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French Pages 309 [316] Year 1971
LE V O C A B U L A I R E DES S C I E N C E S
SOCIALES
MAISON
DES
SCIENCES
DE
L'HOMME
MÉTHODES DE LA S O C I O L O G I E C O L L E C T I O N PUBLIÉE EN COLLABORATION AVEC L E
C E N T R E NATIONAL DE LA R E C H E R C H E S C I E N T I F I Q U E (Centre d'Études Sociologiques) ET
L ' É C O L E P R A T I Q U E DES H A U T E S É T U D E S — VI e S E C T I O N (Division de Sociologie)
I
PARIS
MOUTON
& CO
MCMLXXI
LA H A Y E
R A Y M O N D BOUDON / PAUL
LAZARSFELD
LE V O C A B U L A I R E DES S C I E N C E S
SOCIALES
CONCEPTS ET INDICES
PARIS
M O U T O N & CO MCMLXXI
LA H A Y E
Cet ouvrage a été publié avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique
Première édition
ig65
Deuxième
édition
ig6y
Troisième
édition
igji
© 1965, Mouton & Co and Maison des Sciences de l'Homme. Printed in the Netherlands
TABLE DES MATIÈRES PRÉFACE, par Jean Stoetzel
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INTRODUCTION
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SECTION I : Généralités sur la construction des variables.
1. 2. 8. 4.
Paul Lazarsfeld : Des concepts aux indices empiriques . . . Werner S. Landecker : Les types d'intégration et leur mesure Charles Y. Glock : Y a-t-il un réveil religieux aux États-Unis ? Paul Lazarsfeld et Wagner Thielens : Deux mesures de l'éminence 5. Hortense Horwitz et Elias Smith : L'interchangeabilité des indices socio-économiques 6. Allen Barton : Les variables sociologiques structurelles dans les études d'organisation
27 37 49 69 74 79
SECTION II : Les indices énumératifs.
7. V. O. Key : Les associations volontaires et la politique . . 8. Edward Suchman et Herbert Menzel : Variables démographiques et psychologiques dans l'analyse des sondages électoraux 9. Vito Ahtik : Participation socio-politique des ouvriers d'industrie 10. Samuel StouiFer : Construction d'une mesure de la tolérance
95 103 112 124
SECTION III : Les typologies.
11. Odile Benoit : Statut dans l'entreprise et attitudes syndicales des ouvriers 12. Allen Barton : Le concept d'espace d'attributs en sociologie 18. Louis Guttman : Théorie des facettes et attitudes réciproques dégroupés
135 148
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Table des matières
2
14. Raymond Boudon : Opérations typologiques et théorie des facettes 15. Jean Stoetzel et Paul Lazarsfeld : Définition d'intention et espace d'attributs 16. Joseph Greenberg et Colin Cherry : Espaces d'attributs et linguistique structurale SECTION I V
181 189 194
: Les indices paramétriques.
17. HansZeisel : Deux exemples de construction d'indice. . . . 18. Paul Maucorps et René Bassoul : L e dialogue du moi et d'autrui 19. Raymond Boudon et Paul Lazarsfeld : Remarques sur la signification formelle de deux indices 20. Claude Faucheux et Serge Moscovici : Étude sur la créativité des groupes ; tâche, structure des communications et réussite 21. Léon Festinger, Stanley Schachter et Kurt Bach : Analyse matricielle des structures de groupe 22. Claude Berge : L a construction d'un indice d'influence. . .
209 214 224 229 240 247
SECTION V : L'intégration conceptuelle des matériaux descriptifs. 28. Paul Lazarsfeld : La notion de formule-mère 24. Herbert H. Hyman : Classe sociale et système de valeurs : contribution psychologique à l'analyse de la stratification. 25. Mattei Dogan : Les attitudes politiques des femmes en Europe et aux États-Unis
255 260 283
I N D E X DES AUTEURS
303
I N D E X DES MATIÈRES
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PRÉFACE
En 1955, Paul Lazarsfeld et Morris Rosenberg présentaient en anglais sous le titre T h e language of social research un important volume de morceaux choisis concernant la méthodologie des sciences sociales. Cet ouvrage a joué le rôle d'un instrument de base non seulement pour les pays anglo-saxons, mais encore dans de nombreux autres. Voici que paraissent en français trois volumes, Le vocabulaire des sciences sociales, L'analyse empirique de la causalité, et L'analyse des processus sociaux, qui, dans une version largement remaniée et augmentée, mettent très utilement à la disposition du public francophone la partie la plus importante du travail de 1935.
Le premier volume, Le vocabulaire des sciences sociales, traite de la relation entre les concepts et les indices. Le problème est double. D'abord il consiste à se demander comment un concept, issu du langage courant ou de la réflexion théorique sur la réalité sociale, peut être traduit en une mesure. Une telle question est absolument générale. Toute proposition sociologique, proposition défait (la foi religieuse est en déclin) ou proposition théorique (une organisation bureaucratique du travail entraîne l'insatisfaction) suppose un accord intersubjectif sur le classement des éléments de l'échantillon retenu pour la vérification : ainsi une proposition comme la seconde ne peut être vérifiée que si des observateurs indépendants s'accordent pour classer de la même façon un ensemble d'organisations relativement à leur degré de bureaucratisation. Comment réaliser cet accord intersubjectif? Telle est la question à laquelle répond l'ensemble du volume à l'exception de la dernière section. On verra qu'aucune technique, aucune solution mécanique et aveugle ne peut être utilisée, que toute mesure requiert de la part du chercheur une réflexion sur les données particulières du problème. Cependant, les exigences auxquelles doit répondre toute mesure, en même temps que la suite des opérations à accomplir peuvent être
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Préface
décrites de façon générale. Si Von analyse de manière critique un ensemble de recherches empiriques convaincantes on remarque que la procédure de traduction des concepts en indices peut s'analyser en un certain nombre de phases et implique plusieurs concepts d'ordre logique, concepts de dimension, d'espace d'attributs, d'opération sur un espace d'attributs par exemple, essentiels à la recherche mais qui sont parfois utilisés par le chercheur à son propre insu. Ceci nous conduit à la définition de la méthodologie implicitement contenue dans les trois volumes présentés ici. Le problème de la traduction des concepts en indices, comme le problème inverse de la traduction conceptuelle des résultats descriptifs qui fait l'objet de la dernière section du Vocabulaire des sciences sociales, comme les problèmes posés dans les volumes suivants ne peuvent, en aucune façon, être considérés comme des problèmes d'ordre technologique. Il est important de souligner ce fait à propos de la mesure, car le développement des techniques de mesure des attitudes a pu laisser croire à certains qu'on pouvait désormais décider de la validité d'un instrument de mesure par des moyens automatiques en observant simplement si un modèle de mesure est ou non satisfait — ou déterminer de manière aveugle les dimensions sous-jacentes à un ensemble de réponses. En fait, les modèles de mesure ou d'analyse dimensionnelle ne représentent et ne représenteront jamais qu'une province dans le problème général de la mesure. On comprend ainsi la différence fondamentale entre technologie et méthodologie. La méthodologie peut être définie comme l'art d'apprendre à découvrir et analyser les présupposés et procédures logiques implicites de la recherche, de façon à les mettre en évidence et à les systématiser. Un exemple qui montre bien la nature de l'analyse méthodologique est le texte de Barton sur le concept d'espace d'attributs dans le Vocabulaire des sciences sociales : on y verra que ce concept est très généralement employé, puisqu'il sous-tend le problème général de la construction des typologies; cependant, lorsque son emploi ne fait pas l'objet d'une prise de conscience critique, on peut souvent mettre en évidence certaines déficiences dans les procédures de la recherche. Remarquons entre parenthèses que, bien que la méthodologie doive être tenue pour distincte de la technologie, elle n'exclut nullement le recours au formalisme mathématique, comme le lecteur pourra le constater dans certains textes qui lui paraîtront sans doute plus difficiles. La méthodologie peut donc être définie comme un savoir résultant d'une réflexion sur la pratique de la recherche. Il est difficile de la faire tenir exclusivement dans des textes théoriques; et le but d'un ouvrage de méthodologie est plutôt de montrer comment la réflexion critique peut s'exercer sur des recherches effectives. Pour cette raison les trois volumes sont divisés en sections comportant en général un texte introductif de nature théorique et une série de textes empruntés à des recherches publiées. Le premier est destiné à servir de guide dans l'analyse des seconds. Du langage de la recherche sociale — comme disait le titre de l'ouvrage de 1955 — le premier volume étudie les aspects les plus élémentaires : les termes de ce
Préface
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langage — son vocabulaire — sont représentés par les variables formées à partir des concepts. Si on désire poursuivre l'analogie, on peut dire que les problèmes de syntaxe surgissent à partir du moment où ces variables sont mises en relation. C'est à eux que L'Analyse empirique de la causalité est consacrée. Ici encore, il est possible de dégager de l'analyse des textes un certain nombre de principes, de procédures, de paradigmes logiques qu'il importe de mettre en évidence et de systématiser. Le lecteur verra, en étudiant de près tel ou tel texte, combien l'analyse critique d'une démonstration peut être facilitée par la formalisation des procédures de recherche. Il découvrira que des textes aussi familiers que Le suicide de Durkheim peuvent être utilement réexaminés à la lumière de cette formalisation et qu'ils apparaissent comme une source de réflexion méthodologique féconde. Mais notre sentiment est que le lecteur n'aura vraiment compris la signification de ce volume — et des deux autres — que s'il perçoit clairement qu'un grand nombre de problèmes méthodologiques, d'importance primordiale pour le développement de la recherche sociologique, sont ici posés, mais non toujours complètement résolus. Prenons, par exemple, la section sur l'analyse contextuelle : elle montre comment, en construisant des variables caractérisant non seulement les individus, mais leur milieu, on peut donner à une enquête une dimension vraiment sociologique. Cependant, pour être en mesuré d'analyser les différentes combinaisons possibles entre effets du milieu et effets individuels, il faudrait pouvoir introduire une formalisation qui, dans l'état actuel des choses, n'existe que de façon fragmentaire. Un autre problème apparaît clairement si on compare la section sur l'analyse contextuelle et la section sur l'analyse écologique : la seconde montre que les données statistiques agrégatives, dont le sociologue aurait mauvaise grâce à ne pas faire usage, puisqu'elles représentent le plus souvent une information gratuite d'origine administrative, présentent en général des inconvénients logiques majeurs. Grossièrement, connaissant pour un ensemble de circonscriptions électorales le pourcentage de votes en faveur d'un parti et le pourcentage d'employés, il est généralement impossible d'en déduire le nombre d'employés ayant voté pour le parti. Par ailleurs, l'analyse contextuelle peut avoir l'inconvénient d'entraîner des coûts excessifs. Un problème fondamental demeure ainsi ouvert à la recherche méthodologique : celui du couplage entre l'information obtenue par sondage et l'information de type écologique. Le troisième volume, L'analyse des processus sociaux, traite de l'analyse des données recueillies dans le temps. De même que la superposition des effets de milieu aux effets individuels complique l'analyse des données, de même l'introduction du temps dans l'observation engendre des problèmes inédits. La forme la plus classique de ces études temporelles est représentée par l'analyse des covariations entre séries : c'est celle qu'on trouve, par exemple, dans les travaux de Simiand. Elle tend à être rénovée aujourd'hui par le recours aux méthodes de simulation et à la théorie des processus stochastiques. Mais ces nouvelles formes de méthodologie restent encore expérimentales. En revanche, le domaine des
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études par « panel », ou des observations successives des mêmes individus sur une courte période, est mieux exploré méthodologiquement. A propos de telle ou telle recherche, le lecteur aura l'occasion de se familiariser avec Vanalyse des tables résultant de ce mode d'observation ; il retrouvera sous une forme particulière les problèmes posés dans le Vocabulaire des sciences sociales et dans L'analyse empirique de la causalité : ainsi la mesure de la rotation le ramènera aux problèmes de la construction des indices. *
*
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Ces trois volumes devraient assurer une double fonction. En premier lieu, ils devraient être un instrument utile pour la formation méthodologique des étudiants. Chacun des textes retenus peut donner lieu à une explication de texte : analyse ¿les présupposés attachés à une procédure de recherche donnée, mise en évidence des instruments logiques employés, recherche d'autres procédures possibles, etc. Après avoir examiné en détail un certain nombre de textes, l'étudiant devrait avoir une vue plus exacte des qualités et des difficultés de telle ou telle procédure pour vérifier une idée ou une théorie; il devrait aussi être débarrassé de certaines croyances, résultant d'une familiarité superficielle avec la méthodologie, selon laquelle des techniques comme l'analyse hiérarchique, l'analyse de variance ou l'analyse factorielle constituent un équipement intellectuel suffisant pour résoudre tous les problèmes de construction des indices ou de l'analyse des relations entre variables. En second lieu, ces volumes devraient contribuer au développement de la méthodologie des sciences sociales et être utiles même au chercheur avancé. Les quelques problèmes non résolus que nous citons plus haut sont incontestablement des problèmes difficiles qui ne pourront sans doute être éclaircis que progressivement, par une suite de contributions particulières. Il en est beaucoup d'autres, qui transparaissent de cet ensemble de textes. Or, pour qu'ils puissent être résolus, il faut d'abord qu'ils soient perçus, c'est-à-dire que le chercheur s'entraîne à prendre, par rapport aux procédures de recherche, la distance de la réflexion. Remarquons pour finir que les trois volumes qui paraissent aujourd'hui ne couvrent évidemment pas le domaine entier de la méthodologie sociologique. Ainsi qu'il a déjà été observé, ils correspondent aux trois premières parties de l'ouvrage américain dont ils procèdent : or celui-ci n'en comporte pas moins de six. Il faut donc espérer que Le vocabulaire des sciences sociales, L'analyse empirique de la causalité et L'analyse des processus sociaux seront suivis d'autres volumes, sur les conditions générales de la recherche appliquée aux petits groupes, l'analyse empirique des conduites sociales effectives, et sur les préalables philosophiques d'une physique sociale. On disposera ainsi d'un instrument très efficace pour l'enseignement de la méthodologie des sciences sociales, c'est-à-dire d'une discipline dont l'importance est croissante et le besoin de plus en plus vivement ressenti par les étudiants et les chercheurs. J e a n STŒTZEL.
Nous tenons à remercier vivement ici MM. René Bassoul, Éric de Dampierre, Mattei Dogan, Joffre Dumazedier, François Isambert, Jacques Maitre, Paul Maucorps, Henri Mendras, Jean-Daniel Reynaud, Alain Touraine, ainsi que l'ensemble des chercheurs du Centre d'études sociologiques pour leur participation aux séances de discussion qui ont fixé la conception de cet ouvrage; Monsieur Jean-René Tréanton pour ses critiques et suggestions; Mademoiselle Marie-Claire Vitale pour la traduction des textes américains et anglais; Mesdames Chobaux et Œconomo pour leur aide dans la mise au point du manuscrit.
INTRODUCTION
Le sociologue dispose, dans la recherche empirique, de plusieurs stratégies possibles. Il peut avoir une théorie déterminée et chercher à la vérifier; chercher à détecter les effets d'une situation concrète ou d'un stimulus contrôlé; s'efforcer d'explorer une situation sociale donnée, sans idée préconçue, simplement pour la mieux comprendre. Bien souvent, il se contente de recueillir les observations qui s'offrent à lui, un peu à la manière des premiers naturalistes, adressant à son objet des questions simples et nombreuses, de façon à multiplier les angles de vue; souvent aussi, il introduit des classifications permettant de simplifier la réalité pour en faciliter l'analyse. De toutes manières, il se trouvera toujours à un moment ou à un autre de la recherche confronté avec le problème de la construction des variables, c'est-à-dire de la traduction des concepts ou notions en opérations de recherche définies. Le mot « variable » a, notons-le en passant, une histoire ambiguë. Issu de la mathématique et de la physique théorique, il désigne, dans sa connotation primitive, une « mesure », ou classification soumise à certaines règles formelles. Dans les sciences sociales, le terme a pris un sens plus large et l'usage s'est peu à peu établi de comprendre dans le concept de variable le résultat de la partition d'ensembles d'objets selon un ou plusieurs critères spécifiques : sexe, niveau de qualification, âge sont des exemples de variables. Les classifications qui correspondent à la première et à la seconde sont respectivement nominale et ordonnée ; la troisième seule est quantitative et de même type que les variables utilisées par la physique. Dans un traité d'épistémologie, on utiliserait sans doute un terme générique dont une des espèces serait représentée par les variables au sens usuel : le sexe serait défini comme un attribut dichotomique ; la hiérarchie professionnelle comme un ordre; l'âge comme une variable au sens étroit
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Introduction
du mot. L'anglais étant actuellement la seule langue à avoir accepté un néologisme 1 correspondant au concept de variable généralisée, il est sans doute préférable de réserver le terme « variable » à cet usage. L'origine du vocabulaire des sciences sociales est diverse. Ses termes — les variables — sont parfois la traduction en termes opérationnels de notions familières (intelligence, coût de la vie, moral). Ils peuvent aussi dériver de considérations théoriques (introversion, intégration, cohésion). Mais, quelle que soit leur origine, ils sont obtenus à partir des concepts et notions par une procédure définie et immuable. L a première section de ce volume donne les règles générales de traduction qui permettent de passer du vocabulaire des concepts à celui des variables. Les suivantes visent à familiariser le lecteur avec le détail de la démarche. O n s'est efforcé de choisir les exemples dans des domaines variés de la sociologie et de la psychologie sociale, de façon à mettre en évidence la généralité des problèmes méthodologiques rencontrés.
SECTION I . —
Généralités sur la construction des variables.
L e point de départ est toujours une expression verbale. L e plus souvent cette expression correspond logiquement plutôt à une notion q u ' à un concept, si on admet qu'un concept comporte nécessairement une définition rigoureuse et qu'une notion se réduit à un ensemble d'images non systématisées. Nous avons, en ce sens, une notion ou représentation syncrétique de la cohésion ou de l'introversion, mais elle est en général insuffisamment précise pour permettre de déterminer lequel, de deux individus, est plus introverti, ou lequel, de deux groupes, est plus cohésif. En termes de logique, le problème revient à essayer de transformer cette notion en concept, ou de préciser la définition. Cependant, le sociologue utilisera plutôt un autre langage : il dira que le problème est de distinguer les dimensions spécifiques de la représentation originale et de trouver des indicateurs pour chaque dimension. L e texte i (Lazarsfeld) décrit cette procédure en détail, aussi est-il inutile de s'y attarder ici. Notons seulement que le lecteur pourrait, après s'être familiarisé avec l'idée de dimension (page 28), se demander quelle est sa relation avec l'idée logique de définition. Parmi les nombreux exemples qui peuvent servir à illustrer la procédure présente, on peut retenir la célèbre élaboration du concept de « personnalité autoritaire » que, faute de place, nous nous contenterons d'évoquer ici : le lecteur aura intérêt à se reporter au chapitre 7 du livre d'Adorno et à suivre, étape par étape, la démarche qui v a de l'analyse de la 1. « Variate. »
il
Généralités sur la construction des variables
notion à la construction de 1' « échelle F ». Il notera au passage la liste des neuf dimensions du concept (p. 228) et étudiera en détail la procédure de sélection des indicateurs. O n peut évidemment se demander ce qu'on gagne à emprunter la voie détournée des dimensions, des indicateurs et des mesures, puisqu'on aboutit finalement à des descriptions verbales. L a réponse est simple. L'ensemble de l'analyse a pour effet de simplifier la connotation du concept primitif de façon à susciter un accord intersubjectif sur son contenu. Il n'existe évidemment pas de limite impérative au processus de spécification : une dimension peut toujours donner lieu à de nouvelles subdivisions. Mais on pressent qu'une finesse excessive de l'analyse conduit à accepter des dimensions redondantes et à utiliser finalement des indicateurs qu'on aurait pu aussi bien obtenir directement à partir des notions. Il est très intéressant d'étudier de près certains débats classiques sur ce problème, comme la critique adressée par Landecker (texte 2) à l'indice d'intégration sociale proposé par Robert Angell. Négligeant la deuxième étape de la procédure-type, Angell avilit choisi, intuitivement, sans procéder à une analyse dimensionnelle, une série d'indicateurs hétérogènes (taux de criminalité, importance des contributions volontaires, etc.). Le mérite de Landecker fut de montrer les difficultés provoquées par une telle procédure et les avantages d'une analyse dimensionnelle préalable à la sélection des indicateurs. Il fut amené à distinguer quatre types d'intégration : culturelle, normative, communicative, fonctionnelle, et à proposer une série de mesures correspondant à ces dimensions. Son analyse a également l'intérêt de montrer l'utilisation possible de résultats empiriques divers, obtenus souvent dans le cadre de préoccupations très différentes. Elle illustre enfin la dépendance de la sociologie par rapport à l'accumulation du savoir empirique : on y voit, en effet, que cette discipline est très inégalement préparée à traiter quantitativement des différents types d'intégration. Remarquons d'ailleurs que l'analyse de Landecker peut être interprétée de deux manières différentes. O n peut, soit admettre avec l'auteur que les quatre types d'intégration doivent, dans l'état actuel de la connaissance, demeurer distincts, soit, prolongeant certaines suggestions de Landecker lui-même, tenter de combiner en un seul indice les indicateurs proposés : on obtiendrait alors une mesure infiniment plus satisfaisante que l'indice primitif d'Angell. Le texte 3 (Glock) examine des difficultés logiques et sémantiques de même type que l'article de Landecker : Glock procède à une analyse des dimensions correspondant au concept de religiosité, et dresse un catalogue sommaire des indices qui pourraient être utilisés pour caractériser chaque dimension. L'analyse dimensionnelle permet de rendre s
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Introduction
compte d'affirmations contradictoires, recueillies dans la littérature sociologique, sur le « réveil religieux » américain et montre clairement la fonction essentielle de la quantification : épurer la connotation des notions du langage courant, de façon à éliminer les propositions contradictoires. Quel que soit le niveau d'analyse auquel on s'arrête, on doit, à un certain moment, choisir des indicateurs. Cette opération est en général arbitraire, car on ne dispose pas actuellement d'une théorie formelle permettant de résoudre ce problème avec rigueur. On ne peut savoir si un indice donné est satisfaisant qu'après avoir effectué de nombreuses recherches. Il ne faut cependant pas exagérer les inconvénients de cet état de choses. Il est possible de discuter à perte de vue sur la validité d'une mesure, mais la recherche empirique nous fournit un résultat qui limite la portée de telles discussions : on s'aperçoit, en effet, que des indices formés à partir d'indicateurs différents fournissent souvent des résultats semblables. Ce phénomène, d'importance primordiale pour la recherche, a été appelé « interchangeabilité des indices ». Les textes 3 et 4 en sont des exemples. Le texte 4 (Lazarsfeld et Thielens) analyse dans cette perspective la liaison observée dans les milieux universitaires entre l'éminence sociale et le libéralisme. L'un des problèmes était d'apprécier aussi objectivement que possible la première variable. Le texte reproduit ici montre que deux indices construits à partir d'indicateurs différents conduisent à un résultat identique, lorsqu'on étudie la relation de cette variable avec une caractéristique externe. Le texte 5 (Horwitz et Smith) introduit la même idée à un niveau de complexité supérieur. Les résultats du texte 4 sont établis à partir d'un échantillon de 2 500 individus. Ceux du texte 5 à partir de 120 échantillons. Le problème était d'étudier la relation entre statut socioéconomique et diverses attitudes relatives aux affaires publiques. Dans chaque échantillon, le statut socio-économique est mesuré de deux façons différentes. Afin de faciliter la comparaison de résultats portant sur un aussi grand nombre d'échantillons, on a caractérisé la relation entre statut et attitudes à l'aide d'un coefficient de corrélation. On remarquera que dans le texte précédent, on ne s'est pas soucié de calculer un tel coefficient, car il n'est, en fait, qu'un résumé de l'information contenue dans des tables plus explicites. Le coefficient de corrélation est donc introduit ici pour des raisons purement pratiques. On notera, de plus, que l'unité d'observation du texte 5 correspond à l'ensemble de l'échantillon du texte 4, de sorte que l'interchangeabilité des indices, vérifiée dans le dernier cas sur un ensemble de personnes, apparaît dans le premier comme également caractéristique d'un ensemble d'échantillons. Comme on pouvait s'y attendre, on remarque un certain nombre de cas, peu fréquents, où les mesures ne conduisent pas à
Généralités sur la construction des variables
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des relations identiques. Certains de ces cas peuvent du reste être interprétés à l'aide d'hypothèses spécifiques. L a règle de l'interchangeabilité des indices est d ' u n e grande importance pratique. Elle permet de répondre à la question, dite parfois de la validité interne, q u ' o n peut formuler ainsi : « G o m m e n t savoir si on mesure effectivement ce qu'on prétend mesurer? », en évitant l a réponse assimilant la signification du concept à la signification d e l'instrument de mesure (« l'intelligence, c'est ce qui est mesuré p a r les tests d'intelligence »). O n ne saurait assez insister cependant sur le rôle d e contrôle exercé p a r l'analyse conceptuelle q u i fonde, en dernier ressort, cette règle pratique : si les dimensions sont définies avec une précision suffisante et utile, les indices formés doivent faire apparaître des résultats identiques, m ê m e s'ils sont composés d'indicateurs distincts. O n a sans doute essayé de donner à ces problèmes une formulation plus précise : c'est à propos de préoccupations semblables q u e G u t t m a n a présenté l'idée d'univers de contenu, q u i consiste à concevoir tout ensemble fini d'indicateurs c o m m e un échantillon prélevé dans un ensemble infini. U n tel concept est une bonne description du problème, mais n'est d ' a u c u n secours dans le choix des indicateurs, q u i doit rester plus ou moins arbitraire. O n verra, dans les textes 13 et 14, c o m m e n t on peut le rendre moins arbitraire dans certains cas particuliers. Notons au passage q u e nous rencontrons là une des difficultés de l'analyse méthodologique, laquelle peut prétendre restreindre et localiser le rôle de l'intuition, mais non l'éliminer. Nous terminons cette section par une suggestion d'ordre pratique, illustrée par le texte 6 (Barton). G o m m e le fait ressortir l'analyse de Landecker, le choix des indicateurs est limité par les sources d'information disponibles : la « validité » des indices d'intégration normative dépend dans une certaine mesure de la qualité des statistiques criminelles. Cependant, à mesure que les recherches empiriques se multiplient, le sociologue peut avoir recours à des sources d'information de plus en plus nombreuses et diverses. Il est b o n , dans ce cas, d e procéder, avant d'entreprendre le choix des indicateurs et la construction des indices, à une analyse méthodologique récapitulative des sources d'information et des types d'indices utilisés dans le c h a m p q u ' o n se propose d'étudier. L e texte 6 est u n exemple de recensement d e mesures utilisées dans la sociologie des organisations; le classement est effectué à partir des types d'opérations caractérisant les variables. O n y verra notamment comment des mesures sociométriques, souvent difficiles à obtenir et à manipuler, peuvent être remplacées par des mesures plus simples. U n e telle récapitulation est particulièrement utile lorsque les mesures visent à caractériser n o n des individus, mais des groupes ou plus généralement des ensembles d'individus.
Introduction
H
SECTION I I . — Les indices énumératifs. Dans cette section, nous faisons un pas en arrière pour nous interroger sur la manière dont les indicateurs doiveht être combinés sous forme d'indices. U n e des mesures du statut socio-économique du texte 5 (Horwitz et Smith) apparaît comme très élémentaire : elle consiste simplement à dénombrer les observations caractérisant une personne comme « aisée ». Bien que rudimentaire, une telle procédure est d'application très générale. Elle est non seulement utile, mais préférable à des techniques plus complexes, lorsqu'on veut résumer une masse d'informations de façon à obtenir une idée générale de la relation entre diverses variables sans prétendre à des analyses raffinées. U n e des applications les plus intéressantes de cette procédure est fournie par le livre de V . O . K e y : Public opinion and American democraçy x, qui tente d'inventorier l'apport des études de comportement politique à la théorie politique traditionnelle. U n des chapitres analyse le rôle des groupes de pression dans la formation de l'opinion. L'idée suggérée dans le texte reproduit ici (texte 7) est que l'étude de l'influence des groupes de pression sur le public suppose une observation préalable de leur efficacité auprès de leurs propres membres et de leurs effectifs virtuels. Si on analyse à titre d'exemple le tableau 3, on y trouve comparés les intérêts politiques d'agriculteurs appartenant et n'appartenant pas, respectivement, à des organisations professionnelles. L a comparaison est double : elle porte sur l'intérêt politique proprement dit ou le degré auquel les répondants se sentent concernés par les événements politiques et les affaires publiques, d'une part, le sentiment d'efficacité (de leurs propres opinions et comportements sur les événements politiques), d'autre part. L e sentiment d'efficacité, comme on peut le voir en se reportant au texte, est mesuré par une série de questions sur l'importance pratique du vote, etc...; l'intérêt, par un échantillon de comportements analogues à ceux du texte 5 (Horwitz et Smith). Ces indices rudimentaires suffisent à montrer que les agriculteurs appartenant à des organisations agricoles totalement dépourvues de finalité politique manifestent un intérêt politique et un sentiment de l'efficacité plus marqués. En termes d'interprétation, nous avons affaire ici à une relation mutuelle : l'intérêt politique rend plus probable l'appartenance à des groupes organisés, l'appartenance à de tels groupes ayant à son tour tendance à renforcer l'intérêt politique. Bien qu'élémentaires, les indices utilisés dans les textes 3, 4 et 6 sont fondés sur une hypothèse formelle qui peut s'énoncer ainsi : 1. Alfred A. Knopf, New York, 1961.
Les indices énumératijs
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chaque indicateur (chaque réponse à une question ou élément de comportement observé) a d'autant plus de chances d'apparaître comme positif que la caractéristique dont chacun de ces items est censé être l'indicateur est davantage affirmée chez un individu. O n en déduit que plus est élevé le nombre des réponses positives (allant dans le sens de la caractéristique étudiée), plus doit être élevé le rang du répondant dans l'ordre latent que la mesure tente de déterminer. Dans le cas le plus simple, l'addition des réponses positives introduit l'hypothèse supplémentaire que chaque élément d'information a un pouvoir d'indication égal. Cette dernière hypothèse est évidemment rarement vérifiée. Pour l'éliminer, il peut être nécessaire de recourir à des modèles mathématiques de mesure, dont il existe actuellement un nombre si considérable que nous avons préféré les omettre dans le présent recueil. Le lecteur curieux de ces problèmes pourra consulter, par exemple, le livre de W . S. Torgerson : Theory and methods of scaling, New York, Wiley, 1958. Il arrive aussi que des indicateurs puissent être choisis selon un ordre naturel. Supposons qu'on distingue catholiques et non catholiques et qu'on se demande si les catholiques ont davantage tendance à voter pour un parti donné. A u x États-Unis au moins, on constate que tel est bien le cas. Mais on peut désirer étudier le phénomène de façon plus détaillée. L e degré d'attachement à la religion est variable et peut être mesuré par divers types de comportement comme l'assisr tance régulière à la messe, le jeûne hebdomadaire, etc. Ces deux questions permettent de distinguer trois degrés d'attachement à la religion. L e texte 8 (Menzel et Suchman) montre l'utilité de cette procédure en l'appliquant à divers groupes ethniques et religieux. Ici, les indicateurs subsidiaires servent à raffiner la caractéristique démographique originelle qui joue le rôle principal. Bien que nous excluions systématiquement les modèles mathématiques de mesure, il existe une procédure particulièrement simple et couramment utilisée, dont nous présentons ici deux exemples. Sa logique peut être illustrée à partir d'un ensemble de deux indicateurs dichotomiques : dans ce cas, les sujets observés doivent tomber dans un des quatre groupes caractérisés par un symbolisme évident : H — -\ , [-, . O n sera toujours d'accord pour ranger les configurations H—f- et — — aux rangs extrêmes de l'ordre qu'on se propose d'établir. E n revanche, il est difficile de décider de l'ordre des deux configurations intermédiaires, en l'absence d'une pondération particulière. U n e solution, parmi d'autres possibles, consiste à choisir un ensemble d'indicateurs ayant la propriété de cumulativité : des items sont dits cumulatifs lorsque des deux configurations -| et (-, une seulement apparaît. U n exemple élémentaire d'items ayant la propriété de cumulativité est donné au début du texte 10 (Stouffer). Dans le
Introduction
i6
texte 9 (Ahtik), cette technique est utilisée pour établir des indices permettant de ranger un échantillon d'ouvriers selon leur attachement à différents types de culture et leur degré de participation politique. Chacune des « échelles » ainsi obtenues étant composée de 6 items permettait de classer les répondants en 7 groupes. Remarquant que, en fait, certaines d'entre elles étaient statistiquement liées deux à deux, de sorte qu'il était possible de prédire avec une certaine probabilité de succès le classement d'un ouvrier sur une des échelles à partir de son classement sur l'autre, l'auteur a ensuite dichotomisé les classements obtenus à partir des échelles et construit des scores additifs à partir des échelles liées. Il est vraisemblable qu'une telle procédure, tout en ne conservant que l'information nécessaire à l'élaboration des résultats qui suivent, assure une bonne validité des mesures. Dans Communism, conformity and civil liberties1, Stouffer utilise une échelle de tolérance dont la logique est un peu plus complexe que celle des items cumulatifs, tout en restant fondamentalement la même. Stouffer introduit ici l'idée A'ensembles cumulatifs d'items. L e texte 10 reproduit l'appendice de l'ouvrage, expliquant en détail la construction de l'échelle. L'utilisation de l'échelle est illustrée par un petit nombre de pages extraites du corps de l'ouvrage.
SECTION I I I . —
Les
typologies.
Revenons maintenant à l'exemple des deux questions dichotomisées permettant de partitionner l'ensemble des répondants en quatre sousensembles. Il n'est pas nécessaire d'introduire un ordre entre ces sous-ensembles. Bien souvent, on désirera seulement étudier les différences liées à une classification donnée : on parlera alors de typologie. L e texte 11 (Odile Benoit) divise un échantillon d'ouvriers selon leur contribution, faible ou forte, et leur rétribution, faible ou forte, dans l'entreprise. L'auteur montre ensuite que les quatre types d'ouvriers ainsi définis ont des comportements et attitudes différents, en ce qui concerne les relations perçues et souhaitées entre patrons et ouvriers. Il est évident que les ouvriers caractérisés par une faible contribution et une forte rétribution doivent se comporter différemment des ouvriers caractérisés par une forte contribution et une faible rétribution. A u c u n des deux types ne peut être statistiquement négligé. Le lecteur notera, incidemment, que les deux classes de statut et de succès ont été déterminées par un indice agrégatif du type conventionnel présenté dans les textes 4 et 5. Lorsqu'on dispose de nombreuses caractéristiques, elles-mêmes sub1. Doubleday and Co., Garden City, New York, 1955.
Les typologies
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divisées en un nombre de classes supérieur à deux, on aboutit rapidement à un nombre de types très élevé. L a combinaison de trois caractéristiques trichotomiques engendre 3® = 27 types. Dans une telle situation, on devra en général entreprendre de combiner ces types en des groupes moins nombreux et plus extensifs. Cette procédure, dite de « réduction », est présentée dans le texte 12 (Barton). L'auteur décrit ensuite la démarche inverse (« substruction »). Dans ce dernier cas, on part d'une typologie déjà établie et on se demande si on peut trouver un ensemble de variables et de catégories ou « valeurs » de ces variables, de telle sorte que, par une combinaison typologique et peut-être une réduction, on puisse reproduire la typologie initiale. Si on y parvient, on peut alors se demander si le système combinatoire ainsi obtenu donne lieu à des types inédits et sociologiquement pertinents. L a procédure de substruction est fondamentale dans la recherche et mérite d'être étudiée avec attention. L e lecteur est invité à prendre quelques exemples parmi les nombreuses typologies publiées dans la littérature et à se livrer à quelques exercices de substruction. L e texte 13 (Guttman) peut être considéré comme une application originale de l'idée de typologie à l'interprétation d'une structure statistique particulière. L'idée de Guttman est la suivante : supposons qu'un ensemble d'items puisse, après une analyse qualitative, être réparti en un certain nombre de types correspondant aux cellules d'un espace d'attributs et que les catégories soient ordonnées sur les diverses dimensions. U n e situation de ce genre apparaîtra, par exemple, si une série d'items porte sur des questions de croyance et la série restante sur des questions de comportement : une des dimensions de l'espace qualitatif correspondrait alors au couple croyance/comportement. Par ailleurs, on peut admettre qu'une croyance (raciste, par exemple) est plus anodine ou moins prédictive d'une conduite raciste effective qu'un comportement raciste manifesté dans le passé ou verbalement accepté. O n symbolisera cette idée par l'expression « croyance < comportement ». D e la même façon, on pourrait définir les autres dimensions de l'espace et l'ordre des catégories sur chaque dimension. O n obtient ainsi, à partir de l'analyse sémantique des items, un espace d'attributs possédant un certain nombre de dimensions ou facettes. Cette substruction permet alors de classer chaque item particulier dans une cellule donnée de l'espace qui définit ainsi des types d'items. Par ailleurs, comme les catégories de chaque dimension sont ordonnées, il est possible de dégager différents sous-ensembles de types dont les éléments sont ordonnés de sorte qu'on ait, par exemple, r < s < t < u < . . . où < est la relation d'ordre et r, s, t, u représentent les types d'un sous-ensemble de types ordonnés. L'étape suivante consiste à associer à chacun de ces types un score individuel qui peut être obtenu, par exemple, en dénombrant les réponses « positives » données par un sujet
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Introduction
à l'ensemble d'items classés dans ce type. Si on calcule les intercorrélations entre les scores, on obtient alors une structure statistique correspondant à la structure sémantique représentée par l'espace d'attributs. L'hypothèse fondamentale de Guttman est que si deux types sont sémantiquement plus proches que deux autres, les scores qui correspondent aux deux premiers doivent être plus fortement liés que ceux qui correspondent aux seconds : elle permettrait ainsi de prédire que la corrélation entre r et s doit être plus grande que la corrélation entre r et t, elle-même plus grande que la corrélation entre r et u, etc... E n se reportant aux données empiriques produites par Guttman, on constate que l'hypothèse est vérifiée et, qu'à la structure sémantique, correspond bien la structure statistique prédite. L'ordre typologique peut ainsi être tenu comme l'explication de l'ordre statistique. O n notera en passant l'intérêt d'un plan d'analyse comme la théorie des facettes pour la construction d'items ou d'ensembles d'items qu'on désirerait munir d'une structure statistique particulière, telle que la structure d'ordre des intercorrélations ou structure de simplex analysée par Guttman. L e texte 14 (Boudon) montre, en guise de commentaire, que l'utilisation des opérations typologiques, apparente dans la « théorie des facettes », est souvent implicite dans des processus « intuitifs » de sélection d'indicateurs cumulatifs; il fait ensuite apparaître que le type de réduction utilisé par Guttman, bien qu'ayant l'avantage de posséder des propriétés formelles qui le rendent maniable, est particulier. U n e analyse du texte 10 de StoufFer donne l'exemple d'un autre type de réduction et d'une procédure qui, bien que présentant par rapport à celle de Guttman l'inconvénient de ne pas être complètement formalisable, peut être également utile à la sélection des indicateurs. L e texte 15 (Stoetzel et Lazarsfeld) illustre un autre type d'application des espaces d'attributs. Les difficultés de la formalisation dans les sciences sociales font que leurs concepts sont définis de façon diverse et parfois contradictoire, que des notions multiples sont introduites pour caractériser des phénomènes dont on ne voit pas toujours clairement ce qui les distingue. L e remède à une telle situation ne peut évidemment consister à réunir une commission de vocabulaire pour officialiser les définitions. Il est beaucoup plus important d'analyser les intentions scientifiques sous-jacentes aux concepts introduits par la littérature sociologique et de dresser une typologie de ces intentions. L'arbitraire et la convention peuvent intervenir à ce moment seulement; car il importe peu, lorsqu'un type a été caractérisé avec précision, qu'on lui associe un terme ou un autre. L e texte de Stoetzel applique cette stratégie à un type d'objet largement étudié par la psychologie sociale et généralement désigné par le terme d' « attitude » : on verra que l'analyse de Stoetzel est une analyse de l'objet scientifique qui correspond à ce terme et non des usages linguistiques variables. L e texte de
Les indices paramétriques
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Lazarsfeld applique enfin la même approche à un ensemble de notions caractérisant des intentions voisines : opinion, motivation, attitude, disposition, etc... Nous concluons par le texte 16 (Greenberg et Cherry) qui illustre la généralité du concept d'espace d'attributs et son application à la linguistique structurale. L e lecteur remarquera notamment que l'inventaire établi par Greenberg des usages et fonctions de la notion de typologie en linguistique pourrait être littéralement transposé dans le domaine de la sociologie. SECTION I V . — Les indices paramétriques. Revenons une fois de plus aux quatre configurations définies par un ensemble de deux attributs dichotomiques et imaginons des données numériques arbitraires, comme au tableau suivant :
+
2
—
30
30
60
10
30
40
40
60
100
O n peut se demander maintenant comment les réponses à une question sont liées aux réponses à une autre question. D e façon vague, on voit qu'une réponse négative à la question 1 a plus de chance d'être associée à une réponse négative à la question 2. Comment une telle relation peut-elle être mise sous forme d'indice? Ici, la notion d'indice prend une signification évidemment très différente de celle qu'elle avait précédemment. Dans les exemples des sections I I et I I I , on se proposait de classer un individu, soit en termes d'un ordre unidimensionnel, soit en termes d'un ensemble de types : les données manifestes servaient de base à des opérations permettant d'inférer à une métrique latente. Désormais, le problème est tout autre : il s'agit de caractériser une distribution par une mesure. Dans ce cas, nous disposons de toute l'information utile et désirons seulement la résumer avec concision. Il est aisé de préciser la différence entre les deux approches, correspondant respectivement aux indices énumératifs 1 et aux indices para1. Rappelons ici que cette classe d'indices comporte, outre les indices simples présentés ici, une majorité des indices dérivables à partir des modèles mathématiques de mesure.
