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French Pages [476]
Sur les routes des Alpes
Culture et société médiévales 36 Collection dirigée par Edina Bozoky Membres du comité de lecture : Claude Andrault-Schmitt, Anne-Marie Legare, Marie Anne Polo de Beaulieu, Jean-Jacques Vincensini
Sur les routes des Alpes Religieux, marchands et animaux dans la Suisse occidentale (xiiie-xve siècles)
Franco Morenzoni
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Illustration de couverture : gros en argent avec saint Maurice à cheval (env. 27 mm ; règne d’Amédée VIII, ordonnance de frappe du 5 avril 1393). Reproduction avec l’autorisation du Ministero per i beni e le attività culturali. Torino, Musei Reali -Medagliere Reale, Inv. D.C. 81.
© 2019, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2019/0095/128 ISBN 978-2-503-58473-7 eISBN 978-2-503-58474-4 DOI 10.1484/M.CSM-EB.5.117389 ISSN 1780-2881 eISSN 2294-849X Printed in the EU on acid-free paper.
This is an open access publication distributed under a CC BY-NC 4.0 International License.
Avant-propos
Au moment où Franco Morenzoni prend sa retraite de professeur à l’Université de Genève, nous avons souhaité marquer ce départ d’une manière qui, tout en respectant sa modestie, mette en évidence la fécondité de ses recherches menées depuis plus de trente ans dans le domaine de l’histoire du Moyen Âge. Par conséquent, nous avons choisi de proposer en un volume un certain nombre de ses publications scientifiques, parues sur un arc de temps de plus de vingt-cinq ans, dont deux encore inédites1. Le présent ouvrage s’articule autour des principaux thèmes de recherche de Franco Morenzoni : la cure des âmes et ses acteurs ; les hommes et les milieux naturels dans le monde alpin ; les axes commerciaux à travers les Alpes occidentales ; les prêteurs d’argent et les politiques monétaires. Les travaux ici réédités portent sur un espace géographique cohérent, celui des territoires savoyards faisant aujourd’hui partie de la Suisse romande. L’arc chronologique est celui des xiiie-xve siècles. Nous n’hésitons pas à avancer que les lecteurs trouveront ici une vision renouvelée autour de quatre axes de recherche importants, pour lesquels à l’heure actuelle il n’existe aucune synthèse pour l’espace de la Suisse occidentale. Nous espérons ainsi stimuler la recherche dans ces domaines, dont certains sont aujourd’hui en partie délaissés par les historiens. Dans le but de mettre en perspective les recherches de Franco Morenzoni, des spécialistes et anciens collègues bien au fait de son travail ont eu l’amabilité de préparer une introduction pour chacune des sections de ce recueil. Nous remercions donc sincèrement les professeurs Nicole Bériou (Université Lumière Lyon 2), François Walter (Université de Genève), Guido Castelnuovo (Université d’Avignon) et Pierre Dubuis (Universités de Genève et Lausanne). Nos remerciements sincères vont également à Edina Bozoky, qui a volontiers accepté d’accueillir ce volume dans la collection qu’elle dirige. Les articles et la bibliographie que l’on trouvera ici n’ont pas fait l’objet d’une réécriture ou d’une mise à jour. Nous nous sommes limités à uniformiser la mise en page, les notes et les références bibliographiques, tout en prenant soin de corriger d’éventuelles coquilles et d’insérer des renvois entre les différents articles publiés dans ce volume. En outre, pour rehausser encore l’intérêt de ce recueil et en faciliter
1 Nous exprimons notre reconnaissance aux éditeurs, directeurs de revues et d’ouvrages qui nous ont autorisés à rééditer ici des textes originellement parus par leurs soins. Nous tenons aussi à remercier Virginie Pochon pour son aide précieuse dans les phases finales du travail éditorial. Les références des publications originales se trouvent aux pages p. 433-434.
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l’utilisation, nous avons voulu le compléter par des indexes et une bibliographie d’ensemble. En tout cela, nous espérons refléter l’attention à la forme et les exigences d’érudition que nous avons pu apprendre auprès de Franco Morenzoni. Nous ne voudrions cependant pas conclure ces lignes sans au moins faire allusion aux qualités humaines que nous avons appréciées dans celui qui a été notre professeur, directeur de thèse, puis collègue. Que le bilan partiel de ses travaux publiés ici ne soit qu’une simple borne sur une route qui se poursuit et que nous lui souhaitons heureuse et toujours riche en découvertes. Mathieu Caesar Anne-Lydie Dubois Sarah Olivier Martin Roch
Publications de Franco Morenzoni
Monographies Des écoles aux paroisses. Thomas de Chobham et la promotion de la prédication au début du xiiie siècle, Paris, 1995. Le prédicateur et l’inquisiteur. Les tribulations de Baptiste de Mantoue à Genève, 1430, avec la coll. de I. Jeger, Lyon, 2006. Marchands et marchandises au péage de Villeneuve de Chillon (première moitié du xve siècle), Lausanne, 2016. Éditions de sources Thomas de Chobham, Summa de arte praedicandi, Turnhout, 1988 (Corpus Christianorum. Continuatio Mediaevalis 82). Thomas de Chobham, Sermones, Turnhout, 1993 (Corpus Christianorum. Continuatio Mediaevalis 82A). Thomas de Chobham, Summa de commendatione uirtutum et extirpatione uitiorum, Turnhout, 1997 (Corpus Christianorum. Continuatio Mediaevalis 82B). Alexander Essebiensis, Opera omnia, t. i : Opera theologica, Turnhout, 2004 (Corpus Christianorum. Continuatio Mediaevalis 188). Guillelmus Alvernus, Opera homiletica, 4 vol., Turnhout, 2010-2013 (Corpus Christianorum. Continuatio Mediaevalis 230). Éditeur scientifique (direction et collaboration) Milieux naturels, espaces sociaux. Études offertes à Robert Delort, éd. Fr. Morenzoni et É. Mornet, Paris, 1997. La “Légende dorée” de Jacques de Voragine : le livre qui fascinait le Moyen Âge, en coll. avec B. Fleith et al., Genève, 1998. De la sainteté à l’hagiographie. Genèse et usage de la “Légende dorée”, éd. Fr. Morenzoni et B. Fleith, Genève, 2001. Autour de Guillaume d’Auvergne, éd. Fr. Morenzoni et J.-Y. Tilliette, Turnhout, 2005. ‘Mirificus praedicator’. Vincent Ferrier et la prédication mendiante, à l’occasion de son passage en pays romand. Actes du colloque d’Estavayer-le-Lac, 7-9 octobre 2004, éd. Fr. Morenzoni et P.-B. Hodel, Rome, 2006. Prédication et liturgie au Moyen Âge, éd. Fr. Morenzoni et N. Bériou, Turnhout, 2008. Preaching and political society : from late Antiquity to the end of the Middle Ages, éd. et introd. Fr. Morenzoni, Turnhout, 2013.
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La loi du prince / La Norma del Principe, éd. Fr. Morenzoni avec la coll. de M. Caesar, Turin, 2019 (Biblioteca Storica Subalpina ccxxviii) ; vol. 1 : Les statuts de Savoie d’Amédée VIII de 1430. Une œuvre législative majeure, éd. Fr. Morenzoni et M. Caesar ; vol. 2 : Compendium statutorum generalis reformacionis Sabaudie, Introduction, édition critique et index par Ch. Ammann-Doubliez. Articles 1988 « L’image de la prédication et du prédicateur dans les sermons de Thomas de Chobham », in Medieval Sermon Studies, Symposium VI, Dijon, 6-10 juillet 1988 (résumé en anglais de la communication in Medieval Sermon Studies Report, Oxford, 1988, p. 15-16). 1991 « Aux origines des Artes praedicandi. Le De artificioso modo predicandi d’Alexandre d’Ashby », in Studi Medievali, 3e série, 32 (1991), p. 887-935. 1992 « L’inventaire après décès de Bacinodus Tracho, Lombard de Sion (17 janvier 1376) », Vallesia, 47 (1992), p. 231-250. « Les prêteurs d’argent et leurs clients dans le Valais savoyard à la veille de la Peste Noire. La casane de Sembrancher en 1347 », Revue suisse d’histoire, 42 (1992), p. 1-27. 1993 « Monnaies réelles et monnaies de compte dans le Valais savoyard et épiscopal (fin xiiiedébut xve siècle) », Vallesia, 48 (1993), p. 75-89. « Le mouvement commercial au péage de Saint-Maurice d’Agaune à la fin du Moyen Âge (1281-1450) », Revue historique, 289/1 (1993), p. 3-63. « Le projet d’édition critique de la Legenda aurea », en coll. avec B. Fleith, in Br. DunnLardeau (éd.), Legenda aurea - La Légende dorée. Actes du Congrès international de Perpignan, Montréal, 1993, p. 49-52. 1994 « Epistolografia e Artes dictandi », in G. Cavallo, Cl. Leonardi, E. Menestò (dir.), Lo spazio letterario del Medioevo, t. 1 : Il Medioevo latino, vol. ii : La circolazione del testo, Rome, 1994, p. 443-464. « Zur Edition der lateinischen “Legenda Aurea” », en coll. avec B. Fleith, in A. Schwob (éd.), Editionsberichte zur mittelalterlichen deutschen Literatur. Beiträge der Bamberger Tagung « Methoden und Probleme der Edition mittelalterlicher deutscher Texte », 26-29 Juli 1991, Göppingen, 1994, p. 199-202.
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1995 « La littérature des artes praedicandi de la fin du xiie au début du xve siècle », in P. Schmitter (éd.), Geschichte der Sprachtheorie, t. III : S. Ebbesen (éd.), Sprachtheorien in Spätantike und Mittelalter, Tübingen, 1995, p. 339-359. « Contribution à l’histoire des prix des céréales et des fèves en Valais à la fin du Moyen Âge d’après les comptes de châtellenie (vers 1270-1450) », Revue suisse d’histoire, 45 (1995), p. 175-204. 1996 « Quelques précisions à propos de l’atelier monétaire de Saint-Maurice d’Agaune vers le milieu du xive siècle », Vallesia, 51 (1996), p. 239-243. « Note sur la présence de l’ours en Valais et dans le Chablais vaudois à la fin du Moyen Âge », in M. Colardelle (dir.), L’homme et la nature au Moyen Âge. Paléoenvironnement des sociétés occidentales. Actes du ve Congrès international d’archéologie médiévale, Grenoble, 6-9 octobre 1993, Paris, 1996, p. 153-156. « Evangelizzazione ed organizzazione ecclesiastica della Svizzera romanda dalle origini al secolo xiv », in F. Citterio et L. Vaccaro, Storia religiosa della Svizzera, Milan, 1996, p. 47-72. « Les sermons de Jourdain de Saxe, successeur de saint Dominique », Archivum Fratrum praedicatorum, 66 (1996), p. 201-244. 1997 « Voyages et déplacements depuis le Valais à la fin du Moyen Âge », Vallesia, 52 (1997), p. 147-167. « L’encadrement et l’instruction religieuse des fidèles d’après les statuts synodaux des diocèses de Genève et de Sion (xiiie-xve siècles) », Revue d’histoire ecclésiastique suisse, 91 (1997), p. 7-37. « Les pouvoirs urbains », in A. Paravicini Bagliani et al. (dir.), Les Pays romands au Moyen Âge, Lausanne, 1997, p. 267-274. « Artes praedicandi », in A. Vauchez (dir.), Dictionnaire encyclopédique du Moyen Âge, Paris, 1997, t. I, p. 128. « La capture et le commerce des faucons dans les Alpes occidentales au xive siècle », in Fr. Morenzoni et É. Mornet, (éd.), Milieux naturels, espaces sociaux. Études offertes à Robert Delort, Paris, 1997, p. 287-298. « Parole du prédicateur et inspiration divine d’après les Artes praedicandi », in R. M. Dessì et M. Lauwers (éd.), La parole du prédicateur, ve-xve siècle, Nice, 1997, t. I, p. 271-290. 1998 « L’achat et la vente de chevaux d’après les registres des notaires fribourgeois de la fin du Moyen Âge », Revue suisse d’histoire, 48 (1998), p. 131-148.
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« Exempla et prédication. L’exemple de Jourdain de Saxe », in M.-A. Polo de Beaulieu et J. Berlioz (dir.), Les Exempla médiévaux : nouvelles perspectives. Actes du colloque international de Paris - Saint-Cloud, 27-28 septembre 1994, Paris, 1998, p. 269-291. 1999 « Les animaux exemplaires dans les recueils de Distinctiones bibliques du xiiie siècle », in M.-A. Polo de Beaulieu et J. Berlioz (dir.), L’animal exemplaire au Moyen Âge (vexve siècle), Rennes, 1999, p. 171-190. 2000 « Pierre II de Savoie et Genève », in B. Andenmatten, A. Paravicini Bagliani, E. Pibiri (éd.), Pierre II de Savoie. Le “Petit Charlemagne” († 1268), Lausanne, 2000, p. 151-170. « Évangélisation et organisation ecclésiastique de la Suisse romande des origines au début du xive siècle », in G. Bedouelle et Fr. Walter (dir.), Histoire religieuse de la Suisse : la présence des catholiques, Fribourg - Paris, 2000, p. 27-49. « L’évêque, le roi et l’argent pour la guerre. Propagande et prédication au xive siècle d’après les sermons de Laurent de la Faye », in M. Porret, J.-Fr. Fayet, C. Fluckiger (dir.), Guerres et paix. Mélanges offerts à Jean-Claude Favez, Genève, 2000, p. 43-59. « Le monde animal dans le “De Universo creaturarum” de Guillaume d’Auvergne », in Il mondo animale e la società degli uomini / The world of animals and human society, Florence, (Micrologus 8), 2000, p. 197-216. 2001 « “Sermones leues et breues composui”. Les sermons d’Alexandre d’Ashby », Studi medievali, 3e série, 42/1 (2001), p. 121-164. « Quoniam sicut dicit Isidorus : les tables médiévales de la Légende dorée », avec la coll. de P. Mariani, in Fr. Morenzoni et B. Fleith (dir.), De la sainteté à l’hagiographie. Genèse et usage de la Légende dorée, Genève, 2001, p. 173-209. « Les produits sidérurgiques dans les comptes de péage de Saint-Maurice d’Agaune et de Villeneuve-Chillon (xive-xve siècles) », in Ph. Braunstein (éd.), La sidérurgie alpine en Italie (xiie-xviie siècle), Rome, 2001, p. 481-497. 2002 « Esami di Stato. Preparare lo scritto di storia », Nuova secondaria, 19 (2002), p. 61-69. 2003 « La Vie d’Édouard le Confesseur d’Alexandre d’Ashby », in M. Aurell (éd.), Culture politique des Plantagenêt (1154-1224). Actes du colloque tenu à Poitiers du 2 au 5 mai 2002, Poitiers, 2003, p. 241-252.
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2004 « La Légende dorée d’un curé du diocèse de Genève du xve siècle », Revue suisse d’histoire religieuse et culturelle, 98 (2004), p. 9-29. « La prédication de Vincent Ferrier à Montpellier en décembre 1408 », Archivum Fratrum Praedicatorum, 74 (2004), p. 225-272. « La via del Vallese e il commercio internazionale e regionale alla fine del Medioevo », in G. M. Varanini (éd.), Le Alpi medievali nello sviluppo delle regioni contermini. Atti del Congresso Internazionale di Verona, 7-9 novembre 1996, Naples, 2004, p. 149-164. « L’éducation chevaleresque entre représentation et réalité », in Esprit de chevalerie et littérature chevaleresque. Actes du Quatrième colloque d’études médiévales de l’Université Fu Jen de Taipei, 28-29 mars 2003, Taïpei, 2004, p. 31-44. 2005 « Predicatio est rei predicate humanis mentibus presentatio : Les sermons pour la Dédicace de l’église de Guillaume d’Auvergne », in Fr. Morenzoni et J.-Y. Tilliette (éd.), Autour de Guillaume d’Auvergne († 1249), Turnhout, 2005, p. 292-322. 2006 « Vincent Ferrier et la prédication mendiante à Genève au xve siècle », in Fr. Morenzoni et P.-B. Hodel (éd.), ‘Mirificus praedicator’. Vincent Ferrier et la prédication mendiante, à l’occasion de son passage en Pays romand. Actes du colloque d’Estavayer-le-Lac, 7-9 octobre 2004, Rome, 2006, p. 285-302. « À propos d’une Ars praedicandi attribuée à Nicole Oresme », Archivum Franciscanum Historicum, 99 (2006), p. 251-281. 2007 « L’œuvre homilétique de Guillaume d’Auvergne, évêque de Paris », Sacris Erudiri, 46 (2007), p. 1-83. « Parler au pape au nom du roi. Le discours d’Ancel Choquard au pape Urbain V (avril 1367) », Studi medievali, 48 (2007), p. 317-365. « Prêcher sur les reliques de la Passion à l’époque de saint Louis », en coll. avec A. Charansonnet, in Ch. Hediger (éd.), La Sainte-Chapelle. Royaume de France et Jérusalem céleste ? Actes du Colloque de Paris, Collège de France, 2002, Turnhout, 2007, p. 61-99. « Guillaume d’Auvergne ou Jacques de Vitry ? Encore à propos du De confessione », Recherches de théologie et de philosophie médiévales, 74/1 (2007), p. 33-61. 2008 « Les marchés et les foires de Sion et de Saint-Maurice d’Agaune à la fin du Moyen Âge (xiiie-xve siècle) », in B. Andenmatten et al. (éd.), Mémoires de cours. Études offertes
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à Agostino Paravicini Bagliani par ses collègues et élèves de l’Université de Lausanne, Lausanne, 2008, p. 401-417. « Les explications liturgiques dans les sermons de Guillaume d’Auvergne, évêque de Paris », in Fr. Morenzoni et N. Bériou (éd.), Prédication et liturgie au Moyen Âge, Turnhout, 2008, p. 255-286. « Sacra et sacramenta dans la prédication de Guillaume d’Auvergne », in A. Paravicini Bagliani et A. Rigon (éd.), La comunicazione del sacro (secoli ix-xviii), Rome, 2008, p. 53-74. « Les prédicateurs et leurs langues à la fin du Moyen Âge », in P. von Moos (éd.), Zwischen Babel und Pfingsten. Sprachdifferenzen und Gesächsverständigung in der Vormoderne (8.-16. Jahrhundert). / Entre Babel et Pentecôte. Différences linguistiques et communication orale avant la modernité (viiie-xvie siècle), Zürich - Berlin, 2008, t. I, p. 501-517. 2009 « Les proverbes dans la prédication du xiiie siècle », in H. O. Bizzarri et M. Rohde (éd.), Tradition des proverbes et des exempla dans l’Occident médiéval. Colloque fribourgeois 2007, Berlin - New York, 2009, p. 131-149. 2010 « Giovanni Boccaccio, Des cas des nobles hommes et femmes », in G. d’Andiran (éd.), La médecine ancienne, du corps aux étoiles, Genève, 2010, p. 376. « Pastorale et ecclésiologie dans la prédication d’Étienne Langton », in L.-J. Bataillon et al. (éd.), Étienne Langton, prédicateur, bibliste, théologien, Turnhout, 2010, p. 449-466. « Prêcher par images. Les “visages du monde” dans la prédication de Guillaume d’Auvergne », in R. Wetzel, F. Flückiger (éd.), Die Predigt im Mittelalter zwischen Mündlichkeit, Bildlichkeit und Schriftlichkeit, Zürich, 2010, p. 223-240. « Hérésies et hérétiques dans la prédication parisienne de la première moitié du xiiie siècle », in A. Brenon (éd.), 1209-2009, Cathares, une histoire à pacifier. Actes du colloque international tenu à Mazamet les 15, 16 et 17 mai 2009, Portet-sur-Garonne, 2010, p. 91-108. « Les Arts libéraux à l’école du Christ », Medieval Sermon Studies, 54 (2010), p. 51-63. 2013 « De la probatio à la declaratio : réflexion doctrinale et prédication dans l’œuvre de Guillaume d’Auvergne », in Théologie et philosophie en prédication : d’Origène à Thomas d’Aquin, Paris, 2013, p. 345-366. « La bonne et la mauvaise honte dans la littérature pénitentielle et la prédication (fin xiiedébut xiiie siècle) », in B. Sère et J. Wettlaufer (éd.), Shame between punishment and penance. The social usages of shame in the Middle Ages and early modern times, Florence, 2013, p. 177-196.
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« L’ars praedicandi de Pierre le Mangeur », in G. Dahan (éd.), Pierre le Mangeur ou Pierre de Troyes, maître du xiie siècle, Turnhout, 2013, p. 225-240. 2014 « Signes, mots et images dans la prédication de Guillaume d’Auvergne », in N. Bériou, J.-P. Boudet, I. Rosier-Catach (éd.), Le pouvoir des mots au Moyen Âge, Turnhout, 2014, p. 239-253. 2015 « Les sermons Contra haereticos du cardinal Eudes de Châteauroux († 1273) », Sacris Erudiri, 54 (2015), p. 265-408. « Rêves et visions dans le Liber de exemplis et similitudinibus rerum de Jean de San Gimignano », Medieval Sermon Studies, 59 (2015), p. 6-20. 2016 « Hagiographie, pastorale et histoire dans les sermons pour la fête de saint Thomas Becket (xiie-xive s.) », in E. Lombardo (éd.), Models of virtues. The roles of virtues in sermons and hagiography for new saints’ cult (13th to 15th Century), Padoue, 2016, p. 15-33. « Quelques remarques à propos d’un manuscrit du Compendium statutorum generalis reformacionis Sabaudie de la Zentralbibliothek de Zurich », in É. Bousmar, Ph. Desmette, N. Simon (éd.), Légiférer, gouverner et juger (ixe-xxie siècle). Mélanges d’histoire du droit et des institutions offerts à Jean-Marie Cauchies à l’occasion de ses 65 ans, Bruxelles, 2016, p. 183-195. 2017 « Le conflit pour l’élection de l’évêque de Paris en 1227-1228 d’après les sermons de Philippe le Chancelier », in G. Dahan et A.-Z. Rillon-Marne (éd.), Philippe le Chancelier. Prédicateur, théologien et poète parisien du début du xiiie siècle, Turnhout, 2017, p. 41-60. 2019 « De l’élaboration à la diffusion manuscrite des Statuta Sabaudie », avec Ch. AmmannDoubliez, in Fr. Morenzoni (éd.), avec la coll. de M. Caesar, La Loi du Prince / La Norma del Principe, Turin, 2019, vol.1, p.23-85. « La version des Statuta Sabaudie publiée le 16 février 1430 », avec Ch. AmmannDoubliez, in Fr. Morenzoni (éd.), avec la coll. de M. Caesar, La Loi du Prince / La Norma del Principe, Turin, 2019, vol.1, p.87-104. « À propos d’un traité inédit sur la patience de Guillaume d’Auvergne », dans O. Collet, Y. Foehr-Janssens et J.-Cl. Mühlethaler (éd.), Fleurs de Clergie : mélanges en
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l’honneur de Jean-Yves Tilliette, Genève, Droz, 2019 (collection « Rayon Histoire »), p. 121-138. « La route entre imaginaire et réalité dans la prédication du xiiie siècle », in B. van den Abeele et J.-M. Yante (éd.), Actes du colloque La route au Moyen Âge. Réalités et représentations (à paraître)
Table des images, cartes, tableaux et graphiques
Voyages et déplacements depuis le Valais à la fin du Moyen Âge
Carte 1. Les voyages de Jenxina et de son accompagnateur en 1365 Carte 2. Le voyage de Jean Forré jusqu’à Milan (octobre 1476) Carte 3. Le voyage de Jean Forré jusqu’à Bâle (juillet 1477) Carte 4. Voyage de Glaudius Campiporcherii à Genève pour ramener des bœufs (10-16 octobre 1477)
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Contribution à l’histoire des prix des céréales et des fèves en Valaisà la fin du Moyen Âge d’après les comptes de châtellenie (vers 1270–1450)
Graphique 1. Prix du setier de froment en deniers mauriçois Graphique 2. Prix du setier de seigle en deniers mauriçois Tableau. Prix du setier de céréales et de fèves en deniers mauriçois d’après les comptes de châtellenie
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Note sur la présence de l’oursen Valais et dans le Chablais vaudois a la fin du Moyen Âge
Carte. Nombre d’ours capturés de 1373 à 1466
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La capture et le commerce des fauconsdans les Alpes occidentales au xive siècle
Tableau. Nombre de faucons, d’autours et d’éperviers enregistrés au péage de Bard de 1293 à 1400
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Le mouvement commercial au péage de Saint-Maurice d’Agauneà la fin du Moyen Âge (1281-1450)
Graphique 1. Moyenne journalière par exercice de l’ensemble des balles (1281-1450) 229 Graphique 2. Moyenne journalière par exercice des balles de draps (1281-1440) 232 Graphique 3. Moyenne journalière par exercice des balles de laine (1281-1450) 241 Graphique 4. Moyenne journalière par exercice des passages de chevaux (1280-1450) 249
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ta bl e de s i m ag e s, c art e s, tab l e au x e t graphi q u e s
Graphique 5. Moyenne journalière par exercice des balles de futaines, toiles, cire, etc. (1280-1450) 250 Graphique 6. Moyenne journalière par exercice des balles de « mercerie » (1280-1450) 250 Graphique 7. Moyenne journalière par exercice des balles de fer (1280-1450) 251 Graphique 8. Moyenne journalière par exercice des balles de peaux (1280-1450) 252 Graphique 9. Moyenne journalière par exercice des balles de harengs et poissons (1280-1450) 253 Tableau 1. Tarif du grand péage de 1281 à 1320 220 Tableau 2. Tarif du « pedagium camini » de 1281 à 1320 220 Tableau 3. Tarif du grand péage après 1320 221 Tableau 4. Tarif du « pedagium camini » après 1320 221 Tableau 5. L’évolution du trafic global de 1281 à 1450 227 Tableau 6. Statistique du transit des marchandises au péage de SaintMaurice d’Agaune (1281-1450) 262 Les marchés et les foires de Sion et de Saint-Maurice d’Agauneà la fin du Moyen Âge (xiiie-xve siècle)
Graphique 1. Draps en provenance de la foire de Sion enregistrés au péage de Saint-Maurice d’Agaune de 1281 à 1369 (en aunes) Graphique 2. Évolution du montant annuel en livres mauriçoises de la ferme de la leyde des foires de Saint-Maurice d’Agaune de 1291 à 1461
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Le duc Amédée viii de Savoie et sa monnaie (vers 1420 – vers 1434)
Graphique 1. Billon exporté depuis Genève (en quintaux) Graphique 2. Argent fin exporté depuis Genève (en marcs de Troyes) Graphique 3. Teneur en argent fin du billon exporté de novembre 1427 à juillet 1434 (en pourcentage) Graphique 4. Teneur en argent fin du billon saisi dans le Dauphiné en 1424 (en pourcentage) Graphique 5. Argent fin affiné à Genève, 1424-1427 (en marcs de Troyes) Graphique 6. Argent fin affiné à Genève, 1427-1431 (en marcs de Troyes)
354 355 356 356 357 361
Les prêteurs d’argent et leurs clientsdans le Valais savoyard à la veille de la Peste Noire
Graphique 1. Répartition par mois des échéances 389 Graphique 2. Montant des sommes devant être remboursées chaque mois, en pourcentage du total annuel 390 Graphique 3. Mouvement mensuel des capitaux remboursés, en pourcentage annuel de chaque groupe 392 Tableau 1. Répartition par paroisse du nombre des créances et du montant moyen 379 Tableau 2. Répartition des débiteurs par paroisse 380
tab l e d e s i m ag e s, c art e s, tab le au x e t graphi q u e s
Tableau 3. Répartition par paroisse des débiteurs et des contribuables aux subsides de 1313 et 1339 381 Tableau 4. Répartition par paroisse des débiteurs ayant contracté plus d’un emprunt 383 Tableau 5. Répartition par paroisse des débiteurs dont la dette totale est supérieure à 10 livres 384 Tableau 6. Stratigraphie des prêts par paroisse, en % de chaque groupe 384 Tableau 7. Retard des remboursements 386 Tableau 8. Stratigraphie comparée des prêts, en % de chaque groupe 387 L’inventaire après décès de Bacinodus Tracho, Lombard de Sion (17 janvier 1376)
Tableau 1. Les objets de la cuisine et de la cheminée dans six inventaires valaisans 409 Tableau 2. L’origine géographique des tissus 413 Tableau 3. Les couleurs des tissus 414 Le réseau des casanes lombardes dans l’espace comtois et la Suisse occidentale (xiiie-xive siècles)
Figure 1. Fragment du “bilan” de la casane de Villeneuve arrêté au 24 février 1345 425 Figure 2. Fragment du cartulaire de la casane de Conthey (1343) 428
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Abréviations courantes
AASM ABS ACS ACSM ACV ADHS ADS AEF AEG AEV ASTo –C – CTG – Prot. duc. – Registre Fontana – SR BCU BGE CC CGSB
CP DALF Du Cange, Glossarium GPSR Gremaud, Documents
Archives de l’Abbaye de Saint-Maurice Archives de la Bourgeoisie de Sion Archives du Chapitre cathédral de Sion Archives communales de Saint-Maurice Archives cantonales vaudoises Archives départementales de la Haute-Savoie Archives départementales de la Savoie Archives de l’État de Fribourg Archives d’État de Genève Archives de l’État du Valais Archivio di Stato di Torino Corte Sezioni Riunite, Camera dei conti, Savoia, Inventario 16, Comptes des receveurs et trésoriers généraux de Savoie Corte, Materie politiche per rapporto all’interno, Protocolli dei notai della corona, Protocolli ducali, serie rossa Corte, Materie economiche per categorie, Zecche e monete, classe 2, mazzo 1, n° 1 Sezioni riunite (f. = foglio ; m. = mazzo ; r. = rotolo) Bibliothèque Cantonale Universitaire de Lausanne Bibliothèque de Genève Compte de la châtellenie L. Quaglia, J.-M. Theurillat, E. Schülé, « Les comptes de l’Hospice du Grand Saint-Bernard (1397-1477) », Vallesia, 28 (1973), p. 1-162 et 30 (1975), p. 169-384. Compte du péage Fr. Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du ixe au xve siècle, 10 vol., Paris, 1880-1902. Glossarium mediae et infimae latinitatis, 10 vol., Niort, 1883-1887. Glossaire des patois de la Suisse romande, Neuchâtel-Paris, 1924 J. Gremaud, Documents relatifs à l’histoire du Vallais, 8 vol., Lausanne, 1875-1898 (Mémoires et documents publiés par la Société d’Histoire de la Suisse romande, 1 série, t. 29-33, 37-39).
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a br é v i atio n s co u r an t e s
Ammann, MW
MDG RCG
H. Ammann, Mittelalterliche Wirtschaft im Alltag. Quellen zur Geschichte von Gewerbe, Industrie und Handel des 14. und 15. Jahrhunderts aus den Notariatsregistern von Freiburg im Üchtland, 3 vol., Aarau, 1942-1954. Mémoires et documents publiés par la Société d’histoire et d’archéologie de Genève Registres du Conseil de Genève (1409-1536), 13 vol., Genève, 1900-1940.
Monnaies, poids et mesures b.p. d. fl./flor. g p.p. s.
boni ponderis deniers florins grammes parvi ponderis sous
Sauf autre précision 1 fl. = 12 s. et 1 s. = 12 d.
Première partie
Curés et prédicateurs
Nicole Bériou
Introduction
Interroger inlassablement les sources, mises en séries ou réunies en bouquets, pour y retrouver les fragments éclatés d’une histoire en train de se faire : tel est le métier d’historien que pratique avec talent, depuis des années, Franco Morenzoni. Il y aborde bien des domaines, avec une prédilection marquée pour la question de l’encadrement religieux des fidèles dans le temps long du Moyen Âge. C’est du moins ce que suggère, dans son parcours, la place dévolue aux études sur la prédication devenue, à partir du xiiie siècle, un outil puissant d’enseignement doctrinal et d’exhortation morale s’adressant à toute la société. Les recherches assidues qu’il a menées dans ce domaine ont donné lieu à la publication de plusieurs livres importants : sa thèse sur Thomas de Chobham et le milieu réformateur anglais du début du xiiie siècle1 ; les éditions critiques soignées de deux Sommes écrites par cet auteur et de ses sermons, et aussi l’édition des œuvres d’Alexandre d’Ashby (parmi lesquelles son Art de prêcher), celle des très nombreux sermons de Guillaume d’Auvergne, qui se comptent par centaines2, et celle d’un ensemble de sermons d’Eudes de Châteauroux portant sur l’hérésie3 ; l’ouvrage, enfin, qu’il a consacré à l’affrontement violent entre prédicateurs à succès dans la ville de Genève en 14304. La première partie de ce livre, confectionné en son honneur à partir d’autres études parues sous sa plume, oriente le projecteur vers des travaux qui peuvent sembler, de prime abord, plus pointus et de moins ample respiration. On aurait tort de les négliger. Pris d’un seul tenant, les quatre articles retenus dessinent les contours d’une sorte de monographie qui éclaire finement certains aspects de l’histoire religieuse de la Suisse
1 Des écoles aux paroisses. Thomas de Chobham et la promotion de la prédication au début du xiiie siècle, Paris,1995. 2 Thomas de Chobham, Summa de arte predicandi, Turnhout 1988 ; Id., Sermones, Turnhout, 1993, Id., Summa de commendatione virtutum et extirpatione viciorum, Turnhout, 1997 ; Alexander Essebiensis, Opera theologica, Turnhout, 2004 ; Guillelmus Alvernus, Opera homiletica, 4 vols, Turnhout, 2010-2013. 3 « Les sermons contra haereticos du cardinal Eudes de Châteauroux († 1273) », Sacris Erudiri, 54 (2015), p. 265-408. 4 Le prédicateur et l’inquisiteur. Les tribulations de Baptiste de Mantoue à Genève en 1430, avec la coll. de I. Jeger, Lyon, 2006.
Sur les routes des Alpes : Religieux, marchands et animaux dans la Suisse occidentale (xiiie-xve siècles), Franco Morenzoni, Turnhout, 2019 (Culture et société médiévales, 36), p. 23-28 © FHG10.1484/M.CSM-EB.5.117876
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occidentale, considérée à cet effet à diverses échelles : celle de tout le pays, de tel ou tel de ses trois diocèses de Genève, de Sion et de Lausanne, ou encore, de la seule ville de Genève. Les lignes principales d’évolution des conditions de la vie religieuse y sont d’emblée tracées dans un article court et très dense, qui est un véritable tour de force. En quelques pages, Franco Morenzoni parvient à restituer les caractères originaux de l’environnement cultuel, institutionnel, matériel et spirituel dans lequel s’épanouit la vie religieuse, dans un pays qui n’est ni le cœur battant de l’Europe, ni une de ses marches éloignées, mais qui reflète plutôt une situation médiane. Solidaire des grandes évolutions qui se dessinent dans le long millénaire médiéval, la Suisse occidentale en partage l’expérience, tantôt avec acuité, tantôt sur un mode mineur. Le rayonnement des monastères, ceux de l’intérieur comme Saint-Maurice d’Agaune, ou d’autres plus lointains comme celui de Lérins, s’impose pendant le premier millénaire. Le tournant pastoral qui s’affirme entre le xiie et le xiiie siècle dans toute l’Europe occidentale est aussi présent en Suisse, et il devient encore plus manifeste quand les statuts synodaux le documentent. Le deuxième article, dans la ligne des travaux fondateurs de Louis Binz5, examine avec soin ces statuts. Leur enracinement dans la législation de Latran iv (1215) est patent. L’abondance documentaire du xive siècle permet de saisir la tendance commune à faire prévaloir les approches juridiques sur le ton pastoral, tout en recueillant maints détails normatifs dont on imagine l’impact sur le quotidien des gens (par exemple l’établissement d’une liste de confessés dans la paroisse pendant le carême, ou la chasse aux mariages clandestins, et les interdictions réitérées, qui s’adressent aux quêteurs incultes et cupides à la fois, de poursuivre leurs agissements). On y découvre aussi quelques initiatives plus rarement attestées, telle la décision que prend l’évêque de Genève Jean de Murol en 1381 de promouvoir l’enseignement du Credo en attribuant, comme dans les représentations figurées, un article de foi à chacun des douze apôtres6, et encore sa demande expresse de prier pour le pape Clément vii (Robert de Genève), à un moment où son élection a introduit le Schisme dans l’Église. Les derniers siècles du Moyen Âge auxquels s’intéressent les deux autres articles constituent le creuset où s’individualisent plus nettement désormais, comme partout ailleurs, les deux types humains du curé et du prédicateur. La découverte du livre que le curé de Ceyzérieu Claude Pirusset a copié à son usage personnel, joliment orné et assez abondamment annoté, donne à Franco Morenzoni l’occasion de brosser le portrait de l’homme, en discernant ses goûts et ses préoccupations religieuses et culturelles. Ce curé autodidacte que guide l’envie d’apprendre a aussi été fasciné par la prédication de Vincent Ferrier au point d’en recueillir la trace, en ajoutant à sa copie de la Légende dorée de Jacques de Voragine celle de sermons donnés par le frère Prêcheur à Montpellier en 1408, quelques années après son passage à Genève de décembre 1403. Grâce aux comptes du vidomne de Genève, l’impact de la parole de l’orateur est suggéré par la croissance brusque du nombre d’amendes
5 L. Binz, Vie religieuse et réforme ecclésiastique dans le diocèse de Genève (1378-1450), Genève, 1973. 6 Sur le Credo des Apôtres et son iconographie, voir Pensée, image et communication en Europe médiévale. À propos des stalles de Saint-Claude, Besançon, 1993.
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infligées pour adultère et concubinage dans les années qui suivent sa présence dans la ville, en parfaite cohérence avec les propos virulents qu’il avait tenus dans ses sermons contre ces pratiques condamnables. À partir de ce moment, se fait plus nettement entendre à Genève la voix des prédicateurs à succès auxquels le dernier article est consacré. Si la plupart d’entre eux sont, à l’image de Vincent Ferrier, des frères mendiants, appelés à intervenir pendant le carême7, le prédicateur itinérant qui s’arrête à Genève en 1430 et y défraie la chronique est un bénédictin, Baptiste de Mantoue, dénoncé pour propos hérétiques par un autre prédicateur, dominicain et disciple de Vincent Ferrier. Frères Prêcheurs et Mineurs sont cependant les plus présents dans les missions de prédication devenues plus régulières au cours du siècle, avec le ferme soutien des autorités urbaines. Mis en perspective, ces quatre articles font ressortir vivement l’insatiable appétit de découverte qui anime la recherche de Franco Morenzoni, et qu’il entretient pour notre plus grand bonheur en découvrant sans cesse de nouvelles sources d’information. Fin connaisseur de la rhétorique mise en œuvre dans la prédication, il a toujours fréquenté en même temps avec assiduité les sources d’archives auxquelles il fait dans ses travaux la part belle. Familier des recueils de sermons qui aiguisent l’esprit critique, il passe avec aisance ici à l’examen d’un autre manuscrit, confectionné pour un usage privé, et enrichi de notes de lecture qu’il sait rendre passionnantes. Il a aussi perçu de longue date toute la richesse, qui reste encore à valoriser, des enquêtes et des procès, et tout autant des archives urbaines qui, à partir du xve siècle, accumulent registres de délibération et livres de comptabilité. L’analyse critique de chaque document suscite de nouvelles questions qui trouvent un jour ou l’autre une réponse, au moins partielle, dans une petite information dénichée ailleurs, et peu à peu le puzzle se lit mieux, tout en devenant plus complexe. Les convictions, parfois affirmées trop hâtivement par l’historiographie, sont remises en question, ou au moins assorties de nuances. Le manque d’éducation du clergé médiéval n’est plus aussi universellement patent quand on a fréquenté le curé Claude Pirusset, qui nous serait inconnu si son livre était perdu8. L’insuffisante instruction religieuse des fidèles n’est plus un axiome indiscutable quand on a compris que les rudiments de catéchisme qu’ils acquièrent sans doute dans les paroisses ont été enrichis par l’enseignement des frères dans leurs sermons. S’il importe de souligner la dimension politique du rôle joué par les prélats au cours du Moyen Âge central, certains d’entre eux laissent entrevoir aussi des préoccupations pastorales précoces. En outre, une forte imbrication du politique et du religieux se lit dans les actes posés par les autorités urbaines des xive et xve siècles : le salut de leurs administrés leur incombe, et avec lui la gestion du religieux9.
7 Sur les prédications de carême, voir en dernier lieu : I sermoni quaresimali : digiuno del corpo, banchetto dell’anima / Lenten Sermons : Fats of the Body, Banquet of the Soul, éd. P. Delcorno, E. Lombardo et L. Tromboni, 2017. 8 Une enquête sur les bibliothèques de curés est aussi présentée par M. Ferrari, Vil gůte Bǔcher zů Sant Oswalden. Die Pfarrbiliothek in Zug im 15 und 16 Jahrhundert, Zurich, 2003. 9 Sur la tutelle exercée par les villes sur les couvents au xve siècle, voir aussi L. Viallet, Les sens de l’observance. Enquête sur les réformes franciscaines entre l’Elbe et l’Oder, de Capistran à Luther (vers 1450vers 1520), Berlin, 2014, chapitre 4.
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C’est pour cela aussi qu’il ne faut rien négliger des ressources documentaires les plus diverses, et privilégier les enquêtes transversales qui permettent parfois de compenser les déficiences et laconismes propres à chaque source. Il en va de même, d’ailleurs, du recours à l’archéologie, dont Franco Morenzoni souligne à juste titre la valeur essentielle, en particulier pour les périodes moins bien pourvues en sources écrites, comme c’est le cas du ive siècle de notre ère pour la Suisse occidentale. Le brassage des sources est aussi le meilleur moyen de construire une histoire de la société. Or, telle est également l’ambition qui guide le questionnement de Franco Morenzoni, dont l’attachement à comprendre le fait religieux dans le monde médiéval est à la juste mesure de la place qui lui revient alors dans tous les aspects de la vie sociale. Percevoir quelque chose de cette vie dans sa complexité exige de restituer patiemment ce que l’on peut savoir des conditions très concrètes dans lesquelles elle se déroule. Franco Morenzoni n’oublie pas, dans ses analyses, les contraintes imposées par les grands espaces, ceux des diocèses largement taillés et de paroisses parfois immenses, elles aussi. Il est par ailleurs attentif aux conditions dans lesquelles s’effectue la communication langagière entre les hommes, dans un contexte culturel où l’usage du latin creuse l’écart entre clercs et simples gens, et dans une terre ouverte, de surcroît, aux migrations et aux brassages de populations. Au début du xie siècle, l’évêque de Sion en charge des communautés de fidèles du Haut-Valais semble bien avoir cherché à former des clercs capables de s’adresser en allemand aux nouveaux venus qui s’installaient sur place, arrivant de terres germanophones. À la fin du xive siècle, en vue de mieux assurer la formation religieuse minimale des paroissiens de son diocèse, l’évêque de Genève Guillaume de Lornay demande que les enseignements catéchétiques récapitulés par son prédécesseur Jean de Murol dans ses statuts soient rappelés par les curés aux fidèles au moins une fois par mois. Le texte, écrit en latin, est farci de vers mnémotechniques qui étaient sans doute enseignés en cette langue, mais on doit supposer que l’explication en était donnée en langue vernaculaire. Au xve siècle, en Valais à nouveau, l’évêque Walter Supersaxo autorise les curés qui doivent confesser des étrangers à solliciter l’aide d’un interprète qui s’engagera à respecter le secret de la confession. Toutes ces initiatives mettent en évidence le rôle essentiel qui revient aux paroisses en tant que communautés humaines où se construit le lien social. Avec prudence, Franco Morenzoni ne se prononce pas sur l’ampleur et les rythmes du mouvement de leur création en Suisse occidentale, tout en soulignant l’apport des travaux qui permettent d’en suivre l’émergence dans le Valais. Les dispositions des statuts synodaux, abondamment citées dans son article sur l’encadrement et l’instruction religieuse des fidèles, révèlent certains moments qui fournissaient l’occasion de faire preuve de sociabilité et d’alimenter celle-ci : lorsque le prêtre porte la communion à un malade et que chacun est invité à l’accompagner, ou au moment des funérailles, qui appellent la présence des gens de la paroisse à l’église. Quand ces communautés subissaient la peine de l’interdit qui interrompt toute la régularité de la vie cultuelle, des initiatives qui nous surprennent se font jour, traduisant l’unanimité de la croyance, comme celle qui consistait à faire des trous dans la porte de l’église afin de permettre
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aux fidèles, lorsque le lieu de culte leur était fermé à cause de l’interdit, de « voir l’hostie » malgré tout10. D’autres communautés humaines, qui s’affirment également entre le xiiie et le xve siècle, occupent une place de choix dans les recherches de Franco Morenzoni. Ce sont les villes, où le défi de trouver de nouveaux équilibres est relevé, au moins à Genève en 1357, par une règlementation qui assure aux frères des deux principaux ordres mendiants, dominicains et franciscains, un quasi-monopole de la prédication pour une très longue durée11. Les conseils urbains deviennent peu à peu, dans la gestion du religieux, des interlocuteurs privilégiés, qu’il s’agisse d’autoriser une représentation sacrée de la Passion ou de mettre en place et de contrôler la discipline sociale – à moins qu’ils ne se laissent déborder par les tensions qui ne manquent pas de s’exacerber quand les prédicateurs nourrissent l’antijudaïsme par leurs propos violents et radicaux. À la fin de son article sur l’évangélisation et l’organisation ecclésiastique de la Suisse occidentale, paru en 2000, Franco Morenzoni appelait de ses vœux le progrès d’une recherche dans laquelle l’accent serait mis davantage sur « le phénomène religieux tel qu’il était vécu par les fidèles dans la vie de tous les jours ». Il n’a pas peu contribué ensuite à cette évolution, en nous donnant à voir ce qu’étaient les centres d’intérêt de ces fidèles et de leurs pasteurs, fussent-ils bien différents des sujets que nos goûts auraient tendance à privilégier. Les marges du livre de Claude Pirusset sont parsemées de prières au Christ et à la Vierge, à qui s’adressait en priorité l’élan de sa dévotion, alors qu’elle semble moins fervente envers des saints « récents » comme François ou Dominique. Les Genevois dans les mêmes années, qui ouvrent le xve siècle, communient dans l’attente de l’Antéchrist et dans l’anxiété que suscite en eux l’inéluctable Jugement dernier, prêché avec ardeur et conviction par Vincent Ferrier12. Mendiants et séculiers, qui ne manquent pas de griefs réciproques, savent aussi faire des compromis. Tout cela, Franco Morenzoni nous le rend perceptible… Puisse son souhait d’aller toujours plus loin dans l’exploitation des sources écrites médiévales rencontrer l’enthousiasme de nouvelles générations de chercheurs. Puissent-ils être convaincus de poursuivre comme lui et dans la même perspective le dépouillement de sources sérielles comme les testaments ou les délibérations des conseils de ville, et de sources plus rares mais aussi sous-exploitées comme les inventaires d’églises paroissiales ou de biens de personnes privées, sans oublier les 10 En Angleterre, des trous étaient aussi pratiqués dans l’écran qui séparait le chœur des fidèles, à hauteur des yeux, pour permettre de voir l’hostie au moment de l’élévation : voir E. Duffy, The Stripping of the Altars. Traditional Religion in England, 1400-1580, New Haven and London,1992, p. 97 et pl. 44-45. À propos des réactions suscitées par les interdits, voir aussi, à Pise au xiiie siècle, le témoignage de l’archevêque F. Visconti : Les sermons et la visite pastorale de Federico Visconti, archevêque de Pise (1253-1277), éd. N. Bériou, Rome, 2001, en particulier le sermon 93 (de denuntiatione interdicti), p. 993-998. 11 Sur deux documents concernant aussi la répartition de la prédication mendiante entre dominicains et franciscains à Douai dans les mêmes années, voir B. Delmaire, « Où et quand prêcher ? Deux listes de sermons dominicains et franciscains du xive siècle à Douai », in Religion et mentalités au Moyen Âge. Mélanges en l’honneur d’Hervé Martin, Rennes, 2003, p. 283-290. 12 Sur les fins dernières, voir le numéro spécial de Communio, 260 (2018), Imaginer les fins dernières.
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comptes en tout genre, qui permettent aussi d’introduire dans les travaux d’histoire religieuse l’indispensable approche quantitative, si efficacement menée en son temps par Louis Binz à partir de l’étude croisée des statuts synodaux et des comptes rendus de visites pastorales.
Évangélisation et organisation ecclésiastique de la Suisse romandedes origines au début du xive siècle
Compte tenu de l’ampleur du sujet retenu, nous ne pourrons que présenter de manière très sommaire l’implantation et la diffusion du christianisme dans l’actuelle Suisse romande. De nombreux aspects très importants, comme le développement du monachisme, ne seront pas abordés ou seront à peine évoqués. Face à une bibliographie considérable mais de valeur très inégale, nous avons choisi de ne renvoyer qu’aux travaux les plus rigoureux. Nous avons en outre privilégié, du moins en partie, la période des origines, en évitant presque toujours de rendre compte des innombrables discussions que la rareté des sources a suscitées. À bien des égards, l’heure d’une synthèse équilibrée sur le développement du christianisme dans l’ensemble de la Suisse romande à l’époque médiévale n’est pas encore venue1. Le caractère souvent très local, ou tout au plus régional, de la plupart des travaux dont on dispose, fait que plusieurs aspects n’ont été étudiés de manière approfondie que pour tel ou tel diocèse. Cela rend toute tentative de comparaison très risquée. C’est pourquoi il nous a semblé plus judicieux d’aborder certains thèmes en faisant référence aux différents diocèses.
Les origines Le diocèse de Genève
La présence d’une communauté chrétienne à Genève entre la fin du iie siècle et la fin du iiie siècle n’est attestée, à ce jour, par aucun document écrit, ni par aucune donnée archéologique. On sait cependant qu’à Lyon, une communauté de chrétiens assez importante était certainement active vers 177, ce qui pourrait laisser supposer
1 Voir cependant la récente étude de L. Vischer et al. (dir.), Histoire du christianisme en Suisse : une perspective oecuménique, Genève - Fribourg, 1995 [éd. allemande 1994].
Sur les routes des Alpes : Religieux, marchands et animaux dans la Suisse occidentale (xiiie-xve siècles), Franco Morenzoni, Turnhout, 2019 (Culture et société médiévales, 36), p. 29-46 © FHG10.1484/M.CSM-EB.5.117877
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que le christianisme était arrivé assez tôt, par la vallée du Rhône, dans la région genevoise2. À la suite des migrations des Alamans vers les régions méridionales, Genève devint, peu avant 280, chef-lieu d’une civitas distincte de celle de Vienne, qui garda cependant le rôle de centre provincial. À partir de la fin du iiie siècle, de nouvelles fonctions administratives, ainsi que des exigences militaires, ont sans doute été à l’origine des importants changements survenus dans l’organisation urbaine de Genève. Sur la colline qui domine la rive gauche du lac Léman et du Rhône, à l’intérieur d’un espace relativement petit mais protégé par des fortifications imposantes, les récentes fouilles archéologiques ont mis au jour une habitation qui appartenait probablement à un personnage assez important. Or, selon toute vraisemblance, cette habitation comportait également un local réservé à un petit groupe de chrétiens qui résidait en ville. Vers le milieu du ive siècle, ou peut-être un peu plus tard, un sanctuaire fut édifié au même endroit qui semblait avoir, dès l’origine, une fonction baptismale. Au début du siècle suivant, le nombre de chrétiens qui vivaient dans la ville, ou dans la région proche, paraît avoir été suffisamment important pour justifier la construction d’un groupe épiscopal assez vaste : il comprenait, entre autres, une cathédrale double – dont les deux parties étaient réunies par un atrium –, une résidence pour l’évêque avec une chapelle privée, plusieurs salles et des locaux pour le clergé3. La première mention d’un évêque de Genève remonte également au ve siècle. Il s’agissait d’un certain Isaac, que saint Eucher cite dans la Passion des martyrs d’Agaune comme étant l’un de ses informateurs indirects. Les données archéologiques permettent donc de supposer que le diocèse de Genève existait déjà vers le milieu du ive siècle. Sans doute dépendait-il depuis sa formation de l’église métropolitaine de Vienne. Il comprenait, grosso modo, la rive gauche du canton actuel et le département de la Haute Savoie. On ignore en revanche ce qu’il en était des territoires qui se trouvent sur la rive droite du Rhône et du Léman, jusqu’au fleuve Aubonne et qui faisaient partie de la Colonia Iulia Equestris, avec Nyon comme chef-lieu. Avaient-ils été intégrés au diocèse dès les origines, ou bien ont-ils été rattachés à celui-ci à une époque ultérieure ? Nous exposerons plus loin une hypothèse récente et plausible qui tient que, jusqu’à la fin du vie siècle, le territoire du diocèse de Genève aurait été beaucoup plus étendu.
2 Sur les origines et le développement du diocèse de Genève, outre l’ouvrage classique de M. Besson, Recherches sur les origines des évêchés de Genève, Lausanne et Sion, Fribourg - Paris, 1906, voir en particulier les travaux de L. Binz, « Le diocèse de Genève des origines à la Réforme, ive siècle-1536 », Helvetia sacra, I/3, Berne, 1980, p. 19-239 ; Id., « Genève », in Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, Paris, 1984, t. xx, p. 422-453, qui proposent tous deux une excellente bibliographie et une présentation très complète des sources existantes. 3 Parmi les très nombreux travaux de L. Blondel et Ch. Bonnet, nous nous permettons de signaler uniquement l’article de L. Blondel « Le prieuré de Saint-Victor, les débuts du christianisme et la royauté burgonde à Genève », Bulletin de la société d’histoire et d’archéologie de Genève, 9 (1958), p. 211-258, et ceux de Ch. Bonnet, Genève aux premiers temps chrétiens, Genève, 1986 ; Id., « Le groupe épiscopal de Genève », Archéologie suisse, 14/2 (1991), p. 221-228.
évangélisation et organisation ecclésiastique de la suisse romande
Si nous ne savons presque rien des évêques du ve siècle, il est cependant certain que pendant cette période le christianisme connut à Genève une diffusion considérable. Y ayant installé la capitale de leur royaume en 4434, les Burgondes, sans doute peu nombreux par rapport à la population d’origine gallo-romaine, ne semblent pas avoir essayé d’entraver la diffusion de l’Évangile et ce, en dépit de leur foi arienne. Pendant le ve siècle, à l’intérieur de l’espace urbain fortifié ou à proximité de celui-ci, plusieurs sanctuaires furent en effet édifiés, comme Saint-Germain, Saint-Victor, où les premiers évêques furent probablement ensevelis, et peut-être aussi celui de la Madeleine. Des fouilles archéologiques récentes ont permis de confirmer que le christianisme avait pénétré assez tôt également dans les campagnes qui entouraient la ville. Sur la colline de Saint-Gervais, sur la rive droite du Rhône, on a pu mettre au jour une église funéraire de dimensions assez considérables qui remonte au ve siècle. Au Grand-Saconnex, les fouilles dans l’église paroissiale Saint-Hyppolite ont révélé ce qui fut peut-être un des plus anciens lieux de culte ruraux, avec un mausolée des ve-vie siècles, assez vite complété par une église entourée d’un portique. À Vandoeuvres, les fouilles ont aussi pu prouver l’existence d’un lieu de culte, sans doute privé – il se rattachait à une villa romaine – mais pourvu d’un baptistère. Ce lieu de culte pourrait remonter au ve siècle, ce qui semble suggérer qu’une petite communauté chrétienne était présente dans cette région à une époque relativement précoce5. Aux exemples évoqués, on pourrait aisément en rajouter d’autres, comme celui de la petite église de Saint-Jean, édifiée en bois au vie siècle à l’endroit où, d’après la Vie des Pères du Jura, saint Romain aurait redonné la santé à deux lépreux6. Mais il faut néanmoins souligner qu’en l’absence d’un nombre suffisant de sources écrites, beaucoup d’aspects restent malheureusement dans l’ombre. C’est le cas, par exemple, de l’origine sociale ou géographique des premiers évêques de Genève, tout comme des moyens d’action qu’ils ont mis en œuvre pour accomplir leur mission. Le diocèse d’Octodurum – Sion
Les renseignements concernant les origines et la diffusion du christianisme dans la région qui devint par la suite le diocèse de Sion, sont eux aussi assez rares7. Il est cependant probable que, tout comme à Genève, l’Évangile était arrivé par la haute vallée du Rhône, en remontant ce fleuve. L’existence d’un évêque en Valais
4 La capitale fut déplacée à Lyon une trentaine d’années plus tard, mais la ville resta capitale secondaire. 5 Archéologie suisse, 14/2 (1991), passim. 6 Fr. Martine (éd.), Vie des Pères du Jura, Paris, 1968, p. 288-295. 7 Sur le diocèse de Sion, voir C. Santschi (éd.), « Le catalogue des évêques de Sion de Pierre Branschen (1576). Édition critique », Vallesia, 24 (1969), p. 153-210 ; Id., « Les premiers évêques du Valais et leur siège épiscopal », Vallesia, 36 (1981), p. 1-26 ; Fr.-O. Dubuis et A. Lugon, « Les premiers siècles d’un diocèse alpin : Recherches, acquis et questions sur l’Évêché du Valais. Partie I : Les débuts du christianisme en Valais et les centres de son rayonnement », Vallesia, 47 (1992), p. 5-61 ; « Partie II : Les cadres de la vie chrétienne locale jusqu’à la fin du xiiie siècle », Vallesia, 48 (1993), p. 1-74. Je remercie très vivement Fr.-O. Dubuis et A. Lugon de m’avoir permis de consulter les épreuves de la deuxième partie de leur travail.
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est historiquement attestée au moins depuis 381. Cette année-là, en effet, Théodore, se qualifiant lui-même de episcopus Octodorensis, souscrivait au concile d’Aquilée réuni par saint Ambroise et approuvait, avec les autres évêques, la condamnation et la déposition de deux évêques ariens8. On sait que Théodore fut aussi, du moins en partie, l’initiateur du culte des martyrs de la légion thébaine. Cet épisode, qui ne peut être daté avec exactitude et dont le caractère historique a été contesté à plusieurs reprises9, est connu principalement grâce à deux sources. La Passio martirum acaunensium écrite par l’évêque de Lyon, Eucher, entre 434 et 45010, et une Passion, anonyme, dont le noyau originel pourrait même remonter, d’après son dernier éditeur, au ve siècle11. Le récit des événements rapportés par les deux textes hagiographiques diffère sur de nombreux points. Saint Eucher déclare avoir recueilli ses informations auprès d’un membre de l’Église de Genève. Celui-ci tenait en fait ses renseignements directement de l’évêque Isaac à qui Théodore avait raconté ce qui s’était passé : à l’époque de Dioclétien, une légion dite thébaine, composée de soldats qui professaient le christianisme, avait été envoyée à Maximien pour réprimer une rébellion. Une fois arrivés à Agaune, les soldats apprirent que les révoltés qu’ils devaient combattre étaient des chrétiens et refusèrent de poursuivre leur marche. Après avoir en vain soumis la légion à deux décimations et face à l’obstination des soldats chrétiens, l’empereur Maximien, qui se trouvait à Octodurum, donna l’ordre de les tuer tous. À côté des noms de Maurice, Exupère, Candide et Victor, le texte de saint Eucher mentionne également deux autres membres de la légion qui auraient été martyrisés à Soleure, Ours et Victor. En revanche, selon le récit de la Passion anonyme, les faits se seraient déroulés à l’époque de la révolte des Bagaudes, et la mise à mort des soldats aurait été la conséquence du refus des chrétiens de prêter serment au cours d’une cérémonie païenne. Quoi qu’il en soit, d’après saint Eucher l’endroit où les corps des soldats avaient été ensevelis fut révélé à l’évêque Théodore12 qui, selon toute vraisemblance, les fit transporter à Acaunum, où il fit bâtir une basilique près du rocher qui porte le même nom. La date de la découverte des corps par Théodore ne peut pas non plus être précisée. Il est cependant certain que l’épisode remonte à peu près à l’époque où une révélation permit à saint Ambroise de Milan de retrouver les corps de Gervais et de Protais, c’est-à-dire vers 386. La découverte des corps des martyrs thébains doit sans doute être replacée dans le contexte de l’action missionnaire entreprise en Valais par Théodore. À l’époque
8 Il est probable que Théodore, dont on ignore tout des origines, fût effectivement le premier évêque du diocèse. 9 Voir par exemple D. van Berchem, Le martyre de la Légion thébaine. Essai sur la formation d’une légende, Bâle, 1956, et l’article de D. Woods, « The origin of the legend of Maurice and the Theban legion », Church History, 45 (1994), p. 385-395. 10 Le texte d’Eucher a été édité dans Br. Krusch (éd.), Passiones vitaeque sanctorum aevi Merovingici et antiquiorum aliquot, Hanovre, 1896, t. i, p. 32-40. 11 É. Chevalley (éd.), « La Passion anonyme de saint Maurice d’Agaune. Édition critique », Vallesia, 45 (1990), p. 37-120. 12 Le texte dit revelata traduntur, ce qui ne permet pas d’établir les modalités exactes de cette révélation.
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de la révélation, la région restait en grande partie à évangéliser car, d’après les renseignements qu’on possède, de petites communautés chrétiennes n’existaient guère qu’à Sion – du moins comme semble l’indiquer la célèbre inscription de 377, avec le monogramme du Christ en l’honneur du gouverneur Ponce Asclépiodote –, à Martigny et peut-être à Agaune. Il est possible, comme le suggèrent François-Olivier Dubuis et Antoine Lugon, que le souvenir des chrétiens ayant subi le martyre dans la région ait été conservé par une petite communauté de fidèles, au sujet de laquelle on ne dispose cependant d’aucune information. Le choix de l’évêque Théodore d’ensevelir les corps à proximité d’une source paraît lui aussi s’inscrire dans une logique missionnaire bien connue. Il est en effet presque certain que l’endroit choisi était un lieu sacré au moins depuis les Celtes, et l’hypothèse selon laquelle l’endroit était également un cimetière pré-chrétien paraît assez plausible. Les noms d’un certain nombre d’évêques en activité dans le Valais entre la fin du ive siècle et la fin du vie siècle, sont connus. Salvius, ou Silvius, est cité dans une lettre d’Eucher de Lyon qui accompagnait l’envoi du récit de la Passion de la légion thébaine. Il faut cependant remarquer qu’aucune source ne permet d’affirmer avec certitude que Salvius a bien été un des premiers évêques valaisans. Les opinions divergent d’ailleurs sur ce point. Protais est mentionné, avec les évêques de Genève et d’Aoste, au moment de la découverte et de la translation à Agaune – peut-être vers 470 – du corps d’un autre martyr, saint Innocent. Il semble bien que les successeurs de Théodore aient poursuivi l’œuvre d’évangélisation de celui-ci, en essayant d’étendre et de consolider le culte des martyrs d’Agaune. Des évêques Constance et Rufus, on sait seulement que le premier participa au concile d’Épaone, alors que le second était présent aux deux conciles francs réunis à Orléans (541 et 549). Il est probable qu’au moment de sa formation, le territoire du diocèse coïncidait avec celui de la civitas Vallensium, dont les confins, cependant, n’ont pas encore pu être précisés13. Il est aussi difficile d’établir avec certitude si l’évêque dépendait depuis les origines du métropolitain de Vienne, une dépendance qui, semble-t-il, existe aux vie et viie siècles14. Il est désormais certain, en revanche, que le siège épiscopal est resté à Octodurum jusqu’au milieu du vie siècle, et qu’il fut transféré à Sion sans doute entre 565 (ou 549) et 585. Dans sa chronique, Marius d’Avenches écrivait en effet qu’en 565 les moines du monastère d’Agaune, pour des raisons qui ne sont pas précisées, s’en prirent à l’évêque Agricola et à ses clercs, et essayèrent même de le tuer15. Selon toute vraisemblance l’épisode eut lieu à Martigny. Une vingtaine d’années plus tard,
13 Au début du xive siècle, le territoire du diocèse comprenait la vallée du Rhône et celles des affluents latéraux. À l’est, le diocèse s’étendait jusqu’au versant méridional du Simplon (Gondo) ; à l’ouest jusqu’aux villages de Port-Valais et de Noville (Fr.-O. Dubuis, « Vestiges de sanctuaires primitifs et “préhistoire” des paroisses rurales en amont du Léman », Archéologie suisse, 6 (1983), p. 90-96. 14 Plus tard, vers la fin du viiie ou le début du ixe siècle, le diocèse de la Tarentaise sera promu au rang de province ecclésiastique en se séparant de celle de Vienne, et l’évêque de Sion dépendra du métropolitain de cette nouvelle province. 15 J. Favrod (éd.), La Chronique de Marius d’Avenches (455-581). Texte, traduction et commentaire, Lausanne, 1991, p. 80.
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au concile de Mâcon, un représentant anonyme de l’évêque Héliodore souscrivit en indiquant de manière indiscutable que le siège de son évêché se trouvait désormais à Sion. Le transfert fut probablement décidé à cause de l’insécurité provoquée par les incursions des Lombards qui, après avoir pénétré en Valais par le col du GrandSaint-Bernard et avoir détruit le monastère de Saint-Maurice, furent anéantis par l’armée des Francs, à Bex, en 574. Après avoir fait l’objet de nombreux débats, l’existence d’un groupe épiscopal à Martigny a pu être récemment confirmée par les fouilles sous l’église paroissiale. Elles ont permis de retrouver les traces d’un ensemble de constructions assez important qui comprenait notamment une église double, avec deux chœurs quadrangulaires, qui fut probablement édifiée sur l’emplacement d’un ancien sanctuaire construit peut-être au début du ive siècle16. On ignore en revanche où se trouvait la première résidence épiscopale de Sion. Il semblerait que, dès le ve siècle, la ville et ses alentours immédiats aient connu un certain essor de l’architecture religieuse. Cependant, les données archéologiques dont nous disposons à ce jour ne permettent pas de mieux retracer les étapes de cette évolution. Le diocèse de Windisch - Avenches - Lausanne
L’absence presque totale de documents et les rares données archéologiques sûres rendent vaine, pour le moment, toute tentative de préciser les origines et les premiers développements de ce qui devint par la suite le diocèse de Lausanne17. Le premier évêque connu, Bubulcus, exerça sa charge au début du vie siècle. Il est mentionné parmi les prélats présents au concile d’Épaone (517) et porte le titre d’évêque de Vindonissa (Windisch). Cette localité se trouve actuellement dans le canton d’Argovie. Quelques années plus tard, un certain Grammatius, dont on ignore pratiquement tout, participait au concile de Clermont (525) ainsi qu’aux deux conciles d’Orléans (541 et 549). À Clermont, Grammatius était qualifié d’évêque de l’église d’Avenches, alors qu’à Orléans, il souscrivit avec le titre d’évêque de Windisch. Devenu évêque en 574, Marius d’Avenches est mentionné, une dizaine d’années après son élection, avec le titre d’évêque d’Avenches. C’est seulement à partir de l’épiscopat d’Arricus, qui participa au concile de la Neustrie, réuni entre 639 et 654, que les sources permettent d’affirmer que le siège de l’évêché avait été définitivement fixé à Lausanne. Malgré la rareté des sources et des renseignements sûrs, les historiens ont en général accepté l’hypothèse que le diocèse aurait été plus ou moins créé à la même
16 Voir les résultats des fouilles dirigées par H.-J. Lehner : H.-J. Lehner et Fr. Wiblé, « L’église paléochrétienne double de Martigny (Valais/Suisse) », in Les églises doubles et les familles d’églises, Turnhout, Brepols, 1996, p. 104-109 ; Id., « Martigny VS. De la première cathédrale du Valais à la paroissiale actuelle : la contribution de l’archéologie », Helvetia archaeologica, 25 (1994-1998), p. 51-68 ; ainsi que Fr.-O. Dubuis et A. Lugon, « Partie I : Les débuts du christianisme en Valais », art. cit., p. 14-15. 17 P. Braun (éd.), « Le diocèse de Lausanne (vie siècle-1821) », Helvetia Sacra, I/4, Berne, 1988 ; C. Santschi, Les évêques de Lausanne et leurs historiens des origines au xviiie siècle : érudition et société, Lausanne, 1975.
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époque que les diocèses limitrophes de Genève et de Sion. Depuis les origines, son territoire aurait été très étendu et le siège épiscopal établi à Windisch. Le diocèse aurait par la suite été démembré à cause de l’avancée des Alamans et la résidence de l’évêque aurait été transférée à Avenches, au moment du rattachement de Windisch au diocèse de Constance. Au début du viie siècle, une autre avancée des Alamans – à propos de laquelle nous ne disposons à vrai dire d’aucune information fiable – aurait entraîné le déplacement du siège épiscopal d’Avenches à Lausanne. Dans un article récent, deux chercheurs ont cependant avancé une nouvelle hypothèse, dont on ne trouvera ici qu’un résumé succinct18. Après avoir souligné la fracture qui existe dans le territoire de la civitas Helvetiorum entre les structures administratives de l’Antiquité tardive et les structures ecclésiastiques, Éric Chevalley et Justin Favrod ont proposé d’accorder un crédit plus grand à une petite phrase présente dans le récit de la Passion des saints Ours et Victor. D’après ce texte, à l’époque de l’évêque Domitien, à savoir entre 470 et 490, le corps de Victor, un des martyrs de la légion thébaine tués à Soleure, fut transféré à Genève pour être enseveli dans la basilique Saint-Victor que la reine Théodelinde avait fait construire. D’après l’auteur anonyme de ce récit, à cette date Soleure faisait encore partie du diocèse de Genève, appartenance qui serait également confirmée par une inscription découverte au xvie siècle dans l’église Saint-Victor, mais qui aurait par la suite disparu. Selon Éric Chevalley et Justin Favrod, l’hypothèse d’un diocèse de Genève extrêmement vaste permet entre autres d’expliquer pourquoi, avant 517, aucun évêque du futur diocèse de Lausanne n’est mentionné par les sources et aussi pourquoi, pendant le vie siècle, le siège épiscopal a fait l’objet de plusieurs déplacements avant d’être fixé définitivement à Lausanne. Au-delà de son intérêt et de son originalité, l’hypothèse de Éric Chevalley et de Justin Favrod nous semble néanmoins soulever un certain nombre de questions qui, dans le cadre de ce travail, ne peuvent être qu’évoquées. D’après ce que l’on sait, le manuscrit le plus ancien de la Passion de saint Ours et de saint Victor remonte au ixe ou au xe siècle, et le récit aurait été composé, ou rédigé, entre le viie et le ixe siècle. Dans l’attente de l’édition critique qui a été annoncée, il est pour l’instant impossible de savoir combien de siècles se sont écoulés entre les événements décrits et la rédaction du récit de la Passion, et donc de s’exprimer sur la valeur des informations dont disposait son auteur. Il est certain, cependant, que le texte contient au moins deux erreurs à propos des évêques de Genève et de Sion qui laissent tout de même penser que les renseignements de l’auteur n’étaient pas tous de première main19. Il semble que les deux chercheurs minimisent ce dernier fait de manière sans doute trop rapide. De plus, on peut également relever que si le diocèse de Lausanne n’a 18 É. Chevalley et J. Favrod, « Soleure dans le diocèse de Genève ? Hypothèse sur les origines du diocèse d’Avenches/Vindonissa », Revue d’histoire ecclésiastique suisse, 86 (1992), p. 47-68. 19 La Passion indique que le siège épiscopal du diocèse valaisan était à cette époque encore à Octodurum, alors qu’il est certain qu’au début du viie siècle, il avait déjà été transféré à Sion. De même, elle mentionne comme évêque de Genève, Pappolus, alors que vers 601-602, l’évêque est un certain Rusticius ou Patricius (É. Chevalley et J. Favrod, « Soleure dans le diocèse de Genève ? », art. cit., p. 60).
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été créé qu’au début du vie siècle, il est assez étonnant que Marius d’Avenches, qui écrit pourtant à une époque relativement proche, fasse preuve d’autant de discrétion au sujet de la naissance d’un diocèse dont l’administration lui fut confiée à peine quelques dizaines d’années plus tard. En effet, il mentionne, par exemple, la fondation du monastère d’Agaune qui eut lieu elle aussi au début du vie siècle. On peut enfin se demander pourquoi le puissant évêque de Genève qui, avec le soutien très actif du métropolitain de Vienne, essayait depuis plusieurs décennies d’étendre son influence vers les régions orientales, aurait accepté le démembrement de son diocèse. Il est certes possible de supposer, comme le font Éric Chevalley et Justin Favrod, des mesures de représailles contre l’évêque de Genève, à la suite des guerres fratricides qui opposaient les Burgondes au début du vie siècle. Mais, une fois encore, il s’agit d’une simple hypothèse qui ne peut être ni confirmée ni infirmée par les rares sources écrites qui nous sont parvenues. Bien entendu, ces remarques n’enlèvent rien à la qualité de l’article en question. Au contraire, de par son caractère novateur, nous pensons qu’avant d’exprimer un jugement sur la valeur de ce qui a été avancé, il faudra examiner avec attention tous les arguments utilisés, dont certains sont sans aucun doute très intéressants. Les premières fondations monastiques
La diffusion du christianisme auprès des populations qui vivaient dans les régions de l’actuelle Suisse romande n’est pas due à la seule action des évêques. Il est probable que le mouvement monastique ait également joué un rôle important, mais difficile à cerner avec précision. Ce qui est certain, c’est que le monachisme a connu un développement assez précoce20. Bien que situé en dehors du diocèse de Genève, le monastère de Condat (actuellement Saint-Claude) fut fondé par Romain et ses frères vers 430-435. Romain, qui était en contact avec saint Eucher et avec le monastère très important de Lérins, fonda également vers le milieu du ve siècle une maison à Romainmôtier, sur la route qui relie Lausanne à Besançon en passant par Orbe. D’après ce que l’on sait, le monastère de Romainmôtier devint assez vite célèbre, et le resta pendant au moins un siècle. Peut-être victime des Alamans au début du viie siècle, il renaquit quelques décennies plus tard. Il fut d’abord soumis à la règle de saint Colomban, puis à celle de Benoît d’Aniane. À cette époque, il était redevenu un centre assez important, car c’était l’une des étapes sur la route qui unissait les deux célèbres monastères de Bobbio et de Luxeuil21. C’est cependant à Agaune que fut fondé le monastère qui, pendant quelques siècles, fut le principal centre religieux de toute la région22. Après la construction par 20 Sur le développement du monachisme, nous nous permettons de renvoyer uniquement à E. Gilomen-Schenkel, « Frühes Mönchtum und benediktinische Klöster des Mittelalters in der Schweiz », Helvetia Sacra, III/1, Berne, 1986, p. 33-93. 21 G. Coutaz, « Romainmôtier », Helvetia Sacra, III/1 (1986), p. 289-301. 22 J.-M. Theurillat, « L’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune des origines à la réforme canoniale, 515-830 environ », Vallesia, 9 (1954), p. 1-128 ; E. Gilomen-Schenkel, « Saint-Maurice », Helvetia Sacra, III/1, Berne, 1986, p. 304-320.
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l’évêque Théodore du premier sanctuaire, le culte des martyrs de la légion thébaine connut un essor considérable. Le sanctuaire était sans doute visité par un grand nombre de pèlerins, parmi lesquels on trouve également le fondateur de Condat. Il est probable qu’au ve siècle un petit groupe de clercs vivait près de ce lieu de culte et s’occupait de l’accueil des pèlerins. Ces clercs, cependant, n’avaient adopté aucune règle de vie commune. C’est sans doute l’abandon de la religion arienne par Sigismond, fils de Gondebaud, roi des Burgondes, qui favorisa la naissance d’une vraie communauté monastique à Agaune. Elle se dota, dès les premiers temps, d’une règle propre. La conversion au catholicisme de Sigismond fut possible grâce à l’action de saint Avit, qui joua également, tout comme l’évêque de Genève, Maxime, un rôle essentiel dans la fondation d’Agaune. La construction des premiers bâtiments commença vers 514-515, et nous savons que saint Avit prononça le 22 septembre 515, fête liturgique des martyrs, une homélie dont quelques fragments ont été conservés. Les premiers moines qui s’établirent à Agaune venaient des monastères de Condat, de l’Île-Barbe (sur la Saône), de Romainmôtier et de Grigny. De ce dernier monastère, qui n’a pas encore pu être localisé avec précision, venait également le premier abbé, Hymnemodus. À ces moines s’ajoutèrent aussi quelques novices et sans doute une partie des clercs déjà présents sur place. On sait que la grande nouveauté d’Agaune fut l’introduction de la laus perennis, à savoir le chant liturgique continu assuré par des turmae de moines qui se relayaient sans trêve. Par la suite, la laus perennis fut également introduite à Remiremont – monastère fondé par saint Aimé, qui avait été auparavant moine à Agaune et ensuite ermite dans la région23 – à Saint-Denis, à Saint-Jean de Laon et dans beaucoup d’autres monastères. Malgré le meurtre de Sigismond en 523 – quelques années plus tard, le corps de Sigismond fut transféré à Agaune, qui ne manqua pas d’en promouvoir le culte – et le passage de la région sous la domination des rois francs, le monastère continua à jouir d’une grande renommée et à être richement doté. L’expédition organisée par les moines d’Agaune, en 565, contre l’évêque qui se trouvait à Martigny, que nous avons déjà évoquée, laisse cependant supposer que les relations entre le monastère et l’évêque diocésain n’avaient pas toujours été idylliques : peut-être était-ce dû au fait que, depuis les origines, Agaune avait assumé des fonctions pastorales non seulement auprès des pèlerins, mais également auprès de la population indigène. Les fouilles archéologiques ont en effet permis de mettre au jour un baptistère qui remonte au ve siècle. Vers le milieu du viie siècle, Agaune était parmi les plus importants monastères de l’Occident médiéval. À cette époque, il obtint des privilèges extrêmement étendus qui confirmaient ceux de Sigismond et qui étaient analogues à ceux concédés au monastère de Bobbio, en 628. Au terme de cette première partie consacrée à la pénétration et à la diffusion du christianisme dans les régions de l’actuelle Suisse romande, il est sans doute
23 C. Santschi, « Errance et stabilité chez les ermites des Alpes Occidentales », Revue d’histoire ecclésiastique suisse, 82 (1988), p. 65-66.
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nécessaire de souligner le rôle considérable joué par plusieurs personnages qui étaient en contact plus ou moins direct avec le monastère de Lérins. Saint Eucher, dont on a dit l’importance pour le développement du culte des martyrs thébains, aimait se retirer dans ce monastère. On a vu qu’il entretenait des relations épistolaires avec Salvius, peut-être l’un des premiers évêques du Valais. À Genève, nous trouvons comme évêque vers le milieu du ve siècle, Salonius, le fils de ce même Eucher, qui avait accompli une partie de ses études à Lérins, sous la direction de Salvien. Grâce à Romain et à son successeur, Oyand, l’influence de Lérins fut présente également à Condat et bien entendu à Romainmôtier. Ce n’est sans doute pas un hasard si, au début du ve siècle, les Vies de Romain, Lupicin et Oyand furent rédigées par un moine anonyme, à la demande de Marius, abbé de Lérins. Par l’intermédiaire de Condat, de Romainmôtier et de Grigny, l’influence de Lérins fut également indiscutable dans la fondation d’Agaune voulue, ou en tous cas favorisée, par saint Avit. Nous l’avons dit, saint Eucher aimait à se retirer pour des périodes de repos à Grigny, monastère qui dépendait dans un certain sens de Lérins. Enfin, il est probable que le choix du premier abbé d’Agaune ait été suggéré à Sigismond par l’évêque Maxime, qui connaissait assez bien les moines de Grigny. Ces éléments, bien entendu, ne permettent pas de tirer une quelconque conclusion. Ils rendent néanmoins plausible l’hypothèse selon laquelle les événements que nous connaissons malheureusement de manière trop fragmentaire pourraient s’inscrire dans un projet missionnaire assez cohérent, que les puissantes Églises de Lyon et de Vienne, avec le soutien actif quoique indirect de Lérins, ont tenté de concrétiser pendant un temps relativement long.
Des Mérovingiens au deuxième royaume de Bourgogne Si jusqu’au milieu du viie siècle l’identité d’un certain nombre d’évêques peut encore être connue – mais la plupart du temps, il faut se contenter du seul nom –, dès cette époque et jusqu’à la fin du ixe siècle, le silence des sources devient presque total. Pour le diocèse de Genève, entre 650 et 833, nous ne connaissons le nom d’aucun évêque. Il en va de même pour celui de Lausanne entre 670 et 800. En ce qui concerne le Valais, grâce à un récit hagiographique du xe siècle, nous connaissons le nom d’un certain évêque Aimé qui aurait été envoyé en exil par le roi Thierry III, dont le règne se déroula au dernier quart du viie siècle24. Parmi les prélats présents au synode d’Attigny, qui eut lieu vers 760-762, figurait également Willicaire, ou Wilchaire, qui souscrivait en qualité de episcopus de monasterio Sancti Maurici. Le catalogue des abbés du monastère indique que les trois successeurs de Willicaire avaient eux aussi le titre d’évêque et celui d’abbé. Willicaire est un personnage important, au sujet duquel on a beaucoup discuté. On connaît en effet un Willicaire qui, après avoir été évêque de Vienne pendant quelques années, aurait renoncé à son siège épiscopal pour se retirer à Agaune. De là, il se serait 24 Plus précisément entre 675 et 691.
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installé à Rome où il serait devenu un des collaborateurs du pape Grégoire III, d’abord, puis d’Étienne II. Avec ce dernier, il aurait participé aux discussions qui eurent lieu avec le roi des Francs et au terme desquelles il serait resté à la cour de Pépin en qualité de représentant du pape. En 766, Willicaire porte le titre d’archevêque de Sens, et quelques années plus tard, il était mentionné parmi les personnalités importantes du royaume de Carloman qui se soumettaient à Charlemagne. Il est difficile d’établir si le Willicaire archevêque de Sens était la même personne que Willicaire, évêque de Sion. Selon certains historiens rien n’empêche d’accepter l’idée d’un cumul des deux fonctions25, alors que d’autres considèrent qu’il s’agissait de deux personnages homonymes26. D’après Alain Stoclet, qui vient de consacrer un travail très important à l’abbé Fulrad de Saint-Denis, aussi bien le témoignage de la chronique de Saint-Pierre-le-Vif de Sens que les authentica de la cathédrale de cette ville prouveraient de manière incontestable que l’évêque de Sion était la même personne que l’archevêque de Sens27. La rareté des informations concernant les évêques de Sion, de Lausanne, de Genève et de Belley a également permis de formuler l’hypothèse selon laquelle les sièges épiscopaux de ces diocèses auraient été presque toujours vacants entre la fin du viie et la fin du viiie siècle28. Des fouilles archéologiques récentes ont révélé l’existence, dans la basilique Saint-Théodule de Sion, d’une crypte à couloir destinée à l’accueil des pèlerins dont la construction peut être datée entre la fin du viiie siècle et le milieu du ixe siècle. S’appuyant sur ces résultats, François-Olivier Dubuis et Antoine Lugon ont en revanche estimé qu’en Valais non seulement le siège épiscopal n’était pas vacant, mais sans doute occupé par des prélats suffisamment actifs et puissants pour être à même de promouvoir et financer des travaux d’une telle envergure29. À la suite du processus de décomposition de la grande construction politique des Carolingiens, les régions dont nous traitons devinrent partie intégrante de ce qui a été appelé le deuxième royaume de Bourgogne. Rodolphe, de la famille bavaroise des Welfs, reçut la couronne royale en 888, à Agaune, monastère dont il était le prévôt, c’est-à-dire l’administrateur des biens temporels, depuis environ une quinzaine d’années. Pendant le règne des Rodolphiens, Agaune et Lausanne devinrent les deux centres administratifs et religieux du royaume. Conrad Ier et Rodolphe III choisirent de recevoir la couronne du royaume de Bourgogne dans la cathédrale de Lausanne, le premier en 937 et le deuxième en 993. Tous les membres de la dynastie firent preuve d’une grande générosité à l’égard des établissements religieux de la région30.
25 C’est le cas, par exemple, de J.-M. Theurillat, « L’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune », art. cit., p. 120. 26 E. Gilomen-Schenkel, « Die Rolle des Walliser Bistums im karolingischen Reich. Eine Erfindung der Historiographie ? », Vallesia, 40 (1985), p. 233-245. 27 A. Stoclet, Autour de Fulrad de Saint-Denis (v. 710-784), Paris, 1993, p. 345-346, n. 3. 28 E. Gilomen-Schenkel, « Frühes Mönchtum und benediktinische Klöster », art. cit., p. 53. 29 Fr.-O. Dubuis et A. Lugon, « Partie I : Les débuts du christianisme en Valais », art. cit., p. 41-42. 30 Bien qu’il ait été cédé à Cluny, en 928, le monastère de Romainmôtier put compter encore pendant longtemps sur la protection de la famille royale. En 961, les Rodolphiens fondèrent également l’abbaye de Payerne, dans laquelle l’empereur Conrad fut couronné roi de Bourgogne en 1033.
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Les évêques des trois diocèses furent régulièrement associés à l’administration du royaume, et bien souvent on leur confia la direction de la chancellerie royale. Pour contenir les ambitions des lignages les plus puissants, les Rodolphiens furent amenés à rechercher l’appui des autorités ecclésiastiques de la région. Pour renforcer leur pouvoir et s’assurer de leur fidélité, les Rodolphiens n’hésitèrent pas à doter de biens temporels importants les évêques de Sion et de Lausanne, mais aussi ceux de Bâle, de Tarentaise et de Vienne. En 999, l’Église de Sion reçut le comté du Valais avec tous les droits annexes31. Si, depuis la fin du ixe siècle, l’évêque de Lausanne exerçait déjà un certain nombre de droits comtaux sur la ville et sur ses environs immédiats32, son autorité fut étendue à l’ensemble du comté de Vaud le 25 août 1011. Aucun document ne permet en revanche de supposer que l’Église de Genève bénéficia elle aussi des largesses des Rodolphiens. L’évêque avait cependant su profiter de l’affaiblissement des pouvoirs séculiers pour étendre son influence sur la ville. Si le premier document qui atteste de manière irréfutable que l’évêque exerçait le pouvoir temporel sur la ville date seulement de 1124, il est presque certain qu’il en allait ainsi depuis déjà quelques temps. On sait d’ailleurs que, vers 1020, quelques prélats genevois détenaient déjà le droit de battre monnaie dans la ville33. L’exercice de la puissance publique et l’agrandissement de leur domaine temporel ont sans aucun doute renforcé le pouvoir des titulaires des trois sièges épiscopaux, ne serait-ce que d’un point de vue économique. Cependant, cette situation, en partie nouvelle, fut aussi à l’origine d’un certain nombre de difficultés dont les effets se firent surtout sentir à partir de 1032, date à laquelle le royaume de Bourgogne fut placé sous l’autorité directe de l’Empire. Relevant d’un pouvoir certes puissant, mais éloigné et peu concerné par les affaires d’une région qu’il considérait somme toute comme périphérique, les évêques durent s’impliquer pendant les premiers siècles du deuxième millénaire dans de nombreuses luttes politiques, qu’il n’est guère possible d’évoquer ici ne serait-ce que de manière sommaire. Un peu partout, avec à l’arrière-fond les dissensions qui opposaient le pape à l’empereur dont ils dépendaient plus ou moins directement, les évêques durent faire face aux ambitions des lignages les plus puissants, comme par exemple ceux des comtes de Genève, des Zähringen ou des comtes de Savoie, mais aussi à l’émergence de nouveaux pouvoirs tels que ceux des chapitres cathédraux ou des communes urbaines.
31 L’acte de donation reste cependant assez vague au sujet de la nature des droits comtaux remis à l’Église de Sion. 32 Ces droits avaient été concédés par Rodolphe Ier à l’évêque Boson, en 896. 33 L. Binz, « Genève », art. cit., p. 424.
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Les modalités d’élection des évêques et le développement des structures administratives Les premiers renseignements dont on dispose concernant la manière dont étaient choisis et élus les évêques datent du ixe siècle. Il est très vraisemblable qu’à l’époque carolingienne, les évêques étaient choisis, de manière plus ou moins directe, par les seigneurs laïcs. Le procès-verbal de l’élection de l’évêque de Lausanne, Boson, qui eut lieu en 892, montre qu’à cette date l’accord du roi et du métropolitain de Besançon était encore indispensable. Quelques années plus tard, Rodolphe concédera au clergé et au peuple de la ville le droit d’élire leurs prélats. À Genève, ce droit existait depuis le règne de Charles le Gros, alors que rien ne permet de connaître la situation dans le Valais. En fait l’influence des pouvoirs séculiers dans le choix des évêques demeura très forte au moins jusqu’au début du xiie siècle. Il fallut l’affermissement de la réforme grégorienne pour que le droit d’élection passât aux chapitres cathédraux. À Genève, Humbert de Grammont, qui accéda à l’épiscopat deux ans après le concordat de Worms, fut certainement élu sans aucune intervention des pouvoirs laïcs. À Lausanne, on observe vers la même époque une évolution semblable. Bien entendu, l’influence des seigneurs laïcs ne disparut pas totalement. Elle pouvait notamment s’exercer par le biais des chapitres cathédraux où les familles de la noblesse locale ou régionale étaient presque toujours bien représentées34. Mêmes si elles ne furent pas couronnées de succès, l’élection en 1229 de Thomas de Savoie – qui fut par la suite annulée par le pape35 – et la candidature de Philippe de Savoie en 1240, au siège épiscopal de Lausanne montrent que leur famille pouvait compter sur des appuis importants au sein du chapitre. De plus, le droit d’investiture des biens temporels (les regalia) relevait toujours de l’empereur, qui pouvait le déléguer à un procureur impérial. C’est justement par le biais entre autres de la charge de procureur impérial que les puissants lignages des Zähringen et des comtes de Savoie essayèrent de concrétiser leurs ambitions politiques36. Bien que de manière encore assez épisodique, l’influence du Saint-Siège sur le choix et l’élection des évêques fut perceptible dès le xiiie siècle, l’intervention de Rome devint ensuite presque systématique, d’abord à Lausanne et à Sion et plus tard aussi à Genève. C’est également à partir de la fin du premier millénaire que les documents permettent d’entrevoir l’organisation ecclésiastique et administrative des trois diocèses. Si à Genève et à Sion l’existence d’un chapitre cathédral n’est attestée par
34 Pour le chapitre de Lausanne, voir en particulier G. Castelnuovo, L’aristocrazia del Vaud fino alla conquista sabauda (inizio xi-metà xiii secolo), Turin, 1990, chap. iv. 35 Sur cet épisode, voir J.-D. Morerod, « Deux nouveaux évêques élus de Lausanne, Evrard de Rochefort (1221) et Thomas de Savoie (1229) », Revue d’histoire ecclésiastique suisse, 84 (1990), p. 14-17. 36 Ce n’était sans doute pas un hasard si Berthold IV de Zähringen décida de fonder la ville de Fribourg en 1157, c’est-à-dire un an à peine après avoir obtenu de l’empereur le droit d’investiture et la charge de procureur impérial pour les trois diocèses romands. Une trentaine d’années plus tard, son successeur fonda la ville de Berne. Les deux fondations, de manière plus ou moins explicite, avaient sans doute également pour objectif d’affaiblir la puissance épiscopale de Lausanne.
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les sources qu’à partir de la première moitié du xie siècle, à Lausanne il est certain qu’une congrégation de frères rattachés à la cathédrale Notre-Dame existait déjà au début du ixe siècle. Vers la fin de ce siècle apparaît également le terme de chanoine. Il est probable que tous les chapitres romands avaient adopté la règle de Chrodegang. À partir de la fin du xie siècle, à Lausanne, et peut-être un peu plus tard, à Genève et à Sion, les chanoines disposaient cependant d’habitations individuelles et seuls quelques repas étaient encore pris en commun. À l’origine les chanoines étaient sans aucun doute choisis directement par l’évêque. Si par la suite ils furent choisis par cooptation, on constate qu’au moins dès le xive siècle, l’influence pontificale dans le choix des chanoines devint de plus en plus importante. Aussi bien à Genève qu’à Lausanne, et peut-être dans une mesure moindre à Sion, les chanoines étaient recrutés principalement parmi les membres des familles de la noblesse locale, et beaucoup plus rarement parmi ceux de la bourgeoisie37. Un peu partout, selon des modalités variables d’un endroit à l’autre, les chapitres cathédraux furent associés à l’administration du diocèse. Assez souvent les évêques choisissaient d’ailleurs leurs collaborateurs parmi les chanoines. À Lausanne, l’existence d’un chancelier est déjà attestée à partir de la deuxième moitié du ixe siècle. À Sion, le chancelier est nommé pour la première fois dans un document qui remonte à 1049, alors qu’à Genève la chancellerie n’est mentionnée qu’à partir de 1099. Cependant, pour des motifs presque toujours politiques, plusieurs évêques renoncèrent à nommer un chancelier, et à Lausanne la fonction disparut entre le milieu du xie siècle et le milieu du xiie siècle. À Genève aussi la charge fut supprimée pendant le dernier quart du xiie siècle. Une fois encore, ce sont les sources vaudoises qui offrent les premiers témoignages de la présence des doyens parmi les collaborateurs de l’ordinaire. Leur tâche principale était de diriger et de surveiller le personnel ecclésiastique en activité dans les paroisses rurales, et ils étaient généralement choisis parmi les chanoines ou bien désignés librement par l’évêque. Pour administrer la justice épiscopale, le diocèse de Genève se dota d’un official vers 1225. Lausanne fit de même quelques années plus tard. L’appareil administratif diocésain parut connaître un développement important surtout à partir du xive siècle, avec, par exemple, la création des vicaires généraux, du conseil de l’évêque, de l’évêque auxiliaire, etc. Bien entendu, toutes ces nouvelles fonctions ne furent pas mises en place dans tous les diocèses. Cependant, on observe un peu partout le même phénomène, à savoir le renforcement de l’administration centrale.
37 M. Reymond, Les dignitaires de l’Église Notre-Dame de Lausanne jusqu’en 1536, Lausanne, 1912 ; H. A. von Roten, « Zur Zusammensetzung des Domkapitels von Sitten im Mittelalter », Vallesia, 1 (1946), p. 43-68 ; 2 (1947), p. 45-62 ; 3 (1948), p. 81-126.
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Le développement du réseau paroissial et la pastorale Il est sans doute inutile de souligner l’importance d’avoir des données qui permettent d’établir à quels moments et selon quelles modalités le réseau paroissial s’est constitué et s’est développé. Ces données fournissent bien souvent des renseignements précieux également en ce qui concerne la diffusion du christianisme dans les régions rurales. Contrairement au Valais, dont nous parlerons plus loin, pour les diocèses de Genève et de Lausanne il faut malheureusement se contenter, pour la période qui nous concerne, d’informations assez fragmentaires et qui ne permettent pas d’observer les rythmes du mouvement de création des paroisses. Pour Lausanne on sait, grâce au prévôt Conon d’Estavayer, qu’en 1228 le diocèse comptait 306 paroisses, réparties en 9 décanats. Pendant les trois siècles suivants, le nombre des paroisses ne semble pas avoir connu de changements importants. Une liste datant de 1493 énumère 296 paroisses. À l’heure actuelle, il n’est guère possible de savoir comment s’est formé le réseau paroissial et à quelles époques les fondations ont été les plus nombreuses. On peut seulement observer que si les premiers décanats remontaient peut-être au xe siècle, d’autres, comme par exemple ceux de Fribourg et de Berne, furent sans aucun doute créés quelques années après la fondation de ces villes. Pour Genève, grâce notamment aux travaux de Louis Binz, on dispose de renseignements un peu plus précis, du moins pour les derniers siècles du Moyen Âge38. Au début du xve siècle, les huit décanats du diocèse regroupaient 453 paroisses rurales, auxquelles il faut ajouter les sept paroisses urbaines qui ne faisaient partie d’aucun décanat. Entre le dernier quart du xiiie siècle et le début du xve siècle, le nombre des paroisses n’a vraisemblablement pas augmenté de manière significative. Si l’on ne considère pas les créations des églises filiales, on peut estimer à dix ou vingt le nombre des paroisses proprement dites qui ont été créées pendant cette période. S’il est fort probable que beaucoup de paroisses aient vu le jour entre le xie siècle et le xiiie siècle, l’ampleur de ce phénomène demeure difficile à apprécier, étant donné le peu d’informations dont on dispose pour l’époque carolingienne. En regard de celui du diocèse de Lausanne, le réseau paroissial genevois, tel qu’on peut l’observer à partir du xive siècle, est en effet beaucoup plus dense ; ce qui semble indiquer que, déjà à l’époque des Carolingiens, le nombre des paroisses était relativement important. En Valais, les travaux de François-Olivier Dubuis et Antoine Lugon permettent d’observer avec une assez grande précision la naissance et le développement du réseau paroissial39. Grâce à une utilisation systématique et rigoureuse des données fournies par l’archéologie et les documents écrits, François-Olivier Dubuis et Antoine Lugon ont récemment proposé une première synthèse de l’évolution du diocèse depuis les
38 L. Binz, « La population du diocèse de Genève à la fin du Moyen Âge », in Mélanges d’histoire économique et sociale en hommage au Professeur Antony Babel, Genève, 1963, t. i, p. 145-196 ; Id., Vie religieuse et réforme ecclésiastique dans le diocèse de Genève pendant le grand schisme et la crise conciliaire (1378-1450), Genève, 1973. 39 Fr.-O. Dubuis et A. Lugon, « Partie II : Les cadres de la vie chrétienne », art. cit., p. 17-41.
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origines jusqu’à la fin du xiie siècle, synthèse que nous nous limiterons à résumer de manière sans doute trop sommaire. Comme on l’a vu, au début du ve siècle, le Valais comptait au moins trois localités où la présence de communautés chrétiennes est presque certaine. Deux le long du Rhône (Sion et Agaune), et la troisième à Martigny, sur la route très importante qui menait au Grand-Saint-Bernard. Déjà vers la fin de ce siècle, une église assez vaste fut édifiée à Géronde, dans les proches environs de Sierre. En même temps, un certain nombre de petits oratoires commencèrent à être construits à l’intérieur de quelques domaines d’origine romaine. Le mouvement de construction de bâtiments à usage religieux se poursuivit au moins jusqu’au milieu du viiie siècle, sans doute grâce à des initiatives privées mais avec l’accord vraisemblable des évêques. À l’exception peut-être d’Agaune, aucun de ces premiers lieux de culte ne semble s’être superposé à des lieux de culte païens. Tous ceux que l’archéologie a pu mettre au jour se trouvaient en effet dans des régions d’occupation romaine. Promue par les évêques en étroite collaboration avec les propriétaires romains, l’évangélisation semble s’être concentrée, pendant cette période, principalement dans les plaines du fond de la vallée, avec peut-être une seule exception, celle de Sembrancher. Dans ces régions, l’occupation du territoire paraît avoir progressé de manière très rapide, et il est certain qu’à cette époque plusieurs membres du clergé étaient déjà actifs dans les campagnes. Entre le milieu du viiie siècle et le milieu du ixe siècle, le mouvement se poursuivit selon à peu près le même schéma, même si dans certaines régions de montagne, comme par exemple à Bourg-Saint-Pierre, on pouvait déjà observer les premiers signes d’une activité pastorale. Pendant cette première phase d’expansion, la création de paroisses se fit de manière assez graduelle. Entre le xe siècle et la fin du xiie siècle, le nombre des paroisses connut en revanche un accroissement très rapide. À côté de nombreuses paroisses situées dans le fond de la vallée, beaucoup d’autres furent créées dans les zones de moyenne altitude et dans celles de montagne. D’après François-Olivier Dubuis et Antoine Lugon, pendant cette période, le nombre des paroisses aurait pratiquement triplé. Si au cours du xiiie siècle, on observait encore quelques créations dans les régions montagneuses, la physionomie du diocèse ne connut plus de modifications substantielles. Vers 1300, le territoire du diocèse comptait environ 70 paroisses, dont certaines avaient une étendue très considérable. De l’action pastorale des évêques et du clergé paroissial pendant le premier millénaire on ne sait pas grand-chose. Comme c’était le cas dans beaucoup d’autres régions, il est probable que la pastorale, avec l’appui des ordres monastiques, était centrée autour du baptême et du culte des saints. Une lettre de Notker de Saint-Gall (le Lippu) à l’évêque de Sion, Hugues, qui peut être datée du début du xie siècle, semble suggérer que le prélat valaisan n’était pas insensible au problème de l’arrivée de fidèles germanophones dans le Haut-Valais, et qu’il essaya de former des clercs capables de s’exprimer en allemand40. Les renseignements concernant la formation et les modalités de recrutement du clergé paroissial restent cependant très fragmentaires 40 Fr.-O. Dubuis et A. Lugon, « Partie I : Les débuts du christianisme en Valais », art. cit., p. 37-38.
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au moins jusqu’au début du xiiie siècle. C’est seulement à partir de cette période que les sources permettent d’entrevoir les efforts mis en œuvre pour améliorer l’efficacité de l’action du personnel paroissial, même si les résultats obtenus demeurent difficiles à apprécier. Peu après 1200, dans tous les diocèses romands, le synode était sans doute réuni assez régulièrement, c’est-à-dire au moins une fois ou deux par an. En Valais, en plus du synode diocésain, à partir de 1215 est attestée également l’existence du synode décanal, auquel participaient aussi les chapelains qui avaient été institués dans les églises qui dépendaient de l’Abbaye de Saint-Maurice, mais qui recevaient la charge d’âmes de l’évêque de Sion. Les actes relatifs à l’enquête menée contre l’évêque de Genève, Aymon de Grandson, en 1227, indiquent qu’au synode diocésain on lisait les décrets du quatrième concile de Latran. Il semblerait qu’à cette époque le diocèse était déjà pourvu de constitutions synodales écrites, lesquelles cependant ne nous sont pas parvenues41. En ce qui concerne le Valais, les premiers statuts synodaux conservés remontent peut-être à l’épiscopat de Landri et pourraient avoir été promulgués pendant la troisième ou la quatrième décennie du xiiie siècle. Si tel a été le cas, à Genève et à Sion les décisions conciliaires de 1215 concernant les statuts synodaux auraient été appliquées avec une certaine sollicitude42. Dans l’ensemble, l’engagement pastoral de la plupart des évêques ne paraît pas avoir été particulièrement intense. Dans l’enquête de 1227, Aymon de Grandson fut par exemple accusé de n’avoir jamais prêché aux laïcs. À partir du xiiie siècle, cette tâche fut confiée de manière plus ou moins officielle aux ordres mendiants. À Genève, vers 1225, les dominicains étaient déjà actifs dans les paroisses rurales du diocèse. À Lausanne, en 1234, fut ouvert le premier couvent dominicain de Suisse romande, peut-être grâce aux excellents rapports qui existaient entre Jourdain de Saxe, le successeur de saint Dominique à la tête de l’ordre, et certains membres de l’Église locale. Les frères Prêcheurs n’ouvrirent un couvent à Genève qu’en 1263. Leur exemple fut suivi, quelques années plus tard, par les franciscains. L’action des dominicains, d’abord ceux de Lausanne, et après 1274 également ceux de Berne en ce qui concerne les populations germanophones, est bien visible aussi en Valais. Les testaments valaisans montrent qu’à partir de la fin du xiiie siècle, les donations en faveur de l’Abbaye de Saint-Maurice étaient déjà devenues relativement rares, alors
41 M.-Cl. Junod (éd.), L’enquête contre Aimon de Grandson, évêque de Genève : 1227, Genève, 1979. 42 Quinze statuts synodaux du xive siècle ont été conservés pour le diocèse de Genève et neuf pour celui de Sion. Les premières constitutions synodales de Lausanne qui nous sont parvenues remontent à la fin du xve siècle (L. Binz, Vie religieuse, op. cit., p. 143-176 ; A. Treyer (éd.), Die mittelalterlichen Synodalstatuten der Diözese Sitten, Mémoire de licence de l’Université de Fribourg, 1991 [publié avec le titre « Die Mittelalterlichen Synodalstatuten der Diözese Sitten (ca. 1219-1460) », Vallesia, 55 (2000), p. 1-97]; D. Reymond (éd.), Les constitutions synodales de Georges de Saluces. Vers une édition critique, Mémoire de licence de l’Université de Lausanne, 1989). Voir aussi dans le présent ouvrage, « L’encadrement et l’instruction religieuse des fidèles d’après les statuts synodaux des diocèses de Genève et de Sion (xiiie-xve siècles) », p. 47-69.
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que celles en faveur des couvents des ordres mendiants, notamment des dominicains de Lausanne, devenaient très courantes. Au terme de ce survol rapide, il est sans doute préférable de renoncer à toute conclusion générale. Nous nous bornerons donc à suggérer quelques-unes des nombreuses pistes qui, dans le domaine de l’histoire ecclésiastique, restent sinon à explorer du moins à approfondir. Il est certain que, pour le premier millénaire, les progrès les plus significatifs viendront presque uniquement de l’archéologie, et on ne peut qu’espérer que des travaux de synthèse, même provisoire, comme celui qui a été proposé pour le Valais, puissent voir le jour également pour les diocèses de Genève et de Lausanne. Si l’apport de l’archéologie sera certainement très important aussi pour les premiers siècles du deuxième millénaire, les possibilités offertes par les sources écrites concernant cette époque n’ont de loin pas encore été épuisées. Beaucoup reste à faire, par exemple, sur les inventaires des églises paroissiales, les comptes pour la construction ou l’entretien des édifices religieux ou les comptes des dépenses engagées par les pouvoirs laïcs pour assurer la célébration des offices dans les églises de village, etc. Pour certaines régions, le nombre très élevé de testaments conservés, aussi bien de fidèles que de membres du clergé, permettrait sans aucun doute, s’ils étaient exploités de manière systématique, de rassembler des renseignements d’une très grande qualité43. Si l’histoire institutionnelle ne manque pas de travaux importants et rigoureux, et si de nombreux aspects, comme les ermites44, ont été étudiés avec attention pour la période que nous avons traitée, les recherches sur le clergé paroissial, son origine sociale, la manière dont il était recruté ou le type de relations qu’il entretenait avec les fidèles, sont encore très rares. Le beau dossier de sources publié par Pierre Dubuis pour le Valais savoyard permet d’observer d’assez près les rapports entre les curés, les vicaires ou les chapelains et les habitants de certains villages, rapports qui assez souvent paraissent avoir été plutôt conflictuels. Des données du même type existent également pour d’autres régions et mériteraient sans doute d’être recueillies et analysées. De même, un recensement précis des lieux faisant l’objet d’un pèlerinage régional ou purement local fournirait certainement des indications précieuses. Au-delà des frontières cantonales, il faudrait également encourager un peu plus les travaux de synthèse sur certains sujets qui, à l’échelon local, ont parfois déjà été abordés. Nous pensons en particulier à la naissance et au développement du mouvement confraternel ou à l’essor des oeuvres de charité dans les trois diocèses romands. Bien entendu, cette liste est loin d’être complète. Mais, pour conclure, il nous semble que d’une manière plus générale, il est sans doute souhaitable que dans les années à venir, la recherche fasse preuve d’une plus grande attention vis-à-vis du phénomène religieux tel qu’il était vécu par les fidèles dans la vie de tous les jours.
43 Pour Lausanne voir V. Pasche, “Pour le salut de mon âme”. Les Lausannois face à la mort (xive siècle), Lausanne, 1989, et pour Sion Gr. Zenhäusern, Zeitliches Wohl und ewiges Heil. Studien zu mittelalterlichen Testamenten aus der Diözese Sitten, Sion, 1992. 44 C. Santschi, « Les ermites du Valais », Vallesia, 43 (1988), p. 1-103.
L’encadrement et l’instruction religieuse des fidèlesd’après les statuts synodaux des diocèses de Genève et de Sion (xiiie-xve siècles)
En prescrivant à tous les évêques de réunir au moins une fois par an le synode et de doter leurs diocèses de constitutions écrites, le quatrième concile de Latran de 1215 a sans aucun doute contribué à généraliser une pratique qui, dans certaines régions, était déjà relativement courante. Au tournant du xiie au xiiie siècles, quelques ordinaires français ou anglais avaient en effet rédigé et promulgué des statuts à l’intention du clergé dont ils avaient la responsabilité. C’est le cas, par exemple, d’Eudes de Sully pour le diocèse de Paris ou d’Étienne Langton pour celui de Cantorbéry1. Après le concile présidé par Innocent III, le mouvement s’amplifia de manière considérable. En Angleterre, au cours du xiiie siècle, les évêques réformateurs ont promulgué une abondante législation synodale, qui révèle le souci constant d’améliorer le niveau de formation des curés de paroisse en leur fournissant une instruction élémentaire au sujet de l’administration des sacrements, de la pratique de la confession et, dans une mesure plus limitée, de la prédication aux laïcs. En France du Nord, et peut-être un peu plus tard dans celle du Sud, l’activité législative des ordinaires a été tout aussi importante. Dans d’autres régions de la Chrétienté, cependant, l’action des évêques dans ce domaine a été plus tardive et moins intense. Qu’en est-il des trois diocèses de l’actuelle Suisse romande ? Pour le diocèse de Lausanne, les premiers statuts qui ont été conservés remontent à l’épiscopat de Georges de Saluces et datent de 14472. Ils ont considérablement influencé la législation postérieure3, mais nous avons choisi de ne pas les étudier,
1 Les statuts de Paris ont été publiés par O. Pontal (éd.), Les statuts synodaux français du xiiie siècle, t. i : Les Statuts de Paris et le synodal de l’Ouest (xiiie siècle), Paris, 1971. Pour les statuts synodaux anglais voir Councils and synods, with other documents relating to the English Church, t. i: D. Whitelock et M. Brett (éd.), (871-1066), Oxford, 1981 ; t. ii: Chr. R. Cheney et Fr. M. Powicke (éd.), (1205-1313), Oxford, 1964. 2 Ils ont été étudiés par D. Reymond (éd.), Les constitutions synodales de Georges de Saluces. Vers une édition critique, Mémoire de licence de l’Université de Lausanne, 1989. 3 Voir O. Perler, « Les constitutions synodales de Sébastien de Montfalcon, évêque de Lausanne (1523) », Revue d’histoire ecclésiastique suisse, 37 (1943), p. 225-235.
Sur les routes des Alpes : Religieux, marchands et animaux dans la Suisse occidentale (xiiie-xve siècles), Franco Morenzoni, Turnhout, 2019 (Culture et société médiévales, 36), p. 47-69 © FHG10.1484/M.CSM-EB.5.117878
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leur rédaction étant trop tardive par rapport à celle des constitutions des deux autres diocèses qui nous sont parvenues. À Genève, les premiers statuts synodaux qui ont été conservés remontent à l’épiscopat de Pierre de Faucigny, et ont sans doute été promulgués entre 1311 et 13174. L’existence de réunions synodales est cependant attestée, bien que de manière indirecte, depuis la première année de l’épiscopat de Humbert de Grammont (1120-1135), grâce au De miraculis de l’abbé de Cluny Pierre le Vénérable5. Un siècle plus tard, vers 1227, l’enquête menée contre l’évêque Aymon de Grandson montre qu’en dépit du manque de zèle pastoral de ce prélat, accusé par exemple de ne jamais avoir prêché aux laïcs, les réunions synodales étaient tenues assez régulièrement. Au moins à une occasion, l’évêque avait prononcé un sermon en présence de son clergé, et il est possible qu’il ait même promulgué des constitutions écrites qui ne nous sont pas parvenues6. Il est en revanche certain qu’à partir de 1287 au plus tard, le diocèse était pourvu de statuts synodaux7. À partir du xive siècle, les textes qui ont été conservés deviennent nettement plus nombreux. Nous disposons ainsi de quinze statuts synodaux rédigés pendant la période qui va de l’épiscopat de Pierre de Faucigny à celui de Guillaume de Lornay (1388-1408), et de treize autres promulgués entre 1409 et 15358. En Valais, les synodes présidés par les doyens – dont un se tenait à Saint-Séverin – et le synode épiscopal sont mentionnés dans un accord du 11 septembre 1215 qui met un terme au conflit né entre l’évêque et l’abbaye de Saint-Maurice à propos des chapelains des églises dépendant de cette dernière, et des aides que l’ordinaire avait demandées pour se rendre au concile à Rome9. On sait que l’évêque Landri de Mont (1206-1236) avait participé aux travaux du quatrième concile de Latran. On lui attribue généralement la paternité des constitutions synodales dont une copie, réalisée sans doute au xviie siècle, a été conservée par le Liber vallis Illiacae. Dans ce recueil, les statuts ont été datés de 1219, date qui a été retenue par Jean Gremaud mais rejetée par d’autres auteurs, qui proposent de repousser leur rédaction à 1233, ou même de les attribuer à un des successeurs de Landri10. 4 L. Binz, Vie religieuse et réforme ecclésiastique dans le diocèse de Genève pendant le grand schisme et la crise conciliaire (1378-1450), Genève, 1973, p. 164, n. 2. La législation synodale genevoise a été étudiée par L. Binz de manière approfondie et, surtout, elle a été analysée en relation avec la situation réelle des paroisses telle que les visites pastorales permettent de l’observer. 5 « Successor ipsius [c’est-à-dire de Guy de Faucigny] episcopus, sinodum Gebennensis uix anno post eius decessum exacto celebrabat. Veniebant ad eandem sinodum presbiteri more ecclesiastico […] » (Petrus Venerabilis, De miraculis libri duo, D. Bouthillier (éd.), Turnhout, 1988, L. i, chap. xxiv, p. 73). 6 L’enquête contre Aymon de Grandson a été publiée par M.-Cl. Junod (éd.), L’enquête contre Aimon de Grandson, évêque de Genève : 1227, Genève, 1979. 7 L. Binz, Vie religieuse, op. cit., p. 164. 8 Liste des statuts synodaux et des manuscrits qui les ont conservés dans L. Binz, Vie religieuse, op. cit., app. I, p. 172-173. Nous nous permettons de renvoyer à l’ouvrage de L. Binz également pour tout ce qui concerne la datation des statuts synodaux, ceux dont on connaît l’existence mais qui nous ne sont pas parvenus, le déroulement et la participation au synode, etc. 9 Gremaud, Documents, no 36. 10 État de la question dans A. Treyer, Die Mittelalterlichen Synodalstatuten der Diözese Sitten, Mémoire de licence de l’Université de Fribourg, 1991, p. 28-30, qui estime elle aussi trop précoce la datation retenue par J. Gremaud. Je remercie très vivement Alma Treyer de m’avoir permis d’utiliser son
l’e nc ad r e m e n t e t l’i n s t r u ct i on re li gi e u se d e s fi d è le s
En fait, dans l’état actuel des connaissances, l’hypothèse que les statuts aient été promulgués par Landri de Mont est parfaitement plausible, et rien ne permet d’affirmer qu’ils ne datent pas de 1219. Landri de Mont paraît avoir été un prélat très actif et soucieux de préserver les droits de son église, comme le suggère la charte rédigée vers 1217 et qui précisait les droits de l’évêque et des habitants de la ville de Sion. Son souci de mieux surveiller le clergé paroissial est d’ailleurs confirmé par le document de 1215 que nous avons déjà évoqué, et qui prévoit que les chapelains désignés par l’Abbaye de Saint-Maurice sont eux aussi tenus de respecter les « mandata synodalia » de l’évêque ou des doyens. Les statuts qu’on lui attribue révèlent en outre une très nette influence des décisions conciliaires de 1215, et notamment un intérêt très marqué pour les problèmes relatifs à la confession. Certes, toute la première partie de ses constitutions reproduit presque mot à mot un petit texte conservé également par un manuscrit du milieu du xiiie siècle de l’abbaye de Hauterive, et qui porte le titre de Directiones ad confessarios11. Mais, une fois de plus, rien ne permet d’affirmer que les statuts valaisans ont repris ce court traité et qu’ils leur seraient donc postérieurs. Ces directives s’inspirent largement des constitutions de l’évêque de Paris Eudes de Sully, qu’elles recopient parfois et qu’elles résument le plus souvent. On sait qu’au début du xiiie siècle des résumés analogues circulaient en assez grande quantité, et il est possible que Landri de Mont, pendant son séjour à Rome, ait pu s’en procurer une copie. Selon toute vraisemblance, c’est également à Rome que l’évêque de Salisbury, Richard Poore, avait pris connaissance des statuts de son homologue de Paris, qu’il utilisa par la suite abondamment pour rédiger ses propres constitutions. Quoi qu’il en soit, les statuts de Landri de Mont ont influencé de manière considérable la législation synodale valaisanne. Ils ont été recopiés presque intégralement d’abord par Boniface de Challant vers 1300, et plus tard aussi par Guichard Tavel en 1370 et Walter Supersaxo en 1460, ce qui semble confirmer que ces constitutions sont bel et bien les premières rédigées pour le diocèse. Au cours du xive siècle, l’activité législative des évêques de Sion paraît avoir été particulièrement intense. Des statuts synodaux promulgués entre 1300 et 1370, neuf nous sont en effet parvenus, alors que pour le siècle suivant ont été conservés les statuts rédigés en 1428 et en 146012. En règle générale, les évêques étaient tenus de réunir le synode une ou deux fois par an, et tout le clergé diocésain était en principe obligé d’y participer. Il est cependant peu probable que tous les ordinaires aient fait preuve d’un zèle aussi constant. En l’absence de listes de présence, on ignore en effet quel était le taux réel de participation. Presque toujours, le synode se déroulait pendant la semaine - bien souvent le mardi, travail avant sa publication (A. Treyer (éd.), « Die Mittelalterlichen Synodalstatuten der Diözese Sitten (ca. 1219-1460) », Vallesia, 55 (2000), p. 1-97). Nous abrégeons désormais la version du mémoire de licence par A. Treyer (éd.), Die Mittelalterlichen, op. cit. 11 Il a été édité in M. Meinrad (éd.), « Antiquae directiones ad confessarios diocesis Lausannensis », Mémorial de Fribourg, 2 (1855), p. 177-179. 12 Ces deux derniers statuts ont été découverts et publiés par A. Treyer (éd.), Die Mittelalterlichen, op. cit., annexes, p. 47-52 et p. 54-83.
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le mercredi ou le jeudi – afin de ne pas priver les fidèles de l’office dominical. Après la messe et le sermon parfois prononcé par l’évêque lui-même13, l’assemblée prenait acte des mesures disciplinaires décidées par l’ordinaire, qui faisait par la suite lire – et peut-être expliquer – les nouvelles constitutions qu’il avait éventuellement décidé de promulguer. En théorie, tous les curés avaient l’obligation d’avoir une copie des statuts, qu’ils devaient aussi lire régulièrement et étudier. Au-delà de sa fonction disciplinaire, le synode avait pour objectif de faire parvenir jusqu’au personnel paroissial les décisions adoptées par les conciles provinciaux ou généraux. Au moins depuis le dernier tiers du xiie siècle, la réunion synodale a également été considérée comme un moyen qui permettait d’améliorer la conduite morale et la formation culturelle des curés. On sait que, dans certains diocèses, les ordinaires ont été très attentifs à ces aspects. C’est le cas, par exemple, de l’évêque de Paris Eudes de Sully et de celui d’Angers Guillaume de Beaumont14, qui à côté de l’explication des modalités pratiques de l’administration des sacrements ont essayé, dans leurs constitutions, de transmettre à leur clergé aussi quelques notions théologiques de base. Quelques décennies plus tard, l’évêque de Cambrai Guiard de Laon estimera même que la connaissance du deuxième livre des Sentences de Pierre Lombard devait faire partie du bagage culturel de tout curé15. En Angleterre aussi, les statuts de Richard Poore, promulgués vers 1217, tenteront de transmettre au personnel paroissial un enseignement théologique élémentaire et adapté à ses capacités culturelles supposées. L’exemple de l’évêque de Salisbury sera suivi par beaucoup d’autres ordinaires anglais, comme par exemple Étienne Langton pour le diocèse de Cantorbéry et Robert Grosseteste pour celui de Lincoln. D’une manière générale, les statuts synodaux promulgués en Suisse romande à partir du xiiie siècle ne révèlent pas les mêmes soucis pastoraux. À l’exception de quelques-uns, la plupart des ordinaires promus dans l’un ou l’autre des sièges épiscopaux romands n’ont pas fait preuve d’une très grande attention pour les problèmes relatifs à la formation des curés et à l’instruction religieuse des laïcs. Assez souvent, leur approche privilégie les aspects juridiques au détriment des éléments plus spécifiquement pastoraux. Il n’en reste pas moins que la littérature synodale romande permet de se faire une idée de la manière dont les évêques ont envisagé l’encadrement et l’instruction religieuse des fidèles.
13 Sur le sermon synodal du chanoine Pierre Alardet, voir L. Binz, Vie religieuse, op. cit., p. 151-152. En Valais, le sermon synodal est mentionné par les statuts de Boniface de Challant de 1303 : « Seruitores potissime sacerdotes ecclesie Sedun. inferioris uel superioris ad synodum de cetero intersint, audituri uerbum Dei et alia precepta synodalia […] » (Gremaud, Documents, no 1194, p. 75). Sur les sermons synodaux voir J.-H. Foulon, « Le clerc et son image dans la prédication synodale de Geoffroy Babion », in Le clerc séculier au Moyen Âge. Actes de la société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, Paris, 1993, p. 45-60. 14 Sur la législation synodale du diocèse d’Angers voir J. Avril, Le gouvernement des évêques et la vie religieuse dans le diocèse d’Angers (1148-1240), 2 vol., Paris, 1984. 15 Sur Guiard de Cambrai voir N. Bériou, « La prédication synodale au xiiie siècle d’après l’exemple cambrésien », in Le clerc séculier au Moyen Âge, op. cit., p. 219-247.
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La pastorale sacramentaire Les statuts de l’évêque de Sion Landri de Mont évoquent le septénaire sacramentel uniquement de manière incidente. Ils soulignent que, « lorsque les sept sacrements sont énumérés »16, il faut rappeler aux fidèles qu’ils doivent demander avec une grande dévotion l’extrême-onction. L’évêque semble apparemment estimer que l’usage de rappeler les sept sacrements était déjà courant. C’est peut-être pour cette raison qu’il évite de détailler la liste du septénaire. Les successeurs de Landri ne feront que répéter cette recommandation, sans y ajouter aucun élément nouveau. À Genève, l’obligation d’instruire les fidèles sur les sacrements n’apparaît qu’avec les statuts de Guillaume de Marcossey, qui datent de 1366. Une fois de plus, la liste complète n’est même pas mentionnée17. C’est lorsqu’ils traitent de tel ou tel autre sacrement séparément que les explications proposées par les constitutions synodales deviennent un peu plus précises, sans toutefois que l’ensemble des différents points abordés puisse être considéré comme un enseignement cohérent et complet18. Le baptême et la confirmation
Ce n’est qu’à partir du xive siècle qu’aussi bien à Sion qu’à Genève les statuts synodaux commencent à aborder les modalités pratiques de l’administration du baptême. En 1310, Aimon II de Châtillon recommande ainsi aux curés de rappeler plus souvent aux fidèles les empêchements au mariage qui découlent du baptême. Elles s’étendent jusqu’au deuxième degré et concernent par ailleurs également la famille du baptisé et celle du parrain ou de la marraine19. De plus, même si selon les constitutions canoniques l’enfant n’aurait pas dû être reçu du font baptismal que par une seule personne, les statuts précisent que lorsque plusieurs personnes prennent l’enfant dans leurs bras, toutes sont concernées par les empêchements mentionnés20. Quelques années plus tard, Aimon II de Châtillon précise que la cérémonie du baptême doit avoir lieu à l’église, sauf lorsqu’il s’agit du fils d’un prince ou d’un roi ou lorsqu’il existe le danger évident que l’enfant puisse mourir sans s’être libéré du péché originel. L’usage d’avoir plusieurs parrains et marraines est bien attesté également à Genève. En 1317, Pierre de Faucigny souligne que, malgré ce que prévoient les anciennes constitutions, on admet trop souvent au baptême plus que trois personnes. Il réitère la prohibition de ses prédécesseurs et décide que ceux qui ne respecteront pas cette 16 Gremaud, Documents, no 282, p. 214. 17 « Item quod parrochianos suos in sacramentis ecclesiasticis instruant […] » (AEG, Ms. hist. 47, fol. 159v). La même recommandation est formulée par l’évêque Jean de Murol (voir infra, annexe). 18 Pour éviter des redites fastidieuses, nous avons omis d’indiquer de manière systématique quels articles ont été par la suite recopiés dans d’autres statuts. 19 Le canon précise que cette cognation est communément appelée « commaragio » (Gremaud, Documents, no 1324, p. 202). 20 Gremaud, Documents, no 1324, p. 202.
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décision seront punis avec une amende de cinq sous21. Une cinquantaine d’années plus tard, Guillaume de Marcossey précisera que désormais l’enfant ne peut être reçu que par une seule personne. Ce n’est que dans quelques constitutions synodales du xve siècle que les modalités pratiques de l’administration de ce sacrement seront précisées. En 1435, pour instruire le clergé de paroisse, François de Metz reproduit dans ses statuts tous les articles concernant le baptême présents dans les constitutions d’Eudes de Sully, qui avaient été promulguées, comme on l’a dit, au tout début du xiiie siècle. Les sept canons offrent un enseignement très élémentaire concernant les formules à réciter, la nécessité de conserver le chrême en lieu sûr pour éviter qu’il soit utilisé pour des sortilèges, le nombre des participants, etc. En revanche, les canons ne proposent aucune explication concernant la signification de ce sacrement. En Valais, les statuts de Walter Supersaxo répètent en 1460 la décision du concile de Vienne de 1289 de remplacer le baptême par immersion par une triple infusion d’eau baptismale sur la tête de l’enfant22. Ils conseillent également aux curés d’apprendre chaque dimanche à leurs paroissiens la formule du baptême, car assez souvent ce sacrement est administré par des matronae ou d’autres personnes laïques. D’autres canons concernent la manière de conserver les objets liturgiques nécessaires à l’administration de ce sacrement et répètent les empêchements au mariage qui naissent du baptême, tout en précisant que les enfants de sexe masculin peuvent tout au plus avoir deux parrains et une marraine, et les filles deux marraines et un seul parrain. Quant à la confirmation, elle est à peine évoquée aussi bien à Genève, où Alamand de Saint-Jeoire rappelle qu’elle doit être précédée par la confession, qu’en Valais, où le sujet est abordé uniquement du point de vue des empêchements au mariage qu’elle entraîne23. Le mariage
Tout comme le baptême, le mariage n’a pas donné lieu à une législation très abondante. Aucun évêque n’a par exemple jugé opportun d’insérer dans ses constitutions au moins un article consacré au déroulement de la cérémonie. Les premiers statuts valaisans traitent cependant du mariage à plusieurs endroits24, et l’enseignement qu’ils proposent ne sera par la suite complété que sur des points mineurs. L’âge à partir duquel les hommes ont le droit de contracter un mariage est ainsi fixé à quatorze ans, et à douze pour les femmes. Cette précision ne sera mentionnée par les statuts
21 « Licet olim a nostris predecessoribus salubriter fuerit institutum ut ad suscipiendum baptismo infantem ne plures quam tres persone per baptizantem aliquatenus admictatur, pro obseruatione huiusmodi statuti sacerdotes ut plurium exhibent negligentes, nos ergo eorum periculose negligencie occurrere cupientes hoc edito in perpetuum uolumus, prohibemus eosdem ne deinceps plures quam tres persone ad hoc ut prefertur admictant […] » (AEG, Ms. hist. 47, fol. 132r). 22 C. 6 (L. Boisset (éd.), Un concile provincial au treizième siècle. Vienne 1289, Paris, 1973, p. 230) ; c. 86, (A. Treyer (éd.), Die Mittelalterlichen, op. cit., Annexes, p. 65). 23 AEG, Ms. hist. 47, fol. 151v ; Gremaud, Documents, no 1324, p. 202. 24 Gremaud, Documents, no 282, p. 215-216, 219-221.
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genevois qu’en 138925. De même, Landri de Mont détaille les périodes liturgiques pendant lesquelles aucun mariage ne doit être célébré. Dans les statuts genevois ce n’est qu’en 1389 qu’un article analogue fera son apparition26. Les constitutions de 1219 rappellent également l’obligation d’annoncer à l’église trois dimanches ou fêtes de suite les mariages qui ont été convenus, afin de permettre à chaque fidèle de faire connaître son opposition éventuelle et justifiée. Une fois encore, à Genève cette obligation n’est mentionnée qu’à partir des statuts de l’évêque Alamand de Saint-Jeoire de 1352. La législation valaisanne paraît avoir réservé une place assez importante à la lutte contre les mariages clandestins. Landri de Mont interdit aux curés de célébrer des mariages entre ressortissants d’autres paroisses, sauf si ces derniers disposent d’une licence de leur propre prêtre. Il ordonne au clergé de rappeler aux fidèles « publiquement et fréquemment » que les laïcs qui osent célébrer des mariages seront punis d’une amende de 60 sous et excommuniés. La même amende, assortie de la suspension, frappera les curés qui assistent à des noces clandestines. Un peu plus loin, les statuts réglementent la procédure à suivre lorsque les futurs mariés sont originaires de deux paroisses différentes et ont formulé leur promesse de mariage dans une troisième : les bans devront être publiés dans les églises des trois paroisses et les curés, ou les vicaires, devront être certains, grâce à une enquête auprès des voisins et des parents, aussi bien du « testimonium copulae maritalis » que de la promesse de mariage et des éventuels liens de consanguinité. Il est bien entendu difficile d’établir jusqu’à quel point les mesures prises par Landri de Mont pour combattre les mariages clandestins sont un reflet de l’ampleur d’un phénomène que les sources ne permettent presque jamais d’observer de près. Il est possible que l’existence en Valais d’un réseau paroissial moins dense que celui du diocèse de Genève, et la présence de paroisses parfois très vastes notamment dans les régions de moyenne et haute altitude, ont rendu plus difficile le contrôle que le clergé devait exercer sur les unions matrimoniales27. Il est néanmoins assez significatif que la législation synodale genevoise soit muette sur ce problème, alors qu’en 1428 l’évêque Andrea de Gualdo constate lui aussi que beaucoup de jeunes continuent de se marier dans le diocèse de Sion de manière clandestine. Sans le savoir, ils mettent ainsi au monde des enfants illégitimes, car ils croient que leur mariage est valable « propter consensum et carnalem copulam subsequutam »28. L’évêque ordonne par conséquent que tous les mariés qui n’ont pas respecté la législation ecclésiastique en matière de mariage devront se présenter dans un délai de trois mois afin que leurs unions
25 AEG, Ms. hist. 47, fol. 162v. 26 Ibid., fol. 162v. 27 Sur les paroisses valaisannes, leur formation et leur surface, voir Fr.-O. Dubuis et A. Lugon, « Les premiers siècles d’un diocèse alpin : Recherches, acquis et questions sur l’Évêché du Valais. Partie I : Les débuts du christianisme en Valais et les centres de son rayonnement », Vallesia, 47 (1992), p. 5-61 ; « Partie II : Les cadres de la vie chrétienne locale jusqu’à la fin du xiiie siècle », Vallesia, 48 (1993), p. 1-74 ; « Partie III : Notes et documents pour servir à l’histoire des origines paroissiales », Vallesia, 50 (1995), p. 1-196. 28 C. 19, A. Treyer (éd.), Die Mittelalterlichen, op. cit., Annexes, p. 50-51.
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« solennisentur, denuncientur et publicentur in facie sancte matris Ecclesie »29. Andrea de Gualdo prescrit également aux curés et aux vicaires de lui communiquer les noms de toutes les personnes qui ont contracté un mariage clandestin – au plus tard quinze jours après l’avoir su – afin de décider de la pénitence qui leur sera imposée. Dans le canon suivant, l’évêque dénonce tous ceux qui, par malveillance, ne signalent pas les éventuels empêchements dont ils ont connaissance au moment des bans publiés à l’église, mais attendent que les préparatifs pour les noces et le repas soient terminés pour dire ce qu’ils savent et nuire ainsi aux familles des futurs époux. L’évêque ordonne que, s’il s’avère que cette manière de faire a été volontaire, les dénonciations ne devront pas être écoutées, et que les fautifs seront condamnés à rembourser le préjudice économique qu’ils ont provoqué et remis à l’autorité d’un juge30. En ramenant de sept à quatre les degrés de consanguinité qui empêchaient le mariage, le quatrième concile de Latran de 1215 avait en quelque sorte admis que l’ancienne législation était beaucoup trop sévère et à bien des égards inapplicable. Il est d’ailleurs possible que cette décision ne fût même pas perçue comme une véritable innovation, car les statuts synodaux du xiiie siècle qui la mentionnent sont relativement rares. En Valais, Landri de Mont ne l’évoque pas, et il faut attendre le siècle suivant pour la trouver dans la législation synodale romande. Aimon II de Châtillon recommande ainsi aux curés de rappeler souvent aux fidèles que les mariages en deçà du quatrième degré de consanguinité sont nuls, même si, au moment de l’annonce des noces, personnes n’a soulevé d’objection. Il souligne qu’il s’agit d’un péché capital qui peut entraîner la damnation, notamment lorsque les mariés refusent de se séparer31. Quelques années plus tard, il excommunie tous ceux qui, même sans le savoir, ont contracté un mariage interdit et précise que, aussi longtemps qu’ils resteront ensemble, ils ne pourront pas être absous32. À Genève, des mesures analogues seront prises par Pierre de Faucigny en 133933 et par Alamand de Saint-Jeoire quatre ans plus tard34. En 1352, ce dernier charge les curés de s’enquérir des personnes qui pendant l’interdit général se sont rendus dans d’autres paroisses pour se marier « non obst[a]nte aliquo impedimento et omni sollempnitate pretermissa ». Il leur ordonne de lui fournir une liste avec les noms des fautifs, afin de pouvoir prendre les mesures nécessaires pour régler leur situation35. Le sacrement de l’Eucharistie
Aussi bien en Valais qu’à Genève, les statuts recommandent aux curés et aux vicaires de faire preuve d’une grande sollicitude lorsque les malades demandent à recevoir la communion. Boniface de Challant ordonne aux curés de ne pas apporter 29 30 31 32 33 34 35
C. 19, A. Treyer (éd.), Die Mittelalterlichen, op. cit., Annexes, p. 50-51. Ibid., c. 20, A. Treyer (éd.), Die Mittelalterlichen, op. cit., Annexes, p. 51. Gremaud, Documents, no 1324, p. 203. Ibid., no 1482, p. 434. AEG, Ms. hist. 47, fol. 148v. Ibid., fol. 151r. Ibid., fol. 152v.
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le corps du Christ en cachette, « sed publice, bursa apparente, habita eciam candela atque campana […] »36. En 1335, Pierre de Faucigny accorde dix jours d’indulgence aux clercs qui apporteront le corps du Christ aux infirmes37. Quatre ans plus tard, il prescrira aux médecins appelés au chevet d’un malade grave d’inciter celui-ci, avant toute chose, à demander la communion38. De très nombreux articles, sur lesquels nous ne nous arrêterons pas, traitent des objets, des vêtements et des livres liturgiques nécessaires à la célébration du sacrement de l’autel, des accidents qui peuvent survenir pendant la messe, de la fabrication et de la conservation des hosties39, etc. Vers 1335, Pierre de Faucigny recommande qu’après complies on sonne trois coups de cloche et que tous récitent trois Ave Maria à genoux « ainsi qu’on le fait communément ailleurs »40. Un peu plus loin, il indique quelle prière devra terminer la messe. Quant à Guillaume de Marcossey, il ordonne à tout le personnel ecclésiastique de réciter en entier et correctement les offices divins41. Une fois encore, il faut relever qu’aucune constitution synodale romande n’offre un enseignement élémentaire – pouvant être le cas échéant proposé aux laïcs – concernant par exemple la signification ou les effets de ce sacrement42. Comme nous le verrons, nombreux sont en revanche les articles qui rappellent l’obligation de fréquenter la messe dominicale ou qui indiquent les mesures disciplinaires auxquelles s’exposent ceux qui ne la respectent pas. L’extrême-onction
Tout comme la plupart des législations synodales, celles de Suisse romande ne réservent au sacrement de l’extrême-onction qu’un nombre très réduit d’articles. En 1219, Landri de Mont demande aux curés de rappeler aux fidèles qu’ils doivent demander et accueillir l’onction sainte avec une grande dévotion. Cette même recommandation est présente dans les statuts genevois à partir de 133543. En Valais, il faut attendre 1460 pour qu’un article précise que ce sacrement peut aussi être 36 Gremaud, Documents, no 1154, p. 3. 37 « Item quod dicti rectores parrochianos suos quantum poterunt inducant ut corpora deffunctorum dum portantur ad sepulturam associent ipsi sepulture personaliter assistent. Quibus sic facientibus decem dies de iniuncta sibi penitentia relaxamus » (AEG, Ms. hist. 47, fol. 141v). 38 Ibid., fol. 149r. 39 À Genève, en 1335, l’évêque interdit aux laïcs, et notamment aux femmes, de fabriquer des hosties (ibid., fol. 131v-132). En Valais, Guichard Tavel institue en 1370 la charge de hostiarius et fixe les prix de vente des grandes et des petites hosties (Gremaud, Documents, no 2145, p. 371). 40 AEG, Ms. hist. 47, fol. 142r. 41 « Item quod persone ecclesiastice missas et totum diuinum officium et mortuorum dicant horis condecentibus bene et seriose, non cursorie nec simcopas alias faciende (!) uerbis aliis interim cessantibus quibuscumque » (ibid., fol. 160r). 42 Voir par exemple l’enseignement destiné aux laïcs suggéré par le Synodal de l’Ouest ( J. LongÈre, « La prédication et l’instruction des fidèles selon les conciles et les statuts synodaux depuis l’antiquité tardive jusqu’au xiiie siècle », in L’encadrement et l’instruction des fidèles au Moyen Âge et jusqu’au Concile de Trente. Actes du 109e congrès national des sociétés savantes, Dijon, 1984, Paris, 1985, t. i, p. 402-403). 43 AEG, Ms. hist. 47, 141v.
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réitéré, alors que les évêques genevois n’ont à aucun moment jugé nécessaire de préciser cet aspect. Les questions relatives à la sépulture font en revanche l’objet d’un nombre assez important d’articles. Landri de Mont ordonne aux curés de participer aux funérailles, mais aussi aux bénédictions nuptiales, et de demander seulement après « ce qui leur est dû selon la bonne coutume ancienne »44. Aimon II de Châtillon rappelle que, lorsque les funérailles ont été célébrées par un frère mendiant, les curés ont droit à un quart des offrandes du défunt. Quant à Walter de Supersaxo, il reprend textuellement plusieurs articles des constitutions promulguées pour le diocèse de Nîmes par l’évêque Raymond Amaury peu après 1252, mais rédigées par Pierre de Sampson45. Le petit traité aborde les principaux problèmes ayant trait aux sépultures d’un point de vue qui est pour l’essentiel juridique. L’ouverture à Genève, dès la deuxième moitié du xiiie siècle, d’un couvent dominicain et peu après de celui des franciscains a sans doute contribué à rendre le problème des sépultures plus complexe. À la suite du concile de Vienne, les statuts de Pierre de Faucigny de 1335 constatent que trop souvent aussi bien des séculiers que des réguliers induisent les fidèles à se faire ensevelir en dehors de leurs propres paroisses. Parfois, ils n’hésitent pas à faire transporter les corps dans leurs propres églises sans être à même de prouver que cela correspond à la volonté du défunt, et sans présenter le corps d’abord dans l’église paroissiale. L’évêque ordonne donc que les églises fautives devront restituer les corps dans un délai de dix jours, sinon elles et leurs cimetières seront frappés de l’interdit46. Vers la même époque, l’évêque conseille aux curés d’assister dans la mesure du possible aux funérailles de leurs paroissiens, et accorde à ceux qui le feront une indulgence de dix jours47. Peu après, il modère l’interdiction concernant la participation des clercs qui n’ont pas été expressément invités « ad presbiteratas et deffunctorum exequias »48. Plusieurs articles des constitutions valaisannes ou genevoises concernent les refus de sépulture. Sans entrer dans les détails, on peut noter que Aimon II de Châtillon rappelle aux curés que pendant l’interdit les funérailles religieuses sont suspendues. Cette mesure était sans aucun doute très mal reçue par les fidèles, car en 1370 Guichard
44 Gremaud, Documents, no 282, p. 216. 45 C. 119-134, A. Treyer (éd.), Die Mittelalterlichen, op. cit., Annexes, 72-74 et no 98 pour les articles repris dans les statuts de Pierre de Sampson. 46 « Cum ad ea que frequenter accidunt jura debeant adaptari, sepissime audiuimus clamoribus frequentibus excitari quod quidem seculares et eciam religiosi aliquos, ad uouendum seu jurandum uel fide interposita uel alias promictendum inducunt ut apud eorum ecclesias elegant sepulturam, uel iam electam ulterius non mictent uel alias ad hoc eos mouent blandis exortacionibus et persuasionibus, quandoque directe per se, quandoque per alium indirecte ; nec non corpora deffunctorum que apud eos refferunt sepulturam elegisse non facta fide de electione predicta, et corpore in parochiali ecclesia non delato seu presentato quandoque uiolenter, quandoque proprio ignorante curato seu eius uiceregente, contra uoluntatem curati accipiunt et apportant contra laudabilem consuetudinem ciuitatis et dyocesis Gebennensis […] » (AEG, Ms. hist. 47, fol. 133v). Sur les différends à propos des élections de sépulture voir L. Binz, Vie religieuse, op. cit., p. 228-231. 47 AEG, Ms. hist. 47, fol. 141v. 48 Ibid., fol. 145r.
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Tavelli s’insurge contre ceux qui pendant l’interdit violent les cimetières pour y ensevelir les défunts, et qui n’hésitent pas à briser ou à faire des trous dans les portes des églises « corpus Christi in dampnum animarum suarum uidendo per foramina et fenestras, necnon sanis uiaticum seu eucharistiam ministrando »49. En 1317, Pierre de Faucigny dénonce les curés qui, sous prétexte d’ignorance, admettent à la sépulture les excommuniés. Une vingtaine d’année plus tard, Guillaume de Lornay précise que les excommuniés qui ont reçu l’absolution pourront être ensevelis seulement si leurs héritiers ont donné des garanties suffisantes aux créditeurs des défunts. Il dénonce les quêteurs et les religieux qui, « pour trois deniers », sont prêts à affirmer que tel ou tel autre était leur confrère afin d’en permettre la sépulture en période d’interdit50. D’une manière générale, les ordinaires essayent aussi de limiter les usages profanes des lieux sacrés, et plus particulièrement des cimetières. En 1303, Boniface de Challant interdit aux juges, aux baillis, aux châtelains et à tous les fonctionnaires laïcs de siéger, les dimanches et les jours de fête, à l’intérieur ou tout près des cimetières pendant l’office. Il précise que tous les procès tenus à l’intérieur de l’église ou du cimetière par des juges séculiers seront nuls51. Des mesures analogues seront prises à Genève par Pierre de Faucigny en 133952. La Pénitence
Comme on l’a dit, les statuts de Landri de Mont développent un enseignement relativement complet au sujet de la confession, qui reproduit en grande partie celui d’Eudes de Sully53. Landri rappelle que, sauf cas de force majeure ou maladie, la confession doit avoir lieu à l’intérieur de l’église dans un endroit visible, que le prêtre doit éviter de regarder les femmes dans les yeux et qu’il doit encourager le pénitent à avouer l’intégralité de ses péchés. L’absolution ne pourra être donnée que si le pénitent manifeste une volonté évidente de renoncer au péché, et elle sera accompagnée par
49 Gremaud, Documents, no 2145, p. 373. 50 « Item quod experientia nos docuit, et ad relacionem fidedignorum nobis innotuit, quod questores et nonnulli religiosi, suis priuilegiis abutentes, pro tribus denariis accipiunt et jamdiu acceperunt quod plurimos parochianorum uestrorum confratres suos asserentes, ipsos posse tempore interdicti in uestris uel suis eclesiis sepelire uirtute priuilegiorum suorum, quod falsum est. Cuius nullus possit esse confrater ipsorum nisi se dedicauerit mutato habito uel omnia bona dederit retentis usuffructis secundum canonicas sanctiones. Et ideo uobis prohibemus ne in posterum eisdem, si casus aduenerit, talia fieri permictatis nec questores in uestris eclesiis admictatis, nisi portent litteras nostras uel uicarii nostri sigillo nostro a curie nostre patenter sigillatas, ut alias fuit statutum » (AEG, Ms. hist. 47, fol. 165v). 51 Gremaud, Documents, no 1194, p. 74. 52 « In primis statuentes innouamus ne aliqua persona ecclesiastica uel secularis (ms. : sub pena) excommunicationis uoluerint euitare, infra ecclesiam uel cimisterium sedicionem faciant uel clamorem, consilia publica uel parlamenta tenere, negociaciones seculares, confabulaciones, commmessaciones facere presumant, nisi respiciat caritatem. Nec eciam alia faciant que possint diuinum officium perturbare. […] Addicientes quod ne aliquis uinum uendat infra uel uendi faciat cum ex hoc pericula inmineant et scandala suscitentur […] » (AEG, Ms. hist. 47, fol. 146r). 53 Nous traiterons plus loin les aspects qui concernent plus spécifiquement l’instruction des fidèles.
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des actes charitables, des jeûnes, etc. La peine infligée devra être proportionnelle à la gravité de la faute commise, mais pondérée en fonction de la volonté et des possibilités du pénitent. Si les statuts soulignent la nécessité de garder le secret de la confession, ils précisent néanmoins que les prêtres devront demander aux pénitents les noms de ceux « qui sunt in haeresi uel in errore fidei »54. En principe, les prêtres ne doivent admettre à la confession que leurs propres paroissiens, sauf lorsqu’un pénitent d’une autre paroisse dispose d’une licence de son curé ou de l’évêque, ou bien lorsqu’il s’agit d’un pèlerin. Dans ce dernier cas, la confession devra être réitérée une fois le domicile regagné. En 1460, Walter Supersaxo précisera que cela devra être fait au plus tard huit jours après le retour et que, pour recevoir la confession des étrangers, les curés pourront avoir recours à un interprète qui prêtera serment de ne pas briser le secret de la confession55. Reprise intégralement par Boniface de Challant, la législation promulguée par Landri de Mont sera complétée, entre 1317 et 1323, par Aimon II de Châtillon, qui ordonne que les noms de ceux qui ont reçu la confession soient mis par écrit, et que ceux qui ne se sont pas confessés ne soient pas admis à la sépulture ecclésiastique sans une licence spéciale de l’évêque. Les statuts réglementent aussi la répartition des tâches entre les curés et les membres des ordres mendiants. Ces derniers ont le droit bien entendu d’administrer la pénitence, mais le devoir de rappeler aux fidèles qu’ils doivent verser à leurs pasteurs les dîmes et les oblations usuelles, ce qui évitera que les curés se plaignent de l’action des frères mendiants et les encouragera à collaborer avec eux. L’évêque ordonne également aux curés d’inciter les fidèles à réserver un accueil favorable aux frères, auprès desquels ils pourront remplir leur obligation de se confesser une fois par an56. Les statuts synodaux valaisans des époques postérieures n’ajouteront pratiquement plus rien à propos de la confession. Walter de Supersaxo conseille cependant aux prêtres de fixer l’ampleur de la pénitence en tenant compte aussi de la contrition qu’ils ont pu observer chez le pénitent. Il complète et précise aussi la liste des cas réservés à l’évêque, dont une première mouture était déjà présente dans les statuts de 121957. Dans le diocèse de Genève, la législation concernant la pénitence paraît somme toute très pauvre. Pierre de Faucigny prescrit lui aussi que les noms de ceux qui se sont confessés pendant le carême soient notés et que les listes lui soient remises lors du synode de mai58. Il précise que les frères Mineurs et les frères Prêcheurs sont eux aussi soumis à cette obligation. En 1339, Pierre réglemente la confession des prêtres sans charge d’âmes et leur permet de se confesser et de s’absoudre mutuellement.
Gremaud, Documents, no 282, p. 211. C. 11, A. Treyer (éd.), Die Mittelalterlichen, op. cit., Annexes, p. 56. Gremaud, Documents, no 1482, p. 432. C. 16-55, A. Treyer (éd.), Die Mittelalterlichen, op. cit., Annexes, p. 57-59. Deux séries de vers mnémotechniques résument à la fin les cas réservés aux évêques et ceux réservés au pape. Sur ce problème voir J. LongÈre, « Les évêques et l’administration du sacrement de pénitence au xiiie siècle : les cas réservés », in P. Guichard et al. (éd.), Papauté, monachisme et théories politiques. Études d’histoire médiévales offertes à Marcel Pacaut, Lyon, 1994, t. ii, p. 537-550. 58 Cette obligation est répétée par Guillaume de Marcossey en 1366 (AEG, Ms. hist. 47, fol. 160v). 54 55 56 57
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Dans l’ensemble, il faut cependant souligner que les statuts romands n’ont pas tenté de transmettre un véritable enseignement sur la pénitence destiné de manière spécifique aux curés. Aucun évêque n’a semble-t-il ressenti le besoin d’expliquer à son clergé l’utilité ou les effets de ce sacrement. Même les modalités pratiques de la confession, la manière d’accueillir le pénitent et de l’interroger sont presque toujours passées sous silence59. Il est probable que la pauvreté de la législation synodale sur ce sujet s’explique avant tout par le fait que, aussi bien à Genève qu’en Valais, le rôle des ordres mendiants dans l’administration de la pénitence était bien plus important que celui du clergé paroissial.
La prédication et l’instruction religieuse De nombreux statuts synodaux essayent de réglementer la prédication des quêteurs. S’inspirant d’une décision de Latran IV, Landri de Mont demande aux curés de ne pas laisser prêcher les quêteurs, mais de proposer eux-mêmes à leurs paroissiens ce qui est écrit dans les lettres pontificales ou dans celles qui comportent le sceau de l’évêque diocésain qui sont présentées par les quêteurs. Il ordonne aussi aux prêtres de ne rien demander aux prédicateurs60. Reprenant le même article en 1300, Boniface de Challant précise que celui-ci ne concerne par les frères Prêcheurs ou les frères Mineurs, signe que, à cette époque, et malgré l’absence de couvents mendiants en Valais, l’activité des Mendiants dans le diocèse était déjà très intense. Quelques années plus tard, Aimon II de Châtillon décide que les dominicains et les franciscains, ainsi que les autres religieux réguliers, auront le droit de prêcher dans les paroisses une fois obtenue la licence du curé. Seuls les Mendiants qui avaient été présentés à l’évêque par leurs supérieurs pour exercer la prédication et administrer la pénitence pouvaient dispenser le verbum Dei et confesser sans demander au préalable une autorisation. En revanche, conformément aux décisions du concile de Vienne, les clercs séculiers n’avaient pas le droit de prêcher, mais pouvaient exposer les indulgences qu’ils étaient autorisés à proposer aux fidèles. Aimon précise cependant que les curés doivent contrôler que ces clercs n’affirment pas qu’ils ont le pouvoir d’accorder des dispenses aux fidèles au sujet des vœux, des faux témoignages, des homicides, etc. De même, qu’ils ne peuvent pas prêcher qu’ils ont la possibilité d’extraire du Purgatoire et de faire entrer au Paradis les âmes des défunts dont les amis ou les parents ont consenti des aumônes importantes, qu’ils peuvent absoudre quelqu’un d’une peine quelconque ou qu’ils peuvent concéder des indulgences générales. Aimon ordonne aux curés que, s’ils le font, c’est à eux de les contredire publiquement et d’exposer les indulgences prévues par les lettres d’autorisation, tout en ramenant à l’évêque le produit de la quête. À Genève, les statuts de Pierre de Faucigny de 1317 interdisent eux aussi la prédication des quêteurs non autorisés, et précisent que les quêteurs qui ont reçu une licence ne peuvent exposer que ce qui est explicitement mentionné dans leurs lettres, et qu’en
59 Font en partie exception les statuts de Landri de Mont, qui reproduisent par exemple le conseil d’Eudes de Sully concernant la nécessité d’interroger les pénitents sur les circonstances des péchés. 60 Gremaud, Documents, no 282, p. 214.
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aucun cas ils ont le droit de montrer des statues pour exciter la dévotion de leurs auditeurs61. En 1339, Pierre précise que seuls les frères Prêcheurs et les frères Mineurs peuvent exercer le ministère de la Parole sans autorisation préalable, alors que les carmes et les augustiniens doivent d’abord demander une licence à lui-même, ou bien prouver qu’ils disposent d’un privilège du Saint-Siège. En 1409, l’évêque Jean de Bertrand constate que le diocèse est parcouru par un grand nombre de quêteurs étrangers et inconnus, « abusores moribus et uita detestabilis deturpati, fabulas seminantes et eorum garrulacionibus et fabulis simplicibus eorum bona falaciter extorquentes ». Il s’insurge contre le fait que les Mendiants « indigènes » ont désormais de la peine à recueillir les aumônes nécessaires à leur propre entretien, et décide de révoquer toutes les licences accordées par ses prédécesseurs et de ne plus admettre à la quête que les membres de certaines congrégations62. Il interdit de plus toute présentation de reliques et tout sermon. Une dizaine d’années plus tard, Jean de Rochetaillée se penche longuement sur le problème des quêteurs, dont l’activité était souvent source de conflits avec les curés, qui dénonçaient leurs agissements63. L’évêque, tout en condamnant les abus, décide néanmoins de réglementer surtout la portion que les curés de paroisse pouvaient exiger sur les recettes des quêtes, la ramenant d’un tiers à un quart64. En 1431, des mesures analogues à celles de Jean de Bertrand seront prises par François de Metz, qui fustige lui aussi les abus commis par les quêteurs65. D’une manière générale, aussi bien la législation synodale valaisanne que celle genevoise restent très discrètes sur le problème de la prédication des curés de paroisse. Seul Guillaume de Marcossey, en 1366, semble faire référence à l’activité oratoire des curés, de manière à vrai dire très indirecte66. En réalité, dans les constitutions synodales le mot « sermo » n’apparaît qu’en relation avec l’activité des ordres mendiants. Pierre de Faucigny exhorte ainsi ces derniers à rappeler dans leurs sermons que les excommuniés ne doivent pas participer aux offices divins, et à répéter souvent aux fidèles que tous doivent se rendre à la messe le dimanche et les jours de fête67. En 61 « Addicientur tamen quod ipse questor quam illi qui pro ipso ibunt nullum statuarium defferat uel ostendatur, nichil exponetur populo nisi id solummodo quod in suis litteris uidebitur contineri » (AEG, Ms. hist. 47, fol. 140v). 62 « […] inhibentes ne de cetero aliqui questores in nostris ciuitate et dyocesi recipiantur aut questarum permictantur exceptis questoribus Sancti Spiritus et Sancti Johannis Jherosolim., Beate Marie Auticien., Sancti Anthonii et Beati Bernardi Montisionis et Sancti Sepulchri Annessiaci […] » (ibid., fol. 171r). 63 « Quibus fuit replicatum quod in nullo impediebantur quando populo congregato et conuocato exponebant contenta in litteris suis in eclesiis et locis consuetis et eo modo quo fieri debet, sed plures ex eis sine exhibendo litteras ibant hostiatim ad domos singulorum de parrochiis eorum, et predicabant eis multa scandellosa (!) et malam dabant doctrinam et alios excedebant limites suos, propter quod rectores et curati multis erroribus referiebant infectos plures simpli[m]ces ex parrochianis suis » (ibid., fol. 173r). 64 Cette portion avait déjà été ramenée de la moitié à un tiers par Jean de Bertrand, dans une constitution qui ne nous est pas parvenue (L. Binz, Vie religieuse, op. cit., p. 167). 65 AEG, Ms. hist. 47, fol. 100v-101r. 66 Ibid., fol. 160r. 67 « Sane ut premissis deffectis melius, sanius et celebrius reformentur, fratres minores et predicatores in Domino exhortamur ut ipsi in suis sermonibus ad predicta seruenda (!) populum frequenter et fideliter et efficaciter moneant et inducant » (ibid., fol. 138r).
