qu'ils recherchaient. En France, Durkheim a occupé à la Sorbonne la première chaire de sciences de l'éducation et de sociologie. Ses élèves les plus érninents, (Mauss, Fauconnet, Davy), ont constitué ce que l'on a appelé l'école française de sociologie. La fondation de L'année sociologique en 1898 (deux ans après l'Ameri-can journal of sociology), a permis le contact entre sociologues d'horizons divers et la publication de nombreuses recherches, en particulier d'ethnologie. Mais l'impérialisme de Durkheim qui visait le regroupement de toutes les sciences sociales sous la protection de la sociologie, irritait les économistes et les historiens255. Enfin son esprit dogmatique, moralisateur, et, c'est à un anglais de s'en plaindre256 , totalement dépourvu d'humour, ne facilitait pas l'acceptation de tendances scientifiques, qui heurtaient un grand nombre de ses collègues. L'influence directe de Durkheim après la disparition de ses disciples subit une éclipse. Elle se fera à nouveau sentir en France par le détour des États-Unis, dans la recherche d'une réflexion théorique plus scientifique257. Parmi les sociologues français de cette époque, il faut encore citer Levy-Brûhl (1857-1939). Sans être en opposition réelle avec Durkheim, il représente un courant de pensée différent, opposé à toute tendance moralisante.
Parmi les durkheimiens : Halbwachs (1877-1945) s'est intéressé aux problèmes des classes sociales, des niveaux de vie, à la mémoire collective258. Marcel Granet (1884-1940) à la pensée chinoise, Simiand (1873-1935) est l'auteur d'un ouvrage sur le salaire. 124 Marcel Mauss (1872-1950) O Neveu de Durkheim, Mauss mérite une attention particulière. Il fut à la fois ethnologue et sociologue. Son œuvre comporte surtout des articles. Les plus connus ont été rassemblés dans un volume Sociologie et Anthropologie259 et concernent une théorie générale de la magie, l'essai sur le don, les rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie. D'autres textes ont été également publiés 260. Fervent durkheimien, Mauss réagira tout de même contre le spiritualisme et l'évolutionnisme de son oncle. Comme l'écrit G. Cazeneuve (1968), il recherchait davantage dans l'étude des sociétés lointaines un moyen d'accès à des phénomènes fondamentaux et pour ainsi dire universels, qu'un point de départ d'une évolution plus ou moins mécaniste ou réductrice. « Non point un chef d'école, mais un précurseur261. » Il n'énonce pas de règles précises, mais sa manière de découvrir dans la prière un élément commun, dans l'Essai sur le don, de raisonner sur chaque étape de sa réflexion, font de ces passages de véritables leçons de méthode. «Pour la première fois dans l'histoire de la pensée ethnologique un effort était fait pour transcender l'observation empirique et atteindre des réalités plus profondes262. » 125 Interdépendance des Sciences humaines o
Mauss a insisté sur l'interdépendance entre toutes les sciences humaines qui, en devenant autonomes, commençaient à s'opposer263. Il a tenté de concilier, par une complémentarité des points de vue, la psychologie et la sociologie264. L'étude des sociétés que l'on appelait primitives devait permettre de saisir les phénomènes sociaux, détachés des facteurs qui les perturbent ou les recouvrent, dans les sociétés complexes comme les nôtres, d'où l'importance de l'ethnologie. Mauss a insisté sur la valeur de la méthode comparative dans la mesure où elle utilise des faits bien délimités, étudiés dans leur cadre, permettant « d'établir des rapports d'une certaine généralité ». Il s'oppose à la tendance des ethnologues (anglais) de son époque, qui accumulent des observations dans des sociétés différentes, sans en tirer de conclusion. Adoptant le point de vue de Durkheim, il écrit : « C'est une erreur de croire que le crédit auquel a droit une proposition scientifique dépende étroitement du nombre des cas où l'on croit pouvoir la vérifier265. » D'après M. Merleau-Ponty (1960) et C. LéviStrauss, il peut être considéré comme le fondateur de l'anthropologie sociale moderne car il a vu que le social est à la fois signifiant et médiateur de l'intention personnelle. 126 Le fait social total O C'est dans l'Essai sur le don, forme archaïque de l'échange, que la méthode de Mauss apparaît peut-être le mieux. Il envisage toujours un petit nombre de cas judicieusement choisis, représentant des types clairement définis. Il étudie ensuite chaque type comme un tout, en le traitant comme un système. « L'espèce de relations qu'il cherche à découvrir n'est jamais celle qui existe entre deux ou plusieurs éléments arbitrairement isolés de l'ensemble de la culture, mais entre toutes ses composantes :
c'est ce qu'il appelle des « faits sociaux totaux266 ». Cette notion est capitale. Le don est considéré non pas comme un élément isolé mais la forme dynamique d'une institution générale, qui met en jeu tous les rouages. Ce qui est en cause dans les échanges, ce ne sont pas seulement des choses utiles du point de vue strictement économique, ce sont aussi « des politesses, des festins, des rites, des services militaires, des femmes, des enfants, des danses, des fêtes, des foires [...] Toutes ces institutions n'expriment qu'un fait, un régime social, une mentalité définie : c'est que tout, nourriture, femmes, enfants, biens, talismans, sol, travail, services, offices sacerdotaux et rangs, est matière à transmission et reddition267. L'une des formes de don, le notlatch des tribus nord-américaines est plus qu'un phénomène juridique, il a une signification religieuse, mythologique, économique, magique. C'est un parfait exemple de «fait social total ». Certes, d'autres avant Mauss : Comte et surtout Durkheim268, avaient insisté sur la notion de totalité en sociologie, mais il s'agissait encore d'une notion abstraite. L'apport de Mauss, c'est d'avoir démontré dans le concret les divers éléments d'un fait social total, les relations des parties avec le tout. « C'est en considérant le tout dans son ensemble que nous avons pu percevoir l'essentiel, le mouvement du tout, l'aspect vivant, l'instant fugitif où la société prend, où les hommes prennent conscience sentimentale d'eux-mêmes et de leur situation vis-à-vis d'autrui269. » Comme les juristes cherchent des « précédents », les sociologues cherchent des précurseurs, c'est pourquoi certains ont voulu qualifier l'attitude, de Mauss de fonctionnaliste, tandis que d'autres tels Levi-
Strauss découvrent en lui une orientation structuraliste, la totalité provenant de la structure. J. Poirier (1969) écrit que Mauss en découvrant « [...] comment tous les éléments de la vie en communauté s'intégraient dans un système coordonné et pouvaient s'analyser comme autant de termes différents et interchangeables », apportait « une méthode presque quantitative pour enregistrer des phénomènes qui jusqu'alors ne relevaient que la description qualitative. On saisit tout le sens de la révolution : Mauss a mis les données ethnologiques en équation270 ». A l'opposé, G. Gurvitch voit dans l'œuvre de Mauss, l'origine de l'orientation pluraliste de la sociologie. Comment expliquer ce destin curieux qui conduit Mauss à avoir une descendance si hétérogène ? Ce n'est pas l'ambiguïté de son œuvre qui est en cause, mais sa richesse : Mauss, esprit moins dogmatique, plus intuitif que Durkheim, est servi par une connaissance encyclopédique271, et surtout par un « flair génial » qui lui permet de deviner parfois sans approfondir. Moins didactique que Durkheim, il indique, suggère, démontre. Loin d'être superficiel, il ne s'arrête que « sur le roc » comme il le dit lui-même, ce roc concerne l'objet étudié, mais la question ne va pas audelà. Après son irréfutable démonstration sur le don, Mauss ne donne pas de réponse aux problèmes que d'autres, après lui, ont soulevé et qu'il ne pose même pas. Le modernisme et les intuitions de Mauss lui ont permis d'anticiper sur les tendances à venir, aussi bien pluralistes que stracturalistes. Mais dans la mesure où ces tendances sont devenues des théories et des systèmes d'explications particularistes, il aurait sans doute refusé de s'y rallier. Ce que l'on peut retenir sans interprétation abusive, c'est que M. Mauss a voulu détacher la sociologie de l'étude abstraite des institutions : « Le principe et la fin de la
sociologie c'est d'apercevoir le groupe entier et son comportement tout entier »272. § 2. La sociologie en Allemagne
Les tendances O Les conditions politiques en Allemagne n'étaient pas favorables à l'élaboration d'une sociologie scientifique. Des penseurs, juristes et historiens, développaient la sociologie en tant que théorie et méthode, à partir de leurs propres disciplines. Malgré les différentes tendances que l'on a pu classer en sociologie systématique ou formelle : Simmel, Von Wiese, Tônnies ; phénoménologique : Vierkandt ; historique : Oppenheimer, Marmheim, Alfred Weber273, tous ces auteurs ont un point commun, les problèmes intellectuels et sociaux que pose leur époque : l'influence des systèmes de Hegel et Marx contre lesquel ils vont s'insurger, le développement industriel, les rapports de l'individu avec la collectivité. Problèmes qui, d'une façon plus aiguë qu'en France, opposaient communauté et société, culture et civilisation. Karl Marx (1818-1883), Friedrich Engels (1820-1895) O « Marx était un égoïste qui ne pensait qu'aux autres » écrivait de lui sa femme Jermy. Est-il sociologue, a-t-il sa place dans cette rubrique ? Pour G. Gurvitch, il est « le plus grand et le moins dogmatique de tous les fondateurs de la sociologie [...] d'abord et avant tout un sociologue274 ». Pour R. Aron : « Ici apparaissent à la fois la grandeur et l'équivoque de la sociologie marxiste : Elle est essentiellement une philosophie et veut être une sociologie275. » L. Goldman de son côté affirme que pour le marxisme, la sociologie est impossible car la science marxiste se veut pratique et révolutionnaire. H. Lefebvre, après avoir repoussé les
interprétations économistes et his-toricistes de la pensée marxiste, refuse également le sociologisme. « La méthode dialectique disparaît au profit du « fait » et la contestation critique s'affaiblit au profit de la constatation ». La considération de la société comme un tout déprécie la contradiction, c'est pourquoi il s'en tient à l'affirmation suivante : « Marx n'est pas un sociologue, mais il y a une sociologie dans le marxisme276. » Le marxisme comme le positivisme de Comte, est né des contradictions de la société moderne, de la grande industrie, de la lutte de l'homme contre la nature et contre d'autres hommes. Le génie de Marx a consisté à donner de ces contradictions une explication qui « plonge dans la réalité, la découvre et l'exprime au lieu de s'en détacher et d'en détacher un fragment isolé ». Il arrive à ce résultat par une synthèse des doctrines antérieures : matérialisme, idéalisme, utopie sociale. Engels déclare que Marx a retenu de la philosophie classique allemande la philosophie, des économistes anglais le goût des analyses scientifiques, enfin des socialistes français la notion de lutte des classes. 129 La dialectique O II y a chez Marx une méthode au sens le plus élevé du terme : la dialectique (cf. n° 9 et s.). Elle relève de la théorie de la connaissance, mais en tant que démarche pour l'étude de la réalité, elle n'est nulle part codifiée. Liée à la conception marxiste du monde, elle ne se détache pas du contenu même de la démonstration. D'importantes indications méthodologiques se trouvent dans la préface du Capital, précisant l'aspect concret de l'analyse. Marx distingue d'abord la méthode de recherche qui doit «s'approprier en détail» l'objet étudié, analyser et découvrir les relations internes de ses éléments entre eux, et employer pour cela des techniques les plus appropriées à l'objet, c'est-à-dire ne pas employer des méthodes
propres aux sciences naturelles pour l'étude des phénomènes économiques, par exemple. Après l'analyse naît l'exposition qui, elle, est synthétique et vise à reconstituer l'ensemble. Pour le résumer, nous dirons que le marxisme insiste sur le fait que la réalité à atteindre est toujours une réalité en mouvement. La méthode dialectique voulant être une explication totale, on la retrouvera à propos des diverses tentatives d'explication en sociologie (cf. n° 394). 130 Notions essentielles O Pour comprendre le déroulement de la pensée marxiste, un texte célèbre tiré de la Critique de l'économie politique apporte de nombreux éléments : « Dans la production sociale de leur existence, les hommes nouent des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté. Ces rapports de production correspondent à un degré donné du développement de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports forme la structure économique de la société, la fondation réelle sur laquelle s'élève un édifice juridique et politique, et à quoi répondent des formes déterminées de la conscience sociale. Le mode de production de la vie matérielle domine en général le développement de la vie sociale, politique et intellectuelle. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience277. » Dans ce texte apparaît d'abord la notion essentielle de la spécificité du social : l'existence sociale détermine la conscience. Ce n'est pas l'individu isolé mais la masse des individus qui constitue le facteur déterminant de l'évolution sociale. Autre idée fondamentale, le marxisme veut être concret, car l'homme est un être de besoins. Pour les satisfaire, il entre en lutte avec la nature en développant des techniques et une organisation par la division du travail. Ces trois éléments constituent ce que le marxisme
nomme les forces productives, tandis qu'il appelle mode de production : la structure sociale, non plus le rapport de l'homme avec la nature mais l'organisation de la propriété, les fonctions sociales, la lutte des classes, etc. Historiquement les forces de production déterminent le mode de production mais on ne peut les séparer de ce dernier. Nous retrouvons ici la notion de praxis car c'est à travers l'action sur la nature et sur lui-même que se développe la conscience de l'homme, sa connaissance du monde, sur elle que s'édifie l'organisation politique et sociale et à travers elle enfin, que se déroule l'histoire de l'humanité. « Au commencement était l'action », écrivait Engels, rappelant le mot de Goethe : « [...] avant d'argumenter, les hommes agissaient. » Ce qui conditionne l'évolution des sociétés, ce sont les rapports de production, d'où le nom de matérialisme historique appliqué au marxisme. Ce terme désigne non pas une philosophie de l'histoire mais la genèse de l'homme total, objet de toute science de la réalité humaine, et objectif de l'action. Marx conçoit une science historique qui échappe à ce qui la limite habituellement : l'histoire événementielle et celle des institutions. Mais les rapports de production en se développant entrent en collision, « des conflits naissent qui opposent des groupes aux intérêts contradictoires ». C'est la lutte des classes. « L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire des luttes de classe. Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître et compagnon, en un mot oppresseurs et opprimés en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée, une guerre qui finissait toujours, soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la destruction de deux classes en lutte278. » La défrnition que dorme Marx des classes sociales, leur nombre et les critères retenus
pour les distinguer ont varié suivant les événements à propos desquels il les étudiait279. 131 L'aliénation O A la complexité de l'interaction de deux éléments, l'un spontané, biologique (rapport homme-nature), l'autre réfléchi (conscience de l'homme, organisation), s'ajoute un troisième facteur : le monde inhumain, illu- soire, de l'aliénation, notion complexe et très controversée. Transformant la notion philosophique empruntée à Hegel, Marx lui a donné un sens dialectique, rationnel et plus positif. L'homme se développant à travers des contradictions, l'humain, l'élément positif ne pouvait se former qu'à travers l'inhumain (le négatif), c'est-à-dire l'aliénation de l'humain. L'aliénation de l'homme n'est pas religieuse (notion de chute), ni morale (faute), ni théorique, ni idéologique, elle est réelle, concrète, pratique, économique, sociale et politique. Les rapports que l'homme entretient avec les objets qu'il crée, dans lesquels il s'exprime, sont normaux, jusqu'au moment où certains prennent une existence indépendante. Ils se transforment en formes abstraites : l'argent, le capital, qui deviennent alors des réalités oppressives, aux mains d'une minorité. La domination de ces fétiches sur l'homme constitue son aliénation. Le fétichisme véritable apparaît lorsque les abstractions échappent au contrôle, à la pensée et à la volonté des hommes. Ce serait au fond, la version moderne de l'animisme des sociétés archaïques. Les objets n'exercent plus une domination surnaturelle, mais sociale, psychologique, en fait, ils deviennent un peu plus que des choses matérielles280. 132 La superstructure O Dans l'analyse sociologique on retrouve aussi un troisième niveau s'ajoutant aux forces productives et au mode de production : la superstructure. Elle élabore, codifie ou transpose (idéologiquement) les rapports humains dans
un mode de production donné et réagit soit pour les faire avancer (par exemple par le moyen de l'État politique), soit au contraire pour les conserver (politique réactionnaire). La superstructure comprend les institutions juridiques et politiques, les idéologies et fétiches idéologiques. Elle est l'expression du mode de production. Ici encore, les définitions données des superstructures... et des idéologies ont varié. Ce que les critiques et même les disciples de Marx oublient trop souvent, c'est que les forces productives ne se réduisent ni « aux moyens de subsistance »... ni plus généralement, à la seule production économique. Marx cite également «la production spirituelle» et souligne que les deux s'interprètent dans l'activité sociale, globale qui « est sensible, totale et vivante281.». C'est ce qui lui permet d'écrire : « De tous les instruments de production, le plus grand pouvoir productif, c'est la classe révolutionnaire elle-même. » Sans doute s'agit-il encore d'un volontarisme collectif qui ne tient pas compte de l'action individuelle, mais nous sommes loin de l'effet mécanique des facteurs économiques, caricature du marxisme. Affirmer que Marx réduit toute la vie sociale à la vie économique est fondamentalement « faux » écrit Gurvitch, « car il a fait exactement le contraire : il a révélé que la vie économique n'est qu'une partie intégrante de la vie sociale et que notre représentation de ce qui se passe dans la vie économique est faussée, dans la mesure même où nous ne nous rendons pas compte que sous le capital, la marchandise, la valeur, le prix, la distribution de biens, se cachent la société et les hommes qui y participent282 ». Engels précisait dans une lettre à Joseph Bloch (21 septembre 1890) : « D'après la conception matérialiste de l'histoire, le facteur qui est en dernière instance, déterminant dans l'histoire, est la production
et la reproduction de la vie réelle. Ni Marx, ni moi n'avons rien affirmé de plus. Mais si l'on nous fait dire que le facteur économique est le seul déterminant, alors on transforme la première proposition en une phrase creuse, abstraite et absurde. La situation économique est la base, mais les différents facteurs de la superstructure - formes politiques de la lutte des classes et ses résultats - formes juridiques et aussi bien entendu, les reflets de toutes ces luttes réelles dans le cerveau des participants, théories politiques, juridiques, philosophiques [..,] exerçant également leur influence sur le cours des luttes historiques et en déterminent dans beaucoup de cas, les formes de façon prépondérante. Il y a action et réaction de tous ces facteurs283. » Ajoutons enfin que seule une mauvaise interprétation du matérialisme historique permettait d'attribuer à Marx une conception fataliste et déterministe de l'histoire. Dans La Sainte Famille il écrit : « L'histoire ne fait rien. C'est l'homme, l'homme seul, l'homme vivant qui fait, qui possède, qui combat. Ce n'est pas l'histoire qui utilise l'homme pour réaliser ses fins [...] comme si elle était une personne indépendante, elle n'est rien, rien que l'activité de l'homme poursuivant ses fins284. » Mais, et c'est en cela que Marx est sociologue, lorsqu'il dit l'homme, il s'agit des hommes, de l'humanité et des fins qu'ils poursuivent même s'ils n'en sont pas toujours conscients. « Les hommes font leur histoire mais ils ne savent pas qu'ils la font. » Une sociologie scientifique comporte l'étude de ces facteurs extérieurs à l'homme. 133 Influence du marxisme O H. Lefebvre a raison de ne pas vouloir limiter Marx en l'enfermant dans une catégorie (même aussi variée que celle des sociologues), lui qui les bouscule toutes. On a beaucoup discuté, interprété Marx, sa doctrine, sa théorie de la connaissance, mais le plus souvent passé sous silence sa pratique méthodologique en sociologie.
Bien entendu la méthode dialectique est la clef qui ouvre toutes les portes, le seul moyen de comprendre les faits sociaux puisqu'ils sont contradictoires. Mais on aurait aimé voir sélectionnés et rassemblés les conseils méthodologiques épars dans toute son œuvre tels que : « L'observation empirique doit [...] présenter la connexion de la structure sociale et politique avec la production. » Sans doute H. Lefebvre dans un chapitre sur la méthode285 cite-t-il les indications de la préface du Capital, mais il n'insiste pas. Tandis que certains reprochent à Marx l'utilisation d'une méthode déductive, dans laquelle les faits viennent à l'appui des principes a priori, d'autres indiquent que : « la conception marxiste des modes successifs d'organisation sociale est un produit authentique de la méthode historique et inductive286. » M. Cuvillier signale brièvement que Marx et Engels ont utilisé les méthodes de la sociologie positive de l'époque, méthode historico-comparative surtout, mais aussi méthode statistique dans le Capital et techniques d'enquêtes ethnographiques dans l'Origine de la Famille de la propriété privée et de l'État (Engels). Mais comment travaillait Marx, où puisait-il ses documents, comment les utilisait-il287 ? Surtout comment ne trouve-t-on pas évoquée cette enquête sur les ouvriers, préparée par Marx, jamais dépouillée semble-t-il, qui montre jusqu'où allait son désir de chercher ses matériaux dans la réalité288. Dans la mesure où l'importance attribuée aux facteurs économiques paraît aujourd'hui évidente, et où de nombreuses façons de penser sont d'origine marxiste (sans qu'on le sache toujours) on peut dire que cette vulgarisation, malgré ses inconvénients (Marx se disait non marxiste, que dirait-il aujourd'hui ?) est un signe indéniable d'influence. Au point de vue méthodologique, qui nous intéresse ici, c'est surtout au niveau le plus élevé de cette notion, dans le cadre d'une théorie de la
connaissance que la dialectique a suscité de l'intérêt et de nombreuses controverses289. Pourtant un ouvrage britannique290 note après quelques lignes sur Marx que « bis influence is not unconsiderable291 » et P. Lazars-feld indique que la nouvelle International Encyclopedia ofthe social sciences en 16 volumes, anthologie américaine classique consacrée à la philosophe des sciences sociales, ne comporte aucun article sur la dialectique. Cependant, si à la recherche d'une nouvelle conception du monde, les jeunes « radicaux»292 américains se mettaient (en 1960) à étudier Marx, ce n'était peut-être pas seulement pour échapper à l'ennui du structuro-fonctionnalisme. 134 Wïlhelm Dïlthey (1833-1912) O Comme Burckaxdt, rhistorien fondateur de l'anthropologie historique, son compatriote et contemporain, Dilthey est issu de l'aristocratie protestante. L'un et l'autre renoncent à devenir pasteurs comme le souhaitaient leurs familles. Dilthey, critiquant Hegel tente de réduire les oppositions sujetobjet, philosophie-sociologie, individu-société. La vie lui apparaît comme l'unité du Moi et du Monde. Sa recherche des critères scientifiques et objectifs dans les sciences sociales l'a fait comparer à l'anglais W. James. Nous connaissons le monde physique, mais nous comprenons le monde social. Or comprendre, c'est sélectionner ce qui est significatif. Le type est la représentation formelle, significative, reliant à l'ensemble le plus grand nombre de faits possibles. Dithey identifie sciences sociales et histoire, permettant une compréhension intérieure des données, alors que les sciences de la nature nécessitent une analyse extérieure : Henri Rickert (1863-1936) : pour lui la différence entre sciences sociales et sciences naturelles, tient seulement au degré d'exactitude et de précision des concepts. Les unes et les autres sont de nature empiriques, mais la science à partir des concepts
abstraits, explique ce qui se répète, alors que l'histoire utilise des concepts individuels, pour tenir comte de ce qui est unique. Ces deux auteurs ont insisté sur la notion de ce qui est significatif. 135 Ferdinand Tônnies (1855-1936) O II fut souvent considéré comme le père de la sociologie allemande. Son succès fut tardif car il suscita toute sa vie la méfiance du gouvernement prussien qui, trouvant ses théories trop sociales, le prenait pour un disciple de Marx. De plus l'école historique de Droit, issue de la philosophie hégélienne, s'oppose à toute orientation scientifique de la sociologie, qui doit rester normative. Professeur malheureux à l'Université de Kiel, il n'a en 1883 plus qu'un étudiant ! En revanche, son ouvrage Gemeinschaft und Gesellsaft293 paraît en 1887. Il est lu aux États-Unis et en France où Tônnies sera en 1894 nommé membre de l'Institut International de Sociologie de Paris. A partir de 1913 la valeur de son œuvre sera reconnue, y compris en Allemagne. Influencé par l'oeuvre de Hobbes, Tônnies comme Durkheim et de nombreux sociologues se demande comment l'ordre est maintenu dans la société. Pour lui les rapports sociaux reposent sur des relations entre les volontés humaines qui constituent un ensemble de mécanismes orientant la conduite des hommes. Le point de départ de Tônnies relève donc de la psychologie individuelle. Il distingue la volonté organique (Wesen-wille) et la volonté réfléchie (Kurwille). L'une est du domaine concret, physiologique, affectif, l'autre intellectuelle, est dominée par la pensée. Ces deux volontés seront à l'origine des rapports sociaux différents. Les relations obéissant à la volonté organique correspondent aux rapports sociaux de caractère communautaire et forment un type
d'organisation sociale : la communauté (Gemeinschaft). Celle-ci constitue un tout organique, un type de société dans lequel les liens naturels familiaux sont forts et où l'intérêt des membres s'identifie à la vie et à l'intérêt de l'ensemble. Les groupes sociaux où prédominent les volontés de type réfléchi, forment ce que Tônnies appelle la société (Gesellschaft). Les relations s'établissent sur la base des intérêts individuels dont l'échange commercial est l'exemple. L'histoire occidentale, du Moyen Age à nos jours, illustre le passage d'une organisation sociale communautaire à une organisation sociétaire. L'homogénéité c'est la communauté, l'hétérogénéité c'est la société. Cette typologie devenue célèbre est assez proche de celle de Durkheim (mécanique et organique) qui la connaissait, mais reprochait à Tônnies ses implications individualistes et psychologistes. L'œuvre de Tônnies est importante sur le plan méthodologique, car il a contribué à séparer, en Allemagne, la sociologie, de l'histoire, de la philosophie et du droit. Bien que très éloigné d'une sociologie empirique, il organise tout de même une enquête sur la délinquance dans le Nord de l'Allemagne dans laquelle il utilise des statistiques complexes. Mais sans doute n'était-ce pas là pour lui l'essentiel puisqu'il déclarait : « il n'y a de vraie science que celle des notions294 ». Il se rapproche d'une sociologie scientifique par l'objet qu'il lui propose. En Allemagne la lutte pour l'autonomie de la sociologie impliquait la nécessité de la définir. Pour Tônnies elle est la théorie des réalités sociales, dont l'unité provient des rapports positifs entre les individus. La recherche de catégories (même s'il ne les utilise pas lui-même) pennettant de comprendre les rapports sociaux, marque
aussi un progrès. Il a défini l'utilité des types, montrant ainsi la voie à Max Weber (cf. n° 144) et élaboré un modèle relevant d'une théorie générale applicable à toutes les sociétés. Il préparait ainsi les conceptions formalistes. 136 Georg Simmel (1858-1918)295 O Professeur à l'Université de Berlin, il est le fondateur de la sociologie formelle qu'il conçoit comme une géométrie du monde social. La notion de forme est d'origine kantienne. De même que pour Kant la connaissance de phénomènes naturels est possible grâce à l'esprit qui projette des formes (l'espace, le temps), pour Simmel, l'analyse des faits sociaux comme la compréhension de l'histoire sont possible grâce à l'activité du sociologue qui organise le réel à l'aide de catégories et de formes... ce que l'on appellerait aujourd'hui : des modèles296. Mais pour Simmel, cette mise en forme n'est pas seulement le fait du sociologue observateur mais également due à l'activité de l'acteur lui-même (cf. Weber, n° 138). Simmel, esprit souple et prudent, en avance sur son époque est intéressé par la macrosociologie comme par les actions individuelles. Il s'oppose à « la manie de trouver des lois de la vie sociale [...] retour au credo métaphysique [...] selon lequel toute connaissance doit être absolue et universelle». Malheureusement pour Simmel, cette recherche de lois empiriques et universelles constitue justement le but de Durkheim (cf. nos 119 et s.) qui à son tour reprochera à la sociologie formelle de Simmel de mamteriir la sociologie dans une « idéologie métaphysique ». Célèbre de son vivant, le sociologue allemand, proche de Weber son contemporain, a connu en France une longue éclipse due à l'opposition
et au succès du positivisme durkheimein. C'est surtout comme psychologue social297 qu'il est connu et apprécié aux États-Unis. On semble enfin en France redécouvrir Simmel pour ce qu'il est : un des grands sociologues du début du xxe siècle et avec Weber un des précurseurs de la sociologie de l'action. Von Wïese disciple de Simmel tente de rendre plus rigoureuse la pensée brillante de son maître en y introduisant une quantification conceptuelle avec les notions de processus social, de distance, d'espace social et de formation sociale, système qui représente une ébauche des tentatives systémiques actuelles. Il a tenté d'appliquer son schéma à un village allemand (1928). Mais la multiplication de ces catégories abstraites n'aboutit pas à une explication. De plus ce qui était stimulant chez le maître, devient aride et lourd chez le disciple. 137 Alfred Vierkandt 1867-1953) O Est le représentant de la sociologie phénoménologique. Il subit également l'influence de Tônnies et de Simmel. Vierkandt a été ethnologue avant d'aborder la sociologie philosophique et reste également influencé par ses études historiques. Faute de définitions précises et malgré l'intérêt de ses analyses, il oscille constamment entre des formules psychologiques provenant de son intérêt pour l'individu, et des formules totalitaires inspirées par le mythe de la communauté. Faisant le bilan de la sociologie systématique, R. Aron reconnaissait à ces auteurs le mérite d'avoir permis de mieux comprendre les formes diversifiées des relations entre personnes et les échanges entre individus et formations sociales. « Et, pour saisir cette vie à la fois mystérieuse et proche, la sociologie systématique enrichit nos ressources conceptuelles, elle affine notre sens du réel298. »
138 Max Weber (1864-1920) O Pour comprendre Max Weber, il faut naturellement comme pour les autres sociologues, on serait tenté de dire plus que pour les autres, le replacer dans le cadre de son époque et de sa biographie299. Né dans un milieu bourgeois, il s'intéresse à la politique (son père y joue un rôle) et à la religion protestante (sa mère est très croyante). Il est lui-même juriste de formation et sa culture est exceptionnelle. Son opposition à Freud peut être interprétée comme une défense contre des interprétations psychanalytiques dont il aurait eu probablement besoin. Ses dépressions, ce que l'on peut connaître de sa vie, permettent de supposer un complexe de culpabilité300, un Œdipe mal résolu301 et une femme possessive302 bien que compréhensive303. La fragilité de son sytème nerveux et sa grande sensibilité semblent dominées par une exceptionnelle intelligence. Mais cette dualité explique peut-être l'ambivalence de ses attitudes, l'impression qu'il donne si souvent d'être déchiré (en particulier en politique) entre l'action et la réflexion, la science et des aspirations religieuses, l'Allemagne des junkers qu'il déteste, et son nationalisme. Le cadre de son époque, c'est, sur le plan politique en 1870 l'Allemagne unifiée et prussienne de Bismarck. Sur le plan intellectuel, la grande querelle entre l'idéalisme et le matérialisme (Kant, Hegel, contre Marx), enfin les discussions sur l'opposition ou la similitude entre la méthode historique et celle des sciences de la nature. Une part de l'œuvre de Weber représente une tentative de réponse à ces deux questions. L'historien du droit, l'expert en sciences politiques et économiques se transforma en sociologue au cours d'un long et intense dialogue avec l'ombre de Karl Marx304. 139 Idéalisme et matérialisme O Dans
L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme (1904) il s'oppose à la fois aux idéalistes en montrant que l'esprit, les croyances d'une société peuvent s'étudier objectivement et aux matérialistes, en montrant que les explications sociologiques per- mettent de comprendre des «valeurs qui issues peut-être de facteurs économiques ou autres, permettent de s'exprimer à travers eux ». Mais il déclare lui-même que reprochant à Marx l'importance excessive qu'il accorde au facteur économique « son but n'est pas de le remplacer par un autre facteur opposé » mais de suggérer d'autres éléments essentiels : la puissance de la conjonction des militaires et des industriels et surtout l'organisation bureaucratique, pour lui aussi importante que la lutte des classes. Tout en reconnaissant la nécessité scientifique de systématiser les faits, il reproche à tout système de vouloir constituer une représentation de la réalité. Quand lui-même systématise le capitalisme, il ne prétend nullement rendre compte de la totalité du phénomène, il cherche simplement à rendre certains aspects plus intelligibles. L'élaboration des concepts n'est pour Weber que le moyen de construire un instrument pour comprendre le réel. 140 Sciences de la nature et faits sociaux o Les auteurs de l'époque s'orientaient vers la distinction entre deux méthodes : la méthode généralisante convenant aux sciences de la nature, celles que Windelband appelle « nomothétiques305 » parce qu'elles visent à établir des lois, et la méthode individualisante, celle des sciences « idiographiques306 » que Rickert nomme sciences de la culture qui s'intéressent, comme l'histoire, à des événements singuliers. Fallait-il malgré leurs particularités proposer aux secondes le modèle des premières ou les considérer comme autonomes ? Tel était le pro-
blême à résoudre. Tout en prenant à son compte la distinction proposée, Weber contestera l'attribution de chaque méthode à une seule des sciences307. Bien au contraire, toutes les sciences utilisent suivant l'objet de leur recherche l'une ou l'autre. Weber est opposé à tout dogmatisme. Pour lui le propre d'une méthode est d'être efficace et de faire progresser le savoir. Loin de réclamer la suprématie de la sociologie (comme Comte et Durkheim) il réclame son autonomie, comme il l'accorde aux autres sciences et laisse chacune utiliser la méthode qui lui convient. « La validité de la sociologie comme science dépend uniquement des problèmes spécifiques qu'elle se propose de résoudre308. » Weber n'est pourtant pas l'homme des compromis. Il insiste dans Le savant et le politique (1919), sur le fait que la vérité ne se situe pas entre deux opinions opposées et que l'idéal modéré n'est pas plus scientifique qu'une attitude partisane. Il ne s'agit pas pour lui d'une attitude de tolérance, qui, au milieu de discussions passionnées pourrait paraître du détachement et qu'expliquerait son horreur du dogmatisme, des interdits et des systèmes, mais bien d'une conviction. Si détachement il y a, il est fondé sur le fait que même avec les meilleures méthodes, le mode sensible est infini et qu'aucune science ne pourra l'épuiser. Le concept est par essence sélectif, et même en additionnant un grand nombre d'entre eux on n'atteindra jamais la totalité du réel. C'est cet état d'esprit qui lui dictera cette déclaration désabusée : « Dans le domaine de la science... chacun sait que son œuvre aura vieilli d'ici dix, vingt ou cinquante ans. Toute œuvre scientifique « achevée » n'a d'autres sens que celui de faire naître de nouvelles questions : elle demande donc à être « dépassée » et à vieillir. Celui qui veut servir la science doit se résigner à ce sort »309. L'idéal du xrxf siècle d'une science unifiée, n'est qu'une utopie. Weber, tout en reconnaissant l'utilité des mathématiques,
déclare que le fait d'être parvenues les premières à la rigueur scientifique ne leur confère aucune supériorité logique et aucun droit à la suprématie sur les autres sciences. Comme économiste, il a utilisé les mathématiques parce qu'elles étaient efficaces, mais il redoute qu'en sciences humaines, elles ne veuillent donner une apparence scientifique à des travaux qui ne le seraient pas. Si les sciences humaines peuvent utiliser les mêmes méthodes que les autres sciences, elles ont cependant du fait de leur objet, une spécificité qui exige des procédés particuliers. Elle doivent comprendre et généraliser les faits sociaux suivant une méthode qui leur est propre. Pour Weber la méthode qui permet de comprendre, est la sociologie compréhensive, celle qui permet de construire le type idéal. 141 1° La sociologie compréhensive -O Contrairement à Durkheim, Weber ne distingue pas les structures et les institutions sociales. Il s'intéresse à l'homme vivant, à la façon dont il se comporte dans la société, comment il la transforme. Weber distingue l'évolution objective des institutions qui intéresse la sociologie, et la signification que ces institutions ont pour ceux qui les vivent. Signification qui, bien souvent, est la cause du changement. Les deux aspects loin de s'opposer sont donc complémentaires, et représentent les façons différentes d'étudier la richesse et la diversité du réel. « Nous appelons sociologie (et c'est en ce sens que nous prendrons ce terme aux significations les plus diverses) une science dont l'objet est de comprendre par interprétation (deuten verstéhen) l'activité sociale, pour ensuite expliquer causalement le développement et les effets de cette activité310. » Cette notion de compréhension n'était pas une découverte. D'autres auteurs allemands311 l'avaient utilisée, mais Weber lui donne une
importance particulière. Laissant de côté les fondements philosophiques d'une théorie de la connaissance, il s'interroge sur l'efficacité de la méthode sociologique. Alors que l'explication porte dans les sciences de la nature sur une relation de cause à effet, la compréhension dans les sciences humaines doit déceler le sens d'une activité.ou d'une relation. On ne se préoccupe pas de la sensation qu'a une pierre de tomber, mais il faut se demander ce que pense un individu qui va voter. Dans l'Essai sur la théorie de la science (1922), Weber écrit: «La compréhension considère l'individu isolé et son activité comme l'unité de base, je dirai son atome ». Sans doute d'autres sciences peuvent-elles considérer l'individu sur le plan physique ou chimique. « Mais du point de vue de la sociologie, tout appel à un sens, suppose une conscience, et celle-ci est individuelle312. » «Les concepts collectifs ne deviennent sociologiquement intelligibles qu'à partir des relations significatives qui comportent les conduites individuelles313». Prenant l'exemple de l'État il montre comment le juriste y voit une entité autonome alors que pour la sociologie compréhensive : il est « le lieu d'activités significatives des personnes qui y participent [...] La sociologie [...] a pour tâche de comprendre avant tout le sens subjectivement visé par les membres, sens en vertu duquel ils acceptent la réalité étatique, y entretiennent des relations sociales et y poursuivent des activités déterminées. » La sociologie porte sur le sens du vécu. Mais se posent alors les questions : comment fait-on pour comprendre ? Comment sait-on que l'on a compris ? et comment passe-t-on de la compréhension individuelle à la généralisation, au collectif ? Weber n'assimile en aucune façon la sociologie à la psychologie314. Il reproche à Simmel de limiter la compréhension à un processus
psychique, alors qu'elle est « une méthode logique orientée vers la saisie du sens d'une activité ou d'un comportement315». Sans doute son vocabulaire (des mots tels que reviviscence) peut-il prêter à confusion bien qu'il spécifie : « La possibilité de revivre effectivement le comportement d'autrui est sans doute importante pour l'évidence propre à la compréhension, mais elle n'est pas une condition absolue d'une interprétation significative316 ». Il objecte aux tenants de l'intuition qu'elle appartient à la sphère du sentiment et ne se définit pas par des concepts rigoureux, acceptables par tous. De plus, elle aussi, opère une sélection et ne recouvre pas la richesse du réel. La conception qu'a Weber de l'action sociale bien que subjective, en quoi elle s'oppose à Durkheim317, n'est tout de même pas psychologique. Pour lui « L'action (humaine) est sociale dans la mesure où, du fait de la signification subjective de l'individu ou des individus qui agissent y attachent, elle tient compte du comportement des autres et en est affectée dans son cours. » La main tendue est un symbole : il a une signification, celui qui fait ce geste s'attend à être compris. La conduite sociale est donc influencée par la perception que les individus qui y sont engagés ont de la signification de leur action pour les autres et réciproquement318. On peut ainsi par l'observation des comportements extérieurs, trouver des indices de bonne ou mauvaise compréhension. La conception de Weber a souvent été mal comprise. Elle est difficile, ses fondements incertains ; de plus elle apparaît surtout dans des controverses, c'est-à-dire de façon négative en s'opposant aux autres théories. En fait, Weber caractérise la compréhension mais il ne la définit pas. On peut dire que Weber s'oppose aux positivistes et aux scien-tistes en reconnaissant la particularité des faits sociaux, qui, non seulement existent
objectivement, mais ont de plus une signification pour ceux qui les vivent A l'encontre des psychologues, il pense que cette signification ne suffit pas à tout expliquer. Faute de preuve, toute explication compréhensive demeure hypothétique. Subjective au point de départ, elle doit pour être vraie, établir des rapports objectifs. Elle n'est qu'un moyen auxiliaire dont les résultats doivent être vérifiés par les moyens scientifiques habituels : statistiques, recherche de causalité, etc. Mais une singularité ne s'explique jamais à partir de lois générales. En sociologie, il n'existe que des probabilités, des régularités tendancielles (l'importance de la notion de chance chez Weber). « Parce que sa psychologie repose sur la notion d'activité individuelle significative et sur celle de conduites typiques, elle se donne pour tâche de nous aider à comprendre sur la base de l'histoire et de l'expérience générale, en quel sens nous pouvons nous attendre avec une certaine probabilité, à de telles conséquences plutôt qu'à d'autres, au regard des conditions qui sont données concrètement319. » 142 Causalité et rapport aux valeurs O Chercher les causes d'un événement, ce n'est pas, comme dans les sciences de la nature, retrouver une succession de faits, mais sélectionner à l'intérieur de celle-ci les plus significatifs. Weber propose de remplacer l'expérimentation par la modification imaginaire des événements. On peut se demander par exemple ce qui se serait passé si les Grecs n'avaient pas été vainqueurs à la bataille de Marathon. Si le nez de Cléopâtre... La recherche de la causalité ne porte pas sur un fragment de la réalité, en fonction duquel on sélectionne certains faits considérés comme importants. Mais importants par rapport à quoi ? Un fait social n'est en luimême pas plus digne qu'un autre d'être
connu, déclare Weber. Par rapport aux valeurs il ne peut l'être que subjectivement. Ce rapport aux valeurs exerce son influence à différentes étapes de la recherche : il détermine le choix du sujet en fonction de l'intérêt que lui trouve le sociologue, il permet de sélectionner les faits en fonction de leur signification, d'orienter la recherche des liens de causalité. Si le sociologue doit essayer d'être conscient de ses valeurs, les groupes sociaux eux, ne le sont pas, il ne suffit donc pas d'étudier ce qu'ils disent eux-mêmes de ce qu'ils croient ou de ce qu'ils font, il faut observer leur conduite réelle. On peut dire que subjective au départ, dans ce qui l'inspire, la notion de valeur peut et doit être étudiée de façon objective, dans ce qu'elle inspire. Ayant accepté le fait de cette influence de la subjectivité et des valeurs qu'elle privilégie, peut-on la Hmiter, l'objectivité du savant estelle possible ? 143 L'objectivité du savant O Weber consacre à cette question de longs développements320 qui prêchent la neutralité axiologique321 sur un ton curieusement passionné. Le problème est cette fois vécu, et la réponse semble correspondre autant à une auto-justification qu'à une opinion. Weber se distingue de ses prédécesseurs non en séparant jugements de réalité (ce qui est) et jugements de valeur (ce qui doit être), ce que faisaient d'autres avant lui, mais en refusant tout espoir de modifier la société (loi de l'évolution des positivistes, ou utopie morale chez Durkheim). Il affirme que la vocation du sociologue est la recherche de la connaissance pour la connaissance. En dehors de l'élaboration théorique des concepts, il aborde le sujet, plus dangereux à cette époque, de l'attitude pratique du savant dans la vie quotidienne. Weber distingue le plan de la pédagogie et celui de la recherche. Comment séparer
constatations empiriques et jugements de valeur ? Weber distingue le cas du pédagogue qui trouve, suivant la situation donnée, sa réponse personnelle, et celui du savant pour lequel c'est un impératif sans souplesse. Le sociologue analyse la société, il n'est ni un réformateur ni un prophète. Mais que penser du politique ?322 La distinction entre connaissance et action conespond à l'opposition entre le fait et la valeur, la volonté et le savoir. Cette tension qu'il vécut dans sa vie de façon douloureuse, Weber essaie de la résoudre théoriquement : « La science aide l'homme d'action à mieux comprendre ce qu'il veut et peut faire, elle ne saurait lui prescrire ce qu'il doit vouloir. » Réponse théorique scandaleuse pour l'époque, qui aujourd'hui nous paraît aussi.loin d'épuiser le problème, que de le résoudre... 144 2° Le type idéal O Suivant cette démarche qui lui est particulière323, Weber ne définit pas le type idéal. R. Aron (1967) note que Weber pense « contre », ce qui oblige à voir surtout ce que le type n'est pas. Ce n'est pas une hypothèse, car c'est une proposition correspondant à une réalité concrète, d'où le type est abstrait. Ce n'est pas une description de la réalité, puisqu'il ne retient que certains aspects de celle-ci. Ce n'est pas une moyenne : le significatif ne relève pas de la notion de quantitatif dans le sens d'une moyenne d'âge ou de taille. Les types en sociologie ne sont considérés ni comme des espèces biologiques, ni comme des étapes du développement historique, ni comme des êtres, ce sont des « images mentales obtenues par des rationalisations utopiques ». Weber reconnaît le caractère empirique, arbitraire et uto-pique de sa typologie. Si les processus de construction des types demeurent assez imprécis, on chercherait en
vain dans les types idéaux achevés, des caractéristiques plus convaincantes. L'œuvre de Weber nous propose des « types idéaux » assez hétéroclites : rapports sociaux, types de pouvoir, de groupes, de procédure, de religion ou même de civilisation, aucun critère objectif ne préside à leur usage ou à leur élaboration. 145 Type de concept O Le concept, nous le savons, abstrait une qualité commune de différences particulières : l'orange, la pomme, la poire relèvent du concept de fruit. Le concept ne sélectionne qu'en fonction d'un aspect de la réalité. Il doit sa précision à la sélection, la limitation qu'il impose. Le type, comme le concept, n'exprime pas la totalité de la réalité, seulement son aspect significatif. Mais à la différence du concept, il ne retient pas les caractères les plus généraux, ceux que l'on trouve régulièrement et qui correspondraient à la simple notion de « type ». Le qualificatif idéal implique quelque chose de différent. L'aspect original retenu dans chaque phénomène, dégage ce qui individualise, non ce qui rapproche ou normalise. De plus pour Max Weber, le type idéal se différencie du concept parce qu'il ne se contente pas de sélectionner la réalité, il ajoute aussi à la réalité. Le rôle du savant consiste, au-delà de ce qu'il perçoit de « significatif », à étendre certaines qualités, à accentuer certains aspects. 146 Type, catégorie et théorie O La catégorie, en dehors de son sens philosophique, est utilisé en sciences sociales dans un but pratique de classification (cf n° 336). Quant à la théorie, elle représente un système de propositions rendant compte des faits. Le type peut être considéré comme un intermédiaire entre les données réelles et la théorie abstraite. Dans un système achevé, le type se distingue difficilement du cadre théorique
dont il fait partie324. Critique du type idéal O Gurvitch reproche à Weber de construire un type idéal abstrait, alors qu'il est une réalité concrète. De plus, comme c'est le cas pour d'autres notions abstraites : structure, concept, les utilisateurs du type l'ont involontairement réifié. Sans doute Weber créait-il 1'« idéal type» contre la notion d'essence, trop liée à des valeurs et déclarait-il que sa seule perfection était d'ordre logique. Qu'il s'agisse du libre échange ou de l'économie urbaine des villes marchandes du Moyen Age, l'idéal type n'est que la «rationalisation utopique» des relations commerciales, perçues par ceux qui ont essayé de saisir le « sens vécu » des lois du commerce. Il ne s'agit pas d'une connaissance contenant la réalité et formant un système achevé, mais d'un moyen heuristique homogénéisant la recherche. La meilleure preuve c'est que l'élaboration de nouveaux types ne cesse pas, en réponse « au flux éternellement mouvant de la civilisation ». Influence de Weber O La mort prématurée (1920) de Weber fut pour de nombreux allemands une « tragédie nationale ». Joseph A. Schumpeter déclarait qu'il était le seul professeur de liberté de la culture allemande. Les jeunes étudiants surtout l'appréciaient, parmi lesquels particulièrement K. Jaspers. Il incarnait à leurs yeux la virilité, ce qui semble curieux lorsque l'on connaît tous les symptômes névrotiques dont il souffrait. Mais son physique sérieux, sa culture, son intelligence impressionnaient. Quelques années plus tard, il n'intéressait plus les sociologues de son pays et c'est d'Amérique que lui vint la consécration. En 1960, l'œuvre de Merton est d'inspiration weberienne mais la jeunesse a changé. Lors de la célébration en 1964 du centenaire de Weber à Heidelberg, qui coïncidait avec le 15e congrès des sociologues allemands, Par-sons en weberien convaincu mais sans fanatisme, dut affronter la contradiction de J. Habermas325 et surtout
celle de Marcuse, très applaudi par les étudiants. Seuls les professeurs plus âgés et les Américains défendirent la mémoire du sociologue allemand. L'influence de la sociologie américaine en particulier celle de_ Parsons, maintint cependant la renommée de Weber et c'est par les États-Unis qu'il sera connu en France. L'immense érudition de Weber, la richesse de sa conceptuahsation n'ont pu compenser les limites de ses théories : impossibilité de justifier le passage des significations internes, subjectives, aux significations sociales et culturelles, compréhension substituée à explication, absence de conception dialectique. Il semble que ses instruments de pensée théorique n'aient pas été à la hauteur de sa pratique. En France, à part quelques exceptions : R. Aron, J. Freund, germanistes et weberiens, les sociologues connaissent Weber depuis relativement peu de temps. 149 Comparaison entre la sociologie allemande et la sociologie française O II est frappant de constater que Weber ne fait pas allusion à Durkheim, son contemporain et que l'Année sociologique consacre seulement quatre lignes à l'Ethique protestante et l'esprit du capitalisme. La période de 1870 n'est pas favorable aux échanges francoallemands, mais la véritable explication se trouve dans l'approche si dissemblable des sociologues allemands et des sociologues français. On serait même tenté d'évoquer des domaines différents plus qu'une opposition. Alors qu'en France, Comte, puis Durkheim, inaugurent l'ère du positivisme, en Allemagne c'est Hegel qui suscite la réflexion. Celle-ci a pour thème central l'objectivité en histoire. Les sociologues français de l'époque non seulement excluent l'histoire de leurs préoccupations, mais ils ignorent également l'économie. En Allemagne, au contraire, Marx et l'Autrichien Wenger lui font une large place. La sociologie allemande se développe
donc sur un terrain où se rencontrent l'histoire, l'économie, la psychologie, alors que les sociologues français veulent construire une discipline scientifique autonome, en l'opposant à toutes les influences autres que celles des sciences de la nature. De ces points de départs différents suivront des évolutions très étrangères l'une à l'autre. § 3. La tendance empirique
150 Les enquêtes sociales O L'idée de faire des enquêtes, c'est-à-dire de chercher dans la réalité des éléments plus précis et objectifs que de simples impressions, est naturellement fort ancienne. La première enquête connue est probablement celle que signale Hérodote, véritable recensement de la population et des revenus du peuple égyptien. Elle date de 3 000 ans avant J.-C. Il a toujours existé dans les sciences sociales, en marge des prises de positions philosophiques et bien avant que naissent les discussions sur le rôle de la théorie ou de la recherche, une tradition à peu près ininterrompue d'enquêtes organisées. Ces enquêtes, à l'origine, ne sont pas nées d'une volonté de recherche sociologique, mais de l'émotion que suscitaient les nouvelles conditions de vie des travailleurs ruraux, transformés en ouvriers des villes par la révolution industrielle. 151 En Allemagne sous l'impulsion de groupements religieux et de l'administration, des enquêtes sont organisées. Le Verein fur Sozialpoliijk fondé en 1872 et la législation sociale de Bismarck (1873-1880) incitent à des études statistiques et concrètes326 327 . 152 En Grande-Bretagne O Les conditions les plus favorables à l'éclosion d'enquêtes étaient
réunies dans ce pays : l'essor industriel et une tradition empirique et pragmatiste. Aucune tendance rationaliste ou spiritualiste ne détournait les sciences sociales de cette orientation que ne méprisaient ni les universitaires ni les intellectuels. On sait aujourd'hui que l'essor économique de l'Angleterre permit (sauf dans les industries anciennes mal adaptées) une augmentation du niveau de vie de la population. Le taux de mortalité décroît grâce, semble-t-il, à une meilleure alimentation. Mais les conditions de logement dans les villes sont effroyables. La misère n'augmente sans doute pas, mais elle apparaît au grand jour. Auparavant elle était disséminée, camouflée dans la campagne, atténuée par les coutumes locales, la solidarité du Voisinage. Elle s'étale maintenant toute proche, accompagnée de la maladie, de l'ivrognerie, de tous les phénomènes de désintégration sociale. Cet état de choses suscitera les premières enquêtes, nées avant tout d'un désir de connaître la situation pour la réformer. L'un des premiers à tenter de recueillir des faits de façon objective et systématique est John Howard (1726-1790), philanthrope anglais, préoccupé de la réforme des prisons. Charles Booth (1840-1916). La situation des «économiquement faibles» avait fait l'objet en Grande-Bretagne de descriptions émouvantes qui inspirèrent à Charles et Mary Booth l'idée de substituer à ces récits impressionnistes des faits concrets et vérifiables328. Se bornant à un groupe défini : les travailleurs de Londres, Booth en 1886, commence sa monumentale étude dont le premier volume parut en 1892, et le dix-septième et dernier en 1897 ! Grâce à sa participation à la vie même des quartiers ouvriers, mais aussi à l'aide d'interviews, de statistiques, d'analyses de documents, Ch. Booth cherche des corrélations entre les niveaux de vie, la délinquance, le mode de vie, le logement, la taille des enfants, etc., et décrit les conditions de vie des divers groupes
de travailleurs. Avec une remarquable modestie l'auteur déclare : « L'idée de base avec laquelle je commençais à travailler était que chaque fait dont j'avais besoin devait être connu par quelqu'un et qu'il n'y avait qu'à recueillir les informations et les mettre ensemble. » Ce qui fait la valeur de ces documents, ce n'est pas seulement la compilation statistique mais la personnalité même de l'auteur, qui a su comprendre et faire vivre pour ses lecteurs tout le petit peuple des travailleurs londoniens. Comme le dit R. E. Park : « Ces volumes constituaient une étude sociologique, ils sont devenus un document historique. » B. S. Rowntree tente d'améliorer les méthodes peu standardisées des Booth en étudiant une petite ville de province anglaise : York. Enfin Arthur Bowley publie en 1915 une étude comparative de cinq villes industrielles de taille moyenne. Bowley utilise pour la première fois un échantillon statistique, en sélectionnant une maison sur vingt et se préoccupe plus que ses prédécesseurs, de la rigueur des techniques utilisées. La London School of Economies a repris en 1928 une nouvelle enquête à partir de celle de Booth. 9 volumes ont paru de 1930 à 1945. A côté de ces grandes enquêtes sur la pauvreté, de nombreuses universités et associations se sont livrées à des recherches, en général sous la forme de monographies. 153 En France O En France, avec un peu de retard, l'industrialisation pro- voque les mêmes effets, suscite les mêmes recherches et désirs de réformes. Le rapport présenté par VUlermé en 1840, à l'Académie des Sciences Morales et Politiques, constitue un document accablant sur la situation des travailleurs, en particulier sur l'utilisation des enfants, dès l'âge de six ans, dans les usines329. Les études de VilleneuveBarjemont sont issues des mêmes
préoccupations. F. Le Play (1806-1882) fut le premier à utiliser ce que les Américains dénommeront plus tard : case study, c'est-à-dire un ensemble de documents concernant un individu ou une situation. Dans une conception très moderne, Le Play fait appel à des économistes, ingénieurs, sociologues, pour étudier avec lui le niveau de vie des ouvriers et s'efforce d'utiliser non seulement l'observationparticipation, mais tous les moyens de recueillir des données quantitatives sur les divers éléments de la vie d'une famille, en particulier le budget. Les six tomes de son ouvrage, Les ouvriers européens (1876-1879), représentent le travail de plus de vingt ans et ont valu à son auteur une audience internationale. Ses méthodes ont inspiré le développement de la recherche aux ÉtatsUnis. 154 Aux États-Unis O Aux États-Unis, comme en Grande-Bretagne et en France, les premières enquêtes sont d'inspiration plus réaliste que scientifique et constituent une description des conditions de vie de certains groupes de population. Cette quête d'informations réelles obéit aussi à des motifs, humanitaires et souvent politiques. Il s'agit avant tout de réformer ce qui existe. L'enquête au départ, a pour nom « social survey ». Celle-ci se définit comme la description d'un secteur de la vie sociale, l'analyse des facteurs qui l'influencent devant permettre de formuler un programme de réformes, le plus souvent avec l'appui de l'opinion publique. Les premières enquêtes américaines relèvent davantage du journalisme que de la sociologie. « Mon but n'était pas plus scientifique que l'esprit de ma recherche. Je voulais voir si tous ces faits honteux [...] ne heurteraient pas la fierté américaine ». Effec-tivemement, ces études furent à l'origine de quelques mesures sociales. Cependant leur influence fut
beaucoup moins grande qu'en Angleterce, car les conceptions individualistes empêchaient d'admettre la nécessité de réformes générales. C'est par ses qualités personnelles que l'individu doit améliorer son niveau de vie et il faut le laisser libre. L'accumulation d'études non suivies de résultats, suggérait qu'après tant d'enquêtes, ce dont les Américains avaient besoin « c'était d'un plan d'action ». En Grande-Bretagne au contraire, l'influence du livre de Ch. Booth fut considérable, parce que les personnalités dirigeantes du Parlement avaient déjà compris l'urgence de réformes sociales et que les mouvements socialistes représentaient un fort mouvement d'opinion. Même si leur influence est assez faible, les enquêtes sociales se multiplient aux ÉtatsUnis : gouvernements locaux, services sociaux, accumulent des informations. Il s'agit surtout d'enquêtes statistiques concernant certains aspects de la vie sociale : niveau de vie, logement, éducation. L'une des premières et des plus importantes, confiée à des économistes, sociologues, statisticiens, est l'étude de Pittsburgh. Depuis 1930, avec la crise, le New Deal et la présidence de F. D. Roose-velt, les enquêtes d'information sont plus largement utilisées et deviennent un des moyens de décision politique. Deux facteurs ont amené cette transformation. D'une part les méthodes ont atteint un degré de grande précision, d'autre part et surtout, les conceptions du pouvoir ont considérablement évolué. On a vu jusqu'ici des enquêtes à motifs humanitaires, visant des réformes ou du moins une information, enquêtes menées par des méthodes peu rigoureuses ou au contraire purement statistiques. A partir de 1920, les sociologues américains vont diriger leurs recherches dans un but plus spécifiquement scientifique. Il était d'abord indispensable que les
sociologues ne se contentent plus de réfléchir sur une documentation recueillie par d'autres, mais qu'ils acceptent d'aller sur le terrain. Ensuite, les méthodes d'observation et de rassemblement des données devaient être rendues plus rigoureuses. Ce sont les anthropologues qui ont incité les sociologues à remplir la première condition et les psychologues qui leur ont donné l'exemple de la quaiitifica-tion. Sous cette double influence vont naître, à côté des social surveys, qui continuent à se multiplier, des enquêtes sociologiques à but scientifique, enquêtes d'opinion, et surtout enquêtes sur le terrain que les Anglais appellent field studies. Le terme d'enquête recouvre les unes et les autres et la différence entre les social surveys et les field studies paraît à l'heure actuelle bien souvent inexistante. 155 a) L'école de Chicago O Avant même ce qu'il a été convenu plus tard, d'appeler l'école de Chicago, l'on doit signaler deux figures importantes. John Dewey (1859-1952), influencé à la fois par le logicien C.S. Tierce (1839-1914) et l'utilitariste W. James (1842-1910) qui l'amène à privilégier l'expérience. G.H. Mead (1863-1931). Dans un recueil posthume de ses cours : L'esprit, le soi et la société (1934), Mead, en psychosociologue, s'oppose au fonctionnalisme, mais surtout au schéma mécanique du behaviorisme : stimulus-réponse. Le point de vue sera repris plus tard par les inter-actionnistes. Ils insistent sur le caractère symbolique des échanges interindividuels. Analyser cette interaction implique de tenir compte des conditions dans lesquelles s'effectue l'interprétation. Les interactionnist.es lui reprochent d'exagérer la socialisation des acteurs sociaux, les normes apprises étant souvent floues et peu contraignantes. L'école de Chicago existe-elle ? Voilà le titre d'un article de D. Breslau (1983). L'expression
était inconnue des sociologues, considérés aujourd'hui comme en ayant fait partie. La question de la reconstitution du passé a divisé les sociologues anglo-saxons et les historiens. Sur ce débat méthodologique se greffe un autre conflit, celui de l'héritage. Cette école, reconnue comme précédant la tendance fonctionnaliste a attiré l'attention, lors de la baisse d'influence de cette dernière. Elle est ainsi devenue un enjeu dans la lutte pour l'annexion des grands ancêtres. R.E. Park (1864-1944). D'après D. Breslau (1983) il peut être considéré comme l'animateur du mouvement de l'école de Chicago. Il a mis fin au conflit opposant les sociologues universitaires aux praticiens. Les premiers, pour défendre leur position sociale, revendiquaient une notion de science et de théorie distante de la réalité, les seconds, préoc arpés d'aide sociale, affirmaient la nécessité des enquêtes empiriques et des recherches sur le terrain, recherches considérées également indispensables par la classe dirigeante, soucieuse d'éviter les conflits sociaux et préoccupée par la vague d'immigration. La carrière de R. Park est curieuse et typiquement américaine. Fils d'épicier, il avait interrompu des études de philosophie330 par «manque d'agilité intellectuelle, de confiance en soi et d'éducation impeccable». Park se trouve un marginal, par rapport aux universitaires raffinés qu'il détestait et dont il critiquait l'isolement professionnel : « Ce que les sociologues doivent connaître avant tout est ce qui se passe derrière le visage des hommes, ce qui rend la vie de chacun morne ou palpitante » disait-il. Il s'opposait également aux enquêteurs et à ceux qui prônaient l'intervention sociale sans posséder le niveau culturel suffisant et il les qualifiait de « fichus bienfaiteurs ». Les politiciens corrompus lui paraissaient moins néfastes
pour la ville de Chicago, que les femmes réformistes. C'est finalement en s'intégrant à l'université (lecteur à Chicago) d'une part et d'autre part en trouvant le moyen de conférer un statut scientifique aux enquêtes empiriques, qu'il parviendra ainsi à réconcilier les deux tendances et surtout leurs principaux représentants. Ce moyen ce sera la « scientifisation » de l'enquête sociale par le biais de l'écologie humaine. Celle-ci va utiliser rationalisme et empirisme, organisme social et problèmes sociaux, en offrant un cadre conceptuel qui manquait aux enquêtes. Il applique aux études urbaines la distinction entre « forces sociales » relevant de l'organisme et de ses lois universelles et « valeurs » représentant l'élément humain. « L'étude d'un groupe particulier de faits sociaux » est rendue scientifique parce que la particularité de ces faits est fondée scientifiquement. Elle n'est plus la conséquence d'une préoccupation réformiste ; elle est présentée comme « le produit construit d'une théorie scientifique. » L'orientation de Park en faisait l'allié objectif des fondations qui pouvaient ainsi continuer à financer des recherches utiles, sans paraître marquer d'intérêt pour les résultats. Ce financement était indispensable aux sociologues universitaires pour poursuivre des recherches qui gagnaient ainsi en rigueur et en objectivité. Animée par R. Park, cette tendance retient du darwinisme non le principe de l'évolution (survie des plus aptes), mais un certain type de causalité spatiale et limitée. La notion de communauté ne se réfère pas à une culture commune mais à l'équilibre précaire entre l'homme et son milieu. « L'environnement, notion fondamentale de l'école de Chicago, est donc le point d'équilibre entre un espace géographique localisé : l'habitat, et la qualification technologique des individus qui y vivent : les habitants. » L'idée que l'activité de l'homme risque de compromettre l'équilibre du règne naturel, devait connaître plus tard le succès que l'on sait. L'école de Chicago est née d'une
crise importante : celle de l'immigration urbaine. Or celle-ci implique à partir de 1910 environ, la constitution de groupes ethniques vivant en marge et offrant à la fois un intérêt sociologique, par les groupes qu'ils constituent et social, par la nécessité de socialiser et d'intégrer les plus jeunes. D'où une série d'études : The Hobo de Niels Anderson (1923), Le gang de J. M. Trasher (1927), La cité de R. E. Park (1968) sont les plus connus. 156 b) Le culturàlisme O L'école de Chicago déclinante, sera remplacée par les sociologues provenant en majeure partie de Columbia mais pré- sentant moins d'homogénéité doctrinale. Il ne s'agit plus de l'action de l'environnement physique ou technologique. Le facteur écologique s'efface devant le facteur culturel. Le problème essentiel devient celui de la personnalité, du processus de socialisation qui transforme chaque individu, pour l'adapter à la société. Ceci suppose une nature humaine composée d'instincts semblables chez tous, d'individus dotés de personnalités dont les besoins et aspirations diffèrent, enfin de normes culturelles qui homogénéisent l'ensemble. Ici encore on peut dire que ce qui inspire les recherches sur les modifications, les adaptations, etc., ce sont justement les changements qui s'opèrent dans la société. Jusque-là l'inégalité sociale trouvait une sorte de compensation dans la solidarité de la commune. Le développement de la grande industrie brise cette unité. Les villes s'agrandissent et des quartiers socialement homogènes se constituent. Les distinctions sociales se précisent tandis que les distances entre classes se constituent. L'étude classique de R. et H. Lynd sur Middletown (1969) montre bien le processus de séparation causé par rindustrialisation. Elle insiste avec une certaine naïveté sur des
facteurs objectifs et les auteurs innovent sur ce point par rapport à la sociologie plus idéaliste de l'époque. D'autres étudieront la socialisation selon les classes331 ou encore les problèmes soulevés par les sous-cultures332. C'est ainsi que la délinquance des jeunes des classes populaires sera expliquée par la contradiction que leur impose le fait d'être exposés à deux cultures différentes : celle de leur milieu et à l'école, celle des classes moyennes. § 4. Interrogations
157 a) Où allons-nous ? où va la société? où va le monde ? o Une science se développe autour de questions fondamentales, encore faut-il qu'il s'agisse de bonnes questions. La sociologie, pour devenir une science, a d'abord dû se rendre autonome et pour cela, se détacher de la philosophie historique. Mais celle-ci a inspiré ses premières questions, qui étaient en réalité mal posées et constituaient ce que l'on appelle de faux problèmes. Les philosophes, historiens et moralistes, faute de trouver une réponse à ces questions, les ont posées à la sociologie. Celle-ci, dans la mesure où elle tentait de découvrir son domaine propre, s'est donc trouvée au départ gênée par des préjugés philosophiques (confusion entre jugements de réalité et jugements de valeur), des problèmes posés en termes de philosophie historique, influencée enfin par des idées plus ou moins humanitaires, réformistes et politiques que lui inspirait l'évolution industrielle et sociale. 158 b) Facteur prédominant et lois sociologiques O Autre impasse de la sociologie du XIXe siècle, le problème du facteur prédominant allait diviser la sociologie en de nombreuses tendances :
- École géographique, expliquant la réalité sociale à partir de phénomènes naturels ; biologique: Gobineau, Malthus ; technologique: Veblen (Allemagne), LeroiGourhan, Mumford (U.S.A.). Cette tendance à favoriser un facteur, semble en fait inhérente à toute doctrine, qui, naturellement, valorise l'élément dont elle s'occupe. Durkheim et Marx n'ont pas échappé à cette déformation, le premier avec l'idée de contrainte et de conscience coHective, le deuxième avec l'accent mis sur le facteur économique. Un legs de la sociologie du xrx6 siècle, parfois renforcé par le besoin d'efficacité du XXe, c'est la recherche de prévisions, le désir de découvrir des lois sociologiques. Ce n'est pas sans raison qu'Auguste Comte empruntait à Hobbes le terme de « Physique sociale », avant d'inventer celui de sociologie. Les successeurs de Comte et Spencer ont, eux aussi, élaboré des lois, finalement reconnues par celui-là seul qui les avait découvertes. A l'heure actuelle, l'absence de loi n'est plus qu'un prétexte, pour ceux qui s'opposent à une conception scientifique delà sociologie. La plupart des sociologues se contentent de régularités, conélations, etc. 159 c) L'individu et la société O Un autre problème mal posé à la sociologie, qui hante, depuis Platon, les philosophes, est celui des rapportsentre l'individu et la société. Posé d'abord en termes abstraits, le problème, au siècle dernier, se formulait de façon beaucoup plus pratique comme un choix : doit-on réduire la psychologie à la sociologie ou le contraire ? La crainte d'une subordination possible devait rendre tout compromis difficile. Auguste Comte pensait que tout problème soulevé par des manifestations du psychisme, pouvait être résolu par la sociologie.
Marx devait montrer que par la « praxis », l'homme se construit, en même temps qu'il construit la réalité et introduisait ainsi la dimension historique dans les rapports entre le psychique et le social. Tarde estimait que la sociologie pouvait être ramenée à la psychologie individuelle et mterindividuelle. Durkheim déclarait, au contraire, que la réalité sociale tout entière ne pouvait être réduite au psychique, celui-ci n'intéressant la sociologie qu'en tant que partie intégrante de la réalité sociale. Le problème de la conscience collective, tel que le posait Durkheim creusait malheureusement un fossé entre psychologie individuelle et psychologie collective. Le conflit, à cette époque, provenait en partie de ce que la psychologie collective se réduisait à une réflexion abstraite sur la psychologie de l'homme concret, tandis que la psychologie individuelle, psychologie de laboratoire, visait l'homme en général. La rencontre exigeait que psychologie et sociologie se situent sur un même plan concret. La psychologie n'était concrète qu'en fonction de ses liens avec la physiologie, qui l'écartaient de la sociologie ; alors que l'ethnologie, toujours très proche de la sociologie, lui fournissait une grande part de ses matériaux de réflexion (cf. Dürkheim et Levy Brühl). Aux États-Unis au contraire, la sociologie et la psychologie se voulant toutes deux empiriques, ont partiellement évité ces problèmes, que soulevait en France, leur cohabitation parmi les sciences sociales. La sociologie américaine se développe rapidement dans le sens d'une psychologie sociale, au début particulièrement orientée vers la vie affective et émotionnelle. En France, l'équilibre sera mieux établi mais avec retard. Marcel Mauss, on l'a vu (n° 124) tiendra compte des liens entre psychologie et sociologie. Il proclame close la discussion
philosophique : Nous savons qu'il existe deux règnes spéciaux : le règne de la conscience d'une part, et le règne de la conscience collective et de la collectivité d'autre part... Sur ces deux points fondamentaux, le caractère phénoménologique expérimental de nos deux sciences, la division de nos sciences, nous sommes tous d'accord. Les seules questions qui nous séparent sont des questions de mesure et des questions de faits333. » Les progrès de la psychologie, de la biologie, de la génétique et de la sociologie, montrent que l'homme, naissant dans un milieu social donné, il n'est pas possible de l'en abstraire. La socialisation de l'individu est telle et commence si tôt, que toute division entre l'individu et la société qui l'entoure, ne peut être qu'arbitraire et acceptable pour des seules raisons pratiques de spécialisation. Il n'y a pas de psychologie individuelle isolée de l'expérience sociale, pas plus qu'il n'y a d'expression de psychologie collective transcendante. Le groupe n'est pas quelque chose d'indépendant des individus qui le composent, et l'individu présente une grande part de social « intériorisé ». Ce qui existe, c'est un aspect individuel ou collectif et des niveaux d'expression différents. C'est pourquoi, comme le dit Mauss, le fait social est un « fait total », et comme le remarque R. Bastide (1965), si dans des sociétés stables à structures rigides, le social est plus apparent, plus accessible, dans les cas de bouleversement, c'est le psychisme collectif ou individuel qui se manifeste d'abord. A partir du moment où la psychologie admettait que l'individu concret ne pouvait être arbitrairement isolé de son expérience sociale et que la sociologie considérait l'homme «dans sa totalité», l'obstacle fondamental était levé, et sociologie et psychologie devenaient deux points de vue complémentaires pour saisir l'activité
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SECTION 2. LA SOCIOLOGIE MODERNE Retour à la table des matières 160 La crise de la sociologie O A l'Université de Chicago, en septembre 1983, se tint une conférence sur le thème des Potentialités du savoir dans les sciences sociales. Sociologues, anthropologues, psychologues, psychiatres, philosophes se sont interrogés sur le statut scientifique de leur discipline, dénonçant le « malaise » grandissant des sciences sociales aux États-Unis. Ceci depuis la remise en question du positivisme, après 1960 et « la mer de découragement » révélée lors du cinquantenaire du Social science research council, dont la célébration relevait de « la veillée funèbre» plus que de la fête. Furent considérés responsables le faible niveau de généralité des théories ou propositions, la multiplicité de courants opposés, les relations complexes et ambiguës entre recherche et demande sociale, enfin la place du subjectif de l'action humaine, dans les sciences de la société. En France, la crise est accueillie avec plus de sérénité... on avait été moins triomphaliste et les sociologues voient même là une occasion d'exercer leur réflexion. Il est intéressant de comparer leur diagnostic à celui des Américains. J.-P. Durand (1989) décèle lui aussi quatre causes aux difficultés de la sociologie, mais ce ne sont pas les mêmes que celles dénoncées à Chicago334. D'abord, l'influence des paradigmes de l'économie
classique. En effet, le prestige excessif et l'influence du modèle économique sont évidents. Ensuite l'excès d'intérêt pour le local et la microanalyse entraîne l'influence prépondérante des praticiens et laisse peu de place à la réflexion fondamentale. Vieux problème également signalé par les Américains. De plus, il faut également regretter, à côté de la multiplication de microanalyses, le développement anarchique de conceptions, propositions confondant abstraction et théorie, d'autant plus que la notion même de théorie, essentielle au développement d'une science, demeure imprécise. En fait, plus que d'autres sciences sociales, la sociologie est toujours à la recherche d'elle-même et n'a pas résolu le problème du lien entre théorie et réalité, entre la description (étude empirique) et l'explication ou théorie, essayant d'interpréter les faits. Enfin, dernier point indiqué par les Français, mais loin semble-t-il des préoccupations américaines, le fait que la sociologie a perdu sa dimension critique. Si critique il y a, en France, elle relève autant d'affrontements entre personnalités et conflits de carrière, que d'oppositions intellectuelles de points de vue et plus grave encore, rautocritique est absente du débat. Comme l'écrit J.P. Durand (1989) « Tout se passe comme si pour ne pas être rejetée par la société qu'elle décrit et analyse, la sociologie se rangeait à l'avis général335. » C'est la recherche du consensus. G.E. Hughes (1971) définit la soft ideology régnante : « l'art d'accompagner336 les restes, elle cuisine avec les grands thèmes des idéologies précédentes (...). C'est aussi une «Kit-idéologie », faite de bric et de broc avec des legs de l'idéologie gestionnaire de l'ancienne droite et de l'idéologie de l'ancienne gauche (...)337. P.A. Sorokin n'a pas tort de déclarer qu'aucun auteur comparable aux grands noms du xrx6 siècle ; Durkheim, Weber, Pareto, Spengler, n'est encore apparu. La sociologie se distingue par l'hétérogénéité de
ses démarches. Le polymorphisme plus grand qu'en économie peut en partie s'expliquer par le fait que le sociologue est rarement en situation vraiment expérimentale, et les données dont il dispose, sont souvent insuffisantes pour confirmer ses hypothèses. Pour R. Boudon (1971), ces raisons expliquent la sensibilité de la sociologie à des facteurs diffus, moins faciles à repérer et son évolution par crises plus que par changement continu. L'oscillation marque une rupture souvent brutale, augmentée par un effet de mode auquel elle est très sensible. Ces facteurs sociaux diffus, orientent l'intérêt des sociologues, les sujets de recherche : urbanisme, délinquance, développement, qui eux-mêmes commandent le langage et dictent les méthodes, suivant les études macro ou microsociologiques. § 1. Les États-Unis 160-1 Évolution O Tous les pays subissent, plus ou moins l'influence de la sociologie américaine, celle-ci s'est d'abord développée grâce aux Européens, en particulier de Durkheim. Puis ce furent les réfugiés d'Europe centrale : membres du cercle de Vienne, de l'école de Francfort, et des psychosociologues Lazarsfeld, Moreno, Lewin, etc. P.A. Sorokin (1928) résume ainsi l'évolution de la sociologie : multiplication du nombre de cours de sciences sociales dans les universités, ainsi que des recherches et publications ; augmentation du nombre de sociologues utilisés comme experts à différents échelons : gouvernement, syndicats, entreprises, et prise en considération croissante de facteurs sociologiques dans des domaines de plus en plus nombreux : biologie, psychologie, histoire, économie, philosophie, etc. Il est difficile de percevoir les changements survenus à l'intérieur de la sociologie elle-même : intérêt porté à des recherches microsociologiques au moyen de techniques
perfectionnées, puis attrait pour de grandes théories. La première démarche de la sociologie contemporaine d'après G. Gur-vitch est l'étude de la réalité sociale en profondeur. Par rapport à la sociologie unidimensionnelle du xixe siècle elle est pluridimensionnelle. Dans l'ensemble, il n'y a pourtant pas de rupture avec la période précédente et à quelques exceptions près, peu de nouveautés, plutôt une reformulation des idées et un perfectionnement des techniques. Il existe une différence entre la sociologie américaine du xxe siècle et celle européenne du xdí siècle. Différence que souligne N. Herpin338 (1973): «Les sociologues américains ne sont pas les intellectuels issus des classes dominantes dont parle M. Weber [...] ce sont des professionnels de la sociologie [...] des Européens on peut dire que ce sont des sociologues réguliers, les Américains ont été les premiers sociologues séculiers339. » Ceci explique des attitudes dissemblables à propos de l'objectivité, mais est également cause d'orientations différentes de la recherche sociologique elle-même340. En se référant aux auteurs américains, on est frappé d'abord de la variété des définitions données de la sociologie341, ensuite des critères contestables et arbitraires qui président à l'énumération organisée des diverses écoles. Sorokin pense que ceci manifeste une situation « chaotique » mais « naturelle ». Pour N. Herpin, étudier les discours des sociologues en faisant abstraction de ce qui les conditionne : universités, fondations, etc. n'est pas une démarche sociologique. On pourrait résumer son projet342 en disant qu'il étudie les sociologies américaines à travers les sociologues américains343. Mais les universités, fondations, etc., sont elles-mêmes conditionnées par les problèmes plus larges de leur époque. La recherche se développe en réponse à des questions. Il faut donc replacer chaque tendance dans son contexte historique. N. Herpin part de la constatation de la variété
des travaux empiriques ne possédant aucun système fondamental de référence. Pour lui, l'aspect le plus original de la sociologie américaine réside dans le fait qu'il n'y a pas «une démarche d'investigation, mais un nombre restreint de formules dont l'application donne un traitement sociologique des données ». On peut donc décrire le développement de la sociologie américaine de 1910 à 1970 suivant la problématique utilisée. « Chaque problématique peut se définir comme la mise au point d'une formule d'investigation empirique. » Le point de vue qui inspire les types de recherche : études de milieu, de communautés, ou la façon de considérer l'objet, de l'analyser (différentes façons d'étudier un hôpital) doivent permettre de distinguer les différentes orientations de la sociologie américaine. a) Le fonctionnalisme O
Ces diverses orientations ne sont pas tranchées. Les culturalistes utilisent parfois des types d'approche fonctionna-listes, mais les points de départ divergent. Tandis que les culturalistes recherchent l'influence normalisatrice de la culture sur les individus, les fonctionnalistes s'intéressent à la diversité des conduites des individus soumis à une même culture, mais possédant des statuts sociaux différents. « La socialisation n'est donc pas tant un processus d'intériorisation, qu'un mécanisme de sélection des individus en vue de pourvoir dif-férentiellement aux positions que définissent la structure sociale et en particulier la structure professionnelle344. » Cette conception privilégiant les positions et les rôles sous-tend le problème central : le fonctionnement des systèmes sociaux. La notion de système quoiqu'en disent les fonctionnalistes s'inspire directement de la physiologie et traduit un courant important345 de la sociologie américaine. Elle a inspiré des travaux divers346 et rassemble des noms aussi différents que ceux de T. Parsons, R. K.
Merton, P. Lazarsfeld. Les raisons historiques de cette orientation, N. Herpin les voit dans la bureaucratisation qui suivit la guerre, l'utilisation des machines, enfin l'importance accrue, aussi bien en nombre qu'en influence, des employés de bureau. Un autre facteur idéologique explique peut-être le succès du fonctionnalisme : son aspect à la fois optimiste, le système s'autorégule, et rassurant. Un système pluraliste implique un équilibre démocratique grâce au jeu des soussystèmes347. Sur le plan pratique, le fonctionnalisme explique l'intérêt porté à la notion d'évaZuafion348 qui implique, concrètement, une mesure du fonctionnement de tout système, aussi bien de l'enseignement que de la santé. b) Le second souffle de l' école de Chicago. L'interaction nisme O
Vers 1950, l'école de Chicago développe un nouveau courant représenté par un élève de Park, de Mead et Dewey, le psychosociologue H. Blumer (1969) un spécialiste de la sociologie du travail : E.C. Hughes (1971) et un anthropologue W.L. Warner349 connu pour son intérêt pour les petites cités et communautés. Vers 1937, Blumer crée le terme à'interactionnisme symbolique et le mouvement s'institutionnalise avec une société pour son étude. E. Goffman, leur élève, est à la fois le plus brillant, le plus original et le plus contesté de la nouvelle génération. D'origine modeste, juive ukrainienne, il mesure 1,65 m et épouse pourtant une jeune fille de la haute société protestante. D'une sensibilité excessive, d'une intelligence exceptionnelle, d'une vaste culture interdisciplinaire, il était aussi taquin et souvent cruel, et ne pouvait que surprendre les sociologues américains fils de pasteurs et bien pensants. Cependant, le milieu comptait
assez de gens intelligents pour accepter, même sans en mesurer l'importance, l'orientation nouvelle qu'apportait ce jeune collègue. L'attitude de Gofrman est double, d'une part il n'est ni de Harvard ni de Colombia alors prestigieuse, mais fait partie de l'école de Chicago. Ceci signifie qu'il est contre la sociologie dominante (Stouffer, Lazarsfeld et même Merton) qui prône les méthodes quantitatives et utilise des questionnaires à des fins statistiques. Proche des anthropologues, il est pour les méthodes qualitatives et l'observation participante (cf. n° 824). Mais au-delà de cet accord avec ses maîtres de Chicago, Gofrman a un esprit trop original et un caractère trop indépendant pour se montrer un disciple soumis et va leur réserver bien des surprises350. Lloyd Wamer lui suggère comme sujet de thèse l'étude d'une communauté351 et Goffman passera deux ans dans l'île la plus septentrionale de l'archipel des Shetland. « Ceci n'est pas l'étude d'une communauté, c'est l'étude qui s'est déroulée dans une communauté» dit-il se rendant compte des limites de son travail. « Le but de la recherche est d'isoler et de fixer des pratiques régulières de ce que l'on appelle l'interaction face à face. » Mais il veut l'envisager comme un domaine de plein droit et sortir le terme « interaction » de l'ornière où les grands psychologues sociaux et leurs épigones patentés semblaient prêts à l'abandonner. La grande différence c'est que les psychologues observent ou provoquent les interactions comme un produit des individus en groupe, alors que Goffman considère les interactions comme des systèmes, indépendants des individus qui les vivent. Système, le mot important est bien là. Sans doute, Goffman ne le définit-il pas352 mais il a déjà une signification adoptée par d'autres sociologues : Pareto, Parsons et c'est le sens d'interdépendance des éléments qui est sous-entendu par Goffman353. Citer Parsons, l'in-
curable théoricien354, dans une thèse soutenue à Chicago, c'était en partie de la provocation, mais pas seulement, car l'ordre de l'interaction avec ses mécanismes de régulation, vision de Goffman, est vraiment proche de l'ordre autorégulé de Parsons. La grande différence est dans le style et le choix des exemples. Loin des abstractions de Parsons, Goffman veut, à travers des petits exemples triviaux, répondre à la question sous-jacente à toute la sociologie « Pourquoi les loups humains ne se mangent-ils pas entre eux ? » Goffman pense que d'une manière générale, les gens « feront tout pour éviter une scène », c'est pourquoi il est souvent préférable « de concevoir l'interaction non comme une scène d'harmonie, mais comme une disposition permettant de poursuivre une guerre froide ». Ces dispositions, c'est d'abord à travers les interactions que Goffman appelle « conversationnelles » qu'elles seront saisies. Car le sociologue connaît non seulement la psychanalyse355 et l'anthropologie, mais également la linguistique356. En étudiant le langage-parole, comme comportement et non le langage écrit comme produit, Goffman se distingue de la linguistique « descriptive» de l'époque et préfigure le courant sociolinguistique des années 60. Si on a pu rapprocher Goffman de Parsons, on peut également voir une similitude entre le « symptôme » de Freud et « le signe » chez Goffman. Comme l'écrit Yves Winkin (1984) « Goffman parle de social, là où Freud parle d'inconscient». Ces signes, Goffman ne les repère pas seulement dans le langage, il s'interroge également sur les dimensions sociales et culturelles du comportement expressif et c'est ici qu'intervient l'importance de la présence de l'autre, celui qui va interpréter les signes, d'où la tentation de l'émetteur de les dissimuler. «Toute interaction devient ainsi un jeu constant de dissimulation (de soi) et de fouille (de l'autre)
que Goffman analyse à plusieurs « niveaux de sophistication »357. Les variations sur le thème de la communication sont encore étrangères à la sociologie et commencent à peine à préoccuper les linguistes et les psychosociologues sous la forme d'expériences de laboratoires, limitées à récriture pour les uns et à une transmission intentionnelle de messages verbaux pour les autres. Si Goffman n'a pas voulu prendre parti sur les liens entre macro et microsociologie, il n'en indique pas moins, proche en cela de Durkheim, que les rites d'interaction constituent une relation essentielle entre la macrostructure sociale et la rmcrostructure inter-actionnelle. Enfin, cherchant des parentés à cet auteur insolite, on a encore pu noter combien la démarche de Goffman se rapproche de celle des anthropologues britanniques358 par l'importance accordée au rituel non religieux, sans toutefois lui accorder un rôle essentiel. On pourrait résumer les conclusions de la thèse de Goffman en disant que d'après ses observations, l'interaction en société implique un mélange de ruse pour se dissimuler aux yeux de l'autre et même pour le tromper et en même temps de respect pour lui, afin de maintenir la paix, ne pas créer d'incident et taire également ce que l'on devine qu'il dissimule. Everett Hughes et surtout Lloyd Warner, l'inspirateur du sujet attendaient une monographie classique. Ces anecdotes, perdues dans des considérations générales, mêlant les conceptions d'auteurs si différents, représentaient un travail auquel ne convenait aucune étiquette académique connue. Goffman obtint tout de même son titre de docteur et loin de chercher à enseigner, il va d'abord poursuivre ses observations. En 1961, il publie Asiles après avoir passé deux ans dans un asile psychiatrique pour l'étudier de
l'intérieur (cf. n° 304). Puis viendra l'heure d'exploiter la mine d'idées que représente sa thèse et c'est la Présentation de soi (1956). Le point de départ de Goffmann paraît à la fois banal et peu rigoureux. Il compare le monde à un théâtre dans lequel sont distribués les rôles sociaux. L'opposition scène-coulisse de ce théâtre, permet d'expliquer de nombreux rôles. Les divisions de l'espace social créent diverses catégories d'attitudes : division entre les lieux de l'habitation où l'on reçoit (salle de séjour) et ceux où l'on se refait et où l'on se prépare (chambre, salle de bains, cuisine), séparation entre les institutions spécialisées dans le gardiennage de certaines catégories d'hommes (Asiles) et la société normale. Chacun s'inscrit dans l'écart entre ce qu'il veut être et ce qu'il est aux yeux des autres, en sorte que la catégorie fondamentale d'interprétation est celle d'interaction, d'où le nom d'interactionnisme donné à cette école. Goffman n'a pas peur de déclarer : « J'ai été formé par Hugues et Présentation de soi est réellement de la psychologie sociale structurale à la Hughes (...) nous avons formé une sorte de groupe solidaire, on les a tous appelés des interactionnistes symboliques. Je suppose donc que j'appartiens à " Tinteractionnisme symbolique ", mais rappelez-vous, ce n'est qu'une étiquette359. » « Par interaction, déclare Herpin, on entend à peu près l'influence réciproque que les partenaires exercent sur leurs actions respectives lorsqu'ils sont en présence physique, immédiate, les uns des autres360... ». Dans les situations de face à face, à travers les attentes et les réponses qui rétroagissent sur les attentes, apparaît alors une logique de la communication sociale, comparable à celle qui préside à tout acte sémique... Au fond, le scénique est sémique. L'importance attribuée à la notion de rôle n'est pas nouvelle, mais ce qui intéresse
Goffman dans le théâtre, ce n'est pas tant l'agencement prédéterminé des rôles, que la représentation elle-même. « Ce qui apparaît dans la représentation, ce qui s'y exprime, c'est ce qu'on ne trouve codifié dans aucun texte, dans aucun rôle, dans aucune thématique : c'est l'individualité, comme expression du particulier dans l'universel [...] La vie quotidienne comme représentation est précisément l'étude de ce procès d'individualisation par l'expressivité361. » Ceci implique un concept essentiel pour les mteractíonnistes : le Soi, (self) qui ne doit pas être confondu avec le rôle dans lequel il apparaît ou qu'il déforme ou refuse [...] La représentation est toujours le moment décisif, car c'est le public, l'autre ou les autres qui acceptent, valident l'acteur. On comprend alors que pour Goffman, « le Soi est un effet dramatique... le soi en lui-même ne dérive pas de son possesseur, mais de la scène totale où s'insère l'action de son possesseur362. » Il ne s'agit pas de la personnalité de l'individu, de son moi permanent, mais de ce qu'il est avec les autres. En effet, cette apparition du Soi dans la vie quotidienne, dépend d'un accord, d'une complicité entre acteurs et acteurs et public. C'est le problème du «consensus de fait». L'interactionnisme implique ainsi deux pôles : le soi manifesté dans le rôle et le consensus du public qui, acceptant le rôle joué, fait sortir l'individu de l'anonymat. Lorsque l'accord tacite ne se produit pas, un processus de rupture se déclenche. Des auteurs comme Garfinkel tentent même de le provoquer363. On comprend l'intérêt porté aux problèmes de la déviance qui sanctionne cette rupture et le nombre d'études que Goffmann et d'autres à Chicago ont consacré à ce thème364. Goffman ne propose ni théorie ni même technique et la finesse de ses observations ne
suffirait pas à offrir, comme il le souhaitait, un cadre nouveau pour l'analyse des faits sociaux, s'il ne suggérait implicitement un modèle rationnel pour étayer sa thématique. Ce modèle rationnel est la transposition en sociologie, de la théorie des jeux. Ce modèle n'est pas apparent. Le schéma n'est pas présent comme dans les tentatives d'application du modèle systémique d'Easton à telle ou telle analyse politique. La démonstration est absente, seule demeure dans cette transposition, une inspiration, la similitude d'une démarche qui enrichit son nouveau champ d'application et le renouvelle. Les conceptions d'action sociale, d'institution, de situation, apparaissent sous un jour différent. Surtout en montrant l'intérêt que présente pour le joueur, l'action en elle-même (on ne sait pas dans quelle mesure le joueur joue pour gagner ou pour le plaisir de jouer), Goffman démolit la distinction classique entre moyens et fins, pour lui substituer une notion plus riche mais aussi plus ambiguë, celle du rapport entre le gain et le risque. En admettant que gagner de l'argent soit pour certains un but, le plus intéressant n'est-il pas de déduire de leur comportement dans la vie quotidienne, le dosage des risques courus pour atteindre ce but, le prix qu'ils sont prêts à payer pour y parvenir ? 162-1 c) L'ethnométhodologie 365 O
L'ethnométhodologie représente une orientation plus qu'une doctrine. Influencée par la phénoménologie (Schütz) et la linguistique, elle a surtout opposé aux critiques théoriques l'intérêt de ses recherches sur le terrain. A. Schütz (1899-1959) quitte Vienne pour New York en 1932 et enseigne à la New-York School for Social research. Élève de Husserl, il est influencé également par la sociologie compréhensive de Max Weber. Le
seul ouvrage publié de son vivant est La structure intelligible. du monde social (1932). Il s'oppose au behaviorisme alors très influent aux États-Unis, car il juge la méthode des sciences naturelles, inadéquate pour comprendre l'intersubjecuvité qui lui paraît essentielle. Entre le sub-jectivisme et l'objectivisme existe pour lui une autre voie : « ... Elle revient à accepter naïvement le monde social (...) comme un univers signifiant pour l'observateur (...). A la première question : " Que signifie ce monde social pour moi observateur ? " s'en ajoute une seconde : " Que signifie le monde social pour l'acteur tel qu'on l'observe dans ce monde et qu'a-t-il voulu signifier par son agir ? ". On réintroduit dans la sociologie l'homme trop oublié : " l'acteur dont le faire et le sentir se trouvent au fond de tout le système social " »366. Inspiré par l'idéal type weberien, Schiitz pense que sans connaître l'acteur lui-même de façon approfondie : « il suffit pour le comprendre de trouver des motifs typiques, d'acteurs typiques qui expliquent l'acte comme étant lui-même typique et surgissant d'une situation également typique»367. Prêtres, soldats représentent des cas de ce genre. H. Garfinkel368. Il faut voir du dedans tel est le mot d'ordre lancé par Garfinkel. Après avoir travaillé à Harvard (1946) avec Parsons, il suit les cours de Schütz à New York. Cet enseignement (passant d'un extrême à l'autre) l'a orienté vers la sociologie du savoir ordinaire. Il étudie à l'aide d'enregistrements clandestins les délibérations des jurés de Chicago et analyse leurs stratégies plus ou moins conscientes pour jouer leurs rôles. C'est alors qu'il aurait forgé le terme d'ethnométhodologie369. Il s'oppose au positivisme de Durkheim dans la mesure où ce dernier considère les faits sociaux comme des choses extérieures à la conscience individuelle et soumis à la contrainte sociale, alors que pour Garfinkel, ils sont irréductibles à la pure
objectivité. Garfinkel étudie ce que suppose de consensus implicite, le « non dit » qui permet néanmoins à des interlocuteurs de se comprendre. Ce que rethnométhodologie entend par natural language, n'est pas une étude sémantique, malgré l'influence de la linguistique, mais l'observation et l'analyse des systèmes de pratiques sociales, régies par des règles comme une grammaire. Quoi qu'en pensent les critiques, il ne s'agit pas d'une sociologie phénoménologique, le monde extérieur n'est pas nié mais il ne peut être vu et interprété que par les individus qui le composent. Les faits sociaux sont étudiés non plus de l'extérieur, mais tels qu'ils sont vécus. Enfin il ne s'agit pas non plus d'un réductionnisme ni de l'opposition individu société370 mais d'une interaction dialectique. Les acteurs sociaux sont des agents du système qu'ils subissent et produisent, d'où l'importance du terme de créativité. L'essentiel ce sont les normes en vigueur et l'usage de ces normes est un processus mystérieux, que chacun adapte à chaque situation. Selon Garfinkel, il se passe tout le temps des activités sociales fondamentales, mais elles sont difficiles à découvrir. L'ethnométhodologie ne propose pas une nouvelle théorie de la société « mais une approche des fondements de l'ordre social ». A. Cicour el (1973) élabore une sociologie, cognitive essayant de coordonner l'apport des interactiorrrrist.es, de l'ethnométhodologie et de l'analyse conversationnelle. S'inspirant de Chomsky qui, dans sa grammaire generative, suppose au-delà des structures superficielles de la langue, une grammaire régissant ses structures profondes, conférant la compétence linguistique et la production du sens, Cicourel tente d'appliquer à l'interaction sociale ce même schéma. Il propose un système de procédés interprétatifs qui
permettent de se comprendre malgré les différences, les ambiguités. Par rapport aux sociologues français, gardiens si intransigeants des frontières (ou même de la suprématie) de leur discipline, les Américains paraissent singulièrement ouverts. Ils appliquent très naturellement une transdisciplinarité exemplaire, se référant aussi bien aux acquis de la linguistique qu'à la phénoménologie, à la sociologie compréhensive, à l'etnologie, et même à cette psychologie sociale si mal vue des sociologues français. En revanche, ils n'ont pas été indulgents pour le courant inter-actionniste si différent de la sociologie traditionnelle. Ils lui reprochent son subjectivisme, son manque de rigueur, le flou de sa méthode limitée à l'observation directe, l'ignorance des facteurs institutiormels. En France, Bourdieu reproche aux interactionnistes leur critique de Durkheim qui les amène à réduire le monde social aux représentations que s'en font les acteurs. La science deviendrait alors un compte rendu des comptes rendus des acteurs sociaux. Bourdieu doute (on ne s'en étonne pas lorsque l'on connaît son oeuvre) que la vérité de l'interaction soit décelable dans l'interaction elle-même. Enfin, M. Crozier et E. Friedberg (1977) se demandent comment apprécier la liberté des acteurs si l'on néglige les contraintes qu'ils subissent et le poids des institutions. Quelles que soient les imperfections et les limites du courant interactionniste, il faut reconnaître qu'il a valorisé le rôle des acteurs sociaux, l'imagination et la sensibilité des observateurs et amené un peu d'air frais dans la sociologie américaine. 162-2 d) La sociobiologie O
De nombreuses recherches ont abouti à un
ouvrage qui a fait sensation aux États-Unis et donné son nom à ce qui voudrait être une nouvelle science : la sociobiologie. L'auteur, E. O. Wilson, après de nombreux articles, publie en 1975 : Sociobiology: the new synthesis, puis en 1978 : On human nature, définit la sociobiologie comme la science qui étudie systématiquement les bases biologiques de tous les comportements sociaux. Utilisant les données de l'etnologie, du néodarwinisme371 ou génétique des populations et de l'écologie, Wilson les étend à l'analyse des sociétés considérées globalement. Le premier ouvrage hostile à cette tendance est signé par l'anthropologue M. Sahlins (1980). A partir de là s'ouvre une polémique violente aggravée par la publicité. Wilson refuse les conséquences que la droite tire de ses recherches : éli-tisme, priorité à l'hérédité, tandis que les radicaux l'accusent de fascisme372. Il semble que cette polémique s'intéresse moins aux arguments scientifiques qu'aux conséquences politiques que l'on peut en tirer373. En France l'utilisation de la sociobiologie par la nouvelle droite est combattue par la gauche, sans susciter le même intérêt qu'aux États-Unis. Cette théorie cherche à conforter par des arguments scientifiques la tendance libérale des économistes et sociologues, leur vision de l'homme voulant partout et toujours optimiser ses gains. « L'altruisme ne constituant jamais qu'une forme élaborée c'est-à-dire hypocrite, de l'égoïsme. » L'utilisation des mathématiques a permis d'affiner l'étude des sociétés animales. Martin Novalt (mathématicien autrichien) et Karl Sigmund (zoologue Grande-Bretagne) ont utilisé un modèle numérique fondé sur «la théorie des jeux» pour étudier le comportement de groupes d'animaux et ont
constaté374 que les « altruistes » l'emportaient sur les égoïstes. § 2. La sociologie en Grande-Bretagne 163 Les oppositions O La Grande-Bretagne a, comme les autres pays, sa tradition sociologique. Très influencée par le fabianisme de tendance plus paternaliste que marxiste, elle poursuivait des buts pratiques d'amélioration sociale, analogues à ceux de la sociologie empirique américaine à ses débuts. Elle empruntait également à Malinowski, un fonctionnalisme qui convenait à son rôle colonisateur et à son conservatisme. Au courant positiviste et empiriste dont les ordinateurs augmentaient l'efficacité, s'opposa depuis 1968; une orientation phénoménologique (A. Schutz aux U.S.A.) et marxiste (École de Francfort) des sociologues de la jeune génération. Cette multiplicité de points de vue, loin d'être favorable au débat scientifique, se révéla stérilisante du fait du sectarisme de la gauche et de l'incompréhension de la droite. Le retour à un véritable esprit de recherche dans la tolérance, paraît aujourd'hui plus important qu'une discussion sur le rôle de la théorie ou les avantages de l'empirisme. § 3. La sociologie en Allemagne 375 163-1 L'école de Francfort O La dénomination d'École de Francfort s'applique à un groupe d'intellectuels juifs (les plus connus sont: T. W. Adorno, A. Benjamin, E. Fromm, Horkheimer, H. Marcuse, A. B. Pollock). qui pour la plupart, à l'arrivée du nazisme au pouvoir, émi-grèrent aux États-Unis376. Quelques-uns revinrent en Allemagne après la guerre. On peut ici poser la question déjà soulevée à propos du marxisme. L'école de Francfort trouve-t-elle sa place en sociologie ou en philosophie ? L'histoire des deux disciplines s'est longtemps
confondue. L'école de Francfort continue cette tradition d'absence de frontières, caractéristique de la pensée allemande. La création en 1923 de l'Institut de recherche sociale, puis l'intitulé de la chaire d'un de ses fondateurs, Horkheimer : Sociologie et philosophie, indiquent une orientation. L'auteur la précise dans sa leçon inaugurale : créer une communauté de travail pluridisciplinaire, pour prendre en compte les questions philosophiques, «elles-mêmes intégrées dialec-tiquement au processus de la science empirique ». Dans sa théorie critique, l'auteur envisage le recours à des analyses de presse, à des enquêtes par interviews et questionnaires et des emprunts aux diverses théories et méthodes aussi bien philosophiques qu'économiques, sociologiques ou historiques. Le tout appliqué d'abord à deux catégories sociales : les employés et les ouvriers qualifiés377. Comme le note Luce Giard, ceci, banal aujourd'hui, signifiait dans l'Allemagne de 1930 que «l'enracinement philosophique [...] n'était pas honteux, que la saisie de l'empirie dans un cadre, conceptuel avouant ses présupposés théoriques, n'était pas de ce seul fait disqualifié dans l'ordre du savoir scientifique, que l'infrastructure économique et l'histoire des luttes sociales avaient autant d'intérêt et de sens que les produits culturels de la supersixucture »...378 Horkheimer après Weber s'interroge sur les rapports entre nature et raison. Le combat entre l'une et l'autre persiste. Mais « l'histoire des efforts de l'homme pour asservir la nature est également l'histoire de l'asservissement de l'homme par l'homme ». La science et la raison doivent être soumises à la critique, sous peine d'être détournées de leur véritable mission. Horkheimer et Adomo ont vécu379 la tragédie de la technique mise au service de la barbarie, et sur le plan théorique, constaté les excès de la
tendance formaliste et systémique de l'école de Vienne380, enfin ceux du dogmatisme marxiste et du technocrausme capitaliste. Au moment de la création de la théorie critique (fin des années 1920) son inspiration marxiste ne fait pas de doute mais celle-ci provient de deux ouvrages considérés hérétiques, Histoire et conscience de classe de Lukacs et Marxisme et philosophie de Korsch. Par la suite (1940) le cercle de Francfort se livre à une véritable critique du marxisme, surtout dans la mesure où celui-ci accuse la philosophie de désuétude (onzième thèse sur Feunerbach). Le véritable responsable du dépérissement de la philosophie, c'est Hegel. Il amène la théorie critique sur le terrain de la politique, de l'observation de la société pour en noter les manifestations d'autorité, même dans la famille. Ici encore le cercle de Francfort se distingue de Marx : la priorité n'est pas donnée à l'économique mais au politique, à la pluralité plutôt qu'à l'unité. Particularité trop oubliée, de l'école de Francfort : sa haine de la souffrance et de son utilisation morale et religieuse à laquelle doit échapper une société libre. Enfin ce qui est remarquable, les membres du cercle n'ont pas été comme tant d'autres dupes de 1'U.R.S.S. Ils ont vu dans le régime soviétique non un État souverain perverti mais un système particulier à forme bureaucratique. On comprend l'attrait qu'a exercé (cf. Marcuse) sur la jeunesse de 1968, une réflexion inspirée du marxisme mais bien éloignée de son évolution dogmatique ultérieure. Cependant l'audience plus large, rencontrée en France aujourd'hui par l'école de Francfort pourrait s'expliquer par l'absence de certitudes de ses auteurs, la qualité de leurs analyses et l'indépendance de leurs critiques : ne pas appartenir, « nicht mit-zumachen » déclarait Horkheimer. Comme l'écrit Luce Giard, l'intérêt de l'école de Francfort « est moins un contenu doctrinal qu'une manière de faire, que la désignation pour
la pensée de nouveaux lieux d'interrogation381». Héritier plus que représentant de l'école de Francfort, J. Habermas382 (né en 1929) fut l'assistant d'Adomo. Cependant, alors que pour Adorno, la théorie et l'empirie sont également nécessaires, mais ne relèvent pas du même ordre et doivent rester distinctes, Habermas, au contraire, en propose une synthèse. Il conteste également la critique de la raison instrumentale d'Adorno parce que inscrite dans une conception transcendan-tale de l'histoire hégélienne. Habermas veut réintroduire la raison dans la logique de l'action sociale, en particulier dans la communication. Dans ce processus, le langage tient une place essentielle et J. Habermas (1987) propose «l'agir communicationnel» comme moyen d'étudier les pathologies de la modernité. Parmi celles-ci il incrimine surtout le dépérissement des rapports spontanés provoqué par la bureaucratie et l'excès de codification : « la colonisation du monde vécu ». On a reproché, à juste titre, à cet auteur de concevoir une nouvelle métathéorie philosophique s'éloignant plus encore que l'école de Francfort des objectifs de la sociologie383. Pour quelle raison, J. Habermas est-il connu en France alors que Niklas Luhmann384 son contemporain dont l'œuvre est considérée en Allemagne comme plus importante encore, commence-t-il à peine à être traduit en France ? On ne peut donner ici qu'un aperçu de la théorie exposée en quelques quarante ouvrages et plus de 300 articles385. En tant que juriste, Luhmann s'intéresse à la bureaucratie, aux organisations, il aura pour ambition d'élaborer une théorie générale permettant une description adéquate de la société contemporaine. Pour cela, il va d'une part emprunter des éléments à des disciplines modernes diverses : biologie, cybernétique, théorie des systèmes, de la communication, d'autre part insister sur la nécessité de l'ouverture. Il rejette tout ce qui implique un fondement ontologique 386 (valeur,
intention) ou exige un fondement fixe de la réalité en même temps qu'il s'oppose à la notion statique d'identité au profit de celle de différence, ce qui l'entraîne à privilégier la relation. Ces relations si nombreuses dans les sociétés modernes, sont la cause de leur complexité. La théorie a pour but de la réduire bien que la complexité ne soit réductible que par un instrument plus complexe encore. Privilégiant la fonction au lieu de la structure, Luhmann qualifie sa théorie de structuralisme fonctionnel par opposition au fonctionnalisme structurel de Parsons. Avec la publication en 1980 de Sociologische auf-klarung, Luhmann évoque un changement de paradigme et s'oppose à Parsons. Ce n'est pas une théorie de l'action sociale qu'il propose, mais une théorie de la société. L'ouverture est obtenue grâce à la nouvelle théorie biologique des Chiliens Humberto Maturana et Francisco Varela : l'autopoiëse. La société et les systèmes sociaux seraient d'après Luhmann autoréférents387 et autopoiëriques, c'est-à-dire reproduisant comme les êtres vivants leurs propres éléments et construisant ainsi leurs structures. Enfin dans ses plus récentes contributions, l'auteur insiste sur la notion d'observation non comprise au sens anthropologique mais au sens cybernétique. Observer, c'est pour Luhmann marquer sa différence vis-à-vis de l'objet observé. A partir de ces concepts essentiels, Luhmann utilise la théorie des systèmes, la théorie de l'évolution388 enfin la théorie de la communication qui est en même temps sélection. Cette conception aboutit à la négation de l'individu. Les hommes font partie de l'environnement, ils forment un système autoréférent - dont le trait spécifique est la conscience - et entre les hommes et la société se trouve une relation d'interprétation mais pas de relation de contenant à contenu ; les hommes ne sont pas des éléments composants. Affirmation d'une nouveauté singulièrement bouleversante
pour les sociologues. Depuis ces dix dernières années, on assiste à un développement de la sociologie industrielle en R.F.A. de même qu'à l'étude de l'influence des progrès de la technologie sur la vie quotidienne. § 4. La sociologie en Russie 164 L'évolution O Un système fondé sur le dogmatisme et l'infaillibilité du pouvoir ne pouvait accepter les risques de la recherche ni la sanction des faits. La participation des pays de l'Est à la sociologie internationale n'a commencé officiellement qu'au Congrès de sociologie d'Évian (1966). A Varna (1970), elle était considérable389 , 390. Il s'agissait de rattraper le retard face à l'Ouest mais surtout d'utiliser ses techniques pour obtenir des informations. L'Association soviétique de sociologie fondée en 1965 se développe jusqu'en 1970. En 1968 est créé pour l'autonomie de la sociologie l'Institut pour la recherche sociale appliquée (I.A.S.R.R.) après un long débat. Les recherches portent sur les loisirs, les budgets, les migrations de travailleurs, l'influence des mass média. Tout en camouflant souvent les résultats, on admet cependant que la notion léniniste de classe sociale est insuffisante pour couvrir la structure de la société (intelligentsia, ouvriers agricoles). L'on observe parfois chez les travailleurs des attitudes, considérées par les marxistes en pays capitalistes comme symptômes d'aliénation. Enfin il faut bien reconnaître que la jeunesse s'intéresse davantage au bonheur individuel (niveau de vie, logement) qu'à un idéal collectif. Malgré cet effort de développement, la sociologie soviétique se limite à n'être qu'une « science appliquée » et subit dans cette orientation l'influence de la sociologie empirique américaine. La fin de l'U.R.S.S. et les bouleversements qui l'accompagnent permettront à la sociologie de se montrer plus ambitieuse. Elle se tournera vers la sociologie européenne, en particulier la sociologie française qui semble présenter une tradition théorique plus forte. De nombreux échanges se
poursuivent depuis 1990 entre sociologues russes et français391. Les bouleversements qui agitent la société russe posent aux sociologues des problèmes particuliers. 164-1 Les obstacles politiques O Pour les gouvernants d'un pays en crise comme la Russie qui ne disposent plus des moyens de coercition de Staline et veulent instaurer des réformes, la connaissance de l'opinion est indispensable. Les sondages d'opinion paraîtront donc une des techniques les plus utiles à emprunter à l'Occident. La production, l'interprétation et l'utilisation des sondages en Russie de 1985 à 1992 est révélatrice de l'attitude du pouvoir vis-à-vis de la sociologie et de la plus ou moins grande volonté du gouvernement d'instaurer la démocratie. La connaissance de l'opinion devrait assurer une plus grande efficacité de l'action gouvernementale mais elle présente le risque de permettre à l'opposition de se manifester. Aussi l'attitude du pouvoir traduit-elle à la fois méfiance et intérêt. La prédominance de l'intérêt, de l'aspect instrumental entraîne la multiplication des sondages, mais la méfiance suscite leur totale confidentialité. Le gouvernement garde les résultats secrets. L'arrivée de Gorbatchev au pouvoir ne modifie pas cette règle, mais l'objectif des sondages change. C'est l'opinion du peuple que l'on cherche à découvrir, même si elle diffère de la propagande officielle392. Élément nouveau, dès 1985, les sociologues sont invités à collaborer et renforcer l'action du pouvoir393. L'inefficacité des mesures prises par M. Gorbatchev pour susciter les efforts du pays l'amène à recourir aux intellectuels. Les sociologues sont appelés à devenir consultants, mais en échange de ce nouveau rôle de conseillers du prince, ils souhaitent que les
gouvernants respectent davantage les avis qui leur sont donnés. Cet équilibre est naturellement trop fragile et menace l'objectivité et l'indépendance de la sociologie. Dès 1987 les sociologues réclament l'autonomie de leur discipline. Il ne s'agit pas encore de se libérer de l'emprise du pouvoir, ni de le contester, la volonté d'aider l'action sociale du pouvoir demeure et même un souci d'efficacité inspire en partie la demande de liberté des sociologues. Del986àl988 1e pouvoir résiste encore aux aspirations des intellectuels, mais l'action décousue de la glasnost déclenche une vague d'aspirations incontrôlable. Les élections semilibres de 1989 renforcent les exigences de l'opinion qui veut prendre conscience d'ellemême. Les partis politiques créent alors leurs propres services de recherches tandis que l'idée neuve de pluralité d'opinions progresse lentement. Idée exaltante pour les sociologues dont l'activité se trouve au centre même de la vague de revendications. Le pouvoir de son côté évolue et utilise plus souvent dans ses discours les résultats des sondages comme si grâce à eux « il parlait au nom du peuple». M.Gorbatchev qui n'avait jamais commandé des sondages s'est reconnu mal informé, lors du speech qui vit son éviction du pouvoir. Les succès des réformateurs et des radicaux aux élections de mars 1990 et l'arrivée de Boris Eltsine au pouvoir amènent naturellement des changements. Ce sont d'abord les municipalités nouvellement élues (Moscou et Leningrad) qui voudront utiliser ce moyen de connaître l'opinion de leurs administrés. De son côté, B. Eltsine donne l'exemple. Dès mars 1991 il crée auprès de lui un conseil consultatif de 25 membres, composé de sociologues mais surtout d'économistes. Les sondages ne révèlent pas seulement l'opposition au pouvoir, mais la publication des résultats suscite lorsqu'il s'agit d'avis sur des réformes, des réactions hétérogènes dans la population394.
Le gouvernement s'intéresse aux sondages mais les mentalités ne changent pas si vite et les sociologues russes donnent de nombreux exemples de permanence de l'ancienne attitude. « On a besoin d'informations qui renforcent la croyance du gouvernement en lui-même [...] et si possible sans payer», s'indigne le sociologue Boris Grouchfne395. Ce qui est nouveau c'est l'utilisation des résultats de sondages par les hommes politiques. Le taux élevé des sans opinion sert de prétexte pour réclamer un gouvernement autoritaire. Le même sondage est interprété de façons différentes par les partis opposés qui ne se préoccupent pas de vérifier sa fiabilité et ne se gênent pas pour manipuler les résultats. La rigueur scientifique ne progresse pas aussi vite que l'utilisation des sondages. Cependant l'accession au pouvoir de certains sociologues si elle n'assure pas leur objectivité, renforce tout de même la position de la sociologie. Après les obstacles purement politiques les sondages en Russie se heurtent à des obstacles techniques. Le temps est également nécessaire pour créer une mentalité scientifique. 164-2 Les obstacles techniques O D'abord sur un plan pratique du côté des chercheurs un problème de formation. Malgré leur enthousiasme à se sentir libérés de la tutelle du parti, il leur est difficile de passer d'une formation marxiste-léniniste à une conception durkheimienne et bachelar-dienne, de la recherche396. La notion d'objectivité, plus encore que dans les pays occidentaux, paraît particulièrement complexe et insoluble. Comment « désidéologiser » la sociologie jusquelà sous la tutelle du pouvoir et comment étudier empiriquement la réalité sociale sans a priori ? Du côté du pouvoir politique, la disparition du dogme marxiste laisse le gouvernement sans boussole, à la fois désireux de voir les sciences sociales se développer librement, mais en même temps avide de renseignements sur l'état de la société, de l'opinion et attendant des sociologues les informations dont il a besoin pour prendre des décisions. Il en résulte une prolifération
d'enquêtes sur les différents groupes sociaux (ouvriers, paysans, jeunesse) et la création d'observatoires statistiques comparables aux nôtres pour recueillir des données fiables - elles étaient jusque-là manipulées - sur les sujets importants (alcoolisme, démographie, consommation, mobilité sociale). Mais cette recherche d'informations confiée aux sociologues, se heurte à une difficulté majeure : l'absence de données exactes sur la structure sociale. Non seulement la composition socioprofessionnelle de la population n'est pas connue, mais de plus sa complexité est extrême. On ne peut comme en France situer les individus dans l'espace social d'après des critères simples et objectifs : salaire, diplômes. En U.R.S.S., il s'agit de filières bureaucratiques d'accès aux biens. Un professeur moins payé qu'un ouvrier pouvait vivre mieux (logement plus grand, etc.) grâce à des appartenances lui accordant des droits particuliers. A Leningrad, on comptait quarante-cinq filières différentes pour obtenir un logement. La société soviétique proclamait le principe d'égalité pour aussitôt prévoir des exceptions plus nombreuses que la norme. Dans les pays occidentaux, on compare la hiérarchie sociale à une pyramide. En Union soviétique, il s'agit plutôt d'un œuf comportant au sommet une petite élite de favorisés, à la base une minorité d'exclus et au centre une masse importante en constante restructuration. Celleci n'obéit plus aujourd'hui aux impératifs du parti. Elle est soumise aux lois du marché, à la concurrence dont la masse n'a pas l'habitude et qui laisse apparaître dans la réprobation générale des trafiquants et des nouveaux riches. A côté des questions pratiques concernant la formation des chercheurs et l'absence de données, se pose le problème plus grave de l'autonomie des sciences sociales et de leurs rapports avec le pouvoir. Si la sociologie ne subit plus la contrainte de la censure et ne connaît plus les mêmes obstacles,
elle n'en demeure pas moins dépendante du pouvoir indirectement et globalement. D'abord, ce que le gouvernement attend d'informations de la part des sociologues dicte les sujets de recherche, presque toujours sur des problèmes d'actualité. Il est normal que l'apparition d'une opinion publique implique de la part de gouvernements qui se veulent démocrates, de l'intérêt pour ce qu'elle exprime. D'où « la folie des sondages » qui s'est emparée de la Russie. Au règne sans partage de la seule « opinion autorisée » succède aujourd'hui celui de l'opinion, en permanence sollicitée397... Cet intérêt pour ce que pensent les citoyens comporte deux conséquences. D'une part, l'analyse de l'opinion n'est plus le monopole du pouvoir, d'où la prolifération d'instituts plus ou moins sérieux (échantillons non représentatifs, enquêteurs sans formation, questionnaires biaises). D'autre part et surtout le gouvernement subventionne de moins en moins la recherche et se borne à financer les enquêtes sur les sujets d'actualité qui l'intéressent, en général sur cette ^opinion libérée qu'il ne maîtrise ni ne fabrique plus. Sans l'aide de l'État où trouver un financement pour la recherche fondamentale ou à long terme ? Celle-ci soumise à la même contrainte économique que dans les pays occidentaux en souffre davantage398, car elle n'y est pas habituée. Les chercheurs se voient brusquement privés du financement et des facilités que l'État tenait à leur disposition auparavant (frais de déplacement, etc.). Les conditions de travail se sont dégradées, la situation matérielle des instituts de recherche devient très difficile, enfin les nouvelles revues risquent de disparaître, le papier n'étant plus fourni par l'État doit être acheté, très cher, au marché libre. Une des conséquences graves de cette crise, c'est le risque de voir disparaître les groupes et instituts les plus sérieux, tandis que les chercheurs compétents sont nombreux à s'orienter vers de nouveaux instituts aux objectifs moins scientifiques.
Obligés de s'adapter brusquement à la liberté et la concurrence d'une économie de marché, les sociologues russes évoluent avec difficulté dans une société incertaine et bouleversée, sans le secours des règles tacites qu'offre le jeu capitaliste dans les pays qu'il domine depuis longtemps399. § 5. La sociologie en France La sociologie en France comme dans les autres pays ne comportait pas de cursus universitaire. Elle s'est développée comme une spécialisation, postérieure à une formation philosophique. Très influencée par la sociologie américaine des années 50, la sociologie française trouve depuis ces dernières années une autonomie et une tonalité particulières où figurent autant que des tendances opposées des personnalités très différentes. 165 1) Les auteurs, a) Le métier de sociologue : Pierre Bourdieu O
Une des figures les plus originales de la sociologie française, est un philosophe passé par l'École Normale Supérieure. Il déclare que chez lui « les différents choix théoriques ont sans doute été plus négatifs que positifs à l'origine »400 Mais ces refus conservent cependant la marque du débat qu'ils ont suscité avec les structuralistes (Saussure, Lévi-Strauss, Althusser, Foucault), la phénoménologie existentialiste (Husserl, Merleau-Ponty, Sartre). A noter enfin, les influences de Marx, Weber et Durkheim, des ethnologues et des linguistes. Si Bourdieu met en avant la notion de classe, il se détache cependant du marxisme par l'importance qu'il attache non à une conception socio-économique mais aux
rapports et aux dominations symboliques. Il définit toute formation sociale « comme système de rapports de force et de sens entre des groupes ou des classes »401. C'est à la tradition durkheimienne que l'on peut rattacher la conception de la sociologie proposée par Bourdieu. Une même volonté de la constituer comme science pour, par un travail continu, lutter contre les illusions (cf. Bachelard) et atteindre l'objectivité. Il faut enfin noter l'influence sans doute la plus déterminante, la plus stimulante pour l'esprit : celle de Lévi-Strauss et du structuralisme. Au heu d'une simple observation empirique, il s'agit pour le sociologue de tenter de découvrir quelles relations et quel système de relations organisent l'objet étudié402. Mais si Bourdieu cherche à découvrir les structures déterminantes il veut tout de même « réagir contre l'orientation mécaniste [...] du structuralisme » 403. La richesse et l'hétérogénéité de ces influences s'expriment dans un style particulier, que l'on éprouve souvent le désir de simplifier et dans des termes, piliers de ses diverses démonstrations. Il construit sa démarche autour des notions qu'il enrichit de son expérience de chercheur. Le champ. Ce terme polysémique est à la mode dans les sciences sociales où il paraît plus savant que domaine, secteur, discipline, etc. ; les champs peuvent se définir comme « des espaces structurés de positions (ou de postes) dont les propriétés dépendent de leur position dans ces espaces et qui peuvent être analysées indépendamment des caractéristiques de leurs occupants (en partie déterminées par elles)404 ». K. Lewin a emprunté le terme à la physique pour insister sur l'aspect relationnel qu'il implique (cf. n° 190).
Influencé par Marx et Weber, Bourdieu utilise la notion dans ses analyses de sociologie de l'art où apparaissent des relations symboliques fonctionnant à l'intérieur de marchés doués de leur propre logique. Une autre notion importante est celle d'habitus (mot latin issu du grec, utilisé par Aristote pour désigner les dispositions acquises). Il permet, d'après Bourdieu, d'éviter le double écueil du subjectivisme, suivant lequel les individus agissent en fonction d'une stratégie consciente et l'objectivisme, d'après lequel ils sont le jouet de structures sociales préétablies. Bourdieu confère à ce vieux terme d'habitus la capacité de reproduction (mémoire du passé et production d'un avenir) et une capacité d'invention. L'habitus est « une machine transformatrice qui fait que nous reproduisons les conditions sociales de notre propre production, mais d'une façon relativement imprévisible »405. Il est adapté aux structures objectives puisque produit de ces structures, sans volonté ni même intention ou conscience d'une stratégie d'ajustement. Du fait de l'habitus, les agents agissent pour que se perpétuent les relations objectives entre les classes, apportant ainsi un élément d'explication au problème de la reproduction sociale406. Mais ici encore Bourdieu se sépare de Marx. Tout en employant le terme économique de capital, il distingue au-delà des capitaux économique et culturel, un capital social et, ce qui lui est plus.personnel, un capital symbolique407. A propos des rapports de domination et de ce qui les légitime (autre terme souvent utilisé), Bourdieu invoquant une plus-value symbolique, écrit : « [...] la transformation d'une espèce quelconque de capital en capital symbolique, possession légitime fondée dans la nature de son possesseur, suppose toujours une forme de travail, une dépense visible [...] de temps, d'argent et d'énergie, une redistribution qui
est nécessaire pour assurer la reconnaissance de la distribution »408. A côté de réflexions, souvent décapantes, sur la routine... qui parfois se routinisent elles aussi, Bourdieu, sur le plan de la méthode, s'est surtout fait connaître par un de ses premiers ouvrages, polémique : Le métier de sociologue où ü s'attaque aux idées préconçues et au formalisme des méthodes quantitatives. Attaques constamment renouvelées : « Il faut tout l'effet de domination exercé par la science américaine et aussi une adhésion plus ou moins honteuse et inconsciente à une philosophie positiviste de la science, pour que passent inaperçues les insuffisances et les erreurs techniques qu'entraîne à tous les plans de la recherche [...] la conception positiviste de la science. On ne compte pas les cas où les plans d'expérience singeant la rigueur expérimentale dissimulent l'absence totale d'un véritable objet sociologique construit409 ». 165-1 b) Holisme 410 ou individualisme411: Raymond Boudon o
Boudon, après avoir précisé que la notion d'individualisme méthodologique a une signification différente de celle d'individualisme sur le plan éthique ou même sociologique (large autonomie consentie aux individus par les lois et les moeurs) en donne la définition suivante : « Le principe de l'individualisme méthodologique énonce que pour expliquer un phénomène social quelconque - que celui-ci relève de la démographie, de la science politique, de la sociologie ou de toute autre science sociale particulière - il est indispensable de reconstruire les motivations des individus concernés par le phénomène en question et d'appréhender ce phénomène comme le résultat de l'agrégation de comportements individuels
dictés par ces motivations412. » Ce type d'explication suppose que l'individu est rationnel. Hypothèse largement utilisée par les économistes mais qui hnrite singulièrement l'application du paradigme4. Le plus paradoxal, c'est que l'individualisme, loin d'être une défense de la liberté individuelle contre les partisans du holisme, c'est-à-dire du déterminisme et du poids des structures, doit tenir compte dans sa thèse (ce qu'il ne fait pas toujours) d'une limitation de la liberté et du libre choix des acteurs sociaux par le poids de ces structures qu'il veut ignorer. Le holisme, au contraire, s'efforce d'analyser directement les conséquences des données structurelles ou culturelles, supposées éléments actifs et ignorant l'analyse des motivations et comportements individuels se prive d'explications souvent essentielles. Le danger du paradigme holiste, c'est cette simplification qui fait son succès. Mais en reconnaissant la seule influence des structures, il risque une dérive idéologique et politique ainsi que des explications simplistes et parfois sans définitions précises : lutte des classes, domination, etc. Il est certain que ces prises de position méthodologique recouvrent des attitudes plus profondes. Le succès de l'individualisme sociologique survient alors que les thèses libérales triomphent dans les sociétés industrielles. Sans y voir un lien de cause à effet, on peut penser comme le dit J. Leca (1986) « qu'ils appartiennent à la même vue du monde ». D'un autre côté, le succès du paradigme holiste et la résistance au point de vue individualiste s'expliquent sans doute par une conception « hypersocialisée » de l'homme, dont l'influence du positivisme est en partie responsable. La difficulté
d'appliquer le paradigme individualiste est la cause essentielle de sa moindre utilisation. On ne peut passer de l'individu à l'explication du fait social sans regrouper les acteurs en une représentation abstraite, plus ou moins difficile suivant les thèmes de recherche. On a effectivement reproché à Boudon413 de faire reposer ses démonstrations sur des individus interchangeables et identiques aptes à servir dans des modèles, bref des individus abstraits dont la subjectivité n'est jamais perçue ni retenue. En économie on peut, par exemple, constater que si le prix d'un produit monte, la demande pour ce produit diminue. Réactions de prudence semblables de tous les consommateurs. En revanche, des motivations plus complexes et hétérogènes rendent difficile d'expliquer en démographie par d'insaisissables composantes individuelles, pourquoi la première guerre mondiale a été suivie en France d'une baisse des naissances alors qu'on a enregistré une hausse après la deuxième. Il apparaît évidemment plus simple d'étudier l'action des facteurs extérieurs et de considérer les comportements qui ne correspondent pas aux résultats d'ensemble comme irrationnels sans penser qu'ils le sont peut-être pour l'observateur mais pas, du point de vue de l'acteur. On retrouve ici ce qui oppose les sociologues allemands et surtout Weber à la sociologie française, en particulier à Durkheim. La mise à jour du poids des facteurs sociaux sur les comportements humains représente un progrès de la connaissance en sociologie. Plus ces contraintes sont « intériorisées » et de ce fait imperceptibles, plus il est important de les déceler. Mais un progrès plus important encore, consisterait
à découvrir la part de résistance à ces contraintes et ce qui l'inspire. Il semble également justifié de considérer le passage du paradigme holiste au paradigme individualiste comme un progrès, un raffinement dans l'explication. Les sociologues ont une fâcheuse tendance à s'enfermer dans leur système, à exclure les autres. R. Aron pensait, à juste titre, qu'il valait mieux reconnaître que la sociologie reposait sur un ensemble de paradigmes bien distincts plutôt que de vouloir, comme Parsons, les mélanger en une fragile synthèse. Le domaine de la sociologie est suffisamment vaste pour que, suivant les tendances personnelles des chercheurs et le champ de leurs études, ils puissent utiliser l'un ou l'autre paradigme à condition de savoir qu'il n'est pas seul utilisable ni le meilleur sur le plan heuristique. 165-2 c) Sociologie dynamique : Georges Balandier, Alain Tou raine O
Échappant à l'opposition individu-société, certains auteurs renouant avec une tradition sociologique bien établie s'intéressent aux changements sociaux, au devenir des sociétés. Les mutations sociales semblent le terrain privilégié de la sociologie car elles relèvent à la fois de la théorie et de la pratique. Parmi les travaux les plus significatifs414 on citera ceux de G. Balandier et de A. Touraine : 1) Georges Balandier en tant qu'anthropologue, a observé la décolonisation des États africains et leur évolution. Le marxisme ne suffit pas à en rendre compte, des facteurs autres qu'économiques interviennent (culturels,
politiques). De plus, l'histoire contredit l'hypothèse d'une nécessité historique régissant le développement des sociétés. Frappé du caractère provisoire des « agencements sociaux », Balandier les considère trop influencés par leur passé et incertains de leur avenir pour privilégier le rôle des structures dans leur développement. Sans nier leur influence, il s'intéresse à la façon dont elles sont modifiées, en particulier par ceux qui tentent de les utiliser415. Ce que Balandier tente de faire saisir à travers ces sociétés en évolution rapide, c'est la part d'invisible, mais surtout d'imprévisible qu'elles cachent sous leurs apparences plus ou moins agitées. Il suggère de distinguer comme Braudel en histoire416, H. Lefebvre417 et les gériatres418, des temporalités particulières propres aux secteurs différents d'une même société. Ce que l'on retire de plus frappant de la lecture de cet auteur c'est « le fait de l'inachèvement essentiel à tout agencement social » et du caractère encore si mystérieux de l'ensemble des facteurs agissant419. Si l'Afrique peut être considérée comme un lieu sinon d'expérimentation non provoquée, du moins d'observation de mutations accélérées, jusqu'à quel point les réflexions qu'elles inspirent sont-elles transpo-sables aux pays industrialisés ? Les conditions ne sont pas les mêmes mais il s'agit bien et c'est l'essentiel, de dynamismes sociaux. On doit donc saisir la chance rare d'observer des processus sociaux en train de se produire et de transposer ce qui peut l'être. Encore faut-il, comme toujours avec la méthode comparative comparer le comparable, mais distinguer le différent.
2) Alain Touraine420, historien, fait ses débuts de sociologue dans une enquête sur l'Évolution du travail ouvrier aux usines Renault (1955). Cette recherche sur le terrain laissera rapidement place à une réflexion théorique non pour construire une théorie générale au sens parsonien, mais pour donner au sociologue des instruments d'analyse. Premier objectif : définir l'objet de la sociologie. S'opposant à Marx (au facteur dominant), complétant Weber (le sens visé par l'acteur) Touraine considère la réalité sociale comme « un ensemble des systèmes d'actes » dans lequel la notion de travail devient le fondement des concepts de sujet historique et d'action historique, éléments essentiels de la méthode actionnàliste. Voyant en historien l'origine de la sociologie dans la réaction aux injustices de rindustrialisation, il constate l'évolution de la société et de la nature des enjeux qui suscitent des luttes : contrôle du travail plus que propriété des moyens de production. « A cette société en transformation permanente, correspondrait une sociologie de l'action considérant la société dans son ensemble comme un système d'action421 », l'action de la société sur elle-même, mais comment se constitue cette historicité422 qui d'après Touraine « apparaît comme une sorte de moteur social qui rend compte du fonctionnement des sociétés et de leur mouvement »423. Le lien entre l'historicité et le fonctionnement de la société est assuré par le système d'action historique, système d'emprise de l'historicité sur la pratique sociale. Le système institutionnel est «l'ensemble des mécanismes par lesquels le champ d'historicité est transformé en un ensemble de règles de la vie sociale qui prédéterminent à leur tour le fonctionnement des organisations »424. Enfin se désintéressant des mouvements corporatistes purement revendicatifs, Touraine définit les mouvements sociaux
comme : «l'action conflictuelle d'agents des classes sociales, luttant pour le contrôle du système d'action historique »425. Si la tendance à l'abstraction rend ardue la lecture de Touraine426, sa curiosité intellectuelle l'amène à chercher dans la vie et les événements politiques et sociaux de quoi alimenter sa réflexion427. Plutôt que d'étudier les conduites, il propose d'analyser les situations à l'origine des conduites. Pour cela, il utilise l'observation participante et, pour assurer la distanciation de l'observateur par rapport à son objet : la méthode historique. Des groupes de sujets (souvent des militants) sont réunis et le rôle du sociologue consiste à les aider à faire une auto-analyse. Cette méthode a été sévèrement critiquée. Que représentent les membres du groupe par rapport au mouvement social ? Ne s'agit-il pas simplement d'une dynamique de groupe ne permettant aucune généralisation, mais des hypothèses limitées aux réactions du groupe lui-même ? Enfin, il ne s'agit pas de la présence d'un sociologue non interventionniste mais, au contraire, Touraine (1980), faisant appel à Freud et à la notion de médiation, déclare : « Il s'agit de quitter le plan des pratiques-réponses et de passer à celui de la production conflictuelle d'une situation. Je n'ai pas trouvé d'autre moyen pour y parvenir que d'utiliser le chercheur comme « passeur » d'un plan à l'autre, comme instrument de renversement de perspectives dont j'appelle conversion, le moment central428. » 166 d) L'analyse stratégique : Michel Crozier O
Le courant sociologique représenté par Michel Crozier n'est pas de même nature que ceux illustrés par les auteurs vus précédemment. Sa place se trouverait plutôt
dans le chapitre sur la sociologie des organisations. Mais l'importance de cellesci dans nos sociétés bureaucratisées429 et surtout la récente volonté de Crozier d'élargir le champ de sa réflexion sur le fonctionnement de la société entière, justifiait qu'il soit compté parmi les représentants de la sociologie française. Pour M. Crozier, l'étude des organisations ne représente pas un secteur particulier de la sociologie, mais le point central permettant d'expliquer le système social. Il ne situe pas l'origine des conflits sociaux dans la division de la société en classes mais voit dans « le phénomène bureaucratique » la source de toutes les difficultés430. Comme sociologue, il ne s'intéresse pas aux stmctures mais au fonctionnement des organisations, ce qui l'amène à une démarche en partie fonctionnelle et surtout à étudier la stratégie des acteurs au sein des organisations. Deux éléments importants sont à retenir : l'omniprésence du pouvoir et les dimensions affectives responsables du choix des acteurs. Très inspiré par les travaux de J. March et H. A. Simon (1965), Crozier s'interroge sur les relations de pouvoir, théâtre de permanentes négociations où l'imprévisibilité des comportements est utilisée comme protection. Cette importance reconnue à l'incertitude aboutit nécessairement à une notion de jeu, les acteurs étant supposés choisir une stratégie gagnante. La notion de jeu permet de compléter cette conception stratégique en faisant appel au systémisme. « Seul, en effet, le modèle du jeu peut laisser ouverts à la fois la structure où se déroule l'action (le système d'action concret) et les mécanismes de régulation de la structure eux-mêmes431. » Crozier se révèle ainsi individualiste et antidéterministe puisque l'acteur choisit sa stratégie. Il refuse à la
fois la cybernétique (qui impose au système un régulateur), et la lutte des classes. Mais alors quelle explication donner du changement ? Pour Crozier432, le changement est systémique, c'est-à-dire contingent au système d'action qui l'élabore et auquel il s'applique. Le processus collectif en sera l'élément moteur. Intéressé par mai 1968, crise qu'aucun sociologue n'avait prévue, Crozier trouvera là un thème de réflexion et d'application de sa conception de la Société bloquée (1970). L'expression a séduit ceux qu'inquiète le rôle de l'État, considéré responsable de ce blocage. Les analyses des organisations ont retenu l'attention, mais une fois encore, le passage de la microsociologie à l'analyse de la société en général n'est pas plus convaincant chez Crozier que chez ceux qu'il critique. Le rôle de l'incertitude est bien mis en valeur, mais n'est-il pas excessif de le considérer comme source de pouvoir ? Est-il plus juste de faire de l'individu un homo stratégicus plutôt qu'un rationalis ? En fait, les conceptions de Crozier et Boudon sont très voisines sur ce point433 et on leur a reproché à l'un comme à l'autre de concevoir des individus désincarnés, interchangeables et de ne tenir compte ni des structures, ce qui serait à la iïmite normal dans leur conception, ni, ce qui l'est moins, des représentations, idées, cultures, etc. 434 166-1 e) L'importance de l'imaginaire O
L'évolution dans les sciences sociales ne va pas toujours dans le sens d'un approfondissement mais de la recherche de nouvelles solutions apportées aux vieux ou aux nouveaux problèmes. A la différence des progrès de la science dûs aux « erreurs
rectifiées », on pourrait comparer la sociologie à la mode qui n'a pas une infinité de moyens de se renouveler : élargir, raccourcir etc. mais combine dans une proportion différente les mêmes facteurs. Saturés de positivisme, de marxisme, de fonctionnalisme, certains auteurs font appel à l'imaginaire. a) C. Castoriadis s'est intéressé à l'expérience du mouvement ouvrier et aux limites des travaux de Marx. Son originalité tient à sa critique d'un fonctionnalisme envahissant aujourd'hui, ne tenant pas compte de la dimension symbolique des institutions qui, autant que la rationalité, influence leur création et leur fonctionnement. C. Castoriadis (1978) cherche à établir des rapports entre la psyché'et le socialhistorique, c'est-à-dire entre l'imagination radicale, relevant de la psyché et l'imaginaire social, appartenant au social historique. Mais si le projet est attrayant, il n'est pas certain que les résultats soient à la hauteur des ambitions affichées435 On peut se demander, en effet, s'il s'agit encore de sociologie car les conditions de l'apparition de l'imaginaire social et des significations imaginaires restent floues, le recours à la psyché n'explique rien. Si Castoriadis a le mérite de poser une bonne question : « Pourquoi est-ce dans l'imaginaire qu'une société doit chercher le complément nécessaire à son ordre ? », non seulement il ne trouve pas la bonne réponse mais, plus grave, sa façon d'essayer de la trouver n'est pas convaincante. b) Gilbert Durand, disciple de Bachelard, est lui aussi plus philosophe de la connaissance que sociologue. Cependant, sa tentative de développer une sociologie s'intéressant à l'imaginaire, en opposition avec le positivisme et le rationalisme, oblige
à le mentionner dans le courant moderne de la sociologie française. Durand s'oppose aux herméneutiques réductrices (Freud, l'anthropologie structurale) et préconise des herméneutiques instauratives visant à découvrir le sens des symboles plus que leurs fonctions436. Cherchant à construire une théorie générale de l'imaginaire, G. Durand nie la distinction des phénomènes psychiques en rationnels et imaginaires. Pour lui, il n'existe avec des buts différents, qu'une seule activité de la psyché. « L'imagination se révèle comme le facteur général d'équilibration psycho sociale »437. c) M. Maffesoli s'intéresse à la vie quotidienne. Celle-ci lui paraît trop mouvante, complexe pour être comprise par une sociologie positiviste qui appauvrit le réel en le réduisant au concept : « Contraindre l'hétérogénéité de la vie à l'unicité du concept a toujours été lourd de conséquences dans l'histoire humaine. C'est pourquoi il vaut mieux opposer à la rigidité du concept, la mollesse de la notion438. » Sur le plan scientifique et pédagogique, le terme de mollesse paraît bien dangereux. En revanche, l'appel à la sociologie compréhensive, étudiant la vie sociale par le dedans est une entreprise louable, surtout lorsque l'on admet, comme le fait Maffesoli, que la compréhension de la vie sociale passe par une pluralité de points de vue. En revanche, envisager la sociologie comme une sociologie « de l'instant, de l'évanescent, du ponctuel et de l'éphémère439» paraît relever de la poésie plus que de la sociologie. Dans son intérêt pour le quotidien, Maffesoli privilégie la proxémie, l'appartenance, la communication. D'après lui, nous vivons une dialectique masse-tribu d'où il exclut toute référence aux structures. L'explication des phénomènes
révolutionnaires par l'expérience commune des hommes paraît un peu courte, même si l'on reconnaît la part de cette expérience dans les mouvements de masse. 2) Développement de sociologies particulières en fonction de l'évolution de la société.
Le développement de la sociologie en France se traduit par le développement et l'autonomie de sociologies particulières : sociologies de la famille, de la religion, de l'éducation, de la culture et des loisirs, du sport, de l'information, etc. On insistera ici seulement sur deux d'entre elles : la sociologie du travail et la sociologie juridique440. Ces deux exemples ont été choisis parce qu'ils montrent mieux que d'autres les dangers de la division entre les diverses sciences sociales et même à l'intérieur de la sociologie, les inconvénients des clivages académiques, des formations trop spécialisées, bref la nécessité de la pluridisci-plinarité. La sociologie, du fait qu'elle analyse la réalité sociale trouve toujours celle-ci ordonnée par le droit qui la réglemente. La sociologie religieuse ne peut éviter, en mesurant lejiegré de laïcité d'une collectivité, d'aborder les rapports de l'Église et de l'État. La sociologie de la famille ne peut ignorer la protection plus ou moins grande accordée aux couples ou les règles assurant l'équilibre de l'autorité. Mais les différents points de vue peuvent cohabiter sans s'ignorer ni se gêner. Il en va autrement comme nous allons le voir de la sociologie du travail et de la sociologie juridique dont les barrières avec le droit sont moins précises, les empiétements maladroits plus nombreux (ne serait-ce qu'au niveau du vocabulaire) et les oppositions entre chercheurs trop fréquentes. 167
a) La sociologie du travail O
La notion de travail a toujours été en Occident au centre des réflexions sur la société et même sur le destin de l'homme. Dans la Bible, sanction de la désobéissance de l'homme à Dieu, le travail devient ensuite élément de sa dignité. Le XIXe découvre le travailleur soit pour l'exalter comme producteur (Comte [1766-1825], Enfantin [1796-1864], Fourier [1772-1837], Proudhon [1809-1865]), soit pour s'intéresser à son mode de vie et à ses conditions de travail (Vfflermé [1782-1869], Le Play [1806-1882]). Dépendant directement des progrès techniques, on peut dire que chaque étape (machine à vapeur, électricité, information) amène une transformation dans l'exécution du travail, une modification de son image, de sa signification et des revendications qu'il suscite. Historiquement la sociologie du travail est née, comme une grande part de la sociologie, à la fois d'un intérêt humanitaire et d'un idéal de justice. Pour que se crée une véritable sociologie du travail, il était nécessaire qu'apparaisse un désir de recherche scientifique objective, une volonté non seulement de décrire pour émouvoir, mais d'observer pour comprendre. Au motif classique d'intérêt humanitaire, s'est ajouté un facteur de développement spécifique : la découverte du travailleur en tant qu'être humain dont le rendement est susceptible de modifications, en fonction de nombreuses variables. L'intérêt suscité par ce qui touche au travail impliquait que soient protégées les conditions de son exercice. Quel pouvait être le principe de légitimité justifiant une réglementation ? Pour des juristes individualistes, le lien unissant patron et salarié ne pouvait avoir pour origine que la volonté des contractants matérialisée dans
la signature d'un contrat. Ainsi intégré dans le droit civil, plus ou moins assimilé au louage de choses ou de services (le travailleur offre sa force de travail contre un salaire) le contrat de travail apparut vite mal à l'aise dans cet habit de confection et trop de questions demeuraient sans réponse. Le travail relève-t-il de la personne ou n'estil qu'une chose à vendre ? Surtout, obstacle majeur, comment concilier l'égalité des contractants, principe essentiel du contrat et la subordination du travailleur à l'employeur, pour l'instant encore nécessaire et certainement plus réelle que leur égalité. A la jonction de la personne et de la chose, de la servitude et de la liberté, le travail se trouve de plus au point de rencontre de l'individu et du groupe. La Révolution voulant détruire les corporations, soupçonnées de nuire au développement économique, a donc imposé au principe des rapports de travail, la notion individualiste de contrat. Les pays germaniques, marqués par une autre tradition, après avoir sévèrement critiqué le système français ont sous l'influence du juriste Von Gierke et après quelques tâtonnements, retenu comme fondement de la notion de travail, celle de corrrmunauté441. Le travailleur occupe une place dans la hiérarchie et à l'intérieur de celle-ci obtient un statut Les deux orientations : française et germanique, influenceront plus ou moins les divers pays d'Europe et le droit communautaire. Critiquée même en France (cf. G. Scelle) la notion de contrat442 va tout de même l'emporter, mais avec des emprunts à la théorie allemande. C'est ainsi que P. Durand dans son traité de Droit du travail (1962) remplace les termes
de statut et de communauté par la notion bien française d'institution, complétant celle intangible de contrat. Moins exigeant et plus pragmatique, le Traité de Rome emploiera les termes indispensables au domaine du travail : contrat, travailleur salarié, etc. sans prendre le risque de les définir. A ses débuts, la sociologie industrielle s'est peu souciée des définitions juridiques. Les problèmes que posait le domaine bien circonscrit de l'entreprise suffisaient à la mobiliser. L'étape suivante sera celle de la découverte du travailleur. De la sociologie de l'entreprise à la sociologie du travailleur o Une expérience importante se situe en 1893, lorsqu'en Grande-Bretagne Sir W, Mat-ter s'aperçut qu'en réduisant les heures de travail de 54 à 48 heures, la production augmentait. Pendant la Première Guerre mondiale, on constatait que les accidents diminuaient de moitié en passant de 15 à 10 heures de travail. En fonction de ces éléments objectifs, on découvrait, recouvrant une série de. phénomènes psychophysiologiques, une notion complexe : la fatigue. C'est aux États-Unis que va naître puis se développer la sociologie du travail. Après des enquêtes dans les usines, les aciéries, les grands magasins (Pittsburg Survey 1907) plus sociales et politiques que sociologiques, la recherche menée par Elton Mayo à Hawthome, dans une usine de la Western Electric Company, pendant la période 1924-1932 est considérée comme le point de départ d'une véritable sociologie du travail, tant en ce qui concerne l'objectif poursuivi que du point de vue qui nous intéresse : celui de la méthode. Il s'agissait de mesurer l'influence, sur la productivité des ouvrières, de différents facteurs que l'on faisait varier : éclairage, rythme,
environnement. C'est alors la découverte de facteurs psychologiques. En effet, il est apparu que l'intérêt des ouvrières pour l'expérience, la solidarité dans le groupe de travail, les rapports avec la hiérarchie ont des incidences beaucoup plus sérieuses sur le rendement que l'éclairage ou les temps de repos. Les méthodes employées sont à la fois quantitatives : mesure des performances suivant la modification des variables et qualitatives : entretiens pour connaître l'état d'esprit des travailleurs, leurs réactions. Il s'agit à la fois d'une analyse individuelle : l'ouvrier à son poste de travail, mais aussi collective, il n'est pas isolé mais appartient à une équipe, il fait partie d'une entreprise. Cette double appartenance implique d'une part que le travailleur subit les contraintes d'une organisation technique, celle qui répond aux besoins technico-économiques de l'entreprise (situation sur le marché, degré de technicité) et d'une organisation sociale (les rapports avec les autres ouvriers). Pour Elton Mayo, chaque atelier, chaque usine représente un « système » dont les éléments sont interdépendants, mais également en relation avec l'ensemble dont ils dépendent. Mayo ne porte pas le même intérêt aux deux systèmes. C'est l'époque où les Américains s'intéressent à l'atelier, au rôle du contremaître et à sa formation (cf. nos 903 et s.). En limitant l'étude du travail à celle du petit groupe, Mayo commettait une erceur qui devait orienter pour longtemps la recherche. Surtout, Mayo juge les progrès techniques responsables de l'insatisfaction ouvrière, mais les considère comme une donnée intangible, alors que d'après lui, le système social est susceptible de changement, d'où la nécessité de trouver les moyens de l'améliorer, de l'adapter au système technique.
L'ère des experts et des consultants était née. Mais ces consultants vont pour longtemps443 rester prisonniers du dogme de Mayo. D'une part, convaincus de l'autonomie de l'organisation, ils envisagent seulement un problème d'adaptation des travailleurs au système. D'autre part, souvent plus psychosociologues que sociologues, obnubilés par « le moral » de l'atelier, supposé facteur de productivité, ils coupent l'entreprise de son environnement, se montrant sur ce point plus restrictifs que le modèle de Hawthome qui tenait tout de même compte d'éléments extérieurs : l'entreprise, la famille, etc.444 Ce qui faisait dire à A. R. Willemer (1965) «même lorsque les sociologues orgamsationnels reconnaissent que tous les problèmes ne trouvent pas leur origine dans l'entreprise, tous les problèmes doivent y trouver en tous cas une solution »445, Les recherches s'étant multipliées dans l'industrie, il était normal qu'elles soient regroupées sous le titre de « sociologie industrielle ». Mais la sociologie industrielle ne représente qu'un secteur, à côté de la sociologie de ragriculture ou de l'administration. La sociologie du travail sera considérée dans un sens large comme « l'étude sous leurs divers aspects, de toutes les collectivités humaines, qui se constituent à l'occasion des activités de travail446 ». Toute collectivité de travail, présentant un minimum de stabilité (une certaine structure et une organisation), relève de la sociologie du travail, qu'il s'agisse d'un grand magasin, d'un service hospitalier, d'un atelier, d'un bateau de pêche ou d'une exploitation agricole. L'un des critiques les plus convaincants de Mayo fut G. Friedman. Il lui reproche de réduire l'univers des travailleurs à leur heu de travail et surtout de chercher à résoudre les problèmes de l'entreprise du seul point
de vue des patrons qui souhaitent couper l'ouvrier des influences extérieures. Or une des difficultés de la sociologie du travail tient à ce que l'ouvrier est à la fois soumis aux contraintes rencontrées à l'intérieur de l'entreprise et à celles provenant de l'extérieur (familiales, politiques, économiques) moins apparentes et mesurables que les variables physiques qui influencent la productivité. Les titres des ouvrages de Friedman posaient les bonnes questions : Où va le travail humain (1950) ? se préoccupaient des vrais problèmes : Le travail en miettes (1956). Friedman n'a pas complété le travail de Mayo en fonction des critiques qu'il lui adressait. Il a voulu situer le travailleur dans la société à son époque et suscité avec le Traité de sociologie du travail publié sous sa direction un intérêt grandissant pour la sociologie du travail. Elle se développe alors rapidement en France avec les premières recherches sur le terrain (cf. Dofny 1955, Touraine 1957). A côté des travaux classiques de psychophysiologie, se multiplient les monographies professionnelles et des enquêtes sur des secteurs variés : sécurité sociale, chèques postaux, tabacs447. Parallèlement à ces travaux sur le travail lui-même, se poursuivent des recherches sur les groupes et les problèmes de formation. Enfin, pour achever d'élargir le point de vue de Mayo, après avoir réintroduit les problèmes personnels du travailleur dans l'explication de son attitude, les sociologues vont démontrer que l'organisation du travail peut s'améliorer avec l'enrichissement des tâches, et une certaine liberté laissée aux ouvriers dans leur façon de travailler. Tout en reconnaissant que les différents éléments qui constituent « la situation de travail»448 : niveau et forme des salaires,
méthodes d'organisation et de gestion de l'entreprise, influencent l'attitude des ouvriers, Touraine (cf. n° 165 ter et 890 bis), estime que celle-ci dépend également « des caractères de la société considérée dans son ensemble et de la place qu'occupe la classe ouvrière ». L'idée que s'en fait celle-ci est à l'origine de ce que l'on appelle la « conscience ouvrière ». Le lien entre l'entreprise et la société est ainsi reconnu, mais ce lien est indirect car il s'agit de la façon dont le travailleur interprète la situation et non de la situation objectivement considérée. On passe de la sociologie de l'entreprise à la sociologie du travailleur et avec S. Erbès Seguin à une sociologie du travail élargie et plus rigoureuse. Dans un excellent article (199 D) axé sur des exigences théoriques, elle évoque et met en cause la « centralité » de la catégorie travail. Elle reproche aux recherches dans ce domaine d'avoir été trop exclusivement intéressées par « la relation entre l'individu et la machine [...] ou enfermées dans l'entreprise « alors que comme toute relation sociale, le travail ne peut y être totalement contenu ». Les sociologues commencent depuis peu à analyser l'entreprise comme le lieu d'un lien social composite. Comme A. Touraine, S. Erbès-Seguin souhaite que la sociologie de l'entreprise comble « " ce vide théorique " entre la sociologie de l'atelier et celle de la société, et rende compte de l'articulation des phénomènes économiques et sociaux liés au travail et à la production ». De leur côté une équipe de sociologues à Cambridge tente également de saisir ce lien. Tandis qu'aux États-Unis, E. C. Hugues449 , 450 développait des recherches plus proches de la psychologie sociale et s'intéressait non seulement à la situation professionnelle des travailleurs en tant que telle, mais comme l'équipe de Cambridge à leur trajectoire antérieure. D'où l'importance accordée aux
biographies, à l'étude d'autres lieux où la situation de travail est moins codifiée qu'à l'usine et où l'itinéraire des individus, leur expérience a peut-être plus d'importance que l'atelier. Ce point de vue relativise la notion de rigidité du système admise depuis l'enquête Hawthome. Prolongeant le point de vue de Touraine pour lequel c'est la façon de ressentir la situation qui structure les réactions de l'ouvrier, les sociologues de l'école de Chicago considèrent les réactions du travailleur comme le résultat de toute sa vie passée. C'est cette trajectoire qui expliquerait ses attitudes vis-à-vis de l'entreprise et de son travail. 167-2 Méthode et orientation de la sociologie du travail o « Plutôt que d'une sociologie du travail écrit R. Naville, l'aspect méthodologique nous invite à parler de " travail étudié par la sociologie " ». Il insiste sur le fait qu'il s'agit de «combinaisons de méthodes particulières plutôt que de méthodes spécifiques »451. Aspects biologiques et physiologiques : étude de la fatigue, du rendement ; aspects psychologiques : moral, attitudes, rapports entre personnes ; aspects économiques, juridiques, sociaux. Il nous semble suffisant de dire que la sociologie du travail utilise comme les autres branches de ce domaine la méthode sociologique mais avec deux particularités. La sociologie du travail, peut être plus que d'autres, doit éviter la tentation du mesurable, accessible et rassurant : production, durée du travail, absentéisme, etc., études indispensables à condition de ne pas se limiter à des données, mais souvent les remettre en cause. Comme dans toute la sociologie (cf. Bourdieu), le chercheur doit découvrir ce que recouvrent
les catégories dont il mesure ou manipule les pourcentages. Il ne s'agit pas seulement de déjouer les pièges des statistiques (cf. nos 560 et s.) mais de vérifier la validité des catégories surtout les plus évidentes. La comparaison entre ouvriers et ouvrières offre un exemple frappant de la nécessité de chercher au-delà des groupes, des réalités moins apparentes que le sexe mais plus actives. En effet, hommes et femmes ont des façons différentes de concevoir le travail. Des éléments extérieurs au sexe mais qui lui sont encore aujourd'hui attachés, interviennent : attitude face à l'autorité, à la liberté, conception du rôle de la femme, de la famille, etc. Il existe dans le domaine du travail, des objets ébranlés par la crise, mais encore de nombreux « objets construits » qu'il s'agit d'analyser et parfois de reconstruire autrement. C'est le cas du travail des hommes et de celui des femmes, notions complexes trop longtemps simplifiées. C'est cet esprit d'analyse, nécessitant de nombreuses «mises à plat », qui doit inspirer aujourd'hui la méthode en sociologie du travail. La seconde particularité, plus caractéristique encore des recherches sur le travail, c'est la difficile mais nécessaire interdisciplinarité. Le travail a toujours été lié à la technologie, celle-ci étudie l'instrument et la manière de s'en servir. Depuis les découvertes de la roue, du moulin à eau en passant par la vapeur jusqu'à la robotique, elle influence le rythme de production, la répartition des catégories professionnelles, les rapports de travail, etc. La sociologie du travail doit tenir compte de la démographie dans la mesure où celle-ci modifie les structures de l'emploi, la composition de la population (âge, sexe), les phénomènes migratoires et regroupe un ensemble de facteurs exerçant une influence sur les problèmes du travail. Par exemple : l'âge moyen de la population
ouvrière masculine s'est élevé de 27 ans en 1861 à 58 ans en 1954 et 42 ans en 1975. L'ethnologie à son tour ajoute aux problèmes classiques d'observation des sociétés traditionnelles tout ce que suscite rindustrialisation des pays du tiers monde et les difficultés de l'acculturation soulevées par l'immigration et les différentes conceptions du travail suivant les cultures. La géographie, dans la mesure où elle est liée à l'espace, devient également avec la reconversion industrielle1 et la régionalisation, un facteur important pour résoudre les problèmes de main-d'œuvre. Enfin l'histoire, malgré son intérêt pour comprendre le présent, est tout de même reléguée au second plan par l'urgence de l'actualité. Ces liens ont certes évolué mais toujours existé. En revanche, il existe deux autres domaines sur lesquels il convient d'insister. Il s'agit du droit et de l'économie politique dont les rapports avec la sociologie du travail se trouvent directement perturbés par la crise. Rapprochés par les problèmes du chômage et de l'emploi qui les obligent à s'unir, ils sont en même temps opposés par les différences de points de vue, de formation, d'habitudes et d'ambitions académiques. L'absence de frontières nettes, la complexité des facteurs rendent difficile la saisie de données sûres, indispensables. Les effets imprévisibles ou pervers des politiques, les échecs face â une situation si angoissante rendent nécessaires que chacun contribue avec ses moyens propres au diagnostic de la situation. La sociologie du travail face au droit, à l'économie et à la crise O Le rôle de la
sociologie, comme l'écrit J. Rancière, consiste à « dénoncer l'écart entre les mots et les choses ». On peut alors affirmer que son premier objectif sera l'analyse et la signification des termes. Parmi ceux-ci les plus intéressants et instructifs sont le travail et l'emploi. L'utilisation de ces concepts a jusqu'à présent plutôt stabilisé les frontières entre les disciplines. Le contrat de travail laissé à la compétence des juristes, les économistes s'attribuant la production, les salaires, la gestion et les aspects financiers de l'entreprise, enfin les sociologues intéressés par ce qui concerne les travailleurs, le contenu de la notion de travail où ils rejoignent souvent les économistes. Les problèmes posés par la différenciation entre catégories d'emploi ont fait apparaître la fragilité de cette séparation et l'analyse de la réalité, que les mots ne correspondent plus aux choses. Le travail évoque l'activité salariale alors qu'il en existe d'autres formes comme le travail indépendant, mais c'est l'emploi qui fixe le statut, élément essentiel de la position sociale. L'étude de ces deux notions oblige aujourd'hui à engager des recherches interdisciplinaires où interviennent, suivant les cas, dans des proportions différentes, le droit, l'économie et la sociologie. On a vu que le droit assurait par le contrat, la légitimité et l'encadrement plus ou moins lâche des relations entre patrons et salariés. Pendant la période de plein emploi qui dura environ jusqu'en 1970, la souplesse du contrat de travail suffisait à répondre aux exigences de flexibilité de l'époque, aussi observe-t-on peu d'interventions du législateur. Pendant la période tayloriste de l'aprèsguerre et celle du plein emploi, on recherche surtout la stabilité des relations
collectives. Les employeurs veulent fixer la main-d'œuvre qualifiée, d'où la nécessité de définir les qualifications et conditions de travail tandis que la croissance exige une participation accrue des travailleurs à la prospérité. Aussi les revendications portentelles avant tout sur les hausses de salaires et la mise en place d'une réglementation légale se bornant à garantir leur protection juridique et sociale. La crise et le chômage vont entraîner une modification essentielle : l'accession à l'emploi devient la priorité et passe avant la hausse des salaires. Pour tenter de répondre aux exigences de la situation, l'État multiplie ses interventions. Le contrat de travail se diversifie, organise un classement et multiplie les exceptions. Le règne du contrat à durée indéterminée jusqu'alors le plus courant, ne suffit plus à couvrir toutes les formes d'activité452. La nécessité d'assurer une couverture sociale à des travailleurs engagés dans des formes d'activité très différentes (spectacle, même le travail semi indépendant de certains avocats), servira de critère à la qualité de salarié. Sous la forme de contrats considérés comme « atypiques » apparaissent des exceptions légales : travail à temps partiel, contrat à durée déterminée, etc. La véritable nouveauté apparaît avec le travail intérimaire dans lequel un intermédiaire, loueur de main-d'œuvre, se substitue à l'employeur supprimant le lien entre les deux contractants du contrat classique. Mais la sociologie du travail pour mener à bien ses recherches, a besoin de temps et cette fois va se heurter aux brusques modifications des orientations et choix politiques. La loi Madelin (1994) à l'encontre de la tendance précédente
propose une définition restrictive du salariat. Elle réduit ainsi le nombre des travailleurs protégés et favorise les entreprises. En entérinant la pratique d'extériorisation de la main-d'œuvre, elle permet d'éviter les contraintes du Code du travail453 mais en même temps, d'après ses défenseurs, la loi Madelin favorise les travailleurs indépendants. Un exemple de la relation entre ordre juridique et ordre économique est fourni par le licenciement dont les modalités montrent comment des problèmes économiques et sociaux suscitent des solutions juridiques et pèsent sur les classements et mises en ordre des situations où la sociologie est également impliquée. Dans la loi, les termes de licenciement pour motif économique montrent bien que l'on sort d'une « logique contractuelle purement juridique » (Erbès Seguin). L'important mouvement législatif qui tentera de régulariser l'accroissement et les procédures des licenciements est la preuve de l'influence et dans ce cas même de la suprématie de l'économique et du social sur le juridique. L'ordre juridique pose certes des problèmes. Son adaptation, ses résistances et ses avancées relèvent de la puissance publique et sont l'objet d'enjeux politiques, mais la loi est la loi, quelles que soient les stratégies mises en jeu pour la contourner et les effets pervers qui l'obligent à modifier les mesures prises, ses frontières demeurent claires. Il en va autrement des rapports entre sociologie et économie. Installées sur le même terrain, analysant les mêmes faits sociaux mais d'un point de vue différent, elles ne possèdent que le pouvoir et l'influence qu'elles s'octroient ellesmêmes ou qu'une opinion changeante leur reconnaît.