Introduction
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métriques. Le lecteur connaît évidemment les indices variés attachés à un tableau croisé : coefficient phi, coefficient de corrélation tétrachorique, etc., qui sont enseignés dans les cours de statistique élémentaire. Néanmoins, il est bon de voir quelle est la logique de tels coefficients : l'idée générale revient toujours à se servir de certaines propriétés numériques intéressantes attachées à un ensemble de données. Prenons l'exemple d'un segment de longueur i , coupé à une distance plus ou moins grande de son milieu; une mesure d'asymétrie utile peut être formée à partir du graphique suivant :
P
Il est facile de voir, en effet, que le produit P(i — P) est maximum lorsque la coupure est symétrique et qu'il décroît avec son asymétrie. Le texte 17 (Zeisel) donne deux autres exemples d'indices paramétriques formés à partir de propriétés intéressantes des données numériques. Il est bon de voir que les coefficients utilisés par la statistique reposent souvent sur l'utilisation de telles propriétés. La variance d'une distribution est une caractéristique de dispersion qui utilise la propriété arithmétique selon laquelle un carré est toujours positif : les déviations positives et négatives par rapport à la moyenne s'ajoutent au lieu de s'annuler lorsqu'on les multiplie par elles-mêmes. En revanche, si on veut construire une caractéristique d'asymétrie, on introduira le « troisième moment » qui utilise le cube des déviations. Dans ce cas, les déviations conservent leur signe. Le dernier exemple montre que le nombre d'indices à utiliser pour caractériser une distribution dépend du propos de la recherche. Cela est vrai déjà du tableau à quatre cases de la page 19 . Supposons que le total des cases soit par définition égal à 100 % . Une telle table comprend trois éléments d'information indépendants : par exemple, les deux fréquences marginales correspondant à une réponse positive — respectivement 40 et 60 % — et la proportion des réponses positives simultanément à 1 et à 2 ( + + ) , c'est-à-dire 30 % . Si ces trois qualités sont données, le reste du tableau est déterminé. Plusieurs cas sont alors possibles : ou bien on veut seulement mesurer le degré d'association entre les deux variables, et on combine les trois informations en un indice unique; ou bien on désire conserver davantage d'information pour caractériser la distribution. L e texte 18 (Maucorps et Bassoul) est un bon exemple de cette procédure. Les données correspondent à des ensembles de choix et rejets sociométriques entre membres de petits groupes. On connaît la proportion d'enfants choisis : 60 % dans notre
Les indices paramétriques
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exemple fictif (item i), et la proportion d'enfants pensant avoir été choisis, soit 40 % (item 2); on connaît aussi la proportion d'enfants choisis ayant reconnu correctement ce fait. Le pourcentage de 30 correspond à la configuration + + • Maucorps et Bassoul construisent alors deux indices. Le premier (sensibilité) donne la proportion des choix réels correctement perçus (30/60 = 0,50). Le second (réalisme) correspond à la proportion de choix correctement perçus rapportés au total des choix perçus (30/40 = 0,75). Le texte reproduit ici étudie, dans des conditions diverses et pour différents groupes, la relation entre réalisme et sensibilité. Une étude attentive de ce texte et des variations introduites dans les termes de comparaison représente un exercice méthodologique fructueux. On remarquera par ailleurs que les différentes comparaisons correspondent à des niveaux de complexité variables dont on peut prendre une vue générale dans le schéma de la page 217. En même temps, l'analyse de ce texte permet de soulever une autre question : dans quelle mesure les résultats sont-ils affectés par la forme des indices ? Certains d'entre eux sont effectivement influencés, comme cela est inévitable lorsqu'un indice condense l'information de façon à la rendre maniable. Le texte 19 (Boudon et Lazarsfeld) est une analyse des indices de Maucorps et Bassoul à partir de ce point de vue; elle permet d'aboutir à certaines généralisations applicables à l'ensemble des indices paramétriques. Les autres textes de cette section utilisent des données de type sociométrique. L'important est qu'ils représentent diverses formes d'élaboration du concept de matrice sociométrique. L'idée est très simple : on reproduit la liste des membres d'un groupe deux fois ; une fois verticalement, une fois horizontalement. On attribue ensuite à chaque membre une ligne en tant qu'émetteur, une colonne en tant que récepteur d'une relation sociale déterminée. L'élément (2,5) de la matrice peut ainsi indiquer, selon les cas, le choix ou le rejet de 5 par 2, la croyance nourrie par 2 d'avoir été ou non choisi par 5, etc. (la question de savoir si cette croyance est fondée ou non pourrait être résolue par la comparaison avec une autre matrice où l'élément (2,5) indiquerait le choix ou le rejet de 5 par 2). Dans le texte 20, Faucheux et Moscovici utilisent une matrice de ce type pour enregistrer les messages émis par les membres d'un groupe de travail, en retenant exclusivement les informations marginales. Cette procédure leur permet de distinguer des types d'acteurs comme les créateurs et les organisateurs, correspondant respectivement à des membres qui apparaissent plutôt comme émetteurs, ou plutôt comme récepteurs, et aussi de caractériser les groupes en tant que tels. Certains types de groupes peuvent se distinguer, par exemple, par le fait que l'ordre des membres sur les deux marges est semblable ou différent. Les matrices
Introduction
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sociométriques de Faucheux et Moscovici sont utilisées dans le cadre d'un plan d'expérience ingénieux qui permet d'obtenir des résultats empiriques fort riches, dont la plupart n'utilisent que les informations marginales (nous avons éliminé une section de l'étude originale, de façon à permettre au lecteur de concentrer son attention sur l'idée fondamentale, mais nous avons reproduit la conclusion générale, parfaitement compréhensible à partir des pages et tables reproduites ici). L e texte 21 (Festinger) présente une utilisation un peu plus complexe de la matrice sociométrique. L'accent est mis ici, non sur la caractérisation des membres, mais sur leurs relations. Combien de membres se choisissent-ils réciproquement, formant ainsi des « paires »? Combien de cliques de trois personnes peut-on déterminer dans le groupe? Comment dénombrer les chaînes indirectes où, par exemple, 1 peut communiquer avec 3 par l'intermédiaire de 2 ? Festinger montre que tous ces problèmes peuvent être résolus par le recours à la multiplication matricielle. Le texte 22 (Berge) introduit un développement supplémentaire. O n peut voir facilement, à partir du texte de Festinger, que chaque multiplication matricielle modifie les quantités marginales, mais de plus en plus faiblement : on atteint finalement un point où une nouvelle multiplication ne les modifie plus (cette idée sera à nouveau utilisée et développée dans un volume ultérieur 1 ). Cette distribution ultime permet de résumer les idées fondamentales des deux textes précédents. Faucheux et Moscovici caractérisent leurs sujets en fonction du nombre de « relations » émises ou reçues. Ils utilisent seulement les relations directes entre deux personnes et peuvent en conséquence se contenter d'utiliser les quantités marginales de la matrice d'origine. Festinger introduit l'idée de relations indirectes décelées à l'aide de multiplications matricielles. Berge pose enfin le problème suivant : le statut d'un individu ne doit pas être établi seulement à partir du nombre de « choix » reçus. Si 1 est choisi par 2, il est important de savoir si 2 est lui-même l'objet de nombreux choix ou non. Le statut de 1 doit correspondre à la somme des choix qu'il reçoit, pondérée par le statut des émetteurs. C e statut pondéré peut être calculé de manière très simple par la notion de distribution limite introduite par Berge.
SECTION V . —
L'intégration conceptuelle des matériaux empiriques.
Parvenus à ce point, nous avons réalisé le programme esquissé dans le texte 1 de ce volume, et appris à parcourir le chemin allant des notions aux variables. Des développements latéraux ont permis d'introduire quelques variations autour de ce thème majeur. Mais la méthodologie 1. L'Analyse des processus sociaux, dans cette même collection (à paraître).
L'intégration conceptuelle des matériaux empiriques
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n'a pas pour propos d'imposer ses canons à la recherche empirique. Elle ne peut être qu'une systématisation critique de pratiques courantes O r , il se trouve que, dans la pratique, le chemin des concepts aux indicateurs est parfois parcouru en sens inverse. De nombreuses recherches utilisent, en effet, pour point de départ, un ensemble de données empiriques et s'efforcent de trouver une conceptualisation sous-jacente permettant d'organiser ces données en un cadre de référence plus large. Cette inversion de l'ordre entre données empiriques et conceptualisation est difficilement formalisable. U n e approche utile quoique de portée limitée est fournie par le texte 23 (Lazarsfeld) sur le concept de formule-mère. Les deux autres textes de cette section donnent une idée générale de cette procédure. L e texte 24 (Hyman) a une histoire intéressante. L'idée fondamentale de ce texte vient de la biologie : elle correspond exactement à la notion d' « espace psychologique » introduite par Uexkuell. A y a n t étudié les organes de la vision chez certains animaux, cet auteur imagina de photographier une scène de rue et de reconstruire la perception que ces animaux devaient en avoir à partir des caractéristiques de leur appareil visuel. U n certain nombre de psychologues allemands, dont K u r t Lewin, ont ensuite étendu cette idée à la psychologie du développement humain : un grand magasin est pour l'enfant un terrain pour le j e u de cache-cache, pour la femme une exposition d'affaires avantageuses, pour le vieillard un ensemble d'escaliers et de paliers. L a même idée a été finalement appliquée à la sociologie : les membres de classes défavorisées, les personnes de faible instruction n'ont pas seulement moins de chances de réussite, ils ont aussi une plus grande tendance à laisser échapper les chances qui s'offrent à eux; les jeunes gens de milieu ouvrier sont mal informés de leurs chances sur le marché du travail; ils trouvent leur conjoint à quelques rues de leur domicile. L a défaite des mouvements révolutionnaires en Europe au moment de la Grande Dépression, s'explique sans doute en partie par la réduction de la combativité provoquée par le chômage, etc. H y m a n a pu montrer à partir d'un grand nombre d'études empiriques que les différences entre classes sociales étaient aussi caractéristiques de la société américaine. U n trait particulièrement intéressant de ce texte est l'utilisation combinée d'expériences de laboratoire et d'enquêtes d'opinion. A partir de ces deux sources, l'auteur montre que la discrimination sociale a pour effet une restriction des initiatives, des espérances, des perceptions utiles. L a démarche de H y m a n est caractéristique de la procédure décrite au texte 22 sous le titre de formule-mère. Dans le texte 25, Dogan applique la même idée à un grand nombre d'études électorales. Il fait surtout porter son attention sur le comportement différentiel des sexes. En général, hommes et femmes, particu-
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lièrement maris et femmes, manifestent une similitude de vues marquée en matière de politique. Cependant, sur certains sujets et à propos de certains partis, des différences marquées apparaissent. Dogan se demande s'il existe une notion générale pouvant rendre compte de cet ensemble complexe de différences, qui apparaissent dans des pays divers et des conditions extérieures variables. Il conclut que, lorsque les effets du « traditionalisme » entrent en ligne de compte, les femmes ont une plus grande tendance à adopter des comportements manifestant une grande sensibilité relative à ces effets. La notion de traditionalisme joue de nouveau ici le rôle d'une formule-mère. Les textes de Hyman et de Dogan ont encore un autre intérêt. Ils représentent une sorte de bilan effectué à partir d'une masse de données. Ils montrent le rapport liant des résultats divers et tentent de mettre en évidence leur convergence. A un moment où la masse des recherches empiriques devient très abondante, de telles synthèses sont une nécessité primordiale. Pourtant, s'il est aisé de distinguer sur pièces entre un inventaire compilatoire et un bilan fécond, il est difficile de préciser les étapes par lesquelles on peut aller de l'accumulation des résultats aux concepts fondamentaux qui les sous-tendent. Il semble judicieux de terminer sur ces deux excellents exemples, pour stimuler des efforts semblables, et pour suggérer que l'analyse de ce type de procédure demeure un champ ouvert aux recherches de méthode.
SECTION I
Généralités sur la construction des variables
Paul Lazarsfeld. DES C O N C E P T S A U X INDICES E M P I R I Q U E S
1
Aucune science ne vise son objet dans sa plénitude concrète. Elle choisit certaines de ses propriétés et s'efforce d'établir des relations entre elles. L a découverte de telles lois représente la fin ultime de toute recherche scientifique. Cependant, dans les sciences sociales, le choix des propriétés stratégiques constitue en soi un problème essentiel. Il n'a pas encore été créé de terminologie rigoureuse à cet usage. O n nomme parfois ces propriétés aspects ou attributs, et l'on emprunte souvent le terme « variable » aux mathématiques. O n appelle description, classification, ou mesure, l'acte d'attribuer des propriétés à l'objet. L e sociologue parle de « mesure », dans un sens plus large que le physicien ou le biologiste. Lorsqu'on constate qu'au sein d'une organisation, tel service manifeste un degré plus élevé de satisfaction au travail que tel autre, on dit qu'on a opéré une mesure, même si elle n'est pas exprimée par un nombre. En général, on tentera néanmoins de parvenir à des mesures, au sens traditionnel du mot, par la construction de métriques précises. O n note déjà certains progrès dans ce domaine; mais nous nous trouvons encore dans la phase initiale de ces recherches formelles, qui ne correspondent elles-mêmes qu'à une partie très limitée de l'ensemble des opérations de mesure utilisées dans la pratique. Nous examinerons ici, de manière très générale, la démarche suivie par le sociologue pour caractériser son objet d'étude : on verra que, quand on veut déterminer des « variables » susceptibles de mesurer des objets complexes, on est généralement amené à suivre un processus plus ou moins typique. Ce dernier permet d'exprimer les concepts en i. Extrait traduit de «Evidence and inference in social research», Daedalus, 87 («958), 4, P- 99-109.
3
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Généralités sur la construction des variables
termes d'indices empiriques et comprend quatre phases majeures : la représentation imagée du concept, la spécification des dimensions, le choix des indicateurs observables, et la synthèse des indicateurs constituant les indices. I. LA REPRÉSENTATION IMAGÉE DU CONCEPT
Le mouvement de la pensée et l'analyse qui permettent d'établir un instrument de mesure naissent généralement d'une représentation imagée. Le chercheur, plongé dans l'analyse des détails d'un problème théorique, esquisse tout d'abord une construction abstraite, une image. L'aspect créateur de son travail commence peut-être à l'instant où, percevant des phénomènes disparates, il tente de découvrir en eux un trait caractéristique fondamental, et essaye d'expliquer les régularités qu'il observe. Le concept, au moment où il prend corps, n'est qu'une entité conçue en termes vagues, qui donne un sens aux relations observées entre les phénomènes. U n problème classique de la sociologie industrielle est l'analyse et la « mesure » de la notion de gestion. Mais qu'entend-on exactement par « gestion », « direction » et « administration » ? Le contremaître peut-il être considéré comme un agent de gestion ? Le concept de gestion est peut-être apparu le jour où on a remarqué que deux usines, placées dans des conditions identiques, peuvent être bien ou mal dirigées. Ce facteur complexe, favorisant le rendement des hommes et la productivité de l'équipement, fut alors identifié sous le nom de « gestion ». Depuis, les sociologues des organisations se sont efforcés de préciser cette notion et de lui donner un contenu plus concret. La même évolution s'est d'ailleurs manifestée dans d'autres domaines. Aujourd'hui, l'usage des tests d'intelligence est devenu courant. Mais la notion d' « intelligence » correspond, à l'origine, à une impression complexe et concrète de vivacité ou d'engourdissement mental. C'est bien souvent une impression générale de cet ordre qui éveille la curiosité du chercheur et l'oriente sur une voie qui aboutit finalement à un problème de mesure. 2 . LA SPÉCIFICATION DU
CONCEPT
La phase suivante consiste à analyser les « composantes » de cette première notion, que nous appellerons encore, selon les cas, « aspects » ou « dimensions ». On peut les déduire analytiquement du concept général qui les englobe, ou empiriquement de la structure de leurs intercorrélations. De toutes façons, un concept correspond généralement à un ensemble complexe de phénomènes plutôt qu'à un phénomène simple et directement observable.
Des concepts aux indices empiriques
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Supposons qu'on désire savoir si le rendement d'une équipe d'ouvriers est satisfaisant. O n n'a, à l'origine, qu'une notion assez vague de ce qu'est un rendement satisfaisant et on se demandera sans doute ce qu'implique une telle expression. Q u e l type de rendement faut-il préférer : celui d'un ouvrier qui travaille vite et gâche beaucoup de pièces, ou celui d'un ouvrier lent mais soigneux dans son travail? Dans certains cas, selon la nature de la fabrication, on peut admettre un rendement médiocre associé à un faible taux de déchets; il semble cependant peu probable que, poussant ce raisonnement à l'extrême, on accepte d'éliminer complètement les risques d'erreurs en adoptant une cadence excessivement faible. Finalement on est amené à analyser la notion de rendement et à déterminer ses différentes composantes : vitesse de travail, qualité du produit, rentabilité de l'équipement. L a théorie de la mesure donne à ces facteurs le nom de « dimensions », dont l'analyse est souvent un problème complexe, comme on peut le voir dans une étude sur une usine de construction aéronautique où on a pu dégager dix-neuf composantes de la notion de gestion. En voici quelques exemples : absence de dissensions au sein du groupe, bonnes communications hiérarchiques, souplesse de l'autorité, politique rationnelle de la direction, importance relative de l'effectif des cadres... O n peut évidemment pousser très loin l'analyse du concept. U n exemple aussi riche que celui-ci est certainement rare. Cependant, en règle générale, la complexité des concepts employés en sociologie est telle que leur traduction opérationnelle exige une pluralité de dimensions. 3. LE CHOIX DES INDICATEURS
L a troisième démarche consiste à trouver des indicateurs pour les dimensions retenues. Gela ne va pas sans difficultés. L a première peut se formuler ainsi : qu'est-ce exactement qu'un indicateur? William James écrivait dans The Meaning of truth : «... Lorsqu'on dit d'un homme qu'il est prudent, on veut dire par là qu'il adopte un certain nombre de comportements caractéristiques de la prudence : qu'il contracte des assurances, qu'il ne met pas tout son enjeu sur le même cheval, qu'il ne se lance pas tête baissée dans une entreprise... L e terme « prudent » est ainsi une manière pratique d'exprimer abstraitement un trait commun à ses actes habituels... Il y a dans son système psychophysique des caractères distinctifs qui le portent à agir prudemment... ». Ici, la démarche de James v a d'une image à un ensemble d'indicateurs, directement suggérés par l'expérience de la vie quotidienne. O n a aujourd'hui tendance à spécifier la relation de ces indicateurs à la qualité fondamentale : on n'exige pas d'un homme prudent, qu'avant de parier, il répartisse toujours son enjeu avec autant de soin, ou qu'il s'assure contre tous les risques qu'il encourt. O n dit seulement qu'il
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Généralités sur la construction des variables
est probable qu'il accomplira certains actes spécifiques de la prudence. Nous savons aussi que les indicateurs utilisables varient largement selon le milieu social de l'individu. On ne rencontre guère d'occasions de parier ou de contracter une police d'assurance dans un pensionnat religieux, par exemple. Il est cependant possible d'élaborer une mesure de la prudence qui tienne compte de ce milieu particulier. La relation entre chaque indicateur et le concept fondamental étant définie en termes de probabilité et non de certitude, il est indispensable d'utiliser autant que possible un grand nombre d'indicateurs. L'étude des tests d'intelligence, par exemple, a permis de décomposer cette notion en plusieurs dimensions : intelligence manuelle, verbale... Mais ces dimensions elles-mêmes ne peuvent être mesurées que par un ensemble d'indicateurs. Rares sont les faits observés qui n'ont pas servi un jour ou l'autre d'indicateurs dans l'étude et la mesure d'un phénomène. Les revenus sont souvent considérés comme un indicateur de compétence; mais, si on s'en tient à ce seul indicateur, la plupart des hommes d'affaires doivent apparaître comme plus compétents que d'éminents savants. De même, le nombre des malades guéris par un médecin indique, sans aucun doute, sa valeur; cependant il faut tenir compte du fait que la probabilité de guérison varie avec les spécialités médicales. Enfin, si le nombre de livres d'une bibliothèque publique indique bien, en un sens, le niveau culturel de l'ensemble des lecteurs, il est évident que la qualité des ouvrages est pour le moins aussi révélatrice que leur quantité. La détermination des critères qui limitent le choix d'une batterie d'indicateurs est un problème délicat. Doit-on les considérer comme faisant partie du concept ou, au contraire, comme indépendants ou extérieurs à celui-ci ? Si on dresse la liste des indicateurs de « l'intégration » d'une communauté, le taux de criminalité est-il contenu dans le concept d'intégration, ou représente-t-il un facteur extérieur déterminable à partir de la mesure d'intégration? Ici, comme lorsqu'il s'agit des indices projectifs, la connaissance des lois qui gouvernent les relations entre indicateurs est particulièrement importante. Même si on exclut les taux de criminalité de la représentation d'un centre urbain « intégré », il se peut que l'expérience révèle une relation étroite entre ces taux et le degré d'intégration; on pourrait donc les utiliser comme mesures de l'intégration au cas où les données relatives aux indicateurs correspondant expressément à ce concept feraient défaut. Cependant, il est nécessaire de procéder d'abord à des « études de validation » établissant l'existence de corrélations étroites entre le taux de criminalité et les autres indicateurs de l'intégration. Il faut aussi déterminer les autres facteurs éventuellement susceptibles d'influencer le taux de criminalité, et, partant, d'invalider les mesures;
Des concepts aux indices empiriques
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on peut alors soit contrôler ces facteurs, soit utiliser un nombre d'indicateurs suffisant pour compenser leurs effets. 4 . L A FORMATION DES INDICES
L a quatrième phase consiste à faire la synthèse des données élémentaires obtenues au cours des étapes précédentes. A y a n t décomposé le rendement d'une équipe d'ouvriers ou l'intelligence d'un enfant en six dimensions, et choisi dix indicateurs pour chaque dimension, il s'agit maintenant de construire une mesure unique à partir de ces informations élémentaires. Parfois, on sera obligé d'établir un indice général couvrant l'ensemble des données. Les délibérations d'un j u r y chargé d'attribuer une bourse d'études, par exemple, ont pour but d'apprécier Y ensemble des données concernant chacun des candidats. En d'autres occasions, l'intérêt portera plutôt sur les relations de chacune de ces dimensions avec des variables extérieures. Mais là aussi, il faudra faire la synthèse des différents indicateurs, dont les liaisons avec les variables extérieures sont généralement plus faibles et plus instables que le trait caractéristique fondamental qu'on se propose de mesurer. Formellement, cela revient à dire que chaque indicateur entretient une relation de probabilité avec la variable qu'on veut étudier. Il arrive que la position fondamentale d'un individu ne soit pas modifiée, même si on enregistre une variation accidentelle d'un indicateur particulier; inversement, il peut se produire que la position fondamentale évolue, sans qu'un indicateur particulier traduise ce changement. Mais, lorsqu'un indice comprend un large ensemble d'indicateurs, il est peu probable qu'un grand nombre d'entre eux changent dans une même direction, si la position fondamentale de l'individu demeure inchangée. L a connaissance d'une « attitude », d'une « position » suppose ainsi de nombreux points de sondage. Gela ne va pas sans soulever des difficultés. Si parmi les indicateurs choisis, certains ne se comportent pas comme les autres, comment les inclure dans un indice? O n s'est récemment interrogé sur les possibilités de construire une théorie permettant de rassembler un ensemble hétérogène d'indicateurs. L e sujet est vaste, et nous ne saurions l'aborder ici dans sa complexité. Mais l'idée générale est d'étudier les relations entre indicateurs, et d'en tirer quelques principes mathématiques généraux permettant de définir ce qu'on peut appeler la puissance relative d'un indicateur par rapport à un autre, de façon à déterminer son poids dans la mesure spécifique qu'on se propose d'effectuer. Lorsqu'on construit des indices portant sur des concepts psychologiques ou sociologiques complexes, on choisit toujours un nombre d'items relativement limité parmi tous ceux que suggèrent le concept
Généralités sur la construction des variables
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et sa représentation imagée. L'un des traits les plus remarquables de ces indices est sans doute le fait que leur corrélation avec des variables extérieures demeure en général remarquablement stable, quel que soit « l'échantillon » d'items choisi. O n a nommé ce phénomène surprenant au premier abord « interchangeabilité des indices ». 5.
L'INTERCHANGEABILITÉ
DES INDICES
Pour illustrer l'idée de l'interchangeabilité des indices, nous avons choisi un indice de « conservatisme » utilisé dans une étude sur les attitudes des membres de l'enseignement supérieur aux États-Unis pendant la période McCarthyste, où universités et professeurs étaient en butte à l'inquisition des commissions d'enquête. Un des problèmes qui se sont posés au cours de cette recherche fut de déterminer le groupe des enseignants que leurs convictions mettaient à l'abri des poursuites, c'est-à-dire, évidemment, de ceux qui se réclamaient du titre de conservateurs. O n a dû alors élaborer une méthode spécifique afin de situer avec exactitude le groupe conservateur. Au cours d'un bref entretien, on a recueilli, par un jeu de questions portant essentiellement sur les conservateurs, les éléments nécessaires à la construction d'une telle « mesure ». C'est là un problème de classification général qu'on retrouve dans toute recherche d'opinion. L a première étape a consisté à choisir les indicateurs; on aurait pu, par exemple, soumettre à nos répondants quelques écrits typiquement « conservateurs » et leur demander s'ils en approuvaient le contenu, ou encore établir une liste des organisations auxquelles ils appartenaient, des revues qu'ils lisaient, et utiliser ces données comme indicateurs. Mais l'expérience que nous avions en cette matière nous a conduits à préférer des indicateurs étroitement liés au fond même de l'entretien. Ainsi, nous avons recensé un certain nombre de principes, de droits et d'interdits, empruntés pour la plupart au contexte de la carrière universitaire, sur lesquels nous avons recueilli l'opinion des personnes interrogées. C'est à partir de ces données que fut construit l'indice de conservatisme. Sachant que nous aurions pu, aussi bien, choisir des données différentes, nous avons comparé à titre expérimental cet indice à un ensemble d'autres mesures également disponibles. Deux questions portaient sur l'attitude du répondant envers les activités des étudiants : « Pensez-vous qu'on doive permettre la formation d'un groupe de jeunesse socialiste dans cette université, si certains étudiants en expriment le désir? ». L'attitude des professeurs à l'égard des éléments socialistes semblait constituer un indicateur de conservatisme valable. Il y a toutes chances, en effet, pour qu'on constate ici
Des concepts aux indices empiriques
33
des divergences entre conservateurs et libéraux et que les premiers aient une tendance plus marquée à assimiler les socialistes aux communistes. Quatorze pour cent des sujets, soit 355 professeurs, se sont fermement opposés à une telle autorisation. Il est significatif qu'à une seconde question, touchant également aux activités des étudiants, on ait enregistré un nombre de réponses presque identique : il s'agissait de savoir si le répondant, placé dans une situation de responsabilité fictive, autoriserait les étudiants à inviter à l'université un éminent spécialiste des questions d'Extrême-Orient (Owen Lattimore) inculpé devant la commission d'enquête. On observa de nouveau quatorze pour cent de réponses négatives (342). Ayant obtenu chaque fois pratiquement le même nombre de réponses non libérales, soit respectivement 342 et 355, il était naturel de s'attendre à ce que celles-ci aient été données dans les deux cas par les mêmes personnes. Le tableau I infirme, en fait, cette hypothèse. TABLEAU
I
Répartition des réponses aux deux questions portant sur les autorisations qui doivent être accordées aux étudiants. INVITATION DE LATTIMORE
Formation d'un cercle socialiste.
Approuvent
Sans opinion
Désapprouvent
Total
Approuvent Sans opinion Désapprouvent
1686 118 152
95 27 31
124 46 172
1905 191 355
Total
1956
153
842
2451
Nous voyons que les deux questions aboutissent à une répartition semblable des réponses, malgré une grande « rotation » de ces dernières : 124 sujets classés comme conservateurs par la première question (Lattimore) sont classés comme libéraux par la seconde, tandis que 152 cas font apparaître une contradiction inverse dans les classements. Ce phénomène ne doit ni nous surprendre, ni nous gêner. Chaque indicateur possède un caractère spécifique et ne doit jamais être considéré comme pleinement représentatif pour la classification cherchée. Dans le cas présent, de nombreux sujets accompagnaient leurs réponses de commentaires qualitatifs, et cela surtout lorsqu'ils se rendaient compte que leur opinion sur un point particulier était en désaccord avec leur attitude générale. Cela a permis dans une certaine mesure d'expliquer les contradictions apparentes de leurs réponses. Certains professeurs, opposés à l'invitation de Lattimore, expriment à son égard
34
Généralités sur la construction des variables
un ressentiment personnel. D'autres pensent que cette question devrait être tranchée sur le plan légal : toute personne inculpée devrait se voir refuser le droit à la parole dans l'enceinte d'une université. Signalons aussi le cas inverse, de répondants qui acceptent la venue de Lattimore, mais rejettent la création d'un cercle de jeunes socialistes, parce qu'ils s'opposent au développement d'organisations politiques au sein de l'université ou craignent que l'existence d'un groupe socialiste ne favorise l'infiltration d'éléments subversifs dans l'enseignement supérieur. On peut se demander ce qui arriverait si on prenait un seul item du tableau I comme indice rudimentaire du conservatisme. Lequel des deux représente-t-il la mesure la plus précise de notre variable? La question « Lattimore » est liée aux idiosyncrasies de l'individu et à des problèmes de légalité. Celle du « cercle socialiste » est quelque peu ambiguë : les professeurs qui s'opposent à la création d'un tel cercle expriment-ils leur propre opinion ou l'orientation générale de la politique de leur université ? Aucun des deux items n'est une « mesure » directe, et l'on pourrait s'interroger sans fin sur sa validité. Cependant, il importe peu sur le plan pratique qu'on utilise l'un ou l'autre. En sociologie, les classifications sont principalement employées pour déterminer les relations caractérisant des ensembles de variables : aussi la seule question digne d'intérêt est-elle de savoir si deux indices différents et également raisonnables conduisent à des relations semblables ou différentes entre les variables analysées. Choisissons, par exemple, comme variable extérieure un item qui contraigne le sujet à un choix hypothétique entre les droits de l'individu et les exigences d'une institution : « Supposez qu'un membre du corps enseignant soit accusé d'activités subversives; pensez-vous qu'il soit plus important pour l'administration de l'université de protéger la réputation de cette dernière ou les droits des membres au corps enseignant? » Quelle est la relation entre le conservatisme et le souci de protéger les droits individuels ? Nous disposons de deux mesures correspondant à la première variable. La seconde est la variable externe dont il s'agit d'analyser la relation avec le conservatisme (tableau 2) : on constate qu'on peut utiliser indifféremment l'un ou l'autre des deux indicateurs pour étudier la relation entre le conservatisme et la variable externe; le résultat est, en effet, pratiquement le même et les pourcentages caractérisant les divers groupes sont presque identiques dans les deux cas.
Des concepts aux indices empiriques
35
TABLEAU
2
Proportion des sujets favorables à une protection des droits du corps enseignant en fonction de deux mesures de « conservatisme » Attitude à l'étrard de Lattimore
Conservatrice Neutre Tolérante
% de ceux Attitude à l'égard % de ceux qui préfèrent du groupe qui préfèrent protéger les droits dejeunesse socialiste protéger les droits du corps enseignant du corps enseignant
46 % 50% 70 %
Conservatrice Neutre Tolérante
43 % 51% 70%
O n remarque, à la première ligne de c h a q u e colonne, que moins de la moitié des conservateurs sont convaincus d e la nécessité de défendre les droits du corps enseignant. A la dernière ligne, on note q u e plus des d e u x tiers des sujets tolérants partagent cet avis. L a courbe décrite par les pourcentages des divers groupes est approximativement la même, q u e l q u e soit l'indicateur utilisé pour la classification. D a n s la pratique, lorsqu'on désire opérer une classification, on choisit de préférence u n nombre d'items aussi grand q u e possible. E n effet, un nombre d'items élevé permet d'introduire des distinctions plus fines et d'atténuer ou d'éliminer l'influence fâcheuse des traits spécifiques des items. D e toute manière, quel que soit le nombre d'items utilisés, on se souviendra qu'ils représentent dans tous les cas un sousensemble prélevé dans un ensemble infiniment plus vaste d'indicateurs théoriquement utilisables. C e t t e conclusion dérive de recherches pratiques multiples. Si o n étudie u n concept d e connotation complexe tel q u e le conservatisme et si on veut le « traduire » en instrument de recherche empirique, les choix possibles dans l'ensemble des indicateurs sont en nombre illimité et o n ne pourra généralement en utiliser q u ' u n n o m b r e relativement faible. Si on choisit alors d e u x ensembles d'items convenables et q u ' o n forme deux indices interchangeables exprimant la m ê m e variable, o n constatera généralement q u e : a) L e s d e u x indices sont statistiquement liés, mais conduisent à certaines différences dans les classements (voir tableau i ) . b) L e s relations avec des variables extérieures apparaissent c o m m e identiquement déterminées p a r les deux indices (voir tableau 2). L'interchangeabilité des indices est sans doute intéressante sur l e plan pratique; elle révèle cependant le caractère imparfait de nos méthodes de recherche et d'analyse : o n n'arrive j a m a i s à des classi-
36
Généralités sur la construction des variables
fications « pures ». Quels que soient les indices utilisés, les items conservent certains traits spécifiques qui entraînent parfois des erreurs de classification. C'est pourquoi les corrélations empiriquement observées sont plus faibles que celles qu'on observerait à l'aide d'instruments de mesure plus précis. Il faut souligner aussi le caractère relatif de la règle énoncée cidessus. Il existe des catégories de variables importantes pour lesquelles on a progressivement mis au point des instruments de mesure de plus en plus complexes. C'est le cas des tests d'intelligence qui comprennent toujours un grand nombre d'items analytiquement déterminés. Si on avait disposé de tests aussi perfectionnés pour effectuer l'étude décrite ici, on aurait pu éliminer en grande partie les contradictions du tableau i. Cependant, des méthodes de classification plus raffinées que celles que nous avons utilisées ici seraient seulement utiles dans le cas d'études à long terme concernant, par exemple, l'évolution du nombre des conservateurs au sein de la population, ou de la relation du conservatisme avec d'autres variables.
Werner S. Landecker
1
LES T Y P E S D ' I N T É G R A T I O N ET LEUR M E S U R E 2
Le problème de l'intégration des unités sociales dans des ensembles plus vastes n'a cessé de préoccuper les sociologues depuis Comte et Spencer. L a littérature sur les différences entre groupes et ensembles d'individus juxtaposés, sur l'individualité du groupe, sur la nature de son unité est, aujourd'hui encore, très abondante. Le problème de l'intégration sociale est aussi difficile pour le sociologue empirique que pour le sociologue spéculatif. Pourtant la nature de la question posée a changé. Aujourd'hui, on se demande moins ce qu'«.rt l'intégration; ou bien, si on se le demande, ce n'est là qu'une étape préparatoire à une question plus pertinente, à savoir : comment l'intégration peut-elle être mesurée? De nouveau, cette question est, en elle-même, préliminaire et conduit à des problèmes de recherche tels que : sous quelles conditions l'intégration sociale augmente-t-elle ? sous quelles conditions décroît-elle ? quelles sont les conséquences d'un haut degré d'intégration ? d'un bas degré d'intégration ? L a sociologie a besoin, pour éclairer le problème de l'intégration, de poser d'abord ces questions analytiques. Lorsqu'on commence à explorer un certain type de phénomènes, il est bon d'essayer de le fragmenter en autant de sous-types qu'il est possible d'en distinguer, et d'utiliser chaque subdivision comme variable de recherche. Une telle procédure est en effet plus féconde qu'un essai de généralisation immédiate à partir du type lui-même. Le principal avantage du raffinement dans la classification réside dans le fait qu'il conduit à découvrir des relations entre les sous-types qui auraient évidemment échappé au niveau du type plus général. L a généralisa1. 2.
L'auteur remercie le professeur Angell pour ses utiles suggestions. Traduit de American journal of sociology, Vol. 56, 1950-51, pp. 332-340.
