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PSEUDO-CLÉMENT ET VRAI PROPHÈTE
Judaïsme ancien et origines du christianisme Collection dirigée par Simon Claude Mimouni (EPHE, Paris) Équipe éditoriale: José Costa (Université de Paris-III) David Hamidović (Université de Lausanne) Pierluigi Piovanelli (Université d’Ottawa)
PSEUDO-CLÉMENT ET VRAI PROPHÈTE Itinéraire d’Athènes à Jérusalem Dominique Côté
2022
Image de couverture: Bernardino Fungai (1460-1516), Saint-Clément retrouve sa famille (c. 1500), Musée des Beaux-Arts de Strasbourg
© 2022, Brepols Publishers n. v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. ISBN 978-2-503-59920-5 E-ISBN 978-2-503-59921-2 DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.128102 ISSN 2565-8492 E-ISSN 2565-960X Printed in the EU on acid-free paper. D/2022/0095/44
TABLE DES MATIÈRES Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Première
partie:
Du
côté de chez
A(p)pion
Chapitre I. « La figure d’Éros dans les Homélies pseudo-clémentines » (Repris de P.-H. Poirier – L. Painchaud (éd.), Coptica – Gnostica – Manichaica, Mélanges en l ’honneur de Wolf-Peter Funk, QuébecLouvain-Paris, 2005, p. 135-165) . . . . . . . . . . . . 21 Chapitre II. « Les procédés rhétoriques dans les Pseudo-Clémentines. L’éloge de l’adultère du grammairien Apion » (Repris de F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines – Plots in the Pseudo-Clementine Romance. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne-Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 189-210) . . . . . . . . . . . . . 51 Chapitre III. « Le grammairien Apion et la rhétorique dans les Homélies pseudo-clémentines » (= Publié en anglais : « Rhetoric and Jewish Christianity : The Case of the Grammarian Apion in the Pseudo-Clementine Homilies », dans P. Piovanelli – T. Burke (éd.), Rediscovering the Apocryphal Continent. New Perspectives on Early Christian and Late Antique Apocryphal Texts and Traditions, Tübingen, p. 369-389) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 Deuxième
partie:
Le
texte et son contexte
Chapitre IV. « La Discussion avec Appion et la cohérence littéraire des Homélies. Au sujet de l’hypothèse d’une source judéenne du IIe siècle » (Inédit) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
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TABLE DES MATIÈRES
Chapitre V. « La fonction littéraire de Simon le Magicien dans les PseudoClémentines » (Repris de Laval Théologique et philosophique 57 (2001), p. 513-523) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127 Chapitre VI. « Les Pseudo-Clémentines ou le choix du roman grec » (Repris de B. Bitton-A shkelony – Th. De Bruyn – C. H arrison (éd.), Patristic Studies in the Twenty-first Century. Proceedings of an International Conference to Mark the 50 th Anniversary of the International Association of Patristic Studies, Turnhout, 2015, p. 473-496) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141 Chapitre VII. « Sacrifice et théurgie dans les Pseudo-Clémentines » (= S. C. Mimouni – L. Painchaud (éd.), La question de la sacerdotalisation dans le judaïsme chrétien, le judaïsme synagogal et le judaïsme rabbinique, Turnhout, 2018, p. 391-410) . . . . 157 Chapitre VIII. « La théogonie orphique des Pseudo-Clémentines. Fonction littéraire et polémique » (Repris de Apocrypha 32 (2021), p. 85-122) . . . . . . . . 177 Chapitre IX. « Simon de Samarie dans les Homélies pseudo-clémentines. “Magicien” ou philosophe » (Publié en anglais « Simon Magus in the Pseudo-Clementine Homilies : “Magician” or Philosopher ? », dans B. De Vos – D. Praet (éd.), In Search of Truth in The Pseudo-Clementine Homilies : New Approaches to a Philosophical and Rhetorical Novel of Late Antiquity, Tübingen, 2022, p. 261-300. . . . . . . . . . . . . . 213 Troisième
partie:
Du
côté des Judéens
Chapitre X. « La forme de Dieu dans les Homélies pseudo-clémentines et la notion de Shiur Qomah » (Repris de G. A ragione – R. Gounelle (éd.), « Soyez des changeurs avisés ». Controverses exégétiques dans la littérature apocryphe chrétienne, Strasbourg, 2012, p. 65-90) . . . . . . . . . . 265
TABLE DES MATIÈRES
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Chapitre XI. « Le problème de l’identité religieuse dans la Syrie du IVe siècle. Le cas des Pseudo-Clémentines et de l’Adversus Judaeos de S. Jean Chrysostome » (Repris de S. C. Mimouni – B. Pouderon (éd.), La croisée des chemins revisitée. Quand l ’Église et la Synagogue se sont-elles distinguées ? Paris, 2012, p. 339-370) . . . . . . . . . . . . . 287 Chapitre XII. « Le Vrai Prophète et ses incarnations dans les Homélies pseudo-clémentines » (Repris de E. Crégheur – J. C. Dias Chaves – S. Johnston (éd.), Mélanges en l ’honneur du Professeur Paul-Hubert Poirier, à l ’occasion de son soixante-dixième anniversaire, Turnhout, 2018, p. 309-338) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 317 Chapitre XIII. « Au nom de Jacques et de Clément. Le Frère du Seigneur dans les Pseudo-Clémentines » (Inédit) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 345 A nnexe : « L a question des sources » (Inédit) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 377 I ndex 1. Auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 383 2. Sujets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 401
Avant-propos On dit le Pseudo-Clément et les Pseudo-Clémentines parce que l’on sait depuis déjà longtemps que le vrai Clément de Rome n’a rien à voir avec les Reconnaissances que Rufin d’Aquilée a traduites du grec au latin, au début du Ve siècle. Il n’y avait pourtant aucun doute dans l’esprit de Rufin que son Clément était bel et bien le vrai Clément qui avait succédé à Pierre sur le siège épiscopal de Rome. Il n’y a aucun doute dans mon esprit non plus que le Clément des Homélies et des Reconnaissances est bel et bien « pseudo », du moins aussi « pseudo » que peut l’être l’empereur Hadrien dans les Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar. Le « mensonge » dont il est ici question c’est le mensonge de la fiction. Le Clément des Homélies et des Reconnaissances est un Clément romain que leurs auteurs ont fabriqué à partir d’une réalité historique qu’ils ont voulu réécrire dans le sens de leur réalité à eux, celle du IVe siècle. Comprendre que le roman pseudo-clémentin appartient, comme l’indique l’expression consacrée, à la catégorie du roman et que son analyse doit faire passer les notions d’intention et de cohésion littéraires avant le problème des sources, c’est là l’un des principes qui a guidé ma recherche depuis le début. Voilà pour le Pseudo-Clément. Dans les Pseudo-Clémentines, Pierre, l’apôtre par excellence, est décrit comme le disciple du Vrai Prophète. En effet, le Jésus des Évangiles, le Christ des Lettres de Paul est ici un prophète, le prophète de la vérité, la dernière des incarnations de la prophétie mâle dont Adam était la première. Le système de pensée que Pierre transmet à Clément et qui s’oppose à celui que défend Simon de Samarie ne peut manquer d’étonner par son originalité. De fait, à ma première lecture des Homélies, j’allais de surprise en surprise. La règle des syzygies, la double prophétie, les réincarnations du Vrai Prophète, les fausses péricopes, la forme de Dieu, pour ne nommer que les doctrines les plus étranges, avaient de quoi laisser perplexe le néophyte que j’étais dans le monde des Pseudo-Clémentines. Bien que fasciné par la singularité d’un tel système, j’ai vite compris que je n’étais pas le premier à être intrigué par la doctrine du Vrai Prophète et qu’il valait mieux, dans un premier temps, quitte à y revenir, cultiver un champ qui avait été moins labouré. Je suis donc allé d’abord du côté de chez Appion, pour voir comment et pourquoi Clément avait tourné le dos à la παιδεία. Je suis revenu ensuite du côté du Vrai Prophète et de la judéité des PseudoClémentines pour voir ce que comprenait la doctrine à laquelle Clément avait été initié. Voilà pour le Vrai Prophète.
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AVANT-PROPOS
Bien entendu, le Pseudo-Clément est romain. Il est vrai également que Clément accompagne Pierre dans son périple qui le mènera à Rome. Il est tout aussi vrai que Rufin d’Aquilée, dans sa préface à la traduction des Reconnaissances, se réjouit de ramener à Rome, par sa traduction latine, son Clément, celui des Romains. Toutefois, la valeur symbolique de Rome, lieu de pouvoir, compte très peu dans la trajectoire spirituelle de Clément. C’est Athènes, haut lieu de la παιδεία, patrie des philosophes, qui sert de point de départ symbolique au voyage de Clément vers la vérité. Jérusalem en sera le point d’arrivée, tout aussi symbolique, en tant que patrie du Vrai Prophète. Voilà pour l’itinéraire d’Athènes à Jérusalem. Le livre premier des Homélies et des Reconnaissances raconte, en effet, le voyage de Clément, qui le mène de Rome à Césarée, en passant par Alexandrie, des philosophes au prophète, en passant (presque) par des hiérophantes et des magiciens. Il annonce déjà l’autre voyage de Clément, celui qu’il fera aux côtés de Pierre et dont le terme sera la connaissance de la vérité prophétique. Cette introduction à un recueil d’études sur les Pseudo-Clémentines doit maintenant raconter, brièvement, mon propre voyage et ma rencontre avec le Pseudo-Clément. Ma
r e ncon t r e
(et
mon pa rcou r s) av ec l e
P seu do -C l é m e n t
À la fin des années 80, diplômé en études anciennes et en études juives, à la recherche d’un sujet pour mon mémoire de maîtrise, le Père Georges Mathieu de Durand, professeur à l’Institut d’étude médiévales, à l’Université de Montréal, me suggère de jeter un coup d’œil aux Pseudo-Clémentines. Il y a dans ce texte judéo-chrétien une critique de la mythologie grecque qui pourrait vous intéresser, me dit-il. L’idée était de réunir dans un même sujet mes deux domaines d’études : le judaïsme et le monde classique. Je n’avais jamais entendu parler des Pseudo-Clémentines et pour y remédier le Père de Durand me mit entre les mains un ouvrage d’Oscar Cullmann 1. Les mots du titre et du sous-titre du livre annonçaient un programme des plus riches et des plus complexes : problème littéraire et historique, roman, gnosticisme et judéo-christianisme. J’allais bientôt découvrir, à la lecture d’O. Cullmann, que la matière des Pseudo-Clémentines était effectivement riche et pouvait faire problème. En même temps, je comprenais déjà, quelque peu étourdi par la solution compliquée apportée par l’auteur au problème mentionné dans le titre, que la reconstitution hypothétique des origines du roman ne serait pas mon point d’entrée dans le monde du Pseudo-Clément. En effet, mon mémoire de maîtrise évitait soigneusement le problème littéraire et histo1. O. Cullmann, Le problème littéraire et historique du roman pseudo-clémentin. Étude sur le Rapport entre le Gnosticisme et le Judéo-Christianisme, Paris, 1930.
AVANT-PROPOS
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rique du roman pseudo-clémentin et se limitait à la critique de la mythologie dans les livres 4 à 6 des Homélies pseudo-clémentines. Au tournant des années 1980 et 1990, alors que je termine la rédaction de mon mémoire, le Père de Durand me met en contact avec des membres de l’AÉLAC (Association pour l’Étude de la Littérature Apocryphe Chrétienne), François Bovon et Jean-Daniel Kaestli, et avec l’un de leurs correspondants, Alain Le Boulluec, de l’École pratique des Hautes études. Comme j’ai déjà traduit, pour mon propre compte, les livres 4 à 6 des Homélies, l’AÉLAC m’invite à collaborer au projet de traduction des Pseudo-Clémentines pour La Pléiade 2 . C’était le début d’une collaboration et d’un dialogue avec l’AÉLAC qui dure encore jusqu’à ce jour. En 1990, j’entreprends des études de doctorat à la Faculté de théologie de l’Université Laval, sous la direction de Paul-Hubert Poirier. La thèse portera à nouveau sur les Pseudo-Clémentines, mais, cette fois-ci, sur l’ensemble du corpus, les Homélies et les Reconnaissances. Le sujet sera littéraire : le thème de l’opposition entre Pierre et Simon, des Actes des Apôtres au roman pseudo-clémentin. Il s’agissait, en quelque sorte, de sortir des sentiers battus et de proposer une analyse des Pseudo-Clémentines qui ne prenne pas en considération la question des sources. Il s’agissait, autrement dit, de tenir compte de l’intention et de la cohésion littéraire des Homélies et des Reconnaissances. Une approche intertextuelle de la question permettait de comprendre que les Homélies et les Reconnaissances avaient choisi de traiter le thème en rapport avec leur vision de la παιδεία, ce qui expliquait la représentation de Pierre et de Simon en philosophes. La thèse sera publiée en 2001, par les bons soins de Paul-Hubert Poirier et d’Alain Le Boulluec, dans la « Collection des Études Augustiniennes », à l’Institut d’Études Augustiniennes 3. Après avoir obtenu un poste à l’Université d’Ottawa, au Département d’études anciennes et de sciences des religions, je décide de marquer un temps d’arrêt avec les Pseudo-Clémentines et de me tourner vers Philostrate et les Vies des sophistes. J’étais familier avec l’œuvre de Philostrate, pour avoir étudié sa Vie d’Apollonius de Tyane, dans le cadre de la thèse, et l’idée de travailler sur les Vies des sophistes venait de Paul-Hubert Poirier, qui avait eu vent d’un projet de traduire les Vies des sophistes pour la collection « La Roue à Livres », aux Belles-Lettres. J’ai retenu l’idée de travailler sur les Vies des sophistes 4 , mais j’ai renoncé assez rapidement à la 2. P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005, p. 1172-2003. 3. D. Côté , Le thème de l ’opposition entre Pierre et Simon dans les Pseudo-Clémentines, Paris, 2001. 4. Voir D. Côté , « La figure d’Eschine dans les Vies des sophistes de Philostrate », Cahiers des études anciennes 42 (2005), p. 389-420 ; D. Côté , « Les deux sophistiques de Philostrate », Rhetorica 24 (2006), p. 1-35 ; D. Côté , « La prophétie et les fondements de la sophistique », dans M. Chassignet (éd.), L’étiologie dans
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AVANT-PROPOS
proposition d’en faire une traduction. Je n’ai jamais eu la vocation d’un passeur, à la manière d’un Rufin d’Aquilée. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas pu me passer très longtemps du PseudoClément et je me suis trouvé, pendant quelques années, de 2005 à 2010, à mener de front des recherches sur des sujets qui n’avaient, en apparence, rien en commun. Le rapport entre les Pseudo-Clémentines et la Seconde Sophistique peut sans doute ressembler, comme le disait Lautréamont 5, à la « rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie », mais, il y avait, en fait, un fil conducteur : la représentation littéraire du sage et du philosophe. Chez Philostrate, les sophistes sont parfois des philosophes ou ressemblent à des philosophes, alors que dans les Pseudo-Clémentines, ce sont les apôtres et les « magiciens » qui peuvent ressembler à des philosophes, sans parler du personnage d’Appion, le célèbre grammairien d’Alexandrie qui, dans les Homélies, prend des allures de sophiste. Durant ces années, où j’allais du Pseudo-Clément à Philostrate et vice-versa, j’ai concentré justement mes efforts sur l’analyse de la discussion entre Clément et Appion. À peu près au même moment, j’ai eu la chance de faire la connaissance d’Annette Yoshiko Reed, qui par ses travaux et ses commentaires personnels m’encourageait à étudier les Pseudo-Clémentines dans le contexte du IVe siècle. J’avais déjà noté, quelques années auparavant, une hypothèse de John Chapman qui faisait de Simon de Samarie dans les Pseudo-Clémentines un représentant du néoplatonisme 6. J’ai décidé d’en faire le point de départ d’une recherche sur le contexte néoplatonicien des Homélies. Plus récemment, au gré des conversations et des rencontres avec Pierluigi Piovanelli et Simon Claude Mimouni, grâce aussi à leurs encouragements, c’est le côté judéen des Pseudo-Clémentines qui a retenu mon attention. Je leur dois d’ailleurs le privilège d’être reçu aujourd’hui dans la collection « Judaïsme Ancien et Origines du Christianisme » qu’ils dirigent avec David Hamidovic et José Costa.
la pensée antique, Turnhout, 2008, p. 221-243 ; D. Côté , « Sophistique et pouvoir chez Philostrate », Cahiers des études anciennes 47 (2010), p. 481-508 ; D. Côté , « L’Héraclès d’Hérode. Héroïsme et philosophie dans la sophistique de Philostrate », dans T. Schmidt – P. Fleury (éd.), Perceptions of the Second Sophistic and Its Times – Regards sur la Seconde Sophistique et son époque, Toronto – Bufallo – Londres, 2011, p. 36-61. 5. I. Ducasse (Comte de Lautréamont), Les Chants de Maldoror, Paris, 1973 [1869], p. 234. 6. J. Chapman, « On the Date of the Clementines », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 9 (1908), p. 147-159.
AVANT-PROPOS
O rg a n i sat ion
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du r ecu e i l
Les études qui composent ce recueil ont été regroupées en trois parties et selon un ordre qui n’est pas exactement chronologique. La première partie comprend les études qui tournent autour de la figure d’Ap(p)ion et du rapport polémique des Homélies à la culture grecque. Le célèbre grammairien alexandrin incarne une certaine vision de la παιδεία qui se distingue autant par ses raffinements rhétoriques que par ses égarements en matière de morale. La deuxième partie réunit les essais qui s’intéressent au texte et au contexte des Pseudo-Clémentines. La fonction du personnage de Simon dans le récit, les Pseudo-Clémentines en tant que roman, le contexte néoplatonicien des Homélies (orphisme et théurgie) font partie des thèmes qui y sont abordés. Les études de la troisième partie ont en commun d’explorer certains aspects de la judéité pseudo-clémentine qui vont de la mystique au prophétisme en passant par la filiation apostolique. Toutes les études de ce recueil ont été revues et corrigées en conformité aux normes éditoriales de la collection. Bien que la documentation sur les Pseudo-Clémentines se soit considérablement enrichie au cours des vingt dernières années, j’ai préféré laisser les textes dans l’état où ils étaient au moment de leur publication et renoncé à mettre à jour les données bibliographiques. Autrement, il aurait fallu tout réécrire, sur de nouvelles bases, et l’entreprise aurait alors pris des proportions démesurées. Le but de ce recueil est de mettre à la disposition des chercheurs qui s’intéressent aux Pseudo-Clémentines des textes qui ont été publiés ici et là, la plupart du temps dans des ouvrages collectifs et qui, pour cette raison, ne sont pas toujours facilement accessibles. Cependant, je n’ai pas reproduit telles quelles les études déjà publiées. Pour harmoniser le tout et pour éviter autant que possible les répétitions j’ai mis à jour certains développements et amputé certaines études de leurs conclusions originales parce qu’elles faisaient double emploi. Il subsiste, sans doute, encore quelques redites, ce qui est inévitable dans un recueil, mais ces redites devraient permettre de bien saisir les idées maîtresses, pour ne pas dire les idées fixes, de mon approche. De fait, je constate, avec le recul du temps, que le parcours de recherche, que retrace le recueil, s’est constitué autour de quelques thèmes, dont le premier à avoir été abordé, l’opposition entre Pierre et Simon dans les Pseudo-Clémentines, est aussi, en quelque sorte, le dernier à avoir fait l’objet de mon attention, la figure de Simon de Samarie dans les Homélies. La boucle est bouclée. J’ai ajouté, en annexe, un court essai sur la question des sources du roman pseudo-clémentin. Au fil des ans, j’ai le plus souvent évité ou effleuré la question. Au terme de mon voyage dans le monde des PseudoClémentines, il m’a semblé que l’heure était venue de faire le point sur la question et faire part de ma propre évolution à ce sujet.
