Musique Dan: La musique dans la pensée et la vie sociale d'une société africaine 9783110800210, 9789027969132


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Table of contents :
Introduction
NOTES SUR LA LANGUE
Première partie: Instruments de musique
CHAPITRE I. Idiophones
CHAPITRE II. Membranophones
CHAPITRE III. Cordophones
CHAPITRE IV. Aérophones
Deuxième partie: Conceptions et verbalisations
CHAPITRE V. Vocabulaire d'intérêt musical
CHAPITRE VI. Mythes d'origine des instruments de musique
CHAPITRE VII. La musique dans le monde non humain
CHAPITRE VIII. Effets de la musique
CHAPITRE IX. Croyances et pratiques du musicien pour accroître son efficacité
Troisième partie: Contexte social
CHAPITRE Χ. Fonctions de la musique et du musicien
CHAPITRE XI. Statut social et rôle du musicien
CHAPITRE XII. La musique dans le cycle de la vie
CHAPITRE XIII. Éducation musicale
En guise de conclusion
Appendice
APPENDICE I. Cartes
APPENDICE II. Tableau comparatif des noms d'instruments de musique
APPENDICE III. Textes originaux des chants
APPENDICE IV. Lexique
Bibliographie
Discographie
Table des matières
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Musique Dan: La musique dans la pensée et la vie sociale d'une société africaine
 9783110800210, 9789027969132

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MUSIQUE DAN

ECOLE P R A T I Q U E DES HAUTES £ T U D E S - S 0 R B 0 N N E VIe SECTION

. SCIENCES

tCONOMIQUES

ET

SOCIALES

CAHIERS DE L'HOMME Ethnologie - Geographie - Linguistique

ΝOUVELLE

S&RIE

XI

PARIS · M O U T O N · LA H A Y E

HUGO ZEMP

M U S I Q U E DAN La musique dans la pensee et la vie sociale d'une societe africaine

PARIS · MOUTON · LA HAYE

CET

OUVRAGE

Α

έΤέ

PUBLlfi AVEC LE CONCOURS DU CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

Diffusion en France par la librairie Maloine S.A. Librairie de la Nouvelle Facult6 30, rue des Saints-Pdres 75 — Paris 7®

tditeur:

Librairie Maloine S.A. 8, rue Dupuytren 75 — Paris 6®

Diffusion en dehors de la France: Mouton & Co Boite Postale 1132 La Haye

©

1971 Mouton & Co and £cole Pratique des Hautes Htudes

A mes

Parents

pe* β1 we1patks^mes yaa1 gi1 os ds? yii1 ks3 tnssbelde? yafi de6 lea! Le village oü il n'y a pas de musician n'est pas un endroit oü l'homme puisee raster (Proverbe dan)

Introduction

La presente etude est basee sur des recherches effectuees entre 1961 et 1967 en Cöte d'lvoire chez les Dan qui vivent dans l'ouest montagneux de cet £ltat et, de l'autre cote de la frontiere, dans l'arriere-pays du Liberia. La plus grande partie du pays Dan actuel se trouve dans la zone de la foret atlantique qui fait place dans la region montagneuse du Nord a la savane soudanaise. Les Dan sont de grands cultivateurs de riz sec, de manioc et, aujourd'hui, de cafe; ils font egalement l'elevage du petit betail et de bceufs. En Cöte d'lvoire, ou officiellement ils sont appeles Yacouba, les Dan sont plus de 220 000 (recensement de 1964); au Liberia, oü leur nom officiel est Gio, leur nombre peut etre evalue a environ 100 000. Ils se designent eux-memes par le nom de «gens qui parlent la langue dan» (dä*wo5pe3ms^nu5), et c'est sous ce nom de leur langue qu'ils sont connus dans la litterature ethnologique et de tous les amateurs des arts d'Afrique noire (1). En effet, leur art plastique — surtout un certain type de masques faciaux — ne manque dans aucune collection ni dans aucun livre consacre a l'art

(1) Pour l'ethnographie des Dan, voir surtout la monographie de Η. et U. Himmelheber (1958), ainsi que les autres publications de ces deux auteurs (1964, 1957) et de nous-mßme (1965, 1966b); de nombreuses informations sur les Dan sont contenues dans des publications qui traitent ögalement de leurs voisins: E. Donner (1939, 1940a), G. Schwab (1947). L'art plastique et l'artisanat dan sont etudies — en dehors des livres de synthese sur l'art africain — dans des publications de P. J. L. Yandenhoute (1948), G. Harley (1950), H. Himmelheber (1960, p. 136—192; 1965) et Ε. Fischer (1963, 1964, 1965). Le livre de Ε. Fischer (1967) sur le changement des röles economiques chez les Dan du Liberia etant paru apres la redaction de notre ouvrage, nous n'avons pas ρ ύ en tenir compte.

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INTRODUCTION

africain. Nous nous proposons d'etudier ici une autre partie de l'activite artistique des Dan, beaucoup moins connue — la musique (1). La musique des Dan s'inscrit dans le domaine d'etudes de l'ethnomusicologie, discipline nouvelle qui, ecrit C. Marcel-Dubois (2), «consid0re les phenom&nes de musique, et en general tout phenomene sonore raisonne, relevant de la tradition orale et affectant la vie socio-culturelle et les techniques des differents groupes ethniques. Sa vocation est de detecter, d'observer, de recolter, d'etudier enfin les faits relatifs au son et ä la musique incorpores dans les croyances et les mythes d'un peuple, dans ses institutions et ses rites, dans ses activites en general.» Et plus loin: «Par son domaine le plus classique, l'ethnomusicologie concourt au trace de l'histoire d'une civilisation vivante, de ses activites techniques aussi bien que culturelles, et a celui de l'organisation sociale d'un groupe; ce faisant, il convient d'y insister, eile depasse la seule etude analytique du contenu musical, etude, qui, si elle ne doit pas etre negligee, n'est pas pour l'ethnomusicologie une fin en soi» (3). Si dans notre ouvrage nous negligeons l'analyse du materiel musical et son organisation (echelle, melodie, rythme, polyphonie, style, etc.), c'est que nous avons choisi — pour commencer — d'etudier le contexte socio-culturel de la musique, ce qui n'exclue nullement des analyses de laboratoire ulterieures. Dans le domaine qui nous interesse ici, A. P. Merriam (4) propose, pom· une etude intensive de la musique dans un cadre geographique restreint, six champs d'investigation principaux: 1) instruments, 2) paroles des chants, 3) classification de la musique, 4) musicien (son education, röle et Statut), 5) fonctions de la musique en relation avec d'autres aspects de la culture, et 6) musique en tant qu'activity creatrice. De ces six points que A. P. Merriam reprend et developpe dans son livre The Anthropology of Music (1964), c'est le premier — les instruments de musique — qui a ete le plus souvent etudiö. En effet, les publications sont tres rares qui essayent d'em(1) Quelques informations sur le role de la musique chez les Dan sont donnies dans les publications ethnographiques mentionnees ci-dessus. Plusieurs photographies dans l'album de Μ. Huet et Κ. Fodeba representent des danses chez les Dan et leurs voisins. La monographic de Η. et U. Himmelheber contient un disque 45 tours. Deux extraits de musique dan sont publies dans le disque Folk Music of Liberia (Folkways); nous avons nous-möme consacre deux disques 30 cm k la musique dan. (2) C. Marcel-Dubois (1965), p. 38. (3) Ibid, p. 40. (4) A. P. Merriam (1960), p. 109 et suiv.

INTRODUCTION

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brasser, d'une fa90η detaillee, les principaux aspects de la vie muscicale d'une societe determinee. II faut citer parmi les publications concernant le domaine de l'Afrique noire, et se rapprochant le plus de cette perspective de recherche, les livres de J. H. Nketia, Drumming in Akan Communities of Ghana (1963), et de Η. Tracey, Chopi Musicians (1948), qui etudient la musique jouee par les musiciens sur un seul type d'instrument: le premier ouvrage traite des tambours, le second, des xylophones. D'autres publications plus breves decrivent des aspects particuliers de la culture musicale d'une ou de plusieurs societes, telles «Musical Expeditions of the Venda» (1962) et «The Role of Music in the Culture of the Venda of the Northern Transvaal» (1965) de J. Blacking, «Situation des musiciens dans trois societes africaines» (1960) et «Musique et structures sociales (societes d'Afrique Noire)» (1962) de A. Schaeffner, «Introduction a, l'etude de la musique africaine» (1957) de G. Calame-Griaule et Β. Calame, «Round table: La musique fun6raire en Afrique noire: fonctions et formes» (1964) de G. Rouget, et nos propres publications sur les «Musiciens autochtones et griots malinke chez les Dan de Cote d'Ivoire» (1964), «La legende des griots malinke» (1966) et «Comment on devient musicien» (1967). Ces etudes — auxquelles il faudrait ajouter les publications sur les instruments de musique et le materiel musical, qui contiennent des informations sur le röle de la musique dans la culture — contribuent, chacune dans son domaine et par sa perspective particuliere, ä la comprehension des phenom&nes musicaux en Afrique. Dans notre ouvrage, nous avons essaye de rassembler le maximum de donnees — qui, pour d'autres societes africaines, sont eparpillees dans des publications difFerentes ou sont peu approfondies — pour presenter une monographie de la vie musicale des Dan. Bien entendu, nous n'affirmons nullement avoir epuise, et meme amorce, tous les aspects de la musique dans la vie des Dan — une telle pretention serait illusoire —, mais nous esperons, plus modestement, contribuer par notre etude ä la connaissance de ce qu'est la musique dans et pour une societe africaine. Beaucoup de faits relates ici appartiennent au passe, seuls les vieux informateurs s'en souviennent encore; beaucoup d'autres aussi sont cependant toujours observables et temoignent d'une vie musicale traditionnelle en partie tres dynamique. Nous le preciserons au courant des descriptions. Nous aborderons notre etude par une description des instruments de musique, presentation indispensable a la comprehension du role que jouent dans la societe la musique et le musicien, ce dernier se definis-

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INTRODUCTION

sant en premier lieu par rapport a son instrument. Les instruments de musique appartiennent — est-il besoin de le souligner ? —· a la culture materielle d'une societe et sont done ^troitement lies au milieu geographique (par la presence ou l'absence de materiaux), au milieu humain (par des contacts culturels) et a la technologie, c'est-ä-dire aux connaissances techniques d'une societe. lis ont ete reunis dans les musees ethnographiques et etudies surtout sous l'angle de l'organologie, de la classification et de la repartition geographique ä l'echelle mondiale, continentale ou tout au moins interethnique. Ces etudes, effectu6es principalement dans les musees, ont ete completees parfois par des enquetes sur le terrain. Notre but ici n'est pas de contribuer a de tels travaux, aussi interessante et utiles qu'ils puissent etre, mais simplement de presenter brievement un inventaire des divers instruments connus chez les Dan. L'etude des instruments de musique n'etant pas — dans notre perspective — une fin en soi, nous avons renonce a en faire des descriptions minutieuses et ä les etayer de comparaisons frequentes avec des travaux d'autres auteurs. Aucun instrument de musique n'est propre aux Dan; tous se retrouvent dans les societes voisines appartenant a cette aire culturelle couvrant l'ouest de la Cöte d'lvoire, le nord du Liberia et la Haute-Guinee. Nous voyons, en appendice, dans un tableau comparatif des noms des principaux instruments de musique dan et des noms equivalents dans differentes langues et dialectes paries dans les societes voisines, que les memes termes — avec des variantes de prononciation — se retrouvent un peu partout, les ressemblances etant naturellement plus frequentes dans les langues apparentees, mais certains termes existent aussi bien dans les langues mande que dans les langues krou. Dans la description precise que A. Schaeffner (1) donne des instruments de musique chez les Kissi — une societe habitant egalement cette zone de contact entre la savane et la foret, et ayant egalement comme puissants voisins les Malinke —, nous retrouvons la plupart des instruments que connaissent les Dan (2), a tel point que nous pourrions citer des paragraphes entiers de cette etude, presque mot ä mot, en donnant une description organologique parfaitement exacte des instruments dan. Nous renverrons done fr^quemment le lecteur a cette importante etude de A. Schaeffner et nous nous borne-

(1) A. Schaeffner (1951). (2) Mais, inversement, tous les instruments de musique kissi ne sont pas connus chez les Dan dont l'inventaire est plus pauvre.

INTRODUCTION

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rons ä donner ici de breves indications concernant la repartition geographique, le nom, l'organologie, la fabrication, la technique de jeu, la propriete et les fonctions des instruments de musique dan. Les instruments seront presentes dans l'ordre de la celebre classification de Sachs-Hornbostel: idiophones, membranophones, cordophones, aerophones (1). Dans la deuxieme pärtie de notre ouvrage, nous etudierons les conceptions relatives ä la musique: quelle est — selon les Dan — la nature de la musique, comment eile est integree dans la culture comme une partie des phenomenes de la vie, comment elle est conceptionnalisee. «Une des plus importantes de ces conceptions est la distinction, implicite ou reelle, faite entre la musique d'une part et le bruit, ou nonmusique, d'autre part; ceci est essentiel a la comprehension de la musique dans toute societe» (2). Mais il ne suffit pas que l'anthropologue demande dans sa langue aux membres d'une societe comment ils con9oivent cette distinction. II faut d'abord determiner si des termes couvrant ces notions europeennes de «musique» et de «bruit» existent et surtout s'ils possedent le meme champ semantique que les termes de la langue utilisee par le chercheur, ce qui est peu probable pour des langues non europeennes. C'est pourquoi nous ouvrons, dans notre ouvrage, la partie consacree aux conceptions par un inventaire du vocabulaire dan d'interet musical. Le danger de mal comprendre des informations ou de les reinterpreter selon une conception europeocentrique de la musique est particulierement grand dans ce domaine. Si nous nous soucions toujours de mettre les differents termes dans leur contexte linguistique et de traduire les expressions dan litteralement, en citant le texte original, c'est pour rester le plus pres possible de la pensee dan, meme si nous risquons de fatiguer ä la longue le lecteur qui n'est ni Dan ni semanticien. Apres avoir etudie le vocabulaire des termes musicaux, nous donnerons des recits mythiques concernant l'origine des instruments de musique qui nous apprennent de nombreux details sur la pratique et la conception musicales, complet a n t et recoupant ainsi des informations obtenues par des enquetes. Nous chercherons ensuite quels sont les etres non humains, apparaissant dans ces mythes, qui sont censes faire encore aujourd'hui de la musique. Les effets que, selon les Dan, la musique a sur l'homme et les autres etres, et les croyances et pratiques du musicien pour accroitre

(1) C. Sachs et E. von Hornbostel (1914). (2) Α. P. Merriam (1964), p. 63.

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INTRODUCTION

son efficacite, cloront cette partie consacree aux conceptions musicales des Dan. Dans la troisieme partie, notre expose est fait dans une perspective sociologique. fitudiant les fonctions de la musique et du musicien, nous constaterons que la plupart des musiciens dan sont attaches ä une personne ou ä une association. lis sont membres a, part entiere de la societe, mais jouissent par leurs fonctions d'un statut special et de considerations particulares. Apr^s nous etre demande si les musiciens chez les Dan peuvent etre consideres comme professionals et apres avoir d6crit leur prestige, nous completerons, avec des indications sur le role de la musique dans le cycle de la vie et sur l'&lucation musicale, notre analyse sociologique. Apr^s un premier contact avec le pays et la musique dan en 1958, nous avons consacre, principalement aux Dan et secondairement ä leurs voisins en Cöte d'lvoire, quatre missions ethnomusicologiques (1). Afin d'avoir une vue d'ensemble de la culture musicale dan, nous avons s£journe dans des villages des quatorze cantons du pays Dan; des enquetes plus intensives ont ete menees surtout dans le Nord (cantons Santa, Gan et Sipilou), dans le centre (cantons Souin et Yati) et, ä un degr6 moindre, dans l'Ouest (cantons Kale et Koulinle). Nos informateurs — musiciens et non-musiciens — sont trop nombreux pour etre tous cites ici; certains sont nommes au cours de notre £tude lorsque leur temoignage diverge des autres ou nous semble refleter leur propre position, fonction ou personnalite. Les enquetes ont ete menees en fran9ais, avec l'aide de plusieurs interpretes; nous avons cependant commence ä, Studier la langue dan — la phonologie surtout et la syntaxe — pour pouvoir transcrire en dan et controler les traductions des temoignages que nous avons le plus souvent enregistres sur bande magn^tique ou dont nous avons note en dan tous les passages nous semblant particulierement revelateurs. Les phrases en francjais mises entre guillemets sont — lorsque nous ne leur joignons pas le texte dan — des traductions litterales d'informations qui ne pretent pas ä equivoque et parfois des expressions franijaises des Dan franco(1) Juillet—septembre 1961, septembre—decembre 1962, decembre 1964— aoüt 1965, decembre 1966—mai 1967. Les frais de voyage de la premiere mission ont 6te supportes par 1'ieole Pratique des Hautes fitudes, les deux derniöres missions ont 6te financ^es par le C.N.R.S. aveCj pour la troisieme mission, le conoours de l'lnstitut International des Etudes Comparatives de la Musique, Berlin, et pour la quatrieme mission, l'aide de l'lnstitut d'Ethno-Sociologie de l'Universitö d'Abidjan.

