Systematique de la Polyrythmie Malinke: Mali-Guinee (French Edition) 9789042951532, 9789042951549, 9042951532

Cet ouvrage decrit et analyse les principes qui regissent la polyrythmie d'un peuple etabli sur un territoire allan

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Table of contents :
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Title
préface
Avant-Propos
Introduction
CHAPITRE I APERÇU ANTHROPOLOGIQUE
CHAPITRE II LA MUSIQUE
CHAPITRE III ÉTAT DE LA QUESTION
CHAPITRE IV MÉTHODOLOGIE
CHAPITRE V LA POLYRYTHMIE
CHAPITRE VI STRUCTURATION DU TEMPS
CHAPITRE VII MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES
Table des matières
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Systematique de la Polyrythmie Malinke: Mali-Guinee (French Edition)
 9789042951532, 9789042951549, 9042951532

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Julien André aborde cette technique, largement répandue en Afrique subsaharienne, en tant que système sémiologique. La méthodologie à laquelle il recourt allie l’apprentissage approfondi du jeu des tambours auprès de maîtres, sur le terrain, à des enregistrements analytiques permettant de réaliser des partitions détaillées. Il peut ainsi identifier dans toute formule polyrythmique la partie dévolue à chaque musicien et saisir de quelle manière elle s’articule avec toutes les autres. Chaque étape est soumise à une validation culturelle de la part de musiciens malinké. Il s’agit là du tout premier ouvrage exclusivement consacré à la polyrythmie. Il permet de comprendre comment un nombre limité de procédés musicaux nourrit une infinie richesse d’expression. Docteur en ethnomusicologie, Julien André est percussionniste professionnel. Sa recherche et sa pratique musicale concernent principalement les polyrythmies mandingues d’Afrique de l’Ouest. Il enseigne les percussions aux conservatoires de Boulogne-Billancourt et de Cergy-Pontoise. Professeur au Pôle Supérieur Paris Boulogne-Billancourt, il est également formateur à la Philharmonie de Paris.

PEETERS-LEUVEN

SYSTÉMATIQUE DE LA POLYRYTHMIE MALINKÉ

Leur polyrythmie, d’une extrême complexité, est mise en œuvre dans des musiques jouées par des formations regroupant une partie soliste et jusqu’à cinq instruments d’accompagnement.

Julien ANDRÉ

SYSTÉMATIQUE DE LA POLYRYTHMIE MALINKÉ MALI-GUINÉE

J. ANDRÉ

Cet ouvrage décrit et analyse les principes qui régissent la polyrythmie d’un peuple établi sur un territoire allant du sud du Mali au nord-est de la Guinée : les Malinké.

EM 10

PEETERS

SELAF

473

ÉDITIONS PEETERS SELAF 473

Photo de couverture : masque kawa et ensemble de percussionnistes, Faranah, Guinée © Jérémy Le Guen

SYSTÉMATIQUE DE LA POLYRYTHMIE MALINKÉ

ETHNOMUSICOLOGIE Collection dirigée par Simha Arom Cette collection est vouée à la publication de travaux d’ethnomusicologie axés sur la systématique des musiques traditionnelles considérées comme des systèmes formels, l’étude des voix et des instruments qui leur donnent vie et les représentations que leurs usagers s’en font.

Titres parus dans la collection: 1. Simha Arom, Polyphonies et polyrythmies instrumentales d’Afrique Centrale. Structure et méthodologie, 1985. 2. Vincent Dehoux, Chants à penser gbaya de Centrafrique, 1986. 3. Lester Monts, An Annotated Glossary of Vai Musical Language (Liberia), 1988. 4. Bernard Lortat-Jacob (ed.), L’improvisation dans les musiques de tradition orale, 1987. 5. Frank Alvarez-Pereyre, La transmission orale de la Misnah, 1990. 6. Yosihiko Tokumaru, L’aspect mélodique de la musique de syamisen, 2000. 7. Nathalie Fernando, Polyphonies du Nord-Cameroun, 2011. 8. Olivier Tourny, Le chant liturgique juif éthiopien. Analyse musicale d’une tradition orale, 2010. 9. Luciana Penna-Diaw, La musique des Wolof du Sénégal (régions du Kajoor, Saalum et Waalo), 2016.

ETHNOMUSICOLOGIE –––––––– 10 ––––––––

Julien ANDRÉ

SYSTÉMATIQUE DE LA POLYRYTHMIE MALINKÉ MALI-GUINÉE

Selaf no 473

PEETERS LEUVEN – PARIS – BRISTOL, CT 2023

Ouvrage publié avec le soutien de la Société française d’ethnomusicologie l’Association Polyphonies vivantes la Fondation David Slovic et Ligia Ravé

A catalogue record of this book is available from the Libary of Congress. ISSN 0299-3201 ISBN 978-90-429-5153-2 eISBN 978-90-429-5154-9 D/2023/0602/33 © 2023 Éditions Peeters, Bondgenotenlaan 153, B-3000 Leuven Copyright scientifique SELAF-Paris Tout droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés pour tous pays

Remerciements Je tiens ici à rendre hommage et à remercier trois grands maîtres du djembé, aujourd’hui décédés : Madou Faraba Sylla, Kalifa Mao Berthe et Fadouba Oularé, auprès desquels j’ai eu le privilège d’étudier. Je tiens également à exprimer ma gratitude aux grands percussionnistes qui m’ont fait partager leurs connaissances et m’ont permis de me réaliser dans ma pratique de leur musique : Adama Dramé, Ibrahima Sarr, Adama Traoré, Nanseri Keita, Sidiki Kourouma, Mamadou « Général » Diabaté, Jan Diakité, Solo Konaté, et les regrettés Noumody Keita, Koungbana Condé, Koman Coulibaly, François Dembélé. Merci à Ibrahima Diabaté, mon acolyte « aux percussions » depuis plus de vingt ans, ainsi qu’à la danseuse Aminata Traoré qui, tous deux, ont bien voulu se prêter aux entretiens présentés en annexes. Merci également à tous les musiciens, chanteuses, danseuses et danseurs avec lesquels j’ai travaillé et joué, qu’ils me pardonnent de ne pas pouvoir tous les citer ici. J’adresse tous mes remerciements à Olivier Tourny pour ses conseils avisés. Merci à Françoise Avril et Anne-Marike Linnebank pour leur relecture attentive. Merci à Julie Ho pour son aide et son soutien. Je tiens également à remercier Sonia Jollès la pertinence de ses commentaires. Merci à Florent Caron Darras pour son aide dans l’analyse des procédés microrythmiques présentés au chapitre VI. Enfin, j’exprime toute ma gratitude à Simha Arom qui m’a formé à l’ethnomusicologie, m’a incité à réaliser ce travail qu’il a suivi avec patience et générosité, ainsi qu’à Marc Chemillier qui a dirigé mon Master puis a dirigé avec Simha Arom ma thèse.

VIII Résumé Ce livre décrit et analyse les principes qui régissent le patrimoine polyrythmique des Malinké, population établie sur un territoire allant du sud du Mali au nord-est de la Guinée : les Malinké. Leur polyrythmie, d’une extrême complexité, est exécutée par des formations regroupant un djembé solo et jusqu’à cinq instruments d’accompagnement. Bien que fondées sur des principes communs à la majorité des polyrythmies d’Afrique subsaharienne, celles des Malinké font état de procédés qui s’en différencient, notamment, l’absence de toute marque accentuelle, l’existence cognitive de la notion de début de cycle, la fréquence de canons rythmiques, ainsi que des variations de tempo. Deux aspects largement ignorés dans la littérature sont également traités dans l’ouvrage, à savoir le rôle du djembé solo au sein de l’ensemble et la dialectique entre ses énoncés et les figures chorégraphiques réalisées par la danseuse ou le danseur soliste. En outre, ce volume offre une méthode originale pour l’étude systémique des polyrythmies de l’Afrique subsaharienne. mots-clés :

Malinké, polyrythmie, observation participante, matrice, contramétricité, microrythmie.

IX Abstract This book describes and analyzes the principles that govern the polyrhythmic heritage of the Malinke, a population settled in a territory stretching from southern Mali to northeastern Guinea. Their extremely complex polyrhythmic music is performed by groups of one solo djembe and up to five accompanying instruments. Although based on principles common to the majority of polyrhythms in sub-Saharan Africa, Malinke polyrhythms are different in some respects, notably the absence of any accentual mark, the cognitive existence of the notion of the beginning of a cycle, the frequency of rhythmic canons, as well as variations in tempo. Two aspects largely ignored in the literature are also addressed in the book, namely, the role of the solo djembe within the ensemble and the dialectic between its phrases and the choreographic figures performed by the solo dancer. In addition, this volume offers an original method for the systemic study of polyrhythms in sub-Saharan Africa. keywords:

Malinke, polyrhythm, participatory observation, matrix, contrametricity, microtiming.

préface

De la mare sacrée aux scènes internationales

Le livre de Julien André décrit et analyse avec rigueur et minutie les polyrythmies pratiquées par les musiciens malinké d’Afrique de l’Ouest (Mali, Guinée, Côte d’Ivoire) ; il est le résultat d’un travail de longue haleine d’une grande originalité. Celle-ci tient à une méthode d’enquête qui a combiné une technique d’enregistrement isolant les différentes parties de tambour et l’observation participante. Julien André a en effet suivi toutes les étapes de la formation d’un tambourinaire ouest-africain auprès de plusieurs grands maîtres. Il a ainsi appris à jouer de différents instruments, en a assimilé les parties spécifiques et a acquis une compétence qui lui a permis d’être accepté sans réticence dans des ensembles de percussion où figuraient des instrumentistes de grande réputation. Ce fut à la fois une manière de «  relever le défi de la bi-musicalité  » (pour paraphraser l’ethnomusicologue étasunien Mantle Hood) et de faire valider ses connaissances par les meilleurs experts. Julien André met en évidence la place et l’importance de la musique dans une société à castes hiérarchisées où les confréries jouent un rôle éminent. Comme très souvent dans les zones rurales, la musique participe à la plupart des moments de la vie sociale, non seulement aux manifestations des confréries et aux danses des masques mais à tous les types de rituels – pour la circoncision ou le mariage ; pour les travaux des champs et la fin des récoltes ou encore pour la pêche à la « mare sacrée ». Il présente les instruments qui y interviennent, accompagnant ou non des parties vocales : le luth ngoni ; les harpes-luths kora, simbi ou donso ngoni ; le xylophone bala et diverses percussions (dont le tube métallique karinya) ainsi que les tambours (différents types de dunun et le djembé). C’est aux tambours, et à leur jeu polyrythmique, que Julien André s’intéresse plus particulièrement pour faire ressortir les principes qui soustendent leur fonctionnement et leurs modalités d’organisation, investigation sans équivalent dans le domaine des musiques malinkés. Pour ce faire, il part des caractéristiques temporelles des musiques africaines mises évidence par Simha Arom, notamment de la notion de contramétricité. Expliquant

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PRÉFACE

les rôles respectifs des tambours dunun et djembé (accompagnement, solo) ainsi que les rapports entre danseuses-danseurs et djembé, il détaille les matrices des différentes formules polyrythmiques utilisées et analyse la dialectique liant le jeu du djembé solo aux figures chorégraphiques, aspect jusqu’alors peu étudié de ces musiques. Cette approche le conduit à mettre au jour les mécanismes de variation et d’improvisation que les musiciens appliquent à ces matrices ; il souligne notamment que l’improvisation n’est jamais ex nihilo mais résulte en général d’un agencement particulier de formules déjà mémorisées qui constituent un stock dans lequel le tambourinaire soliste peut puiser au gré de son inspiration, ou pour trouver le meilleur accompagnement possible aux pas du danseur ou de la danseuse dont il doit impérativement suivre les évolutions. Enfin, il évoque l’existence d’une forme de swing, particulière aux musiques malinké mais différente de celle du jazz afro-étasunien. Dans l’intention de Julien André, cette étude devrait contribuer à poser les jalons d’un « Atlas des polyrythmies de l’Afrique subsaharienne ». D’ores et déjà, il illustre comment un nombre limité de procédés musicaux permet une infinie richesse d’expression. Richesse qui explique sans doute pourquoi, dans un univers où enregistrements et DJs ont parfois tendance à remplacer les ensembles de tambours, certains maîtres ont accepté d’intégrer des ballets nationaux, puis ont rejoint les scènes internationales de la « sono mondiale », pourquoi aussi le djembé est aujourd’hui pratiqué aux quatre coins du monde. Denis-Constant Martin LAM, Sciences po Bordeaux

Avant-Propos

Je suis entré en musique avec le djembé. J’avais onze ans lorsque j’ai découvert cet instrument, en région parisienne, à l’occasion d’une visite chez un percussionniste nommé Mamba qui possédait un grand nombre de tambours, issus de différentes traditions. Il me proposa de m’y essayer et, lorsque je me saisis d’un djembé, présent parmi les autres instruments, ce fut pour moi un véritable choc. Le contact de ma main sur la peau du tambour et le son produit me firent l’effet d’un « coup de foudre ». À ce moment précis m’est apparue la certitude que je consacrerais ma vie à cet instrument. Je me mis à chercher des cours de djembé qui, dans le Paris de la fin des années 1980, étaient rares ! J’en trouvai néanmoins, au sein d’une association fondée par Serge Blanc ; ce qui me permit, l’année suivante, à l’occasion d’un stage collectif organisé chez Adama Dramé – une grande figure du djembé –, de partir pour la première fois en Afrique, à Bouaké en Côte d’Ivoire. Étant le plus jeune du groupe et, qui plus est, du même âge que le fils d’Adama, celui-ci proposa de m’héberger au sein de sa famille. Durant un mois, j’eus alors la chance de découvrir les fêtes où il m’emmenait, mais aussi ce qu’est la vie quotidienne d’un grand musicien. Je repartis ensuite en 1991 pour un second stage à Bamako. Ces deux séjours avaient provoqué chez moi un grand enthousiasme, je découvrais les polyrythmies des tambours jouées en contexte dans les cérémonies traditionnelles, avec les chants et la danse dont je me rendais compte qu’ils étaient indissociables, tout en me familiarisant avec une langue et une culture au sein de laquelle cette musique, qui me plaisait tant, s’inscrivait. Toutefois, cet enthousiasme s’accompagnait de nombreuses questions qui me donnaient le sentiment de ne pas comprendre grand-chose à ce que j’observais : comment les différentes parties des tambours se combinaient-elles ? Comment le soliste interagissait-il avec les autres membres de l’ensemble, d’une part, et avec la danse, de l’autre ? Comment les répertoires s’organisaient-ils par rapport aux circonstances sociales ? Afin d’être en mesure de réaliser des transcriptions de ces musiques, je me suis formé au solfège au conservatoire de Clamart, ville où je résidais. J’ai ensuite poursuivi mon cursus dans d’autres établissements, et ce, jusqu’au troisième cycle, pour étudier la batterie et le jazz à Colombes et à Aubervilliers-La Courneuve.

XIV

AVANT-PROPOS

J’ai décidé, après mon baccalauréat en 1993, de prendre une « année sabbatique  » pour partir au Mali et en Guinée, afin d’étudier et d’entrer plus à fond dans le jeu des ensembles de tambours. Dans cet objectif, je me présentai à un concours organisé par la ville de Clamart et attribuant une bourse à des projets conçus par des jeunes, dans les domaines culturels ou humanitaires. Mon projet visait à étudier le djembé auprès d’un grand maître, Fadouba Oularé, résidant à Faranah en Guinée ; le point de départ serait Bamako au Mali, et je ferais la route en séjournant dans différents villages, guidé par les rencontres et les informations que je récolterais sur place. Par bonheur, j’ai obtenu cette bourse qui, à l’époque, me permit de couvrir l’essentiel de mes frais. Ce premier terrain fut extrêmement fructueux car il me permit de travailler dans une dizaine de localités, présentant chacune un répertoire différent. Dans la perspective de ce voyage, au moyen de lectures, j’entrepris mon initiation à l’ethnomusicologie. En effet, face à la complexité de cette musique, mais aussi pour comprendre de quelle manière elle était reliée à d’autres aspects de la société, je ressentais le besoin d’acquérir des méthodes de terrain et des outils d’analyse. C’est ainsi que j’ai pu prendre contact avec Simha Arom qui accepta, sans aucune réserve, de m’accueillir dans son séminaire de formation doctorale, alors que je n’avais même pas mon bac… Son geste, qui fut déterminant dans ma vie, témoigne à la fois de la générosité et de l’anticonformisme de ce chercheur, deux qualités qui, je l’ai vite compris, étaient chez lui une constante. Au séminaire, mille questions fusaient : quelles sont les règles selon lesquelles telle musique fonctionne ? Comment s’y prendre pour recueillir un corpus cohérent  ? Quels outils peuvent se révéler efficaces pour l’analyser ? Bien qu’encore novice dans cette discipline, j’ai pu partir avec des clés qui m’ont permis de réunir un corpus qui a servi de base au présent travail. Je suis retourné par la suite au Mali et en Guinée pour y effectuer d’autres séjours. Au fil du temps, je fus invité par mes mentors à jouer avec eux au sein des ensembles traditionnels pendant les cérémonies – ce qui, pour moi, constituait une inestimable validation culturelle. Simultanément, je mis en place ma propre méthode pour maîtriser la complexité des polyrythmies auxquelles j’étais confronté, en y participant. Elle consistait, après avoir enregistré les musiciens pendant la journée, à effectuer le soir, de mémoire, les transcriptions des différentes parties, pour rejouer tour à tour devant mes mentors les figures rythmiques constitutives de la polyrythmie, afin de faire valider leur déroulement individuel comme leur mode d’imbrication.

AVANT-PROPOS

XV

Le présent ouvrage constitue la synthèse de mes recherches sur le patrimoine polyrythmique des Malinké. Il est issu de ma thèse de doctorat effectuée à l’EHESS sous la co-direction de Marc Chemillier et Simha Arom. Poursuivant à la fois une carrière de musicien et d’enseignant, j’ai dû en reporter l’échéance pour des raisons autant professionnelles que matérielles. J’ai ainsi mené ou participé à différents projets artistiques, tant dans le domaine des musiques traditionnelles – en France, où résident de nombreux musiciens issus de la diaspora d’Afrique de l’Ouest – que dans le domaine du jazz et des musiques improvisées. Parallèlement, j’ai passé les diplômes délivrés par le ministère de la Culture (Diplôme d’État, Certificat d’aptitude), ainsi que le concours de professeur d’enseignement artistique, pour enseigner en conservatoire et suis actuellement en poste aux conservatoires de Boulogne-Billancourt et de Cergy-Pontoise, ainsi qu’au Pôle supérieur Paris – Boulogne-Billancourt. Depuis 2007, je suis également formateur à la Philharmonie de Paris. Fort de ces différentes expériences, j’ai à cœur de créer des passerelles afin que pratique artistique, pédagogie et recherche s’enrichissent mutuellement.

Introduction

Le but de cette étude est de décrire le fonctionnement des principes qui régissent la polyrythmie des Malinké, peuple établi sur un territoire allant du sud du Mali au nord-est de la Guinée. Mon objectif a été de formaliser le savoir que j’ai acquis au fil de ma recherche sur le terrain, par l’observation et la pratique, afin de pouvoir fournir les clés d’analyse permettant de comprendre comment cette musique est structurée et quelles sont les règles qui président à son exécution. En effet, au-delà des multiples réalisations et variations – qui dépendent des circonstances et de l’inspiration des musiciens –, la polyrythmie malinké est bel et bien fondée sur une théorie qui, bien qu’implicite, n’en est pas moins extrêmement rigoureuse. Disons d’emblée que cette étude s’inscrit dans une perspective plus musicologique – j’entends par là d’analyse musicale – qu’ethnomusicologique, appliquée à un procédé musical largement répandu en Afrique subsaharienne, envisagé ici en tant que système sémiologique, en reprenant et en adaptant les principes méthodologiques mis au jour il y a près de quarante ans par Simha Arom et qui, fait remarquable, se sont révélés particulièrement pertinents pour étudier ce répertoire situé à 4 500 kilomètres de l’aire géographique où Arom avait élaboré sa méthode. Toute polyrythmie étant –  par définition  – fondée sur une combinatoire de nombres, on pourrait considérer également que ce travail fournit des matériaux nouveaux pour une recherche ethnomathématique. Mes investigations concernaient une zone qui s’étend du Mali à la Guinée. Au Mali, elles ont été menées, pour l’essentiel, dans les localités de Kangaba, Bougouni, Tieblenbougou et Bamako ; en Guinée, à Faranah, Kouroussa et Koumana. Le corpus qui est à l’origine de ce travail a été recueilli principalement in situ, lors de quatre séjours (août 1991, juillet 1993 à mai 1994, juillet à septembre 1998, août à septembre 2000). Il comprend une centaine de bandes magnétiques totalisant près de 150 heures, dont les enregistrements présentent, pour certains d’entre eux, plus de 60 formules polyrythmiques recueillies au cours de diverses cérémonies. Des enregistrements complémentaires furent réalisés en situation expérimentale, afin de révéler la richesse des différentes parties constitutives de ces formules. La comparaison de ces diverses versions a permis de réduire leurs contenus

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INTRODUCTION

respectifs à autant de matrices de leurs formules polyrythmiques. Les 38 qui sont reproduites dans la présente étude résument les traits qui en caractérisent l’ensemble. C’est à ce titre quelles peuvent être considérées comme représentatives. * L’ouvrage est articulé en huit chapitres : le premier envisage le contexte historique, géographique et social relatif aux populations malinké du Mali et de Guinée. Le deuxième offre un panorama de leur patrimoine musical. Le troisième chapitre propose un état de l’art sur les recherches dans le domaine de la polyrythmie en Afrique subsaharienne. Le quatrième décrit la méthode utilisée pour l’analyse de ces formules ; elle se fonde sur l’association de ce que j’ai nommé « re-recording virtuel » et de mon apprentissage du jeu des tambours ; en effet, faute de disposer de deux magnétophones stéréo, j’ai pu, avec un seul appareil, en déplaçant le micro tour à tour face à chaque musicien, saisir les modalités d’imbrication des différentes parties individuelles et, par corollaire, effectuer des transcriptions de polyrythmies réalisées par des formations regroupant jusqu’à six instruments. Quant à mon apprentissage, il consistait, dans un premier temps, en l’acquisition du jeu isolé des différentes parties de tambours respectives à chaque pièce pour, ensuite, à force de pratique, pouvoir les restituer lors de différentes manifestations publiques – au sein d’ensembles professionnels malinké – ce qui, du même coup, constituait une validation culturelle de mes recherches. Le cinquième chapitre est consacré aux outils de la polyrythmie : les instruments, leurs modes de jeu et leurs rôles respectifs au sein de l’ensemble. Quant au sixième, y sont décrits les principes métriques et rythmiques sur lesquels les polyrythmies malinké prennent appui. Le septième chapitre – qui constitue le cœur de l’ouvrage – décrypte la morphologie des formules à partir de leurs matrices. Une quarantaine de matrices y sont reproduites sous forme de schémas, chacune décrite, commentée et analysée en profondeur, jusques et y compris la variété des timbres engendrés par les différents types de frappe sur les tambours. Un tableau synoptique synthétise les traits caractéristiques de chaque matrice. Dans le dernier, enfin, sont abordés deux aspects largement ignorés dans la littérature : le rôle du djembé solo au sein de l’ensemble et l’interaction qui prévaut entre ses énoncés et les figures chorégraphiques réalisées par

INTRODUCTION

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la danseuse ou le danseur soliste. Il comprend, en outre, la transcription intégrale d’un solo, suivie de sa présentation sous forme paradigmatique. Les annexes contiennent deux entretiens, l’un avec un percussionniste malien, l’autre avec une danseuse burkinabé  ; y figurent également les transcriptions – globales, puis analytiques – de deux formules polyrythmiques.

CHAPITRE I

APERÇU ANTHROPOLOGIQUE

Les Malinké : éléments historiques Les Malinké (maninka) occupent un vaste territoire en Afrique de l’Ouest. Le terme vernaculaire maninka ou mandenka peut être traduit par « gens du Manden », un empire fondé à l’aube du xiiie siècle, d’abord circonscrit sur une région située sur la rive gauche du cours supérieur du fleuve Niger, au sud-est de l’actuel Mali. Vassal d’un royaume voisin, le Soso, il conquiert son indépendance lors de la bataille de Kirina, à l’occasion de laquelle le suzerain Soundjata Keita renversa le roi du Soso, Soumanworo Kanté  1. Puis, à force de conquêtes et grâce à une organisation politique centralisée, il entra dans l’histoire sous le nom d’Empire du Mali 2. Grâce à l’exploitation de mines d’or et la constitution d’une vaste zone de commerce et d’échanges, l’Empire du Mali s’imposa comme un incontournable carrefour d’échanges avec les pays arabes et l’Europe. À son apogée, du xive siècle au milieu du xve siècle, cet empire s’étendait vers l’est au-delà du cours moyen du fleuve Niger, vers l’ouest jusqu’aux côtes de l’Atlantique et, du nord au sud, du Sahara à l’orée de la forêt guinéenne. Une période de décadence s’ensuivit, jusqu’au xvie siècle, jalonnée de guerres menées par les populations touareg, songhaï ou peules, entraînant la perte des provinces anciennement conquises. Au xvie siècle, le royaume Bambara vit le jour et prit son essor sur ce qui était jusque-là l’Empire du Mali. C’est au xixe siècle, à l’époque précoloniale, que les Malinké, avec à leur tête Samory Touré, fondent un nouveau royaume, en conquérant un vaste territoire situé de part et d’autre de l’actuelle frontière guinéo-malienne. Renouant alors avec leur passé guerrier, ils tinrent en échec, plusieurs années durant, les armées coloniales européennes, jusqu’à la capture par les Français de Samory Touré en 1898.

1. Cet événement fondateur se déroula, selon de nombreuses sources orales, en 1235 (Camara 1992 : 19). 2. Également dénommé : Mande, ou Empire mandingue.

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APERÇU ANTHROPOLOGIQUE

Carte 1. Les territoires de l’Empire du Mali à son apogée au xive siècle

Situation géographique et linguistique L’aire géographique où vivent aujourd’hui les Malinké s’étend de part et d’autre de la frontière séparant la Guinée du Mali. Elle se prolonge de façon plus ou moins continue, vers l’ouest jusqu’en Gambie et, vers le sud, jusqu’en Côte d’Ivoire. Cette aire comprend des régions où les Malinké sont majoritairement présents et d’autres – quelques enclaves – où ils sont minoritaires. Les Malinké comptent environ 6,2 millions de personnes. Leur langue appartient au groupe linguistique mandé, lequel constitue une branche de la famille des langues nigéro-congolaises. Le groupe linguistique mandé regroupe entre 60 et 75 langues parlées par 30 à 40 millions de locuteurs répartis principalement au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Sénégal et en Gambie. Au nombre des

APERÇU ANTHROPOLOGIQUE

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langues les plus importantes figurent le bambara, le dioula, le soninké et le malinké 3.

Carte 2. Distribution des langues mandé (Suzanne Platiel, 1978)

3. Les classifications du domaine mandé sont nombreuses et diverses ; on peut citer la classification de Koelle (1854), la deuxième classification de Delafosse (1924) et celle de Bird (1966).

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APERÇU ANTHROPOLOGIQUE

Les linguistes Tim Tillinghast et Matthias Liebrecht expliquent que : « De nombreux types de parlers différents sont connus sous le nom de malinké (Maninka, Maninkakan, etc.). Ces formes de parler sont souvent aussi différentes les unes des autres qu’elles le sont des autres langues mandé (par exemple, bambara, khassonké, jula) 4 » (Tillinghast et Liebrecht 1996 : 4).

Le linguiste Gérard Galtier classe les langues mandingues en deux catégories : un groupe occidental et un groupe oriental. La frontière géographique séparant ces deux groupes traverse la zone de Kita au Mali (Galtier 1980). Parmi ces langues, celle des Malinké est, elle aussi, sujette à des variantes régionales. Pour ce qui est des terrains que nous avons effectués, on peut citer le maninka kan et le Wasolonka kan. Le maninka kan désigne le dialecte mandingue du nord de la Guinée, également connu sous le nom de manenakanori kan. Quant au Wasolonka kan, il est parlé dans la région du Wassolon située à l’intersection du Mali, de la Guinée et de la Côte d’Ivoire. Comme la grande majorité des langues d’Afrique subsaharienne, le malinké est une langue à tons, c’est-à-dire « dans laquelle chaque voyelle est affectée d’un ou de plusieurs tons ; une même syllabe prononcée à des hauteurs ou à des registres vocaux différents peut se charger de significations différentes » (Arom 1985 : 49). La langue malinké compte deux tons 5. Organisation sociale La société malinké est fondée sur un système clanique. Trois critères fondent ici la notion de clan : un patronyme commun (jamu), un ancêtre commun (benba) réel ou mythique et un animal totémique (tana). Les clans, exogames, sont liés les uns aux autres par des alliances préférentielles et par des types de solidarité spécifiques (senankunya) que nombre de chercheurs africanistes ont désigné par l’expression « parenté à plaisanterie ». Les membres appartenant à des clans reliés par la senankunya se doivent solidarité et entraide réciproques. Ce lien particulier est caractérisé par le fait qu’ils échangent des plaisanteries, des propos légers, voire des injures ; une situation inenvisageable hors de la relation de senankunya. Un réseau complexe est tissé entre les clans constitutifs de la société malinké. Les 4. « Many different speech varieties are known by the name Malinké (Maninka, Maninkakan, etc.). These speech forms are often as different from each other as they are from the other Mandekan languages (e.g., Bambara, Khassonké, Jula). » 5. À ces deux tons ponctuels bas et haut, s’ajoutent des tons dits « modulés » (descendantmontant et montant-descendant) (Creissels 2009 : 19-20).

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hommes d’un clan donné ont le devoir de se marier de préférence avec les femmes d’un ou de plusieurs autres clans désignés comme alliés. À un niveau supérieur, les différents clans sont regroupés selon un système de castes hiérarchisé : en haut de la pyramide, figurent les nobles ou gens libres (horon), puis des groupes socio-professionnels (nyamakala) ; au bas de la hiérarchie, se situent les descendants de captifs (woloso, jon). Les nobles possèdent l’autorité politique, c’est parmi eux que sont, par exemple, choisis les chefs de villages. Ils sont les descendants des clans guerriers qui étaient habilités à manier les armes, à lever des armées pour combattre et à faire des prisonniers sur les champs de bataille. Leurs ancêtres furent les fondateurs de l’Empire du Mali et leurs généraux contribuèrent à son expansion. Aujourd’hui, si les nobles ne font plus la guerre, ils ont pour activités principales, en zone rurale, l’agriculture et le commerce. En revanche, il leur est interdit de pratiquer un quelconque artisanat. Ce domaine est exclusivement réservé au groupe socio-professionnel des nyamakala 6, lui-même subdivisé en quatre entités distinctes : les forgerons (numu), les artisans du cuir (garanke), les griots (jeli)  7 et les orateurs publics (fune). Les forgerons travaillent le métal et le bois ; ils fabriquent principalement des outils (houe, hache), des armes (couteau, fusil), sculptent des mortiers, des pilons ainsi que les fûts de certains tambours. Le forgeron est également responsable de cultes traditionnels et surtout de l’initiation des garçons. Il sculpte les masques et tient habituellement le rôle de chef au sein de diverses sociétés secrètes. Souvent expert dans les médications traditionnelles, c’est encore lui qui pratique la circoncision des garçons 8. Les femmes, quant à elles, se consacrent à la poterie. Les garanke constituent un groupe d’artisans travaillant les peaux animales pour confectionner des sandales, ceintures, parures ou autres amulettes  9, ce qui les amène à voyager, parcourant parfois de longues 6. Le terme nyamakala renvoie à la notion de nyama qui, chez les Malinké, désigne une force vitale et possiblement néfaste présente en tout être et en toute chose et dont il faut savoir se prémunir. Il semblerait que les artisans en contact avec des éléments organiques soient particulièrement exposés au nyama. Sur la question de l’étymologie du terme nyamakala, plusieurs hypothèses existent (voir notamment Camara 1992 : 75-99). 7. Pour plus d’informations sur les griots, on se reportera avec profit aux ouvrages de Youssouf Tata Cissé et Wa Kamissoko La Grande Geste du Mali (1988), Sory Camara Gens de la parole (1992) et Barbara G. Hoffman Griots at War : Conflict, Conciliation, and Caste in Mande (2000), ainsi qu’à l’article de Roderic. 8. Cette pratique tend cependant à disparaître, l’opération s’effectuant de plus en plus fréquemment en établissement médicalisé. 9. Les activités des garanke peuvent, dans certains cas, inclure la pratique de la

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distances pour vendre le fruit de leur travail. Au temps des guerres malinké, notamment au xixe siècle, ils approvisionnaient les combattants en accessoires en cuir (Charry 2000 : 53). Les griots (jeli) sont généalogistes, historiens, artistes du verbe et musiciens. Ils jouent aussi le rôle de médiateurs, notamment pour nouer des alliances entre familles ou gérer des conflits ; un seul individu ne pouvant réunir toutes ces compétences à la fois, chaque griot se spécialise dans un domaine spécifique. Certains sont des instrumentistes virtuoses, d’autres des généalogistes réputés… Autrefois, chaque griot était attaché à un noble qu’il représentait en public, auquel il prodiguait des conseils et adressait des louanges. En échange de quoi, ce dernier se devait de subvenir aux besoins de son jeli et de sa famille. Notons que, dans certaines localités, ce type de relation exclusive perdure encore. C’est dire que l’interaction entre nobles et griots est toujours vivace et se manifeste, pour l’essentiel, lors de manifestations publiques. « [Les griots] sont présents à toutes les cérémonies et il suffit qu’ils le soient pour jouer leur fonction de gens de la parole. Ils peuvent rendre visite à qui ils veulent sans que cela leur soit demandé […]. Tout noble n’est-il pas l’hôte personnel de tout griot (n jeti) ? Nul ne peut se dérober à cette situation, on doit nécessairement faire preuve de libéralités à de telles occasions » (Camara 1992 : 110). Parmi les griots, on distingue les ngara, « maîtres de la musique et de la parole », reconnus au sein de la communauté comme des experts qui, doués d’un talent singulier, ont acquis des connaissances qui leur confèrent le statut de maître 10. Les fune, tout comme les griots, constituent un autre groupe socioprofessionnel : eux aussi manient la parole mais, à la différence des jeli, ils ne pratiquent pas la musique ; ils interviennent comme orateurs sur la place publique, récitent des généalogies et, en échange de dons, adressent des louanges aux personnes présentes. Si, par certains aspects, leurs activités recouvrent celles des griots, il semblerait toutefois qu’ils aient un statut social inférieur à ces derniers 11.

musique. Ce phénomène serait lié à une époque où les populations Malinké furent dispersées au xixe siècle. Certains jeli musiciens auraient alors pratiqué le travail du cuir comme activité complémentaire et auraient progressivement changé de groupe socio-professionnel (Charry 2000 : 53). 10. Sur les ngara (ou nwara), voir Cissé et Kamissoko (1988) et Durán (2007). 11. Outre ces activités, l’agriculture ne leur est pas interdite ; aussi est-il fréquent qu’une personne castée cultive pour compléter ses revenus.

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À la différence des clans, qui sont exogames, les castes dont il vient d’être ici question sont strictement endogames et aussi héréditaires : on demeure à l’intérieur de sa propre caste tout au long de sa vie. Ainsi, par exemple, un noble qui épouserait une personne issue du groupe des forgerons se verrait marquée de déchéance sociale. Si cette règle tend à s’assouplir aujourd’hui, elle n’en demeure pas moins opérante, notamment en zone rurale. Une autre institution à prendre en compte quant à l’organisation sociale des Malinké est le système des classes d’âge (kare). Elle opère à l’échelle du village et implique certaines formes de solidarité. « Chaque habitant, dans les villages malinké, quels que soient son sexe, son âge, son appartenance à une famille et à un clan, son statut social (homme libre, homme de caste ou membre d’une ancienne famille esclave), est membre d’une classe d’âge » (Doumbia 2001 : 11). Une classe d’âge est constituée de « garçons ayant approximativement le même âge et circoncis collectivement le même jour ou par vagues successives, au cours d’un intervalle allant généralement de quatre à cinq ans […] » (ibid. : 74). Ces groupes sont sollicités pour accomplir des travaux agricoles, des tâches collectives au sein du village et pour participer à l’organisation des cérémonies de la communauté (telles que mariages et initiation des plus jeunes). Les membres d’une même classe d’âge entretiennent des relations d’entraide mutuelle, d’émulation dans les activités collectives et de responsabilité des uns par rapport aux autres. Les différentes classes sont organisées en un système hiérarchique fondé sur l’antériorité, la classe la plus ancienne en activité occupant la position supérieure.

CHAPITRE II

LA MUSIQUE La musique occupe une place de premier plan dans la société. Les Malinké la classent en trois catégories : jeli foli, donso foli, jembe foli, qui signifient littéralement : « musique des griots », « musique des chasseurs » et « musique des tambours ». Le terme foli signifie « musique » et provient du verbe fo « parler ». Le musicien est donc celui qui « fait parler » son instrument  13. La danse, quant à elle, est désignée par le terme don et le chant par donkili, qui peut être traduit par « appel à la danse ». Jeli foli (la musique des griots) On l’a vu, les griots (jeli) forment un groupe socio-professionnel spécifique à l’intérieur de la caste des nyamakala. Leur activité concerne trois domaines  : la parole (kuma), le chant (donkili) et la musique instrumentale (foli) (Charry 2000 : 7). Les instruments qu’ils utilisent font partie des attributs des griots et ne peuvent pas – en théorie – être joué par des membres d’autres groupes. Ces instruments sont exclusivement joués par les hommes. Au nombre de cinq, il s’agit du ngoni (luth muni de quatre à sept cordes), de la kora (harpe-luth à vingt et une cordes), du bala (xylophone), du tama (tambour d’aisselle à tension variable) et du jeli dunun (tambour cylindrique à double membrane). Les femmes, quant à elles, pratiquent le chant 14, qu’elles accompagnent parfois en frappant un tube métallique karinya au moyen d’une tige. Ces instruments sont, selon les circonstances, joués individuellement ou en ensembles. La musique des griots est issue de la musique de Cour, remontant à l’Empire du Mali au xiiie  siècle, et aux différents royaumes qui lui ont succédé. Les répertoires sont constitués de chants – le plus souvent solistes  – avec accompagnement instrumental. Ils relatent les hauts faits des personnages qui ont marqué cette longue histoire, au premier rang desquels Soundjata Keita, le fondateur de cet empire. Les paroles rendent hommage 13. C’est ainsi que « jouer du djembé » se dit en malinké jembe fo et « joueur de djembé », jembe fola, (« celui qui fait parler le djembé »); il en va de même pour les autres instruments. 14. Le chant n’est toutefois pas réservé aux femmes ; les hommes chantent aussi, bien qu’ils soient moins nombreux à se consacrer à cette activité.