38
Généralités
sur la construction
des
variables
tion à partir des sous-types particuliers s'imposera d'elle-même au cours de la recherche, lorsqu'on aura pu découvrir des régularités communes à plusieurs sous-types. Notre ignorance relative à la nature de l'intégration est trop grande pour qu'on puisse supposer qu'aucun ensemble de données particulières constitue un indice d'intégration en tant que tel. C'est pourquoi nous nous référerons dans cet article à des aspects particuliers de l'intégration sociale. Nous n'offrirons aucune définition générale de cette notion. Nous postulerons et définirons seulement un ensemble de types d'intégration, se référant chacun à un aspect particulier de la nature des groupes par rapport auquel se définit une certaine forme d'intégration. Quant aux relations entre types, elles sont un problème de recherche empirique. L'observation peut faire apparaître une corrélation suffisamment élevée entre deux types pour que, dans des études ultérieures, l'un puisse être tenu pour un bon indice de l'autre. O n peut aussi découvrir qu'un type particulier est fondamental par rapport aux autres, et peut en conséquence être utilisé comme une mesure générale de l'intégration. Mais la recherche peut encore conduire à la construction d'un indice composite, construit à partir de plusieurs types d'intégration distincts. O n notera que les types eux-mêmes doivent être considérés comme une construction provisoire. Ils peuvent se révéler utiles; mais la recherche peut également faire apparaître la nécessité de modifier la typologie initiale. Afin de distinguer les différentes manières selon lesquelles un groupe peut être dit intégré, il est nécessaire d'admettre l'existence de composantes élémentaires du groupe : ainsi, on peut construire une typologie de l'intégration à partir du postulat selon lequel les plus petites unités d'un groupe sont les normes sociales, d'une part, les personnes et leur comportement, d'autre part; trois variétés d'intégration apparaissent alors d'elles-mêmes : intégration entre normes, intégration entre normes et comportements des personnes, intégration entre personnes. Nous appellerons la première variété « intégration culturelle » 3. Elle varie de la concordance parfaite au plus haut degré de non concordance entre normes d'une même culture. L'intégration entre normes et comportements sera appelée « intégration normative », puisqu'elle mesure le degré auquel les valeurs d'un groupe constituent pour ses membres des normes effectives. Elle varie d'une fréquence d'accord élevée entre comportements et valeurs à une fréquence élevée de violation des normes. L a manière dont les personnes sont intégrées dans 3. Pour une analyse détaillée du concept d'intégration culturelle, voir J. P. GILUN, The Ways of man (New York, Appleton-Century-Crofts, Inc. 1948), chap. 24; voir aussi D. F. ABERLE, « Shared values in complex societies », Amer, sociot. rev., 25 (1950)> 495 sq.
Les types d'intégration et leur mesure
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leurs relations réciproques sera employée comme critère supplémentaire dans la classification. Il y a intégration entre des personnes au sens où un échange de signes, où une communication est possible; il y a aussi intégration entre personnes au sens où l'on observe un échange de services, où il existe une division du travail. L'intégration relative à l'échange de significations sera dite « intégration communicative ». Elle va d'un degré où la communication circule librement à travers l'ensemble du groupe à un degré où les barrières opposées à la communication apparaissent comme dominantes. L'intégration par rapport aux échanges de services sera dite « intégration fonctionnelle »; en effet, elle mesure le degré auquel les fonctions assumées par les membres du groupe constituent des services mutuels. L'intégration fonctionnelle varie de l'interdépendance extrême à un degré élevé d'autonomie individuelle. A la distinction initiale entre trois sous-types, on voit ainsi se substituer quatre formes d'intégration : culturelle, normative, communicative et fonctionnelle. Chacune de ces formes peut varier sur un continuum allant d'un extrême théorique à l'autre. Chacune soulève des problèmes de mesure distincts. Ce sont ces problèmes de construction d'indices que nous traitons maintenant. I. L'INTÉGRATION CULTURELLE
Les travaux d'anthropologues comme Linton ou Benedict montrent que les cultures sont des configurations qui peuvent varier sous le rapport de la concordance interne ou intégration. Pourtant, bien que le concept d'intégration culturelle corresponde à une notion familière, il n'a pas reçu une définition suffisamment rigoureuse, ni suffisamment quantifiée pour être utilisé dans la recherche empirique. La conception de Linton tend cependant à définir l'intégration culturelle comme la distribution optimale de trois types de traits culturels : « universaux », « spécialités », « alternatives ». L a théorie est la suivante : « tandis que les universaux et les spécialités forment à l'intérieur d'une culture une unité relativement concordante et bien intégrée, les alternatives doivent nécessairement être dépourvues de tels caractères » 4. Ainsi, l'intégration culturelle peut être mesurée en déterminant le rapport des alternatives aux universaux et aux spécialités. Plus la proportion des alternatives est basse, plus est élevé le degré d'intégration culturelle. Pourtant, on peut se demander si la définition de deux des types de traits culturels, alternatives et spécialités, est suffisamment précise 4. R. LINTON, The Study qf mon (New York, D. Appleton-Century Co, 1936), p. 282.
40
Généralités sur la construction des variables
pour servir de point de départ à une mesure de l'intégration culturelle. Si les alternatives correspondent bien aux traits culturels par rapport auxquels le groupe autorise un comportement de choix, il est douteux qu'elles affectent sérieusement la concordance interne d'une culture. Aussi longtemps qu'on peut supposer une liberté de choix ou une absence de conflit dans les pressions morales, on peut se demander si l'individu est placé devant un dilemme réel. O n ne voit pas non plus pourquoi la fonction d'une culture comme univers de discours peut être gênée par le fait que des personnes confrontées avec les mêmes alternatives culturelles ne fassent pas le même choix au même moment. En conséquence, il est possible de restreindre le concept d'intégration culturelle à une relation entre des traits qui constituent des normes culturelles au sens où ils requièrent l'adhésion. L a non-concordance entre valeurs culturelles peut se présenter sous deux formes. Elle peut apparaître d'abord sous la forme d'exigences incompatibles de la part des universaux. U n e même culture peut, par exemple, exiger à la fois une conduite altruiste et une conduite compétitive, sans répartir ces exigences distinctes sur des groupes distincts. Plus fréquents sont de tels exemples dans une culture, plus bas est son degré d'intégration. O n peut, par conséquent, songer à définir l'intégration culturelle à partir de la fréquence des non-concordances entre les universaux. Les critères de non-concordance ne doivent évidemment pas être recherchés a priori, mais à partir de l'expérience. Durkheim suggère, en effet, à juste titre que l'idée de contradiction dépend des conditions sociales B. Ce qui peut apparaître à un tiers comme une contradiction logique n'est pas nécessairement ressenti comme tel par les individus qui vivent à l'intérieur d'un système de valeurs données. L e critère de la non-concordance entre valeurs doit donc correspondre à des incompatibilités ressenties comme telles. Bien que les valeurs présentant un caractère de spécialité ne concernent pas toutes l'intégration culturelle, on peut trouver dans ce domaine une seconde forme de non-concordance entre valeurs. Éliminons d'abord une classe de spécialités importante : les situations auxquelles renvoient certaines de ces valeurs existent seulement pour les spécialistes eux-mêmes. D e nombreuses normes, comme la déontologie médicale, et, de façon générale, les codes professionnels, se sont développées à l'intérieur de catégories sociales particulières et concernent des situations spécifiques d'activités déterminées; ces éthiques professionnelles s'adressant à des groupes particuliers, leurs normes respectives ne peuvent entrer en conflit, puisqu'elles se réfèrent à des situations propres, à une profession déterminée. Par conséquent, les divergences entre les normes qui s'adressent à des personnes et à des situations distinctes ne 5. £ . DURKHEIM,- Les Formes élémentaires de la vie religieuse.
Les types d'intégration et leur mesure
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peuvent en aucune manière avoir d'effet sur l'intégration culturelle. Par opposition au type de normes précédent ou « spécialité avec référence au spécialiste », on distinguera un second type de spécialité, à savoir la « spécialité avec référence à la société ». Ce dernier type de valeurs apparaît comme étant le fait particulier d'un groupe ou d'une catégorie et comme impliquant pourtant des normes de portée sociale générale. Si plusieurs « spécialités avec référence à la société » entrent mutuellement en conflit, il existe des non-concordances culturelles. Si le personnel et la direction d'une entreprise conçoivent différemment leur rôle respectif, deux ensembles de spécialités entrent en conflit. L a même chose se produit si divers segments de la population s'opposent sur le droit au divorce, les nationalisations, ou les problèmes raciaux. Plus le nombre de spécialités non-concordantes est grand dans une société, plus bas est son degré d'intégration. Les considérations précédentes permettent ainsi de définir plusieurs indices d'intégration culturelle : on peut exploiter la suggestion implicite de Linton et utiliser la proportion des alternatives comme une mesure négative de l'intégration; on peut également construire l'indice à partir du postulat selon lequel l'intégration est négativement liée à la fréquence des incompatibilités entre universaux et entre spécialités avec référence à la société, à l'exclusion des autres traits culturels 6. Il est possible alors qu'on observe empiriquement une corrélation élevée entre les deux indices ainsi définis, car on peut s'attendre à ce qu'une augmentation des alternatives et une augmentation des incompatibilités entre universaux et entre spécialités se produisent dans les mêmes conditions. 2. L'INTÉGRATION NORMATIVE
Les valeurs culturelles peuvent être considérées non seulement dans leurs relations mutuelles, mais aussi en relation avec les personnes pour lesquelles elles représentent des normes. L'intégration entre normes et personnes est appelée « intégration normative »; elle varie avec le degré d'accord entre la conduite et les normes. Cette acception de la notion d'intégration a reçu une attention particulière dans les travaux de R. C. Angelí. Pour cet auteur, l'obédience aux normes du groupe constitue la différence entre une simple « société » et une « commu6. Les recherches relatives aux conflits entre normes s'appliquant au même rôle social et à des personnes combinant plusieurs rôles réciproques constituent un point de départ utile pour la construction des indices. Voir S. A. STOUFFER, « An analysis of conflicting social norms », Amer, social, reo., 14 (1949), 707 sq. et KOMAROVSKY, « Cultural contradictions and sex roles », Amer. J. social., 52 (1946), 184 sq. ; voir aussi P. WALLIN, « Cultural contradictions and sex roles : a repeat stuay », Amer,
sociol. reo., 15 (1950), 288 sq.
42
Généralités sur la construction des variables
nauté » morale 7 : il est donc naturel qu'il définisse l'orientation vers des valeurs communes comme le fondement de l'intégration. Dans une étude récente sur des milieux urbains, Angell a construit un indice d'intégration prenant pour base la conformité aux normes sociales 8. Cet indice est composé de deux mesures particulières : un indice de criminalité, mesurant l'intégration négativement, et un indice d'amélioration concertée du bien-être (« welfare effort index »), la mesurant positivement. Le premier utilise les taux de criminalité correspondant aux infractions à taux de détection élevé : meurtre, homicide volontaire, escroquerie, vol. Le second suppose que les normes sociales exigent du citoyen une participation financière à l'amélioration du bien-être dans la communauté. Il repose sur le nombre de souscriptions aux emprunts rapporté au nombre de familles, sur la masse des souscriptions rapportée au volume des ventes au détail, etc. Les deux mesures particulières sont alors combinées en un indice d'intégration unique, l'indice de criminalité étant plus lourdement pondéré, en raison de sa corrélation plus élevée avec les variables liées à l'intégration. Si les moyens de détection du crime doivent, comme cela est concevable, se perfectionner progressivement, on doit aussi pouvoir en attendre une amélioration de l'indice. Les infractions choisies pour la construction de l'indice sont, en effet, pour la plupart des actes de violence. O n peut penser que des crimes de cette sorte sont une expression de non-conformisme dans un segment relativement limité de la population. S'il était possible d'inclure des infractions caractéristiques de la délictuosité des classes moyennes, telles que la fraude ou l'abus de confiance, on pourrait obtenir une mesure plus significative de l'intégration normative. Il faut noter, pourtant, que la principale limitation de l'indice réside en ce qu'il utilise une information prélevée au niveau de l'unité administrative. L a communauté locale est, en effet, l'unité de base de la comptabilité criminelle et économique. Notons qu'un indice construit sur de telles bases ne peut évidemment servir de mesure à l'intégration normative de groupes particuliers, tels que la famille, les syndicats, l'église ou les bandes de jeunes : d'abord, parce que l'information qu'il suppose n'est pas disponible au niveau des catégories particulières de la population ; ensuite, parce que la notion d'intégration normative dépend évidemment des normes spécifiques de tel ou tel groupe. Des efforts devraient être entrepris 7. R. C. ANGELL, The Intégration of American society (New York, ME Graw-Hitf Co, 1941), p. 22. Voir aussi pour une conception analogue T . PARSONS, Essaysin sociological theory, pure and applied (Glencoe, 111., The Free Press, 1949), p. 50. 8. R. C. ANGELL, « The Social intégration of selected American cities », Amer. J. sociol.,^7 (1941-42), 575 sq.; « The social intégration of American cities of more than 100.000 population », Amer, sociol. rev., 12 (1947), 335 sq.
Les types d'intégration et leur mesure
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pour aboutir à des indices satisfaisants sur ces aspects de l'intégration normative. 3. L'INTÉGRATION COMMUNICATIVE
L'extension des communications dans un groupe a sûrement une importance dans l'intégration de ses normes et dans l'intégration entre conduite et norme. L'étude précise de cette relation reste à accomplir. Une de ses conditions est la détermination du degré auquel les membres d'un groupe sont liés les uns aux autres par la communication. Cependant, cette notion n'a pas jusqu'ici été explicitement définie par le sociologue comme variable de recherche. Nous nous contenterons donc de présenter ici, non point un indice éprouvé, mais un certain nombre de mesures hypothétiques et provisoires, ayant chacune un champ d'application limité. O n verra en fait que quelques-uns de ces indices reposent sur des hypothèses qui demanderaient une vérification préalable. Plus le réseau de communications interpersonnelles est dense, plus rares sont les personnes isolées. O n peut, en conséquence, supposer que le pourcentage des membres d'un groupe présentant des symptômes d'isolement social constitue un indice négatif de l'intégration communicative. Le caractère suicidogène de cette situation est une hypothèse durkheimienne 9 : le « suicide égoïste » est commis par les personnes dont l'isolement social a dépassé le seuil de tolérance. Or, cet isolement suppose, entre autres, un faible degré de communication avec autrui. Si on connaissait les critères permettant de distinguer cette forme de suicide de celles qui n'impliquent pas l'isolement social, il serait possible d'utiliser le taux de suicide égoïste pour construire une mesure relative de l'intégration communicative caractéristique de divers groupes. Il existe, par ailleurs, des types de désordres mentaux qui constituent des symptômes d'isolement. L'explication de la paranoïa par une restriction des communications vient de Gooley 10 . Plus récemment, cette hypothèse a reçu confirmation de la part de la psychiatrie 1 1 et de la psychologie sociale u . Mais la relation entre l'isolement et les troubles mentaux mériterait de nouvelles recherches. Il est vraisemblable, en effet, que les désordres mentaux ne mettent pas tous en cause ce facteur; mais le développement de la psychiatrie devrait permettre de g. DURKHEIM, Le suicide. 10. C . H. COOLEY, Human nature and the social order (rev. éd., New York, Charles Scribner's Sons, 192a), pp. 256-60. 11. Norman CAMERON, « The paranoid pseudo-community », Amer. J. social., 49 ('943)> 32 sq12. T . M . NEWCOMB, a Autistic hostility and social reality », Human relations, I , n° 1 (1947), 69 sq.; H. W. DUNHAM, « Social psychiatry », Amer, sociol. rev., 13 (1948), 183 sq.
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Généralités sur la construction des variables
mieux distinguer les symptômes qui lui sont spécifiquement liés. O n pourrait considérer leur fréquence comme un indice d'isolement social et, partant, comme un indice négatif du degré d'intégration communicative. U n e mesure plus précise encore pourrait éventuellement être obtenue à partir d'une combinaison avec l'indice de suicide. U n e approche directe consisterait à observer la proportion de personnes manifestant une insuffisance de contacts sociaux dans un groupe donné. Les techniques de recherche mises au point pour étudier les rapports inter-personnels dans une communauté 13 ou la fréquence des contacts sociaux de voisinage 1 4 pourraient être utilisées pour déterminer le nombre de personnes socialement isolées dans une communauté donnée. U n autre procédé peut-être utile est la technique employée dans les études dites de « participation sociale ». Elles se sont surtout intéressées jusqu'ici aux groupes organisés 1 5 , mais elles sont capables de former un instrument de détection des isolés sociaux, en étendant leur champ d'application aux groupes informels w . T . M . Newcomb a montré que les barrières communicatives avaient pour effet de renforcer les relations antagonistes 17 . Il s'ensuit que la proportion de telles relations dans un groupe devrait fournir un indice de la non-intégration communicative. A partir de cette hypothèse, les techniques sociométriques permettant de déterminer la masse des choix et des rejets dans un groupe pourraient servir de moyen de mesure indirect. Parmi ces techniques, une des plus importantes pour notre propos est sans doute la mesure du moral collectif, mise au point par L . D . Z e l e n y 1 8 . Sous sa forme la plus simple, elle consiste à déterminer le nombre d'attractions ou de choix émis à l'intérieur d'un groupe et à le rapporter au nombre maximum théorique de choix possibles, en tenant éventuellement compte de l'intensité des attractions. L e rapport ainsi défini est appelé par Zeleny le « quotient du moral » (morale quotient). Si on admet, avec Newcomb, que l'hostilité est un indicateur de perturbations dans les communications, le « quotient » de Zeleny est sans doute une mesure valable de l'intégration communicative d'un groupe. Les barrières communicatives peuvent d'abord contribuer à l'isolement individuel. Elles peuvent aussi introduire des difficultés de com13. Olen LEONARD et C. P. LOOMS, The Culture of a contemporary rural community ; El Cerrito, Mew Mexico, Rural Life Studies, n° 1 (Washington, U.S. Dept. of agriculture, 1941). 14. F. L. SWEETZER, Jr. « A new emphasis for neighborhood research », Amer, social, rev., 7 (1942), 525 sq. 15. F. S. CKAPIN, « Social participation and social intelligence », Amer, social, rev., 4 (1939), 157 sq. 16. S. A. QUEN, « Social participation in relation to social disorganization », Amer, sociol. rev., 14 (1949), 251 sq. 17. Op. cit. 18. 0 Sociometry of morale », Amer, sociol. rev., 4 (1939), 799 sq.
Les types d'intégration
et leur
mesure
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munication entre sous-groupes d'un même groupe, sans nécessairement provoquer d'isolements individuels 19 . L'intégration communicative peut être satisfaisante à l'intérieur de ces sous-groupes, mais les barrières qui les isolent peuvent provoquer des distorsions et des malentendus ayant pour effet de renforcer les cloisonnements. Dans cette perspective, le phénomène du préjugé apparaît comme en relation étroite avec l'intégration communicative. Il est d'autant plus marqué que les liens communicatifs entre les divers segments d'une population sont plus faibles : de nombreuses études montrent, en effet, que les préjugés sont contractés au contact de ceux qui les nourrissent plutôt que de ceux qui en sont l'objet 2 0 . L e développement des communications entre sous-groupes d'une population constitue donc un aspect particulier de ce type d'intégration. Il semble qu'on puisse le mesurer de différentes façons. Une première méthode fait porter l'accent sur les barrières opposées à la communication 21 : la ségrégation écologique des minorités, pour laquelle des procédures de mesure complexes ont été élaborées est une base possible pour cette méthode. Mais, comme préjugé et faiblesse des communications sont corrélatives, on peut aussi utiliser l'hypothèse selon laquelle le préjugé est symptomatique de la présence de barrières communicatives; les mesures de préjugé peuvent alors être employées comme mesures négatives de l'intensité des communications entre sous-groupes et bénéficier des recherches technologiques relatives à la mesure des attitudes 23. 4. L'INTÉGRATION FONCTIONNELLE
L'intégration fonctionnelle mesure le degré d'interdépendance entre les éléments d'un système de division du travail. Ce type d'intégration est central dans la pensée écologique moderne Bien que la division du travail ressortisse exclusivement de l'observation du comportement, tous les obstacles à la quantification n'ont pas encore été surmontés dans ce domaine. L a mesure y est difficile, parce que l'interdépendance est un phénomène multidimensionnel. Il implique évidemment au premier chef la spécialisation, phénomène sans doute mesurable, 19. NEWCOMB, op.
cit.
20. Ibid. 21. Voir Amos H. HAWLEY, «Dispersion vs. segregation : apropos of a solution of race problems », Papers of the Michigan Academy of Science, Arts, and Letters 30 (1944). 22. J u l i u s JAHN, C . F . SCHMID, C . SCHRAG, « T h e m e a s u r e m e n t of
ecological
segregation », Amer, social, res., 12 (1947), 293 sq.; R. A. HORNSETH, « A note on the measurement of ecological segregation », Amer, social, rev., 12 (1947), 603 sq. 23. Voir R. M. WILLIAMS, Jr., The Reduction of intergroup tensions : a survey of research on problems of ethnic, racial, andreligious group relations, Social Science Research Council Bull. n° 57 (New York, Soc. Sc. Res. Council, 1947). 24. Voir A. H. HAWLEY, Human ecology, New York, Ronald Press Co, 1950.
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Généralités sur la construction des variables
mais pour lequel on n'a pu présenter jusqu'ici d'indice raisonnable. Cependant, les deux concepts ne se recouvrent pas : des personnes de spécialités différentes ne sont pas pour autant interdépendantes; certaines peuvent appartenir à un système de division du travail, certaines à un autre. C'est pourquoi on ne doit pas s'interroger seulement sur le degré de spécialisation des fonctions, mais aussi sur le volume des échanges fonctionnels. Jusqu'ici, on n'a guère soumis à la mesure que des aspects limités de ce type d'intégration. Les recensements définissent, par exemple, les zones urbaines par un critère de densité. Ils supposent ainsi que la ville implique un degré élevé d'interdépendance fonctionnelle, mais celui-ci reste indéterminé. D'autres indicateurs sont représentés par l'aire de diffusion des journaux, l'étendue de la banlieue, le rayon des livraisons à domicile, le volume des appels téléphoniques 25. D. J. Bogue utilise, pour sa part, comme indice de spécialisation le degré de concentration de la population dans diverses activités économiques : vente au détail, vente en gros, services et industrie; le nombre d'établissements correspondant à l'une ou l'autre de ces activités, leur chiffre d'affaires, etc... A partir de ces mesures, il est possible de déterminer non seulement le degré de concentration fonctionnelle dans chacun de ces domaines, mais aussi l'interdépendance des unités locales dans une même zone 2S. Nul auteur n'est plus suggestif que Durkheim en ce qui concerne les mesures indirectes de l'intégration sociale. O n sait qu'il utilise comme indice de la « solidarité organique » la proportion des normes légales à fonction restitutive dans l'ensemble des lois. Son hypothèse est que la division du travail s'accompagne d'un développement du droit restitutif aux dépens du droit punitif. L a validité de l'hypothèse est contestable, en raison notamment de la rareté relative des sanctions punitives dans les sociétés à faible division du travail. Cependant la suggestion de rechercher les types de sanctions légales révélant une corrélation avec d'autres mesures de l'intégration fonctionnelle reste valable dans son principe. Une autre proposition de Durkheim est que, à l'augmentation croissante de la division du travail, correspond pour l'individu une plus grande difficulté d'isolement 27 . Appliquant l'idée à la famille, il suggère que l'augmentation de la division du travail rend l'existence non familiale plus difficile. O n aurait pu s'attendre alors à ce qu'il utilise un
25. R. D. M C K E N S I E , Readings in human ecology (Ann Arbor, Mich. ; George Wahr, 1934)26. Don J. B O G U S , The Structure of the metropolitan community : a study in dominance and subdominance (Ann Arbor, Univ. of Mich., 1949). 27. D U R K H E I M , La division du travail social.
Les types d'intégration et leur mesure
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indice négatif d'intégration fonctionnelle combinant, par exemple, le divorce et la désertion du domicile familial. S'il ne le fit pas, c'est sans doute qu'un faible taux de séparation peut indiquer aussi un haut degré de cohésion dû à d'autres causes : cet indice ne peut être utilisé que si on peut, par des techniques appropriées, maintenir constants les autres types d'intégration. O n pourrait également songer à employer des variables sur lesquelles les communautés urbaines se distinguent des communautés rurales, beaucoup moins différenciées. Il faudrait pourtant prendre soin de limiter les variables utilisées aux manifestations symptomatiques de la division du travail. L a proportion de la population non-agricole dans une zone donnée pourrait fournir une mesure utile, car elle varie sans aucun doute en raison directe de la différenciation fonctionnelle. Le fait que les taux de natalité sont plus hauts dans les zones rurales que dans les zones urbaines suggère un autre indice d'intégration fonctionnelle. De telles mesures sont pourtant d'application limitée, car elles ne concernent que certains types de groupes. Elles seraient évidemment inutiles dans une comparaison entre différents sousgroupes d'un district urbain. Mais il semble qu'actuellement, nous devions nous contenter d'utiliser des indices adaptés à chaque type de groupe, plutôt que d'essayer de construire un indice d'intégration fonctionnelle commun à tous. En conclusion, nous avons décrit dans cet article quatre types d'intégration : l'intégration culturelle, ou concordance entre les normes d'une culture; l'intégration normative, ou conformité de la conduite aux normes; l'intégration communicative, ou échange de significations dans le groupe; l'intégration fonctionnelle, ou interdépendance due aux échanges de services. Les problèmes posés par une telle approche sont avant tout d'ordre méthodologique. Si on veut promouvoir la recherche sur l'intégration, il faut d'abord développer des techniques de mesure appropriées. Nous avons cru devoir attirer l'attention sur des problèmes qui n'avaient pas été clairement posés, bien qu'ils fussent d'importance capitale pour la mesure des quatre types d'intégration. Étant donné le caractère relativement inexploré de ce champ de recherche, les quatre types d'intégration se révèlent actuellement inégalement favorisés. L'intégration normative possède des instruments de mesure éprouvés. En ce qui concerne l'intégration communicative, on n'a pas construit jusqu'ici d'indice convenable, mais la psychologie sociale dispose d'un ensemble de propositions théoriques et de résultats empiriques qui pourraient se révéler fort utiles. Quant à l'intégration fonctionnelle, on a pu construire des indices mesurant l'extension spatiale de l'interdépendance et suggérer des mesures de réciprocité entre des unités spa-
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Généralités sur la construction des variables
tialement définies. Pour d'autres groupes que pour les unités écologiques, on n'a pu cependant établir jusqu'ici de mesure satisfaisante de ce type d'intégration. Pour ce qui est enfin de l'intégration culturelle, la sociologie n'a pas encore dépassé le stade des considérations théoriques préliminaires.
Charles T. Glock
Y A-T-IL UN RÉVEIL RELIGIEUX AUX ÉTATS-UNIS 1 ?
Les jugements récents sur la situation religieuse aux États-Unis apparaissent fort contradictoires. La majorité peut-être des observateurs note un important réveil de la religion américaine depuis la guerre 2. D'autres, tout en reconnaissant que l'intérêt pour la religion a grandi au cours de ces dernières années, démontrent que cet accroissement ne représente pas tant un réveil que la continuation, dans la vie religieuse américaine, d'un courant ascensionnel à long terme 3 . D'autres encore soutiennent au contraire que cette tendance à long terme va vers la sécularisation croissante de la vie américaine *. Et, plus récemment, on a exprimé l'idée que le caractère le plus remarquable de la religion américaine au cours du siècle dernier et du nôtre est sa stabilité; il n'y a eu propension, ni à plus de religion, ni à plus de sécularisation Ces jugements ne peuvent être tous exacts — du moins à ce qu'il semble. Le but de cet article est d'examiner les tentatives d'évaluation de la situation religieuse aux États-Unis, et d'ouvrir par la même occasion, du moins nous l'espérons, quelques perspectives nouvelles à l'étude de la place de la religion dans la vie américaine. Les désaccords sur l'existence ou la non-existence d'un réveil, et sur la nature de la tendance à long terme de la vie religieuse américaine, 1. Le texte original a paru en anglais sous le titre de « T h e Religious Revival in America? », dans Jano ZAHN, Religion and the face of America, University Extension, University of California, 1959. Mlle Reine Goldstein s'est chargée de la traduction, parue dans Archives de Sociologie des Religions, n° 12, 1961, pp. 35-52 2. Will HERBERG, Protestant, Catholic and Jew, Doubleday, 1955, pp. 59-84. 3. Michael ARGYLE, Religious Behavior, Roudedge and Kegan Paul, 1958. 4. William H. WHYTE, Jr., The Organization Man, Simon and Shuster, 1956. 5. Seymour M . LIPSET, « Religion in America. What Religious Revival? », Columbia University Forum, II, 2, Hiver 1959.
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Généralités sur la construction des variables
peuvent venir simplement de ce que quelques observateurs seraient dans l'erreur, alors que d'autres ne le seraient pas. Ceci semblerait une conclusion plausible, étant données les estimations visiblement contradictoires qui ont été faites. A la réflexion, cependant, le désaccord peut venir d'autres facteurs. La religion ne représente pas nécessairement la même chose pour tout le monde, la source du désaccord est peut-être donc dans les différentes définitions de la religion, que donnent les différents observateurs. Certains peuvent la réduire à la croyance, d'autres à la pratique, et d'autres encore à l'expérience. S'il était prouvé qu'il y a eu un accroissement dans la première, un déclin dans la seconde, et aucun changement dans la troisième, une grande partie du désaccord serait expliquée sinon résolue. Il est encore possible que les observateurs soient d'accord sur les définitions, sans cependant s'entendre sur ce qui s'est passé, parce qu'ils adoptent, comme base de leurs jugements, des critères ou des indices différents. Certains peuvent fonder leur jugement sur le nombre de pratiquants et d'autres sur le nombre de lois dites divines, que l'on trouve encore dans les codes civils. Mais, même un accord sur ce point ne suffirait pas à assurer l'unanimité, car il faut encore considérer les données; différents observateurs peuvent aboutir à une description différente du même indice, ou interpréter les mêmes données de différentes façons. S'efforcer d'ordonner les définitions, les indices et les données, semble être une condition nécessaire et préalable pour y voir clair. L'OBJET RELIGIEUX : DÉFINITIONS, INDICES ET DONNÉES*
Religion, religieux et religiosité appartiennent à ce genre de mots qui semblent presque défier toute définition, du moins toute définition capable de provoquer un accord général. On est tenté de suggérer qu'il existe autant de définitions que de personnes à en proposer. Cependant, si nous examinons soigneusement les images évoquées par les mots, les divergences existantes ne portent pas tant sur les définitions que sur la façon dont les mots sont utilisés : multidimensionnels par le sens, ils ne sont employés que d'une manière unidimensionnelle. On tend à réduire la religion soit à la croyance, soit à la pratique, soit à l'expérience, sans reconnaître consciemment l'existence des autres dimensions. Alors qu'il n'est peut-être pas possible d'obtenir un accord sur l'importance de ces dimensions, il est possible de les spécifier et, ce faisant, de rendre manifestes les différents cadres de référence à l'inté6. L'auteur s'est beaucoup inspiré, pour ce passage, de ce qu'il a appris du Professeur Paul F. LAZARSFELD de l'Université de Columbia, sur l'élaboration des concepts et des indices. Pour avoir un bref aperçu des principes en cause, cf. Paul
T
a-t-il
un réveil religieux aux
États-Unis?
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rieur desquels le caractère religieux d'une entité (personne, groupe religieux ou collectivité plus grande, telle qu'une nation ou une société) est susceptible d'observation et de mesure. En l'occurrence, il semble utile de considérer l'objet religieux comme un concept à quatre dimensions, que nous appellerons dimension expérientielle, dimension ritualiste, dimension idéologique, et dimension conséquentielle. Tous les sentiments, toutes les perceptions et toutes les sensations, expérimentés par un sujet, ou définis par un groupe religieux ou une société comme impliquant une communication, même faible, avec une essence divine, par exemple avec Dieu, avec la réalité première ou avec l'autorité transcendante, font partie de la dimension expérientielle. I l s'agit en fait, de vie spirituelle, d'une expérience effective, définie comme religieuse. Dans ses formes extrêmes, elle serait représentée par la conversion, la visite du Saint-Esprit, la mystique. L a dimension idéologique, au contraire, est plutôt fondée sur les croyances que sur les sentiments religieux. Elle inclut toutes les représentations sur la nature de la réalité divine ou réalité première, et sur sa finalité. Définir des croyances comme religieuses peut être le fait d'un individu, d'un groupe religieux, d'une société ou, si l'on veut, d'un spécialiste des sciences sociales. Il est possible et même vraisemblable, que les choix de l'un ne concordent pas toujours avec les choix de l'autre. Bien qu'on ne puisse ignorer ces différences, il n'y a pas lieu de s'en inquiéter ici. Notre but actuel est de montrer que la croyance est une dimension de la religion, et non pas d'établir ce qui fait qu'une croyance est religieuse. L a dimension ritualiste concerne les actes que les gens accomplissent dans le domaine religieux plutôt que leurs sentiments ou leurs pensées. Elle comprend les activités généralement classées dans la pratique religieuse : le culte, la prière, la lecture de la Bible, l'appartenance à une église, l'assistance aux offices, etc... L a dernière des quatre dimensions, la dimension conséquentielle, diffère des trois premières par sa nature même. Elle concerne ce que font les gens, ainsi que les attitudes qu'ils adoptent, par suite de leurs croyances, de leurs pratiques, et de leurs expériences religieuses. C'est l a notion « d'œuvres », au sens théologique du terme, qui est impliquée ici. L a dimension conséquentielle diffère aussi des autres dimensions, en ce qu'elle s'intéresse plus au mode de relation des hommes entre eux, q u ' a u mode de relation des hommes à Dieu. Nous proposons que ces dimensions soient adoptées comme cadres
F . LAZARSFELD, « Des concepts aux indices empiriques », ci-dessus, pp. 27-36.
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Généralités sur la construction des variables
principaux de référence pour évaluer la religion ou l'objet religieux. Les dimensions sont reliées entre elles, plutôt qu'elles ne sont indépendantes les unes des autres; et une estimation à l'intérieur de l'une d'elles implique souvent une estimation dans une autre. Elles sont néanmoins d'utiles hypothèses de recherche dans l'étude du comportement religieux. Il n'est pas toujours possible de déduire de l'observation ou de l'évaluation elle-même, quelle dimension l'observateur a dans l'esprit. Nous ne pouvons pas dire, par exemple, quel est le cadre de référence de l'observateur, à partir de cette simple remarque : « l'Amérique est en plein réveil religieux ». Peut-être pense-t-il à l'intérieur d'une seule dimension ou utilise-t-il une combinaison des dimensions que nous avons définies? Toute tentative scientifique pour mesurer la situation religieuse d'un individu ou d'une quelconque collectivité, exige évidemment de l'observateur qu'il précise clairement la ou les dimensions dont il parle. Les interlocuteurs, dans toute discussion, sur le réveil religieux par exemple, doivent nécessairement préciser s'ils ont l'impression que le réveil se produit dans une, ou dans plusieurs ou dans les quatre de nos dimensions. Préciser les critères ou les indices de religiosité, à l'intérieur d'une dimension, est aussi nécessaire. Les indices sont simplement les moyens utilisés pour localiser les objets à l'intérieur d'une dimension, c'est-àdire pour les ordonner suivant leur degré de religiosité. L a spécification des indices définit, en effet, ce que l'observateur entend par « religieux » à l'intérieur d'une dimension donnée. O n peut distinguer deux types d'indices : les indices de degré — l'Amérique est plus religieuse aujourd'hui que dans le passé immédiat — et les indices de nature. O n peut, en effet, établir des distinctions de nature à l'intérieur de n'importe quelle dimension, bien que ces distinctions soient moins pertinentes que celles de degré, s'agissant de ce que l'on a appelé un réveil. L'affirmation : « Les Pentecôtistes adhèrent à une théologie (ou croyance) fondamentaliste, alors que les Congrégationalistes souscrivent à une théologie (ou croyance) libérale » représente une distinction de nature à l'intérieur de la dimension idéologique. Dans notre conversation journalière, nous utilisons constamment des indices pour établir des distinctions à l'intérieur des concepts. Certains des indices que nous utilisons : le mètre et le centimètre pour représenter la hauteur, les kilos et les grammes pour représenter le poids, et le km/heure pour représenter la vitesse, ont la qualité d'être universellement acceptés dans notre société, au moins virtuellement. Par contre, dans d'autres concepts les indices ne rencontrent pas l'approbation générale. Dans certains cas, ils peuvent même être propres à un individu. L'amitié, par exemple, est un concept dont les indices ne sont ni précis ni universellement admis. Il serait beaucoup
T a-t-il un réveil religieux aux États-Unis?
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plus facile d'obtenir un accord général sur la taille d'une personne que sur son degré d'amabilité. En fait, c'est une des fonctions des sciences, physiques et sociales, que de systématiser les procédés d'indexation et de mettre au point des moyens de les appliquer, sous la forme d'instruments de mesure. La règle, la balance et l'indicateur de vitesse sont de bons exemples d'instruments qui ont été élaborés pour permettre une application uniforme des indices de hauteur, de poids et de vitesse. Les tests d'intelligence, bien que moins élaborés, illustrent aussi le but poursuivi par le processus que nous tentons de décrire. Pour élaborer ces tests, on a d'abord précisé les dimensions du concept d'intelligence, puis on a créé des indices, afin de distinguer les individus à l'intérieur de cette dimension. En définitive, les instruments de mesure (tests) ont été conçus pour permettre à des observateurs différents d'appliquer uniformément les mêmes indices. Les indices de religion en sont à un stade plus proche des indices d'amitié que des indices de hauteur. Le problème n'a pas été étudié d'une manière scientifique. Pourtant, l'observateur a dans l'esprit, implicitement, sinon explicitement, des indices sous-jacents à toute observation sur le caractère religieux d'une entité. Cela est aussi vrai de ceux qui s'intéressent professionnellement à la religion que de ceux qui en parlent au cours d'une conversation ordinaire. Quels sont alors les indices utilisés le plus communément? Pour répondre à cette question, nous devons examiner séparément chacune des dimensions, distinguer entre les indices de degré et les indices de nature, et tenir compte des transformations que peuvent subir les indices, suivant qu'ils s'appliquent à un individu, à un groupe religieux ou à une collectivité importante. Les indices concernant les aspects du comportement directement observables sont ceux qui ont le plus de chances de se développer et d'être admis de tous. Il n'est donc pas surprenant de constater qu'il est plus facile de concevoir des indices pour établir des distinctions à l'intérieur de la dimension ritualiste que pour les autres dimensions. Ce que les gens font dans le domaine religieux est plus facile à observer que leurs expériences ou leurs croyances religieuses. En ce qui concerne la dimension conséquentielle, on peut observer les actes des gens, mais il est difficile de reconnaître si leur motivation est religieuse ou non. A l'intérieur de la dimension ritualiste au contraire, c'est autour des pratiques les plus facilement observables que les indices sont le plus susceptibles d'être multipliés. Il y a, dans cette dimension, des indices indiquant si une personne est ou non religieuse et dans quelle mesure et de quelle manière elle l'est. L'appartenance à une église est peut-être l'indice de comportement le plus visible dans le domaine religieux; c'est celui que l'on utilise
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Généralités sur la contruction des variables
le plus fréquemment pour distinguer une personne religieuse d'une personne qui ne l'est pas. D'autres indices permettent de porter un jugement sur la religion d'une personne : la prière, la lecture de la Bible et la participation aux actes sacramentels. Ces mêmes indices sont utilisés pour établir des distinctions de degré. Là, cependant, le jugement ne reposera vraisemblablement pas sur le seul choix des pratiques que fait une personne, mais aussi sur leur fréquence. Il est plus difficile de penser à des indices de nature qui soient fréquemment utilisés dans cette dimension. Fréquenter une paroisse ou une église d'esprit plus ou moins liturgisant, prier à genoux ou debout, faire ou ne pas faire de génuflexions sont des indices possibles pour établir de telles distinctions, mais on ne les utilise pas couramment. Au niveau de l'individu, les distinctions de nature, comme nous le verrons bientôt, sont plus susceptibles d'être utilisées à l'intérieur de la dimension idéologique que dans la dimension ritualiste. On peut tirer les indices à utiliser pour établir des distinctions dans le caractère religieux des collectivités, soit des informations rassemblées sur le comportement individuel, soit à partir d'autres sources. O n peut différencier les groupes religieux d'après le degré d'adhésion des membres aux pratiques rituelles édictées par le groupe. Le degré de religion d'une nation peut être indiqué, dans la dimension ritualiste, par la proportion de sa population appartenant à une église. Dans ces deux exemples, les indices dérivent de l'information rassemblée sur le comportement individuel. Des distinctions peuvent aussi être faites sans qu'il soit tenu compte du comportement individuel. Par exemple, on tend à différencier les paroisses entre elles, principalement à l'intérieur des dénominations, selon leurs tendances à pratiquer des liturgies « high-church » ou « low church ». Sauf dans les cas extrêmes, on ne peut observer directement les sentiments religieux des gens. Aussi des exemples d'indices, utilisés couramment pour établir des distinctions dans la dimension expérientielle, ne viennent pas immédiatement à l'esprit. Qu'une personne ait fait, ou non, une expérience de conversion est un indice possible. Certains groupes religieux pensent que seules les personnes qui ont fait l'expérience de la « nouvelle naissance » peuvent être comptées parmi les élus, et accordent une grande importance à cet indice. Dans certaines tribus primitives, les accès d'épilepsie sont interprétés comme des signes d'expérience religieuse ; et on considère comme particulièrement doués de mana ceux qui sont sujets à ces crises. Au niveau des groupes religieux, la distinction que nous établissons parfois entre secte et église implique, entre autres choses, que les membres des sectes expérimentent sensiblement leur religion, tandis que les membres d'une église sont plus enclins à la pratique.
