162 28 9MB
French Pages 153 [160] Year 1966
Structure sociale et fortune dans la campagne proche de Grenoble en 1847
PUBLICATIONS DE LA FACULTÉ DE DROIT ET DES SCIENCES ÉCONOMIQUES DE GRENOBLE
Collection du Centre de recherche d'Histoire économique, sociale et
institutionnelle
SÉRIE HISTOIRE SOCIALE VOLUME No 2
Les volumes de la Série «Histoire Sociale» sont publiés par le Centre de Recherche d'Histoire Economique, Sociale et Institutionelle, créé en 1962 au sein de la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de Grenoble. Ces volumes présentent des ouvrages de membres du corps professoral, des travaux de colloques, et des thèses de Doctorat, préparés dans le cadre de la Section «Histoire Sociale» de ce Centre.
Paris
MOUTON & O
La Haye
PUBLICATIONS DE LA FACULTÉ DE DROIT ET DES SCIENCES ÉCONOMIQUES DE GRENOBLE
Structure sociale et fortune dans la campagne proche de Grenoble en 1847 par
JÉSUS IBARROLA Docteur ès Sciences Économiques Maître-Assistant à la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de Grenoble
Paris
• MOUTON & O
• La Haye
© Mouton & C ic • 1966
INTRODUCTION L'histoire sociale concerne à la fois les villes et les campagnes. L'intérêt est d'autant plus grand quand il s'agit des campagnes proches d'une ville relativement importante sous l'angle démographique, social et économique comme l'était Grenoble en 1847, siège d'une académie, ville universitaire, chef-lieu d'un département, importante ville militaire: il est possible en effet de dégager si la ville constitue un centre d'attraction notable. Le dépouillement des déclarations de succession reçues par le bureau d'enregistrement dans le ressort duquel se trouvait le domicile du défunt et leur exploitation permettent d'avoir de précieux renseignements sur les structures urbaines mais aussi sur les structures rurales ou semi-rurales. Cette constatation est valable pour le bureau d'Enregistrement de Grenoble, qui était chargé en 1847 de recevoir les déclarations de succession concernant non seulement les défunts dont le domicile se situait à Grenoble même, mais aussi ceux qui habitaient dans la campagne proche de la ville, dans des communes rurales et semi-rurales (jusqu'à 10 km de rayon). Cette zone comprenait 25 communes ou hameaux, d'importance variable. Elle était située entre le Drac d'un côté (d'Echirolles à Grenoble), l'Isère de l'autre (de Grenoble à Saint-Martin-le-Vinoux ou plus exactement le Fontanil). A partir de ces deux limites, elle formait un polygone dont les sommets étaient constitués par Sarcenas, Bernin, Les Eymes, Montbonnot, Gières, Venon, Herbeys et Echirolles (voir carte p. 2). Le présent travail a pour but l'analyse de la structure sociale et économique de la banlieue de Grenoble, ainsi délimitée, en 1847, appréhendée à partir des mutations de succession. Les déclarations de succession ne dépendent pas quant à leur contenu de la catégorie sociale du défunt: elles sont donc identiques pour les citadins et les ruraux. Etant donné qu'elles ont un but éminemment pratique qui est la perception de droits de mutation lors de la transmission de la fortune aux héritiers, elles sont articulées autour de deux aspects essentiels: désignation des héritiers en précisant la degré de parenté qui les liait au défunt, les droits perçus étant variables selon ce degré; description précise et exacte de l'héritage, puisque celui-ci représente l'assiette de l'impOt à percevoir. L'historien, tenant compte de cette double considération, peut donc utiliser les mêmes documents pour étudier les structures urbaines et les structures rurales: il lui suffit de classer les mutations en deux grands groupes, selon que le domicile du défunt se situait à Grenoble ou en dehors de la cité, tout en dépendant du Bureau d'Enregistrement de la ville. C'est ce qu'a fait la présente étude, continuant et développant une étude anté-
Introduction
2
Légende: .
_ _
i 1 km
: limites probables
rieure (1) relative aux structures grenobloises elles-mêmes. D'une manière générale, et sous réserve de signaler les divergences tenant lieu à la spécificité de l'objet étudié (la campagne et non la ville), les problèmes méthodologiques à résoudre dans les deux cas sont les mêmes et ils sont donc justiciables des mêmes méthodes d'analyse. Il est inutile de s'attarder sur ce point, et il est préférable de renvoyer purement et simplement à cette étude antérieure. Il suffit de dire que les mêmes difficultés doivent être surmontées: absence d'indications relatives à la profession, étant donné que la majorité des défunts sont des gens d'un certain âge, généralement inactifs, retraités au sens large; nombre des enfants ne correspondant pas toujours à celui des héritiers; contrats de mariage non toujours mentionnés; difficultés pour décomposer la fortune en éléments mobiliers et im-
Introduction
3
mobiliers... Difficulté supplémentaire: le vocabulaire incertain. Ainsi, quelle différence y-a-t-il exactement entre le terme de propriétaire et celui de cultivateur ou bien encore, que signifie très précisément le mot sape...? A partir des mutations par décès, il est donc possible de reconstituer dans ses grandes lignes la structure sociale de la campagne proche de Grenoble. Cette tentative de reconstitution fera l'objet de la première partie de la présente étude. S'il semble indispensable de subdiviser la collectivité en grandes catégories sociales, il n'est pas possible de s'en tenir là. L'appartenance à telle ou telle catégorie sociale influe directement sur les chances d'ascension sociale, d'élévation dans la hiérarchie de telle ou telle personne ou de ses descendants: l'analyse de la mobilité permettra de fixer ce point avec plus de précision. Tout défunt est situé non seulement socialement, mais aussi familialement, ne serait-ce que négativement s'il est resté célibataire. L'attitude envers la famille, envers les enfants est une des caractéristiques importantes des différentes catégories sociales. Les relations familiales se traduisent aussi par les dispositions testamentaires ou de manière plus générale par les dispositions à cause de mort. La structure sociale est inséparable de la fortune tant mobilière qu'immobilière. C'est cet examen des richesses détenues par les défunts au moment de leur décès et qui constituent au sens exact du terme un héritage qui sera effectué dans une seconde partie. Etant donné le caractère rural de la collectivité, il est évident que, tout en ne négligeant pas la fortune mobilière, il faudra s'attacher plus particulièrement à la fortune immobilière, en en précisant tant la grandeur que la composition. L'évaluation de la fortune totale permettra enfin de parvenir à une vue synthétique et de formuler ainsi quelques conclusions de caractère un peu plus général. Il est à noter qu'étant donné la faiblesse de l'échantillon provisoirement retenu, les remarques qui seront formulées tout au long de l'étude devront être prises davantage comme des hypothèses de travail, que comme des faits acquis. Note 1. J. Ibarrola, Structure sociale et fortune mobilière et immobilière à Grenoble en 1847. Mouton, Paris - La Haye, 1965.
Première
partie
LA C A M P A G N E P R O C H E DE G R E N O B L E AU P O I N T D E V U E S O C I A L E T D E M O G R A P H I Q U E EN 1 8 4 7
I N T R O D U C T I O N A LA P R E M I E R E
PARTIE
Les déclarations de succession attestent l'existence d'une fortune si petite soit-elle. Aux termes de la loi, elle était donc obligatoire pour tous les défunts qui laissaient un héritage; par contre, tous ceux qui mouraient dans la misère en étaient dispensés: un certificat d'indigence permettait aux héritiers éventuels de prouver cette indigence et leur droit à cette dispense. Le phénomène de l'indigence se présente ici plus sous un caractère technique que social pourrait-on dire: en effet, les indigents sont définis comme tous ceux qui à leur décès ne laissaient aucun héritage, aucun bien leur appartenant en propre. Ils comprennent de ce fait non seulement les personnes âgées, mortes dans le dénuement, mais aussi tous les enfants d'une part, tous les jeunes d'autre part, qui sont décédés prématurément avant d'avoir atteint l'âge adulte, donc avant d'avoir fait partie de la population active, à quelque titre que ce soit: ce ne sont pas de véritables indigents au sens socio-économique, car étant donné leur activité, il est normal qu'ils ne possèdent rien en propre. Il est donc nécessaire de distinguer entre deux grandes catégories d'indigents: les indigents véritables, qui sont d'une part des adultes (ou des adolescents) et qui d'autre part appartiennent ou ont appartenu à des degrés divers à la population active (leur revenu était tellement faible qu'ils n'ont jamais pu épargner); les faux indigents, non-adultes, improductifs par définition pour la plupart. Seule, la première catégorie reflète l'indigence en tant que phénomène social. L'indigence sévissait fortement à la campagne. Tenant compte que le nombre des déclarations de succession concernant les 25 localités s'élève à 195 (tableau 1, p. 8), alors que le total des décès enregistrés se monte à 454, il est facile de calculer que 57% des défunts étaient considérés comme indigents, chiffre considérable, mais qui fausse quelque peu la réalité, puisqu'il englobe la mortalité infantile, très élevée à l'époque. Néanmoins, ces indications sont certainement valables d'une manière approximative: l'indigence était le lot d'une fraction très importante de la population, sinon de la majorité. La structure sociale que revèlent les mutations par décès ne tient pas compte du phénomène de l'indigence, elle n'est donc qu'une structure sociale partielle, généralement différente de la structure sociale réelle: les catégories les plus nombreuses dans la réalité risquent d'apparaître comme minoritaires, étant donné qu'il est très probable que les catégories les plus pauvres sont aussi les plus nombreuses.