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AVANT-PROPOS
R e m e rci e m e n ts Ma contribution à la connaissance des Pseudo-Clémentines est modeste. Elle pourra peut-être, tout de même, donner des idées, à suivre ou à réfuter, aux chercheurs qui voudront lire le roman de Clément, tel qu’il est, avec un regard attentif à l’unité et à l’originalité de son propos. Toute modeste soit-elle, il reste que cette contribution doit beaucoup à ceux que j’ai déjà nommés et qui l’ont inspirée et encouragée, tout au long de mon parcours. Le Père de Durand et François Bovon nous ont quitté depuis longtemps, mais je garde précieusement le souvenir de leur bienveillance et de leur générosité à mon égard. Paul-Hubert Poirier, qui a dirigé avec patience une thèse qui s’étirait et s’égarait par moments, a veillé sur ma destinée pendant des années. Qu’il en soit ici remercié. Il était et il demeure toujours à mes yeux le modèle du savant. J’ai fait de mon mieux pour lui ressembler. Jean-Daniel Kaestli et Alain Le Boulluec ont accompagné mes tout premiers pas en tant qu’apprenti « clémentiniste » et se sont toujours montré, par la suite, à chaque étape de mon parcours et jusqu’à tout récemment, accueillants et aimables. C’est essentiellement dans le cadre des activités de l’AÉLAC que j’ai fait leur connaissance et c’est également grâce à l’AÉLAC si j’ai pu tisser, d’année en année, des liens cordiaux et amicaux avec Frédéric Amsler. De 2006 à 2010, j’ai eu la chance de croiser Annette Yoshiko Reed, dans les colloques où nous étions tous les deux invités. À chaque fois, les brefs échanges que nous avions me nourrissaient pendant des mois. L’influence qu’elle a exercée sur mon approche des Pseudo-Clémentines et sur ma façon de voir le travail intellectuel en général a été décisive. Je l’en remercie. Au cours des dix dernières années, c’est plutôt l’influence de Pierluigi Piovanelli, mon collègue au Département d’études anciennes et de sciences des religions, qui a été déterminante. Ses encouragements à travailler sur les Pseudo-Clémentines, alors que je balançais encore entre Philostrate et le Pseudo-Clément, ont en quelque sorte tracé l’itinéraire universitaire que j’ai suivi depuis 2010. Sa grande capacité de travail, son immense érudition m’ont servi de modèle et son amitié m’a plus d’une fois remonté le moral. Durant la même période, j’ai eu le bonheur de collaborer à quelques reprises avec Simon Claude Mimouni. L’intérêt sincère qu’un éminent savant comme lui pouvait porter à mes travaux a beaucoup compté dans ma décision d’explorer davantage les thèmes judéens des Pseudo-Clémentines. Je lui dois également un remerciement spécial puisqu’il a accepté, comme je l’ai déjà indiqué, en tant que directeur de la collection JAOC, de publier ce recueil. De même, je profite de l’occasion pour exprimer ma gratitude aux membres de l’équipe éditoriale de la collection : José Costa, David Hamidovic et Pierluigi Piovanelli. Parlant d’occasion, la rencontre récente avec Philippe Therrien et Benjamin De Vos, m’a presque convaincu de passer encore un peu de temps
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en compagnie du Pseudo-Clément, tellement l’enthousiasme de ces jeunes chercheurs est admirable, sans parler de leur originalité et de leur vigueur intellectuelle. J’ai toutefois tenu bon et j’ai su résister à la tentation. J’ai vraiment fait le tour du jardin pseudo-clémentin. À l’extérieur de ce jardin, il m’est d’ailleurs parfois arrivé de faire des rencontres marquantes et stimulantes. Je pense plus particulièrement à ma rencontre avec Louis Painchaud qui faisait partie du jury chargé d’évaluer ma thèse. Depuis ce moment, à chaque fois que nos routes se sont croisées, j’ai pu admirer son esprit critique et sa grande rigueur intellectuelle. L’esprit critique et la rigueur intellectuelle, ce sont des qualités que je reconnais au plus haut degré aux deux grands spécialistes des Pseudo-Clémentines que sont Frederick Stanley Jones et Bernard Pouderon. L’importance qu’ils ont accordé à la question des sources dans leurs travaux sur les Pseudo-Clémentines et ma préférence pour d’autres approches a cependant fait obstacle à une collaboration plus féconde. Je les remercie néanmoins pour leur immense contribution à la recherche pseudo-clémentine dont j’ai évidemment bénéficié comme tout « clémentiniste » qui se respecte. Finalement, bien qu’ils n’aient jamais été initiés à la doctrine du Vrai Prophète, j’aimerais remercier mes collègues du Département d’études anciennes et de sciences des religions, à l’Université d’Ottawa, MariePierre Bussières, Geoffrey Greatrex et Karin Schlapbach (maintenant à Fribourg) pour leur indéfectible amitié. Il n’y a pas que les prophètes et la vérité dans la vie, il y a aussi les amis.
Première partie Du côté de chez A(p)pion
Chapitre I
L a figure d’ É ros dans les
Homélies pseudo - clémentines* Nous sommes à Tyr, au deuxième jour d’une discussion savante sur la mythologie grecque et le grammairien Appion, d’origine alexandrine 1, brille par son absence. Il devait, ce jour-là, s’entretenir de la moralité des mythes avec le jeune Clément, membre de la famille impériale 2 et récemment converti au judaïsme 3. Voilà une scène que n’aurait sans doute pas reniée l’auteur hellénisé d’une apologie du judaïsme qui aurait emprunté au roman son cadre et ses thèmes. Elle appartient pourtant aux Homélies pseudo-clémentines, une œuvre plus souvent associée au judéo-christianisme qu’au judaïsme hellénistique. Des spécialistes du roman pseudoclémentin ont d’ailleurs supposé que cette discussion entre Clément et Appion provenait d’une source judéenne : une apologie, selon la thèse de Werner Heintze 4 ; un roman, selon la thèse de Bernard Pouderon 5. Dans la forme actuelle que présentent les Homélies pseudo-clémentines, *. Cette étude a été publiée une première fois dans P.-H. Poirier – L. Pain(éd.), Coptica – Gnostica – Manichaica, Mélanges en l ’honneur de Wolf-Peter Funk, Québec – Louvain – Paris, 2005, p. 135-165. 1. Il s’agit, bien entendu, du grammairien Apion contre lequel Flavius Josèphe a rédigé, en 93, un opuscule polémique, le Contre Apion, et qui aurait exercé sa profession sous les règnes des empereurs Tibère, Caligula et Claude. Dans cette étude, nous reproduisons l’orthographe singulière des Homélies avec un double « p », quand il s’agit du personnage de fiction, et nous maintenons l’orthographe habituelle quand il s’agit du personnage historique. 2. Le personnage de Clément, qui donne au corpus son nom, réunit les traits de Clément de Rome et ceux de Flavius Clemens, membre de la famille impériale. Voir, à ce sujet, l’article de B. Pouderon, « L’énigme Flavius Clemens, consul et martyr sous Domitien ou le personnage historique et ses doubles littéraires », Ktema 26 (2001), p. 307-319. 3. Les Pseudo-Clémentines racontent notamment la conversion de Clément. Suivant la logique générale du récit, Clément se convertit à la doctrine judéo-chrétienne que défend ici l’Apôtre Pierre. Mais, au chapitre 5 des Homélies (28,2), le narrateur parle bel et bien d’une conversion au judaïsme. 4. W. H eintze , Der Klemensroman und seine griechischen Quellen, Leipzig, 1914, p. 14-23 et 42-51. 5. B. Pouderon, « Aux origines du roman clémentin. Prototype païen, refonte judéo-hellénistique, remaniement chrétien », dans S. C. M imouni – F. S. Jones (éd.), Le judéo-christianisme dans tous ses états. Actes du colloque de Jérusalem (6-10 juillet 1998), Paris, 1998, p. 231-256. chaud
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CHAPITRE I
les termes de la discussion ont, en tout cas, le mérite d’être clairs. D’un côté, Appion défend la παιδεία et, plus particulièrement, la vérité des mythes, de l’autre, Clément affirme la supériorité de l’εὐσέβεια et, plus exactement, celle qu’enseigne le judaïsme 6. Puisque la discussion devra être reportée au lendemain, Clément saisit l’occasion pour donner à ses auditeurs une preuve de l’impiété du grammairien. Il leur explique ainsi comment Appion l’a jadis incité à commettre l’adultère et lui aurait rédigé, pour y parvenir, un éloge de l’adultère. 1. L’É ros d ’A ppion Clément raconte à la petite foule réunie ce jour-là qu’il était amoureux de la vérité depuis sa plus tendre enfance 7 et que, dans l’espoir de l’atteindre, il avait entrepris une quête philosophique 8 qui s’était avérée vaine. La déception le rendit gravement malade. C’est à ce moment qu’arriva Appion, un ami de son père, de passage à Rome. Il constata l’état du jeune homme et offrit de lui venir en aide en sa qualité de médecin 9. Or, 6. Les termes sont ainsi définis au premier jour de la discussion (Homélies 4,78). Appion reproche à Clément d’avoir été entraîné par Pierre, un barbare, à pratiquer et confesser le judaïsme, ce que sa haute naissance et son éducation auraient dû prévenir. Délaisser les traditions ancestrales pour des coutumes barbares, c’est commettre une grande impiété, estime Appion. Clément considère, pour sa part, qu’il ne faut garder de la tradition que ce qui est juste. Or, à ses yeux, toute la culture grecque et en particulier les mythes ont été inspirés par un mauvais démon (Homélies 4,12,1). Le thème du respect de la tradition et des coutumes constitue, comme le fait remarquer W. A dler , « Appion’s “Encomium of Adultery” : A Jewish Satire of Greek Paideia in the Pseudo-Clementine Homilies », Hebrew Union College Annual 64 (1993), p. 32 et 33, une des thèses les plus étudiées dans les écoles de rhétorique. 7. Homélies 5,2,2 : ἐκ παιδὸς ἐγὼ Κλήμης ἀληθείας ἐρῶν. Voir Homélies 1,15. L’ἔρως de Clément pour la vérité joue sans doute ici le rôle que joue dans certains romans grecs le véritable Ἔρως, c’est-à-dire le point de départ de la trame narrative. Les romans de Chariton (Chairéas et Callirhoé) et de Longus (Daphnis et Chloé) fournissent d’excellents exemples. Voir, à ce sujet, B. P. R eardon, The Form of Greek Romance, Princeton, 1991, p. 7, qui cite N. Frye : « the central element of romance is a love story » et A. L esky, Vom Eros der Hellenen, Göttingen, 1976, p. 139-145. 8. Homélies 5,2,2. Clément passe beaucoup de temps à pratiquer l’art du raisonnement : la réfutation (ἀνασκευή) et l’affirmation (κατασκευή) sans obtenir de certitude. Au tout début des Homélies (1,3,1), les termes ἀνασκευή et κατασκευή sont utilisés pour décrire l’activité intellectuelle du héros, mais dans un contexte philosophique. Or, ces deux termes appartiennent à la terminologie rhétorique et font partie de ce que l’on pourrait appeler des exercices préparatoires, des προγυμνάσματα. Voir, là-dessus, G. A. K ennedy, Greek Rhetoric under Christian Emperors, Princeton, 1983, p. 58. 9. Comme le note W. A dler , « Appion’s “Encomium of Adultery” : A Jewish Satire of Greek Paideia in the Pseudo-Clementine Homilies », Hebrew Union College
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Clément n’était pas sans savoir que l’Alexandrin vouait aux Judéens une haine peu commune 10 et, inspiré par cette hostilité d’Appion à l’endroit des Judéens, décida de lui tendre un piège. Il fit donc croire à son hôte qu’il était en proie au mal d’amour 11 afin d’éprouver, semble-t-il, la moralité du grammairien et la comparer à celle qu’il avait apprise des Judéens. Appion, pris au jeu, proposa aussitôt de faire appel à un magicien égyptien dont il pouvait garantir l’efficacité dans les délais les plus brefs 12 . Clément s’y refusa par scepticisme et par scrupule. De toute manière, précisa-t-il au grammairien, la dame dont il était amoureux pratiquait la philosophie 13 et, dans ce cas, la persuasion lui paraissait plus indiquée que les incantations. Appion eut alors l’idée de rédiger une lettre, un genre d’éloge de l’adultère, ce qui convenait parfaitement au but que s’était fixée la machination de Clément, c’est-à-dire d’exposer au grand jour l’immoralité de la culture grecque.
Annual 64 (1993), p. 34, aucun autre texte ancien ne reconnaît à Apion un savoir médical. Adler suppose que ce passage des Clémentines a été rédigé en s’inspirant d’un motif romanesque connu : le roman d’Antioche. Le prince Antioche s’éprend de sa belle-mère et, honteux d’une telle passion, tombe gravement malade. Son père fait venir un médecin qui découvre rapidement la vraie nature du mal. Selon l’hypothèse d’Adler, les Homélies feraient d’Apion un médecin pour se conformer à leur modèle littéraire. 10. Selon Flavius Josèphe, Contre Apion 2,4, Apion aurait écrit un ouvrage en cinq livres, les Αἰγυπτιακά, qui constituait un « réquisitoire formel » contre les Judéens. Tatien, dans son Discours aux Grecs (38,1), fait aussi mention de l’ouvrage. S’agit-il des πολλὰ βιβλία d’Apion contre les Judéens auxquels les Homélies (5,2,4) font allusion ? Si l’auteur des Homélies suppose plusieurs autres ouvrages contre les Judéens, en plus des Αἰγυπτιακά, il faut donner raison à E. Schurer , The History of the Jewish People in the Age of Jesus-Christ (175 B.C.-A.D. 135), édition révisée par G. Vermes – F. M illar – M. Goodman, Edimbourg, 1986, III, p. 607, qui commente le passage : « this is of course not to be taken seriously ». On sait, d’autre part, par Josèphe (Antiquités judéennes 18,8,1) qu’Apion a fait partie d’une délégation d’Alexandrins portant plainte contre les Judéens auprès de Caligula. 11. Le thème du héros malade d’amour appartient à l’univers du roman grec. C’est Chairéas, par exemple, dans le roman de Chariton, qui est à l’article de la mort, frappé par la violence de l’amour. Le thème dérive en fait de l’Ἔρως λυσιμελής des poètes lyriques, comme Archiloque et Sappho (fragment 31). P. Too hey, « Dangerous Ways to Fall in Love : Chariton I 1, 5-10 and VI 9,4 », Maia 51 (1999), p. 264-266, remarque, dans les deux cas, les mêmes symptômes de l’amour. 12. Dans les papyri grecs magiques, en provenance de l’Égypte gréco-romaine (IIe siècle avant notre ère-Ve siècle après notre ère), que K. P reisendanz a édités dans les Papyri Graecae Magicae (réédition, Stuttgart, 1974), les incantations et les charmes d’amour occupent une place considérable. Voir, par exemple, PGM IV 1716-1870, « Le glaive de Dardanos » et la traduction qu’en fait A. Bernand, Sorciers grecs, Paris, p. 303-305. Selon la Souda (édition d’A. A dler , réédité en 1967, Stuttgart), sub voce Πάσης, Apion aurait lui-même rédigé un Περὶ μάγου. 13. Homélies 5,8,4 : πάνυ γάρ ἐστιν ἡ γυνὴ φιλόσοφος.
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1.1. Un Éros rhétorique D’un amoureux à la femme qu’il aime (les lois des hommes m’imposent l’anonymat), selon l’ordre d’Éros, l’enfant qui surpasse tous les êtres par son âge, salut 14 !
La lettre d’Appion, son μοιχείας ἐγκώμιον, s’ouvre par une référence, tout à fait appropriée dans les circonstances, à l’autorité d’Éros, une référence à la fois littéraire, c’est l’Éros d’Hésiode qu’indique le terme πρεσβύτατος 15, et populaire, c’est l’angelot de l’iconographie que suppose le mot παῖς 16. Rien de plus normal, pour un grammairien comme Appion, familier des poètes 17, de faire entendre, dès les premiers mots de son éloge, une note littéraire. Il enchaîne aussitôt par une invitation à imiter la vie des êtres supérieurs 18 : « Or, quels sont ces êtres supérieurs, interroge-t-il, sinon les dieux, entre tous, et les philosophes, parmi les hommes ? » 19. Le thème de l’imitation des dieux dans un éloge de l’adultère révèle, chez l’auteur des Homélies, une certaine connaissance de la culture rhétorique, une connaissance suffisante, du moins, pour en faire une satire des plus
14. Homélies 5,10,1 : Ὁ ἐρῶν τῇ ἐρωμένῃ ἀνωνύμως διὰ τοὺς ἐκ τῶν ἀνοήτων ἀνθρώπων νόμους ἐπιταγαῖς Ἔρωτος τοῦ πάντων πρεσβυτάτου παιδὸς χαίρειν. Traduction A. Siouville , Les homélies clémentines, Paris, 1991 [1933]. 15. Voir H ésiode , Théogonie 120-122 : ἠδ’ Ἔρος, ὃς κάλλιστος ἐν ἀθανάτοισι θεοῖσι, / λυσιμελής, πάντων τε θεῶν πάντων τ’ ἀνθρώπων / δάμναται ἐν στήθεσσι νόον καὶ ἐπίφρονα βουλήν. 16. Sur l’iconographie d’Éros, voir A. H ermary et alii, sub voce « Éros », dans Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae, III, 1 (Atherion – Eros), Zürich – Munich, 1986, p. 850-942. 17. Le grammairien, par définition, s’occupe avant tout de l’étude des textes poétiques. Voir, par exemple, ce qu’en dit Cornelius Népos, cité par Suétone , Grammairiens et rhéteurs 4,2 : ceterum proprie sic appellandos poetarum interpretes, qui a Graecis γραμματικοί nominentur. Selon la Souda (sub voce Ἀπίων), Apion aurait enseigné à Rome sous le principat de Claude et de Tibère. D’après Sénèque (Lettres à Lucilius 88), sous Caligula, il aurait parcouru la Grèce en tant qu’orateur itinérant, livrant des discours sur Homère. Il serait l’auteur de commentaires et d’un dictionnaire sur l’œuvre d’Homère. 18. Homélies 5,10,2 : « J’ai su que tu t’appliquais à la philosophie et que, au nom de la vertu, tu cherchais à imiter la vie des êtres supérieurs. » = ἔγνων σε φιλοσοφίᾳ προσανέχουσαν καὶ ἀρετῆς ἕνεκα τὸν τῶν κρειττόνων ζηλοῦσαν βίον. 19. Homélies 5,10,2 : τίνες δὲ ἂν εἶεν κρείττονες ἢ θεοὶ μὲν ἁπάντων, ἀνθρώπων δὲ οἱ φιλόσοφοι.
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mordantes 20. Nous savons, par le traité de Théon 21, que le rhéteur et le grammairien enseignaient et pratiquaient des exercices préparatoires, des προγυμνάσματα, qui comprenaient, par exemple, l’éloge et le blâme 22 . L’exercice pouvait prendre la forme d’une lettre 23 et porter sur l’un des innombrables thèmes soumis à l’élève ou au maître par la tradition rhétorique 24 . Le même orateur, dûment formé, pouvait ainsi, d’une seule traite ou presque, passer de l’éloge de l’adultère au blâme de l’adultère. C’est le cas de Philostrate 25, un sophiste il est vrai, qui dans ses lettres érotiques fait d’abord valoir les avantages que les plaisirs interdits et le secret confèrent à 20. C’est la thèse que défend W. A dler dans son article, « Appion’s “Encomium of Adultery” A Jewish Satire of Greek Paideia in the Pseudo-Clementine Homilies », Hebrew Union College Annual 64 (1993), p. 15-49. La satire consiste à montrer un rhéteur, prêt à déployer tout son art et à user d’arguments superficiels pour aider quelqu’un à commettre l’adultère, être l’objet et la victime d’une blague. Le fait d’avoir choisi Apion, un personnage dont la vanité était notoire, pour représenter la culture grecque, révèle-t-il quelque chose de l’intention satirique des auteurs ? Sur la vanité d’Apion, voir Pline l’A ncien, Histoire naturelle Préface, 25. 21. Théon ou, selon la Souda, le sophiste Aelius Théon, a rédigé un traité sur les προγυμνάσματα qui remonterait au premier siècle de notre ère. Voir, à ce sujet, G. A. K ennedy, Greek Rhetoric under Christian Emperors, Princeton, 1983, p. 56-58 et l’édition de M. Patillon, dans la Collection des Universités de France (1997). 22. G. A. K ennedy, Greek Rhetoric under Christian Emperors, Princeton, p. 60-65, donne la liste des exercices préparatoires selon Aphtonius d’Antioche, élève de Libanios et auteur d’un traité de rhétorique du IVe siècle. Pour une définition de l’éloge (ἐγκώμιον) et du blâme (ψόγος), voir G. A. K ennedy, Greek Rhetoric under Christian Emperors, Princeton, p. 63. Pour une description de l’ἐγκώμιον, voir H.-I. M arrou, Histoire de l ’éducation dans l ’Antiquité, 6 e éd., Paris, 1964, p. 298-299. 23. L’art épistolaire constitue une application importante de la rhétorique dans l’Antiquité. Voir, à ce propos, G. A. K ennedy, Greek Rhetoric under Christian Emperors, Princeton, p. 70-73 et A. J. M alherbe , « Ancient Epistolary Theorists », Ohio Journal of Religious Studies 5, 2 (1977), p. 3-77. 24. W. A dler , « Appion’s “Encomium of Adultery” A Jewish Satire of Greek Paideia in the Pseudo-Clementine Homilies », Hebrew Union College Annual 64 (1993), p. 32-33, énumère quelques-uns de ces thèmes, qui apparaissent d’ailleurs dans la discussion entre Clément et Appion (Homélies 4-6) : « Are customs always truthful or only accepted as true through repetition ? … Should one always respect and obey one’s parents ? Is the world governed by Providence, Fate or accidental events ? Are certain acts proscribed by law because they are wrong by nature, or are laws only utilitarian agreements made by the ancients to maintain social stability ? ». 25. On peut présumer que Philostrate, l’auteur des lettres que nous citons ici, est le même Philostrate qui a écrit la Vie d ’Apollonius de Tyane et les Vies des Sophistes. Originaire de Lemnos, il serait né autour de 165 et aurait exercé son art sous le règne de Septime Sévère essentiellement. Sur la vie et l’œuvre de Philostrate, voir l’ouvrage de G. A nderson, Philostratus. Biography and Belles Lettres in the Third Century A.D., Londres, 1986.