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Les indices sous-jacents à des différenciations sont des signes extérieurs de l'émotion religieuse telle qu'elle se manifeste dans les réunions de réveil. Ils sont, prétend-on, beaucoup plus caractéristiques des « sectes » que des églises. De l'avis de tous, ces indices sont cependant sommaires et ne permettent pas de raffiner beaucoup sur les nuances. Nous n'avons pas de renseignements sur les expériences religieuses de chaque personne, dans les plus grandes collectivités; et, par conséquent, nous n'avons aucune base pour exploiter nos indices à partir de l'accumulation de renseignements sur les individus, membres de la collectivité. On interprète parfois comme des indices de vie spirituelle le fait qu'un grand nombre de gens importants passent par la conversion ou le grand nombre de « décisions » que Billy Graham est capable d'obtenir. Il semble indispensable de faire des distinctions de nature avant de commencer à considérer les distinctions de degré, dans la dimension idéologique ou la dimension de croyance. Ce qui constitue la croyance dans une tradition religieuse peut ne pas la constituer dans une autre. A l'intérieur d'une tradition, on peut établir des distinctions de degré à partir de ce qu'un individu croit et de la force avec laquelle il croit. Au niveau du groupe, on a tendance à croire les fondamentalistes plus fermes sur leurs croyances que les non-fondamentalistes, en utilisant comme indice le degré d'adhésion commune des membres de chaque groupe à un système formulé de croyances religieuses. Autre indice de croyance possible : la somme de souffrance que l'individu ou les membres d'un groupe religieux acceptent de supporter pour le maintien de leurs croyances. Ainsi, les Témoins de Jéhovah sont fréquemment considérés comme très religieux, parce qu'ils sont prêts à endurer les plus grands maux plutôt que de renoncer à leurs idées. Les jugements affirmant qu'une nation a des croyances religieuses plus fortes qu'une autre, ou que les Américains sont plus croyants aujourd'hui qu'ils ne l'étaient dans le passé, reposent nécessairement sur des indices dissimulant les variations à l'intérieur des traditions religieuses. On peut établir des distinctions à partir de la proportion de population qui, à différentes époques, déclare croire en Dieu ou en l'immortalité. Mais une fois de plus, les indices ne sont pas extrêmement précis et ne suscitent pas un accord général. La difficulté à préciser les indices utilisés pour l'établissement des différenciations dans la dimension expérientielle et dans la dimension idéologique, se trouve multipliée lorsqu'on examine la dimension conséquentielle. Le problème est de trouver des indices pour distinguer à quelle condition et dans quelle mesure les actions ou les attitudes sont motivées religieusement. Toutes les grandes religions comprennent des interdictions morales,
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Généralités sur la construction des variables
et on peut supposer que celles-ci peuvent servir de modèle pour mesurer et ordonner le comportement individuel. Cependant, le comportement moral n'est pas toujours religieux; il faut donc des indices supplémentaires pour distinguer un acte motivé religieusement d'un acte qui ne l'est pas. Ceci nous oblige à retourner en arrière, afin de rechercher des signes de religiosité dans les trois autres dimensions. Lorsqu'on fait allusion à quelqu'un que l'on qualifie de très religieux, il est possible que cela veuille dire uniquement, pour l'observateur, ou qu' « il est sauvé », ou qu'il est croyant, ou qu'il est un bon paroissien de son église. Il est cependant possible que quelque chose de plus soit impliqué, à savoir que cet individu manifeste d'une certaine manière ses convictions religieuses. On peut classer cette manifestation parmi les comportements éthiques, mais ce n'est pas obligatoire. On ne peut qualifier de moral le comportement du missionnaire ou du moine, sauf d'un certain point de vue. L'élément commun, dans ces exemples, c'est peut-être que le sujet y est perçu comme agissant sous l'influence de motivations désintéressées plutôt que par motif égoïste. Les motivations désintéressées sont le fruit de l'expérience et de la croyance religieuses. Cependant, nous ne possédons aucune référence systématique pour distinguer un comportement désintéressé d'un comportement égoïste. L'admiration souvent manifestée à l'égard des quakers en général est peut-être étroitement liée aux « bonnes œuvres » qu'on associe à leur nom. Dans les grandes collectivités, on peut déceler des signes de religiosité dans la dimension conséquentielle en évaluant le degré d'imprégnation des institutions séculières par les prescriptions morales des églises. La présence de comportements déviants peut constituer un autre indice possible. La condition nécessaire et évidente pour que les indices de n'importe quel concept puissent être précisés et adoptés universellement est que des données auxquelles on puisse appliquer les indices soient disponibles et faciles à rassembler. Indices et données sont étroitement liés. Si les indices ne sont pas clairement formulés, on ne sait pas quelles sont les données nécessaires. Et si l'on n'a pas à portée de la main un moyen de rassembler les données, il y a des chances pour que le stimulant nécessaire à la construction de l'indice vienne à manquer. L'absence relative d'indices précis pour établir des distinctions dans le domaine religieux est alors, dans une certaine mesure, fonction du manque de données disponibles et de la difficulté d'en obtenir. Comme nous l'avons dit plus haut, le comportement rituel et la pratique religieuse, plus visibles et plus frappants, peuvent être mesurés plus facilement, et favorisent donc la multiplicité des indices à l'intérieur de la dimension ritualiste plutôt qu'à l'intérieur des autres dimensions.
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Jusque là, notre travail a consisté à fournir un cadre à l'examen des affirmations et des contre-affirmations concernant la situation religieuse aux États-Unis. Dans un tel examen, il sera nécessaire de considérer : les cadres de références adoptés par les différents observateurs pour leurs évaluations, les indices de religion qu'ils utilisent pour établir des distinctions à l'intérieur des dimensions et la nature des données auxquelles s'appliquent leurs indices. Cela ne nous permettra probablement pas d'atteindre des conclusions indiscutables. En dernière analyse, les conclusions, dans ce domaine, varieront toujours parce qu'elles dépendent des attaches individuelles à l'égard des différentes conceptions du fait religieux. Mais nous pouvons espérer dissiper la confusion actuelle et peut-être même ouvrir quelques perspectives nouvelles à l'analyse du caractère religieux des grands groupes. LA RELIGION DES AMÉRICAINS : PASSÉ ET PRÉSENT
La controverse actuelle sur la religion aux États-Unis tourne autour de plusieurs points plutôt que d'un seul. Premièrement, y a-t-il eu ou n'y a-t-il pas eu, après la guerre, un accroissement de vie religieuse en Amérique? Deuxièmement, est-ce que l'accroissement qui a suivi la guerre, s'il a eu lieu, représente un réveil religieux, ou constitue-t-il simplement la continuation accélérée d'une tendance ascensionnelle à long terme propre à la religion américaine? Et troisièmement, ce qui va en partie à l'encontre des deux questions précédentes, n'a-t-on pas assisté à une sécularisation croissante de la vie américaine ? Examinons d'abord la proposition selon laquelle il y aurait eu, après la guerre, un important accroissement de vie religieuse. Nous laisserons de côté, pour le moment, la question de savoir s'il est préférable de parler d'un réveil ou d'une accélération d'une tendance ascensionnelle à long terme. Se référant aux indices adoptés et aux données citées, les tenants de cette proposition accordent le plus grand poids à la dimension ritualiste de la religion. Certains de leurs indices touchent aux dimensions idéologique et expérientielle, mais aucun à la dimension conséquentielle. Les principaux indices de pratique utilisés sont : le pourcentage d'Américains membres d'une Église, le pourcentage de pratiquants pour un dimanche donné, les investissements dans les constructions ecclésiastiques et les contributions financières à des institutions religieuses. Quant à la dimension de la croyance, les indices sont presque exclusivement limités au pourcentage d'Américains entretenant certaines croyances religieuses, et principalement la croyance en Dieu.
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Un autre indice, que l'on peut aussi ranger parmi les indices de croyance, est constitué par le degré de critique auquel la religion et les institutions religieuses sont soumises, tout aussi bien dans la masse que parmi les élites intellectuelles. Des indices tels que le degré d'intérêt montré pour les livres religieux, la musique et des articles à résonance religieuse, sont, d'une certaine manière, plus difficiles à ordonner, mais nous les placerons dans la dimension expérientielle en admettant qu'ils représentent, quoique d'une manière indéfinissable, un intérêt pour les choses spirituelles. On prétend, d'après chacun de ces indices, que les États-Unis sont devenus progressivement beaucoup plus religieux au cours de ces dernières décades. L a preuve la plus fréquemment citée est peut-être la statistique d'appartenance des Américains aux différentes Églises du pays. Ce renseignement enregistré régulièrement par le Bureau of Research and Survey du National Council of Churches des États-Unis est fourni chaque année par le Tearbook of American Churches. Le pourcentage des membres d'Églises par rapport à la population globale est le suivant pour la période allant de 1940 à 1957 ' : 1940 1950 1955 1956 1957
49 57 60,9 62 61
% % % % %
Les données sur le pourcentage d'Américains ayant fréquenté l'église un dimanche donné ne montrent pas un accroissement aussi constant ni aussi grand que celui que l'on observe dans les statistiques d'appartenance. Mais elles montrent que les Américains, dans l'ensemble, étaient plus enclins à aller à l'église dans les années 50 que dans les années 40. Les chiffres cités viennent d'enquêtes nationales d'opinion publique menées à des intervalles irréguliers depuis 1939 8 par VAmerican Institute of Public Opinion (Gallup Poil) :
7. Benson Y . LANDIS, Ed., Tearbook of American Churches for 1959, National Council of Churches of Christ in the U . S . A . , 1958. 8. Cité par LANDIS, op. cit., p. 297.
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Date
Février 1989 Novembre 1940 Mai 1942 Mai 1947 Avril 1950 Juillet 1954 Décembre 1955 Avril 1957 Décembre 1957
59
Pourcentage d'adultes s'étant rendus à Véglise au cours de la semaine précédant l'interview.
41 87 86 45 89 46 49 51 47
% % % % % % % % %
Les investissements dans les constructions ecclésiastiques et les donations per capita pour les dépenses de la communauté et pour les œuvres charitables reflètent les augmentations dans l'appartenance et dans la pratique. En 1946, 76.000.000 de dollars furent investis dans la construction d'églises; en 1953 le chiffre était monté à 477.000.000 9 de dollars. Les donations à 18 dénominations protestantes, calculées en contributions per capita, en fonction des revenus ont décliné entre 1940 et 1943, mais augmentent à peu près régulièrement jusqu'en 1952, date des dernières statistiques disponibles 10 . Les données sur le pourcentage d'Américains qui s'identifient à une dénomination religieuse et qui déclarent croire en Dieu suggèrent un accroissement de ces indices, bien que des documents comparables n'existent pas pour les quinze dernières années. Cependant, le fait qu'en mars 1957, 96,4 % de la population des États-Unis, âgée de 14 ans et plus, ait déclaré appartenir à une dénomination religieuse u , et qu'un certain nombre de sondages récents aient montré que plus de 95 % croient en Dieu semble renforcer les indications fournies par d'autres indices, qui prouveraient que les chiffres plus anciens auraient difficilement pu être plus élevés. Quand on en vient aux autres indices (degrés de critique et d'attention portée aux sujets religieux dans l'information et les loisirs ordinaires), les données, bien que partiellement fruits d'impressions, montrent une attitude favorable croissante à l'égard de la religion au cours des deux dernières décades 13 . Toutes ces données sont actuellement bien connues, et les reprendre 9. Anonyme, « Construction of Religious Building », Information Service, National Council of the Churches of Christ in the U.S. A., 8 mai 1954. 10. A R G Y L E , op. cit., p . 30. 1 1 . LANDIS, op. cit., p . 302.
12. Chiffres rapportés par HERBERG, op. cit., p. 59. 13. Cf. HERBERG, op. cit., pour un résumé de ces données, pp. 59, 84.
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Généralités sur la construction des variables
ne peut que mener à des répétitions. Justifient-elles l'affirmation qu'il y a eu un important accroissement de vie religieuse dans les États-Unis d'après-guerre ? Cette affirmation peut être discutée à plusieurs niveaux. Tout d'abord, la définition du fait religieux, sous-entendue dans les indices utilisés, omet de tenir compte de la dimension conséquentielle. Aucune autorité ne peut décider si cette omission est importante ou non. Quelle contribution chacune des dimensions apporte ou devrait apporter au concept total, celui de la religion, est plus une question de jugement que de fait. Que l'omission ait cependant été faite nuit à la portée de l'affirmation. L'insuffisance des indices symbolisant l'objet religieux dans une dimension ou une combinaison de dimensions est toutefois plus sérieuse que cette omission. Il faut rappeler de nouveau ici que c'est à chacun de juger dans quelle mesure les indices sont satisfaisants. Néanmoins, considérer que les indices utilisés sont des représentations adéquates du concept, c'est ignorer la plupart des développements, qui ont fait de la religion une caractéristique fondamentale de la vie humaine, à travers le temps. D'autre part, il se peut aussi que la religion contemporaine ne soit guère plus que ce que les indices mesurent. Laissons au lecteur le soin de choisir entre ces différentes possibilités et passons à l'examen des données. Dans quelle mesure sont-elles satisfaisantes? En fait, aucune n'est absolument digne de foi, bien qu'il soit impossible de dire exactement dans quelle mesure. Les statistiques d'appartenance à une Église sont peut-être les plus suspectes, si l'on en croit la critique serrée des statistiques ecclésiastiques faite par W. H. Hudson M . Hudson fait deux critiques décisives. Premièrement, il remarque que la plupart des dénominations, qui fournissent les rapports à partir desquels les chiffres globaux sont calculés, donnent invariablement des chiffres ronds, et pour l'appartenance, et pour l'accroissement annuel. Pour des raisons de logique, Hudson se demande si l'appartenance à 1' « Église du Christ », par exemple, est réellement passée de 1.500.000 à 1.600.000 entre 1955 et 1956, comme l'indique le Rapport Annuel. Sa seconde critique est peut-être encore plus grave. Il montre qu'aucune mesure n'est prévue, dans ces statistiques, pour tenir compte des dénominations qui fournissent, pour la première fois et en n'importe quelle année, un rapport sur l'appartenance. Il cite le cas de la Christ Unity Science Church qui déclare 682.172 membres dans le Rapport Annuel de 1952, première année où des chiffres sont donnés pour cette 14. W. H . H U D S O N , « Are Churches really Booming ? », Christian Centuiy, L X X V I I , 51, 21 décembre 1955.
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dénomination 1 5 . Il affirme qu'une grande partie de l'accroissement annuel vient des dénominations nouvelles qui envoient leurs rapports pour la première fois. Hudson s'intéresse aussi à l'origine du soi-disant accroissement. Il découvre, en examinant les statistiques des mêmes dénominations à travers le temps, que les plus grandes augmentations sont à mettre au crédit des dénominations les plus fondamentalistes. Les Églises protestantes traditionnelles n'accusent pas, de 1940 à 1 9 5 2 , une augmentation supérieure à ce que l'accroissement général de la population pouvait laisser prévoir. Tout en mettant sérieusement en doute la confiance que l'on peut avoir dans les statistiques, Hudson ne tente pas de la corriger méthodiquement. De façon générale, il montre que la méthode de compilation à partir de rapports contribue à grossir plutôt qu'à diminuer les chiffres. O n peut ajouter une observation supplémentaire aux siennes : c'est que les paroisses apportent notablement peu de zèle à tenir à jour un compte précis de leur nombre d'adhérents. Des individus sont souvent maintenus sur les rôles d'une église longtemps après avoir cessé de lui appartenir, soit par manque d'intérêt, soit pour cause de départ. Etant donné le degré élevé de la mobilité sociale caractéristique des quinze dernières années, il semble indubitable qu'une partie de l'accroissement constaté vient de ce qu'un nombre indéterminé de personnes est compté plus d'une fois. Les données du Gallup Poil rapportant un accroissement dans la fréquentation des églises paraîtraient plus dignes de confiance d'un point de vue méthodologique. L a méthode utilisée pour rassembler les données étant cohérente, les changements observés paraîtraient donc logiquement dignes de foi. L e montant des contributions financières et des investissements dans les constructions ecclésiastiques reflète, en partie du moins, la prospérité générale, mais il semble qu'il n'y ait pas de doute quant à l'accroissement constaté. Cependant, en ce qui concerne les contributions, Seymour Lipset remarque que les contributions ^er capita ont été plus basses en 1 9 5 2 qu'au plus fort de la dépression d'avant-guerre w . L'impression d'un intérêt accru dans les idées et productions àcontenu religieux, les statistiques partielles qui leur sont sous-jacentes, et la tendance si régulièrement ascendante recouvrent tant d'aspects de la « culture populaire » qu'on est convaincu, en dernière analyse, de leur valeur d'ensemble. Dans ce cas, les données, bien qu'exagérant peut-être l'augmentation, 15. Il peut être éventuellement intéressant de savoir que cette dénomination n'apparaît pas dans le Rapport Annuel de 1959.
16. Op. cit.
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Généralités sur la construction des variables
semblent suffisamment sérieuses pour justifier la conclusion suivante : à l'intérieur des indices utilisés, une certaine augmentation s'est produite après la guerre dans le domaine religieux. Cette augmentation a été expliquée comme une conséquence, et de l'état d'anxiété créé par la « guerre froide » 1 7 , et du besoin ressenti par la troisième génération d'Américains de compenser la perte de leur identité ethnique 18 par une identité d'origine religieuse. Il n'y a pas de données permettant de vérifier de telles interprétations ou d'en proposer d'autres. Cependant, comme autre hypothèse, nous voudrions suggérer que cet accroissement est peut-être partiellement l'accomplissement d'une prophétie a posteriori. Les premiers rapports à faire état d'un accroissement du nombre des fidèles s'appuyaient sur les statistiques établies par le Conseil National des Églises. O n leur donna une assez large publicité autour de 1940 sans qu'aucun doute fût émis sur leur exactitude. O n peut imaginer que cette publicité a été à l'origine d'une affaire commerciale visant à produire et à favoriser une littérature religieuse, des chants, des pièces et des articles à résonance religieuse. L'inondation soudaine du marché a, peut-être, contribué à donner l'impression que la « religion était » pour ainsi dire « de nouveau à la page ». C'est ainsi qu'on lance généralement les modes et nous avons quelque raison de croire, l'opinion générale étant que le réveil religieux a maintenant atteint son sommet w , que lui aussi n'était peutêtre qu'une mode. Une discussion concernant l'exactitude des statistiques historiques sur l'importance du nombre des fidèles est à l'origine du litige suivant : l'augmentation statistique représente-t-elle un réveil ou une accélération du phénomène religieux? Ces statistiques figurent aussi dans le rapport annuel avec, cependant, l'avertissement que « ...les chiffres de 1920 et des années antérieures ne sont pas calculés sur les mêmes bases que ceux de 1930 et des années suivantes m20. Les statistiques sont : Pourcentages desfidèlespar rapport à la population globale.
1850 1860 1870 1880 1890 1900 1910
16 23 18 20 22 36 48
% % % % % % %
1920 1980 1940 1950 1955 1956 1957
43 47 49 57 60,9 62 61
% % % % % % %
17. Reinhold N i e b u h r , « Is There a Revival of Religion ? », The New York Times Magazine, 10 novembre 1950. 18.
H E R B E R G , op.
cit.
1 g. D'après les statistiques indiquant un léger déclin dans l'appartenance religieuse
en 1957. Landis, op. cit. 20. Landis, op. cit.
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A première vue, les chiffres semblent montrer que la tendance à long terme des États-Unis a réellement été vers une affiliation religieuse accrue. Ceci renforce l'affirmation que l'on rendrait mieux compte de l'augmentation actuelle en parlant d'accélération d'une tendance à long terme que d'un réveil. Will Herberg, par exemple, soutient cette opinion, bien que par des arguments légèrement différents. Notant qu'autour de 1950, 93 % des Américains considèrent appartenir à une communauté religieuse, il commente : « Il n'y a malheureusement pas de renseignements comparables, pour des périodes antérieures, à ceux que cette enquête fournit, et ainsi, une comparaison directe est impossible. Mais il semble raisonnable d'affirmer que ces chiffres, qui reflètent la situation au début des années 50, représentent, à travers le temps, un sommet de l'identification religieuse. Durant tout le xix e siècle et encore au x x e siècle, les États-Unis ont connu dans la vie culturelle, comme personnage familier, le militant matérialiste, l'athée ou « libre penseur », à côté d'un nombre encore plus considérable « d'agnostiques » qui voulaient n'avoir rien à faire avec les Églises et refusaient de s'identifier religieusement. Ceux-ci bien entendu existent toujours, mais leurs rangs s'amenuisent et ils deviennent de plus en plus insignifiants, si nous considérons l'ensemble du peuple américain... O n peut dire sans hésitation que la propagation de l'identification religieuse est un trait significatif de l'Amérique qui a surgi au cours du dernier quart de siècle 21 ». L'affirmation, que les récents accroissements représentent une accélération d'un courant général ascendant, repose uniquement sur des raisons d'affiliation et d'identification religieuses. Lipset discute cet argument, à la fois en attaquant la valeur des statistiques d'affiliation religieuse, et en montrant par d'autres signes, qu'il n'y a, en aucune direction, de tendance religieuse à long terme 2a. Puisque Lipset reconnaît le principe d'un accroissement de vie religieuse dans l'après-guerre et nie qu'il représente la continuation d'une tendance à long terme, le titre de son article : Religion in America. What Religions Revival? paraît assez singulier. Cependant, son but est probablement de traduire l'idée que l'affiliation et la pratique religieuses en Amérique sont mieux définies par la stabilité que par des fluctuations au cours du dernier siècle et demi. Pour preuve de cela, Lipset montre d'abord que dès l'époque de Tocqueville, en 1830, les observateurs étrangers ont été constamment a i . HERBERG, op. cit., pp. 59-60. 22. Op. cit.
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frappés p a r les signes de grande religiosité qu'ils avaient trouvés en Amérique. I l cite d'anciennes estimations, d'après lesquelles, en 1832, bien plus de 90 % d e la population se réclamaient d ' u n e confession religieuse. Il met en doute l'exactitude des statistiques historiques à partir de l'idée q u e la définition de l'appartenance à une église est progressivement devenue plus étendue; et, citant A r g y l e , il note que si l'on tient c o m p t e de ce fait, le nombre d e fidèles décline entre 1906 et 1940, au lieu d ' a v o i r notablement a u g m e n t é , c o m m e les chiffres du R a p p o r t A n n u e l sembleraient l'indiquer. I l prouve aussi q u e le taux d'ecclésiastiques a été étonnamment constant entre 1850 et 1950. Lipset mentionne encore des données plus récentes, selon lesquelles les contributions financières per capita en faveur des églises étaient plus élevées dans les années 20 q u e dans les années 50 ; q u e les activités religieuses des h o m m e s d'affaires ont nettement décliné entre 1925 et 1950 et que, p a r m i les étudiants, la proportion de ceux q u i croyaient en Dieu, entre la première guerre mondiale et 1952, avait aussi décliné. C o m m e nous l'avons déjà indiqué, il reconnaît bien que, depuis 1940, le courant tend à s'étendre, citant à ce propos les mêmes données q u e celles présentées plus haut. M a i s il se refuse cependant à penser q u e cet accroissement soit important. L'analyse pénétrante faite par Lipset des données statistiques historiques sur l'affiliation et l'identification religieuses jette u n doute sérieux sur l'existence d ' u n courant ascensionnel à long terme. Cependant, les données qu'il apporte pour a p p u y e r son idée d ' u n e stabilité ne sont pas entièrement convaincantes. C'est simplement qu'il n ' y a pas de statistiques historiques dignes de foi sur l'appartenance religieuse, et il est extrêmement douteux que l'on puisse en élaborer d'exactes à partir de statistiques incertaines. Les statistiques de Lipset, concernant la stabilité d u pourcentage des ecclésiastiques p a r rapport à la population globale, ne tiennent pas compte, c o m m e lui-même le remarque, du fait que le clergé contemporain peut avoir la charge de paroisses plus importantes que celui des autres époques. C e qu'il dit des changements dans les contributions financières et les activités religieuses a u x x e siècle ne reflète pas tout à fait la stabilité, mais ne peut non plus représenter raisonnablement une situation à long terme remontant j u s q u ' a u x i x e siècle. A ces observations, on doit en ajouter une autre : c'est q u e Lipset se préoccupe presque exclusivement de l a dimension ritualiste de la religion. Il accorde une légère attention à la dimension idéologique, mais a u c u n e aux dimensions expérientielle et conséquentielle. C e t examen des données historiques sur l a religion des Américains ne nous conduit à aucune conclusion ferme, m ê m e dans les perspectives limitées des remarques considérées. Peut-être pourrons-nous dissiper la confusion actuelle en examinant maintenant la seconde proposition,
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qui veut que la tendance à long terme ait abouti, en Amérique, à une sécularisation croissante de la religion. Les tenants de cette opinion ne s'entendent pas au point d'adopter le même cadre de référence pour faire leurs observations. Cependant, en général, ils sont plus enclins à souligner les dimensions idéologique et conséquentielle, ou l'une d'entre elles, que les dimensions expérientielle ou rituelle. Et, quand ils adoptent le même cadre de référence que ceux qui affirment un réveil religieux, il est probable qu'ils ne sont pas d'accord avec ces derniers sur l'acceptabilité des indices considérés. L'engagement à l'égard d'une certaine conception de la religion est ce qui caractérise peut-être le plus ceux qui pensent que la sécularisation progresse. Ceux qui accordent la prééminence à la croyance, par exemple, sont vraisemblablement eux-mêmes engagés à l'égard d'un système de croyances. Lorsque celui-ci se réfère à une transcendance, les signes d'une atténuation de la croyance (la tendance à l'œcuménisme, par exemple, ou la propension croissante à considérer que toutes les religions sont également bonnes) sont cités comme des preuves de sécularisation. Il n'est pas rare, dans les cas d'engagement idéologique, d'inclure dans les signes de vie religieuse des croyances séculières que l'on considère comme sacrées : la croyance dans le système de la libre entreprise, par exemple. Pour ceux qui ont fait ce choix, les signes d'une évolution continue vers 1' « État Socialiste » paraîtraient des preuves évidentes de sécularisation. Dans certains cas, ceux qui adoptent l'idée de la sécularisation insistent plutôt sur la dimension conséquentielle que sur la dimension de la croyance. Ils peuvent être engagés idéologiquement envers une religion qui comporte des conséquences morales pour ceux qui en font l'expérience, qui y croient et qui la pratiquent. Ils veulent une religion qui s'introduise dans toutes les phases de la vie, et qui ait son poids dans les affaires nationales. Les signes d'une diminution du rôle de la religion, dans la vie familiale, dans l'éducation, dans le bienêtre social et dans la vie économique, seraient cités comme des preuves de sécularisation. En même temps, des signes d'un accroissement de la croyance, de la pratique et de l'expérience religieuses, seraient rejetés comme dénués de signification, s'ils n'étaient accompagnés de signes parallèles d'une religiosité accrue dans la dimension conséquentielle. En fait, on ne trouve rien, à notre connaissance, dans la recherche récente sur ce sujet, pour justifier, sérieusement et systématiquement, l'hypothèse de la sécularisation. Les avocats de cette théorie sont plutôt des ecclésiastiques, des administrateurs ecclésiastiques, des théologiens ou des journalistes; et, lorsqu'il s'agit de spécialistes des sciences sociales, on constate qu'ils
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Généralités sur la construction des
variables
sont plus orientés vers l'observation qualitative que vers l'observation quantitative. Les données qu'ils utilisent tendent à ne pas être toujours systématiques ni bien étayées. Leur conception de la religion, comme nos exemples le montrent, semble être assez étroite, bien que ce soit d'une façon différente de celle que l'on observe chez les tenants du réveil religieux. Dans son article, Lipset met en parallèle sa thèse selon laquelle il n'y a pas eu d'accroissement à long terme de l'affiliation et de la pratique religieuses, avec celle selon laquelle la religion américaine n'est pas en train de devenir beaucoup plus sécularisée. Il n'examine pas systématiquement tous les partisans de l'hypothèse de la sécularisation, mais concentre plutôt son attention sur ceux qui pensent que le processus se manifeste dans le déclin de la croyance en une transcendance. Il reconnaît que les données sont limitées, mais il soutient que les partisans de la sécularisation ignorent deux choses : premièrement, le fait que les confessions dites « évangéliques » augmentent beaucoup plus vite que les confessions traditionnelles; deuxièmement, le fait que « la religion sécularisée où ces observateurs voient un fait nettement moderne, peut avoir été caractéristique des croyants américains dans le passé ». Pour appuyer cette hypothèse, il note que les mêmes observateurs étrangers du xix e siècle, qui étaient impressionnés par la religiosité des Américains, commentaient aussi son manque de profondeur et l'empressement étonnant des Américains à accepter toutes les religions comme également valables. On peut se demander si la force de la croyance en une transcendance constitue une base suffisante pour tester l'hypothèse de la sécularisation. Mais, même en l'acceptant, on peut émettre quelque doute sur la déduction de Lipset tendant à prouver, d'après ces deux arguments, que la sécularisation ne s'est pas produite. Le dénominationalisme, caractéristique du xix e siècle, est lentement remplacé par l'œcuménisme du xx® siècle. L'interprétation du changement est beaucoup trop complexe pour être tentée en quelques lignes. Cependant, la fusion de plus en plus fréquente des églises suggère que clergé et laïcs sont prêts à accepter des compromis sur une partie de leurs croyances, en faveur d'autres valeurs et d'autres fins perçues comme plus importantes. Et aussi, bien qu'il semble, comme Lipset le montre, que les églises « évangéliques » gagnent en force, il n'est pas cependant tout à fait certain que leurs systèmes de croyance soient absolument aussi rigides qu'ils l'étaient auparavant. Des signes montrent que même dans une église à doctrine aussi rigide que l'Église Luthérienne du Synode du Missouri, des tendances libérales se font jour de plus en plus. Lipset ignore ce qui s'est passé dans les Églises protestantes traditionnelles. On a cependant l'impression d'une diminution progressive
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de l'autorité de la croyance transcendantale; on peut dire la même chose, mais à un niveau différent, de l'Église catholique aux ÉtatsUnis. Des signes feraient croire que c'est la tendance actuelle, mais il est vrai que l'on n'a pas de preuve absolue. COMMENTAIRES ET PERSPECTIVES
Une conclusion générale à tirer de tout ce qui a été dit est qu'aucun des travaux cherchant à évaluer l'état de religion dans l'Amérique contemporaine ou passée ne satisfait aux conditions minima d'une enquête scientifique. Chercheurs et commentateurs ne se sont pas suffisamment attachés à une conceptualisation compréhensive de la religion ou de l'objet religieux. Et, en appliquant les indices qu'ils avaient choisis, ils se sont trop souvent fiés à des données de qualité douteuse. Finalement, i^ur travail ne fournit pas une base satisfaisante pour évaluer, soit l'état, soit la signification de la religion aux États-Unis. O n peut en conclure, au moins à titre d'hypothèse, qu'il y a eu, après la guerre, un accroissement dans l'affiliation et la pratique religieuses. Il a été accompagné d'un intérêt accru pour les idées et les articles à contenu religieux. Il n'est pas possible, dans l'état actuel des données, d'évaluer exactement l'importance de l'augmentation constatée, de prédire si elle serait confirmée par un système d'indices plus compréhensif, ou de comprendre la portée et le sens des changements notables observés. De plus, nous ne pouvons pas décider d'autorité si cet accroissement constitue un réveil, ou s'il s'agit simplement de l'accélération d'un courant historique tendant à un accroissement de l'affiliation et de ses soucis religieux. D'après certains indices, l'aspect qualitatif de la religion américaine s'est transformé au moins sur deux points. Premièrement, il semble qu'il y ait un déclin de la rigueur doctrinale. Les Américains paraissent plus enclins à interpréter l'Écriture sainte à la lumière de l'histoire et à admettre la validité de doctrines religieuses différentes des leurs. Deuxièmement, l'Église, comme institution, semble jouer aujourd'hui un rôle proportionnellement moindre que par le passé dans certains aspects de la culture américaine avec lesquels elle était traditionnellement identifiée (l'éducation, la vie familiale et le bien-être social, par exemple). Cependant, même ces tendances ne peuvent être admises comme démontrées. Prouver qu'il y a eu un réveil de « l'évangélisme » comme le souligne Lipset, équivaut à mettre en doute la théorie d'un déclin dans les croyances transcendantales. Dans certains traits culturels, en politique par exemple, on ne peut dire si l'influence de la religion a diminué, si elle s'est accrue ou si elle est restée stationnaire. O n peut douter que l'on puisse jamais obtenir un accord général sur l'état et la signification de la religion aux États-Unis ou même n'im-
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porte où ailleurs. On ne peut résoudre scientifiquement le problème posé par l'adhésion à des conceptions idéologiquement différentes de la vie religieuse. Cependant, aussi longtemps que des solutions définitives seront impossibles et que les horizons seront limités, le défi persistera, et il est douteux que l'homme puisse être satisfait par la compréhension partielle qu'il aura obtenue. L'auteur de cet article aimerait qu'une prochaine étape soit une tentative d'évaluation systématique de l'état et de la signification de la religion aux États-Unis. Ceci demanderait tout d'abord d'élaborer une conceptualisation de la religion, que l'on a esquissée plus haut, d'essayer de développer un système compréhensif d'indices, afin de situer les entités à l'intérieur de chaque dimension. Il faudrait alors développer les instruments permettant l'emploi des indices, afin qu'ensuite le rassemblement des données puisse être entrepris. Une telle procédure paraît parfaitement réalisable pour l'étude de la situation religieuse contemporaine, et il devrait même être possible de l'appliquer historiquement aussi, à condition de la modifier dans un sens moins absolu. Il est sûr que le sens des résultats obtenus dans une tentative de recherche d'une telle portée n'obtiendrait pas l'accord de tous. Cependant, savoir quelle est la corrélation entre les signes de religion à l'intérieur des différentes dimensions, et savoir dans quelles conditions les différents degrés de religiosité apparaissent, élargirait sans aucun doute notre compréhension de la religion, qui est l'élément le plus complexe peut-être de notre culture.
Paul Lazarsfeld et Wagner Thielens D E U X MESURES DE L ' É M I N E N C E 1
L e problème était de classer des professeurs d'enseignement supérieur en fonction d'un critère d' « éminence ». U n e telle classification est nécessairement vague : un concept comme l'éminence, issu du langage courant, peut être traduit de plusieurs manières en un instrument opératoire. Il est facile d'imaginer une longue liste de critères susceptibles de servir d'indicateurs; pourtant, les nécessités pratiques exigent de n'en retenir qu'un petit nombre. L a logique de cette procédure pose évidemment des problèmes généraux dont on peut débattre à perte de vue. L e plus simple est de considérer in concreto les divergences dans les résultats dérivant de l'utilisation d'indices différents. Nous avons construit deux indices : un indice relatif aux charges revêtues et aux titres, et un indice de productivité. Nous donnons cidessous les items correspondant aux deux indices que nous désignerons respectivement par les lettres a et b. Indice a (charges et titres) l a . A le titre de docteur (Ph. D). 2a. A publié au moins trois articles. 8a. A revêtu une charge dans une société scientifique. 4a. A été appelé comme conseiller scientifique.
Indice b (productivité) 1 b. A rédigé une thèse. 2b. A publié au moins un article. 8b. A donné au moins trois communications à des congrès. 4b. A publié au moins un livre.
Intentionnellement, nous avons choisi les items de telle sorte que deux d'entre eux se recoupent partiellement. L'item la ne diffère de I . Traduit de : Paul LAZARSFELD et Wagner THIELENS : App. 3, Free Press, Glencoe, 111., 1958.
The Academic mind,
Généralités sur la construction des variables
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ib que dans la mesure où certains répondants peuvent avoir rédigé une thèse sans avoir rempli les autres exigences du doctorat. Dans notre échantillon, 271 personnes sur 2.451 sont dans ce cas. L'item 2b utilise un critère moins rigoureux que l'item 2a : 363 répondants ont publié un ou deux articles. Les autres items diffèrent par leur contenu manifeste. L e tableau I classe l'ensemble des répondants en raison de leur score sur les deux indices. TABLEAU
I
Relations entre deux indices d,éminence. Indice b (productivité)
4,3 (haut) 2 0,1 (bas) Total
Indice a (titres, charges) 4,3 (haut)
2
0,1 (bas)
789 196 20 1005
261 214 134 609
64 201 585 800
Total 1114 611 689 2414*
* Les 37 autres personnes interrogées n'ont pas répondu à toutes les questions à partir desquelles les scores ont été calculés.