8
Introduction à la première
partie
Tableau I Décès par localité dans la proche campagne grenobloise Nombre 1
Communes St.Ismier
Décès
Total
19
19 36
2
Bernin, St.-Egrève
18 (chacune)
2
Quaix, Meylan
14 (chacune)
28
2
La Tronche, Gières
12 (chacune)
24
1
Froveyzieux
11
11
1
St. - Martin - le - Vinoux
7
7
6
Biviers, Herbeys, Eybens, St.-Nazaire, St.-Martin d'Hères, Le Sappey
1
St.-Martin de Miseré
5
Corenc, Fontanil, Poisat, Echirolles, Montbonnot
1
Venon
3
Sarcenas, Bresson, Granges-lês-Grenoble
25
Total
6 (chacune) 5 4 (chacune) 3 2 (chacune)
36 5 20 3 6 195
Chapitre
I
LA S T R U C T U R E S O C I A L E DE LA P R O C H E G R E N O B L O I S E EN 1 8 4 7
CAMPAGNE
La structure sociale peut se définir comme l'ensemble des proportions des différentes catégories sociales dans une collectivité déterminée, et des relations complexes que ces catégories sociales entretiennent entre elles, sous l'angle socio-économique. La structure sociale va donc inclure différentes catégories sociales, qu'il est possible de différencier d'après de nombreux critères, le critère professionnel apparaissant comme relativement privilégié. Le premier classement qui s'impose est donc le classement par profession; mais, il demeure insuffisant. La profession implique nécessairement un certain rôle dans la production sociale: il est donc possible de regrouper différentes professions qui semblent identiques, d'après la place qu'elles occupent dans le circuit productif. A la campagne, le problème est d'ailleurs t r è s largement simplifié étant donné que de nombreuses catégories sociales, caractéristiques des structures urbaines, sont pratiquement inexistantes. Les classements selon la profession et selon la production ne coïncident pas nécessairement: l'un a un caractère technique, neutre en quelque sorte; l'autre a un caractère économique et social, puisqu'il implique des relations entre les différents groupes ainsi délimités. La classe sociale apparaît alors comme un groupement beaucoup plus complexe que le groupement professionnel: elle implique une identité de situation vis-àvis de la production, qu'elle soit de caractère agricole ou industriel. La classe sociale est difficile à appréhender d'une manière concrète: pourtant, c'est elle qui la plupart du temps permet de comprendre le mieux les comportements de ses membres, conscients ou non de leur appartenance à cette classe déterminée. Au XDCème siècle la population rurale se composait, d'une manière générale, d'une population agricole (qui travaillait la t e r r e ou en vivait) et d'une population non-agricole (artisanale, commerçante... ), qui tout en n'ayant pas une activité directement liée à la t e r r e , avait des relations étroites avec l'agriculture. En outre, la population de la collectivité étudiée comprenait une troisième catégorie, qui, dépassant le cadre local, témoignait de l'économie nationale, ou plus exactement de l'existence d'un Etat centralisé: il s'agissait des employés d'Etat, pour la plupart militaires en retraite. La population rurale de la collectivité étudiée pouvait donc se répartir entre les six catégories suivantes:
La structure
10 1) 2) 3) 4) 5) 6)
sociale
ouvriers-journaliers domestiques artisans et commerçants employés d'Etat cultivateurs propriétaires-rentiers
Il faut donc d'emblée signaler l'extrême simplicité de cette structure qui s'oppose à la complexité de la structure urbaine: font défaut, des catégories comme les professions libérales (cette absence ne prouve pas leur inexistence, les professions libérales existent, se manifestent aussi dans les campagnes, mais bien plutôt soit le petit nombre de leurs représentants, soit le fait qu'ils résident efn ville), les fonctionnaires de tous les genres. Les catégories non-agricoles sont elles-mêmes t r è s peu complexes, à la fois sous l'angle économique et sous celui des richesses (1). Les deux catégories les plus importantes et les plus significatives sont les cultivateurs d'une part, les propriétaires-rentiers d'autre part: à elles deux, elles représentent 76,8% du total des défunts ayant déclaré exercer une profession (tableau II). Tableau II Structure sociale de la proche campagne grenobloise en 1847 Professions
Nombre de défunts
Par rapport aux professions
Ouvriers-journaliers Domestiques Artisans-commerçants Propriétaires-rentiers Cultivateurs Employés d'Etat
5 1 12 37 36 4
5,3 1,1 12,6 39,0 37,8 4,2
Total Sans profession hommes Sans profession femmes
95 21 79
100,0
Total des déclarations
195
La structure économique de l'agriculture comprend deux grandes catégories de personnes: d'une part des exploitants, propriétaires ou non de terres, d'autre part, des propriétaires qui n'exploitent pas eux-mêmes, mais qui prélèvent une rente sur le travail des paysans. Cette différenciation en ruraux travailleurs et en propriétaires non exploitants est certainement fondamentale. Si on met à part, la catégorie 'sans profession' qu'il nous faudra traiter ultérieurement, il est possible de parvenir à regrouper les cinq catégories en quatre grands ensembles qui peuvent être assimilés, plus ou moins, à des classes:
La structure
11
sociale
La classe ouvrière et salariée est très peu nombreuse, et son importance apparaît comme assez faible: l'ouvrier ne peut jouer qu'un râle mineur à la campagne, surtout dans la mesure où l'agriculture n'est pas une agriculture de type capitaliste (2). Les artisans et commerçants, au nombre de 12, ne comptent que pour 16,8% du total des défunts déclarés comme ayant exercé une profession. Cette bourgeoisie, de caractère plus ou moins productif, se complète par une bourgeoisie de type improductif, qui en réalité n'a aucun rapport organique avec le lieu où elle vit: il s'agit de trois militaires en retraite, qui ont préféré émigrer à la campagne plutôt que d'aller habiter en ville. Les propriétaires-rentiers constituent la classe dominante économiquement et socialement: détenteurs de la majorité des terres, ils peuvent imposer leur loi aux autres catégories sociales. Enfin, la paysannerie travailleuse, fortement différenciée, est composée de petits exploitants agricoles, généralement propriétaires de leur exploitation, mais aussi très souvent dépourvus de terres. Les femmes dans leur écrasante majorité n'exercent aucune activité économique indépendante ou spécifique: sur 90 successions de défunts de sexe féminin, 11 seulement comportent une indication de caractère professionnel, ainsi réparties: domestique: artisan: rentiers:
1 1 9 11
En fait, si on met à part les 9 rentières, il apparaît que la seule profession propre à la femme est celle de domestique, probablement bonne à tout faire: la femme, dont la déclaration de succession porte, au titre professionnel, la mention artisan était la veuve d'un artisan, et avait continué l'activité de son mari prédécédé. Il est permis de dire qu'à cette époque la femme à la campagne ne semble avoir aucune possibilité de vie indépendante, sauf si elle possède une fortune suffisante: elle passe de la tutelle du père à celle du mari (tutelle non seulement économique, mais très souvent aussi juridique). Tableau IH Structure sociale d'après la profession et le sexe (proche campagne grenobloise en 1847) Ayant une profession
Sans profession
Nombre
%
Nombre
%
Hommes Femmes
84 11
80 12,4
21 79
20 87,6
Total
95
48,6
100
51,4
La structure sociale
12
Bien entendu, en ce qui concerne les hommes, la situation est inverse: la majorité exerce une activité économique (sauf à vivre de ses rentes, mais c'est encore une activité au sens large); seule une minorité a dû être considérée comme étant sans profession (21 sur 105) (tableau 3). Ces considérations générales: prédominance des catégories directement agricoles; inactivité des femmes; faible développement des activités de type urbain, permettent déjà de caractériser les structures rurales, mais elles demeurent par trop imprécises; seule une analyse détaillée permettra d'avoir une image plus exacte, plus précise de ces structures. I. LES SALARIES (CLASSE OUVRIERE
ASSIMILES)
Les salariés sont très peu nombreux dans la population étudiée: ils comprennent 5 ouvriers et journaliers du sexe masculin et une domestique du sexe féminin. Les 5 ouvriers se répartissent de la manière suivante: trois journaliers; 1 ouvrier boulanger; 1 peigneur de chanvre. Les journaliers, peu fortunés, appartiennent à cette catégorie d'ouvriers agricoles, qui sont obligés de louer leurs bras à des cultivateurs ou des propriétaires, plus favorisés qu'eux par la fortune. Généralement, ils travaillaient à la journée, passant d'une ferme à l'autre, constituant un personnel d'appoint plus que des salariés fixes. Les journaliers appartiennent à la population agricole: ils constituent un élément important de l'économie agraire, pré-capitaliste. Ce sont probablement les successeurs des 'brassiers' qui dès le moyen-âge s'opposaient aux laboureurs. Outre, ces trois journaliers, on note l'existence d'un ouvrier boulanger et d'un peigneur de chanvre, qui a été réduit à la condition d'ouvrier: en dépit, de leur trop grande faiblesse numérique (un raisonnement s'appuyant sur un individu a bien peu de poids) ces deux indications ne manquent pas d'intérêt: la classe ouvrière à la campagne comprenait outre les ouvriers agricoles (les journaliers), les salariés des artisans et commerçants (assimilables aux compagnons). Les journaliers recensés ont une fortune qui n'atteint pas 100 francs; un seul d'entre eux possède une petite maison (réduite à sa plus simple expression, puisqu'elle comprend une cuisine, un petit galetas et un jardin) et quelques terres. Si les journaliers les plus fortunés avaient si peu de fortune, que devait-il en être des autres? Très probablement, ils devaient être réduits à l'indigence; les indigents si nombreux devaient pour la plupart appartenir à la catégorie des journaliers. Une défunte a exercé la profession de domestique: là non plus, à partir d'un exemple isolé, il ne saurait être question de tirer des conclusions définitives sur le nombre réel des domestiques. Rien n'interdit de penser que cette défunte qui continuait à vivre dans une situation de dépendance symbolise elle-aussi la petite minorité d'une catégorie qui a réussi à obtenir un début d'aisance: combien de domestiques ont dû mourir sans avoir jamais réussi à mettre de l'argent de côté? Là encore l'indigence devait sévir parmi cette catégorie. Cette domestique est célibataire et propriétaire d'une petite chambre
La structure
sociale
13
située au rez de chaussée d'une maison non définie par ailleurs: signe probable d'une moins grande incertitude de l'existence. La classe ouvrière des régions rurales apparaît ainsi comme une classe ouvrière préindustrielle, traditionnelle.
II. LES STRUCTURES NON-AGRICOLES: LA BOURGEOISIE RURALE Depuis la rupture de l'économie traditionnelle de type domanial, l'union métier auxiliaire-exploitation agricole a fait place à une complémentarité artisanat-agriculture, complémentarité qui suppose une spécialisation de plus en plus poussée; à l'ancien tenancier, qui après avoir labouré ses t e r r e s fabriquait aussi ses outils, ses vêtements, ses chaussures, son logement, a succédé l'agriculteur qui destine la majeure partie de son temps à la culture, et achète la plupart des produits non-agricoles à d'autres agents économiques. Pour pouvoir acheter outils, habits, produits alimentaires transformés comme le pain, pour pouvoir se faire construire les maisons et les bâtiments d'exploitation dont il a besoin, le paysan doit disposer d'argent, de surplus monétaire: il lui faut commercialiser une partie de sa récolte, échanger une fraction des produits agricoles. L'économie agraire différenciée du XIXème siècle supposait donc l'existence de secteurs non seulement agricoles, mais aussi artisanaux et commerciaux: c'est bien ce qui se dégage de l'étude de la structure sociale de la collectivité étudiée. A. La bourgeoisie productive Les artisans et commerçants sont au nombre de 12, dont 11 hommes et une femme, soit une écrasante majorité masculine; en fait, l'unique femme qui a été déclarée comme exerçant une profession artisanale ne constitue pas une exception véritable: matelassière, elle a poursuivi l'activité de son mari, lui aussi matelassier, prédécédé. Cette catégorie regroupe tous les artisans et tous les commerçants quel que soit le niveau de leur fortune et quelle que soit leur activité spécifique: en fait, d'après l'activité économique, il est possible de distinguer entre artisans et commerçants et de les regrouper par secteurs économiques. D'après le niveau de la fortune, il est nécessaire de dissocier les artisans et les commerçants en petits et moyens commerçants (petite bourgeoisie) et en grands commerçants et entrepreneurs. Les artisans proprement dits représentent l'écrasante majorité: 10 sur 12. Leur activité paraît directement en rapport soit avec l'agriculture elle-même, soit avec la consommation des agriculteurs. Les commerçants sont représentés par deux catégories: un pharmacien, un marchand de bestiaux. Le classement des artisans et commerçants par secteurs économiques, permet de faire les constatations suivantes: Répartition professionnelle par grandes activités économiques des artisans et commerçants de la banlieue grenobloise (3).