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l’adultère 26, comme l’illustrent le cas de Poséidon qui a commis l’adultère en prenant l’apparence d’une vague et celui de Zeus, changé en bœuf et en pluie d’or pour la même raison 27. Dionysos, Apollon et Héraclès, note Philostrate, comptent d’ailleurs parmi les dieux issus de l’adultère 28. Dans la lettre suivante, toutefois, le sophiste met en garde son destinataire contre les dangers de l’adultère 29. Le rhéteur, ou ici le simple grammairien, rompu aux exercices préparatoires, doit donc pouvoir rédiger une lettre qui vante les mérites de l’adultère à partir de thèmes traditionnels comme le pouvoir irrésistible de l’Amour et l’imitation des dieux. M. Heinemann, bien avant nous, faisait déjà remarquer, dans son étude sur l’épistolographie érotique, l’étonnante similitude de thèmes entre l’éloge d’Appion et celui de Philostrate 30. La supériorité de la nature sur les lois appartient également au répertoire des écoles de rhétorique 31. Aussi l’Appion pseudo-clémentin fait-il valoir que seuls les dieux savent « distinguer, entre les actions, celles qui sont mauvaises ou bonnes par nature et celles qui, sans l’être, sont regardées comme telles en vertu des conventions établies par les lois » 32 . Par exemple, l’adultère, considéré comme mauvais, est, au contraire, bon en tout point, « car il s’accomplit, sur l’ordre de l’Amour, pour une plus abondante propagation de la vie » 33. En fait, résister aux ordres d’Éros, c’est commettre la plus grave des impiétés. Il faut « que toutes les portes soient ouvertes à l’Amour ! Que soient supprimées toutes ces lois gênantes et conventionnelles, établies par des hommes jaloux » 3 4 ! Zeus, lui-même, l’auteur des lois, doit se soumettre au pouvoir terrible d’Éros. 26. Lettre 30 (p. 241, édition de C. L. K ayser) : πᾶν δὲ τερπνότερον τὸ κεκλεμμένον. 27. Lettre 30 (p. 241, édition de C. L. K ayser) : οὕτω καὶ Ποσειδῶν ὑπῆλθε πορφύρῳ κύματι καὶ βοὶ Ζεὺς καὶ χρυσῷ ὕδατι. 28. Lettre 30 (p. 241-242, édition de C. L. K ayser) : οἱ ἐκ μοιχείας θεοί. 29. Lettre 31 (p. 242, édition de C. L. K ayser). 30. M. H einemann, Epistulae amatoriae quomodo cohaereant cum elegiis alexandrinis, Strasbourg, 1910, p. 48 : Non solum argumento, sed etiam singulis rebus Philostrati et Clementis epistulae inter se consentiunt. On retrouve, en effet, la même incitation à commettre l’adultère par l’imitation des dieux et la mention des métamorphoses divines dont celles de Zeus occupent naturellement le premier rang. Heinemann suppose que Philostrate dépend ici de lettres érotiques qui usent d’arguments semblables, vraisemblablement des exercices rhétoriques. 31. Voir supra la note 24. 32. Homélies V 10,3 : οὗτοι γὰρ μόνοι ἴσασιν τῶν ἔργων ποῖα μέν ἐστιν φύσει κακὰ ἢ καλά, ποῖα δὲ τῇ τῶν νόμων θέσει οὐκ ὄντα νομίζεται. Traduction A. Siouville , Les homélies clémentines, Paris, 1991 [1933]. 33. Homélies 5,10,4 : εἰς γὰρ τὴν τοῦ βίου πολυγονίαν ἐπιταγαῖς Ἔρωτος γίνεται. Traduction A. Siouville , Les homélies clémentines, Paris, 1991 [1933]. 34. Homélies 5,11,1 : ἀλλὰ πᾶσαι μὲν ἀνεῴχθωσαν αὐτῷ θύραι, πάντες δὲ μοχθηροὶ καὶ θετοὶ λυέσθωσαν νόμοι.
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1.2. Un Éros philosophique Éros est le plus ancien de tous les dieux. Sans lui, l’union et la naissance des éléments, des dieux, des hommes, des animaux dépourvus de raison et de tous les autres êtres ne pourraient avoir lieu 35.
Puisque l’ἐγκώμιον de l’adultère qu’Appion rédige pour Clément s’adresse à une femme qui pratique la philosophie, la figure d’Éros devra nécessairement présenter une dimension philosophique. Ce n’est donc pas le jeune Éros, « l’angelot muni d’un arc et de flèches » de la poésie alexandrine et de l’iconographie 36 , qu’évoque ici le grammairien, mais l’ancien Éros, celui d’Hésiode et des philosophes, la divinité primordiale et cosmogonique. Le terme πρεσβύτατος et le rôle assigné à Éros dans la génération des éléments et des dieux renvoient, en effet, à la Théogonie hésiodique 37. Chez Hésiode, la figure d’Éros fait partie, avec Terre et Chaos, d’une triade initiale ou, comme l’exprime Jean-Pierre Vernant, d’une « triade de puissances dont la genèse précède et introduit tout le processus d’organisation cosmogonique » 38. L’Éros πρεσβύτατος, c’est aussi l’Éros d’Acousilaos, puisque sur ce point, la primauté du dieu, Hésiode et Acousilaos s’accordent, selon Platon 39. De même, Parménide reconnaît, en ce qui concerne la cosmogonie, la priorité d’Éros sur les autres dieux et sur Aphrodite notamment, puisqu’il le considère comme le premier de tous 35. Homélies 5,10,4-5 : Ἔρως δέ ἐστιν ὁ πάντων θεῶν πρεσβύτατος·ἄνευ γὰρ δὴ Ἔρωτος οὐ στοιχείων, οὐ θεῶν, οὐκ ἀνθρώπων, οὐ ζῴων ἀλόγων, οὐ τῶν λοιπῶν ἁπάντων μίξις ἢ γένεσις γενέσθαι δύναται. Traduction A. Siouville , Les homélies clémentines, Paris, 1991 [1933]. 36. L. Brisson, « Éros », dans Y. Bonnefoy (éd.), Dictionnaire des mythologies, Paris, 1999, 1, p. 683. 37. H ésiode , Théogonie 116-122 : « Donc, avant tout fut Abîme ; puis Terre aux larges flancs, assise sûre à jamais offerte à tous les vivants, et Amour, le plus beau parmi les dieux immortels, celui qui rompt les membres et qui, dans la poitrine de tout dieu comme de tout homme, dompte le cœur et le sage vouloir ». Traduction P. Mazon (Collection des Universités de France). Sur la fonction et l’importance d’Éros dans la Théogonie d’Hésiode, voir L. Brisson, « Éros », dans Y. Bonnefoy (éd.), Dictionnaire des mythologies, Paris, 1999, 1, p. 680-681 et la synthèse de J. Rud hardt, Le rôle d ’Éros et d ’Aphrodite dans les cosmogonies grecques, Paris, 1986. 38. J.-P. Vernant, « Cosmogoniques (mythes). La Grèce », dans Y. Bonnefoy (éd.), Dictionnaire des mythologies, Paris, 1999, 1, p. 499. 39. H. Diels – W. K ranz , Die Fragmente der Vorsokratiker, 9 B3 = Platon, Banquet 178 b7 – c1 : « Enfin, entre Acousilaos et Hésiode il y a concordance. On voit ainsi que de plusieurs côtés on s’accorde à dire que l’Amour est tout ce qu’il y a de plus ancien ». Traduction L. Robin (Collection des Universités de France) = Ἡσιόδῳ δὲ καὶ Ἀκουσίλεως σύμφησιν … οὕτω πολλαχόθεν ὁμολογεῖται ὁ Ἔρως ἐν τοῖς πρεσβύτατος εἶναι. L’affirmation fait partie du discours de Phèdre. Si les discours relèvent de la fiction littéraire, on peut penser, avec C. Calame , L’Éros dans la Grèce antique, Paris, 1996, p. 206, qu’ils mettent tout de même en scène « toute la tradition narrative, poétique et philosophique sur Éros ».
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les dieux 4 0. Phérécyde de Syros place également le dieu Éros à l’origine du processus cosmogonique et lui attribue un pouvoir d’unification 41. Zeus, enseigne-t-il, sur le point de créer le monde, se serait transformé en Éros, dans le but d’harmoniser les contraires 42 . Plus loin, dans l’éloge, Appion souligne d’ailleurs ce pouvoir unificateur du dieu lorsqu’il décrit le caractère involontaire de la passion qui survient sur les ordres d’Éros. Le désir, qui préside à l’union et à la naissance des dieux, des hommes et des bêtes, obéit, en fait, à la volonté toute puissante d’Éros 43 Il est l’artisan et nous sommes ses instruments 4 4 ! Le grammairien reste dans le registre de la théogonie hésiodique qui qualifie le dieu, après l’avoir situé dans la triade initiale, de λυσιμελής, celui qui rompt les membres, celui qui « dompte le cœur et le sage vouloir » des hommes et des dieux 45. Il ajoute toutefois, avec la notion de νοῦς, une note philosophique : « Il est, à travers nous, 40. Platon, Banquet 178 b : « Quant à Parménide, voici ce qu’il dit de la génération : Le premier de tous les dieux, dont s’avisa (la Déesse), ce fut l’Amour ». Traduction L. Robin (Collection des Universités de France) = Παρμενίδης δὲ τὴν γένεσιν λέγει· πρώτιστον μὲν Ἔρωτα θεῶν μητίσατο πάντων. Voir H. Diels – W. K ranz , Die Fragmente der Vorsokratiker, 28 B13 = Plutarque (Sur l ’amour 13) : διὸ Παρμενίδης μὲν ἀποφαίνει τὸν Ἔρωτα τῶν Ἀφροδίτης ἔργων πρεσβύτατον ἐν τῇ κοσμογονίᾳ γράφων « πρώτιστον μὲν Ἔρωτα θεῶν μητίσατο πάντων ». 41. Sur l’accord de la cosmologie de Phérécyde avec les autres cosmologies grecques, voir H. S. Schibli, Pherekydes of Syros, Oxford, 1990, p. 59 : « Herein the cosmology of Pherekydes concurs with Greek cosmological accounts from Hesiod to Plato and beyond, all of which posit at the world’s beginning, at the creation of the fruitful, life-giving earth, this daedala tellus, a sexual principle, ἔρως ». 42. H. Diels – W. K ranz , Die Fragmente der Vorsokratiker, 7 B3. Passage cité par Proclus, dans son commentaire du Timée 32 c : ὁ Φερεκύδης ἔλεγεν εἰς Ἔρωτα μεταβεβλῆσθαι τὸν Δία μέλλοντα δημιουργεῖν, ὅτι δὴ τὸν κόσμον ἐκ τῶν ἐναντίων συνιστὰς εἰς ὁμολογίαν καὶ φιλίαν ἤγαγε. Voir, là-dessus, la remarque de C. Calame , L’Éros dans la Grèce antique, Paris, 1996, p. 205 : « le pouvoir générateur et démiurgique d’Éros semble donc se dédoubler en deux aspects complémentaires : il est à la fois unificateur et différenciateur. De la division générée par l’union naît un ordre où, pour reprendre l’idée néo-platonicienne, s’harmonisent les différences ». 43. Homélies 5,10,6 : « Ce n’est donc pas de notre propre mouvement, mais en recevant ses ordres, que nous désirons accomplir sa volonté ». Traduction de la Pléiade (P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005) = ὅθεν οὐκ αὐτοὶ θέλοντες, ἀλλ’ ὅταν ὑπ’ αὐτοῦ κελευσθῶμεν, τὸ ἐκείνου βούλημα ποιεῖν ἐπιθυμοῦμεν et plus loin : « Quand Amour, en effet, vient habiter dans les âmes, il est impossible de lui résister. La passion des amants n’est pas volontaire ». Traduction de la Pléiade (P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005) = Ἔρωτα γὰρ ἐπιδημήσαντα ψυχαῖς οὐκ ἔστιν ἐπισχεῖν. οὐ γάρ ἐστιν ἑκούσιον τὸ τῶν ἐρώντων πάθος (Homélies 5,11,2). 44. Homélies 5,10,5-6 : πάντες γάρ τοι ὄργανά ἐσμεν τοῦ Ἔρωτος. 45. Voir la note 37 pour le texte d’Hésiode. Sur l’importance du thème de l’Éros violent dans la poésie mélique (Sappho, Archiloque, Anacréon, Ibycos), voir C. Calame , L’Éros dans la Grèce antique, Paris, 1996, chapitre 1, « L’Éros des poètes méliques », surtout les pages 25 à 35.
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l’artisan de tout ce qui est engendré : c’est lui l’intellect qui réside dans nos âmes » 4 6. Faut-il entendre cette note dans un sens stoïcien, comme le propose J. R. Harris 47, ou plutôt dans un sens platonicien, quand on sait l’importance du terme dans la pensée de Plotin 48 ? La résonance nous paraît bien, en effet, être platonicienne. Deux fragments des Oracles Chaldaïques, un document aux affinités néo-platoniciennes évidentes, mettent d’ailleurs en rapport Éros et l’Intellect 49. Peut-on conclure, comme John Chapman, que les Pseudo-Clémentines ont été rédigées dans un contexte de polémique avec les néoplatoniciens 50 ? Il est probable, en tout cas, que l’auteur de l’éloge ait voulu montrer, non sans ironie, l’emploi souvent superficiel et circonstanciel que pouvait faire des références littéraires et philosophiques un grammairien comme Appion. Le savoir que l’on accorde ici au personnage se situe tout au plus au niveau de la synthèse de manuel 51, une synthèse comme celle qu’il faut deviner derrière la liste des amours de Zeus. En effet, après avoir établi la primauté d’Éros, Appion poursuit son éloge en donnant l’exemple des dieux et de leurs amours cou46. Homélies 5,10,6 : αὐτὸς δὲ ὁ δι’ ἡμῶν τεχνίτης, παντὸς τοῦ γεννωμένου ψυχαῖς ἐπιδημῶν, ἐστὶ νοῦς. Traduction A. Siouville , Les homélies clémentines, Paris, 1991 [1933]. 47. J. R. H arris , « Notes on the Clementine Romances », Journal of Biblical Literature 39 (1920), p. 145. B. Pouderon, « La littérature pseudo-épistolaire dans les milieux Judéens et chrétiens des premiers siècles. L’exemple des Pseudo-Clémentines », dans Epistulae Antiquae. Actes du 1er colloque « Le genre épistolaire antique et ses prolongements », Louvain – Paris, 2000, p. 231-234, réfute cette proposition. 48. Sur la notion de νοῦς dans la pensée de Plotin, voir R. T. Wallis , « ΝΟΥΣ as Experience », dans R. Baine H arris (éd.), The Significance of Neoplatonism, Norfolk (VA), 1976, p. 121-153. Sur l’importance d’Éros chez Platon et dans la tradition platonicienne, voir J. M. R ist, Eros and Psyche. Studies in Plato, Plotinus and Origen, Toronto, 1964 et P. Cox M iller , The Poetry of Thought in Late Antiquity. Essays in Imagination and Religion, Aldershot, 2001, p. 107-121, qui porte plus spécifiquement sur Plotin. 49. Oracles Chaldaïques, fragment 39 : « Quand en effet, il eut conçu ses œuvres, l’Intellect paternel (πατρικὸς νόος) né de lui-même insémina en toutes le lien lourd de feu de l’Amour (δεσμὸν πυριβριθῆ ἔρωτος) pour que la totalité des choses continuât » et fragment 42 : « par le lien de l’admirable Amour (δεσμῷ Ἔρωτος ἀγητοῦ) qui jaillit le premier de l’Intellect (ἐκ νόου), vêtant son feu unissant du feu (de l’Intellect) ». Traduction É. des Places (Collection des Universités de France). 50. Voir J. Chapman, « On the Date of the Clementines », Zeitschrift für die Neutestamentliche Wissenschaft 9 (1908), p. 156-158. B. Pouderon, « La littérature pseudo-épistolaire dans les milieux Judéens et chrétiens des premiers siècles. L’exemple des Pseudo-Clémentines », dans Epistulae Antiquae. Actes du 1er colloque « Le genre épistolaire antique et ses prolongements », Louvain – Paris, 2000, p. 234, parle de « réminiscences platoniciennes ». 51. Pour ce qui l’érudition du véritable grammairien Apion, voir Aulu-Gelle , Nuits attiques 5,14,1, qui note sa science de l’histoire grecque : Appion, qui Plistonices appellatus est, litteris homo multis praeditus rerumque Graecarum plurima atque varia scientia fuit.
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pables. Le cas de Zeus pourrait, à lui seul, suffire largement à la démonstration, mais ce qui a retenu l’attention d’un exégète comme M. R. James, c’est l’ordre alphabétique dans lequel les amours du dieu sont énumérés, d’Antiope à Perséphone, qui laisse supposer ici l’utilisation d’une sorte de manuel mythologique 52 . Plus précis dans ses suppositions, Werner Heintze estime que l’auteur des Homélies 4-6 a certainement utilisé le Péplos du Pseudo-Aristote, un compendium du IIe siècle qui énumère notamment les amours et les tombeaux des dieux 53. 1.3. Un Éros mystique Je sais que cela peut paraître terrible ou honteux pour ceux qui n’ont pas été initiés à la vérité, mais il n’en est rien pour les dieux et les philosophes des Grecs, ni même pour les mystes de Dionysos et de Déméter 54 .