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1335, il ordonne que la prédication de la croisade soit confiée à des réguliers ou à des séculiers capables d’assumer cette tâche68. En fait, du moins en théorie, le clergé de paroisse était surtout chargé de dispenser aux fidèles une simple instruction religieuse, qui était en grande partie orientée vers les nécessités de la confession, mais qui n’était pas censée être proposée sous la forme d’un sermon proprement dit. C’est ainsi que les statuts de Landri de Mont ordonnent aux prêtres d’enseigner quels sont les péchés mortels. La liste proposée en détaille une bonne quarantaine. Plus loin, Landri prescrit aux chapelains d’apprendre aux paroissiens chaque dimanche l’oraison dominicale, le Credo et l’Ave Maria69. De même, comme on l’a dit, Landri semble considérer comme normal que les curés énumèrent régulièrement les sept sacrements. Par la suite, ces prescriptions seront répétées à plusieurs reprises de manière littérale, et seuls quelques évêques les compléteront ici et là sur des points de détail70. À Genève, ce n’est qu’en 1366 que l’évêque Guillaume de Marcossey introduit un article qui ordonne aux curés d’instruire leurs paroissiens au sujet des sacrements, des articles de la foi, des dix commandements et de leur enseigner le Pater noster, le Je vous salue Marie et le symbole71. En 1381, Jean de Murol consacre la totalité de ses statuts à l’explication des douze articles de la foi, des sept péchés mortels, des dix commandements et des sept œuvres de miséricorde72. L’instruction qu’il propose est très synthétique. Mais l’évêque fait preuve aussi d’un certain sens pédagogique, car il insère quelques vers mnémotechniques censés rendre plus aisé l’apprentissage des thèmes évoqués73. En 1394, Guillaume de Lornay prescrit aux curés, sous peine d’excommunication, de rappeler au moins une fois par mois les sujets mentionnés dans les statuts de son prédécesseur. Bien entendu, la plupart des statuts synodaux énumèrent un nombre assez élevé d’instructions que les curés auraient dû transmettre à leurs ouailles, que ce soit au sujet des fêtes à célébrer, de la participation aux processions, de l’obligation d’assister à l’office du dimanche74, de la nécessité d’éviter tout contact avec les 68 Ibid., fol. 143r. 69 En 1346, Guichard Tavelli modifie cet article en déclarant que les prêtres doivent rappeler chaque dimanche aux fidèles que c’est à eux qu’incombe le devoir d’apprendre à leurs propres fils l’oraison dominicale, le Credo et le symbole de la foi (Gremaud, Documents, no 1676, p. 595). 70 Quelques petits ajouts sont présents dans les statuts d’Andrea de Gualdo de 1428 au sujet du jeûne pendant le carême déjà évoqué par Landri de Mont, et dans ceux de Walter Supersaxo à propos du baptême. 71 « Item quod parrochianos suos in sacramentis ecclesiasticis instruant, in articulis fidei et decem precepta legis et adiscendum (!) Pater Noster et Aue Maria et symbolum […] » (AEG, Ms. hist. 47, fol. 159v). 72 Nous éditons ces statuts en annexe. 73 Ces vers étaient d’ailleurs en circulation depuis fort longtemps. 74 En 1317, Pierre de Faucigny décrit la procédure à suivre contre ceux qui négligent de fréquenter l’église le dimanche : « […] Nos de opportuno remedio super hiis prouidere uolentes, statuimus ut quicumque sacerdos deinceps secundum doctrinam euuangelicam quod omnes parrochianos suos quos in hiis uiderit negligenter, seorsum et secreto (!) corripiat et ad missam totam audiendam et mandata ecclesie in sua parrochia (!) ecclesia singulis diebus dominicis ut premittitur simpliciter audienda diligenter inducat. Et si sic non audierint, eos uel eum coram duobus vel tribus testibus corripiat et moneat. Iterato quod si nec sic audierunt nec se correxerunt, eos in ecclesia publice, populo assistente, auctoritate nostra super hiis
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excommuniés, etc. En principe, les curés avaient d’ailleurs l’obligation de lire les constitutions synodales à leurs paroissiens. En 1366, Guillaume de Lornay précise que ses statuts devront être lus aux fidèles chaque deuxième dimanche du mois en vulgaire et distinctement75. En Valais, Aimon II de Châtillon ordonne en 1310 à son clergé de lire les statuts synodaux à l’église et en vulgaire au moins une fois par an. La lecture se fera de manière fractionnée, car l’évêque suggère de lire les articles marqués par la lettre « a » le premier dimanche de l’avent, ceux qui portent la lettre « b » le dimanche « carnispriuii ueteris », et ainsi de suite jusqu’à la lettre « e »76. Il faut dire que ce système n’a peut-être pas rencontré le succès escompté car, quelques années plus tard, le même Aimon se plaint du fait que presque tous les curés ne se soucient guère de faire connaître le contenu des statuts synodaux aux fidèles77.
Conclusion Comparées à celles de bien d’autres régions de l’Occident médiéval, les séries des constitutions synodales de Genève et de Sion semblent suggérer que les évêques de ces deux diocèses ont fait preuve d’une activité législative relativement importante. Certes, cela est surtout valable pour le xive siècle. Il n’en reste pas moins que, si les statuts de Landri de Mont datent véritablement de 1219, il faudrait les ranger parmi les premières constitutions promulguées après le quatrième concile de Latran, au même titre que celles de Richard Poore ou de Guillaume de Beaumont. En l’absence d’un nombre suffisant de constitutions promulguées au cours du xiiie siècle, il est assez difficile de suivre de près l’évolution que ce type particulier de littérature a connue pendant les trois derniers siècles du Moyen Âge. Il semble bien, cependant, qu’à partir du xive siècle la législation synodale tend à réserver une place moins importante aux problèmes plus spécifiquement pastoraux, tout en adoptant une approche qu’on pourrait qualifier de plus juridique. Il s’agit, bien entendu, d’une évolution qui est loin d’être propre aux statuts des deux diocèses romands. Quant à savoir quelle était l’efficacité réelle des constitutions synodales, c’est là une question à laquelle il est difficile de donner une réponse définitive. Certes, presque tous les ordinaires ont insisté sur l’obligation des curés d’avoir une copie de tous les moneat nominatim. Si uero malicia in eisdem sic monitis adeo prevalescat quod non sic resipiscant, teneatur sacerdos coram nobis vel aliis pro nobis uisitantibus, ipsorum nomina in scriptis tradere, ut contra ipsos uelud hereticos et publicanos prout de iure fuerit procedendum et faciendum procedemus. Et constitutionem presentem teneantur in synodis sacerdotes frequenter in ecclesiis publicare » (ibid., fol. 138r). Des articles analogues sont présents aussi dans les statuts de 1339 et dans ceux, non datés, d’Alamand de Saint-Jeoire. 75 « Intimantes uobis quod processus huiusmodi, lingua materna et distincte, qualibet die dominica secunda huius mensis huiusmodi processus legatis publice populo et clero assistentibus ad diuina […] » (ibid., fol. 163v). 76 Gremaud, Documents, no 1324, p. 202. 77 « […] intelleximus quod in exponendis statutis synodalibus pro salute animarum subditorum nostrorum, aliqui nostrorum uel quasi omnes hactenus extiterint remissi et negligentes […] » (Gremaud, Documents, no 1482, p. 436).
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statuts synodaux et ont prévu, pour ceux qui auraient fait preuve de négligence, des mesures punitives plus ou moins sévères. On sait que, pour des raisons aussi bien matérielles que culturelles, ces prescriptions n’étaient pas toujours observées par le clergé de paroisse. Si l’on juge d’après les visites pastorales étudiées par Louis Binz, il semblerait que le niveau de formation des curés n’était peut-être pas aussi bas qu’on l’affirme trop souvent78. Il faut d’autre part souligner que le personnel paroissial ne formait pas un groupe homogène, que ce soit d’un point de vue social ou culturel. Certes, la partie du clergé la plus préparée était souvent celle qui ne résidait pas et n’avait donc que très peu de rapports avec les fidèles. Mais il semble bien que certains recteurs n’étaient pas complètement dépourvus de zèle pastoral et tentaient, tant bien que mal, de parfaire leur formation. Lorsque, en 1431, François de Metz ordonne à tous les curés de se procurer ou le Manipulus curatorum de Guy de Montrocher ou bien l’ouvrage d’un certain Guillaume, évêque de Paris79, il souligne que « apud multos in ciuitate et diocesi nostris predicti hentur »80. Il est certain que quelques copies du traité de Guy de Montrocher ont circulé aussi bien à Genève qu’à Sion81. Les archives du chapitre de cette dernière ville conservent d’ailleurs également une copie du célèbre manuel pour les confesseurs de l’anglais Thomas de Chobham82. Avec l’implantation des ordres mendiants, les deux tâches qui demandaient des connaissances un peu plus étendues, la confession et la prédication, ont été en grande partie confiées à un personnel capable de les assumer de manière assez convenable. Aussi bien à Genève qu’en Valais, l’action des frères mendiants est assez bien attestée, et les ordinaires n’ont pas manqué de la favoriser83. Les statuts synodaux montrent que, dans l’ensemble, les tâches confiées au clergé paroissial étaient celles qui exigeaient le moins de formation. L’instruction religieuse qu’on leur demandait de dispenser est en effet extrêmement élémentaire. D’autre part, en ce qui concerne les sacrements, il est certain que les laïcs attachaient bien peu d’importance à la manière plus ou moins correcte, d’un point de vue liturgique, de les administrer. Ce qui à leurs yeux était important, c’était d’avoir accès aux rites censés scander les différentes étapes de la vie. Quant à la signification précise de ces cérémonies, c’est là un sujet qui les laissait sans doute assez indifférents. Reste que les rapports existant entre les desservants de paroisse et les fidèles demeurent difficiles à cerner. En Valais, les extraits des comptes de châtellenie publiés par Pierre Dubuis montrent que les conflits avec les recteurs et surtout les vicaires 78 L. Binz, Vie religieuse, op. cit., en particulier p. 338-356. 79 Il s’agirait, selon L. Binz, du Dialogus de septem sacramentis du dominicain Guillaume de Paris (ibid., p. 347, n. 2). 80 AEG, Ms. hist. 47, fol. 76. 81 Pour Genève voir L. Binz, Vie religieuse, op. cit., p. 347-348. Pour le Valais voir A. Treyer (éd.), Die Mittelalterlichen, op. cit., p. 136-137, qui cite également d’autres ouvrages, surtout liturgiques, propriété de curés. Dans la liste des ouvrages ayant appartenus au curé de Saint-Germain et vendus en 1354 est mentionné entre autres le curé de Loèche qui achète un liber sermonum Innocentii (Gremaud, Documents, no 1856, p. 362). 82 ACS, 36, fol. 93ra-244a. 83 À Genève, à partir de 1457, les Registres du conseil (RCG) indiquent d’ailleurs les dépenses consenties par la Commune pour rétribuer le frère qui a prêché pendant le carême.
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étaient assez fréquents, et pouvaient même conduire au meurtre84. Il est probable qu’à Genève la situation n’était pas très différente. Mais, à l’heure actuelle, les comptes des châtellenies qui faisaient partie de l’ancien diocèse de Genève n’ont pas encore été utilisés dans cette perspective.
Annexe Les constitutions synodales de Jean de Murol (1381)
Les statuts synodaux promulgués par l’évêque de Genève Jean de Murol en 1381 nous ont été transmis aussi bien par le recueil conservé aux Archives d’État de Genève85, que par celui qui se trouve aux Archives du Chapitre de Sion86. Les deux versions offrent un texte qui n’est pas de très bonne qualité et qui diffère à plusieurs endroits. Les deux versions comportent également quelques lacunes et de nombreuses fautes. Compte tenu de la mauvaise qualité des deux rédactions, nous avons choisi de publier la version conservée à Genève (G) et de donner en note les variantes de la version de Sion (S). Nous avons cependant utilisé le texte de S lorsque celui de G comportait des lacunes ou des erreurs qui auraient pu en compromettre la compréhension. Prime constitutiones Johannis episcopi87. Pro salute et remedio animarum, reuerendus in Christo pater et dominus dominus Johannes, Dei gratia et sedis apostolice Gebennensis 88, in synodo per eum celebrata diebus martis et mercurii et jouis post adscensionem Domini in anno Domini millesimo ccco lxxxio de consilio sui capituli statuit et ordinauit ut sequitur firmiter obseruari89.
84 C’est le cas du curé de Riddes, tué peu avant 1368 (P. Dubuis, « Documents sur le clergé, les fidèles et la vie religieuse dans le Valais occidental et les vallées d’Aoste et de Suse aux xive et xve siècles », Vallesia, 43 (1988), p. 165-204). 85 AEG, Ms. hist. 47, fol. 157v-159r. 86 ACS, Tiroir 3, n. 62, fol. 42v-43v. 87 Prime […] episcopi] Secuntur constitutiones domini Johannis de Morolio episcopi Gebennensis S 88 episcopus] suppl. om. cod. ; dyocesis add. et del. G 89 Pro salute […] obseruari] om. S
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Et90 primo quod inserantur91 in constitutionibus pro instructione92 simplicium93 curam animarum habentium94 duodecim articuli fidei contenti95 in symbolo appostolorum96, septem peccata mortalia, decem precepta legis et septem opera misericordie. Primus articulus est in persona Dei patris, scilicet97 : Credo in Deum patrem omnipotentem creatorem celi et terre98. Et hunc composuit beatus99 Petrus princeps appostolorum100. Beatus Andreas secundum subiungit101 : et102 in Ihesum Christum filium eius unicum Dominum nostrum103. Tercium104 composuit beatus Johannes, dicendo : qui conceptus est de Spiritu Sancto, natus ex Maria Virgine105. Jacobus maior quartum, qui dicit106 : passus sub Poncio Pylato, crucifixus, mortuus et sepultus107. Quintum beatus Thomas, dicendo : ad inferna tercia die, et cet.108 Sextum109 composuit110 Jacobus minor, dicendo : adscendit111 ad celos, sedet ad dexteram Dei patris omnipotentis112. Septimum composuit beatus Phillippus113, dicendo : inde uenturus judicare uiuos et mortuos114. Octauum115 composuit beatus Bartholomeus, qui dixit116 : credo in Spiritum Sanctum117.
90 Et] om. S 91 inserantur] inseratur S 92 pro instructione] om. S 93 simplicium] semplicium S 94 curam animarum habentium] habentium animarum regimen S 95 contenti] continentes S 96 appostolorum] apostolorum S 97 scilicet] et filii S 98 Patrem […] terre] et cet. S 99 Et hunc composuit beatus] om. G 100 princeps appostolorum] Et secum posuit Petrus Andreas G 101 Beatus […] subiungit] Secundum composuit beatus Andreas qui dixit S 102 et] om. S 103 filium eius unicum Dominum nostrum] om. S 104 Johannes euuangelista rub. G 105 de Spiritu Sancto, natus ex Maria Virgine] et cet. S 106 Jacobus […] dicit] Quartum beatus Jacobus maior dicendo S 107 crucifixus […] sepultus] et cet. S 108 beatus Thomas dicendo ad inferna tercia die, et cet.] om. G 109 Sextum] om. G ; Jacobus minor rub. G 110 composuit] beatus add. S 111 adscendit] ascendit S 112 sedet […] omnipotentis] et cet. S 113 Phillippus] om. G 114 judicare uiuos et mortuos] et cet. S 115 Octauum] Octauus G 116 qui dixit] om. G 117 Sanctum] et cet. S
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Nonum118 composuit beatus Matheus, dicendo119 : sanctam120 ecclesiam catholicam121. Decimum composuit beatus Symon, dicendo122 : sanctorum communionem. Undecimum composuit123 beatus Judas124, qui dixit125 : remissionem peccatorum126, carnis resurreccionem. Duodecimum beatus Matheus, dicendo127 : uitam eternam. Amen128. Septem peccata mortalia que continentur in hoc129 uerbo : S.A.L.I.G.I.A.130 Primum peccatum est superbia131, quod intelligitur per primam litteram, scilicet S132. Secundum est133 auaritia per litteram A134. Tertium est135 luxuria per litteram L136. Quartum est137 ira per litteram I138. Quintum est139 gula per litteram G140. Sextum est141 inuidia per litteram I142. Septimum est143 accidia per litteram A144. Decem precepta legis145. Decem mandata146 legis que continentur147 in hiis uersibus148 :
118 Nonum] Nonus. G 119 Matheus dicendo] om. G 120 sanctam] sanctam add. S 121 catholicam] om. S 122 dicendo] qui dixit S 123 composuit] om. G 124 Judas] Candeus add. S 125 qui dixit] om. G 126 remissionem peccatorum] om. S 127 dicendo] qui dixit S 128 Amen] add. S 129 in hoc] sub isto S 130 SALIGIA] uersus dat septem uicia hec dicio saligia add. S 131 superbia] om. G 132 scilicet S] predicti uocabuli S S 133 est] per secundam litteram S 134 per litteram A] om. S 135 est] per terciam litteram add. S 136 per litteram L] om. S 137 est] per quartam litteram add. S 138 per litteram I] om. S 139 est] per quintam litteram add. S 140 per litteram G] om. S 141 est] per sextam litteram add. S 142 per litteram I] om. S 143 est] per septimam litteram add. S 144 per litteram A] om. S 145 Decem […] legis] Secuntur S 146 mandata] precepta S 147 continentur] effectualiter add. S 148 hiis uersibus] uersibus sequentibus S
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Unum crede Deum, ne iures uana per ipsum, sabbata sanctifices et uenerare patres, non sis occisor, fur, mecus, testis iniquus149, uicinique thorum resque caueto suas. Primum mandatum150. Primum151 : unum crede Deum152, scilicet Patrem et Filium et Spiritum Sanctum in Trinitate153, et ipsum154 diliges ex toto corde tuo et ex tota155 anima tua et mente tua, et cet.156 Secundum157 : non accipias, nec iuras, nec periuras nomen Dei inuanum158. Tercium est : sabbata sanctifices, id est diem dominicam et alia festa colenda159. Quartum est160 : honora patrem tuum et matrem tuam161. Quintum162 : dilige proximum tuum sicut te ipsum163. Sextum164 : non occides165, id est non habeas uoluntatem occidendi166. Septimum167 : non mechabis168, id169 est non facies adulterium nec fornicationem. Octauum170 : non furtum facies nec usuram. Nonum171 : non falsum testimonium dices172. Decimum : non concupisces uxorem nec rem proximi tui173. Septem opera misericordie174.
149 iniquus] iniqus G 150 est] add. S 151 Primum] om. S 152 crede Deum] Deum adora S 153 Trinitate] unitate S 154 ipsum] Deum add. S 155 ex tota] om. S 156 tua et mente tua et cet.] om. S 157 Secundum] est add. S 158 non […] inuanum] diliges proximum tuum sicut te ipsum S 159 sabbata […] colenda] non accipias nomen Dei in uanum ; sui, hoc est ut jures uana per ipsum S 160 est] om. S 161 sabbata […] tuam] sabbata sanctifices, hoc est cole diem dominicam et festa collenda S 162 Quintum] est add. S 163 dilige […] ipsum] honora patrem et matrem S 164 Sextum] est add. S 165 occides] occidas G 166 id […] occidendi] om. S 167 Septimum] est add. S 168 mechabis] mecabis S 169 id] hoc S 170 Octauum] est add. S 171 nec usuram […] Nonum] id est S 172 dices] dicas G ; nonum et add. S 173 nec … tui] proximi tui nec res alienas S 174 Septem opera misericordie] Secuntur S
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Septem opera misericordie que continentur175 in hiis uersibus176 sic dicendo177 : Visito, cibo178, poto, redimo, tego179, colligo, condo180. Pro illo primo uocabulo181, scilicet uisito182, intelligitur uisitare infirmos. Pro secundo uocabulo183, cibo184, intelligitur cibare pauperes. Pro tercio uocabulo185, poto186, intelligitur potare187 sicientes188. Pro quarto uocabulo189, redimo, intelligitur redimere190 captiuos et incarceratos. Pro quinto uocabulo191, tego192, intelligitur uestire nudos. Pro sexto uocabulo193, colligo194, intelligitur hospitare pauperes. Pro septimo195 uocabulo, condo196, intelligitur sepelire mortuos. Item statuit197 quod omnibus illis qui usque198 ad domum infirmi ex199 deuocione corpus Christi insecuti fuerint200, decem dies de iniuncta sibi201 penitencia relaxantur. Item precipit et iniunxit curatis ciuitatis et dyocesis Gebennensis quod hec denuncietur202 publice populo et clero asistenti203 ad diuina una204 die dominica
175 que continentur] contenta S 176 hiis uersibus] uersibus sequentibus S 177 sic dicendo] om. S 178 cibo] alo S 179 tego] om. S 180 condo] comdo G ; consule castiga remitte fert ora add. S 181 primo uocabulo] uerbo primo S 182 scilicet uisito] om. S 183 uocabulo] uerbo S 184 cibo] om. S 185 uocabulo] uerbo S 186 poto] om. S 187 potare] pauperes add. S 188 sicientes] siscientes G 189 uocabulo] uerbo S 190 redimere] redemere S 191 uocabulo] uerbo S 192 tego] colligo S 193 uocabulo] uerbo S 194 colligo] om. S 195 septimo] uidelicet add. S 196 condo] comdo G 197 statuit] statutum in constitutionibus concillii viennensis que incipiunt : Ite ut apud omnes et cet. continetur add. S 198 qui usque] quibuscumque G 199 ex] cum S 200 insecuti fuerint] fuerint insecuti S 201 sibi] om. S 202 hec denuncietur] hoc denuncient S 203 asistenti] existenti G 204 una] cum add. S
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cuiuslibet mensis205 per se uel eorum206 uicarios, ne pretextu ignorancie huiusmodi207 indulgencia admictatur208. Item quod dicta die dominica dicti curati exponant suis parrochianis209 per se uel per alium210 sacramenta ecclesie et alia frequenter211, iuxta consilium uiennensem quod incipit sic212 : quia213 sine sacramentis…214. Propterea precipit et iniunxit idem dominus episcopus omnibus sacerdotibus in dicta ciuitate et dyocesi gebennensi existentibus215 216 in missis suis etiam inter alias collectas dicant, hinc ad unum annum proximum, colectam : Deus omnium fidelium pastor et rector, pro papa nostro Clemente viio, nisi in missis in quibus non dicitur nisi una colecta pro bono statu ipsius.
205 cuiuslibet mensis] in quolibet mense S 206 eorum] per S 207 huiusmodi] huius G 208 admictatur] admictant S 209 parrochianis] parrochiis G 210 per alium] eorum uicarios 211 frequenter] om. S 212 sic] om. S 213 quia] quod G ; quot S 214 C. 7, L. Boisset (éd.), Un concile provincial au treizième siècle, op. cit., p. 230. 215 existentibus] conieci 216 quod] suppl. om. cod.
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La Légende dorée d’un curé du xve siècle du diocèse de Genève
Le clergé paroissial de la fin du Moyen Âge demeure un groupe social encore assez mal connu. Son importance numérique a certes été mise en évidence pour plusieurs régions d’Occident et il ne fait désormais aucun doute qu’une de ses caractéristiques principales était son extrême hétérogénéité, que ce soit du point de vue économique, social ou culturel1. Cependant, faute d’une documentation de qualité suffisante, il est le plus souvent difficile voire impossible de mesurer avec une certaine précision cette hétérogénéité, tout comme, par exemple, de mener des enquêtes prosopographiques à l’échelle régionale sur le personnel paroissial. Parmi les aspects dont tout le monde s’accorde pour souligner l’importance, mais dont l’approche s’avère particulièrement délicate, il faut mentionner en premier lieu celui du niveau culturel des desservants paroissiaux. Si les travaux qui fournissent des renseignements ponctuels ne sont fort heureusement pas rares, il n’en reste pas moins qu’à ce jour la seule étude qui aborde le problème du niveau culturel de l’ensemble du clergé paroissial d’un diocèse aussi bien du point de vue qualitatif que quantitatif est celle de Louis Binz, publiée en 1973. Devenu dès sa parution un classique, l’ouvrage Vie religieuse et réforme ecclésiastique dans le diocèse de Genève (1378-1450), demeure une référence incontournable lorsqu’on souhaite traiter de la
1 Sur le clergé de paroisse, voir entre autres A. Hamilton-Thompson, The English clergy and their organisation in the later Middle Ages, Oxford, 1947 ; W. A. Pantin, The English Church in the fourteenth century, Cambridge, 1955 ; Fr. Rapp, Réforme et Réformation à Strasbourg (1450-1525), Paris, 1975 ; Ch.M. de la Roncière, « Dans la campagne florentine au xive siècle. Les communautés chrétiennes et leurs curés », in J. Delumeau (dir.), Histoire vécue du peuple chrétien, Toulouse, 1979, p. 281-314 ; M.-Cl. Gasnault, « Le clergé dans les paroisses rurales du diocèse de Sens à la fin du Moyen Âge », in L’encadrement religieux des fidèles au Moyen Âge et jusqu’au Concile de Trente, Paris, 1985, t. i, p. 317-327 ; P. Desportes, « Le clergé des campagnes champenoises à la fin du xive siècle d’après les registres de la fiscalité pontificale », Revue d’histoire de l’Église de France, 72 (1986), p. 19-47 ; P. Pégeot et J.-P. Prongué, « Contribution à l’étude du clergé paroissial rural à la fin du Moyen Âge : les prêtres du Sundgau (1441-1500) », Revue d’Alsace, 115 (1989), p. 3-36 ; P. Bonnassie (éd.), Le clergé rural dans l’Europe médiévale et moderne. Actes des xiiie journées internationales d’histoire de l’abbaye de Flaran, 6-8 septembre 1991, Toulouse, 1995.
Sur les routes des Alpes : Religieux, marchands et animaux dans la Suisse occidentale (xiiie-xve siècles), Franco Morenzoni, Turnhout, 2019 (Culture et société médiévales, 36), p. 71-91 © FHG10.1484/M.CSM-EB.5.117879
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culture, ou de l’inculture, des clercs de paroisse à la fin du Moyen Âge2. L’analyse des données fournies par le procès-verbal de la visite pastorale que Jean Bertrand a effectuée entre 1411 et 1414 a permis à Louis Binz d’apporter des nuances importantes à l’image traditionnelle – souvent relayée par des textes de l’époque à caractère plus ou moins polémique – d’un clergé inculte et incapable de remplir correctement les tâches qui lui avaient été confiées. D’après les critères du visiteur du diocèse de Genève, environ deux tiers des recteurs et des vicaires résidents étaient en effet pourvus d’une instruction suffisante, les cas d’ignorance flagrante et inadmissible étant somme toute plutôt rares3. Comme on le sait, un des instruments grâce auxquels les ordinaires ont essayé d’améliorer la formation des clercs a été les constitutions synodales. Parmi celles promulguées pour le diocèse de Genève qui ont été conservées, plusieurs révèlent le souci de transmettre aux curés et aux vicaires une instruction élémentaire, notamment au sujet de l’administration des sacrements. Dans les statuts synodaux publiés par l’évêque François de Metz après 1435, l’évêque, après s’être plaint de l’ignorance de trop de curés, ordonne à tous les desservants de se procurer un manuel ou un traité sur l’administration des sacrements et conseille, après en avoir apparemment examiné plusieurs, le traité de l’évêque Guillaume de Paris et le Manipulus curatorum. Il affirme que « ambo apud multos in ciuitate et diocesi nostris predictis h[ab]entur »4. Quelques années plus tard, c’est le Speculum ecclesiae d’Hugues de Saint-Cher qui fut recommandé à deux curés dont l’instruction était à parfaire5. Quelques indices suggèrent que les injonctions épiscopales ne sont pas restées totalement lettre morte. Le Manipulus curatorum a été conservé par deux manuscrits copiés dans le diocèse de Genève, et deux autres manuscrits ont transmis le traité d’Hugues de Saint-Cher6. Les deux exemplaires du traité de Guy de Montrocher datent vraisemblablement de la deuxième moitié du xve siècle. Le ms. BGE, lat. 38a a été copié par Humbert Gruet, qui déclare avoir terminé de transcrire l’ordinaire de Genève, transmis par ce même manuscrit, le 8 février 1473, et qui indique aussi avoir
2 Et aussi le seul à fournir des données quantitatives fiables et significatives sur cet aspect, et non pas à indiquer uniquement des ordres de grandeur plus ou moins approximatifs. C’est une des raisons, mais pas la seule, qui explique pourquoi la liste des travaux qui y font référence est très longue. Nous nous bornerons à mentionner le volume de la collection « Peuples et civilisations » : J. Favier (dir.), xive et xve siècles. Crises et genèses, Paris, 1996, p. 379. 3 L. Binz, Vie religieuse et réforme ecclésiastique dans le diocèse de Genève pendant le grand schisme et la crise conciliaire (1378-1450), Genève, 1973, p. 338 et suiv. et tableau xii, p. 496. 4 AEG, Ms. hist. 47, fol. 76v. L. Binz propose d’identifier le premier traité mentionné avec le Dialogus de septem sacramentis du dominicain Guillaume de Paris. Quant au deuxième, il s’agit du célèbre texte de Guy de Montrocher. Sur tous ces aspects, cf. L. Binz, Vie religieuse, op. cit., p. 169, 347 et suiv. ; sur les statuts synodaux, cf. ibid., p. 143-176. Voir aussi, dans le présent volume « L’encadrement et l’instruction religieuse des fidèles d’après les statuts synodaux des diocèses de Genève et de Sion (xiiie-xve siècles) », p. 47-69. 5 Cf. L. Binz, Vie religieuse, op. cit., p. 348. 6 BGE, Ms. lat. 38 et 38a ; AEG, Ms. hist. 51 et 52 ; cf. aussi L. Binz, Vie religieuse, op. cit., p. 348.
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effectué ce travail sur demande du chapelain Glaudius de Rigo7. Le propriétaire et l’origine du deuxième exemplaire ne peuvent pas être déterminés. On peut seulement noter que l’intérieur de la reliure a conservé un fragment du testament d’un habitant de Machilly, dans le Bas-Chablais, levé le 3 juin 1441. Quant au Speculum ecclesiae, on le trouve dans deux manuscrits qui contiennent également d’autres traités à caractère pastoral. Dans le ms. 51 des AEG8, il est précédé par un abrégé concernant la confession qui reprend un certain nombre de vers du célèbre texte Peniteas cito, composé peut-être au tournant du xiie au xiiie siècle par le chancelier de l’église cathédrale de Lincoln Guillaume de Montibus9. D’après l’explicit, l’abrégé aurait été composé par le propriétaire même du manuscrit, le clerc François Prepositi10. Sans entrer dans le détail, car ce manuscrit mériterait des recherches plus approfondies, on peut relever que plusieurs textes concernent la pénitence, et qu’à partir du fol. 50v on trouve un traité sur les vertus qui intègre des informations au sujet des sept œuvres de miséricorde, des sept dons du Saint-Esprit, des sept sacrements, ainsi que la célèbre formule S.A.L.I.G.I.A. qui permettait de mémoriser les sept péchés capitaux, bref des instructions élémentaires très proches de celles que l’évêque Jean de Murol avait insérées dans ses statuts synodaux de 138111. À deux reprises, François Prepositi remarque que les textes qu’il a copiés sont très utiles aux curés avec charge d’âmes ; au fol. 31v, il donne aussi la liste des fêtes que les curés ou leurs vicaires devaient annoncer aux paroissiens12. Dans le ms. 52, dont le propriétaire est inconnu, le traité d’Hugues de SaintCher se termine au fol. 14v. Il est suivi par un autre texte à caractère pastoral largement diffusé au Moyen Âge, le De tribus punctis christiane religionis composé par Thomas Hibernicus – appelé aussi Thomas Palmeranus et auteur du célèbre
7 Pour les éléments codicologiques de ce manuscrit cf. Fr. Huot, Les manuscrits liturgiques du canton de Genève, Fribourg, 1990, p. 212-220 ; l’ordinaire a été édité par le même auteur : Id. (éd.), Ordinaire du Missel de Genève (1473) : (Genève, B.P.U., Ms. lat. 38a, ff. 107ra-126vb), Fribourg, 1993. 8 Sur les manuscrits conservés aux AEG, cf. P.-E. Martin (éd.), Catalogue de la collection des manuscrits historiques, Genève, 1936, p. 43-45. 9 Cf. J. Goering, William de Montibus (c. 1140-1213). The schools and the literature of pastoral care, Toronto, 1992. 10 « Explicit confessio abreviata per me Franc. Prepositi » (fol. 9v). Le même Prepositi déclare aussi avoir composé, en se fondant sur le droit canonique, le Liber confessionis et penitentie qui occupe les fol. 57v-61r. Nous n’avons pas essayé d’identifier ce personnage, qui appartenait peut-être à la famille bien connue des Prévôt. Notons simplement qu’un F. Prepositi était présent au conseil général du 14 novembre 1473 (RCG, t. ii, p. 231). Notons aussi que le ms. 29 des AEG contient une copie de la Summa artis notariae de Rolandinus Passaggeri dont la page de garde indique qu’elle a appartenu à un certain « Prepositi » qui pourrait être le même personnage (cf. Sv. Stelling-Michaud, « Manuscrits juridiques bolonais des xiiie et xive siècles », Genava, 1 (1953), p. 131). 11 Ces statuts sont édités dans l’article du présent volume intitulé « L’encadrement et l’instruction religieuse », art. cit., p. 47-69. 12 « Incipit liber multum utilis curatis et beneficiatis populum habentibus in custodiam » (fol. 32v) ; « In hoc libro continentur plura bona utilia curatis et confessoribus » (fol. 57v). Des instructions simples concernant en particulier la pénitence sont offertes aussi par un rituel du début du xvie siècle (BGE, Ms. lat. 152, fol. 95v-106v ; cf. Fr. Huot, Les manuscrits liturgiques, op. cit., p. 335).
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Manipulus florum13 – et par le début d’un opuscule sur la confession dont la fin manque. La présence dans le diocèse de Genève de curés propriétaires d’ouvrages est confirmée aussi par le ms. 50 des AEG, qui appartenait à Glaudius de Bonis, curé de Collonge-Bellerive. Le manuscrit, écrit par des mains différentes, contient une fois encore des textes concernant les sacrements, la foi catholique, les vices et les vertus, la confession, etc. Il est vraisemblable que ces manuscrits, copiés par les curés eux-mêmes ou commandés à des copistes, se trouvaient à l’origine à côté des ouvrages liturgiques présents dans ces modestes « bibliothèques » paroissiales au sujet desquelles on peut surtout remarquer qu’on manque toujours d’études en nombre suffisant pour avoir une idée, même approximative, de leur éventuelle importance14. Quoi qu’il en soit, ces manuscrits témoignent de la volonté de certains curés de parfaire leur instruction, même s’il est difficile de savoir dans quelle mesure les connaissances transmises par ces traités ont pu influencer leur pratique quotidienne du ministère sacerdotal. Il est en revanche plus rare de trouver dans des églises paroissiales des ouvrages certes à caractère religieux, mais dont le contenu, plus que d’un souci de formation utilitaire, était au service d’intérêts culturels plus spécifiques. La Bibliothèque Cantonale Universitaire de Lausanne possède néanmoins un gros manuscrit copié par un prêtre du diocèse de Genève, Claude Pirusset, curé de Ceyzérieu, qui se différencie des quelques manuscrits que nous venons d’évoquer car on y trouve, entre autres, le texte complet de la Légende dorée15. L’étude du contenu de ce manuscrit que nous proposons dans les pages qui suivent, essayera de cerner, dans la mesure du possible, le niveau et les intérêts culturels de son propriétaire. Non pas parce que nous pensons que celui-ci était représentatif du groupe social auquel il appartenait, bien au contraire, mais plutôt parce qu’il n’est pas fréquent de pouvoir entrevoir ce qui pouvait intéresser un vrai curé de paroisse de la fin du Moyen Âge, fût-il atypique.
13 Cf. M. A. Rouse, R. H. Rouse, Preachers, florilegia and sermons. Studies on the Manipulus florum of Thomas of Ireland, Toronto, 1979. Une copie du De tribus punctis a été conservée également par le manuscrit 109 des ACS (cf. J. Leisibach, Skriptoren und Bibliothek des Domkapitels Sitten im Mittelalter, Genève, 1973, p. 109). 14 R. M. Haines a étudié et édité quelques extraits d’un cahier de notes personnelles d’un curé anglais dans « A York Priest’s Notebook », Ecclesia Anglicana. Studies on the English Church of the later Middle Ages, Toronto, 1989, p. 156-177 ; Sur les « bibliothèques » paroissiales, cf. J. Shinners, « Parish libraries in Medieval England », in J. Brown et W. P. Stoneman (éd.), A distinct voice : medieval studies in honor of Leonard E. Boyle, O.P., Notre Dame Ind., 1997, p. 207-230. ; sur la présence de livres liturgiques dans les églises paroissiales, cf. P. Gasnault, « Les livres liturgiques conservés par les églises du diocèse de Sens à la fin du Moyen Âge », in L’encadrement religieux, op. cit., t. i, p. 365-378 ; J.-L. LemaÎtre, « Les livres liturgiques des paroisses du Rouergue au milieu du xve siècle », in ibid., p. 379-390 ; cf. aussi Fr. Rapp, Réforme et Réformation, op. cit., p. 432 et suiv. ; P. Paravy, De la chrétienté romaine à la Réforme en Dauphiné, Rome, 1993, t. i, p. 201-205. 15 BCU, G 756.
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Claude Pirusset, curé de Ceyzérieu Lors de la visite pastorale de Barthélemy Vitelleschi de 1443, l’église paroissiale de Ceyzérieu était desservie par un curé, Glaudius Pirusseti, aidé par un vicaire, Amédée Bretini. La paroisse comptait à cette date cent quarante feux et son revenu était de cent quatre-vingts florins. Glaudius Pirusseti était donc à la tête d’une paroisse relativement riche. Contrairement à la plupart de ses collègues titulaires d’une église pourvue d’un revenu plutôt élevé, il était néanmoins curé résidant16. L’examen de l’état matériel de l’église permit au visiteur de constater un certain nombre de défauts, auxquels il ordonna de porter remède. Les paroissiens furent invités à ouvrir une « fenêtre » dans la paroi du chœur pour y conserver l’Eucharistie, à se procurer une custode vitrée en laiton pour amener en procession aux malades le Corps du Christ, à acheter une pyxide en bois « latam et bene ornatam », un voile en soie, deux candélabres, une lanterne, etc. Vitelleschi ordonna aussi de réparer les fenêtres vitrées du chœur, de faire fabriquer, avant janvier 1444, une statue en bois « depictam et bene ornatam » représentant le saint patron, à savoir saint André, et de construire au-dessus de la porte de l’église un avant-toit sous lequel devait être peinte, avant la prochaine Fête-Dieu, l’image du saint patron et de la Vierge Marie17. Le visiteur demanda aussi de pourvoir l’église d’un nouveau manuel avant Pâques et de faire relier l’antiphonaire et le légendier18. Comme nous le verrons par la suite, il est presque certain que le recueil de légendes mentionné doit être identifié avec le manuscrit de Lausanne. Les défectuosités observées à Ceyzérieu n’ont rien de très particulier. Lors de la visite de 1443-1445, nombre d’églises du diocèse ont fait l’objet de recommandations analogues. Le registre de Barthélemy Vitelleschi indique néanmoins que le 21 août Claude Pirusset avait demandé au visiteur de mitiger la peine qui lui avait été infligée à la suite de « certains crimes » qu’il avait avoué avoir commis, confession qui avait été mise par écrit par Guillaume, clerc du procureur fiscal. Vitelleschi accepta de commuer la peine de prison en une amende de douze florins assortie d’un séjour de quinze jours au palais épiscopal, période au cours de laquelle le curé de Ceyzérieu devait accomplir une pénitence publique19. En fait, le « délit » commis par Claude Pirusset était d’avoir laissé tomber presque en ruine le chœur de l’église Saint-Ennemond, filiale de celle de Ceyzérieu, chœur que quelques jours plus tard le curé fautif avait déjà commencé à faire réparer20. 16 Comme l’a mis en évidence L. Binz, il y a une corrélation assez nette entre la richesse des paroisses et le taux d’absentéisme des curés : plus les revenus étaient élevés et plus grand était le pourcentage de curés non-résidents. En 1443-1445, 81% des curés à la tête d’une paroisse dont le revenu se situait entre 101 et 200 florins étaient non-résidents (cf. Vie religieuse, op. cit., p. 312-15 et tableau ix, p. 492). 17 ADHS, 1 G 98, fol. 188r ; nous avons utilisé le microfilm déposé aux AEG sous la côte Mi C 23 n. 18 « Item faciant religari antiphonarium et legendarium et faciant manuale novum infra pasca », ibid., fol. 188r. 19 Ibid., fol. 184v ; L. Binz, Vie religieuse, op. cit., p. 384. 20 « Visitauit etiam ecclesiam sancti Animundi annexam cum superiori ecclesia in eadem parrochia, cuius chorus est totaliter ruinatus. Et quia ad curatum spectat eius refectio, ut se obligatum asserit ex sententia jam super hoc lata et jam incepit ipsum chorum de nouo construere, injunxit uisitans curato ut ipsum chorum totaliter compleat de muro et copertura infra pasca, et reficiat altare nouum totaliter lapideum.
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Le manuscrit de Lausanne permet d’ajouter quelques éléments biographiques supplémentaires au sujet de Claude Pirusset. Au folio 346v, Pirusset précise qu’il a terminé de copier le texte des Flores sanctorum la veille de la Saint-Jean Baptiste 1426 – soit le 23 juin – et qu’à cette date il était encore vicaire, sans doute déjà de l’église de Ceyzérieu. Il précise aussi qu’il était originaire de « Castronovo in Veromesio », c’est-à-dire de Châteauneuf dans le Valromey21, et qu’il avait pris possession de l’église de Ceyzérieu en tant que curé le 1er mai 142822. Dix-sept ans après avoir terminé de copier le légendier de Jacques de Voragine, Claude Pirusset décida de copier un autre texte hagiographique, la Conversion de sainte Catherine, travail, comme il l’indique lui-même, qu’il commença et peut-être termina le 1er juillet 144523.
Le manuscrit BCU G 756 Il semblerait que l’injonction d’août 1443 de Barthélemy Vitelleschi de relier le manuscrit n’ait pas été exécutée tout de suite. Tel qu’il nous est parvenu, le manuscrit comporte en effet, après le texte sur la conversion de sainte Catherine, dont la dernière partie manque, quinze autres folios dus eux aussi à la main de Claude Pirusset. Ces folios faisaient certainement partie du volumen tel qu’il avait été relié du vivant de son propriétaire, car une annotation ajoutée dans la marge inférieure du folio 298r renvoie à un des sermons qui ont été copiés dans cette dernière partie, et précise que celui-ci se trouve « à la fin du livre »24. De même, on peut noter que dans la table des matières qui se trouve au début, le renvoi au numéro du folio où commence le texte concernant sainte Catherine et celui où se trouve une annotation qui a été insérée dans la marge inférieure après 1426 – dont nous reparlerons – ont été ajoutés après 1445. Le manuscrit du curé de Ceyzérieu, de taille mediana (292 × 206 mm), comporte au total 367 folios en papier. Le texte du célèbre légendier du dominicain italien Jacques de Voragine, composé peu après le milieu du xiiie siècle et qui a connu dès le Moyen Âge un succès extraordinaire, occupe 344 folios (I + II et 1-342). Claude
Item injunxit omnibus illis qui circa ecclesiam habent sepulturam, ut infra annum ab intus et extra repleant, imbucuant et dealbent totam nauem presentis ecclesie et in ipsis faciant hostia, et omnes ipsi contribuant in huiusmodi expensis prout consueuerunt. Item murent hostium quod est intra chorum a latere sinistro totaliter et faciant hostium a latere dextro versus domum cure, et pavimentum de terra firma in choro et tota navi » (ADHS, 1 G 98, fol. 188r). 21 Sur Châteauneuf et le Valromey, cf. É. Philipon, Dictionnaire topographique du Département de l’Ain comprenant les noms de lieu anciens et modernes, Paris, 1911, p. 101, 447-448. 22 À côté de l’explicit (cf. infra, n. 72), une note rédigée postérieurement indique : « Curatus Seysseriaci anno Domini mo cccco vicessimooctavo (post. corr. : vicessimonono) et prima die maii recepit possessionem dicte cure manu Petri Catelli et sibi pransum fuit de dicta cura in curia romana per magistrum Fulsis » (BCU, G 756, fol. 346v). 23 Voir infra, n. 77. 24 « Respice in fine libri post septem psalmos, tu reperies sermonem magistri Vicencii super ista materia : Beati mortui qui in Domino moriuntur » (BCU, G 756, fol. 298r).
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Pirusset n’a pas numéroté les deux folios sur lesquels il a recopié le prologue et la table des légendes, alors qu’il a soigneusement numéroté, semble-t-il après coup, le manuscrit jusqu’au folio 34725. Du folio 348 au folio 365, la numérotation est due à une main moderne. La reliure est en ais de bois recouverts de cuir brun et comporte un décor estampé, les encadrements du mot Ave formant deux rectangles dont le plus petit est inséré dans le plus grand. Subsistent encore des traces de fermoirs. Rien ne permet de savoir à la suite de quelles circonstances le manuscrit est entré dans le fonds de la BCU, après avoir fait partie de celui de la bibliothèque de Berne. Dans l’intérieur de la reliure, on trouve un folio en parchemin écrit sur quatre colonnes. On peut y lire la fin d’une série de constitutions synodales promulguées en 1270, mais dont on ne peut établir ni le diocèse ni l’auteur26. Dans la deuxième colonne a été copié le début des statuts synodaux promulgués par l’archevêque de Tarentaise Rodolphe Grossi. Auparavant évêque d’Aoste, Rodolphe devint archevêque de Tarentaise en 1249 et le resta jusqu’à sa mort, survenue sans doute en 127027. Les constitutions sont datées du 28 décembre 1260. À notre connaissance, l’existence de ces statuts n’a jamais été signalée et le texte complet n’a apparemment pas été conservé28. C’est peut-être à ces constitutions que font référence les statuts du chapitre de Sion promulgués le 20 mars 1262 par le même Rodolphe, mais il n’est pas possible de l’affirmer avec certitude29. Dans les deux autres colonnes on peut lire entre autres des extraits concernant la manière de prononcer des sentences d’excommunication. Le deuxième intérieur de la reliure a en revanche conservé un fragment du testament d’un habitant de Châtelard levé par le notaire Pierre de Balneis (?) de Aime.
25 Des traces d’encre sur le verso de certains folios indiquent que le manuscrit a été numéroté en une seule fois, car l’encre n’a pas eu le temps de sécher. D’autre part, au fol. 21, on trouve les traces d’une ancienne numérotation qui incluait également les deux premiers folios (xxiii). C’est peut-être à cause de la reliure que la numérotation a dû être refaite, et c’est sans doute à cette occasion qu’ont été ajoutés dans la table de la Légende dorée les numéros des folios où se trouvent les différents chapitres. 26 « Et precipimus cuilibet sacerdotum sub pena interdicti quod hec novissima statuta infra xla dies post pascha in suis manualibus faciat scribi et inseri. Actum die lune post dominicam ramis palmarum anno gratie millesimo cco lxxo ». 27 Cf. J.-A. Besson, Mémoires pour l’histoire ecclésiastique des diocèses de Genève, Tarantaise, Aoste et Maurienne et du décanat de Savoye, Moûtiers, 1871, p. 206-209, qui publie aussi le testament, p. 391-394, n. 63. 28 « Hec sunt que nos Rod. Tar. archiepiscopus statuimus in synodo anno Domini millesimo CCLXo die martis post festum beati Johannis Evvangelista. In primis statuimus ut omnes cappellani et curati ad statutum synodum singulis annis veniant […] ». Le répertoire de A. Artonne, L. Guizard et O. Pontal, il est vrai fort incomplet, ne les mentionne pas (cf. Répertoire des statuts synodaux des diocèses de l’ancienne France du xiiie à la fin du xviie siècle, Paris, 1963). 29 « Item cum ex statuto nostri provincialis Tharentasiensis consilii […] », Gremaud, Documents, no 684, p. 69.
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Un curé copiste La présence d’un exemplaire du texte latin de la Légende dorée dans une « bibliothèque » paroissiale de la fin du Moyen Âge est un fait somme toute plutôt rare. Parmi les 1042 manuscrits latins du légendier de Jacques de Voragine recensés par Barbara Fleith, on ne repère qu’environ une dizaine d’exemplaires dont on peut affirmer avec certitude qu’ils ont fait partie, à un moment ou à un autre, des livres appartenant à un recteur ou à un vicaire30. Bien entendu, ce chiffre ne concerne que les manuscrits qui nous sont parvenus, et il est certain que le dépouillement des inventaires des églises paroissiales et des testaments des curés permettrait de repérer davantage de membres du clergé paroissial propriétaires d’un exemplaire du légendier dominicain. Le testament du curé valaisan de l’église Saint-Germain de Savièse Guillaume de Saint-Maurice, levé en 1354, mentionne par exemple un recueil « lombard » de vies de saints qu’on doit selon toute vraisemblance identifier avec le légendier de Jacques de Voragine, qui a circulé également sous le titre de Legenda lombardica31. Cet exemplaire se trouvait en 1364 dans la bibliothèque du chapitre de Sion32 ; il est à nouveau mentionné une vingtaine d’années plus tard dans l’inventaire des ouvrages qui appartenaient au curé d’Hérens Pierre d’Évian33. Les curés ou les vicaires qui ont eux-mêmes effectué une copie du légendier dominicain sont eux aussi plutôt rares. Toujours d’après les indications fournies par le répertoire de Barbara Fleith, du millier de manuscrits latins qui nous sont parvenus seuls une quinzaine ont certainement été copiés par des recteurs ou des vicaires. Ainsi, par exemple, Guillaume de Weston, vicaire perpétuel de Cruch en Angleterre, déclare avoir terminé son travail en 1356 ; Jean, recteur de l’église de Ugedz en Bohême, en 1427 ; Rodolphe Poelman, curé de Saint-Quentin à Tournai, en 1438 ; Egidius Appelman, curé de l’église de Sint-Kwintenslennik et Hal dans le Brabant, en 1462, etc. Encore faudrait-il savoir combien de ces curés étaient effectivement engagés dans la vie de leurs paroisses, comme paraît l’avoir été Claude Pirusset. Bref, sans être tout à fait exceptionnelle, la décision du vicaire de Ceyzérieu d’entreprendre la copie d’un texte de quelques centaines de folios paraît tout au moins peu courante. D’autant plus que la Légende dorée n’a pas une utilité immédiate pour l’exercice quotidien du ministère sacerdotal dans une paroisse. Son utilisation à des fins pastorales suppose en effet que les matériaux narratifs et doctrinaux qu’elle offre
30 Voir, par exemple, B. Fleith, Studien zur Überlieferungsgeschichte der lateinischen Legenda aurea, Bruxelles, 1991, no 509, 684, 757, 998. 31 « n. 29. Item do et lego ecclesie Sancti Germani librum qui dicitur Lumbardica passio sanctorum, ita quod aliquis non valeat alienari, alioquin devolvatur ad manum capituli predicti », J. Leisibach, Skriptoren und Bibliothek, op. cit., p. 92 ; sur ce testament voir aussi Gremaud, Documents, no 1856 ; sur les différents titres attribués au légendier de Jacques de Voragine, cf. B. Fleith, Studien zur Überlieferungsgeschichte, op. cit., p. 26-30. 32 « n. 43. Item ly lumbardica », J. Leisibach, Skriptoren und Bibliothek, op. cit., p. 95. 33 « n. 10. Item I lumbardica, quam custodit Johannes de Furno de Herens », inventaire du 17 mai 1383, ibid., p. 97.
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soient exploités dans un sermon, opération qui demande un certain savoir-faire. Certes, on peut toujours imaginer que Claude Pirusset aimait raconter à ses ouailles quelques beaux récits tirés du légendier ; mais il s’agit d’une simple supposition que rien ne permet de confirmer. Ce qui est certain, c’est que pour réaliser sa copie Claude Pirusset a eu la possibilité d’emprunter pendant un laps de temps relativement long un exemplaire du légendier. S’il n’indique pas où et grâce à qui il a pu se procurer ce volume, l’exemplar qu’il a eu sous les yeux était sans aucun doute de bonne qualité. La comparaison du corpus des légendes du manuscrit de Lausanne avec celui de la récente édition critique établie par Giovanni Paolo Maggioni34, montre que les différences avec celle que l’on considère désormais comme la version la plus proche des dernières volontés de Jacques de Voragine sont très peu nombreuses35. En tout et pour tout, on ne repère qu’une seule omission et deux ajouts36. L’omission concerne la vie de saint Syrus, ce qui n’est pas surprenant car cette légende a presque certainement été ajoutée par le dominicain génois lors de la dernière phase rédactionnelle du légendier et ne figure que très rarement dans les manuscrits de la Légende dorée37. Quant aux adjonctions, elles sont elles aussi assez banales, car elles concernent les vies des saints Felicissimus et Agapitus et de saint Tyburce, deux textes très souvent présents dans les manuscrits latins même s’ils ne faisaient pas partie du corpus légendaire originaire38. D’après les sondages que nous avons effectués, le texte du légendier du curé de Ceyzérieu paraît dans l’ensemble de bonne qualité. Il est assez proche de celui de l’édition critique et ne comporte qu’un nombre de variantes – le plus souvent peu significatives – assez limité. Claude Pirusset a exécuté sa copie avec soin. Ainsi, par exemple, après avoir écrit quelques lignes sur le fol. 271r, il a remarqué que le papier absorbait trop l’encre et que les mots devenaient illisibles ; il a alors choisi de continuer sur une nouvelle feuille, tout en indiquant qu’il n’avait rien omis39. Dans l’ensemble, les ratures, les corrections, les adjonctions de mots dans la marge suite à un oubli sont peu nombreuses. Pirusset a fait preuve aussi d’un certain souci esthétique. De nombreuses lettrines sont ornées, parfois à l’encre rouge, couleur qui a été utilisée également pour les piedsde-mouche et pour souligner certains mots. Plusieurs folios comportent des dessins : des visages, des motifs végétaux, des poissons, etc. À de nombreux endroits du manuscrit,
34 Iacobus de Voragine, Legenda aurea, éd. G. P. Maggioni, Florence, 1998. 35 Sur ce problème voir G. P. Maggioni, Ricerche sulla composizione e sulla trasmissione della « Legenda aurea », Spolète, 1995. 36 La table au début du manuscrit indique par erreur un chapitre De conceptione et un autre De tempore devotionis – il s’agit en réalité de deux sous-chapitres de la légende de Lucie et de la Nativité du Seigneur – et oublie la légende de Moïse abbé, qui est présente dans le texte. 37 Voir la liste des manuscrits où elle apparaît dans B. Fleith, Studien zur Überlieferungsgeschichte, op. cit., p. 492, qui range cette légende parmi les « Fremdlegenden ». 38 Sur la fréquence de la présence de ces textes dans les manuscrits de la Légende dorée voir B. Fleith, Studien zur Überlieferungsgeschichte, op. cit., p. 451, 466, 477, 493-494. 39 « Verte folium quia nichil deest » (BCU, G 756, fol. 271r).
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le curé de Ceyzérieu a tenu à rappeler dans les marges l’identité du propriétaire : il l’a fait au fol. 69v, 130r, 173r, 224r, 268r (« adieu vous dit Pirusset Claude »), 292r (« tout ung amours divine, Claude Pirusset »), 329r, 346v, 347v et 351r40. Bref, on a un peu l’impression que notre curé était assez fier du travail qu’il avait accompli.
Claude Pirusset lecteur de la Légende dorée S’il est difficile de connaître les motivations qui ont poussé Pirusset à copier le légendier du dominicain génois, il est en revanche possible d’entrevoir quels sont les passages de celui-ci qui semblent avoir le plus suscité son intérêt. Aussi bien au cours du travail de copie que lors de relectures postérieures, Pirusset a indiqué par le mot « nota » ou, plus souvent, en dessinant une main avec l’index pointé, les parties du texte qu’il a considérées comme importantes ou significatives, tout en ajoutant de temps à autre quelques remarques en relation avec celles-ci. L’examen de ces annotations – au total environ cent vingt – révèle un certain nombre de thèmes auxquels notre curé paraît avoir prêté une plus grande attention, ce qui nous permettra d’apporter quelques éléments concernant ses intérêts religieux et culturels et le type de dévotion qui l’animait. Les choix opérés par Pirusset semblent avoir été plutôt sélectifs, car moins d’un tiers des chapitres comportent une ou plusieurs annotations. On peut ainsi remarquer qu’apparemment Pirusset n’a rien trouvé d’intéressant dans les légendes consacrées à saint Dominique, saint François ou saint Pierre Martyr ; en revanche, les chapitres qui concernent les fêtes temporales, celles liées au temps pascal, au culte de la Croix et de la Vierge, ainsi que les trois célébrations ecclésiales retenues par Jacques de Voragine, comportent presque tous un ou plusieurs passages qui ont été annotés41. Pour tenter de mieux caractériser les sujets qui paraissent avoir retenu l’intérêt du curé de Ceyzérieu, nous avons essayé de les regrouper par thèmes, un regroupement qui, faut-il le dire, est en partie empirique et n’a pas la prétention d’être exhaustif.
Les vers La présence d’un ou de plusieurs vers dans le texte a été signalée dans la marge par les mots nota ou versus à une dizaine de reprises. C’est le cas, par exemple, de ceux qui figurent dans les chapitres sur l’Assomption et la Nativité de la Vierge, dans celui consacré aux Innocents, à l’Annonciation, à l’Invention de la Croix ou à la Commémoration des âmes42. 40 La graphie du nom est d’ailleurs changeante : on trouve ainsi « Claudius », « Glaudius », et « Claude » ; « Pirusseti », « Pyrusseti », « Piruseti », « Piruset » et « Pirusset ». 41 Nous reprenons ici la terminologie utilisée par Alain Boureau pour classer les chapitres du recueil de Jacques de Voragine (cf. La légende dorée. Le système narratif de Jacques de Voragine († 1298), Paris, 1984, p. 32). 42 Dorénavant nous renvoyons aux numéros des légendes et des paragraphes de l’édition de la Légende dorée de G. P. Maggioni : cxv, 170 ; cxxvii, 26 et 101 ; x, 13 ; l, 117 ; lxiv, 24 ; clix, 78.
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L’intérêt pour les rimes est confirmé par les vers que Pirusset a parfois écrits dans la marge, des vers qui, sans être présents dans le légendier, sont en rapport avec un passage de celui-ci. Ainsi, par exemple, en relation avec le début du chapitre sur la Nativité du Seigneur qui propose trois dates différentes pour situer la Nativité depuis Adam, Pirusset a noté deux vers qui résument la datation proposée par Eusèbe de Césarée : « Quingentos decies cum bis centum minus uno / annos dic ab Adam donec verbum caro factum »43. Plus loin, alors que le légendier cite des vers sur la tourterelle, Pirusset en ajoute un autre sur le même oiseau dans la marge : « Turtur perpetuum premium servabit amorem / amissoque pari, nescit habere parem »44. Au début de la vie de Thaïs la pécheresse, on trouve deux vers, transcrits avec quelques imperfections, concernant une autre Thaïs et tirés des Fables d’Ésope : « Taydam si qui amat, non se credat amari / Tays amore caret, munus amantibus amat »45. De même, quatre vers qui rappellent l’apparition de Jésus aux disciples d’Emmaüs ont été écrits dans la marge inférieure de la vie de saint Luc46. Enfin, en relation avec un long récit concernant un pécheur qui peut se sauver grâce à la Vierge qui fait pencher la balance du bon côté, Claude Pirusset a écrit les vers suivants : A las Virge que farey, que direy a celst jour orible et fier ? A vous du tout me rendroy, et direy que suy vestre pressonier je my doy bien rellier et fier, quar vous estes si benigne, que ne poez oblier ne leyssier selluy quy vers vous s’encliner47. S’il faut sans doute se garder d’accorder une importance trop grande à ces éléments – l’attrait des clercs pour les vers et les rimes n’ayant rien d’extraordinaire – on peut tout de même relever que ces annotations marginales montrent que Claude Pirusset n’a pas copié son manuscrit de manière mécanique, mais qu’il a été attentif au contenu du texte qu’il avait sous les yeux et qu’il l’a mis parfois en relation avec ses propres connaissances. Quelques indices semblent par ailleurs suggérer que le curé de Ceyzérieu avait aussi un certain intérêt pour le grec et l’hébreu. Il signale ainsi le passage où les noms des Mages sont donnés dans ces deux langues par Jacques de Voragine et le récit de la décollation de saint Paul au cours de laquelle le nom de Jésus-Christ aurait retenti en hébreu. Dans les marges inférieures des folios 129v-130r, consacrés à la narration des circonstances qui ont permis l’invention de la Croix, Claude Pirusset a également 43 BCU, G 756, fol. 15r. 44 xxxvii, 84 ; BCU, G 756, fol. 69v. 45 BCU, G 756, fol. 267r. Ésope, Fabulae, « De Thaida et Damaso », xlix, v. 15-16. Le texte correct est le suivant : « Thaida si quis amat, sua, non se credat amari […] ». 46 « Qui fractis custodibus in Emaus apares / sed clausis seribus ut pacem donares / et multis presentibus panem manducares / concede celestibus nos fieri pares » (BCU, G 756, fol. 274r). 47 BCU, G 756, fol. 211r.
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transcrit un long passage qui reproduit les mots en caractères hébraïques que le juif Judas aurait prononcés lors de la découverte. Ce passage, qui ne figure pas dans la Légende dorée, est sans doute tiré d’une version du récit de l’Invention de la Croix où, à côté de la traduction en latin des mots proférés par Judas, figurait aussi le texte en hébreu48. Il est vraisemblable que cette note était déjà présente dans l’exemplar copié, mais il est tout de même intéressant de relever que notre curé s’est efforcé de reproduire avec soin les caractères du texte en hébreu.
La liturgie et les tâches sacerdotales Claude Pirusset a également mis en évidence un certain nombre de passages de la Légende dorée qui proposent quelques explications à caractère liturgique : l’adoption du sacramentaire grégorien en remplacement du sacramentaire ambrosien décidée par le pape Adrien Ier, comment saint Ambroise et saint Augustin ont composé ensemble l’hymne Te Deum laudamus ou, encore, à quelle occasion a été approuvé le cantique qu’on chante lors des Rogations et pour quels motifs les démons le craignent49. De même, notre curé paraît avoir été intéressé par l’explication de Jean Beleth, rapportée par Jacques de Voragine, concernant la tradition de brûler des os d’animaux lors de la Saint Jean-Baptiste, bûchers dont la fumée était censée chasser les dragons « qui in aere volant, in aquis natant, in terra ambulant »50. Ailleurs, une note marginale montre que Pirusset possédait sans doute une assez bonne connaissance du bréviaire. En effet, à côté du récit de la dernière apparition du Christ pendant le repas des apôtres, il transcrit un passage de l’Évangile pour la troisième férie après Pâques, qui précise que le Christ, après avoir mangé avec eux, « sumens reliquias dedit illis »51. Plusieurs explications concernant les gestes liturgiques accomplis par les prêtres ont également été jugées dignes d’attention. C’est le cas des lignes dans lesquelles Jacques de Voragine rappelle que les cinq apparitions du Christ le jour de la Résurrection sont représentées par le prêtre pendant la messe par le fait que celui-ci se tourne vers les fidèles à cinq reprises, et que, s’il ne dit rien lorsqu’il se tourne pour la troisième fois, c’est pour rappeler qu’on ignore quand et où le Christ est apparu à Pierre52. L’intérêt du propriétaire du manuscrit pour la signification des gestes liturgiques est confirmé par le chapitre consacré à la Dédicace de l’église, dont de nombreux passages ont été réputés intéressants : les cinq raisons pour lesquelles on consacre l’autel, les trois motifs pour lesquels on prie tourné vers l’Orient, pourquoi on tourne sept fois autour de l’autel lors de la consécration et comment ces sept tours signifient les sept vies du Christ, comment on procède à la consécration de l’église, etc. On peut enfin relever que les quelques endroits où 48 Sur la légende de l’Invention de la Croix, voir J. W. Drijwers, Helena Augusta : The mother of Constantine the Great and the legend of her finding of the true Cross, Louvain, 1992. 49 xlvi, 264 ; ccxx, 102 ; lxvi, 78. 50 lxxxi, 171 et suiv. 51 BCU, G 756, fol. 129v. 52 lii, 128-129.
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la Légende dorée fait allusion au caractère sacré de la fonction sacerdotale sont eux aussi indiqués dans la marge, à l’instar de celui où Jacques de Voragine rappelle l’injonction de saint Ambroise de ne pas porter les mains sur un prêtre quel qu’il soit, tout comme la punition divine qui a frappé une jeune fille qui avait osé saisir le futur saint par les vêtements53.
La vie du Christ et la Vierge Si l’examen des annotations révèle un certain intérêt pour les principaux épisodes de la vie du Christ – ce qui, de la part d’un curé, n’a rien de vraiment étonnant – il faut néanmoins relever que Claude Pirusset paraît avoir été beaucoup plus attiré par la figure de la Vierge. Certes, il s’intéresse au « diversorium » de Bethléem, aux trois principaux maux que la venue du Christ a permis de combattre d’après Bernard de Clairvaux ou à l’affirmation de saint Jérôme selon laquelle la nuit de la naissance de Jésus tous les sodomites sont morts54. Il n’en reste pas moins que ce sont surtout les épisodes où intervient la Vierge qui font en général l’objet d’annotations marginales. Pirusset relève ainsi le fait que Salomé, pour avoir eu des doutes au sujet de la virginité de Marie, s’est retrouvée avec une main brûlée et que, de trois à quatorze ans, Marie a vécu avec les vierges du Temple55. Ailleurs, il s’intéresse à l’auteur présumé du récit de la nativité de la Vierge et à la manière grâce à laquelle on connaît le jour de la naissance de Marie, à savoir grâce à la révélation faite à un saint homme, ou bien à la beauté de la Vierge, comparée dans le légendier dominicain à celle de Proserpine et considérée comme inimaginable même par les Juifs56. Huit passages du chapitre sur l’Assomption ont également été indiqués dans la marge, tout comme plusieurs des nombreux miracles rapportés par Jacques de Voragine qui relatent les interventions de la Vierge, comme par exemple celle dont a pu bénéficier le célèbre Théophile, ou l’enfant juif de Bourges jeté dans une fournaise par son propre père pour avoir communié le jour de Pâques. Avec toute la prudence qui s’impose, il nous semble que cette attention pour la figure de la Vierge suggère que Claude Pirusset n’a pas été insensible au développement de la dévotion mariale tel qu’on l’observe à la fin du Moyen Âge. C’est sans doute dans cette perspective qu’il faut également interpréter l’intérêt que notre curé paraît avoir manifesté pour les exemples de sainteté féminine et en particulier pour celui de Marie Madeleine, dont quatre miracles ont été relevés, ainsi que les passages où la Légende dorée précise l’identité de celle-ci et rapporte que selon certains elle aurait été la fiancée de Jean l’Évangéliste.
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lv, 33-38. vi, 23 ; vi, 154 ; vi, 126. vi, 36-40 ; l, 11. cxxvii, 80-82 ; xxxviii, 130.
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Le surnaturel et le merveilleux Comme on pouvait s’y attendre, miracles, exempla ou récits à caractère fabuleux totalisent le plus grand nombre d’annotations. Notre curé paraît cependant avoir fait preuve d’un intérêt plutôt modéré pour les miracles de guérison. Alors que la Légende dorée illustre le pouvoir thaumaturgique des saints par plusieurs dizaines d’anecdotes57, il n’en a retenu que quatre, dont deux qui concernent Marie Madeleine et un la Vierge. De même, s’il relève quelques anecdotes exemplaires – comme celle qui met en scène saint Étienne enfant qui punit ceux qui avaient offensé sa mère, le diable qui invoque la miséricorde de sainte Julienne ou saint Bernard qui tue par son excommunication les mouches qui avaient envahi un monastère – la présence de récits de cette nature dans le texte du légendier n’a été signalée que de manière sporadique. En revanche, Claude Pirusset a été plus attentif aux récits relatant des histoires assez longues et qui relèvent davantage du merveilleux, tel qu’il a été défini par J. Le Goff, que du miraculeux chrétien58. C’est ainsi qu’il note l’histoire du noble Julien à qui un cerf prédit qu’il tuera son père et sa mère59, le long récit apocryphe de l’enfance de Judas et des rapports incestueux de celui-ci avec sa mère60, l’histoire tout aussi célèbre et apocryphe de Pilate qui traite entre autres de la Sainte Face et de Véronique61, celle qui relate comment un juif nommé Judas a permis à Hélène de retrouver la vraie Croix en 270, l’envol de Simon Mage depuis le Capitole et l’attitude homosexuelle de Néron pendant l’incendie de Rome ou, encore, la longue histoire de Barlaam et Josaphat. L’intérêt pour le merveilleux est confirmé par une assez longue note qu’on trouve dans la marge inférieure des fol. 336v-337r. Alors qu’il était en train de lire la chronique pélagienne, et plus particulièrement un passage dans lequel est évoquée la naissance en Espagne, au temps de Lothaire, d’un monstre qui avait deux corps, d’un côté le corps d’un homme et de l’autre celui d’un chien, le curé de Ceyzérieu s’est souvenu d’un évènement analogue qui avait eu lieu dans la région. Voici ce qu’il a écrit : Dans la paroisse de Cully et de Béon, dans un village qui s’appelle Château-Cully, est né un corps qui avait deux têtes, quatre bras, quatre tibias, le sexe d’une femme. Le corps était divisé de la ceinture vers le bas et de la poitrine vers le haut. Il a été baptisé par le seigneur Monet, vicaire du seigneur Pierre Regis, chanoine de Sion, l’an du Seigneur 1435, le cinquième jour de mai. Cet endroit se trouve en Savoie, dans le diocèse de Genève, dans le décanat de Ceyzérieu, près de Seyssel, à deux lieues en descendant vers le bas, à la fin de la montagne à droite. Ledit monstre a vécu pendant vingt heures ou un peu plus. Et ce fait a été vu par
57 Cf. A. Boureau, La légende dorée, op. cit., p. 159. 58 Cf. en particulier l’article J. Le Goff, « Le merveilleux dans l’Occident médiéval » paru en 1978 et repris in J. Le Goff, L’imaginaire médiéval, Paris, 1985, p. 17-39. 59 xxx, 10. 60 xlv, 53. 61 li, 186.
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plusieurs hommes dignes de foi. Gl. Pirusset, curé de Ceyzérieu, dans le diocèse de Genève, dans le décanat du même diocèse62. Le vicaire de Cully qui aurait procédé au baptême du « monstre » doit selon toute vraisemblance être identifié avec Aymonetus Cusyodi, qui était encore en charge lors de la visite pastorale de Vitelleschi63. Quant à Pierre Regis, curé de Cully et Béon, nous aurons l’occasion de le présenter plus loin. Au-delà de la véracité des faits rapportés, qui reste invérifiable, ce passage confirme le fait que Claude Pirusset, après avoir terminé sa copie en 1426, a continué de lire et d’utiliser son ouvrage. Il nous semble même possible d’avancer l’hypothèse que cette note marginale a été insérée en 1445, car c’est cette date que le curé a d’abord indiquée pour dater l’épisode, avant de la corriger en 1435. Comme nous l’avons déjà dit, plusieurs folios du manuscrit ont été certainement copiés au cours de l’année 1445. L’intérêt pour le merveilleux n’est cependant pas exclusif, car quelques passages à caractère historique ou « scientifique » ont également été relevés. C’est le cas, par exemple, de celui qui rappelle que selon Flavius Josèphe, l’empereur Tite, après avoir pris Jérusalem, aurait vendu comme esclaves 97 000 Juifs, et que 11 000 autres Juifs « périrent par la faim et par l’épée ». De même, Claude Pirusset a lu, semble-t-il avec attention, la chronique pélagienne, aussi bien pour se renseigner sur l’avènement de Carloman, l’aspect physique de Charlemagne ou l’attitude de celui-ci à l’égard d’un éventuel mariage de ses filles. Pirusset a également été très intéressé par la description des croyances et des moeurs des Musulmans présente dans ce même chapitre, car au début de celui-ci il note : « tu trouveras la loi des Sarrasins dans l’histoire de Pélage, à peu près au milieu64 ». Relevons enfin que l’opinion du philosophe juif Moïse65, selon laquelle pour parcourir la distance qui sépare la terre du point le plus éloigné du ciel, il faudrait marcher pendant 7500 ans, n’a pas laissé indifférent notre curé.
Les présences démoniaques, les révélations et l’au-delà De très nombreuses annotations concernent les apparitions démoniaques et les ruses grâce auxquelles les démons tentent de rendre impossible le salut des fidèles. Claude Pirusset a relevé la citation d’Haymon selon laquelle « l’air qui nous environne est rempli de démons et d’esprits malins, comme un rayon du soleil l’est des plus
62 « In parrochia Quuli et Beonis, in quodam villagio vocato Castrum Quulli, natus est corpus habens duo capita, quatuor brachia, quatuor tibias, sexus mulieris, corpus disstintum a corrigia inferius et a pectore superius ; baptizatum per dominum Monetum vicarium domini Petri Regis canonici (canonicum cod.) sedunensis anno domini mo ccccmo xxxv et die (de cod.) quinta maii. Quiquidem locus est in Sabaudia, gebenensis diocesis, in decanatu Seysseriaci, prope Seyssellum per duas leucas descendendo inferius, in fine montis ad manum dexteram. Et vixit dictum mostrum per spatium xx horarum, salvo pluri. Quod factum viderunt quamplurimi homines fidedigni. Gl. Pirusseti, curatus Seysseriaci, gebennensis diocesis, in decanatu eiusdem » (BCU, G 756, fol. 336v-337r). 63 ADHS, 1 G 98, fol. 171v. 64 BCU, G 756, fol. 329v. 65 Il s’agit en fait de Maïmonide.
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minces poussières66 », tout comme les exempla qui mettent en scène le diable qui se présente à un évêque sous les traits d’une belle femme ou qui essaye de tromper saint Martin en se faisant passer pour le Christ. De même, il met en évidence les passages qui décrivent les moyens grâce auxquels on peut se libérer des démons, tels que l’invocation du nom de Jésus et la prière, ou les ruses du diable pour empêcher la célébration du sacrifice eucharistique67. Le curé de Ceyzérieu n’a pas été insensible aux récits d’apparition du Christ ou de la Vierge à tel ou tel autre saint. Mais ce qui paraît l’avoir davantage intéressé, ce sont les visions et les révélations qui permettent d’avoir un aperçu de l’au-delà, ainsi que les récits concernant les relations existant entre le monde des vivants et celui des morts. Tout en relevant ici ou là quelques passages qui mentionnent ce que saint Augustin, saint Grégoire et saint Jérôme ont écrit au sujet du Jugement dernier68, Pirusset note l’histoire de Macaire qui interroge la tête d’un défunt – qui lui apprend que les Juifs se trouvent dans un endroit de l’enfer encore plus profond que celui réservé aux païens – ou celle tirée du Pseudo-Turpin, qui raconte comment un chevalier fit souffrir son beau-frère huit jours de plus au purgatoire car il n’avait pas vendu immédiatement le destrier de celui-ci afin de distribuer des aumônes aux pauvres69. L’intercession des saints en faveur des morts – de saint Grégoire pour Trajan, de sainte Catherine pour tous ceux qui se souviennent de son martyre au moment de leur trépas, de l’ensemble des saints le jour de la Commémoration des âmes des défunts, etc. –, l’intervention parfois des morts en faveur des vivants, mais surtout l’importance des suffrages, et notamment des suffrages spéciaux, pour réduire la durée du séjour de ceux qui se trouvent au purgatoire, sont des sujets qui ont tout particulièrement retenu l’intérêt du propriétaire du manuscrit, du moins si l’on juge d’après le nombre des annotations marginales.
Les autres textes Après avoir copié le légendaire dominicain, dont la fin est indiquée par un court explicit70, Claude Pirusset a ajouté à son ouvrage un autre texte hagiographique, un traité assez long concernant la Conception de la Vierge, qui est parfois présent dans les manuscrits de la Légende dorée et qui commence par des extraits attribués à Anselme de Cantorbéry. Il est vraisemblable que cette légende – qui comporte quelques passages qui ne figurent pas dans l’édition qu’en a donnée Th. Graesse71 – se trouvait déjà dans le manuscrit de la Légende dorée que Claude Pirusset avait réussi à
66 cxli, 114. 67 xlix, 41 ; cxvi, 175 ; clix, 126. 68 i, 173 et 198 ; xiii, 145. 69 xviii, 44 ; clix, 234. 70 « Explicit legenda sanctorum. Deus meus Ihesus Christus sit benedictus in secula. Deo gracia. Piruseti » (BCU, G 756, fol. 342r). 71 Iacobus de Voragine, Legenda aurea, vulgo historia lombardica dicta, Th. Graesse (éd.), Bratislava, 1890, Legendae a quibusdam aliis superadditae, De conceptione beatae Mariae virginis, chap. clxxxix 189, p. 870-872.
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se procurer. C’est en effet au terme de ce texte qu’on trouve un explicit beaucoup plus long, qui indique, comme on l’a dit, la date à laquelle le travail de copie a été terminé72. Aux folios 346v et 347r, Claude Pirusset a transcrit deux textes célèbres, deux prophéties de la Sibylle, qui concernent respectivement l’Incarnation et la Passion ainsi que la Résurrection du Christ. Ces deux prophéties étaient connues au Moyen Âge grâce surtout à saint Augustin, qui en avait donné une traduction du grec en latin dans le livre XVIII de La cité de Dieu73. La première prophétie, qui commence par les mots « Judicii tellus sudore madescit », a fait partie dans plusieurs régions de la liturgie de la Nativité jusqu’au concile de Trente74. La prophétie sur la Passion commence par les mots « In manus iniquas infidelium postea venit ». Ces deux textes ont circulé le plus souvent ensemble, et la version qu’on trouve dans le manuscrit de Lausanne est celle transmise par le sermon pseudo-augustinien De symbolo75. C’est grâce à ce dernier que s’est imposée au Moyen Âge l’idée que les deux prophéties de la Sibylle faisaient référence non seulement à la lutte contre l’incroyance des païens et des Juifs, mais également au Jugement dernier. D’après ce que l’on peut établir, les premiers 347 folios du manuscrit ont été copiés avant 1426. Cependant, une vingtaine d’années plus tard, Claude Pirusset a choisi de transcrire un autre texte hagiographique, à savoir le récit de la Conversion de sainte Catherine76. Comme il le déclare lui-même, le manuscrit utilisé pour réaliser cette copie a été un légendier de l’église de Valère, et le travail a été effectué le 1er juillet 144577. Nous n’avons pas pu établir quel est le légendier auquel a eu recours Claude Pirusset. Le recueil hagiographique sédunois connu sous l’appellation de Magnus legendarius et qui au xve siècle se trouvait depuis longtemps à la bibliothèque du chapitre de Valère, contient la Vie de sainte Catherine, mais non le récit de sa conversion78. On peut en
72 « Expliciunt flores sanctorum scripte per me dompnum Claudium Pirusseti vicarium ecclesie alme. Et finite fuerunt anno Domini millesimo cccco vicesimo sexto die xxiiia junii que fuit vigilia nativitatis beati Johannis Baptiste. Qui scripsit scribat et cum eterno Ihesu Christo eternaliter in secula seculorum vivat. Amen. Transit ad ethera virgo puerpera, virgula Jesse non sine corpore, sed sine tempore tendit ad esse. Ave Maria gratia plena. Ita est per me. Claudius Piruseti de Castronovo in Veromesio gebennensis dyocesis de decanatu Seysseriaci », fol. 346v ; voir aussi B. M. von Scarpatetti et al., Die Handschriften der Bibliotheken Bern - Porrentruy, Dietikon - Zürich, 1983, vol. i, p. 161. 73 l. 18, chap. xxiii. 74 G. M. Dreves (éd.), Analecta hymnica medii aevi, Leipzig, 1888, t. iv : Hymni inediti, no 9876, p. 15. 75 Contra Judaeos, paganos et arianos, sermo de Symbolo, Patrologia latina, t. xlii, chap. xvi, col. 1125-1127. Dans le texte, la lecture perpendiculaire de la première lettre de chaque vers donne la phrase en latin « Ihesus Christus Dei Filius Salvator ». On peut noter que Claude Pirusset a essayé de recopier aussi bien qu’il le pouvait les mots en grec. Le traité a en réalité été composé par Quodvultdeus (voir Opera, R. Braun (éd.), Turnhout, 1976, p. 227-258). 76 Bibliotheca hagiographica latina antiquae et mediae aetatis, t. i, Bruxelles, 1898-1899, n° 1669, p. 252-253. 77 « Incipit conversio beate virginis Katerine extracta ex legendario alme ecclesie Valerie sedunensis civitatis fundate ad honorem beate Marie Katerine scripta per me Glaud[ium] Pyrussetj anno Domini mo ccccmo xl quinto et die prima mensis jullii », fol. 347v ; voir aussi B. M. von Scarpatetti et al., Die Handschriften, op. cit., t. ii, 1, p. 161. 78 ACS, Ms. 10-11. Sur ce manuscrit voir B. de Gaiffier, « L’homiliaire-légendaire de Valère (Sion, Suisse) », Analecta Bollandiana, 73 (1955), p. 119-139. Je remercie très vivement Chantal et HansRobert Ammann pour les renseignements qu’ils m’ont fournis au sujet du Grand Légendier.
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revanche émettre l’hypothèse que Claude Pirusset a pu avoir accès à ce légendier grâce au curé de Cully et Béon, c’est-à-dire au Pierre Regis mentionné à propos de la naissance de l’enfant difforme. Qualifié de chapelain de l’évêque en 1438, devenu par la suite membre du chapitre de Valère, Pierre Regis est cité dans le testament de Guillaume II de Rarogne du 30 septembre 1450. Il était toujours curé de Cully et Béon en 1456. Il a testé le 12 novembre 1462 et est mort avant le 14 décembre de la même année79. Son intérêt pour les ouvrages et, semble-t-il, sa dévotion particulière pour sainte Catherine, sont confirmés par un missel que le chanoine de Sion a fait exécuter par Matthieu Rondelli en 1455, missel destiné exclusivement au grand autel et à l’autel en l’honneur de sainte Catherine de l’église de Valère80. Même si Pierre Regis ne résidait pas dans l’église du diocèse de Genève dont il était titulaire, on peut sans grand risque supposer que les deux clercs se connaissaient et que Claude Pirusset avait eu l’occasion de montrer son manuscrit au chanoine et d’apprendre au cours d’une discussion qu’il pouvait le compléter par une autre légende. Quant à savoir si le curé de Ceyzérieu s’est rendu jusqu’à Sion pour effectuer son travail de copie, ou bien si Pierre Regis lui a amené le volume, c’est là une question à laquelle rien ne permet de répondre. Le manuscrit de Lausanne n’a cependant pas conservé en entier la légende de la conversion de sainte Catherine, car le texte s’interrompt brusquement au fol. 349v. La note marginale du fol. 298r que nous avons déjà citée81, suggère qu’il était suivi par un texte concernant probablement les sept Psaumes pénitentiaux, texte qui ne nous est pas parvenu. En revanche, dans les quinze derniers folios, on trouve la reportatio de cinq sermons de Vincent Ferrier, copiés eux aussi par Claude Pirusset82. Il est impossible de savoir comment ces reportationes sont arrivées jusqu’au curé de Ceyzérieu. Ce que l’on peut établir, c’est qu’il s’agit de cinq des sermons prononcés par le célèbre dominicain à Montpellier en 1408, au début du mois de décembre. Dans le sermon qui a pour thema le verset Reminiscamini quia ego dixi vobis, Vincent Ferrier rappelle que certains prétendaient que la fin du monde devait avoir lieu 2615 ans après la naissance du Christ ; tout en réfutant cette idée, il ajoute que d’après cette prophétie il resterait encore 1207 ans83. Vers la fin du sermon, il raconte aussi que dans un couvent d’Outremer deux enfants
79 Cf. H. A. von Roten, « Zur Zusammensetzung des Domkapitels von Sitten im Mittelalter », Vallesia, 3 (1948), p. 100-101 ; Gremaud, Documents, no 2897, 3032. Précisons que le manuscrit de Pirusset est à ce jour le seul document qui atteste que Pierre Regis était déjà curé de Cully et Béon en 1435. 80 Le colophon indique que le missel a été écrit « die prima mensis aprilis, per me matheum Rondelli clericum et scriptorem ad opus venerabilis viri petri Regis can. sedunensis curatique beaonis et culi gebennensis dyocesis qui eum scribere fecit ad opus magni altaris ecclesie vallerie et altaris sancte Ka[te]rine et non aliorum », B. M. von Scarpatetti et al., Die Handschriften der Bibliotheken St Gallen - Zürich, Dietikon - Zürich, 1991, vol. i, p. 122. 81 Cf. supra, n. 24. 82 La mise en page du texte de la légende de la Conversion de sainte Catherine est différente de celle des sermons, ce qui montre que ces deux parties n’ont sans doute pas été copiées au même moment. Les cinq sermons sont attribués de manière explicite à Vincent Ferrier (« Magister Vicentius »). 83 « Et dicunt quod tantum durabit mundus post incarnacionem Christi quod sunt versus in psalterio, ita quod primus versus, scilicet “Beatus vir”, incipit loqui de incarnatione. Ergo computa et reperies in psalterio duo millia viC xv versus. Et sic mundus durabit adhuc per duccentos annos et septem » (BCU, G 756, fol. 352v).
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auraient annoncé la naissance de l’Antéchrist, et que cela s’était passé il y a cinq ans84. Cet épisode est évoqué également dans la célèbre lettre De tempore Antichisti que Vincent Ferrier adressa au pape Benoît XIII le 27 juillet 1412 – lettre qui contient de nombreux développements analogues à ceux présents dans les sermons copiés par Claude Pirusset – et dans laquelle le dominicain affirme que ce fait a eu lieu neuf ans auparavant85. Or, d’après un passage du Petit Thalamus publié par Henri Dominique Fages, on sait qu’en 1408 saint Vincent était à Montpellier, où il prononça neuf sermons, et que le mercredi 5 décembre, « sermonet aqui meteys del aveniment de antecrist que tost venra, e que segont alcunas revelacios ja es vengut e nat V ans a passatz, e fonc sa thema “Reminiscamini quia ego dixi vobis”86 ». Sans entrer dans les détails, on peut noter que les versets thématiques des quatre autres sermons recopiés par le curé de Ceyzérieu sont les mêmes que ceux des sermons prononcés à Montpellier87. L’ordre dans lequel les sermons se trouvent dans le manuscrit de Lausanne ne correspond cependant pas à l’ordre selon lequel, d’après le Petit Thalamus, les sermons auraient été donnés à Montpellier88. Les cinq sermons traitent de sujets qui font partie des thèmes habituels de la prédication du dominicain catalan : le jugement dernier et le destin des âmes dans l’au-delà – avec notamment une certaine prédilection pour la condition des âmes au purgatoire et l’importance des suffrages pour les morts – les différentes annonces concernant la venue de l’Antéchrist – présenté parfois comme étant déjà né – l’urgence pour chaque chrétien de se préparer à la fin des temps désormais imminente, etc. On a vu qu’il s’agissait de thèmes pour lesquels Claude Pirusset avait sans doute un intérêt assez marqué, même si les sermons n’ont fait l’objet d’aucune annotation. Mais le fait que notre curé ait choisi de recopier ces sermons, montre aussi que le souvenir de Vincent Ferrier après son passage dans les diocèses romands en 1403-1404, ne s’était pas perdu, ou tout au moins que sa prédication continuait d’exercer un certain attrait89
84 « Item quidam dixit michi quod fuit sibi dictum per aliquem qui viderat in conventu fratrum minorum ultra mare quod, dicto “benedicamus”, duo pueri que dicebant benedicamus fuerunt in aere elevati, et dicebant clamando : “hodie natus est antichristus”. Et sunt v anni elapxi et plus quod illa fuerunt facta » (BCU, G 756, fol. 354v). 85 Voir H. D. Fages, Notes et documents de l’histoire de Saint Vincent Ferrier, Louvain - Paris, 1905, p. 213224 ; le passage évoqué est à la p. 222. 86 H. D. Fages, Notes et documents, op. cit., p. 141. 87 Pour être tout à fait précis, on peut ajouter que trois themata correspondent à ceux des sermons prononcés du 2 au 5 décembre, alors que le sermon Beati mortui paraît avoir été prononcé le lundi 10 décembre à Loupian. Sur le passage de Vincent Ferrier à Montpellier et la prédication dans cette ville aux xive et xve siècles voir J.-A. Dérens, « La prédication et la ville : pratiques de la parole et “religion civique” à Montpellier aux xive et xve siècles », in La prédication en Pays d’Oc (xiie-début xve siècle), Toulouse, 1997, p. 335-362. À propos de la présence de Vincent Ferrier à Genève voir, dans le présent volume, « Vincent Ferrier et la prédication mendiante à Genève au xve siècle » p. 93-105. 88 Au fol. 365r du manuscrit de Lausanne, on trouve un renvoi à un « deuxième sermon », renvoi qui ne correspond pas au deuxième sermon qui se trouve dans le manuscrit, mais qui pourrait s’appliquer au sermon sur l’avent prononcé à Montpellier le samedi 1er décembre, qui est le deuxième sermon donné dans cette ville et qui ne figure pas dans le recueil de Pirusset. 89 Sur la présence de Vincent Ferrier en Suisse romande, outre le travail de H. D. Fages, voir S. Brettle, San Vincente Ferrer und sein literarischer Nachlass, Münster, 1924 ; L. Binz, « Les prédications “hérétiques” de Baptiste de Mantoue à Genève, en 1430 », in Pour une histoire qualitative. Études
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Conclusion Curé copiste, curé lecteur, curé soucieux d’améliorer ses connaissances, Claude Pirusset est sans conteste peu représentatif de la masse des desservants paroissiaux du xve siècle, même s’il faut se garder de le considérer comme une exception. Capable de lire et d’écrire le latin, sans doute en contact avec d’autres clercs susceptibles de lui procurer quelques-uns des textes dont il souhaitait réaliser une copie, le curé de Ceyzérieu semble avoir effectué son travail avant tout pour son propre plaisir et ses propres intérêts. Pourvu d’une culture qu’on a de la peine à imaginer très étendue – tout au moins si l’on juge d’après les sources dont on dispose – son manuscrit témoigne néanmoins de la présence dans les paroisses de quelques curés autodidactes qui, sans avoir l’ambition de faire une brillante carrière ecclésiastique, ont gardé un certain goût pour la culture et une certaine envie d’apprendre. Le manuscrit du curé de Ceyzérieu témoigne aussi d’un autre phénomène, qui est lui plus général et qui concerne l’usage de la Légende dorée qui, d’ouvrage destiné principalement aux prédicateurs, devient à la fin du Moyen Âge un ouvrage de plus en plus utilisé pour la lecture et l’édification privée. Rien n’indique, en effet, que Pirusset ait copié son texte pour mieux exercer son ministère sacerdotal, et son manuscrit, à la différence de ceux qui ont appartenu à des curés du diocèse genevois que nous avons évoqués plus haut, ne contenait apparemment aucun traité à caractère purement pastoral90. Les indications que les annotations marginales de Claude Pirusset fournissent semblent suggérer que notre curé était somme toute intéressé par la signification doctrinale des tâches sacerdotales qu’il était appelé à accomplir, qu’il attachait une assez grande importante au culte de la Vierge, à l’intercession des saints, à la prière, tout comme aux gestes et aux rites permettant de se protéger des attaques du diable et des forces du mal. Mais Pirusset paraît surtout avoir été soucieux de se renseigner sur les manifestations du surnaturel, le destin futur de l’homme et les réalités de l’au-delà, le Jugement dernier et la condition des âmes défuntes. S’agissait-il de préoccupations d’ordre eschatologique nourries par le sentiment que la fin des temps n’était pas loin et qu’il était urgent de se préparer à cet événement ? Peut-être, mais offertes à Sven Stelling-Michaud, Genève, 1975, p. 15-34 ; K. Utz Tremp, « Hérétiques ou usuriers ? Les Fribourgeois face à S. Vincent Ferrier (début du xve siècle) », Mémoire dominicaine, 7 (1995), p. 117-137 ; P.-B. Hodel, « Saint Vincent Ferrier à Aubonne ? Les prédicateurs d’après un registre de comptes de la ville (1408-1448) », Archivum fratrum praedicatorum, 69 (1999), p. 181-198. P.-B. Hodel a également édité les cinq sermons donnés à Estavayer-le-Lac : « Sermons de saint Vincent Ferrier à Estavayer-le-Lac en mars 1404 », Mémoire dominicaine, 2 (1993), p. 149-192. Les autres sermons du manuscrit de Fribourg ont été édités par S. Brettle, San Vincente Ferrer, op. cit., p. 177-194 (quatre sermons) et J. Perarnau i Espelt, « Les primeres “reportationes” de sermons de st. Vicent Ferrer : les de Friedrich von Amberg, Fribourg, Cordeliers, ms 62 », Arxiu de textos catalans antics, 18 (1999), p. 63-155 (sept sermons). Je remercie le Père P.-B. Hodel de m’avoir signalé et mis à disposition le travail de J. Perarnau i Espelt. 90 Il est vrai que le traité sur les sept Psaumes pénitentiaux ne nous est pas parvenu, et qu’on ne peut pas exclure à priori qu’il traitait de la Pénitence aussi d’un point de vue pratique.
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il est sans doute préférable de s’abstenir de donner une réponse catégorique à cette question sur la base uniquement de quelques traits de plume à côté d’une phrase, de quelques doigts pointés vers une ligne ou de quelques mots griffonnés dans la marge d’un folio.
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Si l’enquête menée contre l’évêque Aymon de Grandson en 1225 mentionne la prédication des frères du couvent des dominicains de Lyon à l’intérieur du diocèse de Genève1, force est de constater que les sources du xiiie siècle ne permettent guère de savoir si l’ouverture dans le courant des années soixante d’un couvent dominicain et peu après celle d’un couvent franciscain à Genève ont entraîné un essor de la prédication dans la ville. Même les constitutions synodales genevoises du xive et du xve siècle s’intéressent peu à la prédication2. Celles que l’évêque Pierre de Faucigny a promulguées au début du xive siècle réglementent l’activité des prédicateurs quêteurs3 et encouragent les dominicains et les franciscains à rappeler dans leurs sermons aux excommuniés qu’ils n’ont pas le droit d’assister aux offices. Ils les exhortent aussi à prêcher contre ceux qui ne viennent jamais à la messe4. Vers 1335, le même évêque prescrit aux curés du diocèse d’accueillir avec charité les frères mendiants et de leur permettre de prêcher avant que les quêteurs qui ont été dûment autorisés à exercer leur activité dans le diocèse n’annoncent leurs indulgences. Les statuts ordonnent également que la croisade soit prêchée par « des personnes idoines », aussi bien des réguliers que des séculiers5. Quatre ans plus tard, Pierre de Faucigny interdit aux carmes et aux augustins de prêcher et d’administrer la pénitence dans les églises paroissiales du diocèse sans l’autorisation explicite de l’évêque, décision
1 Cf. M.-Cl. Junod (éd.), L’enquête contre Aimon de Grandson, évêque de Genève : 1227, Genève, 1979, p. 90. 2 Les premières constitutions synodales qui nous sont parvenues sont celles de l’évêque Pierre de Faucigny. Elles ne sont pas datées, mais sont sans doute antérieures à 1317. Sur la littérature synodale du diocèse de Genève, voir L. Binz, Vie religieuse et réforme ecclésiastique dans le diocèse de Genève pendant le grand schisme et la crise conciliaire (1378-1450), Genève, 1973, p. 143-176 ; voir dans le présent volume « L’encadrement et l’instruction religieuse des fidèles d’après les statuts synodaux des diocèses de Genève et de Sion (xiiie-xve siècles) », p. 47-69. 3 Statuts non datés, AEG, Ms. hist. 47, fol. 129v. 4 Statuts de 1317, AEG, Ms. hist. 47, fol. 136v et 138r. 5 AEG, Ms. hist. 47, fol. 142v et 143r. Pour la datation de ces statuts, cf. L. Binz, Vie religieuse, op. cit., p. 172, n. 3.
Sur les routes des Alpes : Religieux, marchands et animaux dans la Suisse occidentale (xiiie-xve siècles), Franco Morenzoni, Turnhout, 2019 (Culture et société médiévales, 36), p. 93-105 © FHG10.1484/M.CSM-EB.5.117880
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qui, précise-t-il, concerne également ceux qui jouissent de prérogatives plus grandes, à savoir les dominicains et les franciscains6. Si l’on fait exception des articles qui réglementent l’activité des quêteurs – que les évêques du début du xve siècle ont essayé de contrôler et de limiter de plus en plus, estimant qu’elle était à l’origine de plusieurs abus et scandales7 – la législation synodale genevoise ne comporte pas d’autres mesures pour encadrer ou promouvoir la prédication dans le diocèse. Il est cependant vraisemblable qu’aussi bien les frères du couvent de Palais que ceux du couvent de Rive aient exercé le ministère de la Parole avec une certaine régularité. Vers 1357, un accord passé devant l’évêque entre les dominicains et les franciscains, dont le texte ne nous est pas parvenu, paraît avoir réglementé l’exercice de la prédication des Mendiants dans la ville et assuré une sorte de monopole de celle-ci aux frères des deux ordres, monopole qui sera tant bien que mal respecté jusqu’à la Réforme8. Il faut se contenter de renseignements très fragmentaires également pour ce qui concerne l’arrivée à Genève de Vincent Ferrier en décembre 1403 et son activité pendant son séjour dans la ville, qui s’est prolongé jusqu’à la mi-janvier de l’année suivante. En plus de la célèbre lettre envoyée depuis Genève le 17 décembre au général de l’ordre Jean de Puynoix – grâce à laquelle nous savons que le prédicateur aragonais a sans doute prêché dans la ville tous les jours et qu’il a reçu la visite de l’évêque de Lausanne9 – le seul document qui fait état de la présence du frère dominicain à Genève est le verbal d’un procès criminel instruit contre Aymon Berrod, accusé entre autres d’avoir essayé de voler les tissus qui ornaient la logia qui avait été construite pour l’occasion10. Le procès-verbal permet de préciser que Vincent Ferrier avait prêché à l’intérieur de l’enceinte qui protégeait le couvent des dominicains, situé
6 AEG, Ms. hist. 47, fol. 149v. 7 En 1409, l’évêque Jean Bertrand limite de manière drastique les quêteurs pouvant être admis : « Item, quia in nostri ciuitate et dyocesi plures sunt ordines mendicantes (et ecclesia et et eclesiastica ac add. cod.) ecclesiastica (scripsi, beneficiaque cod.) reparacione sumptuosa indigere euidencius agnoscimur, et quorum seruitores pro maiori parte non nisi de helemosinis patrie ualent et possunt sustentari, totque occurrunt inibi de diuersis mondi(!) partibus eciam, ut perpendimus, ignoti questores abusores, moribus et uita detestabilis deturpati, fabulas seminantes et eorum garrulacionibus et fabulis et simplicibus eorum dona falaciter(!) extorquentes […] ea propter, pia consideracione, duximus prouidendum hac presenti constitucione penitus reuocantes omnes et singulas litteras per nos et predecessores nostros acthenus quibuscumque questoribus sub quacumque uerborum forma concessas […] » (AEG, Ms. hist. 47, fol. 170v-171r). Des mesures analogues seront prises par l’évêque François de Metz dans ses statuts de 1431 (ibid., fol. 100v-101r). 8 AEG, Titres et Droits, NBa 4 fol. 60r-v ; cf. C. Santschi, « Genève », Helvetia Sacra, IV/5 (1999), p. 362. 9 Voir l’édition de la lettre dans P.-B. Hodel, « D’une édition à l’autre: la lettre de saint Vincent Ferrier à Jean de Puynoix du 17 décembre 1403 », P.-B. Hodel et Fr. Morenzoni (éd.), “Mirificus praedicator”: à l’occasion du sixième centenaire du passage de Saint Vincent Ferrier en pays romand ; actes du colloque d’Estavayer-le-Lac, 7-9 octobre 2004, Rome, 2006, p. 189-203. 10 AEG, Procès criminels, 1ère série, no 7. La mention de Vincent Ferrier dans ce document a été signalée par L. Binz, « Les prédications “hérétiques” de Baptiste de Mantoue à Genève, en 1430 », in Pour une histoire qualitative. Études offertes à Sven Stelling-Michaud, Genève, 1975, p. 20, n. 1.
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en dehors des fortifications de la ville11. L’emplacement avait sans doute été choisi car l’église conventuelle n’était pas suffisamment grande pour accueillir la foule de clercs et de laïcs qui, comme le remarque le procès-verbal, avait afflué de partout avec une grande dévotion. La logia était probablement en bois et recouverte de serges et d’autres ornements. Elle avait été auparavant consacrée, car elle avait servi à Vincent Ferrier non seulement pour prêcher mais également pour célébrer la messe12. Soumis à la torture, Aymon Berrod a fini par avouer en 1405 qu’il était bel et bien l’auteur de la tentative de vol13, laquelle avait échoué car certaines personnes, alertées par le bruit, étaient intervenues et s’en étaient prises violemment à Aymon et à ses deux complices les blessant très sérieusement. Un des complices était d’ailleurs décédé quelques jours plus tard à cause des coups reçus14. Ce qui est peut-être davantage intéressant, c’est qu’Aymon a également fini par avouer que son intention n’était pas de voler les tissus, mais de se venger des sermons que Vincent Ferrier avait prononcés contre l’adultère et le concubinage, désir de vengeance qui était sans doute né à la suite de la rumeur publique qui accusait Aymon d’avoir une maîtresse15. Un des articles d’accusation paraît même laisser entendre qu’à la suite des sermons de Vincent Ferrier l’évêque, le vidomne et la commune avaient décidé de réprimer plus sévèrement l’adultère en le punissant par la fustigation publique16. La prédication du dominicain aragonais n’est peut-être pas restée sans effet, car les comptes du vidomne de Genève révèlent au cours des années qui ont suivi son passage à Genève une augmentation significative du nombre des amendes infligées pour concubinage et adultère17. De Genève, Vincent Ferrier est reparti dans le courant du mois de janvier en direction de Thonon et de Saint-Maurice d’Agaune. Rien ne permet d’affirmer qu’il
11 La loge était « infra clausuras fratrum predicatorum conventi gebennensis constitutam vel constructam » (AEG, Procès criminels, 1ère série, no 7, fol. 1v). Sur le couvent de Palais, voir L. Blondel, Les Faubourgs de Genève au xve siècle, Genève, 1919, p. 32-46 ; C. Santschi, « Genève », art. cit., p. 352-390. 12 « […] et ad quendam tentorium seu logiam de pannis sargiis et aliis ornamentis bonis et pulcris (!) ac honestis ornatum seu ornatam ad honorem Dei et tocius curie supernorum, et ut honerabilius (!) Corpus Christi ibidem consacratur consecratumque jam fuerat et prius fuit consecratum et alia divina officia divinique sermonis laudabiliter pronunciabantur per reverendum fratrem Vincencium in sacra pagina magistrum, ad quem clerus et populus ex devocione miro modo undique affluebat […] » (AEG, Procès criminels, 1ère série, no 7, fol. 1v). À Montpellier aussi Vincent Ferrier célébrait la messe avant de prêcher (cf. Thalamus parvus. Le petit Thalamus de Montpellier, Montpellier, 1840, p. 446 et suiv.). 13 Les rumeurs sur son implication dans le forfait circulaient depuis janvier 1404, et le vidomne, dont Aymon était l’un des bedeaux, l’avait menacé de pendaison s’il était coupable. Il lui dit : « Ecce latro, caveas ne sis culpabilis de dicto maleficium, quia per fidem corporis mei ego faciam te suspendi si reperies culpabilis » (AEG, Procès criminels, 1ère série, n. 7, fol. 13r). 14 Ibid., fol. 2v-3r. 15 « Interrogatus qua decisione [dictas sergias elaceraverunt] dicit quod ex eo quod frater Vincencius in sua predicacione deffenderat ne tenerentur concubine » (ibid., fol. 25r). Les rumeurs concernant la concubine de l’accusé sont mentionnées au fol. 7r. 16 Ibid., fol. 3v. 17 Jusqu’à l’exercice comptable 1403-1404, le vidomne infligeait en général entre une et trois amendes par an pour ce type de faute. En 1404-1405, il en a imposées une bonne douzaine.
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est par la suite repassé par Genève, même s’il est possible qu’après son périple dans la région fribourgeoise il soit repassé par la ville pour se rendre à Lyon18. Faute de sources, il est impossible de dire si le séjour du prédicateur aragonais a contribué au développement de la prédication à Genève, comme cela a été le cas ailleurs19. Le seul document qui mentionne la présence en ville d’un prédicateur célèbre est une lettre pontificale datée de février 1423 qui indique qu’en 1418, à l’époque où le pape Martin V avait résidé pendant presque trois mois au couvent des cordeliers de Rive20, Fernand de Saragosse, un juif espagnol qui après sa conversion s’était consacré à la prédication, était venu jusqu’à Genève pour demander au pape de lui verser une rente annuelle de 150 ducats à prélever sur les revenus des synagogues dont avaient été dépossédés les Juifs du royaume d’Aragon. On ignore cependant si Fernand de Saragosse a profité de son séjour dans la ville pour y prononcer quelques sermons21. Il faut attendre 1430 pour avoir un éclairage un peu plus précis sur la prédication à Genève. Le 29 juin de cette année, alors qu’il était en train de prêcher devant le couvent des cordeliers, le bénédictin Baptiste de Mantoue a été publiquement accusé de proférer des affirmations contraires à l’orthodoxie par le dominicain Raphaël de Cardona22. Les accusations ont provoqué l’intervention de l’inquisiteur Ulric de Torrenté qui était alors en train d’instruire le procès contre les Vaudois de Fribourg23. Le conflit né entre le dominicain et le bénédictin est connu uniquement grâce à l’enquête qui a été diligentée sur ordre de l’évêque François de Metz24. Sans entrer dans les détails, car l’épisode est assez compliqué, on peut rappeler que Baptiste de Mantoue est arrivé en ville peu après Pâques. Accompagné par d’autres moines bénédictins, il a prêché pendant environ deux mois tous les jours, aussi bien au couvent des dominicains qu’à celui des franciscains. Baptiste avait été parmi les premiers moines qui avaient adhéré au mouvement de réforme initié par Ludovico Barbo au couvent de Santa Giustina de Padoue. Par la suite, sans doute vers 1415-16, il avait été envoyé à Milan pour participer
18 L’intérêt pour le prédicateur aragonais dans le diocèse était encore vivant dans les années quarante du xve siècle. En témoigne le manuscrit à usage personnel du curé de l’église de Ceyzérieux Claude Pirusset, qui a copié cinq reportations des sermons que Vincent Ferrier avait donnés à Montpellier, que nous avons éditées dans Fr. Morenzoni, « La prédication de Vincent Ferrier à Montpellier en décembre 1408 », Archivum Fratrum Praedicatorum, 74 (2004), p. 225-272. Sur Claude Pirusset, voir dans le présent volume, « La Légende dorée d’un curé du diocèse de Genève du xve siècle », p. 71-91. 19 H. Martin considère que le passage du prédicateur aragonais a été dans beaucoup de cités l’« épisode fondateur de la prédication itinérante financée par les autorités municipales et princières » (Le métier de prédicateur à la fin du Moyen Âge, 1350-1520, Paris, 1988, p. 155). 20 Martin V a séjourné à Genève du 11 juin au 3 septembre 1418 (cf. L. Micheli, Les institutions municipales de Genève au xve siècle, Genève, 1912, p. 151). 21 La lettre pontificale a été publiée par Shl. Simonsohn (éd.), The apostolic see and the Jews, t. ii : Documents 1394-1464, Toronto, 1989, p. 721-722. 22 Sur cet épisode, voir L. Binz, « Les prédications “hérétiques” », art. cit., p. 15-34. 23 Sur la carrière et l’activité d’Ulric de Torrenté, voir B. Andenmatten et K. Utz Tremp, « De l’hérésie à la sorcellerie : l’inquisiteur Ulric de Torrenté OP (vers 1420-1445) et l’affermissement de l’inquisition en Suisse romande », Revue d’histoire ecclésiastique suisse, 86 (1992), p. 69-119. 24 ASTo, C, Paesi, Ginevra, Cat. 1, paq. 7, no 23, fol. 1-46. Pour le texte latin de l’enquête et sa traduction, précédés d’une étude consacrée à cet épisode, voir Fr. Morenzoni, avec la coll. de I. Jeger, Le prédicateur et l’inquisiteur. Les tribulations de Baptiste de Mantoue à Genève en 1430, Lyon, 2006.
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à la réforme du monastère de San Dionigi. Dans cette ville, sa prédication avait obtenu un très grand succès, au point qu’il devait prêcher à l’extérieur car aucune église n’était assez grande pour accueillir tous les auditeurs. Pendant ces années, Baptiste a également prêché à Pavie et à Gênes et, d’après l’enquête de 1430, au Piémont, notamment devant Louis d’Achaïe, dont il paraît avoir été un des proches. Mais sa prédication enflammée, que le frère augustin milanais Andrea Biglia a condamnée avec virulence en la rapprochant de celle de Manfred de Verceil et, plus indirectement, de celle de Bernardin de Sienne25, a également suscité l’hostilité du duc de Milan, qui a fini par obtenir l’intervention du pape Martin V. En octobre 1418, le pape signifia à Baptiste l’interdiction de prêcher publiquement. Le bénédictin ne paraît cependant pas avoir respecté l’injonction pontificale. Emprisonné à Venise sur ordre du pape, une fois encore à la suite des sermons qu’il avait prononcés, il a été libéré en 1421 avec la prohibition de prêcher sans l’autorisation de son supérieur26. Selon toute vraisemblance, Baptiste, qui paraît avoir bénéficié de la protection de Ludovico Barbo jusqu’à la fin de sa vie, a très vite repris son activité de prédicateur itinérant, car l’enquête genevoise indique qu’il a prêché également à Florence, à Avignon, à Montpellier ainsi que dans le Dauphiné et en Catalogne. Lorsqu’il est arrivé à Genève depuis Chambéry, sa renommée était sans doute déjà assez grande, car quelques témoins de l’enquête déclarent qu’ils connaissaient déjà sa réputation de prédicateur. La nouvelle de sa présence à Genève a par ailleurs amené certaines personnes à faire le déplacement depuis Lausanne pour écouter ses sermons. Apprenant que Baptiste était en train de prêcher dans le diocèse, l’évêque François de Metz avait chargé son official d’aller à Rumilly pour se renseigner sur ce prédicateur. Avant de lui accorder la permission de prêcher en ville, assisté par des frères dominicains et franciscains, il l’avait également soumis à une sorte d’examen qui avait permis de confirmer son orthodoxie. L’accusateur de Baptiste est lui aussi un personnage intéressant. D’origine catalane, Raphaël de Cardona a été un des proches disciples de Vincent Ferrier. On sait qu’il était étudiant au couvent dominicain de Toulouse lorsque celui-ci avait prêché dans la ville en 1416. Avec un autre frère, Raphaël avait choisi de suivre le futur saint dans ses pérégrinations, ce qu’il a sans doute fait jusqu’à Vannes en 141927. Entre le 23 juin et le 2 juillet 1417, on le trouve à Mâcon en train de prêcher au couvent des dominicains de la ville. Le registre de l’échevinage le qualifie à cette occasion de « disciple et de la compagnie de mestre Vincent Ferrier »28. Après la mort du prédicateur aragonais, 25 Andrea Biglia évoque Baptiste de Mantoue, pour en critiquer vertement la prédication, aussi bien dans le Liber de institutis, discipulis et doctrina fratris Bernardini Ordinis Minorum (cf. B. de Gaiffier, « Le mémoire d’André Biglia sur la prédication de saint Bernardin de Sienne », Analecta Bollandiana, 53 (1935), p. 320-325) que dans l’Admonitio ad fratrem Manfredum Vercellensem ordinis fratrum minorum (cf. R. Rusconi, « Fonti e documenti su Manfredi da Vercelli O.P. ed il suo movimento penitenziale », Archivum Fratrum Praedicatorum, 47 (1977), p. 78-79). 26 Les trois lettres pontificales concernant l’épisode vénitien ont été éditées par I. Tasso, Ludovico Barbo (1381-1443), Rome, 1952, p. 157-158. 27 Cf. H. D. Fages, Procès de la canonisation de saint Vincent Ferrier : pour faire suite à l’histoire du même saint, Louvain - Paris, 1904, p. 426. 28 Le passage du registre de l’échevinage de Mâcon a été publié par H. Martin, Le métier de prédicateur, op. cit., p. 685.
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Raphaël de Cardona a choisi de rester en France : il a été affecté en 1421 au couvent de Barcelonnette et peu après, selon toute vraisemblance, au couvent de Lyon. À partir de 1423, sa présence régulière dans l’actuelle Suisse romande est assez bien attestée, car entre 1423 et 1432, il a prêché à plusieurs reprises à Fribourg, Romont, Aubonne et sans doute aussi à Genève29. Indépendamment de ses suites judiciaires, l’enquête de 1430 permet de constater que la prédication de Baptiste de Mantoue a été accueillie avec une certaine ferveur par les habitants de la ville. Certains témoins évoquent une assistance de plusieurs centaines de personnes massées devant l’église des cordeliers, sur la place dite gallilea30 que les documents de la fin du xve siècle appellent la place de la prédication (platea predicationis). Quelques autres soulignent qu’on n’avait jamais entendu quelqu’un prêcher avec autant de talent en ville de Genève et que ses sermons avaient permis à beaucoup d’habitants d’améliorer considérablement leur conduite morale. Le bénédictin a donné également un sermon solennel dans l’église des franciscains en présence du duc de Savoie et de très nombreux prélats et dignitaires du duché qui s’étaient réunis en mai et en juin au couvent de Rive pour discuter de la promulgation des Statuta Sabaudie. Ce sont les syndics de la ville qui avaient demandé à Baptiste de prolonger son séjour au-delà de la fête de la Trinité afin de prêcher sur la prédestination et à la Fête-Dieu. Pour le remercier d’avoir accepté leur proposition, ils lui avaient versé une aumône de 12 florins31. Baptiste de Mantoue est ainsi le premier prédicateur connu à avoir été rémunéré par la commune pour avoir prêché aux habitants de la ville. Certes, à cette époque l’usage de verser de l’argent à tel ou tel autre prédicateur n’était plus une nouveauté. Les comptes du chapitre, dont les premiers conservés couvrent l’année 1425-1426, révèlent que les frères mendiants qui prêchaient pour les Rogations, à la veille de l’Ascension et, dès 1435, à la fête de la Chaire de Saint-Pierre, recevaient chacun 4 sous32. Il est vraisemblable que certaines confréries versaient elles aussi un dédommagement au prédicateur qui prenait la parole lors du banquet annuel. Contrairement à ce que l’on peut observer dans d’autres villes telles que Fribourg, Saint-Maurice d’Agaune ou Aubonne, dont les comptes montrent que dès la première moitié du xve siècle les autorités communales prenaient en charge de temps à autre la rémunération de tel ou tel autre prédicateur, à Genève ce n’est qu’entre 1430 et 1450 que paraît s’être installée l’habitude de rétribuer les frères mendiants qui assuraient la prédication de
29 Cf. B. Hodel, « Saint Vincent Ferrier à Aubonne ? Les prédicateurs d’après un registre de comptes de la ville (1408-1448) », Archivum Fratrum Praedicatorum, 69 (1999), p. 189-190. 30 ASTo, C, Paesi, Ginevra, Cat. 1, paq. 7, no 23, fol. 36v. Les églises clunisiennes comportent parfois des galilées. Sur celles de Suisse romande, voir Kr. Krüger, « La fonction liturgique des galilées clunisiennes : les exemples de Romainmôtier et Payerne », in N. Bock et al. (éd.), Art, cérémonial et liturgie au Moyen Âge, Rome, 2002, p. 169-190. 31 Dans le mandat qu’ils adressent le 19 juin au trésorier de la ville, les syndics s’expriment très favorablement à l’égard de Baptiste de Mantoue : « Cum ille famosus frater Baptista monachus ordinis sancti Benedicti certo tempore proxime fluxo laudabiliter et profundissime verbum Dei predicando annunciaverit […] » (AEG, Finances, P 1, no 8). 32 Cf. AEG, Titres et droits, Cd 5 et Cd 6.
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carême33. Les lacunes dans la série des comptes de la ville ne permettent pas d’être davantage précis, mais on a tout de même l’impression que, lorsque le franciscain Pierre Mandi, maître en théologie, reçut 10 florins en mai 1451 pour avoir donné pendant carême un sermon chaque jour au couvent de Rive, cette pratique était désormais devenue courante34. À partir du milieu du xve siècle, les registres du Conseil et la comptabilité urbaine montrent que la commune rémunérait chaque année le frère dominicain ou le frère franciscain qui assuraient en alternance la prédication de carême35. Le montant de la somme versée aux prédicateurs pouvait varier d’une année à l’autre. Entre 1451 et 1457, elle fut de 10 florins de petits poids puis, jusqu’en 1485, le plus souvent de 12 florins. En 1486, le prédicateur reçut 14 florins, 16 florins l’année suivante et 20 florins en 148836. Il s’agit de sommes assez considérables, si l’on considère que le salaire du vidomne et châtelain de Genève était à cette époque de 25 florins par an. Dès l’année suivante, cependant, la commune ramena le montant à 10 florins si le prédicateur faisait aussi la quête après le sermon – mais avec interdiction de quêter dans les maisons privées – et à 5 écus au roi s’il ne la faisait pas37. Les registres du Conseil précisent parfois que le versement devait aussi servir pour acheter un vêtement au frère qui prêchait38. À partir de la dernière décennie du xve siècle, la commune commença à offrir au prédicateur, de manière plus ou moins régulière, également du bois et des chandelles39. La rémunération était en général versée dans les jours qui suivaient ou, plus rarement, précédaient Pâques. En avril 1474, cependant, les syndics de la ville prièrent un frère dominicain qui leur avait adressé une supplique pour savoir pourquoi il n’avait pas encore été payé, de faire preuve de patience, car ils n’étaient pas sûrs d’avoir assez d’argent en caisse40. Quelques années plus tard, ils refusèrent en revanche de prendre en charge les dépenses de nourriture, comme le demandait un autre frère dominicain41. Certaines années les syndics partageaient aussi un repas avec le prédicateur au couvent de Palais ou de Rive, dont ils prenaient en charge le coût et auquel étaient conviés également quelques notables de la ville42.
33 Le compte de 1429-1430 ne comporte en effet aucune dépense pour le prédicateur de carême (cf. M. Piguet Pasquier (éd.), Le registre de compte du receveur général de la commune de Genève, Berthet du Carre (1418-1429) : édition et commentaire, Mémoire de Licence de l’Université de Genève, 2 vol., 1978). 34 AEG, Finances, M 4, fol. 45. 35 En 1497, cependant, pour des raisons inconnues, c’est l’évêque qui rétribua le prédicateur de carême et non la commune (ASTo, C, Paesi, Ginevra, Cat. 14, paq. 3, no 3). 36 RCG, t. iv, p. 109 (1er avril 1488) ; la somme comprend également l’argent dépensé pour le bois et les chandelles donnés au prédicateur. 37 RCG, t. iv, p. 267. 38 RCG, t. iv, p. 191 (14 avril 1489) ; RCG, t. v, p. 22 (17 avril 1492). 39 RCG, t. vi, p. 28 (10 février 1502) ; p. 236 (7 février 1507). 40 RCG, t. ii, p. 270-271 (19 et 26 avril 1474). 41 RCG, t. iv, p. 5 (2 mars 1487). 42 AEG, Finances, M 7, fol. 218r et 219r (9 avril 1460) ; RCG, t. vi, p. 34 (3 mars 1502) ; t. vi, p. 115 (31 mars 1503).
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Les sources indiquent très rarement l’identité des frères à qui ont a confié la prédication de carême : le franciscain Pierre Mandi a prêché en 1451 et 145343, les dominicains Mermet Fichet, Michel Rubini et Robert de Londa respectivement en 1470, 1483 et 149744, Antoine Penneti, mentionné en tant que prieur du couvent de Palais en 148445, a donné les sermons de carême l’année suivante46. Antoine Penneti est un personnage assez connu : après avoir été nommé inquisiteur dans les diocèses de Lausanne, de Genève et de Sion, il a été ministre de la province de France de 1493 à 1503, date à laquelle il a obtenu l’autorisation de rester auprès de la cour ducale47. Parfois les comptes de la commune n’indiquent que le prénom du prédicateur ou la fonction qu’il exerce. En 1457, c’est un certain Gilles, un frère franciscain, qui prêche ; l’année suivante un dominicain qui s’appelle Gérard, alors qu’en 1452 et en 1454 c’est le lecteur du couvent de Palais qui prit la parole48. Parmi les prédicateurs rémunérés par la ville, plusieurs faisaient sans doute partie de ceux qu’Hervé Martin a appelé les professionnels de la Parole49. Même si les sources ne permettent pas souvent de savoir si c’est un des frères des deux couvents genevois qui a prêché ou bien un frère mendiant venu de l’extérieur, quelques indices donnent à penser que la prédication de carême était assez régulièrement confiée à des prédicateurs étrangers à la ville. En 1454, c’est un maître en théologie dominicain, un certain Nicolas, qui prêcha. Il fut par la suite accompagné à cheval jusqu’à Chambéry50. Vingt ans plus tard, en 1475, les syndics essayèrent de faire venir le franciscain de l’Observance Pierre Chambon lequel, cependant, paraît avoir refusé malgré l’insistance des autorités de la ville et avoir préféré prêcher carême, avec beaucoup de succès, à Mâcon51. Le choix d’inviter à Genève Pierre Chambon est peut-être à mettre en relation avec le chapitre des franciscains de la province de
43 AEG, Finances, M 4, fol. 45 et 276. 44 AEG, Finances, M 9, fol. 23v ; RCG, t. 3, p. 259 (1er avril 1483) ; AST, Corte, Paesi, Genève, Cat. 14, m. 3, no 3. 45 AEG, Titres et droits, Ce 5, fol. 73v. 46 RCG, t. iii, p. 399 (6 avril 1485). 47 Cf. Sv. Stelling-Michaud, « Les Frères-Prêcheurs en Suisse romande d’après les archives de Sainte-Sabine », Revue suisse d’histoire ecclésiastique, 33 (1939), p. 60, n. 3. En tant que provincial, Antoine Penneti a été amené à prêcher assez souvent, entre autres au couvent de Bourg-en-Bresse (cf. J.-D. Levesque, « Le couvent des Dominicains de Bourg-en-Bresse (1415-1789) », Bulletin des Sociétés Savantes de l’Ain, 3 (1975), p. 53). En 1488, les dominicains de Genève entreprirent des démarches afin de le destituer de sa charge de prieur. Interrogés par la commune sur les raisons de cette démarche, le sous-prieur et le procureur du couvent de Palais déclarèrent « quod jam multis annis [dominus Penenti] nullam fecit residenciam in conventu », RCG, t. iv, p. 160 (7 novembre 1488). Sur ce personnage, voir aussi C. Santschi, « Genève », art. cit., p. 382. 48 AEG, Finances, M 7, fol. 36r (26 avril 1457) ; M 7, fol. 122v (4 avril 1458) ; M 4, p. 164 (1452) ; M 4, p. 372-373 (18 juin 1454). 49 H. Martin, Le métier de prédicateur, op. cit., p. 146 et suiv. 50 AEG, Finances, M 4, fol. 372-373 ; Finances, P 1, no 45 (18 juin 1454). 51 Le 24 mars, les syndics apprirent que Pierre Chambon avait décliné leur offre. Ils décidèrent néanmoins de demander aux frères du couvent de Rive de le désigner en tant que prédicateur de carême et de lui écrire à nouveau (RCG, t. 2, p. 338). Sur Pierre Chambon, voir H. Martin, Le métier de prédicateur, op. cit., p. 160 et n. 78.
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Bourgogne qui s’était réuni au couvent de Rive en mai 1474 et qui avait attiré, semblet-il, un nombre assez important de frères de l’Observance dépourvus de moyens de subsistance52. D’autres frères de l’Observance ont néanmoins donné des sermons à Genève, comme par exemple un certain Basile, qui prêcha depuis carême jusqu’à la fête de la Trinité en 1454, ou frère Nicolas du couvent de Belley, à qui la commune remit une octane de froment en mai 1459 pour le remercier entre autres des « bons sermons » qu’il avait prononcés53. En 1484, la prédication de carême fut confiée à Jean Bourgeois, qui prêchera carême également à Lausanne trois ans plus tard54. Les syndics de Genève étaient en contact avec lui depuis au moins 147755. On trouve Jean Bourgeois à nouveau à Genève en novembre 1489, où il prêcha pendant quelques jours. Même si à Genève et à Lausanne les sermons furent donnés chez les dominicains, il est presque certain qu’il s’agit du célèbre franciscain de l’Observance Jean Bourgeois, qui avait été pendant quelques années le prédicateur et le confesseur de Charles VIII56. Jean Bourgeois a donc prêché à plusieurs reprises dans l’actuelle Suisse romande, car il avait déjà pris la parole en 1455 à Estavayer-le-Lac, sans doute pendant l’avent, et l’année suivante à Romont. Sachant qu’il était à Lausanne, les autorités d’Estavayer-le-Lac entreprirent en 1487 des démarches, dont on ignore l’issue, pour le faire venir une fois encore dans la ville57. Quelques années plus tard, les syndics de Genève essayèrent non sans peine de faire venir un autre prédicateur franciscain réputé, Étienne Pariset, dont on sait qu’en 1489 il a donné plus de 70 sermons de carême à Mâcon, mais aussi que la ville refusa de le rémunérer estimant qu’il avait récolté suffisamment d’argent grâce aux aumônes des fidèles58. Enfin, en 1493, le chapitre cathédral et les syndics demandèrent aux cordeliers de Rive de désigner un certain frère Quintin, qui avait déjà prêché auparavant en ville et qui était d’accord de revenir59. La commune acceptait parfois de verser une somme d’argent également à quelque frère de passage qui prêchait en dehors de la période de carême. Au mois d’août 1453, le maître provincial des franciscains, qui était en route vers Rome pour participer au chapitre général, s’arrêta quelques jours à Genève et profita de l’étape pour donner deux sermons par jour, ce qui lui valut le versement de 3 florins et 8
52 RCG, t. ii, p. 271 et 279. 53 AEG, Finances, M 4, fol. 373 ; AEG, Finances, P 1, no 45 ; RCG, t. i, p. 294. 54 E. Chavannes (éd.), « Extraits des manuaux du Conseil de Lausanne : (1383 à 1511) », Mémoires et documents publiés par la Société d’histoire de la Suisse romande, 35 (1881), p. 202. 55 Le sens de la démarche est peu clair : « De consensu quorum supra fuit conclusum quod Glaudius de Pemes iret ad fratrem Jo. Borgesii cui recommicteret civitatem » (RCG, t. iii, p. 6, 4 mars 1477). 56 Cf. H. Martin, Le métier de prédicateur, op. cit., p. 180 ; J. Theurot, Dole des origines à la fin du xve siècle : genèse d’une capitale provinciale, Dole, 1998, t. ii, p. 847-848. 57 P. Jäggi, Untersuchungen zum Klerus und religiösen Leben in Estavayer, Murten und Romont im Spätmittelalter (ca. 1300-ca. 1530), Einsiedeln, 1994, p. 230, 232, 430, 434, 435 n. 1. 58 RCG, t. v, p. 289 ; cf. H. Martin, Le métier de prédicateur, op. cit., p. 160 et 679. 59 AEG, Titres et Droits, Ce 7, fol. 55, cité par H. Naef, Les origines de la Réforme à Genève, Genève, 1936, t. i, p. 156 et n. 2.
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sous60. Une dizaine d’année plus tard, c’est un frère dominicain qui reçut 6 écus pour avoir prêché pendant l’été et organisé une procession générale61. Au début du xvie siècle, du bois de chauffage fut offert par les syndics au frère franciscain qui était en train de prêcher l’avent62. En règle générale, le prédicateur de carême paraît avoir été désigné en alternance par les prieurs des couvents dominicain et franciscain. Les syndics se limitaient à écrire au début de l’année une lettre pour connaître l’identité de celui-ci. La licence de prêcher était délivrée par le vicaire épiscopal, mais les syndics étaient consultés pour savoir si le prédicateur pouvait être admis à prêcher en ville. Au fur et à mesure qu’on approche de la fin du xve siècle, la commune semble cependant avoir joué un rôle de plus en plus actif dans le choix du prédicateur. En 1491, c’est elle qui demanda directement au ministre provincial des franciscains de lui envoyer un prédicateur, décision qui eut sans doute pour effet d’irriter les frères genevois, car quelques mois plus tard les syndics décidèrent de renoncer à faire venir le prédicateur qu’ils avaient désigné, à savoir le lecteur de Chambéry63. Cependant, au début du xvie siècle, les syndics s’adressèrent à nouveau au ministre de la province de saint Bonaventure pour lui demander de désigner un bon prédicateur « sachant distinguer entre lèpre et lèpre », comme le précisent les registres du Conseil64. Le droit de regard de la commune sur la prédication en ville est confirmé par d’autres épisodes. En 1462, les dominicains se plaignirent auprès des syndics parce que le chapitre, après avoir accepté le prédicateur qu’ils avaient proposé, avait permis à un carme de prêcher carême sur le parvis de la cathédrale Saint-Pierre, tout en ordonnant au dominicain d’attendre que le carme termine son sermon avant de commencer le sien. Les syndics se rendirent alors chez le vicaire pour demander que les deux pussent prêcher aux heures habituelles, mais décidèrent aussi qu’en cas de refus de la part du chapitre, ils auraient tout de même prié le dominicain de rester jusqu’au terme de son cycle de sermons afin de lui laisser la possibilité de proposer « une bonne conclusion »65. Lors de la venue de Jean Bourgeois, ce furent en revanche les frères mineurs qui protestèrent car ils avaient entendu dire que les syndics avaient décidé que personne d’autre n’aurait pu prêcher le carême en ville. Si la commune répondit qu’il ne lui appartenait pas de désigner les prédicateurs et
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AEG, Finances, M 4, fol. 298. AEG, Finances, M 7, fol. 504r (mandat du 15 août 1465). RCG, t. vi, p. 94 (16 décembre 1502). RCG, t. iv, p. 359 (29 mars 1491) ; RCG, t. iv, p. 443 (29 novembre 1491). Il n’est pas exclu que l’irritation des franciscains de Rive était due au fait que le lecteur de Chambéry prétendait déjà à cette époque avoir le droit de prêcher carême à Genève. Un acte du 5 juillet 1525 relate une réunion au cours de laquelle, sous la présidence du vicaire de l’évêque, les frères de Rive reconnurent que, puisque le lector principal qui avait la « cathedra ecclesiastica et scolastica » résidait à Chambéry, celui-ci jouissait effectivement de ce droit. Mais ils précisèrent aussi que le lector pouvait céder à d’autres cet office et que cela était déjà arrivé au moins une fois, lorsque la prédication de carême avait été confiée au custode de Lausanne Egidius de Blecourt (cf. AEG, Titres et droits, Couvent de Rive, NAa 12, fol. 93v). 64 RCG, t. vi, p. 351. 65 RCG, t. ii, p. 92-93 (14 mars 1463).
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qu’il fallait s’adresser au chapitre – qui trouva une solution de compromis en faisant prêcher Jean Bourgeois et le frère franciscain Machard alternativement le matin et l’après-midi au couvent de Palais et devant la cathédrale – le fait que les syndics aient accepté de rémunérer les deux prédicateurs semble malgré tout suggérer que les protestations des cordeliers genevois étaient tout au moins en partie fondées66. En 1486, ce fut d’ailleurs la commune qui interdit à un carme qui avait prêché pendant l’avent et qui souhaitait faire de même à carême de prendre la parole, en expliquant qu’il ne fallait pas innover67, position qui fut rappelée quelques années plus tard au vicaire épiscopal qui souhaitait apparemment déroger à l’alternance qui existait entre dominicains et franciscains au sujet de la prédication de carême68. D’après ce que l’on peut entrevoir, les interventions des autorités de la ville dans le domaine religieux étaient somme toute assez nombreuses. En 1487, c’est aux syndics que les dominicains et les augustins demandèrent l’autorisation de pouvoir jouer la Passion69 et, lorsque la peste était présente en ville, comme ce fut le cas en 1504, la commune n’hésitait pas à interdire toute prédication publique70. Au début du xvie siècle, les syndics décidèrent même, avant de revenir une semaine après sur leur décision, que seuls les frères dominicains et franciscains avaient le droit de prêcher à la Toussaint71. À côté des mesures qui visaient à imposer une certaine discipline pendant les offices religieux et la prédication – interdiction de jouer aux dés pendant la période de carême, de jouer en public pendant la messe et le sermon72, etc. – les syndics intervenaient aussi pour demander à tel ou tel autre prédicateur de prolonger son séjour en ville ou demandaient aux frères des deux couvents de prononcer des sermons à certaines occasions. Ainsi, par exemple, le 25 juin 1476, à la suite de la bataille de Morat et surtout de l’intention des Suisses de marcher sur Lausanne et Genève, la commune ordonna d’organiser des processions pendant trois jours et demanda que le prédicateur qui était présent en ville, dont l’identité demeure inconnue, fût retenu73. Au début du xvie siècle, les registres du Conseil montrent que parfois les autorités intervenaient aussi pour demander que des sermons soient donnés le premier dimanche de l’avent ou à la pentecôte74.
66 RCG, t. iii, p. 315 et 327 ; AEG, Titres et droits, Ce 5, fol. 55r : « Conclusum est quod frater Johannes Borgesii dominica proxima de mane in Palacio predicet et alius predicator post prandium ante Sanctum Petrum, et ita fiat alternative aliis diebus dominicis ». 67 RCG, t. iii, p. 521 (28 décembre 1486). 68 RCG, t. iv, p. 247 (29 décembre 1489). 69 RCG, t. iv, p. 10 (20 mars 1487). 70 RCG, t. vi, p. 192 (21 mai 1504). 71 RCG, t. vi, p. 82-83 (31 octobre 1502 et 8 novembre 1502). 72 RCG, t. iv, p. 188 (24 mars 1489) ; p. 178 (14 mars 1494). Les comptes du vidomne pour l’année 14901491 indiquent qu’un certain Louis Butea a été condamné à une amende de 18 deniers pour avoir joué aux quilles pendant le sermon (ASTo, C, Paesi, Genève, Cat. 13, m. 20, paq. 1). 73 RCG, t. ii, p. 449 (25 juin 1476). 74 RCG, t. vi, p. 158 (17 novembre 1503) ; p. 194 (24 mai 1504).
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Aucun des sermons prononcés à Genève au xve siècle n’a apparemment été conservé75. S’il est possible d’avoir une idée, à vrai dire très incomplète, des sujets qui ont été abordés en 1430 par le bénédictin Baptiste de Mantoue, les informations concernant le message religieux proposé par les frères mendiants dans leurs prêches se réduisent à bien peu de chose. En 1490, le prédicateur de l’avent paraît avoir traité entre autres des prostituées et des Juifs, car les syndics prirent acte que celui-ci avait déclaré que les premières auraient dû être séparées des femmes honnêtes et les seconds expulsés de la ville. C’est surtout lorsque les dires du prédicateur risquaient de perturber l’ordre public que les registres du Conseil offrent quelques renseignements supplémentaires. En avril 1461, le franciscain qui prêcha carême paraît avoir non seulement incité les autorités de la ville à prendre des mesures plus sévères afin de préserver la morale publique, mais aussi attaqué très violemment les Juifs en déclarant que, lorsqu’on les croisait dans la rue, il fallait les frapper avec les mains sans leur faire mal, tout en précisant « et vous m’entendez bien » (« et vos m’entendé byem »). À la suite de ces propos, plusieurs habitants, des pauvres mais également quelques notables76, s’étaient rendus après le coucher du soleil dans le quartier juif et avaient commis des déprédations et des actes de violence, obligeant les Juifs à se réfugier dans la maison communale77. L’épisode suscita d’abord les protestations des vicaires épiscopaux et ensuite celles du duc de Savoie, qui reprocha aux syndics d’avoir été incapables de faire respecter l’ordre public et d’être restés inactifs face aux vexations que les Juifs de la ville subissaient depuis plusieurs semaines. L’année suivante, ce furent les propos d’un dominicain qui inquiétèrent les syndics : celui-ci avait en effet déclaré dans un sermon prononcé au couvent de Palais que de graves incendies allaient frapper la ville au cours des prochains quarante jours à cause de l’impiété de ses habitants et de leur refus de se convertir78. D’une manière générale, les autorités urbaines semblent donc avoir été attentives au contenu des sermons donnés dans la ville, n’hésitant pas à intervenir lorsque cela leur semblait nécessaire. En 1488, les syndics discutèrent ainsi des erreurs qu’un frère augustin avait proférées pendant ses prédications, sans qu’on puisse savoir quel genre de décision ils prirent79. L’année d’après, lors du deuxième passage de Jean Bourgeois à Genève, ils semblent avoir peu apprécié certains propos de celui-ci – propos dont la nature n’est pas précisée – tout en renonçant à intervenir car le franciscain était sur 75 Dans les Chroniques de Genève, François Bonivard rapporte néanmoins une similitude qu’un cordelier, frère Mulet, aurait proposée dans un sermon prononcé en 1502 en présence du duc et de la cour (François Bonivard, Chroniques de Genève, G. Révillod (éd.), Genève, 1867, t. i, p. 291-292 ; cf. aussi H. Naef, Les origines, op. cit., t. i, p. 167-168.). On peut également noter qu’en 1481 une célèbre ars praedicandi faussement attribuée à Thomas d’Aquin fut imprimée à Genève par Louis Cruse (cf. A. Lökkös, Catalogue des incunables imprimés à Genève, 1478-1500, Genève, 1978, p. 67-71 ; sur cette ars, cf. Th.-M. Charland, Artes praedicandi. Contribution à l’histoire de la rhétorique au moyen âge, Paris, 1936, p. 85-88). 76 « […] fuerunt in dicto insultu, tam potentes quam pauperes », RCG, t. ii, p. 33 (22 mai 1461). 77 RCG, t. ii, p. 22-23 (7 avril 1461). Après le coucher du soleil, c’est la commune qui était responsable des tâches de police. 78 RCG, t. ii, p. 113 (22 juillet 1462). 79 RCG, t. iv, p. 107 (20 mars 1488).
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le point de quitter la ville80. Quelques années plus tard, mécontents de ce qu’un frère dominicain avait déclaré « sur la chaire de la vérité, en présence de tout le peuple qui l’écoutait », les syndics ordonnèrent tout simplement que dans son prochain sermon celui-ci devait dédire ce qu’il avait affirmé81. Au-delà de leur caractère anecdotique, ces interventions montrent qu’au xve siècle la commune a parfois exercé des pouvoirs relevant en principe des autorités ecclésiastiques. C’est d’ailleurs avec les représentants de la ville qu’en 1455 les dominicains et les franciscains passèrent un accord afin de garantir que chaque dimanche, aussi bien en hiver qu’en été, il y eut au moins un sermon destiné aux fidèles dans un des deux couvents82. Le plus souvent les syndics agissaient en étroite collaboration avec l’évêque, le chapitre et les couvents mendiants. Il est cependant indéniable qu’au cours de la deuxième moitié du xve siècle les autorités urbaines sont intervenues de plus en plus fréquemment pour régler des problèmes relevant de la sphère du religieux ou de l’organisation ecclésiastique, que ce soit pour soutenir les frères du couvent de Palais dans leurs démarches pour empêcher l’ouverture d’un nouveau couvent de Prêcheurs à Coppet, pour trouver une solution aux différends qui s’étaient manifestés au sein de la communauté dominicaine de Genève ou encore pour tenter de rétablir la discipline dans les couvents des cordeliers de Rive et des ermites de Saint Augustin83. En même temps, comme bien d’autres autorités urbaines de l’époque, celles de Genève ont elles aussi décidé à tel ou tel autre moment d’organiser ou d’encadrer des processions, de susciter des pratiques dévotionnelles ou encore de soutenir financièrement des événements à caractère religieux, comme par exemple l’ostension du Saint Suaire en 1453 aux couvents des dominicains et des franciscains84. Ces initiatives montrent que les élites urbaines qui dirigeaient les communes à la fin du Moyen Âge estimaient que parmi leurs tâches figurait également celle d’œuvrer pour le salut spirituel des habitants de la ville, mais qu’elles ont aussi considéré que les prédicateurs qu’elles rémunéraient étaient en quelque sorte au service de la ville. En 1502, les syndics précisèrent d’ailleurs que les dépenses consenties pour le franciscain chargé de prêcher carême l’avaient été « afin que sous la conduite de Dieu et l’aide de ce frère, les libertés de la ville demeurent intactes ». Et s’ils lui remirent des chandelles et du bois de chauffage pour pouvoir mieux étudier, ce fut aussi pour l’encourager à « mieux servir Dieu et la république »85.
80 RCG, t. iv, p. 238 (10 novembre 1489). 81 « De verbis per predicatorem Palacii in veritatis cathedra omni coram populo sermonem audiente prolatis, eidem fiat demonstracio, et que dixit dedicat in primo per ipsum sermone fiendo » (RCG, t. vi, p. 127, 16 juin 1503). 82 Cf. H. Naef, Les origines, op. cit., t. i, p. 156 ; C. Santschi, « Genève », art. cit., p. 362. 83 Cf. H. Naef, Les origines, op. cit., t. i, p. 250-251 et 260-261. 84 Sur la présence du Saint Suaire à Genève, voir en dernier lieu E. Pibiri, « L’acquisition du Saint Suaire par la Maison de Savoie en 1453 : de nouveaux textes », Rivista di storia della chiesa in Italia, 57 (2003), p. 155-164. 85 « […] ut Deo duce et dicti fratri juvamine, civitatis libertates remaneant illese » (RCG, t. vi, p. 34) ; « […] ut melius Deo et reipublice serviat et servire possit » (ibid., p. 28).
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Deuxième partie
Échanges et milieux naturels
François Walter
Introduction
L’itinéraire intellectuel de Franco Morenzoni s’autorise quelques détours qui peuvent paraître insolites ou simplement curieux. Cet analyste subtil des mots et des signes, à l’aise dans les espaces éthérés de la prédication, ce décrypteur de rêves et d’hérésies, capable d’apprécier les enjeux de la pastorale et de la liturgie, prend habilement le risque de passer « du grenier à la cave ». Je veux dire par là, en retournant la belle formule de Michel Vovelle1, que Morenzoni maîtrise aussi bien la culture religieuse – symbolisée par le grenier d’une maison, proche du ciel où vagabonde l’imagination – que les bases matérielles d’une société terrienne – les soubassements où l’on stocke vin, fromage et viande séchée. Même s’il apprécie la spiritualité des Mendiants, il sait que la devise bénédictine « Ora et labora » évoque les deux faces inséparables et concomitantes de l’humaine condition. Séduit comme tous les historiens de sa génération par les perspectives abyssales et le renouveau attendu des approches anthropologiques, il a très vite compris l’intérêt de redescendre du grenier aux fondements des réalités matérielles, parce que la théologie médiévale et les débats intellectuels ne peuvent guère être isolés et coupés complètement des préoccupations souvent triviales et des comportements de tous les jours de ceux qui constituent la majorité de la population. Dans son œuvre, ce cheminement s’accomplit avec beaucoup de pertinence de manière à échapper aux apories d’une certaine histoire des mentalités, trop souvent conduite comme suspendue hors du temps. L’historien opère alors ce qu’on peut appeler un « tournant critique », en rebondissant sur les propositions de reformuler des modèles d’intelligibilité historique qui eurent leurs moments forts durant les années 1990. Car, inévitablement – il faut le rappeler quand on relit les articles de cette section composés entre 1995 et 1998 –, toute recherche se situe dans un contexte. C’est celui-là même où évolue la communauté des pairs, habiles à légitimer le bon historien et à conférer l’audience nécessaire au partage des avancées de la discipline. Les textes ainsi rassemblés sous le titre global « Échanges et milieux naturels » appartiennent sans conteste à cette « autre histoire sociale » qui a inspiré passablement de beaux
1 Cf. M. Vovelle, De la cave au grenier: un itinéraire en Provence au xviiie siècle, de l’histoire sociale à l’histoire des mentalités, Québec, 1980.
Sur les routes des Alpes : Religieux, marchands et animaux dans la Suisse occidentale (xiiie-xve siècles), Franco Morenzoni, Turnhout, 2019 (Culture et société médiévales, 36), p. 109-112 © FHG10.1484/M.CSM-EB.5.117881
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f r a n ço is walt e r
travaux depuis trente ans. À ce titre, ces articles n’ont pas vieilli et ont conservé intacte leur valeur heuristique. Ce qui est singulier dans ce parcours, c’est la capacité du chercheur à jongler avec les échelles. Familier des pénitentiels et de la Légende dorée, dont la portée est universelle, il se réserve de surcroît un terrain de recherche très différent, d’échelle régionale et néanmoins prestigieux, le Valais et le Chablais des comtes et ducs de Savoie et quelques territoires voisins. L’historien des périodes modernes et contemporaines que je suis n’a aucune prétention face à l’immense érudition de son collègue d’histoire médiévale. Même accoutumé à côtoyer des chercheurs de divers horizons, c’est toujours un enchantement d’être confronté à l’expertise des médiévistes. Ils excellent à dénicher des sources documentaires dont l’identification, le maniement et la lecture restent inaccessibles au non initié. Et que d’imagination pour tisser ensuite une trame et donner sens à ce qui ressemble, de l’extérieur, à une collection de notations ponctuelles ! Comptes de châtellenie, comptabilité de l’Hospice du Grand-Saint-Bernard, notes de frais de voyageurs, contrats de ventes consignés par les notaires de Fribourg, toute documentation éparse dans différents dépôts d’archives, à Sion, Fribourg, Turin, qui fourmille de chiffres, que ce soient des mesures, des quantités, des prix. Et encore faut-il se dépêtrer entre muids, setiers, fichelins, si divers d’une région à l’autre, sans parler des deniers, florins et autres sous et de leur conversion en métal précieux. Qu’en tirer quand chaque village ou presque a ses usages ? Sans compter, comme l’écrit Morenzoni, que le Moyen-Âge « n’a pas fait preuve d’un goût très marqué pour la précision des chiffres »2. Patiemment reconstituées, ces séries relèvent a priori de l’histoire économique. S’intéresser aux céréales sur le long terme pour dessiner une courbe des prix ressemble à première vue à une opération très classique à laquelle les maîtres de l’histoire structurale ont conféré naguère un statut privilégié : une aura de scientificité qui distingue la véritable histoire habile à établir les régularités, les trends et leurs clochers. Non content d’en rester à la lecture littérale des hausses et des plongées du cours du seigle, céréale si importante pour l’alimentation des régions de montagne, l’auteur s’efforce d’y discerner les effets sur les équilibres hommes-ressources. La peste, celle qui frappe si durement l’Occident dès 1349 pour revenir ensuite notamment vers 1361 puis 1450, prend alors la première place. Ce sont ses ponctions démographiques qui atténueront à l’avenir les effets négatifs des mauvaises récoltes. Déjà l’intérêt se déplace. Ce n’est plus la série reconstituée, un résultat en soi dont on aurait tort de minimiser l’importance, qui constitue la finalité, mais bien ce dont elle fournit en creux le miroir, à savoir les conditions de vie. Tous les prix sont ici soigneusement comparés aux salaires : un cheval de qualité moyenne vaut aussi cher qu’un faucon dressé mais équivaut à quatre fois le salaire annuel d’un ouvrier tisserand ! Comment pourrait-on mieux appréhender une société dans sa précarité et ses tensions vitales qu’en découvrant un mode de rapport à l’environnement par ailleurs soigneusement
2 Cf., dans le présent volume, « Contribution à l’histoire des prix des céréales et des fèves en Valais à la fin du Moyen Âge d’après les comptes de châtellenie (vers 1270-1450) », p. 133-161.
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aménagé et anthropisé dont on mesure la fragilité ? Certes, l’écologie n’existe pas encore mais les paysans ont de leur milieu une connaissance intuitive et expérimentale. La surexploitation des terroirs et la déforestation hasardeuse se paient par des catastrophes naturelles qu’on cherche à éviter. Tel est le coût immédiatement sanctionné de la vulnérabilité. Cette intuition, Morenzoni l’a approfondie dans plusieurs articles. Ainsi sa « note » sur l’ours dépasse de loin ce que la modestie du titre laisserait supposer. Soixante-treize plantigrades ont été abattus entre Sion et Villeneuve durant la période 1373-1466 ! Ces chiffres officiels cachent une réalité sûrement assez différente car nombre de ces bêtes ont échappé au contrôle des châtelains. Et pourtant, ce n’est pas une mince affaire que de chasser l’ours ! Les communautés villageoises sont tenues de participer aux battues et de bloquer les passages. Et les paysans qui l’ont occis viennent offrir au châtelain symboliquement en signe de soumission une partie de la bête. C’est donc une chasse de prestige car, contrairement au loup qui fait peur et attaque les animaux domestiques, l’ours paraît plutôt inoffensif. Les documents ne mentionnent guère de dommages dus à sa présence que la densification de l’habitat inexorablement raréfie. Beaucoup plus raffinée, la chasse au faucon constitue l’un des loisirs les plus caractéristiques de l’aristocratie médiévale. L’art de la fauconnerie suscite un commerce important non seulement de faucons, l’oiseau le plus cher et le plus recherché, mais aussi d’autours, de gerfauts et d’éperviers. C’est que les rapaces ne se reproduisent pas en captivité. À ce trafic, Morenzoni est sans doute le premier à s’être intéressé pour l’espace alpin. Là encore, de manière très astucieuse, il en évalue l’importance en dressant soigneusement des listes à partir des taxes prélevées aux péages du comté de Savoie. En outre, comme ledit comte détient le droit de dénicher, des oiseleurs ont été engagés pour surveiller les aires et capturer les jeunes oiseaux de proie nichés sur les parois rocheuses dans la perspective de les affaiter. Dans les châteaux, des volières sont aménagées pour entretenir à grand frais les équipages de voleries. Avec le cheval, ce sont encore des comptages qui permettent de saisir l’importance d’un commerce qui accompagne l’émergence du féodalisme. Rien qu’au péage de Saint-Maurice, de 1281 à 1350, ont transité plus de 15 000 équidés. Difficile néanmoins de s’y retrouver entre le haut de gamme (destriers et coursiers), le cheval utilitaire (palefrois, haquenées) et le bas de gamme pour le paysan (sommier, roncin). Les circuits d’échange restent opaques et les contrats de vente mentionnant l’animal sont peu bavards. Il n’empêche, au détour d’un paragraphe, on glane de précieux détails sur la variété des couleurs de robe (moins uniformes qu’aujourd’hui) et le fétichisme de certaines d’entre elles, ou encore la symbolique des basanes, ces taches blanches des pieds de l’animal. Si l’histoire sociale est omniprésente dans les travaux de Morenzoni, il faut surtout souligner le caractère totalement novateur des objets de recherche retenus. L’histoire des animaux s’est aujourd’hui étoffée de nombreux ouvrages. Voici une vingtaine d’années, rares étaient les historiens qui, à l’instar de Robert Delort, le prédécesseur de Morenzoni à l’Université de Genève, avaient défriché ce champ nouveau de
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l’histoire environnementale3. Certes la modestie qui sied à un chercheur de fond ne l’autorisait pas à insister lourdement sur son propre caractère de pionnier. Morenzoni se borne à signaler qu’il se risque dans un « domaine relativement peu exploré ». Et quand il se lance sur un nouveau projet, celui de l’histoire des voyages, il concède que sa démarche remet en question l’image d’une société médiévale sédentaire et peu mobile. Or, en 1997, ce champ est lui aussi totalement neuf. Qui pouvait imaginer que l’attention aux conditions matérielles des déplacements allait constituer un véritable objet d’histoire ? Et pourtant c’est tout l’enjeu d’un travail méticuleux qui relève les itinéraires, les temps de parcours, les dépenses des voyageurs. Quelques notations précieuses sont soigneusement consignées car elles en disent long sur le quotidien : ainsi un muletier s’en va jusqu’à Genève prendre livraison d’une cargaison de harengs destinés au carême des moines du Grand-Saint-Bernard. Et l’on découvre en notre temps de vitesse, de mobilité low cost et de frénésie touristique, combien pour le voyageur médiéval le déplacement est long et onéreux. Un Milan-Genève prend une quinzaine de jours au xive siècle et occasionne des dépenses journalières qui représentent quatre fois le salaire d’un ouvrier ! Et encore s’agit-il de voyages ordinaires comprenant des étapes d’une quarantaine de kilomètres par jour. L’activité polymorphe de Franco Morenzoni l’a donc conduit à ouvrir de nouveaux chantiers sans craindre de se heurter aux lacunes de l’historiographie. À chaque fois aussi, le médiéviste suggère des pistes de recherche, indique des séries documentaires qui attendent leur historien. Il y a vingt ans, nous nous trouvions incontestablement sur un front pionnier. Les grands projets comme ceux de la Fondation ViaStoria venaient à peine de commencer et ne se sont ensuite guère intéressés à l’époque médiévale. Pas plus que des auteurs reconnus comme Sylvain Venayre qui a limité son Panorama du voyage à l’époque contemporaine4. Michel Pastoureau a certes écrit sur l’ours, un « roi déchu », mais, plus tard, en 20075. Daniel Roche n’avait pas encore commencé son ouvrage monumental sur La culture équestre occidentale6. Quant aux travaux d’Alexandre Scheurer sur les animaux sauvages du Valais et de Matthieu de La Corbière sur la fauconnerie du comté de Genève, ils datent des années 20007. C’est dire que les intuitions morenzoniennes étaient toutes astucieuses et clairvoyantes en anticipant pleinement de nombreux travaux plus récents. Certains de ses étudiants ont suivi ensuite le maître, plus d’ailleurs en histoire culturelle que sur les thèmes évoqués dans cette introduction. C’est pourquoi il faut souhaiter que d’autres chercheurs aient la patience de retourner dans les archives se confronter aux sources, celles auxquelles Franco Morenzoni a su donner la parole pour illustrer brillamment cette période médiévale qui ne cesse de nous étonner.
3 R. Delort, Les animaux ont une histoire, Paris, 1984. 4 S. Venayre, Panorama du voyage (1780-1920) : mots, figures, pratiques, Paris, 2012. 5 M. Pastoureau, L’ours : histoire d’un roi déchu, Paris, 2007. 6 D. Roche, La culture équestre occidentale : xvie-xixe siècle : l’ombre du cheval, 3 vols, Paris, 2008-2015. 7 Al. Scheurer, Animaux sauvages et chasseurs du Valais : huit siècles d’histoire (XIIe-XIXe siècle), Fribourg, 2000 ; M. de La Corbière, « La fauconnerie dans le comté de Genève à la fin du Moyen Âge », De la pierre au parchemin : trésors d’histoire savoyarde : mélanges dédiés à la mémoire de Gérard Détraz, Annecy, 2007, p. 91-122.