La sociologie du travail ne cherche pas plus à se substituer à l'économie qu'au droit, mais de même qu'elle fournit au droit certaines données sociales, elle doit par ses analyses plus fines permettre à l'économie une meilleure compréhension des faits sociaux. On commence à découvrir les incertitudes de la notion d'activité et le flou de celle de population active, jusque-là, appréhendées par les seuls critères économiques. Par exemple : la stabilité du taux des actifs de la population totale ne provient pas de facteurs économiques, mais du fait que l'allongement de la scolarité des jeunes est compensé par l'augmentation du travail des femmes. Le modèle de plein emploi a camouflé les facteurs de différenciation entre travail et emploi, aujourd'hui écartelés par la crise entre significations périmées, simplistes ou floues. La théorie et la mesure du chômage, apanage des économistes situent trop souvent la réflexion au niveau macroéconomique, mais une approche globale du marché ne tient pas compte des « marchés locaux » fonctionnant suivant leurs propres règles de façon certes limitée mais représentant tout de même la majorité. Enfin, l'affirmation des économistes suivant laquelle le travail à temps partiel occupe surtout des femmes ne distingue pas entre temps partiel choisi pour une période limitée (maternité, accident) par des femmes susceptibles ou non (autre mesure intéressante) de retrouver un travail à temps plein et marché de l'emploi basé sur le recrutement à temps partiel (offre choisie par les employeurs). L'interdisciplinarité implique l'égalité dans la coopération ou plus exactement la part plus ou moins importante de l'une ou l'autre discipline suivant le cas. La
tendance hégémonique bien connue de l'économie due à la sophistication de son appareillage économétrique fait craindre aux sociologues de devoir se limiter à « apporter un supplément d'âme social ». La crise a-t-elle incité les économistes à plus de modestie ? En tous cas, certains d'entre eux, face à l'évolution structurelle en cours, se rendent compte que les outils conceptuels doivent eux aussi évoluer454. Les sociologues semblent mieux placés pour ce travail et leurs méthodes plus à même de redéfinir les positions de ce qui concerne le travail et l'emploi. La durée de la crise, son étendue, la multiplicité des remèdes proposés ou essayés sans résultat, toutes les analyses sérieuses font penser que l'on se trouve devant une véritable mutation nécessitant adaptation, création et invention. Il s'agit bien cette fois de « changer la vie » en changeant le travail qui en est le centre455. Un rapport d'une corrrmission du plan sur l'évolution du travail456 constate « qu'une certaine forme de plein emploi a vécu et que l'irréversible mutation du travail bouleverse le pacte social et la vie des Français ». Il présente comme les attentes auxquelles on devra répondre : une demande d'identité sociale, une demande « très affirmée de temps » et une « grande attente vis-à-vis de la formation ». L'identité sociale ne relève pas de l'économie ; la réponse à la question : le temps pour faire quoi ? non plus, ni le choix de la formation. Sans doute les scénarios proposés sont-ils plus ou moins novateurs mais on peut retenir qu'il faut « rebâtir à neuf le cadre institutionnel et légal du travail (baisse du temps de travail, transformation du contrat de travail en « contrat d'activité » plus souple et diversifié). Il faut surtout retenir cette
exhortation de G. Boissonnat dans sa préface : « Puisque le chômage est de nos jours largement structurel, changeons les structures 1 » 169 b) La sociologie du droit O
Si la sociologie s'est souvent opposée à l'histoire, il s'agissait surtout d'une lutte entre deux disciplines sœurs, dont l'une pour conquérir son autonomie insistait sur ce qui la distinguait (faits totaux au lieu de singuliers, synchroniques et non diachroniques). En revanche, entre le droit et la sociologie on ne constate pas de discussion, mais une séparation, d'autant plus surprenante que parmi les grands ancêtres de la sociologie, un certain nombre avaient reçu une formation juridique : Marx, Weber, pour ne citer que les plus célèbres. Le droit est un phénomène social, comment expliquer que la sociologie se soit développée en dehors de lui ? Plusieurs raisons peuvent être avancées. D'abord le fait même que les juristes cités aient émigré vers la sociologie, prouve qu'ils cherchaient un type de réflexion que le cadre juridique ne leur permettait pas. Qu'il s'agisse des théoriciens du droit naturel acceptant un principe normatif transcendant, ou de l'école positiviste ou normativiste (Kelsen), les seules questions posées le sont aux règles de droit ellesmêmes, à leur logique propre, non à leur origine extérieure, aux facteurs sociaux qui les conditionnent, à leur signification objective ou subjective (pour ceux qui les vivent, s'y soumettent ou les contestent): La sociologie juridique est née, grâce à l'effort de juristes qui avaient acquis ou essayaient d'acquérir une double formation. Il n'y a pas d'exemples de sociologues se convertissant tardivement au droit.
La pluridisciplinarité exige des notions communes457. Les progrès de la sociologie du droit seraient plus rapides si la jeune génération de juristes recevait aussi une formation sociologique. Malheureusement une fausse conception de l'enseignement supérieur et de la professionnalisation n'engage pas l'Université dans cette voie. Tout comme la sociologie générale, la sociologie du droit apparaît divisée458. Mais alors que les sociologues «généralistes», parce qu'ils appartiennent à un même champ culturel, peuvent mettre en relation les diverses orientations de leur discipline459, ceux qui se réclament de la sociologie du droit le font à partir d'horizons, de formation et de compétence trop hétérogènes pour permettre une utile mise en perspective de leurs objectifs et méthodes. On ne peut aujourd'hui comprendre l'état de la sociologie du droit sans prendre en considération la césure majeure qui sépare la sociologie du droit des sociologues, de la sociologie du droit des juristes. Cette opposition a été vue très tôt par G. Gurvitch, qui ne tenait pas en grande estime les travaux sociologiques des juristes, considérés comme trop positivistes460. Mais cette rupture est également attestée par l'absence de réciprocité dans les citations des travaux provenant de l'une ou l'autre des disciplines : Durkheim est cité par Duguit, sans jamais le citer lui-même. Aujourd'hui encore, les manuels de sociologie générale ignorent les noms et travaux des juristes sociologues du droit. Cette situation est le produit d'une histoire marquée de défiance réciproque entre les deux groupes professionnels : dans une première phase, juristes et sociologues se sont disputés. La détermination de la place du droit au sein des sciences sociales a opposé dès le départ juristes et sociologues, puis les juristes ont
« extériorisé » la sociologie du droit en réduisant son rôle à celui de simple science auxiliaire du droit. A la fin du siècle dernier, les juristes ont d'abord voulu s'opposer à la prétention de la sociologie naissante à connaître et à commenter le droit dans ses rapports avec la société. L'enseignement juridique universitaire a très tôt considéré que le droit lui-même constituait une science sociale. Avec l'introduction du droit public en 1889, le droit se rapproche des sciences humaines. Duguit, en 1889, proposait même que les facultés de droit soient nommées Facultés de sciences sociales, et déplorait que le cours de sociologie de Durkheim ne soit pas rattaché à la faculté de droit461. Cependant, avec la création de l’« Année sociologique » en 1896, le dialogue est encore ouvert : cette revue consacrait près de 20 % de ses comptes rendus à des ouvrages purement juridiques462. Mais si les juristes de droit public (Duguit, Hauriou), se montraient sensibles aux objectifs et aux méthodes de la sociologie (ils assistaient aux cours de Durkheim à la faculté de droit de Bordeaux), il n'en allait pas de même pour les juristes de droit privé. Pour ces derniers, la compréhension des rapports droit/société devait naître de l'étude même du droit, et plus précisément de la jurisprudence. A la sociologie était abandonné 1'« extérieur » du droit, selon une démarche qui tendait à séparer l'étude du droit positif de celle des phénomènes juridiques. La rupture entre juristes et sociologues s'est effectuée sur fonds d'un mépris professé par les juristes envers les méthodes de la sociologie. L'enjeu était la détermination de la méthode à suivre dans la recherche de la nature des choses, définie comme « les multiples éléments de la vie sociale dont la
combinaison et le jeu engendrent les conflits juridiques ». Gény (1932) donnait le ton dans ses Méthodes d'interprétation : le juriste doit écarter la sociologie comme méthode de recherche de la nature des choses en raison « de l'état d'indétermination, et presque d'amorphisme, auquel la condamnent encore, non moins que sa jeunesse, la complexité un peu confuse de son objet». Brethe de la Gressaye (1952) posait de même que la sociologie ne pouvait être d'aucun secours pour la connaissance du droit, en raison de 1'« incertitude de ses méthodes », mais qu'elle pouvait être utile pour l'étude des phénomènes juridiques considérés d'un point de vue externe. Du côté de la théorie du droit, H. Kelsen (1953) déniait aux sociologues le droit de rendre compte des lois d'évolution du droit, parce qu'ils « ne disposent pas des instruments de travail nécessaires ». Cette idée d'une sociologie du droit « technique auxiliaire » voire « ancillaire » du droit sera reprise par ce même auteur et par Jean Carbonnier dans un colloque sur la sociologie du droit en 1956 : la sociologie du droit doit servir au juriste, lui être utile dans sa tâche d'élaboration et d'application de la règle de droit. C'est essentiellement à la périphérie de l'art législatif que les juristes accordent quelque valeur à la sociologie du droit : le rôle du sociologue, selon J. Carbonnier, est de travailler « non pas à extraire une norme en suspension dans le milieu social, mais à faire que la norme, d'où qu'elle vienne, ne soit pas dans un milieu social comme dans un corps étranger » : en bref, le sociologue doit contribuer à adapter la règle à la société, et non pas à prétendre l'y découvrir. Cette vision de la sociologie du droit trouve son achèvement dans la Sociologie juridique de J. Carbonnier (3e éd. 1994). La marginalisation de la sociologie y est justifiée à nouveau par l'indétermination des méthodes. Surtout, J. Carbonnier réaffirme la définitive extériorité du regard
sociologique sur le droit, condamné à ne voir du droit que l'apparence, tandis que le juriste seul accéderait à une connaissance authentique du droit. Cette opposition entre les regards externe et interne sur le droit, même dans sa version « modérée », structure aujourd'hui le champ de la sociologie du droit pour les juristes. Elle contribue à un développement séparé des travaux et réflexions menés au sein de chacune des disciplines de rattachement. La difficulté pour trouver une unité à la sociologie du droit est accrue par le fait que toute théorie du social doit rendre compte de la part du droit dans la régulation, et en ce sens on peut dire que le droit est partout présent en sociologie. On peut cependant tenter de regrouper les différentes démarches, de juristes ou de sociologues, en fonction de la part faite au droit dans l'explication et la description des faits sociaux. - Trois perspectives peuvent être dégagées parmi les sociologies du droit qui ont cours en France : une perspective institutionnelle, inaugurée et représentée par E. Durkheim, qui prend pour objet les produits sociaux consolidés dans des règles étatiques, sur fond d'une méthode compara-tiste généralisée ; une perspective pluraliste, qui considère plusieurs foyers de règles et de régulation, à côté, voire en opposition au droit de l'Etat ; une approche compréhensive, dans la lignée des travaux de M. Weber, qui saisit le droit en tant qu'il est visé dans les actions humaines, ce qui conduit à son éclatement en fonction de l'usage qu'en font les acteurs sociaux. 1° Une sociologie institutionnelle au droit.
Les articles d'E. Durkheim sur le droit ont été nombreux dans l'Année sociologique, et ont couvert les questions de droit les plus variées, dans divers pays (droit pénal, droit romain, propriété foncière, droit international privé, droit naturel) et surtout, droit de la famille. Ces études sont menées dans une perspective institutionnelle, clairement exprimée dans les leçons inaugurales à la Faculté des lettres de Bordeaux (1888). Considérant les groupes sociaux comme des organismes vivants, qui naissent, évoluent et meurent, Durkheim donne à la sociologie mission de constituer les principaux types familiaux, les décrire, les ranger en genres et en espèces, chercher enfin autant que possible les causes qui ont déterminé leur apparition et surtout leur survie. Ces constantes sont à rechercher non par l'observation des pratiques, ni la collecte des récits et des descriptions à la manière des ethnologues, mais dans le droit lui-même : « le droit présente à un plus haut degré ce caractère objectif qui est le signe distinctif de la coutume ; mais comme il a une forme plus nettement arrêtée, il constitue le document le plus précieux ». A l'inverse du mouvement actuel qui veut soumettre la sociologie au droit, Durkheim estime que ces connaissances en sociologie sont indispensables aux juristes placés en situation d'application du droit : il leur est indispensable de connaître la situation actuelle de la famille, quels changements s'y sont produits, quels autres s'y préparent. Cette démarche a été suivie par les élèves de Durkheim dans différents domaines du droit : la responsabilité, par P. Fauconnet (1928), le don et l'échange par M. Mauss (1923), le contrat par G. Davy (1922). Mais Durkheim rattachait également à la sociologie des travaux de juristes comme celui d'E. Lambert sur La fonction du droit civil comparé (1903), qui mettait en évidence le rôle créateur de la coutume par
le juge. La démarche de Durkheim l'amène donc à prendre en considération les règles des sociétés d'un point de vue comparatiste et évolutiorrniste, traitant le droit comme un pur reflet de l'organisation sociale sans autonomie ni rupture avec la vie sociale. Il n'y a pas de place dans cette perspective pour l'idée d'un « écart » entre le droit et la société, ou entre le droit et la pratique, notion qui est au contraire centrale dans la sociologie d'inspiration pluraliste. 2° Des sociologies pluralistes du droit. Le pluralisme juridique est sans doute aujourd'hui la tendance la plus forte de la sociologie juridique, surtout dans la variante développée par les juristes. On peut en retenir la définition donnée par J.G. Belley sous le mot pluralisme dans le Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit (1993) : « c'est la coexistence d'une pluralité de cadres ou systèmes de droit au sein d'une unité d'analyse sociologique donnée : société locale, nationale, mondiale »463. Dans ses différentes expressions, la sociologie pluraliste du droit repose sur une idée commune : l'existence d'un écart entre droit et société, tel que le droit étatique ne peut prétendre à décrire l'état réel des relations sociales. Les démarches divergent cependant sur la manière de prendre en compte cet écart : la réponse de G. Gurvitch est politique, celle de J. Carbonnier et de ses épigones est psychosociologique. - Chez Gurvitch (1931, 1944), la communauté concrète n'est pas la communauté politique des citoyens (la Nation), mais celle que les individus constituent en se rassemblant dans une série de groupes qui s'auto-nomisent, et entretiennent entre eux, comme des
individus, des relations : la notion clé est celle de démocratie « polyédrique ». Ces groupements aspirent à la reconnaissance ; ils traduisent un « élan vital ». Ainsi, Gurvitch analyse l'usine, comme une communauté capable d'engendrer son droit propre, une totalité juridique, antérieure à toute institutionnalisation. Cette orientation est revendiquée aujourd'hui par des sociologues pour rendre compte des procédés non juridictionnels de traitement des litiges tels la médiation. C'est la communauté qui trouverait en son sein les ressorts de la gestion de ses conflits, en dehors, voire en opposition, aux règles de droit étatiques. C'est sur ce présupposé (discutable, en ce qu'il suppose une vision extrêmement restrictive des modes de fonctionnement de la règle étatique464) que se fondent les travaux de J.G. Belley, dans ses différentes études du contrat dans l'entreprise, ou de J.-P. BonaféSchmidt (1993) sur la médiation. - Bien que se réclamant également du pluralisme juridique, la sociologie du droit de J. Carbonnier écarte toute idée d'une opposition des règles entre elles, pour s'intéresser aux différentes manières sociales de les appliquer. Ce sont donc les comportements sociaux qui vont être étudiés. Soit qu'ils résultent de la persistance d'anciennes pratiques (droit folklorique), soit d'une connaissance populaire du droit en vigueur (droit vulgaire) ils constituent un « infra droit ». Le concept clé dans cette version de l'analyse pluraliste est celui à'ineffectivité. Entre le droit étatique et le droit vulgaire existerait un écart, qu'il s'agit d'identifier et de réduire dans la mesure où il met en cause l'équilibre même du droit. Contrairement à la version du pluralisme gurvitchien, l'écart est le signe d'un dysfonctionnement qui doit être comblé, afin de rapprocher le droit des moeurs,
surtout à la phase de l'action législative. Cette idée est à l'origine du développement de programmes internationaux sur la connaissance et la conscience du droit465, mais surtout à une multitude d'études empiriques visant à rechercher les causes de la désobéissance aux lois, en particulier aux règles pénales466. Là encore, il semble que cette approche repose sur une insuffisante prise en compte de la complexité de l'agencement et du fonctionnement des règles de droit. Surtout, on notera le paradoxe de l'affirmation selon laquelle la nonapplication de la règle par les sujets mettrait en danger le système juridique luimême, sans prise en considération du rôle de la sanction. Cette variante de la sociologie pluraliste est bien accueillie par les juristes enseignants des facultés de droit pour plusieurs raisons : Cette démarche « tempère » l'étude du droit positif sans remettre en cause ni ses fondements ni sa primauté ; elle maintient l'idée que le droit commande des conduites, et que les comportements sociaux peuvent s'évaluer en termes d'obéissance/transgression ; elle opère une division du travail entre juristes et sociologues au profit des juristes, les premiers se situant au cœur du système de droit (regard interne), les seconds à sa périphérie (regard externe). C'est précisément sur ce dernier point que la sociologie juridique de M. Weber se sépare de la sociologie du droit des juristes de tradition française : il ne s'agit pas d'opposer la dogmatique à la sociologie juridique, mais de se demander, pour chacune des démarches du juriste et du
sociologue, quel est le sens visé par l'acteur, réintroduisant ainsi le juriste au cœur de l'observation sociologique. 3° Une sociologie compréhensive du droit (cf. supra, n° 141). L'approche compréhensive inaugurée par Max Weber fournit les moyens d'un dépassement de la « querelle de frontières »467 que connaissent actuellement juristes et sociologues. Une définition de la sociologie centrée sur l'action embrassant l'ensemble des actions humaines ouvre de nouveaux terrains à la recherche : « Nous appelons sociologie une science qui se propose de comprendre par interprétation l'activité sociale, et par là d'expliquer causalement son déroulement et ses effets. (...)468. Nous entendons par activité un comportement humain quand, et pour autant, que l'agent ou les agents lui communiquent un sens subjectif.469 » Le sens visé n'est pas le sens « juste » ni « vrai », mais le sens « endogène de l'activité sociale470 », c'est-à-dire le sens que les individus agissant y attachent471. Appliquée au droit, la perspective wébérienne consiste à soumettre à une même interrogation les positions du juriste et du sociologue vis-à-vis du droit : « Le juriste se demande quelle est la sigrrification, autrement dit le sens normatif qu'il faut attribuer logiquement à une certaine construction de langage, donnée comme norme de droit. Le sociologue lui, se demande ce qu'il en advient en fait dans la communauté. » Ainsi, la recherche sur le droit est elle aussi sociologique. En réintroduisant l'acteur, M. Weber réintègre le juriste, et le sens par lui visé, comme un acteur parmi d'autres de la vie juridique. Cette démonstration est
menée à l'aide des données juridiques empruntées aux divers systèmes étudiés, d'où une technicité déroutante pour les sociologues 472 - Dans sa sociologie juridique, M. Weber expose ainsi les phases et facteurs qui ont contribué à la rationalisation du droit moderne, dans le contexte de la rationalisation propre à la civilisation occidentale473. Fidèle au programme de sa sociologie générale, il procède à l'étude des qualités formelles du droit en relation avec les acteurs qui interviennent dans le champ du droit : ainsi « les qualités " formelles rationnelles " sont visées par les participants à la formation du droit. Les professionnels, considèrent le droit comme un ensemble rationnel, organisé, devant être obéi »474. En revanche, les profanes contestent la validité de ces affirmations, et revendiquent un droit plus concret, plus matériel, sans abstraction475. Enfin, les juristes universitaires «nostalgiques d'un droit supra positif dominant le droit positif technique et changeant476 tendent à refuser la technique. La description de l'évolution du droit se fait donc pour M. Weber sous forme de tensions, concept clé de la démarche compréhensive : tension entre la rationalité matérielle du droit, qui a son origine dans les besoins quotidiens des intéressés et vise à obtenir des décisions fondées sur des impératifs éthiques, utilitaires, ou d'opportunité, et la rationalité formelle et matérielle, voulue par les professionnels du droit, qui vise à l'application de concepts et implique le recours à l'abstraction. Par nombre de ses aspects, la sociologie du droit wébérienne rejoint les analyses évolutionnistes et comparatistes de Durkheim, bien dans la tradition du XKe siècle. Quelles que soient les critiques qui ont pu être apportées à cette vision du droit, et notamment sa soumission trop
grande à la dogmatique juridique477, il faut savoir gré à la démarche wébérienne d'avoir réintroduit au cœur de sa sociologie du droit la technique juridique et les juristes qui en sont les promoteurs. Si la référence wébérienne reste implicite dans les travaux de nombreux chercheurs, elle n'en est pas moins source d'interrogations originales, notamment sur les liens existant entre droit et action dans le domaine du règlement des litiges478, ou sur le rôle des professionnels du droit dans la production d'un « marché du droit »479. 169-1 Le terrain vague des sciences sociales : la communication o La communication a toujours existé par les signes, les sons ou la parole. Tout ce qui vit communique. Les progrès480 techniques qui ont permis la multiphcation des moyens de communication, la concurrence, la propagande tant commerciale que politique, les médias, l'abolition des distances, etc., enfin le nombre de messages envoyés et de personnes atteintes ont attiré l'attention à la fois sur la signification du phénomène, mais aussi sur la façon de l'utiliser. Les études sur la communication ont depuis ces dernières années augmenté à tous les niveaux. Henri Lefebvre pouvait écrire que dans la vie sociale rien ne s'accomplit sans la communication, tandis qu'un spécialiste américain I de Sola Pool (1959) déclarait : « L'étude de la communication n'est rien moins que l'étude de la société ». Si à défaut de définition on cherche à savoir de quoi traite la communication, on s'aperçoit en compulsant un ouvrage ou un chapitre la concernant, qu'il s'agit aussi bien de propagande que d'opinion, d'action gouvernementale, de circulation des informations, d'influence, d'attitude, de journalisme, de cinéma ou de linguistique. Toute la vie sociale est faite de communication, seulement certains secteurs l'utilisent plus que d'autres. Même
dans ceux-là, comme la politique, la notion reste floue. J. Gerstlé (1992) dans son étude sur la communication politique concède que « la notion est extrêmement confuse ». Il a suffi que des auteurs aussi commentés et différents que J- Haber-mas et N. Luhmann considèrent la communication comme un concept essentiel de leur réflexion pour attirer l'attention de nombreux politologues et sociologues sur ce « flou ». Chacun intègre ce nouveau sujet à sa théorie. L'opposition apparaît d'abord entre les modèles comporte-mentaliste481 et stracturo-fonctionnaliste d'une part482 et interactionniste483 et dialogique484 d'autre part. Les premiers privilégient l'aspect transmission de l'information, les seconds s'attachent à la signification et à l'inter-compréhension. Il faut ajouter que le développement des moyens de communication, en particulier d'interner, modifient les données du problème et en créent de nouveaux. L'évolution est encore trop peu stabilisée pour qu'une analyse trouve sa place ici. Pour l'instant il s'agit de techniques plus que de méthodes. Si sur le plan théorique on peut réfléchir... sans hmites, sur le plan pratique ce n'est pas possible. On a donc tenté de mettre un peu d'ordre dans cette confusion485. Sans ambition théorique, la distinction la plus simple et la plus efficace paraît celle de Lasswell486. Qui parle ? à qui ? par quel moyen ? pour dire quoi ? avec quel résultat ? C'est un cadre d'analyse commode qui recouvre tous les aspects pratiques des communications orales ou écrites. Faute d'une définition précise et d'un domaine défini, on abordera les problèmes de communication à propos de chaque question à laquelle ils se trouvent liés.
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SECTION 3. L'ANTHROPOLOGIE ET L'ETHNOLOGIE Retour à la table des matières 171 Définitions O L'ethnologie a longtemps été considérée comme la discipline décrivant les mœurs des différents peuples et plus précisément des peuples dits archaïques ou primitifs. Certaines précisions de vocabulaire sont indispensables : L'ethnographie concerne le travail matériel sur le terrain, la collection de matériaux. L'ethnologie tente un effort d'élaboration, de synthèse. Celle-ci peut être soit géographique : étude des caractéristiques des tribus d'une région à un moment donné, soit historique : évolution de tel groupe, soit systématique : recherche sur une coutume particulière, une cérémonie ou une institution. Les Anglo-Saxons ont tendance à abandonner ce terme d'ethnologie, pour utiliser surtout celui d'anthropologie, qui représenterait la troisième
étape d'une même recherche : etionographie, ethnologie, anthropologie. Cette dernière, au sommet de la hiérarchie, comprendrait l'étude de l'homme dans sa totalité. L'évolution de la discipline a conduit les Britanniques à utiliser le terme d'anthropologie sociale. En partant des objets, productions et œuvres humaines de l'homo fàber, elle aboutit aux activités sociales, alors que les Américains parlent d'anthropologie culturelle, visent au départ ces activités, pour descendre jusqu'aux objets. En France, l'anthropologie est quelque peu vidée de son contenu et sa signification limitée à l'anthropologie physique, c'est-à-dire l'étude des types morphologiques, des races, etc. C'est l'ethnologie qui conespond à ce que les AngloSaxons entendent par anthropologie. Le terme d'anthropologie487 est de plus en plus employé à la place d'ethnologie ; on utilisera ici l'un et l'autre indifféremment. § 1. Évolution de l'anthropologie jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale 172 La conquête de l'autonomie O On a toujours fait de l'ethnologie spontanée dans des récits de voyage, comme de l'histoire dans des chroniques, ou de la psychologie dans des journaux intimes. Les récits de voyageurs se sont multipliés avec la découverte de régions nouvelles, et au vu de ces documents, des philosophes (Voltaire, Rousseau) se sont lancés, sans doute un peu vite, dans de vastes synthèses. C'est à partir du xnc" siècle que l'anthropologie va, comme d'autres sciences sociales, devenir autonome et dégager son objet d'étude : l'homme. Elle se divisera en anthropologie physique : étude de l'homme, espèce zoologique, et de son évolution (avènement de la science préhistorique) et ethnologie : étude des sociétés exotiques. 173 L'école française O En France, l'intérêt pour
l'ethnologie a toujours été très vif, même chez les auteurs littéraires comme Montaigne, les encyclopédistes, Rousseau, « le plus ethnographe des philosophes », disait C. LéviStrauss. Les sociologues dès l'origine utilisaient les données de l'ethnologie488. On retrouve en France entre les premiers anthropologues chercheurs sur le terrain, et les sociologues théoriciens les mêmes conflits, toutes proportions gardées, qu'aux Etats-Unis entre ingénieurs sociaux et sociologues universitaires. Mais le conflit ne comporte pas les mêmes enjeux. En effet, si les résultats des recherches ethnologiques pouvaient être utilisés, surtout par les colonialistes, il existait tout de même des chercheurs : amateurs curieux, voyageurs, fonctionnaires, sans formation mais sans déformation, dont les recherches étaient utilisables. Au départ, l'intérêt pour « l'exotisme » suscite la création d'institutions privées489'490, mais la multiplication des « collectionneurs de faits » n'aboutit pas à des interprétations assurant une identité scientifique à une spécialité définie. La discipline n'était même pas sûre de son nom : ethnologie, anthropologie, ethnographie et même folklore. La première étape, comme toujours, consiste à rendre ces recueils de faits plus scientifiques et à former et intégrer les chercheurs dans le cursus universitaire. Alors que les premiers travaux de Durkheim sur les sociétés archaïques (le totémisme, l'animisme) méritaient de nombreuses critiques et sont aujourd'hui dépassés, son inspiration et sa méthode ont été à l'origine de l'évolution et du succès de l'école française d'anthropologie. Malgré sa méfiance, Durkheim, pour sa recherche des voies de la cohésion sociale sera obligé de s'intéresser aux sociétés qui en donnent les exemples les plus accessibles. Or, il partage les préjugés de son époque, identifiant les sociétés archaïques contemporaines,
étudiées par les ethnologues et les sociétés anciennes, toutes deux considérées comme « simples ». Durkheim préconise une méthode comparatiste génétique, évolutionniste, bien qu'il s'en défende, reposant sur l'idée de la complexi-fication des phénomènes de sociétés : « Pour rendre compte d'une institution sociale [...]. On constituera d'abord le type le plus rudimentaire qui ait jamais existé pour suivre ensuite pas à pas la manière dont il s'est progressivement compliqué491. » Mauss rectifiera de façon indirecte l'affirmation de Durkheim. Dans son étude sur la prière, il déclare : « Car les formes les plus rudimentaires ne sont à aucun degré plus simples que les formes les plus développées. Leur complexité est seulement de nature différente. Les éléments qui se distingueront et se développeront dans la suite de l'évolution y sont rassemblés dans un état de pénétration mutuelle. L'unité résulte de leur confusion492. » Curieux paradoxe, Pépistémologie durkheimienne considère la sociologie comme la science de synthèse de faits provenant des sciences auxiliaires : ethnographie, géographie, histoire, statistique, dont l'exactitude n'est pas assurée. Mais la réflexion de Durkheim, son interprétation, possèdent une telle force logique, qu'elles confèrent à l'école française un statut égal à celui des anglo-saxons. L'intérêt de Durkheim pour la sociologie religieuse bénéficiera des progrès de la qualité de la recherche à partir de 1880. L'Année sociologique (créée en 1898) consacre une part de plus en plus importante au secteur religieux, reconnaissant ainsi à l'ethnologie la première place, parmi les sciences auxiliaires de la sociologie « parce qu'elle fournit des éléments de comparaison que rien ne peut remplacer ». Durkheim ne pouvait être insensible aux grands débats de l'époque, mais en même temps, le risque de dérive hors de la rigueur scientifique l'incitait, ainsi que ses élèves, à refuser tout objectif utilitaire.
Durkheim a contribué à modifier l'image de l'ethnologie qui souffrait du bas statut de son sujet d'étude. Dès 1888, il écrit « Pour nous [...] les mots de supérieur et d'inférieur n'ont scientifiquement pas de sens [...]. Pour la science, les êtres ne sont pas les uns au-dessus des autres ». Enfin, les grands universitaires qui furent ses disciples ont attiré des chercheurs de valeur parmi les philosophes (Levy-Bruhl) obtenant enfin la création de certificats de licence à l'université (1921). Le plus caractéristique de l'école française d'ethnologie, c'est le lien persistant entre la réflexion théorique, attitude provenant de la formation philosophique des chercheurs, et la collecte des faits sur le terrain, la recherche empirique, à laquelle se limitent les anglosaxons. Cette double posture qui est à l'origine de l'école française d'ethnologie persiste encore de nos jours et c'est à Durkheim qu'on la doit. On peut supposer qu'ayant rapproché l'ethnologie et la sociologie au point de ne même pas mentionner la première, Durkheim aurait approuvé la tendance moderne de l'ethnologie européaniste qui se donne pour objet la société contemporaine (cf. n° 180). Mais cette tendance des premiers ethnologues à rechercher les cas primitifs « non altérés », les a détournés de l'étude des transformations et dynamismes sociaux qui s'écartaient de ceux-ci. 174 L'école évolutionniste anglaise O Le fait que les Anglais aient été parmi les fondateurs de ranthropologie, s'explique par les facilités d'une position colonialiste, et ce n'est sans doute pas par hasard qu'ils ont représenté l'école évolutionniste493. Influencée par les théories biologiques, elle affirme la lente progression de l'espèce humaine. Ceci implique la recherche des causes, mais surtout la justification de la prépondérance des groupes sociaux les plus évolués. Un des plus illustres représentants de l'évolutionnisnie est Lewis H. Morgan
(1818-1881). R. Lôwie (1937) déclare.assez méchamment qu'il ne doit pas sa célébrité internationale à la valeur de ses solides travaux, mais, à un « accident de l'histoire » : la chance que les tendances évolutionnistes de son livre, Ancient Society (1867), aient attiré l'attention de Marx et Engels, qui l'ont utilisé dans Les origines de la famille, de la propriété et de l'État. Évolutionniste, il croit en la loi du progrès qui a mené la Grande-Bretagne à ce sommet : l'époque victorienne ! Ses affirmations sont trop péremptoires, ses extrapolations peu fondées, mais il a tenté de rapprocher ce que les marxistes appelleront fnhastructure et superstructure, établi l'ethnologie de la parenté sur des bases solides, et accumulé une énorme documentation. La découverte de nouvelles sociétés suscitait l'intérêt des juristes, surtout lorsqu'ils étaient comme Sir H. ]. Summer Maine (1822) employés par leur gouvernement dans des pays lointains494. On doit également citer les noms de Mac Lennan et celui plus connu de Sir E. Bumett Tylor (1832-1917). Il n'était pas un véritable chercheur sur le terrain mais par son goût de la signification concrète des gestes et des objets495, il est à l'opposé du classique ethnologue en chambre. D'une grande honnêteté intellectuelle, il n'est pas seulement l'homme des essais de synthèse496 mais aussi Fauteur de la théorie de ranimisme et celui qui a introduit la statistique en ethnologie. Une place à part doit être faite à l'auteur célèbre du Rameau d'Or (1890) : Sir James Frazer (1854-1941). Homme de travail en chambre s'il en fût, il connaissait le grec, le latin, le français, l'allemand, l'italien, l'espagnol, le hollandais et possédait une énorme documentation. Intéressé par les pratiques magiques, il considérait les tabous comme des précautions pour assurer la vie du prêtre-roi. Frazer a été regardé par les uns comme l'auteur
de « savantes sottises », par d'autres comme le plus grand anthropologue de son époque (Malinowski). On peut dire en tous cas que l'influence de son œuvre fut considérable non par ses théories ni leur justification (souvent insuffisante), mais par la masse de documents recueillie et surtout par sa valeur littéraire. « Grâce à l'agrément de son style et à l'amour passionné de l'histoire des hommes qu'il exprime, il a fait comprendre au savant comme à l'amateur, l'ampleur des problèmes, l'intérêt humain et la beauté dramatique des données de l'anthropologie497. » La réaction aux excès de l'évolutionnisme se fera dans deux directions : le dif-fusionnisme et le fonctionnalisme. 175 Le diffusionnisme en Allemagne O La pauvreté d'imagination des hommes expliquerait la propagation des innovations techniques. Pour le prouver, il faut chercher dans les faits toutes les manifestations d'emprunts de civilisations. C'est en Allemagne et en Autriche que l'école historico-culturelle représentée par Ratzel, Frobenius (le premier à utiliser la méthode des aires culturelles), Graebner, défend ces points de vue. En Grande-Bretagne, sans nier la contagion des cultures, on s'intéresse moins à la recherche de ses manifestations. 176 Les notions de culture et de fonction aux États-Unis O La déception causée aux États-Unis par l'influence des diverses tendances historiques et évolutionnistes, amena dans le premier quart du XXe siècle, une séparation de l'anthropologie et de la sociologie, un rejet de toutes les théories et la prise en considération d'un concept de base : la culture. Par opposition à l'ethnologie française, les_ processus de changement, la dynamique culturelle, vont devenir aux ÉtatsUnis des sujets privilégiés.
Le concept de culture est d'origine anglaise. E. B. Taylor l'a défini le premier dans son ouvrage Primitive culture paru en 1871. Mais il n'existe pas de définition de la culture entièrement satisfaisante, bien qu'on en compte plus de 250. De toute façon, « les cultures sont des choses qu'on trouve sur le terrain et non dans des définitions498 », telle est la pensée commune aux anthropologues. Ceci admis, le contenu des définitions varie. Le grand anthropologue qui domine les débuts de l'anthropologie américaine est Franz Boas499 (1858-1942). Il est le premier à avoir pu, à la fois former des chercheurs et travailler sur le terrain. Linguiste, il insiste sur l'utilité de connaître les langues indigènes et la nécessité de maîtriser les techniques ethnographiques pour recueillir des documents authentiques. Boas vise la description de toutes les données culturelles. Son œuvre comporte une anthropologie physique et la collecte des mythes et traditions orales. Il montre une grande aversion pour toute systématisation qui lui paraît toujours prématurée. Il est l'auteur de nombreux articles, de monographies, mais de peu d'ouvrages500. A. L. Krôber (1876-1960), un des derniers généralistes et des plus estimés, tenta d'élaborer une histoire culturelle générale501, tout en se consacrant à des recherches ethnologiques502. Sur le plan de la méthode il voulut subordonner l'individuel au social503, et signala les limitations de la méthode comparative en anthropologie, s'opposant ainsi aux évolu-tionnistes et aux excès de la tendance biologique. B. Malinowski (1884-1942)504 est le personnage le plus excentrique et le plus controversé que connut jamais l'anthropologie dont il refusait les frontières académiques. « Sur le comportement d'un individu, sur une institution sociale, il ne posait que trois questions : « Est-ce que ça marche ? comment ? et pourquoi ? C'est avec ces trois questions qu'il fonda l'école
fonctionnàliste505 , 506. » Malinowski fut longtemps considéré comme le fondateur de l'observation participante, mais son journal507 révèle qu'il se servit surtout d'informateurs. Néanmoins il fut un des premiers à vivre sur le terrain et il raconte à propos des indigènes : « Comme ils savaient bien que j'allais mettre mon nez partout., ils finirent par me considérer comme faisant partie de leur vie, comme étant une peste, un mal nécessaire, mitigé par des dons de tabac508. » Enfin il a fait admettre l'idée que les institutions sociales sont des réponses collectives à des besoins humains fondamentaux et introduisit la psychanalyse en anthropologie : « Ne jamais oublier l'organisme humain vivant, palpitant, fait de chair et de sang qui demeure quelque part au cœur de toute institution. » Une autre orientation devait marquer l'anthropologie américaine, celle du britannique A. R. Radcliffe-Brown (1881-1955) qui enseigna à Chicago509'510. Il transforma cette ville en un centre de ralliement pour tous les opposants de l'interprétation traditionnelle de la science anthropologique par l'histoire. Très écouté, ñ ne fut pas cependant très suivi, peut-être parce que les Américains se montraient rétifs aux critiques d'un Anglais511, mais surtout parce que le courant général était en faveur de la psychologie, à laquelle il ne faisait aucune place. Fortement influencé par Comte et surtout Durkheim, Radcliffe-Brown apportait les concepts de structure sociale et surtout de fonction, c'est en ce sens que sa recherche a été considérée comme structuraliste512. A partir de 1928, E. Sapir (1949), linguiste et sociologue, va démontrer que l'ancienne notion de culture n'est que « fiction statistique », une collection de produits de l'activité des hommes, alors que la culture est avant tout un « système de comportements » s'imposant à l'inconscient et servant de système de communications entre individus. Cette définition a orienté les anthropologues vers la psychologie pour l'étude
de l'inconscient, et vers la linguistique pour celle du langage. Margaret Mead (1952) et Ruth Benedict (1934) bénéficient de l'apport du freudisme et du courant général favorable à la psychologie sociale. Sans s'opposer à l'histoire, M. Mead insiste sur l'intérêt d'étudier des problèmes qui ne relèvent pas de l'évolution des cultures, mais se posent en termes de psychologie sociale comparée. C'est le cas de son ouvrage sur l'adolescence des jeunes filles de Samoa513. Quant à Ruth Benedict, son handicap de femme et de poète lui gagne du moins la faveur du grand public, et son ouvrage Pattems of culture (1931) obtient un succès d'autant jplus considérable qu'il traite de ce domaine réservé aux anthropologues des Etats-Unis : celui des Indiens d'Amérique. On a pu soutenir que Sapir, M. Mead, et Ruth Benedict, en s'intéressant aux problèmes de la personnalité et de la culture, avaient finalement contribué à créer des liens avec la sociologie et la psychologie (ce que les historiens n'avaient pas fait) et avaient exercé une plus grande influence sur celles-ci, que sur l'anthropologie de leur époque. Dans cette orientation psychologiste et même psychanalytique il faut citer après Freud (1924), A. Kardiner (qui insiste sur l'adaptation) (1946), G. Linton514, Geza Roheim (1951), K. Homey (1953), E. Fromm (1941), Cora du Bois. Cette expansion de l'anthropologie américaine entre les deux guerres, comporte des tendances plus que des écoles, car malgré leurs divergences, tous sont unis sur le plan de la méthode : elle consiste en recherches concrètes sur le terrain et descriptions inspirées par le modèle des sciences naturelles. Malgré les différences qui les séparent, chercheurs américains et britanniques partagent la conception d'une vie sociale constituant un ensemble, dont chacun des aspects ne peut être compris qu'en fonction des autres. Que l'anthropologie se proclame sociale ou
culturelle, elle aspire toujours à connaître l'homme, envisagé dans un cas à partir de ses productions, dans l'autre, à partir de ses représentations. Cette notion de « totalité » de l'homme vivant, rejoint ainsi les positions de K. Marx en Allemagne, et celles plus récentes de M. Mauss et de G. Gurvitch en France. § 2. Évolution depuis la Deuxième Guerre mondiale 177 Les nouveaux problèmes O Depuis la deuxième guerre, les anthropologues et sociologues ont été arrachés à leurs études et réflexions pour être utilisés sur le terrain. En Grande-Bretagne, en France, aux États-Unis, les problèmes d'occupation de pays de civilisations différentes, l'accession à l'indépendance de pays non industrialisés, ont bousculé les querelles d'école et mis les anthropologues en face de problèmes concrets. Le cas le plus exemplaire est celui du Japon. Les anthropologues insistèrent pour que l'Empereur soit maintenu. Vu son prestige, il pouvait faciliter la démocratisation d'un pays qui, sans lui, risquait de sombrer dans le chaos. Les nouvelles recherches dans les pays sousdéveloppés modifieront sans doute à terme, l'évolution de l'anthropologie. Elles posent d'abord les problèmes de l'unité de recherche. Le village se substitue à la tribu, mais, alors que les tribus primitives constituaient des sociétés closes, on ne peut en dire autant des villages du Tiers Monde, où les problèmes de culture apparaissent sous des aspects très différents. Si les tribus archaïques représentaient la chasse gardée des anthropologues, ceux-ci se trouvent, lorsqu'il s'agit de problèmes actuels posés par des pays non industrialisés, en concurrence ou en contact, avec des sociologues, économistes, juristes, géographes, mais aussi avec des administrateurs et ingénieurs. Il serait
regrettable qu'au heu de stimuler l'anthropologie, cette coexistence ne lui soit une excuse pour se replier sur ses fiches et continuer à amasser des descriptions de coutumes folkloriques et de mœurs, etc., simplement parce qu'elles sont en voie de disparition. 178 Aux Etats-Unis O Les études monographiques décrivant des sociétés limitées, sans recherche d'explication, sont encore nombreuses. Les anthropologues, aussi bien américains qu'anglais, sont toujours sous l'influence de l'histoire naturelle du xixe siècle. La zoologie a pour objet les animaux, la géologie, les terrains, l'anthropologie a pris ce qui restait : les squelettes, les outils et les mœurs des non-civilisés. L'anthropologue aujourd'hui, est aussi excité par la découverte d'une coutume inconnue, que l'entomologiste par celle d'un insecte. Le portrait des premiers anthropologues, fait par Kroeber, est toujours ressemblant : « Ils aimaient aller sur le terrain, ils aimaient découvrir et plus cela durait, plus ils étaient contents 515 » Cependant, certains anthropologues ont, sinon abandonné la méthode, du moins changé de terrain et fait des recherches non plus sur des sociétés primitives, mais, comme auraient pu le faire des sociologues, sur des communautés américaines modernes. Enfin, d'autres ont amélioré les techniques d'investigation, ou encore, dépassant le stade de la simple description, ont été amenés, dans une perspective fonctionnaliste, à se demander, comme le dit Hart : « pourquoi les gens font-ils ce que j'observe qu'ils sont en train de faire ?516 » A côté de ces anthropologues traditionnels commencent à se faire entendre des revendications nouvelles. Les bouleversements politiques et sociologiques survenus dans de nombreuses régions, terrains de recherche des ethnologues, ne pouvaient les laisser indifférents.
Les anthropologues d'une part réfléchissent sur leur rôle, d'autre part se plaignent de l'inadaptation des méthodes anthropologiques classiques, face aux situations nouvelles, enfin ils s'inquiètent de la présence sur le terrain des sociologues, économistes, politicologues. Certains souhaitent supprimer la distinction entre anthropologie et sociologie. Ceci signifie ne plus se contenter d'objets restreints, de monographies limitées, mais tenir compte des processus globaux en cours (par exemple des effets de la domination impérialiste). Ensuite, le travail d'équipe doit se substituer à la recherche isolée. Enfin l'anthropologie comme les autres sciences,, doifcréfléchir sur sa propre démarche scientifique; élaborer :sa propre critique épistémologique. 179 En France O L'essentiel était d'abord d'inciter les ethnologues français à partager les joies de leurs collègues anglo-saxons, en allant travailler sur le terrain. C'est ce que firent les élèves de Mauss. Cette première révolution se situe aux environs de 1930. G. Balandier517 distingue quatre directions principales dans lesquelles s'oriente l'ethnologie : les enquêtes à but archéologique et philologique (Travaux de l'école française d'Extrême-Orient avec P. Mus) ; les études visant à compléter le tableau général des sociétés et des cultures, en dressant en quelque sorte les archives des sociétés qui n'en possèdent pas (elles s'expriment par des monographies) ; des travaux de tendance synthétique historique, géographique, ou s'attachant à un thème particulier, tels que le shamanisme et les rituels de possession- (études de R. Bastide, M. Lewis, A. Metraux). Enfin, marquant la deuxième révolution de l'ethnologie française, celle de l'après-guerre, nous trouvons des recherches visant un approfondissement théorique ou la connaissance exhaustive d'un cas. Parmi ces travaux, il faut citer ceux auxquels Marcel Griaule consacra les vingt-cinq dernières
années de sa vie : l'étude des Dogon, peuple du Soudan occidental. Dans cette même optique, M. G. Dieterlen étudie la religion Bambara et M. Leen-hará la Nouvelle Calédonie. Comme nous le dit G. Balandier, selon cette méthode, la recherche porte moins sur les manifestations extérieures de la réalité sociale (structures, fonctions, manifestations) que sur les démarches intellectuelles et symboliques qui en rendent compte. Il s'agit d'étudier les phénomènes « du dedans », c'est-à-dire du point de vue indigène, en reconstruisant en quelque sorte leur démarche. C'est indirectement une contribution de l'anthropologie à la sociologie de la connaissance. Enfin, C. Lévi-Strauss se met en quête d'une élaboration théorique dépassant les vieilles oppositions entre sociétés primitives et sociétés modernes et d'une conception d'ensemble caractérisant toute société. Pour découvrir ces « propriétés générales spécifiques de toute existence sociale », il s'agit de réduire la diversité des cultures, passées ou vivantes, à une unité profonde, un « substrat commun », cherché plutôt dans l'inconscient ou au niveau des structures mentales. Les réflexions rassemblées dans l'Anthropologie Structurale (1958) portent sur les voies et les moyens de certaines disciplines particulières : linguistique structurale, mathématiques modernes avec la théorie des groupes, des ensembles et de la topologie cybernétique. Divers groupes d'études ethno-sociologiques ont opéré suivant des orientations personnelles assez souples. C'est le cas de/. Bercjue(1955) qui s'est consacré à la sociologie musulmane et nord-africaine en faisant appel à des techniques variées. R. Bastide (1960), théoricien et praticien, tenta dans ses travaux effectués au Brésil et au Dahomey, d'intégrer sociologie, psychologie et psychanalyse et de combler le fossé qui sépare une sociologie conceptuelle et systématique « d'une simple phénoménologie des changements sociaux ou des phénomènes d'acculturation »518 G. Balandier, bien connu par ses travaux effectués en Afrique noire et
particulièrement dans la région congolaise, adopte un point de vue global, faisant appel à la sociologie et à la science politique, autant qu'à l'anthropologie. L'ethnologie française, devenue indépendante de la sociologie, a gardé de cette influence l'habitude de la réflexion méthodique, une possibilité d'organiser les faits et de poser les vrais problèmes. 180 L'anthropologie, européenne O On observe dans l'anthropologie récente deux principaux courants ; l'un recouvre la notion classique d'anthropologie sociale et avec des sens différents, sous le nom de folklore, « tout ce qui survit dans une société évoluée, de coutumes, d'habitudes de vie, de traditions, de croyances appartenant à un stade antérieur de civilisation», l'autre se tourne vers l'étude de l'homme dans les sociétés contemporaines et cherche à interpréter et comparer les faits sociaux et culturels par lesquels il se manifeste. Ces deux courants vont-ils se séparer davantage ? Le premier, pressé de recueillir les-traces de ces sociétés en voie de disparition, l'autre prenant le temps de réfléchir devant ce monde nouveau en train de se créer, mais qui, en revanche, lui oppose la complexité des problèmes que l'anthropologue n'est pas habitué à résoudre. Les anthropologues, aujourd'hui, manifestent la volonté d'unir ces deux courants. Mais y a-t-il unité de méthode sinon d'objet entre les deux démarches ? L'étude d'un quartier dans une grande ville peut-elle se mener comme celle d'une ethnie isolée ? La signification des danses ou des vêtements peut-elle s'interpréter de la même façon ? Autrement dit, l'anthropologie se définit-elle, par son objet et disparaîtra-t-elle avec lui, ou par sa méthode, ses concepts et représente-t-elle une science spécifique qui peut s'appliquer non à n'importe quel objet, mais à toutes les manifestations de l'homme dans la société ? La réponse, généralement affirmative des anthropologues des différents pays, dépend, quant à sa forme et
ses pratiques, de leur histoire, de leur culture et de l'orientation prise dans le passé par leurs travaux. La France, pays composite et colonialiste, doit à ses traditions régionales et à son empire, un domaine ethnologique partagé entre l'exotisme et le folklore. Ce dernier souvent considéré comme peu scientifique « [...] nous a habitués à identifier un autre chez nous, nous inculquant ainsi un des principes fondamentaux de toute recherche ethnologique [...] l'acceptation de l'homme en tant que semblable et « autre », autorisant un regard distancié dont paraissent privés les pays sans tradition d'études folkloriques »519. L'anthropologie anglo-saxonne, au contraire, a longtemps refusé de reconnaître ses particularités au sein de la société britannique et se fermait ainsi à l'observation de sa propre diversité culturelle520. Sans doute la désagrégation précoce de communautés rivales où s'enracinent les identités locales n'y est-elle pas étrangère. Aujourd'hui, tournée vers l'étude de sa propre société, l'anthropologie anglaise a utilisé plusieurs termes521 pour marquer son changement. Elle a finalement retenu un modeste Anthrovology at home. Quant aux pays nordiques, l'absence d'empire colonial et une très forte tradition d'études folkloriques, les a amenés à changer eux aussi de dénomination en remplaçant « l'étude de la vie populaire » (Folkliv fork-sning) par « ethnologie et notamment européenne ». Le repli sur soi provoque un intérêt accru pour les études locales, on passe « du grand au petit ». Ce mouvement s'est accompagné d'un regard moins ethnocentré. La méthode comparative prônée par Durkheim a relativisé la supériorité ou la spécificité de certains traits de la société occidentale, mettant un terme à l'évolutionnisme toujours plus ou moins latent
des anthropologues. La société occidentale «n'apparaît plus comme l'étape ultime du développement linéaire des sociétés, mais comme une des formes possibles, située sur le spectre des cultures »522. Cette relativisation est accentuée par l'état de crise des sciences humaines et l'incapacité des grandes théories (marxisme, structuralisme) à rendre compte des mutations qui agitent les domaines religieux, familial, industriel, les classes sociales, etc. Les critiques opposées par certains anthropologues à ce mouvement portent en particulier sur deux points. Le premier tient à ce qui a toujours été considéré comme le domaine de l'anthropologue : l'observation de l'autre523... Le Parisien, le Lyonnais ou le Londonien contemporain peuvent-ils être considérés comme « autre » au même titre que l'habitant des îles Trobriand ? La notion de l'autre est évidemment très ambiguë car l'O.S. en grève est « autre », par rapport à son P.D.G. En revanche, l'habitant des îles est un être humain comme le Parisien. Il faut donc délimiter et définir les critères de l'altérité relevant de l'anthropologie. Deuxième point moins important, les tenants de l'anthropologie classique ont jusqu'ici privilégié les community studies et reprochent à la nouvelle orientation de s'engager dans une anthropologie sans terrain. Ici encore, on peut se demander si la notion de terrain est forcément liée à celle d'espace lointain. L'anthropologie nouvelle élargit son domaine, mais surtout jette sur des thèmes anciens un regard neuf, en les transposant à travers l'espace et le temps. C'est ainsi que renouvelant l'étude des jeux, elle étudie le football, ou mieux encore dans le domaine classique de la parenté, elle constate que les quotas laitiers figurent aujourd'hui dans les éléments d'appréciation de transmission entre les générations524. La difficulté de comprendre des cultures
différentes apportait au moins en compensation le fait de ne pas en faire partie. L'ethnologue peut être différent de ceux qu'il étudie, mais il en partage tout de même, en partie, la culture. Enfin une difficulté, et non des moindres, concerne l'anthropologie appliquée et le rôle de l'anthropologue. Que peut-il faire de son savoir ? Qui a besoin de lui ? A côté du sociologue mais avec les limites et les nuances que l'on verra, il peut, en tant que connaisseur de la société, comprendre et faire comprendre ce qui s'y passe. Il partage avec le sociologue la difficulté de garder son indépendance vis-à-vis du demandeur et le risque de voir ses connaissances utilisées et surtout déformées. Que les indigènes et les ethnologues soient devenus des compatriotes et même parfois des concitoyens et qu'en dernière analyse, ce soient les ethnies qui paient « leurs anthropologues, voilà qui a porté un coup à la position dominante du discours anthropologique ». Par rapport à l'anthropologie sociale, l'ethnologie du monde actuel présente un nouveau danger. L'anthropologue moderne vient seulement de découvrir les problèmes auxquels le sociologue est depuis longtemps confronté. D'intéressantes réflexions concernant les rapports entre ethnologue et pratiques médicales constatent « c'est au discours des individus sur l'interprétation de la maladie que doit s'intéresser l'anthropologue et non à la réalité de la maladie ». Pour conclure : « le travail du soignant se situe en termes d'efficacité et d'action, celui de l'anthropologue en termes de connaissance et d'explication; il est sans doute essentiel de dissocier les deux». Sans doute, mais on est tenté, dans un domaine aussi grave que celui de la maladie, de paraphraser Durkheim disant « la sociologie ne vaudrait pas une heure de peine si elle n'apportait aucune amélioration». Comprendre, même si ce n'est pas le but visé, doit améliorer la relation médecin ou infirmière et malade, donc être efficace également sur le plan thérapeutique525. La présence d'un ethnologue est souvent réclamée dans les collectivités locales. Elles
limitent son rôle à celui de gardien « d'une mémoire retrouvée », conservation ou transmission de savoirs anciens. Nommés à des postes de conseillers auprès des.Directions régionales des Affaires culturelles, ils deviennent alors des bureaucrates sans pouvoir. Plus mystérieuse, moins banalisée que la sociologie, l'aide de l'ethnologie sera réclamée le plus souvent lorsque le problème se pose en termes de « compréhension de l'autre », par ceux qui ont à faire face au pluralisme culturel : infirmières, assistantes sociales, instituteurs ... on pourrait souhaiter la police. Malheureusement si l'on analyse les demandes, on s'aperçoit que tous attendent de l'expert une solution sous forme de recettes. Un des auteurs526 fait part de sa déception lorsque, après un refus d'augmenter la durée de son intervention, le directeur d'une école d'assistantes sociales, ajouta : « nous voulons seulement un saupoudrage » ! Les articles récents concernant l'évolution de l'anthropologie expriment souvent de l'inquiétude : « l'enseignement qu'ils ont (les anthropologues) reçu, encore fortement marqué par les prestiges de l'ethnologie exotique, ne les a aucunement préparés à la navigation à vue parmi les récifs et les vasières de leur propre société ». Une question pourtant demeure sous-jacente : les sociologues ne sont-ils pas déjà installés et mieux préparés pour comprendre la société actuelle ? En quoi l'ethnologie apporte-t-elle une possibilité de compréhension différente et utile ? Dans une revue comme Actes de la recherche en sciences sociales, nombre d'articles relèvent de l'ethnologie autant que de la sociologie. Ce n'est pas un hasard si le directeur a commencé sa carrière par des études d'ethnologie.
180-1 Originalité de l'anthropologie et liens avec la sociologie O Si anthropologues et sociologues se partagent de plus en plus le même domaine, leurs points de vue demeurent cependant différents. L'anthropologue garde de ses origines, liées aux sciences naturelles, le culte de la description, la nécessité, quel que soit par ailleurs l'objet de sa recherche, de décrire la culture dans laquelle elle s'inscrit. Seule parmi les sciences humaines, la géographie se soumet avec l'anthropologie à cette obligation. La sociologie, au contraire, vise à étudier une catégorie de phénomènes, à les expliquer, mais isolés de leur contexte. Elle découpe son projet d'enquête et mêle dans ses recherches ses propres documents, obtenus par interview, observation directe, etc.. aux documents, par exemple statistiques, recueillis par d'autres. La différence essentielle provient du fait que l'anthropologue étudie une culture étrangère à la sienne, ce qui l'oblige à rechercher d'abord une hiérarchie des normes, à observer les schémas de comportements admis, l'explication approfondie de tous les aspects culturels, même quotidiens. Dans un domaine ignoré, le banal devient intéressant. Le sociologue, au contraire, ne s'intéresse pas à tous les aspects journaliers, supposés connus, de notre culture. Nos façons de vivre sont laissées de côté et finalement moins connues que celles de certaines tribus, ou que les comportements anormaux527. L'anthropologie, malgré ses diverses tendances, paraît moins hétérogène dans son objet, dans ses méthodes et dans son inspiration, que la sociologie. Ceci provient sans doute d'une plus grande complexité des problèmes posés par les sociétés actuelles et de la difficulté, pour les sociologues, de valider leurs réponses par une méthode de comparaisons très systématiques, comme cela peut se pratiquer plus facilement dans des sociétés closes.
Ces - difficultés rencontrées par le sociologue, le côté particulier des situations qu'il observe, ont développé sa rigueur méthodologique et une véritable imagination scientifique, dont font rarement preuve les anthropologues. Cependant, l'anthropologie peut apporter à la sociologie, les éléments de vérification et de comparaison sur les facteurs en cause, dans des sociétés différentes528. Mais là où certains voient les possibilités d'une fructueuse collaboration, d'autres, comme C. Lévi-Strauss, estiment que les relations entre sociologues et anthropologues se placent encore sous le signe de l'équivoque. L'évolution de ces sciences n'a pas permis de bien percevoir la véritable différence qui continue à les séparer, même si à l'heure actuelle les autres particularités s'effacent. En effet, écrit C. Lévi-Strauss : « Dans son effort pour dégager des interprétations et des significations, c'est sa propre société que le sociologue vise d'abord à expliquer ; ce sont ses propres catégories logiques, ses propres perspectives historiques qu'il applique à l'ensemble... Tandis que l'anthropologue, placé en face de la même tâche, s'efforcera involontairement et inconsciemment (et il n'est nullement certain qu'il y réussisse jamais) de formuler un système, valable aussi bien pour le plus lointain indigène que pour ses propres citoyens ou contemporains529. » L'anthropologie serait donc au sommet de la pyramide des sciences humaines, car elle impliquerait la recherche de cette unité de l'homme, de ce « substrat universel » commun à toutes les cultures, qui se manifeste, avons-nous vu, soit dans leur inconscient, soit dans leurs structures mentales. Tous les anthropologues ne partagent pas ce point de vue. Pour stimulantes que soient les réflexions de Lévi-Strauss et leur orientation, elles ne paraissent pas encore recouvrir toute la complexité du concret. Les exemples qu'il donne
en linguistique ou dans les structures de la parenté, sont très limités dans leur application. Comme le note G. Balandier, « à ce niveau, l'anthropologie découvre des propriétés si générales et si abstraites qu'elles ont une insuffisante valeur explicative. Elle ne tient plus compte de l'incidence des situations, des conditions concrètes et historiques sur les systèmes sociaux et culturels. Elle élude une de ses tâches principales : l'explication des différences que révèle l'inventaire de ces systèmes poursuivi à travers l'espace et le temps »530. 181 Bibliographie o Actes du colloque Anthropologie sociale et ethnologie de la France, 1989, M. Segalen, éd.. Louvain Peeters. Affergan (F.) 1991. - Critiques anthropologiques, Presses de la F.N.S.P., 232 p. Amselle (J. L.) 1974. - « Sur l'objet de l'anthropologie », Cah. Int. Soc, n° 56, pp. 91-114. Année sociologique, 1986, n° spécial. Atkinson (P.) 1990. - The ethnographie imagination : textual construction of realiiy. London Routledge, 195 p. Augé (M.) 1979. - Symbole, fonction, histoire. Les interrogations de l'Anthropologie, Hachette, 216 p. - 1992. - Non-lieux : introduction à une anthropologie de la surmodernité. Seuil, 149 p. Auzias (J. M.) 1978. - L'anthropologie contemporaine, P.U.F., 176 p. Anthropologie (L') en France, Situation actuelle et avenir, 1979,
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SECTION 4. LA PSYCHOLOGIE SOCIALE Retour à la table des matières 182 Psychologie sociale et psychosociologie O Utilisés souvent indifféremment, les deux termes ne signifient pourtant pas exactement la même chose. L'expression psychologie sociale suggère «une primauté non seulement chronologique et méthodologique, mais ontologique »531. Dans un cas on insiste sur la psychologie, dans l'autre sur la sociologie. Cependant vu le développement inégal de la discipline suivant les secteurs et surtout la fracture, sinon l'opposition, entre la recherche théorique et la pratique (cf. n° 882), on risquerait, en adoptant des définitions précises, de séparer d'un côté une discipline enseignée à l'université sous la dénomination de psychologie sociale, bien que son domaine scientifique soit encore assez flou et de l'autre, un certain nombre de pratiques professionnelles. Celles-ci recouvrent une gamme d'interventions caractérisées par une grande hétérogénéité et des liens étroits. ou presque inexistants avec la discipline dont elles sont supposées issues, alors qu'en réalité, elles l'ont souvent précédée. On a vu les difficultés rencontrées par la sociologie américaine pour
faire communiquer et se joindre praticiens et savants, de même la psychologie sociale naîtra des problèmes posés dans la société et suscitera l'activité des praticiens psychosociologues, avant l'avancée de la théorie en psychologie sociale. Gallup aux États-Unis a précédé les réflexions sur les sondages. Après cette mise en garde et en notant le fait que les praticiens préfèrent en général s'intituler psycho-sociologues532, on utilisera encore les deux termes jugeant toute distinction prématurée. 182-1 Domaine et évolution O La psychologie sociale cherche à répondre à cette question centrale : comment l'individu peut-il influencer ce qui l'entoure, les institutions, la société dont il fait partie, alors que celles-ci, en même temps, le conditionnent ? Les relations interindividuelles, objet de la psychologie sociale, se caractérisent par le fait que si chaque personne pense, agit, ressent, elle est en même temps plus ou moins sensible aux réactions des autres. De plus ces relations ont un caractère social. Les relations humaines se situent toujours dans un environnement social organisé - famille, groupe, communauté, nation. D'où la nécessité pour le psychosociologue d'étudier l'environnement social dans lequel se produisent les relations inter-individuelles soumises à son observation. Les auteurs, dès la plus haute Antiquité, ont eu l'intuition que ces deux termes : l'individu et la société, vus sous l'angle de la culture qui les exprime, sont en relation, mais aucun de ces précurseurs n'avait tout de même conçu l'idée que le rapport individu-société pounait un jour constituer une science indépendante. La réflexion portait sur l'un ou l'autre terme : nature de l'homme ou de la société, le premier
relevant de la psychologie, le deuxième au xrx* siècle de la sociologie. Une des raisons pour lesquelles la psychologie sociale eut tant de peine à se constituer en science indépendante tient à ce fait, qu'une partie de son domaine se trouvait partagé entre des auteurs appartenant à des disciplines différentes. Si l'origine de la psychologie sociale se trouve dans les préoccupations des philosophes, sociologues, moralistes, politicologues européens, la psychologie sociale contemporaine est avant tout une discipline américaine, à laquelle l'Europe a largement contribué par ses émigrés installés aux États-Unis. Parmi ceux-ci, de nombreux Allemands apportaient la rigueur et la tendance expérimentale des laboratoires de psychologie, les Autrichiens les interprétations psychanalytiques de l'École de Vienne. 182-2 Evolution générale O Le véritable facteur du développement de la psychologie sociale fut la mise au point, depuis la première guerre mondiale, d'une méthodologie originale et de techniques appropriées : sondages, recherches sur le terrain, échelles d'attitudes. En matière sociale, plus qu'ailleurs, elle n'était rendue possible qu'à partir d'un changement de mentalité, permettant de concevoir les faits humains comme des choses, c'est-à-dire de les soumettre comme les autres, malgré leur charge affective, à l'observation empirique et à l'expérimentation. L'accélération des changements sociaux après la première guerre, la multiplication des effets visibles de ces modifications sur les individus, mais aussi, en retour, l'influence des réactions de ces derniers sur la société tout entière, rendaient indispensables des études et une réflexion de nature psycho-sociale. On assiste, depuis la Deuxième Guerre mondiale, non seulement à une multiplication des
enquêtes dans des domaines extrêmement divers et à un perfectionnement rapide des outils techniques, mais encore à un approfondissement de la réflexion méthodologique et à l'apparition de nouveaux concepts, bref, à un encadrement théorique, parfois très en retard sur les matériaux fournis par la psychologie sociale appliquée, mais essayant tout de même de les ordonner, sinon de les expliquer. Ce développement amena des spécialisations, une division de la psychologie sociale en branches autonomes, naissant plus ou moins conjointement avec des domaines particuliers de la sociologie : psycho-sociologie industrielle, militaire, etc. La psychologie sociale a représenté de 1920 à 1960, l'élément le plus dynamique des sciences sociales grâce aux techniques assurant des possibilités d'expérimentation plus rigoureuses. Elle correspondait à l'esprit positiviste de l'époque et elle marque depuis un temps d'arrêt. Les Américains qui peuvent financer des recherches et doivent publier, fournissent encore de nombreux travaux mais d'intérêt inégal et sur le plan théo rique, on ne note pas de grands progrès. De plus, alors que la sociologie a pu se diviser en sociologies particulières, la psychologie sociale n'a pas les mêmes possibilités de fractionnement. Les chercheurs se spécialisent: motivations, croyances, attitudes, influence, mais la liste de travaux ne s'ordonne pas en une classification satisfaisante. Les récents ouvrages de psychologie sociale font état de réflexions déjà anciennes ou alors de nombreuses recherches ponctuelles533 534. 183 Les premiers auteurs O L'histoire de la psychologie sociale se trouve, en général, partiellement traitée par les représentants de diverses disciplines535, les
deux auteurs qui semblent avoir le mieux pressenti le problème sont J.-J. Rousseau et A. Comte, dont le rôle de précurseur est mieux reconnu aux États-Unis qu'en France. En dénommant la véritable science « science morale », sans doute faisait-il un choix malheureux, mais la définition qu'il en donne paraît de conception très moderne : « elle est capable de systématiser les connaissances particulières sur notre nature individuelle par la combinaison de deux points de vue : le biologique et le sociologique ». Le premier nom à citer, est celui de Lester F. Ward536 (1893), autodidacte, ayant débuté dans une ferme, devenu charron, géologue et à 65 ans, professeur de sociologie à Brown Collège. La doctrine de Ward est à la fois utilitariste et évolutiorrniste. L'évolution pour lui n'est pas seulement biologique et il insiste sur l'aspect psychologique des forces sociales. A la même époque (1898), un ouvrage allemand, Die Sociologische Erkenntnis, de Gustave Ratzenhofer, introduisait également en sociologie, à côté des structures sociales, des considérations sur les motivations des individus, justifiant le titre de Social-psychology. Ratzenhofer eut une grande influence aux ÉtatsUnis, où il inspira A. W. Small et Mac Dou-gall (1908), sujet britannique, fixé aux États-Unis, représentant le plus connu de la théorie de l'instinct dans la psychologie sociale préscientifique. Son livre : Introduction à la psychologie sociale, vivement combattu, exercera, à terme, une influence. Après la querelle entre les partisans de l'instinct et ceux du miheu, les deux pôles fondamentaux de la psychologie sociale : individu, société, vont se réconcilier ou plutôt retrouver leur équilibre avec J. M. Baldwin (1895) et Ch. Forton Cooley, qui replacent l'individu dans un contexte social et montrent comment le sentiment du moi une fois constitué, reçoit à travers les institutions sociales, l'influence des autres.
Enfin Georges Herbert Mead (1934)537, analyse les rapports entre l'individu et sa propre expérience de socialisation. Pour l'enfant, son moi est une donnée sociale. Dans sa conduite avec les autres, il joue un rôle, celui que l'on attend de lui. La personnalité est constituée de ces rôles intégrés, englobant les attitudes sociales de groupes proches (familles, amis), mais également de groupes beaucoup plus vastes (nation, etc.). A partir de cette époque, la psychologie sociale est constituée. 184 Les premières notions O Les recherches des auteurs du XIXe siècle, sociologues et philosophes, s'exprimaient sous forme abstraite. Tous poursuivaient une explication de caractère unitaire, pouvant rendre compte des phénomènes du type du réflexe en physiologie. Les recherches concrètes menées par des auteurs contemporains montrent trop la complexité des variables en cause, pour envisager une explication unique. Cependant, les uns et les autres sont naturellement portés à donner plus d'importance à certains facteurs qui les intéressent ; ceux-ci évoluent, mais on retrouve le plus souvent, sous des formes différentes, de vieilles notions. Parmi celles-ci, on compte l'hédonisme ou principe d'utilité de Bentham, repris par Spencer, l'un et l'autre l'appliquant au système économique. Cette notion du rôle des besoins ou du plaisir apparaît sous une forme originale dans les ouvrages de Freud. On la retrouve aujourd'hui dans les études de motivations. Proche de cette notion de plaisir, on trouve celle de pouvoir auquel sont attachés en Angleterre le nom de Hobbes, en Allemagne, de Max Stirner et Nietzsche, en France, du biologiste évolutionniste Le Dantec, enfin Adler, psychiatre autrichien. Plus près de nous K. Horney (E.-U.),
B. Russell (G.-B.) reconnaissent à l'esprit de compétition plus d'importance qu'à la sexualité. Trouvant insuffisante l'importance reconnue à la manifestation naturelle de l'amour de soi, certains auteurs s'orientent dans une direction très différente du freudisme et recherchent dans l'homme d'autres motifs d'action. Ce seront la sympathie, l'imitation, la suggestion, notions proches du rapport entre l'individu et les autres, c'est-à-dire proprement psycho-sociales. Adam Smith, Herbert Spencer, Mac Dougall (1908), T. Ribot, Max Sche-ler distinguent, sous des formes diverses, la sympathie ressentie par l'individu. Tarde généralise en sociologie la théorie de l'imitation (1890) (proposée par Baldwin pour expliquer le développement de l'enfant), reprise et complétée par G.H. Mead. Quant à la suggestion, ce fut sans doute la notion la plus importante pour le développement des sciences sociales. Peut-être parce que née d'une expérience concrète (Charcot à la Salpêtrière), opposée aux théories existantes (Ecole de Nancy), la suggestion est au départ clairement définie. Assez rapidement, grâce à de nombreuses expériences vérifîables, naîtront les concepts modernes de conditionnement, de réflexes conditionnés, la notion de situation de crise, de structure mentale, d'influence du groupe, etc. 185 Les tendances principales O La psychologie sociale n'a pu se détacher de conceptions implicites sur la nature de l'homme. Elles vont inspirer quelques idées fondamentales, certains courants, qui tiendront lieu momentanément de théorie et reflètent en partie des vues divergentes quant à l'essence de l'homme. L'importance accordée à la physiologie ou à l'expérience, à l'enfance ou à l'environnement, à la recherche du maximum de satisfaction et à la nature des facteurs contribuant à celle-ci (égocentriques ou
altruistes) vont orienter les hypothèses et les recherches. 185-1 a) La psychologie de la forme O Une des influences les plus marquantes sera exercée par l'école de la psychologie de la forme (Gestaltpsychologie). En rébeflion contre la psychologie allemande de l'époque, les gestaltistes affirment que la première étape indispensable aux progrès d'une psychologie systématique, consiste à observer les faits psychologiques tels qu'ils apparaissent dans l'expérience directe. Le gestaltisme va donner à la psychologie sociale naissante une orientation expérimentale. Sans doute explique-t-il aussi l'attrait pour ce que l'on appelle l'expérience naïve, le terrain, que l'on retrouve aujourd'hui dans l'intérêt manifesté pour la vie quotidienne. Deux idées essentielles inspireront toute une série d'expériences : Io Un phénomène psychologique se produit à l'intérieur d'un champ, dans un système de facteurs interdépendants, dans lequel les propriétés du tout diffèrent de celles des parties. 2° Le système tend à fonctionner aussi bien que le permettent les conditions existantes. Nous retrouverons ces postulats dans les expériences de Lewin538, Asch539, Festinger540, etc. Cependant, en notant que la cause d'un phénomène social ou individuel n'est pas un autre fait social ou individuel, mais toujours une combinaison des deux, on demeure dans la recherche d'une causalité limitée. Il appartenait au gestaltisme, d'opérer ce que Lewin a appelé la révolution copernicienne des sciences humaines : la substitution de la logique des rapports (Galilée) à celle des essences (Aristote). Le comportement humain ne dépend pas de la nature de chacun des éléments du groupe, mais les atittudes psychiques individuelles sont fonction de leurs relations dynamiques avec les divers aspects de la situation et ne peuvent être comprises que par les ensembles sociaux, auxquels les individus sont intégrés.
186 b) Les théories du renforcement : le behaviorisme o La psychologie moderne rejette les théories de l'instinct et subit l'influence de l'évo-lutionnisme. Celle-ci l'amène à s'intéresser, surtout aux États-Unis, aux phénomènes d'acquisition des réponses, à l'apprentissage. Les expériences montrent que l'acquisition des réflexes ne dépend que fort peu de facteurs génétiques. C'est surtout en fonction de son expérience face à l'environnement physique et social, que rindividu acquiert langage, attitude, etc.. Alors que la psychologie limite son investigation à l'aspect physiologique de l'apprentissage en laboratoire, avec des animaux pour sujets, la psychologie sociale, intéressée par les comportements, les interactions, les rapports entre les individus et la société, s'inspirera de ces expériences et étudiera des sujets humains. Le behaviorisme541, est apparu comme une réaction contre les procédures subjectives de rintrospection. C'est un courant de pensée plus qu'une théorie. Il insiste sur la nécessité de fonder la psychologie sur des données observables : les stimuli, frappant les organes des sens et les conduites tenues en réponse. Processus que l'on symbolise ainsi : S —> R. A l'origine de cette tendance, on trouve les expériences de Pavlov542 qui ont inspiré J.B. Watson (1919) et de nombreux psychologues. Le behaviorisme, en considérant les comportements des individus comme des réactions aux stimuli venus du monde social extérieur, a modifié les rapports entre la psychologie, qui étudie des réactions aux stimuli naturels, la psychologie sociale aux stimuli sociaux et la sociologie, ou étude des stimuli sociaux eux-mêmes. Mais les gestes et les mots, réactions de comportement, expriment l'individu dans la mesure où ils ont pour lui une signification. Tout en conservant le point de vue du behaviorisme, il faut y réintroduire la conscience, ce sera la contribution de C.H.F. Cooley, de G.H. Mead, de F. Znaniecki. La grande
supériorité des Américains a consisté, au lieu de viser ou redouter une subordination d'une science à l'autre, à chercher une intégration entre anthropologie, psychologie et sociologie, le psychologue opérant la vérification des hypothèses de l'anthropologue. Le behaviorisme a inspiré dans des directions différentes des expériences donnant lieu à des généralisations, à l'élaboration de concepts. On retrouve son influence dans les recherches sur le rôle de l'éducation et de l'apprentissage, sur les quatre facteurs de l'apprentissage de J. Dollard et Millet543, sur les effets des différents types de communication et les changements d'opinion étudiés par CL. Hovland544 (1949), sur le rôle de l'imitation et du renforcement par A. Bandura (1977), errSn sur le contrôle du comportement, idée fixe de B. F. Skinner (1978). Le behaviorisme a donné lieu aux thérapies comportementales545. Il s'agit d'utiliser le renforcement par récompense ou l'inhibition par punition de certains comportements, l'absorption d'alcool étant, par exemple, associée à des médicaments donnant des nausées. On distingue trois courants utilisant ce schéma. Le courant sud-africain de Wolpe inspiré de Pavlov cherche à briser le lien entre les situations provoquant l'anxiété, en inhibant celle-ci. L'école anglaise, également pavlovienne, mais plus expérimentale, cherche, sous l'influence d'Eysenck, à briser ou créer des liens en utilisant les principes d'apprentissage de la psychologie expérimentale. Le groupe américain de Skinner évoque des situations en dehors de la thérapie sous le titre plus large de « behavior modification ». Tout comportement adapté ou inadapté s'acquiert suivant le même mécanisme : celui du conditionnement. On a reproché, à juste titre, aux behavioristes d'être simplistes, de passer trop rapidement de l'animal en laboratoire aux individus, sans tenir
compte de leur complexité. Enfin, les adeptes de la théorie et des modèles s'opposent à ceux qui privilégient l'expérimentation. Les thérapies comportementales, malgré les réserves exprimées, se sont développées en France ces dernières armées sur le plan thérapeutique pour traiter les phobies mais les expériences, en particulier en matière de sexualité, soulèvent le problème de la définition de la déviance (homosexualité, fétichisme etc.) et suscitent également des réserves sur le plan éthique, à cause du caractère de manipulation de ces pratiques. Née de la psychologie et de la sociologie, la psychologie sociale emprunte à la première son empirisme, à la seconde son environnementalisme. L'influence de la tendance expérimentale, l'impossibilité de trouver une grande théorie unitaire d'explication des comportements, ont contribué à perfectionner les instruments techniques. « Le refus de théories en chambre [...] a conduit de nombreux psychosociologues, non seulement à quitter leur chambre, mais aussi à cesser toute théorisation546. » Le danger, signalé en sociologie, de confusion entre rigueur épistomolo-gique et fétichisme des procédures547 se retrouve en psychologie sociale. Aussi les tendances récentes s'oriententelles vers une liaison plus étroite entre recherche et théorie mais en limitant cette dernière à des explications partielles. 186-1 c) Les sciences cognitives O Le domaine des sciences cognitives comme celui de la communication intéresse toutes les sciences humaines et présente également un aspect technique poussé puisqu'il s'agit à la fois du fonctionnement du cerveau et de sa copie : l'ordinateur. Le prodigieux essor des neurosciences et l'évolution parallèle des machines à intelligence artificielle ont créé une mode mais aussi suscité
des questions plus sérieuses. Sans aller jusqu'à admettre la possibilité que les machines puissent remplacer le cerveau humain, on peut encore améliorer leurs capacités déjà surprenantes et surtout la connaissance des mécanismes du cerveau sur le plan thérapeutique, psychologique (mémoire, acquisition des connaissances) et celui du comportement. Les chercheurs des diverses branches formulent des concepts nouveaux, étape nécessaire avant de constituer une véritable science autonome548. On a reproché à l'orientation cognitive de privilégier l'individu en sacrifiant le sens de la communauté549. 187 Les principaux secteurs de la psychologie sociale. La personnalité O La personne est le thème central de toute la psychologie sociale, comme elle l'était de la psychologie, mais la psychologie sociale insiste, du fait du mot social, sur l'idée d'interaction avec le milieu. Le psychologue G.W. Allport a noté plus de cinquante définitions différentes de la personnalité. Cette multiplicité des définitions est révélatrice de notre incertitude sur la notion. Un grand nombre d'auteurs ont défini la persormahté de façon opératoire, c'est-à-dire en fonction des techniques qu'ils utilisaient pour l'aborder, d'où l'importance de celles-ci. C'est le cas de R. Cartel (1950), qui définit la personnalité : « ce qui permet de prédire ce que fera un individu, dans une situation donnée550 ». La personnalité a aussi été définie comme « l'organisation dynamique des aspects cognitifs, volitionnels ou conatifs551, physiologiques et morphologiques de rindividu ».
On peut étudier la personnalité de différentes manières : 1° en termes de niveaux et d'instance. L'introspection la plus élémentaire permet de reconnaître et éventuellement de hiérarchiser les éléments divers dont se compose la personnalité, malgré son unité. C'est la distinction entre les vies végétative, animale, et raisonnable de l'Antiquité. Freud explique le jeu des conflits par la distinction entre le ça, le sur-moi, le moi, instances purement psychologiques et sans références biologiques. 2° On peut encore étudier la personnalité en fonction des différents facteurs, au sens large, qui la composent : facteurs biologiques et facteurs sociaux. Les facteurs biologiques se divisent en facteurs acquis, donc plus ou moins accidentels, et facteurs constitutionnels où l'on distingue deux grandes tendances suivant l'importance qu'elles accordent aux caractères héréditaires : théories substan-tialistes, plus statiques, examinant ce qu'est la personne du point de vue inné et individuel, et théories situationnélles ou « environnementalistes » considérant la personne en fonction des réactions qu'elle oppose à son milieu. 188 Théories substantîalistes. a) Les types O Les théories substantia- listes cherchent à connaître, expliquer, prévoir les conduites d'un individu dans chaque situation par rapport à sa personnalité tout entière. Qu'il s'agisse de conceptions plus synthétiques ou plus hiérarchisées, ces théories insistent sur le fait que la personnalité est composée d'éléments soumis à une organisation. Le succès de la typologie, d'après J. Stoetzel (1963), pourrait s'expliquer parce qu'elle exprime les caractéristiques fondamentales de la
conception occidentale de la personnalité, une et intégrée, qu'elle répond à notre goût de la classification et de l'abstraction, que de plus, elle est relativement accessible au public et correspond au désir de chacun de se comprendre (narcissisme). 189 b) Les facteurs O La typologie tente de classer les individus en dégageant ce qui leur est commun. A côté de cette voie synthétique existe une voie analytique qui tend à établir des distinctions. Cette seconde tendance apparaît avec P. J. Gall (1758-1828). Elle s'oppose aux facultés générales, ne rendant pas compte des différences individuelles et annonce ainsi la théorie des facteurs, d'après laquelle la personnalité pourrait se décrire et se mesurer, sinon se définir, à l'aide de corrélations entre les divers facteurs la composant. C'est en 1924 que Ch. Spearman met au point une méthode mathématique : l'analyse factorieïle552, lui permettant d'analyser un facteur unique, contenu dans les tests d'intelligence et qu'il nomme g. L.L. Thurstone, puis R. Cartel découvrent d'autres facteurs déterminés de façon mathématique et objective. Cartel! en dénombre douze, qu'il appelle traits primaires de la personnalité. La personnalité serait ainsi constituée par un ensemble de facteurs dont l'inventaire n'est pas terminé. 189-1 c) Les traits O On admet que le type existe, lorsqu'un certain nombre de traits stables sont associés553 . Pratiquement, les psychologues utilisent plutôt la notion de type pour décrire la personnalité pathologique et celle de traits pour décrire la personnalité normale... dans la mesure où le normal existe encore pour eux... Du fait des origines psychiatriques des études sur la personnalité et de la qualité du matériel humain, généralement soumis à observation, les
traits et facteurs de personnalité sont presque toujours analysés en fonction de l'élément de déséquilibre qu'ils représentent. On étudie les facteurs d'angoisse, les causes de complexe, les mécanismes de défense, mais qui s'intéresse à l'aptitude à la joie, aux sources de confiance, au dynamisme et à l'altruisme ? Un auteur américain, A.H. Maslow554 (1954), faisant cette remarque, a essayé d'analyser des personnalités toniques, mais son étude, la seule à notre connaissance répondant à cette préoccupation, n'est guère convaincante. 190 Les aptitudes O Facteurs innés de la personnalité, elles se traduisent et s'extériorisent dans une activité. Elles font partie de la personnalité sans l'exprimer tout entière. Elles s'étudient en psychologie générale, mais surtout en psychologie apppliquée et en psychotechnique. Le psychologue H. Piéron (1949) en donne la définition suivante : « l'aptitude est la condition congénitale d'une certaine modalité d'efficience555 ». C'est une virtualité qui peut être mesurée par des tests, aussi bien sur le plan mental que physique. 190-1 Théories situatiormelles O Elles insistent sur l'influence des éléments extérieurs et des facteurs d'adaptation de la personnalité, c'est-à-dire ses réactions au milieu externe. La définition que G.W. Allport (1968) donne de la personnalité en est un bon exemple : « La personnalité est l'organisation dynamique dans l'individu, des systèmes psychologiques qui déterminent ses adaptations propres vis-à-vis du milieu556. » La théorie béhavioriste557, portée à l'extrême, tend à nier la structure durable de la personnalité en tant que telle. Ce qui d'après
elle, persiste, c'est l'habitude qui s'est créée en réponse à une pression sociale. Le plus éminent représentant des théories situationnelles est Kurt Lewin558 . La notion originale, empruntée au gestaltisme qu'il introduit en psychologie, est celle de champ psychologique, qu'il définit : « une totalité de faits coexistants, conçus comme mutuellement interdépendants ». La notion de champ offre l'avantage de faciliter l'étude objective des individus, en tenant compte de la « puissance de la situation » dans laquelle ils se trouvent, c'est-àdire à la fois des facteurs internes et externes. Lewin cherche par la psycho-dynamique à trouver une représentation scientifique de l'espace vital et de la fonction qui relie l'espace vital au comportement. Sans nier les facteurs innés, Lewin se préoccupe surtout des problèmes dynamiques de la personnalité, en particulier des phénomènes de tension, de communication, d'interaction et de changement, enfin de développement de la personnalité. Peu de théories en psychologie sociale ont suscité autant de recherches que celle de Lewin. Tout en étant un théoricien, il a toujours voulu rester également un chercheur. Avec ses disciples, il a organisé de nombreuses expériences, en particulier sur les interactions dans les groupes559 Sans doute peut-on critiquer ses théories, sa terminologie, lui reprocher de ne pas tenir compte du passé des êtres, de la continuité de la structure de la personne, etc. Mais on lui doit la remise à l'honneur des facteurs psychologiques rejetés par les behavioristes. C'est lui qui a réanimé la persona réduite à un ensemble de mécanismes, et fait passer un souffle de vie dans la psychologie américaine moderne. Pour conclure, on peut dire que la personnalité
est la notion par laquelle il nous est possible de rattacher à un centre, une série d'actes, de comportements, de conduites, ceux-ci formant un ensemble composé d'une part innée, d'une autre part acquise, le tout organisé et hiérarchisé, permettant des processus d'adaptation originaux et caractéristiques de cet ensemble. 191 Les principaux secteurs de la psychologie sociale: Io Le problème des rapports de l'individu et de la culture O II s'agit là de l'étude des facteurs qui jouent dans cette intégration de l'individu à la société dans laquelle il vit. On retrouve le thème des influences de l'hérédité et du milieu. Les recherches pour mesurer l'influence de l'un et de l'autre facteurs ont été faites, en particulier, sur de vrais jumeaux (mono2ygor.es) représentant l'élément héréditaire le plus comparable possible, alors que milieu et éducation peuvent varier dans les cas de séparation des enfants dès la naissance. La socialisation de l'individu. - Le problème précédent se posait en termes surtout psychophysiologiques. Il s'agit d'étudier ici comment se produit l'acculturation de l'individu et comment jouent les divers facteurs dans le processus : contrainte de Durkheim, imitation de Tarde, réflexes conditionnés de l'apprentissage, qui commencent avec le dressage physiologique de l'enfant (régularité de la nourriture, propreté, etc.), avec toutes les conséquences particulières, suivant les individus, que peuvent produire le refoulement, la contrainte ou la persuasion. M. Mead560 (1952) insiste sur la nécessité de replacer l'apprentissage individuel dans le contexte culturel global qui le renforce et cite l'exemple de l'éducation à Bali, où les enfants sont habitués à supporter sans transition actes de tendresse et d'abandon, où la frustration avec
sa conséquence l'agressivité, devient inconcevable car le temps n'existe pas à Bali. L'on ne conçoit que le présent, lequel ne produit rien, ne mène à rien et par là supprime l'attente. 192 L'influence des conditions sociales, a) La perception O Même les réactions qui semblent universelles parce que physiologiques subissent l'influence de la culture. L'expérience ethnologique a permis de constater que les stimuli, qui «physiquement» semblent identiques, sont perçus différemment par les individus appartenant à divers groupes culturels. Chaque culture a, par exemple, divisé suivant un système différent le contenu des couleurs du spectre. Les sociologues de l'École de l'Année Sociologique, ont été les premiers à découvrir que l'espace et le temps sont en réalité des constructions sociales. 192-1 loi) La mémoire O W.James remarquait déjà que «le marchand retenait les listes de prix et l'homme politique les votes et les discours de ses collègues561 ». La plupart des individus oublient les situations qui leur ont été pénibles mais quelques-uns au contraire, les sélectionnent. Il paraîtrait assez fondé de dire : « Dis-moi de quoi tu te souviens, je te dirai qui tu es. » 193 c) Les comportements d'intelligence O Les conduites intelligentes, dit J. Stoetzel562, sont évidemment sociales dans leur intention et leurs effets. L'intelligence ne peut se définir que par rapport à une certaine définition sociale de cette valeur. De nombreuses expériences ont montré l'influence des facteurs sociaux sur les opinions. Le test de A. Binet563 a permis à ses élèves et successeurs, d'étudier les variations des niveaux d'intelligence, en fonction des conditions socioculturelles. 193-1 d) La vie affective et les attitudes O
L'expression de la vie affective est le facteur qui semble à beaucoup le plus spontané et d'après l'opinion populaire, le plus universel. Pourtant, l'influence de la culture en ce domaine est importante. O. Klineberg (1957) note que les Chinois en colère ont les yeux ronds, c'est pourquoi ils s'imaginent que les Européens, n'ayant pas les yeux bridés, sont constamment mécontents. C'est dans et par l'affectivité que les individus prennent contact avec les valeurs sociales, car aimer, souffrir, avoir peur, c'est avoir une attitude, une conduite vis-à-vis d'une situation, d'un objet, d'une personne. Les comportements affectifs s'imposent le plus souvent avec une grande force, c'est pourquoi la société est intervenue pour définir les situations et régler les émotions susceptibles de comportements efficaces, mais aussi de subversion. L'institutionalisation de l'affectivité, sa réglementation, se manifestent dans toutes les cultures. La psychologie populaire, admise par le plus grand nombre, en représente sans doute la forme la plus contraignante, car elle impose et n'explique pas, tout en se croyant universelle. J. Stoetzel donne en exemple les traditions occidentales concernant le deuil, qui sont si peu aptes à résoudre les problèmes de ceux qui doivent en jouer les rôles. 194 2° Les niveaux O On peut également regrouper les différents thèmes de réflexion et les expériences des psychologues sociaux en fonction de leurs niveaux. Le. premier rassemble les études portant sur les réactions intra-individuelles. On n'étudie pas l'individu coupé du monde, mais on cherche comment il organise ses réactions face au monde (équilibre cognitif). Le niveau «interindividuel et situationnel» étudie la dynamique des relations qui peuvent s'instaurer à un moment donné entre individus donnés, dans une situation donnée, étude de
groupes le plus souvent. Au niveau positionnel : sont étudiés les degrés d'influence variant avec les statuts sociaux : pouvoir, emprise, influence minoritaire. Enfin au niveau idéologique, l'on mesure l'influence des normes maintenant un ordre établi dans les rapports sociaux : soumission, conformisme etc.564 194-1 * Les liens entre la psychologie sociale et les autres sciences sociales O Toutes les sciences sociales sont en relation les unes avec les autres, mais celles dont on vient de tracer rapidement l'évolution : sociologie, ethnologie, psychologie sociale, sont issues d'un fond de réflexions communes sur l'homme et la société. Elles ont maintenant conquis leur indépendance, mais après une période de défense assez jalouse de leurs frontières, elles reconnaissent aujourd'hui ce qui les unit et la nécessité d'une collaboration. 195 1 Psychologie sociale et sociologie o La psychologie sociale et la sociologie sont les deux sciences humaines les plus proches l'une de l'autre. Toutes deux s'intéressent à des situations sociales : les gens âgés, la famille, ou à des comportements sociaux : les préjugés racistes, ou à des processus tels que la concurrence. Cependant si le sujet peut être le même, les points de vue adoptés sont différents. La psychologie sociale étudie des comportements individuels, alors que la sociologie ne s'intéresse aux comportements qu'à partir de la possibilité d'atteindre un certain niveau de généralisation. Il est rare que le même objet soit rigoureusement commun au psychologue et au sociologue, cependant cela peut se produire. J. Stoetzel (1963) cite le cas de l'étude de la
compétition. Le psychosociologue étudiera la compétition au sein de la famille entre frères et sœurs, en classe ou dans un parti politique, les types d'éducation : le système des notes, des examens et des concours et leurs effets, etc. II observera les types d'individus stimulés ou découragés par la compétition : le sentiment d'infériorité par exemple, incite souvent par compensation à rechercher les situations de ce genre. Le sociologue, lui, analysera le rôle que joue la compétition dans la société, les phénomènes institutionnalisés : examens, concours, marché, bourses, jeux de la télévision, concours de beauté. La psychologie sociale a apporté à la sociologie un point de vue que celle-ci n'avait pu emprunter à une psychologie trop individualisée. A l'intérieur même de la sociologie, une perspective psycho-sociale est souvent présente, tenant compte des attitudes, des relations interindividuelles, des tensions, etc. D'un autre côté, la psychologie sociale a besoin des cadres de la sociologie, surtout lorsqu'elle se spécialise et s'applique à certaines branches : psychologies industrielle, religieuse, militaire, etc. Elle tient compte de plus en plus de notions proprement sociologiques, telle la notion d'institution. Il ne s'agit pas seulement de querelle d'étiquettes mais bien de la reconnaissance d'une disciphne comprenant théorie et pratique. Or pour de nombreux sociologues, la psychologie sociale n'existe pas en tant que telle. Il est certain que sa double origine la gêne et aussi l'incite en progressant à se diviser entre d'une part l'orientation psychologique avec les tendances cognitivistes, comportementalistes et les expériences de laboratoire. D'autre part la tendance pratique, interventionniste, clinique comportant elle-même sur un continuum deux attitudes, une attitude attachée à maintenir la
liaison scientifique, universitaire théorique et pratique (cf. Dubost n° 881) et une dérive plus ou moins prononcée vers les consultations rentables... celle des conseillers considérés comme les « valets du patronat ». Pour réagir et trouver un lien d'appartenance, les psychologues sociaux ont tenté ces dernières années un rapprochement avec les sociologues sous l'étiquette de sociologie clinique. La société internationale de sociologie accepte l'intégration de ces « réfugiés »565. Dans quelle mesure les esprits suivronts-ils ? Ce ralliement paraît contraire au mouvement d'autonomisation et de spécialisation croissantes accompagnant les progrès scientifiques566. 196 2° Psychologie, psychologie sociale et psychologie collective O La psychologie s'intéresse aux problèmes de comportement soit au plan individuel et surtout psychophysiologique, soit dans une perspective abstraite et générale. Elle étudie la mémoire, la volonté, etc. La psychologie sociale observe les processus d'interaction individuelle, les comportements de groupe, mais dans une optique très concrète. Les méthodes également sont dissemblables, le psychologue travaille surtout en laboratoire, le psychologue social également sur le terrain. Cependant, malgré les différences, il existe un domaine commun que chacune de ces sciences aborde avec son point de vue propre. Par exemple les tests serviront au psychologue pour étudier l'intelligence ou la mémoire, alors que le psychologue social étudiera les variables modifiant les résultats : habitat rural, niveau de vie, présence de la mère au foyer, etc. Pour J. Stoetzel567, la psychologie sociale s'est développée après la psychologie et lui emprunte quantité de notions : apprentissage, motivation, forme, etc. La réciproque est moins vraie et c'est plutôt par l'intermédiaire de la psychologie appliquée : psycho-technique, psychologie du travail, que s'est fait sentir l'influence de la psychologie
sociale sur la psychologie. Les processus de socialisation, d'interaction sociale, de changements culturels, sont des processus psychologiques qui s'expriment dans la perception, l'apprentissage et le développement de la personnalité, mais s'effectuent dans des conditions sociales données. Les psychologues étudient l'aspect individuel et générali-sable du phénomène, ethnologues et psychologues sociaux, l'aspect culturel. Chacun, sans traiter ce qui relève de l'autre, cependant ne l'ignore pas. Les psychologues en particulier ne peuvent méconnaître l'influence de la culture. S'il est difficile de distinguer la psychologie de la psychologie sociale, il devient encore plus délicat de les séparer de la psychologie collective. On date en France l'intérêt pour celleci de l'ouvrage de G. Le Bon (1895) La psychologie des foules568. En fait il ne fut que l'un des auteurs parmi d'autres à s'intéresser au sujet, répondant ainsi aux préoccupations de ses contemporains. Au xdc" siècle les révolutions de 1789, 1830, 1848 et surtout la Commune sont proches. Romanciers et historiens les font revivre569. La chance de Le Bon fut de fournir des explication claires sinon justes des comportements collectifs. « L'individu en foule descend plusieurs degrés sur l'échelle de la civilisation. » Conduit par l'inconscient, sa rationalité mise en veilleuse, il est soumis à son impulsivité, à l'exagération des sentiments, à ces caractéristiques « que l'on observe également chez les êtres appartenant à des formes inférieures d'évolution comme la femme, le sauvage et l'enfant ». Pourquoi ? parce que le nombre rend irresponsable tout en donnant un sentiment de puissance. Intervient également une sorte de contagion qui suscite au-delà des intérêts personnels, un intérêt collectif. Contagion renforcée par la suggestion qui plonge les individus dans un état quasi hypnotique. Le Bon complète ses explications sur les risques
et dangers présentés par les foules en fournissant un remède : le meneur. Ses conseils constituent avant la lettre un véritable petit manuel de propagande570. Freud reprend l'idée de Le Bon sur l'inconscient collectif et la complète par une explication psychanalytique571 : « Une telle foule primaire est une somme d'individus qui ont mis un seul et même objet à la place de leur idéal du moi et se sont en conséquence dans leur moi, identifiés les uns aux autres. » Cette intervention de Freud explique en partie l'orientation psychanalytique donnée à l'étude des réactions collectives ces dernières années572. S. Moscovici (1981) tente de remettre à l'honneur les études de psychologie collective. Reprenant les hypothèses de Le Bon, Tarde et surtout Freud, il se voit, à juste titre reprocher son manque d'esprit critique573. Quelques sociologues américains574 analysent les caractéristiques des situations dans lesquelles les foules risquent de réagir. Le plus frappant dans l'ensemble de ces travaux, c'est la confusion des termes575 : foule, masse, collectivité, groupe. Alors que la foule ne représente qu'un rassemblement momentané, la masse correspond à un agglomérat de population dont les individus sans être réunis physiquement sont liés entre eux par une idéologie, une nationalité, un rapport à quelque chose ou quelqu'un. C'est sous cette forme que le terme a intéressé sociologues et politologues576. Enfin on doit signaler l'attention des historiens pour la psychologie collective des sociétés : l'histoire des mentalités.577. 197 3° Psychologie sociale et ethnologie O C'est d'abord sous une forme psychologique que les ethnologues ont eu à poser certains de leurs problèmes, tel celui de l'intégration culturelle.
L'absence de troubles psychologiques, soi-disant caractéristiques de l'adolescence, chez les jeunes filles des îles Samoa, oblige à se référer à des notions de psychologie sociale et à tenir compte de facteurs sociaux. De leur côté, les ethnologues fournissent des exemples et parfois des explications aux psychologues sociaux. En effet la psychologie sociale est à l'étroit dans le cadre culturel occidental. Pour savoir ce que valent les explications qu'elle fournit, il lui est indispensable de comparer ses données avec celles obtenues dans des cultures différentes. L'ethnologie permet à la psychologie sociale de deve- nir comparative. J. G. Whiting indique que dans les études psychologiques limitées à une société, la norme sociale étant constante, on étudie les variations individuelles. Il est donc très précieux de pouvoir, par la méthode comparative, faire varier la norme sociale en tâchant de maintenir les variations individuelles constantes. VVhiting cite le cas des expériences sur le sevrage de l'enfant, faites à Kansas City. Elles montrent que les troubles émotionnels sont d'autant plus fréquents que le sevrage a lieu à un âge plus élevé. L'observation s'arrête à l'âge d'un an. Reprise dans des sociétés non occidentales, l'expérience a prouvé que les troubles diminuaient au contraire en fonction d'un sevrage retardé. L'expérience occidentale avait été arrêtée trop tôt. De son côté, l'ethnologie, sous l'influence de la psychologie sociale, a élargi son domaine et sa réflexion. Au lieu de se borner à des descriptions de rites ou d'objets, elle cherche elle aussi, de plus en plus, à replacer l'homme dans un contexte général. 198 Bibliographie o Albouy (S.) 1976. - Éléments de sociologie et de psychologie sociale, Privât, Toulouse, 224 p.
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SECTION 5. LA PSYCHANALYSE Retour à la table des matières 199 Définition O La psychanalyse n'est pas une science sociale car ce n'est pas une science. Mais elle exerce une telle influence sur chacune d'elles qu'il est nécessaire d'en donner ici un bref aperçu. La psychanalyse est à la fois : 1° Une méthode d'investigation qui permet d'atteindre des processus inconscients, à peu près inaccessibles à toute autre méthode ; 2° Une méthode de psychothérapie qui utilise la relation personnelle entre le thérapeute et le patient. 3° Un ensemble de théories psychologiques : théorie des névroses, tentative de description et d'explication des conduites humaines individuelles, concrètes, de l'organisme aux prises avec son entourage. Plus encore que dans le cas de Weber, de Durkheim et même de Marx on ne peut parler de
l'œuvre de Freud sans évoquer sa personnalité et son époque (Vienne 1860). Bien qu'il s'en soit parfois défendu, il a cependant reconnu « l'influence des circonstances sur ses travaux ». Freud est né le 6 mai 1856 dans la petite ville morave de Freeberg. Son père était un marchand juif de tissus. Sa troisième épouse, mère de Freud, était une ravissante femme beaucoup plus jeune que son mari. Après des revers de fortune, la famille (4 filles et 3 garçons) s'installe à Vienne qui jouit depuis 1860 d'un régime politique libéral580 . Le krach boursier de 1873 suscite une vague d'antisémitisme581. Freud abandonne le droit pour la médecine. De 1876 à 1882 il travaille dans le laboratoire du grand physiologiste Brucke puis à l'hôpital, enfin auprès de Breuer avec lequel il soigne la malade hystérique Bertha Pappen-haim, immortalisée sous le nom d'Anna O. Son traitement contient en germe la psychanalyse future, ce que la malade appela « cure par la parole » ou « ramonage de cheminée ». Il obtient une bourse pour se rendre à Paris auprès de Charcot. De retour à Vienne après six mois à la Salpètrière, Freud ouvre un cabinet de consultation et épouse Marthe Bemays. Ils auront sept enfants en dix ans. Les théories de Freud furent très contestées et le rôle de la sexualité surtout infantile ainsi que l'hystérie masculine considérées choquantes. Néanmoins, il put créer la Société psychanalytique de Vienne (1900). Il suscitera un intérêt grandissant pour finalement acquérir une célébrité internationale582. Atteint d'un cancer du palais, il ne se résolut que tardivement à quitter l'Autriche après l'Auschluss583 et mourut aux États-Unis (1939), où la psychanalyse connut le succès que l'on sait. A noter deux caractéristiques de ces débuts de la psychanalyse. D'abord, la volonté de Freud de la soustraire au monopole des médecins584 d'où l'admission de deux d'entre eux à titre de
caution : Adler585 et Jung586 et la participation de nombreux profanes. Enfin et surtout l'histoire des premiers disciples de Freud est caractérisée par des scissions587, des séparations succédant à des périodes de confiance et d'attachement intense588. Fliess le disciple chéri, Jung le successeur prévu, Adler, Rank, représentent les ruptures les plus spectaculaires et les plus douloureuses. 200 Origine et évolution O Vers 1880, la médecine s'intéressait aux névroses et à l'hystérie (Charcot, École de la Salpétrière), utilisait souvent les interrogatoires sous hypnose (Bemheim, École de Nancy) et avait déjà découvert leur vertu thérapeutique, en particulier dans le cas de malades sous l'influence de souvenirs inconscients et de leurs conséquences pathogènes (P.Janet). Freud avec Breuer constate l'effet thérapeutique de la « catharsis »589 sous hypnose, mais aussi ses limites. La suggestion à l'état de veille rencontre les résistances du malade, d'où la règle fondamentale de la libre association d'idées, dans laquelle le malade doit tout exprimer. L'interprétation de ce matériel, de sa signification, est à la fois procédé et traitement et constitue la psychanalyse. A cette époque, Freud développe sa conception d'ensemble de la vie mentale : La Science des Rêves (1899), Psychopathologie de la vie quotidienne (1901). Au cours de cette période, la psychanalyse est centrée sur l'exploration de l'inconscient et des pulsions refoulées de l'instinct. C'est la période pansexualiste (1900-1920) : La théorie des instincts : les instincts du Moi, tendant à la conservation de l'individu, s'opposent aux instincts sexuels tendant à conserver l'espèce. Les tendances instinctuelles désagréables ou désapprouvées sont réduites
soit par leur décharge, soit par refoulement. Les tendances refoulées s'expriment dans les actes manques, les rêves ou des symptômes névrotiques. La théorie des névroses : leur cause se situe dès le développement de la sexualité enfantine. La théorie de la cure psychanalytique : elle porte sur l'analyse des phantasmes inconscients. Le but du traitement consiste à les amener à la conscience. La psychanalyse implique une expérience vécue par l'analyste et l'analysé, elle pose un transfert du patient à l'analyste. Dans le transfert, le patient au lieu de se souvenir, se conduit envers le psychanalyste comme il s'est conduit dans son enfance avec les personnes de son entourage. L'observateur comprend ainsi ce qui a pu se produire dans le passé, en même temps que le patient, devenu adulte, prend conscience de ces éléments de sa vie qui le gênaient et qu'il avait refoulés. La période égologique se caractérise par une modification de la théorie des instincts. A partir de 1920, Freud découvre les pulsions de mort et d'agression (Thanatos), opposées aux pulsions de vie (Éros). L'explication en psychanalyse ne se donne plus seulement en termes de conflits de pulsions et les seules pulsions sexuelles ne sont plus en cause, mais en termes de défense du moi contre les pulsions. L'agressivité devient l'élément essentiel. Notion complexe, difficile à cerner et en tout cas bien différente de l'idée un peu sommaire, sous laquelle la théorie de Freud a été vulgarisée dans le public. Durant cette période se situe la modification de la théorie de l'appareil psychique : Freud substitue à la division : conscient, préconscient, inconscient, le « çà » où siègent les pulsions et désirs refoulés ; le Moi, différenciation du « çà » au contact de la réalité ; le surmoi, différenciation du Moi par l'intériorisation des images idéalisées des parents à la suite du conflit œdipien. Ces trois systèmes traduisent la façon dont les motivations se groupent dans leur conflit.
A partir de 1935, on tente de tenir compte de l'entourage et des relations interpersonnelles. C'est la période métapsychologique. La première tendance est celle de Mélanie Klein qui insiste sur les conflits de la petite enfance. La deuxième est représentée par Karen Homey. Elle vise les conflits actuels de l'individu avec son entourage. Enfin, Anna Preud souligne la fonction intégrative du Moi dans sa relation avec le monde extérieur, Jung et Adler se sont séparés de Freud, le premier plus attaché aux valeurs symboliques et collectives persistant dans l'inconscient, le deuxième insistant sur l'agressivité et le complexe d'infériorité. A signaler une personnalité originale : l'Anglais D. W. Winnicot (1971) qui crée le concept d'objet trcmsitionnel 590 important dans la formation intellectuelle et affective de l'enfant, sa distinction entre le moi et l'extérieur mais applicable aussi en art et en littérature. 200-1 Les dissidences et les scissions O Après la 2e guerre mondiale, 1° est créée la Stépsychanalytique de Paris arrimée par J. Lacan. Elle publie la Revue Française de psychanalyse et fonde au début de 1953, un Institut de psychanalyse dirigé par S. Nacht. 2° A la suite de conflits de tendances et de personnes se crée en juin 1953, la Sté Française de psychanalyse qui publie une revue : La Psychanalyse. La reconnaissance de la société par la Sté Internationale de psychanalyse soulève des difficultés. 3° En juillet 1964, l'Association psychanalytique de France {Pr. Lagache) se trouve reconnue. J. Lacan exclu fonde de son côté l'Ecole freudienne de Paris, non reconnue sur le plan international. Un Centre international de psychanalyse, psychiatrie et sciences humaines créé en 1975,
tente de briser le cercle étroit des sociétés de psychanalyse, en recherchant une plus grande pluridisciplinarité, mais il ne peut surmonter les oppositions de personnes et de points de vue. 4° Enfin apparaît le Quatrième groupe qui édite la revue Topiques. Les querelles591 portent sur les problèmes essentiels d'interprétation de Freud, les objectifs scientifiques ou thérapeutiques de la psychanalyse, mais aussi sur des questions concrètes telles que la durée des séances592 ou la présence de l'analyste dans le jury permettant à l'analysé d'exercer. Plus inquiétantes que ces oppositions, aggravées par les personnalités des psychanalystes, se posent les problèmes de fond et les doutes sur l'intérêt de la psychanalyse. Sa valeur scientifique593 et son efficacité thérapeutique sont contestées par de nombreux psychanalystes594. Ils constatent le psit-tacisme, le repli sur soi ou autre écueil, la fuite dans d'autres domaines : biologie, psychologie. Enfin, par rapport à l'élan créateur de ses débuts, la psychanalyse paraît non seulement incapable d'innover mais refuse toute tentative de sortir du conformisme le plus étroit et impose un dogmatisme bien éloigné de son esprit initial. 201 * Les liens de la psychanalyse avec les autres sciences sociales O La « dilution » de la psychanalyse dans les sciences sociales, particulièrement aux ÉtatsUnis, est le meilleur signe de son succès. Il s'agit, évidemment, non de la thérapeutique mais des concepts, d'une manière de tenir compte de certains éléments que le langage nous révèle. L'utilisation des termes de : « résistance », « conflit mental », « rationalisation », « refoulement »... sans parler du terme « complexe » devenu courant avec un contenu bien différent de son sens original, est symptomatique. Enfin, comme le dit R. Bastide (1950) : Freud a fait à la sociologie fonctionnaliste le
cadeau royal de la « fonction latente ». R. Bastide (1950) reconnaît l'influence de la psychanalyse sur les sciences sociales. Il serait plus exact de parler du caractère dialectique de leurs rapports, marqués par des conflits ou des oppositions, surmontés dans une intégration plus complète. La psychanalyse insistait d'abord sur l'importance des premières années, la sociologie, au contraire, sur la plasticité de la nature humaine et l'importance de l'expérience vécue. On retrouve ces éléments dans la place tenue, dans l'actuelle psychanalyse, par les mécanismes de défense. L'ethnologie pose le problème du relativisme du complexe d'Œdipe, absent dans les sociétés matrilinéaires. Ceci oblige à reconsidérer l'universalité que comporte l'élément biologique : la symbiose de l'enfant avec la mère et la forme qu'il adopte dans des cultures différentes. La psychanalyse trouve des domaines où elle sera plus immédiatement utilisable : c'est d'abord le cadre de la pathologie sociale pour expliquer les personnalités désadaptées et les situations de crise. La sociologie de la famille profite également des conceptions de Freud. A partir de là, tous les domaines empruntent plus ou moins à la psychanalyse certaines notions : H. D. Lasswell (1950)595 et E. Fromm (1941)596 en science politique (études sur les personnalités politiques et recherches sur les criminels de guerre nazis, les causes profondes de l'hitlérisme, la propagande), H. Parker et G. Katona en économie politique sur les motivations et attitudes des consommateurs. En sociologie, les problèmes de relations intenaciales et de désorganisation sociale, en ethnologie l'étude des mythologies et de l'acculturation, enfin en psychologie sociale, les notions d'attitude, de rôle, et en particulier l'interprétation des processus de groupe, font plus ou moins appel à des notions psychanalytiques.
Mais, comme le remarque R. Bastide, à part chez A. Kardiner (1946)597 et R. Linton (1944)598, on se trouve presque toujours en présence de contributions juxtaposées plus que synthétisées. Il semble que le plus souvent, les sociologues étudiant la criminalité ou l'antisémitisme, se contentent d'ajouter à leurs explications habituelles : crise économique, facteurs sociaux, des causes psychanalytiques. Or, celles-ci paraissent aussitôt prendre la première place. Ceci oblige la sociologie à progresser dans le sens d'une grande connaissance des relations entre les niveaux de la réalité et les poids respectifs des divers facteurs en cause. Un exemple en est donné par les problèmes d'éducation. La psychanalyse a attiré l'attention sur l'importance du développement de l'enfant dans les première années et les ethnologues avec M. Mead et A. Kardiner, ont depuis orienté leurs recherches dans cette direction. L'importance donnée par Gorer aux diverses façons d'enrmailloter les enfants, comme facteur d'explication de la psychologie russe, est l'exemple, souvent cité, d'exagération de l'interprétation psychanalytique. Retenir la seule manière d'emmailloter sous prétexte de faire une place à la psychanalyse, c'est négliger ce qui est au moins aussi important : la façon d'utiliser la technique, car on peut emmailloter gaiement, tendrement, en parlant à l'enfant, en jouant avec lui, ou en le traitant comme un objet. Ce qui importe c'est la situation totale socio-personnelle dans laquelle les pratiques trouvent leur expression. Pour l'instant on peut dire que l'apport de la psychanalyse est difficile à préciser tant il est important. La découverte de l'inconscient et des mécanismes ' de refoulement et de défense, représente une possibilité d'explication des processus individuels et collectifs que l'un est encore loin.d'avoir épuisée et que chacune des sciences sociales intégrera, sans aucun doute, progressivement en écartant, espérons-le, les interprétations abusives.
On peut se demander quel est l'avenir de la théorie psychanalytique dans un monde futur de procréation assistée, de clonage, de techniques qui suppriment les liens réels et symboliques de la filiation, la fonction paternelle de médiateur entre la mère et l'enfant, enfin celle de représentant de la société dans la communauté familiale. 202 Bibliographie o, *Amado Valensi (Éliane) 1971. - Les voies et les pièges de la psychanalyse, P.U.F., 392 p. Anzieu (D.) 1988. - L'auto-analyse de Freud, P.U.F., 576 p. *Bastide (R.) 1950. - Sociologie et psychanalyse, P.U.F., 291 p. (Bib. de Sociologie contemporaine). Besançon (A.) 1974. - L'histoire psychanalytique. Une anthologie. Mouton, 384 p. Bougnoux (D.) 1991. - Le fantôme de la psychanalyse. Ombres. Presses Univ. du Mirail, Toulouse. Bertin (C.) 1982. La dernière Bonaparte, Perrin, 433 p. Cahiers pour l'analyse. Seuil. Castel (R.) 1973. - Le psychanalysme, Maspero, 280 p. 1981. - La gestion des risques de Y antipsychiatrie à Y après-analyse. Chazand (J.) 1978. - Tendances nouvelles de la psychanalyse, Le Centurion. Chiland (C.) 1990. - Homopsychanalytisme, P.U.F., 328 p. Deleuze (G.) et Guattari (F.) 1972. Vanti-Œdipe, Minuit. Deutsch (Hélène) 1944-45. - La psychologie des femmes, 2 vol., P.U.F..599 Devereux (G.) 1970. - Essais d'ethnopsychiatrie
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SECTION 6. L'HISTOIRE Retour à la table des matières 203 Le problème des origines O L'histoire a longtemps été conçue comme la connaissance du passé et d'un passé que hantait le problème des origines... Ce «démon des origines» fut peut-être seulement «un avatar de cet autre satanique ennemi de la véritable histoire, la manie du jugement » écrit M. Bloch. On retrouve ici comme en chacune des
sciences humaines, la confusion entre les valeurs et les faits, ralentissant le développement scientifique. L'histoire va perpétuellement chercher dans le passé, sous couvert d'explication, des justifications, s'éloignant ainsi de ce qui est sa raison d'être : comprendre. A cette cause de non développement, commune aux sciences humaines, l'histoire ajoutera les siennes propres. 204 L'histoire jusqu'en 1850. Le romantisme o Les exigences de l'expérimentation, la notion de rigueur scientifique, la volonté et l'espoir d'y soumettre les sciences humaines, se heurtaient dans le domaine historique à des difficultés particulières. Selon G. Gusdorf (1960) : «par rapport à l'interprétation explicative de la réalité humaine selon l'idéologie scientiste, [...] les historiens plaident coupables, reconnaissant que l'histoire n'est pas une science à part entière600. » L'histoire exerce sur les hommes une indiscutable fascination, semblable à celle de leur enfance, qui suscite tant d'autobiographies. Il semble qu'à travers l'une et l'autre, l'individu cherche à la fois la justification et l'explication de son être et de son destin. C'est ainsi que l'histoire relève de la philosophie, mais rêve d'être une science. L'influence du scientisme a orienté l'histoire dans deux directions différentes : l'une technique : la critique des documents, l'autre philosophique : la recherche de grandes lois. L'histoire elle-même va se charger d'influencer directement la réflexion historique. Les bouleversements qu'amènent en Europe la Révolution et l'Empire donnent à la période romantique, un caractère particulier, celui de la nostalgie du passé. Comme le dit fort justement G. Gusdorf : «
L'historiographie moderne à ses débuts, [...] sert d'instrument à une subjectivité qui se cherche, subjectivité des individus et des peuples en quête de leur propre authenticité601. » Depuis la Révolution française, l'histoire n'est plus celle des rois, des cours et des seules batailles, elle est devenue celle des peuples. Nationalismes trouvant dans le passé des raisons d'être ; exaltation de ceux qui n'ayant pas vécu les périodes historiques, veulent les faire revivre : Thiers, Mignet, Michelet, Lamartine écrivent Fhistoire de la Révolution ; nostalgie de ceux qui idéalisent l'Ancien Régime : Vigny, Lamartine. L'histoire est à la mode. Walter Scott remet le Moyen Age à l'honneur, tandis que Chateaubriand et les grands dramaturges allemands et français : Gœthe, Schiller, Hugo, empruntent, eux aussi, leurs sujets à l'histoire. Alexandre Dumas admire Lamartine pour avoir, dans l'Histoire des Girondins, « élevé l'histoire à la hauteur du roman ». C'est pourquoi Langlois et Seignobos, soucieux d'un retour à la rigueur, notent que jusque vers 1850, l'histoire est restée pour les historiens et pour le public, un genre littéraire. A côté de la sensibilité historique et de la littérature, l'historiographie ne perd pas ses droits, bien au contraire. Du fait de la Révolution, un grand nombre d'archives sont à la disposition de l'historien. Les gouvernements favorisent la publication de documents par l'intermédiaire de Sociétés savantes : la Société de l'Histoire de France est fondée en 1835 à Paris, l'École des Chartes en 1821, l'École d'Athènes en 1846. Cependant, la recherche rigoureuse se développe en Allemagne. L'histoire y devient une science autonome plus rapidement qu'en France, où l'opinion est encore trop sensibilisée par les querelles politiques et religieuses. G. Halphen dans : L'histoire en France depuis cent ans (1914) écrit : « Nulle part en France avant ces dernières années du IIe Empire, on ne se préoccupait d'apprendre aux historiens leur métier. A l'École Normale, pépinière de toute l'Université, le document
n'avait pas droit d'asile et dans les Facultés des Lettres, les généralisations vagues et brillantes semblaient seules convenir à un public composé exclusivement de désœuvrés602. » 205 Historicisme et méthodologie O Augustin Thierry notait déjà en 1820 : « Peutêtre est-il dans l'ordre de la civilisation qu'après un siècle qui a remué fortement les idées, il en vienne un qui remue des faits. » La tendance se manifeste franchement aux environs de 1860. Le goût du document donne celui de l'exactitude, qui est l'aspect technique du métier d'historien. Michelet meurt en 1874 et en 1888 paraît l'Histoire des Institutions Politiques de l'Ancienne France, où N. D. Fustel de Coulanges expose la nouvelle conception du rôle de l'historien. « Plusieurs pensent qu'il est utile et bon pour l'historien d'avoir des préférences, des « idées maîtresses », des conceptions supérieures. Penser ainsi, c'est se tromper beaucoup sur la nature de l'histoire. Elle n'est pas un art, elle est une science pure, elle consiste comme toute science à constater des faits, à les analyser, à les rapprocher, à en marquer le lien603. » L'histoire ainsi conçue, s'oppose à la littérature d'imagination, à la philosophie et s'appuie uniquement sur la documentation. Sans doute la réaction était-elle salutaire, mais on aurait aimé que les historiens eux-mêmes aient posé, comme les psychosociologues aujourd'hui, le problème des limites de cette objectivité. Le document même authentique n'est qu'un aspect du fait, il ne coïncide pas exactement avec lui. De plus, il est souvent lui-même subjectif. Enfin, le choix des documents et leur interprétation mettent en cause la personnalité même de l'historien. Ceci ne semble pas préoccuper les disciples de Fustel de Coulanges. Plus graves leur paraissent les difficultés méthodologiques auxquelles ils se
heurtent. C'est ainsi que C. Seignobos (1901), le plus scientiste des historiens, se laisse aller à confier : « Il n'y a pas de science qui soit dans des conditions aussi défectueuses que l'histoire. Jamais d'observation directe, toujours des faits disparus, et même jamais des faits complets, toujours des fragments dispersés, conservés au hasard, des détritus du passé, l'historien fait un métier de chiffonnier. [...] L'histoire est au plus bas degré de l'échelle des sciences, elle est la forme la plus imparfaite de la connaissance604. » Il s'agit d'accumuler les matériaux et à travers eux de laisser parler les faits. Qu'est-ce que le fait historique ? Faute de pouvoir le définir, les historiens français vont poser en principe que « le caractère historique n'est pas dans les faits ; il n'est que dans le mode de connaissance... Il n'y a pas de faits historiques comme il y a des faits chimiques. Le même fait est ou n'est pas historique suivant la façon dont on le connaît. Il n'y a que des procédés de connaissance historique605 ». Ainsi l'histoire n'est plus qu'une méthode, elle perd tout contenu et comme l'écrivait L. Feb-vre (1953), ceci «dispense» les historiens de se poser la question, la redoutable question : « Qu'est-ce que l'Histoire ?» Le XXe siècle se la posera, cette question, sous une forme indirecte. Ce n'est plus de méthode qu'il s'agit cette fois, mais de situer le domaine de l'histoire. « La tâche de l'histoire est de commémorer le passé, tout le passé » écrivait en 1903 Paul Mantoux dans la Revue de Synthèse Historique et il ajoutait : « ce qui est particulier, ce qui n'arrive qu'une fois est du domaine de l'histoire ». Mais cette affirmation devait paraître à certains comme une double et arbitraire limitation. Comment isoler l'inédit, le particulier, de ce qui est évolution, constance, répétition ? La protestation s'élève contre cette histoire «linéaire», «éventuelle», «événementielle », finira par dire Paul Lacombe. Protestation que l'on suit dans les articles et
prises de position de la Revue de Synthèse historique animée par H. Berr, puis à partir de 1930, dans les Annales que dirigent Marc Bloch et Lucien Febvre. Cette recherche d'une histoire non événementielle sera rendue plus impérieuse encore par les contacts, qui, dès cette époque, s'organisent entre l'histoire et les autres sciences, en particulier la sociologie. On constate assez paradoxalement, qu'au moment où les sciences sociales échappent à une forme d'histoire qui les avait trop longtemps dominées et freinées, celle-ci loin de paraître affaiblie par cette séparation, semble au contraire rajeunie par la taille subie. Sans doute doit-elle cet épanouissement à la qualité exceptionnelle de ses représentants, qui semblent avoir véritablement équilibré toutes les tendances : objectivité et passion de comprendre, imagination et rigueur, ouverture et compréhension des sciences de l'homme, sans impérialisme. Il faut lire le testament de Marc Bloch : Apologie pour l'histoire ou métier d'historien (1952), pour en être pleinement convaincu. Il n'y a plus de mauvaise conscience de l'historien, plus de limitation de son étude au passé. « Histoire science du passé, science du présent » comme l'aura répété Lucien Febvre (1953) pendant les dix dernières années de sa vie. Seulement, dans la mesure où l'historien s'évade d'une spécialité étroitement conçue, où il aborde le présent et veut travailler avec les représentants des autres sciences de l'homme, se pose alors le problème de la spécificité de l'histoire, de sa possibilité d'explication, de la nature de cette explication et de ce qui la distingue en particulier de la sociologie (cf. nos360 et s.). 205-1 Les tendances a) Le quantitatif O Comme les autres sciences sociales, l'histoire moderne se tourne à la fois vers le quantitatif et vers une plus grande coopération avec les autres sciences sociales.
En ce qui concerne le premier point, les possibilités sont certes presque illimitées. Toute histoire comporte des faits chiffrables. Les faits étaient là, mais les techniques et surtout l'état d'esprit pour les utiliser, manquaient encore. Les fondateurs de l'école des Annales : L. Febvre (1953) et M. Bloch (1952) furent, avec quelle passion, les hommes du quahtatif ! C'est à E. Labrousse (1951) que l'on doit l'intérêt porté aux éléments chiffrés et à travers eux à la recherche d'éléments d'exphcation. L'histoire économique moderne est née entre 1929 et 1932. Histoire des prix au xvme siècle, crise de l'économie à la veille de la Révolution, l'orientation est donnée. Il ne s'agit plus seulement de relever ce qui est déjà quantifié : les prix, mais aussi de retrouver d'autres aspects du passé. La famille populaire de l'Ancien Régime à travers les registres provinciaux606, la navigation espagnole dans l'Atlantique et le Pacifique607 , la démographie provençale, la demande de logements, les hausses de loyers, tout ce qui aujourd'hui donne lieu à statistiques peut, malgré les lacunes des textes, s'étudier pour les siècles précédents, par des combinaisons de documents. « Le quantitatif est devenu l'obsession dominante du Centre de Recherches historiques de la VIe section» écrit E. Le Roy Ladurie608. L'utilisation d'ordinateurs s'imposait Encore fallait-il pour traiter cette masse de documents les adapter. Ceci impliquait le stockage des données. La VIe section, le C.N.R.S. et Tinter University Consortium d'Ann Arbor ont commencé par le codage des volumes de la statistique générale de la France (1800-1950). 206 b) Le qualitatif et l'apport des autres sciences sociales O Peut-être pourrait-on s'inquiéter de « cette obsession du quantitatif » si en même temps, l'histoire qualitative ne s'enrichissait de l'apport d'autres sciences
sociales : cette « nouvelle histoire » fait largement appel à la sociologie. En étudiant les mutations de la sociabilité, concept encore imprécis, M. Agulhon (1977) en recherche les manifestations, dans les fratries de l'Antiquité comme dans les Associations d'anciens élèves. Au-delà des études de groupe de la psychologie sociale, l'historien, étudie l'institutionnalisation du phénomène et les lieux où il se manifeste. F. Braudel (1976)609, G. Duby (1980) 610 intègrent l'économie et la sociologie611 à leur histoire. Psychologie, psychologie sociale612, anthropologie613, psychanalyse614 et linguistique615 sont mises à contribution dans le champ nouveau de l'histoire des mentalités616 n. L'histoire des mentalités indique J. Le Goff se trouve « liée aux gestes, aux comportements, aux attitudes par quoi elle s'articule sur la psychologie, sur une frontière où historiens et psychologues devront bien un jour se rencontrer»617. Psychologie collective nécessaire pour comprendre les mouvements plus ou moins importants qui agitent une société, psychologie individuelle pour analyser les hommes qui ont marqué leur époque. Les biographies historiques replacent naturellement les individus dans leur cadre mais doivent aussi s'intéresser à ce qu'ils sont, tenter de fournir un explication de leur influence, de leur action, de leur réussite ou de leur échec. A la rigueur et la précision des sources, l'historien doit ajouter des connaissances de psychologie pour mieux interpréter ses documents. Comme toujours une nouvelle orientation suscite des enthousiasmes excessifs dont il faut se méfier. C'est à juste titre que A. Corbin écrit: «Tout compte fait, le plus grave à mes yeux n'en demeure pas moins l'anachronisme psychologique. Le pire, c'est la tranquille abusive et aveugle certitude de la compréhension du passé. Délimiter les contours du pensable, repérer les mécanismes de l'émotion nouvelle, la genèse des désirs, la manière dont en un temps donné s'éprouvent les souffrances et les plaisirs, décrire l'hàbitus,
retrouver la cohérence des systèmes de représentation et d'appréciation, constitue l'indispensable »618. Sur le plan plus modeste des techniques, l'historien bénéficie de l'apport de la psychologie sociale. C'est d'abord l'analyse de contenu de documents, qui permet de substituer à une simple impression subjective, une plus grande rigueur. Ensuite les études d'opinions et d'attitudes. Celles-ci d'une part son précieuses, car elles préparent dès à présent une documentation pour l'historien de l'avenir, mais elles permettent également une meilleure compréhension du passé. C'est ainsi que P. Lazarsfeld (1957)619 réinterprète la tentative de réhabilitation de Machiavel par l'historien anglais Macaulay. Celui-ci suggère que les qualités de ruse storien anglais Macaulay. Celui-ci suggère que les qualités de ruse étaient plus appréciées en Italie qu'en Grande-Bretagne et qu'il aurait été Intéressant de comparer les réactions des Londoniens et Florentins du XVe siècle, à l'Othello de Shakespeare. Les premiers approuvant sans doute Othello et les deuxièmes Iago. Lazarsfeld propose l'étude du problème tel que le résoudrait aujourd'hui un Institut d'opinion publique. Ce que la psychologie sociale620 apporte de plus précieux à l'historien, dans le cas des documents comme des attitudes, ce sont surtout des concepts, des types de catégories et de problèmes avec lesquels l'historien n'est pas familiarisé, bien qu'il les aborde en tant que réalité sociale et humaine, qu'il s'agisse d'attitudes politiques, ou de réactions sociales, de groupes ou de personnalités historiques. Cette richesse, ces développements nouveaux ont suscité l'impression d'une « crise » de l'histoire621. Cette crise comme dans les autres sciences sociales s'accompagne à la fois d'une recherche d'identité mais en même temps, pour se rassurer, d'une tendance à l'impérialisme. C'est ainsi que G. Mallaurie (1981)
souhaite une approche pluridisciplinaire de l'histoire mais la qualifie de « totalisante ».. Le problème devient alors : faut-il confier aux historiens le soin de retracer l'histoire des faits économiques et sociaux ou aux économistes l'évolution de leur propre domaine ? Peu importe la solution, pourvu qu'existe la communication entre l'histoire et les autres sciences sociales. Les villes offrent aujourd'hui un champ où toutes devraient se retrouver (Lepetit, 1988, 1996). Dans la mesure où l'histoire n'est plus l'étude du passé, mais comme l'écrivait Marc Bloch « la science des hommes dans le temps », dans la mesure où, comme le dit C. Lévi-Strauss, « tout est histoire, ce qui a été dit hier est histoire, ce qui a été dit il y a une minute est histoire », dans la mesure où l'histoire est en quelque sorte l'ombre de l'humanité, inséparable d'elle, absorbant les multiples rythmes particuliers et collectifs, physiologiques, sentimentaux, économiques, artistiques, pour les conserver en les desséchant, sous cette forme simplifiée, épurée, arbitraire, qu'impose le temps du calendrier, dans cette mesure, nous ne pouvons pas nous passer de l'histoire. C'est elle qui contient la plus grande part de l'explication, de la genèse des faits humains. Elle est, avec la sociologie, comme le note Gurvitch, la seule science humaine à considérer d'emblée par sa vocation même, l'homme dans sa réalité et dans son contexte d'institutions et d'organisations économiques et sociales. 207 Bibliographie o Actes du Colloque de Rouen, Novembre 1983. -Sociabilité, pouvoirs et société, Univ. Rouen, C.N.R.S. 1987. Agulhon (M.) 1977. - Le Cercle de la France bourgeoise 1810 à 1848.
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SECTION 7. LA GÉOGRAPHIE Retour à la table des matières 208 Définition et nature de la géographie O La géographie fait naturellement l'objet de nombreuses définitions, dont aucune ne paraît exhaus rive. On peut retenir celle qu'en donne H. Baulig (1948), bon point de départ pour les propos qui vont suivre : «La géographie est une manière de considérer les choses, les êtres, les phénomènes dans leurs rapports avec la terre ». Les choses, êtres, phénomènes, sont nombreux, les rapports avec la terre forcément très complexes. La géographie ne s'y trouve pas seule, ni à l'état pur. Elle devra donc constamment tenir compte de l'apport des autres disciplines, pour en rapprocher les données et aboutir à une synthèse. Le géographe est établi à une charnière. Sciences de la nature et sciences de l'homme divergent autour de lui. P. George a dit fort justement que « l'autorité du géographe procède de son ouverture simultanée
sur des domaines de connaissance, qui constituent chacun l'objet exclusif des préoccupations de chacun de ses interlocuteurs622 », ce que Jean Labasse résumait en parlant de sa « vocation d'ensemblier ». On sait, ajoutait-il, « que les professionnels de cette nature ont une activité difficile car ils se trouvent coincés entre les désirs de la clientèle et les sujétions propres aux divers corps de métiers ». En définitive, la géographie est la discipline du milieu global, l'étude de la terre et des nommes, identifiés dans une recherche régionale. 209 Évolution de la géographie : Les débuts O Ce qui nous intéresse ici, ce n'est ni la géographie comme connaissance du globe, issue de la description de paysages familiers ou de récits de voyages, ni la cartographie, mais un troisième aspect : l'évolution de la pensée géographique liée aux problèmes de méthode. Le xvne siècle, outre le développement de la cartographie, cherche un système universel de classification régionale, ne laissant rien en dehors des catégories proposées. On peut voir là l'origine du souci de description complète propre aux géographes. Le premier géographe au sens moderne du terme, fut sans doute Varenius (1622-1650), mais la nouveauté de ses idées ne pouvait au xviie siècle être perçue. Au xviif, parallèlement à l'idée de la diversité des cultures et des mœurs se fait jour celle de la variété des sols et du milieu naturel. La vraie question, celle des rapports entre les uns et l'autre n'est pas encore posée. La géographie intéresse aussi ces « touche-àtout » : les savants philosophes. Newton et Kant l'ont enseignée. On doit à ce dernier la première
définition de la géographie comme science de la différenciation régionale de la surface terrestre. Curieusement, c'est un juriste, Montesquieu, qui , ,: insistera, sur l'influence du climat sur les faits sociaux, alors que Buffon, le naturaliste, montre au contraire comment le milieu extérieur est soumis aux interventions de l'homme. Les grands précurseurs de la géographie moderne apparaissent au XIXe. Humbolt (1769-1859), physicien et botaniste allemand, se tourne vers une géographie encore encyclopédique, où la part de géographie physique demeure essentielle. Son influence se fit sentir moins dans le progrès des idées que dans l'organisation d'un milieu scientifique intéressé par la géographie (congrès de géographie, création de la Société de géographie de Paris). K Ritter (1779-1859). On créa pour lui la première chaire de géographie à l'Université de Berlin. Particulièrement préoccupé de la doctrine, il appartient à la nouvelle génération allemande du début du xrx6 siècle qui abandonne la philosophie rationaliste du xvme siècle et se tourne vers l'histoire. Il faut attendre la deuxième moitié du XIXe siècle pour voir se constituer la géographie moderne. Elle doit peu à sa tradition antérieure car la plupart des géographes proviennent d'horizons différents : zoologues comme F. Ratzel, historiens comme P. Vidal de la Blache, (1843-1918). A partir du moment où l'on ne se contente plus de décrire le sol, mais où l'on.cherche un lien entre l'homme et son milieu, se pose la question du poids respectif des facteurs naturels et des facteurs humains : le problème du déterminisme. Alors que le xvf siècle avait montré que la terre n'est pas le centre du monde, Darwin déclare
que l'homme n'est plus le maître de la terre. Le milieu naturel, par le rôle qu'il joue dans la sélection, devient le moteur de l'évolution. L'évolutionnisme qui aurait pu marquer l'éclatement de la géographie, lui donne sa véritable orientation. 210 Déterminisme et environnementalisme O Les thèses privilégiant le milieu naturel se trouvent coordonnées et exprimées avec vigueur pour la première fois chez le géographe allemand F. Ratzel. Naturaliste et grand voyageur il montre l'importance du rôle de l'insularité, de la continentalité et de l'espace sur le destin des peuples. Son influence fut grande aux États-Unis grâce à son élève : Miss Ellen Churchill Semple, dont les outrances peu scientifiques correspondent au goût du public623. Les conceptions d'anthropogéographie de Ratzel, ont contribué indirectement à créer la coupure qui sépare la géographie du début du XXe siècle en deux branches : la géographie physique et la géographie humaine. Cette dernière, comme nous l'avons vu, a pour objet d'étudier l'interaction entre les deux types de facteurs. Toute la complexité des sciences humaines pèse alors sur l'évolution de la géographie ainsi orientée, dont les nombreuses directions portent témoignage de ses richesses... et de ses hésitations. 210-1 La géographie classique : le possibi lisme o Né de la critique de l'environnementalisme, le « possibilisme » peut se résumer dans l'affirmation suivante du grand maître de la géographie française Vidal de la Blache : « Il ne peut être question d'un déterminisme géographique, la géographie n'en est pas moins
la clef dont on ne peut se passer... En fait tout ce qui touche l'homme est frappé de contingence624. » Ayant échappé aux risques du déterminisme scientiste et à son dogmatisme, la géographie perdra-t-elle son unité dans les incertitudes des sciences humaines ? Vidal de la Blache n'est pas un philosophe mais un savant. Il affirme : « la géographie est la science des lieux, non des hommes ». Pour lui, écrit P. Claval : « l'espace géographique est un espace concret, un espace de naturaliste625 ». En France, la géographie humaine se développe « en vase clos » dira P. Claval. Pour Jean Brunhes (1910), ultérieurement pour M. Sorre626, l'homme occupant de la surface de la terre doit être considéré comme un élément dans un ensemble. Les rapports de l'homme « habitant », avec son milieu, constituent l'un des aspects essentiels de l'étude géographique. Le succès des études régionales correspond à la croyance : « qu'il n'est nécessaire d'élaborer aucune proposition universelle, sinon cette loi générale de la géographie que chaque région est unique627». L'analyse géographique a pour rôle de différencier la surface de la terre, elle s'attache à ce qui est particulier. Peter Haggett cite M. Twain : « Nous sommes juste au-dessus de l'Illinois... L1 Illinois est vert, l'Indiana est rose... c'est vrai, je l'ai vu sur la carte : il est rose628. » Ce point de vue incitait à privilégier et rechercher les différences au détriment de l'analyse comparative, de l'intégration spatiale et de la recherche de généralités. Tandis qu'inspirée par cette vision particulariste, l'école française s'illustre par d'admirables monographies régionales, les géographes allemands et anglo-saxons s'intéressent aux problèmes de la méthode. L'ouvrage de R. Hartshome sur La nature de la géographie (1939) en est un bon exemple. Une tendance se fait jour : faire de la géographie une science-
méthode, à défaut de pouvoir délimiter son objet. La géographie devient alors un point de vue, c'est-à-dire qu'elle n'étudie pas les objets pour eux-mêmes, mais qu'elle les replace dans une certaine perspective. Elle tente de résoudre ainsi l'opposition entre idiographique : l'étude des particularités, climat, région, et nomothétique : la recherche de généralisations voire de modèles, de lois (cf. n° 271). R. Hartshome (1959) définit la géographie humaine comme « l'étude de la différenciation de l'espace ». Mais ce point de vue implique un certain nombre de « déviations » suivant les facteurs privilégiés. La géographie, science de la surface de la terre, peut-elle continuer à inspirer la géographie de l'avenir ? L'école du paysage629, est animée par les Allemands, l'école écologique comprend les tendances françaises de la géographie humaine630 et le groupe de Chicago (H. H. Barrows, 1923), proche de la sociologie. Enfin l'école de la localisation considère la géographie comme une science de la répartition. Les économistes plus encore que les géographes ont adopté ce point de vue631 pour construire des modèles d'habitat L'évolution de la géographie se poursuit dans deux directions. D'une part une utilisation plus grande des sciences humaines et une prise en considération des facteurs sociologiques, d'autre part un recours aux mathématiques et une recherche de quantification. 211 La crise de la géographie. La mathématisation o On peut situer vers 1936 les premières tendances à assouplir le cadre de la géographie traditionnelle au profit d'une géographie sociale. On s'écarte de l'aspect impressionniste des descriptions pour tenter d'atteindre « la structure du corps social ».
Ces études sont menées souvent avec des historiens (J.M. Bloch, G. Roupnel, R. Dion) préoccupés au même moment par la genèse et la stabilité des structures agraires. Que ce soit en Allemagne (Hartke) ou en France, l'intérêt, comme l'écrit P. Claval, est de « montrer le poids de faits sociaux dans l'ordonnance d'un paysage et de souligner surtout que ces faits sont structurés, qu'ils ont un rythme d'évolution propre avec de longues périodes d'immobilité et des phases de crise où les réadaptations sont beaucoup plus nombreuses et beaucoup plus rapides632 ». Mais c'est depuis 1960 que la géographie présente un nouveau visage qui diffère suivant les pays. Un seul point commun, toutes se définissent à partir d'une critique de la géographie classique. Ce que l'on considère comme la nouvelle géographie, se développe suivant une orientation mathématique et quantitative propre à toutes les sciences humaines et naturelles, facilitée par la révolution de l'informatique (cartographie assistée par ordinateur) qui apporte à la géographie, discipline littéraire, une respectabilité scientifique. Cette évolution comporte à la fois la recherche d'une plus grande précision : substitution de chiffres (distance, différence) à des descriptions, utilisation de techniques statistiques rigoureuses, visant à obtenir des corrélations et surtout emploi de mathématiques permettant dans certains secteurs une formalisation (modèles, graphes). On reproche à la géographie classique son particularisme et aux tradi-tionnalistes de concevoir la géographie comme une science statique. L'homme « habitant » devient l'homo dormiens de la « cité-dortoir ». La géographie moderne, celle des différences et des mouvements utilise la théorie des
ensembles, le dynamisme des notions de système, de réseaux, de graphes, d'interaction, de champ. Comme l'économiste, le géographe.a de plus en plus recours aux modèles, à la simulation633. L'étude de H. J. Kansky (1953) sur les réseaux de transport ouvre la voie à un système semiaxiomatique634. P. Haggett écrit : « Certes nous pouvons intuitivement nous défier d'un système qui menace de réduire la phrase : « Ophélie aime Hamlet » à H Roth (A. E.) 1995. - The handbook of experimental Economies, Princeton University Press, Princeton, New Jersey. Karsten (S. G.) 1983. - « Dialectics, Functionalism and Structurahsm in economic thought », American Journal of Economies and Sociology, vol. 42, pp. 179-192. Kaufman (F.) 1983. - « On the Subject Matter and Method of Economic Science », Economica, vol. 42, pp. 381-401. King (J.E.) 1989. - Ed, in Schools of thought in
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SECTION 10. LA SCIENCE POLITIQUE Retour à la table des matières
224 Le retard de la science politique O La science politique fut, parmi les sciences sociales, la première à retenir l'attention. L'intérêt de Platon pour la nature humaine ou les problèmes d'éducation est issu de son intérêt pour la polis dans son ensemble. On aurait pu supposer que du fait de cette avance, la science politique aurait été la première à se séparer de la morale et de la philosophie pour former une science autonome et pourtant ce fut la dernière. La responsabilité de ce retard doit être attribuée à ses parents abusifs et par trop possessifs : le droit, la philosophie et l'histoire. Alors qu'il existait de nombreux ouvrages analysant les textes des institutions françaises de 1789 à 1945, on ne trouve aucune enquête systématique sur les relations entre ces constitutions et les classes sociales, le recrutement et la composition des assemblées. Les premiers grands écrivains politiques en France : Montesquieu, Renan, Tocqueville, sont des historiens ou des essayistes. Leur œuvre est composée de réflexions personnelles, mais au moins est-elle pour eux une façon de confronter leur pensée aux grands problèmes de l'époque. L'histoire des idées politiques, introduite la première à l'Université, grâce aux juristes704, présente l'inconvénient de se limiter au passé. On cherche rarement même aujourd'hui ce que sont la liberté ou la Révolution, mais on étudie ce qu'Aristote, Montesquieu ou Marx en ont dit. C'est ainsi que la science politique en se limitant à une sorte de recherche historique, se privait du rôle constructif qui devait être le sien. 225
L'objet de la science politique O Définir l'objet de la science politique705 c'est découvrir le dénominateur commun du politique, un élément spécifique qui permette de distinguer la science politique des autres sciences sociales. De même que l'économie politique sélectionne les prix, la demande, les choix, etc. la science politique est amenée à abstraire dans l'ensemble du système social, des variables, des phénomènes liés entre eux, formant un système particulier d'interactions susceptibles d'être étudiées séparément 706. La variété et l'hétérogénéité des sujets dont traite la science politique a longtemps fait douter de cette possibilité, d'où raffirmation que la science politique n'existant pas, il y aurait seulement des sciences politiques. Dans ce cas on vide la science politique de son contenu, au profit de la science plus organisée qui l'aborde : géographie politique, économie politique, histoire politique. Certains auteurs ont admis l'existence non d'une science politique, mais d'un point de vue de science politique, complémentaire du droit constitutionnel. Si les sujets qui les intéressent semblent très variés, du moins les politologues ne s'occupent-ils pas de tous les secteurs des sciences sociales. Une sélection s'opère. La science politique, comme les autres sciences sociales, va naître autour d'une question clef, ce que D. Easton appelle motivating question707. Mais tout le monde n'est pas d'accord sur cette question clef, qui doit permettre de reconnaître et caractériser le domaine de la science politique, son objet. Io L'État. - Pour les uns, l'objet de la science politique c'est Y État. Le problème de l'État peut être abordé sous divers aspects : historique et phi-loscjphique (nature) mais aussi type de légitimité, rôle, etc. Mais, l'idée d'État peut difficilement servir à une analyse inspirant des recherches concrètes. Le concept étatique est inadéquat, parce qu'il implique l'étude d'une espèce d'institution particulière ou une forme
d'organisation et non pas une activité, qui peut s'exprimer à travers des institutions variées. La notion d'État ne peut servir à identifier dans les phénomènes ce qui leur donne leurs propriétés, leurs qualités politiques. Or on cherche un concept qui fasse ressortir les caractéristiques des systèmes politiques concrets. Le pouvoir peut-il remplir cet office ? 2° Le Pouvoir. - Cette conception de l'élément de domination qui caractérise, pour certains auteurs, l'objet essentiel de la science politique, n'est pas une découverte récente. Platon insistait déjà sur ce point et plus près de nous, Machiavel assimilait la politique à la contrainte. L'intérêt de la théorie du pouvoir, c'est qu'elle s'attache à l'élément dynamique : une activité, un effort pour contraindre, influencer, alors que la description d'une institution demeure statique. On trouve, adoptant cette position avec des nuances particulières : aux États-Unis, G. Cation , H. Lasswell ; en France : R. Aron (1961), G. Burdeau (1942), B. de Jouvenel (1945), G. Vedel. Pour importante que soit la notion du pouvoir, ne considérer que cet aspect, c'est négliger d'autres facteurs également essentiels de la vie politique. Celle-ci ne consiste pas seulement et exclusivement dans une lutte pour le pouvoir, qui n'est jamais qu'un moyen de régler des conflits plus profonds, ceux des idéologies, ellesmêmes issues de réactions sociales, d'aspirations, de buts variés. De plus, tout pouvoir n'est pas forcément politique et l'extension suivant laquelle toute activité influençant les autres relève de la politique, paraît injustifiable. 3° Du social au politique. - Les auteurs à la recherche de la définition du politique, ont commis l'erreur de vouloir identifier certains faits par leur « essence » ou par leurs caractéristiques. Or tous les faits sociaux sont
plus ou moins chargés de politique ou susceptibles de le devenir708. Comme l'écrit J. Leca (1973) ; « L'univers politique relève d'un type de relations et non de faits. Le problème fondamental est alors d'apprécier la densité de politique dont se charge une relation sociale pour devenir une relation politique ». Comment apprécier cette densité ? Pour certains, il s'agit de jugements subjectifs, idéologiques. Sur le plan scientifique, il est inacceptable de laisser chacun décider de ce qui est politique ou de ce qui est social. Peut-on concevoir une définition objective ? Le marxisme « historiaste » appréhende la science de la politique comme la science de l'histoire et de la Révolution. Le politique est alors dilué dans l'histoire au heu de l'être dans le social. A l'opposé, pour d'autres auteurs, devient politique, le fait saisi par le pouvoir, mais alors deviennent juges des limites du politique, les bénéficiaires du système. Cependant il faut constater la part de vérité contenue dans cette approche du politique. En effet: «il n'y a pas d'activité politique, si celle-ci n'est pas portée par des groupes sociaux suffisamment puissants pour l'intégrer dans le jeu politique709 ». Nous ajouterons : ou de faits assez importants pour que le pouvoir s'en saisisse. Le politique apparaît lorsqu'un conflit dans la société est pris en charge par le pouvoir. Une grève dans une entreprise à propos d'un licenciement est un fait social qui peut devenir politique. Une opposition religieuse à une certaine modernisation peut devenir elle aussi politique710. Les heurts d'intérêt, les conflits de groupes, les contestations sur les valeurs ou orientations d'une société sont médiatisés, arbitrés, organisés ou intériorisés. « Le politique se repère donc essentiellement par sa fonction
qui est la régulation sociale, fonction eUe-même née de la tension entre le conflit et l'intégration dans une société711 ». La politisation dépend donc des circonstances et le politique peut envahir tel ou tel lieu du champ social ou au contraire s'en retirer, suivant les époques. Si l'on ne discute plus de l'objet de la science politique, signe de son progrès, il est utile de préciser les grandes lignes de son domaine. 226 Le do maine de la science politique : a) Le pouvoir712 o Le pouvoir s'il n'est pas le seul objet de la science politique en est une partie essentielle. A défaut de le définir de façon incontestée, on peut du moins indiquer ses caractéristiques. D'abord sa fonction de régulation sociale. Le pouvoir est indispensable et se renforce grâce aux inégalités qu'il a pour le but de combattre et qui le justifient, d'où son ambiguïté. Dans une société sans conflits, le pouvoir serait inutile. G. Balandier (1967) ajoute une seconde caractéristique importante : la sacralité, toujours présente, bien que plus ou moins manifeste suivant les sociétés. Deux autres critères classiques en droit public distinguent le pouvoir politique d'autres formes de pouvoir : la spatialisation c'est-à-dire l'organisation territoriale, enfin les moyens d'action, l'utilisation légitime de la force et ce que l'on appelle l'allocation autoritaire du pouvoir. L'étude du pouvoir implique l'observation des mécanismes politiques par lesquels il se conquiert et s'exerce, la sphère d'action ou d'intervention des gouvernants, telle qu'elle peut être déterminée par les institutions existantes et par les positions ou réactions du corps social, c'est-à-dire les formes, l'étendue et les limites du pouvoir, ainsi que les techniques de gouvernement ou moyens d'exercer le pouvoir. Le pouvoir dans les sociétés démocratiques, est
supposé être l'émanation de la volonté générale. Il l'exprime et l'oriente à la fois, tout en ayant à remplir une fonction d'arbitrage général entre intérêts divergents. Les options, les choix opérés, résultent d'une confrontation permanente avec les réalités économiques et les exigences sociales. Les choix sont en réalité fonction d'une notion d'intérêt général, telle qu'eUe est conçue à une époque déterminée. L'action gouvernementale a pour but la mise en œuvre des solutions choisies, en réponse aux problèmes posés au gouvernement. Elle se traduit par un ensemble de décisions qu'il importe d'étudier sous l'angle de leur motivation, des conditions de leur formation et de leur exécution, en vue de dégager : les moyens, d'action dont dispose le pouvoir : armée, police, lois, décrets, lettres de cachet propagande... les sanctions ou réactions auxquelles il s'expose : veto du Président, vote de défiance, grèves... le but qu'il s'est assigné : produire, envoyer des hommes dans la lune, augmenter le revenu national, se maintenir au pouvoir, élever le niveau d'éducation, améliorer le logement, etc.. les influences qu'il subit: partis, églises, syndicats, groupes financiers... enfin la mesure du pouvoir exercé : le rapport entre ce que le gouvernement a décidé de faire et le résultat obtenu, les contraintes et obstacles, bref, la sphère d'action du pouvoir. La seule analyse du pouvoir et des moyens du gouvernement ne saurait fournir une vue complète de la vie politique, de la réalité sociale, du fonctionnement des institutions et des mécanismes politiques, qui sont le produit de l'action et de l'interaction des hommes. b) Les structures O L'action du pouvoir ne
s'exerce pas dans un vide, la science politique implique également l'étude des structures existantes, structures économiques et sociales, classes, groupements, etc., mais aussi institutions politiques proprement dites : parlement, conseils, leur évolution historique, géographique et leur rôle. c) Les forces et les intérêts O Ces structures ne sont pas seules en cause, elles sont animées par des groupes, des forces en présence, aussi bien des forces officielles ou légalisées : partis ou groupements instiriitionalisés (syndicats), que des forces plus ou moins occultes (groupes de pression, ligues, lobbies, etc.). d) Les idées et les aspirations O Ces groupements ou ces forces plus ou moins organisées, expriment les idées et les aspirations des gouvernés, c'est-à-dire le patrimoine intellectuel ou spirituel, les traditions, les doctrines et idéologies d'une époque donnée mais aussi de ce qui l'a précédé. L'histoire des idées est un secteur important de la science politique. Les interactions qui se produisent au sein de la société, traduisent tour à tour le fonds commun d'idéaux ou de valeurs qui donne sa cohésion à une société, mais aussi les oppositions d'intérêts, d'aspirations, d'idéologies, qui entraînent des états de tension, modifient l'équilibre des rap ports sociaux et déterminent les changements politiques ou le rythme du progrès social. La notion d'aspiration ne s'exprime pas exhaustivement dans la représentation politique. Il existe quelque chose de plus profond et plus complexe qui rejoint la finalité du pouvoir et sa légitimité. Le pouvoir le plus solide est celui qui exprime vraiment les aspirations de la collectivité. Il apparaît d'après ces constatations, qu'on ne peut étudier les deux aspects de la vie politique,
du côté des gouvernants et du côté des gouvernés de façon indépendante, car il y a interaction entre la façon dont le pouvoir perçoit les besoins des gouvernés et y répond et la façon dont les gouvernés réagissent. 230 e) Les rapports politiques O Un élément essentiel de la connaissance des phénomènes politiques, considéré parfois comme l'objet même de la science politique, c'est justement l'étude des rapports politiques, ceux qui naissent de l'existence du pouvoir, mais en même temps de toutes les forces qui tendent à infléchir l'action des gouvernants, à la transformer ou à s'y opposer, c'est-à-dire les rapports entre gouvernants et gouvernés. Il s'agit là d'une partie éminemment mouvementée et dynamique, diffi- cile à saisir, mais essentielle de la science politique. Les rapports politiques forment un réseau d'interactions à différents niveaux entre des circuits divers. Gouvernants entre eux. - Accession au pouvoir, types de nomination ou élection, solidarité ministérielle formelle et réelle. Gouvernés entre eux. - Partis, groupes, étatsmajors et militants. Enfin les rapports gouvernants-gouvernes qui sont à double sens. D'une part le pouvoir agit sur l'opinion soit par ses décisions soit par la persuasion, la propagande, qui le plus souvent renforce et utilise des attitudes collectives préexistantes ou virtuelles. D'autre part, l'opinion des gouvernés à son tour agit sur le pouvoir, soit dans le cadre de systèmes institutionnels comme celui des élections, soit par la pression directe qu'elle exerce sur lui. Mais l'opinion elle-même ne procède pas d'une connaissance scientifique et objective des problèmes, elle obéit à des impulsions, des passions ou à des intérêts souvent divergents. L'étude de l'opinion a progressé à un niveau superficiel grâce à la technique des sondages713.
Les rapports entre gouvernants et gouvernés, s'ils doivent être étudiés dans le cadre des institutions qui les régissent, ne peuvent donc être pleinement perçus et appréciés, qu'à la lumière des motivations qui les inspirent et des explications fournies par des études de psychologie politique. 231 f) Les comportements O II s'agit au-delà des opinions, aspirations, de leurs manifestations en acte. Participation sous diverses formes : votes suivant l'âge, le sexe, la religion, la région, la profession, les cir- constances ; militantisme, manifestations etc. Le comportement électoral est un secteur très développé de la science politique en France. 232 Définition proposée o On peut conclure de ce survol de la science politique que celle-ci s'intéresse : au fonctionnement effectif des institutions plus qu'à leur structure théorique, à l'usage qui est fait au pouvoir plus qu'aux formes juridiques qui le déterminent ou aux problèmes philosophiques qu'il pose (nature, essence). Il semble que l'on puisse définir la science politique comme l'étude de la façon dont les hommes conçoivent et utilisent les institutions qui régissent leur vie en commun, les idées et la volonté qui les animent, pour assurer la régulation sociale, 233 Science politique, sociologie de l a politique et sociologie poli tique O On use assez indifféremment des termes de sociologie politique et de science politique. La division correspond avant tout à des traditions universitaires mais les termes ne se recoupent pourtant pas entièrement.
La sociologie de la politique aborde le domaine politique sous un angle nettement sociologique : classes sociales, représentations collectives, laissant peu de place à la politique en tant que telle. La science politique sans nier l'importance des facteurs historiques et sociologiques, économiques ou démographiques, retient les éléments plus directement politiques. Par exemple sur le plan technique : l'influence des scrutins, ou, d'un point de vue plus large, les rapports des gouvernants entre eux, les modes de pouvoir, les mécanismes de décisions714 Quant à la sociologie politique, nous pensons comme G. Sartori (1973) qu'elle est à créer. Ce sera le produit d'une hybridation lorsque la sociologie et la science politique seront à égalité. A l'heure actuelle, la science politique doit d'abord se développer, avant de songer à une intégration complète. Elle n'a pas de méthodes ni de techniques propres et utilise celles des sciences sociales suivant l'objet à étudier : méthode sociologique, méthode historique et analyse de contenu pour l'étude de documents, juridiques pour les constitutions et textes administratifs, etc., analyse comparative des divers types de constitutions, gouvernements et rapports politiques, enfin toutes les méthodes d'enquête et techniques de la psychologie sociale et de la sociologie que l'on trouvera décrites au cours de cet ouvrage. 234 Évolution de la science polit ique dans les divers pays : Aux Etats-Unis O On observe deux tendances : la grande tradition historique et juridique, puis dès 1890, une tendance empirique qui trouvera son plein épanouissement et même son exagération en 1920. Ces dates sont parallèles aux périodes charnières de la sociologie et de l'anthropologie. L'essor de l'industrialisation après la guerre
civile, rend plus sensible la nécessité de trouver des explications aux mouvements politiques et sociaux. La philosophie recherchait quel était le bien commun, mais ne donnait aucune recette pour l'atteindre. Il apparut très vite qu'il fallait observer les faits, non les formes légales de l'activité politique, mais la réalité elle-même. Dès 1880. on commence à lire des exhortations sur la nécessité de se préoccuper de ce qui est, plutôt que de prêcher ce qui devrait être. L'ouvrage de Burgess : La science politique et le Droit constitutionnel (1890) marque la fin de la grande époque du droit. L'ouvrage de Bryce, un écossais : The American Commonwealth (1893) « peint les institutions et le peuple américain tels qu'ils sont ». Il exerce une influence considérable sur le développement de la science politique américaine et l'oriente dans un sens plus concret. De 1890 à 1914, les political stientists sont mus par le désir de perfectionner les institutions existantes. Leur empirisme est plus réformiste que scientifique. Les traditionnalistes, ou institutionnahstes, tentent de découvrir le contenu réel des relations politiques. Ainsi apparaît la notion de « processus politique », interaction des institutions gouvernementales et des groupes sociaux. Les behavioristes cherchent des schémas de comportements par des méthodes empiriques, conduites de manière systématique. On leur a reproché de diriger leurs recherches vers les secteurs où leur méthode scientifique était applicable, plutôt que suivant l'importance de ces sujets pour la science politique, mais surtout d'être inspirés par une idéologie sous-jacente qui nuit à la valeur scientifique des résultats. Moralisme missionnaire mâtiné d'utilitarisme, vieux mythe du bon gouvernement, modernisé en recherche opérationnelle ; a priori - la démocratie est le meilleur régime politique, les États-Unis sont une démocratie, donc les ÉtatsUnis ont le meilleur régime - ne tenant pas compte des conditions sociales et culturelles
différentes ; idéologie libérale plus ou moins camouflée, inspirant, malgré un désir exprimé d'objectivité, un grand nombre d'observations715. Tels sont les défauts majeurs de la science politique américaine. On lui doit cependant les contributions les plus intéressantes et le développement considérable de la recherche ces dernières années 716. 235 En Grande-Bretagne O Persuadés de l'excellence de leurs institutions, les Anglais ont été moins portés à les étudier et à les soumettre à une analyse critique. Ceci explique pourquoi, contrairement aux Américains, ils ont étudié l'exercice du pouvoir, ce qui émane du gouvernement, plutôt que ce qui l'influence. Cependant, de nombreuses études sont consacrées aux processus électoraux et représentatifs, aux partis et groupes de pression. 236 En France O Pierre Favre (1985) retrace avec intelligence et minutie l'évolution des termes et acceptions variées concernant la science politique depuis le xixe siècle et son histoire. L'histoire et la réflexion politiques (Montesquieu, Voltaire, Tocqueville) ont toujours intéressé les Français. R. Aron (1961) note leur goût de l'idéologie de préférence à l'enquête, le secret auquel on se heurte dès qu'il s'agit de la politique. [...] Trop scientifique pour l'ambition des jeunes, la science politique est trop soumise aux passions humaines, trop actuelle pour les universitaires ; c'est pourquoi ce sont les journalistes qui s'y intéressent. Ajoutons enfin l'indifrerence et le scepticisme, à l'égard des méthodes et de l'esprit scientifique appliqués à la réalité politique717.
Il y a cinquante ans on ne trouvait aucune étude approfondie sur le marxisme718, alors que le parti communiste recueillait aux élections 25 % des voix, aucune étude autre que juridique ou historique sur le fonctionnement réel des municipalités, des conseils généraux ou de F administration et des rapports avec le gouvernement. L'action conjuguée de la Fondation des Sciences Politiques, de la Revue française de Science Politique719 et des universités a été déterminante. Grâce à l'action du doyen Vedel, des professeurs Burdeau, Chevallier, Duverger, Lavau, Prelot, la place faite à la science politique est officiellement reconnue dans les programmes de la licence en droit, puis c'est en 1970 la création d'une U.E.R. de Science Politique à Paris I. Enfin le fait essentiel : la création en 1972 de l'agrégation de Science Politique signe de la reconnaissance de son autonomie et de sa place comme discipline à part entière. Malgré des programmes relativement unifiés, les enseignements, en dehors d'un noyau commun, diffèrent d'une université à l'autre. Un pré-rapport sur l'enseignement de la science politique en France en 1978 (P. Favre) conclut que les enseignants demeurant pour la plupart des juristes «l'action que l'on peut espérer mener quant à la disciphne elle-même ne peut être qu'à très long terme ». Grâce à l'agrégation de science politique la jeune génération de politologues a généralement reçu une formation juridique, mais souvent aussi historique, philosophique ou sociologique. La liste des cours à l'Université de Paris-I, les tables de la Revue française de Science Politique et ses précieuses notes bibliographiques donnent une idée de la variété des sujets abordés et de la tendance de moins en moins juridique et eth-nocentriste de la science politique.