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à ces héros, leur adressent des louanges et déroulent leur généalogie. Elles exhortent ceux qui les entendent à se montrer dignes de ce passé glorieux et à se nourrir d’une histoire qui résonne avec le présent. Les griots interviennent lors de manifestations publiques, pour l’ensemble de la communauté, mais aussi dans des circonstances moins formelles, plus « intimistes », telles que le sumu, réception chez un noble que le griot agrémente de ses chants. On peut y voir la continuité d’une pratique ancienne, où cette musique n’était exécutée « qu’en l’honneur des chefs de clan “nobles” au service desquels ces jèli, ces “griots” – ces ménétriers – étaient attachés avec pour principale fonction de les glorifier » (Rouget 1999 : 12). Contrairement au sumu, les manifestations publiques sont, quant à elles, accompagnées par des danses. Elles concernent les cérémonies de mariage, les fêtes de réjouissances propres aux griots ou tout autre rituel nécessitant leur présence pour la déclamation de récits historiques, de généalogies ou bien de louanges. Donso foli (la musique des chasseurs) Les confréries de chasseurs traditionnels (donso), dont l’origine semble antérieure à l’Empire du Mali, jouent un rôle important au sein de la communauté. Les chasseurs font office de médiateurs entre l’espace social, représenté par le village, et la brousse, domaine des animaux sauvages, mais aussi des entités surnaturelles. L’activité des chasseurs ne se limite pas à la seule quête de gibier. Elle inclut également la fabrication de remèdes, au moyen de plantes, et la médiation avec les forces occultes, omniprésentes dans la nature. Le rôle des chasseurs au sein de la communauté a aussi une dimension politique  ; en effet, les confréries peuvent être associées aux décisions collectives, ou sollicitées en cas de conflit. L’adhésion à une société de chasseurs se fait par cooptation  ; les membres y sont accueillis sans distinction de caste ou de rang social. Après acceptation par les Anciens, les novices (kalanden) sont initiés sous la direction d’un maître (karamogo). Ici, c’est l’antériorité dans l’appartenance à la confrérie qui détermine le rang hiérarchique 15.

15. Ce type d’organisation tranche donc avec celui de la société malinké dans son ensemble, reposant sur des clans, eux-mêmes répartis en deux groupes principaux : les « nobles » (horon) d’une part, et les « gens de caste » (nyamakala) de l’autre.

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Chaque confrérie possède en son sein au moins un « chantre », dénommé sora ou donso jeli, initié, grand connaisseur des sciences occultes dont l’activité ne concerne pas la chasse, mais la musique. Le sora interprète des chants en s’accompagnant d’une harpe-luth munie de six à huit cordes, nommée, selon les localités, simbi ou donso ngoni. Les circonstances dans lesquelles il intervient sont diverses  : lors de rituels privés effectués au dankun (carrefour rituel) – lieu hautement symbolique situé entre le village et la brousse –, mais aussi au cours des fêtes publiques précédant ou succédant à une chasse. À ces occasions, les chasseurs dansent munis de leur fusil. La harpe-luth est toujours accompagnée d’un racleur 16 (nege ou karinya) qui est joué par un disciple (kalanden) du chantre musicien. Le déroulement des morceaux accompagnés par ces instruments comprend deux phases. Pendant la première, le chantre réalise un chant déclamé, ponctué par la voix du disciple. Durant celle-ci, la danse est collective, les chasseurs formant une farandole circulaire. Puis le chant devient responsorial, avec une alternance soliste/chœur. La danse est alors individuelle, les chasseurs enchaînant à tour de rôle leurs pas face aux musiciens. Avant de traiter de la musique des tambours, il convient d’évoquer d’autres instruments qui n’appartiennent pas aux répertoires des griots, des chasseurs, ou des tambours. Citons le bolon, harpe-luth à trois cordes qui, à l’époque du passé guerrier des Malinké, était joué pour encourager les combattants se dirigeant vers le champ de bataille. Le bolon est encore pratiqué aujourd’hui, notamment lors des funérailles de notables, ou pour rendre hommage à la bravoure d’un disparu. Certains instruments sont l’apanage des femmes  ; c’est le cas du kuden, calebasse de forme oblongue, possédant une ouverture à chacune de ses extrémités ; la musicienne, assise, frappe une extrémité avec l’une de ses mains, tout en maintenant l’instrument sur sa cuisse avec l’autre. Le ji dunun, également réservé aux femmes, est constitué de deux demicalebasses de taille différente. On remplit d’eau la plus grande – parfois remplacée par une cuvette – posée à même le sol. La petite calebasse est retournée et flotte sur l’eau. Le son est obtenu en la frappant à l’aide d’une baguette ou d’une cuiller en bois, recouverte de tissu.

16. Il s’agit d’un tube métallique fendu sur toute sa longueur et strié. Il est frotté à l’aide d’une tige, elle aussi métallique.

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Jembe foli (la musique des tambours) La troisième grande catégorie concerne les musiques avec ensembles de tambours composés de djembés 17 et d’un ou plusieurs dunun. L’objet de ce travail étant la polyrythmie réalisée précisément par ces instruments, on en trouvera une description au chapitre V. Nous consacrerons la présente section à présenter les différentes circonstances dans lesquelles ils sont joués. Contrairement aux instruments des griots, la pratique du djembé n’est pas réservée à un groupe social spécifique. Ce tambour, ainsi que les dunun qui l’accompagnent, peuvent être joués par tous les hommes, indépendamment de leur clan et de leur appartenance à un groupe socioprofessionnel  18. Il faut toutefois préciser que ces tambours, fabriqués par les forgerons (numu), sont étroitement associés à ces derniers. Il semble que le djembé ait été jadis exclusivement joué par les forgerons et que sa pratique se soit progressivement étendue à l’ensemble de la société. En zone rurale, les percussionnistes sont souvent non professionnels ; leur mode de subsistance est lié à d’autres activités que le seul jeu des tambours. Certains joueurs de djembé travaillent la terre, d’autres sont artisans. Quand ils animent des manifestations, leur rémunération correspond à une compensation en échange du temps pris sur leur activité principale. Les tambours sont toujours associés à des chants et à des danses, lesquelles peuvent être féminines, masculines ou – plus rarement – mixtes. De caractère profane pour l’essentiel, les circonstances de jeu sont diverses et nombreuses. Les polyrythmies servent à accompagner différentes étapes de la vie des individus, depuis la naissance jusqu’au mariage. On peut les interpréter lors des travaux des champs, pour de simples réjouissances ou, encore, à l’occasion de fêtes musulmanes. Certaines polyrythmies sont liées à des cérémonies qui concernent des localités en particulier. Voici un aperçu des différentes circonstances de jeu des polyrythmies malinké, certaines se retrouvent sur l’ensemble du territoire, tandis que d’autres sont spécifiques à certaines aires géographiques.

17. Nous avons opté pour l’orthographe française du terme djembé tel qu’il apparaît dans le dictionnaire Larousse. Plusieurs orthographes sont attestées, Rainer Polak et Eric Charry utilisent « jembe », mais on peut aussi trouver « jenbe » ou « yembe ». 18. Précisons toutefois qu’il existe un type de dunun nommé jeli dunun (dunun des griots), joué exclusivement par les griots et dédié à l’accompagnement de leurs répertoires.

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Photo 1. Ensemble de percussionnistes accompagnant une danseuse à Kangaba, Mali. © Fatim Berthe

Principales circonstances de jeu des tambours Cycle de la vie des individus

La dation du nom (den kun di) donne lieu à une cérémonie qui se déroule une semaine après la naissance de l’enfant. À cette occasion, un marabout  19 est convié par la famille afin qu’il prononce, publiquement et pour la première fois, le nom du nouveau-né. Cette annonce est alors suivie de musique jouée sur les tambours, marquant le début de la fête. Les polyrythmies accompagnent ici différentes danses 20, car il n’y en a aucune qui soit spécifique à cette circonstance. La circoncision (bolo koli) marque le passage de l’enfance à la puberté. Les enfants appartenant à une même classe d’âge sont circoncis 19. Ou bien un membre de la communauté faisant figure d’autorité. 20. Dans les jours qui précèdent l’événement, il peut aussi arriver que l’on organise des fêtes, pendant lesquelles les tambours sont joués pour accompagner les danses.

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ensemble, l’opération étant réalisée par un forgeron. Suite à quoi, les nouveaux circoncis (solima denw) sont réunis pour effectuer une retraite dans un lieu situé à l’extérieur du village. Ils y reçoivent des soins et des enseignements, sous l’encadrement de forgerons et de membres des classes d’âge supérieures. Une fête (soli si ou fura si) se déroule pendant les trois jours et la nuit qui précèdent la circoncision. La communauté dans son ensemble y participe, avec des chants et des danses accompagnées par les tambours. Deux formules polyrythmiques (nommées, selon les régions  : soli, soliba, suku, ou fura) sont spécifiques à cette circonstance. Le mariage (konyo) est un événement central dans la reproduction des structures familiales chez les Malinké. Il est célébré par une fête (konyo nyenadje), après qu’un « pacte », symbolisé par le partage de noix de kola (woro tla ou woro te), a été conclu entre les familles des futurs époux. Au préalable, des négociations sont menées entre les deux familles ; elles concernent notamment la compensation matrimoniale et sont, le plus souvent, conduites par des griots, jouant ici le rôle de médiateurs. Une fois l’accord scellé, la future mariée se rend dans la famille de l’époux pour s’y installer. La première semaine, il ne lui est pas permis de se montrer en public. Son installation s’organise en plusieurs étapes, depuis l’arrivée (lasiguili), puis la pose du henné (djabila), jusqu’au lavage de la tête (kun koli). Pendant cette période, des fêtes sont animées par des ensembles de tambours accompagnant des danses et des chants. Les griots y participent, en jouant de leurs instruments, en chantant et en adressant des louanges. Le dernier jour, la tête de la mariée est tressée (kun dan) ; elle sort enfin, lors d’une fête – là-encore accompagnée par les tambours –, qui constitue la dernière étape du processus. Comme pour la dation du nom, il n’existe pas, ici non plus, de formule polyrythmique spécifique. Travaux des champs

Certaines polyrythmies sont interprétées pour encourager les cultivateurs pendant les travaux collectifs aux champs. Le groupe de percussionnistes se rend avec les cultivateurs à l’extérieur du village, pour jouer pendant différentes phases des cultures comme la préparation de la terre consistant à couper les herbes avant de cultiver ou le sarclage manuel au moyen de houes ou encore les récoltes. Les fêtes annuelles célébrant la fin des récoltes donnent lieu, elles aussi, à des danses accompagnées des tambours. Pour la région du Hamana en Haute Guinée, Johannes Beer en mentionne deux cas – « balanla, à l’occasion de la première récolte du fani

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(sorte de millet) du mois d’août » (Beer 1991 : 52), et « baradossa, pour la récolte du riz au mois d’octobre  » (ibid. : 54). Il existe des formules polyrythmiques spécifiques aux travaux des champs et aux fêtes qui leur sont associées  ; ainsi, dans cette région de Haute Guinée, le terme kasa renvoie à un ensemble de formules polyrythmiques jouées en ces occasions.

Photo 2. Kasa – danse de cultivateurs pendant les travaux des champs – en Haute Guinée. © Pierre Marcault

Danses de masques

Différents masques sont présents chez les Malinké, dont certains – rituels – sont liés à des sociétés d’initiation ou sociétés secrètes, tandis que d’autres ont un caractère profane. Le porteur du masque réalise des chorégraphies accompagnées par les tambours. Ici chaque formule polyrythmique est spécifique à chaque masque et en porte le nom. En voici quelques exemples : — Le komo est à la fois le nom d’un masque et celui d’une société secrète (jo), parmi les plus importantes chez les Malinké. Les principales fonctions y sont détenues par les forgerons (Kante 1993 : 234). Ne pouvant être vu que des seuls initiés et, de plus, interdit aux femmes, aux enfants et aux griots, la sortie du komo (ou koma) s’effectue dans le plus grand secret.

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— Le konden, quant à lui, est un masque dont la danse s’adresse à l’ensemble de la communauté. Il sort à l’occasion des fêtes de fin de Ramadan (sunkalo sali) et de Tabaski (donki sali)  21. Présent dans les régions du Hamana et du Gberedu en Haute Guinée, il symbolise une entité qui viendrait punir les enfants turbulents. — Un autre masque est le kawa, originaire du Sankaran, une région située en Moyenne Guinée. Son porteur est toujours un grand connaisseur dans le domaine des sciences occultes. La fonction du masque kawa consiste à protéger les nouveaux circoncis contre les sorciers (subagaw) : sa danse, au cours de la cérémonie de circoncision, est censée repousser les mauvais sorts qui risqueraient d’atteindre les enfants. S’il s’agit là de sa fonction principale, le kawa peut aussi être sollicité pour d’autres occasions. — Citons enfin le masque sogoninkun (ou soboninkun) que l’on trouve dans la région du Wassolon, située de part et d’autre de la frontière guinéomalienne  : sa danse, très acrobatique, intervient lors de manifestations célébrant les récoltes ou pour de simples réjouissances.

Circonstances locales Danse des hommes barati

Dans la région de Kouroussa (Haute Guinée), il existe un répertoire de formules polyrythmiques regroupées sous le terme dununba (ou simplement dunun), qui signifie «  grand dunun  » – le dununba étant le tambour le plus grave parmi les trois tambours cylindriques que comporte l’ensemble polyrythmique. Selon les localités, le nombre de polyrythmies que compte le répertoire varie autour d’une quinzaine de pièces  22. Elles accompagnent la « danse des hommes forts » caractérisée par des figures chorégraphiques qui expriment la témérité et l’ardeur combative des jeunes hommes malinké. Ces danses collectives se déroulent sur la place publique du village (bara  23). Les danseurs de dununba sont nommés barati ou baratigui (littéralement « propriétaire du bara ») : pendant les cérémonies, 21. Tabaski est un terme qui désigne dans une grande partie de l’Afrique de l’Ouest la fête musulmane de l’Aïd-el-Kébir, au cours de laquelle on sacrifie un mouton. 22. Dans le village de Koumana où nous avons étudié ce répertoire, nous en avons recensé 12. 23. Tous les villages et hameaux malinké possèdent un bara ; c’est là que sont organisées les fêtes liées aux travaux agraires, les cérémonies précédant la circoncision, les mariages ainsi que la majeure partie des manifestations publiques.

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les membres de la communauté, regroupés en cercle autour de l’aire de danse, ne doivent pas en principe y prendre part, sauf s’ils en demandent l’autorisation aux barati. Les barati sont également responsables de l’entretien de l’aire de danse qui doit être parfaitement nettoyée avant chaque cérémonie. Au sein d’un même village, plusieurs groupes de barati coexistent, organisés par classes d’âge (kare )24. Tous les jeunes hommes malinké, indépendamment de leur clan et de leur groupe socioprofessionnel, y prennent part et se doivent de consacrer plusieurs années aux barati. Outre la participation aux danses de dununba, ils sont tenus à nombre d’obligations que l’on pourrait qualifier « d’intérêt public » : les barati sont ainsi chargés de cultiver les parcelles de terre pour le compte de personnes âgées dépourvues de famille. En accord avec les Anciens du village, ils sont encore chargés d’organiser certaines manifestations publiques, notamment les fêtes de dununba, mais aussi de superviser des travaux collectifs (réfection de cases, débroussaillage de routes) en mobilisant, pour ce faire, les jeunes gens du village. Les jeunes filles sont également réparties en groupes de barati, organisés de la même manière. Les tâches qu’elles ont à accomplir consistent, entre autres, à apporter les repas aux cultivateurs pendant les travaux des champs. À Koumana, où nous avons recueilli l’essentiel de nos informations concernant les dununba, les hommes demeuraient barati pendant trois à quatre ans, dans une fourchette d’une dizaine d’années. Les groupes de barati étaient au nombre de quatre, correspondant à des classes d’âge différentes et désignés chacun par un nom spécifique. En fonction de l’âge de leurs membres, ces groupes sont nommés : mogoya ji, mansa ji, tamba ji et kono ji. L’ensemble de tambourinaires du village, ainsi qu’un chœur constitué de jeunes filles, a pour fonction d’accompagner les danses de chacun de ces groupes. Il arrive que plusieurs groupes se produisent en même temps, accompagnés par une seule et même formation musicale. Lorsque deux groupes se produisent simultanément, ils forment deux cercles concentriques dont l’un se déplace en sens inverse de l’autre – le groupe des plus anciens à l’extérieur, le groupe des cadets à intérieur. Pour l’exécution de leurs danses, les barati portent une tenue spécifique constituée d’un pantalon bouffant et d’un bandeau autour du front  ; ils tiennent dans une main une hache d’apparat (gende) et, dans l’autre, un fouet en peau d’hippopotame (mani foson). 24. En Haute Guinée, appartiennent à une même classe d’âge tous les enfants de sexe mâle circoncis à la même époque. Il en va de même pour les classes d’âge des jeunes filles.

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Photo 3. Danseurs barati et percussionnistes à Koumana, Haute Guinée. © Julien André

Jadis, les danses donnaient lieu à des démonstrations de bravoure lorsque deux groupes de barati se produisaient en même temps et qu’un danseur d’une classe d’âge – donc d’un groupe – défiait un danseur d’un autre groupe. S’ensuivait un combat singulier pendant lequel la danse s’immobilisait, cependant que la musique continuait de plus belle. Les deux adversaires se frappaient mutuellement à coups de fouet jusqu’à ce que l’un des deux abandonne, reconnaissant ainsi sa défaite. Si cette pratique n’a plus cours aujourd’hui, les danseurs ont toujours le loisir de manifester leur bravoure, mais en retournant le fouet contre eux-mêmes ; se frapper le dos témoigne de la résistance à la douleur, qualité que tout jeune homme malinké se doit de posséder. Parmi les circonstances pendant lesquelles ces danses sont effectuées, on retiendra les fêtes de Tabaski, de fin de Ramadan, ainsi que celle de la mare, décrite ci-après.

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Fête de la mare sacrée (da la mon tulon)

Nombre de villages malinké possèdent une mare sacrée, lieu de résidence de génies protecteurs. Une fois par an, et en cette unique occasion, est organisée une pêche rituelle (da la mon tulon) qui concerne l’ensemble de la communauté. Des sacrifices aux esprits protecteurs de la mare sont préalablement effectués puis, au signal des Anciens, les villageois sont invités à entrer dans la mare pour y pêcher au moyen de nasses. Cette cérémonie est accompagnée de musique jouée sur les tambours, de chants et de danses. En Haute Guinée, cette fête a lieu après les récoltes (autour du mois de mai) 25. À Koumana, elle dure environ une semaine. La pêche se déroule le premier jour, les autres étant consacrés aux réjouissances. Le matin, dès le chant du coq, les frappes du sangban (tambour dunun médium) annoncent le début de la fête. Ces percussions indiquent aux villageois de se rendre sur la place publique. Suite à quoi les barati se dirigent eux aussi vers celle-ci au son des tambours pour danser le dununba et ce, jusqu’à midi environ. Les percussionnistes sont positionnés à la périphérie du bara, et derrière eux, se trouve un groupe de jeunes filles célibataires qui, durant toute la performance, interprète des chants, alternant solistes et chœurs. L’ensemble des villageois se dirige ensuite vers la mare, située à proximité du village. Pour accompagner le cortège, les percussionnistes, portant leurs instruments, interprètent la polyrythmie bundiani. Une fois sur place, on rejoue bundiani pour accompagner la danse des jeunes filles initiées à cette chorégraphie, elles aussi désignées par le terme bundiani. Des sacrifices sous forme de libations (da la son, littéralement « sacrifier à la mare ») sont ensuite effectués par les Anciens qui appartiennent le plus souvent au groupe socio-professionnel des numu (forgerons). Ces libations consistent principalement en noix de kola, lait et beignets. Ensuite, les Anciens prennent la parole pour déclamer des récits avant de donner l’autorisation du démarrage de la pêche. Les percussionnistes exécutent alors la polyrythmie Fakoli  26, qui acccompagne la danse éponyme, vouée à rendre hommage aux forgerons. Puis l’ensemble des participants 25. En 1994, lors d’un séjour en Haute Guinée, nous avons pu constater que cette cérémonie se déroulait sous une forme à peu près identique dans plusieurs villages. Nous avons assisté cette année-là aux fêtes de Baro et de Koumana, lesquelles étaient organisées successivement, suite à quoi le village de Balato prenait le relais. Ces festivités attirent de nombreux Guinéens, certains faisant parfois le trajet depuis la capitale Conakry pour y assister. 26. Fakoli est le prénom d’un personnage historique des Malinké, à savoir Fakoli Doumbia, ancêtre des clans forgerons Doumbia et Kourouma. Fakoli est devenu l’un des principaux généraux de Soundjata Keita, le fondateur de l’Empire du Mali au xiiie siècle.

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entre dans l’eau pour y pêcher, suite à quoi on joue à nouveau bundiani pour accompagner la danse des jeunes filles initiées. C’est cette même polyrythmie qui accompagnera le retour au village en procession pour se rendre vers la place publique. La fête se poursuit jusqu’au soir avec les danses des jeunes filles. Le lendemain, sur cette même place, la journée sera consacrée aux danses dununba des hommes barati, accompagnées par l’ensemble de polyrythmies, et c’est ce répertoire qui prédominera durant les festivités des jours suivants. Deux danses de réjouissance

Nombreuses et différentes selon les localités sont les danses de réjouissance, dont voici deux descriptions. Dans le Wassolon, région située de part et d’autre de la frontière entre le Mali et la Guinée, le répertoire le plus fréquemment interprété pour les réjouissances se nomme Didadi. Les fêtes ont généralement lieu pendant la période qui suit les récoltes. Les danses sont collectives et tous les membres de la communauté, hommes et femmes peuvent y prendre part. En Guinée, dans la région du Hamana, les fêtes de réjouissance sont nommées dia («  la joie  »)  ; il n’y a pas de période de l’année qui soit spécifique à leur organisation. Elles se déroulent de préférence les nuits de pleine lune. Au village de Koumana ainsi qu’à Kouroussa, nous en avons relevé deux : l’une se nomme ke dia (« dia des hommes ») laquelle, malgré son nom, est une danse mixte, alors que l’autre, muso dia (« dia des femmes »), accompagne des danses exclusivement féminines. De surcroît, la danse ke dia concerne les garçons et les filles âgés de 8 à 15 ans environ, alors que muso dia est l’apanage des femmes ayant déjà enfanté. Ke dia et muso dia sont des termes polysémiques : ils désignent à la fois l’ensemble des chants exécutés pour cette circonstance, la formule polyrythmique et la danse qu’elle accompagne. Apprentissage des tambours Comme c’est le cas en Afrique subsaharienne pour la plupart des musiques traditionnelles, les polyrythmies malinké sont transmises oralement, et s’acquièrent par imitation et imprégnation. L’apprentissage des tambours malinké ne passe donc pas par un enseignement formel, mais s’effectue dans un rapport de maître (karamogo) à élève (kalanden). Il reviendra à ce dernier de se frayer le chemin qui le conduira à franchir les différentes étapes de son apprentissage. C’est en jouant lors des manifestations qu’il sera amené à occuper successivement les différents

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postes au sein de l’ensemble polyrythmique. Lui seront tout d’abord confiés ceux qui concernent la charge d’exécuter les figures d’accompagnement, qui sont des ostinatos stricts, puis des ostinatos à variations, pour aboutir à la partie soliste, et ce, au terme seulement de plusieurs années de pratique. Mais avant de véritablement jouer des tambours, ceux parmi les enfants qui sont attirés par ces instruments commencent par frapper sur des boîtes de conserve ou des bidons hors d’usage qu’ils auront récupérés. Avec ces matériaux, ils confectionnent des « instruments » qui imitent les sons des djembés et des dunun. Ainsi, le couvercle d’une boîte de conserve vide frappé à mains nues tiendra lieu de peau de djembé ; de même, un bidon de plastique ou de fer blanc percuté avec une baguette, fera office de dunun. Il est alors fréquent, dans un village malinké, de croiser des groupes d’enfants reproduisant, avec leur propre ensemble de percussions, les polyrythmies jouées par les adultes. Ce qui compte alors est moins la sonorité de chacun des instruments considérés isolément, que les rapports de timbre et de tessiture que ceux-ci entretiennent les uns avec les autres. En effet, l’objectif des enfants est de jouer toutes les parties constitutives des polyrythmies qu’ils entendent dans les fêtes et de s’entraîner ainsi à pratiquer ces répertoires 27. Bien souvent, des jeunes filles rejoignent les garçons pour reproduire les pas de danse de leurs aînées. Dans un second temps, si un jeune présente des compétences particulières, il pourra être confié par ses parents à un maître jembe fola. S’ensuit alors un apprentissage de plusieurs années consistant, pour l’essentiel, à être auprès du maître dans toutes les manifestations. L’apprenti interprète d’abord des parties d’accompagnement (au dunun et au djembé) constituées d’ostinatos stricts. Lorsqu’il en maîtrise le jeu, on lui confie d’abord les accompagnements consistant en ostinatos à variations. C’est seulement une fois ces étapes franchies qu’il pourra s’essayer au solo. Les différentes figures de solo qui servent de base à l’improvisation auront été mémorisées lors des précédentes phases, durant lesquelles l’élève aura eu le 27. Un exemple de jeu d’enfants sur percussions fabriquées à partir de matériel de récupération figure dans la vidéo Foli (there is no movement without rhythm) de Thomas Roebers et Floris Leeuwenberg (2010) : https://www.youtube.com/watch?v=lVPLIuBy9CY. On y voit (à partir de 7’08) un groupe de cinq très jeunes garçons interpréter une formule polyrythmique d’une grande complexité nommée Bando et dont la réduction matricielle figure p.  110 du présent ouvrage. Les enfants reproduisent avec la plus grande fidélité la totalité des parties constitutives qui, toutes, témoignent d’un fort degré de contramétricité. La partie soliste – improvisée – est également présente. On constate que les rapports de hauteurs qu’entretiennent ces instruments respectent parfaitement ceux des ensembles de djembés et dunun, condition nécessaire, rappelons-le, pour pouvoir identifier la formule polyrythmique.

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temps d’observer l’interaction entre le soliste et la danseuse ou le danseur. C’est aussi en jouant les accompagnements, qu’il aura pu «  baigner  » dans la polyrythmie, s’en imprégner et apprendre les règles implicites qui président à son fonctionnement. Il ne lui sera fourni aucune explication de la part de son maître, mais une erreur ne passant jamais inaperçue, la théorie apparaîtra en quelque sorte « en creux ».

Photo 4. Enfants jouant au sein d’un ensemble à Koumana, Guinée. © Julien André

Voici le récit de l’apprentissage de Kalifa Mao Berthe, joueur de djembé de Kangaba (Mali) auprès duquel nous avons eu le privilège d’étudier en 1994 et 1997. Aujourd’hui décédé, ce fut un très grand maître, réputé dans tout le Mali. Né dans un hameau situé à proximité de Kangaba, son grand-père était lui-même joueur de djembé. Fasciné par cet instrument, c’est vers l’âge de six ans qu’il débute, s’entraînant sur des boîtes de conserve. Son père était agriculteur mais, constatant l’attirance de son fils pour le tambour, il demanda au forgeron du village de lui fabriquer un petit djembé. Mao joue alors avec ses camarades tandis que des fillettes du même âge les

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rejoignent pour chanter et danser. C’est à l’âge de dix ans que Mao est confié par son père au joueur de djembé Jaba Sayon Kamara du village de Deguela, à proximité de Kangaba. Pour sceller cet accord, le père de Mao remet dix noix de kola au maître, chez lequel Mao résidera désormais. Il y demeure cinq ans, en compagnie d’un autre apprenti, période pendant laquelle les deux garçons se doivent d’aider leur maître dans toutes les tâches quotidiennes. Leur apprentissage de la musique ne s’effectue pas via un enseignement formel, mais par la pratique au sein d’ensembles lors de diverses manifestations. Vers l’âge de 15 ans, Mao retourne chez ses parents à Kangaba mais ses frères aînés ne sont pas favorables à ce qu’il devienne jembe fola, estimant que sa place est à leurs côtés pour, comme eux, cultiver la terre. Mao poursuit néanmoins sa pratique de l’instrument. Il est alors régulièrement sollicité par des groupes de jeunes réunis en associations 28, pour venir jouer du tambour pendant les travaux des champs et les encourager dans leur labeur. À ces occasions, Mao interprète le répertoire san sene foli (musique de la période des cultures) ; tandis que les garçons travaillent la terre, la participation des filles consiste à chanter, danser et frapper des mains. Par la suite, Mao étant devenu le percussionniste attitré du village de Kangaba, il est invité à toutes les manifestations requérant la présence du djembé. Il forma à son tour des apprentis pour l’accompagner dans les fêtes, comme son maître le fit avec lui.

28. Ces associations, nommées ton, sont courantes dans la société malinké. Il s’agit de groupes mixtes qui ne sont pas organisés par classes d’âge (à la différence des kare) et sont ouverts à l’ensemble de la communauté, indépendamment de l’appartenance à un groupe socio-professionnel et/ou à une classe d’âge. L’adhésion, qui s’effectue par cooptation, est entérinée par la remise de 10 noix de kola du nouvel arrivant au chef du ton.

CHAPITRE III

ÉTAT DE LA QUESTION Il n’existe pas, à notre connaissance, d’étude décrivant les polyrythmies malinké du point de vue de leur fonctionnement et de leurs modalités d’organisation. Il apparaît que ces musiques sont régies par des principes dont certains sont communs à nombre de polyrythmies en usage dans le continent africain. Toutefois, il n’est pas inutile de présenter ici un état des lieux des travaux traitant spécifiquement du rythme et de la polyrythmie en Afrique subsaharienne. La polyrythmie pour instruments à percussion en Afrique subsaharienne L’un des premiers ethnomusicologues à avoir réalisé des transcriptions de formules polyrythmiques fut le révérend Arthur Morris Jones, en Rhodésie (l’actuel Zimbabwe), où il vécut longtemps. Dans son article « African drumming. A study of the combination of rhythms in African Music » de 1934, il décrit de manière précise l’un des principes constitutifs de nombre de polyrythmies de ce pays, à savoir l’entrecroisement de deux ou de plusieurs figures rythmiques. « Quiconque fait l’effort de prendre une leçon de percussion africaine sera rapidement convaincu que ce qu’il a à jouer sur son propre tambour est un rythme parfaitement simple. Les autres exécutants ont aussi à jouer des rythmes simples. C’est la combinaison de ces rythmes simples qui fait la glorieuse harmonie rythmique africaine qui, pour l’auditeur, paraît souvent défier l’analyse 29 » (Jones 1934 : 2).

L’auteur, qui parle bien ici de « combinaison de rythmes », précise ensuite ce qu’il entend par polyrythmie : « Il est incontestable que, si nous voulons résoudre les problèmes que posent la rythmique africaine, nous devons la considérer comme “poly-rythmique”, c’est-à-dire comme une combinaison de rythmes ayant chacun son propre point de départ et sa propre individualité 30 » (ibid. : 8). 29. « Anyone who cares to take a course of African drumming will speedily be convinced that what he has to play on his own drum is a perfectly simple rhythm. The other players are also playing simple rhythms : it is the combination of these simple rhythms which makes the glorious African rhythmic harmony, which to the listener often sounds beyond analysis. » 30. « There can be no doubt that if we are to solve the problem of African rhythm, we

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Jones note, à juste titre, que la complexité d’une formule polyrythmique donnée provient de la combinatoire des figures qui la constituent, figures qui, prises isolément, peuvent correspondre à des rythmes relativement simples. En 1937, A. M. Jones, dans son article « The Study of African Rhythm », présente une transcription intégrale d’un chant à deux voix, accompagné par quatre parties de tambour et des battements de mains. Puis il publie en 1954 une autre étude intitulée « African Rhythm », également fondée sur ses transcriptions (en ayant recours à une notation inutilement fort compliquée), où il explique à nouveau que la polyrythmie résulte de l’entrecroisement de figures rythmiques antagonistes, en ce que les « temps principaux » (main beats) de chacun des tambours tombent à des moments différents. Ainsi, l’antagonisme des figures constitutives semble être, selon lui, une condition sine qua non de la polyrythmie. Ce point est essentiel pour la compréhension du phénomène. Néanmoins, la notion de « temps principaux » sera remise en cause, des années plus tard, par Simha Arom. Précisant la notion de main beats, Jones écrit en 1958, dans un livre intitulé African Music in Northern Rhodesia and Some Other Places : « […] Nous n’entendons pas une formule rythmique mais nombre de rythmes distincts entrelacés, ayant chacun son propre temps principal qui ne coïncide pas avec les temps principaux d’autres instruments 31 » (Jones 1958 a : 8).

Il publie en 1959 son opus magnum, Studies in African Music, qui synthétise ses travaux et qui a longtemps constitué un ouvrage de référence pour l’ethnomusicologie africaine. Malgré la dimension visionnaire de ce travail, l’utilisation du système de notation occidentale pour effectuer les transcriptions y est tributaire de la notion de « mesure », celle-ci impliquant une opposition entre temps forts et temps faibles, qui suppose un schéma accentuel prédéterminé. En appliquant ce principe pour transcrire les figures rythmiques africaines, Jones a pris le parti d’indiquer un changement de mesure à chaque occurrence d’un accent. Une approche qui sera critiquée par Mieczyslaw Kolinski, pour qui Jones applique là le « concept accentuel erroné de la musique occidentale » (Kolinski 1973 : 496). Selon Jones, la battue constitue bien une référence temporelle qui « n’a pas de temps accentué » (Jones 1959 : 167), à laquelle viennent se superposer différents must regard it as “poly-rhythmic”, i.e. a combination of rhythms having their own starting points and their own individuality. » 31. « […] We hear not one rhythmic pattern but many distinct rhythms interwined, each with its own main beat does not coincide with the main beats of other instruments. »

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systèmes métriques, ce qui engendre une polymétrie à proprement parler (ibid. : 21- 22). Quelques années plus tard, Zygmunt Estreicher, dans son article « Le rythme des Peuls Bororo », semble être le premier à faire une distinction entre les accents et le cadre métrique, lorsqu’il note : « La formule de base ne semble imposer aucun schéma d’accentuation ; les Bororo en profitent pour y introduire des accents, en les plaçant à des endroits librement choisis » (Estreicher 1964 : 188).

Il précise ensuite que « la formule de base en question résulte du concours de deux formules complémentaires exécutées par deux ensembles séparés », mais aussi que « chacun d’eux opère avec les mêmes valeurs métriques » (ibid. : 188). En 1972, J. H. Kwabena Nketia, dans son étude intitulée « Les langages musicaux de l’Afrique subsaharienne », met en évidence le caractère contrapuntique de la polyphonie vocale des Zoulou, des Xhosa et des Swazi d’Afrique de Sud, puis note que « […] l’organisation en plusieurs parties ne se limite pas à la polyphonie. Elle peut aussi s’exprimer dans des formes polyrythmiques […] avec cette particularité, cependant, que les contrastes recherchés ne sont pas uniquement d’ordre tonal, mais qu’ils opposent des structures rythmiques » (Nketia 1972). David Locke, dans son article de 1982 intitulé « Principles of Offbeat Timing and Cross-Rhythm in Southern Ewe Dance », présente une série de concepts sur le rythme qui aident à comprendre les complexités de la synchronisation décalée et du rythme croisé dans les tambours de danse Ewe (Locke 1982 : 217). Les deux exemples qu’il donne montrent une texture polyrythmique créée, pour l’un, par le jeu simultané de cloches, de hochets et de claquements de mains et, pour l’autre, par une batterie de tambours de danse Atsiagbekg (ibid. : 219). Il note que le rythme croisé (Cross-Rhythm) imprègne les tambours des Ewe du Sud et que les deux rythmes croisés les plus courants sont 2 : 3 et 3 : 4. C’est à Simha Arom que l’on doit la première étude véritablement systématique d’un grand nombre de formules polyrythmiques, dans son ouvrage de 1985 intitulé Polyphonies et polyrythmies instrumentales d’Afrique Centrale. Ce travail considérable, pour qui s’intéresse – entre autres – à l’organisation du temps musical en Afrique, met au jour les principes généraux régissant le fonctionnement des polyrythmies d’Afrique centrale. Il y parvient grâce à une méthode qu’il a forgée. Celle-ci lui permet – grâce au procédé du re-recording – d’enregistrer séparément et successivement les différentes parties d’une pièce plurivocale, tout en

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conservant constamment la référence temporelle commune aux différentes parties. Il devient alors possible de les recombiner les unes par rapport aux autres, afin de pouvoir réaliser une transcription globale de la pièce. Celle-ci permet alors de rendre compte de l’articulation de chacune des parties individuelles, ainsi que des modalités de leur entrecroisement. Arom définit la polyrythmie africaine comme « la superposition de deux ou plusieurs figures rythmiques possédant chacune une articulation telle que les configurations qui la constituent – déterminées par l’accentuation, la modification de timbre ou l’alternance des durées – viennent s’intercaler à celles d’autres figures, créant ainsi un effet d’entrecroisement perpétuel. Tributaires d’un étalon de temps commun, la pulsation, ces figures s’inscrivent dans des périodes de dimensions variables mais qui présentent néanmoins un rapport simple  : 1 : 2 , 1 : 3 , 2 : 3 , 3 : 4 » (Arom 1985 : 464). Disons d’emblée que cette définition s’applique parfaitement aux polyrythmies malinké décrites dans la présente étude, et de manière générale, se révèle opérante pour nombre de musiques d’Afrique. Kofi. V.  Agawu, dans son article de 1987 intitulé «  The Rhythmic Structure of West African Music », propose une description du rythme en Afrique de l’Ouest qui se veut globale. Pour lui, « l’expression musicale (ou, essentiellement, l’expression rythmique) n’est pas séparée des autres formes de communication – discours, gestes, salutations et danse – mais découle directement de celles-ci 32 » (Agawu 1987 : 403). Sur ce point, il ne nous semble toutefois pas contradictoire d’envisager le rythme comme paramètre d’un domaine plus vaste, et de l’étudier en tant que tel. Willie Anku, dans son article intitulé « Principles of Rhythm Integration in African Drumming » de 1997, traite de l’intégration des différents instruments à percussion dans des ensembles polyrythmiques des Akan du Ghana, et de leur intégration partielle – telle la combinatoire entre deux cloches – ou intégrale. Il parle aussi des modes d’imbrication, tel le tuilage et le hoquet. Il revendique une approche subjective, cruciale selon lui, pour comprendre le problème en question (Anku 1997 : 219). En 2007, il publie l’article « Inside a Master Drummer’s Mind », qui traite de notions essentielles concernant le rythme africain. Anku s’attache en particulier aux problèmes de perception, en insistant sur les relations entre les figures rythmiques et leur rapport à la pulsation, qu’il nomme « regulative beat ». En outre, il donne des exemples du « standard pattern » africain 32. « Musical expression (or, essentially, rhythmic expression) is not divorced from other forms of communication – speech, gesture, greetings, and dance – but derives directly from these. »

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(2+2+3+2+3)33, dont les « points de départ » ne sont pas les mêmes chez les Yoruba, les Ewe et les Bemba. David Temperley, dans son article « Meter and Grouping in African Music  : A View from Music Theory  » publié en 2000, s’intéresse aux caractéristiques générales du rythme africain, et soulève la question des similitudes et des différences entre celui-ci et le rythme occidental. Il fonde son étude sur des chansons – souvent des chansons d’enfants ou des chansons de travail – et des pièces pour ensembles d’instruments à percussion. Il eût été intéressant que l’on puisse disposer de transcriptions des pièces polyrythmiques en question, ce qui malheureusement n’est pas le cas. Terminologie relative à l’organisation du temps musical Force est de constater que la terminologie de la musicologie occidentale se révèle souvent ambigüe. Concernant l’organisation du temps musical, « cette confusion provient essentiellement des différentes acceptions que recouvre le terme de métrique, ainsi que des chevauchements de signification entre les notions de métrique et de rythmique » (Arom 1985 : 300). Métrique et rythme Le terme « métrique » s’applique pour l’essentiel dans deux contextes : en poésie et en musique. La métrique en poésie concerne la versification ; Jean Molino et Joëlle Gardes-Tamine indiquent que «  la versification est l’étude de tous les niveaux de structuration des vers, la métrique est l’étude des principes et des régularités qui en caractérisent l’organisation interne » (Molino & Gardes-Tamine 1992 : 26). Par extension, le terme s’emploie également en musique, par exemple pour définir le groupement d’unités de temps en mesures. Jacques Siron définit la mesure comme « le regroupement régulier de plusieurs pulsations servant à cadrer le temps musical en durées égales (litt. “mesurer”). La mesure est liée à l’accentuation de certaines pulsations qui deviennent des temps forts (strong beats), s’opposant aux temps faibles (weak beats). L’opposition temps forts / temps faibles forme une hiérarchie des temps » (Siron 2002 :

33. Une description détaillée du « standard pattern » figure p. 76-80.

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274). Ici, l’auteur emploie indifféremment « pulsation » et « temps » comme deux notions équivalentes. Arom ne dit pas autre chose lorsqu’il écrit : « On emploiera donc indifféremment soit ce terme (temps), soit celui de pulsation [à condition toutefois de] n’utiliser “temps” qu’au pluriel, c’est-à-dire dans l’acception sans équivoque d’unités temporelles analogues à celles que “ ‘pulse’ un métronome” car, selon l’auteur, “l’expression ‘temps musical’ ” recouvre des sens multiples dont certains, relevant de la philosophie ou faisant appel à la psychologie de la perception, doivent être exclus de notre propos qui se veut purement technique » (Arom 1985 : 330).