Voyages et déplacements depuis le Valais à la fin du Moyen Âge
Depuis quelques années, le regain d’intérêt pour les voyages et les voyageurs du Moyen Âge s’est traduit par un nombre assez important de colloques et de monographies qui ont considérablement accru nos connaissances dans un domaine jusqu’alors relativement peu exploré1. Ces travaux, comme le souligne Claude Gauvard dans l’avant-propos de Voyages et voyageurs au Moyen Âge, réunissant les contributions présentées à un récent colloque, ont permis de remettre en discussion l’image traditionnelle d’une société médiévale sédentaire et peu mobile2. Certes, nul n’ignore l’importance des pèlerinages et de leur forme « militaire » – les croisades – pour la spiritualité médiévale. Des « pieds poudreux » qui fréquentaient les foires régionales aux facteurs des grandes sociétés qui se rendaient d’une place commerciale ou financière internationale à l’autre, des ermites et des prédicateurs itinérants qui parcouraient de vastes régions pour distribuer le verbum Dei aux hérétiques en perpétuel déplacement pour éviter les rigueurs d’une justice ecclésiastique de plus en plus sévère, du chevalier « errant » d’un tournoi à l’autre en quête de gloire, de richesse et si possible d’une femme bien dotée aux clercs et aux étudiants à la recherche d’un savoir de moins en moins rare qui passaient d’un centre d’études à l’autre, sans oublier les missionnaires, les explorateurs, les ambassadeurs, les bannis et bien d’autres personnages encore, les sources médiévales nous livrent des portraits parfois saisissants, mais le plus souvent assez pauvres pour ce qui est des conditions matérielles du voyage lui-même. Si les récits que les voyageurs eux-mêmes nous ont transmis ou les chroniques et les textes narratifs permettent en général de mieux percevoir comment étaient vécus les déplacements aventureux à travers des terres peu connues et souvent dangereuses, ces textes sont avant tout intéressants car ils fournissent des renseignements sur la flore, la faune, les populations ou les paysages observés ou parce qu’ils permettent
1 Les plus récentes études sur les voyages sont signalées par N. Coulet dans son introduction au volume Voyages et voyageurs au Moyen Âge. Actes du xxvie congrès de la société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur Public, Limoges-Aubazine, mai 1995, Paris, 1996, p. 9-29. 2 Ibid., p. 7.
Sur les routes des Alpes : Religieux, marchands et animaux dans la Suisse occidentale (xiiie-xve siècles), Franco Morenzoni, Turnhout, 2019 (Culture et société médiévales, 36), p. 113-132 © FHG10.1484/M.CSM-EB.5.117882
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d’entrevoir les conditions psychologiques dans lesquelles s’est effectué le déplacement. Sauf exceptions notables, il faut cependant recourir aux sources administratives – et en particulier aux comptes – pour obtenir des renseignements à peu près précis et fiables au sujet des moyens de transports, des itinéraires empruntés, de la vitesse de marche, des étapes, des coûts, etc. Comme le montre, parmi d’autres, la belle étude que Françoise Badel a récemment consacrée aux dépenses consenties pour permettre à l’évêque Guillaume de Challant et à ses accompagnateurs de se rendre à Nuremberg depuis Lausanne, ce type de document permet en effet d’aborder – non sans un certain nombre de difficultés – plusieurs aspects relatifs aux voyages que les autres sources laissent le plus souvent dans l’ombre3. L’existence sur le territoire du Valais de deux des principaux cols alpins permettant de relier le nord au sud de l’Europe a fait de cette région, depuis au moins l’Antiquité, un point de passage sinon obligatoire du moins très fréquenté par nombre de soldats, de pèlerins, de marchands ou de voyageurs plus ou moins importants qui, pour une raison ou une autre, devaient traverser les Alpes4. Si certains d’entre eux ont laissé un souvenir – parfois ému – des difficultés qu’ils ont dû surmonter pour se rendre d’un versant à l’autre des Alpes, la presque totalité d’entre eux n’a laissé aucune trace des conditions dans lesquelles ils ont effectué leur voyage5. L’arrivée et l’installation depuis le dernier quart du xiiie siècle de nombreux prêteurs d’argent ou marchands originaires du Piémont et de la Lombardie ont sans aucun doute contribué à rendre plus intenses les relations entre le Valais et le nord de l’Italie. On sait que de nombreux « Lombards » du Valais ont entretenu des relations très étroites avec leurs régions d’origine, où ils se rendaient aussi bien pour des raisons de travail que familiales. C’est ainsi, par exemple, que l’accord conclu en 1336 entre la veuve du marchand d’origine italienne Wariscolus de Poldo et les fils de ce dernier prévoyait que la première gardait l’usufruit de la maison, mais que les fils avaient le droit d’y loger et d’y déposer leurs marchandises chaque fois
3 F. Badel, Un évêque à la Diète. Le voyage de Guillaume de Challant auprès de l’empereur Sigismond (1422), Lausanne, 1991. 4 On trouvera une importante bibliographie sur les routes et les transports alpins, y compris ceux du Valais dans L. Frangioni, Milano fine Trecento. Il carteggio milanese dell’ Archivio Datini di Prato, t. i, Florence, 1994, en particulier p. 359-404. Voir aussi P. Dubuis, « Pèlerins et indigènes dans la châtellenie d’Entremont au bas Moyen Âge (xive-xve siècles) », Vallesia, 36 (1981), p. 33-60 ; Id. (éd.), Ceux qui passent et ceux qui restent. Études sur les trafics transalpins et leur impact local. Actes du colloque de Bourg-Saint-Pierre, 23-25 septembre 1988, Orsières, 1989 (en particulier les articles de A. Lugon et de J.-D. Morerod) ; et, dans le présent volume, « Le mouvement commercial au péage de SaintMaurice d’Agaune à la fin du Moyen Âge (1281-1450) » p. 217-277. Sur la mobilité des hommes à travers les Alpes voir aussi G. Castelnuovo, « Tempi, distanze e percorsi di montagna nel basso medioevo », in Spazi, tempi, misure et percorsi nell’Europa del bassomedioevo, xxxii Convegno storico internazionale, Todi, 8-11 octobre 1995, Spolète, 1996, p. 211-236. 5 Voir, par exemple, les Gesta abbatum Trudonensium, qui relatent les péripéties fort intéressantes de l’abbé de Saint-Trond et de l’archidiacre de Liège pour traverser le Grand-Saint-Bernard pendant l’hiver 1128-1129 (Gremaud, Documents, n° 122), ou la remarque du biographe du pape Grégoire x qui, de retour à Lausanne, emprunta le Simplon « discriminosis montis Brigiae pontibus se exponens » (Gremaud, Documents, no 833).
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qu’ils venaient à Sion depuis la Lombardie6. Ces déplacements en quelque sorte de routine, n’étaient pas toujours exempts d’un certain danger, car en 1380 un acte fait état d’un autre marchand italien établi à Sion, Damien Drago, qui avait été assassiné en Lombardie et dont toutes les marchandises avaient été volées7. Bien entendu, on pourrait multiplier à loisir les textes qui mentionnent des déplacements effectués par des habitants du Valais. Mais, une fois encore, toutes ses sources restent muettes sur les étapes, la durée des déplacements, les coûts, etc.
Trois voyages entre Sion et Milan en 1365 Conservé aux archives du Chapitre de Sion, un petit cahier en papier de huit feuillets a en revanche gardé la trace des dépenses engagées par un personnage anonyme pour accompagner depuis Sion jusqu’à Milan une certaine Jenxina, femme de Jean Charlet8. Ce premier compte est suivi de deux autres qui contiennent les frais soutenus par l’accompagnateur pour retourner à Sion et, après un court séjour de deux jours dans la ville épiscopale, se rendre à nouveau dans la grande métropole lombarde. À notre connaissance aucun document ne permet de connaître les raisons et les circonstances de ces déplacements, dont on peut seulement dire qu’ils ont eu lieu entre le 1er et le 24 septembre 1365. Le texte
La transcription respecte autant que possible l’orthographe du manuscrit et toute intervention pour rendre plus compréhensible le texte a été indiquée en note. Pour simplifier les renvois au texte, nous avons numéroté chaque paragraphe. 1. [p. 2] Anno Domini mo ccco lxvo die prima mensis septembris9, continentur expense facte per Jenxinam uxorem Johannis Charlet. 2. Primo expendidit Sedunum in domo Pagani vii denarios cum obolo. 3. Item pro equo quem habuit a Stevenino ii solidos. 4. Item apud Sirro ii denarios cum obolo. 5. Item dicta die in sero apud Leucam pro cena et in crastino pro totam diem, die prima et secunda mensis septembris, xvi denarios. 6. Item dicto Franchodo pro pena sua iiies quinquianos. 7. [p. 3] Item pro curro de Leuca usque ad Brigam v solidos. 8. Item apud Vespiam xi denarios tam pro vino quam pro gallina quam expendidimus in Semplono. 9. Item apud Brigam in sero10 pro cena nostra xv denarios.
6 ACS, Min. B 10, p. 103. 7 ACS, Min. A 39, p. 99-100. 8 ACS, Computi varii 13bis, no xx, p. 2-15. 9 septembris] post cor. sup. lin. augusti. 10 sero] cero.
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10. Item pro tribus equis usque ad Senplonum nobis ! et fardellum nostrum ducendum xi11 quinquianos. 11. Item ibidem apud Brigam de mane12 pro13 uno pane die iv mensis septenbris. 12. Item dicta die apud Senplonum vi denarios maur. 13. Item pro uno equo qui aducit eam apud Devero ivor grossos. 14. Item pro fardelo suo usque ad laycum xxti grossos. 15. Item apud Devero in cena i grossum. 16. [p. 4] Item die v mensis septenbris pro fardello de14 xvi rublo15 cum dimidio qui erat a Devero, vii quinquianos. 17. Item pro16 uno equo pro ipsa usque a Domo iii17 quinquianos. 18. Item pro alio fardello ponderato apud Devero xxi rubio cum dimidio, dimidium florenum. 19. Item die via 18 apud Domum Osulle pro curro usque ad navem Vigonie, dimidium florenum. 20. Item ibidem pro expensis nostris, iv grossos. 21. Item ibidem i aliud grossum deliberato famulus ! 22. [p. 5] Item dicta die pro nave Vigonie, vi denarios. 23. Item pro curro usque ad laycum de Marcuel vi grossos. 24. Item pro pedagio ibidem viii grossos, viii denarios. 25. Item uno alio famulo qui ivit a nobis quesitum cum curro, vi denarios. 26. Item dicta die apud Marguel in primo sero, viii denarios. 27. Item pro filia iii denarios sibi datis. 28. Item die viia mensis septenbris pro mane nave usque ad Levens19 quinque grossos. 29. Item de alia parte i grossum ex eo quod non debebant ire die dominica fardellis et cet. 30. Item dicta die apud Pallant i grossum datum illis de nave pro vino. 31. [p. 6] Item pro prandio nostro x denarios apud Palant. 32. Item in quadam taberna in itinere, viii denarios. 33. Item in taberna una alia, viii denarios. 34. Item pro uno equo de Lavens usque ad Varez, iiii grossos. 35. Item pro una gallina, i grossum. 36. Item apud Varel in cena20… 37. Item die viiia mensis septenbris apud Varel in domo ospitis, iii grossos.
11 xi] post. cor. sup. lin viii. 12 Apud Brigam de mane] post corr sup. lin. in Semplono ollam. 13 pro] vino add. et del. 14 de] sup. lin 15 rublo] sup. lin. 16 pro] repetit. 17 iii] grossos add. et del. 18 septembris] aprilis. 19 levens] post corr. sup. lin. Palant. 20 Dépense pas indiquée.
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38. Item dicta die pro uno equo usque ad ivuor milliarum ultra Tresdal, iii grossos cum dimidio. 39. [p. 7] Item pro uno famulo qui venit cum equo, ii grossos. 40. Item in itinere pro societatibus circa iios grossos, usque ad Mediolanum21. 41. Summa lvii solidos maur. 42. [p. 8] Item die 22 mensis septenbris, die prima qua exivi de Mediolano, primo pro caligis et sotularibus, vii grossos. 43. Item dicta die pro prandio23 meo, i grossum. 44. Item dicta die pro potu ad merendam, xii denarios. 45. Item dicta die in Castellione, ii solidos vi denarios tam pro lecto quam pro aliis negociis. 46. Item die xiii mensis septenbris pro prandio meo et unius socii qui ducit michi iter, ii grossos. 47. Item dicta die in duabus tabernis pro me et socio meo, xvi denarios. 48. [p. 9] Item dicta die pro duabus denariatas ficuum, ii denarios. 49. Item Guyoto de Lavens pro nave usque ad Palant, unum grossum sive ii solidos. 50. Item ibidem pro pane, carnibus et vino, i grossum24. 51. Item pro uno famulo qui ducit me de Varel ad Lavens, ii solidos(?) viii denarios. 52. Item apud Palant pro Bertoleto dicto Iudes(?), pro nave sua usque ad Marguel, i grossum, die xiiii septenbris. 53. Item dicta die in loco de Palant pro cena25 et cet., i grossum. 54. Item apud26 Vigony pro cambio i florenis, vi denarios. 55. [p. 10] Item ibidem pro prandio, i grossum. 56. Item apud Domum Osole, i grossum. 57. Item pro uno equo de Domo Osole usque ad Devero, i grossum cum dimidio. 58. Item27 apud Devero pro cena mea, i grossum. 59. Item die xv mensis septenbris pro uno alio equo pro me usque ad Senplonem, iiies grossos, quia faciebat pravum tempus. 60. Item dicta die in quodam hospitale, i grossum. 61. Item apud Senplonem dicta die, i grossum. 62. [p. 11] Item dicta die a Semplono usque ad Brigam28 pro uno alio equo, ii grossos. 63. Item in cena apud Brigam dicta die, i grossum. 64. Item die xvi mensis septembris apud Vespiam, xii denarios. 65. Item apud Tortemagny, xii denarios. 66. Item apud Leuca nychil. 67. Item apud Sirro dicta die, i denarium.
21 Mediolanum] Medium Lanum. 22 xii] xvi. 23 prandio] brandio. 24 i grossum] post corr. sup. lin. xvi denarios. 25 pro cena] repetit. 26 apud] Marguel add. et del. 27 Item] xv die septembris add. et del. 28 Brigam] Briga.
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68. Item dicta die apud Sanctum Leonardum, i denarium. 69. [p. 12] Item expendidi apud Sedunum die xvii et xviii mensis septenbris, xxti denarios. 70. Item dicta die apud Sirro, I denarium. 71. Item die xx mensis septembris apud Brigam, xii denarios29. 72. Item apud Devero die xxi mensis septenbris, ix denarios cum hospitale de Devero. 73. Item apud Domum Osole30 dicta die in cena31, vii solidos imperialibus. 74. [p. 13] Item die xxiia mensis septenbris apud Vigogny pro pedagio Jacodi, x emperialibus. 75. Item ibidem pro prandio32 nostro, iii solidos emperialibus cum duobus emperialibus. 76. Item apud33 Marguel, iiii solidos. 77. Item apud Palancza, iii solidos. 78. Item Oliverius de Palancia feci pactum cum ipso ad xviii emperialibus et Dominus Matheus de Pensoa capitaneus lacus maioris cepit omnes missiones et expensas et ramorum(?) de quibus volui solvere et in tantum quod dedi dicto Oleverio de gratia speciali ivor denarios die xxii septembris. 79. [p. 14] Item die xxiia mensis septenbris apud Lavens solvi in cena pro me et meis tribus sociis viii solidos emperialibus in domo Francisco de Lavens cum quatuor emperialibus. 80. Item xxiiia die mensis septenbris apud34 Varel ivor solidos vi denarios. 81. Item apud Tresda ad quatuor miliarum, ii solidos. 82. Item35 apud Ponenczano in cena, vi solidos. 83. [p. 15] Item die xxiiiia mensis septenbris in potu de mane, xii denarios. 84. Item in prandio, ivor solidos. 85. Item apud Medium Lanum ii solidos pro societate nostra. 86. Item et cet. L’itinéraire et les moyens de transport
L’itinéraire suivi par Jenxina et son accompagnateur est celui, classique, emprunté depuis au moins le xiiie siècle par les marchands lombards ou vénitiens qui se rendaient au-delà des Alpes pour vendre leurs marchandises – essentiellement des produits de la métallurgie, des chevaux et des futaines pour les premiers et des épices pour les seconds – ou pour acheter des draps et surtout de la laine aux foires de Champagne ou en Bourgogne.
29 denarios] Item ibidem dicta die ii denarios add. et del. 30 Osole add. sup. lin. 31 cena] xxi add. et del. 32 prandio] meo add. et del. 33 apud] Palant add. et del. 34 apud] Tresda add. et del. 35 Item] repetit.
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Sierre St.-Léonard Sion
Loèche
Brigue
Tourtemagne Viège
Col du Simplon
Toc e
Col du Saint-Gothard
Divedro
Simplon Rhône
Vogogna
Domodossola
Mergozzo Pallanza Laveno
Col du Grand-Saint-Bernard
Varese Castiglione Olona Tradate Gerenzano Tic
0
10
20
ino
30 km
Milan
Carte 1. Les voyages de Jenxina et de son accompagnateur en 1365
Dans l’ensemble, on peut dire que les voyageurs se sont généralement arrêtés aux endroits qui étaient également des étapes pour les marchands, sans doute parce que les infrastructures existantes – aussi bien pour le dépôt des bagages que pour le logement ou le ravitaillement des hommes et des animaux – offraient à tout le monde un certain confort36. Pour essayer de mieux apprécier les étapes et la vitesse de marche, on peut regrouper les données fournies par notre source dans le tableau suivant : Jour
Le voyage de Jenxina (1-8 septembre)
Retour de l’accompagnateur Aller de l’accompagnateur (12-16 septembre) (19-24 septembre)
1er
Sion → Loèche37
2e
Loèche → Brigue
Milan → Castiglione Olona Castiglione Olona → Pallanza
Sion → Brigue Brigue → Divedro
36 Sur ces aspects voir M. Cl. Daviso di Charvensod, « La route du Valais au xive siècle », Revue suisse d’histoire, 1 (1951), p. 545-561 ; G. Soldi Rondinini, « Le vie transalpine del commercio milanese dal sec. xiii al xv », in Felix olim Lombardia. Studi di storia padana dedicati dagli allievi a Giuseppe Martini, Milan, 1978, p. 343-484 ; et, dans le présent volume, « La via del Vallese e il commercio internazionale e regionale alla fine del Medioevo », p. 203-216. 37 Les voyageurs sont restés à Loèche toute la journée du 2 septembre.
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Jour 3e 4e 5e 6e 7e
Le voyage de Jenxina (1-8 septembre)
Retour de l’accompagnateur Aller de l’accompagnateur (12-16 septembre) (19-24 septembre)
Brigue → Simplon → Pallanza → Divedro Divedro Divedro → Domodossola Divedro → Brigue Domodossola → Vogogna Brigue → Sion → Mergozzo Mergozzo → Pallanza → Laveno → Varèse Varèse → Milan
Divedro → Domodossola Domodossola → Laveno Laveno → Gerenzano Gerenzano → Milan
Pour se déplacer, les deux voyageurs ont utilisé différents moyens de transport. Il semblerait que l’accompagnateur de Jenxina se soit déplacé avec sa propre monture, car en général c’est toujours un seul cheval qui est loué38. Les trois bêtes louées entre Brigue et l’hospice du Simplon étaient sans doute destinées à transporter Jenxina et ses bagages39. Au retour, l’accompagnateur ne loue en effet un cheval qu’à deux reprises – à savoir entre Domodossola et Divedro et depuis Divedro jusqu’à l’hospice du Simplon –, mais il précise que c’est à cause des mauvaises conditions météorologiques40. Le compte pour le deuxième voyage vers Milan n’indique aucune dépense pour la location d’une monture. Il est possible que Jenxina ait voyagé sur un char entre Loèche et Brigue et, peutêtre avec une partie de ses bagages, entre Domodossola et Vogogna41. À Vogogna, nos voyageurs ont traversé le fleuve Toce42 et ont par la suite atteint Mergozzo après avoir loué un char. À partir de Mergozzo, ils ont pu se servir de la voie d’eau jusqu’à Laveno. Bien que le compte ne soit pas très précis, il est probable qu’ils aient utilisé une barque (navis) entre Mergozzo et Pallanza et une autre barque – ou un petit bateau – entre Pallanza et Laveno43. Une fois le Lac Majeur traversé, le reste du déplacement jusqu’à Milan a été effectué à cheval. Jenxina a entrepris son voyage avec deux gros fardeaux : l’un pesait 16½ rubbi et l’autre 21½, c’est-à-dire environ 134,8 kilos et 175,6 kilos44. Le compte montre que la route passant par le Simplon offrait un certain nombre de services qui rendaient assez aisés les déplacements avec des marchandises ou des bagages. À certains endroits, les deux fardeaux ont en effet voyagé séparément, transportés par un char conduit par un famulus qui s’est chargé, semble-t-il, également de verser les droits de péage
38 Voir no 2, 13, 17, 34, 38 du texte édité plus haut. 39 No 10. 40 No 59 et 62. 41 No 5 et 19. 42 No 22. 43 No 22, 28, 30. 44 No 16 et 18. D’après L. Frangioni, Milano fine Trecento, op. cit., t. i, p. 315, le rubbo pèse 25 livres « subtiles », soit environ 8,170 kg.
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à Divedro et peut-être à Mergozzo45. On notera aussi la facilité avec laquelle les deux voyageurs ont pu louer des montures et des chars tout au long de l’itinéraire qu’ils ont emprunté, ainsi que la possibilité de trouver sans problème – même le dimanche46 – un passage sur un bateau pour atteindre Laveno depuis Mergozzo. Nos deux voyageurs ont également pu se nourrir et trouver un lit pour la nuit partout où ils se sont arrêtés47. Sauf peut-être l’hospice du Simplon où chacun devait amener son propre repas, car le compte indique que du vin et une poule ont été achetés à Viège en prévision de cette halte48. La vitesse de marche et les coûts
De manière assez approximative, – nos connaissances actuelles des parcours suivis par les routes médiévales demeurent en effet plutôt imprécises – on peut estimer que le trajet Sion-Milan était d’à peu près 240 kilomètres. Partis le lundi 1er septembre, Jenxina et son accompagnateur sont arrivés à destination le lundi suivant. Pour des raisons qui ne sont pas explicitées, ils ont cependant parcouru la première partie de leur itinéraire assez lentement : en effet, ils se sont arrêtés une première fois après un peu plus de vingt kilomètres à Loèche – où ils sont restés toute la journée du mardi – puis à Brigue le soir du mercredi, soit après une étape d’une trentaine de kilomètres. Le Simplon a en revanche été franchi d’un seul trait, ce qui signifie que malgré les difficultés de la montée et de la descente nos deux voyageurs ont parcouru en un seul jour une distance qu’on peut estimer à environ 42 kilomètres. Par la suite, la vitesse de marche journalière a été assez variable : à peine une vingtaine de kilomètres le vendredi entre Divedro et Domodossola, et plus de 50 kilomètres le lundi suivant entre Varèse et Milan. Si l’on tient compte des jours effectifs de voyage, Jenxina et son accompagnateur ont pu maintenir une vitesse de marche journalière qui se situe en moyenne entre 32 et 34 kilomètres. Avec ses deux gros fardeaux dont le poids était à peu près équivalent à celui d’une balle de marchandises, Jenxina a sans doute voyagé à une vitesse à peine supérieure à celle des marchands qui utilisaient la route du Valais pour leurs activités. En effet, d’après la correspondance de la filiale milanaise de la société Datini, vers la fin du xive siècle il fallait compter à peu près quinze jours pour faire parvenir des marchandises depuis Milan jusqu’à Genève49, et il est presque certain que le trajet Sion-Genève demandait moins de huit jours50. Le reste du compte indique d’ailleurs
45 No 18 et 26. 46 No 28. Les bagages étant considérés comme des marchandises, les deux voyageurs doivent verser un gros supplémentaire pour que le transport soit effectué même si c’est un dimanche. 47 Le prix du repas du soir (la cena) paraît inclure également celui du lit. 48 No 8. Une autre poule est achetée peu après Laveno (no 35). 49 L. Frangioni, « Costi di trasporto e loro incidenza : il caso dei prodotti milanesi alla fine del Trecento », Archivio Storico Lombardo, 110 (1984), p. 12 ; Id., Milano fine Trecento, op. cit., vol. 1, p. 144. 50 D’après les comptes pour les travaux effectués à la cathédrale de Sion au début du xve siècle, l’allerretour Sion-Genève avec un cheval transportant de l’étain a nécessité une fois treize jours et une autre quatorze (P. Dubuis, « Documents relatifs à la cathédrale de Sion au moyen âge », Vallesia, 34 (1979),
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qu’un homme à cheval pouvait accomplir le trajet Milan-Sion en cinq jours, avec des étapes supérieures parfois à 60 kilomètres (Pallanza-Divedro). Il est vrai que l’accompagnateur a pu profiter de conditions météorologiques somme toute assez bonnes, car en dépit du mauvais temps qu’il a rencontré sur le Simplon il a pu atteindre Brigue depuis Divedro en une seule journée51. Il est en revanche assez difficile de calculer les différents frais engagés pour le voyage. Le compte indique en effet des règlements effectués avec des monnaies différentes : des mauriçois, des gros, des florins et des monnaies « impériales ». Il est dès lors assez hasardeux d’établir des équivalences précises, d’autant plus que le type de monnaie utilisé n’est pas toujours indiqué52. On peut néanmoins relever que le coût total du voyage de Jenxina et de son accompagnateur a été de 57 sous mauriçois, soit environ 9 florins53. Avec leurs bagages et les frais que ces derniers ont engendrés, chacun de nos voyageurs a donc dépensé en moyenne 42 deniers par jour, ce qui représente une somme assez importante. À titre de comparaison, on peut relever que le salaire journalier d’un charpentier était à cette époque d’environ 12 deniers54. Au-delà des aspects matériels, le compte laisse également entrevoir la complexité du milieu social qui gravitait autour de la route médiévale : taverniers et aubergistes, guides et transporteurs, famuli et marins d’eau douce ou, personnage bien plus important, le capitaneus du Lac Majeur. Tous ses individus tiraient une partie de leurs ressources de la mobilité des hommes du Moyen Âge. Mais la route était aussi un lieu de rencontre et de sociabilité. En témoignent les repas pris en commun avec des socii anonymes ou les trajets accomplis en partie en compagnie d’individus connus au hasard d’une halte. Du repas offert au guide au vin donné aux marins, du pourboire de gratia speciali au dîner payé aux compagnons d’un soir, le monde de la route avait aussi ses conventions et ses solidarités.
Les déplacements depuis l’Hospice du Grand-Saint-Bernard Les comptes de l’Hospice du Grand-Saint-Bernard de la fin du xive et du xve siècle offrent un certain nombre de renseignements sur les voyages effectués pour les besoins de l’Hospice. Pour encaisser les redevances, gérer les biens situés en dehors de l’Entremont ou assurer le ravitaillement par l’achat d’épices, d’animaux,
no 59 et 89). 51 No 59. Si les marchandises voyageaient aussi pendant l’hiver, la neige pouvait parfois ralentir de manière très considérable la vitesse de marche. Ainsi, par exemple, en décembre 1396, les marchandises envoyées à Avignon par la filiale Datini de Milan restèrent bloquées plusieurs jours à cause de la neige sur le Simplon (« Giovani che andò co l’altra [roba] ch’è anchora a Senpione insino a dì 23 e non è potuto passare per le nevi e sì nn’è rimaso sotto tempo che saran pasati […] », L. Frangioni (éd.), Milano fine Trecento, op. cit., vol. 2 : Documenti, no 614, p. 452). 52 Voir par exemple no 64-69. 53 No 41. À noter qu’au retour l’accompagnateur de Jenxina change un florin à Vogogna (no 54). 54 Gremaud, Documents, no 1991.
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de poissons55, etc., le cellérier ou ses collaborateurs étaient appelés à se déplacer assez souvent. Entre le 7 septembre 1473 et le 7 septembre 1474, les comptes indiquent ainsi le détail des dépenses engagées pour neuf voyages différents, en direction du sud des Alpes (vers le Piémont et la Lombardie) ou vers Genève et Bourg-en-Bresse. Malheureusement, la grande majorité de ces comptes n’est pas suffisamment détaillée pour permettre d’établir avec certitude les parcours suivis et les arrêts pour les repas, ce qui empêche le plus souvent de reconstituer la vitesse de marche. En revanche, les comptes des dépenses engagées pour les dix déplacements effectués entre le 1er septembre 1476 et le 1er septembre de l’année suivante, sont en général un peu plus précis et permettent de reconstituer les itinéraires empruntés assez aisément et, de manière plus hypothétique, les étapes et la vitesse de marche. De l’ensemble de ces voyages, nous en avons retenus cinq. NB : seul le compte du voyage Bard-Milan-Settimo (B) indique les différentes étapes jour après jour, alors que pour les autres déplacements les comptes ne fournissent que la date du départ. La plupart des voyages ont sans aucun doute été entrepris à partir de l’Hospice, qui se trouve à environ 13 kilomètres de Bourg-Saint-Pierre. A) Voyage, en 1473, du cellérier Jean Forré avec un serviteur jusqu’à Bourg-enBresse56. Le premier se déplace à cheval et le second à dos de mulet. Au retour, une étape est plus courte car les deux voyageurs s’arrêtent à Aigle pour rencontrer deux autres personnes. Aller jeudi vendredi samedi dimanche lundi mardi - jeudi
Bourg-Saint-Pierre Sembrancher Saint-Maurice Vouvry Thonon Genève Genève57 Longeray Saint-Germain-de-Joux Nantua Poncin Bourg-en-Bresse
collacio cena prandium collacio collacio cena prandium repastu cena prandium repastu
55 Voyage à Genève pour acheter des harengs : CGSB, no 3597-3612. 56 CGSB, n° 3665-3696. 57 Les deux voyageurs arrivent à Genève le samedi soir et s’arrêtent le dimanche matin pour pouvoir suivre la messe.
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Retour vendredi samedi dimanche lundi ? mardi ? mercredi ? jeudi ?
Pont-d’Ain Saint-Rambert Rossilon Culoz Frangy Genève Nyon Morges Lutry Vevey Aigle Saint-Maurice Martigny Orsières Bourg-Saint-Pierre
collacio collacio cena prandium cena prandium prandium cena collacio prandium cena prandium collacio ? cena prandium
B) Voyage du cellérier Jean Forré en compagnie d’un clerc du 18 octobre au 25 octobre 1476 jusqu’à Milan58. Le seul animal mentionné est le mulet. Le retour s’effectue par un itinéraire différent, qui passe au nord de Santhià, à cause de la présence des hommes armés du duc de Milan près de San Germano. Pour éviter de traverser des localités où sont présents les soldats milanais, les deux voyageurs ont engagé un guide. Rien ne permet de savoir pourquoi la première localité mentionnée est Bard, qui se trouve à environ 87 km de l’Hospice. Aller jeudi 18 octobre vendredi 19 octobre samedi 20 octobre dimanche et lundi 21-22 octobre
Bard Ivrée Santhià Novare fleuve Tessin Magenta Milan
prandium cena prandium ? prandium traversée cena
Retour mardi 23 octobre mercredi 24 octobre jeudi 25 octobre
Magenta fleuve Tessin Novare Candelo Bielle Settimo Vittone59
prandium ? traversée cena cena prandium cena
58 CGSB, no 5336-5354. 59 Settimo Vittone se trouve à une dizaine de kilomètres en aval de Bard.
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Rhône Col du Simplon
Toce
Col du Saint-Gothard
Col du Grand-Saint-Bernard
10
20
Biella
ino
0
Tic
Bard Settimo
Candelo
Milan
Ivrée Novara
30 km
Magenta
Santhià Col du Mont Cenis
Pô
Carte 2. Le voyage de Jean Forré jusqu’à Milan (octobre 1476)
C) Déplacement à cheval jusqu’à Genève de Glaudius Perrosson, nummularius, afin d’acheminer des harengs (février 1477)60. Les chevaux61 traversent le Rhône à Chessel. Au retour, une étape imprévue est nécessaire à Liddes à cause de la grande quantité de neige. Aller 16 février 17 février 18-19 février
Bourg-Saint-Pierre Martigny Saint-Maurice Thonon Genève
prandium cena prandium prandium
Retour 20 février 21 février 22 février 23 février
Filly Thonon Vouvry Saint-Maurice Martigny Orsières Liddes Bourg-Saint-Pierre
cena prandium prandium cena le matin prandium neige
60 CGSB, n°5372-5389. 61 Le déplacement a été organisé pour acheter les harengs qui seront consommés pendant le carême. Les chevaux pour le transport des harengs sont amenés depuis l’Hospice.
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D) Voyage du cellérier Jean Forré avec un compagnon jusqu’à Bâle62. Le départ a lieu le 17 juillet. Selon toute vraisemblance le séjour à Bâle a été très court. Il est possible que les deux voyageurs ne se soient arrêtés dans la ville rhénane que le temps de consommer leur prandium. En effet, ils semblent être repartis déjà pendant l’après-midi en direction de Liestal, où ils ont dîné en compagnie du prévôt de Ferrette qui les a par la suite accompagnés jusqu’à Soleure. Les deux se déplacent à cheval. Aller 17 juillet 18 juillet 19 juillet 20 juillet 21 juillet 22 juillet
Sembrancher Saint-Maurice Vevey Romont Fribourg Berne Soleure Balstahl Liestal Bâle
achat avoine prandium prandium collacio et achat avoine cena prandium cena prandium cena prandium
Retour 1er jour 2e jour 3e jour 4e jour 5e jour 6e jour
62 CGSB, n°5425-5446.
Liestal Balstahl Soleure Morat Payerne Moudon Oron Vevey Saint-Maurice Martigny Bourg-Saint-Pierre
cena prandium cena prandium cena prandium collacio et achat avoine cena collacio et achat avoine cena prandium
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Bâle
Rhin
Liestal
Balstahl Soleure
Aar
Berne Morat Payerne
Moudon
Fribourg
Romont
Oron Lausanne Vevey
Sarin
e
Rhône Col du Simplon
Saint-Maurice Genève Martigny
0
10
20
30 km
Sembrancher Bourg-Saint-Pierre Col du Grand-Saint-Bernard
Carte 3. Le voyage de Jean Forré jusqu’à Bâle (juillet 1477)
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E) Voyage à Genève en octobre 1477 de Glaudius Campiporcherii avec deux compagnons pour ramener des bœufs à l’Hospice63. Nous avons dans ce cas renoncé à essayer de reconstituer la durée du déplacement, car ce serait une entreprise trop incertaine64. Aller 10 octobre
Bourg-St.-Pierre Martigny Aigle Vevey Vevey Lausanne Rolle Versoix Genève
achat vin prandium cena cena prandium prandium prandium cena
Retour Douvaine Filly Lugrin Port-Valais Monthey Évionnaz Martigny Bourg-St.-Pierre
prandium (?) cena prandium prandium cena prandium cena
63 CGSB 5455-5472. 64 En prenant comme critère les haltes pour les repas, on arrive à des distances parcourues en une seule journée qui nous semblent peu vraisemblables. Ainsi, par exemple, le compte semble indiquer que le premier jour Glaudius a réussi à parcourir le trajet de Bourg-Saint-Pierre à Vevey, soit plus de 90 km. De même, au retour, le trajet de Monthey à Bourg-Saint-Pierre (environ 60 km) n’aurait demandé lui aussi qu’un seul jour, ce qui semble peu probable compte tenu de la vitesse de marche des bœufs. La même année, pour conduire onze bœufs depuis Bourg-en-Bresse jusqu’à Genève, il a fallu neuf jours, alors que les deux serviteurs engagés pour conduire les animaux ont pu retourner à Bourg-en-Bresse en trois jours, ce qui confirme les données du compte A (CGSB, no 5450).
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P
P
Rolle
Lausanne
P = prandium C = cena A = arrêt
C P
Vevey
Chillon Nyon
Thonon
Lugrin
Port-Valais
P
Filly
C
P
Dra
nse
C
Aigle
C
C
Sion
Monthey
Douvaine
Versoix
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A
Saint-Maurice
ne
Rhône
Rhô
Évionnaz
Genève
A
P
Martigny Arve
C
A Bourg-Saint-Pierre Col du Grand-Saint-Bernard
Carte 4. Voyage de Glaudius Campiporcherii à Genève pour ramener des bœufs (10-16 octobre 1477)
Les moyens de transports et les coûts
Contrairement à Jenxina, les individus qui se déplaçaient pour les besoins de l’Hospice utilisaient en général des montures qui appartenaient à ce dernier. L’Hospice était en effet propriétaire de plusieurs chevaux parmi lesquels, un certain nombre était à la disposition de ceux qui devaient voyager65. Pour le transport des marchandises, l’Hospice utilisait généralement des juments66, alors que les mulets servaient presque uniquement pour les déplacements. En général, le cellérier utilisait un cheval et ses accompagnateurs un mulet. Mais il ne s’agissait pas d’une règle absolue, car le choix de l’un ou de l’autre ne paraît dépendre ni de la longueur du déplacement à effectuer ni du statut social de l’utilisateur.
65 Il est possible qu’à l’Hospice il y ait eu des chevaux qui pouvaient être loués. C’est du moins ce que semble indiquer le compte de l’hôtel de Bonne de Bourbon de 1379-1380, dont des fragments ont été publiés par M. Bruchet, Le château de Ripaille, Paris, 1907, p. 326. 66 Le compte de 1475 mentionne l’équipement de quatorze juments utilisées comme bêtes de somme (CGSB, no 4461).
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L’entretien des animaux tout au long de l’itinéraire entraînait bien sûr des dépenses pour la nourriture – en général de l’avoine achetée à peu près une fois tous les deux jours – ainsi que des arrêts assez fréquents pour changer un ou plusieurs fers, remplacer des clous en mauvais état ou parfois réparer le mors d’un mulet67. Ces frais, qui n’ont rien d’exceptionnel et que l’on retrouve en grand nombre également dans le compte étudié par F. Badel, montrent que les fers des montures s’usaient assez rapidement, ce qui pourrait indiquer que la qualité du métal utilisé était plutôt médiocre. Les fers achetés en cours de route étaient en général vendus à ¾ de gros, soit trois fois plus chers que ceux que l’Hospice faisait fabriquer par des forgerons pour les chevaux de ses fermes de Saint-Oyen et de Bibian68. Eu égard aux dépenses des voyageurs pour leurs propres repas et logement69, on peut néanmoins affirmer que ces frais n’étaient pas très importants. Tout comme au siècle précédent, voyager était une activité relativement chère. D’après les calculs que les comptes autorisent, même sans bagages et sans frais de location pour les montures, il fallait compter sur une dépense moyenne par jour et par voyageur qu’on peut situer entre 3½ et 5½ gros, à une époque où le salaire d’un charpentier était d’1 gros par jour70. Bien entendu, le personnel de l’Hospice ne voyageait pas par loisir. En dépit des coûts apparemment élevés, ces déplacements permettaient de réaliser des économies assez substantielles. C’est le cas, par exemple, du voyage entrepris par Glaudius (C) pour se rendre à Genève afin de ramener les harengs achetés par le trésorier en prévision du carême. En ne tenant compte que des dépenses engendrées par le seul voyage, Gladius et les deux chevaux qui l’accompagnaient ont coûté à l’Hospice environ 2 florins, mais ont permis de transporter 1½ balle de harengs qui avait été payée 24 florins71. Les coûts d’emballage et de transport représentent ainsi moins de 10% de la valeur de la marchandise, pour un trajet d’environ 160 kilomètres. Il s’agit d’un chiffre extrêmement modeste, car à la même époque la location d’un char pour véhiculer des marchandises depuis Villeneuve jusqu’à Martigny coûtait à elle seule 1 florin72. On peut estimer que plusieurs des déplacements organisés par le cellérier
67 Voir par exemple CGSB, no 3642, 5336, 5376, 5442, etc. Il n’est pas certain que les comptes indiquent de manière systématique les dépenses de cette nature. Il est probable que celles-ci aient parfois été intégrées dans le coût pour les repas. 68 CGSB, no 5276, 5282, 5290, 5295, 5297, 5298. Précisons toutefois que ce prix ne comprend pas le coût du métal utilisé (à cette époque environ ¼ de gros par livre) ni celui de la main-d’œuvre pour les appliquer aux sabots. 69 Une fois encore, les comptes n’indiquent aucune dépense pour le logement pendant la nuit. Nous pensons que, sauf cas particulier, le prix de la cena incluait celui du logement pour la nuit. 70 C’est le salaire versé en 1476-1477 à deux charpentiers qui ont refait le tectum camere somellariorum (CGSB, no 5221-5222). 71 CGSB, n° 5073. 72 Voir par exemple CGSB, no 3702. On peut noter, de manière incidente, l’énorme différence de coût entre le transport par voie d’eau et le transport par voie de terre. En 1473-1474, pour acheminer six sacs de bladum depuis Vevey jusqu’à Sembrancher, le cellérier enregistre en effet une dépense de 1½ gros entre Vevey et Villeneuve pour faire voyager les sacs sur une navis, de 5 florins (soit 60 gros) entre
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ont ainsi été motivés par le souci de réduire les coûts occasionnés par le transport des denrées nécessaires à l’approvisionnement de l’Hospice. La vitesse de marche
Depuis l’Hospice ou Bourg-Saint-Pierre, il était possible d’atteindre Milan en cinq jours, Bâle en six jours, Turin en deux jours et demi ou trois jours, Genève en trois jours et, de là, Bourg-en-Bresse en trois autres jours. Dans l’ensemble, les comptes révèlent une vitesse de marche qui est souvent assez élevée, et qui ne semble pas être influencée par le type de monture – cheval ou mulet – utilisé par les voyageurs. Bien entendu, la distance parcourue en une journée pouvait varier de manière parfois assez considérable. Mais il faut souligner que nous ne disposons pas de tous les renseignements qui permettraient éventuellement d’expliquer ces variations. En effet, il est vraisemblable que la longueur de certaines étapes dépendait non seulement de facteurs objectifs tels que le dénivelé du trajet ou l’état de la route, mais également d’éléments plus subjectifs, comme par exemple la résistance plus ou moins grande des bêtes ou des hommes, l’habitude de s’arrêter à tel ou tel autre endroit ou parfois le désir de respecter les obligations religieuses. De plus, il faudrait également tenir compte de l’époque de l’année à laquelle le voyage a été effectué, car il ne faut pas oublier qu’au Moyen Âge on ne voyageait jamais de nuit, et qu’en janvier ou février le nombre d’heures pendant lesquelles on pouvait se déplacer n’était pas le même qu’en juillet ou août. Enfin, les conditions climatiques et, plus particulièrement l’enneigement dans les régions de montagne, pouvaient influencer de manière très notable la vitesse des voyageurs. À titre d’exemple, en janvier 1380, pour aller d’Évian à Quart et revenir, Gérard de Avena, qui avait été envoyé dans le Val d’Aoste pour récupérer les revenus de la châtellenie de Quart et de Cly, dut rester sur le chemin en tout seize jours. À cause de la neige très abondante, il fut obligé d’engager plusieurs maronniers qui l’aidèrent entre autres à franchir à pied le Grand-Saint-Bernard, car son cheval était tombé malade à Bourg-Saint-Pierre73. Ceci dit, à l’exception de celui qui concerne le déplacement à Genève pour ramener des bœufs (E), tous les comptes que nous avons retenus montrent que, dans des conditions normales, parcourir une distance journalière d’environ 40 kilomètres n’avait rien d’extraordinaire74. À certaines occasions, nos voyageurs semblent même avoir pu atteindre des vitesses de marche proches ou supérieures à 70 kilomètres par jour. C’est le cas, par exemple, de Glaudius Perrosson (C) qui, en février 1477, paraît avoir parcouru le trajet entre Martigny et Thonon en une seule journée (env.
Villeneuve et Martigny pour la location de cinq chars, et de 4 gros entre Martigny et Sembrancher (environ 14 km), versés à un individu qui a semble-t-il transporté les sacs sur des bêtes de somme (CGSB, no 3700-3704). 73 Pour le détail des péripéties de Gérard de Avena, voir l’extrait de compte publié par M. Bruchet, Le château de Ripaille, op. cit., p. 326. 74 Le compte du voyage de Manosque à Gênes d’un groupe d’hospitaliers indique lui aussi deux étapes supérieures à 50 km (cf. A. Venturini, « Un compte de voyage par voie de terre de Manosque à Gênes en 1251 », Provence historique, 45 (1995), p. 25-48).
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70 kilomètres)75. Au retour, il dut faire un arrêt imprévu à Liddes à cause de la neige. Or, depuis le matin, bien que conduisant un cheval chargé de harengs, il avait déjà parcouru une bonne quarantaine de kilomètres – avec un dénivelé d’environ 800 mètres – et il escomptait de toute évidence pouvoir en parcourir encore quelques-uns avant la tombée de la nuit76. Quant à Jean Forré et à son compagnon, ils sont revenus de Bâle à l’Hospice en six journées de voyage. Si on laisse de côté le premier jour du retour – qui est sans doute aussi le dernier de l’aller – ils ont donc pu maintenir une moyenne de 55 kilomètres par jour, avec une étape entre Moudon et Vevey d’environ 70 kilomètres. Ils ont par ailleurs parcouru la cinquantaine de kilomètres qui sépare Martigny de l’Hospice en une seule journée, malgré un dénivelé d’environ 1900 mètres. Se déplaçant à cheval et probablement avec peu de bagages, nos deux religieux ont ainsi pu voyager à une vitesse qui, lorsque la comparaison est possible, est le double de celle de l’évêque Guillaume de Challant et de sa suite : alors qu’il avait fallu deux jours à ce dernier pour atteindre Soleure depuis Fribourg77, Jean Forré et son socius ont en effet pu effectuer ce même trajet en une seule journée. Les sources que nous avons utilisées présentent l’avantage de concerner des individus qui n’occupaient pas une position sociale particulièrement élevée et pour qui les déplacements ne représentaient pas une activité professionnelle, comme c’était le cas pour les messagers ou les marchands. Contrairement aux comptes qui nous renseignent, parfois de manière beaucoup plus détaillée, sur les dépenses soutenues par les hauts dignitaires ecclésiastiques ou les souverains et les membres de l’aristocratie, ils permettent ainsi de mieux entrevoir comment voyageaient des hommes et des femmes plus ou moins ordinaires. Il en ressort avant tout que ces derniers se déplaçaient généralement beaucoup plus rapidement que les grands personnages, et que bien évidemment leurs frais de déplacement étaient nettement inférieurs. Dans l’ensemble, on constate aussi que pour les itinéraires d’une certaine importance les déplacements étaient somme toute relativement aisés. Certes, un imprévu était toujours possible, mais il semble bien que les solidarités temporaires qui s’établissaient entre les voyageurs dans les tavernes ou sur la route permettaient d’avoir accès assez rapidement aux renseignements indispensables pour éviter les éventuels – et parfois très soudains – dangers.
75 À l’aller, le compte indique un prandium à Saint-Maurice et immédiatement après un autre prandium à Thonon. Nous pensons que les deux repas ont été pris le même jour, car sinon Glaudius n’aurait parcouru en une journée que le trajet de Martigny à Saint-Maurice, soit environ 14 km. La même remarque s’applique également au voyage de retour entre Thonon et Saint-Maurice. 76 Même en montagne des étapes de 70 km sont attestées par d’autres documents. Selon un compte de 1444 cité par E.-E. Gerbore, il était possible pour un homme à cheval d’atteindre en une journée Martigny depuis Saint-Rhémy (« Une communauté sur la route du Mont-Joux au bas Moyen Âge. L’exemple d’Étroubles », in P. Dubuis (éd.) Ceux qui passent et ceux qui restent, op. cit., p. 74, n. 72). 77 F. Badel, Un évêque à la Diète, op. cit., p. 51.
Contribution à l’histoire des prix des céréales et des fèves en Valaisà la fin du Moyen Âge d’après les comptes de châtellenie (vers 1270-1450)
Malgré son importance pour l’étude et la compréhension des phénomènes économiques et de leurs implications sociales, l’histoire des prix au Moyen Âge demeure un domaine relativement peu exploré. Certes, pour quelques régions privilégiées, nous disposons de travaux qui, grâce à une documentation de très bonne qualité, ont permis d’aboutir à des résultats parfois d’une grande précision. Mais il s’agit, à l’heure actuelle, de tentatives somme toute isolées, qui ne permettent que de manière partielle d’avoir une vision plus générale de l’évolution des prix des produits de l’agriculture, de l’artisanat, de l’industrie, etc. On sait qu’au Moyen Âge la conjoncture des prix était influencée par un nombre élevé de facteurs, dont certains pouvaient faire sentir leurs effets parfois uniquement à l’échelon local ou régional. Cela est particulièrement vrai pour les céréales, dont on a pu montrer que les prix, à quelques kilomètres de distance, pouvaient non seulement être différents mais aussi connaître, pendant certaines périodes, des variations de sens inverse. Le cloisonnement des marchés, tout comme les conditions spécifiques à chaque aire géographique concernant la production, le transport et la commercialisation des différentes denrées, rendent vaine toute tentative d’extrapoler les résultats obtenus pour une ville ou un territoire déterminé1. Il est donc indispensable de multiplier autant que possible les travaux à caractère régional, qui seuls permettront un jour de mettre en évidence quelque tendance plus générale. Bien entendu, encore faut-il disposer des sources adéquates, c’est-à-dire couvrant une période suffisamment longue pour qu’on puisse entrevoir les variations de la conjoncture et permettant de réunir des données plus ou moins homogènes afin qu’elles puissent être inscrites dans une série. De ce point de vue, le Valais savoyard
1 Pour une approche de tous ces problèmes, avec renvois bibliographiques, voir Ph. Wolff, Automne du Moyen Âge ou printemps des temps nouveaux ? L’économie européenne aux xive et xve siècles, Paris, 1986, p. 297-300.
Sur les routes des Alpes : Religieux, marchands et animaux dans la Suisse occidentale (xiiie-xve siècles), Franco Morenzoni, Turnhout, 2019 (Culture et société médiévales, 36), p. 133-161 © FHG10.1484/M.CSM-EB.5.117883
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se situe dans une position qu’on pourrait qualifier d’intermédiaire. Il offre, en effet, un nombre assez important d’informations concernant entre autres les prix des céréales, mais la qualité de ces informations n’est pas toujours du niveau souhaité. À condition de procéder avec une extrême prudence, il serait cependant dommage de ne pas les utiliser.
Remarques préliminaires Dans les territoires placés sous sa domination, le comte de Savoie prélevait un certain nombre de redevances ou de cens assez souvent versés en argent, mais parfois également en nature. Il en allait de même pour les dîmes qui pesaient sur les produits de l’agriculture et plus rarement sur ceux de l’élevage, comme les fromages ou les agneaux. Dans certaines châtellenies, les revenus comtaux comprenaient aussi quelques livres de poivre ou de cire, quelques coupes de châtaignes, etc. De plus, le comte possédait en Valais quelques vignes qui faisaient partie de sa réserve et dont la gestion était confiée aux châtelains du lieu, qui en assuraient l’exploitation directe ou les donnaient à ferme. À des échéances plus ou moins régulières, les châtelains devaient présenter leurs comptes à l’administration centrale qui se chargeait de vérifier l’exactitude et le bienfondé des recettes et des dépenses intervenues pendant la période comptable. Bien entendu, dans leurs comptes les châtelains ou leurs lieutenants indiquaient également les quantités des différents versements en nature. De manière plutôt sporadique dès la deuxième moitié du xiiie siècle, et par la suite avec une fréquence accrue, les comptes de châtellenie comportent aussi, vers la fin2, une rubrique dans laquelle on précise les prix de vente des produits. Ils offrent ainsi la possibilité d’observer sur une période relativement longue les variations des prix de certaines céréales ou légumineuses, du vin, de la cire, etc. Nous avons choisi de nous limiter à étudier l’évolution de deux céréales d’hiver (seigle et froment), deux de printemps (orge et avoine) et des fèves. Nous avons en revanche renoncé à prendre en considération le vin, dont le prix est influencé non seulement par les conditions du marché au moment de la vente, mais aussi, de manière parfois très importante, par sa qualité. Il n’est pas rare, en effet, que les châtelains précisent que le prix auquel ils ont vendu le vin est plus bas que d’habitude parce que celui-ci était en partie « acetosus »3. Dans la plupart des cas, cependant, il n’est guère possible d’établir si ce sont les conditions du marché ou bien la qualité du produit qui ont influencé les prix à la hausse ou à la baisse.
2 La rédaction des folios qui comportent la rubrique venditiones était bien souvent postérieure à celle du compte proprement dit. Ces folios étaient par la suite cousus à la fin du rouleau. 3 Ainsi, par exemple, le châtelain de Saxon indique en 1300-1301 qu’il a vendu le setier de vin à 12 deniers, mais que 12 autres setiers ont été vendus à 8 deniers « quia accetosa facta sunt » (ASTo, SR, Inv. 69, f. 121, m. 1). En 1320-1321, celui de Saillon précise que le muid de vin ne coûte que 25 sous « quia maior pars dicti vini accetosum et tornatum fuerat » (ASTo, SR, Inv. 69, f. 41, m. 2).
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L’utilisation des comptes de châtellenie pour l’étude des prix soulève un certain nombre de problèmes qu’on ne saurait taire. Le premier, c’est qu’ils ne permettent pas de construire des séries continues, soit parce que certains rouleaux ne nous sont pas parvenus ou que leur mauvais état de conservation les rend inutilisables, soit parce que les châtelains ont omis de noter les prix de chaque produit ou ont simplement indiqué la somme totale que la vente des revenus en nature a rapportée. Ces lacunes sont malheureusement assez importantes entre 1329 et 1338 et entre 1372 et 1379. Le deuxième problème concerne la date à laquelle les redevances en nature ont été vendues. S’il est presque toujours possible de dater la récolte qui est mise sur le marché, il est en revanche plus difficile d’établir, sinon le mois précis, du moins la période à laquelle se réfèrent les prix indiqués. On sait qu’au cours de l’année les prix pouvaient varier de manière considérable. En règle générale, ils étaient plus bas pendant les mois qui suivaient la récolte et avaient tendance à remonter à partir de janvier-février. On peut néanmoins observer que les dîmes et les cens étaient normalement perçus après les récoltes à des dates fixées par la tradition, parmi lesquelles la Saint-Martin d’hiver occupait une place de choix. D’autre part, à partir du xive siècle, l’écrasante majorité des exercices comptables des châtellenies valaisannes se termine pendant la première partie de l’année, notamment entre février et juin. Compte tenu des difficultés que posait le stockage et la conservation des céréales et du fait que les grains « anciens » perdaient une partie de leur valeur marchande, on peut raisonnablement estimer que les ventes avaient lieu à une date proche de la fin des exercices comptables, date qui était aussi, en définitive, celle où les prix étaient en général les meilleurs pour les caisses du comte. De ce point de vue, il est donc vraisemblable que nos sources nous renseignent principalement sur les prix pratiqués à une période de l’année de relative cherté. Malheureusement, les comptes ne permettent guère d’étudier de manière systématique les variations des prix au cours de la même année. Le produit des revenus perçus en nature était le plus souvent vendu à des particuliers, utilisé pour ravitailler en cas de besoin les châteaux de la région ou bien remis au « receptor bladi », qui le distribuait aux différents hôtels des membres de la famille comtale, pratique, semble-t-il, de plus en plus régulière dès la deuxième moitié du xive siècle. Il est dès lors nécessaire de se demander dans quelle mesure les prix indiqués par les comptes correspondent à ceux qui étaient réellement pratiqués en Valais à cette époque. Une fois encore, la réponse à cette question ne repose que sur quelques éléments, lesquels, cependant, semblent tous confirmer que les prix mentionnés ne diffèrent pas de ceux qui étaient couramment pratiqués. Ainsi, par exemple, dans le compte qui se termine en mai 1352, le châtelain de Saint-Maurice note que le muid de fèves a été vendu à 11 sous mauriçois. Sans doute interrogé sur les raisons d’un prix anormalement bas, il précise qu’il s’agit de celui du moment4. Les comptes de la châtellenie de Saillon-Conthey, qui couvrent la période qui va du 1er juillet 1397 au 6 mai 1398, contiennent les prix auxquels ont été vendues les récoltes de 1397 et 1398. Le châtelain note que ceux-ci ont été établis sur la base des estimations faites le
4 « […] quia tantum valent de presenti » (ASTo, SR, Inv. 69, f. 141, m. 1).
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6 et 7 juin 1397 et le 10 juin 1398 par des « probi viri », parmi lesquels il cite les curés et les vicaires des paroisses de Conthey et de Saillon ainsi qu’un certain nombre de bourgeois des deux communautés5. Enfin, le fait que les comptes qui enregistrent les ventes de plusieurs récoltes indiquent presque toujours des prix différents d’une année à l’autre ou soulignent, le cas échéant, que les totaux ont été calculés sur la base du prix moyen pratiqué pendant ces années6, semble également montrer que les prix mentionnés sont bel et bien ceux qui étaient en vigueur à ce moment précis7. Nous avons en revanche renoncé à comparer les données qu’on trouve dans les comptes avec celles, isolées, qu’on peut aisément repérer dans d’autres types de documents8. On sait, en effet, que non seulement les prix pouvaient varier de manière considérable au cours de la même année, mais également que le prix convenu entre deux particuliers n’est pas nécessairement une indication fiable des prix courants, car de nombreux facteurs difficiles à déterminer – plus ou moins grande habilité du vendeur ou de l’acheteur, liens d’amitié ou de parenté entre les deux contractants, etc. – peuvent jouer un certain rôle9. Jusque vers la fin du xive siècle, les comptes de châtellenie indiquent les différents prix en monnaie mauriçoise. À partir de cette époque, cependant, certains châtelains utilisent parfois d’autres monnaies ou bien, ce qui est le cas le plus fréquent, abandonnent les mauriçois pour les gros tournois de compte et les florins de petit poids10. Nous avons donc choisi de convertir les gros tournois en mauriçois sur la base des rapports entre les deux monnaies indiqués à la fin de chaque exercice par les châtelains eux-mêmes, rapports qui dans l’ensemble restent plus ou moins constants, les mauriçois étant eux aussi une monnaie de compte11. La comparaison
5 ASTo, SR, Inv. 69, f. 41, m. 10. 6 C’est le cas, par exemple, des comptes de la châtellenie de Monthey pour les années de 1405 à 1408 et de 1410 à 1412 (ASTo, SR, Inv. 69, f. 89, m. 3). 7 La formation des prix est la résultante d’une multiplicité de facteurs qu’il est presque toujours impossible de déterminer. On sait, par exemple, qu’au printemps les prix peuvent être influencés à la hausse ou à la baisse non seulement par la plus ou moins bonne récolte de l’année précédente, mais également par les prévisions concernant la récolte future. Il est donc possible que, même si la récolte précédente n’a pas été mauvaise, l’impression que celle qui suivra sera moins abondante exerce une pression à la hausse. 8 La comparaison entre les prix du froment indiqués par les châtelains de Saint-Maurice et ceux mentionnés par les comptes de la ville qui, dès la deuxième moitié du xive siècle, sont arrêtés au 31 janvier, montre néanmoins que le prix de la coupe, lorsqu’il n’est pas identique, varie uniquement d’un ou de deux deniers. 9 Ainsi, par exemple, en 1311-1312, le châtelain de Saillon note que « per convencionem » avec un particulier il a vendu 3 muids de vin au prix de 40 sous chacun, alors que le prix du muid indiqué est de 24 sous. (ASTo, SR, Inv. 69, f. 41, m. 1). 10 Ainsi, par exemple, à Saxon les prix sont donnés en 1397 en monnaie du comte courante (« moneta Domini cursibilis »), en 1339 en mauriçois et en florins de petit poids, en 1420 en gros tournois, etc. (ASTo, SR, Inv. 69, f. 121, m. 5-7). 11 Il est fort probable, ainsi que le suggère l’emploi dans certains cas de deux, trois voire quatre fractions de gros pour préciser les prix, que même ceux qui dans les comptes sont exprimés en gros tournois, étaient à l’origine indiqués en mauriçois, et que la conversion a été faite par le châtelain ou ses représentants.
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entre les comptes qui continuent d’utiliser les mauriçois, comme par exemple ceux de Saint-Maurice, et ceux qui passent aux gros tournois, permet d’ailleurs de constater que la conversion des prix d’une monnaie à l’autre ne représente pas un facteur de distorsion notable12.
Le problème des mesures Tout comme la plupart des régions de l’Occident médiéval, le Valais aussi bien savoyard qu’épiscopal n’a pas échappé au phénomène du particularisme des unités de mesure. Que ce soit pour les solides ou les liquides, on peut en effet affirmer que presque chaque village possédait ses propres mesures imposées par la tradition. Dans leurs comptes, les châtelains enregistraient ainsi les redevances versées en nature en gardant les différentes mesures en usage dans les villages dont ils assuraient l’administration. Ceci représente un obstacle considérable à l’établissement de séries plus continues, car bien souvent nous disposons pendant quelques années de données exprimées, par exemple, à la mesure de Saint-Maurice, et pendant les années suivantes à celle de Saillon ou d’Orsières. L’idéal serait, bien entendu, de pouvoir convertir les différentes mesures en une unité de mesure commune, ce qui permettrait de construire une seule courbe un peu moins fragmentaire. Malheureusement, dans l’état actuel de nos connaissances, cette opération nous paraît présenter une marge d’erreur trop importante pour mériter d’être tentée. Certes, lors de l’adoption du système métrique au xixe siècle, des équivalences ont été calculées également pour le Valais13. Mais pour pouvoir utiliser ces données, il faudrait d’abord s’assurer que les mesures n’ont pas évolué au cours du temps, que ce soit à cause de l’usure des récipients, de la manière de les remplir, par décision volontaire, etc. Pour les raisons que nous avons déjà évoquées, il est d’autre part trop risqué de se livrer à des calculs concernant les équivalences à partir des prix, mêmes si, à la rigueur, l’évolution en parallèle de ceux-ci pendant une période suffisamment longue pourrait fournir des indications approximatives sur le rapport existant entre les différentes mesures. Nos sources, cependant, n’autorisent guère ce genre d’observation. Même l’utilisation des rapports d’équivalence indiqués par les sources elles-mêmes se révèle en définitive plutôt ardue. On sait, en effet, que le Moyen Âge n’a pas fait preuve d’un goût très marqué pour la précision des chiffres. De plus, la conversion d’une mesure à l’autre est souvent le résultat d’une appréciation individuelle où le souci de la simplification peut
12 À l’échelon local, peu importe en fait que la quantité de métal précieux représenté par la monnaie de compte se modifie, parce que la plupart des prix et des salaires sont également exprimés dans cette même monnaie et donc évoluent en quelque sorte en parallèle. Il est dès lors inutile de calculer à combien de métal fin correspondent les différents prix. Non seulement parce que les sources ne permettent presque jamais de suivre dans le détail toutes les mutations monétaires, mais également parce que le cours commercial des métaux précieux est lui aussi soumis à des fluctuations importantes. 13 A. de Quartery, Tableau de conversion des mesures usitées en Valais, Sion, 1857 ; voir également A. M. Dubler, Masse und Gewichte im Staat Luzern und in der alten Eidgenossenschaft, Lucerne, 1974.
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l’emporter sur celui de la rigueur ; ou bien reposer sur un rapport traditionnellement admis, mais qui ne correspond pas nécessairement à la réalité14. Bref, il faudrait se garder d’accorder une valeur générale à un rapport d’équivalence qui ne repose que sur une seule mention, car lorsqu’on dispose de données plus nombreuses on constate assez souvent que non seulement les rapports peuvent être différents d’un individu à l’autre, mais également que la même personne peut estimer la même quantité de manière différente d’une année à l’autre. Ainsi, par exemple, le châtelain de Saxon et de l’Entremont précise en 1298-1299 que le muid de seigle à la mesure de Sembrancher est inférieur d’un quart à celui de Saxon et de Saint-Maurice15. Soixante ans plus tard, un autre châtelain indique cependant que 6 setiers de seigle à la mesure de Sembrancher équivalent à 5 setiers de Saxon16. De même, les comptes soulignent en 1301 que la mesure pour le seigle d’Orsières est inférieure d’un tiers à celle de Sembrancher. En 1317 et en 1384, les calculs d’équivalence révèlent un rapport de 4 et 10 setiers d’Orsières pour 3 et 7½ de Sembrancher. En 1462, le cellérier de l’Hospice du Grand-Saint-Bernard, Pierre Amédée, indique qu’il a reçu 33½ fichelins de seigle à la mesure de Fully qu’il estime correspondre à 3 muids à la mesure d’Aoste. L’année suivante, cependant, pour la même quantité il compte 3 muids et 4 setiers17. Bien entendu, il arrive aussi qu’à distance de quelques années le rapport d’équivalence entre deux mesures demeure le même. Ainsi, par exemple, la mesure de Liddes pour le seigle est comptée aussi bien en 1299 qu’en 1317 comme étant inférieure d’un tiers à celle de Sembrancher. Pour éviter d’introduire des éléments supplémentaires d’imprécision, nous avons ainsi choisi d’étudier l’évolution des prix d’après les différentes mesures indiquées par les comptes18.
L’évolution des prix de 1270 à la Peste Noire De 1270 jusque vers la fin du xiiie siècle, les données dont nous disposons sont trop rares et dispersées pour permettre une véritable étude de la conjoncture. D’une manière générale, les prix des céréales et des fèves semblent se maintenir à un niveau relativement élevé, signe sans doute d’une demande qui reste globalement importante. Avec toute la prudence qui s’impose, il semblerait que les prix aient connu une hausse assez importante au moins en 1277, entre 1282 et 1284 et en 1291. La cherté de 1277
14 À cela s’ajoute également le problème des mesures « rases » ou « combles ». L’emploi des mesures « combles » paraît somme toute assez rare en Valais, même s’il est attesté, par exemple, à Sion et à Saint-Maurice (le comte prélève au marché un « copetus cumulus » pour chaque coupe d’avoine vendue). Lorsque le récipient est relativement petit, la différence entre les deux mesures peut être de l’ordre de 25% ou 30%. À Saint-Maurice, la coupe correspond à 120 « copeti » ras et à 80 combles. 15 ASTo, SR, Inv. 69, f. 121, m. 1. 16 ASTo, SR, Inv. 69, f. 121, m. 3. Le rapport d’équivalence est noté dans le dos du rouleau. 17 CGSB, no 2746 et 2842. 18 Nous avons cependant rassemblé dans l’annexe 1 les quelques renseignements que nous avons pu réunir sur les différentes unités de mesure utilisées en Valais.
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n’est en fait que très partiellement attestée, puisque seuls les prix, par ailleurs isolés, à la mesure de Saint-Maurice nous sont connus. Mais elle concerne aussi bien le blé que l’avoine ou les fèves. De plus, les prix relativement élevés du seigle qu’indiquent les comptes de la châtellenie d’Entremont pour l’année 1275 semblent confirmer une certaine tendance à la hausse. Malgré l’absence de données pour l’année 1283, la deuxième période de cherté qu’il est possible de repérer est nettement plus visible. À l’exception du seigle à la mesure de Sembrancher, tous les prix connaissent une augmentation très forte dès 1282. Les prix restent élevés également en 1284, et ce n’est que l’année suivante qu’un mouvement à la baisse paraît se dessiner, de manière d’ailleurs plutôt lente. Enfin, en 1291, on observe un prix du blé à la mesure de Saillon qui est presque le double de celui de l’année précédente, alors qu’à Saxon le setier d’avoine passe de 26 deniers en 1290 à 40 deniers en 1291. Même s’il est probable que pendant la décennie suivante d’autres années aient été marquées par une hausse des prix des céréales, comme par exemple 1294 et 1297, il faut cependant attendre 1304 pour que ce phénomène soit à nouveau attesté par l’ensemble des données. L’augmentation des prix se manifeste un peu partout à partir de 1303, s’amplifie l’année suivante et commence à s’atténuer dès 1305. Le renchérissement touche tous les produits. À Saxon, le setier de vin passe lui aussi de 12 deniers en 1303 à 15 deniers l’année suivante. Après une nouvelle période de cherté en 1307-1308 dont l’ampleur paraît cependant moindre, les prix retrouvent un niveau très élevé en 1311 et 1312. Le muid de froment à la mesure de Saillon et de Saint-Maurice se vend en effet en 1312 à 28 sous, alors qu’il était à 18 sous en 1310. Il en va de même, d’après les comptes de la châtellenie de Saillon, des pois : le fichelin est vendu à 8 deniers en 1309, à 22 en 1311 et à 28 en 131219. Il est possible que les deux années de cherté consécutives aient été provoquées par les mauvaises conditions météorologiques. Un hiver ou un printemps très pluvieux sont en général catastrophiques pour certaines céréales, notamment pour le blé. Or, dans les comptes du péage de Saint-Maurice qui couvrent la période qui va de mars 1312 à janvier 1313, le péager indique qu’il a dû faire exécuter des travaux pour remettre en état une partie de la route qui avait été détruite par les inondations du Rhône20. Une fois encore, cependant, il faut se garder de toute conclusion hâtive. Dans ce cas précis, il est en effet possible d’affirmer que la récolte de 1312 fut loin d’être mauvaise21, et que dans la deuxième partie de l’année les prix ont baissé de manière sensible, puisque au mois de novembre le muid de blé est estimé à 17 sous et celui d’avoine à 6 sous22. La période d’accalmie ne dure cependant que trois ans. Dès 1315, une nouvelle tendance à la hausse se dessine. Elle se confirme et s’amplifie en 1316 et 1317. Toutes les données montrent que pendant ces deux années les prix ont atteint un niveau extrêmement 19 ASTo, SR, Inv. 69, f. 41, m. 1. 20 ASTo, SR, Inv. 69, f. 161, m. 1. 21 Nous disposons en effet, pour 1312, de deux comptes de la châtellenie de Saint-Maurice, dont le premier se termine en avril et le deuxième en novembre. 22 Il est vraisemblable que la baisse soit en partie accentuée par le facteur saisonnier. Elle est néanmoins confirmée également par le compte de la châtellenie de Saillon-Conthey qui se termine au 20 janvier 1313.
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élevé23. Ce n’est qu’à partir de la récolte de 1318, que l’on peut observer, dans certains comptes de châtellenie, les premiers signes d’un retour à un marché moins tendu24. Un certain nombre de textes permet de confirmer que l’origine de la hausse des prix est à rechercher dans les mauvaises conditions climatiques. Déjà à propos de la dîme concernant la récolte de 1314, le châtelain d’Entremont souligne en effet que celle-ci a rapporté moins que d’habitude « propter sterilitatem bladorum »25. L’année suivante, le printemps et l’été ont sans doute été très pluvieux, car le châtelain de Saxon note dans ses comptes que les « blada montium destructa fuerunt propter habundanciam pluviarum »26. La même année, celui de Chillon indique que les prés de la réserve comtale située à Aigle ont rapporté moins à cause des inondations27. L’année 1316 ne fut pas meilleure. Les comptes des châtelains comportent en effet plusieurs dépenses engagées pour réparer les moulins ou les battoirs que l’abondance des eaux a endommagés28. Enfin, l’hiver 1316-1317 fut certainement très froid : un des battoirs de Sembrancher ne put en effet pas fonctionner « longo tempore » à cause du gel29. Bref, tout comme dans de nombreuses autres régions de l’Occident médiéval, les mauvaises conditions climatiques qui ont caractérisé les années 1314-1317 ont entraîné une baisse sensible de la production agricole, ce qui a bien entendu provoqué une période de cherté prolongée. Bien que moins intense, une nouvelle poussée des prix se fait jour à partir de 1322. Le renchérissement semble surtout concerner le blé et l’avoine, alors que l’augmentation du prix du seigle paraît, à certains endroits, moins forte. Nous ne savons pas quelle fut la situation en 1323, mais cette même année le châtelain de Saxon indique que le produit de la dîme, aussi bien celui des champs situés en hauteur que celui des champs qui se trouvaient dans la plaine, a été inférieur « propter sterilitatem terrarum »30, ce qui explique, du moins en partie, le fait qu’en 1324 les prix ont gardé un niveau élevé. En l’espace d’une vingtaine d’années, le Valais oriental a donc connu au moins quatre périodes pendant lesquelles les prix des céréales ont été anormalement élevés. Bien que les sources ne permettent guère de mesurer les conséquences de ces hausses, on peut raisonnablement estimer qu’au moins une partie de la population, celle notamment qui disposait des revenus les plus faibles, a vécu des moments difficiles. D’autant plus que les prix montent en général de manière rapide, alors que le mouvement à la baisse est presque toujours beaucoup plus lent, ce qui prolonge 23 À Saxon, le prix du setier de vin, qui était de 12 deniers en 1315, passe à 20 deniers en 1317 (ASTo, SR, Inv. 69, f. 121, m. 1). 24 Le compte de Saint-Maurice qui se termine au 1er septembre 1318, indique cependant un prix du blé à peine inférieur à celui de 1317. 25 ASTo, SR, Inv. 69, f. 121, m. 1. Toujours en 1314, le montant de la ferme de la dîme du seigle à Vollèges doit d’ailleurs être diminué d’un muid (P. Dubuis, Une économie alpine à la fin du Moyen Âge. Orsières, l’Entremont et les régions voisines, 1250-1500, Sion, 1990, t. II, notes au chap. v, tableau B, p. 114). 26 ASTo, SR, Inv. 69, f. 121, m. 1. Voir également P. Dubuis, Une économie alpine, op. cit., t. II, Annexe aux notes du chap. i, « Textes relatifs au climat et à la météorologie », p. 49, no 8. 27 Ibid., p. 48, no 7. 28 Ibid., p. 48-49, no 9-11. 29 Ibid., p. 49, no 12. 30 ASTo, SR, Inv. 69, f. 121, m. 1.
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les effets négatifs de la période de cherté. Ceci dit, rien ne permet d’affirmer que les renchérissements que nous avons constatés ont été à l’origine de famines ayant provoqué une augmentation notable de la mortalité31. La documentation concernant le Valais, à notre connaissance, ne mentionne aucune crise alimentaire majeure qui aurait frappé la région pendant le premier quart du xive siècle32. La comparaison entre le nombre des contribuables au subside de 1313 et celui de 1339 semble par ailleurs confirmer qu’en dépit, peut-être, de quelques accidents, la croissance démographique dans les villages qui faisaient partie de la châtellenie de l’Entremont ne s’est arrêtée qu’après 134033. Malgré l’absence presque totale de données concernant la décennie 1329-1338, les prix semblent avoir connu une nouvelle flambée vers 133534. À Saxon, le muid de seigle est vendu en mars 1335 à 18 sous et à 20 sous en juillet, alors que le setier de seigle à la mesure d’Orsières passe de 21 deniers à 32 deniers. Tout en restant à un niveau élevé, les céréales à la mesure de Sembrancher connaissent en revanche une légère baisse. La persistance de la cherté en juillet pourrait laisser supposer que la récolte de 1335 s’annonçait plutôt mauvaise ; rien, cependant, ne permet de confirmer cette hypothèse, sinon la remarque du châtelain de Chillon qui note que les vendanges de 1335 ont rapporté moins « propter sterilitatem temporis »35. C’est à partir de 1344, mais peut-être déjà dès 1343 – les données pour cette année faisant défaut – qu’une nouvelle série de périodes rapprochées de hausse des prix se manifeste. En mars 1344, le châtelain de Saillon-Conthey note qu’il a vendu presque 8 muids de seigle à la mesure de Saillon, au prix de 26 sous chacun ; le muid de blé a pu être vendu à 33 sous et celui d’orge à 24 sous ; le châtelain de Monthey et de SaintMaurice indique, à la même époque, un prix pour le muid de froment de 36 sous, de 24 et 26 sous pour celui d’orge et de 18 sous pour celui d’avoine. L’année suivante les prix baissent légèrement, mais la cherté persiste. Ce n’est qu’en 1346 que les sources indiquent le retour à une situation moins tendue. Mais dès 1347, le mouvement à la hausse reprend et paraît s’amplifier de manière considérable en 1348. En février, le muid d’orge à la mesure de Saint-Maurice est vendu à 22 sous et celui de fèves à 36 sous. Il est presque certain que le prix du blé a lui aussi connu une augmentation très importante, le muid de froment et de fèves à la mesure de Saint-Maurice étant assez souvent vendu au même prix. Bref, d’après ce que l’on peut entrevoir, entre 1344 et 1348 les années de cherté se sont succédées presque sans solution de continuité. Si
31 Il faut cependant souligner que de mars 1316 à septembre 1318 la mortalité dans la paroisse d’Orsières augmente de manière anormale (P. Dubuis, Une économie alpine, op. cit., t. i, p. 200, tableau 4). 32 Même remarque in P. Dubuis, Une économie alpine, op. cit., t. i, p. 43. On peut néanmoins relever que les comptes de Saillon de 1328-1329 indiquent que la gerberie de Riddes a rapporté moins « quia aliqui de hominibus predicte parrochie a patria recesserunt propter eorum paupertatem et quia blada suffocata fuerunt hoc anno » (ASTo, SR, Inv. 69, f. 41, m. 2). 33 P. Dubuis, Une économie alpine, op. cit., t. i, tableau 8, p. 42. 34 Le châtelain de Chillon indique qu’en 1334 les vignes d’Aigle ont rapporté moins à cause du grand froid pendant le mois d’avril (P. Dubuis, Une économie alpine, op. cit., t. II, p. 50, n° 28). 35 Ibid., t. ii, p. 50, no 28. Bien entendu, des conditions météorologiques mauvaises pour la vigne peuvent aussi n’avoir aucune conséquence sur la récolte des céréales.
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les textes restent muets quant aux causes de ces crises agricoles, on peut en revanche observer un peu mieux leurs conséquences. Ainsi, entre juillet 1344 et août 1346, on constate dans la paroisse d’Orsières une augmentation considérable, par rapport aux deux années précédentes, du nombre des décès enregistrés par le châtelain. Pendant les huit mois suivants, les comptes n’attestent qu’un seul décès. L’exercice qui va de février 1348 à juin 1349, indique en revanche une très forte montée de la mortalité, sans aucun doute provoquée par l’arrivée de la peste, qui à Saint-Maurice est présente au moins depuis février 1349 et qui gagne par la suite le reste du Valais36. Avec toute la prudence qui s’impose, il nous paraît possible d’affirmer que la hausse des prix du milieu du xive siècle a bel et bien été à l’origine d’une crise alimentaire qui n’est pas restée sans conséquence sur le plan démographique. D’autant plus qu’elle se manifeste à une époque de troubles politiques et militaires qui ont eux aussi contribué à ralentir l’activité économique dans son ensemble37, comme le montrent par exemple les relevés du péage de Saint-Maurice38. Tout comme dans beaucoup d’autres régions de l’Occident médiéval, l’épidémie frappe en Valais une population déjà durement touchée par les difficultés alimentaires. À la suite vraisemblablement d’une récolte moins désastreuse en 1348, les prix des céréales sont à la baisse dès juin 1349. Le niveau extrêmement bas qu’on observe en 1351 – les données pour 1350 ne nous sont pas parvenues39 – montre cependant que la chute des prix n’est pas due en premier lieu à des récoltes meilleures, mais davantage à la contraction brutale de la demande provoquée par la très forte mortalité.
De la Peste Noire au milieu du xve siècle Si les crises de la première moitié du xive siècle semblent confirmer que l’équilibre entre population et production agricole était devenu fragile, les pertes démographiques provoquées par l’épidémie de 1349 ont également rendu possible un certain nombre de réajustements, lesquels ont peut-être permis d’atténuer, du moins en partie, les effets négatifs des années de mauvaise récolte. Dès la deuxième moitié du siècle, les mentions concernant des champs qui ont été abandonnés ou ne sont plus cultivés depuis plusieurs années deviennent en effet plus fréquentes. Selon toute vraisemblance, le lourd tribut payé à l’épidémie a permis de renoncer à l’exploitation d’un certain nombre de parcelles dont les rendements étaient trop bas, ce qui, dans
36 Pour les données concernant la mortalité voir ibid., t. ii, p. 59, tableau A. 37 V. van Berchem, « Guichard Tavel, évêque de Sion, 1342-1375. Étude sur le Valais au xive siècle », Jahrbuch für Schweizerische Geschichte, 24 (1899), p. 27-395. 38 Sur ces problèmes, voir l’article « Le mouvement commercial au péage de Saint-Maurice d’Agaune à la fin du Moyen Âge (1281-1450) », dans le présent volume, p. 217-277. Les indices d’une crise généralisée sont très nombreux. Ainsi, par exemple, déjà pendant les années qui précèdent l’arrivée de la peste, on constate dans la région de Sion une augmentation importante du nombre des personnes obligées de s’endetter en vendant des rentes en nature. 39 À Saint-Maurice, le 28 août 1350, la coupe de froment est cependant encore vendue à 22 deniers (ACSM, Pg. 263).
contribution à l’histoire des prix des céréales et des fèves en valais
l’ensemble, a peut-être rendu possible un certain essor de l’élevage40. Certes, tous les indices montrent que la production agricole globale a fortement diminué après 1350. Mais ce mouvement est allé de pair avec une baisse plus ou moins constante de la population. Le niveau tendanciellement plus bas des prix des céréales tout au long de la seconde partie du siècle, et aussi pendant le premier quart du xve siècle, semble néanmoins indiquer que l’équilibre entre ressources et population a peut-être été moins précaire que pendant l’époque précédente. Ou, du moins, que lorsqu’il s’est brisé son rétablissement a pu se faire de manière plus rapide. Pendant les décennies qui ont suivi la Peste Noire, les périodes de cherté n’ont en effet pas manqué, bien que globalement elles ne semblent pas avoir eu l’ampleur de celles de la première partie du siècle. Dès 1353, le prix du froment est à la hausse à Saint-Maurice, alors que celui du seigle semble retrouver un niveau assez élevé en 1356. Il faut cependant attendre 1360-1361 pour que nos sources permettent d’observer une nouvelle période de cherté plus ou moins généralisée. À Saillon, le setier de blé est vendu à 44 deniers en 1360 et le seigle à la mesure de Sembrancher à 28 deniers, alors qu’il était à 16 deniers en 1352 et à 21 deniers en 1357. Le renchérissement de ces deux années coïncide avec une nouvelle poussée de la mortalité qu’il faut sans aucun doute attribuer à une vague épidémique importante. On sait que le retour de la peste aux alentours de 1361 eut des conséquences peut-être aussi graves que celles de 1349, parce qu’il frappa de plein fouet également les hommes et les femmes qui avaient pu survivre à la première vague. Si l’on ne peut pas exclure que la hausse des prix a été provoquée par des conditions météorologiques mauvaises – certains textes semblent en effet indiquer une pluviosité élevée en 1358-1359 – on peut également supposer que le retour de la peste a pu perturber les travaux agricoles, ce qui a entraîné une diminution de la production. D’après ce que l’on peut juger sur la base des données éparses qui nous sont parvenues, les prix semblent avoir connu une certaine stabilité au moins jusqu’en 1370-137141. Dès cette date, et jusqu’à 1380, nous ne possédons que deux seules données isolées concernant le prix du seigle et de l’orge à Saillon en 1375. Elles semblent indiquer un renchérissement assez important qui coïnciderait, une fois encore, avec une poussée considérable de la mortalité signalée par les comptes entre 1374 et 137642. Pendant les deux dernières décennies du xive siècle, on repère au moins trois autres périodes de
40 Avec beaucoup de prudence, P. Dubuis remarque que « […] la place relative des bêtes tend à croître dès la seconde moitié du xive siècle » (Une économie alpine, op. cit., t. i, p. 254). En réalité, les sources ne permettent, pour la première partie du xive siècle, aucune étude quantitative fiable. Dès lors, comme le remarque P. Dubuis, il faut combattre l’idée encore trop souvent répandue que toute société alpine est nécessairement une société pastorale (ibid., p. 212-213). 41 Les comptes de l’Entremont de 1363-1364 indiquent un prix anormalement élevé pour la quartane d’avoine à la mesure d’Orsières. Il est cependant possible qu’il s’agisse d’une erreur, le copiste ayant en réalité transcrit le prix du setier. Dans le tableau des prix de l’annexe 3 nous avons néanmoins gardé le prix noté par le châtelain. 42 P. Dubuis, Une économie alpine, op. cit., t. i, p. 50. Les comptes de la commune de Saint-Maurice, qui se terminent en janvier 1376, semblent en revanche indiquer un certain retour à la normalité, puisque la coupe de froment est estimée à 18 deniers (ACSM, Pg. R. 9).
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cherté : 1381-1383, 1390-1391 et 1394-139743. Leur ampleur paraît néanmoins contenue, d’autant plus qu’elles semblent toucher les différentes régions avec parfois un certain décalage chronologique, ou bien concerner uniquement quelques céréales. Ainsi, par exemple, en 1390, alors que le blé et les fèves sont relativement chers à Saint-Maurice, le prix de l’avoine à Liddes ou à Orsières reste assez bas. En 1395, à Saillon les prix sont déjà très élevés, tandis que dans les autres régions le renchérissement ne se manifeste qu’en 139644. À partir de 1398 les prix s’orientent de nouveau à la baisse. Dès 1402, le mouvement tend même à s’accentuer, notamment pour certaines céréales comme le seigle et l’avoine. La baisse concernant le froment paraît en revanche un peu moins marquée45. La chute des prix entre 1402 et 1404 s’explique peut-être par une contraction brutale de la demande. La peste est en effet attestée en Lombardie et au Piémont entre 1399 et 1402. En Valais, aucun texte ne signale sa présence à cette époque, mais P. Dubuis note qu’entre février 1401 et février 1402 la mortalité dans l’Entremont est de sept à huit fois supérieure à celle des années précédentes46. Quoi qu’il en soit, à Liddes, Orsières et Sembrancher le prix du seigle double en 1405, alors qu’à Saillon il est encore à la baisse. Les comptes de la châtellenie de Saint-Maurice, et de manière plus fragmentaire également ceux de l’Entremont, indiquent une nouvelle poussée des prix en 1416. Le muid de blé et de fèves est vendu à 28 sous en 1416 et 1417 et à 24 s. en 1418 et 1419. À Saillon, le renchérissement paraît considérable surtout en 1418. À l’exception d’une période de cherté relative vers 1426-1427, la troisième décennie du xve siècle paraît se caractériser par des prix plutôt bas. La situation change à partir de 1431, lorsque le muid de fèves atteint à Saint-Maurice 36 sous. Pendant les deux années suivantes, le renchérissement s’étend aux autres céréales. En 1434 et 1435 les prix connaissent des variations assez anarchiques. Alors qu’en 1434 le froment et les fèves restent très chers, les prix du seigle – sauf à Saxon – de l’avoine et de l’orge baissent. En 1435, alors que tous les prix ont tendance à baisser, parfois de manière considérable, à Saint-Maurice ceux de l’avoine et de l’orge, et à Sembrancher celui de l’orge, sont à la hausse. Une fois encore, le renchérissement coïncide avec une augmentation de la mortalité que l’on observe dans les comptes de 1435-1436 ; aucun texte, cependant, ne signale d’épidémies à cette époque. En 1438-1439, nos sources indiquent une augmentation des prix extrêmement brutale. Le muid de seigle est vendu, en 1438, trois fois plus cher que l’année précé-
43 Dans les comptes des travaux effectués entre décembre 1385 et avril 1386 pour l’entretien du château de Conthey, le châtelain indique qu’il a dû augmenter le salaire des charpentiers « quoniam eotunc ibidem Contegii erat maxima carestia » (A. Fibicher (éd.), « Die Instandsetzung der Burgen von Conthey 1385-1388 », Vallesia, 42 (1987), p. 134). Les comptes de la châtellenie de 1385-1388 font référence à une année de « magna mortalitate », sans qu’on puisse établir la date précise de celle-ci. 44 Il est difficile de savoir si le facteur saisonnier joue ici un rôle important. Le compte de Saillon se termine au 15 août, celui de Saint-Maurice au 20 juillet. Les autres prix ont en revanche été estimés au cours du mois de mars. 45 On peut également relever que la diminution du prix du seigle n’a pas partout la même ampleur. 46 P. Dubuis, Une économie alpine, op. cit., t. i, p. 51.
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dente. À Saint-Maurice et à Sembrancher, le muid de froment est estimé, en 1439, respectivement à 42 sous et 41 sous et 6 deniers. Le fait que le renchérissement soit plus marqué pour le seigle et l’orge – à Sembrancher cette dernière est même estimée au même prix que le froment – donne à penser que les récoltes furent particulièrement mauvaises, alors que la demande resta élevée. Cette impression est partiellement confirmée par les données concernant la dîme du seigle à Saxon, qui indiquent une très bonne récolte en 1436, une plutôt mauvaise en 1437 et une certaine reprise en 1439 qui se confirme en 1440. Quant aux chiffres pour 1438 ils ne nous sont pas parvenus47. Elle est en revanche en partie contredite par les chiffres concernant la dîme du seigle et de l’orge de Liddes, qui laissent entrevoir une très mauvaise récolte en 1436, une nette reprise en 1437 et une chute brutale de la production en 1438 et 1439, les données pour 1440 faisant défaut. Même en admettant que les prix de 1438 ont en quelque sorte anticipé la mauvaise récolte qui s’annonçait, il est cependant difficile d’expliquer pourquoi ils n’ont pas augmenté en 1437. On peut juste relever que la courbe des prix n’est de loin pas le décalque de celle du produit de la dîme, d’autant plus que ce dernier, comme le remarque à juste titre P. Dubuis, ne peut pas être considéré, du moins en ce qui concerne la courte durée, comme le reflet exact des fluctuations de la production48. Pendant la décennie 1440-1450 les prix connaissent, dans l’ensemble, une certaine stabilité : ils restent relativement élevés jusqu’en 1444, baissent entre 1445 et 1448 pour ensuite remonter de manière assez rapide en 1449 et sans doute également en 1450. L’absence de données pour les deux années suivantes empêche cependant d’établir jusqu’à quand la période de cherté a duré. On peut seulement remarquer que cette dernière se manifeste, une fois encore, juste avant le retour de la peste, qui est présente à Sion et dans l’Entremont en 1451 et 145249.
Le mouvement des prix dans la longue durée Si les comptes de châtellenie permettent, malgré de nombreuses incertitudes, de suivre de manière plus ou moins fiable les fluctuations conjoncturelles des prix des céréales, il est également important d’essayer de reconstituer l’évolution générale de ces derniers dans la longue durée. Pour les raisons que nous avons longuement présentées au début, ceci n’est possible qu’à condition d’accepter une marge d’imprécision très importante. Pour essayer d’obtenir des séries un peu moins discontinues, il est en effet nécessaire de recourir à la méthode des coefficients qui, compte tenu des données dont nous disposons, présente un certain nombre d’inconvénients sur lesquels nous n’insisterons pas. Il faut donc se garder d’attribuer une trop grande importance aux courbes des prix du blé et du seigle que nous présentons dans l’annexe 2. Elles n’ont
47 Ibid., t. ii, tableau E, p. 117. 48 Notamment parce qu’il peut être influencé par la rotation des cultures ou bien par d’éventuels arrangements intervenus entre les paysans et le châtelain (ibid., t. i, p. 196). 49 Ibid., t. i, p. 55.
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pour but que d’illustrer les tendances générales de l’évolution des prix, lesquelles, nous semble-t-il, appellent au moins deux observations. En dépit du fait que les moyennes décennales ont été calculées à partir des prix pratiqués à des endroits qui ne sont pas tout à fait les mêmes pour les deux céréales, force est de constater que les mouvements à la hausse ou à la baisse du blé et du seigle sont presque toujours synchrones. On ne repère en effet que deux seules exceptions : la décennie 1300-1309 – pendant laquelle le prix du seigle diminue tandis que celui du froment augmente – et celle qui couvre les années 1360-1369, qui voit le phénomène inverse se produire. L’écart entre les deux courbes demeure cependant très réduit, si bien qu’il n’est guère possible de lui conférer une véritable signification. Au-delà des différences que l’on peut parfois observer d’une année à l’autre, les prix du froment et du seigle ont indiscutablement connu une évolution comparable dans la longue durée. Jusqu’au début du xive siècle ils sont restés à un niveau plutôt élevé, mais aussi assez stable. Ils connaissent par la suite une période de turbulence nettement plus marquée, qui culmine avec la montée spectaculaire de la moyenne en 1340-1350. La chute brutale des prix qui résulte de la contraction de la demande provoquée par la peste de 1349, ramène les moyennes décennales à des niveaux assez bas, qui se maintiennent, en dépit de quelques variations, jusqu’à 1430. À partir de cette date, les prix semblent connaître une hausse très sensible qui, du moins pour ce qui est du seigle, se prolonge jusqu’au milieu du xve siècle. La deuxième remarque concerne les oscillations de brève durée. Malgré toute la prudence qui s’impose, il semblerait que jusqu’au milieu du xive siècle celles-ci ont une ampleur beaucoup plus grande que celles que l’on observe pendant les décennies suivantes, du moins jusqu’à 1420-143050. Ce phénomène semble indiquer que l’équilibre existant entre production agricole et population était effectivement assez précaire, d’où des réactions très nerveuses au niveau des prix à chaque modification de l’offre. La comparaison entre la courbe du blé et de l’avoine nous paraît confirmer cette observation. D’une manière générale, on sait que dans le Valais médiéval le volume de la production du seigle était nettement supérieur à celui du froment, lequel était d’ailleurs importé depuis par exemple le marché de Vevey51. Le seigle était en effet la céréale dominante aussi bien en plaine que dans les régions de moyenne altitude52, et son rôle dans l’alimentation de tous les jours était sans aucun doute très important. C’est ce qui explique, du moins en partie, pourquoi les prix du seigle semblent plus sensibles que ceux du froment à tout changement du rapport entre l’offre et la demande. Dans la même perspective, on peut également relever que la moyenne décennale du prix du seigle reste globalement supérieure à celle du froment jusqu’à 1340-1350, alors qu’entre 1380 et 1420 les deux moyennes connaissent des niveaux presque identiques. 50 Pour le seigle, ceci est vrai surtout à partir de 1380. 51 C’est ce qu’indiquent les comptes du petit péage de Villeneuve pour la première moitié du xve siècle (ASTo, SR, Inv. 69, f. 31, m. 9-12). Pour le xive siècle, voir aussi, à propos de l’importation de céréales à Saint-Maurice, G. Coutaz, « La ville de Saint-Maurice d’Agaune avant la Grande Peste », Vallesia, 34 (1979), p. 233. 52 P. Dubuis, Une économie alpine, op. cit., t. i, p. 189.
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Prix et salaires : quelques problèmes en guise de conclusion L’étude de l’évolution des prix, que ce soit des céréales ou d’autres marchandises, ne prend sa véritable signification que si elle est complétée par une enquête minutieuse concernant les revenus et les salaires. Il est certain que la richesse de la documentation valaisanne permettrait, de ce point de vue, d’aboutir à des résultats extrêmement intéressants. Les comptes pour l’entretien des routes dans la région de Saint-Maurice53, ceux concernant les travaux de la cathédrale de Sion54, les dépenses enregistrées par les châtelains pour l’exploitation des vignes qui faisaient partie de la réserve comtale, celles pour la remise en état des moulins ou des battoirs, les comptes des frais d’entretien des châteaux ainsi que beaucoup d’autres sources encore, offrent en effet un très grand nombre de données qui ne demandent qu’à être étudiées. Une telle recherche permettrait sans aucun doute de mettre en évidence non seulement la manière dont les salaires ont évolué dans le temps, mais également l’ampleur du marché du travail, les hiérarchies professionnelles, la place du travail féminin, etc.55. Beaucoup plus modestement, nous nous limiterons, dans les lignes qui suivent, à formuler quelques observations concernant les difficultés que soulève l’étude des relations existant entre prix et salaires. D’une manière générale, il semblerait que les salaires des ouvriers travaillant à la journée pour l’entretien des routes restent relativement stables jusqu’au milieu du xive siècle. Ainsi que le note M. Cl. Daviso, les manœuvres sont payés 4 deniers par jour entre 1310 et 134856, ce qui est très proche des salaires fixés à Sion en 126957. À Saillon, les hommes qui travaillent dans le vignoble du comte reçoivent, à cette époque, 5 deniers par jour, alors que les femmes qui, semble-t-il, n’étaient engagées que pour les vendanges, seulement 2 deniers et 1 obole. Sans doute à cause des pertes démographiques provoquées par la peste qui a rendu la main-d’œuvre moins abondante, le niveau des salaires paraît augmenter dès la deuxième moitié du siècle. Le péager de Saint-Maurice indique en effet, déjà en 1349-1350, que la rémunération des ouvriers est désormais de 7 deniers par jour, la même que reçoivent les ouvriers viticoles qui travaillent pour le châtelain de Saillon en 1368-136958. En 1351-1352, les comptes de la commune de Saint-Maurice révèlent eux aussi un salaire de 8 deniers par jour pour les ouvriers et de 12 deniers pour les charpentiers59. En fait, le coût du travail pouvait varier d’une année à l’autre et même d’un mois à l’autre. Si la partie versée en argent semble en général évoluer de 53 M. Cl. Daviso di Charvensod, « La route du Valais au xive siècle », Revue Suisse d’Histoire, 1 (1951), p. 545-561. 54 P. Dubuis, « Documents relatifs à la cathédrale de Sion au Moyen Âge », Vallesia, 34 (1979), p. 149-173. 55 Les sources permettraient d’ailleurs d’aborder aussi le problème des techniques artisanales pour construire, par exemple, les citernes, les cloches, restaurer les ponts, etc. 56 M. Cl. Daviso di Charvensod, « La route du Valais », art. cit., p. 553-555. 57 « Item statutum est ut operarii non accipiant pro mercede unius diei nisi duos den. cum esca aut iiii den. et vinum sine esca aut v den. sine vino » (Gremaud, Documents, n° 751). 58 Le coût du travail paraît avoir augmenté dans beaucoup de domaines. Ainsi, par exemple, en 1399 la commune de Saint-Maurice décide de baisser les tarifs du transport des marchandises, les marchands étrangers ayant fait remarquer que les voituriers « salaria excessiva ab eis nimis exigebant » (ACSM, Pg 520). 59 Gremaud, Documents, n° 1991.
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manière assez lente, celle versée en nature est en revanche soumise aux fluctuations des prix des céréales et du vin. Toujours à Saillon, les ouvriers qui étaient engagés pour tailler la vigne du comte recevaient en effet un pain de seigle dont le poids était fixé par la coutume à 1/18e de fichelin, ceux qui la clôturaient un pain de 1/30e de fichelin, etc. Comme le montrent, par exemple, les comptes pour l’entretien du château de Conthey ou ceux de la cathédrale de Sion, les frais pour la main-d’œuvre pouvaient donc subir des hausses ou des baisses assez rapides et considérables60. Le niveau relativement bas des prix des céréales ainsi que la tendance des salaires à augmenter observés entre 1350 et 1420, pourraient, à première vue, suggérer que le niveau de vie de ceux qui ont pu échapper aux épidémies a connu, pendant cette période, une certaine amélioration. Une fois encore, cependant, il est nécessaire de faire preuve de la plus grande prudence. En effet, le niveau de vie d’un groupe social ne peut être mesuré, ne serait-ce que par approximation, que grâce à l’analyse des budgets familiaux, ce que les sources valaisannes ne permettent guère de faire. Il est d’autre part évident que même en faisant abstraction du problème épineux de l’autoconsommation, les variations concernant le niveau des prix ou des salaires ont des conséquences qui sont loin d’être identiques pour l’ensemble de la population. Pour illustrer le type de difficultés que soulève l’interprétation des phénomènes économiques que nous venons d’évoquer, on peut, en guise de conclusion, faire appel à un document qui date de 1416. Il s’agit d’un essai du pain réalisé à Sion par le lieutenant du vidomne et les représentants de la commune suite aux plaintes de la population concernant le poids du pain vendu par les boulangers de la ville61. Le 20 juillet de cette année, les « probi viri » chargés de l’essai achètent un fichelin de froment au prix de 40 deniers. Mesuré avec un récipient « sigillato signo antiquo civitatis Sedunensis », le blé sans le sac pèse, selon le poids de la ville, 49⅓ livres. Huit jours plus tard, le froment est amené au moulin. Le texte précise que le droit de mouture s’élève à un « eminal combloz » lorsque le transport depuis le marché jusqu’au moulin est assuré par le meunier, et à un « eminal justum » – c’est-à-dire ras – lorsque c’est le propriétaire qui se charge du transport. Le texte précise que, dans le premier cas, le meunier prélève pour son travail une quantité de blé qui pèse 2 livres, et dans le deuxième 1,5 livres. Après la mouture, le poids du fichelin n’est plus que de 45 livres, alors que le blutage permet d’extraire 7 livres de son. Amenée chez un boulanger, la farine permet la fabrication d’une quantité de pain blanc qui pèse en tout 43,5 livres62. La commission en déduit,
60 À Conthey, de décembre 1385 à août 1386, le coût journalier des charpentiers varie entre 24 deniers et 18 deniers. 61 Le texte affirme que « totus populus non tantum civitatis, quinimo totius dyocesis Sedunensis de iniustitia panis qui fiebat infra dictam civitatem ad vendendum conquerebatur attento bono foro bladi, totamque civitatem ob hanc causam infamando » (ABS, Tir. 117, no 2, fol. 57r). Sur l’importance des essais du pain voir Fr. Desportes, Le pain au Moyen Âge, Paris, 1987, et surtout A. Guerreau, « Mesures du blé et du pain à Mâcon (xive-xviiie siècles) », Histoire & Mesure, 3/2 (1988), p. 163-219. 62 La qualité du pain n’est pas précisée par le texte, mais on peut la supposer d’après le poids du son extrait, qui est tout à fait comparable à celui extrait pour cuire du pain blanc lors d’un essai réalisé à Sion en 1530, alors que le son extrait pour la farine destinée au pain « grossior » appelé « attot » ne pèse, en 1530, que 2 livres et 10 onces (ABS, Tir. 117, no 2. fol. 68v-69r).
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sur la base d’un calcul qui n’est pas explicité, que le pain de 1 denier doit peser, lorsque le fichelin de froment est vendu au marché au prix de 40 deniers, 14 onces. Le même jour, la commission pèse le pain fabriqué par deux boulangers différents. Le premier vend un pain simple qui pèse 9¾ onces et un pain double qui pèse 1 livre ; le deuxième un pain simple qui pèse 7 onces. Comme le note le notaire Ambroise de Poldo, « et sic satis claro constat cuilibet scienti computare » que les boulangers volent environ la moitié de chaque fichelin. Ils seront d’ailleurs condamnés, une semaine plus tard, à une forte amende et leurs pains seront saisis et distribués aux pauvres. Au-delà des informations concernant de manière plus spécifique les procédés de fabrication du pain, qui mériteraient sans doute une analyse plus précise, le texte permet de constater que les variations du prix de la matière première n’étaient pas répercutées automatiquement sur le poids du produit fini. Il est vraisemblable que le poids du pain diminuait rapidement lorsque les prix des céréales étaient à la hausse et augmentait beaucoup plus lentement lorsqu’ils étaient à la baisse. Pour éviter ce phénomène, la commission décida que le poids du pain devait être indexé au prix du blé selon un barème que nous connaissons grâce à un autre document63. Sans entrer dans les détails, le barème révèle le souci des autorités communales de protéger avant tout les intérêts des consommateurs, l’augmentation des prix et la diminution du poids étant, en gros, toujours proportionnelles. En revanche, si la rémunération des boulangers varie relativement peu en pourcentage – entre 25% et 30% du prix du fichelin – en valeur absolue elle peut être très différente selon le prix du froment : lorsque celui-ci coûte 4,5 ou 5 gros, les boulangers gagnent environ 10 deniers mauriçois sur chaque fichelin, tandis que leur bénéfice brut est de presque 30 deniers lorsque le prix du fichelin est de 11 gros64. Les frais pour travailler un fichelin de blé, notamment ceux du combustible65, de la main-d’œuvre, etc., étant grosso modo les mêmes indépendamment du coût de la matière première, on comprend dès lors que la population avait peut-être tendance à considérer comme un phénomène spéculatif ce qui n’était, du moins en partie, qu’une nécessité économique. On peut en effet se demander si l’augmentation des ventes en période de bas prix était à même de
63 ABS, Tir. 61, n° 17 et AEV, AV L 64. Voici les rapports établis (le premier chiffre est le prix du fichelin de froment exprimé en gros et le deuxième le poids du pain exprimé en onces): 4,5/14 ; 5/12,75 ; 6/11 ; 7/9,5 ; 8/8 ; 9/7 ; 10/6,33 ; 11/5,5 ; 12/4,66. 64 Lorsque le prix du fichelin est de 4,5 gros, c’est-à-dire 40 deniers mauriçois, le boulanger est en effet tenu de fabriquer environ 50 pains de 1 denier, chacun devant peser 14 onces (669 : 14 onces); lorsque le prix est de 11 gros, environ 98 deniers, il en fabrique presque 127 (696 : 5,5) qu’il vend toujours à 1 denier. Il faudrait, pour être plus précis, tenir compte également du bénéfice réalisé par le boulanger grâce à la vente du son. En 1530, le fichelin de son, qui pèse 21 livres, est estimé à 6 gros, environ le 28,5% du prix du fichelin de blé. 65 D’après les statuts de 1269, les « clibanarii » de Sion ne devaient demander que 9 deniers pour cuire un muid (Gremaud, Documents, n° 751) ; dans les comptes du châtelain de Tourbillon, La Soie et de la Majorie de Sion de 1389-1391, le coût pour cuire la même quantité est de 18 deniers (ASTo, SR, Inv. 69, f. 185, mazzo unico), ce qui correspond au prix fixé par les syndics de Martigny en 1361 aux boulangers de la ville (AEV, Martigny mixte, Pg 47).
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compenser la diminution très nette de la marge bénéficiaire imposée aux boulangers sur la base d’un calcul qui ne prenait en considération qu’un seul élément66. La situation des meuniers paraît, à bien des égards, analogue à celle des boulangers. Selon qu’ils assurent ou non le transport, leur travail est en effet rémunéré avec le 4% ou le 3% du prix du fichelin. Il semble bien que la baisse des prix les désavantage, d’autant plus que les frais d’entretien des moulins ont vraisemblablement augmenté pendant la deuxième moitié du xive siècle. Il est certain qu’une analyse plus minutieuse des différents facteurs permettrait d’apprécier avec un peu plus de précision les coûts supportés aussi bien par les meuniers que les boulangers, et donc d’estimer par approximation les bénéfices qu’ils pouvaient réaliser67. Mais, répétons-le, notre propos n’était que de montrer, à l’aide d’un exemple concret, quelques-uns des mécanismes complexes dont il faut tenir compte lorsqu’on essaye d’interpréter correctement les conséquences des variations des prix.
Annexe I Note sur la capacité de quelques mesures pour les céréales en usage en Valais au Moyen Âge
Les essais du pain fournissent presque toujours des renseignements très précieux concernant les mesures utilisées. C’est le cas également des deux essais réalisés à Sion en 1416 et en 1530. En 1416, le fichelin de blé pèse, avec le sac, 51 livres, et 49⅓ livres sans le sac ; en 1530, le fichelin de froment avec le sac pèse 50 livres et 13 onces. Compte tenu des variations de poids qui peuvent intervenir à cause de la manière différente d’entasser le blé, du degré de maturation de celui-ci, de la plus ou moins longue conservation, du degré d’humidité, etc., il est certain que les mesures auxquelles font référence les deux essais sont les mêmes. Ainsi que le précise l’essai de 1530, la livre utilisée est celle qui contient 16 onces, et qui pèse 0,4895 kilos68. En 1416, le poids net du fichelin de froment est donc de 24,15 kilos et celui du muid de 289,8 kilos. Si l’on adopte la densité du blé retenue en général au moment de la conversion (entre 0,751 et 0,753) on obtient donc un muid d’environ 385 litres69. On peut donc admettre que 66 Il est d’ailleurs significatif qu’à l’origine de l’essai de 1530, il y a de nouveau les plaintes de la population contre la légèreté du pain en comparaison du prix du froment. 67 Grâce aux comptes de châtellenie, il est sans aucun doute possible d’aboutir à des résultats assez précis, les frais d’exploitation et de réparation des fours, moulins, battoirs, etc., étant indiqués de manière presque systématique. 68 À Conthey, on utilise également la magna libra de 18 onces et la parva libra de 12 onces (Compte de 1359-1369, ASTo, SR, Inv. 69, f. 41, m. 5; voir aussi L. cibrario, Della economia politica del medio evo, Turin, 1861, t. ii, p. 247). À Martigny, en 1411, le comte de Savoie interdit l’utilisation des poids étrangers (notamment de ceux de Sion et d’Aoste) et impose aux habitants d’utiliser un poids de 15 onces la livre ; 100 livres de Martigny devront correspondre à 125 livres au poids d’Aoste (AEV, Martigny mixte, Pg 118). 69 Compte tenu de la manière différente de cribler et de tasser le blé, il n’est pas possible d’utiliser la densité moyenne actuelle, qui est d’environ 0,78. Pour les densités retenues au moment de la conversion voir L. Cibrario, Della economia politica, op. cit., t. ii, p. 252 ; A. Guerreau, « Mesures du
contribution à l’histoire des prix des céréales et des fèves en valais
le muid de Sion avait une capacité qu’on peut estimer à environ 380-390 litres. Cette capacité est confirmée, de manière partielle, également par les comptes de l’Hospice du Grand-Saint-Bernard, qui indiquent entre le muid d’Aoste et celui de Sion un rapport de 3 pour 2. La capacité du muid d’Aoste étant, selon O. Zanolli, de 260 litres, celle du muid de Sion serait de 390 litres70. Il convient cependant de préciser qu’à une autre occasion les comptes utilisent aussi un rapport qui est de 4 pour 3. On l’a dit, les rapports existant entre les différentes mesures qu’on trouve dans les sources médiévales ne sont pas toujours très fiables. Ils constituent néanmoins un premier élément d’appréciation qu’on aurait tort d’ignorer. Si l’on admet que le muid de Sion valait entre 380 et 390 litres, on obtient, d’après les équivalences proposées par le Liber ministralie du Chapitre de Sion, un muid à la mesure de Sierre d’environ 250-260 litres, et un muid à la mesure de Naters et Viège d’environ 185-195 litres71. Ce dernier, en 1362, est estimé inférieur d’un sixième à celui à la mesure de Brigue72. De même, si l’on admet que le muid d’Aoste valait environ 260 litres, on obtient, selon les équivalences utilisées par les comptes de l’Hospice du Grand-Saint-Bernard, les capacités suivantes73 : muid de Sembrancher74 306-319 litres ; muid de Bourg-SaintPierre 167-173 litres ; muid d’Orsières75 236-247 litres ; muid d’Aigle 390-419 litres ; muid de Martigny 317-347 litres. Les comptes de châtellenie donnent eux aussi un certain nombre d’indications. En 1289-1290, le compte de Saxon précise que 9 setiers de seigle à la mesure de Liddes correspondent à un muid à la mesure de Saxon ; cette équivalence est confirmée en 1298-1299 et en 1316-1317. Comme on l’a vu, en 1298-1299 le châtelain indique également que la mesure de Sembrancher est inférieure d’un quart à la mesure de Saxon et de Saint-Maurice, alors qu’en 1358-1359, l’équivalence est de 6 setiers de Sembrancher pour 5 de Saxon76. En 1300-1301, le châtelain de l’Entremont note que la mesure d’Orsières pour le seigle est inférieure d’un tiers à la mesure de Sembrancher ; en 1316-1317, le rapport d’équivalence est de 4 setiers d’Orsières pour 3 de Sembrancher, rapport qui est confirmé par le compte de 1385-1386. Enfin, les comptes de Saillon-Conthey considèrent les mesures des deux villages, du moins en ce qui concerne le blé, le seigle et l’avoine, comme identiques.
blé et du pain », art. cit., p. 172. 70 O. Zanolli, Lillianes. Histoire d’une communauté de montagne de la Basse Vallée d’Aoste, Aoste, 1985, t. i, p. 393. 71 ACS, Liber ministralie, t. ii, f. 253 ; voir également Fr. Vannotti, Le Chapitre cathédral de Sion (10431399). Fonds de la Métralie, (thèse de l’École nationale des Chartes, dactyl.), Paris, 1969, p. 172-173. 72 Gremaud, Documents, no 2075. 73 Les rapports de conversion utilisés par les comptes n’étant pas toujours les mêmes, nous indiquons les valeurs extrêmes. Les deux conversions concernant la mesure de Fully sont trop différentes pour qu’on puisse les utiliser. 74 Nous n’avons pas pris en considération une conversion effectuée en 1473 qui indique que 26 muids de seigle correspondent à 19,5 muids d’Aoste. Il faudrait peut-être corriger 19,5 avec 29,5 (CGSB, nº 3743). 75 Il faut sans doute corriger le texte de l’entrée nº 2203 « V modia cum d[imidia] q[uartana] » avec : « v modia cum d[imidio et] q[uartana] » (ibid., p. 109). De même, à l’entrée n° 3748, il faut peut-être corriger « xlix quartanas » avec « lix quartanas » (ibid., p. 204). 76 Voir supra, p. 138. n. 16.
15 1
152
F r a n co M o r e n zo n i
Annexe II 400 350 300 250 200 150 100 50 0 1270
1290
1310
1330
1350
Moyenne annuelle
1370
1390
1410
1430
1450
1430
1450
Moyenne décennale
Graphique 1. Prix du setier de froment en deniers mauriçois [1401 = 100]
350 300 250 200 150 100 50 0 1270
1290
1310
1330
1350
Moyenne annuelle
1370
1390
1410
Moyenne décennale
Graphique 2. Prix du setier de seigle en deniers mauriçois [1401 = 100]
32
14 20
15
24
18
14 18
B
30
C
42
28 52
28
E
54
16 22 19 21 27
37
22
F
C
49½
D
C
19
D
E
50
14
15
B
30½ 27 52 44
A
12
F
Avoine
28
34
E
Froment F
15
A
C
D
Orge
30
20 36
20
E
F
C
52½
D
Fèves
42
30 52
32
E
77 À Saint-Maurice le setier ne paraît pas utilisé. Les prix indiqués correspondent à ceux de 1/6 de muid, c’est-à-dire de deux « coupes ». À Orsières, l’avoine est souvent vendue par quartanes, dont trois représentent un setier. Tous les prix ont été convertis en monnaie mauriçoise. « Pour certaines années, nous disposons de deux comptes. Nous avons choisi, dans ces cas, de retenir les deux séries de prix. »
1270 1271 1272 1273 1274 1275 1276 1277 1278 1279 1280 1280 1281 1282 1283 1284
A
Seigle
A = mesure de Liddes; B= mesure d’Orsières; C = mesure de Saillon; D = mesure de Saint-Maurice; E = mesure de Saxon; F = mesure de Sembrancher
Tableau. Prix du setier de céréales et de fèves en deniers mauriçois d’après les comptes de châtellenie77
Annexe III contribution à l’histoire des prix des céréales et des fèves en valais 15 3
16
24 22
28
16 16
15 18 16
1300 1301 1302 1303 1304 1305 1306
B
1285 1286 1287 1288 1289 1290 1291 1292 1293 1294 1294 1295 1296 1296 1297 1298 1299
A
24
36
34
30
30 30 30 30 40 36
24 30 28
24 24
40 72 46
48
30 57½
C
34
28
24
F
48
24 26 40
32
E
38
C
Seigle
42 44 30 40 48 42 36
32
42 44
44 44 48
D
40 40 36 40 48 46
34
40
E
Froment F
A
B
C
16 18 10 12 16 16 14
12
12 14
16 18
D
Avoine
16
12 12 12 16
12
12
E
F
A
30
16
24
24
C
18 22 24
28 24
D
Orge
20 20 20 24 28 30
18
24
16
24
E
F
C
34 32 30 40 40 36 36
26
40 36 40 30 30 36
D
Fèves
24 40
30 30 36
28
36
32
E
154 F r a n co M o r e n zo n i
1307 1308 1308 1309 1310 1311 1312 1312 1313 1314 1315 1316 1317 1318 1319 1320 1321 1322 1323 1324 1325 1326 1327 1328 1329
21
32
28 24 22
24
21 19 18
B
18½
A
40 32 26 22 18
32 26 30 36
40 32 32
28 26 24
32
36 26
46 32
42
28
48 44 42 34 28
48 32 40 48
40
28
36
44 56
C
32 36
F
36
32 30
E
24
C
Seigle 48 48
E
30
48 44 44
56
36 50 56 34 32 36 44 40 60 60 60 56 41½
36 40 36
D
Froment F
A
9 6 6
B
C
12
12 18 26 24 26
14 18 20 12
14 14 14
D
Avoine
16 16
24 20
18
14 24
E
24
24
F
A
28 24
24 18 24 30
20 18
24 24
18
C
D
Orge
52 52
36
24 30
E
30
48
30
28 34 52 56 56
36 40 48 30
36 40 36
D
16
C
48 40 40
F
28 20 24
32
30 24
20
24 24
E
Fèves contribution à l’histoire des prix des céréales et des fèves en valais 15 5
1330 1331 1332 1333 1334 1335 1335 1336 1337 1338 1339 1340 1341 1342 1343 1344 1344 1345 1346 1347 1348 1349 1350 1351 1352
18 36
27
12
16 32
24
11
18
36
52
22
40
28 56
26 32
E
14½ 16½
32 30
C
36 40
B
21 32
18 29
A
Seigle
16 16
35
24 48
22 20
45 40
F
56
66
44 38
C
36 28
36 96
56 32 40
32
60
66
32
96 96
E
72
32
D
Froment F
A
12
8
12 42
9
18 18
B
C
12 14
24 14 16
36
D
Avoine E
F
16
A
18
44
48 52
24 24
C
28
36 18
48
18 20
D
Orge E
16
16
14
33 29
F
C
22 22
32 40 72
72
24 26
D
Fèves E
156 F r a n co M o r e n zo n i
1353 1353 1354 1355 1356 1357 1358 1359 1360 1361 1362 1363 1364 1365 1366 1367 1368 1369 1370 1371 1372 1373 1374 1375 1376
21
27 27 20
22
18 18 14
14½
B
14
A
50
20 20
20
32
26
C
Seigle
30
18
26 25½
E
22
32 32
36
28
44 40
32
36 34 28
24 28 28 18 37½
15 15 12
B
C
D
14
18
18
13
A
34 34
F 14
E
Avoine
40
D
36
44 48
C
21
F
Froment E
F
A
30
18 18
16
20 24
C
16
18
D
Orge E
F
C
28
36
24
36 32
D
Fèves E
contribution à l’histoire des prix des céréales et des fèves en valais 15 7
1377 1378 1379 1380 1380 1381 1382 1383 1384 1385 1386 1386 1387 1388 1389 1389 1390 1391 1392 1393 1394 1395 1396 1397 1398
18
18 12½ 20
16
16 11 18
14
24 24
50
20 20
26
27
24 19 19
14 18 20
16
20
14
23
24 17 26½
24
19 20
12
12½ 13½
20
25
F
8
24 30
E
16½
22
C
32
B
20
A
Seigle
7
5½
7½ 9½
6½
A
36 46½ 40 36 35½
36
31½ 34
40
F
10 8 10
40
32
34
34
40
28 28 36
32
40
E
43
40
32
36
36
D
36 26½ 35
53½
30 30
30
28
32
C
Froment
10½
11
11
7½
B
18
28
14
C
14½
16
16
13 14 14
13
14
D
Avoine E
15 12
11
11
10
F
5½
11 9 18
8
9 11
16½
A
20 20
28
14 14
14
14
16
C
D
Orge E
18
17 13½
12
13 16
25
24
F
34
34
43
40
32
32
D
36 46½ 36
53½
30
30
28
32
C
Fèves E
1 58 F r a n co M o r e n zo n i
14 14
12 15
14½ 14½
13 13
13 15½
15 15
12 13½ 12 12 13½ 7½ 7 8½ 7 8½ 14 18 14 13 13½ 13 14 13 14
1400 1400 1401 1402 1403 1404 1405 1406 1407 1408 1409 1410 1411 1412 1413 1414 1415 1416 1416 1417 1417 1418 1419
12
10½
B
1399
A
36
24
28
28
14 20 14
22
22
20
C
Seigle
36 24
24
28 30 30
28
20 18 16 20 32 32
20
E
20 20
19 23½
20 20
11 11 21 21 19 20 20
18 18 18
16
F
42
30
36
36
28 32 28
32
32
30
C
32 34 56 56 48 48 48
32
32
36
30
30 26
33
30
D
F
8 9
30 29½ 35½
9 9
9 9
35½ 35½
B
10 10
11
9 9
8 8 9 7½ 4½ 7½ 4½ 7½ 10 15 10 15 9 9 9 9 9 9
5½ 6 6
4½
A
31½ 31½
36 36 36
26 35½ 28 28 24 32 24 40 35½ 40 35½ 31½ 31½ 36 31½
28½
26 27½
E
Froment
21
14
16
16
12
18
18
C
12 13 18 18 12 14 12
12
12
14
10
10 9
13
12
D
Avoine E
F
8 8
8 9
9 9
8 5 5 5 10 10 9 9 9
8
7
A
14 12 21
20
20
12
18
18
C
12 12
12 18
D
Orge E
16
14
12 12
7½ 7½ 15 15 12 12 12
12 12 12
11
F
42
30
36
36
28 32 28
32
32
30
C
32 34 56 56 48 48 48
32
32
30
24
24 20
27
27
D
Fèves E
contribution à l’histoire des prix des céréales et des fèves en valais 1 59
1420 1421 1422 1423 1424 1425 1426 1427 1428 1429 1430 1431 1432 1433 1434 1435 1436 1437 1438 1439 1440 1441 1442 1443 1444
14½ 12½ 12½ 16 12½ 15 18½ 18½ 14 14
B
24 24
23½ 26½ 28½ 28½
8½ 14½ 28 49 24 29½ 51½
16½ 15½ 17½ 17½
E
23½ 26½ 28½ 28½
27
18
66
35½ 48 23½ 16 16 16½ 53½ 55½
36 36
23 26
24
C
36
21 15 15
20 17 17 14 14 17
F
16 35½
16½ 18 11½
20
C
14½ 24 23½ 48 13 21½ 8½ 14½
13 18
15 12 12 10 10 13 16 16 12 12
A
Seigle
18
30
E
21½ 47½
35½ 25½ 25½ 18 18 22 27½ 27½ 21 21
F
84 33 28 29½ 38½ 47½ 47½
31½ 71 83
36 47½ 60 60 47½ 30 24 31½
36
42
32
36 28
D
Froment B
C
D
9 10 12 6 12 8 6 12 5 12 11½ 5 12 13 12 6½ 16½ 18 13½ 8 20½ 18 6 15½ 6 15½ 18 7 16½ 18 36 10 12 14 14 7 9 13 4½ 6 18 6 4½ 6 7½ 15 12 15½ 23½ 42 15 9 16 14 10½ 18 11½ 15 11½ 15
A
Avoine E
F
C
D
10½ 10½ 11½ 11½
8 5 5 3 11½ 3½ 13 4½ 18 13½ 5½ 18 4 4 20 18 5 18 36 10 13 7 15 4½ 18 6 4½ 18½ 9 19½ 72
A
Orge E
18 18 15 15
23½ 71 83
9 23½
14 39½
9 6 6
16 5 5 5 5 6
F
27
18
66
36
36 36
23 26
C
33 28
36 60 30
36 72
42
32
36 28
D
Fèves E
160 F r a n co M o r e n zo n i
1445 1446 1447 1448 1448 1449 1450
F
12 12
21½ 19½ 23½
E
12 21½ 12½ 12 19½ 18½ 23½ 16
C
20½ 20½
B
20½ 20½
A
Seigle
24
20
C
48
33
D
20 20
E
Froment
31½
37½ 31
F 7 6
B
8 12 8 12 10½ 11½
6 6
A
11½
10
C
16
11
D
Avoine E
F
8 8 11
9 6
A
11
10
C
D
Orge E
23½ 23½ 31½
11 10
F
24
16
C
48
33
D
Fèves E
contribution à l’histoire des prix des céréales et des fèves en valais 161
Note sur la présence de l’oursen Valais et dans le Chablais vaudois a la fin du Moyen Âge
Disparu des Alpes valaisannes et vaudoises vers le milieu du xixe siècle, l’ours brun était présent dans ces régions au moins depuis le paléolithique supérieur, ainsi que l’attestent les restes retrouvés dans la caverne du Scé, près de Villeneuve, à côté d’objets provenant de l’industrie lithique magdalénienne. Les fouilles de l’amphithéâtre de Martigny ont par ailleurs permis de constater la présence systématique de l’ours brun non seulement à l’extérieur, mais également à l’intérieur de l’amphithéâtre, ce qui laisse supposer qu’il était utilisé lors de certains combats1. L’importance de l’ours brun parmi la faune sauvage locale est également confirmée par la toponymie. Dans le Chablais vaudois et dans le Valais occidental, les toponymes qui rappellent la présence du plantigrade sont en effet très nombreux. Près de Bretaye, dans les Alpes vaudoises, on trouve Orsay dominé par le Roc à l’Ours. Un peu plus loin, le Pas de l’Ours relie deux alpages déjà mentionnés au Moyen Âge. En Valais, le village d’Orsières, sans doute une ancienne station de chasseurs, est cité en 972 sous l’appellation de Pons Ursarii, d’Ursaria au siècle suivant et d’Orsières vers la fin du xiie siècle. Au Moyen Âge, un pâturage sis au-dessus de Vionnaz apparaît dans les documents sous l’appellation de montem ursinum (actuellement Orsin) ; non loin de là, près de Vérossaz, un lieu-dit s’appelle encore de nos jours Es Orseys, tout comme le pâturage de l’Oursine dans la région de Fully. Au total, on recense une bonne vingtaine de survivances toponymiques, mais la liste est sans aucun doute incomplète, car il faudrait également prendre en compte d’autres toponymes qui rappellent non pas le nom de l’animal, mais la chasse de celui-ci, comme par exemple les lieux-dits La chasse, qui font parfois référence à celle de l’ours. D’une manière générale, les sources écrites valaisannes ne livrent que peu d’informations concernant la faune sauvage régionale. Les comptes de la châtellenie de Chillon et de la paroisse de Montreux permettent néanmoins d’affirmer que dans
1 Orientation bibliographique : M. Couturier, L’ours brun : ursus arctos, Grenoble, 1954 ; H. Delacrétaz, « L’ours dans la toponymie de Suisse romande (en Valais) », Les Alpes, 27 (1951), p. 238-242 ; P. Dubuis, Une économie alpine à la fin du Moyen Âge. Orsières, l’Entremont et les régions voisines, 1250-1500, 2 vol., Sion, 1990.
Sur les routes des Alpes : Religieux, marchands et animaux dans la Suisse occidentale (xiiie-xve siècles), Franco Morenzoni, Turnhout, 2019 (Culture et société médiévales, 36), p. 163-168 © FHG10.1484/M.CSM-EB.5.117884
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F r a n co M o r e n zo n i
la région on chassait le cerf, la biche et le sanglier. De plus, en Valais, les châtelains achètent parfois pour l’Hôtel du comte des peaux de renard, de loutre, de bouquetin et, plus fréquemment, de chamois. Les châtelains étaient parfois également chargés de capturer des faucons jeunes destinés à être dressés pour la chasse. En 1318-1319, celui de Saint-Maurice note ainsi les salaires versés à quatre hommes pour surveiller pendant quinze jours le rocher du Vérolliey, au milieu duquel on avait repéré un nid avec des « falcones novos Domini nobiles ». À l’aide d’une corde d’une longueur de 140 toises, huit personnes furent par la suite chargées de faire descendre un homme qui remonta tout le nid avec son contenu. En 1344-1345, le châtelain de Chillon indique qu’il a payé un homme qui a capturé trois faucons sous le pont de Vouvry et les a ensuite amenés à Chambéry enveloppés dans des toiles : malgré cette précaution, un des rapaces est mort pendant le voyage. Quant au loup, sa présence en Valais paraît assez importante. Les comptes de l’Hospice du Grand-Saint-Bernard signalent parfois des chevaux, attaqués et tués par les loups, qui n’ont pas pu être vendus à cause de l’état pitoyable de leurs peaux. Considéré comme un animal particulièrement nocif, le loup était sans doute chassé de manière assez systématique : les sources montrent en effet que pour le combattre, on utilisait des pièges, des appâts empoisonnés, etc. La presque totalité des renseignements concernant l’ours en Valais ou dans le Chablais vaudois est fournie par les séries des différents comptes de châtellenie2. Dès le début du xive siècle, ceux de Chillon commencent à indiquer le montant des amendes (banna) infligées aux individus ou aux communautés villageoises coupables soit d’avoir refusé de participer à la chasse seigneuriale, soit de l’avoir fait de manière négligente. Certaines communautés étaient en effet astreintes à prendre part à la chasse à l’ours, organisée parfois, quand il était de passage dans la région, en présence du comte de Savoie. Ce droit comtal, dont on ignore l’origine mais qui était sans aucun doute ancien, paraît avoir concerné principalement quelques villages situés dans la châtellenie de Villeneuve-Chillon. En 1314-1315, deux hommes de la paroisse de Montreux et leur consortes furent ainsi condamnés à une amende de 6 livres et 1 denier pour n’avoir pas gardé le passage de la Groba, ce qui a permis à la bête de s’échapper. Une trentaine d’années plus tard, la communauté de Vionnaz dut payer 25 sous d’amende pour n’avoir pas su empêcher l’ours de s’enfuir à travers un des passages qu’elle avait pour tâche de fermer. En 1366-1367, des hommes de Vouvry et de Vionnaz furent à nouveau mis à l’amende, certains parce qu’ils étaient partis avant la fin de la chasse, d’autres parce qu’ils n’avaient pas gardé les passages. L’année suivante, un certain nombre d’hommes et une femme, dont on ne précise pas le lieu de résidence, payèrent une amende de 45 sous pour le même motif. À cette occasion, le châtelain précise que l’ursatio lui a coûté en tout 15 sous mauriçois. En 1395-1396, les hommes de Vionnaz furent condamnés, une fois encore, à payer 42 sous lausannois « propter deffectum custodie certi passus venacionis Domini de Plan Boys ». Il semble que cette chasse seigneuriale ait été souvent organisée au même endroit. À deux reprises, en effet, les comptes signalent qu’elle s’est déroulée in
2 Cf. les comptes des châtellenies de Chillon-Villeneuve, Conthey, Entremont, Martigny, Monthey, Saillon, Saint-Maurice, Saxon, déposés à l’Archivio di Stato de Turin (SR, Inv. 69).
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Plano Bosco, sans doute l’actuel lieu-dit du « Plambois », que P. Dubuis a pu situer dans la commune de Vouvry ; fermé à l’ouest par les gorges d’un torrent qui passe d’abord entre deux pentes boisées appelées « La Chasse », c’est vraisemblablement à cet endroit que les chasseurs attendaient la bête, alors que les villageois engagés comme rabatteurs étaient chargés de surveiller les passages qui auraient pu permettre à l’ours de s’enfuir par le haut. Le droit du seigneur d’obliger les hommes des communautés villageoises à participer à la chasse paraît avoir existé également ailleurs, notamment dans la châtellenie de Conthey. Les comptes de 1373-1375 indiquent en effet qu’un ours a été capturé dans la forêt comtale de Bioudron (Bieudron), située sur la rive gauche du Rhône, « in venacione Domino debita », et qu’il a ensuite été amené sur une barque jusqu’à Saint-Maurice où résidait la comtesse, ce qui semble suggérer que le comte avait participé personnellement à la chasse. À partir du dernier quart du xive siècle, dans plusieurs comptes de châtellenie apparaît une nouvelle rubrique appelée « tractus ursorum ». Dans la châtellenie de Chillon celle-ci concerne également les cerfs, les biches et les sangliers. On ignore les circonstances précises qui ont amené l’administration savoyarde à exiger une redevance sur chaque bête tuée. De manière générale, il semblerait que pendant longtemps en Valais ait prévalu la tradition romaine qui considérait l’animal sauvage une « res nullius ». Au xive siècle, cependant, on observe également au Piémont une certaine tendance de la Maison de Savoie à considérer de plus en plus le droit de chasse comme un droit régalien, et de ce fait à exiger que certaines parties des animaux tués soient remises à l’administration, ne serait-ce que, comme à Villafareto, « in signum subiectionis ». En Valais aussi les chasseurs remettaient au châtelain certaines parties de la bête capturée qui avaient une valeur économique très faible : pour l’ours il s’agissait des boyaux, d’un morceau d’épaule, de la peau et, parfois, comme par exemple à Martigny, des pattes et de la tête. Cette redevance avait donc un caractère surtout symbolique, son but étant avant tout de rappeler le droit féodal que possédait le seigneur. Ainsi, comme le note le châtelain de Chillon, en 1426-1427 un habitant de Villeneuve fut condamné à une amende pour avoir pris un cerf « de quo Dominus non habuit honores sibi debitos ». Les comptes ne fournissent malheureusement que peu de renseignements concernant les méthodes utilisées pour chasser l’ours. Si dans la Haute Savoie on a pu repérer un certain nombre de fosses à l’ours dont certaines pourraient être d’origine médiévale, en Valais aucune recherche de ce type n’a été menée. La seule fosse à l’ours dont nous connaissons l’existence, celle qui se trouve à l’entrée du plateau de Champex, près de Martigny, est beaucoup plus récente. Nos sources permettent néanmoins de constater que la chasse à l’ours était presque toujours une activité collective, qui mobilisait l’ensemble des membres de la communauté villageoise. En général, c’est en effet au nom de telle ou telle autre communauté que les morceaux de la bête étaient remis au châtelain. Il est même possible que la participation à la chasse fît partie des obligations communautaires. En 1449-1450, deux habitants de la paroisse de Troistorrents, dans le Val d’Illiez, furent d’ailleurs condamnés par le juge à une amende de 10 florins « eo quia inculpabantur officium magistratus exercuisse, certas cridas faciendo in parochia Trium Torrentium ut unusquisque ad venacionem
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cuiusdam ursi veniret sub certis penis per eosdem exactis ». Parfois, cependant, on a l’impression que la chasse à l’ours était également pratiquée par des particuliers qui s’associaient pour l’occasion. Ainsi, par exemple, en 1376-1377 le châtelain condamna six personnes d’Aigle pour avoir capturé à titre individuel des ours et pour n’avoir pas remis les morceaux dus. Bien que se déplaçant dans un territoire plutôt vaste, l’ours est un animal routinier. Il est donc vraisemblable que les villageois connaissaient assez bien les endroits qu’il fréquentait, les itinéraires qu’il empruntait et les tanières qu’il utilisait. On ignore à quelle saison se déroulait en général la chasse. Le fait que quelques femelles ont été tuées avec leurs petits, laisse supposer que l’ours était chassé également au printemps. Mais il semblerait que la chasse avait lieu surtout en automne, car plusieurs bêtes ont été tuées presque en plaine, où elles étaient sans doute descendues pour se nourrir des glands et des fruits. La seule chasse qu’on peut dater avec précision est d’ailleurs celle qui se déroula en 1448-1449 dans la région de Montreux, dont les comptes indiquent qu’elle eut lieu à la Saint-Michel. Entre 1373 et 1466, les comptes de châtellenie indiquent que soixante-treize ours ont été tués dans le Valais savoyard et l’actuel Chablais vaudois. Il faut cependant relativiser la précision de ces chiffres. Il semble bien que la surveillance exercée par les châtelains sur les produits de la chasse était plutôt inefficace. On le remarque, par exemple, à propos des lièvres et des perdrix. Dès la fin du xive siècle, les comptes ouvrent en effet une nouvelle rubrique qui concerne une redevance frappant la chasse de ces deux animaux. Or, malgré les récriminations et les menaces de l’administration comtale qui ne cesse, année après année, de rappeler aux châtelains leur devoir de surveillance, cette rubrique reste désespérément vide et la redevance ne rapporte absolument rien dans aucune des châtellenies valaisannes. Certes, comme on l’a vu, les châtelains infligent parfois des amendes sévères à ceux qui ont essayé de cacher la capture d’un ours. Ainsi, par exemple, pour ne pas avoir présenté deux ours, les hommes de la communauté de Fully doivent payer au châtelain de Saillon une amende de 31 sous et 2 deniers en 1379-1380. Trois ans auparavant, Jean Cernellerii d’Aigle avait été condamné à une amende de 30 deniers « quia fuit in societate excoriandi quendam parvum ursum » dont la capture n’avait pas été signalée. On peut donc raisonnablement estimer que la fraude était plutôt fréquente, compte tenu également des difficultés réelles pour surveiller une activité qui se déroulait bien souvent dans des endroits isolés et sauvages. D’après les renseignements fournis par les comptes, il semblerait qu’en Valais l’ours était présent surtout dans certaines vallées latérales de la rive gauche du Rhône, moins exposées au soleil et couvertes d’une épaisse végétation. Dans la châtellenie de Chillon, l’ours est en revanche présent également dans les vallées de la rive droite. Il est en effet chassé non seulement dans la région de Vouvry et de Vionnaz, mais aussi dans le vidomnat Ollon – dont les comptes indiquent 4 bêtes tuées entre 1400 et 1407 – dans les environs de Rennaz, d’Yvorne et d’Aigle, et dans la région de Montreux. La plupart des ours a cependant été capturée dans les châtellenies situées sur la rive gauche. Si à Monthey on ne signale qu’une seule bête tuée près de La Muraz en 1425-1426, à Martigny – malgré des données incomplètes à cause du nombre considérable d’exercices comptables qui ne nous sont pas parvenus – on recense
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Lac Léman
Chillon
22
e
Monthey
1
St.Maurice
27
2
Conthey
Rhôn
Saillon Saxon
2
Martigny
4
Sembrancher (Entremont)
15
Carte. Nombre d’ours capturés de 1373 à 1466
en sept ans la capture de quatre animaux. Mais la présence de l’ours paraît avoir été importante surtout dans la châtellenie d’Entremont (environ 305 km2) et encore plus dans celle, beaucoup moins étendue, de Saint-Maurice (environ 83 km2). Dans la première, plus d’un tiers des bêtes a été capturé par les hommes de la communauté de Sembrancher : des prises sont également signalées dans la région de Bagnes en 1378-1379, et dans celle de Liddes en 1390-1391. Dans la deuxième, les hommes de Vérossaz versent le « tractus ursorum » en 1404-1406 et en 1417-1418 ; ceux d’Evionnaz sont cités en 1405-1406, en 1420-1421 et en 1433-1434 : en 1422-1423, ils versent la redevance pour un ours capturé avec le concours des villageois de Mex. Ces derniers sont également cités en 1407-1408, 1409-1410 et en 1423-1424 avec ceux de La Balmaz ; ceux d’Epinassay sont en revanche mentionnés en 1448-1449 et en 1450-1451, lorsqu’ils
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présentent deux ours tués en association avec les hommes de Mayo, un hameau situé non loin de Mex. Enfin, en 1433-1434, les hommes de Servans et d’Ottans, un village par la suite disparu, versent la redevance pour une bête capturée « en Gounroz », c’est-à-dire dans le bois de Gueuro situé sur la rive droite du torrent du Trient. La valeur économique de l’ours paraît avoir été bien faible. Les châtelains vendaient en effet les « tractus ursorum » qu’ils recevaient à un prix qui était toujours le même et qui était très modeste (en général 12 deniers mauriçois). C’étaient d’ailleurs les chasseurs qui parfois rachetaient les différents morceaux de la bête. Même les peaux ne paraissent pas avoir été commercialisées. On les gardait peut-être comme trophées ou on les utilisait comme carpettes. Dans les inventaires valaisans que nous avons pu consulter, elles ne sont cependant jamais mentionnées. Quant à la viande, malgré l’opinion de Gaston Phoebus (« [l’ours] a mole char et malsavoureuse et malsaine »), elle était sans doute consommée par les chasseurs eux-mêmes. Aucune source n’indique qu’en Valais elle était vendue, mais ceci est vrai également pour les autres animaux sauvages chassés. On sait cependant qu’ailleurs, par exemple à Vercelli, on pouvait trouver de la viande d’ours sur les étals des bouchers. Elle était également consommée à la cour du comte, car dans les comptes de l’hôtel on trouve parfois de achats de sel « ad salsandum ursum ». Reste que la chasse à l’ours paraît avant tout une pratique liée principalement à la tradition. Tout comme l’intérêt économique, l’apport alimentaire qu’elle a pu fournir n’a vraisemblablement joué qu’un rôle secondaire. Contrairement au loup, dont la présence entraîne généralement l’émigration de l’ours, ce dernier n’est jamais mentionné en tant que responsable de dégâts aux choses ou aux bêtes. Il est néanmoins possible qu’après les crises démographiques du xive siècle, le Valais ait connu un certain essor de l’élevage, ce qui pourrait avoir eu pour conséquence une intensification de la chasse à l’ours réputé dangereux pour le bétail. Mais il s’agit d’une simple hypothèse que nos sources ne permettent guère de vérifier. Quant à savoir si le prélèvement sur le cheptel d’ours opéré par les communautés villageoises était important ou non, c’est là une autre question qui reste sans réponse. Compte tenu de sa faible capacité de reproduction, on peut cependant supposer qu’à la fin du Moyen Âge l’ours était déjà en voie de recul dans les Alpes vaudoises et valaisannes. En effet, il semble bien, du moins dans les régions que les sources permettent d’observer, qu’on ne le trouve plus que dans quelques vallées où la présence humaine paraît avoir été assez faible.
La capture et le commerce des fauconsdans les Alpes occidentales au xive siècle
Destinés à la chasse de haut-vol ou à celle de bas-vol, autrement dit à la fauconnerie ou à l’autourserie, faucons, autours et éperviers évoquent, de nos jours encore, un des loisirs parmi les plus caractéristiques de l’aristocratie médiévale. Les miniatures, les peintures, les tapisseries, mais aussi les mosaïques, les sculptures ou les sceaux, nous ont transmis de nombreuses représentations de seigneurs ou de dames qui, avec leurs montures et leurs faucons fièrement assis sur le poing, s’apprêtent à partir vers une aventure qu’on imagine à la fois sauvage et raffinée1. Aussi bien en Orient qu’en Occident, une abondante littérature en arabe, en latin ou en langues vulgaires2, témoigne de l’intérêt que le Moyen Âge a manifesté à l’égard du caractère, des soins et des techniques d’affaitage des oiseaux de chasse. C’est en Asie, sans doute avant le iie millénaire de notre ère, que « l’étonnante trajectoire du sauvage et rebelle faucon3 » a croisé celle de l’homme pour donner naissance à un art qui exige de la patience, de la fermeté, de la dureté, mais aussi de la douceur et un grand esprit d’observation. Bien plus tard, cet art prendra le nom de fauconnerie. Introduite en Occident vers le ive siècle, la fauconnerie, qui exalte et exploite les qualités d’un chasseur hors pair, connaîtra sa plus grande splendeur du xie au xve siècle4. Les voleries des grands et des petits seigneurs se peupleront, suivant les possibilités financières des maîtres, de quelques dizaines – et parfois de quelques
1 C’est le cas, par exemple, du sceau de Béatrice, femme du comte Thomas ier de Savoie, qui représente la comtesse à cheval avec un faucon sur le poing, cf. J. L. von Wurstemberger, Peter der Zweite, Graf von Savoyen, Markgraf in Italien, sein Haus und seine Lande, t. iv, Berne - Zürich, 1856-1858, doc. 83, p. 36. 2 Sur cet aspect voir B. van den Abeele, La fauconnerie dans les lettres françaises du xiie au xive siècle, Louvain, 1990. 3 R. Delort, Les animaux ont une histoire, Paris, 1984, p. 220. 4 L’engouement pour les faucons est bien illustré par le récit des Gesta Romanorum qui raconte comment une dame, qui avait offert un faucon au chevalier qu’elle aimait, est délaissée par celui-ci au profit du rapace. Cf. H. Oesterley (éd.), Gesta Romanorum, Berlin, 1872, p. 138-139.
Sur les routes des Alpes : Religieux, marchands et animaux dans la Suisse occidentale (xiiie-xve siècles), Franco Morenzoni, Turnhout, 2019 (Culture et société médiévales, 36), p. 169-179 © FHG10.1484/M.CSM-EB.5.117886
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centaines – de rapaces qui seront nourris, soignés et entraînés par un personnel qualifié5. Mais, « semper inter gentes », selon la belle expression d’Egidius de Aquino, faucons, autours et éperviers ne se laisseront jamais domestiquer, refusant entre autres de se reproduire en captivité6. D’où la nécessité de ravitailler régulièrement les voleries avec des oiseaux capturés à l’intérieur des terres seigneuriales ou achetés sur le marché. On sait que dans l’Europe du Nord le commerce des rapaces, grâce surtout à l’ordre Teutonique, n’était pas une activité négligeable, et qu’aussi bien Königsberg que Bruges ont servi de centres de redistribution des oiseaux de chasse capturés sur le pourtour de la Baltique7. Les gerfauts de Norvège étaient appréciés même à la cour de l’Il-Kahn qui, vers la fin du xiiie siècle, avait envoyé dans ce pays un chrétien de rite chaldéen lui en acheter un certain nombre8. Pour ce qui est des Alpes occidentales, à notre connaissance aucune étude spécifique n’a jusqu’à présent abordé cet aspect9. Les pages qui vont suivre n’ont cependant pas l’ambition de combler cette lacune. Elles n’ont pour but que d’exploiter un certain nombre de renseignements au sujet du commerce et de la capture des oiseaux de chasse que livrent les sources administratives savoyardes. L’existence d’un trafic de rapaces qui traversait les terres du comte de Savoie est attestée par un certain nombre de tarifs de péage indiquant les droits dont les marchands qui présentaient des oiseaux de chasse devaient s’acquitter. À Mondovì, bourgade située sur la route qui reliait Savone à Turin, le comte prélevait ainsi 24 deniers sur les faucons, la moitié sur les autours et seulement 5 deniers sur les aves trexdii. Le tarif du péage de Masino de 1450 mentionne également, à côté des faucons et des autours, les gerfauts, sans doute importés depuis le nord des Alpes. Sur la route qui menait au Grand et au Petit-Saint-Bernard, les rapaces étaient taxés à Ivrée, à Bard, à Montjovet et à Aoste. Les droits de péage frappaient pour l’essentiel les faucons, les autours et les éperviers. À Ivrée, d’après un tarif daté de 1257, une taxe de 4 deniers tournois était cependant perçue aussi sur les calandres10.
5 Deux ouvrages récents permettent une excellente approche de l’histoire des faucons et de la fauconnerie : C. Beck et É. Rémy, Le faucon, favori des princes, Paris, 1990 ; B. van den Abeele, La fauconnerie au Moyen Âge. Connaissance, affaitage et médecine des oiseaux de chasse d’après les traités latins, Paris, 1994. 6 Sur le problème de l’entregent, cf. B. van den Abeele, La fauconnerie au Moyen Âge, op. cit., p. 128-131, à qui nous empruntons également les mots d’Egidius. Sur la domestication cf. R. Delort, « Rapport introductif », in R. Durand (éd.), L’homme, l’animal domestique et l’environnement du Moyen Âge au xviiie siècle. Actes du colloque de Nantes, 22-24 octobre 1992, Nantes, 1993, p. 12-19. 7 G. Hofmann, « Falkenjagd und Falkenhandel in den nordischen Ländern während des Mittelalters », Zeitschrift für deutsches Altertum, 88 (1957-1958), p. 115-149. 8 J. Richard, La Papauté et les missions d’Orient au Moyen Âge (xiiie-xve siècles), Rome - Paris, 1977, p. 109, n. 171. 9 Pour les Alpes orientales, quelques renseignements sont fournis par Chr. Gasser et H. Stampfer, Die Jagd in der Kunst Alttirols, Bozen, 1994, p. 45 et suiv. Je remercie Baudoin Van den Abeele de m’avoir signalé l’existence de cet ouvrage. 10 Les tarifs de ces péages ont été publiés par M. Cl. Daviso di Charvensod, I pedaggi delle Alpi occidentali nel Medio Evo, Turin, 1961.
l a c ap t u r e e t l e co mme rce d e s fau co ns
Au nord des Alpes, du moins pour les régions que nous avons prises en considération, les péages qui soumettaient les rapaces à une taxe semblent avoir été moins nombreux. Aux Clées, les marchands qui se présentaient avec des faucons, des autours ou des gerfauts devaient verser un droit de 5 sous anciens de Lausanne pour chaque volatile. Mais s’ils transportaient en même temps des éperviers, ces derniers étaient exemptés de toute taxe11. À Brigue, d’après un document de 1394, les rapaces en provenance du Simplon étaient depuis longtemps soumis à un droit de péage de 2 deniers mauriçois12. Il est difficile de juger de la valeur marchande des différentes espèces à partir des tarifs des péages. À Mondovì, les autours valaient la moitié des faucons, mais à Ivrée ces derniers étaient taxés 4 deniers et les premiers 6 deniers ; en règle générale, cependant, les éperviers étaient le plus souvent soumis à des droits de péage nettement inférieurs à ceux exigés pour les autres espèces. Ainsi, par exemple, à Montjovet les faucons et les autours étaient taxés 18 deniers l’unité, alors que les éperviers seulement 24 deniers la douzaine. À Aoste, d’après un tarif datant du début du xive siècle, les marchands qui faisaient passer des éperviers devaient remettre au péager un oiseau sur treize. Les droits prélevés sur les faucons étaient assez souvent à peine inférieurs à ceux perçus sur les singes ou les maimones, et presque toujours supérieurs à ceux qui frappaient les chevaux13. Si les tarifs des péages qui mentionnent des rapaces sont relativement nombreux, rares sont en revanche les sources qui permettent de se faire une idée de l’ampleur de ce trafic. Pour ce qui est des Alpes occidentales, les seules données quantitatives qui nous sont parvenues sont celles offertes par les comptes du péage de Bard. Le premier exercice comptable conservé est celui qui va du 8 mars 1272 au 8 mars 1273. La série, malgré quelques lacunes, se poursuit jusqu’au début du xvie siècle14. Situé sur l’ancienne route romaine du Val d’Aoste, le péage permettait de ponctionner les marchandises qui descendaient la vallée et celles en provenance d’Ivrée ou de Biella. À l’origine, certaines taxes étaient perçues aussi bien à Bard qu’à Donnas. À partir de 1279, les deux péages furent cependant réunis. En plus des droits qui pesaient sur les marchandises du commerce international ou celles des trafics régionaux, le péager de Bard devait prélever également une taxe sur tous les chevaux montés en provenance de France, d’Angleterre ou de Cologne. Les relevés permettent ainsi de constater que, suite aux jubilés de 1300 et de 1350, de très nombreux pèlerins à cheval avaient pris la route pour se rendre à Rome, parfois en compagnie de leurs oiseaux de chasse15.
11 « Et si l’on porte des espervieux avec lesdits oiseaux, on n’exige aucun péage » (M. Cl. Daviso di Charvensod, I pedaggi delle Alpi, op. cit., p. 413). 12 « Item de una ledin falconum, auticipum (!) seu hapka : ii den. », AEV, AV L 43. 13 C’est le cas, par exemple, à Montjovet, où la taxe pour les singes était de 26 deniers, et à Bard, où ils étaient taxés à 6 sous et 3 deniers. De 1294 à 1370, les comptes de Bard ne signalent cependant que le passage de dix-sept singes. 14 Les comptes du péage se trouvent dans les comptes de la châtellenie de Bard et sont conservés à l’Archivio di Stato di Torino (SR, Inv. 68, f. 29, m. 1-38). 15 Du 11 avril 1300 au 21 mars 1301, le péager enregistre 7 987 chevaux gallici, 22 ânes, 694 chevaux anglici et 2 en provenance de Cologne (ASTo, SR, Inv. 68, f. 29, m. 1, r. 6). Du 8 juin 1350 au 24 mai 1351, il note le passage de 8 249 chevaux gallici (ASTo, SR, Inv. 68, f. 29, m. 8, r. 31). Sur les passages de
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À Bard, chaque faucon ou autour était soumis à une taxe de 5 sous viennois, alors que le péager prélevait un épervier par dizaine jusqu’à 1279 et, par la suite, 6 deniers viennois sur chaque bête16. De 1272 à 1292, les passages de rapaces restent cependant très épisodiques, et ce n’est qu’à partir de cette date qu’ils deviennent un peu plus réguliers17. Au total, en un peu plus d’un siècle, les receveurs ont enregistré le passage de 735 oiseaux, chiffre qui est certainement inférieur à la réalité, car pour un certain nombre d’années les comptes ne nous sont pas parvenus18. Regroupés par période d’environ dix ans, les passages se répartissent de la manière suivante : Tableau. Nombre de faucons, d’autours et d’éperviers enregistrés au péage de Bard de 1293 à 1400
faucons et autours
éperviers
% du total
21.3.1293 – 24.4.1303 25.4.1303 – 30.3.1313 31.3.1313 – 10.9.1323 11.9.1323 – 9.4.1333 10.4.1334 – 12.1.1343 13.1.1343 – 3.3.1353 4.3.1353 – 16.3.1363 16.3.1363 – 19.9.1372 20.9.1372 – 31.12.1382 1.1.1383 – 24.6.1392 25.6.1392 – 30.5.1400
49 99 6 8 6 40 18 53 11 7 6
20 39 65 90 25 119 49 22 2 – 1
9,39% 18,78% 9,66% 13,33% 4,22% 21,63% 9,12% 10,20% 1,77% 0,95% 0,95%
TOTAL
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100%
Dans l’ensemble, les comptes laissent entrevoir un trafic qui est loin d’être important. C’est seulement entre 1293 et 1313 et entre 1343 et 1372 que le nombre d’oiseaux de chasse qui ont transité par Bard est supérieur, en moyenne, à la centaine par décennie. Il est d’ailleurs probable qu’une partie seulement des rapaces soumis au péage était destinée à la vente, les autres faisant tout simplement partie des bagages de certains individus qui se déplaçaient à cheval, ainsi que semble le suggérer le nombre plus élevé de faucons et d’éperviers qui sont passés pendant les exercices
chevaux à Bard entre 1275 et 1321 cf. A.-M. et R.-H. Bautier, « Contribution à l’histoire du cheval au Moyen Âge », Bulletin philologique et historique (jusqu’à 1610) du comité des travaux historiques et scientifiques, 1978, p. 73, n. 360. 16 Il faut rectifier ce qu’écrit M. C. Daviso di Charvensod, I pedaggi delle Alpi, op. cit., p. 384-385, d’après qui le changement dans la manière de taxer les éperviers ne serait intervenu qu’à partir de 1350. 17 Les éperviers sont signalés dans les comptes à partir de 1279, mais sans qu’on puisse établir leur nombre précis. De 1283 à 1290, on dénombre le passage d’au moins six faucons et vingt-trois éperviers. 18 Les exercices suivants n’ont pas été conservés : 18 avril 1295-4 mai 1299 ; 30 juin 1319-1er juillet 1320 ; 13 avril 1337-13 janvier 1340 ; 31 janvier 1379-30 décembre 1380 ; 15 juillet 1397-23 mai 1399.