INTRODUCTION

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phones. Les textes originaux des chants, dont nous donnons les traductions eparpillees dans les differents chapitres, seront integralement reproduits en appendice. Nos principaux interprdtes etaient MM. Diabate Sanoussi (pour le nord et le centre du pays Dan), fitienne Boua (cantons Santa, Gan et Sipilou), Lazare Mad6 (cantons Yati et Blouno), Gustave Kessö et Francis Ouonlo (canton Kale), Pascal Kouemi (canton Koulinle), auxquels il faut rendre hommage pour l'interet qu'ils ont manifeste pour nos recherches et la conscience avec laquelle ils ont mene leur täche qui n'etait pas toujours facile. Nous voudrions adresser ici nos remerciements les plus sinc6res k tous nos professeurs, pour leur enseignement, leurs directives et les encouragements qu'ils n'ont jamais cesse de nous donner. Au debut, c'&aient d'une part nos professeurs du conservatoire de Bale, en particulier M. Ernst Mohr, musicologue, et, d'autre part, Μ. le professeur Alfred Bühler de l'Universite de Bale qui nous initia ä l'ethnologie. Puis, ä Paris, a l'icole Pratique des Hautes Stüdes, Mme Denise Paulme-Schaeffner qui a su nous familiariser avec le domaine des recherches ethnologiques africaines et qui assuma la direction de notre these; Mile Claudie Marcel-Dubois qui nous a montre, dans le cadre de son seminaire, les methodes de recherche de l'ethnomusicologie et qui nous a aide de ses conseils ä ameliorer le present ouvrage; d'autres professeurs encore dont nous avons suivi les cours et les seminaires: Mme Germaine Dieterlen, MM. Claude Levi-Strauss, Jacques Maquet et Maurice Houis. Nos remerciements vont egalement a MM. Andr6 Schaeffner, Gilbert Rouget, A. J. Greimas, P.-F. Lacroix, qui ont lu tout ou partie de notre manuscrit et qui ont bien voulu nous faire profiter de leurs connaissances. II convient de citer aussi notre ami Thomas Bearth, linguiste, que nous avons rencontrö sur le terrain, et sans qui l'analyse phonologique de la langue dan n'aurait pas pu etre entreprise et toute la partie linguistique de notre th&se aurait 6te moins developpee. Nous devons beaucoup de precisions sur la langue dan et de suggestions pour de nouvelles recherches aux amis dan que nous commissions en France et que nous avons quelquefois retrouves dans leur pays, au cours de nos missions: MM. Alphonse Gbe, Seba Guede, Gueyes Tro, Gönnet Zando, et Duon Sadia et Kale Sopoude qui, en plus, ont lu tout le manuscrit et aide a corriger les transcriptions des termes dan et leur traduction; nous leur exprimons ä tous notre gratitude, ainsi qu'a Mile Ada Martinkus pour l'aide precieuse qu'elle nous a apportee lors de la redaction, de la mise en forme et de la publication de cet ouvrage.

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INTRODUCTION

Nous remercions egalement M. Emmanuel Terray, alors directeur de l'Institut d'Ethnosociologie de l'Universite d'Abidjan, pour l'aide qu'il nous a apportee pendant notre derniere mission. II nous reste l'agreable devoir de remercier les autorites administratives et politiques de Cöte d'lvoire qui nous ont aide de leur mieux dans notre tache, notamment M. le Ministre Loua Diomande, originaire du pays Dan, M. le Prefet du Departement de l'Ouest, Sily Sissoko, ainsi que tous les sous-prefets, en particulier MM. Augustin Lobognon et Fanny Souleimane, et reaponsables locaux du R.D.A.-P.D.C.I., et notre ami et collegue ivoirien, Georges Niangoran-Bouah, qui nous a toujours offert genereusement l'hospitalitö lorsque nous etions de passage dans la capitale. Enfin, n'oublions point nos amis les musiciens dan qui nous ont aide ä eomprendre et ä aimer leur musique. Paris, fdvrier 1968

Le prSsent ouvrage α έίέ soutenu comme thkse de 3* cycle de la Sorbonne, le 29 avril 1968, et a obtenu la mention «tr&s biem. Le jury itait composi de Μ. A. Leroi-Gourkan (Prisident), Mme D. Paulme et Mile C. Marcel-Dvhois.

NOTES SUR L A L A N G U E

Nous avons dejä vu que les Dan se definissent eux-memes comme une communaute parlant la meme langue, les «gens qui parlent la langue dan». La langue dan est classee — comme le toura parle au nord-est, le guerze (kpelle) et le manon ä l'ouest, le kono au nord-ouest — dans le groupe des langues mande, sous-groupe mande-fou ou mande-sud. Fait egalement partie des langues mande — mais des langues mandetan ou mande-nord — le maou, dialecte malinke parle au nord du pays Dan. Au sud, par contre, les Dan voisinent avec des societes dont les langues appartiennent a un autre groupe linguistique, le krou: ce sont le wobe au sud-est, le guere (kran) au sud, le bassa au sud-ouest. Notre transcription de la langue dan est phonologique; eile repose sur des recherches que nous avons effectuees avec le linguiste Thomas Bearth en 1964—1965 principalement sur le dialecte de Santa (nord du pays Dan) (1) et poursuivies seul en 1967 sur les autres dialectes. Nous reproduisons ci-apres les tableaux des phonemes du dialecte de Santa dans lequel est transcrite la majorite de nos citations. Dans le tableau des consonnes, le signe + marque dans la colonne 1. la labialisation, dans la colonne p. la palatalisation. (1) Cf. T. Bearth et Η. Zemp (1967). Nous ne pouvons donner ici que dee indications tres sommaires sur le systeme phonologique de la langue dan; pour plus de precisions, cf. art. cit.

INTRODUCTION

18 TABLEAU I .



Gonsonnea

Alveolaires

Labiales

V61aires

I. p.

I. p.

I. p.

Occlusives explosives

sr an

implosives a Fricatives

ar sn

Ρ b

+ + + +

t d

+ +

+ +

h

++

d

+

+

/ V

+

* ζ

+ +

+ +

+

m

+

η

hp gb

+

+

+ + Ν

syllabiques 4 Semi-voyelles

+ + + +

I. p.

I

Laterales* Nasales non-syllabiques c

k g

Labiovälaires

w

+

y

+

* Les sequences IN h . . ./ et IN d . . ./ sont realisees respectivement comme une nasale bilabiale syllabique [TO] et une nasale alveolaire syllabique [rt]. (/N3 ha21 [m3a2], «mon beau-frere»; IN3 de3j [n3e3], «ma mere».) b Precede d'une occlusive alveolaire, /£/ efet realise comme un battement alveolaire sonore [ί], (filu1j [tfu1], «trompe»; /dlo'/ [d/o1], «termite».) Pour la sequence d'une fricative alveolaire plus /£/, il y a fluctuation entre une realisation non-retroflexe (fricative suivi de [/"]) et retroflexe. 0 Une nasalisation conditionnee — non phonematique — de la voyelle apparait apres les consonnes nasales /m/ et /η./. (/ma3/ [me ! ], «moi»; /na2/ [nS2], «enfant».) d INI est independent par son ton de l'environnement precedent et suivant, alors que /m/ et /η/ s'alignent en ton sur la voyelle suivante. Tout comme les voyelles, /JV/ constitue done une unite de distribution des tons. IN/ peut servir, comme une voyelle simple, de formant & un lexeme. Les principales variantes de /Ν/ sont les suivantes: [m] devant bilabiales, [η] devant alveolaires, [[77] devant lyl,] [fl] devant velaires, devant labio velaires. Devant pause, /JV/ est realise [?}] (ItaN3j [ίο??3], «tambour d'aisselle»).

INTRODUCTION

19 TABLEAU I I .

Fermees

Voyelles

Ant6rieures orales nasales

Centrales orales nasales

Postirieiiree orales nasales

i

i

U

t

θ

e Moyennes

OB

a

5 0

9 ce

ü

0 5

e ε

Ouvertes



ä

Ο

ν

Longueur: La longueur est en contraste avec la brievete et jNj. De la meme fagon que /Nj suivant une voyelle, la longueur constitue un pattern ä l'interieur duquel des combinaisons de tons sont possibles. Nous marquons la longueur par un redoublement de la voyelle. Tons: Le dialecte de Santa — et tous les dialectes du Nord — comporte cinq registres de tons (cinq tons ponctuels et, sur des syllabes longues seulement, des combinaisons de tons). Les dialectes du centre et du Sud-Est ne comptent que quatre registres de tons, les dialectes de l'Ouest, trois; en plus, il existe dans ces regions (mais non pas dans le Nord) une chute tonale — notee /*/ sur la voyelle — qui commence sur le ton de la syllabe precedente. Nous notons les cinq tons du Nord et les quatre tons du centre et du Sud-Est par de petite chiffres superieurs ä la fin de la syllabe: j1/ ton le plus haut, /5/ ou /4/ ton le plus bas; des combinaisons de tons sont notees par deux chiffres a la fin de la syllabe, par exemple /31/. Pour les dialectes de l'Ouest, nous avons adopte une autre notation: ton haut /'/, ton bas /'/, ton moyen /"/; les combinaisons de tons, n'apparaissant que pour des syllabes longues, sont marquees sur les voyelles par les deux accents correspondants. Ν. B. L e 6 et le d implosifs, representee dans la notation de 1'Association Phonetique Internationale par un b et un d crosses, ont 6te composes a v e c un accent circonflexe: b e t d.

PREMlilRE PARTIE

Instruments de musique

CHAPITRE I

Idiophones

1.1. BÄTONS ENTRECHOQUfiS D a n s le sud-ouest d u p a y s D a n , a u village Guizreu (canton Koulinle), p e n d a n t la sortie d ' u n m a s q u e d e guerre t r e s i m p o r t a n t e t trös respecte d a n s la region, nous avons v u les h o m m e s qui f o r m a i e n t le chceur e n t r e c h o q u e r des b a t o n s . C h a q u e c h a n t e u r t e n a i t d a n s u n e m a i n u n b a t o n d ' u n e longueur d ' e n v i r o n 80 cm et il le f r a p p a i t r y t h m i q u e m e n t contre le b a t o n d e son voisin. A p a r t ce cas precis, n o u s n ' a v o n s p a s t r o u v e d e b a t o n s entrechoques chez les D a n .

1.2. BÄTONS DE RYTHME P l u s a u nord, n o t a m m e n t d a n s le c a n t o n K a l e , les jeunes gens utilisent, p e n d a n t la r e t r a i t e des circoncis, d e gros b a t o n s qu'ils f r a p p e n t sur le sol. II s'agit d e simples m o r c e a u x d e bois, d ' u n e longueur d ' e n v i r o n 1 m et d ' u n d i a m e t r e d e 7 ä 10 cm, decoupes d a n s les t r o n c s d e jeunes arbres. Les jeunes gens f o r m e n t u n cercle, se t o u r n e n t vers le c e n t r e et f r a p p e n t r y t h m i q u e m e n t les b a t o n s sur le sol, en c h a n t a n t e t en d a n s a n t . Les f e m m e s e t les gargons incirconcis n ' o n t p a s le droit d e voir c e t t e m a n i f e s t a t i o n , car le son des b a t o n s d e r y t h m e f r a p p e s s u r le sol represente la voix d ' u n m a s q u e , le geiyomlo (cf. V I I . 6).

1.3. CARAPACES DE TORTUE ET CORNES DE BOVINES PERCUTEES P o u r p o u v o i r utiliser des carapaces d e t o r t u e comme i n s t r u m e n t s ä percussion, on coupe la p a r t i e superieure d u bouclier v e n t r a l , laquelle

24

INSTRUMENTS

DE

MUSIQUE

protege normalement la poitrine et le cou du reptile (1). Le musicien tient le dos de la carapace dans une main et frappe avec l'autre main, ä l'aide d'une mince baguette, sur le bord ainsi coupe du bouclier ventral: c'est la technique de jeu du tambour-de-bois ou. l'on frappe egalement sur le bord (d'une levre), et, en effet, le son clair et net de la carapace de tortue percutee ressemble ä celui du petit tambour-de-bois en bambou (cf. I. 6). L'instrument est frappe dans le sud du pays Dan par les chanteurs des chasseurs (aujourd'hui presque tous disparus) et dans le nordouest, par les femmes de la societe to5kpa5 (photo 1): ce sont la. deux usages nettement distincts que l'on retrouve egalement au Liberia du nord-est, chacun dans des societes differentes. Selon G. Schwab, les carapaces de tortue sont frappees dans le nord de cette region, exclusivement par les dirigeantes des cultes feminins, et chez les Sapä (plus au sud), pour accompagner les harpes-luths des chasseurs (2). A la difference des Sapä, les Dan n'utilisent pas en meme temps la carapace de tortue et la harpe-luth des chasseurs; le premier instrument est joue au sud par les chanteurs des chasseurs, le second, au nord, par les chasseurs eux-memes. Une des femmes de la socite to5kpa5 frappait ä l'aide d'une baguette sur une corne de buffle, une autre femme, sur une corne de bceuf dont la pointe avait ete coupee (photo 1). Le son clair et net de cet instrument se marie bien avec le son de la carapace de tortue et des tambours-de-bois en bambou.

1.4. CALEBASSES ET CUVETTES PERCUTfiES

Nous n'avons vu qu'une seule fois une femme frapper de ses mains sur le dos d'une demi-calebasse; c'etait pendant la danse d'un masque de femmes, le yo3na2. Les petits ga^ons s'amusent parfois ä frapper sur des calebasses entieres dont ils coincent la queue entre les jambes comme un tambour baa4: ils s'entrainent ainsi ä devenir de grands tambourinaires. Les jeunes filles battent quelquefois rythmiquement sur une cuvette en email retournee, instrument qu'on appelle teelsbaMi, «tambour de cuvette». (1 )Cf. flg. 82 g in G. Schwab (1947). (2) G. Schwab (1947), p. 152.

IDIOPHON ES

25

1.5. TAMBOURS D'EAU

Le tambour d'eau consiste en une grande calebasse hemispherique (ou en tout autre recipient) remplie d'eau, dans laquelle flotte une calebasse retournee plus petite. Celle-ci est frappee a l'aide d'une troisi^me calebasse en forme de cuiller. E n Afrique occidentale, I'instrument possede, selon les regions, les usages les plus divers: il est frappe a l'occasion de l'excision, du manage, de 1'eclipse de lune, des funerailles, du Ramadan chez les musulmans (1). Pres que partout — semble-t-il — il est reserve aux femmes ou aux jeunes filles; une exception est cependant rapportee pour les Malinke chez lesquels G. Rouget a enregistre et photographie un homme qui jouait de deux tambours d'eau, mais toutefois pour faire danser des femmes (2). Chez les Dan, le tambour d'eau n'est pas lie ä une des circonstances cities ci-dessus. Nous l'avons vu dans le nord du pays Dan, au village Sipilou, frappe par un homme faisant partie d'un groupe de chasseurs dont certains dansaient avec leurs fusils et d'autres jouaient de la harpe-luth. Le joueur du tambour d'eau appelait son instrument yfikoo5, «calebasse d'eau». II s'agit toutefois d'un cas isole; les autres groupes de chasseurs n'emploient pas le tambour d'eau. Ce n'est sans doute pas un hasard si ce cas s'est produit dans une region du pays Dan, le nord, ou les femmes ne jouent pas de cet instrument; dans le sud et dans l'ouest ou les femmes le frappent — en cachette, car le son est cense produire, simultanement avec d'autres instruments faits d'ustensiles de cuisine, la voix d'un masque —, il n'aurait probablement pas ete possible qu'un homme en joue. Ce masque, appele bWhcfina1 au canton Yati, est considere par les hommes tout aussi bien que par les femmes comme peu puissant et il se fait entendre de temps en temps, sans occasion particuliere, pour amuser par sa voix les villageois.