14
La structure
sociale
Pourcentage Agriculture Métaux-mécanique Bâtiment - T.P. Textile Cuirs-peaux Service
1 3 3 3 1 1 12
8,3 25 25 25 8,3 8,3 100,00
D'après ce tableau, l'artisanat rural paraît concerner essentiellement trois grandes activités économiques: la mécanique, le bâtiment, le textile. Les deux premières visent les biens de production agricoles au sens large: la catégorie significative est ici le charron qui joue dans la campagne, un peu le rôle de l'entreprise industrielle à la ville. C'est le charron qui, comme son nom l'indique, fabrique et répare les charrettes, les tombereaux, les charrues, les divers instruments agricoles... L'industrie des machines agricoles n'a pas encore pris une très grande extension en 1847. Si le charron s'occupe des instruments agricoles, le charpentier ou le maçon se chargent des constructions: il existe en particulier des entrepreneurs en maçonnerie, ce qui montre bien que la division du travail a atteint déjà un degré très poussé. L'agriculteur pratique comme on le sait l'autoconsommation, mais il a abandonné, à cette époque, à peu près complètement, l'activité artisanale annexe, y compris probablement l'activité textile traditionnellement dévolue aux femmes; de là, la nécessité de catégories comme le tisseur de toile ou le tailleur d'habits. Les activités non-représentées dans cette répartition sont essentiellement d'une part les activités proprement industrielles, d'autre part les activités de commerce au détail: alimentation (boucherie, boulangerie, c r é merie, épicerie); produits manufacturés de tous genres (mercerie, chaussures, quincaillerie) (4). Si le commerce de détail est peu important, le marchand joue lui un grand rOle, sinon numérique, du moins économique: le seul marchand r e censé est un marchand de bestiaux, qui habite Eybens (non loin de Grenoble) et fait figure de capitaliste, même s'il ne l'est pas réellement. Il témoigne de l'existence d'une bourgeoisie agraire, peu nombreuse, mais disposant d'une importante fortune de caractère essentiellement immobilier. C'est cette bourgeoisie qui, avec les propriétaires fonciers, constitue très probablement la classe dirigeante. Négligeable numériquement, cette catégorie révèle qu'à la campagne comme à la ville, l'activité commerciale permet à quelques-uns d'émerger et d'arriver très haut. Ce marchand de bestiaux est comparable, à de nombreux égards, aux grands commerçants grenoblois: à côté de lui, les petits exploitants feront figure de subordonnés. B. La bourgeoisie improductive Les défunts sont généralement des personnes âgées, très souvent retraitées. Les localités rurales comportent dans leur population des catégories sociales qui n'ont aucun lien organique avec ces localités: il en est ainsi
La structure
sociale
15
des militaires en retraite (employés d'Etat). Le capitaine en retraite paraît constituer une figure assez significative des villages relativement proches de la ville: c'est bien le cas dans la collectivité étudiée, puisque les trois capitaines recensés habitaient avant leur décès St.-Egrève, La Tronche et St.-Martin le Vinoux. Ainsi, à côté des catégories fondamentales, il faut toujours faire place à des catégories de caractère marginal qui indiquent l'imbrication entre la société locale et la société nationale. in. LES STRUCTURES AGRICOLES: LES PROPRIETAIRES FONCIERS
La campagne au XIXème siècle se caractérise essentiellement par l'existence de deux grandes catégories sociales: le propriétaire foncier, qui, généralement, n'est pas exploitant, et le cultivateur qui exploite sa propre terre ou celle des autres. Economiquement, il est relativement facile de repérer le propriétaire foncier et d'en dégager les caractères spécifiques, statistiquement, cette entreprise rencontre beaucoup de difficultés. En premier lieu, il faut prendre garde à l'hétérogénéité de la catégorie qui comprend, en ce qui concerne la collectivité rurale analysée, tous les défunts ayant été déclarés par leurs héritiers comme ayant la qualité de propriétaire ou de rentier. Cette double qualité présente bien des ambiguïtés: en effet, d'une part, tout individu qui dispose de biens immeubles peut se considérer comme propriétaire; d'autre part, le mot rentier désigne plusieurs réalités fort différentes, depuis le petit rentier qui est assimilable à un retraité, vivant de revenus de transfert, jusqu'au véritable propriétaire foncier, qui prélève la rente au sens strict en louant ses terres. Il est certain que la catégorie dénommée propriétaires-rentiers regroupe aussi bien les unes que les autres: il ne faut pas se dissimuler que la classification repose moins sur un critère objectif, dans ces cas précis, que sur une opinion subjective. Le défunt a été déclaré propriétaire ou rentier parce qu'il se considérait comme tel et parce que ses héritiers ou ses proches estimaient qu'il avait bien cette qualité. Pourtant, il est possible de dire que d'une manière assez générale, opinion subjective et situation objective tendent à coïncider: le propriétaire a été déclaré comme tel parce qu'effectivement, il n'est pas exploitant ou qu'il ne l'est plus; le rentier a été ainsi dénommé parce que dans les faits, il vit de maigres revenus, qui ne pouvant être qualifiés ni de salaires, ni d'intérêts, ni de profits, sont appelés rentes alors qu'il s'agit de retraites au sens très large du terme. En réalité, à la campagne comme à la ville, la catégorie propriétairesfonciers se compose de deux éléments bien différents: les véritables propriétaires fonciers d'une part, riches, possesseurs de la majeure partie des terres, et les petits rentiers, qui constituent une catégorie très hétérogène de gens de toutes conditions. De même, il est certain que tous les défunts déclarés n'exerçant aucune profession sont économiquement et socialement très proches des deux catégories précédentes: les uns, titulaires de fortunes importantes tant mobilières qu'immobilières, s'insèrent tout naturellement dans la catégorie
16
La structure
sociale
des propriétaires-fonciers; les autres, peu fortunés, sont objectivement eux-aussi de petits rentiers. C'est ce qui explique que si dans un premier temps, la catégorie 'propriétaires-rentiers', sera seule utilisée en r e groupant tous les 'sans-profession' dans une catégorie unique, dans un second temps, cette catégorie de propriétaires-rentiers sera dissociée en ses deux composantes, avec intégration de la catégorie 'sans profession'. Le critère pour les départager sera le niveau de la fortune: les propriétaires-fonciers véritables seront ceux dont la fortune totale s e r a égale ou supérieure à 10.000 francs; petits rentiers, tous les autres. Les propriétaires-rentiers au nombre de 28 chez les hommes et 9 chez les femmes, représentent 39% du total de la population étudiée: c'est dire, leur importance en tant que structure agricole.
IV. LES STRUCTURES AGRICOLES: LES CULTIVATEURS Les cultivateurs constituent la catégorie rurale productive essentielle et pratiquement unique (si on excepte les ouvriers agricoles, qui sont aussi des travailleurs). Le cultivateur, comme son nom l'indique, est d'abord celui qui, à des degrés variables, exploite la t e r r e , la met en culture et produit ainsi une série de biens alimentaires, indispensables à la satisfaction des besoins de la famille (auto-consommation). Le surplus étant commercialisé, se t r a n s forme en marchandise, qui est aliénée contre de l'argent. Le cultivateur s'oppose donc d'emblée au véritable propriétaire-foncier en sa qualité d'exploitant: en une certaine manière, il constitue un petit producteur marchand. Pour ce petit producteur, la t e r r e constitue l'élément fondamental de son activité, la base de son travail propre. En outre, ses t e r r e s doivent atteindre une certaine superficie: au minimum, le nombre d'hectares nécessaires à la production des biens indispensables à la subsistance du cultivateur et de celle de sa famille. A la différence du propriétaire-foncier, les cultivateurs t r è s souvent sont démunis de t e r r e , ou même n'en possèdent pas sufisamment; ils sont obligés dans ce cas de s ' a d r e s s e r à ceux qui ont le monopole de cette t e r r e : les propriétaires-fonciers. Ceux-ci en contre partie de la location des t e r r e s (le fermage) prélèvent une partie du surproduit du cultivateur: la rente. Economiquement, propriétaires-fonciers et cultivateurs se complètent, mais en même temps s'opposent: l'un fournit à l'autre la t e r r e dont il est dépourvu (celui-ci peut ainsi faire vivre sa famille) mais immédiatement, il lui réclame une part importante de la récolte, sous forme d'argent le plus souvent. Les cultivateurs, dans la plupart des cas, ne disposent pas d'une maind'oeuvre salariée: ils font fonctionner leur exploitation agricole avec la main-d'oeuvre familiale. Ce n'est pourtant pas une situation de caractère absolu: un cultivateur peut t r è s bien employer un ou plusieurs journaliers sans pour autant c e s s e r d'être un cultivateur. Ces trois caractères (la non-possession de la t e r r e ; la petitesse de
La structure
sociale
17
l'exploitation; le manque de main-d'oeuvre salariée) se retrouvent dans la catégorie des cultivateurs de la collectivité étudiée. Tous de sexe masculin, au nombre de 36, les cultivateurs représentent 37,8% de la collectivité étudiée (sauf les sans-profession) leur importance parait être moins grande que celle des p r o p r i é t a i r e s - f o n c i e r s ; en réalité, il n'en est rien, c a r le poids r é e l de ces derniers est beaucoup plus faible que celui indiqué plus haut (en raison de l'amalgame involontaire entre petits r e n t i e r s et propriétaires-fonciers véritables). Il faudra ultérieurement ajouter à ces 36 déclarations concernant des cultivateurs de sexe masculin, 14 déclarations relatives à des femmes de cultivateurs: or s ' i l est un domaine où il est p e r m i s de dire que la profession de la femme et du mari sont pratiquement identiques, c ' e s t bien celui-là; la femme du cultivateur est, de par la force des choses, une cultivatrice, c'est à dire un élément indispensable de l'exploitation. Au total, le poids des cultivateurs atteint 46%. Sur les 36 cultivateurs de sexe masculin, 10 ne disposaient d'aucune t e r r e cultivable et 9 d'entre eux n'avaient aucun bien immobilier (ni t e r r e , ni maison); ainsi 27,8% des cultivateurs travaillaient exclusivement la t e r r e des autres (puisqu'eux-mêmes n'en avaient pas) et 25% ne possédaient ni t e r r e s , ni maison. En outre, les cultivateurs, propriétaires de t e r r e s , se répartissent de la manière suivante selon la superficie possédée: sans t e r r e moins de 1 ha de 1 à 5 ha plus de 5 ha
10 11 10 5
= = = =
27,8% 30,5% 27,8% 13,9%
total
36
= 100,0%
Ainsi, 86,1% des cultivateurs n'ont pas assez de t e r r e s pour pouvoir f a i r e vivre décemment leur famille (si on admet que la dimension minima de l'exploitation familiale normale est au moins égale à 5 ha). Les cultivat e u r s qui ne disposent pas du moyen de production indispensable à leur activité, la t e r r e , constituent bien l'écrasante majorité des paysans, seule une toute petite minorité pouvait être qualifiée de producteurs indépendants. En fait, il apparaît avec clarté que le cultivateur de la collectivité étudiée n'a que peu de points communs avec le cultivateur moderne qui a à sa disposition une exploitation au sens p r é c i s du t e r m e , soit des bâtiments et des t e r r e s . Cet exploitant moderne n'a de commun que le nom avec ces 21 cultivateurs de 1847 qui n'avaient soit aucune t e r r e soit disposaient de quelques misérables parcelles dont les revenus ne pouvaient même pas suffire à un individu isolé: ces cultivateurs, surtout les p r e m i e r s (ceux totalement démunis de t e r r e ) sont plus proches des ouvriers agricoles, des journaliers, que des cultivateurs véritables, p r o p r i é t a i r e s de superficies c e r t e s insuffisantes, mais qui n'en constituent pas moins une solide a s s i s e . Cette courte analyse souligne bien que ce serait une grave e r r e u r d'identifier cultivateur et exploitant au sens économique du t e r m e : la cultivateur travaille c e r t e s , cultive, mais malheureusement il n'a pas toujours son
18
La structure
sociale
exploitation. La Révolution française ne paraît guère avoir amélioré le sort de la majorité d'entre eux. La population rurale peut ainsi se subdiviser en deux grandes catégories: d'une part, ceux qui sont directement concernés par l'activité agricole, qui dépendent d'une manière directe de l'agriculture, soit parce qu'elle leur fournit un salaire en échange d'un travail (ouvriers et domestiques), soit parce qu'elle leur procure des produits, fruits de leur industrie (cultivateur) soit enfin parce qu'elle leur assure des redevances, qui les dispensent de tout travail effectif, et qui représentent le prix de la location de la terre; d'autre part, ceux qui ne sont concernés par l'activité agricole que d'une manière médiate, en ce sens qu'ils sont plutôt liés avec les agriculteurs au sens large (artisans et commerçants), les retraités militaires constituant une catégorie complètement à part. Si on fait abstraction de la catégorie 'sans profession', il est intéressant de constater que les catégories directement agricoles représentent l'immense majorité de la population possédante: 83,2% contre 12,6% à la catégorie non directement agricole. L'existence de cette catégorie indique cependant un degré notable de division du travail: pour 8 personnes vivant de la culture, il y en a 1,26 qui doivent se consacrer à satisfaire les besoins non-alimentaires de la population agricole. Cette bourgeoisie rurale comprend en outre à la fois des éléments productifs (artisans au sens large) et des éléments non-directement rattachés à l'activité productive: commerçants d'une part, militaires retraités d'autre part. Les producteurs, au sens large, comprenant les ouvriers agricoles, la petite bourgeoisie artisanale et commerçante et les cultivateurs, représentent 55,7% de l'ensemble des défunts ayant déclaré exercer une profession: il semble donc bien que la majorité des individus doive travailler pour permettre à une minorité de jouir de ses revenus dans une douce oisiveté.