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correspondant, en gros, aux deux années de jubilé19. D’autre part, le nombre peu important des passages annuels interdit toute étude sérieuse de la conjoncture, même s’il semble bien que ce trafic ait connu une baisse très importante à partir surtout du dernier quart du xive siècle. L’imprécision des comptes empêche également, le plus souvent, de savoir quelle était la proportion entre faucons et autours. Si l’on prend pour base les six exercices qui détaillent la nature des rapaces, on peut néanmoins remarquer que le rapport entre faucons et autours était d’environ deux pour un20, ce qui pourrait s’expliquer par le fait que dans certains pays – comme par exemple en France – l’autourserie paraît avoir connu dès le xiiie siècle une certaine dépréciation par rapport à la fauconnerie. Les oiseaux présentés au péage de Bard circulaient sans doute dans les deux directions. Le tarif du péage de Mondoví précise en effet que la taxe s’applique aussi bien aux faucons et aux autours en provenance de Lombardie qu’à ceux acheminés depuis la Bourgogne21. Il est cependant probable que le courant sud-nord était plus important que le courant nord-sud. Quoi qu’il en soit, la majorité des volatiles qui faisaient l’objet d’un commerce étaient sans doute très jeunes. Les relevés précisent parfois qu’il s’agit de niais, c’est-à-dire de rapaces capturés dans leur nid et qui n’avaient souvent que quelques semaines de vie. Le caractère très saisonnier du trafic est parfois mis en évidence par les péagers eux-mêmes, notamment lorsqu’ils tentaient d’expliquer aux officiers du comte de Savoie chargés de vérifier l’exactitude des comptes, les raisons de la diminution du nombre des rapaces soumis à une taxe. Dans l’exercice qui se termine le 24 juin 1331, le receveur du péage – qui n’a encaissé que 12 deniers viennois pour deux éperviers – note ainsi que la recette est inférieure à celle de l’année précédente, car « le temps pendant lequel [les rapaces] doivent passer n’est pas encore arrivé »22. C’est en effet en juillet et août que la plupart des oiseaux transitaient par le péage, ce qui est confirmé également par le nombre important de passages enregistrés dans les exercices comptables qui couvrent deux fois ces deux mois23. Il est possible qu’une partie au moins de ces rapaces venait de régions assez éloignées du péage, car, dans les Alpes occidentales, le désairage des faucons avait le plus souvent lieu pendant le mois de mai. Quant à savoir qui étaient les marchands de faucons ou d’éperviers, c’est là une question à laquelle nos sources ne permettent pas de répondre. On peut seulement noter que la plupart des personnes se présentaient au péage avec tout au plus trois 19 Ainsi, d’avril 1300 à mars 1301, les comptes enregistrent le passage de trente-trois faucons et, de juin 1350 à août 1351, celui de quarante-neuf faucons et éperviers. 20 La distinction n’est possible que pour les exercices qui vont de mai 1354 à mai 1355, d’avril 1357 à mai 1358 et de mars 1364 à mars 1368. Pour ces exercices, les péagers indiquent le passage de trente-trois faucons et seize autours. 21 Sur la capture des rapaces en Bourgogne, voir C. Beck, « Oiseaux et oiseleurs en Bourgogne aux xive et xve siècles », in É. Mornet et Fr. Morenzoni (éd.), Milieux naturels, espaces sociaux. Études offertes à Robert Delort, Paris, 1997, p. 299-312. 22 « Et computat minus quia […] nondum evenit tempus in quo transire debent » (ASTo, SR, Inv. 68, f. 29, m. 3, r. 15). 23 Ainsi, dans l’exercice qui précède celui que nous venons d’évoquer, et qui va du 1er juillet 1329 au 31 août 1330, le péager enregistre trente-deux rapaces (ASTo, SR, Inv. 68, f. 29, m. 3, r. 14).
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ou quatre rapaces. En 1367, le châtelain de Bard infligea ainsi une amende de 30 sous d’Asti au receveur du péage de Donnas – qui appartenait au seigneur du château de Pont-Saint-Martin – car celui-ci avait exigé d’un famulus qui avait présenté un rapace une somme supérieure à celle habituellement demandée. En fait, le seul passage d’une certaine importance que nous avons pu repérer eut lieu en août 1305, lorsqu’un marchand fit passer en une fois quinze faucons destinés au comte de Savoie et acheminés vers Chambéry. Pour s’acquitter des 75 sous viennois de droit de péage, cet individu remit d’ailleurs au receveur un de ses faucons24. En plus des données concernant le trafic des oiseaux de chasse au péage de Bard, les comptes du châtelain contiennent également un certain nombre de renseignements sur les rapaces qui ont pu être capturés à l’intérieur de la châtellenie. Le comte de Savoie détenait en effet, seul ou avec d’autres individus, le droit de dénicher les faucons dans les aires de la région. On sait que, depuis au moins les lois germaniques, les seigneurs ont fait preuve d’une grande sollicitude pour préserver leurs droits sur les oiseaux de chasse jeunes ou adultes. Ce souci était encore très présent à la fin du Moyen Âge. Ainsi, pour ne prendre que l’exemple du Valais, l’acte de fondation de 1331 de la chartreuse de Géronde, située tout près de la ville de Sierre, précise qu’aucun animal ou oiseau ne pouvait être capturé sur les terres appartenant à cet établissement25. Quelques années plus tard, en 1338, les bourgeois de Loèche firent inscrire dans les franchises qu’ils avaient obtenues de l’évêque de Sion26, leur droit presque exclusif de dénicher les oiseaux repérés dans les aires se trouvant à l’intérieur du périmètre de la commune27. Les rapaces capturés par les bourgeois étaient vraisemblablement destinés à être commercialisés. On voit ainsi, en 1369, un marchand d’origine lombarde dont la famille appartenait à la bourgeoisie de la ville de Sion depuis déjà quelques décennies, acheter à un habitant de Brigue quatre faucons pour 8 florins. Le prix assez bas s’explique sans doute par le fait que les oiseaux avaient été dénichés depuis peu, le contrat de vente ayant été établi le 27 juillet28. Compte tenu du taux élevé de mortalité des jeunes rapaces capturés, il est probable qu’aussi bien l’acheteur que le vendeur savaient que les probabilités de voir un ou plusieurs de ces faucons mourir avant la revente étaient loin d’être négligeables. À Neuchâtel, vers la même époque, le prix d’un faucon adulte fut fixé à 14 florins29. Dans la châtellenie de Bard, les faucons étaient généralement capturés à trois endroits précis : au Mont de Champelles, sur un rocher du mont Penna Bayardi et,
24 ASTo, SR, Inv. 68, f. 29, m. 12, r. 48 ; ASTo, SR, Inv. 68, f. 29, m. 1, r. 7. 25 « Item quod nullus uenator uel accupex pro bestiis siue auibus capiendis infra dictos terminos sub pena banni non incedat » (Gremaud, Documents, no 1623). 26 Il semble bien que l’évêque aussi détenait dans certaines régions le droit de dénicher les rapaces, car en 1347-1348 le comte de Genève envoie son fauconnier « ad episcopum Sedunensem ad querendum quosdam faucones », cité par P. Duparc, Le comté de Genève, ixe-xve siècle, Genève, 1955, p. 402, n. 4. 27 « Item de heriis seu nidis falconum et exparueriorum nullus habet rationem aut autoritatem, nisi ipsa contracta, nisi ipsa communitas de Leuca, excepto in monte de Corbex » (Gremaud, Documents, no 1719). 28 AEV, Fonds Ph. Torrenté, ATN 3, fol. 158r. 29 L’achat eut lieu en 1372, le jeudi après la Toussaint (Archives de l’État de Neuchâtel, Recettes diverses, vol. 30, fol. 122v).
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enfin, dans une aire qui se trouvait près du hameau d’Albard. Les rapaces dénichés à ce dernier endroit appartenaient pour moitié au comte de Savoie et pour moitié aux nobles du château de Pont-Saint-Martin. Chaque année, le châtelain engageait un oiseleur qui était rémunéré soit avec l’équivalent en argent de la moitié de la valeur d’un faucon, soit avec une somme forfaitaire dont le montant pouvait d’ailleurs varier de manière assez considérable. Les oiseleurs étaient souvent les mêmes d’une année à l’autre, car on voit le châtelain engager, de 1318 à 1321, un certain Jacquet de valle Cicide (Valsesia) et, de 1327 à 1332, le bâtard de Jean Cornix de Donnas30. Pour surveiller les aires parfois pendant plusieurs semaines, l’oiseleur engageait à son tour des hommes, auxquels le châtelain offrait de temps à autre le vin. Le travail des oiseleurs était parfois assez pénible et pouvait se révéler dangereux, notamment lorsqu’il fallait aller chercher les rapaces au milieu d’une paroi rocheuse. À Saint-Maurice d’Agaune, en mai 1319, le châtelain versa l’équivalent d’environ 5 florins à plusieurs hommes à qui il avait confié la charge de capturer les « nouveaux faucons nobles » du comte. Pendant quinze jours, deux personnes avaient dû surveiller le nid depuis le haut du rocher du Vérolliey et deux autres depuis le bas31. Par la suite, huit autres hommes avaient été engagés pour faire descendre l’oiseleur jusqu’aux faucons, à l’aide d’une corde longue 140 toises qui avait été achetée pour l’occasion. C’est ainsi que le nid, avec tous ses occupants, avait pu être hissé jusqu’au sommet du rocher32. Les risques considérables encourus par les oiseleurs qui exerçaient leur activité dans les régions de montagne, n’ont pas manqué de frapper certains prédicateurs, qui les ont parfois évoqués dans leurs prêches. Dans un sermon prononcé à Florence en janvier 1304, le dominicain Jourdain de Pise raconte ainsi à ses auditeurs qu’en Sardaigne et en Corse les oiseleurs vont chercher les faucons dans des rochers tellement abrupts « que les oiseaux eux-mêmes y vont à peine » ; il arrive parfois que la corde qui les soutient se déchire et que leur vie reste alors suspendue à un seul fil, si bien que les cheveux de certains d’entre eux blanchissent tout d’un coup à cause de la peur33. Si les comptes de la châtellenie de Bard ne font état d’aucun accident majeur, il est certain que le nombre de rapaces dénichés sur ordre du comte était somme toute
30 Il est difficile de dire si le travail des oiseleurs bénéficiait d’une certaine réputation. À titre quelque peu anecdotique, on peut néanmoins noter que, lorsque Girard de Rousillon doit se réfugier dans la forêt des Ardennes et, pour survivre, devenir charbonnier, l’auteur de la chanson qui célèbre ses gestes et qui écrit vers 1170 remarque que « plus vis mestier façoit que d’estre fauconniers » (A. Sideleau (éd.), Chansons de geste, Montréal, 1945, p. 268). 31 En réalité, les faucons ne nidifient pas. Ils utilisent un simple trou dans la terre ou, comme cela semble être ici le cas, le nid d’un autre oiseau. 32 « In stipendiis quatuor hominum, quorum duo custodierunt falcones novos Domini nobiles super rupem de Viroleto, et per xv dies alii duo subtus dictam rupem ; et pro stipendiis unius hominis qui dictos falcones fuit capere per septies viginti quatuor tesas inferius per dictam rupem ; et in stipendiis octo hominum qui devalaverunt dictum hominem ad falconum nidum et ipsum traxerunt sursum cum falconibus inclusis […] : xxviii sol., iv den. Maur », CC Saint-Maurice d’Agaune, 1318-1319 (ASTo, SR, Inv. 69, f. 141, m. 1). 33 Sur cet exemplum cf. C. Delcorno, Giordano da Pisa e l’antica predicazione in volgare, Florence, 1975, p. 284-285.
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peu important. Entre 1302 et 1332, les châtelains n’indiquent des prises que dans douze exercices comptables, pour un total de dix-sept faucons. Presque toujours, l’expédition annuelle des oiseleurs ne permettait de ramener qu’un ou deux rapaces. Une seule fois, en 1330, elle se termina par une triple capture. Les faucons se reproduisant au printemps, ils étaient toujours dénichés pendant le mois de mai, les châtelains prenant parfois soin d’indiquer le jour précis34. Nos sources ne permettent malheureusement pas d’observer de près les techniques et les moyens utilisés pour s’approvisionner en rapaces, ni de savoir à quelle espèce précise appartenaient les falconidés capturés sur le versant méridional ou septentrional des Alpes. On peut néanmoins admettre que, dans la plupart des cas, il s’agissait de faucons pèlerins, largement diffusés dans ces régions au Moyen Âge et qui étaient particulièrement appréciés par les fauconniers. Quoi qu’il en soit, les oiseleurs prélevaient non seulement des jeunes faucons qui ne volaient pas encore et à peine emplumés – dont le dressage était réputé plus facile –, mais également des tiercelets et des « formes », c’est-à-dire des mâles et des femelles déjà en mesure de se reproduire35. Des tiercelets sont ainsi capturés en 1302, en 1327 et en 1331 ; des formes en 1326 et en 1327. La valeur d’un tiercelet était cependant inférieure à celle d’un rapace que nos sources qualifient par le terme générique de falco. En 1302, le châtelain estime par exemple que ce dernier vaut 50 sous viennois, alors qu’un tiercelet seulement 35 sous36. Plus petit et léger que la femelle, le mâle était moins recherché par les fauconniers. Une fois capturés, les faucons étaient remis au châtelain qui les gardait au château en général pendant une durée d’une à cinq semaines37. On les nourrissait avec de la viande de poule ou d’autres animaux, et l’entretien des rapaces était relativement cher, du moins eu égard à leur valeur marchande. En moyenne, pour chaque volatile, les châtelains indiquent une dépense d’environ 2 sous viennois par semaine. Ces frais, tout comme ceux générés par la capture, étaient toujours à fond perdu. Les rapaces n’étaient en effet jamais vendus, mais remis en cadeau à des particuliers ou bien envoyés au comte ou à la comtesse. À une seule occasion, en 1330, le châtelain reçut la permission de garder pour lui un tiercelet.
34 Le compte de 1328-1329 précise ainsi que le bâtard de Jean Cornix « cepit […] unum falconem pro Domino ix die mensis maii anno ccco xxixo » (ASTo, SR, Inv. 68, f. 29, m. 3 r. 4). En 1347-1348, le châtelain d’Annecy indique qu’il a rémunéré plusieurs personnes qui sont allées chercher les « pullos faucones » pendant le mois de mai, cf. P. Duparc, Le comté de Genève, op. cit., p. 402, n. 4. 35 Nos sources semblent indiquer que le terczoletus est un oiseau adulte, même si, selon Pierre de Crescenzi, le mot désignerait le mâle d’une nichée de trois poussins. Sur cet aspect cf. B. van den Abeele, La fauconnerie au Moyen Âge, op. cit., p. 74. 36 Pour la capture des deux rapaces, Jean de Buniczan reçoit en effet 25 sous viennois « pro jure quod habebat in uno falcone, […] pro medietate ipsum contigente pro captura ». Le châtelain doit encore verser 15 sous viennois à Pierre de Saint-Martin « pro jure quod habebat in dicto falcone, qui plus valebat quam unus terciolus qui captus fuit cum ipso, quem habuit idem Petrus. Et capit dictus Petrus medietatem in dictis avibus » (ASTo, SR, Inv. 68, f. 29, m. 1, r. 6). La valeur d’un faucon est estimée à 50 sous viennois également en 1317. 37 En 1327, le châtelain garde cependant un tiercelet de mai à fin septembre.
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Les animaux expédiés au-delà des Alpes – au Bourget, à Chambéry ou à Ripaille – étaient confiés à un fauconnier du comte ou à des individus qui en assuraient le transport. Les coûts, une fois encore, étaient relativement élevés, car le trajet entre Bard et une des résidences comtales coûtait de 15 à 25 sous viennois, soit entre la moitié et le tiers de la valeur d’un faucon. De plus, le voyage pouvait parfois entraîner la mort des oiseaux. En 1344-1345, le châtelain de Chillon, après avoir enregistré une dépense de 16 sous de Lausanne pour trois faucons qui avaient été capturés dans l’aire du mont de Vouvry, ajoute qu’il a également dépensé 10 deniers gros tournois pour leur transport jusqu’à Chambéry. Pour faire le voyage, les rapaces avaient été enveloppés dans des camisoles en toile, mais malgré cette précaution l’un d’entre eux avait succombé pendant le déplacement38. En 1329, le châtelain de Bard avait confié à Jean de Grangie un faucon qui venait d’être pris, afin de le présenter au comte qui se trouvait à Chambéry. Le rapace, cependant, « non fuit ibi presentatus, quia de manibus dicti Johannis, ut dicit castellanus, evolavit a castro »39. Un autre, en 1331, mourut quinze jours après sa capture. Si l’approvisionnement des différentes volières comtales était sans doute en grande partie assuré par les envois des châtelains, le comte était parfois aussi obligé d’acheter des oiseaux de chasse à des marchands. En 1363-1364, le trésorier général enregistre ainsi un versement de 40 florins de bon poids à un certain Jaquemardus falconerius à qui on avait acheté des faucons40. Quelques années plus tard, l’achat d’un tiercelet à un « fauconnier » de Genève entraîna une dépense de 4 florins anciens. Tout comme le cheval, le faucon était un élément important des pratiques de dons et contre-dons. Assez régulièrement, le comte recevait des rapaces qui lui étaient envoyés par ses vassaux, et remettait à son tour à certains individus, comme on l’a vu, quelques-uns de ses oiseaux de chasse. L’importance du don était bien sûr en relation avec le statut social du bénéficiaire, mais, en général, il s’agissait d’un ou de deux rapaces. En juin 1333, cependant, Aymon fit expédier depuis Chambéry six faucons destinés au roi de France41. Le comte Aymon aimait également se déplacer avec quelques-uns de ses plus beaux rapaces. En 1316 et en 1318, alors qu’il se trouvait à Paris, il fit venir à quatre reprises ses fauconniers avec plusieurs valets et oiseaux de chasse. D’après les comptes du trésorier général, chaque faucon était accompagné par un serviteur à cheval, ce qui occasionna des frais assez considérables42. Aucune source ne permet malheureusement d’établir le nombre total de rapaces que les différents membres de la Maison de Savoie possédaient. Il est cependant certain que les volières abritaient non seulement des faucons, mais également des
38 CC Chillon 1344-1345 (ASTo, SR, Inv. 69, f. 5, r. 40). Le comte de Savoie se ravitaillait en faucons dans la région depuis déjà longtemps, car le châtelain de Chillon indique des prises dès 1260-1261 : « In stipendiis capiencium quatuor falcones et in expensis eorumdem falconum per tres septimanas et in eisdem portandis a Chillon usque ad Armunium per aquam xxii sol. iii den ». (M. Chiaudiano, La finanza sabauda nel secolo xiii e i conti della corte di Filippo, conte di Savoia e di Borgogna, Turin, 1934, p. 45). 39 ASTo, SR, Inv. 68, f. 29, m. 3, rot. 14. 40 ASTo, CTG, r. 24. 41 ASTo, CTG, r. 9. 42 ASTo, CTG, r. 4 et 6.
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autours et des éperviers. Il est probable que pendant la deuxième moitié du xiiie siècle, les faucons suivaient assez régulièrement leur maître, qui était pratiquement toujours en déplacement. Au début du xive siècle, les rapaces étaient en revanche le plus souvent à Chambéry où, si l’on en juge d’après les dépenses pour la garde et l’entretien des oiseaux, il y avait la volière la plus importante. Elle n’était sans doute pas très différente de celle qui fut construite au château de Ripaille entre 1384 et 1388 et dont les comptes nous sont parvenus. Adossé au mur du parc du château, l’édifice était assez grand, car il avait une longueur de quarante pieds, une largeur de vingt-quatre et une hauteur de quarante-cinq pieds. Il possédait quatre entrées et cinq fenêtres, ainsi qu’une loge du côté du parc. À l’intérieur, il y avait plusieurs espaces ouverts ou fermés, et un escalier permettait d’accéder à ceux qui se trouvaient au premier étage. Le sol et les planchers étaient recouverts de mortier et le toit, soutenu par six poutres en sapin, était en bois. Le bâtiment servait également d’habitation au bâtard du comte et à un certain magister Luquinus, qualifié de medicus43. Rémunérés à l’année, nourris, logés et habillés, les fauconniers des différents Hôtels des membres de la Maison de Savoie et leurs valets disposaient d’environ 2 deniers viennois par jour pour l’achat de la nourriture des rapaces, qui consommaient pour l’essentiel de la viande de poule et plus rarement de la viande de mouton44. Chaque année, la mue des oiseaux pouvait entraîner des frais relativement importants, notamment lorsqu’il fallait construire une nouvelle cage. En 1346, le trésorier général versa ainsi à un oiseleur 10 florins « pro mutandis quibusdam falconibus »45. Des dépenses sont également indiquées pour la « mua nixorum » et « la faczon de la mue des eytours »46. Le dressage et l’entraînement des oiseaux à la chasse exigeaient bien entendu du temps et du personnel. En 1390, le fauconnier et deux vassaux du comte s’occupèrent de l’affaitage de deux faucons du 27 octobre au 12 novembre. Quelques années plus tard, vers la fin du mois de mars, deux fauconniers partirent du château de Ripaille pour se rendre au Pays de Gex avec trois chevaux et neuf rapaces « ad faciendum volare falcones domini »47. Les achats courants pour équiper les oiseaux de chasse – jets, grelots ou vervelles – étaient en revanche moins onéreux. Vers 1430, « six pars de sonnyaulx et six garnisons pour esparviers » ne coûtèrent en tout que 6 gros, alors que le « gros gants doble de chamos » pour l’autour que le comte Amédée VIII utilisait personnellement, coûta à peine plus de la moitié48. 43 Les comptes ont été publiés par M. Bruchet, Le château de Ripaille, Paris, 1907, p.j. xx, p. 346-347. 44 « Libravit ad expensas octo falconum Domini apud Chamberiacum in gallinis et aliis carnibus emptis […] per manum Calerii per tres menses et undecim dies finitos tercia die septembris anno ccco xixo […] : vii libr., xi sol. vi den. vienn. », Compte du trésorier général de 1318-1319, ASTo, SR, Inv. 16, r. 7. La « gallina falconum » est mentionnée dès 1269 dans les comptes journaliers de l’Hôtel de Philippe ier, cf. M. Chiaudiano, La finanza sabauda, op. cit., p. 10 et suiv. En 1416, le fauconnier de Marie de Bourgogne utilise chaque jour 4 livres de mouton, M. Bruchet, Le château de Ripaille, op. cit., p.j. IX, p. 312. 45 ASTo, SR, Inv. 16, r. 14. 46 M. Bruchet, Le château de Ripaille, op. cit., p. 311-312. 47 Ibid., p. 310 et p. 312. 48 Ibid., p. 313.
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Les données qui sont à notre disposition ne permettent pas d’avancer une estimation fiable des dépenses annuelles que l’administration savoyarde devait engager pour entretenir les différents équipages de volerie. Mais on peut sans aucun doute affirmer que les coûts étaient supérieurs à ceux occasionnés par les 200 grelots et les 100 faucons d’or, d’argent et de soie que le Comte Rouge fit fabriquer à Milan, en septembre 1390, pour qu’ils figurent sur sa livrée et sa devise, et qui lui coûtèrent en tout 100 florins et 20 livres impériales49.
49 Ibid., p. 377-378.
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L’achat et la vente de chevauxd’après les registres des notaires fribourgeois de la fin du Moyen Âge
Il est sans aucun doute inutile de souligner l’importance du cheval – de guerre, de selle, de trait ou de labour – dans la société médiévale. Peut-être parce que son rôle n’a cessé de diminuer tout au long du xxe siècle, les études sur cet équidé, que ce soit du point de vue économique, militaire ou social, demeurent cependant assez peu nombreuses. Ce n’est que depuis quelques années que l’on constate un certain regain d’intérêt pour cet animal qui a contribué à façonner la physionomie des sociétés médiévales et qui a même été considéré par certains, sans doute à tort, comme une des principales causes de l’émergence de ce qui a été appelé le féodalisme1. Ainsi, par exemple, pour l’Angleterre quelques ouvrages récents ont permis de mieux apprécier la présence du cheval dans l’agriculture ou d’étudier la politique royale en matière d’achat et d’élevage de chevaux de guerre2. Pour la France, après les travaux à bien des égards pionniers de Anne-Marie et Robert-Henri Bautier, la synthèse de Bernard Ribémont et Brigitte Prévot offre un aperçu général des connaissances relatives au cheval aussi bien du point de vue de l’histoire, de la littérature que de l’encyclopédisme ou de l’hippiatrie3. Les recherches menées par Philippe Contamine depuis plusieurs années ont mis en évidence des aspects trop souvent négligés et qui, lorsqu’ils seront replacés dans un cadre plus général, permettront sans aucun doute de renouveler nos connaissances sur le
1 L. White, Technologie médiévale et transformations sociales, Paris - La Haye, 1969, p. 3-53. 2 H. J. Hewitt, Horse in medieval England, Londres, 1983 ; J. Langdon, Horses, oxen and technological innovation. The use of draught animals in English farming from 1066 to 1500, Cambridge, 1986 ; R. H. C. Davis, The medieval warhorse, Londres, 1989 ; A. Ayton, Knights and warhorses. Military service and the English aristocracy under Edward iii, Woodbridge, 1994. 3 A.-M. Bautier, « Contribution à l’histoire du cheval au Moyen Âge », Bulletin philologique et historique (jusqu’à 1610) du comité des travaux historiques et scientifiques, 1976, p. 209-249 ; A.-M. Bautier et R.- H. Bautier, « Contribution à l’histoire du cheval au Moyen Âge. L’élevage du cheval », ibid., 1978, p. 9-75 ; B. Ribémont et Br. Prévot, Le cheval en France au Moyen Âge. Sa place dans le monde médiéval ; sa médecine : l’exemple d’un traité vétérinaire du xive siècle, la “Chirurgie des chevaux”, Orléans - Caen, 1994, qui propose aussi une bibliographie récente sur le sujet.
Sur les routes des Alpes : Religieux, marchands et animaux dans la Suisse occidentale (xiiie-xve siècles), Franco Morenzoni, Turnhout, 2019 (Culture et société médiévales, 36), p. 181-195 © FHG10.1484/M.CSM-EB.5.117887
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cheval lui-même, mais aussi sur les rapports complexes et parfois contradictoires que les hommes du Moyen Âge ont entretenus avec cet animal4. D’autres travaux, qui concernent l’espace germanique, la péninsule ibérique ou l’Italie, ont également vu le jour ces dernières années5. Reste que le domaine de recherche est particulièrement vaste et en grande partie encore à explorer. Ainsi, par exemple, nos connaissances au sujet des techniques et de l’organisation de l’élevage des chevaux6, aussi bien de labour, de somme que de guerre, sont loin d’être satisfaisantes. De même, les structures et les courants du commerce international ou régional des chevaux demeurent dans l’ensemble assez mystérieux. Certes, les relevés des péages fournissent assez souvent des données qui montrent l’importance des importations et des exportations de chevaux, notamment ceux de grand prix. Pour n’évoquer qu’un seul chiffre, entre 1281 et 1350 ont transité par le seul péage de Saint-Maurice d’Agaune presque quinze mille destriers, et les relevés des autres péages alpins montrent que le nombre de chevaux qui franchissaient les Alpes dans une direction ou dans l’autre était, à cette époque, très considérable7. Les comptes des maisons royales ou princières donnent également de très nombreuses informations sur l’origine, le prix et parfois l’aspect physique ou l’élevage des bêtes destinées aux écuries seigneuriales8. Il n’en reste pas moins que, dans l’état actuel de la recherche, il est difficile sinon impossible de tracer une carte capable de rendre compte de manière satisfaisante du nombre et de l’importance des courants commerciaux grâce auxquels les chevaux ont circulé dans l’Occident médiéval9. De plus, les quelques études consacrées au commerce des chevaux concernent de manière presque exclusive les animaux de grand prix, en premiers lieu les destriers et
4 Pour nous limiter aux contributions les plus récentes : Ph. Contamine, « Glanes d’hipponymie médiévale (France, xive-xve siècles) », in Commerce, finances et société (xie-xvie siècle). Recueil de travaux d’histoire médiévale offert à M. le Professeur Henri Dubois, Paris, 1993, p. 369-378 ; Id., « Les robes des chevaux d’armes en France au xive siècle », in Ph. Contamine, Th. Dutour, B. Schnerb (éd.), L’homme, l’animal domestique et l’environnement du Moyen Âge au xviiie siècle, Nantes, 1993, p. 257-268 ; Id., « Le cheval dans l’économie rurale d’après des archives de l’ordre de l’Hôpital », in É. Mornet (éd.), Campagnes médiévales : l’homme et son espace. Études offertes à Robert Fossier, Paris, 1995, p. 163-173 ; Id., « Le triomphe du cheval au Moyen Âge », L’Histoire, 186 (1995), p. 64-70. 5 Voir par exemple F. D. Allievi : « Per la valutazione del cavallo tra l’alto e il basso Medioevo nelle Marche », Atti e memorie della Deputazione di storia patria per le Marche, 8e série, 9 (1975), p. 55-117. 6 Sur l’élevage, voir Fr. Vignier, « Le haras de Brazey-en-Plaine de 1336 à 1432 », Annales de Bourgogne, 41 (1969), p. 188-194. 7 Sur cet aspect voir les données réunies par M. Cl. Daviso di Charvensod, I Pedaggi delle Alpi occidentali nel Medio Evo, Turin, 1961 ; pour le péage de Saint-Maurice voir dans le présent volume « Le mouvement commercial au péage de Saint-Maurice d’Agaune à la fin du Moyen Âge (12811450) », p. 217-277. 8 E. Picard, L’écurie de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, Paris, 1906, p. 307-439 ; B. Schnerb, « Le cheval et les chevaux dans les armées des ducs de Bourgogne au xive siècle », in Commerce, finances et société, op. cit., p. 71-87 ; G.-M. Leproux (éd.), Comptes de l’écurie du roi Charles vi, t. i : Le registre KK 34 des Archives Nationales : (1381-1387), Paris, 1995. 9 Pour l’importance du courant d’exportation de chevaux allemands vers la Lombardie à la fin du Moyen Âge voir G. Chiesi, « “Venire cum equis ad partes Lumbardie”. Mercanti confederati alle fiere prealpine nella seconda metà del xv secolo », Revue suisse d’histoire, 44 (1994), p. 252-265.
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les coursiers destinés aux chevaliers et, plus rarement, les palefrois et les haquenées utilisés par la noblesse pour ses déplacements, des bêtes dont la valeur pouvait parfois approcher celle des chevaux de guerre. Le humble sommier ou le roncin du paysan, du transporteur ou du petit marchand n’ont en revanche suscité qu’un intérêt limité, sans doute parce que leur étude est moins aisée à cause de la dispersion des sources10. Pour la région de Fribourg, grâce aux extraits des registres notariaux publiés par Hektor Ammann entre 1942 et 195411, il est possible d’entrevoir comment fonctionnait le marché des chevaux à la fin du Moyen Âge et, surtout, de se faire une idée non seulement du commerce des chevaux de prix, mais surtout de celui qui portait sur des bêtes plus médiocres. Parmi les cinq mille contrats publiés, 148 concernent en effet l’achat de chevaux, pour un total de 169 animaux et demi12. L’échantillon est donc très modeste, d’autant plus qu’il concerne une période qui va de 1356 à 1478 et que les contrats se répartissent dans le temps de manière plutôt inégale : 25 contrats pour les années 1356-1395, 87 contrats entre 1396 et 1435 et seulement 24 contrats entre 1436 et 1478. Il faut cependant souligner que les minutes des notaires ne permettent d’entrevoir qu’une partie sans doute minime des transactions effectuées au cours de cette période. Celles qui avaient lieu pendant l’une ou l’autre des nombreuses foires régionales n’ont apparemment laissé aucune trace écrite. En Valais aussi, malgré la très belle série de minutes notariales qui nous est parvenue, les contrats d’achat de chevaux sont plutôt rares, alors que les relevés des péages et, de manière plus indirecte, les comptes de châtellenie13, montrent que le commerce des chevaux de prix médiocre n’était pas tout à fait négligeable. Il convient enfin de relever que les données réunies par Hektor Ammann concernent un centre économique certes très actif grâce à son industrie des draps, du cuir ou des métaux mais qui, à la fin du Moyen Âge, abritait une population somme toute assez modeste, qu’on peut estimer à environ 5 000 personnes. Malgré la richesse du vocabulaire médiéval concernant le cheval14, les notaires fribourgeois ont rédigé leurs actes en utilisant une terminologie qui demeure dans l’ensemble très pauvre. Si les registres de la deuxième moitié du xive siècle indiquent parfois qu’il s’agit d’un roncinus ou d’un corserius, ceux du siècle suivant se bornent presque toujours à désigner l’animal en question par le terme générique de equus ou, beaucoup plus rarement, par un terme en allemand. Ainsi, en 1430, le notaire 10 Pour le Dauphiné voir cependant le travail de V. Chomel, « Chevaux de bataille et roncins en Dauphiné au xive siècle », Cahiers d’histoire, 7 (1962), p. 5-23. 11 Cf. Ammann, MW. 12 À deux reprises, les notaires n’indiquent cependant pas le nombre précis de bêtes vendues (Ammann, MW no 725, 816). En 1420, une transaction concerne en fait la location pendant deux ans de la moitié d’une jument (Ammann, MW, nº 2063). 13 Ainsi, par exemple, le châtelain de l’Entremont inflige plusieurs amendes à des individus qui ont acheté des chevaux à la foire de Sembrancher et qui les ont amenés vers l’Italie ou la vallée du Rhône sans s’acquitter des droits de péage (voir P. Dubuis, « Documents sur la vie économique en Entremont à la fin du Moyen Âge (xiiie-xve siècle) », Vallesia, 45 (1990), no 374, 386, 389, 393, 395, 420, etc.). 14 Sur cet aspect, voir l’article de A.-M. Bautier (« Contribution à l’étude du cheval au Moyen Âge », art. cit., p. 209-249) et B. Ribémont, Br. Prévot, Le cheval en France, op. cit., p. 173-200.
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précise que la transaction concerne un zeltner, c’est-à-dire un palefroi, et à d’autres occasions qu’il s’agit d’un pferit ou d’un ross15. Il est possible que cette relative indifférence au type de cheval échangé s’explique par le fait qu’au moment de la rédaction de l’acte l’acheteur avait déjà pris possession de son bien, et qu’il était donc inutile d’en donner une description trop précise, l’essentiel étant que la dette soit reconnue. De plus, s’agissant le plus souvent de chevaux médiocres ou de bas de gamme, il était sans doute plus simple de les identifier en rappelant brièvement la couleur de leur robe ou quelques autres signes caractéristiques. Même le sexe de l’animal, à une exception près, n’est jamais indiqué16.
La couleur de la robe et les signes particuliers Les sources médiévales attestent l’existence d’un cheptel équin à la robe très variée. Aussi bien les comptes des maisons royales ou princières que les listes des restor ou encore certains inventaires permettent de constater que la robe des chevaux au Moyen Âge était peut-être moins uniforme que celle que nous connaissons actuellement17. La couleur de la robe était certainement un élément qui intervenait dans le choix des montures de prix. Du cheval de l’empereur à celui du pape, de celui de plusieurs héros de chansons de geste à celui christophore de la crypte de la cathédrale d’Auxerre, le cheval blanc était presque toujours associé à la pureté et à la puissance ; son contraire, le cheval noir, étant « souvent marqué d’un signe d’élection ou de malédiction »18. Lorsqu’on sort du domaine symbolique, ou des textes encyclopédiques qui envisagent ce problème d’un point de vue théorique, il est cependant plus difficile de repérer les critères esthétiques qui ont éventuellement guidé le choix des montures. En effet, les sources ne permettent pratiquement jamais d’établir une corrélation directe entre le prix de la bête et la couleur de sa robe. Il en va de même à Fribourg, où les notaires donnent des précisions sur la couleur de la robe à quatre-vingt-huit reprises :
15 Ammann, MW, no 2919, 1701, 1711, 1700. 16 Voir supra, n. 12. 17 Il est vrai que l’hippologie moderne distingue une très grande variété de tonalités pour chaque type de robe. 18 A. Planche, « De quelques couleurs de robe », in Le cheval dans le monde médiéval, Sénéfiance, 32 (1993), p. 410 ; pour les chansons de geste voir aussi J. Bichon, L’animal dans la littérature française au xiie et au xiiie siècles, 2 vol., Lille, 1976 ; sur le cheval d’Auxerre voir A. Labbé, « Une théophanie équestre : le Christ à cheval de la cathédrale d’Auxerre. Théologie christocentrique et idéologie impériale », in Le cheval dans le monde médiéval, op. cit., p. 279-299 ; sur le cheval blanc du pape voir A. Paravicini Bagliani, La cour des papes au xiiie siècle, Paris, 1995, p. 226-227. L’importance du choix de la couleur pour l’interprétation morale des animaux est soulignée par J. Voisenet, Bestiaire chrétien. L’imagerie animale des auteurs du Haut Moyen Âge (ve-xie siècles), Toulouse, 1994, p. 234-235.
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Couleur niger niger morel (brun foncé tirant sur le noir) moralet, morellus favellus, falwetus (cendré) griseus grisetus fauver (gris cendré) grisea seu alba albus rubeus, rot rubeus blaseus, rot blass (rouge clair) brunus, brunetus, brun bayar, bayetus, (bai, rouge brun) baybrun, brunbayet, etc. brunus rubeus, bronrot, etc. brunrotz blas
Nombre 19 1 2 4 15 1 1 2 20 2 10 3 4 3 1
Les différents types de robe, avec les subtiles nuances qui les distinguent mais derrière lesquelles il n’est pas toujours aisé de deviner la couleur précise19, sont dans l’ensemble représentés par un nombre plus ou moins équivalent de bêtes. Seul le blanc paraît être une couleur assez rare, mais cette rareté n’est nullement visible au niveau des prix de vente, les deux chevaux blancs se situant plutôt dans la catégorie des bêtes relativement peu chères. En revanche, les chevaux noirs sont tout aussi nombreux que les chevaux gris ou rouges et leur prix est très variable, car il oscille entre 2 sous de Lausanne et 50 florins d’Allemagne. En l’absence d’études comparables pour des régions proches et à cause de l’exiguïté de notre échantillon, il est bien entendu impossible de dire si la répartition des couleurs est un pur hasard ou bien si elle est en partie représentative du cheptel équin de la région fribourgeoise. Reste que les données recueillies par Philippe Contamine pour la France et la Bourgogne semblent indiquer que les variations des couleurs de la robe avaient également un caractère régional20. Parmi les signes particuliers qui semblent avoir été indiqués avec une certaine régularité, il faut tout d’abord mentionner les balzanes, c’est-à-dire les taches blanches aux pieds du cheval. On sait que, d’un point de vue symbolique, le cheval avec des balzanes était considéré comme particulièrement courageux et fidèle, mais on ignore si les acheteurs étaient réellement attentifs à ce détail. Ce qui est certain, c’est que la présence de balzanes (bötzan, bäzan, etc.) ne semble pas avoir d’influence sur le
19 Au-delà du fait que l’appréciation d’une couleur est un phénomène très subjectif qui a peut-être évolué dans le temps, il faut également relever que chaque notaire dispose aussi d’un vocabulaire qui lui est en partie propre. Il nous paraît donc assez difficile de tenter de préciser les nuances qui peuvent exister entre un cheval bayar et un autre baybrun. 20 Ph. Contamine, « Les robes des chevaux d’armes », art. cit., p. 263.
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prix de vente, les chevaux qui en possédaient pouvant coûter aussi bien 40 écus de France que seulement 521. En plus des balzanes, les notaires signalent parfois la présence d’une étoile sur le front. C’est le cas du coursier acheté en 1359 par Henri Mora pour 75 florins de Florence qui était « morellus cum una stella alba in fronte » ou du modeste cheval acheté une quarantaine d’années plus tard par le transporteur Clawinus Mörly de Bâle22. Enfin, à propos d’un cheval gagé pour garantir une transaction portant sur un montant modeste, on précise qu’il est rouge « cum cauda alba »23.
Les prix Exprimés aussi bien en monnaie de Lausanne qu’en florins de Florence ou d’Allemagne, en écus du roi de France ou, beaucoup plus rarement, en stebler, ducats de la chambre, etc., les prix des chevaux se laissent difficilement analyser. Les nombreuses variations que les taux de change ont connu pendant la période que nous avons examinée, ainsi que la diminution progressive de la teneur en or des florins d’Allemagne largement utilisés dans les transactions enregistrées par les notaires fribourgeois, rendent particulièrement complexe et risquée toute tentative de conversion des prix en une monnaie unique. Il est néanmoins possible d’observer que les achats qui concernent des bêtes de moindre valeur sont en général indiqués en monnaie de Lausanne, alors que les prix des chevaux les plus chers sont toujours exprimés en écus ou en florins. Seuls six chevaux sur vingt-sept ont en effet un prix égal ou supérieur à 10 livres lausannoises, alors qu’environ trois chevaux sur cinq coûtent plus de 9 écus et deux sur trois plus de 11 florins d’Allemagne24. Ce constat n’a cependant pas une valeur absolue, car certains prix exprimés en monnaie de Lausanne montrent que l’animal en question était au moins de qualité moyenne, à l’instar de l’equus bronrot pour lequel un habitant de Cully verse 19 livres en 1423. De même, si le donzel Clément de Branda en 1405 et Raoul Gutwery en 1437 dépensent respectivement 40 écus de France et plus de 50 florins d’Allemagne pour un seul cheval, en 1416 et 1397 un bourgeois de Fribourg et Jean Stiger achètent une
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Ammann, MW, no 942 et 2256. Ibid., no 168 et 676. Ibid., no 1202. La comparaison est bien entendu très approximative, car si les florins d’Allemagne sont comptés pour 15 sous de Lausanne en 1372 (Ammann, MW, no 184), ils sont pris à 18 sous entre 1402 et 1410, et même à 24 sous en 1420. Les écus de France sont comptés à 22 sous jusqu’au premier semestre 1419 et, pendant le deuxième semestre de 1420, ils sont comptés à 33 sous. Sur ces problèmes voir N. Morard, « Contribution à l’histoire monétaire du Pays de Vaud et de la Savoie : la “bonne” et la “mauvaise” monnaie de Guillaume de Challant », Revue historique vaudoise, 1975, p. 103-133 ; Id., « Florins, ducats et marc d’argent à Fribourg et à Genève au xve siècle : cours des espèces et valeur de la monnaie de compte (1420-1481) », Revue suisse de numismatique, 58 (1979), p. 223-286 [rééd. in J. Day (dir.) Études d’histoire monétaire. xiie-xixe siècles, Lille, 1984, p. 295-333].
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bête respectivement pour 3 écus et 5 florins de Florence25. Le tableau suivant permet néanmoins de constater que le prix d’achat de la plupart des animaux était exprimé en florins ou en écus26 : sous de Lausanne
chevaux
florins
chevaux
écus
chevaux
20–80 80–160 > 160
9 10 8
5–15 15–30 > 30
37 24 19
3–12 12–25 > 25
26 12 4
Total
27
80
42
En l’absence d’informations plus précises, il n’est guère possible de connaître les éléments pris en compte pour établir la valeur des différentes bêtes. Il ne faut cependant pas oublier que, au moins jusqu’au xixe siècle, le cheval faisait partie de l’environnement quotidien de tout individu, si bien qu’on peut raisonnablement supposer que même les acheteurs non professionnels disposaient de certaines connaissances générales leur permettant d’estimer l’âge de l’animal ainsi que d’évaluer l’état physique et la capacité de travail de celui-ci27. Si l’âge ou l’état de santé ne sont jamais mentionnés par les notaires, la cécité partielle ou totale est en revanche notée à deux reprises. Ainsi, au sujet du cheval acheté par le voiturier Clawinus Mörly, le contrat précise que l’animal est aveugle, alors que celui choisi par le bastubarius Jean Rigolet en 1437 était borgne28. Mais, une fois de plus, rien ne permet d’affirmer que cette infirmité ait influencé de manière notable le prix, car si le premier ne verse qu’une seule livre, le deuxième doit tout de même débourser 8 florins d’Allemagne pour prendre possession de sa bête. À titre de comparaison, un cheval pourtant qualifié de bonus, est vendu en 1409 pour 32 sous, soit environ 2 florins29, et au moins trois autres bêtes – dont on ne signale aucun défaut physique – sont achetées pour une somme inférieure à 50 sous de Lausanne. Il est également difficile d’établir des corrélations significatives entre la manière dont les bêtes sont désignées et leur valeur vénale. Certes, les coursiers sont en général parmi les animaux les plus chers, avec des prix qui peuvent atteindre 80 florins ; mais on en trouve aussi qui coûtent à peine un peu plus de 16 florins30. De 25 Raoul achète en réalité deux chevaux qu’il paie en tout 103 florins d’Allemagne (Ammann, MW, no 3189). 26 Nous n’avons retenu que les prix pouvant être établis de manière certaine. Parfois, en effet, le prix indiqué comprend également d’autres marchandises, ce qui empêche de connaître la valeur exacte du cheval. 27 L’examen de la dentition permet de connaître avec précision l’âge des chevaux qui ont moins de sept ans. Comme le montre le chapitre que l’auteur du Mesnagier de Paris a écrit à l’intention de son intendant pour lui apprendre comment bien choisir les chevaux, l’âge et l’état de l’appareil moteur étaient les deux éléments les plus importants pour juger de la qualité de la bête (G. E. Brereton, J. M. Ferret (éd.), Paris, 1994, p. 461 et suiv.). 28 Ammann, MW, no 676 et 3148. 29 Ibid., no 3211. 30 Ammann, MW, no 135 et 156.
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même, les roncins, qui sont trop souvent considérés à tort comme des animaux de qualité médiocre, ont un prix qui oscille entre 8 et 38 florins, et coûtent en moyenne environ 18 florins, somme qui est loin d’être négligeable31. Quant aux equi, leur prix est bien entendu extrêmement variable, puisqu’ils peuvent être vendus, comme on l’a vu, aussi bien pour quelques sous que pour plusieurs dizaines de florins. Les registres laissent donc entrevoir un marché très différencié, où des bêtes de valeur très médiocre côtoyaient des chevaux relativement chers, dont le prix est comparable à celui des montures destinées par exemple aux châtelains de l’administration savoyarde ou à la petite noblesse. Vers 1325, le châtelain de Chillon indique en effet que son coursier, qui venait de mourir, avait une valeur de 40 sous tournois, alors que l’« equus trotterius beybron » que le châtelain d’Entremont, dans le Valais, acheta en 1395 pour le bâtard de Savoie lui coûta 60 florins de petit poids32. La majorité des transactions enregistrées par les notaires de Fribourg semble cependant avoir concerné des animaux dont le coût se situait, en gros, entre 15 et 30 florins, somme tout à fait respectable si l’on considère qu’au début du xve siècle le salaire annuel d’un ouvrier tisserand de la ville était d’à peu près 4,5 florins33, alors que le coût d’une vache était d’environ 40 sous34. Parmi les animaux d’élevage, seuls les mulets semblent avoir eu un prix pouvant s’approcher de celui des chevaux. En 1430 et 1433, deux mulets furent vendus l’un pour 7 livres et 10 sous et l’autre pour 11 livres35. Il est vrai qu’il s’agit des deux seules transactions conservées par les registres concernant cet équidé, ce qui semble par ailleurs suggérer que cet animal était peut-être beaucoup plus rare et moins utilisé que le cheval36.
31 En 1357, deux roncins sont mis en gage auprès du prêteur lombard Jaquemin de Saliceto pour la somme de trente florins (Ammann, MW, nº 133). Les sources valaisannes montrent elles aussi que le mot roncin ne désigne pas nécessairement une monture bon marché. En 1378, par exemple, pour trente florins de bon poids la commune de Sion achète un « equus seu roncinus nigrus » au syndic qui doit se rendre à Avignon auprès du pape (Gremaud, Documents, nº 2267). Dans le Chablais, en 1386, deux roncins avec leur équipement sont vendus pour l’équivalent de 30 et 24 florins de bon poids, la bête la plus âgée étant la plus chère : « unus erat pili nigri, habens stellam in fronte, etatis sex annorum, […] alter vero roncinus erat pili bebrons, etatis quinque annorum […] » (M. Bruchet, Le château de Ripaille, Paris, 1907, p. 354). 32 ASTo, SR, Inv. 69, f. 5, rot. 27 et Inv. 69, f. 69, m. 4. En 1335, l’« equus corserius griseus » qu’un donzel de Liddes vend à un donzel de Sion coûte 53 florins de Florence (AEV, Fonds Ph. de Torrenté, ATN 2, p. 104). Bien entendu, les comptes royaux ou princiers montrent que les meilleurs coursiers pouvaient aussi coûter le double ou le triple de ceux que nous avons considérés comme chers (voir par exemple E. Picard, « L’écurie de Philippe le Hardi », art. cit., p. 310-316). 33 Auxquels s’ajoutaient une paire de souliers, une braie et une chemise (Ammann, MW, nº 1262). 34 N. Morard, « Une réussite éphémère : l’économie fribourgeoise aux xive et xve siècles », in R. Ruffieux (dir.), Histoire du canton de Fribourg, Fribourg, t. i, 1981, p. 253-254. 35 Ammann, MW, no 2845, 3041. 36 L’importance du mulet pour les transports de marchandises a sans doute été moins grande qu’on ne le dit généralement. Aussi bien sur la route du Grand-Saint-Bernard que sur celle du Simplon, l’animal le plus utilisé était sans aucun doute le cheval. Les transactions concernant les mulets sont d’ailleurs très rares en Valais.
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Les vendeurs Les registres révèlent l’identité de 116 individus différents qui ont effectué, comme on l’a dit, 148 transactions. La plupart n’apparaissent qu’une seule fois, alors que dix-sept personnes ont effectué de deux à six transactions et sont responsables de la vente de cinquante-sept animaux, soit 34% du total37. Entre 1412 et 1436, Heintzinus Reynaul vend ainsi cinq chevaux, dont le prix varie entre 9,5 livres et 26 écus38. Henslinus Furer semble en revanche avoir vendu des chevaux de moins bonne qualité, puisque le plus cher des quatre dont nous connaissons le prix ne coûte que 8 écus39. Quant à Hugnetus Chastel, il paraît avoir disposé surtout de chevaux relativement chers, car il en vend un en 1436 pour 38 florins, un l’année suivante pour un peu plus de 30 florins et deux autres la même année pour 103 florins40. La plupart des vendeurs dont on peut établir le domicile, étaient des bourgeois ou des habitants de Fribourg41. Trois vendeurs sur quatre résidaient en effet dans la ville. Lorsqu’on peut connaître leur profession, on constate que les vendeurs exerçaient les métiers les plus variés. Si les individus qui appartenaient, à l’instar de Jacques, Jean et Henslinus de Endlisperg, à la petite noblesse sont plutôt rares, les registres mentionnent en revanche plusieurs travailleurs du textile, tels que des tisserands, des foulons ou des teinturiers, mais également quelques boulangers, cuisiniers, forgerons, transporteurs ou charpentiers. Il est donc probable que le commerce des chevaux n’était pas l’activité principale de ces individus, et que dans un certain nombre de cas les vendeurs se sont limités à se défaire d’une bête dont ils n’avaient plus besoin. Même les membres des groupes professionnels les mieux représentés, tels que les cerdones42, les marchands ou les bouchers, ne semblent pas avoir fait du commerce des chevaux un élément important de leur activité43. La valeur des bêtes qu’ils mettent en vente est en effet très variable, ce qui pourrait indiquer que certains de ces individus se sont bornés à profiter de la possibilité de conclure une affaire en vendant un animal qu’ils avaient pu acquérir auparavant à bon prix. Si l’on repère néanmoins quelques fribourgeois pour qui le commerce des chevaux n’était sans doute pas une activité épisodique44,
37 Dix individus sont mentionnés comme vendeurs à deux reprises, trois à trois reprises, un à quatre et six reprises et deux à cinq reprises. 38 Ammann, MW, no 1218, 1237, 1269, 1489, 3105. 39 Ammann, MW, no 739, 745, 750, 1124. 40 Ammann, MW, no 3111, 3189, 3190. 41 Nous avons essayé de compléter les renseignements fournis par les registres notariaux avec ceux du livre des bourgeois édité par Y. Bonfils et B. de Vevey (éd.), Le premier livre des bourgeois de Fribourg (1341-1416), Fribourg, 1941. 42 Le mot cerdo est parfois utilisé comme synonyme de marchand. Ainsi, par exemple, Pierre de Heitenwile est qualifié de « mercator seu cerdo » (Ammann, MW, no 896). Sur les cerdons et leur importance numérique et économique pour la ville de Fribourg voir N. Morard, « Une réussite éphémère », art. cit., p. 268 et suiv. 43 Parmi les acheteurs ou les vendeurs, on repère quelques membres des grandes familles marchandes de la ville, telles que les Perromann, les de Duens, les zer Linden, etc. 44 Sur cet aspect voir infra, p. 191-193.
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les registres révèlent un marché somme toute peu structuré, où les opérateurs étaient très nombreux mais peu, ou pas du tout, spécialisés. Ce constat est valable également si l’on examine le lieu de résidence des vendeurs qui n’habitaient pas à Fribourg. La plupart de ceux-ci provenait de localités situées dans un rayon d’une cinquantaine de kilomètres autour de Fribourg. Les vendeurs de chevaux originaires de villages situés dans le territoire actuel du canton étaient plutôt rares, puisqu’on ne repère que quelques individus qui ont fait le déplacement depuis Domdidier45, Romont ou Estavayer le Gibloux46. Les ressortissants de la ville de Berne étaient en revanche plus nombreux47. Mentionnés seulement jusqu’à 1433, il semblerait que les Bernois ont vendu des bêtes relativement chères jusqu’à la fin du xive siècle et, par la suite, des chevaux de qualité plus médiocre48. C’est parmi eux qu’on trouve le seul maréchal-ferrant cité par les registres, qui mentionnent également un voiturier (wagner) ainsi qu’un certain Étienne Poloner, qualifié de marchand. D’autres vendeurs amenaient leurs bêtes depuis Thoune (3), Givisiez (3), Laupen (2) ou encore Bienne Brügg, Zweisimmen ou Wangen. Le rôle assez important des Bernois dans le commerce des chevaux est aussi confirmé par les comptes du petit péage de Villeneuve, qui citent en août 1432 un certain Jacques Georgii qui a fait passer trois bêtes et, en mai de l’année suivante, Petermand Bongart, qui a présenté six chevaux49. Ce dernier est d’ailleurs connu également pour ses activités peu licites, car c’est probablement lui qui, en 1439, avait attaqué et détroussé un marchand milanais près de Conthey avec d’autres complices50. Les « Vaudois » qui choisissaient de vendre leurs bêtes à Fribourg étaient eux aussi plutôt rares. Les registres ne font état que d’un vendeur originaire de Cossonay et d’un autre qui résidait à Payerne et qui, en 1359, vendit un coursier pour 75 florins. Il est possible que les éleveurs de cette région étaient davantage orientés vers les débouchés qu’offraient les foires de Genève ou l’Italie du Nord. Au péage de Villeneuve, on les voit en effet passer en assez grand nombre et parfois avec plusieurs bêtes. En septembre 1442, un certain Filmestre de Grandcour et son associé présentèrent par exemple vingt chevaux destinés à la vente51. Les registres révèlent enfin la présence de quelques vendeurs originaires de Stans, Zurich (2) ou Lucerne (3). Le lucernois Christian Herbringer vendit ainsi trois chevaux en 1415 pour 56 écus d’or, alors que Henri Stägel, bourgeois de Zurich, vendit un roncin pour 12 écus en 140752. Si l’on ignore pour quels motifs ces individus 45 Il s’agit en fait d’un bourgeois de Fribourg qui habite à Domdidier (Ammann, MW, no 303). 46 Bien entendu, le territoire médiéval du canton, qui a par ailleurs évolué au cours de la période couverte par les registres notariaux, ne correspond pas à celui que nous connaissons. Si nous avons choisi la solution anachronique de faire référence à la situation actuelle, c’est uniquement par souci de brièveté. L’Atlas historique de la Suisse de H. Ammann et K. Schib (Aarau, 1951) permet de repérer aisément les ensembles territoriaux dont relevaient les villages que nous avons mentionnés. 47 Il s’agit de neuf vendeurs qui totalisent dix transactions. 48 En 1373, Pierre de Büch vend deux chevaux pour 26 et 20 florins, alors que Jacques Bremgarter vend en 1389 une bête pour 38 florins (Ammann, MW, no 215, 222, 270). 49 ASTo, SR, Inv. 69, f. 31, m. 10 et 11. 50 Sur cet épisode voir Gremaud, Documents, no 2907-2909 et 2911. 51 ASTo, SR, Inv. 69, f. 31, m. 12. 52 Ammann, MW, no 1845, 1538.
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choisissaient de se rendre à Fribourg pour vendre leurs bêtes, on peut néanmoins constater que les non-Fribourgeois, malgré leur nombre réduit, ont effectué un nombre assez considérable de transactions portant sur plus d’un animal53. Ceci pourrait s’expliquer par le fait que parmi eux il y avait davantage de personnes pour qui le commerce des équidés n’était pas une activité accessoire.
Les acheteurs La présence des Fribourgeois parmi les acheteurs demeure importante, mais elle est nettement inférieure à celle que nous avons pu observer à propos des vendeurs. Moins d’un tiers des transactions est en effet dû à des bourgeois ou à des habitants de la ville, et aucun fribourgeois n’a effectué plus d’un achat. On trouve en revanche parmi eux quelques individus qui figurent également parmi les vendeurs. En 1409, Bentillinus Steger vendit ainsi à deux reprises un cheval à un bourgeois de Thoune, Pierre Stellis ; quelques années plus tard, il acheta deux chevaux à un autre bourgeois de Thoune54. Henslinus Mutzo, qui entre 1405 et 1418 a vendu des chevaux à six reprises, apparaît également comme acheteur en 139955. Parmi les acheteurs, les ressortissants des actuels cantons de Fribourg et de Vaud sont plutôt nombreux, puisque on leur doit plus d’un tiers des transactions. Contrairement à ce que nous avons pu observer à propos du groupe des vendeurs, les Vaudois étaient très actifs dans l’achat de chevaux. Parmi eux on repère aussi un certain nombre de marchands qui venaient régulièrement à Fribourg pour se ravitailler en animaux. C’est le cas, par exemple, d’Henri Muriset de Cully, qui a effectué entre 1404 et 1407 trois achats, dont deux auprès de Henslinus Mutzo56. Quant à Jeannot Garin de Dailliens, il a acheté du 23 au 28 avril 1414 trois chevaux pour une somme totale de 50 écus57. Plusieurs achats sont dus également à des bourgeois ou à des habitants de La Tour-de-Peilz et de Vevey. Perronet Cottier a ainsi acheté deux modestes montures en 1411 et en 141658, alors que Pierre Battilin, qualifié de marchand de Vevey, a acheté en avril, juin et octobre 1413 trois bêtes qu’il a payées en tout 43 écus59. Les habitants de Genève venaient eux aussi assez souvent à Fribourg pour acheter des chevaux. Parmi eux, on remarque surtout l’activité de deux individus originaires de Berne mais qui résidaient dans la ville du bout du lac. Il s’agit probablement de deux marchands de chevaux, car entre 1431 et 1436 ils ont achetés sept bêtes. Ils étaient peut-être associés puisqu’en 1431 ils reconnaissent devoir conjointement au
53 Sur seize ventes de deux ou plus chevaux, six sont dues à des non-Fribourgeois. 54 Ibid., no 1096, 1115, 1280. Pierre Stellis, qui a acheté le 22 février 1409 un cheval noir pour 6 livres et 13 sous de Lausanne à Bentilluns, a vendu le même jour un cheval noir à un bourgeois de Fribourg pour 4,5 livres. Il est probable que Pierre Stellis ait été un marchand de chevaux (ibid., no 1097). 55 Ibid., no 725. 56 Ibid., no 902, 957, 1009. 57 Ibid., no 1267, 1268, 1269. 58 Ibid., no 1201, 1870. 59 Ibid., no 1237, 1244, 1254.
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fribourgeois Henslinus de Fülistorf 28 florins rhénans60. Quant à Ymarius de Prato, qualifié de bourgeois de Genève et de changeur, il acheta en 1439 à Henslinus de Endlisperg un cheval pour 50 florins d’Allemagne61. Si les habitants et les bourgeois de Berne sont également assez nombreux parmi les acheteurs, il semble bien qu’ils venaient à Fribourg essentiellement pour acheter des animaux peu chers. Dans sept cas sur huit, ils deviennent en effet propriétaires d’un animal dont le coût est inférieur à 8 florins. À côté des Bernois, les registres mentionnent également un certain nombre d’achats effectués par des ressortissants de Bâle (3), Soleure (2), Baden, Neuchâtel ou d’autres villages proches de ces centres. Parmi les acheteurs, on repère également quelques habitants de Lucerne (3) et de Zurich62, ainsi qu’un certain François de Bressa qui habitait à Béziers et qui, le même jour, acheta deux chevaux assez chers63. Enfin, quelques-uns des nombreux marchands allemands qui fréquentaient Fribourg n’hésitaient pas à acheter également quelques montures64. Les registres mentionnent deux acheteurs strasbourgeois65 : Andreas Wild de Spire en 1432, un habitant de Cologne en 1426 et, quatre ans plus tard, un certain Brunus dit Brun, qualifié de marchand de Cologne et qui acheta le 29 juillet une monture pour 46 florins rhénans et deux jours après trois chevaux pour 98 florins66. Selon toute vraisemblance, Brun était un marchand de chevaux, car le contrat établi le 31 juillet prévoyait pour le règlement de l’achat deux échéances : 25 florins à la Toussaint et le reste à l’Épiphanie, sauf « si Brun infra festum Omnium Sanctorum venderet quatuor vel quinque equos de suis », auquel cas il devait rembourser à la première date 66 florins. Il est donc probable que Brun était venu à Fribourg avec ses propres animaux qu’il espérait vendre sur place ou dans la région. L’étude des activités professionnelles des acheteurs semble suggérer une différence assez nette entre les Fribourgeois et les non-Fribourgeois. Parmi les premiers, on trouve en effet plusieurs individus qui exercent un métier lié à l’alimentation, à l’habillement ou à la métallurgie, tels que des boulangers ou meuniers (5), des foulons, pelletiers ou teinturiers (4) ainsi que des forgerons et des fabriquants de faux (2). À côté de quatre cerdons, un seul Fribourgeois est qualifié de marchand et deux autres déclarent exercer un métier lié au transport des marchandises. Parmi les « étrangers », les artisans sont en revanche plutôt rares67, alors que les voituriers (7) et les marchands (9) sont relativement nombreux. C’est d’ailleurs parmi eux qu’on 60 Ibid., no 2882. 61 Ibid., no 3444. 62 Il s’agit d’un individu dont le nom n’est pas précisé, mais qui est qualifié, en 1424, de « rector scolarum de Zürich » et de « mercator » (ibid., no 2320). 63 Ibid., no 3357, 3358. 64 Sur la présence de marchands allemands à Fribourg voir H. Ammann, « Freiburg als Wirtschaftsplatz im Mittelalter », in Fribourg-Freiburg, Fribourg, 1957, p. 184-229. 65 Ph. Dollinger, « Commerce et marchands strasbourgeois à Fribourg en Suisse au Moyen Âge », in A. Hermann et al. (éd.), Beiträge zur Wirtschafts- und Stadtgeschichte. Festschrift für Hektor Ammann, Wiesbaden, 1965, p. 126 et 138. 66 Ammann, MW, no 2919, 2920. 67 Les registres mentionnent seulement un orfèvre de Berne ainsi qu’un « textor teylarum » et un forgeron de Lausanne, auxquels on peut ajouter le changeur de Genève déjà évoqué.
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trouve la seule référence explicite à un marchand de chevaux : un certain Andreas Brünn de Strasbourg68. Il semblerait que les transporteurs de Berne69, mais aussi de Bâle ou de Fribourg en Brisgau, avaient la possibilité de trouver à Fribourg les animaux dont ils avaient besoin, en général des bêtes peu chères. En 1429, Martin Karrer de Bâle acheta d’ailleurs à François Corderii non seulement cinq chevaux, mais également un char avec tout son équipement70. D’après ce que les registres laissent entrevoir, il semblerait que le marché des chevaux à Fribourg aux xive et xve siècles était relativement complexe : si certains Bernois ou Alémaniques venaient vendre leurs bêtes de qualité moyenne ou supérieure, d’autres faisaient le déplacement pour acquérir des animaux de moindre prix. Quant aux ressortissants des villes allemandes, de Bâle ou des régions situées au sud de Fribourg, ils venaient le plus souvent pour acheter et beaucoup plus rarement pour vendre. À côté d’un certain nombre de transactions qui avaient lieu entre Fribourgeois parfois exerçant le même métier71, d’autres étaient dues à des acheteurs et à des vendeurs étrangers à la ville. On voit ainsi des habitants de Berne conclure des affaires avec des ressortissants de Givisiez, Moudon, Burgdorf ou Erlach, mais aussi, en 1418, un bourgeois de Lucerne acheter à un habitant de Zurich un char ferré et équipé ainsi que sept chevaux72. Le plus souvent, cependant, la transaction avait lieu entre un « étranger » qui achetait et un habitant de la ville qui vendait73, ce qui semble suggérer que Fribourg et ses environs étaient en mesure d’exporter des chevaux élevés sur place.
Les modalités de paiement Les actes passés devant notaire qui ont gardé la trace de l’achat d’un ou de plusieurs chevaux étaient en fait des reconnaissances de dette et prévoyaient parfois la constitution de cautions ou, comme on l’a vu, de gages74. Dans certains cas, le cheval pouvait également faire l’objet d’un troc. En 1453, Jean Pittet de Vevey s’engagea ainsi à régler son achat avec 8,5 « chevalatas vini » ; quelques années auparavant, l’acte passé entre Jean Garin de Daillens et Hentzinus Reynaul prévoyait que le premier devait remettre dans les huit jours qui suivaient six ou sept « chevalatas boni vini […]
Ibid., no 788. Parmi lesquels figure également le strasbourgeois Jean Furer, qui résidait à Berne (ibid., no 1250). Ibid., no 2739. Ainsi, par exemple, en 1430 un teinturier de la ville vend à un autre teinturier un cheval pour 12 livres de Lausanne (ibid., no 2829). 72 Ibid., no 1389. Le même jour, le même individu achète aussi un cheval à un bourgeois de Fribourg (ibid., no 1390). 73 Pour chaque cheval acheté par un Fribourgeois, on trouve en effet environ 2,5 chevaux vendus par des Fribourgeois. 74 En 1359, Jean Divitis se porte caution pour Henri Mora qui achète un coursier qui vaut 75 florins (ibid., no 168 ; autres exemples : no 180, 411, 222, etc.).
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pro pretio sicut inveniret ante hospitale »75. Certains contrats prévoyaient également que l’acheteur puisse régler une partie de la somme en fournissant une prestation au vendeur. En 1395, Jacques Bonarma, foulon et bourgeois de Fribourg, acheta un cheval à Jacques zer Linden pour 13 florins et s’engagea à « operare et follare dicto Jacobo in deductione dicti debiti, quousque desservierit ab eo dictum debitum ». Il accepta également qu’à chaque fois que deux de ses « tendrant » étaient libres, le vendeur puisse les utiliser pour tendre ses draps. De même, une trentaine d’années plus tard, Jacques Mestre et Pierre Fagne réglèrent en partie l’achat d’un cheval et d’un drap en acceptant de « carrigare et ducere » du vin ou d’autres marchandises pour le compte de leur créditeur76. Bien souvent le règlement de l’achat était prévu à deux ou plusieurs échéances. En 1436, Guillaume Loffers vendit par exemple une bête à Henslinus Furer pour 9 florins rhénans et accepta de ce dernier le versement d’un demi florin à la date de chaque foire genevoise. Certains contrats précisent parfois que le payement devait intervenir une, deux ou trois semaines plus tard. Mais en général les acheteurs disposaient au moins d’un ou de deux mois pour éteindre leur dette. Certaines fêtes chrétiennes servaient d’autre part plus que d’autres pour fixer l’échéance des versements : Pâques (17 fois), la Toussaint (13) et la Saint-Martin (13), mais aussi la Saint-Michel (12), la Saint-Jean (10) ou l’Invention de la Croix (8), Noël (8) et la Saint-André (6). Si dans la plupart des cas les versements prévus devaient être effectués à Fribourg – assez souvent au premier marché après la Nativité –, les foires de Genève et, plus rarement, celles de Zurzach, étaient également utilisées comme terme de payement. Parfois, c’était d’ailleurs dans ces deux villes que le règlement de la dette devait être effectué. En 1437, Anselme dou Mulin s’engagea par exemple à remettre au vendeur 4 florins à Genève aux foires de Pâques et 4 autres florins avant celles de la Saint-Jean. Quant aux foires de Zurzach, elles sont mentionnées explicitement comme terme de payement en 1392 et en 147877. Les clauses de certains contrats indiquent également que les chevaux achetés à Fribourg étaient parfois amenés aux foires de Genève ou de Zurzach afin d’y être vendus. L’acte passé en avril 1459 entre Nicodus Salo et Ruedinus Hugs concernant deux chevaux, prévoyait que si l’acheteur réussissait à vendre les deux bêtes avant le retour des foires de Genève de Pâques, il devait verser le montant de l’achat, à savoir 20 florins, à ce moment. En revanche, si à Genève les chevaux avaient pu seulement être échangés contre d’autres chevaux, le créancier devait attendre jusqu’au retour des foires de Zurzach qui se tenaient après la Pentecôte78. S’il faut sans aucun doute se garder de tirer des conclusions trop péremptoires à partir d’un corpus documentaire aussi réduit que celui que nous avons essayé 75 Ibid., no 3515, 1269. En mars 1407, Henri Muriset s’engage lui aussi à payer en partie le cheval qu’il a acheté à Henslinus Mutzen avec 2,5 muids de vin à la mesure de Cully (ibid., no 1009). 76 Ibid., no 577 et 2423. Voir également no 798. 77 En fait, même lorsqu’il n’y a pas de mention explicite, les dates de certaines échéances laissent supposer que l’une ou l’autre foire servait de terme de payement. 78 Ibid., no 4115. L’échange de chevaux aux foires était peut-être une pratique assez courante, car elle est évoquée également par le Mesnagier de Paris (op. cit., p. 461).
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d’exploiter, les registres des notaires de Fribourg autorisent néanmoins un certain nombre d’observations. On peut ainsi relever d’emblée le caractère assez peu local du commerce des chevaux. La plupart des transactions concernent en effet des animaux qui étaient destinés à être exportés vers des régions situées aussi bien au nord qu’au sud de Fribourg. Dans l’ensemble, il semblerait que les exportations vers le sud étaient plus fréquentes que celles vers les régions alémaniques. Il est par ailleurs possible que Fribourg fonctionnait au moins partiellement comme un centre de redistribution des chevaux alémaniques – et notamment bernois – dirigés par la suite vers les centres de l’arc lémanique et en particulier les foires de Genève. Si de nombreux contrats semblent suggérer que l’achat de la bête était dicté par les besoins personnels de l’acheteur, d’autres semblent en revanche indiquer que certaines bêtes de qualité moyenne ou médiocre étaient destinées à être revendues ailleurs, et que dans ce cas les acheteurs étaient des individus au moins partiellement spécialisés dans ce type de commerce. Reste que, d’un point de vue général et si l’on fait abstraction des quelques cas particuliers que nous avons signalés, le marché des chevaux fribourgeois semble avoir été caractérisé par la présence d’un grand nombre d’opérateurs qui, pour la plupart, paraissent cependant n’avoir réalisé qu’un nombre extrêmement réduit d’opérations, lesquelles portaient d’ailleurs presque toujours sur une seule bête. De ce point de vue, il semble bien que c’est surtout du fait que Fribourg attirait des marchands qui voulaient acheter des draps ou des produits de la métallurgie – ou écouler des marchandises telles que le vin – qui a permis au commerce des chevaux de connaître une certaine activité. Mais, une fois encore, il faut répéter que les registres ne nous laissent sans doute entrevoir qu’une partie minime des transactions effectives portant sur des équidés. De même, il convient d’insister sur le fait que, dans l’état actuel de la recherche, les renseignements dont nous disposons sur l’élevage des chevaux en Suisse romande au Moyen Âge sont d’une assez grande pauvreté79, tout comme ceux qui concernent les auteurs et le volume des transactions qui avaient lieu à Genève ou à Zurzach pendant les foires. Pour conclure, on ne peut donc qu’exprimer le souhait que dans le futur quelques travaux ponctuels permettent d’éclairer quelques-uns des nombreux aspects qui, pour l’heure, demeurent malheureusement dans une obscurité presque totale.
79 Pour l’Entremont, voir les informations intéressantes mais malheureusement assez dispersées fournies par P. Dubuis, Une économie alpine à la fin du Moyen Âge. Orsières, l’Entremont et les régions voisines, 1250-1500, 2 vol., Sion, 1990, passim. Voir également G. Carnat, Essais historiques sur l’élevage du cheval du Jura depuis les temps des princes-évêques de Bâle jusqu’à l’annexion du Jura au canton de Berne : 1000 à 1815. Contribution à l’histoire de l’élevage chevalin en Suisse, Berne, 1934.
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Troisième partie
Les routes alpines du commerce européen
Guido Castelnuovo
Introduction
Une grande route et deux cols alpins, deux péages et quelques foires, des centaines de marchands itinérants et autant de rouleaux comptables : voilà les principaux protagonistes qui ont accompagné, pendant plus de quinze ans, de 1993 à 2008, Franco Morenzoni dans sa quête opiniâtre et novatrice des modes d’emploi et des enjeux liés à la circulation d’hommes et de produits dans un contexte montagnard, romand et savoyard. La route, c’est celle du Valais, et tout particulièrement – venant du Jura via le Pays de Vaud – ses tracés entre Villeneuve et Sion, sur les pas des recherches pionnières de Maria Clotilde Daviso di Charvensod1. Les cols, ce sont ceux du Grand Saint-Bernard, et, encore plus, du Simplon, deux courroies de transmission essentielles dans la circulation médiévale d’hommes et de biens entre les mondes français, flamands, voire germaniques, et les univers marchands de la plaine du Pô représentés au mieux par le double pôle milanais et lombard. Les péages, que Franco Morenzoni nous présente sous toutes leurs coutures – et plus encore –, sont ceux de Villeneuve-Chillon et, surtout, de Saint-Maurice d’Agaune, un bourg d’habitude plus connu pour son monastère, aussi vénérable que puissant. Leurs dynamiques commerciales complexes, entre phases d’essor, moments de flottement et périodes de régression voire de véritable effondrement, sont suivies sur plus de deux siècles avec une pénétrante attention, doublée d’une lecture aussi fine qu’approfondie de leurs données brutes, elle-même susceptible d’ouvrir une réflexion salutaire sur la valeur et les limites de l’usage des statistiques en histoire. Les foires, chablaisiennes et valaisannes, nous emmènent de Saint-Maurice à Sion, via Aigle ou Bex, et font bien émerger la double focale qui est à l’œuvre dans ces quatre essais, tout à la fois statiques et évolutifs, le mouvement des hommes répondant à l’ancrage des lieux, le transport des marchandises faisant écho aux attaches documentaires. Les hommes, justement, et avec eux – souvent même avant eux – leurs commerces, leurs marchandises, leurs produits. L’examen pluriséculaire des trafics péagers, des biens taxés, de leurs typologies (des draps aux laines, des chevaux aux matériaux) 1 M. Cl. Daviso di Charvensod, I pedaggi delle Alpi Occidentali nel medio evo, Turin, 1961.
Sur les routes des Alpes : Religieux, marchands et animaux dans la Suisse occidentale (xiiie-xve siècles), Franco Morenzoni, Turnhout, 2019 (Culture et société médiévales, 36), p. 199-202 © FHG10.1484/M.CSM-EB.5.117888
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et de leurs rendements monétaires ainsi que des profils changeants des marchands (locaux, régionaux, internationaux) et de leurs itinéraires (de Milan à Genève, de Fribourg à la Lombardie) : ce riche ensemble de questionnements et de données nous permet de découvrir des pans entiers de l’histoire de la circulation des biens, des échanges commerciaux, des sociétés marchandes et de leurs caractéristiques tant financières que politiques. Or, si Franco Morenzoni a pu traquer, jusque dans les moindres détails, l’ampleur des passages et des échanges ayant eu lieu, entre 1250 et 1450 environ, sur ces routes, lors de ces foires et à ces péages, et si ses résultats sont aussi intéressants que probants, c’est qu’il s’est plongé dans une documentation spécifique, auscultée avec une minutie extrême : je pense ici, avant même qu’à certains inventaires post-mortem dont il s’est admirablement servi (comme celui du bourgeois et marchand genevois Pierre de Marcey, de 1412), à la compatibilité des receveurs, des péagers et des châtelains chablaisiens et valaisans, une comptabilité qu’il a explorée sans relâche, tout particulièrement aux Archives d’État de Turin. Le substrat des quatre contributions qui suivent est donc constitué, fondamentalement, par une masse de documents inédits2 parmi lesquels la part du lion est faite aux rouleaux de comptes des péages et des châtellenies locales3, que les princes savoyards s’escriment, surtout à partir de la seconde moitié du xiiie siècle, à rationaliser pour mieux contrôler à la fois leurs agents, leurs transits et leurs rendements. Bien sûr, cette série de cas d’études localisés – mais à l’indiscutable impact international et, si l’on veut, ‘modélisant’ – s’accompagne d’une toile de fond historiographique avec laquelle Franco Morenzoni se confronte sans cesse, qu’il s’agisse des études fondatrices sur le péage de Jougne4 ou des recherches désormais classiques de Jean-François Bergier sur les foires genevoises5. Sont aussi mis à contribution les travaux novateurs de Pierre Dubuis sur la démographie, la société et l’économie valaisannes6 ainsi que, parmi d’autres, ceux de Luciana Frangioni, sur l’univers des marchands milanais7. Dans les pages qui suivent, toute historienne et tout historien trouvera son éden, ou, du moins, l’un ou l’autre de ses mets favoris, quel qu’il soit. En effet, bien qu’intentionnellement réunis sous un titre neutre, Le routes alpines du commerce européen,
2 L’analyse de ces sources inédites est accompagnée du dépouillement d’une ample documentation éditée, au sein de laquelle se démarquent les volumes de Jean Gremaud (Documents relatifs à l’histoire du Vallais, 8 tomes, Lausanne, 1875-1898). 3 Sur les rouleaux des comptes châtelains, leurs tenants et leurs aboutissants, ainsi que sur d’autres sources comptables locales, voir entre autres : J. L. Gaulin et C. Guilleré, « Des rouleaux et des hommes : premières recherches sur les comtes de châtellenies savoyards », Études Savoisiennes, 1, 1992, p. 51-108 ; C. Thévenaz, Écrire pour gérer. Les comptes de la commune de Villeneuve autour de 1300, Lausanne, 1999, ainsi que le site internet http://www.castellanie.net/index.php. 4 V. Chomel, J. Ebersolt, Cinq siècles de circulation internationale vus de Jougne, Paris, 1951. 5 J.-Fr. Bergier, Genève et l’économie européenne de la Renaissance, Paris, 1963. 6 P. Dubuis, Une économie alpine à la fin du moyen âge. Orsières, l’Entremont et les régions voisines. 12501500, 2 vol., Sion, 1990. 7 L. Frangioni, Milano e le sue strade. Costi di trasporto e vie di commercio dei prodotti milanesi alla fine del Trecento, Bologne, 1983.
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ces quatre essais ne parlent pas que de voies de passage ou de franchissements de cols8, ni de marchands lombards et de commerce international. Ils nous parlent, tout à la fois, d’histoire économique et d’histoire sociale, d’histoire locale et d’histoire politique, d’imaginaires culturels et de démographie régionale. Voilà bien l’une des plus grandes réussites de Franco Morenzoni : parvenir à faire dialoguer et à mettre en abyme des histoires encore trop souvent déconnectées les unes des autres. Ainsi, l’histoire péagère, tout comme l’analyse des marchés urbains, s’ouvre aussitôt sur l’histoire politique, dès lors qu’elle est intimement liée aux stratégies mises en œuvre par les princes de Savoie en vue de renforcer leur emprise régionale et de s’assurer, dans la durée, des excédents budgétaires couplés à des acquis géopolitiques : la naissance et l’éclosion de la principauté savoyarde passe aussi par la mainmise sur ces péages et le contrôle, plus ou moins poussé, des professionnels, des denrées, des biens et des matériaux qui y transitent. Dans le même temps, si les recherches sur Saint-Maurice ou Sion semblent privilégier un angle d’attaque spécifiquement marchand, elles nous aident aussi à mieux lire et nous représenter la société locale, dans ses différentes composantes, tant commerciales qu’institutionnelles. Le monde du travail n’est pas en reste, qui ne se limite pas aux marchands de long cours. D’ailleurs, de quels marchands parle-t-on ? Quels seraient les équilibres, certes changeants, entre spécialistes du grand commerce international – Milanais in primis – et main d’œuvre régionale, des voituriers aux négociants locaux ? Et encore, comment évaluer et que déduire des itinéraires de ces professionnels des échanges ? Leurs trafics privilégieraient-ils une direction par rapport à l’autre : Sud-Nord plutôt que Nord-Sud ? Les études réunies ici montrent bien tout à la fois l’importance de la chronologie (ainsi que tout l’intérêt d’approfondir des cas d’études aux temporalités parfois très restreintes) et les raisons d’être d’une circulation d’hommes et de marchandises à double sens, de part et d’autre des Alpes, selon la typologie des produits exportés ou importés ainsi que les gains financiers que l’on espère de conséquence. Qui plus est, étudier, à deux voix – « ceux qui passent et ceux qui restent »9 – les itinéraires et les acteurs du commerce alpin médiéval sub specie Vallesii signifie aussi s’interroger sur la circulation des modèles culturels. Il s’agit, bien sûr, des cultures marchandes et financières (dont les aspects monétaires seront approfondis dans la quatrième partie de cet ouvrage), mais les pages qui suivent concernent tout autant des questions relatives aux cultures scripturaires ou politiques. Nous touchons ici à l’un des principaux mérites des articles que Franco Morenzoni a dédiés aux problématiques marchandes. L’ensemble de ces contributions nous rappelle
8 J.-Fr. Bergier, « Le trafic à travers les Alpes et les liaisons transalpines du haut Moyen Âge jusqu’au xviie siècle », in Le Alpi e l’Europa, vol. 3, Bari, 1975, p. 1-72. Concernant les liens entre voies de passage alpines et transformations sociopolitiques, je me permets de renvoyer aussi à G. Castelnuovo, « Tempi, distanze e percorsi in montagna nel basso medioevo », in Spazi, tempi, misure e percorsi nell’Europa del Bassomedioevo. Atti del xxxii Convegno del Centro Italiano di Studi sul Basso Medioevo, Todi, ottobre 1995, Spolète, 1996, p. 211-236. 9 P. Dubuis (éd.), Ceux qui passent et ceux qui restent. Études sur les trafics transalpins et leur impact local. Actes du colloque de Bourg-Saint-Pierre, septembre 1988, Grand-Saint-Bernard, 1989.
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avec force que l’un des buts et des plaisirs de toute historienne et de tout historien consiste à traquer les rencontres entre les différents protagonistes des sociétés que l’on s’efforce d’étudier. Les quatre essais que nous allons maintenant découvrir sont, selon moi, à lire aussi bien comme une ode au dynamisme socio-économique de leurs différents protagonistes que, plus largement, comme une vigoureuse apologie des interactions culturelles et politiques que sous-tend tout échange commercial au cœur des mondes médiévaux.
La via del Vallese e il commercio internazionale e regionalealla fine del Medioevo
È difficile stabilire con una certa precisione l’epoca a partire dalla quale la strada del Vallese ha incominciato ad assumere un ruolo rilevante per i traffici internazionali. È certo che fin dall’Antichità il passo del Gran San Bernardo è stato usato in modo intenso sia per ragioni militari che religiose. Non mancano testimonianze, come quella dell’abate di Saint-Tron e dell’arcidiacono di Liegi Alessandro, che risale al 1128, sulle difficoltà per attraversare il passo durante i mesi invernali e sul ruolo delle guide locali per condurre i viaggiatori da un versante all’altro della montagna. Anche il Sempione, cosí come altri passi dell’Alto Vallese, fu senza dubbio usato dagli abitanti della regione fin dall’Antichità, anche se questo itinerario non sembra essere stato percorso in modo regolare dai viaggiatori che si recavano o tornavano dall’Italia1.
La crescente importanza dei passi del Vallese nel Duecento È tuttavia solo a partire dalla fine del xii e dall’inizio del xiii secolo che le fonti permettono di affermare con certezza che la strada del Gran San Bernardo e del Sempione stavano diventando itinerari importanti per i mercanti attivi nel commercio internazionale2. Nel 1217 sono menzionati i mercanti lombardi che attraversavano la città vescovile di Sion per andare a vendere altrove le loro armature. Cosí come i bovini della Lombardia cui fa riferimento il medesimo atto, questi mercanti utilizzavano
1 Sulle strade ed i trasporti si veda l’ampia bibliografia riunita da L. Frangioni, che concerne anche i valichi e gli itinerari del Vallese, in L. Frangioni (éd.), Milano fine Trecento. Il carteggio milanese dell’Archivio Datini di Prato, Firenze, 1994, vol. 1, p. 359-403. Sul problema complesso della viabilità montana e dei suoi mutamenti si veda il recente contributo di G. Castelnuovo, « Tempi, distanze e percorsi di montagna nel basso medioevo », in Spazi, tempi, misure e percorsi nell’Europa del bassomedioevo. XXXII Convegno storico internazionale, Todi, 8-11 octobre 1995, Spolète, 1996, p. 211-236. Numerosi documenti che riguardano il Vallese medievale sono stati editi da Gremaud, Documents. 2 Sullo sviluppo dei traffici internazionali attraverso le Alpi rimane sempre fondamentale lo studio di A. Schulte, Geschichte des mittelalterlichen Handels und Verkehrs zwischen Westdeutschland und Italien mit Ausschluss von Venedig, 2 vol., Leipzig, 1900.
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senza dubbio il passo del Sempione, il cui ospizio è citato per la prima volta nel 12353. Anche la fondazione all’inizio del secolo ad opera del conte di Savoia del borgo di Villeneuve, sulla riva destra del lago Lemano, si spiega forse in parte con l’incremento dei traffici. Sembra infatti che accanto al vicino pedaggio di Chillon, citato fin dal 1150, mancasse lo spazio necessario per costruire le infrastrutture indispensabili al commercio internazionale4. Bisogna però attendere la seconda metà del secolo per avere qualche dato più preciso sul volume del traffico ed il tipo di merci che passavano per il Vallese. I conti del castellano di Chillon sembrano indicare che dal 22 febbraio 1260 al 2 febbraio 1262 transitarono da Saint-Maurice circa 5 770 balle5. Nel febbraio del 1270, il ricevitore del pedaggio di Villeneuve, Nicolao de Balmis, indica che negli ultimi dodici mesi sono passate 2 811 balle di panni – o, più genericamente, balle di Francia e di Lombardia – e sottolinea il carattere internazionale di questo traffico precisando che queste merci sono state presentate da numerosissimi mercanti di Venezia, di Milano, di Verdun e della Fiandra6. Più o meno negli stessi anni vengono segnalati, sempre a Villeneuve, i primi mercanti italiani di cavalli da guerra in transito verso la Francia, la Borgogna e l’Europa settentrionale7. La presenza di un elevato numero di mercanti veneziani e milanesi sugli itinerari vallesani era probabilmente un fenomeno relativamente recente, ed è quasi certo che in questi anni la strada pubblica che attraversava le terre del vescovo di Sion non fosse ancora in grado di sopportare un traffico il cui volume stava conoscendo una crescita considerevole8. Verso il 1270, l’Universitas dei mercanti di Milano e di Pistoia concesse infatti al prelato un’importante aumento degli antichi pedaggi al
3 Gremaud, Documents, no 406 ; A. Lugon, « Le trafic commercial par le Simplon et le désenclavement du Valais oriental (fin du xiie-milieu du xive siècle) », in P. Dubuis (éd.), Ceux qui passent et ceux qui restent. Études sur les trafics transalpins et leur impact local. Actes du colloque de BourgSaint-Pierre, 23-25 septembre 1988, Orsière, 1989, p. 89. 4 M. Reymond, « Villeneuve. Son origine, son développement », Revue historique vaudoise, 11 (1920), p. 325-326. 5 Il rendimento del pedaggio di Saint-Maurice dal 2 febbraio al 25 novembre 1266 sembra tuttavia indicare un volume di traffico molto più modesto, poiché il castellano di Chillon dichiara di aver incassato poco meno di 23 lire mauriziane durante questi mesi (ASTo, SR, Inv. 69, f. 5, r. 1). 6 J. L. von Wurstemberger, Peter der Zweite, Graf von Savoyen, Markgraf in Italien, sein Haus und seine Lande. Ein Charakterbild des dreizehnten Jahrhundert, Bern - Zürich, vol. 4, 1858, no 793. Non è certo che la data indicata dall’editore sia corretta. 7 Nel conto del castellano di Chillon del 1257-1258 si legge infatti : « De .cxi. sol. .vi. den. receptis de Iohanne de Viviaco de recto pedagio pertinenti ad castrum de Chillone videlicet de dextrariis venientibus de Lombardia […] » (M. Chiaudano, La finanza sabauda nel secolo xiii e i conti della corte di Filippo, conte di Savoia e di Borgogna, Torino, 1934, t. 1, p. 8). È difficile stabilire se il transito dei cavalli durante questi anni avesse già assunto una certa importanza. I primi esercizi contabili del pedaggio di SaintMaurice che ci sono giunti indicano infatti un volume che sembra ancora abbastanza modesto. 8 Nei territori controllati dai Savoia è possibile che le strade ed i ponti fossero in condizioni migliori. Fin dalla metà del xiii secolo i conti di Chillon indicano infatti spese, talvolta ingenti, per costruire o migliorare i manufatti. Nel 1257-1258 vennero ad esempio investite più di 20 lire mauriziane « ad Pontem Wuriaci faciendum », cioè per costruire il ponte che permetteva di attraversare il Rodano a Vouvry (M. Chiaudano, La finanza, op. cit., t. 1, p. 8).
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fine, fra l’altro, di migliorare ed intrattenere regolarmente la strada e i ponti, lavori che a detta dei mercanti stessi il vescovo non sarebbe stato in grado di finanziare da solo dato il loro altissimo costo. Il trattato sottoscritto dal vescovo e dai rappresentanti dei mercanti ambrosiani – il primo fra l’altro sottoscritto dall’Universitas dei mercanti milanesi con un signore d’Oltralpe che ci sia pervenuto – non si limita ad indicare i diritti di pedaggio prelevati nelle varie località sulle balle ad esempio di panni, di lana, di seta, di spezie, di fustagni o sui destrieri, ma definisce in un certo senso l’organizzazione globale del trasporto delle merci, fissando fra l’altro in quali luoghi e secondo quali modalità le balle potevano essere scaricate, pesate, slegate e rifatte e precisando i diritti e i doveri del vescovo, ma anche limitando il diritto di associazione dei trasportatori nel caso in cui esso fosse esercitato a scapito degli interessi dei mercanti9. Negli stessi anni vennero sottoscritti dai rappresentanti dei dei Milanesi alcuni altri accordi con dei privati che, in cambio di un modesto prelievo sulle merci in transito, si impegnarono a mantenere in buono stato o a migliorare un certo numero di ponti e di tratti di strada10.
Mercanti ‘internazionali’ e vetture locali Malgrado gli aumenti consistenti dei diritti di pedaggio concessi dai mercanti nel trattato del 1270 – trattato le cui clausule furono sostanzialmente riconfermate nel 129111 – è certo che l’Universitas dei mercanti milanesi riuscí ad ottenere condizioni tutt’altro che sfavorevoli. Rispetto alle tariffe dei pedaggi savoiardi di Saint-Maurice e di Villeneuve, e malgrado un accordo del 1276 grazie al quale i mercanti ambrosiani avevano ottenuto dal conte di Savoia una leggera diminuzione delle tasse prelevate sui panni, la lana e i cavalli12, le tariffe in vigore nelle terre del vescovo di Sion rimasero molto ragionevoli. Un calcolo approssimativo permette ad esempio di constatare che all’inizio del xiv secolo il costo per far transitare un cavallo da Briga a Martigny era di sei volte inferiore a quello necessario per superare i pedaggi di Saint-Maurice e di Villeneuve13. Ma il trattato del 1270 permise soprattutto ai Milanesi di assicurarsi per alcuni decenni un ruolo di primo piano nell’organizzazione dei traffici che utilizzavano il
9 Il trattato, pervenutoci mutilo della prima parte, è stato pubblicato da Gremaud, Documents, no 805, che lo ha datato fra il 1271-1273. In realtà, si tratta della conferma di un trattato anteriore, di cui viene riprodotta solo la fine, che risale probabilmente al 1270. Fra i numerosi studiosi che lo hanno commentato ci limitiamo a segnalare A. Garobbio, Il Vallese e la Lombardia, Milan, 1938, vol. 1, p. 6 sq. ; G. Soldi Rondinini, « Le vie transalpine del commercio milanese dal secolo xiii al xv », in Felix olim Lombardia. Studi di storia padana dedicati dagli allievi a Giuseppe Martini, Milan, 1978, p. 379-380 ; A. Lugon, « Le trafic commercial », art. cit., p. 91-92. 10 Gremaud, Documents, no 787. 11 Ibid., no 1017. 12 Il trattato è stato pubblicato da M. Cl. Daviso di Charvensod, I pedaggi delle Alpi occidentali nel Medio Evo, Turin, 1961, p. 424, no 9. 13 Ogni destriero era tassato 18 denari mauriziani nelle terre del vescovo, mentre doveva versare al pedaggio di Saint-Maurice un diritto di 60 denari mauriziani e di 15 soldi viennesi a quello di Villeneuve.
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Sempione o, in misura meno notevole, gli altri valichi che permettevano di raggiungere la Lombardia, al punto che si può senz’altro dire che la strada del Sempione è stata in un certo senso ‘inventata’ dai mercanti ambrosiani14. All’inizio del xiv secolo il Vallese era già in grado di offrire al traffico internazionale delle infrastrutture tutto sommato piuttosto efficaci. I mercanti godevano beninteso del conductus del conte di Savoia e del vescovo di Sion, i quali erano pure tenuti a rimborsare coloro le cui merci non avessero potuto viaggiare in modo normale a causa di qualche imprevisto. La strada ed i ponti, come è stato mostrato da Maria Clotilde Daviso di Charvensod15, erano regolarmente intrattenuti ed un numero abbastanza elevato di magazzini, le « soste », permetteva di mettere al riparo le merci durante la notte. A Villeneuve, Saint-Maurice, Martigny, Sion, Agarn e Varen edifici di questo tipo esistevano sicuramente prima del 1270, ed erano situati in genere all’entrata dei borghi o un po’ in disparte dalle abitazioni16. È probabile che anche a Briga ed in cima al passo del Sempione dei magazzini fossero stati costruiti prima dell’ultimo quarto del xiii secolo. Nel 1338 i Milanesi ottennero che fosse edificato un nuovo magazzino – che doveva essere in grado di contenere almeno 200 balle – a Loèche17, ed una quindicina di anni più tardi fecero costruire un’altra « sosta » a Viège18. Anche
14 Su questo aspetto si vedano le osservazioni di J.-Fr. Bergier, « Le trafic à travers les Alpes et les liaisons transalpines du haut Moyen Âge au xviie siècle », in J.-Fr. Bergier et al. (éd.), Le Alpi e L’Europa. Atti del Convegno tenuto a Milano dal 4 al 9 ottobre 1973, Bari, 1975, t. iii, p. 47-48. L’attività diplomatica dei Milanesi per ottenere garanzie di sicurezza sugli itinerari commerciali da loro utilizzati non si è beninteso limitata al solo Vallese. I documenti della seconda metà del xiii e del xiv secolo indicano che ambasciatori ambrosiani venivano assai sovente nell’attuale Svizzera romanda al fine di sottoscrivere accordi con i signori del luogo. I conti del castellano di Chillon del 1287-1288 menzionano ad esempio una somma di 22½ lire « pro expensis embassiatorum de Mediolano morantium apud Gebennas cum domino Comite dum Insula fuit obsessa (si tratta del castello sul Rodano, che controllava l’entrata di Ginevra) » (ASTo, SR, Inv. 69, f. 5, m. 1, r. 9). Alcuni anni dopo, nel 1303, Corrado di Concorezzo e Giacomo Basso di Cantù, « nuntiis et ambassatoribus specialibus universitatis mediolanensis » ottennero una lettera di salvaguardia per tutti i mercanti italiani dal conte di Ginevra. Il trattato è stato pubblicato da É. Mallet, Chartes inédites relatives à l’histoire de la ville et du diocèse de Genève et antérieures à l’année 1312, Genève, 1862, no 398, p. 467-470. 15 M. Cl. Daviso di Charvensod, « La route du Valais au xive siècle », Revue suisse d’histoire, 1 (1951), p. 545-561. 16 La maggior parte dei magazzini esistenti nelle terre del vescovo sono menzionati nel trattato del 1270. La « domus de bales » di Saint-Maurice è citata in un atto del 1272 (Gremaud, Documents, no 789). 17 Gremaud, Documents, no 1694. Il magazzino, con tutte le sue dipendenze, fu dato in affitto nel luglio del 1338 al milanese Giovanni Trecco. Sui membri della famiglia Trecco che si erano stabiliti in Vallese all’inizio del Trecento si veda nel presente volume « L’inventaire après décès de Bacinodus Tracho, lombard de Sion (17 janvier 1376) », p. 400-404 18 Gremaud, Documents, no 1985. L’accordo, stipulato dal domicello Giovanni de Platea con il rappresentante dei mercanti milanesi Petrazio Morigie, prevedeva che le merci in provenienza dal regno di Francia versassero un denaro per ogni balla, mentre quelle che giungevano dalla Lombardia dovevano pagare solo se erano effettivamente depositate nel magazzino. È possibile che la sosta servisse alle merci che erano spedite attraverso il valico del Monte Moro e di Antrona, ma pure che i Milanesi non volessero più dipendere dalla sola sosta di Loèche, che si trovava in una zona spesso toccata dai conflitti che opponevano in questo periodo il vescovo di Sion ai patrioti dell’Alto Vallese.
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nella valle di Conches, ad Ernen, esisteva un deposito per le merci che da Briga proseguivano verso il valico del Furka o del Grimsel19. Il trasporto delle merci era assicurato dalle organizzazioni dei vetturali locali, che dovevano sottostare agli ordini di un « partitore » il cui compito era sostanzialmente quello di distribuire il lavoro in modo equo fra i borghesi o i parrocchiani che disponevano, di solito in modo collettivo, del monopolio del trasporto su tratte di circa venti o trenta chilometri a monte e a valle dei loro borghi20. Se nel 1269 sono ancora citati a Sion i bubulci che avevano scelto di mettere a disposizione dei mercanti i loro buoi invece di lavorare i campi, e che per questo venivano d’altronde privati dell’uso dei pascoli comunitari21, sembrerebbe che già negli anni seguenti, almeno da Briga e da Orsières fino a Villeneuve, il trasporto fosse effettuato con dei carri a due ruote tirati da uno o due cavalli. I cavalli, e più raramente i muli22, venivano utilizzati anche per superare i passi del Sempione e del Gran San Bernardo. Solo gli statuti della Val Divedro del 1321, sul versante meridionale del Sempione, fanno riferimento all’attività di portatores ad dorsum23. Anche se i regolamenti dei vetturali indicano che la quantità di merce che ogni carro poteva trasportare variava da una tratta all’altra, in genere i carri tirati da un solo cavallo potevano caricare al massimo due balle – per un peso totale di circa 250-300 chilogrammi – ed i carri a due cavalli al massimo tre balle24. Mancano purtroppo dati precisi e in numero sufficiente sui costi di trasporto. Da un accordo stipulato fra i mercanti milanesi e i vetturali di Saint-Maurice nel 1399, si desume tuttavia che il costo chilometrico di una tonnellata era all’incirca di sei o sette denari mauriziani,
19 La sosta di Ernen è citata in un atto del 1326 (Gremaud, Documents, no 1554). 20 Si vedano in particolare i regolamenti dei trasportatori di Saint-Maurice del 1320, di Narres, Briga e Sempione del 1307, di Loèche del 1310 (Gremaud, Documents, no 2187, 1262, 1311) e di Sembrancher del 1357 (AEV, Sembrancher D III 2). Sulle organizzazioni dei trasportatori, altre al saggio già citato di G. Soldi Rondinini, si veda P. Caroni, « Dorfgemeinschaften und Säumergenossenschaften in der mittelalterlichen und neuzeitlichen Schweiz », in P. Caroni, B. Dafflon et G. Enderle (éd.), Nur Ökonomie ist keine Ökonomie : Festgabe zum 70. Geburtstag vom B.M. Biucchi, Berne - Stuttgart, 1978, p. 79-127). Per il Ticino si veda G. Chiesi, « Manutenzione stradale nelle regioni ticinesi : aspetti organizzativi e finanziari nel tardo Medioevo », in L’apertura dell’area alpina al traffico nel Medioevo e nella prima età moderna. Convegno Storico a Irsee, 13-15 settembre 1993, Bolzano, 1996, p. 277-291. 21 Gremaud, Documents, no 751. 22 Al pedaggio di Saint-Maurice alcuni convogli di muli che trasportano dei panni di lana sono segnalati all’inizio del Trecento. Le fonti vallesane sembrano tuttavia indicare che il mulo fosse un animale tutto sommato abbastanza raro sui percorsi alpini. 23 Sugli statuti delle comunità del versante meridionale del Sempione si veda G. Soldi Rondinini, « Le vie transalpine », art. cit., p. 442 sq. 24 È quanto stabilisce il regolamento dei trasportatori di Loèche, che precisa che il peso di ogni balla doveva essere di almeno quindici rubbi (Gremaud, Documents, no 1311). A Villeneuve i borghesi potevano trasportare due balle su ogni carro, mentre gli abitanti dei villaggi limitrofi una sola balla (ACV, P Villeneuve, F 1). Nel 1338 un accordo fra i mercanti veneziani e Luigi di Savoia stabilisce che il peso della balla « veneziana » è di sedici o diciassette rubbi « ad pondus Seduni » (M. Cl. Daviso di Charvensod, I pedaggi, op. cit., p. 103).
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cioè circa un fiorino di Firenze ogni dodici o tredici chilometri25. Si tratta quindi di costi piuttosto elevati, soprattutto se paragonati a quelli causati dal trasporto fluviale o lacustre26. Nella migliore delle ipotesi, per andare da Villeneuve a Bourg-Saint-Pierre o a Briga le merci avrebbero potuto impiegare rispettivamente quattro e cinque giorni. In realtà i tempi di percorrenza effettivi erano più lunghi, e dipendevano sia dalle condizioni della strada, dal volume del traffico, dalla disponibilità più o meno grande di mezzi di trasporto, ecc. Le fonti vallesane sembrano tuttavia indicare che la tratta Sion-Milano richiedesse, in condizioni normali, sette o otto giorni, e quella SionGinevra cinque o sei giorni. Questi dati sono confermati anche dal carteggio della filiale milanese Datini studiato da Luciana Frangioni, che stima in quindici giorni il tempo necessario per raggiungere Ginevra da Milano passando per il Sempione27. È certo che i mercanti erano molto attenti alla durata dei trasporti, poiché le merci in viaggio erano pur sempre un capitale immobilizzato. Tutti i regolamenti dei vetturali precisano in modo piuttosto dettagliato le misure per evitare che le balle rimanessero ferme troppo a lungo, ed anche l’ingiunzione del riposo domenicale non era rispettata28. Con lo sviluppo delle società di trasporto, il monopolio dei vetturali venne in parte ridotto. Nel 1347 il conte Amedeo VI concesse ad esempio all’Universitas dei mercanti di Milano di organizzare dei convogli che andassero direttamente dalla Lombardia alle fiere di Chalon-sur-Saône, di Champagne o altrove in Francia29. Sembra tuttavia, almeno per la strada del Sempione, che questa possibilità venne poco utilizzata. Se si confrontano i versamenti effettuati dai vetturali per ogni balla 25 L’accordo prevede misure alquanto precise per stabilire i costi di trasporto, fissati in parte in funzione della quantità di merce trasportata e del tragitto percorso (ACSM, Pg 520). Sui costi di trasporto in Borgogna si veda H. Dubois, « Techniques et coûts des transports terrestres dans l’espace bourguignon aux xive et xve siècles », Annales de Bourgogne, 52 (1980), p. 65-82. 26 I conti dell’Ospizio del Gran San Bernardo del 1473-1474 indicano che per trasportare sei sacchi di cereali su una barca da Vevey fino a Villeneuve è stato speso un grosso e mezzo ; l’affitto di cinque carri per trasportare gli stessi sacchi da Villeneuve a Martigny è costato 5 fiorini, cioè 60 grossi ! (L. Quaglia, J.-M. Theurillat, « Les comptes de l’Hospice du Grand Saint-Bernard (1397-1477) », Vallesia, 30 (1975), no 3700-3703, p. 201. 27 Nel 1365, due persone con due fardelli che pesavano all’incirca come due balle di merci hanno raggiunto Milano da Sion in sette giorni ; una persona senza bagagli poteva compiere il medesimo tragitto in cinque giorni (si veda nel presente volume, p. 113-132, « Voyages et déplacements depuis le Valais à la fin du Moyen Âge »). Per la stima della filiale Datini si veda L. Frangioni, « Costi di trasporto e loro incidenza : il caso dei prodotti milanesi alla fine del Trecento », Archivio storico lombardo, 110 (1984), p. 12 ; L. Frangioni (éd.), Milano fine Trecento, op. cit., p. 144. Per il Gran San Bernardo si veda E.-E. Gerbore, « Une communauté sur la route du Mont-Joux au bas Moyen Âge. L’exemple d’Étroubles », in P. Dubuis (éd.), Ceux qui passent, op. cit., p. 69. Altri dati in G. Castelnuovo, « Tempi, distanze e percorsi », art. cit., p. 227-228. 28 Se sul versante meridionale del Sempione i due viaggiatori citati alla nota precedente dovettero versare un grosso « ex eo quod non debebant ire die dominica fardelli », i conti dei pedaggi di SaintMaurice e di Villeneuve, che indicano talvolta il giorno preciso dei passaggi dei mercanti, mostrano che le merci viaggiavano anche di domenica. 29 Il testo del trattato è stato pubblicato da L. Cibrario, « Delle finanze della monarchia di Savoia ne’ sec. xiii e xiv », Memorie della Reale Accademia delle Scienze di Torino, 36 (1833), p. 249-257.
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trasportata alle loro comunità di appartenenza con il numero delle balle registrate ai pedaggi, si nota infatti una corrispondenza quasi perfetta tra le due serie di cifre30.
Al pedaggio di Saint-Maurice : i panni I dati forniti dai conti del gran pedaggio di Saint-Maurice che iniziano nel 1281 e continuano fino al 1450 con lacune poco importanti, rivelano un volume totale del traffico – almeno di quello sul quale erano prelevati i diritti di transito – che si situa attorno alle 300 000 balle31. Da quanto è possibile desumere grazie anche ai conti del pedaggio di Villeneuve, sembrerebbe che lo sviluppo della strada del Vallese sia da collegare, almeno fino al 1290, in primo luogo alle importazioni Lombarde, ma senza dubbio anche a quelle Veneziane, di panni di lana chiamati « di Francia », che giungevano con ogni probabilità dalle fiere di Champagne e di Brie, e più tardi da quelle di Chalon-sur-Saône o direttamente dalla Fiandra e dal Nord della Francia. Da luglio a novembre del 1283 transitarono ad esempio 1 287 balle di questo tipo di merce, e dal 20 gennaio al 21 agosto del 1286 ben 2 17532. Se fino al 1287 i pedaggiatori indicano il passaggio solo di panni « di Francia », a cominciare da questa data la rubrica venne completata aggiungendovi « e panni di Lombardia ». È quindi certo che la strada del Vallese servisse anche all’esportazione di tessuti di lana lombardi, ma è purtroppo impossibile precisare il volume di questo traffico, il quale sembra tuttavia non aver mai assunto dimensioni molto rilevanti. A partire dal 1318 la menzione « e panni di Lombardia » venne d’altronde soppressa. La quantità di pezze contenute in ogni balla era alquanto variabile, segno questo della diversità dei panni presentati dai mercanti. Fra il 1294 e il 1325, periodo per il quale conosciamo il numero esatto di pezze transitate dal pedaggio, ogni balla conteneva in media un po’ più di 11 panni, ma con variazioni da un esercizio all’altro che vanno da 9,3 pezze fino a 14,6 per balla. È nel corso dell’ultimo quarto del Duecento che il transito della lana ha conosciuto un notevole incremento, al punto che verso il 1285 i ricevitori dei pedaggi di Villeneuve e di Saint-Maurice decisero di aprire una rubrica specifica dei loro conti dedicata alla lana, fino ad allora indicata assieme ai fustagni ed alle pelli. Dal 1281 al 1440 sono transitate da Saint-Maurice più di 170 000 balle di lana, che rappresentano più del 60% del volume totale del traffico registrato durante questo periodo. Destinata all’industria tessile lombarda allora in pieno sviluppo, la lana che passava per il Vallese proveniva quasi sicuramente dalla Borgogna ed in parte anche dall’Inghilterra. Il volume delle lane inglesi sembra tuttavia essere sempre stato notevolmente inferiore a quello delle lane di Borgogna. A Saint-Jean de Losne, all’inizio del Trecento, i 30 Di sicuro a partire dal 1276, i borghesi di Saint-Maurice erano tenuti a versare al comune un denaro mauriziano per ogni balla trasportata. Per le finanze comunali questo introito era fra i più consistenti. I primi conti della città che sono stati conservati risalgono ai primi anni del Trecento. 31 Si veda nel presente volume « Le mouvement commercial au péage de Saint-Maurice d’Agaune à la fin du Moyen Âge (1281-1450) », p. 227 32 Ibid., p. 263-264.
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cinque sesti della lana che transitava erano di origine borgognona, e solo il resto proveniva dall’Inghilterra33. Dagli anni sessanta in avanti, la lana inglese scomparve del tutto dagli itinerari vallesani, per riapparire solo a partire dal 1394 grazie ad una notevole riduzione dei diritti di transito concessa dal duca di Borgogna Filippo II e dal conte di Savoia ai mercanti milanesi34. Nel corso dei trent’anni seguenti vennero però registrate al pedaggio di Villeneuve solo 1 142 balle di questo tipo di merce35. Oltre ai tessuti ed alla lana, anche i cavalli da guerra, che circolavano senza dubbio dal Nord verso il Sud ma soprattutto dall’Italia verso il Nord delle Alpi, hanno contribuito in modo notevole al rendimento dei pedaggi vallesani36. I diritti prelevati sui destrieri erano infatti piuttosto elevati, superiori da due a quattro volte a quelli cui era sottoposta ad esempio la lana. I quasi 15 000 cavalli da guerra che sono transitati dal Vallese fra il 1281 e il 1350 hanno cosí permesso al conte di Savoia di incassare, al solo gran pedaggio di Saint-Maurice, più di diecimila fiorini di Firenze. Fra le altre merci che hanno avuto una certa rilevanza, si possono ancora citare i fustagni, le pelli crude o parzialmente lavorate, i cuoi, i prodotti della metallurgia – in particolare aghi, chiodi e armature esportati dalla Lombardia – ma anche le aringhe ed il sale, oggetto quest’ultimo di un commercio in gran parte controllato da piccoli e medi mercanti vallesani e delle regioni limitrofe37. È tuttavia difficile stabilire il volume preciso per ogni tipo di merce, poiché i conti dei pedaggi non distinguono ad esempio fra le balle di fustagni, di tele e di cera, oppure designano con il termine generico di « mercerie » sia le balle che contenevano i cosiddetti « panni d’oro » fabbricati in Lombardia che quelle di spezie, di seta, di libri o di altri prodotti. Per il periodo che va dalla fine del Duecento agli ultimi anni del Trecento è possibile conoscere l’identità e spesso il luogo di residenza o di origine di circa 600 individui che hanno utilizzato la strada del Vallese. Questi dati, dovuti al caso poiché in genere i conti forniscono il nome, per ogni tipo di merce, dell’ultimo mercante che è passato, confermano l’importanza degli Italiani, ed in particolare quella dei 33 J. Richard, « La laine de Bourgogne : production et commerce (xiiie-xve siècles) », in M. Spallanzani (éd.), La lana come materia prima. I fenomeni della sua produzione e circolazione nei secoli xiii-xvi. Atti della prima Settimana di Studio, 18-24 aprile 1969, Florence, 1974, p. 338. Sulla lana di Borgogna si veda anche H. Dubois, Les foires de Chalon et le commerce dans la vallée de la Saône à la fin du Moyen Âge, Paris, 1976. 34 Per la Borgogna si veda L. Gauthier, Les Lombards dans les Deux-Bourgognes (xiiie-xive siècles), Paris, 1906, p. 159-160 e, per la Savoia, M. Cl. Daviso di Charvensod, I pedaggi, op. cit., p. 454-455, no 30. 35 ASTo, SR, Inv. 69, f. 31, m. 6-9. 36 A partire dall’ultimo decennio del Duecento, al pedaggio di Saint-Maurice il rendimento dei cavalli è di regola superiore a quello dei panni di lana, e talvolta anche a quello della lana. 37 I dati sui passaggi del sale a Villeneuve ci sono pervenuti solo per gli anni che vanno dal 1282 al 1324. Il sale in provenienza da Ginevra era senza dubbio sale del Mediterraneo, mentre quello che giungeva da Losanna proveniva molto probabilmente da Salins. I conti indicano un volume annuale che supera spesso le 1 500 cargie, ma che può anche arrivare fino a 4 288 cargie, come accadde fra il giugno del 1320 e l’agosto dell’anno seguente. Per la prima metà del Quattrocento, i dati che ci sono pervenuti coprono solo cinque anni e rivelano un volume totale di 4 802 cargie. Per un approccio globale del traffico del sale nelle Alpi si veda J.-Cl. Hocquet, « Marché et routes du sel dans les Alpes (xiiiexviiie siècles) », in Savoie et Région alpine. Actes du 116e Congrès national des Sociétés Savantes, Chambéry, 1991, Paris, 1994, p. 211-226.
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Lombardi e dei Milanesi. Questi ultimi sono non solo i più numerosi, circa il 40% del totale, ma soprattutto coloro che fanno passare i quantitativi più importanti. Com’era prevedibile, il traffico della lana è dovuto in gran parte ad alcune grandi famiglie milanesi note per la loro attività sui mercati internazionali di questa materia prima e la cui presenza in Borgogna è conosciuta grazie ai lavori di Jean Richard e di Henri Dubois. I conti citano quasi tutte le principali casate come i da Meda, i de Grassi, i da Gallarate, i Borron, i d’Alzate, i da Concorezzo, i Sala, i de Homate, ecc. Alcune casate trattavano sia lane borgognone che lane inglesi, come ad esempio i de Grassi, i Taverna, i Ruffini o i de Anono, ma la lana inglese era portata in Lombardia anche da mercanti fiamminghi o del Brabante38. Nel corso del secondo Trecento il traffico della lana sembra peraltro concentrarsi sempre più nelle mani di un numero abbastanza ristretto di operatori, in grado però di trattare delle quantità piuttosto importanti. Da quanto si può sapere, sembrerebbe che durante la seconda metà del Duecento anche il traffico dei panni « di Francia » fosse in gran parte controllato dai mercanti ambrosiani. Il ruolo dei Milanesi nel commercio dei panni « di Francia » sembra invece attenuarsi, pur restando importante, a cominciare già dai primissimi anni del xiv secolo. Questo tipo di merce era infatti presentato soprattutto dai Veneziani, che all’andata trasportavano in genere delle mercerie. Bisogna tuttavia rilevare che i dati di cui disponiamo si riferiscono ad un periodo in cui il volume del traffico dei panni era già piuttosto modesto e che i passaggi dei Veneziani sembrano peraltro essere stati alquanto irregolari39. Nel complesso la presenza dei Milanesi rimase molto importante almeno fino alla prima metà del Quattrocento. Accanto agli operatori che continuavano a far passare quasi esclusivamente della lana, i conti giornalieri del pedaggio di Villeneuve permettono di intravedere un gruppo abbastanza ristretto, ma piuttosto attivo, di Milanesi che frequentavano le fiere di Ginevra, ma che non esitavano a fare affari anche a Friborgo o altrove. Si tratta di mercanti che facevano parte di compagnie di medie o piccole dimensioni, ma che erano pur sempre in grado di realizzare affari di una certa importanza e che spesso avevano alle loro dipendenze anche alcuni fattori. La loro attività era tuttavia ben lungi dall’essere specializzata. All’andata presentavano soprattutto dei fustagni, delle mercerie, delle spezie e delle armi, e al ritorno dei panni per lo più di Friborgo, delle pelli o dei cuoi e talvolta un po’ di lana. Più che il tipo di merci o le quantità trasportate, ciò che li caratterizza maggiormente è la regolarità e la frequenza dei loro passaggi ai pedaggi vallesani40. In soli cinque anni, ad esempio, il milanese Arrisamino de Rot – forse originario di Rho – transitò da Villeneuve
38 Sull’identità dei mercanti che si presentavano al pedaggio si veda Fr. Morenzoni, « Le mouvement commercial », art. cit., p. 253-261. 39 I Veneziani sembrano aver utilizzato in modo abbastanza regolare gli itinerari vallesani soprattutto fra il 1319 e il 1322, il 1337 e il 1345 e, in misura ancora maggiore, fra il 1370 e il 1380. 40 I Milanesi giungevano a Villeneuve con una bulleta compilata a Saint-Maurice che indicava le quantità trasportate. Questo sistema era applicato unicamente ai mercanti che promettevano di vendere le loro merci durante le fiere di Ginevra e non altrove. I passaggi di questi mercanti erano annotati nei conti giornalieri del piccolo pedaggio di Villeneuve, di cui ci sono pervenuti solo sei esercizi. Fr. Borel ha pubblicato, non senza alcune imprecisioni, i passaggi dei conti che riguardano i mercanti italiani (Les
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ben 46 volte. Ma è certo che la via del Vallese era utilizzata anche da mercanti che si recavano alle fiere di Ginevra per concludere affari ma senza trasportare grandi quantità di merci. Nell’aprile del 1439 il milanese Ambrosio de Grassi e suo figlio Giovanni, che tornavano forse dalla fiera di Pasqua, vennero attaccati nei pressi di Sion da cinque individui, fra cui vi era pure un mercante di cavalli bernese, che li rapirono e li derubarono di 140 fiorini e soprattutto di lettere di cambio per un valore totale di 12 000 fiorini41. Assieme a quella di alcuni mercanti di Ivrea specializzati nell’esportazione del guado, è quindi la presenza dei Milanesi che ha permesso alla strada del Vallese di mantenere almeno in parte il suo carattere internazionale42. I conti del pedaggio di Saint-Maurice indicano però che al di là delle numerose e talvolta considerevoli fluttuazioni della congiuntura, l’importanza degli itinerari vallesani per il commercio internazionale incominciò a ridursi in modo notevole già nel corso della prima metà del Trecento. Se si considera il volume totale delle merci che sono transitate da Saint-Maurice fra il 1281 e il 1450, si nota infatti che ben il 40% è stato registrato fra il 1281 e il 1306 ; un’altro 40% fra il 1306 e il 1360 e durante i novant’anni seguenti solo il restante 20%43. Il fenomeno è lungi dall’essere specifico al Vallese, poiché i dati degli altri pedaggi delle Alpi occidentali mostrano delle tendenze analoghe44. Le cause del declino di una parte degli itinerari delle Alpi occidentali sono senza dubbio molteplici, ed è difficile stabilire qual’è stato il ruolo preciso di ognuna di esse. Accanto a fenomeni generali quali il modificarsi delle strutture del commercio inter-europeo o l’espansione dei trasporti marittimi e lo sviluppo di altri itinerari, numerosi altri fattori hanno sicuramente avuto una certa importanza, come ad esempio il deteriorarsi della situazione politico-militare non solo in Francia o nell’Italia settentrionale, ma nel Vallese stesso. Il conflitto fra la Savoia ed i patrioti dell’Alto Vallese portò ad esempio alla distruzione parziale di Sion nel novembre del 1352 e ad un clima di insicurezza generale che perturbò per alcuni anni i traffici. Gli itinerari vallesani furono inoltre penalizzati dai mutamenti che conobbero le regioni
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foires de Genève au xve siècle, Genève, 1892). Sulla presenza ed il ruolo dei Milanesi alle fiere di Ginevra si veda in particolare J.-Fr. Bergier, Genève et l’économie européenne de la Renaissance, Paris, 1963, passim. I documenti che riguardano questo episodio sono stati in parte pubblicati da Gremaud, Documents, no 2907-2909 e 2911. Gli altri si trovano a Sion, AEV, Saint Séverin, H 1/1-5c. Fra i maggiori mercanti di guado che passano dal pedaggio di Villeneuve figurano un certo Gugliemo de Bonino, che presenta più di 1 500 sacchi, e Luchino e suo nipote Guglielmo, che fanno passare quasi 850 sacchi in sei anni. Per un’analisi più approfondita dell’evoluzione della congiuntura a corto e a lungo termine e dei fattori che l’hanno, almeno in parte, determinata, rimandiamo all’articolo citato alla nota 31. Se verso la fine del Trecento, almeno da quanto si desume dal carteggio milanese Datini, la strada che passava per il valico del Moncenisio sembra fosse divenuta l’itinerario abituale per raggiungere Avignone, i dati del pedaggio di Montmélian pubblicati da M. Cl. Daviso di Charvensod (I pedaggi, op. cit., p. 210-215) non sembrano indicare un volume di merci in transito particolarmente importante. Sul declino del traffico dei panni di lana attraverso il Moncenisio si veda anche Th. Sclafert, « Comptes de péage de Montmélian de 1294 à 1585. Le passage des draps de France en Savoie et en Piémont. L’itinéraire des grandes voitures entre Lyon et Turin », Revue de géographie alpine, 21 (1933), p. 591-605.
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d’esportazione e d’importazione delle merci che più li utilizzavano. La scomparsa progressiva della lana dalla strada del Sempione è senza dubbio dovuta in parte ai cambiamenti avvenuti sul mercato della lana di Milano nel corso del secondo Trecento e del primo Quattrocento, mutamenti che sono stati evidenziati da Patrizia Mainoni grazie alle minute dei notai milanesi45, come pure alle difficoltà crescenti che sembrano caratterizzare la produzione di lana in Borgogna durante il medesimo periodo, a causa forse di alcune gravi epizootie come quella del 1406. Anche a Friborgo, più o meno negli stessi anni, l’industria tessile sembra aver già rimpiazzato in gran parte le lane di Borgogna con le lane che giungevano dalla Provenza46. Occorre però sottolineare che ogni tipo di merce ha conosciuto una propria congiuntura, e che quanto detto per la lana non può ad esempio essere utilizzato per spiegare l’evoluzione del traffico dei cavalli da guerra. Se le strutture ed il funzionamento del commercio dei cavalli nel Medioevo non hanno purtroppo ancora suscitato l’attenzione che meritano, è quasi certo che l’andamento dei passaggi di destrieri attraverso il Vallese è stato influenzato in modo notevole – anche se non esclusivo – dapprima dalle necessità militari delle armate del re di Francia alla vigilia e durante le campagne di Fiandra, ed in seguito dalle misure protezionistiche adottate dalla monarchia francese per intensificare l’allevamento dei cavalli all’interno del regno e dall’aumento delle importazioni di cavalli dalla penisola iberica cosí come, un po’ più tardi, dalla Germania47. Solo un’analisi dettagliata merce per merce permetterebbe quindi di spiegare in modo più esauriente le ragioni del declino della strada che passava per il Sempione. Ciò che è sicuro, è che nel corso del secondo Trecento la via del Vallese divenne per il commercio internazionale un itinerario che si può senz’altro definire come alternativo, da utilizzare cioè quando altri percorsi più rapidi e meno costosi non erano praticabili. È quanto fanno ad esempio i responsabili della filiale Datini di
45 P. Mainoni, « Il mercato della lana a Milano dal xiv al xv secolo. Prime indagini », Archivio Storico Lombardo, 110 (1984), p. 20-43. Anche la corrispondenza Datini indica chiaramente che la lana di San Matteo, salvo periodi particolari, era molto più concorrenziale che le lane di Borgogna. 46 Sul declino della produzione di lana in Borgogna si veda J. Richard, « La laine », art. cit., p. 338-339. Per Friborgo si veda N. Morard, « Une réussite éphémère : l’économie fribourgeoise aux xive et xve siècles », in R. Ruffieux (dir.), Histoire du canton de Fribourg, Fribourg, 1981, t. i, p. 272. 47 Sul commercio dei cavalli rimandiamo a A. M. e R. H. Bautier, « Contribution à l’histoire du cheval au Moyen Âge », Bulletin philologique et historique du comité des travaux historiques et scientifiques, année 1978, p. 9-75 ; B. Ribémont, Br. Prévot, Le cheval en France au Moyen Âge. Sa place dans le monde médiéval ; sa médecine : l’exemple d’un traité vétérinaire du xive siècle, la “Cirurgie des chevaux”, Orléans - Caen, 1994, (con ampia bibliografia). Philippe Contamine ha dedicato numerosi contributi al ruolo del cavallo nella società medievale, fra i quali ci limitiamo a segnalare « Le triomphe du cheval au Moyen Âge », L’Histoire, 186 (1995), p. 64-70. Sui cavalli da guerra in Inghilterra, ed in particolare gli acquisti di destrieri d’origine italiana da parte della monarchia inglese, lo studio di R. H. C. Davis, The medieval Warhorse, Londres, 1989, fornisce alcuni dati interessanti. Per le importazioni lombarde di cavalli dall’area germanica si veda G. Chiesi, « “Venire cum equis ad partes Lumbardiae”. Mercanti confederati alle fiere prealpine nella seconda metà del xv secolo », Revue suisse d’histoire, 44 (1994), p. 252-265.
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Milano per spedire le loro merci verso Avignone fra il 1396 ed il 1400, anni durante i quali la strada per Avigliana e Montmélian era spesso troppo poco sicura48. Se il calo del transito dapprima dei panni di lana, poi dei cavalli ed infine della lana ha provocato una diminuzione notevole del volume delle merci che circolavano sui percorsi vallesani, la strada ha tuttavia potuto mantenere un ruolo di una certa importanza per i traffici a carattere regionale ed interregionale. Sebbene in quantità abbastanza modeste ed alquanto variabili da un anno all’altro, i fustagni milanesi hanno continuato a transitare per il Vallese durante tutta la prima metà del Quattrocento. In quattro anni, dal febbraio del 1423 al febbraio del 1427, sono pur sempre passate dal pedaggio di Saint-Maurice circa 1 500 balle di fustagni, in gran parte destinati alle fiere di Ginevra, ma venduti anche direttamente nelle regioni limitrofe, come ad esempio a Vevey o a Friborgo. Analogo discorso andrebbe fatto per le aringhe, spesso portate in Piemonte attraverso il Gran San Bernardo, le falci o i panni di lana prodotti a Friborgo ed esportati verso Milano o Venezia, o le pelli crude ed i cuoi, oggetto di un commercio piuttosto complesso fra le fiere di Ginevra, la Borgogna, la Gruyère o Friborgo e la Lombardia49. Va inoltre notato che lo sviluppo dell’allevamento che si osserva negli anni che seguono la crisi demografica della metà del xiv secolo, permetterà al Vallese di intensificare le esportazioni di ovini e di bovini verso i centri urbani posti al Sud delle Alpi50, e di spedire verso Ginevra quantità non indifferenti di formaggio, mentre le pelli ed i cuoi erano di solito venduti sul posto a mercanti di Friborgo o direttamente ai mercanti milanesi che tornavano dalle fiere ginevrine51.
Le ripercussioni dei commerci nell’economia e nella società locale Per concludere, è forse opportuno accennare brevemente alle principali conseguenze che lo sviluppo dei traffici ebbe a livello regionale. Se la via del Vallese, come abbiano visto, ha avuto un ruolo rilevante per il commercio internazionale solo durante alcuni
48 L. Frangioni (éd.), Milano fine Trecento, op. cit., vol. 1, p. 126-129. Nell’agosto del 1396, il corrispondente di Datini scrive che spedisce le merci « per le montangne di Briga poich’altra uscita non c’è » (ivi, vol. 2, no 537). Sui costi superiori provocati dall’itinerario del Vallese : ivi, vol. 1, p. 169. 49 I mercanti milanesi si rifornivano in pelli e cuoi non solo alle fiere di Ginevra, ma anche, ad esempio, direttamente a Friborgo. Nell’agosto del 1434 Enrico de Multeno passa da Villeneuve con cinque fardelli di balzane comperate in questa città (ASTo, SR, Inv. 69, f. 31, m. 11). Nel 1428 il milanese Oddonino di San Giorgio ed Antonio de Bodianis comperano a Friborgo dei cuoi di vacca e di bue che pagano 283 fiorini (Ammann, MW, no 2656 ; altri acquisti di Milanesi : no 301, 302, 694, 4206, ecc.). Anche Giovanni da Pessano, mentre sta recandosi alle fiere di Ginevra, viene a sapere che le balzane di Friborgo si possono avere a buon prezzo e decide di recarsi in questa città per acquistarne (L. Frangioni (éd.), Milano fine Trecento, op. cit., vol. 2, p. 561). 50 Su questo aspetto si veda P. Dubuis, Une économie alpine à la fin du Moyen Âge. Orsières, l’Entremont et les régions voisines, 1250-1500, Sion, 1990, vol. 1, p. 269-277. 51 I cerdones friborghesi acquistavano abbastanza regolarmente la produzione di pelli ovine o caprine del Vallese e del Chiablese (Ammann, MW, no 290, 1436, 4168, ecc.). Ma anche i Milanesi si rifornivano in Vallese, come lo provano i conti della piccola partison di Sion del 1416-1417 (ABS, Tiroir 29, n. 20).
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decenni, l’incremento dei traffici ha senz’altro contribuito in maniera spesso determinante a modificare la fisionomia dell’intera regione, sia dal punto di vista politico che da quello economico e sociale. Almeno fino alla fine del Trecento la politica espansionistica dei Savoia in Vallese, alla quale il vescovo di Sion non fu sempre in grado di opporsi con efficacia, fu infatti dettata in gran parte dalla volontà dei conti di assicurarsi un più ampio controllo degli itinerari percorsi dai mercanti52. In seguito, a causa del declino dei traffici, il Vallese divenne per i Savoia una regione di scarso interesse, al punto che già verso la fine del xiv secolo il progetto di entrare in possesso dell’Alto Vallese venne abbandonato. Anche a livello economico le conseguenze sono state numerose. Sebbene il fenomeno non possa essere ricondotto unicamente all’aumento dei traffici ed al conseguente emergere di attività che dipendevano dai bisogni dei mercanti, l’uso della moneta per effettuare transazioni di ogni tipo – o per pagare i censi e i fitti e per retribuire il lavoro – diventò estremamente frequente nella regione già verso la fine del Duecento. L’abitudine di servirsi della moneta, dapprima soprattutto d’argento ma in seguito anche d’oro, si diffuse un po’ in tutti gli strati della popolazione, non solo di quella che viveva nei borghi o nelle piccole città del fondovalle, ma pure di quella che risiedeva nei villaggi delle valli laterali del Rodano, e che non aveva alcun legame diretto con il transito delle merci. È senz’altro il bisogno crescente di numerario e le difficoltà per procurarselo che spiegano l’arrivo dei prestatori di denaro – soprattutto d’origine piemontese – e la conseguente apertura di casane un po’ in tutto il Vallese savoiardo ed episcopale53. Il nuovo dinamismo economico che la regione conobbe nella seconda metà del Duecento è confermato dalla creazione di numerose fiere e dall’intensificarsi dell’attività di quelle che già esistevano54. La fiera che aveva luogo in agosto a Sion era frequentata sia dai mercanti della Lombardia che da quelli che giungevano da Ginevra o dalle regioni situate al di là del Giura. Da quanto si può desumere dalle poche fonti di cui si dispone, sembrerebbe che questo incontro annuale avesse una certa importanza per il commercio dei panni di lana grigi e bianchi. Non è chiaro se questi tessuti fossero interamente prodotti in Vallese oppure, come sembra più ragionevole supporre, se in parte fossero portati nella città vescovile anche da mercanti del Sud delle Alpi. È tuttavia certo che il volume degli scambi era relativamente importante, poichè fra il 1281 e il 1292 i mercanti che per tornare a casa dovevano passare da Saint-Maurice presentarono in tutto circa 190 000 metri di questo tipo di tessuto55. È probabile che altri mercanti seguissero altri itinerari, ma di questi non sappiamo nulla. 52 Sulla politica vallesana dei Savoia si veda V. van Berchem, « Guichard Tavel, évêque de Sion, 13421375. Étude sur le Vallais au xive siècle », Jarhbuch für Schweizerische Geschichte, 24 (1899), p. 29-397. 53 Sui prestatori di denaro in Vallese si veda P. Dubuis, « Lombards et paysans dans le vidomnat d’Ardon-Chamoson et dans la paroisse de Leytron de 1331 à 1340 », Vallesia, 32 (1977), p. 275-305; A. M. Patrone, Le casane astigiane in Savoia, Turin, 1959 e gli articoli dell’ultima sezione del presente volume. 54 Su tali fiere, si veda nel presente volume « Les marchés et les foires de Sion et de Saint-Maurice d’Agaune à la fin du Moyen Âge (xiiie-xve siècle) ». 55 Questi dati sono forniti dai conti del ricevitore del pedaggio di Saint-Maurice e del castellano di Évian (ASTo, SR, Inv. 69, f. 161, m. 1; ADS, AD 15247). I passaggi di panni di lana provenienti da Sion sono indicati fino al 1369, ma a partire dal 1334 le quantità registrate ogni anno diminuiscono in modo notevole.
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Anche le fiere di Saint-Maurice d’Agaune, almeno fino alla metà del Trecento, sembrano aver avuto una certa importanza per il commercio regionale dei panni di lana detti « di Francia ». I mercanti che trattavano questo tipo di merce erano per lo più vallesani o abitanti del Chiablese, ma alcuni venivano anche da Montbéliard e dalla Valsesia. Lo sviluppo delle attività commerciali nella regione è confermato anche dall’arrivo, nel corso del Duecento, dapprima di alcuni mercanti astigiani ed in seguito di numerosi mercanti originari della Lombardia, ed in particolare della regione del lago di Como, che si stabilirono a Sion. È in gran parte grazie a loro che le relazioni economiche fra l’alta valle del Rodano e il Nord dell’Italia furono piuttosto frequenti durante tutto il Trecento. Questi mercanti non si limitarono infatti a sviluppare le loro attività in Vallese. Grazie ai contatti che avevano mantenuto con i membri delle loro famiglie rimasti al Sud delle Alpi o con altri individui, formarono talvolta delle società dedite al commercio fra le due regioni. Nel 1343 Pagano di Monza e Comino di Milano, entrambi residenti a Sion, costituirono ad esempio una piccola società dotata di un capitale di 600 fiorini e della durata di un anno con i fratelli de Zutis residenti a Milano « per far commercio di panni o di qualsiasi altra cosa », dice il contratto56. Una ventina d’anni più tardi, a Loèche, un membro della famiglia dei Trecco costituí una società con numerose altre persone per comperare prodotti in ferro fabbricati a Milano57. Altri individui si recavano regolarmente in Lombardia per importare merci di ogni tipo e non mancano testimonianze sulla presenza a Sion di mercanti milanesi venuti a proporre i loro prodotti. Fra i Lombardi che si erano stabiliti nelle terre del vescovo, alcuni conobbero un’ascesa sociale abbastanza importante. Grazie alle loro conoscenze ed ai capitali di cui disponevano, riuscirono rapidamente ad assumere la gestione di numerosi pedaggi e di quasi tutte le soste, diventando nel medesimo tempo i principali creditori del vescovo, del capitolo cattedrale e del comune. Contrariamente alla maggior parte dei prestatori di denaro astigiani o piemontesi che erano partiti dal Vallese savoiardo non appena gli affari avevano conosciuto una brusca contrazione dovuta in parte al crollo demografico della metà del Trecento, i membri delle numerose famiglie originarie della Lombardia che avevano scelto il Vallese centrale rimasero nella regione, anche perché si erano ormai imparentati con le famiglie più agiate della borghesia di Sion o con la piccola e media nobiltà, e figuravano spesso fra i notabili più in vista della città. Benché limitato nel tempo, il ruolo internazionale svolto dalla strada del Vallese ebbe quindi un’influenza profonda, anche se difficile da valutare con precisione, sull’intera regione e la sua popolazione.
56 Gremaud, Documents, no 1858. 57 ACS, Minutario 26, p. 45.
Le mouvement commercial au péage de Saint-Maurice d’Agauneà la fin du Moyen Âge (1281-1450)
Conservés à l’Archivio di Stato de Turin, les comptes des péages perçus à SaintMaurice d’Agaune constituent, sans aucun doute, une source très précieuse pour l’étude des trafics transalpins à la fin du Moyen Âge. Les quatre-vingt-un rouleaux dans lesquels ont été consignés les résumés des recettes et des dépenses de cent cinquante-sept exercices comptables, permettent en effet d’observer le volume et l’évolution du mouvement commercial qui empruntait la route du Valais depuis 1281 jusqu’à 14501. La série des comptes est complète jusqu’en 1325. De 1325 à 1401, les relevés concernant une période totale d’environ sept ans et dix mois ne nous sont pas parvenus. Enfin, de 1401 à 1450, les comptes font défaut pour à peu près treize ans, avec notamment une importante lacune entre 1444 et 1449. Les données statistiques du péage de Saint-Maurice ont déjà été publiées en 1961 par Maria Clotilde Daviso di Charvensod, dans un ouvrage dont l’importance n’est plus à souligner2. Nous avons néanmoins estimé que l’étude de cette source méritait d’être poursuivie, principalement pour trois raisons. Tout d’abord, parce que les relevés qui concernent les années 1281-1287, 1326-1330, 1358-1360, et ceux qui couvrent la première moitié du xve siècle, n’ont pas été publiés. Ensuite, parce que nous pensons qu’au-delà de tout traitement statistique, il n’est sans doute pas inutile de mettre à disposition des chercheurs également les données brutes telles qu’on les trouve dans les comptes3. Enfin, parce que ces derniers fournissent des renseignements que M. Cl. Daviso di Charvensod, dans le cadre de son travail, était dans l’impossibilité d’exploiter, comme par exemple les noms de plusieurs centaines de marchands ainsi que les quantités et le type de marchandise qu’ils ont fait passer.
1 ASTo, SR, Inv. 69, f. 161, m. 1-3. Les quatre exercices qui couvrent la période qui va du 27 juin 1357 au 28 février 1361 se trouvent dans les comptes du châtelain de Saint-Maurice (ASTo, SR, Inv. 69, f. 141, m. 1). Le premier compte (10.1.1281-15.12.1281) a été publié par A. Chiaudano, La finanza sabauda nel secolo xiii nei conti della corte di Filippo, conte di Savoia e di Borgogna, Turin, 1934, p. 340-342. 2 M. Cl. Daviso di Charvensod, I Pedaggi delle Alpi occidentali nel Medio Evo, Turin, 1961, p. 157-163. 3 Cf. Infra, Annexe 2.
Sur les routes des Alpes : Religieux, marchands et animaux dans la Suisse occidentale (xiiie-xve siècles), Franco Morenzoni, Turnhout, 2019 (Culture et société médiévales, 36), p. 217-277 © FHG10.1484/M.CSM-EB.5.117890
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Les différents péages et leurs propriétaires Les marchands qui arrivaient à Saint-Maurice étaient dans l’obligation d’acquitter différents péages, qui variaient en fonction des marchandises qu’ils transportaient et de la destination de celles-ci. Propriété du comte de Savoie depuis une époque qu’il n’est pas possible de préciser4, le grand péage pesait sur la presque totalité des produits, à l’exception du sel, des balles dites « de mercerie » jusqu’en 1310, et des animaux autres que les destriers. Le comte possédait également le « pedagium camini », institué à une date que les documents ne permettent pas de déterminer5 et dont les revenus étaient entièrement affectés à l’entretien de la route entre Bex et Martigny6. Comme nous le verrons, le « pedagium camini » frappait toutes les marchandises et tous les animaux sans exception. À Saint-Maurice étaient en outre perçus deux autres péages : celui dit de « Fuciniaco » et celui appelé « des quatre évêchés ». Les deux, à la fin du xiiie siècle, appartenaient à des familles de la petite noblesse locale ou à des bourgeois de Saint-Maurice. À notre connaissance, le péage du Faucigny est mentionné pour la première fois en 1257-1258 dans les comptes du châtelain de Chillon, qui précise, en 1260-1262, que Maurice Bochi a le droit de percevoir le dixième denier7. En novembre 1286, les arbitres chargés de régler le différend existant entre les héritiers de Maurice Bochi décidèrent d’attribuer à son fils Aymon les droits concernant le péage8. Cependant, l’essentiel des droits du péage du Faucigny appartenait, selon toute vraisemblance, à la famille des de Columberio. En effet, en 1288, Alisia, veuve de Pierre de Columberio, concéda à Perretus Quarterii une rente annuelle de 50 sous mauriçois à percevoir sur la part du péage qu’elle détenait9. En 1303, poussé par les dettes, Humbert de Columberio,
4 En 1262, Rodolphe, comte de Genève, reconnaît tenir en fief le péage de Boniface de Savoie (Gremaud, Documents, no 686). Les comptes de la châtellenie de Saint-Maurice de 1277-1278 indiquent qu’à cette époque le péager dépendait déjà directement du comte de Savoie (ASTo, SR, Inv. 69, f. 89, m. 1). 5 Le premier exercice concernant ce péage est celui qui va du 1er avril 1283 au 11 juillet 1283 (ASTo, SR, Inv. 69, f. 161, m. 1, édité par A. Chiaudano, La finanza, op. cit., p. 359-360). Selon M. Cl. Daviso di Charvensod, le péage aurait été institué entre 1276 et 1282. Cette hypothèse repose sur un document de 1276 dans lequel Philippe ier de Savoie accorde aux marchands milanais une réduction sur le « surepesio » des balles de laine et de draps « français » (publié par M. Cl. Daviso di Charvensod, I pedaggi, op. cit., p.j. no 9). Malgré ce qu’écrit son éditeur, ce document ne semble pas concerner Saint-Maurice, mais uniquement le péage de Chillon-Villeneuve. D’une part, parce qu’à Saint-Maurice le « surepesio » n’était pas perçu, et d’autre part parce que les tarifs sont exprimés dans le traité en viennois, qui est la monnaie la plus utilisée dans le tarif de Villeneuve, mais qui n’apparaît jamais dans celui de Saint-Maurice. 6 M. Cl. Daviso di Charvensod, « La route du Valais au xive siècle », Revue Suisse d’Histoire, 1 (1951), p. 545-561. 7 ASTo, SR, Inv. 69, f. 5, r. 1 et 2. En 1276, Maurice Bochi est syndic de Saint-Maurice (cf. Gremaud, Documents, no 839). 8 AASM, Minutarium maius, no 886. 9 Ibid., no 803. Dorénavant, sauf indication contraire, les prix seront exprimés en monnaie mauriçoise. Sans entrer dans les détails, on peut remarquer qu’en 1294 le florin d’or vaut 5 s. 7 d. mauriçois. En 1308, le florin est changé au taux de 7 s. mauriçois, et atteint en 1324 les 7 s. 7 d. Dans les années suivantes, le florin oscille autour des 7 s., et en 1351 les comptes signalent que le comte de Savoie a accepté de fixer le taux à 7 s. mauriçois pour un florin.
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le fils de Pierre, se vit dans l’obligation de vendre au comte de Savoie pour 100 livres une rente annuelle de 10 livres garantie par le péage. L’ensemble des droits de péage détenus par Humbert était estimé, à cette époque, à 240 livres10. C’est justement à ce prix que le 4 septembre de l’année suivante le comte de Savoie acheta l’ensemble des droits possédés par Humbert, droits qui concernaient également la moitié du péage dit « des quatre évêchés11 ». Deux mois plus tard, le 2 novembre 1304, Amédée V de Savoie, par l’intermédiaire de Barthélemy Vichardi, le péager de Saint-Maurice, racheta pour 25 livres également les droits qui étaient encore en possession d’Aymon Bochi12. Le péage dit « des quatre évêchés » est cité déjà en 1244, date à laquelle il appartenait, du moins en partie, à Guillaume Quarterii, qui l’avait hérité de son père Pierre13. Le fils de Guillaume, Pierre, avec l’accord de ses enfants François et Jaquet, avait vendu une partie de ses droits en 1288 au donzel Pierre de Bacio (de Bex), qui venait d’épouser sa fille. La partie détenue par Pierre de Bacio était estimée, à cette date, au moins à 44 livres, somme qui correspond au montant de la dot de sa femme Jaquette garanti par les droits de péage14. Dès 1307, les comptes laissent apparaître la volonté de l’administration comtale d’entrer en possession de la totalité des péages perçus à Saint-Maurice. En 1307, on ordonna en effet au péager d’obliger les Quarterii à produire les titres confirmant leurs droits sur le péage, ce que ces derniers refusaient de faire encore en 131015. L’année suivante, cependant, le comte réussit à acquérir le quart du péage détenu par les deux frères Quarterii et Hugonetus Franqueti, la personne qui était chargée d’entreposer les balles dans la « souste », pour le prix de 24 livres et 15 sous16. Enfin, en 1318, le comte acheta, pour la somme de 20 livres, le dernier quart du péage « des quatre évêchés » encore en possession de François, fils de feu Pierre de Bacio17. On aura remarqué, au passage, que le prix supposé des différentes fractions des péages n’a cessé de diminuer : en trente ans, les droits de péage possédés par les de Bacio ont ainsi perdu plus de la moitié de leur valeur. À la fin de la deuxième décennie du xive siècle, la politique systématique d’acquisition des droits de péage a donc permis au comte de Savoie de posséder l’intégralité des redevances perçues à Saint-Maurice. Seuls le grand et le petit poids, ainsi que la partison des balles, restaient – et resteront – dans les mains de la commune de SaintMaurice18. Si l’on peut s’interroger sur le bien-fondé de cette politique qui, comme 10 Gremaud, Documents, no 1188. Un tiers du péage sert en effet de gage pour la dot de 80 livres de sa femme. 11 AASM, Minutarium maius no 1345 et, avec quelques imprécisions, Gremaud, Documents, no 1213. Le comte, bien entendu, ne verse que 140 livres. 80 livres sont payées par le péager de Villeneuve, le reste par le châtelain de Saint-Maurice. 12 AASM, Minutarium maius, no 1344. 13 Gremaud, Documents, no 478, acte rédigé entre le 17 octobre 1244 et le 10 janvier 1245. 14 Ibid., no 977. 15 ASTo, SR, Inv. 69, f. 161, m. 1, r. 4. 16 ASTo, SR, Inv. 69, f. 161, m. 1, r. 4. 17 ASTo, SR, Inv. 69, f. 161, m. 1, r. 5. 18 La « souste » de Saint-Maurice est citée pour la première fois en 1272 (Gremaud, Documents, no 789). En 1277-1278, elle appartient déjà au comte (ASTo, SR, Inv. 69, f. 89, m. 1).
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nous le verrons, déploya tous ses effets à un moment où le rendement des péages avait déjà amorcé sa courbe descendante, il n’en reste pas moins que c’est grâce à elle qu’à partir de 1320 la gestion des péages put être, du moins en partie, rationalisée.
Les tarifs et leur évolution Jusqu’en 1320, les tarifs du grand péage et du « pedagium camini » n’ont pas subi de modifications notables. Les seuls changements d’une certaine importance concernent en effet les draps19 « de France » et les balles de « mercerie ». Les premiers sont en effet taxés par balle jusqu’en mars 1294, et par la suite par draps effectivement contenus dans chaque balle20. Quant aux balles de « mercerie », elles ne sont taxées qu’à partir de janvier 1310. On peut donc résumer les tarifs de la manière suivante21 : Tableau 1. Tarif du grand péage de 1281 à 1320
Draps de France et de Lombardie – dès 1294 Laine, peaux, futaines, cire, toiles et épices Fer, acier, étain, poissons, harengs22 Faux Grands chevaux « Mercerie » (draps d’or, livres, etc.) Entreposage dans la « souste »23
par balle par drap par balle par balle la centaine chacun par balle (dès 1310) par balle
16 d. 2 d. 12 d. 4 d. 36 d. 60 d. 24 d. ½ d.
Tableau 2. Tarif du « pedagium camini » de 1281 à 1320
Cheval qui paye le grand péage Cheval non du comté de Savoie ou d’en-deçà du Jura Cheval chargé ou à vendre (exceptés ceux de Saint-Maurice) Âne chargé ou à vendre, vache ou bœuf Petite bête à vendre Balle de n’importe quelle marchandise Char ou fardeau
2 d. 1 d. 1 d. ½ d. ¼ d. 1 d. selon quantité
19 Les premiers exercices comptables rangent dans la même rubrique les « panni Francie et Lombardie ». Par la suite, cependant, ne seront plus cités que les draps « français ». 20 « Item iniunctum est [pedagiatori] quod inquirat a mercatoribus per juramentum quot panni erant in qualibet balla vel quolibet trossello, et quod levet de quolibet panno ii den. » (ASTo, SR, Inv. 69, f. 161, m. 1, r. 2). 21 Le comte prélève aussi un péage de ¾ de denier sur chaque douzaine d’aunes de draps exportés depuis la foire de Sion qui se tenait au mois d’août. 22 Un millier de poissons ou d’harengs est considéré comme une balle. 23 Les balles de poissons, d’harengs et de peaux ne pouvaient être entreposées dans la « domus ballarum » à cause de leur odeur.
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D’après l’acte de vente de 1304, le péage du Faucigny consistait uniquement en une taxe de 2 deniers frappant chaque balle de draps ou de laine. Il est possible, cependant, que le même tarif était appliqué aux balles de « mercerie » et de futaines, car entre 1305 et 1318 les comptes du péage enregistrent à chaque exercice un certain nombre de balles de « mercerie » et de futaines taxées à ce tarif. Quant au péage dit « des quatre évêchés », l’acte de 1304 affirme qu’il était perçu sur toutes les balles, à l’exception de celles de laine ou de draps, à raison d’un denier par balle et d’un quart de denier par trousseau. Avant 1312, cependant, la redevance semble avoir été augmentée, parce que le compte de cette année indique qu’elle est de 2 deniers. De plus, 2 deniers étaient perçus sur les balles de futaines, de « mercerie » et de « pecolerie » vendues dans les territoires des évêchés d’Aoste, Genève, Lausanne et Sion24. Enfin, d’après le tarif de 1312, le péage frappait tous les animaux achetés à l’intérieur des quatre diocèses25. Après l’achat de la totalité des droits de péage perçus à Saint-Maurice, l’administration comtale fut enfin à même de simplifier quelque peu la perception des redevances, tout en relevant ici ou là quelques tarifs. En fait, à partir de 1320, les péages furent réduits à deux, même si dans les comptes on continua de se servir de leurs anciens noms. Tableau 3. Tarif du grand péage après 1320
Draps de France Laine, futaines, cire, toiles et épices27 Peaux Poissons, harengs Fer, acier, étain Faux Grands chevaux « Mercerie » (draps d’or, livres, etc.)
chaque balle + chaque drap26 par balle par balle par millier par balle la centaine chacun par balle
4 d. 2 d. 15 ¾ d. 15 d. 6,5 d. 8 d. 36 d. 62 d. 24 d.
Tableau 4. Tarif du « pedagium camini » après 1320
Cheval acheté hors de la ville de Saint-Maurice et vendu dans les quatre évêchés Cheval acheté à Saint-Maurice et vendu en dehors du Chablais Cheval acheté à Saint-Maurice et vendu dans le Chablais Cheval de bât Âne chargé Petits animaux (porcs, chèvres, etc.) Homme chargé « ad collum »
5 d. 4 d. 1 d. 1 d. ½ d. ½ d. ½ d.
24 Celles-ci étaient, bien entendu, exemptées du péage du Faucigny. 25 4 d. pour les chevaux, 1 d. les six agneaux, ½ d. les ânes, les vaches et les boeufs, ¼ de denier les brebis, les chèvres, les porcs ainsi que les fardeaux « ad collum ». 26 Jusqu’en 1337 sont comptabilisés les draps effectivement contenus dans chaque balle, après cette date chaque balle est taxée comme si elle contenait 12 draps. 27 Dès 1352 sont cités aussi des draps gris d’Allemagne.
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À première vue, on pourrait penser que l’administration comtale a décidé la réforme de 1320 pour augmenter presque tous les tarifs. En fait, seules quelques marchandises ont connu une véritable augmentation de leur péage. Les nouveaux tarifs incluent, en effet, certaines redevances qui étaient auparavant perçues au « pedagium camini » et à celui du Faucigny. Ainsi, par exemple, si le péage des laines, futaines, toiles, etc. passe de 12 deniers à 15 et ¾, c’est uniquement parce que ce dernier tarif comprend également le denier payé par toutes les balles au « pedagium camini », les 2 deniers du péage du Faucigny, ainsi que l’obole perçue sur toute balle entreposée dans la « souste28 ». L’augmentation n’est en réalité que d’un seul quart de denier, destiné à couvrir les frais d’entretien de la « domus ballarum29 ». Les seules augmentions réelles ne concernent que les balles de fer et de poissons, alors que la taxation des draps « français », des balles de « mercerie » et de faux connaît même, de facto, une diminution. On notera aussi que les balles de draps sont grevées d’une taxe relativement peu élevée, leur valeur étant sans aucun doute nettement supérieure à celle, par exemple, des balles de laine ou de peaux. Les tarifs réaménagés en 1320 connaîtront par la suite une remarquable stabilité, puisqu’ils resteront les mêmes au moins jusqu’en 1450.
L’organisation du péage et son rendement La perception des taxes exigeait un personnel très peu nombreux. Le bon fonctionnement du péage reposait entièrement sur le péager, qui était personnellement responsable des éventuels dommages provoqués par sa mauvaise gestion. Nommé directement par le comte, il recevait un salaire annuel de 2 livres jusqu’en 1320, et de 5 livres par la suite. Dans sa tâche, il était aidé par un scriptor chargé d’enregistrer jour après jour tous les passages de marchandise. Le salaire de ce dernier était de 50 sous en 1328, mais par la suite il sera ramené à 30 sous. Pour entreposer les balles dans la « souste », le péager rémunérait au pourcentage un ou deux hommes. Mais à partir de la première moitié du xive siècle, ces derniers choisirent de se faire payer directement par les marchands. Malgré un salaire relativement peu élevé30, la charge de péager était sans doute attrayante, puisqu’au moins une famille n’a pas hésité à l’occuper à plusieurs reprises : Barthélemy Vichardi de 1291 à 1310 et de 1312 à 1314 ; son fils Perrodus de 1314 à 1320 ; Jacques de 1327 à 1347, et Guillaume de 1347 à 1357 et de 1361 à 1362. Tout comme le Lombard Louis Hyppolite, péager de 1310 à 1312 et de 1320 à 1325, les Vichardi étaient des membres influents de la commune de Saint-Maurice. Mais à partir de la deuxième moitié du xive siècle, on a l’impression que la charge commença à être de plus en plus confiée à des individus qui faisaient déjà partie du 28 N’étant pas entreposées dans la « souste », les balles de peaux ne payent que 15 deniers. 29 Cette « pogesia » d’augmentation n’est introduite qu’à partir de l’exercice qui commence le 18 juin 1320. 30 À titre de comparaison, on peut indiquer que les manoeuvres engagés pour remettre en état la route étaient payés, pendant la première moitié du xive siècle, 4 deniers par jour, et les charpentiers 7 ou 8 deniers (cf. M. Cl. Daviso di Charvensod, « La route », art. cit., p. 553).