Nous trouvons sur la diagonale principale de la matrice les personnes (789 + 214 + 535) qui sont classées de la même façon par les deux indices. L e reste, soit 36 % du total, est classé différemment. A première vue, ce résultat paraît décourageant; 1' « éminence » mesurée par un indice est souvent différente lorsqu'elle est mesurée par l'autre. C e résultat est pourtant à la fois inévitable et de portée limitée. Il est inévitable, car les indicateurs n'ont généralement pas une relation parfaite avec le facteur latent qu'on cherche à mesurer : on ne peut déterminer le statut d'un individu dans une communauté, le moral d'une armée, le succès d'un système d'éducation, avec la précision et la validité qui caractérisent les mesures physiques. Cela ne signifie point que les mesures dont nous parlons ici concernent des attributs inaccessibles : l'amitié entre deux personnes n'est sans doute pas observable en tant que telle, mais elle correspond évidemment à des types de comportements observables. Ce sont ces comportements qu'on utilisera pour inférer à l'existence d'un lien d'amitié, selon une procédure analogue au « diagnostic » médical. Les indicateurs peuvent avoir une liaison plus ou moins étroite avec la caractéristique latente qu'on se propose de déterminer. Pour évaluer l'anxiété d'une personne, on peut songer à lui présenter des images
Deux mesures de l'éminence
71
ambiguës et lui demander de les interpréter. Si les interprétations se réfèrent de façon systématique à des situations dangereuses, on conclura à un diagnostic d'anxiété. Cependant, une telle démarche est sans doute beaucoup plus incertaine que celle qui consiste à conclure aux aptitudes mathématiques à partir d'une série d'épreuves d'algèbre. L a certitude de l'inférence à la caractéristique latente à partir de données manifestes dépend de nombreux facteurs. L'un d'entre eux est la marge d'interprétation rendue possible par la formulation d'une question. Il est extrêmement difficile de construire des items complètement dépourvus d'ambiguïté. Les réponses données peuvent varier avec l'humeur, avec les événements des heures précédentes. Une même personne, en général libérale et compréhensive, peut se montrer soudain intransigeante parce qu'elle aura éprouvé quelque contretemps. Tout cela signifie simplement que les indicateurs sont liés à la variable latente avec une certaine probabilité. L a caractéristique latente ne peutjamais être atteinte avec certitude. Les classifications utilisées par les sciences humaines sont toujours, d'une certaine façon, impures. Les conséquences de ce fait sont doubles. L'une d'entre elles est encourageante : si on possède un nombre d'indicateurs suffisant, il importe généralement peu de se demander s'il faut en utiliser tel sousensemble plutôt que tel autre. Cette proposition est vraie pour autant qu'on cherche à établir des relations statistiques entre variables plutôt qu'à obtenir un classement correct de chaque personne. — L'analyse d'une relation impliquant la caractéristique d'éminence à partir de deux mesures distinctes de cette variable permettra de mieux comprendre cette idée. L e problème est le suivant : le fait d'être titulaire d'une chaire d'enseignement supérieur est-il lié à l'éminence? Quelle est l'interaction entre âge et éminence? Le tableau 2 donne les réponses obtenues à partir de l'indice b (productivité). TABLEAU
2
Pourcentage de professeurs titulaires, en fonction de l'âge et de V éminence (indice b).
Éminence (mesurée par l'indice b)
moins de 40 ans
41 à 50 ans
plus de 50 ans
4,8 (haut)
2
0,1 (bas) Les nombres entre parenthèses renvoient aux effectifs sur lesquels sont calculés les pourcentages.
Généralités sur la construction des variables
72
Si on lit ce tableau ligne par ligne, on constate que le pourcentage des professeurs titulaires croît de façon brutale avec l'âge. En lisant verticalement, on voit que le fait d'être professeur titulaire est positivement lié à l'éminence. Le tableau suggère aussi un effet de compensation entre âge et éminence. Au niveau de productivité le plus élevé, deux tiers environ des professeurs sont titulaires avant 50 ans. La même proportion n'est atteinte au niveau de productivité moyen que par le groupe d'âge le plus élevé. Au niveau de productivité le plus bas, une moitié environ des répondants sont titulaires s'ils ont dépassé la cinquantaine. L'âge est sans doute ici un indicateur des services pédagogiques plutôt que des compétences scientifiques. Les résultats auraient-ils été modifiés si on avait utilisé l'indice a (titres, charges) ? Le tableau 3 répond à cette question. Les propositions qui en résultent sont identiques aux précédentes. De nouveau l'âge apparaît comme un facteur plus important que l'éminence. Seule la seconde ligne présente une différence non négligeable entre les tableaux 2 et 3. La productivité apparaît particulièrement utile au groupe d'âge 41-50 ans, cependant que les charges et titres jouent un rôle plus important dans le groupe le plus âgé. TABLEAU
3
Pourcentage de professeurs titulaires, en fonction de l'âge et de l'éminence (indice a).
Éminence (mesurée par l'indice a) 4,3 (haut) 2 0,1 (bas)
moins de 40 ans
41 à 50 ans
plus de 50 ans
18 % (812) 6 % (298) 2 % (488)
65 % (808) 28 % (149) 22 % (150)
88 % (868) 73 % (148) 44 % (182)
Bien que, comme le montre le tableau 1, la corrélation entre les deux indices ne soit pas très élevée, leur liaison avec une variable extérieure donne des résultats tout à fait comparables. Ce phénomène de 1' « interchangeabilité des indices » apparaît constamment dans la recherche sociologique. Plusieurs études montrent que les attitudes en matière de politique et d'économie varient avec les classes sociales. Que sont les classes sociales? Comment les mesurer? On peut utiliser comme indicateurs le revenu, l'éducation, les éléments du train de vie : on observe alors que les résultats obtenus sont indépendants des indices utilisés. Aussi peut-on considérer que les propositions de la recherche empirique sont dans une large mesure invariantes par rapport à une
Deux mesures de l'éminence
73
substitution des indices : si on choisit deux sous-ensembles d'items raisonnables pour construire deux indices parallèles, on observera généralement les deux faits suivants : a) Les deux indices seront statistiquement liés, mais ils ne classeront pas exactement les répondants de la même manière. b) Les deux indices conduiront généralement à des résultats empiriques comparables dans l'analyse de leur liaison avec une variable externe. Cette règle de l'interchangeabilité des indices est un des fondements de la recherche empirique. Mais ses avantages ont évidemment une contrepartie : on ne parvient jamais, en effet, à des classifications absolument univoques; un certain nombre de cas sont toujours l'objet d'un classement défectueux. Il en résulte un degré d'imprécision inévitable dans les mesures. Cette difficulté invite le chercheur à entreprendre systématiquement l'analyse des « cas déviants » 2 , c'est-àdire ceux dont le comportement contredit les « prédispositions ». S'ils sont peu nombreux, une analyse clinique peut être utile; dans le cas contraire, leur examen peut conduire à des raffinements statistiques par l'utilisation de variables qualificatrices.
2. Cf. le volume sur L'Analyse empirique de la causalité, dans cette même collection.
Hortense Horwitz et Elias Smith L ' I N T E R C H A N G E A B I L I T É DES INDICES SOCIO-ÉCONOMIQUES1
Nous avons vu dans un article précédent que la proportion des voix en faveur du parti républicain augmente avec le statut socio-économique de l'électeur. Ce résultat n'est pas sensiblement modifié lorsqu'on utilise des indices différents, même s'ils sont faiblement liés d'un point de vue statistique. Dans le présent article, on s'efforcera de confirmer cette idée à l'aide de trois études menées par l'institut d'opinion publique de l'université de Denver : il s'agit de trois sondages à l'échelle nationale effectués en mai 1942, en novembre 1942, en janvier 1944 et portant respectivement sur trois mille cinq cents, et deux fois trois mille quatre cents cas. Nous désignons, dans la suite, ces trois sondages par les numéros 112, 120 et 128. Les indices de statut socio-économique utilisés sont de deux sortes : évaluations intuitives par les enquêteurs, d'une part, indices construits à partir de caractéristiques économiques objectives, d'autre part. Les évaluations intuitives ont la forme d'un classement sur une échelle à quatre catégories A, B, G et D. Afin de faciliter les comparaisons, on a défini les indices du second type à partir d'informations communes aux trois sondages et correspondant aux trois questions : 1. Avez-vous le téléphone? 2. Possédez-vous une voiture? 3. Avez-vous fréquenté un établissement d'enseignement supérieur? De nouveau, on a classé les répondants en quatre catégories en fonction du nombre de réponses positives à cet ensemble d'items. La corrélation entre les deux indices ainsi obtenus est de 0,68 dans le sondage 112 et à peu près identique dans les deux autres. L a liaison est sans 1. Traduit de : Paul LAZARSFELD et Morris ROSENBERG : The Language of social research, The Free Press, Glencoe, 111., 1955.
L'interchangeabilité
des indices socio-économiques
75
doute satisfaisante, mais les indices sont loin d'être superposables. L e point important est que l'influence respectivement manifestée par ces deux indices sur un grand nombre de variables externes est presque similaire. Afin de donner une idée de la distribution des deux indices et de leur liaison, on a reproduit les données correspondant au sondage 112. L e premier tableau concerne les grandes villes du Nord des ÉtatsUnis, le second les petites villes et communes du Sud. TABLEAU
I
Liaison statistique entre deux mesures de statut socio-économique. N O R D URBAIN
SUD R U R A L
évaluation subjective
évaluation subjective
Score objectif
A
B
C
D
Total
A
B
G
D
Total
8 2 1 0 Total
34 27 2 0 63
93 100 30 4 227
31 174 153 106 464
0 18 59 130 202
158 314 244 240 956
12 10 1 0 23
16 45 16 8 80
10 61 146 56 273
0 3 62 120 185
38 119 225 179 561
Les variables dépendantes correspondent à des opinions sur le coût de la vie, le blocage des salaires, le contrôle des prix, la contribution à l'effort de guerre et généralement à des attitudes sensibles aux différences sociales. O n trouvera le libellé exact des questions en appendice. Les réponses ont été dichotomisées. Chaque question a donné lieu ensuite à deux mesures de corrélation avec les deux indices de statut socio-économique. L a dimension des tables de croisement correspondantes (2 X 4) exigeait un indice d'association spécial; on a employé le coefficient de Mosteller, qui généralise le coefficient phi : Sj et tj représentent le nombre de personnes de la strate i donnant respectivement une réponse « positive » et « négative » à la question; nj est le nombre des répondants dans chaque strate. Les symboles homologues pour l'ensemble de l'échantillon sont S, T et N. L a mesure d'association de Mosteller est donnée par la formule
6
76
Généralités sur la construction des variables
On pouvait s'attendre à observer une distribution des propriétés servant de base au premier indice et des évaluations subjectives variable avec les régions et l'importance des agglomérations. O n a donc divisé les échantillons en six groupes correspondant à une double classification, à partir de l'opposition géographique entre le Nord et le Sud, d'une part, de la taille des communes, de l'autre (moins de 2.500 habitants, de 2.500 à 100.000 habitants, plus de 100.000 habitants). Comme on disposait de dix-sept questions, on avait à calculer 102 couples de coefficients de corrélation. Les principaux résultats sont donnés dans le tableau 2. Les mesures d'association avec l'indice « objectif» (colonnes) et l'indice « subjectif» (lignes) sont divisées en intervalles de cinq centièmes de point. L a diagonale du tableau correspond au cas où l'association entre le statut socio-économique et une variable indépendante est la même, quel que soit l'indice utilisé. L a moitié des cas (51) sont de ce type. Dans 31 cas, l'évaluation subjective donne une corrélation plus faible que l'indice objectif; dans 20 cas, la situation est inverse. Dans quatre cas seulement, la différence observée entre les mesures d'association atteint la valeur de 0,10. L'importance de ce résultat apparaît par l'analyse de la sensibilité différentielle des questions à la stratification sociale. TABLEAU
2
Coefficient d'association entre les réponses à des questions d'attitude et le statut socio-économique mesuré par deux indices. Evaluation Indice objectif subjective 0-0,05* 0,05-0,10 0,10-0,15 0,15-0,20 0,20-0,25 0,25-0,30 0,30 +
0 -0,05 0,05-0,10 0,10-0,15 0,15-0,20 0,20-0,25 0,25-0,30 0,30 +
1 1
,,
2
5 17 3 1
,,
1 3 8 4 3
1 27
1 2 4 8 4 1
1 1 4 10 1
1 4 4
19
20
17
9
1
,. 3
,.
4 8
7 25 17 18 24 6 5 102
* Tous les intervalles comprennent leurs limites supérieures.
Cette analyse ne peut être effectuée à partir du tableau 2. En effet, chaque unité de ce tableau correspond à une question posée à un échantillon de 550 cas environ, prélevé dans une des six sous-régions; 01, on enregistre pour un même indice, d'une région à l'autre, des
L'interchangeabilité des indices socio-économiques
77
variations considérables qui pourraient compliquer l'analyse des variations entre les indices. (Bien qu'on n'ait pas effectué d'analyse de variance, l'allure générale des résultats semble indiquer que les différences régionales sont plus importantes que les différences entre indices.) La procédure finalement retenue fut la suivante : on a ordonné les dix-sept questions dans les six aires d'échantillonnage à partir des mesures d'association avec chacun des deux indices et calculé pour chaque question deux rangs moyens correspondant à ces indices. On a ensuite extrait de l'ensemble deux groupes de cinq questions dotées respectivement du plus fort et du plus faible rang moyen. Le résultat n'est pas sans intérêt : trois questions apparaissent comme très sensibles à la variable indépendante mesurée des deux façons décrites cidessus. Ce sont les suivantes : — Pensez-vous que la politique des dirigeants syndicaux serve l'intérêt national? — Trouvez-vous que la politique gouvernementale à l'égard de syndicats est trop stricte, raisonnable, insuffisamment stricte ? Une troisième question était fortement liée à l'évaluation subjective et un peu plus faiblement à l'indice objectif (6e rang) : — Craignez-vous d'être gêné par la hausse du coût de la vie? Comme on pouvait s'y attendre, les questions le plus fortement liées à la stratification sociale concernent les problèmes syndicaux et les inquiétudes relatives au coût de la vie. Le résultat est encore plus clair sur les questions faiblement liées à la variable indépendante. Quatre d'entre elles y apparaissent comme peu sensibles, quel que soit l'indice utilisé. Ces questions concernent des opinions n'impliquant pas le rang social. — Pensez-vous que l'industrie serve l'intérêt national? — Que pensez-vous de la réglementation des prix en temps de guerre; êtes-vous pour ou contre? — Vivez-vous mieux maintenant qu'avant-guerre? On dégage de l'analyse une conclusion intéressante : dans le contexte observé, les questions concernant la politique économique générale sont beaucoup plus faiblement liées au statut socio-économique que les questions concernant les problèmes du travail et du coût de la vie. L'important est que la proposition reste vraie, qu'on utilise l'un ou l'autre indice comme « mesure » du statut socio-économique.
78
Généralités sur la construction des variables
APPENDICE Sondage n° 112. — Pensez-vous que la politique des industriels serve l'intérêt national ? — ... et celle des ouvriers? — ... et celle des dirigeants syndicaux? — Trouvez-vous que la politique gouvernementale à l'égard des syndicats est trop stricte, raisonnable, insuffisamment stricte ? — Pensez-vous que certains ouvriers employés dans l'industrie de guerre se livrent à des actes de sabotage ? — Pensez-vous qu'une limitation des revenus par la fiscalité soit une bonne chose? Sondage n° 120. — Pensez-vous que les gens de ce pays prennent la guerre suffisamment au sérieux? — Pensez-vous que la politique des industriels serve l'intérêt national? — ... et celle des ouvriers? — ... et celle des dirigeants syndicaux? — Que pensez-vous de la réglementation des prix en temps de guerre; êtes-vous pour ou contre? — Que pensez-vous du contrôle des salaires en temps de guerre? Sondage n° 128. — Trouvez-vous que les prix des produits alimentaires sont en général très élevés, normaux, peu élevés? — Vivez-vous mieux maintenant qu'avant-guerre? — Craignez-vous d'être gêné par la hausse du coût de la vie? — Que pensez-vous d'un contrôle des salaires en temps de guerre ? — Admettriez-vous que le gouvernement bloque les revenus?
Allen Barton
LES V A R I A B L E S SOCIOLOGIQUES S T R U C T U R E L L E S DANS LES ÉTUDES D ' O R G A N I S A T I O N 1
Le texte qui suit est extrait de l'opuscule de Barton : Organizational measurement 1 . L'auteur y distingue trois systèmes de classification possibles des mesures utilisées dans les recherches en matière d'organisation. Le premier système correspond à une classification des objets mesurables : ce sont les entrées, à savoir le personnel recruté, les ressources économiques disponibles; les sorties, à savoir la production physique et les effets divers de l'activité de l'organisation sur le milieu; /'environnement de l'organisation; sa structure sociale; les attitudes correspondant aux objectifs, normes, valeurs perçues, aux satisfactions; les activités enfin, correspondant aux comportements individuels, aux activités collectives, aux procédures administratives. Le texte présenté ici étudie, à l'aide de la littérature publiée, les problèmes de construction des variables caractérisant la structure sociale d'une organisation. Deux autres systèmes possibles de classification des variables correspondent respectivement au caractère formel des mesures utilisées et aux différents moyens de recueillir les informations brutes. — R. B. et P. L. L e terme « structure sociale » recouvre une diversité complexe d'attributs que nous considérerons tour à tour. STRUCTURES D ' A U T O R I T É
FORMELLE
Certains aspects rudimentaires des structures d'autorité peuvent être caractérisés par des taux simples. L e degré de bureaucratisation des établissements scolaires peut être mesuré par la proportion du personnel employé à des tâches administratives 2 ; celui des organisations 1. College entrance examination board, New York, 1961. 2. TERRIEN, F. W. et WILLS, D.L., « The effect of changing size upon the internal
structure of organizations », American sociological review (1955), 11-13.
8o
Généralités sur la construction des variables
volontaires par le rapport du personnel rémunéré au nombre d'adhérents 3. L a théorie des bureaucraties industrielles est largement développée, mais les données numériques couvrant une période de temps suffisante sont rares. Haire 4 utilise pour différentes périodes le rapport du nombre d'employés au nombre d'ouvriers et conclut : « Pendant les premières années, le nombre d'ouvriers croît linéairement; le nombre d'employés suit une fonction d'allure exponentielle (bien qu'aucune fonction exponentielle simple ne décrive correctement l'évolution). Plus tard, les deux quantités croissent de façon sensiblement égale 5 ». La sévérité du contrôle dans une usine peut être mesurée par l'intervalle de temps moyen séparant deux interventions du contremaître 4. Une autre caractéristique importante du contrôle dans une structure d'autorité formelle est son extension; on peut la caractériser, soit à partir de l'ensemble des personnes auxquelles est dévolue une fonction de contrôle, soit, plus finement, à partir des différents échelons de la hiérarchie 7 . Les données nécessaires à une telle mesure peuvent être obtenues à partir des organigrammes, mais aussi par questionnaire ou observation. Dans tous les cas, le problème revient à déterminer le nombre de personnes soumises à la surveillance d'un supérieur dans des conditions de routine. La mesure correspond ainsi à une sorte de moyenne construite à partir du dénombrement des relations dans lesquelles deux personnes sont engagées ou censées être engagées. S'il est effectué à partir de l'organigramme, les relations correspondent à des conditions de fonctionnement théoriques, mais non nécessairement réalisées. En fonction du degré d'accord entre l'organigramme et le fonctionnement réel, les données obtenues par analyse des documents et par observation peuvent différer considérablement. C'est pourquoi il est important de bien distinguer les deux types de mesures correspondant respectivement à des données observables et à des données rapportées. Notons que l'adjectif « formel » a, dans le contexte présent, une signification relativement ambiguë, désignant à la fois le contenu formalisé des règles et la conception que les acteurs ont de la légitimité. Un type de mesure visant, non point des individus, mais des caractéristiques globales de l'organisation formelle, définies, soit par obser3. SILLS, D., The Volunteers, Glencoe, 111., The Free Press, 1958; TSOUDEROS, J. E., « Organizational change in terms of a series of selected variables », American sociological review (1955), 206-210. 4. HAIRE, M., « Biological models and empirical histories of the growth of organizations », in Haire, éd., Modem organization theoiy (New York, Wiley, 1959). 5. HAIRE, op.
cit.,
p . 292.
6. JACQUES, E., The Measurement of responsibility (Cambridge, Harvard University Press, 1956). 7. MARCH, J . G. et SIMON, H . A., Organizations
(New York, Wiley, 1958) ; EVAN,
W. M., « Indices of the hierarchical structure of industrial organizations », IV e
Les variables sociologiques structurelles dans les études d'organisation vation directe, soit par témoignage, est le dénombrement des niveaux d'autorité. Des caractérisations plus complexes de la structure d'autorité formelle peuvent être obtenues, si on considère la possibilité de relations d'autorité différentes selon les tâches : une telle structure correspond à la vieille notion taylorienne qui superpose à un groupe d'ouvriers plusieurs contremaîtres pourvus chacun d'une autorité limitée à une certaine aire fonctionnelle. Elle peut toujours être représentée par une matrice dont les lignes et les colonnes correspondent à l'ensemble de ses membres : l'intersection de la ligne A et de la colonne B contient la réponse à la question : « A exerce-t-il une autorité sur B ? » L'information peut aussi être détaillée selon les modalités du droit de regard, exceptionnel ou normal; selon les tâches ou ensembles de tâches : éventuellement, selon les conduites ou ensembles de conduites extraprofessionnelles. La conception taylorienne implique que les actes des subordonnés peuvent être analysés en certains domaines spécifiques soumis chacun à une autorité particulière. On pourrait établir une mesure de la diffusion de l'autorité à partir de la liste des actes soumis au contrôle d'une autorité. Dans une « institution totale », les supérieurs hiérarchiques ont droit de supervision non seulement sur les tâches, mais sur les conduites extraprofessionnelles 8 . L'opposition entre contrôle limité et contrôle général est ainsi mesurable à partir du nombre de tâches ou actes soumis au contrôle. Par ailleurs, une mesure permettant de caractériser l'opposition entre une structure d'autorité complexe et une structure simple pourrait être construite à partir de la moyenne du nombre de personnes habilitées à exercer un contrôle direct sur un subordonné. Dans une structure simple, ce nombre serait égal à l'unité. Dans une structure complexe, il pourrait être relativement élevé. Malheureusement, les données chiffrées en ce domaine sont très rares ; c'est pourquoi les études comparatives se limitent ordinairement à des caractérisations de nature qualitative. Dans une étude de cas portant sur un organisme de santé publique, les auteurs ont été amenés à comparer cette institution à d'autres et à suggérer que la décentralisation de l'autorité relative aux décisions de dépenses était un facteur important pour la vitalité et l'efficacité de l'entreprise 8 . Les effets de la centralisation et de la décentralisation universitaires ont fait l'objet de mesures plus formelles 10. congrès mondial de sociologie, Stresa; WORTHY, J . C., « Organizational structure an employee morale », American sociological review (1950), 169-179; URWICK, L. F., a The manager's span of control », Harvard business review (1956), 39-97. 8. GOFFMANN, E., « On the characteristics of total institutions », Proceedings of symposium on prevention and social psychiatry (Washington, D. C., Walter Reed Army Institute of Research, avril 1957). 9. SILLS, op. cit.,
p . 44-46, 7 2 - 7 5 .
10. CILLIÉ, F. S., Centralization or decentralization? (New York, Bureau of publications, Teacher's college, Columbia University, 1940).
81
82
Généralités
sur la construction des
variables
U n e expérience de sociologie industrielle bien connue u a consisté à manipuler le degré de centralisation de l'autorité formelle dans plusieurs unités d'une firme. Les expérimentateurs ont pu étudier les effets de certains changements dans les règles et dans le comportement des cadres : dans deux services, ces derniers avaient été entraînés à déléguer et décentraliser leurs pouvoirs; dans deux autres, au contraire, on les avait entraînés à exercer un contrôle plus strict. Les expérimentateurs ont ensuite mesuré les effets sur la productivité et la satisfaction. Pendant une période d ' u n an, les services centralisés ont révélé une productivité meilleure, mais une satisfaction inférieure. Dans une série de recherches, on a essayé de mesurer l'autorité formelle du corps professoral sur l'administration universitaire. L'échantillon comportait plusieurs centaines d'établissements d'enseignement supérieur. L e questionnaire utilisé consistait en une longue liste de points de décision : il s'agissait de savoir si les enseignants étaient consultés sur les problèmes de recrutement, de budget, etc... Les auteurs ont alors construit une échelle grossière destinée à mesurer l'indépendance du corps professoral en pondérant diversement les questions. Les résultats furent ensuite comparés sur un groupe de 173 établissements ayant fait l'objet de deux enquêtes en 1939 et 1953 (tableau 1). TABLEAU
I
Indépendance des professeurs dans 173 établissements d'enseignement supérieur. „. ... , T Indue d indépendance des professeurs
0-4 5-9 10-14 15-28 Total
Distribution
des établissements
198g
1958
38,7 % 81,8 16,8 12,7 100,0
17,8 % 32,4 31,8 18,5 100,0
changement
— 21,4 % + 0,6 + 15,0 + 5,8
U n e telle étude, correspondant à des observations répétées dans le temps sur un même échantillon, permettrait évidemment de construire des tables de rotation et d'analyser les composantes du changement. A partir d'informations sur certaines variables supposées explicatives, on pourrait alors déterminer les facteurs de l'évolution observée. Cela 11. Morse, N., Reimer, E., « The expérimental change of a major organizational variable », Journal of abnormal and social psychology (1955), 120-129.
Les variables sociologiques structurelles dans les études d'organisation 83 représenterait un exemple d'application de la méthode du panel à des organisations prises comme unités. STRUCTURE
D'INFLUENCE
Nous entendons par structure d'influence la distribution des pôles de décision dans une organisation; elle ne correspond pas nécessairement à la structure d'autorité formelle. L a détermination la plus simple des pôles d'influence consiste à observer qui, en cas de conflit, obtient l'avantage. Une étude de sociologie industrielle présente une approximation de cette méthode 1 2 ; on y trouve notamment une estimation du degré de l'influence syndicale à partir de documents et d'entretiens concernant certains types de conflit : embauche, licenciement, changements techniques, rendement, etc. Parfois il est possible de déterminer les pôles d'influence à partir d'une question directe, comme la question suivante qui a permis de mesurer le poids relatif de différents groupes sur le climat universitaire 18 : « Lequel des groupes suivants a, à votre avis, le plus de poids dans la détermination du degré de liberté qui existe ici : l'administration, le corps professoral ou les étudiants? » A partir des réponses, on a pu construire un indice mesurant l'influence du corps professoral. O n a observé que cette dernière était en forte corrélation avec la qualité des établissements (tableau 2). TABLEAU 2
Relation entre l'influence du corps professoral et la qualité des établissements.
Influence des professeurs
Faible Forte Nombre total d'établissements
— médiocre 15 4 19
Qualité des établissements —— —— moyenne élevée 18 18 31
8 19 27
Des mesures analogues ont été utilisées pour déterminer l'influence 12. C h a l m e r s , W . £ . , C h a n d l e r , M . K . , M c Q u i t t y , L . L., Labor management
relations in Illini City, vol. 2, * Studies in comparative analysis », (Champaign, 111., Institute of Labor and Industrial Relations, Univ. of 111., 1954). 13. Lazarsfeld, P. F. et Thœlens, W., The Academic mina (Glencoe, 111., The Free Press, 1958).
84
Généralités sur la construction des variables
des divers groupes de décision dans des organisations syndicales 14 . Dans une étude particulière, on a construit une mesure de l'influence relative du bureau et des membres 1B. O n a observé qu'à une influence plus grande des syndiqués correspondaient une plus grande audience dans la localité, une plus grande activité des membres, une plus grande participation der dirigeants et, aussi, de plus nombreux conflits internes. Dans certains cas, il est souhaitable d'essayer de construire une mesure directe de l'influence plutôt que de recourir aux estimations subjectives. Mais on se heurte alors à des problèmes très complexes : le concept d'influence désigne l'aptitude à entraîner la décision d'un groupe dans le sens souhaité. Il est de nature causale. Formellement, A est dit plus influent que B si, quand A désire X et B désire Y , X se réalise généralement, quels que soient X et Y . L'observation systématique d'individus ou de sous-groupes à partir de ce schéma doit conduire à la détermination d'un ordre des influences. Parfois, on a tenté de traiter le concept d'influence, non comme un concept causal, impliquant une dimension temporelle, mais comme un concept de nature corrélative : un exemple de ce type de problème est fourni par une étude sur l'influence individuelle dans les assemblées législatives i a . Dans certains cas, on a pu considérer que l'accord répété entre le vote d'un député et le vote de l'assemblée était signe d'influence. En fait, il faudrait, pour distinguer entre leader influent et majoritaire systématique, connaître la position initiale du député, de manière à pouvoir reconstituer l'ordre temporel; il faudrait, en outre, pouvoir distinguer l'influence réelle et l'aptitude à prévoir l'opinion de la majorité. L'étude de Lipset sur le Syndicat des typographes utilise des données historiques objectives pour confirmer la proposition, par ailleurs établie, définissant le syndicat comme hautement démocratique, c'est-àdire comme caractérisé par une influence importante de la base sur les dirigeants Parmi les indicateurs utilisés, on notera la fréquence des votes de défiance à l'égard des responsables 18 , ou de l'échec de motions soutenues par ces derniers 19 . L a logique des indicateurs suppose évidemment qu'on puisse distinguer les syndicats sans conflits des syndicats autoritaires où 14. TANNENBAUM, A . S., « Control structure and union fonctions », American journal of sociology (1956), 536-545. 15. K A H N , R . , TANNENBAUM, A.S. et WEISS, R . , A Study of the League of Women Voters of the United States (Ann Arbor : Survey Research Center, ronéo.) (1956). 16. M A C R A E , D . et PRICE, H. D., « Scale positions and power in the Senate », Behavioral science (1959), 212-218. 17. LIPSET, S. M . , TROW, M . A., COLEMAN, J., Union democraçy (Glencoe, 111., T h e Free Press, 1956). 18. Ibid., p. 4, 46. 19. Ibid., p. 53-60.
Les variables sociologiques structurelles dans les études d'organisation
85
les décisions des responsables sont certaines de l'emporter. U n moyen serait de comparer la politique des dirigeants aux désirs manifestés par les syndiqués. U n e remarque d'ordre conceptuel pour terminer : les mesures d'influence évoquées jusqu'ici sont en fait des mesures de pouvoir. Il est peut-être utile d'assimiler le pouvoir à la maîtrise de la source d'influence particulière représentée par le contrôle sur les sanctions, si on entend par sanctions les récompenses ou punitions dérivant, soit du formalisme administratif, soit des sources de contrôle informelles. L'argent donne le pouvoir d'accorder ou de refuser un support financier. L e prestige personnel donne celui de cautionner ou, au contraire, de refuser de soutenir une entreprise. Il faut noter cependant que l'influence diffère du pouvoir dans la mesure où elle inclut la notion de persuasion. O n peut, en effet, exercer une influence sur le groupe en rapportant certains faits, en provoquant certaines réactions, sans avoir, pour autant, de pouvoir sur ce groupe. STRUCTURE
DES
COMMUNICATIONS
ET
DES
RAPPORTS
DE
TRAVAIL
L a structure des communications dans une organisation a été étudiée de diverses manières : directement, en observant la circulation des messages, indirectement, en déterminant les personnes informées d'un ensemble de messages donné. U n e étude portant sur cent associations patriotiques locales a pu montrer que, là où les membres avaient un pouvoir plus étendu, les administrateurs se considéraient comme mieux informés des désirs des membres et tenaient en fait davantage de réunions de discussion 20. U n e étude de cas portant sur un changement dans l'organisation d'une prison a montré qu'un accroissement du taux de communication entre le personnel chargé des problèmes sociaux et l'administration a modifié le pouvoir respectif des gardiens et de l'élite des détenus sur les prisonniers 21. L'intensité des communications dans une organisation peut être présentée sous la forme matricielle déjà décrite. Les éléments de la matrice correspondent ici aux fréquences individuelles des émissions ou réceptions de messages. O n peut alors caractériser une organisation par le fait qu'un certain statut ou un certain groupe de personnes ayant un statut déterminé a un score de communication élevé ou non. O n trouvera un exemple de cette démarche dans une étude de T h o m p son 22. 2 0 . K A H N , TANNENBAUM, WEISS, op. cit. 21. M C C L E E R Y , R . C . , Polity change in prison management e t BARTON, A . H . e t ANDER-
SON, B., Change in an organizational system formalization of a qualitative study, in ETZJONI, A., Complex organizations (Holt Rinehart Winston, New York, 1961). 22. THOMPSON, J. D., « Authority and power in ' identical organizations ' », American journal of sociology (1956), 290-310.
86
Généralités sur la construction des variables
Considérons, par exemple, les données du tableau 3. Elles sont extraites d'une étude de sociologie médicale : on avait interrogé les diverses catégories de personnel d'un hôpital sur la fréquence de leurs discussions sur un ensemble de thèmes M . TABLEAU
3
Taux de discussion entre les membres de différents groupes de statut dans un hôpital. Nombre moyen de thèmes discutés avec les membres de quatre groupes de statut
Groupes
interrosés 6
,, médecins
. „ infirmières
. . stagiaires
personnel de r scrv îvC
4,5 3,5 3,2
6,4 5,0 4,0
5,0 6,1 5,6
4,5 5,2 6,1
Infirmières . . Stagiaires . . . Personnel de service
La procédure de recherche aurait aussi bien pu consister en une série de questions d'un type fréquemment utilisé dans les tests sociométriques, sur les relations deux à deux. Il aurait alors fallu sommer des données brutes pour chaque groupe de statut. Les deux procédures conduisent de la même façon à une estimation du taux de communication inter-groupe et intra-groupe. O n pourrait construire des coefficients descriptifs comparant les deux types de communications. Si les groupes correspondent, comme dans le cas présent, à des distinctions de statut, de tels coefficients peuvent fournir une mesure de l'importance des cloisonnements sociaux dans un milieu donné. Il serait également possible de comparer les matrices particulières correspondant à chaque thème de discussion et de voir si certains d'entre eux sont plus « statut-centriques » que d'autres. O n notera que toutes ces mesures présentent le trait commun d'être construites à partir d'informations sur des relations entre individus ou groupes d'individus. Pace et Stern ont construit un inventaire de 300 items destiné à caractériser les établissements d'enseignement supérieur. Ils sont partis de catégories correspondant aux besoins de la personnalité définis par Murray : réussite, agressivité, jeu, etc. Les besoins des étudiants sont mesurés par un second indice dérivé de l'inventaire. Mais il est possible de classer les items en catégories sociologiques et de 23. Mishler, E. T. et Tropp, A., « Status interaction in a psychiatrie hospital », Human
relations
(1956),
187-203.
Les variables sociologiques structurelles dans les études d'organisation
87
construire ainsi des indices inédits. Dans l'inventaire de Pace et Stern, on trouve, par exemple, plusieurs questions sur les contacts entre étudiants et professeurs à partir desquelles il est possible d'établir un indice rudimentaire des contacts entre les deux groupes en calculant simplement le pourcentage des répondants généralement satisfaits de leurs rapports avec les professeurs. O n notera que la mesure est obtenue, non pas à partir de relations réelles, mais à partir de relations perçues. Dans l'étude de sociologie médicale citée, les relations utilisées ne sont, à proprement parler, ni objectives, ni perçues, puisqu'elles concernent les contacts effectifs du répondant avec des tiers. R E L A T I O N S SOCIALES
INFORMELLES
Nous désignons par relations sociales informelles les contacts extraprofessionnels. O n a souvent analysé les effets de groupes informels sur les structures organisées, depuis l'étude sur la Western Electric 25. Goodacre a étudié le lien entre performance et cohésion mesurant cette dernière variable par la différence entre le nombre total des choix et des rejets émis par les membres du groupe. C o m m e tout type de communication, les relations sociales informelles peuvent être représentées sous la forme d'une matrice dont les éléments lient, d'une certaine façon, deux individus déterminés. A partir de cette matrice, on peut, ici encore, construire des indices caractérisant globalement la structure des relations, à partir d'estimations globales formulées par les répondants sur leurs relations avec des tiers. U n exemple de ce type de questions est fourni par une étude sur la Ligue des ¿lectrices 27 : « Y a-t-il dans votre association des groupes de personnes où vous aimeriez être admise? » O n constate que l'efficacité des associations (évaluée par des juges extérieurs) est d'autant plus grande que la proportion de ses membres sensibles aux cloisonnements à l'intérieur du groupe est plus faible 2a. U n e autre question donne une mesure directe du même phénomène : de nouveau, on a observé une liaison négative entre l'efficacité et la proportion des personnes dénonçant l'existence de clans dans l'association. L a liaison apparaît plus nette encore avec la proportion des responsables reconnaissant appartenir à de tels groupes. L a même étude utilise par ailleurs, comme autre mesure des rela24. PACE, C . R. et STERN, G . C . , A Criterion study of college environment (Syracuse University Research Institute, 1958). 25. ROETHLISBERGER, J . J . et DICKSON, W . J . , Management and the worker (Cambridge, Harvard University Press, 1939). 26. GOODACRE, D. M., « T h e use ofasociometric test asa predictorof combat unit effectiveness », Sociometry (1951), 148-152. 2 7 . K A H N , TANNENBAUM, WEISS, op.
28. Ibid., p. 50.
cit.
88
Généralités sur la construction des variables
tions interpersonnelles, les conflits perçus à l'intérieur des strates et entre les strates. De façon surprenante, ces nouvelles mesures sont en général positivement liées à l'efficacité (tableau 4). TABLEAU
4
Corrélation entre différents types de conflit et niveau d'activité des membres, établie à partir de 100 associations locales. Type de conflit Entre Entre Entre Entre Entre
Corrélation avec l'activité des membres
membres membres et administration... membres et président membres de l'administration.. administration et président...
0,35 0,27 0,10 0,18 0,13
Newcomb est le premier à avoir appliqué des méthodes sociométriques en milieu scolaire. Il a montré que l'influence des institutions varie avec le degré d'intégration des élèves dans le m i l i e u L e s jeunes filles qui affichaient, à l'entrée, des attitudes libérales, à l'instar des professeurs et des étudiantes influentes, avaient plus de chances d'être acceptées; inversement, les étudiantes acceptées tendaient à devenir plus libérales. Ce résultat est d'une grande importance pratique : il montre que le succès d'un enseignement dépend du climat interpersonnel dans lequel il est donné. L'inventaire de Pace et Stem 30 fournit ici encore des questions utilisables; il en v a de même pour l'étude de Lipset sur le Syndicat des typographes 31 : — Rencontrez-vous vos collègues en dehors des heures de travail ? — Les recevez-vous? Êtes-vous reçu chez eux? — Avec qui préférez-vous passer vos heures de loisir : avec des collègues ou avec d'autres personnes? — Pensez aux trois amis qui vous sont le plus proches. Quelle est la profession de chacun d'eux? Cet ensemble d'items a servi à construire un indice de relations sociales intraprofessionnelles. Résultat intéressant : à l'intensité de ces relations correspond une activité syndicale accrue et une meilleure information au moment des campagnes électorales syndicales. Les 29. NEWCOMB, T. M., Personality 30. PACE e t STERN, op. cit. 3 1 . LIPSET e t a l . , op. cit.
and social change (New York, Dryden Press,
1957).