1.6. TAMBOURS-DE-BOIS

Depuis l'etude de A. Schaeffner sur les Kissi, on distingue entre a) le tambour-a-levres qui est forme d'un tronc d'arbre evide et muni d'une (1) G. Dieterlen et Ζ. Ligers (1963), p. 267 —268; G. Rouget (1964), p. 152 — 153; A. Schaeffner (1951), p. 7; Ξ . Zemp (1970), p. 107-109. (2) G. Rouget, disque Musigue d'Afrique occidentale, Contrepoint MC 20 045, photo 3.

26

INSTRUMENTS

DE

MUSIQUE

fente longitudinale assez large, les deux bords («levres») d'epaisseur inegale donnant chacun un son different, et b) le tambour-xylophone «dont la paroi cylindrique presente trois, quatre ou cinq fentes paralleles qui delimitent deux, trois ou quatre lames semblables ä Celles d'un xylophone, leur extremite faisant corps toutefois avec la paroi meme du resonateur» (1). Dans ce dernier instrument, chaque lame produit un son different. Les instruments du premier type sont generalement evides par la fente unique qui est assez large pour permettre de creuser a l'interieur avec une herminette et un ciseau courbe; ceux du second type comportent des fentes tres minces, d'une largeur de 3 ä 7 mm seulement, et le tronc doit etre evide par un trou perce aux deux plans du cylindre, dans le sens longitudinal, et qui forme une sorte de canal s'evasant ä l'interieur. De ces deux types de tambours-de-bois, les Dan ne connaissent que le second, et une forme qu'on pourrait qualifier d'intermediaire (2). Le vrai tambour-xylophone a ete tres repandu autrefois en pays Dan, mais il a presque disparu aujourd'hui. Apres de longues recherches, nous n'en avons trouve que deux exemplaires: l'un ä Sandougou Soba (canton Ka), comportant quatre fentes minces (3) (photo 2); l'autre ä Gongouine (canton Yati) comptant seulement deux fentes qui delimitent une lame unique (4) (photo 3). L'instrument est appele go3: c'est le nom de l'arbre dont le bois sert ä sa fabrication (Cordia

platythyrsa

Bah.).

Ce tambour-de-bois est pose horizontalement musicien s'asseoit devant lui, les jambes repliees, deux baguettes en bois (photo 2), ou alors il place jambes etendues, utilisant ses pieds comme cales

ä meme le sol. Le et il le frappe avec l'instrument sur ses (photo 3).

(1) A. Schaeffner (1951), p. 26. (2) Un seul exemplaire du premier type, en bambou, a ete trouve par nous dans un ensemble d'instruments du type intermediaire (cf. p. 32). (3) Longueur de cet instrument: 72 cm; diametre: 24 cm; longueur des fentes: 40 cm, 60 cm, 50 cm, 38 cm; largeur des lames: 5 cm, 6 cm, 5 cm; diametre du canal aux orifices: 7 cm. (4) Longueur de cet instrument: 85 cm; diametre: 28 cm; longueur des fentes: 62 cm et 46 cm; largeur de la lame: 6 cm; diametre du canal aux orifices: 9 cm. A. Schaeffner ne mentionne dans sa definition op. cit. du tambour-xylophone que des instruments de trois ä cinq fentes delimitant done au moins deux lames. II signale cependant plus loin (p. 34) des tambours-xylophones en bambou, ä une lame.

IDIOPHONES

27

Autrefois, l'instrument etait battu partout dans le pays Dan (et meme dans les regions ou l'autre type de tambour-de-bois n'existait pas, comme dans le canton Yati; cf. carte 3) pour rappeler les gens au village lorsque l'ennemi attaquait. La disparition de cet usage explique en partie la disparition de l'instrument; en partie seulement, il est vrai, car un instrument peut changer de fonction: ä Sandougou Soba, le vieux tambour-xylophone est encore aujourd'hui frappe pour appeler les gens au village, par exemple lors d'une sortie de circoncis ou pour toute autre fete.

Fig. 1. — Tambour-de-bois ä trois fentes a) Vue d'en haut; b) Coupe transversale

Beaucoup plus repandu — dans la plupart des regions dan, presque tous les villages en possedent au moins deux exemplaires — est le tambour-de-bois de forme intermediaire entre le tambour-ä-levres et le tambour-xylophone. II a du premier type une large fente par laquelle le tronc d'arbre est evide et qui separe les deux levres, et du second, une ou deux fentes supplementaires, tres minces, qui fendent a leur tour une ou deux levres selon une ligne parallele ä la large fente principale. Si l'instrument possede une seule fente secondaire, celle-ci delimite une lame a gauche ou ä droite de la fente principale (photo 4); dans le cas des deux fentes secondaires, deux lames se trouvent de chaque cöte de la fente principale (fig. 1). Les lames sont d'epaisseur inegale: entre 10 et 25 mm la ou elles sont separees par une mince fente de la paroi; elles s'amincissent pour n'avoir plus au bord de la fente principale que 4 a 7 mm. L'instrument est, comme le type precedent, taille dans le bois go3, d'oü egalement son nom avec, toutefois, le suffixe -nd l , «enfant», «petit»: go3no2 veut dire «petit go3» ou «enfant de go3» (1). (1) La langue toura, etroitement apparentee au dan, ne connaissant pas de voyelles centralisees (dan /a/ > toura /ε/), le meme tambour-de-bois s'appelle 3 l en toura goo ne . II est frappe, entre autres, au cours d'une grande ceremonie d'initiation, decrite par B. Holas (1963) qui, ignorant l'etymologie du terme groo'ne1 et n'ayant apparemment jamais demande aux Toura de lui montrer cet instrument, eerit (p. 169): «Toute eette derniere phase du gbon, impregnee

28

INSTRUMENTS

DE

MUSIQÜE

Ces tambours-de-bois sont toujours frappes par paires; le plus grand instrument est appele «sa mere» (a5 de3), l'autre «son enfant» (a5 nd2). Le musicien avec l'«enfant» bat un rythme ostinato ininterrompu, alors que le batteur de la «mere» improvise sur ce fond sonore des rythmes complexes et varies. L'instrument ä fente secondaire unique est frappe sur la lame que celle-ci delimite, sur le bord de la levre de l'autre cöte de la fente principale et sur la paroi du cylindre ä cöte de la lame. Le tambour-de-bois ä deux fentes secondaires possede quatre points de frappe: les deux lames ä gauche et ä droite de la fente principale, et la paroi du cylindre sur les deux cötes bordant les lames. Deux sortes de frappe sont possibles: ou le musicien laisse rebondir la baguette (ce qui est le plus souvent le cas), ou il varie le timbre en maintenant un instant la baguette, par une pression du poignet, sur l'instrument. Le plus grand instrument que nous ayons mesure avait 72 cm de longueur, le plus petit, 33 cm. L'«enfant» faisant partie d'une grande paire peut etre de taille superieure a celle de la «mere» appartenant a une paire plus petite. L'appellation d'«enfant» et de «mere» ne depend done pas de la grandeur absolue d'un instrument, mais des proportions relatives des deux tambours-de-bois formant une paire (cf. tableaux I I I et IV). Ce type d'instrument est joue pour les travaux de debroussement, pendant les manifestations de certains masques au village et lors des exhibitions des «jongleurs de filles» semi-professionnels. La position des instruments pendant le jeu est, ä la difference du tambour-xylophone decrit precedemment, verticale. Chaque instrument possede en haut une anse sculptee dans le bois (ou deux saillants en forme de cornes), sur laquelle on attache une sangle que le musicien accroche ä son epaule. Ainsi il peut se deplacer tout en jouant; ceci est important

d'un sentiment particulierement chaleureux de solidarity sociale, est cependant caracterisee par un accompagnement musical qui, lui, est aussi exceptionnel, etant fourni par l'ensemble de trois instruments de musique sacres, dits goone et decrits par Bochet (dans un rapport manuscrit) comme de simples 'troncs evides', mais qui, ä notre avis, embrasseraient en realite des formes plus elaborees, comme e'est le cas des accessoires musicaux utilises dans les initiations voisines, notamment dans eelles des Guerze et Kono: si done nous voyons juste, le goone toura ressemblerait, en gros, au gondo kono dont nous avons apporte de süffisantes precisions ailleurs.» Suit, en note, la description des sifflets en pierre et en terre cuite comme on en utilise egalement chez les Dan pour exprimer la voix d'un masque.

29

IDIOPHONES TABLEAU I I I .



Mesures

des tambours-de-bois

ά deux fentes (en Fentes

Cylindre Village (canton)

Nom du tambour-de-bois

Hauteur

Diam.

cm)

MiUeu

Gauche Long.

Long.

Larg.

Droite Long.

Kanta (Gan)

«mere» «enfant»

67 49

23/26 15/17

26

52 38

7 6

Yegole (Gan)

«mere» «enfant»

58 46

22 16

34 22

45 38

4,5 5

Santa (Santa)

«mere» «enfant»

58 51

22 20

39 26

44 41

6 5

Tokpapleu (Santa)

«mere» «enfant»

52 49

23 20

31 26

39 34

5 6

Daleu (Gourousse)

«mere» «enfant»

(casse) 34

22

19

22

2,5

Kpoleu (Kale)

«mere» «enfant»

58 51

21 19

19

44 41

4 3,5

Gbantopleu (Kale)

«mere» «enfant»

36 33

10/11 9/10

18 13

28 24

2 1,5

Danipleu (Kale)

«mere» «enfant»

63 54

21/24 19/20

31 27

50 45

4 3



Dohouba (Kale)

«mere» «enfant»*

65 60

20 25

33

52 47

3 2,5

37 22

Yeale (Kale)

«mere» «enfant»

56 52

21 20

28 23

43 41

4,5 7,5





35 — — — — — — —



32 — — — —

— —

* Instrument ä troia fentes.

pendant les manifestations de masques (surtout pendant les courses), ou le petit groupe de musiciens et le chceur se deplacent continuellement sur la place de fete. Si les musiciens restent un peu plus longtemps au meme endroit, ils peuvent poser l'mstrument, toujours verticalement, sur le sol et continuer a, en jouer en se penchant sur lui. Une autre methode de se debarrasser du poids considerable de l'instrument est de s'accroupir ou de s'asseoir en tenant le tambour-de-bois verticalement entre les genoux (1). Deux instruments formant une paire, (1) Quelquefois — plutöt aux champs que sur la place de fete — ces tamboura-de-bois sont poses horizontalement sur le sol, comme le grand tambourxylophone qui sert k appeler lea gens au village.

30

INSTRUMENTS TABLEAU I V .



Mesures

des tambours-de-bois

Nom du tambour-de-bois

Hauteur

MUSIQUE

ά trois fentes (en

cm)

Fentes

Cylindre Village (canton)

DE

Diam.

Gauche Long.

Muieu Long.

Larg.

Droite Long.

Gbablasso (Gan)

«mere» «enfant»

65 58

20/22 19

38 37

53 48

6,5 10

45 39

Sipilou (Sipilou)

«mere» «enfant»* «mere» «enfant»*

51 42 58 57

23 20 30 28

30

30 32 47 45

4 4 5 4,5

20 30 35



44 37



Blomba (Sipilou)

«mere» «enfant»

72 48

23 17

43 29

56 37

4 3

36 33

Bleupleu (Gourousse)

«mere» «enfant»

64 58

34 22/23

26 27

52 44

3,5 2,5

27 24

Diempleu (Gourousse)

«mere» «enfant»

(absent) 43

20

14

34

5

29

Lapleu (Lolle)

«mere» «enfant»

52 (absent)

22/23

41

44

2,5

33

Goulaleu (Koulinle)

«mere» «enfant»

59 (absent)

22/24

41

49

3

36

Zampleu (Blosse)

«mere» «enfant»

62 42

23/25 19

40 29

51 36

4 3,5

36 23

* I n s t r u m e n t ä deux fentes.

trouves ä Bleupleu (canton Gourousse), pesaient 10 kg («mere») et 8,5 kg («enfant»). Les tambours-de-bois joues pendant les sorties de masques, ceux frappes lors des danses des «jongleurs de filles» et ceux utilises pour les travaux des champs sont de meme forme: on ne peut pas les distinguer. Les deux premiers, toutefois, ont regu des sacrifices et sont done sacralises («on a travaille dessus»). Dans le village Sipilou oü nous avons mesure deux paires, la plus grande est jouee pour accompagner la danse des masques, alors que la plus petite est utilisee pendant le debroussement (car les instruments de la premiere paire sont «trop lourds pour etre transportes loin dans la brousse»). Les proprietaires des tambours-de-bois sont respectivement les families possedant les masques pour lesquels les instruments sont joues, les societes des «jongleurs de filles» et les associations de travail qui debroussent la foret. Dans les trois cas, ce sont des groupes de

IDIOPHONES

31

personnes (ou leur chef) qui commandent un nouvel instrument ä un artisan. Celui-ci sera frequemment un forgeron ou un sculpteur specialise dans la fabrication d'objets usuels, comme des mortiers, des sieges, des jattes pour le riz, etc. Le meme artisan fabrique aussi en general des tambours ä membranes. Nous avons eu connaissance de trois cas ou le sculpteur est uniquement specialise dans la fabrication de ces deux instruments de musique. Parfois, mais c'est plutöt rare, le sculpteur et le musicien ne sont qu'une seule et meme personne (1). On trouve dans l'ouest du pays Dan, le long de la frontiere du Liberia, de petits tambours-de-bois en bambou. Les musiciens les tiennent TABLEAU V .



Meaures des tambours-de-bois en bambou (en

cm)

Cylindre Village (canton)

Hauteur

Diam.

34 35

10

Long.

Larg.

Long.

15 24

1 2

20 18

33

1,3

27

ά deux fentes Gbapleu (Kale) Danipleu (Kale)

46

Dankouampleu (Kale)

54

11

39

3,5

30

38 39 43 35 33 36 40 46 37 43 40

9 9 10 9 8 6 7 8 10 8 7

36 24 24 23 26 13 21 26 29 33 32

0,8 1,5 1 1 2 0,6 0,4 1 2 1 7

26 24 20 23 25 21 30 26 29 33

Blomba (Sipilou) (association de femmes toskpa&)

a une seule fente

9,5

ά trois jentes Lapleu (Lolle)

38

12

Gauche

Milieu

23

24

19

(1) Gf. la biographic d'un sculpteur-tambourinaire dans H. Zemp (1967), p. 96 — 99, resumee et cite en partie infra p. 249, 252 et 255.

32

INSTRUMENTS

DE

MUSIQUE

dans la main gauche et les f r a p p e n t de la main droite a l'aide d'une baguette. Les instruments que nous avons vus comptent pour la plup a r t deux fentes; quelques rares specimens en ont trois. P a r m i les onze instruments joues par les femmes de la societe to5kpa5 a Blomba (canton Sipilou) (photo 1), un exemplaire ne comporte qu'une seule fente; il s'agit done d ' u n veritable tambour-a-l&vres (cf. tableau V). Les femmes appellent leurs petits tambours-de-bois koN*do2 [ko 4 no 2 ], ä ne pas confondre avec le nom de la societe voisine, Kono, prononce en d a n köhioi [kö 4 nö 4 ] (1). i g a l e m e n t dans l'Ouest, il existe, mais ils sont pratiquement introuvables aujourd'hui, de petits tambours-de-bois, de la taille des instruments en bambou, mais en bois sculpte, anthropomorphes, avec une t e t e et parfois des jambes; la fente principale et une ou deux fentes secondaires sont taillees dans le morceau de bois figurant le tronc de la statue. U n magnifique exemplaire, ayant appartenu a u n chanteur semi-professionnel ambulant du Liberia (2), est reproduit dans l'ouvrage de Η . et U . Himmelheber (3). 1.7. XYLOPHONES

Le xylophone soudanais a resonateurs en calebasse, nomme communement «balafon» par les Fran9ais d'Afrique et les Africains francophones (4), n'est pas joue par les D a n qui le connaissent pourtant des griots malinke ambulants. Comme pour d'autres mots qu'ils ont empruntes a la langue malinke, les D a n ont presse le dissyllabe malinke dans leur schema monosyllabique: malinke bald dan baN1. P a r contre, le xylophone sur troncs de bananier a ete tres repandu en pays Dan, mais il est aujourd'hui plutöt delaisse. Les enfants jouent encore — mais rarement — d u xylophone, lorsqu'ils se trouvent aux champs pour proteger la recolte contre les oiseaux et les singes. Le jeu du xylophone sert a. la fois ä effrayer les animaux en manifestant la presence de l'homme et ä faire passer le temps au jeune (1) Notons que les Guerze (Kpelle), voisins des Kono k l'ouest, appellent le tambour-de-bois egalement [kono]; les Kono eux-memes poasedent presque le m t o e terme: [koko]. (2) Communication personnelle de Η. Himmelheber. (3) Η. et U. Himmelheber (1958) fig. 32 d. L'instrument photographie mesure 61 cm de hauteur. (4) A tort, comme les specialistes l'ont souvent signale. L'instrument s'appelle en malinke et en bambara bald. Le nom francise «balafon» vient de bälä f6, «jouer du bälä* (litt, «[faire] parier le bald»).