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personnel plus ou moins fixe de l’administration comtale, ou qui souhaitaient le devenir. C’est le cas, par exemple, de Mermerius de Revorea, péager de 1357 à 1361, et qui auparavant avait été châtelain de Saxon ; il sera de nouveau châtelain, cette fois de Saint-Maurice, entre 1357 et 1361. Ou encore de Jean Patrici, membre d’une famille originaire de Chieri mais établie aussi à Chambéry, qui est péager de 1362 à 1370 et de 1376 à 1389, et qui occupera également la fonction de châtelain de Saint-Maurice entre 1365 et 1368, et de nouveau entre 1384 et 139231. Au xve siècle, la charge de péager sera d’ailleurs presque toujours assumée par le châtelain de Saint-Maurice. Si les frais pour le personnel étaient, comme on vient de le voir, plutôt modestes, la remise en état de la route et des ponts en grande partie financée par le « pedagium camini » et l’entretien de la « souste » relativement peu coûteux, la protection garantie aux marchands par le comte entraînait des dépenses ou des manques à gagner qu’il est impossible de chiffrer avec précision. Lorsque, pour une raison ou une autre, les chars ne pouvaient pas être utilisés, les marchandises étaient en effet transportées par des hommes engagés et rémunérés par le péager. De même, si le mauvais état de la route entraînait des attentes inhabituelles, les marchands étaient parfois exemptés du payement du péage32. Quant aux frais provoqués par la protection assurée par le comte, ils étaient assumés aussi bien par le péager que par les châtelains. Ces derniers étaient en effet chargés de rechercher et punir les voleurs et les brigands, alors que le péager remboursait parfois les dommages subis par les marchands33. Les comptes des châtellenies valaisannes ont gardé la trace des dépenses engagées pour poursuivre et, le cas échéant punir, les voleurs qui avaient détroussé des marchands. En 1304-1305, le châtelain de Saint-Maurice énumère ainsi les frais qu’il a dû supporter pour faire venir depuis Thonon le bourreau qui a pendu un voleur de Villeneuve qualifié de « malefactor Domini et forefactor in itinere regale ». En 1315-1316, il signale qu’il a dû dépenser 35 sous et 10 deniers pour payer 16 personnes qui ont poursuivi un individu qui avait volé deux draps « de France » et qui fut capturé à Abondance. Le même exercice indique en outre une dépense de 38 sous et 10 deniers pour 16 autres personnes lancées à la poursuite d’un voleur qui s’était approprié, dans la « souste », également de deux draps. Les recherches n’aboutirent cependant pas34. En 1324-1325, le châtelain de Saxon signale à son tour qu’il a dû engager pendant cinq jour trois personnes chargées de surveiller
31 D’ailleurs, Guillaume Vichardi sera également châtelain de Saint-Maurice pendant quelques mois en 1361. 32 Ainsi, par exemple, le compte qui va du 20 octobre 1334 au 7 février 1336 indique les dépenses pour payer vingt-quatre hommes qui ont dû être engagés pour faire passer les balles de Martin de Montebrieto et de Francisquinus Borron, bloquées par les inondations du Rhône. Celui de 1341-1342, l’exemption du péage accordée aux 31 balles de laine de Clericus de Cremona « qui per plures dies stetit quia non potuit transire dictas ballas per pontem de Ridda qui per gentes castellanie Saillionis fuerat dilaceratus » (ASTo, SR, Inv. 69, f. 161, m. 1, r. 13; voir aussi M. Cl. Daviso di Charvensod, « La route », art. cit., p. 551, n. 17). 33 Ainsi, par exemple, en 1324 Bertrammonus de Montebrieto, procureur de Dominicus Asinerii, Lombard établi à Salins, fait passer 56 balles sans payer le péage parce que le comte lui doit 300 florins suite à une composition intervenue après le vol d’un nombre non précisé de balles de laine à Martigny « sub conductu Domini » (ASTo, SR, Inv. 69, f. 161, m. 1, r. 7). 34 ASTo, SR, Inv. 69, f. 161, m. 1.
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l’église d’Orsières dans laquelle s’était réfugié Henriodus Gay, accusé d’avoir volé une balle de draps à Martigny. Une fois sorti, et avant d’être pendu, le voleur dénonça son complice, lequel fut recherché par trois hommes dans le Val d’Aoste. L’exercice suivant indique qu’il fallut de nouveau surveiller pendant vingt-et-un jours l’église d’Orsières parce que la femme d’Henriodus s’y était à son tour réfugiée, avant de réussir à s’enfuir. La majeure partie du butin fut cependant retrouvée35. Sans multiplier inutilement les exemples, on peut remarquer que les châtelains semblent avoir pris très au sérieux leur devoir de protection vis-à-vis des marchands, ce qui explique sans doute le nombre somme toute peu important de vols signalé par les sources36. Compte tenu de la structure tarifaire, le rendement du péage dépendait non seulement du volume du trafic qui passait par Saint-Maurice, mais également de la nature des marchandises qui étaient taxées. Le passage d’un grand nombre de chevaux était bien entendu beaucoup plus rentable pour les finances comtales que celui, par exemple, de quelques centaines de balles de harengs. D’une manière générale, on peut néanmoins affirmer que la courbe des recettes brutes suit assez fidèlement celle du volume total des balles, dont nous traiterons plus loin. Sans entrer dans les détails, on observe en effet, au fil des ans, une détérioration du rendement du grand péage qui va de pair avec la diminution du trafic qui passe par Saint-Maurice. Ainsi, par exemple, si pendant les dix premières années les recettes brutes s’élèvent en moyenne à environ 230 livres par an, elles se situent autour de 100 livres entre 1341 et 1351, et tombent à moins de 30 livres pendant la première décennie du xve siècle. Quant au bénéfice net que le comte pouvait tirer du péage, c’est là un aspect qu’il nous paraît difficile d’aborder correctement, même sous la forme d’une estimation approximative37.
Les variations saisonnières du trafic Bien que les registres dans lesquels était inscrit jour après jour le nombre des balles qui transitaient par Saint-Maurice ne nous soient pas parvenus, la durée très inégale des exercices comptables qui couvrent la période allant de 1281 à 1292 permet de formuler quelques observations concernant le rythme saisonnier des passages de marchandise. Ainsi, par exemple, les cinq comptes que nous possédons pour l’année qui va du 19 avril 1283 au 24 avril 1284 montrent que la moyenne journalière des balles pouvait varier considérablement d’une saison à l’autre. Face à une moyenne calculée sur les douze mois de 11,42 balles par jour38, on trouve en effet une moyenne de 9,65 balles entre la mi-avril et la mi-juillet, une montée spectaculaire de la moyenne entre juillet et
35 ASTo, SR, Inv. 69, f. 121, m. 1. 36 Les comptes des châtellenies valaisannes ne nous font connaître qu’une petite vingtaine de vols. Les coupables sont toujours punis par la pendaison. On peut également noter que les tentatives découvertes de se soustraire au payement du péage sont très rares, et ne concernent jamais le grand péage. 37 Pour avancer une quelconque estimation des bénéfices, il faudrait d’ailleurs tenir compte des retombées économiques que la présence du péage avait pour la commune de Saint-Maurice et les régions avoisinantes, retombées qui, de manière indirecte, profitaient également aux finances comtales. 38 La moyenne ne prend pas en considération les chevaux.
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novembre (17,45), une chute brutale en novembre et pendant la première quinzaine de décembre (7,65), qui s’amplifie encore entre le 14 décembre et le 4 janvier 1284 (5,45), et, enfin, une reprise qui se dessine à partir de janvier jusqu’à la fin du mois d’avril (8,80). En réalité, le mouvement général est ici très influencé par les variations que connaît le transit des balles de draps « français », qui représentent à elles seules le 52% du total des balles. Si l’on compare les draps et la laine, on constate en effet que le rythme saisonnier des deux marchandises n’est pas tout à fait identique. Alors qu’entre avril et la mi-juillet de 1283 ne passent qu’à peu près trois balles de draps par jour, la moyenne monte à 10,81 entre juillet et début novembre, pour ensuite redescendre, pendant les six mois qui suivent, à plus ou moins 4 balles. La moyenne journalière de la laine reste en revanche presque constante depuis avril jusqu’à début novembre, puisqu’elle passe de 6,15 à 6,42, descend ensuite à 3,73 entre novembre et la mi-décembre, tombe à moins d’une balle et demie dans les vingt jours qui suivent et remonte enfin à un peu plus de 3 balles entre janvier et avril 1284. On pourrait, à première vue, penser que le mouvement que nous venons de reconstituer est, somme toute, assez logique : une circulation intense pendant la belle saison et un ralentissement du trafic plus ou moins important pendant l’hiver. Cette impression est d’ailleurs renforcée par l’exercice qui va du 16 décembre 1281 au 12 mars 1282, ainsi que par celui qui va du 9 février au 19 mars 1291. Dans le premier cas, alors que pendant les 340 jours précédents la moyenne était de 7,48 balles, elle descend à 4,74. Dans le deuxième, la chute est encore plus forte, puisque la moyenne passe de 12,06 entre mars 1290 et février 1291, à 5,69, pour ensuite remonter à 20 balles par jour du 20 mars 1291 au 2 janvier 1292. S’il est sans aucun doute vrai que les rigueurs de l’hiver ont pu influencer le rythme du passage des marchandises, il nous semble néanmoins que l’importance des facteurs météorologiques ne doit pas être surestimée. En fait, la route du Valais pouvait en général être utilisée sans solution de continuité tout au long de l’année. L’exercice qui va du 22 décembre 1285 au 19 janvier 1286 montre même que la circulation des marchandises pouvait être très soutenue aussi en plein hiver et pendant une période, de plus, marquée par une des principales fêtes religieuses. Les comptes du péage indiquent, en effet, que pendant ces vingt-neuf jours ont transité par Saint-Maurice, en moyenne, 21,5 balles par jour, moyenne qui est supérieure aussi bien à celle de l’exercice précédent qu’à celle de l’exercice suivant39. Il est d’autre part probable que le passage par le Valais était moins difficile pendant l’hiver que pendant la période du dégel. Les comptes mentionnent assez souvent des perturbations du trafic dues aux inondations ou à la destruction des ponts, alors que les difficultés provoquées par la neige sont plus rarement évoquées. Le fait qu’on signale ces difficultés, montre par ailleurs que même à cette période de l’année la circulation des marchandises ne s’interrompait pas. Le rythme saisonnier du trafic pouvait en réalité varier d’une manière très considérable d’une année à l’autre. Les facteurs dont il est la résultante sont en effet très nombreux, à tel point qu’il est presque impossible de les énumérer dans leur totalité et encore plus d’établir, ne serait-ce que par approximation, leur influence 39 Moyenne du 19.12.1284 au 21.12.1285: 9,30. Moyenne du 20.1.1286 au 21.8.1286: 18,72.
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respective. N’importe quel accident météorologique à n’importe quel endroit des parcours empruntés par les marchands pouvait en effet entraîner un retard de quelques jours ou de plusieurs semaines dans le passage des marchandises à Saint-Maurice. En outre, sans même faire référence aux multiples facteurs de nature politique, militaire, économique, etc., dont le rôle pouvait être très considérable, il faut au moins souligner que chaque type de marchandise avait son propre calendrier, que ce soit du point de vue de la production ou de celui de la commercialisation. Ainsi, par exemple, il est sans doute vraisemblable que le rythme des passages de draps « français » était, au moins partiellement, influencé par les dates des grandes foires internationales fréquentées par les marchands. Mais encore faudrait-il savoir jusqu’à quand cette influence se fait sentir, tenir compte de l’importance des balles de draps par rapport à l’ensemble des balles de marchandises d’autre nature, de la situation à ce moment précis des marchés d’achat et de vente, etc. Même discours pour la laine, dont le rythme de passage en Valais était sans doute aussi bien influencé par la date de la tonte des moutons, par exemple en Angleterre ou en Bourgogne, et donc par les conditions climatiques de l’hiver dans ces régions, que par les plus ou moins grandes difficultés de navigation sur la Manche. Bref, il nous semble que même en disposant de données plus détaillées que celles offertes par les comptes de Saint-Maurice – permettant notamment d’observer de plus près les variations saisonnières – leur interprétation ne pourrait aboutir qu’à une série d’hypothèses difficilement vérifiables40.
Le volume global du trafic de 1281 à 1450 Pendant les cent cinquante ans couverts par les exercices qui nous sont parvenus, les receveurs du grand péage de Saint-Maurice ont enregistré le passage d’environ 290 360 balles de marchandises diverses, y compris 15 547 chevaux destinés à la vente. En réalité, le volume des trafics a certainement été supérieur à ce chiffre. Pour être tout à fait précis, il faudrait en effet prendre en compte aussi les fractions de balle que les péagers ont parfois enregistrées dans une rubrique à part41. Ainsi, par exemple, on peut estimer qu’au total, de janvier 1281 à février 1298, environ 110 balles de draps « de France » et 132 de laine ont transité sous forme de pièces isolées42. Entre 1339
40 Dans cette perspective, le choix de V. Chomel et J. Ebersolt d’appliquer aux moyennes journalières du péage des Clées un coefficient de pondération calculé à partir de l’exercice, même détaillé, d’une seule année nous paraît très discutable, d’autant plus que l’exercice pris en considération ne signale le transit d’aucune balle pour le mois de janvier, ce qui semble tout de même assez exceptionnel. Il est dès lors assez risqué d’affirmer de manière aussi péremptoire que le « rythme des passages était fortement influencé par la saison » (Cinq siècles de circulation internationale vue de Jougne, Paris, 1951, p. 200). 41 Cette rubrique existe dans les premiers exercices pour toutes les marchandises. Dès le xive siècle, elle disparaît pour des marchandises comme les draps « de France » ou, un peu plus tard, la laine. 42 Le chiffre de 110 balles a été obtenu à partir des sommes payées pour ces fractions de balle taxées, proportionnellement, au même tarif que les balles entières.
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et 1427, les comptes signalent également 1 862 draps « de Francia extra ballas », dont une partie était destinée à la foire de Saint-Maurice, et qui étaient taxés au tarif usuel. En outre, nous avons déjà eu l’occasion de constater que certains convois, pour une raison ou une autre, étaient parfois exemptés du péage. Comme on l’a vu, en 1324-1325 le procureur de Dominicus Asinarii a pu faire transiter 56 balles de laine gratuitement ; en 1341-4132, ce sont 31 balles de laine appartenant à Clericus de Cremona qui ne sont pas soumises au payement du péage, et en 1349-1350 les comptes précisent qu’un certain Hyppolite, qualifié de chancelier des seigneurs de Milan, a obtenu du comte l’exemption du péage pour vingt balles de laine par an pendant trois ans. De plus, d’une manière régulière entre 1281 et 1354 et, par la suite, jusqu’en 1372, de façon plus sporadique, les comptes ont enregistré aussi le passage des draps « gris » qui provenaient de la foire qui se tenait à Sion pendant le mois d’août. Il s’agit d’un trafic relativement important, puisque pendant ces années ont transité plus de 400 000 aunes de tissu. Enfin, à partir de 1382, les receveurs signalent également les « panni grossi Alamagnie », dont une partie au moins provenait sans doute de Fribourg. Au total, jusqu’à la dernière mention qui date de 1425, les comptes enregistrent la taxation de 6 337 draps de cette qualité. On peut donc estimer, selon toute vraisemblance, à environ 300 000 le nombre effectif des balles qui ont transité par le péage pendant la période couverte par les exercices qui nous sont parvenus43. Le chiffre du volume total du trafic n’a cependant qu’un intérêt réduit. Plus importante est, en revanche, la manière dont évolue dans le temps le trafic global qui passe par Saint-Maurice : Tableau 5. L’évolution du trafic global de 1281 à 145044
au 21 déc. 1288 au 26 sept. 1293 au 22 oct. 1298 au 7 févr. 1306 au 1 juin 1315 au 6 juin 1332 au 15 avril 1347 au 9 mai 1360 au 7 mars 1385 au 28 févr. 1450
% du volume total
durée effective
10,5 20,5 30,0 39,5 50,0 60,5 70,5 80,0 90,0 100,0
8 ans 4 ans et 9 mois 5 ans et 1 mois 7 ans et 4 mois 9 ans et 4 mois 14 ans et 8 mois 13 ans et 11 mois 12 ans 24 ans et 5 mois 49 ans
43 N’oublions pas que la série des comptes du péage n’est pas complète. Il est dès lors préférable d’utiliser les chiffres tels qu’ils sont fournis par les documents eux-mêmes, ce qui permet au moins d’éviter des calculs dont le caractère plutôt hypothétique n’est pas à souligner. 44 Le volume total a été obtenu en additionnant le total des balles et celui des chevaux; il ne comprend ni les draps isolés, ni ceux en provenance de la foire de Sion, ni les fractions de balle. Les pourcentages ont été arrondis au demi pour-cent. La durée effective ne tient pas compte des exercices qui ne nous sont pas parvenus, et a été arrondie au mois.
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D’un point de vue très général, le tableau permet de distinguer trois périodes principales : la première, qui va de 1281 à 1315, se caractérise par un rythme très soutenu du mouvement commercial, notamment entre 1289 et 1298. Dès 1315, le trafic connaît en revanche un ralentissement assez brusque, même si par la suite la situation semble quelque peu s’améliorer, surtout pendant la décennie qui précède 1360. À partir de cette date, cependant, l’activité au péage de Saint-Maurice connaît un effondrement très important, qui devient particulièrement grave entre 1385 et 1450. Bien entendu, il faut se garder de donner une signification trop grande aussi bien aux dates qu’aux pourcentages du tableau. Ce dernier, en effet, ne permet de mettre en évidence que les changements de tendance sur une période relativement longue, sans pour autant qu’on puisse affirmer que ces changements ont eu lieu à la date indiquée. En réalité, les résultats dépendent en grande partie de la méthode statistique utilisée. Ainsi, par exemple, si nous avions opté de présenter l’évolution du mouvement commercial par le biais de la moyenne journalière des balles enregistrées au péage par période de dix ans, nous aurions été amenés à souligner que le rythme des passages connaît un brusque ralentissement déjà à partir de 1310, puisque la moyenne passe de presque 11 balles par jour à moins de 7 balles. De même, que pendant la décennie qui va de 1350 à 1360 le trafic a connu une augmentation assez considérable, puisqu’il dépasse les 7 balles par jour, alors qu’auparavant il était au-dessous des 4 balles. Enfin, que la période d’agonie du péage ne commence que vers 1400, date à laquelle la moyenne chute de 3 balles à un peu plus d’une balle par jour, moyenne qui reste plus ou moins stable jusqu’en 1450. Comment donc essayer de cerner avec un peu plus de précision le mouvement du trafic ? La durée inégale des différents exercices comptables impose le choix d’une méthode qui permette de comparer, ne serait-ce que partiellement, des données fournies pour des périodes qui vont d’un minimum de 22 jours, ou, grâce à quelque aménagement tout simple45, de 122 jours, à un maximum de 1338 jours46. La solution adoptée par V. Chomel et J. Ebersolt, même en faisant abstraction des doutes qu’elle soulève, n’est possible que lorsqu’on dispose de données journalières pour une année entière, ce qui n’est pas le cas pour Saint-Maurice. Quant à la celle utilisée par M. Cl. Daviso di Charvensod qui consiste à calculer des moyennes par « quinzaine », elle a le grand mérite de permettre une comparaison entre les différents péages, mais l’inconvénient de fausser quelque peu la datation des pointes ou des chutes du trafic47. Nous avons donc préféré opter pour une solution plus rudimentaire, mais qui a au moins l’avantage de laisser parfaitement visibles tous ses défauts : celle de la moyenne journalière des balles qui ont transité pendant chaque
45 Notamment en réunissant un certain nombre d’exercices afin d’obtenir des périodes d’une durée approchant l’année entière. 46 En réalité, plus de la moitié des exercices ont une durée qui se situe, avec un écart de ± 10%, autour d’un an complet. 47 Les deux méthodes ont été résumées par H. Dubois (Les foires de Chalon et le commerce dans la vallée de la Saône à la fin du Moyen Âge, Paris, 1976, p. 270), et les inconvénients par les auteurs eux-mêmes (M. Cl. Daviso di Charvensod, I pedaggi, op. cit., p. 116-118; V. Chomel, J. Ebersolt, Cinq siècles, op. cit., p. 200-202).
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exercice. À condition de ne pas lui attribuer une précision qu’il n’a pas, le graphique qu’on peut construire permet d’illustrer les variations du mouvement commercial qui empruntait le Valais48 : 26 24 22 20 18 16 14 12 10 8 6 4 2 0 1280
1300
1320
1340
1360
1380
1400
1420
1440
Graphique 1. Moyenne journalière par exercice de l’ensemble des balles (1281-1450)
De 1281 à 1303, le mouvement semble se caractériser par des oscillations relativement brèves, et donc des cycles assez courts : 1283-1285, 1285-1289, 1289-1295, 1295-1298, 1298-1300, 1300-1303. Dès le début du xive siècle, et encore plus à partir de la troisième décennie, la durée des cycles tend cependant à s’allonger, et l’intensité des fluctuations à diminuer : 1303-1309, 1309-1313, 1313-1318, 1318-1324, 1331-1340, etc. À leur tour, ainsi que le note H. Dubois49, ces oscillations s’inscrivent dans des cycles plus longs : 1281-1289, 1289-1313, 1313-1324, 1328/30-1349, 1349-1367, 1367-1375, 1375-1385, etc. Les comptes s’ouvrent avec une moyenne qui se situe autour de 8 balles par jour. De 1283 à 1287, le trafic connaît une augmentation assez régulière, qui culmine en 1286 avec une moyenne de presque 20 balles. Pendant les deux années qui suivent, l’activité du péage subit un brusque ralentissement, avec une chute à moins de 3 balles par jour entre décembre 1288 et mai 1289. La reprise est cependant rapide, car dans la deuxième partie de 1289 la moyenne remonte à 12 balles, et culmine à presque 25 balles en 1292. Malgré un niveau plus bas pendant les années suivantes, et une chute de quelques mois entre décembre 1294 et avril 1295, la circulation, jusqu’en 1299,
48 Le volume total a été établi selon les mêmes critères énoncés à la note 44. Les exercices trop courts ont été regroupés de la manière suivante: 16 déc.1281 / 11 déc. 1282; 12 déc. 1282 / 13 déc. 1283; 14 déc. 1283 / 18 déc. 1284; 22 déc. 1285 / 12 déc. 1286; 13 déc. 1286 / 30 nov. 1287; 9 févr. 1291 / 2 janv. 1292; 14 avr. 1314 / 30 sept. 1314; 17 mai 1357 / 23 mars 1358; 14 janv. 1375 / 20 mars 1376. Cette remarque est valable également pour tous les autres graphiques de ce travail. Dans les lignes suivantes, chaque cheval sera considéré comme une balle de marchandise. 49 H. Dubois, Les foires de Chalon, op. cit., p. 271 et 591. Voir le commentaire de cet auteur au graphique n° 1 construit grâce aux données quelque peu corrigées de M. Cl. Daviso di Charvensod.
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demeure très intense, avec notamment une deuxième poussée du trafic en 1298. De 1299 à 1310, le péage connaît une période de stabilité relative, avec une moyenne qui oscille entre 8 et 14 balles. Bien que la fréquence des passages reste somme toute élevée, on peut néanmoins observer que dès le début du xive siècle le trafic connaît, globalement, une première contraction. La deuxième, nettement plus grave, se manifeste après la courte poussée de 1310, pendant laquelle la moyenne atteint, pour la dernière fois, les 20 balles par jour. La chute brutale de 1311 et 1312 paraît avoir eu des conséquences durables. Certes, la moyenne remonte à presque 10 balles vers la fin de 1314, mais il ne s’agit que d’un court répit, car à partir de juin 1315 se fait jour un nouveau ralentissement de la circulation qui se prolonge jusqu’aux premiers mois de 1320. La reprise qui se dessine dès juin 1320 permet à la moyenne journalière de remonter à presque 12 balles entre juillet 1321 et mars 1322. C’est là, cependant, le dernier exercice pendant lequel le péage verra transiter plus de dix balles par jour en moyenne. À partir de 1323, le trafic par Saint-Maurice connaît un déclin irréversible, que les embellies de 1338-1340, 1351-1352, 1357-1360 et, à un moindre degré, de 1369-1372 et 1376-1383, ne seront pas en mesure d’arrêter : au cours de la première moitié du xve siècle, seuls deux exercices connaîtront une moyenne supérieure à deux balles par jour. Le calcul de la part que les différentes marchandises occupent dans le trafic total montre que tout au long de la période couverte par les comptes celle-ci a pu varier de manière parfois considérable. Si l’on se borne à relever les tendances générales, on peut néanmoins observer une très nette prédominance de la laine qui dure, presque sans solution de continuité, de 1281 à 1396. Bien souvent, la laine représente plus du 80% du volume total des différents exercices, et dépasse même le 90% à deux reprises50. L’importance des draps est considérable surtout jusqu’en 1300, avec plusieurs exercices pendant lesquels les balles de draps dépassent le 20% du total51. C’est au cours des deux premières décennies du xive siècle que la situation devient plus contrastée : à des périodes où le pourcentage descend au-dessous de 5%, en succèdent d’autres pendant lesquels il remonte à des niveaux qui se situent entre 10% et 20%. Mais, par la suite, la part des draps dans le trafic total connaît une très nette diminution, puisque seuls 14 exercices sur 100 présentent un pourcentage supérieur à 5%. En ce qui concerne les chevaux, on peut remarquer qu’ils jouent un rôle assez important jusqu’en 1350, puisqu’ils occupent, dans la hiérarchie des marchandises qui animent l’activité du péage, la deuxième ou la troisième place à plusieurs reprises. Pendant les décennies suivantes, cependant, leur rôle devient tout à fait négligeable : bien souvent, ils représentent moins de 1% du volume total. Contrairement aux draps et aux chevaux, les balles de futaines, toiles, cire, etc. voient leur pourcentage croître surtout dès le xive siècle, et encore plus au xve. De 1307 à 1314, elles représentent généralement entre le 10% et le 20% du trafic total, atteignant même le 30% en 1311. Par la suite, sauf pendant deux exercices, le pourcentage retombe en dessous de 10%, mais se relève de nouveau à partir de 1336. Dès cette date, les futaines et les toiles
50 Notamment entre janvier et décembre 1281 et en 1288. 51 C’est le cas entre décembre 1282 et novembre 1287, entre décembre 1288 et février 1291, et enfin entre mai 1295 et août 1296.
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commencent à devenir la deuxième marchandise par ordre d’importance, et à partir de 1396 elles prennent la place de la laine. Pendant le deuxième quart du xve siècle, leur pourcentage dans le trafic total varie entre le 50% et le 85%. Quant aux autres marchandises, elles ne jouent presque jamais un rôle de premier plan. On notera néanmoins que les balles de « mercerie » dès 1369 et celles de peaux dès 1402 voient leur part respective augmenter, dans un trafic total, il est vrai, plutôt déprimé. Tout comme les variations saisonnières, celles du trafic global et de sa structure résultent de facteurs extrêmement complexes, dont certains ne concernent que telle ou telle autre marchandise. Pour essayer d’avancer quelques éléments d’explication, il nous paraît ainsi nécessaire de prendre en considération l’évolution de la moyenne journalière de chaque type de produit. Précisons toutefois que, pour éviter les redites, nous avons traité des facteurs qui ont pu influencer l’ensemble du trafic dans la partie réservée à la laine.
Les draps D’un point de vue quantitatif, l’importance des draps et de la laine dans le volume global du trafic est loin d’être la même. De 1281 à 1450 les péagers de Saint-Maurice ont noté le passage de 173 620 balles de laine, alors que celles de draps ne sont qu’environ 27 550, dont la plupart ont d’ailleurs été enregistrées avant le début du xive siècle : le 37% du total avant mars 1291, et le 62% avant août 1296. Jusqu’au début du xive siècle, les comptes de Saint-Maurice, tout comme ceux de Villeneuve, rangent sous la même rubrique aussi bien les draps dits « de France » que les draps « lombards » Il est donc possible qu’un certain nombre de balles contenaient des draps qui étaient exportés d’Italie vers le nord des Alpes. On sait que la draperie lombarde a connu, au cours du xiiie siècle, une expansion considérable, et que des villes comme Milan ou Monza produisaient également des draps de bonne qualité52. La draperie lombarde paraît cependant avoir été exportée surtout en Italie même – elle est bien présente sur le marché génois dès la fin du xiie siècle – et peut-être aussi, par le biais de Venise, en Orient53. Bien qu’il ne soit pas possible de chiffrer l’importance du courant sud-nord, on peut néanmoins estimer que la plupart des draps transitaient dans la direction nord-sud. En partie, ils étaient sans doute destinés au marché milanais, où la présence de draps flamands est attestée depuis le début du xiiie siècle, et d’où ils pouvaient également
52 Cf. P. Racine, « À propos d’une matière première de l’industrie textile placentine : la Carzatura », in La lana come materia prima. Atti della Settimana di Studio, Prato 1969, Florence, 1974, p. 180. Au xive siècle, l’industrie milanaise était peut-être la seule à travailler les laines les plus précieuses, alors que les autres villes lombardes utilisaient principalement des laines de qualité moyenne ou inférieure (cf. P. Mainoni, « Il mercato della lana a Milano dal xiv al xv secolo. Prime indagini », Archivio storico lombardo, 110 (1984), p. 21-23). 53 Au dire du chroniqueur Galvano Fiamma, les produits milanais étaient amenés jusqu’aux Tartares.
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être réexportés vers Venise54. La quantité de pièces contenues dans les balles qui arrivaient à Saint-Maurice pouvait varier assez considérablement, ce qui explique les hésitations quant à la manière de les taxer. Entre 1294 et 1325, c’est-à-dire à l’époque où le péage est prélevé sur le nombre effectif des draps, on observe des moyennes par exercice pouvant aller de 9,3 à 14,6 pièces par balle, avec une moyenne générale légèrement supérieure à 1155. Compte tenu de ces précisions, il faudra donc se garder d’attribuer une valeur absolue aux chiffres qui permettent d’étudier la conjoncture des draps, celle-ci ne pouvant être reconstituée pour l’ensemble de la période qu’à partir des données concernant le nombre des balles. 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0 1280
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Graphique 2. Moyenne journalière par exercice des balles de draps (1281-1440)
De janvier 1281 à décembre 1282, les passages de draps par Saint-Maurice se situent à un niveau très bas, ce qui pourrait être mis en relation avec les émeutes urbaines qui ont éclaté à Bruges, Tournai, Douai, etc. Dès décembre 1282, cependant, la courbe remonte de manière vigoureuse, pour atteindre une moyenne de presque 11 balles par jour entre juillet et novembre 128356. Après deux années pendant lesquelles la moyenne redescend autour de 3-4 balles, entre janvier et août 1286 les passages quotidiens dépassent une nouvelle fois la barre des 10 balles. Cette deuxième poussée est suivie par une nouvelle dépression assez grave, qui ramène la moyenne, en 1288, 54 Cf. H. Laurent, La draperie des Pays-Bas en France et dans les pays méditerranéens (xiie-xve siècle), Paris, 1935, p. 69 et 75. 55 Certains marchands transportent d’ailleurs des balles qui dépassent dans un sens ou dans l’autre les moyennes inférieures ou supérieures que nous avons indiquées. Ainsi, par exemple, les 283 draps transportés en 1310 par Jean Negro sont répartis dans 19 balles, ce qui donne une moyenne de 14,9. En 1318, en revanche, Balinus de Lonnay se présente au péage avec 2 balles qui ne contiennent chacune que 8 draps. 56 Cette poussée de la moyenne, ainsi que celle que nous évoquerons plus bas, n’est pas visible dans le graphique à cause du regroupement des exercices de courte durée.
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à moins d’une demi-balle par jour. De juin 1289 à septembre 1293, les passages de draps connaissent une certaine stabilité, la moyenne étant d’environ 3 balles par jour. Mais une nouvelle baisse se vérifie dès octobre 1293, baisse qui ne cesse de s’aggraver jusqu’au mois d’avril de 1295. Dès mai 1295, le rythme des passages journaliers retrouve un niveau de presque 3,5 balles, et atteint presque les 4 balles entre janvier et août 1296. L’exercice suivant, qui couvre une période de 18 mois, indique cependant une nouvelle chute de la moyenne, qui retombe à environ 1 balle et demie par jour. En fait, dans ce cas précis, il est possible d’affirmer que la durée particulièrement longue de l’exercice comptable fausse quelque peu la perspective. Le recours aux relevés du péage de Villeneuve permet en effet d’affirmer avec certitude que le rythme des passages est resté à des niveaux relativement élevés pendant la première partie de 1297. Ce n’est qu’à partir du mois de septembre qu’un effondrement très brutal de la moyenne a eu lieu : du 16 août 1296 au 16 septembre 1297, le péager de Villeneuve a encore enregistré 770 balles de draps, alors que du 16 septembre 1297 au 18 février 1298 les comptes indiquent le passage de seulement 64 balles57. Malgré des variations parfois très importantes, le trafic des draps « de France » s’est donc maintenu, jusqu’aux dernières années du xiiie siècle, à des niveaux assez élevés, et cela en dépit d’une certaine tendance à la baisse. Après la laine, les draps représentent la marchandise qui pendant ces deux décennies rapporte le plus au comte de Savoie. Bien que la preuve formelle manque, il est vraisemblable qu’à cette époque les draps qui transitent par le Valais proviennent encore, du moins en partie, des foires de Champagne, dont le déclin en tant que marché international a sans doute déjà commencé, mais qui continuent néanmoins à jouer un rôle qui est loin d’être négligeable58. Reste que l’interprétation des variations de la courbe concernant les draps demeure très délicate. On sait qu’au moins depuis 1285 l’industrie flamande des draps, et notamment la plus importante, celle de la ville d’Ypres, a connu des difficultés croissantes, aussi bien à cause du roi d’Angleterre que de celui de France. Il est cependant difficile d’en retrouver la trace dans les comptes du péage. Ainsi, par exemple, l’absence des marchands d’Ypres aux foires de Champagne de 1286 n’a semble-t-il pas eu de conséquences sur le trafic par le Valais, cette année la moyenne des passages étant même, comme on l’a vu, particulièrement élevée. Quant à la guerre qui éclate en Bourgogne en 1292 entre le frère d’Otton III et Jean Ier de Chalon, guerre qui provoque la fermeture aux marchands italiens de la route vers la Champagne, elle aussi ne paraît pas avoir eu une influence directe. On peut même noter que la réouverture de la route, en janvier 1293, coïncide avec une diminution du nombre des balles qui passent par Saint-Maurice. Il est cependant possible que cette baisse soit en fait la conséquence des mesures prises par le comte de Savoie dès 1294 pour 57 Les données concernant Villeneuve ont été publiées par H. Dubois, Les foires de Chalon, op. cit., p. 274, n. 28 (il faut cependant lire 18.II.1298, et non 18.11.1298). La durée des exercices comptables de Villeneuve, au moins jusqu’au début du xive siècle, coïncide bien souvent, à quelques jours près, avec celle de Saint-Maurice. 58 Sur les multiples causes du déclin des foires de Champagne, nous nous permettons de renvoyer uniquement à R. H. Bautier, « Les foires de Champagne. Recherches sur une évolution historique », Recueil de la Société Jean Bodin, t. v, La Foire, 1953, p. 97-147
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équiper le chemin par la Bresse. Mesures qui ont certes permis aux marchandises d’arriver jusqu’aux péages valaisans en passant par Genève et donc sans emprunter la voie transjurane, mais qui ont sans doute aussi rendu plus attrayante la route par la Maurienne, comme le prouvent d’ailleurs les comptes du péage de Montmélian qui connaissent, dès 1294, une forte augmentation des passages de draps « de France ». Enfin, remarquons aussi que la guerre qui éclate après la cession du comté de Bourgogne au roi de France en mars 1295 ne paraît pas non plus avoir perturbé de manière significative le trafic par Saint-Maurice, tout comme celle qui oppose en Valais l’évêque de Sion à Amédée V entre 1294 et 1299 : d’après les remarques des péagers, ce conflit local semblerait avoir troublé principalement le commerce des draps provenant des foires de Sion. Au-delà des facteurs accidentels dont l’influence précise demeure difficile à établir, il est probable que la courbe des draps soit aussi le reflet de changements plus profonds, qui concernent les structures mêmes de l’industrie et du commerce des tissus en laine. Vus du péage de Saint-Maurice, ces changements se manifestent principalement sous la forme d’une « règle » toute simple, qui se vérifie de manière presque systématique jusqu’à la fin du xiiie siècle et de façon beaucoup plus irrégulière dans les décennies suivantes : lorsque les passages de draps s’intensifient, ceux des balles de laine ont tendance à diminuer, et vice-versa. Bien entendu, les changements de direction des deux courbes ne coïncident pas parfaitement d’un point de vue chronologique. Mais il est néanmoins intéressant d’observer, par exemple, que les passages de laine connaissent un certain ralentissement entre 1282 et 1286, alors que ceux des draps, comme on l’a vu, traversent une conjoncture très favorable entre 1283 et 1287, au point qu’en 1283 ils représentent plus du 50% du trafic global, alors que la laine seulement le 40%59. Le cycle suivant présente en revanche une situation inverse : alors que la laine progresse, les draps fléchissent. On retrouve ce phénomène également pendant la première décennie du xive siècle, mais, comme on l’a dit, de manière davantage irrégulière. À partir de 1311, les deux courbes ont en revanche tendance à procéder en parallèle, et ce n’est qu’entre 1332 et 1337 environ que les deux marchandises connaîtront à nouveau une conjoncture inverse. Il est vrai que, dès la deuxième décennie du xive siècle, les passages de draps se font nettement moins nombreux, à tel point qu’il est sans doute hasardeux de donner une signification trop grande aux frémissements de la courbe. Quoi qu’il en soit, il nous paraît légitime de supposer qu’au moins jusqu’à la fin du xiiie siècle les deux courbes sont le reflet, au moins partiel, de l’essor que connaît l’industrie des draps dans l’Italie du centre et du nord, et notamment en Lombardie. À leur manière, les comptes de Saint-Maurice témoignent peut-être de la concurrence de plus en plus grande que la production de draps lombards est désormais en mesure de livrer aux draps « de France ». Reste que ce que nous venons de dire n’est qu’une simple hypothèse, que l’absence d’études
59 Sur les 12 exercices qui couvrent la période qui va de décembre 1282 à mai 1286, 7 indiquent des passages de draps supérieurs à ceux de laine. Par la suite, cette situation se reproduit à 5 autres reprises, mais toujours à l’occasion d’exercices qui indiquent un trafic très déprimé.
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précises concernant l’industrie de la laine en Lombardie à cette époque empêche de confirmer ou d’infirmer60. On l’a dit, les conséquences de l’arrestation des marchands flamands aux foires de Lagny, leur absence aux autres foires et l’occupation de la Flandre en 1297, ne sont visibles, dans les comptes du péage de Villeneuve, qu’à partir du mois de septembre. À Saint-Maurice, une reprise assez vigoureuse se fait jour entre février et octobre 1298, lorsque la moyenne retrouve un niveau de presque 3,5 balles par jour. Mais il ne s’agit que d’un court répit, car elle retombe dès novembre à 1 balle par jour, à 1/5ème de balle dès avril 1300, peut-être suite à la nouvelle occupation française du comté de Flandre et à la guerre qui se prolonge jusqu’en mai 1301, et à 1 balle par semaine entre le 29 mars 1302 et le 20 avril 1303. Il est probable que les événements flamands ne soient pas seuls à l’origine de l’effondrement des passages de draps que connaissent pendant ces années les péages valaisans. À Montmélian, en effet, entre 1297 et 1303, malgré des hauts et des bas, le transit des draps est particulièrement intense, notamment entre avril 1302 et avril 130361. Depuis 1300, l’activité de ce péage a sans aucun doute profité aussi du passage des convois génois, les marchands de cette ville ayant conclu le 7 mai de cette année un traité avec Amédée V leur concédant une réduction des tarifs sur la route par la Maurienne62. De plus, il est possible que pendant ces années la route par le Valais ait également été concurrencée par celle qui depuis Lyon traversait les terres du Dauphin. Le 14 février 1302, un envoyé du comte de Savoie intervient en effet auprès des marchands ultramontains présents à la foire de Lagny pour leur interdire le passage sur cette route, dont la sécurité n’est plus garantie à cause de la reprise des hostilités entre la Savoie et le Dauphiné63. S’il est difficile de juger des effets de cet avertissement, on peut néanmoins noter qu’à Saint-Maurice, à partir d’avril 1303, les passages de draps sont en augmentation, alors qu’ils sont à la baisse à Montmélian64. Cette modeste remontée va permettre à la moyenne journalière d’être supérieure à 1 balle entre mai 1305 et février 1307, et de dépasser la balle et demie entre mai 1310 et mars 1311. Elle sera suivie par un effondrement général du trafic, sur lequel nous reviendrons plus loin, entre 1311 et 131265, qui confirme, pour ce qui concerne les draps, le déclin irréversible de la route du Valais. La reprise qui se dessine dès 1313 et amène la moyenne à presque 1 balle par jour vers 1316 sera de très courte
60 Rappelons au moins que selon R. H. Bautier l’essor de l’industrie textile italienne est certainement un des nombreux facteurs à l’origine du déclin des foires de Champagne (« Les foires de Champagne », art. cit., p. 143). 61 Cf. H. Dubois, Les foires de Chalon, op. cit., p. 275, qui cite les chiffres fournis par P. Duparc, « Un péage savoyard sur la route du Mont-Cenis aux xiiie et xive siècles, Montmélian », Bulletin philologique et historique (jusqu’à 1610) du Comité des travaux historiques et scientifique, 1960, p. 145-187. 62 Cf. ibid., p. 276. 63 La même lettre sera lue aux marchands génois le 18 février à la foire de Troyes. Les deux textes ont été publiés par M. Cl. Daviso di Charvensod, I pedaggi, op. cit., p. 430-436. 64 Ce qui s’explique sans doute par la bataille qui oppose près de Montmélian, en novembre 1303, l’armée du comte de Savoie à celle du Dauphin (cf. L. Cibrario, « Delle finanze della monarchia di Savoia ne’ sec. xiii e xiv », Memorie della Reale Accademia delle Scienze di Torino, 36 (1833), p. 78). 65 Entre le 8 mars 1312 et le 16 janvier 1316 le péager enregistre le passage de 38 balles pour un total de 449 pièces.
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durée, et il faut attendre 1338 pour que les passages de draps atteignent une dernière fois ce niveau somme toute modeste. Entre avril 1338 et octobre 1339, le péage est en effet perçu sur 566 balles. On peut vraisemblablement attribuer cette remontée au retour des Vénitiens sur les routes terrestres, imposé par l’insécurité que les Génois font régner en Méditerranée occidentale, et rendu possible par le renversement des Scaligeri à Vérone et la conquête de Trévise en 1339, qui ouvre en même temps l’accès aux routes vers l’Allemagne. En ce qui concerne la route du Valais, ce retour est sanctionné par un traité conclu le 11 mars 1338 entre le représentant de Venise Sclavo Boloni et Louis II de Savoie (sire de Vaud), traité qui prévoit une diminution du péage aux Clées, mais qui fait aussi allusion aux balles qui passent par Sion66. Une fois de plus, cependant, cette intensification des passages sera très éphémère. Dès 1340, la moyenne tombe définitivement à des niveaux extrêmement bas, que même la montée assez spectaculaire du trafic global au début de la deuxième moitié du xive siècle ne réussira pas à faire bouger de manière significative. Bien qu’il soit impossible d’en chiffrer l’importance, il est certain qu’une partie des draps qui transitaient par Saint-Maurice était destinée au marché régional, comme le prouve, par exemple, l’inventaire dressé en 1376 d’une boutique de Sion qui signale la présence de quelques draps qui viennent de France, d’Ypres ou de Bruxelles67. Dans cette perspective, on peut aussi relever que les quantités qui transitent par le péage des Clées, dont la série des comptes commence en 1358, sont presque toujours supérieures à celles qu’on retrouve à Saint-Maurice, signe peut-être qu’une partie de la marchandise était vendue avant d’arriver en Valais68. Ce phénomène est d’ailleurs confirmé par le fait qu’au fur et à mesure que l’on avance dans le xive siècle, les grands convois de draps semblent se faire plus rares, alors qu’augmente, comme nous le verrons, le nombre des petits marchands qui se déplacent avec seulement quelques pièces isolées69. À partir de 1424, les draps « de France » disparaîtront pratiquement de la route du Valais : pendant le deuxième quart du xve siècle, les péagers n’enregistreront en effet, en tout et pour tout, que deux seules balles. On ne saurait conclure cette partie consacrée aux draps sans évoquer, très brièvement, ceux que les comptes qualifient « d’Allemagne ». Ces derniers apparaissent pour la première fois dans l’exercice de 1352-1353, et le péager précise qu’il s’agit de « panni grisi Alamagnie70 », ce qui pourrait désigner des draps dont l’apprêt final était exécuté dans la région d’importation. Ils sont mentionnés, de manière plus ou moins régulière, jusqu’en 1364. Nous ne possédons cependant aucune information concernant le
66 Cf. M. Cl. Daviso di Charvensod, I pedaggi, op. cit., p. 103. 67 Cf. dans le présent ouvrage Fr. Morenzoni, « L’inventaire après décès de Bacinodus Tracho, lombard de Sion », p. 412-414 68 Les chiffres concernant les balles de draps et de laine ont été publiés par V. Chomel, J. Ebersolt, Cinq siècles, op. cit., p. 198-199. Il est possible que les balles qui transitaient par Les Clées contiennent un nombre supérieur de pièces que celles de Saint-Maurice. Dans le traité de 1338 avec les Vénitiens, le nouveau tarif est en effet établi sur la base d’une balle de quinze draps. 69 Sur cet aspect voir infra, p. 255-256 70 ASTo, SR, Inv. 69, f. 161, m. 1, r. 21
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nombre de balles de draps de cette qualité, car celles-ci étaient taxées au même tarif que les balles de futaines, de toiles ou de cire, et donc regroupées dans une seule rubrique qui ne fournit presque jamais le détail de chaque type de marchandise. En 1380-1382, les comptes signalent de nouveau le passage de 203 pièces de « draporum grossorum Alamagnie », que le péager taxe au tarif assez élevé de 4 deniers la pièce71 « quia nesciebat modum levandi71 ». L’exercice de 1398-1399 précise qu’il s’agit de draps produits à Fribourg, où l’industrie textile connaît depuis quelques années un essor remarquable. Il est donc probable que parmi les draps « d’Allemagne » qui ont transité par Saint-Maurice, ceux d’origine fribourgeoise étaient assez nombreux. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un trafic relativement modeste, car la moyenne des passages se situe entre 2 et 4 pièces par semaine. La présence de ces tissus est régulière jusqu’en 1430 ; après cette date, les comptes ne signalent que trois autres passages, qui portent sur des quantités très inférieures à celles de l’époque précédente.
La laine Au moins jusqu’à la fin du xive siècle, l’activité au péage de Saint-Maurice a été animée principalement par le passage des convois de laine qui se dirigeaient vers la Lombardie. Comme on l’a vu, la laine représente, pour l’ensemble de la période couverte par les comptes, plus de la moitié du volume total. À bien des égards, il est sans doute possible d’affirmer que la route du Valais a été équipée principalement en fonction des besoins du marché milanais, vraisemblablement à partir du dernier tiers du xiiie siècle72. Si un document de 1256 permet de constater qu’un péage de 3 deniers était déjà perçu sur chaque balle qui transitait par Sion sans s’arrêter73, ce n’est qu’à partir de 1270 que l’intérêt des Milanais pour la route du Simplon est confirmé par les sources. En juillet de cette année, deux consuls de l’Universitas negotiorum de Milan, Martinus de Lucha74 et Revellus de Feria, concèdent en effet au sénéchal de l’évêque de Sion et à ses héritiers 2
71 AST, Inv. 69, f. 161, m. 2, r. 34 72 Les voies d’accès au marché milanais ont été étudiées par G. Soldi Rondinini, « Le vie transalpine del commercio milanese dal secolo xiii al xv », in Felix olim Lombardia. Studi di storia padana dedicati dagli allievi a Giuseppe Martini, Milano 1978, p. 343-484. Sur le développement des trafics par le Simplon voir aussi A. Lugon, « Le trafic commercial par le Simplon et le désenclavement du Valais oriental (fin xiie-milieu xive siècle) », in Ceux qui passent et ceux qui restent. Études sur les trafics transalpins et leur impact local. Actes du Colloque de Bourg-Saint-Pierre, 23-25 septembre 1988, Orsières, 1989, p. 87-99. 73 Gremaud, Documents, no 2171. 74 Ce personnage est peut-être le même qui est cité comme résidant à Paris dans la lettre du 8 octobre 1314 écrite par le facteur, ou associé, en France de Baldo Fini et de ses frères, marchands de Florence. Dans cette lettre, Martinus est évoqué comme ancien procureur des marchands de Milan, bien qu’à cette date il soit considéré par ces derniers comme leur pire ennemi à la suite d’une affaire peu claire concernant la traite de la laine (la lettre a été publiée à la fin de l’article de G. Bigwood, « La politique de la laine en France sous les règnes de Philippe le Bel et de ses fils », (extrait de la Revue Belge de Philologie et d’Histoire), Bruxelles, 1937, p. 124-129). Des membres de la famille de Lucha
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deniers sur chaque destrier et sur chaque balle de « draperie de Francia et drapi deaurati vel sidi et separie », ainsi qu’un denier sur toutes les autres balles, pour le remercier des services rendus aux marchands et, surtout, pour l’aide qu’il leur promet75. Deux ans plus tard, le 14 janvier 1272, les marchands de Milan accordent à Humbert de Gavio, bourgeois de Sion, un denier viennois sur chaque balle, à condition qu’il entretienne la route au-dessous de Vétroz. Vers la même époque, entre 1271 et 1273, l’évêque de Sion et les procureurs des marchands de Milan et de Pistoie signent un traité qui réglemente le transit des marchandises depuis le Simplon jusqu’à Martigny. L’accord, qui fait référence aussi à un traité antérieur qui n’a pas été conservé, fixe les droits de péage que les différentes marchandises devront acquitter – il mentionne entre autres les draps « de France », de soie, d’or, les futaines, la laine, les armures, etc. – et précise les taxes qui seront perçues pour l’entretien de la route76. Le 15 mars 1291, un autre traité sera signé entre les mêmes parties, qui reprend pour l’essentiel celui conclu vingt ans auparavant, mais qui garantit aux marchands une protection juridique de leur personne et de leurs biens beaucoup plus étendue. Vers la fin du xiiie siècle, le Valais disposait sans aucun doute d’infrastructures capables d’absorber un trafic très intense. Les nombreuses « soustes » pour l’entreposage des balles pendant la nuit qui jalonnaient la route – d’autres seront encore construites pendant le xive siècle77 – et un système assez perfectionné de voituriers garantissaient des transports relativement rapides et sûrs78. Bien entendu, les marchandises qui arrivaient au péage de Saint-Maurice n’étaient pas forcément obligées de transiter par le col du Simplon. À Martigny, elles pouvaient par exemple bifurquer vers Bourg-Saint-Pierre et de là, par le Grand Saint-Bernard, descendre dans le Val d’Aoste. Les relevés du péage de Bard montrent cependant que le trafic qui empruntait cette route était vraisemblablement peu important, à l’exception peut-être de celui concernant les harengs et les poissons ainsi que les chevaux79. Plusieurs indices confirment en effet que la plupart des
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résident encore à Paris au début du xve siècle, et continuent d’entretenir des relations d’affaire avec des marchands milanais (cf. Archivio di Stato di Milano, notaire Onrighino da Sartirana, cart. 208, acte du 14 mai 1407). Gremaud, Documents, no 765. Gremaud, Documents, no 805. Les principales « soustes » étaient au Simplon, à Brigue, à Loèche (reconstruite en 1336, et pouvant contenir au moins 200 balles), à Sion, à Martigny et, comme on l’a vu, à Saint-Maurice. En 1351 les marchands de Milan font construire une « souste » également à Viège. Voir les règlements pour les voituriers de Narres-Brigue de 1307, de Loèche de 1310 et de SaintMaurice de 1320 (Gremaud, Documents, no 1262, 1311, 2187). Pour les transports entre Bourg-SaintPierre, Sembrancher et Martigny voir AEV, Sembrancher, D III, n. 2 et 4. Pour l’organisation des transports sur le versant italien du Simplon, voir entre autres les statuts des communes de Vogonia (1374) et de Mergozzo (1378) publiés par E. Bianchetti, L’Ossola inferiore, vol. 2, Turin, 1878. Depuis Brigue, la route permettait, pour le transport des marchandises, l’utilisation de chars. L’étude de L. Frangioni des documents de la deuxième moitié du xive siècle concernant les routes choisies par les facteurs de Marco Datini pour passer les Alpes montre que les deux cols du SaintBernard ne sont jamais utilisés (cf. Milano e le sue strade, Bologne, 1983, p. 58).
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convois poursuivait sa route en direction de Brigue. À Saillon, où était perçue une redevance sur les chars allant vers Sion qui empruntaient un chemin plus court « per campaniam », les comptes de la châtellenie permettent de constater que les revenus produits par l’affermage suivent de très près l’évolution du trafic qu’on peut observer à Saint-Maurice80. À Sion, les comptes du péage de 1378 à 1384 indiquent la taxation, pour l’ensemble de la période, de 10 482 balles, dont 1 884 pour l’année 1378. Le nombre de balles est même supérieur à celui enregistré à Saint-Maurice pendant une période plus ou moins équivalente, ce qui s’explique sans doute par la présence d’un trafic régional qui s’ajoute à celui proprement international81. Deux ans plus tard, les comptes de la châtellenie de Sion du 13 septembre 1386 au 15 octobre 1387 permettent d’estimer à environ 1 590 les balles taxées à Sion. À Saint-Maurice, le compte de 1385-1388, pour une période de 1 084 jours, enregistre presque 3 640 balles, ce qui donne, en proportion, un rapport comparable à celui des années 1378-138482. Enfin, on peut encore observer qu’en 1411 la commune de Martigny déclare aux représentants du comte de Savoie, qui dans ce bourg perçoit une partie des droits sur le poids et la « souste », que « jus Domino pertinens in dicto pedagio potest valere communicanter per annum aliquando minus ; quando mercandias transeunt per montem Brige circa viginti florenos parvi ponderis, et quando mercatores non audent transire dictas mercandias per dicta loca, nichil vel modicum83 ». Même si d’autres cols ont pu absorber une partie, vraisemblablement minime, du trafic qui passait par le Valais84, il est certain que les comptes de Saint-Maurice permettent avant tout d’observer le courant commercial qui par le Simplon se dirigeait vers le grand marché de Milan. Compte tenu de l’importance des draps et plus encore de la laine, on peut en effet affirmer qu’au moins depuis le dernier tiers du xiiie siècle jusqu’à la fin du xive, l’activité au péage valaisan a été en grande partie dépendante des importations milanaises. Ceci est particulièrement vrai pour ce qui est de la laine. En 1321, la route du Simplon est encore considérée par les Milanais en quelque sorte comme la route de référence pour l’importation de la laine depuis la France. Lorsque, le 28 juin de cette année, le duc de Lorraine leur accorde sa protection depuis Ferrette jusqu’à Neufchâteau, ils demandent en effet que le péage de la laine ne soit pas plus élevé que celui qu’ils payent lorsqu’ils traversent la Bourgogne, la Savoie et le Valais85.
80 ASTo, SR, Inv. 69, f. 41. 81 ABS, Tir. 127, no 7. 82 ASTo, SR, Inv. 69, f. 185. À noter aussi que les comptes de la ville de Saint-Maurice indiquent que du 1er février 1386 au 31 janvier 1387, les bourgeois de la ville ont effectué 779 voyages avec leurs chars pour transporter des marchandises. En général, le rapport entre le nombre des voyages et le nombre des balles enregistrées au péage est de 1 à 2 (ACSM, Pg. R. 10). 83 AEV, Martigny mixte, n. 1444. 84 Aussi bien le col du Monte Moro que du Furka ou de Gries n’ont sans doute joué qu’un rôle très secondaire dans le commerce international. 85 Le traité a été publié par A. Schulte, Geschichte des Mittelalterlichen Handels und Verkehrs zwischen Westdeutschland und Italien mit Ausschluss von Venedig, Leipzig, 1900, t. ii, no 3.
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La laine importée à Milan n’était pas destinée uniquement aux besoins de l’industrie locale. On sait que le marché milanais de la laine, qui par la richesse et la diversité des qualités qu’on y trouvait était peut-être le plus important après celui de Florence, fonctionnait aussi comme centre de redistribution, notamment pour les qualités les plus chères. En 1375, on trouve ainsi à Milan les laines d’Angleterre, de Bourgogne, d’Espagne, d’Afrique du nord, d’Italie du sud, etc.86. D’où provenait celle qui transitait par le Valais ? À cette question il est impossible de donner une réponse catégorique, les comptes du péage n’indiquant jamais l’origine des balles de laine. On peut néanmoins être à peu près certain que la plupart des balles contenaient soit de la laine anglaise, soit de la laine de Bourgogne ou « francisca87 ». Il est même possible d’établir qu’après 1360 la laine anglaise a pratiquement disparu de la route du Valais. En effet, le 1er mars 1394, Amédée VIII de Savoie concède aux marchands de Milan, Lombardie et Florence de ne plus payer que la moitié des droits de péage qu’il perçoit dans ses territoires sur la laine anglaise. Il justifie cette décision par le fait que depuis plus de trente ans les marchands qui transportent la laine anglaise depuis Bruges n’empruntent plus la route par la Bourgogne, mais préfèrent passer par l’Allemagne88. Cette réduction, qui ne paraît pas avoir été appliquée à Saint-Maurice alors qu’elle le fut à Villeneuve, donna cependant des résultats très aléatoires. Les comptes du châtelain de Martigny signalent ainsi 793 fardeaux de laine anglaise pour l’exercice 1394-1395, 242 balles pour celui de 13951396, 30 fardeaux pour 1396-1397 et rien du tout pour les deux années suivantes89. En fait, même au début du xive siècle, la part des laines anglaises paraît avoir été relativement restreinte. Du 2 avril 1306 au 19 février 1307, le péage de Saint-Jeande-Losne enregistre le passage de 1 763 balles de laine ; celles d’Angleterre ne sont cependant que 22690. On peut enfin remarquer, comme nous le verrons plus loin,
86 Sur le marché de la laine de Milan voir L. Frangioni, « I tessuti di lana e di cotone », in Artigianato lombardo, t. iii : L’opera tessile, Milan, 1979, p. 17-18; P. Mainoni, « Il mercato della lana a Milano », art. cit., p. 20-43. 87 À Milan, la laine anglaise et celle de Bourgogne sont les deux qualités les plus chères, la deuxième pouvant parfois atteindre des prix supérieurs à ceux de la première (cf. P. Mainoni, « Il mercato della lana a Milano », art. cit., p. 31, n. 39). 88 L’accord a été publié par M. Cl. Daviso di Charvensod, I pedaggi, op. cit., p.j. 30. Les minutes du notaire de Côme Francesco da Cermenate contiennent, pour les années 1429, 1434 et 1436 de nombreuses transactions de laines anglaises. Bien souvent, les vendeurs sont des marchands de Milan, mais les quantités sont assez modestes: 20 balles ou petites balles en 1439 et 43 en 1434 (les regestes pour les deux premières années ont été publiés par T. Clerici, « Il mercato comasco nel 1429 e 1434 dagli atti di Francesco da Cermenate », Archivio storico lombardo, 108 (1982), p. 85-173; les données pour l’année 1436 par G. Mira, Le fiere lombarde nei secoli xiv-xvi. Prime indagini, Côme, 1955, p. 163-175). 89 Les extraits des comptes, avec une erreur de datation à propos du premier, ont été publiés par M. Cl. Daviso di Charvensod, I pedaggi, op. cit., p.j. n. 31. Pour les passages de la laine anglaise à Villeneuve, qui sont signalés aussi entre 1399 et 1404, voir H. Dubois, Les foires de Chalon, op. cit., p. 511. Aux Clées, les passages continuent jusqu’en 1415 (voir V. Chomel, J. Ebersolt, Cinq siècles, op. cit., p. 198-199). 90 H. Dubois, Les foires de Chalon, op. cit., p. 481, qui signale aussi qu’au même péage, entre 1340 et 1344, la laine d’Angleterre n’est pas signalée (ibid., p. 486).
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que la plupart des marchands de laine mentionnés par les comptes du péage sont connus surtout pour avoir traité de la laine bourguignonne. Sans que la preuve formelle puisse être apportée, il nous paraît donc raisonnable d’admettre, à la suite de H. Dubois, que la prédominance des laines de Bourgogne était déjà bien établie pendant le dernier tiers du xiiie siècle91. D’un point de vue très général, le trafic de la laine par Saint-Maurice peut être divisé en quatre grandes périodes. Pendant la première, qui va de 1281 jusqu’au creux de 1311-1312, les passages se situent à un niveau très élevé. De 1312 à 1364, le trafic demeure relativement intense, bien qu’à un niveau moyen inférieur, mais les variations ont tendance à devenir plus marquées. De 1364 à 1396 les signes du déclin commencent à devenir visibles, puisque les passages se situent désormais à un niveau assez bas. Enfin, après 1396, la laine connaît un effondrement qui se prolonge jusqu’à 1450. 17 16 15 14 13 12 11 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0 1280
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Graphique 3. Moyenne journalière par exercice des balles de laine (1281-1450)
Tout comme les draps, mais d’une manière moins spectaculaire, les passages de balles de laine ont été particulièrement intenses jusqu’à la fin de la première décennie du xive siècle92. En effet, sur un total de 173 620 balles, plus de 90 000 ont transité avant 1311. Le niveau de départ du graphique est relativement élevé, puisque la moyenne journalière est légèrement supérieure aux 6 balles. Les quatre années qui suivent 91 Ibid., p. 481. 92 Une fois encore soulignons l’imprécision des données dont nous disposons. En effet, les comptes ne distinguent pas, du 10 janvier 1281 au 21 août 1286, et du 13 décembre 1286 au 22 mai 1287, les balles de laine de celles de futaines, de toiles, de cire et de peaux. On peut donc estimer que la moyenne « réelle » de la laine est inférieure de 10% ou 20% à celle indiquée par le graphique. Du 13 avril 1301 au 7 mars 1311, et du 17 janvier 1313 au 13 avril 1314, les balles de laine sont de nouveau confondues avec celles de peaux, ce qui, cependant, ne paraît pas avoir une incidence significative sur la moyenne, les balles de peaux étant relativement peu nombreuses.
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voient cependant la moyenne descendre à environ 4 balles. Cette baisse, ainsi qu’on l’a vu, s’explique peut-être par la concurrence des draps finis importés en Italie du nord, ce qui provoque une diminution de la demande de matière première. Mais il est possible qu’elle soit aussi en partie la conséquence de la politique très restrictive pratiquée par Philippe le Hardi, qui après l’interdiction d’exporter du royaume de la laine promulguée en mars 1277, n’octroya qu’une seule licence d’exportation en 1284 à des marchands milanais93. Cette licence, d’une durée de quatre ans, ne paraît cependant pas avoir eu une influence quelconque en 1284 et 1285. Ce n’est qu’en 1286 que la moyenne remonte brusquement et dépasse les 9 balles par jour, pour ensuite redescendre régulièrement jusqu’en 1290, tout en restant au-dessus de la barre des 6 balles94. À partir de 1290, et encore plus de 1291, la moyenne connaît une croissance considérable, puisqu’elle atteint, en 1292, les 17 balles par jour : du 3 janvier au 21 novembre, le péager enregistre le passage de 5 485 balles de laine. Une fois de plus, il est difficile d’établir les causes précises de cette poussée du trafic. On peut juste relever que l’accord de 1291 entre les marchands de Milan et l’évêque de Sion, lequel, la même année, entre aussi en possession d’une partie du versant sud du Simplon dont il garantit la sécurité, y est peut-être pour quelque chose. De plus, il est possible que le pacte de 1291 et l’insurrection générale qui éclata parmi les Waldstätten l’année suivante aient perturbé les transports par la route du Gothard. En avril 1293, la commune de Milan intervient en effet auprès du procureur du duc d’Autriche afin que l’interdiction de faire passer des balles par la vallée d’Uri imposée suite à la révolte des habitants de cette région soit levée95. Malgré la baisse qui se manifeste dès septembre 1293, le rythme des passages se maintient à des niveaux presque toujours supérieurs aux 8 balles jusqu’en 129896, année pendant laquelle une autre poussée a lieu qui fait monter la moyenne jusqu’à 16 balles par jour. On notera au passage que la guerre dans le comté de Bourgogne ne paraît pas avoir affecté de manière significative le trafic, tout comme les troubles dans le Valais épiscopal des dernières années du xiiie siècle97. De 1299 à l’effondrement de 1311, le trafic, tout en restant intense, connaît un certain ralentissement. Les quatre poussées qu’on peut repérer pendant ces années n’ont plus ni l’ampleur ni la durée de celles de la décennie précédente. La moyenne dépasse les 9 balles en 1300 et 1307, les 11 balles en 1305 et les 13 balles en 1310, mais dans ces deux derniers cas uniquement pendant quelques mois. En revanche, les baisses paraissent s’installer pour des périodes plus longues : 6 balles par jour entre 93 La laine devait obligatoirement transiter par Saint-Jean-de-Losne ou par Andelot, et donc passer, du moins en partie, aussi par Saint-Maurice. 94 L’effondrement de 1289 est peut-être dû en partie au facteur saisonnier, le compte allant de fin décembre 1288 à fin mai 1289, période qui précède la tonte. La même explication pourrait s’appliquer aussi à l’effondrement de 1295 et à celui, moins grave, de 1310, ces deux exercices couvrant à peu près les mêmes mois. 95 Cf. G. Martini (éd.), Storia di Milano, Milan, 1955, t. v, p. 391. 96 Sauf, bien entendu, pendant la baisse qui se manifeste au début de 1295 (cf. supra, n. 94). 97 Cf. V. van Berchem, « Guichard Tavel, évêque de Sion, 1342-1375. Étude sur le Vallais au xive siècle », Jahrbuch für Schweizerische Geschichte, 24 (1899), p. 61. Ainsi qu’on l’a dit, les comptes du péage signalent cependant ces troubles de 1294 à 1298 comme une des causes de la diminution des « drapi grixi » en provenance de la foire de Sion.
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octobre 1298 et avril 1303, et seulement 4 balles de décembre 1307 à décembre 1308. Pour la première fois depuis 1286, un exercice comptable couvrant aussi les mois de printemps et d’été présente ainsi une moyenne journalière inférieure aux 6 balles. D’une manière générale, les événements de Flandre ne paraissent pas avoir eu une influence notable sur le passage de la laine à Saint-Maurice. La baisse assez modeste de 1302 pourrait certes être due, au moins en partie, à la reprise des importations de draps depuis la Flandre ; mais elle pourrait aussi être un reflet des incertitudes provoquées par l’éviction des Visconti à Milan. Il est d’autre part impossible de savoir dans quelle mesure les autres routes, terrestres ou maritimes, ont pu influencer le trafic de la laine par le Valais. En ce qui concerne le péage de Montmélian, les passages de laine « flamande » restent très modestes jusqu’en 1300, et disparaissent totalement après cette date jusqu’en 132398. D’autre part, si les efforts des Milanais pour garantir la sécurité des transports sur la route du Gothard semblent devenir plus intenses à partir de 129999, aucune source ne permet d’estimer, ne serait-ce que de manière approximative, le volume du trafic qui a pu emprunter cette voie au tournant du xiiie au xive siècle. Mêmes incertitudes en ce qui concerne l’éventuelle concurrence de la route maritime. Si à cette époque le rôle de Venise paraît encore secondaire, les relations entre Gênes et l’Angleterre sont en revanche déjà bien établies. Cependant, d’après les documents publiés par R. Doehaerd, il semblerait que les marchands milanais n’ont pas utilisé de manière systématique les services des galères génoises. En effet, seuls deux contrats concernent des marchands de Milan qui importent de la laine anglaise, les deux ayant été stipulés pour des voyages prévus dans le courant de 1307100. L’accord porte, dans un cas, sur un chargement de 2 700 cantares génois, et dans l’autre sur 1 200. Il s’agit donc de quantités tout à fait respectables, puisqu’elles correspondent à environ 1 110 sacs101. Sans qu’on puisse établir aucune relation de cause à effet, il est néanmoins intéressant d’observer que l’arrivée, vers la fin de 1307, de cette laine anglaise sur le marché milanais102, coïncide avec un brusque ralentissement du trafic par le Valais en 1308. En 1311 et 1312, l’activité au péage connaît une paralysie presque totale qui touche pratiquement toutes les marchandises, mais en particulier la laine. De mars 1311 à mars 1312, ne transitent en effet que 140 balles de laine, et pendant les dix mois qui suivent à peine 22. H. Dubois, qui traite du creux de 1312 à propos des draps,
98 M. Cl. Daviso di Charvensod, I pedaggi, op. cit., p. 210-212. 99 Les copies des lettres de mars 1299 d’Albert ier, roi des Romains, ont été publiées par A. Schulte, Geschichte des Mittelalterlichen Handels, op. cit., t. ii, no 1. 100 Cf. R. Doehaerd, Les relations commerciales entre Gênes, la Belgique et l’Outremont d’après les archives notariales génoises aux xiiie et xive siècles, Bruxelles - Rome, 1941, t. iii, n. 1630 et 1631. 101 Le cantare de Gênes vaut un peu plus de 47 kg, le sac de laine en Angleterre pèse à peu près 165 kg. On peut aussi remarquer que les deux chargements correspondent environ au 7,5% du total des exportations de laine par des étrangers depuis les ports anglais en 1307-1308 (voir les tableaux établis par E. M. Carus-Wilson et O. Coleman, England’s Export Trade, 1275-1547, Oxford, 1963, p. 122). 102 Selon les termes des deux contrats, les galères devaient partir de Gênes avant le 1er mai, charger en Angleterre pendant le mois d’août et rentrer le plus vite possible.
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cite, parmi les causes possibles, la reprise des osts de Flandre et l’insécurité que Savoie et Dauphiné font régner dans la Maurienne103. Cependant, s’il est vrai que les exportations de laine depuis l’Angleterre chutent à partir de 1312, elles sont encore à un niveau très élevé en 1311, alors qu’à Saint-Maurice la crise est déjà très aiguë104. Nous pensons, pour notre part, qu’une des raisons de cet arrêt soit plutôt à rechercher dans la descente en Italie d’Henri VII, qui ralluma les querelles entre guelfes et gibelins, provoqua le retour au pouvoir des Visconti à Milan, ainsi que de nombreuses révoltes dans les principales villes lombardes, surtout en 1311 et en 1312105. Le châtelain de Saillon-Conthey signale d’ailleurs dans ses comptes qu’en 1312 « mercatores Lombardiae non transierunt106 », ce qui semblerait indiquer que la crise politico-militaire eut des conséquences très graves pour l’ensemble des activités économiques de l’Italie du nord. Si de 1281 à 1312 on a pu considérer une moyenne de 6 balles par jour comme un palier au-dessous duquel le trafic traversait une période de crise, force est de constater que cette même moyenne devient, à partir de la deuxième décennie du xive siècle, une barre qui ne sera franchie que pendant quelques rares exercices. Malgré sa gravité, l’effondrement de 1311-1312 n’a cependant pas affecté le trafic de manière durable. Dès 1313 les passages de laine par Saint-Maurice sont en augmentation, ce qui permet à la moyenne d’atteindre presque les 6 balles par jour à la fin de 1314 et au début de 1315. Mais la reprise est éphémère, car dès le mois de juin de cette année les comptes signalent une nouvelle baisse qui se prolonge et s’accentue jusqu’en 1320107. Malgré une courte baisse sans doute saisonnière, une nouvelle percée du trafic se dessine entre juin 1319 et mars 1322. Mais, une fois de plus, elle sera de courte durée, car la moyenne, qui était de 8 balles, tombe à moins de 3 en 1322 et n’est que légèrement supérieure à une balle par jour en 1323. Il est vrai que ces deux années ont été particulièrement difficiles pour les Visconti, ce qui a sans aucun doute perturbé l’ensemble des activités commerciales lombardes. En décembre 1321, le pape Jean XXII avait en effet décidé d’ouvrir un procès pour hérésie contre le seigneur de Milan, et deux mois plus tard ordonné de prêcher une croisade contre les Visconti. Au printemps de l’année suivante, Milan était ainsi menacée d’être prise en tenaille par les Angevins d’un côté et les Habsbourg de l’autre. En 1323, les Angevins, après avoir conquis Plaisance, avaient décidé d’attaquer directement Milan et dans ce but occupé la ville de Monza. De juin à 103 H. Dubois, Les foires de Chalon, op. cit., p. 277. 104 En fait, les données calculées par M. Cl. Daviso di Charvensod à partir desquelles H. Dubois avance son hypothèse, offrent une image quelque peu déformée de la conjoncture, parce qu’elles retardent d’une année le début la crise. 105 Cf. Storia di Milano, op. cit., t. v, p. 20 et suiv. 106 ASTo, SR, Inv. 69, f. 41, m. 1. 107 On sait qu’en 1314 les Milanais avaient chargé Beroldus de Oldratis de se rendre à Côme, à Lucerne, auprès du duc d’Autriche et en Allemagne pour faire en sorte d’obtenir des garanties concernant la sécurité sur la route du Gothard, sans doute très perturbée par les dissensions qui opposaient, à la veille de la bataille du Morgarten, les Waldstätten aux Habsbourg. On ne sait cependant pas si les démarches du représentant des Milanais aboutirent (cf. A. Schulte, Geschichte des Mittelalterlichen Handels, op. cit., t. ii, no 314).
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août, des combats s’étaient déroulés dans les faubourgs de Milan, et ce n’est que dans la deuxième partie de l’année que les Visconti avaient pu reprendre l’initiative qui allait leur permettre, en décembre 1324, d’occuper et piller à leur tour Monza. À la même époque, l’activité des marchands milanais en France semble par ailleurs se heurter à des obstacles où l’élément politique n’est peut-être pas absent. En juin 1323, les gardes des foires de Champagne et de Brie ordonnent « a toutes justices tant d’église comme seculeres » des représailles contre les Milanais afin d’obtenir le remboursement d’un crédit qu’un bourgeois de Paris avait cédé à des marchands de Plaisance. En octobre de la même année, les gardes ordonnent à la commune de Dijon de procéder « par prise et par vendue de biens » contre les marchands de Milan, ordre qui est réitéré en août 1324. La même année, de nouvelles représailles sont ordonnées à cause d’une dette que la banque des Anguissola essaie en vain de récupérer depuis 1319108. D’autre part, l’interdiction de 1321 d’exporter des laines du royaume de France ou, comme on l’a vu, les accords pour garantir la sécurité sur la route par la Lorraine, ont également pu influencer à la baisse les passages de laine par Saint-Maurice. Il est donc probable que le trafic est resté assez modeste pendant toute la troisième décennie du xive siècle, même si l’absence de comptes de 1325 à 1328, ainsi que l’exercice très long de 1328 à 1331, empêchent de suivre d’un peu plus près les variations du trafic109. À partir du mois de mai 1331, les passages de laine recommencent à connaître une conjoncture positive, qui se prolonge jusqu’en octobre 1334 lorsque la moyenne dépasse les cinq balles par jour. Malgré un léger fléchissement en 1336, peut-être à la suite de la guerre qui oppose en Bourgogne les barons comtois à Eudes IV, le rythme des passages se maintient à un niveau relativement élevé au moins jusqu’à l’automne de 1339. Les comptes signalent, pendant cette décennie, une activité diplomatique assez intense. Le 29 novembre 1330, le comte de Savoie a envoyé le péager de Saint-Maurice Jean Vichardi à Côme, Lodi et Milan pour traiter de la « reconciliatio camini ». En 1332 ou 1333, des représentants de Milan se sont à leur tour rendus chez le comte de Savoie. L’exercice de 1334-1336, signale enfin les dépenses effectuées pour envoyer un messager à Seyssel, où se trouvait le comte, pour l’informer des mesures prises par les marchands de Côme pour réformer le chemin d’Allemagne, messager qui, de Seyssel, avait été par la suite chargé d’aller à Côme, vraisemblablement pour obtenir des informations plus précises110. Il est probable que le trafic relativement intense sur la route du Valais pendant une bonne partie de la décennie 1330-1340, s’explique par différents facteurs. Le commerce maritime a sans doute connu à cette époque un certain ralentissement dû à la rivalité croissante entre Gênes et Venise. En même temps, le mariage, en 1330, d’Azzone Visconti avec la fille de Louis de Savoie a permis le rétablissement d’une alliance entre les deux familles qui garantissait une sécurité plus grande sur la route du Valais, alors que
108 Archivio della Camera di Commercio di Milano, scatola 30, cimeli IV, fasc. 70-75. 109 D’autant plus que les comptes de Villeneuve comportent aussi une lacune qui va de 1327 à 1335. 110 Il s’agit, peut-être, des mesures prises à la suite du passage de Côme sous la domination des Visconti en 1335.
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celle du Saint-Gothard, après l’accord entre Uri et Côme en 1331, et compte tenu des rivalités existant entre cette dernière ville et Milan, pouvait être considérée par les marchands milanais comme moins sûre. D’autre part, la route d’Allemagne, et notamment celle de Lorraine, a été très perturbée entre 1337 et 1340, à cause des démêlés entre le comte de Bar et le duc de Lorraine111. Enfin, l’embargo anglais sur les laines de 1337, et les craintes suscitées par la perspective d’une nouvelle guerre, ont pu pousser les opérateurs lombards à accroître leurs achats de laines bourguignonnes. Quoi qu’il en soit, dès octobre 1339, une nouvelle baisse importante se vérifie. La moyenne retombe à un peu plus de deux balles par jour et reste, jusqu’en 1349, à un niveau assez bas, la barre des trois balles n’étant dépassée qu’en 1341 et 1345. Il est possible que le ralentissement du trafic découle, du moins en partie, des troubles qui se sont manifestés en Valais pendant ces années. Les comptes signalent qu’en 1341 ou 1342 le pont de Riddes, auquel on percevait un péage, a été détruit par les habitants de Saillon, et qu’il a fallu, comme on l’a vu, dédommager un marchand qui a dû attendre plusieurs jours avant de pouvoir passer. Le même exercice comptable indique en outre qu’un représentant du comte a été envoyé à Milan pendant trente jours « pro reparacione et reformacione itineris seu camini procurandis ». En juin 1342, les Valaisans envahissent le mandement de Conthey, appartenant au comte de Savoie, et le pillent. Les comptes de la châtellenie de Saxon signalent, à l’année 1345, des dépenses pour deux missions à Milan, en octobre et en novembre, « pro facto mercatorum », peut-être en vue de rassurer les marchands milanais quant à la sécurité de la route. Mais, l’année suivante, les Haut-Valaisans saisissent les marchandises d’un marchand astésan très lié à la maison de Savoie, Palméron Turqui, ce qui va susciter un différend avec l’évêque de Sion qui durera quelques années, et qui aura pour conséquence d’éloigner les marchands milanais de la route du Valais112. Malgré des accords en 1347 promus par l’évêque de Sion afin de garantir la sécurité des marchands en Valais113, il est probable que les Milanais ont estimé que cette route ne présentait plus les garanties voulues. Lorsque, en mai 1347, ils demandent à Amédée VI de Savoie de confirmer le traité de 1336, ils exigent en effet que les clauses de ce dernier soient étendues également à la route par le Mont-Cenis114. Il vrai que cette précaution n’aura que peu de conséquences, la guerre qui éclate entre la Savoie et Milan en 1347 et 1348 provoquant l’interdiction du passage des marchands lombards par les deux routes115. Malgré la peste, qui arrive à 111 Cf. A. Deroisy, « Les routes terrestres de la laine anglaise vers la Lombardie », Revue du Nord, 25 (1939), p. 48. 112 En 1350, l’évêque de Sion assure que « ad procurationem dicti Palmeroni turbatum fuit iter Vallesii quantum ad mercandias per aliqua tempora per partes extraneas transportatas » (Gremaud, Documents, no 2198). 113 Le texte a été publié par V. van Berchem, « Guichard Tavel », art. cit., p. 329-334. 114 Le traité a été publié par L. Cibrario, « Delle finanze della monarchia di Savoia ne’ sec. XIII e XIV », Memorie della Reale Accademia delle Scienze di Torino, 36 (1833), p. 249-257. 115 Après le rétablissement de la paix, le comte de Savoie remboursera les marchands qui avaient osé braver l’interdiction. En 1349, le péager de Saint-Maurice dédommage ainsi le procureur de Jean Tomesii de Galerate qui avait dû payer une composition de 1 400 florins pour avoir fait transiter 77 balles de laine pendant la guerre. Deux autres marchands milanais seront dédommagés pour des
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Saint-Maurice en février 1349 et gagne par la suite le reste du Valais, la paix conclue entre la Savoie et les Visconti le 3 décembre 1348 va relancer l’activité du péage. En 1349 la moyenne est déjà supérieure aux quatre balles par jour ; elle le restera jusqu’en janvier 1361, avec des pointes en 1351-1352 et 1355 supérieures aux 6 balles, et aux 8 balles entre mars 1358 et février 1359. Les troubles assez graves qui auraient pu perturber le trafic sur la route du Valais pendant ces années – occupation d’une partie du Valais épiscopal par les Savoyards, pillage de la ville de Sion, révoltes dans le Haut-Valais, etc. – ne semblent pas avoir influencé de manière significative les passages de laine. Selon toute vraisemblance, la demande de l’industrie drapière lombarde est restée très élevée entre 1349 et le début de 1361. On sait que la région de Milan fut épargnée par l’épidémie de peste de 1348-1349, ce qui a sans doute permis à son industrie à la fois de continuer à disposer d’une main-d’œuvre abondante et d’un marché intérieur intact, et peut-être aussi de profiter de ce que J. Heers a appelé la « fureur de dépenses » qui s’empara ailleurs des survivants, tout comme de l’augmentation des coûts de production que dans beaucoup d’autres régions la rareté de bras avait provoquée. Quoi qu’il en soit, entre juillet 1361 et avril 1362, le trafic de la laine au péage de Saint-Maurice connaît une baisse très importante, due peut-être à l’épidémie de peste qui frappa de plein fouet Milan en 1361. Malgré une légère reprise pendant les deux années suivantes, commence dès lors pour le péage une longue période de déclin qui ne cessera de s’aggraver. Certes, eu égard à d’autres péages, les quantités de laine qui transitent ne sont pas tout à fait négligeables, puisque la moyenne, bon an mal an, reste jusqu’à la fin du siècle autour des 2 balles par jour. Mais les faibles variations de la courbe montrent que désormais l’activité à Saint-Maurice reste faible même lorsque la route est sûre. Lorsqu’elle ne l’est pas, le trafic a même tendance à disparaître totalement, comme par exemple en 1373-1374, lorsque les Visconti doivent faire face à une nouvelle coalition pontificale à laquelle participe aussi le comte de Savoie116 ; ou en 1384, lorsque la ville de Sion est détruite par les hommes du comte et la « souste » de Saint-Maurice endommagée par des partisans des révoltés du Haut-Valais. Au-delà de ces événements et de bien d’autres encore, le déclin de la laine sur la route du Valais est cependant à attribuer à des causes bien plus profondes et durables. Tout d’abord, la concurrence sans doute plus forte de la route du Saint-Gothard, dont l’accès, après la conquête de Bellinzone en 1340, est directement contrôlé par les Visconti, et par où transite encore cette laine anglaise qui en Valais avait disparu après 1360. Ensuite, la concurrence de la mer, impossible à mesurer ne serait-ce que par approximation, mais qui a certainement joué un rôle majeur, compte tenu aussi des liens qui ont uni à différents moments Gênes à Milan. Mais il est probable que la raison principale doit être recherchée dans l’afflux, sur le
chevaux qu’on leur avait saisis. 116 En 1372 déjà, Grégoire xi avait demandé à l’évêque de Sion d’interdire le passage des marchands milanais dans son territoire. Cette mesure ne paraît cependant pas avoir été appliquée avec beaucoup d’enthousiasme. L’évêque se limita en fait à faire saisir au marchand Antoine Grassi 50 balles qui venaient de Flandre (cf. Gremaud, Documents, no 2156, 2158 et 2166).
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marché lombard, de laines provenant d’autres régions, qui, au moins partiellement, ont remplacé celles d’Angleterre et de Bourgogne. L’importation de laine de San Matteo paraît ainsi connaître un certain essor pendant la première moitié du xve siècle, tout comme celle des laines allemandes ou de Provence117. Pendant cette même période, les laines bourguignonnes connaissent en revanche un certain effacement, pour des raisons peu claires et qu’on ne peut sans doute pas ramener uniquement à l’épizootie de 1406, mais que confirment la progressive disparition des marchands milanais de la Bourgogne et le fait que pendant toute la première partie du xve siècle la moyenne des passages de laine à Saint-Maurice n’a jamais été supérieure à une balle par jour.
Les autres marchandises118 Jusqu’au milieu du xive siècle, le péage a également vu défiler un nombre très considérable de chevaux destinés à la vente119. Pour l’ensemble de la période, ils représentent, à cause du montant élevé qu’ils devaient acquitter, la marchandise qui a le plus rapporté au comte, après la laine. Selon toute vraisemblance, les chevaux qui passaient par Saint-Maurice étaient des destriers de très grande valeur, qui circulaient sans doute dans les deux sens. D’après les comptes du péage de Bard, il semblerait que beaucoup de chevaux provenaient de France, d’autres d’Angleterre. Mais il est certain que l’Italie aussi exportait des chevaux. Galvano Fiamma cite, parmi les éléments qui ont contribué à la richesse de Milan, l’élevage d’une nouvelle race de « dextrarii nobiles qui in magno pretio habentur120 ». Sans entrer dans les détails, on peut observer que les passages de chevaux sont très intenses entre 1291 et 1298, avec une pointe entre novembre 1294 et avril 1295, période pendant laquelle transitent 565 animaux. D’autres poussées du trafic se vérifient en 1310, 1314-1315 et 1318-1319. Malgré un certain ralentissement, le rythme des passages demeure relativement soutenu jusqu’en mars 1346 ; mais après cette date, les chevaux qui passent par Saint-Maurice deviennent très rares, pour pratiquement disparaître au xve siècle. On sait qu’à partir du xive siècle, plusieurs ordonnances royales ont interdit l’exportation de chevaux du royaume de France, ce qui, compte tenu également de la guerre franco-anglaise, a sans doute perturbé le trafic des chevaux, tout au moins dans la direction nord-sud. Il est en outre possible qu’après la Peste Noire la demande de chevaux de grand prix a baissé, à cause notamment de la
117 Ainsi, par exemple, dans les minutes de l’année 1436 du notaire de Côme Francesco da Cermenate, les transactions concernant la laine allemande sont de loin les plus nombreuses, alors que la laine bourguignonne n’est même pas mentionnée (voir les données publiées par G. Mira, Le fiere, op. cit., p. 156, n. 70). 118 Pour les graphiques concernant les produits qui seront traités dans cette partie voir l’annexe 1. 119 Le traité de 1336 entre les marchands milanais et le comte stipule que les destriers montés par les marchands ne doivent pas acquitter le péage, à condition que ces derniers ne se déplacent pas en même temps avec un roncin non monté (cf. L. Cibrario, « Delle finanze », art. cit., p. 251). 120 Galvanus Flamma, Opusculum de rebus gestis ab Azone, Luchino et Johanne Vicecomitibus, éd. Carlo Castiglione, Bologne, 1938, col. 1038.
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dégradation des revenus du groupe social auquel s’adressait ce type de produit. Une fois encore, cependant, il faut souligner le caractère hypothétique de ces explications, qui demandent à être vérifiées et complétées par des études ponctuelles. 4 3,5 3 2,5 2 1,5 1 0,5 0 1280
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Graphique 4. Moyenne journalière par exercice des passages de chevaux (1280-1450)
Parmi les produits exportés depuis l’Italie septentrionale vers la France ou le nord de l’Europe, les futaines et les armures ont sans aucun doute occupé une place de choix. Malheureusement, les comptes du péage rangent dans la même rubrique les futaines avec les toiles, la cire, les pelleteries, les « pecolerie » et parfois les draps gris d’Allemagne ; les armures dans la catégorie des balles de « mercerie », dans lesquelles on pouvait également trouver des draps d’or – autre spécialité lombarde –, des livres, des produits travaillés en métal ou encore des épices. Il est donc impossible de connaître avec une certaine précision l’évolution des exportations de futaines par la route du Valais. On peut cependant estimer, sur la base de quelques indices, que les futaines constituent, sinon l’essentiel, du moins une part importante des marchandises contenues dans ce type de balles. Les comptes permettent par ailleurs d’affirmer que certains convois de futaines étaient aussi destinés au marché régional, alors que d’autres poursuivaient leur route vers la France. Contrairement aux draps, à la laine ou aux chevaux, les passages de futaines restent relativement réguliers pendant toute la période couverte par les comptes. Au-delà des nombreux cycles que le graphique permet de repérer, il est en effet intéressant d’observer qu’à partir de 1370 le volume du trafic a même tendance à augmenter, constat qui est en partie valable également pour les balles de « mercerie ». Une fois de plus, le rythme des passages des balles de futaines et, dans une moindre mesure, de celles de « mercerie »121, paraît très influencé par la conjoncture de l’économie lombarde, comme le montre, par exemple, 121 Comme nous le verrons, le volume du trafic des balles de « mercerie » dépendait également de la présence ou de l’absence des opérateurs vénitiens.
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l’effondrement de 1404-1405 et des années suivantes, qui coïncide avec la crise très aiguë provoquée par l’assassinat de Jean-Galéas Visconti. Malgré l’importance que prennent les futaines dans la structure du trafic qui passe par Saint-Maurice pendant le xive siècle, il est certain que la route du Valais n’avait qu’un rôle secondaire en ce qui concerne les exportations lombardes de ce produit. Comme le montrent les actes des notaires milanais, les grands acheteurs de futaines étaient en effet les marchands des villes suisses alémaniques ou du sud de l’Allemagne122. 2,40 2,20 2,00 1,80 1,60 1,40 1,20 1,00 0,80 0,60 0,40 0,20 0 1280
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Graphique 5. Moyenne journalière par exercice des balles de futaines, toiles, cire, etc. (1280-1450) 0,9 0,8 0,7 0,6 0,5 0,4 0,3 0,2 0,1 0 1280
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Graphique 6. Moyenne journalière par exercice des balles de « mercerie » (1280-1450)
122 Les Allemands deviendront d’ailleurs eux-mêmes des exportateurs de futaines, fabriquées en partie grâce au coton acheté à Milan (cf. L. Frangioni, « I tessuti », art. cit., p. 33).
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Tout en se situant à un niveau inférieur de celui des balles de draps ou de futaines, le volume total du trafic de celles que les péagers qualifient « de fer ou de cuivre » demeure somme toute d’une certaine importance, les comptes ayant enregistré presque 13 500 balles de cette nature123. Les produits qu’elles contenaient étaient vraisemblablement assez nombreux, puisqu’il pouvait s’agir aussi bien de plaques de fer, de cuivre ou d’autres métaux, d’acier, de fils de fer, de cuivre, d’objets partiellement travaillés et, bien entendu, de clous, d’aiguilles, etc.124. Compte tenu de l’importance de l’industrie sidérurgique milanaise, il est fort probable qu’une bonne partie des balles provenait de Lombardie, même si le trafic, du moins partiellement, était sans doute également régional. Le rythme des passages des balles de fer paraît avoir été assez soutenu pendant le premier quart du xive siècle. Malgré les remontées de 1331-1338 et de 1357-1360, il connaît par la suite un ralentissement assez régulier. Après 1400, rares sont les périodes comptables pendant lesquelles transite, en moyenne, plus d’une balle tous les dix jours. Dès la fin du xive siècle, on constate en revanche un certain essor du trafic des faux, qui étaient taxées séparément. Plusieurs exercices annuels indiquent en effet des passages de faux supérieurs aux 2 000 unités. Il est probable qu’un certain nombre de balles circulait dans la direction nord-sud, la fabrication de faux à Fribourg et à Berne étant, à cette époque, une activité assez importante, grâce notamment aux tôles importées d’Allemagne125. 1,8 1,7 1,6 1,5 1,4 1,3 1,2 1,1 1 0,9 0,8 0,7 0,6 0,5 0,4 0,3 0,2 0,1 0 1280
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Graphique 7. Moyenne journalière par exercice des balles de fer (1280-1450)
123 Sur le trafic de ces produits, voir aussi dans le présent volume « Les produits sidérurgiques dans les comptes de péage de Saint-Maurice d’Agaune et de Villeneuve-Chillon (xive-xve siècles) » 124 L’accord de 1336, confirmé en 1347, prévoit « quod nullum filum othoni grossum nec ferreum nec aliquod ferramentum merceria non reputabitur […] » (L. Cibrario, « Delle finanze », art. cit., p. 251). 125 Voir à ce sujet les regestes des notaires fribourgeois publiés par Ammann, MW. En 1375, les comptes signalent d’ailleurs le passage de « duarum ballarum falcium Berne » (ASTo, SR, Inv. 69, m. 2, r. 29).
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Quant aux peaux crues, dont le volume total se situe autour de 6 400 balles, il semblerait qu’elles provenaient principalement des régions d’élevage de l’arc alpin. Au-delà des brusques variations conjoncturelles, le trafic paraît avoir connu une certaine régularité, avec toutefois une légère tendance à la hausse à partir de 1364. 0,45 0,4 0,35 0,3 0,25 0,2 0,15 0,1 0,05 0 1280
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Graphique 8. Moyenne journalière par exercice des balles de peaux (1280-1450)
Plus délicate est en revanche la lecture de la courbe concernant les poissons. Le caractère très saisonnier de cette marchandise, consommée en grandes quantités surtout avant Pâques, doit en effet inciter à la plus grande prudence. Au total, les comptes enregistrent le passage de presque 9 500 balles, c’est-à-dire d’environ neuf millions et demi de poissons. De 1294 à 1305, et de 1310 à 1313, le péager distingue entre les balles de poissons et celles d’harengs, ce qui permet de constater la nette prédominance des harengs salés, qui représentent plus du 85% du volume total de ces années. D’un point de vue très général, nous nous bornerons à observer que le trafic demeure assez régulier jusqu’en 1360 ; il semble connaître, de 1360 à 1400, un premier ralentissement, qui devient plus marqué dans les décennies suivantes. Avec le net recul, dans un premier temps, des passages de draps, puis de celui des chevaux et enfin de la laine, la route du Valais a vu disparaître progressivement les trois marchandises qui lui avaient permis d’être, pendant quelques décennies, un des grands axes du commerce international. Au xive siècle, elle devient, à bien des égards, un simple parcours alternatif, que l’on peut emprunter lorsqu’il n’y a pas d’autres possibilités. Si l’on juge d’après les choix de la compagnie Datini pour amener les marchandises depuis Milan jusqu’à son comptoir d’Avignon, cette mutation se dessine déjà à partir de la deuxième moitié du xive siècle. Mais pendant longtemps, le péage a vu défiler, comme l’affirment les voituriers de Saint-Maurice dans un acte de 1432, « mercatores mediolanenses, ytalienses, francigenos, theodonicos,
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burgondonienses quam alios diversarum mundi partium126 ». De cette foule, les comptes ne nous laissent entrevoir qu’une partie minime, qu’on aurait néanmoins tort d’ignorer. 0,70 0,60 0,50 0,40 0,30 0,20 0,10 0,00 1280
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Graphique 9. Moyenne journalière par exercice des balles de harengs et poissons (1280-1450)
L’origine des marchands De 1293 jusqu’à 1390, les comptes du péage donnent de manière presque systématique le nom des derniers marchands qui ont transité par Saint-Maurice, et bien souvent aussi la quantité de marchandise qu’ils transportaient127. Nous disposons ainsi d’un échantillon assez consistant dû, bien entendu, au pur hasard, mais qui fournit malgré tout des informations précieuses. Il est fort probable que les petits marchands accompagnaient personnellement leurs marchandises, alors que les plus gros avaient sans doute recours à des individus ou à des sociétés qui se chargeaient du transport. Quoi qu’il en soit, les comptes paraissent indiquer le nom des propriétaires de la marchandise ou, du moins, du représentant de la société qui était responsable du convoi. Certains marchands sont cités à plusieurs reprises, tel Raimond de Ponte qui passe trois fois avec des harengs ou des poissons entre 1357 et 1366, en avril 1367 avec du fer, et le 21 août 1368 avec des draps gris achetés à la foire de Sion. Six marchands totalisent trois passages, alors que vingt-sept autres sont mentionnés deux fois. Au total, les comptes nous donnent ainsi le nom d’environ 510 marchands différents128. 126 ACSM, Pg 520. 127 Pour les premières années, les comptes donnent également les noms des premiers qui sont passés. Les noms sont aussi donnés pour les exercices qui vont de 1435 à 1440 et de février 1443 à février 1444. 128 Notre hésitation quant au nombre précis des marchands est due au fait que certains personnages qui portent le même nom passent parfois à distance de vingt ou vingt-cinq ans, ce qui empêche de savoir avec certitude s’il s’agit ou non de deux individus distincts.
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Pour environ 310 personnes il est aussi possible de préciser l’origine géographique, soit parce qu’elle est indiquée par les comptes, soit parce que ces personnages sont connus grâce à d’autres documents. Ainsi qu’on pouvait le prévoir, la présence des marchands italiens est extrêmement considérable : au moins 186 marchands sont en effet originaires de la Péninsule, même si certains d’entre eux, comme nous le verrons plus loin, résident en dehors de l’Italie129. Parmi les Italiens, les marchands lombards, et notamment les Milanais, forment de loin le groupe le plus consistant, puisqu’ils sont plus de cent vingt. Presque toutes les grandes casate milanaises sont mentionnées : les de Alzate, de Concorezzo, de Gallarate, de Meda, de Solerio, les Borron, les Crespi, les Grassi, les Ruffini, les Taverna, etc. Il est cependant difficile de distinguer avec précision les marchands actifs à Milan de ceux qui proviennent des autres villes lombardes. Ainsi, par exemple, parmi les quinze marchands que les comptes qualifient de Canturio, il y a sans doute non seulement des ressortissants de la bourgade de Cantú, mais également des membres de la famille établie à Milan des de Canturio. La même remarque est d’ailleurs valable aussi pour les de Modoetia (Monza), les de Varesio (Varèse) ou les de Novara, la présence de ces familles étant également attestée à Milan130. Après les Lombards, le groupe le plus nombreux parmi les Italiens est celui des ressortissants du Piémont actuel – avec une assez forte présence de sujets du comte de Savoie131 – et celui des marchands vénitiens, qui sont au nombre de vingt-trois. Les comptes signalent également six marchands de Lucques132, quatre de Bologne, trois de Gênes et un de Florence, d’Ancône et de Padoue. En fait, la suprématie des marchands italiens ne tient pas uniquement à leur nombre. Si l’on regarde l’origine géographique des propriétaires des convois supérieurs aux vingt balles, on constate en effet que plus du 90% des gros opérateurs sont des Italiens, et notamment des Lombards. Assez nombreux sont aussi les marchands originaires du Valais, de la région lémanique ou du plateau suisse. Les comptes mentionnent dix-neuf marchands de Fribourg, treize de Lausanne, dix de Berne, huit de Moudon, sept de Payerne et de Vevey, ou encore cinq d’Evian, quatre de Genève et de Martigny, trois de Corbières, deux des Clées, etc.133. Plus rares sont en revanche les marchands du comté ou du duché de Bourgogne. On trouve néanmoins quatre marchands originaires de Besançon, trois de Dijon, de Lons-le-Saunier et de Salins, deux de Langres, etc.134. Enfin, quelques 129 Nos chiffres ne prennent en considération que les marchands dont l’origine géographique a pu être établie sans incertitude. Il est cependant presque certain que des recherches plus poussées sur les noms cités par les comptes permettraient de montrer que les Italiens sont bien représentés également dans le groupe des marchands dont l’origine n’est pas explicitement mentionnée. 130 Les comptes citent en outre quatre marchands de Côme, deux de Pavie et un de Pallanza. 131 Voici les localités citées: Aoste (11 marchands), Asti (3), Ivrée (2); Alba, Avigliana, Chieri, Courmayeur, Domodossola, Pignerol, Suse et Tortona (1). 132 Une fois encore, il faut cependant souligner que la famille des de Lucca ou de Lucha est présente aussi à Milan. 133 Sont cités également des marchands d’Aiguebelle, Brigue, Bulle, Cluses, Gex, Morges, Orbe, Orsières, Sallanches, Yverdon, ainsi qu’un marchand originaire de Nantua et un autre de Lyon. 134 Sont cités également des marchands de Gray, de Poligny, ainsi que de Montbéliard et de Belfort.
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marchands viennent de régions plus lointaines, comme par exemple de Zurich, de Munich, de Montpellier ou, sans autre précision, d’Auvergne ou d’Allemagne135. D’une manière générale, les renseignements fournis par les comptes laissent apparaître une assez forte spécialisation des marchands. Certes, parfois, à côté de la marchandise principale, certains individus présentent au péage également une balle ou une demi-balle de « mercerie ». Presque toujours, cependant, le transport de produits différents est le fait de petits marchands qui se déplacent avec des quantités modestes136. Parmi les exceptions, citons au moins celle de Espernodus de Concorezzo, qui passe en 1370 avec 26 balles de futaines ou de toiles, et deux ans plus tard avec 44 balles de laine. Cette relative spécialisation ressort également si l’on considère l’origine des marchands en relation avec les produits qu’ils exportent ou importent. En ce qui concerne les draps, les comptes donnent les noms d’environ quatre-vingt marchands. Pour soixante-neuf d’entre eux, ils indiquent aussi les quantités transportées. En moyenne, chaque marchand se présente au péage avec presque 7,5 balles. Bien entendu, les différences d’un marchand à l’autre peuvent être très considérables. Les comptes laissent en effet entrevoir un trafic – sans doute régional – relativement intense, mais qui porte généralement sur des quantités modestes. Ainsi, par exemple, Flaretus de Sion passe en 1303 avec un peu plus de deux balles, Jean de Lyon, en 1312, avec une pièce et demie, Ly Greppos137 de Martigny, en 1323, avec un tiers de balle, Boniface d’Aoste, deux ans plus tard, avec une seule balle, Roletus de Payerne, en 1362, avec deux tiers de balle, etc. Certes, la vision très partielle que les comptes nous offrent doit nous inciter à la plus grande prudence. Il serait en effet absurde de juger de l’importance des différents marchands uniquement sur la base des quantités que les comptes nous signalent à une date déterminée, alors même que nous ignorons tout des quantités que ces mêmes individus ont pu faire passer à d’autres moments. Ainsi, par exemple, un marchand aux activités assez bien connues comme Barthélemy Spifame, bourgeois de Paris, n’est cité dans les comptes qu’une seule fois, en 1373. Il n’en demeure pas moins que pratiquement tous les passages de draps supérieurs aux dix balles sont dus à des marchands italiens138. Les Milanais paraissent avoir été très actifs surtout jusqu’au début du xive siècle. Ainsi, par exemple, Bertrandus de Arena passe en 1296 avec 58 balles ; en 1301 et 1310, ce sont des membres de la famille des Negro qui passent avec 38 et 19 balles. Par la suite, cependant, tout en restant relativement nombreux, les
135 Les comptes citent aussi un Johannes Clericis de Brugis (peut-être à identifier avec Jean de Bruges, bourgeois de Paris) et un certain Brunus de Durnuchi (Tournai?). 136 Ainsi, par exemple, Petrus Beacqua passe en 1338 avec 1 balle et demie de futaines, toiles, etc., et en 1345 avec une demi-balle de fer. Petrus était actif aussi dans le commerce de la laine, puisque le 18 juin 1341 il fait passer 2 sacs à Saint-Jean-de-Losne (cf. L. Gauthier, Les Lombards dans les Deux-Bourgognes, Paris, 1907, p. 202). Il faut cependant ajouter qu’en 1343-1344, « Francheu » Beacqua est parmi les plus gros exportateurs de laine que les comptes de Saint-Jean-de-Losne nous permettent de connaître (cf. H. Dubois, Les foires de Chalon, op. cit., p. 487). 137 Ce personnage, connu grâce à d’autres documents, est en réalité un Lombard établi en Valais. 138 Seule exception, peut-être, les treize balles présentées le 7 mai 1352 par Johannes Clericis. L’origine des propriétaires de deux convois, respectivement de 38 et 24 balles, n’a pas pu être établie.
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marchands lombards semblent le plus souvent transporter des quantités modestes, la seule exception étant Ambroise de Preda qui se présente, en 1354, avec 10 balles139. Mais le groupe de marchands le plus actif dans le commerce des draps, est sans aucun doute celui des Vénitiens. Quinze des vingt-trois marchands de Venise cités par les comptes le sont en relation avec le commerce des draps. En moyenne, ils arrivent à Saint-Maurice avec plus de treize balles, avec des pointes, pour Ludovicus et Panianus de Venise, de 35 et 34 balles. Il est intéressant d’observer que les passages des Vénitiens s’étalent dans le temps de manière plutôt irrégulière. Signalés pour la première fois en 1298, ils ne sont plus cités jusqu’en 1311. Leur présence est en revanche importante entre 1319 et 1322, 1337 et 1345, et surtout entre 1370 et 1380, période pendant laquelle ils semblent même assurer l’essentiel du trafic des draps qui passe par la route du Valais. Malheureusement, pour la grande majorité des marchands de draps Vénitiens, seul le prénom est indiqué. On peut néanmoins remarquer qu’en 1338 Sclavo Boloni, qui, comme on l’a vu, avait été le représentant des Vénitiens dans l’accord signé la même année avec Louis de Savoie, a fait passer cinq balles de draps140. Reste que les Vénitiens sont relativement nombreux à une époque où les passages de draps sont déjà très modestes, alors que le net déclin du trafic qu’on peut observer au début du xive siècle semble pouvoir être mis en relation avec la diminution des marchands lombards qui font passer des quantités importantes. Ainsi qu’on pouvait le prévoir, la très grande majorité des opérateurs qui traitent des quantités importantes de marchandise, sont actifs dans le commerce de la laine. Les deux tiers des marchands qui arrivent à Saint-Maurice avec plus de vingt balles transportent, en effet, de la laine141. En moyenne, chaque marchand se présente au péage avec 15,5 balles ; huit marchands arrivent cependant avec un chargement supérieur aux 40 balles, le plus important étant celui de Jacques de Concorezzo, qui se compose de 57 balles. Les convois de plus de 20 balles se répartissent dans le temps de manière assez inégale. De 1294 à 1317, les comptes n’en signalent qu’un seul sur 12 ; ils sont 5 sur 20 entre 1318 et 1346, et 19 sur 30 entre 1347 et 1389, alors qu’après 1435 ils disparaissent totalement. Certes, on ne saurait oublier que les données dont nous disposons sont en grande partie le fruit du hasard. Elles nous semblent néanmoins suggérer que la diminution du trafic global de la laine, au moins jusqu’à la fin du xive siècle, est allée de pair avec l’émergence d’un groupe d’opérateurs relativement restreint mais capable d’assurer l’essentiel des importations vers l’Italie. Autrement dit, jusqu’au premier quart du xive siècle, le trafic paraît avoir été animé par un nombre assez élevé de marchands, parmi lesquels, cependant, beaucoup étaient actifs à une échelle relativement modeste. Dans les décennies suivantes, en revanche, il semblerait qu’on assiste à un phénomène de concentration : le nombre 139 À vrai dire, ce personnage est originaire de Novare. Cependant, on sait par d’autres documents qu’il a entretenu des rapports d’affaires avec des Lombards établis à Sion, et il est probable qu’il était actif surtout sur le marché de Milan. 140 Les deux autres patronymes cités sont ceux de Franciscus Bordoin en 1345, et de Jean Saudani (ou Sandani), qui passe en 1370 avec 21 balles. 141 Convois supérieurs aux 20 balles: laine 25; draps « de France » 7; futaines, toiles, etc. 3; harengs et poissons 2; fer 1.
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des marchands qui contrôlent le trafic diminue, mais les affaires que ces derniers réalisent se situent à une échelle supérieure. Bien entendu, les Italiens sont de loin le groupe le mieux représenté : les comptes signalent le passage d’un marchand de Plaisance en 1294142, de Bologne en 1307, de Domodossola en 1310, etc. La prépondérance des Lombards, et notamment des Milanais, est particulièrement évidente entre 1318 et 1379, puisque trente-quatre des quarante-trois marchands dont nous avons pu établir l’origine, sont des Lombards. À l’exception de deux marchands de Côme143 et d’un d’Asti,144 tous les autres sont des Milanais145. On retrouve, parmi ces derniers, les membres de plusieurs des grandes casate actives sur le marché des laines bourguignonnes146. Les de Solario sont cités en 1322 et en 1357 ; les de Salvis en 1338 et 1345 ; les de Novara en 1347 ; les Taverna en 1350 ; les de Alzate en 1352 ; les de Meda en 1370 et 1378 ; les de Concorezzo en 1372 et 1376 ; les Ruffini en 1377, etc.147. Les deux casate le plus souvent mentionnées, sont cependant celles des Borron et des Grassi. Bacianus Borron passe en 1346 avec 6 balles ; Ambrosius, déjà cité à Saint-Jean-de-Losne en 1341, passe à Saint-Maurice le 28 mai 1357 ; le 1er janvier 1359, c’est Jaquemonus qui passe avec 31 balles ; le 5 avril 1362, Jaqueminus avec 36 balles ; le 17 février 1364, Petrus avec 16 balles ; enfin, le 24 décembre 1368, Jacemolus148. Quant aux Grassi, les comptes mentionnent Petrus, qui passe en 1342 avec 3 balles, un certain Ly Mocho Gras en 1365 avec 6 balles et, à trois reprises, Anthonius Grassi. Celui-ci fait passer 7 balles en 1367, 40 balles en 1369, et 29 balles en 1371. On l’a vu, Anthonius importait des marchandises également depuis la Flandre149. Mais c’est surtout son activité à Dijon et en Bourgogne qui est assez bien attestée. En 1360, avec son oncle Jean, il est emprisonné à Dijon ; en 1369, il est procureur de Barthélemy Spifame, et l’année suivante on le trouve associé à Jaquemin Borron. Même
142 Il s’agit d’Albéric de Playsencia. Il faut cependant noter qu’à Milan, au début du xve siècle, est attestée une famille de marchands de laine qui portait ce nom (cf. C. Santoro, La matricola dei mercanti di lana sottile di Milano, Milan, 1940, p. 182). 143 Le premier, Bargus, passe en 1344 avec 3,5 balles; le deuxième, Primolus, en 1360 avec 5 balles. Il s’agit peut-être des mêmes personnages qui passent à Jougne en 1350 (cf. V. Chomel, J. Ebersolt, Cinq siècles, op. cit., p. 85). 144 Il s’agit de Giorgius de Ast, qui fait passer 30 balles le 30 décembre 1355. 145 Nous considérons comme milanais aussi les de Canturio. 146 L’activité des casate milanaises en Bourgogne est assez bien connue depuis les travaux de L. Gauthier, J. Richard (« La laine de Bourgogne : production et commerce (xiiie-xve siècles) », in La lana come materia prima, op. cit., p. 325-342) et H. Dubois, auxquels nous nous permettons de renvoyer pour des renseignements plus détaillés sur les familles et les personnages qui seront évoqués dans les paragraphes suivants. 147 Johanninus de Solario: 1322, 11,5 balles; Johannolus de Solario: 15 avril 1357, 37 b.; Bertio de Salvis: 1338, 5,5 b.; Jean de Salvis: 1345, 4 b.; Guiotus de Novara: 1347, 25 b.; Comosius Taberna: 1350, 40 b.; Johannolus de Alzate, 1352, 21 b.; Johannolus de Meda: 1370, 40 b.; Johannodus de Meda: 1378, quantité non précisée; Espernodus de Concorezzo: 1372, 44 b.; Jacques de Concorezzo: 1376, 57 b.; Antoine Ruffini: 1377, quantité non précisée. Parmi les gros importateurs, on peut également citer: Petrus de Mediolano: 1318, 33 b.; Continus de Mediolano: 1320, 23 b.; 1321, 25 b.; Ruminus de Sala: 8 février 1353, 30 b.; Magnus de Mediolano: 15 janvier 1356, 55 b. 148 Il est difficile de dire si Jaquemonus, Jaqueminus et Jacemolus Borron sont une seule personne ou non. 149 Voir supra, n. 116.
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si tous n’appartenaient vraisemblablement pas à la même casata, les Grassi, au xive siècle, sont actifs également dans le commerce avec l’Allemagne, et s’occupent aussi de futaines150. En Valais, ils entretiennent des relations d’affaires avec des Lombards établis à Sion au moins depuis 1346151, et en 1439 un certain Ambrosius Grassi et son fils sont attaqués près de Conthey et dépouillés de 140 florins d’or d’Allemagne, et surtout de lettres de change pour une valeur totale de 12 000 florins152. Vue de Saint-Maurice, la prédominance des Lombards dans le commerce de la laine est donc indiscutable. Les marchands qui semblent être à même d’agir à une échelle comparable à celle des Milanais sont en effet assez peu nombreux. La plupart d’entre eux sont d’ailleurs connus grâce à leur présence sur le marché des laines bourguignonnes, où ils opèrent parfois en relation étroite avec certaines des casate milanaises que nous venons de mentionner. C’est le cas, par exemple, de Garnier de Bèze – drapier de Dijon, fournisseur de la cour ducale et échevin – qui est cité en 1362 pour avoir fait passer 42 balles. Quelques années plus tard, en 1376, on rencontre Jean de Langres, qui passe avec 25 balles153. En 1382 c’est Ambroise Bonfils, fils de Georges Bonfils mercier à Dijon et lui aussi fournisseur de la cour, qui est cité. Enfin, l’année suivante, c’est le Milanais de Dijon Guichard Vasselin qui est mentionné pour 49 balles. Petit-fils de Vassallinus de la Pessina qualifié de « bourgeois de Dijon » déjà en 1317154, Guichard, tout comme d’autres membres de la casata, a sans aucun doute été très actif dans l’exportation des laines bourguignonnes vers la Lombardie, en association parfois avec d’autres Milanais. La présence des Italiens est très considérable également parmi les marchands qui présentent des balles de « mercerie », puisqu’ils sont environ le 70% de ceux dont on peut établir l’origine. Les Lombards constituent le groupe le plus important, mais leur prépondérance n’a rien de comparable à celle que nous venons d’observer à propos de la laine. Un seul d’entre eux, en effet, se présente au péage avec plus de 5 balles. Parmi les autres Italiens, on trouve cinq marchands de Lucques, deux de Florence, un de Bologne, de Gênes, etc., mais surtout huit de Venise. Les Vénitiens, cités pour la première fois en 1320 et par la suite en 1344 et 1347, semblent très actifs entre 1376 et 1382. Dans l’ensemble, ils présentent au péage des quantités de marchandise relativement importantes. C’est d’ailleurs un certain Foresin de Venise qui fait passer, en 1377, le plus gros convoi, qui se compose de 13 balles. On notera également que pendant les périodes où la présence des Vénitiens paraît plus importante, on constate en général une augmentation de la moyenne journalière des balles de « mercerie » qui passent par le péage. Les comptes de Saint-Maurice laissent ainsi apparaître une certaine
150 Cf. A. Schulte, Geschichte des Mittelalterlichen Handels, op. cit., t. ii, no 27. 151 ACS, Minutier A 21, p. 67. 152 Gremaud, Documents, no 2907. 153 Un Jean de Langres de Paris est présent à la foire chaude de Chalon en 1376. Mais il s’agit d’un pelletier, et rien ne nous permet d’affirmer que c’est le même personnage (cf. H. Dubois, Les foires de Chalon, op. cit., p. 154, n. 72). 154 Cf. ibid., p. 482. Un document du xive siècle publié par A. Schulte mentionne des lettres de l’Universitas mercatorum de Milan déposées à Dijon auprès de Ottorollus, Cabriolus ou Filippinus de la Pessina. Ce dernier est le père de Guichard (Geschichte des Mittelalterlichen Handels, op. cit., t. 2, no 39).
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spécialisation des Vénitiens dans l’exportation de « mercerie » et l’importation de draps « de France », à l’instar de Bartholomeus de Vinicia, qui passe en 1344 avec 3 balles de draps et en 1347 avec 2 balles de « mercerie ». Quant aux non-Italiens, leur origine est très variée : on trouve parmi eux des marchands de Lausanne (3), de Genève, d’Yverdon ou de Berne, mais aussi de Dijon, de Pologny, ou de Montpellier. Presque toujours, cependant, ils se présentent au péage avec tout au plus une ou deux balles. Les Italiens, et en particulier les Lombards, sont bien représentés également parmi les individus qui font passer des balles de futaines, de toiles, de cire, de pelleteries, etc.155. Quatre marchands sur dix sont néanmoins originaires d’autres régions : à l’exception d’un habitant de Besançon et d’un autre de Berne, tous les autres proviennent de l’actuelle Suisse romande156. Les quantités présentées sont presque toujours modestes : deux fois sur trois, il s’agit de moins de 2 balles. C’est seulement entre 1370 et 1383 que les comptes signalent le passage de quelque convoi qui dépasse les vingt balles. Ils appartiennent tous à des Milanais, ce qui pourrait indiquer que les exportations lombardes de futaines par le Valais ont connu, pendant ces années, un certain essor. Dans l’ensemble, cependant, on a l’impression que le commerce des futaines était davantage animé par les petits marchands que celui, par exemple, des draps ou de la laine. Il est d’autre part probable que dans l’importation au nord des Alpes de cette marchandise, du moins pour ce qui concerne les régions auxquelles donnait accès le péage de Saint-Maurice, les non-Italiens ont également joué un certain rôle, en allant personnellement acheter quelques pièces dans les lieux de production pour ravitailler, par exemple, les marchés de la Suisse occidentale157. Bien que les péagers aient noté de manière moins systématique les noms des marchands de chevaux, les comptes permettent, une fois encore, de confirmer la nette prépondérance des Lombards158. Le commerce des chevaux paraît avoir été en grande partie indépendant de celui des autres marchandises ; on ne trouve, en effet, aucun personnage qui présente au péage aussi d’autres produits, ce qui empêche également de se faire une idée des directions du trafic159. Il est possible que certains marchands aient exercé le commerce des chevaux pendant plusieurs années, à l’instar du Milanais Muto Grassus, qui passe en 1294 avec deux bêtes et qui est toujours actif en 1310, puisque cette année Mahaut d’Artois lui achète un cheval160.
155 Lombards 19; Venise et Aoste 2; Ancône, Gênes, Ivrée, et Pignerol 1. 156 Les villes le plus souvent citées sont notamment Fribourg, Genève, Lausanne, Payerne et Moudon. 157 Bien qu’il soit impossible de donner des chiffres précis, on peut néanmoins remarquer qu’au début du xive siècle une partie non négligeable des balles de futaines, toiles, etc. est vendue à l’intérieur « des quatre évêchés ». 158 Sur un total de 52 marchands cités, 20 sont originaires de Lombardie. Parmi les autres, on trouve deux habitants de Bologne, un d’Aiguebelle, de Gex, de Bulle et de Sion, ainsi qu’un Auvergnat et un Allemand. 159 On peut néanmoins noter qu’un des deux plus gros passages est dû à un certain Guillaume de Sancto Germano en Auvergne, ce qui pourrait indiquer que dans ce cas les bêtes étaient exportées vers l’Italie. 160 Cf. L. Gauthier, Les Lombards, op. cit., p. 72, n. 4.
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Les plus gros passages se concentrent tous entre 1293 et 1298 ; dans l’ensemble, cependant, ils sont plutôt rares : cinq entre 8 et 13 bêtes, neuf entre 3 et 6, alors que douze marchands présentent 2 chevaux et vingt-trois un seul. Notons enfin que les seuls membres de la noblesse mentionnés explicitement par les comptes le sont à propos des chevaux : il s’agit de trois domicelli et de trois milites qui font passer, en tout, dix bêtes. Parmi les marchands qui présentent au péage des balles de fer, de cuivre, etc., les Italiens et ceux originaires d’autres régions se divisent en deux groupes presque égaux161. La présence lombarde demeure très forte, notamment celle, semble-t-il, des ressortissants de la bourgade de Cantú (7 sur 16)162. On l’a dit, le trafic des balles de fer qui passait par Saint-Maurice avait sans doute aussi un caractère régional assez marqué. Il n’est donc pas étonnant de trouver parmi les personnes citées plusieurs habitants de Lausanne (5), de Moudon (4), ou encore de Brigue, d’Orsières, d’Yverdon, de Vevey ou de Berne. Nettement plus rares sont en revanche celles qui viennent de régions plus éloignées : en tout, nous n’avons pu repérer qu’un seul marchand de Salins et un autre de Poligny. Si l’on juge d’après l’échantillon fourni par les comptes, il semblerait que le trafic des balles de fer par Saint-Maurice concernait un nombre relativement limité d’individus. Le pourcentage des marchands cités au moins à deux reprises est en effet assez élevé, puisqu’il est légèrement supérieur à 10%. Les quantités présentées en une fois varient grandement. Si cinq convois sont supérieurs à 10 balles – le plus important étant celui que fait passer le 6 décembre 1367 Andreonus de Canturio, qui se compose de 35 balles – plus de la moitié des passages concernent uniquement 1 balle ou une fraction de balle. Le seul trafic qui paraît avoir échappé, du moins en partie, à l’emprise des Italiens est celui des peaux crues. Parmi les 58 marchands qui présentent ce type de marchandise, on ne recense en effet que huit Italiens qui totalisent neuf passages, alors que les habitants d’autres régions sont au nombre de trente-six. Exception faite de deux marchands, l’un de Gênes et l’autre d’Asti, tous sont des Lombards. La présence italienne reste très faible jusqu’en 1367, mais à partir de cette date, et jusqu’en 1385, elle tend à se renforcer. Bien que minoritaires, les Italiens assurent le passage du 40% des convois supérieurs aux 5 balles. Les peaux crues semblent cependant faire l’objet d’un commerce en grande partie contrôlé par les habitants mêmes des régions de production. Parmi les individus qui présentent des peaux, on trouve en effet 14 marchands de Fribourg, 8 de Berne, 3 de Corbières, 2 de Vevey, 1 de Moudon et de Orbe, etc. Les Fribourgeois et les Bernois sont très nombreux entre 1319 et 1359 ; après cette date, cependant, ils disparaissent presque complètement, le seul marchand cité étant un certain Nicholas de Fribourg qui fait passer, le 3 mars 1364, 3/4 de balle de peaux et un peu de laine. Les comptes permettent enfin de confirmer le caractère très saisonnier du trafic des harengs et des poissons. Tous les convois supérieurs aux 5 balles, passent en effet
161 Sur 59 marchands cités, 21 sont italiens et 18 non italiens. 162 Les comptes citent également 2 marchands d’Aoste, 1 d’Asti, de Courmayeur, de Gênes et d’Ivrée.
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en janvier, en février, ou au début du mois de mars163. Les quantités présentées en une seule fois sont très variables, mais d’une manière générale les gros convois semblent plutôt rares, puisque cinq individus seulement arrivent au péage avec plus de 10 balles. Selon toute vraisemblance, une partie du trafic, après avoir transité par Saint-Maurice, empruntait la route du Grand-Saint-Bernard. Parmi les quelques marchands dont on peut établir l’origine géographique, on trouve en effet six habitants d’Aoste – qui totalisent sept passages –, et un de Chieri, alors que seuls deux Lombards sont cités. C’est d’ailleurs Arveitus d’Aoste qui, en février 1369, fait passer le plus gros convoi, composé de 21 balles. Assez bien représentés sont également les marchands de Berne (3), des Clées (2) ou d’Évian (2). Dans l’ensemble, le commerce ou le transport des harengs et des poissons paraît avoir été assuré en bonne partie par les habitants de localités relativement proches du péage, comme par exemple Fribourg, Lausanne, Vevey ou Martigny. Les comptes ne citent en effet qu’un seul marchand de Besançon, un autre de Zurich, et peut-être un troisième de Lille, un certain Pierre qui fait passer 4 balles le 24 mars 1364.
Conclusion Bien que les comptes permettent de suivre de manière relativement satisfaisante le mouvement commercial qui passait par Saint-Maurice, il n’en demeure pas moins que l’interprétation des variations que celui-ci a connues reste extrêmement délicate. Certes, ce constat est à peu près valable pour l’ensemble des péages dont les relevés nous sont parvenus. Mais pour celui de Saint-Maurice, et de tous les autres qui se trouvaient sur la route du Simplon, il l’est peut-être encore plus à cause de la rareté, pour ne pas dire l’absence, de documents chiffrés concernant l’économie lombarde, et en particulier milanaise, datant d’avant le xve siècle. On l’a vu, c’est grâce aux marchands de Milan qu’à partir du dernier tiers du xiiie siècle la route qui passait à travers les terres de l’évêque de Sion a pu être équipée et répondre ainsi aux exigences d’un trafic intense. Il est fort probable que l’essor de l’activité du péage remonte à cette même époque, comme le prouve entre autre le regain d’intérêt que le comte de Savoie paraît manifester à l’égard du péage après 1262, qui n’est pas sans rappeler celui dont font preuve les membres de la famille des Chalon pour Jougne. Quoi qu’il en soit, au moins jusqu’à la fin du xive siècle, le trafic par Saint-Maurice a été largement dominé par les importations sur le marché lombard, d’abord de draps et de laine et ensuite principalement de laine. Compte tenu de l’importance dans le volume total de cette dernière marchandise, le mouvement commercial qui passait par Saint-Maurice semble ainsi avoir été, globalement, davantage influencé par l’évolution de la demande de l’industrie lombarde que par les mutations des structures du commerce intereuropéen. Mais c’est là, comme on l’a dit, un domaine que les sources ne permettent guère d’aborder de manière satisfaisante. Il en va de
163 Même lorsque l’exercice comptable finit en avril, mai ou juin, le dernier passage de harengs ou de poissons est signalé entre janvier et mars.
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même pour ce qui est de la concurrence des autres routes, terrestres ou maritimes. Si on peut supposer que la conjoncture du trafic par le Simplon a été influencée à différents moments par la plus ou moins grande utilisation d’autres voies, il est en revanche impossible de cerner, même par approximation, l’ampleur et la durée de cette concurrence. Bref, l’étude des comptes soulève de nombreuses questions qui restent, le plus souvent, sans réponse. Il est cependant incontestable que la route du Simplon, à partir de la deuxième moitié du xive siècle, a progressivement perdu son caractère international, la diminution des importations de laines bourguignonnes n’ayant pas été compensée par l’augmentation du trafic de marchandises d’autre nature. Au xve siècle, son rôle est désormais secondaire, et il semble le rester, tout au moins jusqu’en 1450, malgré l’essor des foires de Genève.
Annexe Tableau 6 – Statistiques du transit des marchandises au péage de SaintMaurice d’Agaune (1281-1450)
Les comptes précisent presque toujours si le premier et le dernier jour de l’exercice sont inclus ou non. Lorsque ce n’est pas le cas, nous l’avons indiqué par l’emploi de l’astérisque. En règle générale, le dernier jour de l’exercice n’est jamais inclus, mais considéré comme le premier jour de l’exercice suivant. Les flèches ◄ et ► indiquent que les péagers ont enregistré les marchandises avec celles figurant dans la rubrique qui se trouve à gauche ou à droite de la flèche, de sorte qu’il n’est pas possible d’en connaître le détail. Les jours entre parenthèses correspondent à la durée des exercices qui n’ont pas été conservés. Les chiffres représentent le nombre de balles, sauf pour les chevaux où le chiffre est relatif au nombre d’équidés.
139
14
193
544 ½
250 ½
1 287
141 ½
86
473 ½
475
1 476
340
87
274
128
84
119
36
22
114
235
368
Draps
1 670
1 277
355 ½
31
134 ½
765
517
371
1 233
283
2 164
Laine
► ►1
◄ ◄ ◄ ◄ ◄ ◄ ◄ ◄ ◄ ◄1
◄ ◄ ◄ ◄ ◄ ◄ ◄ ◄ ◄ ◄
►
►
►
►
►
►
►
►
►
◄
◄
Poissons
Peaux
Futaines
1 Les peaux et les poissons représentent ensemble 150 balles.
10.1.1281* 15.12.1281* 16.12.1281* 12.3.1282 13.3.1282 11.12.1282 12.12.1282 18.4.1283 19.4.1283 11.7.1283* 12.7.1283 7.11.1283 8.11.1283 13.12.1283 14.12.1283 4.1.1284* 5.1.1284* 27.4.1284* 28.4.1284* 18.12.1284* 19.12.1284* 21.12.1285
Jours
186 ¾
57 ½
147
0
0
13
25
123 ½
122 ½
103
193
Fer
Tableau 6. Statistique du transit des marchandises au péage de Saint-Maurice d’Agaune (1281-1450)
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
Faux
152
89
30
5
2
83
23
48
47
19
50
Chevaux
91
36
25
3
–
12
18
37
23
13
50
Mercerie
l e m o u v e m e nt co mme rc i al au p é ag e d e sai nt-mau ri ce d’agau ne 263
2 3 4 5 6
261
2 175
692 ⅔
677
151
174 ½
111
971
946
41
29
214
113
161
192
387
161
297
320
39
Draps
8
2 594
1 922
69 ½
2 694 ½
2 462
501 ½
1 243 ½
1 587
329
Laine
30 133 ◄2 ►3
◄ ◄ ◄2 ◄3
72 ½ ◄
19
126
307
112
272
104
95
30
◄
3
79
5
►5
◄5
67
41
19
1
◄
◄
Poissons
Peaux
Futaines
Les peaux et les poissons représentent ensemble 12 balles. Les peaux et les poissons représentent ensemble 208 balles. Les comptes indiquent le passage de 400 chèvres qui payent en tout 10 livres. Les peaux et les poissons représentent ensemble 115 balles. Y compris 11 ½ balles de « pannorum aurum ».
22.12.1285 19.1.1286 20.1.1286 21.8.1286 22.8.1286 12.12.1286 13.12.1286 22.5.1287 23.5.1287 30.11.1287* 1.12.1287* 21.12.1288 22.12.1288 31.5.1289* 1.6.1289* 24.3.1290 26.3.1290 8.2.1291 9.2.1291 19.3.1291
Jours
72
74
176
60
300
84
86
49 ½
69
9
Fer
0
0
0
100
0
0
0
0
0
0
Faux
23
49
–
50
116 1/256
32
04 116
67
36
28
42
50
23
Mercerie
36
24
23
17
135
27
Chevaux
264 F r a n co M o r e n zo n i
725
1 080
657
279 ½
378 ½
111 ½
926
795 ½
885
812
564
73
289
324
309
173
253
155
271
203
553
245
548
355
Draps
7 Uniquement des balles de toiles.
20.3.1291 2.1.1292 3.1.1292 21.11.1292* 22.11.1292* 26.9.1293 27.9.1293 18.3.1294 19.3.1294 26.11.1294 27.11.1294 30.4.1295 1.5.1295 26.1.1296 27.1.1296 16.8.1296 16.8.1296 19.2.1298* 20.2.1298* 22.10.1298 23.10.1298 22.4.1300 23.4.1300 12.4.1301*
Jours
3 234 ½
3 298
3 941 ½
4 378
1 789 ⅔
2 879 ½
129 1/5
2 542 ½
1 296
4 380 ⅔
5 485 ¾
4 641
Laine
61 19 ½
53 ½7
14 ½
25
19 ⅔
36
17
46
8½
59 ½
44 ¼
34
Peaux
203
232
427
290 5/6
131
119
366 ½
141
382 1/6
375 ½
156
Futaines
116
198
20
84 ½
54
21
82
9
77
115 ½
103
25
Poissons
229
167
44 ½
228
123 ⅓
98
53 ½
131
70 ½
271
265
156
Fer
0
0
0
0
0
0
0
0
0
50
0
0
Faux
188
130
279
718
411
576
565
589
525
704
595
332
Chevaux
–
20
5
16
5
8
11
24
41
82
96
97
Mercerie l e m o u v e m e nt co mme rc i al au p é ag e d e sai nt-mau ri ce d’agau ne 265
3 774 ½
3 030 ½
228
153 ½
3018
482
163
276
309 ½
54 ½
476
322
440
262
379
311
344
404
128
288
3 816 ⅔
600 ½
3 294
1 480
2 861
3 131
2 335 1/5
2 546 ½
55 ½
388
2 947 ½
92
Laine
350
Draps
630 1/5
173 1/6
521
413
327
342 ½
236
314 ¾
273 ¾
234
145
Futaines
44 90 39 76 30 ¾
◄ ◄ ◄ ◄ ◄
241 ¾
◄
173
131 ¾
◄
◄
203 ½
◄
2
176
◄
◄
Poissons
Peaux
0 0
496 ¼10
0
0
50
0
0
0
0
1400
0
Faux
213
229 ½
304
275
205 ½
206 ½
174 ½
169 1/5
140 ½
215 1/5
Fer
176
184
400
268
381
395
88
124
115
52
54
Chevaux
122 5/12
25 ½9
–
–
–
–
–
–
–
–
–
Mercerie
8 Le manuscrit est coupé à cet endroit et il n’est pas possible de lire le nombre des balles. Le chiffre de 301 balles est celui indiqué par le péage du Faucigny. 9 Le compte indique le passage, en plus, de 70 sacs de guède qui ont payé le péage à un taux qui n’est pas précisé, et de 47 autres qui seront taxés par Rolandus Garreti, péager de Villeneuve. 10 Y compris un nombre non précisé de balles de guède.
13.4.1301* 28.3.1302* 29.3.1302* 20.4.1303 21.4.1303 7.3.1304* 8.3.1304* 21.5.1305* 22.5.1305* 7.2.1306* 8.2.1306* 21.2.1307* 22.2.1307* 29.12.1307* 30.12.1307* 7.12.1308* 8.12.1308* 15.1.1310* 16.1.1310* 25.3.1310 24.5.1310 7.3.1311
Jours
26 6 F r a n co M o r e n zo n i
662
130
185
94 ½
(2)13
126
452
158
16
244
366
1 23316
18515
131
309
148
377 ⅔
147
1 38714
357 ⅓
23 ¼
46
71 ½
1½
144 7/12
269 1/5
67 ¼
315
Futaines
1 379 ½
909
22 ¼
38
315
140 ¼
177 ½
Laine
366
Draps
5 1/5
17
8
37
0
0
48
58 ½
70 ¼
0
4
157
◄12
31 ½
24 ½
85 ¾
52 5/1211 2
Poissons
Peaux
82 ½
34
109
143 ⅔
17 1/5
124 7/12
498 ¼
112 ½
190
Fer
0
0
0
0
0
0
0
0
0
Faux
33
210
303
546
8
183
309
25
47
Chevaux
11 ¾
6¼
38
33
0
23 1/5
62 ¼
15
57 ½
Mercerie
Y compris un nombre non précisé de balles de cire. Il n’est pas tout à fait certain que ces balles aient été enregistrées avec celles de futaines, toiles, etc. Il s’agit de 2 draps. Le chiffre est illisible, il a donc été calculé à partir du montant encaissé. Le chiffre des balles est illisible. Le montant permet d’établir que le nombre total de draps est de 1798, ce qui correspond, selon la moyenne des draps contenus dans chaque balle de l’exercice précédent, à 185 balles. 16 Le chiffre est illisible, il a donc été calculé à partir du montant encaissé.
11 12 13 14 15
8.3.1311 7.3.1312* 8.3.1312* 16.1.1313* 17.1.1313* 13.4.1314* 14.4.1314* 18.9.1314* 15.9.1314* 30.9.1314 1.10.1314 1.6.1315 2.6.1315 1.6.1316* 2.6.1316* 6.4.1317 7.4.1317 1.9.1317
Jours
l e m o u v e m e nt co mme rc i al au p é ag e d e sai nt-mau ri ce d’agau ne 267
17 18 19 20
158 ½
50 ½
256 ¾
156
113
48 ½
102
–
240
169
401
238
337
406
396
[873]
1 338
60
246
338 ½18
259
365
Draps
2 940 3/419
–
1 372 ½
486 5/6
999 ¼
1 912 ¾
2 145 ¾
284 ½
1 492 ½
324 ½
1 139
Laine
24020
–
111 ⅓
146
13 ¼
114
183 ¾
107 ⅓
71 ⅓
53 ½
38
Futaines
39
–
173 5/6
79
49 1/5
68
166 ¾
54 ½
14 ½
24
3 1/3
Peaux
335 ½
–
185
180 ½
58 ½
32 1/5
168
108 ½
1
44
51 1/5
Poissons
404
–
148 ⅓
159
330 1/5
254
246 ½
42
61 ¾
71
142 ½
Fer
0
–
0
0
0
0
150
0
0
0
0
Faux
La date n’est pas sûre, mais à quelques jours près elle devrait correspondre. Tout le compte est en très mauvais état. Le chiffre est illisible, il a donc été calculé à partir du montant encaissé sur la base de 12 draps par balle. Le chiffre est illisible, il a donc été calculé à partir du montant encaissé. Le chiffre est illisible, il a donc été calculé à partir du montant encaissé.
19.5.1331
20.9.1327*17
2.9.1317 1.9.1318 2.9.1318 5.5.1319 6.5.1319 31.12.1319 1.1.1320 17.6.1320 18.6.1320 23.7.1321 24.7.1321 18.3.1322 19.3.1322 18.2.1323 19.2.1323 30.3.1324 31.3.1324 30.4.1325
Jours
640
–
36
50
209
90
186
38
140
620
278
Chevaux
245 5/6
–
75 ¾
24 11/12
100 5/6
174 ⅔
246 5/6
137 5/6
55
91
18 ½
Mercerie
26 8 F r a n co M o r e n zo n i
126
107 1/12
565 5/6
98
27 1/6
–
458
340
556
535
313
[339]
43 ¼
64 ¼
468
379
87 11/12
453
86 ⅔
68 ¼
416
409
110 1/6
388
Draps
1 003 ¾
982
–
957 ¾
1192 ¼
2 901
1 533 1/6
1 710 ¾
2 293 5/6
2 405 ¾
1 681
1 255
Laine
100
159 ¾
–
100 ½
197 7/12
630 ¾
71 11/12
234 1/6
201 ¼
111 ¼
91
115
Futaines
21 Les deux jours sont indiqués explicitement comme étant inclus.
23.1.1343 6.3.1344 6.3.134421 19.3.1345
20.5.1331 10.6.1332 11.6.1332 31.7.1333 1.8.1333 27.10.1334 28.10.1334 7.2.1336 8.2.1336 10.5.1337 11.5.1337 15.4.1338 16.4.1338 23.10.1339 24.10.1339 10.4.1341 11.4.1341 17.2.1342
Jours
42
52 7/12
–
22 1/12
46 7/12
41 ¾
49 1/12
45 1/5
37 ½
21 ⅓
19 ⅔
8¾
Peaux
87
104 ½
–
59
173 ½
103
127 ½
174
206
121 ½
110
95
Poissons
103 ¾
96 11/12
–
102
138 ¼
169
109 ¾
224 ¾
218 5/6
244 ¾
196 ¼
150
Fer
0
0
–
0
25
0
0
0
0
0
0
150
Faux
159
162
–
75
284
397
214
205
212
117
215
236
Chevaux
40
46 ¼
–
20 ¼
69 7/12
135
71 11/12
147 ½
110
56 ¾
74
51 ½
Mercerie l e m o u v e m e nt co mme rc i al au p é ag e d e sai nt-mau ri ce d’agau ne 269
9.4.1354 21.1.1355 22.1.1355 21.1.1356 22.1.1356 16.5.1357 17.5.1357 26.6.1357 27.6.1357 23.3.1358
19.4.1351 13.5.1352 14.5.1352 25.2.1353 26.2.1353 31.3.1354
20.3.1345 22.3.1346 23.3.1346 15.4.1347 16.4.1347 31.1.1349 1.2.1349 14.4.1350
97 1/6
7¼
33 1/12
0
16 ¼
365
481
41
270
–
[8]
288
88 ½
399
–
[369]
195 ½
22 ¼
438
288
43 ⅓
657
296 5/12
7⅔
389
391
19
Draps
368
Jours
1 958
28
1 971
2 241 ½
1 178 ¼
–
1 713 ½
1 655
2 495 ½
–
1 787 ⅓
1202 ½
895 ½
1 331
Laine
355 7/8
50
692 ⅔
100
160 1/6
–
381 ½
117 ½
262 ½
–
240 ⅓
78 ½
146 ⅓
113 ⅓
Futaines
23 ½
12
53 1/6
56 ¼
22 ⅓
–
42 ¾
18 ½
24 5/6
–
65
148 ½
34 ¾
33 5/12
Peaux
131
0
157
52 ½
124
–
104
78
61
–
48
60 ½
20
46
Poissons
114 ¼
12
115 ¼
91 ½
27
–
91 ½
42 ½
80 5/6
–
31 1/5
79 5/6
62 ¼
90 ¼
Fer
0
300
50
50
100
–
0
0
0
–
0
0
0
0
Faux
2
0
4
5
3
–
9
2
29
–
58
39
38
100
Chevaux
89 5/6
1
185 7/8
26 5/6
3½
–
69
63 ¾
83 ⅓
–
35 ½
14 ¼
40 ¼
40 5/8
Mercerie
270 F r a n co M o r e n zo n i
2
22 5/6
10 11/12
6¼
7 1/6
7 11/12
10 7/8
579
359
365
416
316
338
–
[148]
112
1
295
14 ⅓
25 1/5
460
263
7½
318
Draps
407 ½
451
120 ⅔
341
611 ⅔
2034
397
607 ¾
–
1 313 ¼
1 979 1/6
2 611
Laine
12 ½
10 ⅔
74
70 ⅔
72 3/8
267
64
132 ¼
–
189 1/12
310 7/12
180
Futaines
22 Passe en plus « una balla de Lombardia » sans autre précision.
27.7.1361 15.4.1362 16.4.1362 5.8.1362 6.8.1362 6.3.1364 7.3.1364 28.2.1365 1.3.1365 28.2.1366 1.3.1366 20.4.1367 21.4.1367 1.3.1368 2.3.1368 2.2.1369
24.3.1358 4.2.1359 5.2.1359 9.5.1360 10.5.1360 28.2.1361
Jours
44
37
82 11/12
43 ¾
81 1/12
16 ½
16 ⅔
36
–
11 ⅔
76 ¾
8 1/12
Peaux
0
37
43 ½
6
48
133
0
69
–
30
81
30
Poissons
33
80
60 ½
81 11/12
49 ¼
108 1/12
5¼
93 ¾
–
92
246 ½
133 7/12
Fer
50
225
75
60
0
1
1
10
1
2
15022 150
0
7
–
27
43
5
Chevaux
0
0
–
0
50
50
Faux
18
3
4½
9 1/6
6 5/12
40 ⅔
11 ⅓
36 1/6
–
71 ¼
229 5/6
61 7/12
Mercerie l e m o u v e m e nt co mme rc i al au p é ag e d e sai nt-mau ri ce d’agau ne 27 1
690 ¼
91 1/8
25 ⅔
19 1/12
18 ⅝
63 ½23
50
15
40 ¼
35
114 ⅓
23
168
328
366
730
365
67
446
398
365
524
1 205
724
604 ½
853
309
316
668 ½
287 ½
338
58 ¼
263
526
56 ¼
Laine
316
Draps
517
185 ⅓
501
466 ¼
175 ½
187
348 ¾
302 ¾
524 ¼
179 ⅜
312
331
Futaines
125
101
80
83 ½
8⅔
33
53 ¼
90 ¾
132 ⅜
60 ⅞
24
33
Peaux
23 Le compte précise qu’il s’agit d’une demi-balle pour 1373 et de 63 balles pour 1374.
3.2.1369 15.12.1369 16.12.1369 4.9.1370 5.9.1370 19.2.1371 20.2.1371 13.1.1372 14.1.1372 13.1.1373 14.1.1373 13.1.1375 14.1.1375 13.1.1376 14.1.1376 20.3.1376 21.3.1376 9.6.1377 10.6.1377 12.7.1378 13.7.1378 12.7.1379 13.7.1379 17.12.1380
Jours
125
90
51
45
35
55
104
44
68
53
34
0
Poissons
92
34
71 ¾
81
14
48 ½
28
18 ½
44 ¼
34
21
31 ½
Fer
200
133
200
200
0
200
50
200
100
0
50
100
Faux
2
1
3
4
1
0
8
1
21
4
3
6
Chevaux
132
129
120 ⅓
156 ½
10
71 ¾
42 11/12
113 7/12
157
64 1/12
47 ½
101 5/12
Mercerie
272 F r a n co M o r e n zo n i
12 ¼
–
366
[172]
51 ½
15 ⅓
278
–
[325]
356
198 ⅔
1 204
–
44 ¾
1 084
[616]
9
555
4
32 ¾
487
330
17
499
Draps
13
214
–
2 021 ⅓
–
522 ½
–
581 ½
2 002 ¾
8¼
1 138
952
Laine
132 ⅔
273
–
1 380
–
315 1/12
–
525
1 042 ½
183
631 ¼
558 ½
Futaines
24 Les peaux ont peut-être été comptabilisées avec les futaines, toiles, etc. 25 La balle est comptée à 150 faux.
26.5.1396 17.5.1397 18.5.1397 19.2.1398
19.3.1392 5.7.1395
16.8.1389 11.7.1390
18.12.1380 30.4.1382 1.5.1382 30.8.1383 31.8.1383 7.3.1385 8.5.1385 24.2.1388 25.2.1388 24.2.1389
Jours
46 ¼
70 ¼
–
404
–
66 ½
–
57 ½
42
–
224 ¾
–
54
–
63
80
024 81 ¼
73
95
107
Poissons
46 ¾
161 ¼
115
Peaux
42
19
–
94 1/6
–
25 ¼
–
74
163
76 ½
73
57
Fer
0
4 0
– 7525
5
–
0
–
0
8
0
6
0
Chevaux
–
1 075
–
250
–
162
300
133
100
200
Faux
70 ½
146 ½
–
364 5/6
–
23 ¼
–
174
303 ½
112 ½
143 ¼
141
Mercerie l e m o u v e m e nt co mme rc i al au p é ag e d e sai nt-mau ri ce d’agau ne 27 3
8.2.1409 19.2.1410 20.2.1410 7.2.1411 8.2.1411 7.2.1412
24.2.1402 23.2.1403 24.2.1403 7.2.1404 8.2.1404 7.2.1405 8.2.1405 7.2.1406 8.2.1406 7.2.1407 8.2.1407 7.2.1408
20.2.1398 14.5.1399 15.5.1399 14.5.1400 15.5.1400 14.3.1401
16 ¾
–
[366]
365
13 5/6
365
19 ½
15
365
353
9
365
15 ½
5½
366
377
29
–
[346]
349
22
304
39 ½
35 ¾
366
365
18
Draps
449
Jours
2
102 ¼
143 ½
–
64
46
32
92
64 ½
282
–
135 ¾
267 ½
76
Laine
79
155 5/6
86
–
79
28 ¼
105 ¼
46 ¾
96 5/12
283 ⅓
–
290 ¾
532 ⅛
341 ¼
Futaines
31 ¼
31
37 ¼
–
49 ½
40 ¾
54 ¾
44
50 7/12
111 ¼
–
32 ¾
127 ⅛
95
Peaux
40
40 ½
40 ½
–
26 ½
35 ½
27
17
25
25
–
29
64
109
Poissons
7¼
11 ½
23 ¾
–
15 ¼
20 ½
23
20 ¼
18 ¼
32 ¼
–
17 ⅛
62 7/12
55 ¼
Fer
500
200
450
–
533
575
350
175
250
125
–
0
75
1 500
Faux
0
0
2
–
0
0
2
2
0
0
–
0
1
2
Chevaux
15 ⅓
45 ½
17 ⅓
–
8¾
6⅜
19 5/6
6¾
57 1/6
94
–
53
139 ⅝
138 ⅛
Mercerie
2 74 F r a n co M o r e n zo n i
10
3⅔
0
365
365
366
19 ½
108 ¼
156 ½
68
365
[366]
301
–
4
365
92 ½
026
0
365
198 ¼
147 ⅓
–
143 ¼
90 ½
19
Laine
–
1⅓
–
[365]
365
3 5/6
365
14 ½
19 ⅓
365
366
17 ½
366
Draps
336 ¾
473 ¾
79 ½
85 ½
–
195 ½
107 ¼
84
57 ¾
–
118 ⅓
194 ¼
93 ¾
Futaines
65
51
15
23
–
63 ¾
44
45
35
–
46 ½
30 ¾
28 7/12
Peaux
56
12
12
6½
–
3
1
5½
7
–
10
23
28
Poissons
78 ¼
24 ½
27 ½
18
–
14 ¾
10
26
7
–
10 ¼
5¼
7⅓
Fer
350
275
450
200
–
662
300
350
300
–
225
500
200
Faux
0
0
0
0
–
0
0
0
0
–
0
0
Chevaux
26 Le compte de 1420-1421 manque, mais dans celui de 1421-1422 on précise que l’année précédente ont transité 4 balles de draps « de France ».
8.2.1421 7.2.1422 8.2.1422 7.2.1423 8.2.1423 7.2.1424 8.2.1424 7.2.1425
8.2.1416 7.2.1417 8.2.1417 7.2.1418 8.2.1418 7.2.1419 8.2.1419 7.2.1420
8.2.1412 7.2.1413 8.2.1413 7.2.1414 8.2.1414 7.2.1415
Jours
125 7/12
108
46 ½
41 ½
–
122 ¼
68 ¼
50
30
–
43 5/6
50 5/12
36
Mercerie l e m o u v e m e nt co mme rc i al au p é ag e d e sai nt-mau ri ce d’agau ne 27 5
8.2.1437 7.2.1438 8.2.1438 7.2.1439
8.2.1434 7.2.1435 8.2.1435 7.2.1436
8.2.1431 7.2.1432 8.2.1432 7.2.1433
8.2.1425 7.2.1426 8.2.1426 7.2.1427 8.2.1427 7.2.1428 8.2.1428 7.2.1429 8.2.1429 7.2.1430
0
365
–
[366]
0
0
365
365
½
365
–
–
[365]
[365]
0
365
0
0
366
366
0
365
0
½
365
365
1
Draps
365
Jours
4
14
–
10
34 ½
–
0
7
–
51 ½
2⅔
3½
32 7/12
41 ¾
Laine
252
370 ½
–
428
292
–
223 ½
158
–
254 ¼
246
196 ½
251 ¼
422 7/12
Futaines
25
21
–
99 ½
45
–
26
59 ½
–
26 ½
15 ¾
39 ¾
17 ⅔
43 ⅓
Peaux
3
0
–
38
29
–
12
2
–
2
29
31
42
35
Poissons
1½
0
–
0
2
–
6
10 ½
–
21 ¼
2 5/6
10 ¾
26 ¼
26 ¼
Fer
3 000
1 000
–
450
400
–
600
950
–
1 025
2 050
1 575
1175
150
Faux
0
0
–
0
0
–
0
0
–
0
0
0
0
0
Chevaux
87
33
–
35 ½
94
–
32 ½
80
–
32 ¼
50 ¼
19
25 1/12
49 ¾
Mercerie
2 76 F r a n co M o r e n zo n i
27 543
0
–
[1 849]
365
0
365
–
[365]
0
0
366
365
0
365
Draps
173 620
0
–
6
14
–
55 ¾
13
Laine
27 Les totaux ont été arrondis au tiers de balle.
Total27
1.3.1449 28.2.1450
8.2.1442 7.2.1443 8.2.1443 7.2.1444
8.2.1439 7.2.1440 8.2.1440 7.2.1441
Jours
33 014 2/3
234
–
324
174
–
145
262 ½
Futaines
6 406
142
–
42
54
–
38 ⅓
36
Peaux
9 446
154
–
45
7
–
24
19
Poissons
14 957 2/3
0
–
2½
0
–
3½
2
Fer
41 683
3 400
–
3 600
1 900
–
3000
1900
Faux
15 547
0
–
1
0
–
0
0
Chevaux
9 413 2/3
15
–
89
46
–
17
67
Mercerie l e m o u v e m e nt co mme rc i al au p é ag e d e sai nt-mau ri ce d’agau ne 27 7
Les produits sidérurgiques dans les comptes de péagede Saint-Maurice d’Agaune et de Villeneuve-Chillon (xive-xve siècles)
Au moins depuis la deuxième décennie du xiiie siècle, le col du Simplon et la route du Valais ont été fréquentés par les marchands d’Italie septentrionale qui allaient vendre les produits de la métallurgie milanaise au-delà des Alpes. Vers 1217, les statuts de la ville de Sion évoquent les armures lombardes qui transitaient par la ville et qui étaient frappées d’un droit de péage d’un denier mauriçois par balle. Dans les mêmes statuts sont mentionnées aussi les balles d’acier et de fer – qui étaient frappées d’un droit d’un denier – et qui, selon toute vraisemblance, n’étaient pas destinées à être commercialisées sur place. À côté des animaux, fer, acier et armures sont les seuls produits cités de manière explicite, signe sans doute qu’à cette époque le trafic concernant ce type de marchandises avait déjà atteint un volume digne d’attention1. Une cinquantaine d’années plus tard, les statuts de la ville qui furent promulgués au cours d’un plaid général et approuvés par l’évêque Henri de Rarogne – statuts qui semblent avoir été établis entre autres pour éviter des augmentations trop importantes des prix et des salaires – fixent la rémunération des artisans du cuivre à 9 deniers par livre travaillée lorsque le métal leur appartenait et à la moitié lorsqu’ils travaillaient le métal d’autrui. Quant aux forgerons, ils étaient obligés de vendre ce que le texte appelle la « duodena de lacier in grosso opere » au maximum à 7 deniers, la plaque de fer à 9 deniers et la pièce carrée d’acier découpée à un denier2. Les produits de la sidérurgie milanaise et les métaux lombards sont cités à nouveau dans les accords passés entre les représentants de l’Universitas des marchands de Milan
1 Les statuts ne peuvent pas être datés avec précision, mais remontent certainement à l’épiscopat de Landri de Mont (1206-1236). Ils ont été édités, avec quelques imprécisions, par Gremaud, Documents, no 265. 2 « Item statutum est ut cuprifabri reddant libram de cupro suo operatam pro ix den. et pro operatione libre cupri alieni non accipiant nisi iiii den. et obulum. Et qui plus acciperet seu daret, penam iii sol. et semis se nouerit incursurum. Item statutum est ut fabri fabricent duodenam de lacier in grosso opere pro vii den. et platram ferri pro ix den. et lo quarrel de lacier in tallent pro uno denario. Et qui plus receperit seu dederit pene iii sol. et semis subiacebit » (ibid., no 751).
Sur les routes des Alpes : Religieux, marchands et animaux dans la Suisse occidentale (xiiie-xve siècles), Franco Morenzoni, Turnhout, 2019 (Culture et société médiévales, 36), p. 279-292 © FHG10.1484/M.CSM-EB.5.117891
280
F r a n co M o r e n zo n i
et de Pistoie et le prélat valaisan en 1270 et 1291 : y figurent notamment les armures et les aiguilles – dont les balles étaient taxées au même taux que les balles de futaines et de merceries – ainsi que l’acier, le fer et les autres métaux, à l’exception de l’or et de l’argent, qui devaient verser 2 deniers par balle3. Ce n’est cependant qu’à partir de 1281, lorsque débute la série des comptes du grand péage de Saint-Maurice d’Agaune, que l’on commence à disposer des premières données quantitatives concernant ce type de marchandises4. Pendant les premiers exercices comptables, les balles de fer, d’acier et de cuivre ont été enregistrées dans la même rubrique que celles qui contenaient des harengs et des poissons. Sans doute à la suite de l’augmentation du trafic, les receveurs ont décidé à partir de 1292 d’ouvrir une rubrique spécifique pour les métaux5. De 1285 à 1450, avec cependant des lacunes pour un total de vingt et un ans, les comptes de péage ont ainsi enregistré le passage d’environ 14 000 balles de fer, d’acier et de cuivre, soit une quantité que l’on peut estimer à presque 2 000 tonnes6. Comparé à celui d’autres marchandises, il s’agit d’un volume total somme toute relativement faible, même s’il est supérieur à celui des merceries, des poissons ou des peaux. Pendant la même période, pour chaque balle de métal ont en effet été présentées au péage deux balles de draps, deux et demie de futaines et, surtout, douze balles et demie de laine. Il est d’autre part rare que les métaux représentent plus de 10% du volume total d’un exercice comptable. Sur la longue durée, le trafic des métaux par le Valais a connu une conjoncture à bien des égards semblable à celle des autres marchandises. Il a été assez soutenu jusqu’au creux des années 1311-1312 – creux pendant lequel l’activité du péage a connu une contraction très grave et presque générale – et par la suite, tout en demeurant assez intense jusqu’à la deuxième moitié du xive siècle, il s’est orienté à la baisse, pour se stabiliser à des niveaux très bas pendant toute la première moitié du xve siècle. En fait, plus de 80% du volume total des balles de fer a transité avant 1360.