Notes 1. Grenoble et sa banlieue devaient former sinon une unité économique, du moins une unité administrative et juridique. A ce titre, Grenoble cumulait les attributions d'une ville de chef-lieu, d'une ville de sous préfecture, et d'un chef-lieu de canton. De ce fait, les officiers ministériels tels le notaire, l'huissier, les fonctionnaires de finances et de la justice (juges de paix, percepteurs) les médecins mêmes résidaient à Grenoble, pour la plupart, c'est ce qui explique l'absence de toutes ces catégories. Il est possible que lorsque le champ d'étude englobera plusieurs années, on trouvera parmi les défunts un médecin, un officier ministériel e t c . . . rien n'interdit de penser que cette bourgeoisie libérale et intellectuelle existait, mais ce devait être plutôt l'exception. 2. Ce qui ne pourra être dégagé qu'à la fin de l'étude. 3. La profession des douze artisans et commerçants était la suivante:
La structure 1 2 1 1 1 1 1 1 1 1 1
sociale marchand de bestiaux: agriculture charrons métaux-mécanique serrurier maçon bâtiment et travaux publics charpentier cantonnier tailleur de toile textile tailleur d'habits matelassier cuirs et peaux cordonnier pharmacien: service
4. Cette absence est peut-être imputable à la faiblesse de l'échantillon.
Chapitre LA M O B I L I T E
II SOCIALE
Le comportement à l'égard de la famille est t r è s souvent conditionné par des considérations d'ordre économique et social: il ne suffit pas d'avoir des enfants, encore faut-il les élever, les éduquer, leur donner une situation qui leur permette de devenir indépendants et de fonder à leur tour un foyer. Dans les sociétés traditionnelles, les enfants gardaient d'une manière t r è s générale la profession de leur père. Certains pourtant, plus favorisés par le sort, réussissaient à s'élever dans la hiérarchie sociale, à passer dans une catégorie sociale supérieure à la leur. Les déclarations de succession, en précisant souvent le statut professionnel des héritiers, permettent ainsi, par la comparaison des situations professionnelles de deux générations successives d'appréhender les t r a n s formations, les modifications subies par ces structures, c'est à dire de mesurer "ce que l'on appelle d'une manière large la mobilité sociale. Mobilité sociale envisagée à un double point de vue: d'une part, mobilité sous l'angle professionnel (identité ou non des professions des parents et des enfants) d'autre part, mobilité géographique (changement ou non de r é s i dence ou de domicile). Si ces deux types de mobilité sont étudiés ensemble, c'est en raison de la liaison souvent t r è s étroite qui existe entre elles; pour pouvoir changer de profession, voire de catégorie sociale, il faut t r è s souvent (mais pas nécessairement) quitter son village et partir chercher fortune (ou infortune) ailleurs. La mobilité géographique qui renseigne sur les déplacements, est ainsi directement liée aux phénomènes proprement économiques, comme l'exode rural qui aboutit d'une manière inévitable à augmenter la mobilité professionnelle proprement dite. I. LA MOBILITE PROFESSIONNELLE, COMME INDICE DE LA MOBILITE SOCIALE C'est à partir de la comparaison entre les professions respectives des parents et des enfants qu'il est possible de repérer l'importance de la mobilité: si celle-ci était nulle, cela signifierait que tous les enfants ont adopté la même profession que leurs parents; si au contraire, elle était totale, cela voudrait dire qu'aucun enfant n'a remplacé son père, que tous ont opté pour une autre profession que celle de leurs parents. Ces deux types extrêmes de mobilité caractérisent deux formes de sociétés assez opposées: la société totalement hiérarchisée, totalement stratifiée, et la société de caractère t r è s instable, en perpétuelle évolution.
La mobilité
sociale
21
En fait, il faut distinguer entre la mobilité professionnelle envisagée sous un angle technique, et la mobilité professionnelle, révélatrice de la mobilité sociale: si par exemple, les deux fils d'un charron deviennent l'un serrurier, l'autre charpentier (tous deux étant à leur compte), il y a bien ici mobilité professionnelle totale au sens technique, mais non au sens social, puisque les deux enfants sont devenus artisans et de ce fait appartiennent à la même catégorie sociale que leur père; par contre, si les deux fils d'un ouvrier-journalier deviennent l'un cultivateur (après mariage avec la fille d'un cultivateur par exemple) l'autre artisan-charron, il y a là mobilité professionnelle sous l'angle technique et sous l'angle social, les deux fils ont changé de catégorie sociale, puisque leur rôle dans la production, leur situation économique, s'est profondément modifié. Ce qui nous intéresse, c'est la mobilité professionnelle sous l'angle social, c'est à dire la permanence ou la modification du poids économique des différentes catégories sociales dans le temps. Comparer les professions respectives des parents et des enfants soulève un certain nombre de difficultés, qui ont été étudiées dans une précédente étude, et qui de ce fait, seront considérées ici comme résolues (1). Par ordre de grandeur, l'indice de mobilité évolue de la manière suivante: Tableau Indice relatif de mobilité professionnelle Ouvriers Cultivateurs Employés d'Etat Propriétaires-rentiers Artisans-commerçants
0,125 0,79 1,00 1,60 1,66
La première constatation qui s'impose est la grande inégalité caractérisant cette distribution: alors que la mobilité des ouvriers est très faible pratiquement négligeable, celle des artisans-commerçants est assez notable. Dans l'ensemble pourtant, la stabilité des conditions reste grande. N'est-ce pas un des grands traits des sociétés traditionnelles? Les ouvriers agricoles, journaliers pour la plupart, ne peuvent pratiquement pas échapper à leur dure condition prolétarienne: sur 9 enfants d'ouvriers agricoles, 8 ont gardé la profession de leur père. La stabilité est moins grande en ce qui concerne les cultivateurs: c e r tes, plus de la moitié d'entre eux reprennent les mancherons de la charrue délaissés par le père, mais tous ne peuvent continuer à exploiter la t e r r e . La campagne proche de Grenoble en 1847 commençait déjà à subir de profonds bouleversements structurels: les exploitations exiglies ne pouvaient nourrir toute la famille de l'agriculteur, une fraction de la population rurale devenait excédentaire. Ce qui est caractéristique ici, ce n'est pas tellement le degré de stabilité, mais inversement l'importance de la mobilité. L'agriculture figée, sclérosée n'appartient-elle pas déjà au passé? Le cultivateur est un exploitant attaché à sa terre, il n'en va pas de
22
La mobilité sociale
même du propriétaire-rentier, pour qui la campagne est d'abord source de revenus. Plus qu'un travailleur, le propriétaire-rentier est un possédant: de ce fait, il semble difficile d'affirmer qu'il ait une profession au sens strict du terme. Pour la plupart des propriétaires, sinon tous, le problème de la mobilité est lié à celui de la succession, ou plus exactement de son importance. Si l'héritage est suffisamment important, les enfants demeureront propriétaires, leur lot leur assurant des revenus suffisants; tout au contraire, si la propriété est trop petite ou le nombre d'enfants trop grand, il peut y avoir soit division à parts égales, mais dans ce cas, les enfants doivent prendre une situation puisque leur part de propriété ne suffit pas à les faire vivre, soit testament donnant la propriété à l'un, les autres prenant une situation. La mobilité est donc fonction à la fois de la grandeur de la fortune et du nombre des héritiers. La mobilité assez élevée constatée dans la catégorie des propriétaires-rentiers n'aurait donc rien d'étonnant, si on ne tenait pas compte de l'hétérogénéité de la catégorie. Ici, plus qu'ailleurs peut-être, la composition dualiste de cette catégorie risque de fausser les résultats. Peut-on assimiler les véritables propriétaires fonciers, disposant d'importantes fortunes et les petits rentiers, retraités et autres» au niveaü de vie très modeste? S'il était acceptable dans un premier temps d'amalgamer ces deux groupes sous un même vocable, à partir des indications portées sur la déclaration de succession, il semble préférable, au niveau d'une analyse plus approfondie, de les dissocier, ne serait-ce que temporairement. Cette dissociation permet de dire que si la mobilité professionnelle des petits rentiers est relativement élevée (leurs enfants sont pratiquement condamnés à prendre une situation), celle des propriétaires fonciers au sens strict du terme est plus faible que celle qui a été retenue pour l'ensemble de la catégorie. N'est ce pas un signe de la permanence de la condition de propriétaire foncier? Les artisans et commerçants apparaissent comme étant la catégorie sociale la moins stable; sur 16 enfants issus de 14 mariages d'artisans et de commerçants, 6 d'entre eux seulement deviennent, à l'âge adulte, artisans ou commerçants, soit 37,5% (tableaux IV et V). Il est difficile de se prononcer sur les causes profondes de cette instabilité avant d'avoir examiné la nature et l'importance des transferts. Il suffit ici de noter que cette instabilité de la petite production marchande non-agricole, mais dépendant pourtant de l'agriculture, s'oppose à une stabilité beaucoup plus marquée de l'exploitation agricole: l'artisan peut beaucoup plus facilement se reconvertir que l'agriculteur. La catégorie des employés d'Etat, composée essentiellement, on le sait, de militaires en retraite, est peu importante et peu significative: elle n'appartient pas au monde rural étudié. Il suffit d'indiquer qu'aucun de leurs enfants n'a embrassé la profession militâire (profession du père) ce qui n'empêche que, loin de s'intégrer à la campagne, la moitié est restée à la ville en demeurant employés d'Etat, mais dans une autre branche que l'armée (transfert à l'intérieur d'une même catégorie sociale). En résumé, si on exclut les employés d'Etat, il est possible de distinguer deux grands types de comportement social sous l'angle professionnel:
La mobilité
sociale
23
Tableau IV Professions respectives des parents et des enfants dans la proche campagne de Grenoble en 1847 (nombre) Professions des enfants
Professions des parents
g ni •S I
g S ì S
Jf ® I i
>2 s 1.3 la
(0 S S s -g S S-a « m a l S.S 82 g!
Hommes Ouvriers Artisans-commerçants Employés d'Etat Propriétaires-rentiers Cultivateurs
4 8 2 26 34
2 3
12 9
2 2 4
1
Total
74
14
24
8
8 1 -
-
-
3
-
-
Femmes Artisans Propriétaires-rentiers
1 1
Total
2
2
-
5 14 4 33 46
8 6 2 4
102
20
Ensemble * Ouvriers Artisans-commerçants Employés d'Etat Propriétaires-rentiers Cultivateurs Total
2 -
-
-
-
1
g a) -as 3 .g
a 3
1 1 1 17 5
8 19
9 6 3 42 40
1
25
28
ÏM
-
-
-
1
-
-
-
6 13 10
1 2 3 6
29
12
-
g 5s
-
1 -
1
-
1
-
-
2 2 4
-
1 2 1 20 6
1 1 12 33
9 16 4 52 59
2
30
47
140
-
2
-
* En incluant les femmes dont la profession du mari est connue.
1) un comportement caractérisé par la stabilité: c'est celui des ouvriers et des cultivateurs; 2) un comportement marqué par la mobilité: celui des propriétaires-rentiers et des artisans-commerçants. L'indice de mobilité ne peut renseigner que sur l'ampleur des changements enregistrés dans les structures professionnelles de deux générations successives, mais en aucun cas, il ne révèle la nature et la signification des transferts: indicateur global, il ne peut fournir que des données globales. L'étude des transferts sera effectuée en regroupant les différentes catégories sociales d'après leur indice de mobilité.
24
La mobilité
sociale
Tableau V Professions respectives des parents et des enfants dans la proche campagne de Grenoble en 1847 (pourcentages) Professions des enfants m •W
0) rt
Professions des parents
ti eu (h >
Hommes Ouvriers Artisans-commerçants Employés d'Etat Propriétaires-rentiers Cultivateurs
4 8 2 26 34
Total
74
Femmes Artisans Propriétaires-rentiers Total Ensemble * Ouvriers Artisans-commerçants Employés d'Etat Propriétaires-rentiers Cultivateurs Total
co
tì
co
» s- »o» CO 2
•a 5
2h oS S w < o H T3
89 16,7 50 66,6 4,75 28,6 4,75 7,50 22,5 10,00
1 100 1
5 14 4 33 46
89 37,5
ai
73
8 . m a) m M™ «M W O >01 J2 ti O) Ph 3 Pi
2,4
11 16,7 33.4 40.5 12,5
m 3 aj
co
'>S
ti OJ , .w
3 u
««S
16,7 19,0 47,5
H Ä
100 100 100 100 100
100
50
37,5
6,25 50,00 3,85 25,0 5,70 6,75 16,9 10,10
50
100
100 11,00 12,50 6,25 100 25,00 25,00 100 3,85 38,50 23,10 100 10,10 56,15 100
102
* En incluant les f e m m e s dont la profession du m a r i est connue.