237 Tendances réc entes de la science politique a) La théorie o La science politique sur le plan de la méthode, subit de façon aiguë les tensions que connaît la sociologie (cf. n° 160) : Tension entre la recherche empirique : utilisation de statistiques, enquêtes, avec parfois une sophistication excessive des appareils techniques ou des mathématiques et - les mathématiques rebutant certains - le refuge dans une soi-disant réflexion théorique720. Les difficultés sont nombreuses : complexité de la notion de théorie sur laquelle les conceptions diffèrent, domaine mal défini de la science politique. Comment distinguer la théorie politique de la philosophie politique, de la théorie sociologique ? Faute de distinctions évidentes et acceptées par tous (sans doute faut-il s'en réjouir) les batailles se livrent aux frontières. Les politologues se mobilisent contre ceux qui osent nier la spécificité du politique721 ou qui, sans la nier la diluent et finalement la détruisent aussi722. Bref, les politologues construisent leur autonomie en s'opposant à ceux qui avec un impérialisme tranquille, s'imaginent doués d'une vocation universelle. On peut considérer ces querelles comme un signe de jeunesse mais aussi de vitalité. Comme en sociologie, à une période d'empirisme succède aussi d'une part une tendance vers un perfectionnement de l'outil magmatique, d'autre part et surtout, une orientation théorique. T. Parsons qui régnait sur le fonctionnalisme, s'intéresse également à la science politique et l'engage dans la voie de l'analyse systémique723, ainsi que D. Easton, G. A. Almond et de nombreux politistes français. La réflexion théorique s'oriente aussi vers des problèmes fondamentaux : démocratie et totalitarisme724 , justice725.
A noter également le développement des études comparatives qui jusque-là se limitaient trop souvent à une description formaliste des institutions et deviennent beaucoup plus rigoureuses726. Enfin, l'État suscite de nombreuses réflexions. Comme l'économie et après la sociologie, la science politique aux E.-U. est à la recherche de théories explicatives, de généralisations mais aussi de modèles. L'inspiration libérale, la notion de stratégie l'incitent à supposer des choix rationnels. La théorie des choix rationnels apparaît en 1950 avec l'ouvrage de Kenneth Arrow, suivi en 1965 par celui de March et Simon qui en fait le fondement de la théorie des organisations (cf. n° 238). Inspiré du modèle économique, elle n'intéresse au départ qu'un petit nombre de politologues et il est surprenant de constater depuis cette date son succès grandissant727. D'après les tenants de cette théorie, les acteurs du champ politique (élus et électeurs) agissent rationnellement et leurs décisions visent à maximiser leur intérêt et leur utilité d'où leurs comportements théoriquement prévisibles. Que de nombreuses options économiques soient dictées par un calcul de ce type semble probable, sans être vraiment démontré, mais on est stupéfait de le voir appliqué à la politique. S'il est un domaine où les décisions échappent aux motifs rationnels c'est bien celui-là reconnu comme celui de la passion728. Pourtant de nombreux politologues américains prônent les résultats de cette théorie. R. N. Fdker729 (1990) déclare que «la théorie des choix rationnels est à l'origine des seuls progrès véritables jamais réalisés en science politique ». Aussi est-ce rassurant de voir D. Green et J. Shapiro (1994, 1995) remettre les choses au point. Ils déclarent fort justement que la valeur scientifique d'une théorie dépend de sa capacité à expliquer les données pertinentes après quoi ils posent la question fondamentale : « En quoi cette littérature730 a-t-eUe fait progresser notre compréhension de la politique ? »
Les auteurs ne trouvent pas de réponse satisfaisante à donner à cette question qui suscite au contraire un lot important de critiques méthodologiques. Ils admettent que certaines applications de la théorie peuvent être défendables mais reprochent à celle-ci son ambition d'universalité, source de la plupart de ses erreurs. Sans être « fidèles à une conception positiviste de la science qui n'a plus cours aujourd'hui» déclarent D. Green et J. Shapiro, il faut respecter les impératifs de la méthode et les règles de la recherche. Il n'est pas toujours possible de recourir à des tests, mais c'est indispensable lorsque l'on prétend confirmer grâce à eux ce que l'on affirme. Or les adeptes des choix rationnels ne respectent pas les conditions assurant la validité des tests qu'ils effectuent. Ceux-ci présélectionnent les faits en fonction de la théorie et l'interprétation qu'ils en donnent est également biaisée. La construction de modèles, objectif de la théorie, n'est pas non plus convaincante. Ceux qui sont proposés pour étayer la théorie recouvrent de façon prétentieuse des banalités ou sont plus souvent infirmés que confirmés par des travaux empiriques. De plus, la multiplication des termes qui échappent à l'observation entraîne la complexité de la théorie qui « dépasse la capacité des données à permettre une vérification empirique pertinente ». Il est frappant et regrettable qu'après avoir fustigé les tendances psychologiques de certains, les politologues adeptes du choix rationnel, recourent à des processus de cet ordre ne reposant sur aucune donnée. Comment échapper à l'ambiguïté de la notion de rationalité lorsqu'il s'agit d'individus différents dans des situations diverses, dont les motivations sont forcément elles aussi dissemblables ? Est-ce rationnel de préférer faire plaisir à quelqu'un plutôt que de gagner des voix dans une campagne électorale ?
Les théories des choix rationnels se retrouvent sous des étiquettes différentes : théorie des décisions publiques, approche économique de la politique, théorie de prêt, de la décision, avec des degrés d'exigence différents (version rationnelle restreinte ou étendue) mais l'inspiration est la même et les critiques plus ou moins nuancées à leur adresse du même ordre. La théorie des choix rationnels dans le domaine de la science politique obéit à deux impulsions contradictoires. D'une part elle prône une pluridisciplinarité assurant l'unité des sciences sociales, d'autre part elle détruit les bienfaits de cet objectif en écartant les théories concurrentes pour expliquer tous les phénomènes sociaux par la théorie des choix rationnels. On ne peut qu'approuver la conclusion raisonnable731 de Green et Shapiro d'où nous tirons nos remarques et informations et que nous reproduisons ici : « Si au heu de considérer les sciences sociales comme une compétition entre des perspectives théoriques concurrentes dont une seule doit l'emporter, on y voyait plutôt une entreprise commune où les explications [...] se renforcent mutuellement l'esprit partisan qui donne lieu à des recherches déficientes du point de vue méthodologique pourrait être mis en échec. » 238 b) La spécialisation o En même temps que s'affirme un impératif de coopération, on assiste à l'intérieur de la science politique, nécessitées par son développement, à des séparations en branches spécialisées telles que les relations internationales étudiées surtout en France dans le cadre des relations diplomatiques, mais qui intéressent les politologues et l'étude des organisations. Elles relèvent à la fois de la sociologie du travail, de la sociologie, de la science administrative et de la science politique. Le fonctionnement des organisations a depuis longtemps intéressé les divers spécialistes des sciences sociales. Dans la mesure où certains
poupes (syndicats, groupes de pression) mais surtout les partis constituent des organisations, la science politique ne peut se désintéresser du sujet qui relève avant tout de la sociologie (cf. M. Crozier, n° 166). Il semble que l'on puisse historiquement, distinguer deux tendances en dehors du droit et de la science administrative (Chevalier, Loschak 1978). La première, proche de la psychologie sociale, s'attache aux relations interpersonnelles et inter-groupes, aux motivations individuelles, etc. La deuxième tendance, qualifiée de néorationaliste est celle de March et Simon (1965). Elle tend à redéfinir une « rationalité hmitée en fonction de théories de la connaissance et de la communication ». Partant de la notion d'administration : l'art d'obtenir que les choses soient faites, Simon souligne qu'elle implique des processus de décision aussi bien que d'action. Il s'appuie partiellement, en l'élargissant, sur la notion d'analyse stratégique, ce que les Américains appellent décision mdking. Reste à intégrer les deux approches, c'est-à-dire à montrer comment les facteurs psychologiques, humains, influencent le jeu de chaque agent. Comme le remarque G. Friedman (1950) «un organigramme d'entreprise n'est pas suspendu dans un vacuum social et humain... Les attitudes des membres d'une organisation à l'égard de celle-ci sont un important facteur qui conditionne son fonctionnement732 ». La sociologie des organisations déborde la sociologie du travail car certaines organisations (armée, Église) ne poursuivent pas des buts économiques et les travaux qu'elles dirigent sont de nature particulière. D'un autre côté, toute collectivité de travail ne constitue pas une organisation. Pour que celle-ci existe, il faut une structure qui définisse de façon plus ou moins stable, un système de relations entre les diverses fonctions. Les individus peuvent changer, mais les nécessités de l'organisation impliquent que les fonctions demeurent.
Les problèmes d'organisation sont en partie ceux que pose l'administration, mais l'administration n'est pas une catégorie de travail isolée, c'est une manière de le préparer, de le contrôler aussi bien dans un ministère que dans une boutique. Cependant, le développement des activités dites tertiaires, a fait surgir des ensembles de bureaux méritant des études particulières. Ici encore il s'agit d'un changement de nature, lorsqu'une certaine dimension, est atteinte. Ceci nous amène au problème extrêmement important, de la bureaucratie. A cette notion est attaché le nom de Max Weber qui la définit comme un type d'organisation. L'ambiguïté du terme en fait tour à tour le signe d'une rationalisation utile ou l'expression d'un parasitisme social. En France c'est un domaine qu'étudie Michel Crozier.733 238-1 c) Psychologie et politique734 O Un domaine qui s'est rapidement développé aux États-Unis ces vingt dernières années est celui de la psychologie de la politique. Après les ouvrages de Ch. Merriam et surtout de H. B. Lasswell (1930), les politologues, emportés à la suite des sociologues par le courant quantitatif abandonnaient ce domaine de recherche. Depuis 1970, de nombreuses publications, la création d'une Association internationale de psychologie politique et d'une revue735 traduisent la vitalité de ce secteur. Les difficultés rencontrées en France pour suivre, comme d'habitude, l'exemple des ÉtatsUnis, sont d'une part qu'il existe peu de politologues possédant une formation de psychologie, d'autre part et surtout un obstacle idéologique. Il s'agit du triple héritage qui pèse sur les sciences sociales : un marxisme dénaturé privilégiant l'économie, un capitalisme intéressé par le seul profit, enfin et surtout un positivisme scientiste valorisant le rationnel, incite peu à étudier l'aspect aléatoire et passionnel du politique. Quelques historiens et politologues ont retenu l'importance des facteurs psychologiques sur les plans individuels et
collectifs, mais ont cédé à l'attrait... ou la facilité, du recours à la psychanalyse qui n'exige pas les mêmes qualités de rigueur scientifique. Cependant, les nombreuses activités politiques méritent d'être étudiées sous l'éclairage de la psychologie : façons de choisir son entourage, de commander, de concevoir les rapports avec l'administration, de recevoir les informations et de prendre les décisions, les facteurs objectifs (traités, constitutions) limitant les possibilités du pouvoir et les marges de liberté où peuvent se manifester des personnalités différentes. En sens inverse, l'influence de la politique sur les individus permet de s'interroger sur les types de personnalités ou les facteurs personnels qui orientent vers ce type d'activité. Qui fait de la politique ? Faut-il croire avec Lasswell que le besoin de compenser une certaine forme de faiblesse ou de frustration soit le facteur le plus déterminant d'une ambition politique ? Qui réussit en politique et pourquoi ? Enfin l'influence du pouvoir sur la personnalité. Les réflexions sur ces sujets se trouvent malheureusement presque uniquement dans des ouvrages anglo-saxons. Le Traité de Science politique736 donne un compte rendu de ces travaux et quelques indications sur la France et d'autres pays. 283-2 d) Les politiques publiques737 O Autre secteur d'étude en voie de développement en France et dans les pays industrialisés : celui des politiques publiques. Quel que soit le degré d'intervention de l'État, il est indispensable d'étudier les objectifs visés, les moyens mis en œuvre pour les atteindre et les résultats de l'action entreprise. Ce_qui explique le développement parallèle et même la prolifération aux États-Unis des études d'évaluation. Politiques de la santé, de la culture, de l'éducation, etc. Cette orientation récente de la science politique correspond à un besoin de rigueur, de bilans plus précis, plus systématisés que de simples impressions mais sans doute aussi plus nuancés, plus coordonnés
que des rapports d'experts ou des statistiques trop générales ou trop ponctuelles. 238-3 e) L'écologie, l'environnement et la politique o Le terme écologie apparaît pour la première fois en 1866 dans la littérature scientifique sous la plume d'un biologiste allemand, Emst Haeckel, vulgarisateur des idées de Darwin. Il est le premier à donner ses fondements théoriques à l'écologie et sa définition : « Science des mœurs des organismes, de leurs besoins vitaux et de leurs relations avec les autres organismes ». Comme la géographie (cf. nos 208 et s.), l'écologie est une science de la terre, mais aussi de l'air, de l'eau enfin également des conditions de vie de tout ce qui s'y trouve et y vit : animaux, plantes, êtres humains. P. Deleage (1992) remarque qu'en recherchant les sources scientifiques de l'écologie, les historiens se limitent le plus souvent à la tradition naturaliste réduite à ses dimensions geobotaniques et phytosociologiques. Ils ignorent le courant de chimie du vivant (au xd£ de Lavoisier à Pasteur) à l'origine de la plupart des travaux sur le fonctionnement complexe des cycles. Certains les appelleront biogeochimique, et ils apparaîtront à d'autres, de façon plus poétique comme « le cycle mystérieux de la vie ». L'écologie est de toutes les sciences naturelles celle qui est la plus liée aux sciences sociales. De plus comme la plupart des sciences mais peutêtre plus encore, l'écologie est née de la tension entre objectifs pratiques et interrogations fondamentales. Il faut tenir compte de la confusion née dans les termes et les esprits par l'intérêt que suscitent aujourd'hui les problèmes écologiques. D'abord l'absence de distinction entre écologie et environnement738 . L'écologie est une discipline scientifique qui étudie les écosystèmes, milieux où vivent et se reproduisent les êtres vivants739. La notion d'environnement est beaucoup moins précise, plus large puisqu'elle intègre la notion
de ressources, l'étude des interventions de l'homme et de ses conséquences pour les maîtriser et protéger l'avenir. Pluridisciplinaire, cette protection implique une démarche faisant appel aux géographes, économistes, sociologues, climatologues, mathématiciens et informaticiens, indispensables à l'élaboration des modèles. La coordination en vue des résultats communs est déjà difficile à obtenir mais l'obstacle majeur survient au stade suivant celui de leur utilisation pour prendre des décisions, c'est-à-dire au stade politique. « Les aménageurs réclament des recettes, les scientifiques répondent en fournissant des connaissances » se plaignent les scientifiques. Or ces connaissances sont souvent incertaines. Au stade actuel il s'agit surtout d'hypothèses de travail et de techniques compliquées740. S'il appartient aux scientifiques de découvrir les facteurs en cause, c'est aux politiques, à partir des informations recueillies (même peu sûres) de prendre les décisions. Celles-ci dépendent des buts fixés, de ce qui peut être considéré la meilleure solution technique, économique, éthique mais aussi électorale. En démocratie, l'adhésion de la population est indispensable. Même au-delà de l'élection, l'écologie scientifique devient avec les problèmes d'environnement essentiellement politique à tous les niveaux. Dans les grandes orientations internationales et nationales, il s'agit de ce que l'on considère aujourd'hui des choix de société : abandonner la société de consommation et la course à la productivité, modifier la politique agricole et son incitation au rendement741, abandonner l'énergie nucléaire. L'écologie encore inspire les décisions politiques au niveau local : limiter la circulation automobile en ville, renoncer à une autoroute, obliger une entreprise polluante à modifier ses installations malgré les menaces de licenciement ou de fermeture. Les cris d'alarme se multiplient depuis quelques années et l'on peut déplorer le retard de la
France pour la protection de l'environnement742. Il a fallu la secousse de 1968, les prises de position des contestataires, mais surtout l'ampleur des dégâts : marée noire, pluies acides, affaire Greenpeace, Tchernobyl, disparition d'espèces animales, stress de la vie urbaine, pollution, diminution de la couche d'ozone, pour que les avertissements des scientifiques trouvent un écho dans la population et combien faiblement et avec quel retard chez les gouvernants743 . Il est important que les scientifiques, à défaut de pouvoir réparer le mal fait, découvrent les moyens de l'enrayer. Mais le rôle du sociologue, du politologue et de l'historien consiste à rechercher les causes de cet aveuglement et à trouver les moyens d'alerter et de modifier l'opinion. Parmi les facteurs importants on trouve évidemment le développement industriel, sur un fond idéologique où se mêlent curieusement des points de vue pourtant habituellement opposés : le marxisme et le capitalisme, mais aussi le scientisme laïque du xixe siècle, la croyance au progrès s'ajoutant à l'attitude ambiguë de l'Église respectueuse de la nature œuvre de Dieu (cf. le XVIIe, n° 55-1) nature considérée abstraitement744 sinon avec mépris du moins en ignorant son aspect concret745. Après avoir évoqué l'impact de l'écologie sur les décisions poñtiques, il faut considérer l'influence des écologistes eux-mêmes sur la politique. Quelle forme doit-elle prendre ? Doivent-ils se limiter à un rôle de groupe de pression : propagande, campagnes auprès de l'opinion, promettre leurs voix en échange de certaines dispositions (abandon d'un tracé d'autoroute) ou doivent-ils eux-mêmes accéder aux diverses institutions : municipahté, Parlement, gouvernement746. Deux facteurs vont jouer dans l'avenir de l'écologie : l'opinion747. Mais celle-ci ne peut prendre parti que si elle est informée. Or les sujets sont très techniques et les autorités
souvent peu soucieuses de mises au point (cas d'E.D.F. pour le nucléaire). De plus comme toujours elle se mobilise dans la mesure où elle est en cause. On s'insurge contre le nucléaire près de chez soi mais on ne prend pas parti sur l'ensemble. L'autre facteur important est économique. Comment évaluer le coût d'une politique économique? D'après une enquête748 les patrons s'attendent à une augmentation des préoccupations écologiques et pensent que le marché unique européen renforcera les mesures en faveur de l'environnement. Si une partie des entreprises peut s'adapter, d'autres se sentent menacées. Le projet d'« écotaxe » sur la consommation d'énergie frapperait le secteur des métaux non ferreux et renchérirait les produits de 3 5 à 50 %. Que dire des P.M.E. si nombreuses en France ? Les ÉtatsUnis ont atténué les exigences du Clean Air Act pour ne pas nuire à la reprise économique. Enfin à cette discrimination entre types d'industries749 s'ajoute la différence plus grave encore entre pays industrialisés et tiers monde. D'après le Secrétaire général de la conférence de Fdo, les mesures écologiques à prendre devraient coûter 625 milliards de dollars par an dont 80 % à la charge du tiers monde750. La Banque mondiale a introduit dans ses prêts, une clause de « conditionnante écologique » considérée par le Sud comme du « colonialisme environnemental ». 238-4 La conférence des Nations-Unies sur les changements climatiques s'est achevée le 4 novembre 1998 sur un constat d'échec ; aucune mesure pratique de réduction des émissions de gaz polluants responsables de l'effet de serre et du réchauffement de la terre n'a pu être adoptée, les États-Unis refusant toute concession susceptible de gêner leur industrie. La nature attaquée s'est défendue. Il faut à la fois diminuer les attaques pour réduire les
défenses, mais la complexité des problèmes posés exige une coordination internationale qui est loin d'être réalisée751 , entre les diverses organisations qui se sont créées. Seule Greenpeace semble avoir des moyens considérables qui laissent planer un doute sur la pureté de ses intentions752. Pour conclure, si l'on constate les progrès de la science politique dans l'analyse des événements passés et même présents, au point de vue de la prévision (Mai 68, chute du communisme à l'Est) elle est encore aveugle. Mais ne peut-on le dire également de la sociologie et de l'économie ? 239 Bibliographie o Ae-èles (M.) 1986. - « L'anthropologue et le politique », dans Anthropologie état des lieux, livre de poche. Acot (P.) 1988. - Histoire de l'écologie, P.U.F. Alker (H. Jr), Deutsch (K. W.), Stoetzel (A. H.) 1986. - Mathematical Approaches to Politics, Elsevier. **American Political Science Review. Almond (G.), Verba (B.) ed. 1980. - Trad. 1989. The civic culture revisited, Londres, Little Brown. Année sociologique (V) 1992. «La sociologie du développement», vol. 42. Ansart (P.) 1977. - Idéologies, conflits et pouvoirs, Paris, P.U.F. 1983. - La question des passions politiques, Lausanne, L'âge d'homme. 1985. - « Sociologie des totalitarismes » in Traité. Apter (D. A.) 1974. - «Types de développement et
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SECTION 11. LA LINGUISTIQUE Retour à la table des matières § 1. Une science ancienne La linguistique comme science sociale O La linguistique possède une situation singulière parmi les sciences sociales. EUe apparaît en effet à la fois comme la plus et la moins sociale d'entre elles. La plus sociale parce que sujet social et sujet linguistique sont rigoureusement coex-tensifs, parce que la langue constitue à la fois une institution exemplaire et la condition de
toute institution. Mais la moins sociale aussi parce que sa démarche se rapproche par bien des côtés de ceUes des sciences de la nature et qu'à un certain niveau elle traite son objet comme un agencement arbitraire d'éléments dénués de toute signification. Le chercheur en sciences sociales baigne constamment dans le langage mais quand il tourne son regard vers celui-ci les relations formelles qu'il dégage sont bien difficiles à interpréter en termes de fonctionnement social. Cette combinaison paradoxale rend profondément problématique la relation entre langage et société, linguistique et sciences sociales, mais elle est sans nul doute la conditions même de leur union : c'est parce que d'une certaine manière le langage se retire dans son abstraction qu'il peut être le milieu fluent dans lequel est pris l'ensemble de la vie sociale. L'antiquité O II est très difficile d'assigner un commencement à la linguistique car tout dépend du critère que l'on choisit. En général, on retient trois grands moments : la grammaire grecque, la grammaire • comparée du début du xrx* siècle et la linguistique structurale du début du xxe. La réflexion linguistique rigoureuse la plus ancienne est sans conteste celle des grammairiens hindous, qui ont analysé le sanskrit (cf. Panini). Mais dans notre culture la réflexion sur le langage est solidaire du régime de la pensée définie par la civilisation grecque classique. A côté des inévitables préoccupations normatives nées du souci de préserver une certaine « pureté » de la langue contre l'érosion du temps et la variation sociale, s'est développée une appréhension rationneUe du langage qui, hors de tout cadre mythique ou religieux, vise à l'analyser comme une organisation spécifique. Ici, on distinguera deux approches très différentes : le point de vue rhétorique, lié à
l'émergence de la sophistique, et le point de vue logique. La constitution de la démocratie grecque a fait passer au premier plan le souci de la persuasion politique, rendant nécessaire l'apparition de techniciens de la parole, les sophistes. Dans leur volonté de fournir à leurs élèves les moyens de maîtriser le verbe, ils ont été conduits à envisager le langage comme un instrument dont il était possible d'analyser et de codifier les ressources. Tout ce courant du parler efficace aboutit à la Rhétorique d'Aristote (384-322 av. J.C.) et exerça une influence décisive sur toute la culture occidentale. Cette approche voit dans le langage un moyen d'agir sur autrui, parallèlement se développe dans l'ombre de la philosophie une réflexion qui tente d'articuler langage et vérité. Cette fois il s'agit de mettre en relation la structure du langage et celle des propositions par lesquelles l'esprit énonce des jugements vrais ou faux sur le monde. Là encore il faut citer l'œuvre d'Aristote, et son insistance sur la complémentarité fondamentale entre « sujet » et « prédicat ». Mais peu à peu va se dégager une réflexion plus proprement grammaticale, plus soucieuse de l'articulation effective des langues naturelles, en particulier avec les grammairiens d'Alexandrie. Ainsi Denys de Thrace (170-90 av. J.-C.) écrit-il la première grammaire systématique de la culture occidentale, où il distingue huit parties du discours (article, nom, pronom, verbe, participe, adverbe, préposition, conjonction), encore valides aujourd'hui. Mais chez ces Alexandrins, l'intérêt pour la langue est lui-même souvent subordonné à un intérêt philologique : rendre lisibles les textes littéraires prestigieux, les œuvres d'Homère surtout, dont la langue était de plus en plus éloignée du grec couramment pratiqué aux et ne siècles. Avec l'avènement du christianisme, l'interprétation de l'Écriture va devenir le centre de l'analyse textuelle. Se développe une théorie herméneutique, destinée à expliquer de quelle façon il convient d'interpréter la parole de Dieu : a-t-elle
plusieurs sens ? combien ? comment les dégager ? Ici la préoccupation philologique (restituer le texte à son contexte historique originel) cède évidemment le pas à un intérêt proprement théologique. Les Grecs ont également légué deux des grands débats de philosophie du langage qui ont traversé toute la culture occidentale. Le premier débat oppose les « analogistes » et les « anomalistes ». Les analogistes pensent que la structure de la langue est cohérente, régulière et peut donc faire l'objet d'une science. Les anomalistes y voient seulement le résultat de la fixation d'un ensemble d'usages arbitraires. Le second débat oppose les tenants d'une relation naturelle entre les mots et la réalité (tel mot par exemple a tel sens parce qu'il est composé de tels sons) à ceux qui, comme Aristote, pensent que le rapport entre les signes et ce qu'ils désignent (leur « réfèrent ») est conventionnel, immotivé756. 242 Les temps modernes O Avec l'humanisme de la Renaissance et le rationalisme classique on assiste à un double mouvement d'enrichissement des connaissances hnguistiques et de rationalisation de la grammaire. D'un côté, en effet on étend de manière considérable le champ d'investigation puisqu'au latin et au grec vont s'ajouter les langues des peuples européens et ceUes des pays plus lointains ; de l'autre, l'exigence rationaliste amène à renforcer le lien entre l'analyse de la pensée et celle du langage, considéré comme représentation de cette pensée. Ce dernier effort culmine dans la Grammaire générale et raisonnée de Port-Royal (1660)757. Les dernières années du xvnf siècle et les premières du XIXe constituent un tournant décisif. On découvre une parenté entre le latin, le grec, le sanskrit (langue sacrée de l'Inde) et les langues germaniques et l'on fait rhypothèse qu'elles dérivent toutes d'une langue-mère, 1'« indo-européen »758. Deux grands noms se
détachent dans cette entreprise de comparaison entre les langues : R. Rask (1787-1832) et F. Bopp (1791-1867). Plutôt qu'aux détails des recherches en grammaire comparée, il faut être sensible à leurs conséquences sur la démarche du linguiste. Comparer des langues dont les formes semblent, d'un point de vue phonétique, très différentes pour faire apparaître des invariants cachés, des similitudes structureUes, c'est privilégier l'abstraction par rapport aux données linguistiques immédiates. C'est aussi introduire une notion capitale, celle de loi. En effet, rendre raison d'une parenté entre langues, ce n'est pas seulement mettre en évidence des sinhlitudes, c'est aussi et surtout construire la règle qui permet de passer de l'une à l'autre. Par exemple, constatant que les langues germaniques avaient un / là où le grec, le sanskrit ou le latin avaient un p (ex. voter ou father opposés au pater latin), ou un t là où les autres avaient un d (ex. le gothique taïhun, «dix», s'oppose au latin decem ou au grec déka) Jacob Grimm a formulé pour ces phénomènes et pour d'autres, une loi qui postule une mutation phonétique généralisée à l'époque préhistorique du germanique. Le but vers lequel tendent ces recherches est double : reconstituer la langue-mère hypothétique, l'indo-européen, et expliquer par des lois phonétiques toutes les transformations qu'elle a subies et qui ont provoqué la diversification des langues de cette famille. Mais en traitant la langue comme un objet physique, soumis à des lois d'évolution naturelles, cette démarche tend à éliminer la dimension psychologique et sociale du langage. Avec l'avènement à la fin du XIXe siècle de la psychologie et de la sociologie, se produit une remise en cause qui va mener à la linguistique moderne. Celle-ci trouve dans le Cours de linguistique générale du Genevois Ferdinand de Saussure (1916) sa formulation la plus achevée. 243 La linguistique structurale O Contre la réduction de la langue à un matériau
phonétique, Saussure c'ommence par affirmer le caractère institutionnel des langues : ce sont des réalités sociales partagées par une communauté, un « trésor » commun qui permet la compréhension réciproque. Les échanges verbaux incessants assurent sa stabilité. Au lieu de se tourner exclusivement vers l'étude historique, que Saussure appelle une étude diachronique, il propose de considérer avant tout la langue en synchronie, c'est-à-dire dans le présent de son usage effectif. Ceci va de pair avec l'affirmation de la primauté de la langue parlée : prenant le contre-pied des grammairiens attachés essentiellement aux textes httéraires et plus largement aux documents écrits, la linguistique moderne considère la langue parlée comme seule pertinente, à elle de lui fournir ses données. Pour Saussure, le véritable objet de la linguistique, loin d'être offert à l'observation immédiate, est le produit d'une construction. Il met ainsi en place trois concepts : langage, langue, parole. L'étude du « langage » ' n'est pas propre à la linguistique, elle concerne tout aussi bien les sociologues, les physiologistes, les psychologues, etc. C'est la « langue » qui constitue l'objet du linguiste, le système envisagé en lui-même et pour lui-même. Ici intervient la thèse de l'arbitraire de la langue : le système linguistique a son ordre propre, qui ne s'explique que par lui-même. On le voit, Saussure revendique par là l'autonomie relative de la linguistique, opérant en cela un geste comparable à celui de Durkheim pour la sociologie. Complémentaire de la « langue », la « parole », au-delà de l'opposition entre écrit et oral, correspond à l'ensemble virtuellement infini des énoncés conformes au système. La «parole» est à la fois le point de départ et d'aboutissement de la « langue ». En effet, le linguiste part de la « parole », des énoncés effectifs et en les étudiant construit le système, la « langue ». Mais cette « langue » est également la condition de possibilité de la « parole » pour la communauté des sujets parlants, des locuteurs.
Le courant auquel appartient Saussure, le structuralisme, a une conception très particulière du système linguistique : ce dernier est considéré essentiellement comme un système de signes. Le signe linguistique y est défini comme une entité à deux faces indissociables, le signifiant (un certain segment de matière phonique) et le signifié (un sens). Le système apparaît comme un réseau de différences entre signes : « un signe est d'abord ce que les autres signes ne sont pas ». Même si les locuteurs ont l'illusion que chaque signe constitue une entité autonome, en réalité c'est le système qui articule, découpe les unités de manière parfaitement arbitraire. Le sens est dès lors subordonné à ce que Saussure, usant d'une métaphore économique, appelle la valeur, définie comme l'ensemble des relations qu'entretient un signe avec les autres signes du système. La recherche linguistique apparaît dès lors avant tout, comme la définition d'unités minimales, dégagées par une opération de commutation : est considérée comme unité pertinente toute unité dont la substitution par une autre provoque une différence de sens. Ce structuralisme linguistique est inséparable de la constitution de la phonologie, qui lui donne son assise et sa crédibilité. C'est N.S. Troubetz koy qui en 1926759 l'a formulée de la manière la plus rigoureuse. Le linguiste doit distinguer entre la phonétique qui étudie les sons dans leur substance matérielle, comme objets physiques, et la phonologie qui prend pour objet les phonèmes, c'est-à-dire des unités abstraites ayant une fonction distinctive dans la langue. Ainsi, des sons phonétiquement très différents (par exemple un I et un r dit roulé) peuvent dans une langue déterminée constituer un seul et même phonème si la substitution de l'un par l'autre n'altère aucunement l'identité des signes ; réciproquement, des sons très voisins peuvent constituer des phonèmes absolument chstincts si leur substitution provoque une confusion entre les signes. En d'autres termes c'est la valeur différentielle qui prime le pur jeu des
relations dans un système d'oppositions760. On peut énoncer ici la fameuse thèse de la double articulation du langage défendue par le linguiste français A. Martinet : le langage est constitué de deux types d'unités placées à des niveaux distincts, unités de « première » et de « seconde articulation ». Les unités de première articulation (noms, préfixes, prépositions, etc.) possèdent un signifiant et un signifié alors que les unités de seconde articulation (les phonèmes) n'ont qu'un signifiant (t, m ou s, par exemple, qui n'existent que par leurs différences avec les autres phonèmes et n'ont aucun sens par eux-mêmes). Cette dissymétrie entre les deux types d'unités est un grand facteur d'économie dans la communication puisqu'avec un nombre très limité d'unités de seconde articulation (quelques dizaines), on peut construire un nombre illimité d'unités douées d'un signifiant et d'un signifié. La linguistique structurale appartient maintenant à l'histoire de la linguistique. Son rôle a été déterminant dans la mesure où elle a défini pour la linguistique un cadre épistémologique explicite et cohérent et l'a fait accéder pleinement aux canons modernes de la scientificité, c'est-à-dire au formalisme. En Amérique du Nord avec des chercheurs comme L. Bloomfield (1933) ou Z. Harris (1951), le structuralisme s'est fait dis-tributionnalisme, cherchant à définir les unités pertinentes sur la seule base de leurs environnements linguistiques. § 2. La linguistique contemporaine 244 La grammaire générative o La linguistique est une activité méta-linguistique, c'est-à-dire une activité langagière qui prend pour objet des activités langagières. Son but ultime est de construire une théorie du langage appréhendé à travers la multiplicité des langues naturelles. Il s'agit donc, à partir de l'étude des divers idiomes, de définir les propriétés de toute langue humaine possible. Dans ces conditions, la
linguistique générale (étude du langage) et la linguistique des langues particulières sont inséparables. Une grammaire est le modèle du fonctionnement d'une langue. Le structuralisme linguistique a été critiqué sur de nombreux points. Sa définition de la langue comme système de signes l'a rendu incapable d'élaborer une véritable syntaxe, une théorie de la combinaisons des catégories. En outre, en se polarisant sur les valeurs purement différentielles des unités, en ramenant toutes leurs propriétés à des problèmes de position sur la linéarité de la chaîne parlée, il a considérablement appauvri le domaine des propriétés linguistiques. C'est au premier chef le linguiste américain Noam Chomsky à la fin des années 1950 qui a critiqué la démarche structurale761. Même si tous les chercheurs ne partagent pas toutes ses options philosophiques et épisté-mologiques, ses idées ont provoqué un bouleversement considérable. Au couple « langue »/« parole » il substitue le couple « compétence »/ « performance ». La « compétence » n'est pas comme la « langue » un système de signes stockés dans la mémoire d'une communauté linguistique mais un système de règles, permettant à un locuteur de produire et d'interpréter un nombre infini de phrases inédites de sa langue. Ce dont le linguiste doit rendre compte, c'est en effet de l'intuition linguistique des sujets parlants, de leur capacité à dire d'une phrase si elle est ou non grammaticale, c'est-à-dire si elle est ou non conforme au système de la langue qu'ils parlent. La compétence chomskyenne a donc un versant psychologique clair ; il existerait, innée, une faculté de langage dans le cerveau, un système inconscient mobilisé quand le petit enfant apprend une langue particulière. Grâce à cette compétence il est capable de construire très vite sa grammaire et de produire et de comprendre des phrases qui ne ressemblent pas nécessairement en tous points à celles qu'il lui a été donné d'entendre effectivement : c'est ce
pouvoir d'outrepasser le donné que Chomsky appelle la créativité linguistique. Sur l'organisation de la grammaire et de la recherche ces prises de position ont des répercussions importantes. La linguistique a pour but de décrire et d'expliquer le fonctionnement de la compétence. Pour ce faire, la grammaire doit devenir générative, elle doit constituer un modèle capable d'« engendrer», c'est-à-dire d'énumérer explicitement, toutes les phrases grammaticales et rien que les phrases grammaticales d'une langue donnée. Là où le structuralisme s'appuyait essentiellement sur la phonologie pour caractériser les relations entre signes, la grammaire générative place au centre de son dispositif la syntaxe et fait de la phrase l'unité fondamentale de l'activité langagière. Alors que dans le structuralisme la formalisation demeurait assez élémentaire, la théorie générati-viste donne une place fondamentale à l'évaluation des formalismes de la grammaire : quels sont les plus appropriés pour décire et expliquer les propriétés des langues naturelles ? Enfin, la grammaire générative définit la recherche sur le modèle des sciences empiriques, comme l'élaboration d'hypothèses « falsifiables » (K. Popper), c'est-à-dire dont on peut démontrer la fausseté. Le linguiste commence par délimiter un certain nombre de données, autour d'un problème, défini à partir du cadre théorique dans lequel il travaille : pourquoi telles phrases sont-elles grammaticales et telles autres ne le sont-elles pas ? Il construit pour en rendre compte, une hypothèse qu'il lui faut alors tester. Pour cela il prédit un certain nombre de conséquences sur des faits hnguistiques indépendants de son hypothèse. Si ces prédictions sont exactes, l'hypothèse peut être considérée comme vérifiée : sinon il faut la reformuler. Mais derrière ce cadre épistémologique constant, la grammaire généra-tive a
considérablement évolué. Au début il s'agissait d'une théorie trans-formationaliste, qui recourait au maximum aux transformations d'une phrase en une autre phrase (par exemple d'une phrase active à une phrase passive) mais à partir des années 1980, le modèle a supprimé les transformations et recouru à des représentations de plus en plus abstraites, qui font appel à des catégories vides, c'est-à-dire des unités qui jouent un rôle syntaxique sans avoir d'existence phonétique, sans être immédiatement perceptibles762. 244-1 Les autres théories O La recherche linguistique ne se hmite cependant pas aux travaux de Chomsky, même si ce sont eux qui dominent la scène. Il existe des théories plus ou moins dissidentes de la grammaire générative (par exemple celle de J.-C. Mimer en France763) et des théories qui se définissent sur des bases très différentes. C'est en particulier le cas de l'école d'A. Culioli764 à Paris. Il définit un modèle de grammaire fondé sur l'éhonciation, c'est-à-dire sur l'inscription du sujet parlant et de son interlocuteur dans le système linguistique. C'est le dialogue qui est donc mis au centre de la réflexion mais pour insister sur la dissymétrie entre production et réception ; en particulier l'interprétation de l'énoncé par le destinataire est par essence incertaine, l'ambiguïté étant constitutive du langage. Cette théorie associe étroitement syntaxe et sémantique dans l'activité énonciative : il devient impossible de séparer les opérations de référenciation (grâce auxquelles les énoncés renvoient à la réalité extralinguistique) et les opérations de modalisation (c'est-à-dire la manière dont le sujet se situe par rapport à ce qu'il est en train de dire). Reprenant une tradition illustrée par G. Guillaume dans les années 1930àl950, Culioli entend voir les énoncés comme la trace d'opérations mentales très abstraites plutôt que comme la combinaison d'unités discrètes : par exemple le terme « bien » dans Bien qu'il parte je reste ou II peut bien faire ce qu'il veut est le
marqueur d'une même opération dont le linguiste doit restituer l'incidence. 245 La pragmatique O Comme nous l'avons dit, le champ des études sur le langage est partagé entre deux grands domaines, l'un prenant en charge le système de la « langue » au sens saussurien, l'autre considérant plutôt le langage comme discours, c'est-à-dire dans son efficace sociale. C'est évidemment le second aspect qui intéresse le plus directement les sciences sociales. Ce partage, qui prolonge la distinction inaugurale entre grammaire et rhétorique, laisse néanmoins subsister de vastes zones indécises. Perpétuellement, en effet, renaît le désir d'articuler la structure de la « langue » sur son usage social. C'est en particulier l'effort de la pragmatique, qui reproche au structuralisme d'avoir presque totalement évincé le sujet parlant du système de la langue et d'avoir séparé le langage de son contexte d'énonciation, alors même qu'une analyse adéquate des structures linguistiques montre que leur présence est déterminante. Cet ensemble encore très disparate de recherches se place à la confluence de deux traditions, l'une, plutôt européenne, illustrée dans les années 1960 par les noms d'E. Benveniste765 et de R. Jakobson766 s'intéresse à la modalisation, aux temps verbaux, aux personnes linguistiques, etc. pour montrer comment le sujet parlant mobilise à son profit le système de la langue quand il profère une énonciation ; l'autre, plus anglo-saxonne, développe la problématique des actes de langage. Cette dernière est issue des travaux du philosophe anglais J. L. Austin767 qui a mis en évidence l'existence d'énoncés « performatifs », qui présentent la singularité d'accomplir ce qu'ils disent par le seul fait de le dire (ainsi Je le jure ou Je déclare la séance ouverte, que l'on peut opposer à des énoncés non performatifs comme La terre est ronde ou Paul a juré
d'épouser Marie). Progressivement Austin sera amené à considérer que toutes les énonciations constituent des actes de langage (affirmer, ordonner, suggérer, etc.), ce qui élargit considérablement le champ de la sémantique en ouvrant l'énoncé sur l'ensemble de sa situation d'énonciation. De manière générale, la perspective pragmatique a pour effet d'articuler étroitement le juridique et le linguistique. Les actes de langage supposent un cadre juridique spécifique qui fait appel à des concepts comme ceux de statut, de légitimité ou de contrat ; accomplir tel ou tel acte de langage, c'est se conférer un certain statut, conférer le statut corrélatif au destinataire, poser son énonciation comme légitime dans le contexte, etc.768. Certes, pour promettre, par exemple, il n'est pas nécessaire de vérifier que toutes les conditions qui rendent légitime cet acte sont effectivement réunies, mais le seul fait de promettre présuppose, implique que ces conditions sont réunies. Parler, c'est non seulement transmettre un certain contenu mais encore « montrer » qu'on a le droit de parler comme on le fait. L'une des applications les plus fécondes de la perspective pragmatique est la théorie de l'argumentation linguistique telle qu'elle est développée en particulier par O. Ducrot769 et J.C. Anscombre (1983). Pour une part essentielle, en effet, les locuteurs produisent leurs énoncés pour en faire admettre d'autres par leurs interlocuteurs. Or les langues naturelles disposent de ressources spécifiques à cet effet. Dire, par exemple, Paul n'a pas lu tous les livres de Platon, c'est aller dans le sens d'une conclusion négative (« il n'est pas compétent... ») alors que dire Paul a lu beaucoup de livres de Platon, c'est aller dans le sens contraire, et ceci indépendamment du nombre effectif de livres que Paul a lus. Ce sont donc les éléments linguistiques, ne. pas ou beaucoup, qui décident de l'orientation argu-mentative. Dans cette
optique on peut aussi étudier tout un ensemble de « connecteurs » qui ont un rôle argumentant aussi efficace que discret : mais, eh bien, d'ailleurs, finalement, pourtant... Les travaux inspirés par la pragmatique accordent également une importance très grande à l'implicite, qui enveloppe toute l'activité langagière et oriente subrepticement l'interprétation de l'énoncé770. On signalera deux domaines particulièrement importants, celui des présupposés et celui des sousentendus. Dans une phrase comme « Nous refusons la décadence de notre pays » il y a deux registres bien distincts : d'une part quelque chose qui est affirmé explicitement (le refus) et soumis à une éventuelle discussion, d'autre part un contenu qui passe presque inaperçu car présenté de telle façon qu'il semble soustrait à la discussion (« le pays est décadent »). Le premier type de contenu est dit « posé » et le second « présupposé ». En répartissant comme il l'entend posés et présupposés le locuteur peut « piéger » son destinataire. Quant au sousentendu, il permet aussi de dire sans dire mais en laissant à l'interlocuteur le soin de faire luimême l'inférence, en fonction de certaines règles : dans certaines circonstances « les entretiens ont été francs » peut sous-entendre qu'on n'est parvenu à aucun accord. Ce sont ces mécanismes que le prag-maticien tente de mettre à jour. Le champ de la pragmatique est pour le moment extrêmement mouvant mais ses préoccupations vont dans le sens d'une meilleure compréhension de l'efficacité sociale du langage. Il est d'ailleurs significatif que nombre de passerelles se soient établies entre pragmatique et eth-nométhodologie : la « mise en scène de la vie quotidienne » de Goff-marin trouve un terrain de prédilection dans l'analyse conversationnelle771, qui permet d'étudier les rituels de l'échange linguistique et leurs effets sociaux. 246 Les disciplines connexes de la linguistique O
La linguistique intervient de manière cruciale dans d'autres disciplines. Ici on se gardera de confondre les applications de la linguistique et les disciplines connexes de la linguistique. Les premières se contentent d'utiliser certains acquis de la linguistique à des fins pratiques : rééducation de la parole ou de l'ouïe, pédagogie de la langue, réalisation de dictionnaires, etc. L'efficacité des techniques ainsi mises au point décide de la pertinence de ces emprunts. Ces applications n'ont en règle générale qu'une incidence très faible sur le développement de la réflexion sur le langage. En revanche, les disciplines connexes ont leur destin étroitement lié à celui de la linguistique. On citera en particulier la psycholinguistique772 et la sotiolinguistique773. La première, à la jonction de la psychologie et de la linguistique, étudie l'activité linguistique comme une fonction du psychisme, tant d'un point de vue de psychologie individuelle que de psychologie sociale. C'est surtout le problème de l'apprentissage linguistique qui a retenu l'attention, suscitant un vaste controverse entre les tenants du caractère largement inné des structures linguistiques (cf. Chomsky) et ceux qui accordent une place prépondérante au processus d'acquisition lui-même dans le montage de ces structures (cf. Piaget)774. Mais bien d'autres aspects sont étudiés : le processus de production et de compréhension des énoncés, les mécanismes associatifs, les relations entre la catégorisation grammaticale et la catégorisation psychique, etc. De toute manière, imphcitement ou exphcitement, toute théorie linguistique s'appuie sur une certaine conception de la psyché. La sociolinguistique a un statut très instable. Elle oscille en effet entre deux attitudes : une attitude critique et une attitude de compromis. Dans le premier cas la sociohnguistique s'oppose à une linguistique considérée comme réductrice (travaillant sur des données appauvries et avec
des présupposés inadéquats sur la nature des langues et de la société) : dans le second cas, le sociolinguiste se contente d'étudier un certain nombre de phénomènes qui ne sont pas pris en compte par le « pur » grammairien, car ils ne concernent pas directement la question de la grammaticalité. La première attitude, très contestatrice, est bien illustrée par P. Bourdieu (1982) qui critique radicalement la conception que se font habituellement les linguistes de leur objet : pour lui le langage est pris dans une lutte généralisée pour le pouvoir et il convient de l'appréhender comme tel. Quant aux domaines traditionnellement réservés à la sociohnguistique, ils sont très variés : problèmes de dialectologie (patois, dialectes, langues.de minorités [en France le basque par exemple]), langues régionales (occitan) mais aussi variation du parler en fonction des classes sociales, de l'âge, de l'origine ethnique, des groupes (argots) ; problèmes de niveaux de langues (variation en fonction de la situation d'énoncia-tion : situations formelles, familières, code écrit, code oral...) : problèmes de norme (comment se constitue la norme dans une société déterminée ? quelle est sa fonction ?...) ; problèmes de contacts de langues (situations de bilinguisme de divers types, de plurihnguisme, création de langues intermédiaires...) ; problèmes de politique linguistique... Ce champ d'étude est extrêmement vaste puisqu'il intègre tout ce qui dans le langage est susceptible, de quelque manière que ce soit, de marquer une identité sociale. Entre sociologie et linguistique, les échanges ne peuvent donc qu'être constants (la définition d'une langue, par exemple, fait appel à des critères linguistiques ainsi qu'à des critères sociaux) mais comme leurs points de vue sont distincts leurs domaines ne sauraient être confondus. Face à une phrase de français populaire comme « Le mec que j'te dis est vachement sympa », le linguiste et le sociohnguiste ne se poseront pas le
même genre de questions. Le premier étudiera en particulier le type de phrase relative dont il s'agit, l'élision du e de je, l'emploi particulier du verbe dire, considérant que cette phrase, bien que rejetée par la norme, est grammaticalement cohérente. Le sociohnguiste, en revanche, tout en s'appuyant sur l'analyse linguistique sera sensible avant tout au caractère déviant de cet énoncé et à ses effets sociaux. La sociolinguistique, partagée entre linguistique et sociologie, ne peut qu'évoluer avec ces deux disciplines. Elle a donc pris un tour très différent selon les pays et les conjonctures. C'est ainsi que dans les années 60 aux États-Unis, la recherche la plus importante, celle de W. Labov (1973), a été menée sur le parler des Noirs américains, permettant de développer une méthodologie originale d'analyse de terrain. En Angleterre B. Berns-tein (1975) a travaillé sur la manière dont les diverses classes sociales usent du langage : pour lui la situation de classe d'un sujet déterminerait une sorte de structure profonde de la communication, « restreinte » ou « élaborée ». En France dans les années 80 après une domination de la problématique marxiste classique, c'est l'influence de l'ethnométhodologie et de la sociologie de Bourdieu qui se font le plus sentir, associées à l'extension du courant de la pragmatique linguistique. Globalement, on assiste à un renforcement des liens entre sociolinguistique et anthropologie775, au développement d'une microsociologie des interactions verbales. 247 L'analyse du discours O Ce champ d'études qui s'est développé depuis la fin des années 1960 relève de la sociolinguistique mais la spécificité de ses préoccupations lui confère une certaine autonomie. Ce qu'on appelle « analyse du discours » recouvre des recherches très diverses, menées avec des présupposés théoriques et des objectifs eux-mêmes très variés. Toutes partent néanmoins du principe que les énoncés ne se présentent pas comme des phrases ou des suites de phrases mais comme des textes. Or le texte est un mode d'organisation linguistique
spécifique qu'il faut étudier comme tel en le rapportant aux conditions dans lesquelles il est produit. Considérer la structuration d'un texte en le rapportant à ses conditions de production, c'est l'envisager comme discours776. Dès lors le champ d'investigation est immense. Un certain nombre de recherches se tournent vers une typologie des discours : caractériser et expliquer les règles de la narration, du dialogue, de la description... ; de l'article scientifique, de la conférence de presse, du journal télévisé... On se tourne aussi vers l'étude d'ensembles vastes comme le discours journalistique, le discours juridique, le discours politique, le discours publicitaire... Certains comme le discours littéraire ou les mythes ont bénéficié depuis longtemps d'un intérêt soutenu (il suffit de songer à toute la réflexion qui s'est développée autour des « genres » littéraires depuis plus de deux mille ans). A côté de ces recherches typologiques il existe des recherches qui tentent d'étudier les fonctionnements discursifs à partir d'une certaine position idéologique. Cette fois, il s'agit d'étudier comment s'inscrit dans la société une identité énonciative (le discours du parti socialiste tenu en tel lieu et à telle époque, les manuels d'histoire de l'école laïque de telle année à telle année...), comment le discours s'articule sur des institutions non verbales. C'est dans ce domaine que s'est constituée à la fin des années 60 ce qu'on appelle «l'école française d'analyse du discours ». Elle tente d'intégrer les recherches hhguistiques dans une problématique qui s'inspire de la pensée d'Althusser, de Foucault et de la psychanalyse. Ces travaux, d'abord tournés presque exclusivement vers des corpus politiques, se sont élargis à des types de discours plus variés777. Comme la sociolinguistique, les diverses analyses du discours évoluent avec les conjonctures des sciences humaines. Depuis les années 80, ce sont les théories de renonciation et la pragmatique qui lui fournissent la plus
grande partie de son armature conceptuelle. 248 La linguistique dans les sciences sociales O Dans les années 60, au moment où le structuralisme était à son apogée, la linguistique était souvent présentée comme la « science pilote » des sciences sociales, tentées de trouver leur unité dans une sorte de sémiologie générale, une théorie des systèmes de signes. Ce projet s'est peu à peu défait. La disparition de la linguistique structurale a eu pour conséquence de replier la science du langage sur le singularité de son objet. Le stxucturahsme hnguistique reposait sur des concepts et des procédures d'une très grande généralité (substitutions, combinaisons, niveaux d'analyse...) ; c'est cela qui le rendait aussi aisément exportable. A partir du moment où la grammaire se construit sur des propriétés strictement linguistiques les rapports avec les autres sciences sociales sont inévitablement devenus beaucoup moins simples. Mais cela ne signifie pas que les ponts puissent être coupés. Étant donné le rôle crucial que joue le langage dans la société, et son importance pour la pensée philosophique du XXe siècle, les sciences sociales le rencontrent sans cesse sur leur chemin. Nous avons déjà évoqué la psy-choet la sociolinguistique ; on peut évoquer aussi un domaine où les échanges avec la hnguistique ont toujours été denses, la théorie de la littérature qui s'appuie sur la stylistique, à la jointure de la grammaire et de l'expression littéraire ; la création publicitaire a beaucoup bénéficié du savoir acquis dans ce domaine. Mais nous insisterons surtout sur des domaines en pleine expansion, liés à l'informatisation de la société : par exemple l'enseignement assisté par ordinateur ou la traduction automatique, c'est-àdire la mise au point de machines capables de traduire des énoncés d'une langue en une autre (ainsi pour la Communauté européenne le projet «Eurotra»). Mais l'informatique est concernée de manière plus directe par la recherche linguistique quand il lui faut travailler à rapprocher les langages des machines et les
langues naturelles. Pour finir on évoquera l'expansion considérable des sciences cognitives, qui, à la jointure de la psychologie, de la neurologie, de rinformatique permettent de développer des « systèmes experts » en faisant largement appel à la linguistique. De manière générale, par son statut à la fois « formel » et « social » la linguistique est vouée à jouer un rôle charnière dans le mouvement de décloisonnement des disciphnes auquel on assiste aujourd'hui, en particulier sous l'impulsion de l'informatique. 249 Bibliographie o Arrive (M.), Gadet (F.), Galmiche (M.) 1986. - La Grammaire aujourd'hui, Flammarion, 720 p. Austin (J.-L.) 1962. - Trad. Quand dire c'est faire, Seuil, 1970. *Benveniste (E.) 1966. - Problèmes de linguistique générale I, Gallimard, 357 p. - 1974. - Problèmes de linguistique générale II, Gallimard, 288 p. Bernstein (B.) 1975. - Langage et classes sociales. Codes socio-linguistiques et contrôle social, Minuit, 347 p. Bloomfield (L.) 1933. - Trad. 1968, Le langage, Payot, 257 p. Bourdieu (P.) 1982. - Ce que varier veut dire, Fayard. Charaudeau (P.) 1983. - Langage et discours, Hachette, 175 p. *Chomsky (N.) 1957. Trad. 1969, Structures syntaxiques, Seuil, 144 p. *- 1975. - Trad. 1977, Réflexions sur le langage, Maspero, 283 p. 1980. - Trad. 1985, Règles et représentations, Flammarion, 280 p. 1982. - Trad. 1987, La nouvelle syntaxe, Seuil, 382 p.
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581 Aspects de leur étude O Les objets qu'étudient avec tant de soin les ethnographes sont à considérer sous divers aspects. D'une part pour situer le niveau d'évolution d'une civilisation : objets de bronze ou de fer et plus proche de nous, nombre de voitures, de téléphones, d'appareils de télévision ou de machines à laver ; mais aussi pour étudier le sens de cette évolution. La technologie est une des branches des sciences sociales qui étudie les outils et instruments dont se servent les hommes et les conséquences sociales des progrès techniques. Depuis l'usage de la lunette, en passant par celui de rétrier, de la découverte de la roue, jusqu'au progrès de l'automation, la sociologie et la science politique peuvent tirer des
informations importantes des matériaux apportés par la technologie. Le marxisme considère comme fondamental le rôle joué par les moyens de production et l'infrastructure de la société, pour déterminer les superstructures ou formes que revêtent les rapports sociaux, politiques, etc. Plus près de nous, de nombreux auteurs se sont penchés sur les distinctions qui se précisent à l'intérieur de la classe ouvrière, en fonction des progrès techniques, en particulier de l'automation. Enfin l'étude peut porter sur la signification des objets, soit l’objet-symbole, lié à un rite, mais ayant une signification propre : l'anneau dans le mariage, les drapeaux des associations ; soit l'objet indifférent en tant que tel, prenant une valeur du fait de son contexte, c'est le cas de la signification du « don » découverte par M. Mauss1196. On doit aussi envisager l'étude des liens plus subtils et non codifiés qui peuvent unir aujourd'hui encore l'individu à ce qui l'entoure : voiture, objets personnels, cadre de vie. Malgré la fortune du mot «fonctionnel», qui correspond à une notion éminemment pratique et utilitaire, le besoin de symbolisme des hommes ne paraît pas se réduire sous l'influence de l'envahissement technique et scientifique. Tout au plus pourrait-on dire que l'irrationnel se déplace, se transforme, mais que l'imaginaire conserve ses droits. Les belles études de G. Bachelard1197 sont sur ce point fort convaincantes. Il serait intéressant de tenter de mesurer la part de besoin de mystère et d'extraordinaire, qui subsiste à notre époque malgré les progrès scientifiques (part variable suivant les individus, le climat), et d'étudier son évolution. Les progrès de la science nous amènent toujours à de nouveaux pourquoi,
mais au fond, sur ce qui nous touche le plus, la Mort, l'Amour, nous-même, l'autre, les autres... le mystère reste entier. L'animisme, c'est-à-dire le fait de donner une âme aux objets, n'est-il pas une façon de jouer dans la vie un jeu plus personnel, de nous exprimer, de nous faire des amis, de créer autour de nous un réseau de protection qui nous soit propre ? Dans quelle mesure est-ce là une défense contre le côté implacable de la technique ? § 2. L'iconographie
582 Domaine O L'iconographie comprend la documentation par l'image autre que la photographie, c'est-à-dire dessins, gravures, peintures, etc. Cette documentation est pour le passé extrêmement précieuse, puisqu'elle est le seul témoignage réel de l'aspect humain de la vie. Les musées possèdent des vêtements d'époques révolues. Seuls les tableaux nous renseignent sur ceux qui les portaient; de même en ce qui concerne les meubles, c'est grâce aux gravures et tableaux que nous reconstituons le cadre de vie, l'ambiance d'une époque. Les dessins des vases antiques, ancêtres des dessins animés, nous renseignent sur la vie quotidienne des individus. A l'époque actuelle, la peinture, ses tendances, sont très significatives1198. 582-1 Tags et graffiti O Le tag est une variété particulière de graffiti qui a pris naissance aux États-Unis en 1970 sous la forme de l'inscription d'un nom en lettres stylisées, répété à des dizaines d'exemplaires. Ce nom n'est pas celui du tagueur, mais le surnom qu'il emprunte, le plus souvent à un univers de légende (bande dessinée, cinéma), suivi du numéro de la rue où il habite. Le tag ne mentionne aucune revendication. Il est autocentré, sa dimension sociologique provient de son
caractère urbain, souvent ethnique, propre à la génération des 14-25 ans. Le but du tag est de se faire connaître ou reconnaître, de marquer symboliquement son territoire. Les lieux choisis sont les espaces publics, stations de métro, wagons qui apportent le plaisir supplémentaire de voir passer son nom à travers la ville. Les tagueurs s'organisent en bandes concurrentes qui se distinguent par leur graphisme, les lieux où ils opèrent et leur plus ou moins grande propension à la bagarre. Des associations tentent d'intégrer les tagueurs dans des circuits artistiques, les municipalités octroient des panneaux. Le coût du nettoyage devient exorbitant1199. Des études montrent que de nombreux tagueurs deviennent des délinquants. La répression devient plus sévère, les produits antitags s'améliorent, les tageurs alors se professionnalisent. A partir de 1975 la mode des tags décroît aux États-Unis. La dernière rame de métro est nettoyée le 13 mai 1989. En France : Le premier article faisant allusion aux graffiti date de 1986 1200. La tentative de canaliser le mouvement est immédiate. A la différence des E.U. il s'agit en France non de signatures, mais de graffiti. Ils procurent l'exaltation de la transgression, ajoutée au risque de se faire prendre. Ils permettent l'anonymat et font la part belle à l'imaginaire. Le tagueur s'évade de sa triste condition de frisé, de bronzé pour devenir un héros. Les Américains ont réussi à éliminer le problème, les Français espèrent en faire autant. Pourtant si les tagueurs des deux pays se ressemblent, la diffusion s'opère de façon différente. A New York il s'agit d'un phénomène de masse d'où se dégage une élite. En France au contraire la mode des tags trouve son origine dans des graphistes connus qui souvent signent leurs œuvres. Enfin en France le tag ne constitue pas une « marque » de territoire et ne se réfère pas à un quartier d'origine.
Les tags comme tous les graffiti sont illégaux et classés comme dégradations. La répression s'exerce en fonction de deux critères : le lieu d'inscription et le degré d'indélébilité de la peinture employée. Malgré les progrès des techniques d'effaçage, la répression se durcit1201. Faute de critère de qualification précis pour chstinguer le graffiti, mode d'expression d'une certaine culture1202 du graffiti acte de dégradation, c'est l'aspect financier qui le plus souvent dicte la sentence1203. § 3. L'étude des chansons
583 Leur signification1204 O La chanson, bien avant la presse, a constitué un moyen d'expression de l'opposition politique et sociale0. En dehors du contenu et des paroles, le type de gestes, de mouvement qui accompagnent ou non la chanson (rock) sont également révélateurs d'un type doté1205 plus ou moins grand succès, dans quel type de public. § 4. Cinéma, radio, télévision, enregistrements
Les procédés d'enregistrements auditifs ou visuels : cinéma, magnétophone, permettent de compléter l'observation humaine dans l'espace et dans le temps, de remédier à ce qu'elle a de trop partiel et surtout de trop éphémère. Grâce au magnétophone, il n'est plus exact de dire que les paroles s'envolent. La voix s'imitant moins facilement que l'écriture, les faux oraux sont plus rares que les faux écrits. 584 1 L'aspect technique O II s'agit bien ici d'un type spécial de documentation, recueilli grâce à une technique particulière, souvent dirigée par l'individu même, qui s'en sert pour prolonger, améliorer, compléter ses propres observations. Alors que l'élément technique n'intervient que de façon secondaire, en tant qu'agrément ou présentation dans le document imprimé, on peut dire que la
télévision et la radio, dépendent, pour leur qualité, de toutes les contingences des appareils d'enregistrement, de transmission, etc. De plus l'élément d'utilisation de l'outil, qui est le propre de la technique, est ici la marque de l'artiste, de son style. Les cinéastes savent bien reconnaître d'après la façon de se servir de la caméra, un René Clair d'un Truffaut. Rien de semblable dans le document écrit. Si le style de l'écrivain dépend évidemment de sa personnalité, de sa manière de penser, la façon dont il tient son stylo demeure sans influence sur sa façon de s'exprimer. Il existe bien dans le langage cinématographique un « style ». Mais cette notion est différente de l'idée de forme, telle qu'elle est conçue traditionnellement dans le domaine littéraire1206. Par exemple de quoi est composée la notion même de rythme si importante au cinéma ? quels critères permettent de distinguer ses diverses manifestations ? qu'est-ce qui rend perceptible la notion de durée ? suivant quelles catégories classer les images ? le pourcentage d'images extérieures, paysages ou coins de nie séparant les dialogues, leur succession, la durée de chacun, les temps non parlés, la recherche d'une sonorisation, d'une adaptation de celle-ci aux thèmes (la mer et le vent dans l'Awentura), les trucs, les tics des metteurs en scène, analogues à ceux du langage des écrivains, si sensibles chez Bergman par exemple. L'enregistrement ou la pellicule permettent d'abord de. conserver la documentation, ensuite de la reproduire et de corriger les lacunes de la mémoire. Cette documentation conservée, offre l'avantage de pouvoir être soumise à des observateurs différents. Enfin, le cinéma surtout permet une observation globale à laquelle des individus isolés ne peuvent parvenir. Qu'il s'agisse en ethnologie de cérémonies rituelles, en science politique d'un défilé ou d'un meeting, un seul
observateur ne peut tout voir. En revanche, ayant participé ou observé la réalité, il peut grâce au film compléter son information. Cependant ces outils précieux ont leurs limites, ils ne donnent que des matériaux bruts comme la vie. Il faut comme toujours, poser les bonnes questions. Si ces documents relèvent des techniques documentaires du fait qu'on peut les reproduire, les observer plusieurs fois, ils font aussi partie des techniques vivantes, car si l'on ne peut questionner les gens qui défilent sur l'écran, du moins les observe-t-on directement comme une réalité en train d'être vécue et non comme un texte écrit, ou une histoire racontée après coup. 585 2° Nature de l'influence exercée par ces moyens1207 O La mécanisation, la reproduction, ne sont pas importantes seulement en tant qu'instruments de propagande, par la plus ou moins grande influence qu'elles exercent, mais par la nature de cette influence. On a déjà noté la puissance suggestive du cinéma, l'atmosphère de chambre noire que renforce la présence collective, l'effet hypnotique du grand écran qui facilite l'évasion et l'identification. Il serait intéressant de comparer, suivant les domaines, l'influence de la télévision chez soi, à celle du film dans la salle obscure. Les moyens mécaniques modifient l'expression de certains aspects de la vie et des relations entre les êtres. C'est ainsi que les hautparleurs et écouteurs permettant les traductions,simultanées, exercent une influence indépendante de la personnalité et des qualités de l'orateur. Dans un congrès international important, la dimension de la salle et le nombre d'auditeurs, la distance qui les sépare de l'orateur, détruisent tout rapport direct et l'orateur sera conduit par la technique même, à adopter un style ennuyeux et impersonnel.
En revanche, la télévision, elle, rapproche l'orateur de l'auditeur, jusqu'à le faire pénétrer dans l'intimité du foyer. Ici interviennent alors les qualités nouvelles requises aujourd'hui de l'homme politique1208. Le fait d'être photogénique, d'avoir un style, une mimique, des gestes, qui conviennent à la télévision devient une condition de réussite aussi importante que l'éloquence dans le passé. L'utilisation des techniques audio-visuelles pour l'enseignement, va également modifier les valeurs pédagogiques requises jusqu'ici. Ces techniques sont appelées à se développer, mais on ne connaît pas encore bien le genre de réactions que ces moyens, utilisés à doses massives, susciteront. L'aspect passif des enfants regardant la télévision a déjà été souligné. Il nécessite du professeur un rôle actif, pour commenter et discuter avec les élèves. Le cours audio-visuel atténuerait ainsi les excès des cours magistraux. 586 3° Le type d'information, le contenu O La variété des informations possibles est aussi grande qu'en littérature. Films et enregistrements sont utilisés aussi bien en ethnologie qu'en anthropologie, sociologie et histoire. Le contenu s'analyse comme celui des documents écrits : recherche des mythes, symboles, thèmes, types de héros, de femmes. Mais plus que le contenu au sens strict, c'est plutôt la nature de l'information, sa portée, qui caractérisent la documentation cinématographique. La puissance évocatrice d'un film sur Lénine, ou d'un document sur les camps de concentration tel que Nuit et Brouillard, sont particuliers au cinéma. Les discours d'hommes politiques conservés à la discothèque de l'O.R.T.F, permettent non seulement d'analyser les textes, mais surtout de retrouver le ton. Le cinéma restitue de plus la mimique, le geste et l'expression. La télévision touche un public très vaste, parce
que son contenu a un support direct, concret. Les Américains ont montré qu'en période électorale, elle rendait accessibles les informations politiques, à des électeurs qui ne les auraient pas lues dans les journaux1209. Le cinéma restitue donc la vie sous son aspect extérieur matériel, mais suivant les cas, sa puissance de suggestion dépendra du caractère vivant, réel, du document, ou parfois d'un élément plus proche de l'art et de la création, c'est-à-dire de facteurs autres que la simple reproduction de la réalité. Un bon film comme un bon roman demeure plus évocateur qu'un mauvais film réaliste. Enfin, il faut citer certaines possibilités aujourd'hui entrevues, mais non encore expérimentées de façon très convaincante, de valoriser ou d'étendre le potentiel émotif du film ; il s'agit ici de manipulations que subirait inconsciemment le spectateur et dont il serait possible de connaître et de mesurer les effets1210. 587 Bibliographie O
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CHAPITRE 2 LES MÉTHODES ET TECHNIQUES D'ÉTUDE DE DOCUMENTS Retour à la table des matières SECTION 1. L'ANALYSE DES TEXTES
588 Différentes méthodes O Les analyses de documents historiques ou littéraires soulèvent d'abord un problème d'authenticité, de validité de l'interprétation, enfin de véracité des faits relatés. Cependant l'explication de textes littéraires a subi sous l'influence de la linguistique, des modifications qui méritent d'être signalées. 589 Renouveau de la critique littéraire1211 o Pour Bachelard qui est à l'origine de ce renouveau, il faut isoler l'image comme si elle était un être vivant et il prône une phénoménologie de l'imagination ou plutôt écritil une «phénoménologie de l'âme». G. Poulet (1959) transforme la critique en partant non de la matière mais de la forme, reprochant à Bachelard d'avoir tenté d'écrire une histoire de l'imagination pour n'aboutir qu'à une « géographie ». Les existentialistes avec Sartre, l'école du regard (Starobinski), l'école Freudienne (Ch. Mauron), enfin les structuralistes, vont modifier les conceptions traditionnelles. Pour L. Goldmann (1964), marxiste, l'essentiel est «le découpage de l'objet», les rapports entre la forme romanesque et la structure du milieu social. R. Barthes (1965) estime que l'idée de l'œuvre-produit est de moins en moins soutenable et fait place à l'idée de « signe ». Le critique doit découvrir le terme «caché», le «signifié»1212. Mais pour un signe, combien de signifiés ! Enfin T. P. Weber (1964) prône l'analyse thématique. Le thème est défini comme « un événement ou une situation (au sens large) infantile, susceptible de se manifester, en général inconsciemment, dans une œuvre ou un ensemble d'œuvres d'art». Rompant avec le point de vue historique de leurs prédécesseurs, des auteurs aussi différents que R. Barthes, G. Poulet, J. P. Weber, G. Picon, J. Rousset cherchent à travers une lecture globale et totale à saisir avant tout sous des formes différentes, « les éléments fondamentaux de la pensée et du style, [...] L'œuvre doit être atteinte désormais dans son unité organique, comme
structure et non plus comme événement : [...] Il s'agit moins de décrire le contenu d'une pensée que le principe qui l’unifie1213 ». Ceci n'implique pas que la sigmfication conceptuelle de l'œuvre soit sans importance, mais l'objet à saisir est une signification totale, devant laquelle la vieille distinction entre le fond et la forme, entre la pensée et le style, est irrecevable. « Pour avoir l'âme de l'œuvre il n'est pas d'autre fenêtre que sa chair1214. » D'où la place secondaire où seront reléguées les sources livresques, les influences, tout ce qui paraissait essentiel à la tradition de Lanson. Sur le plan technique il ne s'agit plus seulement de rechercher à travers une œuvre la structure d'une pensée, mais, plus simplement, de ne pas isoler un texte de ce qui l'entoure. SECTION 2. L'ANALYSE DE CONTENU § 1. Notions générales
589-1 La communication O Les techniques des sciences sociales, comme celles des sciences de la nature, que ce soit par l'observation, l'expérimentation, l'enquête sur le terrain ou l'analyse de documents, poursuivent le même but : recueillir des informations, des matériaux, des données. Mais les matériaux que les sciences sociales offrent à notre réflexion ont ceci de particulier qu'ils sont en grande partie composés de communications, qu'il s'agisse de communications orales : textes de discours, comptes rendus d'entretiens, ou de communications écrites: textes officiels, articles de journaux, ceci aussi bien dans le domaine historique que dans celui des lettres ou de la politique. Il ne faut pas confondre communication et information. Cette dernière est seulement un fragment qui peut se cumuler avec d'autres. La communication est plus globale. Elle prend en compte l'ensemble de ces fragments, les interprète en fonction de la représentation
que s'en font l'émetteur et le récepteur. Prend en compte comment ? Interprète dans quel sens ? D'après quels points de repère ? L'utilisation de plus en plus répandue d'ordinateurs permet le traitement de données plus nombreuses. Enfin la multiplication des informations issues des moyens de communication incite à tenter de mesurer leur influence. Ce chapitre intéresse particulièrement les hommes politiques à la recherche du dialogue, du consensus, etc.1215, mais aussi les linguistes, les sociologues et les politologues que le structuralisme et le systémisme1216 ont préparé à ce type d'approche. Tout ceci aboutit à un foisonnement de recherches sur la communication, bien qu'il n'existe pas plus que dans les autres sciences de définition acceptée par tous, ni en admettant qu'elle soit possible, une véritable théorie de la communication. Si l'on se reporte aux recueils américains, on mesure sans doute la vitalité du domaine, mais aussi la disparité des sujets que tente, en vain, de regrouper l'I.C.A.1217. Cependant on peut distinguer à côté de la conception large des sociologues celle plus restrictive de certains psychologues et linguistes. La communication n'est plus « qu'une composante de l'interaction entre agents, celle qui recourt à l'échange de signes codés1218 ». Mais à l'intérieur de ces deux tendances prolifèrent les différences et pourtant toutes ont quelque chose en commun : leur matériau. En effet quel que soit le niveau à atteindre, les données à rassembler pour comprendre, expliquer des opinions, des conduites, des actions, ces données sont presque toujours d'origine verbale. Même l'action lorsque nous l'appréhendons est enrobée d'un contexte de
mots. La démission d'un ministre ou l'influence de la télévision se traduisent par des paroles, des écrits, donc des mots. Le message soumis à l'analyse relève du langage donc de la linguistique et l'on peut concevoir une classification souple des procédures d'analyse d'après le recours plus ou moins grand à cette discipline. Cependant plutôt que de catégories tranchées ou d'étapes chronologiques dans l'évolution du recours à la linguistique, il nous paraît plus conforme à cette réalité multiforme, d'envisager un continuum progressant de l'analyse de contenu, limitée à une quantification de mots et de thèmes, jusqu'à une étude sémiotique, en passant par des incursions plus ou moins réussies, dans le domaine de la linguistique. 590 Évolution et définitions O La nouveauté de l'analyse de contenu, a consisté à substituer à l'impressionnisme, dépendant des qualités personnelles de l'observateur, des procédés plus standardisés, tendant parfois à quantifier, en tout cas à convertir les matériaux bruts en données pouvant être traitées scientifiquement. Pour cela, le texte va être découpé, c'est-à-dire étudié en fonction des idées ou des mots qu'il contient, ceux-ci étant choisis ou recensés en liaison avec l'objectif cherché. Par exemple, combien de fois tel parti utilise-t-il le terme « justice sociale » dans une campagne électorale ? Quelle différence existe-t-il entre les discours de Staline et ceux de Kroutchev en ce qui concerne le genre de griefs adressés aux États-Unis ? La définition de l'analyse de contenu est, d'après Berelson, la suivante : « C'est une technique de recherche pour la description objective, systématique et quantitative, du contenu manifeste des communications, ayant pour but de les interpréter1219. »
Objective. - L'analyse doit procéder selon des règles, obéir à des consignes suffisamment claires et précises pour que des analystes différents, travaillant sur le même contenu, obtiennent les mêmes résultats. Ceci suppose qu'ils se soient mis d'accord sur les aspects à analyser, les catégories à utiliser et la définition opérationnelle de chaque catégorie. Systématique. - Tout le contenu doit être ordonné et intégré dans les catégories choisies, en fonction du but poursuivi. Des éléments d'information ayant trait à l'objectif ne doivent pas être laissés de côté. Quantitative. - Le plus souvent, il s'agit de dénombrer des éléments significatifs, de calculer leur fréquence, etc. Mais cette condition n'est pas indispensable et certaines analyses de type qualitatif recherchent les thèmes plus qu'elles ne les mesurent. Cette définition date de 1955. Avec les progrès de l'analyse, les auteurs du «General Inquirer1220» proposent une nouvelle définition: «Toute technique permettant de faire des inférences en identifiant objectivement et systématiquement les caractéristiques spécifiées du message ». Le terme inférence marque l'élargissement de la procédure qui permet dorénavant la mise en rapport des traits httéraux et des traits sociologiques, « l'analyse de contenu s'oriente vers la formalisation des relations entre thèmes, permettant de traduire la structure'des textes1221 ». Nous voyons ici supprimées les premières exigences : manifeste et quantitative, et apparaître les notions de forme et de structure. Née d'une réaction contre l'analyse littéraire ancienne, trop subjective, et d'un besoin de systématisation imposé par la multiplication des communications, l'analyse de contenu va d'abord s'efforcer de quantifier. Sans doute, comme en d'autres domaines des sciences sociales, de nombreuses études ont-elles été
inspirées par la mode de la quantification plus que par l'importance du sujet, mais ici encore ce ne sont pas ces inévitables gaspillages qui comptent, mais les progrès réels accomplis et les résultats obtenus. Sur ce point, les nécessités de la guerre ont été déterminantes. Les progrès de la recherche appliquée ont entraîné ceux de la recherche théorique. Un des premiers exemples connu d'analyse de contenu, est une étude publiée en 1886. L'auteur analyse de façon très moderne le sens des mots par rapport à l'usage et l'opinion des Anglais. Il remarque que les termes : loi internationale, intérêts, moralité, sont utilisés en fonction des conceptions régnantes sur le rôle de la Grande-Bretagne vis-à-vis des autres nations. Cette recherche, malgré son intérêt et sa nouveauté, souffre d'une lacune fondamentale sur le plan de la méthode : l'auteur n'indique pas ses sources et nous ignorons en fonction de quel critère ont été sélectionnées les citations. Plus près de nous, c'est à Lasswell1222 que l'on doit les progrès de la technique de l'analyse de contenu. L'auteur étudie un certain nombre de thèmes de la propagande des pays belligérants pendant la Première Guerre mondiale. D'autres travaux ont été entrepris en Allemagne et aux États-Unis aux alentours de 1930, sur la propagande durant la guerre, mais ils souffrent tous du même manque de méthode en ce qui concerne les sources. Un élève de Lasswell, Schuyler Forster, a étudié la façon dont, durant la période antérieure à la déclaration de guerre américaine, le New York Times traitait les nouvelles du conflit européen. Des tableaux graphiques montrent que la décision américaine n'est intervenue qu'après une série de crises d'intensité croissante. Pendant le dernier conflit mondial, l'analyse de contenu faisait partie des moyens de
défense militaire ; des experts de la radio de Londres traitaient systématiquement la masse de communications diffusées par la propagande nazie. Us avaient si bien pénétré les mécanismes de l'adversaire qu'ils arrivaient à prédire certains événements à partir des informations elles-mêmes. Aux États-Unis également, l'analyse de contenu systématique était utilisée régulièrement, c'est ainsi que l'étude de documents de l'agence Transocean permit d'identifier ses représentants comme étant des agents nazis. Après une période d'enthousiasme pour la quantification, le découragement s'était emparé d'un certain nombre de chercheurs, déçus sans doute, parce qu'ils attendaient de cette méthode plus qu'elle ne pouvait apporter. On paraît avoir abordé ces dernières années une deuxième étape. D'une part, les machines offrent à l'heure actuelle d'immenses possibilités de recherches, d'autre part, les limites de l'analyse quantitative étant mieux connues, on l'utilise à meilleur escient et surtout on tend à la compléter par des emprunts à la linguistique. 591 Divers types d'analyse de contenu : 1° Analyse d'exploration ou de vérification. Analyse dirigée ou non dirigée O Insistons d'abord sur la distinction capitale propre à toutes les recherches de sciences sociales : la distinction entre l'analyse de documents ayant pour but la vérification d'une hypothèse, analyse dont l'objectif est précisé, qui sait ce qu'elle cherche et quantifie ses résultats et celle dont le but consiste d'abord à explorer. Il est évident que la première est plus facilement rigoureuse et systématique. Un certain nombre de règles lui sont déjà applicables et elle bénéficie d'une technique accessible. La recherche d'hypothèses, en revanche, ne peut jamais être standardisée, car elle fait avant tout appel à l’intuition et à l'expérience.
Si l'on veut classer, en vue d'une quantification, certains éléments significatifs dans une documentation, il faut savoir ce que l'on veut dénombrer. Comme le remarque A. L. George (1959), lorsque l'on effectue des analyses de contenu quantitatives sur un grand nombre de données, sans l'aide d'hypothèses nettes, on gaspille en général son temps et ses efforts. Sur le plan de la systématisation, il faut admettre l'analyse dirigée, mais en reconnaissant ses inconvénients : le risque de laisser les éléments essentiels, mais imprévus, en dehors du champ d'étude. 592 2° Analyse quantitative, analyse qualitative O L'analyse de contenu née d'une volonté de quantification en réaction contre l'analyse littéraire, considérait la notion de qualitatif comme exclue de ses préoccupations et opposait le qualitatif et le quantitatif: impressionnisme contre systématisation, hypothèse au lieu de vérification, souplesse ou rigidité. A. L. George retient comme seule différence essentielle le fait que l'analyse qualitative repose sur la présence ou l'absence d'une caractéristique donnée, tandis que l'analyse quantitative recherche la fréquence des thèmes, mots, symboles retenus. Sans doute l'analyse quantitative peut-elle se préoccuper également de la présence ou de l'absence de certains attributs, mais cet élément n'est retenu qu'en tant que distribution de fréquence, d'où l'on tirera des conclusions. Pendant la guerre, le commentateur de la radio nazie, traitant des succès des sous-marins allemands, déclara : « Nous ne sommes pas assez naïfs pour spéculer sur le futur à partir de cette victoire. » Cette petite phrase isolée dans une propagande euphorique, n'aurait pas été retenue dans une analyse quantitative. Sur le plan qualitatif elle était extrêmement intéressante, comme début de mise en garde du public allemand contre des déceptions futures.
Plus que les notions de présence ou fréquence (tout ce qui est présent n'intéresse pas forcément l'analyse quahtative), nous serions tentés de voir la différence entre les deux types d'analyses, dans la façon dont elles conçoivent la notion d'importance. Dans l'analyse quantitative, ce qui est important, c'est ce qui apparaît souvent, le nombre de fois est le critère, alors que dans l'analyse quahtative, la notion d'importance implique la nouveauté, l'intérêt, la valeur d'un thème, ce critère demeurant évidemment subjectif. Toute analyse se situe ainsi entre deux possibilités, mais aussi deux écueils : adopter des catégories très fines, rendant compte de la réalité, mais la reproduisant de trop près, en une liste de thèmes dont chacun n'aura qu'une fréquence faible, ou regrouper les données en un nombre limité de catégories, mais en sacrifiant une information, peut-être essentielle, qui se trouvera perdue dans le résultat final. 593 3° Analyse directe ou indirecte, communication représentative ou instrumentale O L'analyse quantitative emploie le plus souvent la mesure sous une forme directe. La comparaison entre deux propagandes comportera la totalisation des thèmes après recensement des symboles, etc., purement et simplement dénombrés. Ceci représente la forme la plus répandue et la moins élaborée. Mais on peut, à partir d'une analyse -quantitative, rechercher une interprétation plus subtile, par exemple ce qui est latent sous le langage manifesté. L'interprétation indirecte, c'est-à-dire au-delà de ce qui est dit n'est pas le seul apanage du qualitatif, elle peut parfaitement s'appuyer sur un contenu quantifié. Imaginons qu'un malade tente diverses manœuvres pour provoquer une réaction chez le thérapeute qui l'observe. Le contenu de l'entretien pourra être analysé de façon quantitative. On trouvera chez le sujet tant de
thèmes ou de minutes de plaisanterie, tant d'agressivité ou de provocation, tant de manifestations d'irritation, etc. On pourra comparer le comportement et la stratégie de ce malade à celle d'un autre, mais cette quantification de comportements manifestes nécessitera tout de même une hypothèse, forcément qualitative. Alors que le plus souvent, la quantification se contente de présenter des résultats cHffrés, ici la variation des stratégies, l'apparente incohérence du contenu, obligent à chercher une hypothèse explicative dans ce qui est latent et non quantifié : le désir du sujet de provoquer une réaction chez le thérapeute. L'analyse quantitative directe se contente de comptabiliser les réponses telles qu'elles sont données. L'analyse quantitative indirecte peut parfois, au-delà de ce qui est manifeste, atteindre par inférence, même ce que l'auteur a voulu taire. Dans ce domaine, les silences inusités, le débit, le rythme du discours, le choix des mots dans un texte écrit, bref les caracté ristiques formelles, moins consciemment contrôlées par l'auteur de la communication, qui en ignore souvent la valeur informative, peuvent être très révélateurs. Ces caractéristiques constituent de précieux indices concernant l'auteur du message, surtout lorsqu'il s'agit d'une communication instrumentale, c'est-à-dire destinée à produire un certain effet sur le récepteur, par opposition à la communication purement représentative qui informe sur l'état de l'émetteur. I. de Sola Pool (1959) donne comme exemple le cri de douleur « aïe » qui est du type « représentatif » et nous avertit de la douleur de celui qui l'émet, alors qu'un mensonge est au premier stade instrumental, ayant pour but d'agir sur le récepteur, de l'inciter à croire, à imaginer...
Presque toutes les communications ont à la fois des aspects représentatifs et des aspects instrumentaux. Ainsi, déclare Pool, un homme qui a très chaud et soif pourra se contenter de dire : « Mon Dieu qu'il fait chaud», c'est l'aspect représentatif de la communication; il nous renseigne sur l'état de cet homme. L'aspect « instrumental » non exprimé, tente de provoquer chez le récepteur la réponse : « Puis-je vous offrir quelque chose à boire ? » Dans la pratique de l'analyse de contenu, il est très important de savoir si le message est « représentatif » ou « instrumental ». Dans le premier cas seulement, il pourra être pris dans son sens apparent, sans chercher audelà. Au contraire, si le message a pour but de produire un certain effet chez le récepteur, l'émetteur variera sa stratégie, les messages différeront, mais leur but sera constant. Dans le cas, signalé plus haut, du patient tentant de provoquer une réaction chez le thérapeute, les manifestations d'ironie, de plaisanterie ou de désespoir considérées comme « représentatives » de l'émetteur étaient incompréhensibles. Interprétées en tant que message «instrumental», elles suggèrent une hypothèse plausible concernant, non l'état d'esprit réel de l'émetteur, mais le but qu'il poursuit. Nous trouvons ici l'importante notion de niveau. Si l'on admet, ce qui est à la base même de l'analyse de contenu, que les communications sont révélatrices de la personnalité de leur auteur, il faut préciser à quel niveau de celle-ci l'on veut se placer: veut-on atteindre son inconscient ou ce qu'il a conscience d'être, ou seulement étudier ce qu'il veut paraître, ce qui se manifeste dans le message ? Une des contributions importantes de Freud a consisté à interpréter l'inconscient de façon instrumentale. Les symboles représentatifs des rêves sont considérés comme influencés par les buts de leur auteur et révélateurs de ceux-ci. La difficulté de l'interprétation instrumentale réside dans les changements possibles des stratégies, en fonction d'un même but. Celui-ci peut être
identifié une fois pour toutes (cas du patient attirant l'attention du thérapeute). Dans des cas complexes, la sinuosité des stratégies risque d'obliger à une révision des indices et catégories de l'analyse. Le contexte servira de guide pour interpréter l'application, ou non, de la stratégie et ceci nous amène à un autre assouplissement apporté à l'analyse de contenu purement quantitative. 4° Analyse de contingence et analyse évaluatrice o II s'agit dans le premier cas de dépasser la simple fréquence pour étudier les associations entre les items retenus. Dans le second cas le psychologue Osgood1223 propose de retenir les jugements portés à partir de concepts significatifs, pour obtenir une échelle d'évaluation selon les émetteurs. 5° Analyse conceptuelle conibinatoire O Tentative intéressante d'intégration à l'analyse de contenu de techniques différentes, il s'agit d'étudier dans un corpus délimité les combinaisons de concepts pour en découvrir l'organisation thématique. O. Carré (1973) retient toutes les formes possibles de combinaison de concept entre les deux pôles : Islam et socialisme, dans les manuels scolaires arabes. Nous voyons ici à la fois une application de l'analyse de contenu inspirée de Berelson et une procédure proche des travaux de J. C. Cardin (1963) consacrés à l'analyse du Coran sur cartes perforées. § 2. L'Utilisation de l'analyse de contenu
L'analyse de contenu peut servir à traiter : 1° Tout le matériel de communications verbales mis en jeu dans la vie sociale, qu'il s'agisse de textes écrits : documents officiels, livres, journaux, documents personnels ; ou oraux : radio, télévision, ou d'activités pouvant être décomposées, classées : analyse d'une réunion, de l'emploi du temps d'un contremaître ou d'un préfet.
2° Tout le matériel spécialement créé par la recherche sociologique ou psychologique : comptes rendus d'entretiens, discussions de groupe, réponse à des questionnaires. 1° Étude de la communication dans le cadre du rapport émetteur-récepteur1224 O Berelson distingue jusqu'à seize usages de l'analyse de contenu. Dans le cas de communications quelles qu'elles soient, nous nous trouvons en présence d'un émetteur qui lance un message ayant un contenu et une forme, cette information est émise pour atteindre un but, elle s'adresse à un ou plusieurs récepteurs. Ce qui en résumé donne : qui parle ? Pour dire quoi ? Comment ? à qui ? Avec quel résultat ? Schéma que proposait H. D. Lasswell (1949). On peut, suivant les cas, intervertir l'ordre de ces questions mais elles recouvrent bien l'ensemble des problèmes. L'analyse de contenu permet donc d'étudier : a) Qui parle? ou étude de l'émetteur O Nous trouvons ici deux situations possibles. L'émetteur réagit à un stimulus plus ou moins contrôlé par l'observateur : entretien dirigé par un psychothérapeute. Ou, cas le plus fréquent, l'analyste n'a aucun rapport avec rémetteur et cherche d'après le contenu des informations émises : lettres, discours, à déterminer certaines de ses caractéristiques. L'analyste peut chercher qui est l'auteur du message : personnalité de tel romancier, ou certaines caractéristiques de l'émetteur. Pendant la guene, les Américains analysèrent des lots de lettres de civils allemands, en provenance de villes bombardées, pour mesurer la résistance de leur moral1225. Des études de White1226 comparant les discours d'Hitler et de Roosevelt, montrent que le premier évoque le thème de la force dans la proportion de 35 % contre seulement 15 %
pour le deuxième. 598 b) Pour dire quoi ? O On cherche à reconnaître les directions successives que prend le contenu du message : comparaison des thèmes de propagande pendant la Première et la Deuxième Guerre mondiale, comparaison entre les slogans utilisés en U. R. S. S. dans les discours pour le 1er mai, où les symboles révolutionnaires à portée universelle du début, ont été remplacés par des symboles « nationaux »1227. On peut étudier le courrier d'un homme politique ou l'évolution de la presse du cœur. Le plus souvent il s'agit de comparer des matériaux issus de sources différentes. Les Américains ont étudié les grands thèmes de drames populaires représentés aux ÉtatsUnis et en Allemagne de 1910 à 1927, comparé les idéaux scouts et nazis d'après leur littérature1228. - Construction de normes d'évaluation1229. L.A. Sussmann (1945) a démontré par une étude de contenu, que la radio ne respectait pas les normes d'objectivité qu'elle prétendait avoir établies. L'analyse permet aussi d'étudier la « lisibilité » des textes, de prévoir ainsi les difficultés que pourront rencontrer les écoliers. - Contribution aux techniques de recherche. L'analyse de contenu rend de grands services dans les techniques d'entretien (codification des réponses ouvertes) et comptes rendus de comportement de groupes, dont elle a facilité l'étude en rendant possible la systématisation. De plus, elle est utilisée dans de nouveaux domaines des sciences sociales : techniques de propagande, études littéraires ou linguistiques, solution de problèmes d'authenticité ou de chronologie.
599 c) A qui ? ou étude du récepteur O On détermine d'abord qui est le récepteur, à qui s'adresse le message. Il peut être utile d'interpréter au- delà du manifeste, ce qui est latent. Le message de tel dirigeant s'adresse à son pays, mais en fait, il vise la prochaine session de l'O. N. U. et l'opinion internationale (point de vue instrumental). L'étude du message destiné à tel public permet d'étudier celui-ci, de reconstituer les valeurs et intérêts des groupes sociaux qui le composent : études sur l'évolution de l'intérêt du public américain entre 1900 et 1930 d'après les magazines populaires1230 d) Comment ? O Ce domaine paraît relever davantage du qualitatif, mais l'analyse de contenu quantitative l'étudié également. Le « comment » comporte l'étude de la forme, c'est-à-dire des moyens par lesquels un message cherche à produire, ou produit, une impression. C'est quelque chose d'éminemment quahtatif et subjectif, mais vu sous un aspect quantitatif. On étudie les éléments qui concourent à produire cette impression : choix des mots, répétitions, composition de la phrase, etc. Les catégories seront toujours qualitatives, mais l'analyste va quantifier les données qui s'y rapportent, par exemple les termes utilisés et suivant les totaux obtenus, il pourra prouver en quoi la propagande des alliés durant la Deuxième Guerre mondiale était moins émotionnelle, moins moraliste, plus réaliste, sinon plus vraie, que pendant la première, ou que le ton de la propagande de Roosevelt en 1940 était d'un type plus émotionnel que celui de Wilkie. L'on peut analyser en quoi les bandes dessinées actuelles diffèrent des livres pour enfants du XIXe siècle, non seulement par le contenu, les thèmes, mais la présentation et le style, le « comment » ils sont exprimés. e) Avec quel résultat ? O On se propose de connaître l'effet du message sur le récepteur. On peut étudier les réponses des lecteurs à un
article, ou étudier l'effet d'un film sur des enfants, ou encore se livrer à une enquête sur une émission radiophonique, cas de l'étude faite par H. Cantril (1947) sur la panique qui suivit aux États-Unis la fameuse émission de Wells sur l'invasion de New York par des Martiens. Parfois le résultat n'est pas recherché a posteriori dans les faits. Il s'agit d'une prévision, c'est le cas de la préparation d'une campagne électorale ou d'une publicité commerciale. On veut influencer un public donné dans un certain sens. On peut également, lorsque les stratégies d'un émetteur sont connues (cas des études de propagande nazie), prévoir ce qu'il cherche, ses buts cachés à travers le contenu manifeste de ses informations. 602 2° Élargissement récent du cadre de l'analyse de contenu o Le développement de l'analyse de contenu s'est opéré depuis la Deuxième Guerre mondiale dans le cadre du schéma de Lasswell : qui parle ? à qui ? pour dire quoi ? comment ? avec quel résultat ? Sans doute recouvre-t-il bien les diverses directions de recherche en ce domaine1231. Cependant, parallèlement au raffinement de l'analyse ellemême, on a ces dernières années tenté, non de modifier le schéma, mais de l'enrichir, en particulier en ce qui concerne qui parle ? à qui ? avec quel résultat ? Les premières analyses de contenu visaient simplement l'étude de l'acte de communication lui-même, c'est-à-dire la source du message, son aspect plus ou moins persuasif et l'auditeur, personnage abstrait, plus ou moins atteint par le message. Il s'agissait là d'un découpage arbitraire de la réalité sociale, car celle-ci comporte un grand nombre de messages et l'émetteur et le récepteur ne sont pas isolés dans un circuit à
l'écart des autres. La multiphcation des études sur les communications, ont amené à prendre en considération l'influence de l'environnement, pour mesurer l'effet d'une communication particulière aussi bien sur l'émetteur que sur le récepteur. 603 a) L'auditeur O Sur le plan individuel, les recherches tiennent compte des divers facteurs qui peuvent influencer la manière de recevoir un message. D'abord par la sélection de l'auditoire. Les études de P. Lazarsfeld (1949) ont rapidement découvert ce que bien d'autres recherches ont depuis confirmé : « le programme de radio sélectionne son public avant de l'influencer ». Ensuite, une même communication correspond à un besoin ou à des besoins différents suivant les individus, mais plus le contenu est proche des préoccupations personnelles du public, plus il a de succès. Enfin chaque individu sélectionne, trie, perçoit, comprend, déforme la communication en fonction de ses besoins. Sur le plan du groupe, nous retrouvons les mêmes problèmes. Dans la mesure où l'individu fait partie de groupes primaires (famille, amis, etc.) il approuvera ou refusera la communication, suivant qu'elle est ou non conforme aux valeurs des groupes auxquels il adhère. C'est ici qu'intervient la notion de groupe de référence1232, celui auquel on désire adhérer. Sur le plan général, les expériences et recherches sur des auditoires beaucoup plus larges, où les facteurs sont nombreux et difficiles à isoler, sont évidemment plus délicates à organiser. Il s'agit surtout de recherches effectuées sur la propagande, pendant la guerre ou pendant des campagnes électorales. Ces études, même portant sur des échantillons importants, ont très rapidement débouché sur la reconnaissance de l'influence primordiale des groupes primaires. L'individu touché par le message réagit, même sur les grands problèmes (communisme, vote), en
fonction des valeurs sociales, teUes qu'il les perçoit à travers une dimension plus quotidienne, c'est-à-dire ramenées aux besoins de sa personnalité, teUe qu'eUe s'est adaptée à son entourage. Une des études les plus frappantes en ce domaine est celle de E. A. Shils et M. Janowitz (1948) mesurant l'influence de la propagande alliée sur l'efficacité au combat de l'armée allemande, pendant la Deuxième Guerre mondiale. Contrairement à ce que certains supposaient, ce n'étaient pas les convictions politiques, ni même patriotiques, qui soutenaient le moral des combattants et les rendaient réfractaires à la propagande alliée, mais bien les liens de solidarité qui les unissaient à leurs groupes de combat, lesquels étaient eux-mêmes intégrés dans l'organisation plus vaste de l'armée allemande dont ils avaient adopté les valeurs. Ce n'est que lorsque ces groupes étaient dissous que la propagande devenait efficace auprès des individus isolés. Quantité de faits empiriquement observés s'expliquent par des théories plus générales, bien que partielles, de psychologie sociale, dans lesquelles les notions de motivation et de groupe de référence, jouent un rôle important. 604 b) L'émetteur O L'émetteur a été moins étudié. On s'est surtout penché sur le problème de l'influence des mass média sur le public. Cependant certaines études tentent de replacer l'émetteur dans le contexte social qu'il représente : par exemple les recherches faites sur Hollywood et les auteurs de films ; ou encore sur la communication comme moyen de contrôle des groupes et le conflit, en cas de désastre, entre les moyens de communication personnels et officiels1233 ; l'étude de P. Lazarsfeld (1955) sur les divers
types de «personnes influentes » dans une petite ville ; enfin le processus de « feedback » en fonction du rôle joué par l'émetteur. S'il est un leader il ne doit pas seulement émettre des irrfoimations mais en recevoir en retour. Les plus récentes analyses de contenu se sont orientées vers l'étude de la relation émetteurrécepteur, en la replaçant dans un contexte social plus vaste, celui des nombreuses interactions dont on ne peut la dissocier. Ces interactions influencent rémetteur, le récepteur et au-delà de celui-ci, ceux auxquels le message sera transmis indirectement. Dans cet immense ensemble de processus, d'interactions, où certains individus en influencent d'autres qui à leur tour en influencent, etc., l'analyste se trouve en quelque sorte devant un immense réseau invisible de communications, qu'il ne peut observer que par fragments, sans pouvoir encore le reconstituer entièrement. Malgré ces lacunes, les problèmes ne se situent plus au niveau limité du lien émetteur-récepteur, mais à celui plus complexe, de l'intégration de ces rapports dans des rapports sociaux plus larges, soulevant des questions telles que les conflits entre les divers modes de communications, personnelles, orales, audiovisuelles, locales ou nationales ; les informations les plus efficaces et dans quelles conditions, sur quels sujets, etc., le rôle joué par les réseaux de communications suivant les types de sociétés ; la transposition à une échelle plus large des phénomènes observés dans des groupes restreints. Toutes ces questions permettent à l'analyse de contenu de n'être plus seulement une technique étroite, limitée à une quantification ou à une recette d'efficacité, mais de poser, sinon de résoudre, de grands problèmes de psychologie sociale et de sociologie. § 3. Étapes techniques de l'analyse de contenu
Comme toute recherche1234, la première étape consiste à avoir l'idée de ce que l'on
cherche et à préciser son objectif. Dans un entretien, c'est le questionnaire qui permet d'interroger les enquêtes, dans l'analyse de documents, c'est par le moyen des catégories, que l'analyste va recuéntales données. L'objectif étant précisé, le choix des catégories constitue la première étape de la technique propre à l'analyse de contenu. 605 1° Première étape : le choix des catégories
a) Formulation des catégories O Les catégories sont les rubriques significatives, en fonction desquelles le contenu sera classé et éventuellement quantifié. Lorsqu'il s'agit d'un matériel obtenu par une enquête, ces catégories prévues à l'avance forment un code. Deux situations peuvent se présenter. Dans le premier cas on cherche à vérifier une hypothèse, les catégories ont été prévues à l'avance. Il s'agit d'une enquête d'opinion par interview; la préenquête a permis d'établir un codage suivant les types de réponse : très favorable, peu favorable, etc. Ou il s'agit de vérifier une hypothèse d'après un document, de mesurer des variables, bref de cas dans lesquels l'objectif est suffisamment précisé pour déterminer à l'avance des catégories. C'est alors un véritable questionnaire que l'on pose au matériel en fonction de ce .que l'on cherche. Dans le deuxième cas il s'agit de dénombrer les éléments d'un contenu sans hypothèse préalable, les catégories n'ont pas été prévues. On cherche simplement à établir une sorte d'inventaire des diverses opinions exprimées ou des arguments utilisés. On peut également viser un but plus complexe et plus large (qu'il s'agisse de documents ou d'entretiens psychologiques).
L'analyse de contenu doit faire apparaître les variables et facteurs d'influence que l'on ignore. Thèmes, attitudes décelées, dénombrées, doivent alors fournir une direction de recherche ou une explication. L'analyse descriptive devient détectrice d'un contenu latent. Par exemple l'analyse des entretiens dans le cadre de l'enquête de la Western Electric, devait amener à découvrir les facteurs d'influence jouant sur le moral des ouvriers. En l'absence d'hypothèse de départ, le choix des catégories est difficile et devra naître du contenu. Il faut relire plusieurs fois le texte à analyser, pour dégager ce qui est essentiel par rapport à l'objectif de la recherche. Les éléments qui semblent importants par leur répétition, doivent suggérer l'idée de la catégorie sous laquelle ils seront regroupés. Dans l'enquête d'exploration, les catégories constituent le cadre de l'analyse. Eues vont permettre de sélectionner les données. Il est prudent de ne pas les définir trop rapidement pour ne pas risquer d'écarter les matériaux qui pourraient, par la suite, se révéler, significatifs, grâce à des hypothèses plus subtiles auxquelles on n'est pas encore parvenu. Il vaut mieux prolonger la période d'essai et établir plusieurs systèmes de catégorisation ou codage1235 avant d'arrêter son schéma de catégories. 606 b) Caractéristiques des catégories O Le choix des catégories représente la démarche essentielle de l'analyse de contenu. Celles-ci font le lien entre l'objectif de la recherche et les résultats, c'est-à-dire, suivant les cas, la proposition ou la vérification d'une hypothèse explicative, d'un diagnostic ou d'une prévision. Comme le déclare B. Berelson : « une analyse de contenu vaut ce que valent ses catégories ».
Il faut distinguer les conditions techniques que doivent remplir les catégories pour assurer la validité de l'analyse et les qualités de finesse, de subtilité qui, elles, dépendent de l'expérience du chercheur, de sa connaissance du milieu, de son intuition. On insistera seulement ici sur les qualités techniques des catégories. Elles doivent d'abord être exhaustives, c'està-dire que l'ensemble du contenu que l'on a décidé de classer doit l'être en entier. Il est bien entendu possible de laisser volontairement de côté certains aspects du contenu. C'est l'objectif poursuivi qui déterminera ce qui doit être quantifié. Exclusives : Les mêmes éléments ne doivent pas pouvoir appartenir à plusieurs catégories. A la question : où l'enquêté a-t-il été intenogé ? une enquête prévoyait les catégories : lieu de travail, domicile, café. Comment classer les paysans pour lesquels la ferme est à la fois domicile et lieu de travail ? Il faut parfois, en l'indiquant dans les résultats, coder un individu dans plusieurs catégories, par exemple : parlez-vous plusieurs langues étrangères ? Un même individu peut être noté dans la catégorie Anglais, Espagnol et Allemand, s'il parle les trois langues. Objectives : Les caractérisques de la catégorie doivent être suffisamment claires pour que différents codeurs classent les divers éléments du contenu dans les mêmes catégories. Pertinentes : En rapport à la fois avec l'objectif poursuivi et le contenu que l'on traite. C'est la pertinence qui risque d'être sacrifiée lorsque les catégories sont prévues d'avance. C'est elle que l'on recherche par
une lecture approfondie des textes ou une meilleure connaissance du milieu. M. Jahoda signale1236 qu'à la question : « quelles sortes de gens avez-vous comme voisins ? » deux catégories de réponses avaient été prévues : celles mentionnant les noirs et celles ne les mentionnant pas. La lecture des comptes rendus d'interviews l'obligea à refondre ses catégories, en fonction des réponses qu'il n'avait pas prévues, pour finalement adopter quatre catégories : groupes raciaux mentionnés, nationalités mentionnées, religion mentionnée, autres... chacune de ces catégories comprenant des sous-catégories de race ou de nationalité. En fait, les catégories doivent provenir de deux sources : du document lui-même et d'une certaine connaissance générale du domaine dont il relève, des réponses s'il s'agit d'entretien, ou des buts, intentions, significations de l'émetteur s'il s'agit d'un texte, tout en tenant compte, suivant les cas, des éléments absents qui peuvent être significatifs. 607 Le cadre de référence O La pertinence implique une condition d'ordre général importante. Lorsqu'il s'agit d'enquête par interview : c'est l'adaptation du cadre d'analyse ou des catégories au contenu empirique que l'on doit classer. Ceci signifie que les catégories, lorsqu'elles sont prévues d'avance, doivent être adaptées au cadre de référence des sujets interrogés et à la situation dans laquelle s'effectue l'enquête. D. P. Cartwright (1959) note, par exemple, à propos d'une enquête sur la crise économique, que les catégories prévues dans les questions étaient trop savantes et ne cadraient pas avec les réponses données par l'homme de la rue. Il était impossible de
classer ce contenu dans des catégories qui ne les recouvraient pas. Une étude sur les conditions d'achat de telle marque de lessive par les ménagères, doit tenir compte de leur situation de ménagère et d'acheteuse, autant que de l'objectif de l'enquête qui est d'informer le fabricant. Lorsqu'il s'agit d'un texte, certains mots ou symboles ne peuvent être purement et simplement comptabilisés, sans tenir compte non seulement du contexte général dans lequel ils se trouvent placés, mais dans un sens plus étroit, de la façon dont ils sont associés à d'autres termes. Il s'agit là d'un emprunt fait à la linguistique, dont nous savons l'importance qu'elle accorde à la place des unités de langage. Pool (1959) déclare que les catégories d'analyse utilisées doivent être en rapport avec la structure des données et les unités, liées aux hypothèses constituant l'objet de la recherche. Ceci signifie qu'un objectif tel que l'étude de la propagande nazie à la radio, ne doit pas se contenter de compter les références critiques à l'égard de la Grande-Bretagne dans telle ou telle émission, sans situer celles-ci par rapport à la stratégie d'ensemble élaborée par les Allemands. De même un roman, une pièce de théâtre, un discours, ont un début, un milieu, une fin, obéissent à des règles que l'on ne peut ignorer et qui doivent exercer leur influence sur le type de catégories et de manières de quantifier. Sur un plan plus limité, cela signifie également que le symbole A doit être interprété différemment s'il est accompagné du symbole B ou du symbole C. Ici il s'agit de leur apparition dans le texte, mais on peut être encore amené, lorsque c'est possible (cf. le document personnel) à rechercher dans le passé du sujet ou dans sa personnalité, l'explication des associations qui
apparaissent dans ses messages. L'analyse du journal de Goebbels, fait apparaître un lien entre l'idée de « généraux allemands » et celle de « friction » dans le cercle des nazis et plus encore entre le public allemand et un mauvais moral. La difficulté de ce type d'interprétation provient de ce que l'on n'a pas de moyens pour prouver la validité des interprétations admises ; or celles-ci sont nombreuses et peu sont apparemment significatives. Cependant l'analyse de ce type représente un moyen terme entre l'analyse purement quantitative et l'analyse qualitative. 608 Difficultés O Cette rapide revue des conditions que doivent remplir les catégories, ne donne évidemment qu'une faible idée des difficultés que présente la catégorisation. Quatre excès sont à éviter : 1° Imposer un schéma trop rigide, a priori, n'appréhendant pas la complexité du contenu, ou 2° élaborer ce schéma de façon superficielle, en ne classant que les éléments manifestes de la communication (phéno-type) sans se référer au contenu plus ou moins latent (génotype). 3° Choisir des catégories trop détaillées et trop nombreuses, reproduisant presque le texte sous prétexte de ne rien laisser perdre, ou 4° des catégories trop grossières, ne distinguant pas suffisamment entre les éléments qu'elles regroupent. Il faut enfin choisir le niveau de ce que l'on cherche à mesurer. Ce choix déterminera en partie le type des catégories. Un discours politique sera-t-il analysé en fonction du contenu manifeste, ce que le député veut que l'on perçoive, ou en fonction de sa personnalité, de ce qu'il est ?
Ici encore la catégorie doit être soumise à l'objectif, elle doit avoir une signification par rapport à l'hypothèse émise, au but poursuivi. 609 c) Standardisation o Malgré la variété des objectifs et sujets d'analyses possibles, certains types de catégories se retrouvent assez souvent. Les auteurs se sont alors demandés si pour normaliser et faciliter les analyses de contenu et les comparaisons, on ne pourrait prévoir des catégories applicables dans un grand nombre de cas. En histoire, par exemple, des grilles seraient utiles. R. Baies1237 a prévu la façon de codifier les relations et attitudes intervenant dans un groupe restreint. R. White a proposé des catégories de valeur. Mais I. de Sola Pool (1959), à l'issue de la conférence où ce sujet fut discuté, déclare : « Nous ne sommes pas encore au point où nous pouvons construire un schéma d'analyse de contenu, car deux analystes devant une même liste de mots risquent fort de les regrouper sous des concepts différents. » Il n'existe pas de réponse unique au problème de la standardisation des catégories de l'analyse de contenu. Pour être satisfaisants, les schémas d'analyse doivent à la fois convenir à un système conceptuel général accepté par tous et à un contenu spécifique, qui change avec chaque nouvelle recherche. Les catégories standardisées présentent, suivant les cas, des avantages et des inconvénients, des possibilités et des impossibilités. C'est le problème du sur mesure et du tout fait, qui dépend du physique de l'individu mais aussi du vêtement dont il s'agit. Un tablier convient plus facilement à toutes les tailles qu'un pantalon. Le plus souvent, faute d'un système de validation pouvant départager les points de
vue différents, chacun continue à choisir intuitivement les catégories qui lui paraissent les plus adéquates. Certains analystes pour comparer les contenus de messages différents (textes de propagande) reprennent les catégories déjà utilisées. En dehors de cette standardisation volontaire, I. de Sola Pool (1959) pense qu'il existe des domaines dans lesquels une standardisation réelle est possible. Par exemple lorsqu'il s'agit de l'intensité de la communication, de l'évaluation du message lui-même. Il estime que les catégories auront d'autant plus de chances d'être objectives et généralisables, qu'elles s'attacheront moins aux conditions d'émission et de réception, caractéristiques de l'émetteur et du récepteur, et davantage à la stmcture même du texte du document, c'est-à-dire qu'elles relèveront de la linguistique. Alors se pose le problème non encore résolu : quels sont les liens existant entre les catégories de langage et les catégories de signification ? quelles sont les différentes façons d'exprimer une même idée ? Ce problème montre encore une fois à quel point le développement de la linguistique et de l'analyse de contenu sont déjà liés et le seront de plus en plus dans l'avenir. S'il n'existe pas de catégories prévues d'avance, applicables à tous les cas, on peut citer des types de catégories qui se retrouvent plus fréquemment que d'autres. 610 Types de catégories O Matière. - Il s'agit ici d'une catégorie d'usage courant. Elle répond à la question la plus simple : de quoi traite la communication ? Très souvent employée dans les analyses devant établir la place accordée à tel ou tel sujet, elle correspond au classement matière des bibhothèques, aux tables des ouvrages et aux grandes rubriques des journaux.
La direction de la communication correspond aux catégories si souvent utilisées dans les enquêtes d'opinion : favorable, défavorable, neutre... Les valeurs. - Il s'agit ici de ce que certains (Berelson) appellent valeurs et d'autres (Lasswell) standards. Ces catégories cherchent à expliciter soit la direction de la communication : pourquoi elle est favorable ou défavorable ? soit le but qu'elle poursuit, ce qu'elle révèle chez les individus, ou à quoi eUe fait appel, autrement dit ce que les gens désirent, veulent, cherchent. Parmi les catégories de valeur, nous trouvons celles que l'on a souvent utilisées pour savoir ce que les enquêtes entendent par réussite : argent, position sociale, famille, auto, etc., ou quelles valeurs apparaissent dans les magazines : amour, argent, héroïsme, goût du risque, etc. Les moyens. - la catégorie peut aussi indiquer les moyens proposés pour atteindre les valeurs. Les discours comporteront par exemple la menace, la persuasion, la force, la négociation. Une étude de 145 discours de campagne présidentielle de 1884 à 1920 (aux E. U.) indique que 40 % utilisent des appels à une classe particulière (en général les travailleurs), 25 % à la loyauté au parti et que les orateurs consacrent plus de temps à critiquer le parti adverse, qu'à se féliciter des résultats obtenus par le leur1238. Les acteurs. - On peut s'attacher à découvrir certains traits individuels des personnages historiques, httéraires, ou simplement des enquêtes. Nous trouvons ici des catégories classiques : âge, sexe, profession, religion, nationalité, niveau d'instruction, complétées naturellement en fonction de l'objectif poursuivi. On peut encore rechercher de quel groupe il s'agit.
L'origine. - On peut classer une documentation historique en fonction de sa provenance, une étude de campagne électorale en : discours, affiches, tracts, journaux; ou encore l'analyse des nouveUes dans un journal en rubriqtues locales, nationales, internationales. On peut également choisir des catégories assez proches, insistant moins sur la provenance en tant que telle, que sur la référence, ce que certains auteurs intitulent autorité. C'est le groupe ou la personne au nom de laquelle est émis le message, qui le cautionne ou qui l'approuve : le fait que les informations concernant l'éducation des enfants, dans les journaux féminins, se réfèrent de plus en plus à des autorités scientifiques et de moins en moins aux traditions1239 Tout ceci concernait le contenu, il existe également des catégories visant la forme. 611 Les catégories de forme O Les programmes de radio peuvent distinguer les émissions musicales en : opérettes, musique classique, musique de jazz, rock etc. On peut admettre des catégories qualitatives, pouvant quantifier les diverses façons par lesquelles un personnage s'exprime : ton humoristique, tragique, tendre, etc., on peut compléter par l'étude de l'intensité. Cette catégorie est souvent utilisée pour distinguer ce qui est émotionnel, sentimental et mesurer l'efficacité par rapport à des messages plus rationnels. 612 d) Exemple concret d'analyse de contenu O Un exposé abstrait rend mal compte de la variété des difficultés concrètes auxquelles on se heurte. C'est
pourquoi, avant d'aborder la quantification proprement dite, deuxième étape de l'analyse, nous voudrions, à propos d'un exemple vécu, préciser les notions vues et préparer les suivantes. Il s'agissait d'analyser le contenu de la campagne pour le référendum de janvier 19611240, dans le journal Le Monde. La précision de l'objectif : campagne pour le référendum, nous permettait d'écarter toutes les rubriques étrangères au référendum. Mais nous nous trouvions devant deux problèmes majeurs correspondant aux deux étapes de l'analyse : Quelles catégories choisir ? en fonction de quoi rassembler les données ? que cherchons-nous ? Comment quantifier ces données ? Quelles catégories choisir ? - Il apparut assez rapidement que l'intérêt du référendum reposait sur le nombre de oui et le nombre de non. Nous pouvions donc sélectionner dans la campagne du journal les arguments en faveur du oui et en faveur du non. Ces catégories étaient fort rudimentaires, car l'extrême-droite et l'extrêmegauche votaient également non et le degré de conviction des oui représentait des intensités très variables. De plus, un certain nombre de formations politiques ne conseillaient ni oui, ni non, mais l'abstention ou encore le renvoi du référendum, ou la liberté de vote, enfin certains articles du journal faisaient des commentaires sans prendre position. Nous avons donc été amenés, pour tenter de regrouper à peu près toutes les tendances de la réalité, à distinguer sur notre tableau les catégories suivantes :
OUI
NON
liberté Sans Abstention de Ajournement prendre vote position
Oui oui non de enthousiaste résigné gauche
non de droite
La lecture du journal et la réflexion nous avaient donc conduits à choisir des catégories de direction : les émetteurs veulent ceci ou cela ; des sous-catégories d'intensité : enthousiaste, résigné. Ces catégories nous ont paru correspondre aux impératifs techniques. Elles étaient objectives (sur la distinction entre oui enthousiaste et oui résigné les deux équipes de codeurs ont bien obtenu les mêmes résultats) ; exhaustives (aucune position indiquée par le journal vis-à-vis du référendum n'était ignorée) ; pertinentes (elles étaient bien en rapport avec l'objectif visé) ; exclusives, ici sans doute se posaient quelques problèmes : lorsqu'un article entier de la Tribune libre présentait des arguments pour le non et terminait en disant qu'il fallait voter oui, comment l'indiquer et le mstinguer d'un article entier consacré au non ? Ceci relevait alors du problème de quantification qu'il faut maintenant aborder. 613 2° Deuxième étape : La quantification du contenu O
Les difficultés de la quantification peuvent être plus ou moins grandes. Lorsque l'on quantifie des réponses à des interviews d'opinion précodifiées : favorable, défavorable, indifférent, sans opinion, il s'agit d'un nombre de fois et le résultat correspond simplement au total de chaque addition. D'autres cas sont plus complexes.
L'analyse du Monde offrait un maximum de difficultés, du fait de l'ambiguïté du référendum lui-même, qui suscitait dans les esprits des réactions très confuses, et de la variété des types d'informations du journal. Cette expérience offre un bon exemple des problèmes que l'on rencontre, et des diverses solutions possibles. Le but de l'analyse consistait à quantifier, en fonction de catégories choisies, les positions vis-à-vis du référendum, contenues dans les diverses rubriques du journal. Ces contenus étaient divers à plusieurs titres :. 1° La campagne électorale a duré trente jours, il y avait donc 30 numéros à étudier. 2° Chaque numéro de journal comportait des rubriques différentes : éditorial reflétant la tendance du journal, tribune libre, informations. 3° Chaque position, oui ou non, utilisait des arguments parfois sem-blahles,.dans des sens dhrerents. La mission de la France pouvait être utilisée aûssïbien par le non de droite que par le oui enthousiaste. Fallait-il comptabiliser tous les numéros du journal ou prendre un échantillon et dans ce cas lequel ? Dans quel cadre devionsnous quantifier ? Fallait-il distinguer les articles ? Tant d'articles pour le oui, tant pour le non... Quelle unité retenir ? compter le nombre de oui ou de non ou compter le nombre de lignes ou de centimètres consacrés au oui et au non ? Nous nous trouvions là devant les principaux problèmes de la quantification de l'analyse de contenu. 614 a) Le problème de l'échantillon O Les premières analyses de contenu souffraient d'un manque de méthode, quant aux
sources des documents qu'eUes étudiaient. Parfois ce problème ne se pose pas, on étudie un texte dans sa totalité ou une série de discours, mais lorsqu'il s'agit d'éléments aussi nombreux que plusieurs années d'un journal, ou aussi variés qu'une propagande, on est bien forcé de délimiter sa recherche. On le fait, soit en sélectionnant le contenu à la source : tel type de journal ou de propagande, soit si ce n'est pas suffisant, en choisissant alors telle ou telle rubrique. Nous pouvions par exemple n'étudier que les Tribunes libres du Monde ou seulement les éditoriaux. Enfin on peut préférer ne pas limiter la matière mais sélectionner un échantillon du journal, représentatif du journal tout entier1241. Quelles sont les caractéristiques qui peuvent assurer la représentativité de l'échantillon d'un document ? On les connaît mal à l'avance. Le plus souvent on les définit en fonction des hypothèses que l'on formule, ce qui est peu scientifique et risque de ne pas tenir compte de tous les facteurs. Berelson note que ce problème de l'échantillon implique en matière d'analyse de communications trois décisions : choix de la source, nombre et date des messages, contenu observé. 615 Choix de la source o II dépend de l'objectif. Une étude de presse peut choisir un échantillon géographique, comprenant la représentation des journaux locaux. S'il s'agit de comparer divers publics de lecteurs, en analysant les romans publiés dans les magazines lus dans chacun de ces milieux, l'univers à étudier sera constitué par l'ensemble des romans publiés dans tous les magazines, parus dans le pays, pendant un certain temps. Il faudra donc établir un échantillon représentatif des magazines, aussi bien que des romans de chaque magazine. Ici nous voyons la
complexité du problème de l'échantillonnage représentatif. Les romans seront-ils considérés comme représentatifs, même si le magazine où ils sont publiés a moins de lecteurs ou moins de pages, ne publie qu'un roman ou plusieurs, etc. ? Comme le dit D. P. Cartwright (1959), si l'analyste veut être en mesure de justifier les conclusions générales qu'il a tirées du matériel analysé, il doit être capable de formuler les raisons qui l'ont amené à circonscrire un univers donné de contenu et à définir cet univers d'une façon précise. Le choix de l'échantillon peut être déterminé par les types de public : féminins, confessionnels, ou par tendances politiques : pour l'Europe, neutraliste, contre l'Europe, ou par importance suivant le nombre de lecteurs. 616 Nombre de messages et période O II faut fixer ensuite le nombre de messages à retenir pour que l'échantillon soit suffisamment représentatif, et la période pendant laquelle prélever ces messages. Le sujet choisi peut déterminer une période, par exemple l'après-guerre ou les effets de tel discours pendant trois mois, mais il reste à préciser cette indication. C'est ici qu'intervient la nécessité, pour l'unité choisie de l'univers à étudier, d'avoir une probabilité connue d'être comprise dans l'échantillon et d'être indépendante de toute corrélation entre les unités de cet univers. Imaginons que l'on décide de prendre comme échantillon d'une étude de journal, un numéro sur sept. Si le hasard d'un tirage au sort fait tirer les numéros du dimanche, qu'adviendra-t-il si celui-ci diffère justement des autres ? Il est donc indispensable, avant l'échantillonnage, de se ren- seigner sur les possibilités de cycles d'évolution, de fluctuations régulières de certaines sources, qui peuvent modifier la
nature des émissions. Un exemple classique est celui de l'étude des mariages dans les rubriques du New York Times du dimanche1242. Cette étude portant sur le mois de juin, signale que le journal ne mentionne aucun mariage juif. Peut-on conclure à de l'antisémitisme ou à une mauvaise information ? Il se trouve simplement, que pour des raisons religieuses, les mariages juifs ont rarement lieu au mois de juin. La période choisie pour l'analyse du journal n'était donc pas représentative sur ce point1243. 617 Le contenu observé O II reste enfin à déterminer l'échantillon de l'échantillon, c'est-à-dire dans le journal considéré, de la période considérée, le contenu observé. Ici encore il doit correspondre aux caractéristiques du journal qui varient en typographie, en emplacement, etc. La première page du journal est différente de la dernière. Le problème de l'échantillonnage, extrêmement important quant à la validité de l'analyse de contenu, est difficile à codifier, étant donné la variété des objectifs. On est souvent amené à utiliser des méthodes très souples, comportant dans une même étude, des types d'échantillons prélevés à des sources, périodes et contenus différents. En ce qui concerne l'étude du Monde, nous avons résolu, pour notre part, le problème de l'échantillon, en décidant d'étudier pendant la durée de la campagne, toutes les infomiations ayant trait au référendum, de tous les numéros du journal Le Monde. Restait le problème de la façon de les quantifier. Nous allons proposer les divers types de quantification et reprendrons ensuite notre exemple.
b) Diverses unités de quantification O Lorsque l'on veut quantifier, il faut choisir les indices à retenir pour catégoriser et décider de la taille des éléments suivant lesquels découper le contenu. L'unité d'enregistrement o La première unité d'analyse est l'unité d'enregistrement, c'est le segment déterminé de contenu que l'on caractérise, en le plaçant dans une catégorie donnée. Les unités d'enregistrement sont de taille variable : Le mot : unité la plus petite. On pourra compter combien de fois certains mots ont été utilisés. Par exemple dans une analyse politique comportant les catégories nationalisme, socialisme, etc., les mots patrie et nation pourraient être considérés comme unités d'enregistrement à ranger dans la catégorie nationalisme. Le thème est le fragment significatif correspondant à l'idée que recouvre une des catégories. Au lieu de se limiter au mot patrie, dans l'exemple précédent, on retiendra un thème, par exemple la démocratie. On peut se contenter de compter le nombre de fois où le thème est abordé, comme on a compté le nombre de mots. Mais ce ne sera pas très exact, ni conforme à la réalité, de compter de la même façon, pour une seule fois, un thème de trois lignes et un autre de trois colonnes. On comprend ici la nécessité, au-delà de l'unité d'enregistrement, qui représente l'élément illustrant la catégorie, d'une unité de mesure plus souple et plus précise que le nombre de fois. Ce sera l'unité dite de numération. Le thème est une des unités d'enregistrement les plus utilisées, en particulier pour l'étude des effets des communications sur le public. C'est aussi une des unités sur lesquelles il est le plus difficile d'obtenir des résultats offrant une
grande fidélité. Cela se conçoit, car les thèmes sont exprimés de façon plus ou moins manifeste, sont abordés et terminés plus ou moins brutalement, sont plus ou moins mêlés à d'autres, bref les différences d'appréciation entre analystes ou codeurs sont difficiles à éviter. Il est indispensable pour obtenir le maximum d'objectivité, de prévoir les signes les plus précis possibles, servant d'indicateurs. Mais il est certain que l'appréciation de l'évocation du thème, de son début ou de sa fin reste subjective. - L'item : ce terme, le plus employé sans doute, l'est de différentes façons. Au sens large, c'est un contenu total : livre, film ou discours. C'est le cas d'analyses de contenu se référant à plusieurs sources1244. Utilisé dans un sens étroit, l'item peut être également synonyme d'unité d'enregistrement, c'est-à-dire de tout ce qui est à mesurer. Le mot, le thème, la question, utilisés comme unités d'enregistrement, seront considérés comme des items. 620 L'unité de contexte O Elle est plus souple et ne relève pas d'une quantification rigoureuse. C'est simplement le plus large segment de contenu (l'unité d'enregistrement étant le plus étroit) auquel on se réfère pour comprendre l'unité d'enregistrement. Par exemple si l'imité d'enregistrement est le mot, l'unité de contexte pourra être la phrase. Ceci est le plus souvent laissé à l'appréciation de l'analyste. Dans le codage des réponses aux interviews, on peut admettre que l'unité de contexte, pour certaines questions, conespond aux deux questions précédentes. Dans ce cas on signale en général aux codeurs : avant de coder la question 10, relire les questions 8, 9...
621 L'unité de numération O II s'agit non plus de la signification de ce que l'on veut compter, mais de la façon dont on va compter. Autrement dit, alors que l'unité d'enregistrement représente, comme son nom l'indique, le découpage de l'élément significatif, l'unité de numération, elle, concerne la façon de mesurer ces divers morceaux. En découpant un animal, on peut choisir des unités d'enregistrement physiologiques : les membres, les organes. On comptera les divers morceaux. L'unité de numération : nombre de morceaux et l'unité d'enregistrement sont confondues. Si l'on veut une mesure précise on aura recours à une unité de numération : le poids. Le nombre de kilos distinguera chaque morceau dans sa catégorie. De même, si l'on veut marquer la différence entre deux thèmes, l'un traité dix fois en une ligne et l'autre une fois en cinquante, il est nécessaire d'avoir une unité de numération (nombre de lignes) distincte de l'unité d'enregistrement (nombre de fois où le thème apparaît). Les unités de numération concernent l'espace ou le temps : paragraphe, ligne, centimètre, minutes d'enregistrement. Elles doivent être susceptibles d'une mesure objective, fidèle et vérifiable, se prêter à des manipulations mathématiques, la plus simple étant l'addition. - La distinction entre l'unité d'enregistrement et l'unité de numération est essentielle. 622 Exemple O Illustrons ces commentaires abstraits par l'exemple concret de l'analyse du Monde et les problèmes auxquels nous nous sommes heurtés pour la quantification. Nous avons d'abord considéré chaque numéro isolément; chacun étant analysé de la même façon, nous avons pu totaliser ensuite les résultats des mêmes rubriques pour obtenir un total
général de tous les numéros. Nous nous sommes ensuite heurtés au problème des unités et l'avons résolu de la façon suivante : Thèmes Catégories Oui Oui Non de enthousite résigné gauche
Non de droite
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Nous avons retenu comme unité d'enregistrement les principaux thèmes de la campagne, découverts dans chaque numéro, nous en avons retenu treize1245. Nous avons commencé par compter le nombre de fois où chaque thème était utilisé et par qui. Unité de numération et unité d'enregistrement étaient donc confondues. Ceci nous a donné une première information (cf. tabl. I). Le résultat était insuffisant, car le tableau ne nous donnait pas l'origine des arguments, leur place dans le journal, ni leur importance. Nous avons donc complété notre première analyse par une deuxième, dans laquelle le journal lui-même était divisé en rubriques, chacune de ces rubriques étant analysée à part, comme nous l'avions fait pour chaque numéro. Nous avons en somme dans ce deuxième tableau, conservé les catégories oui-non, à l'intérieur des rubriques du journal, c'est-àdire : Tribune libre, éditorial, informations générales, opinions personnelles. Par exemple « Le P.C. a décidé de voter non » se plaçait en informations générales, le compte rendu du discours de Pierre Mendès
France, à opinions personnelles. Les catégories oui, non, demeurent les mêmes et les thèmes sont maintenus en unité d'enregistrement (cf. tableau II). Restait à déterminer l'unité de numération. Nous avons, après hésitation, choisi le centimètre carré qui permettait en incorporant les titres et divers types de lettres, de pondérer indirectement l'importance des variétés typographiques, ce que la ligne ou le centimètre ne permettent pas. Nous avions donc en fin de compte le total de centimètres carrés consacré à chaque thème et le total par catégorie oui, non, suivant chaque type de rubrique. Ceci nous donnait une idée plus exacte qu'une simple impression, à la fois de l'objectivité des informations du journal et d'autre part de la pondération relative des divers arguments1246. § 4. Valeur de l'analyse de contenu comme instrument de recherche
L'analyse de contenu est une technique très délicate qui exige beaucoup de temps. Elle implique des qualités d'intuition, d'imagination pour percevoir ce qui est important et choisir les catégories, mais en même temps des qualités de patience, discipline, persévérance, rigueur pour découper, comptabiliser et vérifier des unités de contenu. Ce travail est-il rentable ? Nous retrouvons, appliquées ici à une technique particulière, les questions posées de façon générale à propos de la quantification. Quand et pourquoi l'analyse de contenu est-elle utile ? A quelles conditions nous apporte-t-elle des données plus sûres et plus intéressantes que l'analyse de texte de type classique ? 623 1° Fidélité et validité de l'analyse de
contenu.1247 a) La fidélité O Par définition, l'analyse de contenu doit être objective. Les résultats être indépendants de l'instrument de mesure, c'est-à-dire des codeurs. Des codeurs différents, analysant le même contenu, doivent obtenir des résultats identiques. L'épreuve doit pouvoir être recommencée sans qu'apparaissent des différences. B. Berelson1248 indique que ce problème de la fidélité a été abordé de façon satisfaisante dans un certain nombre de cas, mais n'a pas été traité dans son ensemble et n'a pas reçu de solution générale. A l'heure actuelle, on semble ne pas attacher assez d'importance à ce problème, 75 à 80 % des analyses n'en font pas état et n'offrent sur ce point aucune possibilité de vérification. En revanche, les 15 % de celles qui publient des informations donnent des résultats uniformément très élevés, ce qui laisse planer un doute sur la valeur des autres. Plus inquiétant est le fait que la plupart des analyses qui révèlent leurs cfrifffes, concernent des analyses de contenu très simples, de données faciles à quantifier. Nous retrouvons l'étemel problème des sciences sociales : vaut-il mieux une mesure exacte ou des données très riches ? A cause de cela le problème de la fidélité ne se pose pas de la même manière dans les analyses purement quantitatives d'un contenu manifeste et dans les analyses de type plus qualitatif, où des intentions latentes sont recherchées. Dans l'analyse qualitative, on l'a vu c'est la présence ou l'absence d'un élément, l'importance en elle-même et non la fréquence, qui est retenue. L'erreur de signification sera beaucoup plus grave, c'est pourquoi l'analyste, n'ayant pas à sa disposition d'élément objectif de mesure, sera amené à rechercher dans le contexte, au-delà de ce qui est manifeste, des éléments de
jugement ou d'appréciation. Du fait qu'il travaille de façon plus subjective et le plus souvent seul, l'analyste non quantitatif sera amené à tort à minimiser l'élément fidélité. Nous disons à tort, car plus la façon de recueillir les données sur les intentions de l'émetteur dépend d'une interprétation subjective de l'analyste, plus il est désirable que cette interprétation présente des caractères de constance, répétition et communicabilité. Dans l'analyse quantitative, au contraire, l'analyste traite le plus souvent des éléments ayant une fréquence assez élevée. De ce fait, il attachera moins d'importance à la validité de telle ou telle donnée isolée, supposée exprimer l'intention manifeste de l'émetteur, parce que même si elle est erronée, elle ne modifiera pas sensiblement le total. En revanche, la façon de coder des analystes, la fidélité des diverses classifications seront importantes et retiendront son attention, puisqu'elles servent à obtenir les résultats globaux. 624 b) La validité logique O L'instrument mesure-t-ïl ce qu'il doit mesurer ? Une analyse est valide, lorsque la description quantifiée qu'elle donne du contenu est significative pour le problème posé, et reproduit fidèlement la réalité des faits qu'elle traduit. Bien entendu, la représentativité de l'échantillon, dont on a déjà parlé, est indispensable, sous peine de fausser au départ toute l'étude. Ceci acquis, pour assurer la validité de l'en- semble, il faut d'abord que les conditions techniques propres à chaque étape soient remplies : choix des catégories, indices de quantification, classement des contenus. La validité, comme la fidélité, sera d'autant plus facilement obtenue que l'on aura visé un objectif plus limité et il sera donc plus aisé de prouver la vahdité d'une analyse quantitative, que celle d'une analyse qualitative. La différence se marquera surtout entre les
analyses se bornant à une description de ce qui est manifeste : commentaire de résultats, évolution de tel thème dans tel journal, comparaison entre deux journaux, et celles qui cherchent à interpréter au-delà du manifeste, le contenu latent. Les résultats de celles-ci sont plus contestables. On a reproché à l'analyse quantitative d'interpréter le contenu de la communication en fonction de l'intention supposée de l'émetteur, c'est-à-dire d'émettre une hypothèse qui détermine à l'avance la signification du message au heu du contraire. A. L. George (1959) cite l'exemple d'une personne traitant quelqu'un de «vieux coquin». S'il s'agit d'un enfant on en déduit que l'expression est affectueuse. L'analyste averti doit prouver les raisons pour lesquelles il choisit telle hypothèse de préférence aux autres. L'analyse qualitative est intéressante par sa souplesse. Elle est pour cela, surtout utilisée dans les cas où le contenu change, par exemple dans une propagande. Elle ne doit donc pas s'enfermer dans une hypothèse hâtive, car l'explication émise au départ, en fonction de tel contenu, devra rendre compte également des nouveaux messages. Ceux-ci peuvent être fort différents dans leur expression, tout en poursuivant les mêmes objectifs, ou encore en ajouter quelques-uns que l'analyste devra également détecter. 625 L'inférence O L'interprétation donne heu à un deuxième type de difficultés, c'est la direction positive ou négative de ce que les Américains appellent 1'« inference ». Concluera-t-on de l'analyse de la production littéraire américaine contemporaine que les mœurs sexuelles sont très libres, puisque ce sujet est souvent traité, ou qu'au contraire les auteurs américains écrivent sur ce sujet pour secouer le joug de l'influence puritaine ?
Étant donné les incertitudes qui pèsent sur la valeur des résultats des analyses de contenu les plus intéressantes, c'est-à-dire celles qui fournissent, au-delà d'une description, une explication ou une prédiction, il est important de savoir quels sont les moyens de mesurer leur validité. [Illustation impossible à reproduire] 626 c) Validité empirique et mesure de la validité o La prédiction est-elle juste ? Difficile à mesurer en fonction de ses propres démarches techniques, l'analyse de contenu est également défavorisée par rapport aux autres instruments des sciences sociales, dans la mesure où ses prédictions portent souvent sur des événements d'ordre général, plus difficiles à apprécier, même lorsqu'ils surviennent. Le comportement d'un individu prédit par un interview, ou encore mieux par un test, est évidemment plus facile à valider par sa conduite ultérieure1249. Cependant, pendant la guerre, les spécialistes de la B. B. C. avaient prédit jusqu'à la date approximative des lancements de V2, alors que certains doutaient encore de leur existence. De même on a pu, après la guerre, vérifier a posteriori, dans les documents trouvés en Allemagne, la validité de nombreuses déductions faites pendant la guerre. L'événement peut donc parfois justifier les conclusions de l'analyse. La validité peut enfin se vérifier par des comparaisons entre les résultats des différentes techniques. Les conclusions de l'analyse de contenu de documents personnels, comme nous l'avons vu, peuvent être comparées aux diagnostics d'interviews ou l'analyse de contenu d'interviews à réponses libres, à des tests ou à des mesures d'attitude, ou mieux encore au comportement ultérieur réel de l'individu. 627 2° Utilité et intérêt de l'analyse de contenu, a) Conditions à remplir : Précision,
objectivité O Étant donnée la complexité de la technique de l'analyse de contenu, il paraît indispensable de se demander dans quels cas elle mérite d'être utilisée. L'abus de la quantification, faisant apparaître après beaucoup de travail ce qui était évident, est en partie responsable de la mauvaise réputation de cette technique. Berelson indique que l'analyse de contenu est recommandée dans tous les cas où un grand degré de précision ou d'objectivité doit être atteint. Pour trancher entre deux appréciations différentes : tel document est plus révolutionnaire que tel autre ; lorsque le matériel est suffisamment significatif pour mériter cet effort mais abondant et trop inorganisé pour être utilisé directement, par exemple dans les interviews à réponses ouvertes, enfin pour comparer un contenu non quantifié à des résultats statistiques ; dans tous ces cas, l'analyse est possible. Si le document ne présente pas une de ces caractéristiques, la quantification n'est en général pas à conseiller. 628 b) Résultat généralisàble O Comme tout procédé quantitatif, l'analyse de contenu substitue à l'intuition, des données plus exactes. Elle permet, en quantifiant ce matériel symbolique que sont les mots, les expressions, le langage, de comparer des groupes de fait. Au stade de la simple description, elle propose une mesure plus exacte de ce que l'on percevait globalement et intuitivement. Enfin elle rend compte de différences jus- qu'alors inaperçues. Les comparaisons, les évolutions forment le domaine de prédilection de l'analyse de contenu. Lorsqu'elles sont suffisamment précisées, elles permettent de dépasser la description et de viser le but de toute recherche scientifique : la découverte d'explications et de relations1250. La covariation d'attributs dans un même ensemble de matériel, permet de considérer
qu'ils sont au moins liés par une « interdépendance fonctionnelle », sinon par de véritables liens de causalité. Qu'il s'agisse d'interviews ou de documents, l'on peut citer de nombreux exemples de tels liens : par exemple entre sentiments internationaux et idéologie égalitaire (interview), ou entre le moral des civils et le tonnage de bombes larguées (lettres des civils allemands), etc. Cette possibilité de découvrir des corrélations n'a d'intérêt que dans la mesure où elle illustre une hypothèse, une explication généralisàble et significative. L'analyste n'entreprend sa recherche particulière qu'en espérant découvrir quelque chose de transposable à un « univers » de données, plus vaste que celui sur lequel il travaille. Cet univers peut être celui dont est tiré l'échantillon représentatif étudié, ou encore les conclusions auxquelles on aboutira auront une -portée universelle : lorsque des facteurs semblables seront en présence, les phénomènes se produiront dans le sens prévu par l'analyse. P. Lazarsfeld, B. Berelson et H. Gaudet (1949) dans leur étude sur le comportement électoral en 1940, ont découvert, grâce à l'analyse de contenu des interviews, que des individus soumis simultanément à des facteurs contradictoires, créant chez eux un conflit (c'est-à-dire se distinguant des conditions habituelles à leur groupe), hésitaient davantage à prendre une décision politique. Ce fait a permis de concevoir une généralisation, suivant laquelle des forces opposées, quel que soit l'endroit ou la façon dont elles s'exercent, freinent l'engagement politique. Cette explication rend également compte de l'abstentionnisme de certaines professions, par exemple des employées de maison, typiquement placées en situation de conflit. Cette généralisation est parfois découverte a
posteriori, au seul vu des résultats quantifiés, mais ceux-ci dépendent obligatoirement des catégories qui ont présidé au rassemblement des données, donc en définitive des hypothèses plus ou moins précises, plus ou moins a priori, en fonction desquelles elles ont été établies. 629 La valeur dépend des catégories o La valeur d'une analyse de contenu dépend de la qualité de la conceptualisation faite a priori par le chercheur, de l'exactitude avec laquelle elle se traduira en variables, du schéma d'analyse ou catégories et en définitive, de la concordance entre la réalité à analyser et ces catégories. Autrement dit, pour que l'analyse de contenu mérite d'être entreprise, il faut d'une part que les questions posées au matériel par les catégories explicitent une hypothèse intéressante et d'autre part qu'elles correspondent à ce matériel. Nous n'insisterons jamais assez sur ce point : la valeur de l'analyse de contenu dépend des hypothèses émises dans la recherche et des catégories qui les expriment. Elle est avant tout une réponse qui ne vaut que par rapport à la question posée, au but poursuivi, à l'objet de la recherche. Elle doit révéler l'absence ou la présence dans la réalité observée, des variables supposées et donner un ordre de grandeur, un rapport entre ces variables. Une analyse de contenu pour être intéressante exige d'abord une bonne idée, qui devine, perçoive les vrais problèmes, ensuite un bon matériel, significatif, en rapport avec la réalité (qu'il s'agisse du matériel d'interview ou autre) et enfin, mais enfin seulement, condition nécessaire mais non suffisante, une bonne technique. B. Berelson avait raison de dire : « rien ne peut remplacer une bonne idée ». O. R. Holsti (1969) note que la remarque est encore aujourd'hui pertinente. Le développement des ordinateurs, a considérablement accru les possibilités de
recherches1251 mais encore faut-il s'en servir intelligemment. SECTION 3. NOUVELLES TENDANCES 629-1 Analyse de contenu et linguistique o Les développements de l'analyse linguistique, la préoccupation récente d'étudier le rapport entre le texte et les conditions de sa production, soulèvent la question de la validité et de l'intérêt de l'analyse de contenu face aux recherches socio-linguistiques. La plupart des linguistes ignorent ou méprisent cette expression qui « recouvre un ensemble si hétérochte de préoccupations, de méthodes, qu'on peut lui dénier toute valeur»1252. Aussi est-ce du côté des psychosociologues que viendront les efforts de rapprochement. P. Henry et S. Moscovici (1968) après avoir constaté que l'analyse de contenu suit une démarche qui n'est pas linguistique, considèrent que ceUe-ci se poursuit sur deux plans : le plan vertical qui regroupe les conditions de production1253, le plan horizontal qui couvre le texte lui-même. Or les éléments pertinents du texte sont sélectionnés en fonction des objectifs, c'est-àdire des conditions de production, elles-mêmes caractérisées par les éléments du texte. Cercle vicieux, scandaleux pour les linguistes. « En l'absence de définition autonome de la stmcturation de ces deux plans et de leurs rapports, on aboutit à une impasse méthodologique et théorique1254. » Les auteurs distinguent divers aspects suivant le plan sur lequel se situe l'analyse de contenu : analyse classique de Berelson, fréquence moyenne des occurrences des termes dans un texte donné suivant Osgood, traitement par ordinateur suivant le schéma du General Inquirer. Dans tous ces cas il s'agit du plan vertical, c'est-à-dire de déterminer des indices significatifs dans le texte. Mots, items, sont retenus dans la mesure où ils sont pertinents du point de vue de l'opinion ou attitude que l'analyse de contenu cherche à mesurer.
Sans entrer dans le détail des propositions de Moscovici, indiquons seulement qu'il voit la possibilité d'améliorer l'analyse de contenu en passant d'une méthode taxinomique, simple classement d'éléments observés, à une méthode systématique permettant une expérimentation. Ceci suppose que soient distingués les phénomènes étudiés et les processus de production des textes ainsi que les variables hées aux uns et aux autres jusqu'ici trop souvent confondues. Nul ne conteste (si ce n'est dans ses exagérations) l'apport de l'analyse linguistique. Henry et Moscovici tentent de montrer que l'analyse de contenu pourrait à son tour lui être utile en jouant vis-à-vis d'elle un rôle analogue à celui de la traduction automatique, en « mettant à l'épreuve des concepts et des méthodes » et en donnant à la recherche hnguistique une dimension nouvelle. § 1. Les analyses paralinguistiqu es 1255
Nous trouvons ici une zone intermédiaire dans laquelle analyse de contenu et linguistique cohabitent sous des formes différentes suivant les procédures utilisées. 629-2 L'analyse lexicologique. a) quantitative O Si surprenant que cela paraisse, il existe plus de quatre cents définitions du mot. Il ne suffit pas comme le faisait l'analyse du contenu à ses débuts de les compter, mais grâce à l'utilisation des ordinateurs, de comptabiliser les occurrences de mots mais aussi les fréquences d'association pour repérer les unités donnant le plus d'information. P. Guéraud (1963) distingue les « mots outils », environ la moitié des termes, les mots « pleins », les plus chargés de signification, eux-mêmes composés des mots de caractérisation (nombreux mais variés), des mots de base plus nombreux. Enfin les mots thèmes, les plus employés. Ceux qui apparaissent avec un taux de fréquence relative au-dessus de la moyenne, sont appelés
mots clés. Les applications de l'analyse lexicologique à des textes littéraires et en science politique sont nombreux1256. 630 b) La lexicologie structurale O Le principe fondamental de cette procédure se trouve résumé dans raffirmation de G. Mounin : « le lexique n'est pas un tas de mots ». Peut-on supposer l'existence d'ensembles organisables de signifiés c'est-à-dire de structures sémantiques ? A une première tendance correspond l'analyse componentielle ou sémique. Elle a pour but de rechercher les unités de signification minimale ou sèmes qui composent un mot. Il s'agit d'après A. Trognon (1974) d'une connaissance extrahnguistique, en fait d'une perception, avec ce que cela comporte de subjectif ou d'arbitraire. Deuxième tendance : l'analyse contextuelle. Il s'agit d'étudier la distribution du mot à l'intérieur des corpus d'analyse. C'est un procédé semblable à celui de l'analyse de contingence (cf. n° 594) pour chercher les relations d'opposition, d'association qui structurent le lexique. Procédé soumis à la même critique : réintroduire dans l'analyse une décision arbitraire et souvent implicite. 630-1 L'analyse du discours O « L'analyse du discours est l'étude visant à repérer par l'analyse linguistique, les conditions de production d'un texte1257. » Interprétée de façon restrictive on peut l'opposer à l'analyse de contenu, limitée à des résultats quantifiés1258. Mais nous l'avons vu (cf. n° 594) l'analyse de contenu peut être utilisée de façon beaucoup plus large, dans ce cas la frontière entre les deux techniques est loin d'être précise. 630-2 L'analyse automatique O Les progrès
dans cette voie sont dus en particulier à M. Pêcheux (1973), pour lequel « le but de l'analyse est de montrer comment le processus de production d'un discours résulte de la composition des conditions de production avec un système linguistique donné ». Sans doute, mais trop de lacunes dans l'articulation du discours et ses conditions de production, enfin dans l'inachèvement des procédures d'analyse, limitent singulièrement la portée de cette technique. Ces analyses s'appuient encore plus ou moins, sur les principes et les objectifs de l'analyse de contenu, mais en lui donnant à la fois plus de rigueur et plus d'ambition, grâce à l'apport de la hnguistique. Cependant on peut dans l'ensemble les soumettre à des critiques semblables en ce sens que les choix des matériaux ou segments retenus demeurent plus ou moins qualitatifs et subjectifs. D'autres tentatives moins proches du texte sont qualifiées par J. Gerstlé de supralinguistiques. § 2. Les analyses supralinguistiques
631 L'analyse structurale du récit O II s'agit de rechercher en quoi un texte constitue une structure propre et devient dans son entier l'unité d'analyse. « Être un roman, être un document, être une prière, cela signifie réaliser une fonction culturelle déterminée et tiansmettre une signification achevée1259. » A partir de là, les approches diffèrent suivant les auteurs, ethnologues, linguistes, littéraires ou juristes1260. L'articulation entre la sémiologie et l'idéologie paraît progresser sur le plan théorique et donner lieu également à des recherches pratiques intéressantes. 631-1 La linguistique textuelle et l'argumentation O Nous la citons pour mémoire car cette démarche essentieUement germanique n'a pas encore recueilli de
certitudes suffisantes. Les matériaux utilisés sont surtout des textes littéraires. En revanche, l'argumentation, forme nouvelle de l'ancienne rhétorique, incite à rechercher les éléments de persuasion du discours. Il sera alors défini comme l'ensemble des stratégies d'un orateur s'adressant à un auditoire sur une situation ou sur un objet C'est dire qu'à côté des linguistes et des psj'chosociologues ce domaine intéresse les politologues, les logiciens et sera sans doute, grâce à eux, amené à de nombreux développements. 632 Bibliographie o Abu-Lughod (L) 1962. - «International News in the Arabie press. A comparative content analysis. » P.O.Q., 26, pp. 600-612. Albert (B.) 1965. - «Remarques sur l'histoire de la presse sous la IIe République », octobredécembre Mouvement Sodai, 53. Amerio (P.), Amione (F.) 1974. - « L'immagine di sé di adolescenti studiata mediante, analisi di documenti verbali », IKON, irai., 24, n° 90, pp.101-135. Angel (R.), Freedman (R.) 1959. - Trad. P.U.F. «L'emploi des documents » in Festinger et Katz Méthodes de recherche, I, pp. 360-380. Auster (D.) 1961. - «A content analysis of " little orphan Annie " », in Lipset : Sociology (B. 170). Bardin (Laurence) 1977. - L'analyse de contenu, P.U.F., 233 p. Barthes (R.) 1965. - Le degré zéro de l'écriture, Gonthier, 190 p. 1968. - Critique et vérité, Seuil, 80 p.
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CHAPITRE 1 LES TECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS Retour à la table des matières « On étudie le fond de la mer avec une sonde. Si celle-ci ramène de la vase c'est que le fond est vaseux. Si elle ramène de la boue c'est que le fond
est boueux. Si elle ne ramène rien c'est que la ficelle est trop courte. » Jean Charles, La foire aux cancres. SECTION 1. L'INTERVIEW OU ENTRETIEN « Oui, si je dois l'avouer, j'imagine que cela devait se passer comme avec ces serrures fortes et imposantes du 17e siècle qui emplissaient tout le couvercle d'un bahut de toutes sortes de verrous, de griffes, de barres et de leviers, alors qu'une seule clef douce retirait tout cet appareil de défense et d'empêchement, de son centre le plus centré. » Lettre de Rainer Maria Rilke. § 1. Divers types d'interview
633 Définition O Le terme « entrevue» semble représenter en français la traduction la plus littérale de l'anglo-saxon interview1261, mais le mot dans notre langue a un sens différent. Il comporte une nuance utilitaire, un élément d'arrangement en tout cas d'exception, dont rend compte l'expression « ménager une entrevue ». Le terme entretien correspond mieux à la notion anglaise d'interview. L'interview, dans le langage courant, revêt un aspect journalistique, souvent spectaculaire, alors que l'entretien conserve un caractère sérieux et confidentiel. L'élément commun qui nous intéresse est constitué par le fait qu'il s'agit dans les deux cas d'un tête-à-tête et d'un rapport oral entre deux personnes, dont l'une transmet à l'autre des informations. C'est la rigueur de la technique qui distingue l'entretien du sens du langage courant. On peut observer l'apparition de cet élément technique dans des occasions différentes. Un père de famille apprend que son fils veut tenter une carrière cinématographique, il aura un entretien avec lui. Un avocat, ou mieux, un
médecin, reçoit un client qui le consulte pour la première fois, nous sommes déjà dans une situation d'interview ou d'entretien au sens plus technique. Il s'agit d'une forme de communication établie entre deux personnes ayant pour but de recueilhr certaines informations concernant un objet précis. Le médecin essaye d'obtenir le plus rapidement possible, de son patient les symptômes et éléments d'information qui lui seront utiles pour établir son diagnostic. Nous avons ici un entretien ou interview, dont le résultat dépendra à la fois de l'attitude de l'interviewer-médecin1262, de l'idée qu'il se fait de son rôle, mais aussi de son expérience, de son aptitude à faire parler son patient, du genre d'information qu'il cherche, et des réactions du répondant. On donne de l'interview ou de l'entretien, au sens technique, la définition suivante : c'est un procédé d'investigation scientifique, utilisant un processus de communication verbale, pour recuállir des informations, en relation avec le but fixé. Journalistes, médecins, avocats, magistrats, même les patrons ou éducateurs, sont plus ou moins amenés à pratiquer des interviews, comme M. Jourdain faisait de la prose, c'est-àdire qu'ils déclenchent des réactions, utilisent des procédés dont ils ignorent le plus souvent le mécanisme. Le manque de formation et de préparation à la vie sociale est général, mais particulièrement regrettable lorsqu'il s'agit de ceux qui, par leur métier, ont des responsabilités vis-à-vis d'autrui et sont fréquemment placés dans des situations d'entretien. C'est pourquoi, à côté de l'aspect technique de l'interview, instrument de recherche en sciences sociales, nous voulons insister sur le processus fondamental d'interaction humaine que constitue la situation d'entretien et les mécanismes variés qu'elle met en cause.
634 Historique O On peut distinguer dans l'évolution de l'entretien, trois étapes essentielles. La première est marquée par son utilisation en psychothérapie et en psychotechnique, d'où le nom de counseling sous lequel on le désigne souvent aux ÉtatsUnis. Le caractère utilitaire de la psychotechnique, visant une orientation professionnelle, exphque pourquoi les problèmes de validité de l'interview retiennent à cette époque plus particulièrement l'attention. La deuxième étape coïncide avec le développement des recherches concrètes. C'est la période pendant laquelle se multiplient les enquêtes d'opinion. Les psychologues sociaux, à leur tour, abordent les problèmes d'entretien, en particulier sous l'angle de la fidélité. En effet, il ne s'agit pas seulement pour eux, comme pour les psychotechniciens, de prévoir avec justesse le comportement d'un seul sujet, mais plus souvent, grâce aux observations concordantes des enquêteurs, de connaître l'opinion d'un grand nombre d'individus. Cette concordance, critère de fidélité, représente donc un facteur essentiel. Ces problèmes seront repris avec plus d'ampleur après la Seconde Guerre mondiale. Les expériences accumulées durant cette période, environ de 1920 à 1940, permirent de s'apercevoir des inconvénients et des limites de certains types d'entretien. Les «assistants sociaux»1263, par exemple, avaient tendance à utiliser l'entretien d'information-conseil de façon très manipulatrice ou directive, ce qui laissait planer un doute sur la sincérité des réponses obtenues. Les recherches sur la consommation permirent, d'un autre côté, de constater combien les. réponses des enquêtes aux questions directes correspondaient peu à la réalité. Bref, les psychologues furent amenés à s'intéresser enfin, aux problèmes du processus de l'entretien lui-même, c'est-à-dire à ce qui se passe entre l'enquêteur et
l'enquêté. La possibilité technique d'enregistrer les interviews permit de les analyser et fut le point de départ d'études sur les méthodes de recherches, menées parallèlement à leur développement. L'interaction entre la pratique, la recherche théorique et la méthodologie, constitue la caractéristique de cette troisième étape, dans laquelle nous nous trouvons. 635 1) Classification des entretiens O
On ne peut considérer la tech- nique de l'entretien in abstracto, mais en fonction du type de communication et d'information qu'elle vise et de la recherche dans laquelle elle s'insère. L'utilisation de tel ou tel type d'entretien dépendra donc : Soit du moment de cette recherche : le début d'une enquête, la phase d'exploration, exigent une technique différente d'une recherche sur des variables déjà précisées. Soit du type de recherche et de l'objectif poursuivi : les enquêtes par sondages sur des faits, opinions, permettant une distribution quantitative dans une population donnée, nécessitent un type d'entretien différent des enquêtes de motivations d'achat ou d'attitudes plus approfondies. Les entretiens visant une recherche ou poursuivant une application immédiate : sélection ou embauche dans l'entreprise, différent des entretiens d'intervention thérapeutiques et des entretiens d'information pure et simple. Peut-on, parmi ces entretiens situés dans des contextes si variés : usine, hôpital, rue, domicile, etc., comportant des buts différents (thérapeutique, d'information),
qui en fait ne s'excluent pas (tout entretien doit informer, peut soulager), trouver une classification rendant compte de différences essentielles, qui permettrait, même arbitrairement, de reconnaître au moins des types d'entretien ? 636 Degré de liberté. Niveau de profondeur o Ces différences essentielles existent. Elles dépendent de deux facteurs, qui modifient l'élément fondamental de l'entretien : la communication. Ce sont le degré de liberté et le niveau de profondeur. Ils donnent à la communication son contenu particulier et permettent de distinguer les divers types d'interviews. Le degré de liberté laissé aux interlocuteurs se traduit dans la présence et la forme des questions. Le niveau d'information recueillie s'exprime dans la richesse et la complexité des réponses. C'est l'objectif à atteindre qui déterminera la liberté laissée à l'enquêteur et à l'enquêté, la profondeur des informations à recueillir, c'est-à-dire le type d'interview à préconiser. Liberté et profondeur entraînent d'autres caractéristiques : durée, nombre d'interviews, nombre d'enquêtes, éléments à analyser, etc. On ne conduit pas un entretien psychothérapeutique avec une série de questions brèves et prévues d'avance, expédiées rapidement, pas plus qu'on ne peut organiser une enquête d'opinion comportant 2 000 interviews, en laissant les enquêteurs libres de les mener à leur guise, au risque de se trouver devant des résultats ne pouvant être comparés. On peut classer les interviews selon un continuum, comportant aux deux extrémités les types les plus tranchés : pôle maximum de liberté et profondeur, pôle minimum ; entre ces deux pôles se situent graduellement les types intermédiaires. Ceci nous donne le schéma suivant1264 :
[Illustration impossible à reproduire] 1° L'entretien clinique (psychanalyse, psychothérapie) ; 2° L'entretien en profondeur (étude de motivation) ; 3° L'entretien à réponses libres ; 4° L'entretien centré ou «focused interview» ; 5° L'entretien à questions ouvertes ; 6° L'entretien à questions fermées. 637 a) L'entretien clinique psychanalytique ou psychiatrique o II comporte peu de questions, c'est l'enquêté qui choisit le secteur de souvenirs, les sujets qu'il veut aborder. Le plus souvent, il monologue. Tout ce qu'il dit intéresse l'enquêteur, dans quelque domaine ou ordre d'idée que ce soit. Une série d'interviews est nécessaire. L'enquêteur, dans ce type d'interview, s'intéresse non seulement au contenu manifeste, ce que dit le patient : faits, jugements, sentiments, images, vocabulaire, associations d'idées, mais aussi à la façon dont il le dit : ton, rapidité d'élocution, hésitations, arrêts et gestes, etc. L'objectif est avant tout thérapeutique : amener l'individu à prendre conscience de ses blocages intérieurs, l'aider à vivre, si possible le guérir. b) L'entretien en profondeur O L'attitude de l'enquêteur peut être plus ou moins directive, mais de toute manière, c'est lui qui, à la différence de l'entretien précédent, suggère le domaine à explorer. Il garde une liberté entière dans la façon de conduire l'entretien, ainsi que l'enquêté dans la
façon d'y répondre. Une série de séances peut être utile. Comme dans l'interview clinique, l'enquêteur observera le contenu latent et analysera les données de façon qualitative. Le but de l'entretien est, comme le précédent, centré sur l'individu, mais avec deux différences : d'une part le but n'est pas forcément thérapeutique, d'autre part l'objectif est limité. Dans une recherche de motivation, l'enquêteur cherche par exemple à connaître les raisons de l'hostilité de l'enquêté envers les maisons préfabriquées ou les potages en sachet. Tout ce qui, de près ou de loin : souvenirs d'enfance, phobies, etc. pourrait avoir un lien avec le sujet sera retenu, mais seulement cela. L'enquêteur de façon plus ou moins directive ramènera l'enquêté à l'objectif. c) L'entretien à réponses libres ou guidé et l'entretien centré O Les auteurs ne sont pas d'accord sur les nuances qui séparent ces deux techniques d'interview, quant à leur degré de liberté et de profondeur. Dans les grandes lignes, ces entretiens se caractérisent par des questions nombreuses, non formulées d'avance, dont les thèmes seulement sont précisés, ce qui donne à l'enquêteur un guide souple, mais lui laisse une grande liberté. L'entretien centré ou focused interview a été particulièrement étudié par R. K. Merton (1955). Comme son nom l'indique, il a pour but de centrer l'attention sur une expérience et les effets d'un ou plusieurs stimuli particuliers. Sa procédure nous semble plus stricte que celle de l'interview à réponses libres, parce que le choix des enquêtes et surtout l'objectif, sont plus précis. En effet, les personnes que l'on interroge sont celles qui ont été impliquées dans la situation concrète que l'on veut analyser. Elles ont vu tel film, lu tel article, elles font partie du groupe qui a fait l'objet de telle expérience ou qui a subi telle aventure.