Pour André Souris, le temps est une « unité de durée choisie comme étalon pour régler le mouvement et l’exécution » (Souris 1961, III : 787). La définition d’Arom nous apparaît plus précise et complète ; c’est pourquoi c’est elle que nous adopterons. Pour lui, par temps ou pulsation, il faut entendre « l’étalon isochrone, neutre, constant, organique qui détermine le tempo » (Arom 1985 : 330). Nous nous garderons ici d’employer le terme de « mètre » pour éviter toute confusion avec le terme anglais meter, car ce dernier recouvre en fait le terme de « métrique » qui, nous l’avons vu, renvoie à l’organisation en mesures. L’apparition de la « mesure » en Occident ne fut d’abord qu’une simple convention graphique liée à l’écriture musicale : « Elle désigne l’assemblage d’un certain nombre de valeurs de base, disposées en groupes, lesquels sont séparés les uns des autres par des barres verticales » (ibid. : 292). Or, depuis l’époque médiévale, et ce jusqu’au xvie siècle, l’exécution des pièces polyphoniques était régie par le tactus (littéralement : « touchement »), « Un simple étalon de temps, qui assurait le synchronisme des parties lors de l’exécution et, simultanément, indiquait le tempo » (ibid. : 293). Pour Jacques Chailley, « le vieux tactus à “temps” juxtaposés, sans disparaître tout à fait, céda de plus en plus le terrain à des groupements de temps réguliers qui devinrent notre “mesure” du fait qu’ils s’approprièrent les signes de la précédente “mensuration”. » « La barre de mesure, simple repère visuel au début, […] devint, vers 1625, d’un usage général ; elle contribua à rétablir ou à renforcer une hiérarchie nouvelle de temps forts et faibles qui ne tarda pas à enserrer la musique dans un corset de symétrie où elle perdit une bonne partie de sa souplesse. Et l’on s’occupa de “chiffrer” les mesures ainsi nées » (Chailley 1967 : 106).

André Souris note à ce propos : « Le système de la mesure s’étant greffé sur celui du tactus (au début du xviie siècle), il en a résulté de graves confusions » (Souris 1961).

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C’est au xxe siècle que des compositeurs ont tenté de se dégager du carcan de la mesure, par exemple Stravinsky avec Petrouchka et L’Oiseau de feu, mais surtout Le Sacre du printemps (1913). Parallèlement, des cultures musicales issues de métissages avec la musique savante occidentale émergent. Le cas le plus significatif est celui du jazz qui apparaît dans le sud des États-Unis à la fin du xixe siècle et qui, nous dit Siron, « brasse plusieurs traditions. La source principale est noire américaine […], elle s’est mêlée à des éléments de la musique classique occidentale, notamment l’instrumentation, l’harmonie, les formes et la carrure» (Siron 2002 : 233). La « carrure » dans le jazz prend la forme de grilles harmoniques respectivement fondées sur un nombre constant de mesures. Ces grilles servent de cadre à l’improvisation. Mais tandis que, nous rappelle Arom, dans la musique savante occidentale « l’usage de barres de mesures [entraîne à] considérer le premier temps de chaque mesure comme étant accentué » (ibid. : 299), dans le jazz la tendance s’inverse : ce sont de préférence les temps faibles qui sont accentués, essentiellement par les instruments à percussion, notamment par la cymbale « charleston » et la caisse claire. De ce qui précède, il ressort que le terme de métrique était étroitement associé à la notion de mesure. Qu’en est-il alors des musiques où les temps ne sont pas regroupés en mesures et, par corollaire, sont dépourvus de toute accentuation régulière ? C’est la question que pose Arom, après avoir montré que la plupart des musiques traditionnelles africaines reposent sur le principe d’une pulsation isochrone où l’opposition temps fort / temps faible n’a pas cours et où, par conséquent, le concept de mesure n’a pas de réalité. Ce faisant, il met au jour l’existence d’« une parenté inattendue » entre les musiques africaines et les polyphonies du Moyen Âge et de la Renaissance, lesquelles étaient fondées sur le seul principe du tactus (ibid. : 320). Ce qui le conduit à redéfinir le terme de métrique, en le dissociant de celui de mesure. Pour lui, la métrique a un sens qui « approche, à peu de chose près, celui de metrum ; à savoir la détermination, par rapport à une valeur constante prise comme étalon, des intervalles de temps obtenus soit par multiplication, soit par division, mais – et ce point est essentiel – d’où est absente toute idée de hiérarchisation » (Arom 1992 : 201). Du même coup, il élimine la confusion entre métrique et rythme en distinguant fondamentalement les deux. Ainsi, « la métrique concerne l’étalonnage du temps en quantités – ou valeurs – égales » (ibid.). Quant au rythme, il se situe sur un autre plan, car il concerne « les modalités selon lesquelles ces valeurs sont regroupées ». Il ajoute :

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« Pour qu’une suite de sons – ou un groupement de valeurs – soit perçue comme une forme rythmique, il faut nécessairement que l’un au moins de ses constituants soit marqué par un trait qui l’oppose aux autres. Il existe trois types de marques susceptibles de rendre sensible cette opposition : l’accent, la modification de timbre, l’alternance des durées » (ibid.).

Notons que la définition de Kolinski préfigure celle d’Arom lorsqu’il dit que le rythme peut être défini comme une organisation de durées, et la métrique (meter) comme une organisation de pulsations servant de cadre à la forme rythmique (rhythmic design) (Kolinski 1973 : 499). De différents types de contramétricité Le terme « contramétrique » s’applique, pour Arom, à des séquences musicales dans lesquelles les événements rythmiques sont majoritairement placés à contretemps. Par corollaire, on appellera « commétriques » des séquences dans lesquelles ils coïncident majoritairement avec les temps (Arom 1985 : 339). Ces deux termes ont été forgés par Mieczyslaw Kolinski, dans un article intitulé : « A Cross-Cultural Approach to Metric-Rhythmic Patterns » (Kolinski, 1973). Dans ce texte, l’auteur précise que, pour pouvoir distinguer les deux, il est indispensable de déterminer au préalable « si nous sommes en présence d’une organisation contramétrique à l’intérieur d’un cadre métrique régulier ou bien d’une organisation commétrique dans un cadre métrique irrégulier 34 » (ibid. : 500). Dans la majorité des musiques d’Afrique, le cadre métrique est régulier, c’est-à-dire fondé sur des nombres entiers de pulsations isochrones. Or Kolinski ne distingue pas de quel type d’organisation métrique il s’agit : s’agit-il d’une organisation en « mesures » ou bien d’une organisation en périodes basées uniquement sur des regroupements de pulsations ? De ce fait, le lecteur pourrait considérer que l’organisation de la structure métrique comporte, au-dessus du niveau de la pulsation, un niveau de temps forts et faibles. Se pose alors la question suivante : à laquelle de ces deux conceptions métriques la contramétricité s’applique-t-elle ? Faut-il considérer comme contramétrique tout événement qui entre en conflit avec la pulsation ou bien avec les seuls temps forts de la mesure ?

34. « […] It is important to determine in each situation whether we deal with a contrametric organization within a regular metric framework or with a commetric organization within an irregular metric framework. »

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Jacques Siron, dans son Dictionnaire des mots de la musique, opte pour cette seconde acception en définissant « contramétrique » comme « qui est en conflit avec la métrique et ses accents » (Siron 2002 : 118). Il y a donc deux types de contramétricité : par rapport à la pulsation, ou bien par rapport au temps fort de la mesure. Il va de soi que ce second type ne pourrait s’appliquer qu’à des musiques tributaires d’une opposition entre temps forts et temps faibles, alors que le premier concerne tant les musiques fondées sur les mesures que celles ou cette notion n’est pas pertinente. Nous retiendrons ici la définition d’Arom pour qui les notions de commétricité et de contramétricité désignent le mode d’articulation des événements rythmiques par rapport à la pulsation. Études cognitives sur la pulsation Considérations générales

La section qui suit fait référence à nombre d’éléments de l’article «  La contramétricité dans les musiques traditionnelles africaines et son rapport au jazz » de Marc Chemillier, Jean Pouchelon, Julien André et Jérôme Nika 35. La capacité de la musique à mettre en mouvement le corps par l’effet d’une pulsation explique que la psychologie cognitive de la musique s’y soit intéressée, notamment pour distinguer les aspects purement culturels des aspects physiologiques et universels. On observe chez l’enfant une capacité précoce à « partager le temps de manière interpersonnelle » (Gratier & Magnier 2012) qui se manifeste dans les premiers mois dans sa manière de réagir de façon synchronisée à la voix parlée de l’adulte. Depuis une trentaine d’années, la plupart des travaux de psychologie cognitive de la musique se réfèrent à la théorie de Lerdahl & Jackendoff (1983). Celle-ci affirme que, dans un contexte de tempo régulier, la musique sous-entend toujours une métrique alternant temps forts et temps faibles. Toujours selon eux, les unités métriques sont organisées selon une structure hiérarchique au sein de laquelle l’auditeur sélectionne à chaque niveau certains temps considérés comme forts, pour les regrouper au niveau supérieur en « mesures ». Ainsi, au niveau de la battue, dans une mesure à quatre temps, on sélectionne les premier et troisième pour former le niveau des temps forts, puis on sélectionne certains temps forts 35. « La contramétricité dans les musiques traditionnelles africaines et son rapport au jazz », Marc Chemillier, Jean Pouchelon, Julien André et Jérôme Nika, Anthropologie et sociétés, université Laval, 2014, 38 (1) : 105-137.

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qui correspondent aux débuts des mesures, et ainsi de suite. La perception du cadre métrique ainsi défini repose sur ce que les auteurs appellent des « règles de préférence », c’est-à-dire des règles qui permettent à l’auditeur de déterminer la structure métrique en faisant une sorte de pondération entre différents aspects éventuellement contradictoires. Par exemple, chaque auditeur tend à faire coïncider les « points forts » de la métrique avec les attaques sur certaines notes (Lerdahl & Jackendoff, 1983 : 76, règle « Meter Preference Rules » numérotée MPR 3). De surcroît, ils posent que cette tendance est universelle (ibid. 1983 : 96, 278). Sur cette question, nous présenterons ci-dessous des éléments concernant la polyrythmie malinké qui contredisent le caractère universel de cette théorie. Des expérimentations en psychologie cognitive de la musique, menées auprès musiciens comme de non-musiciens, confirment l’existence d’une hiérarchie de niveaux métriques, selon le modèle de Lerdahl & Jackendoff (Palmer & Krumhansl 1987a, 1987b, 1990 ; Krumhansl 2000). Or, les extraits musicaux choisis pour ces tests proviennent uniquement de la musique savante occidentale (Bach, Haydn, Mozart, Brahms), précisément fondée sur le principe de l’opposition entre temps forts et faibles. Si pour ce type de musique les tests confirment bien l’hypothèse de Lerdhal et Jackendoff, ils ne permettent pas pour autant d’en démontrer l’universalité. Ainsi Jean-Jacques Nattiez, estimant que « nous sommes probablement en présence d’un des ouvrages de théorie et d’analyse musicale les plus remarquables du xxe siècle » (Nattiez 2003 : 41), s’empresse d’ajouter que cette théorie s’applique dans le cas d’œuvres issues de la musique tonale. Il souligne que « dans la mesure où 51 des 56 règles proposées sont données comme universelles (Lerdahl et Jackendoff 1983a, 345-52), Lerdahl et Jackendoff lancent aux ethnomusicologues un salutaire défi de taille qui n’a toujours pas été relevé » (ibid. : 43). Certains chercheurs ont pourtant étendu la théorie de Lerdahl & Jackendoff, comme David Temperley, qui a tenté de l’appliquer, entre autres, à la musique africaine. S’appuyant sur des travaux d’ethnomusicologues, pour l’essentiel nord-américains, il s’est heurté à de nombreux contre-exemples qui infirment l’hypothèse de l’universalité de la métrique fondée sur l’opposition de temps forts à des temps faibles. Il n’en conclut pas moins que les musiques africaines et européennes sont semblables eu égard à la métrique (Temperley 2001 : 289). À l’opposé, Candace Brower, dans un article intitulé « Memory and the Perception of Rhythm », montre que la perception d’« échelles de durées » différentes met en jeu des traitements cognitifs de diverses natures (Brower 1993 : 21). Ces différences d’échelle tendent à invalider

ÉTAT DE LA QUESTION

39

l’hypothèse d’un traitement uniforme des durées au niveau de la pulsation et au niveau supérieur de leurs groupements en unités métriques. De son côté, Martin Scherzinger a souligné l’ambiguïté créée par l’application des règles de Lerdahl & Jackendoff à un répertoire de mbira du Zimbabwe, dans lequel il considère toutes les subdivisions de la pulsation comme des temps forts potentiels (Scherzinger 2010). Irène Deliège, discutant la théorie de Lerdahl & Jackendoff, oppose accent expressif – en liaison avec la perception du rythme – et accent métrique. Ce dernier permet de percevoir « une pulsation régulière dans le débit sonore, correspondant à ce qui est souvent décrit comme un retour périodique de temps dits forts et faibles » (Deliège 2004 : 375). Le premier type d’accent concerne la perception de groupements rythmiques, alors que le second désigne un type particulier d’organisation métrique. Elle précise : « S’il est possible que l’on puisse postuler un caractère d’universalité en liaison avec les processus psychologiques de formation de groupements rythmiques, en revanche, l’organisation métrique doit être envisagée dans des limites bien définies […] » (ibid.).

Selon elle, « la notion de mètre [au sens d’alternance de temps forts et faibles] pourrait devoir être restreinte à une période limitée à sept siècles pour ce qui concerne le répertoire de la musique occidentale : les catégories relevant du mètre sont devenues de moins en moins pertinentes pour bien des langages musicaux contemporains. Elles ne sont pas davantage généralisables à l’ensemble des systèmes musicaux de tradition orale » [c’est nous qui soulignons] (ibid. : 376).

Martin Clayton, traitant de la relation entre le concept de tāl dans la musique hindoustānī de l’Inde du Nord et celui de mètre dans la musique occidentale, fournit un éclairage pertinent sur la dichotomie entre la notion de mètre (meter) chez Lerdahl, Jackendoff et celle de métrique telle que la définit Arom : « Selon Lerdahl, Jackendoff et d’autres, le mètre est une hiérarchie de temps “forts” et “faibles” par rapport auxquels le rythme est interprété. Mais comme le montre Arom, le rythme peut être organisé différemment – et notre concept de mètre doit donc être redéfini de façon plus souple, ou alors, comme le propose Arom, nous devons développer de nouveaux concepts et de nouvelles théories pour décrire l’organisation rythmique non métrique. Les travaux d’Arom nous invitent à trouver des concepts plus fondamentaux de l’organisation rythmique, mais ne nous obligent pas à abandonner le concept de métrique. En fait, nous pouvons encore affiner ce concept, sans toutefois nous enfermer dans l’hypothèse déraisonnable qu’il est applicable à toutes les musiques » (Clayton 1997 : 4).

40

ÉTAT DE LA QUESTION

Nombreuses sont les expérimentations menées aujourd’hui sur la perception de la pulsation. Certaines mettent en jeu des tâches de battue exécutées en synchronisation avec la musique, d’autres utilisent des protocoles plus subtils. La portée de ces études est limitée par différents facteurs. D’une part, par le fait que ces expérimentations sont appliquées à des sujets n’appartenant pas à la culture dont les rythmes utilisés pour les tests proviennent. En effet, les participants sont le plus souvent des étudiants d’universités américaines, et l’on imagine sans peine les difficultés qu’ils peuvent avoir à matérialiser sur des exemples musicaux africains la pulsation culturellement adéquate. D’autre part, elles utilisent des stimuli musicaux artificiels (des sons générés par ordinateur). Enfin, elles s’appuient souvent sur les présupposés de la théorie de Lerdahl & Jackendoff, par exemple sur un modèle de contramétricité dû à LonguetHiggins & Lee (1984), qui n’a de sens que dans un cadre métrique hiérarchisé en temps forts et temps faibles, dans lequel un poids différent est attribué à ces deux types de « temps ». On peut le regretter, car d’autres exemples de contramétricité (off-beatness) ont été proposés – notamment par Godfried Toussaint (2003) – qui s’écartent de la théorie de Lerdahl & Jackendoff. Leur ambition – universaliste – appartient à une époque particulière, celle des années 1980, qui doit être replacée dans son contexte. Notre appréciation sur les cultures et les identités s’est sensiblement modifiée avec le développement de nouveaux courants de pensée qui sont apparus depuis, dont le postcolonialisme est l’une des manifestations les plus médiatisées. Toutefois, comme on l’a vu, les quatre décennies qui se sont écoulées depuis le livre de Lerdahl & Jackendoff ont montré combien leur approche avait marqué de façon durable les études sur la perception de la musique et du rythme. En témoignent les nombreux articles qui s’y réfèrent, publiés jusque dans les années 2000 et 2010 par une revue faisant autorité comme Music Perception. Notre travail sur les polyrythmies malinké apporte des éléments nouveaux à cette réflexion en adoptant la démarche qu’avait décrite Simha Arom, consistant à remettre en question certains concepts issus de la musicologie occidentale pour reconstruire une approche du rythme plus directement ancrée dans les conceptions africaines.

ÉTAT DE LA QUESTION

41

Ainsi, la section suivante décrit deux cas de polyrythmie malinké où aucune des frappes ne coïncide avec la pulsation, ce qui apporte des indices contredisant le caractère universel de la théorie de Lerdahl & Jackendoff sur la perception du rythme qui tendrait à faire coïncider les attaques avec la pulsation sous-jacente. Le cas malinké

Chez les Malinké de la région de Haute Guinée, la formule polyrythmique Bando est interprétée sur un ensemble de cinq tambours. Cet ensemble est constitué de deux djembés (joués à mains nues) et de trois dunun (joués avec baguette) de taille et de tessiture différentes. Deux cloches viennent s’adjoindre respectivement aux dunun médium et grave. Les parties constitutives des formules polyrythmiques sont réparties entre un djembé, confié au soliste, et un ou plusieurs djembés et dunun qui l’accompagnent 36. Dans la « matrice 37 » de la formule polyrythmique Bando transcrite cidessous, la partie soliste a été écartée, celle du djembé d’accompagnement aussi, car la présence de cet instrument n’est pas obligatoire lors de la performance ; seule est prise en compte la « l’épure » de la polyrythmie, interprétée sur les trois dunun et les cloches :

36. La description des instruments et de leur rôle respectif au sein de la polyrythmie est présentée au chapitre V. 37. La matrice constitue la version la plus épurée d’un morceau, celle qui en synthétise les traits structurels essentiels, à savoir sa réalisation dans sa forme la plus simple (voir chapitre VII).

42

ÉTAT DE LA QUESTION

Bando O = la baguette rebondit sur la peau ⊗ = la baguette est plaquée sur la peau X = frappe sur la cloche 1

pulsations

2

3

dunun médium dunun grave

o

dunun aigu cloche dun. méd. cloche dun. grave

4 o

o x

x x

x

o x x

o

5

6

o

o

o

o

o

o

o

x

x

x

x

x

x

x

x

7 o

o x

x

x x

x

o

o

o

o

x x

8 o

o

o

o

o

o

o

o

o

x

x

x

x

x

x

x

x

Schéma 1

Si l’on considère toutes les parties, aucune des frappes ne coïncide avec la pulsation, à l’exception de la cloche du dunun médium sur les 1er, 2e, 5e et 6e temps. La figure du dunun grave présente une contramétricité régulière, alors que pour le dunun médium celle-ci est irrégulière. Hormis quatre coups de cloche, toutes les parties sont donc à contretemps. La combinatoire provoque une grande tension par rapport à la pulsation qui est, en quelque sorte, évitée. Un autre exemple de contramétricité nous est donné avec la formule polyrythmique Takosaba originaire de la même région et jouée pour la même circonstance que Bando :

x

43

ÉTAT DE LA QUESTION

Takosaba 1

pulsations

dunun méd.



2 ⊗

dunun grave

o

o x

cloche dun. grave

x

djembé d’acc.



x x

o

x x



o x

x

x





10

o

x

x

x

x

x x

x

pulsations

17

dunun méd.

o

dunun grave

o

dunun aigu

djembé d’acc.



x

12

o

x

x

x

x

D

o

o

o

x

x

x

x

x x



o

o

o

o

o

x

x

x

x

o

x x

x

o

o

o

o

o

o

x

x

x

x

o

o

o

o

o

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x



D

x



16

o

o

o

o

o

o

x

x

x

x

x

x

D ∇

o

x



o

20

x

D

o

o

o o

o

D



o o

o

o

o

19

8

15

D ∇

∇ 18

x

o o

x

x x

14

o o

o



13

o

o

cloche dun. méd. cloche dun. grave

o

o



D ∇



o

o

x



7

⊗ o

x



o

D ∇

o

x

o o

o

x

11 ⊗

o

x

6



o

x

D

5

o



o



dunun aigu

djembé d’acc.

x x

D



dunun grave cloche dun. méd. cloche dun. grave

o

9

pulsations

dunun méd.



4

o

dunun aigu cloche dun. méd.

3

x



Schéma 2

Sur les 179 frappes que totalise cette formule, 38 seulement coïncident avec la pulsation, toutes les autres sont situées à contretemps ; de plus, la figure du dunun grave est exclusivement contramétrique, à l’exception d’une seule frappe (sur la 18e pulsation). Sur les 29 frappes qu’elle totalise, une seule coïncide avec le temps.

44

ÉTAT DE LA QUESTION

pulsations

1

dunun grave

o

pulsations

9

dunun grave

o

pulsations

17

dunun grave

o

2

3

4

o

o

10

11

o

o

19 o

o

o

12

o

18

5 o

6 o

13 o

o

7 o

14 o

o

8 o

15 o

o

o

o

16 o

20 o

o

o

Pour ces deux exemples, la règle de Lerdahl & Jackendoff, affirmant que la pulsation coïncide avec les accents ne s’applique pas dans un contexte contramétrique où le conditionnement culturel conduit à ressentir les appuis sur des parties non accentuées du flux musical.

o

o

CHAPITRE IV

MÉTHODOLOGIE Chez les Malinké, comme dans bien d’autres populations subsahariennes, la complexité de l’entrecroisement des parties au sein d’une polyrythmie est telle que leur enchevêtrement ne permet pas de déterminer, à la seule écoute, le contenu de chacune des parties individuelles. Aussi, pour pouvoir en effectuer une analyse, il s’agissait donc, pour chaque formule polyrythmique : — de connaître la partie propre à chaque musicien ; — de voir comment celle-ci s’imbrique avec toutes les autres. En ajoutant à cela la position de la pulsation commune à toutes, on possède alors les éléments nécessaires et suffisants afin de réaliser une transcription, première phase de toute analyse. Pour ce faire, je me suis inspiré du procédé du re-recording mis au point par Simha Arom, procédé qui lui a permis d’effectuer, sur le terrain, des enregistrements analytiques de musiques polyphoniques centrafricaines et de mettre au jour les principes sur lesquelles celles-ci étaient fondées. Ce processus d’enregistrement utilise deux magnétophones stéréophoniques placés côte à côte, l’un servant à la lecture et l’autre à l’enregistrement. « La première phase du processus consiste à enregistrer conventionnellement la pièce toute entière […] dans la deuxième phase […] on commence par disposer le matériel de la façon suivante. La bande magnétique de l’enregistrement tutti est rembobinée et placée sur le magnétophone de lecture (A). Celui-ci est raccordé […] à l’entrée-ligne du magnétophone (B) […]. Le magnétophone A diffuse l’enregistrement tutti dans le casque du musicien qui, en synchronisme rigoureux avec ce qu’il entend, rejoue sa propre partie [alors enregistrée sur le magnétophone B] ; entièrement guidé par l’enregistrement auquel il a pris part, ce qu’il joue se trouve, sur le plan du déroulement temporel, coïncider parfaitement avec l’enregistrement initial. […] Ainsi donc, à la fin de cette opération, le chercheur dispose de deux enregistrements : celui de la pièce de référence d’une part, et de l’autre, un enregistrement qui présente la même pièce sur sa piste inférieure et la partie du musicien 1, totalement isolée, sur sa piste supérieure » (Arom 1985 : 197-198).

L’opération se renouvellera autant de fois que nécessaire afin d’obtenir chaque partie isolée mais synchronisée à une référence, ce qui permet, après coup, de reconstituer la pièce dans son ensemble pour en analyser les différentes parties constitutives.

46

MÉTHODOLOGIE

La pertinence et l’efficacité de ce procédé ont conduit de nombreux chercheurs à l’utiliser à leur tour sur leurs terrains respectifs, en Centrafrique ou dans d’autres régions d’Afrique subsaharienne ; citons notamment les travaux de Susanne Fürniss sur les systèmes scalaires des Pygmées Aka (Fürniss 1991, 1992), ceux de Vincent Dehoux analysant le jeu de la sanza dans les répertoires des chants à penser Gbaya (Dehoux 1986), ou encore, les travaux de Sylvie Le Bomin, Frédéric Voisin et Emmanuelle Olivier. Au fil des ans, l’évolution technologique a permis de réduire considérablement l’encombrement de l’équipement nécessaire au re-recording, grâce notamment au passage de l’analogique au numérique. Emmanuelle Olivier explique ainsi de quelle manière elle a conçu, en collaboration avec Frédéric Voisin – tous deux issus de l’équipe d’Arom –, un dispositif utilisant un matériel numérique « plus léger, facile et rapide à manier » (Olivier 1995 : 113). Aujourd’hui, certains chercheurs ont recours à un équipement qui permet d’enregistrer un ensemble polyphonique en ayant la possibilité d’en isoler les différentes parties constitutives. Rainer Polak décrit ainsi le matériel utilisé pour enregistrer un groupe de percussionnistes au Mali en 2006 et 2007 : des microphones sont placés sur chaque tambour et reliés à un enregistreur numérique multipistes, cependant qu’une captation vidéo est effectuée simultanément. Suite à quoi, divers logiciels permettent d’extraire les parties constitutives, converties en autant de fichiers audio pouvant être analysés séparément (Polak 2010 : [31]). Pour ma part, comme je ne disposais que d’un unique magnétophone et, de surcroît, monopiste, j’ai mis au point une méthode associant l’apprentissage des tambours à ce que l’on pourrait qualifier de re-recording « virtuel », permettant ainsi d’obtenir l’effet du re-recording sans en avoir les outils conventionnels. Ce procédé emploie les mêmes principes que le re-recording, en ce qu’il permet d’isoler les parties constitutives d’un ensemble polyphonique mais, plutôt que d’enregistrer les parties de manière successive et sur des pistes séparées, leur enregistrement s’effectue ici sur une seule piste et sans interruption. Quant à mon apprentissage, il consistait à me familiariser progressivement au jeu de toutes les parties individuelles. Dans les pages qui suivent, je décrirai les différents aspects de la singularité de cette démarche, en commençant par l’apprentissage du jeu des tambours.

MÉTHODOLOGIE

47

Mon apprentissage du djembé À plusieurs reprises, je me suis rendu en Afrique pour y apprendre à jouer les tambours auprès de musiciens traditionnels, d’abord en 1989 en Côte d’Ivoire puis, entre 1991 et 2000, au Mali et en Guinée. Sans que je le sache, ma démarche a ainsi consisté à relever le « défi de la bi-musicalité », prôné par Mantle Hood dans un article publié en 1960 et qui posa les bases de l’observation participante en ethnomusicologie (Hood 1960). Selon ce chercheur : « La formation des oreilles, des yeux, des mains et de la voix et l’aisance acquise dans ces domaines permettent une réelle compréhension des études théoriques qui, à son tour, prépare la voie aux métiers d’interprète, de compositeur, de musicologue et d’enseignant 38 » (Hood 1960 : 55).

Cet apprentissage se déroulait de deux manières différentes. D’une part, je demandais à des musiciens reconnus comme des références dans la pratique des tambours dans les régions concernées de m’enseigner. Or, la plupart d’entre eux n’avaient jamais transmis leur musique dans le cadre d’un apprentissage formalisé et, a fortiori, à une personne étrangère à leur culture. Il m’a donc fallu trouver une manière d’interagir avec eux pour pouvoir, dans un premier temps, identifier les figures rythmiques et les mémoriser et, ensuite, les jouer à mon tour, cependant que les tambourinaires jouaient les autres parties, afin d’obtenir une validation de leur part. Cela me permettait, par l’écoute et l’observation, d’identifier « à la volée » des phrases récurrentes, tout en m’imprégnant de la musique en train de se dérouler. Un autre aspect de mon apprentissage consistait à jouer au sein des ensembles pendant les cérémonies, à l’invitation des tambourinaires auprès desquels j’étudiais. Je suivais alors les différentes étapes par lesquelles passe tout apprenti percussionniste, en commençant par interpréter des ostinatos stricts joués sur le djembé d’accompagnement et sur le dunun aigu. Mon objectif au sein des ensembles était de repérer, tout en jouant, de quelle manière ma partie était imbriquée dans toutes les autres, y compris la 38. « The training of ears, eyes, hands and voice and fluency gained in these skills assure a real comprehension of theorical studies, which in turn prepares the way for the professional activities of the performer, the composer, the musicologist and the music educator ». La liste des ethnomusicologues qui ont suivi cette voie serait trop longue pour être énumérée ici. Pour ce qui est de l’Afrique subsaharienne, citons notamment Gerhard Kubik (1962), Paul Berliner (1978), David Locke (1982), Michelle Kisliuk (1998), Rainer Polak (2010) ; les dates correspondent à des articles dans lesquels les auteurs parlent de leur apprentissage de la musique qu’ils étudient.

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MÉTHODOLOGIE

partie soliste. Jouer une figure « simple » peut alors représenter un véritable défi si, par exemple, elle est la seule qui matérialise la pulsation et que toutes les autres sont à contretemps. En outre, jouer lors des manifestations requiert de l’endurance, ce qui implique un grand effort physique. C’est bien à force de jouer les ostinatos que ces compétences se développent. Enfin, l’enseignement ne passant pas par la verbalisation, il n’y avait ni conseil ni remarque, mais la moindre erreur, le moindre relâchement de ma part ne passait pas inaperçu. Ainsi, lorsque je me trompais, mon mentor me le faisait comprendre en rejouant ma partie en même temps que moi et de manière conforme, jusqu’à ce que je me cale sur celle-ci. Si l’erreur se reproduisait, un percussionniste venait alors – gentiment – me demander de lui céder ma place à l’instrument. Il s’ensuivait que je sortais du groupe pour un temps, mais que j’étais libre d’y revenir à tout moment au cours du déroulement de la fête, pour une nouvelle tentative. C’est ainsi qu’à force de pratique, j’ai pu tenir ma place d’accompagnateur, me limitant d’abord aux ostinatos stricts sur la durée totale d’un événement, puis, au fur et à mesure lors d’événements différents. J’ai alors pu aborder les ostinatos à variations, et me voir confier par la suite des interventions solistes au djembé. Ce faisant, j’ai éprouvé la difficulté que représente cette fonction – qui consiste à adapter son jeu aux figures chorégraphiques de la danseuse ou du danseur. C’est que, pour ce qui est de l’interaction entre le soliste et le déroulement chorégraphique, l’initiative revient toujours à ces derniers. Il incombe donc au soliste de s’y adapter en jouant la phrase adéquate, au risque que la danseuse ou le danseur s’arrêtent puis se retirent de l’aire de danse – expérience que j’ai vécue plus d’une fois… À l’inverse, quand le soliste est convaincant, il arrive qu’il soit récompensé par un pagne que la danseuse place autour de son cou ou par un billet qu’elle pose sur son front. Ces signes positifs, lorsqu’ils me furent adressés, m’encourageaient à poursuivre mes essais, m’indiquant que j’étais sur la bonne voie. L’enregistrement en vue de l’analyse Afin de pouvoir transcrire et analyser le corpus recueilli, j’ai mis au point un dispositif permettant, au cours d’enregistrements provoqués, d’isoler chacune des parties constitutives de tout ensemble polyrythmique. En voici la procédure : je débutais l’enregistrement par le groupe au complet, puis je demandais successivement aux musiciens, en leur adressant un signe, de cesser de jouer, jusqu’à ce que ne subsiste qu’un seul tambour.

MÉTHODOLOGIE

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Je demandais ensuite à un autre musicien de reprendre la phrase qu’il avait préalablement interrompue, en se calant sur la partie qui demeurait et qui, dès lors, devenait sa référence. En d’autres termes, la partie I servait de référence à la partie II. Je procédais de la même manière, en couplant les 2e et 3e tambours, les 3e et 4e, et ainsi de suite, jusqu’à obtenir la totalité des parties  39. Ce procédé permettait de comprendre les modes d’imbrication respectifs des différents instruments en présence. Suite à quoi, afin d’obtenir la position de la pulsation, je sollicitais un membre du groupe pour la matérialiser par des battements de mains. Une fois cette étape accomplie, je pouvais enregistrer les différentes variations de chaque figure isolément, afin d’en effectuer une transcription qui respecte aussi bien son cadre métrique que la période globale de la formule polyrythmique. Je demandais alors à chaque musicien d’effectuer la partie qui était la sienne, d’abord comme il le ferait pendant une performance conventionnelle, puis en lui proposant d’élaguer les variations pour aboutir à une figure minimale – une épure –, que je pourrais considérer, à ce stade, comme la matrice de toutes ses réalisations. Procédés de variation Certains instruments font des variations, d’autres n’en font pas. Ces derniers sont en fait des ostinatos stricts : la réalisation de chacun d’eux est donc, par définition, identique à son propre modèle. Pour ceux des instruments qui réalisent des variations, il s’agissait de savoir, pour chaque partie, quelle était la figure de référence, ou la matrice, à partir de laquelle le musicien réalise ses variations. Lorsque je demandais aux musiciens de jouer la figure qui leur paraissait « la plus simple », ce n’était pas, comme on aurait pu s’y attendre, la plus épurée qu’ils réalisaient, mais celle qui était la plus fréquente, et dont les variantes consistaient aussi bien à retrancher des notes, qu’à en ajouter. C’est en cela qu’elle diffère de la notion de modèle telle que décrite en Centrafrique par Arom, qui constitue la version la plus épurée d’une figure dont procèdent toutes les variations. Il est ainsi apparu très vite que, parmi les variantes, il y en a une que les musiciens

39. Il peut arriver que l’exécution de deux parties simultanées, extraites d’un ensemble polyrythmique, se révèle délicate pour les musiciens, car trop éloignée de leurs repères habituels en situation de performance. Dans ce cas, il suffit d’y ajouter la partie de la formule polyrythmique qui réalise un ostinato strict, venant ainsi renforcer l’ensemble.

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MÉTHODOLOGIE

privilégiaient, à savoir celle qui était le plus fréquemment jouée ; ce qui corroborait mon hypothèse. À titre d’exemple, voici deux variantes du dunun grave de Konowulen par rapport à sa matrice : pulsations

1

2

3

4

dunun grave

o

5 o

o

6

7

o

o

o

8 o

o

Matrice pulsations

1

dunun grave

o

2 o

3 o

o

4 o

o

5 o

o

6 o

7 o

o

8 o

o

Variation par ajout 1

pulsations

dunun grave

2

3

4 o

5 o

6

7 o

Variation par suppression

Étant à même de reconnaître à l’écoute les différentes parties constitutives de l’ensemble, il devenait possible de réaliser une partition globale d’une polyrythmie à partir d’un enregistrement en situation, sans avoir recours au re-recording. À partir de cette partition, je réalisais une transcription linéaire, puis une transcription paradigmatique des différentes parties constitutives. Cette dernière permettait de comparer les variantes d’une partie donnée, puis d’en établir l’inventaire pour obtenir sa réduction matricielle. Ces différents types de transcriptions sont illustrés dans les Annexes, p. 196-241. Précisons enfin que, dans tout ensemble polyrythmique malinké, il n’y a improvisation que dans une seule partie, celle du tambour solo, dont il sera question au chapitre VIII. Les ensembles sont constitués d’une partie soliste et de plusieurs parties d’accompagnement. Les accompagnements réalisent des ostinatos, certains avec variations, d’autres sans. Les instruments d’accompagnement sont en fait ceux qui posent la structure architecturale du bloc polyrythmique. Le paradoxe est que celui qu’on a tendance à considérer généralement comme le plus important – le soliste – est structurellement le moins important. Notons que ces principes ne sont pas typiquement malinké, ils sont extrêmement répandus en Afrique, avec d’éventuelles variantes locales.

8 o

o

MÉTHODOLOGIE

51

Validation culturelle Pour la validation des figures rythmiques que j’avais identifiées, j’opérais comme suit : après les avoir transcrites, je les jouais avec les musiciens auprès desquels j’apprenais, en occupant successivement les différents postes au sein de la polyrythmie. Ce qui pouvait susciter des réactions diverses : ou bien j’avais correctement interprété la phrase et la musique poursuivait son cours ; ou ce n’était pas le cas et le groupe s’arrêtait – dans quel cas, l’un des tambourinaires venait prendre ma place pour me montrer comment faire… Une autre validation culturelle, – bien plus tangible – est celle qui conduisait les musiciens à m’inviter pour jouer avec eux lors de cérémonies rituelles (telles que mariages ou dation du nom), ce qui n’a jamais soulevé la moindre objection de la part de l’auditoire.

CHAPITRE V

LA POLYRYTHMIE

Définition Pour définir la notion de polyrythmie chez les Malinké, nous reprenons la définition d’Arom : «  La polyrythmie résulte de l’entrecroisement d’au moins deux figures rythmiques antagonistes, tributaires d’un même étalon de temps  » (Arom 2007 : 413).

Les figures sont antagonistes car leurs marques respectives (accents, opposition de timbres ou de durées) se manifestent en des endroits différents. Il en résulte une double tension : — entre les figures rythmiques en présence ; — entre celles-ci et leur soubassement métrique. Instruments et modes de jeu Les polyrythmies malinké sont interprétées sur des tambours auxquels viennent s’adjoindre, dans certains cas, des cloches. Les ensembles peuvent compter de trois à six tambours – quelquefois même davantage –, selon les localités. Ces tambours sont de deux types : les djembés, joués à mains nues, et les dunun joués avec baguettes. Dans certaines régions  40, des cloches sont également utilisées avec les dunun : le même musicien joue d’une main la cloche, qui est attachée sur le fût du tambour et, de son autre main, en frappe la peau. Le djembé Le djembé est un tambour à une membrane sur caisse. La mise en vibration est obtenue par la frappe des mains sur la membrane. La caisse, en forme de demi-sablier, est constituée d’un bloc de bois évidé. La partie supérieure est recouverte d’une peau de chèvre ou d’antilope cerclée et 40. Principalement dans les régions Hamana, Gberedu, Sankaran, situées en Moyenne et en Haute Guinée.