A. Les catégories à faible mobilité Chez les ouvriers agricoles, la mobilité est pratiquement nulle: un seul fils d'ouvrier a été qualifié de p r o p r i é t a i r e - r e n t i e r dans une déclaration de succession. En fait, il est possible qu'il ait acquis quelque bien à la suite d'un mariage par exemple. Il est pourtant à peu p r è s certain que ce fils d'ouvriers n'est pas réellement devenu propriétaire-foncier au sens strict. Même dans le cas contraire, ce serait une fois de plus l'exception qui conf i r m e la règle. La condition de vie des ouvriers agricoles est non seulement t r è s médiocre, elle leur interdit en outre tout espoir d'ascension sociale. La rigidité des structures ne r e f l è t e - t - e l l e pas ici la t e r r i b l e
La mobilité
sociale
25
incertitude, l'insécurité, le dénuement? Et encore ne s'agit-il que des quelques ouvriers qui ont néanmoins réussi à économiser sur leurs maigres revenus. Si la majorité des fils de cultivateurs deviennent cultivateurs à leur tour, une large fraction d'entre eux pourtant change de profession. Il est possible de distinguer deux grands types de transfert: les transferts vers la classe supérieure, les transferts vers les classes dépendantes. Si on admet que les propriétaires-fonciers constituent la classe dominante, la classe la plus riche, la classe qui détient encore à la campagne le pouvoir économique et politique, tout transfert en direction de cette catégorie implique une ascension sociale. Cette ascension concerne 10% des enfants de cultivateurs. Inversement, 33,75% des fils de cultivateurs s'intégrent aux classes intermédiaires. Parmi eux 16,9% deviennent artisans et commerçants, ce qui dénote une perméabilité réelle entre les deux catégories. N'est-il pas permis de penser que dans ce type de transfert, il y a stabilité dans l'échelle hiérarchique? Tout au contraire, lorsqu'un fils de cultivateur devient ouvrier, n'est-ce pas le signe, du moins à cette époque, d'un déclassement social, la condition du petit cultivateur, quoique précaire, étant généralement supérieure à celle de l'ouvrier? (2). Ce déclassement affecte 6,75% des fils de cultivateurs. Enfin, on compte 10% d'employés d'Etat qui sont issus de ménages de cultivateurs: ce pourcentage reflète-t-il l'attrait des structures urbaines, du mode de vie urbain? Ainsi, la stabilité de la catégorie des cultivateurs est assez relative. Si une petite fraction réussit à s'intégrer dans la classe supérieure, une proportion beaucoup plus importante est obligée soit d'abandonner toute activité agricole et de se destiner à l'artisanat, soit même de louer sa force de travail et de perdre le peu d'indépendance qu'elle pouvait avoir, une dernière fraction enfin est attirée par la ville. C'est dire que la catégorie des cultivateurs est loin d'être homogène: les riches cultivateurs (relativement) sont t r è s proches des propriétaires fonciers; le petit cultivateur, titulaire d'un maigre lopin, se différencie fort peu de l'ouvrier agricole il s'agit bien d'un semi-prolétaire, rien d'étonnant à ce que ses enfants soient obligés, soit de travailler pour les autres en qualité de journaliers, soit de se transformer en ouvriers artisans, avec l'espoir d'acquérir rapidement l'échoppe, le commerce ou l'atelier, qui les rendra, peut-être, indépendants. B. Les catégories à forte mobilité A la différence des fils de cultivateurs, les fils d'artisans qui abandonnent l'artisanat et le commerce sont plus nombreux que ceux qui perpétuent l'exploitation paternelle. Comme pour les cultivateurs, les transferts sont de trois types: ceux qui dénotent une ascension sociale (passage dans les rangs des propriétaires) ceux qui n'impliquent pas un changement hiérarchique (intégration chez les cultivateurs) ceux qui reflètent un certain déclassement (retour à la condition ouvrière). Si les possibilités d'ascension sociale paraissent plus élevées pour les artisans et les commerçants que pour les cultivateurs (12,5% contre 10,10%), le phénomène de déclassement
26
La mobilité sociale
est beaucoup plus intense (37,5% des fils d'artisans sont devenus ouvriers). L'osmose artisanat-cultivateurs est très faible (6,25%): la différenciation des deux grandes activités complémentaires de la campagne est devenue irréversible. L'attrait des secteurs improductifs est faible (6,25% seulement des fils d'artisans deviennent employés d'Etat). Tout comme la catégorie des cultivateurs, la catégorie des artisans et des commerçants est assez hétérogène: la majorité est constituée de tout petits artisans, propriétaires dans une certaine mesure de leurs moyens de production, mais au niveau de vie très réduit, proche de celui des ouvriers, du moins des plus fortunés d'entre eux. Le clivage entre la couche supérieure des ouvriers et la frange inférieure des artisans est insensible: l'artisan ne peut établir tous ses enfants, de là le retour à la condition ouvrière. Une minorité d'artisans, ou commerçants, plus fortunés, s'intègre dans la classe supérieure: la fille du marchand de bestiaux, symbole de cette grande bourgeoisie rurale en voie de formation, est devenue l'épouse d'un propriétaire. La mobilité dans la catégorie des propriétaires-rentiers est également assez élevée: 1,60. Cette valeur, quelque peu inattendue soulève immédiatement un certain nombre de problèmes: nature, signification et causes de cette mobilité. A la différence de ce qu'elle signifie pour les autres catégories sociales, la mobilité n'implique-t-elle pas presque obligatoirement le déclassement, le passage vers des catégories inférieures, étant donné la position sociale de cette catégorie? Par exception, il n'y a pas de déclassement, si les transferts s'opèrent vers des catégories de rang sensiblement égal à celui des propriétaires: professions libérales, grand commerce. En fait, si 38,5% de fils de propriétaires sont, à leur tour, devenus propriétaires, 23,10% d'entre eux sont déclarés comme cultivateurs et 25% comme artisans et commerçants soit près de 50%. Les transferts impliquant le passage vers des catégories situées à un niveau moins élevé de la hiérarchie sociale représentent pratiquement la moitié des enfants issus de ménages de propriétaires. Un déclassement aussi important serait absurde si on ne tenait pas compte de l'hétérogénéité foncière de la catégorie sociale dénommée 'propriétaires-rentiers'. La distribution étudiée ne confirme-t-elle pas ce qui avait été dit précédemment à propos de sa composition réelle: une grande majorité de petits rentiers, au niveau de vie médiocre, une minorité de riches propriétaires, détenteurs d'importantes fortunes? Cette structure complexe ne permet-elle pas d'expliquer la signification de la mobilité constatée? Les petits rentiers ne sont-ils pas socialement très proches soit des petits artisans (souvent ils sont eux-mêmes d'anciens artisans) soit des petits cultivateurs? Quelle différence foncière y-a-t-il entre un petit propriétaire, détenteur de quelques ares de terrain, mais qui ne l'exploite plus, et un petit cultivateur qui s'échine à cultiver quelques parcelles au rapport incertain? Quant à la catégorie des propriétaires-fonciers proprement dite, il est certain qu'elle se caractérise par une mobilité moyenne: nombreux sont les fils qui remplacent les pères à la tête des propriétés; certains, cependant abandonnent la campagne et s'intégrent aux professions libérales ou épousent (lorsqu'il s'agit des filles) des négociants (3).
La mobilité
sociale
27
C. Comparaison des structures professionnelles des parents et des enfants Le résultat de tous les transferts peut être dégagé si on compare la structure sociale des descendants à celle des ascendants au point de vue professionnel (tableau VI). Tableau VI Structure sociale des descendants comparée à celle des ascendants au point de vue professions (proche campagne de Grenoble en 1847) Profession des parents Ouvriers Artisanscommerçants Employés d'Etat Professions libérales Propriétairesrentiers Cultivateurs Total
Nombre de parents 5 14 4 -
33 46 102
OL h
Profession des enfants
4,9 •Ouvriers Artisans13,7 commerçants Employés 3,9 d'Etat Professions libérales Propriétaires32,4 rentiers 45,1 Cultivateurs 100,0
Nombre d'enfants
CL
%
Différence
20
14,3 + 9,4
29
20,7 + 7,0
12
8,6 + 4,7
2
1,4 + 1,4
30 47
21,4 -11 33,6 -11,5
140
100,0
Quatre catégories sociales voient leur poids augmenter (les ouvriers, les artisans-commerçants, les employés d'Etat et les professions libérales) alors que la proportion de deux d'entre elles diminue très fortement (cultivateurs et propriétaires-rentiers). Ces changements de structure traduisent ainsi un recul des structures agricoles proprement dites (les exploitants et les rentiers, vivant des revenus de la terre) au profit soit de structures non-agricoles, mais néanmoins rurales (artisanat) soit des structures productives de caractère urbain (les ouvriers recensés ne sont plus des journaliers, mais des ouvriers d'industrie) soit des structures non-productives, de caractère public (employés d'Etat) ou para-public (professions libérales). Le recul des structures agricoles est très marqué: le poids des propriétaires-rentiers et des cultivateurs passe de 77,5% à 55%. Aucune catégorie sociale, à l'exception des ouvriers, n'assure sa propre reproduction professionnelle, c'est ce que permet de dégager un examen du tableau. Les taux de reproduction professionnelle (nombre de fils ayant choisi la même profession que le père/nombre de chefs de famille) sont alors les suivants: Ouvriers 8/5 = 160,0% Artisans-commerçants 6/14 = 42,7% Employés d'Etat 2/4 = 50 % Propriétaires-rentiers 20/33 = 60,5% Cultivateurs 33/46 = 71,6%
28
La mobilité sociale
Si les ouvriers perpétuent leur condition à 160%, les autres catégories ne se reproduisent qu'à concurrence de 71,6% (cultivateurs) et 42,7% (commerçants). Les taux de reproduction professionnelle globaux (en incluant l'appoint des autres catégories) sont évidemment assez différents, ils se présentent comme suit: Ouvriers Artisans-commerç ant s Employés d'Etat Propriétaires -rentiers Cultivateurs
20/5 29/14 12/4 30/33 47/46
= 400% = 206% = 300% = 91% = 102%