IDIOP

HONES

33

gardien. Mais des hommes adultes peuvent egalement en jouer pour se distraire apres le dur travail des champs. Quatre ou cinq lames grossierement taillees dans un bois sec et leger (par exemple le parasolier) sont posees en ordre decroissant sur deux troncs de bananier couches par terre ä une distance d'environ 60 cm. Des clous en bois tiennent, plutöt mal que bien, les lames en place. Le musicien s'accroupit soit entre les deux bouts des troncs de bananier, et frappe, avec deux baguettes, les lames en leur milieu, soit ä cöte d ' u n des troncs de bananier et percute les extremites des lames. Dans cette derniere position, un deuxieme joueur peut, en se t e n a n t de l'autre cote, frapper en meme temps les lames. Parfois de petits gar§ons s'amusent ä poser deux ou trois bouts de bois semi-cylindriques ou cylindriques sur leurs cuisses et ä frapper ce xylophone-sur-jambes ä l'aide de deux baguettes. Le xylophone est nomme, comme le tambour-de-bois, go3nd2. Les D a n expriment ainsi la parente qu'ils voient entre ces deux instruments, comme l'a fait A. Schaeffner en donnant le nom de «tambourxylophone» au tambour-de-bois ä plusieurs lames. Le nom de go3na2 est donne au xylophone, bien qu'il ne soit pas fabrique avec le bois de l'arbre go3.

1.8. SONNAILLES

Dans l'ouest du pays Dan, pres de la frontiere du Liberia, les danseurs solistes, s'exhibant en public, attachent parfois ä leurs chevilles des sonnailles (ζέ) qui consistent en coques de fruits divers cousues sur des jambieres en cuir. Les trepignements des danseurs font s'entrechoquer ces coques. Dans les autres regions, ces sonnailles sont actuellement remplacees par des grelots enfiles sur une corde que le danseur enroule autour de sa cheville (cf. I . 11). Des sonnailles tres curieuses, et — a notre connaissance — uniques en Afrique noire, consistent en u n grand nombre de petits anneaux en laiton enlaces, d ' u n diametre de 3 cm environ. U n anneau u n peu plus grand, sur lequel est enfilee une premiere serie d'anneaux, est t e n u dans la main droite d u chanteur qui fait des mouvements rythmiques dans le sens vertical, f r a p p a n t ces anneaux sur la paume de la main gauche tenue en dessous (technique egalement employee avec des grelots en fer-blanc enfiles sur une corde). Les anneaux s'entrechoquent et emettent u n son metallique et clair. Ces anneaux, dceceN3-

34

INSTRUMENTS

DE

MÜSIQUE

ga? (dceceN3, «bracelet [m£tallique]»; ga?, suffixe d'unitö signifiant «os», «grain», «noyau»), ont servi autrefois — en meme temps que des anneaux et des bracelets plus grands — de valeurs ceremonielles pour les compensations matrimoniales et de bracelets pour les petite enfants. L'utilisation de ces anneaux comme instrument de musique semble etre une invention recente d'un chanteur de Glole (canton Yati), nomine Manyedeu, äge d'environ 60 ans, qui a cree le chant zyäa, execute par un groupe de chanteurs en l'honneur du chef ou ä l'occasion de toutes sortes de festivites. Ces sonnailles d'anneaux metalliques de Glole ont re9u le nom onomatopeique yokpo (1). Une autre sorte de sonnailles ne s'attache pas aux pieds des danseurs, mais ä certains instruments de musique, comme le tambour, la harpeluth ou la sanza. Ces sonnailles consistent en un morceau de fer-blanc, perce ä ses bords de petits trous dans lesquels sont fixes des anneaux metalliques qui se mettent ä vibrer lorsque l'instrument est percute. Ces sonnailles sont appelees see1 et se retrouvent partout en pays Dan, sauf dans le Sud-Ouest. Dans tout groupe de tambours baa4 (cf.II. 2. a), des sonnailles de ce type sont fixees sur l'un des instruments, le plus souvent sur celui qui est battu par le tambourinaire principal. L'association du timbre de ces sonnailles et du son des tambours apparait tellement indispensable aux Dan qu'ils l'expriment dans un proverbe: «Ce sont les sonnailles du tambour qui enjolivent la voix du tambour» (2).

1.9. H O C H E T S

Les hochets consistent en un recipient ferme contenant de petits cailloux ou des grains qui percutent ä l'interieur contre la paroi de l'instrument lorsque celui-ci est agitö. En Afrique occidentale, le hochet le plus, repandu est fait d'une calebasse spherique; les Dan ne le connaissent pas et utilisent seulement — sporadiquement — des hochets en vannerie. Ceux-ci sont toujours en forme de cone dont la base est faite d'une rondelle presque plate decoupee dans une calebasse, la paroi laterale (1) Cf. la photo de ces sonnailles dans la pochette du disque The Music of the Dan (photo 1). (2) haatsee1 ye5 haa*wos disH On entend par lä, que souvent des choses petites et modestes sont necessaires k la realisation d'une chose importante; par exemple, un chef a besoin d'une nombreuse suite s'il veut que sa renommee soit grande.

IDIOPHONES

35

etant tissee en fibres vegetales. Une anse, egalement en vannerie, fixee sur la pointe du cöne, permet au musicien de tenir l'instrument. La hauteur du cöne est d'environ 10 cm, l'anse mesurant un peu moins. Dans l'ouest du pays Dan, ces hochets sont parfois joues dans l'orchestre qui accompagne le chant ou la danse d'un masque (1). II existe Egalement des hochets en vannerie beaucoup plus grands, d'une hauteur d'environ 35 cm, comportant un manche en bois d'une longueur de 60 cm. Nous n'en avons vu que dans un orchestre de gloN5, orchestre qui joue en l'honneur d'un chef (photo 7). Les hochets en vannerie — qu'ils soient de petite ou de grande taille — sont toujours jouts par paire, tenus verticalement, un dans chaque main, anse ou manche en haut. Les mouvements alternatifs des deux instruments produisent un son sec, que le nom onomatopeique de l'instrument imite: s^gbe*. 1.10. HOCHETS-SONNAILLES A la difference du hochet, les percutants du hochet-sonnaille se trouvent a, l'exterieur du recipient qui est toujours une calebasse spherique. lis sont constitute de grains, de cauris ou de vertebres de serpent enfiles sur des cordes nouses formant une sorte de filet qui entoure la calebasse. L'extrtmite du filet, qui depasse d'une vingtaine de centimetres la calebasse, est tenue dans la main gauche, la droite serrant la queue de la calebasse qui sert de manche. La main gauche reste ä peu pr£s immobile; les rythmes trfes precis sont obtenus par des mouvements rapides du poignet droit. L'instrument, qui a premiere vue semble d'un emploi facile, se montre en realite assez difficile ä manipuler, et tout homme dan ne sait pas s'en servir correctement. Ce sont en general les chanteurs solistes qui l'utilisent: ils en sont aussi les proprietaires, et, dans la plupart des cas, ils le confectionnent euxmemes. L'instrument n'est pas aussi grand chez les Dan que, par exemple, chez les Baoule (pour la danse du masque goli) ou au Dahomey: le diametre de la partie spherique depasse rarement 20 cm. (1) Deux petits hochets en vannerie sont reproduits dans l'ouvrage de G. Schwab (1947), fig. 82 e et f. Iis seraient, selon cet auteur, utilises pour des rites de föconditä et de pluie. Chez les Mano, ils serviraient & rythmer les travaux de debroussement et ils symboliseraient le bruit de la pluie qui tombe (p. 153).

36

INSTRUMENTS

DE

MUSIQÜE

Dans le nord et le centre du pays Dan, le hochet-sonnaille est appele yoN1, dans le sud-ouest, on le nomine gs. Le hochet-sonnaille est sans doute l'instrument le plus frequent dans le pays Dan; il n'existe probablement aucun village oü on n'en conserve pas au moins un exemplaire. L'instrument accompagne la plupart des chants d'hommes, des danses mixtes des jeunes, des manifestations de masques. II a egalement ete joue autrefois — plus rarement aujourd'hui — dans le sud-est du pays Dan par les femmes de l'association du masque koN4; et il est encore secoue actuellement par les femmes de la societe to^kpa5, societe qui utilise aussi, il est vrai, d'autres instruments, le tambour-de-bois en bambou par exemple, reserves normalement aux hommes (photo 1). Le son du hochet-sonnaille et son rythme caracteristique font 1'ob jet d'un proverbe: «Si t u joues du hochet-sonnaille, mets son se5shs5 dessus» (1). C'est-ä-dire que si on prend 1'instrument en main, on ne doit pas le secouer n'importe comment, mais avec le rythme approprie, exprime par l'onomatopee se5she5 (2).

1.11. GRELOTS ET CLOCHES

Les femmes portaient autrefois aux chevilles des anneaux-grelots en bronze. Le modele le plus courant consistait en un anneau comptant sur le bord exterieur de 3 a 10 grelots ronds. Nous n'avons vu qu'une seule fois une vieille femme — wobe et non dan — porter un tel bijou sonore, encore avait-elle empeche les grelots de tinter en les bouchant avec du coton. D'autres specimens sont composes de 4 ou de 5 anneaux superposes, chacun muni de grelots (3). Les anneaux-grelots ont ete fondus — comme tous les bijoux en bronze et quelquefois aussi des statuettes — par des artisans specialises (souvent des forgerons) utilisant la technique de la cire perdue (4).

(1) ha2 yoN1 za3 / α5 βε5βΙεε5 ya6 ία5// (2) Ce proverbe est cite, par exemple, pour faire comprendre ä quelqu'un qu'il doit terminer correctement un travail commence ou qu'il doit tenir une promesse. (3) Des anneaux-grelots de ce modele, comportant 20 et 26 grelots, et d'autres d'un modele plus simple, & 3, 8 et 10 grelots, sont reproduits dans G. Schwab (1947), fig. 66. (4) Sur cette technique de fonte chez les Dan, cf. E. Fischer (1965).

IDIOPHONES

37

Un simple grelot en fer forg6 est attach^ parfois au cou des chiens de chasse. Quelquefois un homme participant ä une course de masques secoue un tel instrument, nomme gbeN1, en faisant le tour de la place de course. Le meme nom s'applique aussi ä une serie de grelots en fer-blanc, enfiles sur une longue corde, que les hommes danseurs-solistes, les fillettes acrobates et les masques de danse s'enroulent plusieurs fois autour de la cheville. Le tintement resulte, par consequent, des mouvements rythmiques des pieds. Les femmes adultes emploient un autre procede: elles agitent les grelots de la main droite et les frappent rythmiquement contre la gauche tenue en dessous. La cloche ä battant, dim3, est egalement fabriquee par le forgeron. Elle est formee de deux plaques de fer reunies ä leurs bords par une soudure, le battant etant accroche soit ä une anse ä l'interieur, soit a un trou perce dans la paroi. La cloche ä battant a ete agitee autrefois pour deux categories de personnes bien determinees: les guerriers et les masques. Aujourd'hui il ne reste evidemment plus que le second usage. Le tintement de la cloche possede un pouvoir magi que: il fortifie le guerrier et chasse les sorciers et les mauvaises influences pendant les manifestations de masques. Ajoutons que les Dan ne connaissent pas, contrairement ä la plupart des societes de l'Ouest Africain, de cloches sans battant. lis suppleent ce manque en frappant ä l'aide d'une baguette en bois, soit sur une cloche ä battant, soit sur un grelot, soit encore sur l'outil en fer qui sert habituellement — muni d'un manche en bois — a couper les regimes de palmier. 1.12. SANZA

La sanza est un idiophone par pincement, forme de languettes de longueurs dififerentes, fixees sur une planchette ou directement sur une caisse de resonance. Chaque lamelle — lorsqu'elle est pincee — produit un son de hauteur differente; l'accord se fait en enfon9ant plus ou moins les lamelles dans leur fixation, raccourcissant ou allongeant ainsi la longueur de la partie vibrante. La sanza 3mz, et non pas le nom malinke fie. II semble bien que la flute traversiere ait ete connue chez les Dan bien avant le passage de l'almamy, qui — tout au plus — aurait eu comme consequence une seconde repartition de l'instrument, du moins dans le nord du pays. Pour cette hypothese parle le nom non malinke que les Dan donnent ä la flute et le fait que l'instrument ait ete joue autrefois — pour accompagner les guerriers — dans les regions les plus diverses du pays Dan; une diffusion si rapide η'aurait pas ete possible pendant le peu de temps qui s'est ecoule entre l'arrivee de l'armee de Samory et la pacification par les colonnes fransaises. Quoi qu'il en soit, chez les Dan, la flute traversiere a toujours ete moins frequemment jouee pour accompagner les guerriers que la cloche en fer ä battant que tous les vieux hommes citent en premier lieu lorsqu'on parle de la guerre. Pour les Dan du Liberia, G. Schwab signale egalement le jeu de la flute traversiere par des musiciens accompagnant le chef des guerriers dans see expeditions, alors que chez les Mano, ce seraient des musiciens ambulants («.minstrels») qui en joueraient, souvent ä trois (2).

IV.5. TROMPES Les orchestres de trompes sont tres repandus en Afrique occidentale. Dans les regions autour du pays Dan, nous avons vu, et quelquefois enregistre, des instruments en corne d'antilope chez les Baoule, en bois chez les Senoufo et les Malinke, en bois et en ivoire chez les voisins immediate des Dan: Wobe a, l'est, Guere au sud-est, Maou (tribu malinke) au nord. Chez les Dan de Cote d'lvoire, ils sont en ivoire; parmi les 45 orchestres dont les trompes etaient en etat de jeu en 1965, nous n'en avons trouve qu'un seul dont les instruments etaient en bois: ä Kouale (canton Sipilou), dont le chef avait empörte les trompes en ivoire lorsqu'au debut de la colonisation il avait fui en Guinee avec (1) Deux flutes de ce genre sont reproduites dans l'ouvrage de G. Schwab (1947), fig. 81 d et f. G. Schwab (1947), p. 154.

AEROPHONES

63

une partie des villageois, et oü les gens restes sur place fabriquerent des instrument en bois pour les remplacer (1). Dans la savane soudanaise, il semble que les trompes en ivoire soient devenues extremement rares et qu'elles soient toutes remplacees par des instruments en bois (2). Pour l'arriere-pays du Liberia, G. Schwab mentionne des trompes en ivoire et leurs imitations en bois (3).E. Donner ecrit dunord-est du Liberia (societes Kran, Mano et Dan) que les gens n'y auraient presque jamais travaille l'ivoire et que, cette matifcre ayant depuis toujours fait l'objet d'un commerce, ils l'auraient rarement utilisee pour euxmemes. Pendant tout son sejour sur le terrain, cet auteur n'a vu qu'une seule trompe en ivoire (4). Se limitant, du point de vue geographique, aux Dan du Liberia, H. Himmelheber (5) a fait la meme observation negative: il n'a jamais vu d'orchestre de trompes. Ces temoignages nous ont d'abord etonne etant donne le grand nombre d'orchestres de trompes que nous avons vus et entendus chez les Dan de Cöte d'lvoire. Mais sur la carte de repartition des trompes (carte 6), nous voyons en effet que ces instruments deviennent de plus en plus rares ä mesure que l'on va vers l'ouest, c'est-a-dire vers la frontiere du Liberia, et disparaissent completement au sud de ZouanHounien. Dans cette region, le seul village qui ait possede un orchestre de trompes pendant un certain temps est Kouepleu (canton Koulinle) oü le chef de groupe l'avait introduit vers les annees 1920—1925. Ajoutons a ce propos une anecdote qui montre que tout nouvel apport musical, meme si on le doit a un chef, n'est pas forcement accepte par la societe. En effet, le chef de groupe de Kouepleu, apres avoir vu des orchestres de trompes a Danane, chef-lieu de subdivision ou avaient lieu les fetes du 14 juillet, invita dans son village un orchestre de trompes du canton Oua, oü il envoya par la suite des jeunes gens en apprentissage. Un forgeron fabriqua de nouveaux instruments. De retour au village, les jeunes musiciens en ont joue pendant un cer(1) L'evenement est rappele dans un chant execute devant les trompes en ivoire d'un village voisin, cf. p. 195, chant e. (2) A . Schaeffner (1950), p. 212. Nous avons cependant vu en pays Senoufo (region de Boundiali) un ensemble de vieilles trompes en ivoire completement abimees et fendues par l'ftge, hors d'usage, mais soigneusement conservees, de m©me que des trompes traversieres en fer forge. Cf. H . Zemp (1969). (3) G. Schwab (1947), p. 154. (4) E. Donner (1940), p. 76. (5) Communication personnelle.