3 Ibid., no 787 et 1017. 4 Sur l’activité du péage nous nous permettons de renvoyer, dans le présent ouvrage, à Fr. Morenzoni, « Le mouvement commercial au péage de Saint-Maurice d’Agaune à la fin du Moyen Âge (12811450) », p. 217-262. Nous y avons donné en annexe, p. 263-277, les données statistiques concernant les différentes marchandises taxées au péage. 5 La rubrique des métaux est séparée de celle des poissons une première fois dans l’exercice qui va du 20 janvier au 21 août 1286. Par la suite, les receveurs reviennent à une seule rubrique mais, à partir de décembre 1288, ils indiquent le nombre précis aussi bien des balles de métaux que de celles de poissons. Enfin, dès janvier 1292, une rubrique est définitivement consacrée aux balles de fer, d’acier et de cuivre. En réalité, puisque les balles de poissons ne pouvaient pas être entreposées dans la « souste » à cause de leur odeur, il est possible de connaître par simple soustraction le nombre exact des balles contenant des métaux déjà à partir de 1285. 6 Aucune source ne permet d’établir avec précision le poids des balles contenant des métaux ou des produits de la sidérurgie. On peut néanmoins noter qu’en 1338, dans un accord qui concerne le péage des Clées, le poids des balles qualifiées de Lombardia est fixé à 16-17 rubbi au poids de Sion, ce qui équivaut à peu près à 130-140 kg (cf. M. Cl. Daviso di Charvensod, I Pedaggi delle Alpi occidentali nel Medio Evo, Turin, 1961, p. 103). Pour les envois qui transitaient par le Simplon, la filiale Datini de Milan confectionnait des balles d’environ 18-20 rubbi (cf. lettre du 15 avril 1396, éd. L. Frangioni, Milano fine Trecento. Il carteggio milanese dell’Archivio Datini di Prato, Florence, 1994, no 481, p. 358).
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Les très nombreux cycles qu’il est possible de repérer dans la courte durée révèlent quelques poussées du trafic entre 1291 et 1293, en 13107, 1313-1314 et entre juillet 1321 et février 1323. Après les années trente du xive siècle, les poussées deviennent moins fréquentes et d’une ampleur moins grande8, alors que la durée des périodes de baisse a tendance à s’allonger. S’il est difficile, voire impossible d’analyser dans le détail le faisceau de facteurs qui est à l’origine de ces fluctuations, on peut néanmoins remarquer que la courbe du trafic des métaux n’est pas le décalque exact de celle d’autres marchandises acheminées depuis ou vers le nord de l’Italie, ce qui semble confirmer que le fer ou le cuivre n’étaient pas uniquement des produits qui permettaient aux marchands de compléter leurs chargements, mais qu’ils voyageaient aussi, tout au moins en partie, de manière indépendante. De 1304 à 1390, les receveurs de Saint-Maurice ont noté de manière presque systématique et pour chaque type de marchandise le nom du dernier individu qui a transité par le péage avant la clôture de l’exercice comptable, en précisant assez souvent les quantités qu’il a présentées9. Il est ainsi possible de connaître l’identité de soixante et un marchands – qui ont assuré en tout soixante-cinq passages – qui ont acquitté des droits pour des balles de fer, d’acier et de cuivre. Pour quarante-cinq d’entre eux, il est également possible de déterminer le lieu d’origine ou de résidence. À côté de quelques rares ressortissants d’Aoste, d’Ivrée, de Gênes ou de Berne, l’essentiel du trafic paraît avoir été assuré par des opérateurs qui peuvent être rangés dans deux grandes catégories : les marchands originaires de Suisse occidentale, de la Savoie actuelle ou du Jura et ceux de Lombardie. Parmi les premiers, les plus assidus semblent avoir été les ressortissants de Lausanne et de Moudon, mentionnés respectivement cinq et quatre fois, alors que des localités comme Pologny, Vevey, Orsières ou Yverdon ne sont mentionnées qu’une seule fois. Certains marchands actifs dans les régions relativement proches du péage semblent avoir eu une activité d’une certaine importance. C’est le cas, par exemple, de Gauthier de Brigue, qui déclare en 1317 10 balles de ferramenta, de Jacquet de Chastellario, peut-être originaire du Châtelard-en-Bauges, qui passe en 1308 et en 1321, de Glaudus de Saint-Oyens, qui présente 7 balles le 12 novembre 1354 et 10 autres le 19 décembre 1368 ou, encore, des fils d’un certain Henri de Salins, qui présentent vers 1374 10 balles de fer en une seule fois10.
7 Du 23 mai 1310 au 8 mars 1311, les receveurs ont noté le passage de 686 balles de métaux, soit une moyenne journalière de 1,7 balles. 8 Entre juillet 1333 et avril 1338, et entre février 1359 et mai 1360, a transité environ une balle tous les deux jours. 9 Les comptes tels qu’ils nous sont parvenus constituent le bilan récapitulatif qui était dressé à la fin de chaque exercice comptable à partir des annotations consignées jour après jour dans des rouleaux ou des cahiers qui n’ont pas été conservés, mais dans lesquels ont inscrivait certainement les noms de chaque marchand ainsi que le type de marchandise et les quantités que ce dernier présentait. 10 S’agissait-il de fer destiné aux besoins de la Grande Saunerie ? Rien ne permet de l’affirmer, mais on sait que, pendant la première moitié du xve siècle, la Grande Saunerie de Salins faisait acheter régulièrement des quantités assez importantes de fers lombards (cf. J.-Fr. Belhoste, M. Philippe, « L’apparition du procédé indirect dans le val de Saône », in J.-Fr. Belhoste et al., La métallurgie comtoise, xve-xixe siècle, Besançon, 1994, p. 40-41).
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Parmi les Lombards, les plus nombreux étaient les ressortissants de Milan. On repère également quelques marchands de Côme et plusieurs individus qui sont désignés par l’appellation de Canturio, comme par exemple Dunninus, qui fait passer 9 balles le 21 juin 1357, Odonus, qui présente 6 ½ balles en 1369, ou Cortesius, qui en déclare 2 en 1376. Il est cependant impossible d’établir si ces individus résidaient effectivement à Cantú et si les produits qu’ils présentaient étaient issus de l’activité métallurgique de la Brianza11. Au xive siècle, la présence de la famille de Canturio à Milan est en effet assez bien attestée12. Les quantités présentées par chaque marchand étaient le plus souvent assez modestes. Si cinq individus ont présenté au moins 10 balles en une seule fois et six autres entre 5 et 10 balles, plus de la moitié des marchands sont arrivés au péage avec moins de 2 balles. On remarque néanmoins quelques convois d’une certaine importance, comme par exemple celui de Andreonus de Canturio qui, en décembre 1367, a fait passer en une fois 35 balles. D’après ce que l’on peut entrevoir grâce à l’échantillon dû au hasard des derniers passages, il semblerait que les opérateurs lombards ont dans l’ensemble assuré une bonne partie du trafic des métaux qui a transité par Saint-Maurice au xive siècle. Dans quelle direction voyageaient les balles de fer, d’acier et de cuivre qui transitaient par la route du Valais ? À cette question, une fois encore, il n’est guère possible de donner une réponse précise. D’après les tarifs des différents péages perçus à Villeneuve-Chillon, le fer et les autres métaux circulaient aussi bien d’ouest en est que d’est en ouest. Les tarifs mentionnent en effet le fer et l’acier en provenance du Genevois, ainsi que l’acier qui arrivait depuis Les Clées13. Quelques comptes de Villeneuve-Chillon permettent cependant d’affirmer que le courant allant vers le Jura ou Genève était de loin le plus important, et ce dès la fin du xiiie siècle : en 1282-1283, par exemple, toutes les balles de fer et d’acier enregistrées par le receveur ont circulé dans cette direction14. Compte tenu du fait que les montagnes valaisannes produisaient des quantités relativement modestes de fer15 et de la répartition géographique des marchands qui ont présenté
11 Sur l’activité métallurgique dans le contado milanais cf. Fr. Menant, « La métallurgie lombarde au Moyen Âge », in P. Benoît et D. Cailleux (dir.), Hommes et travail du métal dans les villes médiévales, Paris, 1988, p. 138-139. 12 Cf. C. Santoro, La matricola dei mercanti di lana sottile di Milano, Milan, 1940, p. 4. 13 Cf. le tableau des tarifs en vigueur à Villeneuve publié par M. Cl. Daviso di Charvensod, I pedaggi delle Alpi occidentali, op. cit., p. 168. Le fer et l’acier du Genevois versaient la moitié des droits de péage qui frappaient les métaux d’autre provenance. 14 Dans l’exercice qui va du 24 décembre 1282 au 20 avril 1283, le receveur indique le passage de 46 balles de fer, de 18 balles de carreaux longi stabilis et de 6 balles de carreaux curtis stabilis, qui doivent toutes acquitter le tarif appliqué aux balles qui voyageaient d’est en ouest. Le compte a été édité par M. Chiaudano, La finanza sabauda nel secolo xiii e i conti della corte di Filippo, conte di Savoia e di Borgogna, vol. 2, Turin, 1934, p. 357. 15 D’après P.-L. Pelet, « Ruiner la végétation ou sauvegarder la nature : la ferrière de Champex au xive siècle », Revue Suisse d’Histoire, 38 (1988), p. 34-35, la production de la ferrière d’Orsières exploitée par François Vidomne pendant le deuxième quart du xive siècle était d’environ une vingtaine de tonnes par an. Ce chiffre a été calculé à partir de la redevance de 40 quintaux annuels que François
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des métaux au xive siècle, il est donc vraisemblable qu’une bonne partie des balles arrivaient au péage depuis le Simplon et contenaient du fer et de l’acier lombard. Cela est partiellement confirmé par le fait que parmi les marchands lombards qui ont présenté du fer, quelques-uns ont déclaré en même temps des futaines qui, comme on le sait, à cette époque étaient un des produits typiques des exportations milanaises16. Il est également difficile de connaître le contenu exact des balles que les receveurs rangeaient sous la rubrique « fer, acier et cuivre », car les comptes de Saint-Maurice ne livrent pratiquement aucun renseignement à ce sujet. À de très rares occasions ils mentionnent cependant des clous, de l’acier ou des ferrements17. Le tarif de Villeneuve distinguait en revanche plusieurs types de balles de métaux : celles de fer brut, celles d’acier, celles de fer en barres et celles qui contenaient des clous destinés au grand marché parisien. La série des comptes de Villeneuve est malheureusement trop peu homogène pour permettre de suivre l’évolution du trafic des différents types de produits tout au long du xive siècle. On peut néanmoins relever que les passages d’acier atteignent – ou parfois dépassent – la centaine de balles par an entre 1308 et 1319, alors que le volume des clous dirigés vers Paris se situe normalement entre 20 et 30 balles de 1339 à 1348, pour ensuite tomber à moins de dix balles annuelles18. Face à la diversité des produits de la métallurgie, il semblerait que même les receveurs avaient quelque difficulté à déterminer la nature exacte des marchandises qu’on leur présentait, et donc à choisir le tarif qu’il fallait leur appliquer. En 1336, les représentants de l’Universitas des marchands de Milan – Bertrannus de Solerio et Continus de Putheo – avaient dû intervenir auprès du comte de Savoie Aymon le Pacifique, afin d’obtenir entre autres que les balles de fil de fer ou de laiton et les Vidomne obtient de verser dès 1342 à la place des 35 sous mauriçois qu’il payait auparavant. En 1344, le châtelain de Chillon indique qu’il a vendu les 40 quintaux qu’il a reçus pour une somme équivalent à 225 sous mauriçois. S’il ne fait aucun doute que les chiffres utilisés par P.-L. Pelet correspondent à ceux indiqués par les sources, il faut néanmoins observer qu’une erreur a dû se glisser quelque part, et que la production de la ferrière d’Orsières était selon toute vraisemblance nettement moins importante. En effet, on comprend mal pourquoi François Vidomne aurait accepté de remettre au comte de Savoie une quantité de fer brut dont la valeur commerciale était presque six fois et demie plus élevée que la redevance qu’il versait auparavant. De plus, le prix de vente obtenu par le châtelain de Chillon paraît anormalement bas : environ ⅔ de denier par livre de fer, alors que les prix les plus bas que nous avons pu trouver en Valais sont de 2 ½, 3 et 3 ½ deniers mauriçois par livre (achat de 15 livres en 1403: P. Dubuis, « Documents relatifs à la cathédrale de Sion au moyen âge », Vallesia, 34 (1979), p. 164; achat de 21 livres pour des réparations au château de Conthey en 1383 : A. Fibicher, « Die Instandsetzung der Burgen von Conthey, 1385-1388 », ibid., 42 (1987), p. 165; achat de 50 livres effectué par le métral du chapitre de Sion en 1384 : AEV, Donum genavense, 94). 16 C’est le cas, par exemple, de Petrinus de Gallarate, qui passe le 19 janvier 1356 avec 4 balles de fer et 2 de futaines, ou de Cortesius de Canturio, qui présente 2 balles de fer et 20 de futaines en 1376 (ASTo, SR, Inv. 69, f. 161, m. 1, r. 23 et m. 2, r. 29). Le fer, cependant, accompagne parfois des marchandises qui voyagent vers l’ouest. En 1349, Rolinus de Berne arrive ainsi au péage avec une demi-balle de fer et 5 balles de harengs (ibid., m. 1, rot. 17). 17 Des balle clavellorum passent en 1300-1301; en 1314, un certain Tracla fait passer 4 balles de fer et une d’acier et, comme on l’a vu, Gauthier de Brigue présente des ferrements. 18 Cf. M. Cl. Daviso di Charvensod, I Pedaggi delle Alpi occidentali, op. cit., p. 170-175. Les exportations de clous vers Paris connaissent une embellie éphémère entre 1357 et 1361, avec une pointe de 83 balles en 1360.
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ferramenta ne fussent plus considérées comme des balles de mercerie, soumises à des droits beaucoup plus élevés19. Il est vrai que sous le terme général de mercerie les receveurs rangeaient toutes sortes de marchandises, y compris plusieurs produits de la métallurgie milanaise tels que les armes, les armures ou les aiguilles. C’est d’ailleurs pour ce motif que l’ensemble du trafic concernant ce secteur important de l’économie lombarde échappe totalement à l’observation pour tout le xive siècle. Quelques mentions isolées confirment cependant que des armes et des armures ont continué de circuler sur la route du Valais durant cette époque. Vers 1326, le receveur de Villeneuve remboursa par exemple au marchand milanais Jean de Putheo le prix de trois hausse-cols qui faisaient parties d’une balle volée dans la « souste », balle dans laquelle il y avait à l’origine douze pièces dont neuf seulement avaient pu être récupérées20. Les armures voyageaient sans aucun doute dans les deux directions. Le 20 mai 1305 on voit en effet le facteur du marchand milanais Mutzo Gras arriver au péage de Villeneuve depuis Les Clées et passer le jour suivant par Saint-Maurice avec quinze balles qui contenaient vingt-sept pièces d’armures. À noter que le receveur de Saint-Maurice préleva des droits pour un montant total de 5 sous mauriçois, alors que celui de Villeneuve avait exigé un peu moins de 12½ livres de Lausanne, c’est-à-dire une somme qui, au taux de change pratiqué à cette époque, correspondait à presque 114 sous mauriçois21. Si les comptes de péage empêchent de savoir avec précision comment étaient composés les chargements des marchands lombards qui franchissaient les Alpes, un document de 1376 permet de se faire une idée de la diversité des marchandises transportées par les Milanais. Il s’agit de l’inventaire des biens qui avaient été saisis par le seigneur Jean de Neuchâtel à André de Concorezzo et Deveis de Chestel, inventaire qui fut dressé par Romain de Noseroy, notaire public auprès de la cour de Besançon. À côté de toutes sortes de pièces d’habillement en laine ou en soie, de peaux de cordouans et de 5 balles contenant 216 pièces de futaines dont la valeur fut estimée à 728 florins, les deux marchands milanais transportaient aussi d’autres produits typiques de l’industrie métallurgique lombarde : 12 000 épingles, 120 petits couteaux « de palme », quatre douzaines de grelots pour faucons et autours ainsi que 1 959 milliers d’aiguilles réparties dans deux balles22. Sans vouloir généraliser à partir d’un cas précis, il est probable que dans une partie non négligeable des quelques milliers de balles de mercerie qui ont transité par Saint-Maurice au xive siècle, il y avait des marchandises analogues.
19 L’accord, confirmé par Amédée vi en 1347, prévoyait que « nullum filum othoni grossum nec ferreum nec aliquod ferramentum merceria non reputabitur ». Le texte a été publié par L. Cibrario, « Delle finanze della monarchia di Savoia ne’ sec. XIII e XIV », Memorie della Reale Accademia delle Scienze di Torino, 36 (1833), p. 249-257. 20 ASTo, SR, Inv. 69, f. 31, m. 2, r. 15. 21 ASTo, SR, Inv. 69, f. 31, m. 1, r. 6; ibid., r. 3. Le péager de Villeneuve indique à la fin de son compte que le rapport entre les deniers mauriçois et les deniers de Lausanne est de 12 pour 26¼. 22 Le document a été publié par G. A. Matile, Monuments de l’histoire de Neuchâtel, t. 2, Neuchâtel, 1848, p. 707-711. Sur les produits de l’industrie métallurgique lombarde voir en dernier lieu L. Frangioni, Milano fine Trecento, op. cit., p. 242-306.
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Si le courant plus spécifiquement international a sans aucun doute animé l’essentiel de l’activité des péages savoyards, plusieurs documents valaisans et du Chablais montrent que les produits de la sidérurgie et les fers et les aciers lombards étaient assez souvent importés dans ces régions également pour être utilisés sur place. C’est ainsi, par exemple, que les constructeurs génois engagés par le comte de Savoie pour entretenir et agrandir la petite flotte qui permettait de contrôler le lac Léman, ont fait acheter à plusieurs reprises en Lombardie les clous et les ferrures dont ils avaient besoin. Les comptes de péage de Villeneuve révèlent entre autres l’achat à Milan de 14 000 clous en 1307-1308, le versement de 45 gros tournois en 1316 pour le prix d’achat et le transport de 3 autres balles de clous qui pesaient en tout 900 livres, des dépenses pour l’achat d’environ 430 livres de clous23 l’année suivante24, etc. Dans ce trafic régional les marchands lombards qui s’étaient établis en assez grand nombre en Valais depuis la fin du xiiie siècle ont certainement joué un rôle important. On sait par exemple qu’en 1365, à Loèche, fut crée une société – dont le capital était divisé en tiers et à laquelle participaient sept personnes – qui avait pour objectif le commerce de fer et de ferrements entre Milan et le Valais25. Un des associés était Muzinus Trecco, qui avait sans aucun doute des liens de parenté avec la famille des Tracho, originaire de Cantú, qui s’était installée en Valais vers 1330. Les Tracho, très engagés dans les activités liées au trafic international, faisaient également commerce dans la région de produits de la métallurgie lombarde. L’inventaire après décès des marchandises trouvées dans la boutique de Bacinodus Tracho mentionne en effet différents types de clous, des étriers, des petits marteaux pour ferrer les chevaux, ainsi que six fagots de fer, quatre faux dont on précise qu’elles sont « de Lombardia », etc.26 Si le lieu de provenance des fers et des aciers achetés dans la région de Sion demeure le plus souvent impossible à déterminer, on constate néanmoins qu’au xive siècle cette matière première était en général vendue par des membres des familles de Poldo, Odini ou Drago, familles qui étaient toutes originaires de Lombardie. Bien que les relevés du grand péage de Saint-Maurice indiquent qu’à partir du dernier quart du xive siècle la circulation des marchandises a connu un ralentissement très considérable, les données fournies par cette série de comptes doivent cependant être relativisées, car il est certain qu’une partie du courant commercial qui a emprunté la route du Valais pendant la première moitié du xve siècle n’y figure pas. Depuis une date qu’il n’est pas possible de préciser, les marchands milanais qui fréquentaient les foires de Genève avaient en effet obtenu le privilège de pouvoir faire établir à Saint-Maurice une bulleta avec l’indication des marchandises et des quantités qu’ils transportaient. Celle-ci était par la suite présentée au receveur de Villeneuve qui se
23 Il s’agissait en fait de deux balles de clous, l’une de 133½ livres et l’autre de 300. 24 ASTo, SR, Inv. 69, f. 31, m. 10 et 11; A. Naef, La flottille de guerre de Chillon aux xiiie et xive siècles, Lausanne, 1904, passim. Il s’agissait sans doute de clous qui ne pouvaient pas être achetés dans la région, car les 60 000 clous utilisés pour refaire le toit du bâtiment qui abritait les galères et qui avait été détruit par l’incendie de Villeneuve de 1343 furent achetés à Fribourg. 25 ACS, Min. 26, p. 45. 26 Cf. dans le présent ouvrage Fr. Morenzoni, « L’inventaire après décès de Bacinodus Tracho, lombard de Sion (17 janvier 1376) », p. 397-416.
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chargeait d’encaisser les droits sans vérifier à nouveau le contenu des balles. Seuls six comptes journaliers ont été conservés au sujet de ce trafic. Ils permettent malgré tout de se faire une idée de l’ampleur des exportations lombardes vers le nord des Alpes par le Simplon. Les six exercices comptables, qui couvrent les années 1423-1424, 1430-1431, 1432-1435 et 1442-1443, indiquent un volume annuel qui va d’un minimum de 1 409 bollioni en 1433-1434 à un maximum de 2 224 bollioni en 1442-1443, avec une moyenne qui se situe autour de 2 000 bollioni par an27. Le plus souvent les Milanais présentaient des épices, des futaines et des balles de merceries. Mais, environ deux fois sur cinq, ils transportaient également des armes et des pièces d’armures, des arnesii ou, plus rarement, des tôles de fer ou des ferrements. Une fois de plus, le volume de ce trafic ne peut pas être établi avec précision, car les receveurs se sont bornés à prendre note du nombre total des bollioni qui ont acquitté le péage. On peut néanmoins constater que lorsque les marchands ne présentaient que des armes ou des armures, les quantités déclarées pouvaient être assez importantes : on repère en effet six passages qui concernent entre cinq et onze balles d’armes et sept autres passages qui portent sur des quantités supérieures aux vingt balles. En septembre 1430, Jean de Sercure a ainsi fait passer 30 balles, alors qu’en janvier de l’année suivante Maffeus de Donade 55 balles. Il semblerait que les armes et les armures étaient acheminées vers Genève principalement pour les foires qui se tenaient à Pâques, à l’Épiphanie et lors de la fête de la chaire de Saint Pierre, alors que la foire de la Toussaint paraît avoir engendré un trafic plus modeste. C’est en effet pendant les mois de janvier, d’avril et d’août que les receveurs ont enregistré le plus grand nombre de passages d’armes. Le groupe des marchands qui fréquentaient régulièrement les foires de Genève était dans l’ensemble peu nombreux : il était composé par seulement quelques dizaines d’individus qui, pour la plupart, effectuaient chaque année plusieurs déplacements et parmi lesquels figurent plusieurs membres de certaines casate milanaises connues pour leur activité dans le commerce entre la Lombardie et le nord des Alpes, comme par exemple les da Rho, les Morosini, les Gaffuri, les da Monza, les da Cantù, etc. La très grande majorité de ces marchands n’étaient pas spécialisés dans un produit déterminé, même si certains d’entre eux paraissent avoir été plus actifs que d’autres dans l’exportation des armes et des armures, comme par exemple, outre les individus que nous avons déjà évoqués, Antoine Divitis ou Donat de Merardi. Faute de sources en nombre suffisant, il est difficile d’apprécier le rôle précis des foires de Genève dans le commerce des armures. On peut cependant noter que lorsque les autorités de la ville de Fribourg décidaient d’effectuer des achats d’armes d’une certaine importance, elles se tournaient en général soit vers le sud de l’Allemagne, et notamment Nuremberg, soit vers Milan par l’intermédiaire de Genève : en 1440, elles ont ainsi acheté à Genève des armes pour une valeur de plusieurs centaines
27 ASTo, SR, Inv. 69, f. 31, m. 9-12. Plusieurs extraits ont été publiés, avec des imprécisions, par Fr. Borel, Les foires de Genève au xve siècle, Genève, 1892, pièces justificatives, no v, p. 18-63.
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de florins28. Deux ans plus tard, c’est encore à Genève qu’elles ont passé un contrat avec un marchand de Milan pour la fourniture de différentes pièces d’armures – des salades, des gantelets et des brassards –, contrat par lequel les Fribourgeois se sont engagés à prendre en charge également les frais de péage et de transport jusqu’à la ville du bout du lac, estimés à environ 3 florins du Rhin29. Si la correspondance de la filiale Datini de Milan laisse apparaître quelques rares envois d’armures en direction d’Avignon par le Simplon et les registres de la filiale genevoise de la compagnie florentine des Della Casa et Guadagni révèlent une seule transaction concernant ce type de produit30, des achats d’armes à Genève sont signalés en plus grand nombre par les comptes du trésorier général de la Maison de Savoie : en 1422, le duc Amédée VIII fit par exemple acheter à Genève six haubergeons, ou cottes d’acier, qu’il paya 152 florins de petit poids. Ils étaient destinés aux officiers de l’hôtel du duc de Bourgogne attendu à Thonon pour un tournoi organisé par le comte de Savoie31. D’autres achats sont mentionnés par les registres du Conseil et les comptes de la commune de Genève : en 1452, celle-ci acheta par exemple auprès d’un Milanais qui résidait dans la ville, Georges Chapelli, les armures nécessaires à la protection des huit gardes qui étaient chargés de la surveillance de la ville pendant la nuit32. Les armes et les armures achetées à Genève n’étaient pas toutes importées depuis la Lombardie. Peut-être dès la deuxième moitié du xive siècle, la ville abritait des artisans qui fabriquaient sur place des armures. En 1411, par exemple, l’évêque autorisa les citoyens de la ville à construire sur le Rhône entre autres des machines à brunir les armes et les armures33. Il est possible que cet artisanat avait pu se développer en partie grâce au savoir-faire amené par des Milanais, car quelques armuriers originaires de la capitale lombarde figurent parmi les individus qui avaient acquis la bourgeoisie
28 H. Ammann, Freiburg und Bern und die Genfer Messen, Langensalza, 1921, p. 48; voir p. 33-36 sur les opérations de la compagnie fribourgeoise des Perromann concernant la vente de métaux et d’armes – dont certaines semblent avoir été effectuées à Genève. 29 Ibid., p. 48. Les comptes du petit péage de Villeneuve signalent parfois des armes en provenance de Genève et acheminées vers Fribourg ou Berne : une charge d’armes en 1432 vers Fribourg; trois barrals d’armes et de merceries en 1433 vers Berne et un char d’armes et de chapeaux en laine en 1442 vers Fribourg. 30 Cf. L. Frangioni, Milano fine Trecento, op. cit., lettre no 793, p. 554, no 565, p. 801, no 566, p. 803; M. Cassandro, Il Libro giallo di Ginevra della Compagnia fiorentina di Antonio della Casa e Simone Guadagni, 1453-1454, Florence, 1976, p. 95 et 563. 31 M. Bruchet, Le château de Ripaille, Paris, 1907, p. 463. Deux autres achats, en 1434 et 1435 sont signalés par W. Deonna, Les arts à Genève des origines à la fin du xviiie siècle, Genève,1942, p. 239. 32 AEG, Finances, M 4, Comptes de la commune, 1453-1454, p. 252-253. Cf. aussi Fr. Borel, Les foires de Genève, op. cit., p. 151; W. Deonna, Les arts à Genève, op. cit., p. 237. 33 Le prélat autorise les citoyens à avoir « […] unam molam, cum suis rotis et instrumentis opportunis, aptam et dispositam ad molendum, acuendum et eruginandum gladios, cultellos, enses, secures, arma, harnesia et omne aliud genus utensilium ferri uel calibis seu alterius metalli moli et eruginare consuetorum et indigencium, cum etiam uno doliolo in predicta rota uel alio instrumento componendo ad uoluendum pro loricis eruginandis » (AEG, Pièces historiques, n. 403, acte du 31 mars 1411). Cf. aussi Fr. Borel, Les foires de Genève, op. cit., p. 167; W. Deonna, Les arts à Genève, op. cit., p. 238.
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de Genève34. On voit même certains des marchands milanais qui fréquentaient les foires repartir vers leur ville d’origine avec quelques balles d’armes achetées – et sans doute fabriquées – à Genève35. Quoi qu’il en soit, il semble bien que la production locale n’était pas en mesure de satisfaire les exigences en quantité ou en qualité de certains acheteurs. En 1420, en prévision d’un autre tournoi qui devait avoir lieu lui aussi à Thonon, le duc de Savoie avait en effet envoyé directement à Milan le maître de l’hôtel Amé de Créscherel36, qui avait acheté à différents armuriers de la ville entre autres six heaumes et six cuirasses de tournois, six gantelets, six brassards d’armure ainsi qu’une cuirasse de guerre, le tout pour le prix de 185 écus d’or37. À côté des produits de la métallurgie, certains marchands milanais qui se rendaient aux foires présentaient parfois du fer brut, de la ferratura ou des tôles de fer. Ce trafic paraît avoir été très modeste, même si le fer lombard était certainement présent sur les marchés de l’actuelle Suisse romande, où il jouissait, semble-t-il, d’une bonne réputation. À Fribourg, où la fabrication des faux a été un secteur économique important pendant la première moitié du xve siècle, on importait le fer nécessaire à cette activité surtout depuis le sud de l’Allemagne et l’Autriche médiane38. Les comptes des trésoriers de la ville indiquent cependant plusieurs achats de fer et de tôles lombards, le plus souvent destinés à l’architecture civile et militaire, sans doute parce qu’on estimait que les métaux lombards étaient de meilleure qualité. La ville a par exemple acheté des tôles de Lombardie en 1435 et en 1436, 2 balles de fer lombard en 1405, 9 livres en 1409, 207 livres en 1416, 160 livres en 1445, etc. À trois autres reprises, en 1424, en 1442 et en 1466, lors de l’achat de quantités relativement importantes – 7 ou 8 quintaux –, le trésorier précise que le fer a été acheté à Genève. De même, en 1442 cinq ballons de tôles lombardes ont été achetés dans cette ville pour la somme de 35 florins39. Bref, Genève paraît avoir joué un certain rôle dans
34 En 1450, les comptes de la commune citent par exemple un certain Ludovic Van « armeator de Mediolano » et bourgeois depuis déjà quelques années (AEG, Finances, M 4, Comptes de la commune, 1450-1451, fol. 22v). Sur la présence d’armuriers milanais à Avignon cf. L. Frangioni, « Martino da Milano “fa i bacinetti in Avignone” (1379) », Ricerche storiche, 14 (1986), p. 69-115. 35 C’est le cas, par exemple, de Jean de Sercure¸ qui déclare en novembre 1442 six bollioni de laine et d’armes amenés depuis Genève. 36 Sur ce personnage cf. G. Castelnuovo, Ufficiali e gentiluomini. La società politica sabauda nel tardo medioevo, Milan, 1994, p. 215, n. 103. 37 M. Bruchet, Le château, op. cit., p. 364. Les heaumes furent achetés aux frères armuriers Franchisquin et Ambroisin Ruyer, le reste à Antoine Coagnié et Janin de Corigniez. Aucun de ces individus ne figure dans les répertoires des armuriers milanais de E. Motta, « Armaiuoli milanesi nel periodo Visconteo-Sforzesco », Archivio Storico Lombardo, 5e série, 41 (1914), p. 187-232 et de F. Fossati, « Per il commercio delle armature e i Missaglia », ibid., 6e série, 59 (1932), p. 279-297. 38 Sur Fribourg voir l’excellente synthèse de N. Morard, « La métallurgie du fer à Fribourg aux xive et xve siècles : production, importation, exportation », in L’abbaye des Maréchaux – Fribourg 1385-1985, Fribourg, 1985, p. 61-85. Sur les achats de métaux pour la fabrication des faux cf. aussi P.-L. Pelet, Fer, charbon et acier dans le Pays de Vaud, vol. 2, Lausanne, 1978, p. 29. 39 Je remercie très vivement Monsieur Nicolas Morard, ancien archiviste de l’État de Fribourg, qui a eu la gentillesse de me communiquer l’ensemble de ces renseignements. Quelques-uns de ces achats sont signalés aussi par H. Ammann, Freiburg und Bern, op. cit., p. 40 et 46.
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la redistribution à l’échelle régionale du fer brut ou partiellement travaillé importé depuis la Lombardie. Malgré la prudence qu’impose une documentation trop rare et peu explicite, il semblerait qu’au xve siècle quelques marchands et artisans qui résidaient dans l’actuelle Suisse romande se rendaient encore en Lombardie pour acheter des petites quantités de métal brut ou quelques tôles qu’ils acheminaient à travers le Valais. Les six comptes journaliers du petit péage de Villeneuve qui ont été conservés pour la première moitié du xve siècle, révèlent un modeste trafic animé par quelques petits marchands – souvent d’origine lombarde, mais établis à Vevey ou à Lausanne – qui font passer une charge ou une demi-charge de fer, de ferrements, de clous ou de grelots pour rapaces. À côté du courant commercial lié au cycle des foires genevoises, fonctionnait ainsi un autre courant qui avait un caractère nettement plus régional, mais que les sources permettent à peine d’entrevoir. Ce constat est valable également pour les armes et les armures, car les actes rédigés lors d’un différend qui fut porté devant le tribunal de l’évêque et comte du Valais qui siégeait à Sion, confirment que les exportations d’armes ne passaient pas nécessairement par Genève. Le différend opposait un riche marchand de Brigue, Antoine Curten, qui avait agi comme intermédiaire pour faire venir depuis Milan deux douzaines de boucliers commandés par un autre riche marchand de Sion, Nicolinus Kalbermatter. Ce dernier, cependant, avait refusé d’accepter les boucliers arguant de leur mauvaise qualité. Sans entrer dans les détails de l’imbroglio juridique que ce refus entraîna, les pièces du procès révèlent que le marchand milanais qui avait amené les boucliers à Sion était Antoine Rich, le même marchand qui apparaît dans les comptes de péage de Villeneuve sous le nom d’Antoine Divitis et qui faisait partie du groupe de marchands qui fréquentait régulièrement les foires genevoises. Les actes rédigés lors de ce différend déclarent explicitement qu’Antoine Rich venait très souvent à Sion pour y vendre directement ses marchandises40, et dans un acte autographe rédigé à Sion le 24 août 1433, le Milanais s’engagea à revenir dans la ville épiscopale trois semaines plus tard pour régler cette affaire. Bref, il est vraisemblable qu’une partie des Milanais qui faisaient plusieurs fois par année le trajet Milan - Genève profitaient de leurs déplacements pour nouer des contacts commerciaux et conclure des affaires dans les villes et les bourgs qu’ils traversaient. Les comptes de péage du xve siècle témoignent également de l’existence d’un trafic de métaux et de produits métallurgiques qui avait son débouché dans le nord de l’Italie. En 1424, le receveur de Villeneuve ouvrit par exemple une nouvelle rubrique consacrée aux tôles de fer qui circulaient dans cette direction. Il semblerait que ces tôles arrivaient depuis Salins, mais le nombre de balles de cette nature enregistré au cours des années suivantes est resté très modeste41. 40 Dans un acte du 17 juillet 1433 Antoine Curten souligne que « […] dictus mercator sepe venit ad civitatem sedunensem cum suis mercanciis ». Les pièces de ce dossier qui ont été conservées se trouvent aux ABS, Tiroir 22, no 113-115. 41 Le premier marchand mentionné est Barthélemy d’Agex, qui fait passer 5 balles (ASTo, SR, Inv. 69, f. 31, m. 9). En 1432-1433, le marchand milanais Christoforus de Vanvera passe avec des tôles et des cuirs qu’il déclare amener depuis Salins (ibid., m. 10).
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L’exportation de métaux ou d’objets en métal vers le sud des Alpes depuis Genève paraît en revanche avoir eu une assez grande importance. Si les opérateurs milanais qui revenaient des foires présentaient le plus souvent au péage des cuirs, des pelleteries ou des draps, de temps à autre ils arrivaient aussi avec des quantités parfois considérables de billon d’argent, de cuivre, de plomb ou d’étain. En 1423, un certain Achinus fit ainsi passer 35 fardeaux de billon d’argent. En septembre de la même année, un membre de la famille des Panigarola se présenta au péage avec 18 chars, dont 14 chargés de billon d’argent et de cuivre ; il repassa deux mois plus tard avec 7 chars qui contenaient 42 fardeaux de billon d’argent42. D’autres marchands ramenaient des tôles de cuivre, des pièces d’étain, des récipients en métal ou des faux de Fribourg. Vers le Val d’Aoste, les faux fribourgeoises étaient acheminées par les marchands qui franchissaient les Alpes pour aller vendre de la guède à Vevey ou à Fribourg. Quelques ressortissants d’Aoste et d’Ivrée fréquentaient d’ailleurs régulièrement les foires de Genève, d’où ils ramenaient des tôles blanches, du cuivre, de l’étain, des cloches, des enclumes, etc. À côté du trafic qui mettait en relation les zones subalpines situées de part et d’autre des Alpes43, il convient enfin de rappeler l’existence d’un intense trafic régional animé par plusieurs artisans, petits marchands ou forgerons du Chablais et du Bas Valais qui se rendaient très souvent à Genève pour y acheter du fer, de l’acier et toutes sortes d’objets en métal. Genève abritait en effet de nombreux artisans et marchands dont l’activité concernait plus ou moins directement le travail du fer. Parmi les contribuables recensés en 1464, figurent par exemple onze forgerons, neuf maréchaux-ferrants ainsi qu’une cinquantaine d’autres personnes qui exerçaient les métiers d’armurier, coutelier, éperonnier, épinglier, serrurier, etc.44 L’inventaire après décès qui fut dressé le 10 février 1412 de la boutique de Pierre de Marcey, bourgeois et marchand de Genève, permet de se faire une idée de la variété des produits de la métallurgie qu’on pouvait trouver dans la ville. Le notaire énumère en effet, à côté de différents types de récipients en métal, quatre quintaux et demi de fer neuf en barres, des socs de charrue pour un poids total de plus de trois quintaux, quatre quintaux et vingt livres de fer, semble-t-il en morceaux, cinq fagots et demi et vingt-cinq carreaux d’acier, huit milliers de clous et 332 fers à cheval, etc. Pierre de Marcey était sans aucun
42 Sur le rôle des foires de Genève en tant que plaque tournante des exportations clandestines de billon d’argent depuis le royaume de France cf. R. H. Bautier, « Marchands, voituriers et contrebandiers du Rouergue et de l’Auvergne. Trafics clandestins d’argent par le Dauphiné vers les foires de Genève (1424) », Bulletin philologique et historique (jusqu’à 1610) du comité des travaux historiques et scientifiques, 1963, p. 669-688 (repris dans Id., Sur l’histoire économique de la France médiévale: la route, le fleuve, la foire, Aldershot, 1991, article n° IV); cf. aussi J.-Fr. Bergier, Genève et l’économie européenne de la Renaissance, Paris, 1963, p. 271-272. 43 Sur la typologie des trafics qui passaient par les Alpes cf. J.-Fr. Bergier, « Le trafic à travers les Alpes et les liaisons transalpines du haut Moyen Âge au xviie siècle », in J.-Fr. Bergier et al. (éd.), Le Alpi e L’Europa. Atti del Convegno tenuto a Milano dal 4 al 9 ottobre 1973, Bari, 1975, t. iii, p. 13-20. 44 Cf. J.-Fr. Bergier, L. Solari, « Histoire et population statistique. L’exemple de la population de Genève au xve siècle », in Mélanges d’histoire économique et sociale en hommage au professeur Antony Babel, Genève, 1963, t. i, p. 218-219.
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doute actif dans le commerce du fer depuis plusieurs années, car l’inventaire évoque aussi une créance vis-à-vis d’un acheteur de fer qui remonte à 140445. Il est vraisemblable qu’au moins une partie du fer qui était vendu ou travaillé à Genève et que les ressortissants du Valais et du Chablais présentaient à Villeneuve provenait de La Rochette, dont les martinets transformaient le minerai extrait dans les montagnes d’Allevard. On sait en effet, grâce aux comptes de péage de Châtelard-en-Bauges étudiés par Yves Mazure, que cette région exportait chaque année vers Genève une bonne centaine de tonnes de fer46. Il n’est malheureusement pas possible, même par approximation, de chiffrer le volume du trafic régional qui gravitait autour de Genève. Mais on voit assez souvent arriver au port de Villeneuve, sur le même bateau, plusieurs individus qui présentaient un ou deux ballons de fer et un peu d’acier, des barres de fer qui pesaient environ 25 kg, des pièces de cuivre ainsi que des clous grands et petits, différents types de récipients, des dents de scie, des tôles ou encore des socs d’araire d’une dizaine de kg ou des « appareillons » de charrue qui pesaient une quarantaine de kg, etc. Parmi ces individus on ne repère pratiquement pas de ressortissants du Valais central ou du Haut Valais, ce qui pourrait s’expliquer par le fait que dans ces régions les produits de cette nature étaient encore importés depuis le sud des Alpes. S’il faut sans aucun doute insister sur le caractère partiel et incomplet des données fournies aussi bien par les comptes de péage que par les autres sources grâce auxquelles il est possible d’observer la circulation du fer et des produits sidérurgiques par le Valais aux xive et xve siècles, la documentation dont on dispose permet tout au moins de confirmer la grande complexité de ce type de commerce. À côté du fer, des tôles, des clous, des aiguilles et de bien d’autres produits encore que les marchands lombards sont allés vendre au-delà des Alpes dès le xiiie siècle, les armes et les armures milanaises qui ont transité par le Simplon ont sans aucun doute nourri elles aussi ce trafic. L’ampleur de ces exportations ne peut toutefois être appréciée – et encore de manière très insatisfaisante – qu’à partir de la première moitié du xve siècle, époque à laquelle elle semble avoir été assez considérable. Dès le xve siècle, l’exportation de fer, d’acier et de tôles de Lombardie paraît en revanche avoir connu une contraction importante. Certes, ces produits sont encore présents sur les marchés de Suisse occidentale, mais ils ont vraisemblablement subi la concurrence du fer et de l’acier qui arrivaient depuis l’Allemagne méridionale et les régions métallifères plus proches. D’après ce que l’on peut savoir, on s’en servait surtout pour les travaux qui demandaient un métal de bonne qualité. S’agissait-il d’une question de prix ? À cette question, il convient de donner une réponse prudente, car les transactions concernant le fer
45 AEG, Notaire Jean Fusier, vol. 4, fol. 377r-381v. D’après l’inventaire il semblerait que Pierre de Marcey se bornait à commercialiser des produits métallurgiques qu’il ne travaillait pas lui-même, car si la présence de deux poids de balance de 60 et 36 livres est mentionnée, aucun instrument de travail n’est en revanche évoqué. Il est d’ailleurs qualifié uniquement de marchand par le notaire. 46 Cf. Y. Mazure, « Le commerce du fer entre le Val Gelon (Savoie) et Genève au début du xve siècle », in Ch. Spillemaecker et S. Vincent (éd.), Les maîtres de l’acier. Histoire du fer dans les Alpes, Grenoble, 1996, p. 84-85.
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lombard qu’on peut repérer ici ou là révèlent des prix qui ne semblent pas s’écarter de manière très nette de ceux des métaux d’autre provenance. Le trafic des produits métallurgiques est d’autre part loin d’avoir été unidirectionnel. À côté du billon d’argent, du cuivre ou de l’étain ramené par les Milanais, vers le nord de l’Italie ont voyagé également des tôles de fer, parfois des armures et surtout des faux fribourgeoises : à Saint-Maurice, au xve siècle, on voit passer certaines années plus de 3 000 faux, alors qu’on a pu estimer que la ville de Fribourg à cette époque en produisait entre 5 000 et 10 000 par an47. La complexité de la circulation des métaux se révèle également si l’on regarde les opérateurs actifs dans ce commerce. Les Lombards, plutôt nombreux au xive siècle, ne forment plus qu’un groupe restreint au siècle suivant. S’ils ont assuré l’essentiel du trafic en direction des foires de Genève, ils n’étaient que très partiellement spécialisés dans l’un ou l’autre produit et ils n’hésitaient pas, lorsque l’occasion se présentait, à écouler leurs marchandises directement en Valais ou à Fribourg. À leurs côtés, était active une multitude de petits marchands ou d’artisans qu’on voit parfois se rendre, surtout au xive siècle, jusqu’en Italie du nord pour acheter des quantités en général modestes de fer ou de produits en métal. Au siècle suivant, le fer, l’acier et les objets en métal nécessaires à la vie de tous les jours qui ont nourri ce commerce régional viendront surtout de Genève. L’afflux de la production de fer dauphinois, dont une partie était sans doute travaillée sur place, et celle de l’industrie sidérurgique lombarde ont ainsi permis à Genève et à ses foires de jouer un rôle somme toute important dans la redistribution de ces types de produits.
47 Cf. N. Morard, « La métallurgie du fer », art. cit., p. 75.
Les marchés et les foires de Sion et de Saint-Maurice d’Agauneà la fin du Moyen Âge (xiiie-xve siècle)
La présence d’un marché à Sion remonte sans doute à une époque très ancienne. Selon toute vraisemblance, son rôle a été depuis les origines important pour l’économie de la région. Les habitants des vallées latérales et ceux des villages ou des bourgs de la plaine venaient régulièrement y vendre leurs produits et acheter aux artisans de la ville ceux dont ils avaient besoin. La charte communale, rédigée vers 1217, précise que ceux qui achetaient, vendaient et tenaient des « colongias » devaient verser à l’évêque une taille de dix livres à Pâques, mais que personne n’était tenu de verser plus que cinq sous, ce qui laisse supposer qu’au moins une quarantaine de personnes était concernée par cette mesure. En revanche, « illi qui non habent in foro » étaient astreints seulement au payement des droits de vente perçus sur les animaux1. D’après ce que le texte permet d’entrevoir, il semblerait que les cives qui possédaient une maison donnant sur l’endroit où se tenait le marché jouissaient déjà à cette époque de privilèges assez étendus. Quelques années plus tard, en 1269, les statuts de la ville précisent les limites du périmètre à l’intérieur duquel devait se tenir le marché et où toutes les marchandises, y compris celles amenées de l’extérieur, devaient être vendues. À cette occasion les privilèges des propriétaires des maisons donnant sur le marché furent une nouvelle fois confirmés2. La taille pascale a sans aucun doute été perçue pendant plusieurs décennies. Celle de Montorge fut donnée en fief le 14 juillet 1293 par l’évêque Boniface de Challant à Willermus Cornuel, citoyen de Sion, pour une livre de poivre à verser à l’Assomption de la Vierge et cinq sous de plaît3. Elle est encore mentionnée dans l’acte de vente d’une maison daté de 1322, qui fait état d’une redevance de 12 deniers due in tallia paschali4. Le marché hebdomadaire se tenait au Glaret et il semble bien que le forum occupait une surface assez étendue. Au xve siècle, il avait lieu le samedi et il est probable qu’il 1 Gremaud, Documents, no 265. 2 Ibidem, no 751. 3 AEF, Coll. J. Gremaud, vol. 16, n. 137 4 AEV, Fonds O. de Riedmatten, A 11.
Sur les routes des Alpes : Religieux, marchands et animaux dans la Suisse occidentale (xiiie-xve siècles), Franco Morenzoni, Turnhout, 2019 (Culture et société médiévales, 36), p. 293-305 © FHG10.1484/M.CSM-EB.5.117893
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en allait ainsi depuis déjà longtemps5. Au cours de la deuxième moitié du xive siècle, malgré les épidémies et les tensions politico-militaires qui se sont manifestées dans la région, le marché de Sion a gardé une certaine importance régionale. En témoigne l’échec de la tentative comtale de le concurrencer par le biais de celui de Conthey, échec confirmé par le privilège que le comte dut accorder en 1356 aux hommes de Fully, de Leytron et de Riddes de ne plus être obligés de mettre en vente leurs marchandises uniquement au marché de Saillon, mais de pouvoir les amener également à celui de Sion6. En 1369, le comte de Savoie se plaignit d’ailleurs auprès de l’évêque parce que les individus qui avaient tué un de ses hommes, bourgeois de Saint-Maurice, au retour du marché de Sion, n’avaient pas encore été punis7. L’absence de sources rend vaine toute tentative de mesurer, même par approximation, le volume des échanges réalisés lors du marché. On peut néanmoins rappeler qu’une ordonnance de l’évêque Walter Supersaxo de janvier 1461 réglemente la manière de mesurer les draps de n’importe quel type ainsi que les bénéfices qui pouvaient être réalisés grâce à la vente des draps de bonne qualité. Elle mentionne aussi plusieurs produits mis en vente au marché, comme la cire, l’huile d’olive, les épices, les sacs en cuir, le papier, les céréales, les fromages, les lièvres, le beurre, les peaux, etc.8 Depuis une époque impossible à préciser, dans la ville épiscopale se tenait également une foire annuelle qui avait lieu le 15 août et qui était dite de l’Assomption de la Vierge. Elle durait au moins deux jours, car le 16 août était la fête patronale de la cathédrale (saint Théodule). Si la charte de 1217 ne mentionne pas la foire explicitement, celle-ci est en revanche citée dès 1258 dans les comptes du châtelain de Chillon. Vers 1256, Albert Carpentarius tenait en effet en fief de l’évêque un droit de péage de six deniers sur chaque cheval qu’on amenait « ad nundinas9 ». En 1262, le comte de Savoie se plaignit du fait que pendant la foire deux de ses hommes avaient été capturés par les familiers de l’évêque et cruellement frappés. Il reprocha de plus au prélat d’avoir injustement dépossédé les nobles de Martigny des droits de garde de la foire qui leur revenaient « a tempore a quo non estat memoria10 ». Au-delà de la formule rhétorique, il semble bien qu’à cette date la foire existait au moins depuis quelques décennies.
5 Les statuts de 1414 précisent que la personne qui a acheté le droit de recueillir le fumier « die jovis et veneris […] qualibet ebdomada vacuet et mundet plateam Glareti pro honore burgensium, causa tenedi forum nitidum » (Gremaud, Documents, no 2617). En 1426, un acte mentionne une femme qui a été agressée à son retour du marché un samedi (ABS, 229/12). En 1437, le 16 novembre, qui tombe un samedi, est cité comme jour de marché (AEV, S. Séverin C 19/1). 6 Ils s’étaient plaints du fait que le marché de Saillon était trop petit et que leurs marchandises ne trouvaient pas preneur (Gremaud, Documents, no 2032). Les comptes du châtelain précisent que le privilège octroyait aux hommes de ces paroisses le droit de les amener à Sion (CC Saillon-Conthey 1359-1360, ASTo SR, Inv. 69, f. 41, m. 5). Voir également P. Dubuis, Une économie alpine à la fin du Moyen Âge. Orsières, l’Entremont et les régions voisines, 1250-1500, Sion, 1990, t. 1, p. 155 et t. 2, p. 101, n. 131. 7 Voir le texte publié par V. van Berchem, « Guichard Tavel, évêque de Sion, 1342-1375. Étude sur le Vallais au xive siècle », Jarhbuch für Schweizerische Geschichte, 24 (1899), p. 384, no 23. 8 AEV, Saint Martin commune, P. 5. 9 Gremaud, Documents, no 2171. 10 Gremaud, Documents, no 687.
l e s m a rché s e t l e s fo i r e s d e s i o n e t d e sai nt-mau ri ce d’agau ne
Les statuts de 1267 permettent de préciser quelques points concernant l’organisation de la foire. Ils prévoient que pendant celle-ci les marchandises arrivées en ville pouvaient être vendues ou achetées même en dehors de l’espace réservé au marché. Les dimensions des étals étaient fixées à une toise de longueur et à une demie toise de largeur11. Chaque bourgeois avait le droit de vendere et ponere ses marchandises où il voulait, et ceux qui souhaitaient louer des étals devant leurs maisons ne pouvaient le faire que sur les espaces restés inoccupés. Les statuts interdisaient en outre aux citoyens de Sion de s’associer avec les marchands qui amenaient leurs denrées depuis les régions situées, en gros, en dehors des territoires sur lesquels l’évêque exerçait son pouvoir temporel, ainsi que la vente en bloc des marchandises. Celles-ci devaient être d’abord exposées à la vente au détail au moins à trois reprises12. Enfin, une amende de 60 sous était prévue pour les marchands qui s’accordaient pour faire augmenter les prix13. Vers le milieu du xiiie siècle, les foires de Sion étaient déjà suffisamment importantes pour attirer des marchands qui venaient de régions relativement éloignées. À Chillon, ceux qui venaient de Lausanne, d’au-delà du Jura et des localités situées au sud de l’Arve devaient verser au châtelain une livre de poivre pour leur guidagium14. Nous savons ainsi que 25 individus ont payé cette redevance en 1258, 39 en 1260 et 33 en 1266. Si l’on ne recense que 17 passages en 1275, ils remontent à 38 en 1278 pour ensuite évoluer entre 19 et 26 jusqu’à 1288. À cause de la guerre entre l’évêque de Sion et Pierre de la Tour, aucun passage n’a cependant été enregistré en 129415. La fréquentation des foires est restée assez bonne jusqu’en 1303-1304, car le châtelain a continué d’enregistrer entre 13 et 16 versements chaque année. Elle a en revanche diminué à partir de 1305 et est devenue presque insignifiante dès le début de la troisième décennie du xive siècle. Entre 1321 et 1350, date de la dernière mention d’un versement, ne sont passés chaque année que trois ou quatre marchands astreints à cette redevance et, à plusieurs reprises, les châtelains ont noté que le nombre des passages était faible, ou même qu’aucun marchand ne s’était rendu à Sion, à cause de l’insécurité qui régnait sur les routes du Valais occidental.
11 C’est-à-dire environ deux mètres sur un mètre. 12 Il semblerait, d’après ce passage, que la foire durait trois jours. 13 « Et quod aliqui de mercatoribus non associent se de precio uenditionis dicendo: tu non dabis pro tali precio et ego similiter non dabo, ut carius uendant » (Gremaud, Documents, no 751). 14 Le texte, aussi bien celui publié par L. Cibrario (« Discorso secondo. Delle entrate della Corona », Memorie della Reale Accademia della Scienze di Torino, 36 (1833), p. 224, n. 4) que celui qu’on trouve dans les comptes des années suivantes, n’est pas très clair: « de mercatoribus euntibus ad nundinas sedunenses […] quorum quilibet de Lausanna, de ultra Jurim, de Gebennis ab aqua Arve inferius dat unam libram pro guidagio » (CC Chillon 1266, ASTo SR, Inv. 69, f. 5, r. 1). Une livre de poivre était rétrocédée au portier de Chillon et une autre à la personne chargée de la collecte. Se fondant uniquement sur les données publiées par M. Chiaudano, H. Ammann avait déjà souligné que les foires de Sion « müssen also eine ziemliche Bedeutung besessen haben » (cf. « Zur Geschichte der Westschweiz in savoyischer Zeit », Revue Suisse d’Histoire, 21 (1941), p. 49). 15 « De mercatoribus venientibus ad nundinas sedunenses in augusto non computat quia nichil habuit, ex eo quod mercatores non ausi fuerunt venire propter guerram episcopi et Perreti de Turre » (CC Chillon 12931295, ASTo SR, Inv. 69, f. 5, r. 11).
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Graphique 1. Draps en provenance de la foire de Sion enregistrés au péage de Saint-Maurice d’Agaune de 1281 à 1369 (en aunes)
Les relevés du péage de Saint-Maurice apportent quelques renseignements supplémentaires sur la conjoncture des foires de Sion de 1281 à 1369. Dans cette localité, le comte prélevait un denier et une obole sur chaque douzaine d’aunes de draps gris en provenance des foires du mois d’août, ce qui permet de connaître le volume annuel des draps qui étaient acheminés vers l’Ouest16. Il s’agit d’une partie seulement des draps vendus à Sion, car aucune source ne permet de savoir combien de draps étaient achetés par des marchands qui empruntaient d’autres itinéraires (Fig. 1). Les passages de draps semblent avoir été assez importants au moins jusqu’à 1293, avec des pointes en 1281, 1284 et 1290. En 1284, le péager a ainsi vu défiler en l’espace de quelques jours17 plus de 20 000 aunes de tissu. La chute de 1286-128718 et celle beaucoup plus importante de 1294, toutes deux provoquées par la guerre, ne paraissent pas avoir eu de conséquences durables puisque la conjoncture est de nouveau à la hausse dès l’année suivante et qu’elle le reste jusqu’à 1310. Après cette date, et malgré quelques années pendant lesquelles on observe une certaine poussée du trafic (1314, 1320, 1331, 1332, etc.), les exportations de draps depuis Sion ont connu une tendance très nette à la baisse. Après le milieu du siècle, les passages sont devenus de plus en plus irréguliers et le volume des marchandises présentées presque insignifiant. En 1355, le péager n’a encaissé que 12 deniers, c’est-à-dire la somme due pour un peu moins de 100 mètres de tissu. Après 1371, les passages ont cessé complètement et à partir de 1381 la rubrique « exitus nundinarum de Seduno » a été remplacée par une consacrée aux « panni grossi Alamagnie », dont une partie provenait sans aucun doute de Fribourg. 16 Jusqu’à 1292, la moitié du péage était reversée au châtelain d’Évian (voir par exemple CC Évian 12911292, ADS, SA 15247). 17 Quelques comptes de la deuxième moitié du xive siècle donnent la date du dernier passage. Le plus tardif a lieu le 21 août (CP Saint-Maurice 1362-1364, ASTo SR, Inv. 69, f. 161, r. 25). 18 En 1287, des opérations militaires ont eu lieu en Valais pendant le mois d’août, ainsi que l’indiquent les comptes de la commune de Villeneuve (ACV, P Villeneuve Z 3a, 1286-8127).
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Les fluctuations des passages de draps en provenance de la foire de Sion ne coïncident que très partiellement avec la conjoncture à court terme des marchandises propres au grand commerce international19. Ainsi l’effondrement que cette dernière a connu en 1311-1312 ne paraît pas avoir ralenti de manière importante l’activité des foires sédunoises, du moins pour ce qui est de la vente de draps. La fréquentation des foires a été en revanche très influencée par la plus ou moins grande sécurité qui régnait sur la route du Valais, élément qui n’a apparemment pas joué un rôle majeur sur la conjoncture du trafic international. Dans cette perspective, il semble bien que les marchands qui animaient ce commerce régional étaient moins enclins que les opérateurs actifs à l’échelle internationale à faire confiance aux pouvoirs seigneuriaux qui, en théorie, garantissaient à tout le monde leur protection. Quoiqu’il en soit, à plusieurs reprises, aussi bien le châtelain de Chillon que le péager de Saint-Maurice ont noté dans leurs comptes que la baisse des passages était due à la guerre. À la fin du xiiie siècle, les conflits entre Pierre de la Tour et l’évêque de Sion ont perturbé les trafics, comme on l’a vu, en 1294 et de nouveau en 1297. Les tensions entre ce dernier et le comte de Savoie ont fait diminuer le volume des passages en 1322, 1326, 1328, 1342, etc. On remarquera néanmoins que malgré les troubles qui ont eu lieu peu avant le milieu du siècle, le pillage de la ville de Sion en novembre 1352 et les opérations militaires qui se sont déroulées dans la région pendant les années suivantes, les foires n’ont pas cessé de se tenir chaque année au moins jusqu’à 135620. Les sources ne livrent que peu de renseignements au sujet de l’identité et de l’origine des marchands qui se rendaient à Sion. Les seules données dont nous disposons concernent de plus des années peu intéressantes, à cause du faible volume des passages. En 1351, elles citent ainsi un certain Martinus de Mugnaciis qui a fait passer 62 douzaines d’aunes. De 1352 à 1354, elles mentionnent un habitant de Genève, Bochetus, qui a assuré le passage de l’ensemble des aunes enregistrées21. Les comptes mentionnent aussi un certain Rossetus de Lausanne en 1356, Johannes Bastardus en 1363, Raymondus de Ponte en 1368 – déjà cité l’année précédente pour avoir fait passer du fer ou du cuivre et qui paye 3 deniers pour 24 aunes réparties en huit balles22 – et enfin un certain Martinus Vincentii. Tous ces marchands, à l’exception de Bochetus, se sont présentés au péage avec des quantités assez modestes. Quelle était l’origine des draps vendus aux foires de Sion ? S’il est certain que le Valais a exporté des draps produits sur place avec de la laine indigène, la documentation ne permet guère d’estimer l’importance de cette activité. Cet artisanat était
19 Cf. dans le présent ouvrage Fr. Morenzoni, « Le mouvement commercial au péage de SaintMaurice d’Agaune à la fin du Moyen Âge (1281-1450) », p. 217-277. 20 Les comptes de Chillon indiquent le passage des marchands également en 1350, année pour laquelle les relevés du péage de Saint-Maurice ne nous sont pas parvenus. Sur les conflits auxquels nous avons fait référence, voir D. van Berchem, « Guichard Tavel », art. cit., passim. 21 Il fait ainsi passer 816 aunes en 1352, 300 en 1353 et 600 en 1354. 22 Il s’agit peut-être d’un habitant d’Orsières cité par le châtelain d’Entremont entre 1351 et 1364 (voir P. Dubuis, Une économie alpine, op. cit., t. 1, p. 234 et t. 2, p. 80 n. 93; Id., « Documents sur la vie économique en Entremont à la fin du Moyen Âge (xiiie-xve siècles) » Vallesia, 45 (1990), no 75).
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sans doute présent aussi bien en milieu urbain que rural. À notre connaissance, les ‘draps gris du Valais’ sont cités pour la première fois vers le milieu du xiiie siècle, et de manière plus explicite au début du xive23. Vers 1325, le châtelain d’Annecy en acheta neuf aunes, semble-t-il dans une boutique de Genève, pour habiller la nourrice du comte, et dix ans plus tard trois aunes et un quart pour un autre domestique24. Les sommes versées pour ces achats indiquent qu’il s’agissait de draps de qualité assez médiocre25. D’autres achats pour la cour sont signalés en 1347 pour le ‘muet du comte’ et en 1356 pour le grand cheval du comte26. Les tissus fabriqués en Valais sont également mentionnés en 1376 dans l’inventaire d’une boutique de Sion27 ; vers la même époque, on trouve dans la ville quelques coupeurs et tondeurs de draps28. On sait, grâce aux relevés du péage de Villeneuve, que pendant la première moitié du xve siècle, les draps du Valais étaient encore exportés vers le bassin lémanique, parfois par des marchands de Sion. Si l’existence d’une production locale est incontestable, il est cependant peu probable que la totalité des draps vendus aux foires de Sion était d’origine valaisanne. En effet, si l’on admet une longueur hypothétique de quinze aunes pour chaque drap29, les relevés du péage de Saint-Maurice permettent de constater que, jusqu’au premier tiers du xive siècle, les transactions réalisées aux foires portaient sur plusieurs centaines de pièces, et parfois même sur plus d’un millier. Compte tenu du temps et des infrastructures nécessaires à la fabrication de chaque drap, il est peu vraisemblable que la production locale fût à même de satisfaire une demande somme toute non négligeable. Il est probable qu’une partie de ces draps était fabriquée en Lombardie ou importée depuis cette région où, depuis la fin du xiie siècle, on produisait des draps de qualité médiocre en assez grande quantité. Ceux-ci étaient achetés sur les lieux de production aussi bien par quelques marchands établis en Valais qu’amenés à Sion par des marchands lombards. Il semblerait ainsi que pendant quelques décennies la
23 Vers 1256, l’évêque de Sion reconnaît qu’il doit à Albertus Carpentarius « duo paria vestium annuatim, […] unam videlicet de collore et aliam de pannis terre » (Gremaud, Documents, no 2171). En 1306, l’évêque Boniface de Challant reconnaît que le portier du château de la Soye a le droit de recevoir chaque année une « robam […] bonam et decentem de griso Valesii » (ibidem, no 1233). 24 Voir les textes publiés par P. Duparc, Le comté de Genève, ixe-xve siècle, Genève, 1955, p. 555, n. 2. 25 En 1335-1336, l’aune de tissu valaisan est payée 2 sous, alors que celle d’un drap ‘de France’ coûte cinq fois plus (ibidem). 26 L. Cibrario, Della economia politica del medio evo, Torino, 1861, t. 2, p. 28. 27 Cf. dans le présent ouvrage Fr. Morenzoni, « L’inventaire après décès de Bacinodus Tracho, lombard de Sion (17 janvier 1376) », p. 413. En 1379-1383, le châtelain de Martigny indique qu’il a remis au sautier « duo paria caligarum; unum par de panno colorato et aliud par caligarum de panno griso de Valesio » (CC Martigny 1379-1383, ASTo SR, Inv. 69, f. 81, m. 1). 28 En 1383, le genevois François Marguerat, établi à Sion, est qualifié de « pannorum cisor » (ACS, Min. A 33, p. 154). La taille de 1410 cite un « Nantermus panni tonsor » qui verse 12 deniers et habite dans le quartier de Sitta (ABS, 29/19). En 1416, un autre document cite un certain « magister Antilliodus pannitonsor » (Gremaud, Documents, no 2638). 29 La longueur des draps était très variable et dépendait de la qualité. Les règlements pour Fribourg et Yverdon de la première moitié du xve siècle indiquent des longueurs minimales d’environ 15 aunes (R. Déglon, Yverdon au Moyen Âge, Lausanne, 1949, p. 302).
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foire sédunoise ait permis aux petits et aux moyens marchands du bassin lémanique de se ravitailler en draps venant d’Italie du Nord. D’après les franchises confirmées par Amédée de Savoie en 1317, la ville de SaintMaurice avait le droit de tenir un marché tous les jeudis et sept foires annuelles qui duraient un ou deux jours30. L’article dix-sept exemptait les bourgeois de la ville du versement de la leyde, exemption qui s’étendait également aux transactions effectuées pendant les autres jours de la semaine. Grâce à la présence de l’abbaye, le marché était probablement très ancien, mais ce n’est qu’à partir de la fin du xiiie siècle que les renseignements dont on dispose deviennent un peu moins rares. Le marché se tenait vraisemblablement sur la place du Parvis où le comte possédait un poids en pierre pour les céréales protégé par un toit31. Les jours de marché, les achats étaient interdits en dehors du périmètre du forum32. Il semblerait que le comte détenait également le droit de pouvoir mettre en vente ses denrées avant celles des autres. Il s’agissait probablement du produit des redevances en nature perçues dans la châtellenie33. À cause de sa situation géographique, de son territoire exigu et du nombre sans doute important d’habitants dont les moyens de subsistances ne dépendaient pas de l’agriculture, Saint-Maurice était dans l’obligation de s’approvisionner dans les régions voisines. Comme le souligne Gilbert Coutaz, le marché, plus qu’à la commercialisation de la production locale, servait d’abord au ravitaillement de la ville. Il était sans doute très animé, car il était fréquenté non seulement par les gens des villages voisins qui venaient vendre leurs produits, mais également par ceux des localités situées à l’ouest de Monthey34. C’est d’ailleurs le jeudi que les malfaiteurs subissaient parfois la punition publique qui leur avait été infligée par le châtelain, à l’instar de Perrodus Choset qui fut essorillé en 1340 ou 1341 parce qu’il avait volé des peaux35. Si l’on juge d’après le produit de la ferme de la leyde, le volume des transactions était relativement important, tout au moins depuis la fin du xiiie jusqu’au milieu du
30 Gremaud, Documents, no 1401. Les foires avaient lieu à la Saint-Vincent (22 janvier, 1 jour), à l’Ascension (2 jours), à la Dédicace de l’église (25 mai, 1 jour), à la Saint-Maurice, (22 septembre, 2 jours), à la Toussaint (1er novembre, 2 jours), à la Saint-Martin (11 novembre, 1 jour) et à la SaintClément (23 novembre, 1 jour). Voir également G. Coutaz, « La ville de Saint-Maurice d’Agaune avant la Grande Peste. Étude d’histoire sociale d’après la liste des contribuables de 1303 », Vallesia, 34 (1979), p. 233. 31 « Item libravit pro tecto mensurarum mercati quod destructum erat omnino reficiendo: vii sol. » (CC Saint-Maurice 1305-1306, ASTo SR, Inv. 69, f. 141, m. 1). Il s’agissait peut-être d’un petit bâtiment car, en 1381, on cite une camera qui se trouvait « supra petra ubi bladum comuniter mensuratur » (texte cité par P. Dubuis, Une économie alpine, op. cit., t. 2, p. 153, n. 27). 32 En 1362-1363, le châtelain inflige des amendes à quatre individus car ils ont acheté « denariatas extra locum fori die fori » (CC Saint-Maurice 1362-1363, ASTo SR, Inv. 69, f. 141, m. 1). 33 Les franchises ne disent rien sur cet aspect, mais il est certain que ce droit existait au début du xve siècle: « Recepit a Jaquemeto de Canalibus de Montheolo quia inculpabatur in foro Sancti Mauricii unum saccum plenum avene emisse et a dicto foro deportasse antequam feni domini fuissent ibidem apportati […]: iv sol. vi den. maur. » (CC Saint-Maurice 1400-1401, ASTo SR, Inv. 69, f. 141, m. 3). 34 G. Coutaz, « La ville de Saint-Maurice d’Agaune », art. cit., p. 232-233. 35 « […] in fugando Perrodum Choset qui apud Sanctum Mauricium furatus fuerat quandam quantitatem pellium […] et stipendiis cuiusdam hominis qui dictum latronem duxit ad catenam die fori et fuit sibi auricula amputata » (CC Saint-Maurice, 1341-1341, ASTo SR, Inv. 69, f. 89, m. 2).
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xive siècle. Malgré l’exemption dont bénéficiaient les bourgeois et le prélèvement assez modeste qui frappait les céréales – à peu près 1,25% de la quantité vendue36 –, elle rapportait chaque année au comte environ quatre livres. À titre de comparaison, vers 1320 la ferme du marché de Saillon était de sept sous. Des sept foires énumérées par les franchises, trois au moins avaient effectivement lieu aux dates prévues. Celles de la Toussaint et de l’Ascension sont citées par le péager de Villeneuve en 1304 et en 1305. Celui de Saint-Maurice mentionne au moins deux marchands qui se rendent à celle de la Saint-Maurice37. Aux foires les acheteurs avaient la possibilité de trouver les produits les plus variés. Celle qui se tenait en septembre étant sans doute fréquentée aussi par les pèlerins qui venaient pour la Saint-Maurice, il est probable qu’elle attirait également les petits marchands d’images religieuses, de cire, etc. Il en allait peut-être de même pour la foire de la Dédicace. S’il est certain que les marchands de draps fréquentaient les foires de Saint-Maurice depuis longtemps38, ce n’est qu’à partir de 1338-1339 que les données concernant ce commerce deviennent moins rares, grâce à une nouvelle rubrique des comptes du grand péage qui indique le nombre de draps ‘de France’ amenés « apud Sanctum Mauricium in foris nundinarum ad vendendum39 ». Ces tissus de qualité et plutôt chers étaient taxés deux deniers la pièce. Ce commerce existait déjà auparavant, mais ce n’est qu’à la suite d’un changement dans la manière de percevoir le péage sur les balles de draps qu’il est possible de l’observer40. Les comptes laissent entrevoir un trafic relativement modeste mais qui, eu égard au prix élevé de cette marchandise, n’est pas tout à fait négligeable41. D’avril 1338 à octobre 1339, le péager a enregistré la taxation de 91 pièces ; d’octobre 1339 à avril 1341, de 109, et pratiquement la même quantité d’avril 1341 à février 1342 (108). Au cours des années suivantes on note cependant quelque baisse importante. C’est le cas en 1346-1347 et entre février 1349 et avril 1350, période pendant laquelle aucun marchand ne passe à cause sans doute de l’épidémie. Après une certaine reprise en 1351-1352 (81 pièces), les passages ont évolué autour d’une 36 Voici les tarifs de la leyde tels qu’ils sont très souvent rappelés dans les comptes de châtellenie: « [et levatur] de qualibet cupa bladi, billionis et avene unus copetus cumulus, quorum quaterviginti continent unam cupam, pro parvis vendis et retrovendis; et levatur pro quolibet equo, asino et vacha i den., de porco i ob., de qualibet minuta bestia una pogesia ». Le prélèvement sur la vente des animaux est plus difficile à calculer, mais on peut noter qu’il était moins important que celui qui frappait les grains. En 1328, le prix d’une vache était en effet d’environ 14-16 sous (AASM, Liber ministralie de Bagnes, sans cote, fol. 19v et 49v). 37 CP Villeneuve 1303-1305, ASTo SR, Inv. 69, f. 31, r. 6. 38 « (Banna) De c sol. receptis a Petro Tettout pro panno capto in nondinis per ignoranciam » (CC SaintMaurice 1308, ASTo SR, Inv. 69, f. 141, m. 1). 39 CP Saint-Maurice 1338-1339, ASTo SR, Inv. 69, f. 161, r. 12. 40 Jusqu’à 1338, le péage des draps ‘de France’ est perçu sur chaque pièce. De plus, 2 deniers sont perçus aussi sur chaque balle. À partir de 1338, les draps sont taxés sur la base d’une balle théorique qui contenait toujours 12 pièces. À noter que les comptes de 1336-1337 et 1337-1338 indiquent le passage de 67 et 53 pièces extra ballas. Il s’agit peut-être déjà de draps apportés aux foires. 41 Une fois encore, il faut souligner que les données dont nous disposons concernent une période pendant laquelle le trafic international des draps a déjà fortement décliné. Il n’est pas exclu qu’au tournant du xiiie au xive siècle, le commerce régional de draps de qualité supérieure était plus important.
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moyenne relativement faible mais assez stable jusqu’à 1364. Pendant les années suivantes, cependant, les quantités présentées au péage ont tendance à diminuer d’une manière très nette : bien souvent les comptes enregistrent moins de dix draps par exercice42. Les marchands qui se rendaient à Saint-Maurice pour acheter ou vendre ce type de marchandise étaient pour l’essentiel actifs dans les localités de la région43. À l’exception d’un marchand de la Valsesia et d’un autre de Montbéliard44, la plupart venaient de Vevey, d’Évian, de Martigny ou de Morges45. Certains marchands, comme Perrodus del Truil, Falquetus d’Evian ou Ruphus de Martigny, fréquentaient sans doute régulièrement les foires, car ils sont cités à deux reprises. Il semblerait que les marchands de draps ‘de France’ étaient présents surtout à la foire de l’Ascension et à celle de la Toussaint, car la plupart des passages ont lieu en mai et en novembre46. Les quantités qu’ils transportent sont presque toujours très modestes. Seuls Martinus Faleti en 1347 et Martinus Bona Navis le 18 mai 1357 ont fait passer en une seule fois plus de dix pièces47. Les tissus chers ne représentaient qu’une partie de l’ensemble des tissus mis en vente aux foires. La plupart des transactions concernaient sans doute des draps de qualité inférieure et moins chers. Malheureusement rien ne permet d’estimer, ne serait-ce que par approximation, le volume des échanges de cette nature, et encore moins de savoir si les foires de Saint-Maurice ont pu, à un moment ou à un autre, concurrencer celle de Sion. Si le comte de Savoie ne paraît jamais avoir pris aucune mesure particulière en faveur des foires, on notera néanmoins qu’il ne prélevait aucun droit de vente sur les tissus. De plus, sur demande des habitants de la ville, en 1338, il renonça à un prélèvement extraordinaire prévu pour une durée de cinq ans et qui consistait en une taxe égale à 2,5% du montant de toutes les transactions réalisées à l’intérieur du territoire de Saint-Maurice, et accepta de le remplacer par une contribution qui frappait chaque feu48.
42 Les chiffres fournis par les comptes ne permettent de formuler que des observations très générales, à cause notamment de la durée très inégale des exercices et des quantités modestes qui sont enregistrées. Il est possible que les passages de draps en direction des foires se soient arrêtés à partir de 1382. Les comptes continuent certes d’indiquer des draps isolés, mais rien ne permet d’affirmer qu’il s’agit toujours de ceux qui vont à Saint-Maurice. 43 Entre 1339 et 1379, les comptes indiquent presque toujours l’identité du dernier marchand qui a transité. Nous connaissons ainsi le nom de 25 individus différents qui totalisent 29 passages. 44 Il s’agit de Galfanus de Valle Cesia, qui passe deux fois entre 1375 et 1376, et de Hugoninus de Montebeliardo, qui passe en 1378-1379. Le 25 octobre 1365, le péager note le passage de Martinus de Monbret avec 5 pièces. La même année ou l’année suivante, un certain Stephanus de Mombret est condamné par le châtelain à une amende de 4 florins « pro eo quod posuit quosdam pannos suos vendicioni antequam ipsos pedagiasset » (CC Saint-Maurice 1365-1366, ASTo SR, Inv. 69, f. 141, m. 2). 45 Parmi les dix marchands dont l’origine peut être établie de manière sûre, quatre viennent de Vevey et deux d’Évian. 46 Sur 18 mentions de la date, 7 passages ont lieu en novembre, plus précisément le troisième et le quatrième jour du mois, et 5 pendant le mois de mai. 47 Seize marchands font passer moins de cinq draps et quatre des quantités supérieures. 48 Gremaud, Documents, no 1735. Les habitants acceptent de verser environ 57 livres par an, une somme sans doute inférieure à celle qu’ils auraient dû payer si leur supplique n’avait pas été acceptée. On peut donc supposer que l’ensemble des transactions réalisées chaque année mettait en jeu une somme supérieure à 2 275 livres mauriçoises.
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Au-delà des différentes marchandises qu’on pouvait y trouver, les foires de SaintMaurice étaient principalement fréquentées par les marchands d’animaux. Il semble bien que ces trafics ne servaient pas uniquement à ravitailler les transporteurs de la ville ou les habitants de la région, mais s’inséraient dans un courant commercial géographiquement plus large qui s’étendait jusqu’à la Lombardie et le Piémont et concernait peut-être aussi les Préalpes fribourgeoises et la Gruyère49. Plusieurs éléments permettent de souligner l’importance du commerce du bétail aux foires. Ainsi, par exemple, dans les statuts qui réglementent l’utilisation des forêts et des pâturages appartenant à la commune approuvés par le comte en 1298, on prévoit expressément que l’interdiction faite à tous ceux qui ne faisaient pas partie de la communitas d’utiliser les pâturages, ne concernait pas les animaux qui arrivaient ou repartaient des foires50. Quelques années plus tard, le péager de Villeneuve souligne qu’il n’indique pas le produit entre autres de la foire de SaintMaurice de la Toussaint « quia inclusum est in pedagio bestiarum51 ». Enfin, les droits de leyde étaient perçus uniquement sur les animaux et les céréales52. Les montants annuels assez élevés auxquels étaient affermés les droits de vente montrent que le volume des transactions réalisées aux foires était plutôt considérable (Fig. 2). À titre purement hypothétique, on peut en effet estimer que lorsque la perception des droits de vente était affermée au prix de 30 livres par an – c’est le cas par exemple en 1311 – l’ensemble des échanges soumis à la leyde mettait en mouvement une somme supérieure à 3 700 livres, c’est-à-dire presque 11 000 florins de Florence au taux de change pratiqué à cette époque53. Au-delà des fluctuations conjoncturelles de courte durée, la courbe permet d’observer qu’après les années de crise du milieu du xive siècle, l’activité des foires, tout en connaissant un certain ralentissement, est restée assez intense au moins jusqu’à 1394-1395. Les pertes démographiques, qui ont pourtant entraîné une baisse très sensible de la population de Saint-Maurice54, n’ont en effet pas affecté dans la même proportion le volume des transactions réalisées aux foires. Dans cette perspective, il semble bien que l’activité de celles-ci ne dépendait pas de manière prépondérante de la plus ou moins grande capacité de consommation des habitants de la ville ou de la région. C’est là, indirectement, un indice supplémentaire de l’importance de Saint-Maurice en tant que lieu de rencontre traditionnel des marchands de bétail. On sait en effet, comme le montrent par exemple les relevés du péage de Sembrancher
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À propos de ces trafics, voir aussi les articles publiés dans la deuxième partie du présent volume. Gremaud, Documents, no 1111. CP Villeneuve 1303-1304, ASTo SR, Inv. 69, f. 31, r. 6. Pour les « magne vende », le comte prélevait 4 deniers sur les chevaux, 2 deniers sur les poulains de moins de deux ans, 1 denier sur les ânes, les boeufs, les vaches et les porcs et une pogesia sur les petites bêtes. Sur le froment, le seigle, l’avoine, les pois, les lentilles, les fèves, etc. le 0,8% de la quantité vendue. 53 Le calcul repose sur un prélèvement moyen correspondant à 0,8% de la valeur des marchandises. Il semblerait cependant que les droits de vente sur les animaux étaient inférieurs à ce taux. 54 L’épidémie aurait provoqué le décès d’environ 40% de la population de la ville selon P. Dubuis, Le jeu de la vie et de la mort. La population du Valais (xive-xvie s.), Lausanne, 1994, p. 126-132.
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Graphique 2. Évolution du montant annuel en livres mauriçoises de la ferme de la leyde des foires de Saint-Maurice d’Agaune de 1291 à 1461
étudiés par Pierre Dubuis, que l’élevage et le commerce des animaux ont connu un certain essor à partir de 1350. Les foires de Saint-Maurice ont sans aucun doute profité de ce phénomène, qu’on retrouve également dans d’autres régions de l’arc alpin55. Les quelques renseignements qu’on possède indiquent que pendant la deuxième moitié du xive siècle elles étaient encore fréquentées par des marchands qui venaient de Lombardie. D’après les remarques des châtelains, la présence ou l’absence de ces derniers pouvait influencer de manière sensible le volume des échanges56. Dès les dernières années du xive siècle, la diminution du montant de la ferme de la leyde indique que l’activité des foires connaît un premier ralentissement. Vers 1422, le volume des échanges connaît une nouvelle contraction importante qui ne cesse de s’aggraver au cours des années suivantes. En 1438-1439, le châtelain indique ainsi que personne n’a voulu de la ferme de la leyde ; celle-ci n’a rapporté en tout et pour tout que quatre livres. Les raisons précises de ce déclin restent en partie obscures. Il est possible que les foires de Saint-Maurice aient été incapables de faire face à la concurrence de celles de Sembrancher, et peut-être à celle des foires de la région fribourgeoises, de la Gruyère et du Pays d’Enhaut57. 55 Voir par exemple N. Morard, « L’élevage dans les Préalpes fribourgeoises: des ovins aux bovins (1350-1550) », in L’élevage et la vie pastorale dans les montagnes de l’Europe au Moyen Âge et à l’époque moderne, Clermont-Ferrand, 1984, p. 15-26. 56 Ainsi, par exemple, en 1372-1373, Jaqueminus de Furno, qui avait pris à ferme pour 28 livres la leyde des foires et du marché, obtient le remboursement de 15 florins de bon poids « eo quod guerre Lombardie supervenerunt et ob dicta firma de dimidia vel tria decrevit » (CC Saint-Maurice 1372-1373, ASTo SR, Inv. 69, f. 141, m. 2). En 1414-1416, c’est la guerre en Valais qui fait diminuer le montant de la ferme. 57 Au début du xve siècle, on voit ainsi deux habitants de la vallée d’Abondance amener leurs bêtes aux foires de Châteaux-d’Oex: « Recepit a Berteto Comba Fol de Valle Habundancie quia inculpabatur transisse certam boum et vacarum quantitatem per supra pontem Sancti Mauricii ducendo ipsas ad nundinas Castri Daiz in Grueria absque solutione pedagii […]: x sol. vi den. » (CC Saint-Maurice 14034, ASTo SR, Inv. 69, f. 141, m. 3). Une amende pour le même motif est infligée également à Bertetus Favey de Melon.
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Si les foires de Sion, de Saint-Maurice et de Sembrancher58 ont pu jouer à certains moments de leur existence un rôle relativement important grâce au fait qu’elles étaient un des points de rencontre des courants commerciaux qui mettaient en contact les régions situées au nord des Alpes avec celles du sud59, les autres rendez-vous annuels que comptaient le Valais et le Chablais vaudois ne semblent jamais avoir pu atteindre un rayonnement dépassant le cadre local ou tout au plus régional. À Villeneuve, les franchises de 1214 prévoient deux foires à des dates qui ne sont pas indiquées. Elles précisent que les droits de vente devront être acquittés sur les étoffes colorées et les merceries, la cire et la toile et sur les animaux grands ou petits60. Vers 1271-1272, une des foires avait lieu pendant la quinzaine de Pâques, car le châtelain note qu’il a dépensé 28 sous pour offrir un repas aux marchands qui s’y sont rendus61. Au début du xive siècle, les sources indiquent également une foire qui se tenait à la Saint-Michel62. On y vendait, semble-t-il, surtout des animaux. En 1308, une foire est également signalée pour la Saint-Nicolas (6 décembre)63. Par la suite, ce sont ces deux dates qui sont régulièrement mentionnées jusqu’au milieu du xve siècle. En 1332, les droits de vente prélevés par le comte aussi bien au marché que pendant les foires furent estimés à 28 livres par an64. Pendant la première moitié du xve siècle, cependant, l’ensemble du produit de la leyde des deux foires, qui n’était pas affermé, révèle une activité très modeste, car il se situe entre quatre et six florins de petit poids par an. C’est dans les franchises de 1314 que sont citées pour la première fois les deux foires qui devaient avoir lieu à Aigle. En fait, il semblerait que dans cette localité une foire n’ait commencé à fonctionner qu’à partir de 1319, date à laquelle le châtelain de Chillon réussit à affermer la leyde pour un montant qui était le double de celui des années précédentes65. Tout comme à celle de Saint-Triphon, citée au début du xive siècle, à la foire d’Aigle l’essentiel des transactions paraît avoir porté sur la vente et
58 Nous n’avons pas traité des foires de Sembrancher car elles ont déjà été étudiées par P. Dubuis, Une économie alpine, op. cit., p. 264-270. 59 Il est probable que les foires de Saint-Maurice et de Sembrancher faisaient partie d’un ensemble de foires régionales d’une certaine importance que les mêmes marchands fréquentaient chaque année. À titre anecdotique, on peut noter qu’en 1411 le châtelain de Saint-Maurice est chargé de capturer un marchand d’Ivrée, Jacques de Maximo, accusé de « falsam monetam portare et eandem in foris et nundinis publicis implicare ». Il envoie ainsi le vice-châtelain à Thonon entre le 14 et le 16 mai, aux foires de Sembrancher entre le 12 et le 14 septembre, à celles de Morgex entre le 8 et le 14 octobre et enfin à celles de Rosseillon entre le 10 et le 18 décembre (CC Saint-Maurice 1412-1413, ASTo SR, Inv. 69, f. 141, m. 4). 60 Fr. Forel, Chartes communales du pays de Vaud dès l’an 1214 à l’an 1527, Lausanne, 1872 p. 4 et p. 4-5. 61 CC Chillon 1271-1272, ASTo SR, Inv. 69, f. 5, r. 5. 62 CP Villeneuve 1303-1304, ASTo SR, Inv. 69, f. 31, r. 6. 63 CP Villeneuve 1308-1309, ASTo SR, Inv. 69, f. 31, r. 8. 64 ACV, A b 5. 65 Le produit de la ferme du marché, de celles du péage « des Allemands » et des foires passe en effet de 3,5 livres à 7 livres (CC Chillon 1319-1320, ASTo SR, Inv. 69, f. 5, r. 22). Copiées sur celles de Villeneuve, les franchises d’Aigle prévoyaient les mêmes droits de vente, sauf pour ce qui est des étoffes colorées et des merceries, qui ne payaient que deux deniers.
l e s m a rché s e t l e s fo i r e s d e s i o n e t d e sai nt-mau ri ce d’agau ne
l’achat d’animaux66. Il en allait sans doute de même à la foire de la Saint-Nicolas de Loèche. Mentionnée par les franchises de 133867, elle était certainement plus ancienne, car en 1217, la charte communale de Sion évoque déjà les droits perçus sur les animaux achetés dans cette localité et amenés hors de la ville68. À Viège, une foire avait lieu à la Saint-Laurent depuis au moins le début du xive siècle. Le vidomne y détenait une partie des droits de garde, alors que le major percevait les droits de vente ainsi que le péage prélevé pendant huit jours avant et après la foire69. Tout comme celle de Martigny-Bourg – accordée aux bourgeois de la ville en 1392 par Bonne de Bourbon et qui au début du siècle suivant avait lieu dans un pré que la commune tenait en fief du comte70 –, la foire de Viège n’a pas laissé beaucoup de traces dans les documents. Il en va de même de la foire de Saint-Pierre-de-Clages, citée en 1271 et qui aurait dû par la suite être transférée à Saillon71. Aucun document n’atteste cependant que dans cette dernière localité, une foire ait réellement fonctionné. C’est d’ailleurs le cas également pour les deux foires accordées à Conthey par les franchises de 1352 et de celle mentionnée par les franchises d’Orsières de 137972. Malgré l’absence de données chiffrées en quantité suffisante, et au-delà des inévitables fluctuations conjoncturelles qui ont marqué la période que nous avons examinée, le dense réseau de marchés et de foires qui existait aussi bien en Valais que dans le Chablais laisse entrevoir une économie régionale au sein de laquelle les échanges en monnaie, même pour des transactions portant sur des sommes très modestes, étaient relativement intenses et touchaient de larges secteurs de la population.
66 La remarque du péager de Villeneuve que nous avons citée à propos des foires de Saint-Maurice s’applique également à la foire de Saint-Triphon (supra, n. 50). 67 Gremaud, Documents, no 1719. La garde de la foire était confiée à un bourgeois du bourg. 68 « Animalia vero que apud Leucam emuntur et ducuntur extra terram per villam Sedunensem debent vendas » (ibid., no 265). 69 Ibid., no 1366 et 1382. 70 Les bourgeois versent d’ailleurs 160 florins, ce qui laisse supposer que la commune percevait les droits de vente (ibid., no 2425). En 1411, la commune reconnaît tenir en fief du comte « unam falcatam prati […] ubi tenentur nundinas sitam in pede Burgi Martigniaci loco dicto en la Larsez » (AEV, Martigny mixte 1444). 71 Gremaud, Documents, no 2176. 72 Ibid., no 1178 et 2307. Sur les foires d’Orsières voir P. Dubuis, Une économie alpine, op. cit., t. 1, p. 265-266.
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Quatrième partie
Politiques monétaires et prêteurs d’argent
Pierre Dubuis
Introduction
Pour présenter ces six articles de mon collègue Franco Morenzoni, il a fallu les relire, après un assez long temps d’oubli. S’est alors réveillée une constellation de souvenirs des années 1970, 1980 et 1990, l’image d’un temps heureux et relativement harmonieux, assez généreux pour développer une histoire aux domaines élargis, stimulée et enrichie par les sciences de l’homme, de la société, mais aussi de la terre et de l’environnement. Une histoire attentive à la fois aux grandes structures de la longue durée et à la temporalité grouillante des « petits » événements de la vie quotidienne de « monsieur tout le monde ». Derrière ce mouvement passionnant étaient à l’œuvre des renouveaux méthodologiques, comme l’approche pluridisciplinaire, le regard quantitatif sur les phénomènes, ou l’observation micro-historienne. La recherche suisse a participé à l’aventure de cette « nouvelle histoire » et lui est restée fidèle. C’est ce que montre éloquemment, en Suisse et dans les pays voisins, une exploration en profondeur de l’histoire des Alpes et de leurs populations, toujours maintenue en activité par les contraintes désormais très concrètes d’un climat terrestre en pleine péjoration. Les travaux de Franco Morenzoni témoignent de tout cela, que ce soit par la diversité de ses curiosités, l’exigence de ses investigations et la qualité de sa manière de communiquer. Les articles que voici abordent deux thématiques différentes, mais rapprochées cependant par nombre de points de contact. Chacune d’elles est ici représentée par trois articles. D’une manière générale, ces textes apportent une contribution importante à l’histoire de l’argent, à sa place dans l’économie et la société, à sa gestion et aux idées qui l’orientent, mais aussi aux aspects techniques de la fabrication de la monnaie, ou des pratiques comptables. Dans ce domaine, le terrain de Franco Morenzoni s’étend dans le monde alpin occidental et ses piémonts du nord et du sud, aux xiiie, xive et xve siècles.
Politiques monétaires La première thématique a pour objet la monnaie, envisagée à partir de points de vue variés, en particulier tout ce qui concerne la fabrication d’une monnaie fiable, depuis la recherche, la préparation et le commerce de la matière première
Sur les routes des Alpes : Religieux, marchands et animaux dans la Suisse occidentale (xiiie-xve siècles), Franco Morenzoni, Turnhout, 2019 (Culture et société médiévales, 36), p. 309-313 © FHG10.1484/M.CSM-EB.5.117894
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nécessaire à la fabrication de la monnaie (« billon »), jusqu’à la frappe des pièces. Cette recherche apporte également beaucoup d’éléments d’histoire régionale sur les contextes économiques, financiers, politiques et sociaux dans lesquels sont utilisées les monnaies frappées par le duc de Savoie. L’auteur a travaillé à trois échelles géographiques : celle du Valais, espace partagé entre la Maison de Savoie (à l’ouest) et la principauté épiscopale de Sion (à l’est), pour le premier article ; celle du très ancien atelier monétaire de Saint-Maurice d’Agaune, affaire de l’abbaye du lieu, puis des comtes de Savoie ; celle du duché de Savoie et de ses liens extérieurs, pour le dernier article. Le premier article, « Monnaies réelles et monnaies de compte dans le Valais savoyard et épiscopal (fin xiiie-début xve s.) », envisage, dans le diocèse de Sion, entre la fin du xiiie siècle et le début du xve, les problèmes que les monnaies réelles, très nombreuses et variées depuis le xiiie siècle dans cette zone de passage transalpin, posent aux commerçants de passage et aux voyageurs en général, aux péagers, aux changeurs, aux comptables des administrations. Cette variété monétaire apparaît évidemment dans les comptabilités, mais aussi dans un certain nombre de trésors monétaires, comme celui de la forêt de Finges, en amont de Sierre, trouvé en 1908 (monnaies du xve siècle), ou d’inventaires, comme celui des monnaies trouvées dans les ruines d’une maison incendiée dans le bourg de Conthey en 1385. L’intérêt de cet article est double. D’une part, d’un point de vue assez général, il permet d’observer l’administration savoyarde et ses cadres aux prises avec un changement survenu assez rapidement dans le paysage monétaire, en touchant de diverses manières les pratiques financières et commerciales. D’autre part, les chercheurs y trouveront, fondée sur une considérable récolte de données, une étude très précise des taux de change et de la valeur relative des monnaies en usage dans la région. Dans le deuxième article, « Quelques précisions à propos de l’atelier monétaire de Saint-Maurice d’Agaune vers le milieu du xive siècle », Franco Morenzoni fait le point des rares connaissances alors acquises sur un atelier qui a produit depuis la fin du xie siècle une monnaie régionale, les denarii mauricienses, assez établie à la fin du xiie siècle pour servir aussi de monnaie de compte. Ce que l’on sait de l’atelier provient pour l’essentiel des mentions de son responsable, à partir des années 1230, moment où il semble bien que l’atelier passe en mains savoyardes. Franco Morenzoni contribue, pour sa part, à enrichir les connaissances sur le xive siècle, grâce aux comptes du receveur général du Chablais. On y rencontre le Milanais Gabriel Tondi, « maître de la monnaie de Saint-Maurice », qui a utilisé 314 marcs d’argent pour frapper des pièces dans les années 1340. Puis l’atelier est tenu par Perrod Wichardi et un certain Thavianus. Des membres de la famille Wichardi ont été péagers de Saint-Maurice ; Perrod lui-même a été syndic de la ville en 1347-1348. Après la peste de 1349, un Milanais, Manfredo (ou Maffeus) Frotta, frappe à SaintMaurice sur ordre du comte Amédée VI ; on le qualifie, comme Tondi, de « maître de la monnaie de Saint-Maurice ». Plus au large, Franco Morenzoni démontre que les Milanais jouent un rôle important à la tête des ateliers monétaires des évêques de Genève et de Lausanne pendant le xive siècle. Intitulé « Le duc Amédée VIII de Savoie et sa monnaie (vers 1420 – vers 1434) », le dernier article (inédit) de cette section éclaire, à travers un chapelet assez pathétique
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de tentatives plus ou moins réussies de contrôler les pratiques monétaires dans le duché de Savoie, afin, d’une part, de maintenir, voire d’améliorer la qualité et donc l’efficacité de la monnaie ducale, et, d’autre part afin d’empêcher que les intérêts privés prennent le dessus au détriment de l’intérêt public. Ces démarches s’inscrivent dans un vaste travail de réformes voulu par Amédée VIII, qui aboutira en été 1430 à la promulgation des remarquables Statuta Sabaudiae. L’objectif politique est formulé ainsi : « Par le présent édit, nous déclarons, pour l’utilité perpétuelle des sujets et de la res publica qui nous sont confiés, que nos illustres héritiers et successeurs ne devront jamais dans le futur détériorer et affaiblir nos monnaies d’or, d’argent ou d’autres métaux, par rapport à l’aloi et la valeur actuels ; ils devront plutôt les améliorer et les augmenter ou, au moins, les maintenir et conserver dans l’aloi et la valeur actuels » (ma traduction). L’objectif de moralisation est décrit ainsi dans une grande ordonnance de 1427, préparatoire aux Statuta de 1430 ; on y explique que « certains marchands et billonneurs, par convoitise et ambition, ont fait disparaître de la patrie les bonnes monnaies d’argent et d’or, qui ont été remplacées par des monnaies de très mauvais aloi ». Ces gens ont trompé le peuple et affaibli la res publica, « ce que, par notre honneur et devoir, nous ne pouvons ni ne voulons plus longuement tolérer, car les intérêts privés ne doivent jamais porter atteinte au bien public ». Un tel effort de réforme implique la collaboration d’un personnel compétent et loyal, que Franco Morenzoni présente ainsi : « Les décisions prises par le duc et ses conseillers ont été le plus souvent suggérées, comme le rappellent la plupart des ordonnances, par des homines periti, autrement dit par les maîtres généraux de la monnaie et les responsables des ateliers monétaires, les changeurs, les affineurs, les marchands et probablement aussi les orfèvres, des individus qui possédaient les compétences nécessaires pour être actifs dans un domaine assez complexe, car il supposait de bonnes connaissances pour apprécier correctement la valeur des nombreuses monnaies en circulation, les taux de change réellement pratiqués ou encore les oscillations du marché des métaux précieux ».
Casaniers et marchands La deuxième thématique aborde le monde des banquiers et des gens d’affaires venus du Piémont ou de Lombardie exercer leurs activités financières et commerciales dans les vallées alpines, et au-delà, dans les villes de Suisse occidentale et dans l’outre-Jura comtois et bourguignon. Deux études de cas permettent, pour commencer, de mieux comprendre les activités professionnelles des prêteurs d’argents italiens et leur place dans la société locale et régionale. La première de ces études de cas a pour titre « Les prêteurs d’argent et leurs clients dans le Valais savoyard à la veille de la Peste noire. La casane de Sembrancher en 1347 ». La mise en contexte de cet établissement, actif depuis 1311 au moins, est l’occasion de présenter le milieu des casaniers actifs en Valais, de retrouver une partie des familles rencontrées dans la synthèse présentée plus haut, et de comprendre la structuration de ce monde autour de quelques familles qui se partagent les établissements bancaires
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valaisans, et de saisir la fluidité des situations locales. Indiquons ici que la petite ville franche de Sembrancher est le chef-lieu de la châtellenie savoyarde d’Entremont, qu’elle est traversée par le grand chemin qui franchit les Alpes au col du Mont-Joux, et qu’elle est l’une des étapes organisées qui jalonnent cet itinéraire. À la suite d’une saisie par l’administration comtale des biens des casanes de Sembrancher et d’autres lieux – probablement en lien avec un conflit entre le comte Amédée VI et les Visconti – des notaires dressent l’inventaire de la banque, le 16 juillet 1347 ; les clients des Lombards sont tous convoqués ce jour à la casane ; les notaires régionaux doivent signaler les reconnaissances de dette qu’ils ont instrumentées. Cet inventaire fournit un riche ensemble de données sur la banque, ses clients et ses affaires. Les Lombards ont pour cadre de vie une maison équipée de 10 lits, d’une cuisine bien agencée, d’une cave à 25 tonneaux contenant quelque 10 muids de vin ; outre la maison, il y a un grenier conservant 6 fichelins de froment, deux prés et trois granges, un champ et un jardin. Le bureau est installé dans la maison ; on y trouve les coffres qui abritent les gages déposés, onze volumes de transactions réalisées par les casaniers, et même le bréviaire sur lequel les clients prêtaient serment. L’inventaire recense les créances concédées aux clients, ce qui permet de jeter un regard assez fin sur les affaires de l’établissement, et, bien sûr d’en savoir plus sur le crédit dans ces campagnes de moyenne montagne. Franco Morenzoni explore systématiquement trois orientations de recherche : les caractéristiques de la dette et la géographie de l’endettement ; la sociologie du large groupe de ceux qui empruntent à la casane ; l’inscription des emprunts et des remboursements dans le temps, en quelque sorte la respiration de la banque. Cela dit, le lecteur trouvera toutes sortes d’informations ponctuelles, anecdotiques mais non moins évocatrices du fonctionnement de la casane au quotidien. Une deuxième étude de cas porte sur un commerçant lombard de Sion à travers l’inventaire post mortem de ses biens meubles. Les 17, 18 et 19 janvier 1376, à Sion, un notaire dresse soigneusement l’inventaire des biens meubles laissés par feu Bacinodus Tracho, Lombard, originaire de Cantù, dans le diocèse de Milan, citoyen de Sion. Le défunt est fils de Jean Tracho, citoyen de Milan, arrivé en Valais en 1338 ou avant, comme locataire de la souste à marchandises de Loèche, lieu d’étape sur le grand chemin qui remonte la vallée du Rhône, pour passer les Alpes au col du Simplon ; à cette souste est lié un droit de péage sur les ‘balles’ de marchandises et sur les bêtes de somme. En 1346, Jean quitte Loèche pour s’installer à Sion, dans une maison qu’il achète à un Lombard ; sa présence est attestée jusqu’en 1372 ; devenu citoyen de Sion, il exerce des fonctions de procureur et de syndic de la commune, et fait partie de la Confrérie du Saint-Esprit. Son insertion au microcosme lombard de la ville épiscopale ressort clairement des sources, que ce soit par son mariage, avant 1363, avec Antonia, fille d’un notable d’origine lombarde, ou par ses partenaires en affaires. Il est bien probable que Bacinodus était, toutes ces années, aux côtés de son père, amassant expériences et contacts, avant de prendre le relais vers la fin des années 1360. La plupart des biens inventoriés en 1376 se trouvaient dans la maison que Bacinodus habitait avec ses enfants (jeunes car sous tutelle à la mort de leur père), et dans laquelle il avait son bureau, dans le quartier des affaires (actuelle rue de Conthey). D’autres biens avaient été, peut-être, mis en sécurité dans le bourg capitulaire de
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Valère. L’inventaire nous permet d’arpenter la maison de Bacinodus, cadre d’une vie familiale assez confortable, comme le suggèrent les indications de l’inventaire sur l’alimentation et l’équipement de cuisine et de table, ainsi que les quantités de vin trouvé dans les celliers de la maison. D’autre part, un bon nombre de pièces de tissus de diverses provenances, de vêtements, d’objets de literie, de rideaux, etc., suggèrent une activité de marchand, plutôt détaillant. Franco Morenzoni publie une bonne édition de ce riche document ; l’article luimême constitue une lecture du texte, un commentaire offrant toutes les informations utiles pour comprendre cet écrit riche en termes techniques, et pour appréhender la communauté de marchands et le milieu social construits par les Lombards établis à Sion depuis le courant du xiiie siècle jusque vers la fin du xive ; un milieu relativement fermé, mais qui exerce tout de même une influence sur la vie politique de la ville, et à la cour épiscopale. Cette section se termine par un texte inédit intitulé « Le réseau des casanes lombardes dans l’espace comtois et la Suisse occidentale (xiiie-xive siècles) », dans lequel Franco Morenzoni propose une précieuse vue d’ensemble, articulée autour de plusieurs aspects de ce petit monde. L’auteur décrit son évolution et ses conjonctures, des débuts dans le premier tiers du xiiie siècle, à son apogée à la fin de ce siècle, puis à sa quasi disparition dans la seconde moitié du xive siècle. Selon lui, les facteurs déterminants de cette trajectoire tiennent surtout à « l’essor des activités d’échange à l’échelon local et régional », essor que permet et soutient le trafic commercial européen, qui profite largement des grands cols valaisans (Mont-Joux et Simplon). Grâce à un assez dense tissu documentaire, il est possible de repérer les familles et parfois les individus qui ont su profiter de ce contexte favorable, en tirant parti de leurs réseaux de parenté et de leurs contacts d’affaires, afin de gérer au mieux un système de casanes progressivement installé sur la carte régionale des communications, des villes et des cadres de l’échange. L’auteur note également une capacité à éviter les conflits d’intérêt qui menacent toujours de tels ensembles, et, le cas échéant à les régler. Les données réunies en disent assez long sur l’organisation interne des casanes, leur personnel, leurs archives, mémoire indispensable pour des gens aux activités étroitement liées au temps qui court ; également sur leurs liens avec les pouvoirs locaux et régionaux, sur leur rôle dans la population et sur les hauts et les bas financiers de leur activité.
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Monnaies réelles et monnaies de compte dans le Valais savoyard et épiscopal (fin xiiie-début xve s.)
Tout comme celle de la plupart des régions de l’Occident médiéval, l’histoire monétaire du Valais savoyard et épiscopal à la fin du Moyen Âge se caractérise par une très grande complexité. À partir vraisemblablement du deuxième tiers du xiiie siècle, la route du Valais commence à devenir un des principaux axes du commerce intereuropéen1. Les relevés des péages de Villeneuve et de Saint-Maurice d’Agaune permettent de constater que le trafic de marchandises diverses – et notamment de draps « de France », de laine et de chevaux – a été, au-delà des variations conjoncturelles, très intense au moins jusqu’à 1320-1330. Si, pendant les décennies suivantes, l’importance de cette route tend progressivement à s’atténuer, il n’en demeure pas moins que jusqu’à la fin du xive siècle elle a pu continuer à jouer un rôle considérable dans les relations commerciales entre la Lombardie et la Bourgogne2. L’essor du mouvement commercial qui empruntait le Simplon ou le Grand-SaintBernard a sans aucun doute contribué à accroître et à diversifier la circulation monétaire en Valais. Grâce aux marchands étrangers, dès la fin du xiiie siècle, à côté des monnaies locales ou régionales, les monnaies du grand commerce international, notamment le florin et le gros tournois, font leur apparition dans les documents valaisans. En même temps, la crise du système monétaire fondé sur le bimétallisme qui se manifeste en France à partir de 1290 et celles, très nombreuses, qui caractérisent la première partie du xive siècle, obligent les détenteurs des droits de frappe à multiplier les émissions de monnaies nouvelles qui circulent, bien souvent, à côté des anciennes3. Bref, dans la vie de tous les jours, les individus étaient souvent amenés à régler leurs transactions par toutes sortes de monnaies, ce qui n’allait pas sans difficulté.
1 Sur cet axe, voir dans le présent volume « La via del Vallese e il commercio internazionale e regionale alla fine del Medioevo ». 2 À ce sujet, voir « Le mouvement commercial au péage de Saint-Maurice d’Agaune à la fin du Moyen Âge (1281-1450) », dans le présent volume. 3 Pour tous ces problèmes nous nous permettons de renvoyer à la synthèse de É. Fournial, Histoire monétaire de l’Occident médiéval, Paris, 1970.
Sur les routes des Alpes : Religieux, marchands et animaux dans la Suisse occidentale (xiiie-xve siècles), Franco Morenzoni, Turnhout, 2019 (Culture et société médiévales, 36), p. 315-330 © FHG10.1484/M.CSM-EB.5.117895
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Le trésor enfoui dans la forêt de Finges au début du xve siècle et retrouvé en 1908 n’a pu être reconstitué que très partiellement4. À l’origine, il se composait vraisemblablement d’environ un millier de pièces d’or et d’argent, mais après sa dispersion on n’a pu retrouver la trace que d’une petite centaine de monnaies. L’échantillon qui a été identifié suffit néanmoins pour se faire une idée de la grande variété de monnaies qui circulaient – ou avaient circulé – en Valais. Sans entrer dans les détails, il comporte en effet des florins de Florence, de Gênes, de Milan, d’Avignon ou d’Allemagne, des ducats de Venise, des francs et des écus du royaume de France, des gros de Venise, de Liège, de Hollande, de Milan, de Modène, de France, etc. Parmi les monnaies régionales, on remarque en outre la présence de 3 demi-gros de Savoie, 3 sizains de Genève, 1 sizain de Lausanne et également celle de 2 deniers mauriçois d’Amédée VI. Il faut bien entendu se garder de considérer la composition d’un trésor comme un reflet fidèle de la circulation monétaire réelle à un moment précis. En effet, les pièces qui faisaient l’objet d’une thésaurisation étaient généralement celles d’or et d’argent de bon aloi, des pièces qui avaient parfois disparu du circuit monétaire depuis longtemps. D’autres documents permettent néanmoins d’entrevoir la diversité des monnaies qui circulaient effectivement. Ainsi, par exemple, un fragment de la comptabilité de la casane de Villeneuve-Chillon appartenant aux frères Braxone et Giacomo Falleti et à Georges de Montegarello mentionne, à l’année 1345, 17 s. 8 d. en blancs de Savoie déposés comme garantie d’un prêt d’une valeur de 5 livres mauriçoises, un peu plus de 101 livres mauriçoises « in pecunia numerata in omnibus monetis », ainsi qu’une somme de presque 11 livres « in pluribus et diversis monetis argenti »5. Quarante ans plus tard, à Conthey, à la suite d’un incendie qui avait détruit plusieurs maisons, le châtelain du lieu fut amené à dresser l’inventaire des monnaies qui avaient été retrouvées dans les décombres de l’habitation d’Aymon de Herdes, qui avait trouvé la mort dans les flammes et dont les biens avaient échu au comte de Savoie. L’inventaire mentionne entre autre des florins de Gênes et d’Allemagne, des deniers ou des gros mauriçois, des pièces peut-être en argent de Bologne et de Venise, des gros tournois anciens ainsi qu’une certaine quantité de monnaies trop abîmées pour être identifiées, mais qui furent estimées à 5 florins de bon poids anciens6.
4 E. Demole, « Le trésor de la forêt de Finges (Valais) », Revue Suisse de Numismatique, 15 (1909), p. 212-219. 5 AASM, CPT 200/1/13. Sur ce fragment de comptabilité, voir dans le présent volume « Le réseau des casanes lombardes dans l’espace comtois et la Suisse occidentale (xiiie-xive siècles) », p. 424-426. 6 « Item reddit computum quod recepit de monetis repertis in domo Aymonis de Herdes post incendium Contegii, quo incendio tota villa Contegii fuerit casu fortuitu concremata die festi B. Caterine anno Domini mccclxxxv, in pluribus et diversis monetis et pecuniarum quantitatibus. Et primo in florenis ducatis ianuinis et florenis alemagnie vixx florenos vet. Item in vicinianis ducis vixx flor. et dimidium vet. Item in maurisiensibus et boloniensibus xxiii l. xvii s. ix d. maur. Item in quodam alio in maurisiensibus et boloniensibus xxix l. xvi s. viii d. maur. Item in venicianis veteribus buchatis ad valorem xi flor. vet. Item in grossis turonensibus veteribus buchatis xviiii flor. ii d. gross. Ascendentibus ipsis quantitatibus, inclusis quinque florenis auri veteribus ad quos quinque florenos dictus dominus Perretus castellanus extimavit quandam quantitatem diversorum minutarum monetarum combustarum que non potuerunt numerari propter combustionem ascendentem ad grossitudinem duorum pugnorum homminis: ccccxxvi flor. b.p. vet. x d. gross. » (ASTo, SR, Inv. 69, f. 41, m. 9).
monnaies réelles et monnaies de compte dans le valais savoyard et épiscopal
La circulation d’une grande variété de pièces d’or et d’argent de poids ou de titre différents mais dont l’aspect extérieur pouvait aussi être assez semblable, faisait des opérations de change un exercice relativement compliqué, d’autant plus que le cours légal fixé par les détenteurs des droits de frappe ne coïncidait pas toujours avec les taux de change pratiqués sur le marché. Dans ces conditions, le recours à des spécialistes capables à la fois de distinguer les différentes monnaies et d’évaluer leur cours commercial était presque inévitable. Le châtelain de Chillon indique ainsi, dans son compte pour l’exercice qui va du 12 avril 1295 au 4 avril de l’année suivante, que pour changer 120 livres mauriçoises en monnaie de Lausanne il a dû payer 5 livres lausannoises, et que pour acheter des gros tournois en vendant des mauriçois il a dû verser 63 sous lausannois, ce qui représente, dans le premier cas, une commission de 2,7%, et dans le deuxième de 2%. À Saint-Maurice, en 1335, les changeurs prélèvent une commission de 1 denier mauriçois par florin, c’est-à-dire environ le 1,1% de la somme changée. L’année suivante, cependant, la commission est de 2 deniers par florin7. Bien que les sources concernant l’activité des changeurs soient relativement rares, il semblerait que les opérations de change étaient généralement effectuées par l’intermédiaire des établissements de prêts actifs dans les territoires dépendant du comte de Savoie, presque toujours tenus par des Lombards. Ainsi, par exemple, en 1314-1315, le châtelain de Chillon indique dans ses comptes qu’il a changé des mauriçois en lausannois auprès des « cahorsins » d’Aigle8. Vingt ans plus tard, le journal des recettes et des dépenses de l’abbé Barthélemy de Saint-Maurice signale que des florins ont été achetés auprès de la casane active dans le bourg9. Bien souvent, cependant, celles qui à première vue pourraient apparaître comme des opérations de change sont en réalité des prêts, la différence entre le taux de change imposé et celui pratiqué normalement servant à masquer l’intérêt exigé. Il est dès lors impossible de se servir de ces renseignements pour étudier les rapports de change existant entre les différentes monnaies. Pour essayer de cerner de manière un peu plus précise le problème des taux de change pratiqués en Valais depuis la fin du xiiie jusqu’au début du xve siècle, il est en revanche possible d’utiliser, non sans difficulté, les belles séries des comptes de châtellenie10, ainsi
7 ASTo, SR, Inv. 69, f. 5, m. 1, rot. 11; AASM, Journal des recettes et dépenses de l’abbé Barthélemy de Saint-Maurice, sans cote. Les pourcentages indiqués par L. Cibrario pour des opérations de change effectuées à Chambéry et à Genève entre 1379 et 1399 sont nettement plus élevés, puisqu’ils varient entre le 6% et le 14% (cf. Della economia politica del medio evo, Turin, 1861, t. 2, p. 243). 8 ASTo, SR, Inv. 69, f. 5, m. 1, rot. 20. 9 AASM, sans cote. 10 Outre les comptes de toutes les châtellenies valaisannes déposés à l’Archivio di Stato de Turin, nous avons également dépouillé les comptes de la châtellenie de Chillon-Villeneuve, qui contiennent aussi ceux qui concernent Aigle et une partie de ceux du vidomnat d’Ollon. Nous remercions le Prof. A. Paravicini Bagliani qui nous a permis d’utiliser les microfilms des comptes de la châtellenie de Chillon que possède la Section d’Histoire de l’Université de Lausanne. Pour un inventaire sommaire des comptes de châtellenie valaisans qui ont été conservés, voir R.-H. Bautier, J. Sornay, Les sources de l’histoire économique et sociale du Moyen Âge. Provence, Comtat Venaissin, Dauphiné, États de la Maison de Savoie, vol. 1 : Archives des principautés territoriales et archives seigneuriales, Paris, 1968, p. 395-398.
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que celles concernant les péages de Saint-Maurice et de Villeneuve11. Dans les territoires placés sous sa domination, le comte de Savoie percevait en effet des redevances en numéraire exprimées, en Valais, presque toujours en monnaie mauriçoise, et dans la châtellenie de Chillon également en lausannois ou en viennois. Il en allait de même aux péages de Saint-Maurice et de Villeneuve. Si le tarif du premier ne mentionne que les mauriçois, à Villeneuve certains droits étaient perçus également en lausannois, genevois ou viennois. Les châtelains ou les péagers étaient d’autre part amenés à engager des dépenses, soit de manière autonome soit sur ordre de l’administration centrale, qui étaient parfois effectuées à l’aide de monnaies différentes de celles encaissées. De plus, les marchands étrangers qui arrivaient à Saint-Maurice et à Villeneuve acquittaient vraisemblablement les droits de péage auxquels ils étaient soumis en utilisant bien souvent des monnaies différentes de celles prévues par les tarifs. Aussi bien aux péagers qu’aux châtelains se posait donc un double problème : d’une part celui du change réel, et de l’autre celui de présenter des comptes plus ou moins cohérents et lisibles et donc exprimés dans un nombre réduit de monnaies. En période de stabilité monétaire, les difficultés n’auraient sans doute pas été insurmontables. Mais on sait qu’à partir de la fin du xiiie siècle, pour des raisons qu’il serait trop long d’évoquer ici, les crises monétaires se multiplièrent, ce qui provoqua des mutations de plus en plus fréquentes et l’émission de pièces nouvelles d’or ou d’argent dont le cours légal ne correspondait que rarement à leur cours commercial12. Face à ces difficultés, l’administration savoyarde paraît avoir essayé d’adapter les différents systèmes de compte aux conditions nouvelles, tout en essayant, pour ce qui concerne les comptes des péages, de prendre également en considération les exigences particulières des marchands, notamment celle d’offrir, dans la mesure du possible, une certaine stabilité des changes. Le fait même qu’au cours de la période que nous avons étudiée les systèmes de compte ont été réaménagés au moins à quatre reprises, indique cependant qu’aucune solution n’a pu à long terme résister à l’évolution des conditions réelles du marché monétaire. Quoi qu’il en soit, jusqu’à la fin du premier tiers du xive siècle, le système de compte paraît reposer uniquement sur les monnaies d’argent. Si, avant la fin du xiiie siècle, les châtelains indiquent, de manière d’ailleurs assez irrégulière, surtout les rapports existant entre les mauriçois et les lausannois, et plus rarement entre les viennois et les lausannois, à partir du siècle suivant les références aux gros tournois ont tendance à devenir d’abord plus fréquentes et ensuite systématiques. À partir de 1336-1337, on assiste au passage à un système qui repose à la fois sur le gros tournois et sur le florin de bon poids, le rapport entre les deux étant généralement de 12 à 1. Il s’agit d’un système analogue à celui qui, vers la même époque, est en train de se mettre 11 Sur ces péages voir aussi les articles publiés dans la 3e section de ce volume, ainsi que Morenzoni, Marchands et marchandises, op. cit. 12 Ainsi, par exemple, en 1371 le trésorier général de Savoie indique qu’il a dû verser 278 florins de bon poids à Andreas Bellamuchi « quos idem Andreas perdiderat in scambio plurium quantitatum monete nove Domini per ipsum Domino et de eius mandato receptarum in solutionem certorum debitorum in quibus Dominus eidem tenebat, et quam monetam novam receperat secudum valorem que(!) fuerat proclamata(!) et iuxta illum valorem non potuit implicare » (ASTo, CTG, rot. 31).
monnaies réelles et monnaies de compte dans le valais savoyard et épiscopal
en place en Dauphiné, où le florin de référence est cependant celui de petit poids13. À partir de 1347-1348, les châtelains commencent à indiquer également le rapport entre les gros tournois et les florins de petit poids, rapport qui est toujours de 11 ½ à un. Ce système est à nouveau modifié à partir de 1371. Dans l’exercice du péage de Villeneuve qui se termine le 27 février de cette année, on trouve en effet mentionnés les gros tournois de petit poids, dont 13 ½ correspondent à 12 des anciens gros. Le florin de petit poids est dès lors compté pour 12 gros tournois petits, celui de bon poids à 12 ½ et le florin de bon poids qualifié d’ancien à 13 ½. En même temps, à partir de cette même date, le florin de bon poids est mis en relation avec le franc d’or, dans un rapport qui est de 6 à 5. Cette relation, cependant, n’est plus mentionnée dans les comptes à partir de 1380-1381. Le système de compte fondé sur les gros tournois de petit poids et les trois types de florins se généralise avant 1376, et reste apparemment le même au moins jusqu’au début du xve siècle. En réalité, l’abandon de l’équivalence entre le florin de bon poids et le franc d’or marque, comme nous essayerons de le montrer plus loin, une nouvelle évolution du système, qui ne sera dès lors fondé que sur le rapport entre gros tournois de petit poids et florin de petit poids. S’il est relativement aisé de décrire les systèmes de compte mis en place, il est en revanche beaucoup plus difficile d’étudier les éventuelles relations que ces derniers ont entretenu avec les taux de change réels. Jusqu’au milieu du xive siècle, les documents concernant la frappe de monnaies en Savoie sont en effet relativement rares, ce qui nous empêche notamment de connaître avec certitude les caractéristiques techniques des éventuelles pièces de référence utilisées dans les comptes. Il est néanmoins possible d’établir un certain nombre d’éléments, et parfois de formuler quelque hypothèse. On l’a dit, jusqu’au début du xive siècle, les comptes de châtellenie indiquent surtout le rapport entre les mauriçois et les lausannois. Ce rapport, jusqu’en 1301, reste pratiquement stable : il est de 12/17 pendant le troisième quart du xiiie siècle et varie ensuite, selon les années, entre 12/18 et 12/19. D’après le prix du marc d’argent en 1257 à Conthey et en 1262 à Chillon14, le denier lausannois contenait, en théorie, 0,444 g de fin. À cette époque, en effet, le marc d’argent est pris pour 44 s. lausannois. Quelques années plus tard, son prix est déjà légèrement plus élevé, puisqu’il est de 47 s. en 1284 et de 49 s. l’année suivante. Quant aux mauriçois, leur contenu théorique d’argent fin en 1284 se situe autour de 0,610 g, le prix du marc d’argent étant estimé à 32 s. mauriçois15. Les gros tournois, à notre connaissance, sont cités pour la première fois en Valais en 1286 : le 22 juin de cette année, Reynerius Bertaldi dit Rubeus, représentant de
13 Cf. É. Fournial, Histoire monétaire, op. cit., p. 144-146. 14 Précisons que, sauf indication contraire, les dates se référant aux comptes sont celles de la fin de l’exercice. 15 Les prix du marc d’argent en 1261, 1284 et 1285 ont déjà été signalés par J. Jeanprêtre, « Les comptes de la Châtellenie de Chillon et la monnaie de Lausanne », Revue Suisse de Numismatique, 26 (1934), p. 27-28 ; ceux de 1257 et 1274 par L. Cibrario, Dell’economia politica, op. cit., t. 2, p. 388. Sur la monnaie de Lausanne voir également A. Morel-Fatio, « Histoire monétaire de Lausanne », in Mémoires et Documents publiés par la Société d’histoire de la Suisse romande, 1ère série, 36 (1882), p. 378414 et l’ouvrage collectif Monnaies au Pays de Vaud, Berne, 1964.
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Henri de Marcato citoyen d’Asti, verse 10 livres de gros tournois au procureur à Sion de la société de Manuel Guttuer et de ses deux fils. L’acte précise que ces 10 livres correspondent à 109 livres genevoises16. Les gros tournois sont mentionnés dans les comptes du péage de Villeneuve à partir de 1284 : leur rapport avec les mauriçois est de 1/7,25. En 1286, il est de 1/10,75 avec les lausannois et en 1287 de 1/15,5 avec les viennois. En 1293, le péager de Saint-Maurice précise qu’il a changé à deux reprises des gros tournois en mauriçois : une fois à 7 deniers pour chaque gros et l’autre à 7 ¼ deniers. En mars 1294, l’administration comtale indique au péager de Saint-Maurice les taux de change qu’il devra pratiquer. Il est possible que cette décision ait été prise à la suite des turbulences que connaît le marché des métaux précieux depuis quelques années, turbulences qui en France ont notamment déréglé le rapport entre les monnaies d’or et celles d’argent. Quoi qu’il en soit, c’est à cette occasion que les comptes mentionnent pour la première fois le florin d’or, dont chacun devra être versé à l’administration comtale au taux de 5 s. 8 d. mauriçois ou de 12 s. 9 d. viennois. Quant aux gros tournois, le péager devra les encaisser au taux de 7 d. par gros. Les comptes précisent que cette mesure est valable surtout « pro ballis Francie et Lombardie et pro equis », c’est-à-dire pour les marchandises du grand commerce international. Par la même occasion, l’administration comtale ordonne au péager de lui verser pour chaque gros tournois 7 ¼ d. mauriçois, 12 ¼ d. lausannois et 16 ½ d. viennois17. En fait, les cours fixés en 1294 ont vraisemblablement connu une stabilité assez éphémère. Certes, dans les comptes on continue de garder les rapports établis, mais on remarque que lorsqu’il y a change réel les cours peuvent être différents. Ainsi, par exemple, en 1295 le péager de Villeneuve achète des gros tournois au taux de 11 ¾ d. lausannois, mais les revend à 12 d. chacun. L’année suivante, un achat de gros tournois effectué en mauriçois révèle un cours de 7 ¾ d. par gros18. L’augmentation des cours commerciaux de l’argent que l’on observe dans le royaume de France à cette époque n’a sans doute pas épargné la Savoie. Malheureusement, les sources que nous avons pu consulter ne permettent guère de suivre de plus près l’évolution des taux de change. On peut néanmoins noter que la première émission dont on ait connaissance d’un gros tournois en Savoie date de 1306, année pendant laquelle le roi de France essaie de revenir à une monnaie de meilleure qualité. Les gros frappés par Amédée V étaient taillés à 58 ⅓ au marc de Troyes d’argent le roi, et contenaient donc 4,020 g d’argent fin19. Si l’on prend comme base les rapports entre les monnaies indiqués par les comptes du péage de Saint-Maurice en 1307, on obtient
16 Acte édité dans Ch. Ammann-Doubliez, Chancelleries et notariat dans le diocèse de Sion à l’époque de maître Martin de Sion († 1306). Étude et édition du plus ancien minutier suisse, Sion, 2008, n° 114, p. 377. En théorie, le denier genevois contient donc 0,398 g de fin, c’est-à-dire la même quantité que le denier lausannois de 1285. 17 ASTo, SR, Inv. 69, f. 161, m. 1, rot. 2. 18 ASTo, SR, Inv. 69, f. 31, m. 1, rot. 4; ASTo, SR, Inv. 69, f. 5 m. 1, rot. 11. Dans les comptes de la ville de Saint-Maurice de 1302-1303 les gros tournois sont pris au même taux pratiqué par les péagers, c’est-àdire à 7 deniers pour 1 gros (ACSM, Pg 29). 19 D. Promis, Monete dei Reali di Savoia, Turin, 1841, t. 1, p. 445.
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un denier mauriçois qui contient, théoriquement, 0,574 g de fin, un lausannois de 0,255 g et un genevois de 0,309 g20. Dix ans plus tard, en 1316, l’évêque de Lausanne fait frapper des deniers de 1,019 g de poids et 0,276 de fin. D’après les équivalences indiquées par les comptes, il semblerait qu’aussi bien le mauriçois que le gros tournois ont connu un léger affaiblissement par rapport à 1306 (0,552 g de fin pour le premier et 3,864 g pour le deuxième)21. Aucun ordre de frappe concernant la Savoie ne nous étant parvenu entre 1306 et 1339, il est difficile d’avancer des éléments concrets concernant les mutations qui ont pu avoir lieu pendant cette période. On peut néanmoins remarquer que les comptes de Chillon indiquent qu’en 1332 le marc d’argent est pris pour 60 gros tournois, ce qui correspond bien entendu au gros frappé par Philippe VI en 1329, mais laisse supposer un gros réel de poids légèrement inférieur. On remarquera néanmoins que le mauriçois paraît avoir gardé un poids de fin tout à fait respectable, peut-être à peine inférieur à 0,557 g. L’affaiblissement du gros tournois semble d’ailleurs confirmé par le change établi pour la ville de Turin dans l’« Ordinato di città » du 5 décembre 1335, où le tournois à l’O rond est dit valoir 1 3/28 gros tournois, ce dernier contenant donc, du moins théoriquement, 3,529 g d’argent fin22. Après la mention de 1294, le florin n’est plus cité jusqu’en 1308. On sait que pendant ces années le cours commercial du métal jaune a connu, globalement, une augmentation plus forte que celle du métal blanc, ce qui a modifié le rapport entre les monnaies d’or et d’argent. Estimé à 67-68 d. mauriçois en 1294, le florin est compté pour 88 d. au péage de Villeneuve en 1308, 84 d. en 1310 et 80 d. en 1314. À partir de 1316, son cours remonte à 87 d. et une obole, atteint 91 d. en 1318 et 1320, redescend à 89 d. entre juin 1320 et août 1321 pour ensuite se stabiliser à 91 d. d’avril 1322 à juin 132623. En décembre 1326 son cours à Villeneuve est de 94 d. et une obole, cours qu’on retrouve également dans l’exercice comptable du châtelain de Saillon-Conthey qui se termine en mars 1328. En mars de l’année suivante, il est compté pour 92 d. par le châtelain de Saxon, et en juillet pour 94 d. par celui de Chillon. À partir de février 1332, il redescend à 87 d. et une obole, niveau qui, dans les comptes, reste le même jusqu’en juin 133624. Il est cependant possible que les changes réels s’effectuaient à un cours légèrement inférieur. En 1335, l’abbé de Saint-Maurice achète en effet trois
20 Le rapport de 1/13 entre le gros tournois et le genevois est également confirmé par une opération de change réelle qui date de cette même année. 21 À partir de 1302, le rapport entre mauriçois et lausannois monte à 12/24, se situe à 12/27 entre 1304 et 1308 et atteint 12/36 en décembre 1308. Dans l’exercice 1303-1304, le péager de Villeneuve indique qu’il fait référence à des lausannois nouveaux. En 1312, le rapport est de 7/15; il descend à 7/14 entre 1314 et 1318. Il est de 7/17 en 1319 et même de 7/18 l’année suivante. À partir de 1332, le rapport sera fixé à 7/14 et ne bougera pratiquement plus. 22 Cf. D. Promis, Monete dei Reali, op. cit., t. 2, p. 12. 23 À Sion, cependant, en novembre 1322, le percepteur de la dîme papale encaisse des florins dont chacun est compté 93 deniers mauriçois, et des gros tournois dont 12 équivalent à 86 deniers mauriçois (gremaud, Documents, no 1449). 24 La situation est analogue à celle qu’on trouve dans d’autres châtellenies savoyardes. À Avigliana le florin est changé à 14 ⅔ gros tournois en 1313. À Pignérol il est changé à 12 6/7 gros en 1322, à 13 en 1325, à 13 2/7 en 1327 et à 12 3/7 en 1334 (cf. D. Promis, Monete dei Reali, op. cit., t. 2, p. 8-13).
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florins en les payant 21 s. 3 d., ce qui met le florin à 85 d. mauriçois. C’est dans les comptes du châtelain de Chillon qui se terminent en juin 1336 qu’on trouve la première mention du florin de « petit poids »25. Il entretient, avec le florin de Florence, qui est également cité explicitement dans cet exercice, un rapport de 12 à 12 ½, ce qui permet d’affirmer qu’il contient, en théorie, 3,395 g d’or fin. Selon toute vraisemblance, il s’agit d’un florin de Dauphiné, appelé également « de Piémont », émis pour la première fois en février 1327, et qui contenait une quantité d’or fin variant de 3,423 à 3,396 g26. Ainsi qu’on l’a dit, le système de compte fut à nouveau modifié à partir de 13361337. Il est fort probable que cette modification fut décidée pour adapter le système au rapport nouveau existant entre l’or et l’argent. Quoi qu’il en soit, dès cette date le florin de bon poids commence à être compté pour 12 gros. Le florin pris comme base était presque certainement celui de Florence. En effet, dans un acte du 21 avril 1337 concernant le Val d’Aoste – mais d’une portée sans doute plus générale – on trouve les taux de change fixés par le comte pour les principales monnaies utilisées dans la région. Le seul florin mentionné est celui de Florence, évalué à 12 gros. Quant aux deniers mauriçois, leur taux de change est fixé à 7 pour 1 gros27. Si le système de compte, pendant quelques décennies, restera dans l’ensemble le même, il est presque certain que l’instabilité qui caractérise l’histoire monétaire de la France entre 1337 et 1360 n’a pas épargné la Savoie. Malgré la rareté des sources, on peut en effet constater que les années 1340-1341 ont sans doute été une période d’affaiblissements successifs suivis de tentatives de redressement. Ainsi, par exemple, d’après l’ordre de frappe pour Chambéry datant de 1340 ou 1341 des « redottesi », le gros de compte ne contient plus, en théorie, que 1,541 g d’argent fin. Quant aux petits tournois, leur contenu en argent fin est d’environ 0,091 g. D’après l’ordonnance du 8 avril 1341 pour l’atelier d’Avigliana concernant les viennois, le gros contiendrait, toujours en théorie, 2,317 g de fin. Le marc d’argent est d’autre part payé 10 l. et 10 s. de petits tournois ; chacun contient donc, au maximum, 0,093 g de fin. Toujours en avril 1341, dans les comptes de Chillon, le gros est évalué à 25 petits tournois, ce qui donne un gros théorique de 2,326 g d’argent fin28. La situation paraît meilleure quelques années plus tard. En juin 1349, l’ordre de frappe pour Chambéry des viennois permet en effet d’observer un gros théorique de 3,256 g de fin. La même année, en décembre, le seul ordre de frappe concernant des mauriçois qui nous est parvenu indique un gros qui contient, en théorie, entre 3,198 et 3,204 g de fin. L’ordre précise que le Milanais Manfredo Frotta devra frapper à partir du 25 janvier 1350 des deniers à 228 pièces au marc de Troyes et 5 d. et 12 gr. de loi (1,073 g de poids et 0,492 g de fin), des oboles à 465 pièces au marc et de même loi que les deniers (0,537 g de poids et 0,246 g de fin) et des gros à 90 pièces au marc 25 Le florin de petit poids est compté pour 12 gros aussi dans les comptes de l’Hôtel de 1335-1336 (cf. D. Promis, Monete dei Reali, op. cit., t. 2, p. 216). 26 Cf. É. Fournial, Histoire monétaire, op. cit., p. 142-143. 27 Le document a été publié par A. Lange, Le udienze dei conti e duchi di Savoia nella valle d’Aosta 13371351, Paris, 1956, no 18, p. 70-74. 28 On peut également noter qu’en 1339, à Chillon, le florin de Florence est compté pour 13 gros, et en 1341 celui de bon poids pour 12 et ⅓.
monnaies réelles et monnaies de compte dans le valais savoyard et épiscopal
et 10 d. et 21 gr. de loi (2,719 g de poids et 2,464 g de fin)29. Le cours légal du denier est fixé à 6 ½ d. pour un gros, alors que celui du gros mauriçois est fixé à 1 3/10. Selon Domenico Promis, on aurait fixé par la même occasion un taux de 14 d. lausannois et 12 d. genevois pour 6 ½ d. mauriçois et maintenu le rapport de 7 s. mauriçois pour un florin de bon poids. Mais il s’agit en fait d’une erreur. Certes, dans les comptes des péages de Saint-Maurice et de Villeneuve on continue pendant au moins une vingtaine d’années à maintenir ces rapports, mais il s’agit vraisemblablement d’une décision visant à favoriser les marchands étrangers en leur évitant les désagréments dus aux fluctuations des changes. En 1352, le péager de Saint-Maurice note en effet que le change entre mauriçois et florins a été fixé dans un accord avec les marchands, et qu’il est donc indépendant du cours réel des deux monnaies30. Dans les comptes de châtellenie, le florin de bon poids est en fait compté pour 6 s. 4 d. ou 6 s. 3 d. mauriçois, 11 s. 4 d. genevois, 12 s. ou 12 s. 6 d. lausannois31. Le cours du mauriçois par rapport au florin pratiqué par l’administration comtale est donc inférieur de 2 ou 3 d. au cours légal fixé au moment de l’émission. Il est même inférieur de 6 d. au taux de change courant. Dans une supplique adressée en 1356 à Amédée VI, les hommes de la paroisse de Fully, de Leytron et de Riddes se plaignent en effet que le châtelain leur impose de verser le montant des redevances en mauriçois ou en florin de bon poids. Or, écrivent-ils, les premiers « non reperiuntur », et les deuxièmes sont comptés pour 6 s. 4 d., alors que leur cours normal est de 6 s. 8 d.32 Les redevances étant généralement exprimées en mauriçois, cette obligation cachait ainsi, on ne saurait dire si de manière volontaire ou non, une augmentation réelle de la pression fiscale. Adhérant à la requête des paroissiens, le comte ordonna au châtelain d’accepter les « monetas cursuales et in eorum cursuali valore », décision qui, cependant, n’est guère perceptible dans les comptes de châtellenie des années suivantes, où le rapport entre les mauriçois et les florins reste le même33. Le document que nous venons d’évoquer présente un double intérêt. Il permet tout d’abord d’affirmer qu’à peine quelques années après l’émission de 1349, les mauriçois avaient déjà disparu de la circulation, à cause sans doute de leur teneur en argent fin tout à fait respectable. Les pièces qu’on retrouve en 1385 dans la maison d’Aymon de Herdes, et à plus forte raison celles qui faisaient partie du trésor de Finges, confirment indirectement le fait que dès la deuxième moitié du xive siècle
29 Cf. D. Promis, Monete dei Reali, op. cit., t. 1, p. 446. Contrairement à ce qu’écrit C. Martin, rien ne permet d’affirmer que ces monnaies furent frappées dans l’atelier de Saint-Maurice (cf. « L’atelier monétaire de Saint-Maurice-d’Agaune », Vallesia, 42 (1987), p. 380). 30 « … qui per convencionem factam cum mercatoribus unus florenus b.p. ponitur et capitur pro vii sol. maur., sive valeant plus sive minus » (ASTo, SR, Inv. 69, f. 161, m. 1, rot. 20). On peut d’ailleurs remarquer que les châtelains de Saint-Maurice, qui assument également le rôle de péager, indiquent toujours le taux pratiqué au péage et celui fixé pour la châtellenie qui est, comme nous le verrons, toujours inférieur. 31 Le florin de bon poids est même à 12 s. lausannois dans l’exercice du châtelain de Saillon-Conthey qui se termine le 16 mars 1351. 32 Gremaud, Documents, no 2032; AEV, Leytron P 15. 33 On peut cependant noter que dans le subside de Saillon-Conthey de 1356 le florin de bon poids est compté pour 7 s. mauriçois (ASTo, SR, Inv. 69, f. 55, m. 1).
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les mauriçois sont en définitive devenus une monnaie de compte34. Il est d’ailleurs fort probable qu’ils l’étaient déjà pendant le deuxième quart de ce siècle, période pendant laquelle on constate aussi bien dans le Valais savoyard que dans le Valais épiscopal une augmentation des actes notariés faisant référence aux florins et à leur emploi effectif pour certaines transactions. En outre, il montre que les pièces de métal jaune étaient utilisées de manière courante même pour des opérations monétaires portant sur des montants relativement modestes, les paroissiens ne se plaignant pas du fait de devoir utiliser des florins, mais uniquement du taux de change qui leur est imposé. À vrai dire cette pratique n’est pas exceptionnelle, notamment à cause de la rareté de l’argent qui sévit un peu partout35. D’après ce que l’on peut observer dans les régions voisines36, il semblerait qu’en Valais elle est toutefois devenue assez courante relativement tôt, sans doute grâce à la présence d’une route fréquentée par les marchands du grand commerce international. Elle a par ailleurs connu une certaine diffusion même dans des couches de la population qui n’étaient pas directement impliquées dans les activités liées aux trafics. À partir de 1346 à Chillon, et dans les années suivantes un peu dans toutes les châtellenies, les comptes commencent à signaler de manière presque systématique également les taux concernant le florin de petit poids. Son rapport avec le florin de bon poids est de 23 à 24, ce qui le met, du moins en théorie, à 3,389 de fin. Il est donc très proche du florin de petit poids mentionné en 1336. Dans l’exercice de 1350-1351, le châtelain de Saxon indique que 4 florins de petit poids correspondent à 3 écus d’or. Il s’agit, vraisemblablement, d’écus de la première ou de la deuxième émission37. Le même compte signale aussi un royal d’or estimé à 15 gros, et qui semble donc bénéficier d’une prime assez importante38. D’après nos sources, la présence en Valais à cette époque d’espèces d’or du royaume paraît cependant assez exceptionnelle, les deux mentions que nous venons d’évoquer étant les seules que nous avons pu repérer. Quoi qu’il en soit, à partir de février 1352 le comte de Savoie commence à frapper ses propres florins. Taillés à 69 ½ au marc, ils pèsent 3,521 g et contiennent 3,448 g de métal jaune. Deux ans plus tard, lors d’une nouvelle émission, la taille au marc est légèrement augmentée, ce qui met ce nouveau florin à 3,434 g de fin. En 1359, enfin, le comte fait frapper, dans l’atelier de Pierre-Châtel, des florins dont on
34 Dans l’ordonnance monétaire du 28 février 1420, les mauriçois ne sont plus mentionnés (cf. D. Promis, Monete dei Reali, op. cit., t. 2, p. 406-410). 35 Cf. H. Dubois, Les foires de Chalon et le commerce dans la vallée de la Saône à la fin du Moyen Age (vers 1280-vers 1430), Paris, 1976, p. 293. 36 Pour la circulation des pièces d’or à Fribourg voir N. Morard, « Contribution à l’histoire monétaire du Pays de Vaud et de la Savoie: la “bonne” et la “mauvaise” monnaie de Guillaume de Challant », Revue historique vaudoise, 1975, p. 105-107; Id., « Florins, ducats et marc d’argent à Fribourg et à Genève au xve siècle: cours des espèces et valeur de la monnaie de compte (1420-1481) », Revue Suisse de Numismatique, 58 (1979), rééd. dans J. Day (éd.), Études d’histoire monétaire. xiie-xixe siècles, Lille, 1984, p. 306 suiv. 37 Ils contiennent donc 4,532 g d’or, ce qui met le florin de petit poids à 3,399 g de fin. À partir de janvier 1348, Philippe vi frappe des écus dont la teneur en or est plus faible: en mai 1349 elle est de 3,965 g (É. Fournial, Histoire monétaire, op. cit., p. 102). 38 Peut-être parce qu’il n’était plus frappé depuis 1330.
monnaies réelles et monnaies de compte dans le valais savoyard et épiscopal
ignore les données techniques. On peut juste supposer qu’il s’agit de florins de bon poids, parce que d’après l’ordre de frappe ils doivent être comptés pour 12 gros. La même année, l’achat du marc d’argent pour l’atelier de Pierre-Châtel, se fait sur la base d’un gros qui contient, en théorie et au maximum, 3,256 g de fin. Quatre ans plus tard, le châtelain de Chillon indique pour le marc d’argent un prix de 6 florins de bon poids, ce qui donne à nouveau un gros de compte de 3,256 g de fin. La remise en ordre du système monétaire que l’on observe en France dans les années qui suivent le traité de Brétigny paraît avoir influencé, du moins partiellement, également le système savoyard. Le 8 juin 1369, le comte ordonne en effet la frappe d’un nouveau gros tournois, le seul dont nous ayons connaissance après celui de 1306. Taillé à 66 pièces au marc, son poids était de 3,708 g et il contenait 3,399 g d’argent fin. Sans doute à la suite d’une moins grande tension sur le marché des métaux précieux, le comte décide par la même occasion de faire frapper un florin ayant le même poids et titre que celui de Florence. Dans les comptes de l’Hôtel qui couvrent les années de 1369 à 1371, le florin « monete nove Domini » est compté pour 13 1/5 gros, celui d’Orange de bon poids – dont 6 valent 5 francs d’or – est compté pour 12 gros39. C’est peut-être à la suite des émissions de 1369 que le système de compte fut à nouveau modifié. À partir de l’exercice qui va d’août 1370 à février 1371, le péager de Villeneuve commence en effet à faire référence à un gros tournois de compte dit de petit poids, dont 12 correspondent à 1 florin de petit poids, 12 ½ à un florin de bon poids et 13 ½ à un florin de bon poids appelé ancien. Peu à peu ce système se généralise, et vers 1375-1376 il est désormais utilisé dans toutes les châtellenies valaisannes. Tout comme dans le Lyonnais, le Dauphiné ou le Forez40, la Savoie adopte ainsi un système dans lequel c’est le florin de petit poids qui sert de sous du gros tournois. Il est possible que cette modification ait été introduite, entre autre, pour tenter de mieux coller au rapport entre l’or et l’argent, qui depuis quelques années avait tendance à se situer à un niveau plus bas41. Le gros pris comme base n’était certainement pas celui frappé en 1369. On ne peut en revanche pas exclure qu’à partir de 1375 on adopta celui émis cette même année, qui pesait 2,781 g et contenait 2,545 g de fin. Quant aux différents types de florins, nous avons déjà remarqué qu’à partir de 1375 les châtelains indiquent d’une manière assez systématique également les rapports existant entre ceux-ci et d’autres espèces en or. Ainsi, dans l’exercice qui se termine en juin 1375, celui de Saillon-Conthey précise que 5 florins de petit poids correspondent à 4 francs d’or, 6 de bon poids à 5 francs et 10 de bon poids anciens à 9 francs. Le franc à cheval contenant 3,885 g d’or pur, on obtient ainsi des florins qui, en théorie, représentent 3,108 g, 3,237 g et 3,496 g d’or. Ces chiffres, bien entendu, n’ont pas une valeur absolue. Ils permettent néanmoins de constater que le florin de bon poids utilisé à partir de cette époque a une teneur en or inférieure
39 D. Promis, Monete dei Reali, op. cit., t. 2, p. 220-221. D. Promis indique un rapport entre francs et florins de 5 à 9, mais il s’agit sans aucun doute d’une erreur. 40 É. Fournial, Histoire monétaire, op. cit., p. 145. 41 On peut d’ailleurs remarquer que les mauriçois connaissent une légère réévaluation par rapport au florin de bon poids ancien, puisqu’ils passent à 6 s. 8 d.
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à celle du florin de petit poids de l’ancien système de compte. Au moins jusqu’à 1380-1382, le florin de bon poids ancien est celui de Florence, ou ceux qui ont un poids analogue. Parmi ces derniers, il faut ranger aussi les florins d’Allemagne qui, bien que contenant un peu moins d’or pur, sont également comptés pour 13 ½ gros42. Dans le nouveau système de compte, le franc d’or est régulièrement estimé à 15 gros. Lorsqu’il est mis en relation avec d’autres monnaies d’argent, son cours est cependant légèrement plus élevé. Ainsi, par exemple, dans les comptes de la châtellenie d’Entremont de 1376 il est évalué à 7 s. 6 d. mauriçois, ce qui le met en fait à presque 16 gros. À partir de 1381, le rapport entre les florins de bon poids et les francs d’or ne paraît plus être utilisé43. Certes, les équivalences entre les gros et les espèces d’or demeurent les mêmes. Cependant, il nous semble vraisemblable que le fait de renoncer à indiquer les rapports entre les monnaies d’or est un signe que désormais quelque chose a changé. Plus précisément, nous pensons que la quantité d’or pur contenue, du moins en théorie, dans le florin de bon poids de compte, mais peut-être aussi celle du florin de petit poids, a dû être diminuée, ce qui ne permet plus de les inscrire dans un rapport de 6 à 5, ou de 5 à 4, avec le franc d’or. Dans l’exercice de la châtellenie de Martigny qui se termine en mars 1383, on précise d’ailleurs que les florins de bon poids qu’on compte pour 12 ½ gros sont ceux à douze gros et demi, comme si on voulait non pas indiquer un taux de change, mais plutôt désigner un type bien précis de florin44. Le 9 août de la même année, dans un acte levé à Saint-Maurice, le florin « magni ponderis » est estimé à 7 s. mauriçois, c’est-à-dire à un peu plus de 14 gros45. Bref, il est probable que déjà à partir de 1381-1382 le rapport entre le coût commercial du métal blanc et du métal jaune recommence à se modifier, bien que de manière plus lente eu égard à l’époque des grandes mutations. Ce mouvement d’appréciation de l’argent par rapport à l’or devient plus visible à partir de 1384. En juin de cette année, l’achat d’argent pour l’atelier de Suse permet en effet de calculer un gros qui contient en théorie 2,605 g de fin, très proche donc de la quantité réellement contenue dans celui frappé en 137546. On peut donc estimer que pendant ces neuf ans le prix du marc d’argent n’a pas subi de modifications notables. En même temps, cependant,
42 C’est le cas, par exemple, dans le subside de Saillon-Conthey de 1372 (ASTo, SR, Inv. 69, f. 55, m. 1) et dans les comptes de la châtellenie de Saxon en 1377 (ASTo, SR, Inv. 69, f. 121, m. 4). La quantité de métal précieux contenue dans les monnaies qui circulaient réellement était d’ailleurs assez souvent inférieure à la teneur nominale. Ainsi, en 1355-1356, le châtelain de Chillon indique qu’il a reçu du receveur général du Chablais Guy Thome 4 286 florins de bon poids, parmi lesquels 872 avaient un poids trop faible: « Recepit ab eodem que in dicta solutione fuerunt solute, pro refectione octies centum septuaginta duorum florenorum qui ad pondus Friburgi reperti fuerunt aliquantulum leviores, et facta fuit dicta recompensatione ad rationem trium denariorum lausannensium pro quolibet floreno » (ASTo, SR, Inv. 69, f. 5, rot. 49). 43 C’est justement le rapport entre florin de bon poids et franc d’or qui est presque toujours mentionné par les comptes entre 1375 et 1381. 44 Sur la signification de ce genre de remarques voir aussi infra, p. 328. 45 AASM, Tir. 42, paq. 5, no 11. 46 Le marc d’argent est payé 90 gros. Les prix du marc d’argent et d’or ont été publiés par D. Promis, Monete dei Reali, op. cit., t. 2, p. 517 suiv.