L’image que les Homélies 4-6 donnent d’Appion, un lettré, citant les poètes et les philosophes, rompu aux exercices rhétoriques et frotté d’une philosophie d’apparat, correspond, somme toute, à une certaine image du grammairien des premiers siècles de notre ère. Suétone, par exemple, dans son traité sur les grammairiens et les rhéteurs, rapporte le cas d’Aurélius Opillus, affranchi d’un épicurien, qui « enseigna d’abord la philosophie, ensuite la rhétorique et enfin la grammaire » 55. Mais, à la fin de son éloge, 52. M. R. James , « A Manual of Mythology in the Clementines », Journal of Theological Studies 33 (1932), p. 265 : « The existence of alphabetical lists seems to show that the text-book was a book of reference digested into headings and meant for use perhaps in schools ». Pour établir la liste, James a recours au passage parallèle des Reconnaissances, la version latine du roman clémentin (10,21-22) (p. 263264). Voir H. J. Rose , « Pseudo-Clement and Ovid », Journal of Theological Studies 33 (1932), p. 383, qui suppose, derrière un passage des Métamorphoses (6,103-120 la consultation d’un compendium qui aurait peut-être servi de source à Ovide et au Pseudo-Clément : « On this, or on excerpts and compendia made from it, the not unlearned author of the pseudo-Clementina may well have drawn, after it had already served Ovid and no doubt many others besides ». 53. W. H eintze , Der Klemensroman und seine griechischen Quellen, Leipzig, 1914, p. 108. 54. Homélies 5,19,1 : οἶδα ὅτι ταῦτα τοῖς ἀληθείας ἀμυήτοις φοβερὰ καὶ αἴσχιστα καταφαίνεται, ἀλλ’ οὐ τοῖς Ἑλλήνων θεοῖς καὶ φιλοσόφοις, οὐ τοῖς Διονύσου καὶ Δήμητρος μυστηρίοις. Traduction A. Siouville , Les homélies clémentines, Paris, 1991 [1933]. Bien que les deux manuscrits aient μυστηρίοις, la correction de Schwegler, μύσταις, nous apparaît plus satisfaisante. Voir l’édition des Homélies par B. R ehm, révisée par G. Strecker , Die Pseudoklementinen I. Homilien, Berlin, 1992, p. 100. 55. Suétone , Grammairiens et rhéteurs 6,1. Traduction M.-Cl. Vacher (Collection des Universités de France) : Aurelius Opillus Epicurei cuiusdam libertus philosophiam primo, deinde rhetoricam, novissime grammaticam docuit. En principe, l’éducation d’un jeune Grec comprend l’apprentissage de la grammaire, c’est-à-dire l’étude des poètes, au niveau secondaire, et celui de la rhétorique, au niveau supé-
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Appion place sa connaissance des dieux et de leurs mythes sous l’autorité des mystères de Dionysos et de Déméter et ce trait lui confère quelque chose de moins convenu. Le personnage imaginé par le Pseudo-Clément démontre, en effet, une connaissance des doctrines cosmogoniques que l’on peut attribuer à l’orphisme et aux mystères dionysiaques qui y étaient souvent associés 56. C’est, en fait, au livre suivant des Homélies, qui correspond dans la logique du récit au jour suivant les révélations de Clément sur l’épisode de l’éloge, qu’Appion expose à son adversaire une interprétation allégorique d’Hésiode qu’il fait remonter au poète Orphée. Ainsi, le chaos d’Hésiode s’assimile chez Orphée à un œuf qui contient toute la matière tétragène 57. De cet œuf naît un être bisexuel qu’Orphée appelle Phanès, parce qu’en se manifestant, il illumine le monde 58. Or, la figure de Phanès, rieur. D’où la distinction entre les termes γραμματικός et ῥητώρ. Sur le caractère moins tranché de ces distinctions dans la réalité, voir H. I. M arrou, Histoire de l ’éducation dans l ’Antiquité, 6 e éd., Paris, 1964, p. 243-244. 56. Pour une présentation générale de l’orphisme, voir W. K. C. Guthrie , Orpheus and Greek Religion, Londres, 1952 (2 e édition révisée) ; M. L. West, The Orphic Poems, Oxford, 1983 et L. Brisson, « Orphée et l’Orphisme à l’époque impériale. Témoignages et interprétations philosophiques, de Plutarque à Jamblique », dans W. H aase (éd.), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, Berlin, 1990, II, 36.4, p. 2867-2931. Les nombreux textes qui parlent d’Orphée ou rapportent ses paroles ont été édités par O. K ern dans son indispensable Orphicorum fragmenta (Berlin, 1922). Sur le rôle d’Orphée dans les mystères de Dionysos et de Déméter, voir L. Brisson, « Orphée et l’Orphisme à l’époque impériale. Témoignages et interprétations philosophiques, de Plutarque à Jamblique », dans W. H aase (éd.), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, Berlin, 1990, II, 36.4, p. 2882, qui cite Diodore de Sicile d’après lequel « Orphée a emprunté aux Égyptiens les mystères d’Osiris et d’Isis et les a rajeunis en ceux de Dionysos et de Déméter ». 57. Homélies 6,3,4 : « Le chaos du récit d’Hésiode est précisément ce qu’Orphée appelle un œuf engendré, émis hors de la matière infinie ». Traduction de la Pléiade (P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005) = τοῦτο Ἡσίοδος χάος ὑποτίθεται, ὅπερ Ὀρφεὺς ὠὸν λέγει γενητόν, ἐξ ἀπείρου τῆς ὕλης προβεβλημένον. Sur le thème de l’œuf cosmique, qui caractérise les théogonies orphiques, voir Plutarque , Propos de table 2,3,2 (Moralia 636 d-e), apud L. Brisson, « Orphée et l’Orphisme à l’époque impériale. Témoignages et interprétations philosophiques, de Plutarque à Jamblique », dans W. H aase (éd.), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, Berlin, 1990, II, 36.4, p. 2880, qui estime que « pour les Orphiques tout sort de l’œuf primordial », et M. L. West, The Orphic Poems, Oxford, 1983, p. 103-104, qui suppose, sur ce point, une origine orientale. 58. Homélies 6,5,4 : « Car, à l’intérieur de la rotondité, un être vivant, mâle et femelle à la fois, est doté de forme par la providence du souffle divin qui réside en lui ; Orphée l’appelle Phanès (Brillant), parce que, quand il parut (brilla), l’univers fut illuminé par sa splendeur ». Traduction de la Pléiade (P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005) = ἔνδοθεν γὰρ τῆς περιφερείας ζῷόν τι ἀρρενόθηλυ εἰδοποιεῖται προνοίᾳ τοῦ ἐνόντος ἐν αὐτῷ θείου πνεύματος, ὃν Φάνητα Ὀρφεὺς καλεῖ, ὅτι αὐτοῦ φανέντος τὸ πᾶν ἐξ αὐτοῦ ἔλαμψεν. Le terme Phanès appartient bel et bien au vocabulaire des cosmogonies orphiques. Voir, à ce sujet, W. K. C. Guthrie , Orpheus and the Greek Religion,
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dans la théogonie orphique que Damascius appelle la théogonie des Rhapsodies, porte aussi le nom d’Éros 59. Déjà, dans les Oiseaux d’Aristophane, au-delà de l’effet comique recherché par le poète, une théogonie orphique transparaissait dans laquelle le dieu Éros, sorti d’un œuf, était à la fois premier-né et démiurge 60. La dimension cosmogonique d’Éros, dans l’éloge de l’adultère du chapitre précédent, pourrait ainsi s’expliquer par l’initiation du personnage aux doctrines orphiques. Maintenant, que l’Apion historique ait été initié à des mystères de type orphique ou que l’interprétation allégorique d’Hésiode, qu’on lui prête dans les Homélies, d’inspiration stoïcienne avec schéma orphique, provienne d’un écrit authentique du grammairien, rien n’est moins sûr 61. Nous savons, par ailleurs, grâce à la Souda, Londres, 1952 (2 e édition révisée), p. 95-96 et M. L. West, The Orphic Poems, Oxford, 1983, p. 203. 59. Selon le philosophe néo-platonicien Damascius (Ve et VIe siècles de notre ère), il y avait trois versions de la théogonie orphique : la version ancienne, la version des Rhapsodies et la version de Hiéronymos et d’Hellanicos. Voir, là-dessus, L. Brisson, « Damascius et l’Orphisme », dans Ph. Borgeaud (éd.), Orphisme et Orphée. En l ’honneur de Jean Rudhardt, Genève, 1991, p. 157-209. Dans la théogonie des Rhapsodies, Phanès porte aussi le nom de Métis, Eriképaios et Bromios – outre celui d’Éros – et dans la théogonie de Hiéronymos, il s’appelle Protogonos, Zeus et Pan. Voir la liste de M. L. West, The Orphic Poems, Oxford, 1983, p. 203. 60. A ristophane , Oiseaux 693-703 : « Au commencement était le Chaos et la Nuit et le noir Érèbe et le vaste Tartare, mais ni la terre, ni l’air ni le ciel n’existaient. Dans le sein infini de l’Érèbe, tout d’abord, la Nuit aux ailes noires produit un œuf sans germe, d’où, dans le cours des saisons, naquit Éros le désiré au dos étincelant d’ailes d’or (…) Jusqu’alors n’existait point la race des immortels, avant qu’Éros eût uni tous les éléments… ». Traduction H. van Daele (Collection des Universités de France). Sur la connaissance possible par Aristophane d’une théogonie orphique, voir l’opinion de M. L. West, The Orphic Poems, Oxford, 1983, p. 111 : « Of course Aristophanes’ purpose is comic, and he brings in an egg and several winged deities because they are specifically appropriate to a birds’ cosmogony. But he chose these motifs, he did not invent them » et celle de J. Rudhardt, Le thème de l ’eau primordiale dans la mythologie grecque, Berne, 1971, p. 20, note 3 : « C’est un jeu, fait dans le dessein comique de démontrer la supériorité de la gent volatile – d’où le rôle de l’œuf. Mais ce jeu est fondé sur les associations d’idées plus ou moins cocasses qui s’établissent effectivement dans la conscience des Athéniens ». 61. Nous savons, grâce à la découverte du papyrus de Derveni (1962), qui contient le commentaire d’une théogonie orphique, que l’interprétation allégorique de textes orphiques est attestée depuis au moins le IVe siècle avant notre ère. Voir, à ce sujet, W. Burkert, Lore and Science in Ancient Pythagoreanism (traduit de l’allemand par E. L. M inar Jr.), Cambridge (Mass.), 1972, p. 38 et W. Burkert, « La genèse des choses et des mots. Le papyrus de Derveni : entre Anaxagore et Cratyle », Les études philosophiques no 4 (1970), p. 443-455. Sur l’interprétation allégorique et le stoïcisme, qui l’aurait largement pratiquée, voir J. Pépin, Mythe et allégorie. Les origines grecques et les contestations judéo-chrétiennes, Paris, 1958, p. 125-131 et A. L e Boulluec , « L’allégorie chez les Stoïciens », Poétique no 23 (1975), p. 301321. L’interprétation allégorique à laquelle Appion soumet le texte d’Hésiode n’a donc rien de fantaisiste. Il n’est pas impossible que les discours du grammairien sur
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qui lui attribue un traité intitulé Περὶ μάγου 62 , et à Pline l’Ancien, que l’illustre Alexandrin connaissait la magie et pratiquait la nécromancie 63. Le Pseudo-Clément ne l’ignorait pas, vraisemblablement, puisqu’il accorde à son personnage une certaine compétence en la matière 6 4 . Aucun témoignage, cependant, ne permet de supposer que l’auteur des Homélies 4 à 6 se soit appuyé sur quelque chose d’historiquement lié à Apion pour composer la théogonie de l’Homélie 6. En revanche, il n’est pas improbable, si l’on accepte l’hypothèse de Gilles Quispel et de J. van Amersfoort, que la cosmogonie exposée ici par Appion repose sur un modèle alexandrin 65. J. van Amersfoort, plus particulièrement, rejette la classification d’Otto Kern, pour qui le passage des Homélies (6,3-13) est une version de la théogonie de Hiéronymos et d’Hellanicos et accorde à la cosmogonie d’Appion le statut de version sui generis 66. Cette cosmogonie, exposée par Appion et réfutée par Clément, ne sortirait pas tout bonnement de l’imagination d’un auteur, selon lui, mais se serait développée à Alexandrie où l’intelliHomère (Sénèque , Lettres à Lucilius 88) aient fait appel à l’allégorie, mais nous n’en savons rien. 62. La Souda, concernant le magicien Pasès, mentionne un traité du grammairien sur la magie. Voir, supra, la note 12. W. H eintze , Der Klemensroman und seine griechischen Quellen, Leipzig, 1914, p. 108-109, rapporte les suppositions de M ichaelis , De origine indicis deorum cognominum, Berlin, 1897, selon lequel Apion aurait intégré à son traité Περὶ μάγου un éloge des adultères de Zeus où le dieu serait transformé en magicien (transformatus utpote magus). L’éloge des adultères dériverait du Péplos du Pseudo-Aristote, reconnu par Heintze comme une source des Homélies 4-6. Voir la critique de cette supposition par B. Pouderon, « La littérature pseudo-épistolaire dans les milieux Judéens et chrétiens des premiers siècles. L’exemple des Pseudo-Clémentines », dans Epistulae Antiquae. Actes du 1er colloque « Le genre épistolaire antique et ses prolongements », Louvain – Paris, 2000, p. 237, qui la juge « quelque peu arbitraire », sans toutefois « la rejeter catégoriquement ». 63. Pline l’A ncien, Histoire naturelle 30,18, fait état, en effet, des compétences d’Apion, en matière de plantes aux vertus divinatoires et de nécromancie : « …le grammairien Apion, que nous avons vu lors de notre jeunesse, a écrit que la plante cynocéphalie, appelée en Égypte osiritis, est propre à la divination et combat tous les maléfices, mais que si quelqu’un l’arrache tout entière, celui-ci meurt sur le champ ; que lui même ayant évoqué les ombres pour interroger Homère sur sa patrie et ses parents, dit ne pas oser déclarer ce qui lui fut répondu ». Traduction A. Ernout (Collection des Universités de France). 64. Voir Homélies 5,3,4 à 6,2. 65. G. Quispel , « The demiurge in the Apocryphon of John », dans R. McL. Wilson (éd.), Nag Hammadi and Gnosis, Leyde, 1978, p. 20 et J. van A mersfoort, « Traces of an Alexandrian Orphic Theogony in the Pseudo-Clementines », dans R. van den Broek – M. Y. Vermaseren (éd.), Studies in Gnosticism and Hellenistic Religions, Leyde, 1981, p. 25. 66. J. van A mersfoort, « Traces of an Alexandrian Orphic Theogony in the Pseudo-Clementines », dans R. van den Broek – M. Y. Vermaseren (éd.), Studies in Gnosticism and Hellenistic Religions, Leyde, 1981, p. 30. Voir W. Burkert, Lore and Science in Ancient Pythagoreanism (traduit de l’allemand par E. L. M inar Jr.), Cambridge (Mass.), 1972, p. 39, note 55, pour une opinion semblable.
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gentsia judéenne, contemporaine d’Apion, aurait jugé nécessaire d’en faire la réfutation 67. Il est vrai que le judaïsme alexandrin a pratiqué une lecture allégorique d’inspiration stoïcienne du même type que celle déployée dans la cosmogonie clémentine 68. De même, comme le note J. van Amersfoort, on retrouve dans le récit cosmogonique des Homélies le terme πνεῦμα pour décrire le souffle porteur de vie 69, le même terme retenu par Philon d’Alexandrie dans sa lecture de la Genèse 70. Enfin, lorsque le grammairien veut faire comprendre l’idée que l’œuf cosmique contient, en potentiel, dans son unicité, toute la diversité du vivant, il choisit l’image d’un paon : « en effet, comme dans la génération du paon, l’œuf fait paraître une seule couleur, mais possède en lui-même en puissance les couleurs innombrables qu’aura l’animal à son plein développement, de même l’œuf animé, sorti du sein de la matière infinie, sous l’impulsion de la matière sous-jacente en flux perpétuel, manifeste des changements de toute sorte » 71. Or, si l’image 67. C’est la supposition de G. Quispel , « The demiurge in the Apocryphon of John », dans R. McL. Wilson (éd.), Nag Hammadi and Gnosis, Leyde, 1978, p. 23 : « And it is virtually certain that the Orphic interpretation of Phanes-Eros the demiurge was known to the Jews of Alexandria ». Ailleurs, dans le même article, Quispel reprend à son compte l’hypothèse de l’apologie juive comme source des Homélies 4 à 6 et conclut : « then it would appear that these Orphic speculations were known to the Jews of Alexandria at that time and were so dangerous and influential that a refutation was needed ». Rappelons qu’Apion aurait exercé sa profession de grammairien sous les règnes de Tibère, Caligula et Claude. 68. Bien que l’auteur de la Lettre d ’Aristée et celui de la Sagesse de Salomon l’aient tous deux pratiquée, c’est Philon d’Alexandrie (circa 30 avant notre ère à 45 après notre ère) qui représente le mieux ce courant d’interprétation. Voir, là-dessus, J. Pépin, Mythe et allégorie. Les origines grecques et les contestations judéo-chrétiennes, Paris, 1958, p. 231-242. Appliquée à la Bible, l’interprétation allégorique permet, suivant Philon, d’en connaître le sens véritable. Voir, par exemple, La plantation 36, au sujet du sens à donner au jardin d’Éden : « il faut se tourner vers l’allégorie, chère aux hommes qui ont le don de voir ». Traduction J. Pouilloux (Collection Œuvres de Philon d ’Alexandrie) = ἰτέον οὖν ἐπ’ ἀλληγορίαν τὴν ὁρατικοῖς φίλην ἀνδράσι. 69. Homélies 6,4,3 : « Ensuite, formé lui-même en son propre sein, porté en haut par le souffle divin qui l’entourait, émergea à la lumière ce fœtus immense ». Traduction de la Pléiade (P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005) = ἔπειτα αὐτὸ ἐν ἑαυτῷ κυηθέν, ὑπὸ τοῦ περιειληφότος θειώδους πνεύματος ἀναφερόμενον, προέκυψεν εἰς φῶς μέγιστόν τι τοῦτο ἀποκύημα. 70. Voir J. van A mersfoort, « Traces of an Alexandrian Orphic Theogony in the Pseudo-Clementines », dans R. van den Broek – M. Y. Vermaseren (éd.), Studies in Gnosticism and Hellenistic Religions, Leyde, 1981, p. 26. L’auteur rappelle l’importance de l’esprit en Genèse 1,2 (πνεῦμα θεοῦ dans la Septante) et le fait que c’est à Alexandrie que Philon cite Genèse 2,7 en remplaçant le πνοὴ ζωῆς de la Septante par les mots πνεῦμα ζωῆς (Allégories des lois 3,161). 71. Homélies 6,5,3. Traduction de la Pléiade (P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005) = ὥσπερ γὰρ ἐν τῷ τοῦ ταὼ γεννήματι ἓν μὲν τοῦ ὠοῦ χρῶμα δοκεῖ, δυνάμει δὲ μυρία ἔχει ἐν ἑαυτῷ τοῦ μέλλοντος τελεσφορεῖσθαι χρώματα, οὕτως καὶ τὸ ἐξ ἀπείρου ὕλης ἀποκυηθὲν
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du paon et sa comparaison avec l’œuf originel permettent aux Homélies de se distinguer nettement des théogonies répertoriées par Kern, elles offrent, sur ce point, précisément, une ressemblance frappante avec la cosmogonie attribuée au gnostique Basilide par Hippolyte de Rome 72 . D’après l’auteur de la Réfutation de toutes les hérésies, la doctrine de Basilide poserait, en principe, la formation d’un germe unique, contenant en lui-même tous les germes du monde : « comme le paon ou tout autre oiseau aux formes et aux couleurs encore plus diverses, est un, et cependant contient en luimême beaucoup d’espèces d’êtres très différents les uns des autres par leurs formes, leurs couleurs et leur constitution ; ainsi en est-il, dit Basilide, pour ce germe du monde, déposé par le Dieu qui n’est pas, germe qui lui-même n’existe pas et qui contient cependant à la fois les formes et les substances les plus variées » 73. Puisque Basilide était un Alexandrin du IIe siècle, J. van Amersfoort suppose que le gnostique et l’auteur des Homélies 4-6, selon lui, un apologiste du judaïsme qui visait Apion et qui vivait au IIe siècle, auraient eu accès à une théogonie orphique de type alexandrin 74 . Du coup, si l’on accepte cette supposition 75, c’est l’hypothèse de Heintze qui s’en trouve renforcée 76 et celle de Strecker, selon lequel cette version ἔμψυχον ὠὸν ἐκ τῆς ὑποκειμένης καὶ ἀεὶ ῥεούσης ὕλης κινούμενον παντοδαπὰς ἐκφαίνει τροπάς. 72. J. van A mersfoort, « Traces of an Alexandrian Orphic Theogony in the Pseudo-Clementines », dans R. van den Broek – M. Y. Vermaseren (éd.), Studies in Gnosticism and Hellenistic Religions, Leyde, 1981, p. 25 : « This image is not found in one of the other witnesses of the world-egg. And yet the Pseudo-Clementines are not totally isolated in using this comparison, for a parallel is to be found in one of the fragments of the Alexandrian gnostic Basilides, which is quoted by his opponent Hippolytus ». Sur le gnostique Basilide, nous ne disposons essentiellement que des notices que lui consacrent Irénée de Lyon (Contre les hérésies 1,56) et Hippolyte de Rome (Réfutation de toutes les hérésies 7,21). Concernant la pensée de Basilide, voir le résumé de K. Rudolph, Gnosis. The Nature and History of Gnosticism (traduit de l’allemand par R. McL Wilson), New York, 1987, p. 309-311. 73. Réfutation de toutes les hérésies 7,21,5. Traduction A. Siouville , Hippolyte de Rome, Philosophumena, Paris, Rieder, 1928) = καθάπερ ᾠὸν ὄρνιθος ἐκποικιλλ τινὸς καὶ πολυχρωμάτου, οἱονεὶ τοῦ ταῶνος ἢ ἄλλου τινὸς ἔτι μᾶλλον πολυμόρφου καὶ πολυχρωμάτου, ἓν ὂν [οὕτως] ἔχει ἐν ἑαυτῷ πολλὰς οὐσιῶν πολυμόρφων καὶ πολυχρωμάτων καὶ πολυσυστάτων ἰδέας, οὕτως ἔχει τὸ καταβληθέν, φησίν, ὑπὸ τοῦ οὐκ ὄντος θεοῦ οὐκ ὂν σπέρμα τοῦ κόσμου, πολύμορφον ὁμοῦ καὶ πολυούσιον. 74. J. van A mersfoort, « Traces of an Alexandrian Orphic Theogony in the Pseudo-Clementines », dans R. van den Broek – M. Y. Vermaseren (éd.), Studies in Gnosticism and Hellenistic Religions, Leyde, 1981, p. 25 : « Since Basilides lived in Alexandria, the image of the peacock’s egg must belong to the cosmogonic imagery of the Orphics in Alexandria ». 75. Voir les réserves de L. Brisson, « Damascius et l’Orphisme », dans Ph. Borgeaud (éd.), Orphisme et Orphée. En l ’honneur de Jean Rudhardt, Genève, 1991, p. 197, note 43, qui parle d’un « article intéressant mais discutable ». 76. Voir supra page 21, note 4
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du mythe aurait été inventée par l’auteur de l’Écrit de base 77, qui s’avère improbable 78. Sans conclure avec J. van Amersfoort que les Homélies attestent l’existence d’une théogonie orphique originale propre au milieu alexandrin, il faut reconnaître, à notre avis, que leur auteur a su intégrer à sa fiction des éléments authentiquement orphiques, qui, s’ils proviennent de traditions alexandrines, s’accorderaient avec le fait d’avoir choisi Apion, un Alexandrin célèbre, pour représenter la παιδεία. 1.4. Un Éros sophistique Certains parmi eux s’estiment grammairiens et sophistes. Ils affirment que de pareilles actions sont dignes des dieux. C’est qu’eux-mêmes, dans leur intempérance, saisissent le prétexte fourni par les mythes et s’affichent alors comme imitateurs des êtres supérieurs en commettant des actes dégradants 79.