64

INSTRUMENTS

DE

MÜSIQUE

tain temps, mais, comme cette musique etait inhabituelle pour la region, il ne manquait pas de gens pour affirmer, mi-serieux, mimoqueurs: «Vous allez attraper le goitre a force de souffler, et la hernie !» Alors l'orchestre s'est dissout. Les trompes appartiennent aux chefs qui les distribuent aux musiciens chaque fois qu'ils ont a en jouer. L'ivoire etant un monopole des chefs, les chasseurs doivent, contre remuneration, leur rapporter les defenses des elephants qu'ils ont tues (cf. le recit, p. 197). Une exception ä ce que nous avons dit sur la propriete des trompes confirme la regie. Dans un village ou nous avons manifeste au chef notre desir de mesurer des trompes, celui-ci voulut aller les chercher, mais une dispute eclata ä ce sujet. II apparut que les trompes appartenaient au doyen d'un autre lignage auquel nous n'avions pas demande — par ignorance — l'autorisation. Cet incident montre que le chef actuel de ce village n'appartient pas au lignage «royal» et qu'il a ete mis en place contre la volonte de celui-ci, probablement sous pression administrative. A Santa, l'orchestre de trompes porte un nom particulier: fahna1 gwe1 du2, «Fana fille de Goue». Ce nom lui a ete attribue parce que le chef qui a introduit les trompes au village les avait achetees ä un chef malinke avec les biens re§us comme compensation matrimoniale pour sa fille Fana. L'orchestre de trompes est compose de cinq a sept trompes et de trois ou quatre tambours baa4. E n general, cinq trompes sont de taille differente et portent chacune un nom specifique; lorsque l'orchestre comprend six ou sept trompes, une ou deux sont doubles. L'embouchure de la trompe se trouve sur le cote concave, pres de la pointe. Le musicien tient son instrument, le pavilion dirige vers la gauche ou la droite, selon sa preference. Les trompes de taille intermediaire emettent chacune un seul son; la trompe la plus grande et la plus petite peuvent produire deux sons. Le deuxieme son est obtenu en bouchant le pavilion de la grande trompe avec la main et en fermant avec le pouce le trou d'intonation perce dans la «tete» de la plus petite trompe (photo 15). Avant d'en jouer, le trompettiste crache de l'eau dans l'embouchure afin que l'instrument resonne mieux. Les trompes sont sculptees par des forgerons ou des sculpteurs sur bois. Un morceau de peau, parfois finement ornee, entoure le pavilion de l'instrument. Ce travail est execute par des griots malinke, installes au pays Dan, et qui exercent tous — ä cöte de leur activite musicale — le metier de cordonnier.

65

AEROPHONES

Chaque trompe possMe — selon sa taille — un nom qui lui est propre. Le tableau VI donne les noms et les mesures des instruments de cinq orchestres, selon l'ordre d'importance indique par les informateurs. TABLEAU V I . Tillage (canton)

Glangouale (Sipilou)



Noms et mesures des trompea

Nom de la trompe

tlulgo3 tlvHcu3 tlulva? 2 X tlvMcwe1 tlulpuldul

Koulale (Sipilou)

tlulgo3 tlulvla3 tlu^kü3 tlu^kwe* tlulpuldul

Kabakouma (Gan)

tlulgo* tluhia3

Longueur·

68 49 61 47 23

cm cm cm cm cm

70 61 53 50 18

cm cm en cm bois cm cm (corne d'antilope)

Diamfetre du pavilion

7 5,5 6 5 5

cm cm cm cm cm

8 6 5 6 3

cm cm cm cm cm

8 4,5 6 5

cm cm cm cm

2x&"i)£3 l l

tlu pu dul tlultalbal

Diempleu (Gourouese)

Gbapleu (Kale)

tlulgö3 tlulß3 Λυλνά* tluW tlulna1 tlugS tluyepy6 tMfS tlüyöN tlüteds

(absent) 47 cm 50 cm 45 cm 36 cm 60 48 43 48 26

cm cm cm cm cm

* Les mesures, effectuöes sur la courbe convexe des instruments, indiquent la longueur d'une extremite k l'autre.

La trompe la plus grave est nommee partout tlu^gfl, «trompe male». Celui qui en joue dirige l'orchestre. Les autres instruments ont des noms onomatopeiques qui different selon les regions. Les noms les plus repandus sont -vä3 ou -vlä3, -fS3 ou -νε3, et ρυλάη1 pour la plus

66

INSTRUMENTS

DE

MUSIQUE

petite qui est egalement appelee tlv}na2, «trompe-enfant» ou «petite trompe». Nous avons deja vu que les trompes intermediaires entre la plus grave et la plus aigue n'emettent chacune qu'un seul son. Ceci a donne naissance a un proverbe: «vä3 sort [toujours] du dedans de la trompe -ια3» (1). C'est-a-dire que le tluh'ä3 ne produit qu'un seul son, le «väh; on ne peut pas attendre de cet instrument qu'il emette un autre son (2). Les associations de travail utilisent souvent une petite trompe en corne d'antilope pour donner le signal du depart au travail. Elle porte le meme nom que l'instrument en ivoire, tlu1. Parfois, on peut aussi entendre cette trompe pendant les danses qu'organisent ces associations les jours de fete; un des jeunes gens souffle alors de temps en temps — toujours en dansant — dans son instrument, alors que deux ou trois musiciens battent des tambours et que ses compagnons de travail chantent et dansent. Nous avons entendu une autre corne d'antilope, beaucoup plus grande (environ 50 cm de longueur), dans le sud-ouest du pays Dan. L'homme qui tient l'instrument souffle et chante en meme temps dans l'embouchure. Le son representant la voix d'un masque, les femmes et les incirconcis n'ont pas le droit de voir l'instrument.

(1) va3 (yes) go5 tlu^vcfigi111 (2) Le proverbe signifie que l'on doit demander k chacun ce dont il est capable et non pas autre chose.

DEUXlilME PARTIE

Conceptions et verbalisations

CHAPITRE V

Vocabulaire dinieret musical

v . l . GENRES ET EXECUTANTS MUSICAUX

Dans la langue dan, il n'existe pas de terme general pour designer ce que nous appelons «musique». Examinons successivement les termes dan se rapprochant de cette notion de l'Occidental. Le terme tä1 signifie ä la fois «chant», «musique instrumentale» et «danse». II faut cependant preciser aussitöt que ce terme, en ce qui concerne le chant, ne s'applique qu'ä un seul genre: le chant danse ou dansable. La musique instrumentale, aussi, etant normalement executee pour etre dansee, nous comprenons pourquoi — pour les Dan — la danse et la musique s'y rapportant ont le meme nom. Dans les parlers du Sud, au canton Yati, le terme tloo31, qui signifie au nord «amusement», possede un champ semantique plus dlargi et inclut dans «amusement» la danse, la musique instrumentale et le chant dansable, de sorte que l'enonce frequent «[il y a un] tloo31 lä-bas» (tloo31 de*) peut vouloir dire qu'un orchestre de trompes est en train de jouer, que quelques hommes se sont reunis dans une maison pour chanter, que des jeunes filles dansent dehors ou que des jeunes gens echangent des plaisanteries. Le sens est precise par le contexte extralinguistique. Les Dan ont evidemment la possibility d'exprimer, sans equivoque possible, de quel «amusement» il s'agit: en donnant de plus amples details ou, tout simplement, en utilisant la forme verbale appropriee, L·3 ou bo3. La premiere peut se traduiie le mieux par «faire», la deuxieme par «cueillir» (1). Dans la plus grande partie du pays Dan, tä1 kd3 («faire» tä1) signifie «danser»; tä1 bo3 («cueillir» tä1), «chan(1) ρ9*ί ε3 ho3, «cueillir un fruit»; de1 ίο3, «cueillir une feuille», etc.

70

CONCEPTIONS

ET

VERBALISATIONS

ter», ce dernier terme designe surtout l'activite du chanteur soliste (1). De toute fagon, il n'y a ici pas de confusion possible avec «s'amuser», comme c'est le cas au canton Yati ou tloo31 bo3 signifie «chanter» et tloo31 kd3 «s'amuser» et/ou «danser». Quand les gens de cette region veulent exprimer clairement «danser» et non pas «s'amuser», ils emploient le terme des autres dialectes, tä1 L·3. E n ajoutant le suffixe d'agent -me5 ä ces formes verbales, on obtient le terme pour «chanteur [soliste]», taibo3mv' (tloo31bo3mi au canton Yati), et pour «danseur», tä^kd 'ms 5 . Dans nos traductions du terme tä1, nous serons done oblige de choisir, selon le contexte linguistique ou extralinguistique, les mots «chant [dansable]», «musique [instrumentale]» ou «danse». Le terme ζϊθθ5 (2) s'appliquea un autre genre de chant: le chant de louanges execute pour encourager quelqu'un et pour lui donner de la force. Cela ne veut pas dire que dans le chant tä1 il n'y ait pas de louanges: le talbcPm&, chanteur du tä1, peut egalement louer une personne. Mais contrairement au tä1 qui est un chant rythme, dansable (meme si on ne danse pas), avec beaucoup de repetitions, d'onomatopees et, de preference, un choeur, le ΖΪΘΘ , execute sans choeur par le zlee5bo3mss (3), n'est pas dansable parce qu'il n'est pas rythme dans une mesure reguliere. Deux autres termes designent egalement une personne qui chante en l'honneur de quelqu'un, pour le louer, l'encourager et lui donner de la force: le weHcßms5, «celui qui parle sur», et, moins frequent, le we^yehne5, «celui qui parle aupres». Les formes verbales, we1. . . ta5, «parier sur», et we1. . . pye1,«parier aupres» (4), designent l'activite de chanter des louanges. Les Dan francophones disent par exemple d'un griot malinke qu'«il crie sur le chef», traduction de ye5 we5 gwli5ddz ta5 (5). Dans l'ouest du pays Dan, on dit d'un chanteur louant un lutteur qu'«il parle aupres de la lutte» (ye we gi pye). La distinction entre weHa5me5, we^pyehns^ et zlee?bo3mes n'est pas toujours bien nette. Les chanteurs de louanges des chefs peuvent porter l'un ou l'autre nom; le choix semble dependre de preferences 5

(1) Chez les Venda du Transvaal, au contraire, le soliste «plante» son chant. J. Blacking (1965), p. 22.

(2) Ou zlee\

3

l

3

5

(3) Remarquer le verbal bo comme dans tä io mt: . (4) Cf. les precisions d'ordre semantique sur le terme we1, «parier», p. 86 et suiv.

(5) Mais «crier» se dit gbla1 et non pas we1.

VOCABULAIRE

D'INTERET

MUSICAL

71

locales. II existe cependant des restrictions dans l'emploi de ces trois noms: les deux premiers ne sont pas, generalement, usites pour designer une personne qui chante dans les champs pour les cultivateurs, le troisieme, ä son tour, ne peut pas etre donne aux griots etrangers qui chantent en malinke. Au centre du pays Dan, le chant qu'executent des specialistes pendant les labours porte un nom specifique: IceHawo, «voix sur la houe»; le chanteur s'appelle keHäwope^ms, «celui qui dit la voix sur la houe». S'il ne fait que chanter, on l'appelle couramment aussi zleebo3me; s'il travaille en meme temps avec la houe comme les autres cultivateurs, on lui donne de preference le premier nom. En fait, le terme ζΙθθ& designe tous les chants de louanges en langue dan, qu'ils soient executes par le zlee^bo3me5, le weHcfime5, le v;elrpyexme5 ou le keHawope^ms. Le musicologue distingue chez les Dan un troisieme genre de chant: les lamentations funebres qui, pourtant, ne sont pas considerees par les Dan comme musicales. II n'existe pas chez eux — comme par exemple dans certaines societes mediterraneennes (Corse, Italie,etc.) — de pleureuses «professionnelles» qu'on engage ä l'occasion d'un deces; chez les Dan ce sont les femmes apparentees au defunt qui exteriorisent leur propre douleur. Ces lamentations, bien qu'entrecoupees de sanglots, presentent certains caracteres d'un chant: improvisation du texte, repetitions, emission de la voix plus soutenue que dans les pleurs d'un enfant. Cependant, les Dan ne distinguent pas par des termes differents les pleurs ordinaires d'un enfant (qui sont d'ailleurs souvent rythmes) et les pleurs chantes des femmes lors d'un deces: ils appellent indifferemment les deux formes gbo1, «pleurs», et Faction gbo1 bo3, «pleurer» (litt, «semer pleurs») (1). Pour la musique vocale, les Dan possedent done trois termes dont deux depassent le champ semantique de la notion «chant». Le premier, tä1, designe egalement la musique instrumentale et la danse, le troisieme, gbo1, aussi des pleurs d'enfant. C'est par la «dansabilite» que la musique (instrumentale et vocale) tä1 s'oppose aux deux autres genres musicaux, zfoe5 et gbo1. Les chants tä1 et ΖΙΘΘ5 ont en commun la possibility d'etre accompagnes d'instruments de musique et s'opposent ainsi ä gbo1 dont l'execution est exclusivement vocale. gbo1 se (1) Les hommes ne doivent pas manifester leur chagrin par des lamentations; tout au plus peut-on voir quelquefois chez un homme, trop bouleverse par la perte d'un parent eher, des larmes couler silencieusement sur les joues.

CONCEPTIONS

72

ET

VERBALISATIONS

distingue, en outre, des deux autres genres de chant par la presence de sanglots, done d'un element non musical et non linguistique: le bruit (1). La presence ( + ) et l'absence (—) de ces traits sont representee dans le tableau suivant (2): TABLEAU

Banse

täl ΖΙΘΘ5

gbo1

+ +

VII.

Genres musicaux



Musique instrumentale

+ + -



+ -









Musique vocale —

+ + + —

Bruit







+ +

Le musicien est generalement designe par le nom de l'instrument dont il joue: on dit «homme qui bat le tambour» (baahd^me') (3), «homme qui souffle [dans] la trompe» (tlulrpye5me5), etc. Mais il existe un terme general, assez rarement employe il est vrai, qui recouvre tous les instruments de musique: e'est we1pdi (we1, «parier»; pa2, «chose»), «la chose qui parle» (4). Le musicien, l'instrumentiste, e'est le we1pdlkd3me5, «homme qui fait la chose qui parle». Ce terme est rarement usite et nous ne l'avons rencontre que lors de notre troisieme sejour chez les Dan, parce que dans le langage de tous les jours, on precise normalement de quel instrument il s'agit. Cependant les termes generaux we1p9ikdime5 et we^d5 apparaissent dans les proverbes (dont l'un est (1) II ne s'agit pas iei du terme dan pour «bruit», que nous verrons plus loin (p. 74). (2) La colonne «danse» introduit un critere non musical, mais marque la possibility de danser une musique qui doit etre, par consequent, rythmee dans une mesure reguliere. (3) Le verbal za3 veut dire, dans son sens premier, «tuer» et non pas «frapper» (ya* ms3 za3, «il a tue quelqu'un»; ya1 me3 ma5, «il a frappe quelqu'un»); cependant, on emploie ce terme pour designer la percussion des instruments de musique (il apparait egalement dans d'autres contextes: yil za3, «tuer sommeil» veut dire «dormir»; dyaN3 za3, «tuer parole» signifle «parier», c/. V.5). (4) Les Venda possedent un terme construit d'une fagon semblable pour designer les instruments de musique: «choses qui sont faites pour pleurer». J. Blacking (1965), p. 22.

1. Societe tcfibpa'1: tambour s-de-bois en bambou, come de bceuf percutie, hochet-sonnaille.

2. Tambour-xylophone

ä quatre

fentes.