Avant d'interroger ces sujets, des hypothèses ont été élaborées. Le chercheur a déterminé les facteurs de la situation dont il veut rechercher l'influence et établi un cadre de questions ou guide d'interview. L'enquêteur reste libre, quant à la façon de poser les questions, leur libellé, leur ordre, il peut en ajouter, mais il est tenu de recueillir les informations exigées par la recherche. Ces informations seront composées des réactions subjectives des enquêtes à la situation que l'on veut analyser. Elles permettront de vérifier les hypothèses prévues concernant les divers facteurs, d'expliquer les réponses aberrantes de certains par leur histoire personnelle. EUes constituent une sorte de substitut à une véritable expérimentation. La liberté de l'enquêteur et de l'enquêté n'est pas totale, mais limitée par le cadre de la recherche. L'enquêté peut répondre à sa guise, mais non parler de n'importe quoi. L'enquêteur le ramène au sujet II doit se rendre compte du niveau de profondeur auquel se situent les réponses de l'enquêté et les orienter dans le sens de l'objectif de l'entretien. L'analyse est encore qualitative, mais les résultats ne sont plus limités à l'individu. Ce que l'on cherche surtout à établir, ce sont des types de réactions possibles vis-àvis d'un thème, d'un sujet, une répartition possible d'attitudes, donc un élément déjà quantifié et statistique, donnant une indication sur la direction dans laquelle situer des facteurs. d) L'entretien à questions ouvertes O II est déjà beaucoup plus contraignant, surtout pour l'enquêteur, qui pose des questions précises, libellées d'avance, suivant un ordre prévu. L'enquêté, lui, est encore libre de répondre comme il le désire, mais dans le cadre de la question posée.
e) L'entretien à questions fermées O C'est le plus structuré des types d'entretien. Il comporte un questionnaire standardisé, des questions libellées d'avance, disposées dans un certain ordre que l'enquêteur doit respecter et auxquelles l'enquêté ne peut répondre que par un choix limité : oui ou non ; favorable ou défavorable ; Figaro ou Humanité; mer ou montagne. La réponse ne pourra être que oui, non ou sans opinion. Ces deux derniers types d'entretiens, très stacturés, se distinguent par le contenu des réponses, dépendant de la forme des questions, plus que par la conduite même de l'interview. En effet, dans les deux types d'interviews, l'enquêteur est tenu par le questionnaire. L'enquêté, libre dans l'interview à questions ouvertes, ne l'est plus avec les questions fermées, d'où de grandes différences dans la richesse du contenu de l'information et la façon d'analyser les résultats. De nombreux interviews comportent, dans une proportion variable, les deux types de questions, ouvertes et fermées. Dans les deux cas, ce que l'on cherche en général, c'est un résultat statistique, une distribution de variables. Celles-ci, dans le questionnaire par questions fermées sont préméditées : on additionne les résultats des réponses à la question posée, question 10 = 50 % oui, 40 % non et 10 % sans opinion. Dans l'interview à questions ouvertes, on découvre les facteurs d'influence et l'on ne totalise les opinions qu'après une analyse de contenu des réponses. Pour résumer les caractéristiques des divers types d'entretien, nous dirons qu'en allant de l'extrême gauche à l'extrême droite sur le conti-nuum de notre tableau nous trouvons des types d'interview caractérisés : à gauche par : des questions rares, à formulation non
rigoureuse ni préétablie ; des réponses riches, complexes, à contenu profond ; la liberté la plus grande laissée à l'enquêteur et à l'enquêté ; la durée pratiquement non limitée ; la répétition possible des entretiens ; le but, importance accordée à la personne enquêtée (guérison, conseil) ; - l'entretien centré sur la personne, à droite par des questions formulées de façon de plus en plus rigide et préétablie ; des réponses courtes, précises, à contenu plus limité ; très peu de liberté laissé à l'enquêteur et à l'enquêté ; durée limitée, le plus souvent entretien rapide ; entretien généralement unique ; - le but, importance accordée à l'information concernant l'objectif de l'enquête ; - l'entretien centré sur le problème. Cette classification un peu rudimentaire, correspond aux caractéristiques essentielles des principaux types d'interviews. Elle doit être complétée par des distinctions concernant la façon dont l'enquêteur tente de recueillir les informations, c'est-à-dire les diverses stratégies qu'il peut employer, à l'intérieur de la classification proposée. Que recueillent les questionnaires ? O La
méthode des questionnaires est limitée par la nature même de l'information qu'elle permet d'obtenir. Elle utilise un processus très direct et simple : elle pose des questions. Que révèlent les réponses ainsi données, sans réflexion, à des questions si fractionnées et si précises ? Peuvent-elles être symptoma-tiques et de quoi ? Les psychologues déclarent que l'enquêté, pris par surprise, obligé de répondre rapidement, n'a pas la possibilité d'organiser sa réponse, même s'il connaît le sujet. Inévitablement il donnera l'information la plus facile à exprimer, c'està-dire la plus superficielle. Dans la mesure où les questions portent sur des faits assez précis, connus des enquêtes et s'ils n'ont pas de raison de mentir, on peut considérer l'information recueillie comme juste. En revanche, si l'on veut, audelà des faits ou opinions superficielles, reconnaître les raisons plus profondes des attitudes des personnes interrogées, si l'on désire prévoir leur comportement à partir d'une analyse de ce qui les pousse à agir, c'est-à-dire procéder à une étude de motivation, on peut se demander si la méthode consistant à poser des questions, est susceptible de recueillir une information de la part d'enquêtes qui ne la possèdent souvent pas eux-mêmes. Il ne s'agit pas ici d'aborder le problème sous l'angle de la validité de la méthode, mais seulement en fonction de l'adaptation des divers types d'interviews, aux buts poursuivis. Imaginons avec G. Palmade, auquel nous empruntons les réflexions qui suivent1265, que nous posions dans une enquête, une question aussi simple que celle-ci : « Si vous deviez acheter une voiture, laquelle choisiriez-vous ? » Le premier enquêté auquel nous nous adressons a reçu le matin même une Renault. Ce qu'il nous dira
correspondra exactement à ce qu'il a fait : il vient d'acheter une Renault. Le deuxième enquêté a décidé de commander une Citroën, l'information est pratiquement du même ordre. Le troisième pense acheter une Peugeot, mais de ses explicarions, nous retirons l'impression qu'il finira par se décider pour une Simca. Enfin le dernier enquêté hésite devant une pile de catalogues. En utilisant, la même technique d'entretien, en posant la même question, de la même manière, nous avons recueilli des informations ayant une valeur de précision, de certitude, une possibilité de prédiction très différentes. En fait, si nous cherchions sur un grand échantillon, un résultat statistique, pour une étude de marché, nous risquerions d'obtenfr des « je ne sais pas » honnêtes, ou des réponses ne correspondant pas à des renseignements sûrs et ne permettant donc pas de prévoir un comportement réel. Finalement, les informations les plus intéressantes que nous recueillons chez les enquêtes, ne concernent pas l'achat de la voiture, mais l'état d'esprit de chaque acheteur et constituent un ensemble assez imprécis de facteurs psychosociologiques. La valeur symptomatique de l'information est donc très inégale et nous devons nous poser deux questions : 1° Quel est l'état d'information du sujet luimême vis-à-vis du problème ? Est-ce qu'il sait ce qui le fait agir ? Est-il conscient d'avoir envie d'une décapotable deux places pour épater les filles, ou d'une voiture rapide pour compenser son sentiment de faiblesse ? 2° L'information que nous cherchons, à savoir ce qui pousse les enquêtes à choisir telle ou telle voiture, est-elle accessible par la technique utilisée, c'est-à-dire par la
question ? Celle-ci suppose l'enquêté capable de répondre. Or une partie de la psychologie contemporaine, depuis Freud, a montré que la plupart de nos raisons d'agir nous échappaient, parce qu'inconscientes. Dès lors, le problème pour l'enquêteur ne consiste plus à recevoir une information directe, mais seulement à faire livrer par l'enquêté le plus symptomatique, c'est-àdire les informations significatives, celles que l'enquêteur pourra interpréter. C'est la façon de parvenir à recueillir ces informations significatives, qui donne leur spécificité aux diverses techniques d'interview. 643 L'information significative o En quoi, comment, une information peut-elle être significative ? - Les conduites humaines s'accomplissent en réponse ou en fonction de certaines informations. C'est parce que nous sommes frileux, que nous percevons le froid et mettons un manteau. Chaque individu perçoit le monde extérieur à sa façon, il le caractérise à sa manière. On peut alors dire que les enquêtes.psychosociologiques visent à atteindre le domaine des conduites (queUe voiture allez-vous acheter ?) en partant du domaine des caractérisations (que représente, qu'évoque pour vous telle voiture?). Il s'agit de prévoir, d'atteindre l'organisation des actions, en recueillant des données sur l'organisation des informations. La première étape d'un entretien voulant recueillir autre chose qu'une information superficielle, consiste à chercher la manière dont les sujets eux-mêmes perçoivent, appréhendent les données que l'on veut étudier, quelles sont leurs catégories, leurs cadres de référence, leur mode de caractérisation. D'après Palmade, l'enquêteur peut alors se trouver dans une
des situations suivantes : 1° L'enquêté sait pourquoi il a a agi ou va agir de telle ou telle manière, il possède des informations suffisantes sur ses modèles d'action, il accepte de les communiquer et de répondre à des questions précises sur ces points. Dans ce cas un entretien par questionnaire suffit à renseigner l'enquêteur. 2° Le sujet manque d'information sur les causes de ses actions. Il faut, par des stratégies adaptées, l'éclairer, rendre ces informations accessibles. C'est dans la mesure où celles-ci apparaîtront symptomatiques, révélatrices à l'enquêté, qu'il prendra conscience de ses motifs et les rendra à son tour plus accessibles à l'enquêteur. Il y a coopération, l'aide de l'enquêteur permet à l'enquêté de découvrir, d'amener de nouveaux matériaux. 3° L'interview doit viser à obtenir des informations symptomatiques, en dépit du fait qu'elles n'apparaîtront pas telles à l'enquêté. L'enquêté ignore, demeure fermé au message qu'il communique, ou plutôt à sa nature réelle. Les diverses méthodes d'interview doivent s'adapter à ces situations différentes. Dans le premier cas, il s'agit d'une communication-information, le questionnaire structuré suffit; dans les autres cas, l'interview impliquera pour obtenir rinformation, une technique d'exploration. Notons bien que celle-ci, pas plus que la profondeur, n'est liée à un objectif clinique ou thérapeutique. L'information peut se situer à un niveau profond, même s'il s'agit simplement de chercher l'explication d'une opinion, ou comme nous l'avons vu, la raison d'un achat. La technique d'exploration peut être conçue de plusieurs façons. L'enquêteur
peut la diriger lui-même activement, c'està-dire poser de nombreuses questions sur un sujet restreint, de façon intensive, ou couvrir un domaine plus large, de façon superficielle. Il peut aussi aborder les problèmes, en posant les questions de façon plus ou moins directe. Il peut enfin inciter l'enquêté à faire lui-même l'effort de recherche et seulement lui faciliter cette tâche. Cette dernière méthode est celle des interviews non directifs. Directif, non directif ; direct, indirect ; intensif, extensif, telles sont les principales façons de caractériser et conduire les différents types d'interviews. 644 2° Différentes façons de conduire un entretien,
a) Entretien directif ou non directif O L'entretien non directif a été mis au point par Cari Rogers1266, dans le cadre de la psychothérapie. On peut, sans inconvénient, parler en général d'attitude plus ou moins directive, mais lorsqu'il s'agit de l'entretien non directif proprement dit, il faut bien avoir présent à l'esprit qu'il constitue une technique qui a ses règles propres et répond à une perspective définie. L'entretien non directif vise à dégager le cadre perceptif du sujet, à le placer dans une dispostion d'esprit dans laquelle c'est à lui-même qu'il va réagir. Pratiquement, dans ce type d'interviews, la structuration est réduite au minimum. L'enquêteur introduit plus ou moins rapidement un thème. La nature de celui-ci, les manœuvres d'approche, sont évidemment extrêmement importantes, puisqu'elles commandent la suite de l'entretien. Deux méthodes sont possibles : l'enquêteur se place au centre de ce qu'il pense être le domaine à explorer, mais rien n'assure qu'il y parvienne et il risque de négliger une part
des problèmes. Il peut, au contraire, essayer de progresser par une stratégie périphérique en tâtant, à chaque interview, ou à chaque arrêt de l'enquêté, un thème supposé rattaché aux précédents. A partir du moment où l'enquêté commence à parler, l'enquêteur, sans l'interrompre ou le questionner, demeure dans une attitude de compréhension ou empathie. Il peut, si cela est nécessaire (au cas où l'enquêté s'arrête de parler par exemple), réexprimer en d'autres termes la pensée du sujet, mais en respectant son cadre. Il est difficile d'arriver à réexprimer ce que vient de dire l'enquêté, sans répéter et sans ajouter, simplement pour qu'il reconnaisse sa propre pensée en plus clair, comme si on lui prêtait un instant un meilleur moyen d'observation, des lunettes en quelque sorte, qui lui laissent sa propre vision, mais améliorée. Rogers a très rapidement écarté de l'entretien non directif tout essai d'interprétation des sentiments du sujet par l'enquêteur. Ces pratiques empêchent le sujet de relâcher ses défenses, d'exprimer ses problèmes et retardent ou empêchent le but même de l'entretien : le diagnostic du sujet par lui-même, sa propre acceptation. Du point de vue thérapeutique peu importe que le conseiller comprenne vraiment ou essaie seulement de comprendre. Pour le sujet, le sentiment de pouvoir être compris compte plus, l'aide davantage à se comprendre lui-même, qu'une clarification juste, mais qui risque de lui paraître extérieure à lui-même. Dans le premier cas, les défenses du sujet se relâchent, dans le deuxième, elles se renforcent. 645 Extension de la méthode O Rogers avait d'abord cru cette thérapeutique réservée aux seuls malades anxieux. Elle se révéla finalement si efficace qu'il l'étendit à tous
les sujets, puis à de nombreuses situations d'entretien et finalement à tous les rapports individuels. L'attitude non directive est fondamentalement une attitude démocratique de respect de la personne, de fraternité active et de confiance en l'homme. Ajoutons que sur le plan de l'efficacité, elle est celle qui permet le mieux d'approcher la réalité, la vérité des autres. Etant donné son but, l'interview non directif se situe obligatoirement à un certain niveau de profondeur. Un entretien par questions fermées est, par définition, directif, mais tous les entretiens en profondeur ne sont pas forcément non directifs. Le terme non directif a parfois été utilisé dans le cas d'entretiens peu structurés, tendant à évoluer vers un entretien libre. Il s'agit là d'une extension abusive, car elle réduit à tort l'attitude de l'enquêteur non directif à une position passive de laissez faire, en négligeant le rôle actif qui est le sien, pour atteindre le but de l'entretien : la prise de conscience du sujet par lui-même. Cette école rogérienne de psychothérapie, a largement débordé son domaine et exercé, en France, une grande influence. Reprochant aux Américains de chercher trop souvent des recettes visant la manipulation, les psychologues français ont cru trouver chez ce psychologue américain, des conceptions plus proches des leurs. Comme toujours, ceux qui se prétendent disciples de Rogers sont parfois assez infidèles à ses préceptes1267. En dehors de l'entretien psychothérapeutique, qui ne nous intéresse pas ici directement, la technique de Rogers a été appliquée aux études de motivation, elle a également inspiré l'attitude des enquêteurs dans d'autres types d'interviews et enfin exercé une profonde influence sur
la conduite des groupes (cf. n° 896). 646 b) Entretien direct ou indirect O Alors que la dimension directif-non-directif, signifie avant tout que le contenu de l'entretien est ou non stmcturé par l'enquêteur, la notion direct-indirect se place à un tout autre point de vue. Il ne s'agit pas ici, comme le font certains auteurs, de caractériser un type d'observation, mais de qualifier le moyen utilisé pour recueillir les données : la question (dans un sens large) et l'interprétation des réponses. Direct, signifie que questions et réponses ne veulent rien dire d'autre que ce qu'elles paraissent dire, l'enquêteur ne cherche pas au-delà. La signification qu'il donne correspond à ce qu'explicite la réponse de l'enquêté ; le sens de la question et de la réponse est supposé le même pour l'enquêteur et l'enquêté. La méthode indirecte implique, au contraire, que le sens réel de la question ou de la réponse, peut être différent de son sens apparent. Cette signification, supposée réelle, est obtenue à partir des renseignements fournis par l'enquêté, sans qu'il se doute de l'interprétation à laquelle ceux-ci doivent conduire. L'enquêté ne peut deviner qu'en lui demandant : qu'avez-vous fait dimanche ? On cherche à savoir s'il a voté, s'il est allé à la messe, etc. La méthode indirecte, comme la méthode non directive se caractérise par une attitude d'esprit particulière, une technique spéciale. Mais celle-ci vise la forme de la question, la façon d'obtenir les données, d'interpréter les réponses. Elle concerne donc l'analyse, alors que dans l'entretien non directif, c'est la conduite même de l'enquêteur qui implique une technique particulière. Les notions direct-indirect, directif-non directif ne coïncident par forcément.
Évidemment, la question directe : « Avezvous voté ? » est à la fois directe et directive. Mais un entretien non directif est généralement direct, du moins au niveau des données, c'est-à-dire que l'enquêteur, durant l'entretien, s'interdit d'interpréter ce que dit l'enquêté. S'il reformule ses propos, il ne leur attribue pas un sens autre que celui qui leur a été donné par l'enquêté lui-même. Au cours de l'entretien, seule est prise en considération la vision et la compréhension que le sujet a du problème ou celle à laquelle il parvient. Mais une fois les données recueillies, elles peuvent parfaitement être analysées de façon indirecte, c'est-à-dire que le chercheur peut les interpréter au-delà de ce qui a été explicité. Dans l'entretien de style direct, on part de l'idée que pour savoir ce que les gens pensent ou éprouvent, il suffit de le leur demander. L'hypothèse de la recherche indirecte est inverse, c'està-dire que l'on considère avant tout qu'il existe un écart entre ce que les gens disent et ce qu'ils sont ou font et c'est cette différence qui fait l'objet même de la recherche. De ce fait, l'enquêteur dans l'entretien direct s'appuie sur le matériel recueilli, alors que dans l'entretien indirect, il considère les réponses qui lui sont faites, seulement comme des indications, non une preuve, mais une illustration. La vérité cherchée ou supposée se situe non pas au niveau des réponses, mais dans l'interprétation de l'ensemble des données. La méthode indirecte, comme le note très justement J. Marcus-Steiff (1964), du fait même qu'elle interprète, se préoccupe davantage de tous les éléments en cause et du contexte. Elle recherche l'ensemble du tableau, non pas rien que la vérité, mais toute la vérité. Elle est donc moins dépendante de telle ou telle technique
particulière. Alors que dans la méthode directe, la phase de l'établissement du questionnaire et la recherche de la bonne question sont essentiels, dans la méthode indirecte, en dehors de la question, on utilise des techniques variées (projectives, parfois non verbales, etc.) pour tenter de découvrir une certaine vérité non formulée et dont l'enquêté n'a le plus souvent même pas conscience. De même qu'un questionnaire peut comporter des questions ouvertes et des questions fermées, un entretien direct et structuré peut comporter quelques questions indirectes. Il s'agit moins ici de ces questions elles-mêmes1268, que de la méthode indirecte dans son ensemble, envisagée comme une stratégie particulière. L'entretien de type indirect se caractérise par la façon de recueillir les données, au niveau de la question et de l'analyse de la réponse. Ceci nous donne un certain nombre de possibilités : 1° question directe interprétée de façon indirecte ; 2° question indirecte interprétée de façon indirecte ; 3° question indirecte interprétée de façon directe. Question directe interprétée de façon indirecte O Interrogeant des candidats aux élections législatives et leur posant des questions directes, nous pensions bien que les réponses révéleraient, non ce que pensait vraiment chaque candidat, mais l'image qu'il voulait nous donner1269. Nous étions amenés à interpréter indkectement une réponse directe1270. Question indirecte interprétée de façon
directe O Dans ce cas, la question est posée de façon indirecte, parce que l'on imagine que c'est le meilleur moyen d'obtenir une réponse que l'on pourra traiter directement, c'est-à-dire sans l'interpréter. On a suggéré de remplacer la question « Avez-vous lu Autant en emporte le vent ? » qui suscite des oui sans rapport avec la réalité, par « Avez-vous l'intention de lire Autant en emporte le vent ? » Dans ce cas, la réponse « non, je l'ai déjà lu » donne l'information directe que l'on cherchait à obtenir par la question indirecte. 649 Question indirecte interprétée de façon indirecte O C'est le cas le plus général des techniques indirectes, eues ont pour but de tourner en quelque sorte les défenses de l'enquêté. Il existe un certain nombre de techniques indirectes : - soit les techniques associatives : on conduit l'interview par des questions du type « à quoi ceci vous fait-il penser ? » ou l'on donne une liste de phrases à compléter, par exemple : « Le moment le plus agréable de la journée c'est... » Ces procédures empruntent la plus grande part de leur interprétation à l'expérience psychanalytique, mais celle-ci n'offre pas un grand choix de techniques proprement dites. On peut également demander de désigner sur des images les individus correspondant à telle ou telle voiture : quel est d'après vous le conducteur du camion, celui de la 4 CV, etc. ? - soit les techniques projectives, cf. nos 726 et s. 650 c) Entretien extensif ou intensif O Alors que la dimension directif, non-directif
caractérise l'entretien par l'attitude de l'enquêteur, la notion extensif-intensif est plus générale ; elle qualifie de façon impersonnelle l'ensemble des moyens mis en œuvre et plus directement soumis à l'objectif qui conditionne le niveau de l'enquête. L'étude intensive a pour but la recherche des structures, ou des types de réponses individuelles. Elle est réservée à l'étude compréhensive et clinique. L'étude e?densive a pour but la mesure des taux de fréquence, elle permet une quantification statistique. Sera intensif l'entretien comprenant une batterie de questions sur le même sujet, ou l'entretien visant à connaître en profondeur, les réactions de tel individu dans tel domaine. Sera de type extensif, l'entretien répété sur un grand nombre d'individus permettant, à propos de quelques questions, de quantifier les types de réponse. Cette différence se retrouve au niveau de l'analyse des résultats. L'analyse extensive, dans une enquête d'opinion, permet de totaliser chaque question en faisant pour ainsi dire disparaître la personne même des enquêtes, derrière le total obtenu. L'information recueillie ne permet pas de comparer plusieurs sujets. Dans la méthode intensive, au contraire, en étudiant toutes les réponses d'un seul enquêté, on peut établir son profil, avoir une image de ce qu'il est, c'est-à- dire interpréter chacune de ses réponses en fonction de l'ensemble de l'information recueillie auprès de lui. La distinction intensif-extensif ne recoupe pas les deux autres : direct-indirect, directif-non directif. Mais les objectifs poursuivis et les niveaux où elles se situent, amènent certaines de ces dimensions à se rencontrer plus souvent entre elles. La méthode extensive vise la rapidité et la totalisation, l'information est structurée par l'interviewer à l'avance et de la même façon pour tous les enquêtes. L'entretien de type extensif est le plus souvent direct et
directif. L'interview intensif peut être directif ou non, direct ou pas. En général, visant plus de profondeur et des éléments plus complexes, il accorde plus de liberté à l'enquêteur et à l'enquêté. Le passage de l'intensif à 1*extensif est mal connu et ne coïncide pas forcément avec le qualitatif et le quantitatif. Correspond-t-il à des moments différents de l'enquête ? Lazarsfeld note que l'on devrait rechercher la possibilité de convertir les résultats d'interviews libres en questions pouvant être utilisées de façon exten-sive. Mais une phrase prononcée par un enquêté dans l'élan d'une interview non directive, ne sera peut-être ni reconnue, ni approuvée par lui, présentée dans un questionnaire plus direct. En fait, l'information mise à jour par les deux instruments d'investigation n'est pas de même nature. La réponse à la question directe paraît plus rationnelle, plus superficielle, en tout cas plus proche surtout de ce que l'on veut paraître. 651 3° Utilisation successive et combinée des divers types d'entretien O Les divers types d'entretien, si différents dans leurs formes extrêmes, ne s'opposent pourtant pas. Il faut bien comprendre que chaque technique particulière s'adapte à la nature de l'information qu'eUe a pour but de rechercher et que chacune n'appréhende qu'un des aspects de la réalité, faute de pouvoir la saisir directement dans sa totalité. Parce que chacune de ces techniques demeure fragmentaire, on peut envisager de les utiliser successivement, comme on prend des photographies sous des angles ou plutôt à des niveaux différents. Photographies d'ensemble d'un individu, clichés agrandis plus détaillés de son visage et de son expression, radiographies limitées d'organes cachés et
enfin scanner en profondeur. Sans doute, si l'on est fixé à l'avance sur la nature de l'information cherchée, peut-on directement utiliser la forme d'entretien la plus adéquate. Mais dans le cas fréquent, où l'on ne sait pas quel type de problème on va rencontrer, il est préférable de procéder par étapes, chacune définissant les zones à explorer et préparant la suivante. Comme l'écrit G. Palmade (1954) « le problème de départ est toujours de déterminer la manière vraie dont les sujets perçoivent, appréhendent les données que l'on étudie. Il s'agit de déterminer les unités de perception qu'ils utilisent, leurs modes d'appréhension et de catégorisation, le cadre de référence de leur caractérisation ». r
Au niveau de l'exploration individuelle, on peut utiliser suivant le cas, l'interview non directif, parfois des techniques projectives. Lorsqu'il s'agit d'ensembles plus importants, d'enquêtes sur échantillons, ou d'enquêtes sur le terrain, les questionnaires seront en général précédés de quelques interviews individuels non directifs, permettant de déceler les problèmes. C'est seulement lorsque le contenu de l'information est précisé, que l'on sait à quel niveau eUe se situe, dans quelle mesure l'enquêté lui-même y accède et les déformations possibles de cette information, que l'on peut se proposer de recueillir, par des questionnaires plus structurés, des données presque standardisées et comparables. On peut schématiser ainsi les étapes : 1° Phase d'exploration. Dans le cas de domaines mal connus : entretien non directif. L'analyse permet d'énoncer des hypothèses provisoires et de retenir les facteurs paraissant importants. On passe alors à 2° l'élaboration d'un guide
d'entretien permettant de vérifier et préciser les hypothèses et de constituer un questionnaire, enfin 3°, phase de l'étude quantitative par questionnaire, représentatif de la population sur échantillon. P. Lazarsfeld et R. K. Merton (1950) préconisent une autre technique : 1° Phase d'exploration, entretien centré ou à réponses libres d'un échantillon restreint, permettant de découvrir les aspects des problèmes et d'élaborer un questionnaire. 2° Application du questionnaire à l'échantillon tout entier (3° phase dans le système précédent), 3° retour à l'échantillon restreint, avec entretien centré, pour approfondir les points les plus significatifs révélés par l'analyse des résultats du questionnaire. Cette formule obtiendra l'adhésion de tous ceux qui, ayant effectué une enquête de type extensif, ont éprouvé le besoin de revenir à des entretiens plus limités et approfondis, afin de vérifier leurs hypothèses. Si nous insistons sur la technique de l'interview, plus que sur aucune autre, c'est parce que malgré ses exigences particulières et le fait que les étudiants n'auront pas à l'utiliser de façon spécialisée, l'entretien est au centre même de la psychologie sociale. Il soulève les problèmes de relations interpersonnelles, auxquels se heurtent plus ou moins tous les humains dans leur vie journalière. On ne peut se borner à étudier les interviews d'opinions par questionnaires, sous prétexte que les autres sont réservés aux psychologues. Toutes les techniques d'entretien, par définition, posent des problèmes psychologiques et l'on ne peut choisir arbitrairement ceux que l'on veut écarter sous peine de les ignorer tous. Comme le dit J. Marcus-Steiff1271 : « Le
choix n'est plus entre « faire de la psychologie ou ne pas en [faire... ». »] Il y a des comportements, qui peuvent être saisis et expliqués à l'aide des connaissances que chacun possède sans culture ou information spéciale et des comportements qui ne sont accessibles et compréhensibles, qu'à l'aide de la psychologie et de la sociologie contemporaines. » Ce passage du premier type d'approche au deuxième marque les progrès accomplis ces dernières années en psychologie sociale, progrès qu'illustrent les études de motivation et les entretiens non directifs, tendant à compléter les études de marché et les questionnaires d'opinion. § 2. Le rapport enquêteur-enquête et les difficultés de l'interview
652 Les difficultés de l'entretien O L'entretien présente un type de communication assez particulier. Il est suscité, voulu, d'un côté, plus ou moins accepté ou subi de l'autre. Il a un but précis et met en présence des individus qui en général ne se connaissent pas. Il repose sur l'idée que pour savoir ce que pensent les gens, il suffit de le leur demander. Mais la communication est un élément banal de notre vie. Notre existence est tissée de communications plus ou moins fragmentaires, plus ou moins réussies. Aussi, chacun a-t-il déjà ses habitudes, ses attitudes face à ses semblables : circuits de fuite ou de repli, suivant qu'il se sent plus ou moins vulnérable, ou croit le voisin plus ou moins redoutable. Chacun élabore ainsi, pour vivre, un système plus ou moins conscient de protection contre ce qui vient des autres, les risques d'influence, de curiosité ou d'attachement. Nous avons aussi nos habitudes de « tri », nous interprétons ce que nous entendons par rapport à nos cadres de pensée, nous évaluons
les paroles prononcées, en fonction de l'image que nous nous faisons de celui qui les prononce1272. Rogers prétend que c'est notre tendance à juger, évaluer, notre habitude d'approuver ou désapprouver l'interlocuteur, qui constituent la barrière la plus forte à la communication. Plus un individu est impliqué dans ses croyances et sentiments, plus ses communications sont difficiles avec les autres ; on aboutit le plus souvent à deux idées, deux sentiments, deux jugements qui se croisent sans jamais se rencontrer dans l'espace psychologique. Ces blocages, habituels dans l'existence quotidienne, doivent disparaître le plus possible pendant le temps privilégié de l'entretien. Autrement dit, il doit s'établir un processus de communication, dans lequel les éléments qui habituellement tendent à le freiner ou le dévier, sont éliminés ou réduits. C'est à l'enquêteur d'y parvenir. On imagine le plus souvent l'interview, soit sous un aspect purement technique : moyen d'obtenir des informations, soit sous un aspect banal et journalistique : habileté à faire parler un personnage. Or l'entretien, même le plus superficiel, est infiniment complexe. Sans doute existe-t-il une technique de l'entretien, mais beaucoup plus qu'une technique, c'est un art. C'est pourquoi on ne saurait définir l'interview, en disant simplement que c'est un moyen par lequel M. X, enquêteur, va obtenir des renseignements de M. Y, enquêté. L'interview constitue un processus d'interactions entre X et Y et si les informations vont de Y vers X, la valeur de la communication, elle, dépendra de X autant, sinon plus que d'Y1273. Puisqu'il s'agit d'une interaction, il convient d'en étudier les deux termes : l'enquêté et ce qui le pousse à parler, l'enquêteur et l'attitude qu'il doit prendre pour aider l'enquêté à parler et dire la vérité.
653 1° Motivation de l'enquêté,
a) Les facteurs négatifs. Les défenses de l'enquêté O L'entretien déclenche une série d'interactions entre l'enquêteur et l'enquêté. Non seulement l'idée que chacun a de l'autre intervient, mais aussi ce que chacun pense que l'autre va penser de lui. Dans cette relation, ce sont surtout les mécanismes de défense de l'enquêté qui vont jouer. Il devra d'abord faire face à la tension plus ou moins forte que créera chez lui ce premier problème : accepter ou non l'interview. Qui a demandé l'entretien ? - Les raisons qu'a l'enquêté de répondre ou non, dépendent d'abord du type d'entretien, dont il s'agit et de la façon dont il est proposé. L'enquêté aura spontanément une attitude générale d'acceptation s'il est demandeur et que l'entretien représente pour lui le moyen d'obtenir un secours (demande d'assistance à un bureau d'aide sociale, visite médicale, etc.). Cependant, certaines questions peuvent le gêner. Imaginons M. Durand allant demander un secours au centre médico-social. Il va tenter de concilier la poursuite de son but, qui l'oblige à parler de sa situation et les exigences de son amour-propre, qui le porte à taire ce qui lui est pénible, par exemple que sa femme est alcoolique. Autrement dit il ne réagit pas en termes objectifs : l'assistance sociale est là pour rendre service, mais en termes subjectifs plus ou moins inconscients : donner à l'assistance sociale une certaine image de lui et de sa famille. Lorsque l'enquêté n'a pas suscité l'entretien, ses réactions d'opposition risquent d'être beaucoup plus nettes. Ce
sera le cas lorsqu'il se trouvera par exemple en face d'un étudiant venu lui demander à domicile, ce qu'il pense de la Constitution de la Ve République. En fait il est assez surprenant que l'enquête à domicile soit possible. On étudiera ici l'interview d'opinion et ses difficultés, en laissant de côté l'entretien thérapeutique, beaucoup plus spécialisé et nécessitant des connaissances et une formation particulière. La perception de la situation par l'enquêté est toujours individuelle et l'enquêteur peut produire une impression différente sur chacun. L'attitude et l'accueil varieront en fonction de l'apparence, de la personnalité de l'enquêteur, mais aussi du caractère de l'enquêté et de ses problèmes. Celui qui n'a pas payé sa redevance à l'O.R.T.F., ou qui a des difficultés avec le fisc, ouvrira sa porte avec plus de méfiance. 654 Les mécanismes de défense O Quelles que soient les causes particulières de gêne, de non- réponse, ou de modification de la vérité, même si chacun possède ses propres recettes de protection, il existe quelques grands types de mécanismes de défense, particulièrement étudiés par Freud, qu'un enquêteur doit connaître. D'abord la fuite. Le refus de répondre brutal, la porte claquée au nez de l'enquêteur ou l'excuse polie, ou encore la fuite, moins apparente, dans le mensonge. La rationalisation. L'enquêté, pour justifier son attitude, donne une explication à laquelle il croit, mais qui ne correspond pas à la réalité. Par exemple il déclarera s'être inscrit à un parti parce que c'est un groupement national... au lieu de dire que le niveau social des membres de ce parti coïncide avec son propre désir d'élévation sociale. Il existe encore des mécanismes de projection1274, d'inrrojedion et d'identification qui peuvent jouer plus ou
moins successivement ou simultanément dans le rapport enquêteur-enquête. Enfin le refoulement, le plus connu des mécanismes de défense, a pour but de rejeter hors de la conscience, les désirs ressentis comme coupables. L'importance de l'apport de Freud ne consiste pas tellement à avoir découvert que nous repoussions, au point de les ignorer, certains désirs, mais d'avoir tenté de démontrer que ceux-ci conservaient leur énergie. Cette énergie s'extériorise sous une autre forme, consciente et cette fois acceptable. La difficulté consiste à découvrir la véritable motivation de l'enquêté, lorsque par définition il l'ignore, puisqu'elle est inconsciente. Il existe encore des formations réactionneiles, soit le renversement : l'enquêté qui aimerait se débarrasser de l'enquêteur sera encore plus poli. Il s'agit là d'un mécanisme qui, en général, permet de résoudre les conflits selon la norme du milieu. Le retournement : le désir coupable est retourné par le sujet contre lui-même ; l'enquêté aura une conduite masochiste et une tendance dans ses réponses à se dénigrer. L'oubli est proche du refoulement, mais il peut porter sur des faits et non sur des désirs. La nature des oublis est symptomatique, car chacun réorganise ses souvenirs et suivant les cas, oublie de préférence ce qui lui a été désagréable. Comment les enquêtes acceptent-ils de répondre à des entretiens qu'ils n'ont pas suscités ? Même s'ils supposent que les questions ne seront pas gênantes ou que leurs systèmes de défense les protègent assez, pourquoi se laissent-ils déranger par des inconnus ? Étant donnée la solidité des systèmes de défense de la plupart des individus, comment des enquêteurs peuvent-ils espérer les vaincre et accorder le moindre crédit aux réponses qu'ils
obtiennent ? 655 b) Les facteurs positifs. Ce qui incite l'enquêtéà répondre o S'il existe des mécanismes de défense, il existe aussi des raisons qui vont inciter l'enquêté à répondre. 1° La première est un réflexe de politesse. Normalement, il est difficile d'éconduire brutalement quelqu'un qui s'adresse à vous poliment. L'enquêteur devra mettre à profit ce premier instant, neutre, pendant lequel les moyens de défense de l'enquêté, surpris, ne sont pas encore entrés en action, pour agir et susciter des forces positives. Quelles peuvent être ces forces positives ? 2° Un des mobiles qui poussera l'enquêté à parler, c'est le désir d'influencer. Il parlera, dans la mesure où il pensera que l'enquête peut, même indirectement, amener un changement heureux et qu'elle a trait à des problèmes qui l'intéressent. L'enquête et l'enquêteur sont confusément perçus comme un moyen d'obtenir un changement. L'enquêteur devra utiliser cet état d'esprit. 3° Il est enfin une troisième raison qui peut expliquer que l'enquêté réponde : c'est tout simplement le besoin de parler, non pas dans le sens vain de bavardage, mais dans un sens plus psychologique, un besoin de communiquer, parfois, plus ou moins consciemment, d'être compris. Le besoin de communication est si fondamental, qu'il explique en partie, que les gens racontent leur vie à un inconnu dans le train et ce fait, encore plus surprenant, qu'ils répondent à ceux qui s'introduisent dans leur propre domicile, pour les interroger. L'enquêté sera d'autant plus incité à parler qu'il trouvera une satisfaction à ce contact
personnel. Ceci dépendra bien entendu en grande partie de l'attitude de l'enquêteur. 656 2° L'attitude de l'enquêteur O
Si l'on considère quelle doit être l'attitude de l'enquêteur, on dira que sa stratégie doit en même temps supprimer les facteurs négatifs et renforcer les forces positives de l'enquêté. Il doit être poli, rassurant, sympathique, pour donner une impression favorable dès le premier instant et ensuite à la fois stimuler, susciter l'intérêt de l'enquêté et le rassurer. L'enquêteur doit donc éveiller l'intérêt de l'enquêté en lui indiquant l'objectif de l'enquête. Il indiquera l'organisme responsable1275, l'intérêt scientifique, national de l'enquête et son incidence sur la vie de chaque citoyen. Pour cela, il fera apparaître un lien entre le sujet de l'enquête et un changement qui peut intéresser l'enquêté, que ce soit la baisse des prix, la sécurité, le chômage, etc. Il importe de ne pas laisser s'installer la méfiance, l'ambiguïté, concernant la personne de l'enquêteur, mais de dire tout de suite et nettement de quoi il s'agit et pour cela de présenter l'enquête et l'enquêteur sous un aspect scientifique, sérieux. L'enquêteur doit avant tout rassurer l'enquêté1276. Il doit tout de suiteindiquer de la façon la plus nette, que l'entretien demeurera anonyme. Éventuellement indiquer comment l'enquêté a été déterminé par échantillonnage, sans toutefois que le tirage au sort diminue à ses yeux le prestige, que pourrait lui conférer l'illusion d'avoir été personnellement choisi. De même, il importe d'éclairer l'enquêté sur ce
que l'on attend de lui ; insister sur le fait qu'il ne s'agit pas d'un examen, comportant ,de bonnes ou de mauvaises réponses, mais que tout ce que pense l'enquêté est intéressant. Il faut le rassurer sur la portée de ce qu'il va dire, sans en minimiser l'importance. Il peut être utile d'indiquer brièvement comment on totalisera les résultats. Certains enquêtes s'inquiètent de la durée possible de l'entretien, il convient de la leur indiquer approximativement. Enfin il faut exploiter le besoin déparier. Il dépend en partie de l'impression que l'enquêteur produit sur l'enquêté1277. 657 Qualités de l'enquêteur O D'après C. Rogers1278, l'enquêteur doit manifester : chaleur et sympathie, de l'intérêt pour la personne de l'enquêté, compréhension, c'est-à-dire que l'enquêté doit avoir l'impression de pou- voir tout dire, sans se heurter à une attitude moralisatrice ou de jugement. Ceci est surtout important en psychothérapie, mais reste utile dans un entretien d'opinion, même superficiel. En effet, le besoin d'approbation de l'enquêté est tel, qu'il peut inconsciemment déformer la vérité, suivant ce qu'il imagine être le point de vue de l'enquêteur. Celui-ci doit donc donner le moins possible d'éléments d'appréciation, paraître tout à fait neutre, pour ne pas influencer l'enquêté. La meilleure communication s'établit lorsque le sujet considère l'enquêteur comme un homme capable de le comprendre et de l'accepter tel qu'il est réeUement. Il n'est pas utile qu'il le perçoive comme semblable à lui. En dehors des éléments physiques qui correspondent aux sentiments intérieurs de l'enquêteur : regard, expression, attention, il existe des moyens de traduire une
attitude de compréhension. L'un de ceux-ci consiste à reprendre, dans une optique non directive, l'opinion exprimée par l'enquêté, en l'explicitant sans la déformer : « Vous voulez dire que... » Ce rôle de facilitation, d'aide à l'enquêté, contribue à lui donner l'impression d'être compris. Dans les entretiens d'information ou d'opinion assez structurés, l'enquêteur contrôle davantage l'interview, car il cherche des informations précises. Il s'agit non seulement d'inciter l'enquêté à parler, mais à parler du sujet. Donc, sans le brimer, il faut le guider dans son rôle d'enquêté, l'aider à répondre le mieux possible. L'atmosphère de l'enquête dépendra en grande partie de l'attitude de l'enquêteur, de l'idée qu'il se fait de son rôle, mais aussi de ses préjugés ou de ses craintes, qui sont plus ou moins perçus par l'enquêté. Enfin, les défenses de l'enquêté ne sont pas supprimées une fois pour toutes par une ambiance détendue. Elles peuvent surgir à propos d'une question traumatisante ou dont l'enquêté ne voit pas le rapport avec l'enquête, d'où la nécessité de compléter les effets rassurants de l'attitude de l'enquêteur par un questionnaire adroit. Les Américains estiment que le plus grand nombre d'erceurs se situe dans le rapport enquêteur-enquête et sont le fait de l'enquêteur. Le meilleur moyen de les éviter, c'est d'en être conscient, de respecter les conseils précédents et ceux qui vont suivre. Quelles que soient les différences entre les divers types d'interviews, ces mêmes conseils, ces mêmes principes s'appliquent avec plus ou moins de rigueur, mais s'appliquent toujours. 658 3° Le rapport enquêteur-enquête comme source d'erreurs,
a) Erreurs provenant de l'enquêté O
Certaines réactions de l'enquêté sont indépendantes des caractéristiques particulières de l'enquêteur, elles naissent simplement de la situation. Ce qui paraît important en tant que facteur de biais, c'est moins le degré d'engagement dans la situation d'entretien, que la nature de cet engagement. H. H. Hyrnan (1954) distingue deux types de situation d'entretien : celle dans laquelle l'enquêté a surtout le souci d'accomplir sa tâche, c'est-à-dire de répondre à des questions et celle où c'est le rapport avec l'enquêteur qui compte le plus pour lui. Alors que la quantité de matériaux dépendra du degré d'engagement plus ou moins complet, la validité tendra à s'accroître en fonction du souci des réponses et baissera, si le rapport social, l'impression à produire sur l'enquêteur, l'emportent Dans ce cas en effet, la présence de l'enquêteur et ses réactions ou l'idée que l'enquêté en a, sont amplifiées et la personnalité de l'enquêteur, ses prévisions ou stéréotypes peuvent influencer l'enquêté. Celui-ci risque d'être tenté, pour se faire valoir, ou seulement se sentir plus proche de quelqu'un qui lui est sympathique, de modifier ses réponses. Nous aborderons les causes d'erreurs provenant de l'ignorance de l'enquêté ou relevant du contenu et de la forme de la question à propos du questionnaire. Nous verrons seulement ici les déformations issues du rapport enquêteur-enquête et qui tiennent surtout, puisqu'il a.le rôle le plus actif, à l'enquêteur. 659 b) Erreurs provenant de l'enquêteur O II s'agit souvent, à l'origine, de disparités existant entre enquêteurs et enquêtes. D'après H. H. Hyman (1954), on peut considérer que la plupart des enquêtes sont, aux U.S.A., conduites par des femmes jeunes citadines, blanches instruites, issues de la classe moyenne supérieure,
s'adressant à des enquêtes qui sont des hommes non instruits, de statut économique inférieur souvent Noirs ou ruraux. Ceci exerce une influence dont certains effets ont pu être mesurés. 660 La réaction de l'enquêté à l'apparence de l'enquêteur o L'on a comparé les impressions que les enquêtes retiraient de l'entretien, suivant qu'il s'agissait d'enquêteurs hommes ou femmes, jeunes ou vieux, et d'autre part l'impression de sincérité que ressentaient les enquêteurs, en écoutant les réponses des enquêtes. En général les corrélations ne per- mettent pas de constater une augmentation directe de la vahdité, en revanche la quantité de données recueillies est plus grande, l'atmosphère plus confiante, lorsque l'apparence de l'enquêteur le rapproche de l'enquêté. Sur des sujets particuliers, des enquêteurs noirs obtiennent des réponses différentes des enquêteurs blancs. A la question : « Les Noirs seraient-ils mieux ou plus mal traités si les Japonais faisaient la conquête des États-Unis ? » on trouve les résultats suivants1279 :
/
Enquêteurs noirs
Ebnquêteurs blancs
Mieux
9%
2%
De la même façon
32%
20%
Plus mal
25%
45%
Sans opinion 34%
33%
A la question : « les Juifs exercent-ils trop d'influence aux États-Unis ? », 50 % des enquêtes non-juifs ont répondu par l'affirmative à des enquêteurs d'apparence non juive et seulement 20 % à des enquêteurs de type sémite. D'autres expériences indiquent que des enquêteurs apparemment d'un statut socio-économique peu élevé obtiennent des réponses plus marquées à gauche1280. Ces différences sont évidemment plus_ ou moins perceptibles suivant le contexte. La majorité des enquêtes aux États-Unis, pendant la période de « chasse aux sorcières », étaient gênés pour répondre, du fait de l'ambiance générale de suspicion régnant alors. En France, pendant la période 1960-1962, les enquêtes de science politique se heurtaient à beaucoup de réticence au sujet de l'Algérie. 661 Les opinions de l'enquêteur et la façon dont il perçoit l'enquêté O On s'est toujours méfié de l'influence que pouvaient exercer les opinions de l'enquêteur sur le plan idéologique. En fait, toute opinion de l'enquêteur, quel que soit le sujet, peut exercer une influence. C'est ainsi que les enquêteurs favorables aux maisons préfabriquées, obtenaient plus de réponses favorables à ce mode de construction que les autres. C'est pourquoi la formation des enquêteurs a pour but de les rendre conscients de leurs propres opinions, afin de les neutraliser. Depuis les études de la N.O.R.C.1281 l'on s'est aperçu que ce n'étaient pas tellement les opinions mêmes' de l'enquêteur qui exerçaient une influence, mais plutôt l'idée qu'il se faisait de l'enquêté, de ce que celui-ci pouvait penser, autrement dit les prévisions de l'enquêteur1282. Il s'agit soit de prévisions tirées d'une impression générale : étant donné que l'enquêté présente telles et telles
caractéristiques sociales ou économiques, il est probable qu'il pense de telle manière, lit tel journal, ignore ceci ou cela. C'est surtout dans le cas de réponses à des questions ouvertes, que l'interprétation et la notation risquent d'être faites en fonction de cette prévision et non de la réalité du contenu de la réponse. Soit de prévisions à partir d'éléments plus précis, contenus dans les réponses mêmes de l'enquêté. D'après les premières réponses, l'enquêteur s'est fait une certaine idée de l'enquêté, il le structure, l'imagine plus rationnel qu'il n'est. Il notera, par exemple, la réponse à la vingtième question, en fonction de celles qui précèdent, sans remarquer justement la particularité de cette réponse, en contradiction avec les autres. Ce genre de prévision tend à normaliser les réponses, en risquant d'omettre les plus intéressantes ou originales. L'expérience suivante a été effectuée en laboratoire1283 : deux entretiens enregistrés, ont été soumis à un groupe d'enquêteurs. Dans le premier entretien, l'enquêté répond à toutes les questions précédant « la question test » en exprimant des opinions en faveur de l'isolationnisme. Dans le deuxième, au contraire, les réponses sont en faveur de l'internationalisme. Les deux réponses tests sont identiques dans les deux entretiens et assez ambiguës. 75 % des enquêteurs notèrent la réponse comme isolationniste dans le premier entretien et seulement 20 % dans le deuxième. On ne saurait sur ce point blâmer entièrement les enquêteurs. Il est normal qu'ils soient influencés par l'ensemble des réponses, mais il est bon que soit souligné le danger de les voir s'endormir dans la perspective de réponses cohérentes et à cause de cela manquer la réponse déviante, clef de beaucoup d'explications.
On a cité des occasions de biais, mais ceuxci ne se produisent pas forcément. Ce sont des virtualités qui ne se matérialiseront qu'à partir du moment où certaines attitudes se manifestent. De nombreux facteurs de la personnalité de l'enquêteur et de l'enquêté peuvent jouer : stéréotypes, expériences personnelles, etc., attitudes qui ne se manifesteront qu'en face de certains stimuli. Chaque entretien ne présentera pas tous ces stimuli en même temps, on peut donc supposer que certaines attitudes ou croyances de l'enquêteur affecteront le résultat de l'interview, seulement dans la mesure où elles coïncideront avec une part du domaine abordé dans l'interview. Les moments de plus grande liberté dans l'entretien, sont les plus dangereux parce que la personnalité de l'enquêteur s'y exprime davantage. Les interviews libres en comportent naturellement plus que les interviews à questionnaires structurés. 662 Les moments dangereux de l'entretien O Ils se situent d'abord au début, lorsqu'il s'agit de motiver l'enquêté. Diverses manières de motiver. - L'enquêteur inexpérimenté peut commettre les erreurs suivantes : ne pas se montrer assez convaincant ; dans ce cas, l'enquêté se désintéresse de l'interview et répond pour s'en débarrasser, ou bien le motiver dans le sens d'un rapport trop affectif et social, non dans le sens d'un travail à effectuer. Cette erreur est fréquente chez les jeunes enquêteurs, hypnotisés par le désir d'obtenir une « bonne atmosphère ». L'inconvénient de ces relations trop affectives, c'est que l'interviewé inconsciemment n'ose pas dire ce qu'il pense, pour ne pas risquer de décevoir l'enquêteur. Enfin, une autre erreur consiste pour l'enquêteur à trop insister sur la nécessité pour l'enquêté de coopérer, ou
au contraire sur sa propre compétence à le conseiller, ce qui peut irriter l'enquêté. Diverses manières de -poser les questions et d'ajouter. - Il peut s'agir de modifications spontanées au questionnaire, de paroles qui échappent à l'enquêteur et manifestent le plus souvent l'idée qu'il se fait de l'enquêté : « Vous n'avez pas lu ceci, je suppose », « ou vous n'irez pas à tel endroit probablement». Ou si l'enquêté n'a pas compris et que la question soit répétée, l'enquêteur, inconsciemment, la reformule en suggérant involontairement la réponse. Probe questions. - Dans les interviews à réponses libres, l'enquêteur n'est pas tenu par le libellé d'un questionnaire. Il peut utiliser ce que les Américains appellent des « probe questions ». Elles ont pour but d'amener l'enquêté à compléter, achever, même éclairer sa pensée. Ces questions complémentaires visent sans influencer l'enquêté, à augmenter la validité du questionnaire, sur le plan du contenu de l'irrformation, de sa précision, de sa richesse ou profondeur. Par exemple1284 admettons qu'à la question suivante : « Quels achats importants pour votre ménage comptezvous effectuer cette année ? » l'enquêté ait répondu : « Nous devons acheter une machine à laver » l'enquêteur peut vouloir en savoir davantage et demander : soit « Pensez-vous acheter aussi une machine à laver la vaisselle ? » ou «Voulez-vous dire que vous n'achèterez rien d'autre cette année qu'une machine à laver ? » ou encore « Pensez-vous acheter autre chose ? ». Ces différentes questions ont des
orientations différentes ; alors que la première limite la gamme des possibilités à un seul nouvel achat, la deuxième semble marquer le scepticisme de l'enquêteur et indirectement inciter l'enquêté à répondre qu'il achètera aussi autre chose. La troisième est la moins directive, la plus neutre et la plus efficace. Ces questions complémentaires et spontanées doivent être jugées en fonction de trois critères : validité de la réponse, maintien du rapport enquêteur-enquête, lien de rinformation obtenue avec l'objectif poursuivi. La manière de transcrire et parfois de compléter la réponse, - Il est frappant de comparer les notes sans lacunes prises par l'enquêteur, à l'enregistrement d'un entretien comportant des réponses non terminées, des opinions contradictoires ou ambiguës. Il semble que les facteurs prévision, rationalisation de l'enquêteur, soulignés plus haut, soient responsables de ces ajouts involontaires. Les erreurs proviennent moins des attitudes et opinions des enquêteurs que de leurs fautes techniques. Plus exactement, le respect de la technique permet d'éviter un grand nombre de biais, causés par les prévisions ou présupposés des enquêteurs. Guest1285, fit l'expérience suivante : 15 enquêteurs intenogèrent un enquêté qui répondait de la même façon dans les 15 entretiens. Les réponses enregistrées, l'on compara les résultats avec les notes prises par les 15 enquêteurs. Le nombre d'erreurs par individu variait de 12 à 36 et l'on put compter 66 réponses inadéquates, que les enquêteurs laissèrent passer sans chercher à compléter leur information, enfin de nombreuses informations intéressantes ne furent pas relevées.
Il semble bien que la formation des enquêteurs soit effectivement le moyen le plus sûr de réduire les erreurs, non seulement les fautes techniques, mais aussi celles qui proviennent de leur personnalité ou de leurs opinions. 663 4° Sélection, formation et motivation de l'enquêteur o
On pourrait sans doute appliquer à l'interview le mot de Bourdet concernant l'art dramatique : « Le théâtre obéit à des règles précises, l'ennui c'est qu'on ne sait pas lesquelles. » C'est dire que la sélection et la formation des enquêteurs ne sont pas faciles. Cependant s'il n'existe pas de règles précises assurant la réussite de l'interview, on peut indiquer les buts à atteindre et donner sinon les moyens d'y parvenir, du moins des conseils concernant surtout ce qu'il ne faut pas faire. Il importe que l'enquêteur soit sympathique, mais il faut aussi qu'il connaisse les conditions techniques qui assurent le succès de l'interview. Pour cela comme dans tout métier il faut des aptitudes et un apprentissage, des dons, de l'expérience et du travail. 664 a) Sélection O II n'existe pas de méthode infaillible de sélection, étant donnée la variété des types d'enquête, de situations et d'enquêtes. Il y a cependant des aptitudes générales et des défauts rédhibitoires. Parmi ces qualités nous trouvons : Io Une apparence sympathique. Sans avoir une notion trop précise et personnelle de cette caractéristique, on doit tenir compte de l'impression que produit en général l'enquêteur. 2° Une grande possibilité d'adaptation. L'enquêteur doit être partout
à son aise. 3° Une bonne santé. Certaines enquêtes impliquent des entretiens dans des quartiers éloignés, de nombreux escaliers à monter et parfois un grand nombre de refus ou d'individus absents. 4° Beaucoup de persévérance pour supporter tous les contre-temps. 5° Une grande honnêteté et le respect de la discipline pour appliquer les consignes1286 données et savoir résister parfois à la tentation d'une investigation personnelle supplémentaire, ou d'une omission non avouée. 6° De l'ordre et de la méthode pour tenir toute sa documentation à jour et recueillir les données suivant les indications prévues. 7° Un certain niveau de culture, non pas une culture spécialisée, mais une aptitude à percevoir les problèmes à travers les propos de l'enquêté. 8° Enfin un bon moral, ce qui implique l'amour de son métier, une intelligence souple. A côté de ces facteurs positifs, d'autres éléments peuvent constituer des contreindications au métier d'enquêteur: une timidité excessive ou une particularité physique marquée (bégaiement). Suivant les milieux et les cas, la race peut être une gêne, l'âge également1287. Quant au sexe, le nombre des enquêteuses est en général très supérieur à celui des enquêteurs. Ce travail convient bien aux femmes du fait de ses horaires souples. Les enquêteuses offrent l'avantage de ne pas être confondues avec la police ou les agents du fisc. De plus elles donnent souvent un aspect plus amical, moins professionnel à l'entretien. Le fanatisme ou même des opinions très marquées, sont incompatibles avec le rôle de l'enquêteur. On a considéré que certains métiers, tels que représentant de commerce, donnaient des habitudes, une formation si opposées aux qualités de contrôle de soi et de non-directivité, requises de l'enquêteur, qu'ils constituaient également une contre-indication. En bref, l'enquêteur ne doit pas paraître trop timide
ou trop sûr de lui, trop impatient ni trop directif. La sélection des enquêteurs, en dehors des tests, se fait surtout par des expériences d'interviews sous contrôle. 665 b) La formation O Elle implique d'abord la prise de conscience, par l'enquêteur, de sa propre attitude et des interactions qui se produisent dans un entretien. Les entretiens enregistrés, contrôlés, suivis de critique, parfois sous forme de discussion de groupe, la comparaison des résultats entre divers enquêteurs, des exemples de conduite d'interviews menées par des enquêteurs expérimentés, sont les méthodes de formation les plus utilisées. C'est un domaine dans lequel la conférence ou le cours sont absolument insuffisants. Comme le dit Kahn « les gens apprennent ce qu'est l'interaction avec d'autres, en entrant eux-mêmes en interaction, plutôt qu'en lisant des propos sur l'interaction1288 ». Les Américains ont également étudié ces problèmes à propos de la formation accélérée d'enquêteurs de race et de culture différentes1289. c) Motivation des enquêteurs. Intérêt pour l'enquête elle-même O Parmi toutes les aptitudes et qualités de l'enquêteur, la plus indispensable est l'amour de son travail. Un enquêteur qui ne croit pas à ce qu'il fait ne sera pas un bon enquêteur, quelles que soient ses autres qualités. Certains considèrent que cet intérêt risque de nuire à l'objectivité du chercheur. Il semble pourtant possible de concevoir un intérêt qui s'adressant non à telle ou telle hypothèse, mais à l'enquête elle-même, ne fausse pas les résultats. L'attitude du responsable de l'enquête est capitale. C'est à lui qu'il incombe de faire partager son intérêt à ses enquêteurs. D'une part, en leur expliquant le but de l'enquête, d'autre part,
en les faisant participer à toutes les étapes de celle-ci : précision des objectifs, questionnaire, dépouillement. Enfin, en gardant le contact avec les enquêteurs, pour les aider dans leurs difficultés et les stimuler lorsque trop d'absences ou de nonréponses les découragent. Le moral de l'enquêteur dépend, en dehors de sa personnalité, en partie du but plus ou moins intéressant de l'enquête, de la façon dont elle est dirigée, mais également du fait qu'il ne lui est pas demandé de performances excessives. Intérêt pour la recherche O S'il est utile que le sujet même de l'enquête intéresse les enquêteurs, ce qui doit de toute façon les passionner, c'est la recherche en tant que telle, c'est-à-dire la volonté de mieux comprendre les mécanismes psychosociaux, de découvrir quelque chose à travers ce que pensent les autres. Cette nécessité d'une attirance pour la psychologie sociale ou la sociologie pose encore le problème de l'objectivité du chercheur. Ceux qui sont attirés par ces questions sont en général ceux qui y sont plus sensibles : introvertis, que leurs propres difficultés ont amenés à s'analyser, à se poser des questions, individus qui supportent moins bien l'injustice sociale, ou certaines contraintes. Si les enquêteurs ne se recrutent pas parmi les conformistes satisfaits, il faut toutefois éviter de les choisir parmi les individus trop marqués par leurs propres conflits, car ils les projettent dans leurs enquêtes. Les bons enquêteurs sont souvent introvertis, mais ils ne doivent pas être trop égocentristes. Le souci des autres, l'intérêt pour ce qu'ils sont, ce qu'ils pensent, est indissolublement lié à rattrait pour la recherche. L'intellectuel qu'intéressent seulement les idéologies ou la pensée abstraite, qui n'est pas sensible aux êtres humains, ne sera jamais un bon enquêteur. Celui-ci doit avoir
assimilé toutes les techniques qu'une formation, une expérience, lui ont enseignées, mais sur le plan de l'attitude, il n'existe pas une technique ou des recettes qu'il puisse apprendre et appliquer. Le secret de sa réussite ne peut venir que de la vérité, de la réalité des sentiments qu'il éprouve, de son intérêt pour la recherche et de la sympathie ou empathie que lui inspire l'enquêté. Jean Rostand, à propos de l'émotion biologique, écrivait : « On ne s'habitue pas à assister à une segmentation d'œuf. » Que dire de l'émotion humaine devant la découverte de l'autre ! Ceci implique un véritable dédoublement de l'enquêteur. D'une part il observe avec objectivité les enquêtes, comme un entomologiste examine ses petits insectes, d'autre part il considère avec respect et sympathie, audelà des mécanismes psy chologiques, cette parcelle irremplaçable que contient chaque être humain, ce lot de souffrances et de joies qui compose chaque destin particulier, même chez le plus borné des enquêtes. 668 5° Les divers types d'enquêtes O
Alors que les enquêteurs tentent de s'aligner sur un modèle idéal de parfait enquêteur et de diminuer, au moins sur le plan professionnel, leurs particularités, les enquêtes, même si leurs réactions de défense se ressemblent, présentent des comportements très différents. On peut les ramener à quelques types que l'on rencontre plus fréquemment. Le timide qui craint de ne pas en savoir assez, de mal répondre. Le timoré qui, surtout en matière politique,
redoute de répondre. Enquêtes assez décourageants pour des enquêteurs débutants qui préfèrent les individus plus loquaces. Le bavard. Avec lui d'autres problèmes se posent : comment le ramener au sujet, l'empêcher d'anticiper ou de traiter tout à la fois ? Ce type paraît particulièrement répandu dans la classe politique1290. Le discuteur. Il cherche à engager le dialogue... ou à convaincre l'enquêteur. Ce type d'enquêté se rencontre également souvent chez ceux qui sont très engagés politiquement Le plaisantin. Se rencontre rarement. On est au contraire frappé du sérieux et de la bonne volonté des enquêtes en général. Uenquêté sûr de lui. C'est le plus facile à interroger. Il parle en général sans difficultés, s'exprime de façon facile à noter, mais on peut se demander ce que valent les informations recueillies. 669 6° Conseils techniques e t pratiques,
a) Façon d'obtenir l'entretien O II dépend évidemment du type d'enquête et de l'échantillon prévu. Lorsqu'il s'agit d'interviewer des individus précis ou des notabilités, il est à la fois prudent et corcect de prendre un rendezvous. Certaines personnes sont très difficiles à joindre. Le nombre de rendezvous obtenus avec peine, puis décommandés, les déplacements inutiles, représentent beaucoup de temps perdu dans certaines enquêtes.
On doit déconseiller de téléphoner directement à l'enquêté pour prendre rendez-vous. Il risque de poser des questions sur le sujet de l'enquête, qui peut lui déplaire1291 et il est trop facile d'évincer l'enquêteur par téléphone. Dans le cas où l'on suppose que l'enquêté ne répondra pas lui-même, la classique demande de rendez-vous à une secrétaire est un moyen facile, sinon toujours efficace. Une recommandation est souvent utile. De toute façon, il ne faut jamais exposer le sujet de l'enquête avant de procéder à l'entretien et naturellement ne jamais communiquer le questionnaire. 670 b) Le déroulement de l'entretien O Le choix du lieu de l'entretien présente des difficultés. Il est difficile de trouver, surtout pour les hommes, l'heure et le heu favorables à l'entretien. Sur les lieux du travail, la pression du groupe, le conditionnement peuvent jouer et les problèmes d'autorisation patronale, syndicale, etc., se poser. A la sortie du travail, ils sont pressés. Chez eux, ils n'aiment pas être dérangés le soir. Dans la journée, on trouve presque uniquement des femmes. En fait, la plupart des entretiens un peu longs ne peuvent avoir lieu que le soir à domicile, ou quelquefois dans un café. Suivant le sujet de l'enquête et le type d'enquêté, le lieu de rendez-vous a plus ou moins d'importance. Une enquête sur des sujets délicats demande un cadre familier à l'enquêté pour qu'il se sente en confiance. Ceci allonge considérablement la durée des enquêtes, car les enquêteurs ne peuvent procéder à plusieurs entretiens dans la même soirée. Il est plus ou moins nécessaire, mais toujours souhaitable, d'obtenir que l'enquêté soit seul.
Une enquête à domicile, le soir, ne peut quelquefois faire abstraction de présences familiales. Il faut alors noter les interventions de la femme, du mari ou des enfants. Tout ceci, intéressant en soi, modifie souvent le contenu de l'information cherchée et sa signification. Dans le cas d'hommes politiques, il faut éviter d'être reçu à la permanence du parti, l'enquêté risquant de parler pour la galerie ou pour ses troupes, mais on ne peut parfois faire autrement. De nombreux syndicalistes souhaitent répondre avec leurs camarades, ce qui est évidemment à déconseiller. Certains enquêtes demandent à voir le questionnaire avant de répondre ou parfois de mener eux-mêmes l'entretien. Ceci bien entendu ne doit pas être accepté. Il est préférable que les enquêteurs débutants soient deux pour procéder à l'entretien. L'un pose les questions, l'autre note... ou vient au secours de son camarade en cas de difficultés. Il est plus facile de noter lorsque l'on n'a pas le souci des questions à poser. A deux, les enquêteurs peuvent s'encourager et aussi critiquer ensuite la façon dont ils ont procédé. L'enquêteur doit poser toutes les questions, dans les termes mêmes dans lesquels elles ont été libellées et dans l'ordre prévu par le questionnaire. Si l'enquêté répond à l'avance à une question, on notera par exemple : question 10, réponse dans la question 7. Lorsque l'enquêté dit : «Je vous dis ceci mais ne l'écrivez pas... » Il faut respecter son désir, mais on peut le signaler de façon succincte, dans le résumé des impressions que l'on note chez soi le soir. On peut répéter la question, ou faire préciser la réponse si l'une ou l'autre n'ont pas été comprises, mais il faut l'indiquer
dans le compte rendu d'interview. Il est recommandé de ne pas interrompre l'enquêté, mais on peut ramener au sujet, le bavard qui se lance dans un discours de propagande électorale. En revanche, si dans un questionnaire un peu long, l'enquêté donne des signes de fatigue, une petite digression sur les enfants, dont la photo se trouve sur la cheminée, peut constituer une détente utile. Il arrive très souvent que l'enquêté demande à l'enquêteur son avis. Celui-ci doit répondre de façon évasive, en disant par exemple : « Si vous voulez bien nous terrrrinons d'abord le questionnaire et nous en discuterons ensuite. » Il y a de fortes chances pour que la question ne soit pas posée à nouveau. Il est recommandé de recopier ses notes le soir même, sous peine de les déformer ou d'oublier certaines réponses. 671 c) La fin de l'entretien O Nous terminons souvent nos questionnaires par une question demandant à l'enquêté ce qu'il en pense, s'il aurait ajouté ou supprimé certaines questions. Ceci offre un double avantage, d'une part recueillir l'avis de l'enquêté, d'autre part, de le faire en quelque sorte participer. Il est rare qu'il soit vraiment hostile, le fait de donner son point de vue et son approbation le rend en quelque sorte plus solidaire encore de l'enquête et permet de terminer l'entretien sur une note favorable1292. Ceci est important pour l'avenir des enquêtes. L'enquêteur doit remercier l'enquêté de s'être prêté au rendez-vous. Surtout s'il s'agit d'étudiants, ils ne doivent pas donner une impression de désinvolture, mais du sérieux qu'ils apportent à ce qu'ils font. Si l'enquêté a manifesté de l'inquiétude, il est
possible de lui affirmer une fois encore que l'entretien est anonyme. Il est nécessaire d'insister auprès des enquêteurs pour qu'ils soient discrets sur les personnes qu'ils ont interrogées et le contenu de l'entretien. En l'absence de véritable secret professionnel, ü est important de respecter la confiance qu'a témoignée l'enquêté. Tout ce qui est recueilli dans les entretiens, ne doit pas sortir du cercle des responsables de l'enquête et doit être utilisé uniquement en fonction de ses objectifs. Parfois, le questionnaire terruiné, l'enquêteur et l'enquêté bavardent ensemble. Les enquêteurs inexpérimentés sont tentés de voir là un signe de réussite de l'interview. Il est certes heureux que l'entretien provoque la sympathie et le besoin de communiquer davantage, mais il ne faut pas oublier que le but de l'entretien consiste avant tout à recueillir certaines informations et que la sympathie ne saurait constituer un critère de fidélité, ni de validité. Ajoutons enfin qu'il est recommandé d'envoyer aux enquêtes les résultats de l'enquête lorsque celle-ci paraît1293. § 3. Le questionnaire
672 1° Questionnaires écrits et questionnaires d'interviews o
Le questionnaire écrit, envoyé par la poste, représente dans les rapports individuels un cas bien différent de l'interview libre dans lequel enquêteur et enquêté sont face à face. De ce fait, les informations recueillies par les interviews et les questionnaires écrits (diffèrent, ainsi que les indications pour utiliser l'un ou l'autre.
Les problèmes soulevés par la technique même du questionnaire sont semblables qu'il s'agisse du questionnaire écrit ou du questionnaire oral. Les Anglo-Saxons distinguent en principe : le questionnaire proprement dit envoyé par poste, l'interview schedule, ou questionnaire d'interview et enfin l'interview guidé, moins structuré qu'un questionnaire. Nous limiterons l'emploi du terme de questionnaire, à son sens exact de liste de questions. Nous préciserons d'abord les cas dans lesquels on peut utiliser le questionnaire par poste1294, ses particularités, avantages et inconvénients par rapport à l'interview, pour traiter ensuite le problème de la confection du questionnaire, dans le seul cadre de l'interview, étant entendu que la partie purement technique du libellé des questions est applicable à tous les types de questionnaires par poste, par téléphone, etc. a) Les critères de choix. La précision de l'hypothèse O Un facteur dont il faut tenir compte avant d'opter pour le questionnaire écrit ou l'interview, c'est le degré de précision de l'hypothèse. On ne peut envisager, dans un questionnaire par poste, de poser un aussi grand nombre de questions que dans un questionnaire oral. Il faut donc réserver le questionnaire écrit à des domaines circonscrits, concernant des faits ou des réponses n'impliquant pas de problèmes d'attitudes, ou d'opinions, trop ambiguës ou complexes. Lorsque le problème est déjà précisé, les questions bien libellées, le questionnaire écrit peut suffire. Au contraire, lorsqu'il s'agit d'explorer à un certain niveau, c'est l'entretien oral, à questions ouvertes de préférence, qui, ainsi qu'on le verra, recueille le plus d'informations et donne le
plus de chances de ne pas passer à côté des points importants. La sincérité des réponses O Le questionnaire écrit ne donne aucune garantie sur le fait que c'est bien la personne visée qui l'a rempli. Elle a pu répondre aidée par quelqu'un, ou en famille. De même, sur le plan de la spontanéité, l'interview est préférable, car le questionnaire écrit permet non seulement la réflexion, mais surtout la lecture de tout le questionnaire, avant la réponse à chaque question. En revanche, le questionnaire écrit, distribué de façon standardisée, élimine le facteur de perburbation constitué par l'enquêteur : sa présence, sa façon de poser les questions, d'interpréter et noter les réponses, etc. Les chercheurs ont souvent discuté sur le point de savoir si l'enquêté répondait plus franchement à un interview qu'à un questionnaire écrit. Est-il gêné par la présence de l'enquêteur ? Plus libre devant une feuille de papier ? Dans ce cas, ne pourrait-on considérer le questionnaire écrit, anonyme, comme plus adéquat dans le cas de questions délicates ? Il semble que sur le plan de la sincérité, il soit difficile de donner la préférence à l'un ou à l'autre. Pour certains enquêtes, la présence de l'enquêteur peut sembler gênante, alors qu'elle incitera d'autres à répondre1295 . Les Américains ont comparé les résultats obtenus par chacune des deux méthodes dans une enquête auprès de jeunes filles d'un collège. Le questionnaire abordait le domaine sentimental et comportait quelques questions délicates. L'une d'elles demandait si l'enquêtée avait été amoureuse de deux jeunes gens à la fois. On a trouvé plus de oui dans les interviews que dans les questionnaires. Ceci s'explique par le fait que les conceptions sentimentales régnant aux États-Unis, s'opposent aux
attachements simultanés. Les jeunes filles répondent automatiquement et rapidement « non », parce qu'elles refoulent dans leurs souvenirs ce qui n'est pas conforme à la morale courante. L'interview permet d'insister, d'ajouter dans le questionnaire des petites phrases telles que «vraiment jamais ? », etc., qui n'auraient pas de sens, écrites, mais qui lorsqu'elles sont entendues, incitent à réfléchir au-delà de la réaction spontanément conformiste. 675 Le niveau d'information O Sur le plan de la sincérité, aucune des deux formules ne paraît l'emporter sur l'autre. En revanche, en ce qui concerne le niveau d'information que l'on veut atteindre, il est certain que l'interview permet d'aller plus loin. L'enquêteur obtient souvent une information plus complète, à un niveau plus profond, plus riche. Lorsqu'à une question complexe ou gênante, l'enquêté répond de façon vague, contradictoire, l'enquêteur peut l'aider à reformuler sa réponse, la fonction de « facihtation » joue. De plus, l'enquêteur voit l'enquêté en train de répondre. Il peut donc percevoir ses hésitations, sa façon de s'exprimer. Dans l'interview, le contexte : heu d'habitation, apparence, est plus large qu'une simple réponse griffonnée sur un papier. 676 Le genre d'enquêté à atteindre O II faut ensuite considérer le genre d'enquêté à atteindre. Le questionnaire écrit n'implique pas seulement que l'on sache lire et écrire, mais aussi que l'on ait l'habitude de s'exprimer par écrit. Cette exigence limite la possibilité d'user de cette technique, qui ne permet pas de constituer un échantillon représentatif de toute la population et reste hmitée aux cas où il s'agit de groupes sociaux ayant atteint un niveau d'instruction suffisant.
L'expérience prouve que le questionnaire écrit, envoyé à des échantillons normaux de population, n'amène en général que 10 à 25 % de réponses, alors que dans le cas d'un groupe particulier d'enquêtes, sélectionnés à titre professionnel, le pourcentage de réponses à un questionnaire, ayant trait à un domaine qui les intéresse, peut atteindre un chifff e beaucoup plus élevé : 70 à 80 %. 677 Le prix de revient O L'avantage du questionnaire écrit serait son prix de revient moins élevé. Il paraît plus économique d'envoyer un questionnaire dans une enveloppe que de déplacer un enquêteur, à plus forte raison quand les enquêtes sont répartis géographiquement à de grandes distances les uns des autres. Mais on ne peut établir de véritable prix de revient en comparant simplement le coût d'un entretien, à celui d'un questionnaire ronéotypé. Ce dont il faut tenir compte, c'est du prix de l'un et de l'autre, par rapport aux résultats obtenus, c'est-à-dire en fonction de l'information recueillie. Or, le faible pourcentage des questionnaires écrits remplis et renvoyés, dans le cas d'enquête sur une population non sélectionnée suivant un intérêt particulier, diminue le rendement et l'intérêt de cette méthode. 678 b) Le problème des non-réponses o A côté des enquêtes qui ne peuvent pas répondre soit parce qu'ils ne savent pas écrire ou s'exprimer, soit parce qu'ils ne sont pas en état de donner une information qui leur échappe, se trouvent ceux qui ne veulent pas répondre ou oublient. Que représentent ces non-réponses ? Peut-on penser que ceux qui ont répondu sont les mieux informés, les plus intéressés, les plus habitués à écrire, les moins négligents ou les plus coopératifs ?
Admettons que dans une enquête nous n'ayons que 50 % de réponses. Quelle part de l'échantillon représentent les 50 %, qui n'ont pas répondu ? Ce sont peut-être les plus jeunes, ou les plus pauvres. Si ceux qui n'ont pas répondu diffèrent de ceux qui ont répondu, les résultats établis en fonction de ces derniers ne seront pas statistiquement exacts. Une enquête par questionnaire écrit, soulève donc le problème du taux de nonréponses. Sur le plan pratique, comment augmenter les réponses ? ensuite comment évaluer la signification des non-réponses ? 679 Comment augmenter le taux des réponses aux questionnaires écrits ? O II s'agit d'abord de surmonter des obstacles du même ordre que ceux que nous avons vus dans l'interview. Il faut inciter l'enquêté à répondre, l'intéresser à l'enquête, le rassurer sur l'anonymat, etc. Mais tout ceci doit se faire par écrit, or un texte est moins persuasif qu'un enquêteur, déterminé à obtenir son interview. Non seulement le réflexe de politesse ne joue pas devant un texte, mais encore existe un obstacle contre lequel l'enquêteur se trouve pratiquement désarmé : la paresse, la négligence de l'enquêté... Il est déjà submergé de papiers, ou au contraire il n'est pas installé pour écrire chez lui, etc. On peut à la rigueur expliquer comment l'enquêté ne met pas l'enquêteur à la porte et accepte de lui répondre, mais par quel prodige un questionnaire échappera-t-il à la corbeille à papier... ? Il est donc conseillé, d'abord de n'utiliser les questionnaires écrits que dans les cas où l'on suppose que les gens seront intéressés. Lorsque le questionnaire, conçu en fonction d'un groupe d'enquêtes, porte sur leurs problèmes, on peut penser que l'espoir de contribuer à amener un changement dans le sens qu'ils souhaitent,
incitera les gens à répondre. Ces questionnaires limités, adaptés au milieu, évitent les réactions que peuvent susciter des questions plus générales, conçues pour un échantillon tout-venant telles que : « Avez-vous une maison de campagne ? » adressée à une famille vivant dans un taudis ou « Faites-vous du ski le dimanche ? » envoyée à un infirme. Ceci mis à part, on peut adapter au questionnaire écrit les conseils donnés pour l'entretien oral. Efficacité du texte. - Il faut indiquer quelle est l'organisation responsable. Une recommandation scientifique sérieuse incite à répondre. Il est important d'expliquer le but de façon claire, vivante et surtout concise. Chacun des termes doit être soigneusement pesé, pour que le texte ait le maximum d'efficacité. Tous ne liront pas cette lettre d'envoi, mais il faut que ceux qui jetteront un coup d'œil, soient tout de suite accrochés et renseignés sans confusion possible. Si l'on stimule l'intérêt de l'enquêté, encore faut-il matériellement faciliter son effort et lui présenter les questions sous une forme claire et agréable. Sont à proscrire les explications du type : si non à section n de Q 2 (c) répondre à Q 10 mais pas à Q 11. Longueur du questionnaire. - On peut supposer que les gens répondent plus volontiers à un questionnaire court qu'à un grand nombre de questions, mais que signifie court ? à partir de combien de question un questionnaire devient-il trop long ? On ne peut donner de réponse vraiment scientifique, tout au plus envoyer plusieurs questionnaires et comparer les résultats. En tout cas on a toujours tendance, comme
dans les interviews, à surestimer les capacités de compréhension de l'enquêté, son aptitude à être intéressé et à faire attention à ce qu'on lui demande1296. Enfin, suivant le type d'enquêtes, il peut être utile, comme dans l'interview, de spécifier que les réponses sont anonymes et de ne pas poser de questions permettant d'identifier le répondant (combinaison profession adresse, par exemple). Le questionnaire rempli, encore faut-il qu'il soit renvoyé. Une des façons d'inciter à répondre, consiste à joindre au questionnaire une enveloppe timbrée et adressée pour faciliter le retour. L'enquêté est sensible à la peine que l'on a prise, il se sent, du fait du timbre, partiellement obligé de renvoyer l'enveloppe. Ayant utilisé tous les moyens permettant de faciliter la réponse au questionnaire, reste le deuxième problème. 680 L'interprétation des non-réponses O Ceci revient à se demander dans quelle mesure les non-réponses faussent la représentativité de l'échantillon, autrement dit qui sont les non-répondants, en quoi diffèrent-ils des répondants ? Ce problème est d'autant plus sérieux que le taux des non-réponses est souvent élevé. Décès, maladie, changements d'adresse représentent une part importante des causes de non-réponses. Dans quelle partie de l'échantillon se recrutent ces enquêtes ? On peut utiliser plusieurs systèmes pour tenter de le savoir1297. Le premier consiste à grouper les réponses reçues suivant leur date d'arrivée : répondu dans la semaine, 15 jours ou 3 semaines après. On envoie ensuite des lettres de rappel ou des cartes postales comportant
un minimum de questions fermées, aidant à caractériser les retardataires. Ce procédé permet de déceler partiellement ceux qui sont les plus proches des non-répondants. Imaginons 40 % de réponses immédiates. A la suite d'une lettre de rappel 15% des 60% non-répondants renvoient leur questionnaire. On peut supposer que ces 15 % sont plus représentatifs des 60 % nonrépondants que les premiers 40 %. En totalisant les résultats, il paraît plus exact de pondérer les réponses des 15 % plutôt que d'étendre à tout l'échantillon, les résultats des 40 %, sans tenir compte des autres, ou de mêler les réponses des 40 et des 15 %. On peut enfin envoyer des enquêteurs au domicile d'un certain nombre de ceux qui n'ont pas répondu. Cette méthode a permis à M. H. Hansen et W. N. Hurwitz (1946) d'établir des règles assez précises, concernant le nombre de questionnaires à envoyer par la poste, comparé aux enquêtes n'ayant pas répondu à l'interview, pour obtenir les indications statistiquement les plus exactes. On peut ainsi déterminer, non seulement la direction de Teneur introduite par les non-répondants, dans les résultats de l'échantillonnage, mais encore mesurer le degré ou l'influence de Teneur. On doit, pour être complet, indiquer aussi les questionnaires collectifs et les questionnaires par téléphone. Les questionnaires écrits collectifs constituent un cas limite. Il s'agit bien de rapports individuels. Chaque enquêté répond pour lui, mais d'une part le rapport enquêteur-enquête n'a plus grande signification puisqu'ils ne sont pas seuls l'un en face de l'autre, d'autre part le sujet demeure plongé dans son groupe et Tambiance joue forcément plus ou moins. Ce procédé offre l'avantage de permettre de
récupérer tous les questionnaires remplis. On l'emploie dans le cas de groupes constitués : écoliers, étudiants, soldats ; lorsque l'on veut gagner du temps ; parfois aussi sauvegarder l'anonymat des enquêtes. Le niveau d'information demeure assez superficiel et ce procédé est utile avant tout pour recueillir des faits : lieu de naissance, etc., des opinions, ou un état d'esprit sur des problèmes qui intéressent le groupe et sur lequel il est suffisamment informé : choix d'horaires, de programmes, etc. Le questionnaire par téléphone, offre l'inconvénient de limiter l'échantillon aux abonnés. Il est en France utilisé pour des enquêtes et vérifications auprès des téléspectateurs. Mais le téléphone est l'occasion de trop de plaisanteries, parfois de mauvais goût, pour pouvoir être utilisé sérieusement pour des enquêtes1298. 681 2° Rôle et importance des questionnaires O
Le questionnaire est le moyen de communication essentiel entre l'enquêteur et l'enquêté. Il est l'outil par lequel le double but de l'interview doit être atteint : d'une part motiver, inciter l'enquêté à parler, d'autre part obtenir les informations adéquates pour l'enquêteur. Le questionnaire doit traduire l'objectif de la recherche en questions et susciter chez les sujets interrogés des réponses sincères et susceptibles d'être analysées en fonction de l'objet de l'enquête. En d'autres termes : la question posée en fonction d'un but donné, doit susciter une réponse en relation avec le but poursuivi et traduisant fidèlement l'attitude de l'enquêté. On attend de celui-ci qu'il puisse et veuille répondre et qu'il le fasse clairement. Comment obtenir ce résultat ? Le contenu et la forme des questions soulèvent ici des problèmes importants.
682 Contenu et forme O A la différence des entretiens psychothérapeutiques, dans lesquels l'intérêt est centré sur l'individu1299 interrogé, le contenu d'un questionnaire est déterminé par l'objectif de la recherche, plus que par les besoins de l'enquête. Cependant, on attend de lui des réponses qui dépendent non seulement du climat créé par l'enquêteur, mais aussi des questions posées et c'est ici qu'intervient la forme de la question. Un bon questionnaire aide l'enquêteur et l'enquêté, alors qu'une question maladroite peut les gêner l'un et l'autre et fausser un certain nombre de réponses. Donc, tout en poursuivant l'objectif de la recherche, le questionnaire doit tenir compte, à l'avance, des besoins et réactions des sujets interrogés. Il doit être à leur niveau, les intéresser sans les heurter, créer un chmat favorable. Comme l'indique C. A. Moser1300, aucune enquête ne peut être meilleure que son questionnaire, car des questions imprécises obtiendront des réponses vagues, des questions tendancieuses des réponses biaisées, etc. Le questionnaire représente donc un outil de travail aussi important que l'enquêteur chargé de l'utiliser. Il constitue dans la technique de l'interview un élément essentiel, la préoccupation majeure et continue du responsable de la recherche. On peut dire qu'avec la multiplication des enquêtes et le coût des enquêteurs qualifiés, aptes aux interviews libres, on a de plus en plus tendance à employer des enquêteurs formés rapidement, pour un travail plus simple, plus automatique. Dans ce but, on structure de plus en plus le questionnaire, pour diminuer la marge de liberté, donc d'erreur de l'enquêteur. Le questionnaire voit son importance croître, tandis que diminue celle de l'enquêteur. Malheureusement, il n'existe pas de règles absolues permettant
de composer de bons questionnaires, mais seulement des conseils pour atteindre le niveau du moins mauvais des questionnaires possibles. Pourquoi ce pessimisme ? 683 Le questionnaire est un compromis O Dès le départ le questionnaire est à plusieurs titres un compromis. Compromis sur l'étendue et la profondeur du domaine étudié, qui implique un choix entre les questions essentielles possibles et ceUes que l'on sacrifie pour assurer la sécurité de l'ensemble. On prévoit par exemple que certains enquêtes ne voudront pas répondre ou ne diront pas la vérité sur tel ou tel point, dans ce cas mieux vaut ne pas poser la question. Compromis sur le temps. On ne peut pas retenir les enquêtes indéfiniment. Il faut ici encore ne conserver que les questions les plus importantes. Ceci compose le lot des décisions réfléchies, des sacrifices consentis, mais il y a ensuite tout l'imprévu : les questions auxquelles on n'a pas pensé, qui auraient pourtant été intéressantes, celles qui ont été posées et mal comprises, etc. 684 Le questionnaire doit être une œuvre collective o Le questionnaire est un travail à ne pas exécuter seul. Si par rapport à l'objectif, sur le plan de la conception de l'enquête, des problèmes soulevés, du choix des questions, l'expérience du chercheur, sa perspicacité, sa documentation, lui permettent de mieux déceler les problèmes à étudier, en ce qui concerne le libellé des questions, leur acceptation ou compréhension, bref les possibles réactions des enquêtes, la collaboration des enquêteurs assure une variété de points de vue, une sorte de dénominateur commun, utile pour que le questionnaire joue son rôle : convenir à un grand nombre d'enquêtes. L'élaboration d'un questionnaire constitue
un travail d'équipe extrêmement formateur. La participation des enquêteurs donne l'occasion de connaître et d'éliminer les questions qui les gênent, celles dont l'utilité leur paraît douteuse et qu'inconsciemment ils seraient par la suite tentés d'omettre ou de mal poser. Elle permet aussi de les persuader de l'utilité de certaines questions et de la nécessité d'en éliminer d'autres. Elle unifie leurs points de vue, évitant ainsi les divergences d'interprétation. Elle approfondit leur compréhension des problèmes et ne peut manquer de susciter chez eux une conviction et une ardeur dont toute la recherche bénéficiera. 685 3° Etablissement du questionnaire,
a) Première étape : le contenu O L'objectif de l'enquête étant fixé, la première étape de la confection du questionnaire vise à définir son contenu, c'est-à-dire d'une part à évoquer tous les problèmes qu'il doit aborder, les variables en cause, d'autre part à préciser la nature des données que l'on cherche à recueillir, c'est-à-dire l'information que les réponses aux questions posées doivent contenir. En général, les chercheurs notent toutes les questions qui leur viennent à l'esprit et semblent en relation avec les divers points que l'enquête doit élucider. Suivant le genre d'enquête, la plus ou moins grande extension du sujet le type de problèmes posés, le fait qu'ils ont été déjà ou non explorés, que l'objectif est plus ou moins précisé, l'établissement du questionnaire sera plus ou moins délicat. Lorsqu'il s'agit d'un domaine peu connu, que l'on manque de renseignements sur les problèmes en cause, il est utile de commencer par effectuer quelques interviews libres dans le
milieu intéressé. Les enquêtes dans ce cas peuvent évoquer spontanément leurs difficultés et susciter chez le chercheur les questions utiles. En face de la variété infinie de facteurs à étudier, l'interview par questionnaire est une technique qui a ses limites. EUe n'aborde que certains problèmes, d'une certaine manière et ne peut obtenir que certains types d'information. En fait, questionner un individu c'est chercher à obtenir des renseignements sur ce qu'il sait, sur ce qu'il a fait ou compte faire, ce qu'il pense ou ressent, c'est-à-dire croit, espère, admire, redoute ou blâme, et avec quelle intensité et enfin quelle explication il donne lui-même de son comportement. Mais pour recueilhr tous ces renseignements, il faut d'abord que l'enquêté lui-même les possède et ensuite qu'il accepte de les donner. A ce premier stade de conception du questionnaire, décider du genre de renseignements que l'on veut obtenir, c'est décider du type de questions à poser. 686 Questions de fait o Ces questions paraissent faciles à concevoir et à poser. Elles semblent devoir attirer des réponses ayant le plus de chances d'être vraies : questions d'état civil : céhbataire, marié, date et heu de naissance. Même au niveau des faits, il existe dans le domaine politique, religieux, économique, sexuel, des questions sur lesquelles on sait à l'avance que l'on obtiendra difficilement une information. Combien de Français avoueront volontiers être catholiques pratiquants, mais n'avoir pas voté, aller à la messe, mais tromper leur femme, gagner X F par mois et frauder le fisc ? Quelle actrice avouera volontiers son âge ?
En dehors de ces zones dangereuses, il peut y avoir des questions de fait qui gênent tel individu et non tel autre. Tel enquêté n'aimera pas dire qu'il n'est pas bachelier, alors que tel autre déclarera sans peine ne pas avoir son certificat d'études primaires. Donc, malgré la précision et l'apparente simplicité des questions de fait comparées aux autres, il faut déjà tenir compte de ce que le sujet peut savoir, avoir oublié, déformé, des raisons pour lesquelles il en parle : se faire valoir, etc. Les questions de fait donnent le renseignement lui-même, par exemple la date de naissance, ou indiquent le niveau d'information du sujet : il sait ou non ce qu'est l'O.N.U... Ce fait peut également avoir une signification indirecte par rapport à un problème moins apparent, par exemple dans le cas de 1'O.N.U., le manque d'intérêt pour la politique internationale. Le fait peut encore être révélateur et servir de substitut à une question indiscrète : c'est la méthode des signes extérieurs de richesse, utilisée par le fisc pour contrôler les déclarations de revenus. Elle peut être utilisée dans le même esprit dans une recherche concernant le standing de vie. On peut par exemple demander aux enquêtes : avez-vous une voiture ? une employée ? une maison de campagne ? un magnétoscope ? etc., plutôt que le chiffre de leurs revenus. 687 Questions d'opinion ou de croyance O II ne s'agit plus de ce que les gens savent, mais de ce qu'ils pensent au sujet de ce qu'ils savent ou croient savoir. Il est donc souvent nécessaire, dans une recherche d'opinion, de connaître parallèlement le niveau d'information du sujet sur la question. On s'est aperçu par exemple que les personnes parmi les plus antisémites ne connaissaient pas de Juifs.
Le chercheur doit tenir compte de l'objectif de l'enquête et toujours distinguer nettement la recherche des faits, de celle des opinions. S'il veut connaître la réalité du comportement des jeunes il devra se renseigner sur les faits : sexualité, délinquance, travail, loisirs, valeurs et interroger les responsables s'occupant de la jeunesse, avant d'enquêter auprès des jeunes eux-mêmes. Au contraire, s'il veut connaître l'opinion de tel secteur de population sur la jeunesse, il interrogera un échantillon représentatif de cette population et comparera l'opinion des jeunes, des vieux, des célibataires, des gens mariés, de ceux qui vivent avec des jeunes, de ceux qui lisent, vont au cinéma, etc., pour tenter de dégager l'influence des diverses sources d'information, celle du genre de vie, de l'éducation, des opinions politiques, religieuses, du comportement général, etc. Les questions d'opinion, comme celles de faits, peuvent donner une information directe, sur l'opinion elle-même que l'on cherche à connaître : opinion des Français sur la sécurité sociale, ou indirecte en donnant des indications sur la personnalité du sujet : individu prévoyant, préoccupé de l'avenir, etc. Il est à remarquer que les questions d'opinion peuvent susciter des réponses de nature très différente à cause de la variété de points de vue possibles. Un même problème, la limitation des naissances, présente plusieurs aspects : médical, social, religieux, moral. On peut vouloir n'en évoquer qu'un seul. Bien souvent les opinions exprimées sont la manifestation inconsciente de sentiments et attitudes plus profonds. Il est important d'atteindre ce niveau pour comprendre ou
prévoir le comportement des enquêtes. Parfois, ceux-ci éprouvent des sentiments ou des réactions qu'ils ne savent pas exprimer en une opinion rationnelle, il faut tenter alors d'en mesurer l'intensité. Au lieu de questions directes, on soumet au sujet des propositions qu'il doit approuver ou pas1301. Un enquêté peut ne pas être capable d'exprimer une opinion sur l'homosexualité, mais éprouver tout de même un sentiment d'opposition devant une affirmation telle que « l'homosexualité devrait être considérée comme un délit pouvant entraîner une peine d'emprisonnement». Opinions ou réactions, impliquent parfois la recherche des valeurs que reconnaissent les enquêtes, de leurs normes de jugement ou de conduite. 688 La question. Le pourquoi ? O Restent enfin les questions visant à obtenir des explications des enquêtes eux-mêmes, sur leur conduite ou leurs opinions. Mais ici, il faut tenir compte des différentes acceptions de la question du type « pourquoi » qui peut attirer des réponses contenant des informations très variées. Le « pourquoi », qui paraît au chercheur novice un moyen très simple d'obtenir une explication de la part de l'enquêté, est un bon exemple de la nécessité d'une conceptualisation poussée des objectifs de l'enquête et de l'adaptation des questions à ceux-ci. P. Lazarsfeld (1960) cite le cas d'un questionnaire dans lequel on demandait aux sujets pourquoi ils étaient allés voir tel film. L'un pouvait répondre en termes de disposition générale qu'il allait tous les soirs au cinéma, un autre, au contraire, indiquer pourquoi il y était allé ce soir-là : il n'avait rien à faire, ou l'événement fortuit, un ami l'avait emmené. D'autres enfin
déclarer avoir lu un article élo-gieux sur ce film, etc. Le pourquoi amène chaque enquêté à évoquer dans sa réponse, l'aspect de la décision qui lui est d'abord venu à l'esprit. Lui-même n'est peut-être pas conscient du vrai motif qui l'a déterminé à agir. Le « pourquoi » n'est donc pas une bonne question, car il amène des réponses ayant un contenu trop varié, mettant en cause des raisons différentes, qu'il sera difficile à l'enquêteur de classer. En demandant simplement « pourquoi ? », on risque trop souvent d'obtenir une sorte de justification de la décision ou de l'opinion, plutôt qu'une analyse. Si l'on veut rester à un niveau d'explication plus superficiel que la véritable étude de motivation, il est plus prudent de demander : « Comment avezvous été amené à... » qui aligne les réponses sur une cause plus extérieure et anecdotique. Si la recherche porte sur les motifs qui ont poussé les enquêtes à aller voir tel film, l'enquêteur devra creuser davantage les divers ressorts de la décision et pour cela envisager des sous-questions, qui ordonneront systématiquement les divers types de raisons possibles. 689 Les exigences majeures du questionnaire O Un questionnaire impose deux exigences majeures et contradictoires : obtenir un contenu vrai par rapport à l'enquêté et significatif par rapport au problème. Les questions simples auront plus de chance de susciter des réponses vraies, mais demeureront souvent à un niveau superficiel et sans valeur. Les questions complexes atteindront les éléments réels du problème, mais ne seront pas comprises par tous. Précis, mais évocateur, clair, vrai, mais traduisant les complexités de la réalité, nous retrouvons là
les impératifs dont nous avons dit qu'ils faisaient de la constitution d'un questionnaire une œuvre de compromis, jamais entièrement satisfaisante. Imaginons maintenant le contenu du questionnaire délimité. On sait ce que l'on cherche et le moyen choisi pour le trouver. Les problèmes sont cernés par une série de propositions, parfois déjà rédigées sous forme interrogative. Avant d'aborder l'étape suivante : la formulation du questionnaire, il est indispensable d'une part de vérifier si tous les aspects du problème ont été bien abordés, d'autre part de s'assurer que certaines propositions ne s'éloignent pas du sujet traité. Nous avons déjà vu que cette réflexion était nécessaire, au stade de la précision de l'objectif; elle s'impose également, au moment de la délimitation du contenu du questionnaire et elle devra être renouvelée lors de sa formulation, ainsi qu'après la préenquête. Lorsque la recherche est commandée par un organisme dans un but précis, l'objectif et le budget limitent l'enquête, mais dans le cas de recherche libre, la tentation devant tous les problèmes rencontrés est beaucoup plus grande et il faut insister sur la nécessité, pour les chercheurs, de ramener constamment leur pensée sur l'objectif. Ceci étant accompli, on aborde alors la deuxième étape, celle de la forme des questions. Elle consiste à les formuler, à soigner leur libellé, à décider de leur succession dans le questionnaire, à adapter l'outil, la question, à son but : la réponse. 690 b) Deuxième étape : le choix d'un type de questions ou comment obtenir la réponse O Le contenu visé par la question concerne l'information et intéresse surtout l'enquêteur. La forme, elle, touche avant tout l'enquêté, elle est le moyen de
l'atteindre. Au stade du contenu, on se préoccupe déjà de la réaction de l'enquêté, de ses oublis, de son niveau d'information, de ses réticences devant tel ou tel sujet, on sait qu'il faut d'abord qu'il connaisse la vérité, qu'il puisse et veuille la communiquer dans sa réponse. Mais si l'on veut maintenir certains objectifs on ne peut entièrement supprimer les difficultés. Certains sujets demeurent délicats, certaines informations requerront de l'enquêté un effort ou un aveu d'ignorance. C'est ici que la formulation de la question va prendre toute son importance, pour réduire les obstacles, les contourner, les dissimuler, bref faciliter chez l'enquêté une réponse vraie. Évidemment, la forme d'une question ne modifie pas les connaissances de l'enquêté, mais eUe peut exercer une influence déterminante sur sa réponse. On peut présenter la question gênante de façon à la rendre acceptable. En admettant que l'enquêté puisse et veuille répondre, encore faut-il que ses réponses soient claires, précises, significatives par rapport aux objectifs, vraies, conformes à la réalité des faits et ses opinions. Ici encore, la façon dont la question est formulée exerce une grande influence sur la réponse. Il n'existe malheureusement pas de véritables règles auxquelles se référer, pour rédiger un questionnaire. On ne dispose pas d'une expérimentation assez systématique, pour connaître avec certitude les résultats précis de tel ou tel type de question. Choisir, rédiger une question, est un art fait d'intuition, de bon sens, de réflexion, d'expérience1302. On peut cependant ramener l'ensemble des problèmes soulevés, d'une part à un choix entre un certain nombre de types de questions, plus ou moins aptes à recueillir tel ou tel genre d'information, d'autre part au respect d'un
certain nombre, sinon de règles, du moins de précautions et conseils qui s'appliquent à tous les questionnaires. 691 Les types de questions. Questions ouvertes et questions fermées O II existe en ce domaine une distinction majeure, c'est celle qui distingue les questions ouvertes des questions fermées. La question fermée est celle dans laquelle le choix et la liberté d'expression de l'enquêté sont réduits au minimum. Le type de réponse peut être fixé à l'avance par le questionnaire : « Habituellement lisez-vous Libération ou le Figaro ? » ou le plus souvent l'enquêté doit répondre simplement par oui ou non : « Avez-vous lu un journal ce matin ? » La question ouverte, au contraire, laisse l'enquêté libre d'organiser sa réponse comme il l'entend, tant au point de vue du contenu que de la forme de sa réponse. « Que pensez-vous de la politique des ÉtatsUnis en Amérique latine ? » « Comment occupez-vous vos soirées ? » etc. Il est important de connaître les possibilités et les limites de chacun de ces types de question, pour les utiliser de la façon la plus adéquate. Le choix dépend surtout de certains facteurs hés à la situation. D'abord de l'objectif du questionnaire, du groupe de questions ou de la question elle-même. Les questions fermées conviennent parfaitement lorsqu'il s'agit d'obtenir des réponses simples, tendant à classer l'enquêté dans une catégorie au critère précis : marié, divorcé, ou boit de la bière, ou du vin, etc. Si l'on cherche à en savoir davantage, à obtenir de l'enquêté des. renseignements plus particuliers, on doit lui laisser expliciter son opinion et il est bien évident qu'une question ouverte s'impose.
A la question fermée : « Avez-vous aimé tel film ? » posée à 100 personnes on peut obtenir 65 réponses «oui» et 35 «non». Avec la question ouverte, on obtient des réponses beaucoup plus riches. Certains auront aimé le jeu de telle actrice; d'autres, avant tout la beauté des images, ou l'ambiance. L'un sera enthousiaste et l'autre simplement satisfait. Les 65 oui, comptés ensemble, présentent donc des différences importantes, en ce qui concerne les raisons de leur opinion, leur intensité, le niveau de leur information et celles-ci n'apparaissent pas dans les réponses à une question fermée. Le niveau d'information de l'enquêté sur le sujet et sa possibilité de formuler une opinion constituent des facteurs importants à prendre en considération. Si l'on pose à des syndicalistes des questions fermées, concernant un problème professionnel qu'ils connaissent bien, le oui ou non a des chances de correspondre à leur opinion, qui est déjà structurée et s'exprime sans hésitation. En revanche, la question ouverte est préférable, lorsque l'on ignore le niveau d'information des sujets, ou lorsqu'il risque d'être insuffisant ou inégal. De même, lorsque l'enquêté a une idée sur le problème, mais n'est pas capable de l'exprimer clairement, il risque de donner au hasard un oui ou non hâtif, alors qu'une réponse plus longue, lui permettant d'indiquer ses hésitations, de raisonner tout haut, donnerait une vue plus juste de son opinion. Questions ouvertes et questions fermées, diffèrent également quant au stimulant qu'elles exercent sur l'enquêté, pour l'inciter à répondre. La question fermée demande moins d'effort. On a vite dit oui ou non. De plus elle paraît moins personnelle, on se livre moins dans un choix rapide. La question fermée recueillera parfois moins de non-réponses,
mais cet avantage est compensé par l'incertitude sur leur sincérité. L'enquêté embarrassé camoufle plus facilement sa gêne dans une question fermée, que dans une question ouverte. Dans ce cas, il est donc préférable de prévoir des questions ouvertes. Enfin le choix de la question ouverte ou fermée dépendra aussi de la connaissance qu'a l'enquêteur de la situation. Si l'on n'a pas une idée précise des problèmes avant de composer le questionnaire, il est utile de faire des interviews à réponses libres, donc ouvertes, pour recueillir des données. Le plus dangereux n'est pas d'ignorer le problème, mais de s'imaginer le connaître et de préparer des questions fermées qui ne le concerneront pas. Un exemple connu des inconvénients des questions fermées, est celui que donnent Crutchfield et Gordon1303. Un questionnaire comprenait la question suivante : « Après la guene, aimeriez-vous que l'on fasse aux États-Unis des changements et des réformes ou préféreriez-vous que le pays reste à peu près ce qu'il était avant la guene ? » La plupart des réponses optaient pour le statu quo. L'expérience recommencée avec la même question, suivie de sous-questions ouvertes, révéla que les enquêtes avaient répondu à cette question en la comprenant de façons très différentes. Totaliser les oui faussait donc la réalité, chacun des enquêtes voulant le statu quo sur un point, celui qu'il avait envisagé, mais acceptant des changements sur les autres, qu'il ne mentionnait pas. 692 Avantages et inconvénients O Alors que la question fermée risque de susciter de la part de l'enquêté une réponse fausse, la question ouverte offre surtout des possibilités d'erreur d'interprétation par
l'enquêteur, des difficultés pour noter exactement la réponse, et surtout la classer. La question fermée permet d'additionner simplement et donc de classer facilement les réponses positives et négatives, tandis que la question ouverte oblige à classer en catégories des réponses variées et complexes, à procéder à une analyse de contenu délicate et coûteuse. L'entretien à réponses ouvertes, tant par la qualification requise des enquêteurs, que par les difficultés du dépouillement, est infiniment plus onéreux et plus compliqué que le questionnaire à réponses fermées. C'est pourquoi il est à conseiller, autant que le sujet le permet, de poser le plus de questions fermées possibles, quitte à poser quelques questions complémentaires pour obtenir des précisions. Les questions fermées offrent encore quelques avantages, elles permettent parfois de « filtrer » les enquêtes à partir de certaines réponses et ainsi de gagner du temps, en évitant de nombreuses sousquestions. La question fermée: «Avez-vous des enfants ?» permet d'éviter de poser aux enquêtes répondant non, d'autres questions concernant les rapports entre parents et enfants. Enfin les questions fermées servent parfois d'introduction facile pour mettre l'enquêté en confiance. Leur inconvénient majeur, c'est la façon dont elles limitent les réponses. Elles conviennent particulièrement aux situations dans lesquelles les cadres de référence sont restreints et le nombre de réponses possibles également. Le cas type est représenté par la question d'état civil. 693 Les questions vréformées1304 O Pour tenter de corriger les avantages et les inconvénients des questions ouvertes et fermées, on a été amené à proposer un
moyen terme : les questions préformées. Les réponses n'y sont ni fermées, ni libres, mais en quelque sorte préparées. Elles offrent plus de choix que les questions fermées, donc permettent de rassembler des réponses plus complètes, tout en demeurant plus faciles à classer que les réponses aux questions ouvertes. Exemples1305 : Question fermée : D'après vous « être français » est-il ce qui vous définit le mieux ? oui non ne sait pas sans réponse Les réponses sont limitées par la question qui ne prévoit « qu'être français ». Question ouverte : Quelles sont les caractéristiques qui vous définissent le mieux ? Cette question ouverte risque d'attirer des réponses très hétérogènes, difficiles à classer. Question préformée : Parmi les caractéristiques suivantes quelles sont d'après vous celles qui vous définissent le mieux ? l'idéal ? les convictions politiques ? être français ? être européen ? la classe sociale ?
les convictions religieuses ? être occidental ? autres ? Cette forme de question aide l'enquêté à compléter ses souvenirs dans le cas de faits précis, mais elle offre l'inconvénient de lui donner un moyen d'éviter de dire « je ne sais pas » en lui suggérant une réponse, ce qui est regrettable, surtout dans les questionnaires d'opinion. La question préformée comporte toujours un « ou autres... »1306 laissant à l'enquêté une possibilité de réponse hors des choix prévus. Si l'on obtient une grande variété de réponses autres, c'est que la préenquête a été mal faite. Le questionnaire n'a pas prévu toutes les réponses possibles. En résumé, on peut dire qu'au stade de la préenquête, dès que l'on veut explorer des domaines complexes, comprenant une grande variété de réponses, la question ouverte est la plus indiquée. Dans les autres cas, on a intérêt à utiliser des questions préformées ou fermées, plus précises, comparables et moins difficiles et onéreuses à totaliser. 694 Questions directes, questions indirectes O Nous avons vu qu'il existait une méthode directe ou indirecte pour conduire un entretien. Mais, même dans une interview de style direct, on peut utiliser un certain nombre de questions indirectes. Certains sujets peuvent être considérés comme délicats : problèmes sexuels, religieux, politiques, questions raciales. Une question posée directement : « Êtesvous pratiquant?» «A quel âge avez-vous eu votre première expérience sexuelle ?» « A quel parti appartenez-vous ? », risque non seulement de provoquer une réponse
fausse, mais encore de gêner l'enquêté ou même l'enquêteur et de perturber la suite de l'interview. Si l'on ne veut pas sacrifier une question délicate, du moins faut-il essayer, par sa forme, de faciliter la réponse. Une question ne doit jamais mettre le sujet dans la nécessité de donner une réponse socialement inacceptable, c'est-à-dire de l'obliger à révéler sur lui-même un fait ou une opinion, lui paraissant peu conforme à sa situation sociale, familiale, ou capable de susciter la désapprobation de l'enquêteur. Celui-ci doit montrer par son attitude que toutes les réponses l'intéressent et qu'il s'abstient de juger. Mais il ne doit pas risquer de heurter l'enquêté par une question. La question délicate doit être libellée de façon à rendre normale n'importe quelle réponse. C'est ainsi que A. C. Kinsey (1943) déclare qu'il vaut mieux demander : « A quel âge avez-vous embrassé un jeune homme ou une jeune fille pour la première fois ? » laissant par là supposer que c'est normal de l'avoir fait, plutôt que : « Avezvous déjà embrassé un jeune homme ou une jeune fille ? » Parfois la question indirecte consiste à prendre un détour et à demander à l'enquêté de répondre à la place d'une tierce personne imaginaire : « Que pensezvous que M. X éprouve dans telle situation ?... » Enfin l'approche peut être encore plus indirecte, c'est le cas des tests projectifs (cf. n° 755). 695 c) Troisième étape. Le libellé de la question : le choix des mots O II s'agit ici d'une étape difficile et importante du questionnaire. Sur ce point les témoignages concordent. Samuel Stouffer (1950) affirme que les
erreurs d'échantillonnage ou de distribution sont peu importantes, comparées aux variations dues au libellé des questions. Les causes d'erreurs suivantes sont le plus souvent mentionnées1307 : choix des mots 74 % mauvaises interprétations 58 % erreurs d'échantillonnage 52 % insuffisance des méthodes statistiques 44 % Tous ceux qui ont une certaine expérience des enquêtes se souviennent de leurs déceptions devant l'incompréhension d'une question qui leur semblait claire. Le libellé des questions demeure un point névralgique, sur lequel on fait peu de progrès. Il y a à cela deux raisons : la première est qu'il n'y a pas de spécialiste du choix des mots et de la rédaction. Alors que les statisticiens ont pu faire progresser les problèmes de sondages, en s'y attachant exclusivement, tout le reste de l'enquête est du ressort d'un même individu. Pour l'animateur de la recherche, la formulation du questionnaire, même s'il en reconnaît l'importance, n'est qu'un des multiples problèmes qu'il doit résoudre. La spécialisation est difficile à envisager, car le questionnaire n'est pas seulement lié en bloc à robjectif de l'enquête, comme l'échantillonnage, il l'est encore plus intimement par les fibres de chaque question. Il existe une deuxième raison, d'ordre psychologique, c'est qu'il est difficile, pour un chercheur, d'imaginer à quel point les enquêtes peuvent être étrangers à son propre univers et souvent même à son langage. Ce n'est pas seulement une question d'ignorance du public, mais
surtout de différence de réactions. L'enquêteur a tendance à méconnaître les différentes façons dont la question peut être comprise1308. Pour avoir une idée des erreurs et les dépister, il faut penser au but que poursuit la question et imaginer tout ce qui menace son caractère essentiel, qui est de constituer un moyen de communication réel. C'est dire que les mots employés par l'enquêteur doivent évoquer une idée semblable chez l'enquêté et l'inciter à répondre sur ce point. La compréhension du message, soit de la question à l'aller, soit de l'information au retour, peut être compromise par un certain nombre de facteurs, que l'enquêteur doit neutraliser ou du moins surveiller. Ce qu'est une bonne question O Sur le plan du seul libellé, une bonne question est d'abord une question qui suscite une réponse contenant rinformation cherchée. Par exemple les questions suivantes : « Quelle est la marque de chocolat que vous consommez ?» ou : « Quelle est votre marque préférée ? » provoquent des réponses contenant des renseignements d'ordre différent, car on peut aimer la marque A et consommer la marque B, parce qu'elle est moins chère. Ensuite, une bonne question n'exerce pas d'influence sur le sens de la réponse. La mauvaise question est celle qui, par sa formulation, incite à une réponse, soit ne correspondant pas à l'information cherchée, soit inexacte. Les mots et tournures de phrases employés modifient l'expression de la réponse, donc faussent les résultats. L'influence exercée par la question peut aller de l'erreur, si la question, rédigée en termes ambigus, est mal comprise, à
l'orientation plus ou moins énergique de l'enquêté dans tel ou tel sens. C'est ce qu'on appeUe le biais, c'est-à-dire une influence non prévue de.la question. Cette possibilité d'influence sera plus ou moins forte, plus ou moins apparente et s'exercera sur un nombre variable d'enquêtes. Il faut noter au départ, que le seul fait de poser une question attire l'attention sur le problème, comme le rayon lumineux modifie le comportement de l'atome observé. Toute question, si neutre ou objective soit-elle, exerce par elle-même une influence, à laquelle les enquêtes seront plus ou moins sensibles. Pour être rigoureux, il faut donc bien noter que tout échantillonnage, du seul fait qu'il représente le lot des gens questionnés, ne peut être parfaitement représentatif de ceux qui ne le sont pas. C'est-à-dire qu'un sondage d'opinion n'indique pas ce que les gens pensent, mais seulement ce qu'ils disent qu'ils pensent quand ils sont interrogés. La plupart des gens ont des opinions tranchées sur les problèmes qui les touchent de près. Dans ce cas, la manière dont la question leur est posée importe moins, car elle ne modifie pas la réponse, mais un grand nombre d'enquêtes expriment une opinion, seulement parce qu'on le leur demande. En fait, ils n'en ont pas sur tous les sujets abordés et sont prêts à répondre n'importe quoi aux questions se référant à des problèmes auxquels ils n'ont pas réfléchi. Dans ce cas, la moindre incitation contenue dans la question fixera la réponse. Autrement dit, le libellé de la question prend toute son importance, lorsqu'il s'agit d'individus plus ou moins influençables, ayant des opinions peu affirmées. Cela représente un nombre indéterminé d'enquêtes sans opinion, qui risquent de basculer dans le camp des oui ou des non, sous la simple influence de certaines questions.
Il est donc important, pour éviter de telles erreurs, de savoir qu'une question, par son seul libellé, peut influencer la réponse. 697 d) Quatrième étape. Nombre et place des questions o A cette étape du travail, les questions étant libellées, il est bon de vérifier leur contenu, pour le cas où certaines feraient double emploi. D'autres, au contraire, pourraient être trop générales, correspondre à deux idées et mériteraient dans ce cas, pour la clarté de la réponse, d'être décomposées. Nombre des questions. - En admettant que toutes les questions soient utiles et correctement libellées, se pose le problème du nombre des questions. Il n'y a pas de critère sûr. La longueur du questionnaire doit être le résultat d'un compromis, entre le domaine à parcourir et le temps que l'on suppose pouvoir obtenir de l'enquêté. Pour des interviews d'opinion, auprès d'un échantillon non caractérisé, Il convient de ne pas dépasser 35 à 40 questions. Ceci donne la possibilité aux gens pressés de répondre rapidement, en vingt minutes, et aux autres de ne pas dépasser une heure. L'ordre des questions, la façon dont elles se suivent, est également importante. D'abord la place des renseignements signalétiques : état civil, profession, etc. Ici encore tout dépend du sujet de l'enquête. Des candidats aux élections législatives sont habitués à décliner leur nom et qualité et cette entrée en matière permet de faire connaissance. Au contraire, dans une enquête d'opinion faite à domicile, commencer par des questions de ce genre aurait une allure policière et inquisitoriale gênante. Ces renseignements rejetés à la fin de l'entretien, lorsque le contact a été établi, passent au contraire fort bien. Le questionnaire doit, autant que possible,
suivre un ordre logique, plus facile à retenir pour l'enquêteur et moins traumatisant pour l'enquêté, c'est-à-dire que les questions doivent paraître se suivre naturellement, chacune étant issue de la précédente sans rupture brusque1309. Il est parfois utile de faire précéder une question d'opinion, d'un certain nombre de questions de faits qui s'y attachent. Par exemple, intenogeant des jeunes sur leur attitude envers leur travail, on peut leur demander comment ils ont été amenés à travailler dans cette entreprise, s'ils ont leur C.A.P., etc.1310. Un lien, souvent non apparent, existe entre la réponse à une question et celles qui suivent. L'enquêté est plus ou moins consciemment influencé par l'opinion déjà émise. C'est l'effet de « halo » ou de « contagion ». Par exemple1311 : A. Pensez-vous que les États-Unis doivent autoriser les citoyens américains à s'engager dans l'armée allemande ? B. Pensez-vous que les États-Unis doivent autoriser les citoyens américains à s'engager dans l'armée britannique ou française ? Question A
A.B. B.A.
Oui
22
31
Non
74
61
Sans opinion 4
8
Question B
A.B. B.A.
Oui
40
54
Non
54
46
Sans opinion 6
9
L'enquêté, inconsciemment, est influencé par la réponse qu'il a faite à la première question. Dans des cas semblables on a intérêt à éloigner les questions les unes des autres. 698 4° Les causes d'erreurs
a) Erreurs propres à tous les types de question o Les premières mesures à prendre concernent la clarté, la compréhension générale et le sens de la question. La question, pour être bonne objectivement, doit l'être à l'égard de tous les enquêtes. Il faut éviter les questions trop larges, les termes vagues, par exemple : « Est-ce que notre pays devrait être plus actif sur la scène internationale ? » Qui est le pays ? Est-ce le gouvernement? le Président de la République ? le ministre des affaires étrangères ? Que signifie plus actif : des traités, des motions ? La scène internationale :: l'O.N.U..., la diplomatie ? Les défauts de cette question proviennent d'un manque de précision dans l'objectif poursuivi. Que peut-on espérer d'une demande libellée de façon aussi lâche ? La première condition, pour obtenir une bonne formulation de la question, c'est
d'avoir bien présent à l'esprit ce que l'on cherche à savoir. Sont à écarter, pour les mêmes raisons, les questions concernant un avenir ou un passé trop lointains, qui ne peuvent rien viser de précis. Il est recommandé de poser des questions courtes, pour ne pas exiger de l'enquêté un effort d'attention ou de mémoire trop intense. Une rédaction confuse, trop longue, trop complexe, multiplie les risques d'erreurs. De même il ne faut pas poser plusieurs questions dans la même, sous peine de ne pas savoir à quoi il est répondu. Exemple : « Avez-vous voyagé en Afrique et en Amérique ? Avez-vous des amis à l'usine et en dehors ? » Il vaut mieux dans ce cas poser deux questions. Les conseils que l'on peut donner à ce niveau sont ceux qui relèvent surtout du bon sens et du bon usage de la langue française. Lorsque les questions s'adressent à une population tout-venant, le plus sûr est de s'exprimer dans un langage habituel, d'employer des termes simples, mais précis, ne laissant pas de marge d'appréciation. Car cette marge dépend de l'expérience vécue par l'enquêté, de son genre de vie, etc. EUe est donc éminemment subjective. La notion de niveau objectif de clarté d'une question demeure, en effet, très théorique. Dans le concret, le questionnaire vise certains problèmes et s'adresse à des individus qui peuvent présenter certaines caractéristiques : groupes d'ingénieurs, d'ouvriers, d'étudiants, ou au contraire composer un échantillon de population sans traits particuliers. Une grande part des problèmes du libellé des questions se pose surtout en fonction
des enquêtes. Il ne s'agit plus ici seulement de grammaire. L'expérience du chercheur apparaît nécessaire, pour résoudre ces problèmes d'adaptation de la formulation des questions au niveau des enquêtes. Le niveau d'information o Le chercheur doit d'abord évaluer le niveau d'information des enquêtes sur le sujet en question. C'est cela qui déterminera leur compréhension et la richesse de leur vocabulaire. Il est donc prudent de considérer les termes techniques en fonction du milieu enquêté. Le terme O.S., par exemple, sera plus sûrement compris par un ouvrier que par un étudiant. Si un mot est indispensable, mais risque d'être incompris, on peut en donner une rapide définition. Exemple : « Avez-vous entendu parler de l'O.N.U. ou Organisation des Nations Unies ? » Cette mise au niveau de l'enquêté ne signifie pas qu'il faille parler argot. L'important n'est pas que ce dernier perçoive l'enquêteur comme quelqu'un de tout à fait comme lui, mais comme quelqu'un qui peut le comprendre. Le libellé de la question ne doit pas rompre cette impression et éviter ainsi que l'enquêté ne réponde n'importe quoi, soit parce qu'il n'a pas compris, soit parce qu'il redoute de n'être pas lui-même compris. Il est parfois utile d'adapter les enquêteurs au niveau de leur enquête1312. En règle générale, quel qu'il soit et quel que soit le sujet de l'enquête, qu'ils s'agisse d'élevage, de crédit ou de science atomique, le langage employé dans le questionnaire doit le plus possible correspondre à celui qu'emploient les enquêtes eux-mêmes. 700 Le cadre de référence O Une question peut être mal comprise du fait du cadre de référence du sujet, c'est un deuxième point important à surveiller.
Jeune ne signifie pas la même chose à vingt ans et à cinquante. Pour l'habitant d'un village, la petite ville la plus proche paraîtra une grande ville. Parfois la personne qui pose la question, ou le cadre dans lequel elle se situe, suffisent à la compréhension. Le « comment ça va ? » du contremaître à l'ouvrier, sur les lieux de travail, n'attire pas le même genre de réponse que la même question posée par le médecin dans son cabinet ou un ami dans la rue. Il y a parfois intérêt à spécifier le contexte, dans la question même : « Comment cela va-t-il sur le plan financier ? » Parfois, les soucis de l'individu interrogé sont tels, que toute question amènera une réponse en fonction de ses difficultés. On a donc intérêt à les connaître. Un enquêté, intereogé sur son travail, insistera beaucoup sur son aspect fatigant, si le médecin vu la veille, lui a conseillé le repos. Le cadre de référence n'est pas toujours aussi personnel, mais de toute manière, il déterminera le sens de la communication, donc la réponse de l'enquêté. Suivant le type d'enquêté, en tout cas au stade de la préenquête, le chercheur peut être intéressé par le découverte des facteurs qui déterminent le sens des réponses, plus que par les réponses elles-mêmes. Il est donc utile de prévoir des questions, donnant des indications sur un cadre de référence implicite. A propos de la circulation, ou du prix de l'essence, il est bon de savoir si l'enquêté a ou non une voiture. Le liberté de la question doit permettre à tous les enquêtes, de la comprendre de la même façon, quel que soit leur niveau d'information ou leur cadre de référence et d'y répondre en fonction de l'objectif de la recherche ! Un exemple souvent cité est celui d'un recensement de population active, effectué aux États-Unis1313. A la question : « Avez-
vous accompli un travail payé ou pour un profit la semaine dernière ? » un grand nombre d'enquêtes avaient répondu en fonction de leur activité principale seulement, d'où une sous-estimation du nombre des travailleurs. Le questionnaire suivant fut alors décomposé en spécifiant, à côté du travail principal, les activités secondaires rémunérées. Il faut enfin, pour unifier l'état d'esprit et les réponses des enquêtes, que robjectif poursuivi et le lien de chaque question avec le but de l'enquête, leur apparaissent à tous, quelle que soit leur propre expérience, sihon dans toutes leurs implicatioris, du moins dans leurs grandes lignes. L'enquêté doit percevoir la question comme relevant du domaine à explorer. Bien entendu, ceci ne dépendra pas seulement des questions elles-mêmes, mais aussi de la. façon dont l'enquêteur aura expliqué ses objectifs et su créer un climat de coopération. Les candidats aux élections législatives répondaient volontiers aux questions concernant leurs idées politiques, parce que cela leur paraissait naturel, mais se montraient beaucoup plus réticents sur les questions plus personnelles telles que : « Aimez-vous commander ? » dont ils voyaient moins bien l'utilité1314. Les questions de revenus, de salaires, suscitent souvent des difficultés et nécessitent plus que d'autres d'être justifiées par des explications. Il ne faut pas avoir, comme certains enquêteurs, la phobie des réponses « je ne sais pas » ou « je n'ai pas d'opinion ». Au contraire, on a parfois remarqué que des enquêteurs expérimentés recueillaient, plus que d'autres, des « je ne sais pas » correspondant mieux à la réalité. Sans doute, lorsque de telles réponses sont nombreuses, peuvent-elles indiquer que le
problème n'intéressait pas la population interrogée ou qu'il était mal formulé. Il n'est pas sans intérêt de le savoir et, de toute façon, un renseignement vrai vaut toujours mieux que des réponses erronées et des statistiques fausses. 701 Les mois ambigus O On doit, avonsnous dit, sauf exception, éviter les mots techniques ou trop abstraits et utiliser des mots d'un usage courant. Le langage habituel se contente d'à peu près et les mots usuels, le plus souvent, prennent leur sens dans le contexte où ils sont placés. S. L. Payne (1951) conseille de se demander, à propos de chaque mot : 1° s'il signifie bien ce que l'on veut dire ; 2° s'il n'a pas d'autre sens et dans ce cas, si le contexte le précise suffisamment ; 3° s'il ne peut être confondu (par oral ou écrit) avec un autre mot ; 4° si l'on ne peut trouver un autre mot ou une autre tournure plus usuels, plus clairs. Une simple expérience de chercheur permet de repérer un certain nombre de questions telles que : « Allez-vous souvent au cinéma ? » « Lisez-vous beaucoup ? » qui ne signifient rien, car un enquêté répondra : « oui beaucoup », pour deux livres par mois et l'autre : « non », pour deux livres par semaine. La question doit être précisée, par exemple : « Allez-vous au cinéma plus d'une fois par semaine, plus d'une fois par mois ? » « Que faites-vous maintenant ? » L'ambiguïté combinée du verbe faire et de l'adverbe maintenant, pourrait inciter un enquêté facétieux à déclarer: «Je réponds à des questions idiotes... » Il vaut mieux dire : « Quelle est votre profession actuelle ? » Actuellement est aussi un mot qui peut être ambigu. « D'après vous, la situation économique de la France, actuellement, estelle satisfaisante ? » ceci signifie-t-il cette
année, depuis trois mois... ? Le terme combien, s'il n'indique pas les termes de la mesure, peut parfois attirer des réponses trop variées : soit un pourcentage ou des chiffres absolus, des poids, des quantités, etc. Le mot connaître prête à des interprétations différentes, l'un répondra qu'il connaît M. X parce qu'il sait qui c'est, qu'il l'a vu à la télévision, un autre plus exigeant dira qu'il ne le connaît pas, alors qu'il l'a salué quelques minutes auparavant, mais il voulait indiquer par là qu'il ne le connaissait pas bien. Le terme où : « Où avez-vous lu cette nouvelle ?» - dans le journal, dans la rue, dans une chambre, au coin du feu ? Le mot vous, qui paraît simple et clair, peut également prêter à confusion. « Combien avez-vous de chômeurs ? » indique qu'il s'agit de la firme, mais : « Combien avezvous vendu de livres ce mois-ci ? » peut viser spécialement tel vendeur, ou tel rayon, ou la librairie tout entière. 702 Mots et tournures de phrases empêchant la question d'être neutre ou objective O En dehors des mots prêtant à confusion, il faut se méfier également des mots chargés émotivement, car ils risquent d'influencer la réponse. Aux États-Unis, la dernière semaine d'octobre 1941, avaient été posées les questions suivantes : A. Les États-Unis doivent-ils maintenant entrer en guerre ? 24 % Oui. B. Les États-Unis doivent-ils maintenant déclarer la guerre à l'Allemagne ? 17% Oui. L'expression « déclarer la guerre » évoquait un acte engageant la responsabilité des
États-Unis de façon plus redoutable. De même le mot famine : « Faut-il envoyer des vivres pour vaincre la famine ? » attire plus de oui que « Faut-il envoyer des vivres ?» 703 Utilisation des tendances psychologiques O Certaines tendances sont assez généralement répandues et connues pour que les questionnaires tendancieux les utilisent. C'est d'abord la tendance à dire oui plutôt que non, qui semble assez universelle. Or, suivant comment est libellée une proposition, la même opinion peut s'exprimer par un oui ou un non. Les questions posées aux référendums tiennent compte de ce fait. C'est ensuite la résistance au changement. On a constaté aux États-Unis que les propositions évoquant dans leur libellé un changement, provoquaient un sentiment d'opposition. En septembre 1939 furent posées les deux questions suivantes : A. Pensez-vous que le Congrès devrait modifier la loi de neutralité, pour que la France et la Grande-Bretagne puissent acheter du matériel de guerre ? B. Pensez-vous que la France et la GrandeBretagne devraient pouvoir acheter du matériel de guerre dans notre pays ? /
A
B
Oui
53% 61%
Non
33% 31%
/
A
B
Sans opinion 14% 8% A. Seriez-vous favorable à l'addition d'une loi à la Constitution, pour empêcher que le Président des États-Unis puisse se présenter à un troisième mandat ? B. Seriez-vous favorable à un changement de la Constitution, pour empêcher un Président des États-Unis de se présenter à un troisième mandat ? /
A
B
Oui
36% 26%
Non
50% 65%
Sans opinion 14% 9% On a également constaté une certaine différence, entre ce que les gens disent lorsqu'il s'agit d'eux-mêmes ou des autres. Une certaine forme de personnalisation de la question semble influencer la réponse. « Êtes-vous d'accord pour penser que certaines mesures devraient être prises, même si cela signifie davantage d'impôts ?» a obtenu un pourcentage plus élevé de oui, que le libellé indiquant : « même si vous avez à payer des impôts supplémentaires. » 704 Les références ou influences extérieures O Dans certains cas, le fait de rappeler dans la question la position prise sur le problème par une personnalité
modifie le résultat1315. A. Il a été dit récemment qu'en vue d'éloigner les Allemands du Nord et du Sud de l'Amérique, nous devrions les empêcher de capturer les îles de la côte ouest de l'Afrique. Pensez-vous que nous devrions tenir les Allemands éloignés de ces îles ? B. Le deuxième libellé commençait par : « Le Président Roosevelt a dit, etc. »
/
Avec le nom de roosevelt
Sans le nom de roosevelt
Oui
56%
50%
Non
24%
21%
Sans 20% opinion
29%
Nous voyons ici, d'une part, décroître le nombre des sans opinion lorsque joue la référence à Roosevelt et, d'autre part, augmenter le nombre des oui, ce qui confirme ce que nous avons déjà dit : l'influence du libellé de la question est surtout sensible sur les enquêtes n'ayant pas d'opinion, donc le plus souvent sur les problèmes qui les touchent moins. La référence joue aussi dans le sens négatif. La mise en cause d'un personnage connu, mais peu populaire, augmentera le pourcentage des opinions opposées à la sienne1316. A. Lindbergh dit que si les Allemands gagnent la guene, les États-Unis doivent essayer d'avoir avec l'Allemagne des relations commerciales et diplomatiques
amicales. Êtes-vous d'accord avec cette opinion ou non ? La réputation de Lindbergh d'être favorable aux Allemands suffit pour augmenter l'opposition à l'opinion qu'il soutient. 705 b) Causes d'erreurs particulières à certains types de questions : Les questions ouvertes O Si l'enquêté n'a pas compris une question ouverte, sa réponse le révélera. Le danger est donc moins grand qu'avec les questions fermées. La difficulté du libellé se situe plutôt sur le plan de l'efficacité de la question. Dans quelle mesure peut-on « ouvrir » la question, pour obtenir tout de même des réponses comparables et en relations avec le sujet ? Il est recommandé d'aller du plus général au particulier. Les premières questions abordant un problème nouveau peuvent être larges, elles sont ensuite complétées par des questions aidant à préciser davantage. 706 Les questions fermées et préformées O Les questions fermées et préformées, du fait de leur précision, nécessitent un certain nombre de précautions, pour ne pas sembler ambiguës ou susciter des réponses fausses. La formule consistant à remplacer l'énoncé du deuxième choix par un « ou pas », est dangereuse, car on peut parfois se demander à quel terme s'applique le oui ou le non de la réponse. Toute alternative peut prêter à confusion : « Votre chiffre d'affaires est-il meilleur ou pire qu'il n'était il y a un an ?» Si l'enquêté répond « il était meilleur », on peut penser qu'il s'agit du passé, mais s'il répond seulement « meilleur » cela peut aussi se rapporter au présent. La position de deux propositions à l'intérieur de la question, peut aussi exercer une influence sur la réponse. Par exemple :
A. Pensez-vous que les États-Unis entreront en guerce en Europe, ou pensez-vous qu'ils resteront en dehors ? B. Pensez-vous que les États-Unis resteront en dehors de la guene en Europe ou pensezvous qu'ils y entreront ? La proposition venant en dernier reçoit quelques oui de plus. Si la question est un peu complexe, ou longue à écouter, à comprendre, ou à retenir, l'enquêté a tendance à ne retenir que la fin et à approuver. La question dichotomisée a l'avantage de la clarté, mais elle oppose deux extrêmes, qui peuvent ne pas correspondre à l'opinion de l'enquêté. Les deux positions proposées doivent en tout cas être de force égale, c'est-à-dire présenter le même écart, par rapport à la moyenne, sans cela les enquêtes sans opinion prendront la position la plus proche de la moyenne. Mais ces opinions moyennes ou diversifiées existent, c'est pourquoi on utilise les questions préformées pour éviter ces possibilités d'erreur. Celui à qui l'on demande : « Allez-vous acheter une nouvelle voiture ? » peut avoir envie de répondre : « Oui si je gagne davantage... si je vends mon bateau », etc. Une autre série de dangers guette alors le chercheur. Nous avons vu, à propos des inconvénients des questions « cafétéria », le cas où, la liste des choix n'étant pas exhaustive, on omettait justement une des positions qui aurait recueilli des adhésions, ou encore on risquait de suggérer à l'enquêté une idée qu'il n'avait pas. Il existe d'autres sources d'erreurs. Les choix sont trop nombreux... l'enquêté ne peut pas les retenir tous et il répond sans tenir compte de certaines possibilités. Pour éviter cet inconvénient, il est conseillé d'avoir une
carte à présenter aux enquêtes, où son!: inscrits à l'avance tous les choix possibles. Alors se pose à nouveau le problème des places privilégiées sur la liste. On a remarqué, qu'invités à choisir des chiffres ou des pourcentages, les enquêtes ont tendance à opter pour ceux du milieu. Raisonnement, ou prudence instinctive ? En revanche, s'il s'agit de points de vue énoncés sur une liste, c'est la position de tête qui est la plus favorisée : 6 % par rapport au milieu de la liste, et 4 % par rapport à la fin. Sachant cela, il est utile de prévoir des cartes différentes, sur lesquelles les listes seront modifiées, pour qu'une proposition ne soit pas privilégiée. Il est tout de même recommandé de ne pas prévoir trop d'options. Les questions préformées ont pour but de faciliter la répartition des opinions, de la façon la plus proche possible de la réalité, c'est-à-dire en permettant aux opinions moyennes de s'exprimer. Or chaque position enlève un certain pourcentage d'adhésion aux autres. Il ne faut donc pas que plusieurs positions soient trop voisines, ce qui diminuerait leurs voix, en les partageant par rapport à d'autres opinions plus tranchées. 707 c) Le cas des sondages d'opinion politique1317 o Un sondage d'opinion par interview exige que soient totalisées des réponses semblables. Ceci exige que tous les enquêtes comprennent la question en lui donnant le même sens. Or la notion même de politique n'est pas perçue par tous de la même façon. P. Bourdieu note1318 que de nombreuses questions concernant un certain type de rapports sociaux ne sont pas perçues comme politiques dans certains milieux populaires. Elles relèvent, semble-til plutôt, d'une morale de type « petitbourgeois » même si elles mettent en cause la transformation de l'ordre social.
§ 4. Analyse et interprétation des interviews
Jusqu'à présent, nous avons insisté sur la nécessité d'établir un plan d'enquête et un questionnaire, aptes à saisir les matériaux les plus significatifs par rapport à l'objectif et sur la façon de recueillir ces matériaux, par des réponses fidèles et valides. Grâce à ces éléments, le chercheur va tenter de donner une réponse aux problèmes posés, à l'objectif même de l'enquête. Nous soulignons une fois de plus l'étroite liaison entre les diverses étapes de la recherche et, en particulier, la phase préliminaire de détermination de l'objectif et la phase terminale d'analyse et d'interprétation des données. 708 1° La vérification O Lorsque les entretiens sont terminés, on rassemble les comptes rendus pour analyser ce matériel et en .tirer des conclusions. L'ampleur et la difficulté de ce travail dépendent de l'objectif de l'enquête et de la complexité des variables recherchées. Vérifier les corrélations prévues par une hypothèse, représente une tâche plus limitée que d'interpréter les résultats d'une enquête d'exploration. Malgré ces différences, les étapes techniques sont cependant sensiblement les mêmes. Il convient d'abord de contrôler les questionnaires. Même avec des enquêteurs entraînés, ce travail est indispensable. Lorsqu'il s'agit d'étudiants ou de néophytes, on est surpris de la difficulté qu'ils éprouvent à respecter les consignes. Le rapport d'entretien doit être complet. C'est le premier point à vérifier. Parfois une réponse est laissée en blanc. Comment savoir si la question n'a pas été posée, parce qu'elle gênait l'enquêteur, ou qu'il l'a oubliée, ou si c'est l'enquêté qui n'a pas répondu et pourquoi ? Souvent, l'enquêté a déjà répondu dans une question précédente. Bien que le contexte l'indique, il est préférable de le signaler.
On n'insiste jamais assez auprès des enquêteurs sur la nécessité absolue de ne jamais laisser un blanc et de consigner le maximum d'indications complémentaires sur les silences, les hésitations de l'enquêté, le fait de répéter la question, etc., ou de la reformuler, bref les incidents ou variations dans le déroulement de l'enquête, qu'il est important de retrouver au stade de l'analyse des résultats. Parfois les enquêteurs oublient de noter la durée de l'interview ou d'indiquer le type de logement ou le lieu de l'interview, bien qu'il soit demandé. Lorsque l'analyse a lieu peu de temps après les entretiens, l'enquêteur peut compléter, après coup, les éléments qui lui sont réclamés, dont il peut encore se souvenir, mais ce n'est pas toujours le cas. La concordance des réponses. - L'enquêté qui a répondu à la question 10 qu'il ne prenait jamais de vin, ne devrait pas répondre à la question 20 qu'il supporte mieux le bordeaux que le bourgogne1319. Bien entendu, il ne s'agit pas de manipuler le texte des entretiens, mais de le dégager des erreurs possibles de compréhension ou de transcription, en ne conservant que les contradictions réelles, comme on le ferait pour un document historique. Rappelons aussi la différence entre l'interprétation d'une enquête par question directe, dans laquelle l'information est prise dans son sens immédiat, supposé identique chez l'enquêteur et l'enquêté, cas que nous envisageons ici, et l'interprétation d'une enquête indirecte, dans laquelle le contenu analysé n'est pas celui que suggère la question. Dans ce dernier cas, les contradictions, parfois laissées de côté dans l'analyse directe, sont au contraire retenues. L'uniformité des réponses. - Tous les enquêteurs doivent avoir utilisé les mêmes
questions et, s'il y a lieu, les mêmes unités de mesure : jours, semaines, an, prévues au moment du libellé des questions ; celles-ci doivent être vérifiées au stade de l'analyse. Combien de fois par mois allez-vous au cinéma ? Combien de litres (et non de bouteilles) d'huile consommez-vous par semaine ? Le calcul des heures de travail des enfants comporte-t-il uniquement les heures de classe ou aussi le travail à la maison ? etc. La clarté ou la compréhension. - Si les enquêtes sont souvent confus dans leurs explications, ce sont parfois les enquêteurs qui prennent mal leurs notes. Elles doivent être lisibles et le plus proche possible de ce qu'a dit l'enquêté. 709 2° Le rassemblement des questions O La vérification étant faite, on peut se demander si l'on doit étudier les interviews par personne, ou rassembler les réponses de tous les enquêtes, question par question. Cela dépend de ce que l'on cherche, car il est bien évident que ce qui apparaît dans l'un et l'autre cas est très différent. Un bon exemple nous est donné par une enquête1320 étudiant l'influence exercée par Pierre Mendès France sur ceux qui avaient participé à ses entretiens, lors de ses tournées en province. La lecture des questionnaires un par un, campait fort bien chaque personnage d'enquêté et son univers politique. Au contraire, la lecture de toutes les réponses rassemblées, question par question, pulvérisait en quelque sorte les enquêtes. Ils disparaissaient, mais en revanche, c'est le personnage de P.M.F. qui se dessinait avec précision, tel que le voyaient les enquêtes et c'était cela le but de l'enquête. Dans une première étape, les réponses par enquêté doivent toujours être examinées, car
elles seules font apparaître les contradictions ou, au contraire, le lien entre certaines questions qui se complètent EUes permettent également de mieux juger le travail de l'enquêteur. Ce n'est qu'ensuite que l'on aborde, s'il y a heu, l'étude de toutes les réponses, question par question. Ce tableau reflète mieux l'opinion globale de l'échantillon sur un point précis, il est indispensable pour pratiquer une analyse de contenu générale. 710 3° Le codage, a) L'établissement des catégories O Cette opération consiste à classer en catégories les diverses positions ou attitudes que reflètent les réponses, pour permettre une présentation quantifiée des résultats. Ceci comporte deux étapes : l'établissement des catégories et le classement des réponses en fonction de cellesci. L'opération de « codage » consiste à établir les catégories d'une analyse de contenu. Les questions fermées et préformées sont précodées par les options qu'elles présentent. L'enquêté répond oui, non. « Que buvez-vous ? vin ou bière ?» - « Quel journal lisez-vous ? Figaro, Liberation, Monde ? » Le codage, prévu d'avance, est le plus souvent pratiqué directement par l'enquêteur et une simple addition permet de totaliser les diverses positions prises par les enquêtes. En revanche, lorsqu'il s'agit de réponses à des questions ouvertes, une véritable analyse de contenu s'impose. Suivant le domaine de l'enquête, on peut avoir établi à l'avance un code plus ou moins précis, des types de réponses que l'on s'attend à trouver et qui représentent les variables que l'on veut mesurer. Favorable, défavorable, indifférent, sont souvent utilisés dans les enquêtes d'opinion. Sur certaines questions, qui relèvent davantage de l'exploration, on ne peut établir de catégories qu'après avoir pris connaissance de toutes les réponses et de leurs divers contenus. Dans ce cas, il faut lire attentivement et plusieurs fois, toutes les réponses, pour bien s'en imprégner, avant
d'étabhr les catégories essentielles. Lorsque l'on a affaire à des étudiants non rémunérés et assez inexpérimentés, la meilleure formule consiste à faire photocopier toutes les réponses, question par question (chaque enquêté apparaissant toujours sous le même numéro) et de distribuer ces réponses à de petits groupes de trois ou quatre. On confronte ensuite les catégories établies par les divers groupes et le classement des réponses dans ces catégories, en rappelant qu'elles doivent s'inspirer le plus possible des problèmes soulevés par l'objectif de la recherche et écarter ce qui ne le concerne pas. Comme nous l'avons dit pour l'analyse de contenu, toute la valeur d'un codage dépend de la finesse et de la justesse de ses catégories. Elles requièrent de l'intuition, de l'intelligence, la compréhension des problèmes qui se posent1321. 711 b) Analyse de contenu d'interviews O Le codage d'interviews présente par rapport à l'analyse de contenu de documents, des facilités et des difficultés. Facilité appréciable, le fait d'avoir en général moins de. problèmes de choix d'unité d'enregistrement et de numération, tels que la phrase ou la colonne de journal, la ligne ou les centimètres. Dans l'interview, l'enquêté représente le plus souvent l'unité d'enregistrement1322. En revanche, l'analyse eUe-même semble plus complexe dans l'interview. L'analyse de document se borne le plus souvent à la recherche de thèmes et d'arguments, dont l'inspiration est quelquefois plus simple, plus uniforme et par là plus facile à quantifier. Au contraire, le matériel symbolique recueilli par des interviews à réponses ouvertes, est constitué par des réponses très variées, parfois hétéroclites, à une même question. Le problème consiste à découvrir, au-delà de ce matériel verbal, certaines attitudes, certains
traits personnels ou une structure cognitive. 712 c) Nombre de catégories O Du fait de la variété des réponses possibles, se pose avec acuité le problème du nombre de catégories. Le plus souvent, on trouve certains types d'opinion se regroupant autour de points précis, avec des nuances que l'on peut retenir dans des sous-catégories. A la question : « Quel est d'après vous le rôle des femmes dans la nation ? », on trouve assez rapidement des réponses évoquant l'égalité réelle des sexes, alors que d'autres préconisent l'égalité de principe, mais avec des réserves limitant le rôle de la femme, au foyer, au domaine social, ou l'écartant de la scène politique ; enfin d'autres réponses, nettement hostiles à toute égalité, considèrent la femme comme différente et inférieure à l'homme. Que faire lorsque certaines réponses regroupent un très petit nombre d'enquêtes ? En matière d'opinion, le codeur est constamment pris entre le désir de retenir chaque nuance, chaque position perçue dans une réponse et la nécessité de réduire ces points de vue, en les regroupant, d'une part, pour qu'ils indiquent vraiment une attitude, d'autre part, afin que la carte puisse les contenir toutes. A partir de combien d'individus peut-on constituer une catégorie et lui consacrer un enregistrement ? Ici tout dépend de l'intérêt de l'attitude que recouvre la catégorie. S'il s'agit d'opinions aberrantes ou non significatives, on ne les comptabilise pas. Parfois une attitude, même marginale, est très révélatrice et on ne peut l'omettre. C'est au chercheur à décider. Il n'y a pas de règle générale, mais on peut remarquer que l'impératif pratique : l'économie des enregistrements, correspond aux exigences de la théorie : le regroupement nécessaire des attitudes significatives. 713 d) Le classement des réponses O Ce stade
est celui de la vérification des catégories. On les indique sur un tableau, question par question. Chaque enquêté ayant un numéro d'ordre, on range ce numéro sous la catégorie correspondante. En faisant ce classement, on vérifie d'abord qu'aucune réponse n'a été omise et l'on s'assure ensuite, que les catégories retenues correspondent bien à toutes les attitudes comprises dans les réponses. Égalité Même de rôle que principe les de celui mais Rôle Sans hommes, des avec différent réponse égalité hommes réserve sans en réserve pratique Numéro des 2-5 7-25 3 - 10 enquêtes ...
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Ici encore, il est indispensable de travailler en équipe. On commence par classer ce qui est indiscutable, en laissant de côté les cas douteux. Les réponses ambiguës obligent parfois à se reporter à l'ensemble de l'interview, pour replacer la réponse dans son contexte. Lorsque ceci est msuffisant, on décide au mieux, en sachant qu'un certain nombre de réponses sont toujours marginales, par rapport aux catégories retenues. A ce stade de vérification, on peut juger utile de créer une sous-catégorie supplémentaire ou même, parfois, une catégorie nouvelle apparaît nécessaire. 714 4° Validité et fidélité du codage O La validité d'un codage est difficile à apprécier. Il ne s'agit pas ici de celle de l'interview lui-
même1323 ou des réponses recueillies, mais seulement de la validité de la catégorisation et du classement qu'elle imphque. La validité comme dans toute analyse est fonction, d'une part, du rapport existant entre le contenu à analyser et les catégories retenues et, d'autre part, entre les catégories et les objectifs de la recherche. Autrement dit, un codage offrant une quantification de variables n'ayant pas de rapport avec celles que l'on veut étudier, ne serait pas plus valide que la balance utilisée pour mesurer la taille. Le problème ne semble pas avoir retenu particulièrement rattention des spécialistes. En revanche, plusieurs études ont été consacrées au problème de la fidélité. On le conçoit, car l'accord entre les codeurs sur le classement des réponses, est une garantie de leur pertinence sinon de leur subtilité. La fidélité peut s'observer à un double point de vue : celui du même codeur classant les mêmes réponses après un certain temps et celui de codeurs différents travaillant sur les mêmes matériaux. M. Durbin et A. Stuart1324 ont fait une expérience, comparant la façon de classer de quatre professionnels et de quatre étudiants sur quatre questions fermées et précodées et trois questions ouvertes, mais également précodées. Ils n'avaient donc pas de catégories à établir, mais seulement des réponses à classer. On compara les classements entre codeurs et les classements du même codeur. Les questions ouvertes permirent de découvrir des variations assez importantes, même chez les professionnels. Ceci pose un problème concernant la valeur de la technique du codage. Il semblerait toutefois que ces différences d'appréciation relèvent plutôt de la sélection et formation des codeurs que de la technique elle-même. 715 Les codeurs O Le problème de leur sélection et formation a été beaucoup moins
étudié que celui des enquêteurs. Pour percevoir les nuances qui séparent telle réponse de telle autre, le codage exige des qualités de subtilité et d'intuition. Un esprit superficiel ayant tendance à trouver les choses simples, vite satisfait de ce qu'il entreprend, ne sera pas un bon codeur. Ajoutons que si le codage ne peut pas être confié à des individus trop rapides et superficiels, il faut également éviter les sujets lents et sur- tout les indécis, qui n'arrivent pas à adopter une solution. Le codage nécessite, en même temps que de la finesse, un jugement sain et le sens de l'essentiel. Comme un questionnaire, un codage représente un compromis, une simplification de la réalité, qui laisse le plus souvent un sentiment d'insatisfaction. Dans les enquêtes importantes, il est fait appel à des codeurs spécialisés. Certains prétendent que cela vaut mieux, car les qualités requises pour les entretiens et le codage n'étant pas les mêmes, on ne peut exiger des enquêteurs qu'ils les aient toutes.Les auteurs remarquent que le codage des questions fermées ou précodées, est assez fastidieux et qu'en revanche l'analyse des questions ouvertes demande un effort d'attention vite lassant. La capacité de travail des codeurs baisse au bout de trois à quatre heures et il semble qu'il vaille mieux ne faire ce travail qu'à mi-temps. Ce n'est en tout cas pas un métier auquel on puisse envisager de se consacrer de nombreuses années. Lorsqu'il s'agit d'une enquête limitée, ce sont souvent les enquêteurs qui font aussi le codage des questions ouvertes non codées. C'est en général le cas dans les enquêtes menées par des étudiants. La préparation et la mise en forme des résultats les intéressent, ils prennent ainsi une vue de l'ensemble de l'enquête et peuvent comparer leurs réponses à celles des autres enquêteurs. De plus le codage est un exercice pédagogiquement si
remarquable, qu'il serait dommage de ne pas les en faire bénéficier1325 . 716 5° Le dépouillement O Les cartes perforées (manipulées à la main) peuvent conserver un intérêt lorsque le nombre des enquêtes est restreint. Mais le traitement informatique est désormais le moyen le plus usité, et l'usage des ordinateurs personnels s'est rapidement répandu. Il n'est pas question de traiter ici du choix du logiciel dont le marché est en constante évolution. La programmation particulière que peut requérir une enquête importante par le nombre d'enquêtes interrogés ou celui des questions posées doit être confiée à des spécialistes. En revanche, le codage préalable fait partie de la préparation de l'enquête et exige des précautions qui, faute d'être prises peuvent entraîner des ereeurs impossibles à rattraper. 1° Chaque enquêté doit être représenté par un numéro de code. 2° Chaque question en possède également un. 3° Il en est de même pour chaque type de réponse à chaque question. Il faut, surtout lorsqu'il s'agit de réponses à des questions ouvertes, se montrer vigilant : ne pas omettre de mentionner dans le questionnaire : « sans réponse », « ne sait pas », « refus de répondre » ou « autres ». Rappelons qu'obtenir un grand nombre de réponses variées à « autres », indique une insuffisante connaissance du terrain, justifiée seulement dans une enquête d'exploration. Dans ce cas, des réponses inattendues sont alors utiles à titre d'information. 717 Erreurs à éviter O Si la banahsation de l'informatique a considérablement simplifié des opérations jadis longues et
coûteuses, telles que tris ou croisements souvent non prévus au départ, elle entraîne en revanche des risques d'erreurs ou de dérives qu'il faut signaler. Une question non prévue dans le questionnaire peut conduire à une grave lacune de l'information. Mais surtout, le danger provient de la tentation de poser trop de questions - au lieu de réfléchir aux bonnes questions à formuler - ce qui allonge et alourdit le questionnaire. La facilité de multiplier ensuite les tris et croisements, ne compensera jamais l'absence ou la faiblesse des hypothèses de recherche. Pour (à peine) caricaturer : demander aux enquêtes tout et n'importe quoi et, grâce à l'informatique, croiser les réponses ne peut en aucun cas constituer une enquête sérieuse permettant d'obtenir des résultats intéressants et généralisables. 718 6° L'interprétation des résultats1326 O On rappellera seulement ici la variété de cas que peuvent présenter les résultats de questionnaires. Une enquête d'information, aux résultats facilement quantifiés, extensibles et généralisables, offre moins de difficultés qu'une enquête de diagnostic ou des entretiens en vue d'une exploration, dans lesquels la complexité des données, la variété des réponses et l'imprécision des hypothèses, rendent difficiles de discerner les facteurs prépondérants. § 5. Validité, fidélité et valeur de l'interview comme instrument de recherche
La très grande utilisation de l'interview, comme instrument de recherche, rend indispensable que l'on juge de la valeur de cette technique. Il faut pour cela tenir compte de divers facteurs : d'abord de la justesse des résultats obtenus, de l'accord de l'entretien avec la réalité, c'est-à-dire de sa vahdité au sens strict, mais aussi des possibilités
d'explication ou de prévision, de l'intérêt des objectifs qu'il poursuit, de la richesse et de T originalité des informations qu'il permet de recueillir. 719 1° La fidélité O Les Américains se sont surtout attachés à la notion de fidélité, c'est-àdire à la comparaison des résultats des enquêteurs entre eux. La question avait été soulevée, à propos des différences de matériaux successivement recueillis dans les mêmes régions, par des anthropologues travaillant isolément. La plupart d'entre eux ne mentionnaient même pas les techniques utilisées pour recueillir les données et Kluckhohn1327 note que les anthropologues doivent se rendre compte que les contradictions entre les documents issus de la même tribu, peuvent provenir non de périodes ou degrés d'acculturation différents ou de points de vue personnels des informateurs, mais simplement des moyens d'investigation différents utilisés par les chercheurs. Le problème se posait pour tous les chercheurs isolés : ethnologues, anthropologues, psychologues sociaux. Il prit une allure beaucoup plus spectaculaire, le jour où, pendant la guerre, les enquêtes furent menées en équipe. Lorsque plusieurs chercheurs trouvent des données différentes, alors qu'elles devraient être semblables, la contradiction crée naturellement un doute sur la validité des résultats des uns... et des autres. Ces contradictions, souvent voyantes, entre les résultats des divers enquêteurs, orientèrent les recherches vers les causes de cette diversité et la façon d'y remédier. C'est pourquoi les auteurs américains, considérant que les risques d'erreurs provenaient avant tout des enquêteurs, consacrèrent une abondante littérature et de nombreuses expériences à ce problème de la fidélité. Peut-on espérer, en accroissant la fidélité,
augmenter du même coup la validité des résultats ? Autrement dit, puisque le fait pour les enquêteurs de recueillir des données contradictoires, laisse dans rincertitude sur la validité de ces données, peut-on, en augmentant la concordance ou fidélité des résultats, améliorer la validité de l'outil d'information ? A ceci on doit répondre, d'abord, que les variations entre enquêteurs n'épuisent pas les types d'erreurs possibles et que la concordance des résultats est une indication, mais non une garantie de validité. Il y a plus : à vouloir avant tout réduire les différences entre enquêtes, en les normalisant au maximum, on risque d'augmenter la fidélité, mais à la limite de sacrifier la richesse du contenu, donc une part de validité. En fait, on risque d'exclure les enquêteurs dont la technique est sans doute moins orthodoxe, mais qui sont peut-être aussi ceux qui peuvent recueillir les matériaux les plus originaux et les plus rares. L'aptitude de l'instrument, en tant que tel, à saisir la réalité, paraît plus importante qu'une normalisation des enquêteurs à un niveau médiocre. C'est pour cette raison que Kinsey, contrairement à l'attitude générale des enquêteurs, aux États-Unis, recherchait dans son rapport la validité, plus que la fidélité. Comme le dit H. H. Hyman (1954), il aurait été impardonnable de normaliser l'originalité de Freud... mais évidemment on peut se demander combien de Freud se trouvent parmi les chercheurs ? Cette recherche de la fidélité, issue des contradictions assez criantes qui apparaissaient dans les enquêtes par équipes, a suscité un perfectionnement certain des procédures d'entretien. Elle ne doit pas, en devenant fétichisme, détourner de l'objectif essentiel qu'elle a pour mission de servir : la vahdité. 2° La validité des entretiens utilisés dans un
sondage d'opinion O La notion de validité est, en ce qui concerne l'interview, particulièrement complexe. Elle implique l'absence d'erreur, mais aussi l'adéquation à la réalité, dont elle doit traduire la richesse. La validité est susceptible de degrés, en fonction non seulement de la justesse des données, mais aussi des divers aspects sous lesquels l'instrument reflète les phénomènes, enfin des objectifs qu'il vise. La technique de l'interview repose sur un postulat : la parole a été donnée à l'homme pour exprimer la vérité. Certains le trouveront naïf, d'autres estimeront qu'il constitue la règle de jeu fondamentale de la vie en société. L'interview n'est donc valide que si l'on suppose et constate qu'en général les enquêtes expriment la vérité, mais quelle vérité ? L'interview implique un deuxième postulat : pour savoir ce que les gens pensent ou ce qu'ils savent, il n'y a qu'à le leur demander. Ceci suppose lorsqu'il s'agit d'enquêtes d'opinion que chacun en possède une à propos du sujet sur lequel on l'interroge1328. Enfin un troisième postulat, sans doute le plus contestable, sur lequel reposent les enquêtes d'opinion : celui suivant lequel toutes les opinions se valent. Or le sondage, non seulement comme nous l'avons vu1329 risque d'additionner des réponses différentes à la même question, mais surtout additionne des opinions qui n'ont ni la même intensité subjective ni la même valeur objective. La réponse du bout des lèvres d'un abstentionniste est égale à l'adhésion passionnée d'un mihtant. En traitant l'opinion, en particulier l'opinion politique, comme une simple somme d'opinions individuelles, le sondage ignore le fait que les opinions sont des forces et les rapports d'opinion des conflits de force. Ce n'est sans doute pas une erreur au sens mathématique du terme, c'en est une
certainement sur le plan de la vahdité telle que nous l'avons définie : le fait pour un instrument de mesurer ce qu'il est censé mesurer. Si le sondage comptabilise bien des opinions, il ne les mesure pas. Cette façon de totaliser ce qui n'est pas égal compromet aussi la validité empirique : la possibilité d'une prévision. La prédiction suppose d'une part la stabilité des opinions, d'autre part un lien entre opinion et action. Or l'une et l'autre sont le plus généralement liées à cette intensité dont il n'est pas tenu compte. Abstentions, changements, peuvent être provoqués par des événements postérieurs au sondage, qui modifieront les opinions les moins assurées. Enfin et surtout, si le sondage peut refléter la structure de l'opinion à un moment donné, même prévoir un résultat à un moment proche, il ne peut, comme le note P. Bourdieu1330, déceler les états virtuels et plus particulièrement les crises possibles, parce qu'il ne saisit pas les opinions dans la situation réelle dans laquelle elles se constituent. Le sondage ne peut saisir l'opinion avant qu'elle ne soit formée... et il la détruit en quelque sorte en l'atomisant, en écartant les influences à travers lesquelles elle se forme. Il ne peut prévoir une crise dont il n'a retenu ni les éléments qui la suscitent, ni les possibilités de mobilisation brusque de l'opinion. En fait de prévision, des interviews de représentants efficaces et informés des groupes intéressés ont certainement plus de validité qu'un sondage auprès d'un échantillon représentatif d'une population dont l'opinion n'est pas encore constituée. L'influence des sondages d'opinion O De nombreux hommes politiques se sont préoccupés devant la multiplication d'instituts... ou d'officines de sondages, de
faire respecter certaines garanties techniques, mais aussi et peut-être surtout, de neutraliser l'influence de la publication des résultats des sondages électoraux sur les électeurs. Pourtant des travaux effectués aux Etats-Unis et en France montrent que le pourcentage de ceux qui volent au secours de la victoire (effet de bandwagon) compense à peu près le nombre de ceux qui veulent limiter le triomphe des gagnants (effet de underdog). De plus dans une démocratie les citoyens ont droit à toutes les informations, même contestables, ou alors il faut également interdire la propagande électorale. Quoiqu'il en soit, une loi du 19 juillet 19771331,1332, dans son article 11, interdit que les résultats des sondages politiques soient publiés la semaine précédant chaque tour de scrutin. Elle charge également une commission des sondages d'interpréter la loi (la notion de sondage n'est pas définie) et de veiller à la régularité des normes techniques imposées (identification de l'origine du sondage, conditions de réalisation, abus de redressement, etc.). L'expérience de ces dernières années montre que ce sont les hommes politiques plus encore que les gouvernés qu'il faudrait protéger de l'influence des sondages. Plus que les autres citoyens ils sont intéressés et vulnérables. De combien de décisions les sondages, favorables ou pas, sont-ils responsables ? Curieusement, si sur le plan politique l'influence (supposant la validité) des résultats des sondages est reconnue, et donne lieu à des mesures législatives, cette influence n'est pas admise dans un autre domaine qui a échappé au législateur ; celui des opérations boursières. En effet la C.O.B.1333 s'est émue des «fuites» concernant des sondages confidentiels effectués en août 1992 au sujet du référendum de Maastricht. Certains établissements auraient eu connaissance des résultats avant leur publication et ainsi réalisé des plus-values importantes. La C.O.B.
chargée de la surveillance du marché en vue de la protection des épargnants a estimé que la loi exigeait, pour constituer le « délit d'initié », une information certaine, précise, dépourvue d'aléas. Ces caractères ne pouvaient s'appliquer aux sondages qui ne sauraient « a priori être considérés comme information privilégiée » (affaire à suivre). 721 Validité des autres interviews O S'il s'agit d'entretiens dans une enquête d'exploration, l'important n'est pas de savoir si l'on mesure bien ce que l'on est censé mesurer, mais seulement de reconnaître ce que l'on découvre. La richesse de l'information l'emporte sur la précision de la mesure. Sous ces réserves, reprenons les aspects classiques de la validité, dans les divers types d'entretien. Validité empirique. L'instrument permet-il une prévision ? Si les conditions ont été respectées, la réponse est favorable. Mais les cas d'application sont limités : interviews pour un sondage avant un vote ou interviews en profondeur, pour émettre un diagnostic. Validité logique. L'instrument mesure-t-il de façon exacte ce qu'il est censé mesurer ? La réponse est plus difficile. Il n'existe pas d'étalon de mesure, ni de critère externe de validité. On peut seulement parfois comparer les résultats des entretiens à ceux obtenus par d'autres techniques : tests pro-jectifs, analyses de documents, etc. Le critère interne, le fait que les questions semblent concerner le problème, se révèle particulièrement flou. Aussi faut-il mettre les chercheurs en garde contre le nombre de critères implicites et non démontrés, sur lesquels inconsciemment et faute de mieux, repose une part de la notion, pour ne pas dire impression, de validité dans l'interview. On conçoit trop souvent la vahdité de l'interview, en fonction de l'idée que l'on se
fait de la difficulté de déceler certaines opinions et l'on est tenté de juger satisfaisant un entretien, où l'enquêté aura semblé parler facilement. Ceci ne correspond à aucun critère sérieux. En fait, la vahdité de l'interview pose des problèmes beaucoup plus fondamentaux que les questions classiques de critère externe ou interne. La notion de vahdité, se référant à une idée de justesse, implique d'abord l'étude des divers types d'erreurs qui risquent de lui porter atteinte. Au-delà de la pure technique, la recherche des erreurs réserve, en matière d'entretien, des difficultés particuhères. S'il existe une vérité objective en ce qui concerne les faits, permettant de se demander si l'interview est un bon instrument pour les appréhender, en matière d'opinion, il n'existe aucun critère pour reconnaître la vérité. Ainsi que nous l'avons vu, il existe en sciences humaines des erreurs d'une nature particulière, avant tout relative, qui ne se manifestent qu'en fonction d'un changement de niveau ou d'objectif. Ceci est particulièrement redoutable en matière d'interview, du fait de la variété même des niveaux que l'on peut atteindre par cette technique. 721-1 L'erreur relative O Un bon exemple d'erreur de ce type est fourni par le fait, déjà signalé, qu'une réponse exprimée spontanément, par un enquêté, dans un entretien non directif peut se transformer en face d'une question directe et posée un peu plus tard. Au lieu de la petite exagération à laquelle le portait sa confiance, dans le premier cas, joue probablement, dans la deuxième situation, une légère inhibition due à la question directe. Devant une notion de vérité de l'objet, elle-même aussi relative, comment concevoir un critère de la validité de l'instrument de mesure ? On peut concevoir seulement des validités différentes, suivant le type d'interview en
cause et son but. Suffirait-il d'abandonner la notion de validité, au sens strict, lorsqu'il s'agit d'objectifs trop complexes et invérifiables ? Ce serait mal poser le problème, car ce n'est pas seulement l'instrument qui est en cause, ni tel niveau de profondeur, mais la totalité de l'objet, c'est-àdire l'homme. On ne peut pas dire que tel résultat, obtenu à un niveau superficiel, sera valide, tandis que tel autre, obtenu à un niveau plus profond, ne le sera pas, ou au contraire que seul ce qui est profond est vrai. Il faut simplement s'abstenir de comparer les résultats obtenus à des niveaux différents et ne pas tirer argument d'une contradiction, pour mettre en cause la validité de l'un ou de l'autre. La validité n'existe jamais qu'en fonction d'un seul niveau. Pour le chercheur, ce qui existe est vrai et il existe dans l'homme des vérités contradictoires qui, en général, n'apparaissent pas en même temps dans le champ de sa conscience. La difficulté provient de ce que, malgré la volonté du chercheur, de saisir à un certain palier les données qui s'y trouvent, ceUes-ci ne sont pas isolées, ni surtout statiques, mais en perpétuelle évolution et se laissent difficilement fixer. Nous l'avons vu à propos des enquêtes de motivation, les éléments venus des profondeurs affleurent constamment à la surface. Les erreurs, d'après l'influence qu'elles exercent sur les résultats de l'enquête O Les erreurs, en dehors de leur origine différente, peuvent encore se distinguer les unes des autres par leur fréquence, mais aussi et surtout par leur importance, c'est-à-dire l'influence qu'elles exercent sur les résultats et par la plus ou moins grande possibilité de les évaluer, de les neutraliser. C'est ce dernier point, mettant directement en cause la validité, qui retiendra maintenant notre attention.