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tendue grâce à un système de laçage. Les dimensions du djembé sont variables, une soixantaine de centimètres pour la hauteur, une trentaine pour le diamètre de la partie supérieure. Depuis les années 1980, avec l’apparition de nouveaux matériaux, le système de montage de la membrane a évolué. Des cercles métalliques ont ainsi remplacé ceux réalisés à partir de peau animale ou de fil de fer tressé – bien que l’on trouve encore parfois ces derniers en zone rurale 41. De la même manière, le cordage jadis réalisé avec de la peau torsadée a laissé place à des cordes en nylon, lesquelles, plus solides, permettent une tension plus importante de la membrane 42.

Photo 5. Djembé provenant de Bamako, Mali. © Julien André

Joué à mains nues, il fait appel à trois sons de timbres différents, obtenus selon la position des mains sur la membrane.

41. Sur la description de la fixation de la membrane du djembé par couture, voir aussi Schaeffner (1990  : 85-86) et Zemp (1971  : 41). Une photographie datant de 1938 d’un djembé avec membrane cousue (Ponsard s.d., coll. musée de l’Homme, Paris, numéro de dossier D.84. 1026.493) est reproduite dans Charry (2000 : fig. 26) et Polak (2000 a : fig. 2). 42. Concernant l’évolution des techniques de montage du djembé et leur incidence sur la sonorité et le jeu de l’instrument, voir Zanetti (1996 : 171), Polak (2000 : 20-27).

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Un son grave est obtenu par la frappe de la main à plat au centre de la peau :

Photo 6. Frappe du son grave. © Ibrahima Diabaté

Un son médium, par la frappe sur le pourtour de la peau des quatre doigts (index, majeur, annulaire, auriculaire) réunis :

Photo 7. Frappe du son médium. © Ibrahima Diabaté

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Un son aigu est obtenu par l’appui de la main sur le bord du tambour et, simultanément, la frappe de l’extrémité des quatre doigts (index, majeur, annulaire, auriculaire) réunis :

Photo 8. Frappe du son aigu. © Ibrahima Diabaté

Le musicien place le djembé entre ses jambes. Il peut jouer debout ou assis. S’il est debout, l’instrument est maintenu attaché par une sangle passée à la taille ou bien posée sur les épaules. En position assise, il place l’instrument face à lui, le maintient entre ses cuisses et l’incline vers l’avant. Des bruiteurs (sege sege) sont fréquemment fixés sur la partie supérieure du djembé. Il s’agit de trois – parfois deux – plaques métalliques, sur le pourtour desquelles sont percés des trous munis d’anneaux qui vibrent pendant le jeu.

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Photo 9. Bruiteurs sege sege. © Julien André

Le dunun Le dunun est un tambour à deux membranes sur caisse. La mise en vibration est obtenue par le frappement de l’une des peaux au moyen d’une baguette qui peut être droite ou recourbée. La caisse est en bois évidé ou en métal  43. Une peau de vache ou de chèvre recouvre chaque extrémité ; les peaux, cerclées, sont rendues solidaires par un laçage. Selon les localités, le nombre de dunun au sein de l’ensemble polyrythmique varie d’un à trois. Lorsqu’il y en a plusieurs, ils sont de taille et de tessiture différentes. Ainsi, en Haute Guinée, où trois dunun sont joués ensemble, ils portent les noms suivants, du plus aigu au plus grave : kesereni ou kensedeni ou sangbandeni, dununden ou sangban, et dununba. Au Mali, notamment dans la région de Kangaba, les dunun sont souvent joués par deux, le plus aigu est nommé kongoni ou kenkeni et le plus grave dununba.

43. Aujourd’hui, il peut s’agir d’un récipient en fer-blanc d’huile ou d’essence récupéré.

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Photo 10. Frappe de la baguette sur la membrane du dunun. © Ibrahima Diabaté

Photo 11. Dununba, sangban et kesereni. © Julien André

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En fonction de la taille de l’instrument et du contexte de jeu, le musicien porte le dunun sur son épaule au moyen d’une sangle, ou bien le pose horizontalement face à lui, à même le sol ou sur un support. Qu’il s’agisse du djembé ou des dunun, il est souvent nécessaire, au cours de la performance, d’en retendre les membranes à intervalles réguliers. En zone rurale, cette opération s’effectue souvent en chauffant les peaux auprès d’un feu allumé à cet effet.

Photo 12. Chauffage des dunun pour en retendre les membranes, Koumana, Guinée. © Julien André

La cloche kenken Selon les régions, des cloches viennent compléter le jeu du dunun. C’est un seul et même musicien qui frappe la peau d’une main et, de l’autre, la cloche. Celle-ci, attachée sur le fût du tambour, est jouée au moyen d’une tige métallique ou d’une bague passée au pouce du musicien.

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Photo 13. Cloche kenken. © Julien André

La figure rythmique de la cloche est tributaire de celle jouée sur la peau du tambour dunun : elle en réalise une ornementation et ce, en respectant deux règles qui se vérifient pour toutes les polyrythmies malinké : — les frappes sont plus nombreuses sur la cloche que sur la peau du tambour ; — une frappe sur la peau coïncide toujours avec une frappe sur la cloche. La cloche réalise ainsi des variantes libres par rapport au modèle, ce dernier étant fourni par la figure jouée sur la peau.

Leur rôle au sein de l’ensemble Les ensembles polyrythmiques sont constitués d’une partie soliste et de plusieurs parties d’accompagnement. Celles-ci sont confiées à un ou plusieurs djembés et un ou plusieurs dunun – auxquels peuvent s’adjoindre des cloches. La partie soliste, quant à elle, est réalisée sur un djembé. La partie du djembé d’accompagnement est nommée jembe den («  petit djembé » ou « djembé disciple »), celle du djembé solo, jembe ba (« grand djembé » ou « djembé maître »).

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Les rôles des parties correspondant aux différents instruments se répartissent alors de la manière suivante : 1. Le dunun aigu et le djembé d’accompagnement sont des instruments qui se limitent à un ostinato strict. 2. Le dunun médium a un stock de variations extrêmement limité qu’il ne transgresse jamais. 3. Le dunun grave a un stock limité de variations qu’il peut transgresser à certains moments, en réalisant des amplifications ou des réductions. Quelle que soit la modification qu’il applique à la réalisation de sa figure, elle doit toujours correspondre, par sa dimension, à celle du cycle initial ou à l’un de ses multiples. 4. Quant au soliste, sa principale activité est l’improvisation. Pour ce faire, il utilise un certain nombre de phrases clés qui lui servent de tremplin. Le soliste détient beaucoup plus de ressources que les autres. Il peut : — répéter les phrases clés en les enchaînant à sa guise ; — les modifier légèrement tout en leur permettant de rester identifiables (par ses acolytes, mais aussi par les danseuses ou danseurs) ; — s’en servir comme tremplin pour des improvisations fort élaborées. Le principe est donc le suivant : un ou plusieurs ostinatos stricts auquel se superpose un ou plusieurs ostinatos à variations, l’ensemble servant de soubassement aux improvisations d’un soliste. On constate alors une gradation dans le degré de liberté des différentes parties, à savoir  : un instrument qui réalise un ostinato strict, un autre, un ostinato légèrement varié, un tambour qui a une part de variations plus grande, et enfin, un soliste qui improvise. Notons que ces principes ne sont pas typiquement malinké, ils sont extrêmement répandus en Afrique. Diversité des ensembles polyrythmiques Il existe différents types d’ensembles instrumentaux selon les localités. Les différences concernent le nombre d’instruments, le type de la membrane (peau de chèvre ou de vache) utilisée pour les tambours dunun et la présence ou non de cloches. Un ensemble minimal est composé d’un djembé et d’un dunun ; ce cas de figure s’est toutefois rarement présenté lors de nos recherches. Un ensemble peut s’étendre à « un djembé soliste, deux ou bien davantage de djembés d’accompagnement et d’un à trois dunun » (Charry 2000 : 195). Nous avons pu constater qu’au Mali, dans

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la région de Kangaba, l’effectif le plus fréquent comptait un djembé solo, un djembé d’accompagnement et un dunun, ce dernier étant monté avec des peaux de chèvre et joués sans cloche. Dans le Sankaran, situé dans la région de Faranah en Moyenne Guinée, les ensembles de tambours étaient généralement constitués d’un djembé soliste, d’un ou deux djembés d’accompagnement et d’un ou deux dunun. Ici toutefois, la membrane utilisée pour le dunun était une peau de vache et des cloches venaient s’adjoindre à ces tambours. Lorsqu’on remonte au nord-est de la Guinée, dans les régions du Hamana et du Gberedu, la batterie de tambours est composée d’un djembé soliste, d’un ou quelquefois deux djembés d’accompagnement et de trois dunun en peau de vache, dont deux – le médium et le plus grave – joués avec cloches. Typologie des figures rythmiques d’accompagnement Il est intéressant de noter que certaines figures sont communes à plusieurs formules polyrythmiques – c’est d’ailleurs un trait typique de nombreuses musiques en Afrique –, tandis que d’autres sont spécifiques. Il convient alors de distinguer les premières – « identificatoires » –, des secondes que nous nommerons « pérégrines ». Figures identificatoires Une figure identificatoire, comme son nom l’indique, est propre à une formule polyrythmique à l’exclusion de toutes les autres. Sa simple interprétation suffit pour pouvoir identifier la formule polyrythmique à laquelle elle renvoie. Comme nous l’avons précédemment dit, la dimension des ensembles de tambours varie selon les régions : — trois tambours, deux djembés et un dunun médium ; — quatre tambours, dans ce cas un dunun aigu vient s’ajouter ; — cinq tambours, avec ajout d’un dunun grave. Le dunun médium est donc présent dans toutes les configurations et, de plus, la figure jouée sur cet instrument est toujours identificatoire. Ainsi, quelle que soit la dimension des ensembles, la figure associée à ce tambour est nécessaire et suffisante pour l’identification d’une formule polyrythmique.

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Figures pérégrines Une figure est dite pérégrine lorsqu’elle est présente dans au moins deux formules polyrythmiques différentes. Par rapport au cadre métrique, ces figures circulent entre plusieurs répertoires et ce, de deux manières possibles. Elles peuvent se situer : a) dans des positions identiques par rapport à la pulsation, b) : dans des positions différentes. a) dans des positions identiques par rapport à la pulsation

Il existe deux figures du djembé d’accompagnement circulant à travers l’ensemble des formules polyrythmiques ; leur répartition est déterminée par leur mode de subdivision de la pulsation. L’une est commune à toutes les polyrythmies dont la subdivision est binaire, l’autre à toutes celles dont elle est ternaire. Dans les deux cas, leur position par rapport à la pulsation est immuable.

Figure d’accompagnement binaire :

Figure d’accompagnement ternaire :

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La transcription ci-dessous est celle d’une figure du dunun grave de quatre pulsations, présente dans trois formules polyrythmiques différentes, à savoir, Marakadon, Kon et Mendiani :

Figure'pérégrine'du'dunun'grave'dans'trois'répertoires' différents'

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On constate que la figure est identique pour les trois formules, sa position est immuable par rapport à la pulsation mais décalée au sein de la période. b) dans des positions différentes par rapport à la pulsation

Il existe des cas où la figure ne se modifie pas, mais son organisation par rapport à l’armature métrique diffère d’un répertoire à l’autre : la substance rythmique est identique, mais elle se positionne différemment par rapport à la pulsation. Du point de vue de la perception, l’effet produit est très déstabilisant pour un auditeur étranger à la culture. Voici deux formules polyrythmiques différentes, Dansa et Sandia ; si l’on observe terme à terme chacune des parties, on constate que, d’une formule polyrythmique à l’autre, chaque figure se trouve décalée d’une croche par rapport à la pulsation :

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La figure du dunun  1 de dansa est identique à celle de Sandia mais décalée d’une croche. Idem pour les djembés d’accompagnement 1 et 2. Quant au dunun  2, les figures sont identiques s’agissant des durées  ; seul un timbre diffère parmi les trois frappes que compte la figure. On constate également que, pour l’ensemble des figures, le décalage s’opère toujours dans le même sens. La formule polyrythmique dansa est – à une modification de timbre près – la même que Sandia, mais translatée d’une croche.

CHAPITRE VI

STRUCTURATION DU TEMPS

Le cadre métrique La plupart des musiques du continent africain sont fondées sur une pulsation régulière, à savoir « une série de repères régulièrement espacés, c’est-à-dire équidistants dans le temps » (Arom 1985 : 329). La détermination de la pulsation peut être obtenue en demandant à des membres de la société étudiée de battre dans les mains à l’écoute de la musique, ou d’utiliser tout procédé de percussion « dont la sonorité produite soit sèche » (ibid. : 202). Il est de fait que, au sein d’une culture donnée, il y a consensus sur la manière de placer ces battements par rapport à la musique » (ibid. : 296, 345, 410). Les battements de mains constituent un moyen de coordination, un étalon de temps comparable à celui qu’indique la battue du chef d’orchestre dans la musique savante occidentale (ibid. : 292), « dont la fonction s’apparente à celle du tactus médiéval » (ibid. : 336). Ils s’en distinguent pourtant du fait que, dans les musiques africaines, le plus souvent, la pulsation n’est pas concrétisée pendant la performance : « Les musiciens traditionnels africains, en effet, n’éprouvent nul besoin de matérialiser, sous quelque forme que ce soit, la référence temporelle qui ordonne leur musique » (ibid. : 312).

De plus, l’organisation du temps dans ces musiques repose sur des groupements de pulsations en cycles qui sont répétés périodiquement : le matériau musical se répète, de manière plus ou moins variée, à intervalles réguliers. Nous avons ainsi plusieurs niveaux superposés : la valeur opérationnelle minimale, qui constitue la plus petite unité pertinente issue de la subdivision de la pulsation (ibid. : 410), la pulsation elle-même, et la période qui regroupe un nombre constant de pulsations. En outre, le cadre métrique dans lequel la substance musicale s’inscrit ne comporte aucune alternance de temps forts et faibles : « Les temps qui fondent la période ont tous un statut équivalent, d’où l’absence de tout niveau intermédiaire (mesure, temps fort) entre pulsation et période » (ibid. : 345).

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STRUCTURATION DU TEMPS

Nous allons à présent voir de quelle manière ces caractéristiques s’appliquent aux polyrythmies malinké. Périodicité Comme le note Arom, « la période sert d’armature temporelle aux événements rythmiques. Elle est toujours composée de nombres entiers ; dans la plupart des cas, ces nombres sont pairs (2, 4, 6, 8, 12, etc.) » (ibid. : 409). Dans les polyrythmies malinké, comme dans la plupart des polyrythmies africaines, la périodicité des différentes figures en présence diffère, mais leur rapport reste toujours simple (2 : 3 ; 2 : 4, et leurs multiples). Voici les règles concernant la majorité des répertoires malinké : — la figure du djembé d’accompagnement a toujours une période de deux pulsations ; — lorsqu’il y a plusieurs dunun, les figures en présence ont des périodes de longueurs différentes. — c’est le dunun dont la figure est la plus longue qui détermine la période globale de la polyrythmie 44. Il s’ensuit que, indépendamment du nombre de tambours en présence, une formule polyrythmique est toujours constituée de parties dont les périodes présentent des dimensions différentes. Ainsi, pour la formule polyrythmique Mendiani, les figures du djembé d’accompagnement et du dunun aigu comptent deux pulsations, tandis que celles du dunun médium et du dunun grave en comptent quatre. La diversité des périodicités superposées est représentée par le schéma suivant : dunun médium

4

dunun grave

4

dunun aigu

2

cloche dunun méd.

4

cloche dunun grave djembé d’acc.

2

4 2

2

44. Selon les répertoires, les périodes sont différentes ; les plus fréquentes sont celles à 4 temps (39 formules polyrythmiques sur les 67 que totalise notre corpus), puis celles à 8 temps (20 formules). Moins répandues sont celles à 6 temps (3 formules) ou à 16 temps (3 formules). Enfin, signalons qu’il existe aussi des polyrythmies à 20 temps et à 28 temps.

STRUCTURATION DU TEMPS

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On note que le rapport entre les figures du djembé d’accompagnement et du dunun aigu, d’une part, et celles du tambour médium, du dunun grave et de leurs cloches respectives, d’autre part, est de 1 : 2. Cet exemple est représentatif de l’ensemble des polyrythmies jouées avec plus de trois tambours. Dans bien des répertoires, les instruments peuvent être, du point de vue de la périodicité, répartis en deux groupes : d’une part, le (ou les) djembé(s) d’accompagnement et le dunun aigu, dont la période est identique ; d’autre part, le dunun médium et le dunun grave, dont la période constitue toujours un multiple des précédents. Cela est corroboré par le fait que les instruments du premier groupe réalisent des ostinatos stricts, tandis que ceux du second interprètent des ostinatos à variation. La notion de début de cycle Les polyrythmies malinké requièrent que l’on aborde la question de l’existence d’un « début de cycle », qui soit reconnu culturellement, et d’apporter à ce sujet des éléments nouveaux. Dans de nombreuses musiques africaines, il n’existe pas de repères indiquant où commence la période. Au-dessus du niveau de la pulsation, l’organisation métrique est donc essentiellement circulaire. Toutefois, l’improvisation des tambourinaires solistes ou l’enchaînement des figures des danseurs peuvent, par moments, contrebalancer le caractère cyclique des formules de percussions (Agawu 2006 : 40). Les propos du percussionniste ghanéen Ladzekpo, recueillis par Vijay Iyer, vont dans le même sens : « La première pulsation a [...] un statut privilégié [...] et correspond d’une certaine manière à la notion occidentale de temps fort, bien qu’elle fonctionne un peu différemment » (Iyer 1998 : chap. 4). En pays malinké, l’entrée des tambours peut se faire de deux manières, soit par interventions successives, ou suite à une figure-signal de quatre pulsations, jouée par le soliste. Ce dernier type de figure a, en outre, différentes fonctions pouvant servir à conclure une séquence rythmique, indiquer un changement des pas de danse, débuter ou terminer le morceau. Le statut spécifique des figures-signal est attesté par un nom vernaculaire par lequel on les désigne, à savoir tigeli, « la coupure ». Leur durée équivaut toujours à quatre pulsations.

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STRUCTURATION DU TEMPS

Trois figures-signal sont très répandues dans la zone malinké. L’une est commune à toutes les polyrythmies dont la subdivision de la pulsation est binaire :

Quant à celles dont la subdivision est ternaire, elles sont réparties en deux groupes distincts ; l’un est tributaire de la figure-signal ci-dessous :

L’autre groupe est assujetti à la figure signal suivante :

L’utilisation de la figure-signal indique le démarrage d’une polyrythmie, sa combinatoire est immédiatement en place sur le temps qui suit cette phrase introductive. En zone rurale, ce cas n’est pas le plus fréquent 45, l’utilisation d’une figure-signal introductive est plus répandue dans les villes, ayant subi l’influence des «  Ballets nationaux  46 ». Pour nous, la

45. Les tambours entrent plutôt par interventions successives : le chant commence puis les tambourinaires entrent à tour de rôle, sans ordre préétabli. Chacun d’eux est libre de débuter sa figure rythmique à n’importe quel point de la période, à condition toutefois de respecter la combinatoire inhérente à la formule polyrythmique. 46. Il semblerait que ces distinctions furent introduites avec la création des Ballets nationaux en Guinée puis au Mali dans les années 1960.

STRUCTURATION DU TEMPS

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question était de savoir s’il existe un temps qui désignerait le début du cycle et qui, par conséquent, aurait un statut particulier. À cette fin, nous avons mis en place un test qui a été effectué et vérifié entre 1994 et 2000 et ce, sur un large territoire 47. Il a été ensuite renouvelé à Paris en 2000 avec des musiciens n’ayant jamais joué ensemble, voire originaires de pays différents d’Afrique de l’Ouest. Le test consistait à demander à un groupe de percussionnistes d’exécuter une polyrythmie en la démarrant après l’une des figures-signal. Chaque polyrythmie portant un nom, il suffisait d’en nommer une pour que chaque musicien sache quelle est la figure rythmique qu’il doit réaliser au sein de l’ensemble. Le soliste était alors invité à jouer l’une des figures-signal annonçant la polyrythmie sélectionnée. À chaque fois, et sans concertation préalable, la polyrythmie démarra, parfaitement synchronisée. À partir de ce constat, on a été conduit à penser qu’il existe, au sein de la période de chaque polyrythmie malinké, un temps initial du cycle, en d’autres termes, une pulsation ayant un statut particulier qui permet le démarrage simultané de chaque formule polyrythmique. Modes de subdivision de la pulsation L’ensemble des polyrythmies est réparti en deux groupes, celles fondées sur une subdivision de la pulsation à tendance binaire et les autres, à tendance ternaire. Dans le premier cas, les temps sont divisés en quatre unités, dans le second en trois. Ces deux groupes s’excluent mutuellement. Ainsi, au sein d’une polyrythmie ternaire, toutes les parties constitutives sont ternaires. De la même manière, toutes les parties constitutives d’une pièce binaire sont tributaires du même mode de subdivision de la pulsation 48. Si l’on considère les figures d’accompagnement, on constate qu’il n’y a jamais de triolet dans les pièces binaires, pas plus que de duolet dans les pièces ternaires. Concernant le solo, cette règle s’applique également 49.

47. Bamako, Kangaba, Bougouni (Mali), Kouroussa, Koumana, Faranah, Siguiri (Guinée), Bouaké (Côte d’Ivoire). 48. Sur les 67 formules polyrythmiques que comprend notre corpus, 25 sont binaires et 42 sont ternaires. 49. À l’exception cependant d’un petit nombre de répertoires, parmi lesquels on peut citer Soko, originaire de la région de Faranah en Guinée ; cette pièce présente un cas de figure rare où le soliste joue certaines phrases binaires sur des accompagnements ternaires.

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STRUCTURATION DU TEMPS

Contramétricité Rappelons la définition d’Arom, pour qui les notions de commétricité et de contramétricité désignent le mode d’articulation des événements rythmiques par rapport à la pulsation. « Une figure rythmique est commétrique lorsque les accents, les changements de timbre ou les attaques ont tendance à coïncider avec les temps, alors qu’elle est contramétrique lorsque l’occurrence des accents, des changements de timbre ou des attaques est prédominante sur les contretemps » (Arom, 1985 : 339).

Un cas intéressant de formule polyrythmique fortement contramétrique est celle nommée Dunun gbe, chez les Malinké des régions du Hamana et du Gberedu en Haute Guinée. Cette formule appartient à un ensemble de polyrythmies nommé Dununba, destinées à accompagner des danses masculines. Dans la « matrice » de la formule polyrythmique Dunun gbe représentée ci-après, la partie soliste improvisée a été écartée, celle du djembé d’accompagnement aussi, la présence de ce dernier instrument n’étant pas obligatoire lors de la performance ; seule est prise en compte l’épure de la polyrythmie, partagée par les trois dunun. Dunun gbe o : la baguette rebondit sur la peau du dunun la baguette est plaquée sur la peau du dunun x : frappe sur la cloche ⊗ :

1

pulsations

dunun médium

2

3



o

dunun grave

o

dunun aigu cl. dunun médium cl. dunun grave

4

o x

x

x

x

o x

x

o

o

o

o

o

o

o

x

x

x

x

x

x

x

x

Schéma 3

x

STRUCTURATION DU TEMPS

73

On note que sur les 27 frappes que totalise la formule, 2 coïncident avec la pulsation, les 25 autres sont situées à contretemps ; de plus, une seule position (la 3e valeur du 3e temps) est commune aux frappes de tous les instruments en présence. Les figures du dunun grave, du dunun aigu et de la cloche du dunun grave sont systématiquement contramétriques. Les structures de type hémiolique sont des cas où leur configuration même suscite une perception ambiguë de la pulsation. « De telles structures peuvent être définies comme la répétition, au sein de la période, d’une même cellule, mais dont la position par rapport aux pulsations successives se trouve décalée à chaque itération. Ce décalage résulte de la superposition de deux progressions arithmétiques de raison différente : l’une rythmique, l’autre métrique » (Arom 1994).

Le principe de l’hémiole consiste en un rapport de 2 : 3 (ou de l’un de leurs multiples) entre une figure rythmique et la pulsation qui la sous-tend. Mentionnons au passage que les figures fondées sur un rapport de 3 : 4, nommées épitrites, sont fort répandues en Afrique. Voici quelques exemples de figures de type hémiolique de la formule polyrythmique Bada 50. Dans la figure du dunun grave ci-dessous, les impacts sont équidistants mais décalés par rapport à la pulsation : six frappes s’articulent sur quatre pulsations, créant un rapport de 4 : 6, multiple de 2 : 3.

Dans la figure suivante, les trois frappes équidistantes du dunun médium coïncident avec quatre pulsations, créant un rapport de 3 : 4.

50. La formule Bada, originaire de Haute Guinée, sert à accompagner des danses masculines.

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STRUCTURATION DU TEMPS

En voici deux variantes : Première variante : la même cellule se décale trois fois pour quatre pulsations (3 : 4)

Seconde variante : cette fois sur huit pulsations, ici le rapport est de 3 : 8

Les liens étroits unissant rythme et mouvement du corps dans les musiques africaines sont une caractéristique commune qui se manifeste notamment à travers la danse. L’une des idées fondamentales développées par Arom est que la pulsation régulière qui structure les musiques d’Afrique Centrale s’exprime par l’appui des pieds des danseurs sur le sol au début de toute danse collective : « La pulsation présente trois modes d’existence : elle peut être matérialisée dans la musique, lorsque l’émission des sons tend à coïncider avec elle ; quand une musique est dansée, elle est incarnée dans le pas de base des danseurs, lequel exprime simultanément le mouvement métronomique organique – c’està-dire inhérent à la pièce – et en détermine le tempo. Enfin, elle peut aussi demeurer virtuelle, implicite, en tant que référence mentale. Cependant, il est toujours possible de faire émerger la pulsation, en demandant aux musiciens de substituer aux mouvements de leurs pieds une percussion quelconque tels, par exemple, des battements de mains » (Arom 1985 : 182).

Les positions métriques d’une séquence musicale sont donc ressenties comme des appuis au sens corporel. La contramétricité est ainsi ressentie comme une accentuation en dehors de ces appuis.

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STRUCTURATION DU TEMPS

De plus, les danseurs exécutent des figures variées, de sorte que l’identification de la pulsation avec les pas de danse suppose que l’on soit en présence d’une version minimale de ces pas, ce qu’Arom appelle les « pas de base », des pas isochrones par lesquels débute toute danse collective. En fin de compte, le mouvement des pieds des danseurs est certainement la marque temporelle la plus adéquate pour traduire concrètement la notion de « pulsation » ; cependant, pour un observateur étranger à la culture, elle n’est pas facile à percevoir. Les pas de danse peuvent même être volontairement contramétriques. Ainsi, la polyrythmie Bada, dont il a été question plus haut, sert à accompagner des danses masculines, et certains pas de danse présentent, tout comme le dunun médium, une structure de type hémiolique. Voici une transcription de la formule polyrythmique en question sur laquelle sont indiqués, en rouge, les points d’appui des danseurs : Bada 1

pulsations

dunun médium

o

dunun grave

o

x

cl. dunun grave djembé d’acc. djembé solo

x



3

o

dunun aigu cl. dunun médium

2

o

o

o

o

o

o

o

x

x

x

x

Δ

4

o

x

x



x



o

o

o

o

o

o

x

x

x

x

Δ



improvisation à partir de phrases clés

Schéma 4

On note qu’ils coïncident avec les frappes du dunun médium et sont donc dans un rapport de 3 : 4 avec les temps.

x

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STRUCTURATION DU TEMPS

Le rythme Définition Si la métrique concerne l’étalonnage du temps en quantités – ou valeurs – égales, le rythme concerne les modalités de leur regroupement (Arom 1992). Pour faire image, « la métrique est la trame muette sur laquelle se déploie le rythme » (ibid.). La métrique est un continuum, tandis que le rythme est une forme temporelle. Or, pour qu’une forme apparaisse, il faut du contraste. Ainsi, « pour qu’une suite de sons soit perçue comme une forme, il faut que l’un de ses constituants soit marqué par un trait qui l’oppose aux autres » (Arom 1985). Il existe trois types de marques permettant de faire émerger le rythme : l’accent, la modification de timbre, l’alternance de durées (ibid.). Ces marques, le plus souvent, se combinent dans la musique. S’agissant des polyrythmies malinké, seules deux d’entre elles sont utilisées : la modification de timbre et l’alternance de durées ; on constate, en effet, l’absence de marque accentuelle, contrairement à nombre de musiques pour percussions en Afrique. Le cas du « standard pattern » La figure rythmique communément appelée «  standard pattern  » est omniprésente en Afrique subsaharienne ; sa fréquence dans la polyrythmie malinké mérite que l’on s’y attarde 51. Le « standard pattern » est constitué d’une juxtaposition irrégulière de cinq cellules, binaires et ternaires, réparties dans un cadre métrique regroupant 12 valeurs minimales ; Il s’articule en 2+2+3+2+3, ou par l’une quelconque des rotations que cette configuration admet, soit 2+3+2+3+2 / 3+2+3+2+2 / 2+3+2+2+3 / 3+2+2+3+2 52:

51. C’est A. M. Jones qui, dans son ouvrage Studies in African Music (1959), utilisa ce terme pour la première fois. Selon J. H. Kwabena Nketia on le doit au maître tambourinaire Desmond Tay, qui fut le principal informateur de Jones durant les années 1950 (Nketia 1963). À propos de la diffusion du « standard pattern », John M. Chernoff indique : « Il serait difficile de trouver une tradition musicale africaine qui ne contienne pas ce rythme » (Chernoff 1991 : 1096). « It would be difficult to find an African musical tradition that did not contain this rhythm. » 52. Une cellule est constituée d’une ou deux valeurs exprimées, chacune suivie d’un silence correspondant à une valeur.

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Selon Kofi Agawu (2006 : 13), C’est A.M. Jones qui, dès 1959, nota cette figure sous la forme 22323, faisant apparaître ses possibilités de rotation ; Jones constate ainsi : « Quel que soit le point de départ de cette formule [], si vous répétez votre modèle, cette séquence apparaîtra. Si les Africains changeaient l’ordre des notes longues et courtes, alors… Par exemple, la séquence [] fait un rythme de base entièrement différent et, quel que soit le point de départ, vous ne produirez jamais, par répétition, la forme familière []. C’est cette séquence particulière d’unités de base courtes et longues qui est si clairement un trait typologique de la musique africaine en général 53 ».

Dans certaines régions – notamment en Afrique centrale –, la position du « standard pattern » est immuable par rapport à la pulsation, alors que dans la musique malinké, chacune des configurations qu’il revêt peut se positionner différemment. 53. « At whatever point in this [] formula you choose to start, if you repeat your pattern, this sequence will appear. Were the Africans to change the order of the long and short notes, then. For example, the sequence [] makes an entirely different basic rhythm and at whatever point you start in it, you will never, by repetition, produce the familiar [] form. It is this particular sequence of short and long basic units which is so clearly a typological feature of African music generally. »

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STRUCTURATION DU TEMPS

Ainsi, la figure de la cloche du dunun médium de Dunun gbe est configurée comme suit par rapport au « standard pattern » : 2+3+2+3+2 / 2+3+2+3+2 que l’on développe ici sur deux périodes pour plus de lisibilité : Standard pattern : 2+2+3+2+3 / 2+2+3+2+3 puls.

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Cloche du dunun médium de Dunun gbe : 2+3+2+3+2 / 2+3+2+3+2 puls.

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1

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4 x

Le « standard pattern » procède, de surcroît, de l’imparité rythmique : « L’agencement des figures qui relèvent de ce principe est tel que toute tentative de segmenter leur contenu rythmique, au plus près du point de division central, se soldera immanquablement par deux parties constituées chacune d’un nombre de valeurs minimales impaires […] ces figures obéissent à une règle que l’on peut qualifier de “moitié – 1/moitié + 1” » (Arom 1985 : 429).

Cette règle s’applique ici pour la cloche du dunun médium de Dunun gbe, articulée en (2+3) + (2+3+2) soit 5+7 = 12 valeurs minimales. Voici toutes les rotations possibles de cette figure, faisant cette fois apparaître qu’elle se scinde toujours en deux segments, l’un de 5 valeurs minimales, l’autre de 7, pour une période qui en totalise 12 : standard pattern Triangle

Triangle Triangle

Triangle Triangle Triangle

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“Standard Pattern” of West African Rhythm » (Agawu 2006), dans lequel il dresse un panorama de la diffusion de cette figure et présente un bilan commenté des recherches sur la question. Nous divergeons cependant sur le critère de segmentation adopté par ce chercheur dans sa présentation des rotations possibles du « standard pattern » (ibid.  : 14). Agawu y décompose la figure en 2+2+1+2+2+2+1. Or, par définition, une valeur isolée ne saurait constituer une cellule rythmique. Comme on l’a dit plus haut, le caractère asymétrique de cette figure tient au fait qu’elle juxtapose des quantités binaires et ternaires. Pour rendre compte de sa structure, il est donc nécessaire d’amalgamer toute valeur d’un « 1 » isolé avec la valeur qui la précède ou qui la suit – ce qui correspond, pour la figure cidessus (2+2+1+2+2+2+1) à l’une des deux configurations suivantes – soit 2+3+2+2+3, soit 2+2+3+2+3. Le « standard pattern » relève d’un procédé commun à de nombreuses musiques africaines, désigné par le terme time-line  54. Agawu le définit comme « une figure rythmique d’une forme bien définie, souvent aisée à mémoriser et de dimension modeste, jouée en ostinato tout au long d’une 55 pièce de danse donnée   » (ibid.  : 1). Et de souligner : « Pratiquement tous les chercheurs qui ont écrit sur le rythme ouest-africain au cours du dernier demi-siècle ont constaté l’existence de time-lines  56 » (ibid.  : 3). Pour Gerhard Kubik, les «  time-line patterns constituent un élément 57 régulateur dans de nombreux types de musique africaine   » (Kubik 1994 : 45). Agawu observe que, parmi les chercheurs, les désaccords abondent – dont certains, fondamentaux –, concernant la nature et la fonction des time-lines (Agawu 1994 : 3). Il indique que « certains d’entre eux ont comparé la fonction de la time-line à celle d’un métronome 58 » (ibid. : 7). Or la fonction du métronome consiste à calibrer le temps en marquant des points isochrones. Force est donc de constater qu’une telle comparaison est inadéquate – d’autant plus que l’alternance de quantités binaires et ternaires caractéristique du « standard pattern » atteste que l’on a bien 54. Nous devons à J. H. Kwabena Nketia le terme de time line, qu’il définit en 1963 comme « un élément de référence constant par lequel la structure des phrases d’un chant ainsi que l’organisation temporelle linéaire des phrases sont guidées » (Nketia 1963), « a constant point of reference by which the phrase structure of a song as well as the linear metrical organization of phrases are guided ». 55. « A time line […] is a distinctly shaped and often memorable rhythmic figure of modest duration that is played as an ostinato throughout a given dance composition. » 56. « Practically every scholar writing about West African rhythm during the last half century has taken note of time lines. » 57. « Time-line patterns are a regulative element in many kinds of African music […]. » 58. « […] Some scholars have likened the time-line function to that of a metronome. »

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affaire à une figure rythmique et non à une trame métrique  . En effet, loin de simplement étalonner le temps, la time-line, qui se comporte comme une matrice délimitant une période, s’inscrit bel et bien dans le domaine du rythme. À propos du tempo Bien que la stabilité du tempo constitue un trait commun à de nombreuses traditions musicales africaines, il s’avère que, dans la musique de danse des Malinké, il arrive qu’il subisse des modifications au cours de la performance. Les danses peuvent être féminines, masculines ou mixtes ; elles se déroulent généralement en deux phases successives. La première, collective, consiste, pour les danseuses ou les danseurs, disposés en cercle, à réaliser des pas de base en matérialisant la pulsation par l’appui de leurs pieds sur le sol. Pendant la seconde phase, la danse devient individuelle, les différents protagonistes intervenant à tour de rôle, face aux musiciens, pour enchaîner diverses figures chorégraphiques. La transition entre la première et la seconde phase de la danse est souvent marquée par une accélération du tempo, qui peut, au gré de la danseuse ou du danseur soliste, perdurer pendant la seconde. Paradoxalement, au cours de celle-ci, c’est au danseur ou à la danseuse – et non aux percussionnistes – que revient l’initiative du changement de tempo. Une fois que les mouvements de la danseuse ou du danseur amorcent l’accelerando, le tambourinaire soliste s’y conforme, entraînant avec lui ses acolytes. Pour ce faire, il réalise une figure dont il frappe toutes les valeurs opérationnelles minimales. Cette figure porte un nom – golobali (issu de goloba, littéralement « se précipiter ») – que certains musiciens traduisent par « échauffement » ou « chauffé » 60. Puis, prenant l’initiative à son tour, le soliste conclut la séquence par une figure-signal de quatre pulsations. Après quoi, le processus d’accélération cesse, le tempo se stabilise – voire redescend quelque peu – pour laisser place à une nouvelle accélération. Cette pratique montre à quel point musique et chorégraphie sont en interaction permanente. 59. On voit là toute l’ambiguïté que recèle le terme en français, en ce que l’expression « time-line », très vague, induit une confusion entre métrique et rythme. 60. On trouve également le terme foli lasi que l’on pourrait traduire par « accélérer, intensifier la musique ».

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Néanmoins, il est à noter que la figure de solo golobali ne s’accompagne pas nécessairement d’une modification de tempo, la danseuse ou le danseur ayant toute liberté de choisir ou non d’accélérer. La transcription qui suit est un exemple de réalisation de la figure golobali, qui correspond ici à une subdivision binaire de la pulsation en valeurs opérationnelles minimales :

Ci-dessous, une autre réalisation de cette figure, lorsque cette subdivision est ternaire :

« Swing » et microrythmie Une grande partie des musiques ternaires présente un phénomène particulier, qui s’applique aux valeurs résultant du monnayage de la pulsation. Pour nombre de polyrythmies malinké, celles-ci ne sont pas strictement isochrones, c’est pourquoi nous nommons provisoirement ce procédé « swing ». Toutefois, leur irrégularité est systématique. Se pose donc la question de savoir si le phénomène relève de la métrique ou bien du rythme.

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Ambivalence binaire-ternaire Le sens du terme « swing » est à distinguer de celui qu’il peut avoir dans le jazz 61. Il est entendu ici de manière plus restreinte, en s’appliquant uniquement aux subdivisions de la pulsation. Dans le jazz, le swing est produit par une irrégularité intentionnelle, liée à la personnalité d’un musicien ou d’un ensemble. Dans le Dictionnaire du jazz paru en 2011, on peut ainsi lire : «  Comme le prouvent, dans une même période appelée “classique”, les traits apparemment opposés des sections rythmiques des orchestres Basie ou Lunceford, les modalités d’expression du swing peuvent être diverses et, à l’extrême, on dira qu’il n’y a pas deux musiciens de jazz qui swinguent exactement de la même façon » (Carles, Clergeat, Comolli 2011 : 1225).