3. Tambour-xylophone

a deux

jentes.

4.

Tambour-de-bois.

VOCABULAIRE

ΌΊΝΤΜΕΤ

MUSICAL

73

citέ en Epigraphe du present ouvrage, et d'autres sont mentionnes au chapitre X I . 3), dans les mythes (cf. M„, M20, M21, M33); une fois meme nous avons entendu un chef de village remercier ä la fin d'une fete les «hommes qui font la chose qui parle».

V.2. MATERIEL SONORE

Le chanteur chante avec sa «voix», wo5. Ce terme designe tout son emis par un etre qui possede une «bouche»: les hommes, les animaux, les etres surnaturels et . . . les instruments de musique qui sont, comme nous allons le voir, anthropomorphises et qui ont une «bouche» (la fente du tambour-de-bois, la membrane du tambour, l'embouchure de la trompe, etc.) (1). Les cris des animaux sont done leurs voix. Certaines de ces voix ne sont pas agreables a entendre; on dira, par exemple, que «la voix du calao est embetante» (pöxwo? fee5si5), ou que «la voix du calao est vilaine» (pöhvo5 yaa3), ou que tout simplement «sa voix est vilaine» (a5 wo5 yaa3). Cette derniere phrase, appliquee a un chanteur, signifie davantage qu'il chante mal qu'il ne possede une vilaine voix du point de vue acoustique. Par contre, si on veut dire d'un chanteur que sa voix est rauque (bien qu'il chante peut-etre tres bien), on dira que «sa voix est gresillante» (a5 wo5 zsh&sfika2) (2). E t si on dit que «sa voix est comme la voix du crapaud» (a5 wo5 kd5 de4 po3wo% do2), alors il se fache. Par contre, dire d'un chanteur que «sa voix est a la maniere du grelot» (a5 wo5 L·5 de* gbeN1gai de2), e'est le complimenter sur sa belle voix. La constatation «sa voix est douce» (a5 wo5 ye5 zoNhoN^i52 ka ) (3) est egalement un compliment; on veut dire par la qu'il chante d'une faijon ponderee, claire et nette, sans forcer la voix. Avec un tel chanteur, on a envie de danser. Au contraire, si on dit «quand il chante, sa voix fait mal ä l'oreille» (ya4 tä1 bo3 / α5 wo5 ye5 yuswas me3 tootle3), (1) Ajoutons cependant que wos, suffixe k un nom d'ethnie ou de region, 32 5 l 5 signifie «langue»: d&wo*, «langue dan»; msN wo , «langue malinke»; kwi wo , 5 «langue des Blancs» (frangais), etc. Ces differents sens de wo , «voix», «son», «langue» (mais non pas «parole»), correspondent aux sens d'un terme equivalent en bambara, ha (cf. D. Zahan [1963], p. 10), contrairement au dogon oil la notion de «langue», recouverte par le meme terme que «parole», est opposee au terme pour «voix», «son». (Cf. G. Calame-Griaule [1965], p. 22.) (2) zi4z«4si5Ä;a2, «ά la maniere zi4ze4»; ideophone onomatopeique. 1 (3) zoN'zoN'si^ka , «ä la maniere zoN^oNH; ideophone signifiant «mür», «agreable», «doux».

74

CONCEPTIONS

ET

VERBALISATIONS

on parle d'une personne qui force sa voix, qui crie: c'est ce que le chanteur des chants dansables (le ta1bo3msi) ne doit pas faire, mais c'est cette fagon de chanter qui est l'ideal pour les chanteurs de louanges (le weHcftme5 et le zlee5bo3me5). Une voix aigue est nommee wo5 teHex ou wo5 seenn32 (1), «petite voix»; une voix grave, wo5 να4, «grosse voix». Ces termes qualifient respectiveraent la voix des enfants (des genies et du masque sur echasses) et la voix des hommes, mais ils designent egalement le «son haut» et le «son bas». Car la notion de wo5 est a la fois celle d'une unite et celle d'une pluralite: l'ensemble de tous les sons produits par un etre vivant ou un instrument de musique, et chaque son particulier. La harpe-luth, par exemple, a une voix: köN3wo5, «voix de la harpeluth», mais si eile compte six cordes, elle produit egalement «six voix» (ou «six sons»), wo5 soolsdo3 (2) ; lasanza ä sept lamelles produit «sept voix», wo5 soo13plei, etc. Si un instrument, la harpe-luth ou la sanza, est desaccorde, on peut dire que «sa voix l'a quitte» (a5 wo5 ya* go2 pyo1) ; accorder l'instrument c'est «arranger sa voix» (a5 woh pa3 kd3). Si l'accordage est termine, on peut dire de nouveau que «sa voix est belle (bonne)» (a5 wo5 ί/θ5 sd5). Apres avoir mis en relief les differentes connotations de wo5, il serait interessant d'opposer ä ce terme un mot designant les phenomenes acoustiques qui ne sont pas sentis par les Dan comme voix ou comme son musical. Le terme vi3 est couramment traduit par «bruit». C'est un des rares radicaux bivalents qui peuvent assumer des fonctions verbale et nominale. E n fonction verbale, il signifie «remuer»; par exemple, un chasseur pourra dire: wi3 ya* vi3, «le gibier a remue». E n fonction nominale, vi3 se traduirait par «remuement», avec l'idee sous-jacente du «bruit» qui en resulte. Si le chasseur veut raconter qu'il a entendu le bruit que faisait un animal en se sauvant ä travers la brousse, il dira: ma2 wi3vi3 ma3,«j'ai entendu le remuement (bruit) du gibier» (3). Les sons qu'un animal ne produit pas avec la bouche ne sont pas appeles «voix», mais «bruit» (remuement); c'est le cas, par exemple, du bourdonnement des insectes en vol. «Quand la sauterelle s'eleve, le bruit (1) teHe1 (contraete tee1) est s y n o n y m e de se«31na2. (2) U n nominal suivi d'un numeral ne prend pas de suffixe du pluriel. (3) Selon certains informateurs, on pourrait egalement dire: «j'ai v u le remue2 3 3 3 m e n t du gibier» (ma wi vt ye ), si le chasseur voit seulement les feuilles bouger sans apercevoir le gibier, mais d'autres contestent cette possibilite. E t dans l'Ouest, on nous a formellement affirme que νϊ 3 , le «remuement», ne pouvait etre vu, mais seulement entendu.

VOCABULAIRE

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MUSICAL

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(remuement) de ses ailes se dresse» (kpaa5no2 yal· wPli1 / a5 gbee31 a5 vl5 θ5 do5). La locution «le bruit (remuement) se dresse» signifie que le bruit se fait entendre. La meme locution designe le bruit rythmiqye des pas des danseurs:«le bruit de leurs pieds se dresse» (aN5 gs5vP Θ5 do5). Des pas sur le sol, de la pluie tombant sur les toits, des coups de hache ou de machette, du regime de palme tombant par terre, on dit que c'est «son bruit» (a5 νϊ3), mais on ne pourra pas dire que c'est «sa voix» (a5 wo5). Par contre, les deux termes sont applicables a l'eau de la cascade, au grincement d'une porte, aux coups de marteau du forgeron. C'est que ces dernieres matieres qui produisent un «bruit», un «remuement» audible, peuvent etre assimilees ä des etres possedant une bouche: l'eau est comme un etre vivant (ce qui a fait dire ä un de nos informateurs que la voix de l'eau dans une cascade serait le chant de Dieu), la porte ferme la «bouche» de la maison et le fer martele par le forgeron tinte comme une cloche, qui possede egalement une «bouche».

V.3. MODALITfiS DE L'EXECUTION MUSICALE

Chez les Dan, le chanteur soliste des chants dansables, le t&bcPme5, est presque toujours accompagne d'une personne qui chante la deuxieme voix, a une quarte inferieure. On appelle ce procede «prendre le bas de la voix du chant» (tähvcPwle4· si2) et la personne, «celui qui prend le bas de la voix du chant» (tähvo^wle^me 5 ). Si les chanteurs ne sont pas nombreux, c'est au soliste et a son accompagnateur que repond le choeur, en forme responsoriale. Les groupes plus grands comptent normalement deux solistes, chacun accompagne d'un chanteur de la deuxieme voix. Dans ce dernier cas, la forme musicale la plus courante est la suivante: le premier soliste chante, le choeur repond, le second soliste chante, le choeur repond, et ainsi de suite. Ou alors les deux solistes (toujours accompagnes chacun de son chanteur de la deuxieme voix) s'alternent sans etre entrecoupes par le choeur qui chante alors sans interruption toujours les memes quelques mots ou des syllabes denuees de signification. On ne dit pas des membres du choeur qu'ils «chantent» (tä1 bo3), mais qu'ils «attrapent» (Icü1) ou «acceptent» (we1 . . . ba5) le chant. Le premier terme est courant surtout dans l'ouest, le second — compose de we1 («parier») et de ba5 («contre», «face ä») — dans toutes les autres regions du pays Dan. La tournure wal we1 α5 ha5, «ils ont accepte cela», se dit,

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CONCEPTIONS

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VERBALISATIONS

dans le langage courant, des hommes ayant accepte une proposition; dans le contexte musical, cela signifie que les membres du choeur ont repondu en chantant aux solistes. C'est par le mot «repondre» que les Dan francophones traduisent ceterme (1). Pendant les danses animees, on peut frequemment entendre l'exclamation ka5 we1 a5 ba5 / ka5 we1 a 5 ba5 («acceptez-le, acceptez-le ! [le chant]»), ce qui est un encouragement adresse au choeur. Entonner un nouveau chant se dit tä1 da?, «introduire un chant» (2). Parfois, avant le veritable chant avec son accompagnement rythmique, un chanteur commence une introduction qui a egalement la forme de repons, mais qui n'est pas rythmee par des instruments de percussion; on appelle cet usage tä^kwi1 si2, «prendre le kwi1 du chant»(3), ou t&qbaa? si2, «prendre le bord du chant». Apres quelques mesures d'introduction, le veritable chant est entonne, avec son accompagnement rythmique, ce qu'on appelle t&dye1 wo*, «faire surgir l'extremite du chant». Arreter un chant (musique instrumentale, danse), definitivement ou provisoirement pour le reprendre ensuite, se dit tä1 lea1, «couper le chant». Un chant peut etre «coupe» par un musicien, un chanteur, un danseur et meme par un spectateur. Ce dernier ne doit cependant pas le faire sans offrir quelque chose, sinon on exigera de lui une amende. Cet usage vient de 1'habitude de recompenser les danseurs et les musiciens par un cadeau qui est offert accompagne d'un petit discours dans lequel le donateur remercie les participants. Pendant une grande fete oü beaucoup de personnalites sont invitees, la danse est tres souvent interrompue par ces gens qui doivent a leur prestige de «donner des choses ä la danse». Contrairement aux chants de louanges (ΖΙΘΘ5), executes le plus souvent par une seule personne, et dont les phrases sont forcement separees les unes des autres par des pauses respiratoires, l'ideal du chant danse ou dansable (tä1) est de ne laisser aucun silence. Le choeur commence sa reponse avant que les solistes aient termine leur phrase, et, souvent, quelques hommes remplissent en plus le chant de syllabes (1) Bien que «repondre» dans line conversation se dise autrement (j/o4 bo3). (2) Dans la region de Man,au centre du pays Dan, ία1 da3 ne signifie pas entonner un nouveau chant, mais tout simplement chanter en soliste; le terme est done synonyme de ία1 ho3. Cela se comprend par le fait que le chanteur soliste, l 3 le tä io m&, «introduit», apres chaque repons du choeur, de nouvelles paroles. (3) Nous n'avons pas pu obtenir l'etymologie de cette locution. Le terme kwi1 designe par ailleurs certains esprits et genies, et c'est aussi le nom donne aux Blancs.

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denuees de signification, repetees plusieurs fois. Cette tendance est caracteristique de la musique dan. Ce n'est pas partout ainsi: les Gouro par exemple, qui sont apparentes aux Dan par la langue, separent nettement les phrases des solistes de Celles du chceur par des coupures, et, dans un jugement typiquement ethnocentrique, ils disent que «les Dan chantent comme des gens sourds» (1), c'est a-dire qu'ils ne s'6coutent pas l'un l'autre. Inversement, les Dan font le reproche aux chanteurs gouro de s'arreter apres chaque phrase, comme si le chant etait termine. L'ideal des Dan d'emmeler toutes les voix et de ne pas laisser de silences dans un chant ne signifie pas qu'ils aiment la confusion; chaque chanteur reste ä sa place dans la polyphonie. Et si l'ordre des voix des solistes, des chanteurs de la deuxieme voix, des hommes qui remplissent les silences avec des syllabes denuees de signification, et du chceur, n'est pas parfait, on dit que c'est un «chant pele-mele» (tä1 \>luxblv?). S'il y a trop de chanteurs, plus d'une quinzaine, cela risque d'arriver (sauf si le chant est tres simple et ne consiste qu'en la repetition de quelques mots). Le nombre optimal de chanteurs est de quatre ä douze; alors «le chant est rendu glissant» (tä1 ya4 yo2). L'ideal des chants dansables, de la musique instrumentale et de la danse — tout ce qui est appele tä1 — est la mesure, la moderation. Nous avons deja vu plus haut qu'un chanteur de tä1 ne doit pas crier (contrairement au chanteur de ζΐθθ5). Cette tendance ä la moderation se manifeste dgalement dans les mouvements de danse qui sont «effemines» et «mous», comme l'affirment les Guere qui ont, selon les Dan, un comportement plus violent et plus agressif, dans la vie en general comme dans la danse en particulier. «Les Dan se moquent du fait que les Guere [Kran] transpirent en dansant»(2); si un danseur dan fait des mouvements et gestes brusques et violents, on se moque de lui: «Pourquoi danses-tu comme un Guere?» (ma2 ka3 i2 täx ka3 de4 ge3 de3). Chez les Dan, les sons d'une melodie chantee suivent les tons de la langue dont nous savons qu'elle compte — selon les regions — cinq (au nord), quatre (au centre) ou trois (ä l'ouest) hauteurs fonctionnelles. Comme dans le langage parle, il est necessaire d'observer dans les chants ces hauteurs des mots, sous peine de voir l'enonce devenir incomprehensible. Pour ne donner qu'un exemple, un chasseur chante: «J'ai attrape une antilope», ma2 gba5 kü1. II n'est pas libre de mettre ces trois mots sur n'importe quelle melodie. S'il chante le mot du

(1 )jaobanu wo derevoa ble tvnewiimu. (2) H. et U. Himmelheber (1958), p. 235.

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CONCEPTIONS ET

VERBALISATIONS

milieu plus haut que le premier et sur la meme hauteur que le dernier, gba porterait le ton 1, et la petite chanson signifierait: «J'ai attrape une chenille» ce qui ne manquerait pas d'attirer les railleries des gens. Si le segment gba est chante sur la hauteur du premier mot, il porterait le ton 2, ce qui voudrait dire qu'il a attrape un hangar de marche. Un peu plus bas que le premier mot, gba avec le ton 3, et sa chanson signifierait qu'il a attrape une amende. En plus de la hauteur des mots dans un chant, leur duree est aussi importante, puisqu'elle est egalement un trait pertinent de la langue. De meme que le chanteur n'est pas libre de chanter les mots sur n'importe quelle hauteur dans une melodie, il n'est pas libre de varier plus ou moins leur duree. Si notre chasseur chantait le nom de son gibier sur un ton plus long (mais toujours sur la hauteur correcte), cela donnerait gbaa5 et il dirait dans son chant qu'il a attrape un serpent naja. On ne se moquerait peutetre pas de lui, mais son chant ne correspondrait pas ä la realite. Le nom de son gibier chante sur la meme hauteur que le premier mot (done avec le ton 2, ce qui signifierait «hangar de marche»), mais avec une voyelle prolongee, donnerait gbaa2, et le petit chant de notre chasseur voudrait dire: «J'ai attrape une banane». S'il chante le segment gba un peu plus bas que le premier mot de sa phrase, sur la hauteur du ton 3 (gba3, «amende»), en prolongeant la voyelle (gbaa3), cela signifierait: «J'ai attrape une liane» (1). Nous avons choisi comme exemple le segment gba parce qu'il permet d'obtenir — selon la prononciation de la hauteur et de la duree — un grand nombre de significations differentes, et que tous ces mots sont des nominaux et peuvent, par consequent, etre mis dans le cadre de notre petit chant hypothetique (2). Onne pourrait pas en faire autant avec n'importe quelle suite de consonne-voyelle; et dans les dialectes de l'Ouest, ou il n'y a que trois hauteurs fonctionnelles, le nombre de significations possibles est evidemment plus restreint. Cependant, a ces tons de hauteurs fixes s'ajoutent, dans la langue dan, des tons montants ou descendants que nous n'avons pas encore consideres. Tous ces tons doivent etre respectes dans une melodie, sinon le texte du chant devient incomprehensible. On peut done dire — et au sens le plus strict — que, chez les Dan, e'est la parole qui engendre la melodie d'un chant.