Erreur nette, erreur totale O On peut considérer qu'il existe une réponse vraie à la question : « Quel âge avez-vous ? ou : « Combien de fois avez-vous été au café la semaine dernière ? » C'est cette vérité que cherche l'enquêteur et la différence entre ce qu'il transcrira et la réponse vraie représente une erreur individuelle. Si l'enquêté déclare qu'il a 27 ans et que l'enquêteur note 25 ans par distraction, ce sera une erreur. Si un peu plus tard cet enquêteur, auprès d'un autre enquêté, note 24 ans au lieu de 22, les deux ereeurs se compenseront. Si l'enquêté déclare avoir été deux fois au café dans la semaine, alors qu'il y a été six fois, ce sera encore une eneur et nous ignorons combien d'enquêtes mentiront Si l'enquêteur aux fortes convictions, influence les réponses, nous aurons aussi des ereeurs, mais celles-ci s'exerceront toujours dans le même sens. Il y aura « biais ». Imaginons enfin que l'enquêteur ait posé la question sur la fréquence des visites au café, à un échantillon d'enquêtes interrogés à leur domicile le soir. Il est probable que l'enquêteur n'atteindra de cette façon que la population qui ne va pas au café, l'échantillon sera biaisé et le résultat de l'enquête faussé. La somme des erreurs possibles est constituée par des erreurs de types très différents. L'une, irréversible, provient de la constitution de l'échantillon ; les autres se situent dans le rapport enquêteur-enquête, avec des conséquences diverses. Certains auront tendance à réduire leur taux de présence dans les cafés ; d'autres, sans doute moins nombreux, à l'augmenter. Au total ces différences peuvent se compenser. Mais dans les recherches de corrélations entre des sousgroupes de population (par âge, niveau économique), les distorsions peuvent fausser les comparaisons. Le biais d'un enquêteur peut être compensé par la position contraire
d'un autre enquêteur, ou s'ajouter au précédent. La distraction dans un sens ou dans l'autre peut se compenser également. Sur le plan des résultats, de l'estimation des erreurs, leur provenance est sans importance. La distinction intéressante se situe entre l'erreur nette résiduelle, celle qui fausse le résultat et l'erreur totale, qui a des chances d'être compensée dans un échantillon large1334. La première seule importe sur le plan des résultats et de la validité globale, statistique, de l'enquête. En revanche tout espoir, toute volonté d'améliorer la technique de l'interview, d'accroître sa validité, repose sur la recherche des causes d'erreurs et surtout la distinction entre leurs sources, celles qui sont dues à l'échantillon, celles qui proviennent du déroulement de l'interview, du questionnaire ou de l'interprétation de l'enquêteur. Ce n'est pas en se contentant d'apprécier les seuls résultats globaux que l'on y parviendra. 724 Estimation et réduction de certaines erreurs O Les études consacrées aux erreurs totales sont beaucoup plus rares que celles consacrées aux erreurs nettes. La méthode d'estimation la plus simple de l'erreur totale, consiste à comparer les résultats obtenus aux chiffres des statistiques officielles sur le même sujet. Ceci n'est évidemment possible que pour certaines questions de fait. On sait, par les statistiques nationales, qu'un échantillon représentatif de tel groupe de population devrait comporter X accidents d'auto, X demandes d'aide sociale, etc. Une enquête, faite aux États-Unis, indique entre 5 et 10 % d'erreurs, aux questions portant sur la possession d'une carte de bibliothèque, d'un téléphone, etc. On mesure parfois approximativement les distorsions, en comparant les résultats globaux des interviews, à des résultats obtenus par une autre technique : tests,
mesures d'attitudes. On peut également comparer des réponses obtenues par l'interview, à celles que les mêmes enquêtes font à un questionnaire écrit par exemple. On peut chercher un indice de l'aptitude de l'enquêté à dire la vérité en posant des questions pièges. On demande par exemple à l'enquêté s'il a lu tel ou tel livre, l'un de ces livres n'existant pas. On tente aussi de compenser d'avance certaines possibilités d'erreurs, telles que le biais des opinions politiques des enquêteurs, en répartissant ceux-ci, ou le biais supposé de certaines questions, en utilisant la forme du split-baïïot (la question est posée sous la forme A à une partie de l'échantillon, sous la forme B à l'autre partie). Il existe enfin, nous l'avons vu à propos des sondages, des moyens statistiques et mathématiques complexes pour réduire et mesurer les erreurs. De toute façon, les mathématiques ne sont qu'un moyen de contrôle, de mesure et de rectification. Elles ne peuvent compenser le manque de qualité de l'information. La vahdité au sens strict ne suffit pas et le chercheur doit, tout en respectant les règles de sécurité, ne pas leur sacrifier l'originalité et la richesse du contenu. Nous avons vu à chacune de ces étapes les deux faces du problème : richesse du contenu ou normalisation des procédés et risque de réduction de l'information. Malgré la complexité des données mises en cause par l'entretien, même le plus superficiel, malgré le nombre d'étapes que comporte cette technique et la variété des moments où peuvent se glisser des erreurs, l'entretien demeure un des instruments les plus précieux des sciences sociales, car il utilise un besoin essentiel de l'homme qui est la communication. Si l'on veut savoir ce que les gens pensent, en tenant compte de toutes les
distorsions indiquées, le meilleur moyen c'est encore de les faire parler et d'apprendre à les écouter. 725 Bibliographie O
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726 Définition O..Le mot test ou têt, est un mot de vieux français, synonyme de coupelle (latin testum ; vase en terre), désignant des petits pots de terre cuite, dont se servaient les alchimistes pour éprouver leurs alliages. En anglais il désigne un réactif, un essai. Le mot test est un de ceux dont notre époque fait un usage abusif. N'importe quelle réponse ou réaction, à une question ou devinette, devient un test. Or, une réaction, pour symptomatique ou révélatrice qu'elle apparaisse, ne constitue un test que si, d'une part, la situation et le stimulus sont standardisés, d'autre part, si le comportement du sujet peut être évalué quantitativement, par comparaison statistique avec celui d'un groupe de sujets placés dans la même situation. H. Piéron propose la définition suivante : « Un test est une épreuve définie, impliquant une tâche à remplir, identique pour tous les sujets examinés, avec une technique précise pour l'appréciation du succès ou de l'échec ou pour la notation numérique de la réussite1337. » La tâche peut comporter une mise en œuvre, soit de connaissances acquises : test pédagogique, soit de fonctions sensorimotrices ou mentales : test psychologique. D'autres définitions sontplus larges ; ainsi M. Reuchlin (1960) désigne sous le nom de «test», «toute technique permettant une description quantitative, contrôlable, du
comportement d'un individu placé dans une situation définie, par référence au comportement des individus d'un groupe défini placé dans la même situation ». 727 Historique O La méthode des tests est née, comme une grande part de la psychologie sociale moderne, de rapparition de problèmes pratiques posés par le développement technique, coïncidant avec l'améhoration des moyens d'investigation. Binet écrivait en 1911 : « Il n'est rien de tel que la nécessité pratique, pour faire surgir des méthodes nouvelles. Nous serions restés longtemps dans le statu quo, si nous n'avions été obligés, dans un intérêt véritablement social, de faire des mesures d'intelligence par la méthode psychologique1338. » On s'est d'abord rendu compte que l'on avait intérêt à mettre «the right man in the right place ». En effet, une personne plus apte qu'une autre à faire un travail, s'adapte plus vite, le fait mieux, avec un meilleur rendement, moins de fatigue, moins de risques d'accidents et plus de satisfaction. Comment arriver à trouver la personne la plus apte ? Il fallait pour cela que progresse la psychologie, c'està-dire prendre conscience des différences entre individus, tenter de les mesurer, s'apercevoir que le comportement d'un sujet, sa réussite ou son échec dans une situation donnée, ne sont pas dus au seul hasard, mais dépendent de certaines aptitudes, de la continuité de certains facteurs, dont la stabilité rend possible une prévision. 728 Les origines O Pour comprendre comment et pourquoi les tests sont nés, il faut remonter aux origines de la psychologie différentielle. Nous trouvons trois grandes orientations : 1° L'école allemande de psychophysique, dont le centre est le laboratoire de Wundt, créateur
à Leipzig de la psychologie expérimentale ; elle a pour idéal la rigueur de la psychophysiologie et de la physique. 2° L'autre courant s'est développé aux EtatsUnis sous l'impulsion de R. Cattell (1956). Pour cet auteur et ses disciples, l'idéal de la science c'est d'être efficace et la psychologie ne doit pas y faire exception. D'une part, l'extension industrielle, le développement des universités, l'immigration (formation), le travail à la chaîne (taylorisme) font apparaître de nombreux problèmes pratiques. D'autre part, en même temps qu'une philosophie de l'action, se développent les idées évolutionnistes. La variation, jusque-là considérée comme sans intérêt pour la généralisation scientifique, apparaît désormais, même au stade individuel, comme le principe explicatif du domaine vivant. La psychologie de Cattell est, avant tout, une psychologie de l'individu. Dans son fameux article paru en 1890, il utilise l'expression de mental test et prône l'application de la mesure à un grand nombre de sujets. Pour la première fois, il est question d'interdépendance, de variabilité, de standardisation, avec une préoccupation d'utilisation pratique. Cette idée de mesure, appliquée à l'individu, est capitale, car elle brise une certaine notion immobiliste de l'homme. Comme le dit R. Zazzo (1961) : «La mesure permettra de situer un individu dans un groupe biologiquement et socialement défini. » 729 L'apport de la statistique O Les tests impliquent la notion de variation. Ils exigent également les progrès d'une autre technique : la statistique. Ce n'est pas par hasard que le premier article de Cattell a été publié sous le patronage de Galton, créateur de la biométrie et des statistiques en biologie. Les éléments d'où devait naître la psychométrie, sont ainsi réunis : variation individuelle, précision de la mesure, statistique. Pourtant, pendant quinze
ans, les psychologues américains, malgré leur volonté d'aboutir à des résultats pratiques et de rejeter l'esprit de la psychologie allemande, conservent ses instruments et ses techniques et n'apportent rien de nouveau. Enfin, Binet survint ! Binet, médecin français, travaillant à peu près seul, va, en 1905, trouver une solution aux problèmes posés par les Amé ricaîns. Son hypothèse géniale consiste à avoir supposé que ce ne sont pas les phénomènes élémentaires qui différencient les individus, « ou du moins, déclare-t-il, nos techniques ne permettent-elles pas de saisir les différences à ce niveau. C'est dans les processus complexes : personnalité, intelligence que les différences individuelles sont plus perceptibles ». En découvrant que plus un processus est compliqué et élevé, plus il varie suivant les individus, Binet a sorti la psychologie différentielle de l'ornière de la psychophysiologie de laboratoire, limitée à la mesure des sensations. Binet parle d'abord « d'échelle métrique d'intelligence » et situe la psychologie dans une perspective génétique, en marquant les étapes du développement intellectuel par l'âge, critère précis et quantifiable. En 1904, il est chargé par le Ministère de rinstruction Publique, d'établir une épreuve de dépistage, pour distinguer les enfants arriérés mentaux, de ceux qui étaient seulement en retard du fait d'une scolarité irrégulière. Binet crée alors la première échelle métrique, connue sous le nom de test Binet-Simon. 730 Le test de Binet-Simon O L'idée fondamentale consiste à grouper des séries d'épreuves de difficulté croissante, partant du niveau inteUectuel le plus bas et aboutissant au niveau normal. Les tests ont été étalonnés sur des élèves normaux des écoles parisiennes. La notion d'âge mental proposée par Binet, permet de définir le retard des
enfants par rapport à l'âge normal, en fonction d'un degré de réussite aux diverses questions1339. C'est pourquoi R. Zazzo faisait remarquer, avec humour, que ce test constituait plutôt une mesure de l'ininteUigence que de l'intelligence. En 1917, lorsque les États-Unis durent recruter et classer en quelques mois, plusieurs millions d'hommes, ils utilisèrent un test collectif : le Binet-Simon, sur près de 2 millions d'individus. Le mouvement en faveur des tests était lancé et devait, en 1940, aboutir à une utilisation beaucoup plus complète et efficace de tests améliorés et adaptés1340. § 2. La construction des tests
La méthode des tests suppose une relative stabilité des comportements rendant possible leur prévision. Elle repose sur des postulats théoriques, dont on tire, sous certaines conditions, des conséquences pratiques. Ces postulats se ramènent à ceci : il existe des aptitudes, différentes suivant les individus, se manifestant dans certaines activités et responsables de réussites ou d'échecs. Elles peuvent être isolées, leurs effets mesurés, ainsi que les différences entre individus. EUes présentent une certaine constance, qui permet de prévoir le comportement d'un sujet dans une situation donnée, à partir de son comportement dans la situation observée et de contrôler et améliorer cette valeur prédictive. La vérification de l'hypothèse et la justesse de la prédiction, dépendent de la validité des instruments, à partir desquels se fait la prédiction. Encore faut-il que les manifestations observées le soient de façon objective. Cette condition pratique relève de la notion de fidélité. 731 V Les postulats, a) Il existe des aptitudes différentes suivant les individus O Des
individus soumis à un même apprentissage, déployant la même application, n'obtiennent pas les mêmes résultats. Pourquoi cette différence ? On a imaginé le concept « d'aptitude », qui est « la condition congénitale d'une certaine modalité d'efficience ». L'élément inné, chez un individu, n'est pas mesurable. L'aptitude ne peut donc être observée, ni à plus forte raison mesurée, qu'indirectement, c'est-à-dire à partir du moment où elle se manifeste dans une activité. Cette mesure indirecte n'est pas opposée à une attitude scientifique, bien au contraire. Le physicien ne donne pas une définition de l'électricité ; il la mesure dans les effets qu'elle produit, sur les instruments qui enregistrent les divers aspects du phénomène. Les définitions sont encore hypothétiques. Si l'on définit d'abord, pour mesurer ensuite, il faut être certain, que la mesure se rapporte strictement à la grandeur que l'on a préalablement définie. L'aptitude va se manifester telle qu'elle a été freinée ou développée, parfois déformée, par l'expérience, la vie en société. Peut-on (et comment) distinguer l'élément inné, de l'apport de l'éducation ? Imaginons que nous renoncions à évaluer les apports extérieurs et que nous nous bornions à mesurer les aptitudes telles qu'eUes se manifestent. Cela est-il possible ? Peut-on isoler les aptitudes les unes des autres, les considérer comme seules responsables de certaines performances ? Le problème prend toute son importance, lorsqu'il s'agit d'envisager un pronostic, à partir d'un test. Ceci non seulement pour apprécier certaines aptitudes physiques, telles que l'habileté manuelle, mais encore dans le cas d'éléments plus complexes. Y a-t-il un facteur intelligence que l'on peut isoler en tant que tel ? Une aptitude à jouer du piano,
une autre à jouer du violon ou une aptitude à comprendre la musique ? Celle-ci ne comporte-t-elle pas plusieurs facteurs ? A ces questions, plusieurs réponses ont été données, en fonction de positions théoriques ou pratiques1341. 732 b) Les aptitudes se manifestant dans certaines activités sont responsables de réussites ou d'échecs O Certaines aptitudes simples, ou complexes, se manifestent dans la vie : aptitude à déceler des fausses notes, à réagir rapidement à un stimulus. Elles peuvent être décelées dans des épreuves artificielles ou tests qui consistent en tâches préparées exprès pour mesurer l'aptitude. La conception des items ou questions constituant les épreuves d'un test, repose sur des hypothèses relatives aux propriétés de l'aptitude à mesurer1342. La première étape de construction d'un test, consiste à délimiter la signification de l'aptitude, c'est-à-dire cerner son champ de performance ou d'application. Délimiter le champ de l'aptitude, c'est chercher les situations dans lesquelles se manifestent ses propriétés. On peut concevoir un certain nombre d'opérations différentes, relevant de telle ou telle aptitude : appuyer sur un bouton lorsque s'allume un signal, etc., et admettre qu'un même facteur : rapidité de tel réflexe, joue dans divers cas. On peut également supposer que ce qui permet à un enfant de réussir en histoire, géographie, récitation, c'est une aptitude à retenir, nommée mémoire. Lorsque l'opération à accomplir met en jeu l'aptitude, celle-ci sera responsable de la réussite. En revanche, en mathématiques, la mémoire compte peu et les résultats enregistrés seront moins bons.
On peut aussi, envisager des situations concrètes plus complexes, dans lesquelles les opérations (gestes constituant des réponses à un stimulus) seront décomposées en divers déments. Ces éléments peuvent être considérés comme indices spécifiques et représentatifs des propriétés de la performance, c'est-à-dire qu'on les suppose homogènes, relevant de la même aptitude et en relation proportionnelle avec la performance totale attribuée à celle-ci. En admettant que nous sachions quels gestes ou réponses traduisent la présence de l'aptitude, encore faut-il que nous puissions en mesurer le degré. 2° Mesure de l'aptitude O Dans un examen, certaines épreuves sont plus difficiles que d'autres. Il faut donc découvrir des indices, connaître le pouvoir sélectif, le degré de difficulté des épreuves ou questions, puisqu'elles sélectionnent les sujets plus ou moins doués. On applique des items ordonnés et pondérés d'après leur valeur d'indice (degré de difficulté et pouvoir sélectif), à un groupe dont les sujets vont se classer suivant leur plus ou moins grande réussite. En simplifiant beaucoup toutes les étapes de construction d'un test, on peut dire qu'après avoir délimité le champ de l'aptitude, faute de pouvoir la mesurer, on peut seulement lui donner une valeur, c'est-à-dire noter l'individu par rapport aux autres ; c'est ce que fait l'étalonnage. a) Les procédés d'étalonnage O « Étalonner un test, écrit G. Palmade (1948), c'est seulement établir une échelle qui permette de repérer commodément la réussite d'un sujet par rapport au groupe total des réussites d'une population. » Il existe divers procédés1343. Supposons avoir fait passer à mille sujets une épreuve comportant cent questions ; une seule bonne réponse étant possible pour chacune d'elles, nous attribuerons un point à chaque bonne réponse et ferons le total pour chaque sujet. Nous classerons alors ceux-ci en les regroupant, par exemple, par intervalles
de 5 points. Nombre de De… 1 6 11 16 21 26 31 36 41 46 51 56 61 66 71 76 81 86 91 bonnes réponses A… 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 65 70 75 80 85 90 95 Nombre de 3 4 7 26 44 67 91 112 132 134 118 99 65 43 24 11 5 4 1 cas observés Le graphique de répartition obtenu est d'un type bien connu. On le retrouve chaque fois qu'un phénomène est perturbé par un grand nombre de facteurs dont l'intensité d'intervention et la fréquence sont laissées au hasard. C'est la courbe de Gauss1344 ou courbe en cloche. 735 b) Analyse interne du test, question par question o On étudie deux aspects particuliers. Le degré de difficulté de chaque question ; il est défini par le pourcentage de sujets qui donnent pour chaque question la réponse correcte. En général, on considère qu'une question permet la meilleure discrimination quand son degré de difficulté est de 50 % (c'est-à-dire que 50 % des sujets donnent la bonne réponse). Mais il faut tenir compte du but visé par l'épreuve : élimination des moins bons sujets, sélection des meilleurs, classement de l'ensemble. Cette vérification permet, en fonction de ce but, d'éliminer les questions trop faciles ou trop difficiles. L'étude du pouvoir discnrninatif de chaque question (ou validité interne du test), permet de dire dans quelle mesure chacune distingue les sujets en bons et moins bons. On constitue deux groupes de sujets suivant la note totale du test. On établit la distribution
des fréquences des notes et l'on sépare les sujets selon un pourcentage choisi. Le pourcentage optimum est de 27 % des sujets de chaque groupe. Quelle est la valeur prédictive de ce classement ? § 3. La notion de validité
73 6 La notion de critère O Déterminer la valeur objective d'un classement d'individus, par rapport à une tâche à effectuer, revient à trouver dans la vie concrète un critère indépendant, qui, recouvrant la même aptitude, hiérarchise les mêmes sujets de façon identique. Sans doute, d'autres facteurs d'influence peuvent-ils intervenir dans la réalité, mais il faut que l'aptitude que l'on essaie de cemer dans le test exerce également une influence dans le classement réel, établi suivant ce critère. Si tel individu réussit les tests mettant en cause la rapidité, on pourra en déduire qu'il réussira dans la vie dans les activités où interviendra ce facteur. Ceci implique que l'on puisse isoler, en laboratoire, des aptitudes et que celles-ci se retrouvent déterminantes dans les situations réelles, professionnelles ou autres, sur lesquelles porte la prédiction. Entre les épreuves ou items des tests, mesurés en laboratoire et les performances de tel métier ou situation, mesurées suivant un critère défini, doit exister un élément commun : telle aptitude ou facteur d'aptitude. Pour que la prévision soit possible, il faut donc, non seulement que l'instrument : le test, mesure bien ce qu'il est censé mesurer : l'aptitude, mais encore une autre condition, que l'aptitude mesurée en laboratoire, soit retrouvée dans la situation réelle. 737 Validité logique et validité empirique O La méthode des tests, du fait de son utilité
pratique et de ses origines, intéresse à la fois les praticiens qui l'emploient; les statisticiens qui en manipulent les résultats chiffrés et les psychologues qui discutent des concepts qu'elle met en cause. Chacun de ces groupes est attiré plus particulièrement par un aspect de la méthode et sera tenté de retenir, dans le domaine qui l'intéresse, une notion de validité particulière. La validité logique. - Elle est en matière de tests particulièrement exigeante puisqu'elle implique une double condition : l'instrument doit non seulement mesurer avec exactitude ce qu'il est censé mesurer, mais encore, l'aptitude ainsi décelée doit se retrouver dans la situation réelle. Un vague critère interne concernant plus ou moins sûrement ce que l'on veut mesurer, ne saurait suffire. Un critère externe est indispensable. Factorialistes et essayistes discutent de sa définition et de la technique propre à le déterminer. La validité empirique. - Les praticiens influencés par rimportance de l'élément prévisionnel concret et de la difficulté de définir des aptitudes complexes, ont axé leurs recherches sur la vahdité empirique au détriment de la vahdité logique. Pour les disciples de Binet et les statisticiens, une prévision juste est la meilleure preuve que le test mesurait bien ce que l'on voulait mesurer. 738 1° Validité empirique, a) L'aptitude est identique au résultat du test O On prête à Binet la définition suivante : « l'intelligence, c'est ce que mesure mon test ». Il s'agit d'une boutade mais elle correspond à la pensée de nombreux praticiens. Appeler «mesure d'aptitude» tout résultat de test c'est s'enfermer dans une tautologie : le test est le moyen de mesurer l'aptitude, l'aptitude, c'est ce qui est mesuré par le test. La vérification du premier des aspects de la
validité : l'instrument mesure bien ce qu'il est censé mesurer, devient de ce fait impossible. 739 b) Validité statistique O L'aptitude est hée statistiquement au résultat du test. C'est la tendance que N. Reuchlin (1960) qualifie d'essayiste, car toute validation de test, implique nécessairement une corrélation avec les résultats. Ce qui intéresse avant tout le psychométricien, c'est de savoir queUe attitude intervient dans tel rendement, de la mesurer, pour ensuite prévoir la performance ultérieure ou pronostiquer l'éducabilité des individus. Les praticiens se préoccupent peu de théorie, leur position est strictement opérationnelle : la valeur du test sera prouvée par la justesse de la prédiction. Ce système, d'après lequel le test est validé par la seule réussite de sujets sélectionnés, mérite un certain nombre de réserves. [Illustration impossible à reproduire] D'abord, la validité « concomitante1345 » entre le test et le critère est rare. Dans la pratique, il faut parfois attendre un délai considérable pour connaître les performances réelles des individus soumis aux tests. L'on peut aussi se résigner à comparer des groupes d'individus différents, ceux qui passent les tests et ceux qui dans la pratique réussissent. Mais, il est difficile d'obtenir dans la vie des critères de réussite d'une objectivité satisfaisante. En effet, la réussite professionnelle peut tenir à d'autres éléments que la seule aptitude mesurée et il est dangereux de retenir un facteur aussi social que la réussite, pour la détermination d'un critère d'aptitude, visant par définition à l'objectivité. N. Reuchlin1346 cite le cas de la jeune apprentie qui, dans un examen de couture,
monte une manche à ienvers. Les pédagogues y verront un manque d'intelligence, les professionnels jugeront moins sévèrement, parce que le mal est réparable, le tissu n'étant pas gâché. Il en irait tout autrement pour juger un coup de ciseau maladroit. On peut donc dire qu'il n'existe pas une aptitude en soi au métier de couturière, mais une aptitude par rapport à certaines conditions techniques, économiques et sociales, conditionnant la notion de réussite dans l'exercice de ce métier. 740 2° Validité logique. La définition du critère O Le problème de définition du critère est essentiel. Dans certains types de tests, la conformité du critère au contenu du test est en quelque sorte prévue d'avance. Ce sont des tests qui cherchent moins une prévision qu'un contrôle et posent, de ce fait, des problèmes de validation moins délicats. C'est le cas des tests pédagogiques. Ceux-ci ne mesurent pas indirectement l'aptitude par la performance, mais cherchent simplement, à émettre un diagnostic sur les résultats d'un apprentissage, accompli dans des conditions connues et contrôlables. Les examens d'histoire constituent un jugement porté sur l'apprentissage que représentent des cours d'histoire, en fonction d'un critère : les connaissances historiques. Dans ce cas, il y a correspondance directe entre le contenu du test et le critère. Les tests de ce type sont en revanche totalement insuffisants pour faire une prédiction plus large. En effet, faute d'avoir su préciser les critères de réussite de l'école moderne, par rapport à sa triple finalité : instruire, éduquer, orienter, ces tests ne mesurent que les aspects les plus mécaniques de rinstruction, les seuls vérifiables parce que les seuls précisés par des critères définis. 741 Le critère externe O La prévision exige
une validité externe. Le critère doit contenir des éléments semblables à ceux que contenaient les items du test il doit être « saturé » des mêmes facteurs. La rapidité exigée dans la profession, doit contenir les mêmes composantes que la rapidité mesurée en laboratoire. La grande difficulté consiste à trouver un critère externe appréciable de manière objective. Comment définir la rapidité ? Quels indices retenir ? Ne risque-t-on pas de la confondre avec la nervosité ? Nous rencontrerons cette même difficulté à propos des échelles d'attitude, qui se contentent le plus souvent d'un critère interne1347. Renonçant pratiquement à toute prévision, elles se préoccupent surtout de la validité au niveau de l'uni-dimensionnalité des items, c'est-à-dire que ceux-ci ne concernent bien que l'attitude envisagée. Cette prudence et cette limitation sont évidemment hors de question dans le cas des tests, car la prévision est leur but essentiel. La correspondance entre l'item du test et le critère de réussite dans la réalité est indispensable et fondamentale. 742 Le coefficient de validité O Le degré de concordance entre le classement des individus suivant le critère et le classement par le test (corrélation obtenue mathématiquement entre les deux séries de résultats), constitue le coefficient de validité. Si la corrélation est nulle ou très faible, c'est que le classement par rapport au test et par rapport au critère relève de facteurs différents, si elle est moyenne, plusieurs explications peuvent être présentées : mauvaises conditions de passation du test, appréciation trop peu objective du critère, etc. Le psychométricien devra rechercher ces causes. On trouve à côté d'erreurs techniques, qui peuvent se glisser à toutes les étapes de passation du test, les « erreurs relatives ». Elles n'existent qu'en fonction de ce que l'on cherche et peuvent provenir du test qui ne
mesure pas bien l'aptitude ou du critère externe mal défini. Imaginons un individu qui réussit mal dans le métier vers lequel on l'a orienté. Les tests pouvaient être inadéquats, ne pas rendre compte des aptitudes du sujet, ou des erreurs s'être glissées dans le résultat des épreuves. L'erreur pouvait également provenir d'une analyse insuffisante du métier et des qualités requises pour y réussir. La validité n'est donc pas une fonction du test, mais bien de l'usage pour lequel le test est envisagé. C'est là le grand problème du contenu du test, qui doit révéler ce que l'on cherche : l'aptitude de l'individu, en fonction de ce qui est supposé utile et la même aptitude, facteur de réussite dans la réalité. 743 a) Tendance structurale et analyse factorielle 1348 o L'analyse facto-rielle est née de l'idée de corrélation, d'abord mise en valeur par Ch. Spearman, psychologue anglais, qui ne pouvait admettre la conception unitaire de Binet. De 1904 à 1930, il s'attache à démontrer dans les aptitudes que révèlent les réussites aux tests, la présence d'un facteur général g, que l'on retrouve dans toutes les branches de l'activité intellectuelle et qui explique les mêmes réussites, dans des épreuves d'ordre différent. Utilisant des matrices, Spearman montre que lorsque les corrélations peuvent être entièrement expliquées par ce facteur g, eUes tendent à se ranger en ce qu'il appelle un « schéma hiérarchique ». Les autres facteurs spécifiques de Tactivité semblent, eux, être totalement indépendants et différents les uns des autres. L'originalité de Spearman consiste, avant tout, dans le fait qu'il a considéré l'analyse factorielle et l'utilisation des corrélations, non comme une simple technique descriptive, mais comme un moyen d'identifier de véritables processus sous-jacents, de
découvrir des « aptitudes » relevant de causes physiques, comme les « structures nerveuses ». La théorie multifactorielle. - Les Américains L. L. Thurstone et J. P. Guil-ford, depuis 1938, s'opposèrent à la notion de facteur général et de hiérarchie. Utilisant les mêmes techniques de corrélation, ils s'attachèrent à démontrer que celles-ci pouvaient être expliquées par un certain nombre de types d'aptitudes indépendants ou de facteurs multiples, qu'il convient d'essayer d'apurer au maximum et d'isoler, au point d'en faire des facteurs primaires. C'est la théorie multifactorieUe de Thurstone, dont les expériences tendent à démontrer l'existence d'un certain nombre de facteurs distincts : verbal, numérique, spatial etc. A grands renforts d'expériences1349, avec un lourd appareil mathématique1350, les discussions se sont poursuivies et, comme on pouvait s'y attendre, les résultats des tests permirent aussi bien à l'école anglaise qu'à l'école américaine1351, de justifier leurs théories. En 1945, paraissait l'important rapport du service américain de la maind'œuvre (USES), tandis que la marine et l'armée anglaise confirmaient l'importance du facteur g. Quelles que soient leurs tendances théoriques et l'interprétation qu'ils donnent des facteurs, les factorialistes envisagent tous la validité sous l'angle mathématique. Pour eux, un test est valide, s'il mesure en commun avec un critère donné, certains facteurs fondamentaux. Il faut donc connaître également la teneur factorielle du critère correspondant à ces mêmes facteurs. Prenons pour exemple d'épreuves, des problèmes d'arithmétique impliquant pour leur solution deux aptitudes : la vitesse de
calcul et le raisonnement arithmétique. Les problèmes exigeant surtout la vitesse, seront plus saturés dans le premier facteur que dans le deuxième. Connaissant les degrés de saturation des facteurs impliqués dans les problèmes et les résultats des sujets à des tests sur chacun de ces facteurs, nous pounons prévoir leur performance à l'un ou l'autre problème. Le test et le critère peuvent comprendre quelques facteurs différents et le critère de réussite dans la vie peut aussi dépendre de facteurs non contenus dans le test. Mais, pour que le test soit valide, il faut que test et critère possèdent en nombre suffisant des facteurs communs.. J. P. Guilford (1954), propose le schéma suivant : [Illustration impossible à reproduire] Les tests 1 et 2 ont en commun avec le critère J, et dans des proportions différentes, les facteurs A et C ; le test 3, les facteurs B et D. Les 3 tests sont donc valides par rapport à ce critère J, mais pour des raisons différentes, c'est-à-dire en fonction de facteurs différents. Les tests 3 et 1 ensemble, donneront une meilleure prédiction, car ils couvriront un plus grand nombre de facteurs, ABCD, que les tests 1 et 2 qui ne couvrent qu'A et C. Un test n'est valide que par rapport à un critère déterminé. Ajouter un nouveau test à une batterie n'améliore sa conélation avec le critère que dans la mesure où il recouvre une nouvelle variable du critère, jusque-là non représentée dans le test. Par exemple, le facteur S dans notre tableau. L'idéal serait évidemment la parfaite conformité entre les facteurs contenus dans le test et dans le critère. La validité factorielle est le degré de saturation d'un test en un facteur, déterminé par une analyse factorielle. Cette saturation
d'un test ou d'un critère est équivalente à la corrélation du test ou d'un critère avec le facteur ainsi précisé. Cette liaison entre les facteurs, ces corcélations, impliquent des opérations mathématiques complexes, trouvant leur origine dans l'étude des matrices de corrélation. A partir de là, plusieurs solutions sont possibles. L'analyse factorielle la plus usitée et la plus connue constitue une recherche d'axes de références. On peut citer encore la méthode des facettes1352, enfin, plus récente, l'analyse Radex de Guttmann1353. Nous n'entrerons pas ici dans le détail de ces techniques ; elles ont en commun leur orientation structurale et la recherche des facteurs. 744 Similitude des théories bi et multifactorielles o Les deux écoles bi et multifactorielles sont en réalité très proches l'une de l'autre. Ce n'est pas entre elles que passe la ligne de clivage mais entre leur conception de l'analyse factorielle, de sa validité, et celle des essayistes. Les essayistes fidèles à une conception plus descriptive et statistique reprochent à Ch. Spearman et à L. L. Thurstone de « réifier » les facteurs, de les assimiler à des aptitudes et de ne pas tenir compte des influences du milieu. Pour eux la construction du test implique la recherche de facteurs communs au critère externe et au test. C'est le résultat réel, dans la vie, qui sera la preuve de cette corrélation et de la validité du test. Si les conducteurs d'autobus, sélectionnés par test, ont moins d'accidents que les autres, cela prouve que le test est valide et que la conélation entre l'aptitude mesurée par le test (habileté, réflexe, rapidité, etc.) et l'aptitude responsable de la performance réelle dans la vie, c'est-à-dire du critère de réussite, est suffisante.
Pour les factorialistes, c'est seulement l'analyse mathématique de la conélation entre les facteurs saturant le critère externe et ceux qui saturent le test, qui valident celui-ci et doit assurer son efficacité. Ceci montre bien que les factorialistes se sont préoccupés de décomposer les facteurs, pour les purifier et en dégager de nouveaux aspects, permettant des hypothèses sur les structures mentales, plutôt que des problèmes de la valeur prédictive des résultats. A cause de ces limites, trop souvent oubliées, l'analyse factorielle, malgré la place qu'elle a prise, a déçu à la fois les praticiens et les psychologues. Les praticiens, parce qu'ils s'aperçoivent que cette manipulation mathématique abstraite n'apporte pas de réponse aux questions concrètes que leur pose la réalité. Les psychologues, parce qu'ils ne retrouvent pas, à travers les résultats de l'analyse factorielle, d'éléments s'intégrant dans une théorie générale de la personnalité. Nous répétons ce que nous avons déjà dit à propos de l'analyse de contenu, des mesures d'attitude et de tous les problèmes de techniques des sciences sociales : l'emploi des formules statistiques ne remplace pas une réflexion intelligente et un contrôle rigoureux. Thurstone1354 déclarait que ceux qui étudient la psychologie ont parfois tendance à faire des calculs pour éviter de réfléchir et que pour sa part, lorsqu'il commençait une analyse factorielle, il passait plus de temps à méditer et à choisir le contenu de la batterie des tests qu'à faire les calculs ultérieurs. L. Guttmann faisait aussi remarquer avec beaucoup d'honnêteté : « Meilleurs sont la théorie psychologique et le choix du contenu des tests, moins il y a de calculs à faire » et enfin, P. Oleron (1957) reconnaît à son tour : « que les mathématiques utilisées sont beaucoup plus des recettes, permettant de surmonter la complexité du matériel à manier, que des
moyens d'un enchaînement rigoureux de la pensée ou des faits ». C'est pourquoi H. J. Eysenck, au nom des psychologues, déclare que les hypothèses factorielles ne peuvent trouver leur validation qu'intégrées dans une théorie générale. b) Validité critérielle d'Eysenck O Pour cet auteur, les aptitudes nous parviennent trop mêlées de facteurs sociaux pour pouvoir être isolées. Nous devons, au contraire, chercher une validation de ces critères, retenus par l'analyse facto-rielle, en accord avec les théories générales : théorie de la personnalité, de l'apprentissage, etc. Ceci suppose un groupe de référence, incarnant la théorie en question : par exemple, groupes de névrosés servant de groupes de référence pour des facteurs hypothétiques sur la névrose, etc. Eysenck1355 prend pour exemple les facteurs : radical et tendre, qu'il retient dans le domaine politique, parce qu'ils cadrent à la fois avec la position des partis politiques et les théories psychologiques. Ce point de vue est plus intéressant par son orientation que par la précision de la technique, car l'identification des facteurs demeure hypothétique. Complémentarité des diverses conceptions et techniques o Quelles conclusions pouvonsnous tirer de ces diverses conceptions, en ce qui concerne les deux questions posées au départ : Le test mesure-t-il bien ce qu'il est censé mesurer ? La prévision est-elle juste ? Sur le premier point, nous ne possédons pas plus qu'avant de définition de l'aptitude, ni des facteurs. La plupart des auteurs sont parvenus à une conception modérée, c'est-àdire qu'ils veulent éviter, pour justifier des réussites empiriques, de réifier les facteurs et ressusciter, sous le nom d'aptitudes, les « facultés » du Moyen Age. Ils se contentent d'admettre que toute tâche nécessite des faisceaux d'aptitudes que le sujet mobilise ensemble, dans un rapport impossible à
déceler. Une « aptitude » implique l'existence de performances qui corrèlent fortement entre elles et sont relativement distinctes d'autres performances. Pour concevoir un facteur mémoire, il faut que les diverses sortes de mémoires, visuelle, auditive, des chiffres, etc., présentent une forte corrélation les unes avec les autres. Dans cette optique, un facteur n'est pas un pouvoir mental hypothétique comme une faculté, c'est une interprétation (également hypothétique) rendant compte des corrélations objectivement déterminées, entre les tests. Le facteur sert, à titre de catégorie, pour classer des performances, plutôt que comme entité causale et explicative. Enfin, comme le note N. Reuchlin (1964), toute possibilité de prévision ne peut faire abstraction d'éléments sociaux. Ceux-ci créent une différence entre une tâche élémentaire simple : appuyer sur un bouton après l'audition d'un stimulus sonore, et une orientation complexe, telle qu'apprendre un métier. Le mot aptitude ne peut s'appliquer avec le même contenu dans les deux cas. Il faut donc admettre, à côté de recherches mettant en cause, avant tout, des éléments physiologiques, une extension des méthodes, débordant de plus en plus les tests d'aptitudes traditionnels. Cette absence de définition précise est, nous l'avons vu, habituelle dans les sciences sociales. Encore faut-il que l'on soit assuré, dans un test, que l'on mesure bien ce que l'on cherche et que la prévision est exacte. Il semble une fois encore que chacun des points de vue énoncés soit juste en ce qu'il propose, mais incomplet et dangereux, sous une forme extrême, par rapport à ce qu'il veut supprimer. Les techniques complexes de recherches d'aptitudes exigent d'être unifiées par une théorie psychologique générale. Les mathématiques ne sauraient dispenser de
penser. La validité des tests, comme des autres méthodes des sciences sociales, dépend du respect des règles techniques, condition de l'absence d'erreur, mais avant tout des bonnes questions posées, c'est-à-dire de la valeur des items. § 4. La fidélité L'exigence de prévision, qui rend essentielle la notion de validité des tests, oblige à concevoir de façon très, stricte la fidélité. Celle-ci concerne la façon de recueillir les données, c'est-à-dire non plus la construction du test, mais toutes les étapes de sa passation. EUe est liée, avant tout, à l'objectivité des méthodes de passation: normalisation, application, notation, etc. Cette notion de fidélité recouvre des contenus différents, qui correspondent aux principales sources de variations, tenant soit aux sujets eux-mêmes, à leurs dispositions particulières (santé, fatigue, attitude à l'égard du test), soit à l'instrument, c'est-à-dire au test et aux activités proposées, soit à l'opérateur. La fidélité traduit d'abord la corrélation entre les notations de plusieurs observateurs. Ensuite, la cohérence et la stabilité du comportement d'un sujet, obtenues par corrélation entre deux tests parallèles ou deux applications successives du même test1356. 747 Ia Présentation, application du test O Peu d'individus sont susceptibles de faire des observations objectives sans un véritable apprentissage. Le plus souvent, les observateurs subissent l'effet de « halo », c'est-à-dire ne différencient pas les aspects divers du comportement du sujet et ont tendance à le juger en bloc, bon ou mauvais. L'étude docimologique1357, ou étude des jugements aux examens, montre que si les conecteurs sont en général constants dans leur tendance à la sévérité ou l'indulgence, les mêmes copies, corrigées par un même professeur à des époques différentes,
n'obtiennent qu'une corrélation parfois à peine égale à 58. Entre huit professeurs, il y a 50 % de désaccord1358. Lorsqu'il s'agit de juger des éléments aussi divers que le rythme de travail, la sociabilité, l'aptitude manuelle, etc., l'accord entre observateurs, même entraînés, ne serait pas plus élevé qu'un accord réalisé par des jugements faits au hasard1359. Les résultats obtenus à des épreuves sont comparables si les épreuves ont été subies de la même façon. Quelle que soit la croyance en la valeur prédictive des tests, celui-ci une fois construit avec toute la vigilance et réflexion possibles, ne sera valide et fidèle, qu'à condition de respecter, d'observer une technique très rigoureuse dans le matériel à utiliser, les consignes à suivre, la façon de juger et de noter les résultats. Ces détails importants concernent : le matériel à utiliser : qui doit être standardisé ; les temps d'application exactement respectés ; les instructions orales qui doivent être suivies à la lettre, de très légères modifications pouvant changer les résultats. 748 2° La notation des résultats : Modes de notation simples o Pour les tests individuels, il n'y a pas grande difficulté à mesurer le temps nécessaire pour l'accomplissement d'une tâche ou compter les réponses justes ou fausses, la note totale pouvant combiner les deux facteurs : temps et exactitude. Pour les tests collectifs, le maximum d'objectivité est atteint avec les réponses à choix multiples, parmi lesquelles il suffit d'indiquer d'une croix la bonne réponse. Mais on ne peut alors distinguer les réponses qui se rapprochent plus que d'autres de la solution juste. Enfin, certains sujets peuvent donner au
hasard la réponse juste1360. Techniques complexes de notation. - Lorsque le test comporte une réponse qu'il s'agit d'interpréter (test de Rosenzweig), l'expérience du psychotechnicien et les consignes très complètes, fournies avec des barèmes expliquant les divers types de réponses, évitent les différences entre les appréciations. Quel degré de fidélité peut-on exiger d'un test ? - Ceci dépend de l'objectif du test et de la technique utilisée. Un coefficient d'équivalence ou d'homogénéité doit atteindre 80 à 90. Pour le coefficient de cohésion (test, retest) on exige un minimum de 70. Comment peut-on améliorer la fidélité d'un test ? - En améliorant les conditions de présentation et d'application. En augmentant la longueur du test, mais on atteint assez rapidement les limites de la bonne volonté du sujet. De toute façon, un test ne se lit pas comme une mesure sur un thermomètre. Lorsqu'il s'agit de conclusions rassemblant les résultats de plusieurs tests, comme c'est le cas dans un examen d'orientation, l'expérience et la valeur de celui qui interprète interviennent dans une proportion difficile à déceler, variable suivant le type de test. § 5. Classification des tests
748-1 Distinctions O Les tests sont extrêmement nombreux et chaque année voit croître leur nombre. Divers systèmes de classification ont été proposes. On peut ranger les tests, soit d'après leur présentation : certains nécessitent un appareillage, des éléments à manipuler, d'autres seulement un papier et un crayon ; soit d'après leur fonction, le but que l'on se propose en les appliquant. Certains auteurs
distinguent les tests analytiques, s'adressant au développement d'une fonction déterminée: sensorielle, motrice, tests d'habileté manuelle et de réactions ; ou mesurant des aptitudes élémentaires : mémoire concrète, intelligence verbale ; certains tests de connaissance, ayant pour but de remplacer les compositions aux examens ; soit au contraire des tests synthétiques, étudiant des aptitudes complexes : aptitude à la musique par exemple. Classification de G. Palmade (1948). Si l'on considère le but des tests, on s'apercevra qu'ils sont utilisés suivant trois tendances. La première inspire ceux qui se soucient d'examens précis et étalonnés, reposant sur des corrélations contrôlées. La deuxième, préoccupée davantage d'une solution en fonction de la vie concrète des professions, s'attachera à un aspect plus global et négligera certains aspects statistiques. La dernière, inspirée davantage de la psychiatrie et de la psychologie pathologique, étudiera les facteurs affectifs profonds d'adaptation au travail. Elle est sur le plan psychologique beaucoup plus élaborée que les précédentes, mais manque parfois de rigueur expérimentale. L'adaptation de l'homme au travail se fait sur trois plans. Plan des aptitudes opérationnelles : tout métier, toute technique, comporte des opérations définies, dans lesquelles la réussite est sans ambiguïté et correspond à des aptitudes données1361. Mais la vie de travail, la façon de travailler, n'expriment pas tout l'individu. Il existe, en dehors des gestes concrets, un élément plus général : le comportement. De plus, tout métier a une signification sur le plan humain et l'on peut considérer au-delà du comportement un domaine des conduites. Si nous admettons cette division en trois grands groupes de facteurs, encore faut-il disposer de moyens de déceler et mesurer ces facteurs. Dans tout examen par test, il y a non seulement ce que
l'on cherche (facteurs manifestant des aptitudes), mais aussi la façon dont on le cherche, qui est, nous l'avons vu, liée aux données symptomatiques retenues pour être interprétées. On peut classer les tests d'après la nature de ces indices, ce qui donne huit types d'examen psychotechnique, pouvant se regrouper en trois méthodes principales : 749 1° La méthode des réussites O Elle s'applique à un grand nombre de cas de réussite, mettant en jeu des facteurs différents. Domaines sensori-moteurs : sélection des conducteurs de véhicules, des aiguilleurs. Domaine intellectuel : test de Binet-Simon et son amélioration par Terman, tests d'intelligence verbale ou technique, de mémoire. Ces tests ont en général une prédictivité élevée. 2° La méthode d'étude du comportement O Des études approfondies mirent à jour, comme responsables d'accidents, de nombreux facteurs autres que les aptitudes : soucis personnels, rapports familiaux, etc. W. Sheldon résumait ainsi ses travaux : « Les gens qui n'ont pas d'accident, ce sont les gens heureux et sains. » En dehors de facteurs psychosociaux, dont ne tiennent pas compte les tests purement opérationnels, certains traits de la personnalité jouent également un rôle non mesuré, par exemple le sens de la responsabilité. Les praticiens ne sont pas toujours d'accord sur les facteurs de réussite eux-mêmes. Quel est l'élément le plus important pour un bon conducteur : la prudence et la réflexion, ou la promptitude de décision et la rapidité des réflexes ? A partir de ces constatations, deux tendances se sont affrontées. Ceux qui insistent sur la précision des tests, leur rigueur, le respect des consignes et l'étude des corrélations, le reste
pour l'instant relevant de l'intention et n'étant pas mesurable. Ceux qui estiment, au contraire, que l'être humain est trop complexe pour être entièrement réductible à la mesure et qu'une attitude clinique souple doit compléter la rigueur des résultats quantitatifs, obtenus en laboratoire. La méthode Carrard O Caractéristique de cette deuxième attitude, on trouve une méthode d'étude du comportement, connue sous le nom de méthode de A. Carrard, du nom de l'ingénieur suisse qui s'en est fait le propagandiste actif. Un certain nombre de psychologues et psychotechniciens (de Zurich en particulier) ont réuni un ensemble de tests (double chariot, gravimètre, réglette) propres à l'étude des aptitudes, mais surtout révélateurs du comportement. Indépendamment de cette école zurichoise, des psychotechniciens de tous les pays ont également essayé de déceler le comportement général ou particulier, à partir des tests. Il ne s'agit plus de méthode au sens précis du terme, elle n'est ni contrôlable ni transrmssible. La richesse des observations va dépendre surtout des qualités du psychologue. Finalement, ce n'est pas le facteur réussite au test qui compte, le plus important est l'observation du sujet. L'on arrive à ce paradoxe : « n'importe quoi peut servir de tests », ce qui, à strictement parler, constitue la négation même des tests. Cependant, vu l'intérêt de cette orientation, on a tenté de systématiser les observations. Pour le professeur Lagache il ne s'agit plus de mesure quantitative : à quel degré le sujet a-til réussi ? mais d'un processus qualitatif : comment s'y est-il pris pour réussir ? On évite l'écueil de la définition philosophique de la structure de la personnalité, pour s'attacher à la structure des conduites. On ne se demande pas ce que signifie l'intelhgence et si on la mesure bien, mais seulement quelle est la forme d'intelligence manifestée, par quoi elle
se caractérise. On se trouve ainsi sur un terrain moins dangereux et extrêmement riche, car le concept de réussite ou d'échec représente une simplification par rapport à la vie. L'on peut réussir plus ou moins, mais surtout réussir grâce à des moyens différents. 3° L'étude des conduites O Au-delà du comportement formé par l'ensemble des réactions concrètes d'un individu à une situation immédiate, en face d'un test ou devant son travail, existe un comportement plus global, lié au caractère de l'individu et que l'on peut considérer sous le terme général de conduite. Certaines méthodes sont plus spécifiquement adaptées à l'examen de ces facteurs. a) La méthode synthétique des traces o Le diagnostic est porté sur des traces au sens propre du terme : écriture ou dessin. La graphologie révèle la personnalité du sujet par les transformations qu'eUe fait subir à l'écriture. R. Bonnardel déclarait : « La graphologie doit comporter une certaine part de vérité. Le point délicat est de déterminer laquelle. » Même sans atteindre une grande précision elle est très utilisée en France pour embaucher dans les entreprises. Moyen d'appréhension globale de la personne plus que recherche d'aptitudes précises, eUe offre le grand avantage de s'effectuer en dehors de la présence du candidat et d'éviter le traumatisme de questions indiscrètes, posées dans un entretien en face-à-face. 754 h) Les questionnaires et inventaires O D'après le professeur P. Pichot (1954) : « Les tests de personnalité comprennent les épreuves qui explorent tous les aspects non inteUectuels, au sens large, de la personnalité, c'est-à-dire ses aspects affectifs ou
conatifs (volitionnels). » La méthode du questionnaire, comme son nom l'indique, consiste à poser un grand nombre (120 à 200) de questions, supposées avoir une valeur symptoma-tique. Parmi les tests connus, on peut citer : l'inventaire de personnalité de Bem-reuter ; le profil de tempérament de Guilford Martin ; le test 16 PF de R B. Cat-tell ; le test 16 PF de Mineesota ; les Pressey Cross-out tests et beaucoup d'autres. Le défaut essentiel de ces tests (d'un point de vue psychotechnique, il condamne presque à lui seul la méthode, écrit Palmade), c'est que les sujets comprennent plus ou moins la valeur indicative de la réponse. A une question teUe que « les obstacles vous stimulent-ils ou vous découragent-ils ? » le jeune cadre, voulant se faire embaucher dans une grande entreprise, saura d'emblée ce qu'il faut répondre pour que sa canditature ait des chances d'être retenue. La méthode est surtout utilisable à titre complémentaire. 755 c) Les tests projectifs O L. K. Frank, en 1939, proposa le terme de Méthodes projectives pour l'étude de la personnalité. Les tests projectifs sont nés en Europe, dans les pays de langue allemande, où les recherches psychologiques ont porté sur une psychologie des profondeurs, très différente de la psychologie quantifiée des Américains. Ceux-ci ont, à leur tour, largement utilisé les méthodes projectives. La notion même de projection est psychanalytique. D'après les théories de Freud, la projection est un mécanisme de défense du moi. Si l'idée d'un lien entre la projection et la défense du moi est abandonnée, du moins certains postulats concernant la notion de personnalité sont-ils maintenus. Celle-ci comporte des
processus dynamiques. Or, ce qui est dynamique implique une structure et celle-ci résulte d'une adaptation. Le comportement de l'individu constitue une interaction entre la structure de la personnalité et le milieu. Cette structure est inconsciente et la projection a pour but de la découvrir. Connaissant le stimulus du test, on peut observer ou déduire le processus d'adaptation, révélateur de la structure. Les tests projectifs présentent, par rapport aux autres, certaines particularités. D'abord, pour eux, il n'y a pas de réponse juste ni de réussite, mais une grande variété de réponses possibles. Ensuite, à l'inverse des questionnaires, le sujet ne connaît pas la signification ou l'importance de sa réponse, celle-ci a besoin d'être interprétée par un spécialiste. Enfin, le contexte est important, c'est-à-dire que tous les éléments de réponse comptent et il faut un grand nombre de réponses pour permettre une interprétation, sinon certaine, du moins plausible. Le test de Rorschach. - Le test le plus important, le plus utilisé, est le Rorschach, du nom d'un psychologue suisse qui l'inventa en 1921. Il est composé de dix planches représentant des taches d'encre, de formes différentes, dont cinq sont colorées. On demande au sujet de dire ce que représentent les taches. Voit-il l'ensemble ou plutôt le détail de la tache ? perçoit-il plutôt la forme, la couleur ou l'image d'un mouvement ? quel est le contenu des interprétations du sujet ? On tient compte également de l'originalité ou de la banalité de la réponse, de l'ordre de succession, etc. Les tests constructifs : le test de mosaïque de Lôwenfeld, comportant 465 petites plaques de matière plastique, de
formes et dimensions différentes que le sujet doit grouper comme il l'entend ; Le test du monde, très utilisé, dérivé d'une idée du romancier H. G. Wells, élaboré par le même Lôwenfeld et perfectionné. Il comprend 150 jouets de bois : personnages, maisons, arbres, que le sujet doit disposer ; le test du village ; le test de poupées marionnettes, personnages à grouper dans un petit théâtre. Méthode des champs significatifs. - On demande au sujet de prendre position ou de choisir dans un ensemble, sans qu'il puisse deviner les conséquences de son choix. C'est le cas du test de Szondi : 48 photographies de visages représentant un sadique, un épileptique, un homosexuel, un paranoïaque, etc., sont présentées au sujet, qui doit indiquer les deux qu'il préfère, les deux qu'il aime le moins. Les choix sont reproduits sur un profil qui indique les tendances profondes. Les tests interprétatifs. - Le T.A.T. (Thematic aperception test) de Murray est, avec le Rorschach, un des tests les plus employés. C'est aussi le plus proche des conceptions psychanalytiques. On présente au sujet 30 images, figurant des personnages dans des situations à signification ambiguë. Il doit imaginer une histoire pour ces personnages ou s'identifier avec l'un d'eux. Le choix des images est le résultat d'un très grand nombre d'expériences. L'interprétation des réponses du sujet concerne à la fois ses réactions : changements de ton, hésitation et le contenu des histoires : thèmes abordés, projection du sujet et relation avec son environnement. Le test de frustration de Rosenzweig. - Une série de dessins représentent des personnages
subissant une déception ou une frustration. On demande au sujet d'écrire ce qu'il dirait, s'il se trouvait dans la situation représentée. Par exemple, on figure un étudiant dans une bibliothèque, se voyant refuser le prêt de livres. Dira-t-il : « ce règlement est absurde », ou « vous pouvez bien faire une petite exception pour moi ? », ou « excusez-moi, je ne savais pas », etc. ? Il existe aussi des tests d'association de mots, de phrases à compléter. Tous ont été établis par des psychologues pour découvrir des aspects de la personnalité. Peu ont été étendus à des domaines voisins, tels que la psychologie sociale. Aux États-Unis, on cite le test de Proshansky qui transpose le T.A.T. de Murray à l'analyse des conflits sociaux. Le test de Rosenzweig a été également adapté pour révéler les tendances autoritaires ou démocratiques. En France, l'Institut Français d'Opinion Publique a proposé une série de dfx photographies représentant des scènes de grèves, d'occupations d'usines, de bagarres, d'arrestations de Nord-Africains. Les commentaires des sujets permettraient de discerner leurs tendances politiques de gauche ou de droite. Plus que d'un test véritable, il s'agit d'une épreuve précédant un questionnaire d'opinion1362. On peut imaginer des tests de science politique, ou révélant certaines attitudes économiques, mais il est difficile d'isoler dans la personnalité un facteur pur inspirant les opinions politiques. Cependant, H.J. Eysenck (1948) a construit des questionnaires d'opinion révélant certains traits de la personnalité liés à des attitudes politiques : conservatisme, radicalisme et cherché des coreélations entre certaines attitudes antisémites ou ethnocentristes. Avant qu'un test, surtout un test projectif, soit reconnu valide, il faut une très longue période d'utilisation et de très nombreuses
expériences de validation. § 6. Valeur et intérêt des tests
756 Valeur O Nous avons insisté sur l'élément de prévision qui donne son intérêt à la méthode des tests. Mais ceux-ci ne représentent-ils pas, finalement, un moyen peu sûr et bien compliqué de découvrir ce que l'on trouverait, à moindre frais, avec un peu d'intuition et de bon sens ? En tout cas, la connaissance que les parents, éducateurs ou employeurs peuvent avoir de ceux dont ils ont la charge, n'est-elle pas plus sûre que des tests ? Pourquoi avoir recours à l'orientation professionnelle ? Binet n'avait-il pas raison de parler d'une méthode « de luxe » ? Il ne semble pas. D'abord, la méthode des tests, loin d'être un luxe, représente au contraire un moyen relativement rapide de sélectionner un grand nombre d'inconnus, par exemple dans l'armée. Ensuite, elle a pour but de recueillir des informations objectives, grâce à des observateurs entraînés ; l'appréciation des parents est rarement objective. Enfin, le test organise le jugement en fonction du but à atteindre, alors que les parents, s'ils peuvent connaître leur enfant, ignorent en général les qualités requises pour les tâches à accomphr. On peut considérer la méthode des tests comme un moyen objectif complémentaire, pouvant aider à porter un jugement et à prendre une décision. Suivant la nature de rinformation cherchée (aptitude physique, personnalité), les renseignements que procurent les tests seront plus ou moins sûrs, plus ou moins précieux. La valeur et l'intérêt de la méthode des tests ne peuvent être niés, mais tout le monde n'est pas d'accord sur les limites à lui assigner. On constate un double courant, d'une part, une extension de la méthode des tests, sous l'influence des nécessités du monde moderne, d'autre part, des critiques nombreuses sur son
utilisation, souvent sans qu'une distinction nécessaire soit faite entre les divers types de tests. 757 Io Extension de l'utilisation des tests O La production de tests a subi un accroissement considérable pendant ce dernier quart de siècle1363. Malgré les nombreuses critiques dont ils continuent à faire l'objet, leur utilisation croissante répond à certains impératifs de notre époque. a) Les nécessités de l'enseignement o L'extension de la scolarité, la tendance à la démocratisation de l'enseignement, la complexité des programmes et la division des matières ont rendu plus complexes les problèmes d'adaptation et d'orientation, d'où l'utilisation de tests, pour obtenir des renseignements objectifs, complémentaires des examens classiques1364. b) Les nécessités de la formation et de la sélection o Depuis les succès obtenus par Lahy dans la sélection des chauffeurs de tramways, les compagnies de transports utilisent des tests pour le recrutement de leurs conducteurs ou pilotes. En sélection préventive, ils sont appliqués pour écarter des postes dangereux les sujets prédisposés aux accidents. Face au nombre de suicides chez les policiers, on envisage un soutien psychologique. Il serait aussi utile de prévoir surtout une meilleure sélection. On a perfectionné les tests en vue de la sélection du personnel, non seulement pour les tâches parcellaires, mais aussi pour l'apprentissage des techniques complexes de l'industrie moderne. On utilise les tests de personnalité, en particulier les questionnaires, pour la sélection des cadres dans de grandes entreprises. 760 c) Nécessité de l'aide technique aux pays
sous-développés O L'aide technique revêt de nombreuses formes, suivant qu'il s'agit d'industrialisation ou de formation d'un artisanat rural. Elle implique toujours que soient rapidement résolus des problèmes de formation ou promotion de la main-d'œuvre. Des tests, spécialement choisis et adaptés à des individus peu ou pas du tout scolarisés, sont apparus le moyen le plus rapide de déterminer l'éducabilité de ces sujets. La difficulté provient de la nécessité de tenir compte des différences culturelles. 761 2° Limites d'utilisation O II ne s'agit pas ici de reprendre le problème technique de la validité des tests, mais de considérer certaines critiques que suscite leur emploi et les cas dans lesquels on les utilise. Celles-ci portent moins sur la méthode elle-même que sur ses excès, sur les ambitions, jugées illégitimes, de ses utilisateurs, en particulier dans le cas de tests de personnalité. 762 a) Le test ne donne pas de certitude, il est forcément incomplet O S. Pacaud (1955) cite le cas d'un mécanicien de locomotive, responsable de plusieurs accidents qu'il expliquait par une suite de coïncidences malheureuses. Or il rut démontré, par des tests complémentaires, que cet homme avait fort bien acquis les automatismes psychomoteurs utiles, mais qu'il était perturbé lorsque au stimulus habituel s'ajoutait un stimulus complémentaire. On a pu constater que l'échec d'un individu dans son métier provenait rarement de son inaptitude à apprendre les gestes utiles, mais le plus souvent de sa difficulté à se débarrasser des actes inadaptés. Ceci nous paraît extrêmement important1365, car la plupart des tests sélectionnent simplement en fonction des possibilités d'acquisition d'automatismes de métier et sont donc de ce fait insuffisants. S'il paraît, dans tous les cas, prudent de ne pas attendre des tests plus qu'ils ne peuvent
donner, il faut surtout être circonspect en ce qui concerne les tests de personnalité. Établir des normes de jugement et de réflexes pour la sélection de conducteurs d'autobus, paraît raisonnable. Mais les infonnations recueillies concernant la personnalité des individus et surtout l'établissement de ce qui est normal ou pas, semble infiniment plus imprudent, car, ou le test n'est pas valide et donne des ^formations fausses, ou il est valide et se pose alors le problème du respect de la personne. b) Le test est établi par rapport à une moyenne o Sélectionner les individus aboutit forcément à écarter les éléments originaux, qui ne cadrent pas avec la norme établie par les tests. Car ceci est essentiel : un test n'est pas révélateur d'une aptitude en soi, mais d'une aptitude par rapport à celle d'autres individus. Tel sujet fait dix erreurs alors que la moyenne des sujets en fait trente. Tel sujet réagit avec telle rapidité, alors que la moyenne des sujets réagit deux fois plus vite. Il ne faut jamais perdre de vue cet élément capital : la relativité du test, qui est toujours établi par rapport à une population donnée. c) Le test est établi et interprété par des hommes O Dans les tests projectifs et les questionnaires de personnalité, l'influence du créateur du test est importante : le test n'est qu'un moyen de saisir une information et ce moyen recèle toujours une part d'arbitraire. L'influence de celui qui administre le test est également considérable. Sa valeur, sa personnalité, son expérience professionneUe et personnelle, comptent beaucoup dans les tests de conduite, alors que dans les simples tests de réussite l'appréciation est réduite au minimum. 765 d) Le test projectif viole la personnalité du sujet o La généralisa-tion de la méthode des tests aux États-Unis a été critiquée par les Américains eux-mêmes.
C'est ainsi que W. H. Whyte jr, dans son ouvrage L'homme de l'organisation1366 explique comment mentir aux tests, pour être embauché dans une grande entreprise. Le système étant établi par rapport à l'ensemble de la population, on a intérêt à ne pas trop se singulariser, à rester proche du normal, tout en essayant de n'être pas trop éloigné de ce que l'on est vraiment. Ces méthodes bien que de plus en plus utilisées sont beaucoup moins répandues en France, où elles suscitent à la fois méfiance et ironie1367. Les syndicats se montrent réticents, d'une part dans la mesure où les services d'embauché tendent à dépasser le simple niveau des aptitudes professionnelles et cherchent des informations sur le comportement des individus, d'autre part et surtout, dans la mesure où le sujet n'est pas tenu au courant des résultats de ses épreuves. Des tests, comme un examen médical, peuvent se concevoir, mais en fonction d'abord de l'intérêt du sujet, qui doit être averti de ses aptitudes et de ses faiblesses et ensuite, dans l'intérêt général de l'entreprise et dans celui de la société. Il faut cependant comprendre la tendance des psychométriciens à essayer de porter un diagnostic au-delà des seules réussites et la tentation des patrons de se servir de ces indications. Comme le remarque S. Pacaud (1955) : «A l'heure actuelle, l'adaptation de l'homme à son métier, et même de la machine à l'homme, est moins urgente que l'apaisement, à l'intérieur de l'entreprise, des conflits intrahumains et des conflits de groupes. » Utilisés de façon raisonnable, les tests peuvent aider l'orientation et la sélection. Ceci à condition que soient respectés, en dehors des consignes techniques, un certain nombre d'impératifs : respect du sujet soumis au test, non pas mesuré comme un objet, mais
comme une personne ayant droit à la connaissance des résultats, prudence du psychotechnicien vis-à-vis de ses conclusions. Celles-ci constituent seulement des indications. Elles sont soumises aux aléas des interprétations et comportent de nombreuses lacunes. Avec ces réserves, on peut admettre que, l'individu étant plus heureux lorsqu'il accomplit une tâche pour laquelle il est doué, une sélection bien faite concourt à la fois à l'épanouissement individuel et au rendement dont bénéficie la collectivité. 766 Bibliographie o
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SECTION 3. LA MESURE DES ATTITUDES ET DES CHANGEMENTS Vvhile you and I have lips and voices which Are for kissing and to sing with Who car es ifsorae one eyed son ofa bitch Invents an instrument to measure Spring with. E. E. Cummings. § 1. Les caractéristiques des attitudes 1368
767 1° Les changements d'attitudes O Connaissant le rôle des attitudes1369 on peut émettre rhypothèse qu'une attitude changera plus facilement, lorsqu'elle ne remplira plus sa fonction. Il est donc utile de connaître celle-ci. On peut imaginer qu'en supprimant certaines raisons d'anxiété on rendra inutiles les attitudes de défense correspondantes, ou qu'en donnant des informations répétées sur un sujet précis, on.modifiera des cadres de références anciens, donc des attitudes fondées sur des erreurs de jugement ou d'appréciation. Ce changement sera plus ou moins probable, plus ou moins facile, suivant les individus et surtout suivant les caractères de l’attitude. Il convient d'abord de connaître le degré de consistance de l'attitude, autrement dit sa solidité, sa persistance, lorsqu'elle se trouve en face d'un stimulus semblable, mais aussi dans des occasions différentes. Ensuite, la cohérence de l'attitude, son degré de corrélation avec d'autres attitudes et la zone, l'étendue qu'elle recouvre, c'est-à-dire sa spécificité ou sa généralisation. Un individu raciste acceptera mal qu'un Noir habite dans son immeuble, mais en embauchera facilement un comme chauffeur. Enfin, l'intensité de l'attitude va souvent de pair avec l'étendue et la cohérence. Plus une
opinion est intense, plus elle tend à recouvrir un grand nombre d'attributs. On ne peut traiter des changements d'attitude, sans signaler cet élément important de la psychologie sociale que constitue la résistance au changement. Elle renforce toutes les attitudes existantes et l'élément d'économie, de refus d'adaptation à la nouveauté, qu'elles contiennent. 768 La rigidité O La résistance au changement est liée à un trait de personnalité : la rigidité, c'est-à-dire la force de maintien des attitudes. Les individus sont, pour la plupart, aveugles et sourds à ce dont ils n'ont pas l'habitude. Ceci explique qu'ils ne lisent que les journaux les confirmant dans leurs opinions, écoutent seulement ceux qui sont de leur avis, etc. La rigidité rend certaines personnes, non seulement incapables de s'adapter rapidement, mais encore de tolérer l'ambiguïté, c'est-à-dire l'indécision et le doute. Bien des individus ont un comportement apparemment courageux ou décidé. La vérité c'est qu'ils refusent inconsciemment de poser les problèmes et d'hésiter sur ce qu'il faut faire. Ils ont, certes, le courage d'appliquer les principes qu'ils ont reçus ou adoptés, mais pas celui de les remettre en cause. Avec ce genre de sujet, la prévision du comportement sera plus facile. On s'est demandé si de tous les facteurs de modification des attitudes, la réalité ellemême, ne pouvait être considérée comme le moyen le plus puissant d'amener un changement, lorsqu'elle contredisait l'attitude. Or, l'expérience prouve que certains individus deviennent même incapables de percevoir la réalité. Ils vivent de préjugés, de stéréotypes. Leur pensée ne cherche plus qu'à s'entretenir elle-même. L'expérience faite à propos du film prodémocratique, antiraciste « Don't be a sucker »1370 montre que les spectateurs,
pour la plupart, ne se rendaient pas compte qu'un grand nombre des réactions qu'ils désapprouvaient dans le film étaient justement les leurs. Un exemple plus frappant encore, est celui d'un groupe d'Américains qui, ayant cru la fin du monde proche, ont par la suite réinterprété les faits de façon à justifier leur croyance1371. Leur foi seule avait empêché la fin du monde qui devait survenir. Ce que Festinger appelle une « dissonance »1372, c'est-à-dire une contradiction entre rattitude et la réalité, s'est ainsi résolue sans changement d'attitude. La possibilité de changement est inversement proportionnelle à la rigidité de rattitude et à l'intensité du besoin qu'elle satisfait 2° Les recherches sur les attitudes O Les Américains ont été amenés à étudier les changements d'attitude, du fait des problèmes posés par la guerre, l'hitlérisme et les préjugés raciaux. Leurs recherches se sont ensuite étendues à bien d'autres domaines, tels que la modification des attitudes des consommateurs, vis-à-vis de certains types de nourriture,^des ouvriers vis-à-vis de leur travail, etc. De même que l'armée fut aux États-Unis la première à utiliser les tests sur une grande échelle, pour la mesure des aptitudes, c'est elle qui se préoccupa des mesures d'attitudes, dans un but de prévision du comportement des soldats au front, de leur résistance à la propagande au cas où ils seraient faits prisonniers, de leur réadaptation à la vie civile, etc. Le soldat américain O La première étude importante, comportant un grand luxe de détails méthodologiques, est la fameuse enquête sur le soldat américain dirigée par S. Stouffer, dans laquelle le volume IV est consacré à la mesure des attitudes1373. Y a-t-il des individus présentant des
caractéristiques fascistes innées, plus ou moins latentes, que des circonstances favorables révéleraient. Quelles sont les causes et composantes de ces attitudes, quels sont les liens entre elles ? En découvrant l'une d'elles, ne pourrait-on prévoir la probabilité d'apparition des autres ? C'est ce qu'a essayé de faire T. W. Adorno (1950), dans sa recherche sur la person-nalité autoritaire. 771 La personnalité autoritaire O On doit à Adorno la première tentative de replacer les attitudes dans le contexte de la personnalité totale, celle-ci étant elle-même liée à la culture. L'hypothèse de travail était la suivante : la personnalité autoritaire se caractérise par des attitudes et des opinions qui se différencient de celles des autres personnalités, en particulier en ce qui concerne les types de jugements et opinions, présentant entre eux des corrélations. Ces jugements et opinions sont sélectionnés d'après des questionnaires, constituant d'abord l'échelle F ou échelle de fascisme, puis l'échelle d'E ou ethnocentrisme, enfin, l'échelle socio- économique. Sur le plan de la méthode, c'est également la première fois, en ce qui concerne les attitudes, que plusieurs techniques sont utilisées concurremment et avec une volonté aussi manifeste, sinon totalement efficace, de procéder scientifiquement. Deux mille enquêtes ont été interrogés. De petits échantillons ont ensuite subi des interviews en profondeur et des tests projectifs. Les résultats de ces diverses techniques ont ensuite été comparés. Il semble que la personnalité fasciste soit antisémite, ethnocentriste, c'est-à-dire très fortement centrée sur son groupe et peu favorable aux autres, considérés comme une menace pour sa sécurité. Le fasciste pense fréquemment en termes de préjugés et stéréotypes : admiration pour les hommes forts, mépris pour les intellectuels, les
étrangers. Ayant une personnalité rigide, sans aucune résistance à l'ambiguïté et au doute, il n'exerce pas volontiers son esprit critique et préfère admettre, sans remise en question, les valeurs adoptées : sens de la hiérarchie, culte du chef, fidélité au groupe. Sur le plan économique et social, il est conservateur et s'oppose à l'intervention de l'État. Nous ne pouvons critiquer Ici tous les aspects de la méthode suivie, en particulier dans le choix des questions, ni les simplifications auxquelles elle aboutit1374. Nous voulons seulement signaler cette étude importante et compléter ses résultats par quelques remarques faites par H. j. Eysenck (1954). 772 Le schéma d'Eysenck O [Illustration impossible à rreproduire] Cet auteur est frappé, à juste titre, par les limites de la notion de continuum droitegauche et le fait que certains traits de personnalité autoritaire, se retrouvent aussi bien chez les fascistes que chez les communistes. Il en conclut que le simple continuum est insuffisant et qu'une double distinction est indispensable. Il propose de maintenir une première opposition : conservateur-radical, sur une ligne horizontale. Il emprunte à James, la deuxième, verticale : durs-tendres. Eysenck donne l'exemple des bas de soie que l'on peut distinguer à la fois par le fil plus ou moins fin et la maille plus ou moins serrée. On voit ici dans le secteur en haut et à droite ce qui concerne plutôt les réactions fascistes et en bas, un certain type de libéralisme. Tandis qu'à gauche, on a en haut le point de vue communiste et en bas une certaine gauche humaniste. Les quatre dimensions permettent de nuancer les positions, les attitudes, plus que la simple ligne ne comportant que deux extrêmes.
773 3° Conditions et limites de la prévision des attitudes o On peut distinguer : a) D'une part, la prévision d'une attitude particulière à partir d'une autre attitude particulière ou d'une attitude plus générale (cas de rethnocentrisme et de l'antisémitisme) ; par exemple, l'attitude vis-à-vis des Noirs, attitude particulière de tel individu appartenant à un parti de droite (attitude générale). b) D'autre part, la prévision d'un comportement précis dans une situation donnée, à partir d'une attitude connue, par exemple peut-on prévoir comment tel individu raciste, se comportera devant un Noir qui a besoin d'être aidé ? Il s'agit là de deux questions tout à fait différentes, qui expliquent ce que pourraient avoir de contradictoires, d'une part, l'affirmation que les attitudes sont liées entre elles et d'autre part, la constatation que l'on ne peut prévoir avec certitude un comportement réel à partir d'une attitude. L'exemple le plus fréquemment avancé est celui du sociologue R.T. La Piere (1934), qui, en 1930-32, voyageant aux États-Unis avec un jeune ménage chinois, fut fort bien accueilli dans les hôtels et restaurants, alors qu'aux lettres envoyées préalablement, posant la question : « Acceptez-vous des Chinois comme clients ? », 92 % des restaurateurs sur les 51 % qui répondirent le firent négativement. La question de La Piere n'était pas, en fonction d'une prévision, une bonne question. Révélatrice sans doute de l'opinion ethnocentriste des hôteliers, elle ne permettait pas de prévoir comment ils adapteraient leur attitude à la réalité sociale précise dans laquelle elle aurait à se manifester. En effet, en période de crise économique, la question écrite suggérait sans doute la venue de Chinois loqueteux. Elle n'avait rien de commun avec la réalité : l'arrivée de clients corrects et bienvenus parce que rares.
774 Limites à la prévision O On peut seulement dire que l'attitude ou l'opinion, extériorisée dans une situation donnée, représente l'attitude de cet individu dans telle situation. Nous insistons ici sur la tendance regrettable de certains à considérer certaines attitudes comme « réelles » ou « vraies », alors que d'autres seraient fausses. Du point de vue de l'observateur, toutes les attitudes sont également réelles et vraies. Qu'il puisse trouver entre elles des corrélations plus ou moins parfaites, est un problème qui n'a rien à voir avec la vérité ou la réalité des attitudes. Le comportement ne dépend pas seulement de l'attitude. Entre celle-ci, dictée par des motifs intérieurs, et le comportement réel, jouent les écrans de la politesse, de la pression sociale, de la peur, etc. Entre une attitude qui tend à donner une certaine réponse à une situation et les éléments extérieurs qui vont atténuer ou corriger cette réponse, on trouve des deux côtés des facteurs plus ou moins contraignants. Un adolescent peut avoir vis-àvis de son père une attitude très hostile, dont la manifestation sera inhibée par la crainte. Malgré ces difficultés, la mesure des attitudes garde tout son intérêt car la connaissance de l'intensité, de la cohérence, du degré de force ou d'organisation de telle attitude, chez tel individu, donne tout de même plus de chances de prévoir son comportement. De plus, il faut pouvoir mesurer les attitudes pour apprécier leurs changements et évaluer l'effet des facteurs dont on cherche à connaître l'influence. § 2. Les techniques de mesure des attitudes. Les échelles 1375
775 Comparaisons et jugements O Les techniques des sciences sociales servent à observer les réactions et attitudes humaines. Elles recueillent des données pour ensuite les analyser. Elles ne se contentent pas de constater en bloc des différences : il existe des
opinions internationalistes et des opinions nationalistes, mais elles distinguent les composantes des attitudes, réactions et comportements. L'analyse ne représente qu'un premier stade. Rapidement, le chercheur est amené à comparer et chercher la proportion de tel ou tel élément par rapport à tel autre. Pour atteindre cet objectif, il voudra reœeillir les données nécessaires, de la façon la plus apte à faciliter ses études ultérieures. La méthode, la plus employée1376, est la méthode des échelles. Elle demande au sujet de réagir verbalement par une approbation ou une réprobation, un accord ou un refus, à une série d'interrogations ou de propositions standardisées. Le propre de l'échelle consiste à transformer des caractéristiques qualitatives en une variable quantitative, et pour cela à attribuer automatiquement à chaque sujet, d'après ses réponses, une position le long d'une écheUe allant d'une approbation enthousiaste à une désapprobation totale, en passant par des stades intermédiaires. 776 1° Les échelles d'attitude O
L'attitude ou opinion, par rapport à une question, peut se considérer à plusieurs points de vue : religieux, politique, etc. Ce sont les attributs de cette attitude. Leurs relations mutuelles rendent saisissable le champ de l'attitude. Ces attributs, dans leur ensemble, définissent un univers, un continuum, celui de l'attitude dont ils sont les attributs. On peut admettre que dans un questionnaire, chaque question, ou lot de questions, se rapporte à un seul attribut et l'ensemble des questions à une seule attitude. Tous les attributs d'une attitude ne sont pas forcément mis en cause. Les attributs en rapport avec les questions
posées constituent alors un échantillon de l'univers d'attributs. L'échelle de mesure d'attitude doit séparer les attributs de celle-ci, situer le sujet interrogé et éventuellement permettre une prévision de comportement. Les items O L'échelle tient sa valeur de l'ensemble des questions posées ou items, de leur lien avec l'attitude qu'elles ont pour but de mesurer, de leur valeur de discrimination et de diagnostic. Les items d'une échelle ne représentent jamais qu'un échantillon de l'univers de cette attitude. Il faut donc retenir les plus significatifs, les plus révélateurs, c'est-à-dire ceux qui sont les plus étroitement liés à rattitude que l'on veut mesurer. Ce lien peut être apparent. Une proposition telle que « La Russie fait des efforts sincères pour que les NationsUnies puissent fonctionner ^normalement », mesure manifestement l'attitude vis-à-vis de la Russie. Étant donnée la complexité du problème de nos croyances et attitudes, de leurs liens cachés entre elles, un item peut relever d'une attitude autre que celle à laquelle il semble se rattacher. Il peut même être volontairement indirect, pour ne pas susciter de défense chez l'enquêté : par exemple un item sur l'importance des valeurs religieuses dans une échelle d'attitude vis-à-vis du communisme. Mais, apparent ou pas, le lien, entre l'item et l'attitude, est toujours testé et validé avant d'être utilisé. L'efficacité O Pour qu'une échelle soit efficace, les items doivent, non seulement distinguer les individus situés aux extrémités du continuum, mais également échelonner les autres suivant les nuances de leur attitude. Les items ne doivent pas se chevaucher, mais être gradués, de façon parallèle aux attitudes réelles. Bien entendu, il existe toujours des influences perturbatrices, qui feront que certains
sujets, pour une raison personnelle, auront une opinion particulière sur l'un ou l'autre item. Tel individu, d'opinion raciste, fera une exception pour la race jaune, parce qu'il a fait un agréable séjour au Japon. Il est donc préférable d'avoir un nombre d'items assez grand, pour que les cas particuliers s'annulent. Cependant, un questionnaire trop long est lourd et difficile à manier. Il faut trouver un compromis entre la sécurité et la maniabilité. Imaginons une question impliquant trois réponses possibles : oui, non, sans opinion. Ceci permettrait de classer en trois groupes la population ayant répondu. Si l'on pose deux questions, on aura, en combinant les diverses possibilités, neuf groupes : ceux qui répondent oui aux deux questions, non aux deux questions, sans opinion aux deux questions, oui à la première, non à la deuxième, etc. Si l'on veut mesurer, par exemple, des attitudes raciales par trois questions, on peut admettre, suivant le type de question, que l'individu A répondant oui aux trois questions, a des préjugés plus forts que celui qui répond non. Mais comment comparer ces individus, si A répond oui à la première question, non à la deuxième, alors que B fait le contraire ? Evidemment, si la première question est « Êtes-vous favorable à la pratique du lynchage ? » et la deuxième « Aimeriez-vous que votre fille épouse un Noir ? », on fait aisément la différence entre les réponses aux deux. Les items sont en général prévus de façon plus nuancée. Pour pouvoir situer les individus d'après leurs réponses aux questions ou items, encore faut-il que ceux-ci aient une signification, une valeur différente connue. La pondération consiste justement à donner une valeur numérique à chaque item, ce qui permet d'attribuer un score total à l'individu. Les procédés de pondération varient, ainsi que nous le verrons, suivant
les échelles. 779 L'unidimensionncdité O La peine que l'on s'est donnée pour quantifier des attitudes doit être justifiée par les services que rendra cet instrument de mesure. Il ne suffit pas qu'il soit commode, il faut surtout qu'il soit juste, c'est-à-dire que l'échelle mesure bien l'attitude en question et ne mesure que cette seule attitude. L'écheUe doit être unidirnensionneïle. Pour cela, les étapes techniques qui président à l'élaboration de l'échelle, doivent être respectées. Par exemple, si nous voulons mesurer sur une échelle l'intérêt que Messieurs ABC éprouvent pour Madame X et que nous retenons comme critère quantitatif le nombre de kilomètres qu'ils sont prêts à parcourir en voiture pour la rejoindre, notre échelle risque de mesurer l'attrait qu'exercent sur eux la conduite automobile (peut-être l'un d'eux a-t-il une nouvelle voiture 1), autant que celui de Madame X. 2° Les différentes mesures O
La mesure est une notion complexe. EUe va s'appliquer à des données, à des informations que l'on ne peut mesurer directement, comme on mesure la longueur d'une table. Ces informations sont obtenues par des procédés qui varient suivant les techniques. On peut évaluer, par exemple, l'attitude d'un fasciste d'après les réponses à des questions, ou l'analyse de contenu d'un article de journal. Les diverses techniques d'information fournissent des données plus ou moins riches, plus ou moins sûres. De même les procédés de mesure sont plus ou moins certains, suivant la nature des données, la façon dont elles ont été recueillies, le niveau de mesure qu'elles permettent. En général, plus les niveaux sont profonds, plus la complexité des éléments rend la mesure difficile.
Certaines méthodes permettent de recueillir des informations d'une certaine nature, mais excluent certains niveaux de mesures et certaines formes. La mesure la plus simple permet d'abord de déceler une présence. L'analyse est la première étape de la mesure. Ensuite, elle consiste à assigner à un objet qualitatif un indice permettant de le situer selon un système de références abstrait ou échelle. L'indice est numérique si l'on prend le terme de mesure dans un sens restreint. Dans un sens large, on admet qu'il y a échelle, dès que l'on ramène les données qualitatives à un système de référence, aussi simpliste soit-il, par exemple : la hiérarchie dans l'armée. Suivant l'objectif poursuivi, le degré de précision de mesure que l'on cherche, on devra utiliser un instrument plus ou moins raffiné. Les degrés de mesure O Si l'on veut simplement vérifier que tel stimulus, par exemple un film, produit un changement d'attitude, sans indication de direction ou d'amplitude, l'mstrument devra simplement pouvoir distinguer entre différentes attitudes. Si l'on veut s'assurer que le film influence les spectateurs, mais dans un sens favorable à une certaine opinion, il faut pouvoir situerles spectateurs en plus ou moins favorables. En admettant que l'on veuille savoir si deux films exercent bien la même influence, il faut avoir une unité de mesure pour comparer les résultats. Enfin, si l'on veut prouver que tel film est deux fois plus efficace que tel autre, c'est-à-dire produit des changements deux fois plus importants, il faut, d'une part déterminer quel est le point de départ, le point zéro de l'attitude et avoir à partir de là une unité de mesure. Ceci signifie que les échelles ne sont vas seulement caractérisées par leurs propriétés mathématiques, mais aussi par des procédés différents de collecte des
données. Suivant le cas, on pourra ou non utiliser telle ou telle mathématique, parce que l'on disposera de tel ou tel matériau et l'un et l'autre permettront un niveau de mesure, un raffinement et une précision plus ou moins grands. Voici, dans l'ordre croissant de précision, les divers types d'échelles : a) L'échelle nominale O Elle représente le degré le plus élémentaire de l'échelle de mesure. EUe substitue des symboles et des noms hiérarchisés, à des objets concrets : catégories de professions, de grades, tels que maître de conférences, agrégé, professeur. Elle comprend la notion d'équivalence : si A = B, B = A, ou d'inégalité. Elle permet des statistiques par types ou genres, le classement des types de maladies et l'apparition successive des symptômes dans un certain ordre de gravité : la fièvre, l'éruption, enfin elle situe les différences, par exemple Pierre, Paul et Jacques n'ont pas le même revenu. h) L'échelle partiellement ordonnée O Les objets d'une certaine classe apparaissent comme différents de ceux d'une autre classe, mais il peut y avoir un rapport entre ces deux groupes d'objets. Cette échelle introduit une comparaison, un certain ordre, la notion de plus ou de moins en moins favorable. A > B / B>C / A>C Le revenu de Pierre est supérieur à celui de Paul et Jacques ; comme nous ignorons la différence entre les revenus de Pierre et ceux de Jacques, notre échelle n'est que partiellement ordonnée. Si nous voulons les comparer à la fois sur le plan du revenu et du niveau d'instruction, en admettant que Pierre ait un revenu supérieur à celui de Jacques et de Paul et un niveau d'instruction inférieur à celui de Paul, nous ne pourrons plus les comparer sur la même
échelle. Celle-ci ne sera que partiellement ordonnée. 784 c) L'échelle ordinale O Le revenu de Pierre est supérieur à celui de Paul, lui-même supérieur à celui de Jacques. L'échelle ordinale est à l'origine des écheUes d'attitudes les plus simples. Elles permettent de classer par ordre de préférence des personnes, des situations ou des affirmations ayant un attribut commun et par là, de déceler l'attitude du sujet vis-àvis de cet attribut II est souvent difficile de trouver des séries sans lacune, le plus souvent, il faut se contenter d'ordres partiels. Le classement sera facilité par l'usage de définitions opératoires, celles dans lesquelles le concept se définit par les opérations qui permettent de le mesurer : A est plus populaire que B parce qu'il est choisi par C, D, E, F. Le concept opératoire de la popularité se définit ici par le nombre de personnes qui choisissent A. Bien entendu, il s'agit là d'une simplification, car la popularité peut aussi se définir en termes d'attachement, d'enthousiasme ; de plus, ce postulat de base oblige à consi dérer tous les choix comme interchangeables et égaux, ce qui est évidemment contestable. Quel est le livre qui a le plus grand succès, celui qui est lu par 3 000 personnes de qualité, ou le bestseller lu par des centaines de rrrilliers de personnes ? 785 L'échelle de E. S. Bogardus (1925) O L'échelle ordinale la plus connue, est l'échelle de distance sociale de Bogardus. Elle consiste à rechercher jusqu'où les sujets interrogés acceptent les individus de race ou nationalité différentes.
Exemple : J'admettrais volontiers des membres de telle race : Io comme proches parents par mariage ; 2° comme amis personnels dans mon club ; 3° comme voisins dans ma me ; 4" comme employés dans mes affaires ; 5° comme citoyens dans mon pays ; 6° seulement comme touristes. On aperçoit aisément que le 6° représente une attitude moins tolérante que le Io. 786 d) Échelle métrique ordonnée O Les échelles précédentes impliquent un ordre de classement, mais ne se préoccupent pas de la distance entre les échelons, ni de la comparaison des intervalles. Une échelle dans laquelle les distances seraient égales, représenterait un degré plus poussé de mesure. C. H. Coombs (1959) donne comme exemple la comparaison entre le caporal (commande à 10 hommes), le sergent (commande à 2 caporaux = 22 hommes), l'adjudant (commande à 4 sergents = 92 hommes). L'intervalle entre adjudant et sergent est le plus grand, puisque égal à 94 — 22 = 72 hommes, tandis que de sergent à caporal = 22 — 10 = 12 hommes. Cette mesure objective ne correspond pas toujours à la réalité. Dans la vie sociale, l'autorité dépend au moins autant de qualités personnelles que d'un échelon hiérarchique. Même dans l'armée, tel sergent peut avoir, en fait, plus d'autorité sur ses hommes que tel autre, ou même que son adjudant. 787 e) Les échelles d'intervalles O II ne s'agit plus ici seulement d'ordon-
ner, mais d'ordonner suivant une évaluation des intervalles entre les échelons. Ce progrès important exige que l'intervalle entre les échelons soit mesurable à partir d'une unité commune. Nous ne devons pas nous contenter de savoir que la différence entre le revenu de Pierre et celui de Paul est plus grande que celle qui sépare le revenu de Paul de celui de Jacques, mais dire avec précision : Pierre gagne 500 F par mois de plus que Paul qui gagne 300 F de plus que Jacques. Grâce aux chiffres de salaire, nous avons une possibilité de mesure plus satisfaisante que celle de la hiérarchie militaire. Le nombre d'hommes commandés, dans l'exemple précédent, nous obligeait à postuler l'égalité de tous les soldats. Si l'on peut assimiler un soldat à un autre soldat comme unité de mesure, peut-on admettre des éléments d'unité comparables lorsqu'il s'agit d'opinions ? Comment mesurer l'égalité du plus ou du moins entre des opinions différentes ? 788 3° Le niveau de la mesure, l' obtention et l'analyse des don nées O
Nous retrouvons ici un des problèmes essentiels de la quantification des sciences sociales. Il se résume dans le dilemme ainsi posé par Coombs (1959) : vaut-il mieux que le chercheur manipule les données en conservant seulement celles qu'il peut disposer suivant un ordre simple, pour obtenir un niveau de mesure élevé, ou vautil mieux respecter davantage les données et l'ordre naturel qu'elles présentent, quitte à n'atteindre qu'un faible degré de mesure ? Nul ne peut donner de solution définitive, ou passe-partout, à ce problème. Suivant l'objet de la recherche, le problème posé, la
nature des données recueillies et le genre de réponse que l'on veut atteindre, le chercheur est amené à choisir l'une ou l'autre solution. Le seul impératif pour lui consiste à être conscient des raisons de son choix et des sacrifices consentis pour atteindre son but. S'il vise à obtenir des corrélations très poussées, une échelle très précise et unidimensionnelle, il ne doit jamais oublier que cette unidimensionnalité provient de sa technique et non des données elles-mêmes, dont les plus originales sont écartées, parce qu'aberrantes par rapport au cadre tracé. Comme le note C. H. Coombs1377 (1959), et nous insistons sur ce point, ce que l'analyse permet de découvrir dans les données quelles qu'elles soient, dépend bien entendu de la nature de l'information qu'elles contiennent, mais aussi des procédés qui ont servi à extraire ces informations et de la façon dont on a obtenu ces dernières. Il faut donc reconnaître devant quel type de données l'on se trouve, ce que l'on cherche à savoir et pour faciliter l'analyse, choisir un instrument qui corresponde à la fois à la nature des données et au niveau de mesure auquel on se place. Les conclusions que l'on tire d'une analyse dépendent étroitement du niveau de mesure que l'on a imposé aux faits. Il ne faut jamais perdre de vue la manipulation qu'implique la correspondance entre les chiffres et la réalité qu'ils doivent exprimer, ce que ceUeci permet ou laisse passer d'informations, les opérations auxquelles on se livre grâce aux chiffres obtenus. 789 Les diverses données O Les données qualitatives doivent, pour être quantifiables, subir un traitement. Ce sont le plus souvent des données verbales, opinions exprimées à un niveau superficiel ou « phénotypes », attitudes exprimant des sources latentes ou
« génotypes » qu'il s'agit d'atteindre. Les questions stimuli, provoquant une réponse révélatrice de l'attitude, sont en général les questions auxquelles les gens répondent en déclarant quelles sont leurs préférences. Exemple : le parti X a mes préférences, puis, Y, Z... ou telle marque a mes préférences. Il importe peu, par rapport au type de mesure, que les consignes données au sujet se réfèrent ou non à un attribut. Qu'il préfère le parti X, parce qu'il est plus révolutionnaire, ou la marque B, parce qu'elle est solide, ne change pas le but de la question : indiquer la préférence. Il est possible également de poser des questions amenant les sujets à répondre, non en fonction de leurs préférences personnelles, mais de la façon dont ils évaluent les personnes ou attitudes par rapport à un attribut. Exemple : tel parti est plus révolutionnaire que tel autre, tel film plus immoral, tel fruit plus parfumé. Deux sujets n'ayant pas les mêmes goûts peuvent cependant être d'accord sur le jugement porté sur tel ou tel attribut ; par exemple, reconnaître que tel parti est révolutionnaire, mais l'un le constatera pour le combattre, l'autre pour s'y engager. Dans le premier cas, celui de la préférence, on s'intéresse au sujet lui-même, à son choix ; dans le deuxième, au stimulus : le parti est révolutionnaire. Coombs ajoute une deuxième distinction : la différence entre le comportement indépendant, c'està-dire ne jugeant qu'un seul stimulus à la fois, tel fruit est sucré, ou relatif, visant à établir une comparaison : tel parti est plus révolutionnaire. Autrement dit, on aboutit à un tableau à double entrée donnant les possibilités suivantes :
Comportement Comportement relatif (comparaison) indépendant Évaluation du I II stimulus Je préfère les par J'aime le parti partis A et B rapport à A àCetD une préférence Évaluation du rv III stimulus Les partis A et par Le parti A est B sont les plus rapport à révolutionnaire révolutionnaires un attribut Les données correspondent aux réponses aux questions suivantes : Quadrant I : Parmi les partis A, B, C, D, quels sont les deux que vous préférez ? Quadrant II : Aimez-vous le parti A ? Quadrant III : Le parti A est-il révolutionnaire ? Quadrant IV : Quels sont les deux partis les plus révolutionnaires parmi les partis A, B, C, D ? Ce tableau fournit un cadre à l'intérieur duquel on peut disposer différentes méthodes d'obtention et d'analyse des données. A l'intérieur de chaque quadrant, la nature de l'information que l'on peut tirer des données est la même, quelle que soit la méthode de collecte employée, seule peut varier la quantité d'informations. Comme le dit Coombs : « La méthode par laquelle on procède à la collecte des données détermine le genre d'information
que l'on pourra tirer, mais c'est la méthode d'analyse qui dèjinit cette information1378. » Items continus et discontinus. - Signalons enfin un autre type de distinctions possible, relatif aux attitudes des sujets, suivant le type de questions ou d'items. Imaginons un test dans lequel nous pourrons mettre à gauche du continuum toutes les performances réussies : a sauté 1 m, 1,10 m, 1,20 m, et à droite du continurim, ce que le sujet manque : 1,25 m, 1,30 m. Prenons, au contraire, une question d'opinion. Une même attitude peut être adoptée à la fois par les extrémistes de gauche et de droite, pour des raisons totalement différentes. Nous aurons donc deux catégories d'individus, qui se comporteront extérieurement (phénotype) de la même façon : ils votent non à un référendum, mais pour des raisons (génotypes) différentes et une troisième catégorie de modérés qui se situeront au milieu de l'échelle repoussant ce qui est aux deux extrémités. Les items du premier exemple sont continus ou monotones et les comportements qu'ils classent relèvent d'une même catégorie (génotypique) alors que les items discontinus ou non monotones du deuxième type peuvent classer un même comportement (phénotypique) apparent, mais correspondre à plusieurs catégories génotypiques différentes. 790 a) Quadrant I. Obtention des données O Type de question : Quels sont les deux partis que vous préférez parmi A, B, C, D ? Méthode des choix (ou double choix). On obtiendra comme type de réponse : je préfère AB ou CD, etc. Méthode de l'ordre de préférence : je préfère ABC ou BAC etc. On obtient un
ordre, donc une information plus complète que par le seul double choix. Méthode des intervalles apparemment égaux, variante de la précédente. Méthode des comparaisons par paires ou par triades. On présente toutes les paires ou triades possibles de stimuli au sujet qui doit chaque fois indiquer ce qu'il préfère. Pour construire une échelle ayant une signification on est le plus souvent obligé de recourir à une grande quantité de stimuli. La comparaison de chacune des propositions entre elles (190 jugements pour seulement 20 stimuli) est fastidieuse. La consistance. La trartsitivité. - Dans la méthode des triades, l'opération de choix est répétée : A > B > C. L'intérêt de cette méthode consiste à voir si A est toujours plus grand que B, même en face d'un autre stimulus, c'est-à-dire d'éprouver la consistance du jugement du sujet en ce qui concerne A. La méthode des comparaisons par paires ne présente qu'une fois le stimulus. On ne peut donc apprécier la consistance du jugement, faute de comparaison. En revanche, on peut s'assurer de la transitivité du jugement, c'est-à-dire que si A > B dans une paire, B > C dans une autre, A ne doit pas être plus petit que C dans une autre comparaison. 791 Analyse des données O La technique du parallélogramme a été spécialement conçue pour classer les réponses contenant divers choix. On construit une matrice à double entrée, en disposant les questions en colonnes vertica les et les individus en rangées horizontales. On marque d'un + toutes les réponses affirmatives d'un individu dans la colonne de la question, on modifie ensuite rangées
et colonnes en essayant d'obtenir une diagonale. Demandons par exemple à chaque individu de choisir les deux partis qui ont ses préférences, parce que les plus ou les moins révolutionnaires, ou les fruits qu'il choisit parce que les plus ou moins parfumés. Si, d'une part, chacun des partis (ou fruit) est effectivement plus ou moins révolutionnaire (ou parfumé) et que nos quatre individus ont des goûts qui s'échelonnent également, nous aurons : Individus Partis /
A BC DE
1
++
2 3 4
++ ++ ++
Imaginons que nos quatre sujets fassent trois choix, par ordre de préférence. On obtiendra : Individus Partis ABCDE 1
12 3/ /
2
21 3/ /
Individus Partis 3
31 2/ /
4
32 1/ /
On s'aperçoit que cette technique constitue une application de la technique du parallélogramme, car, si au lieu d'un classement l'on demandait simplement : quels sont les trois partis que vous préférez ? on remplacerait les numéros de classement par des +... et les choix 1, 2, 3, 2, 3, 1, 1, 3, 2 ne pourraient être distingués. Il ne resterait que trois classes d'individus (cas précédent), ceux qui préfèrent ABC, BCD ou CDE. Dans ces deux exemples, les résultats sont représentés exclusivement à partir des données. L'mstrument d'analyse n'impose aucune propriété à l'information. L'échelle n'est obtenue que si les données satisfont aux conditions requises, si les individus s'ordonnent sur des stimuli échelonnés. Ce n'est pas la technique qui transforme la donnée, au contraire, il s'agit d'une technique sensible, dans le sens donné à ce terme à propos des niveaux de mesures. Or, remarque Coombs, il est rare que, dans le domaine psychosociologique, les conditions requises soient réunies. En général, on doit se contenter d'une mesure moins fine, correspondant au niveau que l'on trouve le plus souvent, celui de la simple échelle nominale. 792 b) Le quadrant TV. Obtention des données O Type de question: Quel parti est le plus révolutionnaire ? - Au lieu de demander : quel parti préférez-vous ? on pose la question par rapport à un attribut : quel parti est le plus révolutionnaire ? Il
s'agit d'abord de situer les stimuli les uns par rapport aux autres, en ce qui concerne l'attribut, ensuite de les placer sur une échelle d'intervalles. Les méthodes utilisées précédemment ne sont pas adaptées à ce genre de classement, car les jugements permettant peu de choix, ceux-ci risqueraient de se porter en trop grand nombre sur les mêmes stimuli, en laissant de côté les autres. On peut retenir cependant, en les adaptant, les méthodes d'intervalles successifs, d'ordination, de comparaison par paires et des triades. Cet ordre est celui qui correspond à une sensibilité croissante aux particularités de la réalité et au nombre décroissant de caractères imposés par les méthodes ellesmêmes, c'est-à-dire des moins objectives aux plus objectives. 793 Analyse des données: l'échelle de Thurstone1379 O La méthode la plus souvent utilisée pour l'analyse des données du quadrant IV repose sur la loi du jugement comparatif. Découverte par Thurstone, elle permet de calculer des distances entre les différents stimuli ou affirmations, en fonction de la dispersion des jugements de comparaison portés par des experts. L'échelle de Thurstone nécessite plusieurs étapes : dans la première, nous sommes dans le quadrant IV (Quel est le parti le plus révolutionnaire, l'affirmation la plus nationaliste, etc. ?). Nous construisons donc une échelle, non pour juger et classer les experts d'après leurs affirmations, mais pour, à partir de celles-ci, juger les surnuli. Ce n'est qu'à partir de là que l'on utilise l'échelle ainsi construite pour que les individus se situent, par rapport à elle, dans des affirmations relevant du quadrant II ou éventuellement I.
1° On choisit l'attitude que l'on veut mesurer : par exemple l'attitude nationaliste. 2° On rassemble un grand nombre d'affirmations reflétant des attitudes possibles sur ce sujet. 3° On demande à un certain nombre de juges ou experts (40 en principe, plus souvent une vingtaine) de classer ces affirmations, par piles en nombre impair (en général) et de les numéroter suivant une échelle allant d'une extrémité de l'attitude à l'autre, par exemple du pacifisme intégral au nationalisme agressif. Certains items caractéristiques seront classés par la grande majorité à l'une ou l'autre extrémité ; en revanche, certains autres peuvent être situés de façon différente. Supposons une échelle à 7 échelons. Si un item x se trouve classé 3 e pour 20 juges, et 7e pour 20 autres, il n'est pas caractéristique et doit être abandonné. Tel autre, régulièrement classé 3e et 2e doit être retenu. On ne conserve donc que les items auxquels la majorité des juges a décerné à peu près le même rang sur l'échelle, c'est-à-dire ceux dont l'écart de dispersion est faible. 4° L'échelle étant établie, les propositions sont présentées au sujet, sans respecter l'ordre de l'échelle. Le sujet marque du signe + les items qu'il approuve (du signe — ceux qu'il désapprouve). Si l'échelle a une bonne consistance interne, le sujet doit normalement pointer du même signe les items contigus sur l'échelle. Il est évidemment difficile d'établir une série de propositions, ayant la même signification pour tous les juges. Certains items de valeur intermédiaire risquent de ne pas être notés de la même façon.
Particularités de l'échelle de Thurstone. Cette échelle considère les écarts d'un échelon à l'autre comme égaux, ce qui ne signifie pas qu'ils correspondent à des écarts qualitatifs égaux dans l'attitude psychologique. On peut seulement estimer que l'ordre d'intensité entre les items (phénotypes) correspond à peu près à celui des génotypes (attitudes psychologiques). Le sens ou l'ordre des items, donc la valeur attribuée à l'attitude, sont déterminés par les juges. Ceci implique qu'une même dimension intervient et que les juges la perçoivent objectivement1380. Pour que l'échelle conserve toute sa valeur, il faut s'assurer que l'acceptation d'un item n'est pas suivie du rejet d'items voisins ; or, cette transitivité est rarement obtenue, ce qui jette un doute sur iunidimensionnahté de F attitude mesurée. L'échelle de Thurstone n'est satisfaisante qu'en tant que classement ordinal. Elle permet plutôt de dégager des normes collectives vis-à-vis de certains items significatifs, que de préciser l'attitude d'un individu déterminé et de prédire sa conduite. Nous laissons de côté les échelles de groupes et les échelles de ressemblances, moins connues et passons à l'obtention des données des quadrants II et III. 794 c) Quadrant II et quadrant III. Obtention des données O Type de question: «Aimez-vous le parti A?» «Le parti A est-il révolutionnaire ? ». - Il s'agit de deux jugements indépendants. Dans le quadrant II, le sujet émet une appréciation en fonction de son propre idéal, dans le quadrant III, en fonction de ce qu'il pense être objectivement vrai. Contrairement à ce qui se passe dans les
quadrants I et IV, il n'y a pas de comparaison. Les surnuli sont présentés un par un et les réponses sont données de façon indépendante pour chacun. 795 Analyse des données : l'échelle de Likert o Une enquête effectuée de 1929 à 1931 permit à R. Likert (1932) de mettre au point une technique de construction d'échelles d'attitudes plus maniable que celle de Thurstone. 1° On réunit d'abord un grand nombre d'assertions et propositions se rapportant au sujet de l'enquête1381. Le classement est opéré non plus par des experts, mais par un groupe de sujets représentatifs de la population prévue pour l'enquête. 2° Ceux-ci donnent à chaque item une numérotation à 5 échelons ; approbation totale : 5, approbation : 4, indifférence : 3, désapprobation : 2, désapprobation totale : 1. 3° On additionne pour chaque sujet les notes que lui valent ses réponses à tous les items. La note totale donne le « score » de l'individu1382. Exemple. - Imaginons les cinq affirmations suivantes, visant à constituer une échelle de nationalisme ; chaque sujet précise s'il est tout à fait d'accord (5), d'accord (4), etc. 1° L'armée est la plus haute valeur morale du pays. 2° Il faut apprendre aux enfants à aimer leur pays. 3° Mon pays est au-dessus de tout. 4° Certains pays sont supérieurs à d'autres. 5° Chaque pays devrait se défendre contre les étrangers habitant chez lui.
Items
1 2 3 41383 5 [Total]
Individus A 5 5 5 5
5 25
Individus B 3 5 2 5
5 20
Individus C 1 3 1 3
4 12
Individus D 1 1 1 4
1 8
[Total]
15
10 14 9 17
Échelle de militantisme politique d'après S. Moscovici (27). [Illustration impossible à reproduire] Postulats. - Cette technique implique un certain nombre de postulats : d'abord, que les distances psychologiques entre les cinq points de l'échelle appliqués à chaque item sont égales, c'est-à-dire qu'entre approbation totale et approbation, existe la même différence qu'entre désapprobation et désapprobation totale. Ensuite, que le degré d'assentiment à un item caractérisé par un chiffre, est égal au même degré d'assentiment, noté de la même manière, pour un autre item et que l'on peut évaluer les parties d'un tout à partir de ce tout, puisque l'on retient les items en corcélation significative des résultats globaux. Enfin, que les scores numériques de chaque sujet sont équivalents quand les totaux le sont. Deux sujets ayant un même score x doivent donc avoir la même attitude. Or, en fait, le calcul des scores individuels peut provenir de combinaisons numériques différentes. Une attitude caractérisée par un score moyen peut provenir de réponses extrêmes
s'annulant, comme d'une attitude assez constamment neutre. Ceci constitue une grave lacune de la méthode et nous pouvons considérer pratiquement que la structure des réponses par sujet plus que le score total, peut nous renseigner sur son attitude véritable. : 796 Comparaison entre l'échelle de Lïkert et celle de Thurstone O Sur le plan technique, qu'il s'agisse de l'établissement de l'échelle avec recours aux experts ou avec un échantillon de sujets, il n'y a pas de grandes différences. Sur le plan de la richesse de rinformation, l'échelle de Likert, avec ses cinq nuances pour chaque item, nous offre une gamme de renseignements supplémentaires, puisqu'elle nous permet, non seulement de connaître l'attitude du sujet sur chaque item, mais encore son score total. Sur le plan de la signification des scores, il semble qu'il y ait une différence entre les deux techniques. Le score total obtenu par l'échelle de Likert n'a qu'une valeur relative au groupe d'enquêtes, celle du sujet par rapport aux autres sujets interrogés. L'échelle de Thurstone, du fait que les items ont été classés par les juges de façon objective, offre un caractère plus absolu. Le score des sujets les situe par rapport à cette norme objective et non les uns par rapport aux autres. 797 L'échelle de Guttman1384 O L. Guttman ayant à étudier, pendant la guerre, le moral des soldats américains, a pensé que, normalement, les réponses des sujets devaient présenter, sur une bonne échelle, une certaine consistance et une certaine hiérarchie, c'est-à-dire que l'adhésion à certains items devait s'accompagner de l'adhésion aux items les plus voisins et du rejet des plus éloignés. Un individu qui mesure 1,80 m répond forcément oui à la question : « Mesurez-vous plus de 1,70 m,
plus de 1,60 m, plus de 1,50 m... ? » Ne peut-on imaginer la même hiérarchie s'appliquant à des opinions ? Si les réponses s'éparpillent anarchiquement, on peut supposer, comme nous l'avons vu, que les items se rattachent à des dimensions différentes et non à la même attitude. La méthode du « scalogramme » de Guttman va permettre d'éhminer les items ne se rapportant pas au problème étudié, de «purifier» l'échelle, jusqu'à ce que sa «consistance» approche de la perfection. Cette technique ne peut s'appliquer qu'à des réponses dichotomisées, c'est-à-dire du type « oui » ou « non », accord, désaccord. Mais elle permet sur cette base, de savoir si l'on peut « hiérarchiser » une opinion ou une attitude Quelqu'un qui saute 1,80 m peut sauter 50 cm, mais quelqu'un qui dit aimer la musique peut aimer Brahms et ne pas aimer Chopin. Ici, il n'y a pas de hiérarchisation possible. On peut imaginer que les questions conespondent par exemple à des étapes de militantisme politique (cf. tableau p. précédente) : 1° Voter aux élections. 2° Lire le journal. 3° Coller des affiches. 4° Assister aux réunions. 5° Être inscrit à un parti. On peut aussi imaginer la gradation des manifestations de peur du soldat au front, depuis l'impression désagréable, jusqu'à la panique avec ses conséquences physiologiques diverses, ou les symptômes d'une maladie suivant leur gravité : fièvre, éruptions, perte de connaissance, etc. On classe d'abord les questions, suivant le nombre de oui ou non qu'elles recueillent, ceUes qui obtiennent des fréquences
aberrantes sont éliminées. Ensuite, on classe les sujets, en prenant d'abord ceux qui ont répondu positivement à toutes les questions, puis à toutes moins une, etc. ; on élimine les sujets qui semblent répondre de façon très anar-chique par rapport à l'ordre qui se dessine. On manipule à nouveau les questions pour les regrouper en se rapprochant du parallélogramme. Exemple. Reprenons les items précédents1385 : 1° L'armée est la plus haute valeur morale d'un pays. 2° Il faut apprendre aux enfants à aimer leur pays. 3° Mon pays est au-dessus de tout. 4° Certains pays sont supérieurs à d'autres. 5° Chaque pays devrait se défendre contre les étrangers habitant chez lui. Nous indiquons sous chaque item la position des sujets, + = oui, x = non : le sujet A dit oui aux 5 items, le sujet B dit oui à 2 items, le 2 et le 4, etc. Items
12345
Individus A + + + + + B
/ +/ +/
C
/ +/ ++
D
/ ++++
Items
12345
E
/ +/ / /
Nous rangeons ensuite les colonnes de façon à ce que soit en premier la colonne de la question ayant reçu cinq oui, en second la colonne des quatre oui, etc.1386. 24 5 3 1 2 4 5 3 1 A / / / / X++++/ D/ / / / X++++/ C / / / XX+++/ / B/ / XXX++/ / / E / XXXX+/ / / / La méthode est très proche de celle du parallélogramme, puisqu'elle construit la matrice de la même façon, en permutant les rangées et les colonnes. Du fait que les items ne sont pas continus, comme c'est le cas dans la matrice du parallélogramme, on obtient dans l'échelle de Guttman tous les oui d'un côté et tous les non de l'autre. Il s'agit plutôt d'une analyse triangulaire que d'un parallélogramme, celui-ci n'étant obtenu qu'en ajoutant le triangle des signes négatifs à celui des positifs. Les diverses étapes peuvent s'effectuer avec un papier et un crayon, mais elles sont facilitées par l'emploi du scalogramme de
Guttman, appareil qui ressemble à un boulier, permettant aux numéros de glisser sur des rainures. Il est assez lourd et peu commode à transporter. Avantage et limites. - L'intérêt considérable de l'échelle provient de ce qu'elle garantit Yunidimensionnalité du groupe d'items relatifs à un problème, au lieu de les classer par des moyens arbitraires, tirés de scores particuliers. Cette unidimensionnalité est obtenue grâce à une manipulation. On est sûr de ce que l'on a obtenu, mais on a simplifié le problème en supprimant une partie des réponses. Qu'advient-il des réponses déviantes ? Même en admettant que certains items aient été à bon droit écartés, comme se rattachant à d'autres dimensions, que faut-il penser des réponses marginales dont on n'a pas tenu compte ? Le coefficient de reproductibïlité exprime l'écart entre le scalogramme réel et le modèle idéal. Il correspond à la proportion de réponses prévisibles par rapport à l'ensemble des réponses. Pour une échelle retenant 5 items proposés à 80 sujets, le nombre de réponses sera 400. Supposons 40 réponses imprévisibles ou erreurs (c'est-à-dire à l'écart des lignes du scalogramme pur) par rapport au modèle, le coefficient de repro-ductibilité sera : 1- 40/400 = 0,90. Selon Guttman, 10 % est un taux à ne pas dépasser. Ce taux d'erreur doit se répartir entre plusieurs items, aucun item ne devant engendrer plus de 20 % d'erreurs. Bien entendu, le coefficient de reproductibilité varie non seulement en fonction de l'unidimensionnalité de l'échelle, mais aussi en raison inverse de la finesse des nuances qui séparent les items. Des items distinguant des attitudes
franchement différentes, se rangeront plus facilement sur l'échelle. Tout en reconnaissant la grande sécurité que procure le scalogramme de Guttman, quant à ce qu'il permet d'affirmer, il faut tenir compte de ce qu'il sacrifie pour cela, c'est-à-dire les réponses déviantes, les réactions originales, qui peuvent être extrêmement intéressantes quant aux atti rudes suscitées, mais qui n'entrent pas dans le cadre général du parallélogramme. Intérêt de l'échelle de Guttman. - L'échelle part d'une hypothèse, on peut aimer Brahms et ne pas aimer Chopin, mais si l'on répond oui à la question : êtes-vous licencié ? on répond forcément oui à : êtes-vous bachelier ? Cette distinction est exacte. La plupart des auteurs indiquent ensuite que si l'on saute 1 mètre on répond forcément oui à : sautez-vous 50 centimètres ? C'est ici que la simplification nous paraît inconsidérée. Prenons l'exemple d'individus nerveux. Capables de mobiliser leurs ressources dans de grandes occasions, ils ne répondent pas à ce qui est exigé d'eux dans la vie quotidienne. Tel qui supporte un bombardement, s'exaspère contre le bruit régulier d'une horloge. Il est donc important de savoir dans quels domaines la gradation est possible. Des objets : cuisinière électrique, télévision, voiture, forment-ils une échelle de niveaux de vie ? Les symptômes : rougeurs, fièvre, vomissements, peuvent-ils se hiérarchiser dans certaines maladies ? L'intérêt majeur de l'échelle de Guttman1387 nous paraît consister, non dans ses résultats, un peu artificiels, mais dans la distinction qu'elle permet entre ce qui est scalàble, c'est-àdire les éléments d'après lesquels une population peut se classer sur une échelle correspondant à la réalité et ce qui ne l'est pas, c'est-à-dire les domaines dans lesquels on ne trouve pas de critère classant
régulièrement les individus, dont les choix ou les ordres de classements sont hétérogènes, variables et ne peuvent être hiérarchisés. 798 L'analyse de structure latente de Lazarsfeld o La notion d'ordre représente dans les sciences humaines la première étape de la classification. Mais on classe par rapport à un concept : cet individu court plus vite que tel autre. Le chronomètre permet une mise en ordre en fonction de la notion de vitesse. Dans les sciences humaines, les concepts sont moins définis : stratification sociale, mobilité, participation, nationalisme ; ils regroupent différents éléments et ne s'observent pas directement. C'est à partir de ces constatations que P. Lazarsfeld1388 a imaginé un procédé pour remédier à ces inconvénients. Imaginons l'étude du comportement du personnel d'une entreprise. Nous trouverons, par comparaison à d'autres entreprises similaires, que l'absentéisme est faible, l'âge et l'ancienneté dans la maison élevés, l'accueil des nouveaux, satisfaisant, l'attitude vis-à-vis du travail favorable, etc., bref on trouve là des données « manifestes ». Si l'on introduit, pour interpréter et coordonner ces données, le concept de « moral du travailleur » ou de « satisfaction au travail », celui-ci ne sera pas directement observable, ce sont les données manifestes qui le révéleront. En termes de mesure, on admettra, comme le dit R. Daval (1959), « que la variable par rapport à laquelle on cherche un classement est une variable qui n'est ni directement observable en tant que telle, ni mesurable ». On recourt alors à des variables auxiliaires qu'on présume liées à la première. Le problème délicat, nous l'avons vu à propos du choix des
items des mesures d'attitudes, c'est de découvrir les « indicateurs » ou « données manifestes » ou « variables auxiliaires », révélateurs de la « variable latente » et le degré de liaison qui les unit. Il est très rare de pouvoir contrôler le lien entre chaque indicateur reconnu et la variable latente. Il s'agit donc de découvrir les indicateurs les plus significatifs. Le problème qui nous occupe est semblable à celui des tests. Il s'agit de fabriquer des tests permettant une bonne estimation de l'aptitude non observable, mais révélée par des degrés de réussite à des épreuves, celles-ci servant d'indicateurs de l'aptitude et devant permettre d'estimer le degré de liaison avec cette dernière. De la même façon, il s'agit de trouver des indicateurs révélateurs de la staicture latente, permettant d'établir l'existence d'un « continuum », c'est-à-dire de répartir ou distribuer la population testée le long de ce continuum. Dans le cas de structure latente, le test correspond à des questions ou constatations impliquant une réponse ouinon, présence ou absence, favorable ou défavorable. Chaque question se caractérise par une fonction de probabilité. Il est peu probable qu'un individu très raciste réponde favorablement à tel item sur l'abolition de la ségrégation. Prenons l'exemple emprunté par R. Boudon (1962) à Chapin ; celui-ci a proposé un indice de statut socio-économique à partir de certaines caractéristiques de la salle de séjour (living-room seule). Il comporte 22 items. Sur 7 d'entre eux a été effectuée une analyse des classes latentes et ceci donne le tableau suivant :
Classes
Effectif Cheminée 1 relatif
1
0,46
0,10
0,67 0,48
0,19 0,31
0,33 0,02
2
0,36
0,04
0,66 0,79
0,59 0,12
0,81 0,07
3
0,18
0,28
0,87 0,77
0,80 0,85
1,00 0,83
Journaux 2
Alarme 3
La première colonne du tableau donne l'importance relative de chaque classe observée. Les colonnes suivantes donnent les probabilités de « réponse positive » à chaque item, pour les individus appartenant à chacune des trois classes. Les réponses « positives » sont celles qui conespondent à un statut plus élevé (classe 3). L'analyse permet, entre autres, d'apprécier la qualité des indicateurs. On voit que les items 4 et 6 discriminent efficacement les classes. Les items 2 et principalement 7, ne distinguent nettement que la classe supérieure des deux autres ; l'item 3 ne discrimine pas les deux classes supérieures. Le 1 et le 5 sont franchement équivoques. La probabilité plus grande de trouver une cheminée dans le logement de la classe inférieure, correspond probablement au fait que dans la communauté étudiée, celle-ci habite généralement dans des constructions plus anciennes. Nous passons sous silence les moyens mathématiques complexes utilisés pour obtenir le résultat cherché. Boudon résume ainsi le but de l'analyse de structure latente de Lazarsfeld : « Le modèle de structure latente permet de classer une population sur une variable latente en substituant à l'ensemble non exhaustible des indicateurs qui définit la variable latente, un ensemble
Rideaux 4 Goût 5 Tap
fini d'indicateurs ; on s'assure que cet ensemble fournit une définition équivalente de la variable latente, par l'existence d'une solution. » Utilisée pour l'étude des opinions et attitudes, l'analyse de structure latente, sur le plan de la logique de sa démarche, serait plutôt comparable à l'analyse fac-torielle. L'intérêt de l'analyse de structure latente c'est de regrouper les techniques servant à analyser les données obtenues à l'aide de la méthode des stimuli isolés (quadrant II et III) ; or dans le domaine des sciences sociales, l'information est souvent recueillie sous cette forme. Mais il faut souligner que les résultats auxquels on parvient ne sont, pour l'instant valables que pour l'échantillon considéré et ne sont pas générarisables. Une étude de structure latente, faite à Aix-en-Provence sur le civisme des lycéens, a donné des résultats qui n'étaient pas transposables ailleurs1389. 799 4° Fidélité et validité,
a) Fidélité O Une échelle est fidèle, lorsque confiée à des observateurs différents et présentée plusieurs fois aux mêmes sujets, elle donne les mêmes résultats. Pour vérifier la fidélité d'une échelle, on dispose des trois techniques habituelles : le test-retest : consiste à présenter l'échelle deux fois à la même population et à comparer les résultats. Il est prudent, pour éviter l'effet de répétition, d'avoir un groupe de contrôle pour comparer ; le multiple-form : suppose que l'on présente l'échelle sous deux formes très proches ; le split half: l'échelle est divisée au hasard
en deux lots d'items, chacun de ces lots étant traité comme échelle séparée et les résultats comparés. Ceci suppose évidemment que chacune des moitiés puisse être considérée comme également représentative de l'attitude et que les items soient suffisamment nombreux pour conserver une signification. 800 b) Validité O II n'existe pas de validité « générale » d'une échelle, on ne peut qu'évaluer sa validité par rapport à la mesure particulière qu'elle a pour but d'établir. Une échelle est valide, quand elle mesure réellement ce qu'elle -prétend mesurer et permet une prédiction. Validité logique. Il est difficile d'apporter la preuve de ce premier point, car l'échelle présente un continuum dont, pratiquement, l'existence est tirée des items eux-mêmes. Ceci ne constitue pas un critère de validité indépendant ni suffisant. La validation interne dont on doit le plus souvent se contenter, naît d'une bonne connaissance du sujet et du fait que les items paraissent bien caractéristiques de rattitude. C'est une question de bon sens au niveau apparent et superficiel, de connaissance du sujet, à un niveau plus réfléchi. Validité empirique. En ce qui concerne le deuxième point, la prédiction, la validité d'un instrument de mesure, s'évalue par rapport à l'usage particulier qui en sera fait. Pour juger de la valeur d'un pronostic de comportement dans une situation précise, il faut pouvoir mesurer ce comportement de façon indépendante. Le critère retenu pour caractériser et mesurer rattitude, doit être identique à celui de la situation réelle1390. Une mesure d'attitude, même exacte, ne permet pas de prévoir avec certitude un comportement ultérieur. On peut seulement dire que l'atti-
tude existe, plus ou moins intense, cohérente, consistante, qu'elle a toute les chances de se traduire par tel ou tel comportement et que seule, une opposition puissante l'empêchera de se manifester. Mais la situation dans laquelle les individus ont été observés peut être psychologiquement différente de ceUe dans laquelle ils se trouveront ensuite. Les comportements réels peuvent ne pas sembler correspondre aux scores de laboratoire. Ceci ne signifie pas que les mesures soient fausses, mais seulement que les types de situation permettant une prévision n'ont pas été suffisamment définis. 801 Groupes connus O Au lieu de mesurer l'attitude des individus d'après les items, on commence par juger les items d'après les attitudes connues et opposées de certains individus. , On admettra, par exemple, que les items admis par le groupe A (favorable à l'Église) pourront être considérés comme révélateurs d'une attitude favorable à l'Église, alors que les items approuvés par le groupe B (anti-religieux) seront retenus comme caractéristiques d'une attitude antireligieuse. Le danger, c'est qu'il peut exister en dehors de la différence d'attitude religieuse, d'autres différences dont on n'a pas tenu compte et qui expliquent les divergences des deux groupes. Les items qui différencient les groupes pro et antireligieux ne sont pas forcément les plus significatifs pour distinguer entre les attitudes pro ou anti-religieuses. Cette méthode donne une indication, une validité plausible de l'échelle, mais aucune certitude. C'est une précaution, non un critère. Malgré ses limites, elle est cependant très employée.
Les juges O On peut également faire appel à des juges connaissant bien les individus. On demande par exemple à un instituteur, connaissant bien ses élèves, de les noter en ce qui concerne leur attitude nationaliste et on comparera les notes aux scores obtenus par l'échelle d'attitude. Dans le cas des juges, la fidélité et la validité dépendent de nombreux facteurs : la clarté des définitions des points de l'échelle et des indices, la compétence des juges, leur connaissance des individus, leurs propres normes et cadres de référence. On retrouve ici certains problèmes, qui rendent peu utilisables les mesures confiées directement à des juges, sans items préétablis. On a intérêt, pour pallier ces inconvénients, à ne pas confier à un seul juge, mais à plusieurs juges, le soin de noter les individus. Comparaison avec les autres techniques O On peut enfin comparer les résultats obtenus par les échelles d'attitude à ceux d'autres techniques : interviews, tests projectifs, analyse de documents, etc. Critère indépendant O Lorsqu'il existe un critère indépendant de mesure, on n'a généralement pas besoin de construire une échelle. Une échelle d'instruction ou de standing social, peut être composée d'éléments réels : diplômes ou éléments matériels. Dans les cas plus complexes d'attitudes, on peut construire une échelle combinant plusieurs indices. Dans la mesure où celle-ci est conforme à ces indices, elle sera valide, à condition évidemment que ces indices eux-mêmes correspondent bien à l'attitude que l'on veut mesurer, ce qui n'est pas toujours le cas. Une échelle parfaitement fidèle, d'une validité absolue, aux intervalles égaux à partir d'un point zéro déterminé, n'existe pas. Cependant, en
prenant toutes les précautions, même si l'on ne peut constituer d'échelle d'attitude nuancée, cette technique demeure un instrument de recherche utile dans les sciences sociales. Elle peut permettre de comparer et vérifier les caractéristiques de groupes de population, de mesurer les changements dus à certaines influences : films, discussions, informations. C'est une technique complexe et longue, qui ne peut être utilisée à bon escient que par des spécialistes. Confiée à des chercheurs inexpérimentés, elle risque de ne pas apporter d'éléments de certitude suffisants pour la peine qu'elle donne, de servir à tort d'exemple de la supériorité d'une bonne intuition sur une procédure faussement scientifique. § 3. La technique du « panel » 1391
805 1° Définition1392 O II s'agit seulement d'entretiens répétés. Les mêmes questions sont posées aux mêmes personnes, à intervalles réguliers. Cette technique est généralement abordée à propos de problèmes d'échantillonnage et d'interview, du fait de la répétition des entretiens. Cependant, l'échantillonnage n'est qu'un aspect secondaire. Le but du panel, ce qui lui est propre, c'est d'étudier des changements d'opinions, d'attitudes, de comportement. Il ne s'agit pas d'une mesure, au sens précis des échelles d'attitude, mais d'une technique ayant pour objectif l'étude de l'orientation des changements, de leur importance, de leur cause, en vue de permettre une explication, éventuellement une prévision. C'est pourquoi nous croyons justifié de placer l'étude par « panel » à côté des mesures d'attitudes. Les résultats varient en fonction de l'objectif poursuivi et de la façon plus ou moins raffinée dont on emploie la technique. Dans le cas le plus favorable, il s'agit d'étudier des changements d'opinions ou d'attitudes. On
limite l'observation à une période fixée dans le temps, à une opinion ou attitude particulière, par exemple le comportement électoral. 1° Cette opinion est individualisée, c'est-à-dire que l'on situe les changements chez tels ou tels enquêtes particuliers. 2° On recherche les facteurs de ce changement, les stimuli qui ont influencé l'enquêté : émission télévisée, discours ou prise de position d'un leader, d'un membre de la famille, d'un voisin. Ce double objectif est atteint par les entretiens répétés sur les mêmes enquêtes, 2, 3 du 4 fois (rarement davantage) pendant une période de 3 à 6 mois ou 1 an. Dans le cas où l'on cherche à obtenir des informations plus sommaires, on se borne en général à rechercher le sens du changement et les facteurs en cause : enquêtes sur les communications ou la consommation. Certaines de ces études sont organisées par des services permanents, chargés d'effectuer des enquêtes régulièrement organisées, comme des panels, c'est-à-dire avec répétition du même questionnaire, sur un même échantillon d'enquêtes. Les résultats de ces enquêtes sont le plus souvent dépouillés comme de simples sondages. L'avantage consiste alors simplement à éviter de reconstituer chaque fois un nouvel échantillon d'enquêtes, ce qui représente une économie. On n'analyse pas les résultats de chaque consultation en fonction des précédentes, l'on ne se préoccupe pas des changements individuels, mais seulement du sens général de l'évolution et de l'influence globale de certains facteurs. En fait, la richesse de l'information du panel et son intérêt sont considérablement diminués. Les panels ont été employés dans les études de consommation, pour connaître les habitudes d'achat de la population et
également depuis 1940, aux Etats-Unis, pour connaître l'évolution de l'opinion publique à propos de la position des Etats-Unis face au conflit mondial. Une des études ayant le plus contribué à préciser la technique du panel et à en montrer l'intérêt, est celle de P. Lazarsfeld (1949), sur le comportement des électeurs durant la campagne électorale de 1948 à Elmira1393. 806 2° Buts du panel O Les deux objectifs du panel visent à situer les gens qui changent d'opinion et à préciser les facteurs déterminants de ce changement. Dans le cas d'une étude électorale de type classique, l'analyse des résultats statistiques porte sur des chiffres globaux. Elle donne le sens du changement, un ordre de grandeur, mais se borne, du fait des compensations entre les positions des électeurs, à des hypothèses sur l'ampleur du changement. L'avantage du panel, c'est de pouvoir identifier les électeurs et par là même, de rendre plus accessibles les facteurs de changement et les conditions dans lesquelles ils s'opèrent. Dans l'étude d'Elmira, les électeurs ayant déclaré durant la campagne qu'ils avaient changé d'opinion et comptaient modifier leur prochain vote, furent interrogés sur les diverses influences qu'ils avaient subies (radio, journaux, influences personnelles). Il est donc nécessaire, avant de lancer une étude par panel, de prévoir les facteurs que l'on suppose influents. Le double objectif du panel est atteint, lorsque à partir des constatations faites dans les domaines étudiés, sur les changements et leurs causes, on peut, quel que soit le domaine (élections, consommation), tirer des conclusions généralisables, soit sur le type d'individus, d'opinions ou attitudes, les plus susceptibles de changement : la fidélité à une marque de café serait plus grande qu'à des
boissons rafraîchissantes, ou les individus présentant telles caractéristiques seraient particulièrement susceptibles de changement ; soit sur le type de facteurs exerçant le plus d'influence, par exemple, on a découvert que les jeunes femmes sont plus écoutées en matière de mode et de beauté, les plus âgées en matière ménagère. Enfin le milieu familial, en matière de vote exerce une influence prépondérante1394. 807 3° Problèmes techniques, a) Quel genre de changement veut-on observer? Quel critère retenir? o A partir de quand décide-t-on qu'il y a changement ? Dans le cas du vote, on peut considérer un critère objectif et accessible : le passage d'un vote pour un parti à un vote pour un autre, ou de la position sans opinion à un vote pour un parti, ou le contraire (cas de l'enquête d'Erié), ou réaffirmer et tenir compte (enquête d'Elmira), à l'intérieur du vote pour le même parti, du degré de conviction manifesté. Pour Lazarsfeld, seul le net changement de position présente un intérêt, mais pour le chercheur, toute indication d'évolution peut être utile, si elle met sur la voie de facteurs d'influence intéressants. 808 b) Comment distinguer les vrais changements ? O Ceci pose le problème habituel de la validité de la technique des interviews. Le panel est particulièrement révélateur de ses faiblesses sur ce point En effet, des réponses différentes, obtenues à des questions de faits passés, donc en principe vérifiables, par exemple : « êtes-vous bachelier ? », rendent évidemment sceptiques sur la confiance que l'on peut avoir dans les réponses concernant les faits non contrôlables, tels que : « pour qui avez- vous voté ? » Il semble, d'après les recherches faites, que les erreurs sont plus impressionnantes parce
qu'apparentes, mais qu'elles ne sont pas plus importantes que dans les entretiens uniques et relèvent du taux d'erreur habituel. c) Comment distinguer les vrais facteurs de changement? O Comme dans toutes les expériences visant à mesurer des variables dans une période de temps assez longue, il est très difficile d'isoler ces facteurs. Comment savoir si tel groupe a modifié son attitude du fait de la propagande reçue, ou de tel livre lu, ou de telle personne rencontrée, sans que l'observateur le sache ? La solution se trouve dans la constitution d'un groupe témoin comparable, mais échappant à l'influence du facteur que l'on veut mesurer. d) Combien de fois faut-ïl répéter l'expérience ? avec quel intervalle ? 1395 O Ceci dépend, bien entendu, du type de panel dont il s'agit. A priori, on peut déclarer qu'il convient d'interroger l'échantillon, avant et après chaque événement pouvant exercer une influence sur l'attitude observée. En dehors de l'aspect financier de la question, la hmite est assez vite atteinte, du fait de la lassitude possible des enquêtes et surtout de la déformation, que l'effet de répétition peut faire subir à leurs réponses. Dans ce cas, ils risquent de ne plus constituer un échantillon représentatif d'un ensemble, mais au contraire, un groupe soumis à l'influence particulière du panel. Ils peuvent, par exemple, développer plus d'esprit critique, du fait qu'ils seront interrogés, ou se montrer plus intéressés, etc. L'étude faite à Sandusky1396 démontre que des entretiens répétés, même s'ils exercent une influence, ne modifient pas les résultats de l'enquête, tout au plus diminuent-ils le nombre des sans opinion. En général, on se borne à trois ou cinq entretiens. En ce qui concerne les intervalles de temps, on se trouve devant des exigences contradictoires^: d'une part, il ne faut pas trop espacer les entretiens, car les enquêtes risquent d'avoir
oublié les raisons qui les ont influencés ; d'autre part, il ne faut pas trop les rapprocher, car ils risquent de se lasser ou de se souvenir de leurs réponses précédentes et de se croire tenus de donner les mêmes. 811 Bibliographie o
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CHAPITRE 2 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES Retour à la table des matières SECTION 1. L'ENQUÊTE SUR LE TERRAIN « Quand on fait une statue, il ne faut pas toujours être assis en un lieu, il la faut voir de tous les côtés, de loin, de près, en haut, en bas, dans tous les sens. » Montesquieu. - Cahiers. § 1. Particularités des enquêtes sur le terrain
Enquêtes sur le terrain et sondages d'opinion o Lorsque, dans le cadre d'une enquête d'opinion publique nationale, par échantillon, un enquêteur interroge des individus dans la rue ou à domicile, il dit qu'il va enquêter sur le terrain. Ceci est certes exact, puisque l'enquêté n'est pas appelé dans un laboratoire ou bureau de recherche, mais demeure dans son cadre de vie habituel. Cependant, il existe de grandes différences entre l'enquête par interview, qui peut s'effectuer dans la rue, à domicile, ou ailleurs (centre de recherche, mairie, école, etc.) et la véritable enquête sur le terrain, celle à laquelle on réservera ici ce nom, parce qu'elle ne peut être faite ailleurs que sur le terrain au sens propre, devenu partie même de l'enquête. L'enquête sur le terrain est, avant tout, celle qui étudie une collectivité dans son contexte social, un groupe vivant dans son cadre habituel : service administratif, collectivité, groupe sportif, celle qui emploie pour atteindre son but, non pas uniquement, mais obligatoirement des techniques d'observation de groupe.
a) La recherche de facteurs objectifs O La grande différence entre le sondage et l'enquête sur le terrain provient des données que l'une et l'autre techniques recueillent. L'enquête par sondages atteint ce que les individus interrogés disent à un moment donné. On recueille des motivations, projets, attitudes, des opinions et jugements concernant des événements ou des personnes. Comme nous l'avons vu, dans la meilleure des hypothèses, celle où l'enquêté sait, ou pense quelque chose et accepte de le dire, l'interview récolte l'expression du sens vécu par l'enquêté, à l'instant où il est interrogé. Sans doute a-t-on pu observer une certaine conformité entre le dire et le faire. L'homme qui professe des opinions racistes aura sans doute une attitude de ciïscrimination. Les pays dans lesquels les enquêtes déclarent souhaiter peu d'enfants ont effectivement un taux de natalité peu élevé. Mais on a également remarqué bien dés distorsions entre les réponses aux questions posées et la conduite réelle. Cantril a noté que seulement 87 % des enquêtes interrogés à trois semaines d'intervalle (deux fois) ont donné la même réponse pour indiquer pour qui ils avaient voté1397. Il est plus sûr de faire choisir à une ménagère un paquet de lessive parmi d'autres ou mieux, de connaître la marque qu'elle utilise, plutôt que de lui demander in dbstracto celui qu'elle préfère. En dehors de ces écarts possibles, il est de plus certain que les individus sont généralement peu conscients des déterminismes sociaux qui pèsent sur eux, des raisons qui les poussent à agir de telle façon, ou à adopter telle opinion. On est rarement son propre sociologue, il faut donc se rendre compte de ce que l'enquête d'opinion peut recueillir et ne pas lui demander autre chose. Si l'enquête sur le terrain permet d'atteindre d'autres matériaux moins subjectifs que les paroles de l'enquêté, grâce à une observation directe de son
comportement, celle-ci ne peut cependant être qualifiée d'objective, car c'est la subjectivité de l'enquêteur qui entre en jeu de manière plus dangereuse que dans l'enquête par questionnaire1398. 814 b) Une recherche limitée mais globale O On reproche généralement à l'enquête par sondages d'atomiser les individus, de les couper de l'ensemble de relations auquel ils appartiennent1399. L'enquête sur le terrain, elle, n'étudie qu'un seul ensemble limité dans l'espace, mais sa recherche moins superficielle et plus globale, tend à découvrir des processus, des facteurs déterminants, mais souvent imprévisibles. Cet ensemble de raisons est la cause d'un mouvement de désaffection pour les sondages parmi, les chercheurs en France. La tendance irait à l'heure actuelle après les États-Unis dans le sens de l'ethno-méthodologie c'est-àdire, malgré les difficultés, d'une adaptation des procédés ethnologiques à la sociologie1400. 815 Exigences accrues O Les enquêtes sur le terrain comportent les obligations et les précautions indiquées à propos des enquêtes en général, mais avec un caractère de nécessité encore plus marqué. Du fait qu'elles observent la réalité dans sa complexité et l'événement dans ce qu'il a souvent de fortuit, en tout cas d'éphémère, les enquêtes sur le terrain nécessitent une préparation très poussée, des techniques à la fois rigoureuses, afin de n'être pas débordées par les informations, et ouvertes, pour ne pas manquer l'observation intéressante et non prévue. S'il s'agit d'une enquête de diagnostic, le plan d'enquête devra prévoir les variables, les facteurs à retenir de façon très précise. Il ne s'agit plus d'un entretien manqué qui peut être compensé ou remplacé, ni- d'un document que l'on retrouvera identique à lui-
même, mais d'événements qui peuvent ne pas se reproduire. De même la participation à la vie d'un groupe soulève d'autres difficultés que le fait de poser des questions à quelques enquêtes et implique de leur part une acceptation plus complète que de simples autorisations. Enfin les réactions à l'enquête et à sa publication sont parfois extrêmement vives1401. Les problèmes de budget sont également délicats. On peut devoir utiliser des techniques diverses et surtout, ignorer le temps nécessaire pour percevoir les problèmes, le degré de coopération dont on bénéficiera, ou les obstacles auxquels on se heurtera. Les qualités requises des chercheurs sont également plus nombreuses et leur qualification supérieure à celle qu'exige une enquête d'opinion. La variété des moyens à employer, le caractère moins standardisé des techniques d'observation de groupe, l'hétérogénéité des matériaux à recueillir : opinions, comportements, évolutions et le nombre de facteurs à déceler et observer, nécessitent une mise au point très complète du projet d'enquête. § 2. Diverses formes d'enquêtes sur le terrain
816 Critères de distinction O Les enquêtes sur le terrain peuvent revêtir des formes différentes suivant le but qu'elles se proposent. Le but détermine, d'une part, la population à étudier, d'autre part, les moyens de recherche. La technique de recherche est également influencée par deux facteurs : la taille du terrain soumis à investigation, mais surtout le degré de mesure auquel on peut et veut parvenir. Ce dernier facteur est le critère de classement le plus efficace. 817 V Distinction suivant la taille O II est en
général recommandé de ne pas voir trop grand, de limiter ses objectifs et géographiquement son lieu de recherche, cependant deux types d'études constituent aux extrêmes deux exceptions. a) Les «area studies» (1952). - Certaines enquêtes connues sous le nom d'« area studies » ont dès le départ un objectif large. Les facteurs à mesurer sont d'ordres divers, l'observation fait appel à des points de vue différents et vise une région, un pays ou même plusieurs. Cegenre d'études s'est multiplié depuis la guene, sous la conduite des États-Unis::Il ne s'agit plus de faire des rapports sur le développement d'une région, mais d’amener une équipe comprenant historiens, géographes, économistes, sociologues, anthropologues, politicologues, à étudier ensemble, dans un pays donné, en général un pays en voie de développement, les divers facteurs déterminant son rôTe international et son évolution. D'autres recherches font également appel à des spécialistes de disciplines différentes : enquêtes préparatoires à de grands travaux par exemple. Ce type d'enquête sur le terrain a tendance à se multiplier d'une part pour des raisons théoriques : la nécessité de ne pas détacher l'homme de son environnement, les progrès de l'écologie, la tendance à la pluridisciplinarité ; d'autre part pour des raisons techniques : F augmentation des moyens de traitement des données. b) Les «case studies»1402. - Nous n'avons pas en français de terme équivalent pour ce que nous considérons comme un type d'enquêtes parmi d'autres. Il se caractérise par son objectif : recueillir le maximum d'informations sur un sujet précis et limité, en général dans un simple désir d'information, de description, ou de classification, mais sans
arrière-pensée de mesure. C'est un type d'enquête qualitatif, idiographique, utilisant souvent la méthode clinique. Le « case study » suggère des hypothèses à la suite d'un grand nombre de données mais n'apporte pas de preuves, tandis que dans une recherche plus expérimentale, l'hypothèse est antérieure à l'observation et celle-ci aboutit plus ou moins à une vérification. On peut parfois se demander s'il vaut mieux accumuler plusieurs « case studies » ou lancer une enquête sur un plus grand nombre de personnes1403. Ceci comme toujours dépend de nombreux facteurs : type de problème, degré d'information, financement, nombre de chercheurs, etc. 818 2° Distinction suivant le degré de précision ou de mesure 6 La précision et le niveau de la mesure dépendent du but poursuivi, de la nature du problème et des possibilités ou moyens mis en œuvre pour y parvenir. Toute division paraît forcément arbitraire. Cependant, on peut considérer qu'il existe trois catégories principales d'enquêtes1404 : Io Les enquêtes d'exploration. Elles ne sont pas suscitées par une hypothèse précise et demeurent plutôt descriptives. Il s'agit de découvrir les problèmes, par exemple ceux d'un groupe de jeunes. 2° Les enquêtes d'analyse ou de diagnostic, qui cherchent souvent une réponse à une question pratique telle que l'explication du mécontentement des ouvriers de tel atelier. Il faut alors analyser les divers facteurs, préciser les variables qui peuvent intervenir : conditions de travail, salaires, types de commandement, etc. 3° Les enquêtes expérimentales ayant pour but de vérifier les hypothèses émises.
Encore une fois, il s'agit ici d'une classification très souple, car il est rare de faire une recherche sans émettre d'hypothèse et sans lui donner un début de vérification ; enfin, une enquête naît toujours d'une question à laquelle on imagine plusieurs réponses. 819 a) L'enquête d'exploration O La description. - Il s'agit du premier niveau de la recherche, celui de l'observation et de la collecte des données qui, scientifiquement choisies, recueillies et organisées, permettent les étapes ultérieures. On ne doit pas sousestimer son importance. La description du cas de Anna O. par Freud est à l'origine de la découverte de la psychanalyse. Ce sont surtout les anthropologues qui utilisent ce type d'études. Un des premiers exemples modernes de l'extension de l'enquête descriptive scientifique à la sociologie, est la monographie de Middletown par R. et S. Lynd1405. Sans hypothèse précise au départ, les auteurs recherchaient les facteurs de changement et d'adaptation au changement dans une petite ville américaine. Ils ont observé et partagé la vie des habitants, comme l'auraient fait des anthropologues dans une civilisation différente. De plus ils ont étudié la documentation sociale : statistiques, procès-verbaux, utilisé des techniques vivantes : interview, observations de groupe, et découvert que chaque forme d'activité collective se transformait suivant son allure propre, la poursuite économique des moyens d'existence présentant les changements les plus marqués. Les Lynd ont décrit scientifiquement les mécanismes sociaux dans un domaine déterminé. Si leurs conclusions sont, pour la plus grande part, empruntées à leurs observations et impressions personnelles, en tant que membres participants de la collectivité, ils ont tout de même dépassé les limites de la méthode anthropologique classique, en employant des techniques non quantitatives, mais
systématisées. Les enquêtes les plus récentes marquent encore les progrès de la systématisation dans ce type de recherche. C'est ainsi, nous l'avons vu, que E. Goffman (1968) tente, au-delà et à travers la description de l'asile, la découverte du système de l'institution. En France, les premières études monographiques ont été menées à Vienne, dans l'Isère1406, à Auxerre1407, et à Nouville1408. Elles se sont depuis multipliées1409. On peut également citer Village in the Vaucluse1410. Cette dernière étude a été faite par un sociologue américain, sans application de techniques quantitatives mais avec une grande finesse d'observation. Le récit de l'émotion suscitée dans le village, par le certificat d'études, est, en particulier, d'une justesse d'analyse et de ton remarquables. Ceci nous permet d'insister une fois de plus, sur le fait que si la mesure demeure le but à atteindre pour faire progresser les sciences sociales, une bonne description et une analyse juste valent toujours mieux que la quantification rigoureuse de facteurs sans intérêt. Le stade d'exploration permet normalement de découvrir les facteurs importants, les variables qui jouent un rôle. C'est aux autres formes d'enquêtes, qu'il appartient de vérifier ces hypothèses et de trouver les relations qui unissent ces variables. La classification 1411. - L'observation peut aboutir à une classification des matériaux recueillis, en catégories d'après leurs similitudes. La classification peut être le point de départ d'une recherche d'explication. La distinction faite par Freud entre les différents mécanismes de défense (répression, rationalisation, projection) incite à se demander les
raisons de l'utilisation de tel ou tel processus suivant les individus, les situations, etc. Les stades de l'observation, de l'exploration, permettent de découvrir les facteurs les plus actifs, les caractéristiques des phénomènes, mais c'est aux enquêtes plus poussées qu'il appartient de mesurer ces variables, de faire un diagnostic, de trouver les relations qui les unissent et même de fournir une explication. 820 L'enquête de diagnostic O L'enquête de diagnostic a, plus que la précédente, un but précis ou une arrière-pensée utihtaire. Le plus souvent, elle ne vise pas seulement à expliquer ce qui se passe, pour en tirer une théorie générale, mais surtout à trouver les causes d'une situa- tion, pour y remédier. Un des exemples les plus connus d'enquête de diagnostic, est celle publiée en 1933 par Elton Mayo, concernant l'influence des divers modes de rémunération et des facteurs physiques et sociaux, sur la productivité des ouvriers dans une usine de la Western Electric. Mayo fut amené à reconnaître la faible influence des facteurs physiques : éclairage, etc., sur le rendement des ouvriers, mais en revanche, l'élément primordial que représentait le groupe de travail, l'identification des ouvriers à leur équipe et les relations de celle-ci avec les représentants de la direction 1412 L'étude de E. Mayo (1933) et de ses collaborateurs allait au-delà d'une simple analyse de la situation. Elle permit d'émettre un diagnostic, ou plutôt une hypothèse suivant laquelle, contrairement aux affirmations de certains sociologues présentant la société moderne en voie de désintégration par excès d'individualisme, celle-ci, au contraire, éclatait en de nombreux groupes antagonistes. Cette enquête devait plus à l'intuition, à la liberté d'esprit, au sens humain de Mayo, qu'à ses qualités proprement scientifiques. Ces
hypothèses étaient envisagées comme des explications générales. Elles devaient orienter des recherches ultérieures, quantitatives, qui permettraient alors de mesurer l'importance de tel ou tel facteur, par exemple l'influence de l'appartenance au groupe sur la productivité. L'enquête de diagnostic se situe donc à michemin de la simple exploration et de la véritable expérimentation, à laquelle elle conduit. 821 c) L'expérimentation O L'expérimentation sur le terrain est rarement praticable, car elle implique la manipulation de variables. Elle est plus limitée dans ses buts, beaucoup plus rigoureuse dans son déroulement et nous renvoyons son étude à la section suivante1413. § 3. L'Observation, ses problèmes, ses techniques
822 Distinctions O L'observation sur le terrain pose un grand nombre de problèmes, en fonction de l'objectif que l'on vise et de la situation devant laquelle on se trouve. La taille du groupement, la complexité des interactions, la précision de l'objectif, impliquent le choix de techniques adaptées. Il est bien certain que l'étude d'un village soulève des difficultés différentes de celles d'un ateller. Mais la distinction fondamentale se situe entre l'enquête d'exploration et l'enquête de diagnostic. Elle entraîne l'emploi de techniques différentes, pour résoudre deux problèmes majeurs : le rapport observateurobservé, c'est-à-dire l'attitude plus ou moins extérieure ou participante de l'observateur et le type d'observation plus ou moins systématique. 823
1 Le rapport observateur-observé O
Dans une enquête sur le terrain, on doit observer ce qui se passe. Cette affirmation est bien théorique, car on peut se demander comment l'enquêteur fera accepter sa présence. Il ne peut se promener invisible comme l'esprit de la lampe d'Aladin. En ce qui concerne l'enquête de diagnostic, plus elle se rapproche d'une expérimentation, plus l'observateur restera extérieur au groupe (à la limite, dans l'expérimentation en laboratoire, il est invisible derrière un écran). Les observateurs de la Western Electric ne participaient pas à la vie des ouvriers. Au contraire dans l'enquête d'exploration sur le terrain, l'observateur étudiant des groupes naturels larges (une petite ville) ou restreints (une équipe de football), pourra rarement rester extérieur au milieu observé et devra même participer à la vie du groupe. La présence continuelle d'un étranger dans les activités d'un groupe est certainement moins bien tolérée que ses questions dans un entretien d'une heure. Il est plus facile de mentir à un enquêteur, que de dissimuler ce que l'on est à un observateur. Une enquête sur le terrain dont l'objectif, bien que précisé, s'applique à un domaine large, exige une souplesse de rapports allant, de la part des observés, de la tolérance à l'aide, de la part des observateurs, de la non-présence (cas de l'observateur derrière un écran), à la participation aux activités du groupe. Les problèmes liés à la présence de l'observateur existent dans presque toutes les techniques. Il semble que dans l'enquête sur le terrain, ils soient à la fois plus nombreux et plus variés, mais en même temps plus susceptibles, ainsi qu'on le verra, de recevoir une solution satisfaisante. Cela dépend de deux facteurs. D'une part de la personnalité de
l'enquêteur1414. : l'un préférera se présenter, expliquer ses motifs, tel autre aimera mieux être moins explicite. L'un voudra recueillir davantage de documents, sera plus actif, quitte à ce que sa présence influence le miheu enquêté, l'autre tentera de passer inaperçu. D'autre part, des nécessités de l'enquête et de la situation : le genre de groupe à observer, le type de problèmes, etc. Dans certains cas, seul l'observateur considéré comme participant et même sympathisant, accédera à la documentation et seule sa participation permettra, sans perturber le groupe, d'observer ses manifestations. Dans d'autres circonstances, l'observateur devra faire preuve de neutralité ou rester extérieur et réduire au minimum les rapports avec les observés. 824 a) L'observation-participation1415 O Celle-ci implique que l'observateur participe, c'est-à-dire qu'il soit accepté au point de s'intégrer dans le groupe, de se faire presque oublier en tant qu'observateur, mais en restant présent en tant qu'individu. F. J. Roethlisberger (1941), après son expérience à la Western Electric, donne quelques conseils à l'observateur : ne pas laisser supposer qu'il a une autorité, donc s'abstenir de donner ordres ou conseils, ou de s'imposer dans la conversation ; prendre le moins possible parti, tout en n'ayant pas l'air d'un opportuniste ; ne jamais violer le secret des confidences, ne pas les forcer, ni paraître trop préoccupé de ce qui se fait ; avoir l'air naturel, respecter les règles du groupe, ne pas se singulariser. W. Foote Whyte1416, à propos de son expérience dans un groupe de jeunes à Chicago, donne des conseils très semblables. D'après lui, le plus important consiste à être personnellement accepté. Pour cela, dit-il, il faut d'abord avoir pour
soi les personnages clés, les meneurs, c'està-dire qu'il faut non seulement leur faire part de ce que l'on cherche, mais surtout demander leur avis. Quand les gens sont « dans le coup », leur sens critique s'émousse et quand les meneurs sont acquis, les autres suivent. L'auteur conseille de donner beaucoup d'explications, pour que les enquêtes ne soient pas surpris de voir le chercheur s'orienter vers tel ou tel problème. 825 Degrés de participation O II y a des degrés dans la participation. Si le participant s'identifie trop, il risque d'être amené à prendre parti, ou de devoir successivement se ranger à l'avis des divers groupes et de perdre ainsi la confiance de tous. Au contraire, en restant plus extérieur, neutre et surtout en s'abstenant d'émettre un jugement moral, en rendant ser- vice au besoin, mais sans excès, en se conformant aux normes du groupe, il est probable que sa présence sera bien tolérée. La vraie formule ne consiste donc pas à s'identifier, mais à participer aux activités quotidiennes : jouer au ballon ou aux cartes, assister aux réunions, etc., ne pas poser trop de questions, mais au contraire écouter. En général, les membres du groupe sont satisfaits qu'un étranger s'intéresse à eux. Whyte remarque que lorsque l'on est vraiment intéressé par ce que font les gens, les distinctions sociales ne comptent plus. Il conclut en écrivant que « il ne s'agit pas d'agir comme les autres pour se faire accepter par eux, mais de les accepter comme ils sont, afin qu'ils vous acceptent ». Parfois, cependant, on peut simuler, s'aligner sur le groupe, c'est ainsi que Florence Kluckhohn (1940) écrit que c'est en faisant semblant de partager les anxiétés des femmes, à New-Mexico, qu'elle obtint des informations sur leurs croyances, leur
peur des sorcières par exemple, etc. 826 La durée O L'attitude de l'observateur joue un rôle essentiel, mais un autre facteur intervient : la durée. Le chercheur doit vivre assez longtemps dans le groupe pour le comprendre et que ses compagnons s'habituent à lui. L'inconvénient d'une participation trop longue et trop réussie, c'est que le chercheur s'habitue à la façon de vivre et de réagir du groupe. Si les choses semblent « 'aller de soi » leur singularité disparaît. L'observateur risque alors de ne plus poser les bonnes questions. Un antidote utile consiste à raconter à Un autre sociologue ce que l'on a vu, pour susciter ses réactions. Parfois aussi, un départ de quelques jours, au milieu de l'enquête, est à conseiller. Il permet de revenir avec un ceil neuf. b) Les participants observateurs O On peut partager la vie d'un village, d'un groupe d'ouvriers ou de sportifs, mais il est difficile de se faire accepter comme participant d'un conseil d'administration, d'un Conseil d'Université, ou d'un gang de malfaiteurs. L'enquêteur qui ne peut pénétrer dans un groupe, peut alors faire appel à des vaiiicipants observateurs. Les auteurs distinguent la participation de l'observateur, c'est-à-dire de l'observationparticipation, l'observation des participants, devenus observateurs. Distinction arbitraire car les enquêtes sur le terrain démontrent la nécessité et la réalité d'une,collaboration entre observateurs et observés. CeUe-ci peut-être plus ou moins étendue ou limitée, suivant les problèmes, le nombre d'individus, plus ou moins spontanée ou organisée, mais dans la réalité, eUe existe le plus souvent sous, les deux formes à la fois. L'observateur se mêle au groupe et se livre à une observation-participation, mais, en même temps, certains observés lui
fournissent des explications et se conduisent comme des participantsobservateurs. Ce moyen, fréquemment employé, l'est très spontanément sous la forme : « Il est bon d'avoir un allie dans la place. » Sans doute, des observations provenant de membres trop impliqués dans le groupe, risquent-elles de n'être pas objectives. Mais on y gagne parfois la découverte beaucoup plus rapide des problèmes cachés. 2° La systématisation de l'observation O
Ce qui distingue l'observation scientifique de la simple impression, c'est le fait d'être recueillie de façon systématique. Dans l'enquête de type diagnostic les hypothèses sont déjà émises, les matériaux à observer sélectionnés, il s'agit d'évaluer l'importance des facteurs en cause, si possible de mesurer des variables. Les observations seront donc rangées dans un système préétabli de catégories (en général de comportements), définies de la même façon par tous les observateurs et les résultats exprimés plus ou moins de façon quantitative ou en tout cas systématisée. Il est certes plus facile d'observer seulement les variables prévues pour vérifier une hypothèse, que de devoir tout observer, parce qu'on ne sait pas très bien au fond ce que l'on cherche. L'enquête d'exploration, dans la mesure où elle est globale, à la recherche des problèmes qui se posent et où elle ignore encore les variables à mesurer, se présentera le plus souvent sous une forme non systématisée, non codifiée à l'avance. La complexité et l'imprévisibilité des comportements de groupe dans la vie quotidienne, la difficulté de réduire le processus dynamique, les interactions, à leur aspect quantitatif, rendront rares, à ce
stade, l'utilisation de catégories préétablies très pré cises. La crainte de perdre des éléments importants, le risque en analysant ensuite les matériaux, de voir apparaître des corrélations sans pouvoir les vérifier, faute d'observations assez complètes, pèsent sur l'observation, en particulier sur l'observation participation, qui ne permet pas au chercheur le déploiement de techniques très sûres. Les premières enquêtes d'exploration furent menées sur le terrain par les ethnologues, étudiant dans leur totalité des phénomènes éloignés de leurs cadres de pensée habituels, difficiles à prévoir et qui ne pouvaient être systématisés d'avance. C'est cet élément d'imprévu qui caractérise également les enquêtes d'exploration sociologiques récentes, dans lesquelles on ne dispose pas de recherches préalables, ou de littérature, sur le domaine à étudier. Dans les phases d'exploration, l'observation non systématisée est au début la seule possible. Cependant, l'accumulation des données permit aux ethnologues de concevoir au bout de quelque temps, un certain nombre de rubriques larges, concernant des séries de problèmes qui se retrouvaient plus souvent : nourriture, cérémonies rituelles, systèmes de parenté, etc. De même, les types de problèmes auxquels s'attachent les sociologues, ne sont pas non plus sans limites. Lorsqu'il s'agit de groupes humains, larges ou restreints, on retrouve toujours les notions de valeurs du groupe, de moral, de hiérarchie, de commandement, de décision, d'information, de communication, d'intégration. Quant aux membres du groupe, leurs comportements s'expriment dans un certain nombre d'attitudes que l'on peut classer. Ces attitudes et phénomènes, même connus et
prévisibles, représentent une gamme de possibilités très étendues. Sans doute, dans un groupe restreint, en laboratoire, plusieurs observateurs peuvent-ils sélectionner, observer et noter au fur et à mesure les comportements, mais, dans le déroulement rapide et complexe de la réalité un seul observateur est rapidement débordé. De l'enquête d'exploration purement descriptive, à l'observation de comportements standardisés, il existe toute une gamme de nuances dans la rigueur ou la systématisation. L'observation des comportements sociaux est récente et nécessite un long apprentissage personnel. Il est trop tôt pour prescrire des règles et la méthodologie demeure réduite. On peut cependant donner des indications sur les problèmes qu'elle pose. 829 a) L'observation qualitative et les difficultés de la systématisation O Pour rendre compte d'une situation globale, complexe, avec plus ou moins de précision, pour situer sa recherche, il est nécessaire de prévoir un cadre de référence. Comment le déterminer, comment découper arbitrairement dans le réel, des catégories1417 pour classer les observations, les regrouper, autrement dit, analyser le contenu visible des comportements du groupe, ou des individus dans le groupe ? La difficulté des questions de méthode en ce qui concerne l'observation sur le terrain, provient d'une part de leur nouveauté, mais surtout de la variété des niveaux auxquels se situent ces enquêtes, de la différence dans la précision, des objectifs qu'elles poursuivent, de l'amplitude du domaine qu'elles recouvrent. 830 Les niveaux O Tout d'abord, si la
matière à observer et la manière de le faire varient suivant le type d'enquête, on trouve, même à l'intérieur des enquêtes d'exploration ou de diagnostic, plusieurs niveaux d'observation, que traduisent les catégories elles-mêmes. Prenons l'exemple d'un match sportif. On peut résumer son déroulement dans un résultat quantitatif précis : X a battu Z par deux buts à zéro, ou porter un jugement d'ensemble sur la combativité des uns et des autres, ou encore, si l'on veut expliquer ou tirer une leçon pour l'avenir, faire analyser la compétition par des experts. Le même match sera observé, commenté, en fonction de ses différentes phases, de l'évolution de la tactique des adversaires, des performances de leurs membres, etc. De même, le compte rendu d'une discussion opposant les partisans de deux politiques, peut également se concevoir à des niveaux différents : description globale du déroulement apparent, analyse plus intuitive des motivations, ou systématisation des comportements individuels. Chacun de ces niveaux implique une catégorisation différente. Le niveau de rigueur de l'observation dépend évidemment de l'objectif de l'enquête, mais aussi de la possibilité de prévoir les catégories, en conceptualisant d'avance les phénomènes. Or, pour établir des catégories en fonction de l'objectif, encore faut-il connaître le domaine à étudier. Pour observer un match, il faut non seulement ne rien ignorer de la règle du jeu, mais également des problèmes qui se posent, pour apprécier la façon dont les joueurs essaient de les résoudre. Les concepts d'esprit d'équipe, de fair-play, de risque, d'agressivité, de vitesse ou d'adresse, doivent avoir un sens par rapport à des faits concrets. De même, la façon de
juger les figures du patinage artistique. Si le sport, par définition, comporte un grand nombre de comportements connus et prévisibles, il n'en est pas toujours ainsi des collectivités et des groupements, qu'il faut observer dans leurs activités multiformes et à différents moments. Les catégories sont à la fois plus ou moins précises et plus ou moins prévisibles. Une véritable enquête d'exploration dans une communauté plus ou moins large s'orientera vers une description de type ethnographique, visant d'une façon générale, la totalité du système social d'un groupe donné : institutions, rites. Dans le cas d'une communauté restreinte : bande de jeunes, équipe de basket, groupement corporatif, il sera souhaitable de prévoir à l'intérieur du schéma : structure, fonctionnement, des dimensions plus précises à explorer : rapports hiérarchiques, etc. Dans ces types d'enquêtes, le plan de travail doit indiquer les manifestations à étudier, en fonction de l'objectif. La précision du cadre d'observation prévu, dépendra de l'état des connaissances dans ce domaine, de l'objectif poursuivi, du budget, du temps et du nombre d'observateurs dont on dispose, enfin, de leur degré d'expérience et de leur qualification. On peut enfin tenter l'exploration d'un domaine encore plus limité, défini à l'intérieur d'une collectivité ou d'un groupe : enquête plus proche du type diagnostic. Par exemple le processus de décision dans tel groupe de jeunes agriculteurs, l'influence du logement sur le moral des ouvriers1418. Dans ce cas, les chercheurs trouvent leur recherche circonscrite, les types de comportements à observer sélectionnés d'avance ; la systématisation est de ce fait facilitée.