Rappelons que le pianiste Erroll Garner était connu pour sa « fameuse main gauche marquant les quatre temps en accords […] tandis que la main droite introduit un subtil décalage générateur d’un grand swing » (ibid. : 471) 62. Le swing a été envisagé par de nombreux auteurs sous l’aspect du microtiming. Charles Keil estime que le «  groove  » (un terme que nous rapprochons de « swing ») n’est pas un phénomène structurel, mais qu’il s’agit d’un processus d’interaction des musiciens les uns avec les autres au cours de la performance. Ce processus est, selon lui, affaire de mouvements corporels, de danse et de sensations. Pour Keil, les musiciens jouant au sein d’un ensemble affirment chacun leur personnalité au moyen de microdécalages, ce qu’il nomme des participatory discrepancies (« divergences participatives ») (Keil 1995). Toutefois, Matthew Butterfield relate deux expériences effectuées sur la perception des participatory discrepancies quant à l’asynchronie, dans un morceau de jazz, entre la contrebasse et la batterie dans l’articulation du beat. L’auteur en conclut que « peu de preuves ont émergé de ces deux expériences pour soutenir la thèse des participatory discrepancies 63 » (Butterfield 2010). C’est ainsi que Fernando Benadon a analysé le phrasé de différents solistes de jazz dans des enregistrements des années 1920. Il s’est attaché à mesurer 61. Le swing y a fait l’objet de nombreuses définitions qui traduisent souvent son caractère insaisissable. Ce qui fait dire à Jacques Siron : « La notion de swing varie selon les époques, les styles et la perception personnelle de chacun » (Siron 2002 : 408). Sur la polysémie du terme, on lira avec intérêt la présentation qu’en fait Gérald Guillot (2013 : 368). 62. À propos du swing d’Erroll Garner, voir Jean Pouchelon, « Erroll Garner, “trompe l’oreille” ? », Musimédiane 7 (en ligne). 63. « Little evidence emerged from either experiment in support of the PD [participatory discrepancies] framework. »

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la durée des notes jouées par nombre de solistes dans le but de décrire et analyser les phénomènes rythmiques microtemporels à caractère expressif – jazz rhythm and expressive timing. C’est à lui que l’on doit le concept de transformation temporelle – temporal transformation – (Benadon 2009 : 2) 64. Martin Clayton, quant à lui, utilise le concept d’entrainment pour décrire le phénomène dans lequel deux processus rythmiques interagissent l’un avec l’autre de telle façon qu’ils s’ajustent et éventuellement se “verrouillent” sur une phase et/ou une périodicité 65 » (Clayton et al. 2005 : 5). Paul Fraisse a mis en évidence l’importance des effets moteurs des rythmes auditifs et la très précoce adaptation des enfants aux signaux sonores périodiques (Fraisse 1948). Dans une publication postérieure, il remarque que « dans une étude pionnière, Bolton (1894) a travaillé sur la question des seuils limites de durées dans la perception des rythmes. Il a donné comme limite inférieure un intervalle de 115 ms, et comme limite 66 supérieure, 1580 ms   » (Fraisse, 1982, p. 156). Il ajoute que « ces limites doivent retenir notre attention, car elles sont approximativement celles des durées sur lesquelles se fondent toutes nos perceptions du rythme 67 » (ibid.). Friberg et Sundström (1999), dans une étude sur les batteurs de jazz, ont constaté que la durée absolue des valeurs les plus courtes était constante, autour de 100 ms, pour les tempos moyens à rapides. Allant dans le même sens, Justin London indique qu’un seuil de 100 ms est généralement considéré comme « l’intervalle le plus court que nous pouvons entendre ou exécuter comme élément de la figure 64. Benadon explique : « Je présente deux transformations : Flux (F) et Shift (S). F déforme un modèle rythmique de base en une accélération, une décélération ou une combinaison de celles-ci ; S replace le tempo du modèle. Ces opérations convertissent une séquence de durées à grille métrique (quantifiée) en une séquence dont la grille de subdivision est soit en flux, soit liée à la grille de subdivision originale par un certain rapport, soit déformée de manière moins systématique (Bernadon 2009 : 2) ». « I present two transformations : Flux (F) and Shift (S). F distorts a basic rhythmic template into an acceleration, a deceleration, or a combination of these ; S replaces the tempo of the template. These operations convert a metrically gridded (quantized) sequence of durations into one whose subdivision grid is either in flux, related to the original subdivision grid by some ratio, or distorted in less systematic ways ». 65. « Entrainment describes a process whereby two rhythmic processes interact with each other in such a way that adjust towards and eventually ‘lock in’ to a common phase and/or periodicity. » 66. « In his pioneering study, Bolton (1894) worked on the problem of the limits of the frequencies at which subjective rhythmization could appear. He gave as the lower limit an interval of 115 msec, and as the upper limit, 1580 msec. » 67. « These limits should command our attention, since they are approximately those of the durations on which all of our perceptions of rhythm are based. »

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rythmique 68 » (London 2004 : 27). En 2017, Rainer Polak a analysé et mesuré les subdivisions métriques les plus rapides dans quatre enregistrements de tambours djembé du Mali, qui présentent des intervalles de temps entre les attaques (interonset interval 69) d’environ 80-90 ms pendant leurs sections les plus rapides. L’auteur considère que, dans le cas des tambours d’Afrique de l’Ouest, la limite inférieure de perception des durées de subdivision métrique se situe à un seuil d’environ 80-100 ms, ce que confirment les deux extraits d’enregistrements de polyrythmies malinké analysés ci-après, où la durée minimale des intervalles est de l’ordre de 87 ms. Dans son article intitulé « Le jazz, l’Afrique et la créolisation : à propos de Herbie Hancock », Marc Chemillier s’entretient avec le batteur de jazz français Bernard Lubat, lui demandant de réagir à différents enregistrements de jazz et de musiques africaines. Ce dernier utilise le terme « trinaire » pour désigner un type d’articulation – que l’on retrouve, entre autres, dans le morceau « Palm Grease » d’Herbie Hancock –, qui consiste à créer de l’ambiguïté entre subdivisions binaires et ternaires de la pulsation (Chemillier 2008). Ce qui est à rapprocher du jeu du hochet malgache kantsa  70 étudié par Chemillier, lequel indique, à partir d’un sonagramme de cet instrument : « On constate que le mouvement du hochet est irrégulier, mais avec une certaine régularité. Les trois frappes [qui subdivisent la pulsation] ne sont pas séparées par des durées égales, mais par des durées respectant certaines proportions » (ibid.).

Chemillier compare cette pratique avec celle décrite par Ernest Cholakis au sujet de la manière dont les batteurs de jazz réalisent le « chabada » à la cymbale puisque, là aussi, une certaine élasticité apparaît dans les subdivisions de la pulsation (Cholakis 1995). Anders Friberg et Andreas Sundström, après avoir mesuré les attaques de la cymbale de quatre batteurs différents, considèrent que la subdivision binaire ou ternaire de la pulsation dépend pour l’essentiel du tempo (Friberg et Sundström 2002). 68. « The lower limit for meter, that is, the shortest interval that we can hear or perform as an element of rhythmic figure. » 69. L’interonset interval ou IOI est « le temps qui sépare les débuts ou points d’attaque d’événements consécutifs – l’intervalle entre les onsets –, indépendamment de la durée de ces événements » (London 2004). « The interonset interval or IOI is the time between the beginnings or attack-points of successive events or notes, the interval between onsets, not including the duration of the events. » 70. Le hochet kantsa est « constitué d’un manche en bois sur lequel est clouée une boîte de conserve remplie de graines. Son mouvement est articulé en trois parties, d’abord la frappe de la main sur le manche, puis le choc des graines contre la boîte vers le haut, puis vers le bas » (Chemillier et al. 2014 : 114).

85

STRUCTURATION DU TEMPS

On voit que cet aspect du « swing » est lié à une certaine élasticité par rapport à la pulsation ; or nous allons voir que dans les polyrythmies malinké, contrairement au jazz, les irrégularités dans la subdivision de la pulsation sont systématiques. Le « swing » dans les polyrythmies malinké Lors de mon apprentissage du djembé, il est apparu que dans la polyrythmie malinké, l’interprétation des figures rythmiques ternaires pouvait être sous-tendue par divers types de « swing », associés respectivement à différentes formules polyrythmiques ; que, pour une polyrythmie donnée, le type de « swing » appliqué était toujours le même, et que celui-ci était généré par un mode spécifique de subdivision de la pulsation, où les valeurs minimales n’avaient pas toutes la même durée. Le caractère systématique du phénomène m’amena donc à penser que le « swing » constituait un trait distinctif de cette musique. En pratiquant l’instrument in situ, j’ai pu discerner deux types de « swing ». Dans la représentation ci-dessous, ils sont superposés par rapport à une subdivision « théorique » – c’est-à-dire isochrone – de la pulsation : = circa 180

Tempo

swing 1 valeurs isochrones pulsation swing 2 valeurs isochrones pulsation



































Eu égard au tempo extrêmement rapide de cette musique (  = circa 180), j’ai utilisé le logiciel « Amazing Slow Downer » pour ralentir le tempo des enregistrements de terrain. Dès lors, il devenait possible d’identifier – à la simple écoute – ce que j’avais perçu en jouant, à savoir une « irrégularité régulière » dans la subdivision de la pulsation.

86

STRUCTURATION DU TEMPS

L’ethnomusicologue Rainer Polak a consacré à cette question des travaux très détaillés. Selon lui, le monnayage de la pulsation en valeurs minimales non isochrones est un trait inhérent aux répertoires du djembé chez les Mandingues. À partir d’enregistrements multipistes réalisés au Mali, sur un corpus de 25 pièces 71 (Polak 2010), il a effectué des mesures minutieuses du procédé : après avoir relevé – en millisecondes – les intervalles de temps séparant chaque frappe, et ce, sur l’intégralité du corpus comme pour chaque tambourinaire, il a obtenu un timing ratio qui traduit les durées respectives contenues dans chaque pulsation. Comparant ensuite l’ensemble des formules polyrythmiques analysées, il releva quatre types de swing – deux ternaires et deux binaires. En 2016, dans un article coécrit avec Justin London et Nori Jacoby, Polak analyse un autre corpus comportant 15 versions de trois formules polyrythmiques différentes (Manjanin, Maraka et Woloso) enregistrées au Mali. L’article précise que deux d’entre elles (Manjanin et Woloso) sont caractérisées par des subdivisions non isochrones de la pulsation, contrairement à la troisième fondée sur une subdivision « quasi 72 isochrone »  . À partir de ce constat, les auteurs affirment que – puisque dans un même corpus on trouve aussi bien des formules obéissant à une subdivision isochrone de la pulsation que d’autres, fondées sur une subdivision non isochrone, et que la précision rythmique apparaît aussi rigoureuse dans un cas comme dans l’autre, la non-isochronie ne peut être mise sur le compte d’une interprétation imprécise (Polak, London, Jacoby 2016 : 8) 73. Certains experts malinké verbalisent le phénomène du « swing », notamment lors de cours ou de master classes destinés à des musiciens occidentaux. Johannes Beer (1990 : 62) rapporte que « lorsque Famoudou 71. Polak a travaillé avec cinq ensembles de tambourinaires différents, comportant chacun un djembé solo, un djembé d’accompagnement et un dunun. 72. Pour les formules Manjanin et Woloso, la subdivision de la pulsation correspond à un schéma de type brève-moyenne-longue (« short-medium-long ») ou brève-longue-longue (« short-long-long »), que les auteurs considèrent comme des variantes d’un schéma plus général de type brève-flexible-longue (« short-flexible-long »). « […] the non-isochronous or “swung” ternary subdivision in Manjanin and Woloso consistently showed either a shortmedium-long (SML) or short-long-long (SLL) pattern, which were assumed to represent variations of a slightly more generic pattern type, short-flexible-long (SFL)  » (Polak, London, Jacoby 2016 : 3). 73. « The variability of the relative position and asynchronies of onsets – indicative of the relative stability of entrainment among ensemble members – showed significant and consistent differences between the pieces, but these differences did not follow the isochrony hypothesis  : isochronous Maraka and non-isochronous Woloso were not significantly different » (Polak, London, Jacoby 2016 : 8).

STRUCTURATION DU TEMPS

87

74

Konaté  enseigne un nouveau rythme, il le montre d’abord avec des intervalles réguliers ; si l’élève a compris, c’est à lui de rajouter alors “l’étirement rythmique caractéristique” ». Pour ma part, j’ai pu à maintes reprises corroborer la prégnance du procédé, tant au Mali qu’en Guinée, en 1997, 1998 et 2000. Dans le but d’obtenir sa validation culturelle, j’avais interprété, devant des experts locaux, différentes figures rythmiques ternaires facilement identifiables, en prenant soin de donner la même valeur à toutes les subdivisions des temps. La réaction fut sans équivoque : « C’est bien, mais ce n’est pas comme ça qu’il faut jouer…  » S’ensuivit l’interprétation de la même figure par 75 l’un des musiciens présents, qui en respectait scrupuleusement le swing  . Polak va jusqu’à affirmer que ce que nous appelons ici swing relève de la métrique (Polak 2010). Si tel était le cas, le terme métrique – en tant qu’étalon régulier – serait à revisiter, puisqu’il s’appliquerait ici à une succession de valeurs différentes. Comme on l’a vu, en l’absence d’accents et d’opposition de timbres – ce qui est le cas ici –, l’opposition des durées constitue le seul paramètre pour caractériser une forme rythmique. Nous nous tenons donc à cette dernière définition, considérant que la subdivision non isochrone de la pulsation à l’œuvre dans les polyrythmies malinké est un procédé rythmique. Nous rejoignons ainsi la thèse de Gérald Guillot pour qui le suíngue brasileiro des musiques afro-brésiliennes constitue un phénomène microrythmique (Guillot 2013). Analyse des « swing » ternaires malinké Afin d’obtenir des mesures précises du procédé chez les Malinké, j’ai utilisé un enregistrement conventionnel dont j’ai pu extraire et analyser la partie soliste qui, pendant certaines séquences de son déroulement est la seule à matérialiser toutes les valeurs minimales. Or, ce sont ces séquences qui permettaient de mesurer la durée de chacune des frappes qui monnayent la pulsation et, par corollaire, de rendre compte des deux types de swing que j’avais perçus. Pour ce faire, j’ai sélectionné six extraits d’un 74. Famoudou Konaté est un très célèbre maître de djembé guinéen. Il fut sélectionné en 1959 par le gouvernement pour devenir soliste du Ballet national de Guinée lors de sa création ; il resta à ce poste pendant vingt-six ans. Sa renommée internationale l’amena, dès 1987, à enseigner les polyrythmies malinké, d’abord en Allemagne, puis ailleurs. Sur ce percussionniste, voir Beer (1990), Zanetti (1999) et Konaté et Ott (2003). 75. Je tiens à préciser que mon admission au sein d’un ensemble de tambourinaires malinké était, entre autres, conditionnée par une interprétation adéquate des « swing » inhérents aux différentes formules polyrythmiques.

88

STRUCTURATION DU TEMPS 76

CD de Famoudou Konaté  , le maître mentionné plus haut 77. Ces extraits sont issus de deux plages différentes, chacune correspondant à une formule polyrythmique : l’une – Gidamba – fondée sur le swing de type 1, l’autre – Soli – sur le type 2. Pour chaque formule, j’ai analysé trois séquences qui, apparaissant à des moments différents dans le déroulement du morceau, ont en commun de matérialiser toutes les valeurs minimales. Voici la procédure que le compositeur Florent Caron Darras a bien voulu effectuer à ma demande : il s’agissait d’extraire de l’enregistrement stéréo la partie du djembé solo, puis d’effectuer un remixage en mono de la copie ainsi obtenue. Le logiciel « Ircam beat » dans « Audiosculpt » a été utilisé pour déterminer la position des pulsations et pouvoir ainsi estimer le tempo propre à chaque extrait. S’en est suivie une analyse automatique des transitoires d’attaque dans « Audiosculpt », laquelle a permis de placer des marqueurs. Une liste de ces derniers, avec leurs emplacements en millisecondes, a alors pu être exportée, puis un patch « Open Music » a filtré la liste des marqueurs, ce qui permettait de les écouter en les comparant avec le fichier original. On trouvera ci-dessous des captures d’écran représentant les extraits ainsi analysés, ainsi que les résultats des mesures obtenues (les frappes coïncidant avec la pulsation sont indiquées par des traits verticaux épais et en rose, les autres par des traits fins en gris).

76. Rythmen der Malinke, Museum Collection Berlin CD 18, 1990 (plages 1 et 3). 77. Ce choix tient tant à la qualité d’interprétation de ce percussionniste notoire, qu’à la clarté de la prise de son, qui permet aisément d’en isoler la partie soliste.

89

STRUCTURATION DU TEMPS

a) Analyse microrythmique de Soli La représentation graphique ci-contre montre que, des trois valeurs qui subdivisent la pulsation, la première est la plus courte : = circa 180

Tempo

78

Extrait de Soli (14 pulsations) : transitoires d’attaques  .

On constate que les intervalles entre les différentes frappes ne sont pas réguliers ; toutefois, pour chacune des 14 pulsations, ils se reproduisent à l’identique. En agrandissant l’image sur trois pulsations, le procédé apparaît bien plus clairement :

Extrait de Soli (3 pulsations) : transitoires d’attaques. 78. Cette représentation graphique ainsi que toutes les suivantes ont été détectées sur Audiosculpt® (version 3.4.6), Ircam.

90

STRUCTURATION DU TEMPS

Les trois extraits disjoints de Soli totalisent 44 pulsations. Il faut insister sur le fait que le tempo y demeure absolument stable. La durée moyenne de la pulsation vaut 333 millisecondes ; la durée moyenne de la première frappe est de 88 ms, celles des deuxième et troisième, respectivement 124 ms et 121 ms. En ayant référé à Simha Arom, celui-ci a émis l’hypothèse d’une subdivision de la pulsation en 5 valeurs, regroupées soit par 2 + 3, soit par 3 + 2 79. Cette hypothèse tient aux rapports de proportionnalité entre la durée 80 des frappes, qui apparaissent clairement dans les mesures effectuées  . En effet, si l’on amalgame la durée des deux premières frappes considérée comme une seule unité (désignée par A), on obtient une forme AB, au sein de laquelle A équivaut à 3/5 et B à 2/5 de chaque pulsation – soit à un ratio de 3 : 2. En d’autres termes, la durée de A correspond à 60 % de la pulsation et celle de B à 40 %. Ce qui est attesté par les mesures, puisque pour une pulsation de 333 ms, A correspond à 88 + 124, – soit 212 ms, donc 63,7 % – et B à 121 ms, soit 36,3 % de la pulsation 81. b) Analyse microrythmique de Gidamba La représentation suivante, effectuée à partir de la formule Gidamba, fait état du même type d’irrégularité, à cela près que, cette fois, c’est la deuxième valeur dont la durée est la plus courte :

79. Communication personnelle, 5 mai 2020. 80. Notons que Jérôme Cler et Jean-Pierre Estival, dans leur article « Structure, mouvement, raison graphique : le modèle affecté », discutent la question de la transcription en sonagramme et/ou sous forme solfégique de figures rythmiques irrégulières telles que l’aksak, la notation ne rendant, selon eux, « qu’imparfaitement compte de la réalité du flux sonore » (Cler, Estival 1997 : [23]). 81. Une marge de tolérance est à prendre en compte : pour Soli, la durée de la pulsation au cours de la performance oscille entre 321 ms pour la valeur la plus basse et 352 ms pour la valeur la plus haute, soit un écart maximum de 31 ms. Pour Gidamba, cet écart représente 39 ms. Ainsi, dans les deux cas, la marge de tolérance est inférieure au seuil de perception acoustique dans la différenciation des durées, que l’on situe habituellement, selon le musicologue Makis Solomos, autour de 50 ms (Solomos 2010 : 5).

91

STRUCTURATION DU TEMPS

Tempo

= circa 180

Extrait de Gidamba (21 pulsations) : transitoires d’attaques.

En voici un agrandissement sur 3 pulsations :

Extrait de Gidamba (3 pulsations) : transitoires d’attaques.

Là encore, nous avons utilisé trois extraits d’une même plage du CD mentionné pour mesurer la durée des différentes valeurs, pour un total de 56 pulsations. La durée moyenne de la pulsation vaut 332 ms, ses trois valeurs correspondent respectivement à 131 ms, 87 ms et 114 ms. En amalgamant la valeur brève avec la valeur longue qui la suit, on obtient une forme BA 82 où B équivaut à 2/5 de la pulsation et A à 3/5, soit un ratio de 2 : 3  .

82. B = 131 ms – soit 39,5 % et A 87 + 114 = 201 ms, soit 60,5 % de la pulsation.

92

STRUCTURATION DU TEMPS

Comparaison de Soli et Gidamba Voici les représentations de Soli (en haut) et Gidamba (en bas) sur trois pulsations (pour chaque exemple et pour chaque pulsation, A est surligné en jaune, B en vert) : Tempo

= circa 180

Soli

Gidamba

Extraits superposés de Soli et Gidamba (3 pulsations) : transitoires d’attaques

STRUCTURATION DU TEMPS

93

Il apparaît clairement que, par rapport à la pulsation, la figure microrythmique de Gidamba n’est autre qu’une permutation de celle de Soli. Quant au seuil de discrimination de l’oreille humaine, force est de constater que les ratios de Soli et Gidamba sont pratiquement les mêmes. Seul diffère leur regroupement au sein de la pulsation. Subdivisions de la pulsation De ce qui précède, il apparaît que la subdivision de la pulsation doit être envisagée à deux niveaux. Au premier – que nous appellerons microrythmique – elle est scindée en deux éléments A+B ou B+A qui entretiennent entre eux un rapport de proportionnalité, A recouvrant 60 % de la durée de la pulsation et B 40 %. Le deuxième niveau se situe à l’intérieur de A. L’élément A est en effet constitué de deux frappes, dont la durée de la première est plus brève que la suivante, mais sans que leur rapport soit strictement proportionnel. En d’autres termes, l’élément A jouit d’une minuscule marge de liberté, et c’est seulement à cet ultime niveau inférieur – c’est-à-dire au sein même de A – que le swing se manifeste 83. Une ouverture sur l’aksak… Signalons que le même procédé consistant à monnayer la pulsation (par 2+3 ou 3+2) est également pratiqué en Afrique subsaharienne ailleurs que chez les Malinké ; il a été identifié par Simha Arom chez les Banda-Linda de RCA, dans la formule polyrythmique associée au rituel de guérison Aga terumo (Arom 1985 : 468). Plusieurs traits l’en distinguent toutefois, à savoir : 84 — le tempo dans lequel il est mis en œuvre est sensiblement plus lent   ; — il est interprété par trois tambours, auxquels s’adjoint une paire de sonnailles de chevilles portée par un danseur ; — les figures respectives du 1er et du 2e tambour s’articulent en 2+3 valeurs minimales, celle du 3e la permute en 3+2. Concomitamment, la figure des sonnailles de chevilles – laquelle, par nature, correspond aux pas

83. Précisons qu’au tempo métronomique de la noire pointée à 180 BPM (battements par minute), le phénomène – qui dure approximativement 100 ms – est pratiquement indiscernable en temps réel. 84. Dans les exemples malinké, la pulsation a un tempo de 180 BPM tandis qu’il est de 110 pour les Banda-Linda.

94

STRUCTURATION DU TEMPS

de base du danseur – divise la même pulsation en quatre valeurs strictement binaires.

Formule polyrythmique Aga terumo (Arom 1985 : 468)

Ainsi, cette rencontre de la microrythmie malinké avec celle des Banda-Linda prend une dimension tout à fait inattendue, puisqu’elle nous mène directement à la quintessence du procédé universel désigné par le 85 terme aksak  . En effet, nous sommes ici en présence du principe qui régit d’innombrables figures rythmiques, nécessairement fondées sur l’alternance rapide de cellules binaires et ternaires. Or, la figure de 5 valeurs minimales qui nous préoccupe, obtenue par 2+3, tout comme sa permutation en 3+2, génère le «  noyau dur  », on pourrait dire le “micro-archétype” de tout aksak, en ce qu’elle est constituée d’un nombre premier et, de surcroît, intégralement exprimée au sein d’une seule et même pulsation. 85. L’aksak « désigne un système rythmique au sein duquel des pièces ou des séquences se déroulant généralement dans un tempo vif, reposent sur la réitération ininterrompue d’un module résultant de la juxtaposition de groupements fondés sur des quantités binaires et ternaires (telles que 2+3, 2+2+3, etc.) et dont le nombre global est le plus souvent impair » (Arom 2004 : 1).

CHAPITRE VII

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Préambule À ce stade, il convient de faire une brève récapitulation. Dans les musiques traditionnelles africaines, la polyrythmie résulte de « l’entrecroisement, au sein d’un cadre métrique déterminé, d’au moins deux figures rythmiques antagonistes, tributaires d’un même étalon de temps 86 ». Il en résulte une double tension : — entre les figures rythmiques en présence ; — entre certaines d’entre elles et leur soubassement métrique. Le rythme, au sens où nous l’entendons, requiert la présence d’au moins l’une des trois marques suivantes : accent, opposition de hauteurs ou de timbres, opposition de durées. Nous traitons ici de polyrythmie stricte, c’est-à-dire produite par des instruments à percussion qui ne sont pas tributaires de hauteurs prédéterminées, en d’autres termes, qui ne s’inscrivent pas dans un système scalaire. C’est précisément cette caractéristique qui distingue la polyrythmie du contrepoint, qui consiste en « la superposition de différentes lignes mélodiques dont l’articulation rythmique diffère » (Arom 2007 : 413). En Afrique, le plus souvent, les blocs polyrythmiques servent de soubassement à des répertoires de chants, eux-mêmes associés à la danse, lesquels sont respectivement liés à des fonctions sociales ou religieuses. Dans les musiques malinké, le nombre de leurs parties constitutives diffère selon les répertoires – au minimum trois, au maximum sept, quelquefois plus. Certaines formations incluent des cloches, d’autres non. Rappelons que la cloche est jouée simultanément avec le tambour dunun par un seul et même musicien qui en frappe la peau d’une main et la cloche de l’autre. Quant aux djembés, ils sont le plus souvent au nombre de deux, l’un assurant la partie soliste, l’autre se limitant à l’accompagnement. Mon corpus compte 67 formules polyrythmiques provenant de différentes localités, réparties entre le Mali et la Guinée.

86. Simha Arom, communication personnelle, 5 avril 2020.

96

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

L’une des particularités d’un édifice polyrythmique, c’est qu’il présente plusieurs périodicités superposées, lesquelles sont toutefois toujours dans un ratio simple, tel que 1 : 2 ; 2 : 3 ; 3 : 4 et leurs multiples. Du fait de l’entrecroisement, rares sont, au sein de la trame métrique, les positions dans lesquelles une frappe est commune à toutes les parties en présence. Par corollaire, moins il y a de frappes communes, plus l’entrecroisement est dense. Les 38  schémas qui suivent reflètent la diversité des formules polyrythmiques de notre corpus. Chaque schéma équivaut à la matrice de l’une de ces formules, c’est-à-dire sa version la plus épurée. La matrice constitue la référence mentale à partir de laquelle le musicien peut réaliser des variations. Chacune d’elles est analysée en fonction de ses figures constitutives et des rapports périodiques que ces figures entretiennent. Avant d’envisager les formules polyrythmiques dans leur totalité, il convient de consacrer quelques mots à l’articulation des figures qui les constituent. Selon sa dimension, une figure peut être segmentée en deux ou plusieurs cellules  87. Les principes que nous avons adoptés pour cette segmentation sont les suivants : soit il y a une opposition de timbres et c’est elle qui permettra de délimiter les unités, soit c’est l’opposition des durées 88. On donnera ici la primauté à ce dernier critère. La durée des silences entre deux cellules conjointes sera systématiquement amalgamée à la première. La matrice de la formule polyrythmique Dunun gbe servira de modèle de présentation à toutes les autres. Suivie d’un schéma illustrant les rapports de périodicité qu’entretiennent ses différentes figures constitutives, elle fera ensuite l’objet d’une analyse détaillée. Les formules sont regroupées selon leur mode de subdivision de la pulsation, d’abord celles fondées sur une subdivision ternaire, suivie de celles dont la subdivision est binaire.

87. Pour certaines figures qui fonctionnent sur un ou deux temps, une telle segmentation n’est pas pertinente. 88. Les schémas ne comportent pas d’accents. Dans la musique polyrythmique malinké, l’accentuation, sporadique, est limitée à une fonction expressive, c’est dire qu’elle n’a pas de valeur structurelle.

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

97

On remarquera que les figures du djembé d’accompagnement sont pratiquement toujours pérégrines, il en existe principalement deux différentes et leur répartition est déterminée par le mode de subdivision de la pulsation. L’une est commune à toutes les polyrythmies dont la subdivision est binaire, l’autre à toutes celles dont elle est ternaire. Chaque matrice figurant ci-dessous est précédée des informations relatives à sa (ou ses) circonstance(s) d’exécution, la (ou les) localités dans lesquelles les pièces qui en dérivent ont été enregistrées, ainsi que les périodes concernées. Les 38 formules rassemblées ici sont à considérer comme autant d’archétypes, en ce qu’elles constituent l’aboutissement d’un travail en profondeur d’analyse et de compréhension du répertoire. Elles ont ainsi permis d’établir le tableau synoptique (p. 158-159) présentant les caractéristiques structurelles de la polyrythmie malinké. Des transcriptions plus détaillées effectuées à partir de performances réelles sont regroupées dans les Annexes, « Présentation et transcriptions de deux polyrythmies » (p. 196-241). Formules fondées sur une subdivision ternaire de la pulsation Pour chaque formule, la ligne supérieure indique le nombre de pulsations qu’elle comporte. En ordonnée, figure le nom des instruments en présence, en abscisse, la position des différentes frappes au sein de la trame métrique. Les différents types de frappes sont indiqués comme suit :

o : la baguette rebondit sur la peau du dunun ⊗ : la baguette est plaquée sur la peau du dunun x : frappe sur la cloche ∇ : son aigu du djembé Δ : son médium du djembé ◊ : son grave du djembé

98

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Dunun gbe Danse des hommes barati ; Koumana, Kouroussa (Guinée) ; mars à mai 1994, juillet 1998 Tempo = circa 130 1

pulsations

dunun médium

2

3



o

dunun grave

o

dunun aigu cl. dunun médium

o x

cl. dunun grave djembé d’acc.

4

x

x



djembé solo

o x

x

Δ

o

x

o

o

o

o

o

o

x

x

x

x

x

x

x

x



Δ





improvisation à partir de phrases clés

Formule 1

Voici les rapports de périodicité qu’entretiennent les figures rythmiques constitutives de la formule Dunun gbe. Les chiffres à l’intérieur des cadres correspondent au nombre de pulsations que compte chaque figure 89. dunun médium

4

dunun grave

4

dunun aigu

2

2

cloche dunun méd. cloche dunun grave djembé d’acc.

4 1

1 2

1

1 2

Ratios 1 : 2 / 1 : 4

89. La partie du djembé solo échappant à ce type d’organisation périodique, elle n’apparaît pas ici.

x

99

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

On observe que les figures du dunun médium, du dunun grave et de la cloche du dunun médium entretiennent un rapport de 1 : 2 avec celles du djembé d’accompagnement et du dunun aigu. La cloche du dunun grave est dans un rapport de 1 : 4 avec le tambour auquel elle est associée, ainsi qu’avec le dunun médium et « sa » cloche, alors qu’elle présente un rapport de 1 : 2 avec le dunun aigu et le djembé d’accompagnement. Les ratios de Dunun gbe se résument donc à 1 : 2 et 1 : 4. La formule Dunun gbe présente un fort degré de contramétricité, sur les 33 frappes qu’elle totalise, 7 coïncident avec la pulsation, les 26 autres sont situées à contretemps. Une seule position est commune aux frappes de tous les instruments, il s’agit de la 3e valeur du 3e temps. Quant à la morphologie de la figure du dunun médium, constituée de deux frappes de timbre différent, elle se divise en deux cellules. La première compte 8 valeurs minimales, la seconde 4 ; soit 8 + 4 = 12. Cette figure a donc un caractère binaire qui vient contrer la trame métrique, fondée sur une subdivision ternaire de la pulsation. Plusieurs remarques s’imposent ici : Seul le djembé d’accompagnement est commétrique : 1

pulsations

djembé d’acc.

2 Δ





Les figures du dunun grave, du dunun aigu et de la cloche du dunun grave sont systématiquement contramétriques : pulsations

1

2

3

dunun grave

o

dunun aigu cl. dunun grave

x

o

o

o

x

x

x

x

4 o

o

o

o

o

o

x

x

x

100

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Les figures du dunun aigu et du djembé d’accompagnement forment un canon rythmique et, de surcroît, sont en décalage de deux valeurs minimales : 1

pulsations

dunun aigu

2 o

djembé d’acc.



o

Δ

o



La figure du dunun grave se divise en deux : elle a un cadre métrique de quatre pulsations alors qu’elle ne se manifeste que sur les deux dernières : 1

pulsations

2

3

dunun grave

4

o

o

o

o

Enfin, la morphologie de la figure du dunun médium présente un caractère asymétrique, il s’agit de l’une des rotations du «  standard pattern 90 ». Elle est configurée en 12 par 2+3+2+3+2 et se présente ainsi par rapport au « standard pattern » – que l’on développe ici sur deux périodes pour plus de lisibilité :

Standard pattern : 2+2+3+2+3 / 2+2+3+2+3 puls.

1 x

2 x

x

3 x

4

x

x

x

1 x

2 x

x

3 x

4

x

x

x

Cloche du dunun médium de Dunun gbe : 2+3+2+3+2 / 2+3+2+3+2 puls.

1 x

2 x

x

90. Voir p. 76.

3 x

x

4 x

x

5 x

6 x

x

7 x

x

8 x

x

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

101

Rappelons qu’elle procède, de surcroît, de l’imparité rythmique, articulée en (2+3)+(2+3+2) soit 5+7=12. Pour récapituler, la formule Dunun gbe présente les caractéristiques suivantes : — 3 périodicités différentes pour 6 figures en présence ; — la contramétricité prévaut sur la commétricité ; — le recours à l’imparité rythmique ( « standard pattern ») ; — un canon fondé sur un décalage de 2 valeurs minimales. Ainsi, la formule Dunun gbe offre un condensé des procédés polyrythmiques à l’œuvre dans les musiques malinké, procédés présents – pour partie ou en totalité – dans les formules qui suivent.

102

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Takonani Danse des hommes barati ; Kouroussa (Guinée) ; mars à mai 1994. Tempo = circa 130 1

pulsations

dunun médium

2





o

dunun grave dunun aigu cl. dunun médium

o x

cl. dunun grave djembé d’acc.

3

x

x



djembé solo

o

o

o

x

o

x

o

o

x

x

Δ

o

4

x

o

o

o

o

o

o

x

x

x



o

x

x

x

x

Δ





improvisation à partir de phrases clés

Formule 2

dunun médium

4

dunun grave

4

dunun aigu

2

2

cloche dunun méd.

1

1

1

1

cloche dunun grave

1

1

1

1

djembé d’acc.

2

Ratios 1 : 2 / 1 : 4

2

x

103

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

La formule Takonani présente les mêmes caractéristiques que celles de Dunun gbe, à l’exception des dunun médium, de « sa » cloche et du dunun grave. Leurs figures respectives sont plus fournies que dans Dunun gbe. En effet : celle du dunun médium comporte 2 frappes dans Dunun gbe et 6 dans Takonani  ; celle du dunun grave, 4 dans Dunun gbe et 6 dans Takonani. Takonani constitue donc une version plus densifiée que Dunun gbe. La figure du dunun médium est constituée de quatre cellules juxtaposées ainsi  : 3+2+3+4 =  12, ce qui équivaut à (3+2)+(3+4) = 5+7 = 12  ; elle procède donc du principe de l’imparité rythmique. La figure du dunun grave est systématiquement contramétrique ; la cloche du dunun médium, commétrique, et celle du dunun grave, strictement contramétrique quant à elle, sont ici en canon à un intervalle d’une valeur minimale :

1

pulsations

cl. dunun médium cl. dunun grave

x

2 x

x

x

x

3 x

x

x

x

4 x

x

x

x

x x

Les figures du dunun aigu et du djembé d’accompagnement sont également en canon, mais à un intervalle de deux valeurs minimales :

1

pulsations

dunun aigu djembé d’acc.

2 o



Δ

o

o



En somme, la formule Takonani comporte deux canons rythmiques de caractère différent : a) entre le dunun aigu et le djembé d’accompagnement, et b) entre la cloche du dunun médium et celle du dunun grave.

x

104

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Konde Danse du masque Konde, fête de Tabaski, fin du Ramadan ; Koumana, Kouroussa (Guinée) ; mars à mai 1994, juillet 1998 Tempo 1

pulsations

dunun médium

o

dunun grave

o

x

cl. dunun grave djembé d’acc.

3

o

o

o

o

o

o

x

x



djembé solo

x

x

x

Δ

4



o

dunun aigu cl. dunun médium

2

= circa 130

x



x

x

x



o

o

o

o

o

x

x

x

x

Δ





improvisation à partir de phrases clés

Formule 3

dunun médium

4

dunun grave

4

dunun aigu

2

2

cloche dunun méd. cloche dunun grave djembé d’acc.

4 1

1 2

Ratios 1 : 2 / 1 : 4

1

1 2

x

105

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Konde présente le même type de figures que les deux formules précédentes, à l’exception de celles du dunun médium, de « sa » cloche et du dunun grave. En d’autres termes, seules les figures des dunun médium et grave ainsi que des cloches qui leur sont rattachées sont spécifiques. On verra cette caractéristique se vérifier pour nombre de polyrythmies malinké. Notons que la figure du dunun grave de Konde est identique à celle de Takonani, seul les distingue leur configuration au sein de la période :

1

pulsations

2

dunun grave de Takonani dunun grave de Konde

o

o

3

o

o

o

o

o

4 o

o

o

o

o

La figure du dunun médium est commétrique tandis que celle du dunun grave est systématiquement contramétrique, les deux sont strictement entrecroisées : aucune de leurs frappes respectives ne coïncide : 1

pulsations

dunun médium dunun grave

2

o

3 ⊗

o o

o

o

o

4 ⊗ o

La figure du dunun médium, configurée en 12 par 3+3+2+4 est de type hémiolique, si l’on considère que la cellule de 4 est un amalgame de 2+2. On a bien ici une hémiole horizontale de type 12 = 2x3 + 3x2.

o

106

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Bada Danse des hommes barati ; Koumana, Kouroussa (Guinée) ; mars à mai 1994, juillet 1998 Tempo = circa 150 1

pulsations

dunun médium

o

dunun grave

o

x

cl. dunun grave djembé d’acc.

3

4

o

dunun aigu cl. dunun médium

2

x



djembé solo

o

o

o

o

o

o

o

x

x

x

x

Δ

o

x

x

x



o

o

o

o

o

o

x

x

x

x

Δ





improvisation à partir de phrases clés

Formule 4

dunun médium dunun grave

4 1

1

1

1

dunun aigu

2

2

cloche dunun méd.

2

2

cloche dunun grave djembé d’acc.