(1) gbaa3 signifie egalement «bord». (2) L'exemple est emprunte ä notre etude de la phonologie dan, T. Bearth et Η . Zemp (1967), p. 23.

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D'apres nos premieres constatations — mais nous n'avons pas encore procede ä des analyses approfondies — il semble que le degre de fidelite de la melodie chantee, par rapport aux tons du texte, varie selon le genre du chant. Toujours en suivant dans ses grandes lignes les tons de la langue, la melodie des chants danses ou dansables (tä1) s'en ecarte quelquefois legerement. Ces ecarts sont acceptables, parce que la parole n'est pas l'element preponderant des tä1, notamment lorsque ces derniers sont danses et que le public prete, par consequent, plus d'attention ä la danse qu'aux paroles du chant. La melodie des chants de louanges n'est pas soumise a cet ordre rythmique, et le weHcfime5 ou le zlee5bo3me5 peuvent chanter les mots avec une fidele transposition du langage parle. Les paroles sont de la plus haute importance, car ces chants doivent louer les chefs et donner la force aux guerriers ou aux travailleurs des champs. Le plus pres de la prononciation normale du langage parle sont les chants qui imitent les cris d'animaux, par exemple le roucoulement des pigeons (cf. VII. 1). II est meme difficile de distinguer ces chants modestes et brefs des paroles prononcees normalement; ils EOnt seulement plus rythmes. Des analyses au Sonagraph des deux variantes, chantees et parlees, de ces imitations du roucoulement des pigeons, ont montre que les deux versions sont identiques dans la suite des hauteurs des sons; seule la distribution des sons harmoniques est plus reguliere dans la version chantee, ce qui montre que la voix est plus soutenue dans ce dernier cas. Les Dan ne savent pas expliquer la difference entre ces deux versions de l'imitation d'un cri d'animal; ils disent seulement que c'est different. De meme, ils ne savent pas verbaliser la difference entre les sons d'un chant danse et les tons de la parole; ils disent seulement que «la voix [ou les sons] du chant et la voix [ou les tons] de la parole ne sont pas pareilles» (tähoo5 wa3 dyaN3wo5 waa? do3). Pour les Dan, une piece musicale forme un tout indivisible; ils ne distinguent pas les rapports de continuity qui existent entre les sons musicaux du point de vue de l'intensite et de la duree (elements rythmiques) de ceux relatifs ä leur hauteur (elements melodiques). Aussi, si les Dan francophones parlent de «melodie» et de «rythme», il ne faut pas attendre d'eux qu'ils distinguent ces deux notions du vocabulaire musical occidental. Quand on veut savoir si les Dan utilisent eventuellem ent des «periphrases» pour exprimer ces notions, il faut voir comment ils critiquent, par exemple, un chanteur qui ne suit pas le rythme

80

CONCEPTIONS

ET

VERBALISATIONS

ou qui ne chant pas les memes hauteurs de sons que les Autres. «II chante pele-mele» (ye5tä1 bo5 toN2toN2de3) (1), se dit d'un chanteur qui n'est pas en accord avec les autres; cela peut concerner les rapports de hauteur et/ou de temps. Une autre locution: «sa voix n'arrive pas sur le chemin» (a5 w>o5 yaa2 zl3 ζε3 bah), peut designer les memes fautes. Les deux expressions suivantes (la premiere concernant un chanteur, la seconde, un danseur): «s'il chante, on ne peut pas danser» (yal tä1 ίο3 / me3 yaa2 mo1 ba5 ke3 me3 tä1 kd3) et «son pied ne reussit pas dans la danse» (a5 gs5 yaa2 di3 tä1 bas), se referent cependant a des notions de rythme. De plus, les Dan distinguent deux tempi: tä1 saa5, «tä1 froid», designe une musique (dansable) et une danse ä mouvement lent; tä1 wo^-si1, «tä1 chaud», une musique et une danse a, mouvement rapide. Les paroles des chants sont en grande partie improvisees. II faut distinguer — encore une fois — les trois genres: chants danses ou dansables (tä1), chants de louanges (ζΙβΦ) et chants funebres des femmes

(gbo1).

Parmi les premiers, on peut trouver des textes plus ou moins fixes, notamment lors des grandes danses collectives pendant lesquelles toujours les memes mots sont repetös. C'est le cas, par exemple, d'une danse que nous avons enregistree ä Gouetimba ou, lors d'une sortie d'excisees, tout le village, hommes et femmes, s'est rejoui en dansant et en chantant (2). La repetition perpetuelle des memes quelques mots est egalement frequente lorsqu'un grand public assiste ä l'exhibition d'un petit ensemble de danseurs, comme, par exemple, pendant la «danse de l'epee» des filles excisees (3); on fait alors surtout attention aux mouvements des danseurs. Un peu different est le cas d'autres chants executes par un petit groupe de chanteurs devant un public qui s'est rassemble surtout pour ecouter et qui fait attention a, l'enchainement des diverses phrases. Le chceur ne peut evidemment pas improviser; il repete toujours les memes mots. Mais le ou les chanteurs solistes improvisent plus ou moins, employant cependant toujours certaines formules et locutions qu'ils ont l'habitude de chanter. Tel est le cas par exemple du chant de chasse (kwlcece1 tä1) execute par quatre chanteurs dont l'un est soliste (4), et du chant avec accompagnement (1) toNHoN2de3, N~\ hoch et χ en

raimerie.

8. Musique

de travail:

tambour

likpa.

MYTHE8

D'ORIGINΕ

DES

INSTRUMENTS

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Le conteur pourrait s'arreter apres la premiere partie qui concerne l'origine de la harpe-luth. Le theme principal (rencontre d'un homme avec un etre non humain, enlevement de l'instrument de musique) se retrouve dans la plupart des mythes que nous avons cites ici. Nous avons dejä rencontre egalement le theme de la deuxieme partie (apparition en reve de l'etre non humain qui enseigne a l'homme la fabrication de l'instrument), mais qui, dans les autres mythes, est beaucoup moins developpe. Par contre, la troisieme partie est pour nous entierement nouvelle; aucun autre mythe ne dit que le heros se metamorphose apres sa disparition ou laisse derriere lui une chose que les gens venereront; mais, ici, le mythe raconte egalement l'origine de la chasse, apport considerable a la societe, justifiant un tel episode du mythe.

VI.13. ORIGINE DE LORCHESTRE DE TROMPES

Les trompes etant toujours jouees avec des tambours (baa,*), les mythes expliquant leur origine parlent generalement de l'orchestre complet. Μ32- Seupleu (canton

Sipilou) s

Quand Dieu eut cr&s le chef (gwli da3, «pere de la guerre»), celui-ci dit: «Dieu, tu m'as fait chef. Que dois-je faire pour avoir quelque chose avec moi, pour que tout le monde comprenne, si je voyage, qu'il y a un chef sur la route?» Dieu lui repondit: «Va voir les chasseurs. S'ils tuent des elephants, demande-leur les defenses pour faire des trompes. Puis demande des jeunes gens pour en jouer. II faut prendre trois hommes pour battre le tambour (baa*). Quand on jouera des trompes sur la route, les grands et les petits seront etonnes.» C'est ce que Dieu dit au premier chef. C'est pourquoi les chefs aiment tous les trompes. Ce texte constitue la premiere partie d'un recit dont la suite raconte l'origine des griots malinke chez les Dan (1).

(1) Le recit entier est reproduit dans H. Zemp (1964), p. 377.

138

CONCEPTIONS Μάά. Ouemba (canton

ET

VERBALISATIONS

Sipilou)

J e vais raconter l'origine de l'orchestre de trompes. C'est un orchestre qui appartient aux chefs. Mais autrefois, les chefs n'en avaient pas. Un jour, les gens dirent a un chef: «Avec quoi allons-nous faire la fete?» Le chef dit: «Laissez, je vais apporter la chose qui parle a notre fete.» Puis il alia en brousse, accompagne de ses hommes. Ii rencontra un genie qui avait toutes sortes de choses qui parlent. Le chef dit: «Je t'ai vu. J e te prie de me donner la trompe.» Le genie dit: «Si je te la donne aujourd'hui, comment feras-tu demain? E n jouant de la trompe, on dira le nom de qui?» Le chef repondit: «On dira le nom de nous deux.» Alors le genie fut satisfait et lui donna les trompes, en expliquant comment en jouer. Le tambour est egalement un instrument du genie; les instruments de n'importe quelle danse ont ete donnes aux hommes par le genie. Le meme genie dit au chef: «Comme la trompe ne parle pas toute seule, je vais te donner des tambours pour les accompagner. Mais de toutes les choses qui parlent, la tete est la trompe. II n'y a pas une chose qui soit devant la trompe. Puisque c'est ainsi, chef, toi qui es venu me visiter, voici tes bagages!» Alors le chef apporta les trompes et les tambours au village. D'autres chefs les ont vus chez lui et dirent: «La jolie chose qui parle, je vais en faire pour moi.» Iis allerent chez le premier chef qui mit les instruments du genie a la disposition d'un sculpteur. Celui-ci posa les instruments originaux par terre et en sculpta de nouveaux. Lorsqu'il eut termine, le chef lui dit: «Ce que le genie a donne, mets-le de cöte. Essayons les nouveaux instruments que t u as fabriques.» On essaya les nouveaux instruments et ils avaient la meme voix que les premiers. Alors le chef dit ä l'autre chef: «Camarade, comme les instruments ont la meme voix et que chacun de nous possede un ensemble complet, tu peux rentrer chez toi et empörter les nouveaux instruments.» C'est ainsi que l'orchestre de trompes se repandit sur terre. Si dans le premier mythe d'origine de l'orchestre de trompes (M32), les instruments de musique sont donnes aux hommes par Dieu, et dans le second (M33) par un genie, dans le mythe suivant, ils leur viennent des deux.

MYTHE8

D'ORIGINE Mm.

DES Bleupleu

INSTRUMENTS (canton

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Gourousse)

La trompe est pour faire l'homme (vir). Avant, tout le monde etait assis; on ne connaissait pas la trompe. Un homme, a qui on avait enleve la femme, dit: «Comment faire pour avoir une chose qui parle ? Une chose qui parle pour que je puisse juger 1'affaire de ma femme?» Le soir, il se coucha et s'endormit. Dieu lui montra l'endroit oü se trouvaient trois trompes et lui dit: «Ces trois trompes vont parier sur toi. Comme t u cherches quelque chose pour faire l'homme, voila t a chose. Fais l'homme avec eile!» Le lendemain matin au reveil, il raconta tout aux vieux. Ceux-ci lui demanderent: «Peux-tu les prendre?» II dit: «Oui.» Alors ils l'accompagnerent sous un arbre ou il trouva les trois trompes. De retour au village, il dit: «Voici les choses que j'ai apportees au village aujourd'hui pour faire l'homme avec elles.» II prit une trompe, la porta ä ses levres et souffla. Les hommes du village se reunirent. Alors il dit: «Voici les trois trompes que j'ai apportees; quatre autres vont suivre.» Une semaine plus tard, il apporta les quatre autres trompes. Cela faisait sept trompes. Les gens dirent: «Ces sept trompes, pour parier, ce n'est pas bien.» Dans le meme village, un chasseur partit ä la chasse. II t u a beaucoup de gibier. Au retour, il vit des genies dans une termitiere. Iis frappaient sur des tambours. Le chasseur regarda et dit: «Votre chose est jolie!» Les genies dirent: «Pere, ces jolies choses sont des choses d'amusement. Si t u les aimes, donne-nous de la viande et nous te donnerons ces bois [tambours].» II dit: «Vous avez bien parle», et il leur donna deux animaux tues. Les genies dirent: «Va et reviens. Si t u reviens, t u pourras empörter trois bois au village.» Le chasseur rentra au village et dit aux vieux: «Nous n'avons rien pour accompagner notre trompe; j'ai vu quelque chose pour l'accompagner. J ' a i vu le bois qui parlera avec eile.» Les gens du village lui demanderent: «Quelle sorte de bois?» II repondit: «Je l'ai vu avec des genies dans la termitiere. Iis m'en ont donne trois; je les ai payes avec du gibier. Pretez-moi trois hommes pour aller les chercher.» Le lendemain, des jeunes gens accompagnerent le chasseur. Arrives ä cet endroit, ils trouverent les trois tambours. Le chasseur dit: «Voici les trois tambours que les genies m'ont donnes. Prenez-les et rentrons au village.» C'est ainsi que le tambour est venu au village apres la trompe.

140

CONCEPTIONS

ET

VERBALISATIONS

C'est ainsi que les trompes ne parlent pas pour rien, si ce n'est sur des tambours. C'est ainsi que les trompes sont une chose pour faire l'homme. C'est pour cela que quand on en joue, les hommes dansent et disent: «Celui qui a enleve ma femme, je vais detruire sa terre en lui faisant la guerre. Quand j'aurai detruit sa terre, j'aurai le cceur tranquille au sujet de ma femme.» C'est pourquoi je dis que la trompe est une chose pour les hommea. C'est ainsi que les tambours sont venus apres les trompes. Les trompes ne parlent pas pour rien: ce sont les tambours qui rendent leurs fesses lourdes [qui renforcent le son des trompes]. Ce sont les genies qui ont donne les tambours a un chasseur; et les trompes ont appartenu en premier a un homme dont la femme avait ete enlevee. Notre dernier recit se compose de deux parties, chacune ressemblant ä des mythes dont nous avons dejä rencontre ä plusieurs reprises le theme principal. Contrairement aux deux mythes precedents (M32 et M33), ici les trompes et les tambours n'ont pas ete donnes en meme temps aux hommes; c'est parce que la musique des trompes seules ne les satisfait pas qu'un chasseur a l'idee de faire accompagner les trompes par des tambours qu'il a echanges contre de la viande.

VI.14. COMPARAISON DES MYTHES Pour voir un peu plus clair dans l'apparente anarchie des themes de ces mythes de longueur tres inegale, nous les reduisons — sous forme de tableaux — ä leurs elements principaux. Le tableau V I I I donne, dans l'ordre d'apparition des mythes, les noms des principaux acteurs et resume leurs principales actions. Nous constatons que les mythes se laissent facilement classer en deux groupes: les mythes selon lesquels 1. les instruments ont appartenu a des etres non humains et sont arrives dans les mains des hommes par a) don, b) echange, c) contrat, d) enlevement; et 2. les instruments ont ete fabriques directement par l'homme, sans modele, a ) d'apres l'enseignement d'un etre non humain, b) sans l'intervention d'un etre non humain. C'est ce que reproduit schematiquement le tableau I X . Ajoutons que dans le groupe 1, il y a egalement des mythes selon lesquels les hommes fabriquerent les instruments de musique, mais toujours d'apres un modele ayant appartenu auparavant ä des etres non humains. Un recit

MYTHES

D'ORIGIN Ε DES

INSTRUMENTS

141

(M12), que nous avons classe dans le groupe 2, se rapproche des mythes du groupe 1, en ce que le genie joue devant l'homme; cependant, contrairement aux mythes du groupe 1, l'homme ne fabrique pas l'instrument apres l'avoir pris ou regu, mais directement d'apres les conseils du genie qui garde son exemplaire. De l'examen de ces deux tableaux il ressort qu'il n'y a apparemment pas de rapports d'implication mutuelle entre le type d'instrument et la nature du premier proprietaire non humain, entre celle-ci et le mode de transmission de l'instrument, entre la categorie a laquelle appartient le premier proprietaire humain et le type d'instrument, sa transmission, etc. Un meme type d'instrument peut appartenir a l'origine ä un animal, a un etre surnaturel, ou bien il peut etre invente par l'homme. II n'y a qu'une restriction inverse due a des explications etiologiques anecdotiques: lorsque le conteur introduit le personnage du chimpanze ou du porc-epic, on sait d'avance de quel instrument de musique il s'agira (respectivement le tambour et le hochet-sonnaille), mais le meme instrument peut tout aussi bien appartenir ä l'origine a un autre personnage. Une correlation du meme ordre existe entre un autre premier proprietaire et un type d'instrument: la sorciere et la sanza koo^ta5; c'est que cet instrument est, selon la croyance dan, particulierement aime des sorciers. Nous n'avons pas recueilli d'autres mythes ou la sanza kooHa5 ait appartenu a un autre personnage, mais il est fort possible qu'on en trouve. II y a egalement une incompatibilite entre la nature du premier proprietaire non humain, si celui-ci est Dieu, et certaines formes de transmission de l'instrument — l'enlevement ou l'echange —, car on ne vole pas Dieu et on ne commerce pas avec lui. Dans certaines limites, le conteur semble etre libre dans sa narration. II peut aussi developper plus ou moins les conversations entre les protagonistes. L'absence de contrainte dans l'execution d'un recit my t hi que peut etre rapprochee de l'absence de contrainte dans l'execution musicale. Ici comme la, une liberte relativement grande est laissee a l'individu. Le meilleur conteur ou le meilleur musicien n'est pas celui qui reproduit mot ä mot ou note par note un recit ou un morceau musical, mais celui qui sait varier, ajouter des improvisations, capter l'auditoire par sa performance. Nous reviendrons — en ce qui concerne le musicien — sur ce point. Nous ne nous etendrons pas ici sur les nombreuses informations que donnent ces mythes sur le pouvoir de la musique, les fonctions,

142

C O N C E P T I O N S

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) designent ici ces sortes d'«anges gardiens» dont nous avons dejä parle (cf. VII.2). Dans une situation critique, les gens peuvent dire que les anges gardiens sont ä l'endroit des morts, au lieu d'etre avec eux.