Si la classe ouvrière se reproduit à 400%, les cultivateurs ne se renouvellent qu'à concurrence de 102%, alors que les propriétaires n'assurent même pas leur reproduction (91%): de tels chiffres renforceraient l'impression de déclin déjà constatée, si on ne faisait remarquer qu'il est normal que la très grande majorité des enfants de petits rentiers (de loin la plus nombreuse) ne puissent vivre d'une manière non-active et soient obligés de travailler, à la différence de leurs parents retraités (qui font l'objet des déclarations de succession). Le renouvellement de chaque catégorie est fait essentiellement grâce au transfert des autres catégories sociales pour les ouvriers, artisans-commerçants et employés d'Etat alors qu'il en va tout autrement en ce qui concerne cultivateurs et propriétaires-rentiers; l'importance de ces transferts peut être évaluée en calculant le pourcentage de ces apports (nombre total des descendants appartenant à telle catégorie sociale - nombre de descendants de cette catégorie exerçant la même profession que leurs pères) par rapport au nombre des enfants faisant partie de chaque catégorie. Ces pourcentages sont les suivants: Ouvriers Artisans Employés d'Etat Propriétaires-rentiers Cultivateurs
60 % 79,5% 83,5% 33,3% 29,8%
La classe ouvrière se grossit d'éléments provenant non-seulement des artisans-commerçants, mais aussi des propriétaires-rentiers et des cultivateurs, l'apport principal étant celui des artisans-commerçants. A son tour, les transferts externes des artisans-commerçants sont très importants, ils sont compensés et au-delà par les transferts internes provenant des propriétaires-rentiers et des cultivateurs: ainsi, un renouvellement incessant semble s'opérer, renouvellement qui permet la reproduction élargie. Tout au contraire, les apports externes en ce qui touche les catégories des propriétaires-fonciers proprement dits et des cultivateurs est très faible: il y a surtout passage d'une catégorie à l'autre (des propriétaires aux cultivateurs et vice-versa). Les structures agricoles ne se caractérisent-elles pas en définitive par leur permanence? Enfin, il est intéressant de noter que si presque toutes les catégories
La mobilité
sociale
29
sociales font un apport substantiel à la catégorie des employés d'Etat, c'est là que l'on constate l'apport externe le plus grand, soit 83,6%, en revanche, les transferts provenant de cette catégorie sont r a r e s en précisant, il est vrai, que le nombre d'enfants issus de ces ménages est faible: l'attrait vers une profession stable est grand, alors que le retour à la t e r r e ne semble guère séduire les enfants d'employés d'Etat. L'étude des transferts est précieuse pour comprendre l'évolution des mentalités. Plus les transferts externes sont importants, plus la mentalité sera sujette à se transformer, à évoluer. Ainsi, si la mentalité ouvrière est appelée à se modifier en raison de l'origine des nouveaux ouvriers, issus des milieux artisanaux et ruraux, elle se maintient néanmoins grâce à la permanence des familles ouvrières. Tout au contraire, cultivateurs et propriétaires ne sont-ils pas conservateurs, car aucun apport externe notable ne viendra troubler traditions et préjugés? Les artisans enfin n'auront-ils pas un comportement assez instable, puisque soumis à un perpétuel renouvellement ? H. LA MOBILITE GEOGRAPHIQUE La région grenobloise moderne s'articule d'une certaine manière autour de la ville de Grenoble, qui en constitue le centre économique, politique et juridique. De ce fait, la banlieue grenobloise subit nécessairement l'attraction de la ville, la campagne proche ne peut plus guère vivre d'une façon autonome: c'est là un des principaux aspects de ce phénomène fondamental que l'on appelle la complémentarité ville-campagne. En 1847, par contre, la concentration urbaine était beaucoup moins importante qu'au XXème siècle. L'industrialisation, qui s'ébauchait, ne provoquait pas un exode rural t r è s marqué. La mobilité géographique de la population rurale proche d'une grande ville reflète ainsi les relations dynamiques qui se développent entre économie rurale et économie urbaine, entre économie non-industrielle et économie industrielle. Le mouvement le plus intéressant à appréhender est celui qui s'oriente dans le sens banlieue-Grenoble, car c'est lui qui symbolise le mieux la complémentarité ville-campagne. Il existe cependant d'autres types de migrations: les unes affectent la région alpine, et pourraient être qualifiées d'internes, les autres concernent les grandes métropoles urbaines, c'est à dire P a r i s et Lyon. P a r contre, en première approximation, il ne sera pas appréhendé les transferts de localité à localité, à l'intérieur du r e s s o r t du bureau de Grenoble. Si on part de ce critère, on constate que la mobilité géographique des populations rurales était t r è s faible en 1847: 90% des héritiers n'ont pas été affectés par les migrations comme le souligne le tableau VII. Les migrations ne concernent donc que le dixième de la population. Les plus importantes d'entre elles se rapportent à Grenoble, puisque 21 p e r -
30
La
m
I
M
mobilité
I
CO I CO I
I
I ® CJ | 1—I
I
I Tl«
I
I 'il
I
I
o» I co
I
i
i
i
i
CM H
I
m I cm 00 CM 00 I N H N
V » co" I c i
co I CD
I
I CO H
i-H
i
Tf Tf Tjl
i
O Ol TJ< i o oo « IM
Tjl
I H
a o
sociale
oo
co Qi t l s .s
5 u rt CM
l
i O '(1) ¡3 f 3 •o
eu e •S
^
|
I
a
u
c 5
«u
l-H bD
m ni *h Z .2' ß s S n O
55
CU
t-, O
i co
th
I m
•o
U3 m tl ™ 2 •g « Ë ti O 55 f 3 •o
•8 s
| IO
v o ^ o TT O
Oï N
I
I (û
i
o n « in co t - C0 ti a> a
1 cu M 5 i
xs
CO CO -*-> t i
S .2
fi
w ti cu cu ti I co H cu o t i T3 o
a a
co 0) ti
CO
§ 2 CO 5° CD *CU • a s e .22 5 ° C > t i co T i Q , "H > s 2* 3 t i fi t i 3 5 < w f t u
I I Cfl
co ti cu •H •g S
I eo eg I CO •qT tjT H
c- to o I io I ltT oT o~ csT N N H IN
co O T—I o co" o~ i-T ©~ O N H H
00 Ci 1 O 0" 00 eg 1 CM 1-1
csi t- en csi
in 1—1 IS
io eg
I o oT eg
oi c)
^ G; È « StH
e ai
0 1 0 CM tH 1 1-1 CO
I oi
O)
^ a ao : -h m cS n m t-* CO i-H I H H H n I to N o in m o in 00 GO O C™ Oi OS OS
co co
1 ^ 1—i 1 1—i
16,0
I co m
I o co^ I CO CO 00
10,6
, 01 cm e e CL) c3
u
O O
in eg
t-H CM T-I I Cl 00 N I N —' CM O CM CM CS]
o
O
I I s n in csi o ci o CM CM O
CO fi Ç C a -o ai
familiales
12,5
Les structures
cT
co t- O ^
ti—1
m CM IO 0 tH in 0 1« 05 00 OS
rt
S
co io t- o co eg cm O 00 eg I
E^ U eu bo g C (U « 3 0} 'OJ rt T3 s a 3
O O O Ol CM CD cm m oo oo tî< Tj"
H t - Tf ^f N O oo CM I CO t -
C0
co O)
co « o bo "S O
tH
F' «o co a> co M co . - s - l •d vu m ®3 3 -g
c co et M
u £> 6 o 2
-2 S "m"
CD H Oi CO CO
H
t- h ta oi m
§ 'a •0)a l
c oj to . -S >ca (0 -0) S a 2 C * f H M " "S w e «n 3 '0) S a> Q.
C O .2 S »10 "S-ïï O) (0 "S £ £ s 73
m
io m n ai ao co H N H
01 to u 0) 1 w "5 fcl
O U ti (U 3 Q
>rt
0) M eÊ 3 -M O 3
o o o o in o o o OS in Ti" o OS in o t—1 oo o o OS CM co co CM
O o o o o o o rH tH co co t- tH co O o oo o CM eo CM CM
o o o o tH
* 4— o o © o in O O o o m o co o O tH o co o J
H
O o O in CO ^ CM CM o t- cCM CM tH
y 0 tn 3 rt cu
«
o o o o
o © in o o © 1 o OS tH © co a> •>}< o
a) a) a) a) §" §§ s§
TJ TJ % TJ CO CO co co O o tqj co co tQ co) m Ô Ô o o t® ta) o h ti u u a a a a e e c c o o o o b e e B J2 XI X! J3 3 3 3 3 a) e» a> a) E E EE E E EE O Q CO CO CO 'E 'C 'E 'C Û, û< D. O. E E EE o o o o o o o « IH
ÌH
¡X
>1
La fortune de type
immobilier
97
hétérogène, comme cela a été souligné déjà plusieurs fois) se taillent la part du lion. Bien loin d e r r i è r e eux, les cultivateurs se contentent de cont r ô l e r 21% de la valeur des t e r r e s et 18,12% de la valeur des maisons. Quant aux sans profession, leur importance numérique est grande (près de la moitié des détenteurs de fortunes foncières) et leur poids économique notable (23,70% de la fortune immobilière totale) tout en étant nettement inférieure à leur poids social (reflété par l'importance numérique). Une faible part de la fortune immobilière totale est possédée par des catégories sociales non-agricoles comme les artisans et commerçants et les employés d'Etat; quant à celle des ouvriers et domestiques, elle est pratiquement négligeable, tant en valeur absolue qu'en valeur relative. Le mode de répartition étudié est donc un mode inégalitaire ce qui n'a rien de surprenant. Ne fait-il pas apparaître que les p r o p r i é t a i r e s - r e n t i e r s jouent un rôle dominant, tout en ne fournissant aucune mesure p r é c i s e de cette domination? S'il est difficile de m e s u r e r cette dernière, il est possible en revanche d'appréhender la concentration, à p a r t i r d'un indice de concentration qui s e r a identique, quant à sa composition, à celui utilisé en matière de f o r tune mobilière. Pour que cet indice de concentration ait un sens, il est indispensable de lever un certain nombre d'hypothèses relatives à la fois à l'hétérogénéité de la catégorie des p r o p r i é t a i r e s - r e n t i e r s et à l'existence des ' s a n s p r o fession'. En matière immobilière, la subdivision de la catégorie des ' p r o p r i é t a i r e s - r e n t i e r s ' en deux sous-catégories 'propriétaires fonciers' et 'petits r e n t i e r s ' s'impose d'une manière impérative (1): il faut isoler les véritables propriétaires fonciers, les membres de la classe supérieure. Quant à l'intégration des 'sans profession', elle obéira aux mêmes conceptions générales, sauf à englober les f e m m e s qui, quoique déclarées sans profession, ont un mari actif économiquement, dans la catégorie sociale dont fait partie le mari (voir tableau rectifié XXIX). L'indice apparent de concentration de la fortune immobilière confirme bien le phénomène de polarisation analysé au début de ce paragraphe. Tableau XXX Indice apparent de concentration de la fortune immobilière (par ordre de grandeur croissant) 0,11 0,11 0,50 0,73 1,01 1,70 4,22
= ouvriers = domestiques = petits r e n t i e r s = cultivateurs = artisans et commerçants = employés d'Etat = propriétaires fonciers
Les p r o p r i é t a i r e s fonciers en possédant 40,60% de la fortune immobilière totale tout en ne comptant que pour 9,65% dans la structure sociale sont bien les grands bénéficiaires de cette polarisation.