Les variables sociologiques structurelles dans les études d'organisation
89
auteurs ont ensuite émis l'hypothèse selon laquelle la forte participation syndicale des typographes et le caractère traditionnellement démocratique de ce syndicat pourraient être expliqués par l'intensité de leurs relations interpersonnelles. Pour vérifier cette hypothèse comparative, il faudrait évidemment construire une mesure générale de l'intensité des relations sociales, l'appliquer à d'autres syndicats et enfin la confronter à une mesure du caractère démocratique du fonctionnement syndical. DIVISION
DU TRAVAIL E T SEGMENTATION
EN
DÉPARTEMENTS
La division du travail, à l'instar de la structure d'autorité formelle, peut être étudiée à partir des organigrammes ou des règlements et donner lieu à des études comparatives. U n emploi ou un poste de travail peuvent être caractérisés par le nombre de tâches élémentaires qu'ils comportent. On a émis l'hypothèse, à partir d'études sur le moral en milieu industriel, qu'une division du travail trop poussée tend à abaisser le moral de l'ouvrier et à imposer à la direction des efforts de coordination exagérés S2. La faible extension des contrôles, qui est de règle dans de nombreuses industries, est en général considérée comme une conséquence de l'émiettement des tâches et de la nécessité de coordination qui en résulte. Malheureusement, le détail des résultats correspondant à ces études n'a pas été publié. A propos de ces problèmes, Georges Friedmann a créé la notion de recomposition des tâches qui pourrait correspondre à des mesures effectuées, non seulement sur les individus, mais sur des organisations en tant que telles 3S. Autre aspect structurel important : la manière dont les emplois ou postes sont regroupés en services, départements ou ateliers. Certaines organisations possèdent des services communs développés; dans d'autres, chaque unité apparaît, au contraire, comme intégrée et autonome. Bien que la littérature concernant cette question soit peu abondante, les études d'organisations bureaucratiques suggèrent qu'une trop grande spécialisation des services entraîne des divergences dans les attitudes, les préoccupations, les politiques 3i . DIMENSION
La dimension est un attribut majeur, mais équivoque, de la structure sociale des organisations. L'extension des relations interpersonnelles, des réseaux de communication en dépend; elle détermine aussi, d'une certaine manière, le nombre de niveaux d'autorité nécessaire à 3 2 . W O R T H Y , op. cit. 3 3 . FRIEDMANN, G . , 3 4 . SELZNICK,
'953)-
Où va le travail humain ? (Paris, 1 9 5 0 ) . P., TVA and thegrass roots (Berkeley, University of California Press,
Généralités sur la construction des variables
90
un contrôle efficace. Partant, un classement des organisations en fonction de leur dimension équivaudra souvent à un classement en fonction de la structure des communications, de l'autorité et des relations sociales. Aussi doit-on en général déterminer la variable intermédiaire effectivement responsable de l'effet observé, lorsqu'on met en évidence un effet de la dimension. E n dépit de cette ambiguïté, la dimension est une variable courante dans les études d'organisation, car elle est relativement plus facile à mesurer que les variables étudiées ci-dessus. Nous apprenons ainsi que l'importance d'une communauté religieuse est en liaison inverse avec la proportion de jeunes qu'elle attire 8S. D e même, le lien entre consensus et activité syndicale observé chez les typographes de Lipset dépend de l'importance numérique des ateliers (tableau 5) TABLEAU
5
La dimension des ateliers comme facteur conditionnel dans la relation entre consensus et activité. Proportion des membres syndicalement actifs ateliers à degré ateliers à élevé de faible degré consensus de consensus Ateliers comprenant moins de 80 membres... Ateliers comprenant 80 membres ou plus
29 % (125) 48 % (105)
7 % (28) 48 % (160)
Les chiffres entre parenthèses indiquent les effectifs des quatre types d'atelier. Les pourcentages correspondent donc à une moyenne pondérée des proportions de membres syndicalement actifs. Il serait en fait peut-être préférable d'utiliser plutôt une moyenne non pondérée pour éviter l'influence des effectifs extrêmes. Mentionnons encore une étude de cas importante : l'analyse de Brown sur les fluctuations séculaires des effectifs d'un syndicat S 7 . A partir des archives, l'auteur a construit une mesure de l'intensité des conflits internes, en utilisant le nombre des projets de réforme des statuts, le pourcentage de responsables non réélus, les conflits entre sections, les blâmes aux délégués. Les périodes de crise aiguë coïncident avec les contractions d'effectifs (tableau 6). 35. CHAPIN, F. S., « The optimum size of institutions », American journal of socioKGY (1957)» 449-460. 36. LIPSET et al., op.
cit.
37. BROWN, J. S., « Union size as a function of intra-union conflict », Human relations
( 1 9 5 6 ) , 75-89.
Les variables sociologiques structurelles dans les études d'organisation
TABLEAU
6
Importance des effectifs syndicaux et conflits institutionnels.
année
1901 1910 1920 1925 1932 1934 1940 1950
effectifs
2 000
58 107 48 28 198 289 428
000 000 000 000 000 000 000
% % de blâmes de responsables aux délégués non réélus
57 % 64 20 58 23 6 9 12
0 % 12 5 4 20 3 0,3 0
% de résolutions % de sections exigeant des impliquées dans réformes insdes conflits titutionnelles de procédure
27%
83 %
12 25 28 13
13 11 21 11 4 3
6
6
3
20
O n notera que l'analyse historique ne permet pas de rétablir avec certitude l'ordre temporel entre les divisions internes et le déclin des effectifs à partir de 1920. Signalons encore que la relation entre les variations numériques et les changements structurels a été étudiée par Haire dans une observation temporelle comparative L'intérêt de la notion de dimension apparaît encore dans les travaux de Lazarsfeld et Thielens 39 qui montrent la corrélation entre la dimension des institutions universitaires et l'importance des conflits qui y apparaissent. Jacob montre, d'autre part, que l'influence d'un établissement sur les attitudes des étudiants peut être inversement liée à son importance 40.
3 8 . H A I R E , op. cit. 3 9 . L A Z A R S F E L D e t T H I E L E N S , op.
cit.
40. JACOB, P., Changing values in college (New York, Harper and Bros., 1957).
7
SECTION
II
Les indices enumera
V. 0. Key LES ASSOCIATIONS VOLONTAIRES ET LA POLITIQUE 1
Quand on veut déterminer l'importance des groupes de pression dans les interactions entre l'État et le citoyen, on doit d'abord étudier les effets de l'affiliation aux associations. Ce problème comporte au moins deux aspects importants. Si on examine le système politique dans son ensemble, on peut d'abord se demander quelles sont les caractéristiques des citoyens qui se rencontrent dans des associations même totalement étrangères aux problèmes politiques. En second lieu, si on examine les associations elles-mêmes, particulièrement les associations de masse, on peut se demander dans quelle mesure elles réussissent à enrôler l'ensemble de leurs adhérents virtuels. INCIDENCE DE L'ADHÉSION
La détermination des réseaux d'affiliation à des groupes concernant plus ou moins directement la politique est une tâche difficile. Il est possible que toute adhésion à un groupement ait une importance potentielle pour la formation des opinions politiques. Il est possible que les groupes informels, la famille, le milieu professionnel, le voisinage, l'église, les cercles amicaux aient la même importance que des organisations à buts politiques. Les sondages ne nous permettent pas en général de reconstituer complètement l'ensemble des groupes qui peuvent jouer un rôle dans le problème présent. Les adhésions aux groupes informels peuvent échapper aux investigations par enquête. Pourtant, les sondages montrent régulièrement que la fréquence de l'appartenance à un ou plusieurs groupes a tendance à varier avec le revenu, la profesi. Extrait de V. O. KEY : Public opinion and American democracy, Alfred A. Knopf, New York, 1961.
Les indices ¿numera
96
sion, le niveau d'instruction et d'autres indices de statut. Une illustration de cette tendance générale est présentée au tableau i, qui montre la liaison entre la hiérarchie professionnelle et la fréquence des affiliations. Dans les foyers où le chef de famille exerce une profession libérale, plus de la moitié des répondants déclarent appartenir à trois groupements au moins. En revanche, cette proportion est dix fois moindre dans les familles ouvrières. TABLEAU
I
Activité professionnelle du chef de famille et nombre de groupements formels ou informels auxquels il appartient1. Nombre de groupements
Aucun Un Deux T r o i s et p l u s
N
Professions Professions p libérales d'affaires
hi
j
"
Ouvriers qualifiés
Ouvriers non quai,
Agriculteurs
19 % 14 14 58
25 % 38 18 24
32 % 36 18 14
85 % 88 21 11
48 % 36 16 5
41 % 38 11 15
100 %
100 %
100 %
100 %
100 %
100 %
43
75
50
147
56
66
Les données de ce tableau ont été obtenues à partir d'entretiens où on présentait aux répondants une liste de quatorze types d'organisations (syndicats, clubs sportifs, associations de loisir, etc.). On avait inclus dans la liste des organisations religieuses, mais non les églises elles-mêmes. On demandait enfin aux répondants de citer tout autre type d'association auquel ils auraient pu appartenir. Un tiers de l'échantillon environ déclara n'appartenir à aucune association. L'ENRÔLEMENT EFFECTIF DES ADHÉRENTS VIRTUELS
Le succès d'une association ne dépend pas seulement des objectifs qu'elle se donne. La simple masse des adhésions peut avoir une importance déterminante. Mieux une organisation réussit à enrôler son public potentiel, plus son autorité et sa représentativité paraissent confirmées. En fait, les études sur les associations révèlent qu'elles i . La question intéressait des associations aussi différentes que les syndicats, associations d'anciens combattants, groupes professionnels, groupes d e loisir, etc. Voir pour la formulation des questions, Angus CAMPBELL et al., The Voter decides, p. ¡224, questions 32 et 33. Source : Survey Research Center, University of M i c h i g a n , 1952.
Les associations volontaires et la politique
97
ne parviennent pratiquement jamais à enrôler la totalité de leur public. Même les organisations de masse, en dépit de leurs effectifs et de leur formidable puissance politique, sont loin de compter dans leurs rangs toutes les personnes qu'on pourrait s'attendre à y trouver. Parmi les foyers ruraux, moins d'un tiers comprend une personne affiliée à une organisation agricole. Il va sans dire que, parmi les agriculteurs « modernes », la proportion des affiliations est beaucoup plus grande; elle est pourtant bien inférieure à l'unité. Même phénomène dans les syndicats : bien que la participation soit plus élevée que dans les milieux agricoles, les syndicats sont loin de réunir la totalité de leurs membres potentiels. D'après une enquête effectuée en 1956, on trouve au moins un syndiqué dans 9 % des familles dont le chef exerce une profession libérale ; le pourcentage est de 21 dans les familles d'employés, 57 et 36 chez les ouvriers qualifiés et non qualifiés, 2 chez les ouvriers agricoles, 11 chez les autres. O n observe par ailleurs que 77 % des cas d'affiliations syndicales proviennent de foyers ouvriers. A D H É R E N T S E T NON
ADHÉRENTS
Les études sur les groupes organisés et leurs adhérents potentiels montrent uniformément, quels que soient le lieu, le temps et les circonstances, que les personnes affiliées à des organisations présentent en général un certain nombre de caractéristiques bien définies. L a réussite sociale ou le niveau intellectuel rendent plus probable l'appartenance à des associations : l'esprit d'entreprise, la culture incitent le citoyen à rechercher dans les associations un moyen de promouvoir ses vues. En dehors de ces distinctions, adhérents et non adhérents s'opposent encore par leurs opinions, leur activité, leur sens de l'efficacité et des responsabilités sur le plan politique. Les adhérents se distinguent notamment par une participation politique supérieure. Les personnes qui appartiennent à des organisations votent, en moyenne, plus régulièrement et manifestent plus souvent une activité politique. Par ailleurs, on constate en général que, dans tout groupement ou organisation, la proportion des adhérents actifs est très faible; un sondage à l'échelle nationale montre, en effet, que la participation politique est en liaison avec l'activité. Cette dernière variable a été mesurée de façon directe : on avait simplement demandé aux répondants s'ils étaient membres « actifs » des associations auxquelles ils appartenaient (tableau 2). Cet indice d'activité peut servir à identifier un secteur particulièrement influent de la population; 5 % environ des membres de l'échantillon se déclarent « actifs » dans au moins trois associations, xo % dans au moins deux.
Les indices énumératijs
98
TABLEAU
2
Activité au sein des associations et participation politique 2. NOMBRE D'ASSOCIATIONS Degré de participation
Élevé
Bas
4 3
2 1
Aucun
24 46 3 27
%
100 %
Un
Deux
28 %
32 % 47 5
55 1
16
16 100
%
100 %
Trois ou plus
41 48 0
%
11
100 %
D'autres indices de différenciation politique permettent encore d'opposer les adhérents et les non adhérents à l'intérieur des diverses classes de membres potentiels. Les paysans appartenant à des organisations agricoles révèlent ainsi u n sens plus grand de l'efficacité politique et un intérêt politique plus vif q u e les autres. L a mesure de l'intérêt politique est obtenue à partir d ' u n e évaluation de l'intérêt manifesté dans une élection présidentielle : on peut considérer que, dans le contexte, l'absence d'intérêt pour u n événement m a r q u a n t — quoique particulier — de la vie politique permet de prédire u n faible intérêt pour les questions politiques en général (tableau 3). L a relation entre l'appartenance à des organisations agricoles et l'intérêt politique permet de prédire avec vraisemblance une plus grande activité politique des adhérents : la prédiction est confirmée, m ê m e dans les associations composées surtout de membres inscrits mais non actifs. Les données correspondantes sont présentées au tableau 4. L e fait f r a p p a n t est la proportion b e a u c o u p plus élevée d'ouvriers leurs non qualifiés qui manifestent u n haut degré de participation politique, lorsqu'ils appartiennent à un syndicat. Il est possible q u e les organisations soient un stimulant d'autant plus fort à l'activité politique qu'elles s'adressent à des personnes, toutes choses égales d'ailleurs, moins motivées pour l'action politique. L a qualification sociale est, en elle-même, une incitation à la participation politique; c'est pourquoi l'affiliation a peut-être u n rôle plus efficace encore chez les ouvriers q u e leur faible qualification ne prédispose guère à s'intéresser à la vie politique. 2. Les personnes appartenant à des associations avaient à répondre à la question : « Vous considérez-vous comme un membre actif ou peu actif de l'association X ? » Sur la construction de l'indice de participation, cf. l'appendice. Source : Survey Research Center, University of Michigan, 1952.
Les associations volontaires et la politique
99
TABLEAU 3
Sentiment de Vefficacité politique et intérêt politique de répondants appartenant à des foyers ruraux comprenant et ne comprenant pas de membres d'associations agricoles. SENTIMENT DE L'EFFICATICÉ POLITIQUE
INTÉRÊT POLITIQUE
foyers ruraux
foyers ruraux
degré de comprenant des membres d'associations agricoles
participation
Elevé
Bas
4 3 2 1 0
. .. ... ... ...
N
..
n'en comprenant des comprenant membres d associations pas agricoles
3 38 27 20 12
%
1 17 28 35 19
%
34 % 22 28 16 0
100
%
100
%
100 %
64
127
64
n'en comprenant pas
17 % 19 35 29 0 100
%
127
Source : Survey Research Center University of Michigan, 1956. TABLEAU 4
Affiliation syndicale et participation politique 3. ouvriers qualifiés
degré de
participation
syndiqués
non syndiqués
Elevé
4
28 %
23
Bas
3 2 1 ,.. ,
49 5 18
48 7 22
100 N
....
267
%
ouvriers non qualifiés
100 195
syndiqués
non syndiqués
%
19 52 3 26
%
8 44 5 43
%
%
100
%
100
%
69
105
3. Les distributions correspondent aux réponses de personnes appartenant à des foyers comprenant ou non un syndiqué. Source : Survey Research Center, University of Michigan, 1952.
IOO
Les indices énumératifs
D E G R É D'IDENTIFICATION AU
GROUPE
De même que les membres effectifs d'une association se distinguent de ses membres virtuels, de même, il existe à l'intérieur de cette dernière des catégories différenciées. La participation politique et le sentiment de l'efficacité sont plus développés dans les organisations agricoles et les syndicats qu'à l'extérieur. Cependant, ils ne sont pas également répartis parmi les membres de ces associations. Toute organisation de masse suppose sans doute un noyau de membres qui s'identifient étroitement au groupe et en assurent la vitalité : c'est le cas notamment dans la plupart des syndicats. Une mesure grossière de l'identification au syndicat permet de voir sa relation avec le degré d'intérêt politique (tableau 5). TABLEAU
5
Identification au syndicat et intérêt politique. Identification4
Intérêt politique faible
1 Elevé
4i . . . . S
Bas
2 1
N ...
forte
2
3
4
17 % 19 36 28
14 % 29 33 24
26 % 24 26 24
34 % 23 31 12
100 %
100 %
100 %
100 %
126
109
100
83
Le tableau fait nettement apparaître l'existence d'une fraction de syndiqués manifestant à la fois un degré élevé d'intérêt politique et une forte identification à la vie syndicale. ORGANISATION DE MASSE ET STRATIFICATION
POLITIQUE
Que nous apportent ces résultats? Us nous permettent essentiellement de préciser notre conception de la stratification politique. Nous énoncions ailleurs que l'ensemble des citoyens pouvaient être rangés en 4. L'indice d'identification a été construit à partir des réponses à deux questions : « Vous sentez-vous proches de vos camarades syndiqués? ». « Quel intérêt portezvous à l'avenir du syndicalisme et des syndiqués dans ce pays ? Vous en préoccupezvous beaucoup, un peu ou très peu ? » Source : Survey Research Center, University of Michigan, 1956.
Les associations
volontaires et la
101
politique
classes se distinguant par leur activité politique, leur perception de l'efficacité et d'autres critères. L'appartenance aux associations volontaires apparaît comme un indice important de la différenciation politique. Les strates politiquement les plus élevées semblent, en effet, caractérisées par un taux d'affiliation plus élevé aussi bien aux groupes formels qu'informels. Les résultats précédents nous aident également à mieux comprendre le rôle des groupes dans le système politique. Les adhérents manifestent, on l'a vu, un degré d'intérêt politique plus élevé que les non adhérents éligibles mais non affiliés. Parmi les membres des associations euxmêmes, l'identification au groupe est variable ; or, elle détermine dans une large mesure les caractéristiques politiques des adhérents. Ces différences doivent permettre aussi d'évaluer le pouvoir potentiel d'une association et son aptitude à servir de médiation entre l'État et le citoyen. APPENDICE LA
CONSTRUCTION DES INDICES D'INTÉRÊT
POLITIQUE,
DE PARTICIPATION POLITIQUE, DE SENTIMENT DE L'EFFICACITÉ POLITIQUE
INTÉRÊT
POLITIQUE
La mesure de l'intérêt politique a été construite à partir d'un événement particulier auquel on peut sans doute attribuer une signification générale : la campagne présidentielle. Elle repose sur deux questions. A u début de l'entretien, on demandait : « De façon générale, vous sentez-vous personnellement concerné par le résultat des élections? » Les réponses furent codées sur une échelle en cinq points. La seconde question était formulée ainsi : « Il y a des gens qui ne s'intéressent pas beaucoup aux campagnes électorales. Êtes-vous vous-même très — un peu — pas du tout intéressé par la campagne actuelle ? » Par combinaison des réponses aux deux questions, on a obtenu un classement des individus sur un indice d'intérêt politique.
PARTICIPATION
POLITIQUE
Les réponses à une série d'enquêtes post-électorales menées en 1952 et 1956 par le Survey Research Center de Michigan sont la base de l'indice de participation politique utilisé ici. O n demandait aux répondants s'ils avaient voté, puis on énumérait un certain nombre de comportements actifs en faveur du parti choisi :
102
Les indices énumératifs
— Avez-vous essayé de convaincre quelqu'un de voter pour un des partis ou des candidats? — Avez-vous apporté votre aide financière à un des partis? — Avez-vous assisté à des réunions, rencontres, etc. ? — Avez-vous fait autre chose pour un des partis ou des candidats ? — Appartenez-vous à un club ou à une association? — etc. L'indice de participation politique a été construit de la façon suivante : on a attribué le rang 4 (participation élevée) aux personnes ayant voté et ayant répondu positivement à une des questions; le rang 3, à celles qui avaient simplement voté ; le rang 2, aux personnes, peu nombreuses, qui, bien que n'ayant pas voté, avaient répondu positivement à une des questions. L a dernière catégorie (bas degré de participation) comprenait enfin le reste des répondants.
EFFICACITÉ
POLITIQUE
U n e mesure grossière du sentiment de l'efficacité politique a été construite à partir des propositions suivantes : — Je ne pense pas que les dirigeants s'occupent beaucoup de l'opinion de gens comme moi. — Les électeurs jouent un grand rôle dans la conduite des affaires politiques. — L e vote est la seule manière d'exprimer son opinion sur la politique du gouvernement. — L a politique est bien trop compliquée pour moi. — Les gens comme moi n'ont pas grand'chose à dire sur la politique gouvernementale. L'accord avec le second item et le désaccord avec les autres furent traités comme indicateurs positifs du sentiment de l'efficacité. Les questions étaient dispersées dans le questionnaire. Les réponses ont été groupées en cinq types. L a participation politique et le sentiment de l'efficacité sont apparus comme positivement liés. Sur le concept de « sentiment de l'efficacité politique», voir Angus Campbell et al., The Voter décidés, pp. 187-194. L a liste d'items précédente n ' a pas été utilisée dans le sondage de 1956. En 1952, les items d'efficacité composaient une échelle de Guttman. En 1956, on a employé un simple indice cumulatif pour ordonner les répondants. E n conséquence, les mesures d'efficacité de 1952 et 1956 ne sont pas exactement comparables.
Edward Suchman et Herbert
VARIABLES ET
D É M O G R A P H I Q U E S
P S Y C H O L O G I Q U E S DES
Menzel
SONDAGES
DANS
L'ANALYSE
É L E C T O R A U X
1
Les premiers résultats de l'exploitation d'un sondage revêtent presque toujours la forme de relations entre des variables démographiques aisément identifiables — sexe, âge, profession, etc. — et un comportement, une attitude, une expérience qu'on cherche à prédire : dans l'exemple présent, cette dernière variable correspond au comportement électoral dans une élection présidentielle 2 . De tels résultats, bien qu'intéressants sur un plan descriptif, doivent être considérés comme le point de départ d'une recherche de relations causales. L'analyse suivante montre qu'on peut pousser relativement loin la TABLEAU
I
Pourcentage de votes démocrates 3 Italo-américains Noirs Juifs Catholiques 4 Blancs, protestants, non-immigrés
82 81 67 65 19
% % % % %
(94) (84) (108) (186) (369)
1. « The interplay of demographic and psychological variables in the analysis of voting surveys », in Paul L A Z A R S F E L D et Morris ROSENBERG, The Language of social research (Free Press, Glencoe, 1955). 2. Les données sont extraites du sondage d'Elmira, dont les résultats sont donnés dans Voting, par BERELSON, L A Z A R S F E L D , M C P H E E (Chicago, University of Chicago Press, 1954). 3. Le pourcentage est calculé sur l'ensemble des votes démocrates ou républicains, à 1 exclusion des autres. Les abstentions, les non-réponses et les voix réparties sur des formations mineures ont été éliminées. Les pourcentages ont été calculés sur les effectifs donnés entre parenthèses. 4. Bien que les italo-américains soient catholiques, le groupe catholique ne comporte qu'une minorité de personnes d'origine italienne. Les résultats reposent sur deux échantillons indépendants d'italo-américains et de catholiques.
104
Z^J indices énumératifs
recherche des processus sociaux et psychologiques responsables d'un comportement donné. Un des résultats de l'étude utilisée ici montre que les minorités ethniques et religieuses ont tendance à concentrer leurs voix sur un seul des grands partis (tableau i). La relation entre la situation minoritaire et le vote démocrate est claire. Si maintenant on fait intervenir des variables supplémentaires de nature psychologique, un résultat général apparaît : les groupes minoritaires manifestent une propension beaucoup plus grande que le groupe majoritaire (blancs non-immigrés protestants) à voter démocrate, et ceci d'autant plus que l'identification de l'individu avec son groupe est plus marquée. Ce résultat se vérifie de toutes les minorités (tableau 2 et suivants). TABLEAU
2
Pourcentage de votes démocrates
parmi les catholiques qui : s'identifient fortement à leur groupe s'identifient faiblement à leur groupe 6
% 66 58
(129) (31)
Les catholiques votent plus fréquemment démocrate que les protestants, et cette tendance varie en raison directe de l'identification au groupe. Les statistiques concernant les juifs donnent un résultat semblable (tableau 3). TABLEAU
3
Pourcentage de votes démocrates
parmi les juifs qui : s'identifient fortement à leur groupe s'identifient faiblement à leur groupe
% 72 56
(39)
Comme dans le cas des catholiques, la propension à voter démocrate est positivement liée à l'identification au groupe religieux. Si on répartit l'échantillon des juifs selon l'attachement aux pratiques religieuses, on obtient un résultat du même ordre (tableau 4). Une troisième mesure de l'identification au groupe peut être tirée des réponses à la question : « Comment jugez-vous l'attitude des non-juifs 5. L'identification psychologique a été déterminée à partir de la question : « Désignez, dans la liste suivante, les groupes auxquels vous vous sentez particulièrement liés : syndicat, groupe religieux, parti politique, classe sociale, milieu d e travail, race, groupe ethnique. » Les répondants ayant mentionné le groupe religieux ont été classés dans la première catégorie du tableau.
105
Variables démographiques et psychologiques TABLEAU
4
Pourcentage de votes démocrates p a r m i les juifs qui : assistent aux services religieux et sont partisans d ' u n e stricte observance des règles assistent a u x services ou sont partisans d ' u n e stricte observance des règles n'assistent pas aux services et ne sont pas partisans d ' u n e stricte observance des règles
% 76
(46)
61
(46)
42
(12)
à l'égard des juifs ? ». Ici encore, les résultats sont semblables (tableau 5). TABLEAU
5
Pourcentage de votes démocrates parmi les juifs qui : pensent que les non-juifs sont « peu » ou « relativement » favorables aux juifs pensent q u e les non-juifs sont « favorables » aux juifs
% 69 46
(86) (18)
L e même phénomène est observable dans tous les autres groupes minoritaires, notamment chez les noirs et les italo-américains (tableaux 6 et 7). TABLEAU
6
Pourcentage de votes démocrates p a r m i les noirs qui : pensent que les blancs leur sont « peu » ou « relativement » favorables« pensent q u e les blancs leur sont « favorables » TABLEAU
% 84 61
£71) (13)
% 90 79
il8) (75)
7
Pourcentage de votes démocrates p a r m i les italo-américains qui : s'intéressent aux affaires italiennes ne s'y intéressent guère ou pas d u tout
Les sept tableaux convergent ainsi vers un résultat unique : dans tous les groupes minoritaires, quelles que soient les mesures utilisées, l'identification au groupe « intensifie » la conformité à la tendance générale du groupe. 6. La question était posée sous la forme suivante : « Comment jugez-vous l'attitude des blancs à l'égard des noirs ? »
Les indices énumératijs
io6
On pourrait, à première vue, considérer ce résultat comme une banalité : n'est-il pas évident, en effet, que si un groupe manifeste une tendance donnée, la probabilité pour qu'un individu manifeste la même tendance est d'autant plus grande qu'il s'y identifie davantage ? En fait, ce résultat, loin d'être immédiat, pose un problème d'explication réel : il n'est pas sûr que le phénomène spécifique de l'identification psychologique soit la seule et unique dimension de l'appartenance au groupe. On constate même que l'identification n'est liée à l'intensification individuelle de la tendance collective que sous certaines conditions, comme on le voit au tableau suivant, à propos de la « majorité » blanche d'Elmira. TABLEAU
8
Pourcentage de votes républicains parmi les protestants qui : s'identifient fortement à leur groupe s'identifient faiblement à leur groupe
%
80 81
La différence entre le comportement des deux catégories n'est pas significative. Nous ignorons la raison de ce phénomène. Peut-être l'intensification observée plus haut est-elle le fait des groupes dotés d'une conscience de groupe, ou de ceux qui considèrent la politique comme une affaire collective plutôt qu'individuelle. De telles explications sont cependant purement hypothétiques. Une autre série de questions pour lesquelles seules des réponses hypothétiques peuvent être avancées est la suivante : « Quelles sont les conditions de l'identification ? Pourquoi l'identification au groupe implique-t-elle une conformité à la tendance du groupe? » i. U n e première réponse est que l'identification au groupe induit une sensibilité plus grande à des facteurs agissant sur l'ensemble du groupe. Si, par exemple, les noirs ont tendance à porter leurs voix vers le parti démocrate, ce peut être parce qu'ils le considèrent comme le défenseur de leurs droits. Les électeurs noirs s'identifiant davantage à leur race auraient aussi tendance à voter davantage pour ce parti. D e même, si la propension manifestée par les catholiques à voter démocrate peut être expliquée par leur niveau économique et leur attirance pour le parti du New-Deal, il est possible que le catholicisme soit d'autant plus fervent que les revenus sont plus faibles et que, par suite, l'attraction exercée par le parti démocrate soit d'autant plus forte que l'identification au groupe est plus prononcée. Si les italo-américains se portent vers les démocrates parce que la machine politique de ce parti les a souvent favorisés, il est possible que la
Variables démographiques et psychologiques
107
perception de ce fait soit plus vive chez ceux qui manifestent une plus forte conscience de groupe. En fait, il est difficile de déterminer les facteurs qui expliquent le comportement électoral des groupes minoritaires; une question aussi générale dépasse du reste le cadre de cet article. L'hypothèse suggérée ci-dessus vise surtout à expliquer le rôle de l'identification au groupe dans le vote; on peut le caractériser de la façon suivante : l'identification est un indicateur particulier de l'exposition aux facteurs qui sont à l'origine de la corrélation entre comportement électoral et situation minoritaire. 2. D'autres types d'explication, tout à fait différents, se réfèrent à des processus particuliers caractéristiques des personnes manifestant une forte identification au groupe. Ces explications sont très diverses, mais peuvent se ranger en deux classes : Une classe d'hypothèses suppose, essentiellement, que ces personnes votent démocrate par désir de conformité avec les autres membres du groupe : ceux qui s'identifient fortement au groupe minoritaire ont tendance à se conformer aux types de comportement de ce groupe. Appelons une telle hypothèse « explication par le conformisme motivé ». Il est inutile d'entrer ici dans le détail des processus psychologiques qui conduisent un individu à se conformer au comportement général de son groupe; rappelons seulement qu'il s'agit là d'un phénomène très communément observé. Une autre classe d'hypothèses suppose qu'un catholique, évoluant dans un milieu où une grande proportion de gens votent démocrate, est davantage exposé à des opinions, informations et pressions sociales favorables aux démocrates qu'un protestant. De même pour les noirs, les juifs, ou les italo-américains. Or, le degré d'exposition à ces divers types de pressions doit être d'autant plus élevé que l'interaction avec les membres du groupe minoritaire est plus intense. Appelons cette hypothèse « explication par l'exposition différentielle aux pressions sociales ». 3. Les deux explications précédentes reposent sur deux hypothèses : a) Elles supposent qu'un processus inconnu a provoqué initialement une attitude favorable au parti démocrate de la part d'une forte proportion de « minoritaires ». La conformité motivée et l'exposition différentielle peuvent seulement expliquer, en effet, l'attitude prodémocrate d'un petit nombre de catholiques, noirs, etc. Pour les autres, on doit faire appel, en dernier ressort, à des facteurs politiques pour rendre compte de leur comportement. b) Elles supposent aussi que les minorités forment des groupes réels, au sens psychologique ou sociologique. Si un ensemble de personnes peut affecter les messages qui parviennent à ses membres, il faut que 8
io8
Les indices énumératijs
le t a u x des interactions à l'intérieur d u groupe soit plus élevé que le taux des interactions avec « l'extérieur ». L'ensemble doit constituer, en d'autres termes, un véritable groupe. Si on observe, par ailleurs, une propension des membres à agir en conformité avec la collectivité, il faut bien que les membres perçoivent le groupe comme tel : ce dernier doit avoir la réalité psychologique d ' u n groupe de référence. Il est possible de définir des catégories sociales hautement prédictives du comportement électoral, sans qu'elles constituent pour autant des groupes possédant une réalité psychologique o u sociale. Les groupes d ' â g e sont de ce type. Il n'y a donc aucune raison de supposer q u e des processus sociaux ou psychologiques agissent dans de telles catégories. 4. Gomment trouver des preuves empiriques permettant de décider entre ces différents types d'explication possibles? L'analyse peut-elle dépasser l a simple constatation du phénomène d'intensification et fonder un choix raisonnable? Il est d ' a b o r d nécessaire de déterminer si les membres manifestant une plus grande identification a u groupe sont soumis, avec une plus grande intensité, a u x mêmes facteurs que les autres, ou s'ils sont, au contraire, le c h a m p de processus spéciaux. D e quel type d'information avons-nous besoin pour décider entre ces deux hypothèses contradictoires ? a) L a seconde hypothèse — celle de l'existence de processus spéciaux — serait confirmée si on pouvait montrer q u e l'ensemble des déterminants de la tendance globale est insuffisant à expliquer le pourcentage de votes démocrates dans les groupes minoritaires. Les données de l'étude sur Elmira v o n t dans le sens de cette hypothèse : si on contrôle le niveau socio-professionnel, le revenu, le niveau d'instruction, le heu de naissance ou l'idéologie politique, on observe toujours une proportion beaucoup plus élevée de démocrates dans les groupes minoritaires, dans la classe moyenne aussi bien que dans la classe ouvrière, dans les catégories de revenu élevées aussi bien q u e dans les basses catégories de revenu, etc. b) L'hypothèse de l'existence de processus spéciaux est reftforcée si la corrélation entre l'identification et les déterminants du comportement politique (revenu, profession, éducation o u idéologie) est p e u élevée : car il est peu vraisemblable alors que l'effet apparent de l'identification soit dû en réalité à ces dernières variables. c) L'hypothèse tend au contraire à être infirmée, si l'intensification disparaît q u a n d on contrôle les déterminants de la conduite politique : revenu, profession, éducation, etc. O n a vu, par exemple, au tableau 2, que les catholiques manifestant une forte identification au groupe religieux avaient davantage tendance à voter démocrate. Sup-
Variables démographiques et psychologiques
109
posons maintenant qu'on divise cet échantillon en trois niveaux de revenus et que la liaison entre les deux variables disparaisse : on en tirerait la conclusion que le rôle apparent joué par l'identification au tableau 2 est dû à la relation entre identification et revenu, et non à un effet sui generis provoquant, d'une manière ou d'une autre, une adhésion plus étroite aux normes du groupe. d) L'hypothèse ne requiert pas, notons-le, que l'effet de l'identification soit indépendant des conditions économiques; en fait, elle est renforcée si l'intensité de cet effet varie en raison directe du revenu ou, plus généralement, si elle apparaît comme élevée dans les cas où les déterminants de la conduite politique sont en contradiction avec les normes pro-démocrates du groupe. L'hypothèse de l'existence de processus spéciaux implique, en effet, que ces déterminants provoquent une attitude pro-démocrate dans une grande partie du groupe minoritaire, érigeant cette attitude en norme collective, et que des processus distincts, d'origine non politique, provoquent l'adhésion des autres membres à cette norme, s'ils manifestent une identification suffisante avec le groupe. Les catholiques de faible revenu votent démocrate pour les raisons qui incitent les catégories défavorisées à voter démocrate; les catholiques aisés votent démocrate dans la mesure où ils s'identifient au groupe catholique. 5. L'hypothèse de l'existence de processus spéciaux étant admise, comment déterminer la nature de ces processus : conformisme motivé ou exposition différentielle aux pressions pro-démocrates? Pour répondre à cette question, il faudrait séparer, par une procédure de contrôle réciproque, l'identification au groupe de l'interaction différentielle avec le groupe. Supposons que, ayant mesuré sur un échantillon le lien des juifs avec leurs associations et leur sentiment d'identification avec le judaïsme, on ait trouvé une proportion de démocrates plus forte parmi les personnes attachées à leurs associations, quel que soit leur degré d'identification, on pourrait alors conclure à l'effet d'un filtrage des messages par l'environnement. Si, au contraire, la proportion des démocrates croît avec l'identification, quelle que soit la valeur de l'autre variable, on serait en présence d'un processus de conformisme motivé. Notons d'ailleurs que les deux processus peuvent agir simultanément. E n pratique, la corrélation entre les deux variables est probablement trop élevée pour qu'on puisse faire varier l'une en maintenant l'autre constante : les procédures de contrôle supposeraient des mesures raffinées qui n'ont pu être établies dans le cas de l'étude d'Elmira. 6. Si l'hypothèse de l'existence de processus spéciaux peut être
110
Les indices énumératifs
acceptée, nous avons là un principe d'explication dont le domaine d'application potentiel est très vaste. Comme le montrent les données d'Elmira, les déterminants principaux de la conduite politique — le revenu, l'éducation, l'idéologie, etc. — rendent largement compte des prédispositions électorales dans les minorités, mais sont insuffisants à expliquer la proportion des votes démocrates dans ces groupes; c'est pourquoi il faut faire appel à des hypothèses complémentaires : conformisme motivé et exposition différentielle aux pressions. Notons d'ailleurs que de tels processus sont vraisemblablement de portée très générale : on peut sans doute y recourir chaque fois qu'on observe une attitude dominante dans un groupe, même chez les individus auxquels les déterminants généraux de l'attitude ne s'appliquent pas. 7. Un second problème, analogue au premier, peut être expliqué par ces deux processus : celui de la persistance d'attitudes d'origine historique. L'attitude pro-démocrate des catholiques est en partie héritée d'un temps où les facteurs politiques pouvaient effectivement expliquer cette prédisposition : les immigrants catholiques du début du siècle étaient le plus souvent employés à des tâches non qualifiées et mal rémunérées. Depuis lors, la mobilité sociale a considérablement réduit cette discrimination, mais la tendance à voter démocrate persiste au-delà de l'atténuation des facteurs qui l'avaient provoquée. 8. Examinons enfin un dernier point : on se souvient (tableau 8) que l'identification n'augmente pas de façon appréciable le pourcentage de républicains dans le groupe majoritaire (blancs protestants nonimmigrés). Gomment expliquer ce résultat? Si les interprétations données plus haut sont valables, deux conclusions sont possibles : 1) les protestants ne constituent pas un groupe doté d'une réalité psychologique ou sociale, à la différence des catholiques, juifs, noirs ou italo-américains; 2) parmi les protestants, le vote politique est davantage tenu pour une affaire strictement individuelle. Le fait que les protestants ne soient pas un « groupe minoritaire » explique peut-être les deux propositions : si des processus psychosociologiques accentuent la propension républicaine des protestants, la proportion des républicains parmi ces derniers devrait varier avec l'identification au groupe. Or, tel n'est pas le cas : on en conclut que le rôle de ces processus est nul ou assez faible pour échapper à nos mesures. L a propension républicaine des protestants est due essentiellement à des facteurs politiques. Lorsque le revenu, le niveau d'éducation attirent un protestant vers des types de comportement opposés aux normes moyennes de son groupe, il adoptera plus facilement un
Variables démographiques et psychologiques
m
comportement déviant qu'un catholique placé dans une situation identique. Ceci veut dire pratiquement qu'on devrait trouver plus de démocrates parmi les hommes d'affaires catholiques que de républicains parmi les ouvriers protestants; plus de démocrates parmi les conservateurs catholiques que de républicains parmi les libéraux protestants, etc.