De toute manière, le schéma d'observation doit être très large, car même lorsque l'objectif est limité, les hypothèses, n'étant pas définies d'avance, sont susceptibles d'être reformulées plusieurs fois au cours de la recherche. W. F. Whyte (1943) n'a découvert qu'au bout d'un certain temps le lien entre les performances sportives et la hiérarchie du groupe. 831 Les types de catégories O Lié à ce problème du niveau de l'observation, se trouve celui des types de catégories à choisir. Ici encore, ce sont les objectifs de l'enquête qui détermineront la nature des catégories. Un cortège peut être observé sur le plan des manifestations auxquelles il donne lieu : chants, cris, désordre ; du nombre et des caractéristiques des participants ; du calme ou de l'excitation dont ils font preuve ; mais l'analyse reste globale et ne comprend qu'exceptionnellement un contenu verbal. Si le chercheur s'intéresse à la participation politique dans une collectivité, les catégories suivant lesquelles il classera les manifestations individuelles ou collectives : assistance aux réunions, inscription à un parti, seront différentes des catégories employées pour étudier, par exemple, la ségrégation ou les relations entre sexes et noter les comportements intéressants : les garçons et les filles vont ou non au cinéma ensemble, les jeunes gens sont invités ou non dans la famille de la jeune fille, etc. De même, dans un groupe restreint, si le chercheur veut s'attacher à la façon dont le groupe prend des décisions, les catégories : recherche d'information, proposition de solution, opposition systématique, seront autres que celles choisies pour étudier les valeurs du groupe, ou le rôle qu'il remplit pour chaque individu.
832 Les critères O Enfin, dernier problème, et non le moindre, hé lui aussi au problème des catégories et des objectifs de l'enquête : comment découvrir les faits révélateurs ? Les problèmes qui se posent dans les groupes humains, collectivités ou groupes plus réduits, sont complexes et se situent souvent à un niveau profond. Rien n'indique au chercheur quels sont les critères significatifs. Dans une enquête d'exploration, ils sont, par définition, inconnus. Sans doute, le chercheur pourrat-il à l'avanceaccumuler une documentation statistique concernant la composition de la population : âge, sexe et les divers facteurs : le niveau de vie, d'instruction, l'évolution des revenus, le nombre de télévisions ou de machines à laver. Ces chiffres peuvent être révélateurs, permettre une hypothèse, mais comment les membres de la communauté ressentent-ils leurs problèmes, comment manifestent-ils ce qu'ils éprouvent ? C'est cela, aussi, qu'il s'agit de découvrir, mais par quel moyen ? Comment l'observateur peut-il être sûr qu'il observe effectivement des processus présentant une unité fonctionnelle, se rapportant à une cause commune et non des éléments sans lien entre eux ? Aucune technique ne peut donner ici de certitude, seule la connaissance de domaines analogues, l'expérience et la réflexion peuvent orienter l'observateur vers la découverte de ce qui est important et significatif. 833 b) L'observation quantitative, systématisée O L'idée d'organiser l'observation est issue des laboratoires de la psychologie expérimentale, où elle est, en général, soumise à des facteurs contrôlés et souvent complétée par une expérimentation. Les psychologues sociaux ont voulu essayer d'étudier l'homme dans son milieu normal, ou du moins « en situation », c'est-à-dire en interaction avec
d'autres. Mise au point dans des conditions artificielles, l'observation contrôlée en laboratoire, a servi de modèle pour systématiser, chaque fois que les conditions le permettaient, les enquêtes sur le terrain. Les progrès de cette technique correspondent aux exigences de rigueur croissantes de la recherche. Mais la situation plus complexe de la vie réelle pose de difficiles problèmes d'unités de comportements et de critères significatifs. Les premiers travaux d'observation contrôlée datent de 1933. Proches encore de leur origine, les observations concernent, au début, les comportements physiques dans de petits groupes d'enfants : toucher, pousser, etc. Les consignes des observateurs sont strictes et limitées. Les études sur les groupes d'enfants ont représenté le moyen terme entre le laboratoire et la vie. En effet, la classe est proche du laboratoire et les enfants peu sensibles à la présence d'un observateur. Rapidement, l'observation des faits évolue vers la recherche, sinon de théories, du moins d'explications généralisées des comportements observés. Les progrès de la méthodologie conduisent les techniques d'observation à se perfectionner. Désormais, les observateurs ne se limiteront plus au rôle d'instruments de mesure robots, mais pourront interpréter et classer les comportements, en fonction de leur signification. C'est ainsi que W. F. Whyte (1943) a pu dénombrer, de la fenêtre de sa chambre, les interactions et les modes de groupements entre les membres d'un club de racketters, situé dans la maison d'en face. Il parvint, grâce à cela, à définir les cliques et leurs relations, même à prévoir un conflit dans le groupe et son issue. On ne peut envisager d'observation
véritablement systématisée, sur le terrain, qu'en limitant les manifestations à retenir, en fonction d'un objectif précis. Si le chercheur veut, par exemple, étudier les manifestations d'inadaptation dans un groupe de jeunes enfants, il devra définir le concept d'inadaptation lui-même et en même temps chercher quels processus ou attitudes celui-ci peut inspirer dans le concret, autrement dit, prévoir des catégories d'inadaptation et des critères pour les caractériser. Que retiendra-t-on comme signe révélateur d'inadaptation : se ronger les ongles, ne pas lacer ses souliers, ou être constamment « dans la lune » ? Echelles et catégories. - Deux méthodes d'observation à tendance quantitative sont utilisées. La plus souvent employée consiste à classer les comportements en catégories. Ceux-ci représentent, en quelque sorte, des réponses aux questions qui se posent à leur sujet. Ou encore, l'observateur peut assigner une note aux comportements. Il les classe de façon assez sommaire, suivant une échelle simple. Ceci implique, au préalable, que soient également définis les comportements à étudier. En fait, les deux méthodes sont, quant au fond, semblables. Qu'il s'agisse d'un chiffre ou d'une catégorie, l'observateur juge tel comportement apte à entrer dans telle ou telle classe. La difficulté dans les deux cas, consiste à spécifier les dimensions ou les critères de la catégorie. Des études montrent de fortes corrélations entre les résultats des deux systèmes, cependant leur utilisation répond à des objectifs qui ne sont pas identiques. 834 Les échelles d'appréciation O Appliquées à une seule catégorie de comportements, elles représentent un
progrès, bien qu'elles soient rarement soumises à une procédure d'échelonnement, comme les échelles d'attitude individuelle. Les échelles les plus connues sont celles de Guetzkow et de Heyns. L'échelle de N. T. Fouriezos, M. L. Hutt et H. Guetzkow1419, s'applique à des observations de groupes. Elle ne s'attache qu'aux manifestations impliquant une mise en cause personnelle de l'individu et ne s'occupe pas des autres types d'intervention. L'échelle retient cinq types de comportements, considérés comme révélateurs de l'égocentrisme, qu'elle note de 0 à 10 : dépendance, agressivité, besoin de domination, de considération, catharsis1420. Il est apparu que les individus qui cherchent à s'imposer, mais dont le prestige n'est pas reconnu par le groupe, tendent à faire preuve d'un comportement de plus en plus égocentrique. L'échelle de R. W. Heyns1421, vise plusieurs types de comportements possibles des membres du groupe, qu'elle classe en items : degré de compréhension entre les membres, sentiment d'urgence envers une solution à trouver, attitude tendue ou cordiale, etc. Dans tous les cas il s'agit de noter l'intensité des comportements observés. Au véritable problème que l'on retrouve dans tout classement par catégorie, s'ajoute ici la difficulté d'une évaluation : suivant quels critères juger la signification de tel ou tel comportement, pour le classer dans telle ou telle rubrique. C'est en comparant et en étudiant la nature des indices et la pondération utilisée par les observateurs que l'on arrive à améliorer les systèmes d'observation et à perfectionner les échelles. Pour l'instant, on peut dire que
l'échelle d'appréciation, plus superficielle, moins raffinée que le système de catégories, est utile dans les cas où l'on veut avoir une idée sommaire de la présence ou de l'intensité de certains facteurs. 835 Le classement par catégories de comportements o Nous trouvons ici, amplifiées et adaptées à la vie des groupes, un certain nombre de difficultés, déjà rencontrées à propos de l'analyse de contenu de documents. La variété des types de comportements, le nombre des interactions entre les participants, la rapidité de déroulement, enfin la richesse du mélange d'expression orale et de comportement extérieur, compliquent la tâche de l'observateur. Une catégorie, avons-nous dit, correspond à une classe de manifestations, de phénomènes : agressivité, impatience, compréhension, etc., parmi lesquels on peut ranger un segment de la conduite observée. Alors que dans l'observation non systématique, on prévoit des catégories très larges, très souples, auxquelles on peut toujours ajouter une dimension, lorsqu'il s'agit d'observation systématique, la catégorisation est beaucoup plus rigoureuse et doit recouvrir avec plus de précision les comportements prévus. De ce fait, une enquête systématisée ne peut pas se mener dans n'importe quelle situation, vis-à-vis de n'importe quel groupe. La quantification rend obligatoire la prévision des catégories. On peut difficilement ajouter, lorsque l'on est sur le terrain, des cadres de référence nouveaux et précis. La difficulté consiste à prévoir les catégories les plus adéquates, celles qui correspondent à l'objectif poursuivi, à l'hypothèse émise et surtout aux problèmes de la réalité observée, c'est-à-dire aux comportements révélateurs. Les catégories sont en quelque sorte des questions posées aux faits ou individus observés. Il est
toujours difficile de découvrir les bonnes catégories. Celles-ci doivent aider l'observateur à percevoir et classer toutes les observations intéressant l'objectif sans en omettre et pour cela, l'obligent à avoir prévu les types de comportements qui peuvent survenir, en relation avec les vrais problèmes. Quel que soit le type d'observation retenu, l'important n'est pas que tous les comportements soient prévus, mais bien qu'aucun comportement relatif au problème ne soit laissé de côté. 836 Catégories ad hoc ou généralisations O Certains auteurs se sont demandé (comme dans le cas de l'analyse de contenu), si certaines situations de groupes, dans des collectivités différentes, ne donnaient pas heu à des comportements ou manifestations semblables et dans ce cas, si des catégories préétablies ne pourraient être utilisées régulièrement par tous les chercheurs. Ceci offrirait l'avantage de faciliter l'observation et surtout de rendre comparables des résultats. Ne pourrait-on admettre que les déjeuners d'anciens élèves, d'anniversaires, ou autres, suscitent chaque fois un déroulement semblable de comportements et de thèmes de conversations ? Les chercheurs ont tendance à n'utiliser que des catégories spéciales, rendant finalement impossible toute comparaison avec d'autres travaux du même ordre. Le plus souvent, ce ne sont pas les catégories qui ne conviennent pas, mais les comportements retenus qui ctifrerent. Par exemple, les attitudes de leadership dans un hôpital ou dans une entreprise, peuvent s'exprimer concrètement de manière dissemblable, mais cependant se rattacher à des catégories, à des significations ou motivations identiques. Il y aurait intérêt (sauf cas vraiment particulier) à travailler le plus possible avec des catégories souvent utilisées, c'est-à-dire
se situant à un niveau de généralisation, leur permettant de recouvrir un grand nombre de comportements. La plupart des systèmes qui tentent une systématisation visent uniquement l'observation d'un type de conduite déterminé. C'est le cas du système de Jack1422, centré sur l'attitude de domination ou de soumission des enfants durant leurs jeux. D'autres catégorisations, ont au contraire l'ambition de s'appliquer à tous les types de groupements et de réunions, recouvrant tous les comportements possibles. Même les systèmes se prétendant exhaustifs ne considèrent jamais, en fait, que quelques aspects de conduites probables dans certaines situations collectives. Le plus connu est celui de R. F. Baies, qui étudie les processus d'interaction, intervenant dans les groupes sans leader désigné, ayant un problème à résoudre. 837 Le système de R. F. Bales1423 O II part de l'hypothèse qu'il existe en fait deux sortes de difficultés avec lesquelles tout groupe à la recherche d'une solution se trouve confronté. D'une part, le problème de la solution elle- même, d'autre part, la façon de mobiliser les énergies du groupe pour résoudre le problème. Le processus d'interaction sera inspiré par ces deux types de motivations. Pour Baies, l'interaction, c'est ce qui se produit quand une unité d'action significative et déterminée, émanant d'un sujet : parole, comportement, agit comme un stimulus sur un autre sujet, c'est-à-dire le fait réagir. Baies s'efforce de classer les types d'interactions et d'établir leur fréquence, de suivre le déroulement de ces interactions, de dégager les rôles et niveaux de contribution des différents membres du groupe. Il distingue 12 types essentiels de
comportements : Io montre de la solidarité, encourage les autres, cherche à soutenir le moral du groupe ; 2° se montre détendu, manifeste sa satisfaction ; 3° approuve, montre tacitement son adhésion ; 4° suggère, indique une direction, un but d'action ; 5° donne une opinion, émet un vœu, évalue ; 6° donne une information, éventuellement répète et clarifie ; 7° demande des informations et orientations ; 8° demande une évaluation, une opinion; 9° demande une direction, un but; 10° désapprouve, refuse sa participation; 11° manifeste une tension (gêne, inquiétude, frustration) ; 12° manifeste de l'agressivité, cherche à abaisser le moral du groupe. Baies nomme profils, le total des interactions au niveau du groupe, c'est-àdire qu'il trace le pourcentage de chaque catégorie par rapport à l'ensemble. Ces profils peuvent être également établis par individus : tel individu se montre négatif dans 50 % des cas, tel autre apparaît au contraire comme un leader par le pourcentage de ses propositions positives. On peut aussi étudier le volume et la direction des interactions, c'est-à-dire : qui parle ? à qui ? Tel individu parle plus souvent au groupe ou à tel ou tel individu. Baies a remarqué, que celui qui émet le plus, reçoit le plus et que tous les sujets (sauf dans le cas du leader), parlent d'abord aux membres actifs et ensuite seulement, au groupe. On trouve d'autres systèmes de catégories : celui de R. W. Heyns (1959), qui énumère les fonctions instrumentales mises en jeu par le groupe pour résoudre un problème ; celui de B. Steinzor (1949) qui s'attache à l'atmosphère du groupe et aux motivations des participants (18 catégories) ; les 92 catégories de L. Carter, qui se préoccupe surtout du problème du
leadership dans un petit groupe1424. 838 Nombre de dimensions des catégories O Certains systèmes, comme celui de Baies, prévoient plusieurs dimensions : affective, intellectuelle, etc. Heyns, au contraire, ne sélectionne que ce qui est fonctionnel dans le groupe. La pluralité des dimensions complique évidemment le travail de l'observateur, dont l'attention est dispersée. De plus, certaines catégories peuvent n'être pas exclusives les unes des autres, tout en relevant de dimensions différentes. Peut-on admettre qu'une même phrase soit codée à la fois comme exprimant de l'hostilité et en même temps, suggérant une solution au problème posé au groupe ? Autrement dit, doit-on autoriser un codage multiple ? L'unidimensionnalité des catégories est-elle possible et correspond-elle à la réalité ? Il s'agit ici, comme dans l'analyse de contenu, de cas d'espèces. Certaines catégories ne concernent qu'une seule dimension et parfois même une dimension continue. C'est le cas lorsqu'elles visent une attitude assez bien définie, par exemple l'agressivité. On peut alors parvenir à graduer la catégorie et à constituer une échelle. 839 Observation brute ou interprétation O L'observateur doit-il classer directement toutes les manifestations et attitudes concrètes du groupe considéré, laissant au codeur le soin de les interpréter ensuite, ou devra-t-il, si la catégorie est plus élaborée, se livrer lui-même à une appréciation rapide, à une inférence ? Dans le premier cas, l'observateur notera par exemple, parmi ses observations, que tel membre du groupe chuchote avec son voisin, ou frappe du poing sur la table en parlant. Dans le deuxième cas, il indiquera : l'individu B a besoin d'un soutien, ou C se montre agressif.
En général, les observateurs notent purement et simplement les faits bruts, les codeurs les interprètent et les classent. Pour que les inférences soient semblables et justes, il faut d'abord qu'elles soient prévues par les catégories. Un observateur ne pourra noter «manifeste de l'agressivité» si cette catégorie n'est pas prévue dans le code. Ensuite, pour que tous les observateurs apprécient de la même façon les comportements, encore faut-il qu'ils aient des indications très précises sur les critères significatifs et les éléments à retenir pour l'interprétation, Parmi ceux-ci, nous trouvons le contexte et le niveau d'inférence. 1. 840 Le contexte1425 O Imaginons l'intervention d'un membre du groupe. Quel découpage de temps ou d'activité retenir pour expliquer cette intervention ? Si l'observateur situe celle-ci dans le contexte général et prend toute la réunion comme système de référence, il codera la phrase par rapport à ce qui l'a précédé depuis le début et notera, par exemple : l'individu A poursuit son idée. Si, au contraire, il code l'intervention dans un contexte limité à celle-ci, il pourra noter : l'individu A fait montre d'agressivité. La plupart des experts, par sécurité et souci de fidélité, entre les codeurs, admettent la règle du contexte immédiat 2. 841 Le niveau d'inférence O C'est un des points les plus délicats. Perçue objectivement de l'extérieur, la question d'un membre du groupe peut être jugée sur un plan fonctionnel et classée dans la catégorie : demande d'information. Un autre observateur, connaissant les conflits qui opposent les membres du groupe, verra dans cette même question du sujet A, la manifestation d'un esprit d'opposition
à tel autre membre du groupe et le notera ainsi, Enfin, un troisième observateur pourra retenir le ton ironique de la demande et la classer en tant que manifestation d'hostilité. Il est donc indispensable pour éviter des différences de codage, que les observateurs sachent à quel niveau ils doivent juger et dans le cas où ils peuvent interpréter les intentions, quels indices ils doivent retenir. Les observateurs ont parfois tendance à être impressionnés ou à justifier leur interprétation des intentions, par les réactions qu'elles suscitent dans le groupe. Dans l'exemple cidessus, l'observateur peut estimer avoir eu raison de noter : esprit d'opposition plutôt que demande d'information, si la question a effectivement suscité une réaction violente de la part de celui à qui elle était adressée ; ici encore, le protocole d'observation doit avoir prévu dans le codage si l'influence de l'effet est acceptée ou non. 842 Les unités O Le choix des unités d'enregistrement et de numération pose un problème délicat dans l'analyse de contenu des documents. Il est encore plus difficile à résoudre dans les comportements de groupe. Comment découper un comportement ? Dans un texte, on peut retenir le thème ou l'idée, compter par centimètre, par paragraphe, ou par colonne, mais où commence et où se termine le comportement, même oral, d'un individu ? Le découpage suivant le temps peut être utilisé, il correspond au découpage en terme d'espace (cm ou ligne) des documents écrits, mais il offre beaucoup plus d'inconvénients. Il n'y a pas de formule absolue, sauf une règle très générale : tout système de catégorie, tout codage, doit donner le maximum de précision concernant la taille
de l'unité, l'interprétation des données, des indices, etc. Faute de mieux, on a été amené à définir de façon empirique l'unité de comportement. Baies la considère comme étant le plus petit segment repérable de conduite verbale ou non verbale, qui puisse être classé dans l'une des catégories, au cours d'une observation continue, autrement dit, les manifestations pouvant servir à illustrer la catégorie dans laquelle on les range. Tout comportement composite peut être signalé à part, mais ne doit pas être retenu et codé en tant qu'unité de comportement, sous peine de compromettre la clarté et la rigueur des résultats. On distingue en général des unités non verbales : mimiques, gestes, manifestations et les unités verbales. Celles-ci comprennent la séquence : sujet, verbe, attribut, qui constitue la phrase. Il paraît commode, en pratique, d'appliquer la règle d'unité de signification et de noter une seule fois plusieurs phrases signifiant la même chose dans la même intervention. (Mais, comme le note Baies, ceci ne permet pas de distinguer l'intervention longue ou courte.) La variété des comportements, la rapidité du déroulement, surtout la multiplicité des interactions, dans de petits groupes, obligent à sacrifier une part des phénomènes. On peut décider de n'observer que certains membres du groupe, ou de les observer chacun pendant un certain laps de temps, ou de sélectionner les comportements intéressant seulement certaines catégories et d'abandonner les autres. Enfin, on partagera souvent le travail entre différents observateurs, se relayant, ou observant des éléments différents, l'un le contenu général, l'autre le ton, le troisième les processus au niveau des individus. Les observateurs bien entraînés savent distribuer leur attention entre les différents membres du groupe et
consignent dans un groupe de 6 ou 7 membres environ, 15 observations par minute, le degré de fidélité entre les observateurs dépassant 75. 843 La prévision O Les modifications qui peuvent survenir dans une situation de groupe sont imprévisibles et ne permettent pas d'essayer d'appliquer en cours d'observation des catégories différentes, alors qu'un texte est une donnée sur laquelle un code peut être essayé et modifié s'il y a lieu. Cependant, lorsqu'il s'agit de l'observation d'une série de réunions d'un même groupe, un gang de jeunes par exemple, l'observateur peut mettre au point, dans les premières réunions, son plan d'observation et ses unités de comportement, pour les confronter ensuite avec la réalité et les améliorer. Ceci n'est évidemment pas possible dans le cas d'une seule réunion, où tout doit être prévu à l'avance. Il est vraisemblable que les interactions sont plus nombreuses et le niveau visé plus profond, lorsqu'il s'agit d'un groupe restreint se réunissant souvent, que dans une grande réunion occasionnelle. On peut donc penser que la possibilité de mise au point du cadre d'observation croît avec la complexité d'expression des comportements et le niveau que l'on veut atteindre. 844 Moyens de faciliter la notation des observations sur le terrain o Vu la rapidité de déroulement des interactions dans les groupes et le travail de plus en plus complexe exigé des observateurs, on a essayé de faciliter leur tâche, en préparant les catégories et en facilitant la notion matérielle des comportements, pour limiter au maximum le temps enlevé à l'observation. R. F. Baies (1951) utilise une machine dans
laquelle glissent des feuilles où sont inscrites les catégories. Le codeur note rapidement les manifestations correspondantes, un voyant s'allume toutes les minutes et un compteur les totalise. L. Carter1426, utilisant des catégories non verbales, emploie une sorte de machine de sténotypie, dans laquelle les touches correspondent à des chiffres ou lettres représentant les catégories. E. D. Chapple (1949) utilise ce qu'il appelle « an interaction chronograph », permettant de coder les individus séparément. Ici, la machine a été prévue en fonction des catégories de Chapple et ne peut être utilisée pour d'autres types d'observations. 845 Moyens de conserver le déroulement verbal des interactions o L'enregistrement est un moyen précieux de conserver tous les processus de discussion pour pouvoir les étudier. Mais il a ses limites, car il manque les expressions, mimiques etc. ; de plus, il est difficile d'identifier les interlocuteurs, simplement par l'audition. Sur ce dernier point, la sténotypie est préférable1427. Lorsqu'il s'agit d'observation par catégories verbales simples, c'est-à-dire sans inférence, ni interprétation, le codage d'après document (enregistrement ou sténotypie) ou d'après observation réelle, donne un résultat à peu près semblable. Dès qu'il s'agit d'observation plus complexe, le magnétophone, ou le caméscope, sans remplacer l'observateur, peut l'aider. On a peu étudié l'influence de ce genre d'outils sur les réactions des individus. L'accoutumance supprime assez rapidement les inhibitions (probablement plus rapidement dans les groupes que dans les entretiens individuels). On peut résumer les difficultés techniques de l'observation des comportements de groupe, en disant qu'elle implique des problèmes de choix des catégories d'organisation, mais surtout de mise au
point, en fonction d'une conceptualisation des problèmes de la recherche. Les résultats de l'observation de groupe dépendent donc en grande partie de la préparation technique de celle-ci, mais aussi de la qualification des observateurs. 846 3° Les observateurs,
a) La personnalité et les aptitudes de l'observateur O Les qualités nécessaires à un bon observateur appar- tiennent à deux genres différents, pour ne pas dire opposés. Les divers types d'enquêtes les requièrent toutes les deux, mais avec un dosage presque inversé. Dans l'enquête d'exploration non systématisée, surtout lorsque l'observateur travaille seul, ce sont les qualités d'intuition, le sens des problèmes, l'imagination, la perception des autres, un facteur de sym- pathie positive qui jouent. Dans l'enquête de diagnostic systématisée, les observateurs travaillent souvent en équipe et doivent jouer le rôle d'ins- truments de mesure. Lorsque le plan d'étude des comportements est très précis, ce sont les qualités de rigueur, de précision, qui sont les plus importantes. Les propres besoins et valeurs de l'observateur pèsent sur la façon dont il classe, note ou interprète les données. Là où un observateur sensible notera que tel membre du groupe parle d'un ton sec, un autre indiquera : parle clairement. Ces différences, difficiles à réduire, posent des problèmes sur le plan de la fidélité des résultats. Les limites au perfectionnement. - On peut toujours se perfectionner. Même s'il s'agit d'enquêtes d'exploration, on peut acquérir de l'expérience, tant sur le plan des problèmes à percevoir, que de la technique.
Il est bien connu que les débutants ne savent pas voir et n'observent que le plus apparent. Les observateurs les moins entraînés des Nations Unies avaient remarqué l'explosion, mémorable, de Khroutchev frappant sur la table avec son soulier. Mais percevoir dans un groupe vivant, des associations d'idées, des éléments significatifs peu visibles, nécessite une grande expérience. Il faut du temps pour développer l'aptitude à percevoir les problèmes, encore faut-il qu'elle existe, que le chercheur possède cette forme d'intelligence mêlée de sensibilité aux autres, qui ne s'acquiert pas. Même dans le cas d'observateurs au travail très codifié, les auteurs signalent une corrélation positive entre l'empathie, l'aptitude à participer aux sentiments, émotions d'autrui et l'aptitude à « percevoir » ce qui se passe dans une situation sociale. L'interprétation de données qui demeurent complexes, même avec une codification précise, exige toujours, elle aussi, intelligence et sensibilité. L'apprentissage des observateurs et leur adaptation au travail sont plus faciles dans le cas d'enquête codifiée. Le rôle de l'observateur dans l'observationparticipation est beaucoup moins structuré que dans l'observation systématique. Il improvise davantage en fonction de sa personnalité, des buts de la recherche et de la situation, c'est pourquoi la valeur de l'enquête dépendra davantage de ce qu'il est, de son expérience, que de sa méthode, au sens étroit du terme. Au contraire, dans le cas d'observation contrôlée, la formation est très importante, car il s'agit d'une technique précise, appliquée à des situations qui ne le sont pas toujours. 847 b) La nécessité d'un apprentissage o L'apprentissage porte à la fois sur l'aptitude à déceler les problèmes et les comportements significatifs, l'aptitude à
noter avec exactitude et également sur le développement de la mémoire, indispensable à un observateur. Un des moyens pour l'observateur de progresser, consiste, au début, à noter le maximum d'éléments, en distinguant soigneusement les faits observés et les remarques qu'ils suggèrent La formation des observateurs de groupe s'effectue par des exercices d'observation sur des groupes en laboratoire, ou des situations de groupe, jouées ou filmées. On a remarqué que les observateurs ayant participé à la préparation de l'enquête et du code, connaissant bien les objectifs poursuivis et ayant eu la possibilité de faire des suggestions, obtiennent des résultats bien meilleurs que ceux auxquels on a seulement appris le sens des catégories et la manière de les utiliser1428. Les auteurs américains ont aussi remarqué que les capacités des observateurs étaient en corrélation négative avec leur niveau de formation académique. Autrement dit, il ne faut pas avoir trop de connaissances livresques pour rester concret, objectif... et passionné de recherche. L'observateur doit aussi savoir utiliser et même souvent imaginer un système de fiches facilitant son travail, car il faut presque chaque fois inventer une nouvelle méthode. 848 4° L'analyse des matériaux. L'interprétation O
La première étape de l'analyse consiste, comme dans les autres enquêtes, à établir pour toutes les variables des distributions de fréquences, permettant de faire ressortir les comparaisons à effectuer. Lorsqu'il s'agit d'enquête sur le terrain avec
objectif précis, le plan d'enquête prévoit à l'avance les catégories du code et le travail se trouve simplifié. Mais, dans les enquêtes d'exploration menées par un chercheur ou une petite équipe, l'analyse d'une partie des matériaux se fait souvent au fur et à mesure. Parfois, ce n'est qu'au bout d'un certain temps que des constantes, des facteurs d'influence apparaissent. On peut alors juger souhaitable la recherché de tel élément, non prévu dans le plan initial. Il peut aussi être trop tard et telle variable non observée, non mesurée, devient irrécupérable. C'est pourquoi il est d'usage dans les enquêtes d'exploration, de noter tous les éléments très largement et même au-delà du sujet prévu. Whyte a rapidement découvert l'importance du jeu pour le prestige du leader dans le groupe, mais il regrettait de n'avoir pas noté au début tout ce qui concernait certains faits, dont la signification lui avait échappé. Quelquefois, en dehors de toute qualification, c'est la phrase isolée, recueillie par hasard, qui fera apparaître tout un lot de problèmes vers lesquels orienter la recherche. M. Jahoda (1951) raconte comment, faisant en Autriche une enquête sur les effets psychologiques et sociaux d'un chômage prolongé, la remarque d'un petit garçon ouvrit aux enquêteurs des perspectives auxquelles ils n'avaient pas songé. L'enfant, interrogé sur ses projets d'avenir, confia à l'enquêteur qu'il comptait devenir chef d'une tribu indienne et il ajouta « mais j'ai peur que ce soit dur d'obtenir ce boulot1429 ». Cette réaction représentait-elle un cas isolé ou la réalité du chômage pesait-elle même sur l'univers imaginaire des enfants ? 849 L'hypothèse O L'hypothèse coordonne l'interprétation. Elle est indispensable, car elle assure la continuité et l'unité de la recherche. On interprète, en général, en fonction d'études déjà faites et l'on prépare
la voie à des recherches plus précises. Parce qu'elle est une explication, l'hypothèse crée également des liens entre théorie et recherche, en perfectionnant les concepts utiles à la compréhension des mécanismes psycho-sociaux. Enfin, bien comprise, elle évite les généralisations hâtives auxquelles aboutissent ceux qui franchissent trop rapidement les étapes de vérification, de comparaison des données, sur lesquelles doit être fondée une interprétation scientifique. R. K. Merton1430 montre comment, étudiant l'influence des habitations à mélange racial sur les préjugés raciaux, il avait été amené à quantifier tous les éléments de diminution des préjugés : fréquence des contacts de voisinage, signes de sentiments amicaux, etc. Les résultats semblaient très encourageants. Une enquêtée avait déclaré qu'elle entretenait des relations si amicales avec les familles noires, que souvent, dans la rue, certaines l'interpellaient joyeusement: «Hello Hélène ! » « Mais, ajouta-t-elle après une pause, bien sûr, je m'évanouirais si ceci se produisait dans la Grand-Rue, devant tout le monde. » Cette seule phrase montrait les limites de la quantification, réelle par rapport à ce qu'elle mesurait, mais bornée aux seuls rapports nés du voisinage. Une enquête sur la persistance des attitudes, en dehors des lieux où on les observait et mesurait leur changement, s'imposait Cet exemple montre qu'en tout cas, l'interprétation des éléments quantifiés demande une grande prudence et qu'il ne faut jamais généraliser en dehors du contexte observé et soigneusement vérifié. A ce stade de l'analyse, les qualités d'imagination et de rigueur sont indispensables. L'interprétation des résultats obéit aux
considérations générales déjà évoquées au sujet des enquêtes. Lorsqu'il s'agit d'enquêtes sur le terrain, c'est là un moment particulièrement important, celui où il faut être assez honnête pour abandonner les hypothèses auxquelles on tenait, si les éléments rassemblés ne les confirment pas, assez souple et inventif pour en imaginer d'autres, assez humble pour voir toutes les lacunes de son travail, mais assez passionné pour le continuer tout de même, en y trouvant des satisfactions. § 4. Valeur de l'enquête sur le terrain. Validité, fidélité des techniques d'observation 1431
850 Le degré d'exigence dépend de l'objectif O II est particulièrement difficile de juger de la validité et de la valeur des techniques d'observation de groupes. Elles ne constituent pas, comme les techniques de rapports individuels, un jeu d'outils circonscrits, indépendants, à utiliser dans des buts bien précis avec des résultats distincts, mais elles recouvrent un domaine très large, du petit groupe à la collectivité, et des façons d'observer, qui vont de la codification stricte à la recherche très intuitive. La notion de validité, en ce qui concerne les enquêtes sur le terrain, varie suivant l'objectif de l'enquête et les techniques employées. Dans l'enquête d'exploration, on vise avant tout l'élément intéressant, alors que l'observation quantifiée espère obtenir, par l'addition de nombreux éléments, moins importants mais justes, des résultats significatifs. On ne peut donc poser le problème de la validité des techniques dans les mêmes termes pour les unes et les autres. Les observations quantifiées doivent être jugées en fonction des critères habituels de fidélité et validité : similitude des résultats, justesse, prévision ; l'observation qualitative ne peut être appréciée qu'en fonction de la richesse de son
contenu, de ce qu'elle apporte de plus que d'autres techniques. 851 Io Avantages et intérêt de l'observation qualitative non systématisée O Rappelons d'abord que la supériorité de toutes les techniques d'observation de groupe, provient de ce que l'observation est directe. Elle permet de considérer les événements au fur et à mesure de leur déroule- ment dans la vie du groupe et d'analyser le comportement réel de ses membres. Telle femme, qui, dans un interview, peut déclarer ne pas donner de sucette à son bébé, tel adolescent prétendre ne jamais fumer, tel industriel ne pas être autoritaire, ne pourront, lorsqu'ils seront soumis dans leur vie quotidienne à une observation d'une certaine durée, camoufler ce qu'ils font ou sont. De même, l'accident, la bagarre ou la discussion ne seront pas racontés après coup, mais saisis pendant qu'ils ont lieu. On a pu remarquer que les groupes en compétition étaient plus sensibles à l'observation que les groupes coopératifs. La rapide accoutumance des petits groupes à la présence de l'observateur a été souvent signalée, bien que des signes d'intolérance se manifestent parfois au bout de quelque temps. Il semble que l'imprécision du rôle de l'observateur ait pu en être cause. En ce qui concerne plus particulièrement l'observation-participation, la plus utilisée dans les enquêtes qualitatives, elle est irremplaçable sur le plan d'une certaine spontanéité et qualité de l'information. Elle permet l'accès à des éléments moins précis, mais souvent plus significatifs, que ceux auxquels on accède par des questionnaires. Certains détails ne peuvent faire l'objet de questions et une interview ne rend compte qu'imparfaitement de la vie elle-même. Un autre avantage de l'observation-participation par rapport à l'interview, c'est qu'elle permet
de mieux résoudre, semble-t-il, les problèmes de rapports entre observateurs et observés. 852 Le rapport observateur-observé O On a vu que le rapport enquêteur-enquête était considéré comme l'une des importantes sources d'erreurs dans l'interview. En ce qui concerne les enquêtes sur le terrain, les études sur ce point ont été moins nombreuses, et les résultats moins précis. La variété des situations rend toute comparaison difficile, car la réaction des observés dépendra avant tout de facteurs objectifs, tels que la nature du groupe et le genre d'activités auxquelles il se consacre : une équipe de rugby ou une réunion du conseil général ne seront pas gênées par la présence d'un observateur, alors qu'un gang de jeunes acceptera difficilement un étranger. En général, l'observation-participation résoud mieux que les interviews le problème des rapports enquêteurs-enquêtes. En effet, la durée de l'enquête permet aux observés de s'habituer aux observateurs. Leur neutralité ou leur participation, le fait que les situations soient moins structurées, moins établies, facilitent un climat de compréhension. Enfin et surtout, la situation n'est pas artificielle, les observés ne sont pas arrachés à leurs activités, comme c'est le cas dans l'observation en laboratoire ou dans l'interview. Ils continuent à vivre leurs problèmes et le tonus du groupe, les impératifs de la vie, seront en général rapidement plus forts que la gêne d'un regard indiscret. La présence de l'observateur peut sans doute exercer une influence plus ou moins perceptible sur les événements, mais la situation reste naturelle, alors que dans l'interview, elle est artificielle, suscitée par l'enquêteur, qui domine un enquêté solitaire et en état d'infériorité. De plus, le participant peut connaître les
rumeurs, les potins, ce qui se raconte, se chuchote et surtout ce dont on ne parle pas. Le problème de ce qui est admis ou pas, les normes du groupe, l'atmosphère dans laquelle il évolue, ne peuvent se percevoir qu'en vivant parmi ses membres. C'est encore là une supériorité de 1*observation-participation : elle permet d'accéder non seulement à des réactions individuelles, mais encore à ce quelque chose de plus total et complexe, que représente le contexte social dans lequel vivent les membres d'une communauté. Enfin, certaines hypothèses naissent directement des données, elles ne sont pas limitées à ce qui est préétabli, ou à ce qui ressort de l'analyse des fiches, elles peuvent naître du choc de la réalité. 853 2° Inconvénients de l'observation qualitative non systématisée O A côté de ces avantages, l'observation-participation présente des inconvénients et des limites. Pour observer certains événements, il faut d'abord qu'ils se produisent. L'observateur ne peut être partout à la fois. Il peut manquer tel fait symptomatique qui s'est produit brusquement ou qui, au contraire, s'est fait trop attendre. La variété des matériaux recueillis nuit à leur homogénéité. Les renseignements obtenus au hasard des contacts sont moins standardisés que les réponses à un questionnaire porte-àporte. Ils se présentent sous une forme dispersée, rendant toute comparaison difficile. Enfin, si l'on suppose qu'il est parfois plus instructif de bavarder librement, au lavoir, avec les femmes du village, que de les interroger chez elles de façon systématique, encore faut-il que les données vivantes recueillies, soient ensuite transposées au niveau conceptuel. De plus, l'individu qui refuse de parler de ce qui intéresse l'observateur, n'est généralement pas remplaçable par un autre, comme c'est le cas dans les enquêtes par échantillon. Si un sousgroupe ne veut pas être observé, les résultats
de l'enquête en souffriront. Sur le plan scientifique, l'inconvénient le plus grave de l'observa-tion-participation, c'est d'être souvent le résultat du travail d'un seul chercheur (mis à part quelques exceptions) et de devoir plus aux qualités personnelles de celui-ci et à son expérience, qu'à l'application de techniques particulières. Même dans le cas d'une étude relativement bien ordonnée, il est très difficile de vérifier les événements passés et les résultats stricts de l'enquête, d'après ses données. Une enquête d'exploration peut amener à faire une enquête de diagnostic ou une expérimentation, pour vérifier les hypothèses qu'elle suggère. Elle ne peut en général être elle-même recommencée par quelqu'un d'autre, d'où l'impossibilité de mesurer la validité et la fidélité. 3° Fidélité et validité des techniques d'observation systématisée O Comme dans l'interview, plus une observation est structurée, codifiée à l'avance, moins intervient la personnalité de l'observateur. Dans le cas de l'observation systématisée considérée comme instrument de mesure rigoureux, visant une quantification, la méthode et la façon dont on l'applique, prennent toute leur importance. a) La fidélité O Les problèmes de fidélité ou d'accord entre observateurs mettent directement en cause et de façon très apparente, la méthode et ses résultats. Le fait que deux observateurs puissent apprécier un même comportement de façon différente, présente un inconvénient visible par tous. Dans le cas d'observation systématisée, il existe plusieurs points sur lesquels mesurer la fidélité des différents observateurs. D'abord, la fidélité de tout observateur par rapport à lui-même, c'est-à-dire sa rigueur, sa vigilance, mais aussi la régularité avec laquelle il note suivant les mêmes normes. Ensuite,
l'observation de groupe pose le problème de fidélité de façon assez particulière. Il concerne à la fois le comportement observé et la catégorisation de ce comportement, problème de méthode. Ce n'est qu'après avoir comparé les comportements retenus, que l'on peut vérifier la fidélité des observateurs quant à la qualification de ces comportements et à leur classement dans les diverses catégories. Avant de vérifier si tous ont bien classé le comportement : « est parti en claquant la porte » dans la même catégorie : hostilité et non l'un découragement, l'autre violence, et le troisième déception, encore faut-il être sûr que tous aient noté cette unité de comportement : « départ en claquant la porte » et que les uns n'aient pas noté seulement le contenu des interactions verbales et les autres le ton de ces interactions. 856 Facteurs influençant la fidélité O Un certain nombre d'éléments influencent la fidélité : c'est la qualification des observateurs et la tâche qui leur est demandée. Une observation concrète, limitée à des manifestations extérieures simples, obtiendra plus facilement un taux élevé de concordance entre observateurs, qu'une observation nécessitant une interprétation et un degré d'inférence élevé. La précision des définitions des catégories, des indices à retenir, le codage préétabli de manifestations, sont autant de facteurs facilitant le travail des chercheurs et leur permettant une grande similitude de résultats. On a également démontré que la fidélité augmentait avec le nombre des items ou comportements retenus. Ce moyen extérieur ne peut remédier à une catégorisation ambiguë. En revanche, il est admissible de simplifier les catégories pour réduire des divergences et hésitations des observateurs ; à vouloir trop les nuancer, on risque de n'obtenir que des résultats confus et inutilisables. Enfin, rappelons qu'il est souhaitable d'utiliser le plus souvent possible des catégories semblables et dans ce cas, de
concevoir la notion de fidélité, non seulement à l'intérieur d'une seule enquête entre tous les codeurs, mais également par rapport aux codeurs d'autres enquêtes, dans lesquelles les mêmes catégories sont utilisées. Ceci pour s'assurer d'une fidélité plus générale. 857 b) La validité O Le problème de la validité a été beaucoup plus négligé en ce qui concerne les mesures d'interaction sociale, que dans les techniques de rapports individuels. Il serait souhaitable qu'un effort fût poursuivi de ce côté-là. Considérons les deux acceptions habituelles de la notion de validité. 1° Validité logique. Les observations mesurent-elles ce qu'elles doivent mesurer ? Faute d'un étalon de mesure pouvant servir de critère indépendant les auteurs ayant à juger un système d'observations, se sont surtout préoccupés de la validité interne des catégories : le fait qu'elles concernent ce dont il s'agit. Notons qu'un critère extérieur, lorsqu'il existe, peut n'être pas utilisable. Un observateur qui déclarerait, à la suite d'une enquête de diagnostic dans un atelier, que les ouvriers sont mécontents parce que le contremaître ne leur plaît pas, ne pourrait avec certitude retenir comme critère de validation de son étude, les résultats parallèles de questionnaires demandant aux ouvriers quels sentiments leur inspire le contremaître. Le diagnostic peut être juste, mais si les ouvriers redoutent de s'exprimer dans un questionnaire, la corrélation risque d'être très faible. Il s'agit là de difficultés d'ordre théorique autant que méthodologique, qui gênent la validation par des critères extérieurs, ou les résultats obtenus par d'autres techniques. On peut cependant, sur des points précis, concernant des individus, comparer parfois les résultats d'observations de groupes avec des interviews et analyses de
documents, mais le plus souvent, il ne s'agit pas des mêmes problèmes. 2° Validité empirique. Les observations permettent-elles une prévision ? La réponse est sur ce point plus réconfortante. La justesse des remarques concernant des oppositions entre tels individus dans le groupe, la multiplicité des relations entre tels autres, l'insatisfaction ou le besoin de commander de certains, peuvent se vérifier par la scission d'une clique ou des manifestations extériorisées. Mais la justification par l'événement demeure une preuve que l'on ne peut déclencher à volonté et qui se fait souvent attendre. 858 c) Valeur et intérêt de l'observation systématisée O Les méthodes d'observation de groupe, en particulier les tentatives de systématisation sur le terrain, les efforts faits pour établir des catégories, fragmenter des comportements, tout ce qu'implique cette forme d'analyse de contenu vivante, ne méritent-ils pas les mêmes mises en garde contre des exagérations possibles, que l'analyse de documents ? Est-il vraiment utile de savoir que, dans tel groupe, 25 % des comportements ont traduit de l'agressivité, 10 % de la compréhension, etc. Tout ce déploiement de techniques ne représente-t-il pas un certain gaspillage ? Explique-t-on quelque chose de plus ? Pour répondre, il faut considérer l'observation systématique sous des aspects différents. Sur le plan du niveau de profondeur de l'explication, peut-on dire qu'à des observations plus systématiques et rigoureuses, correspond une possibilité d'explication plus complète ? Certes, ce n'est pas toujours le cas, nous retrouvons ici le problème du « vertige des faits ». En principe, la quantification, l'observation systématique ont pour but d'aller pas à pas, de ne rien laisser perdre, pour permettre ensuite de
proposer une hypothèse, rendant compte de tous les aspects de la réalité observée. Or, n'oublions pas que les problèmes en cause sont des problèmes collectifs de groupe, nécessitant une vue globale. Bien souvent, les arbres cachent la forêt. L'observateur accaparé par sa tâche de transcription rapide des phénomènes fractionnés ne peut chercher leur signification, tandis que le chercheur travaillant ensuite sur ces fiches, n'a pas le contact avec la réalité du groupe. Parfois, au niveau de l'explication, l'observateur participant aura intuitivement et globalement une vue plus juste et plus profonde, parce que globale, du problème, que des observateurs qui décortiquent et quantifient des processus. Cependant, même si l'observation quantifiée n'a pas toujours plus d'intérêt, il faut poursuivre l'effort accompli dans ce sens, car c'est un procédé scientifique qui substitue un ordre de grandeur, des indications, une orientation à une simple intuition et peut, comme l'analyse de contenu ou les sociogrammes, révéler des corrélations qu'on ne soupçonne pas ou même détruire des impressions fausses. Ces procédés d'observation systématique (ou ordonnée) ont été très utilisés en psychologie en particulier pour l'étude des enfants. Ils ont fait progresser ces dernières années la recherche des comportements de groupes et découvrir de nombreux problèmes1432. Le fruit de ces travaux est communicable à d'autres chercheurs et des applications pratiques sont possibles. On suppose, comme cela s'est produit dans d'autres domaines, qu'en accumulant des observations, on pourra généraliser certaines constatations, découvrir des régularités, donc prévoir, ce qui demeure un des buts de la science. Dans ce passage de la collecte des faits à l'interprétation, nous retrouvons la nécessité de l'intuition, de l'expérience acquise sur le terrain, tant dans la participation que dans l'observation. Ici
encore, les deux techniques d'observation ne s'opposent pas, mais se complètent. Elles correspondent à des objectifs différents, à des moments différents de l'enquête. De toute façon, l'observation systématisée est indispensable, par la mise en ordre qu'elle implique et l'effort de conceptualisation qu'elle impose. Il est certes difficile de rendre sensibles et même compréhensibles les problèmes que posent les techniques d'observation. Il nous semble à peu près impossible de convaincre in àbstracto les sceptiques, ceux qui doutent de l'intérêt d'une quantification des comportements humains. Comme pour l'interview, nous dirons que rien ne vaut une expérience vécue, même limitée. Nous serons, sinon plus convaincants, du moins beaucoup plus affir-matifs, en ce qui concerne l'intérêt pédagogique de l'apprentissage de l'observation de groupe. C'est un excellent moyen de formation, qui développe le sens des situations et interactions sociales et intéresse beaucoup les étudiants. § 5. L'Interview de groupe 1433
859 Particularités propres à l'interview de groupe O II s'agit là d'une technique hybride, en partie d'une interview: l'enquêteur cherche à obtenir une information orale de la part des enquêtes, mais non dans un rapport individuel, l'élément de groupe étant prédominant Cette technique est utilisée, le plus souvent, pour des recherches de motivations, dans le cadre d'enquêtes de marché. Elle peut s'adresser à un groupe naturel : une étude de marché sur les postes de télévision recueillera les opinions de groupes familiaux ; ou à des groupes artificiels : ménagères possédant une machine à laver. Il s'agit bien ici d'une technique de groupe, car il apparaît que les informations
recueillies sont un peu différentes de celles obtenues par une simple addition d'opinions individuelles. Elle peut également être utile au stade de la préenquête pour voir apparaître rapidement les problèmes. Le comportement des ménagères possédant une machine à laver n'est pas identique. Pour certaines de plus en plus rares, le linge personnel doit être lavé à la main. Ceci sans doute apparaîtrait dans une enquête d'opinions individuelles, mais la mise en présence de ménagères ayant des comportements différents, favorise l'expression de certaines opinions, permet même à certaines révoltes de se manifester1434. L'interaction entre les membres du groupe favorise une mise en évidence des attitudes et justifie la place de cette technique parmi les techniques de groupe. 860 Bibliographie o
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l'intervention active (Lewin, Moreno, cf. nos 882, 885). Sous l'influence des idées socialistes, des expériences ont été tentées comme celles de J.B.A. Godin, à l'intérieur d'une association de production : le familistère de Guise. C'est ensuite Ch. PeUarin, qui prône le rapprochement avec la méthode expérimentale de C. Bernard. L'opposition à l'expérimentation est liée d'une part à la préférence pour la méthode comparative, qui privilégie l'histoire : variation dans le temps, et l'ethnographie : variation dans l'espace, tendance représentée par Comte et Durkheim. C'est à la psychologie, surtout à la psychophysiologie allemande que l'on doit les progrès de l'expérimentation en laboratoire. Triplett aux États-Unis (1897) organise une expérience pour mesurer l'influence de la présence d'un entraîneur sur des coureurs cyclistes1436. Il transpose cette situation en laboratoire. Enfin A. Binet en France, tente les premières expérimentations sur la psychologie des groupes, groupes qui deviendront, comme on va le voir, terrain d'élection de l'expérimentation. § 1. Le plan d'expérience
862 1 Les conditions d'établissement du plan1437 o L'organisation d'un plan d'expérience suppose que soit posée une question. Celle-ci doit correspondre à un problème pouvant être sinon résolu, du moins analysé et expliqué par les techniques et instruments du sociologue. L'analyse aboutit à une hypothèse, proposition de réponse à la question posée. La validité de cette hypothèse dépend de la façon dont elle résout le problème. L'expérimentation apportera la preuve de la vérité ou de la fausseté de l'hypothèse. Le plus souvent, il s'agit de déterminer les liens qui unissent deux variables : sont-elles
toujours présentes en même temps, varientelles dans le même sens ? Quelle est la cause et quel est l'effet ? Parfois, il s'agit de comparer les effets de deux facteurs, leur efficacité : comparaison entre l'effet du psychodrame et celui d'une discussion de groupe, comparaison des résultats de moyens publicitaires, etc. Prenons un exemple : le groupe de recherche de l'Université de Michigan, sous la direction de French, a constaté que dans les usines étudiées, les équipes de travailleurs qui présentaient le meilleur rendement, étaient celles où l'autorité s'exerçait de façon démocratique. L'observation permettait de constater une corrélation, mais comment distinguer la cause... et l'effet1438 ? Rappelons que la variable indépendante est celle que l'on manipule pour découvrir dans quelle mesure elle influence les autres facteurs : variables dépendantes. Dans l'exemple ci-dessus, la variable indépendante : attitude du contremaître, se compose de plusieurs variables indépendantes : degré de rigueur de la surveillance en corrélation avec la discipline, attention du contremaître aux besoins des employés, façon dont il les fait participer aux décisions ou à la marche de l'atelier. Le rendement des ouvriers est la variable dépendante. La simple enquête ne peut qu'indiquer ces facteurs. L'expérimentation seule permettra de manipuler la variable indépendante : le comportement du contremaître, et de juger des résultats. Le plan d'expérience a pour but, et c'est son avantage sur la réalité, de ne faire varier qu'un seul facteur à la fois. Pratiquement ce n'est pas facile. Il faut pour juger de l'action de la variable indépendante comparer deux populations ou deux éléments dont un seul sera soumis au
facteur à étudier. D'où la nécessité de créer un groupe de contrôle. Ensuite il ne faut pas seulement mettre en évidence le facteur en cause, mais encore éliminer les facteurs extérieurs. Enfin en admettant leur neutralisation, restent les facteurs qui le plus souvent sont liés entre eux, l'indépendance de la variable n'est alors que théorique, et sa relation avec la variable dépendante difficile à épurer. Quelles que soient les difficultés de l'expérience, les conditions d'exécution de celle-ci peuvent se ramener au schéma suivant. On constitue deux groupes les plus semblables possible, le groupe expérimental A et un groupe de contrôle C. On fait intervenir la variable à mesurer x sur le seul groupe A et l'on observe les résultats sur les deux groupes. Si l'hypothèse est exacte, le phénomène z lié à la variable x doit être présent en A et absent ou plus faible en C. la différence entre z dans A et C marque l'influence de la variable x. Imaginons que nous voulions mesurer l'influence d'un cours de science politique (x) sur l'intérêt porté par les étudiants à la politique. Nous pourrons mesurer1439 leur attitude (z) vis-à-vis de la politique au début et à la fin de l'année. Mais comment distinguerons-nous dans la courbe croissante d'intérêt, ce qui provient du cours, ou des événements eux-mêmes ? Pour mesurer ce facteur extérieur, il faut pouvoir l'évaluer et pour cela, le meilleur moyen consiste à mesurer parallèlement les attitudes dans un groupe d'étudiants n'ayant pas suivi le cours (groupe de contrôle C). Si leur intérêt croît par exemple de 5 à 6, alors que celui des étudiants ayant suivi le cours (groupe A) passe de 5 à 8, nous ne retiendrons que les 2 points et non 3. Mais pour que la comparaison soit juste, encore faut-il que le groupe de contrôle soit semblable au groupe expérimental. S'il est composé d'étudiants en droit privé n'ayant pas la même orientation, la comparaison risque d'être faussée.
Pour qu'une expérience soit significative, il convient: 1° de créer un groupe de contrôle semblable au groupe d'observation ; 2° d'écarter au maximum les influences extérieures. 863 a) Établissement de groupes de contrôle o Établir un groupe de contrôle semblable au groupe expérimental n'est pas toujours facile. Les différences les plus dangereuses sont celles dont on ne se doute pas, et qu'on ne peut donc pondérer. Pour rendre les deux groupes semblables, on utilise diverses techniques : Contrôle de précision : il consiste à composer le groupe de contrôle C, avec des individus dont on vérifie un par un la sirmlitude avec celle de chaque individu du groupe A. Cette technique difficile est rarement appliquée. Contrôle statistique : il consiste à vérifier la fréquence de distribution des facteurs en rapport avec l'expérience. Mais la moyenne (par exemple l'âge : 40 ans) peut être la même dans les deux groupes, mais obtenue d'un côté par une majorité d'individus de près de 40 ans et de l'autre, par deux sous-groupes, de 60 et 30 ans. Ensuite, certains facteurs qualitatifs peuvent être difficiles à équilibrer. - Contrôle par le hasard : certains auteurs déclarent que les facteurs inconnus étant trop nombreux, la meilleure façon de les réduire consiste à les neutraliser par un échantillonnage au hasard. 864 h) Suppression de l'influence de facteurs extérieurs pendant la durée de l'expérience o Imaginons qu'un chercheur tente de mesurer, sur un groupe d'écoliers, l'effet d'un film contre les préjugés racistes. L'expérience a lieu en trois temps : 1° on montre à des enfants des images de jeunes Noirs et on note leurs réactions ; 2° les enfants assistent à la projection du film ; 3° on leur montre à
nouveau ces mêmes images et l'on note la différence des réactions pour mesurer l'influence du film. Il faut d'abord s'assurer que les images mesurent bien la réaction des enfants aux Noirs et non au fait que les enfants noirs sont sur les images demi-nus, ou mal habillés, mais surtout il faut être sûr, qu'en dehors du film dont on veut mesurer la portée, les deux groupes n'auront pas subi d'autres influences : sermon du pasteur ou du curé sur l'égalité des hommes et la charité, ou lecture de la Case de l'Oncle Tom, etc. Ici encore il est difficile d'imaginer ces variables extérieures. J. L. Simon (1969) rapporte l'histoire d'une petite ville très fière du taux de fréquentation élevé de son musée, taux qui une année baissa brusquement. On avait édifié une vespasienne à proximité du musée ! Pour diminuer les risques d'intervention de causes extérieures inconnues, il y a intérêt à ne pas faire durer trop longtemps les expériences, mais parfois la durée fait justement partie de l'expérience (exemple du cours). 865 2° Les types d'expériences O On peut ramener les diverses expériences possibles à quelques types essentiels suivant le genre de manipulations et de vérifications pratiquées. Ces deux éléments sont souvent parallèles et la difficulté de la vérification croît en général avec l'ampleur de la manipulation, l'une et l'autre dépendant de la complexité de la situation dans laquelle se déroule l'expérience, de la difficulté d'isoler et mesurer la variable, de la possibilité de quantifier les résultats1440. Citons enfin des cas dans lesquels le chercheur ne manipule pas lui-même, mais peut isoler, après coup, certains facteurs. 866 a) Avant-Après O Les expériences dites
avant-après sont celles qui impliquent le maximum de conditions. Le groupe expérimental est observé avant l'introduction de la variable et après. Par exemple une expérience ayant pour but de mesurer l'influence exercée par une propagande suscitant la peur des caries dentaires1441 sur l'accroissement des lavages des dents. La méthode permet d'étudier une évolution. Pour mesurer l'effet de tel film, de telle propagande, il est indispensable de connaître l'opinion des sujets avant et après l'expérience. On peut ainsi comparer les résultats sur des sujets présentant des caractéristiques différentes. Enfin, sur le plan statistique, la répétition de l'enquête sur les mêmes sujets, donne de meilleurs résultats. L'inconvénient de la méthode provient de ce qu'il est souvent difficile de ne pas prévenir les sujets, ce qui peut modifier leurs réactions et les résultats de l'expérience. Ensuite, le temps qui s'écoule entre les deux expériences, multiplie les chances d'interventions extérieures incontrôlables, susceptibles de modifier l'attitude des sujets. 867 b) Le contrôle après seulement O Ici, le groupe n'est observé qu'après l'introduction de la variable. Cela suppose un groupe de contrôle identique pour comparer. Ce genre d'expérience est plus discret que le précédent. Même avec l'introduction d'une variable par le chercheur, le groupe visé peut n'être pas au courant de l'expérience. C'est le cas de l'insertion faite dans un journal d'étudiants de certaine information dont on voulait mesurer l'effet1442. Lors d'une discussion ultérieure, on a pu comparer les réactions du groupe ayant lu le journal contenant l'information et de ceux ayant reçu le journal sans l'information.
868 c) Ex post facto O L'expérience ex post facto, étudiée par E. Greenwood (1945), relève plus de l'analyse que de l'expérimentation. Il s'agit d'étudier les conséquences d'une variable qui n'a pas été introduite par le chercheur, mais peut être isolée dans la situation même. C'est le cas de l'étude faite par H. F. Christiansen (1938) sur les relations entre l'instruction reçue et la réussite sociale. L'auteur a comparé la façon dont les diplômés avaient résisté à la dépression économique de 1930, par rapport aux non diplômés. Cette méthode, très proche de « l'après seulement », ne permet pas toujours de s'assurer de la similitude des deux groupes que l'on compare. Elle a l'avantage de ne pas exiger de manipulation, de prendre ses éléments dans la réalité, sans artifice. C'est en fait une expérience naturelle ou plus exactement, qui se présente comme naturelle pour le chercheur, les variables ayant été introduites le plus souvent involontairement, par d'autres que lui. 869 d) La simulation O La notion de simulation est liée à celle de théorie et de modèle. Rappelons qu'une théorie se définit par une série de concepts et comprend un ensemble fini de propositions (axiomes avec leurs conséquences) constituant un système hypothético-déductif. « Le modèle a rapport à la fois avec la théorie dont il est une réalisation, et avec une réalité physique à laquelle il se rattache par une mesure1443. » La simulation est une concrétisation d'un modèle, distincte de l'objet auquel il s'applique. Le terme de simulation provient de la recherche opérationnelle et s'applique aux techniques issues de la méthode de Monte Carlo1444. Indiquons, sans pouvoir ici commenter cette division que l'on distingue la simula-. tion numérique, la simulation
analogique et le modèle réduit. Issue des recherches sur la décision, la simulation a été utilisée en économie puis en sociologie, plus particulièrement dans l'étude des groupes et enfin en sociologie politique surtout dans le domaine des relations internationales1445. On distingue généralement dans son utilisation : les jeux, expériences de simulation avec des individus, sans l'aide de machines : jeux pédagogiques, jeux stratégiques, jeux à but de recherche théorique. les simulations mixtes : hommes aidés de machines. les simulations sur ordinateur. Celles-ci permettent grâce à la rapidité de calcul, l'exploitation de nombreuses données. Les résultats de ces expériences sont, comme le note J. G. Padioleau (1969), d'une «éclatante pauvreté théorique». De plus, un grand nombre de simulations utilisent des données qui ne reposent pas sur des observations réelles. En fait le problème essentiel de la validation de l'expérience est totalement escamoté, réduisant « les expériences de simulation à des expériences de science-fiction». Cependant, la simulation étant encore à ses débuts on peut penser qu'elle étendra encore son champ d'action. Une expérience comme celle de R. Abelson1446 compte parmi les plus intéressantes et le laisse espérer. 870 3° Validité de l'expérimentation en laboratoire O Selon sa définition, elle permet au chercheur de contrôler certaines variables et d'en manipuler d'autres. En dehors des difficultés soulevées par l'organisation technique du plan d'expérience, cette dernière se heurte à certains obstacles
inhérents à la situation même et qui vont tracer des limites à sa validité, donc à son utilisation. La validité, nous le savons, est toujours relative à un objectif donné. D'abord et surtout, le cadre du laboratoire est artificiel ce qui amène à se demander dans quelle mesure le comportement des sujets estil le même en laboratoire et dans la vie. Les motivations des sujets peuvent n'être pas comparables et le stimulant de la situation est différent. Pour L. Festinger, l'expérience « miniature » est artificielle et ne constitue pas une maquette réduite de la situation réelle, puisqu'il s'agit d'isoler un seul facteur. Il faut donc « créer une situation dans laquelle l'opération de certaines variables pourra être mise en lumière grâce à des conditions spéciales bien identiques et clairement définies. Peu importe qu'une telle situation ne se rencontre pas dans la vie réelle1447 ». On ne peut dit G. Lemaine1448 « gagner sur les deux tableaux du concret et de la rigueur, l'incompatibilité entre l'un et l'autre est fondamentale ». Deuxième question : les individus, presque toujours des volontaires, peuvent-ils être considérés comme représentatifs de l'ensemble des groupes sociaux ? ou ne peut-on penser avec Mac Nemar1449 que « la science actuelle du comportement humain est en grande partie celle du comportement des étudiants américains de première année ». Ceci nous amène à une troisième question qui recouvre les deux autres : quelle est la portée du résultat de l'expérience en laboratoire ? Peut-on la généraliser à d'autres groupes, la transposer à la vie réelle ? C'est le problème de la validité des expériences. La tentative de généraliser les résultats obtenus dans les expériences sur les petits
groupes, s'est révélée décevante. Les expériences de groupes laissés sans leader, pour détecter chez les participants des aptitudes au leadership, ont donné des indications partiellement vérifiées dans la vie, mais la corrélation demeure faible. Vouloir transposer à la société, les résultats obtenus dans des groupes restreints c'est méconnaître la nature des groupes et des mouvements sociaux. Même la généralisation à d'autres groupes est risquée. L'expérimentation dépend non seulement du type de situation vécu en laboratoire, mais aussi des conceptions de l'expérimentateur, de celle des volontaires observés et de nombreux facteurs culturels. Les femmes américaines réagissent de façon plus positive à une discussion de groupe qu'à une conférence. Mais une autre expérience a montré que pour obtenir un changement d'attitude chez des étudiants indiens, la méthode la plus efficace était la conférence faisant appel à des réactions émotionnelles1450. Dans le premier cas il s'agissait de consommation alimentaire, dans le second du problème des castes, peut-on alors comparer des expériences portant sur des sujets si différents ? Pour conclure, nous dirons que la situation sociale du laboratoire est artificielle et ne peut se substituer aux observations de situations réelles. Ceci ne signifie pas que l'expérimentation soit inutile mais simplement qu'elle convient seulement à certains types de problèmes, et apporte rarement une preuve définitive. Le plus souvent dans le va-et-vient indispensable entre la vie réelle mais complexe et le laboratoire, artificiel mais clair, celui-ci suggère des hypothèses précises, plus qu'il ne les démontre. Ce constat a détourné les chercheurs des laboratoires pour tenter, malgré ses difficultés, l'expérimentation dans la vie réelle.
871 4° L'expérimentation sur le terrain O La distinction entre laboratoire et milieu naturel est parfois difficile à préciser. Ce n'est pas le cadre du laboratoire qui compte, mais le côté artificiel de l'expérience et surtout la façon dont elle est perçue par les sujets. Comment classer l'expérience de Mayo à Hawthorne1451 ? Il s'agissait bien d'observer des ouvrières dans l'usine où elles travaillaient habituellement, mais la salle où se poursuivait l'expérience était isolée du reste de l'usine et les sujets perçurent si nettement l'élément artificiel de la situation, que celui-ci devint le facteur déterminant de la recherche. Les conditions à réunir pour entreprendre une expérimentation sur le terrain sont encore plus difficiles que celles qu'impose une enquête. Les qualités nécessaires, le degré de formation de l'expérimentateur sont forcément élevés, l'aide des enquêtes le plus souvent indispensable. Il faut obtenir plus que des autorisations, des conditions très particulières de réussite. L'expérimentation pose, à partir d'un certain degré d'intervention, un problème d'ordre moral. Les manipulations que nécessitent l'expérience, peuvent encore plus que l'enquête d'exploration, perturber le milieu enquêté. Les dirigeants intéressés ne font appel au sociologue qu'en cas de difficulté, c'est-à-dire dans des conditions rendant l'intervention de celui-ci particulièrement délicate. Pour ne pas troubler les résultats, on dissimule souvent la variable observée, parfois même on simule des facteurs. Toutes ces conditions rendent l'expérimentation sur le terrain difficile. C'est pourquoi les chercheurs se sont le plus souvent orientés, pour mener à bien leurs expériences, vers des groupes habitués à un certain rythme d'activités en commun1452 : étudiants acceptant le rôle de cobaye par intérêt scientifique ou économique, enfants et soldats par
soumission ou curiosité. Ces choix rapprochent finalement ces expériences de celles des laboratoires. Elles constituent cependant un échelon intermédiaire entre l'enquête de laboratoire rigoureuse, mais artificielle et l'enquête d'exploration ou de diagnostic. Aux États-Unis a été reprise sous une forme nouvelle l'expérimentation sur le terrain. En fait, il ne s'agissait pas d'une expérience rigoureuse où l'on isole une seule variable, mais de l'observation d'incidents provoqués, un genre de « happening». Il n'est pas surprenant que ce soit le représentant de l'etbnométhodolo-gie : H. Garfinkel1453 qui ait organisé ce type d'expériences pour vérifier son hypothèse suivant laquelle nous sommes tous « théoriciens-praticiens » et la société persiste, non grâce à des croyances sacrées, partagées, mais par un accord tacite sur ce que chacun sait et comprend des activités humaines quotidiennes. Les consignes données aux étudiants consistaient à amener un point de rupture, soit dans leur entourage par des questions1454, soit par un incident (lâcher de poulets sur la place d'une ville). Ces expériences avaient pour but d'arrêter la routine, de briser la surface des habitudes pour montrer leur aspect conventionnel. C'était en quelque sorte un substitut accessible à l'impossible révolution, d'où son succès auprès des jeunes1455. § 2. Théorie et recherche en matière de groupes
872 Variété des recherches sur les groupes O II n'existe pas encore de véritable théorie du comportement humain en groupe. Lewin est le psycho-sociologue qui a le plus contribué à unir la théorie et la recherche et donné l'impulsion à de nombreux travaux, en fondant le centre de recherche de dynamique de groupe du Michigan.
Historiquement, c'est l'influence du groupe sur la productivité de l'individu qui a retenu d'abord l'attention. Nombre d'autres problèmes ont été soulevés depuis. A l'heure actuelle, on dispose d'une grande quantité de travaux, de concepts, d'orientations (Rogers), de quelques explications générales (Lewin), mais il n'y a pas encore de véritable théorie d'ensemble. L'étude systématique des groupes est trop récente, leur variété, leurs dimensions et le nombre des problèmes posés par des variables difficiles à isoler trop grand, pour permettre une synthèse ou même une conceptualisation homogène. Cependant, ces études ne se contredisent pas, mais le plus souvent se complètent. Chaque auteur ne cherche dans le groupe qu'une explication partielle et n'observe qu'un aspect du problème. L'expérimentation en laboratoire a tout de même permis un certain nombre de mises au point et la conjonction entre recherche fondamentale et recherche appliquée a fait ces dernières années de grands progrès. 873 1° Le groupe comme facteur de conformisme ou de changement, a) Influence sur la perception O La première expérience menée de façon rigoureuse sur l'influence du facteur de groupe l'a été par M. Sherif (1947). Elle a consisté à demander à des sujets, placés dans une chambre noire, de porter sur une feuille blanche la façon dont ils situent un point lumineux (effet autokinétique). L'expérience prouve que ce point étant fixe, certains sujets le voient plus à droite, d'autres plus à gauche, mais surtout que certains modifient inconsciemment leur façon de voir pour se rapprocher du jugement de la majorité. S. E. Asch (1947), pour mesurer l'effet du groupe, organise une deuxième expérience.
On trace au tableau des lignes de longueur inégale. Le groupe reçoit la consigne de donner une réponse fausse. Seuls quelques sujets l'ignorent et l'on distingue alors leur comportement : ceux qui finissent par voir faux, ceux qui pensent qu'ils voient faux, ceux qui pensent qu'ils voient juste mais font comme s'ils voyaient faux pour ne pas se singulariser. 874 b) Influence sur les opinions et les comportements o De nombreuses enquêtes ont montré l'influence de la famille, des amis, du milieu social sur les opinions politiques1456. Toute société, tout groupe exerce une pression sur ses membres pour assurer le conformisme des opinions, comportements et la cohésion de l'ensemble. Il est intéressant de mesurer la force de l'emprise mais aussi la résistance de certaines personnalités à l'ambiance générale, à la propagande comme au lavage de cerveau. Une expérience particulièrement frappante est celle de S. Milgram (1974). Dans un soidisant but de recherche scientifique, des étudiants volontaires payés reçoivent l'ordre de faire passer des décharges électriques d'intensité croissante sur des individus, en fonction d'erreurs dans un exercice de mémoire. Les faux patients simulaient des réactions de douleur de plus en plus vives. De nombreux étudiants demandaient alors d'arrêter l'expérience mais, recevant l'ordre de poursuivre, continuaient1457. Il est apparu que les anomiques et les conformistes obéissaient, pour fuir la responsabilité de la liberté en dehors du groupe et de la désobéissance, à l'ordre reçu. 875 c) Influence sur la production o L'influence du travail en groupe sur la production a fait l'objet d'expériences américaines 1458 puis françaises, dirigées par Cl. Faucheux et S. Moscovici (1965).
Ceux-ci tentent de répondre aux questions suivantes : les groupes réussissent-ils mieux que les individus ? y a-t-il un effet de groupe positif ou négatif sur les performances des individus ? les individus sont-ils supérieurs aux groupes ? les groupes travaillent-ils d'une manière différente ? sont-ils plus ou moins originaux que les individus ?. A partir de travaux différents à effectuer, il est apparu que la supériorité du groupe dépend du type de tâche et particulièrement de la collaboration qu'elle permet. Dans ce cas, ce qui est normal, les groupes épuisent davantage toutes les possibilités de découverte. 876 2° Les fonctions du groupe1459 O Elles sont diverses et l'on doit se souvenir en les étudiant: 1° que les besoins apparents ou avoués des membres du groupe ne sont pas toujours leurs besoins réels et que les fonctions réelles du groupe ne coïncident pas forcément avec ses fonctions apparentes ; 2° que les besoins satisfaits par un groupe peuvent ne plus être ceux que le même groupe a satisfaits dans le passé. On retrouve ici la notion de fonction latente. Il faut d'abord envisager le rôle que joue le groupe pour chacun de ses adhérents. En général, l'appartenance au groupe diminue l'anxiété de l'individu. De plus le groupe assure la satisfaction de certains besoins de ses membres : sécurité ou domination ; en particulier chez les dirigeants : être écouté, admiré, décider, commander, etc. L'appartenance de l'individu à plusieurs groupes posera des problèmes d'équilibre, de conflit parfois. C'est pourquoi les groupes, cherchant à exercer une influence plus complète, tentent de satisfaire tous les besoins de leurs membres. L'Eglise, outre sa fonction religieuse, poursuit une œuvre éducative, culturelle, etc. Le parti communiste le faisait également. Le problème des croyances est aussi lié aux
fonctions du groupe. Même sans viser une propagande, rinformation, dans la mesure où elle est issue d'une même source, tend à uniformiser l'opinion des membres du groupe. C'est une des raisons pour lesquelles les opinions collectives résistent mieux au changement que les croyances individuelles. On arrive parfois à cette situation extrême où personne ne croit plus, mais chacun croit que les autres croient et tous font comme s'ils croyaient1460. En fait, la conformité de croyance avec le groupe satisfait l'individu qui a besoin de sentir qu'il fait effectivement partie d'un ensemble qui le dépasse. Ceci est important pour comprendre le rôle des groupes dans l'évolution sociale et leur résistance au changement, enfin la stabilité et l'instabilité des groupes et leur possibilité tant de résoudre leurs tensions intérieures que de s'opposer aux pressions extérieures. 877 3° La structure du groupe1461 O Le premier élément important est ici le volume du groupe. Il est probable qu'il existe, suivant les tâches à accomplir, une dimension optimale. Tout le monde sait que l'atmosphère d'une réunion à 15 ou à 50 est très différente. Chaque groupe a son atmosphère propre, que détermine son volume habituel. Le rôle des individus dans le groupe, la façon dont ils se comportent vis-à-vis des autres, dépendent en partie de la personnalité de chacun, en partie de la structure du groupe et du rôle que chacun y joue, ou aspire à y jouer. Plus la structure du groupe est précise, plus il faut s'attendre à ce que les rôles soient déterminés d'avance et exercent sur les rapports entre les membres, parfois plus d'influence que les personnalités. Cependant, il arrive aussi que le groupe, tel qu'il est officiellement défini, ne représente qu'imparfaitement la réalité. La sociologie industrielle a appris à distinguer
les hiérarchies formelles des informelles, dans lesquelles tel individu, parce qu'il sait tout, ou entretient de bons rapports avec tout le monde, finit pas détenir une grande influence, malgré un poste officiel subalterne. Une part du comportement de certains membres du groupe n'est donc pas entièrement déterminée par sa structure apparente ou formelle. Structure étroitement liée à trois problèmes qui sont : le commandement, le moral et les communications. 878 a) Le commandement1462 O Un grand nombre d'auteurs ont cherché à établir les caractéristiques physiques, intellectuelles, morales du chef. L'hétérogénéité des résultats a amené à considérer le leader, non plus comme un individu doué d'aptitudes en général, mais de capacités en relation avec une situation donnée ; son action est donc envisagée en fonction des besoins du groupe. Pour R. M. Stodgill (1974), le chef est celui qui est reconnu comme tel par les autres membres du groupe et aide le groupe à atteindre ses buts. Il existe donc autant de types de leader et de commandement, qu'il existe de situations ou de fonctions dans le groupe. D. Krech et S. Cratchfleld (1952) polarisent les fonctions du groupe autour du leader, mais admettent que celui-ci ne saurait les remplir toutes. Fritz Redl1463 centre également le problème de la formation du groupe sur le type de fonction assumée par le leader qui est objet d'identification, de désir, un soutien pour le moi des membres du groupe. Les premières recherches véritablement scientifiques dans le domaine du commandement sont celles des élèves de Lewin, lequel avait déjà insisté sur l'influence des styles de commandement sur les conduites des membres du groupe. R. Lippitt et R. D. White (1947)1464 étudient
quatre groupes d'enfants, comparables quant au niveau mental et au milieu socioéconomique. Les groupes sont réunis en clubs ayant des activités de même type (confection de masques et autres objets). L'expérience a consisté à faire diriger ces quatre groupes par des meneurs de jeu adultes, adoptant un commandement soit autoritaire, soit démocratique, soit de style laissez-faire. Tous les groupes sont commandés suivant chacune de ces méthodes, dont les modalités sont prévues d'avance. Des observateurs notent toutes les interventions du meneur, les réactions des enfants, leurs attitudes, paroles, etc. Les comparaisons ont porté sur divers points. Le rendement au point de vue travail : mauvais dans le groupe laissez-faire, bon dans les deux autres, la motivation paraissant élevée dans les groupes conduits démocratiquement ; mais la baisse de rendement était nette en cas d'absence momentanée du leader autoritaire. L'attitude vis-à-vis du leader : dépendance dans le groupe autoritaire, manifestations de soumission, besoin d'approbation, perte d'individualité, moins d'originalité ; bonne entente dans le groupe démocratique. L'attitude vis-à-vis des autres membres du groupe : bavardage, indiscipline, agressivité dans le groupe laissez-faire ; cohésion, esprit de communauté et d'entraide dans le groupe démocratique ; agressivité ou au contraire apathie et comportements dominateurs de certains, dans le groupe autoritaire. Enfin le sentiment de plus ou moins grande satisfaction éprouvée par les enfants : ils semblent ne pas apprécier le laissez-faire, être satisfaits du meneur démocratique, un certain nombre étant également satisfaits du leader autocratique assurant leur sécurité. Des remarques intéressantes ont été faites lorsque dans un but expérimental, on a perturbé le déroulement des séances de travail (présence d'un ouvrier déplaçant les objets en l'absence du leader). Les groupes
démocratiques ont réagi en s'attaquant aux difficultés, alors que dans les groupes autoritaires, on assistait à des disputes et explosions d'agressivité, non contre le leader absent, mais contre les membres du groupe les plus faibles. Cette expérience a orienté les recherches vers l'influence des types de commandement plus que vers les types de leaders et dans la pratique, sur la formation des cadres autant que sur l'évaluation de leurs capacités de commandement. De même les notions d'efficacité, de réussite, de moral, vont être cherchées en dehors de la personnalité même du leader, non seulement dans le style de commandement, mais également dans le type d'échanges qu'il favorise ou suscite, c'est-à-dire dans la structure des communications. 879 b) Le moral du groupe o II est difficile de trouver des critères convenant à tous les groupes. Dans l'industrie on connaît plutôt les indices de mauvais moral : différentes formes de grèves, freinage de la production, absentéisme, accidents. On a longtemps cru que productivité et moral allaient de pair, d'où l'effort pour améliorer ce dernier par le moyen des relations humaines. De nombreuses expériences ont montré que le style de commandement l'attitude du contremaître, influençaient moral et productivité sans qu'il y ait corrélation positive entre ces deux derniers s'ils étaient isolés. Cependant, quels que soient le but du groupe, sa production au sens large, il existe tout de même, qu'il s'agisse de l'armée, de l'industrie, d'un groupe culturel, sportif ou politique, des éléments qui traduisent le moral du groupe. C'est d'abord sa cohésion interne, en dehors de pressions extérieures, l'absence de discussions, de cliques séparatistes, l'aptitude à surmonter les difficultés, l'attitude positive
vis-à-vis des buts, la communauté d'aspiration et le désir de maintenir l'union. M. et C. Sherif (1953) ont organisé des expériences dans des camps de vacances de jeunes garçons pour étudier les processus de tension et d'harmonie. Nous rappelons également les études faites sur la cohésion et la désintégration de la Wehrmacht1465, auxquelles on peut ajouter les analyses de comportement de groupes réels en cas de crise1466. La façon dont le groupe remplit ses fonctions, donne aux participants l'impression de progresser vers le but cherché. C'est un des éléments concourant au bon moral du groupe. Elle permet d'atteindre un niveau assez élevé de participation : croyances, rites, etc. Elle assure la correspondance entre le niveau d'aspiration et de réalisation : dosage d'idéalisme et d'action concrète dans les partis politiques. Enfin elle garantit ou exige une certaine égalité dans les sacrifices : cas des bombardements systématiques de l'East End à Londres pour rompre l'unité du peuple anglais. Le plus souvent, étant donné ce que les individus cherchent dans le groupe (solidarité, etc.), ils le trouvent d'autant mieux et le sentiment de cohésion sera d'autant plus ressenti qu'ils ont la possibilité de s'exprimer et d'être informés. Ceci dépend en partie du style de commandement, mais aussi de la structure des communications. 880 c) La structure des communications O Retenant dans l'organisation du groupe ce seul aspect de structure des communications, on s'est d'abord demandé quelle était son influence sur l'émergence du leader. A. Bavelas (1951), élève de Lewin, a procédé à l'expérience suivante : un groupe de cinq personnes effectue un certain nombre de travaux. L'une des expériences porte sur un échange de cartes entre les sujets, qui communiquent seulement par des messages
écrits, suivant le schéma de communication prévu. L'individu ayant une position privilégiée, c'est-à-dire plus de possibilités de communications, réussit mieux que les autres. Ceci a donné à Leavitt l'idée de compléter l'expérience par une désignation de leaders1467. Les chiffres indiquent le nombre de fois où les individus occupant cette position sont choisis par les autres. H. Leavitt (1947) a ensuite fait varier la quantité d'information, en la reportant au centre et aux extrémités1468. [Illustrations impossibles à reproduire] Il apparaît à travers ces diverses recherches, qu'en dehors de la personnalité, la position de l'individu à l'intérieur d'un réseau de communication, conditionne ses occasions de commandement, ses possibilités de prendre des décisions opérationnellement valables. Ceci explique que certains individus, du fait d'un statut qui les tient à l'écart des circuits d'information, prennent des décisions regrettables, alors que ceux qui, bien informés, pourraient les prendre, n'ont pas ce pouvoir. L'information devient un facteur aussi important que l'aptitude et le commandement apparaît ainsi moins un attribut de l'individu qu'un aspect de l'organisation. Si le système de communications conditionne celles-ci et affecte les décisions, leur efficacité dépend également de la possibilité, pour les récepteurs, d'émettre de leur côté, pour demander des explications complémentaires. L'importance de ce « feedback », ou échange en retour, est très bien mise en lumière par l'expérience de H. Leavitt et R. A. Muel-ler (1951). Il s'agit, pour un sujet A, d'indiquer verbalement, sans montrer le modèle, la position d'une série de rectangles à un groupe de personnes B qui doivent les reproduire.
[Illustrations impossibles à reproduire] 1° A invisible, explique - B ne pose pas de questions. 2° A visible, explique-B ne pose pas de questions. 3° A peut répondre oui ou non aux questions posées par les membres de B. 4° A répond à toutes demandes d'éclaircissements. La précision ou la conformité entre les dessins des membres du groupe et le modèle croît évidemment de 1 à 4. La rançon de cette précision est le coût du temps. Cette expérience plus limitée, nous paraît aussi intéressante que les précédentes, sinon sur le plan théorique, du moins sur le plan pratique. Elle est d'abord moins artificielle. Dans le cas d'étude sur le leader, d'autres éléments entrent en jeu, systématiquement ignorés en laboratoire, alors qu'il est très fréquent de donner des ordres par téléphone, ou verbalement et rapidement. L'expérience se rapproche donc de la réalité et permet aux participants de se rendre compte de la difficulté d'être compris et de la nécessité de toujours vérifier la bonne réception et l'interprétation des messages1469. Les études de groupe ont dicté, avons-nous dit, certaines modifications concrètes (hôpitaux, etc.), cependant elles n'exercent pas encore l'influence qu'elles méritent. Les problèmes de groupe appartiennent encore au domaine de recherche des psychosociologues et les savants des autres sciences sociales n'ont pas utilisé les progrès accomplis. Il est surprenant par exemple que l'on étudie les partis politiques sans se référer à ce qu'ils sont d'abord : des groupes.
Une expérience concluante consiste à faire chercher par des étudiants ayant étudié les problèmes de groupes, le plan d'une étude sur les partis. Ils l'établissent sans peine, retrouvant tous les problèmes de structure, de hiérarchie, de commandement, problèmes d'appartenance, de rôles, de buts, de relations interpersonnelles, de rapports du groupe avec l'extérieur, etc. Voulant dépasser le stade artificiel du laboratoire expérimental, un grand nombre de chercheurs se sont, à la suite de Lewin, orientés vers une méthode de recherche dans les groupes, visant à la fois une recherche fondamentale et des applications pratiques plus immédiates, que nous allons maintenant aborder. 881 Bibliographie o
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882 Précisions O On a jusqu'ici indiqué divers
types d'enquête, en se plaçant du point de vue de l'observation scientifique la plus objective possible, qu'il s'agisse d'exploration, de diagnostic ou d'expérimentation. On a indiqué toutes les mesures prises par l'observateur pour que sa présence trouble le moins possible le milieu enquêté et neutralise l'effet, considéré comme perturbant, de l'enquête. Un autre type de recherche va justement utiliser ce facteur, non pas troublant, au sens péjoratif, mais actif, de l'enquête. La façon d'utiliser cet élément dynamique, qui obéit à des processus encore mal connus, est l'un des objectifs de la recherche, que Lewin appelle l'action research et que l'on traduit habituellement par recherche active. La notion de recherche active implique non seulement comme son nom l'indique, l'efficacité d'une recherche appliquée, mais également un lien étroit avec la recherche fondamentale. Cependant, la simple constaration des effets de l'observation n'aurait pas suffi à faire progresser l'étude des interventions, si, au-delà de cet empirisme, on n'avait pu généraliser, utiliser des théories, des concepts. Les uns et les autres sont issus de la recherche appliquée. Ceci explique comment, l'évolution s'étant faite en fonction de façons d'agir personnelles, de techniques variées, on a trouvé des résultats, des explications, des théories différentes, qui ont à leur tour modifié les conceptions et expériences des recherches actives ultérieures. La littérature anglo-saxonne entend par recherche active ce qui correspond en gros à ce que l'on appelle en France intervention psycho-sociologique alors que les deux pratiques ne sont pas identiques. J. Dubost (1987)1470 maintient la distinction en notant que certaines interventions se limitent à un but technique ou économique, même parfois de propagande1471. D'autres au contraire
n'acceptent pas le rôle directeur de « l'agent de changement » tel qu'il est conçu dans la recherche active de Lewin. Avant d'aborder les expériences et les orientations qui les inspirent, il est nécessaire de mieux distinguer les deux appellations en cause. L'action research part de la conception lewinienne des rapports entre l'individu et ce qui l'entoure en terme de champ (cf. n° 190 bis). La recherche active telle que la conçoit Lewin, a pour objectif une production de connaissance : comprendre ce qui se passe, mais en même temps, elle implique la participation des membres du groupe concernés par cette recherche. J. Dubost retient quatre caractéristiques de l'actionresearch. C'est d'abord une recherche fondamentale, ensuite une recherche sur l'action et du fait de l'intérêt porté à son efficacité, une recherche pour l'action. De plus, la participation des sujets à la réflexion en fait une recherche en action. Les disciples de Lewin insisteront sur le changement qu'entraîne la recherche, changement volontaire (planned change) qui implique comme le note Lippitt la relation entre le client auteur de la demande d'intervention et le consultant. La recherche active devient alors développement organisationnel (D.O.). Comment définir la recherche-action alors qu'elle recouvre tant d'ambiguïtés. Pour J. Dubost, c'est « une action délibérée visant un changement dans le monde réel, engagée sur une échelle restreinte, englobée dans un projet plus général et se soumettant à certaines disciplines pour obtenir des effets de connaissances ou de sens »1472. Si cette définition peut schématiquement convenir à toute intervention elle se distingue du moins par l'accent porté sur des points
différents. L'intervention psychosociologique constitue la réponse à une demande d'aide, elle a pour objectif premier un changement non une production de connaissance. Cependant, l'intervenant n'est pas seulement un expert appliquant une technique, son observation, sa réflexion produisent tout de même un savoir. Plus encore que la recherche active, l'intervention psychosociologique n'est pas instrumentale, les membres de l'organisation participent à la recherche et conditionnent le changement. Enfin, dernière remarque déontologique : l'intervenant n'est pas qu'un consultant extérieur rémunéré, il est impliqué dans la recherche et son attitude, pendant l'intervention, s'inspire de valeurs au principe même de la démarche, une éthique démocratique. Les théories et expériences des psychosociologues qui ont procédé à des recherches-actives ou à des interventions, présentent au-delà de leurs différences un point commun : toutes visent à obtenir un changement. Concrètement se posent alors les questions : comment ? pourquoi ? où ? C'est là que les points de vue divergent. 1°) L'intervention est-elle demandée, par qui et pourquoi ? Des facteurs variés vont intervenir suivant le lieu et l'objectif. Changement demandé par un institut de rééducation (J. L. Moreno, 1954), le gouvernement (K. Lewin, 1959), une entreprise (E. Jaques, 1976, M. Pages, 1959, Floyd Mann, 1961), une commune (J. Dubost, 1972), une administration (M. Crozier, 1971), une minorité (G. Lapassade, 1971). Malgré les conséquences que peuvent entraîner des demandes de provenances si diverses, toutes se résument en une demande d'aide. Le demandeur attend un diagnostic, mais surtout un début de solution, un
changement dû à l'intervention elle-même. Ce peut être une modification vis-à-vis d'une décision : refus, acceptation ou contreproposition, un nouvel état d'esprit, la réduction d'une tension. On imagine les problèmes que posent l'acceptation de la présence de l'intervenant par le groupe, l'entière liberté que doit lui accorder l'organisme demandeur. Si l'intervention n'est pas réclamée par une des parties en cause, mais dépend de l'initiative du psychosociologue, le pourquoi est alors d'une autre nature. Quel est son objectif puisqu'il ne s'agit plus de répondre à une demande d'aide ? A part une rémunération financière (facteur qui joue un rôle plus ou moins important), ce qui motive l'intervention, c'est le désir de comprendre ce qui se passe, une volonté de recherche plus active, on l'a vu, dans l'actionresearch, que dans l'intervention où l'élément d'aide est, lui, prépondérant. Si le demandeur joue un rôle non négligeable, celui de l'intervenant est, lui, essentiel : sa formation, sa nature, sa personnalité dicteront son attitude et le déroulement de l'intervention. Cynique et intéressé profitera-t-il de la mode, de la naïveté de certains PDG, pour intervenir, sans trop se soucier de ce qui se passe, ou tel un saint-bemard trouve-t-il dans cette relation d'aide une gratification particulière et toute son affectivité est-elle en cause dans les remous du changement, ou encore gourou paranoïaque jouit-il de sa position d'autorité en gardant ses distances ou en projetant ses fantasmes, enfin savant Cosinus observe-t-il comme un entomologiste, l'agitation des membres du groupe en recueillant des données pour une théorie définitive ? La pondération différente de ces divers éléments distinguera les types d'intervenants et leurs conceptions, attitudes et pratiques. L'énumération de pratiques si hétérogènes rend assez surprenant de les voir rangées sous la même rubrique. Il ne s'agit pas seulement d'une opposition classique entre recherche et
action, c'est à l'intérieur de l'action qu'interviennent, comme on l'a vu, de nombreux risques de dérapage. Pour s'en tenir aux problèmes sérieux, espérant que les autres disparaîtront d'eux-mêmes (les mauvais produits ne se vendent pas longtemps), le plus important est le lien à maintenir entre la théorie et l'action, autrement dit le maintien, dans tous les cas, d'un objectif scientifique. Il ne s'agit pas là de se soumettre à la mode par un discours technocratique, mais ce maintien constitue la meilleure protection contre les pressions de la demande et la tentation de céder à des intérêts particuliers. Comme l'écrit J. Dubost : « Une pratique de consultation qui se veut réellement collaborative doit tenter d'échapper au rapport de dépendance hiérarchique, comme au rapport paternaliste, au rapport marchand de prestation de service... comme à " la violence symbolique " de l'activité éducative ou enseignante.»1473 Ni la satisfaction d'avoir atteint l'objectif d'aide ou résolu le problème ne suffisent pour définir le projet. « Il faut encore que le travail produit par le processus prennent sens en un point qui soit en quelque sorte extérieur aux partenaires de la relation1474. » En réclamant un objectif scientifique pour offrir à ces pratiques un point commun les unissant, J. Dubost n'entend ni réclamer pour elles un statut d'autonomie, ni imaginer qu'elles puissent remplir les conditions d'expérimentation classique. Souhaiter un travail et un statut scientifique signifie une complète intégration à l'enseignement universitaire et une plus large participation aux recherches qui s'y poursuivent. Étant donné la nature du domaine étudié, on ne peut exiger l'application de la méthode expérimentale, mais seulement les règles assurant la rigueur de l'approche clinique. J. Dubost connaît les écueils de l'intervention
psychosociologique mais aussi ce qu'elle contient de possibilités. Parce qu'il est conscient de la fréquente dérive commerciale des pratiques et de l'incompréhension de certains sociologues, il insiste dans chacune de ses publications sur la nécessité de tenir ferme cet objectif scientifique. Un autre danger plus grave menace aujourd'hui la recherche-action : l'alliance objective de la technocratie des appareils d'État avec une certaine conception des sciences sociales. Le cognitivisme, le comporte-mentalisme, etc., gomment les contacts et particularités interindividuelles pour leur substituer des schémas mécaniques et généraux. De même, on assiste dans les sciences sociales à la disparition ou à l'éloigne-ment des responsables d'activités d'intervention. Ce que J.-P. Lebrun qualifie de rupture de l'énonciateur avec l'énoncé1475. A la place du cabinet d'études envoyant des chercheurs sur le terrain pour établir un diagnostic, après avoir créé des liens plus ou moins étroits avec le groupe à observer, on se contente de quelques informateurs non impliqués et peu rémunérés (ex. : correspondants de cage d'escaliers) ou encore de faire appel à un consultant plus onéreux mais qui ne bouge pas de son bureau. Deux domaines cependant résistent encore : l'éducation et l'urbanisme. Devant l'urgence des solutions à trouver on ne peut négliger aucun moyen. La tendance est malheureusement à des crédits octroyés d'en haut, pour des profits ne tenant pas compte de la réalité humaine et des éléments favorables qu'une recherche-action au niveau du groupe observé pourrait développer. Dans ce domaine extrêmement complexe, encore mal exploré, où les opinions évoluent, il est particulièrement difficile de classer les
diverses techniques d'intervention et les théories qui les inspirent. Max Pages (1972) propose une classification imparfaite et provisoire, mais tenant compte des diverses tendances. Le niveau de l'intervention et le but poursuivi : intervention au niveau des structures et intervention d'information ; d'autre part l'attitude du chercheur : intervention de type distancié, plus ou moins directif, dans laquelle le chercheur intervient par le truchement d'une enquête ou d'un sociodrame et approche clinique non directive, dans laquelle l'observateur est directement en contact avec le groupe qu'il réunit. Cette classification ne comporte aucune séparation tranchée, mais des dosages dans lesquels un élément l'emporte sur les autres, sans toujours les exclure. § 2. L'apport théorique
882-1 1 o Kurt Lewin : Vaction-research et la notion de changement O
L'action-research part de la conception lewinienne des rapports entre l'individu et son environnement en termes de champ. Les groupes, dans la théorie lewinienne, forment des ensembles définis par des liens d'interdépendance entre leurs membres et possédant un champ psychologique spécifique. Le champ des phénomènes inclut le chercheur et l'objet de la recherche. Celle-ci, dans le groupe, a pour but une production de connaissances, c'està-dire un objectif épistémologique. Dans le cas de Lewin, on trouve également une inspiration idéologique : un idéal démocratique et concrètement, un désir de participer à l'action du pouvoir. La^ rupture avec le behaviorisme et l'idéologie technocratique régnant aux États-Unis est très nette, mais cette réaction de rejet avait commencé avant les
expériences de Lewin et celle d'Elton Mayo (cf. n° 166) qui montraient l'importance du facteur humain et des réactions de groupe. La théorie lewinienne du changement, a donné à la recherche active son point de départ et son orientation. Cette théorie est issue d'une expérience pratique1476. Lewin fut chargé pendant la guerre, par le gouvernement américain, de tenter de modifier les habitudes alimentaires des ménagères. Il organisa d'abord une série de conférences pour expliquer aux femmes la valeur calorique des abats et diminuer la demande de viande de boeuf. L'influence de ces réunions fut cHffrée à 3 % de modifications, dans le comportement des consommateurs. Lewin entreprit alors une série de réunions-discussions dans lesquelles, au lieu de monologuer, il incitait les participantes à donner leur opinion, faire part de leurs essais, etc. Les résultats furent spectaculaires puisqu'on enregistra 32 % de modifications dans les achats. a) L'équilibre quasi stationnaire O Lewin explique cette différence dans l'efficacité du type d'intervention de la façon suivante. Il existe dans tout groupe un équilibre quasi stationnaire, supporté par un champ de forces comprenant deux composantes : 1° l'ensemble des forces qui agissent pour maintenir le niveau de comportement du groupe à un point donné d'équilibre, par exemple dans le cas des habitudes alimentaires, la rapidité de préparation, le coût, etc. A côté de ces éléments objectifs on trouve : 2° un ensemble de forces qui agissent pour maintenir le comportement de chaque membre du groupe au niveau d'équilibre du groupe. Ces forces constituent ce que l'on appelle les normes (ou standards) du groupe : croyances, préjugés, habitudes. Elles peuvent être institutionnalisées (loi punissant l'adultère,
interdiction de manger du porc), avec des sanctions extérieures ou intérieures. Ces normes ont un effet plus ou moins contraignant, suivant les domaines qu'elles réglementent et la nature des individus. L'intérêt des remarques de Lewin n'a pas consisté simplement à nommer équilibre quasi stationnaire, ce que d'autres considéraient comme attitudes collectives, mais à tirer les conséquences de cette castinction entre les deux types de forces en présence dans le groupe. Pour Lewin, si l'on veut obtenir un changement, ce n'est pas comme on le croyait jusque-là, sur le premier ensemble de forces qu'il faut agir, mais sur le second. Or la conférence agit sur le premier. On veut modifier le comportement du groupe et pour cela on essaie de persuader chaque individu de l'intérêt de manger des abats. L'individu veut demeurer conforme aux normes du groupe, or celles-ci ne pourraient changer que par une modification des croyances de l'ensemble des individus, qui justement veulent rester conformes au groupe, d'où blocage et échec. Dans la discussion au contraire, c'est l'équilibre de l'individu au niveau de l'équilibre du groupe, qui se modifie. Il suffit d'un léger mouvement non conformiste d'un des membres du groupe, pour que les autres perçoivent une possibilité de changement. Il se produit ce que Lewin appelle une « décongélation ». Au lieu d'avoir l'impression d'être isolé s'il change, l'individu sent qu'il le sera, s'il ne suit pas le mouvement qu'amorce le groupe. Il ne s'agit pas seulement de la prise en considération de l'efficacité d'un engagement et d'une participation active, mais d'une explication des mécanismes de changement à l'intérieur d'un groupe. Elle servira de point de départ à la recherche active et à toutes les expériences, menées
ensuite par Lewin et ses disciples, sur la dynamique des groupes. 884 b) L'application pratique : la recherche active O La discussion provoquée suscite des changements. Elle est donc en même temps un passionnant sujet d'observation, puisqu'elle permet d'étudier les processus en train de se faire. Pour Lewin, recherche et intervention s'appuient l'une sur l'autre. L'intervention bénéficiera de la recherche, dans la mesure où celle-ci portera sur la solution de problèmes pratiques (technique d'action). La recherche, de son côté, sera plus approfondie et complète si elle vise les sujets eux-mêmes, car elle suscite leurs réactions. Mais pour Lewin, ces deux directions : recherche et intervention, bien qu'interdépendantes, restent distinctes et ne diffèrent pas des formules classiques antérieures, étudiant l'une ou l'autre. La recherche active, suivant la conception de Lewin, se rapproche en l'enrichissant, d'une notion de recherche appliquée ou d'une technique d'action. Lewin, malgré son intérêt pour la théorie, était sensible aux problèmes humains concrets tels que la naissance des préjugés, les attitudes vis-à-vis des minorités, en particulier à cette notion de conflit qu'il aborda sous des formes différentes : conflits industriels, conjugaux, etc. Il fut l'un de ceux pour lesquels, non seulement la recherche fondamentale ne pouvait se dissocier de la recherche concrète, mais même de la fonction sociale. Les travailleurs sociaux plus particulièrement chargés de résoudre les difficultés des individus, au niveau de la vie quotidienne, ont, sur tous les problèmes un point de vue peut-être limité, mais riche de toute la complexité du réel, qui échappe souvent aux chercheurs. Ces derniers, sous prétexte d'expérimentation, se servent indéfiniment des populations cobayes, d'étudiants et de militaires et finissent par se couper de la
réalité. Sans doute les objectifs de l'action sociale ne sont-ils pas toujours compatibles avec ceux de la recherche, mais ils ne doivent pas non plus être systématiquement séparés. A côté des expériences de Lewin, nous trouvons celles, déjà citées, de R. Lippitt et R. D. White (1965)1477 sur les résultats des différents types de commandement et celles, également très connues, de L. Coch et J. R. P. French (1947), comparant les effets sur le rendement d'ouvrières de la confection, de différents modes de participation à la décision. On peut dire que ces expériences, visant à tester différents types de leadership et différents types de participation, tentent, au sens lewinien du terme, d'intervenir dans ce qui constitue les structures psychologiques du groupe (communications, rôles, buts, etc.). C'est une des premières formes sous laquelle est apparue la notion d'intervention. L'action-research demeure vivante aux États-Unis mais elle n'est plus à la mode et si un jeune étudiant peut encore présenter une thèse sur ce sujet, un chercheur, lui, obtiendra difficilement un crédit de recherche. 885 2° Moreno et la sociométrie.
a) Notions générales o Le terme de sociométrie1478 a été composé par J. L. Moreno1479, psychiatre roumain émigré aux États-Unis. Il s'agit d'un procédé permettant d'introduire la quantification et la mesure, dans l'étude des interactions sociales. Moreno eut, dit-il, l'idée de la sociométrie en regardant jouer des enfants dans un
jardin public. Chargé après la première guerre mondiale de l'administration d'un camp de réfugiés dans le Tyrol, il s'aperçut que les individus s'adaptaient mieux et trouvaient plus facilement leur équilibre lorsqu'ils pouvaient former des groupes suivant leurs affinités, au lieu d'être réunis arbitrairement ou au hasard. Rentré aux États-Unis, Moreno se livra à de nombreuses études sur les groupes. Il déclare dans son ouvrage Psychodrame, avoir élaboré ses conceptions à partir de trois doctrines très différentes : celles de Bergson, de Freud et de Marx. Pour Moreno, la spontanéité et la créativité, sont la source des relations entre individus. Il existe dans l'homme une spontanéité socio-affective, qui s'exprime dans des préférences ou des rejets. Cette spontanéité est à l'origine de la structuration des relations dans le groupe et de leur évolution. La réalité sociale est pour Moreno fondamentalement affective. « Pour le sociométricien, toutes les unités sociales sont d'abord des systèmes de préférences positives et négatives. » Notre siècle, déclare Moreno (1954), a vécu sur le principe de la conservation de l'énergie, au sens propre de la physique, mais aussi au sens figuré. En effet la spontanéité, énergie psychique, est freinée, car l'homme, pour assurer sa sécurité, a développé des « conserves » individuelles : mémoire, habitude, et des conserves sociales et culturelles, qui lui évitent de perpétuels efforts pour s'adapter à des situations sociales nouvelles. Ces modèles, d'une part, constituent la culture, mais d'autre part empêchent les attractions et répulsions de s'exprimer. En maintenant des rôles traditionnels rigides, ils sont source de tension et d'inadaptation pour les individus, de déséquilibre pour la
collectivité. La sociométrie vise donc, d'une part à acquérir une connaissance théorique des interactions dans les groupes, d'autre part à jouer un rôle thérapeutique, en libérant la spontanéité créatrice des individus, dans leurs rapports sociaux. Après Marx, Moreno affirme que l'on ne peut découvrir la structure propre d'une société, qu'en essayant de la modifier. Alors que Marx tirait de ces affirmations des conséquences en termes de lutte de classes, Moreno entend améliorer le statut de tous les individus en tant que tels. Ses recherches sur les structures de groupe ont pour but d'améliorer la vie en société. On laissera de côté les théories philosophiques de Moreno1480 qui n'entrent pas dans le cadre de cet ouvrage pour s'attacher ici à leurs applications pratiques. 886 b) Aspects techniques : l'obtention des données O On peut concevoir sous le terme sociométrie deux méthodes. La première, objective, relève des techniques d'observation systématique que Moreno a fortement inspirées, sans que cette influence soit toujours reconnue. Il s'agit d'observer les interactions dans le groupe : qui parle ? à qui ? qui sourit ? à qui ? etc. Les premières expériences eurent heu sur des enfants. La deuxième est proprement sociométrique et vise selon Moreno, à conjuguer objectivité et subjectivité. Il s'agit de rendre manifestes, objecrives, les relations entre les membres d'un groupe, telles qu'elles sont ressenties subjectivement par les sujets. Pour cela, on posera à chaque membre du groupe la question suivante : quelles sont les personnes de votre groupe que vous choisiriez de préférence comme camarades de travail ? La mesure sera introduite par le dénombrement des réponses. Elle
s'effectuera en fonction des sujets qui les ont données et suivant ceux qui ont été choisis. La valeur de la mesure dépend de la validité des données obtenues. Il est donc indispensable que les sujets interrogés répondent le plus franchement possible. La meilleure façon d'obtenir ce résultat consiste à ne pas figer le groupe dans une situation artificielle de laboratoire, mais à le laisser vivre dans la situation la plus normale possible. Il convient de prendre des groupes restreints, existant depuis un certain temps, pour que tous les membres se connaissent. Il s'agit, comme dans l'interview, de susciter des motivations positives, de choisir un moment favorable, soit que le groupe puisse attendre de l'expérience une modification souhaitée : dédoublement d'une classe, changement de groupe ; soit qu'il désire résoudre ses propres problèmes : tension, nomination d'un leader, etc. Les questions (posées oralement ou par écrit) doivent être formulées clairement et le verbe mis au conditionnel, le sujet devant exprimer ce qu'il souhaite. Le choix peut être libre : quels sont les camarades avec lesquels vous souhaiteriez travailler ? ou fixe : désignez trois camarades avec lesquels vous souhaiteriez travailler. Le choix libre répond à une exigence clinique et permet de mieux juger l'expansivité du sujet et celle du groupe. Le choix fixe est plus commode pour établir des comparaisons statistiques. Dans les deux cas, on demande au sujet de hiérarchiser son choix, suivant un ordre de préférence. Une amélioration du test a consisté à diviser le choix en fonction de critères de situations différentes. H. Jennings (1965)
(disciple de Moreno) propose de se limiter à trois : un critère de vie commune : avec qui souhaiteriez-vous habiter ? un critère de travail intellectuel ou physique : avec qui souhaiteriez-vous travailler ? un critère de loisir : avec qui souhaiteriezvous jouer ? Ceci permet de distinguer des critères affectifs : loisirs, vie commune et des critères fonctionnels, qui comportent à la fois l'agrément du travail en commun, mais aussi l'efficacité supposée des sujets choisis. On peut encore concevoir un critère hiérarchique, impliquant un choix unilatéral, chaque membre du groupe devant désigner le plus apte à représenter le groupe ou le diriger. H. Jennings pense que ces choix sont indépendants, cependant il semble qu'il y ait une forte convergence entre choix affectifs et choix fonctionnels. Les critères dépendent bien entendu de l'objectif poursuivi. 887 c) Notions élaborées à partir des données o Au niveau du sujet : L'atome social représente non l'individu, mais le tissu des interrelations dont chacun est le sujet. Cette notion est complétée par celle de tele1481 qui serait en quelque sorte le courant, la cause des choix et rejets figurés dans l'atome. Un sujet est caractérisé par son expansivité, c'est-à-dire le nombre de choix qu'il émet et par son statut: le nombre de choix qu'il reçoit. L'étude des statuts permet de distinguer le sujet souvent choisi : l'étoile, le leader et l'isolé, le rejeté, que personne ou presque ne choisit. Dans une étude approfondie on tient
compte de : l'ordre des choix reçus : être 5 fois choisi, en premier n'a pas la même valeur que d'être choisi 5 fois, mais en dernier; l'origine de ces choix : être choisi par un leader, n'a pas la même signification que d'être choisi par un isolé. Ces améliorations ont pour but d'atténuer le fait que les choix et écarts de rang sont normalement considérés comme équivalents. Les résultats des choix sont transposés sur des sociomatrices. En abscisse sont inscrits les choix, en ordonnée les sujets choisis. On utilise les signes suivants : + + attrait réciproque - - rejet oo indifférence chacun pouvant se combiner en :+-;-+;++;- -. Au niveau interpersonnel : Les interférences entre les différents atomes forment des réseaux : la paire, le triangle, et le carré. Ces deux derniers types de réseaux ont tendance à s'isoler, se suffire, parfois à former une clique. Parmi les réseaux ouverts on peut citer la chaîne favorable à la propagation des rumeurs : A —» B B —» C C —> D, etc1482. Moreno a pu appliquer ses schémas dans une maison de jeunes filles délinquantes d'Hudson. Quelques jeunes filles s'étaient échappées. Le sociogramme révéla qu'elles appartenaient à un même réseau ou à des cfiques reliées entre elles. De même à l'occasion d'un vol, on put suivre en quelque sorte la propagation de l'information, très rapide dans les premiers réseaux, puis
progressant plus lentement à travers les autres, suivant les structures du groupe. Enfin, au niveau du groupe, le sociogramme met en évidence les phénomènes de polarisation autour des étoiles ou leaders, les clivages entre les réseaux, les cliques, etc., tous facteurs importants en ce qui concerne la cohésion du groupe. 888 d) Extension aux problèmes de perception sociale o On a cherché à déterminer le degré de conscience sociométrique des sujets ou du groupe, en posant une question supplémentaire : « Par qui pensez-vous avoir été choisi ? » ou même : « Par qui, à votre avis, ont été choisis x, y, z ? ». La perception des choix suppose une forte sensibilité aux sentiments d'autrui. Ceci permet de déterminer : les choix émis par le sujet, ou son expansivité ; les choix et les rejets, c'est-à-dire sa popularité ou son impopularité ; mais aussi l'idée qu'il a de sa popularité ou de son impopularité ; enfin l'impression qu'un sujet donne aux autres de les choisir, ou Y expansivité perçue. On peut ainsi étudier l'exactitude des impressions, les erreurs commises (optimisme ou pessimisme). On a remarqué que les choix réciproques sont mieux perçus que les choix unilatéraux. Au point de vue corrélation, la seule très apparente est celle qui existe entre la popularité réelle et l'expansivité perçue. Le sujet populaire donne aux autres l'impression qu'il s'intéresse à eux. 889 e) Limites théoriques et applications pratiques O D'après Moreno, le caractère' original de la sociométrie consiste à unir, comme le marxisme, théorie et pratique dans une praxis. Cette liaison fondamentale étant acquise, on peut insister dans une recherche particulière sur l'un ou l'autre aspect.
Sur le plan théorique il s'agit, à partir des données recueillies, de dégager les structures de groupe. Moreno, à juste titre, reproche à Lippitt de n'avoir, dans ses expériences sur les groupes autoritaires et démocratiques, retenu que la variable du commandement, sans tenir compte de la composition du groupe lui-même. Que deviendrait tel type de leadership, s'il se heurtait dans le groupe, à une clique opposante et fermée ? Malgré l'apport intéressant de la sociométrie, on peut cependant lui reprocher de demeurer à un niveau descriptif. Elle définit les statuts, mais s'abstient de chercher les causes. Pour formuler des hypothèses explicatives, il faut mettre les données sociométriques en relation avec des facteurs sociologiques et psychologiques, recherchés par les méthodes classiques. Le sexe, l'âge, les facteurs éthiques ou écologiques, les statuts socio-économiques, socioprofessionnels ou sociologiques, sont susceptibles d'expliquer partiellement l'affinité ou l'antipathie entre certains individus. Si l'on veut, par exemple, étudier un sociogramme établi dans un collège technique, on pourra se demander si les origines urbaines ou rurales, la profession des parents ou les projets d'avenir des jeunes gens, influencent les affinités personnelles et psychologiques. Applications pratiques. La sociométrie est un précieux outil d'analyse qui permet d'obtenir une image socio-affective réelle du groupe. Elle fait apparaître les interrelations, révèle la cohésion du groupe, facteur de bon moral, son équilibre hiérarchique ou démocratique, ses risques de scission, s'il comporte des cliques. De nombreux problèmes concernant les structures et communications, clivages
raciaux, études de leadership, peuvent bénéficier d'un traitement sociométrique. Un exemple souvent cité, est celui de l'étude de J. Jenkins1483 sur deux escadrilles d'aviation navale pendant la guerre du Pacifique, l'une présentant les signes d'un tonus excellent, l'autre d'un moral déprimé. Le sociogramme reproduit (p. 742) est révélateur. Dans le groupe A on remarque que le commandant CO a été choisi par 8 hommes et l'officier en second XO par 6, alors que dans l'escadrille B le commandant n'est ni choisi ni rejeté et que le second est rejeté 9 fois. De plus les sociogrammes indiquent l'existence de deux sous-groupes fermés dans l'escadrille B, alors que dans le groupe A, les chefs officiels polarisent les choix. Enfin tous ceux-ci se produisent à l'intérieur du groupe tandis qu'en B on note 4 choix à l'extérieur. 890 f) Applications thérapeutiques O Le but de Moreno est de rééquilibrer les individus, de les adapter à la vie en société par la libération de leur spontanéité1484 et de son réapprentissage. « L'homme a eu peur du feu jusqu'à ce qu'il ait appris à l'allumer, de même il craindra de vivre en faisant appel à sa spontanéité, jusqu'à ce qu'il ait appris comment la provoquer et l'éduquer. » Moreno veut dépasser la psychanalyse, qui se contente de faire revivre au sujet, par un récit, le souvenir des événements passés. Le moyen de provoquer la spontanéité sera le jeu dramatique1485. Les diverses techniques sont le psychodrame, le sociodrame et le rôle playing. Elles ont pour but de faire jouer librement des rôles tirés de situations de la vie réelle, afin d'expliciter certains conflits demeurés inconscients et de permettre aux
sujets de se rendre compte de la façon dont ils perçoivent l'attitude des autres, vis-à-vis d'eux. Moreno est un de ceux qui ont le plus contribué à élargir et utiliser le concept de rôle. Ce thème de l'individu prisonnier de ses rôles, de son personnage, des autres, a inspiré toute l'œuvre dramatique de Pirandello, qui a représenté en partie pour l'auteur même, un psychodrame: «Tu ne comprends donc pas, s'écrie Dujo, dans Comme ceci ou comme cela, que ta conscience ce sont les autres en toi. » Le psychodrame. « Il ne s'agit pas de transformer les patients en acteurs, mais plutôt de les inciter à être sur la scène ce qu'ils sont, plus profondément et plus explicitement qu'ils n'apparaissent dans la vie réelle1486.» L'action dramatique, la communication symbolique qui s'établissent entre les acteurs, permettent au sujet de se libérer de certaines tensions en les exprimant. Moreno a souvent assimilé le processus de cristallisation qu'opèrent le psychodrame et le sociodrame, à la « catharsis » des anciens. Le drame parvenait à libérer les spectateurs de leurs passions, en les portant sur la scène. Le psychodrame permet au malade, aidé par son médecin et d'autres acteurs (ego auxiliaires), de jouer des scènes exprimant ses difficultés. Il peut jouer soit son propre rôle, soit ceux des personnages avec lesquels il est en conflit, dans ce cas il projette la façon dont il les perçoit et les ressent. Le sociodrame présente la même technique de jeu théâtral, mais au lieu de s'attacher à l'individu, il vise à rééquilibrer le groupe lui-même, en révélant les conflits entre les divers rôles. Enfin, le rôle playing représente une forme
réduite et circonscrite du psychodrame. Il est utilisé dans le cadre d'examens psychologiques de sélection professionnelle : vendeur, hôtesse d'accueil. Le rôle thérapeutique au sens strict, auprès des malades, peut être également conçu sous un aspect plus large de formation, de prise de conscience de soi et des autres, de l'effet de son personnage. Le rôle playing est ainsi parfois utilisé dans des sessions de formation de cadres. Il faut signaler une dérive ludique et sans doute commerciale des jeux de rôle1487. Un Américain Gary Cyga amateur de simulation et doué d'imagination eut l'idée en 1974 de créer et vendre des scénarios. Les acteurs s'identifient aux personnages (4 ou 5 en général) qui leur sont attribués par tirage au sort et inventent au fur et à mesure le développement de l'histoire. Le jeu gagne la France et en 1980 fait de [Illustrations impossibles à reproduire ] D’après J. Jenkins nombreux adeptes, surtout chez les garçons âgés de 15 à 20 ans1488. Cette mode inquiète : elle prend du temps (4 à 8 h au moins pour une séance et parfois tout un week-end) et détourne les jeunes de leurs études mais surtout elle déstabilise les individus fragiles qui parfois « décrochent d'une réalité, à laquelle ils sont mal adaptés », d'où des accidents possibles : suicides, violences1489 et les thèmes des jeux peuvent être humanitaires, idéalistes, de science-fiction mais d'autres sont fantastiques, cyniques parfois même pervers. Le jeu développe-t-il rimagination ou inté-resse-t-il les individus qui ne trouvent pas dans la vie l'occasion d'exprimer celle qu'us possèdent ? Psychodrame et sociodrame, en dehors des séances de cure, sous surveillance médicale, sont moins bien acceptés dans les
pays latins qu'aux États-Unis. En France, les tentatives faites sont peu convaincantes. Les expériences conservent un caractère artificiel, les sujets n'arrivant pas à libérer leur spontanéité. Les psychologues sociaux sont d'accord pour affirmer que si role playing et sociodrame sont susceptibles de modifier les attitudes, dans des cas de tension ou difficultés, ils ne sauraient résoudre les conflits impliquant des facteurs objectifs : salaires, rythmes de travail, etc. Dans ce cas comme le note J. Maisonneuve (1959), loin de neutraliser le poids des faits et de la situation, ils renforcent au contraire la perception des lignes de partage entre les intérêts en présence et les forces qui les opposent Quel que soit le jugement porté sur l'œuvre de Moreno, il a indiqué une nouvelle voie d'approche de certains problèmes essentiels que la vie moderne rend très aigus. Il a également modifié la conception du rôle du thérapeute. 890-1 3° Le changement social : A. Touraine O
L'évolution de A. Tou-raine lui a valu des détracteurs parmi les sociologues. Elle est mieux comprise par les psycho-sociologues car il s'agit d'intervention psychosociologique. Les événements de mai 68, ceux du Chili provoqueront « la rupture épistémologique » dont fait état Touraine dans la Voix et le Regard (1978). S'y ajoute un « traumatisme » : le fait que les catégories de pensée des acteurs « étaient complètement étrangères aux catégories de leur pratique ». Sans entrer dans les détails d'une pensée
complexe, on indiquera seulement sur le plan de la méthode l'évolution de Touraine (qu'il en soit conscient ou non) d'une sociologie liée à l'histoire, vers une psychosociologie. Les faits ne sont pas seulement saisis au niveau immédiat du « ressenti » ou du vécu mais replacés dans les cadres dans lesquels ils sont apparus. A partir de là s'opère le glissement, car cette analyse ne peut s'effectuer à trop grande distance des faits, sous peine de ne plus les voir, ni négliger ceux qui les vivent, acteurs de la lutte. Ceci impose une double condition, la participation du sociologue observateur, mais surtout celle des acteurs qui, impliqués au premier chef, doivent pouvoir eux aussi réfléchir collectivement et participer au processus d'analyse. C'est ainsi que la pratique nouvelle de Touraine va se traduire en de nombreuses interventions1490 et aboutir à une recherche-action dont elle présente les caractères, même lorsqu'il s'agit d'une offre de consultation plus que d'une demande. Touraine privilégie l'analyste par rapport au groupe. Il prépare l'intervention par une construction théorique que le travail de groupe, son auto-analyse confirmera, infirmera ou nuancera. Ce qui gêne un psychosociologue comme J. Dubost (1980) dans cette démarche, c'est que les deux termes théorie et action restent encore séparés. D'un côté les penseurs, « agents d'historicité », chercheurs, tout en s'imposant distance et indépendance, proposent tout de même leur interprétation ; de l'autre, les acteurs sociaux prisonniers de leurs luttes et devant se contenter d'apporter à l'analyste « les matériaux vivants » dont celui-ci a besoin pour « écrire l'histoire sociale de demain ». L'intervention risque de se limiter à une action de démonstration et de formation, négligeant la fonction heuristique, réduisant ainsi l'aspect scientifique au profit d'une technique pédagogique. Dubost
note que pour le psychosociologue, l'intervention ne consiste pas à considérer l'événement comme « ce qui doit être analysé », mais comme le début d'une analyse qui doit encore se faire travail. Il ne s'agit pas d'une simple dynamique d'un groupe limité à lui même (cf. n° 904) mais de l'analyse d'un groupe qui doit être reconnue pour « l'intégrer au champ d'analyse ». § 3. L'intervention par l'information du groupe
891 L'information facteur de changement : Floyd Mann o Une des difficultés essentielles sur lesquelles butent les réformes tentées par des interventions psychologiques, c'est que trop souvent l'analyse de la situation, les décisions prises dans le groupe, amènent une adaptation momentanée, purement formelle, des participants. Elle ne correspond pas à des changements réels, durables, d'attitudes et de comportements. La théorie lewinienne reste vraie quant au processus du changement, mais elle ne donne pas le moyen de le consolider. On s'est alors aperçu qu'un élément stabilisateur du changement intervenu, paraissait être la connaissance, par les membres du groupe, de cette évolution, et la façon dont chacun d'entre eux se situait par rapport à ce changement. En bref un des éléments d'efficacité d'une recherche active, paraissait être l'information même, contenue dans la recherche, c'est-à-dire la connaissance de ses résultats. La technique du feedback, utilisée par Floyd Mann à la Detroit Edison Company, emploie les informations recueillies dans l'enquête, pour obtenir une prise de conscience et un changement de la part des responsables des divers postes de l'entreprise. L'élément le plus actif de cette transformation est l'information
elle-même. Les membres de l'entreprise, grâce aux réponses faites aux questionnaires d'enquête, sont renseignés sur l'état d'esprit général et en particulier sur la façon dont on les juge. Ce type d'intervention utilise un processus réel, mais agit de façon un peu sommaire, sans tenir compte des résistances qui peuvent en réalité s'opposer à l'utilisation de l'information transmise. Il faut noter un élément nouveau en ce qui concerne l'attitude du chercheur. Celui-ci n'intervient plus au niveau des structures, mais facilite et provoque l'information du groupe, d'une façon plus active que dans l'intervention clinique parfaitement non directive. Ces deux types d'intervention (au niveau des structures et de l'information) peuvent être considérés, en ce qui concerne les rapports entre le chercheur et le groupe, comme des techniques distanciées : le chercheur intervient dans le groupe, par le truchement de l'enquête ou du socio-drame et facilitantes : dans les deux cas, le chercheur aide le groupe à évoluer. Il faut marquer dès à présent la différence entre la notion lewinienne de la recherche active et les formes non directives, que nous allons aborder maintenant. Il ne s'agit plus ici des notions classiques d'une recherche et d'une intervention indépendantes, mais d'un acte de recherche qui s'accomplit dans l'intervention. Celle-ci doit donc être pleinement acceptée par le chercheur jouant un rôle non directif, pour que se révèlent les tendances affectives profondes qui conduisent le groupe. Comme le dit M. Pages : « Il s'agit d'une action qui curieusement s'abstient au niveau de tout ce sur quoi l'on agit habituellement, objectifs, méthodes, normes, tâches, mais qui se porte explicitement et exclusivement sur ce que le groupe a de plus profond, c'est-à-dire la signification qu'il attache à ce qu'il fait, le
sens que ses membres donnent au fait d'exister ensemble. Il s'agit aussi d'une intervention qui se refuse à modifier ce sens, à exercer sur lui une contrainte et qui paradoxalement, de ce fait, exerce sur le groupe la plus puissante des influences1491. » 892 Une stratégie du changement : Michel Crozier o Pour M. Crozier l'intervention désigne l'action que l'acteur d'une organisation peut développer à l'intérieur du système et de la zone de liberté dont il dispose. Crozier conserve son attitude d'enquêteur. Les informations recueillies et transmises aux acteurs constitueront la base de la négociation plus ou moins ouverte, entre le réformateur et les acteurs et introduiront le changement. Mais pour Dubost1492, l'attitude de Crozier demeure celle d'un expert ou d'un chercheur, moins impliquée que celle de Touraine et des psychosociologues professionnels. Ce que l'on pourrait appeler le premier stade de l'intervention (après l'information) : la communication aux intéressés de la théorie et du diagnostic du sociologue, doit suffire pour que ceux-ci puisent dans cette connaissance un nouveau pouvoir de changement. L'allusion à Floyd Mann (cf. n° 891) et au phénomène du feed-back, changement que peut provoquer la connaissance de rinformation, paraît l'élément le plus important, comme si Crozier (1977) se désintéressait de la façon dont l'acteur peut s'approprier ce savoir et ne considérait pas ce moment de l'intervention comme l'essentiel et sans doute le plus riche1493. Les Américains ont porté toute leur attention à ce processus de changement des acteurs, alors que Crozier, sans doute encore trop proche de son orientation première, concentre son effort sur la connaissance de l'organisation, l'élaboration d'une théorie scientifique et l'analyse concrète de chaque système.
892-1 L'expérience de Prisunic : Max Pages (1959) O Cette recherche a donné lieu à des réflexions théoriques. Elle était importante par sa durée, le nombre de problèmes d'organisation, de coordination, que posaient l'expansion du chiffre d'affaires et la multiplication des magasins ; enfin l'ampleur et la variété des techniques utilisées : enquête, recherche psychosociologique, organisation des feed-backs, des résultats, consultation clinique des groupes et consultations individuelles. Les organisateurs ont voulu entreprendre une recherche active au sens plein, c'est-à-dire abordant l'entreprise « comme une totalité dynamique, à la fois ensemble de groupes humains en interaction les uns avec les autres et avec l'extérieur et ensemble de domaines d'activités et de perception, réagissant eux aussi les uns sur les autres ». Il s'agissait de dépasser l'utilisation pure et simple du feedback, de faciliter les communications dans l'entreprise, en réduisant les phénomènes de blocage et de censure. Nous ne pouvons retracer ici les étapes de cette recherche, mais résumons les réflexions qu'elle a inspirées. On trouve définie d'abord la caractéristique de la recherche active, le lien entre la recherche théorique et l'intervention, qui est en même temps expérimentation scientifique. Il ne s'agit pas de n'importe quelle expérimentation possible, l'objectif demeure thérapeutique au sens large. A côté de cette orientation lewfnienne, on retrouve l'influence rogérienne, l'absence de toute pression sur les sujets. Conseil, réconfort, sont naturellement considérés comme des pressions, au même titre que le seraient la menace ou la contrainte. En fait, on considère comme suffisamment active en elle-même, la communication au client du diagnostic de son cas, tel qu'il apparaît d'après l'enquête. On l'encourage simplement à exprimer ses propres réactions. Le but de l'action thérapeutique consiste, suivant la tradition
non directive, à faciliter la communication des individus avec eux-mêmes, à propos des irrformations qui leur sont transmises. Le critère de la réussite, c'est la prise de conscience des problèmes qui se posent aux individus et aux groupes, la façon dont chacun les découvre et découvre la place qu'il tient dans l'esprit des autres, enfin réagit et s'adapte à cette découverte. Dans ce processus, le rôle de l'observateur est essentiel. Il ne consiste jamais à manipuler, ni à exercer la moindre pression. Pourtant ce n'est pas un rôle passif, car c'est la façon dont il dirigera l'enquête, l'atmosphère qu'il aura su créer et la manière dont il facilitera l'information, qui créeront les conditions favorables à une bonne communication. 892-2 L'intervention au niveau de l'information dans le cadre d'une enquête non directive : J. Dubost O II s'agit encore de technique distanciée : l'enquête sert de moyen d'intervention, l'information provoque la prise de conscience et la modification d'état d'esprit dans le groupe, mais l'approche clinique et l'observation non directive distinguent cette expérience de celle de Floyd Mann. Ce dernier, après avoir organisé une enquête de type classique et directif, porte à la connaissance des intéressés les résultats de celle-ci et observe à ce moment-là, de façon non directive, les effets du « feedback ». L'expérience de Serre-Ponçon ne comporte pas ces deux étapes distinctes, et constitue un type de recherche très particulier. Il s'agissait, au départ, d'une enquête ayant un objectif pratique : quelles solutions apporter aux difficultés soulevées, dans une vallée alpine, par la suppression d'un village qu'un lac artificiel devait inonder ? Un certain nombre de problèmes administratifs, économiques et psychologiques se posaient. La communauté
représentant le groupe perturbé, devait-elle se reconstituer ailleurs, sous quelle forme ? Les individus devaient-ils accepter telle ou telle indemnité, etc. ? Indemnisation et évacuation étaient les problèmes majeurs pour l'autorité expropriante. Les conséquences de cette solution globale se diversifiaient au niveau des individus et pouvaient susciter quantité de réactions différentes. L'originalité de l'expérience provient de la conception que le psychosociologue eut dès le départ de son rôle. Il ne s'agissait pas d'une équipe de chercheurs, chargés d'une enquête d'opinion, mais d'un individu vivant avec sa famille dans la localité elle-même. Sans doute, cet observateur a-t-il bien pour mission d'observer le groupe perturbé, mais il ne fait pas que cela, il est avant tout un agent de liaison entre les parties. Son rôle, comme il l'écrit lui-même1494, consiste à dégager de nouvelles informations sur le problème et à. favoriser leur circulation. La recherche et l'action sont continuellement liées dans les différents types d'opérations de l'intervention. Entretiens individuels, réunions, interviews ou discussions de groupe, voyages d'études de délégués des expropriés dans les régions d'accueil possibles, sont autant de moyens de mieux comprendre les problèmes, de mieux connaître les attitudes et de tenter de provoquer une évolution dans un sens constructif. L'étude vise ainsi « à élever quantitativement et qualitativement le niveau d'information des deux parties, pour obtenir une perception plus objective des uns par les autres, faciliter la réduction des tensions et la recherche de solutions pratiques, adaptées aux besoins et aux possibilités... « Quelle que soit l'ambition de l'administrateur, de l'économiste, du politique, tout programme, tout plan, passera nécessairement par les canaux d'une action sur les attitudes, les comportements1495 ».
L'attitude du psychosociologue est essentiellement « compréhensive », c'est-àdire centrée sur la personne. Il ne conseille pas, ne porte pas de jugement de valeur, ne présente pas ses opinions, ne cherche pas à rassurer, pose peu de questions. Il cherche seulement à refléter les sentiments, les idées et à éclairer les interlocuteurs sur leurs propres attitudes, ce qu'ils sont prêts à accepter. On assiste ici à une forme d'action très subtile et extrêmement efficace. Elle ne se propose en aucune façon de perturber le milieu, de l'influencer par des pressions ou une propagande, ni même une information brutale ou globale, issue du milieu, mais de données apportées de l'extérieur, comme dans l'expérience de F. Mann. L'information se situe au niveau des membres du groupe, individuellement. Malgré le caractère exceptionnel de l'expérience, on est amené à penser avec J. Dubost, que dans une recherche visant l'étude de changements ou d'évolutions dans un groupe, le moindre effort d'investigation, la simple mise en lumière de multiples aspects, dont tous ne perçoivent pas les significations de la même manière, prennent nécessairement « le caractère d'une intervention et l'on est toujours plus ou moins amené à s'inspirer des principes de « l'action research ». En ce sens, les distinctions habituelles entre types d'observations1496 paraissent superficielles et arbitraires, car elles ne tiennent pas suffisamment compte des processus fondamentaux que déclenchent inévitablement toute recherche et surtout toute connaissance de ses résultats. § 4. L'intervention clinique
Ce type d'intervention est caractérisé non plus par le niveau auquel se situe son action sur le
groupe (structure ou information), mais par la technique employée et la façon de concevoir le rôle du psychologue. Celui-ci observe les problèmes de groupe à un niveau de plus grande profondeur. Cette technique recouvre des interventions ayant entre elles une orientation commune, qui les distingue des autres types. Elles sont cependant difficiles à classer du fait des éléments complexes qui les inspirent et de la variété des démarches qu'elles utilisent. 893 1° Les tendances, a) L'analyse institutionnelle : G. Lapassade, R. Lourau 1497 O
En thérapeutique Durkheim définissait la sociologie comme l'étude des institutions. Hauriou reprenait le terme sous un aspect restrictif plus juridique. En 1952, deux psychiatres français qualifient d'institutionnelle une orientation de la thérapeutique des psychoses1498. Celle-ci n'était pas entièrement nouvelle car dès le xix5 siècle on se posait la question de savoir si la pathologie mentale pouvait être réduite à des déterminismes biologiques ou si la part des facteurs sociaux n'était pas aussi importante. Cependant la psychiatrie traditionnelle se montrait réticente devant un mouvement qui conduisait à la libéralisation des hôpitaux. A partir de la théorie freudienne, s'organise une psychothérapie institutionnelle. Elle se révèle immédiatement révolutionnaire dans sa pratique car elle abandonne la relation duelle, isolée de l'environnement social, celle du cabinet de l'analyste pour, comme le note J. Dubost « porter la psychanalyse au sein de l'institution ». Il ajoute que le terme est utilisé dans deux sens différents : « celui
d'établissement spécialisé - organisation sociale spécifique structurée notamment par des lois - et celui plus vague de cadre général de la vie sociale, de cité, de lieu public, de secteur, etc.1499 ». Mais à partir du moment où l'on considère non seulement l'individu, mais l'hôpital qui le prend en charge, on est amené à s'intéresser à tous les facteurs agissant sur le processus de guérison. Vouloir traiter l'institution, c'est non seulement utiliser des concepts analytiques tels que celui de contretransfert, mais également « viser une problématique politique1500 » : qui détient le pouvoir ? Quel est le rapport de force ? etc. A partir de là, on peut admettre que toute analyse critique ne peut se limiter à l'établissement lui-même, mais le replace forcément dans un contexte social plus large dont il dépend1501 et dont il constitue en même temps une des expressions, un révélateur, ce que certains appellent un « analyseur1502 ». Mais si l'institution implique des liens avec la société qui la sécrète, à son tour, par son action, elle crée des activités instituantes dans la mesure où elle provoque une recherche-action auprès des médecins, infirmiers, malades, mais aussi des familles, etc. Cette orientation du mouvement institutionnel paraissait claire et cohérente mais certains (F. Tosquelles, 1966, J. Oury, 1972) se sont élevés contre la confusion entre les notions d'établissement - ou d'organisation - et d'institution1503. A partir de là, le langage s'obscurcit, sinon la pensée. On est réduit à des hypothèses sur ce que recouvrent les définitions. En gros on devine, grâce à des commentaires, que le plus important réside peut-être moins dans la nature du sujet - le collectif - et dans
l'acte créatif, instituant, que dans l'aspect fonctionnel du dynamisme des activités « d'institutionnalisation » : assurer le fonctionnement des échanges et créer des systèmes de médiation1504. Finalement on semble se référer aux notions d'organisation, de production plutôt qu'à « l'analyse de groupe » et les concepts utilisés ne semblent ni très clairs, ni utilisés par tous avec la même signification. En pédagogie L'école offre des caractéristiques assez semblables à celles de l'hôpital, aussi n'estce pas surprenant que les enseignants se soient rapidement emparés du terme1505. Ici aussi les idées, avec les méthodes actives, étaient présentes avant l'utilisation du terme. Comme dans le cas de l'hôpital, le groupe-classe devient l'agent essentiel de l'action pédagogique à la place du Maître. La classe, l'école, apparaissent comme produits de la société. Cependant à l'intérieur de cette orientation générale, les interprétations diffèrent. Certains s'inspirent à la fois de C. Freinet et de Freud1506, alors que d'autres insistent sur l'auto-gestion1507 mais se retrouvent surtout unis dans une idéologie politique. L'analyse institutionnelle de G. Lapassade paraît plus inspirée par Mai 1968, la critique sociale et ses propres besoins de contestation, que par la thérapeutique institutionnelle dont elle est chronologiquement issue. 894 b) L'inspiration lewinienne. Les Training Group Laboratories aux États-Unis O II s'agit là des expériences des National Training Laboratories, fondés par les disciples de Lewin. Elles ont lieu à Bethel et sont connues sous le nom de training group ou T-group.
L'idée initiale du groupe de base est la suivante : la plupart des individus sont appelés à vivre et travailler dans des groupes, mais le plus souvent ne se rendent pas compte de leurs façons d'agir, de la façon dont les autres les voient, des réactions qu'ils suscitent. La vie représente pour la plupart des êtres un dialogue de sourds. Il importe donc de faciliter le dialogue, d'obtenir une meilleure communication. Celle-ci n'est possible que lorsque les obstacles intérieurs, les défenses que chacun oppose aux autres sont levés. Comme l'avait bien vu Lewin, on ne peut modifier des comportements à partir de conférences demeurant au niveau didactique et rationnel, en expliquant ce qu'il faut éviter et pourquoi. Ce que cherche le groupe de base, c'est à faire vivre, sentir, au lieu d'expliquer. Le T-group à l'état pur (il existe des formes atténuées), consiste à réunir, en général en séminaire résidentiel, parfois à la campagne, des gens qui ne se connaissent pas et proviennent d'horizons divers, ceci pendant une dizaine de jours1508. Les groupes comprennent dix à quinze membres et les réunions occupent environ une moitié de la journée, l'autre partie étant réservée à d'autres méthodes de formation : conférences, exercices, psychodrames, etc. Chaque groupe possède un animateur. Son rôle peut être conçu de manières assez différentes, mais de toute façon, il ne dirige pas le groupe. Il l'observe en silence, se contentant lorsque cela lui semble utile, d'indiquer la nature des obstacles que rencontre le groupe ; c'est ce que Lewin appelait une fonction d'évaluation. Il est essentiel de noter que le groupe n'a aucun programme, ne reçoit pas de consigne. Il doit lui-même décider de ses
activités1509. Il s'agit d'une expérience de déconditionnement social. Les membres du groupe abandonnent leurs rôles habituels et toute hiérarchie. Ils vivent dans une atmosphère d'égalité, symbolisée par le seul usage des prénoms et un tutoiement de rigueur. Aucun comportement n'est stabilisé dans le groupe, du fait de son absence de structure, d'habitudes collectives et surtout de l'absence de but et de programme définis. Dans ce vide, cette parenthèse, les moindres initiatives, propositions, tentatives d'action s'amplifient et sont perçues par tous avec un relief particulier. Tel qui supporte mal l'oisiveté, se montrera dès le départ autoritaire, proposant des activités que tous n'apprécieront pas. Les attitudes des membres du groupe sont perçues et explicitées par les autres, avec une franchise de plus en plus grande, parfois très brutale. Des adultes qui s'entendent rarement jugés et n'ont pas l'occasion de s'entendre dire l'impression qu'ils produisent, se voient subitement confrontés avec une réalité parfois traumatisante, car il s'agit de la façon dont les autres les perçoivent1510. 895 c) L'inspiration psychanalytique O Ajoutant aux techniques américaines une interprétation plus nettement psychanalytique, les Anglais W. R. Bion (1965) et E. Jaques (1951) ont particulièrement étudié la psychothérapie de groupe1511. La formation médicale et psychanalytique de E. Jaques donne à son entreprise un caractère de thérapie sociale non technocratique. Comme Lewin, il pense que les sciences sociales doivent pouvoir aider les organisations à résoudre leurs difficultés. La nouveauté de la démarche se situe sur deux plans. D'une part il conçoit
l'entreprise comme un tout, sans traiter avec des sous-ensembles : tel service, tel groupe. Mais surtout, Jaques tente d'adapter les concepts freudiens utilisés dans le tête-à-tête de la cure, à la situation d'un groupe large (une entreprise londonienne), agité par de nombreuses relations interpersonnelles. Sans recourir à une vague notion d'inconscient collectif, Jaques appréhende plus concrètement une «mentalité de groupe», dont il recherche les processus inconscients. Il découvre, par exemple, que la confusion des rôles, au niveau de la direction, constitue un mécanisme de défense, pour éviter l'anxiété provoquée chez les dirigeants, par les contradictions entre les besoins de leur personnalité et les rôles qu'ils doivent assumer. Passionnante sur le plan de la réflexion, l'expérience ne tient pas assez compte du cadre de l'entreprise et des conflits sociostructurels que la démarche psychanalytique a tendance à réduire à des conflits sociopsychologiques. A la différence des groupes de thérapie classiques, dans l'entreprise, les individus ne sont pas seuls en cause, mais en interaction avec une hiérarchie, une structure de communication, des impératifs économiques et techniques, enfin une organisation qui, à la différence de nombreux groupes de psychothérapie, n'est pas occasionnelle ni artificielle mais permanente et insérée dans la vie réelle. En France, D. Anzieu (1975) et son groupe de psychanalystes organisent des séminaires résidentiels, pour mettre au point des interventions dans des institutions en crise. Ils transposent la notion d'aire transitionnelle de D. W. Winnicott1512 (1971), au groupe représentant une « aire provisoire » où se constitue un « appareil psychique groupai ».
Anzieu utilise également le psychodrame en groupe large1513. De nombreux psychosociologues : E. Enriquez (1972), A. Levy (1978), M. Pages1514, J.-C. Rouchy (1972) sont également influencés par Freud, mais sans application précise au champ social dans leurs techniques d'intervention. 896 d) L'inspiration rogérienne en France O II s'agit là d'un essai de transposition sur le plan du groupe, des hypothèses et techniques utilisées par Cari Rogers en psychothérapie individuelle. Hypothèse d'une tendance à la maturation (growth) et à l'intégration de la personnalité de l'individu, technique qui consiste (on l'a vu à propos de l'interview) à aider le sujet à prendre conscience de sa perception du monde et de lui-même. Peut-on adapter hypothèse et technique de psychothérapie individuelle à des interventions de groupe ? C'est ce qu'ont tenté de faire les praticiens français. L'attitude non directive aide d'abord le sujet à communiquer avec lui-même, elle facilite un feedback. L'hypothèse de l'existence de tendances spontanées, de feedbacks régulateurs, est l'hypothèse centrale qui sous-tend l'attitude non directive. Elle peut se transposer du domaine individuel ou interpersonnel, au domaine du groupe. 897 2° Réflexions sur les phénomènes de groupes o
Ce qui se passe dans un groupe est extrêmement mystérieux. Qu'est-ce qui fait que, venu dans un état d'esprit donné, tel participant d'un jury se trouve au bout d'une heure avoir changé d'avis ? Au niveau rationnel, se posent nombre de problèmes de communication, d'influence, que l'on peut inventorier, sinon résoudre. Dans la vie
des groupes apparaissent également des phé- nomènes irrationnels. Une intervention psychosociologique doit en tenir compte, les expliquer, agir sur eux, donc les connaître. En dehors des groupes de psychothérapie, la simple réunion de formation pour cadres et éducateurs, assemblant des gens supposés normaux, même pas spécialement sensibles ou émotifs, permet assez rapidement de percevoir, au-delà d'échanges à un niveau banal, la naissance de liens ténus, de sentiments inconscients. Ces sentiments individuels, liés à l'histoire personnelle de chacun, vont cependant, par une alchimie mystérieuse, s'organiser en sentiments de groupe. Quelle est la nature et l'origine de ces sentiments, leur mode d'évolution, leur influence sur le groupe, leur façon de réagir à des interventions extérieures ? Ces problèmes ont été perçus par Le Bon, Freud et plus près de nous S. R. Slavson (1953), H. A. Thelen (1962) (États-Unis) et W. R. Bion (1965) (Grande-Bretagne) et ont suscité en France un grand intérêt. Il est certes difficile de décrire des réunions de groupes et de formuler des hypothèses sans déformer, grossir, caricaturer les sentiments si complexes et mobiles qui les animent. On constate que tous les groupes franchissent les mêmes étapes, éprouvent les mêmes résistances à exprimer leur anxiété, retrouvent les mêmes problèmes vis-à-vis du leader et entre membres du groupe quant aux tâches à entreprendre1515. Max Pages, en France, tente des recherches sur ces problèmes. Nous lui empruntons quelques-unes des observations qui suivent. 898 a) La vie émotionnelle des groupes O L'étude de Bion, bien qu'il s'en défende, est influencée par la psychanalyse. Le reproche
que lui fait à juste titre M. Pages, c'est d'opposer émotion et rationalité, sans tenir compte de la totalité de la vie émotionnelle, enfin d'accorder une part trop grande au besoin rationnel de progrès des membres du groupe. Le progrès tel que l'imaginent et l'éprouvent certains participants (les cadres de l'industrie en particulier...) ne correspond jamais à ce qu'ils trouvent. Les activités rationnelles du groupe fonctionnent le plus souvent comme des résistances et des échappatoires. Pages considère que le moteur de la vie du groupe (sans que les membres en soient conscients, du moins au début) c'est « l'expérience de ce lien positif, dont l'éclaircissement, le renforcement, constituent un but permanent pour le groupe et pour chacun de ses membres ». Dès le début de la vie d'un groupe, s'établit entre ses membres un lien de solidarité non perçu, mais qui explique le dynamisme, l'orientation des activités du groupe, cherchant à préciser ce lien. En même temps naît un sentiment d'anxiété, dont les composantes sont multiples : anxiété d'être jugé, influencé, manipulé. Surtout apparaît l'anxiété la plus profonde (celle qui, dans les groupes de base, s'exprime en dernier, mais sans doute le plus clairement) : l'anxiété d'être abandonné, qui se confond à un niveau plus profond, avec la crainte de la mort et la peur de la vie. Il ne faut certes rien exagérer. Toute fin de vacances implique pour les groupes d'adolescents l'anxiété de la séparation. Il est cependant remarquable qu'un groupe artificiel où les participants adultes ne se sont pas choisis et vivent peu de temps ensemble, permette une constatation du même ordre. Le groupe de discussion met en quelque
sorte les problèmes « sous cloche ». Il les mûrit plus vite et amplifie les réactions. L'observateur entraîné les perçoit ainsi plus facilement que dans la vie où jouent de multiples facteurs extérieurs. Il semble que chaque participant, dans cette expérience de communication qui ne peut réussir, ressente plus douloureusement sa solitude. Le plus extraordinaire, c'est qu'au moment où ils ont pris pleinement conscience de l'irréductibilité de leurs différences, de leur impossibilité de coirrmuniquer d'une manière totalement satisfaisante, du caractère contingent de leurs liens... c'est à ce moment que les membres du groupe font l'expérience d'un lien qui survit à toutes ces expériences négatives et les englobe sans les nier. Le paradoxe et l'ambivalence paraissent sans aucun doute caractéristiques des phénomènes de groupe. Ambivalence du groupe qui éprouve, recherche, une solidarité qu'il redoute, se tourne vers un leader traduisant d'une façon fidèle la position émotionnelle du groupe, c'est-à-dire aussi bien ses anxiétés que ses résistances à l'anxiété. Ambiguïté également, dans la relation entre cette anxiété, éprouvée dans les rapports entre membres du groupe et celle qu'ils ressentent face à des figures d'autorité : le leader du groupe, mais surtout l'observateur. b) Le rôle de l'observateur O Dans le Tgroup et le groupe de base classique, l'observateur intervient fort peu. D'après Lewin, il aide simplement parfois le groupe à comprendre ce qui se passe (fonction d'évaluation). On était jusqu'ici habitué à envisager la conduite dans les groupes comme dépendant d'un animateur, d'un leader. La dynamique de groupes fait découvrir quelque chose de beaucoup plus important : l'efficacité d'une intervention... non interventionniste, pourrait-on dire, que
l'on appelle, pour éviter ce paradoxe, non directive. c) Mises en garde O Un fait est certain : les réunions de groupe recèlent un surprenant potentiel émotif. La réflexion et surtout l'expérience imposent quelques remarques et mises en garde. 1° En ce qui concerne l'observateur. L'observateur même apparemment et volontairement non directif, peut être entraîné plus ou moins consciemment par les phénomènes affectifs du groupe. Le nondirectivisme risque alors de constituer la forme la plus subtile et la plus dangereuse parce que dissimulée, de manipulation. Certains membres de groupes ont parfois été gênés par la « boulimie affective » que recouvrait l'aspect « américain tranquille » de psychothérapeutes soit-disant non directifs. 2° En ce qui concerne le groupe. - Le sens critique et le bon sens semblent étouffés sous les impulsions que le groupe libère chez certains. On imagine assez bien d'après les témoignages manifestés en fin de sessions ou de réunions, le processus de naissance des sectes et les besoins auxquels ils correspondent 3° Il faut enfin distinguer la recherche dans laquelle la vérité des hypothèses est en cause et l'utilisation qui exige beaucoup de prudence. En matière de groupes les deux étant liés il convient d'être toujours circonspect. § 5. L'intervention par la formation
Formation et thérapie O II est deux domaines dans lesquels la recherche et l'application ont été surtout utilisées : le plan thérapeutique et celui de la formation. Il est difficile de les séparer, car toute formation profonde exerce
une action de thérapie et toute thérapie constitue une formation. La thérapie de groupe, en tant que technique, n'offre pas de particularités, mais ses objectifs, le type d'observation et de réflexion qu'elle suggère, lui sont propres. On laissera de côté l'aspect médical, pour insister sur l'aspect thérapie au sens social, celui qu'entend Max Pages, lorsqu'il parle d'une sociothérapie. Formation et intervention. 1 L'aspect technique,
a) Taylorisme et T.W.L o Cette méthode visait la rééducation accélérée des travailleurs, embauchés dans les industries travaillant pour la défense nationale. Ce fut le Training within Industry (T.W.L). Dérivant du taylorisme, il comporte non seulement une rationalisation des gestes et étapes de travail, mais aussi une façon de penser, de résoudre les problèmes, de commander. Les mementos, assez primaires, imprimés sur de petits cartons, tiraient parti, en les simplifiant au niveau de recettes de bon sens, des découvertes récentes sur l'information, la communication, etc. Ces méthodes ont été utilisées avec succès depuis 1950 en Grande-Bretagne et en France, en particulier pour la formation des contremaîtres. La guerre exige un rendement accru. La paix revenue, les Américains reprennent les conclusions de Mayo (cf. n° 167) et convaincus de l'importance des facteurs psychologiques, ont fait appel aux psychologues sociaux pour animer le mouvement en faveur de l'amélioration des relations humaines dans les entreprises. Notre époque de division du travail éprouve un constant besoin de regroupement et de
synthèse : travail d'équipe, réunions, commissions, se multiplient. Or on apprend aux techniciens, fonctionnaires, etc., beaucoup de choses, mais pas à « collaborer», comme s'il s'agissait là d'un processus spontané. Quantité de questions se posent alors : comment travailler en groupe sans perdre trop de temps ? Comment sommes-nous avec les autres ? Savons-nous écouter, commander ? Inspirons-nous confiance ? A l'heure actuelle, il ne suffit plus d'un avantage hiérarchique pour se faire obéir. Il faut convaincre, stimuler, animer, faire participer. En France, ce sont des ingénieurs, des polytechniciens et des enarques qui, le plus souvent, occupent des postes de direction. Leur formation ne les a pas spécialement préparés à comprendre les problèmes humains. De nombreux responsables, éducateurs, etc., connaissent l'aspect théorique de certains problèmes, mais ils ignorent la façon dont eux-mêmes se comportent et agissent, souvent en contradiction avec ce qu'ils affirment. Les sessions de formation portent sur les problèmes de sécurité, de commandement, mais aussi de communication et de compréhension. Problèmes importants quel que soit le régime, partout où les hommes travaillent ensemble : une escadrille d'aviation, une usine de machine-outils ou un hôpital. Deux écueils étaient à éviter : d'une part que les entrepreneurs s'imaginent pouvoir compenser par des gestes peu coûteux (vestiaires plus propres, attitude moins distante) des salaires insuffisants ou l'absence de conventions collectives1516, d'autre part, que les syndicats considèrent des améliorations non négligeables comme un «nouvel opium» pour le peuple ou à rejeter parce que susceptibles de casser
l'agressivité ouvrière. Les relations humaines ne méritaient pas les craintes ni les espoirs qu'elles suscitaient. Après une période de grande faveur, aux États-Unis comme en France, on doit revenir à des vues plus raisonnables. Les agents de maîtrise et les cadres pouvaient bénéficier de conseils ponctuels (attitudes à éviter, façon de donner un ordre) mais ils ne pouvaient en une session de huit jours changer leurs comportements. Pratiquer de véritables relations humaines implique d'abord une prise de conscience de soimême, de la façon dont on se comporte avec les autres et comment ils vous perçoivent. Pour atteindre ce niveau plus profond de la personnalité, les Américains ont proposé dans le cadre de la formation, d'utiliser les expériences sur les groupes (cf. nos 834 et s.). 903 b) La conduite des reunions O Un des secteurs aujourd'hui rationalisé, est celui de la classification des types de réunions. G. Palmade (1959) distingue trois types de fonctions que peuvent remplir les réunions : une fonction communication, comme c'est souvent le cas dans les entreprises où il s'agit d'échanges d'informations, de coopération ou d'affrontement entre responsables de divers services ; une fonction traitement de l'information, qui correspond à l'étude de problèmes en commun, enfin une fonction conduite, c'està-dire que la façon dont les membres du groupe seront dirigés aura des effets sur la manière dont ils travailleront ensemble, prendront des décisions, etc. Cette notion de conduite est entendue dans un sens large, elle comporte à la fois la conduite au sens strict et la caractérisation. L'analyse de ces fonctions permet de comprendre comment les réunions sont utiles à la vie de l'entreprise et de classer les divers types que l'on rencontre le plus souvent. Palmade distingue encore :
10 Les réunions de commandement. 11 s'agit : soit de transmission d'ordre, soit d'information du conducteur du groupe vers les participants (cf. 1) ; soit de sondages dans lesquels l'infomiation va des participants au conducteur (cf. 2). Dans ces trois cas c'est le conducteur qui décide. [Illustrations impossibles à reproduire] 2° Les réunions à stratégie. Le conducteur possède une solution du problème, mais il ne veut pas la révéler et cherche à amener le groupe à la découvrir et l'adopter. Dans ce cas, il n'y a pas de but commun entre le groupe qui cherche et le conducteur qui sait où il veut en venir. 3° Les réunions de discussion (cf. 3). C'est dans ce groupe que se discute et se prend la décision. On peut distinguer : La discussion de groupe centrée sur le problème : le conducteur de groupe donne la méthode de travail, mais laisse le groupe aux prises avec la recherche de la solution du problème. La discussion de groupe centrée sur le groupe : elle est en général considérée comme non directive, car c'est le groupe lui-même qui choisit son plan de travail. II existe encore un type mixte : discussion centrée sur la relation entre le groupe et le problème. Dans ce cas l'animateur aide le groupe sur le plan de la méthode, mais n'intervient pas au niveau du problème à résoudre. [Illustrations impossibles à reproduire] Enfin la discussion de groupe non dirigée,
sans conducteur, dans laquelle l'animateur s'abstient totalement, ne joue même pas le rôle non directif qui est le sien dans la discussion centrée sur le groupe. Les réunions de discussion, telles qu'elles se présentent dans la réalité, en dehors de la psychothérapie, ont surtout pour but de mettre ensemble des gens qui ont à résoudre des problèmes et à prendre des décisions. On retrouve dans la réunion-discussion trois types de fonction indiqués par Palmade : une fonction de production, qui correspond au fait que le groupe a des problèmes à résoudre ; une fonction de « facilitation » spontanée chez certains participants et visant à aider la prise de décision, donc la production ; une fonction de conduite « ou régulation ». Il s'agit d'induire le groupe à adopter des conduites qui permettront de résoudre les problèmes. Elle concerne le moral du groupe. 904 c) La discussion de groupe O II s'agit ici d'un domaine en constante évolution, car chaque chercheur est influencé par les résultats de ses propres expériences. 1° Dans l'entreprise la dynamique de groupe (cf. n° 894) est une méthode de formation limitée, mais utile. Elle offre en effet à des adultes figés dans des rôles, une occasion unique de prendre conscience de la façon dont les autres les voient. Pour l'ingénieur, le patron, habitués à commander, il s'agit là d'une prise de conscience qui s'accompagne le plus souvent d'anxiété. Peu d'individus
supportent facilement cette absence de structure, ce vide où s'inscrit seul le jugement des autres. Pour éviter ces effets traumatisants et surtout accélérer le processus, vraiment long, de ce genre d'expériences, on adopte en France à l'heure actuelle, dans les stages de formation, une formule plus souple de groupe semi-structuré. Ce groupe, au départ, discute un sujet, le plus souvent un cas proposé par l'observateur. Parfois on scinde le groupe en participants et observateurs, chargés de rendre compte de ce qui se passe. Les uns et les autres confrontent ensuite leurs impressions. Alors que la méthode des cas, telle qu'elle est pratiquée à Harvard, demeure à un niveau purement intellectuel, la discussion de groupe conserve de son origine, le T group, son objectif d'observation du groupe par lui-même. Le travail se fait en quelque sorte sur deux plans, celui du thème dont on discute et celui du groupe en train de délibérer. En dehors de toutes les formules plus ou moins « cadrées » de discussion, on utilise également pour la formation des animateurs et des formateurs aussi bien que pour la prise de conscience par le groupe de ses problèmes : l'enquête. Soit effectuée par le consultant avec la participation du groupe enquêté qui en suit toutes les phrases, soit suivant une formule récente, dans laquelle certains membres du groupe deviennent eux-mêmes enquêteurs de leurs collègues1517. Certaines sessions, plus courtes, comportent plusieurs journées réunissant des cadres d'entreprise (S.N.C.F. ; E.D.F.), appelés à travailler ensemble ou intéressés par des problèmes communs (sécurité). Tout en poursuivant le même but, de prise de conscience de soi-même en face des autres, on cherche moins la mise à nu, plus ou moins brutale, des défenses psychologiques des participants, qu'une sensibilisation aux problèmes de groupe.