1

1 2

1

1 2

Ratios 1 : 2 / 1 : 4

Là encore, seules les figures des dunun médium, de sa cloche et du dunun grave diffèrent par rapport aux trois formules précédentes. Le dunun grave et sa cloche, régulièrement et strictement contramétriques, occupent toutes les positions situées à contretemps.

x

107

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Dans les quatre formules décrites plus haut – Dunun gbe, Takonani, Konde et Bada – la comparaison des figures du dunun grave témoigne de ce que toutes les frappes attribuées à cet instrument sont situées à contretemps. Par ailleurs, la figure du dunun grave de Bada a des frappes en commun avec celles des dunun grave de Dunun gbe, de Takonani et de Konde, mais elle est plus dense :

pulsations

1

2

3

Dunun gbe Takonani

o

o

Konde

o

o

o

o

Bada

o

o

o

o

4

o

o

o

o

o

o

o

o

o

o

o

o

o

o

Comme pour les formules précédentes, la seule frappe commune à tous les instruments en présence coïncide avec la 3e valeur du 3e temps. La figure du dunun médium correspond à une hémiole verticale : elle se subdivise en trois cellules identiques constituées chacune de 4 valeurs minimales, soit : 4+4+4 = 12 ; elle est donc dans un rapport de 3 : 4 avec la pulsation ternaire : 4+4+4 = 3+3+3+3 = 12. La cloche du dunun médium est aussi une hémiole verticale mais son rapport à la pulsation est de 3 : 2. Elle est constituée de trois cellules comptant chacune deux valeurs minimales et sa période vaut deux pulsations ternaires, soit 2+2+2 = 3+3 = 6 Cela engendre une tension permanente qui agit de deux manières : 1. le caractère binaire des figures du dunun médium et de sa cloche crée une ambivalence par rapport au cadre métrique ternaire ; 2. la contramétricité systématique des figures du dunun aigu, du dunun grave et de sa cloche vient contrer la pulsation.

108

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Konowulen Danse des hommes barati ; Koumana, Kouroussa (Guinée) ; mars à mai 1994, juillet 1998 Tempo puls. dunun méd.

1

2

3



4



o

o

o

cl. dunun méd.

x

x

x

x

cl. dunun grave

x

x

x

x

djembé d’acc.



Δ



6

7

o

dunun grave dunun aigu

5

= circa 140

o

x

x

x

Δ



o

o

o

x

o

o

o

x

o

x

x

x



Δ



o

o

o

x

x

x

djembé solo

o

8

o

o

x

x

x

x



x

o

o

o

o

o

x

x

x

Δ





improvisation à partir de phrases clés

Formule 5

dunun médium

8

dunun grave

8

dunun aigu cloche dunun méd.

2 1

2 1

1

cloche dunun grave djembé d’acc.

2 1

1

2 1

1

1

8 2

2

Ratios 1 : 2 / 1 : 4 / 1 : 8

2

2

x

x

x

o

109

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Le dunun médium, le dunun grave et sa cloche sont dans un rapport de 1 : 4 avec le dunun aigu et le djembé d’accompagnement et de 1 : 8 avec la cloche du dunun médium. Hormis une frappe commune sur la 3e valeur du 7e temps, les figures du dunun médium et du dunun grave sont en entrecroisement strict ; cette position fait d’ailleurs l’objet d’une frappe commune de tous les instruments en présence. La cloche du dunun grave totalise 14 frappes dont 3 seulement coïncident avec la pulsation, il s’agit là d’un exemple éloquent de contramétricité irrégulière. Cette figure est constituée d’une juxtaposition irrégulière de cellules de 2 et de 3, réparties de la manière suivante : 2+3+2+3+3+2+2+2+3+2 = 24

1

pulsations

cl. dunun grave

x

2 x

x

3 x

x

4 x

x

5 x

x

6 x

7 x

x

8 x

x

110

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Bando Danse des hommes barati ; Koumana (Guinée) ; mars à mai 1994, juillet 1998 Tempo = circa 140 puls.

1

2

3

dunun méd. dunun grave

o

dunun aigu cl. dunun méd.

o

x

cl. dunun grave djembé d’acc.

x

x ∇

o

x

x Δ

x



o

4 o

o

o

o

o

o

o

o

x

x

x

x

x

x

x

x

Δ



5

djembé solo

6

7

8

o

o

x

x

x

x



o

o

o

x

x

x

Δ



o

o

o

o

o

o

o

o

o

o

x

x

x

x

x

x

x

x



Δ





improvisation à partir de phrases clés

Formule 6

dunun médium

8

dunun grave

8

dunun aigu

2

2

cloche dunun méd. cloche dunun grave djembé d’acc.

2

2

4 1

1 2

4 1

1 2

1

1 2

1

1 2

Ratios 1 : 2 / 1 : 4 / 1 : 8

Les figures du dunun médium et du dunun grave sont strictement et irrégulièrement contramétriques  : sur les 24  positions que compte leur période, aucune frappe ne coïncide avec la pulsation. La cloche du dunun grave est elle aussi strictement contramétrique et sa période vaut une pulsation. La cloche du dunun médium réalise le standard pattern. Sur les 69 frappes que totalise la formule polyrythmique, 12 coïncident avec la pulsation ; ainsi la formule polyrythmique Bando est caractérisée par un degré de contramétricité très élevé.

x

111

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Donaba Danse des hommes barati et des jeunes filles ; Koumana, Kouroussa (Guinée) ; mars à mai 1994, juillet 1998 Tempo = circa 140 puls.

1

dunun méd.



dunun grave

o

2

3

4



o

o

o

o

o

6

7 o

o

o

o

o

o

o

o

o

o

o

o

o

8

o



o

o

dunun aigu

5

o

o o

o

cl. dunun méd.

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

cl. dunun grave

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

djembé d’acc.



Δ





Δ





Δ

djembé solo



Δ





improvisation à partir de phrases clés

Formule 7 dunun médium

8

dunun grave

8

dunun aigu

2

2

cloche dunun méd.

8

cloche dunun grave

8

djembé d’acc.

2

2

2

2

2

2

Ratio 1 : 4

On notera que les deux cloches sont strictement homorythmiques ce qui est assez rare dans notre corpus. Leur période compte 8 pulsations ; pendant sa première moitié, la figure est commétrique, tandis que sur la seconde – à partir de la 3e valeur du 5e temps – apparaît le « standard pattern » sous la forme 2+3+2+2+3 : 1

pulsations

cloches

x

2 x

x

3 x

x

4 x

x

5 x

x

6 x

x

7 x

x

8 x

x

112

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Kuraba don Danse au bosquet sacré Kuraba ; Baro et Kouroussa (Guinée) ; mars à mai 1994 Tempo = circa 130 puls.

1

2

dunun méd.



3 ⊗

dunun grave

o

dunun aigu

o

o

o

4

5

o

o



o

o

o

o

o

x

x

x

x

x

x

x

cl. dunun grave

x

x

x

x

x

x

x

x

djembé d’acc.



Δ



Δ

djembé solo

o

o



x

x Δ



8 o

⊗ o

o

x

7



o

cl. dunun méd.



6

o

o

x

x

x

x



o

x

x

Formule 8

8

dunun grave

8

dunun aigu

2

2

cloche dunun méd.

8

cloche dunun grave

8

djembé d’acc.

2

2

Ratio 1 : 4

o

o

o

x

x

x

x

Δ



improvisation à partir de phrases clés

dunun médium

o

2

2

2

2



o

113

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Dans Kuraba don, seule la 3e valeur du 3e temps est commune aux frappes de tous les instruments. Concernant les deux cloches, on constate que leurs figures sont un monnayage du « standard pattern ». Celui-ci est étalonné, comme pour Donaba en 2+3+2+3+2, mais il intervient seulement pendant la première moitié de la période. La cloche du dunun grave réalise le « standard pattern » (comme sur la première moitié de la période) mais en le faisant apparaître dans une configuration différente par rapport à la trame métrique. Ainsi, sur les quatre premières pulsations, le « standard pattern » s’articule en 2+3+2+3+2 et pendant les quatre suivantes, en 3+2+2+3+2. Soit, pour la figure entière 2+3+2+3+2/3+2+2+3+2 : 1

pulsations

cl. dunun grave

x

2 x

x

3 x

x

4 x

x

5 x

x

6 x

7 x

x

8 x

x

114

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Denmusoni kelen Danse des hommes barati ; Koumana, Kouroussa (Guinée) ; mars à mai 1994, juillet 1998 Tempo = circa 130 puls. dunun méd.

1

⊗ o

dunun aigu x

x

x Δ



4

o

o

o

o

o

o

o

8 o

o

o

o

o

o

o

o

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x



Δ



10



11

o

⊗ o

dunun aigu

Δ



x

x

x ∇

12



Δ

o

o

13

Δ



14

o



o o

cl. dunun grave

djembé solo

⊗ o

o

9

dunun grave

djembé d’acc.



7

x



improvisation à partir de phrases clés

puls.

cl. dunun méd.

6



djembé solo

dunun méd.

5

o o

cl. dunun grave djembé d’acc.

3

o

dunun grave

cl. dunun méd.

2

o

o

o

o

o

15

o o

o o

o o

o

o

16 o

o

o

o

o

o

o

o

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x



Δ







Δ



improvisation à partir de phrases clés

Formule 9



Δ



x

115

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

dunun médium

16

dunun grave

16

dunun aigu

2

2

cloche dunun méd.

2

2

2

8

cloche dunun grave djembé d’acc.

2

2

2

2

2

8

8 2

2

8 2

2

2

2

Ratios : 1 : 2 / 1 : 4 / 1 : 8

La figure du dunun grave est irrégulièrement contramétrique : sur les 17 frappes qu’elle totalise, trois coïncident avec la pulsation. La période des cloches des dunun médium et grave vaut 8  pulsations tandis que celle des figures des dunun auxquelles elles sont attachées en comptent 16. Comme pour les formules précédentes la figure du dunun aigu est strictement contramétrique et, de surcroît, en canon avec celle du djembé d’accompagnement.

116

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Takosaba Danse des hommes barati ; Koumana, Kouroussa (Guinée) ; mars à mai 1994 Tempo = circa 130 puls. dunun méd.

1 ⊗

dunun grave

o

x

cl. dunun grave djembé d’acc.

3



dunun aigu cl. dunun méd.

2

x

o

o

x

x

x

x

o

x

x



x

o

o

o

o

x

x

x

x

djembé solo 9 ⊗

dunun grave

o

x

cl. dunun grave djembé d’acc. djembé solo

x ∇

10

11



dunun aigu cl. dunun méd.

x



7

⊗ o

x

6

x

o

o

o

o

x

x

x

x

Δ



o

o

x

x



x

8 o

o

o

o

o

o

o

o

x

x

x

x

Δ



x



improvisation à partir de phrases clés

puls. dunun méd.



o

Δ



5

o



o

Δ





4



12 ⊗

o

x

x

x

x

Δ



o

x

x

x ∇

o

o

o

o

o

x

x

x

x

Δ

14

o

o o

13



x

o o

x

x

x ∇

o

o

x Δ



improvisation à partir de phrases clés

16 o

o o

x

15

o

o

x

x

o

o

o

o

x

x

x

x ∇

x

Δ



x

117

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

puls.

17

dunun méd.

o

dunun grave

o

dunun aigu

18

19

20 o

o o o

o o

o

o

o

o

o

o

o

o

cl. dunun méd.

x

x

x

x

x

x

cl. dunun grave

x

x

x

x

x

x

djembé d’acc.



djembé solo

Δ



Δ



x



improvisation à partir de phrases clés

Formule 10

dunun médium

20

dunun grave

20

dunun aigu

2

2

2

2

2

cloche dunun méd.

20

cloche dunun grave

20

djembé d’acc.

2

2

2

2

Ratio 1 : 10

2

2

2

2

2

2

2

2

2

2

2

118

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Par rapport aux formules précédentes, seules les figures des dunun médium et grave, ainsi que des cloches qui leur sont associées, changent. Les rapports de périodicité s’en trouvent modifiés car ces figures totalisent chacune 20 pulsations  ; les figures respectives du dunun médium, du dunun grave et de leurs cloches sont dans un rapport de 1 : 10 avec celles du djembé d’accompagnement et du dunun aigu. Le ratio de la formule Takosaba se résume donc à 1 : 10. Sur les 174 frappes que totalise la formule, 26 coïncident avec la pulsation, les 148 autres sont situées à contretemps, Takosaba est ainsi caractérisée par un degré de contramétricité très élevé comme en témoigne la figure du dunun grave :

pulsations

dunun grave

pulsations

dunun grave

pulsations

dunun grave

1 o

2

10

11

5 o

o

o

19 o

o

7

o

o

13

o

18

6

o

12

o

17 o

4 o

9 o

3

o

14

o

o

8 o

o

15 o

o

16 o

20 o

o

o

Ici, la figure du dunun médium, majoritairement binaire, qui vient contrer le cadre métrique ternaire, se subdivise en quatre segments  : les deux premiers (pulsations 1 à 4 et 5 à 8), rythmiquement identiques, ne se distinguent que par le timbre  ; le troisième (pulsations 9 à 12) en est une légère variante, alors que le dernier segment (pulsations 13 à 20), se singularise par la présence de 2  cellules comptant 5  valeurs chacune, séparées par une cellule de 4, qui rompent le caractère régulièrement binaire de celle-ci, à savoir 4+4+[5]+4+[5]+2.

o

119

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Dans le schéma ci-dessous, ces quatre segments apparaissent séparés par des traits verticaux :

1

pulsations

dunun médium



3

⊗ 9

pulsations

dunun médium

2



⊗ 10

17

dunun médium

o

⊗ 11



pulsations

4

⊗ 18



o

12 o

20 o

6 ⊗

13

⊗ 19

o

5

7 o

14 o

8 o

15

o

16 o

120

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Bolokonondo Danse des hommes barati ; Koumana, Kouroussa (Guinée) ; mars à mai 1994 Tempo = circa 130 puls. dunun méd.

1

2



3



4



5



6



dunun grave

o

dunun aigu

o

o

o

o

o

o

7

o

o

o

o

o

o

8 o

o

o

o

o

o

cl. dunun méd.

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

cl. dunun grave

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

djembé d’acc.



Δ





Δ





Δ



djembé solo



improvisation à partir de phrases clés

puls. dunun méd.

Δ



9

10



11



12



13



14



dunun grave

o

dunun aigu

o

o

o

o

o

o

15

o

o

o

o

o

o

16 o

o

o

o

o

o

o

o

o

cl. dunun méd.

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

cl. dunun grave

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

djembé d’acc.



Δ





Δ





Δ



djembé solo

o

improvisation à partir de phrases clés



Δ



x

121

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

puls.

17

18

dunun méd.

19

20

o

dunun grave

o

o

cl. dunun méd.

x

cl. dunun grave

x

x

djembé d’acc.



o

o

dunun aigu

Δ

21

o

o

o

o

o

o

o

o

o

o

o

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x



Δ



djembé solo

o

o

o

o

o

o

x

x

x

o

o

o

o

o

o

o

x

x

x

x

x

x

x

x

o

x

Δ

24 o

x

x



23

o

o

x



22



Δ





improvisation à partir de phrases clés

puls.

25

26

27

dunun méd.

28 o

o

dunun grave

o

dunun aigu cl. dunun méd.

x

cl. dunun grave

x

djembé d’acc.

o

o

o

o

o

o

x

x Δ



djembé solo

x



o

o

o

o

o

x

x

x

x

x

x

x

x

Δ



o



improvisation à partir de phrases clés

Formule 11

dunun méd.

28

dunun grave

28

dunun aigu

2

2

2

2

2

2

2

2

cl. dunun méd.

28

cl. dunun grave

28

djembé d’acc.

2

2

2

2

2

2

2

2

Ratio 1 : 14

2

2

2

2

2

2

2

2

2

2

2

2

2

2

2

2

122

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Les figures du dunun médium, du dunun grave et de leurs cloches respectives entretiennent un rapport de 1 : 14 avec celles du dunun aigu et du djembé d’accompagnement ; notons que ce ratio semble rare dans les musiques d’Afrique. La période de 28 pulsations des figures des dunun médium et grave et de leurs cloches fait apparaître une forme de type A-A-B, dans laquelle A équivaut à 8 pulsations et B à 12, soit 8+8+12 = 28 :

dunun médium dunun grave

A

A

B

8 pulsations

8 pulsations

12 pulsations

Dans le schéma ci-dessus, les figures respectives du dunun médium, de sa cloche et de la cloche du dunun grave sont commétriques pendant la séquence A, tandis que la séquence B, au contraire, est caractérisée par une organisation fortement contramétrique  de toutes les figures en présence. Les figures des deux cloches sont identiques ; constituées de 34 cellules, elles font apparaître quatre itérations du « standard pattern ». Du point de vue rythmique, la figure du « standard pattern » reste identique, mais du point de vue métrique, elle se retrouve selon les occurrences dans deux positions différentes par rapport à la pulsation.

123

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Dans le schéma suivant, les segments marqués en rouge indiquent les diverses occurrences du « standard pattern » (2+3+2+2+3) au sein de la figure des cloches :

1

pulsations

cloche

x

x

cloche

x

pulsations

25

cloche

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

19

26

x

x

x

x

x

x

x

x

22 x

x

x

15

x

21

8

x

14

x

x

7

x

13

20

x

27 x

x

6

x

12

x

x

5 x

11

18

x

4

x

10

17

pulsations

3

x

9

pulsations

cloche

2 x

16

x

x

23 x

x

x

24 x

28 x

x

x

Alternant de manière diverse des cellules de 2 et de 3, cette figure – qui totalise 84 valeurs minimales regroupées en 28 pulsations – est unique dans notre corpus. 2.3) – 3.3.3.3 – 2.3.2.2.3 – 3.3.3.3 – 2.3.2.2.3 – 2.3 – 2.3.2.2.3 – 3.2.2 – (2.3.2

x

x

124

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Soli Cérémonie de circoncision ; Kouroussa, Koumana, (Guinée) ; mars à mai 1994, août 1998 Tempo = circa 155 1

pulsations

dunun médium

o

dunun grave

o

2

3

⊗ o

4



o

o

o

dunun aigu

o

cl. dunun médium

x

x

cl. dunun grave

x

x

x

djembé d’acc.



Δ



o

o

o

x

djembé solo

o

x

o

x

x

x

x

x

x

x

x



Δ



improvisation à partir de phrases clés

Formule 12 dunun médium

4

dunun grave

4

dunun aigu

2

2

cloche dunun méd.

4

cloche dunun grave

1

1

djembé d’acc.

1

1

2

2

Ratios 1 : 2 / 1 : 4

Ici, les figures du dunun médium, du dunun grave et de la cloche du dunun médium sont dans un rapport de 1 : 2 avec celles du djembé d’accompagnement et du dunun aigu ; la cloche du dunun grave est dans un rapport de 1 : 4 avec le dunun médium, la cloche du dunun médium et le dunun grave ; la formule polyrythmique Soli comporte donc les rapports de 1 : 2 et 1 : 4. La figure de la cloche du dunun médium correspond à une hémiole horizontale configurée en (2x3) + (3x2) = 12 ; ce qui apparaît clairement, lorsqu’on la déroule sur deux périodes : 1

pulsations

cloche

x

2 x

x

3 x

4 x

x

1 x

x

2 x

x

3 x

4 x

x

x

125

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Denbadon Danse en hommage aux « mères rituelles » lors des cérémonies de dation du nom et de mariage ; Bamako (Mali) ; août 1991, août 1993 à décembre 1994, juillet 2000. Tempo : circa 110 < < 200 1

pulsations

2

dunun médium

o

dunun grave

o

dunun aigu

o



cl. dunun médium

x

x

cl. dunun grave

x

x

djembé d’acc.



Δ

djembé solo

3



o

4 ⊗

o







o

o

o

x

x

x

x

x

x





x

x x

x

x





o

Δ



improvisation à partir de phrases clés

Formule 13

dunun médium

4

dunun grave

4

dunun aigu

4

cloche dunun méd.

4

cloche dunun grave djembé d’acc.

4 2

Ratio 1 : 2

2

126

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

La seule figure dont la période diffère des autres est le djembé d’accompagnement  ; La figure du dunun grave est irrégulièrement contramétrique, sur les quatre frappes qu’elle comporte, une seule coïncide avec la pulsation ; elle est constituée de trois cellules juxtaposées ainsi : 5+3+4 ce qui équivaut à 5+(3+4) = 5+7 = 12  ; elle procède donc du principe de l’imparité rythmique ; la figure du dunun aigu est, elle aussi, contramétrique, une seule de ses six frappes coïncide avec la pulsation. Voici les figures du dunun aigu et de la cloche du dunun grave, représentées sur deux périodes consécutives. On voit qu’elles s’articulent toutes deux en 2+3+2+2+3 et qu’il s’agit dans les deux cas du «  standard pattern  », toutefois, leurs réalisations diffèrent quelque peu : 1

pulsations

2

dunun aigu

o

x

x

cl. dunun grave

x

x

x

3

x

4

1

2

o

o

o

o

x

x

x

x

x

x

x

x

3

x

4

o

o

o

x

x

x

Quant à la cloche du dunun médium, sa figure procède d’une hémiole horizontale pouvant être décomposée en 3+3+4+2 = 3+3+(2+2)+2 = 12 Voici la figure sur deux périodes : 1

pulsations

cl. dunun méd.

x



2 x

x

3 x

x

x

4+2+3+3

4 x

1 x

x

2 x

x

3 x

x

3+3+4+2

x

4 x

x

127

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Soko Cérémonies de circoncision ; Faranah, Kouroussa (Guinée) ; janvier à mai 1994. Tempo = circa 140 puls.

1

dunun méd.



dunun grave

o

2

3

4



o

o

dunun aigu

o

cl. dunun méd.

x

x

cl. dunun grave

x

x

x

djembé d’acc.



Δ



x

x

x

o

x

x

x

x

x



Δ



djembé solo

o

o

6

7 o



o

o

o

x

5

o

x

x

x

x

x



Δ



o

x

x

x

8

dunun grave

8

dunun aigu

2

2

cloche dunun méd. cloche dunun grave djembé d’acc.

1

1 2

1 2

Ratios 1 : 2 / 1 : 4 / 1 : 8

1

Δ



2

1 2

x



4 1

x

x

2

4

o

x

Formule 14

1

1 2

o

o

x

improvisation à partir de phrases clés

dunun médium

o

o

o

o

x

x

o

o

o

o

8

x

128

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

La cloche du dunun médium correspond à une hémiole horizontale qui se décompose en (3x2)+(2x3) = 12. La voici déroulée sur deux périodes : 1

pulsations

cl. dunun médium

x



2 x

x

3 x

x

2+2+2+3+3

4 x

x

5 x

6 x

x

7 x

x

8 x

2+2+2+3+3

Les figures respectives de la cloche et de la peau entretiennent un rapport de périodicité de 1 : 2.

x

129

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Kawa Danse du masque kawa ; cérémonies de circoncision ; Faranah (Guinée) ; janvier, février 1994, août 1998 Tempo = circa 170 puls.

1

dunun méd.

2 o

dunun aigu

o

cl. dunun méd.

x

x

cl. dunun aigu

x

djembé d’acc.



3

4



o

5

6

o

o

o

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

Δ





Δ



o

o

djembé solo

7

o

o

o

x

x

8

o

o

o

o

o

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x



Δ





Δ



x

improvisation à partir de phrases clés

Formule 15

dunun médium

8

dunun aigu

2

2

cloche dunun méd. cloche dunun aigu djembé d’acc.

2

2

4 1

1 2

4 1

1 2

Ratios 1 : 2 / 1 : 4 / 1 : 8

1

1 2

1

1 2

x

130

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

La figure du dunun médium s’articule en 4+4+4+4+2+2+4. Constituée exclusivement de cellules de 2 et de 4, son articulation a un caractère binaire. Or, celle-ci vient contrer le cadre métrique qui, quant à lui, est fondé sur une subdivision ternaire de la pulsation. La figure est de type hémiolique, dans un rapport de 4 : 3 avec la pulsation. Il s’agit ici d’un exemple frappant d’ambivalence métrique. La cloche du même instrument, le dunun médium, qui se décompose en 2+3+3+2+2 fait apparaître une hémiole horizontale de type (2x3) + (3x2) = 12 2+3+3+2+2 / 2+3+3+2+2 Soit : 1

pulsations

cl. dunun médium

x



2 x

x

3 x

x

3+3+2+2+2

4 x

x

5 x

6 x

x

7 x

x

8 x

3+3+2+2+2

De la même manière que pour Soko, les figures respectives de la cloche et de peau entretiennent un rapport de périodicité de 1 : 2.

x

131

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Dia Danse de réjouissance ; Kouroussa, Koumana (Guinée) ; mars à mai 1994, août 1998 Tempo = circa 155 puls.

1

dunun méd.

2

3





4

5

6

o

o

dunun aigu

o

cl. dunun méd.

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

cl. dunun grave

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

djembé d’acc.



Δ



Δ

o



o

o

o

Δ



djembé solo

o

o

o

o

o

o



8

o

dunun grave

o

7

o

o

o

x

x

x

x

x Δ





improvisation à partir de phrases clés

Formule 16

dunun médium

8

dunun grave

8

dunun aigu

1

1

1

1

1

cloche dunun méd.

8

cloche dunun grave

8

djembé d’acc.

2

2

1

2

1

1

2

Ratio 1 : 4 / 1 : 8

Deux positions sont communes aux frappes de tous les instruments : les 1  valeurs des 5e et 8e temps. res

o

o

x



o

x

x

132

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Ngri Danse de réjouissance ; Bamako (Mali) ; août 1991, août 1993 à décembre 1994, juillet 2000 Tempo : circa 120 < < 160 1

pulsations

dunun médium

2

o

3

o

o

dunun grave

o

dunun aigu

o



cl. dunun médium

x

x

cl. dunun grave

x

djembé d’acc.



o

x

o o

x

x

x

x

x



Δ

djembé solo

4

Δ

o o

o



⊗ x

x



o o

x

x

x

x

Δ



improvisation à partir de phrases clés

Formule 17

dunun médium

1

1

dunun grave

4 2

cloche dunun grave djembé d’acc.

1

4

dunun aigu cloche dunun méd.

1

2 4

2

Ratios 1 : 2 / 1 : 4

2

Δ

133

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

La figure du dunun grave procède du principe de l’imparité rythmique, les 3 cellules qui la constituent correspondent à 7+(2+3) = 7+5 = 12. Quant au dunun aigu, sa figure est une réalisation du « standard pattern » sous la forme  2+3+2+2+3. La cloche du dunun grave correspond à une hémiole horizontale qui se décompose en 12 par (2x3)+(3x2). Les contenus rythmiques des figures du djembé d’accompagnement et de la cloche du dunun médium sont identiques  ; ils s’articulent en  2+4 = 6 et sont de surcroît en canon, à un intervalle de deux valeurs minimales : 1

pulsations

2

cl. dunun médium

x

x

djembé d’acc.





x

3

x

Δ

Δ

4

x

x





x

x Δ

Δ

134

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Mamaya Danse de réjouissance ; Kouroussa (Guinée) ; avril 1994 Tempo puls.

1

2

3

4

5

= circa 140

6

7

8

dunun méd.

o

dunun grave

o

dunun aigu

o

cl. dunun méd.

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

cl. dunun grave

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

djembé d’acc.



Δ





Δ





Δ





Δ







o

o o

o

o

o

djembé solo

o

o

o

o

o

o

o

o

o

o

o

improvisation à partir de phrases clés

Formule 18

dunun médium

8

dunun grave

8

dunun aigu

1

1

1

1

1

1

1

1

cloche dunun méd.

1

1

1

1

1

1

1

1

cloche dunun grave

1

1

1

1

1

1

1

1

djembé d’acc.

2

2

2

2

Ratios 1 : 2 / 1 : 4 / 1 : 8

La formule Mamaya est constituée de figures majoritairement commétriques  ; sur les 66 frappes qu’elle totalise, 38 coïncident avec la pulsation. De plus – phénomène peu fréquent dans notre corpus –, la position correspondant à la deuxième valeur est systématiquement évitée.

135

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Garanke don Danse des artisans du cuir (garanke) ; Bamako (Mali) ; août 1991, août 1993 à décembre 1994, juillet 2000 Tempo : circa 100 < 1

pulsations

2

dunun médium

o

dunun grave

o

o

dunun aigu

o

o

x

x

x

cl. dunun grave

x

x

djembé d’acc.



Δ

cl. dunun médium

3

4 ⊗

o

o



o

djembé solo

< 180



o

o

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x







Δ





improvisation à partir de phrases clés

Formule 19

dunun médium

4

dunun grave

4

dunun aigu

2

2

cloche dunun méd.

1

1

1

1

cloche dunun grave

1

1

1

1

djembé d’acc.

2

2

Ratios 1 : 2 / 1 : 4

Les figures du dunun grave et du dunun aigu – de dimensions différentes – ont toutes deux un caractère binaire, qui vient contrer le cadre métrique ternaire. La figure du dunun grave se décompose en 12 par 2+6+4, celle du dunun aigu en 6 par 2+4. Deux positions sont communes aux frappes de tous les instruments en présence : les 1res valeurs du 1er temps et 3es du 3e temps.

136

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Samaniale Danse des hommes barati ; Koumana, Kouroussa (Guinée) ; mars à mai 1994. Tempo = circa 130 puls. dunun méd.

1

2



3



o

dunun grave

o

dunun aigu

o

4

o

o

5

6

o

o

o

o

o

o

o

o

o

o

o

7

8 o

o

o

o

o

o

o

o

o

o

cl. dunun méd.

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

cl. dunun grave

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

djembé d’acc.



Δ





Δ

djembé solo



Δ





Δ



improvisation à partir de phrases clés

Formule 20

dunun médium

8

dunun grave

8

dunun aigu

2

2

cloche dunun méd.

8

cloche dunun grave

8

djembé d’acc.

2

2

2

2

2

2

Ratios 1 : 4

Sur les 70 frappes que totalise la formule Samaniale, deux positions sont communes à l’ensemble des instruments : les 3es valeurs des 3e et 7e  temps. La figure du dunun grave est irrégulièrement contramétrique, sur les 10 frappes qu’elle comporte, une seule coïncide avec la pulsation. La figure du dunun est également contramétrique, les trois frappes qu’elle compte sont toutes situées à contretemps.



o

137

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Woloso don Danse des descendants de captifs ; Bamako (Mali) ; août 1991, août 1993 à décembre 1994, juillet 2000 Tempo : circa 120 < < 180 puls.

1

2

dunun méd.

o

o

dunun grave

o

o

dunun aigu

o

o

cl. dunun méd.

x

x

x

cl. dunun grave

x

x

djembé d’acc.



Δ

3 ⊗

4

5 o



6

o

o

x

x

x

x

x

x

x

x



Δ



Δ

djembé solo

8



o

o

o

7 ⊗

o

o

o

x

x

x

x

x

x



Δ



o

x

x

x

x

o

x

x

x



Δ

o

Δ

x

Δ



improvisation à partir de phrases clés

Formule 21

dunun médium

8

dunun grave

8

dunun aigu cloche dunun méd.

2 1

2 1

1

1

cloche dunun grave djembé d’acc.

2 1

2 1

1

1

8 2

2

2

2

Ratios 1 : 2 / 1 : 4 / 1 : 8

Le dunun aigu et le djembé d’accompagnement entretiennent un rapport de 1 : 4 avec le dunun médium, le dunun grave et la cloche de celui-ci et de 1 : 2 avec la cloche du dunun médium. Celle-ci est dans un rapport de 1 : 8 avec le dunun médium, le dunun grave et sa cloche. La figure du dunun aigu, articulée en 6 par 2+4, est constituée de quantités binaires alors que le cadre métrique est ternaire.

x

x

x

x



Δ

138

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Bundiani kura Danse de jeunes filles initiées, fête de la mare sacrée ; Koumana (Guinée) ; mai 1994, août 1998 Tempo = circa 185 1

pulsations

2

dunun médium

o

3

o

o

dunun grave

o

o

o

dunun aigu

o

o

o

cl. dunun

x

x

cl. dunun grave

x

x

djembé d’acc.



Δ

médium

4

x

x x



djembé solo

o

o o

x

x

x

x

x

x



Δ



x

improvisation à partir de phrases clés

Formule 22

dunun médium

4

dunun grave

4

dunun aigu

1

1

1

cloche dunun méd.

4

cloche dunun grave

4

djembé d’acc.

1

2

2

Ratios 1 : 2 / 1 : 4

Sur les 6 parties que comporte la formule Bundiani kura, 3 correspondent à des hémioles horizontales articulées en 12 par (2x3)+(3x2), il s’agit du dunun grave et des cloches des dunun médium et grave. Elles sont de surcroît en canon, à un intervalle de deux pulsations. Les voici présentées sur deux périodes : 1

pulsations

cl. dunun médium cl. dunun grave

2

x

x

x

x

x

3 x

x

4

x

x

x

x

5

x

x

x

6

x

x

x

x

x

7 x

x

8

x

x

x

x

x x

x

139

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Mendiani Danse de jeunes filles initiées, fête de la mare sacrée ; Kangaba (Mali), Siguiri (Guinée) ; septembre et octobre 1993, août 1998 Tempo : circa 150 < < 190 1

pulsations

2

dunun médium

o

o

dunun aigu

o

o

djembé d’acc.



Δ

djembé solo

3 ⊗





4 o

o

o



Δ

o



improvisation à partir de phrases clés

Formule 23

dunun médium

4

dunun aigu

2

2

djembé d’acc.

2

2

Ratio 1 : 2

Le dunun aigu et le djembé d’accompagnement entretiennent un rapport de 1 : 2 avec le dunun médium. Le dunun médium réalise une hémiole horizontale de type (2x3)+(3x2) = 12, celle-ci apparaît clairement lorsque l’on développe la figure sur deux périodes  : 2+3+3+2+2 / 2+3+3+2+2  ; elle est, de plus, irrégulièrement contramétrique : sur les 5 frappes qu’elle totalise, une seule coïncide avec la pulsation.



140

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Bundiani Danse de jeunes filles initiées, fête de la mare sacrée ; Koumana (Guinée) ; mai 1994, août 1998 Tempo : circa 150 < < 175 1

pulsations

dunun médium

2

o

dunun aigu

o o

x

médium cl. dunun grave djembé d’acc.

o

o

o

cl. dunun

x

x

x

x



djembé solo

4



o

dunun grave

3

Δ

o

o

x

x

x

x

x

x

x

x





Δ

improvisation à partir de phrases clés

Formule 24

dunun médium

4

dunun grave dunun aigu

4 2

cloche dunun méd.

djembé d’acc.

2 4

cloche dunun grave

4 2

Ratio 1 : 2

o

2



x

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

141

Les dunun médium et grave et leurs cloches respectives sont dans un rapport de 1 : 2 avec le dunun aigu et le djembé d’accompagnement. Hormis une frappe commune, les figures du dunun médium et du dunun grave sont en entrecroisement strict. La figure de la cloche du dunun médium est une hémiole horizontale ; elle juxtapose 3 valeurs binaires et 2 valeurs ternaires, pour une période de 12 valeurs minimales, soit, sur deux périodes, 2+2+3+3+2 / 2+2+3+3+2. La figure de la cloche du dunun grave est identique à celle du dunun médium mais décalée de trois valeurs minimales. L’hémiole se trouve ainsi dans un rapport de canon avec celle du dunun médium. Contrairement à Dunun gbe, il n’y a ici aucun déphasage métrique. La figure du dunun médium est strictement contramétrique  ; quant au dunun grave, une seule de ses frappes coïncide avec la pulsation.

142

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Faraba kan Danse de réjouissance ; Bamako (Mali) ; août 1991, août 1993 à décembre 1994, juillet 2000 Tempo = circa 210 puls.

1

2

3

4

5

6

dunun méd.

o

o

o

o

o

dunun grave









o

o

dunun aigu

o

o

o

cl. dunun méd.

x

x

x

x

x

cl. dunun grave

x

x

x

x

x

x

djembé d’acc. 1

Δ





Δ





djembé d’acc. 2

Δ





Δ





o

o



o

Δ





Δ





djembé solo



7

o

8

o

o

o

o

o

x

o

x

x



o

x

x

x

x

Δ





Δ





improvisation à partir de phrases clés

Formule 25

dunun médium

1

1

1

1

dunun grave

1

1

1

1

1

8

dunun aigu cloche dunun méd.

1

2 1

2 1

1

2 1

cloche dunun grave

1

2 1

8

djembé d’acc. 1

2

2

2

2

djembé d’acc. 2

2

2

2

2

Ratios 1 : 2 / 1 : 4 / 1 : 8



143

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

La figure du dunun grave se laisse segmenter en deux parties égales : la première est constituée exclusivement de cellules ternaires, tandis que la seconde comporte uniquement des cellules binaires. Cette figure est de type hémiolique si l’on considère que la cellule de 4 est un amalgame de 2+2 ; elle s’articule en 3+3+3+3+2+2+4+2 faisant apparaître une hémiole horizontale de type (4x3)+(6x2) = 24. Notons qu’il s’agit de la seule figure de type hémiolique de notre corpus totalisant 24 valeurs minimales.

puls. dunun grave

1 ⊗

2 ⊗

3 ⊗

4 ⊗

5 o

6 o

o

7

8 o

o

144

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Konkoba Accompagnement des travaux des champs ; Koumana (Guinée) ; mars à mai 1994, août 1998 Tempo = circa 150 puls.

1

2

dunun méd.

o

o

dunun grave

o

o

dunun aigu

o

cl. dunun méd.

x

x

cl. dunun grave

x

x

djembé d’acc.

Δ

3 ⊗

o

o

o

Δ

4

x

x

x



o

o

o

o

o

o

6 ⊗

o

o

o

o

o

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x



Δ



djembé solo

5

Δ







improvisation à partir de phrases clés

Formule 26

dunun médium

6

dunun grave

6

dunun aigu

2

2

cloche dunun méd.

6

cloche dunun grave

6

djembé d’acc.

3

2

3

Ratios 1 : 2 / 1 : 3

Le dunun grave, le dunun médium et sa cloche présentent un rapport de 1 : 3 avec le dunun aigu et le djembé d’accompagnement. Notons qu’il s’agit de la seule formule de notre corpus présentant le ratio 1 : 3.

145

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Manamani Danse de réjouissance ; Kangaba (Mali) ; septembre 1993, août 1998 Tempo 1

pulsations

dunun médium

o

djembé d’acc. 1



djembé d’acc. 2 djembé solo

2 o

Δ

Δ

Δ

Δ

3 o



4

o



∇ ∇

= circa 170



o

Δ

Δ

Δ

Δ



∇ ∇

improvisation à partir de phrases clés

Formule 27

dunun médium

4

djembé d’acc. 1

2

2

djembé d’acc. 2

2

2

Ratio 1 : 2

La figure du dunun médium est une réalisation du « standard pattern » sous la forme 2+3+2+2+3. La figure du djembé d’accompagnement 2 est strictement et régulièrement contramétrique.



146

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Kala Danse du tir à l’arc lors des cérémonies de circoncision ; Faranah (Guinée) ; janvier, février 1994, août 1998 Tempo = circa 185 1

pulsations

2

dunun médium



o

dunun grave

o

o

dunun aigu

o

o

x

x

cl. dunun grave

x

x

djembé d’acc.

Δ



cl. dunun médium

djembé solo

3 o

4 o

o o

o

x

x

x

x

x

x

x

x

Δ



Δ

improvisation à partir de phrases clés

Formule 28

dunun médium

4

dunun grave

4

dunun aigu

2

2

cloche dunun méd.

2

2

cloche dunun grave

2

2

djembé d’acc.

2

2

Ratio 1 : 2

Les figures du dunun médium, du dunun grave et des deux cloches, donnent lieu à des hémioles. Les deux dunun entretiennent un rapport de 3 : 4 avec la pulsation. Si pour la figure du dunun grave, articulée en 12 par 4+4+4, l’hémiole est réalisée de façon stricte, elle ne l’est que partiellement pour le dunun médium, dont la figure vaut 12 par 4+2+2+4  ; quant aux cloches, leurs figures respectives sont identiques et s’articulent en 6 par 2+2+2. La figure du dunun aigu, qui s’articule en 6 par 2+4, présente également un caractère binaire. Deux positions sont communes à toutes les frappes des instruments, la 1re valeur du 1er temps et la 3e valeur du 3e.