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le comte fait également frapper des florins de petit poids et d’autres de bon poids. Les premiers contiennent 2,892 g d’or pur et les seconds 3,362 g. D’après l’ordre de frappe, les florins de petit poids devront être comptés pour 11 ½ gros et ceux de bon poids pour 13 ½ gros. Autrement dit, à cause sans doute d’une diminution du prix commercial de l’or et face à un gros tournois qui paraît demeurer le même, il a fallu relever les cours des deux types de florins, si bien que le florin de petit poids de compte ne contient plus, en théorie, que 3,018 g d’or pur. Tout comme le royaume de France, la Savoie a connu, à partir de 1384, ce que É. Fournial a appelé la période du « lent affaiblissement de la monnaie ». À l’origine de ce phénomène, il y a sans doute une rareté persistante du métal blanc, ce qui provoque une augmentation de son cours commercial plus forte que celle connue par l’or. Payé 90 gros en 1384, le marc d’argent coûte 99 gros en 1391 et 102 l’année suivante. Son prix redescend à 90 ¾ gros en 1393, mais en 1395 et 1396 il est de nouveau à 99 gros, à 100 trois ans plus tard et à 104 en 1400. Il baisse à 100 gros en 1403, mais remonte à 105 en 1405 et à 108 en 1420. Bref, en moins de quarante ans, le prix du marc a augmenté de 20%, et le rapport argent/or est passé de 10,8 à 10. Certes, dans l’ensemble on peut considérer que la monnaie a connu, pendant cette période, une certaine stabilité. Mais il faut néanmoins relever que la hausse des cours des métaux précieux a provoqué des réaménagements du système monétaire savoyard relativement fréquents. Dans les comptes de châtellenie, la nouvelle situation se traduit tout d’abord par l’apparition d’un nouveau type de florin appelé “à 14 gros”, et compté donc comme le ducat et le florin de Gênes. Il s’agit, selon toute vraisemblance, des florins de poids et de titre comparables à ceux de Florence. Dès 1391, le franc d’or passe lui aussi de 15 à 16 gros. En février 1391, le comte ordonne la frappe d’un gros qui contient 2,337 g d’argent fin. La même année, en novembre, le châtelain de Sion indique un cours de 13 ⅓ gros pour le florin de bon poids, et de 12 gros pour celui de petit poids. En admettant que le florin de bon poids est celui de 1384, il semblerait que celui de petit poids de la même année correspond désormais à 12 gros de 1391. Quoi qu’il en soit, l’année suivante le gros est de nouveau légèrement affaibli, puisqu’il passe à 2,257 g de fin. Le retour à un rapport entre l’argent et l’or d’environ 10,45 en 1393, amène le comte à frapper un gros légèrement plus lourd en métal fin (2,577 g). En même temps, ordre est donné de frapper également un florin de bon poids et un de petit poids ; le premier contient un peu moins d’or pur que celui de 1384 (3,338 g), alors que le deuxième un peu plus (2,922 g). Il est presque certain que le cours du florin de petit poids fut fixé à 12 gros nouveaux, celui de bon poids ayant été fixé à 13 ⅔ gros. Les parités fixées en 1393 ne résistèrent pas longtemps. Pour maintenir constant le rapport entre les gros et les florins de petit poids, objectif qui paraît caractériser la politique monétaire de la Savoie encore en 1420, il fallut, dès 1395, procéder à de nouvelles émissions. Le gros frappé cette année contenait ainsi 10% d’argent fin en moins que celui de deux ans auparavant, le florin de petit poids environ 3,35% d’or en moins, alors que le poids de fin de celui de bon poids fut maintenu au niveau antérieur, ce qui entraîna une hausse de son cours à 14 ¼ gros. En 1399, le comte fit frapper un gros identique à celui de 1395. En même temps, cependant, il ordonnait également la frappe de florins de petit poids qui ne contenaient plus que 2,610 g d’or, tout en étant comptés pour 12 gros. Le cours
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des florins de bon poids frappés l’année suivante avec les mêmes caractéristiques techniques que ceux de 1393 et 1395 fut fixé à 15 ½ gros. Toujours en 1400, l’atelier de Nyon frappa des gros de très bonne qualité, puisqu’ils contenaient 3,338 g de fin : leur cours fut établi à 2 gros de ce type pour 3 gros, ce qui donne un gros théorique de 2,233 g de fin. C’est exactement la quantité de fin qu’on trouve dans l’émission de 1405, avec un florin de petit poids à 2,605 g d’or pur. Il faut néanmoins remarquer qu’en 1405 un certain nombre de monnaies d’argent, parmi lesquelles les gros et les demi gros, furent artificiellement réévaluées par rapport aux anciennes, l’ordre de frappe précisant que 5 des anciennes pièces devaient être prises pour 4 des nouvelles. Par la même occasion, le cours du nouveau florin de bon poids, plus léger que le précédent (3,253 g), fut fixé à 15 gros. Dans les comptes de châtellenie, le réalignement régulier du gros au florin de petit poids n’entraîne, jusqu’au premier quart du xve siècle, aucune modification notable. Bien entendu, lorsqu’il s’agit de manier des pièces réelles, on indique les rapports qui ont été utilisés pour la conversion. Ainsi, par exemple, le péager de Villeneuve précise, en 1401, qu’il a pris 10 florins de petit poids « monete debilis » pour 9 « monete bone ». Dans l’ensemble, cependant, ce genre de remarque reste malgré tout assez rare. Quant aux mauriçois, ils demeurent, tout au long de la première moitié du xve siècle, la monnaie de compte la plus utilisée par les notaires valaisans. Bien souvent, elle permet de distinguer les différents types de florins, dont le taux de change, cependant, est parfois fixé par rapport à d’autres monnaies : celui de petit poids est ainsi compté pour 6 s., celui de bon poids, le plus fréquemment cité, pour 6 s. 8 d. et, plus rarement, celui « de Florence » qui est compté pour 7 s.47 À Sion, où les rapports commerciaux avec la Lombardie sont encore, au tournant du xive au xve siècle, assez intenses, les florins sont parfois comptés en monnaie de Milan. En 1384 on les évalue à 20 ambrosiani48. L’année suivante, le chanoine Henri de Blanch verse au Lombard de Saint-Maurice Roland Bonis 40 florins comptés pour 16 ambrosiani, ce qui provoque les protestations de ce dernier49. Parfois, c’est la monnaie de compte de Milan qui est utilisée : en 1397 le florin est ainsi compté pour 37 deniers imperiales, ce qui correspond exactement au taux pratiqué en Lombardie à cette époque50. Mais la monnaie milanaise est également employée pour le règlement en espèces de certaines transactions. En 1413, par exemple, une somme de 12 livres mauriçoises 47 À quelque exception près, ces équivalences restent stables à partir de 1384-1385. En 1416 on précise dans un acte que le florin à 6 s. 8 d. est le florin « patrie » (ABS, 119/1). 48 ACS, Min. A 36, p. 53. Les ambrosiani circulaient sans doute depuis longtemps en Valais. Dans les comptes du vidomne d’Ollon de 1367-1368 on cite par exemple une somme de 5 livres mauriçoises « in veteribus ambrosianis » trouvée dans le grenier de Jean Crachidi, qui après sa mort avait été accusé d’avoir été un usurier (ASTo, Inv. 69, f. 115, m. 1). 49 « […] dictus idem Rolandus esse contentus de xl flor. aur. sed protestatus de mellioramento monete » (ACS Min. A 36, p. 56). Il faut cependant noter que la même année, à Loèche, lors d’une opération de change réelle, le cours pratiqué est le même (AEV, AV 2/26). 50 ACS, Min. A 12, p. 127. Il s’agit sans doute de florins semblables à ceux de Florence. Pour les taux pratiqués à Milan voir C. M. Cipolla, « L’economia milanese alla metà del secolo xv », in G. Martini (éd.), Storia di Milano, t. viii : Tra Francia e Spagna : (1500-1535), Milan, 1957, p. p. 376, n. 2.
monnaies réelles et monnaies de compte dans le valais savoyard et épiscopal
est versée en partie « in ambrosianis novis Johannis Marie » et en partie « in bonis ambrosianis cum cruce »51. Si les florins de Savoie représentent sans doute la monnaie d’or la plus courante, de nombreux documents permettent d’observer l’utilisation effective également d’autres espèces d’or. En 1386, le même Roland Bonis encaisse le montant d’une dette de 40 florins « solutos in florenos alamanie vel xx ambrosianos cum dimidio ambrosiano pro quolibet floreno »52. Dix ans plus tard, une transaction commerciale est réglée par le versement de 67 florins-ducats et 28 écus à la couronne53. Sans multiplier inutilement les exemples, on peut enfin mentionner, à titre anecdotique, la condamnation en 1400 ou 1401 de Guerrerius de Marcleis, accusé d’avoir essayé d’arnaquer un habitant de Saint-Maurice à l’aide de trois écus d’or54. Bien que modestes, les affaiblissements successifs des monnaies d’argent que l’on peut observer à partir de 1382-1383 paraissent avoir suscité un certain mécontentement auprès des populations qui étaient obligées de les utiliser. Certes, les documents qui permettent d’observer ce phénomène en Valais sont plutôt rares. On peut néanmoins noter qu’en 1397-1398 le châtelain de l’Entremont condamne Jean Serragin à une amende de 12 s. « quia blasfemavit monetam Domini dicendo eam non esse bonam »55. Deux ans après, en 1399-1400, c’est au tour de Villermodus Arlachi d’être condamné par le même châtelain à payer 13 ½ gros de petit poids « pro quibusdam verbis per ipsum dictis contra ordinationem monete nove Domini »56. Enfin, le 5 mai 1408, les septante-neuf bourgeois de Sembrancher acceptent de verser 20 florins de petit poids au comte de Savoie qui, en échange, leur remet toutes les éventuelles amendes qu’il aurait pu leur infliger pour avoir utilisé des monnaies autres que celles ayant cours
51 ACS, Min. A 47, p. 163. 52 ACS, Min. A 33, p. 201-202. 53 ACS, Min. A 12, p. 139. 54 « (Banna) Recepit a Guerrerio de Marcleis quia inculpabatur Roleto Chavorvex tres scutos auri Regis eidem ostendidisse quod eidem tradere vellet in pignoris pro xxi sol. ipsosque fraudulenter ab oculis eius subtrassisse (!) dicens: ego pono ipsos in isto papiro et sigillo meo sigillo, et loco dictorum scutorum tres platas plombi posuisse – iv scutos cum dimidio » (ASTo, SR, Inv. 69, f. 141, m. 3). En 1397-1398, le châtelain de l’Entremont condamne Perronetus Charelli à une amende de 30 s. « […] quia unum falsum florenum tradiderat Johannete» (texte publié par P. Dubuis, « Documents sur la vie économique en Entremont à la fin du Moyen Age (xiiie-xve siècles) », Vallesia, 45 (1990), p. 376, n. 412). Les comptes de châtellenie font référence à plusieurs reprises au problème de la fausse monnaie. Nous nous bornerons à signaler quelques textes: en 1317-1318, le châtelain de Saint-Maurice indique les dépenses pour garder en prison un faussaire qui fut par la suite brûlé, et celles pour poursuivre jusqu’à Brigue un autre faussaire que l’évêque de Sion refusa de rendre aux hommes du comte (ASTo, SR, Inv. 69, f. 141, m. 1); en janvier 1368, le vidomne d’Ollon note qu’il a séjourné quinze jours en Bourgogne « pro facto falsarum monetarum » (ASTo, SR, Inv. 69, f. 115, m. 1). En 1412-1413, le châtelain de Saint-Maurice indique plusieurs dépenses pour essayer d’arrêter « Jacobum de Maximo de Ypporigia, mercatorem, qui inculpabatur falsam monetam portare et eandem in foris et nundinis publicis implicare » (ASTo, SR, Inv. 69, f. 141, m. 4). 55 P. Dubuis, « Documents sur la vie économique », art. cit., p. 376, n. 414. 56 ASTo, SR, Inv. 69, f. 69, m. 4.
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dans ses États57. Un ou deux ans plus tard, les hommes de la communauté d’Ollon furent eux aussi condamnés, pour des raisons analogues, à payer une amende de 21 florins et demi de petit poids58.
57 Le comte affirme que les bourgeois avaient été reconnus coupables d’avoir conclu des affaires, acheté et vendu « ad alias monetas quas meas ultra inhibitionem et deffensionem per nos super hoc factam » (AEV, Sembrancher B I no 25). Le versement est effectué le 7 mai de la même année (ibid., no 26). 58 « Recepit a Johanne de Revorea, domicello, Johannerio Barberii, Mauricio Nycoleti, Uldrico Perrerii et Johanne Besson, nominibus suo(!) et aliorum hominum communitatis Oloni quia inculpabantur mercasse, vendidisse et emedisse(!) ad alias monetas quam ad monetam Domini nostri Sabaudie comitis – xxi flor et dimid. p.p. » (ASTo, SR, Inv. 69, f. 115, m. 2).
Quelques précisions à propos de l’atelier monétaire de Saint-Maurice d’Agaunevers le milieu du xive siècle
Comme l’a suggéré Colin Martin, il est probable que les premiers deniers ont commencé à être frappés à Saint-Maurice à partir de la fin du xie siècle. À cette époque, l’atelier appartenait sans doute à l’abbaye1. On ignore quand et dans quelles circonstances celui-ci est passé sous le contrôle de la Maison de Savoie. Ce qui est certain, c’est qu’à partir du dernier quart du xiie siècle, la monnaie mauritiensis est suffisamment connue pour être utilisée comme monnaie de compte. Le document le plus ancien qui confirme l’appartenance de l’atelier monétaire de Saint-Maurice à la Maison de Savoie date de 1239-1240. Il s’agit d’un acte par lequel le comte Amédée IV donne en apanage à sa sœur Marguerite de Kibourg le bourg de Saint-Maurice, tout en se réservant « la monnaie »2. En 1235, l’atelier était dirigé par un certain Jacques de Nyon, qui frappa des deniers pour Amédée IV. Quelques années plus tard, en 1243, le Minutarium maius mentionne un certain Guido, fils du « monetarius » de la ville. Rien ne permet cependant d’affirmer que ce dernier était toujours Jacques de Nyon3. Les informations au sujet de l’atelier restent extrêmement rares également pour la deuxième moitié du xiiie siècle et les premières décennies du siècle suivant. Vers 1278, Mosé Millemerces est mentionné en tant que maître de la monnaie, et une cinquantaine d’année plus tard, en 1327, un certain Bernard Robert est qualifié de ‘garde de l’atelier’4. C’est grâce aux comptes du receveur général du Chablais que nous possédons quelques informations plus précises au sujet de la frappe de monnaies à Saint-Maurice vers le milieu du xive siècle. Dans les comptes d’Étienne de Vendouvres qui couvrent la période du 23 janvier 1343 au 20 février 1344, est en effet mentionné un certain Gabriel Tondi qui est qualifié de ‘maître de la monnaie’ de Saint-Maurice. Le receveur 1 C. Martin, « L’atelier monétaire de Saint-Maurice d’Agaune », Vallesia, 42 (1987), p. 382. 2 Gremaud, Documents, no 447. 3 AASM, Minutarium maius, no 101. 4 C. Martin, « L’atelier monétaire », art. cit., p. 378.
Sur les routes des Alpes : Religieux, marchands et animaux dans la Suisse occidentale (xiiie-xve siècles), Franco Morenzoni, Turnhout, 2019 (Culture et société médiévales, 36), p. 331-335 © FHG10.1484/M.CSM-EB.5.117896
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précise qu’après avoir vérifié avec celui-ci les comptes le 1er février, il apparaît que Gabriel Tondi a travaillé environ 314 marcs d’argent, et que par conséquent il doit verser au comte quinze livres et quatorze sous mauriçois. Il est vraisemblable que cette quantité de métal a été travaillée depuis le 23 janvier de l’année précédente. Gabriel Tondi ne verse en fait que 100 sous genevois, car il a déjà remis, sur ordre du comte Aymon d’abord et d’Amédée VI ensuite, sept livres mauriçoises à Perrod Wichardi et seize sous et huit deniers gros tournois à Thavianus pour leurs salaires respectifs. D’après les taux de change pratiqués à cette époque en Valais5, la somme versée correspond plus ou moins à celle indiquée par le receveur général6. Il est possible qu’au moins un de ces deux personnages travaillait dans l’atelier car, à propos de Thavianus, le receveur précise qu’il était « olim garda ». Perrod appartenait en revanche à l’importante famille des Wichardi, dont plusieurs membres avaient été au service de la Maison de Savoie en qualité de péagers7. En 1336, l’évêque de Sion remet, pour le compte de Perrod, 100 florins au tenancier de la casane d’Aigle Dominicus Garreti, qui promet de les déduire des dettes que Perrod a vis-à-vis de cet établissement8. Quelques années plus tard, en 1347-1348, Perrod sera également syndic de Saint-Maurice9. En l’absence de tout ordre de frappe, il est bien entendu impossible d’établir les caractéristiques techniques des pièces frappées par Gabriel Tondi. Il est cependant vraisemblable que la décision de frapper des monnaies à Saint-Maurice avait été prise par Aymon dit le Pacifique, car l’ordre de verser le salaire de Perrod Wichardi est antérieur à juin 1343, le comte étant décédé le 22 de ce mois. On peut donc supposer que l’atelier avait fonctionné également en 1342. D’autre part, il semble bien que les monnaies frappées étaient des mauriçois, car le droit seigneurial est fixé à douze
5 Le gros tournois est en effet compté 7 deniers mauriçois dans les comptes du châtelain de SaintMaurice qui vont du 27 janvier 1343 au 3 mars 1344 (ASTo, SR, Inv. 69, f. 89, m. 2). D’après les comptes du péager de Villeneuve, qui est en fait le même Étienne de Vendouvres, 12 sous genevois sont comptés pour 7 sous mauriçois (ASTo, SR, Inv. 69, f. 31, rot. 22). D’après ces taux de change, Gabriel aurait cependant versé quinze livres et quinze sous. 6 Voici l’intégralité du passage: « Idem reddit computum quod recepit a Gabriele Tondi magistro monete Sancti Mauricii de exitu pertinente Domino in dicta moneta : c sol. geb. Et est sciendum quod, facta visione cum dicto Gabriele die prima februarii, ipse operatus fuit tercentum et quatuordecim marchas argenti vel circa, de quibus debentur Domino quindecim libr., quatuordecim sol. maur. Sed ipse solvit Perrodo Wichardi pro salario suo per litteram Domini quondam comitis Aymonis de mandato septem libr. maur., et Thaviano olim garda pro eodem, de mandato Domini nunc comitis per eius litteram, sexdecim sol. octo den. gross. tur., et sic satisfactum Domino » (ADS, SA 15783). 7 Bartholomeus Wichardi est péager du 19 mars 1291 au 23 mai 1310 et du 8 mars 1312 au 30 septembre 1314. Son successeur, qui reste en charge jusqu’au 31 décembre 1319, est Perrod Wichardi, sans doute un autre personnage que celui qui travaille à l’atelier. Dès 1327, la charge est reprise par Jacques Wichardi, qui meurt en 1347 et auquel succède son fils Guillaume. Ce dernier reste péager jusqu’au 26 juin 1357, et occupe de nouveau cette charge entre le 27 juillet 1361 et le 5 août 1362. 8 AEV, Fonds Ph. Torrenté, ATN no 2, p. 116. 9 Le 3 décembre 1347, il emprunte à Ludovicus Raymundini 30 florins au nom de la commune (ACSM, Pg 224 et Pg 226). D’après un acte du 25 décembre 1351, toujours en qualité de syndic, il avait également emprunté auprès de la casane de Saint-Maurice 27 livres, 4 sous et 8 deniers mauriçois le 15 février 1342 (ACSM, Pg 272).
quelques précisions à propos de l’atelier monétaire de saint-maurice d’agaune
deniers mauriçois pour chaque marc travaillé. Il est ainsi probable que Gabriel Tondi ait frappé les deniers aux légendes « DUX CHABLASII-AIMO / XPIANA RELIGIO » signalés entre autres par C. Martin10. Le compte d’Étienne de Vendouvres indique également qu’un juif de Versoix, un certain Nicoletus, a versé au receveur général vingt-cinq florins, somme qui correspond au prix de cinq marcs d’argent que ce personnage devait au comte11. Les florins étant comptés à cette époque douze gros tournois, le prix du marc d’argent est donc de soixante gros. Il s’agit du même prix indiqué par le châtelain de Chillon en 133212, ce qui permet de supposer un gros de compte qui contenait en théorie 3,907 g d’argent fin, c’est-à-dire la même quantité de métal fin présente dans le gros frappé à partir de 1329 par Philippe le Bel. Toujours en théorie, le denier mauriçois contenait donc 0,558 g d’argent fin. S’il n’est guère possible de déterminer à partir de ces données quelle était la quantité de métal fin présente dans les pièces réelles, on peut néanmoins estimer que celles-ci étaient de bonne qualité, peut-être même meilleure que celle des pièces frappées quelques années plus tard. On sait qu’en décembre 1349, Amédée VI avait ordonné au Milanais Manfredus Frotta de frapper des mauriçois à partir du 25 janvier de l’année suivante. L’ordre de frappe précisait que les deniers devaient être frappés à 228 pièces au marc d’argent de Troyes et 5 d. et 12 gr. de loi (1,073 g de poids et 0,492 g de fin), les oboles à 465 pièces au marc et de même loi que les deniers (0,537 g de poids et 0,246 g de fin) et les gros à 90 pièces au marc et 10 d. et 21 gr. de loi (2,719 g de poids et 2,464 g de fin)13. Le cours légal du denier mauriçois fut fixé à 6 ½ d. pour un gros tournois, alors que celui du gros mauriçois à 1 3/10. L’achat du marc d’argent fin fut fixé à 456 d. pour le billon de même loi que les deniers, et à 450 et 468 deniers mauriçois pour celui de même loi que les oboles et les gros. Le prix d’achat était donc inférieur à celui qui aurait dû en théorie être payé, respectivement de 4,3%, 5,6% et 1,8%14. Contrairement à ce que nous avons écrit ailleurs, il est certain que ces pièces furent frappées dans l’atelier de Saint-Maurice15. Le receveur général du Chablais, Guillaume Wichardi16, indique en effet dans son compte pour l’exercice qui va du 8 février 1350 au 24 avril 1351, qu’il a reçu de Maffeus Frota de Milan quatre livres, quatorze sous et six deniers mauriçois pour le droit de frappe du comte. Celui-ci prélève 6 deniers pour chaque marc d’argent travaillé, c’est-à-dire la moitié de ce que devait verser Gabriel Tondi quelques années auparavant. Étant donné qu’on avait décidé de frapper dans
10 C. Martin, « L’atelier monétaire », art. cit., p. 382 et fig. 4. 11 « Recepit a Nicoleto judeo de Versoya pro precio V marcharum argenti in quibus dicto Sandro tenebatur : XXV flor. aur. » (ADS, SA 15783). 12 ASTo, SR, Inv. 69, f. 5, rot. 29. 13 D. Promis, Monete dei Reali di Savoia, Turin, 1841, t. 1, p. 446. 14 Ibid., p. 517-518. 15 Voir dans le présent volume « Monnaies réelles et monnaies de compte dans le Valais savoyard et épiscopal (fin xiiie-début xve s.) », p. 323, n. 29. 16 Il s’agit sans doute du même personnage qui, à cette époque, gère également le péage de SaintMaurice (supra, n. 7). Guillaume est receveur général du Chablais depuis au moins 1350 jusqu’au 22 janvier 1355 (ADS, SA 15784-15787).
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chaque marc 228 pièces d’un denier, 2,63% de l’ensemble des pièces fabriquées allait directement dans les caisses comtales. Guillaume Wichardi précise également que Maffeus a travaillé en tout 189 marcs d’argent, mais n’indique pas la nature des pièces qui ont été frappées. En théorie, il aurait pu frapper 43 092 pièces d’un denier, et ceci en l’espace de cinq mois. Le compte précise en effet que Maffeus a travaillé depuis la mi-janvier 1350 jusqu’à la mi-juin de la même année, après quoi il est retourné à Milan17. On ignore si le départ de Maffeus fut provoqué par la peur de l’épidémie de peste qui, depuis février 1349, faisait des ravages dans la ville, ou bien s’il arrêta son travail pour d’autres motifs et avec l’accord de l’administration comtale. Quoi qu’il en soit, à notre connaissance aucun document n’indique qu’un autre « magister monetae » reprit dans les années suivantes la direction de l’atelier de Saint-Maurice. Selon toute vraisemblance, les mauriçois frappés par Maffeus furent les derniers à être mis en circulation. La quantité d’argent fin qu’ils contenaient, tout à fait respectable par rapport à bien d’autres monnaies, avait d’ailleurs assez vite amené ceux qui en possédaient à les thésauriser18. Au-delà des quelques renseignements quantitatifs qu’ils fournissent, les deux passages tirés des comptes des receveurs généraux du Chablais permettent également d’ajouter à la liste des monnayeurs qui ont été actifs en Suisse romande le nom d’un autre Italien. On sait que, le 11 août 1300, l’évêque de Genève Martin de Saint-Germain avait confié à Benjamin Thomas, « Lombar de Ast », et à ses associés la ferme de la monnaie pendant six ans19. Benjamin était sans doute membre de l’importante famille des Thome – présente aussi à Fribourg et qui, vers la même époque, détenait une participation dans l’établissement de prêt de Saint-Maurice – et était également responsable de l’atelier monétaire du comte, en collaboration avec Martinus Alfieri20. En mars 1309, il avait été engagé par l’évêque de Lausanne, Gérard de Vuippens, pour une durée de dix ans mais, sans doute parce que l’évêque n’avait pas tenu ses engagements, il avait très vite renoncé à sa charge pour se transférer à Bâle. Ce n’est qu’en septembre 1330, alors qu’il résidait de nouveau à Genève, qu’il accepta de mettre un terme au différend qui l’opposait à l’Église de Lausanne. Toujours à Lausanne21, l’évêque Pierre d’Oron avait remis en 1316 l’atelier monétaire, pour une durée de deux ans, à un ressortissant du diocèse de Limoges, Jean dit Chiederey, et à deux Milanais, Jaqueminus de Lomagio et Gonradus dit Moron. Vers la fin du siècle, en
17 « Recepit a Maffeo Frota de Mediolano, magistro monete Sancti Mauricii Agaunensis, de jure Domini capit in qualibet marcha monete mauricensis sex denarios eiusdem monete. Et computat de jure Domini pro centum quaterviginti et novem marchas monete quas dictus magister cudi fecit ibidem a medio januarii mcccl usque ad medium sequentis mensis junii. Et tunc rediit Mediolanum : iv libr., xiv sol., vi den. maur. » (ADS, SA 15784). 18 Voir dans le présent volume « Monnaies réelles », art. cit., p. 323-324. 19 É. Rivoire et V. van Berchem (éd.), Les sources du droit du Canton de Genève, Aarau, 1927, t. 1, no 50, p. 88-89. 20 Q. Sella (éd.), Codex astensis qui de Malabayla communiter nuncupatur, t. I, Rome, 1880, p. 229. 21 A. Morel-Fatio, Histoire monétaire de Lausanne, in Mémoires et Documents publiés par la Société d’histoire de la Suisse romande, 1ère série, 36 (1882), p.j. iii, p. 413.
quelques précisions à propos de l’atelier monétaire de saint-maurice d’agaune
1396, Guillaume de Menthoney avait lui aussi engagé comme maître de la monnaie un Milanais, Jean de Canturio22. Aussi bien la présence de Gabriel Tondi que celle de Manfredus, ou Maffeus, Frotta à Saint-Maurice confirment qu’au xive siècle les maîtres monnayeurs milanais ont assuré en grande partie le fonctionnement des ateliers monétaires de Suisse romande.
22 Ibid., p. 390 et p. 463.
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Le duc Amédée viii de Savoie et sa monnaie (vers 1420 – vers 1434)
Les Statuts promulgués par Amédée VIII en juin 1430 sont les premiers à traiter explicitement du problème de la monnaie et à préciser les tâches du maître général de la monnaie et du personnel des ateliers monétaires. Dans le titre 32 du deuxième livre, le duc enjoint d’emblée à ses successeurs et héritiers de ne jamais affaiblir ses monnaies d’or, d’argent ou d’un autre métal et de tout mettre en œuvre pour tenter de les renforcer ou tout au moins les maintenir dans l’état où elles se trouvent1. Les recommandations d’Amédée VIII à ses héritiers s’expliquent sans doute par les problèmes d’ordre monétaire auxquels a été confrontée l’administration ducale pendant la décennie qui a précédé la promulgation des Statuts. La crise monétaire qui s’est manifestée à partir de 1417 a en effet mis à rude épreuve la monnaie savoyarde. Ce que John Day a appelé la “famine de billon”2 a provoqué une brusque augmentation du prix de l’argent qui a été d’autant plus ressentie dans le duché que les ateliers monétaires de Dijon et de Mâcon, pour assurer leur ravitaillement, étaient prêts à payer le marc d’argent bien au-dessus du montant officiel, tout en frappant des monnaies de plus en plus faibles3. Cela a encouragé les exportations clandestines de billon depuis le duché de Savoie vers la Bourgogne, trafics que l’administration ducale a tant bien que mal essayé de réprimer. Entre 1419 et 1422, le trésorier général 1 « Presenti irrefragabili declaramus edicto, pro subditorum et reipublice nobis commisse utilitate perpetua, nos inclitosque heredes et successores nostros numquam velle nec debere monetas nostras auri, argenti seu aliorum metallorum deteriorare seu minuere in futurum a lege et valore modernis, sed pocius eas meliorare et augere vel saltim in ipsis lege et valore modernis eas perpetue manutenere et conservare », in Ch. AmmannDoubliez (éd.), Compendium statutorum generalis reformacionis Sabaudie, in Fr. Morenzoni (éd.), avec la coll. de M. Caesar, La Loi du Prince, t. ii, Turin, 2019, l. ii. 32. 2 J. Day, « The Great Bullion Famine of the Fifteenth Century », Past and Present, 79 (1978), p. 3-54. Pour une approche globale de la période, voir I. Blanchard, Mining, Metallurgy and Minting in the Middle Ages, vol. 3 : Continuing Afro-European Supremacy, 1250-1450. African Gold and the Second and Third European Silver Production Long-cycles, Stuttgart, 2005. 3 Sur l’activité des ateliers de Dijon et de Mâcon voir Fr. Dumas-Dubourg, « À propos de l’atelier royal de Dijon. Aperçus sur la politique monétaire des ducs de Bourgogne, Jean sans Peur et Philippe le Bon », Annales de Bourgogne, 34 (1962), p. 5-48 ; A. Guerreau, « L’atelier monétaire royal de Mâcon (1239-1421) », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 29 (1974), p. 369-392.
Sur les routes des Alpes : Religieux, marchands et animaux dans la Suisse occidentale (xiiie-xve siècles), Franco Morenzoni, Turnhout, 2019 (Culture et société médiévales, 36), p. 337-372 © FHG10.1484/M.CSM-EB.5.117897
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a enregistré de nombreux versements pour des compositions concernant des affaires de contrebande de billon ou de non-respect des ordonnances relatives au change et à l’utilisation des monnaies étrangères. À la suite d’un procès instruit par Gossuin de Bomel, le maître général de la monnaie4, le 2 février 1419 un certain Henri Bramerel de Louhans a ainsi accepté de verser une composition de 100 écus d’or pour avoir exporté clandestinement une grande quantité de billon dont la valeur fut estimée à environ 1 400 francs d’or5. Le billon était probablement en train d’être acheminé vers Mâcon, car les deux serviteurs d’Henri Bramerel furent arrêtés par le châtelain de Pont-deVaux6. La même année, en octobre, plusieurs marchands de Chambéry ont dû verser une composition de 1 000 florins car « indebite extrassisse et implicasse monetas contra formam cridarum »7. L’année suivante, en février, six marchands de Bourg-en-Bresse ont été reconnus coupables d’avoir organisé un vaste trafic d’exportations clandestines de billon et ont dû remettre au trésorier ducal 2 880 florins8. Le mois suivant, c’est un autre bourgeois de Bourg-en-Bresse qui a accepté de verser 100 florins pour les mêmes raisons9. En juillet de la même année, Barthélemy de Moneta d’Avigliana, découvert par un commissaire ducal en train d’exporter clandestinement du billon, a pu obtenir une lettre de rémission moyennant le versement de 100 florins10. Le même mois, trois autres individus, un d’Albens et deux de Mondovì, reconnus coupables du même délit, ont composé en s’acquittant respectivement de 8 et 30 florins11.
4 Sur Gossuin de Bomel voir, en dernier lieu, N. Schätti, « De Chambéry à Genève : Gossuin de Bomel, Perrin Rolin, Hennequin Jardyn et l’orfèvrerie ‘savoyarde’ durant la première moitié du xve siècle», in Fr. Elsig et al. (éd.), L’image en questions : pour Jean Wirth, Genève, 2013, p. 56-63. 5 « […] quamdam magnam monetarum seu billioni quantitatem ascendentem ad summam mille et quatercentum franchorum vel circa conduci fecisse […] per territoria domini extra, et ad alias extraneas monetas pro billiono portando nullam presentacionem faciendo magistris monetarum domini, sed eam clandestine et sub effigie aliorum mercimoniorum transducendo » (ASTo, CTG, Reg. 66, fol. 139r). 6 C’est ce qu’indique la lettre de rémission, qui ordonne également la restitution du billon qui avait été saisi (ASTo, Prot. duc., vol. 74, fol. 17r-17v). 7 ASTo, CTG, Reg. 66, fol. 146v. 8 « […] pro eo quia inculpabantur […] monetas domini in magnis et excessibus quantitatibus et summis tam per se quam eorum familiares billionnasse, cumulasse et pro billiono extra territorium domini ad extraneas monetas exportasse et vendidisse et de aliis extraneis monetis cum cadrigis et alias in ballis et trossellis et sub effigie aliorum mercimoniorum ad et per patriam domini vehi et conduci fecisse occulte […] » (ASTo, CTG, Reg. 66, fol. 139v-140r). Le trésorier résume les explications présentes dans la lettre de rémission accordée le 2 février (ASTo, Prot. duc., vol. 74, fol. 15r-16r). 9 Il s’agit de Thomas Guilliodi, reconnu coupable d’avoir exporté comme billon des monnaies ducales (« monetas domini tam per se quam eius familiares billionnasse et pro billiono extra patriam portasse » (ASTo, CTG, Reg. 66, fol. 139v). La lettre de rémission du 1er mars a été conservée (ASTo, Prot. duc., vol. 74, fol. 18r-19r). 10 « […] extra territorium domini billionum traxit, qui billionus fuit repertus per Petrum Pellons commissarium domini […] » (ASTo, CTG, Reg. 66, fol. 143v). Gossuin de Bomel est défrayé de cinq florins en 1421 pour s’être occupé de cette affaire pendant six jours (ASTo, CTG, Reg. 66, fol. 332v-333r). Sur Barthélemy de Moneta, voir infra, p. 355 et p. 366. 11 ASTo, CTG, Reg. 66, fol. 143v-144r. Le maître de la monnaie d’Embrun, Jean de Masio, a lui aussi été accusé d’avoir fait amener illégalement à Chieri des gobelets d’argent et des monnaies d’Embrun. Le 26 juillet 1420, le conseil résidant auprès du duc l’a reconnu innocent et a ordonné de lui rendre tout ce qui avait été saisi (ASTo, Prot. duc., vol. 74, fol. 63r-64r).
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Malgré l’ordonnance monétaire de février 1420, qui avait entériné un certain affaiblissement des monnaies savoyardes, la situation ne s’est pas vraiment améliorée au cours des deux années suivantes12. Le prix du marc d’argent – qui avait atteint 13 florins et demi en novembre 1419 et janvier 1420, alors que les ateliers monétaires du duché étaient censés le payer 9 florins13 – est resté à un niveau élevé, ce qui a par exemple amené Amédée VIII à vendre une partie de sa vaisselle en argent à Gossuin de Bomel14. La cherté des métaux précieux a sans doute poussé certains maîtres des ateliers monétaires à agir de manière illicite. En mars 1421, après être allé à Genève à la foire de Pâques « pour faire crier les escus neufs », Gossuin de Bomel s’est rendu à Thonon « pour repourter à mondit seigneur la faulte de la monoye de Martinet Mercier »15. Rien ne permet de savoir quelle faute avait été commise par le maître de l’atelier de Turin. Ce qui est certain, c’est que le conseil résidant à Chambéry discuta de cette affaire en présence de Claude de Saix, maître de l’hôtel puis président de la chambre des comptes, au début du mois de janvier 142216, sans doute après avoir pris connaissance des faits reprochés à Martinetto Mercieri. Vers la même époque, deux personnes furent envoyées à Turin pour ramener la boyta – la boîte dans laquelle étaient conservés les échantillons de monnaies à des fins de vérification – et les papiers de l’atelier afin de les remettre à la chambre des comptes17. L’atelier de Turin n’a pas été le seul à avoir posé problème. En mai 1421, le duc a reçu des lettres fermées du docteur en droit Jean Servagii concernant celui de
12 Elle a été éditée par D. Promis, Monete dei reali di Savoia, Turin, 1841, vol. 1, p. 405-410. 13 ASTo, CTG, Reg. 66, fol. 509r et 514v. En 1420, le trésorier a néanmoins accepté de verser un supplément de 6 gros par marc à Bertino Busca et à ses associés, qui avaient frappé à l’atelier d’Ivrée, entre le 1er juin 1419 et le 23 février 1420, 1 515 marcs. Cela lui coûta 757 florins (ASTo, CTG, Reg. 66, fol. 427r-427v). La même année, le trésorier général déclare qu’il a dû verser, pour les 930 marcs d’argent qu’il a remis à Jacques Pichot pour l’atelier de Nyon le 11 novembre 1419, 6 gros supplémentaires par marc, soit au total 460 florins (ibid., fol. 442v-443v). Le même supplément de 6 gros par marc avait été accordé le 27 juin 1419 à Martinetto Mercieri et à Ludovico Tana de Chieri ainsi qu’à leurs associés, presque certainement pour l’atelier de Turin (ibid., fol. 426r-427r). 14 Il s’agit de 1 075 marcs et un quart d’once qui ont rapporté 1 063 écus (ASTo, CTG, Reg. 66, fol. 188v). Le duc avait déjà vendu en novembre 1419 une ceinture en or de 21 carats, qui pesait 8 marcs et 2 onces et demie, aux foires de Genève à un marchand allemand pour 471 écus (ASTo, CTG, Reg. 66, fol. 187r). Elle se révéla par la suite d’un aloi inférieur à celui présumé et le trésorier dut rembourser à Jean Rigler, l’acheteur allemand, 50 écus (ASTo, CTG, Reg. 66, fol. 648v). Les exemples d’objets d’or ou d’argent vendus ou fondus pour faire face à des problèmes financiers ponctuels sont nombreux. Ainsi de la vaisselle d’or fut vendue en 1423 à un marchand de Nuremberg pour financer les funérailles de la duchesse et de la vaisselle d’argent fut monetata à Chambéry par Jean de Masio « in moneta nova Sabaudie » en 1423 pour rétribuer les gens d’armes présents dans le Valentinois (ASTo, CTG, Reg. 68, fol. 194v et fol. 195r-195v). 15 Ibid., fol. 144v. 16 ASTo, CTG, Reg. 68, fol. 385v. 17 « […] eundo a Chamberiaco apud Thaurinum causa capiendi papiros magistri et garde monetarum de Thaurino atque boytam dictarum monetarum et ipsas apportandi apud Chamberiacum ad cameram computorum domini […] » (ASTo, CTG, Reg. 68, fol. 387r). Le compte du trésorier général n’indique pas la date précise de cette dépense. Martinetto Mercieri a travaillé dans l’atelier de Turin jusqu’au 6 janvier 1422 (D. Promis, Monete dei reali, op. cit., p. 121).
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Nyon18. Le mois suivant, un inventaire de tous les biens présents dans l’atelier fut dressé et le billon trouvé remis à Claude de Saix à Genève19. Le maître et le garde de l’atelier de Nyon, Jacques Pichot et Reymond Pasqualis, durent verser en novembre 1423 respectivement 20 et 200 écus suite à un jugement qui avait été prononcé par le juge général des appels et des nullités. Ils avaient été reconnus coupables d’avoir fabriqué en 1422 – mais il s’agit vraisemblablement d’une erreur pour 1421 – des quarts de gros défectueux, plus légers que le remède toléré de deux deniers et demi par marc20. Le non-respect des taux de change indiqués par les ordonnances ducales a également entraîné de nombreuses amendes et compositions. À Genève, pendant l’exercice comptable qui va du 21 février 1420 au 20 février de l’année suivante, le vidomne a mis à l’amende une trentaine d’individus qui avaient accepté des taux de change différents de ceux qui avaient été criés. Parmi eux, on trouve deux marchands milanais mais également plusieurs petits marchands de la ville ou de la région. D’après ce que l’on peut établir, les fautifs auraient pratiqué des taux de change pour les monnaies ducales très inférieurs à ceux qui avaient été déterminés en février 1420. Ainsi, alors que l’écu d’or devait en principe être changé à 17 sous et le mouton à 10 sous, ils étaient en réalité changés respectivement à 32 et à 13 sous21. En février et mars 1422, plusieurs communautés de la Bresse furent elles aussi condamnées pour avoir utilisé les anciennes monnaies ducales et accepté les monnaies étrangères à des taux de change différents de ceux officiels. La communauté de Montluel dut verser 200 florins en février22. En mars, ce fut au tour de celles de Bourg-en-Bresse 18 « […] portando sibi licteras clausas eidem domino directas ex parte domini Johannis Servagii de facto monetarum Nyviduni contra Jacobum Pichoti et gardam dicte monete […] » (ASTo, CTG, Reg. 66, fol. 559r). 19 ASTo, CTG, Reg. 66, fol. 570v et fol. 571r-571v. 20 « Recepit a Jacobo Pichoti, olim magistro monetarum domini Nyviduni, pro remissione quadraginta librarum fortium in quibus fuerat condempnatus per dominum judicem generalem appellacionum et nullitatum Sabaudie pro penis per ipsum commissis, et ad dictas quadraginta librarum per dictum judicem mitigatis, super eo quod de anno Domini millesimo cccc° vicesimo secundo fuerunt facte et fabricate certe fondute et baptute de quartis monete domini que fuerunt deffective in pondere de duobus denariis cum dimido pro qualibet marcha ultra remedia per dominum super hiis data et concessa […] » (ASTo, CTG, Reg. 69, fol. 92v). Le texte relatif à la composition acceptée par le garde de l’atelier est le même (ibid., fol. 92v-93r). À Cuneo, en janvier 1422, un certain Martino Sental accepte de verser 1 500 écus d’or pour avoir fabriqué des monnaies dolose. Rien ne permet cependant de connaître les circonstances précises qui ont été à l’origine de la composition (ASTo, CTG, Reg. 68, fol. 151v). Les fraudes commises par les maîtres des ateliers étaient sans doute assez fréquentes. En 1405, Umberto Bonaccorsi, maître de l’atelier de Nyon, avait été exécuté pour avoir probablement fabriqué de la fausse monnaie (G. Carbonelli, « Umberto Bonaccorsi zecchiere di Savoia », Rivista italiana di numismatica, 21 (1908), p. 233-238). 21 ASTo, C, Paesi, Genève, Cat. 13, mazzo 9, tit. 5. Les taux pratiqués sur le marché genevois sont pratiquement les mêmes que ceux observés à Fribourg par Nicolas Morard (« Contribution à l’histoire monétaire du Pays de Vaud et de la Savoie : la ‘bonne’ et la ‘mauvaise’ monnaie de Guillaume de Challant (1408-1420) », Revue historique vaudoise, 83 (1975), p. 109). 22 « […] pro composicione per eosdem cum domino nostro duce facta de et pro eo quia per processum contra eos formatum per Petrum Velueti procuratorem Breyssie, contra formam et tenorem ordinacionum domini super cursu, implicacione et misa monetarum predicti domini edictam in Sabaudie ducatu, maxime in dicto
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de s’acquitter de 600 florins, alors que celles de Pont-de-Vaux, de Bagé-le-Châtel, de Pont-de-Veyle, de Treffort, de Saint-Trivier, de Châtillon-en-Dombes et de Pérouges durent remettre au trésorier général 965 florins au total23. Si l’administration ducale a essayé tant bien que mal d’exercer une certaine surveillance du marché monétaire et de réprimer les trafics clandestins de billon, il est cependant vraisemblable que seule une partie minime des pratiques illégitimes ont pu être sanctionnées.
Le billon et les foires de Genève Pour ce qui concerne le duché de Savoie, la situation paraît avoir commencé à évoluer dans le courant de l’année 1422, suite entre autres à la décision du dauphin Charles VII de revenir à la bonne monnaie, décision qui a contraint le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, à faire de même peu après et qui a également provoqué l’arrêt à peu près total de l’activité des ateliers monétaires de Mâcon et de Dijon24. Le prix d’achat du marc d’argent relativement bas imposé aux ateliers monétaires royaux a permis à Genève de devenir, pendant quelques années, le principal centre de recyclage du billon exporté clandestinement depuis le royaume et la Bourgogne25. Grâce aux foires alors en plein essor, il était possible d’y vendre le billon et l’argent à un prix supérieur à celui qui était offert ailleurs, la principale raison étant sans doute que le billon ou l’argent affiné étaient par la suite exportés vers le Nord de l’Italie – vers la Lombardie mais probablement encore plus vers Gênes, dont le seigneur, depuis décembre 1421, était le duc de Milan Philippe-Marie Visconti – où le marché offrait la possibilité de réaliser de juteuses plus-values26. Le changement de direction des
loco Montis Luppelli publicatarum contraxisse et merchandasse ad invicem et cum aliis personis extraneis, subdictis et non subdictis predicti domini nostri, ad monetas antiquas prefati domini et alienas illas recipiendo, solvendo et implicando pro maiori et alio valore quam fuerint taxate et extimate. […] Exceptis tamen qui reperirentur bilionasse contra tenorem ordinacionum predictarum monetarum […] » (ASTo, CTG, Reg. 68, fol. 151v-152r). 23 Ibid., fol. 153v-155r. Le texte du trésorier est analogue à celui concernant Montluel. Il précise cependant de manière plus claire que les monnaies ducales ont été sous-estimées. Les hommes du mandement de Châtillon-en-Dombes verseront 90 florins supplémentaires en novembre de la même année (ibid., fol. 158v). 24 A. Guerreau, « L’atelier monétaire », art. cit., p. 387 ; Fr. Dumas-Dubourg, « À propos de l’atelier », art. cit., p. 32. 25 Comme l’ont montré Françoise Dumas-Dubourg et Alain Guerreau, les foires de Genève ont joué un rôle important pour le ravitaillement en métaux précieux des ateliers monétaires de Dijon et de Mâcon au moins jusqu’à 1421. De nombreuses sources indiquent que c’est dans la ville du bout du lac que les maîtres de la monnaie venaient acheter une bonne partie de l’argent fin qu’ils travaillaient. Il n’est cependant pas possible de quantifier, même par approximation, l’intensité de ces trafics. Voir aussi H. Dubois, « Commerce international, métaux précieux et flux monétaires aux confins orientaux du Royaume de France (xiiie-xve siècles) », in V. Barbagli Bagnoli (éd.), La Moneta nell’economia europea, secoli xiii-xviii, Florence, 1982, p. 695-696. 26 Sur le marché monétaire lombard, voir G. Soldi Rondinini, « Politica e teoria monetaria dell’età viscontea », in V. Barbagli Bagnoli (éd.), La Moneta, op cit., p. 351-408.
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trafics clandestins est en quelque sorte illustré par un procès instruit, en décembre 1422, par le procureur du Chablais contre Jean Maczonis (Massoni), un marchand de Milan surpris non loin d’Évian avec 4 quintaux et demi de billon et 84 livres d’argent fin qu’il avait omis de présenter au péage et qu’il comptait certainement amener au Sud des Alpes27. L’administration ducale n’a apparemment pas saisi tout de suite l’importance de ces trafics et les bénéfices qu’elle pouvait en tirer. Pendant quelques temps, elle paraît s’être contentée de prélever les droits de péages traditionnels qui frappaient le billon exporté28. Celui-ci paraît d’ailleurs avoir continué à faire l’objet d’exportations clandestines, tout au moins si l’on en juge d’après les relevés journaliers du péage de Villeneuve de Chillon de 1423-1424, qui commencent le 15 mars mais ne signalent aucun passage de billon avant le début du mois de septembre29. Il est cependant probable qu’à cette époque Genève drainait déjà de grandes quantités de billon, comme le suggèrent quatre licences d’exportation de billon qui ont été accordées par le duc à des marchands italiens actifs dans la ville épiscopale. Le 4 novembre 1423, le Milanais Giacomo d’Ausona a versé au trésorier ducal 20 écus en échange de l’autorisation de pouvoir exporter pendant deux ans tout le billon de haut ou bas aloi (alte et basse ligie) qu’il souhaitait, à condition de le présenter auparavant afin de montrer qu’il ne s’agissait pas de monnaies ducales30. Le même jour, les frères Ambrogio et Giacomo da Omate, originaires de Milan et citoyens de Genève d’un côté, et Ambrogio da Casate, Biagio da Cusano, Bertino Busca, Giacomino de Curte et Giovannino de Olmacte (Omate ?) de l’autre, ont obtenu une licence d’exportation de billon analogue, à laquelle s’ajoutait également celle de pouvoir affiner tous les métaux qu’ils souhaitaient et de se doter des équipements nécessaires pour le faire. Ils ont versé pour cela respectivement 30 et 60 écus d’or, tout en s’engageant à remettre au duc un quart de l’argent fin obtenu, les deux tiers
27 En février 1423, il acceptera de verser 140 écus d’or et pourra éviter que le billon et l’argent fin ne soient saisis, comme le demandait le procureur fiscal : « Recepit a Johanne Maczonis de Mediolano, mercatore, […] pro eo quia inculpabatur per processum contra eum formatum per Johannem de Clapigniaco, procuratorem Chablaysii, sub anno Domini millesimo quatercentesimo vigesimo secundo, die nona decembris, certas billioni et diversarum monetarum quantitates, ponderantes quatuor quintalia et xxviii libras ad pondus Chamberiaci ab una parte et quater viginti quatuor libras argenti fini vel quasi ad dictum pondus, que quantitates pro billiono reputanbatur, quas vehi et conduci per territoria domini fecit usque ad locum de Crosa ultra Aquianum sine solucione alicuius pedagii, ipsum billionum celando et extra patriam domini extrahere volendo absque presentando in monetis domini magistris earundem […] » (ASTo, CTG, Reg. 68, fol. 161v). 28 Les trafics clandestins n’ont cependant pas cessé. En avril 1423, des dépenses furent engagées pour poursuivre dans la région des Échelles « illos qui portabant billionum extra patriam domini », qui ne furent cependant pas trouvés (ASTo, CTG, Reg. 68, fol. 466r-466v). 29 Fr. Morenzoni, Marchands et marchandises au péage de Villeneuve de Chillon (première moitié du xve siècle), Lausanne, 2016, p. 129-130. 30 ASTo, CTG, Reg. 69, fol. 157v-158r. En février 1423, Alard de Bomel et quelques autres orfèvres actifs à Chambéry ainsi que les frères Claude et Guillaume Bernardi affineurs de Strasbourg résidant à Chambéry, avaient déjà obtenu l’autorisation d’affiner de l’or et de l’argent pour leur propres besoins ou destiné à être vendu à d’autres orfèvres. La licence précisait que l’or et l’argent fins ne pouvaient cependant pas être exportés (ASTo, Prot. duc., vol. 77, fol. 546rbis).
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sous la forme d’un alliage destiné à la fabrication de quarts de gros et le tiers restant d’un alliage destiné à la frappe de demi-gros31. Quelques mois plus tard, en janvier 1424, deux autres marchands milanais, Giovanni Moresini et Donato Vincemala (Vismara), ont obtenu eux aussi la permission d’exporter du billon, tout comme le marchand Giorgio Folli d’Asti en juillet de la même année32. L’octroi de ces licences montre que l’administration savoyarde avait enfin compris que les trafics concernant le billon pouvaient être à la fois une source de revenu intéressante et un moyen pour assurer au moins en partie le ravitaillement en argent des ateliers monétaires au prix fixé par les ordonnances.
Les difficultés monétaires et le contrôle des activités d’affinage et des exportations de billon Tout au long de l’année 1424, le conseil ducal a dû se pencher à plusieurs reprises sur les problèmes relatifs à la monnaie33. Et cela pour deux raisons principales, en partie connexes : l’augmentation plus importante du prix de l’or par rapport à celle que connaissait le prix de l’argent, phénomène qui n’est bien sûr pas propre au duché et qui a déréglé le rapport entre les monnaies d’argent et celles d’or34, et les mesures prises pour mieux contrôler et ponctionner l’activité des affineurs, entre autres pour tenter de disposer de plus de métal argent afin de ne pas être dans l’obligation d’affaiblir la monnaie ou de devoir cesser toute frappe. C’est au cours du printemps 1424 que l’administration ducale a essayé de comprendre les causes des difficultés, afin bien sûr de prendre les mesures nécessaires, tâche qui a été confiée à Gossuin de Bomel, à Claude de Saix et au trésorier, qui se sont rendus à Genève pour consulter les maîtres de la monnaie, les affineurs et les marchands à propos de la situation des monnaies35. Le résultat des discussions est résumé dans 31 « […] Item et pro licentia sibi per dominum data billionum quodcumque et cuiuscumque metalli fuerit in territorio domini affinandi et artifficia necessaria faciendi. Ita tamen quod quartam partem cuiuslibet affinamenti tradere et expedire debeant in monetis domini alligatis, pro duabus partibus ad faciendum quartos monete domini et pro tercia parte ad fabricandum medios grossos monete domini […] » (ASTo, CTG, Reg. 69, fol. 157v). 32 ASTo, CTG, Reg. 69, fol. 156v-157r et fol. 158v-159r. Ils versent la même somme, soit 25 écus. 33 En mars, le conseil ducal semble par exemple craindre que dans le Dauphiné les monnaies ducales fassent l’objet de mesures discriminatoires : « De moneta domini in Delphinatu scribatur thesaurario […] et interim Gossuynus se informet si quasdam cridas fecerint » (ASTo, Prot. duc., vol. 76, fol. 6v). En juin, plusieurs localités de l’actuelle Suisse romande ont dû verser au total 1 340 florins car « inculpabantur monetam domini non implicasse juxta formam ordinacionum domini super hoc factarum » (ASTo, CTG, Reg. 69, fol. 110r-111v). Il s’agit de Moudon, Romont, Yverdon, Payerne, Rue, Grandson, Les Clées, Sainte-Croix, Cossonay, L’Isle, Échallens et Montagny. 34 Sur cet aspecs, voir I. Blanchard, « Egyptian Specie Markets and the International Gold Crisis of the Early Fifteenth Century », in L. Armstrong et al. (éd.), Money, Markets and Trade in Late Medieval Europe. Essays in Honour of John H. A. Munro, Leiden - Boston, 2007, t. i, p. 383-410. 35 « Super facto monetarum et affinatorum Glaudius de Saxo et thesaurarius vadant Gebennas, se informent cum magistris monetarum, affinatoribus et merchatoribus qui sibi videbuntur, deinde in regressu adducant quos expediat noviter, ut possit provideri » (ASTo, Prot. duc., vol. 76, fol. 9v).
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l’ordonnance de frappe du 5 juin pour les ateliers de Turin, de Chambéry et de Nyon. Elle rappelle que les décisions ont été prises après consultation des grands, des changeurs, des marchands et de beaucoup d’autres « experts » ainsi que sur la base d’une relation établie par des personnages de confiance qui ne sont pas nommés, mais dont faisait certainement partie le maître général de la monnaie. L’ordonnance explique qu’il a été possible d’établir que, si le prix de l’or avait augmenté au-delà de ce qui était acceptable, cela était dû, malgré des décisions ducales mûrement réfléchies, à la frappe désordonnée des monnaies36. Pour y remédier, plusieurs mesures furent envisagées : diminution de la rémunération des maîtres de la monnaie – qui est passée de 3 gros et demi à 3 gros pour chaque marc travaillé – et abandon du demi-gros de seigneuriage que le duc prélevait auparavant sur chaque marc. Le gros ainsi épargné devait servir à augmenter le prix d’achat du marc de Troyes d’argent le roi (« argenti regis seu ducis ») versé aux marchands par les ateliers monétaires. Mais surtout, il fut décidé que, sauf accord explicite, les trois ateliers ne pouvaient plus frapper que des gros et des demi-gros, la frappe des quarts de gros et de toutes les autres monnaies d’aloi ou de poids inférieurs étant formellement interdite. Les gardes de la monnaie furent par la même occasion sommés de récupérer et de garder chez eux tous les coins et les matrices des pièces dont la frappe était temporairement interdite et les maîtres des ateliers reçurent l’ordre de préparer une nouvelle boîte (« boyta »)37. L’administration ducale espérait donc limiter les conséquences de la hausse du prix de l’or grâce au maintien d’une monnaie d’argent relativement forte, tout en acceptant une très modeste augmentation du prix d’achat du marc d’argent. Ces mesures se sont vite révélées insuffisantes38. Le 18 juillet, le conseil a réitéré l’ordre de ne frapper que des gros et des demi-gros et enjoint aux maîtres de la monnaie de ne pas pratiquer des taux de change plus élevés que ceux qui avaient été fixés. Il leur a également ordonné de ramasser tout le billon qu’ils pouvaient afin de faire baisser le prix de l’or. Pour financer cette manœuvre, il choisit d’accorder à chacun des trois maîtres de la monnaie 100 florins, qui devaient cependant être restitués si le prix de l’or ne baissait pas. Enfin, pour garantir la frappe des gros et des demi-gros, le conseil ordonna de remettre aux ateliers monétaires la totalité de l’argent qui était affiné dans le duché39. Le jour suivant, il décida que tout le billon des affineurs qui
36 « Sane nonnullorum fidelium nostrorum edocuit relatio, quod licet monete nostre matura deliberacione per nos fuerint ordinate, actamen ex inordinata concussione ipsarum aurum ultra modum extollitur, exunde res publica, si diucius permicteremus improvisum, verisimilia susciperet detrimenta » (ASTo, Prot. duc., vol. 77, fol. 471v). 37 ASTo, Prot. duc., vol. 77, fol. 471v-472r. 38 Le conseil ducal avait décidé d’écrire à plusieurs personnages importants « super facto monetarum », le 18 mai (ASTo, Prot. duc., vol. 76, fol. 11v). Il s’agissait sans doute de les convoquer à Chambéry, car le vendredi 15 juillet le secrétaire ducal a noté : « Super facto monetarum et affinatorum sint domini lune mane in camera computorum » (ibid., fol. 14r). Cela donne à penser que, face à une situation de plus en plus difficile, l’administration ducale avait décidé d’accélérer l’adoption de certaines mesures par le biais des lettres patentes de début juin. 39 « Super facto monetarum advise sunt provisiones sequentes. Primo quod non cudantur nisi grossi et dimidii grossi. Item quod magistri monetarum in cambiando debitum valorem non excedant, sed recoligant monetam ad reducendum aurum ad debitum valorem. Et dominus dabit cuilibet ipsorum trium (sic)
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ne respecteraient pas ces décisions devait être saisi et que les maîtres de la monnaie en place qui n’étaient pas contents devaient être substitués, ce qui donne à penser que ces mesures étaient susceptibles de ne pas être accueillies avec un très grand enthousiasme40. Deux mois plus tard, en septembre, tout en confirmant l’ordonnance concernant les affineurs « novissime facta » et en demandant à l’évêque de Lausanne de l’appliquer à sa propre monnaie, le conseil ducal a également décidé de ne pas modifier le taux de change des anciennes pièces et donné l’ordre de recenser les droits de péage qui frappaient le billon à Évian et aux autres péages41. Entre octobre 1424 et janvier de l’année suivante, le conseil ducal a dû traiter presque chaque semaine de questions monétaires, principalement à cause de deux affaires qui sont entremêlées et concomitantes mais qu’il est préférable de présenter séparément pour des raisons de clarté42. La première concerne les relations avec l’évêque de Genève. Malgré leur caractère général, les mesures concernant l’argent affiné s’appliquaient principalement, sinon exclusivement, aux affineurs actifs dans la ville du bout du lac Léman. Or elles ont été considérées par l’évêque comme un empiètement intolérable sur les droits temporels qu’il détenait dans la ville, la monnaie relevant du merum et mixtum imperium qu’il exerçait à Genève. Face aux prétentions ducales, les vicaires épiscopaux avaient même prononcé, avant le 26 octobre43, une monition contre les affineurs de la ville et rappelé que seul l’évêque avait le droit d’accorder une licence à ceux-ci44. Pour
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centum florenos aut facere valenti iiic, ita quod restituant nisi reducant. Item quod pro ulterius cudendo, quidquid affinabitur in patria domini in monetis expediatur in grossis et dimidiis grossis fabricandis. Et super hiis loquantur Colombier et thesaurarius magistris monetarum » (ibid., fol. 15r). Parmi les mécontents présumés, il y avait probablement Michel de Balma, le maître de la monnaie de Chambéry. Le conseil envisagea en effet la possibilité de le remplacer avec Guy Vulliodi (ou Beczonis) et Alard de Bomel, ce qui fut fait le jour même (voir infra, p. 353, n. 75). « (18.9.1424) De affinatoribus servetur ordinatio novissime facta. Mandentur ordinaciones vicariis episcopi Lausannensis et mandetur eis quod ita in Lausanna faciant observari et non aliqualiter secus fieri » (ASTo, Prot. duc., vol. 76, fol. 19r); « (23.9.1424) Item vadant procurator fiscalis et Rufferius Aquis et alibi supra loca ad se informandum et consilio refferrendum qualiter exigit pedagium super billiono » (ASTo, Prot. duc., vol. 76, fol. 20r). La décision d’imposer à l’évêque de Lausanne d’appliquer la nouvelle ordonnance a apparemment posé quelques problèmes. Lors de la réunion du conseil ducal du 20 octobre, il fut en effet décidé d’écrire une nouvelle fois aux vicaires lausannois : « Scribatur vicariis episcopi Lausannensis ut per affinatores observari faciant ordinaciones jam eis missas, et procuratori Vuaudi prosequenti de eis justiciam ministrent. Procurator Vuaudi adversus eos in Lausanna prosequatur et extra detineat donec fecerint que domino conveniunt » (ibid., fol. 21r). « (26.10.1424) Scribatur vicariis episcopatus Gebennensis quod tollant monitionem latam contra affinatores » (ibid., fol. 21v). Quelques jours auparavant, le 20 octobre, le conseil ducal avait décidé de faire exécuter « copiam composicionum cum episcopo Gebennensi […] super usu monetarum et inventariorum » (ibid., fol. 21r). L’ordonnance promulguée au nom du cardinal Jean de Brogny le 26 octobre concernant le nouveau poinçon que les orfèvres de la ville devaient utiliser, et qui fut remis à Jean de Fontana et à Pierre Grivet, s’inscrit peut-être dans le contexte du différend opposant le duc et les représentants de l’administrateur de l’évêché. L’ordonnance a été éditée dans É. Rivoire et V. van Berchem (éd.), Les sources du droit du canton de Genève, t. 1, Aarau, 1927, p. 302-303, n° 141.
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trouver une solution, une enquête fut diligentée afin sans doute d’établir quels étaient les droits respectifs que le duc et l’évêque détenaient à Genève sur la monnaie. Le procès-verbal de l’enquête n’a pas été conservé, mais on sait que dix-neuf témoins furent interrogés pour l’évêque et quatorze pour le duc. Au terme de l’enquête, la monition qui frappait Lanfranco Busca, le maître de la monnaie de Nyon, fut levée, alors que les monitions qui frappaient les autres affineurs furent maintenues45. D’après ce que l’on peut établir, un accord fut néanmoins trouvé vers la fin du mois de janvier qui, comme nous allons le voir, était tout à fait conforme aux souhaits du pouvoir ducal. La deuxième affaire concerne les affineurs eux-mêmes. Grâce probablement au maître général de la monnaie, le conseil ducal a appris, pendant l’été 1424, qu’en dépit de ce que prévoyaient les licences qui leur avaient été délivrées, les affineurs n’avaient jamais remis aux ateliers monétaires le quart de l’argent affiné qu’ils auraient dû. Pour établir l’ampleur de la fraude, les écritures des affineurs avaient été saisies et Gossuin de Bomel en avait fait faire une copie, à l’intention probablement de la chambre des comptes46. Le 20 octobre, le conseil ducal a décidé de créer un commissaire chargé de surveiller l’activité des affineurs. Pour ce faire, il a nommé Jean de Fontana – un riche marchand genevois, fournisseur de la cour ducale et depuis au moins l’année précédente receveur
45 C’est uniquement grâce aux notes succinctes du secrétaire ducal que nous disposons de quelques informations. Le 10 janvier 1425, le conseil ducal prend connaissance des réponses des représentants de Jean de Brogny sous cette forme : « Primo super commissione facta Francisco Boudrici et domino Amedeo Monachi tangente preconizaciones et factum monetarum, in qua sunt examinati pro parte episcopi xix testes et pro parte domini xiiii dumtaxat, responderunt quod videtur eis quod pro parte utraque fuerunt testes in sufficienti numero examinati, nec consentire auderent quod ulterius examinaretur actento quod dominus cardinalis administrator eis mandavit quod precaverent ne juridicio civitatis in aliquo in suis manibus enervetur, et quod de negociis concernentibus ipsam juridicionem non se aliqualiter intromitterent sine eius stitu et speciali mandato, sed dum aliquid agendum in ea superveniret, illud confestim et ante omnia sibi nunciarent. Super secundo concernente moniciones per eos factas contra officiarios, responderunt quod in quantum tangit Lanfranchum magistrum monetarum, quia nichil deliquit, ei absolucionis beneficium impendent. Aliis vero non. Quinymo, quia asserunt quod premissa fiunt in ipsius episcopi omnimoda et inmediata juridicione, non pacientur ulterius affinatores ibidem affinare sine eiusdem episcopi licentia et mandato » (ASTo, Prot. duc., vol. 76, fol. 31v-32r). Le 26 janvier, le conseil ducal décidera de faire appel contre les monitions maintenues : « Super monicionem affinatorum appellent a comminato gravamine » (ibid., fol. 35v). 46 Les comptes du trésorier général permettent de connaître les nombreux déplacements effectués par Gossuin de Bomel pour s’occuper du problème des affineurs : « Item vaque de Chambery a Geneve pour le fayt des affynieurs deys xxiiiie jour d’aoust jusque au vie jour de septembre […] . Item retour de Chamberieu a Geneve pour escuter les ordinances des le iiie jour d’octobre jusque a xie jour d’octobre […] . Item j’ay paye pour l’appel de la monicion et pour les escriptures par l’ordonance de monss[eigneur] Franczoys d’Avrillat […] . Item payes a Gaspar clerc de Michiel de Fert pour sa paine d’avoyr copye lez escriptures des affinieurs de leur affinement […] . Item vaque de Chamberieu a Thonon pour les affinieurs dey le xxe jour d’octobre jusque a xxxe jour d’octobre […] . Item vaque de Chamberieu a Morge par comandement de mondit seigneur dey le xiiie de decembre jusque a xxiie decembre […] . Item vaque par comandement de mondit seigneur de Chamberieu a Geneve et a Morge pour le diz affineurs de le vie jour de janver jusque au xiie de janver […] . Item vaque par comandement de mondit seigneur de Chamberieu a Morge a Quaresmentrant le dernier passé pour le fayt desditz affineurs a aller, sigorner et venier le passe de xiiiie jours […] » (ASTo, CTG, Reg. 70, fol. 144r).
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du péage de Pont d’Arve près de Genève47 – et ordonné la semaine suivante à Gossuin de Bomel d’apporter la lettre de nomination et le poinçon avec lequel Jean de Fontana devait marquer chaque marc affiné, tout en précisant que le commissaire était tenu d’être présent dans l’atelier avant la « levée » de la « fonduta48 ». Peu après, le 30 octobre, trois affineurs « genevois », les Milanais Giovanni Panigarola et Marco Frotta ainsi que le Génois Tommaso Alcheri (Archerius), reçurent l’ordre de se présenter le 16 novembre à Morges, de ne pas quitter entre-temps le duché sans autorisation et de trouver dans les cinq jours des garants pour la somme de 100 marcs d’argent fin. Une fois le cautionnement établi, ils avaient le droit de reprendre leur activité, en respectant bien sûr les nouvelles ordonnances. Quant au vidomne de Genève, il devait leur rendre le bois et le charbon qu’il avait saisis49. Quelques jours plus tard, le samedi 4 novembre, ce sont les Milanais Ambrogio Ruffini et Guglielmo da Marliano ainsi que le Génois Tommaso Ceba, qui ont cautionné les trois affineurs50. D’après ce que l’on peut savoir, il semblerait que pour éviter de remettre un quart de l’argent fin, les trois affinaient de l’argent d’un aloi inférieur qu’ils exportaient ensuite en tant que billon. C’est ce que donne à penser une lettre patente du 26 novembre adressée à l’ensemble des officiers ducaux qui interdit d’affiner de l’argent d’une loi inférieure à celle de l’argent le roi sans autorisation explicite51. La procédure contre les affineurs a duré encore quelques mois. Le 22 février 1425, le conseil ducal a néanmoins décidé de les relaxer – autrement dit de leur accorder une lettre de rémission, ce qui sera fait le 5 mars moyennant le versement de 25 marcs de Troyes d’argent – et de leur rendre les cartulaires et les papiers qui avaient été saisis52. Il est intéressant de relever que la décision de les relaxer est justifiée par 47 J.-Fr. Bergier, Genève et l’économie européenne de la Renaissance, Paris, 1963, p. 274-276. 48 « (20.10.1424) Johannes de Fontana registret fideliter quidquid Geben. affinabitur et solvat sibi xx flor. per annum quilibet affinatorum » (ASTo, Prot. duc., vol. 76, fol. 21r) ; « (26.10.1424) Gossuynus portet Johanni de Fontana commissionem suam super affinatoribus, presens sit ante quam levent, tradat eidem signetum ad cudendum affinata, ut unum pro reliquo non ponant » (ibid., fol. 22r). La lettre nommant Jean de Fontana commissaire chargé de surveiller l’activité des affineurs et fixant son salaire est elle aussi datée du 20 octobre 1424 (ASTo, Registre Fontana, non folioté). 49 Ibid., fol. 22r. 50 Ibid., fol. 22v. Aussi bien Ambrogio Ruffini que Guglielmo da Marliano ont été très actifs dans les courants commerciaux qui reliaient la Lombardie au Nord des Alpes. Les comptes du trésorier général les mentionnent assez souvent comme fournisseurs de la cour ducale ou pour avoir prêté de l’argent. En 1420, le trésorier général indique qu’il a « perdu » 170 écus d’or sur une lettre de change de 2 000 écus qu’il avait obtenue auprès d’Ambrogio Ruffini (ASTo, CTG, Reg. 66, fol. 650v). En 1443, Guglielmo da Marliano, toujours actif à Genève, prête 3 500 florins au duc (ASTo, CTG, Reg. 90, fol. 7r). Sur Guglielmo da Marliano, voir en dernier lieu Fr. Morenzoni, Marchands et marchandises, op. cit., p. 137 et n. 62. Voir aussi infra, p. 354. 51 « […] districte precipimus et mandamus […] ne deinceps sub ipsa dicione nostra […] billionum argenti lye seu legis inferioris fondere, affinare aut alias qualitercumque depurare audeant vel presumant sine nostris mandato et licencia expressis sub pena centum marcharum argenti […] » (ASTo, Prot. duc., vol. 77, fol. 542r ; voir aussi Prot. duc., vol. 76, fol. 27r). 52 « Relaxentur affinatores usque ad diem consideracione nundinarum sub pena et dimictant eorum litteras et cartularia » (ASTo, Prot. duc., vol. 76, fol. 35v). La lettre fixant la composition de 25 marcs précise que le procès a été instruit par Gossuin de Bomel et le procureur fiscal Pierre Carrerii (ASTo, Prot. duc., vol. 75, fol. 81r-81v).
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le fait que les prochaines foires de Pâques approchaient. Autrement dit, même si les affineurs avaient repris leur activité depuis le début du mois de novembre, le conseil ducal paraît avoir estimé que, compte tenu des besoins en billon des ateliers monétaires et de l’urgence de faire face à l’augmentation du prix de l’or, il fallait éviter d’entraver d’une quelconque manière l’activité de ceux qui, comme nous allons le voir, disposaient à la fois des capitaux nécessaires pour acheter une grande partie du billon amené clandestinement à Genève et des réseaux commerciaux leur permettant de l’exporter en grande partie une fois affiné. Entre novembre et décembre 1424, le conseil ducal a également précisé les mesures pour mieux surveiller et ponctionner l’affinage de l’argent et l’exportation de billon dans l’ensemble du duché. Les affineurs autorisés à exercer leur activité devaient s’engager à retirer le métal fondu uniquement en présence d’un commissaire – qui restait à désigner53 – chargé de le peser, y apposer le poinçon ducal et enregistrer les quantités obtenues dans ses cahiers et ceux des affineurs54. Ceux-ci étaient tenus de remettre un quart de l’argent qu’ils avaient affiné au commissaire, argent qui était destiné à la fabrication de gros et de demi-gros et devait être payé au prix fixé par les ordonnances. Le commissaire avait l’obligation de distribuer de manière équitable aux ateliers monétaires l’argent ainsi récolté et de prendre note des quantités remises à chacun « ne quod in et pro monetis distributum fuerit, in alios usus valeat implicari »55. Sur les trois quarts qui restaient, pesait encore un gros de seigneuriage par marc de Troyes. Une fois celui-ci versé, les affineurs pouvaient faire ce qu’ils voulaient de l’argent fin qui leur restait56. Concernant l’exportation de billon, quiconque avait le droit d’obtenir une licence. Il devait cependant s’engager à le présenter auparavant à un des commissaires chargé de surveiller cette activité, à verser un florin par charge – ou cinq deniers par quintal – et à s’acquitter des droits de péage habituels. Les commissaires devaient délivrer gratuitement une quittance pouvant être présentée le cas échéant aux officiers ducaux57. En cas de besoin, les maîtres de la monnaie avaient cependant le droit d’exiger qu’on
53 « Item quod videntur utiles et ydonei ad premissa deputandi, videlicet Gebennis Johannes de Fontana, apud Chamberiacum Nandinus Bonacursi seu Jaquemetus Jaqueti et apud Thaurinum Anthonius Cornalia seu Johannes de Moranda » (ASTo, Prot. duc., vol. 76, fol. 27v). 54 « Primo quod non levabunt fondutas nec aliquam partem ipsarum nisi prius vocato et presente ad hec per dominum deputandus, qui deputandus fideliter et absque fraude massam fondutam ponderabit et stampa domini signabit pondusque eiusdem in suis et dicti affinatoris papiris registrabit, sic quod quidquam nequaquam valeat occultari » (ASTo, Prot. duc., vol. 76, fol. 27r). 55 Ibid., fol. 27v. Il sera précisé plus tard que le commissaire disposait de trois jours pour remettre l’argent récolté aux maîtres de la monnaie (ASTo, Prot. duc., vol. 77, fol. 550r). 56 La rémunération du commissaire est fixée à 12 deniers par livre. Il était également tenu de rendre ses comptes au trésorier général (ASTo, Prot. duc., vol. 76, fol. 27v). Sur ce dernier aspect voir infra, p. 351-352. 57 « Primo quod dominus det generaliter cuicumque postulanti licentiam billionum extra patriam domini transducendi, ipso prius presentato alicui predictorum deputandorum ; et soluto in manibus thesaurarii tenebitur computare unum florenum parvi ponderis pro qualibet chargia, ultra pedagia et alia tributa debita et consueta ; et inde dare merchatoribus appodissam de licentia et solucione, sic quod ulterius per alios officarios non impediantur » (ASTo, Prot. duc., vol. 76, fol. 28r).
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leur remette une partie du billon58. En cas de fraude, le billon devait être saisi et les éventuels dénonciateurs récompensés avec un sixième de la quantité séquestrée. Les décisions prises par le conseil ducal furent officialisées par toute une série de lettres patentes datées du 29 décembre 1424, dont le brouillon rédigé par Guillaume Bolomier a parfois été conservé59. Le même jour, plusieurs licences concernant l’affinage et l’exportation de billon furent accordées60 et trois commissaires furent chargés de mettre en œuvre les mesures envisagées : Jean de Moranda pour Turin, Nandino Bonaccorsi pour Chambéry et Jean de Fontana pour Genève61. On ignore tout de l’activité des commissaires de Turin et de Chambéry. Le premier paraît disparaître trois ans plus tard62. À Chambéry, le seul affineur connu est l’orfèvre Alard de Bomel, le frère de Gossuin. Pour Genève, en revanche, nous possédons une copie des papiers dans lesquels Jean de Fontana a enregistré les redevances qu’il a encaissées. Elle fournit des données très précieuses, mais leur mise en œuvre nécessite au préalable un certain nombre de précisions concernant le travail des copistes de ce que nous avons appelé le Registre Fontana.
Le registre de Jean de Fontana Tel qu’il a été conservé, le registre a été élaboré à partir des pièces qui ont été présentées par Jean de Fontana aux vérificateurs des comptes en 143463. Comme cela est indiqué à plusieurs endroits, il s’agit de la première vérification des comptes relatifs à l’affinage de l’argent et aux exportations de billon. Selon toute vraisemblance, les pièces qui ont été présentées par Jean de Fontana étaient dans un assez grand désordre, si bien que les commissaires chargés de la vérification ont décidé de les faire recopier dans un registre censé les présenter sous une forme davantage semblable à celle des comptes qu’ils avaient l’habitude de contrôler. Le registre comporte quatre parties distinctes écrites par des mains différentes. La foliotation ancienne, la seule présente dans le registre, est assez chaotique. Dans
58 La licence qui fut accordée peu après à Giovanni Panigarola précise : « aliquam modicam quantitatem, si opus fuerit » (ASTo, Prot. duc., vol. 77, fol. 551v). 59 Forma littere affinatoribus dandis (ASTo, Prot. duc., vol. 77, fol. 542v) ; Inhibicio contra billionum transducentes (ASTo, Prot. duc., vol. 77, fol. 544r-544v et Registre Fontana, fol. 100v-101v). 60 La licentia affinandi fut accordée à Lanfranco Busca, Giovanni Panigarola, Marco Frotta et Tommaso Alcheri et la licentia transducendi à Giovanni Panigarola à Genève et à Alard de Bomel à Chambéry (ASTo, Prot. duc., vol. 77, fol. 548r-549r et fol. 551v-552r). 61 Commissio facta super affinatoribus Johanni de Fontana civi Gebennarum (ASTo, Prot. duc., vol. 77, fol. 550r-551r, même lettre pour Jean de Miranda et Nandino Bonaccorsi). Les lettres de nomination de Jean de Fontana (pour l’affinage et l’exportation de billon) sont présentes aussi dans ASTo, Registre Fontana, fol. 93r-95v). 62 Voir infra, p. 360. 63 Les comptes ont été vérifiés au mois d’août 1434 : « Respondet ex ordinacione magistrorum computorum domini facta de mense augusti anno Domini millesimo quatercentesimo trigesimo quarto, quo mense fuit examinatus computus huiusmodi […] » (ASTo, Registre Fontana, fol. 98r). D. Promis consacre un bref paragraphe au registre (cf. Monete dei reali, op. cit., p. 124).
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la première partie (fol. 5-36), on trouve les redevances versées du 4 novembre 1424 au 3 août 1431 par les affineurs actifs à Genève64. Dans la deuxième, les redevances versées par les exportateurs de billon jusqu’au 15 juillet 1434. Elles ont été copiées du folio 40 jusqu’au folio 57, auxquels il faut ajouter trois folios non foliotés qui ont certainement été ajoutés après65. Au folio 57r, on trouve en effet une première somme totale des versements qui a été biffée et après laquelle ont été recopiées les redevances versées après septembre 1432. La troisième partie, qui va du fol. 58 au fol. 96, concerne les librata effectués par Jean de Fontana et admis par l’administration ducale. Les débours les plus anciens remontent à 1422, mais l’ordre d’allouer date de 1426. En relation avec le versement de son salaire, on trouve aussi une copie des deux lettres de nomination de Jean de Fontana en tant que commissaire du 29 décembre 1424. La dernière partie est une copie du cartulaire apporté par Jean de Fontana. On y lit d’abord une ordonnance du 5 septembre 1427, puis celle du 29 décembre 1424 que nous avons déjà mentionnée (fol. 97-101) et, enfin, une lettre ducale du 20 octobre 1424 précisant le salaire de Jean de Fontana en tant que receveur des droits sur l’argent affiné à Genève. Celle-ci a été copiée sur un folio non folioté. Elle est suivie par un folio vierge, le dernier du registre, qui d’après la foliotation ancienne serait le folio 145. La complexité des pièces remises aux copistes, due en partie aux changements assez fréquents de la manière de percevoir les redevances, et le fait que leur copie ait été confiées à au moins quatre individus différents qui n’ont pas eu la possibilité d’avoir une vision d’ensemble de la documentation remise par Jean de Fontana, expliquent les nombreuses erreurs qu’il est possible de repérer dans les deux premières parties du registre. Dans ses papiers, Jean de Fontana avait probablement ouvert pour chaque affineur une sorte de « compte personnel » dans lequel il enregistrait au fur et à mesure les versements de chacun. Une première série de versements concernent ainsi la période qui va de novembre 1424 au début du mois de mars 1425 (fol. 6v-10v). En mars, le commissaire a établi le total des versements effectués jusqu’à ce moment par chaque affineur, très probablement à la suite de la composition que les trois affineurs que nous avons déjà évoqués ont dû verser le 5 mars et qu’il a lui-même encaissée. Dès le 22 mars, le receveur a ouvert de nouveaux « comptes personnels » qui vont de mars 1425 à début juillet 1426 (fol. 11r-18v). Le calcul des sommes reçues pendant cette période a probablement été effectué suite à la demande de l’administration ducale de verser une partie du montant des recettes perçues, ce que Jean de Fontana a fait le 11 juillet 142666. La troisième série de « comptes personnels » arrive jusqu’au mois de septembre 1427, le 5 de ce mois une nouvelle ordonnance ducale ayant modifié le système de perception des redevances (fol. 19r-25r). Cela permet de corriger la date des versements effectués par Lanfranco Busca entre le 11 février et le 14 septembre, enregistrés sous l’année 1428 alors qu’ils concernent l’année 142767. Lanfranco Busca
64 Les folios 1-4 n’existent pas. 65 Les folios 37-39 n’existent pas. 66 La somme versée est de 506 florins et 5 deniers de petit poids (ASTo, Registre Fontana, fol. 58r ; ASTo, CTG, Reg. 71, fol. 325v). 67 ASTo, Registre Fontana, fol. 20r-21r.
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est d’ailleurs décédé avant le 2 décembre 1427, date à laquelle l’atelier monétaire de Nyon a été confié à son frère Bertino68. Quelques incertitudes demeurent également à propos de cinq versements effectués par Giacomo Panigarola et enregistrés sous les mois de juin et de juillet 1427. Alors qu’ils sont antérieurs à l’ordonnance du 5 septembre, le mode de calcul de la redevance est déjà celui prévu par cette dernière. En l’absence d’autres éléments justifiant une correction du mois ou de l’année et compte tenu du fait qu’elles concernent moins d’une centaine de marcs, nous avons choisi d’utiliser ces données telles que les livre le registre. La deuxième partie pose des problèmes plus complexes. Elle s’ouvre par le rappel que Jean de Fontana a été chargé de percevoir les redevances frappant le billon exporté par une lettre ducale datée du 19 décembre 1425. Il s’agit en réalité de la lettre patente datée du 29 décembre 1425, qui précise cependant que la nouvelle année a commencé à Noël69. Elle remarque ensuite que le commissaire, d’après cette lettre et d’autres présentes dans le cartulaire, était tenu de rendre ses comptes au trésorier. Cependant, poursuit-elle, puisque l’examen de ce compte est difficile et ne relève pas des tâches du trésorier, les membres de la chambre des comptes ont décidé de le recevoir selon le style ordinaire, c’est-à-dire en indiquant d’abord les recettes et ensuite les débours70. Le texte continue en précisant que le compte a été établi « a die vicesima inclusive mensis marci anno Domini millesimo quatercentesimo vigesimo », lequel jour Jean de Fontana a été nommé commissaire. À côté de cette phrase, une autre main a noté dans la marge que Jean de Fontana devait apporter la lettre l’instituant commissaire, signe que les vérificateurs ne l’avaient pas sous les yeux. En fait, après le mot « vigesimo », le scribe a laissé un espace blanc, sans doute parce qu’il n’avait pas bien compris de quand dataient les premiers comptes remis par Jean de Fontana. Au début de l’enregistrement du premier versement, dont il indique la date, le scribe paraît également avoir hésité et laissé à nouveau un espace blanc après le mot « vigesimo ». Ce qui est certain, c’est qu’aucun document n’indique que Jean de Fontana a été chargé de surveiller les exportations de billon déjà à partir de mars 1420. Comme on l’a vu, à cette époque c’étaient plutôt le royaume de France et le duché de Bourgogne qui attiraient le billon. D’autre part, les licences d’exportation accordées entre novembre 1423 et juillet 1424 ne mentionnent nulle part le rôle éventuel de Jean de Fontana ou des deux autres commissaires, celle accordée à
68 D. Promis, Monete dei reali, op. cit., p. 122 ; ASTo, Prot. duc., vol. 77, fol. 473r-476r. Lanfranco était peut-être encore vivant en septembre, puisque le 14 de ce mois il a versé la redevance due pour avoir affiné 33 marcs et demi d’argent (ASTo, Registre Fontana, fol. 21r). 69 Comme l’indique d’ailleurs la copie de la lettre qui se trouve à la fin du registre. 70 « […] sed quia computus huiusmodi est difficilis nec ipsius examen spectat ad thesaurarium neque dependentia ex eodem que domino atque dicto commissario nisi ordinacio in eodem iuxta stilum in talibus consuetum servaretur incomodum potius quam comodum afferret, fuit ordinatum per superius et inferius nominatos in predicta camera computorum in stilo ordinario recipi, describi atque poni, videlicet de omnibus et singulis receptis et libratis per dictum Johannem commissarium factis occasione ordinacionum predictarum, videlicet solutionis dictorum quinque denariorum grossorum pro quolibet quintali billioni ab eadem dictione extracti et deportati per tempus de quo computat » (ASTo, Registre Fontana, fol. 40v).
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Giorgio Folli précisant que le billon destiné à l’exportation devait être présenté aux maîtres ordinaires de la monnaie71. Dans la lettre de rémission accordée à Giovanni Panigarola, Marco Frotta et Tommaso Alcheri, il est en revanche précisé que l’argent affiné aurait dû être présenté à Michel de Fer (de Ferro), le futur trésorier général72. La date du 20 mars s’explique peut-être par le fait que Jean de Fontana assumait aussi la charge de receveur du péage de Pont d’Arve depuis le début des années vingt. Or les comptes du péage ont été examinés en même temps que ceux relatifs au billon. La série des versements censés être relatifs à l’année 1420, est suivie sans solution de continuité par celle relative aux versements effectués en 1425 et en 1426 (jusqu’au 8 juillet). Vient ensuite le rappel de l’ordonnance du 5 septembre 1427 suivi par le premier enregistrement qui date du 8 novembre de cette même année (fol. 51r). D’après la copie du registre, il n’y aurait donc pas eu d’exportations entre juillet 1426 et novembre 1427. Faut-il dès lors supposer que les données présentes sous l’année 1420 sont en réalité de 1424 ? Outre le fait que rien n’indique que Jean de Fontana a reçu sa charge avant décembre 1424, les dates de certains versements ne permettent pas de considérer cette année comme pertinente. Comme on le verra, le calendrier des exportations de billon était assez dépendant de celui des foires. Or, en 1424, Pâques tombe le 23 avril, ce qui est peu compatible avec les vingt versements qui ont été enregistrés le 25 et 26 avril. Si l’on considère les foires qui se tenaient à une date fixe, on constate en effet que c’est souvent dix, quinze voire vingt jours après la célébration de la fête à laquelle la foire empruntait son nom que les versements devenaient plus nombreux. Si la première série ne se rapporte ni à l’année 1420 ni à l’année 1424, que faut-il donc supposer ? La réponse la plus vraisemblable est que la première série d’enregistrements concerne en réalité l’année 1425 – ce qui est conforme à ce que l’on sait de la nomination de Jean de Fontana qui date, pour ce qui est de la surveillance des exportations, du 29 décembre 1424 – et que les deux séries suivantes sont en réalité relatives aux années 1426 et 1427, ce qui permet de constater qu’il n’y a vraisemblablement pas de « trou » entre juillet 1426 et novembre 1427. Ce n’est en fait qu’à partir de l’ordonnance de 1427, que le copiste, perturbé jusqu’ici par des dates qu’il avait mal lues ou pas lues du tout et qu’il a sans doute essayé d’arranger tant bien que mal, a pu retrouver la bonne chronologie73. On notera aussi que, si l’on admet ces corrections, les dates des versements effectués après les foires de Pâques deviennent davantage plausibles.
71 « […] et de huiusmodi presentacione licteras ab uno ex magistris ordinariis monetarum domini recipere » (ASTo, CTG, Reg. 69, fol. 159r). Cette tâche sera confiée par la suite aux trois commissaires chargés de surveiller les exportations (voir infra, p. 360). 72 « […] nec eciam argentum per eos affinatum dilecto familiari nostro Michaeli de Ferro commissario per nos ad hoc pridem deputatum secundum ipsarum formam litterarum exhibuisse et revelasse » (ASTo, Prot. duc., vol. 75, fol. 81r). 73 Le copiste de cette partie paraît avoir eu quelques problèmes à lire correctement les dates. Au folio 52v, il mentionne une ordonnance du 28 mai 1428 comme étant du 5 septembre, peut-être parce qu’il l’a confondue avec l’ordonnance du 5 septembre 1427.
le duc a m é d é e v i i i d e s avo i e e t s a m o n n ai e ( ve rs 1420 – ve rs 143 4)
Les exportations de billon depuis Genève Taxées au quintal pendant les trois premières années74, les quantités de billon amenées en dehors du duché depuis Genève ont été particulièrement importantes en 1425, année pendant laquelle 533,8 quintaux ont été exportés, ce qui correspond à presque une trentaine de tonnes (cf. Graphique 1). Elles connaissent une contraction assez marquée au cours des deux années suivantes, puisque le volume annuel des exportations de billon dépasse à peine la dizaine de tonnes en 1426 et 1427 (respectivement 182,5 et 189,2 quintaux). Le billon affluait vers Genève principalement lors de la foire dite de Pâques. En 1425, 30% des exportations annuelles de billon ont été enregistrées par Jean de Fontana entre le 25 et le 28 avril, soit deux semaines après la date de Pâques (8 avril). L’année suivante, Pâques ayant été fêtée le 31 mars, c’est plus d’un tiers du billon enregistré pour l’ensemble de l’année qui a été présenté entre le 16 et le 19 avril, alors qu’en 1427, lorsque Pâques est tombée le 20 avril, les exportations du seul mois de mai ont représenté presque 48% du total annuel. Du billon était convoyé vers Genève, en quantité inférieure, également lors foires des saints Pierre et Paul (29 juin) et de l’Épiphanie. Grâce à une ordonnance promulguée le 5 septembre 1427 dont nous traiterons plus loin, il est possible de connaître la quantité d’argent fin exprimée en marcs de Troyes qui a été exportée (cf. Graphique 2). Si les années 1428 et 1429 se caractérisent par des exportations très soutenues, avec respectivement 2 050 et 3 335 marcs, celles-ci ont connu en 1430 une chute brutale (76 marcs) pour ensuite se situer à des niveaux relativement élevés mais nettement inférieurs à ceux des deux premières années que le registre permet de connaître : 1 659 marcs en 1431, 1 311 en 1432, 1 990 en 1433 et 1 190 entre janvier et juillet 1434. Pour avoir une idée de ce que représentent ces chiffres, on peut rappeler que la quantité d’argent fin qui a quitté le duché en 1429 depuis Genève, correspond à la quantité d’argent fin nécessaire pour frapper environ 360 000 gros de Savoie ou plus de 765 000 demi-gros75. Les données réunies par Jean de Fontana permettent aussi de mesurer la teneur en argent fin du billon destiné à l’exportation. Pour les années 1427-1434, on constate que si 18% du billon exporté contenait moins de 10% d’argent fin, le reste (82%) avait une teneur relativement élevée, qui pouvait parfois dépasser 30% (cf. Graphique 3). Le contraste avec la teneur en argent fin du billon saisi en 1424 dans le Dauphiné par les officiers royaux est assez marqué76, puisque plus de 80% de celui destiné à la contrebande avait une teneur inférieure à 5% et aucune pièce ne dépassait 20% (cf. Graphique 4). À moins de supposer qu’une partie du billon était partiellement affiné avant d’être exporté – peut-être pour en faciliter le transport ou éviter de verser 74 Le quintal correspond à 100 livres de 18 onces, soit un peu plus de 55 kg. 75 Le calcul a été effectué d’après les indications présentes dans la lettre patente du 19 juillet 1424 par laquelle Guy Beczonis, alias Vulliodi, est nommé maître de l’atelier de Chambéry (ASTo, Prot. duc., vol. 77, fol. 478v). 76 R.-H. Bautier, « Marchands, voituriers et contrebandiers du Rouergue et de l’Auvergne. Trafics clandestins d’argent par le Dauphiné vers les foires de Genève (1424) », Bulletin philologique et historique (jusqu’à 1610) du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, 1963, p. 669-688.
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3 54
F r a n co M o r e n zo n i
180 160 140 120 100 80 60 40 20
1425
1426
nov. oct. sept. août juil. juin mai avr. mars févr. janv.
nov. oct. sept. août juil. juin mai avril mars févr. janv. déc. nov. oct. sept. août juil. juin mai avril mars févr. janv.
0
1427
Graphique 1. Billon exporté depuis Genève (en quintaux)
les redevances qui frappaient l’argent fin affiné – cela donne à penser que le billon convoyé vers Genève à cette époque était composé de pièces de monnaies dont l’aloi n’était pas particulièrement bas. Entre 1425 et 1434, l’exportation de billon vers le Sud des Alpes a été une affaire largement contrôlée par les marchands italiens, principalement par des Milanais et, dans une moindre mesure, par des Génois. Parmi les premiers, on remarque les membres de plusieurs des grandes familles milanaises présentes à Genève ou qui fréquentaient régulièrement les foires : les da Casate (Ambrogio), les Taverna (Stefano et Lorenzo), les Vismara (Donato), les da Cusano (Biagio), les da Marliano (Guglielmo) ou encore les Grassi (Ambrogio), les Ronsaldi (Tommaso) ou les Ruffini (Ambrogio)77. Deux familles ont joué un rôle particulièrement important : celle des Panigarola (Giovanni et Giacomo), qui a effectué presque une trentaine de versements, et celle des da Omate (Ambrogio), qui a acquitté des droits d’exportation une bonne quarantaine de fois. Les Génois sont représentés principalement par les Spinola (Andrea, Giacomo et Galianche), les Ceba (Babilano, probablement le frère de Tommaso78) et les Centurioni (Gostino). Au moins deux marchands piémontais ont eux aussi exporté du billon. Il s’agit de Dragonetto Tassone de Racconigi et de Lorenzo Tana de Chieri, membres de deux familles qui étaient peut-être en relation d’affaires et qui
77 Les prénoms et surtout les noms de famille ont été presque toujours considérablement déformés par Jean de Fontana ou le copiste, à tel point que dans quelque cas, fort heureusement assez peu nombreux, il est impossible d’identifier les opérateurs qu’ils désignent. 78 G. A. Ascheri, Notizie storiche intorno alla riunione delle famiglie in alberghi in Genova, Gênes, 1846, p. 73. Les Ceba seront associés quelques années plus tard à l’albergo des Grimaldi.
le duc a m é d é e v i i i d e s avo i e e t s a m o n n ai e ( ve rs 1420 – ve rs 143 4)
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1400 1200 1000 800 600 400 200 0 sept. juil. avr. mars janv.
nov. sept. juil. avr. févr. janv.
mai janv.
nov. sept. juil. avr.
sept. mai janv.
nov. juil. mai févr.
juil. avr. janv.
1428
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1434
Graphique 2. Argent fin exporté depuis Genève (en marcs de Troyes)
étaient actives également à Gênes79. Le seul Vénitien qu’il est possible d’identifier est Cristoforo Bonifaci, cité une seule fois en 1431, qui résidait à Genève où il avait accédé à la bourgeoisie l’année précédente80. Quelques-uns des personnages que nous avons déjà mentionnés figurent également parmi les exportateurs de billon : c’est le cas de Giorgio Folli et de Giovanni Massoni, cités seulement en 1425, et de Barthélemy de Moneta, qui a effectué deux versements en 1427. On peut enfin remarquer la présence de deux « Allemands » : Simon Ebinguer, marchand de Berne, et Henri Albisen, marchand de Bâle, qui étaient tous les deux en relation avec la cour ducale, le premier pour avoir vendu 250 marcs d’argent au trésorier général en 1420 et prêté au duc, en association avec le second et un membre de la famille des Bonvisin de Fribourg, presque 95 marcs d’or en 142281.
79 En 1423, Dragonetto Tassone est procureur de Ludovico Tana (R. Comba, Contadini, signori e mercanti nel Piemonte medievale, Bari, 1988, p. 145). Il s’agit probablement du même Ludovico Tana cité en 1419 (voir supra, n. 13). En 1453, Lorenzo Tana cautionne par une lettre de change un prêt du secrétaire du duc de Savoie auprès de la filiale genevoise de la Compagnie Della Casa et Guadagni (M. Cassandro, Il Libro giallo di Ginevra della Compagnia fiorentina di Antonio della Casa e Simone Guadagni, 1453-1454, Florence, 1976, p. 310-311). 80 Le 31 janvier 1430 (RCG, t. 1, p. 131). À l’exception de Jean de Fontana lui-même, qui déclare avoir exporté 187 marcs d’argent fin en 1426, aucun marchand genevois ne paraît avoir joué un rôle quelconque dans ce type de commerce. 81 ASTo, CTG, Reg. 66, fol. 650v ; CTG, Reg. 68, fol. 196r et 290v-293v. Il s’agit de Heinzli, directeur de la compagnie Praroman-Bonvisin.
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F r a n co M o r e n zo n i > 30
15 - 20
20 > 30 > 40 > 50 > 60 > 70 > 80 > 90 > 100 > 110 > 120
1
2
3
4
15,38 27,69 20,51 8,21 3,39 7,14 2,05 2,56 1,03 2,56 1,54 0,51 7,18
– 10 25 – – 10 10 5 5 – 5 5 25
12,34 18,52 12,34 6,17 2,47 12,34 6,17 9,88 1,23 2,5 1,23 2,47 12,35
13,51 23,78 16,76 8,11 6,49 7,57 1,62 2,7 2,16 – 3,78 3,24 10,27
5
6
7
7,69 15,44 29,26 38,46 21,32 36,58 20,51 22,79 14,63 12,82 5,15 2,44 2,56 8,82 – 7,69 6,62 4,88 – 2,94 – – 4,41 – – 1,47 – 2,56 0,73 2,44 – 1,47 2,44 2,56 – – 5,13 8,82 7,32
1 = Bagnes ; 2 = Bourg-Saint-Pierre ; 3 = Liddes ; 4 = Orsières ; 5 = Saxon ; 6 = Sembrancher ; 7 = Vollèges ; 8 = Non indiqué ; 9 = Total
8
9
39,29 28,57 7,14 3,57 – 7,14 – – 3,57 – – 3,57 7,14
15,45 25,10 18,34 6,9 4,69 7,72 2,48 3,45 1,52 1,38 2,08 1,65 9,24
l e s p r ê t e u r s d’arge nt e t le u rs cli e nt s
Si, une fois de plus, il est difficile d’expliquer les variations que l’on retrouve d’un village à l’autre, on peut néanmoins souligner que les trois paroisses qui fournissent le gros des débiteurs, Bagnes, Orsières et Sembrancher, présentent des caractéristiques somme toute semblables. Le tableau permet en effet de mettre en évidence trois grands groupes de reconnaissances : celles, de loin les plus nombreuses, qui sont d’un montant inférieur à 30 sous ; celles, nettement moins fréquentes, qui portent sur une somme inférieure à 3 livres et celles qui se situent au-delà de ce dernier montant. Les 427 reconnaissances qui forment le premier groupe représentent ainsi à elles seules presque le 59% du total, alors que les deux autres groupes se partagent assez équitablement ce qui reste (19,3% et 21,8%). Comme l’observe Noël Coulet à propos d’Aix-en-Provence au xve siècle, « [l]e crédit en numéraire repose, pour l’essentiel, sur l’avance de petites sommes d’argent48 ». Dans cette perspective, il apparaît aussi que la vraie différence semble se situer entre ceux qui peuvent emprunter en une seule fois une somme supérieure à une livre et demie, et ceux qui ne sont pas en mesure de le faire. Au-delà, il y a bien entendu tous ceux qui n’ont même pas accès aux services des Lombards. Quant à savoir si cette différence est également un reflet fidèle des clivages socio-économiques propres aux paroisses considérées, c’est une question qu’il faut laisser sans réponse. Bien que le recours aux Lombards soit en général une affaire individuelle, il arrive parfois que certaines personnes aient été amenées à contracter une dette collectivement. Le 10,34% des reconnaissances mentionne en effet deux ou plusieurs individus qui agissent solidairement. Bien souvent, la dette concerne deux personnes (61 cas) ; plus rarement trois (12 cas)49. L’emprunt collectif suppose l’existence entre les codébiteurs de relations de confiance mutuelle, car chacun s’engage à rembourser l’intégralité de la somme en jeu en cas de défaillance du partenaire. Quelle est donc la nature des rapports qui unissent les différents codébiteurs ? L’inventaire ne permet de répondre à cette question que dans trente-neuf cas : il s’agit de liens de parenté50. Les dettes collectives concernent en effet principalement des frères et des sœurs (18 cas), des époux (11 cas) ou des gendres et des beaux-pères (6 cas). Moins fréquentes sont en revanche celles qui mettent en présence les parents et les enfants (3 cas), ou l’oncle et le neveu (1 seul cas). Quoique de manière très partielle, les emprunts collectifs permettent ainsi d’observer le rôle majeur tenu par la famille dans le réseau des solidarités qui unissent les membres des différentes communautés villageoises. On peut aussi souligner que l’inventaire ne mentionne de manière explicite qu’une seule dette contractée par deux personnes appartenant à deux paroisses différentes.
48 N. Coulet, Aix-en-Provence. Espace et relations d’une capitale (milieu xive s.-milieu xve s.), Aix-enProvence, 1988, t. 1, p. 521. 49 Dans deux cas l’inventaire ne précise pas le nombre exact de débiteurs. 50 Il s’agit des 39 reconnaissances où le lien de parenté est explicitement indiqué par les notaires. Parmi les 34 autres reconnaissances, certaines citent des personnages qui portent le même patronyme. Cependant, puisqu’il n’est pas possible d’établir s’ils appartiennent ou non au même groupe familial, nous ne les avons pas prises en considération.
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F r a n co M o r e n zo n i
Bons et mauvais débiteurs La date à laquelle la reconnaissance de dette a été établie, n’est jamais mentionnée par l’inventaire. Il est donc impossible de connaître la durée précise des emprunts. Les notaires semblent en revanche avoir systématiquement indiqué les dettes dont le remboursement était prévu en plusieurs versements. On peut ainsi constater que 16 dettes ont été contractées pour une période supérieure à deux ans, 12 à trois ans, 10 à quatre ans et que 3 et 5 emprunts ont une durée supérieure à cinq et six ans. En dépit de l’absence de données précises, on peut néanmoins supposer que la plupart des emprunts avaient une durée inférieure à un an. Il est en effet assez rare que les notaires précisent l’année de la fête à laquelle le remboursement est prévu, ce qui laisse penser qu’il s’agit en général de la fête la plus proche51. Reste qu’une partie assez considérable des clients des Lombards paraît peu soucieuse des délais prévus pour le remboursement des emprunts. Beaucoup de reconnaissances concernent en effet des dettes qui auraient déjà dû être éteintes. À Bourg-Saint-Pierre, le 60% des avances en numéraire n’ont pas été remboursées aux termes prévus. À Sembrancher, le pourcentage est à peine inférieur : 56,32%. La situation est un peu meilleure à Bagnes et à Orsières, puisque seulement le 28,72% et le 23,2% des versements n’ont pas été effectués à la date prévue52. Au total, le non-respect des délais de remboursement concerne presque une dette sur trois53. Quelle est l’ampleur du retard accumulé par les débiteurs ? 175 reconnaissances permettent de répondre à cette question (tableau 7). Tableau 7. Retard des remboursements
1 à 3 mois 4 à 6 mois 7 à 9 mois 10 à 12 mois 13 mois et plus54
57 32 38 22 26
32,57% 18,29% 21,71% 12,57% 14,86%
Notons tout d’abord que dans 38 cas les délais de remboursement n’ont été dépassés que d’un seul mois. Le retard est ici vraisemblablement indépendant de la volonté des débiteurs, lesquels n’ont tout simplement pas pu remplir leurs devoirs à cause de l’arrêt des activités de la casane. D’autre part, le retard de plus de la moitié des reconnaissances considérées est inférieur à six mois, ce qui paraît indiquer qu’au bout du compte une grande partie des dettes étaient remboursée. Les cas d’insolvabilité patente semblent en effet assez rares, puisque l’inventaire ne cite que 51 Ainsi, par exemple, les notaires précisent que Willermodus de Bagnes devra rembourser son emprunt « in festo Omnium Sanctorum in unum annum » (fol. 27). 52 Vollèges: 35%; Saxon: 27,03%; Liddes: 28,75%; non indiqué: 32,14%. 53 Il s’agit de 213 reconnaissances sur un total de 661. Seules les reconnaissances qui indiquent de manière indiscutable si les termes ont été ou non dépassés ont été prises en considération. 54 Ce groupe comprend aussi les 23 reconnaissances dont les termes, selon l’inventaire, sont échus « iam diu ».
l e s p r ê t e u r s d’arge nt e t le u rs cli e nt s
deux seuls débiteurs qui ont vu leurs biens saisis par les casaniers : Johannes Berteis de Bovernier et Hudrionus Jaquini d’Orsières55. Mais il est vrai que le fait de différer de plusieurs mois le remboursement pouvait entraîner une augmentation considérable de la somme due, puisqu’il est fort probable que les casaniers de Sembrancher appliquaient eux aussi une pena de 2 deniers par livre et par semaine de retard56. Les minutes des notaires valaisans permettent par ailleurs de constater que parfois le recouvrement des créances prenait plusieurs années. Ainsi, par exemple, on voit en 1370 le donzel Aymo Alamant de Conthey – qui était entré en possession des créances appartenant autrefois à François de Antignano – essayer de récupérer des dettes dont certaines remontent à 1336 ou 133757. Quoi qu’il en soit, les informations fournies par l’inventaire ne permettent nullement de mettre en évidence cet « engrenage infernal de l’endettement » si souvent évoqué à propos du crédit au Moyen Âge. Au contraire, comparés à ceux de Carpentras ou d’Aix-en-Provence, les débiteurs valaisans d’avant la Peste Noire paraissent somme toute assez disciplinés. Ceci, nous semble-t-il, est confirmé aussi par le tableau 8. Tableau 8. Stratigraphie comparée des prêts, en % de chaque groupe
Somme (en sous)
Prêts non remboursés à l’échéance prévue
Ensemble des prêts Différence
≤ 10 > 10 > 20 > 30 > 40 > 50 > 60 > 70 > 80 > 90 > 100 > 110 > 120
15,49 25,35 15,02 7,04 5,63 9,86 3,76 2,35 0,47 0,47 1,41 2,82 10,33
15,45 25,10 18,34 6,90 4,69 7,72 2,48 3,45 1,52 1,38 2,08 1,65 9,24
+ 0,04 + 0,25 - 3,32 + 0,14 + 0,94 + 2,14 + 1,28 - 1,10 - 1,05 - 0,91 - 0,67 + 1,17 + 1,09
Les mauvais payeurs se recrutent aussi bien parmi ceux qui peuvent contracter des dettes importantes et ceux qui doivent se contenter de sommes moins considérables. Aucun groupe de reconnaissances ne paraît en effet se détacher du lot de manière significative. Certes, les dettes qui se situent entre 30 et 70 sous et celles d’un montant 55 Dans le registre des plaintes de la métralie de Bagnes pour les années 1328 et 1329, on trouve un seul cas où le tenancier de la casane de Sembrancher intervient directement contre un garant qui refuse de tenir ses engagements. Les biens de ce dernier seront d’ailleurs saisis. En revanche, on trouve 36 plaintes déposées par des garants qui ont dû rembourser à la casane de Sembrancher les dettes des débiteurs principaux (AASM, Liber clamarum ministralie de Bagnes). 56 Sur ce problème, voir les remarques de P. Dubuis, « Lombards et paysans », art. cit., p. 285-286. 57 ACS, Min. B 29, passim.
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supérieur à 110 sous, semblent être remboursées moins ponctuellement que les autres. Il est d’autre part évident que pour les Lombards le non recouvrement aux termes prévus d’une grosse ou d’une petite créance n’était pas la même chose. Mais les faibles variations qui ressortent du tableau ne permettent nullement de supposer que les débiteurs obligés d’emprunter de l’argent pour rembourser des dettes contractées auparavant étaient particulièrement nombreux. Si tel avait été le cas, il est en effet probable qu’on aurait pu observer une progression des pourcentages des dettes non éteintes aux termes établis allant de pair, du moins en partie, avec l’importance du montant de la dette. Reste que le tiers à peu près du capital investi par les prêteurs d’argent dans leurs activités est récupéré avec un retard plus ou moins grand. Si l’ampleur du phénomène laisse supposer que l’impossibilité de faire face à ses obligations dans les délais était, socialement, somme toute assez bien acceptée, il n’en demeure pas moins que les casaniers devaient tenir compte, dans leurs calculs, de cette situation, et que les taux d’intérêt étaient sans aucun doute établis en fonction aussi des risques auxquels ils s’exposaient vis-à-vis d’une fraction non négligeable de débiteurs.
Le calendrier des échéances Puisque la date à laquelle l’emprunt a été contracté n’est jamais mentionnée, l’inventaire ne permet de formuler aucune observation concernant le mouvement mensuel des crédits accordés. En revanche, il donne presque toujours la date à laquelle le remboursement a été prévu. Il est dès lors possible, à partir de 541 reconnaissances qui représentent une somme totale de 1 221 livres 17 sous et 7 deniers58, d’étudier le calendrier des échéances aussi bien du point de vue des débiteurs que de celui des créanciers (graphique 1). Plus d’un remboursement sur deux doit être effectué, du moins en principe, dans la dernière partie de l’année. C’est en effet en novembre (24,77%), septembre (14,05%) et décembre (12,94%) que la majorité des créances viennent à échéance. Deux autres mois, cependant, jouent aussi un rôle non négligeable : février et juin. Au total, quatre échéances sur cinq tombent pendant l’un ou l’autre de ces cinq mois. Quelques grandes fêtes religieuses rythment le calendrier : en novembre la Toussaint et la Saint-Martin d’hiver ; en septembre, la Saint-Michel ; en décembre Noël ; en février et juin respectivement la Purification de la Vierge et la Saint-Jean-Baptiste. Quoique moins utilisées, les fêtes mobiles ne sont pas totalement absentes : à Orsières Coletus Pelo s’était engagé à rembourser son emprunt au début de carême 1347 ; Frachetus de Vens de Sembrancher était censé éteindre sa dette à la Pentecôte de 1348 ; d’autres avaient choisi Pâques ou les Rogations. Tout comme ailleurs, pour les habitants de l’Entremont et des régions voisines l’année est scandée par les grandes fêtes
58 Nous n’avons pas pris en considération 55 reconnaissances qui concernent des emprunts remboursables en plusieurs tranches dont l’échéance tombe à des mois différents.
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Graphique 1. Répartition par mois des échéances
religieuses, et rares sont ceux qui ont choisi – ou à qui on a imposé – une échéance qui ne tombe pas sur une de celles-ci59. À côté des mois “pleins”, certains mois sont en revanche particulièrement “creux”. Ainsi, en moyenne, seul un emprunt sur cinquante doit être remboursé en janvier ou en juillet. Aucun prêt ne vient à expiration au cours du mois d’octobre. Il est vrai que ce dernier mois ne comporte aucune fête religieuse particulièrement importante, à tel point que des sept créances du corpus étudié par Pierre Dubuis qui arrivent à échéance en octobre, six concernent des dettes qui doivent être éteintes « in unum annum », la seule fête mentionnée pour octobre étant celle de la Dédicace de l’église de Sion, qui tombe le treize. Cette fête, cependant, n’est que très rarement utilisée pour marquer l’échéance d’une dette60. Mais pour expliquer le creux d’octobre que, soit dit en passant, Noël Coulet a retrouvé également en Provence61, on peut peut-être avancer une autre hypothèse. Octobre étant très proche des deux fêtes auxquelles on payait généralement les rentes et les redevances et, comme on l’a vu, on remboursait souvent les dettes, il est possible que la durée des emprunts était “prolongée” jusqu’à une de ces deux dates aussi bien pour des raisons liées à la tradition que pour d’autres d’ordre nettement plus pratique. Ainsi qu’ils le faisaient pour déterminer le montant
59 Lorsque c’est le cas, il s’agit assez souvent du 1er mai ou du 1er mars. 60 Du demi-millier de prêts en argent consentis par les Lombards que nous avons rencontrés au cours du dépouillement du fond de l’Archive du Chapitre cathédral de Sion, seulement trois autres, en plus de celui signalé par P. Dubuis, doivent être remboursés le 13 octobre (ACS, Min. B 9, p. 12; Min. B 13, p. 23; Thèque 68, no 17). 61 N. Coulet, Aix-en-Provence, op. cit., t. 1, p. 516.
Décembre
Novembre
Octobre
Septembre
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140 130 120 110 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0
Janvier
l e s p r ê t e u r s d’arge nt e t le u rs cli e nt s
≤ 30 sous
> 30-60 sous
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Octobre
Septembre
Août
Juillet
Juin
Mai
Avril
Mars
Février
28 26 24 22 20 18 16 % 14 12 10 8 6 4 2 0
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Janvier
390
> 60 sous
Graphique 2. Montant des sommes devant être remboursées chaque mois, en pourcentage du total annuel
des pénalités de retard62, il est en effet probable que pour calculer les intérêts débiteurs les Lombards se servaient d’une tabelle leur permettant d’établir rapidement, pour un certain nombre de dates fixes réparties dans l’année, la somme totale que le client devait rembourser. Il n’est donc pas exclu que les débiteurs, tout en pouvant choisir la période de l’année pendant laquelle ils voulaient éteindre leur dette, se voyaient imposer le jour précis auquel ils devaient le faire. Pour les créanciers, cependant, plus que le nombre de reconnaissances honorées chaque mois, ce qui comptait était la somme totale qui rentrait dans leurs caisses. Il n’est donc pas sans intérêt d’observer comment se répartissent, sur l’ensemble de l’année, les montants qui théoriquement devaient être remboursés mois après mois (graphique 2). Les données concernant les sommes remboursées chaque mois confirment, dans l’ensemble, la tendance générale qu’on a pu observer à propos du nombre des reconnaissances. Certains traits, cependant, deviennent plus marqués. Ainsi, par exemple, le rôle des deux derniers mois de l’année s’accroît, car plus du 40% de la somme totale est censé être remboursé pendant cette période. Même remarque pour les mois de février et de septembre, qui voient leur importance relative s’accentuer, alors que juillet connaît un mouvement inverse. Il est vraisemblable que les Lombards aient tenté, dans la mesure du possible, d’exercer un certain contrôle sur la masse d’argent dont ils disposaient chaque mois, et que par conséquent ils aient essayé de concilier les exigences de leurs clients avec celles d’une gestion plus ou moins saine du capital investi dans la casane. À moins d’admettre que les casaniers étaient prêts à 62 Sur ce point, voir P. Dubuis, « Lombards et paysans », art. cit., p. 286.
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immobiliser pendant plusieurs mois des sommes importantes, et donc, globalement, à réduire considérablement le taux de rendement de l’argent investi, il paraît raisonnable de supposer qu’ils aient essayé de réinvestir aussi vite que possible l’argent qu’ils venaient d’encaisser. Dans cette perspective, on serait tenté de croire que les mois pendant lesquels les remboursements sont les plus fréquents sont les mêmes que ceux pendant lesquels les concessions d’emprunts sont les plus nombreuses. Si l’on regarde les résultats obtenus par Pierre Dubuis pour la région d’Ardon, Chamoson et Leytron, on constate cependant qu’en présence d’une courbe des remboursements à bien des égards analogue à celle de Sembrancher, le mouvement des concessions de prêts est particulièrement intense pendant les mois qui vont d’octobre à avril, février étant le mois pendant lequel le nombre d’emprunts contractés est le plus élevé63. En réalité, il est probable que le calendrier des remboursements soit aussi, du moins en partie, un compromis entre les souhaits des clients de la casane et les nécessités des propriétaires de celle-ci. Ces derniers, en effet, étaient confrontés, vers la fin de l’année, à des dépenses telles que le versement du cens annuel au comte, qui les obligeaient à disposer d’argent liquide. Compte tenu des retards prévisibles dans les remboursements, il est possible qu’ils aient préféré prendre le risque d’immobiliser pendant quelques semaines une partie de leur capital, plutôt que de courir le danger de ne pas être en mesure de remplir leurs obligations. Si l’on regarde le cas étudié par Pierre Dubuis, il est d’ailleurs significatif que les concessions de prêt ont tendance à devenir plus fréquentes surtout à partir du mois de janvier. En dépit des apparences, pour obtenir une gestion judicieuse de leur capital, les casaniers n’avaient cependant pas besoin de se livrer à des calculs particulièrement compliqués. En effet, du moins théoriquement, il leur aurait suffi de surveiller les 33 reconnaissances de dette d’un montant supérieur à 6 livres pour être à même d’intervenir sur le mouvement annuel de presqu’un tiers du capital investi en créances. Bien que le mouvement des reconnaissances et celui des capitaux connaissent au cours de l’année une évolution semblable, leur identité n’est toutefois pas totale. Il existe des mois au cours desquels, en pourcentage annuel, les reconnaissances remboursées sont plus nombreuses que les capitaux. D’autres où l’on observe le phénomène inverse. En fait, le calendrier des échéances n’est pas tout à fait le même selon que l’on considère les petites, les moyennes ou les grosses dettes (graphique 3). La comparaison entre les 332 reconnaissances qui portent sur une somme inférieure à 30 sous, les 108 qui se situent entre 30 et 60 sous et les 101 dont le montant est supérieur à 3 livres, permet de mettre en évidence la corrélation qui existe entre le calendrier du remboursement et le montant de la dette. D’une manière générale, tous les groupes ont tendance à choisir la dernière partie de l’année pour honorer leurs dettes, novembre étant pour tout le monde le mois au cours duquel le plus grand nombre de créances viennent à échéance. La tendance à privilégier la dernière partie de l’année est cependant moins marquée pour le groupe des emprunts inférieurs à 30 sous. Celui-ci, en effet, rembourse entre septembre et décembre le 48,9% du montant annuel de ce groupe, alors que pour les emprunts supérieurs à 3 livres le pourcentage 63 P. Dubuis, « Lombards et paysans », art. cit., fig. 5, p. 291.
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≤ 30 sous
> 30-60 sous
Décembre
Novembre
Octobre
Septembre
Août
Juillet
Juin
Mai
Avril
Mars
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32 30 28 26 24 22 20 18 % 16 14 12 10 8 6 4 2 0
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Janvier
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> 60 sous
Graphique 3. Mouvement mensuel des capitaux remboursés, en pourcentage annuel de chaque groupe
est de 56,3%. En revanche, entre février et juin le premier groupe rembourse le 43,7%, l’autre se contentant du 29,7%. Quant aux emprunts qui se situent entre 30 et 60 sous, le mouvement des remboursements est proche de celui du premier groupe pour la période qui va de février à juin (40,7%), et de celui du troisième groupe pour les mois de septembre à décembre (53,7%). En règle générale, on peut donc affirmer que plus le montant de la dette est élevé, plus l’échéance de celle-ci aura tendance à tomber dans les derniers mois de l’année. L’absence d’informations précises concernant les motifs qui ont amené les paroissiens de l’Entremont à recourir aux services de la casane rend cependant difficile l’interprétation des différences que nous venons de mettre en évidence à propos du calendrier des remboursements. L’endettement était sans doute pour nombre d’individus le seul moyen pour faire face aux dépenses provoquées par un mariage, un décès64, une amende, une réparation imprévue ou bien tout simplement pour payer les cens et les redevances. Mais rien ne permet d’établir lesquels de ces motifs étaient le plus souvent à l’origine du recours au prêt65. Dans ces conditions, les quelques éléments d’explication qu’on peut avancer se révèlent non seulement insatisfaisants mais parfois même contradictoires. Ainsi, par exemple, on pourrait supposer que
64 Ainsi, par exemple, en 1381 la veuve de Warnerus de Luceria doit emprunter de l’argent pour payer les funérailles du mari, alors même que ce dernier a des créances envers des tiers pour une somme de 45 livres (ACS, Min. A 30, p. 151). 65 Comparé aux subsides, aux amendes et aux droits de succession, le prélèvement fiscal “routinier” ne semble cependant pas avoir grevé de manière très importante le budget des paysans. Sur ces problèmes, voir P. Dubuis, Une économie alpine, op. cit., t. 1, p. 169-178.
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les dettes les plus importantes étaient remboursées vers la fin de l’année parce que leurs détenteurs encaissaient à leur tour à cette époque les rentes, les produits de la location, les cens et les autres revenus dont ils jouissaient. Après les récoltes, le retour des animaux des alpages et peut-être leur vente à la foire qui se tenait à Sembrancher du 13 au 15 septembre, il est d’autre part possible que la situation financière des paysans était dans l’ensemble suffisamment bonne pour permettre à ces derniers de rembourser une partie de leurs dettes. L’automne était cependant aussi une période de dépenses importantes, car non seulement beaucoup de foyers devaient s’acquitter de leurs obligations fiscales, mais également supporter les frais provoqués par les travaux des semailles, la constitution des réserves pour l’hiver, etc.66. D’autre part, il est encore plus étonnant que le règlement d’un nombre aussi important de petites dettes ait été prévu entre février et juin, période qui, pour des raisons bien connues, aurait pu être considérée comme une des moins favorables au remboursement des emprunts. On le voit, malgré leur abondance les données fournies par l’inventaire ne consentent guère à sortir du domaine des hypothèses. Tout au plus, elles permettent de constater que les relations existant entre la chronologie des échéances et le calendrier rural sont moins directes qu’on aurait pu le soupçonner67. Mais, une fois encore, la plus grande prudence s’impose, car les données dont nous disposons ne concernent que l’année 1347. Or, il est probable que plusieurs facteurs tels que, par exemple, un subside extraordinaire, une chevauchée au moment des travaux agricoles68 ou tout simplement la conjoncture générale, pouvaient faire varier d’une année à l’autre le calendrier des échéances.
Conclusion Condamnée, du moins en théorie, par l’Église, favorisée à certains moments par les pouvoirs temporels et à peine tolérée à d’autres, sans doute presque toujours mal jugée par les particuliers69, l’intense activité des prêteurs lombards montre à quel point pour de nombreuses familles l’endettement était, dans une économie déjà fortement monétarisée, une nécessité incontournable. Bien que les raisons précises du recours au crédit nous échappent, il est certain que seul le prêt a permis à beaucoup de foyers de disposer quand il le fallait d’argent liquide. Remarque qui
66 En Provence, c’est d’ailleurs en octobre et novembre que se situe la “marée haute du credit” (N. Coulet, Aix-en-Provence, op. cit., t. 1, p. 516). 67 À propos du calendrier des prêts, N. Coulet arrive à la même conclusion: « Les fluctuations du crédit ne sont donc pas un pur décalque du calendrier de la vie rurale » (Aix-en-Provence, op. cit., t. 1, p. 512). Voir aussi, à propos de l’activité des prêteurs juifs à Carpentras, les remarques de R. W. Emery, The Jews of Perpignan in the thirteenth Century. An economic Study based on notarial Records, New York, 1959, p. 64-65. 68 Sur les résistances au service militaire voir P. Dubuis, Une économie alpine, op. cit., t. 1, p. 167. 69 Suite aux plaintes formulées par les habitants de Saint-Maurice et Saillon contre les pratiques des prêteurs d’argent, le comte de Savoie édicte le 17 janvier 1330 un règlement qui tente de réprimer les abus les plus manifestes (Gremaud, Documents, t. 3, p. 558-561).
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est d’ailleurs valable aussi pour les communautés urbaines ou rurales. Si l’on regarde les comptes de la ville de Saint-Maurice, dont les premiers remontent à 1300-1301, on constate aisément que rares sont les périodes comptables au cours desquelles aucun emprunt n’a été contracté ou remboursé. On l’a dit, dans la plupart des cas les individus n’empruntent pas par détresse ; les casaniers n’offrent leurs services qu’à ceux qui sont en mesure de fournir des cautions, des fidéjusseurs ou des hypothèques. Dans cette perspective, le crédit, pour de nombreux budgets, paraît avoir été la seule solution pour tenter de limiter les inconvénients liés au décalage qui existait entre le calendrier des dépenses et celui des entrées. Il n’en reste pas moins que le jeu était dangereux. Dans les minutes notariales du Valais, les actes qui précisent que la vente de telle maison ou de tel champ est dictée par l’obligation de payer des dettes « sub usuris crescentibus » sont loin d’être rares. Pour les Lombards, en revanche, les casanes étaient vraisemblablement une source de profits juteux. Même si nous ignorons à peu près tout de l’origine des capitaux investis dans les établissements de prêt valaisans70 et des taux d’intérêt qu’on y pratiquait, il est certain que ces derniers étaient toujours très élevés71. En l’absence de documents comptables, toute estimation du taux de rendement des capitaux investis dans les casanes se révèle impossible. Celui-ci, d’ailleurs, connaissait sans doute des variations parfois considérables d’une année à l’autre. Le niveau élevé des taux d’intérêt semble d’autre part suggérer que l’activité des casaniers comportait également des risques et des inconvénients importants. Soumis aux décisions plus ou moins arbitraires du comte qui à n’importe quel moment pouvait leur imposer une amende ou exiger une composition, ayant à faire avec une clientèle à son tour sujette aux aléas de la conjoncture et qui, en dépit des garanties exigées, pouvait assez facilement se trouver dans l’impossibilité de tenir ses engagements, les prêteurs d’argent devaient de plus tenir compte du fait qu’une partie de leur capital pouvait aussi rester immobilisé pendant des périodes plus ou moins longues. Ceci dit, il est néanmoins frappant de constater que par le biais des intérêts, et à cause de l’ampleur du phénomène de l’endettement, les Lombards de Sembrancher prélevaient sur l’économie de l’Entremont une somme qui n’avait probablement rien à envier à celle qui tombait dans la caisse du comte. Même si la comparaison n’est que purement hypothétique, si l’on admet un rendement moyen du capital investi de 15%, on constate que les casaniers étaient à même d’obtenir du seul établissement de Sembrancher un revenu tout à fait comparable à celui que le comte avait pu toucher, pour l’ensemble de la châtellenie, pendant l’exercice 1346-134772.
70 Étant donné que les casanes n’acceptaient pas de dépôts, on est cependant en droit de penser que le capital investi était entièrement dans les mains des propriétaires. 71 Dans les comptes de la ville de Saint-Maurice de 1300-1301, un prêt remboursé après 18 semaines laisse apparaître un intérêt de 2 deniers 1 obole par livre et par semaine, ce qui donne un taux annuel de 54,16% (ACSM, Pg. 25). Dans les années suivantes, on constate cependant une diminution des taux des pénalités de retard, ce qui pourrait indiquer que les taux d’intérêt ont aussi connu une tendance à la baisse. 72 Voir supra, note 37.
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Dès la deuxième moitié du xive siècle, le système des casanes commença à décliner. Ce phénomène, qui ne concerne pas seulement le Valais savoyard mais l’ensemble du comté, reste en grande partie inexpliqué. Il est possible que le dérèglement aussi bien démographique qu’économique provoqué par la Peste Noire soit en partie à l’origine de ce déclin. Le décès d’un nombre important de débiteurs et peut-être de quelques créanciers, a sans doute rendu plus compliquée la gestion des casanes, et notamment le recouvrement de créances qui, comme on l’a vu, avaient rarement une durée supérieure à un an. Il est d’ailleurs significatif que dans la dernière partie du siècle on voit de plus en plus apparaître dans les minutes des notaires des personnages entrés en possession par héritage ou donation de créances datant d’avant la Peste, qui tentent, parfois sans succès, de recouvrer celles-ci auprès des héritiers des anciens débiteurs. D’autre part, dès 1350-1360, le crédit entre particuliers paraît connaître un certain essor. Prenant volontiers la forme d’une vente déguisée, il permettra à certains prêteurs, souvent des Lombards, de constituer des patrimoines fonciers considérables. Quant à la casane de Sembrancher, elle restera la propriété de Palmeronus Turqui jusqu’en 1364. Le 17 février de cette année, Palmeronus déclare cependant renoncer à l’exploitation de toutes les casanes qu’il possède. Selon toute vraisemblance, c’est donc en 1364 que l’établissement de Sembrancher cessa définitivement de fonctionner, la seule casane citée vers la fin du siècle étant celle d’Entremont73.
73 Le compte rendu des sommes versées par Palmeronus Turqui et de celles prêtées au comte entre 1353 et 1364 a été publié par A. M. Patrone, Le casane astigiane, op. cit., p. 284-286. Pour la casane d’Entremont, dont la concession est renouvelée en 1392 pour dix ans à partir de 1395, voir ibid., p. 221.
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L’inventaire après décès de Bacinodus Tracho, Lombard de Sion (17 janvier 1376)*
Les inventaires après décès constituent pour l’historien une source des plus précieuses. Ils permettent en effet de pénétrer dans la vie de tous les jours des individus, d’observer l’environnement matériel dans lequel ces derniers ont vécu, le mobilier et les objets qu’ils ont utilisés, la maison qu’ils ont habitée, les richesses qu’ils ont pu accumuler ou les réserves de nourriture qu’ils ont constituées en prévision de temps difficiles. Bref, ils fournissent de nombreuses informations qu’on trouve rarement dans des sources d’autre nature et qui permettent d’entrevoir, ne serait-ce que très partiellement, la vie quotidienne de personnes qui n’ont souvent laissé qu’une trace ténue de leur existence. Grâce à la belle série de minutes de notaire que le Valais a conservée, cette région offre un certain nombre d’inventaires après décès concernant des individus d’origines sociales différentes, dont l’étude systématique donnerait sans aucun doute des résultats intéressants. Notre propos est cependant nettement moins ambitieux, car les pages qui suivent n’ont pour but que de présenter un seul de ces inventaires, celui établi à Sion le 17 janvier 1376 par le notaire Jaquetus de Comba juste après le décès du Lombard Bacinodus Tracho. Pour essayer de mieux apprécier les informations fournies par l’inventaire de Bacinodus, nous avons cependant ici ou là fait appel aussi aux inventaires du xve siècle concernant Orsières publiés par Pierre Dubuis1 et à cinq autres inventaires valaisans du xive siècle, dont trois concernent des personnes qui vivaient à Sion2.
* Je tiens à exprimer ici toute ma reconnaissance à M. Pierre Dubuis qui m’a très amicalement fait part de ses conseils et de ses suggestions. Je remercie en outre très vivement Françoise Vannotti, dont la compétence et la gentillesse rendent la consultation des Archives du chapitre cathédral de Sion particulièrement agréable. 1 P. Dubuis, Une économie alpine à la fin du Moyen Age. Orsières, l’Entremont et les régions voisines, 12501500, Sion, 1990, t. 2, p. 165-186. 2 Il s’agit des inventaires des biens de Petellinus dou Tyl (Sion, 11.11.1358, ACS, Min. B 184, no 45), d’Agnes de Vercorena de Bonis (Sion, 11.7.1361, ACS, Min. B 184, no 44), de Martinus Amiczon (Basse-Nendaz, 28.12.1366, ACS, Min. B 147, p. 33), de Warnerus de Luceria (Sion, 28.8.1380, ACS, Min. A 39, p. 3-5) et d’Albertus de Glarey (Sierre, 25.12.1381, ACS, Min. B 32, p. 60). Agnes et Warnerus semblent avoir joui
Sur les routes des Alpes : Religieux, marchands et animaux dans la Suisse occidentale (xiiie-xve siècles), Franco Morenzoni, Turnhout, 2019 (Culture et société médiévales, 36), p. 397-416 © FHG10.1484/M.CSM-EB.5.117899
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Le texte3 In nomine Domini amen. Anno Domini millesimo ccco lxxvi inditione xiiiia die xvii mensis ianuarii, Seduni, in domo heredum Bacinodi Tracho lumbardi civis quondam sedunensis in mea notarii publici et testium subscriptorum presentia. Secuntur ibi infra bona mobilia per inventarium tradita Lanfranchoz Tracco lu[m]bardo ad opus liberorum Bacinodi Tracchoz et tamquam tutori dictorum liberorum. Et primo reperte fuerunt in uno fardello tres pecie fustanii. Item, .i. tyers4 drapi seu panni. Item, unus quart de talneyr, unus quart panni persi albi. Item, dimidia ulna violete, dimidius quart panni persi albi. Item, dimidius quart de sargy bruneta, dimidia ulna panni miscui, unus quart burratini5 albi, unus tyer de talneyr. Item, sex ulne cum dimidia panni persi Mediolani. Item, .xv. ulne cum dimidia panni burratini albi. Item, quedam sargia de canapo et lana Vallesii, due ulne cum duobus tyers sargie de Francia, .xiii. ulne tele, una magna pychi nova gallyna, una olla metalli cum grossis tibiis continens dimidium quarterum6 castronis et .i. peciam bovis. Item, .i. librale cum pertica seu perchia ligni, .iii. gypons, unum grossum gonz ferri. Item, decem paria calcarium novorum, una balista, sex parvi marteleti ad ferrandum runcinos. Item, .xii. milliaria clavinorum accorum pro tectis, tres taches plane pro portis. Item, in quodam saculo ibidem in operatorio sex libri papirorum quorum duo sub a[nn]o Domini mo ccco lxxiiio quarto et quinto. Item, in camera nova tres lecti et super quolibet una flasaz, una culcitra pennata, ibidem et una mensa parva cum uno banz. Item, in camera supra stupam tres lecti muniti quislibet de duabus coperturis, ibidem unus landeyr et una mensa ad comedendum. Item, in camera existente supra cameram Bacinodi duo lecti garniti quislibet de duabus coperturis. Item, in camera existente iuxta cameram Bacinodi, .i. sala roncini, quedam plates, una ressy, quedam culcitra pennata vetera, .i. pro parvis liberis, duo coper/toria pellium castronum. Item, alia culcitra pennata super lecto Agnesone.
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d’une situation économique assez bonne. La première possède plusieurs objets en argent et même en ivoire. Le deuxième, à sa mort, a des crédits pour plus de 45 livres mauriçoises, et on le voit en 1377 acheter une vigne pour 28 livres à Jaquemetus lumbardus, dont il est le créancier, et qui doit vendre pour rembourser des dettes « sub usuribus crescentibus » (ACS, Min. A 30, p. 151). À noter cependant que, pour payer les funérailles la veuve de Warnerus a dû donner en gage certains objets de la maison. Quant à Albertus de Glarey, il a 39 sous, 26 deniers et ½ fichelin de seigle de dettes. ACS, Min. A 39, p. 21-23. La transcription respecte autant que possible le texte, ce qui explique la présence de quelques mots qui pourraient prêter à discussion. Lorsque le notaire a oublié l’abréviation, nous avons cependant complété le mot entre crochets. Il faudrait sans doute corriger avec « tyer ». Le mot est toujours écrit abrégé, si bien qu’on pourrait aussi lire « barratini » ou « berratini », ce dernier mot pouvant désigner la bérétine, qui est une laine de second choix. Cependant, il nous semble plus vraisemblable qu’il s’agisse de burels, des draps très courants et relativement bon marché. On pourrait, à la rigueur, lire ici « quartum », mais le notaire écrit plus loin, à deux reprises, « quarterum », ce qui semble être une forme à mi-chemin entre le latin « quarterium » et le français quarteron.
L’in v e n ta i r e ap r è s d éc è s d e B ac ino d u s T rac ho, Lo mb ard d e Si o n
Item, en la logy, in quadam mastra, .xi. mape ad manum, duodecim mantilia. Item, per domum, in lectis vel extra lectos, .xxxii. lintiamina et duas rolesz. Item, in domo .vii. olle quarum due maiores continent quelibet unum quarterum castronis, alie quatuor quelibet dimidium quarterum vel circa, et una parva. Item, unum potz eschoudyour cupri cum cop[er]to. Item, duo magni platelli pyastri, .vi. platella pro mensa, .xiii. scutelle pyastri seu stagni, .xii. captini seu groletz. Item, in stupa una mensa, duo pelvia seu basynz lotoni ad barbandum, due calderie quarum una continet duas sitillas7, alia unam. Item, quedam magna patella cupri pendens, .i. crostyour, .iii. patelle freytuyeres, una lechy ferrea, duo veruca ferri, unum magnum aliud parvum, duas cassesz, .iii. poches, de quibus una perforata, una paleta, una grelly, due andene seu landeyrs ferri parva, duo quoquipendia ferri parva, quedam molites seu blocesz, quedam parva patella pendens. Item, due pales, unus trepeyr, unus landeyr, una achy ad arma, .i. crulyon, duo morteyrs quorum unum parvum, aliud magnum. Item, octo stagnee seu chanes parve vel magne, unum potz lotoni ad dandum aquam, duo cosz cupri ad mensurandum vinum, .i. teraroz, .ii. furestz, una magna butilly corei, quedam gratiroula, unus roseryo ad faciendum aquam rosarum, unam sapaz, duas secures, duos ensesz, unum bocheyr, unam securim macelli, duos syryesz. Item, unam arcam ad tenendum avenam. Item, duas tinas. Item, reperta sunt in primo celario sex dolia pro vino tenendo. In eodem celario circa quinque modia vini vel plus. Item, in alio celario tria magna dolia et duo parva, omnia vacua ; ante celarium unum dolium pro curru. Item, in domo anteriori tria dolia. Ad que sic dicto Franchi reddita et reperta fuerunt, presentes vir venerabilis dominus Henricus de Blanchis de Vellate canonicus sedunensis, Anthonius Traccoz, Io[hannes] frater eius, Io[hannes] Ryola et ego notarius infrascriptus. Deinde, anno inditione quibus supra, die xxviii mensis ianuarii, in mei notarii publici et testium subscriptorum presentia, fuerunt aportati de Valeria8 ad domum predictam heredum dicti Bacinodi quatuor fardelli, et existentia infra dictos fardellos tradita fuerunt dicto tutori presenti per inventarium, prout infra continetur. In primo fardello erant una ulna cum dimidia persi ca[m]elini9 de Francia. Item, dimidia pecia de cainna. Item, una pecia integra de panno viridi de Francia. Item, decem ulne panni ca[m]elini. Item, una pecia integra camelini rubei. Item, .xii. ulne panni. Item, una pecia integra de cainna. Item, .x. ulne panni persi. Item, .xii. ulne panni. Item, .xiiii. ulne panni de Ypra. Item, .x. ulne quasi talneyr /. Item, octo ulne panni persi ca[m]elinati. Item, .xii. ulne de Brusala. Item, .xiiii. ulne de grosso perso. Item, .x. ulne de quodam perso camelinato. Item, .i. ulna persi. Item, una ulna cum
7 Nous avons gardé à la forme « sitillas » même si, à la rigueur, il pourrait s’agir d’une erreur, le notaire voulant écrire « situlas ». 8 « de Valeria »: ajouté dans la marge. 9 Le notaire écrit deux fois « caelini », une fois « caelinato », une fois « camelini » et une fois « camelinato ». Nous avons supposé qu’à trois reprises il a oublié l’abréviation, car il nous paraît peu probable qu’il s’agisse de draps dont la couleur rappelle celle du ciel.
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dimidia panni persi. Item, sex ulne panni. Item10, ulne panni. Item, quatuor ulne persi. Item, quatuor ulne. Item, .viii. ulne panni. Item, .i. pecia integra de grosso perso. Item, .xiiii. ulne panni persi albi. Item, alia pecia integra de perso. Item, una pecia integra de virido oscuro. Item, .xvii. lintiamina vetera vel nova. Item, quatuor pecie fustanii. Item, .x. ulne grossi panni burratini. Item, quinque ulne panni quasi violete. Item, .x. ulne burratini palpillyery. Item, una sargia virida, una parva bassea .i. chagna stagni. Item, .i. culcitra pennata de tela rupha. Item, .xx. ulne tele nove. Item, quinque mape nove de opere Lumbardie. Item, una bona culcitra, .i. copertorium panni operatorii. Item, una vetera sargia integra. Item, .vi. faciculi ferri. Item, quatuor falces de Lu[m]bardia ad sequandum prata. Item, .xxxi. berneys ad secandum. Que predicta tradita fuerunt per inventarium dicto Lafransaz Traccho die qua supra, presentibus Anthonio et Iohanne Traccho fratribus, Iohanne Nebulatoris et me notario infrascripto. Deinde, anno inditione quibus supra, die xxixa mensis ianuarii, in castro Valerie, in domo viri venerabilis prefati domini Henrici de Blanchis, in presentia et cet., aperta fuit quedam mastra et in eventarium tradita dicto tutori. Infra quam mastram reperta fuerunt que secuntur, et dicto tutori per inventarium tradita ad opus liberorum dicti Bacinodi prout supra. Videlicet trigintatria lintiamina, .i. mantile de opere Lumbardie, unum mantile et una treychifila de opere Burgondie, .i. magnum rotulum mantilium, .xxx. pecie piastri novi, unus rotulus de trueioz. Item, duo rotuli tele lini circa .lxx. ulne. Item, quinque cifi argentei, una curtina pro puerperio. Item, alius rotulus de trueio, due parve stagnee kadrate, quatuor sera ferri, duo lintiamina non cosuta. Item, una stagnea, unus pelvis de lotoni, una pulcra culcitra pennata quam Marguerona de Lana habet in sua custodia. Ad que ultimo reperta et in inventarium tradita fuerunt testes vocati et rogati, videlicet dictus dominus Henricus, dominus Iacobus deys Verneys rector altaris beati Mychaelis in Valeria et ego Iaquetus de Comba civis sedunensis, auctoritate imperiali notarius publicus, cui preceptum est per me fieri de premissis in inventarium positis ut supra duo publica instrumenta ad opus liberorum dicti Bacinodi, de quibus instrumentis unum custodiat dictus tutor et aliud Anthonius et Io[hannes] Traccho vel dominus Henricus predictus.
Bacinodus et la famille des Tracho Le premier membre de la famille des Tracho11 mentionné par les documents valaisans est le père de Bacinodus, Jean. Originaire de Canturio dans le diocèse de Milan, l’actuelle Cantù, Jean apparaît pour la première fois dans les documents le
10 Oubli peut-être de la quantité. 11 L’orthographe du nom varie de manière assez considérable d’un notaire à l’autre: Tracco, Trecco, Trechoz, Trachoz, etc. Par commodité, nous utiliserons toujours la forme Tracho. Il en va de même avec le nom de Bacinodus, qui parfois est écrit Bacynodus et parfois “à la française” Bassinodus.
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2 juillet 1338. Ce jour-là, qualifié de conductor et de citoyen de Milan, il loue pour quatre ans – au prix de 40 livres mauriçoises par an – la souste de Loèche, les prés et les bâtiments annexes ainsi que les droits de péage aux frères Uldriodus et Nicholetus, fils de feu Etienne d’Ayent de Loèche donzel12. Il achète ainsi le droit de prélever trois oboles sur chaque balle allant de Lombardie vers la France ou vice-versa, et un denier sur chaque bête de somme13. Malgré le prix relativement important de la location, l’investissement dut se révéler rentable. En 1345, en effet, Jean Tracho habite toujours la souste de Loèche, ce qui indique qu’en 1342 le contrat avait vraisemblablement été renouvelé14. Dès 1346 il se transfère à Sion, où il achète la maison de Manengoldus de Saxo et où sa présence est bien attestée jusqu’en avril 137215. Devenu bourgeois de Sion, on le trouve en 1359 agissant au nom de la communauté de Sion avec la charge de procureur et syndic16. Il était d’autre part membre de la confrérie du Saint-Esprit, à laquelle il verse 7 sous en 1359 et 3 sous l’année suivante17. Jean Tracho paraît avoir joui d’un niveau de vie assez confortable. À plusieurs reprises il achète des biens immobiliers aussi bien en Italie18 qu’en Valais19, et un acte de 1364 cite un certain P., dont on précise qu’il est le famulus de Jean20. À Sion, son activité principale fut vraisemblablement le commerce. En 1366, le Lombard Francisquenus Rogerii reconnaît lui devoir 21 florins d’or et 5 deniers mauriçois pour la vente de certaines marchandises21. Ses relations avec la communauté des marchands d’Italie du Nord établis en Valais ont sans doute été assez nombreuses, car on le retrouve assez souvent comme témoin ou fidéjusseur dans des actes concernant des Lombards22. Nos sources ne permettent de connaître ni le nom de l’épouse ni le nombre des enfants de Jean Tracho. Le seul fils mentionné est en effet Bacinodus, qui d’ailleurs apparaît assez rarement dans les documents avant 1370. On retrouve ce dernier la première fois – en tant que témoin – dans un acte du 13 décembre 135323. Quinze ans plus tard, le 27 janvier 1368, il acquitte Antoine de Semelly d’une dette de 40 sous que ce
12 La construction de l’ensemble des bâtiments qui forment la souste avait été décidée en 1336, les deux frères s’engageant avec le procureur des marchands de Milan Bartholomeus de Solario à bâtir une maison couverte de pierres et pouvant contenir 200 balles de laine. Sur cet aspect voir M. Cl. Daviso, « La route du Valais au xive siècle », Revue suisse d’histoire, 1 (1951), p. 558, no 30. 13 AEV, Fonds Ph. Torrenté, ATN 2, p. 124-126. Le document a été partiellement publié par Gremaud, Documents, t. 4, p. 144, sous le nom de Johannes Crecho. 14 ACS, Min. B 18, p. 174. 15 ACS, Min. 21, p. 67. Dernière mention: ACS, Min. B 29, p. 87-88. 16 Avec Pierre Magy et Jean Cresta, il est cité dans un acte du 1er avril 1369 à l’occasion d’un prêt de 100 florins que le chapitre avait consenti aux bourgeois le 11 avril 1359 (ABS, Tir. 127, no 18). 17 ABS, Tir. 25, no 86, fol. 7r et 20r. 18 Le 10 juin 1346 il achète à Porollus Treccoz de Mediolano, probablement un parent, une maison, deux vignes, deux prés et un bois à Ancillano, Rizago et Solario pour 50 florins d’or (ACS, Min. A 21, p. 67). 19 Le 22 décembre 1348, achat pour 20 florins d’or d’une maison sise à Sion « versus les Abandonnaz », proche d’une maison et d’un jardin qu’il possède déjà (ACS, Min. A 21, p. 115-116). 20 ACS, Min. B 33, p. 78. 21 ACS, Min. B 33, p. 228-229. 22 Voir par exemple ACS, Min. A 21, p. 168; ACS, Thèque 54, no 509/4; ACS, Min. A 31, p. 197-198; AEV, Min. de Perrod de Saint-Maurice, Fonds Ph. Torrenté, ATN 3, fol. 181r. 23 ACS, Min. B 33, p. 29-31.
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dernier avait contractée envers le père de sa femme24. Il est possible que vers 1368-1370 il ait repris les affaires de son père, car dans les années qui suivent, sa présence dans les sources devient moins sporadique. Le 6 août 1370, il achète ainsi deux prés pour 24 livres mauriçoises à Jonolus, fils de feu Bonichodus Tancii, et l’année suivante entre en possession de trois autres prés qui lui sont cédés par Jean dou Tredo en échange d’une rente de sept fichelins de seigle que Jean devait chaque année au père de sa femme25. En mai 1372, il achète de Johannodus Rosserii pour 50 sous « et pro capucio panni coloris » un des deux celliers mentionnés dans l’inventaire26. L’année suivante, au mois d’avril, il achète de Mermetus Guersat, sautier de Sion, une rente annuelle de 16 sous pour 8 livres. Autrement dit, il prête 8 livres au taux d’intérêt – usuel pour ce genre de crédits garantis par des biens immobiliers – de 10% par an27. Signalons encore qu’un acte levé le 13 avril 1373 mentionne un « viridarium » appartenant en commun à Bacinodus et au Lombard Yaninus Odini28, fils naturel de Odinus Constancii29. L’absence d’un inventaire des biens immobiliers empêche de mesurer avec davantage de précision la fortune de Bacinodus. On relèvera néanmoins que sa situation économique devait être assez bonne, puisque tous les documents concernent des achats de biens ou des investissements d’argent, alors qu’il n’apparaît nulle part en tant que débiteur ou vendeur. Notons aussi qu’un acte de 1370 mentionne Bacinodus parmi les « viri discreti » de la commune de Sion, et que le 13 mai de la même année il figure parmi les citoyens qui se sont portés garants de la paix conclue entre l’évêque et les communautés du Valais30. C’est certainement avant 1363 que Bacinodus épousa Anthonia, fille de Guigo Tancii31. Ce dernier, dont l’activité est fort bien attestée, apparaît pour la première fois le 26 avril 1330, lorsqu’il est reçu dans la bourgeoisie de Sion pour la somme de 60 sous32. Fils de François Tancii et originaire lui aussi de Cantù33, il s’était marié deux fois et avait conçu au moins deux filles hors mariage. De son premier mariage était né Stephanus, alors qu’Anthonia, ainsi que peut-être Marguerite, étaient vraisemblablement nées de sa deuxième femme, qui s’appelait Francia34. Il n’est pas exclu que le lit d’Agnesona évoqué dans l’inventaire soit celui d’une des deux filles naturelles
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ACS, Min. A 21, p. 199. ACS, Min. A 32, p. 1; ibid., p. 2. ACS, Min. A 31, p. 174. ACS, Min. A 32, p. 22. ACS, Min. A 32, p. 37. ACS, Min. B 33, p. 133. L’activité de Odinus Constancii est bien connue grâce aux nombreux documents qui le mentionnent. On peut noter, par exemple, qu’il possédait une maison en copropriété avec Guigo Tancii (ACS, Thèque 75, no 207). Gremaud, Documents, t. 5, p. 365-366 et p. 368-370. Anthonia est mentionnée comme femme de Bacinodus la première fois le 23 juillet 1363 (ABS, tir. 164, no 72). Elle l’est toujours le 27 janvier 1368 (ACS, Min. A 21, p. 199). AEV, Fonds Ph. Torrenté, ATN 2, p. 18; édité dans Gremaud, Documents, t. 3, p. 564-565. ACS, Min. B 6, p. 20. Les Tancii établis en Valais entretenaient peut-être des relations de parenté avec les Tanzi de Milan, une des plus grandes familles de futainiers. Ces informations sont tirées du testament de Guigo (ACS, Min. B 6, p. 20). Anthonia n’y est pas citée; pour Marguerite, voir ACS, Min. A 39, p. 24-25.
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de Guigo, qui s’appelait justement Agnès. Sans entrer dans les détails, on peut noter qu’au cours de sa vie Guigo a probablement amassé une fortune assez considérable, puisqu’il achète à plusieurs reprises des maisons, des prés, des champs ou des vignes, et qu’il apparaît assez souvent comme créancier envers des particuliers35. Dans son testament, qui ne nous est parvenu que sous forme de brouillon et sans date, il avait nommé héritiers universels son fils Etienne et les enfants nés de sa deuxième femme36. Mais il est probable qu’à sa mort le fils était déjà décédé, puisque c’est la femme de Bacinodus qui est toujours qualifiée d’héritière universelle de Guigo37. La mort de Guigo eut lieu entre mai 1349 et février 135038, peut-être à la suite de l’épidémie de peste qui frappa Sion de plein fouet dès juillet 134939. Selon une coutume assez diffusée, sa femme Francia se remaria d’ailleurs assez vite, car le 30 octobre 1350 elle est déjà la femme de Perrod de Lausanne40. Le mariage entre Bacinodus et Anthonia s’explique sans doute par les relations assez étroites existant entre la famille des Tracho et les Tancii, originaires, comme on l’a vu, de la même région. Lorsque Jean Tracho loue la souste de Loèche, Guigo est présent en tant que témoin, alors que le frère de ce dernier, Bonichodus, apparaît lui aussi souvent dans des actes concernant les Tracho41. Quoi qu’il en soit, Anthonia, tout comme Bacinodus, dut mourir assez jeune, car au moment de l’inventaire les enfants nés du couple sont sous la tutelle de Alafranchoz Tracho, et ils le sont toujours en mars 1383, lorsque le même Alafranchoz, accompagné par Ambrosius Tracho, le gérant des biens des enfants, accepte le rachat d’une rente annuelle de 22 sous pour 11 livres42. Ce n’est que deux ans plus tard, le 26 septembre 1385, que le fils de Bacinodus, Jacques, fait sa première apparition dans un document43. Mais on peut se demander si par la suite il ne rentra pas en Italie, car il faut attendre 1401 pour que son nom soit de nouveau cité. Le 20 avril de cette année, Jacobus vend en effet tous les biens qu’il possède dans le diocèse de Sion à Antoine Tracho, présent à l’inventaire comme témoin avec son frère, pour la somme de 350 florins ducats. La vente est approuvée par sa sœur Francesia, femme elle aussi d’un Tancii, en l’occurrence Cherubinus44. Quant aux autres membres de la famille Tracho mentionnés par l’inventaire, le seul sur lequel on possède quelques informations est Antoine. Le 5 janvier 1376, un acte,
35 Voir par exemple ACS, Thèque 68, n. 20; Min. B 10, p. 44; Min. B 18, p. 136; Min. A 21, p. 30; Min. A 19, p. 71-72. 36 ACS, Min. B 6, p. 20. 37 Voir par exemple ACS, Min. B 29, p. 87-88 (22 avril 1372): « Anthonia uxor Bacynodi et filia et heres universalis Guigonis Tancii ». 38 Guigo est toujours vivant le 15 juillet 1349 (ABS, Tir. 25, no 3, act. 16), alors que le vendredi après la Purification de la Vierge de l’année 1350 il est évoqué comme étant disparu (ACS, Min. B 190, rouleau). 39 Cf. P. Dubuis, Une économie alpine, op. cit., t. 1, p. 44. 40 ACS, Min. A 11, p. 122. 41 ACS, Min. B 18, p. 174; ACS, Min. A 32, p. 1; ACS, Min. A 19, p. 138-139. 42 ACS, Min. A 32, p. 70-71. 43 AEV, AV 2, no 26. 44 ACS, Min. A 44, p. 9.
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dont il ne subsiste que les premières lignes, le qualifie de bourgeois de Loèche45. Vers la fin du xive siècle, ou au début du xve, peut-être après avoir acheté les biens des enfants de Bacinodus, il se transféra à Sion46, où il possédait désormais plusieurs immeubles47. Quels rapports de parenté entretenait-il avec Bacinodus et le tuteur des enfants de ce dernier, Alafranchoz ? Les sources que nous avons consultées ne le disent pas. La seule certitude est que son frère s’appelait Jean. Il s’agit, peut-être, du même Jean Tracho qu’on trouve comme fidéjusseur dans un acte levé à Loèche en 138548, et quatre ans plus tard comme acheteur d’une rente annuelle de 10 sous mauriçois pour le prix de 16 florins49. Les deux textes le présentent comme fils de Franchodus ou Francholus, mais rien ne permet d’identifier ce dernier personnage avec le tuteur cité par l’inventaire50.
La maison et les objets de la vie quotidienne La maison
Dans l’état actuel des recherches, il est difficile de reconstituer la topographie précise de Sion à l’époque médiévale. Grâce aux travaux de François-Olivier Dubuis et Antoine Lugon51, il est cependant possible de localiser quelques-unes des demeures des Tracho et, d’une manière plus approximative, celle de Bacinodus. Comme on l’a vu, Jean Tracho habitait une maison qui avait appartenu à Manengoldus de Saxo, qui se trouvait in « vico Prati », c’est-à-dire dans le quartier de Pratifori. La maison52, qui donnait sur l’actuelle rue de Conthey, n’était pas loin de la saunerie. Immédiatement à l’ouest se trouvait la maison d’Agnès, veuve de Jean de Valère, suivie par la maison achetée en 1342 par Guigo Tancii à Antoine de Champez pour 90 livres mauriçoises53. Le 22 juillet 1346, Jean Tracho avait permis au boucher Jean Chevrotin
45 ACV, Min. A 39, p. 6. 46 En 1401 il est déjà qualifié de « civis sedunensis » (ACS, Min. A 44, p. 9). 47 Cf. Fr.-O. Dubuis et A. Lugon, « Essai de topographie sédunoise. L’îlot sud-est de la rue du Pré (xiiie-xvie siècle) et les origines de la maison Supersaxo (1478-1505) », Vallesia, 41 (1986), p. 335-341 passim. En 1434 il est cité comme étant mort (ibid., p. 339). 48 AEV, AV 2, no 26. Il s’agit du même acte où apparaît aussi Jacobus. 49 ACS, Tir. 12, no 55. 50 En 1389, Francholus Trecco (Tracho) est déjà décédé. Il est possible que le tuteur était le frère de Bacinodus et les deux témoins ses enfants. Cependant, la preuve formelle manque. 51 Fr.-O. Dubuis et A. Lugon, « Inventaire topographique des maisons de Sion aux xviie et xviiie siècles », Vallesia, 35 (1980), p. 127-436; Id., « Essai de topographie », art. cit., p. 309-348. 52 Selon la numérotation des parcelles utilisée par Fr.-O. Dubuis et A. Lugon, la maison de Jean Tracho = P 12, la saunerie = P 9, la maison de Jean de Valeria = P 213 et celle de Guigo Tancii = P 313. À noter que la numérotation des parcelles P 12 et P 313 des documents du 31.3.1339 et 19.6.1344 publiés en annexe par ces deux auteurs doit vraisemblablement être inversée, comme le prouve d’ailleurs le document du 30.8.1383 (cf. « Essai de topographie », art. cit., p. 336-337). 53 ACS, Min. A 21, p. 9. En 1344 la maison est mentionnée comme appartenant en commun à Guigo et à Odinus Constancii (cf. Fr.-O. Dubuis et A. Lugon, « Essai de topographie », art. cit., p. 336). Elle passera ensuite à Perrodus Magy qui était le père d’Isabelle, laquelle, le 3 juin 1367, avait épousé Yaninus Odini, le fils naturel d’Odinus Constancii (ACS, Thèque 76, no 11).
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d’appuyer des poutres à sa maison et de construire un mur pour soutenir un toit. Il est vraisemblable que la maison de Jean Chevrotin était sise derrière celle de Jean Tracho54. Deux ans plus tard, le 22 décembre 1348, Jean avait par ailleurs acheté une autre maison, qui se trouvait peut-être de l’autre côté de l’actuelle rue de Conthey, toute proche d’un jardin qu’il possédait déjà55. Quant à la femme de Bacinodus, elle possédait une maison proche des boucheries, qui était située au nord d’une des maisons que Yaninus Odini avait héritées de son père56, ainsi qu’un casale domus en Glaviney, qu’elle loue en 1363 à Willermodus de Bagnyes57. Après leur mariage, Bacinodus et Anthonia s’étaient établis eux aussi dans le quartier de Pratifori. Les documents ne permettent cependant pas de déterminer l’endroit exact où se trouvait leur maison. Mais il est possible que celle-ci faisait partie de l’héritage d’Anthonia. Lorsqu’en 1362 Bacinodus achète à Johannodus Rosserii le cellier que nous avons déjà évoqué, l’acte du notaire Guillaume de Planis précise en effet que ce dernier est situé sous l’atelier ou une partie de la maison de Bacinodus58. Il s’agit sans aucun doute du cellier mentionné dans un acte du 8 juillet 1343 par lequel le même Johannodus Rosserii loue à Guigo Tancii « quoddam operatorium in vico Prati in domo dicti Johannodi, et quoddam parvum celarium situm infra dictam domum subtus dictum operatorium »59 pour la somme de 7 sous mauriçois par an et une durée de douze ans. Il est donc possible qu’Anthonia, après avoir hérité du bail, et avec le concours de son époux, ait progressivement acheté toute la maison60. On peut même supposer que le couple avait effectué un certain nombre de travaux dans la maison, et notamment qu’il l’avait agrandie en y ajoutant au moins une chambre61.