L'ARJ.P. (Association pour la recherche et l'intervention psychosociologique) a d'ailleurs choisi ce terme de « sensibilisation » pour nommer certaines de ces séances de travail1518. Utilisée de façon beaucoup. plus souple et variée, la discussion de groupe devient un moyen, non de manipuler les autres, mais de comprendre ce qui se passe quand ils sont ensemble, les divers types d'incidents qui peuvent se produire et d'y faire face. Depuis la simple recette de bon sens, jusqu'à la compréhension profonde, tous les niveaux sont accessibles par la méthode qui s'adapte, comme l'interview, à l'objectif poursuivi et comme l'interview, dépend en grande partie de celui qui l'utilise. 905 2° Dans l'enseignement O
Les expériences d'intervention psychosociologique et les notions qui en découlent sont en contradiction avec notre enseignement traditionnel. Peut-on adapter celles-ci à celui-là ? Sans doute, les méthodes actives mènentelles depuis longtemps un dur combat contre un enseignement passif et trop abstrait. Mais le malaise, accru par des difficultés matérielles, augmente et le problème des méthodes d'enseignement est à l'ordre du jour des réflexions des professeurs, élèves et étudiants, tous insatisfaits. Le maître, préparé par des concours et une cooptation, à perpétuer une conception purement directive de son rôle, est-il adapté aux tâches modernes ? La finalité de l'éducation vise la transmission d'un savoir qui se modifie sans cesse, mais aussi un épanouissement de la personnalité, une possibilité d'apprendre à apprendre. Dans
ce cas ne faut-il pas réviser les méthodes et en particulier ce rapport maître-élève ? En dehors des classes trop nombreuses, cette transformation implique un bouleversement non seulement dans les programmes, la conception des examens, mais encore dans la formation des maîtres. Ceci non sur le plan des connaissances, mais sur celui beaucoup plus fondamental des attitudes. Outre la résistance au changement, le plus grand obstacle à cette nouvelle relation maître-élève c'est le risque qu'elle implique pour le maître : abandonner la protection dont il a l'habitude dans son rôle traditionnel. Or, la notion d'autorité a perdu dans la vie sociale une grande part de son pouvoir. L'acceptation d'autrui est inséparable d'une attitude ouverte et non défensive, vis-à-vis de soi. Une des premières conditions de véritable réussite, pour un professeur, c'est qu'il se connaisse non pas seulement sur le plan professionnel, mais qu'il ait conscience de son attitude réelle vis-à-vis de lui-même, de ses élèves et de ce qu'il attend de ses rapports avec eux1519. 906 Dangers d'une utilisation abusive de l'intervention psychosociologique, a) Maladresse. Abus. Influence excessive de la psychothérapie O II existe1520, en dehors des risques de manipulation, des risques d'utilisation inopportune, maladroite ou exagérée. Certaines expériences peuvent en effet être traumatisantes parce que conduites sans la prudence nécessaire. Ces méthodes et en particulier le « rogérisme », proviennent de la psychothérapie. Il ne faudrait pas les appliquer directement sans adaptation aux problèmes de formation et surtout d'enseignement. Les résultats des recherches sur les groupes
devraient être présentés sous une forme stimulante mais raisonnable. Surévaluer, par exemple, l'importance d'une peur inconsciente du professeur, que l'élève en sache autant que lui, c'est oublier que ce même professeur se heurte constamment à une réalité beaucoup plus évidente : le fait que l'élève... ne sait rien. 906-1 b) Méconnaissance des structures O Dans l'entreprise. - Le peu d'efficacité des programmes de Relations humaines dans les entreprises, s'explique en partie parce que l'on n'a pas tenu suffisamment compte du contexte économique et social dans lequel ils se situaient. Par-delà les relations interpersonnelles, existent des rapports de fait et de force : hiérarchie, système économique, etc. Un chef d'atelier non directif ne remplacera jamais une bonne convention collective et ne rendra pas plus supportable des cadences de travail excessives. Le danger n'est pas, comme l'avaient craint les syndicalistes, de « casser l'agressivité ouvrière ». Elle est entretenue par le système économique. Le danger, c'est l'alibi que crée l'appel aux bons sentiments. Certains cadres en particulier, risquent de bonne foi, de trouver dans ces techniques une justification, évitant de mettre en cause le système économique et social. O Dans l'enseignement - On retrouve en pédagogie le même problème que dans l'entreprise. On ne peut méconnaître les structures générales de l'enseignement, ses contraintes, ni les conditions objectives dans lesquelles on enseigne : programmes, examens, nombre d'élèves, manque de locaux et de moyens matériels. Les textes de Rogers, pour intéressants qu'ils soient, ne paraissent pas adaptés à de grands effectifs, ni à tous les objectifs. Ils sont en particulier inapplicables à un enseignement
comportant l'exercice de la mémoire, l'acquisition de connaissances. Un maître non directif aura peut-être des élèves plus ouverts intellectuellement, pas forcément des élèves obtenant de meilleurs résultats aux examens. Ici encore il ne suffit pas de changer l'attitude des maîtres, si l'on ne modifie pas également le système scolaire et l'opinion, c'est-à-dire la hiérarchie des valeurs de la société. 907 c) Méconnaissance des problèmes collectifs. Extrapolation du groupe à la collectivité O Un autre danger guette les praticiens et théoriciens : transposer aux groupements plus larges les processus observés dans les petits groupes. Les chercheurs ont tenté d'éclairçir les phénomènes affectifs plus ou moins irrationnels et inconscients, que l'on devine ou suppose dans le groupe : crainte de la séparation, besoin de solidarité. Ils ont espéré découvrir ainsi des réactions fondamentales, qui se retrouveraient au niveau collectif. Sans doute tout ce qui est humain comporte-t-il un fonds commun : besoin de sécurité, de compréhension. En admettant qu'il existe des éléments semblables dans les petits et les grands groupes, ils se manifesteront de façon très différente. Si dans une réunion à propos d'une décision de grève, on peut observer certaines interactions individuelles et certaines prises de conscience de groupe, elles mettent en cause des mécanismes psychologiques très différents des réactions collectives qui suscitent une grève ou une émeute étendue au niveau national. Dans les collectivités, des facteurs complexes : économiques, historiques, idéologiques, modifient considérablement l'influence et l'expression des symboles de l'inconscient collectif.
Cette mise en garde sur le double plan pédagogique et scientifique permet d'insister, sur l'efficacité de la discussion de groupe au point de vue de la formation, au sens le plus large. A chaque expérience de ce genre organisée pour des étudiants, cadres d'entreprises, etc., on éprouve au départ la même impression de lenteur, un peu exaspérante, mais chaque fois, on s'aperçoit également du caractère extrêmement enrichissant de l'expérience et de son utilité pour les participants, qu'elle sensibilise aux problèmes des autres, en même temps qu'elle les éclaire sur leurs propres comportements. § 6. Un nouveau besoin : l'affectivité
908 Une nouvelle orientation dans les groupes O La découverte fondamentale de l'action dans et par le groupe n'a pas épuisé les expériences possibles ni les orientations de recherche. Les tendances récentes conçues au départ pour compléter ou remplacer des thérapies individueries atteignent un grand nombre de ceux que les psychiatres nomment des « névrosés normaux » : presque tous les habitants des grandes villes ! Ces groupes dits « de rencontre » présentent des caractéristiques communes qui les distinguent des formes conventionnelles mais chacun présente des aspects particuliers. Si, suivant l'expression de H. M. Ruitenbeeck (1969), on assiste à une « épidémie de rencontres thérapeutiques », on peut supposer que les premiers touchés sont les plus vulnérables. Mais lorsque ces rencontres se multiplient non seulement dans les hôpitaux, cliniques, mais aussi dans les Universités, les instituts, etc., on est amené à s'interroger sur les causes d'une vulnérabilité si répandue, faite de sentiments d'isolement, d'anomie, qui envahissent non les classes moyennes ou supérieures en tant que telles,
mais avant tout les classes instruites1521. Sans doute les besoins d'affection, de confiance, de compréhension, de communauté, d'expression émotionnelle sontils propres à tous les hommes. Chaque époque a tenté de les satisfaire, mais il semble que notre société urbaine et industrielle soit plus qu'une autre frustrante. Les Américains1522 n'éprouvent pas le même besoin de réserve que les Européens en ce qui concerne leur vie privée, mais en revanche le conformisme et le puritanisme les ont marqués et inhibés sur le plan des manifestations extérieures, d'où l'insistance des groupes sur les bienfaits de l'expression corporelle. Le succès des nouveaux groupes de rencontre provient à la fois de l'incapacité de la société à satisfaire les besoins psychiques des individus et de l'échec des psychothérapies individuelles. L'orientation nouvelle va donc prendre le contre-pied des thérapies de groupe et des thérapies individuelles traditionnelles. Toutes deux, en effet, utilisaient des éléments empruntés à la psychanalyse : dynamique du transfert et du contre-transfert, non-engagement de ranimateur, technique de non-intervention et d'écoute: Tout ceci est totalement modifié. Non que les transferts n'existent plus, mais l'utilisation de ces phénomènes ne donne plus lieu aux mêmes manipulations. En effet, l'application souvent très rigide des concepts freudiens et surtout le rapport personnel distant ne correspondent plus aux besoins de contacts réciproques, libres, chaleureux de nos contemporains. Il ne s'agit plus seulement d'une modification du cadre de référence, mais de sa suppression. Cette absence de structure correspond à une aspiration à la liberté qui explique les constantes innovations techniques à l'intérieur des groupes1523.
Dans le groupe traditionnel, l'élément historique est essentiel. L'explication des troubles de l'individu se trouve dans son passé, d'où l'importance des questions « pourquoi ? » et « où ? ». Au contraire dans les groupes de rencontre, l'orientation est non historique. Le passé importe peu, seule compte l'expérience ici et maintenant Cet élément commun à tous les groupes récents et mis particulièrement en avant dans les groupes marathon et ceux d'Esalen1524. Liée à la notion du maintenant nous trouvons celle du ressenti. Alors que la psychanalyse constitue entre autres, un traitement par la parole, les groupes marathon mais surtout ceux d'Esalen et les bio-énergétiques, insistent sur la nécessité d'utiliser pour communiquer, l'expression corporelle non verbale, laquelle implique naturellement d'abord, la possibilité de sentir. Ce que résume l'impératif de F. S. Péris (1972) « oubliez votre esprit au profit de vos sensations ». Enfin la différence qui paraît fondamentale, c'est la nécessité du raccourci. Alors que la psychothérapie individuelle et la thérapie de groupe durent, à raison de quelques heures par mois, plusieurs années, la dynamique de groupe non thérapeutique 10 à 15 jours, les groupes de rencontre eux se distinguent par leur rapidité (2 jours). L'expérience pour être efficace doit donc être brutale. Aucun des intéressés n'a le temps de réfléchir, ni ce qui est plus inquiétant, le thérapeute. S'il existe un élément parfois traumatisant, en revanche, l'approbation du groupe paraît plus encourageante que l'écoute passive du thérapeute, dans la relation individuelle. Chaque membre du groupe est menacé et tente donc d'aider les autres. L'acceptation de la confrontation serait liée à un besoin d'approbation dans lequel certains voient le prolongement de la société permissive qui est la nôtre. Interprétation assez surprenante et
contradictoire, le succès des groupes étant en partie attribué à l'aspiration à la liberté, née du besoin de compenser notre société répressive ou du moins contraignante. Ce temps limité ne permet pas aux membres du groupe de faire connaissance, de subir progressivement des influences, bref de « mijoter ». Comme le note G. R. Bach (1966) : « En cela le marathon peut être comparé à un autocuiseur : la vapeur factice s'échappe et les émotions vraies (y compris celles qui sont négatives) apparaissent. » L'impératif du temps implique également que soit favorisé « l'acting out1525 ». Celui-ci se produit d'autant plus facilement que si l'individu est traité dans le groupe, il l'est aussi individuellement c'est-à-dire chaque personne est à son tour mise sur la sellette et encouragée à manifester ce qu'elle éprouve. 908-1 Les différents groupes, a) Les groupes marathon O Le marathon a complètement modifié la conception de la thérapie de groupe en raccourcissant sa durée1526. « On connaît encore mal, écrit H. M. Ruitenbeeck (1970) son fondement, son histoire et ses méthodes. » On peut en tout cas citer quelques noms parmi ceux qui le pratiquaient avec le plus de sérieux : G. R. Bach (1972), E. Mintz (1966), et F. Stoller (1968). L'inadéquation des mots à exprimer certains sentiments complexes, ont incité à chercher dans l'expression corporelle non verbale, un moyen d'atteindre ces phénomènes non exprimables. E. Alexander (1972) pense trouver dans la thérapie de jeu, un processus identique à celui du marathon. [...] « Dans la thérapie de jeu, les enfants vivent dans le monde immédiat de
l'expérience. Ils expriment dans «l'ici et maintenant» ce qu'ils sentent réellement1527. » On retrouve dans cette dernière expression: le caractère a-historique du groupe. Seule compte dans le marathon l'expérience ici et maintenant et rien d'autre. E. Mintz (1972) soulève le problème des contacts physiques auxquels sont incités les participants du groupe. Ce contact n'est « ni une gratification sexuelle directe, ni une évasion, mais plutôt une expérience émotionnelle corrective, réellement thérapeutique. Dans notre société étrangère à l'émotion, il est assez facile de trouver des contacts sexuels, même s'ils n'ont pas de signification, mais notre tradition est fortement opposée au contact physique entre adultes pour exprimer l'affection, la sympathie, le soutien ou même simplement la camaraderie humaine1528 ». Les exercices non verbaux se traduisent par des manifestations telles que l'exercice du rock and roll. Une jeune femme, sujet de l'exercice a de graves problèmes personnels. Le groupe pour la réconforter forme un cercle autour duquel elle va tourner. Chacun la prend dans ses bras et l'embrasse. Cet exercice est d'après Ruitenbeeck extrêmement émouvant et inévitablement des membres du groupe se mettent à pleurer. D'autres exercices sont prévus pour créer la confiance, aider le travail d'expression de la tendresse, de l'estime, de la peur et pour supprimer la peur ou le dégoût du sexe1529. La rencontre dans le marathon se déroule suivant quatre phases : a) réactions aux expressions mdividuelles ; b) communication de ces réactions dans un « feed back » ; c) qui à son tour provoque des contre-réactions de ceux qui se sont exprimés ; d) puis des autres membres du groupe. 908-2 b) La gestalt1530-thérapie O La gestaltthérapie inventée et pratiquée par F. S. Péris
(1969), est une des thérapies de groupe qui a connu le plus de succès 1531. Elle se caractérise par l'importance accordée au « ressenti » et à la continuité de la prise de conscience pour qu'apparaisse l'élément perturbateur sans qu'il soit intellectualisé par la parole, comme c'est souvent le cas dans la thérapie individuelle. L'inspiration gestaltiste se retrouve dans deux éléments. D'une part, « la notion que le tout détermine les parties, notion qui est en contradiction avec l'hypothèse antérieure selon laquelle le tout n'était que la somme totale de ses éléments [...] ». D'autre part l'intérêt pour ce qui est exprimé ici et maintenant, même sous une apparence superficielle. [...] Nous ne bêchons pas dans les régions dont nous ne savons rien, dans ce qu'on appelle l'inconscient. Je ne crois pas aux régressions. Toute la théorie des régressions est une fantaisie. Le moyen le plus efficace d'interpréter le matériel du passé de la personnalité, c'est de l'introduire aussitôt que possible, dans le présent. Dans les groupes on s'efforce de ne pas dire « c'est terrifiant, cela fait peur », mais « je suis terrifiée, j'ai peur ». Un des lieux qui connut le plus grand succès est celui d'Esalen. Les particularités d'Esalen sont d'abord qu'il existe un institut ne visant pas en principe le profit1532 mais cherchant à « découvrir les moyens d'améliorer le potentiel humain ». Ensuite l'Institut n'a pas pour objectif d'adapter les gens à leur environnement social mais au contraire s'intéresse aux personnalités rigides qui se contrôlent trop bien et doivent être assouplies, détendues, pour accroître leurs possibilités de maturation. Les animateurs les plus connus ont été F. S. Péris (1966), B. Gunther (1968) et W. Schutz (1967). On peut résumer la position du groupe d'Esalen par cette affirmation de Péris : « Les deux pieds sur lesquels repose la gestalt-thérapie sont le maintenant et le comment (...) Le maintenant
couvre tout ce qui existe. Le passé n'est plus, le futur n'est pas encore. [...] Le comment couvre tout ce qui est structure, comportement, tout ce qui se passe actuellement, le processus en action. Tout le reste est superflu - calculer, appréhender, etc.1533 » Actuellement la mode semble détourner de ce type de rencontre en faveur de pratiques d'inspiration orientale visant davantage l'accès à la sérénité par la voie spirituelle. 909 c) Les groupes bioénergétiques O La technique psychanalytique impose une défense proche du tabou : le patient et l'analyste ne doivent pas se toucher. L'éducation anglo-saxonne exclut les manifestations de tendresse, enfin la rupture de la famille traditionnelle, le travail de la femme hors du foyer, la fatigue de la vie moderne semblent agir dans le même sens dans les pays industrialisés. « Le fait que la simple introduction du contact physique signifie presque une révolution dans les mœurs, me paraît être une triste illustration de la condition de la personne aliénée et solitaire dans notre monde d'aujourd'hui » écrit H. M. Ruiten-beeck1534. Les groupes bioénergétiques sont issus des réflexions de W. Reich (1967). Ils utilisent le contact physique pour détendre les individus et développer chez eux la spontanéité. Après Reich, A. Lowen insiste sur la relation entre le corps et l'esprit : Ce qui se passe dans nos esprits est essentiellement un reflet de ce qui se passe dans nos corps1535. » C'est ainsi que la tension musculaire apparaît comme un facteur essentiel dans les troubles émotionnels car les sentiments s'expriment à travers les mouvements et le spasme musculaire les bloque. Les bioénergétistes se distinguent des autres
groupes par rutilisation qu'ils font du contact physique. Le corps est engagé dans le processus d'analyse. Les participants sont en maillot pour permettre l'interprétation des mouvements. Ceux-ci sont utilisés ainsi que la respiration, pour faciliter la détente musculaire et l'expression des sentiments, enfin le contact physique entre participants mais surtout entre les patients et le thérapeute constitue un conflit dont la solution est très importante. Pour justifier la levée du tabou de la psychanalyse, A. Burton écrit : « Il est paradoxal que le médecin qui doit avoir une formation fondamentale en biologie, abandonne le corps lorsqu'il devient psychiatre ou tout au moins ne sait pas ce qu'il doit soigner d'abord, lorsqu'il reçoit son premier patient1536. » D'autres groupes suppriment un important tabou social : celui de la nudité. Pour A. Lowen : « la nudité est le grand niveleur des distinctions sociales1537»... Habitué à se considérer tel que l'on est physiquement, on pourra peut-être se débarrasser d'autres défenses. La nudité favorisant le contact du corps entier avec l'air paraît thérapeutique en elle-même. Il semble que loin d'aboutir à des excitations sexuelles, la nudité amène au contraire une sensualité diffuse et moins localisée. Dans les groupes de drogués : Synanon et Daytop, le thérapeute est pratiquement évacué au profit du camarade qui a connu les mêmes expériences. Il s'agit de groupes d'entraide qui ne s'appuient sur aucune théorie particulière. Freud, le Christ sont utilisés, mais surtout la franchise et le soutien du groupe constituent les points d'appui des participants. A l'opposé du marathon au point de vue de la durée ils sont plus proches d'une vie de communauté. On peut encore citer les groupes centrés sur
un thème tels que la libération de la créativité, la formation de la capacité émotionnelle, groupes utilisés par Ruth Cohn. 909-1 Bilan des groupes de rencontre O Si ces orientations récentes ont pour origine les besoins des participants, elles paraissent au moins autant correspondre aux désirs de certains thérapeutes. La non-participation ne convenait pas à un certain nombre d'entre eux, avides de projeter leurs phantasmes, de manipuler ou de susciter l'intérêt et l'affection du groupe. On imagine les dangers que courent dans ce cas des participants fragiles, comme on peut prévoir le profit que tirent de cette mode, des organismes plus ou moins scrupuleux. Il est actuellement impossible de dresser un bilan même approximatif de l'ensemble. On ne peut que rassembler quelques appréciations portées par les auteurs peu nombreux qui ont résumé leur expérience. Les groupes de rencontre peuvent compléter une thérapie individuelle. Ils offrent l'avantage d'atteindre ceux qui ne pourraient pas ou ne voudraient pas se lancer dans une cure longue, mais ont besoin d'un apprentissage dans leurs relations avec les autres. Le plus important paraît être que les individus éprouvant des difficultés dans leurs situations familiales, professionnelles ou autres ne sont plus traités dans un rapport individuel par le thérapeute, ni collectivement dans une thérapie de groupe traditionnelle, mais individuellement dans le groupe. Celui-ci devient une microsociété dans laquelle l'individu peut à la fois éprouver ses difficultés habituelles, attirance, crainte, difficultés d'expression, et non pas les expliquer mais les manifester. En les affrontant grâce à l'aide des autres, qui l'approuvent et l'encouragent, il est supposé
se débarrasser des phobies, tabous, conflits qui le paralysent. Comme l'écrit M. M. Châtel : « Les groupes de rencontre offrent la possibilité exceptionnelle pour les individus de se donner pour un temps l'illusion de violer les interdits sans entrer en conflit direct avec la société1538. » Enfin l'importance accordée aux techniques non verbales, en particulier à Esalen, privilégie l'expression au détriment de la rationalisation desséchante de notre époque de technocrates. Elle soulage ceux qui dans « la foule solitaire » supportent mal ce monde de tours de béton et d'ordinateurs. On ne saurait reprocher aux groupes certaines pratiques déraisonnables puisqu'ils ont pour but de lutter contre l'abus de rationalité 1 Le plus dangereux paraît l'impossibilité de tracer une frontière entre les techniques, jeux, etc., susceptibles de constituer un contrepoids utile, et les dérapages, par exemple, l'absence de différence entre tabou et raffinement. La négation de l'intimité du couple, pourrait à la limite aboutir à des « partouzes thérapeutiques1539 ». R. Ruitenbeeck a raison de reprocher à ces groupes non d'insister sur l'expression corporelle, si utile, mais de la renforcer de tendances antiintellectuelles : L'insight ne doit pas être séparé du savoir et ceux qui ne dépendent que des émotions finiront par se trouver dans de graves difficultés1540. » Ces séances risquent de traiter des êtres vulnérables sans leur procurer un équilibre véritable, mais d'accentuer par des séances gratifiantes, la partie la plus refoulée mais aussi la plus instable d'eux-mêmes. Une critique essentielle et plus générale c'est qu'une expérience aussi brève que celle d'un marathon ou d'un week-end à Esalen ne peut suffire à modifier le comportement d'un individu. Dans la meilleure des hypothèses, c'est-à-dire, en cas de réussite, le groupe n'est
qu'une bouffée d'oxygène. Elle peut aider les participants à mieux saisir leurs problèmes mais sans leur donner les moyens de les résoudre. Les participants trouvent dans l'action, l'illusion de pouvoir satisfaire leurs désirs à l'abri de toute répression. Ils risquent fort de se leurrer sur leurs capacités propres et d'être d'autant plus déçus. La fête terminée, chacun se retrouve isolé dans un monde qui lui, n'a pas changé et n'est pas devenu plus chaleureux. Enfin une dernière critique, c'est celle que l'on adresse à toutes les sciences sociales appliquées, aux États-Unis. Certains estiment que les groupes de rencontre semblent mieux répondre aux problèmes qui se posent, que d'autres formes de thérapies, parce qu'ils sont « en liaison directe avec la crise de l'individu dans la société1541». Mais celle-ci n'est jamais remise en cause. On traite les individus, leurs symptômes, leurs problèmes personnels, à partir de leurs idiosyncrasies, mais sans chercher les raisons extérieures de leur angoisse, ce qui la provoque : éducation, mode de vie, tabous, etc. On s'occupe des individus seulement sur le mode de ce qu'ils éprouvent, surtout dans leurs relations interpersonnelles, en ignorant totalement l'aspect sociologique de ce monde qu'ils doivent affronter. § 7. Un impératif : l'efficacité
909-2 Une nouvelle mode : la gestion des ressources humaines O Passé l'enthousiasme excessif inspiré par les «relations humaines», l'on constate dans les entreprises un engouement pour des méthodes regroupant les techniques classiques de gestion sous le titre fourre-tout de « gestion des ressources humaines ». Le terme de gestion en français a une signification précise et limitée d'administration de biens, d'affaires. Sous l'influence sans doute de l'américain
management, il a pris un sens plus large et ambigu, qualifiant toute intervention, toute stratégie visant à obtenir un objectif précis avec un maximum d'efficacité. C'est ainsi que l'on parle de gérer son divorce, sa carrière, etc. Le terme de ressources au figuré dans le langage courant, correspond de façon imprécise à des capacités individuelles. L'expression : « il est plein de ressources » s'applique au sujet capable de se débrouiller dans de nombreuses situations même imprévues. La juxtaposition des deux termes : gestion sous son acception élargie, et ressources humaines au sens courant et vague, paraît très regrettable. En effet, on gère une entreprise, on exploite des ressources minières. Proclame-t-on maintenant sans hypocrisie que l'entreprise, pour atteindre un rendement maximum, doit exploiter les individus ? Plus grave, alors que Taylor ne s'intéressait qu'aux gestes, les ressources humaines visent la personnalité tout entière. L'idée de gérer celle-ci, avec ce que cela suggère de manipulation et d'exploitation, est évidemment inacceptable. A l'influence américaine s'ajoute ici le modèle japonais : le travailleur doit exister pour et par la firme. Les relations humaines visaient certes à augmenter le rendement mais des motivations moins matérialistes les inspiraient aussi. L'orientation préconisée : dialogue, prise en compte de l'autre, information, participation, enfin remise en question des modes du commandement et de l'attitude de la hiérarchie par des sessions de dynamique de groupe, représentaient un réel progrès. Les directeurs de personnel devenus aujourd'hui directeurs de gestion des ressources humaines (D.G.R.H.) n'écartent pas a priori les solutions données à certains de leurs problèmes, mais ces problèmes sont loin
de leur paraître prioritaires. Ils continuent à accorder dans une attitude qualifiée de «prudente»1542 leur attention aux questions économiques classiques : salaires, productivité, horaires, gestion quantitative de l'emploi, formation technique. Les termes même de leur nouvelle qualification proclament aujourd'hui avec une surprenante maladresse et un inconscient cynisme le but de leur mission, l'exploitation des ressources humaines pour atteindre l'objectif : le maximum de profit. Une redoutable contagion américaine et un goût excessif pour les changements d'étiquette privilégiant les termes économiques ont fait perdre aux journalistes, aux chefs d'entreprise, mais aussi, ce qui est plus grave, aux administrations publiques et même aux universitaires1543, le sens de la langue française et ses risques de perversion. Les syndicats ont réagi1544 puis abandonné ce combat perdu et sans grand intérêt. Pour eux, la réalité des rapports de force demeure inchangée. Il ne s'agit que de langage. Sans doute... mais n'est-il pas révélateur d'un état d'esprit ? 910 Le management, a) les consultants o Comme un malade prêt pour guérir à recourir à tous les moyens suscite la multiplication de médecines parallèles, les Français, pour sortir de la crise, résorber le chômage, sont prêts à essayer les remèdes miracles, d'où une prolifération de propositions pour répondre à cette attente. Dans un ouvrage réaliste sinon cynique, l'auteur démontrait le mécanisme du système de rapports créés entre le dirigeant et le consultant L'objectif du dirigeant : « obtenir un plus grand zèle au travail sans augmenter la rémunération, éliminer une génération de salariés vieillissants sans altérer la confiance des jeunes dans l'avenir, empêcher toute activité
syndicale efficace, en respectant à la lettre les principes de notre Constitution (...). Il leur faut mêler l'épicerie et le snobisme et inventer un " art distingué " de gérer la maind'œuvre. C'est ainsi que le rude dégraissage devient un processus " de reconversion " (...) Les consultants apparaissent tour à tour comme des conseillers du prince, des exécuteurs de basses œuvres, des poules de luxe chargées de la distraction -intellectuelle des états-majors ou comme des agents de renseignement, des médiateurs de conflit. Bref, comme des missionnaires chargés de diffuser un dogme d'entreprise»1545. A défaut pour les dirigeants d'entreprise d'être capables de juger par eux-mêmes ce qui leur est offert, c'est la marque plus ou moins prestigieuse du cabinet auquel il est fait appel, qui dictera leur choix. Ayant à son actif des diplômes : sociologie, psychologie, mieux encore, un stage aux États-Unis, ou une expérience dans quelque firme connue, le consultant a pour objectif de vendre ses services le plus cher possible et de satisfaire les besoins de son client, c'est-à-dire lui indiquer les moyens de mieux résoudre ses problèmes. Ceci impliqué qu'il tienne compte des résistances du milieu : travailleurs, concurrents, etc. On voit ici la différence entre le travail du psychologue social, à la fois plus engagé et plus indépendant, nécessitant objectivité et participation sur le terrain, et l'attitude du consultant moderne travaillant au niveau hiérarchique supérieur et de ce fait, finalement coupé de la réalité : les travailleurs dans le cas d'une industrie, le public-cible s'il s'agit de promotion des ventes. Au-delà de la mode, certains éléments : expérience, connaissances sociologiques et psychologiques et surtout le fait d'être extérieur à la firme peuvent rendre l'avis du consultant utile à des dirigeants, dont on sait qu'ils ont peu de temps et peut-être peu d'aptitudes pour le type de réflexion qu'exigerait cette part de leur rôle. Une étude
d'ensemble sur l'efficacité des consultants par rapport à leur coût, serait intéressante mais difficile à effectuer. 910-1 b) Dérapages : gourous et shamans O « La différence dans la compétition ne se fera pas par la technologie mais par les hommes et leurs motivations » reconnaissait José Bidegain, alors directeur général adjoint de Saint-Gobain, tandis que Élizabeth Dodinet, directrice des ressources humaines chez Schweppes déclarait à la fois que « le temps que l'on perd en réunions on le gagne en action »... et que « l'affectivité dans une entreprise, c'est hyper important»1546. Jusque-là, on semble simplement redécouvrir le rôle du facteur humain et de la communication à l'origine du mouvement pour les relations humaines de 1950 (cf. n° 902). Les choses ont-elles si peu changé ? On observe une évolution de la conception de l'entreprise et des rapports hiérarchiques, mais des cas spectaculaires1547, ou les exemples moins voyants de nombreuses PME, sans parler du secteur public, laissent penser qu'il reste beaucoup de progrès à faire. Au-delà du langage, qui marque une différence superficielle entre 1950 et 1990, on note un point plus important: le public visé. Alors qu'en 1950, le TWI (cf. n° 902) s'adressait à une population étendue : contremaîtres, chefs de service, délégués, la tendance actuelle se limite d'après les experts, au domaine le plus riche en ressources humaines : l'encadrement1548. Ce qu'il importe de « cibler », disent-ils, ce sont les cadres. Il s'agit d'abord de détecter les individus possédant le maximum de possibilités, d'où la multiplication de recettes de sélection proposées. A côté de tests de personnalité, la graphologie est déjà utilisée depuis de nombreuses années, l'astrologie, plus récemment, enfin, la numérologie jouit d'une certaine faveur. On peut y ajouter d'autres moyens plus personnels et
inattendus, tarots, etc. La sélection accomplie, les techniques d'exploitation des ressources vont se multiplier pour motiver, dynamiser, « positiver » (pauvre langue française !) ces « élus ». Il s'agit de les inciter à aller jusqu'au bout d'eux-mêmes. L'objectif n'est plus d'adapter, d'équilibrer, de réconforter des individus anxieux, frustrés (cf. les groupes marathon n° 908 bis) mais s'adressant à des responsables, sûrs d'eux, ayant à prendre des décisions importantes, de leur faire connaître leurs limites pour les dépasser grâce à des expériences contrôlées, de les armer contre la peur ou le doute de soi. Cet objectif est supposé devoir être atteint, grâce à des exercices tels que sauts en parachute ou du haut d'un pont (benji). Ces épreuves sont toutes d'ordre physique et suscitent la peur et l'apprentissage des moyens de la surmonter1549. Alors que la dynamique de groupe avait pour but de faire prendre conscience à chacun de son comportement avec les autres, et s'adressait à des individus pris en groupe, mais en dehors de leur contexte professionnel, les expériences actuelles s'adressent à des groupes existant dans la firme. Ils partagent la même épreuve pour mieux se connaître et ensuite travailler plus efficacement ensemble. L'objectif est directement la productivité d.e la firme, grâce au meilleur rendement d'individus adaptés aux buts de l'entreprise. S'ajoutent à ces épreuves de « haut risque », toute la gamme des exercices de relaxation, dépaysement, d'expériences de survie, de voyages, etc. Ce que les gourous doués d'imagination peuvent inventer n'a d'égal que la stupéfiante crédulité des demandeurs. Jusqu'ici, la pratique du sport paraissait efficace pour compenser une vie trop rationnelle, trop tendue, et permettait d'échapper à l'ambiance de l'entreprise... ce que l'on veut aujourd'hui au contraire éviter.
De plus, alors que les nouvelles expériences ne sont généralement pas renouvelables, le sport représente un contrepoids (ou contrepoison) continu et certainement beaucoup moins coûteux. On croit rêver devant le prix de revient de ces stages. Ce qui limite évidemment leur multiplication en France1550, alors qu'ils sont très utilisés aux États-Unis, leur pays d'origine. 910-2 Bibliographie o
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CONCLUSION Retour à la table des matières « II semble que l'on ne puisse rien dire de plus que : soyez heureux ! » L. Wittgenstein, Carnets. 911 D'après le sociologue Merton, c'est une vue utopique de croire que dans une société, toutes les valeurs peuvent être en même temps maximales. C'est au sociologue à montrer aux hommes le prix qu'ils paient leurs convictions, leurs pratiques, leurs désirs et leurs choix. Jean Rostand faisait remarquer qu'à côté de ceux qui aiment les mathématiques ou les lettres, existent aussi ceux qui aiment la vie, le réel. « Ce que les sciences naturelles ont de plus extraordinaire, c'est que ce sont les seules qui enseignent la complexité des choses. Toutes les autres sciences recherchent des constantes, veulent simplifier, pas la biologie... Les biologistes sont des gens qui connaissent la complexité de la nature, qui savent qu'il est dangereux de toucher à son équilibre. Supprimer une forêt, cela paraît simple à l'ingénieur, mais cela représente des dangers insoupçonnés, car la nature se venge... Le biologiste connaît aussi l'importance de l'impondérable : l'organisme, pour fonctionner, a besoin de " traces " de métaux, de manganèse, cobalt et d'autres infiniment petits. Le biologiste sait que tout est lié, qu'on ne peut toucher à rien sans toucher à tout1551. » Ces notations, si justes, comment ne pas les transposer
de la biologie à l'homme en société. Supprimer l'air pur, augmenter le bruit, accélérer le rythme du travail et de la vie, entasser les gens dans les grands ensembles, n'est-ce pas l'équivalent de supprimer la forêt ? On commence seulement à s'en apercevoir l « La première leçon des sciences sociales, écrit C.W. Mills, consiste à aider l'individu à se situer dans le contexte de son époque. » En effet, les sciences sociales sont, peut-être plus que les autres, révélatrices de l'état d'esprit d'une génération. Comme la philosophie, l'art et la littérature, elles sont directement influencées par le progrès des techniques et traduisent les réactions des hommes à ces modifications de leur mode de vie. La caractéristique, à l'heure actuelle, de toutes les sciences sociales, c'est une vision dynamique, qui se retrouve en sociologie comme en économie, en science politique, en psychologie sociale, etc. Une analyse de contenu du vocabulaire nous donnerait une indication de cette tendance, par l'utilisation fréquente des mots : « interaction », « situation », « processus », « dynamique », « opératoire ». Il ne s'agit plus seulement de l'étude statique de l'homme et des institutions mais surtout de l'étude de l'homme agissant, et des changements sociaux. D'où l'importance de tous les moyens par lesquels les hommes communiquent entre eux, (notions d'information, de communication) et des processus par lesquels ils s'expriment (étude des mass media et des réactions de l'opinion publique). La notion de fonction remplace celle de cause génétique et permet une explication utilitariste de certains mécanismes psychologiques et sociaux (mythes, idéologies, opinions, attitudes). La notion de rôle, aspect dynamique du statut social, permet d'apprécier l'équilibre personnel de l'individu, l'intégration de sa personne dans la société. Au milieu de ces changements incessants, en liaison les uns avec les autres, les sciences sociales sont également à la recherche d'un dénominateur commun et découvrent la notion de structure, dont chaque science s'efforce de déceler les lignes stables qui conditionnent et ordonnent l'ensemble, tandis que la notion de totalité essaie de tenir compte du mouvement dialectique.
Paradoxalement, les faiblesses même de la dialectique, son incapacité à nous fournir l'explication dernière, pourront sauver les sciences sociales de ce qui représente pour elles un danger bien plus grave que l'incertitude : l'esprit de système. Les progrès accomplis, tout, le savoir acquis, seraient compromis, si les sciences sociales se fermaient sur des interprétations définitives, des modèles pseudo-scientifiques, un code ultime de décryptage du réel, qui tôt ou tard aboutiraient à des tautologies 1552, ou recréeraient les idéologies qu'elles ont pour but d'analyser. Plus la crise est profonde, plus grande est la tentation de se raccrocher à des vérités considérées à tort comme définitives. Souvenons-nous de l'évolution des sciences naturelles, cette longue « suite d'erreurs rectifiées ». C'est pourquoi dans les sciences sociales, c'est la notion de. problématique qui paraît aujourd'hui essentielle1553. Problématique ouverte, capable de fournir des hypothèses théoriques à plus ou moins long terme, et de proposer des interprétations souples des mutations en cours. Sur le plan des techniques, l'enseignement des méthodes ne vise pas à former des techniciens des sondages ou des mesures d'attitudes, en équilibrant une spécialisation historique, juridique ou géographique par une autre spécialisation. Les techniques ne sont qu'un moyen. Le plus important dans ce cours, n'est pas la somme de connaissances qu'il permet d'acquérir, mais la réflexion qu'il suscite. Sartre a pu écrire : « L'enfer, c'est les autres », parce qu'ils sont à la fois cause de nos plus grandes joies et aussi de la plupart de nos difficultés. Mais nous sommes les autres et ces difficultés viennent de nous. - ... On apprend aux hommes beaucoup de choses, mais ce qui leur serait le plus utile : comment travailler, collaborer, vivre ensemble, est laissé au hasard, comme s'il s'agissait d'une connaissance spontanée. Or, il y a un « art de vivre » qui ne provient pas d'une morale d'interdictions et d'obligâtions, mais de l'intelligence de notre condition humaine et de la prise en considération de nos besoins de liberté, de justice et de fraternité.
Les sciences sociales, comparables aux sciences naturelles par les techniques qu'elles utilisent et la rigueur de l'attitude intellectuelle qu'elles exigent, sont également proches de la philosophie, par les valeurs qu'elles mettent en cause. C'est à un véritable humanisme qu'elles engagent, non verbal ou intellectuel, mais réel et vécu. Sans doute y a-t-il quelque risque à essayer de comprendre les autres, sans garantie de réciprocité. Les sciences sociales ne sont pas une école de sécurité ou de certitude. Les vérités y sont relatives, les totalités en marche ne se rattrapent jamais, le partiel seul est atteint, la dialectique se renvoie les contraires et la problématique ne nous affirme rien. C'est le règne de l'ambiguïté, ce n'est pas celui de la facilité. Mais à notre époque, le pari de Pascal ne vise plus Dieu, mais l'homme. Nous sommes embarqués sur cette planète, il faut y croire.
ANNEXES Retour à la table des matières [Annexes présentant trop d’éléments de mathématiques – formules, courbes, équations – pour pouvoir être intelligiblement retranscrites]
I. BIBLIOGRAPHIES COURANTES Retour à la table des matières
BIBLIOGRAPHIES GÉNÉRALES DES SCIENCES SOCIALES Retour à la table des matières Bibliographie internationale des sciences sociales. - London, Tavistock Publications ; Chicago (111.), Aldine Publishing Co. Annuel. Bibliographie internationale de sociologie. Depuis 1951. Bibliographie internationale de science politique. Depuis 1952. Bibliographie internationale de science économique. Depuis 1952. Bibliographie internationale d'anthropologie sociale et culturelle.
Depuis 1955. Recent publications in the social and behavioral sciences. The ABS guide... supplement. - New York, American Behavioral Scientist. Depuis 1965. Annuel. Bulletin signalétique. Sections 19-24 : Sciences humaines, philosophie. Centre national de la recherche scientifique. - Paris. Depuis 1946. Trimestriel. Bulletin analytique de documentation politique, économique et sociale contemporaine. Fondation nationale des sciences politiques. - Paris. Depuis 1946. Mensuel.
BIBLIOGRAPHIES SPÉCIALISÉES POUR UNE SCIENCE Retour à la table des matières Cours et travaux inédits de science politique. Fondation nationale des sciences politiques. Paris. Depuis 1959. Annuel. Documentation politique internationale/International political science abstracts. Établie par l'Association internationale de science politique. -Oxford, B. Blackwell. Depuis 1951. Trimestriel. Sociological abstracts. - New York. Depuis 1952. 8 fois par an.
IL BIBLIOGRAPHIES RÉTROSPECTIVES Retour à la table des matières Current sociology/La sociologie contemporaine. Établi pour l'Association internationale de sociologie, sous les auspices du Comité international pour la documentation des sciences sociales. - La Haye, Mouton. Depuis 1953, 3 fois par an. La science politique en France, 1945-1958. Bibliographie commentée établie sous la direction de Jean Meyriat. - Paris, Fondation nationale des sciences politiques, 1960, 136 p.
London bibliography of the social sciences. Studies in economics and political science. Edited by the Director of the British Library of Political and Economic Science. - London. Depuis 1931 (vol. 12 paru en 1967). Reader's guide to the social sciences. Edited by Bert F. Hoselitz. - Glencoe (111.), Free Press. 1959, 256 p. Sociologie et psychologie sociale en France, 1945-1965. Bibliographie établie et annotée par la Bibliothèque du Centre d'études sociologiques. -Paris, 1966, 252 p. Sources of information in the social sciences. A guide to the literature by CM. White and associates. Totowa (N.J.), Beclminster Press. 1964, XIII, 498 p.
III. RÉPERTOIRES BIBLIOGRAPHIQUES Retour à la table des matières Guide to reference material in political science. A selective bibliography. Vol. 1 by L.R. Wynay with the assistance of L. Fystrom. Denver (Colo.), Bibliographic Institute, 1966, 318 p. Guide sommaire des ouvrages de référence en sciences sociales sous la direction de Jean Meyriat. Colin, 1969, 61 p.1554. Index bibhographicus. 4e éd. Vol. II. Sciences sociales. - La Haye Fédération internationale de documentation, 1964, 34 p. Liste mondiale des périodiques spécialisés dans les sciences sociales 3e éd. - Paris, Unesco, 1966, 448 p.
IV. ENCYCLOPÉDIES GÉNÉRALES Retour à la table des matières Encyclopaedia britannica. - Chicago (111.), Encyclopaedia Britannica Ltd. Depuis 1768 (au Royaume-Uni). Rééditions fréquentes, maintenant annuelles, 24 vol.
Encyclopédie française. Mise en œuvre par Lucien Febvre et par Gaston Berger et dirigée par Julien Cain et Jacques Robichez. - Paris, Société nouvelle de l'Encyclopédie française, 1935-1966, 21vol. Grand Larousse encyclopédique en 10 volumes (et 2 suppl.). - Paris, Larousse, 1960-1964.
V. ENCYCLOPÉDIES ET DICTIONNAIRES SPÉCIALISÉS Retour à la table des matières Encyclopaedia of the social sciences. Editor in-chief E.R.A. Seligman, associate editor A. Johnson. - London, Macmillan, 1930-1935, 15 vol. Dictionary of politics, by Florence Elliott and Michael Summerskiff 5th ed. - Harmondsworth, Penguin Books, 1966, 423 p. Dictionary of politics and économies/Dictionnaire . de politique et d'economie/Wörterbuch für Politik une Wirtschaft, 2e éd. - Berlin. W. de Gruyter, 1967, xvi-1037 p. Dictionary of Sociology. - New York, 1944. Dictionary of the social sciences. Editors Julius Gould, William L. Kolb. compiled under the auspices of the Unesco. - London, Tavistock Publications, 1964, xvi-761 p. Dictionnaire économique et social. Maurice BouvierAjam, Jésus Ibarola, Nicolas Paquarelli - Éditions Sociales, 1974. Dictionnaire de l'ethnologie. Michel Panoff, Michel Perrin - Payot, 1973. Dictionnaire de sociologie, par Emilio Willems.
Adaptation française par Armand Cuvillier. - Paris, M. Rivière, 1961, 275 p. Dictionnaire de sociologie. Joseph Sumpf, Michel Hugues - Larousse, 1973. Dictionnaire de sociologie. R. Boudon et F. Bourricaud. P.U.F., 1982. Dictionnaire général des Sciences humaines. G. Thènes, A. Lempereur -Editions Universitaires, 1974. La sociologie. Guide alphabétique. Jean Duvignaud (dir.). Denoël-Gonthier, 1972. Les Dictionnaires du savoir moderne : l'Anthropologie, André Akoun, 1972 - La Sociologie, Jean Cazeneuve, Daniel Victoroff (dir.), 1970 - La Sociologie et les sciences de la société, Jean Cazeneuve (dir.) assisté d'André Akoun, 1975. - La politique, Jean-Luc Parodi (dir.) 1971. - Centre d'étude et de promotion de la culture. Les cinquante mots clés de l'anthropologie. François Laplantine. Privât, 1974. Les cinquante mots clés de la sociologie. Jean Golfin. Privât, 1972. Lexique des sciences sociales, Ariette et Roger Mucchielli. Entreprise moderne d'édition. Editions sociales françaises, 1969. Lexique des sciences sociales. Madeleine Grawitz, Dalloz, 5e éd. 1991. Vocabulaire des sciences sociales. Paul Foulquiè. P.U.F., 1978. Vocabulaire pratique des sciences sociales. Alain Birou. Ed. ouvrières, 1966.
LISTE DES PRINCIPALES REVUES DE SCIENCES SOCIALES Retour à la table des matières Actes de la recherche en Sciences sociales. - Paris. Acta Sociologica Copenhague. - (depuis 1956). American Anthropologist. - Washington, D.C. American behavioral Scientist. - California. Annals of the american Academy of political and social Science. - Sage. American Journal of Sociology. - Chicago, Illinois. American political Science Review. - Washington, D.C. American sociological Review. - Washington, D.C. American ^Sociologist. - Washington, D.C. Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. - Paris. Annales de géographie. - Paris. Année politique, économique, sociale et diplomatique en France. - Paris. Année psychologique. - Paris. Année sociologique (L'). - Paris. Anthropologie (£').- Paris. Archives européennes de Sociologie. - Paris. Archives de Philosophie du Droit. - Paris. Archives de Sociologie des Religions. - Paris. Australian and New Zealand Journal of Sociology. Camberra. Behavioral Science. - Ann Arbor, Michigan.
Bibliographie internationale des Sciences Sociales. London. Anthropologie sociale et culturelle. Science économique. Science politique. Sociologie. British (The) Journal of Sociology. - London. Bulletin analytique de Documentation politique, économique et sociale contemporaine. - Paris. Bulletin de méthodologie sociologique. - Paris. Bulletin du Mouvement Anti Utilitariste en Sciences Sociales (MAUSS). -Paris. Bulletin de Psychologie. - Paris. Bulletin signalétique. C.N.R.S. - Paris. Bulletin de la Société française de Philosophie. - Paris. Bulletin de la Société de Linguistique de Paris. - Paris. Cahiers du Centre d'Études socialistes. - Paris. Cahiers d'Études africaines. - Paris. Cahiers de l'Institut international d'Études sociales. Genève. Cahiers de l'Institut de Science économique appliquée (Économie et Société). - Paris. Cahiers internationaux de Sociologie. - Paris. Canadian Review of Sociology end Anthropology. Concordia Univ. Montréal. Communications. - Paris. Communication Abstracts. - Sage pub. Communication Research. - Sage pub. Comparative political Studies.- Beverley Hills, Calif. Comparative Politics. - New York.
Contemporary Sociology. - Amer. Sociol. Assoc. Albany New York. Critica Sociologica. - Rome. Current Sociology. - Univ. of Durham. London. Daedalus. - Cambridge, Mass. Diogene. - Paris. Economie et Humanisme. - Paris. Économie et Statistique. - Paris. Epistemologie sociologique. - Paris. Esprit. - Paris. Ethnographie (L'). - Paris. Études rurales. - Paris La Haye. Études sociologiques. - Paris. European sociological Review. - Oxford. Group Psychotherapy. Beacon, N. Y. Harvard Business Review. - Boston, Mass. Homme (L'). - Paris. Homme (L') et la société. - Paris. Human Relations. - London. Industrial and Labor Relations Review. - Ithaca, N. Y. Industrial Relations. - Berkeley, Calif. Information sur les Sciences sociales. - Paris. International Journal of comparative Sociology. - Toronto. Jahrbuch für Sozialwissenschaft. - Hambourg. Journal of the international Society of political Psychology. - Los Angeles. 1979. Journal of Personality and social Psychology. Washington, D.C. Journal de Psychologie normale et pathologique. - Paris. Journal (The) of social Issues. - Worcester, Mass. Kölner Zeitschrift für Soziologie und Sozialpsychologie. Cologne. Langage (Le) et l'Homme. - Bruxelles. Linguistique (La). - Paris. Mathématiques et Sciences humaines. - Paris. Monthly Labor Review. - Washington, D.C. Nef (La). - Paris.
New Left Review. - Londres. Papers, Revista de sociologie. - Barcelone. Pensée (La). - Paris. Pouvoirs. - Paris. Political theory. - Sage pub. London. Praxis (Édition internationale). - Zagreb. Preuves. Paris. Psychological Bulletin. - Washington, D.C. Psychologie française. - Paris. Public (The) Opinion Quaterly. - Princeton, N.J. Quality and Quantity. - Padova. Rassegna Italiana de Sociologia. - Bologne. Recherche sociale. - Prais. Recherches sociologiques. Univ. catholique Louvain. Belgique. Revista italiana de Sociologia. - Rome. Revista Internationale de Sociologia. - Madrid. Revue du Droit public et de la Science politique en France et à l'étranger. - Paris. Revue française de Psychanalyse. - Paris. Revue française de Science politique. - Paris. Revue française de Sociologie. - Paris. Revue de l'Institut de Sociologie Solvay. - Bruxelles. Revue internationale des Sciences Sociales. - Paris. Revue de Métaphysique et de Morale. - Paris. Revue politique et parlementaire. - Paris. Revue Suisse de sociologie. - Berne.
Social Forces. - Baltimore, Mar. Sociétés. - Paris. Sociological Abstracts. - New York. Sociologie contemporaine. - Paris. Sociologie, Deutsche gesellschaft fur Sociologie. Stuttgart. Sociological Quarterly. Columbia Ma. Sociological Review. - Keele (Grande-Bretagne). Sociological methods and research. - Sage pub. London. Sociologie et Sociétés. - Montréal. Sociologie du Travail. - Paris. Sociology. - Londres. Sociology and Social Research. Univ. of South California. - Los Angeles. Sociometry. - New York. Sondages. - Paris. Socius. - Paris. Soviet Sociology. - New York. Studi di Sociologica. Univ. cath. dei Sacro Cuvre. Milano. Temps Modernes. - Paris. World Politics. Princeton, N.J. Zeitschrift für Soziologie, Bielefeld, R.F.A.
PETIT LEXIQUE Back to table of contents ACCULTURATION. - Ce terme désigne les transformations qui affectent la culture de groupes mis en contact direct et continu. ACTING OUT. - Action impulsive, marque de l'émergence du refoulé. Ne pas confondre avec passage à l'acte, le plus souvent passage d'une tendance^ un acte violent et délictueux. ALÉATOIRE. - Qui relève du hasard, de la probabilité. ANALYSE FACTORIELLE. - Technique d'analyse mathématique utilisée surtout par les psychologues pour dégager des corrélations sous-jacentes dans un ensemble de variables. ANALYSEUR. - Ce qui permet de révéler la structure de l'institution, de la forcer à parler.
ANAMNÈSE. - Terme utilisé en médecine et en psychologie, signifie l'histoire du sujet. ANOMIE. - Du grec a (sans) nomes (loi). Terme employé par Durk-heim avec des significations différentes que l'on peut résumer comme une rupture de la solidarité (cf. La division du travail social) une rupture également entre les désirs des hommes et la possibilité de les satisfaire conformément aux lois (cf. Le suicide). Cette notion implique une absence d'intégration de l'individu dans la société. AXIOLOGIE. - Science des valeurs, théorie critique de la notion de valeur. AXIOME. - Proposition, évidente ou non, qui ne se déduit pas d'une autre et que l'on pose au début de la déduction (cf. système hypothético-déductif). CATHARSIS. - Au sens propre signifie purge, au sens figuré, se libérer. Terme utilisé par Freud. DIACHRONIQUE. - Qualifie ce qui évolue dans le temps par opposition à synchronique, qui se passe en même temps. DOCIMOLOGIE. - Étude de la notation des examens. ÉCOLOGIE. - Terme proposé en 1869 par Hàckel : science de l'habitat. Branche de la biologie qui s'occupe des relations des êtres vivants entre eux et avec leur milieu, leur environnement naturel, leurs réactions aux facteurs physiques et biologiques qui conditionnent leur présence ou absence en un lieu déterminé. ÉTIOLOGIE. - Science des causes. EIDÉTIQUE. - Terme créé en 1920 par E. R. Jaensch pour désigner une disposition à voir des choses imaginaires. Husserl appelle « eidétique » ce qui concerne l'essence des choses, et non leur existence ou leur présence. EMPATHIE. - Capacité d'un individu de se mettre à la place d'un autre pour essayer de comprendre ses réactions. ENDOGAMIE. - Régime matrimonial qui ne permet le mariage qu'avec des personnes du même groupe social
(contraire = exogamie). ENTROPIE. - Mesure de la perte, du degré de désordre dans un système physique donné, doté d'une quantité constante d'énergie. Permet de donner une expression quantitative au second principe de thermodynamique. EPISTÉMOLOGIE. - Étude critique des principes, des hypothèses et des résultats des diverses sciences, destinée à déterminer leur origine logique, leur valeur et leur portée objective (Lalande). ETHNOCENTRISME. - Terme employé par Wife Summer pour caractériser une attitude suivant laquelle on juge les sociétés de civilisations différentes selon les critères de celle à laquelle on appartient. Cette attitude de mépris peut dans les sociétés complexes se manifester vis-à-vis de groupes différents : professionnels, économiques, etc. ETHOS. - Terme employé par certains auteurs pour désigner un ensemble de caractères culturels, de règles et croyances propres à un groupe donné. GNOSÉOLOGIE. - Théorie de la connaissance. HERMÉNEUTIQUE. - Interprétation de textes philosophiques et religieux, au sens large de ce qui est symbolique. HEURISTIQUE (adj.). - Qui sert à la découverte. Se dit d'une hypothèse que l'on adopte à titre provisoire pour sa fécondité dans la recherche, sans se préoccuper de sa justesse. HOLISME. - Du grec oXov, tout entier. Théorie d'après laquelle le tout est plus que la somme des parties. MONEME. - Élément minimum pouvant correspondre à un contenu de signification. ONTOLOGIE. - Partie de la philosophie qui spécule sur « l'être en tant qu'être ». PANEL. - Technique consistant à interroger plusieurs fois le même échantillon de population pour observer les changements.
PATTERN. - Mot anglais qui signifie modèle, type, schéma, agencement. PHÉNOTYPE. - En biologie, manifestation visible, extérieure du génotype qui est l'ensemble des caractères biologiques innés, déterminé par les gènes ou particules héréditaires des chromosomes. PHONEME. - Les phonèmes sont des unités segmentales et discrètes, se présentant dans chaque langue en nombre restreint et fini, destinées à constituer, seules ou en se combinant en une succession, les signifiants. POTLATCH. - Échanges somptuaires et compétitions, ritualisés chez les Indiens d'Amérique du Nord en vue d'acquérir ou d'élever leur statut social. PRAXIS. - Étymologiquement action ou activité. Terme marxiste fort discuté, caractérise l'interaction entre théorie et pratique, l'homme et son activité. Selon J.-P. Sartre : « faire et en faisant, se faire ». RÉIFICATION. - Erreur méthodologique qui conduit à confondre une notion avec la réalité qu'elle est censée décrire. SÉMANTIQUE. - Etude des significations. Au sens large étude de la correspondance entre les signes et ce qu'ils représentent. SÉMIOLOGIE. - Science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale. Science des moyens de communication par signes. SOCIALISATION. - Mécanisme par lequel la société intègre ses membres en leur transmettant ses valeurs, normes et croyances. SOCIOGRAMME. - Technique de représentation graphique des relations sociométriques c'est-à-dire des relations à l'intérieur des petits groupes.^ STÉRÉOTYPE. - Cliché, préjugé, image toute faite que la société fournit à ses membres. STOCHASTIQUE. - Indique que l'on se place au point de vue de la probabilité. Une liaison stochastique entre E et F, associe à E un élément dont on sait seulement qu'il
appartient à un sous-ensemble déterminé de F. TABOU. - Interdit hé à des représentations magiques ou religieuses dont la violation entraîne automatiquement des sanctions surnaturelles. Concerne souvent la mise à mort ou la consommation de certains animaux. TOPIQUE. - (Du grec 14,E4%) signifie théorie des lieux. Pour Alistóte : lieux ou rubriques (à valeur logique et rhétorique) dont sont tirées les prémisses de l'argumentation. Kant a repris le terme. La topique trans-cendantale implique « ...la détermination par le jugement de la place qui convient à chaque concept ». Enfin Freud conçoit une première topique très liée à une localisation anatomique. Elle comporte trois systèmes : inconscient, préconscient et conscient. A partir de 1920, ce que l'on considère comme une seconde topique, correspond à l'opposition des trois instances : çà, moi et surmoi. A l'heure actuelle on abuse de l'utilisation de ce terme devenu ambigu. Le terme anglais tapie signifiant sujet augmente la confusion. TRANSFERT. - Caractérise un processus de répétition de prototypes infantiles, qui se réactualisent dans la relation entre thérapeute et malade en psychanalyse.
BIOGRAPHIES1555 Retour à la table des matières ADLER Alfred (1870-1937). - Médecin et psychologue autrichien. Disciple puis dissident de Freud. Le tempérament nerveux (1948). ADORNO Théodor Wiesengrund (1903-1969). Philosophe, sociologue et musicologue américain né en Allemagne, membre fondateur de l'école de Francfort. La personnalité autoritaire, trad. (1950). ALLPORT Gordon William (1897-1967). - Psychologue social américain. Personality, a psychological interpretation (1937). The use of personal documents in psychological science (1942). The resolution ofintergroup tensions (1952). ALLARDT Erik. - Sociologue finlandais contemporain,
éditeur des Acta Sociológica, Mass Politics 1970 (en collab.). ALMOND Gordon W. (1911). - Politologue américain. The politics of developing areas (1960). The civic culture (1963). Comparative politics. A developmental approach (1966). ALTHUSSER Louis (1918-1990). - Philosophe marxiste. Pour Marx (1965). Lire le capital (1965). ANDERSON Neis (1889). - Sociologue américain. The Hobo, Sociology of the homeless (1923). Urban Sociology (1965). ANGELL James (1869-1949). - Sociologue américain. Président de 1'Assoc. Intern, de Sociologie. The use of personal documents in history, anthropology, sociology (1945). ANSART Pierre. - Philosophe et sociologue. Sociologie de Proudhon (1967). Sociologie de S1 Simon (1971). Naissance de l'anarchie (1970). Les idéologies politiques (1974). La gestion des passions politiques (1983). Les sociologies contemporaines (1990). ANZIEU Didier (1923). - Psychologue et psychanalyste. Les méthodes projectives (1960). La dynamique des groupes restreints (1968). APOSTEL Léo (1925). - Logicien belge. Les liaisons analytiques et synthétiques dans le comportement du sujet in Études d'épistémologie génétique vol. VI (1957) (en collab.). Matérialisme dialectique et méthode scientifique, dans Le socialisme vol. VII, n° 4, 1960, Bruxelles. ARON Raymond (1905-1983). - Sociologue. Introduction à la philosophie de l'histoire (1936). La sociologie allemande contemporaine (1936). Paix et guerre entre les nations (1961). Dix-huit leçons sur la société industrielle (1962). Les étapes de la pensée sociologique (1967). ARISTOTE (384-322 av. J.-C.). - Philosophe grec. La Politique.
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INDEX ALPHABÉTIQUE Retour à la table des matières (Les chiffres correspondent aux numéros des paragraphes. Pour les matières les chiffres en gras renvoient aux développements plus importants et ceux en italiques aux bibliographies pour les noms d'auteurs)
A Retour à la table des matières Abel (E.) 576, 587. Abeles (M.) 225, 239. Abelson (R.) 414, 869, 881. Abdel-Malek (A.) 170. Abrahamson (M.) 170. Abrams 159-1. Abt (L. E.) 766. Abu-Lughod (I.) 632. Accardo (A.) 170. Ackermann 632. Achard (P.) 869, 881. Achenwall (G.) 95. Acot (P.) 214, 239. Adam (D.) 170. Adler (G.) 184, 199, 200. Adorno (T.W.) 77, 86, 159-1, 163-1, 170, 277, 478, 770, 771, 811. Affelbaum (E.) 881.
Agassi (J.) 222, 223. Affichard (J.) 580-1. Agel (H.) 584, 587. Agressivité 200, 252, 835, 837, 839, 878, 907. Agulhon (M.) 206, 207, 587. Aktouf (O.) 299. Alaluf (M.) 170. Alaphilippe (D.) 454, 478. Albert (P.) 632. Albou (P.) 47S, 725. Albouy (S.) 198. Albrecht (M. C.) 580-1. Albritton (R.) 416. Aldridge (A. O.) 395. Aléatoire (caractère) 289, 326, 517. erreur 289, 517. sondage 506. Alembert (D') 62, 66. Alexander (E. O.) 908-1, 910-2. Alexander (J- C.) 86, 170. Alexandre (V.) 811. Algorithme de recherche 399. Alker (Hayward Jr.) 239, 299, 416. Allais (M.) 223. Allix (A.) 214. Allport (G. W.) 187, 190-1, 198, 271, 272, 275, 453, 47S, 574, 580-1.
Almond (G. A.) 169-1, 233, 234, 239, 257, 356, 359, 383, 395. Althusser (L.) 13, 90, 93, 104, 159-1, 165, 247, 254-1. Amado (G.) 881. Amado Levy-Valensi (E.) 202. Amar (A.) 264, 329. Ambacher (M.) 264. Amerio (P.) 632. Arnione (F.) 632. Amselle (J. L.) 181. Analyse : conceptuelle 595. contingence 594. de contenu 589-1 et s. des correspondances 924. directe, indirecte 593. dirigée, non dirigée 591. d'exploration 591. évaluatrice 594. factorielle 462, 488, 743, 923. fonctionnelle 363 et s. institutionnelle, 893. littéraire 589. multivariée 119. primaire 542.
qualitative 536 et s., 592, 623. quantitative 541 et s., 592, 623. secondaire 542, 546. structure latente 798. structurale 367 et s. systémique 382 et s. thématique 589. vérification 591. Aaamnèse 276. Anaximandre 30. Aucelfn Schutzenberger (A.) 910-2. Anderson (N.) 155, 159-1. Andler (D.) 198. Ando (A.) 416. Andrews (F. M.) 428. Andrieux (R.) 170. Andxeski (S.) 428. Angell (R.) 271, 275, 575, 580-1, 632. Ansart (P.) 159-1, 165-2, 237, 239. Anscombre (C.) 245, 249. Anomie 119, 440. Anthony (E.J.). Anthropologie culturelle 171. sociale 171. Antoine (S.) 587. Antoine (J-) 518.
Anxiété 898. Anzieu (D.) 198, 202, 474, 587, 766, 895, 910-2. Apfelbaum (E.) 198, 183. Apostel (L.) 416. Applications : des sciences sociales 251, 253, 254, 420 et s. géographie 212, 213. psychanalyse 201. Apprentissage 186, 191, 455, 740. Apter (D.) 239, 383, 395. Aptitude 731 et s. Arber (S.) 554. Arbousse-Bastide (P.) 159-1, 910-2. Archibald (K. A.) 428. Archirnède 32, 52. Ardofno Q.) 428, 910-2. Arendt (H.) 237, 239. Argyle (M.) 478. Argyris (E.) 910-2. Aristote 1, 5, 6, 7, 17, 18, 21, 22, 26, 32, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 45, 46, 47, 49, 52, 56, 59, 64, 79, 87, 165, 185-1, 224, 241, 349. Armengaud (L.) 219. Arnaud (A.) 170. Arnaud (P.) 113, 116, 159-1, 112. Aron (R.) 92, 117, 118, 120, 128, 130, 137,144,148, 159-1,165-1,170, 207, 225, 236, 237, 239, 352, 587.
Aronson (E.) 198. Arrive (M.) 249. Arrow (K.) 237, 239. Arrow (K. Y.) 237, 239, 416. Asch (S. E.) 185-1, 873, 881. Ashby (W. R.) 382, 411, 416. Ashley Montagu (M. F.) 264. Athias (C.) 170. Authier (M.) 910-2. Assoun (P. L.) 170. Atkinson (D.) 181. Attali (J.) 223, 263, 264. Attitudes 452 et s., 470. caractéristiques 454. changements 767 et s. définition 453. fonction 458 et s. importance 271, 458. mesure, échelles 776 et s. Auber-Montpeyssen (T.) 168, 170. Augé (M.) 181. Auster (D.) 632. Austin (J.L..) 245, 249. Austry (J) 299. Authier (M.) 910-2.
Autobiographie 271, 573 et s. Auzias (J. M.) 181, 395. Averroes 36. Avril (P.) 239. Avron (H.) 170. Axiologique 430. Axiomatique, axiome, 211-1, 282. Ayres (C.) 220-2. Azouvi (A.) 580-1.
B Retour à la table des matières Bach (G. R.) 908, 908-1, 910-2. Bachelard (G.) 3, 4, 45, 63, 64, 65, 66, 69, 83, 84-1, 85, 86, 122, 165, 166-1, 290, 301, 303, 305, 306, 312, 581, 587, 589. Bachelard (S.) 13. Bacon (Francis) 41 et s., 49, 52, 54, 55, 56, 57, 64, 66, 78, 85, 91, 301. Bacon (Roger) 7, 38. Bacri (N.) 632. Badie (B.) 239, 366, 395. Badin (P.) 198. Badiou (A.) 414, 416. Bailey (H. D.) 395. Bailly (A.) 214. Bajoit (D.) 159-1, 170. Baker (G. W.) 860. BakoTjnine (M.) 111, 444.
Balandier (G.) 165-2, 170, 179, 180-1, 181, 226, 239, 264, 358, 395. Balaz (B.) 587. Baldwin 0. B.) 159-1. Baldwin 0. M.) 183, 184, 198. Bales (R. F.) 609, 837 et s., 842, 844, 860, 881, 910-2. Balibar (E.) 159-1. Ball (R. A.) 395. Balle (C.) 170. Balle (R) 239, 416. Bandura (A.) 186, 198. Bandwagon 547. Banks 0. A.) 860. Bany (M. A.) 910-2. Baran (P.) 264. Baraquin (Y.) 170. Baray (B.) 239. Barber (B.) 395. Barber 0. D.) 860. Barbier (R.) 264, 910-2. Barbut (M.) 299, 416. Barclay 0. R.) 766. Bardin (L.) 632. Barley (N.) 181. Barnard (C.) 389.
Barnes (H. E.) 104, 159-1. Barraqué (B.) 239. Barrault 0.) 181. Barre (R.) 223. Barrows (H.) 210-1, 214. Barrows (Suzanne) 196, 198. Bartels (O.) 214. Barthélémy (C.) 428. Barth (K.) 26. Barthes (R.) 367, 369, 395, 589, 631, 632. Bartholomew (D.J.) 416. Bartoli (H.) 223, 263, 264. Barton (A. H.) 239, 341, 536, 554, 860. Bartos (O.J.) 881. Basaglia (R) 910-2. Bastin (G.) 910-2. Bastide (R.) 159, 159-1, 174, 179, 181, 201, 202, 255, 264, 350, 354, 360, 365-1, 395, 478. Bataille (G.) 239. Bates (F. L.) 436, 465, 467, 478, 881. Batten (T. R.) 910-2. Baud (F.) 170, 478. Baudelot (C.) 119, 580-1, 910-2. Baudoin (J.) 4, 86, 239. Baudrillard (J.) 131, 132, 159-1, 587.
Baudry (J. L.) 585, 587. Bauer (R. A) 632. Bauiïg (H.) 208, 214. Bavelas (A.) 374, 398-1, 416, 874, 880, 881, 910-2. Baverez (N.) 580-1. Beals (R. L.) 181, 264. Beaujeu-Gamier (J.) 214. Beck (L.W.) 107. Beck (S.J.) 275. Becker (H.) 25, 104, 159-1, 170, 181, 261-1, 265, 269, 297, 337, 340, 341, 395, 580-1, 860. Becquemont (D.) 104. Beetham (D.) 159-1. Behaviorisme 186, 233, 260-1. Bejarano (A.) 910-2. Bélier (G.) 170. Bellaev (E.) 170. Bellak (L.) 766. Bellamy (R.) 170. Belley 0. G.) 169, 170. Belson (W. A.) 585, 587. Benassy (J. P.) 223. Ben David (J.) 554. Bendix (R.) 138, 159-1, 239, 395. Benedict (Ruth) 176, 181, 540, 860.
Benett (E. B.) SSI. Benezé (G.) 86. Benguigui (G.) 860. Benjamin (W.) 163-1, 170, 910-2. Benne (K. D.) 428, 860, 910-2. Bennis (W. G.) 428, 860, 881, 910-2. Bensman (J.) 860. Bentham (J.) 184. Benveniste (E.) 245, 249. Benzecri (J. P.) 562-1, 580-1, 923. Berelson (B.) 565, 580-1, 585, 587, 590, 595, 596, 606, 610, 614, 615, 623, 627, 628, 629, 629-1, 632, 811, 860, 881. Berge (G.) 398, 416. Berger 0.) 170. Berger (Peter) 159-1, 312, 580-1. Bergeron (G.) 239, 392, 395. Berghe (P. Vanden) 395. Bergman 584. Bergson (H.) 6, 65, 85, 885. Berkeley (G.) 6, 62. Berkoffer (R. F.) 207. Berkowitz (L.) 198. Bernard (C.) 58, 73, 86, 119-1, 159-1, 263, 300, 301, 312, 322, 328, 329, 861, 881.
Bernard (P.) 47S. Bernard (Y.) 583, 587. Berne (E.) 881. Bemd g-) 416. Bernheim 200. Bemot (L.) 860. Bernoulli (J.) 48, 62, 215-1, 280. Bernoux (B.) 170. Bemreuter (R. G.) 754. Bernstein (A.) 881. Bernstein (B.) 246, 249. Bernstein (E.) 254-1. Bernstein (H.) 571. Berque (J.) 179, 181. Berr (H.) 205. Berreman (G. D.) 260, 264. Berry (B.J. L.) 214. Berry (D.) 170. Bertalanffy (L.Von) 383, 395, 411, 416. Bertaulay (K.) 214. Bertaux (D.) 275, 554, 573, 580, 580-1. Berthelot (J. M.) 159-1. Berthoud (G.) 165-1, 170. Bertillon (A.) 215-1. Bertillon (J.) 215-1. Bertin (C.) 202.
Bertin (J.) 917. Besançon (A.) 202. Beshers 0. M.) 219. Besnard (P.) 159-1, 198. Besson (J. L.) 562, 580-1. Bettelheim (B.) 604, 632, 881. Bettelheim (C.) 223, 860 Betz (H. K.) 220, 223. Beveridge (W.) 860. Biais 661, 696, 723, 724. Bichat 110. Bidegain (J-) 910-1. Bie (P. de) 170, 428. Bienayme (A.) 223. Bierstedt (R.) 159-1. Billon-Grand (J.) 239. Bindrim (P.) 910-2. Binet (A.) 193, 727, 729, 730, 737, 738, 743, 749, 756, 861. Binion (R.) 207. Bion (W. R.) 893, 895, 897, 898, 910-2. Birnbaum (N.) 159-1, 264. Birnbaum (P.) 159-1, 165-1, 170, 226, 239, 395, 432. Bismarck 150. Blache (].) 214.
Black (F.) 223. Black (J.) 554. Black (M.) 395. Blake (R. R.) 881, 910-2. Blalock (H. M.) 416, 860, 881, 910-2. Blancard (R.) 211-2, 860. Blanchard (O.) 223. Blanche (R.) 4, 24, 28, 45, 49, 51, 55-1, 56, 59, 61, 66, 67, 69, 72, 73, 74, 75, 83, 86. Blanchet (A.) 725 Blatner (H.) 910-2. Blau (P. M.) 170, 860. Blaug (M.) 222-2, 223. Bloch (Marc) 203, 205, 206, 207. Bloch 0. M.) 211. Bloch (Joseph) 132. Blondel (J.) 239. Bloomberg (W.) 442. Bloomfield (L.) 86, 243, 249. Blum (A. J.) 554. Blumberg (A.) 860. Blumberg (H. H.) 725. Blumer (H.) 22, 162, 170, 271, 297. Blumler (J- G.) 585, 587. Boas (F.) 176, 177.
Bode (K.) 223. Bodin 0. L.) 580-1. Bogardus (E. S.) 137, 785, 811. Bogdan (R.) 299. Bogner (A.) 159-1. Bogue (D.) 219. Bohr (N.) 82, 83, 84. Bois du (Cora) 176. Boissomat (G.) 168. Boland (L.) 222-2, 223. Bolle de Bal (M.) 170. Boll (M.) 478. Bólleme (G.) 207. Bolles (B. C.) 473, 478. Boltansky (L.) 170, 417, 565, 580-1, 587, 632, 937. Bon (F.) 170, 239, 518, 632. Bonafé-Sdrrnidt 0. P.) 169, 170. Bonaparte (Marie) 199. Bonjean (C. M.) 811. Bonnardel (R.) 753, 766. Bonnetain (P. H.) 239. Booth (C.) 152, 154, 159-1, 860. Bopp (F.) 242. Borelly (M.) 255. Borgata (E. F.) 159-1, 881, 910-2.
Borko (M.) 416. Boskoff (A.) 25, 207, 265, 269. Bossuet (L.) 112. Botfc (Elizabeth) 416. Bottomore (T. B.) 159-1, 170. Boudon (R.) 126,129,136, 159-1,160, 162-2, 165-1, 166, 170, 239, 269, 270, 299, 309, 311, 312, 349, 354, 367, 368 et s., 395, 414, 416, 554, 766, 798, 811, 881. Boughey (A. S.) 239. Bougie (C.) 119. Bougnoux (D.) 202. Boulanger (J.) 632. Boulding (K.) 223, 239, 383, 395. BourbaM (N.) 370. Bourdet (C.) 663, Bourdieu 226, 237, 312, 329, 587, 632,
(P.) 123, 162-1, 165, 167-2, 170, 181, 186, 239, 246, 249, 290, 299, 301, 304, 306, 308, 430, 431, 432, 442, 497, 518, 565, 580-1, 707, 720, 725, 860.
Bourdin (A.) 587. Boureau (A.) 207. Bourgeois-Pichat Q.) 215-1, 219. Bourguin (M.) 133. Bouroche (J. M.) 580-1. Bourricaud (F.) 136, 159-1, 162-2, 170, 198, 239, 378, 395, 478, 811. Bouthoul (G.) 159-1, 219.
Boutot (A.) 84-1, 86. Bouveresse (].) 86, 181. Bowles (E. A.) 632, 416. Bowles (S.) 220, 221-1, 223, 632. Bowley (A.) 152. Boy (D.) 239. Boyer (P.) 923. Bradbrun (N. M.) 725. Bradford (L. P.) 910-2. Brams (S. J.) 239, Braud (P.) 225, 226, 239. Braudel (F.) 165-2, 206, 207, 361, 395. Breal (M.) 248-1. Brechon (P.) 239. Brehm (J. W.) 881. Bremond (CI.) 632. Breslau (D.) 155, 159-1. Breton (Ph.) 170. Breton (R.) 214. Brethe de la Gressaye 169, 170. Brett (S. H.) 725. Breuer (K.) 199, 200. Breven (S.) 159-1. Brewster-Smith (M.) 181, 478. BrezmsM (Z. K.) 239, 264.
Bridger (H.) 881. Bridgman (P.) 308, 312. Brinton (L.) 239. Britvin (V.) 170. Broadbeck (M.) 170, 416. Brocard (L.) 220-2. Brochier (H.) 165-1, 223. Broglie (L. De) 72, 83, 84, 86. Broom (L.) 170, 860. Broseta (B.) 223. Brown (L.) 219. Brown (N. D.) 206, 207. Brown (R. W.) 198. Brubaker (R.) 142, 159-1. Bruckner (P.) 239. Bruhnes (J.) 210-2, 214. Bruner (J- S.) 478. Brunet (P.) 66. Brunet (R.) 214. Bmning (G.) 580-1. Brunschwig (L.) 6, 13, 79, 86. Bruyn (S. T. H.) SSI. Bruyne (P. de) 554. Bryant (C. G. A.) 170. Bryce (H. J.) 234.
Brymari (A.) 299. BrzezfnsM (Z.) 264. Buchanan 222-1. Buckley (W.) 382, 392, 395, 416, 587. Budo (R. W.) 632. Buffon (G. L.) 62, 209, 210. Bulmer (M.) 159-1, 428, 554. Bunge (M.) 329, 354. Bunge (W.) 214. Buquet (L.) 219. Burger (T.) 144, 159-1. Burguière (A.) 219 Burguière (D.) 207. Burckardt (K.) 134. Burdeau (G.) 225, 236, 239. Burgess (E. W.) 137, 170. Burgess (R. L.) 137, 159-1, 234, 860. Buridan (J-) 38. Burns (T.) 170. Burton (A.) 909, 910-2. Busino (G.) 170, 198. Butery (A.) 416. Butter (D.) 239. Butorin (P.) 170. Buttimer (A.) 214.
C Retour à la table des matières Ça (sur-moi, moi) 200. Cabanis (P. J. G.) 110. Cadre de référence 426, 607, 651, 692, 700, 802, 829. Cahnman (W. J.) 159-1, 206, 207. Caille (A.) 107, 170, 222, 223, 264. Cailleux (A.) 218, 218-1, 219. Caillot (P.) 923. Caillot (R.) 860. Calas (M. F.) 587. Caldwell (B.) 222-2, 223. Calot (G.) 215-1, 219. Calvez (J.Y.) 159-1. Camelot (projet) 260. Camilleri (C.) 486. Campbell (S. Q.) 811. Campbell (A. A.) 239, 518, 860. Campetti (E.) 580, 580-1. Canguilhem (G.) 85, 86, 119-1, 159-1, 416, 478. Cannon (W. B.) 395, 416. Cannel (C. F.) 652, 662, 665 et s., 704, 725. Cantoklein (M.) 632. Cantar 396. Cantril (H.) 198, 518, 540, 601, 632, 725, 811, 813. Capdevielle (J.) 170.
Caplow (T.) 170, 810, 811, 881. Capranico (S.) 428. Carbonnier (J.) 169, 170, 556. Cardin 0- C.) 595, 632. Carrnille (R.) 215-1. Carnap (R.) 18, 25, 28, 77, 86. Caro Q. Y.) 239. Carpenrier (R.) 414, 416. Carrard (A.) 751. Carrère d'Encausse (Hélène) 239. Carré (A.) 595, 632. Carron (R.) 239. Carruthers (W.) 423. Carson (R.) 239. Carter (L.) 239, 837, 844, 860, 881. Cartwright (D.) 486, 524, 554, 575, 580, 580-1, 597 et s., 607, 632, 881, 910-2. Cas (méthode des) 904. Casanova (A.) 725. Castel (R.) 202. Castels (M.) 104. Cassirer (E.) 25, 104. Castellari (Y.) 198. Castoriadis (C.) 166-1, 170, 893, 910-2. Catani (M.) 580, 580-1.
Catastrophes (Théorie) 84, 84-1 Catégories 336, 562, 831. d'analyse de contenu 605 et s., 710. démographiques 503. dans l'interview 712. dans l'étude des groupes 831. grammaticales 246. psychiques 246. de comportement 830, 835. Catharsis 199, 834. Catlin (G.) 225. Cattell (R.) 187, 189, 198, 374, 728, 729, 754, 766. Causalité 61, 185, 348 et s., 365-1 et s. externe, interne 350. rapport aux valeurs 142. relations de 543, 545. singulière 350. Cauters (B.) 239. Cavozzi (J.) 239. Cazeneuve (J.) 124, 126, 159-1, 428, 585, 587. Cazes (P.) 518, 632. Cedronio (M.) 159-1. Certeau (M. de) 207. Cesari (Y.) 725. Cézard (M.) 562, 580-1. Chabbi (J.) 632. Chabrol (C.) 632.
Chaffee (S. H.) 239. Chaix-Ruy (T.) 910-2. Chalmers (A. P.) 28. Chaline (C.) 234. Chamboredon (J. C.) 120, 159-1, 305, 312, 428, 562. Chamoux (Marie-Noëlle) 168, 170. Champagne (P.) 164, 164-2, 170, 214, 237, 239, 518, 585, 587, 725. Champ psychologique 190-1, 374. des attitudes 776. Champenois-Marmier (M. P.) 170. Champion (D. J.) 554. Chaos (Théorie) 84-1, 86. Chapin (F. S.) 284, 299, 328, 329, 416, 79S, 860, 881. Chapman (R. A.) 416, 860. Chappie (E. D.) 844, 860. Chapoulie (]. M.) 159-1, 170, 860. Chapsal (J.) 239. Charaudeau (P.) 247, 249. Charbit (Y.) 580-1. Charbonnier (G.) 428. Charcot (J. M.) 184, 200. Charlesworth (J. G.) 239. Chariot (M.) 239. Chateaubriand (A. de) 204.
Chatel (M. M.) 909-1, 910-2. Châtelet (F.) 107, 239. Chauchat (Hélène) 554, 725. Chaumier (J.) 416, 580-1. Chaunu (P.) 205-1, 207. Chazan (T-) 202. Chazel (F.) 170, 239, 395, 881. Chenu (A.) 219. Cherry (C.) 416. Chesnais (J. C.) 219. Chevalier (L.) 215-1. Chevalier (M.) 211, 214, 238. Chevallier (J.) 170, 239. Chevallier (J- J.) 87, 88, 92, 104, 117, 224, 236, 239. Chevallier (Y.) 580, 587. Chevassu (F.) 587. Chevreul (M. E.) 861. Chevry (C.) 518, 561, 580-3. Cheylan (J. P.) 239. Chifres (A.) 632. Chiland (C.) 202. Chin (R.) 428, 860, 910-2. Chiva (I.) 428. Cholley (A.) 214. Chombart de Lauwe (P. H.) 159-3, 264, 329, 478, 860,
881. Chomsky (N.) 162-1, 244-244-1, 246, 249, 264, 367, 369. Chorley (R. J.) 214. Christaller (W.) 214. Christen (Y.) 159-1. Christiansen (H. F.) 868, 881. Chua (B. L.) 159-1, 170. Churchill-Semple (E.) 210. Churchman (C. W.) 395, 416. Ciarlo (J. A.) 161, 170. Cibois (Ph.) 743, 766. Cicourel (A.V.) 159-1, 162-1, 170, 299. Clair (R.) 584. Clammer (J.) 76-1, 86. Clapier-Valadon (S.) 580-1. Clark (A. W.) 910-2. Clark (J. T.) 299, 428, 580-1. Classes (lutte des) 117, 130, 885. Clastres (P.) 181, 239. Claunch 0.M.) 416. Clausewitz 401. Claval (P.) 104, 210-1, 211, 214. Clémence (A.) 554. Clément (P.) 860. Clergue (M.) 632.
Clinique 275. Clique 400, 879, 887, 889. Clos (R.) 632. Clozier (R.) 214. Coch (L.) 524, 554, 881, 884, 910-2. Codage 710 et s., 841 et s. Coefficient de variation (écart type) 517, 541, 914. Coenen-Huther (J.) 312, 364-1, 365-1, 395. Cohen (A. P.) 180, 181. Cohen (E.) 395. Cohen (M. R.) 25, 86, 107, 249, 264. Cohen (P. S.) 42S. Cohen-Seat (G.) 587. Cohn (R.) 909. Colas (D.) 239. Colbert 57. Colby (B. N.) 629, 632. Cole 0- C.) 214. Cole (S.) 269. Coleman 0. S.) 170, 299, 395. Colin (L.) 910-2. Colletti (L.) 159-1. Colley 0. P.) 181. Collins (B. E.) 881. Collins (C.) 416. Colliot-Thélène (C.) 159-1. Collomb (P.) 580-1. Collowald (Anny) 239.
Colomb (C.) 97. Colonomos (A.) 416. Combe (M.) 170. Combessie 0. C.) 580-1. Commaffle (Y.) 170. Commoner (B.) 219, 239. Communication 169-1, 408 et s., 589-1, 903. direction 604. tastrumentale 593. moyens 695. nature 596. représentative 593. structure 431, 880. two step flow 431. Comportement (cf. behaviorisme) 186, 750. démographique 217. politique 233. Commons (R. C.) 220-2. Comte (A.) 68, 76, 86, 91, 108 et s., 109-1, 110, 112, 112 et s., 116, 117, 118, 119, 121, 125, 126, 128, 140, 149, 158, 159, 159-1, 167, 172, 176, 183, 254-1, 258, 352, 401, 861. Comte (M.) 580-1. Conant 0. B.) 107, 264. Conditionnement 184, 257, 455. Condorcet (A. N. de) 114, 215-1, 280, 282, 401, 861. Conduites. de réunion 903.
domaine des 748-1. et caractérisation 462, 643. étude des 752. Conring (H.) 95. Consensus 116, 162, 222. Coristantinescu (M.) 170. Contrainte 120. Contre culture 259. Converse (P.) 518, 860. Conway (F.) 518. Cook (S.W.) 97, 198, 329, 478, 486, 518, 606, 725, 860, 881. Cooley (C. H. F.) 183, 186. Coombs (CH.) 299, 786, 788, 789, 791, 811. Coombs (P.) 395. Cooper (C. L.) 910-2. Cooper (E.) 768, 811. Cooper (R.) 223. Copans (J.) 260, 264. Copernic (N.) 39. Coquet (J. C.) 632. Corbin (A.) 206, 207. Corcuff (P. H.) 170. Cornaton (M.) 486, 881. Cornu (R.) 159-1. Corrélation 539, 542, 543, 545, 916. empirique 324.
et causalité 542, 543. fonctionnelle 350. , Coisini (R.J.) 910-2. Cortes- (F.) 416. .;. Corvez (M.) 395. Coser (L. A.) 170, 239. Costa-Pinto (J. A.) 219. Cot (J. P.) 239. Cotgrove (J. F.) 170. Cotinaud (O.) 910-2. Cotteret (]. M.) 239, 632. Cotton (J- W.) 518. Coulon (A.) 170. Courchet 0. L.) 860. Coumot (A.) 52, 66, 73, 86, 282. Coumot (J.) 220-2. Courthenay (B. de) 241. Cousteau (J. Y.) 219. Couturier (M.) 205-1, 207. Cowell (F. R.) 264. Cox (K. R.) 214. Crawford (F.) 264, 428. Crawford (V.) 223. Crectne (J. P.) 869. Crespi (I.) 587.
Cresswell (R.) 181. Crombie 38. Crone (G. R.) 214. Cros (R. C.) 632. Crossley (H.) 725. Crotty (W.J.) 587. Crouzet (Ph.) 725. Crozier (M.) 162-1, 166, 167-1, 168, 170, 238, 860, 882, 892. Cruse (H.) 170. Crutchfleld (R.) 182-2, 198, 264, 486, 691, 811, 876, 878, 881. Cubeddu (R.) 223. Cues (N. de) 39. Cuin (Ch. H.) 159-1. Cuisenier (J.) 181. Culioli (A.) 244-1, 249. Culture (notion de) 176, 187. Curie (A.) 910-2. Curtis (A.) 910-2. Curtis (J. H.) 170. Curtis (M.) 239. Cuvier (G.) 27. Cuvillier (A.) 132, 133, 159-1, 354. Cybernétique 382, 383, 388, 389, 390, 392, 410.
D Retour à la table des matières Dabene (Odile) 239. Dahl (R. C.) 170, 239. Dajos (R.) 239. Dale (A.) 542, 554. Dampierre (E. de) 537, 580, 580-1. Darbel (A.) 860. Dardel (E.) 207, 214. Dahrendorf (R.) 170, 910-2. Dammame (D.) 239. Darwin (C. R.) 98, 209, 218-1, 238-1, 323. Daumezon (G.) 893, 910. Daval (R.) 182-2, 186, 198, 401, 416, 454, 478, 775, 793, 798, 811, 911. Daves (C. W.) 159-1, 766. David (M.) 170, 416. David (R.) 395. Davidovitch (A.) 170. Davis (A.) 156, 159-1. Davis (K.) 215, 219, 365, 395. Davis (M. D.) 416. Davis (W. K. D.) 214. Davy (G.) 123,169. Dautriat (H.) 725. De Alessi (L.) 223.
Dean (J-) 881. Debaty (L.) 811. De Bruyne (P.) 554. Deconchy 0. P.) 198. Déduction 17, 56. Définitions 19, 22, 23. des concepts 19. opératoires 308, 784. réelles, norninales 23. Debray (R.) 239. Defalvard (H.) 223. Degenne (A.) 239, 400, 416. Dejours (C.) 264. Delahodde (J.) 170. Delamotte (Y.) 62, 198, 478, 811. Delay (J.) 766. Deleage 0. P.) 62, 238-1, 239. Deleuze (G.) 202, 910-2. Delfendhal (B.) 181. De Leornardis (O.) 170. Delfosse (P.) 249. Dell (F.) 249. Deloye (Y.) 239. Delsaut (Y.) 497, 5S0-1, 587. Delumeau 00 -207.
Delvallée (B.) 416. Demailly (A.) 223. Demangeon (T.) 211-2. Desmarez (P.) 167-1, 170. Démocrite 52. Denis (H.) 222, 223. Denitch (B.) 164-1, 264. Dermi (B.) 239. Dennis 0.) 391, 395. Denquin 0. M.) 239. Denzfn (N. K.) 170. Dererath (N. J.) 395. Derivry (D.) 239, 632. Deroche-Gurcel (L.) 136, 159-1. Deroy (M.) 518. Derruau (M.) 214. Désabie 0.) 518. Descamps (M. A.) 910-2. Descartes (R.) 6,27, 28, 41, 45, 49, 51, 54, 56, 66, 70, 79, 83, 301, 322. Descles 0. P.) 249. Desjardins (B.) 170. Desrosières (A.) 239, 312, 561, 580-1, 923. Déterminisme 73, 83. Deutsch (E.) 239, 860.
Deutsch (H.) 202. Deutsch (K. W.) 239, 383, 388, 395, 414, 416, 518. Deutsch (M.) 198, 478, 486, 606, 632, 725, 860, 881. Deutsch (S. E.) 264. Deutechmann (P. J.) 580-1, 587. Devereux (G.) 202. Dewey (J.) 28, 155, 162, 255. Dewivry (D.) 239. Diachronique 158, 351, 360, 362. Diagnostic. enquête 276, 551, 818, 820, 822, 846. groupe 893 et s. dialectique 10, 37, 69, 393 et s. Dezalay (Y.) 169, 170. De Shooteete (M.) 554. Dickermann 910-2. Dickson (W.) 170, 860. Didry (C.) 170. Dierkes (M.) 170. Dieterlen (Germaine) 179, 181. Dilthey (W.) 134. Dimension 309, 310. continue 838. unidimensionnel 779, 797. Dinerman (H.) 768, 811. Diogene 170. Dion (R.) 211. Dion (M.) 264.
Directif, non directif. attitude, orientation 896, 899, 900. interview 643, 644 et s., 651. Di Renzo (G.J.) 25, 312. Dissonance 768. Doby g- T.) 329, 341. Dobry (M.) 239. Docimologie 747. Documents 528. expressifs 576, 579, 580. audiovisuels 315, 584 et s. privés 555, 572 et s. officiels 555, 557 et s. personnels 275 et s. Dodd (S.) 881. Dodinet (Elizabeth) 910-1. Dofhy g-) 167-1, 168, 170. Dogan (M.) 239, 395. Dognin (P.D.) 159-1. Doise (W.) 198, 554. Dolan (E.) 223. Dollard go 156, 159-1, 186, 580-1. Dollfus (O.) 214. Domarchi 0.) 223. Doob (L. W.) 478.
Don 126, 304, 581. Don Bushell 0. R.) 159-1. Dora (H.) 725. Doma (A.) 239. Doron (R.) 198, 478, 811. DorozensM 632. Dotson (L.) 811. Doubrovsky (S.) 589, 632. Douglas g- D.) 725. Downs (A.) 239. Doxiadis (C. A.) 219. Doyle (C.) 401. Doyle (D.) 162-1, 170. Drai (R.) 239. Drevillon go 881. Dobratz (B.) 239. Drouard (A.) 107, 170. Drouin g- M.) 239. Droysen 141. Drucker (P. F.) 170. Dubet (F.) 170, 910-2. Dubois (C.) 910-2. Dubois (jo 248-1, 249. Dubost go 165-2, 182, 195, 198, 239, 725, 811, 882, 890-1, 892, 892-2, 893, 910-2.
Duby (G.) 206, 207. Duchac (R.) 159-1. Duelos (D.) 239. Duelos (LS.) 264. Ducrot (O.) 245, 249. Dufour 0. P.) 238-1. Dufour (S.) 881. Dufourt (D.) 223. Dufrenne (M.) 198. Duguit (L.) 169, 170. Duhamel (O.) 239. Duhem (P.) 40, 66, 72, 80, 86. Dumas (fils) 204, 571. Dumas (J. B.) 119-1. Dumazédier (J-) 170, 860. Dumézil (G.) 170. Dummet (M.) 86. Dumont (F.) 170, 181, 239. Duncan (D. D.) 219. Dunlop (F. T.) 170. Dunn (W. N.) 239. Dupaquier (J.) 219. Dupeux (G.) 234, 239. Dupront (A.) 206, 207. Dupuis (F.) 170.
Dupuy (J.P.) 222-1. Durand (Ch.) 632. Durand (D.) 395. Durand (G.) 166-1, 170. Durand (J. P.) 160, 165, 165-1, 165-2, 166 et s., 168-1, 170, 416, 587. Durand (P.) 167, 170. Durand-Dassier 00 908-1, 910-2. Durandin (G.) 473, 476, 478. Durbin (M.) 714. Durkheim (E.) 108, 109, 110, 116, 117, 118, 119 et s., 126, 135, 136, 140, 141, 142, 143, 149, 158, 159, 159-1, 160, 160-1, 162, 162-1, 163, 165, 165-1, 167, 169, 170, 173, 176, 180, 187, 191, 199, 218, 243, 248-1, 254-1, 301, 302, 312, 313, 337, 342, 346, 347, 356, 365-1, 366, 372, 380, 440, 479, 543, 561, 562, 632, 798, 861, 893, 910. Duruy (V.) 119-1. Dussay (Anne-Marie) 518. Duverger (M.) 234, 236, 237, 239, 435, 436, 442, 860. Duvignaud (J.) 159-1, 165-2, 264. Dwight (W.) S60. Dyson (J. W.) 239.
E Retour à la table des matières Earl (P. E.) 223. Easton (D.) 162, 169-1, 181, 225, 233, 237,239, 260-1,264, 383, 390, 391, 392, 395, 414. Eatwell (J.) 223.
Ecart moyen, écart type 914. Eckberger (D. L.) 170. Écologique 238-2. Échantillon 501 et s., 541-2, 911. de presse 616, 617. Eckstein (H.) 239. Edelman (H.) 169-1, 239. Edison (Th.) 421. Edgerton (H. A.) 725. Edwards (A. L.) 811, 862, 881. Effet autokinétique 873. de halo 697, 747. Edwards (R.) 220, 221-1, 223. Egmond (E. W.) 428. Ehrard (J.) 104. Ehrlich (P. R. et A. H.) 219. Ehrlich (J- S.) 169, 664, 725. Einstein 18, 22, 52, 68, 72, 81, 83, 86, 307, 352. Eisenstadt (S. N.) 159-1, 239, 395. Eiser (J- R-) 185-1, 198. Eliaeson (S.) 159-1. Elias (N.) 159-1, 170. Ellis (A.) 725. Ellison (G.) 223. Ellul (J.) 86, 239, 298-1. Elster 0.) 159-1, 239, 416.
Elton (G. R.) 207. Emeri (C.) 632. Emery (F. E.) 395, 416. Emmet (D. M.) 478. Emmer (R.) 223. Empathie 184, 644. Empiriste, empirique 37, 44, 83, 85, 114, 160, 237, 322, 393. Enfantin (B. P.) 167, 258. Engelman (P.) 76-1, 86. Engels (F.) 3, 9, 128, 130, 132, 133, 159-1, 170, 174. English (P. W.) 214. Enriquez (E.) 66, 239, 895, 910-2. Enriquez (F.) 66, 73. Entropie 409. Epicure 7. Epistemon 910-2. Epistemologie 5, 26, 85, 222, 274, 430. obstacle 53, 63, 101, 301. rupture 114, 301, 429. vigilance 301, 430. Équilibre quasi stationnaire 883. Erben (M.) 170. Erbès-Seguin (Sabine) 167-1, 168, 170. Ergès (A.) 725.
Erlich (E.R. et A. H.) 219. Erreur285, 515, 562. aléatoire 289, 516, 517. dans l'échantillon 515 et s., 541, 616. dans l'enquête 657 et s., 695, 698 et s. dans le document 574. externe 741. de fait 286. interne 741. de mesure 515. nette 723. relative 287, 742. totale 515, 723, 724. Escarpit (R.) 416, 580-1. Escat (G.) 66. Espinas (A.) 109, 159-1. Essence 19, 22, 78, 147, 377, 379, 394. Establet (R.) 190-1, 580-1. Ethnométhodologie 162-1, 170, 871. Etzioni (A.) 170, 239. Eubank (E.) 307, 312. Euclide 32. Eugène 0.) 403, 416. Eulau (H.) 170, 239. Euler (L.) 62. Evans (A.) 416.
Evans (R.) 170. Evans-Pritchard (E. E.) 29, 66, 181, 239. Expansivité 887, 888. Expérimental 37, 62, 186, 275. Expérience, expérimentation 54, 56, 58, 64, 69, 85, 300, 328, 484, 551, 818, 821, 833, 861 et s., 896. en laboratoire 861 et s. ex post facto 543, 868. provoquée, invoquée 328. sur le terrain 492, 861, 871. Explication. économique 222. génétique 351, 362. historique 360, 361. sociologique 342 et s., 355 et s. synchronique, anachronique 351, 360, 362. théorie (et) 352. Exploration 551, 605, 819, 848. dans l'analyse de contenu 591. enquête (d') 542, 551, 818, 819, 822, 846. Eysenck (H.J.) 186, 457, 478, 744, 745, 755, 766, 771, 772, 811. Eymard-Duvemay (F.) 222-1.
F Retour à la table des matières Facarello (G.) 223.
Facilitation 656, 903. techniques facilitantes, 891. Fagen (R. E.) 395. Fahrenheit (G. D.) 62. Falk 0. L.) 275. Faraday (M.) 68. Fararo (T.J.) 416. Faris (E.) 386, 395. Faublée 0-) 181. Faucheux (CL) 875, 881, 910-2. Faucheux (Sylvie) 239. Fauconnet (P.) 120, 123, 159-1, 169. Faure (R.) 416. Fauvet (J.) 239. Favereau (O.) 222-1, 223. Faverge (J- H.) 168. Favre (P.) 159-1, 165-1, 170, 225, 236, 239, 395, 629-2, 630-1, 631, 632. Favret-Saada 0.) 181. Faye (J. P.) 239, 632. Febrajo (A.) 382, 395. Febvre (L.) 205, 205-1, 207, 214. Feedback 407, 410, 547, 604, 880, 891, 892, 895, 896. Feldman 0.) 299. Ferero (T.) 442. Ferguson (A.) 102.
Fermât (P. de) 215-1, 401. Ferrarotü (F.) 275. Ferras (R.) 214. Ferreol (G.) 159-1. Ferro (M.) 587. Ferry (G.) 881. Ferry (L.) 239. Ferry (T. M.) 170, 239. Feshbach (S.) 866, 881. Festinger (L.) 185-1, 398, 436, 454, 486, 518, 575 et s., 597, 725, 768, 813, 818, 830, 860, 861, 870, 883 930-2. Feuerbach (A.) 9, 163-1. Feyerabend (P.) 86, 222-2, 269. Fichte 0. G.) 68. Fichter 0. H.) 170. Fiedler (F. E.) 881. Filion (F. L.) 725. Filloux 0. C.) 159-1, 202, 910-2. Finifter (B. M.) 554. Finkielkraut 181. Firth (R) 181, 860. Fischer (G.) 170, 219, 264. Fishbein (M.) 813. Fisher (F.) 416. Fisher (R. A.) 881. Fishman 0. A.) 249. Fiske (M.) 725.
Flacks (R.) 264. Flam (L.) 170. Hament (C.) 398, 400, 416, 725, 881, 910-2. Flechter (R) 159-1. Fleislhmann 0.) 159-1. Fleouter (G.) 583, 587. Fleron (F.J.) 170. Fliess 199. Florand (M. F.) 632. Florens 0. P.) 580-1. Floyd 0. F.) 725. Focused interview 639. Foerster von (H.) 218, 219. Fombeur 0.J.) 910-2. Fonction. Voir méthode fonctionnelle 363 et s. d'adaptation 386, et culture 176. et dysfonction 364. d'évaluation 894, 898. de facilitation 903. d'intégration 386. latente 364, 876. manifeste 364, 798. mathématique 914. normative 386. et structure 384, 386.
Fontenilles (A.) 587. Ford (G. S.) 395. Forse (H.) 239, 416. Forster (H. von) 163-1, 218-1, 239. Forster (S.) 590. Fortes (M.) 239. Fortin (A.) 198, 881. Foss (D. C.) 159-1, 554. Fossaert (R.) 159-1. Foster (P. M.) 910-2. Foucault (M.) 165, 247, 249, 278, 341, 367, 369, 395. Fouchard (R.) 910-2. Fougeyrollas (P.) 395, 587. Fouillée (V.) 109. Foulkes (S. H.) 910-2. Foulquié (P.) 4, 107. Fourez (G.) 264. Fourier (Ch.) 167, 861. Fouriezos (N. T.) 834, 881. Fraisse (P.) 478, 486, 881, 910-2. Frank (A. G.) 264. Frank (L. K.) 755. Frank (Pl.) 86, 198. Frankard (P.) 766. Franklin (B.) 62, 64. Frazer (J.) 174, 181. Freeman (L.) 198, 432, 442.
Freeman (T. W.) 214, 910-1. Freedman (D.) 176, 181, 580-1, 5S7. Freedman (R.) 632. Freinet (C.) 893. Fremont (A.) 211, 214. French (J.) 524, 554, 575, 860, 862, 867, 881, 884, 910-2. Frerikel-Brunswik (E.) 47S. Frère (S.) 860. Fresnel (A.J.) 65. Freud (Anna) 200. Freud (S.) 138, 162, 165-2, 166-1, 176, 181, 184, 187, 190, 196, 199, 200, 201, 202, 252, 432, 593, 642, 653, 719, 755, 819, 885, 893, 895, 897, 909. Freund (T.) 140, 142, 148, 159-1, 169, 170, 239. Frey (J. H.) 725. Freyssinet (J.) 580-1. Friedberg (E.) 162-1, 166. Friedlander (S.) 200, 207. Friedman (D.) 575. Friedman (G.) 162-1, 167-1, 167-2, 168, 168-1, 170, 238. Friedman (M.) 222-2, 223. Friedman (Y.) 416. Friedrich (J-) 239. Friedrichs (R. W.) 159-1, 264.
Frisch (J.) 562-1, 580-1. Frisby (D.) 159-1. Frobenius 175. Fromm (E.) 163-1, 164-1, 176, 201, 202, 540, 554. Fuchs (P.) 159-1. Füller (C.) 725. Funly (P. H.) 254. Füret (F.) 205-1, 207. Furfey (P. H.) 264. Fustel de Coulanges (N. D.) 205, 207.
G Retour à la table des matières Gabel (].) 159-1, 910-2. Gadamer (H. G.) 86. Gadet (F.) 249. Galilée (G.) 38, 39, 48, 52, 54, 55-1, 59, 68, 185-1. Gali (P.J.) 189. Gallup 182. Galmiche (M.) 249. Galois (E.) 370. Galton (F.) 729, 916. Galtung (J-) S60. Galvani (L.) 62. Gambier (D.) 580-1.
Garrison (W. A.) 239. Gans (H. J.) 170. Gapotcha (M.) 170. Garcia (R.) 354. Gardin (B.) 246, 249. Gardin (J. C.) 632. Gardner (E. F.) 881. Gardner (H.) 198. Garfinkel (H.) 162, 162-1, 170, 181, 249, 814, 860, 871, 881. Gamaty 0- A.) 275. Garraud (Ph.) 239. Garrouste (P.) 223. Gauche (B.) 562-1, 580-1. Gaudet (H.) 628, 632, 811, 860, 881. Gaulle (Ch. de) 444. Gauss (Ch. F.) 517, 734, 914. Gaxie (D.) 239. Gay (P.) 202. Gayon (J-) 104. Geistdoerfer (A.) 181. Gellner (E.) 202. Gendre (F.) 543, 554. Gemeinschaft Gesellschaft 135, 479. Generalisable 541, 561. Geny (F.) 169, 170.
Genotype 252, 608, 789, 793. George (A. L.) 239, 591, 592, 624, 632. George (F. H.) 416. George (P.) 170, 208, 211-1, 213, 214, 263. Georgescu-Roegen (N.) 239. Gerard (H. B.) 219, 881. Gerbner (G.) 632. Germain (C.) 249. Gerschenkron (A.) 207. Gershom (Suzanne) 159-1. Gerstle (J-) 169-1, 170, 239, 587, 629-2, 630-2, 631, 632. Gerth (H.H.) 137, 159-1. Gestalt 185-1, 373, 376, 377. Gessain (R.) 215-1, 219. Ghiglione (R.) 239, 554, 632. Giani (A.) 860. Giard (Luce) 163-1. Gibb 0- R-) 910-2. Gibb (C. A.) 878, 881. Giacobazzi (H.) 632. Giddens (A.) 159-1, 239. Giddings (F. H.) 109-1. Gierke (von) 167. Gillespie (C. C.) 881. Güli (G. A.) 486, 881.
Gillin (J-) 159-1, 181, 202. Ginger (A. et S.) 910-2. Ginnekan 0.) 239. Girard (A.) 198, 215-1, 218, 219, 518, 554, 580-1, 587. Girard (L.) 163. Girard (Th.) 400, 416, 725. Girard (V.) 202. Girod (R.) 344, 354, 881, 910-2. Glad (Betty) 580, 580-1, 587. Glasser (W.) 910-2. Glazer (M.) 811, 860. Gleeson (D.) 170. Gleick (J.) 84-1, 86. Glock (C. Y.) 198, 811. Gluckman (M.) 162, 181. Gluge (M.) 725. Gobineau (J. de) 109, 158. Goblot (E.) 341. Godei (K.) 1. Godelier (M.) 181, 223, 264, 395, 554. Godfn (J. B. A.) 861. Goethe (W.) 130, 204. Goffman (E.) 162, 169-1, 170, 245, 246, 249, 304, 312, 318, 352, 478, 819, 860, 881. Goguel (F.) 239. Goguelin (P.) 239.
Goldberg (T.) 860. Goldmann (L.) 4, 13, 128, 580-1, 587, 589, 632. Goldscnmidt (W. R.) 395. Goldthorpe 0- H.) 167-1, 170. Good (K.) 181. Goode (W.K.) 198, 518, 552, 554, 725, 860, 881. Goodman (N.) 77, 78. Goodman (M.J.) 159-1. Goodrich (H. B.) 264. Gordon (D.) 691. Gordon (R. I.) 162-1, 170, 725. Gore (W.) 239. Gorer (G.) 201. Goriely (G.) 264. Gotrmann 299. Gottschalk (L.A.) 271, 275, 574, 580-1, 587, 910-2. Goubert (P.) 205-1. Gougenheim (L.) 249. Gough (K.) 264. Gouhier (M. L.) 910-2. Gouldner (A. W.) 239, 257, 258, 259, 264, 352, 366, 395, 428, 860, 871, 881. Gordiane (C.) 395. Govaerts (F.) 632. Gournay (B.) 239. Goy (J.) 580-1.
Graebner 175. Grafmeyer (Y.) 159-1. Gramsd (A.) 254-1, 259. Granai (G.) 434, 442, 860. Granet (M.) 123. Granger (G.) 222-2, 223, 274, 275, 276, 278. Granovetter (H.) 400, 416. Graphe 398, 400. Graphologie 753. Graunt 95. Gras (A.) 163-1, 170. Grawftz (M.) 107, 169, 170, 198, 206, 207, 239, 258-1, 275, 301, 312, 423, 428, 430, 442, 452, 470, 478, 518, 573 , 580, 580-1, 646, 693 , 700, 725, 910-1. Gray (J.) 239. Grazia (de) 618, 632. Green (B. F.) 138, 159-1, 237, 811. Green (D.) 237, 239. Greenfeld (L.) 170. Greenstein (F. I.) 238-1, 239. Greenwald (A. G.) 811. Greenwood (E.) 328, 329, 428, 862, 868, SSI. Greer (S.) 25, 269, 312. Gregor (A. J.) 395. Greimas (A.J.) 249, 631. Gremion (P.) 239, 416.
Gremy Q. P.) 416, 580-1, 587. Grenier (J. Y.) 207. Greslé (Françoise) 159-1, 239. Griaule (M.) 179, 181, 417. Grice (H. P.) 249. Grignon (L.) 587. Grimm (J.) 242. Grimshaw (A.) 249. Grineweld (J.) 239. Grisez 0.) 198. Grmek (M. D.) 329. Gross (L.) 25, 245, 395, 416. Grosser (A.) 239. Grossman (J. B.) 170 Groupe 459, 480 et s., 872 et s. de base 893. de contrôle 862, 863. de référence 459 (voir cadre) 607. diagnostic 893 et s. discussion (de) 903. dynamique (de) 899. larges et restreints 481 et s. primaire 479. technique (de) 492. Grouchfne (B.) 164-1.
Groves (R. M.) 725. Guattari (F.) 202. Guéraud (P.) 629-2, 632. Guerassimov 0. P.) 212. Guerguen (K.J. et Mary) 186-1, 198. Guesnerie (R.) 223. Guespin (C.) 248-1. Gùespin (L.) 629-1, .632. Guest (L.) 662. Guetzkow (II.) 416, 834, 869, 878, 881 Guglielmo (R.) 224. Guiart Qi) 181. Guilbaud (G.) 281, 283,299, 370, 396, 401,'402, 426, 911. Guilford (J. P.) 478, 743, 754, 766. Guillard (A.) 215, 215-1. Guillaume 107. Guillaume (G.) 244-1, 249. Guillaume (M.) 221-1, 222, 223, 263, 264. Guillaume (P) 198 Guillot (A.) 587. Guillot (F.) 580-2. Guiriberg 170. Guiraud (P.) 249, 629-2, 632. Guittet (A.) 882.
Guitton (H.) 222, 223, 517, 518. Gumperz 0.J.) 170, 181, 245, 246, 249. Gumplowícz (L.) 109. Gunn (G.) 860. Gunnel (J.) 239. Gunnior (B.) 170. Gunther (B.) 908-2, 920-2. Gurley 0.) 477, 478. Gurr (F.) 239. Gurvitch (G.) 90, 116, 126, 128, 130, 132, 138, 147, 150, 259-2, 160-1, 165-2,169, 170,176,189-1, 206, 257, 340, 342, 343, 349, 350, 351, 352, 354, 360, 368, 376, 378, 386, 393, 394, 395, 480, 486, 910-2. Gusdorf (G.) 26, 28, 204, 205, 207, 264. Guttmann (L.) 743, 744, 797, 924.
H Retour à la table des matières Habermas (J.) 148,163-1,169-1, 170, 239. Haeckel (E.) 238-1. Hagege (C.) 249. Haggett (P.) 210-1, 211, 224, 400, 414. Haire (M.) 170, 472. HaMm (C.) 542, 554. Halbwachs (F.) 123, 159-2, 218, 219, 354, 580-1. Halevy (E.) 224. Hall (A. D.) 395. Hall (A. R.) 86. Hall (C. S.) 202, 478, 632.
Hall (R. T.) 259-2. Halle (M.) 245. Halloman 0.) 585. Halloran 0.) 587, 822. Hallowen (I.A.) 182. Halphen (G.) 204. Halsey (A. H.) 270. Halstead (M. N.) 270. – Hamel 0.) 882. Hammersley (M.) 181. Hamon (L.) 239. Hanan (C.) 554. Hannan (E.J.) 528. Hansen (M. H.) 518, 625, 680. Harary (F.) 398, 426. Hare (A. P.) 881. Harmann (H. H.) 923. Harris (Z. S.) 243, 249, 632. Harsanyi 0. C.) 223. Hart (N.) 176, 178, 182, 599, 629. Harthe 211. Hartley (E. L.) 298, 405, 860, 881, 910-2. Hartshome (R.) 210-2, 214. Harvey (C. C.) 416. Harvey (D.) 224. Harvey (W.) 48. Haskins (]. B.) 476, 478.
Hatt (P.K.) 198, 518, 544, 552, 554, 725, 811, 860, 881. Haumont (N.) 860. Hauriou (A.) 169, 395, 893. Hauser (P. M.) 219, 518. Hausen 680. Hausman (D.) 222-2, 223. Hayek (F. von) 221, 223. Hayes (D.) 239. Hays (M.R.) 181. Hawes (B. L.) 583, 587. Hegel (G. F.) 2, 3, 4, 6, 10, 11, 68, 93, 102, 127, 131, 134, 138, 149, 163-1, 346, 349, 352, 360, 394. Heise (D. R.) 395. Heisenberg (W.) 83, 84, 86. Heller (J. L.) 168, 170. Helbo (A.) 249. Held (D.) 395. Helle (HJ.) 159-1. Heidung (R.) 239. Helrnholtz (von) 67. Hempel (G.) 25, 77, 308, 354, 395. Henaff (M.) 181. Henry (H.) 471, 478. Henry (L.) 215-1, 219. Henry (M.) 202.
Henry (P.) 629-1, 632. Heraclite 7, 346. Heran (F.) 170, 580-1. Herman (J-) 159-1, 170, 554. Hermet (B.) 239. Herodote 150. Herpin (N.) 159-1, 160-1, 161, 162, 170. Herschel (W.) 62. Herz (T. A.) 170. Herskovits (M. J.) 181. Hess (R.) 264, 428, 860, 910-2. Heymans 191. Heyns (R W.) 834, 837, 838, 860, 881. Hibert (T.) 219. Hicks (J. R.) 223. Higgin (G.) 239,^881. Higgins (M.) 910-2 Hildebrandt 220-2. Hilgard (E. R.) 254,-264 Hill (RJ.) 811. Hinkle (G.) 202. Hinton (B. L.) 881. Hippocrate 30, 33, 447. Hirsch (M.) 163-1, 170. Hirschl (J.) 860. Hirscbman (A. D.) 170, 223, 239.
Hirschorn (Monique) 159-1. Hirst (D.) 249. Hirst (P. Q.) 159-1. Histogramme 913. Hitler 444, 597. Hjelmslev (L.) 249. Hobbes (Th.) 41, 89, 90, 93, 102, 135, 158, 184. . Hoerl (R. T.) 910-2. Hobhouse (L. T.) 109-1. Hoffmann (B.) 86. Hoffman (P.J.) 416. Hoffman (S.) 239. Hoffstater (R.) 207, 910-2. Hoggart (R) 860. Hoijer (H.) 181. Hollis (M.) 223. Holt (C.) 223. Holt (R. F.) 395. Holt-Tensen (A.) 214. Hotter (H.) 478. Holsti (O. R) 629, 632. Homans (G. C.) 118, 239, 387, 395, 860, 877, 881. Hopkins (T. K.) 395. Horkheimer 163-1, 170. Hormann (H.) 246, 249.
Horney (K.) 176, 181, 184, 200, 202. Horsley (Ph. D.) 473, 478. Horster (D.) 239. Horowïtz (I. L.) 260,-264, 395, 680. Horwitz (H.) 312. Hovland (C.) 386, 860, 883. Howard (T.) 152, 198. Hozelitz (B. F.) 304, 223. Hughes_(E._Ç.) 160,162, 162-1, 167-1, 370 Humbolt (A. de) 97, 209. Huber (M.) 398, 215-1. Hugo (V.) 204. Hugon (P.) 239. Hume (D.) 4, 69. Hungtmgton (S. P.) 239. Hurtig (S.). 236. Hurwitz (W. N.) 680, 725 Husserl (E.) 8, 33, 52, 66, 162-1, 165. Hutchison (T. W.) 222-2, 223. Huteau (M.) 398. Hütt (M. L.) 834, 883. Huxley (T. H.) 323. Huyghens 49, 215-1. Huyghe (F. B.) 370. Huyse (L.) 239.
Hyman (H.) 543, 554, 658, 659, 661, 719, 725. Hymes (D. H.) 249. Hyperfactualisme 297. Hyppolite 0.) 6.
I Retour à la table des matières Idéologie 10, 132, 256, 260, 352, 366, 393. Idiart (P.) 860. Idiographique 140, 271, 274. Ihl (O.) 239. Il'icev (F.) 164. Iloomis (C. et Z. K.) 370. Impact 428. Indétermination 83. Indicateur 310 et s., 798. de dimension 310. Indices 310, 311. hiérarchisés 310. interchangeabilité 311. synthétiques 310. Induction 18, 56. analytique 274. énumérative 274. Inference 625, 839, 841. Information 402 et s., 433, 436, 675, 677, 685, 687, 880, 893-2. Input, output 391.
Insko (C. A.) 833. Instrumental 593 (représentatif). Intervention 106, 893 et s. Introversion 336. Ions (E.) 186, 398. Ipola (E. de) 304. Irigaray (L.) 200-1, 202: Isambert 0. P.) 370. Isambert (F.J.) 370. Isard (W.) 210-1, 234. Isnard (H.) 234. Item 621, 733, 777, 795, 796. continus 789. monotones 789. Izunquiza (I.) 163-1, 370.
J Retour à la table des matières Jaccard (R.) 200-1, 202. Jacob (F.) 264. Jacob (P.) 86. Jacobs (M.) 264. Jacoby (R.) 202. Jack (L. M.) 836. Jacquard (N.) 23?. Jacquart (A.) 23?.
Jacquinot (G.) 587. Jaffé (Élise) 338. Jahoda (M.) 198, 478, 486, 518, 550, 606, 632, 661, 725, 811,. 818, 848, ' 860,881. Jakobson (R.) 245, 249, 367, 415-1. Jailing (F.) 170. Jambu (M.) 811. James (P. F.) 214. James (W.) 134,192-1, 772. Jamous (H.) 25, 269, 416. Janet (P.) 200. Janik (A.) 76-1, 86. Janis (I.) 866, 881. Jarme (H.) 170, 395. Jarming (F.) 170. Janov (A.) 910-2. Janowitz (M.) 580-1, 585, 587, 603, 632. Janson (CG.) 170. Jaques (E.) 882, 893, 895, 910-2. Jarosson (B.) 198. Jaspers (K.) 26, 148, 276, 554. Javeau (C.) 359-2, 538, 554, 725,.Jaulin (R.) 264. ^Javilüer 0- C.) 170. , Jay (M.) 163-1, 370. Jeammaud (A.) 167, 170. Jerikins-'O. G.) 889.
Jermíngs (H.) 886, 930-2. Jenny (J-) 299. Jequier (F.) 580-3. Jespersen (O.) 242. Jessua (C.) 223. Jeu 162, 166, 402. Jevons (W. S.) 220-2. Jewkes (J.) 428. Jobert (B.) 370, 239. Jodelet (D.) 370, 182-2, 198, 239. Joffre-Dumazedier 860. Johnson (N. R.) 239, 910-2. Johnston (R. T.) 214. Jonas (F.) 159-1. Jonas (S.) 395. Jones (R. E.) 214, 395, 632. Jones (UTE.) 881. Jorion'(E-) 370. Joseph (I.) 359-3. Joutard (Ph.) 580, 580-3. Jouvenel (B. de) 225, 239. Jules-Rosette (B.) 370. Julliard 0.) 370. Jung (C. G.) 199, 200, 202, 252, 447. Junker (B.) 860.
K Retour à la table des matières Kabongo (I.) 264. Kaes (R.) 910-2. Kagel (J. H.) 223. Kahl (P.) 354. '' Kahn (R. L.) 652, 661 et s., 665, 697 et- s., 725. Kalaora (B.) 359-3. KalmowsM (G.) 370. Kalleberg (A. L.) 395 Kalven (H.) 370. Kandel (I.) 725. Kansky (K. J.) 211, 214, 254-1, 400. Kant (E.) 1, 2, 4, 6, 21, 68, 138, 209. Kaplan (A.) 14, 25, 431, 432, 442. Kaplan (H. A.) 239. Kapferer (J. N.) 587. Karady (V.) 359-3, 173, 382. Kardiner (A.) 174, 176, 181, 198, 201. Kariel (H. S.) 395. Karlsson (G.) 882. Karsten (S. G.) 223. Käsler (D.) 259-3. Kasperson (R.) 234.
Katchourine (A.) 478, 910-2. Katona (G.) 201, 538. Katz (D.) 370, 398, 431, 442, 454, 458, 478, 486, 518, 632, 725, 811, 818, 860, 881. Katz (Z.) 259. Kaufman (F.) 223. Kaufmann (P.) 478, 910-2. Kautksy (K.) 254-1. Kavka (G. S.) 239, 400, 416. Kavolls (V. M.) 587. Kaye (H.J.) 159-1, 170. Kayser (J.) 580-1, 632. Kelkel (L.) 13. KeUe (V.) 170, 254-1, 264. KeUey (H.) 186, 861, 881. Kelsen (H.) 169, 170. Kelsey (C. C.) 181. Kemeny (Y. G.) 299. Kempfhorne (O.) 881. Kendall (P. L.) 412, 543, 725. Kende (P.) 478. Kent (R. A.) 159-1, 170. Kepler 0.) 39, 55-1, 352. Kerbrat-Orecchioni (C.) 245, 249. Kervasdoue 0. de) 239.
Kesley (C. C.) 181. Kettler (D.) 159-1. Keyfitz (N.) 219. Keynes 0.) 221, 221-1, 223, 407. Khroutchev 178. Kidd (B.) 109-1. Kiecolt (K. J.) 542, 554. Kiesler (C. A.) 198. Kilmann (R. H.) 264. King 0. E.) 220, 223. King (L.J.) 214. Kinget (G. M.) 910-2. Kinsey (A.C.) 551, 694, 699, 719, 725, 860. Kirman (A.) 223. Kish (L.) 518. Klages (H.) 170. Klein 0.) 910-2. Klein (M.) 200. Kleirrmutz (B.) 478. Klima 245 Klineberg (O.) 193-1, 198. Kling (A. J.) 881. Kluckhohn (C.) 181, 271, 275, 580-1, 587, 719. Kluckhohn (Florence) 825, 860. Knapp (V.) 170.
Knapp (R. H.) 264. Knies 220. Knight (F.) 223. Knoke (D.) 416. Knutson 0.) 238-1, 239. Koenig (P.) 159-1. Kcenig (R.) 170. Kcechlin (P.) 893, 910. Kogan (N.) 881. Kohler (W.) 373. Kojeve (A.) 4. Kolak (S.) 428. Kolakowski (L.) 86. Kolm (S. C.) 220, 223. Komarovsky (M.) 159-1, 170, 198, 207, 539. Kon (I.) 206, 207. König 170. Komhauser (W.) 159-1, 170, 196, 239, 428, 830. Korsch (K.) 163-1, 254-1, 264. Kotz (S.) 403, 416. Kourganoff (V.) 428. Koyano (S.) 170. Koyré (A.) 34, 35, 38, 39, 40, 52, 54, 66. Kracauer (S.) 288, 299, 632. Krais (B.) 170. Krauss (R. M.) 198. Krech (D.) 182-2, 198, 264, 486, 811, 876, 878, 881.
Kreml (W. P.) 239. Kretschner (E.) 191. Kreweras (G.) 282, 299. Kriegel (A.) 239. Krippendorff (K.) 632. Kristeva 0.) 249. Kroeber (A. L.) 176, 178, 181. Kroutchev (N.) 590. Krupp (S. R.) 223. KuczynsM 216. Kuhn (A.) 159-1, 395, 416. Kuhn (Th. S.) 86, 264, 354, 415-1. Kuper 0.) 239. Kurauté (K.) 170.
L Retour à la table des matières Labasse 0.) 208, 214. Labbé (D.) 632. Labedz (L.) 264. Labica (G.) 170. Labordère (A.) 554. Laborit (H.) 395. Labov (W.) 246, 249, 632. Labovitz (S.) 811.
Labrousse (E.). 205-1, 207. Lacam 0. P.) 239. Lacan 0.) 200-1, 202, 248, 587. Lacombe (P.) 205. Lacoste (Y.) 214. Lacroix (B.) 239, 259-1, 395. Lacroix 0ean) 13, 159-1. Ladd (E. C.) 170. Ladouceur (R.) 198. Ladrière 0.) 107, 416. Ladrière (P.) 139,169, 170. Laffont0.J.) 223. Lagache (D.) 200-1, 202, 276, 277, 278, 471, 751. Lagneau 0.) 159-1, 170. Lagroye 0.) 226, 239, 400, 416. Lahy 759. Laing (R. D.) 910-2. Lakatos (L) 222-2. Lalande (A.) 5, 25, 26, 159-1, 307. Lalonde (B.) 239. Lamartine (A.) 204. Lambert (E.) 169, 170. Lambert 0.) 219. Lambert (R.) 169,881. Lambert (Th.) 169.
Lancelot (A.) 236, 239, 452, 478, 926. Landau (L.) 84-1. LandowsM (E.) 632. Landry (A.) 215-1, 216, 219. Landry (M.) 395. Lane (R.) 170, 239, 264. Lang (K.) 196, 198, 587. Lang (G. E.) 196, 198, 587. Lange (E.) 239. Langlois (Ch. V.) 204, 205, 207. Lanson (G.) 589. Lantz (P.) 159-1, 170, 264. La Palombara 0.) 395. Lapassade (G.) 159-1, 170, 882, 893, 910-2. La Pérouse (G.) 97. Lapierre 0.W.) 239, 392, 395, 798, 811. La Piere (R. T.) 773, 811. Laplace (P. S.) 73, 401, 861, 914. Laplanche 0.) 202. Laplantine (F.) 202. Laponce 0. A.) 881. Lapouge (De) 109, 881. Laroque (P.) 159-1: Lascoumes (P.) 133, 159-1, 169, 170, 239. Lasslet (P.) 207, 334, 341.
Lassudrie-Duchêne (B.) 223. Lasswell (H. D.) 169-1, 201, 202, 225, 238-1, 239, 398-1, 414, 416, 428, 554, 590, 596, 598, 602, 610, 632, 860. Laszlo (E.) 416. Latent (e) : fonction 201, 364, 876. structure 798. variable 798. Latouche (S.) 239, 223. Latour (В.) 181. Latsis (S.) 222-2, 223. Laubier (P. de) 159-1. Lavau (G.) 236, 239, 391, 392, 395, 470, 478. Lave (A.) 416. Lavergne (J. F. de) 223. Lavigne (M.) 354. Lavigne (P.) 170. Lavffle (P.) 395. Lavoisier (A. L.) 62. Law 0.) 428. Lawrence (D. H.) 416. Lazareff (A.) 518, 578, 720, 725. Lazarsfeld (P.) 104, 133, 140, 151, 159-1, 160-1,161,162, 198, 206, 207, 239, 263, 297, 299, 301, 309 et s., 312, 329, 339, 340, 341, 354, 395, 416, 428, 536 et s„ 543, 551, 554, 603, 604, 628, 632, 650,
651, 688, 691, 692, 725, 798, 805, 807, 811, 860, 874, 881. Lazega (E.) 416. Iambm-Dimaki 0.) 554. Lazio (E.) 411, 416. Leach (E. R.) 162, 181, 395. Leader (leadership) 250, 432, 483, 485, 878 et s., 887, 898. Leary (T.) 910-2. Leavitt (H.) 880, 881. Lebart (L.) 923. Lebaube (O.) 909-2. Le Bon (G.) 196, 198, 897. Le Bras (G.) 556. Le Bras (H.) 215-1, 219. Le Bras (К.) 219. Lebrun (J. P.) 882. Lebret (L. J.) 725, 860. Lebreton (Ph.) 219. Leca 0.) 165-1, 170, 225, 237, 239, 395, 415-1. Leckre (G.) 159-1, 170. Lecomte (P.) 239. Lecourt (D.) 86. Lecuyer (B.) 207. Le Dantec 184. Leenhard (M.) 179. Leenhart (J.) 587.
Lefebvre (H.) 3, 4, 6, 9,10, 12, 13, 18, 19, 21, 128, 129, 133, 159-1, 165-2, 169-1, 214, 249, 326, 329, 331, 332, 341, 343, 345, 349, 354, 377, 379, 394, 395, 405, 409, 416, 632. Lefort (C.) 170, 181. Legavre 0. P.) 239. Legendre (P.) 170, 202. Léger (F.) 159-1. Léger (J. M.) 632. Le Goff 0.) 206, 207. Le Grand (A.) 38. Legros Bawin (B.) 518. Le Guen (G.) 202. Leibenstein (H.) 477, 478. Leibniz (G. W.) 6, 27, 41, 62, 241. Leik (R. K.) 299. Leinhardt 159-1, 269, 554. Leiris (M.) 181. Leites (N.) 632. Lejeune (P.) 580-1. Le Larrnou (M.) 214. Lemaine (G.) 198, 329, 428, 870, 881. Lemaine (J. M.) 198, 329, 862, 881. Lemaire (A.) 202, Lemaitre 0. M.) 910-2. Lemel (Y.) 274, 275.
Lemieux (V.) 416. Lemke (I.) 86. Lemoigne 0. L.) 223. Lendermann (P. H.) 170. Lénine (V. I.) 3, 4, 7, 9, 10, 11, 13, 254-1, 259. Lenoble (R.) 43, 45, 47, 48, 52, 57, 60, 66. Lenoir (R.) 312, 442. Lenzen (J. F.) 86. Leonüeff (V.) 279. Lepeüt (B.) 206, 207. Le Play (F.) 153, 159-1, 167, 479, 860. Leresche (G.) 414, 416. Leridon (H.) 580-1. Lemer (D.) 239, 254, 264, 414, 416, 428, 554, 725, 860. Leroi-Gourhan (P.) 158, 207. Leroy (M.) 249. Leroy (P.) 62. Le Roy Ladurie (E.) 205-1, 207. Lesne (M.) 170. Le Senne (R.) 191. Levan-Lemesle (L.) 223. Levine (R. A.) 239. Levinson (D. J.) 478. Lévi-Strauss (CI.) 106, 107, 124, 125, 126, 159-1, 165, 173, 179, 180-1, 181, 206, 218-1, 222, 223, 248, 260, 282, 283, 299, 367, 368, 369, 372, 377, 378, 395, 411,
414, 416, 417, 580-1, 631. Le Vita (Beatrice) 181. Levy (A.) 198, 881, 895, 910-2. Levy (F.) 632. Levy (M.) 395, 580-1. Levy (P.) 198. Levy-Bruhl (H.) 123, 159, 169, 170, 173, 239, 514. Lewin (H.) 186, 239, 598, 632. Lewin (K.) 160-1, 165, 185-1, 190-1, 198, 297, 374, 478, 861, 870, 872, 878, 880, 882, 882-1 et s., 893, 894, 899, 910-2. Lewis 0- M.) 179, 206, 207, 260. Lewis (W. A.) 223. Lewis (O.) 306, 312, 547, 548, 578, 580-1, 587, 860. Lewita (B.) 181. Leyens (]. P.) 198. Leys (S.) 239. Lhomme (J.) 223. Libido 255. Lieberman (EJ.) 202. Lignon (J.) 170. Likert (R.) 264, 428, 427, 518, 795, 796, 811. Lindberg 395. Linden 0.) 766. Linden (K.) 766. Lindenfeld QacqueHne) 170, 249. Lindgard 191. Lindon (D.) 239, 860. Lindzey (G.) 198, 202, 478, 725, 860, 881, 910-2.
Line (M.) 264. Linné (K. von) 62, 478. Linton (R.) 176, 181, 201, 464, 469, 478. Linz 0.) 239. Lion (R.) 239. Lippitt (R.) 264, 427, 428, 860, 862, 878, 881, 882, 884, 889, 910-2. Lipset (S. M.) 164-1, 170, 207, 239, 259, 554, 587, 811, 860. Liska (A. E.) 198, 811. Liske (C.) 395. Littré (E.) 248-1, 861, 881. Lloyd (P. G.) 264. Lobotchevsky (N-) 84-1. Lobrot (M.) 893, 910-2. Lockhart (D. C.) 672, 725. Locqueneux (R.) 86. Locke (J.) 7, 89, 102. Lockwood (D.) 395. Loehr (W.) 395. Lofland (J.) 239. Logan (C. H.) 264. Lojkine 370. Lombard Q.) 181. Long 0.) 223. Loomis (C.) 910-2. Lopata (H. Z.) 271, 275.
Lorenz (K.) 86. Lorenzen (P.) 416. Lorenzi-Rioldi (F.) 554. Loridon (H.) 580-1. Loschak (D.) 170, 238, 239. Lotka 216, 218-1. Lotman 0-) 631, 632. Loubet del Bayle 0. L.) 170. Loubrer 0.J.) 107. Loubser 0.J.) 107. Lourau (R.) 159-1, 893, 910-2. Low 0. O.) 860. Löwen (A.) 909, 910-2. Lowenfeld (H.) 755. Lowenthal 163-1. Löwie (R. H.) 174, 181. Lowy (E.) 254-1, 255. Lowy (H.) 264. Lowry (R.) 170. Loye (D.) 239. Lubek (L.) 198. Luckmarm (T.) 312, 580-1. Lucas (L.) 239. Lucas (R. E.) 222-1, 223. Luft 0.) 910-2. Luhman (N.) 163-1, 169-1, 170, 382, 395.
Lukacs (G.) 163-1, 164-1, 170. Lundberg (G.A.) 22, 25, 269, 298, 299, 308, 518, 562. Lungliint 223. Lunsdaine (A.) 860. Lunt (P. S.) 860. Luporini (C.) 13, 264. Luschen (G.) 170. Lutz (B.) 170. Luxembourg (Rosa) 254-1. Lynd (H. etR.) 156, 159-1, 254, 264, 538, 819, 860. Lyon-Caen (G.) 170. Lyons 0.) 241, 249. Lyotard 0. F.) 13. Lyssenko 254-1.
M Retour à la table des matières Maanem 0. von) 299. Mabileau (A.) 239. Macaulay (T.) 206. Maccoby (E.) 198, 725, 811, 860, 881, 910-2. Maccoby (N.) 725, 811, 860, 910-2. Mac Camant 0.) 395. Mac Closkey (D.) 222, 223. Mac Clung (L.) 428.
Mac Dougall (W.) 183, 184, 198. Mac Grath 0. E.) 881. Mac Guigan (F.J.) 881. Mach (E.) 68, 72, 76-1, 80, 83, 86. Macblup (F.) 222-2, 223. Machiavel 88, 90, 206, 225. Machines : électroniques 359, 717. à cartes perforées 561. Mac Hugh (P.) 554. Mac Iver (R.) 354. Mac Kay (D. M.) 403, 416. Mac Kinney 0. C.) 25, 265, 269. Mac Kinney (R.) 395. Macku 0.) 170. Mac Lemore (S. D.) 811. Mac Lennan 174. Mac Luhan (M.) 580-1, 587. Mac-Lung Lee (A.) 159-1. Mac NaU (S. G.) 352. Mac Nemar (Q.) 811, 870. Mac Phee (W. N.) 860. Mac-Quail (D.) 587. Macpherson (C. B.) 239. Macridis (R.) 395.
Macro, micro économie 222. sociologie 380. Madalenat (D.) 580, 580-3. Madge 0.) 123, 359-3, 278, 860. Madron (T.W.) 881. Madsen (K. B.) 473, 478. Maffesoli (M.) 166-1,170. Magdoff (H.) 260, 264. Magellan (F. de) 97. Maget (N.) 860. Magrün (A.) 239. Maho (J.) 395. Mahony (DJ.) 202. Maühiot (G. B.) 910-2. Maine (HJ. S.) 174. Maingueneau (D.) 247, 249, 630-1, 632. Mair (L.) 264. Maisonneuve 0.) 182-2, 198, 890, 910-2. Maistre 0. de) 112. Maitre 0.) 395, 554, 725. Makarius (R. etL.) 181, 395, 910-2. Malcolm (N.) 86. Malebranche (N. de) 49. Malherbe 0. L.) 86. Malinowski (B.) 121, 163, 174, 176, 181, 201, 252,
258, 363-1, 364, 365, 395, 419, 573, 587, 860, 910-2. Malinvaud (E.) 223, 414, 554, 580-1. Mallaurie (G.) 206, 207. Mallet (S.) 170, 910-2. Malmberg (B.) 249. Maloin 0. P.) 395. Malthus 0. R.) 158, 218, 218-1, 219, 221. Malysev (I. S.) 344. Man (H. de) 159-1. Mandelbrot (B.) 84-1, 86, 403, 416. Mandrou (R.) 66, 206, 207. Manickegyöc (S.) 159-1. Mankiw (G.) 223. Mann (F.) 860, 882, 891, 892, 892-2, 910-2. Marrnheim (K.) 127, 159-1, 254-1, 264, 352. Mannoni (P.) 198. Mantoux (P.) 205. Mapteuzi (M. L. M.) 354. Marble (D. F.) 214. Marc (E.) 910-2. Marcellesî 0. B.) 249, 632. Marenco (C.) 715. March 0.) 166, 237, 238, 239, 416, 910-2. Marchais (P.) 202. Marchai (A.) 223.
Marchai (J.) 220-2, 222, 223. Marchand (O.) 580-1. Marcffio (M. L.) 219. Marchiso (R.) 249. Marcus Steiff 0.) 472, 473, 476, 478, 534, 646, 651, 725. Marcuse (H.) 148, 163-1, 259, 264. Maréchal (A.) 428. Marineau (R.) 910-2. Markiewicz-Lagneau 0.) 159-1, 275. Markov 409.Marouzeau 247. Marrou (A.) 142, 207. Marschall (T. H.) 353. Marsh (R. M.) 395. Martin 0.Y.) 910-2. Martin (E.) 249. Martin (R.) 13. Martindale (Don) 341. Martin du Gard (M.) 571. Martineau (P.) 472, 478. Martinet (A.) 242, 243, 245, 246, 247, 249. Martins (A. A.) 811. Marronne (E. de) 214. Marty 0.) 241, 587. Maruani (Margaret) 170. Maruyama (M.) 428.
Marx (K.) 3, 7, 10, 11, 13, 108, 111, 117, 118, 127, 128 et s., 135, 138, 139,149,158,159,159-1,163-1,165, 165-2,166-1,169,174,176, 199, 220, 221-1, 222, 224, 254, 254-1, 259, 304, 346, 347, 352, 376, 394, 496, 885. Maslow (A. H.) 189-1, 192-1, 252, 264, 473, 478. Mass (V.) 169. Mass media 604, 632. Mastrogregori (H.) 207. Matalon (B.) 554, 632, 811. Matarazzo 0- D.) 725. Mathelot (P.) 416. Matore (G.) 246. Mattenzi (M. L. M.) 352, 354. Matter (W.) 167-1. Maturana (H.) 163-1. Maucorps (P.) 198, 860. Mauron (Ch.) 589. Maury (R.) 239. Mause (L. de) 207. Mauss (M.) 120, 123, 124 et s., 159, 159-1, 169, 173, 176, 179, 181, 218, 302, 304, 312, 313, 329, 346, 354, 376, 417, 497, 581, 589. Mauser (P. H.) 219. Max (A.) 518. Maxwell 0.) 72, 119. May (B.) 580-1. Mayer (J. R.) 68. Mayer (Mona) 239.
Mayfield (R. C.) 214. Mayo (E.) 167-1, 170, 537, 820, 860, 871 cf. Western, 882-1, 902. Mazoyer (M. A.) 428. Mayone-Stycos 0.) 725. McCaman 0.) 395. Mead (G.H.) 155, 162, 169-1, 181, 183, 184, 186, 468. Mead (Margaret) 176, 191, 350, 860. Meadow (C. T.) 416. Medard 0. F.) 239. Meeker (Barbara) 299. Mehan (H.) 170. Mehl (L.) 383, 389, 395. Meidinger (C.) 223. Meillassoux (C.) 181. Meillet (A.) 249. Melese (J.) 395. Melucci (A.) 165-2, 170. Memling (H.) 340. Menmi (D.) 239. Mendel (G.) 196, 254-1, 210-1, 910-2. Mendelsohn (H.) 587. Mendras (H.) 159-1, 170, 181, 239. Menger (C.) 220, 220-2, 221, 223. Menger (P. M.) 170.
Merminger (K.) 910-2. Meny (Y.) 239. Menzel (H.) 554. Meräer (P.) 181. Merle (M.) 239. Merleau-Ponty (M.) 8, 13, 25, 125, 159-1, 165, 442. Merlin (P.) 214. Merllie (D.) 119, 562, 580-1. Merrell (F.) 367, 395. Merriam (Ch.) 238-1. Merrien (F. X.) 170. Merrit (R. L.) 395. Merserme (de) 41, 54, 57, 60. Merten (R.K.) 107, 148, 159-1, 161, 162, 170, 223, 263, 264, 298, 299, 322, 323, 329, 339, 349, 353, 354, 363, 364 et s., 389, 395, 417, 419 et s., 428, 537, 542, 543, 554, 587, 639, 651, 725, 811, 849, 860, 910-2, 911. Mesure (Sylvie) 159-1. Metraux (A.) 179 Metz (C.) 249, 580-1, 587. Meyer (F.) 219. Meyerson (E.) 71, 86. Meyerson (I.) 207. Meynaud (J.) 239, 452, 478. Meynier (A.) 214.
Miaille (M.) 170. Michel 0.) 119-1, 159-1, 165-1, 170. Michelat (G.) 239, 580-1, 585, 587, 725, 811, 860. Michelet 0.) 91, 204, 205. Michels (R.) 239. Michiels 107. Michon (F.) 170. Middletown (enquête) 819. Miege (B.) 587. Mignet (F. A.) 204. Milbraith (L.) 239. Milgram (S.) 874, 881. Milher (G.) 632. Miliband (R.) 223. Miller 0. C.) 395, 411,116. Miller (E.) 186, 860. Millet (L.) 186, 395. Millican (M. F.) 428. Mills (T. M.) 881, 910-2. Mills (C.W.) 159-1, 161, 170, 239, 290, 299, 339, 340, 341, 386, 395, 430, 442, 538, 540, 911. Milner 0.) 244-1, 249, 725. Mine (A.) 400, 416. Mingat 222-2, 223. Mintz (E.) 908-1, 910-2. Mintz (S.) 580-1.
Mises (L. von) 18, 221, 223. Mishler (E. G.) 860. Mitchell (C.) 400, 416. Mitchell (Duncan) 109-1, 133, 159-1. Mitchell (W. C.) 220-2, 395. Mitroff (I.) 264. Mitzmann (A.) 138, 159-1. Modèle 211-1, 391, 415. Moeschier 0.J.) 245, 246, 249. Moles (A.) 299, 403, 404, 408, 416, 580-1, 587. Momière (D.) 395. Mommsen (W.A.) 159-1. Mongjn (P.) 223. Monod 0.) 65, 66, 73, 264, 860. Monroe (K. R.) 239. Montages (A.) 252, 264. Montaigne 173. Montchretien (A. de) 94, 220. Montesquieu (Ch.de) 90, 92, 93, 104, 112, 116, 117, 125, 209, 224, 236, 372, 380. Montgolfier 0.) 62. Montlibert (G. de) 170, 428. Montmollin (G. de) 766, 881. Montmort 56. Montuclard (M.) 170.
Moore (B.) 239. Moore (H. E.) 860. Moore (F. W.) 395. Moore (W. E.) 170. Moral (etude du) 544, 798, 879, 889. Moraze (Ch.) 207. More (Th.) 88. Moreau 0.) 264. Moreau (R.) 239, 249, 632. Moreau de Bellaing (L.) 170. Moreau-Desfanges (P. H.) 239. Moreno (L.) 170. Moreno 0. L.) 160-1, 465, 469, 478, 861, 881, 882, 885 et s., 889, 910-2. Morero 881. Morf (A.) 403, 416. Morgan (L. H.) 174, 372. Morgenstern (O.) 401, 416. Morin (E.) 159-1, 165-2, 170, 181, 239, 263, 264, 269, 416, 469, 478, 579, 580, 580-1, 585, 587, 860. Morin (G. H.) 587. Morin (M.) 428. Morineau (A.) 923. Momet (D.) 66. Morris (Ch. W.) 86, 247-1, 249. Morse (N. C.) 412. Mosca (C.) 239.
Moscovia (S.) 159-1, 170, 182, 182-2, 196, 198, 202, 239, 454, 478, 629-1, 632, 725, 795, 811, 875, 881. Moser (C. A.) 198, 517, 518, 541, 554, 682, 714, 725, 811, 860, 910-2. Mosschler (J.) 249. Motiles (J.) 416. Mottez (B.) 167-1. Mouchot (C.) 107, 223, 299. Mouillaud (M.) 565, 580-1, 587. Moulin (R.) 170. Mouloud (N.) 395. Mounier (J. P.) 239. Morinin (G.) 242, 249, 630, 632. Mouriaux (R.) 170. Mucchielli (R.) 632. Mueller (R. A. H.) 880, 881. Mudler (M.) 881. Mulder (R. D.) 587. Mullins (N. C.) 486. Muller (Ch.) 249. Müller (H.) 198. Müller (P.) 239. Multifactoriel 744. Mumford (L.) 158. Muraz (R.) 518. Murdock (G. P.) 181, 196.
Muren (G.) 170. Murphy (W. F.) 170. Murray (H.) 239, 478, 755. Mus (P.) 179. Museur (M.) 264. Myrdal (G.) 264, 299, 860.
N Retour à la table des matières Nacht (S.) 200-1, 202. Nadel (S. F.) 395. Nagel (E.) 4, 25, 77, 86, 276, 299, 395. Nahoum (C.) 725. Nam (C. B.) 218, 239. Narbonne (J.) 239. Nask (J. F.) 223. Naville (P.) 159-1, 167-1, 170, 587. Nell (E.) 223. Neuberg (M.) 86. Neuman (J. von) 222, 401, 436. Neumann (Noëlle) 538, 725. Neuschwander (G.) 587. Newcomb (Th.) 359-3, 198, 459, 478, 632, 860, 881, 910-2. Newman (J. H.) 26, 405. Newton (I.) 41, 48, 51, 68, 93, 209.
Nicolaidoa (Süia) 214, 279, 478. Nïcolaidou (Silia) 470, 478. Nicole (P.) 241. Nicolet (D.) 76-1, 86. Nietzsche (F.) 184. Nioche (J. P.) 239. Nisbet (R. A.) 159-1, 264, 352. Niskanen 222-1. NoeUe-Neumann (Elizabeth) 239. Noin (D.) 219. Noiriel (G.) 170. Noizet (G.) 798, 833. Nominalisme 23, 37, 70, 78. Nomothétique 104, 106, 140, 270, 271 et s. idiographique 140, 271 et s. Nomssen (W.) 143, 359-3. Nora (P.) 207. Nora (S.) 400, 416. Norf (A.) 436. Norman (R.Z.) 398, 436. North (R.) 632. Northrop (F. S. C.) 23, 25, 306, 332, 395. Northway (M. L.) 930-2. Novak (M.) 162-2. Novikov (N. V.) 264.
Nowotny (H.) 427, 428, 554. Numération et mesure 284, 321. unité de 621. Nunez (D.) 170. Nuttin (].) 170, 811.
O Retour à la table des matières Oberschall (A.) 170. Objectif 61. Objectivité 255 et s., 260-1, 590, 666. Observation 56, 114, 115. armée 317. de groupe 493, 852. directe 483, 494, 499. niveau 830. non systématique 314, 853. participation 162, 824, 852. préparée 317. qualitative 318, 540, 829, 851, 853. quantitative 318, 833. surprenante 537. systématisée 106, 828, 854, 858. Odum (E. P.) 239. Offerlé (M.) 239. Ohm (G. S.) 74. Oleron (P.) 744, 766. Oliver (J-) 391, 395. Ollantlini (F.) 881.
Olmsted (M. S.) 881, 910-2. Oison (M.) 170. Ombredanne (A.) 168. Oppenheim (A.N.) 811. Oppenheimer (L R.) 86, 127. Orlean (A.) 222-1, 223. Orstrom (Elinor) 239. Osgood 594, 629-1. Osterlind Q. J.) 766. Ostwald 72, 80. Oulif 0.) 587. Oury 0.) 893, 910, 910-2. Ozouf 0.) 207, 632.
P Retour à la table des matières Pacaud (S.) 762, 765, 766. Packard (V.) 198. Padioleau 0.) 395, 414, 416, 518, 554, 869, 881. Page (Ch. H.) 264. Pages (M.) 263, 264, 882, 891, 892-1, 897, 898, 901, 902, 905, 908, 910-1. Pages (R.) 167, 170, 198, 395, 416, 589-1, 632, 861, 881, 882, 910-2. Paige 0. M.) 632. Paillot (P.) 215-1.
Palmade (G.) 223, 263, 264, 642, 643, 651, 725, 734, 748-1, 754, 766, 903, 910-2. Palombaza (La J.) 395. Panel 775, 805 et s. Panini 241. Pannekoek (A.) 13. Panoff (M. etS.) 181, 264. Papaioannou (K.) 4. Papin (D.) 48. Paradeise (C.) 170. Parain-Vial 0.) 264, 395. Pareto (W.) 117,118,159-1,160,162, 382, 387, 432. Park (R. E.) 137,152,155,159-1, 162, 860. Parker (C. H.) 201. Parlebas (P.) 910-2. Parodi 0. L.) 239. Parochia (D.) 416. Parsons (T.) 107, 118,123,148, 159-1, 161,162,162-1,165-1,170, 223, 233, 237, 297, 365, 366, 380, 381, 383, 384 et s., 390, 395, 881. Parry (H.) 725. Parten (M. B.) 518. Pascal (B.) 50, 54, 56, 215-1, 280, 401, 911. Passeron 0. C.) 170, 306, 312, 860. Passet (R.) 218-1, 219. Pasteur (L.) 119-1, 307, 420. Patüson (E. M.) 910-2.
Paty (M.) 86. Paulne (B.) 223. Pavlov (I. P.) 186, 191. Payne (S. L.) 701, 725, 881. Peabody (R. I.) 239. Peak (Helen) 860. Peaucelle 0. L.) 403, 416. Pecheux (M.) 198, 248-1, 249, 264, 630-2, 632, 692. Pedersen (H.) 241. Pelassy (D.) 239, 395. Pellarin (Ch.) 861. Pelletier (F.) 587. Pelto (P.J.) 181. Pels (D. G.) 428. Penrose (R.) 198. Pepe (P.) 911. Percheron (A.) 239, 391, 395. Perevedentsev 164. Perlman (F.) 264. Perls (F. S.) 908, 908-2, 909, 910-2. Pemoud (R.) 34, 66, 207. Perrault (C.) 27. Perrin (G.) 118, 159-1. Perrin (J. F.) 170. Perrin 0. P.) 160, 169.
Perrineau (P.) 181. Perron (R.) 202. Perrot (A.) 223. Perrot (J.) 24?. Perroux (F.) 220-2, 375. Perrow (C.) 239. Perry (N.) 264, 411, 416. Petard 0. P.) 860. Peterfalvi 0. M.) 246, 249. Peterson (R. A.) 395. Petitot 0.) 84-1, 86. Petty (W.) 95. Peyrefitte (A.) 218-1. Peytard 249. Pharo (P.) 139, 159-1, 169, 170. Phénotype 252, 608, 789, 793. Philip (A.) 223. Phlipponneau (M.) 213, 214. Phonème 242. Piaget 0.) 13, 14, 25, 29, 96,106, 107, 159-1, 246, 261-1, 262, 345, 347, 351, 354, 362, 367, 369, 374, 395, 416, 478, 486, 881, 910-2. Piatier (M.A.) 506, 507, 508, 511, 518, 926. Piault (C.) 416. Picard (P.) 299, 758. Picard (R.) 369, 395, 589, 632.
Piccone (P.) 170. Pichot (P.) 754, 758, 766. Picon (G.) 8, 13, 589. Pierce (C. S.) 155. Pieron (H.) 168, 190, 478, 726, 766. Piettre (A.) 223. Pigafetta 97. Pinchemel (P.) 211-1, 214. Pineau (G.) 275. Pinto (Diana) 170. Pirenne (H.) 34, 66, 207. Pirou (G.) 220-2. Pisier (E.) 239. Pitrou (A.) 223. Pitt-Rivers 0.) Pivasset 0.) 202, 587. Pizarre (F.) 97. Planck (M.) 71, 82, 86, 307. Platon 1, 6, 22, 26, 31, 32, 34, 35, 36, 37, 45, 60, 87, 90, 93, 159, 224, 225, 240, 415-1, 726. Platt 0.) 159-1. Platt (S.) 860. Plon (M.) 402, 416. Plosser (C.) 223. Plotin 34.
Plutarque 32. Podgoracki (A.) 170. Poe (Ed.) 401. Poincaré (H.) 70, 86, 444. Poirier (H.) 86, 264, 580-1. Poirier (J.) 126, 181, 275, 580-1. Poisson (S. D.) 282, 401. Poisson (J. P.) 580-1, 587. Poitou 0.P.) 811, 881. Pôle caractérisation 454, 463, 643. conduite 463. individuel, sociologique 455. Polin (R.) 89. Pollak (M.) 159-1. Pollock (A. B.) 163-1, 239. Polsby (N.) 239. Pons (E.) 910-1. Ponsard (C.) 214. Ponsard (J. P.) 416. Ponty (J.) 632. Pool (I. de Sola) 169-1, 239, 414, 416, 587, 593, 607, 609, 632, 881. Pope (W.) 159-1. Popkin (S.) 414, 416, 881. Popovitch (M.) 264.
Popper (K.) 4, 18, 21, 25, 86, 170, 200-1, 207, 244, 285, 299, 325, 406. Porcher (L.) 170, 587. Portalis (J. B.) 202. Postpone (M.) 239. Potlatchl26. Pottier (B.) 249. Postulat 11, 23. Poulantzas (N.) 159-1, 239, 395. Poulet (G.) 589, 632. Poursin (J. M.) 219. Pourrais 0. P.) 4. Powell (G. B.) 395. Pouillon 0.) 181. Powderwalker (H.) 606. Prades 0. A.) 159-1, 239. Proctor (Ch.) 910-2. Preble (E.) 181. Praxeologie 401. Praxis 10, 159. Préjugés 63, 253. idées préconçues 301. prénotions 301, 432. présupposés 258. Prelot (M.) 224, 225, 236, 432.
Pressât (R.) 215-1, 219. Prescott (E.) 223. Presser (S.) 811. Préteceille (E.) 414, 416. Prévision 661, 843. des attitudes 773, 774. Prévost (M.) 278. Priestley 0.) 62. Prieto (L. J.) 247-1, 249. Prigogine (A.) 354. Prigogine (I.) 84-1, 86. Problématique 2, 432. Propp (I.) 632. Proshansky (H. M.) 755. Prost (A.) 239. Prou (G) 222-2, 223. Proust (M.) 571. Proudhon (P. J.) 111,167. PrzeworsM (A.) 416. Ptolemée 33, 55-1. Pudal (B.) 239, 289. Pumain (D.) 214. Pythagore 1, 30, 31.
Q Retour à la table des matières Quermonne 0.L.) 239. Quesnay (F.) 94. Questions. pièges 724. préformées 706. probe 662. Quetelet 0.) 95, 112. Quine 77.
R Retour à la table des matières Racine (J. B.) 214, 369. Racisme 768 et s., 785, 849, 864. Radcliffe-Brown (A. R.) 176, 181, 258, 365, 372, 395. Radex 743. Raffel (S.) 554. Ranger (G.) 239. Raillard (G.) 632. Ramade (F.) 239. Ramogrrino (N.) 632. Rancière (J.) 168, 170. Rank (O.) 199, 202. Rankin (R. P.) 170.
Rankine 72. Raphaël (F.) 275, 580-1. Raphael (F.) 587. Raphel (C. M.) 910-2. Rapoport (S. A.) 395, 416. Rapoport (RN.) 910-2. Rashewsky (N.) 205-1, 207, 414. Rask (R.) 242. Ratzel (F.) 175, 209, 210, 210-1. Ratzenhofer (G.) 183. Rauler (G.) 170. Rausch de Travenberg (M.) 766. Ravis-Giordani (G.) 275. Rawls (J.) 237, 239. Raybaud (P.) 580-1. Raymond (H.) 632, 725. Raynaud (P. H.) 159-1, 170. Réaumur 64. Recanati (F.) 245, 249. Redfield (M.) 159-1. Redfield (R) 306, 312, 860. Redl (F.) 878. Redondance 408. Régnier (A.) 4, 299, 428. Reich (W.) 196, 239, 909, 910-2. Reichenbach (H.) 77, 83, 86.
Reitz (J.) 428, 881. Relations humaines 166, 904, 907. Rémond (R.) 207, 239, 586, 587. Renan (E.) 224. Rendall 412. Renoir (P. A.) 340. Renouvier (P.) 69. Rens (I.) 219, 239. Représentatif 500, 516, 616. Reproductibilité 797. Réseau 211, 398, 398-1, 400, 880, 887 et s. Résistance au changement 250, 703, 767, 768, 876, 882. Resrivo (S. P.) 264. Revet (T.) 170. Reudilin (M.) 275, 278, 478, 726, 739, 746, 766. Reuss (C. F.) 725. Rex 0.) 170. Rey (A.) 66, 276, 278. Reymond (H.) 214, 282. Reynaud (E.) 170. Reynaud 0. D.) 168, 170, 223. Reynaud (P. L.) 223. Rhoads 0. K.) 170. Ribot (Th.) 184.
Ricardo (D.) 220, 221, 221-1. Rice (S.A.) 554, 805, 811. Richardson (M.) 911. Richardson (coll.) 725. Richelle (M.) 198. Richta (R.) 264. Rickert (R) 134, 140. Ricketts (M.) 220, 223. Ricceur (P.) 202, 207, 239. Riecken (H.) 881. Rieman 84-1, 370. Riesman (D.) 170,196,198, 340, 352, 632, 664, 811. Riffaterre (M.) 249. Riffault (Hélène) 518. Riley 0. W.) 561, 580-1, 587, 632. Riker (R. N.) 237, 239. Rioux (M.) 264. Riskin (G.) 477, 478. Ritter (K.) 209. Riviere (C.) 165-2, 170, 239, 312. Roach 0- L.) 170,264. Roazen (P.) 202. Robhins (L.) 220, 223. Robbins (M. C.) 181. Robert (M.) 202. Roberts 0. M.) 264, 864.
Robic (M. C.) 214. Robin (R.) 207. Robins (N.) 238-1, 239. Robins (R. H.) 249. Robinson 0.) 222, 223, Robinson (R.) 23, 25. Robinson (W. S.) 554. Rocheblave-Spenlé (A. M.) 478. Rocher (G.) 159-1, 395. Rodell (P.) 170. Roethlisberger (F.J.) 170, 824, 860. Roheim (G.) 176, 181, 202. Rogers (C.) 644, 645, 652, 657, 725, 872, 896, 905, 906-1, 910-2. Roig (C.) 239, 391, 395. Roistacher (R. C.) 910-2. Rokkan (S.) 239, 359, 395, 562-1, 580-1. Roland-Levy (C.) 223. Role playing 162, 470, 890. Roll (C.W.J.) 518. Rolle (Ch.) 578. Roue (P.) 170, 395. Romer (M.) 398, 416. Roncayolo (N.) 207. Ronchi (V.) 55-1, 66. Roosevelt (F. D.) 154, 597, 600.
Rorschach (H.) 755. Rosanvallon (P.) 170. Rosa (J.J.)'222-1, 223. Roscher 220-2. Rose (A. M.) 159-1. Rose (R.) 239, 395. Rosen (A.) 883. Rosenau (J. N.) 239. Rosenberg (A.) 222-2, 223, 395, 416, 811, 860. Rosenfeld (L.) 354. Rosengren (K. E.) 632. Rosentiehl (P.) 416. Rosenthal (R.) 870, 881. Rosenzweig (L.) 239, 748, 755. Ross (D.) 159-1. Ross (I. G.) 137, 245. Rossi (P. H.) 159-1. Rossignol (C.) 881. Rossi-Landi (F.) 159-1, 248. Rossi-Landi (G.) 239. Rostand (J.) 667, 911. Rosten (L.) 606. Rostow (N.) 206, 207. Roszak (T.) 264: Rotemberg (J.) 223.
Roth (A. E.) 223. Roth (D. F.) 239. Rouchy 0. C.) 895, 908-1, 910-2. Roudinesco (E.) 202. Roulet (E.) 249. R ound robin 605. Roupnel (G.) 211. Roure (F.) 86, 416. Rousseau 0.J.) 89,172,173, 183, 241, 344, 574. Roussel (A.) 219. Rousset 0.) 589. Rousset (P.) 580-1. Rousselot (Abbé) 244. Roussin (A.) 571. Rouvier (C.) 198. Rowland (R.) 421. Rowntree (B. S.) 152, 860'. Roy (E.) 70. Royaumont (fondation) 910-2. Royer-Collard (P. P.) 117. Rubinstein (R.) 860. Ruccet (B.) 359, 395. Rude (G.) 196, 198. Ruelland (J. G.) 86. Ruelle (D.) 84-1, 86.
Rufin (J. C.) 219. Ruitenbeeck (H. M.) 908, 908-1, 909, 909-1, 909-2, 910-2. Rundman (W. C.) 159-1, 170. Rupp-Eisenreich (Britte) 181. Ruse (M.) 170. Rüssel (B.) 76-1, 86, 184. Rutman (L. S.) 239. Ruwet (N.) 245, 249. Ruyer (R.) 416. Ryder (N. B.) 580-1.
S Retour à la table des matières Sache (A.) 398, 436. Sachs (H.) 202. Sachs 0.) 223. Sahlins (M.) 162-2, 170,181. Sainsaulieu (R.) 166, 170, 585, 587. Saint Augustin 1, 35. Saint Simon (C.H.) 108, 110, 111, 112, 116, 119-1. Saint Thomas 36, 79. Salais (R.) 168, 370, 222-1, 580-3. Sallach (D. L.) 395. Salmon 222-2, 223. Salomé (L. A.) 202.