L’auteur des Homélies démontre qu’il sait très bien ce qu’un lettré, un érudit, un grammairien comme Apion aurait pu dire sur le thème du dieu Éros. L’éloge de l’adultère qu’Appion rédige à la hâte et sur commande, cet assemblage d’éléments mythologiques, philosophiques et mystiques, préparé dans un but avoué de persuasion 80, ce qui est le propre de la rhétorique 81, s’apparente tout à fait aux prouesses oratoires et littéraires dont 77. G. Strecker , Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1981, p. 80. Strecker ne peut être plus clair : le matériau mythologique des Clémentines remonte à la Grundschrift (l’écrit à la base des deux versions, les Homélies et les Reconnaissances, selon l’hypothèse la plus répandue parmi les spécialistes) : « Dieses mythologische Material geht also mit Sicherheit auf G zurück ». 78. Ce sont les conclusions de J. van A mersfoort, « Traces of an Alexandrian Orphic Theogony in the Pseudo-Clementines », dans R. van den Broek – M. Y. Vermaseren (éd.), Studies in Gnosticism and Hellenistic Religions, Leyde, 1981, p. 28. 79. Homélies 4,17,1-2. Traduction de la Pléiade (P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005) = ὧν τινες γραμματικοὶ καὶ σοφισταὶ ἀξιοῦντες εἶναι τὰς τοιαύτας πράξεις θεῶν ἀξίας εἶναι βεβαιοῦσιν. αὐτοὶ γὰρ ἀκρατεῖς ὄντες, ταύτης τῆς μυθικῆς προφάσεως λαβόμενοι, ὡς δὴ μιμηταὶ τῶν κρειττόνων ἄσεμνα διαπραττόμενοι παρρησιάζονται. 80. Voir Homélies 5,9,3 : « Appion dit alors : “Dès cette nuit, je vais rédiger un livre, un éloge de l’adultère ; quand tu l’auras reçu de moi, tu le lui enverras, et j’ai bon espoir qu’elle se laissera persuader et consentira” ». Traduction de la Pléiade (P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005) = καὶ ὁ Ἀππίων ἔφη·Ἔτι τῇ νυκτὶ ταύτῃ συνγράψω βιβλίον, μοιχείας ἐγκώμιον, ὅπερ σὺ παρ’ ἐμοῦ λαβὼν διαπέμψεις αὐτῇ, καὶ ἐλπίζω ὅτι πεισθεῖσα συνθήσεται. 81. Sur la fonction de la rhétorique, voir A ristote , Rhétorique 1,1 (1355b 8-11) : « Il est donc manifeste que la rhétorique n’appartient pas à un genre défini … et qu’elle est utile, et aussi que sa fonction propre n’est pas de persuader, mais de voir les moyens de persuader que comporte chaque sujet ». Traduction M. Dufour (Collection des Universités de France). Voir aussi F. Desbordes , La Rhétorique antique,
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se vantaient rhéteurs, sophistes et grammairiens sous l’empire 82 . Apion, réputé pour sa vanité, prétendait, d’ailleurs, pouvoir rendre immortel l’homme qu’il gratifiait d’un écrit 83. Cet assemblage se retrouve également dans les Métamorphoses, le roman d’Apulée, célèbre rhéteur, philosophe et littérateur, où le picaresque côtoie l’érotique, le mythique et le mystique 84 . Contemporain d’Apulée (2e moitié du IIe siècle), Longus 85 pratique lui aussi un art de l’assemblage qui consiste, dans son roman Daphnis et
Paris, 1996, p. 10 : « La plupart de ces définitions [anciennes] de la rhétorique tournent autour de la notion de persuasion » et L. Pernot, La Rhétorique dans l ’Antiquité, Paris, 2000, p. 6, qui rapporte la définition la plus répandue au IIe siècle : la rhétorique est le pouvoir de persuader (vis persuadendi) et la définition plus large de Quintilien (Institution oratoire 2,15) : la rhétorique est la science du bien dire (bene dicendi scientia). 82. Sur le mélange de philosophie et de rhétorique qui caractérise la sophistique, voir Philostrate, dans les Vies des sophistes, qui range, parmi les sophistes, les philosophes qui se distinguaient par leur éloquence, comme Dion de Pruse et Favorinus d’Arles. Voir au Livre 1, page 12, dans l’édition de la Loeb Classical Library : « Les anciens ne donnaient pas le nom de sophiste qu’aux seuls rhéteurs illustres par la supériorité de leur verbe, mais aussi aux philosophes qui exposaient leurs idées avec aisance ». Philostrate vante ainsi l’éloquence de Dion, qui était telle qu’elle charmait même ceux qui n’entendaient pas le Grec. Le traité de Théon sur les exercices préparatoires, Progymnasmata, s’ouvre d’ailleurs sur un rappel de l’importance de la philosophie : « Les orateurs anciens, surtout les orateurs réputés, étaient d’avis qu’on ne doit en aucune façon aborder l’art oratoire sans avoir au préalable quelque pratique de la philosophie ». Traduction M. Patillon (Collection des Universités de France). Sur la capacité d’improviser sur le champ, à partir d’un thème imposé, voir F. M estre – P. Gomez , « Les sophistes de Philostrate », dans N. L oraux – C. M iralles (éd.), Figures de l ’intellectuel en Grèce ancienne, Paris, 1998, p. 356. 83. Au sujet de la vanité d’Apion, voir Aulu-Gelle , Nuits attiques 5,14,3 : « Dans ce qu’il dit avoir entendu ou lu, il se peut qu’il soit un peu bavard par un goût vicieux de se faire valoir – il est vraiment fanfaron quand il vante son savoir ». Traduction R. M arache (Collection des Universités de France) et Pline l’A ncien, Histoire naturelle Préface, 25 : « Apion le Grammairien, lui, – celui-là même que l’empereur Tibère appelait “cymbale du monde” bien qu’il méritât plutôt d’être surnommé “trompette de sa propre renommée” – a écrit qu’il immortalisait ceux à qui il dédiait quelque ouvrage ». Traduction J. Beaujeu (Collection des Universités de France). 84. Sur Apulée, les Métamorphoses et la Seconde Sophistique, voir l’excellente présentation d’ensemble de J. Tatum, Apuleius and the Golden Ass, Ithaca, 1979 et plus particulièrement les chapitres 1 et 2. Voir également, concernant l’appartenance d’Apulée à la Seconde Sophistique, K. Bradley, « Law, Magic and Culture in the Apologia of Apuleius », Phoenix 51 (1997), p. 213. 85. Pour une présentation générale de Longus, voir R. L. Hunter , A Study of Daphnis and Chloe, Cambridge, 1983 ; J. Bompaire , « À propos de Daphnis et Chloé de Longus », L’information littéraire 25 (1973), p. 116-122 et B. P. R eardon, Courants littéraires grecs des IIe et IIIe siècles après J.-C., Paris, 1971. Voir de B. P. R eardon également : The Form of Greek Romance, Princeton, 1991, p. 30-34.
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Chloé, à mêler au ton léger et naïf du récit, un style des plus sophistiqués 86, avec des invocations directes ou indirectes aux dieux de la fécondité : Dionysos, Éros et Pan 87. Le récit de Longus, qui prend la forme d’une longue ἔκφρασις, cet exercice si prisé des sophistes des IIe et IIIe siècles 88, une description, pour être plus précis, d’un tableau pastoral et érotique, aperçu sur l’île de Lesbos 89, se présente, dès le préambule, comme étant à la fois une offrande à Éros et un bien précieux pour tous les hommes 90. Parmi ceux qui ont étudié le roman, Chalk et Merkelbach 91 ont accordé beaucoup d’importance à la mention d’ἀναθήμα Ἔρωτι et à l’hymne que Philétas adresse au dieu Éros, à l’intention de Daphnis et Chloé : « C’est un dieu, mes enfants, jeune et beau et portant des ailes. Aussi aime-t-il la jeunesse, recherche-t-il la beauté et permet-il aux âmes de prendre leur vol. Sa puissance dépasse celle de Zeus. Il règne sur les éléments, il règne sur les astres, il règne sur les dieux ses semblables, plus que vous-mêmes ne 86. Voir J. Bompaire , « À propos de Daphnis et Chloé de Longus », L’information littéraire 25 (1973), p. 120 : « Sous une apparence de naïveté, le roman est très élaboré, il obéit à une esthétique “euphuiste”, pour reprendre le mot des critiques anglais ». 87. Voir R. L. Hunter , A Study of Daphnis and Chloe, Cambridge, 1983, p. 31-38 et sa remarque : « No aspect of Longus’ novel has attracted so much recent comment as his treatment of the divine » (p. 31). 88. Au sujet de l’ἔκφρασις et de son importance dans la Seconde Sophistique et dans la rhétorique en général, voir G. A. K ennedy, Greek Rhetoric Under Christian Emperors, Princeton, 1983, p. 171-173 (sur Procope de Gaza, 465-527 de notre ère) ; J. Bompaire , « À propos de Daphnis et Chloé de Longus », L’information littéraire 25 (1973), p. 120 : « l’un des exercices favoris des rhéteurs, pratiqué avec brio par Lucien et par Achille Tatius » et, bien sûr, l’œuvre de Philostrate : La galerie des tableaux. 89. C’est le prétexte imaginé par le narrateur pour introduire son récit : « À Lesbos, où je chassais dans un bois consacré aux Nymphes, je vis un spectacle, le plus beau que j’aie vu : peinture de tableau, histoire d’amour » (Préambule 1). Traduction J.-R. Vieillefond (Collection des Universités de France). F. I. Zeitlin « The Poetics of Eros : Nature, Art, and Imitation in Longus’ Daphnis and Chloe », dans D. M. H alperin – J. J. Winkler – F. I. Zeitlin (éd.), Before Sexuality, Princeton, 1990, p. 419, souligne avec raison l’originalité du procédé qui consiste à donner au récit le cadre d’un tableau. 90. Daphnis et Chloé Préambule 3 : « Je me mis en quête d’une personne pour m’expliquer le tableau, et puis je composai quatre livres, offrande à l ’Amour, aux Nymphes et à Pan, mais également bien précieux pour tous les hommes ». Traduction J.-R. Vieillefond (Collection des Universités de France) = ἀνάθημα μὲν Ἔρωτι καὶ Νύμφαις καὶ Πανί, κτῆμα δὲ τερπνὸν πᾶσιν ἀνθρώποις. 91. H. H. O. Chalk , « Eros and the Lesbian Pastorals of Longos », Journal of Hellenic Studies 80 (1960), p. 32-51 et R. M erkelbach, Roman und Mysterium in der Antike, München – Berlin, 1962, p. 192-224. Si Chalk interprète le roman à la lumière du dieu Éros, Merkelbach y voit, pour sa part, un roman à mystère, consacré aux mystères de Dionysos. Sur la thèse de Merkelbach qui fait du roman grec un Mysterientexte, voir T. H ägg, The Novel in Antiquity, Berkeley, 1983, p. 101-104 et B. P. R eardon, The Form of Greek Romance, Princeton, 1991, p. 171-175.
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pouvez le faire sur vos chèvres et sur vos moutons. Toutes les fleurs sont l’œuvre d’Éros, ces plantes-ci sont ces créations. C’est grâce à lui que les rivières coulent et que les vents soufflent » 92 . Il ne s’agit pas, pour Chalk, d’un simple morceau de rhétorique. Le sujet du livre, c’est le dieu Éros, le dieu des cosmogonies orphico-dionysiaques 93, dont le roman dévoile la nature par ses thèmes et surtout par son intrigue qui obéit à une structure de type initiatique 94 . D’autres, comme Graham Anderson 95, ne peuvent souscrire à la thèse d’un Longus μυσταγωγός 96. Prêt à admettre que la fonction du religieux n’est pas facile à saisir chez Longus 97, Anderson estime qu’il n’y a pas lieu de voir ni dans le prologue ni dans le discours de Philétas, l’expression d’une piété sincère ou d’un programme religieux 98. Longus, en bon sophiste, reprend les topoi sur le pouvoir de l’amour et se livre à un pastiche de passages platoniciens sur l’amour 99. Il obtient, 92. Daphnis et Chloé 2,7,1-3. Traduction J.-R. Vieillefond (Collection des Universités de France) = θεός ἐστιν, ὦ παῖδες, ὁ Ἔρως, νέος καὶ καλὸς καὶ πετόμενος·διὰ τοῦτο καὶ νεότητι χαίρει καὶ κάλλος διώκει καὶ τὰς ψυχὰς ἀναπτεροῖ. Δύναται δὲ τοσοῦτον ὅσον οὐδὲ ὁ Ζεύς. Κρατεῖ μὲν στοιχείων, κρατεῖ δὲ ἄστρων, κρατεῖ δὲ τῶν ὁμοίων θεῶν·οὐδὲ ὑμεῖς τοσοῦτον τῶν αἰγῶν καὶ τῶν προβάτων. Τὰ ἄνθη πάντα Ἔρωτος ἔργα·τὰ φυτὰ ταῦτα τούτου ποιήματα διὰ τοῦτον καὶ ποταμοὶ ῥέουσι καὶ ἄνεμοι πνέουσιν. 93. H. H. O. Chalk , « Eros and the Lesbian Pastorals of Longos », Journal of Hellenic Studies 80 (1960), p. 33 : « The subject of the book is Eros » et p. 34 : « For it is, it seems, to an Orphic-Dionysiac context that we must look for the sources of Longos’ theology ». Voir R. L. Hunter , A Study of Daphnis and Chloe, Cambridge, 1983, p. 32 et ses réserves : « Nevertheless, further positive indications of an “Orphic” Eros in Longus seem to me to be very scanty ». 94. H. H. O. Chalk , « Eros and the Lesbian Pastorals of Longos », Journal of Hellenic Studies 80 (1960), p. 36 : « the book is constructed on a number of frameworks, all expressive of the nature of Eros and his worship – a framework of seasons, the embodiment of a fertility god ; a framework of the progress and experience of human lovers, expressive of his nature from man’s standpoint ; and a framework of initiation leading from innocence to recognition and acceptance by the god ». Dans le roman de Chariton, Chairéas et Callirhoé, le dieu Éros contribue également à structurer l’intrigue. Voir, à ce sujet, P. Toohey, « Dangerous Ways to Fall in Love : Chariton I 1,5-10 and VI 9,4 », Maia 51 (1999), p. 259-275. 95. G. A nderson, Eros sophistes. Ancient Novelists at Play, Chico (CA), 1982, p. 41-49. 96. C’est l’expression de Chalk , « Eros and the Lesbian Pastorals of Longos », Journal of Hellenic Studies 80 (1960), p. 36. 97. G. A nderson, Eros sophistes. Ancient Novelists at Play, Chico (CA), 1982, p. 45 : « The most difficult feature to isolate or characterise in Longus is the role of religion or spirituality ». 98. G. A nderson, Eros sophistes. Ancient Novelists at Play, Chico (CA), 1982, p. 46. Sur le discours de Philétas : « Is this Hellenistic conceit, or an expression of piety and belief ? … the context and speaker himself are against any kind of serious religious programm here ». 99. G. A nderson, Eros sophistes. Ancient Novelists at Play, Chico (CA), 1982, p. 46. L’auteur qualifie le passage de « well-worn cliché of Plato’ Symposium, New
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CHAPITRE I
dans l’ensemble, un charmant mélange d’humour et de sentiment 100. La lecture d’Anderson peut paraître manquer de sensibilité à la dimension religieuse du roman. Il nous semble parfaitement acceptable de maintenir, avec Chalk, le sens fort du terme ἀναθήμα sans nier à l’ἱστορία Ἔρωτος son caractère charmant (τερπνόν) 101. Il y a bel et bien, selon Bompaire, un « itinéraire spirituel » dans Daphnis et Chloé, qu’il ne faut ni prendre à la légère ni « tout à fait au sérieux ». « Une sorte de jeu sacré, résume Bompaire, se déroule dans une forêt de symboles » 102 . L’éloge d’Éros, dans les Homélies, ne procède pas, naturellement, de la même intention. Alors que chez Longus le dieu fait en sorte que le couronnement de l’amour que se portent Daphnis et Chloé soit une union légitime 103, il ne sert, dans l’éloge d’Appion, qu’à justifier l’adultère sous toutes ses formes. Ce qui est commun, en fait, à l’Éros de Philétas et à l’Éros d’Appion, c’est leur nature composite et artificielle 104 .
Comedy and the Second Sophistic itself ». À la page 136, note 78, il précise : « it is a clever pastiche of passages on Platonic love, combined with the motif of Ἔρως δραπετής, and the remedies for love in Theocr. XI. 1 ff. ». Sur les topoi liés au dieu Éros, voir les passages mentionnés ou cités apud R. L. Hunter , A Study of Daphnis and Chloe, Cambridge, 1983, p. 32-36. 100. Graham A nderson emploie le terme « balance ». G. A nderson, Eros sophistes. Ancient Novelists at Play, Chico (CA), 1982, p. 49 : « balance between burlesque mock-pastoral and poetic fantasy in prose » et à la page 137, note 78 : « a delightful balance between humour and pathos ». 101. H. H. O. Chalk , « Eros and the Lesbian Pastorals of Longos », Journal of Hellenic Studies 80 (1960), p. 48 : « In short, the work is not a κτῆμα τερπνόν in spite of being an ἀναθήμα … if we appreciate the constant play between the story of the lovers and the patterns dictated by the theme of Eros, the charm remains, but it is deepenéd. We have an ἀναθήμα which is also itself τερπνόν ». 102. J. Bompaire , « À propos de Daphnis et Chloé de Longus », L’information littéraire 25 (1973), p. 119. 103. Voir F. I. Zeitlin, « The Poetics of Eros : Nature, Art, and Imitation in Longus’ Daphnis and Chloe », dans D. M. H alperin – J. J. Winkler – F. I. Zeitlin (éd.), Before Sexuality, Princeton, 1990, p. 458 : « In conformity with the social ethos of eros, Daphnis and Chloe are conducted at nightfall into the wedding chamber ». 104. Sur la nature composite d’Éros chez Longus, voir R. L. Hunter , A Study of Daphnis and Chloe, Cambridge, 1983, p. 36 : « Longus’ Eros is a mixture of traits and hints derived from a variety of traditions and no attempt to put an interpretative straitjacket on him will succeed » et F. I. Zeitlin, « The Poetics of Eros : Nature, Art, and Imitation in Longus’ Daphnis and Chloe », dans D. M. H alperin – J. J. Winkler – F. I. Zeitlin (éd.), Before Sexuality, Princeton, 1990, p. 420 : « Daphnis and Chloe is a work, then, that could only be composed at the end of a long and cumulative tradition which, over the centuries, had contributed to its varied resources (myth, literature, philosophy, art) to constructing and identifying the power and experiences of eros ».
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Longus et l’auteur des Homélies connaissent les procédés littéraires de la Seconde Sophistique 105. Ce que Graham Anderson pense du discours de Philétas, topoi et pastiche, s’applique aussi bien à l’éloge de l’adultère des Homélies 106. « Éros crée de grands sophistes » dit Astylos, un personnage de Daphnis et Chloé 107, et c’est pourquoi, dans le roman clémentin, le personnage d’Appion, inspiré par le thème, n’éprouve aucune difficulté à composer, dans un esprit sophistique, un ἐγκώμιον de l’adultère qui célèbre la puissance d’Éros et les amours des dieux. L’opuscule (τὸ βιβλίον) fictif du grammairien, cet habile pastiche d’un ἐγκώμιον, vise à révéler la nature véritable de la παιδεία : une noble excuse pour pécher sans crainte 108. Cette thèse radicale était déjà exprimée par Clément dès le premier jour de la discussion avec Appion 109. Après avoir passé en revue les adultères et autres crimes divins de la mythologie, Clément se demandait alors s’il faut croire les grammairiens et les sophistes, ces purs produits de la παιδεία, quand ils affirment que l’adultère et le meurtre, par exemple, sont des actes dignes des dieux. Ne serait-ce pas plutôt, à son avis, leur propre intempérance qui les incite à prendre prétexte des mythes pour mieux se livrer à leurs penchants ? 110.
105. Pour ce qui est du roman grec et de la Seconde Sophistique, voir G. A nderThe Second Sophistic. A cultural phenomenon in the Roman Empire, Londres, 1993, le chapitre 8, « Logos erotikos : the Sophist as Storyteller » et les pages 68 et 169, sur Longus. 106. B. Pouderon, « La littérature pseudo-épistolaire dans les milieux Judéens et chrétiens des premiers siècles. L’exemple des Pseudo-Clémentines », dans Epistulae Antiquae. Actes du 1er colloque « Le genre épistolaire antique et ses prolongements », Louvain – Paris, 2000, p. 238 – en suivant une voie différente, puisqu’il s’agit, dans son cas, de déterminer la source possible de l’éloge – en arrive à la même conclusion : « Cela tendrait à prouver que la lettre amoureuse d’Appion est un pastiche forgé par un adversaire du paganisme, qu’il fût juif ou chrétien ». 107. Daphnis et Chloé 4,18,1 : ὡς μεγάλους ὁ Ἔρως ποιεῖ σοφιστάς. 108. Homélies 5,9,5 : « Telle est, messieurs, la culture des Grecs : elle a pour noble programme de faire pécher sans crainte ». Traduction de la Pléiade (P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005) = Αὕτη ἐστίν, ἄνδρες, ἡ τῶν Ἑλλήνων παιδεία, γενναίαν ὑπόθεσιν ἔχουσα πρὸς τὸ ἀδεῶς ἐξαμαρτάνειν. 109. Homélies 4,12,1 : « Oui, je dis, moi, que toute la culture grecque est une proposition très fâcheuse d’un mauvais démon ». Traduction de la Pléiade (P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005) = αὐτίκα γοῦν ἐγὼ τὴν πᾶσαν Ἑλλήνων παιδείαν κακοῦ δαίμονος χαλεπωτάτην ὑπόθεσιν εἶναι λέγω. 110. Nous avons paraphrasé une partie du passage que l’on trouve en Homélies 4,17,1-2 : « On pourrait trouver raisonnable que des ignorants s’indignent assez peu de telles opinions, mais que dire des gens cultivés ? Certains parmi eux s’estiment grammairiens et sophistes. Ils affirment que de pareilles actions sont dignes des dieux. C’est qu’eux-mêmes, dans leur intempérance, saisissent le prétexte fourni par les mythes et s’affichent alors comme imitateurs des êtres supérieurs en commetson,
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2 . L’É ros
de
Cl é m e n t
La foule réunie autour de Clément a donc pris connaissance de l’éloge rédigé par Appion. Clément leur expose maintenant la réponse de la philosophe fictive. L’ἀντιγραφή, sur le plan du style et de l’érudition, correspond tout à fait à l’ἐγκώμιον 111. Même maîtrise du sujet mythologique et de la manière rhétorique 112 . Seule l’étendue du propos fait ici défaut. Un trait qui s’accorde cependant avec la sobriété d’une philosophe convertie au judaïsme. Pour ce qui est de l’argumentation que Clément prête à sa philosophe, cela va de soi, elle s’oppose rigoureusement à celle du grammairien. À l’interprétation allégorique des mythes, que propose Appion, répond un évhémérisme plutôt brutal. « Ce n’étaient donc pas des dieux, mais des figures voilées de tyrans, lance-t-elle au sujet de Zeus, Cronos et les autres figures mythologiques 113 ». Aux louanges du dieu Éros s’oppose ainsi la négation pure et simple de sa divinité.
tant des actes dégradants ». Traduction de la Pléiade (P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005). 111. Voir B. Pouderon, « La littérature pseudo-épistolaire dans les milieux Judéens et chrétiens des premiers siècles. L’exemple des Pseudo-Clémentines », dans Epistulae Antiquae. Actes du 1er colloque « Le genre épistolaire antique et ses prolongements », Louvain – Paris, 2000, p. 229 : « La réponse forgée par Clément n’est pas moins habile » et W. A dler , « Appion’s “Encomium of Adultery” : A Jewish Satire of Greek Paideia in the Pseudo-Clementine Homilies », Hebrew Union College Annual 64 (1993), p. 42, pour lequel il s’agit du même genre d’exercice (« the same kind of exercise »). 112. Voir, à nouveau, B. Pouderon, « La littérature pseudo-épistolaire dans les milieux Judéens et chrétiens des premiers siècles. L’exemple des Pseudo-Clémentines », dans Epistulae Antiquae. Actes du 1er colloque « Le genre épistolaire antique et ses prolongements », Louvain – Paris, 2000, p. 236 : « un même souci rhétorique habite les deux lettres ». Il donne l’exemple, à la suite de W. H eintze , Der Klemensroman und seine griechischen Quellen, Leipzig, 1914, p. 46, note 3, d’un usage comparable des clausules métriques dans la lettre d’Appion et la réponse de la philosophe. Voir également W. A dler , « Appion’s “Encomium of Adultery” : A Jewish Satire of Greek Paideia in the Pseudo-Clementine Homilies », Hebrew Union College Annual 64 (1993), p. 42 : « The letter is marked by the same rhetorical flourishes as Appion’s encomium ». 113. Homélies 5,23,1. Traduction de la Pléiade (P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005) = οὐκ ἄρα ἦσαν θεοί, ἀλλὰ τυράννων αἰνίγματα. Sur l’évhémérisme des auteurs chrétiens, voir M. Simon, « Les dieux antiques dans la pensée chrétienne », Zeitschrift für Religions und Geistesgeschichte 6 (1954), p. 102.