CONCLUSION L'introduction d'une troisième variable dans les relations initiales — l'analyse multivariée sous sa forme la plus simple — a permis de mettre en évidence un phénomène dont les effets sur le comportement politique sont très indirects, mais qui n'en est pas moins déterminant. Le comportement électoral des minorités est différent de celui de la majorité, et ce fait ne tient pas seulement à des caractéritiques démographiques ou idéologiques, mais aussi à des processus caractérisant des groupes dotés d'une conscience collective, ou, plus généralement, d'une réalité psycho-sociologique.
Vito Ahtik PARTICIPATION SOCIO-POLITIQUE DES O U V R I E R S D ' I N D U S T R I E 1
Cette recherche étudie les relations entre les différents types de conduites hors travail et la participation socio-politique des ouvriers d'industrie yougoslaves. L'analyse théorique, exposée dans la première partie de l'article, a dégagé les propositions générales suivantes : 1. Les conduites des ouvriers d'industrie s'organisent autour de trois types : a) un genre de vie centré sur le travail de la terre et la famille, enraciné dans les normes d'une civilisation pré-industrielle; b) un mode de vie typique des noyaux ouvriers des débuts de l'industrialisation ; c) un style de vie associé à la culture de masse, qui repose sur les valeurs d'une société industrielle moderne. 2. L a culture des noyaux ouvriers traditionnels et la culture de masse tendent à fusionner; cette fusion favorise la participation sociopolitique organisée. 3. L e mode de vie centré sur la terre et la famille tend à isoler l'individu de la culture ouvrière traditionnelle et de la culture de masse; il freine la participation socio-politique organisée. L'analyse qui suit se propose de dégager, par l'utilisation des méthodes statistiques, les différents modes de conduite, et d'examiner ensuite leurs relations. Elle doit permettre de clarifier les concepts utilisés dans la première partie et de préciser le sens des propositions avancées. L'analyse repose sur des données recueillies au cours d'une enquête 1. Extrait d'un article paru dans Sociologie du travail, I V , 1963, n° 1, pp. 1-23. Reproduit avec l'aimable autorisation des éditions du Seuil.
Participation
socio-politique des ouvriers d'industrie
effectuée en i960 dans une des régions industrielles de Yougoslavie, un bassin minier et sidérurgique situé dans le nord. On a interviewé un échantillon représentatif (N = 399) d'ouvriers masculins employés à la mine, dans la sidérurgie et dans la construction industrielle, à partir d'un questionnaire portant sur les conditions de travail, les attitudes au travail, la vie familiale, les conduites hors travail, ainsi que sur des renseignements d'ordre démographique. A. Le premier problème méthodologique que l'on rencontre consiste à développer des indicateurs univoques, valables et efficaces de variables principales. On s'est refusé dès le départ à admettre, comme indicateurs de variables, les réponses à une seule question, car un tel procédé risque fort d'être entaché d'arbitraire et de ne présenter qu'une faible garantie de validité. On a donc envisagé l'utilisation des indices composés, en l'occurrence des échelles hiérarchiques. La méthode de l'analyse hiérarchique, examine les structures internes qui sont le résultat des relations entre des séries de mesures empiriques, visant à dégager des dimensions homogènes sous-jacentes à ces données; en outre, elle permet la construction des instruments de mesure des dimensions ainsi obtenues. Elle permet donc à la fois d'établir les indicateurs des variables étudiées et de définir leur structure. Dans le cas présent, on peut l'employer pour vérifier les structures que l'on a attribuées aux différents types de conduite, ou pour analyser les relations entre ces conduites. L'univers des variables de départ est constitué par des conduites quotidiennes. Afin de s'assurer le plus possible de l'homogénéité des données on a éliminé les variables d'attitudes pour ne retenir que les variables se référant au comportement objectif. Chaque individu avait répondu à des questions fermées, trichotomisées 2, qui portaient sur toutes les formes possibles du comportement en dehors du travail, à quelques exceptions près (par exemple : la pratique religieuse, les discussions entre amis, etc.). Les quatre-vingt-une variables ainsi obtenues ont été soumises à des analyses hiérarchiques de Guttman (analyse scalogrammatique) 3 . On a pu constituer sept échelles dont chacune comporte six items, sauf l'échelle n° V I pour laquelle l'item « réparer la maison » fournit seulement 10 % des réponses environ, et 2. Exemples de codes : Emissions de radio : écoute régulièrement chaque jour — écoute de temps en temps — n'écoute pas du tout. Participation aux organisations politiques : non membre — membre — membre ayant consacré durant le mois précédent plus de cinq heures de temps libre à des réunions ou à travailler pour l'organisation. 3. L . GUTTMAN, « The basis for scalogram analysis », dans Measurement and prédiction (Princeton, N. J . ) , pp. 60-90, et J . GREEN, « A method of scalogram analysis using summary statistics », Psychometrika, 1956, pp. 79-88.
Les indices énuméralifs
interviendrait artificiellement dans le coefficient de reproductibilité. Le tableau i présente le contenu des échelles, ainsi que leurs coefficients de reproductibilité et leurs indices de consistance respectifs. Les items sont classés dans l'ordre décroissant des réponses positives. Par la valeur numérique de leur coefficients de reproductibilité et de leurs indices de consistance, la plupart des échelles se situent juste à la limite des échelles proprement dites. L'échelle n° I, à qui on a donné le nom d'échelle de participation socio-politique, et qui servira comme indice de cette participation dans les analyses suivantes, comprend toutes les organisations socio-politiques du pays, à l'exception des organismes de gestion ouvrière. Ce fait indique, en premier lieu, que les diverses formes de participation socio-politique organisée sont cumulatives à un très haut degré4. En second lieu, il est clair que la participation aux conseils ouvriers et aux conseils administratifs des entreprises n'est pas tout à fait assimilable à la dimension sociopolitique établie par l'échelle en question. Il faut donc examiner cette participation séparément. TABLEAU
I
Items utilisés dans les échelles de comportement coefficients de reproductibilité et indices de consistance. Échelle I
C r = 0,92,
I c = 0,34
1. participation aux syndicats 2. participation à l'Alliance Socialiste 3. participation aux associations locales (culturelles ou sportives) 4. participation à la Ligue Communiste et à l'organisation des Anciens Combattants 5. responsables des organisations de masse (ex. Jeunesse Populaire, Croix Rouge, etc.) 6. participation aux organismes de gestion sociale Échelle II
C r = 0,88,
I„ = 0,33
1. fréquentation des cinémas 2. lecture des hebdomadaires de divertissement (type France Dimanche) 8. fréquentation des spectacles sportifs 4. lecture des journaux — rubrique « sport » 5. lecture des journaux — faits divers 6. audition radiophonique — musique légère 4. D e nombreux auteurs ont déjà établi que les différents indices de participation sociale ou politique, dans différents pays, sont cumulatifs, bien que rarement dans le sens strict des échelles guttmaniennes. E n Yougoslavie, Sinovié et Zupanov ont récemment étudié les effets des cumuls de responsabilité dans les organisations
Participation socio-politique des ouvriers d'industrie
"5
Échelle III C r = 0,89, I c = 0,38 1. audition d'émissions parlées (journal parlé, reportages, émissions éducatives) 2. lecture des hebdomadaires d'information (du type Express) 3. lecture des journaux — rubrique de politique intérieure 4. lecture des journaux — rubrique de politique internationale 5. lecture des livres 6. lecture des journaux — feuilletons Échelle IV C r = 0,87, I c = 0,26 1. fréquentation des cafés 2. excursions en plein air 3. réceptions et visites des amis 4. promenades 5. échecs 6. cartes Échelle V C r = 0,90, I c = 0,37 1. alpinisme 2. fréquentation de la Maison de Culture 3. fréquentation d u Théâtre ouvrier (populaire) 4. assistance à des conférences publiques de l'Université Ouvrière 5. pratique des activités artistiques (Théâtre, musique, arts plastiques, etc.) 6. fréquentation des soirées culturelles (« académies ») Échelle VI C r = 0,90, I c = 0,25 1. jardinage 2. audition de musique folklorique (« populaire ») (tous les moyens de transmission) 3. bricolage 4. élevage (bétail-volaille) 5 . culture des champs Échelle VII C r = 0,88, I c = 0,36 1. repos pendant la journée — les dimanches 2. repos les jours ouvrables 8. pratique de la plupart des activités de loisir à la maison 4. participation aux études et aux jeux des enfants 5. sorties familiales 6. travaux ménagers.
B. L'examen des items qui forment les différentes échelles donne au lecteur une idée générale de leur contenu; seule une description détaillée qui ne peut trouver place ici, pourrait en préciser la fonction quant à la population étudiée et quant aux conditions locales. Cependant, sans entrer dans le détail des relations statistiques entre les sociales et politiques (cf. J . F I S E R A , « Enquête sur le cumul des responsabilités en Yougoslavie », Archives internationales de sociologie de la coopération, 1961, X, pp. 138>54)-
116
Les indices énumératifs
sept échelles, soulignons la présence de corrélations hautement positives entre les échelles, I I et I I I (p s oCO •so i> CO ©
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28o
L'intégration conceptuelle des matériaux descriptifs
artistiques : elles sont rejetées par les classes supérieures lorsqu'elles impliquent la facilité du succès. A une exception près, le tableau 12 confirme l'hypothèse. O n en trouve une preuve plus directe dans les réponses à la question (sondage de 1944) : « Souhaiteriez-vous que votre fils fasse une carrière politique? » L a désapprobation est générale, mais surtout fréquente dans les classes supérieures.
GROUPES DE RÉFÉRENCE ET CAS DÉVIANTS
Les classes inférieures tendent à adopter, en tant que groupe, un système de valeurs qui réduit les chances de promotion bien qu'une proportion notable d'individus se réfèrent à des systèmes distincts. Parallèlement, il y a dans les classes supérieures des individus qui ne manifestent pas la tendance modale de leur groupe. Ces cas déviants s'expliquent en TABLEAU
13
Rejet de la perspective d'une carrière politique dans les différentes classes sociales. Catégorie socio-économique
Classes supérieures Classes moyennes Classes inférieures
% d'individus qui désapprouvent41 78 73 54
partie par le caractère rudimentaire des mesures employées, et aussi par le fait qu'à l'intérieur d'une même classe, les individus se différencient par leur appartenance ethnique, religieuse, etc... et leurs expériences idiosyncrasiques. L a multiplicité des systèmes de valeurs reflète cette complexité. Mais la notion de groupe de référence permet de nuancer l'influence des facteurs de classe : il se peut que certains individus des classes inférieures s'identifient à des groupes supérieurs et intériorisent le système de valeurs de la classe à laquelle ils se réfèrent. Inversement, certains individus des classes supérieures peuvent, pour des raisons variées, se référer psychologiquement à d'autres classes. L'influence des groupes de référence a été notée ci-dessus; on en observe également l'effet dans l'enquête citée plus haut de l'Institut National d'Opinion Publique : si on classe les individus de catégories professionnelles inférieures en fonction du niveau social de leur famille, un contraste 41. Malheureusement, le rapport n'indique pas l'effectif des groupes.
Classe sociale et système de valeurs TABLEAU 1 4 Processus de « référence » : l'influence de l'histoire son système de valeurs.
sociale de l'individu
C A T É G O R I E SOCIO-PROFESSIONNELLE PROFESSION LIBÉRALE OU COMMERÇANT
Catégotie socio-prof, du pire Profession oui', qualif. libérale ou ou commerçant spécialisé %
DU
sur
RÉPONDANT
OUVRIER QUALIFIÉ O U SPÉCIALISÉ
Catégorie socio-prof. du pèrt Profession ouv. qualif. libérale ou ou commerçant spécialisé
d'individus
préconisant une supérieure
formation 71
60
57
50
44
29
31
25
10
29
23
44
65
62
52
46
15
19
23
27
(387)
(140)
(298)
(397)
préférant : une profession libérale . une activité manuelle qualifiée insistant avant tout, dans le choix d'une profession, sur : l'harmonie entre l'activité et la personnalité les considérations économiques N =
....
doit apparaître entre les sujets appartenant objectivement à la même classe, mais s'identifiant à des classes différentes : on peut supposer, en effet, que des individus issus des classes supérieures conservent certaines valeurs propres à leur classe d'origine. De la même façon, la répartition d'individus d'un niveau professionnel objectivement supérieur en fonction du statut professionnel des parents a pour effet d'introduire des critères de classement psychologiques 42. Ces phénomènes sont illustrés par le tableau 14. O n remarquera que les valeurs
42. Lipset et Bendix montrent la grande influence de la mobilité « temporaire » sur le choix des groupes de référence et sur les opinions relatives à la mobilité. « Il est possible que les individus appartenant aux catégories moyennes et supérieures de la hiérarchie professionnelle continuent d'insister sur les larges possibilités de promotion sociale et économique, parce que 40 à 80 % d'entre eux ont, à un moment ou à un autre, exercé un métier manuel. Sans entrer dans une analyse des aspects
282
L'intégration
conceptuelle des matériaux
descriptijs
sont une résultante de 1' « histoire sociale » de l'individu et de sa situation actuelle. A situation égale, les individus reflètent les valeurs caractéristiques de leur milieu d'origine (cf. colonnes i et 2, colonnes 3 et 4) ; parallèlement, à origine égale, les valeurs varient avec la situation (cf. colonnes 1 et 3 ; colonnes 2 et 4). Dans le cas où les deux facteurs se combinent additivement, l'effet sur le système de valeurs est maximal, comme le montre la comparaison des colonnes 1 et 4. Cet effet du passé social suggère l'existence d'un mécanisme de référence.
subjectifs de la mobilité, qui serait ici hors de propos, nous tenons à souligner les répercussions des expériences professionnelles passagères sur la perception personnelle des chances et sur la présence ou l'absence d'une identification subjective à une classe sociale ». De la mobilité à l'intérieur de « l'histoire » de l'individu, cette théorie peut être étendue à la mobilité entre générations. Op. cit., p. 495.
Mattei
Dogan
LES ATTITUDES POLITIQUES DES FEMMES EN EUROPE ET AUX É T A T S - U N I S 1
Si les femmes et les hommes votaient avec des bulletins de couleur différente ou s'ils les mettaient dans des urnes distinctes, on pourrait établir exactement les différences d'orientation politique entre les deux sexes. U n dépouillement séparé des suffrages masculins et féminins ne constituerait pas une violation du secret du vote puisqu'on ne saurait pas comment a voté chaque individu. Mais un décompte officiel de la répartition des électeurs et des électrices entre les diverses tendances politiques nuirait aux intérêts de certains partis qui, pour cette raison, avouée ou non, s'opposent à un décompte séparé des voix masculines et féminines. En Europe, trois pays seulement, l'Allemagne, l'Autriche et la Grèce ont fait, lors des dépouillements électoraux, une distinction entre les bulletins des hommes et ceux des femmes. Dans trois villes françaises 2, les maires ont installé des bureaux spéciaux pour chaque sexe à l'occasion de certaines élections parlementaires ou municipales. En l'absence d'une documentation officielle, nous devons donc recourir pour la plupart des pays, aux enquêtes d'opinion publique à base d'échantillonnage stratifié 3. Les études de sociologie électorale, le plus 1. Article original. 2. Dans cette étude, nous nous référons rarement à la France ; pour le vote des femmes dans ce pays, nous invitons le lecteur à consulter l'ouvrage que nous avons publié avec Jacques NARBONNE, Les Françaises face à la politique, comportement politique et condition sociale, Paris, A . Colin, 1956. 3. Notamment aux enquêtes effectuées par l'Institut Français d'Opinion Publique, le British Institute of Public Opinion, l'Istituto Italiano d'Opinione Pubblica, l'Institut Doxa (Milano), le Centro Italiano Studi e Ricerche (Rome), le Dansk Gallup Institute, etc. 19
284
L'intégration conceptuelle des matériaux descriptifs
souvent de caractère monographique, portant sur des villes, régions ou circonscriptions apportent certes des renseignements utiles sur le comportement électoral des femmes. Mais il s'agit, là encore, d'enquêtes d'opinion qui, du reste, perdent en surface ce qu'elles gagnent en profondeur. Dans quelle mesure peut-on se baser sur les sondages d'opinion publique ? A cet égard, la situation est très variable selon les pays. En Grande-Bretagne, au Danemark, en Suède, les résultats des élections ont pu être prévus par les instituts d'opinion publique, avec une erreur moyenne de i % à peu près. Dans d'autres pays, elle a été parfois plus sensible. Cependant, lorsqu'il s'agit de la répartition des votes selon le sexe, l'erreur théoriquement possible est plus élevée, et cela pour deux raisons. Tout d'abord, une telle répartition implique une division supplémentaire de l'échantillonnage. Ensuite et surtout, une difficulté majeure provient du fait que les enquêteurs recueillent, moins facilement des femmes que des hommes, des indications sur le sens de leur vote. Les vérifications auxquelles nous avons procédé nous amènent à la constatation que les résultats des enquêtes d'opinion donnent, le plus souvent, une proportion trop faible de femmes parmi les sujets interrogés. L'écart entre sexes est en réalité plus élevé pour les partis avantagés par les femmes, et plus faible pour les partis défavorisés par elles, que ne l'indiquent les résultats des enquêtes d'opinion. Les instituts de recherche sur l'opinion publient ces résultats sans les soumettre à une élaboration, tout en précisant la proportion des femmes et des hommes qui, refusant de répondre, font défaut à l'échantillonnage. Mais ces instituts sont en mesure de fournir des indications supplémentaires (souvent non publiées), très précieuses pour le chercheur qui s'efforce d'interpréter les résultats bruts des enquêtes d'opinion. Il a été démontré qu'une grande partie des gens qui ne répondent pas aux enquêtes sont des indifférents qui s'abstiennent par ailleurs de voter. Néanmoins, l'écart entre l'abstentionnisme masculin et féminin est plus réduit que l'écart entre les hommes et les femmes qui n'indiquent pas le sens de leur vote. En supposant que les femmes qui ne se prêtent pas aux enquêtes d'opinion, mais qui se rendent aux urnes, votent finalement comme les femmes qui ne tiennent pas à cacher le sens de leur vote, nous pouvons répartir les votantes « discrètes » entre les divers partis politiques, compte tenu de la force électorale de ces derniers. Pour quelques pays, notamment pour la France, la Grande-Bretagne, l'Italie, le Danemark, la Suède, il est possible de redistribuer ces « sujets récalcitrants » en fonction des attitudes qu'ils prennent face à certains problèmes importants et politiquement significatifs. Ce reclassement laisse subsister une marge d'incertitude; mais ce
Les attitudes politiques des femmes en Europe et aux États- Unis
285
qui nous intéresse en fin de compte, ce sont les grandes lignes du problème, et les enquêtes d'opinion les retracent le plus souvent avec netteté lorsqu'il s'agit d'une simple distinction entre votes féminins et masculins.
CONSTANTES I N T E R N A T I O N A L E S DU V O T E
FÉMININ
U n e comparaison, à l'échelon international, de la répartition des hommes et des femmes entre les diverses tendances politiques n'est pas aisée, car on ne trouve pas dans tous les pays les mêmes types d e partis, et dans la mesure où il existe des ressemblances et des parentés, entre partis socialistes de divers pays, entre partis chrétiens-démocrates, communistes, libéraux, conservateurs, etc..., leur force électorale varie d'un pays à l'autre. Mais ce sont peut-être justement ces variations de nature et de dimension qui peuvent nous aider à comprendre le comportement électoral des femmes. A . — Commençons par l'extrême gauche. L a proportion des femmes parmi les électeurs communistes se situe au m ê m e niveau dans tous les pays envisagés, qu'ils soient fortement ou faiblement industrialisés, catholiques ou protestants, qu'il y ait de grands ou de petits partis communistes, et quelle q u e soit la nature de la documentation (décompte séparé des suffrages féminins ou enquête d'opinion) dont o n dispose pour c h a c u n de ces pays. S u r 100 électeurs communistes, on compte 36 femmes en Autriche en 1920, 37 en A l l e m a g n e la m ê m e année et 40 en 1953, 35 en Suède en 1946, 1948 et 1952, 37 a u D a n e mark en 1953 et 1957, 40 en France en 1946, 1951 et 1956, autant en Italie en 1953 et 1958, et 41 en Hollande en 1954. L'analyse des résultats électoraux dans certaines Länder, c o m m e la Bavière ou la T h u r i n g e , et dans de nombreuses villes allemandes entre 1919 et 1933, révèle q u e la proportion des femmes communistes augmentait ou diminuait d ' u n e élection à l'autre, au même r y t h m e q u e l a proportion des hommes de même tendance. Mais ceux-ci restent toujours b e a u c o u p plus n o m b r e u x q u e celles-là. O n notera cependant que les voix féminines parmi les votes communistes passent en A l l e m a g n e de 37 % en 1920 à 40 % en 1953. L e s résultats des sondages successifs effectués par les instituts d'opinion publique confirment, pour leurs pays respectifs les constatations faites en Allem a g n e : la proportion des femmes dans l'électorat communiste ne se modifie q u e très légèrement dans le temps. M ê m e si l'on est sceptique sur la possibilité de déterminer d ' u n e manière rigoureuse, pour c h a q u e tendance politique, le rapport entre les v o i x féminines et masculines, on peut considérer néanmoins c o m m e parfaitement bien établi le fait que les partis communistes sont, dans
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L'intégration conceptuelle des matériaux descriptifs
toute l'Europe Occidentale, les plus défavorisés par le suffrage féminin, c'est dire qu'ils sont les partis les plus « masculins ». B. — Dans tous les pays considérés, à l'exception de la France et de l'Italie, les partis socialistes sont de très grands partis (dans le sens qu'ils obtiennent plus de 40 % des voix, très souvent plus de 45 % ) , quel que soit leur nom officiel : social-démocrate, travailliste, ouvrier, etc... Partout, ils sont désavantagés par le vote féminin, à un degré variable selon les pays, mais dans chaque cas moins que les communistes. D'une manière générale, l'écart entre électrices et électeurs socialistes est plus élevé dans les pays catholiques que dans les pays protestants. Il est le plus fort pour le Parti socialiste italien (à ne pas confondre avec le P.S.D.I.). C'est aussi le seul parti socialiste de l'Europe de l'Ouest qui proclame sa foi marxiste. Environ les 3/5 de ses électeurs sont des hommes. L'écart entre sexes est moins important pour les sociaux-démocrates allemands, autrichiens, français et italiens, qui se montrent éclectiques à l'égard des principes marxistes. Pour la Belgique nous ne possédons pas de données, mais il ne serait pas téméraire de supposer que les femmes belges sont moins nombreuses que les hommes à voter socialiste. L a différence entre électeurs et électrices se réduit encore plus pour le Parti travailliste britannique et pour les partis sociaux-démocrates norvégien et danois, qui n'invoquent presque jamais la doctrine marxiste et qui ne cherchent pas non plus à favoriser la propagation de l'agnosticisme. En Suède, le Parti social-démocrate a été longtemps désavantagé par le vote féminin. Mais en i960, le Parti conservateur préconise une réduction des allocations familiales, auxquelles les femmes mariées ayant des enfants attachent plus d'importance que les hommes. L e Parti social-démocrate s'est opposé à cette proposition. Il en est résulté un transfert de voix féminines de l'un à l'autre parti. Si bien qu'on constate en i960, pour la première fois, une quasiégalité d'hommes et de femmes dans l'électorat social-démocrate 4. Les distorsions entre les attitudes des femmes et des hommes deviennent négligeables lorsqu'il s'agit du Parti du Travail hollandais. Nous en verrons les raisons plus loin. C. — Une autre catégorie de partis défavorisés par le suffrage féminin, moins toutefois que les partis socialistes et beaucoup moins que les partis communistes, est constitué par les partis libéraux, radicaux, républicains, etc...,partis plutôt surannés dans certains pays et numériquement faibles un peu partout. Quelques-uns d'entre eux sont de 4. Cf. une enquête effectuée par l'Institut de Science Politique de l'Université de Gothenburg et le Bureau Royal de Statistique de Stockholm.
Les attitudes politiques des femmes en Europe et aux États- Unis
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très vieux partis (on les appelle parfois « partis historiques ») qui se sont longtemps opposés à l'émancipation politique des femmes. Sauf exceptions, ils comptent aussi peu de femmes parmi leurs dirigeants qu'ils font peu d'efforts pour s'adapter à la masse électorale féminine. Souvent, ils sont laïques, dans le sens qu'ils préconisent la séparation de l'Église et de l'État. Il arrive même qu'ils soient nettement anticléricaux. Cela suffit pour que certaines électrices s'en éloignent, notamment en France et en Italie, mais aussi en Norvège, au Danemark et fort probablement en Belgique. D. — Si les trois types de partis que nous venons d'examiner sont défavorisés par le vote féminin, il en est deux autres qui sont, par contre, favorisés par ce vote : les partis conservateurs et les partis chrétiensdémocrates B. L a distinction entre les uns et les autres n'est pas toujours nette, car là où il y a de grands partis conservateurs il n'y a pas de grands partis chrétiens-démocrates, et vice-versa. Sur ce point quelques brèves remarques s'imposent sous peine de mal interpréter le sens du suffrage féminin. Les partis chrétiens ne sont pas des partis de droite, au sens classique du mot. Souvent, en raison de leur conceptions chrétiennes et de leur base électorale, ils sont plus sensibles aux revendications des catégories sociales déshéritées et plus ouverts aux réformes sociales que les partis radicaux, libéraux ou d'autres qui se plaisent à se croire de gauche. Ces partis chrétiens se trouvent pourtant moins à gauche, dans le sens géométrique du mot, que leurs principaux adversaires, les socialistes et les communistes. Dans des pays comme la Grande-Bretagne, la Suède, le Danemark, où il n'existe pas de partis chrétiens, ce sont les partis conservateurs (appellation très relative), qui se montrent les plus favorables au traditionalisme chrétien. Il suffit de consulter leur programme et d'analyser leur vocabulaire pour reconnaître qu'ils jouent dans les pays protestants, le rôle détenu à cet égard, dans les pays catholiques ou partiellement catholiques, par les partis chrétiens-démocrates. L a préférence des femmes pour les partis chrétiens-démocrates et conservateurs-traditionalistes est un phénomène général en Europe Occidentale. Aux élections pour le Reichstag en 1920, la proportion des femmes a été de 59 % parmi les électeurs du Centre Catholique 5. Nous adoptons ce terme générique, mais en réalité ces partis portent divers noms : Parti social-chrétien en Belgique et en Autriche (entre 1919 et 1935), Parti populaire en Autriche depuis 1945, Démocratie chrétienne en Italie, Mouvement républicain populaire en France, Zentrum sous la République de Weimar et Union chrétienne-démocrate dans la République de Bonn, Parti chrétien populaire en Norvège, Parti catholique, Parti chrétien historique et Parti anti-révolutionnaire en Hollande, etc...
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L'intégration conceptuelle des matériaux descriptifs
(Zentrum). L a m ê m e année, elle a été de 56,8 % parmi les électeurs du Parti chrétien social autrichien. U n e génération plus tard elle se maintenait au m ê m e niveau parmi les électeurs de la C . D . U . : 58,5 % de femmes a u x élections de 1953, et 57,7 % a u x élections de 1957. E n France, p a r m i les électeurs du M . R . P . , elle a varié de 58 % en 1964 à 61 % en 1951. E n Italie, les femmes ont apporté à la Démocratie chrétienne probablement les 3/5 environ d e ses voix. Pour le Parti social chrétien belge, on ne dispose pas d'enquêtes, mais pourquoi les femmes catholiques belges se comporteraient-elles au point de v u e électoral autrement que leurs sœurs françaises, italiennes, allemandes ou autrichiennes 8 ? L a prépondérance féminine, sans être aussi importante, n'est pas moins nette dans les partis conservateurs-traditionalistes : 54 % de femmes dans l'électorat du Parti conservateur britannique, 57 % dans l'électorat danois de m ê m e nuance, 53 % parmi les conservateurs norvégiens et 54 % parmi les conservateurs suédois. E . — L e vote féminin défavorise non seulement l'extrême gauche, mais aussi Vextrême droite qui ne j o u i t pas d e l ' a p p u i de l'Église. E n A l l e m a g n e , le Parti nazi (N.S.D.A.P.) avait obtenu moins de voix parmi les femmes que parmi les hommes. D e m ê m e en France, le mouvement P o u j a d e a recueilli moins de votes féminins que de votes masculins aux élections de janvier 1956; par exemple, dans la ville de V i e n n e , où les hommes et les femmes ont voté dans des b u r e a u x différents, 19,3 % des hommes, contre 15 % des femmes, se sont prononcés pour le mouvement Poujade. E n Autriche, aux élections de 1920, sur 100 électeurs du Parti national-socialiste, 55,2 % étaient des hommes et 44,8 % seulement des femmes (à ces élections, les bulletins des femmes et des hommes ont été comptés séparément). L e M o u v e m e n t social italien parti néo-fasciste, compte dans ses rangs moins de femmes que d'hommes. L A MOTIVATION RELIGIEUSE DU V O T E
FÉMININ
A u point de v u e social, les femmes se classent dans l'ensemble c o m m e les hommes. E n effet, le niveau de vie des femmes mariées économiquement inactives dépend de celui de leur mari. L e salaire de l'épouse qui travaille ne constitue le plus souvent q u ' u n salaire d'appoint. D'ailleurs dans la vie économique, l'ensemble des femmes occupe une place hiérarchique inférieure à l'ensemble des hommes. Q u a n t a u x jeunes filles, elles o n t la m ê m e origine sociale q u e leurs frères. L e s veuves 6. Selon René Evalenko (les élections du I e r juin 1958 et leurs enseignements, dans la revue Socialisme, sept. 1958, p. 446), la perte de voix socialistes a été provoquée essentiellement par « l'électorat féminin qui a subi plus ou moins fortement
Les attitudes politiques
desjemmes
en Europe et aux États-Unis
289
vivent bien souvent dans des conditions matérielles très difficiles, mais elles restent attachées, du point de vue psycho-social, au milieu auquel appartenait le défunt mari. Ce n'est donc pas sur le plan économique et socio-professionnel qu'il faut rechercher l'explication principale du fait que le vote des femmes diffère de celui des hommes. En revanche, ainsi que le montrent des études effectuées dans divers pays, il existe des différences importantes entre l'attitude religieuse des hommes et celle des femmes. De plus, on constate une relation très significative entre le sentiment religieux et l'opinion politique. Les femmes étant plus croyantes, plus dociles aux recommandations de l'Église, plus influençables par le clergé, il est normal qu'elle aient plus souvent que les hommes tendance à voter pour les partis qui bénéficient, directement ou indirectement, ouvertement ou discrètement, du soutien de l'Église. Une voix accordée à une tendance politique est forcément une voix refusée à une autre tendance. O n vote, très souvent, bien plus contre un parti, qu'en faveur d'un parti. Pour cette raison, nous ne devons pas oublier quelle est, dans les divers pays, l'attitude des adversaires des partis chrétiens et conservateurs-traditionalistes à l'égard de l'Église et de la religion en général. Dans les pays protestants, le travaillisme ne s'oppose pas à l'Église, laquelle reste au-dessus de la politique. C'est plutôt dans les pays catholiques ou mi-catholiques (Allemagne) que les partis socialistes sont anti-cléricaux et ce fait se répercute profondément sur les options politiques des femmes. Elles ressentent plus que les hommes l'opposition entre catholicisme et socialisme. Cet antagonisme se radicalise dans deux pays catholiques et latins, la France et l'Italie, où le principal adversaire des partis de tradition chrétienne est le communisme et non pas la social-démocratie. Concilier ses sentiments de catholique avec sa sympathie pour le parti communiste, c'est déjà difficile pour les hommes. Ce l'est beaucoup plus pour les femmes. Aussi le facteur religieux agit-il sur le vote féminin d'une manière très inégale selon les pays, comme nous pouvons le voir par trois exemples significatifs. A. — C'est en Italie qu'on constate l'écart le plus considérable entre les voix féminines et masculines, parce que dans ce pays, de 1945 à 1961, la vie politique a été un combat entre catholicisme et marxisme, conceptions qui se traduisaient sur le plan électoral par deux forces : démocratie chrétienne d'un côté, communisme et socialisme de l'autre, d'importance numérique comparable et qui, ensemble, l'influence du clergé ». Voir aussi J . STENGERS, « Regards sur la sociologie électorale belge », dans la Revue de F Université de Bruxelles, janvier-mars 1958.
290
L'intégration conceptuelle des matériaux descriptifs
entraînaient dans leur orbite plus des trois quarts du corps électoral. Dans ce pays, la religion est si intimement mêlée à la vie politique, que la hiérarchie ecclésiastique estime nécessaire d'intervenir dans la campagne électorale. A la veille des élections de 1958, un communiqué de la Conférence épiscopale, affiché dans toutes les paroisses, recommandait aux catholiques de « s'unir dans le vote pour défendre la vie chrétienne du pays ». L'Osservatore Romano et les journaux catholiques ont dissipé toute équivoque en désignant le Parti démocrate-chrétien comme « le parti des catholiques ». Bien avant, un décret de l'Église excommunia tous ceux qui « adhérent à la théorie du matérialisme athée, le soutiennent et le propagent ». Les femmes sont plus sensibles que les hommes à cette prise de position. C'est un fait d'observation courante pour tout le monde. L e militant politique le sait empiriquement presque aussi bien que le sociologue. L e romancier l'a remarqué avec autant de finesse que le psychologue. A la la question, posée par les enquêteurs de l'Institut D o x a : « pensez-vous que l'on puisse être en même temps un bon communiste et un bon catholique? » 69 % des femmes ont répondu négativement. L e socialisme n'est pas aussi souvent que le communisme considéré comme inconciliable avec le catholicisme, mais ce qui nous importe ici c'est qu'il y a plus de femmes que d'hommes à les estimer inconciliables : 44 % contre 30 % . L a relation entre ces réponses et la sympathie manifestée par les personnes interrogées à l'égard des partis est fort significative, et elle révèle que la plupart de ceux qui pensent qu'il n'existe pas de contradiction entre la tendance communiste ou socialiste et le sentiment catholique sont des électeurs favorables au Parti communiste ou socialiste. Il est fort probable que les sentiments religieux de ces personnes sont tièdes et même que beaucoup d'entre elles sont des agnostiques. Par contre, les croyants estiment que le marxisme et le catholicisme s'opposent radicalement. L'électeur croyant, et tout particulièrement l'électrice croyante, en votant, ne peut pas tenir compte uniquement de ses intérêts économiques et socio-professionnels, en supposant qu'il les perçoive clairement, ce qui n'est assurément pas toujours le cas; il doit « se comporter en bon catholique » c'est-à-dire « voter contre les ennemis de l'Église » 7 . B. — E n Grande-Bretagne, nous assistons à une compétition entre un travaillisme tempéré et un conservatisme qui ne l'est pas moins, et où l'on n'invoque pas, comme en Italie, des arguments pour ou contre l'influence de l'Église. L a femme britannique d'origine sociale modeste éprouve moins de sentiments ambivalents; elle réussit plus 7. Cf. M. DOGAN, « Le donne italiane tra il catholicesimo e il marxismo », Elezioni e comportamento politico in Italia, Comunità, Milano, 1962.
Les attitudes politiques des femmes en Europe et aux
États-Unis
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facilement à concilier ses sentiments religieux avec son vote en faveur d u Parti travailliste, que la femme italienne, française, allemande ou autrichienne, de même origine sociale, pour qui, voter communiste ou même socialiste, voire radical ou libéral, c'est contredire ses sentiments de catholique. Aussi l'écart entre l'orientation de l'électorat masculin et féminin est-il en Grande-Bretagne beaucoup plus faible qu'en Italie. Les forces en présence ne sont pas les mêmes, et surtout elles ne s'affrontent plus aujourd'hui sur le plan religieux, bien que le « two party system » ait ses origines dans la Réforme, bien que jadis le Parti T o r y fût le parti de l'Église anglicane et que les Whigs aient été des puritains. Il ne faut pas croire pour autant que le facteur religieux n'intervient nullement dans la détermination des opinions politiques. Seulement, ses effets sont limités et beaucoup plus chez les hommes que chez les femmes. C . — En Hollande, les clivages politiques sont dans une large mesure à base religieuse. Il existe en effet dans ce pays un parti catholique et deux partis protestants, qui réunissent ensemble 55 % environ des voix. L e Parti ouvrier hollandais a créé une section catholique et une section protestante. Certes, elles sont faibles numériquement; en outre deux sur cinq de ses électeurs sont des « humanistes » (personnes sans confession), qui constituent 17 % de la population. Il est néanmoins significatif que le Parti ouvrier se présente comme un parti interreligieux et qu'il ne prône pas un rationalisme à nuance antireligieuse, si fréquent chez les autres sociaux-démocrates européens. L a quasi-totalité (96 % ) des électeurs d u Parti catholique sont des catholiques : 94 % des électeurs de l'Union chrétienne historique appartiennent à l'Église réformée néerlandaise; 58 % de ceux du Parti anti-révolutionnaire se rattachent à l'Église réformée libre (qui réunit 9,7 % de la population) et 35 % à l'Église réformée néerlandaise. Enfin les Partis ouvrier, libéral et communiste, attirent presque toutes les voix des « humanistes » 8 . L a conséquence de ce clivage politico-religieux est que les relations entre l'affiliation politique d'une part, les classes sociales, les catégories d'âge et les sexes d'autre part, sont en Hollande plus faibles que dans tous les autres pays de l'Europe occidentale. Certes, des différences d'orientation politique entre hommes et femmes se constatent même dans ce pays, ainsi que le montre une enquête de Nederlands Instituât voor de Publieke Opinie, mais ces différences sont pratiquement négligeables, sauf pour le Parti communiste et le parti libéral (qui sont des petits partis) et pour le Parti anti-révolutionnaire (qui est défavo8. Cf. Nederlands Instituut voor de Publieke Opinie : De Nederlandse Kiezer, Haye, 1956, p. 85.