Δ

147

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Formules fondées sur une subdivision binaire de la pulsation

Sofa Accompagnement des guerriers de jadis sur les champs de bataille, levée de deuil des notables ; Kouroussa (Guinée) ; avril 1994 Tempo = circa 100 1

pulsations

dunun médium

o

2

3



o

dunun grave

o

dunun aigu

o

cl. dunun

x

médium cl. dunun grave

x

djembé d’acc.



x

x



djembé solo

o

o

o

o

o

x

x

4

o

o

o

o

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x



Δ



Δ

Δ





improvisation à partir de phrases clés

Formule 29

dunun médium

4

dunun grave

4

dunun aigu

2

2

cloche dunun méd. cloche dunun grave djembé d’acc.

4 1

1 2

1

1 2

Ratios 1 : 2 / 1 : 4

Les dunun médium et grave ainsi que la cloche du dunun médium entretiennent un rapport de 1 : 2 avec le dunun aigu et le djembé d’accompagnement. Les figures du dunun médium et du dunun aigu sont en entrecroisement strict. Le djembé d’accompagnement, constitué de trois cellules (3 / 3+2) fonctionne selon le principe de l’imparité rythmique.

Δ

148

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Soro Hommage au fétiche soro destiné aux cultivateurs, accompagnement des travaux des champs ; Kouroussa, Koumana (Guinée) ; mars à mai 1994, août 1998 Tempo = circa 120 1

pulsations

dunun médium

o

dunun grave

o

dunun aigu

o

cl. dunun cl. dunun grave

x

djembé d’acc.



3 ⊗

o

o

o o

x

x

x

4



o

x

médium

2

x

x



djembé solo

o

o

o

o

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x



Δ

Δ



o

Δ





improvisation à partir de phrases clés

Formule 30

dunun médium

4

dunun grave

4

dunun aigu

1

1

cloche dunun méd.

1

1

cloche dunun grave djembé d’acc.

1

1

1

1

4 2

2

Ratios 1 : 2 / 1 : 4

Le dunun médium, le dunun grave et sa cloche entretiennent un rapport de 1 : 2 avec le dunun aigu et le djembé d’accompagnement, et de 1 : 4 avec la cloche du dunun médium. Le djembé d’accompagnement procède de l’imparité rythmique par 3+(3+2) = 3+5 = 8.

Δ

149

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Kasa gbe Accompagnement des travaux des champs ; Kouroussa et Koumana (Guinée) ; mars à mai 1994, août 1998 Tempo = circa 120 1

pulsations

dunun médium



dunun grave

o

dunun aigu

o

cl. dunun

o

cl. dunun grave

x

djembé d’acc.



3 ⊗

o

x

o

x

x

x

x

x

x

x

x

Δ



Δ

o

o

x

djembé solo

o

o

x





o

o

x

4



o

x

médium

2



x



x

x

x

x



Δ

improvisation à partir de phrases clés

Formule 31

dunun médium

2

2

dunun grave dunun aigu cloche dunun méd.

4 1

1

cloche dunun grave djembé d’acc.

1

2

1 2

4 2

2

Ratios 1 : 2 / 1 : 4

Le dunun grave et sa cloche entretient un rapport de 1 : 2 avec le dunun médium, sa cloche djembé d’accompagnement et de 1 : 4 avec le dunun aigu. Trois figures procèdent de l’imparité rythmique : — le dunun médium et le djembé d’accompagnement, qui se laissent segmenter en 3+(3+2) = 3+5 = 8 ; — la cloche du dunun médium qui s’articule en (2+3)+3 = 5+3 = 8.

Δ

150

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Madan Danse de réjouissance ; Kangaba (Mali) ; septembre 1993, août 1998 Tempo 1

pulsations

2

dunun médium

o



dunun aigu



o

o

djembé d’acc.



Δ



djembé solo

Δ

= circa 145

3 o



4 ⊗

o

o

o



Δ

o

⊗ Δ





improvisation à partir de phrases clés

Formule 32

dunun médium

2

2

dunun aigu djembé d’acc.

4 2

2

Ratio 1 : 2

Le dunun médium et le djembé d’accompagnement entretiennent un rapport de 1 : 2 avec le dunun aigu. Le djembé d’accompagnement est contramétrique, sur les 5 frappes que comporte sa figure, une seule coïncide avec la pulsation.

151

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Soboninkun Danse du masque soboninkun, célébration de la fin des récoltes, fêtes de réjouissances ; Tieblenbougou, Bamako (Mali) ; août à décembre 1993 Tempo : circa 120 < < 150 1

pulsations

2

dunun aigu





djembé d’acc.





djembé solo

3

Δ



o

o

Δ



4 o

o





Δ

improvisation à partir de phrases clés

Formule 33

dunun aigu djembé d’acc.

4 2

2

Ratio 1 : 2

Le djembé d’accompagnement entretient un rapport de 1  : 2 avec le dunun aigu. La figure du dunun aigu fonctionne selon le principe de l’imparité rythmique : elle s’articule en (3+4)+(3+6) = 7+9 = 16.

Δ

152

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Dansa Célébration de la fin des récoltes, danse de réjouissance ; Bamako (Mali) ; août à octobre 1993, juillet 1998, juin 2000 Tempo = circa 100 1

pulsations

dunun médium

o

dunun grave



2 ⊗

o

o

x

x

x

cl. dunun grave

x

x

x

djembé d’acc. 1

Δ





djembé d’acc. 2



médium

o

Δ



o

x

◊ ∇

djembé solo



o

o

o

x

x

x

x

x





x

x

x





Δ

Δ

Δ



o

Δ



o x

x

◊ ∇

improvisation à partir de phrases clés

Formule 34

dunun médium

2

2

dunun grave dunun aigu

4 1

cloche dunun méd. cloche dunun grave

1

1

2 1

1 2

1

1

1

djembé d’acc. 1

2

2

djembé d’acc. 2

2

2

Ratios 1 : 2 / 1 : 4

o

o

o

x

x

4

o

o

dunun aigu cl. dunun

o

3

o

x x

x





Δ

Δ

153

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Le dunun médium, sa cloche et le djembé d’accompagnement entretiennent un rapport de 1 : 2 avec le dunun aigu et la cloche du dunun grave. Ces derniers sont dans un rapport de 1 : 4 avec le dunun grave. Le dunun aigu est régulièrement et strictement contramétrique. Quatre figures sur les sept que compte la formule Dansa fonctionnent selon le principe de l’imparité rythmique : — celle du dunun médium, qui se laisse segmenter en 3+(3+2) = 3+5 = 8 ; — la cloche du dunun médium qui s’articule (2+3)+3 = 8 ; — le djembé d’accompagnement 2, en 5+3 = 8 ; — le dunun grave, en 7+(3+6) = 7+9 = 16. Soliba Cérémonies de circoncision ; Kouroussa et Koumana (Guinée) ; mars à mai 1994, août 1998 Tempo = circa 110 1

pulsations

dunun médium



dunun grave

o

dunun aigu

o

cl. dunun

2

3



⊗ o

4 o

o

o

o

o

o

o

x

x

x

x

x

x

x

x

cl. dunun grave

x

x

x

x

x

x

x

x

djembé d’acc.









médium

Δ



djembé solo

Δ

Δ



improvisation à partir de phrases clés

Formule 35 dunun médium

4

dunun grave

2

2

dunun aigu

1

1

1

1

cloche dunun méd.

1

1

1

1

cloche dunun grave

1

1

1

1

djembé d’acc.

2

Ratios 1 : 2 / 1 : 4

2

Δ

154

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Le dunun médium, entretient un rapport de 1 : 2 avec le dunun grave et le djembé d’accompagnement et de 1 : 4 avec le dunun aigu et les cloches des dunun médium et grave. Le djembé d’accompagnement fonctionne selon le principe de l’imparité rythmique en 8 par 5+3. Deux positions sont communes aux frappes de tous les instruments : la 1re valeur des 1er et 3e temps. Jeli don Danse des jeli (griots) ; Bamako (Mali) ; août à octobre 1993, juillet 1998, juin 2000 Tempo : circa 100 < < 140 1

pulsations

dunun médium

o

dunun grave

o

dunun aigu

o

cl. dunun

2 o

o

3 o

o

⊗ o

o

o

o o

4 o

o

o



o

o

o

x

x

x

x

x

x

x





x

x

x

x

x

x

cl. dunun grave

x

x

x

x

x

x

x

x

djembé d’acc. 1





Δ









Δ

djembé d’acc. 2

Δ

Δ



Δ

Δ



médium

Δ





djembé solo



Δ



improvisation à partir de phrases clés

Formule 36 dunun médium

2

2

dunun grave dunun aigu cloche dunun méd.

4 1

1

1

2

cloche dunun grave

1 2

4

djembé d’acc. 1

2

2

djembé d’acc. 2

2

2

Ratios : 1 : 2 / 1 : 4

o

◊ ∇

155

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

La figure du dunun médium (2+3/3 =  8 valeurs minimales) relève de l’imparité rythmique. Le dunun grave procède de même, mais sur une période de 16  valeurs minimales, à savoir 5+4  / 4+3, soit 9+7. Par ailleurs, il entretient un rapport de 1 : 2 avec le dunun médium et le djembé d’accompagnement et de 1 : 4 avec les dunun aigu et médium ainsi qu’avec la cloche du dunun grave. Le djembé d’accompagnement  2, articulé en 5+3 =  8, applique également le principe d’imparité rythmique. Didadi Danse de réjouissances ; Bamako (Mali) ; août à décembre 1993 Tempo : circa 100 < 1

pulsations

dunun grave

o

dunun aigu

o

djembé d’acc.



2 o

o

djembé solo

o

o

o

⊗ ∇

3

⊗ Δ



o

4 o

o

Δ

< 130

o



⊗ ∇

⊗ ∇

Δ

improvisation à partir de phrases clés

Formule 37 dunun grave

4

dunun aigu

2

2

djembé d’acc.

2

2

Ratio 1 : 2

Les trois figures qui fondent la formule de Didadi fonctionnent toutes selon le principe d’imparité rythmique : la figure du dunun grave s’articule en 16 par (2+3+2)+(3+6) = 7+9 ; celle du dunun aigu s’articule en 8 par 3+(3+2) = 3+5 et celle du djembé d’accompagnement, par 3+5. Trois positions sont communes aux frappes de tous les instruments : les 1re et 4e valeurs du premier temps et la 1re du 3e.

Δ

156

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Seneke kasa Accompagnement des travaux des champs ; Kouroussa et Koumana (Guinée) ; mars à mai 1994, août 1998 Tempo = circa 120 1

pulsations

dunun médium

2 ⊗

o

3

4



o

dunun grave

o

dunun aigu

o

cl. dunun

o

x

x

cl. dunun grave

x

x

djembé d’acc.



médium

o

x

x



o o

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x



Δ



Δ

djembé solo

Δ





Δ

improvisation à partir de phrases clés 5

pulsations

6

dunun médium

o

7

o

dunun grave

o

o

dunun aigu

o

cl. dunun

o

o

x

x

cl. dunun grave

x

x

djembé d’acc.



médium

o

o

x

x



8

x

x

x



Δ

djembé solo

Δ

o

x

x

x

x

x

x

x

x



Δ





improvisation à partir de phrases clés

Formule 38 dunun médium

8

dunun grave

8

dunun aigu

1

1

1

1

cloche dunun méd. cloche dunun grave djembé d’acc.

1

1

1

1

1

1

1

1

8 1

1 2

1

1 2

Ratios 1 : 2 / 1 : 4 / 1 : 8

2

2

Δ

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

157

Seneke kasa est l’une des rares formules parmi celles de notre corpus dont la période globale totalise huit pulsations binaires. La figure du dunun grave est strictement et régulièrement contramétrique  ; elle est en entrecroisement strict avec la figure du dunun médium. La figure du djembé d’accompagnement qui s’articule en 8 par 3+5, fonctionne selon le principe d’imparité rythmique. Sur les 74 frappes que compte la formule, aucune position n’est commune à tous les instruments.

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La polyrythmie malinké : classification vernaculaire / caractéristiques musicales (Tableau synoptique)

Le tableau synoptique qui suit synthétise l’ensemble des caractéristiques des 38 formules polyrythmiques analysées dans le présent chapitre. Il permet d’observer aussi bien celles qui sont propres à chacune d’elles que celles qu’ils ont en commun. En effet, chaque formule se caractérise par un faisceau de traits qui lui est spécifique, la distinguant ainsi de toutes les autres : il n’y a pas deux formules qui soient identiques. En abscisse figurent les traits musicaux concernant l’organisation métrique des formules, leur périodicité, les procédés formels, les modalités d’interaction entre les diverses figures – entrecroisements, canons –, ainsi que leurs relations respectives avec le cadre métrique de la formule. En ordonnée : les dénominations des formules, dont la numérotation correspond à celle de leur présentation au sein du chapitre.

Subdiv. tern. de la pulsation

Nbre de parties en présence

Période figure la + courte (nbre de pulsations)

Période figure la + longue (nbre de pulsations)

Nbre de périodes différentes

Nbre de figures spécifiques

Nbre de figures pérégrines

Dunun gbe

x

6

1

4

3

2

4

2

Takonani

x

6

1

4

3

2

4

3

Konde

x

6

1

4

3

2

4

4

Bada

x

6

1

4

3

2

4

5

Konowulen

x

6

1

8

3

3

3

6

Bando

x

6

1

8

4

2

4

7

Donaba

x

6

2

8

2

2

4

8

Kuraba don

x

6

2

8

2

2

4

9

Denmusoni kelen

x

6

2

16

3

4

2

10

Takosaba

x

6

2

20

2

4

2

11

Bolokonondo

x

6

2

28

2

4

2

12

Soli

x

6

1

4

3

4

2

13

Denbadon

x

6

2

4

2

5

1

14

Soko

x

6

1

8

4

3

3

15

Kawa

x

5

1

8

4

1

2

16

Dia

x

6

1

8

3

2

2

17

Ngri

x

6

1

4

3

4

2

18

Mamaya

x

6

1

8

3

2

4

19

Garanke don

x

6

2

4

3

2

4

20

Samaniale

x

6

2

8

2

2

4

21

Woloso don

x

6

1

8

3

4

2

22

Bundiani kura

x

6

1

4

2

2

4

23

Mendiani

x

3

2

4

2

1

2

24

Bundiani

x

6

2

4

2

2

2

25

Faraba kan

x

7

1

8

3

4

3

26

Konkoba

x

6

2

6

2

5

1

27

Manamani

x

3

2

4

2

3

0

28

Kala

x

6

2

4

3

3

3

29

Sofa

x

6

1

4

2

3

3

30

Soro

x

6

1

4

3

2

4

31

Kasa gbe

x

6

1

4

3

1

5

32

Madan

x

3

2

4

2

2

1

33

Soboninkun

x

2

2

4

2

1

1

34

Dansa

x

7

1

4

2

5

2

35

Soliba

x

6

1

4

3

2

4

36

Jeli don

x

7

1

4

3

6

2

37

Didadi

x

3

2

4

2

2

1

38

Seneke kasa

x

6

1

8

3

3

3

Subdiv. bin. de la pulsation

1

« Standard pattern »

1 1

2 1

3

6

8

11

13

38 1

2

12 1

1 1

2 2

14

15

16 2 2

17 2 1

28

1

29

1

30

1

31

2

33

2

34

4

35

1

36

3

37

3

1

4

10

19

21

22 3

23 1

24 2

25

1

Nbre de figures strictement contramétriques

1 2 1

3 2

1 3

5 2 1

7 1

9 2

1

1 1

1 2

1

1 3

20

1

26

27

5

32

1

1

Nbre de canons rythmiques entre figures

Nbre d’entrecroisements stricts entre figures

Hémiole verticale

Hémiole horizontale

Imparité rythmique

1

1

1 1

1 1

4 1

1 1

1 1

1 1

1 1

1 1

1

1

18 1

2 1

1 1

1 1

160

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

Chacune de ces 38 dénominations vernaculaires est reliée à une ou plusieurs circonstances et est inséparable d’une chorégraphie. Il n’y en a pas deux qui possèdent les mêmes traits musicaux – elles s’excluent donc toutes mutuellement. Or, ces catégories sont corroborées par des critères strictement musicaux. Nous observons ainsi que : Toutes les formules résultent de la superposition de deux à quatre périodicités différentes. La dimension des périodes varie généralement entre une et huit pulsations. La majorité des formules se laisse regrouper soit en quatre, soit en huit pulsations. Hormis la formule 26 (dont une figure en compte 6), les périodes les plus courtes en comptent une à deux. Toutes les formules ont recours à deux types de figures. Les unes sont dites spécifiques, les autres pérégrines. Les premières sont associées à une formule et à elle seule, alors que les secondes se retrouvent au sein de plusieurs formules. Il suffit donc d’une figure spécifique pour qu’une formule puisse être distinguée d’une autre, ce qui est le cas pour les formules 15, 23, 31 et 33. Toutefois, celles possédant deux figures spécifiques sont les plus fréquentes, puisqu’on en compte 16 sur les 38 présentées ici, soit près de la moitié. On dénombre aussi 7 formules contenant 4 figures spécifiques, 3 formules avec 5 figures, voire 1 avec 6 figures spécifiques. Quant aux figures pérégrines, les plus fréquentes sont les formules qui en possèdent 2 (12 formules sur 38) et celles qui en comptent 4 (13 formules). Notons que la formule 27 n’en possède aucune et les formules 13, 26, 32, 33 et 37 une seulement. Par ailleurs, le tableau fait apparaître les traits qui sont communs à plusieurs formules. Sur la dizaine de traits qu’elles totalisent, les formules 1, 2, 3 et 4 en partagent 9 ce qui témoigne de leur proximité structurelle. De la même manière, on peut rapprocher les formules 7 et 8, qui ont 9 traits communs. Pour ce qui est des procédés, il apparaît que l’imparité rythmique est manifeste aussi bien dans les figures dont la subdivision de la pulsation est ternaire (13 cas), que binaire (17 cas). Notons que le « standard pattern » ne se trouve que dans les formules ternaires, ce qui s’explique par son articulation – 2+3+2+2+3 – qui doit nécessairement s’inscrire dans un cadre métrique de 12 valeurs minimales. Or, si les périodes de quatre pulsations ternaires (4x3=12) sont largement représentées, le tableau n’indique, en revanche, aucune formule binaire de trois pulsations (3x4=12) susceptible de servir de cadre au « standard pattern ». Pour la même raison, les figures de type hémiolique (2 : 3 ou 3 : 4) ne fonctionnant que pour des périodes qui totalisent 6 ou 12 valeurs, sont uniquement présentes dans les formules ternaires. Notons, par ailleurs, qu’à l’exception des formules 34 et 38, les

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

161

figures strictement contramétriques se retrouvent uniquement dans les formules ternaires. Enfin, les canons sont relativement fréquents (16 cas), répartis, là encore, dans les seules polyrythmies ternaires. Qu’il s’agisse d’hémiole, de contramétricité ou de canon, c’est le mode de subdivision ternaire de la pulsation qui offre le plus de ressources pour créer un maximum d’ambiguïté entre métrique et rythme. Récapitulation Voici, résumés, les principes métriques et rythmiques, ainsi que les procédés qui sous-tendent l’organisation des formules polyrythmiques malinké : — la pulsation constitue l’étalon de temps et le dénominateur commun aux différentes parties de toute formule polyrythmique. Cet étalon peut être ou non matérialisé ; — elle peut se subdiviser, selon les cas, en trois ou quatre valeurs opérationnelles minimales. — Chaque formule procède d’un seul mode de subdivision, binaire ou ternaire ; — la pulsation est la pierre angulaire de la métrique, puisqu’elle peut faire l’objet d’une division aussi bien que d’une multiplication ; — la métrique s’ordonne donc sur trois niveaux : la valeur opérationnelle minimale (qui constitue la plus petite durée pertinente issue de la subdivision de la pulsation), la pulsation et la période qui regroupe un nombre donné de pulsations ; — la période est toujours composée de nombres entiers, le plus souvent pairs (2, 4, 6, 8, 12) 91 ; — chaque formule procède de la superposition de différentes formes périodiques dont les rapports sont toujours simples (1 : 2 ; 2 : 3 ; 3 : 4, et leurs multiples). Deux types de marque permettent de faire émerger le rythme  : la modification de timbre et l’alternance des durées ; — l’articulation des figures rythmiques par rapport à la pulsation manifeste une forte tendance contramétrique ; — les figures de type hémiolique sont très fréquentes ; elles peuvent se manifester tant sur l’axe horizontal que vertical ; 91. Quelques exceptions – rarissimes – comportent des périodes comptant 20 ou 28 pulsations.

162

MORPHOLOGIE DES FORMULES POLYRYTHMIQUES

— les formules polyrythmiques sont constituées de figures antagonistes, c’est-à-dire que leurs marques respectives occupent des positions différentes au sein du cadre métrique. Il en résulte une double tension : — entre les figures rythmiques en présence ; — entre celles-ci et leur soubassement métrique. L’entrecroisement des diverses parties peut être strict ou partiel. Chaque formule est constituée d’au moins une figure identificatoire et d’une ou plusieurs figures pérégrines. Tous ces principes corroborent ceux décrits en 1985 par Simha Arom dans son livre Polyphonies et polyrythmies instrumentales d’Afrique Centrale. Dans la conclusion de cet ouvrage, il dit précisément : « Notre étude, dont l’ambition se limitait au départ à la mise au jour de la systématique qui fonde les polyphonies et les polyrythmies instrumentales d’une aire géoculturelle restreinte, a fait apparaître des procédés dont les principes sont attestés sur une aire bien plus vaste, si bien qu’elle pourrait acquérir une dimension tout à fait inattendue et révéler des incidences imprévues » (Arom 1985 : 884).

Les polyrythmies malinké présentent, en plus, les caractéristiques suivantes : — elles font abstraction de toute marque accentuelle ; — elles possèdent un temps de début de cycle pour chaque formule polyrythmique ; — comme d’autres polyrythmies d’Afrique de l’Ouest, celles des Malinké présentent la particularité d’un swing permanent sur les valeurs issues de la subdivision de la pulsation ; — les canons rythmiques sont fréquents ; — le positionnement du « standard pattern » par rapport à la pulsation n’est pas univoque ; — enfin, le tempo peut subir des modifications au cours de la performance.

CHAPITRE VIII

LE DJEMBÉ SOLO Dans les polyrythmies malinké, comme dans de nombreuses autres en Afrique subsaharienne, un seul instrument – le djembé solo – est habilité à improviser. L’improvisation du soliste ne consiste pas uniquement à interpréter des figures (phrases, motifs, cellules) dictées par son inspiration du moment. Sa prestation est toujours soumise au respect de certaines règles. Il est ainsi possible, à partir d’une performance qui, de premier abord, semble très libre, de dégager nombre d’énoncés récurrents qui sont autant de phrases clés. Certaines d’entre elles ont une fonction spécifique, en lien avec danse. Chaque formule polyrythmique possède des énoncés spécifiques, qui alternent avec d’autres, lesquels sont communs à plusieurs formules. Par ailleurs, tout énoncé peut, non seulement faire l’objet de variations, mais servir de « tremplin » au tambourinaire soliste pour la réalisation d’ornementations, décalages, amplifications ou réductions. L’un des rôles du tambourinaire soliste est d’interagir avec la danseuse ou le danseur. C’est à ces derniers que revient l’initiative du choix du pas à exécuter pour une formule polyrythmique donnée. Le djembé doit alors s’adapter en choisissant l’énoncé qu’il exécutera – avec ou sans variante – jusqu’à ce que la danseuse ou le danseur décide d’un autre pas. Le déroulement chorégraphique aboutit le plus souvent à un pas d’une intensité plus marquée, que le tambourinaire se doit d’accompagner en matérialisant les valeurs minimales 92. C’est à lui que revient également la conclusion de cette phase en énonçant une phrase clé spécifique nommée tigeli (littéralement « coupure »). Analyse d’une partie solo de Mendiani Afin d’illustrer ces différents aspects du jeu du djembé solo, voici un extrait de la transcription linéaire de sa partie dans Mendiani, tel qu’interprété par le percussionniste guinéen Famoudou Konaté 93  (schéma 5). 92. Ce monnayage porte un nom vernaculaire – golobali – qui peut être traduit par « échauffement ». 93. Enregistrement issu du disque Rhythmen der Malinke, Ethnologisches Museum, Berlin – Museum Collection : CD 18, 1991. Nous présentons ici un extrait de la partie soliste d’un ensemble constitué de cinq tambours et de deux cloches.

LE DJEMBÉ SOLO

165

Schéma 5 : la partie solo de Mendiani (extrait)

Le tableau suivant (schéma 6) inventorie la totalité des énoncés figurant dans l’extrait ci-dessus, au nombre de 21. Le ou les chiffres qui figurent à droite de chaque énoncé indiquent sa ou ses positions respectives au sein de la transcription.

166

LE DJEMBÉ SOLO

Schéma 6 : inventaire et occurrences des énoncés

LE DJEMBÉ SOLO

167

Afin de regrouper ces énoncés en paradigmes, nous avons appliqué le principe de répétition en scrutant les éléments « afin de déterminer ceux qui se ressemblent et ceux qui sont dissemblables » (Arom 1985 : 261). Nous regroupons en un même paradigme les énoncés qui présentent un certain nombre de traits communs. Le jugement culturel d’équivalence entre alors en jeu pour valider ces paradigmes  : en effet, si deux énoncés quelque peu différents sont considérés par les tenants de la tradition comme « le même », c’est bien du point de vue culturel. Cette validation fut obtenue en se référant à la danse. Il s’agissait de savoir si, pour un même pas, plusieurs énoncés issus du même paradigme pouvaient être joués de manière interchangeable. Les paradigmes regroupent ainsi des éléments culturellement considérés comme identiques, qui peuvent commuter. Par commutation, « il faut entendre l’opération qui consiste à substituer les uns aux autres des termes différents appartenant à un même paradigme, ainsi que le principe en vertu duquel cette opération peut avoir lieu » (ibid. : 265). Énoncé 1 – 3 variantes

Les quatre frappes communes à ces trois variantes – qui en constituent la matrice – engendrent une figure de type hémiolique dans un rapport de 3 : 4 avec la pulsation :

Toutes les trois présentent une articulation binaire du rythme, venant contrer le cadre métrique fondé, quant à lui, sur une subdivision ternaire de la pulsation.

168 Énoncé 2 – 4 variantes : I I

LE DJEMBÉ SOLO

I

I

La matrice des quatre variantes de cet énoncé correspond à la figure suivante, qui procède du principe de l’imparité rythmique, avec 12 pour 5+(4+3)  = 5+7. La première valeur du 4e temps est systématiquement évitée.

Énoncé 3 – 5 variantes :

LE DJEMBÉ SOLO

169

La matrice des cinq variantes de l’énoncé 3 donne lieu à la figure suivante :

Énoncé 4 – 2 variantes :

Les deux variantes de cet énoncé présentent un fort degré de contramétricité. Énoncé 5 – 2 versions variantes :

Seule l’opposition de timbre permet ici de produire une forme rythmique.

170

LE DJEMBÉ SOLO

Procédés de variation d’un énoncé De ce qui précède, il ressort que la performance du soliste, loin d’être une improvisation ex nihilo, consiste pour une large part en l’agencement varié de figures qu’il a mémorisées. C’est dans ce «  stock  » qu’il puise spontanément différents énoncés pour les répéter ou bien les alterner de façon aléatoire. La virtuosité provient de la capacité à maîtriser un grand nombre de figures pour les agencer sur le champ. Pour ce qui est de l’apprentissage des figures et des procédés de variations, citons Jean Molino qui, dans un article intitulé « Qu’est-ce que l’oralité musicale ? », décrit un processus qui peut s’appliquer à nombre de musiques traditionnelles. «  Dès son plus jeune âge, le membre d’une communauté a entendu des variations associées au modèle. Ce qui se construit ainsi dans l’esprit de l’auditeur et du musicien, c’est un ensemble de modules et sous-modules – et nous prenons volontairement le mot dans un autre sens, le sens qu’on lui donne en sciences cognitives de systèmes spécifiques de traitement de l’information – […] : à tous les niveaux, le musicien a mémorisé et connaît l’ensemble des substitutions paradigmatiques qu’il peut opérer, selon le contexte, à un moment donné de l’œuvre » (Molino 2007 : 491).

Cinq procédés de variation sont à l’œuvre dans le jeu du djembé solo. Le plus souvent, ils se combinent. Pour la clarté de l’exposé, ils sont présentés ici séparément. a) La modification de timbre Elle s’applique lorsque la substance rythmique demeure identique ; seul varie alors le timbre. L’exemple suivant est issu du solo de Mendiani 94 :

94. Les exemples suivants ont été enregistrés à Kangaba au Mali en 1994 auprès de Kalifa Mao Berthe.

LE DJEMBÉ SOLO

171

b) Le monnayage L’énoncé est modifié par l’ajout de frappes : Ici sur Mendiani

c) L’amplification Ce procédé consiste à doubler la dimension d’un énoncé, par la répétition d’une des cellules qui le constituent. Ainsi, dans le solo de Kawa  95, cidessous, une période de deux pulsations :

devient :

d) La réduction Ce procédé, fondé sur le même principe que l’amplification – à savoir la répétition d’une cellule au sein d’une figure donnée –, aboutit au résultat inverse, en réduisant la dimension de celle-ci. Ainsi, sur le solo de Mendiani,

95. Enregistré à Faranah en Guinée, auprès de Fadouba Oularé.

172

LE DJEMBÉ SOLO

devient :

e) Le décalage par rapport à la pulsation Ici, la variation consiste ici à décaler la position de la figure initiale par rapport à la pulsation. Ce décalage peut être de deux types : — il est dit régulier quand la variation se trouve dans une position constante par rapport à la pulsation, mais différente de celle qu’occupait la figure initiale. Ainsi pour les solo de Dunun gbe :

devient

LE DJEMBÉ SOLO

173

— il est irrégulier (ou de type hémiolique) quand l’énoncé répété se trouve à chacune de ses occurrences dans une position différente par rapport à la pulsation : ce qui donne pour la même figure de Dunun gbe :

qui devient

Modalités d’interaction entre la partie soliste et la danse Pendant la performance, un cercle est formé de part et d’autre des musiciens par des personnes constituant l’auditoire. Certaines d’entre elles entrent dans le cercle pour y danser à tour de rôle, se plaçant alors face aux musiciens. La danseuse ou le danseur enchaîne plusieurs figures et l’initiative de ces enchaînements lui revient. Le rapport du djembé solo à la danse est ici fondamental car, on l’a dit, c’est au percussionniste de suivre la danseuse ou le danseur. Ce dernier se doit donc de connaître les différents pas que les danseurs sont susceptibles de réaliser, pour s’y adapter instantanément, quoi qu’il advienne. Le percussionniste Ibrahima Diabaté, avec lequel nous avons travaillé aussi bien au Mali qu’en France, souligne que lorsqu’il joue le solo, il a en tête une ou plusieurs « phrases clés », appropriées à une formule polyrythmique donnée. Lors d’un entretien que nous avons réalisé avec lui 96, Diabaté précise : « Quand on accompagne une danseuse, on est tenu de commencer par la phrase clé, parce que ça rassure la danseuse et les autres musiciens du groupe. Ensuite, les variations interviennent, mais cette phrase revient régulièrement. On la joue au début, puis on revient fréquemment dessus. » 96. Les propos du percussionniste malien Ibrahima Diabaté tout comme ceux de la danseuse burkinabé Aminata Traoré reproduits ici, proviennent des entretiens figurant p. 243-250.

174

LE DJEMBÉ SOLO

L’interaction musique-danse est ici totale et, de surcroît, codifiée. Ainsi la danseuse burkinabé Aminata Traoré explique-t-elle : « Le djembé doit me suivre, il doit danser avec moi. Le soliste essaie de se caler sur les pas que je fais. » Et d’ajouter : « Quand je danse, il peut faire les solos qu’il veut ; il peut donc improviser, mais il faut qu’il revienne à la phrase qui correspond à mon pas », pour conclure : « J’essaie de m’adapter, mais l’idéal c’est que ce soit lui qui s’adapte… » De son côté, Ibrahima Diabaté indique : « [La danseuse] a ses propres figures de base à partir desquelles elle improvise, en y ajoutant certains mouvements. Cela peut m’inspirer pour varier à mon tour, en suivant ses mouvements. » Lors de son intervention, la danseuse ou le danseur enchaîne plusieurs figures différentes. Aminata Traoré précise que « l’ordre [de cet enchaînement] n’a pas d’importance » et ajoute « ne pas avoir besoin du soliste pour changer de pas ». Le plus souvent en effet, c’est la danseuse qui décide du moment où elle enchaîne avec le pas suivant, le soliste devant s’y conformer 97. Quant au nombre de pas différents lors d’une intervention, Aminata précise  : «  En moyenne, je fais trois ou quatre figures, la cinquième, plus rapide, sera celle de la fin  98  ». Cette dernière figure correspond au « chauffé » (golobali ou teliya) qui peut s’accompagner d’une accélération du tempo et que le soliste accompagne en matérialisant toutes les subdivisions de la pulsation 99. Suite à quoi, et à la différence de ce qui se passe avec les figures chorégraphiques, c’est ici au soliste que revient la phase conclusive, qu’il marque par un signal standard (jembe tige ou tigeli) de quatre pulsations 100. En prenant l’exemple de deux formules polyrythmiques (Take et Soli), Aminata indique connaître, pour chacune d’entre elles, une dizaine de pas 97. Pour certaines danses, notamment celles des masques Sogoninkun ou Kawa, il arrive que le soliste soit chargé d’indiquer les changements chorégraphiques. Dans ce cas, il le fait en ayant recours – là encore – à des figures standard de quatre pulsations ; cependant, l’initiative du choix des pas revient toujours au danseur. Notons aussi qu’il existe un cas de danse collective – la danse Dunun gbe des hommes barati en Haute Guinée – pour laquelle c’est le dunun médium et non le djembé soliste qui est chargé d’indiquer les changements de pas aux danseurs au moyen d’un signal. 98 . Il peut arriver qu’une danseuse intervienne pour exécuter une seule figure, dans le cas, par exemple, d’un nombre élevé de danseuses qui attendent leur tour. 99. Pendant cette séquence, le ou les dunun qui réalisent des variantes suivent le plus souvent le soliste, en interprétant des figures spécifiques au « chauffé » et propres à chaque pièce. 100. Voir aussi Zanetti (1996 : 172) et Polak (2004 : 113-114).

LE DJEMBÉ SOLO

175

différents ainsi que deux pas de « chauffé ». Elle ajoute qu’il y en a certains qu’elle préfère à d’autres ; et ce sont ceux-là qu’elle choisira pendant la performance, selon son inspiration du moment. L’interaction entre la danseuse et le tambourinaire soliste obéit donc à un certain nombre de règles. On voit que, si l’ordre d’enchaînement des figures chorégraphiques est bien aléatoire, leur choix revient à la danseuse ou au danseur : ils pourront puiser, dans le stock de figures spécifiques à une danse, celles qui leur viennent spontanément à l’esprit. Une danseuse se place face aux musiciens pour enchaîner nombre de figures différentes, la dernière étant généralement d’une intensité plus grande, le pas « chauffé » pouvant s’accompagner d’une accélération du tempo. Cette séquence est conclue par un signal du soliste.

Conclusion

Ce volume est le fruit d’un parcours de quelques trente années, axé sur l’étude de l’univers foisonnant de la percussion d’Afrique de l’Ouest. Cette quête eut pour point de départ le choc que j’ai ressenti à l’âge de onze ans, frappant pour la première fois sur un djembé. En jetant mon dévolu sur cet instrument qui, peu à peu, devait me conduire à voyager pour rencontrer les Malinké et leur culture, apprendre leurs percussions. Sous l’œil attentif de maîtres, jouant avec eux ou sous leur contrôle, c’est par la pratique que j’ai progressivement intégré leurs répertoires. J’ai ainsi acquis une connaissance «  de l’intérieur  », faite de gestes, de ressentis, de réflexes et de lâcher-prise au service d’une activité collective aussi riche que complexe. De ce vécu jaillit tout naturellement la question  : «  Comment ça marche  ?  » Question toute théorique que Simha Arom s’était déjà posée plusieurs décennies plus tôt, lorsqu’il découvrait les musiques centrafricaines. Et c’est sous sa houlette qu’à mon tour je me suis attelé à analyser en profondeur les musiques que je jouais afin d’en dégager les principes qui les structurent. Chez les Malinké – société organisée en système de castes –, on distingue trois catégories musicales : la « musique des griots », la « musique des chasseurs » et la « musique des tambours ». Cette dernière, qui sert de soubassement à des chants, est toujours associée à la danse. C’est ici qu’intervient la polyrythmie, associant des tambours djembé et dunun. Le jeu des tambours est pratiqué par les hommes, indépendamment de leur appartenance à telle ou telle caste. L’apprentissage des percussions passe nécessairement par un maître. Dans cette étude, j’ai repris à mon compte les définitions de Simha Arom des notions de rythme, de figure rythmique, de pulsation, de métrique, de contramétricité, d’imparité rythmique et leurs divers modes d’interaction, intégrant en outre une dimension jusqu’alors quelque peu négligée, celle du swing instrumental en Afrique. Quant à la méthode d’enregistrement, je me suis inspiré du re-recording aromien pour pouvoir isoler et enregistrer chaque partie de la polyrythmie. Après avoir transcrit chacune des différentes figures rythmiques constitutives d’un morceau, je pouvais les jouer tour à tour et ainsi les faire valider par mes mentors et, le cas échéant, rectifier mes erreurs. Ce qui a permis d’élaborer un tableau synoptique qui résume l’ensemble des caractéristiques de la polyrythmie malinké.

178

cONcLUSION

Par rapport à d’autres polyrythmies d’Afrique subsaharienne, notamment celles d’Afrique Centrale, les polyrythmies malinké semblent se singulariser par — la prégnance d’un temps de début de cycle ; — l’absence de toute accentuation ; — le fait qu’un même musicien frappe simultanément un tambour et une cloche, la figure attribuée à cette dernière venant systématiquement orner celle du tambour ; — des variations de tempo ; — enfin, les divers positionnements de la figure transafricaine communément nommée « standard pattern » par rapport à la pulsation. L’aire géographique envisagée ici englobe un large territoire. Aussi va-t-il sans dire que notre étude ne prétend pas être exhaustive. Jusqu’ici, il n’existait pas de description des polyrythmies malinké rendant compte de leur fonctionnement et de leurs modalités d’organisation. Ce volume vient ainsi combler un vide. En nous attachant à la description de sa systématique si complexe, notre ambition était de partager cet acquis avec la communauté des musicologues, ethnomusicologues, mais aussi des compositeurs, des pédagogues et des musiciens. Reste à faire des études comparatives dans d’autres régions africaines, qui aboutiraient à l’élaboration d’un atlas des polyrythmies de l’Afrique subsaharienne.