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2.1. Un Éros qui n’a rien de divin Éros, présent dans les désirs, n’est pas le chef ou la cause première des dieux 114 .
Puisque l’imitation des dieux et l’obéissance au dieu Éros, le plus ancien de tous les dieux, constituent l’argument principal d’Appion, il s’agit donc de déterminer si Éros est vraiment un dieu. Pour le savoir, la philosophe lui applique le critère de l’impassibilité : Un dieu ne peut être ni soumis aux passions ni dominé par le désir. Éros domine-t-il le désir ou est-ce plutôt le désir qui domine Éros ? Quand il se manifeste dans les désirs, le fait-il volontairement ou involontairement ? « Car, si c’est de son plein gré qu’il éprouve du désir, il est alors lui-même sa propre passion et son propre châtiment. Or, celui qui subit volontairement une passion ne saurait être dieu » 115. Et si c’était involontairement qu’Éros se trouvait mêlé au désir ? Il faudrait alors le soumettre au critère de subordination : un dieu ne peut être dominé par un être supérieur. « D’autre part, si c’est contre son gré qu’il s’éprend de l’union charnelle et qu’il est poussé à avoir des relations avec des êtres spirituels, traversant nos âmes, usant de nos corps comme des instruments, alors, celui qui rend Éros capable de s’éprendre et qui l’emporte, celui-là lui est supérieur 116 ». En réalité, conclut-elle, il n’y a ni supérieur ni subordonné, « mais bien la passion de l’amant lui-même, pleine de désir, exaltée par l’espoir, diminuée par le refus » 117.
2.2. Un Éros « biologique » Puisque le désir d’amour survient pour des raisons de succession et de propagation légitime 118…
114. Homélies 5,21,3 : ἔρως γὰρ θεῶν οὐκ ἔστιν ἀρχηγέτης ὁ ἐν ταῖς ἐπιθυμίαις. Traduction A. Siouville , Les homélies clémentines, Paris, 1991 [1933]. 115. Homélies 5,21,3 : καὶ θεὸς οὐκ ἂν εἴη ὁ πάσχων ἑκών. Traduction A. Siouville , Les homélies clémentines, Paris, 1991 [1933]. 116. Homélies 5,21,4 : εἰ δὲ ἄκων ἐρᾷ τῆς μίξεως καὶ τὰς ἡμετέρας διερχόμενος ψυχὰς ὥσπερ δι’ ὀργάνων τῶν ἡμετέρων σωμάτων εἰς τὰς τῶν νοητῶν φέρεται συνουσίας, ὁ τοῦτον ἐρᾶν ποιῶν καὶ φέρων μείζων αὐτοῦ τυγχάνει. Traduction A. Siouville , Les homélies clémentines, Paris, 1991 [1933]. 117. Homélies 5,21,6 : ἀλλ’ αὐτοῦ τοῦ ἐρῶντος τὸ ἐπιθυμητικόν ἐστιν πάθος, ἐλπίδι αὐξόμενον καὶ ἀπογνώσει μειούμενον. Traduction A. Siouville , Les homélies clémentines, Paris, 1991 [1933]. 118. Homélies 5,25,1 : ἐπεὶ οὖν διαδοχῆς ἕνεκεν καὶ γνησίας ἐπαυξήσεως, ὡς ἔφην, ἡ ἐπιθυμία συμβαίνει ἡ ἐρωτική… Traduction A. Siouville , Les homélies clémentines, Paris, 1991 [1933].
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Éros n’est donc pas un dieu. Il n’a rien du δυνατὸς θεός qui menace de sa colère tous ceux qui oseraient résister à ses ordres 119. Il n’est que le « désir qui surgit du tempérament de tout être vivant pour assurer la propagation de la vie, selon la providence de celui qui produit toutes choses 120 ». Une ἐπιθυμία, voilà tout ce qui reste du plus ancien des dieux, une pulsion qui obéit à la providence divine dans le seul but d’assurer la propagation de la vie. Bien entendu, la nature fondamentalement utilitaire du désir n’exclut pas toute possibilité de plaisir. Mais, s’il arrive que le plaisir accompagne le processus de reproduction, c’est que la providence a voulu que l’exercice puisse se faire προφάσει ἡδονῆς, c’est-à-dire, sous le prétexte du plaisir 121. Le plaisir n’a ici aucune consistance en lui-même et n’est certainement pas « cette grande jouissance parmi les hommes » que célèbre Appion 122 ! 2.3. Un Éros conjugal et légitime Éros n’est pas un dieu, mais un désir qui surgit … pour assurer la transmission de la vie … afin que sorte un être nouveau, né d’un légitime mariage, de manière à connaître son père et à le nourrir dans sa vieillesse, ce que ne sauraient faire les enfants nés de l’adultère 123.
Si le désir s’avère indispensable à la transmission de la vie, le νόμιμος γάμος s’avère tout autant indispensable au désir pour que le processus s’accomplisse de manière utile. Les lois qui interdisent l’adultère, au-dessus desquelles le grammairien plaçait le dieu Éros, doivent donc, au contraire, dominer et freiner le désir. « Il faut, explique la philosophe, que les parents rappellent fermement à leurs enfants les châtiments qui découlent des lois pour que ceux-ci se servent de la crainte comme d’un frein et ne s’empressent pas vers les plaisirs insensés » 124 . La σωφροσύνη, la maîtrise des 119. Homélies 5,24,4 : « En outre, tu me menaces de la colère d’un dieu puissant. Éros n’est pas le dieu qu’il paraît… » = πρὸς τούτοις δέ μοι ἔρωτος ὡς δυνατοῦ θεοῦ ἀπειλεῖς χόλον. ἔρως θεὸς οὐκ ἔστιν οἷος δοκεῖ… Traduction A. Siouville , Les homélies clémentines, Paris, 1991 [1933]. 120. Homélies 5,24,5 : ἐκ τῆς τοῦ ζῴου κράσεως πρὸς διαδοχὴν τοῦ βίου κατὰ πρόνοιαν τοῦ τὰ πάντα ἐνεργήσαντος συμβαίνουσα ἐπιθυμία. Traduction A. Siouville , Les homélies clémentines, Paris, 1991 [1933]. 121. Homélies 5,24,5. 122. Homélies 5,17,5 : ἡ μεγάλη ἐν ἀνθρώποις ἀπόλαυσις. 123. Homélies 5,24,5-6 : ἔρως θεὸς οὐκ ἔστιν … ἀλλ’[ὰ] … πρὸς διαδοχὴν τοῦ βίου … συμβαίνουσα ἐπιθυμία, ἵνα … πάλιν ἄλλος γένηται, νομίμῳ προεκπεφυκὼς γάμῳ, ὅπως πρὸς τὸ γηροτροφεῖν τὸν αὑτοῦ πατέρα γνώσῃ ὅπερ ποιεῖν οἱ ἐκ μοιχείας γεγονότες οὐκ ἂν ἐδύναντο. Traduction A. Siouville , Les homélies clémentines, Paris, 1991 [1933]. 124. Homélies 5,25,2 : πρὸς τούτοις δὲ πυκνῶς αὐτοὺς τὰς κολάσεις ὑπομιμνήσκειν τὰς ἐκ τῶν νόμων, ἵνα ὥσπερ χαλινῷ τῷ φόβῳ χρώμενοι ταῖς ἀτόποις μὴ συντρέχωσιν ἡδοναῖς. Traduction A. Siouville , Les homélies clémentines, Paris, 1991 [1933].
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passions, s’acquiert ainsi dans la crainte du jugement. Autrement, « pareil à un feu bien nourri en bois » 125, un feu inextinguible, le désir que l’on satisfait sans se soucier de son cadre légitime ravage tout sur son passage. Seule la crainte du jugement peut venir à bout d’un tel fléau : « en fait, tout comme l’eau éteint le feu, de même la crainte éteint le désir déraisonnable » 126. 2.4. Un Éros judéen ? C’est pourquoi, comme j’ai appris d’un certain Judéen à penser et agir comme il plaît à Dieu, il n’est pas facile de me pousser à l’adultère en se servant de récits mensongers 127.
La conclusion de l’ἀντιγραφή ne laisse aucun doute sur le caractère judéen du point de vue adopté par la philosophe. C’est cependant un judaïsme extrêmement dépouillé qui s’exprime ici dans cette critique de la παιδεία. Un judaïsme qui, selon W. Adler, rejoint la morale du stoïcisme tardif dans sa valorisation du mariage 128. Un judaïsme, pourrions-nous ajouter, qui se rapproche des conceptions morales de Philon d’Alexandrie 129. Nous retrouvons, en effet, la même subordination du plaisir à la procréation : « les premières relations du mâle et de la femelle ont pour guide le plaisir … par lui se réalisent la fécondation et la procréation » 130 ; la même importance accordée à l’union légitime : « avant nos alliances 125. Homélies 5,26,2 : ὥσπερ τὸ πῦρ τῆς ὕλης εὐποροῦν. Traduction A. SiouLes homélies clémentines, Paris, 1991 [1933]. 126. Homélies 5,26,3 : ὡς γὰρ ὕδωρ πῦρ κατασβέννυσιν, οὕτως καὶ φόβος τῆς ἀλόγου ἐπιθυμίας ἐστὶ σβεστήριος. Traduction A. Siouville , Les homélies clémentines, Paris, 1991 [1933]. 127. Homélies 5,26,3 : ὅθεν ἐγὼ ἔκ τινος Ἰουδαίου τὰ θεῷ πρέποντα καὶ νοεῖν καὶ ποιεῖν ἐκμαθοῦσα, εὐάλωτος πρὸς μοιχείαν ὑπὸ ψευδῶν μύθων οὐ γίνομαι. Traduction A. Siouville (Les homélies clémentines, traduction d’A. Siouville , Paris, 1991 [1933]). 128. W. A dler , « Appion’s “Encomium of Adultery” : A Jewish Satire of Greek Paideia in the Pseudo-Clementine Homilies », Hebrew Union College Annual 64 (1993), p. 42-43 : « Although the earlier Stoics considered marriage a morally indifferent category, later Stoicism saw marriage and the birth of legitimate children as the only natural expression of erotic love ». Adler cite, à l’appui, le vers 194 des Sentences du Pseudo-Phocylide (Ier siècle de notre ère), un texte d’origine judéenne et peut-être même d’origine judéenne alexandrine, fortement influencé par le stoïcisme : οὐ γὰρ ἔρως θεός ἐστι, πάθος δ᾽ ἀΐδηλον ἁπάντων. Voir P. W. van der Horst, The Sentences of Pseudo-Phocylides, Leyde, 1978, p. 240-241. 129. Concernant le point de vue de Philon sur la sexualité et son obsession, selon l’auteur, « with the body and its destructive desires », voir R. Williamson, Jews in the Hellenistic World : Philo, Cambridge, 1989, p. 278-305. 130. Philon, La création du monde 161. Traduction R. A rnaldez (Collection Œuvres de Philon d ’Alexandrie) : αἵ τε πρῶται τοῦ ἄρρενος πρὸς τὸ θῆλυ σύνοδοι ξεναγὸν ἔχουσιν ἡδονήν, αἵ τε σποραὶ καὶ γενέσεις διὰ ταύτης συνίστανται. ville ,
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légitimes, [c’est Joseph qui s’adresse à la femme de Potiphar] nous n’avons de rapports avec aucune femme, mais chastes, nous épousons de chastes jeunes filles, nous donnant pour but, non le plaisir, mais la procréation d’enfants légitimes » 131 et la même comparaison entre le désir et le feu inextinguible 132 . Mais le rapprochement avec la pensée de Philon doit se limiter à ces questions de morale. Il y a dans les Homélies, et non seulement dans la section qui nous occupe dans cette étude, un refus très net de la παιδεία, de ses mythes et de sa philosophie. Pas question, dans ce cas, de récupérer le thème du dieu Éros, sous une forme ou une autre, contrairement à Philon qui n’hésite pas à faire sienne la conception platonicienne d’un Éros, amour du Beau et du Véritable 133. Son Ἔρως οὐράνιος procure ainsi à celui qui le possède le détachement des choses matérielles et, au terme d’un véritable parcours philosophique, la contemplation du Dieu véritable 134 . L’Éros de Clément, évhémérisé, pourrait-on dire, se réduit à très peu de choses, un désir, un instinct de reproduction. C onclusion La critique de la mythologie grecque dans les Homélies clémentines (4 à 6), se situe, par ses thèmes, en continuité avec le courant apologétique chrétien du IIe siècle. Ce n’est pas ici le lieu d’en faire la démonstration. Qu’il suffise pour cela de consulter la liste dressée par Bernard Pouderon
131. Philon, Joseph 43. Traduction J. L aporte (Collection Œuvres de Philon d ’Alexandrie) : πρὸ δὴ συνόδων νομίμων ὁμιλίαν ἑτέρας γυναικὸς οὐκ ἴσμεν, ἀλλ’ ἁγνοὶ γάμων ἁγναῖς παρθένοις προσερχόμεθα προτεθειμένοι τέλος οὐχ ἡδονὴν ἀλλὰ γνησίων παίδων σποράν. 132. Philon, Joseph 41, au sujet de la femme de Potiphar : ζωπυροῦσα καὶ ἀναφλέγουσα τὴν ἔκνομον ἐπιθυμίαν ; Le décalogue 173 : le désir est comme une flamme qui détruit tout : ἀλλ’ οἷα φλὸξ ἐν ὕλῃ νέμεται δαπανῶσα πάντα καὶ φθείρουσα et 122 où il est question du « penchant pour le plaisir » d’où provient l’adultère et qui « à l’instar d’un feu inextinguible consume tous les objets avec lesquels il entre en contact » : ἀσβέστου πυρὸς ὧν ἂν προσάψηται καταφλέγουσα. 133. Sur cette question, voir le résumé de E. R. Goodenough, Jewish Symbols in the Greco-Roman Period, VIII. Pagan Symbols in Judaism, New York, 1958, p. 12-16. 134. E. R. Goodenough, Jewish Symbols in the Greco-Roman Period, VIII. Pagan Symbols in Judaism, New York, 1958, p. 13-14. L’auteur cite de nombreux passages de Philon dont celui-ci, tiré de La vie contemplative 11, qu’il traduit ainsi : « It is in order to see this “vision (or spectacle) of God” that those dedicate their lives who, “ravished by heavenly eros, remain god-possessed like bacchanals or corybants until they see the object of their yearning” ». Sur le platonisme de Philon, voir également D. T. Runia, Philo and the Church Fathers. A Collection of Papers, Leyde, 1995, p. 1-24 et 182-205.
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des passages concernant les amours de Zeus 135. Aucun apologiste, cependant, n’a cru bon d’inscrire sa critique des mythes dans le cadre littéraire du roman, comme le font les Homélies, poussant même le raffinement, avec l’épisode des lettres, jusqu’à la mise en abîme. À la forme épistolaire du livre 5, qui pourrait suffire, il est vrai, à établir l’originalité de l’auteur, il faut ajouter, à notre avis, le thème même du dieu Éros. Il y a bien, chez Athénagore, une mention du Phanès orphique qui se compare, en plus bref, à la théogonie orphique des Homélies 136, mais nulle part ailleurs, dans la littérature chrétienne, le dieu Éros fait-il l’objet d’un panégyrique comparable à celui qui ouvre l’éloge d’Appion. Le thème apparaît pourtant dans un passage remarquable du traité gnostique de Nag Hammadi, L’Écrit sans Titre 137 : À partir de ce premier sang, Éros apparut, androgyne. Sa masculinité est Himéros puisqu’il est feu issu de la lumière. Sa féminité qui l’accompagne est une âme de sang issue de la substance de la Providence. Il est si charmant dans sa beauté, plus gracieux que toutes les créatures du chaos. Alors, tous les dieux et leurs anges, apercevant Éros, furent épris de lui. Et quand il apparut parmi eux tous, il les embrasa. Comme à partir d’une lampe on en allume plusieurs, et bien que cette lumière soit unique, la lampe ne faiblit pas, de cette façon aussi cet Éros se répandit parmi toutes les créatures du chaos sans faiblir. De la même façon que dans l’espace intermédiaire entre la lumière et les ténèbres se manifesta Éros – par l’intermédiaire des anges et des hommes fut accomplie l’union d’Éros –, de la même façon en bas sur la terre, germa la première volupté : la femme suivit la terre et le mariage suivit la femme, l’engendrement suivit le mariage, la dissolution suivit l’engendrement 138.
Suivant l’interprétation subtile et érudite qu’en a donnée Michel Tardieu, l’auteur du traité aurait intégré à son propos l’Éros cosmogonique des 135. B. Pouderon, « La littérature pseudo-épistolaire dans les milieux judéens et chrétiens des premiers siècles. L’exemple des Pseudo-Clémentines », dans Epistulae Antiquae. Actes du 1er colloque « Le genre épistolaire antique et ses prolongements », Louvain – Paris, 2000, p. 238, note 73 : Aristide, Apologie 9,2 ; Justin Martyr, Première Apologie 21,5 ; Tatien, Discours aux Grecs 10,1 ; Athénagore, Supplique au sujet des Chrétiens 22,11 ; Tertullien, Apologétique 21,8 et Clément d’Alexandrie, Protreptique 2,37,2-4. 136. Athénagore , Supplique au sujet des Chrétiens 18,3-6 et 20. Voir l’analyse de L. Brisson, « Orphée et l’Orphisme à l’époque impériale. Témoignages et interprétations philosophiques, de Plutarque à Jamblique », dans W. H aase (éd.), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, Berlin, 1990, Teil II, Band 36.4, p. 28982902. 137. L’édition la plus récente est celle de L. Painchaud, L’Écrit sans Titre. Traité sur l ’origine du monde, Québec-Louvain – Paris, 1995. 138. L’Écrit sans Titre 109,1-24. Traduction L. Painchaud.