98
La fortune de type
immobilier
Si on admet qu'un indice de concentration voisin de l'unité reflète l'égalité, il est facile devoir que les catégories sociales peuvent être regroupées en t r o i s grands ensembles, d ' a p r è s les différents indices de concentration: 1) les classes 'populaires': ouvriers et domestiques, pratiquement exclus de la fortune foncière; 2) les classes intermédiaires de petits producteurs et assimilés, qui p a r viennent à acquérir quelque bien au soleil, au prix de s é v è r e s économies, ou qui transmettent jalousement de père en fils la propriété familiale; 3) la classe supérieure qui contrôle la majeure partie de la richesse foncière: les p r o p r i é t a i r e s fonciers. La situation des petits r e n t i e r s et des cultivateurs est t r è s voisine, ce qui permet de supposer que nombre de petits r e n t i e r s sont en réalité des petits propriétaires, assimilables aux cultivateurs, soit parce que ce sont d'anciens cultivateurs, soit parce qu'ils disposent encore des éléments d'une exploitation auxiliaire qu'ils contribuent à diriger. Si on se r é f è r e à l'indice de concentration qui les c a r a c t é r i s e , les a r t i sans et commerçants semblent avoir une position favorable: représentant 8,75% du total des défunts p o s s e s s e u r s de biens fonciers, ils contrôlent 8,80% de la fortune. Cette position supérieure à celle des cultivateurs, peut sembler à bon droit surprenante. Cela n'a rien d'étonnant, car elle ne c o r respond qu'imparfaitement à la réalité concrète. En effet, parmi les a r t i sans et commerçants l'un d'entre eux, faisant partie de la catégorie des grands commerçants (c'est le marchand de bestiaux déjà signalé), possède à lui seul des biens fonciers pour une valeur de 25 360 F, valeur qui r e p r é sente 62,5% de la fortune immobilière totale contrôlée par l'ensemble des artisans et commerçants: l'égalité apparente cachait ainsi une inégalité profonde. Inégalité qui se reflète dans la valeur de l'indice de concentration des deux sous-catégories (petits et moyens a r t i s a n s et commerçants d'une part, grands commerçants d'autre part) qui composent la catégorie principale, cette valeur étant respectivement égale à 0,42 et 6,00. Aussi, si le m a r chand de bestiaux fait figure d'important propriétaire foncier et à ce t i t r e est t r è s proche des véritables propriétaires fonciers, les petits et moyens a r t i s a n s ne peuvent que t r è s difficilement se rendre p r o p r i é t a i r e s de la maison qu'ils habitent, de la boutique qui leur est indispensable pour e x e r cer leur profession: a fortiori, ils ne paraissent pas disposer d'économies suffisantes pour les investir dans l'achat des t e r r e s . Cette transformation en propriétaire foncier s'applique aussi au cas d'un militaire en retraite, ayant atteint le grade de capitaine, qui possède à lui seul une fortune immobilière égale à 20100 f r a n c s , composée d'un domaine et de t e r r e s d'une superficie appréciable. Comme il est difficile de c r o i r e que c ' e s t avec les économies r é a l i s é e s sur sa solde que ce militaire a pu s'acheter une propriété de cette importance, il faut donc supposer soit une transmission familiale, soit un investissement de valeurs mobilières provenant de sa fortune personnelle. Le degré de concentration de la fortune mobilière est assez voisin de celui de la fortune immobilière. Si on compare les deux indices, on r e m a r que une distribution identique quant à l ' o r d r e et quant à la grandeur d'une
La fortune de type
immobilier
99
manière générale, ce qui n'exclut pas certaines divergences. Divergence quant à l'ordre en ce qui concerne les employés d'Etat, qui situés au quatrième rang en ce qui concerne la fortune mobilière, se retrouvent à l'avant dernier rang pour la fortune immobilière. Divergence quant à la grandeur, les extrêmes sont plus fortement accusés dans le cas de la f o r tune mobilière dans celui de la fortune immobilière, les éléments moyens restant eux sensiblement les mêmes. Cette identité se reflète également dans le mode de répartition de la fortune immobilière totale en trois grands ensembles d ' a p r è s la valeur de l'indice de concentration: le p r e m i e r groupe (1,80% des individus) possède 0,20% de la fortune immobilière totale le second groupe (85,85% des individus) possède 54,60% de la fortune immobilière totale le troisième groupe (12,35% des individus) possède 45,20% de la fortune i m mobilière totale On retrouve en effet les trois grandes caractéristiques qui avaient été constatées en étudiant la fortune immobilière: t r è s grande dissymétrie de la distribution se traduisant par une prédominance relative du second groupe et une forte concentration au profit du troisième. La concentration des biens fonciers au profit de l'ensemble des p r o p r i é t a i r e s fonciers se double d'une répartition inégale â l'intérieur de cette catégorie, comme en fait foi le tableau ci-dessous: Tableau XXXI Répartition de la fortune foncière dans la catégorie des propriétaires fonciers (campagne proche de Grenoble en 1847) (en francs) Structure sociale C l a s s e s de fortunes
moins de 10 000 F. de 10000 à 20000 F . de 20 000 à 30 000 F. plus de 30 000 F.
Nombre de propriétaires 2 5 3 1 11 *
Montant de la fortune immobilière Valeur des fortunes
18,2 45,5 27,3 9,1 100,0
14114 60 841 70980 42 000
7,55 32,50 37,50 22,45
187 935
100,00
* 2 propriétaires ne possèdent que des biens mobiliers.
Il est aisé de voir que les fortunes supérieures à 20 000 F. tout en étant minoritaires numériquement englobent environ 60% de la fortune foncière totale de la catégorie sociale étudiée; en outre, un seul propriétaire détient à lui seul p r è s du quart de la fortune immobilière totale de la catégorie. B. La répartition par types de biens immobiliers Les biens fonciers peuvent se subdiviser en deux grandes catégories: les
100
La fortune de type
immobilier
terres et les immeubles bâtis. Ces deux catégories vont être étudiées séparément, tout en ne méconnaissant pas les liens profonds internes qui les relient le plus souvent. a) La répartition des terres La structure de la propriété foncière non-bâtie peut revêtir plusieurs aspects complémentaires: part respective de chaque catégorie sociale dans la superficie totale, répartition de la terre à l'intérieur de chaque catégorie; degré de morcellement; nature des cultures; valeur relative des terres. L'étude de la répartition des terres doit ainsi permettre de répondre à trois grandes questions essentielles: la propriété de la terre; la rentabilité de l'exploitation agricole: la structure de l'unité productive. Le problême de la propriété de la terre ne constitue-t-il pas le problème fondamental? La division principale ne passe-t-elle pas en premier lieu entre ceux qui possèdent la terre et ceux qui en sont démunis, qu'ils soient propriétaires fonciers proprement dits ou cultivateurs? Il faudra donc dans une première étape déterminer la proportion des détenteurs de terres dans chaque catégorie sociale, préalablement à toute étude de la répartition globale. Les propriétaires de la terre, à leur tour, se composent de deux catégories: ceux qui sont en même temps des exploitants, des producteurs et ceux qui, sans travailler eux-mêmes, vivent des revenus de l'agriculture. Le clivage entre productifs et improductifs a une très grande importance pour déterminer la structure sociale réelle de la collectivité étudiée. Les producteurs exploitants comprennent non seulement des exploitants propriétaires de leurs champs, mais aussi tous ceux qui, tout en n'étant pas maîtres de leur exploitation, se consacrent néanmoins au travail agricole: entre ces deux cas extrêmes, on trouve de nombreuses situations intermédiaires. Il ne suffit pas de posséder des champs, encore faut-il que la superficie possédée à titre personnel soit suffisante pour satisfaire les besoins de l'unité familiale: â défaut, il est indispensable de trouver ailleurs les terres complémentaires, d'où une situation de dépendance. Inversement à partir d'une certaine superficie, la main-d'oeuvre familiale est insuffisante et il faut recourir à la main d'oeuvre salariée. 1 - La répartition globale Le nombre de défunts détenteurs de terres, à leur décès, s'élève à 95, ce qui représente 48,62% du total des défunts composant la population étudiée. Ainsi, dans une collectivité rurale de ce type, la terre se concentre entre les mains de la moitié environ des individus. La non-détention de terres s'expliquerait aisément en ce qui concerne des catégories agricoles comme les artisans et commerçants et les employés d'Etat (militaires et retraités) mais elle revêt, croyons-nous, une signification sociale et économique très importante relativement aux catégories sociales liées directement à l'agriculture. Le rapport entre le nombre de défunts possesseurs de terres et le total des défunts dans chaque catégorie sociale se présente de la manière suivante:
La fortune de type
immobilier
ouvriers arti s an s - c omme r ç ant s employés d'Etat propriétaires fonciers petits rentiers cultivateurs
101 1/7 8/17 3/6 9/13 41/102 33/50
= = = = = =
0,140 0,46 0,50 0,69 0,40 0,66
L'assise foncière des catégories non-agricoles (artisans et commerçants et employés d'Etat) est beaucoup plus forte que l'on aurait pu le croire. P a r contre, la condition t r è s inférieure des ouvriers agricoles, des journaliers est reflétée par le rapport: la propriété des t e r r e s est un phénomène exceptionnel, qui n'est accessible qu'à la couche supérieure de cette catégorie; encore faut-il ajouter, que cette propriété se réduit à un petit lopin qui ne procure qu'un supplément de revenus bien faible. Les trois grandes catégories agricoles ont une assise foncière assez différente: si la position des propriétaires fonciers et des cultivateurs est assez voisine, il n'en va pas de même de celle des petits rentiers (2). Les deux tiers des cultivateurs disposent de t e r r e s qui leur sont propres, mais inversement un tiers d'entre eux est probablement obligé de louer les parcelles qui leur permettront de vivre (3). En première analyse, l'assise foncière des cultivateurs semble ainsi relativement forte, mais cette apparence est assez trompeuse, car les superficies possédées sont t r è s inégalement réparties. Si l'assise foncière des propriétaires n'est pas égale à l'unité, c'est en raison de deux phénomènes complémentaires: tout d'abord, deux propriétaires fonciers possèdent une maison et t r è s probablement des t e r r e s , mais les déclarations ne l'indiquent pas; en second lieu, deux propriétaires ont une fortune entièrement de type mobilier. De toutes manières, l'assise foncière de la catégorie des propriétaires fonciers demeure la plus forte. La t r è s grande majorité des t e r r e s appartient aux trois catégories sociales liées à l'agriculture, tant en valeur (84,60%) qu'en superficie (89,0%) (voir le tableau XXXII). Les propriétaires fonciers qui représentent à peine 1/10 du nombre total de défunts détenteurs de t e r r e s , détiennent à eux seuls 40% de la valeur des t e r r e s et 17,8% de leur superficie: on remarque l'écart t r è s accusé entre les deux proportions. La divergence entre les structures en valeur et en superficie n'est-elle pas un des traits essentiels de ce type de répartition? De ce fait, si la part des cultivateurs dans la superficie totale est la plus élevée, il n'en va pas de même en ce qui concerne la valeur des t e r r e s ainsi appropriées (37,6% contre 25,9%). Le contraste est encore plus saisissant en ce qui concerne les petits rentiers puisque leurs t e r r e s représentant 1/3 de la superficie totale ne comptent qu'à peine pour 1/5 de la valeur globale des immeubles. Les propriétaires fonciers non seulement disposent d'une part appréciable des t e r r e s (près du 1/5) mais surtout détiennent les t e r r e s les plus fertiles, les t e r r e s les meilleures: la concentration des t e r r e s à leur profit revêt donc non seulement un aspect quantitatif, mais aussi et surtout un aspect qualitatif. Néanmoins, cultivateurs et petits propriétaires possèdent ensemble 70% de la superficie totale des t e r r e s : t e r r e s de peu de rapport, demandant un travail
La fortune de type immobilier
102
Tableau XXXII Structure en valeur et en superficie des terres par catégories (tableau rectifié) (en francs) * Catégorie sociale Ouvriers Domestiques Artisans et commerçants Employés d'Etat Propriétaires fonciers Petits rentiers Cultivateurs Total
Structure sociale Nb de défunts
%
1
1,05
-
-
8 3
8,25 3,20
9 41 33
9,50 43,20 34,80
95
100,00
Valeur des terres Valeur absolue 460 -
%
sociales
Superficie (ha) Valeur absolue
%
0,10
0,5500
0,40
-
-
-
10,10 5,20
18,3682 10,8976
6,70 3,90
40,00 18,70 25,90
49,4838 92,8543 104,0225
17,80 33,60 37,60
308 805,05 100,00
276,1764
100,00
31330 16 250 123 055 57 704 80 006,05
* D'après le tableau XXIX.
très important de mise en culture pour un produit médiocre. N'est-ce pas là une culture caractérisée par une prédominance de la petite propriété sur la grande? Les catégories non agricoles détiennent 10,6% de la superficie des terres et 15,30% de leur valeur. Ne disposent-elles pas elles aussi de terres relativement fertiles, supérieures à la fertilité moyenne, comme le souligne l'écart entre les deux proportions? Cultivateurs et petits propriétaires apparaissent comme ayant une situation bien voisine: on peut se demander une fois de plus si de trop nombreuses fois, les deux termes n'ont pas été considérés comme synonymes. Pourtant, il est difficile d'admettre pleinement cette identité: dans la plupart des cas, les petits propriétaires ne sont pas ou ne sont plus des exploitants, ce qui revient au même. Il est donc permis, avec de très grandes précautions, de les ranger dans la catégorie des non-exploitants. Si on estime qu'il en va de même pour les propriétaires-fonciers, appréhendés uniquement comme étant la couche supérieure des propriétaires d'après la valeur de leur fortune totale (tant mobilière qu'immobilière), on constate que les exploitants, propriétaires de terres, constituent une minorité par rapport aux non-exploitants, placés dans la même situation (33 contre 50). Cette infériorité peut-elle s'expliquer par la proportion très grande de gens âgés parmi les défunts ou résulte-t-elle aussi d'une séparation plus ou moins grande entre les moyens de production (ici, la terre) et les producteurs (ici les cultivateurs)? Cette séparation ne sera-t-elle pas d'autant plus accusée que la répartition de la terre à l'intérieur des catégories sociales sera plus inégale?