Salomon 0.) 85, 86, 138. Salomon 0. J.) 239. Saloner (G.) 223. Sampson (E. E.) 186-1. Samuels (W. J.) 223. Samuelson (A.) 222-2, 223: Samuelson (R. J.) 257, 264. Sanguin (A. L.) 234. Sapir (E.) 176, 383, 249, 632. Saporra (G.) 580-3. Sarano 0.) 264. Sargent (T. J.) 222, 222-1, 223. Sardón 0. P.) 580-3. Sarbin (Th. R.) 478. Sartori (G.) 233, 239, 259. Sartre 0. P.) 165, 370, 589, 910-2, 911. Saussure (F. de) 165, 242, 243, 249, 306, 371, 415-1, 632. Sauvy (A.) 215-1, 218, 23?, 452, 478, 580-3. Savatier 0.) 370. Savoye (A.) 159-1. Sawers (O.) 428. Sayad (A.) 580-1. Scaling 811. Scalogramme 797. Scelle (G.) 167.
Schachter (S.) 860. Schad (S.) 170. Schaeffer (F. K.) 234. Schaeffer (R.) 202. Schaff (A.) 249, 254-1, 264. Schaffle (A. E. F.) 109. Schaffner (E. C.) 239. Schebel (M.) 239. Scheerer (M.) 186-1. Schern (E.) 276, 278, 881, 910-2. Scheler (M.) 184. Sendling (F. C.J.) 68. Schemeil (Y.) 370, 239, 415-1. Schenkel (W.) 264. Scherer (R.) 13. Scheuch (E. K.) 580-3. Schiller (F.) 204. Schupp (P. A.) 86. Schlick 77. Sdrmidhemy (S.) 219. Schmidt (C.) 222, 223. Schmidt (R. H.) 239. Schmutzer (M.) 436. Schnapper (D.) 370. Schneider (P. B.) 910-2.
Scholem (G.) 170. Scholes (M.) 223. Schoutheete de (M.) 554. Schräm (W.) 170, 632. Schreber (D. P.) 202. Schreier (F. J.) 478. Schubert (G.) 170, 239. Schuhl (P. M.) 41, 55, 66. Schuler (E. A.) 264. Schulte 0.) 86. Schuman (Et.) 725, 811. Schumpeter 0.) 148, 220, 221-1, 223. Schurz (A.) 8, 13, 159-1, 162-1, 163, 170, 223. Schutz (W. C.) 632, 908-2, 910-2. Schwartz (C. G.) 860, 881. Schwartz (M. S.) 860. Schwartzenberg (R. G.) 239. Schwendrnger (H.) 159-1. Schwendinger 0ulia R.) 159-1. Seiler (D. L.) 239. Scitovsky (T.) 223. Scolastique 60. - antiscolasticrue 42. Scott (M. B.) 860. Scott (W.) 204.
Searle 0. R.) 249. Seashore (Ch.) 428. Sebagh (P.) 395. Secord (P. F.) 198. See (E.) 370. Segalen (Martine) 180, 181. Segrestin (D.) 170. Seignobos (Ch.) 123, 204, 205, 207. Seiler (D. L.) 239. Sellars (W.) 86. Sellier (F.) 170. Selltiz (C.) 329. Selten (R.) 223. Selvin (H.) 554, 860. Selznick (P.) 386, 395. Serendipity 419. Séris 0. P.) 416. Serres (M.) 86, 170, 239. Serverin (Evelyne) 169, 170. Serviet 0.) 183. Seve (L.) 159-1. Seys (B.) 580-1. Sewell (W. H.) 159-1. Sfez (L.) 170, 239. Sharlin (R.N.) 142, 159-1.
Shakespeare (W.) 43. Shannon (C.) 405. Shapiro 0.) 237, 239. Shapiro (M.) 170, 237. Sharpe (L.J.) 554. Shaw (M. E.) 811, 910-2. Shaw (C. R.) 576. Sheffield (F.) 860. Sheldon (W.) 191, 478, 750. Shepard (H. A.) 910-2. Sherif (C. W.) 478, 881. Sherif (M.) 198, 478, 860, 870, 873, 879, 881. Shils (E.) 239, 395, 428, 603, 632, 881. Shubik (M.) 402, 436. Shure (G. H.) 883. Sica (A.) 159-1. Sicard (E.) 170. Sieca (Elizabeth) 164-1, 370. Siegfried (A.) 224, 236. Sighele (S.) 398. Sigmund (K.) 162-2. Significatif : catégorie 610. élément 623. indices 560.
information 643. objets 581. par rapport au problème 689. statistiquement 541. Silberman (D.) 239. Silbermann (A.) 370. Simiand (E.) 123,207, 220-2, 223, 335, 351 Simmel (G.) 127, 136, 137, 141, 159-1, 165-1. Simon (H.) 222, 223, 585, 587: Simon (H.A.) 166, 237, 238, 239, 414, 416, 910-2. Simon 0- L.) 310, 312, 860, 864, 881. Simon (M.) 239. Simon (P. H.) 589. Simon (P.J.) 159-1. Simmonet (D.) 239. Sineau (Marcelle) 239. Singly (F. de) 580-1. Siran (J. L.) 181. Siu-Lun (W.) 170. Sivre (V.) 165-1, 170. Skinner (B. F.) 186, 198: Slatta (P.) 248-1, 249. Slavson (S. R) 897, 910-2. Slonim (M.L) 518. Small (A. B.) 159-1:
Small (A. W.) 183. Smelser (N.) 159-1, 170, 223, 322, 354, 395, 554, 860. Smirnov (S.) 170. Smith (Adam) 94, 116, 184, 220, 220-1. Smith (G.) 473, 478. Smith (Elliot) 312. Smith (B. D.) 478. Smith (K.) 537. Smith (H. L.) 725. Smith (N.) 170. Smith (T. W.) 725. Smith (V. L.) 223. Smouts (M. C.) 239. Smuts (J. C.) 165. Snell 0- G.) 299. Snyder (R. C.) 416. Social : - (actìvité) 141. (fait) 116, 120, 121. fait sodai total 126. survey 154, 433. Socialisation 187, 381, 391. des enfants 391. sociologie : adminîstrative 238.
comprellensive 141, juridique 169. politique 232. Sociométrie 885. Sociopsychanalyse 202. Sociothérapie 901. Socrate 1, 18, 22, 31. Sohl 0.) 910-2. Solidarité, mécanique, organique 119, 881-1. Somit (A.) 239, 416. Sorano 0.) 264. Sorensen (A. B. et A.) 416. Sorlin (P.) 587. Sorokin (P.) 160-1,166, 370, 296, 299, 382, 386, 395, 430, 442, 910-2. Sorzand 0. S.) 395. Sorre (M.) 210-1, 213, 214. Sotto (R) 170. Soubiran (F.) 169. Souyri (P.) 159-1. Spearman (Ch.) 189, 368, 743, 744. Spécification 109-1, 119-1, 386. Spencer (H.) 109-1, 119-1, 121, 150, 158, 159-3, 184, 372, 376, 382. Spencer (M. E.) 486. Spengler (О.) 160, 163.
Spengler (J. J.) 428. Sperber (D.) 383, 383, 239. Splenger (D.) 383. Spiegelman (M.) 219. Spinoza (B.) 76, 90, 93. Spiro (H. G.) 395, 416. Split ballot 724. Spontanéité 885, 890. Spradley 00 860. Sprague 00 170, 416. Spranger (E0 338. Sprott (W. J. H.) 198. Sraffa (P.) 220, 223. StarobinsH 00 92, 104, 589. Stacey (M.) 198, 860. Stafford 00 312. Staline 156, 590. Stamm (A.) 580-1. Stamp (D.) 211-2, 212. Statut et status 464 et s. Steedman (I.) 220, 223. Steffens (L.) 154. Stegemann (H.) 170. Stein (M. R.) 860. Steiner (L D.) 881.
Steinberg (H.) 632. Steinzor (B.) 837, 860. Stengers (Isabelle) 84-1, 86, 261-1, 264. Stenzen (N.) 322. Stepansky 199. Stem (F.) 5S7. Sternberg (B.) 587. Sternhell (Z.) 239. Steward (D. W.) 542, 554. Stiglitz 00 -223. Stillermann (R.) 428. Stirner (M.) 184. Stochastique 914. Stock (O.) 910-2. Stodgill (R. M.) 878, 881. Stoetzel 00 170, 188, 189-1, 192-1, 193, 193-1, 195, 196, 198, 215-1, 219, 296, 298, 420, 428, 454, 478, 518. Stoller (F.) 908-1, 930-2. Stornier (A.) 223. Stone 00 202. Stone (Ph. J.) 436, 632. Stone (W. F.) 239. Stouffer (S.) 162, 298, 329, 542, 554, 563, 575, 695, 725, 770, 833, 860, 881. Stratégie 238, 266, 401, 402.
Strauss (A.) 370, 167-2, 910-2. Strauss (L.) 239. Strayer (JO 206, 207. Streiffeler (F.) 860. Strodtbeck (F. L.) 883. Stoyanovitch (K.) 170. Stuart (A.) 714. Stuart Mill 00 47, 401. Study (case) 153, 272, 817. (area) 817. (field) 154. suggestion 184. Stycos 0- M.) 665, 725. Suchman (E. A.) 725. Sudman (S.) 538, 725. Suessmilch 0- PO 95,219. Suleiman (E.) 239, 478. Sullerot (E.) 587. umpf 00 248-1, 249. Sunshine (M.) 442. Supiot (A.) 170. Suret-Canale 00 264. Sussmann (L. A.) 598, 632. Sûssmilch 0- P.) 239. Sutherland 0- D.) 202, 416.
Swaan (A. de) 436. Swartz (M. J.) 181, 239. Swedberger (R.) 223. Symes (M.) 154. Synchronique 351, 380. Système 62, 116, 118, 139, 162, 367, 368, 382 et s., 391, 411, 819. systémique 166, 382 et s., 411. SzacM (S.) 359-3. Szaluta 00 207. SzczepansM 00 159-1. Szondi (L.) 755. Sztompka (P.) 370.
T Retour à la table des matières Tabah (L.) 215-1, 219. Tabard (N.) 923. Taine (N.) 196, 198. Takens (F.) 84-1. Tallman (I.) 239. Tanenhaus 0.) 239. Tanham (J.) 632. Tanguy (L.) 370, 860. Tapinos (G.) 219. Tarde (G.) 116, 120, 159, 159-1, 184, 187, 191, 198. Tarter (D. E.) 811.
Taton (R.) 66. Tayler (E. B.) 176. Taylor (G. L.) 166, 239. Taylor (S. J.) 299, 580-1, 909-2. Technologie 168, 421, 581. Teevan (B. G.) 478. Teilhard de Chardin 65. Telquel 632. Tenzer (N.) 239. Terman 749. Terrenoire (J. P.) 587. Terrou (F.) 587. Thalès de Milet 1, 7, 30. Theil (H.) 416. Thelen (H.) 883, 897, 930-2. Thélot (C.) 580-3. Theodorson (G. A.) 370. Thérapie 901. Thevenin (N. E.) 359-3. Thevenot (C.) 168, 580-3. Thevenot (L.) 222-1. Thibaudet (A.) 224. Thibaut (J. W.) 186, 861, 883. Thibault-Laulan (A. M.) 584, 587. Thiec (Y.J.) 196, 398. Thierry (A.) 205.
Thiers 204. Thionet (P.) 507. Thoenig (]. C.) 138-1, 370, 238-1, 239. Thorn (R.) 84-1, 86. Thomas (A.) 398. Thomas (J.P.) 811, 860. Thomas (R.) 454, 478. Thomas (W. I.) 271, 275, 453, 478, 576. Thompson (G. L.) 299, 881. Thompson (K.) 86. Thompson (P.) 275, 580-1. Thompson (R. G.) 933. Thomdike (E. L.) 186, 398. Thoverot (G.) 587. Thrasher 155, 359-3, 370. Thuillier (P.) 304. Thuillier (G.) 207. Thurstone (L. L.) 189, 297, 743, 744, 793, 796, 833. Tibbets (B.) 170. Tibbetts (P.) 359-3. Timsit (G.) 239. Tinbergen (J.) 395. Tippet 508. Tisserand Perrier (M.) 911. Tissier 0- L.) 234.
Tixer (J) 910-2. Toailles 109. Toby 00 170. Tocquevffle (A. de) 117, 359-3, 224, 236. Todorov (T.) 207, 249. Tomassone (R.) 538. Tomasic (R.) 170, 373. Tominaga (K.) 370. Tonnelat (M. A.) 86. Tonnies (F.) 127, 135, 137, 151, 359-3, 332, 479. Topolov (C.) 370. Torrance 00 159-1. Torres (F.) 580, 580-1. Torricelli (E.) 48. Tort (M.) 766. Tort (P.) 159-1. Tosquelles (F.) 893, 910, 910-2. Totalité 93, 116, 126, 176, 345, et s., 352, 411. faits totaux 126. phénomènes totaux 360. Touchard (J.) 236, 239. Toulliins (S.) 86. Touraine (A.) 165-2, 167-1, 168, 169, 170, 890-1, 892, 910-2. Tournier (M.) 249. Touzard (M.) 310, 312. Transfert 199. Trasher (F. M.) 155, 159-1.
Treanton 0. R.) 170, 198. Trêves (R.) 169, 170. Tricart 213. Trinquier Alcouffe (C.) 931. Triplett 861. Tripier (P.) 167-1, 370. Trist (E. L.) 239, 395, 428, 532, 554. Troland (L. T.) 478. Trognon (A.) 630, 632. Trotzky 359-3, 254-1. Troubetzkoy (N. S.) 243, 249. Trudgill (P.) 249. Truffant ( ) 584. Trystram 0. P.) 400, 436, 725. Tuchfeld (B. S.) 370. Tuden (A.) 383, 239. Tulard 0.) 207. TuIIock (G.) 222-1, 239. TunstaU 0.) 580-1, 585, 587. Turgot (A. P.) 248. Tumer (B.) 162-1. Tumer (J. E.) 395. Tumer 0. H.) 359-3. Tumer (R. N.) 860. Tumer (Roy) 370, 359-3.
Tumer (S.P.) 359-3. Tumer (V. W.) 383, 239. Twain (M.) 210-1. Tylor (E. B.) 174, 175. Typologie 360.
U Retour à la table des matières Ullman 0.) 249. Ullmo 0.) 66, 72, 73, 74, 75, 81, 86. Umpleby (S. A.) 239. Unrug (M. C.) 632, 910-2. Useem (M.) 428.
V Retour à la table des matières Valade (B.) 359-3, 370. Valensi (L.) 207. Valette (F.) 370. Validité 289 et s., 720, 724, 742. critérielle 745. empirique 291, 737, 738. factorielle 743. interne, externe 291, 737, 741. logique 291, 737, 740.
Statistique 739. Vandana (Shiva) 239. Van Bockstade (J. et H.) 930-2. Van Rillaer 0.) 200-1, 202. Vancouver 97. Varela (I.J.) 163-1, 186-1, 398. Varenius 209, 210. Variable 433, 541, 544. analytique 324. dépendante 525, 541, 544. extérieure 544. indépendante 433, 525, 862. intervenante 119, 545. latente 798. Variance 914. Varin d'Ainvelle (M.) 395, 580-1, 587. Vasco de Gama 97. Vasquez (A.) 910. Vauban 213, 215-1. Vax (L.) 76, 77, 79, 86. Veblen (T.) 158, 159-1, 220-2. Vedel (G.) 225, 234, 236. Védrine (H.) 52, 66. Verba (S.) 359, 395, 878, 881. Vergnaud 0- R-) 249.
Verhaegen (B.) 207. Verhulst 218-1. Vermorel (H.) 910-2. Vemières (M.) 580-1. Vemon (P. E.) 766. Verret (H.) 170. Verrière (J.) 219. Veuille (M.) 170. Vexliard (A.) 395. Veyne (P.) 207, 239. Vico (G. B.) 90, 91. Vidal de la Blache (P.) 209, 210, 211-2, 213, 214. Viderman (S.) 200-1, 202. Vidich (A.J.) 860. Vierkandt (A.) 127,137,155. Viet (J.) 198, 219, 395, 416, 428. Vîgnaux (G.) 198. Vigny (A. de) 204. Vilard (P.) 207. Villeneuve-Barjemont 0. P.) 153. Vïllermé (L. R.) 153, 167, 170. Villette (M.) 910-2. Villey (D.) 219. Vîltard (Y.) 239. Vinacke (W. E.) 870.
Vincent 0.M.) 159-1, 170, 219, 239, 893, 910-2. Vincent (P.) 215-1, 216, 219. Vinci (L. de) 40, 66. Viret 54. Vireux-Reymond (A.) 13. Virton (P.) 159-1. Vischer (P.) 910-2. Volkaert 189-1. Voile (M.) 923. Voltaire 172, 236. Voss (A.) 259. Vovelle (M.) 580-1. Voyerme (B.) 580-1, 587. Vulbeau (A.) 587. V ulliermé 0. L.) 239.
W Retour à la table des matières Wachtel (N.) 207. Waechter (A.) 239. Wagner 0. D.) 159-1. Wahl 0.) 393. Wakeford 0.) 860. Waldo (S.) 239. Wallace (A. R.) 218-1, 416.
Wallach (M.) 881. Wallerstein 0.) 260 et s„ 264, 395. Walliser (C.) 222-2, 223, 416. Walpole (H.) 419. Walras (L.) 118, 369. Waples (D.) 632. Walters (R. H.) 186. Ward (L.) 109-1, 183. Warner (W. L.) 162, 162-1, 860. Wartburg (W. von) 246, 249. Wassermann 254-1. Watson 0. B.) 186, 198, 428, 881. Watanuki 0.) 170. Watt 421. Wattrer (P.) 170. Wax (L.) 176. Wax (M. L.) 860. Wax (Rosalie) 860. Waxler (H. E.) 860. Weber (Alfred) 127, 143. Weber (Max) 115, 116, 117,118, 127, 135, 136, 138, 139 et s., 159-1, 160, 160-1, 162-1, 163, 163-1, 165, 165-1, 166, 169, 170, 199, 254-1, 264, 318, 337, 340, 346, 366, 430, 432, 496, 497. Weber 0- P.) 589, 632. Weber (Marianne) 138, 159-1.
Wechsler (R.) 725. Weigert (A.J.) 264. Weü (R.) 165-1, 170. Weill (P-) 239, 860. Weintraub (S.) 222-2, 223. Weisberg (H.) 395. Weiss (C. H.) 428. Wells (H. G.) 601, 755. Wenger 149. Wepsieg 0.) 159-1. Werkmeister (W. H.) 4, 264. Wertheimer (M.) 373. Western electric (experience) 250, 820, 824, 871. Cf. Maye. Westley (B.) 881. Whewell (W.) 71, 86. White (L. D.) 170, 416, 538. White (R.D.) 862, 878, 881, 884, 910-2. White (R. K.) 597, 609. White (R. W.) 478. Whitellead (T. H.) 860. Whiteley (P.) 416. Whitrng 0. G.) 197. Whitney (D. R.) 240, 241. Whyte (L.Jr.) 239.
Whyte (W.F.) 309, 312, 318, 539, 552, 554, 824, 825, 830, 833, 848, 860. Whyte (W. H.) 238-1, 239, 423, 428, 538, 765. Wiatr 0.) 239. Wiener (G.) 239. Wiener (N.) 405, 416. Wiens (A. N.) 725. Wiersmer 191. Wiese (Von) 127,136, 339, 386. Wiggins (L. M.) 811. Wikin (Y.) 181. WilczynsM 0.) 159-1. Wildasky (A.) 239. WilensM (H. L.) 170, 860. WilensM (J. L.) 860. WilMe 601. Willcox 215-1. Willemer (A. R.) 167, 167-1. Willems (E.) 159-1. Wilier (D. E.) 275, 329. William (P.) 170. William (R.) 580-1. Williams (A. F.) 725. Williams (J. A.) 725. Williams 0. D.) 401, 403, 416. Williams (R.M.jr) 159-1.
Williams (S. B.) 881. Williamson 222-1. Willner (D.) 264, 274. Wilson (A.) 881. Wilson (E. O.) 162-2, 170. Wilson (F. L.) 239, 415, 416. Wilson (W.) 421. Windelband (W.) 140, 271. Windelsham (L.) 580-1, 587. Winkin (Y.) 162, 170, 181. Winnicott 200, 202, 895, 910-2. Wirth (H.) 339. Wisan (G.) 170. Wiseman (H. V.) 395. Witmer (L.) 276. Wittfogel (K.) 239. WitkousM (N.) 86. Wittgenstein (L. de) 76-1, 86, 246, 910-2. Wolf (A.) 910-2. Wolf (A. H.) 159-1. Wolf (J.) 223. Wolfe (D.) 215-1. Wolfelsperger (A.) 222-2. Wolfenstein (E. V.) 238-1, 239. Wolff (C.) 26, 62.
Wolff (J.) 223. Wolin (S.) 239. Wolman (B. B.) 206, 207. Wölpe (JO 186, 198. Wong Siu-Lun 170. Woodrurn (E.) 628, 632. Woodford (MO 223. Woodward (J. L.) 632. Wool (H. K.) 223. Wootton (BO 159-1, 254, 264. Worms (R) 109. Worsley (P.) 264. Wright (J-MO 811. Wright Mills (C.) 239, 430. Wrightsman (L. S.) 329. Wrigley (E. A.) 219. Wrong (D. H.) 170. Wundt (W.) 74, 728. Wunsch (G.) 219. Wyatt (W. W.) 911. Wylie (L.) 552, 819, 860. Wynar (L. R.) 239.
X Retour à la table des matières
Xydias (N.) 860.
Y Retour à la table des matières Yamane (T.) 518. Yang (H. P.) 860. Yanowitch (M.) 170. Yates (F.) 518. Ymonet (M.) 159-1. York (James) 84-1. Young (K.) 198. Young (L. C.) 170. Young (O. R) 395. Young (P.V.) 159-1, 170, 518, 860. Ysmal (Colette) 239.
Z Retour à la table des matières Zajonc (R.B.) 198, 478, 862, 881. Zalba 860, 881. Zander (A.) 159-1, 486, 860, 881, 910-2. Zaninovitch (G.) 632. Zaslavsky (V.) 170. Zazzo (R) 728, 730, 766. Zeeman (C.) 84-1, 86. Zeisel (H.) 170, 473, 478, 554, 811.
Zeitoun 00 416. Zeldin (Th.) 170. Zelditch (M.J.) 170. Zelinsky (W.) 211, 214. Zempleni (A.) 725. Zenon d'Elee 1, 30. Zetteberg (H. L.) 25, 354, 395, 416. Zigouris 632. Zima (P-V.) 163-1, 170. Zimmerman (D. H.) 162-1, 170. Zingerle (A.) 159-1. Znaniecki (F.) 186, 271, 275, 453, 478, 576. Zola (E.) 196. Zolberg (A. R) 239. Zubaida (S.) 428. Zvorikine (A.) 170. 1 C'est nous qui soulignons. 2 A la première édition. 3 A noter qu'à l'essor des sciences sociales en France et en Allemagne (Durkheim, Mauss, Sim-mel, Weber) avant 1914 a succédé après la deuxième guerre mondiale le développemnt rapide aux États-Unis de la psychologie sociale. Développement dû aux émigrés d'Europe centrale (Lazarsfeld, Lewin, Marcuse, Moreno). Les grands débats sur les méthodes et sur les problèmes des techniques se situent durant cette période, d'où le maintien dans les bibliographies de nombreux ouvrages datant de cette époque (1950-1970). Depuis, les études dans chaque discipline portent surtout sur les problèmes actuels (Crozier, Durand, Touraine) sans grand débat de fond (sauf sur les éternels sujets de l'individualisme, du
holisme et du qualitatif). 4 H. Lefebvre (1971), p. 34. 5 G.L. I 81 in Lefebvre, p. 25. 6 In op. cit., p. 25. 7 Op. cit., p. 47. 8 Cf. n°! 11 et 129. 9 In H. Lefebvre (1969), p. 55. 10 Dialogue d'Hylas et de Philonoûs I, p. 8, in H. Lefebvre (1969, B. 4), p. 24. 11 Nouveaux Essais II 1. sec. 2 in H. Lefebvre (1969, B. 4), p. 25. 12 In op. dt.,(B. 4), p. 33. 13 L. Brunschvicg (1905). 14 La dispute entre idéalistes et matérialistes reprendra dès le xf siècle. L'œuvre d'Aristote, idéaliste, sera condamnée au xne siècle avant de régner à partir du XIIIe. 15 K. Marx, rééd. 1963, p. 50. 16 G. Picon (1957), p. 55. 17 Ce que conteste Merleau-Ponty : « Loin d'être comme on l'a cru, la formule d'une philosophie idéaliste, la réduction phénoménologique est celle d'une philosophie existentialiste » (1967). 18 Un exposé plus complet sur le marxisme trouvera sa place ultérieurement (cf. chap. III, section II, par. 2, n°s 128 et suivants). 19 Philosophe allemand critique de Hegel, a suscité la réflexion des marxistes. 20 Pour Marx, l'appropriation est un concept philosophique : l'activité qui se saisissant d'une
donnée concrète, d'une matière, produit des œuvres et les connaît en s'y reconnaissant 21 In H. Lefebvre, Encyclopédie, p. 100. 22 In L. Goldman (1959), p. 18. 23 In op. cit. 24 Téléologie : étude des fins. 25 Lénine discerne dans les derniers chapitres de la logique une volonté de réintégrer la pratique à la théorie. « Marx se rattache donc directement à Hegel, en introduisant le critère de la pratique dans la théorie de la connaissance. » Lénine, Cahiers philosophiques. 26 Cf. J. Hyppolite (1970). Sur Hegel (1970, B. 4). 27 Vladimir Illitch Oulianov dit Lénine. 28 Le postulat est un acte, il implique une position, une prise de parti comme l'avait déjà indiqué Marx. 29 Le problème des rapports entre logique et dialectique a préoccupé les Soviétiques vers 1930. Pour éviter de réduire la dialectique à la logique, le dogmatisme avait absorbé la logique dans la dialectique. Mais, pendant ce temps, les logiciens créaient des instruments nouveaux de connaissance et d'action : logique opérationnelle, cybernétique, théorie des jeux et de l'information. Ne serait-ce que pour des impératifs militaires, il fallait que les dialecticiens se plient à ces nouvelles exigences d'une logique qu'ils avaient voulu méconnaître. C'est alors que naquit, pour les besoins de la cause, la distinction entre la contradiction et l'antagonisme ou contradiction insurmontable. Cette distinction ne comportant pas de critère, permet de qualifier les situations réelles en fonction des nécessités politiques et de légitimer par exemple la coexistence pacifique. La difficulté consiste à concilier le mouvement dialectique avec le plan de la logique, celle de la vie, dans la mesure où elle correspond au principe d'identité et présente une certaine stabilité : cette
table est bien une table, elle a sa structure, elle a quatre pieds. Lefebvre propose d'assigner à la logique, l'étude des conditions de stabilité (relative), étude concrète, alors que la dialectique s'occuperait du devenir : disparition et formation, négation et création des structures. « Cette mise en place des domaines méthodologiques ne les sépare pas, elle évite qu'on les confonde et laisse ouvert le problème de leur articulation et des transitions de l'une à l'autre. » 30 H. Lefebvre (1971, B. 4), p. 17. 31 R. Carnap (1928). 32 K. Popper (1935, 1973), cf. n° 86. 33 A. Einstein (1952, B. 86). 34 Cf. Livre II, chap. II, sect. I, n°! 307 et suivants. 35 H. Lefebvre (1969, B. 4), p. 115. 36 Il distingue les jugements analytiques (rigoureux formellement, mais stériles) et les jugements synthétiques dans lesquels la pensée avance mais par la constatation d'un fait contingent essayant d'unir rigueur et fécondité. 37 (1969, B.4), p. 122. 38 Ontologie : science de l'être. 39 R. Robinson (1950), p. 131. 40 R. Blanche (1968, B. 4). 41 G. Gusdorf (1966), p. 12. 42 In op. rit, p. 12. 43 In op. dt, p. 13. 44 In op. cit., p. 15. 45 In op. dt, p. 17. 46 In op. dt, p. 28.
47 . Jusque-là section du baccalauréat ès lettres. 48 Histoire de la science (1957), p. 210. 49 Op. cit., p. 220. 50 Op. rit, p. 229. 51 Plutarque écrit de lui : « Archimède refusant généralement tout art qui apporte quelque utilité à le mettre en usage, vil, bas, et mercenaire, employa son esprit et son étude à écrire seulement des choses dont la beauté et la stabilité ne fussent aucunement mêlées avec la nécessité» in op. cit., p. 376. 52 Cf. R. Pernoud (1977). 53 A. Koyré (1973), p. 14. 54 Op. rit, p. 26. 55 O. rit, p. 30. 56 Op. cit., p. 42. 57 Op. cit. 58 Op. cit. 59 P. M. Schuhl (1949), G. Escat (1968). 60 R. Lenoble (1951), p. 129. 61 Op. cit.. 62 Op. rit., p. 95. 63 F. Bacon, trad. 1943, Novum Orgcmum II 7. 64 R. Blanche (1969), p. 39. 65 Novum Organum II 20 in R. Lenoble (1957), p. 436. 66 (N. O. III 3) in R. Lenoble (1957). 67 In op. cit., p. 447.
68 In op. rit, p. 431. 69 In op. rit, p. 444. 70 In op. rit, p. 445. 71 Op. rit, 451. 72 Op. cit., p. 477. 73 In R. Blanche (1969), p. 70. 74 Op. cit., p. 56. 75 Op. cit., p. 63. 76 Op. cit., p. 85. 77 Op. cit., p. 91. 78 Opère di Galileo Galilei in R. Lenoble (1957), p. 460. 79 In op. cit., p. 463. 80 In op. cit., p. 464. Husserl reprochera à Galilée d'avoir éliminé les qualités de l'objet et l'acte du sujet. Cf. « La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale ». Trad. Études philosophigues n° 4, 1949. 81 A. Koyré (1966). 82 De la même façon bien qu'avec plus de prudence, elle condamne les moyens anticonceptionnels, non en se limitant au plan éthique ou au plan médical, mais en se référant à une notion de nature imprécise et sujette à évolution. 83 H. Védrine (1976). 84 R. Lenoble (1957), p. 476. 85 Op. cit., p. 471. 86 Que l'on songe à la difficulté que l'on éprouve aujourd'hui à obtenir des observations précises et l'on imaginera l'effort à acomplir pour envisager la notion
d'exactitude à une époque où rares étaient les possesseurs de montres. En 1564 Viret parle de ces coqs que les gens d'armes emportent avec eux « lesquels de nuit leur servent d'horloge » in Koyré (1973), p. 373. 87 P. M. Schuhl (1947). 88 V. Ronchi (1959), pp. 142-158. 89 R. Blanche (1969), p. 8. 90 Cité in R. Lenoble (1957), p. 498. 91 R. Blanche (1969), p. 24. 92 In R. Lenoble (1957), p. 482. 93 R. Blanche (1969), p. 26. 94 Ethologie. A l'origine science des mœurs, des organismes, de leurs besoins vitaux et de leurs relations avec les autres organismes (biocenose, symbiose, parasitisme) aujourd'hui signifie seulement étude du comportement animal et de ses causes. 95 J.-P. Deleage (1992), p. 37. 96 C'est à un phénomène, d'une certaine façon analogue, que nous assistons aujourd'hui dans les sciences humaines (cf. sondages, tests, dynamique de groupe). 97 G. Bachelard (1960), p. 17. 98 Op. rit, p. 61. 99 Op. cit., p. 65. 100 Op. cit., p. 89. 101 Cf. les sarcasmes de J. Monod (1970) dans Le hasard et la nécessite contre Bergson etTeilhard de Chardin. 102 R. Blanche (1969), p. 149 et sq. 103 Dès 1847, H. Von Helmholtz (1821-1894)
s'appuyant sur le principe de causalité, découvre le principe de conservation de l'énergie, deuxième principe de thermodynamique. 104 A. Comte (1907). 105 E. Mach (1885), p. 204. 106 G. Bachelard (1965, B. 4), p. 20. 107 In R. Blanche (1969), p. 231. 108 In op. cit., p. 212. 109 In op. rit, p. 177. 110 Science et synthèse (1967), pp. 36-49. 111 M. Planck (1960), pp. 145-151. 112 InJ. Ullmo (1969), p. 92. 113 In R. Blanche (1969), p. 217. 114 A noter cependant que si la notion de finalité a disparu de la pensée scientifique, elle persiste encore en biologie, non comme intention extérieure mais parce qu'inscrite dans la structure interne de la cellule, cf. Monod, Le hasard et la nécessité (B, 66). Finalité pour laquelle est proposé le terme de « téléonomie », purgé de toute implication métaphysique. 115 Cf. R. Blanche (1969), p. 333. 116 Auquel nous empruntons les réflexions qui suivent. 117 F. Enriquez (1934) (B. 66) et s. 118 Op. cit., p. 33. 119 In R. Blanche (1969), p. 234. 120 J. Ullmo (1969), p. 200. 121 R. Blanche (1969), p. 238.
122 Le titre de positivisme ne doit pas entraîner de confusion. Le seul point commun avec A. Comte est la réaction contre la métaphysique. 123 L. Vax (1979), p. 7. 124 E. Engelman (1967), A. Janik (1973), J. Clammer (1976), D. Nicolet (1989). 125 P. Engelman, in Janik (1973). 126 Curieusement ce mouvement paraît au départ inspiré d'un empirisme anglo-saxon et il n'est pas surprenant qu'il ait été suivi en Grande-Bretagne et aux U.S.A. plus qu'en France (cf. n° 79). 127 T. Adorno (1979), Manifeste (1985). 128 Leurs disciples américains les plus connus sont N. Goodman, Nagel et Quine. 129 L Vax (1970), p. 42. 130 Op. cit., p. 44. 131 Fondateur de l'Association viennoise des philosophes empiristes. 132 In L. Vax, p. 72. 133 Op. cit., p. 100. 134 J. Ullmo (1969), p. 39. 135 Ceci a pu être comparé, de façon parfois peu rigoureuse, aux sciences sociales dans lesquelles la présence de l'observateur modifie l'observé. 136 L. de Broglie (1953), p. 64. 137 En réalité il ne s'agit pas d'une observation directe, c'est par une réaction en chaîne qui s'amplifie, que se manifeste le corpuscule. 138 In op. cit., p. 73. 139 In R. Blanche (1967), p. 74.
140 Autocritique de la science (1973), p. 82. 141 G. Bachelard (1968), p. 132. 142 Op. rit, p. 95. 143 In R. Blanche (1969), p. 273. 144 A. Boutot (1993) L'invention des formes, p. 10, Odile Jacob, 375 p. Livre passionnant auquel nous empruntons une part des informations qui suivent. 145 G. Bachelard, 2= éd. 1973, Le pluralisme cohérent de la chimie moderne, Vrin. 146 J. Gleick (1989), La théorie du chaos, Albin Michel, p. 21. C'est nous qui soulignons. 147 A. Boutot (1993), p. 23. 148 La théorie des catastrophes est due au mathématicien anglais Cristopher Zeeman, cf. (1980). 149 A. Boutot (1993), p. 28. 150 R. Thom (1991), Prédire n'est pas expliquer, Estel, p. 11, 12. 151 Né à Varsovie en 1924, émigré aux États-Unis en 1950. 152 Cf. les mathématiciens B. Riemann et N. Lobotchevski. 153 A. Boutot (1933), p. 47. 154 Né à Moscou en 1917, a fait toute sa carrière en Belgique. Prix Nobel de chimie en 1977. Connu du grand public par son ouvrage : La nouvelle alliance (1979, 2e éd. 1986) rédigé en collaboration avec une chimiste et philosophe des sciences : Isabelle Stengers. 155 Exemple d'expérience in Prigogine, op. cit., et Boutrot (1993), p. 48 et s. 156 Period three implies chaos, 1975. Amer. Math. Monthly 82, p. 985-992.
157 Cf. David Ruelle, Hasard et chaos (1991), O. Jacob, 245 p. 158 Il est probable que le terme chaos comme celui de catastrophe a joué dans cette mode un rôle non négligeable. 159 On a dit que la turbulence était « le cimetière des théories scientifiques ». 160 Physicien soviétique. 161 « [...] il me faut parler du rôle dévastateur des modes dans la science contemporaine, rôle plus important aux États-Unis qu'en France, plus important en physique qu'en mathématique [...]. Le problème n'est plus de convaincre les collègues que vos idées controversées représentent la réalité physique. Le problème est de battre la concurrence par tous les moyens et d'accéder ainsi à la notoriété... et aux crédits de recherche» (David Ruelle, 1971, p. 94-95). 162 A. Boutot, op. cit., p. 69. On distingue le réductionnisme externe : le phénomène évolue soumis à des facteurs extérieurs, et le réductionnisme interne : le phénomène bien qu'il semble évoluer de lui-même est en fait dépendant de facteurs internes d'un niveau d'organisation inférieur. 163 Cf. R. Thom (1974), Modèles mathématiques de la morphogenèse, 2e éd., Bourgeois, 1980. 164 Cf. A. Boutot, p. 83. 165 Du grec holon: tout. 166 Cf. en particulier les structures dissipatives de Prigogine dans lesquelles la population des molécules se structure « comme si chaque molécule était informée de l'état de l'ensemble du système », La nouvelle alliance, p. 291. 167 A. Boutot (1993), p. 93. 168 A. Boutot, op. cit., p. 15. 169 G. Bachelard (1968), p. 3. Nous serions tentés,
Bachelard nous en donne l'exemple, d'ajouter dans le langage de l'imaginaire. 170 Cf. J.-J. Chevallier (1949, 1979). 171 Cf. ].-]. Chevallier (1970). 172 L. Althusser (1969), p. 23. 173 Son livre, Les Principes d'une science nouvelle fut traduit en français par Michelet en 1824 sous le titre Les Principes de la philosophie de l'histoire. 174 J.-J. Chevallier (1949), J. Starobinski (1957). 175 R. Aron (1967, B. 159 bis) p. 66. 176 C. de Montesquieu (1949, 1951, B. 104). 177 R. Aron (1967, B. 159 bis) p. 29. 178 C. de Montesquieu (1945, 1951), Préface à l'Esprit des Lois. 179 Hegel en reprenant la notion de totalité a reconnu ce qu'il devait au génie de Montesquieu. 180 Elles étaient en partie établies d'après les affichages publics des enterrements. 181 J. Piaget (1965, B. 159 bis) p. 69. 182 1458, arrivée aux Indes de Vasco de Gama par l'Afrique du sud, 1492, découverte de l'Amérique par C. Colomb, Magellan fait le tour de la terre en 1520. L'Italien Pigafetta chargé du récit de l'expédition rapporte de nombreux détails ethnographiques. Conquête du Pérou en 1527 par F. Pizarre. Les missions se multiplient avec des comptes rendus détaillés des mœurs indigènes. Le xvm"1 siècle voit s'organiser les explorations auxquelles sont attachés les noms de Cook, La Pérouse, G. Vancouver. A. de Humbolt, un précurseur, affirme la nécessité pour l'européen de se libérer de la culture gréco-latine pour comprendre les sociétés archaïques. 183 En revanche, l'évolutíonnisme darwinien a exercé une influence directe sur la psychologie.
184 Le terme de société civile est utilisé pour la première fois en Grande-Bretagne par a. Ferguson : History of civil Society (1766), avant de connaître le succès grâce à son utilisation par Hegel puis les marxistes. 185 J. Piaget (1970) in Tendances, 1" partie. 186 La société est un organisme vivant sujet à des lois naturelles : coopération, division du travail, etc. 187 In G. Duncan Mitchell (1968), p. 58. 188 In op. cit., p. 61 189 A. Comte (1907-1908), Cours de philosophie positive, 6 vol. : Schleicher Frères, éd. 190 A. Comte éd. 1963. Discours sur l'Ssprit positif, coll. 10/18, 186 p. 191 In P. Arnaud (1969), p. 7. 192 In op. rit. 193 Cours IV p. 231 in P. Arnaud, p. 94. 194 Dans cette œuvre si riche, la plupart des commentateurs négligent cet aspect. Aussi faut-il apprécier la part qui lui est faite par P. Arnaud, auquel nous ferons de nombreux emprunts. 195 In Arnaud (1969), p. 18. 196 In op. cit., p. 14. 197 In op. rit, p. 17. 198 In op. cit., p. 10. 199 In op. cit., p. 70. 200 Op. cit., p. 97, Cours IV p. 334. 201 In op. cit., p. 35. 202 In op. cit., p. 37.
203 In op. cit., p. 102. Cours IV p. 345. 204 In op. cit., p. 110. Cours IV p. 259. 205 In op. cit., p. 23. Appendice du tome IV. 206 La notion de compréhension se retrouve, amplifiée, chez les auteurs allemands, en particulier chez Weber. Cf. n° 141. 207 Op. cit., p. 119. 208 Certains passages de Comte font penser à G. Gurvitch (1957), P. Arnaud imagine ce qu'aurait été l'œuvre de ce dernier si au lieu de s'attacher à retrouver chez Saint-Simon les préliminaires de la sociologie moderne, il avait consenti à les découvrir chez Comte, évitant ainsi d'avoir à le recommencer. 209 P.Arnaud (1969), p. 19. 210 In P. Arnaud, p. 42. 211 In op. cit., p. 198. 212 In op. cit., p. 191. 213 In J.-J. Chevallier (1949, B. 104), pp. 223-241. 214 A. de Tocqueville, cf. Œuvres complètes. 215 R. Aron (1967), p. 229. 216 Op. cit., p. 229. 217 In J.-J. Chevallier (1949), p. 229. 218 R. Aron (1967), p. 239. 219 V. Pareto, cf. Œuvres. 220 Cf. Aron (1967), pp. 407-495. 221 G. Perrin (1966). 222 Il les divise en six classes : instinct de combinaisons, persistance des agrégats, expression des sentiments, discipline collective, défense
individuelle, résidus sexuels. 223 Affirmations, autorité, principes, preuves verbales. 224 Cf. n° 384. 225 La loyauté, résidu II, peut amener au pouvoir d'autres personnalités que les résidus I, intrigants. C'est l'opposition entre les lions et les renards. 226 R. Aron (1967), p. 482. 227 Op. cit., p. 485. 228 E. Durkheim (1985). 229 Il est juif et fils de rabbin. 230 E. Durkheim (1967), p. 59. 231 Cf. nos 542 et s. et 561 ainsi que la bibliographie n° 580 bis. Maxwell (1978), Baudelot (1984), Taylor (1982), Merllié (1992). 232 Nous sommes en 1895 et Durkheim est juif. 233 Durkheim les considère comme des prédécesseurs non comme des précurseurs. 234 In G. Canguilhem (1970), p. 440. « Ce n'est pas un grand physiologiste, c'est la physiologie » dit J.-B. Dumas à V. Duruy le jour des obsèques de C. Bernard. 235 J. Michel (1990), p. 230. 236 En ce qui concerne la méthode expérimentale, ce sont toutes les sciences sociales qui commela médecine seront influencées par C. Bernard. 237 Durkheim (1895), p. 103. 238 Op. cit., pp. 111, 112. 239 « Est-il permis d'aller jusqu'à l'individu en respectant le point de vue sociologique de la même manière que la physiologie arrive à la cellule sans
abandonner le terrain expérimental ? » J. Michel (1990), p. 241. 240 Disciple et neveu de Durkheim, cf. n° 124. 241 J.-C. Chamboredon (1984). 242 Sans doute peut-on avec R. Aron reprocher à Durkheim l'ambiguïté du terme et sa tendance à confondre concept et réalité. La contrainte est-elle l'essence des faits ou une manifestation qui permet de reconnaître les faits sociaux ? R. Aron (1967), p. 365. 243 E. Durkheim (1895), op. cit., p. 5. 244 Op. cit., p. 11. 245 C'est la raison pour laquelle Durkheim s'est intéressé aux problèmes d'éducation. 246 Op. cit., p. 101. 247 Op. cit., p. 109. 248 Op. cit., p. 95. 249 Op. cit., p. 90. 250 Op. cit. Préface 2" édit. p. xn, xiii. 251 Op. cit., p. 15. 252 Op. cit., p. 124. 253 Op. cit., p. 132. 254 Cf. n° 384. 255 Cf. la discussion entre Simiand (durkheimien) et l'historien Seignobos. 256 J. Madge (1967), p. 14. 257 Le métier de sociologue de P. Bourdieu (1968) est très inspiré de Durkheim et la réédition des œuvres de ce dernier marque le nouvel intérêt qu'il suscite. 258 Halbwachs (1963 et 1970).
259 (1950) Avec une importante préface de LéviStrauss. 260 M. Mauss (1969). 261 J. Cazeneuve (1968), p. 3. 262 C. Lévi-Strauss. Préface Mauss (1950), p. xxxm. 263 De ce fait sa tâche était plus difficile que pour Montesquieu ou Comte. 264 Mauss pense que le terrain de la psychopathologie serait favorable à un travail interdisciplinaire entre psychologues et sociologues, montrant ainsi sa voie à l'école américaine (M. Mead). 265 M. Mauss (1950). 266 G. Gurvitch (1957), p. 536. 267 M. Mauss (1950), pp. 151 et 164. 268 C'est lui qui avait indiqué à Mauss l'importance de cette notion. 269 Op. rit., p. 275. 270 In ). Cazeneuve (1968), p. 15. 271 « Mauss sait tout » disaient ses étudiants. 272 Il est regrettable comme le note R. Boudon (1979, B. 170) que cette notion de totalité soit souvent mal comprise. En langage de système, elle signifie que le sociologue devra « éviter d'analyser isolément une relation, lorsque celle-ci est prise dans un ensemble de relations formant un système. » 273 Ne pas confondre avec Max Weber son frère. 274 G. Gurvitch (1957). Vol. II, chap.XII. 275 R. Aron (1967), p. 178. 276 H. Lefebvre (1968), op. cit., p. 17. 277 C'est nous qui soulignons. K. Marx (1965):
278 Le Manifeste du Parti Communiste in Œuvres (1965). 279 Guxvitch indique que le concept de classe, encore vague dans L'idéologie allemande, in Œuvre (1965) oppose les urbains aux ruraux dans Misère de la philosophie, tandis que dans le Manifeste il distingue cinq classes. Aron (1967) p. 189 cite le Capita! (Livre III, chap. 48 et 193) dans lequel les classes au nombre de trois : salariés, propriétaires fonciers et capitalistes sont définies par la place occupée dans le processus de production. Dans Les luttes de classes en France (1848-1850) cherchant à définir l'influence des groupes sociaux sur des événements particuliers, Marx distingue les bourgeoisies financière, industrielle, commerçante, la petite bourgeoisie, la classe paysanne, la classe prolétarienne et le Lumpenprolétariat (sous prolétariat). Enfin dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte (1969), il insiste sur le fait que même des groupes exerçant la même activité économique ne constituent pas forcément des classes sociales. Il faut qu'il y ait « prise de conscience » de l'unité du groupe et de la séparation, de la différence, de l'opposition aux autres groupes, pour qu'existe une classe. 280 Cf. J. Baudrillard (1968). 281 K. Marx (1970). 282 G. Gurvitch (1957), p. 224. 283 A. Cuvillier (1967), p. 70. 284 In Œuvres complètes (1965). 285 Dans Le marxisme, qui, paradoxalement, insiste davantage sur ce point que le recueil sur La sociologie de Marx, où la méthode, au sens où nous l'entendons ici, est passée sous silence. 286 Cf. M. Bourguin in A. Cuvillier (1967). 287 Depuis l'analyse de condamnations à propos d'un fait divers de vol de bois, en passant par les réflexions sur le code civil, ou l'histoire des différents types de société.
288 Enquête publiée par Marx dans la Revue Socialiste du 20 avril 1880, in Œuvres complètes, p. 1527. La critique du questionnaire constitue un bon exercice de travaux pratiques, 289 P. Lascoumes (1984). 290 G. Duncan Mitchell (1968), 291 Double négation dans le style universitaire français I 292 Ne correspond pas au radicalisme français, c'est aux États-Unis un mouvement d'opposition et de contestation. 293 F. Tônnies (1887). 294 Op. cit., p. 119. 295 G. Simmel (1981 et 1984). 296 L. Deroche-Gurcel (1988). 297 Cf. R. Boudon et F. Bourricaud (1982). Considéré même comme précurseur de l'eth-nométhodologie du fait de son intérêt pour la vie quotidienne. 298 R. Aron (1935), p. 52. 299 H. Gerth (1945), R. Bendix (1960). 300 Vis-à-vis de son père qui mourut quelques jours après une discussion avec lui et vis-à-vis d'un ami dont il épousa la fiancée. 301 Cf. A. Mitzmann (1970). Attachement à sa mère. 302 Cf. le récit de sa vie par Marianne Weber (1926). 303 M. Green. Cf. l'idylle de Weber avec Else Jaffe (1974). 304 Salomon in G. Gurvitch (1947), p. 603. 305 Nomos = universel. 306 Idio = individuel (cf. n° 271).
307 P. Lazarsfeld (1970, B 104) rappelle que Weber a lui-même dirigé d'importantes enquêtes. 308 In J. Freund (1968), p. 36. 309 In op. cit., p. 251. 310 In op. cit., p. 81. 311 L'historien Droysen l'a employée la première fois en 1850. 312 M. Weher (1965), p. 345. 313 Op. cit., p. 345 et s. 314 En Allemagne particulièrement développée sous une forme très physiologiste. 315 InJ. Freund (1968), p. 85. 316 Wirtschaft und Gesellschaft in J. Freund, op. dt, p. 86. 317 Pour Durkheim (cf. n° 119) l'action sociale est définie par des manières de penser collectives s'imposant à l'individu. 318 Nous retrouverons des analyses du même ordre à propos des rôles comme attente cf. Livre III. 319 J. Freund (1968), p. 122. 320 A. Weber (1919, 1922, 1969), A. N. Sharlin (1974), R. Brubaker (1984). 321 Axiologique : qui a trait aux valeurs, mais traduction critiquable d'après Nommsen. 322 W. Nommsen (1985). 323 Cf. la sociologie compréhensive, T. Burger (1976). 324 Cf. n° 340. 325 En 1968, Habermas à son tour sera conspué.
326 Cf. P. Lazarsfeld (1970), p. 228 et s. 327 Nous rappelons les enquêtes déjà citées de Weber et Tônnies. 328 « Mon but est de me limiter à la description des choses comme elles sont » in C. Booth (1902). 329 A l'origine de la première loi limitant la durée du travail des enfants. 330 Il avait étudié la philosophie avec Vierkandt à Heidelberg et il était docteur en philosophie de l'université de Strasbourg, cf. D. Breslau (1983). 331 A. Davis et J. Dollard (1940). 332 J. Dollard (1937). 333 Cf. n° 196. 334 J.-P. Durand (1989), p. 206. 335 Id. 336 Probablement «d'accommoder». 337 In J.-P. Durand, op. rit. 338 Ouvrage auquel nous empruntons une part des réflexions qui vont suivre. 339 N. Herpin (1973), p. 8. 340 « On ne peut pas, en effet, à la fois faire passer dans les mœurs des employeurs le recours aux sociologues et garder sa liberté d'appréciation et d'engagement politique » écrit N. Herpin, op. rit, p. 8. 341 Certains mêlent la sociologie aux autres sciences humaines, d'autres l'érigent en discipline fondamentale, les troisièmes ne sont d'accord que pour la distinguer des autres sciences. 342 Op. cit., p. 173. 343 Ce que confirme son titre : Les sociologues américains et le siècle.
344 Op. cit., p. 39. 345 Op. rit, cf. ri" 363. 346 L'opposant le plus connu est C. W. Mills (1959). 347 Elle inspire le structuro-fonctionnalisme et les diverses variétés de systémismes (cf. n° 381). 348 J.A. Ciarlo (1981). 349 W.L. Wamer (1941, 1942. B. 860). 350 Dans la vivante présentation du dernier livre de Goffman, Y. Winkin (1984) auquel nous empruntons de nombreuses informations, donne des détails sur le caractère et la biographie de Goffman et le compare à Woody Allen, « l'un et l'autre sont profondément pathétiques ». 351 Communication conàuct in an Island commmity. 352 Il crée volontiers des concepts sans les définir. 353 La notion de système implique pour Parsons « l'interdépendance des éléments qui forment un ensemble lié, dans lequel les mouvements et les changements ne peuvent pas se produire d'une manière désordonnée, et au hasard, mais sont le fruit d'une interaction complexe, d'où résultent des structures des processus ». 354 C'est ainsi que se qualifiait Parsons lui-même. 355 Il ne semble pas avoir été analysé, ce qui est curieux pour un être si complexe, vivant aux ÉtatsUnis. Pourtant dans un mémoire, il commente des tests projectifs. 356 Le chap. III de sa thèse s'intitule « comportement linguistique ». 357 Y. Winkin (1984). 358 M. Gluckman (1968, B. 181), cf. E. R. Leach (1984). 359 In Y. Winkin (1984).
360 W. Herpin (1973). 361 Op. cit., p. 70. 362 E. Goffman (1956), p. 239. 363 Cf. n° 871. 364 E. Goffman (1961), H. Becker (1963). 365 B. Tumer (1974), R. Gordon, D. Doyle (1977), D. H. Zimmerman (1978). 366 In Sociétés (1984), p. 6-10. 367 In Sociétés, op. rit, p. 10. 368 H. Garfinkel (1967, 1968, 1986). 369 Goffman déclare : « Ne croyez pas Garfinkel quand il raconte comment il a crée le mot : c'est de la foutaise » in Y. Winkin (1984). 370 H. Weber insistait déjà sur le sens du vécu par l'acteur social, sans être taxé de psychologisme ou d'individualisme. 371 Issu des travaux des savants britanniques, 372 Les radicaux américains demandaient même l'exclusion de l'Université des chercheurs de la tendance de Wilson. 373 Un groupe d'économistes croyait pouvoir déduire de la sociobiologie l'impossibilité de la victoire des régimes marxistes trop peu adaptés aux lois biologiques naturelles. Pour plus de détails et un point de vue moins critique, cf. Boudon et Bourricaud (1982, B. 159 bis). 374 Nature, 11 juin 1968. 375 M. Horkheimer (1933,1974), M. Jay (1973), P. V. Zima (1973), M. Hirsch (1975), j. Habermas (1981-1982). Bïbliography of Germon sodology (1980). 376 Fromm écrivant en anglais fut le plus lu. Marcuse
exerça une grande influence, qui le surprit lui-même, sur la jeunesse universitaire. Adorno fut surtout connu par son étude sur la personnalité autoritaire (1 B. 278). 377 In Esprit (mai 1978), p. 52. 378 In op. rit, 379 Toujours se demander à propos d'une théorie à qui et à quoi l'auteur s'oppose, contre qui et quoi il veut lutter. 380 Cf. n° 77. 381 In Esprit (mai 1968). 382 J. Habermas (1986-1987). 383 Ses positions politiques trop modérées pour l'extrême gauche, trop à gauche pour les conservateurs n'ont pas été bien comprises en particulier des étudiants qui lui reprochaient de ne pas croire l'époque révolutionnaire et de n'être pas l'ennemi de la social-démocratie. 384 Né en 1927 à Lunebourg, Luhmann commence une carrière de juriste et de philosophe. Il étudie la théorie des organisations à Harvard où il rencontre Habermas et Parsons. De retour en Allemagne, il obtient un doctorat de sociologie et devient professeur à la nouvelle université de Biclefeld. Il obtient en 1984 la « Hegel preis » pour l'ensemble de son œuvre. 385 Cf. Ignosio Isuyguiza (1990) et A. Gras (1990) auxquels nous empruntons l'essentiel de ces indications. Cf. A. Gras pour la bibliographie 386 Cf. ses attaques contre la vieille pensée européenne. L'importance qu'elle accorde à l'acteur la rendent incapable de comprendre la société contemporaine. Point de vue qui a naturellement suscité de violentes critiques. 387 D'après Heinz von Forster, les systèmes cybernétiques sont des systèmes capables de s'observer eux-mêmes et de modifier leur
comportement à travers cette observation. 388 Pour Luhmann, l'évolution n'est jamais causale et n'implique pas de progrès. Elle est simplement « triomphe de la nouveauté ». 389 Le nombre de participants donne une idée de l'intérêt porté à la sociologie. U.R.S.S. : 300 délégués, Bulgarie : 500, Pologne : 174, Hongrie : 74. 390 La plupart des délégués étaient des démographes, économistes, ethnographes, philosophes devenus sociologues. 391 Nous empruntons les informations qui suivent aux notes de mission de Patrick Champagne (1991). 392 Nous empruntons les informations qui suivent à l'excellent article d'Elisabeth Sieca (1994). 393 Par exemple dans sa lutte contre l'alcoolisme. 394 Par exemple à propos de la libéralisation des prix. 395 En octobre 1992, il réclamera dans la presse d'être payé pour les enquêtes qui lui ont été commandées et dont il a déjà fourni les résultats. 396 Passer du rôle de fournisseur de statistiques tronquées à celui de chercheur recueillant des faits, construisant un objet sociologique, implique une souplesse d'esprit à laquelle le marxisme-léninisme n'a pas préparé les sociologues russes. 397 P. Champagne (septembre 1991). 398 La loi de l'audimat et la recherche du best-seller ne représentent-ils pas pour la culture des obstacles aussi sérieux que la censure du parti ? 399 Principaux instituts et centres de recherches : L'Institut de sociologie de Moscou : Directeur Professeur Tadov. Les thèmes dénotent l'intérêt du pouvoir pour la justice sociale, l'enseignement, les loisirs, etc. Financement 1/3 par l'État, 1/3 par l'étranger.
L'Institut de sociologie et l'Institut de philosophie dirigé par A. Roubtzov s'intéresse surtout à l'opinion («ethno-idéologie»). Institut du mouvement ouvrier international (Moscou) : Dir. Professeur Shubkine, s'intéresse à la bureaucratie. L'Institut d'ethnologie de Moscou : Dir. Professeur Shkarakap, étudie les populations du Caucase. L'Institut d'étude de l'opinion publique : récent, dirigé par la sociologue Tatiana Salavskaïa et Boris Grouchine (25 centres). L'Institut travaille en collaboration avec les Etats-Unis sur la politique intérieure et les problèmes de travail, de démographie. Vax Populi fondé en 1990 par B. Grouchine juge la technique des questions empruntée à l'Ouest mal adaptée à la population russe. Saint-Pétersbourg dispose d'une tradition plus ancienne que Moscou. Institut des problèmes sociaux et économiques. Institut de sociologie issu du précédent, dirigé par le professeur Firsov. Il s'intéresse aux questions culturelles. L'Institut d'ethnographie dirigé par le professeur Tchistov spécialisé dans l'étude des Slaves orientaux, s'est progressivement intéressé aux problèmes urbains, aux minorités qui suscitent aujourd'hui des réactions d'opposition chez les extrémistes. Le Centre d'étude des processus sociaux créé par Léonid E. Keselman, lui aussi transfuge de l'Institut de sociologie de Moscou s'intéresse « aux comportements sociaux standard » et aux enquêtes d'opinion (auditoires de radio, attitudes vis-à-vis du putsch). Centre de sociologie de Samara dirigé par un jeune sociologue, Dimitri Zaverchinski. Étudie l'opinion publique dans le domaine politique et la pédagogie. Certains sondages sont payés par les Américains.
400 P. Bourdieu (1987). 401 P. Bourdieu (1989). 402 L'ouvrage consacré à l'Université Homo academicus (1984) constitue un bon exemple de ce type de recherche comportant trois moments : réduction, repérage, développement (cf. P. Angsart 1990). 403 P. Bourdieu (1987), p. 23. 404 P. Bourdieu (1980). 405 Bourdieu (1980). 406 Les stratégies de reproduction retiendront particulièrement l'attention de Bourdieu et de ses élèves (cf. école, institutions, etc.). 407 « Pourquoi le capital symbolique est-il tantôt conçu comme capital au même titre que les autres et tantôt comme un supercapital qui assure la reconnaissance de tous les autres ? [...] Et de fil en aiguille, n'est-ce pas toute la théorie des champs se profilant à l'arrière-plan qui elle-même demande à être redéfinie ? » se demande J.-P. Durand (1989), p. 204. 408 P. Bourdieu (1987). 409 P. Bourdieu (1968). 410 Le terme de holisme semble avoir été utilisé pour la première fois par le général Jan Christian Smuts (1870-1950) homme d'État sud-africain, dans un ouvrage de philosophie : Holism et évolution paru en 1926. 411 P. Birnbaum et J. Leca (1986), H. Brochier (1987), J. Michel (1982). 412 R. Boudon (1988). 413 J.-P. Durand et R. Weil (1989) pensent que les modèles mathématiques et la logique formelle étudiées par Boudon, son absence de travaux sur le terrain, l'ont conduit à ces positions trop abstraites.
414 Cf. également : G. Gurvitch, J. Duvignaud, E. Morin, C. Rivière. 415 G. Balandier (1971), pp. 225-230. 416 Braudel (1976, B.207). 417 H. Lefebvre, cf. sa distinction entre complexité verticale suivant les époques et la complexité horizontale mêlant les structures contemporaines. 418 .Etude du vieillissement des organes chacun, à son propre rythme, différent selon les individus. 419 Ces réflexions n'ont pas bénéficié d'un effet de mode (cf. le structuralisme) mais comme elles paraissent plus proches de la réalité, de la vie ! 420 Cf. A. Touraine (1955 et s.) in bibliographie. 421 In P. Ansart (1990), p. 57. 422 Sur l'importance du concept d'historicité chez Touraine, cf. A. Melucci (1975). 423 A. Touraine (1973), p. 437. 424 A. Touraine (1972), p. 272. 425 Op. rit, p. 346. 426 Pour une étude de la pensée complexe et évolutive de Touraine cf. P. Ansart (1990), ]. Dubost (1990), J.-P. Durand (1989) et A. Melucci (1975). 427 Les étapes de sa réflexion se traduisent par le changement de libellé de son laboratoire qui de Sociologie industrielle, devient, en abordant l'étude plus large de la société, Centre d'étude des mouvements sociaux (1970), pour devenir en 1984 le Centre d'action et d'intervention sociologiques (C.A.D.I.S.). 428 A. Touraine (1980), p. 426. 429 « L'homme moderne ne peut agir qu'à travers et au sein de grandes organisations » in M. Crozier. Préface à March et Simon. Les organisations Dunod,
2e éd., 1969. 430 Sa conception diffère de celle de Weber qui reconnaît tout de même l'aspect positif de « rationalisation des activités collectives » de la bureaucratie. 431 M. Friedberg (1981), E. Crozier, p. 333. 432 In ].-P. Durand (1989), p. 133. 433 Ce n'est pas non plus par hasard. 434 Cf. critique de R. Sainsaulieu (1981). 435 Cf. J.-P. Durand (1989), p. 212. 436 G. Durand (1964, 1969, 1984). 437 Op. rit. (1964), p. 89. 438 M. Maffesoli (1985), p. 5. 439 M. Maffesoli (1988), p. 182. 440 Je tiens à remercier particulièrement Sabine Erbès-Seguin (sociologie du travail), Pierrette Rongère (droit social) et Evelyne Serverin (sociologie du droit) pour l'aide qu'elles m'ont apportée, en références, informations et réflexions. 441 « La source essentielle de tout droit est toujours la conscience commune », von Gierke. 442 Pour des réflexions juridiques sur l'avenir du contrat A. Jeammaud (1988). 443 En partie encore aujourd'hui. 444 Les successeurs de Mayo se montrent sur ce point plus restrictifs encore (cf. P. Desmarez, 1986, 81). 445 P. Tripier, in Durand, 1969, p. 359. 446 G. Friedman (1962), p. 26. 447 M. Crozier (1956, 1971).
448 A. Touraine et B. Mottez (1962), t. II, 235. 449 J. H. Goldthorpe et al. (1969). 450 Il semblerait que l'itinéraire familial et professionnel antérieur à la situation de travail considérée, Joue un rôle plus important que les éléments de cette situation. 451 Traité de sociologie du travail (1986). 452 Alors qu'en 1982, 70% des jeunes hommes (21-25 ans) et 60% des jeunes femmes occupaient un emploi à plein temps à durée indéterminée, ces pourcentages n'étaient plus que de 53 et 48 % en 1990 (cf. Heller 1990). 453 Les effets de cette politique libérale intéressent non seulement la sociologie du travail mais aussi la science politique, tandis que les juristes vont se livrer à des interprétations du texte lui-même. Cf. Thérèse Aubert-Monpeyssen (1995). 454 R, Salais et Thévenot eds. La notion de convention proposée (cf. n° 222-1) conserve la notion dé volonté du contrat mais y ajoute son aspect extérieur collectif et institutionnel. 455 A noter le trouble des patrons apprenant qu'il existait des sociétés où la notion de travail n'existait pas (Marie-Noëlle Chamour, cf. Le Monde 19/VII/95). L'anthropologie aussi intéresse la sociologie du travail (1994). 456 (1995) Le travail dans vingt ans, éd. O. Jacob, 373 p. 457 La difficulté de communication entre juristes et sociologues a été signalée, cf. M. Grawitz (1960). 458 Sur l'analyse des relations entre juristes et sociologues sur la question de la place de la sociologie du droit, v. E. Serverin (1985). 459 A. Touraine propose ainsi un schéma de relations entre les quatre grandes écoles de la sociologie, autour des thèmes dominants de chacune d'entre elles (intégration, conflit, système, action), ce qui
permet de situer les oppositions, sans en abolir la diversité. A. Touraine (1986). 460 G. Gurvitch (1968) opposait les juristes dits «sociologues» (Hauriou, Levy, Levy-Brûhl, et J. Carbonnier), aux véritables sociologues (Durkheim, Weber, Ehrlich, ou lui-même, 1968). Il récusait la prétention des juristes à faire œuvre scientifique alors que leur démarche était purement positiviste. 461 L. Duguit (1889). 462 P. Lascoumes (1991). 463 (1993) sous le mot « pluralisme ». 464 Pour une analyse plus complexe de la règle de droit, v. A. Jeammaud (1990). 465 Programme K.O.L. (knowledge and opinion about law), Conseil de l'Europe, 1968. 466 V. la bibliographie proposée sur ce point par P. Lascoumes dans le Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, sous le mot « Effectivité ». On relèvera l'étude de J.-F. Perrin (1977). Pour une critique d'ensemble du concept, v. P. Lascoumes, E. Serverin (1986), p. 101 et s. 467 Sur cette expression, v. P. Lascoumes, E. Serverin (1988), p. 165 et s. 468 M. Weber, Economie et société, Pion, 1971, p. 4-23. 469 P. Pharo (1985), p. 120. 470 La mise en évidence de ce « sens visé » peut se faire à différents niveaux : soit subjectivement, eu, réalité,.'par-un agent, soit par un ensemble d'agents, soit par un type construit conceptuellement. Weber, op.'cit, p. 6-7 et .supra, n° 141. 471 M. Weber, Économie et société, p. 321. 472 ]. Freund (1968), p. 215. 473 P. Ladrière (1993), p. 197 et s.
474 M. Weber (1986), p. 43. 475 M. Weber, ibid., p. 230. 476 M. Weber, ibid., p. 228. 477 G. Gurvitch (1940), p. 19 et s. 478 Pour des exemples de la mise en œuvre des concepts wébériens dans ce domaine, v. E. Serverin, P. Lascoumes, Th. Lambert, 1987, et F. Soubiran (1987). 479 Y. Dezalay (avril 1991). 480 Le terme de progrès garde une connotation trop optimiste, trace des notions évolutionnistes. 481 Lasswell et son fameux « qui dit quoi, à qui, par quel moyen, avec quel résultat ? ». Cf. n0! 596 et s. 482 Alemond, Easton considèrent la communication comme un ensemble de processus interactifs entre les éléments d'un système politique et entre un système et son environnement. 483 G. EL Mead (1934), Edelman (1988), enfin Goffman pour lequel il s'agit surtout d'une action stratégique. 484 Centrée comme la précédente sur une conception relationnelle de la communication (inter-actionnisme symbolique) et une conception praxéologique (interactionnisme stratégique). 485 J. Gerstlé propose de distinguer à l'intérieur de la communication politique une dimension pragmatique concernant émetteur et récepteur, une autre symbolique visant le pouvoir d'évocation des rites, signes, mythes, enfin un aspect structurel concernant les moyens permettant la circulation de l'information. 486 On renvoie son étude à l'analyse du contenu dont elle représente l'application la plus fréquente. 487 Utilisé sur le plan international. 488 Les noms des principaux ethnologues français d'avant 1914 ont été cités à propos de la sociologie.
489 En 1859 à Paris, création de la Société ethnographique, suivie d'une Société des américanistes. Société de géographie, École_ anthropologique élargissent leur domaine à l'interprétation des faits sociaux, enfin création de l'École française d'Extrême-Orient (1898). 490 L'essentiel de ces réflexions s'inspire de l'article de V. Karady (1988). 491 E. Durkheim (1895 B 159 bis). 492 M. Mauss (1968 B 159 lis). 493 R. Bastide (1971) se demande si l'évolutionnisme n'est pas une rationalisation ou justification après coup de la colonisation. 494 Maine vécut aux Indes et compara les droits romain, indien et anglais. 495 Il reçoit un grattoir à peau tasmanien et le fait essayer par son boucher. 496 Ses deux ouvrages les plus importants sont £arly history ofmankind ani the Development of civilisation (Londres 1865) et Primitive culture (1871). Certains contestent son rattachement à l'école évolutionniste. 497 A. Kardiner (1961), p. 142. 498 N. M. Hart (1957), p. 545. 499 D'origine allemande, il étudia d'abord la physique, la géographie et les mathématiques. 500 The mina of primitive man (1911). Primitive Art (Oslo 1927). 501 Anthropology (1923). 502 Guide des Indiens de Californie (1925). 503 Ce qui explique son opposition à Freud. 504 B. Malinowski (1922, 1929, 1933, 1944, 1985). 505 In A. Kardiner (1966), p. 219.
506 Cf. l'article « culture » in Pncyclopedia ofthe Social sciences, considéré comme le manifeste du fonctionnalisme (1931). 507 Trad. 1985. 508 Il passa six ans en Australie dont deux dans les îles Trobriand. 509 In Kardiner (1966), p. 245. M. L. Wax (1971 B. 860). 510 In A. Kardiner, op. cit., p. 238. 511 La petite histoire raconte que l'Université de Harvard également voulait inviter Radcliffe-Brown, et lui écrivit, mais Chicago télégraphia et l'emporta. Que serait-il advenu de l'évolution de l'anthropologie américaine si le contraire s'était produit ? 512 A. R. Radcliffe Brown (1952). 513 Contesté depuis, cf. D. Freeman (1983). 514 G. Linton (1947, 1960). 515 T. In N. M. Hart (1957), p. 546 516 In op. rit, p. 548. 517 G. Balandier (i960). 518 G. Balandier (1963, 1967, 1971). 519 Martine Segalen (1989) à laquelle nous empruntons de nombreuses remarques. 520 Cf. A. P. Cohen in M. Segalen, op. cit. 521 L'individualisme dont l'Angleterre aurait été le berceau serait à l'origine de cette uniformité. Peutêtre ceci explique-t-il aussi qu'actuellement il ne soit pas question d'intégration des anciens peuples colonisés vivant en Grande-Bretagne... même s'ils possèdent la nationalité britannique. Formule qui si elle n'évite pas la révolte des intéressés évite du moins le rejet par les autochtones.
522 M. Segalen, op. cit., p. 11. 523 Op. cit. 524 Op. cit. 525 A comparer avec le n° 882 sur les buts de l'intervention active en psychosociologie. 526 in M. Segalen. 527 Déviant behavior très étudiée par les Américains. 528 Comme le note Balandier, les bouleversements qui affectent aujourd'hui certaines régions d'Afrique et d'Asie, en voie d'industrialisation, offrent aux sociologues des conditions expérimentales d'observation qui sont pour eux exceptionnelles. Cah. Int. Soc. 1956, xxi, pp. 114, 127. 529 C. Lévi-Strauss (1954), p. 116. 530 g. Balandier in G. Gurvitch, Traité (1960 B 159 bis), p. 113. 531 J. Dubost, à qui nous empruntons des réflexions qui suivent (1982). 532 S. Moscovici (1984) préfère psychologie sociale pour la discipline et l'adjectif psychosociologique pour désigner ses méthodes. 533 Nous signalerons ces recherches aux chapitres les concernant ou pour illustrer l'expérimentation. 534 Cf. E. Maccoby et al. (1947), D. Krech et R.S. Crutchfield (1948), R. Daval et al. (1963), J. Maisonneuve (1951, 1973), Denise Jodelet et al. (1970), S. Moscovici (1972). 535 E. Apfelbaum (1981). 536 Psychic factors in civilisation (1893). 537 G.H. Mead (1934, B. 181). 538 Cf. n° 882.
539 Cf. n° 873. 540 Cf. n° 830. 541 Behavior = comportement. Cf. E. Ions (1976). 542 Un chien qui salive en absorbant de la poudre de viande (stimulus inconditionnel S. I.) salivera même sans viande, en entendant une cloche (stimulus conditionnel S. C), si le son de celle-ci a été régulièrement associé à la prise de viande 543 Impulsion, indice, réponse, récompense ou renforcement. 544 CL. Hovland et al. (1949, B. 860). 545 La Douceur (1989). 546 R. Daval et al. (1963), p. 237. 547 Cf. P. Bourdieu et al. (1968, B. 170). 548 Cf. M. Scheerer (1954). 549 Cf. E.E. Sampson in J. Guergen (1980), p. 498, J. R. Eiser (1980), K.J. Guergen (1984), F.J. Varela (1988). 550 La prédiction est faite à partir d'une analyse factorielle. 551 Conatif qualifie un acte de volonté impliquant un effort, 552 Cf. n° 743. 553 Cf. n° 771 : la personnalité autoritaire. 554 In A.H. Maslow (1954, B. 478). 555 (B. 478). 556 G.W. Allport (1968) in Lindzey. Handbaak of social psychology. 557 Cf. n° 186.
558 Né en Allemagne en 1890, émigré aux États-Unis en 1934, mort en 1947 (1936, 1948,1951, B 478). 559 Cf. 882 bis. 560 (B. 181). 561 In J. Stoetzel (1963), p. 111 562 In op. cit 563 Cf. Livre III. № 730. 564 On retrouvera certaines expériences concernant ces divers niveaux aux chapitres des techniques. 565 Modification déjà intervenue au Québec. 566 L'exemple du sommeil et de ses pathologies qui encore partagé entre divers spécialistes (pneumologie, O.R.L., etc.) tend à devenir une discipline à part entière. Enfin la sociologie elle-même a donné l'exemple en se séparant de la philosophie. 567 Op. cit. 568 G. Le Bon (1895, 1910), Y.J. Thiec (1981). 569 E. Zola et surtout H. Taine (1887). Voir sur cette période l'excellent ouvrage de Suzanna Barrows (1981). Elle indique que Les origines de la France contemporaine peuvent être considérées comme « la bible de tous les penseurs réactionnaires et le plus cité des psychologues des foules ». 570 Hitler et Mussolini s'en seraient, dit-on, inspirés. 571 Freud (1921, B. 202). 572 Cf. W. Reich (1952, B. 910), G. Mendel (1968, 1980, B. 910 ter). 573 Y.J. Thiec (1981). 574 K. Lang et G. Lang (1968). 575 « On a vraisemblablement réuni sous le terme de foule des formations très différentes qui ont besoin
d'être distinguées », Freud (1923, B. 202), p. 141. 576 Cf. w. Reich, (1948,1952, b. 910 ter), d. Riesman, w. Komhauser (1959, b. 170), g. Rude (1959). 577 R. Mandrou (1968). Cf. Faire de l'histoire (1974, b. 207). 578 Une très importante bibliographie comportant surtout des articles de revues américaines introuvables en France ! 579 Les travaux de cet auteur sont si nombreux que nous les citerons à propos de chacun des domaines et des techniques auxquels ils se rapportent. 580 Freud demeurera toute sa vie une libéral. 581 Vers 1870 près de la moitié des journalistes, médecins et avocats sont juifs, sans parler de leur contribution à l'extraordinaire richesse de la vie intellectuelle (Kafka, Malher, etc.). 582 Proposé pour le Prix Nobel. 583 Il y parvint grâce à l'intervention de deux de ses disciples, Jones en Grande-Bretagne et Marie Bonaparte en France. 584 Son expérience du milieu lui ayant appris à quel point ses collègues s'opposaient aux idées nouvelles. 585 Sur le rôle d'Adler, cf. Stepansky (1983). 586 Jung comme non juif et suisse servait aussi de caution. Il était, déjà l'auteur d'une œuvre "importante quand il.rencontra Freud. Ce n'était donc pas un disciple comme d'autres. 587 les scissions (cf., n° 200-1) continuent à être une des caractéristiques de la psychanalyse. 588 Dans quelle mesure la personnalité de Freud favorisait-elle ce climat passionnel ou ses disciples intéressés par la psychanalyse souffraient-ils de sensibilités particulières ? Ne venaient-ils pas à Vienne pour soigner leurs névroses ? Le recrutement des analystes ne sélectionne pas sur des critères de
tolérance et d'équilibre. 589 Au sens propre signifie purge ; au sens figuré, se libérer. 590 Le « nounours » par exemple. 591 Pour des précisions cf. Omicar, 1976, 1977. 592 Plaisanterie classique rappelée par RJaccard (cf. Le Monde; dimanche 2 août 1981, p.XI) « Le névrosé bâtit des châteaux en Espagne, le psychotique croit y habiter, le psychanalyste récolte les loyers ». 593 Cf. pour K. Popper, la psychanalyse pas plus que le marxisme n'étant réfutable ne peut être considérée comme une science. 594 Cf. Luce Irigaray (1977), S. Viderman, J. van Rillaer. 595 In Lasswell (1930, B. 239) et in L. D. White (1956, B. 170). 596 E. Fromm (1941, B. 554). 597 A. Kardiner (1946, B. 181). 598 R. Linton (1947, B. 181). 599 S. de Beauvoir dans Le deuxième sexe a beaucoup emprunté à H. Deutsch. 600 G. Gusdorf (1960), p. 409. 601 Op. rit, p. 410. 602 G. Halphen, L'histoire en France depuis cent ans, in G. Gusdorf, op. rit, p. 415. 603 N. D. Fustel de Coulanges (1888), p. 32-33. 604 In G. Gusdorf, p. 421. 605 C. Langlois (1897), p. 44. 606 Cf. P. Goubert.
607 F. Chaunu (1975, 1978). 608 Cf. M. Couturier (1966), N. Rashewsky (1968), F. Furet (1974). 609 F. Braudel (1960, 1976), G. Duby (1980). 610 F. Braudel (i960), W. S. Cahnman (1964), j. Kon (1970). 611 W.S. Cahnman (1964). 612 J. Strayer (1957), N. Rostow (1959), A. Dupront (1961), M. Grawitz (1985). 613 J.M.Lewis (1968). 614 N. D. Brown (1959), B. B. Wolman (1971), S. Friedlânder (1975). 615 R. Robin (1973). 616 G. Duby (1961), R. Mandrou (1968). 617 j. Le Goff (1961). 618 A. Corbin (1988). 619 P. Lazarsfeld (1957, B. 170). 620 Cf. R. Mandrou (1968), M. Grawitz (1985). 621 P. Veyne (1971, 1976). 622 P. George (1961, 1970). 623 La petite histoire raconte que les jeunes filles n'ayant pas le droit d'assister aux cours de l'Université, elle les suivait dans une petite salle attenante, dont la porte demeurait ouverte (cité in P. Claval (1964) p. 39). 624 Cité in op. cit, p. 51. 625 Op. cit., p. 52. 626 M. Sorre (1943, 1954, 1957).
627 P. Haggett (1965), p. 468. 628 M. Twain. Tom Sawyer abroad (1896) cité in Haggett, p. 13. 629 A noter la confusion qu'entraîne le terme anglais landscape : paysage, alors que le terme allemand correspondant : Landschaft, signifie à la fois paysage et région. 630 Vidal de la Blache (1922), Jean Brunhes (1925), Max Sorre (1943). 631 W. Isard (1956), R. Ponsard (1955). 632 P. Claval (1973, 1984), A. Fremont (1984). 633 Cf. n° 869. 634 L'axiomatique a pour objet la déduction rigoureuse d'une série de résultats à partir de quelques axiomes (ou hypothèses de travail) en nombre minimal. Elle relie logique et mathématique. 635 P. Haggett (1973), p. 344. 636 W. Zelinsky (1970) et le n° 238. 637 Aux États-Unis on comptait 1 300 géographes en 1949, 2 700 en 1963 et 6 994 en 1975. La soixantaine de géographes français de 1957 passe à 330 en 1960 et à plus de 600 en 1987. 638 Auquel nous empruntons l'essentiel des informations concernant les nouvelles géographies 639 La géographie féministe, la géographie du bienêtre sont issues de ce courant. 640 P. George (1961, 1966, 1970). 641 P. Pinchemel (1982), p. 362. 642 Op. cit, p. 363. 643 Cf. l'écologie. 644 L'écologie soulève le même problème.
645 Les Français ont été des pionniers en matière d'études régionales. 646 Seulement, le drame des formations historiques données dans un cadre universitaire, dans une optique d'enseignement plus que de recherche, c'est de produire des individus tournés vers le passé et craintifs devant tout engagement d'avenir, sanctionné par les faits. Pourtant la dimension historique est indispensable sinon l'on a affaire à des techniciens à formation limitée. 647 La société de géographie a plus d'un siècle. 648 Académie des Sciences, XVIF Congrès International de Géographie, Leningrad (1956). 649 P. George (1961), p. 340. 650 P. George (1961), p. 343. 651 50 auteurs et une importante bibliographie. 652 Importante bibliographie. 653 A. Sauvy (1956). 654 L. Henry (1966, 1980, 1981). 655 R. Pressat (1967, 1971, 1973, 1977, 1979, 1985). 656 H. Le Bras accuse l'INED de faire le jeu du Front National alors que pour Michèle Tribalat, seules ces données permettent de lutter contre les discriminations, (cf. Le Monde 6 novembre 1998). 657 La démographie a déjà bénéficié des possibilités offertes par les machines : prévision, simulation, etc. Cf. P. Vincent (1964). 658 A. Girard (1960, B. 159 bis, 1984). 659 Il sera intéressant pour les psycho-sociologues d'observer à long terme l'influence, sur le comportement féminin, de l'élimination du risque de fécondité involontaire, par l'amélioration des procédés contraceptifs.
660 C. B. Nam (1982). 661 Il est surprenant de constater le peu d'intérêt des économistes pour ces problèmes. En France, seul René Passet (1979, 1995) en voit l'importance. 662 Les graphiques de 1993 des Nations unies sont rassurants parce qu'ils fixent leur point de départ en 1950, alors que c'est la longue durée qui révèle le danger. Les projections faites par l'O.N.U. se sont révélées inexactes. Malgré les moyens sophistiqués utilisés, les chiffres annoncés pour l'avenir sont toujours en dessous de la réalité. En 1951 la prévision est de 3 500 millions d'habitants en 1980, Or le chiffre est atteint en 1965. Pour éviter de continuelles rectifications, on a modifié àla hausse les résultats prévus... au moment où justement s'amorce la baisse (1974) 111 663 On peut relever des affirmations opposées chez des hommes supposés informés. A. Peyrefitte considérant la seule population française déclare qu'elle est trois fois moins dense qu'elle ne devrait l'être, tandis que C. Lévi-Strauss (1992) dans une vision planétaire écrit : « Depuis que l'homme est sur cette terre nous n'avons jamais atteint ce degré de folie. » 664 Reprise par Pearl (1930) et Lotka (1956) elle a connu un grand succès. 665 Dans un article intitulé Doonsday Friday (Le jour du jugement dernier). 666 Cf. i. Steedman (1989). 667 H. K. Betz (1988). 668 M. Ricketts (1989). 669 J. Schumpeter (1908, 1914, 1963). 670 J. E. King (1989). 671 S. Bowles, R. Edwards (1989). 672 Le Mouvement antiutilitariste dans les sciences sociales a publié le bulletin du M.A.U.S.S. devenu en
1989 la Revue du M.A.U.S.S., éditions La Découverte, Paris. 673 J. Wolff (1975). 674 C. Menger (1883), pp. 15-17. 675 R. Cubeddu (1985). 676 L. yon Mises (1949), p. 3. 677 F. von Hayek (1953), p. 53. 678 J. Schumpeter (1963), p. 72. 679 Op, cit., p. 40. 680 Marc Guillaume et al., Le sommeil paradoxal de l'Économie Politique 1989, p. 8. 681 S. Bowles, R. Edwards (1989). 682 H. Guitton (1951), p. 26. 683 J. Marchai (1955), p. 325. 684 C. Lévi-Strauss (1954), p. 650. 685 J. Robinson (1972). 686 R. Lucas, T. Sargent (1983). 687 P.E. Earl (1989), H. Simon (1982). 688 R. Lucas (1989). 689 L'Économie des conventions, avec les contributions de J.P. Dupuy, F. Eymard-Duvernay, O. Favereau, A. Orléan, R. Salais, L. Thévenot, cf. Revue Économique, vol. 40, n°2, mars 1989. 690 R. E.Lucas (1989), p. 188. 691 Cf. n° 187. 692 O. Favereau (1989), p. 89. 693 Neil Smelser et Richard Swedberg (1994).
694 C. Roland-Lévy et P. Adair (1998). 695 Joseph Stiglitz (1986). 696 Olivier Blanchard et Jeffrey Sachs (1982). 697 J.-P. Bénassy (1982), E. Malinvaud (1983). 698 G. Mankiw (1985). 699 Pour un panorama d'ensemble, voir A. Perrot (1995). 700 J.-J. Laffont (1991). 701 M. Woodford (1986) ; R. Guesnerie et J.-J. Laffont (1988). 702 Russel Cooper (1999) ; Vincent P. Crawford et Bruno Broseta (1998). 703 Glenn Ellison (2000). 704 Les premiers cours sont assurés par les professeurs Prelot à Clermont-Ferrand et J.-J. Chevallier à Paris. 705 Les Américains ont, avant nous, perdu beaucoup de temps à discuter des limites de la science politique. Elle est devenue « ce que font les politicar srientists». 706 Sur l'évolution en France de la science politique, cf. les excellents articles de P. Favre (1983, 1985). 707 D. Easton (1965). 708 P. Favre (1980, 1983), M. Abeles (1983), P. Braud (1985). 709 Nous adoptons ici le point de vue développé par J. Leca (1973). 710 Cf. les débats sur l'interruption de grossesse ou en France le statut de l'école. 711 Op. cit.
712 P. Birnbaum (1975), P. Bourdieu (1977), P. Braud (1985), J. Lagroye (1985). 713 Cf. n° 500 sur les limites des sondages de ce qu'ils recueillent et de ce qu'ils fabriquent. 714 Influence du suffrage universel sur le comportement de l'homme au pouvoir et les luttes et stratégies qui accaparent l'énergie des présidentiables et de leurs partisans. 715 Cf. critique par M. Duverger (1973) de l'ouvrage d'Almond (1965). 716 Nous renvoyons à la science politique moderne pour la suite. 717 On s'est rattrapé depuis ! 718 A rappeler le rôle de pionnier joué par A. Siegfried en sociologie électorale. Dès 1913 son Tableau politique de la France de l'Ouest sous la III' République indiquait une orientation à suivre et une méthode à perfectionner. 719 Sous la direction de P. Touchard, puis G. Lavau, S. Hurtig et A. Lancelot. 720 Cf. l'excellent article de Jean Leca (1985). 721 P. Bourdieu (1977) (critique par F. Bon) (1980), P. Champagne (1988) 722 M. Crozier (1971) (critique par J. Leca) (1980). 723 Cf. 382 et s. 724 H. Arendt (1951), R. Aron (1980), P. Ansart (1989). 725 J. Rawls (1972). 726 Cf.n°!356 et s. 727 Cette théorie «invisible» en 1952 inspire 40ans plus tard, 15 des 41 articles publiés par l’American Political Science Review.
728 Cf. Ansart (1983). 729 Il serait intéressant d'étudier le profil des politologues adeptes de la théorie des choix rationnels. 730 Ils n'emploient plus le terme de théorie. 731 1995, p. 127. 732 G. F. Friedman (1950, B. 170), p. 32. 733 Cf. M. Crozier (1971 et s., B. 170). 734 Madeleine Grawitz (1958 et s., 1985), F. I. Greenstein (1969, 1971), E. V. Wolfenstein (1969), Jeanne Knutson (1972, 1973). 735 Journal of the International Society of Political psychology. Los Angeles. 736 In M. Grawitz (1985), Traité, tome III, chap. I. 737 G Thoenig (1985) in Traité, tome IV. 738 J.-P. Dufour, L'environnement entre science et politique. Le Monde, 20 janvier 1993. 739 Cette confusion amène à intituler écologistes à la fois les scientifiques étudiant l'écologie et à tort les militants ou même sympathisants des partis se réclamant de l'écologie. 740 Les géographes se plaignent également pour les mêmes raisons (cf. n° 211-212). 741 De 1950 à 1985, la quantité de pesticides a été multipliée par un facteur 20, celle des engrais chimiques est passée de 14 millions de tonnes à près de 140 millions. Depuis le début des années soixante, en France comme en Grande-Bretagne, les taux de nitrate ont augmenté en moyenne de 0,15 mg/l/an. Mais le coût de l'élimination du nitrate serait moindre que la baisse de production... alors ? in Deleage (1992), p. 272. Dès 1930, J. Ellul, professeur de Droit et B. Charbonneau, professeur de Géographie à Bordeaux avaient commencé une croisade qui n'a pas eu de succès face au marxisme à la mode.
742 Pourtant bien des voix s'étaient élevées contre les dangers de la technique. 743 La proportion des technocrates y est trop importante. 744 Cf; l'attitude vis-à-vis de la sexualité. 745 L'Église n'a jamais évoqué le respect des animaux, des paysages. Saint François d'Assise et saint Roch, moins connu, sont des exceptions. Les lions qui ont épargné sainte Blandine méritaient tout de même un satisfacit. Cf. L. Jr. Whyte (1967) selon lequel la victoire du christianisme sur le paganisme a rompu le pacte des hommes avec la nature. Peutêtre... mais la technocratie capitaliste et matérialiste a probablement joué un rôle encore plus important. 746 C'est ce qui oppose en France les Verts qui refusent la participation au gouvernement aux membres de génération écologie qui l'acceptent. Les contraintes du type de scrutin les obligent à s'unir aux élections législatives de mars 1993 pour entrer au Parlement. Les Allemands ont depuis longtemps pris la décision de constituer un parti. 747 La conférence de Rio (1992) ne semble pas avoir eu beaucoup d'influence ni sur l'opinion, ni sur les décisions. 748 Cf. Nick Robms (1992). 749 On note aux États-Unis l'apparition « de permis de pollution » cessibles, vendus par les industries polluant en dessous des normes autorisées aux entreprises plus polluantes. Ce marché scandaleux, négation de l'attitude souhaitable est sur le point d'être accepté en France. Le refus des produits industrialisés fabriqués sans respecter les normes pourrait servir de prétexte à un protectionnisme camouflé 750 Cf. Le Monde, 10, 11, 12 et 13 juin 1992, « La France écolo ». 751 Et une formation de la jeunesse. Or à Rio les tables rondes chargées d'étudier « le rôle de l'éducation dans la prise de conscience des questions
d'environnement auraient été constituées « in extremis et en dépit du bon sens » selon plusieurs observateurs. Cf. Le Monde, 4 juin 1992, p. 13, j. m. Dumay. 752 Cf. Le Monde, 29 décembre 1992, r. Cans « Greenpeace multinationale verte ». 753 Cf. note 1, p. 265. 754 Comporte une abondante bibliographie. 755 Stratégies énergétiques, biosphère et société (S.e.b.e.S.). 756 J. Lyons (1968) 1. 2. 757 G. Mounin (1970), III. 758 A. Martinet (1986). 759 N. S. Troubetzkoy (1949). 760 A. Martinet (1960, 1969, 1986). 761 Noam Chomsky (1957, 1975, 1980, 1982). 762 N. Chomsky (1982). 763 J.-C. Milner (1978, 1982). 764 A. Culioli (1973, 1981). 765 E. Benveniste (1966,1974). 766 R. Jakobson (1949) 767 J. L. Austin (1962), F. Recanati (1981). 768 F. Recanati, op. rit. 769 O. Ducrot (1972, 1984), J. Moeschler (1985). 770 C. Kerbrat-Orecchioni (1986). 771 J. J. Gumperz (1972, 1989). 772 E. Goffmann (1981), J. M. Peterfalvi (1970), H.
Hormann (1971). 773 J. Moeschler (1985), B. Gardin (1974), J. J. Gumperz (1972, 1982), Langages n° 11. 774 Théories du langage (1979). 775 J.J. Gumperz (1972, 1982). 776 P. Charaudeau (1983). 777 . D. Maingueneau (1976,1987), langages n" 62, 71, 81. 778 Cf. n° 167. 779 A. H. Maslow (1949), pp. 273-278. 780 Ashley Montagu (1952), p. 238. 781 Barbara Wooton (1950), E. R. Hilgard and D. Lernerin Lasswell and Lerner (1951, B. 239), P. H. Furly in Gross. Symposium (1959, B. 25), R. S. Lynd (1968). 782 A. Comte (1907, B. 159 bis) p. 214 tome IV. 783 Cf. M. Weber, n0! 142-143. 784 V. Kelle (1970). 785 K. Kautsky, La conception matérialiste de l'histoire, cité in E. Lowy (1972) p. 14 auquel est empruntée une part de ces réflexions. 786 Op. cit., E. Lowy, p. 20, suggère que revendiquer l'indépendance du travail scientifique est un moyen d'échapper aux « impératifs politiques changeants du paru ». 787 R. Bastide (1950, B. 202). 788 Op. rit (B. 170), p. 6. 789 R.J. Samuelson (1967). 790 Ceci demeure vrai pour l'ensemble de la sociologie américaine.
791 A. Gouldner (1970), p. 25. 792 Ceci est moins vrai depuis quelques années. L'enseignement de la sociologie a bénéficié du développement de l'enseignement supérieur et recrute nombre d'étudiants parmi ceux qui n'ont pas de motivations précises. 793 Il est tentant d'ironiser sur ce que le célibat des prêtres catholiques a évité à la sociologie française I 794 Une enquête faite aux États-Unis montre que sur les 3 441 réponses reçues des 6 762 sociologues américains, 27,6 % soit plus du quart, avaient pensé devenir pasteurs. Les fonctionnalistes étaient un peu plus nombreux dans cette catégorie. 795 Ces questions ont naturellement suscité une abondante littérature. 796 Il convient de noter la mise en garde se'rieuse de S. M. Lipset (1972, B. 170) contre certaines affirmations concernant l'esprit « conservateur » des sociologues américains les plus connus. 797 Ce qui explique sans doute le succès de Marcuse. 798 Le terme « irrelevant » est plus fort. 799 A comparer avec des résultats identiques en France. 800 Z. Katz (1971, B. 170). 801 Dans sa leçon inaugurale au Collège de France. 802 Le1er Congrès international des africanistes (Dakar 1967) réclamait une africanisation de la recherche qui a progressé depuis.. 803 I.L. Horowitz (1968). 804 On distingue trois tendances: ceux que les responsabilités sociales de l'anthropologie n'intéressent pas, ceux qui pensent que les contestataires ont raison de soulever le problème, enfin ceux qui veulent aller plus loin pour des raisons politiques. I Wallerstein (1971), p. 142.
805 J. M. Lewis in Les Temps Modernes (1970). 806 Op. cit., p. 1153. 807 Sociologie et socialisme (1969), Les Temps Modernes (1970), J. Copans (1970), H. Magdaff (1970), Sociologie et contestation (1970). 808 Entre 1958 et 1968, l'A.P.S.R. a publié 3 articles sur les crises urbaines, 4 sur les conflits raciaux et un sur la pauvreté 1 D. Easton (1969), I. Wallerstein (1971). 809 Aux États-Unis, les économistes ont plus que d'autres échappé à cette crise de conscience. Cependant une Union of radical political Economy (U.R.P.E.) s'est constituée à la fin de 1968. Elle s'appuie sur des mouvements de contestation assez hétérogènes. 810 (1965, B. 159 bis). 811 Tendances de la recherche (1970, B. 170), p. 589. 812 Cognitivisme, psychanalyse, marxisme, fonctionnalisme, structuralisme, etc., etc. 813 Auquel nous empruntons une part de ces réflexions. 814 Théories moyennes de Merton, cf. n° 353. 815 L'expérimentation ou l'argumentation n'ont alors plus pour but de contrôler (cf. C. Bernard) mais de démontrer. 816 J. Attali, M. Guillaume (1974) et surtout M. Bartoli (1992) qui dénonce le caractère délibérément réducteur de la science économique qu'il veut ouvrir à la multidimensionnalité. 817 M. Pages parle de « disciplines-moignons ». 818 Éditeurs, média et même l'université. 819 Robert Pages, psychosociologue homonyme de Max Pages.
820 M. Pages prône « l'analyse dialectique » (1990), cf. sur la dialectique nos 393 et 394. 821 Sur les notions d'autonomie relative, de problématique multiple, cf. M. Pages (1986). 822 Cf. E. Morin (1990). 823 Mais il faut aussi se méfier des emprunts au niveau du langage. Ex. : la regrettable invasion de termes économiques en science politique. 824 Le terme conduite par exemple. 825 M. Pages, op. cit. (1990). 826 Les Américains utilisent le terme de procédures là où nous employons méthodes (au pluriel), mais cette substitution n'ajoute aucune clarté. C'est ainsi que John C. Me, Kinney in H. Becker and A. Boskoff (1957, B. 170) distingue cinq procédures faisant partie de la méthodologie des sciences : les procédures statistique, expérimentale, typologique, historique et l'étude des cas. Cette liste n'est ni complète ni homogène. Comment situer sur le même plan la statistique, la méthode expérimentale et la méthode des cas ? 827 Sur cette notion de méthode liée à la logique et à l'épistémologie, cf. n° 377, Livre I. 828 Cf. n0! 356 et s. 829 La méthode pour gagner est une stratégie. 830 Idiographique = individuel ; nomothétique = universel. Ces termes ont été empruntés par All-port au philosophe allemand Windelband 831 Cf. H. Z. Lopata (1976), également la bibliographie du n° 580 bis. 832 G. W. AUport (1951). 833 L. Gottschalk (1954).
834 Clyde Kluckhohn (1954). 835 R. Angelí (1954). 836 Y. Lemel (1984). 837 G. Granger (1967), p. 185. 838 Cf. également n° 580-1. 839 L'expression a été utilisée pour la première fois en 1896 par L. Witmer, psychologue américain. 840 A. Rey (1964), G. Granger (1967), E. H. Schein (1987). 841 D. Lagache (1949). 842 psyché = âme, soma = corps. Médecine qui concerne les fixations organiques des conflits psychologiques. 843 In G. Granger (1967). 844 Op. cit., p. 190. 845 . (b. 478). 847 Une confusion parallèle se retrouve dans les termes : nombre et numéro. Le numéro n'est pas tout à fait un nombre, il ne peut s'additionner mais il indique un ordre. Il n'existe en espagnol, qu'un terme : numéro, en anglais number, pour exprimer les deux idées. 848 Ceci n'est pas toujours aussi simple qu'on le pense. 849 W. Mills (1959, B. 170), p. 77. 850 In P. Bourdieu (1968, B. 170). 851 Il existe aussi des moyens mathématiques pour mesurer la fidélité, nous ne pouvons les développer ici. 852 Les Anglo-Saxons l'appellent : « face validity ».
853 Grâce à une manipulation, un calibrage. 854 Mais une critique de la quantification dans les sciences sociales américaines, telle que celle de P. Sorokin (1956) perd sa valeur du fait de son exagération. 855 P.O.Q. = Public opinion Quarterly. 856 C. Bernard lui-même, souvent rendu responsable de cette division, reconnaissait l'importance de l'idée « qui est le mobile de tout raisonnement en science comme ailleurs » et il insistait sur le fait « qu'il y a un enchevêtrement tel entre ce qui résulte de l'observation et ce qui appartient à l'expérience qu'il serait impossible [...] de vouloir analyser dans leur mélange inextricable chacun de ces termes p. 44 (1923) 857 P. Bourdieu et al. (1968), 858 M. Grawitz (1965). 859 Ce n'est pas un hasard qu'une femme ait la première, mis en doute la valeur de la distinction. 860 P. Bourdieu et al. (1968), p. 35. 861 E. Durkheim (1895, B 159 bis). 862 On peut regretter qu'il revête trop souvent l'aspect d'un « coup de bâton » et d'un règlement de comptes. Une pensée sereine eût été un exemple plus efficace d'une sociologie sans prénotions... et sans ressentiments. 863 P. Bourdieu et al. (1968), p. 30. 864 E. Durkheim (1895, B, 159 bis), p. 34. 865 Op. cit., p. 35. 866 M. Mauss, rééd (1969, B, 159 bis). 867 G. Bachelard (1968, B, 4), p. 61. 868 P. Bourdieu et al. (1968).
869 M. Mauss (1950, B, 159 bis). 870 « Des politesses, des festins, des rites, des services militaires, des femmes, des enfants, des danses, des fêtes, des foires. » M. Mauss, op. rit. 871 J.-C Chamboredon (1971). 872 P. Bourdieu et J.-C. Passeron (1964). 873 Remarque faite par Saussure. 874 G. Bachelard (1938, B. 4). 875 L'opérationnisme a tout de même été utile pour rendre la terminologie plus objective, et apprécier les hypothèses en fonction de leur façon de rendre compte de la réalité. 876 P. Bourdieu et al. (1968), p. 61 note 2. 877 Le mot « variable », issu des mathématiques, est lié à l'idée d'une classification métrique ou mesure. Dans les sciences sociales le terme est plus large. La classification selon le sexe, l'âge, le statut économique, correspond à ce que l'on appelle communément des variables. 878 R. Boudon et P. Lazarsfeld (1965). 879 Op. cit., Lazarsfeld reprend ce schéma dans différents articles. 880 L'idée générale consiste, écrit P. Lazarsfeld, à étudier les relations entre indicateurs à l'aide des mathématiques ; à définir ce que l'on pourrait appeler la puissance d'un indicateur, comparativement à un autre, à doser sa contribution, en le pondérant dans le cas particulier de la mesure que l'on se propose d'effectuer. La notion d'indicateur s'est étendue, en perdant de sa rigueur, au domaine économique et surtout social. La bibliographie sur ce thème s'est considérablement accrue mais ne concerne pas directement notre propos. 881 H. Touzard (1967). 882 L'indicateur est l'élément révélateur quantifiable
alors que l'indice implique une pondération et une quantification d'un ensemble. 883 Corrélation cf. annexe statistique. 884 Item signifie question posée. 885 Le vocabulaire anglais manque de précision. On trouve « proxy » ou « index » pour indicateur alors que « index number » correspond à indice. - Ici indicateur est traduit par indice dans l'édition française. Nous préférons pour éviter toute confusion conserver la distinction indicateur, indice suivant les définitions données. (Cf. n° 310 note 3.) 886 P. Boudon et P. Lazarsfeld (1965). 887 Cf. M. Mauss, Œuvres III, p. 209. 888 E. Goffman (1961, B. 312). 889 W. F. Whyte (1943, B. 312). 890 Sans parler de la façon dont sont établies les statistiques et les catégories. Cf. n° 562 et A. Desrosières (1985, 1986, B. 580 bis). 891 Institut français d'opinion publique. 892 Société française d'études par sondages. 893 Cf. n? 284. 894 Cf. n° 310. 895 La théorie est plus large puisque c'est un système d'explication intégrant plusieurs hypothèses. 896 D'où la difficulté pour le chercheur auquel on reproche de trouver ce que tout le monde savait déjà ou, s'il démontre qu'il s'agit de préjugés, d'être asocial. 897 Contrairement au préjugé concernant les avantages de la mère au foyer. 898 C. Bernard (1865, B. 86), p. 593.
899 Cf. n°s 861 et s. Les exemples d'expérimentation sur le terrain et en laboratoire. 900 Op. cit., p. 124. 901 Le concept de classe, étranger à l'Angleterre du xvuE siècle, cf. P. Lasslett (1969). 902 In A. H. Barton (1961). 903 P. Lazarsfeld (1961) in Lipset, Sociofogy today, pp. 115-122. 904 C.W. Mills (1959). 905 Ici interviennent des processus de « réduction », permettant de combiner les types en groupes moins nombreux. 906 In A. H. Barton (1961), p. 108. 907 G. Gurvitch (1958, b. 354), tome i, p. 23. 908 G. Gurvitch (1956), p. 10. 909 R. Girod (1956), p. 105. 910 J. Piaget (1950), p. 199. 911 H. Lefebvre (1956), p. 34. 912 M. Mauss (1950), p. 147. 913 J. Piaget (1950), p. 201. 914 H. Lefebvre (1955), p. 63. 915 G. Gurvftch écarte la notion de loi en sociologie pour retenir la possibilité de régularités tendancielles, par exemple tels symptômes économiques, politiques et sociaux dans tel type de société, se terminent en général par une prise de pouvoir par les militaires ; de covariations fonctionnelles : l'accroissement des naissances après les guerres ; enfin l'intégration dans des ensembles réels, certains faits paraissent déterminés sans que
l'on sache par quels facteurs : les rapports entre générations varient suivant les différentes classes et les différents types de société. On intègre ces faits dans les ensembles dont il s'agit. 916 Cf. n° 345. 917 Cf. n° 353. 918 R. Bastide (1956). 919 In R. Bastide, op. cit., p. 95. 920 Op. cit., p. 99. 921 J. Piaget (1950), p. 217. 922 In M. L. M. Mattenzi (1977). 923 G. A. Almond and G.B. Powell (1966), N. J. Smelser (1976), M. Dogan, D. Pelasy (1982), . 924 G. Balandier (1956), p. 116. 925 Les donne'es de la recherche comparative (1964), 926 B. Ruccet and others. 927 Des organisations telles que le Zentral archiv de l'université de Cologne, l'mter-umverstty consortium for political research, s'attachent à faciliter la recherche comparative en stockant une documentation pouvant permettre des analyses secondaires R. Rose (1974). 928 G. A. Almond and S. Verba (1965). 929 Cf. S. Rokkan (1965, 1966). 930 F. Braudel (I960), p. 97. 931 La distinction entre temps court et longue durée n'apporte pas de réponse. 932 R. K. Merton (1960, p. 67 ; 1965, p. 65). 933 Merton op. cit., p. 66.
934 B. Malinowski in Encyclopedia. 935 R. K. Merton (1965), p. 78. 936 In op. cit., p. 86. 937 R. K. Merton (1957), p. 91. 938 Y. Coenen-Huther (1984). 939 R. Bastide (1956 B 354), p. 87. 940 Y. Coenen-Huther (1984). 941 B. Badie (1976). 942 A. W. Gouldner (1959, i960). 943 C'est à dessein que nous n'utilisons pas le terme de méthode structurale (cf. n° 369). 944 C. Lévi-Strauss (1958, B. 181), F. Merrel (1975). 945 R. Jakobson (1949, B. 249). 946 M. Foucault (1966, 1969). 947 R. Barthes (1966). 948 J. Piaget (1968) p. 8. 949 Auquel nous empruntons le contenu des réflexions qui vont suivre. 950 En même temps que celle de système. Cela est vrai de la théorie freudienne de la personnalité, de la linguistique et de l'anthropologie modernes, aussi bien que de l'économie mathématique. 951 In R. Boudon, op. cit. (1968), p. 204. 952 R. Boudon, op. rit, p. 213. 953 Dans le domaine littéraire par exemple, la méthode structurale malgré les intentions scientifiques de ses auteurs se borne à substituer des méthodes déductives à la « compréhension » des textes. R. Picard (1966) a fort bien montré que les «
modèles hypothétiques » par lesquels R. Barthes (1966) prétend expliquer Racine ne sont pas susceptibles de vérification. De même sur un plan plus philosophique, M. Foucault s'est fié à ses intuitions et a substitué l'improvisation spéculative à toute méthodologie systématique. Voir sur ces problèmes R. Boudon (1968), J. Piaget (1968). 954 L'idée apparaît en 1847 dans un discours de Rieman, elle est utilisée vers 1875 par Sée dans un sens proche d'isomorphisme. 955 Un groupe est un ensemble d'éléments, réunis par une opération de composition (addition). 956 Cf. nos 240 et s. 957 Cf. n° 185 bis. 958 Cf. n° 880. 959 Cf. n° 728-729. 960 Les économistes cherchent ce qui bouge peu ou lentement, les mathématiciens au contraire un invariant (J. Tinbergen, 1952). 961 Au niveau abstrait il y a parfois confusion entre forme et structure. 962 G. Gurvitch (1955), p. 43. 963 Cf. F. Bourricaud (1954). 964 H. Lefebvre (1966). 965 Op. cit., p. 166. 966 N. Luhmarm (1983), A. Febrajo (1984), R.F.S. (1970). 967 P. Sorokin (1928, 1986, B. 170). 968 R. Ashby (1956, B.416). 969 W. Buckley (1967, 1968). 970 G. A. Almond (1960, 1965, 1966, 1970).
971 D. E. Apter (1958, 1965). 972 Von Bertalanffy (1968, B. 416). 973 K. Deutsch (1966). 974 D. Easton (1956 et 1965, B. 239). 975 L. Melh (1966). 976 La cybernétique dépasse largement le seul mécanisme de contrôle et de régulation. Pour l'argumentation cf. la bibliographie. 977 Il s'est intéressé à la politique tardivement. 978 T. Parsons (1949, 1951, B. 159 bis, 1954, B. 170, 1961, 1966, 1975). 979 C. W. Mills (1969, B. 170). 980 P. Sorokin (1966, B. 170). 981 In P. Selznick (1961). 982 La façon dont le système capitaliste lui paraît un signe de « réalisation grandissante des idéaux chrétiens », ne rassure pas sur la sûreté de son jugement et explique pourquoi il est apparu aux sociologues soviétiques le propagandiste « de la loyauté inconditionnelle des Américains à l'ordre économique et politique dominant » in Selznick (1961). 983 G. C Homans (1950, p. 91). 984 K. W. Deutsch (1956, 1966, B.239). 985 L. Melh (1966). 986 D. Easton (1953, 1956, 1965, B. 239, 1969). 987 G. Lavau (1968). 988 Annick Percheron (1970). 989 Lindberg (1966).
990 D. Easton et J. Dennis (1969). 991 Auquel nous empruntons quelques-unes de ces réflexions. 992 In G. Gurvitch (1953). 993 Op. cit., p. 10. 994 Op. rit, p. 13. 995 Op. cit., p. 13. 996 H. Lefebvre (1966), p. 31. 997 H. Lefebvre (1969, B4) préface 2= éd. 998 G. Gurvitch (1956), p. 11. 999 Op. cit., p. 11. 1000 Que le lecteur ne soit pas surpris de ne pas trouver ici la soi-disant théorie des ensembles, dénomination abusive due à l'habitude de plus en plus répandue d'utiliser des symboles (appartenance -, inclusion z, etc.) se rapportant aux ensembles. Seule mérite le nom de théorie des ensembles l'œuvre de Cantor (et autres) qui a précisé certaines propriétés des ensembles infinis. 1001 Cf. annexe II. 1002 G. Berge (1958), C. Flament (1960), F. Harary, R.Z. Norman, A. Sache (1974), M. Romer (1975). 1003 Il convient de distinguer ici, sur le plan terminologie, une différence entre le terme graphe, tel qu'il est entendu par les mathématiciens dans un sens restreint, c'est-à-dire, à partir d'une correspondance et le sens plus large que lui donne M. Berge pour qui le graphe est synonyme de l'ensemble de la correspondance elle-même. 1004 A. Bavelas (1951) in R. Lasswell (B. 239). 1005 L'utilisation grandissante des ordinateurs a suscité de nombreux ouvrages.
1006 C. Hament (1965), T. Girard, J.P. Trystram (1978), S. Nora, A. Mine (1978). 1007 Cité in P. Haggett (1965, B. 214), p. 266. 1008 In op. cit. (B. 214), p. 281. 1009 Cf. A. Colonomos (1995) auxquels nous empruntons informations et références. 1010 Pour ne pas attribuer tous les progrès aux Américains, il faut noter que la première édition du Dalloz de Méthodes des Sciences sociales datant de 1962, contenait deux numéros sur la théorie des graphes et l'utilisation des réseaux en sciences sociales d'après les chercheurs français. Les éditions ultérieures signalaient leur application en géographie. 1011 Cf. Clyde Mitchell (1974). 1012 M. Maison-Rouge assurait les relations entre I.B.M. aux États-Unis et en France. 1013 Cf. Lagroye (1991). 1014 Application utile pas encore entreprise sous la forme des réseaux (bien que le terme soit utilisé dans son sens courant) des « intouchables » de la finance et de la haute administration en France. 1015 In R. Daval, p. 48. 1016 Dans une énumération des actions possibles, la tactique représente le choix d'une de ces actions ; la stratégie, un mélange ou une alternance de tactiques, selon une proportion de probabilités 1017 Cf. n° 869. 1018 M. Pion (1976). 1019 G. T. Guilbaud (1959). 1020 J. D. Williams (1956), P. M. Me Kay (1957), B. Mandelbrot, A. Morf (1957). 1021 H. Lefebvre (1958), S. Kotz (1968), J.-L.
Peaucelle (1982). 1022 Signifie Hartley du nom du savant anglais qui découvrit en 1923 les éléments de la théorie à laquelle Shannon et Wiener ont depuis contribué. On utilise également le terme bit abréviation de binary digit : nombre exprimé en système binaire. 1023 Une unité d'information s'il existe deux éventualités. Deux unités s'il existe 4 éventualités (par exemple deux lancées de pile ou face) 4 unités pour seize éventualités. Dans le cas de 2 éventualités le nombre de bits d'informations nécessaires pour une décision est donnée par la formule de Newman : H = p1 log p1- p2 log 2 p2. 1024 Il convient en particulier de mettre en garde, contre des analogies hâtives avec le cerveau et le système nerveux. 1025 C'est le cas de la Bourse où joue l'instabilité lorsque les bruits de baisse la renforcent. 1026 Considérations importantes pour le choix d'une langue internationale. 1027 La redondance se calcule à partir de la quantité maximale d'information qu'il est théoriquement possible d'émettre (Hm„ ) et la quantité réellement émise 1028 A. Moles (1959). 1029 W.R. Ashby (1956, 1960) 1030 L. von Bertalanffy (1950, 1961, 1966, 1968), E. Laszlo (1975), J.-G. Miller (1976). 1031 Les Anglo-Saxons disent gênerai System theory. 1032 C. Lévi-Strauss (1954). 1033 H. A. Simon (1956), R. Carpentier (1967), A. Badiou (1969), R. Boudon (1967, 1970, 1977), G. Leresche (1972). 1034 J. G. Padioleau (1971).
1035 Les modèles sont utilisés pour des expériences de simulation, I de S. Pool, R. Abelson (1961), Simulation (1962, 1969), I de Sola Pool, R. Abelson, S. Popkin (1965), J. C. Padioleau (1969), E. Preteceille (1975) et n° 869. 1036 P. Haggett (1965 B. 214) p. 34. Cet ouvrage donne de nombreux exemples de modèles. 1037 Équations prenant en compte la distance. 1038 Emploi dans la théorie des migrations d'une analogie avec les flux de chaleur. Analogie entre l'expansion d'une calotte glaciaire et la croissance urbaine. 1039 P. Haggett (1965 B. 214) p. 32. 1040 C. Lévi-Strauss (1949). 1041 In H. D. Lasswell et D. Lemer (1961). 1042 N. Perry (1977) 1043 « Classe de concepts d'un ensemble abstrait de virtualités dont on dérive en les permutant des cas concrets et actuels », cf. Y. Schemeil (1978) auquel nous empruntons l'essentiel de ces éclaircissements. 1044 (1977 b. 395). En ce qui concerne l'étude des sociétés méditerranéennes, l'auteur cite trois paradigmes souvent utilisés : le paradigme segmentai™ ou fonctionnel, le paradigme du mode de production ou de l'analyse de classe et le paradigme centre-périphérie. 1045 Nous disons presque, pour ne pas omettre la lignée des rares observateurs soucieux de la réalité. 1046 R. K. Merton (1953, B. 139 bis). 1047 Serendipity, mot formé du radical Serendip, ancien nom de l'île de Ceylan, forgé par Horace Walpole d'après le titre d'un conte de fées ; « Les Trois Princes de Serendip », dont les héros faisaient constamment, grâce à leur sagacité, des découvertes inattendues.
1048 Certains parlent aussi de «recherche orientée». Elle correspond à notre recherche sous contrat, à une action concertée de recherche en vue de résoudre un problème. Cf. Revue Int. Se. Sociales (1968) et P. de Bie in Tendances de la recherche (1970, B. 170). 1049 Cf. M. Grawitz (1958). 1050 Nous n'abordons pas dans cet ouvrage les problèmes de financement. 1051 Cf. R. Lfkert et R. Lippitt (1959), H. Nowotny (1985). 1052 Auquel nous empruntons un grand nombre des réflexions qui suivent. 1053 P. Bourdieu et al. (1968), p. 56. 1054 Op. rit, p. 75. 1055 M. Grawitz (1958, 1971). 1056 A. Kaplan (1964, B. 13), p. 112. 1057 P. Bourdieu (1968), p. 70. 1058 Op. cit., p. 75. 1059 L. Freeman et al. (1963) in P. Birnbaum, pp. 234-247. 1060 Expression, utilisée par Anna O ; la malade à l'origine de la psychanalyse. 1061 G. Grarrai (1960, B. 159 bis). 1062 Op. cit., p. 250. 1063 Cf. nos 635 et s. 1064 Cf. n° 190 supra. 1065 Cf. Adomo et al. (1950). 1066 A. Sauvy (1956), L'opinion publique (1957). 1067 J. Meynaud, A. Lancelot (1962, B.239).
1068 M. Grawitz (1985). 1069 G. W. Allport (1937 et 1968). 1070 G. Festmger, D. Katz (1959, B.198), Les attitudes (1961), S. Moscovici (1962), J.Stoetzel (1963), R. Daval et al. (1963), R. Thomas, D. Alaphilippe (1983). 1071 Cf. p. 575. 1072 Cf. T. Newcomb (1947). 1073 Cf. n° 743. 1074 Notion de niveau d'aspiration. 1075 On utilise le terme status pour éviter la confusion avec le statut au sens juridique. 1076 C'est à travers le jeu, créateur d'une multitude de rôles, nous dit G. Mead, que l'enfant élabore son « moi ». 1077 « On exige de chacun de nous qu'il vive selon son rôle officiel ; un professeur doit agir en professeur, un élève agir en élève. [...] Au cours de son développement, chaque individu est sollicité par plusieurs rôles qu'il voudrait traduire en actes. Et c'est la pression active qu'exerce cette pluralité de rôles sur le rôle manifeste et officiel de l'individu qui donne souvent naissance à un sentiment d'anxiété. » J. L. Moreno (1953), p. 309. 1078 E. Morin (1962). 1079 Pour la Grèce, cf. Silia Nicolaidou (1982). 1080 Cf. M. Grawitz (1963, B.170). 1081 D. Lagache (1949, B.278). 1082 Cité in j. Marcus-Steiff (1969). 1083 G. Smith, P. d. Horsley (1954), R.G.Tervan, A. H. Maslow (1954), F. I. Schreier (1957), Motivation (1958-1959), G.Durandin (1959), Théorie of motivation (1964), B. C. Belles (1967), H. Zeisel (1968), K. B. Madsen (1968), J. Marcus-Steiff (1969)
(77). 1084 Cf. Besoins (1975). 1085 Psyché = âme ; soma = corps. 1086 La Motivation (1959). 1087 G. Durandin (1956), J. B. Haskins (1968), J. Marcus-Steiff (1969-1971). Les agences de publicité n'ont évidemment pas intérêt à voir réduites les dépenses publicitaires 1088 D'après J. Marcus-Steiff (1971, p. 19) : la publicité est d'autant plus efficace que les différences entre les produits sont faibles. 1089 De G. Riskin, excellent ouvrage comportant une bibliographie. 1090 J. Gurley (1971). 1091 h. Leibenstein (1966). 1092 F. Tonnies (1887, B.159 bis). 1093 G. Gurvitch (1958, B.159 bis, tomel, p. 187). 1094 Pour notre part nous limiterions volontiers le terme groupe au groupe restreint suivant le critère de la possibilité de communication entre les membres. Nous conserverions le mot groupement pour des collectivités plus larges : village, hôpital, usine. Mais la distinction n'est pas admise par tous. 1095 Cette section ne comporte pas de bibliographie. Celle-ci est renvoyée à chacune des techniques. 1096 Cf. n° 743. 1097 Rappelons que nous signalons ici seulement les caractéristiques générales, ce qui distingue les techniques de groupe des techniques de rapports individuels. Nous étudierons plus loin les unes et les autres. 1098 Cf. nos 719 et s.
1099 Cf. n° 271. 1100 Cf., nos 837, 893 et s. 1101 Cf. P. Bourdieu, Y. Delsaut (1975 B. 587). Cf. P. Bourdieu, Y. Delsaut (1975 B. 587). 1102 L. Boltanski (1975 B. 587). 1103 Sur la notion de population, cf. annexe statistique (911 bis). 1104 Ou contrôler la totalité d'une production, problèmes que nous n'abordons pas ici. 1105 Les Anglo-Saxons utilisent le terme de « randomisation ». 1106 Cité in A. Piatier (1961), p. 119. 1107 In op. cit. 1108 Cf. A. Piatier, op. cit., p. 945, extrait de la table de Tippet et son mode d'emploi. 1109 M. Levy-Bruhl cité in A. Piatier, op. rit, p. 127. 1110 Question régulièrement posée par les étudiants. 1111 Cf. H. Guitton (1959), p. 327. 1112 Cf. annexe. 1113 C.A. Moser (1958). 1114 Cf. n" 589 bis et s. 1115 Confusion fréquente dans l'esprit des étudiants. 1116 Cf. nos 707 et 720 bis. 1117 Mais pour parler d'enquête aux étudiants, en avoir fait ne suffit pas, il faut aussi leur en faire faire. 1118 Cf. nos 303 et s. 1119 Cf. n° 302.
1120 Le personnage occupant le rang le plus élevé dans la hiérarchie n'est pas forcément le mieux renseigné. 1121 E. Trist (1970). 1122 Contrats passés après approbation d'un projet par le C.O.R.D.E.S., ou dans le cadre d'une A.T.P. (action thématique programmée, ou du G.R.E.C.O.). Constituer un dossier est une épreuve ! 1123 (1969, B. 478). 1124 Cf. n0! 426-427. 1125 Cf. n° 820. 1126 (1961, B. 341). 1127 (1943, B. 312). 1128 M. Komarovski (1957, B. 170). 1129 R. Benedict (1946, B. 181). 1130 C. Cantril (1941, B. 198). 1131 C. W. Mills (1961, B. 341). 1132 Cf. annexe statistique. 1133 C'est-à-dire est révélateur, possède une signification. 1134 H. Hyman (1972), C. Hakim (1982), D.W.. Stewart (1984), K.J. Kiecolt (1985), A. Dale (1988). Ce dernier ouvrage est très complet tant sur le plan de la réflexion que sur les moyens informatiques à utiliser. Enfin une enquête à deux niveaux (individu, ménage) illustre les propos et offre une typologie de variables. 1135 Cf. annexe statistique. 1136 Cf. n° 868. 1137 Cf. F. Gendre (1975). 1138 In R. K. Merton and P. Lazarsfeld (1950).
1139 Goode et Hatt (1952, B. 198), p. 355. 1140 In op. rit, p. 354. 1141 La parution de l'enquête d'O. Lewis (1963, B. 580 bis) suscita au Mexique de très vives réactions. 1142 Terme emprunté à la théorie de l'information. Cf. n°s 407 et s. 1143 « Wagon de l'orchestre » qui attire le public. 1144 Cas de l'utilisation tendancieuse d'une enquête en 1954 sur La CED. devant l'opinion. 1145 L'honnêteté intellectuelle l'exige, la courtoisie le conseille... la susceptibilité des intellectuels le rend indispensable. 1146 Reproche fait à certaines enquêtes américaines. 1147 Nous nous sommes réjouis, ayant lutté dans ce sens, de découvrir que Lazarsfeld note aussi combien l'enseignement de la méthode est handicapé par le manque de matériel approprié. Les « produits finis » cachent les étapes de la recherche dont les étudiants ne peuvent alors plus profiter. Cf. Lazarsfeld, Actes du W Congrès international de sociologie, 1959, p. 78. 1148 (1952, B. 198), p. 366. 1149 W. F. Whyte (1943, B. 312). 1150 L. Wilye (1957, B. 860). 1151 Il ne s'agit pas ici bien entendu de dresser une liste exhaustive, mais d'indiquer quelques sources essentielles de documentation et le type de problèmes qu'elles soulèvent. 1152 J.-P. Poisson (1974). 1153 Les pays totalitaires avec leurs systèmes planificateurs visent au contraire à établir des statistiques permettant des décisions d'ensemble. Les pays démocratiques prennent des mesures pour préserver la vie privée et la liberté individuelle.
1154 G.-R. Chevry (1962), A. Desrosières (1985). 1155 Stouffer (1949). 1156 Cf. n° 717. 1157 Les ouvriers agricoles ne sont plus comptés parmi les agriculteurs mais dans la catégorie ouvriers. 1158 J.-L. Besson et al. (1981, 1986), M. Cezard (1981), D. Merllié (1989). 1159 Le fait que l'écart sait net surtout chez les femmes, permet de se demander si plutôt que de « défauts » du recensement ou de l'enquête, il ne s'agit pas de différences de définitions du chômage et de l'emploi suivant le sexe, cf. D. Merllié (1982, 1987, 1988, 1989). 1160 (Cf. n° 604, 674-675, 707). 1161 (Cf. n° 621). 1162 (1971, B. 312). 1163 (1989). 1164 J.-P. Benzecri (1982). 1165 Système informatisé pour la conjoncture de l'INSEE. 1166 Données factuelles de l'INSEE. 1167 Documentation française. 1168 Données bibliographiques du C.N.R.S. 1169 Issu de la création en 1947 de la Sté Elmo Roper and Associates qui stocke les résultats des enquêtes de la Revue Fortune. 1170 International Federation of Data Organisation for the Social Sciences. 1171 Consortium européen pour la recherche politique.
1172 Sur le plan politique, grâce à l'European political data Newsletiter. Revue trimestrielle créée en 1971 par S. Rokkan. 1173 J. Frisch, B. Gauche (1981). 1174 Cf. M. Mouillaud (1968). 1175 L. Boltanski (1975). 1176 Il ne s'agit ici que de la forme écrite. 1177 E. de Dampierre (1957), D. Bertaux (1976), M. Grawitz (1986). 1178 E. Morin (1980). 1179 G.W. Allport (1951. B 275). 1180 L. Gottschalk (1954. B 275). 1181 Cit in L. FestJnger (1959), p. 360 et R.C Angell et D. Friedman (1959). 1182 Cit. in L. Festinger (1959). 1183 Il ne s'agit pas de magistrats, mais de spécialistes devant porter un jugement. 1184 Cf. n°s 271.272. 1185 i. Cité in L. Festinger (1959) (B 486), p. 355. 1186 (1977 B 587). 1187 L. Festinger (1959), Vol. I, p. 357. 1188 E. de Dampierre (1957), D. Maladenat (1985), M. Grawitz (1986). 1189 In D. Bertaux (1981). 1190 P. Joutard (1979), Annales (1980), F. Raphaël (1980), F. Torres (1985). 1191 E. Morin (1980). 1192 D. Cartwright (1953 B 486), D. Bertaux (1976,
1981), E. Campelli (1977), Y. Chevalier (1979), C. Thompson (1980). 1193 B. Glad (1973). 1194 D. Bertaux (1976). 1195 Pour les biographies cf. également n° 275. 1196 Cf. n° 126. 1197 (1949, 1950, 1957). 1198 Cf. l'importance attachée à la signification idéologique de la peinture abstraite, en U.R.S.S. sous Staline. 1199 Les gestionnaires du métro à New York déclaraient dépenser en nettoyage des graffiti en 1971: 300 000 dollars, 500 000 en 1973 et 2 millions en 1974. 1200 On ne tient pas compte des murs de la Sorbonne en 1968. 1201 Certaines mairies autour de Paris organisent des concours, proposent des panneaux et tentent d'intégrer les tagueurs. 1202 En tant que délit le tag peut entraîner une peine de prison. Le tagueur a alors la possibilité d'accomplir un travail d'intérêt général (T.I.G.) par exemple effacer les graffiti. Mais cette humanisation de la peine se produit au prix d'une aggravation pénale des faits reprochés. 1203 En 1967 la mairie de Paris fait nettoyer 35 000 m2 de graffiti; en 1988, 112 000m2. La S.N.C.F. estime qu'entre 1983 et 1988 le coût des graffiti à Paris Nord atteint près de 4 millions. Environ 5 hectares de béton seraient tagués. Enfin à la R.A.T.P. la dépense pour le nettoyage des tags passe de 8 millions en 1986 à 35 millions en 1989. Les moyens de défense se multiplient Peinture anti-tag, surveillance accrue, information-prévention enfin sanctions plus sévères. 1204 Y. Bernard (1964), Communications (1965), B. Hawes (1974), G. Heouter (1988).
1205 Voir préparer au champ de Mars à Paris un chapiteau de 50 000 places pour écouter J. Halliday laisse rêveur sur les valeurs de notre société. 1206 A.M. Thibault-Laulan (1971), H. Agel (1978). 1207 E. Morin (1956), J. Caseneuve (1962, 1970), C. Michelat (1964), W.A. Belson (1967), J. Halloman (1970), P. Champagne (1971), J.-L. Baudry (1978). 1208 Télévision (1961), J. G. Blumler (1968, 1970). 1209 h. Simon (1952), R. Remond (1963), R. Sainsaulieu (1966), B. Berelson and h. Janovitz (1966), J. Tunstall (1970). 1210 g. Cohen-Seat (1961). 1211 Cf. La controverse Picard, Barthes pendant l'année 1965-1966. 1212 R. Barthes (1968), p. 157. 1213 G. Poulet (1959), J. P. Weber (1960,1964,1966), R. Barthes (1965,1968), R. Picard (1965), S. Doubrovski (1966), R. E. Jones (1968). 1214 Cf., Le Monde, 27 fév. 1963, p. 9. P.-H. Simon, la vie littéraire. 1215 Cf. n° 238-1. 1216 Cf. n°s 367 et s., 382 et s. 1217 Association internationale de communication. 1218 R. Pages (1970), pp. 765-766. 1219 B. Berelson (1952, 1968). 1220 P. Stone (1966). 1221 Op. cit. 1222 H. D. Lasswell (1949, 1952). 1223 In I. de Sola Pool (1959), pp. 33-58.
1224 Nous ne nous occuperons ici que de l'analyse de contenu des documents à contenu verbal, soit que la communication ait lieu directement sous cette forme écrite : livres, journaux, etc., soit que le texte écrit ou l'enregistrement représente la transcription d'une activité orale : discours. Les mêmes principes de catégorisation sont également applicables à l'analyse de comportements réels ou d'activités : étude de contenu d'une journée d'un chef du personneî, d'une réunion de groupe, etc. Nous verrons ces problèmes à propos des groupes. 1225 D. P. Cartwright in L. Festinger (1959), II, p. 492. 1226 In Cartwright (1959), op. cit., p. 489. 1227 L. A. Sussmann (1963). 1228 H. S. Lewin (1948). 1229 Lasswell distingue dans la « teneur » du message les symboles qui « signifient » : par exemple, le mot constitution et les « signes » moyens physiques de les rendre sensibles : les lettres d'imprimerie. Parmi les symboles il distingue : les « mythes » qui eux-mêmes recouvrent les doctrines, postulats philosophiques de la communauté, les « formules », prescriptions autoritaires de ceux qui prennent les décisions, enfin les «miranda» interprétations populaires ou folklore de l'organisme politique. 1230 N. Hart in D. P. Cartwright (1959), p. 494. 1231 D. Lasswell (1952), insiste sur le fait que la réponse du public est fonction de son « environnement» et de sa «réceptivité». L'environnement comporte un «milieu immédiat» et un « milieu lointain ». Le premier relève de la « sphère d'attention », sur laquelle se centre spontanément l'individu ou le groupe, le second peut être « occasionnel » : tel lieu public ou « propre » : la presse lue par le public. 1232 Cf. n° 607. 1233 B. Bettelheim (1947).
1234 Cf. nos519 et s. 1235 Les Américains utilisent une technique intitulée Round Robin qui consiste à soumettre les documents successivement à plusieurs codeurs. 1236 M. Jahoda, M. Deutsch, S. W. Cook (1951, B. 198), p. 260. 1237 Cf. n° 837. 1238 B. Berelson in Lindsey (1954), p. 498. 1239 Op. cit. (1954), p. 491. 1240 Sur l'Algérie. 1241 Nous rappelons qu'il faut respecter les règles suivantes pour constituer un échantillon : 1° Délimiter l'univers auquel s'applique la généralisation. 2° S'assurer que chaque unité de cet univers a une probabilité connue d'être comprise dans l'échantillon. 3° Procéder à un échantillonnage qui soit indépendant de toute corrélation entre les unités de l'univers. 4° Choisir un échantillonnage assez large pour qu'il ne comporte qu'une erreur probable d'échantillonnage suffisamment réduite. 1242 B. Berelson in Lindsey (1954, B. 198), vol. I, p. 515. 1243 L'expérience indique que les échantillons de presse pris tous les jours et tous les cinq jours sont nettement préférables aux autres, par exemple à la semaine entière pour le mois. 1244 Lorsqu'il s'agit de catégories matières ou de l'origine des informations. 1245 Les négociations, de Gaulle, la Paix, l'abandon, le plébiscite, l'Armée, etc.
1246 Le Sahara par exemple, si important dans la suite, n'occupe que 7 cm, les références historiques 71 et l'ambiguïté du référendum 277. 1247 Nous rappelons ce que signifient ces deux notions. Fidélité : plusieurs chercheurs obtiennent le même résultat. Validité : l'instrument mesure ce qu'il doit mesurer, appréhende bien la réalité et permet un pronostic. 1248 In B. Berelson, op. rit. (1954). 1249 Nous tenons à noter ici que la validité de l'analyse de contenu dans l'interview est liée à l'ensemble des démarches de cette technique dont elle n'est qu'une étape, alors qu'elle est indépendante dans l'analyse de documents proprement dits. 1250 Cf. E.Woodrum (1984). 1251 Cf. B. N. Colby (1966). 1252 Cité in L. Guespin (1975). 1253 Non pas les conditions objectives : historiques, sociales, mais ce qui constitue le but de la recherche : idéologie de l'émetteur, attitudes, opinions. 1254 P. Henry, S. Moscovici (1968), p. 38. 1255 Nous empruntons à l'intéressante thèse de J. Gerstlé (1992), une part des informations des § 1 et 2, et renvoyons à sa bibliographie pour les très nombreux travaux qu'il cite. 1256 Cf. Bibliographie in J. Gerstlé (1992) et P. Favre (1978). 1257 Cf. A. Trognon (1974). 1258 Pour P. Favre (1978) dans l'analyse de contenu, les critères d'analyse sont exogènes, le discours est atomisé, le système de référence unique. L'analyse quantitative est le réel supposé contenu dans le texte. Au contraire, dans l'analyse du discours, les critères sont endogènes, le discours peut être recomposé, les références sont multiples et liées au concept de performance (cf. n° 248-1), l'étude est qualitative,
enfin les conditions sociales de production des discours sont essentielles. Ces oppositions nous paraissent discutables et l'analyse du discours est encore loin (comme le reconnaît P. Favre) d'être constituée comme objet parfait de science. Enfin ce qui n'arrange rien, le mot même de discours est utilisé dans six acceptions différentes, cf. D. Maingueneau (1976). 1259 Cf. J.Lotman (1973). 1260 Cf. Greimas, Barthes, Lévi-Strauss. 1261 D'où l'obligation de se plier à l'emploi regrettable d'interview au féminin. 1262 Il manque en français deux termes pour désigner les interlocuteurs dans l'entretien. 1263 Profession très répandue aux États-Unis. 1264 Ce schéma représentant la plus ou moins grande liberté et profondeur des entretiens n'a qu'un but mnémotechnique pour les étudiants et ne saurait constituer une échelle comportant des degrés et intervalles. 1265 G. Palmade (E.R.P.), vol. VIII (1959). 1266 C. Rogers (1942, 1951, 1961, 1962). 1267 Les habitudes et attitudes directives sont tellement ancrées que des psychologues croyant être rogériens, laissent souvent échapper des mots révélateurs de leur attitude profonde, incompatible avec le véritable rogérisme. En dehors de l'apprentissage de cette méthode, il est certain qu'il existe des sujets plus ou moins aptes et naturellement orientés vers ce type de comportement, très peu spontané et habituel. 1268 Nous les retrouverons à propos du questionnaire, n° 694. 1269 M. Grawitz (1961). 1270 On rencontre souvent cette façon de faire, dans la vie courante, lorsque la politesse ne permet pas de
poser une question trop abrupte. 1271 J. Marcus-Steiff (1964), p. 126. 1272 R. C Kahu et C. F. Carmel (1957) p. 7. 1273 Cette découverte d'une interaction et de l'importance du rôle de l'enquêteur sont très fortement ressenties par les étudiants dans leurs premières enquêtes, même dans des enquêtes d'opinions très superficielles et prévenus pendant le cours, le choc de la réalité les impressionne presque tous. 1274 La projection consiste à attribuer aux autres ses propres attitudes ; l'introjection à obéir en pensant que l'on a soi-même choisi l'ordre imposé ; l'identification est plus dangereuse dans l'interview, car elle incite l'enquêté à se conformer à l'idée qu'il imagine être celle que l'enquêteur a de lui, il s'identifie à une image qu'il projette. 1275 Il est prudent que l'enquêté ait une carte à entête de l'organisme responsable de l'enquête : Institut, Université, etc. 1276 En science politique particulièrement, cet élément de crainte peut jouer davantage pendant certaines périodes troublées. 1277 Nous avons pu observer nous-même ce fait signalé par des auteurs américains. Les enquêtes interrogés sur l'impression qu'ils gardent de l'entretien, répondent le plus souvent en énonçant un jugement sur l'enquêteur : « elle était charmante, il était très sympathique », plutôt qu'en fonction du questionnaire ou du sujet de l'enquête. 1278 C. Rogers 1959, Hommes et techniques n° 169, pp. 87-89. 1279 Cité in H. H. Hyman (1954). 1280 Cité in R. C. Kahn, C. F. Cannel (1957), p. 181. 1281 National Opinion Research Center. 1282 Cf. R. C. Kahn, op. cit., et H. H. Hyman (1954),
p. 164. 1283 Cité in Marie Jahoda et al. (1951), p. 475. 1284 Cf. R. C Kahn, C F. Caimel (1957), p. 213. 1285 In op. cit., p. 288. 1286 On constate par exemple la peine que l'on a à faire indiquer par les étudiants enquêteurs les raisons de non-réponses : question pas posée et pourquoi ? l'enquêté avait-il déjà répondu dans une question précédente ? 1287 Les Américains ont comparé les résultats des enquêteurs suivant l'âge et-.le sexe. La réticence des adolescentes à se confier à des femmes de plus de 50 ans pose le problème de l'efficacité de celles-ci dans les collèges de jeunes filles. Cf. j. S. Ehrlich, d. Riesman (1961). 1288 R. C Kahn, C. F. Cannel (1957), p. 235. 1289 J. M. Stycos (1952, 1955), 1290 Aimer parler semble la caractéristique que l'on retrouve le plus souvent chez Yhomo poliûais, le dénominateur commun des candidats aux élections législatives - cf. Madeleine Grawitz (1961). 1291 Dans une enquête auprès des patrons lyonnais sur les réactions suscitées par P. Mendès France, indiquer au téléphone ce sujet nous eût sûrement valu des refus, que les enquêtes pouvaient plus difficilement opposer, lorsque les enquêteurs se trouvaient assis en face d'eux dans leur bureau. 1292 Cette influence ne fausse pas les résultats. 1293 Et de ne pas leur en vouloir s'ils n'accusent pas réception, ce qui est souvent le cas. 1294 D. C. Lockhart (1984). 1295 A. Ellis (1947), C. F. Carmel, J. F. Floyd (1963). 1296 On est étonné, du nombre de gens qui, même parmi les intellectuels, ne savent pas lire un texte
1297 C. F. Reuss, T. W. Smith (1983). 1298 R. M. Graves, R. L. Kahn (1979), J. H. Frey (1983). 1299 Se méfier du terme sujet qui prête à confusion. S'agit-il de l'enquêté ou du sujet de l'enquête ? 1300 C.A. Moser (1958, B. 198). 1301 Procédé étudié à propos des échelles d'attitudes, cf. n°s 775 et s. 1302 Elle est aussi fonction de la population à interroger. 1303 Cité in C. F. Cannel, R. L. Kahn (1959), p. 412. 1304 Parfois surnommées « cafétéria»... parce que l'on a un certain choix. 1305 In M. Grawitz (1971). 1306 Il est important de ne pas l'oublier. 1307 Cité in S. L. Payne (1951), p. 5 (chaque expert a cité plusieurs causes d'erreurs). 1308 C'est pourquoi, nous l'avons vu, au stade du libellé des questions, des étudiants, même sans connaissances spéciales, sont utiles. 1309 Tout le monde n’est pas d'accord sut ce point Avec des enquêteurs inexpérimentés cda vaut tout de même mieux. Mais il faut éviter que l'individu ne soit entraîné à un certain type de réponses par l’enchaînement logique des questions. Cf. l'effet de halo. 1310 Parfois aussi une question ouverte, concernant le passé récent, est utilisée pour aider l'enquêté à reconstituer ses souvenirs et à donner une réponse exacte à une question d'opinion. 1311 Cité in C. F. Cannell, R. L. Kahn (1953). 1312 A.-CKinsey (1943) indique que c'est grâce àune bonne connaissance du milieu qu'un enquêteur,
interrogeant un souteneur, a pu lui poser des questions intéressantes 1313 In R. C. Kahn, C. F. Cannel (1957), p. 120. 1314 Cf. M. Grawitz (1961). 1315 In C. P. Cannel, op. cit. 1316 Cité in C. P. Cannel, op. cit. 1317 Cf. nos 720 et 720 bis. 1318 P. Bourdieu (1971-1972). 1319 Cette contradiction a vraisemblablement une signification, il appartient au chercheur, suivant les cas, de la trouver (cas des analyses de motivation) ou de ne pas s'y arrêter. 1320 Non publiée. 1321 On se reportera au chapitre sur l'analyse de contenu pour ce qui concerne la technique d'élaboration des catégories et les conditions qu'elles doivent remplir. On indique seulement ici ce qui est plus particulier au codage des interviews 1322 L'unité de numération est, dans ce cas, la réponse et il lui est attribué un numéro dans l'enregistrement informatique. 1323 Cf. n°s 720 et s. 1324 Cité in C. A. Moser (1958). 1325 A notre avis peu de travaux pratiques affinent l'esprit, requièrent autant que l'analyse de contenu, le sens des nuances et de la précision. 1326 Nos 535 et s. 1327 Cité in H. H. Hyman (1954). 1328 M. Grawitz (1965, 1972), P. Bourdieu (1971, 1972), P. Champagne (1990).
1329 Cf. n° 707. 1330 Op. cit. 1331 Complétée par un décret du 16 mai 1980. 1332 Cf. A. Lazareff (1984) et Ph. Crouzet in Pouvoirs (1985). 1333 Commission des opérations de Bourse. 1334 Cf. nos 516, 517. 1335 Concerne surtout les entretiens cliniques. 1336 Rappel: A.J.S. = American Journal of Sociology. P.O.Q. = Public Opinion Quarterly. 1337 Définition adoptée par l'Association internationale de psychotechnique en 1933. Vocabulaire psychologique, 2' éd., Paris, P.U.F. 1338 Cité in B. Bonnardel (1960). 1339 Celles-ci essaient de ne pas faire appel à des connaissances scolaires. 1340 Plus de 8 millions d'hommes aux Etats-Unis ont passé le A.G.C.T. (Army General Classified Test). 1341 Cf., nos 743 et s. 1342 Les hypothèses déterminent la valeur du test, mais leur propre valeur dépend de l'état des connaissances psychologiques et des théories sur lesquelles elles reposent. 1343 Décilage, tétronnage, quotient d'intelligence (QI). 1344 Cf. Annexe statistique n0! 912 et s. 1345 C'est-à-dire immédiatement susceptible de vérification. 1346 In analyse fadorielle, colloque C.N.R.S. (1955).
1347 Cf., n° 800. 1348 Cf. Ph. Cibois (1983) et Annexe 4. 1349 Certaines, si considérables, furent appelées « opérations mammouth ». 1350 Rotation des axes, etc. Cf. Analyse fadorielle, C.N.R.S. (1955). 1351 Les auteurs américains depuis le XIXe siècle étaient portés à croire à des aptitudes multiples et spécifiques 1352 R. Boudon (1965). 1353 P. E. Vemon (1952). 1354 In L'analyse factorielle (1955). 1355 . In op. cit. (1955), cf. n° 772. 1356 Diverses techniques statistiques, analyse de variance, corrélation, permettent de calculer le degré de ces différents aspects de la fidélité. 1357 Du grec, notation des épreuves, cf. A. Picron (1965). 1358 In N. Reuchlin (1960). 1359 In A. Picron (1963). 1360 On applique la formule suivante pour corriger le résultat du hasard. Soit un test de 30 questions. 4 choix pour chaque réponse : un point par réponse exacte. Bonnes réponses 21. Mauvaise réponses : 6, la note corrigée sera : 21 —6 sur 4-1 = 19 1361 Ces aptitudes, comme nous l'avons vu, peuvent être définies à partir de conceptions sur la personnalité et la nature de l'homme (point de vue dogmatique), à partir de la structure des opérations (notion classique d'aptitude) ou d'une analyse expérimentale (point de vue factoriel). 1362 Cf. Les Temps Modernes, août-sept. 1954.
1363 Accroissement surtout sensible en GrandeBretagne et aux États-Unis. 1364 Cf. P. Pichot (1954). 1365 Il est tentant de transposer ceci à de nombreux domaines, par exemple à la science politique. Les élus peuvent sans doute acquérir de nouveaux réflexes adaptés à une nouvelle constitution, mais il est plus difficile de les débarrasser de leurs habitudes antérieures (cf. passage de la IVe à la Ve République en France, au nouveau régime en Russie). 1366 W. H. Whyte (1956) (b. 239). 1367 M. de Montmollin (1972). 1368 Cf. n°! 453 et s. R. Thomas et D. Alaphilippe (1983), D. Katz (1960). 1369 D. Katz (1960). 1370 E. Cooper and H. Dinerman (1951), Eunice Cooper, M. Jahoda (1954). 1371 L. Festinger (1947). 1372 L. Festinger (1964). 1373 S. Stouffer (1950). 1374 Cf. R. K. Merton and P. Lazarsfeld (1950). 1375 Ce paragraphe, très sommaire, vise seulement à donner une idée des problèmes. Pour une analyse plus détaillée, cf. R. Daval et al. (1963). 1376 Une autre méthode, plus souple et moins précise, confie à un enquêteur ou observateur le soin de juger de l'attitude de l'individu, telle qu'elle apparaît dans une interview plus ou moins libre, ou d'après des tests projectifs et de lui attribuer un rang sur une échelle. 1377 Auquel nous empruntons les réflexions qui suivent.
1378 C. H. Coombs (1959), pp. 538-611. 1379 Cf. L.L. Thurstone (1931), R. Daval et al. (1963). 1380 Des expériences faites prouvent que les experts jugent indépendamment de leurs préférences personnelles, mais, bien entendu, en fonction de certaines normes culturelles. 1381 Par exemple : « Nous devrions intervenir militairement chaque fois que nos investissements en Afrique sont menacés. » 1382 En réalité le processus est plus complexe. Pour « valider » les items on calcule le coefficient de corrélation entre le score global de chaque sujet et le score de chaque item. On élimine les items insuffisants avant de présenter l'échelle aux sujets. Pour ces opérations voir l'excellent exposé de R. Daval (1963). 1383 Mauvais item qui ne permet pas de classer les individus. C, est plus faible que D, alors que ce devrait être le contraire. 1384 W.J. Good, P.K. Hatt (1952), p. 285-295. C.A. Moser (1958), B. Matalon (1965). 1385 Dans la réalité, toutes ces échelles comportent un grand nombre d'items. Dans la réalité, toutes ces échelles comportent un grand nombre d'items. 1386 C'est le même travail qu'effectue avec une grande rapidité un ordinateur qui classe ses informations. 1387 J. Dubost (1955), R. Daval et al. (1963). 1388 P. Lazarsfeld (1949, 1954). 1389 J.W. Lapierre, G. Noizet (1961). 1390 Cf., n° 773, limites à la prévision des attitudes. 1391 CY. Glock (1955), CA. Moser (1958), Lazarsfeld (1966), L.H. Wiggins (1973), T. Caplow (1983) 1392 Le terme désigne en anglais une liste officielle
de jurés, d'experts, etc. 1393 La première enquête par panel a été effectuée par S.A. Rice (1928) en 1924. 1394 Cf. P. Lazarsfeld (1955). 1395 T. Caplow (1983). 1396 Cette enquête de Lazarsfeld (1966), comportait 7 interrogations pendant sept mois (mai à novembre) d'un échantillon de 600 personnes. Cf. également D. Merllié (1988 B. 580 bis). 1397 InJ.-L. Simon (1969), p. 246. 1398 Sauf le cas d'interviews non standardisés : interview libre où l'interprétation par l'enquêteur est également prédominante, 1399 Cf. n° 431. 1400 Cf. H. Garfinkel (1967). 1401 Cf. l'exemple de la publication des Enfants de Sanchez au Mexique. 1402 Ne pas confondre avec le « case work » procédé pratique et pédagogique utilisé par les travailleurs sociaux pour apprendre à ceux qui les consultent à s'aider eux-mêmes, ni avec la « méthode des cas » procédé pédagogique de discussion en groupe sur des cas concrets. 1403 Querelle de l'idiographique et du nomothétique, cf. n° 271. 1404 Cf. M. Jahoda et al. (1951, B. 198), L. Festínger et Katz (1959, B. 198). 1405 R. et S. Lynd (1929, 1957). 1406 P. Clément, N. Xydias (1955). 1407 C. Bettelheim, S. Frère (1950). 1408 L. Bemot, R. Blanchard (1953).
1409 Cf. les recherches des divers groupes du Centre d'études sociologiques et du C.N.R.S. 1410 L. Wylie (1957). 1411 Cf. n0! 335 et s. 1412 Cf. F. J. Roethlisberger, W. Dickson (1941) et n° 537. 1413 Cf. nos 861 et s. 1414 Cf. n° 846 1415 A. J. Vidich (1964), Participant observation (1968), J. P. Spradley (1980), S. Platt (1983). 1416 W. Foote Whyte (1943, 1951). 1417 La catégorie, comme dans l'analyse de contenu, désigne une classe donnée de phénomènes dans laquelle on peut ranger les comportements observés. 1418 Cf. W. Kornhauser (1954). 1419 In L. Festinger et D. Katz (1959), p. 452. 1420 Au sens propre signifie purge, au sens figuré se libérer. 1421 R.W. Heyns (1958, 1959). 1422 In G. Lindzey (1954). 1423 R. F. Baies (1947, 1951, 1955, 1959). 1424 In G. Lindzey (1954). 1425 R. W. Heyns and R. Lippitt in G. Lindzey (1954), R. W. Heyns and A. F. Zander in L. Festinger et D. Katz (1959), pp. 436-477. 1426 In G. Lindzey (1954). 1427 Qu'il s'agisse d'enregistrement ou de sténotypie, le coût de la dactylographie indispensable pour travailler sur document est toujours élevé.
1428 C'est ce que nous avons déjà noté dans le cas des interviews. 1429 M. Jahoda et al. (1951), p. 298. 1430 In op. rît, p. 304. 1431 R. Kluckhohn (1940), W. F. Whyte (1943,1951), H. E. Moore (1954), M. S. Schwartz, Charlotte Green Schwartz (1955), H. S. Becker (1958). 1432 Cf. sert. III 1433 J. A. Banks (1957), F. Streiffeler (1982). 1434 Cf. Lewin (1959) etn° 883. 1435 Cf. r. Pages (1969), pp. 103-118. 1436 Cf. R. Pages, pp. cit., p. 112. 1437 E. Greenwood (1945), M. Jahoda et al. (1951), A. L. Edwards in Lindsey (1954), H. Kelley, J. W. Thibaud in Lindzey (1954), L. Festinger in Festinger et Katz (1959), J. R. P. junior French in Festinger (1959), D. Katz (1959), R. Lippitt, R. D. White (1965), G. Lemaine J. M. Lemaine (1969), R. B. Zajonc (1972). 1438 In J. R. P. junior French (1959), pp. 118, 161. 1439 En construisant une échelle ou simplement en retenant certains indices : lecture du Monde, etc 1440 Cas des nombreuses expériences sur les effets des mass média. 1441 J.Janis and S. Feshbach (1954). 1442 In J. R. P. junior French (1959), p. 125 1443 P. Achard (1969), p. 331. 1444 On met dans une urne, des états déjà pris par un système (cas du pluviomètre) et par des techniques de tirage au hasard, on étudie certaines caractéristiques de ce système. 1445 H. Guetzkow (1957, 1969).
1446 R. Abelson (1963, 1968). 1447 L. Festinger (1959) in Festinger et Katz, p. 166. 1448 In G. Lemaine, J. M. Lemaine (1969), p. 86. 1449 R. Rosenthal cit. in G. Lemaine, op. rit, p. 71. 1450 M. Sherif in G. Lemaine, J. M. Lemaine (1969), p. 155. 1451 Cf. E. Mayo (1933, B. 170). 1452 Cf. M. Sherif (1953,1962, 1965, 1966, 1967). 1453 H. Garfinkel (1947, B. 170). 1454 Un « qu'est-ce que vous voulez dire » indéfiniment répété. 1455 Dans les années 1960, cf. A. W. Gouldner (1970). 1456 Cf. P. Lazarsfeld et al. (1949). 1457 Les psychiatres prévoyaient que seulement 4 % des étudiants dépasseraient 300 volts, or 78 % iDhtSorft&ué jusque-là 1458 A. Bavelas in Lasswell (1951), H. Kelley, J. W.Thibaud (1968). 1459 D. Krech, S. Crutchfïeld (1952), tome II, pp. 498 à 600. 1460 In D. Krech et S. Crutchfield (1952), p. 531. 1461 G. Homans in Lindzey (1934). 1462 H. Guetzkow (1951), D. Krech, S. Crutchfield (1952), S. Verba (1961), C A. Gibb (1968). 1463 In Lindzey (1954), p. 907. 1464 Trad. in A. Levy (1965). 1465 E. A. Shils, M. Janowitz (1948). 1466 B. Bettelheim (1947).
1467 R. Leavitt (1947), trad. in A. Levy (1965), p. 295 et Bavelas (1951), p. 193. 1468 Indices de centralité et de périphéralité. 1469 Quand on donne un n° par téléphone, l'interlocuteur doit répéter le n° pour vérifier qu'il n'y a pas eu d'erreur de transmission et non comme le plus souvent se contenter de dire oui, ce qui prouve seulement qu'il croit avoir compris. 1470 Auquel nous empruntons ces réflexions. 1471 Cas de l'action psychologique de l'armée lors delà guerre d'Algérie pour inciter les jeunes gens à s'engager. 1472 J. Dubost (1987), p. 140. 1473 J. Dubost (1987). 1474 Op. cit., p. 327. 1475 On retrouve la même évolution dans la substitution des médicaments à la cure par la parole (psychanalyse, psychothérapie) en psychiatrie. 1476 . K. Lewin (1941), cf. Levy (1965) 1477 Cf. n° 878 et in J. Levy (1965). 1478 OETpov = mesure, socius = homme social. 1479 Né a Bucarest en 1892, naturalisé américain en 1935. 1480 Moreno ne jouit pas en France du crédit qu'il mérite. Sans doute ses conceptions philosophiques sont-elles, d'expression souvent confuse, mais la richesse de son imagination, de sa sensibilité en font un auteur qui a tout de même marqué les sciences sociales de notre époque. 1481 Prononcer télé. 1482 Cf. tableau n° 890. 1483 In M.Jahoda (1951), (B. 198).
1484 Son livre, paru en 1927, s'intitulait « Le théâtre de la spontanéité ». 1485 « L'idée s'est imposée à moi qu'il fallait jouer les situations et non se contenter de les observer et de les analyser. » 1486 Moreno (1954). 1487 Cf. Le Monde du 6 juin 1995. 1488 On compterait en France 100 000 passionnés et 300 000 joueurs irréguliers, répartis dans 500 clubs. 1489 3 accidents en 15 ans c'est moins que la moto, mais on ne comptabilise pas les désordres psychologiques que peut entraîner le jeu du rôle. 1490 A. Touraine (1978, 1978, 1980, 1981, 1982, 1984, 1984). 1491 Recherche en vue de définir une théorie et une méthodologie du changement » (ronéo). 1492 Cf. J. Dubost (1987), p. 171. 1493 Crozier n'est pas d'accord sur cette interprétation de son attitude. 1494 J. Dubost (1959), p. 189. 1495 Op. cit., p. 191. 1496 En particulier la distinction entre observationparticipation et participation-observation. 1497 A quitté le mouvement 1498 G. Daumezon et Pli. Koechlin. 1499 J. Dubost (1973), p. 10 auquel nous empruntons une part de ces réflexions. 1500 Op. cit., p. 11. A noter le rôle joué par C. Castoriadis (1946) sur le plan théorique. 1501 Le courant de l'antipsychiatrie privilégie l'aspect de critique globale.
1502 Cf. M. Lobrot (1966), R. Lourau (1970, 1972), G. Lapassade (1971). Suivant les auteurs le terme a des significations différentes. 1503 En tout cas, écrit Tosquelles, lorsque j'entends discourir à propos de psychothérapie institutionnelle, comme d'une action ou d'un « projet intra hospitalier, confondant institutions et établissements de soins, espérant même, et c'est la pire des erreurs, que l'établissement en tant que tel puisse constituer une action psychothérapeutique quelconque, j'ai envie de hurler et de me tirer les cheveux de désespoir» (1973), p. 14. 1504 J. Dubost (1973), J. M. Vincent (1973). 1505 Au congrès du mouvement Freinet, J. Oury propose en 1958 l'utilisation du terme institutionnel qui sera repris par Lapassade en 1963 puis par Lobrot dans sa thèse sur l'analyse institutionnelle (1966). 1506 W. R. Bion (1965). Ses expériences sont d'ordre thérapeutique. 1507 E. Jaques (1972). 1508 Ces méthodes ont été importées en France en 1955 sous les auspices du Commissariat à la Productivité. On les appelle le plus souvent groupes de diagnostic ou groupes de base ou plus souvent dynamique de groupe. Leur usage s'est répandu, en particulier pour la formation des cadres industriels et des éducateurs mais aussi dans un but thérapeutique : toxicomanes, alcooliques, déprimés. 1509 Plus habituel aux E.-U. qu'en France. 1510 Moins traumatisant aux E.-U. qu'en France. 1511 S. Beckett avait commencé à Londres (1934) une cure psychanalytique avec Bion, espérant améliorer ses troubles psychosomatiques. 1512 Pédiatre, Winnicott (1971) émet l'hypothèse que l'objet transitionnel, le nounours, sert d'étape à l'enfant pour prendre conscience de son moi, le distinguer de l'autre en commençant par sa mère.
1513 D, Anzieu (1968, 1972, 1975). 1514 M. Pages (1959, 1965, 1968, 1972, 1985). 1515 Cf. les réactions au colloque de Sannois, P. Arbousse-Bastide (1959). 1516 L'attitude vis-à-vis des syndicats peut être retenue comme critère des intentions patronales. 1517 On manque de recul et d'expérience pour comparer les résultats : quantité et qualité des informations obtenues suivant les formules employées. 1518 Après des périodes de tension, l'A.R.I.P. se dissout, une nouvelle association est en voie de création. 1519 Cf. n° 900. 1520 Cf. n° 765. 1521 La religion, le réarmement moral et les nombreuses sectes aux États-Unis répondent à ce besoin. 1522 Sur la mentalité américaine, cf. H. M. Ruitenbeeck (1970), p. 42. 1523 In H. M. Rultenbeeck (1973), p. 58. 1524 Esalen est le nom d'une tribu indienne qui vivait autrefois sur la côte californienne. 1525 Cf. lexique, p. 1077. 1526 Le marathon commence en général le samedi à midi, dure de 12 à 14 h, le jour suivant il reprend à 10 h du matin et dure jusqu'au soir. 1527 InJ. C. Rouchy (1972). 1528 In op. rit. 1529 J. Durand-Dassier (1973). 1530 Cf. n° 185-1).
1531 En France sous des formes diverses et plus ou moins sérieuses, elle connaît également du succès. Le profit n'est pas exclu des buts de certains de ses promoteurs. Cf. le Nouvel Observateur, 9.5.1992. 1532 L'Institut fonctionne en séminaires de week-end de 75 participants, en ateliers de 5 jours pour environ 35 personnes enfin 22 résidents font un apprentissage de 9 mois. Je ne connais pas les tarifs actuels : ceux appliqués en 1985 n'avaient rien de philantropique. 1533 P. S. Péris (1969), p. 42. 1534 L. M. Ruitenbeeck (1973), p. 113. 1535 In op. cit. p. 119. 1536 Op. cit. 1537 Op. cit. 1538 M. M. Chatel (1972), p. 181. 1539 C'est déjà le cas parfois. 1540 H. M. Ruitenbeeck (1970). 1541 M. M. Chatel (1972), p. 182. 1542 Cf. A. Lebaube, La prudence européenne des directeurs du personnel, Le Monde, 29 juin 1989. 1543 Certains DESS s'intitulent : gestion des ressources humaines. 1544 De nombreux tracts ont circulé dans quelques entreprises. (E.d.F.) 1545 Le Monde, 6 octobre 1989, p. 31. 1546 Patrick Bonazza. Ces boîtes qui ont des ide'es : et les autres. Nouvel Observateur, 28.12.1988, n° 1259, p. 51-53 et 9.5.1992. 1547 La grève chez Peugeot à l'automne 1989. 1548 De nombreux cadres sont opposés à ces pressions et à cette orientation.
1549 E. Johnson et J. Varandemel: «Chamanes d'entreprises», Actuel, février 1989, n° 116, p. 115. 1550 Surtout depuis la crise. 1551 . Interview publié dans l'Express (1963). 1552 Cf., le risque, souvent évoqué, de retrouver dans les techniques ce que l'on y a mis. 1553 Malheureusement le mot est à la mode et utilisé en dehors de sa définition. 1554 Auquel nous empruntons une partie de ces références. 1555 Liste arbitraire et non exhaustive. Lorsque la nationalité n'est pas indiquée, l'auteur est français.