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traditions hésiodique et orphique pour lui assigner une fonction épiphanique 139. Les travaux récents de Louis Painchaud sur l’Écrit sans Titre ont toutefois démontré qu’une telle interprétation, pour séduisante qu’elle soit, ne pouvait se maintenir qu’au prix de certains contresens 140. Plus attentif à la cohérence du texte, Louis Painchaud a montré que la fonction du mythe d’Éros, dans l’Écrit sans Titre, se limitait à défendre un point de vue encratiste 141. Bien entendu, il serait pour le moins hasardeux de chercher à établir une relation entre le traité gnostique et les Homélies. Dans les deux cas, pourtant, il pourrait y avoir un lien avec Alexandrie 142 et leurs auteurs semblent avoir été en contact avec des traditions et des topoi sur Éros 143. Mais, alors que dans l’Écrit sans Titre le caractère mythique du thème est assumé et intégré à l’intentio operis 144 , les traditions recueillies sur Éros dans les Homélies sont présentées dans le cadre d’un habile pastiche qui les constituent en un objet de critique. La manière est caractéristique des Pseudo-Clémentines qui démontrent, ici et ailleurs dans le roman 145, une 139. M. Tardieu, Trois mythes gnostiques. Adam, Éros et les animaux d ’Égypte dans un écrit de Nag Hammadi (II, 5), Paris, 1974. C’est le chapitre quatrième : « Éros et le paradis », p. 141-214, qui porte plus spécifiquement sur le mythe d’Éros. Pour les fonctions d’Éros, voir les pages 163-174. L’interprétation a été adoptée sans critique par P. Cox M iller , The Poetry of Thought in Late Antiquity. Essays in Imagination and Religion, Aldershot, 2001, p. 111 et par M. J. Edwards , « Gnostic Eros and Orphic Themes », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 88 (1991), p. 29, dans un article d’une étonnante confusion. 140. L. Painchaud, L’Écrit sans Titre. Traité sur l ’origine du monde, QuébecLouvain – Paris, 1995, p. 93 : « M. Tardieu a beaucoup écrit, et avec une magistrale érudition, au sujet de cet Éros. Mais faute d’avoir compris la fonction du motif “érotique” dans l’économie d’ensemble du traité, la plus grande partie de ses observations porte à faux. Par exemple, attribuer à l’Éros de l’Écrit sans Titre une “fonction illuminative” sur la base de 109, 8-20 est un pur contresens ». 141. L. Painchaud, L’Écrit sans Titre. Traité sur l ’origine du monde, Québec-Louvain – Paris, 1995, p. 94 : « Faisant naître Éros de la passion amoureuse incontrôlée de la parèdre du Grand Géniteur pour la forme de l’Homme immortel apparue, et soulignant l’universalité de la pulsion érotique qui en découle, l’auteur introduit en plein cœur de son traité le thème encratite de l’enchaînement dans la mort par le mariage et la procréation ». 142. En ce qui concerne l’origine alexandrine de l’Écrit sans Titre, voir L. Painchaud, L’Écrit sans Titre. Traité sur l ’origine du monde, Québec-Louvain – Paris, 1995, p. 117. 143. Sur les traditions mises à profit dans le traité gnostique, voir L. Painchaud, L’Écrit sans Titre. Traité sur l ’origine du monde, Québec-Louvain – Paris, 1995, p. 95, qui parle d’un Éros peint « sous des traits empruntés à Hésiode et Parménide, et même au conte populaire d’Amour et Psyché ». 144. L. Painchaud, L’Écrit sans Titre. Traité sur l ’origine du monde, QuébecLouvain – Paris, 1995, p. 95. Suivant L. Painchaud, « l’auteur propose de ce dieu une interprétation essentiellement encratite et n’a d’autre but, en associant son origine à la parèdre du dieu créateur, que de discréditer ce dernier ». 145. En ce qui concerne l’ensemble du roman, voir l’analyse que nous en avons faite dans Le thème de l ’opposition entre Pierre et Simon dans les Pseudo-Clémen-
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impressionnante maîtrise des arts de la parole, la rhétorique et la dialectique, deux τέχναί majeures de la παιδεία, déployée dans le but unique de critiquer deux formes majeures de la parole dans la παιδεία, la mythologie et la philosophie. Le fait même de préférer la forme du roman à celle du traité, le narratif au discursif, en dit long sur la manière des Pseudo-Clémentines. Il y a lieu de se demander, en fait, si cette préséance de la forme sur le fond ne révèle pas une influence de la Seconde Sophistique. C’est l’étonnant John Chapman, après tout, qui avait peut-être raison de croire que le roman était le fait d’un sophiste converti 146.
tines, Paris, 2001, au chapitre II plus particulièrement. 146. J. Chapman, « On the Date of the Clementines », Zeitschrift für die Neutestamentliche Wissenschaft 9 (1908), p. 155.
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L es procédés rhétoriques dans les Pseudo - Clémentines L’éloge de l’adultère du grammairien Apion* Les Pseudo-Clémentines doivent beaucoup à la rhétorique. Il ne s’agit pas d’une supposition mais d’une constatation. Il n’y a qu’à considérer les titres sous lesquelles les deux versions du texte nous ont été transmises, les Homélies et les Reconnaissances, pour déjà deviner une familiarité avec la τέχνη ῥητορική. Dès le départ, le lecteur se voit ainsi prévenu : le propos de l’ouvrage lui sera livré sous la forme de discours et dans le cadre d’un récit de reconnaissances 1. Les Pseudo-Clémentines, par le recours au discours et à la forme romanesque, appartiennent à cette culture rhétorique qui a façonné le monde gréco-romain depuis la période hellénistique et qui connaît son apogée au IIe siècle de notre ère. La qualité des discours de Clément et de ses frères sur l’astrologie, la mythologie et la philosophie 2 , tant par les thèmes que par l’argumentation, révèle en effet une certaine compétence rhétorique de la part des auteurs pseudo-clémentins. Le niveau d’éducation des personnages du roman indique, en outre, une volonté de situer le propos de l’ouvrage en rapport avec la culture gréco-romaine 3. D’un côté, Clément et les siens, apparentés à la famille impériale, ont reçu *. Cette étude a été publiée une première fois dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines – Plots in the PseudoClementine Romance. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 189-210. 1. L’influence du roman grec sur la structure des Pseudo-Clémentines ne fait aucun doute. Voir E. Rohde , Der griechische Roman und seine Vorlaüfer, Leipzig, 1914, p. 507, note 1 ; T. H ägg, The Novel in Antiquity, Berkeley, 1983, p. 162164 ; M. Vielberg, Klemens in den pseudoklementinischen Rekognitionen. Studien zur litterarischen Form des spätantiken Romans, Berlin, 2000, p. 111-114 et D. U. H ansen, « Die Metamorphose des Heiligen. Clemens und die Clementina », dans H. Hoffmann – M. Zimmermann (éd.), Groningen Colloquia on the Novel, VIII, Groningen, 1997, p. 119. 2. Reconnaissances 8-10. 3. À propos de la παιδεία dans les Pseudo-Clémentines, voir M. Vielberg, Klemens in den pseudoklementinischen Rekognitionen. Studien zur litterarischen Form des spätantiken Romans, Berlin, 2000, p. 88-96.
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l’éducation qui convient aux membres de l’élite, c’est-à-dire, l’éducation grecque 4 , avec le passage obligé par le grammatiste, le grammairien et le rhéteur. Clément, ses frères et son père, ont en plus fait des études de philosophie et acquis des notions d’astrologie 5. Leur maître à tous, l’Apôtre Pierre, en dépit de ses origines modestes et barbares, maîtrise l’art du discours et plus particulièrement les subtilités de l’argumentation parce qu’il a eu accès à la vérité du Verus Propheta 6. De l’autre, Simon le magicien est décrit comme un orateur redoutable 7 qui a reçu une éducation complète, c’est-à-dire l’éducation grecque, et qui a fait un séjour à Alexandrie pour y parfaire ses études 8. Ses compagnons, Appion le grammairien, Annubion l’astrologue et Athénodore l’épicurien, appartiennent à la classe des intellectuels de profession qui jouissent même d’une certaine célébrité 9. 4. Sur les origines et l’éducation de Clément, voir Homélies 4,7,2. Sur l’éducation de Nicète et d’Aquila, voir Reconnaissances 7,32,3 et Homélies 13,7,3. Au moment du naufrage qui devait entraîner la séparation des jumeaux d’avec leur mère, Mattidia se rendait justement à Athènes pour y faire instruire Nicète et Aquila (Reconnaissances 7,27,5). 5. Sur les études philosophiques de Clément, voir Homélies 1,3,1 et Reconnaissances 1,3,1. Sur la formation philosophique des jumeaux, voir Reconnaissances 7,32,4 et 8,7,5-6 (Homélies 13,7,4) où l’on apprend que Nicète a étudié l’épicurisme, Aquila, le pyrrhonisme et Clément, le platonisme et l’aristotélisme. Nicète affirme en outre avoir des notions d’astrologie (Reconnaissances 8,8,1). 6. Reconnaissances 8,5,4 : homo enim dei est, plenus totius scientiae, quem ne Graeca quidem latet eruditio, quia spiritu dei repletus est quem nihil latet. C’est Nicète qui décrit ainsi l’apôtre Pierre. Plus loin, Clément s’étonne pour sa part de constater l’habileté rhétorique et la connaissance des mythes de son maître Pierre, lui qui n’a pas reçu l’éducation grecque : Apud Tripolim cum contra gentiles disputares, domine mi Petre, valde miratus sum te, qui a patribus Hebraeo ritu et observantiis propriae legis inbutus, Graecae eruditionis studiis in nullo inquinatus es, quomodo tam magnifice et tam incomparabiliter prosecutus sis, ita ut etiam quaedam de historiis deorum quae in theatris decantari solent, contingeres (Reconnaissances 10,15,1-2). 7. Reconnaissances 2,5,4 : Simon vehementissimus est orator, in arte dialectica et syllogismorum tendiculis enutritus. 8. Homélies 2,22,3 et Reconnaissances 2,7,1. Seules les Homélies mentionnent un séjour à Alexandrie. 9. Les compagnons de Simon nous sont présentés au livre 4 des Homélies (6,23). Des trois personnages, Appion est le seul à jouer un certain rôle dans le récit. Annubion, qui n’intervient pas dans la discussion des livres 4 à 6, n’est mentionné à nouveau qu’au livre 14 et à la toute fin, au livre 20, lors de l’épisode de la métamorphose de Faustinianus. Quant à Athénodore, l’auteur des Homélies se contente de le nommer. Sur Annubion, Apion et Athénodore, voir J. N. Bremmer , « Foolish Egyptians : Apion and Anoubion in the Pseudo-Clementines », dans A. Hilhorst – G. H. van Kooten (éd.), The Wisdom of Egypt. Jewish, Early Christian, and Gnostic Essays in Honour of Gerard P. Luttikhuizen, Leyde – Boston, 2005, p. 311329. Au sujet d’Ap(p)ion, nous reproduisons l’orthographe singulière des Homélies avec un double « p », quand il s’agit du personnage de fiction, et nous maintenons l’orthographe habituelle quand il s’agit du personnage historique.
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LES PROCÉDÉS RHÉTORIQUES
1. L a
r h étor iqu e da ns l e s
H om é li es 4
à
6
C’est justement dans le cadre d’une discussion entre Appion et Clément que les auteurs du roman pseudo-clémentin déploient avec le plus de netteté leurs connaissances en matière de rhétorique. Le sujet de la discussion se prête remarquablement bien à une démonstration rhétorique puisqu’il s’agit d’établir la valeur morale de la παιδεία et plus précisément des mythes dont elle fait un usage abondant. D’une part, Appion, qui appartient au cercle de Simon, défend l’importance, pour un homme éduqué comme Clément, de rester fidèle aux coutumes ancestrales et à la culture qu’il a reçue. Clément en effet a délaissé la coutume et la culture des Grecs pour adopter les mœurs barbares et judéennes de Pierre 10. D’autre part, Clément, qui appartient au cercle de Pierre, défend la supériorité de la vérité sur la coutume et de la piété sur la culture. Il ne faut garder de la coutume ancestrale que ce qui est conforme à la piété 11. Pour bien comprendre le contexte dans lequel les auteurs pseudo-clémentins nous donnent ici une démonstration de rhétorique, il serait utile de résumer la discussion. Le premier jour est consacré à une critique de la παιδεία et de la mythologie (Homélies 4). Le discours de Clément s’ouvre sur une thèse radicale : le fondement de la culture grecque est démonique et maléfique 12 . C’est bien cette παιδεία qui propose de croire à une multitude de dieux livrés à toutes les passions, comme en fait foi la liste des amours de Zeus et des autres dieux tels que rapportés dans les mythes. C’est elle qui invite les Grecs à imiter les actes impies des dieux de la mythologie 13. Toute la culture grecque, aux yeux de Clément, se résume à un prétexte pour pratiquer l’immoralité 14 . La réponse d’Appion à la critique de Clément ne viendra que le troisième jour de la discussion sous la forme d’une interprétation allégorique de la cosmogonie hésiodique et orphique (Homélies 6). Clément apportera une conclusion à la discussion en réfutant l’interprétation allégorique d’Appion et en proposant à la place une lecture évhémériste des mythes grecs. La deuxième journée de la discussion constitue à nos yeux la partie la plus intéressante et la plus originale de la section (Homélies 5). Étant donné que le grammairien Appion ne peut prendre part à la discussion ce jour-là, Clément profite de l’occasion pour relater une anecdote qui illustre bien l’immoralité de la παιδεία dans ses manifestations rhétoriques. Clément raconte comment, alors qu’il était encore tout jeune et en quête de 10. Homélies 4,7,2. 11. Homélies 4,8,3 ; 11,1. 12. Homélies 4,12,1. 13. Homélies 4,12,2. 14. Homélies 5,9,5.
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la vérité, il tomba malade, profondément affligé de n’avoir pu atteindre le but de sa quête philosophique. Appion, qui était de passage à Rome pour rendre visite à son ami, le père de Clément, interroge le jeune homme sur les causes de sa maladie. Dans le but de démasquer l’immoralité du grammairien, Clément laisse entendre qu’il souffre de la maladie d’amour. Appion s’empresse de lui suggérer l’utilisation de la magie : il s’y connaît en matière d’incantation et les résultats sont assurés. Comme Clément s’y refuse et fait valoir la supériorité de la persuasion sur la magie, Appion propose donc d’écrire à cette femme, que Clément prétend aimer, une lettre qui prendra la forme d’un éloge de l’adultère. Cette femme imaginaire nous est présentée, en effet, sous les traits d’une personne cultivée qui s’adonne à la philosophie. La lettre d’Appion et la réponse de la belle philosophe composent une imitation de performance rhétorique tout à fait convaincante. 1.1. L’éloge de l’adultère d’Appion Il serait évidemment trop long de reproduire ici l’éloge dans sa totalité. Nous nous contenterons donc de présenter un sommaire qui permettra néanmoins d’apprécier le plan et l’argumentation de l’éloge. Salutations L’amant à l ’aimée (sans noms, à cause des lois des hommes stupides), sous les commandements d’Amour, l ’enfant qui est le plus ancien de tous les êtres, salut 15 ! Introduction. La vertu par l’imitation des êtres supérieurs (les dieux et les philosophes) Les êtres supérieurs sont juges du bien et du mal L’adultère est un bien : il contribue à la propagation de la vie sur ordre d’Éros Imitation des dieux Nature et pouvoir d’Éros Toute naissance et toute union dépend d’Éros Éros est l’artisan et nous sommes les instruments Maîtriser le désir envoyé par Éros, c’est commettre la pire des impiétés Impossible de résister à Éros parce que la passion n’est pas volontaire 15. Homélies 5,10,1. Dans le cadre de cette étude, tous les extraits des Homélies et des Reconnaissances proviennent de la traduction de la Pléiade (P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005).
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Les lois qui interdisent l’adultère sont le fait d’hommes jaloux et ignorants Les lois contre l’adultère sont contraires aux lois de Zeus Zeus lui-même s’est uni à d’innombrables femmes Imitation des dieux et de leurs amours Mener une vie de philosophe, c’est imiter les êtres supérieurs Les êtres supérieurs ont eu de nombreuses unions Exemple de Zeus et des amours de Zeus Exemple des autres dieux et de leurs amours avec des hommes Récompenses divines accordées aux amants et aux amantes des dieux Imitation des philosophes Exemple de Socrate : la communauté des femmes, Alcibiade Exemple d’Antisthène : il ne faut pas repousser l’adultère Exemple de Diogène : ses relations avec Laïs Exemple d’Épicure : l’importance de la volupté Exemple d’Aristippe : les parfums et l’abandon à Aphrodite Exemple de Zénon : la notion d’indifférence et l’adultère Exemple de Chrysippe : ses lettres d’amour, la mention de l’image de Zeus à Argos Conclusion. L’obéissance à Éros et l’adultère relèvent des mystères L’adultère n’est honteux que pour les non initiés à la vérité, il ne l’est pas pour les dieux, les philosophes et les mystes de Dionysos et Déméter Deux exemples à imiter : Zeus, parmi les dieux, et Socrate, parmi les philosophes Se refuser à un amant, c’est agir contrairement aux dieux et aux héros : c’est une impiété digne du châtiment Se donner à un amant, c’est imiter les dieux et être digne de leurs bienfaits 1.1.1. Le procédé littéraire de la lettre enchâssée L’éloge de l’adultère que le personnage d’Appion rédige à la hâte pour assister le personnage de Clément dans sa soi-disant relation amoureuse avec une philosophe relève tout d’abord d’un procédé littéraire utilisé dans le roman grec : la lettre enchâssée ou, comme le disent les anglo-saxons,
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« the embedded letter » 16. Le procédé permet notamment de piquer la curiosité du lecteur en introduisant dans le roman une autre voix que celle du narrateur. Il donne également, quand il s’insère dans un autre procédé littéraire, celui de la mise en abîme 17, une certaine profondeur au récit en levant le voile, comme c’est le cas ici, sur la vie privée d’un des personnages. L’éloge d’Appion, reproduit dans les Homélies 5, fait partie, en effet, d’un récit dans le récit, d’un « retour en arrière », qui révèle aux auditeurs de Clément et aux lecteurs du roman le véritable caractère d’Appion. 1.1.2. Le procédé rhétorique de la lettre fictive Il est évident que le véritable Apion n’a jamais composé cet éloge de l’adultère 18. Les auteurs pseudo-clémentins l’ont forgé de toute pièce pour donner du corps au personnage. Ils se sont demandé ce que le grammairien aurait écrit s’il avait eu à rédiger pareil éloge. En d’autres termes, ils se sont livrés à l’exercice rhétorique que l’on appelle la prosopopée. La prosopopée fait partie des exercices préparatoires, les προγυμνάσματα, qui ont fait l’objet, du Ier siècle avant notre ère au Ve siècle de notre ère, de nombreux traités 19. Ces exercices, comme leur nom l’indique, ont pour but de préparer à l’étude et à la pratique de la rhétorique. Introduits pour « ménager une transition entre l’enseignement du grammatikos et celui du rhéteur » 20, les exercices préparatoires correspondent à « tous les modes de production du discours sous une forme élémentaire » 21 : la chrie, la fable, le récit, le lieu, la description, la prosopopée, l’éloge et le blâme, le parallèle, la thèse, la loi, la contestation et la confirmation. Selon Aelius Théon, qui a rédigé au Ie ou au IIe siècle de notre ère, un traité de progymnasmata, la prosopopée est « l’introduction d’une personne qui prononce 16. Voir à ce propos P. A. Rosenmeyer , Ancient Epistolary Fictions. The Letter in Greek Literature, Cambridge, 2001, chap. 6 : « Embedded letters in the Greek novel », p. 133-168 et M. Trapp, Greek and Latin Letters. An Anthology with Translation, Cambridge, 2003, p. 33-34. 17. Voir B. Pouderon, « La littérature pseudo-épistolaire dans les milieux juifs et chrétiens des premiers siècles. L’exemple des Pseudo-Clémentines », dans Epistulae Antiquae. Actes du 1er colloque « Le genre épistolaire antique et ses prolongements », Louvain – Paris, 2000, p. 228. 18. Contra W. H eintze , Der Klemensroman und seine griechischen Quellen, Leipzig, 1914, p. 107-109. 19. M. Patillon, « Introduction », dans Aelius Théon, Progymnasmata, texte établi et traduit par M. Patillon, Paris, 1997, p. xv, note 27. 20. M. Patillon, « Introduction », dans Aelius Théon, Progymnasmata, texte établi et traduit par M. Patillon, Paris, 1997, p. xvii. 21. M. Patillon, « Introduction », dans Aelius Théon, Progymnasmata, texte établi et traduit par M. Patillon, Paris, 1997, p. xvii. Comme le rappelle M. Patillon (p. xvi), « la pratique du discours oratoire en effet est une discipline complexe qui présuppose la maîtrise de plusieurs structures discursives fondamentales ».