La
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rabie à l'émancipation politique des femmes). Les options politiques étant, essentiellement, même chez la majorité des hommes, fonction de l'appartenance religieuse, les différences d'intensité entre les sentiments religieux des hommes et des femmes ne se traduisent pas sur le plan électoral par des écarts significatifs. L'INFLUENCE MARITALE SUR LE VOTE FÉMININ
Pour interpréter l'orientation politique des femmes, la simple distinction entre votes masculins et votes féminins n'est pas suffisante, car le comportement politique varie en fonction d'autres facteurs, notamment de l'âge et de l'état civil. L'analyse de ces variations exige le recours à de quadruples corrélations, entre le vote, le sexe, l'âge et l'état civil. Mais les échantillons normalement retenus dans les enquêtes sur le comportement politique ne se prêtent qu'à des corrélations relativement simples, car la marge d'erreur probable s'accroît, pour un même échantillonnage, en même temps que le nombre de corrélations dégagées. Il est théoriquement possible d'utiliser des échantillons très étendus qui permettraient une ventilation des résultats en fonction de plusieurs facteurs simultanément, sans que la précision des corrélations ainsi établies ait trop à souffrir. En pratique, la taille des échantillons est limitée par les moyens financiers des institutions de recherche. Pour la plupart des pays, on dispose de corrélations entre le vote, le sexe et l'âge, lesquelles permettent de déduire indirectement des indications sur le vote des femmes mariées et celui des femmes sans maris (veuves, célibataires, divorcées). Nous disposons, en outre, des résultats de plusieurs enquêtes portant sur l'identité de vote du mari et de son épouse, et c'est ce fait que nous devons tout d'abord établir. Les femmes, surtout celles qui n'exercent aucune profession, s'intéressent moins que les hommes à la politique. Peu renseignées sur les affaires publiques, elles adoptent en grande majorité, si elles sont mariées, le point de vue de leur époux, même si elles sont plus fidèles aux traditions chrétiennes que leur mari. Elles ne se posent pas de problèmes d'idéologie politique. Elles ne donnent à leur vote aucune valeur symbolique, ce qui leur permet de l'aligner sur celui du mari qui, intégré à la vie économique et syndicale, peut mieux saisir les intérêts de la catégorie sociale à laquelle il appartient lui-même et en conséquence sa famille. Par suite de cette influence du mari sur sa femme, ou plus rarement de l'épouse sur son mari, la proportion des conjoints qui votent d'une manière identique semble être très élevée dans presque tous les pays. Il est difficile d'en déterminer la proportion exacte, car certaines des personnes interrogées ont déclaré ne pas savoir comment a voté leur
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mari (ou épouse). Si nous tenons compte seulement des personnes ayant donné une réponse précise, nous constatons que la fréquence du vote identique est de 86 % au Danemark, 89 % en Norvège, 85 % en France, 82 % en Grande-Bretagne, 92 % à Amsterdam, etc... Il est cependant certain que l'absence d'identité de vote est plus fréquente parmi les personnes qui ignorent (ou se plaisent à déclarer qu'elles ignorent) le sens du vote de leur conjoint. Quoi qu'il en soit, on peut admettre que les écarts entre les voix masculines et féminines constatés pour les divers partis ne doivent être attribués que dans une faible mesure aux électrices et aux électeurs mariés. L'identité de vote du mari et de l'épouse est vraisemblablement moins fréquente en Italie que dans la plupart des autres pays occidentaux et cela pour une double raison. Gomme nous l'avons noté déjà, la motivation religieuse du vote intervient plus efficacement en Italie que dans les autres pays, catholiques ou protestants. Ensuite, le principal adversaire du parti d'inspiration catholique est en Italie, non pas le Parti social-démocrate, comme en Belgique, Allemagne, Autriche, Hollande, mais le Parti communiste. Or, le vote communiste est condamné plus sévèrement par la hiérarchie ecclésiastique que le vote socialiste. De plus, le Parti socialiste italien reste fidèle à l'idéologie marxiste, alors que les partis socialistes des autres pays sont assez éclectiques au point de vue idéologique. L'analyse des différences d'orientation politique entre sexes selon les catégories d'âge confirme indirectement les résultats des enquêtes sur la fréquence de l'identité de vote des conjoints. En effet, dans tous les pays considérés, l'écart entre les votes masculins et les votes féminins est relativement important dans les couches très âgées de l'électorat, qui comprennent beaucoup de veufs et surtout de veuves, et dans les couches très jeunes, composées en grande partie de célibataires. Par contre, dans les strates d'âge moyen où la proportion de personnes mariées est très élevée, la différence entre l'orientation politique des femmes et celle des hommes est relativement faible. Notre attention doit donc se porter sur le comportement électoral des électrices non mariées, qui constituent selon les pays entre 30 et 40 % de l'électorat féminin 9. Parmi ces personnes, deux catégories nous intéressent particulièrement, en raison de leur importance numérique : les veuves âgées 10 et les jeunes femmes célibataires (celles-ci étant
9. Les femmes sans mari (veuves, célibataires, divorcées) constituent 30 % des électrices aux Etats-Unis, 33 % en Grande-Bretagne et en Belgique, 36 % en Suède, 38 % en France, 39 % en Allemagne occidentale et en Italie (recensements des années 1950-1960). 10. En France, on compte, selon le recensement de 1954, 2.500.000 veuves âgées de plus de 50 ans; 2.300.000 en Grande-Bretagne à la même époque; 1.700.000 en Italie, auxquelles il faut ajouter les femmes célibataires âgées.
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moins nombreuses que les jeunes hommes célibataires car elles se marient plus tôt dans la plupart des cas). Nous nous contenterons de donner trois exemples : E n Suède, le vote des femmes mariées et celui des célibataires et des veuves ont fait l'objet de plusieurs enquêtes. L'écart électoral entre les deux sexes est faible parmi les personnes mariées. Par contre il est très grand lorsqu'il s'agit d'hommes sans épouse ou de femmes sans mari. Ainsi, lors d'une enquête effectuée en 1946 n , on a constaté qu'une proportion presque égale des hommes mariés et des femmes mariées ont voté pour le Parti conservateur ou le Parti libéral, alors que parmi les célibataires 23 % des hommes et 43 % des femmes ont soutenu l'un de ces deux partis; 26 % des veufs et des divorcés, contre 38 % des veuves et des femmes divorcées ont voté dans le même sens. L a moitié presque des épouses d'hommes qui ont voté pour le Parti communiste n'ont pas adopté l'opinion de leur mari. Les résultats de l'enquête tendent à montrer que ces épouses d'électeurs communistes ont porté leur vote sur le Parti social-démocrate. Mais le Parti communiste n'a recueilli que peu de voix. A u x élections de i960 on a constaté de même que les femmes sans mari votaient socialiste moins souvent que les femmes mariées : 32 % contre 52 % (abstraction faite des personnes qui n'ont pas répondu à l'enquête). L a discordance entre le comportement politique des femmes mariées et celui des femmes sans mari s'est donc accusée en i960. L a raison doit en être recherchée dans le fait, déjà signalé, qu'un des principaux enjeux de ces élections consistait dans le problème des allocations familiales, notamment le maintien ou la suppression de l'allocation pour le premier enfant. Pour la Norvège, nous pouvons faire état d'une quadruple corrélation entre le vote, le sexe, l'âge et l'état-civil 1 2 . a) L a moitié environ des femmes mariées de tous âges votent travailliste, contre un quart des femmes célibataires (jeunes ou âgées) et des veuves âgées. b) Plus de la moitié des femmes sans mari et âgées de plus de 50 ans, votent soit pour le Parti conservateur, soit pour le Parti populistechrétien, qui ne réunissent pourtant, ensemble, que 28 % des votes de l'électorat entier, masculin et féminin. c) Les deux cinquièmes des jeunes femmes célibataires, âgées de moins de 30 ans, ne votent pas, si bien que le Parti travailliste ne recueille qu'un quart des suffrages de cette catégorie contre la moitié
11. Voir l'étude de H . INGULFSON et R . HAGMAN, in E. H A S T AD : Gallup och den Svenska valjarkaren, Gebers Sociologiska Bibliotek, Uppsala, 1950. 12. Stein R O K K A N , Statut socio-professionnel et préférence politique en Norvège (Chr. Michelsens Institute, exemplaire ronéographié).
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des votes de femmes mariées appartenant à la même génération. d) Les différences de comportement politique entre les femmes mariées et les femmes sans mari sont plus fortes dans les couches très âgées ou très jeunes de l'électorat féminin que dans les classes d'âge moyen. e) L e Parti travailliste est défavorisé par le vote féminin, mais les femmes mariées ne sont pas responsables de ce fait, car elles votent, en général comme leur mari; c'est le comportement politique des veuves et des célibataires qu'il faut mettre en cause. E n Italie, la distorsion constatée entre le suffrage masculin et le suffrage féminin est provoquée en grande partie par le vote des femmes sans mari, notamment par les veuves âgées et par les femmes célibataires très jeunes. Cette interprétation trouve deux confirmations. D'abord, dans la corrélation entre le vote, le sexe et l'âge. Ensuite, dans les résultats électoraux enregistrés dans les bureaux de vote réservés aux jeunes gens faisant leur service militaire, ainsi que dans certains villages du mezzogiorno, d'où la plupart des hommes très jeunes avait émigré, en sorte que l'électorat âgé de moins de 25 ans se composait essentiellement de jeunes femmes célibataires (l'électorat de moins de 25' ans peut être isolé par la confrontation entre les résultats des élections pour la Chambre et les résultats des élections sénatoriales enregistrées dans ces villages). Ces données sont trop détaillées et trop variées pour que l'on puisse les reproduire ici utilement. Mais de leur examen, il résulte dans l'ensemble que les jeunes femmes célibataires votent relativement en forte proportion pour le Parti démocrate-chrétien, et que par contre les jeunes hommes célibataires se prononcent dans une proportion relativement forte pour le Parti communiste. A u x élections de 1958, le Parti démocrate-chrétien et le Parti communiste italien ont été tous deux favorisés par les électeurs âgés de 21 à 25 ans. Mais il est important de noter que le succès du Parti démocrate-chrétien auprès de la nouvelle génération est dû essentiellement au vote des jeunes électrices, alors que le succès du Parti communiste italien auprès de cette génération doit être porté au crédit des jeunes électeurs. L e Parti démocrate-chrétien comprenait en 1958 un excédent de plus de trois millions de femmes, parmi lesquelles les veuves âgées de plus de 60 ans et les très jeunes électrices célibataires étaient sans aucun doute fort nombreuses, bien qu'on ne puisse pas tenter une estimation suffisamment fondée. L a proportion de femmes non mariées qui votent démocrate-chrétien est beaucoup plus forte que celle des femmes mariées, mais celles-ci forment 61 % de l'électorat féminin entier. Plus nombreuses dans la population que les femmes sans mari, elles constituent la majorité absolue parmi les femmes qui votent pour
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le parti démocrate-chrétien, malgré l'accueil bien plus favorable que ce parti rencontre parmi les veuves âgées et les jeunes célibataires. L a prépondérance des hommes jeunes dans les partis de gauche et celle des femmes âgées dans les partis traditionalistes est un phénomène général en Europe. Quant aux jeunes femmes, leurs préférences vont nettement aux partis-chrétiens démocrates. Le phénomène est moins considérable pour les partis conservateurs. Les différences politiques entre les sexes recouvrent donc, dans une certaine mesure, des différences d'âge (Celles-ci seraient sans doute encore plus nettes si les partis de gauche ne prenaient, plus que les autres partis, la défense des retraités). Ces constatations nous invitent à conclure brièvement ainsi : s'il est admis que la très grande majorité des femmes et des hommes mariés votent d'une manière identique, il faut admettre aussi que l'excédent d'hommes jeunes constaté pour les partis de gauche est formé surtout de célibataires, que l'excédent de jeunes femmes qui votent pour les partis traditionalistes de toutes nuances est composé également de célibataires, enfin que l'excédent de femmes âgées, si nombreuses dans les partis chrétiens-démocrates ou conservateurs, est constitué en grande majorité par des veuves 13. LE V O T E DES FEMMES DE CONDITION SOCIALE MODESTE
Il n'est pas fréquent que dans les classes moyennes et la bourgeoisie, quand l'homme vote conservateur ou démocrate-chrétien, que son épouse, sa mère, sa sœur, sa fille préfèrent voter socialiste ou communiste. Le cas serait « anormal ». L'excédent de votes féminins obtenus par les partis démocrates-chrétiens ou conservateurs dans les divers pays vient donc, en grande partie, de la classe ouvrière ou de la petite paysannerie. L'écart entre le suffrage masculin et le suffrage féminin est en conséquence plus important dans les catégories sociales modestes que dans les classes moyennes ou la bourgeoisie. En Italie, comme le suggèrent diverses enquêtes, l'excédent de femmes constaté dans l'électorat du Parti démocrate-chrétien serait plus important en milieu rural qu'en milieu citadin. A u référendum français de janvier 1961, dans les quatre bureaux de vote de la ville de Lyon où les hommes et les femmes ont mis leurs bulletins dans les urnes différentes, l'écart entre le vote féminin et le vote masculin a été plus sensible dans le quartier à dominante ouvrière que dans le quartier où vit surtout une classe moyenne. 13. Cette répartition doit être mise en parallèle avec le fait, constaté dans beaucoup de pays, que ce sont les femmes très âgées qui sont le plus attachées à l'Eglise; ce sont les hommes jeunes qui manifestent le plus fréquemment une certaine tiédeur religieuse.
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Une enquête effectuée à Greenwich 14 , dans l'agglomération londonienne, nous apprend que parmi les femmes de condition ouvrière la tendance conservatrice varie fortement avec l'âge, si bien que les femmes au-dessus de 50 ans sont deux fois plus nombreuses que celles d'âge moyen à voter conservateur. D'autre part, les veuves et les femmes célibataires de la classe ouvrière votent dans ce sens plus souvent que les femmes mariées de même origine sociale. Dans les classes moyennes, la distorsion entre le vote féminin et le vote masculin varie assez faiblement en fonction de l'âge ou de l'état-civil. Le contraste le plus frappant se constate entre le comportement électoral des femmes âgées de condition modeste et celui des hommes jeunes de même condition sociale : le vote conservateur varie, en effet, de 47 % à 15 %. Les constatations faites à Greenwich ne sont peut-être pas extrapolables à l'ensemble de l'électorat britannique, bien qu'elles se soient vérifiées dans d'autres localités, par exemple à Stretford (Lancashire), où les trois quarts des votes conservateurs dans le milieu ouvrier sont des votes féminins 1B. De toute manière, si le Parti travailliste n'obtient que moins de la moitié des suffrages — bien que les deux tiers du corps électoral britannique soient de condition ouvrière — la responsabilité ou le mérite en revient, pour une grande part, aux femmes âgées de condition sociale modeste. En Allemagne, l'analyse de l'écart entre le vote féminin et le vote masculin dans les districts à prépondérance ouvrière et dans ceux où les classes moyennes citadines ou les agriculteurs sont nombreux, montre que la distorsion électorale entre les deux sexes est très importante dans la classe ouvrière, notamment lorsqu'il s'agit de régions à majorité catholique 18 . Dans une étude sur les élections de 1953, J . Linz a constaté — parmi les électeurs et les électrices de condition ouvrière — un excédent de 14 % de femmes en faveur du Parti chrétien-démocrate 17. Une enquête très pénétrante effectuée en Finlande par E. Allardt 1 8 va dans le même sens. La proportion des hommes de condition ouvrière qui manifestent une préférence pour le Parti communiste est beaucoup plus élevée que celle des femmes de même condition : 41 % contre 27 %. En revanche, pour le Parti socialiste, la proportion de femmes de condition ouvrière est légèrement supérieure à celle des 14. Cf. BENNEY, GERAY et PEAR, HOW people vote, A study of electoral behaviour in Greenwich, London, 1956, pp. 105-110. 15. BIRCH et CAMPBELL, « Voting behaviour in a Lancashire constituency », British journal of Sociology, septembre 1950. 16. Cf. Statistik der Bundesrepublik Deutschland, Die Wahl zum 3 Deutschen Bundestag, 1957, cahier 2 17. J u a n J . LINZ, The social basisof West Germon Politics (exemplaire ronéographié). 18. Erik ALLARDT, Social class, political cleavages and social conflicts in Finland (exemplaire ronéographié).
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ouvriers : 32 % contre 36 % . Mais, étant défavorisé par le vote féminin des classes moyennes, ce parti reste néanmoins à majorité masculine. Finalement, le nombre de femmes de condition ouvrière ne votant ni communiste, ni socialiste est probablement supérieur à celui des hommes qui, dans la petite ou moyenne bourgeoisie, se prononcent pour le communisme ou le socialisme. En Norvège, Stein Rokkan a constaté, pour la classe ouvrière de l'industrie, un écart de 10 points entre la proportion des hommes et des femmes socialistes ou communistes. Pour les autres catégories professionnelles l'écart est moins grand, sauf pour les agriculteurspropriétaires, dont les femmes manifestent une nette préférence pour le Parti chrétien ou le Parti agrarien. Aux États-Unis, où les tendances politiques ne varient pas en fonction de la condition sociale autant qu'en Europe, il est plus difficile de saisir les différences entre le vote des hommes et celui des femmes dans le milieu ouvrier d'une part, et dans les classes moyennes d'autre part. Dans ce pays, ce n'est pas le vote lui-même qui doit retenir notre attention, c'est plutôt les variations de l'abstentionnisme féminin selon les catégories sociales, car le potentiel politique de cet abstentionnisme est considérable. On sait, en effet, que les Républicains sont plus nombreux dans les catégories à hauts revenus, mieux instruites, dans les strates socio-professionnelles de niveau supérieur ou moyen, et que les démocrates se recrutent plutôt dans les catégories sociales opposées. Or, les femmes de condition sociale modeste s'abstiennent beaucoup plus 19 . Autrement dit, dans le milieu social où la tendance favorable au Parti démocrate est fréquente, une forte proportion de femmes ne se rendent pas aux urnes, et dans le milieu social virtuellement favorable au Parti républicain, les femmes sont plus assidues. Il est donc légitime de supposer qu'une diminution des abstentions féminines en milieu ouvrier entraînerait un gain de voix pour le Parti démocrate. L'abstension massive des femmes de condition sociale modeste équivaut, en pratique, à un soutien du Parti républicain. Pourtant, bien de ces femmes abstentionnistes sont potentiellement de tendance démocrate. De nombreuses études en apportent la preuve. Les auteurs américains20 font, en effet, une distinction entre « démocrate ferme » et « démocrate tiède », et de même pour les républicains. E n réalité, ce n'est pas tant la fermeté des opinions qu'ils mesurent, que l'intérêt pour la politique. C'est ce qu'expriment bien les auteurs de People's Choice21 : « Les hommes sont des meilleurs 1 9 . C A M P B E L L , C O N V E R S E , M I L L E R et STOKES, The American Voter, Survey Research Center, University of Michigan, 1960, p. 493. 20. Voir notamment A . C A M P B E L L et H. C O O P E R , Group différences in attitudes and votes, Institute for social Research, University of Michigan, 1956, pp. 40-42. ai. LAZARSFELD, BERELSON, G A U D E T , The people's choice, New York, Columbia University Press, chapitres V et X V .
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citoyens, mais les femmes sont plus logiques; si elles ne sont pas intéressées, elles ne votent pas », de m ê m e que les auteurs de Voting22 : « L e s femmes — moins politisées q u e les hommes — s'incorporent p a r leur vote dans le clivage social moins que les hommes. » Ainsi, l'apport dont j o u i t le Parti démocrate p a r m i les hommes de la classe ouvrière est en pratique partiellement annulé p a r l'abstention d ' u n grand nombre de femmes de la m ê m e classe sociale qui, si elles participaient a u scrutin, voteraient pourtant en majorité démocrate.
L E V O T E FÉMININ EST-IL T R A D I T I O N A L I S T E OU
CONSERVATEUR?
Nous venons de noter d ' u n e part que l'explication principale de l a distorsion entre le suffrage masculin et le suffrage féminin est d'ordre religieux, d'autre part, q u e cette distorsion est plus importante dans les catégories sociales modestes q u e dans les classes moyennes et la bourgeoisie. Cette double constatation nous amène à donner a u vote féminin, dans la mesure où il diffère du vote masculin, u n sens traditionaliste, plutôt que conservateur. L e s femmes appartenant à l a haute o u moyenne bourgeoisie ont assez de raisons pour ne pas voter communiste o u socialiste. Dans ces milieux sociaux, l'intervention du facteur religieux est donc superflue dans le vote féminin. D'ailleurs, on ne peut déceler dans le vote des femmes de condition bourgeoise la principale raison de leur vote — influence religieuse o n condition socio-économique -— car les hommes de m ê m e condition votent également contre le communisme ou le socialisme. L a motivation religieuse et la motivation socio-économique d u vote sont difficilement dissociables — sauf pour les bons chrétiens q u i sont simultanément des « bons bourgeois » et q u i ont ainsi une double raison de voter antimarxiste. Il y a pourtant en France, en Italie, en Belgique, en A l l e m a g n e , en Autriche, des « bons bourgeois » q u i sont des mauvais catholiques et qui votent cependant pour le parti chrétien parce qu'ils estiment, et ils ne s'y trompent pas, q u e ce parti peut, plus efficacement q u e les groupes de droite, combattre le c o m m u nisme ou le socialisme. C'est dans le milieu paysan et ouvrier q u ' u n e ambivalence d e sentiments peut apparaître chez l'électrice, q u ' u n conflit entre le sentiment d'appartenir à l a c o m m u n a u t é catholique et celui d ' a p p a r tenir à une classe sociale défavorisée, mieux défendue à certains égards p a r les « partis athées », pourrait se déclencher, et q u e la motivation religieuse d u vote prend le pas sur l a motivation socio-économique. E n raison de sa motivation religieuse, le vote de ces femmes du milieu 22. Berelson, L a z a r s f e l d , McPhee, Voting, University of Chicago Press, 1954.
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ouvrier ou paysan ne doit pas être interprété comme un vote conservateur. L a veuve, l'épouse ou la fille d'un métayer, d'un ouvrier agricole ou d'un ouvrier de l'industrie, si elle ne vote pas communiste ou socialiste, c'est parce que son attachement à la tradition chrétienne la prémunit contre les idéologies politiques condamnées par l'Église, et non pas parce qu'elle désire le maintien de l'économie capitaliste ou la sauvegarde des intérêts des grands propriétaires terriens. Moralement et logiquement, la tradition chrétienne n'est pas liée au capitalisme, industriel ou agraire. Mais dans les pays catholiques, le socialisme et le communisme, en raison de circonstances présentes à l'esprit de chacun, ont toujours été anticléricaux et, pour des raisons philosophiques, parfois anti-religieux, car il existe — remarque banale qu'il est superflu de rappeler — une incompatibilité fondamentale entre les conceptions de l'Église et celles du marxisme. Le vote des électrices de condition sociale modeste peut être interprété comme un vote traditionaliste même par les théoriciens de gauche qui pensent qu'un tel vote est exploité finalement par le conservatisme économique et social.
RÉSUMÉ E T REMARQUES
FINALES
1) Dans tous les pays, les partis socialistes et communistes sont défavorisés par le vote féminin; les partis chrétiens-démocrates ou conservateurs-traditionalistes, favorisés. Le phénomène est plus important dans les pays catholiques que dans les pays protestants. 2) Les partis qui, pour des raisons doctrinaires, ont été les plus favorables à l'émancipation politique de la femme, sont aussi les partis les plus désavantagés par le vote féminin. S'ils avaient prévu une telle inconséquence, auraient-ils réclamé l'octroi des droits politiques au sexe faible? Par contre, certains des partis qui se sont longtemps opposés, par esprit de tradition, à l'accès des femmes à la vie politique doivent aujourd'hui reconnaître qu'ils avaient fait naguère un mauvais calcul politique. Les partis libéraux et radicaux ont été les seuls à voir juste. Leurs craintes s'avèrent fondées : le vote des femmes a accéléré leur déclin partout en Europe. Les succès électoraux des partis chrétiens-démocrates doivent être attribués, dans une certaine mesure, au vote féminin. 3) L a grande majorité des femmes mariées votent comme leurs maris. En cas de divergence d'opinion entre les époux, le mari est généralement socialiste ou communiste, et la femme, chrétien-démocrate ou conservateur-traditionaliste. Cependant, lorsque le mari vote communiste, il arrive que son épouse vote socialiste. 4) L a distorsion entre les suffrages masculin et féminin est provoquée
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dans une large mesure par les femmes sans mari (veuves, célibataires, divorcées). 5) Célibataires, les jeunes hommes votent beaucoup plus souvent que les jeunes femmes pour les partis de gauche (communiste, socialiste). 6) Phénomène universel : sur cent nouveaux-nés, les garçons sont plus nombreux que les filles. Mais le sexe dit « faible » est, en un sens, plus résistant : la mortalité masculine est en effet plus élevée que la mortalité féminine avant 50 ans, et les deux guerres mondiales ont fait plus de victimes parmi les hommes que parmi les femmes. Il en résulte un excédent de femmes dans les couches âgées de la population. D'où l'importance numérique des veuves âgées (auxquelles il faut ajouter les célibataires âgées), qui votent en forte proportion pour les partis démocrate-chrétien ou conservateur-traditionaliste. 7) L e contraste le plus frappant se constate entre le vote des hommes jeunes et celui des femmes âgées. 8) L a plupart des femmes ne sont pas intégrées à la vie économique. Les autres occupent généralement des postes subalternes et sont moins bien rémunérées que les hommes. Ce n'est donc pas sur le plan économique qu'il faut rechercher la raison essentielle de la distorsion entre les suffrages masculin et féminin. 9) Les femmes sont moins bien informées sur la chose publique que les hommes. Dans l'électorat féminin, les zones d'ignorance sont étendues, comme le montrent de très nombreuses enquêtes d'opinion publique. L'influence traditionnelle sur le vote féminin est d'autant plus forte que le niveau d'information politique est plus bas. 10) L a motivation primordiale du comportement politique féminin, dans la mesure où il s'écarte du comportement masculin, est d'ordre religieux; mais étant donné que la distorsion entre le suffrage féminin et le suffrage masculin se constate essentiellement dans la paysannerie et la classe ouvrière de l'industrie, le vote des femmes reflète le traditionalisme des catégories sociales modestes et non le traditionalisme élevé au rang d'idéologie, cultivé par certaines couches de la bourgeoisie. 1 1 ) Les partis les plus défavorisés par le vote féminin sont aussi les partis qui favorisent le plus la promotion des femmes aux fonctions politiques (parlement, conseils municipaux, comités des partis), mais cette promotion ne concerne, nécessairement, qu'un petit nombre de femmes. L'émancipation de la femme qu'ils préconisent s'oppose à la condition traditionnelle qui est faite à la femme dans la société. Les aspirations de la majorité des femmes demeurent dans l'ensemble assez traditionalistes. 12) L e potentiel politique d'un parti dépend non seulement du nombre de suffrages qu'il obtient, mais aussi de la structure de son électorat. Les hommes participent dans l'ensemble plus intensivement 20*
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à la vie politique que les femmes, ils sont plus disponibles qu'elles aux actions de masse, aux manifestations, aux grèves. Les partis communistes et socialistes étant plus « masculins », leur capacité d'action politique est sans doute, par rapport à celle des partis chrétiens ou conservateurs, plus forte qu'on ne l'admettrait si l'on tenait compte uniquement du nombre de suffrages qu'ils ont obtenu. 13) Dans certaines circonstances le vote féminin prend une valeur marginale décisive, faisant basculer la majorité électorale ou parlementaire. Qui vote plus sagement? Les hommes ou les femmes? Y répondre, c'est prendre une position politique.
INDEX DES AUTEURS
ADAMS D.-K., 276. ABERLE D.-F., 38. AHTIK V., 112. ALLARDT E., 297. ALLEN W.-S., 201. ALLPORT G., 191. ANDERSON B., 85. ANGELL R.-C., 41-2. ARGYLE M., 49, 59, 64. AROND H., 278.
CAMERON N., 43. CAMPBELL A., 96, 102, 297-8. CANTRIL H., 258-263. CENTERS R., 262 sq. CHALMERS W.-E., 83. CHANDLER M.-K., 83. CHAPIN F.-S., 90. CHERRY C., 194-200. CHINOY E., 262 sq. CHURCHMAN C.-W., 175. CILLIÉ F.-S., 81. COLEMAN J., 84. BACH K., 240 sq. COMTE A., 37. BALDERSTON F.-E., 193. BARTON H. A., 73, 118, 122, 148, CONVERSE, 298. COOLEY C.-H., 43. 169, 181. COOPER H., 298. BASSOUL R., 214. COUNTS G.-S., 278. BASTIDE R., 172, 182 sq. CRONBACH L.-J., 214-222. BAUTON J., 277. CROZIER M., 137 sq. BENEDICT R., 39, 255-8. BENDIX R., 260-82. BENNEY, 296. DAHL A., 191 sq. BENOIT O., 135. DAVIS A., 262-3. BERELSON, 103, 193, 299 sq. DAVIS K., 166. BERGE C., 247. DEEGME, 281. BERGHE Van Den, 172, 182. DEMBO T., 276. BIRCH, 297. DICKSON W.-J., 87. BOGUE D.-J., 46. DODD S., 173. BOUDON R., 181, 224. DOGAN M., S83. BROWN S.-S., 91. DURKHEIM E., 40 sq.
3°4
DYMOND R.-F., 214-222. ERICKSON M.-L., 263. EVALENKO R., 288. EVAN W.-M., 80. FANT G., 195, 205. FARBER M.-L., 261. FAUCHEUX C., 229. FESTINGER L., 240, 276. FLAMENT C., 239. FOA U.-G., 172. FORM H.-W., 262. FRIEDMANN G., 89. FROMM E., 168. GALLER E.-H., 262-272 sq. GARDNER B.-B., 262. GARDNER M., 262. GAUDET, 299. GERAY, 296. GILCHRIST J.-C., 239. GILLIN J.-P., 38. GLASER R., 239. GLOGK C., 49. GOFFMANN E., 81. GOODE W.-J., 154. GOULD R., 275. GREEN J., 113. GREENBERG J., 194 sq. GUTTMAN L., 113, 171, 181 sq. HAGMAN R., 294. HAIRE M., 80, 91, 191 sq. HALLE M., 205. HARTMANN G.-W., 262. HAVIGHURST, 264. HAWLEY H., 45. HERBERG W.-H., 49, 59, 62-3. HOCKETT, 195. HOLLINGSHEAD A.-B., 262273 sq. HOMANS G., 137 sq. HORWITZ H., 74.
Vocabulaire des Sciences sociales HUDSON W.-H., 60-61. HYMAN H., 260-3. INGULFSON H., 294. JACQUES E., 80. JACOB P., 91. J A H N J., 45. JAHODA M., 256. JAKOBSON R., 195, 205. J A M E S W., 29. KAHN R., 84, 87. K A T Z L., 222. KEY V.-O., 95. KELLER S., 260. KLAPPER J.-T., 263. KLUCKHOHN C.-C., 191. KNUPFER G., 262. KOMAROVSKY, 41. KORNHAUSER W.-A., 262. LANDECKER S.-W., 37. LANDIS B., 58-59. LAZARSFELD P.-F., 27, 50, 69, 83, 91, 118, 168-9, i89> 199» 225, 255, 299L E A V I T T H.-J., 239. LENSKI G., 137 sq. LEWIN K., 276. LINDZEY G., 119. LINTON R., 39, 41, 136. LINZ J., 118, 297. LIPSET S., 49, 61 sq, 84-89, 118, 260, 272. MCCLEERY R.-C., 85. MCINTOSH A., 276. MCKENSIE R.-D., 46. MCPHEE W., 103, 193, 299. MCQUITTY M.-K., 83. MCRAE D., 84. MARCH J.-C., 80. MARTIN S., 199.
Index des Auteurs
MAUCORPS P., 214. MAURIGE M., 135. MENZEL H., 103. MERTON K.-R., 165, 256., 261 MISHLER E.-T., 86. MILLER G.-A., 205, 298. MODIGLIANI F., 193. MORSE N., 82. MOSCOVICI S., 229. NARBONNE J., 283. NEWGOMB T.-M., 43-44, 88, 262. NIEBUHR R., 62. OSGOOD G.-E., 197. PAGE G.-R., 86-88. PARETO V., 173. PARSONS T., 42, 173, 259. PATERSON D.-G., 278. PEAR, 295. PETRULLO L., 223. POWELL J.-H., 222. PRESTON, 277. PRICE H.D., 84. REIMER E., 82. REINHARD, 260. RILEY M.-W., S.-W., 175. ROETHLISBERGER J.-J., 86. ROGERS, 264. ROKKAN S., 295. ROPER E., 271. RUNCIMAN W.-G., 138. SAPIR E., 205. SCHACHTER S., 240 sq. SCHMID C.-F., 45. SCHMIDT, 198. SCHRÄG C., 45. SEBEOK T.-A., 197. SELZNICK D., 89. SHAW M.-E., 239. SHILS A.-Ed., 259. SILLS D., 80.
305 SIMON H.-A., 80. SINOVlfi, 114. SMITH E., 74. SOROKIN P., 173. SPENCER, 37. STENGERS J., 289. STERN G., 86-88. S T O E T Z E L J . , 189. STOKES, 298. STOUFFER S.,40,124,174,181 sq. STRUNK M., 263. SUCHMAN E.-A., 103. TANNENBAUM A.-S., 84 sq., 136 sq. TAGUIRI R., 223. TERRIEN F.-W., 79. THIELENS W., 69, 83, 91. THOMPSON J.-D., 85. TOBY J., I 7 5 . TÖNNIES F., 257. TROPP A., 86. TROUBETSKOI, 195. TROW M.-A., 84. TSOUDEROS J.-E., 80. TUCKMAN J., 278. URWICK L.-F., 81. VCEGELIN, 195. WALKER L.-C., 239. WALLIN, 41. WEISS R., 84, 87. WIESE VON, 173. WEINBERG S.-K., 278. WHYTE H.-W., 49. WILLIAMS R.-M., 45. WILLS D.-L., 79. WORTHY J.-C., 81-88. ZAVALLONI M., 260. ZEISEL H., 154, 209 sq. ZELENY L.-D., 44. ZUPANOV, 114.
INDEX DES MATIÈRES
ANALYSE : — conceptuelle : v. concept. — dimensionnelle : v. dimension. — multivariée : 103 sq., H 2 sq., 135 sq— structurale : v. typologie. A T T I T U D E : 190 sq. ATTRIBUT : — Espace d'attributs : 122, 148 sq., 181 sq., 189 sq., 194 sq. — dichotomique : 112 sq., 124 sq., 149-51, 200, 218. — Réduction d'un espace d' : 155 sq. (v. Réduction) — Substruction d'un espace d' : 165 sq. A U T O R I T É : 79 sq., 168. CLIQUE : 240 sq. COEFFICIENT DE REPRODUCTIBILITÉ : 114, 130. COMMUNICATION : — intégration communicative : 43 sq. — et performance 229 sq. — sociologie de la (v. aussi sociométrie) CONCEPT : — analyse conceptuelle : 28-29,
37 sq, 189 sq, 214. (v. aussi : dimension, typologie.) — et indices empiriques : 27, 30-31. — intégration conceptuelle : 23, 253 sq— comme représentation imagée : 28. CONNAISSANCE D'AUTRUI : 214. C O N T R Ô L E (contamination) : 118. C R É A T I V I T É : 229 sq. C U M U L A T I V I T É : v. Échelle d e GUTTMAN.
C U L T U R E : 39 sq, 112. DIACHRONIE : 194 sq. DIMENSION : 10, 11, 28-29, 33. — analyse dimensionnelle : 11, 28-29, 37 sq., 50 sq., 79 sq., 189. (v. analyse conceptuelle et typologique) — nombre de dimension : 151, 155. ÉCHELLE : — hiérarchique ou de G U T T M A N : 102,113,127,164,174,181 sq. —
d e STOUFFER
—
d e THURSTONE
ÉLECTION
:
: 124 sq., : 103
181
sq.
283
sq.
164. sq.,
3O8
É M I N E N C E : (v. aussi influence). — indice d' : 69 sq. E M P A T H I E : 214 sq. E N T R E P R I S E : 135 sq. (v. aussi organisation.) E S P A C E D ' A T T R I B U T S : v. attribut. F A C E T T E S (Théorie des) : 1718, 171 sq., 181 sq. F O R M U L E - M È R E : 255 sq. G R A P H E : 247 sq. G R O U P E :22g. (v. aussi sociométrie.) — de référence : 96 sq., 103 sq. INDICE : — de consistance : 114, 130. — énumératif : 14-15, 27, 52-53, de 95 à 131. — complexité des indices énumératifs : 96 sq., 113. — construction des indices énumératifs : 28-29, 37 scl— interchangeabilité des indices : 12-13, 32 sq., 70 sq., 74 sq. — paramétrique : 19-22, 209 à 252. — construction des indices paramétriques : 209. INDICATEUR : — définition : 10, 29-30. — et indices : 31. — univocité des indicateurs : 303 1 , 33-35, 70-71. INTÉGRATION SOCIALE : 37 sq. — culturelle : 39 sq. — communicative : 43 sq. — fonctionnelle : 45. — normative : 41. INTERPRÉTATION : — comme intégration conceptuelle : 255 sq— comme transformation typologique : 169.
Vocabulaire des Sciences sociales INFLUENCE
:
— « cosmopolite » et « locale » : 256. — pôle de décision : 83. — indice d'éminence : 69. — indice paramétrique d' : 247. — et statut sociométrique : 243. I N V E N T I O N : (v. créativité). I T E M : (v. indicateur). L E A D E R : 124, 229 sq., 2 4 8 sq. L I N G U I S T I Q U E : 194 sq. M A T R I C E : 229 sq., 240 sq.,
248 sq. M E N E U R : (v. leader). M E S U R E : 27-28, 35-36. M I N O R I T É : 103 sq. M O R A L D U G R O U P E : 44, 89. M O T I V A T I O N : 191 sq. NORMES SOCIALES :
— intégration normative : 41 sq. — et stratification sociale : 260 sq. — typologie de K . DAVIS : 166.
(v. aussi 172-3.) O P I N I O N : 1 8 9 sq. O R G A N I S A T I O N : 79 sq., 96 sq. OUVRIER : 1 1 2 sq., 1 3 5 sq.,
260 sq. PERCEPTION
D'AUTRUI
:
214 sq. P H O N O L O G I E : 194 sq. PLAN D'EXPÉRIENCE ¡178.
P R E S T I G E : (v. éminence). P O L I T I Q U E (participation ) 96 sq., 112 sq., 135 sq. PRÉJUGÉ PROPERTY
:
¡45. SPACE
: (v.
attri-
but). QUANTIFICATION
: 12, 4 9 sq.
v. indices empiriques : 27, 30-31. et indices paramétriques. RÉDUCTION D'UN D'ATTRIBUTS :
ESPACE
— diagonale : 182. — fonctionnelle : 164. — et indice numérique : 157.
Index des Matières
309
— lexicographique : 182. — pragmatique : 161. — par simplification des dimensions : 155. R E L I G I O N : 49 sq., 154.55. REPRODUCTIBILITÉ
:
(v.
coefficient de reproductibilité). SOCIOMÉTRIE : — et calcul matriciel : 229 sq., 240 sq., 248 sq. — et communication : 229 sq. — et empathie : 214 sq. — et indice d'influence : 248 sq. — et moral du groupe : 44. S O N D A G E : 103 sq., 260 sq., 283 sq. STATUT : — objectif : 135 sq. — sociométrique : 240 sq., 249 sq. S T R U C T U R E : (v. typologie). — sémantique et statistique : 171 sq., 184 sq. — hypothèse de contiguité : 179. S Y N C H R O N I Q U E : 194.
S Y N D I C A T : 96 sq., 135 sq. T O L É R A N C E (échelle de) : i24sq. T R A V A I L (division de) : 45 sq., 89. T Y P O L O G I E S : 16-19. — à partir de deux questions dichotomisiées : 135 sq. — et formalisation des définitions : 189 sq. — et linguistique : 194 sq. — réduction et substruction-espace d'attributs : 148 sq. — et structure statistique : 171 sq., 181 sq. VALIDITÉ : — contamination : 30, 118. — interchangeabilité des indices : 13» 49» 73— et typologie : 188. V A R I A B L E : 9, 27. — signification : 49 sq., 103 sq., 118. — raffinement : 103 sq. — continuité et discontinuité : 148-9.