54 ACS, Min. A 21, p. 52. 55 ACS, Min. A 21, p. 115-116. Il est difficile de localiser avec précision cette deuxième maison. L’acte notarié dit qu’elle se trouve « versus les Abandonaz […] juxta domum dicti Johannis emptoris via publica mediante ». La mention « les Abandonaz » semble indiquer le petit chemin qui existait à l’emplacement de l’actuelle rue de Lausanne. Cependant, il est peu probable qu’on doive supposer que Jean possédait une troisième maison dans la partie sud de Pratifori, car, comme le soulignent Fr.-O. Dubuis et A. Lugon, l’expression « versus les Abandonaz » pouvait aussi désigner la rue du Pré (cf. « Essai de topographie », art. cit., p. 313, n. 11). 56 ACS, Min. A 23, p. 406. Pour la localisation des boucheries voir Fr.-O. Dubuis et A. Lugon, « Essai de topographie », art. cit., p. 312-313. 57 ABS, Tir. 164, no 72. Anthonia accense cette maison pour 20 sous mauriçois de droit d’entrée, un fichelin de seigle et 2 sous mauriçois par an. Glaviney se trouvait au sud de Pratifori, à côté des Abandonaz. 58 « […] quoddam parvum celarium existens desubtus operatorium seu partem domus ipsius Bacinodi » (ACS, Min. A 31, p. 174). 59 ACS, Min. A 21, p. 29. 60 Dans les comptes de Georgius lumbardus pour la confrérie du Saint-Esprit de Sion, Bacinodus paye pour les années 1364-1366, 7 sous et 6 deniers sur sa maison qui se trouve « juxta domum Jo. Rossier de Lenz » (ABS, Tir. 25, no 86, fol. 26v). Dans les mêmes comptes, pour la période 1360-1372, il accepte de payer 45 sous sur sa maison « sita in Vico Prati juxta domum Johannodi Bezotel et domum Perrodi de Valleria ex altera parte et viam publicam intermediam » (ibid., fol. 56r). 61 Voir la référence dans l’inventaire à la « camera nova » (cf. supra, p. 398).
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Bien que sommaire, la description de la maison dans laquelle vivait Bacinodus et sa famille permet de confirmer le niveau de vie relativement élevé des Tracho. Construite probablement en dur, du moins jusqu’au premier étage, la maison comprenait deux celliers, un atelier donnant sur la rue, une « stupa62 », c’est-à-dire un local chauffé où on cuisinait, on mangeait et on se lavait, quatre chambres à coucher et une « logy63 ». Il n’est malheureusement pas possible de préciser la disposition des différentes pièces. En supposant toutefois que la « stupa » était au niveau de la rue et que la chambre de Bacinodus était celle qui se trouvait immédiatement au-dessus, on peut imaginer que la maison était sur trois étages. Les objets et le mobilier des chambres
L’essentiel du mobilier des différentes chambres est composé de lits. Au total, l’inventaire en énumère huit. À cela on peut encore ajouter une petite table avec un banc dans la première chambre, un coffre (« mastra ») dans la « logy » et une table pour manger dans la chambre située au-dessus de la « stupa ». Peut-être cette dernière chambre était-elle pourvue d’une cheminée ou d’un foyer, car on y trouve aussi un landier (« landeyr »). Quant à la literie, elle comporte quatre matelas ou couettes fourrés (« culcitra pennata »), trois couvertures en laine (« flasaz »)64, deux couvertures en peau d’agneau ou de bélier châtré (« copertoria pellium castronis »), quatre autres couvertures dont on ne précise pas la qualité, trente-deux draps (« lintiamina ») et deux « rolesc », mot que nous n’avons pas identifié, mais qui pourrait tout simplement désigner des rouleaux d’étoffe servant à la fabrication des draps65. Dans la chambre qui ne semble pas utilisée, le notaire a en outre trouvé un matelas ou couette usagé, un autre petit matelas ou couette pour enfant et un récipient à fond plat (« plates »)66. Il est probable que le notaire n’ait pas pris note de tous les menus objets se trouvant dans les chambres, le but des inventaires après décès étant uniquement de préserver ce qui pouvait avoir une certaine valeur. Il est d’autre part étonnant qu’aucun vêtement personnel ne figure dans l’inventaire, ce qui pourrait laisser supposer qu’immédiatement après la mort de Bacinodus certains objets avaient été transportés ailleurs. L’absence d’un mobilier important est en revanche assez normale. D’une manière générale, mises à part celles des plus riches, les demeures médiévales sont pauvres en meubles, et lorsqu’il y en a il s’agit presque toujours de quelques arches et parfois d’un banc et d’une table. Si dans la maison d’Agnes de Vercorena on
62 Sur ce mot, voir aussi infra, p. 410-411. 63 Il est difficile d’établir avec certitude si la « logy » est une loggia ou bien un petit local construit sur les arcades qui bordaient la rue. Le fait qu’on y conserve un coffre avec des nappes et des serviettes suppose que l’endroit était au moins à l’abri des intempéries. 64 Compte tenu du contexte dans lequel il apparaît, il nous semble probable que le mot « flasaz » soit proche du mot « flaceez », ou « flacaez », cité dans CGSB. 65 Dans le GPSR et dans CGSB on trouve le mot « rulet », qui désigne un rouleau d’étoffe. 66 Agnes de Vercorena possède 13 draps, 2 matelas ou couettes, 2 oreillers et 2 couvertures; Warnerus de Luceria 4 matelas ou couettes, 3 oreillers, 5 couvertures et 5 autres oreillers (« auriliarii »); Petellinus dou Tyl 7 draps et deux couvertures. Les autres inventaires ne signalent pas de lingerie de lit.
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trouve ainsi plusieurs meubles (un lit, un banc, une table, un coffre et une arche), et dans celle de Warnerus de Luceria neuf lits, deux arches et « una magna mensa in nuce », dans celle de Martinus Amiczon il n’y a que deux arches et un banc, alors que Albertus de Glarey ne possède que deux arches67. La pauvreté en mobilier de la maison de Bacinodus doit donc être estimée à sa juste valeur. En effet, si on est loin des vingt-quatre lits avec matelas et couvertures qu’on trouve dans la maison que Francesia, veuve d’un autre membre de la famille des Tancii, Jean dit Curto, loue en 1337 à deux marchands de Cantù pour 80 florins par an68, comparée aux maisons qu’on peut entrevoir grâce aux inventaires récemment publiés par Pierre Dubuis, celle de Bacinodus apparaît comme tout à fait confortable. Si l’on ne prend en considération que les lits, les vingt-cinq inventaires après décès d’Orsières rédigés entre 1418 et 1457 ne mentionnent en tout et pour tout que deux châlits69. Les objets de la table et de l’alimentation
S’agissant de la maison d’un marchand de tissus, la présence de nappes et de serviettes est d’une certaine manière normale. Le souci de propreté paraît d’ailleurs devenir un peu partout plus important vers la fin du moyen âge. Cependant, leur quantité étonne. En effet, le coffre qui est conservé « en la logy » contient pas moins de onze serviettes (« mape ad manum ») et douze nappes (« mantilia »), destinées sans aucun doute aussi bien à la table qui se trouvait dans une des chambres qu’à celle qui était dans la « stupa ». À titre d’exemple, à Orsières seuls sept inventaires sur vingt-cinq signalent la présence de lingerie de table. En général, il s’agit d’une ou de deux nappes. Le seul inventaire qui en mentionne plusieurs est celui d’une personne qui exerçait probablement la profession d’aubergiste70. En Provence, d’après P. Herbeth, un foyer sur cinq seulement possédait plus de deux nappes71. En ce qui concerne Sion, Petellinus dou Tyl possédait deux nappes, et Warnerus de Luceria dix. La vaisselle de table est elle aussi présente en quantités considérables : deux grands plats, probablement pour servir les mets (« magni platelli »), six plats pour manger (« platella pro mensa »), treize écuelles dont quelques-unes en étain (« scutelle pyastri72 seu stagni »), et douze autres écuelles vraisemblablement d’une autre forme
67 Aucun meuble n’est cité dans l’inventaire des biens de Petellinus dou Tyl. 68 Minutier de Perrod de Saint-Maurice, AEV, Fonds Ph. Torrenté, ATN 2, p. 115. Il est fort probable que le nombre important de lits s’explique par le fait que la maison servait d’auberge pour les marchands de passage. 69 P. Dubuis, Une économie alpine, op. cit., t. 2, p. 167 et 177. Compte tenu du caractère particulier des inventaires d’Orsières, qui, presque toujours, semblent concerner des personnes de conditions sociales modestes, la comparaison n’a évidemment qu’une valeur très relative. 70 C’est du moins l’hypothèse de P. Dubuis, Une économie alpine, op. cit., t. 2, p. 176. 71 Cf. G. Bresc-Bautier, H. Bresc, P. Herbeth, « L’équipement de la cuisine et de la table en Provence et en Sicile (xive et xve siècles), étude comparée », in Manger et boire au Moyen Age. Actes du Colloque de Nice, 15-17 octobre 1982, t. 2, Paris, 1984, p. 53. 72 Nous n’avons pas pu préciser la signification de ce mot. Le Du Cange mentionne le mot « pyaster », qui signifie bois, mais il s’agit d’une forme savante et, semble-t-il, peu courante. On pourrait aussi penser au mot « plastre » ou bien au mot italien « piastrella », qui pourraient suggérer l’idée qu’il
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mais avec la même fonction (« captini seu groletz73 »). Si la présence d’écuelles est très courante dans les cuisines médiévales, les deux plats collectifs et les six plats individuels indiquent que chez les Tracho les manières de table se caractérisaient déjà par un certain raffinement. À Marseille, le « platellus » et le « platus » n’apparaissent respectivement qu’au xive et xve siècle, et uniquement dans quelques rares inventaires. Ce qui domine est en effet l’écuelle, accompagnée par le tailloir semi-collectif74. À Orsières, trois inventaires mentionnent les écuelles et un seul les plats75. Notons encore que notre inventaire ne mentionne ni fourchettes ni couteaux, ce qui est loin d’être exceptionnel76. Si le notaire ne s’attarde pas à décrire la cheminée, parce qu’elle était sans aucun doute construite en dur, il mentionne en revanche plusieurs objets qui s’y rattachent. Il signale ainsi le grand trépied en fer qui permettait de soutenir les récipients (« trepeyr »), le landier pour maintenir les bûches, deux autres petits landiers en fer – vraisemblablement des chenets77–, deux petites crémaillères en fer (« quoquipendia »), une pince à feu (« molites seu blocesz ») et deux pelles pour la cheminée (« pales »). Le tout laisse supposer une cheminée de grandes dimensions presque certainement appliquée à un des murs de la « stupa ». Parmi les ustensiles de cuisson, ceux qui permettent d’apprêter des mets directement à la braise ou à la flamme sont totalement absents à Orsières et assez rares en Provence. Chez les Tracho, en revanche, on trouve aussi bien la grande et la petite broche en fer (« veruca ferri ») que le gril (« grelly »). Quant à la « gratiroula », qu’on retrouve aussi dans la maison de Warnerus de Luceria, il pourrait s’agir soit d’un autre gril, soit, peut-être, d’une râpe78. Enfin, l’inventaire mentionne l’indispensable lèchefrite en fer (« lechy ferrea »), qui servait à recueillir le jus de la viande rôtie. En ce qui concerne les récipients pour la cuisson des liquides, le notaire signale un pot en cuivre à chauffer – ou une marmite –, avec peut-être son couvercle (« potz eschoudyour cupri cum coperto79 »), deux chaudrons ou chaudières (« calderie ») de
s’agit de plats en terre ou en plâtre. L’inventaire cite aussi trente « pecie piastri novi », ce qui semble indiquer un matériau pouvant être travaillé et donc, peut-être, un métal. À noter qu’en italien le mot « piastra » désigne une plaque de métal. 73 Dans l’inventaire d’Agnes de Vercorena, le mot « grolet » est utilisé comme synonyme d’écuelle. 74 P. Herbeth, « Les ustensiles de cuisine en Provence médiévale (xiiie-xve siècles) », Médiévales, 5 (1983), p. 92. 75 P. Dubuis, Une économie alpine, op. cit., t. 2, p. 176 et p. 184. 76 Aucun couvert n’est signalé à Orsières. En Provence on ne signale des couteaux que dans cinq maisons. Pour Sion voir cependant le tableau 1 infra, p. 409. 77 Les chenets et les landiers sont souvent confondus dans les inventaires (cf. R. Lecoq, Les objets de la vie domestique. Ustensiles en fer de la cuisine et du foyer des origines au xixe siècle, Paris - Nancy, 1979, p. 62). 78 Précisons que dans le Du Cange on trouve le mot « gratirola » qui désigne une arme. Compte tenu de la place ou le mot « gratiroula » apparaît dans les deux inventaires, il nous semble cependant plus plausible de penser à un ustensile de cuisine. 79 Le notaire a écrit « copto », qui pourrait à la limite renvoyer au mot « cop », c’est-à-dire coupe ou écuelle à boire. Il nous semble cependant plus raisonnable, compte tenu de l’utilisation du « potz eschoudyour », de supposer que le notaire a tout simplement oublié le signe d’abréviation.
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dimensions différentes80 et deux casseroles (« cassesz »)81. Les ustensiles de cuisson qui demandent à être graissés avant leur utilisation sont eux aussi bien représentés : une grande poêle en cuivre (« magna patella »), probablement à longue queue, un poêlon (« parva patella ») et trois poêles (« freytuyeres »), c’est-à-dire pour frire. Signalons aussi que l’inventaire mentionne quelques ustensiles de cuisine : trois louches (« poches), dont une percée de trous, une palette (« paleta »), un « crostyour », mot dont la signification reste obscure mais qui semble désigner un ustensile en fer utilisé pour la cuisson82, deux mortiers (« morteyrs »), un instrument pour sortir la viande de la marmite (« crulyon »)83, une hache de boucher (« securim macelli ») et deux « cosz » en cuivre pour mesurer le vin, vraisemblablement des petites caques. Dans la maison ou la « stupa », le notaire a en outre trouvé plusieurs récipients pour liquides, parmi lesquels on peut mentionner deux bassines pour se raser (« basynz ad barbandum »), une grande outre en cuir (« magna butilly »), huit channes en étain (« stagnee seu chanes ») et un autre pot en laiton (« potz »). D’autres récipients servent en revanche à la conservation des denrées alimentaires, comme les sept « olle » qui contiennent du mouton, ou les dix tonneaux de différentes tailles (« dolia ») déposés dans les celliers, et dont six semblent être pleins et contenir un peu plus de cinq muids de vin, ce qui est tout de même une quantité relativement considérable84. Sans relever une fois de plus les différences avec les inventaires d’Orsières ou de Provence, il importe cependant de souligner que l’équipement de la cuisine des Tracho est fort complet. Il suffit, pour s’en rendre compte, de regarder le tableau suivant, qui permet de comparer l’ensemble des instruments de la cuisine et des objets de la cheminée retrouvés dans la maison de Warnerus de Luceria avec ceux signalés par les autres inventaires85. Tableau 1. Les objets de la cuisine et de la cheminée dans six inventaires valaisans
Objet poêle/casserole chaudron broche gratiroula lèchefrite
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1361
1366
1376
1380
1381
2 4 – – –
2 1 – – –
1 1 – – –
7 2 2 1 1
3 4 2 1 1
1 1 – – –
80 Il s’agit probablement de chaudières assez grandes, car une contient deux seaux (« sitillas »), alors que l’autre un. Nous n’avons pas pu retrouver à quoi correspond le seau en tant qu’unité de mesure. 81 Le mot « casse » peut indiquer aussi bien une casserole qu’une poêle (cf. CGSB, p. 349). Cependant, puisque les poêles sont citées aussi à d’autres endroits de l’inventaire, nous pensons qu’il désigne ici plutôt la casserole. 82 L’étymologie du mot semble renvoyer à l’idée de croûte. S’agit-il d’un ustensile servant à la cuisson des galettes? Dans CGSB la signification du mot « crotier » n’a pas pu être précisée. 83 D’après CGSB, le « crulyon » pourrait aussi être un tisonnier. 84 Le muid de vin vaut 12 setiers (cf. CGSB), et on peut l’estimer, selon P. Dubuis, à 300 litres. 85 Nous avons pris comme base l’inventaire de Warnerus car il est parfois difficile d’établir si tel ou tel autre objet fait ou non partie de l’équipement de la cuisine. Nous avons cependant fait une exception pour les écuelles, car un des inventaires ne distingue pas entre écuelles et tailloirs.
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Objet
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1366
1376
1380
1381
plat écuelle grolez/tailloir
286 7 4
– 1687
– – –
8 13 12
3 – 6
– – –
– 13 – 8 4 – pot88 couteau – 4 – 6 – louche – – – 3 3 – crulyon – – – 1 1 – spatule – – – 1 1 – crostyour – – – 1 1 – crémaillère 1 1 – 2 4 – trépied – – – 1 1 – chenet/landier – 2 – 4 2 – pince à feu – – – 1 1 – pelle à feu – – – 2 1 – 1358 = Petellinus dou Tyl ; 1361 = Agnes de Vercorena de Bonis ; 1366 = Martinus Amiczon ; 1376 = Bacinodus Tracho ; 1380 = Warnerus de Luceria ; 1381 = Albertus de Glarey.
Comme c’est souvent le cas, le notaire n’a pas cru nécessaire de noter les réserves alimentaires courantes, telles que les graisses, le sel, le poivre, les épices89, etc. Il est donc difficile de se faire une idée des habitudes alimentaires de la famille. La présence d’ustensiles permettant différentes formes de cuisson laisse cependant supposer que l’alimentation quotidienne des Tracho était probablement assez variée, et qu’elle ne se réduisait nullement à la seule soupe ou aux légumes et à la viande bouillis, mais qu’elle comportait aussi des mets frits ou grillés et de la viande à la broche. Les réserves de vin, tout comme l’abondante lingerie de table, confirment par ailleurs que la famille jouissait d’un niveau de vie assez élevé. Reste un problème que nous avons jusqu’ici occulté de manière quelque peu arbitraire : la présence d’un équipement de cuisine important, d’une vaisselle abondante et de réserves de vin considérables, n’est-elle pas la conséquence du fait que Bacinodus, outre son activité de marchand, tenait aussi une table d’auberge90 ? La question est d’autant plus légitime que l’inventaire mentionne aussi la « stupa », mot qui pourrait désigner un local où on se réunissait pour boire ou manger. Malheureusement, la question doit rester sans réponse. D’une part, parce que le mot « stupa » est utilisé
86 Les deux « platellae » appartiennent à la femme de Jean de Platea, mais se trouvent dans la maison de Petellinus. 87 L’inventaire ne distingue pas entre tailloirs et écuelles (« scutellas tam taillour quam grolez »). 88 Il est souvent très difficile de préciser la nature des différents récipients pour liquides. Ici, nous avons pris en considération pour Agnes de Vercorena les treize « pot seu doleas magnas » et pour Bacinodus et Warnerus les channes. 89 Le seul inventaire qui mentionne quelques épices est celui d’Agnes de Vercorena, qui cite, entre autres, du gingembre, du cumin, de la cannelle, du poivre, de la réglisse, etc. 90 Cette hypothèse nous a été suggérée par M. Pierre Dubuis.
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aussi dans l’inventaire de Warnerus de Luceria, qui ne paraît pas disposer d’un nombre suffisant de plats ou de pots pour tenir table d’auberge. D’autre part, parce que la quantité d’écuelles ou de tailloirs dont fait état l’inventaire de Bacinodus n’est pas très supérieure à celle qu’on trouve par exemple dans la maison d’Agnes de Vercorena. Il serait hasardeux d’essayer de pousser plus loin les observations que nous venons de formuler. Seul l’étude d’un nombre plus important d’inventaires – établis aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural – permettrait en effet d’aboutir à des résultats moins incertains, et notamment de mesurer avec davantage de précision le niveau de vie des Tracho par rapport à l’ensemble de la population. Les autres objets
Bacinodus possédait sans doute un cheval, car l’inventaire mentionne dans une des chambres une selle de cheval (« sala roncini »), une arche pour l’avoine91 dans la stupa et un tonneau pour le char déposé devant un des celliers (« dolium pro curru »). Dans la maison, le notaire signale en outre la présence de quelques outils tels qu’une scie (« ressye »), une houe (« sapaz »), deux haches (« secures »), un ustensile destiné vraisemblablement à couper le bois (« bocheyr92 »), deux peignes pour le chanvre (« syryesz »), un taraud (« teraroz ») et deux forets (« furestz »). Plus intéressante est en revanche la mention d’un « roseryo ad faciendum aquam rosarum », car elle indique l’existence d’une pharmacopée domestique. On attribuait en effet à l’eau de rose plusieurs vertus curatives, et notamment celle de calmer les vomissements et les flux de ventre ou celle de soigner les gencives. On l’utilisait d’ailleurs aussi pour des raisons cosmétiques, en particulier pour fabriquer des onguents destinés au visage ou des collyres pour les yeux. Signalons enfin que Bacinodus possédait aussi deux épées (« ensesz »)93.
La boutique et les marchandises Située sur une des routes commerciales qui reliaient l’Italie du Nord à la France, la ville de Sion était devenue, dès la fin du xiiie siècle et encore plus pendant la première moitié du xive, un lieu d’établissement pour beaucoup de marchands italiens, dont plusieurs s’étaient orientés vers le commerce des tissus. Bacinodus avait sans doute repris la profession de son père, aidé en cela par le fait d’avoir épousé la fille d’un autre marchand. D’après l’inventaire, il semblerait que Bacinodus était avant tout un
91 Bien entendu, l’avoine peut servir aussi à l’alimentation de la famille. 92 Le mot semble renvoyer à « bochéer » qui, d’après le GPSR, signifie couper le bois. 93 On trouve, dans l’inventaire, un autre objet qui pourrait être une arme. Il s’agit de l’« achy ad arma ». Le DALF cite le Commentaire du plaict général de Lausanne de 1368 qui évoque parmi d’autres armes une « achit » (cf. Documents de la Suisse Romande, t. 7, p. 444). Cependant, il est plus vraisemblable que dans notre cas il s’agisse tout simplement d’une hache à manche long, car Warnerus aussi possédait une « achy » dont on précise qu’elle était celle des charpentiers.
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détaillant. Rien, cependant, ne permet d’exclure le fait qu’il ait été actif aussi dans le commerce de transit. L’équipement de l’« operatorium » paraît avoir été assez rustique, puisque l’inventaire ne cite qu’une balance (« librale cum pertica seu perchia ligni ») et peut être une bâche pour protéger les marchandises94. En revanche, la mention de six livres – dont trois concernent les années 1373, 1374 et 1375 – montre que Bacinodus tenait une comptabilité annuelle de ses affaires. Comme la plupart des petits marchands de son temps, il n’était cependant pas spécialisé dans un produit particulier, bien que dans sa boutique les tissus semblent avoir été la marchandise la mieux représentée. Les tissus
L’inventaire ne mentionne pas le prix des différentes pièces de tissu qu’il énumère, ce qui empêche de se faire une idée un peu plus précise de la qualité et de la quantité des marchandises. En outre, en l’état actuel des recherches il est difficile de connaître la valeur exacte des unités de mesure utilisées en Valais, qu’il s’agisse de l’aune95, du « tier », du « quart » ou de la « pecia ». Quoi qu’il en soit, sans être négligeable, le stock de Bacinodus ne paraît pas avoir été particulièrement important. Sans prendre en considération les marchandises vendues à la pièce, l’inventaire signale en tout 5 rouleaux96 et environ 18 pièces et 215 aunes de tissus. Bien entendu, la laine est incontestablement la matière première dominante. Les fibres végétales sont cependant loin d’être absentes. À côté de draps mixtes, c’est-à-dire en chanvre et laine, on trouve en effet aussi bien des tissus uniquement en chanvre et d’autres entièrement en lin. Quant aux différents types de draps vendus par Bacinodus, on peut noter que ce sont principalement les qualités les plus courantes et les moins chères qui sont présentes en quantité. L’inventaire mentionne surtout des perses ou des gros perses, des futaines, des serges, des burels ou bures97 et peut-être des cagnets98. Il s’agit, sans aucun doute, des produits les mieux vendus sur le marché sédunois. L’inventaire d’Agnes de Vercorena, le seul à faire état des tissus et des vêtements retrouvés dans la maison, signale entre autres trois aunes de
94 Il s’agit du « copertorium panni operatorii ». Il vrai qu’on pourrait aussi penser qu’il s’agit d’un drap fabriqué dans l’« operatorium » même. Il n’y a toutefois dans l’inventaire aucun indice permettant de supposer une quelconque activité artisanale, aucune matière première textile n’y figurant. 95 On peut néanmoins supposer que l’aune vaut à peu près 120 centimètres. Le « tier » et le « quart » sont vraisemblablement des sous-multiple de l’aune. 96 Les deux rouleaux en toile de lin sont estimés ensemble à environ 70 aunes. 97 Nous n’avons pas pu préciser la nature des dix aunes de « burratini palpillyery ». En ancien français, le mot « parpeilloner » signifie couvrir d’ornements bigarrés, ce qui pourrait faire penser à des draps teints de manière non uniforme. Le glossaire établi par J.-M. Richard concernant les comptes de Mahaut d’Artois mentionne le drap « papillonné » et précise: « sans doute papelonné, à dessin d’écailles posées régulièrement par rangées » (Une petite-nièce de Saint Louis. Mahaut comtesse d’Artois et de Bourgogne (1302-1329), Paris, 1887, p. 428). Je remercie le prof. R. Delort de m’avoir signalé cette référence. 98 Difficile, une fois de plus, de décider si la pièce et la demi-pièce « de cainna » sont des cagnets, c’està-dire des petits draps de laine non teinte blanche ou noire, ou bien des draps « cain », à savoir gris cendrés.
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toile « percy »99, alors que la qualité du tissu des capuchons, des tuniques ou des surtuniques n’est jamais précisée. À côté des draps de moindre valeur, Bacinodus vendait aussi des étoffes plus chères : on trouve en effet dans le stock des camelins, des draps d’Ypres et de Bruxelles – dont le prix était généralement assez élevé –, une « treychifila » de Bourgogne100, et peut-être aussi de la brunette, un drap de bonne qualité très souvent teint en bleu très foncé101. Parmi les produits finis, on peut relever la présence de trois « gypons », à savoir des tuniques à manches pour homme, de quelques matelas ou couettes, d’une quantité assez considérable de nappes, et de plusieurs draps de lit aussi bien neufs qu’usagés. La plupart des produits dont on mentionne l’origine géographique proviennent soit d’Italie soit de France. Il est donc vraisemblable que les marchands sédunois n’allaient pas chercher leurs marchandises très loin, mais se contentaient d’acheter à Sion même une partie des tissus qui transitaient par le Valais. On notera aussi que la production locale est presque totalement absente, l’inventaire ne citant qu’une seule serge d’origine valaisanne102. Il est vrai que l’artisanat textile n’était peut-être pas très important dans le Valais du xive siècle103. Mais il se pourrait aussi que le marché n’intervenait que de manière partielle dans l’écoulement de ce type de produits, et que sur le marché “urbain” de Sion les tissus de cette qualité n’étaient pas très recherchés. Dans les inventaires d’Orsières ils sont en effet relativement bien représentés, ce qui montre qu’ils étaient souvent fabriqués à la maison. Tableau 2. L’origine géographique des tissus
quantité
qualité/nature
provenance
6,5 aunes 5 1 1 2 aunes et ⅔ 1,5 aunes 1 pièce 14 aunes 1 1 12 aunes
drap pers nappes nappe serge de laine et chanvre serge pers camelin drap drap nappe treychifila –
Milan Lombardie Lombardie Valais France France France Ypres Bourgogne Bourgogne Bruxelles
99 Impossible de savoir si le mot désigne ici la qualité ou la couleur bleu-vert. 100 Il s’agit vraisemblablement d’un filé de lin, produit que la Bourgogne exportait surtout dans le bassin méditerranéen. 101 Cf. G. de Poerck, La draperie médiévale en Flandre et en Artois; techniques et terminologie, t. 2, Bruges, 1951, p. 28, no 130. 102 Voir cependant supra, p. 412, n. 94 103 Voir à ce propos les observations de P. Dubuis, Une économie alpine, op. cit., t. 1, p. 258-259. Il faut cependant souligner que dans les comptes du châtelain d’Annecy de 1325-1328 et de 1335-1336 on trouve des achats de tissus valaisans (cf. P. Duparc, Le Comté de Genève, ixe-xve siècle, Genève, 1955, p. 555, n. 2).
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Quant aux couleurs, l’inventaire cite surtout des tissus blancs, violets, verts, rouges et peut-être une serge teinte en bleu. Ces données sont cependant insuffisantes pour se faire une idée même approximative des goûts des acheteurs pour ce qui est des tissus teints. L’absence d’indications explicites concernant des draps ou des étoffes gris ou bruns semble par ailleurs indiquer que l’attention du notaire a peut-être été attirée surtout par les couleurs les moins courantes. Il faut cependant remarquer que certains draps sont qualifiés de « talneyr » ou « quasi talneyr », ce qui pourrait signifier tannés, c’est-à-dire d’un brun plus ou moins foncé104. Tableau 3. Les couleurs des tissus
quantité
qualité/nature
couleur
1 quart ½ quart 1 quart 15,5 aunes 14 aunes 1 1 pièce 1 pièce 1/5 aune 5 aunes 1 pièce 1 matelas/couette ½ quart
pers pers burel burel pers serge drap – – drap camelin toile serge brunette
blanc blanc blanc blanc blanc vert vert vert foncé violet violet rouge rouge105 bleu ?106
Les autres marchandises
Marchand de tissus, Bacinodus n’hésitait pas à proposer à ses clients aussi des produits alimentaires. C’est du moins ce que laisse supposer la présence de la grande marmite contenant de la viande de bœuf et de « castronis ». Cependant, ce sont surtout les objets métalliques qui sont les plus nombreux. On peut ainsi constater que Bacinodus vendait aussi des récipients en étain (« stagnee »), en laiton (« pelvis ») ou en bois107 (« bassea ») et des outils destinés aux paysans, tels que des faux de Lombardie (« falces ») ou des faucilles (« berneys »). À côté de dix paires d’étriers (« paria calcarium ») et d’une arbalète (« balista »), l’inventaire mentionne encore six petits marteaux pour ferrer les chevaux (« marteleti ad ferrandum runcinos »),
104 Le drap « tanney » est un drap ordinairement brun. 105 Le notaire désigne le rouge par deux mots différents: « rubeus » et « ruphus ». Mais rien ne permet de connaître la différence de tonalité qui existe entre les deux rouges. 106 Le texte dit « sargy bruneta ». La « bruneta », comme on l’a dit, est un beau lainage teint en général en bleu. Il se pourrait, cependant, qu’ici « bruneta » indique la couleur de la serge. 107 Généralement, la « bassea » est un vase en bois qui contient une demi-charge de vendange. Il est cependant impossible de dire si dans ce cas il s’agit vraiment d’un récipient en bois.
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cinq gobelets ou coupes vraisemblablement argentés (« cifi argentei ») ainsi que des produits destinés aux charpentiers : des clous pour les toits, trois gros clous (« taches »), un grand gond en fer (« gonz ferri »), quatre serrures (« sere ») ainsi que six fagots de fer. Une fois encore, on peut souligner qu’il s’agit de marchandises dont la valeur n’est pas très élevée et qu’aucun objet véritablement précieux n’est cité dans l’inventaire. Relevons aussi qu’il est impossible de savoir avec précision quels sont les objets effectivement destinés à la vente et lesquels faisaient en revanche partie de l’équipement domestique.
Conclusion Au terme de cette lecture de l’inventaire des biens de Bacinodus Tracho il serait un peu prétentieux de vouloir présenter des conclusions, ne serait-ce que partielles. En fait, force est de constater que notre compréhension des documents de cette nature demeure somme toute assez limitée. Même lorsqu’on arrive à surmonter les problèmes de vocabulaire et à comprendre quels sont les objets que les mots utilisés par le notaire désignent, il n’en reste pas moins que ces mêmes objets demeurent en partie mystérieux, leur forme exacte, leur poids et leur utilisation précise nous étant bien souvent inconnus. Pour ce qui est des marchandises de la boutique, notre inventaire ne fournit que des informations fragmentaires quant à l’origine des produits, la couleur des étoffes ou l’ordre de grandeur du stock. De plus, il ne permet de connaître ni le volume des affaires de Bacinodus ni, par ailleurs, les goûts de ses clients. Enfin, il convient aussi de souligner qu’il est difficile de savoir si le niveau de vie somme toute assez élevé des Tracho était dû principalement à la bonne marche des affaires ou bien s’il était la conséquence des différents héritages dont la famille avait pu bénéficier. Autre problème en suspens, celui de la valeur des marchandises commercialisées par Bacinodus. L’histoire des prix à Sion au xive siècle, et en général en Valais, reste en grande partie à faire. Grâce à l’abondance des sources, nous pensons qu’il serait sans doute possible de construire des séries assez complètes pour les denrées alimentaires telles que le seigle, le blé, l’avoine, le vin, etc.108. Les comptes du chapitre, de la confrérie du Saint-Esprit, du péage de Sion, de la réfection du pont sur le Rhône ou de la cathédrale, ou encore les dépenses personnelles dont le souvenir a été gardé par certains notaires dans leurs minutes, permettraient par ailleurs d’observer les prix d’une palette de produits assez considérable à différentes époques. Ainsi, par exemple, en 1359, douze écuelles et deux louches sont payées 10 sous et 3 deniers109 ; en 1362, une tunique est estimée à 3 florins de bon poids110 ; en 1364, 40 000 clous
108 À propos des prix des céréales, voir dans le présent volume « Contribution à l’histoire des prix des céréales et des fèves en Valais à la fin du Moyen Âge d’après les comptes de châtellenie (vers 1270-1450) ». 109 ABS, Tir. 25, no 86, fol. 16v. 110 ABS, Tir. 72, no 1.
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pour le toit de la cathédrale coûtent 10 florins111 ; vers 1380, un chapeau est payé 7 sous112 ; en 1384, une livre de fer vaut 3 sous et une obole113 ; entre 1379 et 1384, le salaire annuel des « pedagiatores » de Sion s’élève à 60 sous114, etc. On pourrait, bien entendu, multiplier les exemples à loisir, mais, une fois encore, seule l’exploitation systématique de toutes les données à disposition permettrait d’avoir, du moins en partie, une vision cohérente des prix et des salaires. Pour l’instant, il faut se contenter d’observer que l’inventaire de Bacinodus laisse entrevoir l’existence à Sion d’un marché régional115 et d’une clientèle aux goûts assez variés, pouvant parfois disposer de sommes suffisantes pour s’acheter des draps de bonne qualité ou plus modestement des outils en fer destinés à l’agriculture et à l’artisanat.
111 Cf. P. Dubuis, « Documents relatifs à la cathédrale de Sion au Moyen Âge », Vallesia, 34 (1979), p. 154. 112 ACV, Min. B 33, p. 166. 113 ACS, Donum Genavense, no 94. 114 ABS, Tir. 127, no 7. 115 Sur ce marché, voir dans le présent volume « Les marchés et les foires de Sion et de Saint-Maurice d’Agaune à la fin du Moyen Âge (xiiie-xve siècle) ».
Le réseau des casanes lombardes dans l’espace comtois et la Suisse occidentale (xiiie-xive siècles)
Si des marchands de la ville d’Asti qui ont peut-être pratiqué le prêt aux particuliers sont mentionnés à Provins et à Dijon déjà vers 1235-1240 (Guttuari et Tavano), dans le comté de Bourgogne l’activité des prêteurs astésans ne commence à être attestée qu’à partir du milieu des années soixante du xiiie siècle1. À Seurre sont ainsi présents, depuis au moins 1265, les frères Revellino et Galvano Asinari2. Cinq ans plus tard, des membres de la famille Guttuari et Isnardi obtiennent avec deux autres associés le droit de s’établir à Besançon pendant sept ans – mais eux aussi résidaient dans la ville depuis au moins 1265 ou 12663 –, alors qu’en 1273 ce sont deux autres Asinari, Bonifacio et Bonomo qui sont mentionnés à Arbois en tant qu’acheteurs d’un certain nombre de moulins4. Si dans l’acte de vente ils sont qualifiés uniquement de marchands, quelques années plus tard, en 1286, leur métier de prêteurs est mentionné explicitement. Bonifacio et Alessandro Asinari, ce dernier étant le fils de Bonomo, associés avec des membres de la famille di Castagnole et della Chiesa, tiennent en effet les tables de prêt d’Arbois, de Poligny et de Chissey. Bonifacio et Bonomo, avaient entre-temps repris, en 1280, l’établissement de Seurre5. Quant aux Isnardi, on trouve les frères Giovanni et Berardo en mai 1285 à Verceil. Trois ans plus tard, sont mentionnés également les frères Daniele et Perrino Isnardi en tant que créanciers du fils de Philippe de Vienne6. Malgré une documentation somme toute assez pauvre, les Asinari et les Isnardi semblent avoir tenu un rôle de premier plan 1 Voir, en dernier lieu, L. Castellani, Gli uomini d’affari astigiani. Politica e denaro tra il Piemonte e l’Europa (1270-1312), Turin, 1998, p. 148-152. 2 L. Gauthier, Les Lombards dans les Deux-Bourgognes (xiiie-xive siècles), Paris, 1907, p.j. 2, p. 108-109. 3 R. Fiétier, La Cité de Besançon de la fin du xiie au milieu du xive siècle: étude d’une société urbaine, Lille, 1978, t. 1, p. 572-573. 4 L. Gauthier, Les Lombards, op. cit., p.j. 6, p. 111-113. 5 Ibid., p.j. 16, p. 118-119, et p.j. 11, p. 115-116. 6 Ibid., p.j. 14, p. 117-118, et p.j. 19, p. 120-121. Sur les prêts considérables accordés par les frères Isnardi entre autres à l’archevêque de Lyon voir H. Dubois, Les foires de Chalon et le commerce dans la vallée de la Saône à la fin du moyen âge (vers 1280 – vers 1430), Paris, 1976, p. 30.
Sur les routes des Alpes : Religieux, marchands et animaux dans la Suisse occidentale (xiiie-xve siècles), Franco Morenzoni, Turnhout, 2019 (Culture et société médiévales, 36), p. 417-432 © FHG10.1484/M.CSM-EB.5.117900
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dans l’ouverture de tables de prêt dans le comté qui, vers la fin du siècle, étaient déjà relativement nombreuses. L’estimation du domaine du comté effectuée en 1296 en énumère treize, dont douze étaient certainement en activité lorsque fut établi, vers 1300, l’inventaire officiel7. Il est vraisemblable qu’à cette époque quelques-unes de ces tables étaient déjà sous le contrôle des Asinari, comme celles de Salins ou de Vesoul, dont on sait qu’elles étaient dirigées en 1313, l’une par Domenico Asinari et l’autre par Alessandro et Bonifacio8. Quant aux Isnardi, ils sont mentionnés au début du xive siècle en relation avec l’établissement de prêt de Granges et avec celui de Fondremant en 1323, alors que les di Castagnole semblent désormais être actifs également à Montaigu9. Vers la même époque, les sources montrent que d’autres familles astésanes ont commencé à s’adonner au prêt dans la région. C’est le cas des Cacherano à Montbéliard ou des di Gorzano à Port10. D’après ce que l’on peut entrevoir, plusieurs tables de prêt ont été sous le contrôle des Asinari, des Isnardi et des Guttuari pendant plusieurs décennies, même si, il faut le souligner, rien ne permet de connaître la totalité des propriétaires de chaque établissement ni quel était l’apport de chacun d’eux au capital de celui-ci. Si l’on peut estimer qu’au début du xive siècle il y avait en Bourgogne quelques dizaines de tables de prêt, il est en revanche impossible d’apprécier, même de manière sommaire, l’ampleur des activités courantes de celles-ci. Les documents qui ont été conservés concernent le plus souvent des prêts accordés à des seigneurs plus ou moins importants de la région, à tel point qu’on a pu penser que ce sont les besoins financiers de ceux-ci qui ont amené à l’établissement des prêteurs lombards en Bourgogne. Il est cependant plus vraisemblable que c’est le contexte économique régional favorable à leur activité au jour le jour qui les a poussés à ouvrir un grand nombre de tables de prêt, et notamment les difficultés d’une partie de la population à se procurer le numéraire dont elle avait besoin. C’est du moins ce que suggère la documentation disponible pour l’actuelle Suisse romande, qui est plutôt riche et abondante surtout pour le Chablais et le Valais savoyard et épiscopal. À Genève, la présence de prêteurs d’argent professionnels est attestée à partir de 1267-1268. À la fin des années soixante-dix, c’est un certain Parchiminus qui verse au châtelain de Genève 20 livres chaque année pour son « stagium11 ». En 1283, le versement est effectué par un certain Beniamino, citoyen d’Asti, qui est mentionné, cinq ans plus tard, dans les comptes de la châtellenie de Chillon à propos de deux prêts, l’un de 100 livres de Lausanne concédé au comte de Savoie et l’autre, avec son frère Giorgio et leurs associés, accordé au châtelain de Genève12. Quelques années plus tard, un autre Beniamino d’Asti, de l’importante
7 L. Gauthier, Les Lombards, op. cit., p.j. 23, 23bis, p. 132-134. 8 Ibid., p.j. 42, p. 159-160, et p.j. 44, p. 166. 9 Ibid., p.j. 31, p. 147, p.j. 51, p. 171, et p.j. 43, p. 160. 10 Ibid., p.j. 31, p. 147 et p.j. 39, p. 156. 11 É. Mallet, « Du pouvoir que la maison de Savoie a exercé dans Genève », MDG, 7 (1849), p.j. xxxix, p. 323-325. 12 Ibid., p.j. xxxix, p. 326 ; CC Chillon 1287-1288 et 1288-1289, ASTo, SR, Inv. 69, f. 5, m. 1, r. 1.
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famille astésane des Toma, est mentionné à Genève lorsque l’évêque lui confie, en 1300, la tâche de battre monnaie13. Au cours des années soixante-dix et quatre-vingt, les mentions concernant la présence de prêteurs d’argent dans la région ont tendance à se multiplier. À Lausanne, les Cahorsins sont mentionnés en mai 1273 lorsque l’évêque révoque le droit qu’il leur avait accordé d’exercer le prêt en échange d’un cens annuel de 40 livres lausannoises14. Ceux de Sion sont cités de manière anonyme dès 1271-127215 ; six ans plus tard, deux Astésans, Filippo et Ludovico, concèdent un prêt à une femme de la ville « cum legitimis usuris16 ». À Yverdon et Moudon, ce sont deux Florentins, Bardo et Magno, qui payent pour leur « stagium » en 1285-128617. À peu près à la même époque, l’Astésan Raimondo di Montevitulo, installé dans la région de Saint-Maurice et dont l’activité a été bien étudiée par Pierre Dubuis, exerce lui aussi le prêt de manière intense et régulière, aussi bien dans le Valais savoyard que dans le Valais épiscopal18. Il paraît avoir bénéficié d’un statut différent de celui des autres prêteurs d’argent, puisque pour exercer son activité il ne semble pas avoir été astreint au versement d’une redevance au comte de Savoie19. Les prêteurs d’Évian sont mentionnés dès 127720, ceux de Romont dès 128021, ceux de La Tour de Vevey et de Villeneuve dès 1286-1287,
13 É. Rivoire et V. van Berchem (éd.), Les sources du droit du Canton de Genève, t. 1, Aarau, 1927, no 50, p. 88-89. Beniamino travailla par la suite également pour l’évêque de Lausanne Gérard de Vuippens qui, semble-t-il, ne lui versa jamais ce qu’il lui devait. Il réside toujours à Genève le 13 septembre 1330, date à laquelle il souscrit un accord avec l’évêque de Lausanne Jean de Rossillon visant à mettre un terme à la querelle née du non-respect des engagements pris par Gérard de Vuippens (A. MorelFatio, « Histoire monétaire de Lausanne », Mémoires et Documents publiés par la Société d’histoire de la Suisse romande, 1ère série, 36 (1882), p.j. iii, p. 413). 14 D. Anex-Cabanis et J.-Fr. Poudret (éd.), Les sources du droit du canton de Vaud. Moyen Âge (xe-xvie siècle) : Droits seigneuriaux et franchises municipales, Aarau, 1977, no 290, p. 504. 15 M. Chiaudano, La finanza sabauda nel secolo xiii, t. 2, Turin, 1934, p. 185 et p. 194. 16 Ch. Ammann-Doubliez, Chancelleries et notariat dans le diocèse de Sion à l’époque de maître Martin de Sion († 1306). Étude et édition du plus ancien minutier suisse, Sion, 2008, no 66, p. 341. 17 « De xv libr. laus. receptis de cahorcinis Yverduni, scilicet Bardo et Magno, pro censa sua dicti loci pro anno incepto in nativitate Domini mcclxxxv ; […] De xix libr. laus. receptis de Bardo et Magno cahorcinis Melduni de anno incepto in Purificatione B.M. anno mcclxxxiiii » (CC Chillon 1283-1286, ASTo, SR, Inv. 69, f. 5, m. 1, r. 8). Leur origine est mentionnée en 1287, lorsque le receveur de Villeneuve rembourse à Magno 50 livres de Lausanne que celui-ci avait prêtées au comte de Savoie (CP Villeneuve-Chillon 1287, ASTo, SR, Inv. 69, f. 31, m. 1, r. 3). À Moudon, ce sont un certain Perroto et Giovanni qui versent le « stagium » à la Saint-Jean-Baptiste (CC Chillon 1283-1286, ASTo, SR, Inv. 69, f. 5, m. 1, r. 8). 18 P. Dubuis, « Raymond de Montevitulo, Lombard et bourgeois de Saint-Maurice à la fin du xiiie siècle », Annales valaisannes, 2e série, 51 (1976), p. 131-139 (réimpr., avec le titre « Un homme d’affaires piémontais à Saint-Maurice au xiiie siècle », in Dans les Alpes au Moyen Âge. Douze coups d’œil sur le Valais, Lausanne, 1997, p. 171-181). 19 En 1292, il est cependant condamné à une composition de 50 livres mauriçoises « pro eo quia mutuabat pecuniam ad usuras sine mandato domini » (CC Évian et Féternes 1291-1292, ADS, SA 15247). Cette mesure s’explique par la volonté de l’administration savoyarde de mieux structurer et contrôler, pour des raisons fiscales, les activités des prêteurs, aspect qu’il ne nous est pas possible d’aborder ici. 20 CC Évian et Féternes 1276-1279, ADS, SA 15242. 21 M. Chiaudano, La finanza, op. cit., t. 1, Turin, 1934, p. 332.
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et ceux de Thonon dès l’année suivante22. Puis, en 1288-1289, c’est au tour de ceux de Saint-Maurice d’Agaune et de Sembrancher23 et, peu avant la fin du siècle, de ceux d’Aigle24 et de Fribourg25. D’autres établissements de prêt font leur apparition dans les documents au tout début du xive siècle, notamment ceux de Saillon et de Conthey26. Comme dans le comté de Bourgogne, dans le Chablais et le Valais le réseau des casanes paraît s’être mis en place et développé assez rapidement. Si nous ne savons pas grand-chose des activités quotidiennes des prêteurs à cette époque – leur présence est attestée principalement par les sources administratives savoyardes et quelques actes concernant des prêts concédés à des laïcs ou à des ecclésiastiques plus ou moins importants – on peut tout de même relever que leur installation paraît directement liée à l’essor des activités d’échange à l’échelon local et régional, essor qui a été favorisé par le développement des trafics qui empruntaient le col du Grand-Saint-Bernard et surtout du Simplon. À Saint-Maurice d’Agaune, où la présence d’un péage important et des infrastructures nécessaires au transport des marchandises a certainement contribué à rendre plus dynamique et diversifiée l’économie du bourg27, sur 191 actes instrumentés par les notaires publics de la ville en 1300 et 1301 qui nous sont parvenus, 95 sont des actes dits des Cahorsins et concernent pour l’essentiel des prêts d’un montant modeste accordés à des particuliers28. À Genève, les prêteurs d’argent sont présents à peine quelques années après la première mention concernant l’existence de foires dans la ville (1262) et à la même époque à laquelle un conflit oppose l’évêque aux bourgeois, soutenus par le comte de Savoie Pierre II, au sujet de l’endroit où devait se tenir le « forum seu mercatum29 ». Dans le Valais et le Chablais, l’arrivée des prêteurs est elle aussi concomitante ou à peine postérieure à la création ou au développement des marchés locaux et de quelques foires régionales. C’est le cas du marché d’Aigle et des foires de Sembrancher30, qui se tiennent pour la première fois en 1271 ou 1272, des foires de Villeneuve, qui font leur apparition dans la documentation à peu près
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CC Chillon 1286-1276 et 1287-1288, ASTo, SR, Inv. 69, f. 5, m. 1, r. 9. CC Chillon 1288-1289, ASTo, SR, Inv. 69, f. 5, m. 1, r. 9. CP Villeneuve-Chillon 1302-1303, ASTo, SR, Inv. 69, f. 31, m. 1, r. 6. Sur les prêteurs astésans à Fribourg, voir P. Aebischer, « Banquiers, commerçants, diplomates et voyageurs italiens à Fribourg (Suisse), avant 1500 », Revue Suisse d’Histoire, 7 (1927), p. 6-11. 26 Elles sont citées explicitement pour la première fois en 1302-1303 (CP Villeneuve-Chillon 1302-1303, ASTo, SR, Inv. 69, f. 31, m. 1, r. 6). 27 Sur cet aspect, voir dans le présent volume « Le mouvement commercial au péage de Saint-Maurice d’Agaune à la fin du Moyen Âge (1281-1450) ». 28 G. Partsch et J.-M. Theurillat, « Du registre de chancellerie à l’acte notarié. À propos du Minutarium Majus de la chancellerie de Saint-Maurice », Vallesia, 27 (1972), p. 10. 29 Fr. Morenzoni, « Pierre ii de Savoie et Genève », in B. Andenmatten, A. Paravicini Bagliani, E. Pibiri (éd.), Pierre ii de Savoie. ‘Le Petit Charlemagne’ (+ 1268), Lausanne, 2000, p. 168. 30 « In uno bove, pane et vino emptis et datis merceriis venientibus ad primas nundinas apud Sanctum Brancherium […] xxxvii sol. Item pro eodem merceriis venientibus ad primum forum de Allyio, xxviii sol. ; Item pro eodem merceriis venientibus ad nundinas Villenove in quindena Pasche, xxviii sol. » (CC Chillon 1271-1272, ASTo, SR, Inv. 69, f. 5, m. 1, r. 5). Sur les foires de Sembrancher voir P. Dubuis, Une économie alpine à la fin du Moyen Âge. Orsières, l’Entremont et les régions voisines, Sion, 1990, t. 1, p. 264-271.
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à la même époque, ou de celles de Sion, plus anciennes mais qui semblent connaître un essor significatif surtout à partir du milieu du xiiie siècle31. Il est en revanche le plus souvent impossible de connaître l’identité précise des individus qui ont ouvert les premiers établissements de prêt. À Sion, un acte de 1286 cite trois membres de l’importante famille des Guttuari, Manuele et ses deux fils Bartolo et Filippo – représentés par Umberto di Castagneto, qui réside à Sion – lors d’un dépôt d’argent effectué par Ranieri Bertaldi et Enrico di Mercato dans la société des Guttuari32. Tous ces individus sont des Astésans et leur association est encore active dans le prêt d’argent six ans plus tard33. Vers 1340, un tiers de la société qui possédait la casane de Sion appartenait encore à des membres de la famille Guttuari, même s’il est impossible d’établir une relation entre celle-ci et la société mentionnée en 128634. À Fribourg, en 1295, le prêt était pratiqué par une société qui appartenait à Manuele Toma, Giorgio Asinari et Nicola Alfieri35. Peut-être déjà présents à Genève, les Toma étaient sans doute actifs à cette même époque également dans le Chablais. Dans les comptes du châtelain de Chillon pour l’année 1295-1296, un certain Manuellus est qualifié de Cahorsin de Saint-Maurice36. Les prêteurs de Saint-Maurice contrôlaient également l’établissement de Sembrancher depuis au moins 128837. Mais ce n’est que vers 1301 que l’identité de quelques-uns des propriétaires peut être établie. Cette année, en effet, Ludovico Ippoliti et Manuele Toma versent au péager de Villeneuve 9 livres et 10 sous tournois pour régler le cens de l’ensemble des casanes sous le contrôle de leur société38. Si les localités où se trouvent ces établissements ne sont pas précisées, le montant est exactement le même que celui qui sera versé jusqu’en 1317 pour les quatre établissements de Saint-Maurice, de Sembrancher, de Saillon et de Conthey. En 1304, d’autres membres de la société sont mentionnés. Il s’agit de Giacomino et Francesco di Antignano, famille qui possédait des participations dans de nombreuses casanes savoyardes, et d’Umberto Laiolo, qui possédait avec Rolando Laiolo une partie des comptoirs de Bourg Saint-Maurice et d’Aime39. Giacomo Laiolo a par ailleurs tenu
31 Sur ces aspects, voir dans le présent volume « Les marchés et les foires de Sion et de Saint-Maurice d’Agaune à la fin du Moyen Âge (xiiie-xve siècle) ». 32 Ch. Ammann-Doubliez, Chancelleries, op. cit., no114, p. 377. Contrairement à ce qui est indiqué dans l’édition, à la société participent Manuele Guttuari et ses deux fils Bartolo et Filippo. 33 Ibid., no 170, p. 428. 34 ACS, Min. A 19, p. 19-21 (acte du 26 juin 1340) et p. 22-24 (acte du 28 juin 1340) 35 P. Aebischer, « Banquiers », art. cit., p. 6. 36 « De l libr. laus. de Manuello corsino Sancti Mauricii de mutuo facto » (CC Chillon 1295-1296, ASTo, SR, Inv. 69, f. 5, m. 1, r. 11). 37 Ce sont eux qui versent le « stagium » également pour l’établissement de Sembrancher (CC Chillon 1288-1289, ASTo, SR, Inv. 69, f. 5, m. 1, r. 9). 38 CP Villeneuve-Chillon 1302-1303, ASTo, SR, Inv. 69, f. 31, m. 1, r. 6. 39 Ils sont mentionnés à l’occasion d’un prêt consenti au donzel Aimon de Morestel (AEV, Fonds O. Riedmatten A 8 ; Gremaud, Documents, t. 3, no 1211). En décembre 1305, Giacomino et Francesco di Antignano, avec Manuele Toma, sont de nouveau cités en relation avec l’établissement de Conthey lors de la concession d’un prêt (AEV, ABS, Tir. 164, no 19). Sur la participation des di Antignano et des Laiolo au capital d’autres casanes voir A. M. Patrone, Le casane astigiane in Savoia, Turin, 1959, passim.
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le comptoir de Lucerne de 1297 à 133340. Les quatre casanes ont certainement été contrôlées par les Toma, les di Antignano et les Laiolo jusqu’en 1317, même s’il n’est pas possible de connaître quelle part du capital était détenue par chaque famille. En 1317, cependant, Umberto Laiolo s’est retiré de la société pour des raisons qui restent obscures tout en retirant sa procuration à Giacomino di Antignano « de omnibus causis et negociis suis in Lombardia et alio loco, et specialiter super facto casanarum Sancti Mauricii, Sancti Brancherii, Sallionis et Contegii41 ». Il vendit la même année la moitié de la casane de Saillon à un autre membre de sa famille, Aleramo Laiolo42. Sans entrer dans les détails de l’histoire de chaque casane du Chablais et du Valais au cours de la première moitié du xive siècle, les informations dont on dispose montrent que la composition des sociétés qui les détenaient a connu des changements assez fréquents. Faute de place, nous nous limiterons à en rappeler quelques-uns. À Saint-Maurice, à côté des Toma, qui garderont une participation dans la casane au moins jusqu’à 1351, on voit apparaître vers 1318 Giorgio di Mongarello, dont la famille avait des liens de parenté avec les di Antignano et qui aura par la suite des participations dans de nombreuses casanes, comme celles de Saillon ou de Conthey mais aussi de Versoix près de Genève. À Saillon, vers 1316, font leur apparition les Costanzi d’Alba qui, peu après, sont mentionnés en tant que propriétaires d’une partie de l’établissement de Sion. Dans celui-ci, ils sont associés vers 1330 avec les Guttuari et les Garretti. Ces derniers, propriétaires depuis la fin du xiiie siècle d’une partie des comptoirs de Thonon et d’Aigle – établissement qui appartenait en partie également aux Toma – ont eu une participation aussi dans les casanes de Sembrancher et de Martigny. Un des membres de la famille, Perrino, a été associé pendant quelques années avec un autre prêteur astésan, Ruffino Barbafalla, très actif dans la région de Leytron vers 1320 mais qui ne paraît pas avoir été à la tête d’une casane43. Si les établissements de prêt étaient contrôlés le plus souvent par des individus membres de la même famille ou appartenant à des familles qui dans leur ville d’origine étaient alliées entre elles pour des raisons politiques et/ou économiques, les sources révèlent que de temps à autre des conflits parfois importants ont pu naître en relation avec la gestion des casanes ou des activités de prêt, aspect qui a été jusqu’ici peu étudié. Quelques conflits paraissent même avoir pris des proportions très considérables. C’est le cas de celui qui est mentionné dans un compte établi le 27 mars 1343 entre les représentants du comte de Savoie et Francesco di Medici de Chieri, agissant au nom des frères Giorgio, Bartolo et Aimone Asinari44. Le document
40 J. I. Amiet, « Die französischen und lombardischen Geldwucherer des Mittelalters namentlich in der Schweiz », Jahrbuch für schweizerische Geschichte, 2 (1877), p. 144. 41 ACS, Min. A 7bis, p. 42 (acte du 19 février 1317). 42 Le compte du châtelain de Conthey-Saillon pour 1318-1319 indique en effet, sous la rubrique laudes et venditiones, le versement de 100 sous mauriçois « pro venditione quam dictum Humbertus fecit eidem Aleramo de medietate dicte casane Sallionis de bonis casane pertinentibus » (CC Conthey-Saillon 13181319, ASTo, SR, Inv. 69, f. 41, m. 2). 43 Sur ce personnage, voir P. Dubuis, « Lombards et paysans dans le vidomnat d’Ardon-Chamoson et dans la paroisse de Leytron de 1331 à 1340 », Vallesia, 32 (1977), p. 275-305. 44 ASTo, SR, Inv. 38, m. 7, no 49.
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permet de savoir qu’Amédée VI s’était fait céder du roi de France une cause qui opposait les Asinari à un membre de l’importante famille des Roero, Tisetto, et qu’à la suite d’une sentence interlocutoire en faveur de celui-ci, les trois frères avaient dû verser 3 000 florins de Florence. À la fin du mois de février 1343, les frères avaient également accepté une composition sous l’autorité de la comtesse de Savoie, suite à laquelle ils avaient dû remettre à celle-ci 200 florins et 500 autres florins au comte. Si l’on ignore l’origine de ce conflit apparemment complexe, on sait grâce aux Actes du Parlement de Paris que Tisetto, avant d’obtenir cette sentence interlocutoire, avait passé quelque temps dans la prison royale de Montpellier. En mars 1345, il était d’ailleurs de nouveau en prison et un mandement du Parlement du 8 juillet ordonne de le contraindre à verser à Bartolo Asinari et à ses associés une somme de presque 300 livres en dédommagement des frais encourus45. Quelques conflits, bien plus modestes, sont signalés aussi par les sources valaisannes. Ainsi, en 1340, Oddino Costanzi, qui avait hérité de son oncle Bartolo d’un tiers de l’établissement de Sion, fut accusé par les représentants de Palmerono Turchi de ne pas avoir bien gouverné la casane pendant les années au cours desquelles il avait été employé par celle-ci, soit au moins depuis 1332, et de ne pas avoir présenté des comptes satisfaisants. Oddino répliqua que la faute était de Perrino Garretti et de son fils Domenico, propriétaires d’un des deux tiers de la casane désormais entre les mains de Palmerono, lesquels avaient beaucoup nui au bon fonctionnement de l’établissement. Il ajouta qu’il avait par ailleurs toujours été insatisfait du salaire qu’on lui versait à l’époque où il dirigeait la casane46. Comme le remarque Renato Bordone à propos des nombreux litiges qui ont éclaté au sein de la famille Asinari pendant le dernier quart du xive siècle, l’intérêt des arbitrages auxquels ont donné lieu ces conflits, c’est qu’ils révèlent parfois la présence dans les archives familiales de cette époque de livres comptables relatifs aux affaires des prêteurs47. En Valais aussi, quelques documents signalent l’existence de ce type de registres. Vers 1320, les tenanciers de la casane de Conthey durent par exemple verser une amende au châtelain car leur représentant avait quitté la région avec les « libros rationum magistrorum suorum48 ». La tenue de livres comptables par les casaniers est confirmée également par l’inventaire de l’établissement de prêt de Sembrancher, établi en 1347, qui mentionne la présence dans l’« operatorium » de sept gros cartulaires en papier (« VII cartularia papirorum magni voluminis ») et de quatre autres petits volumes 45 H. Furgeot, Actes du parlement de Paris. Deuxième série : de l’an 1328 à l’an 1350. Jugés, t. 2 : 1343-1350, Paris, 1960, nos 4356, 5279, 6104, 6292, 6973, 8481. L’affaire a duré au moins jusqu’en 1348. Sur la présence des Roero dans le Sud de la France, voir Fr. Gasparri, La principauté d’Orange au Moyen Âge (fin xiiie-xve siècle), Paris, 1985, p. 80. 46 « […] dicebant dictum Odinum, dum rationem debitorum dicte domus seu casane pre manibus habuit, non bene rexisse nec gubernasse nec sufficientem computum redidisse ; dictusque quoque Odinus dicebat multa dampna fuisse illata temporibus retroactis per Perrinodum Garreti quondam et Dominicum eius filius tempore vite eorum in dicta casana seu domo, sibique Odino non fuisse satisfactum de salario suo per tempus quo rexit dictam casanam » (ACS, Min. A 19, p. 22-23, acte du 28 juin 1340). 47 R. Bordone, « Una famiglia di “Lombardi” nella Germania Renana alla seconda metà del Trecento: gli Asinari di Asti », in Fr. Burgard et al. (éd.), Hochfinanz im Westen des Reiches, Trier, 1996, p. 20. 48 CC Conthey-Saillon 1319-1320, ASTo, SR, Inv. 69, f. 41, m. 2.
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où avaient été enregistrées les dettes anciennes et remboursées49. Si les mentions d’une comptabilité tenue par les casaniers ne sont donc pas rares, force est constater qu’aucun livre ou registre ne paraît avoir été conservé. Parmi les documents déposés aux Archives de l’Abbaye de Saint-Maurice on trouve cependant quelques feuillets du “bilan” d’une casane qui couvre la période qui va du 15 mai 1343 au 24 février 1345 (Fig. 1)50. L’identification de la casane est aisée, car le document indique que les propriétaires sont Giorgio di Mongarello et les frères Braxone et Giacomo Falletti, fils de feu Secondino. On sait que celui-ci, en 1314-1316, était un des propriétaires, avec son frère Stevenino, de la casane de VilleneuveChillon51, qui est mentionnée, comme on l’a vu, dans les comptes du châtelain de Chillon à partir de Noël 1286, lorsque les Cahorsins de Villeneuve versent 25 livres pour leur « stagium ». Deux ans plus tard, un certain Enrico et ses associés versent 50 livres de Lausanne pour pouvoir exercer leur activité à Villeneuve pendant trois ans52. Dans les comptes de 1306-1307, c’est un certain Morello Cacho (sans doute de la famille des Cacherano) et ses associés qui sont mentionnés53. Celui-ci, la même année, verse également au receveur du péage de Villeneuve le cens pour la casane de La Tour de Vevey, dont la première mention remonte elle aussi à 128654. Il est donc vraisemblable que l’établissement de Villeneuve et de Vevey appartenaient, au moins en partie, aux mêmes familles. Deux autres Falletti, Tommasino et Giacomino, sont mentionnés en relation avec la casane de Villeneuve dans les comptes de Chillon de 1330-133255. En 1332 l’établissement appartenait encore à Secondino Falletti. Ses associés étaient Giovanni et Guido Toma, fils de feu Manuele Toma, ainsi que Giorgio
49 Sur cet inventaire, voir dans le présent volume, « Les prêteurs d’argent et leurs clients dans le Valais savoyard à la veille de la Peste Noire. La casane de Sembrancher en 1347 ». 50 AASM, CPT 200/1/13. À cause de son caractère fragmentaire, la nature exacte de ce document, que nous appellerons ‘bilan’ par simplicité, est difficile à établir. Il pourrait s’agir d’une pièce comptable visant à établir la valeur de la casane ou, plus probablement, d’un inventaire des biens de celle-ci destinés à être saisis, comme ce fut le cas à Sembrancher. On sait qu’en 1348, suite au conflit avec Milan, Giorgio di Mongarello dut verser une composition de 240 florins au comte de Savoie (ASTo, Prot. duc., no 50, fol. 21r). Le comptoir de Vevey fit lui aussi l’objet d’un inventaire et les gages qu’on y trouva furent saisis et vendus par l’administration savoyarde (CC Vevey 1347-1348, ASTo, SR, Inv. 69, f. 169, m. 2). Dans le compte du trésorier général on précise que cette composition fut imposée car les tenanciers étaient « de seynoria capitani Medyolani », autrement dit Astésans et donc des ressortissants d’une ville alliée aux Milanais (ASTo, CTG 1346-1349, r. 14). 51 A. M. Patrone, Le casane, op. cit., p. 125. 52 CC Chillon 1288-1289, ASTo, SR, Inv. 69, f. 5, m. 1, r. 9. Les comptes de la commune de Villeneuve donnent d’autres prénoms de cahorcini actifs dans la ville à la fin du xiiie siècle qu’il n’est pas possible de rattacher à une famille précise. 53 CC Chillon 1306-1307, ASTo, SR, Inv. 69, f. 5, m. 1, r. 17. 54 CP Villeneuve-Chillon 1306-1307, ASTo, SR, Inv. 69, f. 31, m. 1, r. 7. Première mention : CC Chillon 1286-1287, ASTo, SR, Inv. 69, f. 5, m. 1, r. 9. En 1291, les prêteurs de Vevey figurent parmi les créanciers de l’évêque de Sion pour 77 livres de Lausanne « sub usuris pro baculo pastorali et aliis ornamentis argenteis pro capella » (ACS, tiroir 54, no 12). En 1318-1319 c’est encore un membre de la famille des Cacho qui verse le cens pour le comptoir de Vevey (CC Vevey 1317-1318, ASTo, SR, Inv. 69, fol. 169, m. 1). 55 CC Chillon 1330-1332, ASTo, SR, Inv. 69, f. 5, m. 1, r. 29.
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Figure 1. Fragment du “bilan” de la casane de Villeneuve arrêté au 24 février 1345
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di Mongarello56. Ce dernier, comme on vient de le voir, est un prêteur d’argent qui a été très actif en Valais tout au long de la première moitié du xive siècle. Décédé peu après 1350, il avait légué une grande partie de ses biens à son neveu Marengono, qui est mentionné dès 1352 en tant que tenancier de la casane de Vevey avec Bonifacio Cacho et, l’année suivante, en tant que tenancier des établissements de Villeneuve, de Conthey et de Saillon57. Les Cacherano faisaient partie de l’importante famille des Solaro58, ce qui paraît suggérer que les casanes de Vevey et de Villeneuve sont restées pendant longtemps sous le contrôle des mêmes propriétaires. Tout comme l’inventaire de Sembrancher, le bilan confirme que les casanes ne pratiquaient le prêt sur gage que de manière très limitée, la valeur de l’ensemble des gages étant à peine supérieure à 75 livres, 80 livres si l’on y ajoute 17 sous et 8 deniers de blancs de Savoie remis en gage pour 5 livres. Le bilan paraît confirmer que les casaniers pratiquaient également le change, sans doute de manière épisodique, car il mentionne une somme de presque 102 livres « in pecunia numerata in omnibus monetis » et une dizaine d’autres livres en différentes monnaies d’argent. Mais ce qui est plus intéressant, c’est le fait que le bilan permet de savoir que le capital de la casane était au total de 3 666 livres, réparti entre Giorgio di Mongarello et les frères Falletti de la manière suivante : le premier possédait 2 556 livres et les deux autres 1 110 livres. Le document indique aussi que de mai 1343 à février 1345 – c’est-à-dire en 21 mois et une semaine – le bénéfice de la casane a été de 888 livres, 1 sous et 2 deniers, soit un rendement annuel du capital de presque 14%. Vu leur caractère isolé, il est impossible de savoir si les données relatives à l’établissement de Villeneuve sont représentatives ou non des rendements obtenus par les casaniers dans les années quarante du xive siècle. Même si c’était le cas, il faudrait malgré tout s’abstenir de toute généralisation hâtive. D’une part, car nous ne disposons d’aucune information concernant la conjoncture des activités des casaniers et, de l’autre, car ces profits ont été réalisés pendant un laps de temps au cours duquel les prêteurs d’argent ne semblent pas avoir été soumis à des prélèvements extraordinaires de la part du comte de Savoie. Rien ne permet de savoir dans quelle monnaie le bilan a été établi, mais il est presque certain qu’il s’agit ou de livres lausannoises ou de livres mauriçoises. Au taux de change pratiqué par le châtelain de Chillon en 1345, le capital total de la casane serait dans le premier cas d’environ 5 157 florins de bon poids et le double dans le deuxième cas. À titre de comparaison, on peut rappeler qu’en 1347 le total des créances de la casane de Sembrancher était de 5 840 florins. Le profit moyen annuel a été d’environ 720 florins ou de 1 440 florins, sommes dans un cas comme dans l’autre tout à fait significatives, si l’on considère qu’une châtellenie comme celle d’Entremont et de Saxon a rapporté au comte de Savoie en 1346-1347 à peine plus de 880 florins bruts59. 56 ACV, AB 5, fol. 12v. 57 CC Chillon 1353-1354, ASTo, SR, Inv. 69, f. 5, m. 1, r. 47 ; CC Chillon 1354-1355, ASTo, SR, Inv. 69, f. 5, m. 1, r. 48. 58 Q. Sella (éd.), Codex astensis qui de Malabayla communiter nuncupatur, t. 1, Rome, 1880, p. 238. 59 P. Dubuis, Une économie alpine, op. cit., t. 1, p. 177. Le bilan mentionne également d’autres membres de familles exerçant le prêt dans la région, comme Guido Toma et Berardono di Antignano, ainsi que la casane de Versoix.
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Le bilan de la casane a été établi en utilisant les livres comptables de celle-ci. Il renvoie en effet au « premier cartulaire ancien », au « deuxième cartulaire », au « cartulaire nouveau », etc., mais aussi au « manuali longo sive litteris ». Le fait que la personne qui a établi le bilan ait pu préciser le montant des bénéfices escomptés tout de suite après avoir indiqué la composition du capital, donne par ailleurs à penser que les casaniers tenaient également un compte de pertes et profits grâce auquel ils étaient à même d’équilibrer chaque opération et de suivre l’évolution de leurs affaires tout au long de l’exercice comptable. Les Archives de l’Abbaye de Saint-Maurice ont conservé également un fragment, pour la précision deux feuillets en papier d’assez grandes dimensions, d’un des cartulaires d’un autre établissement de prêt qui peut être identifié avec celui de Conthey (Fig. 2)60. Les deux feuillets, qui concernent l’année 1343, sont en assez mauvais état. Certains passages sont à peine lisibles et il est difficile de reconstituer les calculs effectués. Ces fragments permettent tout de même d’entrevoir comment les tenanciers enregistraient les opérations qu’ils effectuaient. Chaque prêt concédé donnait lieu à l’ouverture d’un compte. Dans la partie gauche de la carta étaient indiqués le ou les noms du débiteur, ceux des garants, l’échéance ainsi que le nom du notaire qui avait enregistré le prêt, la date à laquelle celui-ci avait été concédé et bien entendu le montant du prêt. Dans la partie de droite étaient enregistrés les éventuels remboursements de la dette, en général des remboursements partiels, les « innovationes » concernant le prêt, par exemple un prolongement de l’échéance, le moment auquel avait été établi avec le débiteur le calcul des remboursements effectués, avec l’indication de l’identité de ceux qui avaient été présents à ce moment et parfois le lieu et la date, ainsi que les reconnaissances de dette, avec leur montant, qui avaient été restituées aux débiteurs. Plusieurs opérations donnent lieu à une écriture dans le manuel (sous « dare » (« debemus »), en cas de remboursement, et « avere » (« nobis »), pour ce qui restait à payer). Lorsque aucun remboursement n’avait été effectué et la dette restait « in valore », le compte était retranscrit dans le nouveau cartulaire, désigné, comme le manuel, par une lettre de l’alphabet (« in cartulario novo signato per E, etc. »). Le montant des reconnaissances restituées au moment du remboursement est en général plus élevé que celui de la dette enregistrée au moment de l’ouverture du compte. Dans un cas, à propos d’une dette d’une livre, 8 sous et 10 deniers, contractée le 2 mai en présence du notaire Pierre (ou Perrod) Lombard, le comptable note : « ladite charte est de 50 sous », autrement dit de 2 livres et demie. Les minutiers de Pierre Lombard, notaire actif dans la région de Sion, ont conservé la trace de nombreuses reconnaissances de dette en faveur des prêteurs d’argent de Conthey et de Saillon. Dans un des minutiers, on remarque que le notaire a inscrit dans la marge de plusieurs reconnaissances de dette une somme inférieure à celle indiquée dans celles-ci. Ainsi, à côté d’un prêt de 8 livres pour six
60 AASM, PVR CAR 83/121/1. En 1343, l’établissement de Conthey appartenait à Matteo et Francesco di Antignano et à Giorgio di Mongarello. Deux autres fragments très abîmés du même cartulaire ont été conservés grâce à la couverture d’un registre de reconnaissances de dettes en faveur de l’abbaye de Saint-Maurice qui concernent l’année 1343 (AASM, REN 500).
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Figure 2. Fragment du cartulaire de la casane de Conthey (1343)
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mois accordé par Giorgio di Mongarello en mars 1343, le notaire a écrit « .c[arta]. iiii lb. xvi s.61 ». Il n’est cependant pas certain que ces montants indiquent la somme effectivement prêtée et celle qu’il fallait restituer avec les intérêts. Dans le cartulaire on constate qu’au moins dans un cas le montant de la reconnaissance de dette est le même que celui enregistré par le comptable. En même temps, le comptable restitue trois ‘chartes’ pour un montant apparemment supérieur à celui qui a été versé. L’état trop fragmentaire du document rend impossible toute reconstitution détaillée des opérations enregistrées. On peut néanmoins noter que le comptable paraît se servir aussi d’un système lui permettant de se retrouver parmi les différentes dates. Celles-ci sont en effet très souvent suivies par quelques lettres dont il est cependant difficile de comprendre la fonction. Il s’agit peut-être d’un moyen permettant de suivre dans le temps l’évolution des créances et des intérêts générés par celles-ci, car il est évident que pour les casaniers il était essentiel de pouvoir retrouver rapidement la date à laquelle la créance avait été établie, celle prévue pour le remboursement ainsi que les dates des éventuels remboursements partiels. À partir du milieu du xive siècle, aussi bien en Valais qu’en Bourgogne, l’activité des prêteurs d’argent paraît avoir connu un certain ralentissement, qui n’a cessé de s’accentuer au cours des années soixante et soixante-dix. Plusieurs facteurs semblent être à l’origine de ce phénomène. En Valais, mais sans doute en Bourgogne aussi, la diminution très importante du trafic international paraît avoir eu des conséquences assez considérables sur l’ensemble des activités économiques, comme le suggèrent les données relatives aux foires de Sion et de Saint-Maurice d’Agaune62. Aussi bien en Bourgogne qu’en Savoie, les besoins financiers croissants des ducs et des comtes semblent être à l’origine de toute une série de mesures visant en définitive à extorquer de plus en plus d’argent aux Lombards sous la forme de compositions – par exemple en 1347-1348 suite à l’occupation d’Asti par les Milanais – ou de confiscations –comme en Bourgogne au début des années soixante-dix –, tout en les obligeant à leur accorder des prêts de plus en plus fréquents et, semble-t-il, à des conditions de moins en moins avantageuses pour les prêteurs. En 1352, les fonctionnaires chargés de la vérification des comptes du receveur du péage de Saint-Maurice ordonnèrent ainsi à celui-ci de récupérer auprès de la casane de Villeneuve 12 florins qui représentaient les intérêts d’un emprunt de 200 florins, « car le seigneur comte n’a pas pour habitude de verser un intérêt aux Lombards de son domaine »63. L’arrivée de la peste a également contribué à rendre l’activité des prêteurs plus compliquée et moins rentable, à cause à la fois du décès de nombreux clients potentiels et des difficultés auxquelles se sont heurtés les tenanciers des casanes pour récupérer auprès des héritiers des créances qui dataient parfois de dix ou quinze ans. À plusieurs occasions, on les voit ainsi accepter de baisser considérablement leurs prétentions et se contenter d’une
61 ACS, Min. B. 9, p. 19. 62 Fr. Morenzoni, « Les marchés », art. cit., p. 293-305. 63 CP Saint-Maurice 1351-1352, ASTo, SR, Inv. 69, f. 161, m. 1, r. 20.
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nouvelle reconnaissance de dette pour une somme nettement inférieure64, ou bien faire des dons au comte de Savoie dans l’espoir d’obtenir son aide. En 1354-1355, l’héritier de Giorgio di Mongarello, Marengono, remit 100 florins au châtelain de Chillon « ad eo quod dominus ipsum fortem faceret et favorabilis sibi esset in debita dicti Georgii recuperandis65 ». Aussi bien en Bourgogne qu’en Valais, les difficultés qui se sont manifestées à partir du milieu du xive siècle ont amené les tenanciers à demander et à obtenir des réductions des cens qu’ils versaient pour pouvoir exercer leur activité, cens qui n’avaient cessé d’augmenter depuis le début du siècle. En 1374, la comtesse de Bourgogne accepte ainsi de réduire d’un tiers la somme que versaient les prêteurs de Rochefort « de grace expecial et pour ce que leur faculté et puissance est amoindrie et que bonnement ne se pouhoient paier de leurs debtes66 ». En Valais, le cens de la casane de Sembrancher passe de 100 gros tournois en 1349-1350 à 56 ½ gros en 1350-1351, alors que le comte de Savoie accepte de diminuer celui de l’établissement de Conthey d’environ 14% en 135367. Ailleurs la situation paraît avoir été encore pire. En 1351, les tenanciers de la casane de Lompnieu dans l’Ain, ne furent pas en mesure de verser leur cens « propter eorum paupertatem68 ». Au cours de la deuxième moitié du xive siècle, la composition des sociétés qui contrôlaient certains établissements de prêt paraît s’être considérablement complexifiée, peut-être à cause des héritages. Au début des années soixante, trois frères de la famille des Pelletta et leurs quatre enfants versent les droits d’entrée pour plusieurs casanes. Ils possèdent ⅓ de celle de Chambéry, d’Aix-les-Bains et de SaintHyppolite, ⅓ et 1/6 de celles d’Aime et de Saint-Maurice en Maurienne et 1/9 et 1/18 de celle de Salins en Tarentaise69. En Valais, en revanche, on observe une concentration des établissements de prêts entre les mains d’un nombre réduit d’individus. Le cas de Palmerono Turchi est de ce point de vue assez significatif70. Comme on l’a vu, vers la fin des années trente, Palmerono était entré en possession de deux tiers de la casane de Sion en rachetant l’un au Guttuari et en héritant l’autre des Garretti. Il avait par la suite acheté le dernier tiers aux Costanzi. Peu après, il est mentionné avec
64 En 1357, Francesco di Antignano accepte par exemple de réduire ses prétentions de 25 à 14 livres pour des dettes qui remontaient à plus de dix ans (ACS, Min. B 184, II, p. 31). 65 CC Chillon 1354-1355, ASTo, SR, Inv. 69, f. 5, m. 1, r. 48. Son oncle avait pourtant déjà pris quelques précautions, car dans son testament il avait donné à l’évêque de Sion 100 florins, à l’abbé de SaintMaurice 300 livres et au comte de Savoie 50 florins « supplicans humiliter […] ut dictis heredibus meis […] esse dignetur et velit favorabilis in suis negociis prosequendis » (ACS, Min. A 19, p. 44). Marengono avait déjà dû accepter de verser au comte de Savoie 300 florins en 1352-1353 pour que celui-ci renonce à certaines prétentions qu’il avait sur les biens meubles de Giorgio di Mongarello (Comptes du receveur général de la Savoie 1352-1353, ADS, SA 15786). 66 L. Gauthier, Les Lombards, op. cit., p.j. 123, p. 258. 67 « Et residuum, ut dicit, remisit dominus eisdem » (A. M. Patrone, Le casane, op. cit., p. 168). La redevance versée par certains établissements, comme celui d’Aigle, continue néanmoins d’augmenter. 68 Ibid., p. 169. 69 Ibid., p. 180-181. 70 Sur la famille des Turchi di Castello, voir A. Sisto, Banchieri-feudatari subalpini nei secoli xii-xiv, Turin, 1963, passim.
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son frère Oliviero en tant que propriétaire de l’établissement de Martigny71. Suite à une créance importante auprès du comte de Savoie, Palmerono avait pu entrer en possession des établissements de Sembrancher, d’Aigle, de Thonon72 vers 1348 et, semble-t-il un peu plus tard, de Saxon, d’Allinges et d’Entremont. Quelques années plus tard, on le trouve également parmi les propriétaires de celui de Saillon73. Mais au début des années soixante il renonça à l’exploitation de toutes les tables de prêts qu’il possédait en déclarant explicitement aux représentants du comte qu’il ne souhaitait plus prêter d’argent dans ces régions74. Au cours de cette même décennie, toutes les casanes du Valais épiscopal, du Valais savoyard et du Chablais disparaissent des sources. En Bourgogne aussi le nombre d’établissements paraît diminuer de manière significative à peu près à la même époque. Les tentatives de rouvrir telle ou telle autre casane semblent-elles aussi avoir le plus souvent échoué. Celle de Villeneuve, qui n’est apparemment plus citée après 1354, est reprise en 1392 par Oddonino Asinari, par ailleurs également châtelain de Morat. Elle paraît n’avoir survécu que quelques années75. Celle d’Yverdon est mentionnée pour la dernière fois en 1379, mais rien ne permet de dire qu’elle a fonctionné tout au long de la première moitié du xive siècle76. À Fribourg, on ignore jusqu’à quand une table de prêt a existé. Les Asinari sont certainement actifs à Moudon jusqu’à 1364, année à laquelle ils ont été obligés d’arrêter leurs activités dans la ville77. Mais le centre d’intérêt de leurs affaires paraît désormais s’être déplacé vers la région lémanique, et plus particulièrement vers Genève, où ils ont été peut-être attirés par l’essor des foires. À partir de 1352, ils ont en effet repris l’établissement présent dans la ville en association avec les membres de deux familles importantes de Chieri, les di Simeoni et les di Medici. Si l’on juge d’après les sommes versées tous les dix ans pour leur introgium, le comptoir devait être plutôt florissant, tout au moins pendant le troisième quart du siècle, car la société verse 400 florins en 1352 et 750 florins en 136578. La table a fonctionné, semble-t-il sans solution de continuité, au moins jusqu’à 1427 même si, il faut le souligner, on ne dispose pratiquement pas de sources permettant de mieux connaître ses activités et sa clientèle79. Il n’est d’ailleurs pas exclu que Genève, au début du xve siècle, ait en fait abrité deux comptoirs différents, car les tenanciers de celui de Nyon versent un cens également pour une table sise à Genève qui ne paraît pas être celle des Asinari80.
71 ACS, Min. A 19, p. 12, acte du 14 avril 1341. 72 A. M. Patrone, Le casane, op. cit., p. 152. 73 ACS, Min. B 33, p. 224-225, acte du 13 novembre 1361. 74 A. M. Patrone, Le casane, op. cit., p. 284-286. 75 Ibid., p. 223 ; dernier versement pour 1396, Ibid., p. 224. 76 ASTo, CTG 1377-1382, fol. 11r. 77 Année où elle ferme, puis rouvre quelque temps après en 1388. Cf. B. De Cérenville et Ch. Gilliard, Moudon sous le régime savoyard, Lausanne, 1929, p. 242 ; G. Scarcia, « Une intégration possible : le cas des “Lombards” en Suisse romande. Les villes de Morat et de Moudon aux xive et xve siècles », Études Savoisiennes, 5-6 (1996-1997), p. 60. 78 A. M. Patrone, Le casane, op. cit., p. 174 et 184. Le cens a cependant diminué par la suite. Il est de 200 fl. entre 1374 et 1383, de 400 fl. entre 1382 et 1391, et de 200 fl. entre 1391 et 1400. 79 Ibid., p. 254. 80 Ibid., p. 253.
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Quoi qu’il en soit, il semblerait que Genève et Nyon aient été les dernières villes de l’actuelle Suisse romande à abriter une casane. Pour certaines régions comme le Valais et le Chablais, les documents concernant la présence et le fonctionnement des casanes permettraient de reconstituer de manière assez fine l’histoire de celles-ci. Il n’en demeure pas moins que, dans l’état actuel de la recherche, il est assez difficile d’aller au-delà d’une approche qui demeure foncièrement locale ou régionale. En l’absence d’un nombre suffisant de travaux à caractère prosopographiques concernant les grandes familles astésanes ou piémontaises qui ont été actives dans le prêt81, il est le plus souvent impossible d’analyser les stratégies que celles-ci ont mises en œuvre, dans quelque cas, semblet-il, à l’échelon d’une partie importante de l’Occident, pour tenir un rôle de premier plan dans le prêt aux particuliers et la finance en général pendant plus d’un siècle et demi. Cette absence empêche aussi d’entrevoir bien souvent les raisons qui ont été par exemple à l’origine des changements fréquents que l’on peut observer dans la composition des sociétés qui contrôlaient les casanes ou de mieux comprendre pourquoi les membres de certaines familles ont fini par choisir de s’installer dans les régions où ils avaient exercé leur activité de prêt, à l’instar d’une des branches des Asinari de Genève dont la tour de leur maison, construite peu avant 1444, aura le privilège d’être représentée dans le célèbre retable de Conrad Witz.
81 Plusieurs travaux de Renato Bordone ainsi que les ouvrages d’Alessandro Sisto ou de Luisa Castellani offrent bien entendu de très précieux renseignements. Les recherches dans cette direction semblent cependant s’être ralenties au cours des dernières années.
Lieux de première publication des articles
Première partie – Curés et prédicateurs « Évangélisation et organisation ecclésiastique de la Suisse romande des origines au début du xive siècle », in G. Bedouelle et Fr. Walter (dir.), Histoire religieuse de la Suisse : la présence des catholiques, Fribourg - Paris, 2000, p. 27-49. « L’encadrement et l’instruction religieuse des fidèles d’après les statuts synodaux des diocèses de Genève et de Sion (xiiie-xve siècles) », Revue d’histoire ecclésiastique suisse, 91 (1997), p. 7-37. « La Légende dorée d’un curé du diocèse de Genève du xve siècle », Revue suisse d’histoire religieuse et culturelle, 98 (2004), p. 9-29. « Vincent Ferrier et la prédication mendiante à Genève au xve siècle », in P.-B. Hodel et Fr. Morenzoni (éd.), ‘Mirificus praedicator’. À l’occasion du sixième centenaire du passage de saint Vincent Ferrier en pays romand. Actes du colloque d’Estavayer-le-Lac, 7-9 octobre 2004, Rome, 2006, p. 285-302.
Deuxième partie – Échanges et milieux naturels « Voyages et déplacements depuis le Valais à la fin du Moyen Âge », Vallesia, 52 (1997), p. 147-167. « Contribution à l’histoire des prix des céréales et des fèves en Valais à la fin du Moyen Âge d’après les comptes de châtellenie (vers 1270-1450) », Revue suisse d’histoire, 45 (1995), p. 175-204. « Note sur la présence de l’ours en Valais et dans le Chablais vaudois à la fin du Moyen Âge », in M. Colardelle (dir.), L’homme et la nature au Moyen Âge. Paléoenvironnement des sociétés occidentales. Actes du ve Congrès international d’archéologie médiévale, Grenoble, 6-9 octobre 1993, Paris, 1996, p. 153-156. « L’achat et la vente de chevaux d’après les registres des notaires fribourgeois de la fin du Moyen Âge », Revue suisse d’histoire, 48 (1998), p. 131-148. « La capture et le commerce des faucons dans les Alpes occidentales au xive siècle », in É. Mornet et Fr. Morenzoni (éd.), Milieux naturels, espaces sociaux. Études offertes à Robert Delort, Paris, 1997, p. 287-298.
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Troisième partie – Les routes alpines du commerce européen « La via del Vallese e il commercio internazionale e regionale alla fine del Medioevo », in G. M. Varanini (éd.), Le Alpi medievali nello sviluppo delle regioni contermini. Atti del Congresso Internazionale di Verona, 7-9 novembre 1996, Naples, 2004, p. 149-164. « Le mouvement commercial au péage de Saint-Maurice d’Agaune à la fin du Moyen Âge (1281-1450) », Revue historique, 289/1 (1993), p. 3-63. « Les produits sidérurgiques dans les comptes de péage de Saint-Maurice d’Agaune et de Villeneuve-Chillon (xive-xve siècles) », in Ph. Braunstein (éd.), La sidérurgie alpine en Italie (xiie-xviie siècle), Rome, 2001, p. 481-497. « Les marchés et les foires de Sion et de Saint-Maurice d’Agaune à la fin du Moyen Âge (xiiie-xve siècle) », in B. Andenmatten et al. (éd.), Mémoires de cours. Études offertes à Agostino Paravicini Bagliani par ses collègues et élèves de l’Université de Lausanne, Lausanne, 2008, p. 401-417.
Quatrième partie – Politiques monétaires et prêteurs d’argent « Monnaies réelles et monnaies de compte dans le Valais savoyard et épiscopal (fin xiiiedébut xve siècle) », Vallesia, 48 (1993), p. 75-89. « Quelques précisions à propos de l’atelier monétaire de Saint-Maurice d’Agaune vers le milieu du xive siècle », Vallesia, 51 (1996), p. 239-242. « Le duc Amédée VIII de Savoie et sa monnaie (vers 1420-vers 1434) », article inédit, paraîtra aussi dans La naissance du duché de Savoie, 19 février 1416 (Actes du colloque de Chambéry, 18 -20 février 2016). « Les prêteurs d’argent et leurs clients dans le Valais savoyard à la veille de la Peste Noire. La casane de Sembrancher en 1347 », Revue suisse d’histoire, 42 (1992), p. 1-27. « L’inventaire après décès de Bacinodus Tracho, Lombard de Sion (17 janvier 1376) », Vallesia, 47 (1992), p. 231-250. « Le réseau des casanes lombardes dans l’espace comtois et la Suisse occidentale (xiiiexive siècles) », article inédit, communication au colloque Un trinôme commercial européen : Italie – Champagne – Pays-Bas. (12e-14e siècles). Rome, 13-15 octobre 2011.
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Index des noms de lieux
Abondance 223, 303 Afrique 240 Agarn 206 Agaune 30-33, 36-39, 44 Aigle 123-124, 128, 140-141, 151, 166, 304, 317, 332, 375, 378, 420, 422, 430-431 Aiguebelle 254, 259, 263 Aime 77, 421, 430 Aix-en-Provence 385, 387 Aix-les-Bains 430 Alba 254, 422 Albard 175 Albens 338 Allemagne 185-187, 192, 221, 236-237, 240, 244-246, 249-251, 255, 258, 286, 288, 291, 316, 326, 362, 366 Allevard, montagnes d’ 291 Allinges 431 Alpes 163, 168-171, 173, 176-177, 182, 201, 231, 238, 259, 279, 284, 286, 290-291, 302, 304, 342, 347, 354, 363 Ambérieu-en-Bugey 363 Ancillano 401 Ancône 254, 259 Andelot 242 Angers 50 Angleterre 47, 50, 78, 171, 181, 226, 233, 240, 243-244, 248 Annecy 176, 298, 363, 413 Antrona 206 Aoste 33, 64, 77, 138, 150-151, 170, 221, 254255, 259-261, 281, 290, 364-365 Aquilée 32 Arbent 363 Arbois 417 Ardon 373, 379, 391 Argovie 34
Asti 174, 254, 257, 260, 320, 343, 376, 417418, 429 Attigny 38 Aubonne 30, 98 Autriche 242, 244, 288 Auvergne 255, 259 Avenches 34-35 Avigliana 214, 254, 321-322, 338, 363-364 Avignon 97, 122, 188, 212, 214, 253, 287-288, 316 Baden 192 Bagé-le-Châtel 341, 364 Bagnes 167, 376, 380-387 Bâle 40, 126-127, 131-132, 186, 192-193, 195, 334, 355, 363 Balstahl 126 Barcelonnette 98 Bard, péage de 123-124, 170-175, 177, 238, 248 Belfort 254 Belley 39, 101, 363 Bellinzone 247 Béon 84-85, 88 Berne 41, 43, 45, 77, 126, 190-193, 251, 254, 259-261, 281, 283, 287, 355, 363, 374 Besançon 36, 41, 254, 259, 261, 284, 417 Bex 34, 218-219 Béziers 192 Bibian 130 Biella 171 Bienne 190 Bieudron 165 Bobbio, monastère de 36-37 Bologne 254, 257-259, 316 Bourbonnais 367-368 Bourg-en-Bresse 100, 123, 128, 131, 338, 340, 363-364 Bourget 177
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i n de x de s n o m s d e l i e u x
Bourgogne 38-40, 101, 118, 173, 185, 226, 233-234, 239-242, 245, 248, 254, 257, 287, 315, 329, 337, 341, 351, 367, 370, 413, 417418, 420, 429-431 Bourg-Saint-Christophe 366 Bourg-Saint-Maurice 363 Bourg-Saint-Pierre 44, 123-126, 128, 131, 151, 208, 238, 379-384, 386 Bovernier 381, 383, 387 Brabant 78, 211 Bresse 234, 340, 363 Bretaye 163 Brétigny 325 Brianza 282 Brie 209, 245 Brigue 119-122, 151, 171, 174, 238-239, 254, 260, 281, 283, 289, 329 Bruges 170, 232, 240 Brügg 190 Bruxelles 236, 413 Bugey 363 Bulle 254, 259 Burgdorf 193 Cambrai 50 Candelo 124 Cantorbéry, diocèse de 47, 50, 86 Cantú 254, 260, 282, 285-286, 400, 402, 407 Carpentras 387, 393 Castiglione 119 Catalogne 97 Ceyzérieu 74-90 Chablais (Chiablese) 73, 110, 163-164, 166, 188, 214, 216, 221, 285, 290-291, 304-305, 310, 326, 331, 333-334, 342, 363, 375, 418, 420-422, 431-432 Chalon-sur-Saône 208-209 Chambéry 97, 100, 102, 164, 174, 177-178, 223, 317, 322, 338-339, 342, 344-345, 349, 353, 360, 362-364, 430 Chamoille 381 Chamoson 373, 379, 391 Champagne 118, 208-209, 233, 235 Champex 165 Châteauneuf (Valromey) 76, 363 Châtelard (Valais) 77
Châtelard-en-Bauges 281, 291 Châtillon-en-Dombes 341 Châtillon-sur-Chalaronne 363 Chessel 125 Chieri 223, 254, 261, 338-339, 354, 422, 431 Chillon 140-141, 163-166, 177, 188, 204, 206, 218, 251, 279, 282, 294-295, 297, 304, 316-319, 321-322, 324-326, 333 Chissey 417 Civitas Vallensium 33 Clées, péage des 171, 226, 236, 240, 254, 261, 280, 284, 343, 363 Clermont 34 Cluses 254 Cly 131 Collonge-Bellerive 74 Cologne 171, 192 Côme 240, 244-246, 248, 254, 257, 282 Conches, vallée de 207 Concorezzo 211 Condat, monastère de (actuellement Saint-Claude) 36-38 Conflans 363 Constance 35 Conthey 135-136, 139, 141, 144, 148, 150-151, 164-165, 190, 244, 246, 258, 283, 294, 305, 316, 319, 321, 323, 325-326, 363, 374-376, 378, 381, 387, 404-405, 421-423, 426-428, 430 Coppet 105 Corbières 254, 260 Corse 175 Cossonay 190, 343, 357, 363 Courmayeur 254, 260 Cruch (Angleterre) 78 Cruseilles 363 Cully 84-85, 88, 186, 191, 194 Culoz 124 Cuneo (Coni) 340 Dailliens 191, 193 Dauphiné 97, 183, 244, 319, 322, 325, 343, 353, 356 Dijon 245, 254, 257-259, 337, 341, 357, 417 Divedro 120-122 Domdidier 190
i nd e x d e s no ms d e li e u x
Domodossola 120-121, 254, 257 Donnas, péage de 171, 174 Douai 27, 232 Douvaine 128 Échallens 343 Embrun 338 Entremont 122, 138-145, 151, 164, 167, 183, 188, 195, 297, 326, 329, 375, 379, 381, 388, 392, 394-395, 426, 431 Épaone 33-34 Epinassay 167 Erlach 193 Ernen 207 Espagne 84, 182 Estavayer-le-Gibloux 190 Estavayer-le-Lac 90, 101, 363 Évian 131, 215, 254, 261, 296, 301, 342, 345, 363, 419 Evionnaz 128, 167 Faucigny 218, 221-222, 266 Faverges 363 Ferrette 126, 239 Filly 125, 128 Finges 316, 323 Flandre 235, 243-244, 247, 257 Florence 97, 175, 186-188, 237, 240, 254, 258, 302, 316, 322, 325-328, 356, 365, 370, 374, 423 Fondremant 418 Forez 325 France 47, 98, 100, 171, 173, 177, 181, 185186, 220, 223, 226, 231, 233-239, 245, 248249, 256, 259, 275, 290, 298, 300-301, 315-316, 320, 322, 325, 327, 351, 370, 401, 411, 413, 423 Frangy 124 Fribourg (Suisse) 41, 43, 90, 96, 98, 110, 126, 132, 181-195, 227, 237, 251, 254, 259261, 285-288, 290, 292, 296, 298, 324, 334, 340, 355, 363, 369, 374, 420-421, 431 Fribourg-en-Brisgau 193 Fully 138, 151, 163, 166, 294, 323 Furka, col du 207, 239 Gênes 97, 243, 245, 247, 254, 258-260, 281, 316, 327, 341, 354-355
Genève 29-46, 47-64, 71-91, 93-105, 121-131, 174, 186, 190-195, 218, 221, 234, 254, 259, 262, 282, 285-292, 297-298, 316-317, 334, 337-372, 418-422, 431-432 Genevois 263, 282 Gerenzano 120 Géronde 44, 174 Gex 178, 254, 259, 363 Givisiez 190, 193 Glaret (Sion) 293 Gothard, route du 242-244 Grand-Saconnex 31 Grand-Saint-Bernard, col et hospice du 34, 44, 114, 122, 131, 138, 151, 164, 188, 261, 315, 420 Grandson 343 Granges 418 Gray 254 Gries, col du 239 Grigny, monastère de 37-38 Grimsel, col du 207 Gruyère 214, 302-303 Gueuro, bois de 168 Hal (Brabant) 78 Hauterive, abbaye de 49 Haute-Savoie 30 Hérens 78 Hollande 316 Italie 114, 182-183, 190, 231-259, 281, 289, 292, 299, 311, 341, 370, 401, 403, 413 Ivrée 124, 170-171, 254, 259-260, 281, 290, 304, 339, 356 Jougne 257, 261 Jura 220, 281-282, 295, 311 Königsberg 170 L’Île-Barbe, monastère de 37 L’Isle 343 La Balmaz 167 La Chambre 363 La Muraz 166 La Roche 363 La Rochette 291, 363 La Tour de Vevey 419, 424 La Tour-de-Peilz 191 Lagnieu 363
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Lagny 235 Langres 254 Lanslebourg 363 Lausanne 29-46, 47, 71-91, 94, 97, 100-103, 114, 128, 171, 185-187, 191-193, 221, 254, 259-261, 281, 284, 289, 295, 297, 310, 316321, 334, 345, 357, 361, 405, 418-419, 424 Laveno 120-121 Le Pont-de-Beauvoisin 363 Léman, lac 30, 33, 204, 285, 345 Lérins, monastère de 36, 38 Leytron 215, 294, 323, 373, 379, 391, 422 Liddes 125, 132, 138, 144-145, 151, 153, 167, 188, 379-386 Liège, diocèse de 114, 316, 367-368 Liestal 126 Lille 261 Limoges 334 Lincoln 50, 73 Lodi 245 Loèche 63, 119-121, 174, 206-207, 216, 238, 285, 305, 328, 401-404 Lombardie 114-115, 123, 144, 173, 182, 220, 234-235, 237, 240, 251, 258-259, 281, 285291, 298, 302-303, 311, 315, 320, 328, 341, 347, 358, 401, 413-414 Lompnieu (Ain) 430 Longeray 123 Lons-le-Saunier 254 Lorraine 239, 245-246 Louhans 338 Lucerne 190-193, 244, 375, 422 Lucques 254, 258 Lugrin 128 Lutry 124 Luxeuil 36 Lyon 29-32, 38, 93, 96, 98, 235, 254, 367368, 417 Lyonnais 325 Machilly (Bas-Chablais) 73 Mâcon 34, 97, 100-101, 337-338, 341 Madeleine, sanctuaire de la 31 Magenta 124 Manche, mer de la 226 Manosque 131
Marboz 363 Marseille 408 Martigny 33-34, 37, 44, 124-132, 149-151, 163-166, 205-208, 218, 223-224, 238-240, 255, 261, 294, 298, 301, 305, 326, 363, 374, 422, 431 Masino 170 Maurienne 234-235, 363 Mayo 168 Melon 303 Mergozzo 120-121, 238 Mex 167-168 Milan 32, 96-97, 115, 119-125, 131, 179, 204, 208, 213-216, 227, 279-292, 316, 322, 328, 333-335, 341-342, 357, 400-402, 413, 424 Modène 316 Mondovì, péage de 170-171, 173, 338 Mont de Champelles 174 Montagny 343 Montaigu 418 Montbéliard 216, 254, 301, 418 Mont-Cenis 246 Monte Moro, col de 206, 239 Monthey 128, 136, 141, 164, 166, 299 Montjovet 170-171 Montluel 340-341, 363 Montmélian 212, 214, 234-235, 243, 363 Montorge 293 Montpellier 88-89, 95-97, 255, 259, 423 Montréal-la-Cluse 363 Montreux 163-164, 166 Monza 216, 231, 244, 245-254, 286 Morat 103, 126, 363, 366, 431 Morgarten 244 Morges 124, 254, 301, 347, 363, 368 Morgex 304 Moudon 126, 132, 193, 254, 259-260, 281, 343, 363, 419, 431 Moulins 368 Moûtiers 363-364 Munich 255 Nantua 123, 254, 363 Narres 207, 238 Neuchâtel 174, 192 Neufchâteau 239
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Neustrie 34 Neuville-sur-Saône 363 Norvège 170 Novare 124, 256 Noville 33 Nuremberg 114, 286, 339, 363 Nyon 30, 124, 328, 339-340, 344, 346, 351, 356, 360, 363, 367, 431-432 Octodurum 31-33, 35 Ollon 166, 317, 328-330 Olona 119 Orbe 36, 254, 260 Orléans 33-34 Orsay 163 Orsières 124-125, 137-138, 141-144, 151, 153, 163, 207, 224, 254, 260, 281-283, 297, 305, 379-388, 397, 407-409, 413, Ottans 168 Padoue 254 Pallanza 199-122, 254 Paris 47, 49-52, 177, 237-238, 245, 255, 258, 283, 368 Pas de l’Ours 163 Pavie 97, 254 Payerne 39, 126, 190, 254-255, 259, 343, 363 Pays d’Enhaut 303 Pays de Gex 178 Penna Bayardi, mont du 174 Pérouges 341, 363-364 Petit-Saint-Bernard 170 Piémont 97, 114, 123, 144, 165, 214, 254, 302, 311, 322, 363, 366, 376 Pierre-Châtel 324-325 Pignerol 254, 259, 321, 364 Pistoia 204 Plaisance 244-245, 257 Poligny 254, 260, 417 Pologny 259, 281 Poncin 123, 363 Pont-d’Ain 124, 363 Pont-de-Vaux 338, 341, 363 Pont-de-Veyle 341, 363 Pont-Saint-Martin, château de 174-175 Port (Ain) 418 Port-Valais 33,128
Provence 248, 389, 393, 407-409 Provins 417 Quart 131 Remiremont, monastère de 37 Rennaz 166 Rho 211 Rhône 30-33, 44, 125, 139, 165-166, 183, 223, 287, 312, 415 Riddes 64, 141, 246, 294, 323 Ripaille 177-178 Rizago 401 Roc à l’Ours 163 Rocher du Vérolliey 164, 175 Romainmôtier 36-39 Rome 39, 41, 48-49, 84, 101, 171, 365 Romont 98, 101, 126, 190, 343, 363, 419 Rosseillon 304 Rossillon 363 Rue 343 Rumilly 97, 363 Saillon 134-137, 139,141, 143-144, 147-148, 151, 153, 164, 166, 239, 244, 246, 294, 300, 305, 321, 323, 325-326, 374-376, 378, 381, 393, 420-422, 426-427, 431, 455 Saint-Denis, monastère de 37, 39 Sainte-Croix 343 Saint-Ennemond 75 Saint-Genis 363, 365 Saint-Germain d’Ambérieu 363 Saint-Germain de Savièse 78 Saint-Germain, sanctuaire de 31 Saint-Germain-de-Joux 123 Saint-Hyppolite 31, 430 Saint-Jean de Laon, monastère de 37 Saint-Jean de Losne, péage de 209, 240, 242, 255, 257 Saint-Jean-de-Maurienne 363 Saint-Maurice d’Agaune 95, 98, 123-126, 132, 135-145, 147, 151, 153, 164-165, 167, 175, 207, 216, 217-277, 279-292, 293-330, 331-335, 357, 363, 420 péage de 111, 182, 204-215, 217-277, 279292, 315 abbaye de 34, 36-38, 45, 48-49
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Saint-Maurice-en-Maurienne (aujourd’hui Bourg-Saint-Maurice) 430 Saint-Michel-de-Maurienne 363 Saint-Oyens 281 Saint-Pierre-de-Clages 305 Saint-Pierre-le-Vif de Sens, abbaye de Saint-Quentin (Tournai) 78 Saint-Rambert-en-Bugey 124, 363 Saint-Rhémy 132 Saint-Séverin 48 Saint-Triphon 304-305, 375 Saint-Trivier-de-Courtes 365 Saint-Victor, sanctuaire de 31, 35 Salins (Bourgogne) 210, 223, 254, 260, 281, 289, 418 Salins (Tarentaise) 430 Salisbury 49-50 Sallanches 254 San Dionigi, monastère de 97 San Germano 124, 259 San Matteo (Espagne) 213, 248 Santa Giustina de Padoue, couvent de 96 Santhià 124 Sardaigne 175 Savoie 40-41, 84, 98, 104-105, 110-111, 134, 150, 164-165, 169-170, 173-175, 177-178, 186, 188, 201, 212, 218-220, 233, 235-236, 239-240, 244-247, 254, 256, 261, 281, 283, 285, 287-288, 291, 294, 297, 299, 301, 310-311, 316-322, 324-325, 327, 329, 331332, 337, 341, 353, 355-356, 367-368, 370, 373-376, 380, 395, 418-420, 422-424, 426, 429-431 Savone 170 Saxon (Entremont) 134-135, 138-141, 144145, 151, 153, 164, 223, 246, 321, 324, 326, 375, 379-384, 386, 426, 431 Scé 163 Sembrancher 44, 123, 126, 130-131, 138141, 143-145, 151, 153, 167, 183, 207, 238, 302-304, 311-312, 329, 363, 373-388, 391, 393-395, 420-424, 426, 430-431 Sens 39, 71, 74 Servans 168 Settimo Vittone 123-124
Seurre 417 Seyssel 84, 245, 363 Sierre 44, 151, 174, 310, 374 Simplon 33, 114, 120-122, 171, 188, 237-239, 242, 261-262, 279-280, 283, 286-287, 291, 312-313, 315, 420 Sint-Kwintenslennik 78 Sion 24, 26, 31, 33-35, 39-42, 44-47, 49, 51, 53, 62, 64, 77, 84, 88, 100, 110-111, 115, 119-122, 138, 142, 145, 147-151, 174, 188, 201, 203-208, 212, 214-216, 220, 227, 234, 236-239, 242, 246-247, 253, 255-256, 258-259, 261, 279-280, 283, 285, 289, 293-298, 301, 304-305, 310, 312-313, 320-321, 327-329, 332, 374, 389, 397, 401-408, 411, 413, 415-416, 419, 421-424, 427, 429-430 Solario 252, 401 Soleure 32, 35, 126, 132, 192 Soye, château de la 298 Spire 192 Stans 190 Strasbourg 193, 342 Suse 64, 254, 326 Tarentaise 22, 40, 77, 363, 430 Thônes 363 Thonon 95, 123, 125, 131-132, 223, 287-288, 304, 339, 358, 363, 375, 378, 420, 422, 431 Thoune 190-191 Tortona 254 Tourbillon 149 Tournai 78, 232, 255 Treffort 341, 359 Treffort-Cuisiat 363 Trévise 236 Trévoux 359 Trient 168 Troistorrents 165 Troyes 320, 322, 333, 344, 347-348, 353, 355-357, 361, 369 Turin 131, 170, 200, 217, 321, 339, 344, 349, 360, 365, 369 Ugedz (Bohême) 78 Uri 246 Val d’Aoste 131, 171, 224, 238, 290, 322
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Val d’Illiez 165 Val Divedro 207 Valais 31-34, 38-41, 43-46, 48, 50, 52-55, 59, 62-64, 113-115, 121, 133-138, 140, 142, 144, 146, 150, 163-166, 168, 174, 183, 188, 217, 225-226, 229, 233-240, 242-243, 245-247, 249-250, 252, 254-256, 258-259, 279-280, 282-285, 289-292, 295-298, 303-305, 315-319, 324, 328-329, 332-333, 357, 373-375, 377, 382, 394-395, 397, 401-402, 412-413, 415, 418-420, 422-423, 426, 429-432 Valère 87-88, 313, 404 Valsesia 175, 216, 301 Vandœuvres 31 Vannes 97 Varen 206 Varèse 120-121, 254 Vaud 40, 191, 236 Venise 97, 231-232, 236, 243, 245, 256, 258259, 316, 369 Verceil 97, 417 Verdun 204 Vérolliey 164, 175 Vérone 236 Vérossaz 163, 167 Versoix 128, 333, 422, 426 Vesoul 418 Vétroz 238
Vevey 124, 126, 128, 130, 132, 146, 191, 193, 208, 214, 254, 260-261, 281, 289-290, 301, 363, 374, 424, 426 Viège 121, 151, 206, 238, 305 Vienne 30, 33, 36, 38, 40, 52, 56, 59 Vieu en Champagne (Ain) 364 Villars-les-Dombes 363 Villeneuve de Chillon 111, 130-131, 146, 163-166, 190, 204-212, 214, 218-219, 223, 231, 233, 235, 240, 245, 251, 266, 279, 282285, 287, 289, 291, 296, 298, 300, 302, 304-305, 315-321, 323, 325, 328, 332, 342, 363, 419-421, 424-426, 429, 431 Vionnaz 163-164, 166 Virieu-le-Grand 365 Vogogna 120, 122 Vollèges 140, 378-384, 386 Vouvry 123, 125, 164-166, 177, 204 Wangen 190 Windisch (Vindonissa) 34-35 Worms 41 Yenne 363, 365 Ypres 233, 236, 413 Yverdon 254, 259-260, 281, 298, 343, 363, 419, 431 Yvorne 166 Zurich 190, 192-193, 255, 261 Zurzach 194-195 Zweisimmen 190
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Index des noms de personnes
Pour les personnes qui n’apparaissent que sous leur prénom, nous avons ajouté des précisions (lieu, fonction, etc.) permettant de mieux les identifier. Dans les textes, les noms d’un certain nombre d’individus sont cités parfois en langue vulgaire, parfois en latin. Dans l’index nous n’avons retenu que la forme la plus usuelle, en signalant les variantes quand cela pouvait être utile. Achinus, marchand milanais 290 Adrien Ier, pape 82 Agnès de Vercorena de Bonis 397, 406, 408, 410-412 Agnès, femme de Michael Gengina 383 Agnès, fille de Guigo Tancii 403 Agnès, veuve de Jean de Valère 404 Agricola, évêque de Sion 33 Aimé (saint), moine à Agaune et ermite 37 Aimé, évêque de Sion 38 Aimon de Morestel 421 Aimon II de Châtillon 51, 54, 56, 58-59, 62 Aimone Asinari (voir aussi Alessandro, Bartolo, Bonifacio, Bonomo, Domenico, Galvano, Giorgio, Oddonino, Revellino) 422 Alafranchoz Tracho (voir aussi Ambrosius, Anthonius, Bacinodus, Franchodus/Francolus, Jean, Lanfrancoz, Porrolus, Marguerite, Stephanus) 403-404 Alamand de Saint-Jeoire, évêque de Genève 52-54, 62 Alard de Bomel 342, 345, 349, 360, 363364, 371 Albéric de Playsencia, marchand de Plaisance 257 Albert Carpentarius 294, 298 Albert Ier, roi des Romains 243 Albertus de Glarey 397-398, 407, 410
Albertus Grassi (voir aussi Ambrosius, Antoine, Jean) 383 Aleramo Laiolo (voir aussi Giacomo, Rolando, Umberto) 422 Alessandro Asinari (voir aussi Aimone, Bartolo, Bonifacio, Bonomo, Domenico, Galvano, Giorgio, Oddonino, Revellino) 417-418 Alisia, veuve de Pierre de Columberio 218 Ambrogio da Casate 342, 354 Ambrogio da Omate, ou Homate (voir aussi Giacomo) 342, 354, 357, 360 Ambrogio Ruffini 347, 354 Ambroise de Poldo, notaire (voir aussi Wariscolus) 149 Ambroise de Preda, marchand lombard 256 Ambroise de Milan 32, 82-83 Ambroisin Ruyer, armurier 288 Ambrosius Grassi (voir aussi Albertus, Antoine, Jean) 257-258 Ambrosius Tracho (voir aussi Alafranchoz, Anthonius, Franchodus/ Francolus, Jean, Lanfranchoz, Porrolus, Marguerite, Stephanus) 403 Amé de Créscherel, maître de l’hôtel du duc de Savoie 288 Amédée Bretini 75 Amédée Cricelle 366 Amédée Monachi 346
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Amédée V, comte de Savoie (voir aussi Amédée VI, Amédée VII, Amédée VIII, Aymon, Philippe Ier, Pierre II et Thomas) 219, 234-235, 320 Amédée VI, comte de Savoie (voir aussi Amédée V, Amédée VII, Amédée VIII, Aymon, Philippe Ier, Pierre II et Thomas) 246, 284, 310, 312, 316, 323, 332-333, 376, 423 Amédée VII, dit le Comte Rouge, comte de Savoie (voir aussi Amédée V, Amédée VI, Amédée VIII, Aymon, Philippe Ier, Pierre II et Thomas) 179 Amédée VIII, comte puis duc de Savoie (voir aussi Amédée V, Amédée VI, Amédée VII, Aymon, Philippe Ier, Pierre II et Thomas) 178, 240, 287, 337, 339, 358, 365, 367, 370-371 Amis de Duchati 364 André de Concorezzo (voir aussi Corrado, Espernodus, Jacques, Raphaël) 284 Andrea Biglia, frère augustin milanais 97 Andrea de Gualdo, évêque de Sion 53-54, 61 Andrea Spinola (voir aussi Giacomo, Galianche) 354 Andreas Brünn, marchand de chevaux de Strasbourg 193 Andreas Wild, marchand de chevaux de Spire 192 Andreonus de Canturio (voir aussi Cortesius, Dunninus, Jean (maître de la monnaie), Odonus) 260, 282 Angevins, famille 244, 376 Anguissola, famille 245 Anselme de Cantorbéry 86 Anselme dou Mulin 194 Anthoine Cornalia 348 Anthonia, fille de Bacinodus Tracho 402-403, 405 Anthonia, fille de Guigo Tancii 402 Anthonius Tracho (voir aussi Alafranchoz, Ambrosius, Franchodus/ Francolus, Jean, Lanfranchoz,
Porrolus, Marguerite, Stephanus) 399-400 Antilliodus, panni tonsor de Sion 298 Antoine Grassi (voir aussi Albertus, Ambrosius, Jean) 247, 257 Antoine Coagnié, armurier 288 Antoine Curten, marchand de Brigue 289 Antoine de Champez 404 Antoine de Drague (de Draconibus), conseiller du duc de Savoie 368 Antoine de Semelly 401 Antoine Divitis (ou Rich), marchand milanais 286, 289 Antoine Penneti, prieur du couvent des Dominicains de Genève 100 Antonio de Bodianis 214 Antonio della Casa 287, 369 Arricus, évêque de Lausanne 34 Arrisamino de Rot 211 Arveitus d’Aoste 261 Asinari, famille 417-418, 423, 431-432 Augustin d’Hippone 82, 86-87, 105 Avit de Vienne 37-38 Aymo Alamant 387 Aymon Berrod 94-95 Aymon de Grandson, évêque de Genève 45, 48, 93 Aymon de Herdes 316, 323 Aymon de Morestel 374, 421 Aymon, dit le Pacifique, comte de Savoie (voir aussi Amédée V, Amédée VI, Amédée VII, Amédée VIII, Philippe Ier, Pierre II et Thomas) 177, 283, 332 Aymonetus Cusyodi, vicaire de Cully 85 Azzone Visconti (voir aussi Jean-Galéas, Philippe-Marie et Visconti, famille) 245 Babilano Ceba (voir aussi Tommaso) 354 Bacianus Borron, marchand (voir aussi Jaquemin ( Jaquemonus, Jaqueminus, Jacemolus), Francisquinus) 257 Bacinodus (voir aussi Alafranchoz, Ambrosius, Anthonius, Franchodus/ Francolus, Jean, Lanfranchoz, Porrolus, Marguerite, Stephanus) 285, 312-313, 397-416
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Baldo Fini, marchand de Florence 237 Balinus de Lonnay 232 Baptiste de Mantoue, prédicateur bénédictin 96-98, 104 Bardo, prêteur florentin 419 Bargus, marchand de Côme 257 Barthélemy Vichardi (ou Wichardi), péager de Saint-Maurice (voir aussi Guillaume, Jacques, Jean, Perrodus) 219, 222, 332 Barthélemy d’Agex 289 Barthélemy de Moneta d’Avigliana 338, 355, 366 Barthélemy Ganterii 364 Barthélemy Spifame, marchand et bourgeois de Paris 255, 257 Barthélemy Vitelleschi 75-76 Bartholomeus Constancii 375-376 Bartholomeus de Solario, procureur des marchands de Milan (voir aussi Johanninus, Johannolus) 401 Bartholomeus de Vinicia 259 Bartolo Asinari (voir aussi Aimone, Alessandro, Bonifacio, Bonomo, Domenico, Galvano, Giorgio, Oddonino, Revellino) 422-423 Bartolo Guttuari (ou Guttuer) (voir aussi Bernardus, Filippo, Manuele, Otto) 421 Bartolomeo Breton (de Brithonis) 358 Basile, prédicateur franciscain de l’Observance 101 Beniamino Toma (ou Thome, Thomas) (voir aussi Giovanni, Guido, Manuele) 334 Beniamino, Lombard d’Asti 418-419 Benoît XIII 89 Bentillinus Steger 191 Berardo Isnardi (voir aussi Daniele, Giovanni, Perrino) 417 Berardono di Antignano (voir aussi François, Giacomino ( Jacqueminus)) 426 Bernard de Clairvaux 83 Bernard Robert 332
Bernardin de Sienne 97 Bernardus Guttuer (ou Guttuari) (voir aussi Bartolo, Filippo, Manuele, Otto) 376 Beroldus de Oldratis 244 Bertetus Comba Fol 303 Bertetus Favey 303 Berthodus Garreti (voir aussi Dominicus, Perrinodus (Perronetus), Rolandus) 378 Berthold IV de Zähringen (voir aussi Zähringen, famille) 41 Bertino/Bertio Busca (voir aussi Lanfranco) 339, 342, 360 Bertio de Salvis (voir aussi Jean) 257 Bertrandus de Arena 255 Bertrannus de Solerio, représentant de l’Universitas des marchands de Milan 283 Biagio da Cusano 342, 354 Bochetus, marchand de Genève 297 Bochi, famille 218 Bonfils, famille 258 Bonichodus Tancii (voir aussi Cherubinus, François, Guigo, Jean (dit Curto), Jonolus) 402-403 Boniface d’Aoste 255 Boniface de Challant, évêque d’Aoste 49-50, 54, 57-59, 293, 298 Bonifacio Asinari (voir aussi Aimone, Alessandro, Bartolo, Bonomo, Domenico, Galvano, Giorgio, Oddonino, Revellino) 417-418 Bonifacio Cacho (voir aussi Morello) 426 Bonne de Bourbon 129, 305 Bonomo Asinari (voir aussi Aimone, Alessandro, Bartolo, Bonifacio, Domenico, Galvano, Giorgio, Oddonino, Revellino) 417 Bonvisin, famille de Fribourg (Suisse) 355 Boson, évêque de Lausanne 40-41 Braxone (Baxonus) Falletti (ou Faleti) (voir aussi Giacomino, Giacomo,
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Secondino, Stevenino, Tommasino) 316, 424 Brunus de Durnuchi (de Tournai ?) 255 Brunus dit Brun, marchand de Cologne 192 Bubulcus, évêque de Vindonissa 34 Cacherano, famille 418, 424, 426 Candide, saint 32 Carloman 39, 85 Centurioni, famille de Gênes 354, 369 Charlemagne 39, 85 Charles VII, dauphin de France 341 Charles VIII, roi de France 101 Cherubinus Tancii (voir aussi Bonichodus, François, Guigo, Jean (dit Curto), Jonolus) 403 Christian Herbringer, vendeur de chevaux lucernois 190 Christinus Bolardi (ou Boulard) 367368 Christinus, tailleur des monnaies ducales 366 Christoforus de Vanvera, marchand milanais 289 Claude Bernardi, affineur de Strasbourg 342 Claude de Saix 339-340, 343, 359, 371 Claude Pirusset 74-90, 96 Clawinus Mörly, transporteur de Bâle 186-187 Clément de Branda 186 Clericus de Cremona 223, 227 Coletus Pelo 388 Comino di Milano 216 Comosius Taberna 257 Conon d’Estavayer, prévôt de Lausanne 43 Conrad ier, roi de Bourgogne 39 Conrad Witz 432 Constance, évêque d’Octodurum 33 Continus de Mediolano (voir aussi Magnus, Petrus) 257 Continus de Putheo, représentant de l’Universitas des marchands de Milan (voir aussi Jean) 283
Corrado di Concorezzo (voir aussi André, Espernodus, Jacques, Raphaël) 206 Cortesius de Canturio (voir aussi Andreonus, Dunninus, Jean, Odonus) 282-283 Costanzi d’Alba, famille de prêteurs lombards 422-423, 430 Crespi, famille de marchands 254 Da Monza, famille 286 Da Rho, famille 286 Damien Drago 115 Daniele Isnardi (voir aussi Berardo, Giovanni, Perrino) 417 Datini, famille 121-122, 208, 212-214, 238, 252, 280, 287 De Alzate, famille 254, 257 De Anono, famille 211 De Gallarate, famille 254, 286 De Lucca (de Lucha), famille 237, 254 De Meda, famille 254, 257 De Modoetia, famille 254 De Novara, famille 254, 257 De Taverna (Taberna), famille 211, 254, 257, 354 De Varesio, famille 254 De Zutis, famille 216 Della Casa et Guadagni, compagnie florentine 287, 355, 369 Della Chiesa, famille de prêteurs lombards 417 Deveis de Chestel 284 Di Castagnole, famille de prêteurs lombards 417-418 Di Gorzano, famille de prêteurs lombards 418 Di Medici, famille de prêteurs de Chieri 422, 431 Di Simeoni, famille de prêteurs de Chieri 431 Dioclétien 32 Domenico Asinari (voir aussi Aimone, Alessandro, Bartolo, Bonifacio, Bonomo, Galvano, Giorgio, Oddonino, Revellino) 418
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Dominicus Garreti (ou Garretti) tenancier de la casane d’Aigle (voir aussi Berthodus, Perrinodus/ Perronetus, Rolandus) 332 Dominicus Caragnonus de Ferreriis 378 Domitien, évêque de Genève 35 Donat de Merardi 286 Donato Vincemala (Vismara) 343, 354 Drago, famille 285 Dragonetto Tassone 354-355 Dunninus de Canturio (voir aussi Andreonus, Cortesius, Jean (maître de la monnaie), Oddonus) 282 Egidius Appelman, curé des églises de Sint-Kwintenslennik et Hal 78 Egidius de Aquino 170 Egidius de Blecourt, custode du couvent franciscain de Lausanne 102 Enrico de Multeno 214 Enrico di Mercato 421 Espernodus de Concorezzo (voir aussi André, Corrado, Jacques, Raphaël) 255, 257 Étienne Betuardi 364 Etienne d’Ayent de Loèche 401 Étienne de Vendouvres 331-333 Étienne ii, pape 39 Étienne Langton 47, 50 Étienne Pariset, prédicateur franciscain 101 Étienne Poloner 190 Eucher de Lyon 30, 32-33, 36, 38 Eudes de Sully, évêque de Paris 47, 49-50, 52, 57, 59 Eudes iv 245 Eusèbe de Césarée 81 Exupère, saint 32 Falquetus d’Évian 301 Fernand de Saragosse, juif espagnol converti 96 Filippo Guttuari (ou Guttuer) (voir aussi Bartolo, Bernardus, Manuele (Manuel), Otto) 421 Filmestre de Grandcour 190 Flaretus de Sion 255
Flavius Josèphe 85 Foresin de Venise 258 Frachetus de Vens 388 Francesco da Cermenate 240, 248 Francesco di Medici 422 Francesia, femme de Cherubinus Tancii 403 Francesia, veuve de Jean Tancii, dit Curto 407 Franchisquin Ruyer, frère d’Ambroisin 288 Franchisquinus de Mont 358 Franchodus/Francholus Tracho (ou Trecco) (voir aussi Alafranchoz, Ambrosius, Anthonius, Bacinodus, Jean, Lanfranchoz, Marguerite, Muzinus Porrolus, Stephanus) 404 Francia, épouse de Bacinodus Tracho 402-403 Franciscus Bordoin 256 Francisquenus Rogerii 401 Francisquinus Borron (voir aussi Bacianus, Jaquemin ( Jacquemonus, Jaqueminus, Jacemolus) 223 François de Antignano (voir aussi Berardono, Giacomino ( Jaqueminus) 374, 378, 387 François Bonivard 104 François Boudrici 346 François Corderii 193 François de Bressa 192 François de Metz 52, 60, 63, 72, 94, 96-97 François Marguerat 298 François Prepositi 73 François Tancii (voir aussi Bonichodus, Cherubinus, Guigo, Jean (dit Curto), Jonolus) 402 François Vidomne 282-283 François, fils de Pierre de Bacio 219 Fulrad, abbé de Saint-Denis 39 Gabriel Tondi 310, 331-333, 335 Gaffuri, famille 286 Galfanus de Valle Cesia 301 Galianche Spinola (voir aussi Andrea, Giacomo) 354
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Galvano Asinari (voir aussi Revellino, Bonomo, Bonifacio, Alessandro, Giorgio, Bartolo, Aimone, Oddonino, Domenico) 417 Garnier de Bèze, drapier de Dijon 258 Gaston Phoebus 168 Gauthier de Brigue 281, 283 Georges Chapelli 287 Georges de Montegarello 316, 376, 378 Georges de Saluces, évêque de Lausanne 45, 47 Georgius de Curticio 378 Gérard de Avena 131 Gérard de Vuippens, évêque de Lausanne 334, 419 Gérard, prédicateur dominicain 100 Gervais, saint 32 Giacomino (Jacqueminus) di Antignano (voir aussi Berardono, François) 421-422 Giacomino de Curte 342 Giacomino Falletti (ou Faleti) (voir aussi Braxone, Giacomo, Secondino, Stevenino, Tommasino) 424 Giacomo Falletti (ou Faleti) (voir aussi Braxone, Giacomino, Secondino, Stevenino, Tommasino) 316, 424 Giacomo Basso di Cantù 206 Giacomo d’Ausona 342 Giacomo da Omate (ou Homate) (voir aussi Ambrogio) 342 Giacomo Laiolo (voir aussi Aleramo, Rolando, Umberto) 421 Giacomo Panigarola (voir aussi Giovanni) 351, 354 Giacomo Spinola (voir aussi Andrea, Galianche) 354, 357 Gilles, prédicateur franciscain 100 Giorgio Asinari (voir aussi Aimone, Alessandro, Bartolo, Bonifacio, Bonomo, Domenico, Galvano, Oddonino, Revellino) 421-422 Giorgio di Mongarello (voir aussi Marengono) 422, 424-430 Giorgio Folli 343, 352, 355 Giorgius de Ast 257
Giovanni da Pessano 214 Giovanni de Albrisis (de Arbrisis) 358 Giovanni de Platea 206 Giovanni Isnardi (voir aussi Berardo, Daniele, Perrino) 417 Giovanni Massoni 355 Giovanni Moresini 343 Giovanni Panigarola (voir aussi Giacomo) 347, 349-350, 352, 354, 357-358, 360 Giovanni Toma (ou Thome, Thomas) (voir aussi Beniamino, Guido, Manuele) 424 Giovanni Trecco (voir aussi Francholus, Muzinus) 206 Giovanni, fils d’Ambrosio de Grassi 212 Giovanni, prêteur lombard 419 Giovannino de Olmacte 342 Glaudius Campiporcherii 128-129 Glaudius de Bonis 74 Glaudius de Rigo 73 Glaudius Perrosson 125, 130-131 Glaudus de Saint-Oyens 281 Gonradus, dit Moron 334 Gossuin de Bomel, maître général de la monnaie du duc de Savoie 338-339, 343, 346-347, 349, 363-364, 371 Gostino Centurioni 354 Grammatius, évêque de WindischAvenches 34 Grassi, famille 211, 254, 257-258, 354 Grégoire iii, pape 39 Grégoire x, pape 114 Grégoire xi, pape 247 Grégoire le Grand 86 Guerrerius de Marcleis 329 Guglielmo da Marliano 347, 354 Guglielmo de Brithonis 358 Gugliemo de Bonino 212 Guiard de Laon, évêque de Cambrai 50 Guichard Tavel 49, 55-57, 61 Guichard Vasselin (petit-fils de Vassalinus) 258 Guido Toma (ou Thome, Thomas, voir aussi Beniamino, Giovanni, Manuele) 424, 426
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Guido, fils du monetarius de SaintMaurice 331 Guigo Tancii (voir aussi Bonichodus, Cherubinus, François, Jean (dit Curto), Jonolus) 402-405 Guillaume Bernardi 342 Guillaume Bolomier, secrétaire du duc de Savoie 349, 363, 365, 371 Guillaume de Beaumont, évêque d’Angers 50, 62 Guillaume de Challant, évêque de Lausanne 114, 132 Guillaume de Lornay, évêque de Genève 26, 48, 57, 61-62 Guillaume de Marcossey, évêque de Genève 51-52, 55, 58, 60-61 Guillaume de Menthoney, évêque de Lausanne 335 Guillaume de Montibus, chancelier de l’église cathédrale de Lincoln 73 Guillaume de Paris, évêque 63, 72 Guillaume de Planis 405 Guillaume de Saint-Maurice, curé de l’église Saint-Germain de Savièse 78 Guillaume de Sancto Germano (Auvergne) 259 Guillaume de Weston, vicaire perpétuel de Cruch 78 Guillaume ii de Rarogne, évêque de Sion 88 Guillaume Loffers 194 Guillaume Quarterii (voir aussi Perretus) 219 Guillaume Vichardi (ou Wichardi), péager de Saint-Maurice (voir aussi Barthélemy, Jacques, Jean, Perrodus) 222-223, 332-334 Guiotus de Novara 257 Guy Beczonis 345, 353, 360 Guy de Montrocher 63, 72 Guy Vulliodi 345, 353 Habsbourg, famille 244 Heintzinus Reynaul 189 Héliodore, évêque de Sion 34 Henri Albisen 355
Henri Bramerel 338 Henri de Blanch, chanoine de Sion 328 Henri de Marcato 320 Henri de Rarogne, évêque de Sion 279 Henri de Salins 281 Henri Mora 186, 193 Henri Muriset 191, 194 Henri Stägel 190 Henri Sucheti 363 Henri vii, empereur 244 Henrico de Columberio (voir aussi Humbert, Pierre) 345, 364-365 Henricus de Blanchis de Vellate 399-400 Henriodus Gay 224 Henslinus de Endlisperg 189, 192 Henslinus de Fülistorf 192 Henslinus Furer 189, 194 Henslinus Mutzo (Mutzen) 191, 194 Hentzinus Reynaul 193 Hudricus Gays 383 Hudrionus Jaquini 387 Hugnetus Chastel 189 Hugonet Ganterii 364 Hugonetus Franqueti 219 Hugoninus de Montebeliardo 301 Hugues de Saint-Cher 72-73 Hugues, évêque de Sion 44 Humbert de Columberio (voir aussi Henricus, Pierre) 218-219 Humbert de Gavio 238 Humbert de Grammont, évêque de Genève 41, 48 Humbert Goyeti 368 Humbert Gruet 72 Humbert Layoli 374-375, 422 Hymnemodus, abbé de Grigny 37 Hyppolite, chancelier des seigneurs de Milan (1349-1350) 227 Il-Kahn 170 Innocent iii, pape 47 Innocent, saint 33 Isaac, évêque de Genève 30, 32 Isabelle, fille de Perrodus Magy 404 Jacobus deys Verneys 400 Jacobus Marini 376
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Jacques ( Jacobus) de Nyon 331 Jacques Bonarma 194 Jacques Bremgarter 190 Jacques de Concorezzo (voir aussi André, Corrado, Espernodus, Raphaël) 256257 Jacques de Maximo 304 Jacques de Voragine 76, 78-83 Jacques Georgii 190 Jacques Mestre 194 Jacques Pichot 339-340, 367 Jacques Vichardi (ou Wichardi), péager de Saint-Maurice (voir aussi Barthélemy, Guillaume, Jean, Perrodus) 222, 332 Jacques zer Linden 194 Jacques, Jean et Henslinus de Endlisperg 189 Jacquet de Chastellario 281 Jacquet de valle Cicide 175 Janin de Corigniez 288 Jaquemardus, falconerius 177 Jaquemetus de Canalibus de Montheolo 299 Jaquemetus Jaqueti 348 Jaquemin (ou Jaquemonus, Jaqueminus, Jacemolus) Borron (voir aussi Bacianus, Francisquinus) 257 Jaqueminus de Furno 303 Jaqueminus de Lomagio 334 Jaquemodus Rastlet 378 Jaquet Palaz 368 Jaquette, femme de Pierre de Bacio 219 Jaquetus de Comba 397 Jaquetus de la Tour 374 Jean Bartholomei 364 Jean Beleth 82 Jean Bonis 378 Jean Bourgeois 101-104 Jean Canelli 367 Jean Cernellerii d’Aigle 166 Jean Charlet 115 Jean Chevrotin 404-405 Jean Corni 174-175 Jean Crachidi 328
Jean Cresta 401 Jean de Bertrand 60 Jean de Brogny 345-346 Jean de Bruges, bourgeois de Paris 255 Jean de Canturio, maître de la monnaie (voir aussi Andreonus, Cortesius, Dunninus, Odonus) 335 Jean de Chillon, notaire 277 Jean de Fontana, marchand genevois 345357, 360, 365-369 Jean de Gamaches 368 Jean de Grangie 177 Jean de Langres, pelletier 258 Jean de Lyon 255 Jean de Masio, maître de la monnaie d’Embrun 338-339, 366 Jean de Moranda 348-349 Jean de Murol, évêque de Genève, 24, 26, 51, 61, 64, 73 Jean de Neuchâtel 284 Jean de Platea 410 Jean de Putheo, marchand milanais (voir aussi Continus) 284 Jean de Puynoix, général de l’ordre dominicain 94 Jean de Rochetaillée, évêque de Genève 60 Jean de Rossillon, évêque de Lausanne 419 Jean de Salvis (voir aussi Bertio) 257 Jean de Saxone 382 Jean de Sercure 286, 288 Jean de Verduno 378 Jean Dorerii 369-370 Jean dou Tredo 402 Jean Forré 123-127, 132 Jean Furer 189, 193 Jean Fusier 291 Jean Garin 193 Jean Grassi (voir aussi Albertus, Ambrosius, Antoine) 373, 377 Jean ier de Chalon 233 Jean Leonis 378 Jean Maczonis 342 Jean Nyt 364
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Jean Patrici 223 Jean Pittet 193 Jean Rigler 339 Jean Rigolet 187 Jean Saudani (ou Sandani) 256 Jean Sauthier 378 Jean Serragin 329 Jean Servagii, docteur en droit 339-340 Jean Stiger 186 Jean Tomesii de Galerate 246 Jean Vichardi, péager de Saint-Maurice (voir aussi Barthélemy, Guillaume, Jacques, Perrodus) 245 Jean xxii 244 Jean, dit Chiederey 334 Jean, magister de Fribourg 369 Jean, recteur de l’église de Ugedz en Bohême 78 Jean-Galéas Visconti (voir aussi Azzone, Philippe-Marie et Visconti, famille) 250 Jeannot Garin 191 Jérôme de Stridon 83, 86 Johannes Bastardus 297 Johannes Berteis 387 Johannes Clericis de Brugis 255 Johannes Lupi 378 Johannes Ryola 399 Johanninus de Solario (voir aussi Bartholomeus, Johannolus) 257 Johannodus Bezotel 405 Johannodus Borrachon 383 Johannodus de Meda (voir aussi Johannolus) 257 Johannodus Rosserii 402, 405 Johannolus de Alzate 257 Johannolus de Meda (voir aussi Johannodus) 257 Johannolus de Solario (voir aussi Bartholomeus, Johanninus) 257 Jonolus Tancii (voir aussi Bonichodus, Cherubinus, François, Guido, Jean (dit Curto)) 402 Jourdain de Pise, prédicateur dominicain 175
Jourdain de Saxe 45 Lancelot de Azinis 364 Landri de Mont, évêque de Sion 45, 4849, 51-62, 279 Lanfranchoz Tracho (voir aussi Alafranchoz, Ambrosius, Anthonius, Bacinodus, Franchodus/Francolus, Jean, Marguerite, Porrolus, Stephanus) 398 Lanfranco Busca (voir aussi Bertino/ Bertio) 346, 349-351, 356-358, 360 Laurent Lyatodi 359 Lazare Guicheti 364 Lorenzo Tana 354 Lorenzo Taverna 354 Lothaire, roi des Francs 84 Louis Butea 103 Louis Cruse 104 Louis d’Achaïe, seigneur de Piémont 97 Louis Hyppolite (Ludovico Ippoliti), péager de Saint-Maurice 222 Louis ii de Savoie (sire de Vaud) 236 Luchino, marchand de guède 212 Ludovic Van, armeator de Milan 288 Ludovico Barbo 96-97 Ludovico Ippoliti (Louis Hyppolite), péager de Saint-Maurice 421 Ludovico Tana 339, 355 Ludovico, Lombard de Asti 419 Ludovicus de Venise 256 Ludovicus Raymundini 332 Lupicin de Condat 38 Ly Greppos 255 Ly Mocho Gras 257 Machard, frère franciscain 103 Maffeus de Donade 286 Magno, prêteur florentin 419 Magnus de Mediolano (voir aussi Continus, Petrus) 257 Mahaut d’Artois 259, 412 Maïmonide 85 Manengoldus de Saxo 401, 404 Manfred de Verceil 97 Manfred Vuilliodi (Beczonis) 363, 366368, 370
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i n de x de s n o m s d e p e r s o n n e s
Manfredus (ou Maffeus) Frotta (voir aussi Marco) 310, 322, 333, 335 Manuele Guttuari (ou Guttuer) (voir aussi Bartolo, Bernardus, Filippo, Otto) 320, 421 Manuele Toma (ou Thome, Thomas) (voir aussi Beniamino, Giovanni, Guido) 374, 421, 424 Manuellus, Cahorsin de Saint-Maurice 421 Marco Frotta (voir aussi Manfredus (Maffeus, Manfredo)) 347, 349, 352, 357-358 Marengono di Mongarello (voir aussi Giorgio) 426, 430 Marguerite de Kibourg, sœur du comte de Savoie Amédée iv 331 Marguerite Tracho (voir aussi Alafranchoz, Ambrosius, Anthonius, Bacinodus, Franchodus/Francolus, Jean, Lanfranchoz, Porrolus, Stephanus) 402 Marius d’Avenches 33-36 Marius, abbé de Lérins 38 Martin de Saint-Germain, évêque de Genève 334 Martin Karrer 193 Martin v 96-97 Martinetto Mercieri 339 Martinus Amiczon 397, 407, 410 Martinus Bona Navis 301 Martinus de Lucha 237 Martinus de Monbret 301 Martinus de Mugnaciis 297 Martinus Faleti 301 Martinus Vincentii 297 Matheus Calan 378 Matthieu Rondelli 88 Maurice, saint 32 Maurice, père d’Aymon 218 Maxime, évêque de Genève 37-38 Maximien, empereur romain 32 Mermerius de Revorea 223 Mermet de Stabulo, alias Lombardi 362 Mermet Fichet, prédicateur dominicain 100
Mermetus Guersat 402 Mermetus Ogneis 378 Michel de Balma 345 Michel de Fer (De Ferro) 346, 352 Michel Rubini 100 Monet, vicaire de Pierre Regis (chanoine de Sion) 84-85 Morello Cacho (voir aussi Bonifacio) 424 Morosini, famille 286 Mosé Millemerces, maître de la monnaie du duc de Savoie 331 Mulet, prédicateur franciscain 104 Muto Grassus (Mutzo Gras) 259, 284 Muzinus Trecco (voir aussi Francholus, Giovanni) 285 Nandino Bonaccorsi 249, 360, 362-364 Nantermus, panni tonsor de Sion 298 Negro, famille 255 Nicholas de Fribourg, marchand 260 Nicholaus Alpherius 374 Nicholetus, fils d’Etienne d’Ayent de Loèche 401 Nicod Festi 367 Nicodus Salo 194 Nicola Alfieri 421 Nicolao de Balmis 204 Nicolas Rondat 364 Nicolas, maître en théologie dominicain, prédicateur (vers 1454) 100 Nicolas, prédicateur, du couvent de Belley 101 Nicole Oresme 372 Nicoletus, juif de Versoix 333 Nicolinus Kalbermatter 289 Notker de Saint-Gall (le Lippu ou l’Allemand) 44 Nychodus, vidomne d’Orsières 383 Oddino Costanzi (Odinus Constancii) 402, 404, 423 Oddonino Asinari, châtelain de Morat (voir aussi Aimone, Alessandro, Bartolo, Bonifacio, Bonomo, Domenico, Galvano, Giorgio, Revellino) 431
i n d e x d e s no ms d e pe rso nne s
Oddonino di San Giorgio 214 Odini, famille 285 Odonus de Canturio (voir aussi Andreonus, Cortesius, Dunninus, Jean) 282 Oliviero Turchi 431 Otto Guttuer 376 Ours, saint 35 Oyand, abbé du monastère de Condat 38 Pagano di Monza 216 Palméron Turqui 246, 376, 395, 423, 430-431 Panianus de Venise 256 Pappolus, évêque de Genève 35 Parchiminus, prêteur de Genève 418 Pelletta, famille de prêteurs lombards 430 Perreta, nonne de Bagnes 382 Perretus Quarterii (voir aussi Guillaume) 218 Perrino Isnardi (voir aussi Berardo, Daniele, Giovanni) 417 Perrinodus (ou Perronetus) Garreti (voir aussi Berthodus, Dominicus, Rolandus) 375, 423 Perrod de Lausanne 403 Perrodi de Valleria 407 Perrodus Vichardi (ou Wichardi) (voir aussi Barthélemy, Guillaume, Jacques, Jean) 310, 332 Perrodus Choset 299 Perrodus de Morestello 382 Perrodus del Truil 301 Perrodus Magy 404 Perrodus, métral de Bourg-Saint-Pierre 383 Perromann (ou Praroman), compagnie fribourgeoise 189, 287, 355 Perronet Cottier 191 Perronet Mercerii 363 Perronetus Charelli 329 Perroto, prêteur lombard 419 Perrussodus de Lurtier 383 Perrussodus Grosserii 383 Petellinus dou Tyl 397, 406-407, 416 Petermand Bongart 190
Petrazio Morigie 206 Petrinus de Gallarate 283 Petrus Beacqua 255 Petrus de Mediolano (voir aussi Continus, Magnus) 257 Petrus Ruphi 383 Petrus Tettout 300 Philippe de Vienne 417 Philippe Doder 362 Philippe ier, comte de Savoie (voir aussi Amédée v, Amédée vi, Amédée vii, Amédée viii, Aymon, Pierre ii et Thomas) 41, 178, 218 Philippe ii, duc de Bourgogne 242 Philippe le Bel, roi de France 333 Philippe le Bon, duc de Bourgogne 341 Philippe vi, roi de France 321, 324 Philippe-Marie Visconti (voir aussi Azzone, Jean-Galéas et Visconti, famille) 341 Pierre Alardet 50 Pierre Amédée, cellérier de l’Hospice du Grand-Saint-Bernard 138 Pierre Battilin 191 Pierre Carterii (ou de Cartery, Carrerii), procureur fiscal et juriste 347, 367 Pierre Chambon 100 Pierre d’Évian, curé d’Hérens 78 Pierre de Bacio (de Bex) 219 Pierre de Balneis 77 Pierre de Büch 190 Pierre de Columberio (voir aussi Henrico, Humbert) 218 Pierre de Faucigny, évêque de Genève 48, 51, 54-61, 93 Pierre de Gracza 378, 382 Pierre de la Tour (Perretus de Turre) 295, 297 Pierre de Marcey 200, 290-291 Pierre de Prato Raye 376 Pierre de Sampson, juriste 56 Pierre Grivet 345 Pierre Gueytat 364 Pierre ii, comte de Savoie (voir aussi Amédée v, Amédée vi, Amédée vii,
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Amédée viii, Aymon, Philippe ier et Thomas) 420 Pierre le Vénérable 48 Pierre (Perrod) Lombard 427 Pierre Lombard, théologien 50 Pierre Magy 401 Pierre Mandi 99-100 Pierre d’Oron, évêque de Lausanne 334 Pierre Pellons 338 Pierre Regis, chanoine de Sion 84-85, 88 Pierre Salvagii 373, 377 Pierre Stellis 191 Ponce Asclépiodote 33 Porollus Tracho (voir aussi Alafranchoz, Ambrosius, Anthonius, Bacinodus, Franchodus/Francolus, Jean, Lanfranchoz, Marguerite, Stephanus) 401 Primolus de Côme 257 Protais, saint 32-33 Pseudo-Augustin 87 Pseudo-Turpin 86 Quintin, prédicateur franciscain 101 Quodvultdeus de Carthage 87 Raimond de Ponte 253 Raimondo di Montevitulo 419 Raoul Gutwery 186 Raphaël de Cardona, dominicain 96-98 Raphaël de Concorezzo (voir aussi André, Corrado, Espernodus, Jacques) 364 Raymond Amaury 56 Revellino Asinari (voir aussi Aimone, Alessandro, Bartolo, Bonifacio, Bonomo, Domenico, Galvano, Giorgio, Oddonino) 417 Revellus de Feria 237 Reymond Pasqualis 340 Reynerius (Ranieri) Bertaldi, dit Rubeus 319, 421 Richard Poore, évêque de Salisbury 49-50, 62 Robert d’Anjou 376 Robert de Londa 100 Robert Grosseteste, évêque de Lincoln 50
Rodolphe Grossi 77 Rodolphe ier, roi de Bourgogne 39-41 Rodolphe iii, roi de Bourgogne 39 Rodolphe Poelman, curé de SaintQuentin à Tournai 178 Rodolphe, comte de Genève 218 Roland Bonis 328-329 Rolandinus Passaggeri 73 Rolando Laiolo (voir aussi Aleramo, Giacomo, Umberto) 421 Rolandus Garreti, péager de Villeneuve (voir aussi Berthodus, Dominicus, Perrinodus/Perronetus) 266 Roletus de Payerne 255 Rolinus de Berne 283 Romain, saint, fondateur du monastère de Condat 36, 38 Romain de Noseroy 284 Rossetus, marchand de Lausanne 297 Ruedinus Hugs 194 Rufferius Aquis 345 Ruffini, famille 211, 254, 257, 347, 354 Ruffino (Ruffinus) Barbafalla (de Castronovo) 375, 422 Rufus, évêque d’Octodurum 33 Ruminus de Sala 257 Ruphus de Martigny 301 Rusticius (Patricius), évêque de Genève 35 Salonius, évêque de Genève 38 Salvius (Silvius, Salvien), évêque d’Octodurum 33, 38 Scaligeri, famille 236 Sclavo Boloni 236, 256 Secondino Falletti (ou Faleti) (voir aussi Braxone, Giacomino, Giacomo, Stevenino, Tommasino) 424 Sigismond, roi des Burgondes 37-38 Simon Ebinguer 355 Simone Guadagni 369 Solaro, famille 426 Stefano Taverna 354 Stephanodus de Ponte 383 Stephanus de Mombret 301 Stephanus Tracho (voir aussi Alafranchoz, Ambrosius, Anthonius, Bacinodus,
i n d e x d e s no ms d e pe rso nne s
Franchodus/Francolus, Jean, Lanfranchoz, Marguerite, Porrolus) 402 Stevenino Falletti (ou Faleti) (voir aussi Braxone, Giacomino, Giacomo, Stevenino, Tommasino) 424 Tavano, famille de prêteurs lombards 417 Taverna, famille 211, 254, 257, 354 Tellemandus Gollossu 367 Thavianus 310, 332 Théodelinde, reine des Burgondes 35 Théodore, évêque d’Octodurum 32-33, 37 Thierry iii, roi des Francs 38 Thomas d’Aquin 104 Thomas de Chobham 23, 63 Thomas de Folonia, maître général de la monnaie du duc de Savoie 363-364, 366 Thomas de Savoie, comte de Savoie (voir aussi Amédée v, Amédée vi, Amédée vii, Amédée viii, Aymon, Philippe ier et Pierre ii) 41 Thomas Guillioti (Guilliodi) 364 Thomas Hibernicus (ou Palmeranus) 73 Tisetto Roero 423 Tommasino Falletti (ou Faleti) (voir aussi Braxone, Giacomino, Giacomo, Secondino, Stevenino) 424 Tommaso Alcheri 347, 349, 352, 357-358 Tommaso Ceba (voir aussi Babilano) 347, 354
Tommaso Ronsaldi 354 Tracla, marchand de fer 283 Uldriodus, fils d’Etienne d’Ayent de Loèche 401 Ulric de Torrenté, inquisiteur 96 Umberto Bonaccorsi 340 Umberto di Castagneto 421 Umberto Laiolo (voir aussi Aleramo, Giacomo, Rolando) 421-422 Vassalinus de la Pessina 258 Victor, saint 31-32, 35 Vincent Ferrier 24-25, 27, 88-90, 93-108 Visconti, famille (voir aussi Azzone, Jean-Galéas et Philippe Marie) 243245, 247, 312 Walter Supersaxo, évêque de Sion 52, 56, 58, 61, 294 Wariscolus de Poldo (voir aussi Ambroise) 114 Warnerus de Luceria 392, 397, 406-411 Willermodus de Bagnes 386, 405 Willermus Cornuel 293 Willicaire (Wilchaire), évêque de Sion 38-39 Yaninus Odini 402, 404-405 Ymarius de Prato 192 Zähringen, famille (voir aussi Berthold IV de Zähringen) 40-41
471
Table des matières
Avant-propos
5
Publications de Franco Morenzoni
7
Table des images, cartes, tableaux et graphiques
15
Abréviations courantes
19 Première partie Curés et prédicateurs
Introdcution par Nicole Bériou
23
Évangélisation et organisation ecclésiastique de la Suisse romandedes origines au début du xive siècle
29
L’encadrement et l’instruction religieuse des fidèlesd’après les statuts synodaux des diocèses de Genève et de Sion (xiiie-xve siècles)
47
La Légende dorée d’un curé du xve siècle du diocèse de Genève
71
Vincent Ferrier et la prédication mendiante à Genève au xve siècle
93
Deuxième partie Échanges et milieux naturels Introdcution par François Walter 109 Voyages et déplacements depuis le Valais à la fin du Moyen Âge
113
Contribution à l’histoire des prix des céréales et des fèves en Valaisà la fin du Moyen Âge d’après les comptes de châtellenie (vers 1270-1450)
133
Note sur la présence de l’oursen Valais et dans le Chablais vaudois à la fin du Moyen Âge
163
La capture et le commerce des fauconsdans les Alpes occidentales au xive siècle
169
L’achat et la vente de chevauxd’après les registres des notaires fribourgeois de la fin du Moyen Âge
181
474
ta bl e de s m at i è r e s
Troisième partie Les routes alpines du commerce européen Introdcution par Guido Castelnuovo 199 La via del Vallese e il commercio internazionale e regionalealla fine del Medioevo
203
Le mouvement commercial au péage de Saint-Maurice d’Agauneà la fin du Moyen Âge (1281-1450)
217
Les produits sidérurgiques dans les comptes de péagede Saint-Maurice d’Agaune et de Villeneuve-Chillon (xive-xve siècles)
279
Les marchés et les foires de Sion et de Saint-Maurice d’Agauneà la fin du Moyen Âge (xiiie-xve siècle)
293
Quatrième partie Politiques monétaires et prêteurs d’argent Introdcution par Pierre Dubuis 309 Monnaies réelles et monnaies de compte dans le Valais savoyard et épiscopal (fin xiiie-début xve s.)
315
Quelques précisions à propos de l’atelier monétaire de Saint-Maurice d’Agaunevers le milieu du xive siècle
331
Le duc Amédée viii de Savoie et sa monnaie (vers 1420-vers 1434)
337
Les prêteurs d’argent et leurs clientsdans le Valais savoyard à la veille de la Peste Noire. La casane de Sembrancher en 1347
373
L’inventaire après décès de Bacinodus Tracho, Lombard de Sion (17 janvier 1376) 397 Le réseau des casanes lombardes dans l’espace comtois et la Suisse occidentale (xiiie-xive siècles)
417
Lieux de première publication des articles
433
Bibliographie
435
Index des noms de lieux
451
Index des noms de personnes
459