FONCTIONS DE LA MUSIQUE ET DU

MUSICIEN

221

La pensee fait se fächer l'homme, eile ne rend pas joyeux l'homme, mes hommes! Hochet-sonnaille, le masque est devenu vieux, Hyene male. Panthere, pere de Sengo. [21] Le masque est devenu vieux. Le masque est devenu vieux, les hommes! J ' a i pris l'arc de mon pere. Mon pere, Panthere male, le masque est devenu vieux, Yeungleu. Hochet-sonnaille, j'ai pris l'arc de mon pere. [26] Le masque est devenu vieux, les hommes ! Qu'on m'amene a Waesyadeu, qu'on m'amene ä Waesyadeu (1)! Mon pere, Panthere male, le masque est devenu vieux. Le masque est devenu vieux, Yeungleu. Panthere, pere de mon maitre, merci, merci, merci, merci! [31] Panthere, pere de Hyene, merci, merci, merci, merci, merci! Chez Kpakpo ä l'amont du Gwang, la chose dans la main est intelligente (2). Qu'on m'amene a Bengwadeu (3)! Toutes ces phrases improvisees ne sont pas en rapport direct avec la chasse. C'est encore moins le cas pour les textes des chants d'un groupe de chasseurs de Santa, que nous avons enregistres pendant une veillee de chasse en 1965, et dont nous donnons ci-apres la traduction. L'effet de la musique s'est quand meme fait sentir: le lendemain, deux chasseurs sont revenue au village avec de belles antilopes! Dans le groupe de jeunes chasseurs, l'un joue de la harpe-luth, un deuxieme secoue un hochet-sonnaille, un troisieme fait tinter une cloche en fer ä l'aide d'une baguette, un quatrieme agite un petit grelot en laiton et un cinquieme frappe rythmiquement quelques grelots en fer-blanc contre le sol. La musique est regulierement interrompue par un des chasseurs qui introduit un nouveau motif, consistant en une simple phrase, dont seulement quelques mots sont repris par les autres membres du groupe (4): a) oo düya, toi et moi, bisadü. (1) (2) (3) (4)

Endroit oü le gibier est particulierement abondant. «Chose dans la main», le fusil. Endroit oil le gibier est particulierement abondant. Disque The Music of the Dan, plage 15a.

CONTEXTE

222

SOCIAL

b) Pense a moi, demain, la vie est longue! c) «Celle qui fait la cuisine avec le lievre», tu es jolie, mais tu ne te maries pas! d) On dit Dadade, va-t-en ! c) Les chasseurs jouant

accessoirement d'autres instruments a cordes

C'est pour remplacer la harpe-luth que — d'apres un recit mythique (M27) — un chasseur inventa l'arc-en-terre qui est joue aujourd'hui tres rarement par un chasseur solitaire dans la brousse, «pour etouffer sa peur et attirer des antilopes». S'il joue pour la premiere raison, il peut ajouter une petite chanson; dans l'autre cas, il se contente de pincer la corde dont les sons imitent — selon un de nos informateurs — le cri des antilopes. Dans un autre recit mythique (M2e), l'instrument a ete invente par un gargon qui n'avait rien d'autre pour s'amuser et qui ne savait jouer d'aucun instrument de musique. D'apres le conteur de ce mythe, l'mstrument serait plutöt utilise par des enfants ou des «malheureux», que par des personnages importants. C'est a cette distraction modeste d'un «malheureux» — plutöt qu'au chant d'un grand chasseur — que fait penser le petit chant que nous avons enregistre en 1965 a Santa. Ou peut-etre est-ce le chant d'un chasseur «pour etouffer sa peur». Les mots du chant sont choisis de sorte qu'ils se groupent, par leurs tons, symetriquement autour d'un axe melodique. Les mots ne portent que les tons 2, 3 et 5, correspondant ainsi aux trois sons de hauteur differente que peut produire l'arc-en-terre: Celui au grand ventre, Celui ä la grosse tete.

Autre Variante:

Celui au grand ventre et Celui aux grosses levres (1).

L'arc lAusical est egalement un instrument de chasseurs qui possede des vertus magiques (cf. VIII. 5), mais il est devenu rare. Les melodies jouees sur l'arc musical sont des transpositions de petits chants. Le musicien peut les jouer uniquement sur l'instrument, ou alors il chante de temps en temps, sans s'arreter toutefois de frapper la corde. Natugwi2 kpii2 da3 / go5 gbaN5 da3 11; kpii da wa bi gbaN da3 //. Le schema melodique est par (1) Premiere version: 2

3

3

5

5

a) 2 2 3 I 5 5 3 //; b) 2 2 3 3 5 5 3 //.

deuxieme version: gwi2 consequent le suivant:

FONCTIONS

DE

LA

MUSIQÜE

ET

DU

ΜUSICIEN

223

rellement, pendant qu'il chante, il ne peut plus varier le volume de la cavite buccale pour obtenir les differents sons harmoniques; on n'entend done bien alors que les deux sons fondamentaux. Les chasseurs qui savent jouer de l'arc musical connaissent en general un grand nombre de chants dont les textes ne sont pas obligatoirement en rapport avec la chasse. Nous avons choisi sept petits chants relatifs ä la chasse, enregistres en 1967 ä Santa, et dont nous donnons ci-apres la traduction: a) Les antilopes mangent le fruit de l'arbre ko3 a cöte du marigot rouille. La petite antilope qui etait partie au marche n'est pas revenue! (1) b) J ' a i tendu un piege pour le guib au bord du marigot. II [le piege] a attrape une antilope, courbe (2). c) Panthere male! II a tue tout le gibier. II a tue tout le gibier, tout le gibier. d) Mon grand frere n'a pas de fusil, mes grands freres! e) La femme de la petite antilope a mal au ventre, comme cela (3)! f) Le temps οΰ le «grigri» [de chasse] tuait le gibier est passe! g) C'est la mauvaise fa9on de sauter de la pintade qui fait sortir la pintade de sa cachette (4).

X.4. M U S I C I E N S D E S ASSOCIATIONS D E T R A V A I L

Aujourd'hui ou il n'y a plus de guerres, le pouvoir qu'a la musique de donner de la force est surtout exploite pour les grands travaux collectifs. Dans l'ouest du pays Dan, au Liberia et dans les regions avoisinantes de Cöte d'lvoire, les travaux des champs sont accomplis en partie par des «societes secretes» (cf. X. 5) decrites par H. et U. Himmelheber (5). Ces auteurs citent quatre societes specialisees dans les (1) «Marigot rouille» (litt, «eau rouillee»), marigot dont l'eau a la couleur de la rouille. L'antilope qui n'est pas revenue du marche a ete tuee par u n chasseur. Le terme gbas, «antilope» (non identifiee), est parfois remplace par les noms d'autres antilopes qui portent aussi le t o n 5: zio5, «guib»; hya5, antilope non identifiee. (2) ko3loN3d&3 est un ideophone avec le sens approximatif de «courbe». C'est une image pour evoquer la grande tension du bois du piege. (3) Parce que son male a ete tue par le chasseur. (4) Proverbe tres connu. Cf. le m e m e chante devant l'orchestre de trompes (p. 195). (5) H . et U . Himmelheber (1958), p. 203—231.

224

CONTEXTE

SOCIAL

travaux des champs: la societe de la «hache» des bücherons, la societe du «sanglier» des laboureurs, la societe du «buffle» des hommes qui travaillent dur, la societe de l'«elephant» des debroussailleurs. Elles possedent chacune — comme toutes les societes secretes chez les D a n — un «grigri» particulier donnant des facultes speciales ä leurs membres, qui doivent, en echange, lui faire des dons et observer des interdits. L'admission dans une teile societe se fait par initiation individuelle. Dans le nord du pays Dan, il ne reste de ces societes secretes que le souvenir; au centre, dans la region de Man, on en trouve encore quelques faibles traces. Mais une nouvelle association de travaux agricoles, plus adaptee a l'economie moderne du marche, a remplace ces anciennes societes secretes. II s'agit d'une association de travail de t y p e cooperatif, appelee gwa1 (de goa, «jeunes gens» en guere), dont les membres travaillent ä tour de röle ä la plantation de chacun et chez les planteurs qui les invitent et les remunerent. Dans les grands villages, il existe parfois plusieurs associations concurrentes qui portent des noms differents. A Santa, par exemple, l'une d'elles s'appelle «Association Citoyenne» (en frangais). Ces associations n'ont rien de «secret»; aucun interdit ni rite d'initiation, tout au plus un «grigri» particulier. Leurs membres se recrutent surtout chez les jeunes gens non maries, mais il y a egalement des peres de famille. Ces associations — comme les societes secretes — ont a leur tete un chef auquel on s'adresse si on veut s'assurer leurs services. Font partie de l'associations, en dehors des travailleurs, quelques musiciens: joueurs de tambour-de-bois, joueurs de tambour, chanteurs. Ces associations ont un Statut et leur activite est contrölee par des responsables locaux du parti. D'autres associations se creent, plus librement, a l'epoque des travaux des champs, basees sur des liens de consanguinite et d'alliance. Execute par une societe secrete ou par une association libre de t y p e ancien ou moderne, chaque travail que l'on fait aux champs a sa musique particuliere. L a premiere demarche pour une nouvelle plantation — repetee chaque annee, car les D a n pratiquent, comme tous les cultivateurs d'Afrique occidentale, la culture sur brülis — consiste dans le debroussaillement du terrain. Ce travail s'accompagne souvent du rythme du tambour-de-bois: petits tambours-de-bois en bambou dans l'Ouest, grands instruments en bois ailleurs. Souvent, des chanteurs stimulent, avec ou sans tambours-de-bois, ce travail qui se fait dans une ambiance euphorique: les debroussailleurs font des mouvements de danse, frappent rythmiquement avec la machette dans le sous-bois, poussent

FONCTIONS

DE LA MUSIQUE ET DU

MUSICIEN

225

des exclamations. Les membres de la societe de l'«elephant» portent des jupes de raphia (comme les masques) et parfois des casques (1). Apres avoir debroussaille avec la machette, on abat les arbres ä la hache. «Abattre des arbres ne convient pas au tambour-de-bois» (M1), et chez les Dan du Nord et du centre, ce travail est accompli sans aucun accompagnement musical. Dans le Sud-Ouest par contre, pres de la frontiere guere, on abat des arbres sur le rythme du tambour; parfois un chceur chante en meme temps (2). Puis, avec les premieres pluies, vient le temps des semailles du riz. On laboure la terre, en meme temps qu'on seme, et on recouvre les grains de terre. Ce travail collectif, lui aussi, est souvent accompagne de musique. Dans l'ouest du pays Dan — selon H . et U. Himmelheber (3) —, c'estla societe du «sanglier» qui s'en charge; ses membres sont renommes bons travailleurs et recherches par les grands du pays, mais ils poss&dent egalement le moyen de se venger si' leur remuneration ne les satisfait pas: ils devastent, en tant que «sangliers», les plantations. Lors de l'initiation d'un nouveau membre, le maitre de la societe danse, en jupe de raphia, avec une coiffe en peau et cauris sur la tete et des sonnailles en coques de fruits attachees aux chevilles. Toute l'initiation est accompagnee de chants executes par les membres de la societe, hommes et femmes. Des chanteuses sont choisies pour leur voix claire, afin que les laboureurs puissent les entendre lorsque, aux champs, ils s'eloignent d'elles. Dans les regions du pays Dan ou les societes secretes n'existent plus, ce sont des zleehbozme5 qui chantent pendant les semailles, ou, au canton Biouno, les keHäw0pe3me. Ce dernier nom designe aussi bien des chanteurs qui labourent eux-memes que ceux qui ne touchent pas la terre. Voici la traduction d'un chant enregistre ä Nionle (canton Blouno): le chanteur principal (I.) est accompagne par un homme qui chante, ä une quarte inferieure, la deuxieme voix; un cultivateur (II.) repond par des interjections et en appelant le nom du premier chanteur. D'autres cultivateurs (III.) interviennent avec des exclamations. Les paroles du chant improvise

(1) Cf. H . e t U . H i m m e l h e b e r (1958), p. 176 — 178 et fig. l a et l b . Ces auteurs traduisent aussi trois chants, p. 177 e t 220. (2) Ibid, p. 224. Ils traduisent le c h a n t d'un chanteur d e la societe de la «hache». Chez les Guere d e la region de Toulepleu, noua a v o n s v u quatre h o m m e s abattre u n arbre enorme, a c c o m p a g n e s par le r y t h m e d'un t a m b o u r et le c h a n t d'un chceur (cf. D i s q u e Musique guere, Cote d'lvoire, face A , plage 1, Coll. d u Musee de l ' H o m m e , Vogue, L D 764). (3) H . et U . H i m m e l h e b e r (1958), p. 2 2 4 — 2 2 5 .

CONTEXTS

226

SOCIAL

consistent surtout en des appels de noms ou de surnoms metaphoriques de cultivateurs et en des phrases les encourageant (1). [1] II. i/o ο yo I. zo yo Singe (2). II.Tya Douzeung (3). I. Gueu Singe, «Vous me regardez» [faire le travail sans m'aider], pere de «Celui qui donne un coup de main injuria sa propre mere» (4). Gueu, pere de Oule, je t'appelle. [6] II. Tya Douzeung. I. Pere de Oule, viens, nous partons. II. yo yo I. Kpan Calao (5). Kpan Calao. [11] Entortillement de lianes (6). Seu. Douleur (7). Nyan, fils de Man. Douleur. [16] Pere de «Qui forge le fer froid avec un caillou» (8). Douleur. Nyan, fils de Man. oo

Zyan.

(1) Disque The Music of the Dan, plage 7. (2) Le singe goo est considere comme le «roi» des singes. Ici, surnom donne a u meilleur cultivateur. (3) Nom du chanteur de la premiere voix. (4) Celui qui, sans rien faire, regarde les autres travailler est le pöre de celui qui veut donner u n coup de main, mais qui ne röussit p a s k ögaler d'autres cultivateurs et injurie ainsi sa mere. (5) yoo est une sorte de calao qui, contrairement a u calao que l'on rencontre le plus frequemment (p5l), est renomme pour son infatigabilite. Surnom d ' u n cultivateur. (6) Les lianes entortillees resistent au passage de l'homme. Surnom d ' u n cultivateur. (7) gi3 est la douleur que l'on ressent apres u n travail tres dur et epuisant (8) L'homme capable de forger le fer froid est le plus fort. Surnom d ' u n cultivateur.

FONCTIONS

DE LA MUSIQUE

ET DU

MUSICIEN

227

[21]

Pere de «L'ensemble des freres, c'est la force» (1). III. Pere de Lourd, c'est comme cela. I. Douleur, pere de «L'homme matinal voit» (2). Douleur, le soleil va se coucher. II. Douzeung. I. Poudre (3), grand-mere tambour-de-bois (4). [26] II. Douzeung. I. Premier man de «Jolie Jolie». P£re de