Postface

« Comprendre pour faire, faire pour comprendre » Jean Piaget

Cette étude est remarquable, tant par sa singularité que par son modus operandi lequel met en exergue l’expérience personnelle de l’auteur, vécue sur le terrain, non seulement comme auditeur, spectateur et collecteur, mais aussi comme performer, à savoir, en tant que musicien intégré dans des groupes de percussionnistes locaux. L’héritage de l’enseignement de Simha Arom apparaît dans la méthodologie ici déployée, avec l’association du re-recording virtuel et du performing. Je suis quant à moi particulièrement sensible à l’attention que Julien André porte au «  swing  » omniprésent, «  feeling  » de la pulsation, aux valeurs issues de sa subdivision, à la microrythmie ainsi qu’à l’ambiguïté binaire-ternaire, autant de sujets traités très finement. La relation indissociable de la percussion et de la danse est explicitée dans les entretiens de l’auteur avec un maître-percussionniste et une danseuse chevronnée. Leurs points de vue respectifs nous éclairent sur la « partition » – c’est-à-dire sur la partie convenue, donc établie –, et sur la partie improvisée de chacun. L’improvisation étant l’apanage des deux protagonistes, elle implique une réactivité faisant appel non seulement à des talents solistiques et dialogiques, mais aussi à l’observance, de part et d’autre, de codes rigoureux. C’est précisément le propre du jazz et de l’improvisation dans l’idiome jazzistique. C’est pourquoi j’ai trouvé cette analogie illuminante. Le chapitre qui traite de la morphologie des formules polyrythmiques est une source précieuse, unique et exemplaire d’information comme de stimulation, pour qui s’intéresse aux musiques traditionnelles, à la création contemporaine ou au jazz. En effet, la dimension éminemment polyrythmique – et donc aussi contrapuntique – des formules explicitées par Julien André est très proche d’un jazz sophistiqué et exigeant qui se pratique depuis longtemps, mais peut-être d’une façon plus franche et affirmée depuis les années 1960, et notamment avec John Coltrane, en particulier dans ses albums A Love Supreme, Crescent, Africa / Brass.

180

Postface

Le lecteur pourrait trouver ici des analogies avec les compositions de musiciens de jazz contemporain axées sur le rythme et la polyrythmie. Pour résumer, je dirais que l’ouvrage de Julien André est pertinent, admirable, inspirant. Dans un domaine qui, me semble-t-il, attendait des recherches de ce type et de ce niveau, son travail est unique. Paris, le 20 août 2022. Riccardo Del Fra Musicien et pédagogue Directeur du département Jazz et Musiques improvisées CNSMD – Paris

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ANNEXES

Mes terrains Les points rouges surMon la carteterrain indiquent les différentes localités où j’ai effectué mes recherches.

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Carte d’Afrique de l’Ouest

Mes recherches au Mali et en Guinée se sont déroulées pendant quatre séjours sur le terrain, entre 1991 et 2000. Toutefois, ma découverte du djembé dans son contexte culturel mandingue avait déjà eu lieu dès 1989, lors d’un stage d’un mois à Bouaké (Côte d’Ivoire) avec le percussionniste Adama Dramé.

195 Voici les périodes couvertes par mes quatre terrains, les localités où ils se sont déroulés, ainsi que la liste – non exhaustive – des principaux musiciens auprès desquels j’ai étudié : • Août 1991, séjour d’un mois à Bamako (Mali) où j’ai étudié auprès de Koman Coulibaly ; • Août 1993 à juin 1994, onze mois répartis entre le Mali et la Guinée : — Bamako (Mali) : Madou Faraba Sylla, Koman Coulibaly, François Dembélé, Ibrahima Sarr ; — Kangaba (Mali) : Kalifa Mao Berté, Adama Coulibaly, Solo Coulibaly ; — Tieblenbougou (région du Wassolon, Mali) : Jan Diakité, Jala Coulibaly ; — Ségou (Mali) : Daouda Doumbia ; — Faranah (Guinée) : Solo Konaté ; — Kouroussa (Guinée) : Mamady Traoré ; — Koumana (Guinée) : Sidiki Kourouma, Nanseri Keita, Moussa Keita ; — Siguiri (Guinée) : Moïse Kourouma ; • Juillet à septembre 1998 : — Bamako (Mali) : Madou Faraba Sylla, Koman Coulibaly ; — Kangaba (Mali) : Kalifa Mao Berté, Adama Coulibaly, Solo Coulibaly ; — Faranah (Guinée) : Fadouba Oularé ; — Koumana (Guinée) : Sidiki Kourouma, Nanseri Keita, Moussa Keita ; • Juin à août 2000 : Bamako (Mali) : Ibrahima Sarr, Ibrahima Diabaté, Mamady Général Diabaté.

196

Présentation et transcriptions de deux polyrythmies Les deux polyrythmies – l’une ternaire, l’autre binaire – transcrites et analysées ici ont été choisies en fonction de la représentativité de leurs caractéristiques musicales (voir p. 158-159, le tableau synoptique intitulé «  La polyrythmie malinké  : classification vernaculaire / caractéristiques musicales »). Chaque polyrythmie sera présentée comme suit : 1. La partition globale – y compris la partie du djembé solo ; 2. La transcription linéaire de celles des parties d’accompagnement qui réalisent des variantes ; 3. La transcription paradigmatique de ces mêmes parties ; 4. L’inventaire des différentes variantes réalisées par chaque partie, suivie de sa réduction matricielle.

197

Konowulen

Konowulen, qui signifie littéralement « oiseau rouge », désigne à la fois le nom d’une pièce polyrythmique, l’un des chants qui lui est associé et la danse qu’elle accompagne. Konowulen est joué à diverses occasions, la principale étant une pêche rituelle à la « mare sacrée » (da la mon, « pêcher à la mare ») qui a lieu tous les ans dans plusieurs villages situés dans les régions du Hamana et du Gberedu en Haute Guinée. Impliquant tous les membres de la communauté, elle donne lieu à d’importantes festivités. Un rituel est pratiqué avant la pêche afin de s’accorder les bonnes grâces des génies protecteurs de la mare. Ce rituel consiste notamment en des sacrifices (da la son, « sacrifier à la mare ») sous forme de noix de colas et de nourriture, réalisées par les Anciens du village. Suite à quoi, les Anciens autorisent le démarrage de la pêche. Avant et après celle-ci, tous les jeunes hommes adultes, réunis par classes d’âge, dansent collectivement sur la place du village (bara). Munis chacun d’une hache (gende) et d’un fouet en peau d’hippopotame (manifoson), ils expriment, à travers leur danse, leur bravoure. Un ensemble de formules polyrythmiques regroupées sous le terme de dunumba (ou dunun) est voué à l’accompagnement de ces chorégraphies. Chacune de ces formules sert également de soubassement à un répertoire de chants qui lui est spécifique, interprété pendant la cérémonie par un chœur de jeunes filles non mariées. J’ai pu participer à cette fête en mai 1994 pendant un séjour de deux mois au village de Koumana. Cette année-là, la « fête de la mare » s’est déroulée sur une période de trois semaines, successivement dans trois villages, Baro, Koumana et Balato. À Koumana, j’étudiais les polyrythmies avec Sidiki Kourouma, Nanseri Keita et Moussa Keita, les percussionnistes du village. J’organisais des séances de travail et l’enregistrement ayant servi à la transcription présentée ici fut effectué lors d’une de ces séances. Un autre aspect de mon étude des tambours consistait à pratiquer les instruments en situation, invité par ces percussionnistes à jouer avec eux pendant les manifestations. Aussi, à l’occasion de la fête dont il est ici question, j’ai intégré l’ensemble de tambours en tenant la partie du dunun aigu pendant les quatre jours qu’a duré la fête.

198 Ces musiciens étaient les tambourinaires attitrés du village et, de ce fait, participaient à toutes les manifestations pour lesquelles les ensembles de percussions étaient requis. Ils étaient non professionnels, au sens où la pratique des tambours ne constituait pas leur source de revenu principale ; Nanseri Keita et Moussa Keita, appartenant tous deux au groupe des horon (nobles) étaient cultivateurs, tandis que Sidiki Kourouma, issu du groupe socioprofessionnel des numu (forgerons), travaillait à la confection d’outils, activité qu’il complétait en cultivant la terre. Lorsqu’ils étaient sollicités pour animer une manifestation, les tambourinaires étaient rémunérés pour leur prestation, laquelle rémunération ne constituait pas à proprement parler un salaire mais plutôt un dédommagement en compensation du temps pris sur leur activité principale. L’enregistrement de la pièce polyrythmique Konowulen, comme beaucoup d’autres de mon corpus, a été effectué lors d’un terrain de onze mois consécutifs au Mali et en Guinée entre août 1993 et juin 1994. Je suis ensuite retourné au village de Koumana en août 1998 dans le but de vérifier la pertinence des données que j’avais précédemment collectées. Cet enregistrement a été provoqué, c’est-à-dire réalisé hors contexte. Il fut effectué le 12 mars 1994 et j’y participais en jouant la partie qui réalise un ostinato strict. On y entend quatre tambours : un djembé soliste, un dunun grave avec cloche, un dunun médium et un dunun aigu sans cloche. Nanseri Keita joue le djembé solo, Sidiki Kourouma le dunun grave, Moussa Keita le dunun médium, quant au dunun aigu il est joué par moi. La transcription de cet enregistrement, comme celui de Soliba (p. 218), met en évidence des traits musicaux caractéristiques de la polyrythmie malinké : c’est la raison pour laquelle ils sont présentés ici. En observant la partition globale par laquelle débute la série de transcriptions qui suit, on constate qu’hormis une frappe commune sur la 3e valeur du 7e temps, les figures du dunun médium et du dunun grave sont en entrecroisement strict sur plus de la moitié des 248 pulsations que totalise la partition ; la figure du dunun aigu est strictement et systématiquement contramétrique ; les transcriptions paradigmatiques montrent que les figures dunun grave et de sa cloche sont, elles aussi, irrégulièrement contramétriques ; les cloches des dunun médium et grave sont en canon à un intervalle d’une valeur minimale pendant les séquences correspondant sur la partition aux périodes numérotées : 10 à 13, 19 à 21, 27 à 28, 42 à 43, 54 à 57 et 61. Ces séquences correspondent à la figure du « chauffé » (golobali) de la partie soliste, qui consiste à matérialiser toutes les valeurs minimales. Pendant ces séquences, les instruments d’accompagnement

199 entretiennent trois rapports de périodicité différents : le dunun grave, sa cloche et la cloche du dunun médium sont dans un rapport de 1 : 2 avec le dunun aigu et de 1 : 8 avec le dunun médium ; ce dernier instrument est dans un rapport de 1 : 4 avec le dunun aigu.

Voici la réduction matricielle de Konowulen 101 :

puls. dunun méd.

1

2

3



4



o

o

o

cl. dunun méd.

x

x

x

x

cl. dunun grave

x

x

x

x

djembé d’acc.



Δ



6

7

o

dunun grave dunun aigu

5

o

x

x

x ∇

djembé solo

o

o

o

x

x

x Δ

o

x ∇

o

o

o

o

x

x

x

x ∇

Δ

o

x

x

x



o

o

o

x

improvisation à partir de phrases clés

101. Elle figure à la p. 108.

o

x

o

o

o

o

o

x

x ∇

8

Δ

x

x

x

x ∇

o

200

Konowulen

Konowulen

Transcription globale

Transcription globale Tempo

Tempo

= circa 140

djembé solo dunun grave cloche dunun grave dunun médium cloche dunun médium dunun aigu 4

dj. solo

cl.d. méd. d. aigu 7

dj. solo

cl.d. grave d. méd. cl.d. méd. d. aigu 11

d. grave cl.d. grave d. méd. cl.d. méd. d. aigu

 

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d. grave

dj. solo



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d. méd.

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d. grave

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

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= circa 140

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 

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9

201

10

202

11

203 " 39

dj. solo d. grave cl.d. grave d. méd. cl.d. méd. d. aigu

42

dj. solo

cl.d. grave d. méd. cl.d. méd. d. aigu

45

dj. solo d. grave cl.d. grave d. méd. cl.d. méd. d. aigu

48

d. grave cl.d. grave d. méd. cl.d. méd. d. aigu

"

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d. grave

dj. solo

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"

12

204

" 13

205

14

206

Konowulen

Konowulen

Transcription linéaire du dunun médium

Transcription linéaire du dunun médium

207

Konowulen Konowulen

Konowulen

Transcription paradigmatique dunun médium Transcription paradigmatique dudu dunun médium

Transcription paradigmatique du dunun médium

16 16

Inventaire des variantes du dunun médium 208

Konowulen Konowulen Inventaire des variantes dunun médium Inventaire des variantesdu du dunun médium

Réduction matricielle du dunun médium2 Réduction matricielle du dunun médium 102

Réduction matricielle du dunun médium2

102. La réduction matricielle est fondée sur la réitération la plus fréquente de la figure en question.

209

Konowulen Konowulen Transcription linéaire dede la la cloche Transcription linéaire clochedududunun dununmédium médium

18

Konowulen Konowulen 210 Transcription Transcription paradigmatique paradigmatique de la decloche la cloche du dunun du dunun médium médium

Konowulen

Transcription paradigmatique de la cloche du dunun médium

19 19

Konowulen Konowulen Inventaire des variantes de la cloche du dunun médium Inventaire des variantes de la cloche du dunun médium 211

Konowulen Inventaire des variantes de la cloche du dunun médium

Réduction matricielle cloche dudu dunun médium Réduction matricielle dedelalacloche dunun médium Réduction matricielle de la cloche du dunun médium

20

212

Konowulen

Konowulen

Transcription linéaire du dunun grave

Transcription linéaire du dunun grave

21

213

Konowulen Konowulen Konowulen Transcription Transcription paradigmatique paradigmatique du dunun dudunun dunun grave grave Transcription paradigmatique du grave

22

22

Inventaire des variantes du dunun grave

Konowulen

214

Inventaire des variantes du dunun grave

Konowulen

Inventaire des variantes du dunun grave

Réduction matricielle dunun grave Réduction matricielledu du dunun grave Réduction matricielle du dunun grave

Konowulen

215

Konowulen Transcription linéaire de la cloche du dunun grave Transcription linéaire de la cloche du dunun grave

24

216

Konowulen

Transcription Transcription paradigmatique paradigmatique de de la cloche la cloche du du dunun dunun grave grave

Transcription paradigmatique de la cloche du dunun grave

25 25

Inventaire des variantes de la cloche du dunun grave

Konowulen

217

Inventaire des variantes de la cloche du dunun grave

Konowulen

Inventaire des variantes de la cloche du dunun grave

Réduction matricielle dede lalacloche dudunun dunun grave Réduction matricielle cloche du grave Réduction matricielle de la cloche du dunun grave

26

218

Soliba

Soliba signifie «  le grand rituel de circoncision  ». Cette polyrythmie est interprétée en Haute Guinée les jours précédant la circoncision des jeunes garçons d’une même classe d’âge et, plus précisément, la nuit qui précède l’opération. Une veillée rituelle (soli si « circoncision – passer la nuit ») est ainsi organisée, laquelle implique l’ensemble des membres de la communauté, hommes, femmes et enfants. Les participants dansent en cercle, certains agitant des sistres (wasamba), instruments spécialement réservés à cette circonstance. En cette occasion sont interprétées deux polyrythmies différentes, chacune associée à un répertoire de chants ; mais, alors que celui nommé Soli est fondé sur une métrique ternaire, celle de Soliba est binaire. L’enregistrement de Soliba dont est issue la présente transcription a été effectué le même jour que celui de Soro, au village de Koumana le 2 septembre 1998, hors contexte et avec le même groupe : Nanseri Keita au djembé solo, Sidiki Kourouma au dunun grave, Moussa Keita au dunun médium, (chaque dunun muni d’une cloche) et moi-même au dunun aigu. On notera que, pendant les séquences correspondant sur la partition globale aux cycles 16 et 17, 42 et 43, 52 et 53, le dunun médium réduit la période de sa figure rythmique qui passe de quatre à deux pulsations. Ces séquences coïncident systématiquement  avec une figure du djembé solo qui consiste à matérialiser toutes les valeurs minimales, ce qui signifie que l’accompagnateur suit le soliste.

219 En voici la réduction matricielle 103 : 1

pulsations

dunun médium



dunun grave

o

dunun aigu

o

cl. dunun

2

3



⊗ o

4 o

o

o

o

o

o

o

x

x

x

x

x

x

x

x

cl. dunun grave

x

x

x

x

x

x

x

x

djembé d’acc.









médium

djembé solo

103. Elle figure p. 153.



Δ

Δ

improvisation à partir de phrases clés



Δ

Δ

220

Soliba Transcription Soliba globale

Tempo = circa 110

Transcription globale

Tempo

= circa 110

221

97

222 31

dj. solo d. méd. cl. d. méd. d. grave

d. aigu

35

dj. solo d. méd. cl. d. méd. d. grave cl. d. grave

39

dj. solo d. méd. cl. d. méd. d. grave cl. d. grave

42

d. grave cl. d. grave d. aigu









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ENTRETIENS Pour éclairer notre propos concernant les modalités d’interaction entre le tambour solo, la danseuse ou le danseur, nous avons réalisé deux entretiens à Paris en 2019, avec deux experts reconnus : le percussionniste malien Ibrahima Diabaté puis la danseuse burkinabé Aminata Traoré. Nous les transcrivons ici, avec une brève présentation de ces deux artistes. L’interaction entre la danseuse et le tambourinaire soliste obéit à un certain nombre de règles. Si l’ordre d’enchaînement des figures chorégraphiques est bien aléatoire, le choix de celles-ci revient à la danseuse. Elle va puiser, dans le stock de figures spécifiques à une danse, celles qui lui viennent spontanément à l’esprit. Une danseuse se place face aux musiciens pour enchaîner – le plus souvent – quatre ou cinq figures différentes, la dernière étant généralement une figure d’une intensité plus grande : le pas « chauffé », qui peut s’accompagner d’une accélération du tempo. La primauté du djembé-soliste se manifeste notamment en incitant la danseuse à changer une figure chorégraphique ce qui n’est cependant pas le plus fréquent – et pour aborder la phase conclusive du « chauffé » qu’il marque par un signal standard de quatre pulsations. Pour chaque danse, on l’a dit, le tambourinaire solo dispose d’un certain nombre de phrases clés, à partir desquelles il improvise. Bien que cela se fasse généralement à l’initiative de la danseuse, il y a également des cas inverses. Ce qui permet à des figures oubliées, ou peu pratiquées, de ressurgir dans la mémoire de la danseuse. Comme le dit la danseuse Aminata Traoré : « La danse est un plaisir qui doit être partagé avec le soliste », plaisir qui est directement proportionnel au degré de connivence qu’il y a entre le soliste et la danseuse.

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Le percussionniste Ibrahima Diabaté Cadet d’une famille de griots réputée du Mali, Ibrahima Diabaté se forme au tambour à Bamako, auprès de son frère aîné Mamadou Diabaté dit « Général ». En 1991, il intègre le Ballet national du Mali, où il développe un style de jeu novateur. Parallèlement, il poursuit son activité de soliste dans les cérémonies traditionnelles, où il fait figure de référence. Apprécié par les chanteuses phares de la scène malienne, il en devient un accompagnateur privilégié. Puis, attiré par de nouveaux horizons musicaux, il se tourne vers l’Europe : il partage aujourd’hui son temps entre Bamako et Paris où il poursuit ses projets musicaux et dispense son enseignement. Cet entretien a été réalisé à Paris le 26 mai 2019. Julien André : Quel est le rapport de ton solo avec la danse ? Ibrahima Diabaté  : Je marque les figures chorégraphiques avec des phrases spécifiques. Au moment de la transition d’une figure à une autre, pendant que la danseuse se prépare, j’improvise pour « remplir les vides ». Lorsque deux danseuses se succèdent, l’improvisation peut aussi intervenir pendant le laps de temps où la première a terminé et la seconde n’a pas encore commencé. J. A : De la danseuse et du soliste, qui prend l’initiative ? I.D : C’est la danseuse, en choisissant les pas. J. A. : Quand tu vois qu’une danseuse a choisi sa figure, qu’est-ce que tu fais au solo ? I. D. : Je joue la phrase qui, à mon avis, correspond à celle-ci. À chaque pas de danse, il faut associer une phrase clé particulière du djembé, qui est ensuite utilisée pour faire des variations. Sur Dansa, par exemple, je peux jouer une dizaine de variations différentes à partir de la même phrase clé. J. A. : Comment construis-tu tes variations ? I. D. : J’ai toujours la phrase clé en tête ; c’est comme si elle tournait dans ma tête. J’écoute les autres tambours et je me cale sur le premier temps du cycle. Je peux alors l’augmenter en le doublant, ou bien le répéter plusieurs fois, l’essentiel étant que je me recale sur le premier temps de la formule polyrythmique. En fait, j’improvise ; ce qui peut m’amener à créer des variations spontanées dont je ne me souviendrai peut-être même pas. Chaque musicien suit sa propre inspiration. Mon grand frère, par exemple, auprès duquel j’ai appris à jouer, ne fera pas les mêmes variations que moi.

244 J. A. : Mais est-ce que vous jouez les mêmes phrases clés pour une formule polyrythmique donnée ? I. D. : Oui, toujours. J. A. : Quand tu accompagnes la figure d’une danseuse, tu commences par la phrase clé ou par les variations ? I. D. : Quand on accompagne une danseuse, on est tenu de commencer par la phrase clé, parce que ça rassure la danseuse et les autres musiciens du groupe. Ensuite, les variations interviennent, mais cette phrase revient régulièrement. On la joue au début, puis on revient fréquemment dessus. J. A.  : Sur chaque formule polyrythmique, existe-t-il une ou plusieurs phrases clés? I. D. : Il y en a toujours plusieurs. J. A. : Au cours de l’exécution d’une danse, est-ce que toutes les phrases clés peuvent accompagner indifféremment toutes les figures chorégraphiques ? I. D. : Non, il y a des figures qui doivent être accompagnées avec des phrases spécifiques. J. A. : Est-ce que la danseuse improvise elle aussi ? I. D.  : Oui, elle a ses propres figures de base à partir desquels elle improvise, en y ajoutant certains mouvements. Cela peut m’inspirer pour varier à mon tour, en suivant ses mouvements. J. A. : Si le soliste ne joue pas la bonne phrase sur telle figure chorégraphique, est-ce que la danseuse va alors changer sa figure ? I. D. : Pas forcément, mais ça va la mettre dans l’embarras. J. A. : Est-ce que, dans les villages, l’improvisation tient une grande place dans la partie soliste ? I. D. : Non, il y en a moins que pour les fêtes qui se déroulent dans les villes. Cela tient au fait qu’au village, au cours de la danse, les danseuses se succèdent sans interruption. Il n’y a donc pas de pauses pendant lesquelles le soliste pourrait improviser librement. Un morceau peut durer une heure, les danseuses sont nombreuses à attendre pour intervenir sur l’aire de danse et, s’il y a un bref moment sans danse, le soliste va plutôt en profiter pour se reposer en jouant moins. Pour accompagner la danse, le soliste enchaîne des phrases clés et les varie. J. A. : Comment réalises-tu tes variations à partir d’une phrase clé ? I. D. : Je la « gonfle » – je la fais vivre, pour ne pas jouer toujours la même chose, car répéter la même chose devient vite ennuyeux. Ce n’est

245 pas de l’improvisation, mais ça peut inspirer la danseuse, lui donner un élan et l’envie de rester sur l’aire de danse. J. A. : En moyenne, combien de figures différentes enchaîne une danseuse pendant son intervention ? I. D. : Trois ou quatre, quelquefois plus, mais elle doit céder sa place, car d’autres danseuses attendent pour effectuer un solo. Elle peut ensuite intervenir à nouveau. Il n’y a pas de règle dans l’ordre de succession des danseuses. J. A. : Est-ce-que les danseuses interviennent seules ou à plusieurs ? I. D. : Le plus souvent, elles alternent sur l’aire de danse, mais il peut arriver qu’elles interviennent à deux ; dans ce cas, elles exécutent les mêmes figures. J. A.  : Est-ce que les enchaînements se terminent toujours par un « chauffé » ? I. D. : Certaines danseuses viennent pour effectuer une ou deux figures, d’autres viennent et font uniquement le pas de « chauffé ». Toutes les danseuses connaissent ce pas. J. A. : Combien de pas de « chauffé » différents y a-t-il pour une même formule polyrythmique ? I. D. : Il y en a un ou deux. J. A.  : Est-ce-que le pas de chauffé s’accompagne toujours d’une accélération ? I. D. : Pas nécessairement, ça dépend de la danseuse. S’il y a accélération, c’est elle qui en a l’initiative. J. A.  : Du soliste au djembé ou de la danseuse, qui des deux induit la conclusion du chauffé ? I. D. : C’est le soliste, en jouant une phrase spécifique que la danseuse connaît. J. A. : Quelles sont les qualités que tu attends d’une danseuse ? I. D. : Qu’elle entre sur l’aire de danse avec beaucoup d’envie, qu’elle me communique de l’énergie qui me permette de m’exprimer ; en un mot, qu’elle me fasse vibrer.

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La danseuse Aminata Traoré Aminata Traoré est originaire de Bobo-Dioulasso au Burkina Faso. Elle s’initie aux danses mandingues à Bobo-Dioulasso auprès de sa sœur, durant la célébration de fêtes traditionnelles telles que les mariages ou les cérémonies de dation du nom. À l’âge de dix ans, elle intègre une troupe de quartier, fonctionnant sur le modèle des ballets. Poursuivant son activité de danseuse dans les fêtes traditionnelles, elle rejoint ensuite d’autres troupes de ballets locaux – ballets Koba, Anseko, Benkadi, les Frères Coulibaly –, avec lesquels elle se produit tant en Afrique que sur les scènes d’Europe. Vivant aujourd’hui à Paris, elle y enseigne la danse et participe à des spectacles. Cet entretien a été réalisé à Paris le 20 mai 2019. Julien André : Entre le djembé solo et la danseuse, qui a l’initiative ? Qui dirige qui ? Aminata Traoré : Le djembé doit me suivre, il doit danser avec moi. Le soliste essaie de se caler sur les pas que je fais. J. A. : Est-ce que tu n’utilises que des pas que tu connais ou est-ce que tu en inventes aussi ? A. T. : Pour certains morceaux, il y a des pas que je connais, mais il m’arrive aussi d’en inventer. Si la musique m’inspire, c’est alors que j’improvise ; si « je monte au ciel », le djembé va monter avec moi, si je descends, il va descendre avec moi. J. A. : Quand tu choisis un pas, tu t’attends à ce que le soliste joue une phrase particulière ou bien des phrases que tu connais déjà, ou encore qu’il improvise ? A. T. : Le soliste peut improviser, mais ce que je lui demande, c’est de ne pas jouer sans tenir compte de ce que je fais. Quand je danse, il peut faire les solos qu’il veut ; il peut donc improviser, mais il faut qu’il revienne à la phrase qui correspond à mon pas. J. A.  : Qu’est-ce que tu attends du soliste pour être à l’aise quand tu danses ? A. T. : Pour être à l’aise, je veux que l’on arrive à « danser ensemble ». Mais s’il n’arrive pas à me suivre, à marquer mes pas, c’est moi qui m’adapte à son solo.

247 J. A.  : Dans ce cas, est-ce que tu peux t’adapter au soliste au point de changer de pas ? A. T. : Oui je m’adapte. J. A. : Est-ce que tu peux aussi t’adapter en restant sur le pas que tu es en train de faire, mais en le réalisant différemment ? A. T. : Oui je le peux – tout dépend du soliste. J’essaie de m’adapter, mais l’idéal c’est que ce soit lui qui s’adapte… J. A. : Comment est prise la décision du changement de pas ? A. T. : Je n’ai pas besoin du soliste pour changer de pas, je peux changer quand je veux. On n’a pas besoin du signal du tambour pour changer de pas. Tu changes quand tu veux, tu t’arrêtes quand tu veux, tu rentres sur l’aire de danse et tu en sors quand tu veux. J. A.  : Y a-t-il des pas pour lesquels tu t’attends à entendre une phrase particulière de la part du soliste ? A. T. : Oui il y a des pas pour lesquels il y a des « tournures » que j’aimerais entendre ; si je ne les entends pas, je n’arrête pas pour autant de danser, mais je change mon pas aussitôt. J. A. : Y a-t-il un nom en dioula pour désigner le passage qui correspond au « chauffé » ? A. T. : Oui : on appelle ça teliya (« accélération »). J. A. : Si un soliste ne jouait pas le « chauffé » à ce moment-là, comment le lui faire savoir ? A. T. : Je pourrais faire un geste pour lui indiquer de monter (geste vers le haut) ou dire an ka taa ! (« Allons-y ! ») ou bien yelen ! (« Monte ! »). J. A. : Quand tu enchaînes des pas, est-ce que tu finis toujours par un pas « chauffé » avant de quitter l’aire de danse ? A. T. : Oui, toujours. J. A. : Qui décide de l’arrêt du chauffé : toi ou le soliste ? A. T. : Là, c’est le soliste qui décide, en jouant « l’appel de fin » [la figure-signal]. Sauf si la danseuse est fatiguée – alors, elle part avant l’appel et une autre vient prendre le relais. J. A. : Quand tu as fini le « chauffé », est-ce que tu peux enchaîner avec d’autres pas ou est-ce qu’il faut absolument que tu partes ? A. T. : Je peux rester et enchaîner avec d’autres pas, sauf si je n’ai plus de souffle ; cela dépend de mon énergie.

248 J. A. : Quand tu enchaînes les pas, combien de figures différentes fais-tu en moyenne ? A. T. : En moyenne, je fais trois ou quatre figures, la cinquième, plus rapide sera celle de la fin. Parce que chaque danseuse soliste alterne avec d’autres danseuses. Si on reste trop longtemps, les autres risquent de se fâcher, ou alors une danseuse viendra te rejoindre. J. A. : Quand une danseuse vient te rejoindre, est-ce pour te demander de sortir ? A. T. : Oui, si elle vient avec un pas de « chauffé », cela signifie qu’elle « chauffe » avec moi et qu’elle me demande de lui céder la place. J.A. : Est-ce qu’une autre danseuse peut venir te rejoindre lorsque tu fais un pas différent du « chauffé » ? A. T. : Oui, dans ce cas, cela devient un dialogue. Elle peut aussi venir avec un pas différent du mien ; dans ce cas, c’est moi qui essaye de la suivre. C’est un partage entre danseuses. Ensuite, on peut conclure ensemble avec un pas de « chauffé », puis je sors et elle poursuit. J. A.  : Quand une danseuse te rejoint pour faire le même pas que toi, comment est-ce que tu réagis ? A. T. : Je le reçois comme une aide. J. A. : Est-ce qu’il y a des danseuses qui viennent te rejoindre pour ne faire qu’une seule figure ? A. T. : Oui, cela arrive, soit parce que les danseuses sont timides, soit parce qu’elles ne sont pas habituées à danser ; alors elles viennent, elles joignent leur pas au mien, puis sortent. J. A. : Est-ce qu’il arrive que certaines danseuses confirmées enchaînent six ou sept figures différentes ? A. T. : Oui, ça arrive. Certaines, qui ne veulent plus partir, restent sur l’aire de danse parce qu’elles ont envie de danser. J. A. : Y-a-t-il des danseuses qui viennent deux par deux ? A. T. : Oui, mais alors, elles le font spontanément. À chaque pas, on échange les rôles : je commence un pas et elle me suit en faisant le même ; ensuite, c’est elle qui décide du pas et moi je la suis. L’ordre des figures n’est pas prévu à l’avance. J. A. : Sur une formule polyrythmique comme celle de Soli, combien de pas traditionnels différents connais-tu ? A. T. : Sur Soli, j’en connais une dizaine.

249 J. A. : Y a-t-il différents pas de chauffé ? A. T. : Oui, sur Soli il y a deux pas de chauffé différents. J. A. : Sur Take tu connais combien de pas ? A. T. : J’en connais une dizaine aussi, mais il y en a que je préfère à d’autres. J. A. : De manière générale, est-ce que tu enchaînes les figures dans un certain ordre ? A. T. : Non, l’ordre n’a pas d’importance. Lorsque tu es seule face au soliste, il n’y a pas d’ordre. J. A. : Est-ce que, sur un même pas, le soliste peut jouer plusieurs phrases différentes ou est-ce qu’il doit exécuter une phrase spécifique pour une figure donnée ? A. T. : Il peut jouer les phrases qui correspondent à cette danse-là. J. A. : Comment définirais-tu un bon soliste au djembé ? A. T. : C’est quelqu’un qui joue avec moi, qui danse avec moi et, surtout, qui arrive à souligner, avec ses frappes, les impulsions que je vais donner avec mes pieds, mes jambes, mes bras… C’est un échange : même si je tourne le dos au soliste, je reviens régulièrement face à lui et je le regarde, j’attends de lui qu’il reste avec moi et marque mes pas du début à la fin de ma danse. Un jour, à Bobo-Dioulasso, je me suis disputée avec un soliste. Je suis venue danser devant lui et, au moment où j’arrive, il me tourne le dos pour faire face à ses musiciens et faire une « démonstration » de percussions. Je m’approche alors et lui tape sur l’épaule pour lui dire « Je suis là, je danse ! » Je reprends la danse, il marque un pas et recommence. Alors je suis allée voir la personne qui gérait la fête pour lui demander d’arrêter la musique. Je m’adresse ensuite au percussionniste : « Quel est le problème ? Cela fait deux fois que je viens te taper sur l’épaule pour que tu marques mes pas et tu me tournes le dos… » Il répond qu’il fait ce qu’il veut quand il joue. Je lui rétorque : « Non, tu ne fais pas ce que tu veux, on joue ensemble, on danse ensemble ; si tu n’as pas envie de marquer ma danse, alors passe le solo à un autre percussionniste ! » J. A. : Est-ce que tu crois qu’un tel différend pourrait se produire dans un village ? A. T. : Non, je ne crois pas. Au village, tout est « carré ». Et puis, pendant les fêtes, les Anciens surveillent et une chose pareille n’arriverait pas.

250 J. A.  : Est-ce que tu sais associer les phrases de solo avec les danses auxquelles elles correspondent ? Par exemple, si un soliste introduit une phrase de Take sur Soli, qu’est-ce que cela te fait ? A. T. : Oui, lorsqu’un soliste joue une phrase de Take dans Soli, cela me perturbe. J. A. : Est-ce que ce type de cas est fréquent ? A. T. : Oui, quand ce sont des « apprentis » qui jouent. Les solistes confirmés savent quelles sont les phrases qui correspondent aux différentes danses. J. A.  : Quand tu débutes une figure, préfères-tu que le soliste répète sa phrase initiale à plusieurs reprises ou bien qu’il se lance directement dans les variations ? A. T.  : Quand je débute une figure, je souhaite qu’il impose d’abord sa phrase et qu’ensuite il fasse ses variations librement. Cela peut aussi aider les personnes dans l’assistance qui veulent apprendre à danser, comme cela m’a aidé moi-même quand je suivais ma grande sœur dans les fêtes pour apprendre à son côté. Associer la phrase du djembé à une figure chorégraphique permet à cette figure d’être mémorisée de manière indissociable avec cette phrase. J. A. : Est-ce qu’il arrive que le soliste prenne l’initiative dans l’intention de te faire changer de figure ? A. T. : Oui, cela arrive. Par exemple, si tu as oublié un pas, lorsque le soliste joue la phrase correspondante, je me dis : « Tiens, cette phrase va sur ce pas » et le pas te revient en mémoire.

Table des matières Résumé�������������������������������������������������������������������������������������������������� VIII Abstract���������������������������������������������������������������������������������������������������� IX Préface de Denis-Constant Martin���������������������������������������������������������� XI Avant-propos���������������������������������������������������������������������������������������� XIII Introduction���������������������������������������������������������������������������������������������� 1 Chapitre I  Aperçu anthropologique�������������������������������������������������������� 5 Les Malinké : éléments historiques������������������������������������������������ 5 Situation géographique et linguistique������������������������������������������� 6 Organisation sociale����������������������������������������������������������������������� 8 Chapitre II  La musique������������������������������������������������������������������������� 13 Jeli foli (la musique des griots)����������������������������������������������������� 13 Donso foli (la musique des chasseurs)������������������������������������������ 14 Jembe foli (la musique des tambours)������������������������������������������ 16 Principales circonstances de jeu des tambours����������������������������� 17 Cycle de la vie des individus������������������������������������������������ 17 Travaux des champs������������������������������������������������������������� 18 Danses de masques��������������������������������������������������������������� 19 Circonstances locales�������������������������������������������������������������������� 20 Danse des hommes barati���������������������������������������������������� 20 Fête de la mare sacrée (da la mon tulon)������������������������������ 23 Deux danses de réjouissance������������������������������������������������ 24 Apprentissage des tambours��������������������������������������������������������� 24 Chapitre III État de la question������������������������������������������������������������ 29 La polyrythmie pour instruments à percussion en Afrique subsaharienne�������������������������������������������������������������������������������� 29 Terminologie relative à l’organisation du temps musical������������� 33 Métrique et rythme��������������������������������������������������������������� 33 De différents types de contramétricité���������������������������������� 36

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TABLES DES MATIÈRES

Études cognitives sur la pulsation���������������������������������������� 37 Considérations générales���������������������������������������������� 37 Le cas malinké�������������������������������������������������������������� 41 Chapitre IV  Méthodologie������������������������������������������������������������������� 45 Mon apprentissage du djembé������������������������������������������������������ 47 L’enregistrement en vue de l’analyse������������������������������������������� 48 Procédés de variation�������������������������������������������������������������������� 49 Validation culturelle���������������������������������������������������������������������� 51 Chapitre V  La polyrythmie������������������������������������������������������������������ 53 Définition�������������������������������������������������������������������������������������� 53 Instruments et modes de jeu��������������������������������������������������������� 53 Le djembé����������������������������������������������������������������������������� 53 Le dunun������������������������������������������������������������������������������� 57 La cloche kenken������������������������������������������������������������������ 59 Leur rôle au sein de l’ensemble���������������������������������������������������� 60 Diversité des ensembles polyrythmiques������������������������������������� 61 Typologie des figures rythmiques d’accompagnement���������������� 62 Figures identificatoires��������������������������������������������������������� 62 Figures pérégrines���������������������������������������������������������������� 63 Chapitre VI  Structuration du temps����������������������������������������������������� 67 Le cadre métrique������������������������������������������������������������������������� 67 Périodicité����������������������������������������������������������������������������� 68 La notion de début de cycle�������������������������������������������������� 69 Modes de subdivision de la pulsation����������������������������������� 71 Contramétricité��������������������������������������������������������������������� 72 Le rythme�������������������������������������������������������������������������������������� 76 Définition������������������������������������������������������������������������������ 76 Le cas du « standard pattern »���������������������������������������������� 76 À propos du tempo����������������������������������������������������������������������� 80 « Swing » et microrythmie����������������������������������������������������������� 81 Ambivalence binaire-ternaire����������������������������������������������� 82 Le « swing » dans les polyrythmies malinké������������������������ 85 Analyse des « swing » ternaires malinké����������������������������� 87 Comparaison de Soli et Gidamba����������������������������������������� 92 Subdivisions de la pulsation������������������������������������������������� 93 Une ouverture sur l’aksak… ������������������������������������������������ 93

TABLES DES MATIÈRES

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Chapitre VII  Morphologie des formules polyrythmiques�������������������� 95 Préambule������������������������������������������������������������������������������������� 95 Formules fondées sur une subdivision ternaire de la pulsation���� 97 Formules fondées sur une subdivision binaire de la pulsation��� 147 Récapitulation����������������������������������������������������������������������������� 161 Chapitre VIII  Le djembé solo������������������������������������������������������������� 163 Analyse d’une partie solo de Mendiani�������������������������������������� 163 Procédés de variation d’un énoncé��������������������������������������������� 170 Modalités d’interaction entre la partie soliste et la danse����������� 173 Conclusion��������������������������������������������������������������������������������������������� 177 Postface de Riccardo Del Fra���������������������������������������������������������������� 179 Références bibliographiques����������������������������������������������������������������� 181 Annexes Mes terrains�������������������������������������������������������������������������������� 194 Présentation et transcriptions de deux polyrythmies������������������ 196 Konowulen�������������������������������������������������������������������������� 197 Soliba���������������������������������������������������������������������������������� 218 Entretiens������������������������������������������������������������������������������������ 242 Le percussionniste Ibrahima Diabaté��������������������������������� 243 La danseuse Aminata Traoré���������������������������������������������� 246