La fortune de type immobilier
103
2 - La répartition des terres par catégories sociales Pour apprécier le degré d'inégalité de la répartition des terres, il est intéressant de subdiviser les propriétés foncières non-bâties d'après la superficie, en utilisant les classes suivantes, déjà employées précédemment: - de 1 ha de terre; de 1 à 5 ha; + de 5 ha. Tableau XXXIII Répartition de la terre par catégories sociales et par superficie (campagne proche de Grenoble en 1847) -
de 1 ha
de 1 à 5 ha
Nb Surface Nb Surface Ouvriers 1 0,5500 1,3349 3 7,7581 Artisans-commerçants 4 Employés d'Etat 2 0,3776 Propriétaires fonciers 5 14,0185 Petits rentiers 25 10,2968 11 29,4189 Cultivateurs 15 7,2950 11 27,6065 -
Total
47
-
19,8543 30 78,8020
+ de 5 ha Nb Surface -
1 1 4 5 7
Superficie totale
0,5500 9,2752 18,3682 10,5200 10,8976 35,4653 49,4838 53,1386 92,8543 69,1210 104,0225
18 177,5201 276,1764
Ce tableau illustre bien l'inégalité de la répartition de la terre: sur 95 détenteurs de biens fonciers non-bâtis, 47 d'entre eux (49,5%) disposent de 19,85 ha, ce qui représente environ 7,2% par rapport à la surface totale, inversement, les 18 plus gros propriétaires, comptant pour moins de 1/5 dans ce total monopolisent 177,5201 ha soit "34% de la superficie totale. Ce mode de distribution inégale s'applique pratiquement à toutes les catégories sociales, sauf aux ouvriers journaliers. Dans toutes les catégories sociales, les plus gros propriétaires au sens technique du terme, quoique toujours minoritaires, détiennent plus de la moitié de la terre, avec des écarts plus ou moins grands: artisans et commerçants employés d'Etat propriétaires fonciers petits rentiers cultivateurs
50% 97% 71,5% 57,6% 66%
en en en en en
représentant représentant représentant représentant représentant
12,5% 33,5% 45,5% 12,2% 21,2%
de de de de de
la la la la la
catégorie catégorie catégorie catégorie catégorie
La répartition de la terre parmi les artisans et commerçants est très dissymétrique: si la moitié d'entre eux ne dispose que de 1,3349 ha des terres (soit 7,2% de la surface totale) un commerçant monopolise à lui seul plus de la moitié de la surface totale de la catégorie. Ce commerçant, qui tend à s'intégrer dans la catégorie des propriétaires fonciers, est le marchand de bestiaux, précédemment analysé. En dehors de ce cas, qui fausse quelque peu la distribution, on note l'existence de moyens artisans et commerçants qui n'hésitent pas à placer leurs disponibilités dans l'achat des terres, qui combinent, peut-être, exploitation artisanale et exploitation agricole: en moyenne, ces artisans et commerçants disposent de 2,50 ha environ, ce qui constitue une superficie notable pour un non-agriculteur.
104
La fortune de type
immobilier
La différenciation sociale semble t r è s poussée chez les cultivateurs: à côté d'une grande majorité, pratiquement démunie de t e r r e s , se détache une minorité riche, qui monopolise les 2/3 des t e r r e s détenues par la catégorie et qui dispose en moyenne d'une superficie de 9,80 hectares. Cette couche supérieure des cultivateurs peut-elle se contenter de l'aide familiale? Doit-elle utiliser les services de journaliers ou de travailleurs similaires? Les cultivateurs moyens (par rapport à la collectivité s'entend) disposent chacun d'une superficie voisine de 2,5 hectares, ce qui est peu pour un petit producteur qui doit faire vivre sa famille en cultivant la t e r r e . Il est donc permis de dire que la dimension de la t r è s grande majorité des exploitations agricoles (appréhendées â t r a v e r s la superficie de la terre) était exiguë, plus petite que celle qui correspond à la subsistance d'une famille. Il faut ajouter à cela que 17 cultivateurs sur 50 n'avaient aucune t e r r e : en somme, sur 50 cultivateurs, 7 seulement pouvaient se considérer comme indépendants juridiquement, car propriétaires de t e r r e s d'une superficie suffisante pour satisfaire les besoins de leur famille. Le degré de dépendance des autres est t r è s variable. Absolu, lorsque le cultivateur n'a pas de t e r r e s et doit en louer, ne devient-il pas t r è s limité, lorsque la superficie des t e r r e s louées devient t r è s faible par rapport aux t e r r e s propres? Même dissymétrie quoique à un degré moindre, chez les petits propriétaires: si la part des détenteurs de t e r r e s pour une superficie supérieure à 5 ha représente 57,5% contre 66,2% chez les cultivateurs, en revanche, celle des détenteurs de t e r r e s disposant d'une superficie inférieure à 1 ha s'élève à 10,9% contre 7% chez les cultivateurs. La t r è s grande majorité des petits propriétaires n'est-elle pas pratiquement démunie de t e r r e s ? En effet, si on ajoute aux 28 petits propriétaires détenteurs de moins d'un hectare de t e r r e , les 64 petits propriétaires et rentiers qui n'en ont pas du tout, on constate que 92 petits propriétaires (soit 90%) sur 102 ont une assise foncière négligeable. La quasi-totalité des petits propriétaires est bien constituée de rentiers, petits retraités, menu peuple en un mot. Pourtant, un dixième d'ent r e eux n'échappe-t-il pas à cette classification et ne se rapproche-t-il pas beaucoup de la situation des cultivateurs, voire des propriétaires proprement dits? En effet, on note que 11 d'entre eux totalisent 29,4189 ha, disposent chacun d'une superficie moyenne de 2,60 ha, alors que les 5 plus gros détenteurs qui, on l'a vu, monopolisent 57,5% de la superficie totale possédée par l'ensemble des petits propriétaires, peuvent compter sur une superficie moyenne de 10,7 hectares (chiffre t r è s voisin, quoique supérieur, à celui correspondant des cultivateurs). Parmi ces petits propriétaires qui contrôlent pourtant des superficies relativement importantes, on trouve le plus gros propriétaire en superficie avec 21,8559 ha. Il est permis de se demander pourquoi le propriétaire d'une telle superficie a été considéré comme faisant partie des petits rentiers et non de la catégorie des 'propriétaires fonciers'; c'est en raison du chiffre de sa fortune totale qui n'atteint pas 10000 francs. Si la superficie est grande et la valeur faible, cela ne signifie-t-il pas que les t e r r e s sont médiocres, n'ont qu'une importance économique réduite? La superficie des t e r r e s ne reste-t-elle pas
La fortune de type immobilier
105
ainsi une donnée abstraite, tant que la nature de celle-ci n'a pas été précisée? Cette divergence entre la grandeur et la valeur des terres ne permetelle pas de comprendre pourquoi les 4 plus gros propriétaires fonciers ne disposent chacun que de 8,9 hectares (contre 9,80 et 10,7 pour les catégories correspondantes des cultivateurs et des petits propriétaires)? Tout permet de croire que les propriétaires fonciers monopolisent les terres les plus fertiles, les plus aptes à la culture, celles qui fournissent les revenus les plus élevés. De telles terres peuvent représenter des fortunes considérables: c'est ce qui explique que 5 propriétaires fonciers disposant chacun seulement de 2,80 hectares, laissent une fortune plus élevée que certains petits rentiers qui possèdent jusqu'à 21 ha de terres ou même certains gros cultivateurs qui se trouvent à la téte d'exploitation dépassant les 10 ha. Ce n'est là qu'un paradoxe apparent. D'après les distributions des superficies, ne peut-on présumer qu'il existait trois grands types d'exploitations au sens technique du terme: celles inférieures à 1 ha; celles qui avaient une dimension moyenne voisine de 2,5 ha et enfin celles qui approchaient la moyenne de 10 ha? On note l'écart très sensible entre ces trois types d'exploitation, que l'on retrouve non seulement dans les catégories proprement agricoles, mais aussi dans celle des artisans et commerçants. Le type inférieur n'existe pas chez les propriétaires-rentiers, alors que tout au contraire, le seul journalier détenteur de terre doit se contenter d'un demi-hectare. Ces terres ne sont pas toutes, loin de là, des terres labourables, cultivables. L'inégalité dans la répartition des surfaces globales s'accompagne et se double d'une très grande inégalité dans la possession des terres labourables. 3 - La nature des terres et des cultures D'après les indications fournies par les déclarations, on peut subdiviser les champs en plusieurs catégories de nature différente: la terre labourable; le pré, le paturage; les treillages et les vignes; les vergers et j a r dins. Dans certains cas, la composition d'un ensemble de champs de nature voisine, formant un tènement n'a pas été fournie: il s'agit alors très probablement d'un domaine au sens technique du terme. Dans d'autre cas, une même parcelle, de grande surface généralement, se subdivise en terre labourable, bois, pré e t c . . . elle a donc une nature composite. Les parcelles et les domaines ont été rassemblées dans une même rubrique. La structure par variété de terrain de l'ensemble des terres détenues par les défunts se présente de la manière suivante d'après le tableau XXXIV: 19,90% domaine et composite terres labourables 28,90% pré et pâturage 14,50% treillages et vigne 6,20% verger et jardin 1,05% bois 28,00% divers 1,45% 100,00%
La fortune de type
106 qj S % 3 -M w ta u a) > to O a •f-4
e
M
(-1
U ni Q) •!—»
oo eo in O CM eo O oo m CM m n oo ^ oo o o" CO octTC O r-t
O COco Tj< c- oo C0 O co co
tu Sh
3
S tn
Tf eo eo co
o>
co O co o co m c- eo
t- t- eo m co eo 00 coo tM CO~co
O
o OM CM ^
00 en c» • »-H TH
in cin oo O
O co O Tf Ol o" CO co M T-t CM
»H 00 co in en t-
eo O O CO Ol 00 a> 00 iH co »H oo" i-H eo
co c-
eo Ci i-t Tji eo
m t»
en
g c c c h tì -s § £ B -t-> I O B) —1O O M [Q U tu -M -w -XI < ^ te tu tu m 'S 'S to t. ta vu vu • s ao M H > e a g-g-g-S B h vi d HP
S ai C -4ÌO ai
et
•a s CD V •a CO
s
2m 0
13 o ai 3 Ï 33 w W Tj ° Q. £
S
0) S >H
g. 3 « * e 3 S $ a> o 3 3
I
cm
I CM I
H
M C l OS I r-H CM
H
H
i
P) C»
i
< i
I « CO
CD ©
H N o i n n H N n
I
CM co
rt H
i csi
in
O co
to es
i
^
[•
I h
M «-t
Ti1 CO
I
I Oi
CM CO
a
8 t*s
•a
l
O -M W 0)
• 8 •*-» C Q«
^
o O Cl 01 «m « § . « " i J o c a S
H
CM
H
CD m
Ifì
*H
Tj" t - CD CM CM
t*-h
in
00 co
CD
« 2
s
1
®
8
l ' 55
I
H
H 00 CO H cq
N ci
tCM
S
«
m A
«
t - »H y-l I «O CM CM CM
I *
co O o. s o
H
H
O
H 31 •H CO
N
co CM
H
H
t - SI S ) co
N
m CM
Q. œ
1 o o ,3
i CM >H
z
Ô 0) •a
•M 1
g S
w
co
S s co E> fH ÊT « t-1a> 3 a» S § m g
co § in 01 s •S t. ft
«
U et
co •rH C4 S M V •a
Jj R W S3 O * (0 « h a> S -pH co M 5 c > •S ti 5 5
3 I 3 OPü
u
8 - 3 §> ti a e ( U W
CM CM
*4-l O ti a s o H
e O
E
"S
G
» • S S co 2 « c F «