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des paroles appropriées à elle-même et au sujet donné, en dehors de toute controverse 22 ». « Par exemple, poursuit-il, quelles paroles un mari dirait à sa femme au moment de partir en voyage, ou un général encourageant ses hommes à combattre. Et pour des personnes définies, quelles paroles dirait Cyrus marchant contre les Massagètes, ou Datis rencontrant le Grand Roi après la bataille de Marathon » 23. La difficulté de l’exercice consiste à « considérer la qualité du locuteur et celle du destinataire, l’âge qu’ils ont, le moment, le lieu, la condition et la matière donnée comme thème aux discours. Et dès lors tâcher de dire les paroles adaptées » 24 . Selon la définition d’Aelius Théon, les auteurs du passage ont donc attribué à une personne définie (ὡρισμένον πρόσωπον), en l’occurrence Apion, des paroles appropriées à elle-même et au sujet donné (λόγους οἰκείους ἑαυτῷ τε καὶ τοῖς ὑποκειμένοις πράγμασιν). Ils ont considéré la qualité du locuteur et celle du destinataire, le moment et la matière donnée comme thème au discours. Ils ont ainsi jugé qu’il était approprié pour un illustre grammairien, spécialiste d’Homère, chargé de persuader une chaste philosophe de commettre l’adultère, de composer une lettre qui se présenterait comme un éloge de l’adultère. Passons rapidement sur le caractère approprié d’un éloge de l’adultère composé par Apion. Les Pseudo-Clémentines se montrent très bien renseignées sur la vie et l’œuvre de l’Alexandrin. Elles connaissent l’existence d’un ouvrage dans lequel Apion donne libre cours à son hostilité envers les Judéens, cela ne fait aucun doute 25. Elles savent également l’intérêt marqué du grammairien pour la magie et son érudition en matière de poésie 26. 22. G. A. K ennedy, Progymnasmata. Greek Textbooks of Prose Composition and Rhetoric, Atlanta, 2003, p. 47, propose de traduire le terme ἀναμφισβητήτως en rapport avec les mots qui précèdent τοῖς ὑποκειμένοις πράγμασιν : « and have an indisputable application to the subject discussed ». 23. A elius Théon, Progymnasmata, 8 (L. Spengel , Rhetores Graeci, Leipzig, 1853-1856, II, p. 115, lignes 12-20). Traduction M. Patillon (Collection des Universités de France). 24. A elius Théon, Progymnasmata, 8 (L. Spengel , Rhetores Graeci, Leipzig, 1853-1856, II, p. 115, lignes 23-25). Traduction M. Patillon (Collection des Universités de France). 25. Sur l’hostilité d’Apion à l’endroit des Judéens et ses écrits contre eux, voir Homélies 5,2,4. Les πολλὰ βιβλία dont parle Clément correspondent vraisemblablement aux Αἰγυπτιακά, ouvrage à propos duquel Flavius Josèphe a rédigé son Contre Apion. 26. Sur les connaissances d’Apion en matière de magie, voir Homélies 5,3,3-4,1. Voir, à ce propos, J. N. Bremmer , « Foolish Egyptians : Apion and Anoubion in the Pseudo-Clementines », dans A. Hilhorst – G. H. van Kooten (éd.), The Wisdom of Egypt. Jewish, Early Christian, and Gnostic Essays in Honour of Gerard P. Luttikhuizen, Leyde – Boston, 2005, p. 325. D’autre part, le fait que les Homélies 4 à 6 nous présentent un Appion capable de proposer une interprétation allégorique d’Hésiode laisse supposer que les auteurs de la section connaissaient les ouvrages d’érudition homérique attribués au grammairien ou à tout le moins sa réputation
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Elles lui attribuent ici une connaissance des mythes, une maîtrise de l’éloge et de la prosopopée – après tout le personnage d’Appion rédige son opuscule au nom de Clément ! – qui s’accordent de manière vraisemblable avec les compétences d’un grammatikos. L’enseignement des progymnasmata comme l’éloge et la prosopopée était, en effet, partagé entre le domaine du grammatikos et celui du rhéteur 27. Nous pourrions ajouter que l’assurance avec laquelle il garantit l’effet de sa lettre au malheureux Clément en proie à la maladie d’amour reproduit l’ethos bien attesté d’Apion : une fâcheuse tendance à la vanité 28. Revenons au fait que les auteurs pseudo-clémentins ont eu recours à la prosopopée pour donner de l’épaisseur au personnage et introduire dans la narration un retour en arrière. Il faut noter qu’ils ne se sont pas contentés d’imaginer ce que le grammairien aurait pu dire au vu des circonstances. Ils ont poussé le raffinement rhétorique au point de donner à leur prosopopée une forme épistolaire. Selon Aelius Théon, le discours épistolaire fait partie de la prosopopée 29. La lettre fictive ou imaginaire constitue en fait une des formes les plus courantes de l’exercice préparatoire que l’on appelle la prosopopée. Dans la Seconde Sophistique, l’exercice de la lettre fictive, tout comme celui de la déclamation, s’est affranchi de son cadre scolaire pour devenir un genre littéraire autonome 30. C’est ce que B. P. Reardon a décrit comme un « développement littéraire de formes scolastiques » 31. Alciphron, Élien et Philostrate nous ont ainsi laissé des recueils de lettres fictives qui constid’érudit. Pour faire le point sur le personnage historique d’Apion, on consultera J. Dillery, « Putting Him Back Together Again : Apion Historian, Apion Grammatikos », Classical Philology 98 (2003), p. 383-390 et P. W. van der Horst, « Who was Apion ? », dans P. W. van der Horst, Japhet in the tents of Shem : studies on Jewish Hellenism in antiquity, Louvain, 2002, p. 207-221. 27. Voir supra page 56, note 20. 28. Concernant la vanité d’Apion, voir les témoignages d’Aulu-Gelle , Nuits Attiques 5,14,3 et de Pline l’ancien, Histoire naturelle Préface, 25. 29. A elius Théon, Progymnasmata, 8 (L. Spengel , Rhetores Graeci, Leipzig, 1853-1856, II, p. 115, lignes 20-22) : « Dans ce genre d’exercice entrent aussi l’espèce des discours de consolation, celle des discours exhortatifs et celle des discours épistolaires ». Traduction M. Patillon (Collection des Universités de France). 30. G. A nderson, « Alciphron’s Miniatures », dans W. H aase (éd.), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt (II 34.3), Berlin – New York, 1997, p. 2203 qualifie les lettres fictives d’Alciphron de déclamations miniatures. Voir T. Schmitz , « Alciphron’s letters as a sophistic text » dans B. E. Borg (éd.), Paideia : The World of the Second Sophistic, Berlin – New York, 2004, p. 87-104. 31. B. P. R eardon, Courants littéraires grecs des IIe et IIIe siècles après J.-C., Paris, 1971, p. 199. Voir P. A. Rosenmeyer , Ancient Epistolary Fictions. The Letter in Greek Literature, Cambridge, 2001, p. 259-260 : « …the form of the fictional letter can be seen as a product or development of the sophistic schools. School exercises, or progymnasmata, were miniatures of sorts, as students tried their hands at composition. The more advanced compositions were produced as entertainment for
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tuent autant de démonstrations de virtuosité littéraire. Nous n’irons pas jusqu’à dire que l’éloge de l’adultère dans les Homélies 5 rivalise de virtuosité avec les lettres fictives de sophistes comme Alciphron ou Philostrate, mais il nous semble raisonnable d’affirmer que l’opuscule d’Appion se rattache au genre de la lettre fictive et plus précisément à celui de la lettre érotique. Prenons le cas d’Alciphron qui aurait composé un recueil de lettres fictives au tournant des IIe et IIIe siècle de notre ère 32 . Au quatrième livre du recueil il nous présente une correspondance fictive entre de célèbres courtisanes athéniennes du IVe siècle avant notre ère, comme Thaïs, Phrynè, Glykéra, et leurs amants non moins célèbres, comme Praxitèle le sculpteur, Ménandre le poète, Épicure le philosophe et Hypéride l’orateur 33. Le sophiste a choisi des « personnes définies » qui, par cette correspondance fictive mais vraisemblable, font revivre l’Athènes classique. Les lettres érotiques que s’échangent Glykéra et Ménandre, par exemple, permettent au lecteur d’entrer dans l’intimité, dans la vie privée de ces gens célèbres. C’est peut-être d’ailleurs une des différences notables entre la véritable déclamation et la déclamation miniature que représente la lettre fictive : sa capacité à reproduire la vie privée. De la même manière, les Pseudo-Clémentines font d’une personne définie et célèbre, comme le grammairien Apion, l’auteur d’une lettre d’amour fictive qui laisse entrevoir au lecteur la vie privée et immorale des Grecs. Le cas de Philostrate et de ses lettres érotiques nous semble plus intéressant encore, dans la mesure, du moins, où il offre un plus grand nombre de points de comparaison avec l’ἐγκώμιον μοιχείας d’Appion. Le recueil de lettres d’amour fictives qui nous a été transmis sous le nom de Philostrate, fort possiblement le même Philostrate qui a écrit la Vie d’Apollonius de Tyane et les Vies des sophistes 3 4 , diffère sur plusieurs points du recueil d’Alciphron. La plupart des lettres érotiques de Philostrate, aussi fictives que celles d’Alciphron, n’utilisent aucune voix intermédiaire, ne font aucune référence à l’histoire ou au contexte social : elles s’adressent à des destinataires anonymes qui ne se distinguent que par leur sexe : Γυναικί
an adult audience, in which the challenge was to display the greatest amount of wit and learning in the smallest compass ». 32. Sur la date des lettres d’Alciphron, voir T. Schmitz , « Alciphron’s letters as a sophistic text » dans B. E. Borg (éd.), Paideia : The World of the Second Sophistic, Berlin – New York, 2004, p. 88 et C. D. N. Costa, Greek Fictional Letters. A Selection with Introduction, Translation and Commentary, Oxford, 2001, p. xvi. 33. Voir, par exemple, les lettres 18 et 19 du livre 4 qu’aurait adressées Glykéra à Ménandre. Voir T. Schmitz , « Alciphron’s letters as a sophistic text » dans B. E. Borg (éd.), Paideia : The World of the Second Sophistic, Berlin – New York, 2004, p. 88. 34. D’après P. A. Rosenmeyer , Ancient Epistolary Fictions. The Letter in Greek Literature, Cambridge, 2001, p. 322.
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ou Μειρακίῳ 35. Contrairement à Alciphron qui cherche à reproduire la perspective d’une courtisane, d’un pêcheur ou d’un paysan, Philostrate nous laisse croire que c’est lui, le sophiste, qui écrit ces lettres érotiques 36. Le style de ces lettres s’affiche donc comme résolument rhétorique et les diverses situations fictives qui incitent l’auteur à écrire des lettres de persuasion, d’éloge, de blâme, de conseil et de recommandation lui donnent l’occasion de mettre en valeur son talent de sophiste. L’argumentation de plusieurs lettres repose sur l’exemple des dieux et des héros de la mythologie. Qu’il s’agisse de persuader un jeune homme en évoquant le dieu Apollon qui aimait les bergers 37 ou de faire l’éloge d’une prostituée en la comparant à Danaé qui a reçu de l’or 38, Philostrate invite ses destinataires à imiter l’action des dieux. Deux lettres en particulier, les lettres 30 et 31, présentent des éléments de ressemblance avec l’éloge de l’adultère d’Appion. Elles portent toutes les deux sur l’adultère et sont adressées à la même femme. La première fait en quelque sorte l’éloge de l’adultère et la seconde rappelle les dangers de l’adultère. Notons au passage que c’est M. Heinemann, dans son ouvrage consacré aux lettres érotiques qui, en 1910, a le premier fait le rapprochement entre ces deux éloges de l’adultère 39. Après lui, d’autres, comme W. Adler, reprendront la comparaison et feront valoir que les deux lettres de Philostrate et les deux lettres des Pseudo-Clémentines, celle d’Appion et la réponse de la soi-disant philosophe, appartiennent au même genre d’exercice de style 4 0. Ce qui est remarquable dans le cas de la lettre 30 de Philostrate c’est qu’elle fonde son argumentation, comme c’est le cas dans la lettre d’Appion, sur l’exemple des amours divins. On y retrouve une liste des dieux qui ont succombé à la tentation du plaisir interdit et qui ont eu recours à la métamorphose pour dissimuler leurs amours adultérins, une liste comparable à celle des Pseudo-Clémentines : Poséidon a pris la forme d’une vague, Zeus a revêtu la forme d’une pluie d’or, d’un taureau, d’un serpent et de ces adultères sont issus Dionysos, Apollon et Héraclès. Bien que l’énumération des 35. P. A. Rosenmeyer , Ancient Epistolary Fictions. The Letter in Greek Literature, Cambridge, 2001, p. 323. 36. P. A. Rosenmeyer , Ancient Epistolary Fictions. The Letter in Greek Literature, Cambridge, 2001, p. 326. 37. Philostrate , Lettre 27. 38. Philostrate , Lettre 38. 39. M. H einemann, Epistulae amatoriae quomodo cohaereant cum elegiis alexandrinis, Strasbourg, 1910, p. 48 : « Non solum argumento, sed etiam singulis rebus Philostrati et Clementis epistulae inter se consentiunt. Uterque epistolographus enim, ut mulieres amatas ad amorem adulteri impellant, exemplo Iovis, summi dei, utitur et mutates formas quas adhibuerit in moechando, et clarissimos liberos, qui ex adulterio Iovis nati sint enumerate ». 40. W. A dler , « Apion’s “Encomium of Adultery” : A Jewish Satire of Greek Paideia in the Pseudo-Clementine Homilies », Hebrew Union College Annuary 64 (1993), p. 37-38.
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Pseudo-Clémentines soit considérablement plus longue que celle de Philostrate 41, le même raisonnement est à l’œuvre : non seulement l’adultère est une pratique divine, mais il est aussi le mode de génération habituel chez les dieux. Dans une autre lettre (Lettre 35), adressée à une femme, Philostrate utilise le même argument, avec la même brièveté d’ailleurs, pour persuader sa destinataire de céder à ses avances : « Danaé a accepté de l’or, Léda des oiseaux, Europe, ce qui venait d’un troupeau, Antiope, ce qui venait des collines, Amymônè, ce qui venait de la mer … Accepte toi aussi (mes présents) … que je devienne moi-même Zeus ou Poséidon, te donnant ce que tu désires et recevant ce que je désire ». C’est encore une fois l’exemple des dieux et de Zeus tout particulièrement qui est invoqué. La lettre d’Appion et les lettres érotiques de Philostrate font donc appel à la même catégorie d’argument : l’exemple et plus précisément l’exemple mythologique. Dans les deux cas, la persuasion passe par des moyens purement rhétoriques et non épistolaires 42 . Autrement dit, ce n’est pas la sincérité et l’expression des sentiments qui sont à l’honneur, mais la virtuosité et la démonstration rhétorique. L’attitude de Philostrate, tout comme celle d’Apion, est on ne peut plus sophistique. Notons au passage que les auteurs pseudo-clémentins, qui cherchent à discréditer la rhétorique et la sophistique à travers la figure d’Appion, partagent néanmoins avec Philostrate l’habileté toute sophistique qui consiste à composer avec un égal talent deux lettres contradictoires, ce que fait Philostrate à plusieurs reprises dans son recueil de lettres érotiques, comme le souligne Rosenmeyer 43, ce que font aussi les auteurs des Homélies 5 quand ils composent non seulement la lettre d’Appion mais encore la réplique de la philosophe bien-aimée ! 1.1.3. Le procédé rhétorique de l’éloge paradoxal La lettre fictive constitue déjà en soi une performance rhétorique. Le fait qu’elle prenne ici, comme dans le cas de la lettre 30 de Philostrate, la forme d’un éloge de l’adultère, nous met en présence d’un autre procédé rhétorique, l’éloge paradoxal. L’éloge, l’ἐγκώμιον, fait partie des exer41. Pour la liste des amours et des métamorphoses de Zeus, voir Homélies 5,1314. Sur l’ordre alphabétique dans lequel les amours de Zeus sont présentés dans ce passage, voir M. R. James , « A Manual of Mythology in the Clementines », Journal of Theological Studies 33 (1932), p. 262-265. 42. Voir P. A. Rosenmeyer , Ancient Epistolary Fictions. The Letter in Greek Literature, Cambridge, 2001, p. 329, à propos des lettres érotiques de Philostrate : « The letters are openly rhetorical, full of tricky arguments and surprises, like a good court case. The beloved will be persuaded not by tired epistolary ploys (“wish you were here”, “I read your letter and imagine your presence”) but by verbal agility ». 43. P. A. Rosenmeyer , Ancient Epistolary Fictions. The Letter in Greek Literature, Cambridge, 2001, p. 329-330.
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cices préparatoires, des formes du discours que l’orateur doit maîtriser 4 4 . Ses objets sont généralement des personnes, des dieux, des cités, des abstractions ou des objets inanimés, des ἄψυχα, comme le miel, la santé et la vertu 45. Dès les origines de la rhétorique, certains orateurs ont exercé leur habileté à faire l’éloge de sujets réputés indignes ou insignifiants. Gorgias nous a ainsi laissé un Éloge d’Hélène 4 6. À l’époque impériale, Dion louera les mérites de la chevelure et du perroquet, Favorinus fera l’éloge de la fièvre quarte, Fronton, celui de la poussière et de la négligence et Lucien, celui de la mouche 47. Faire l’éloge d’un sujet qui n’a rien de louable dans le but apparent de divertir, à la manière d’un jeu, comme l’avouait Gorgias à la fin de son Éloge d’Hélène 48, révèle un goût du paradoxe et de la virtuosité très caractéristique de la sophistique impériale. Laurent Pernot le souligne bien, si la pratique n’est pas neuve, c’est la Seconde Sophistique qui va « doter l’éloge paradoxal d’une définition et d’une méthode » 49. Ainsi, Ménandre le Rhéteur (IIIe siècle de notre ère) distingue l’éloge endoxon, qui porte sur des biens reconnus (un dieu ou quelque autre objet manifestement bon) de l’éloge adoxon ou paradoxon, qui porte sur des daimones ou sur un objet manifestement mauvais (la mort ou la pauvreté). Selon Ménandre, la différence entre l’éloge adoxon et l’éloge paradoxon semble passer par la distinction entre un objet manifestement mauvais (adoxon) et un objet qui n’est mauvais qu’en apparence mais louable en réalité 50. Les termes endoxon, 44. Voir L. Pernot, La rhétorique de l ’éloge dans le monde gréco-romain, Paris, 1993, p. 62. 45. A elius Théon, Progymnasmata 9 (L. Spengel , Rhetores Graeci, Leipzig, 1853-1856, II, p. 112, lignes 16-17). 46. Sur Gorgias et son célèbre Éloge d ’Hélène, voir M.-P. Noël , « Kairos sophistique et mises en forme du logos chez Gorgias », Revue de Philologie 72.2 (1998), p. 243-245 et J. I. Porter , « The Seductions of Gorgias », Classical Antiquity 12.2 (1993), p. 267-299. Pour le texte de l’Éloge d ’Hélène, voir H. Diels – W. K ranz , Die Fragmente der Vorsokratiker, II, Hambourg 1963 (8e édition), p. 288-294. C’est le fragment 82 B 11. Pour la traduction française de l’Éloge, voir B. Cassin, L’effet sophistique, Paris, 1995, p. 141-148. 47. Sur la pratique de l’éloge paradoxal à l’époque impériale, voir A. S. Pease , « Things without Honor », Classical Philology 21 (1926), p. 27-42, L. Pernot, La rhétorique de l ’éloge dans le monde gréco-romain, Paris, 1993, p. 533 et T. Whitmarsh, The Second Sophistic, Oxford, 2005, p. 21-22. 48. Gorgias conclut en effet son éloge par les mots : ἐβουλήθην γράψαι τὸν λόγον Ἑλένης μὲν ἐγκώμιον, ἐμὸν δὲ παίγνιον. Sur le caractère ludique de l’éloge paradoxal, voir le point de vue critique de P. Fleury, « L’éloge paradoxal, entre virtuosité et construction idéologique : le cas de l’Éloge de la négligence de Fronton », Rhetorica 20.2 (2002), p. 120-121. 49. L. Pernot, La rhétorique de l ’éloge dans le monde gréco-romain, Paris, 1993, p. 536. 50. Voir les explications de L. Pernot, La rhétorique de l ’éloge dans le monde gréco-romain, Paris, 1993, p. 539.
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adoxon, paradoxon et amphidoxon proviennent d’ailleurs de la théorie du genre judiciaire et correspondent respectivement à la cause noble ou honorable, à la cause insignifiante, à la cause douteuse (qui contient du bon et du mauvais) et à la cause extraordinaire (qui paraît mauvaise et indéfendable). Pour l’orateur Fronton, le seul auteur de l’antiquité à nous avoir livré quelques réflexions sur le sujet, il s’agit d’abord de choisir des dieux et des hommes qui ont été négligés par les praticiens de l’éloge 51, ce qui, selon Pernot, correspond à la définition du paradoxe, faire l’éloge « d’un objet que nul ne songe à louer » 52 , et de composer l’éloge dans le seul but de plaire et d’amuser 53. L’éloge paradoxal est un jeu et le paradoxe qu’il exploite doit être humoristique. Comme le note Pernot, « l’humour naît du contraste entre l’indignité manifeste de l’objet et le sérieux affiché par l’orateur » 54 . Cela ne signifie pas que ce genre d’éloge soit complètement dénué de sérieux et incapable de transmettre des valeurs 55. Cependant, l’éloge paradoxal, même lorsqu’il comporte une part de sérieux, appartient bel et bien au registre de la rhétorique sophistique, c’est-à-dire qu’il constitue un morceau de bravoure, une démonstration de virtuosité. C’est un jeu par lequel la rhétorique se moque d’elle-même, selon le mot de Laurent Pernot, où le paradoxe donne la réplique à l’enkômion endoxon 56. Μὴ μικρὰ ἡγώμεθα, ἀλλὰ σοφιστικά, disait Philostrate à propos de l’éloge du perroquet de Dion de Pruse 57. 51. Fronton, Correspondance 216,18 : deos et homines a ceterorum laudibus relictissimos. Sur Fronton, nous disposons maintenant de la traduction avec commentaire et de l’étude que P. Fleury a fait paraître récemment : Fronton. Correspondance, textes traduits et commentés avec la collaboration de S. Demougin, Paris, 2003 et Lectures de Fronton. Un rhéteur latin à l ’époque de la Seconde Sophistique, Paris, 2006. 52. L. Pernot, La rhétorique de l ’éloge dans le monde gréco-romain, Paris, 1993, p. 541. Comme l’observe Pernot à la note 264, bien que la phrase ne mentionne que les dieux et les hommes, la remarque de Fronton s’applique également aux animaux et aux ἄψυχα. 53. Fronton, Correspondance 215,23 : In primis autem sectanda est suavitas. Namque hoc genus orationis non capitis defendendi nec suadendae legis nec exercitus hortandi nec inflammandae contionis scribitur, sed facetiarum et voluptatis. 54. L. Pernot, La rhétorique de l ’éloge dans le monde gréco-romain, Paris, 1993, p. 541. 55. Sur la dimension idéologique de l’éloge paradoxal chez Fronton, voir P. Fleury, « L’éloge paradoxal, entre virtuosité et construction idéologique : le cas de l’Éloge de la négligence de Fronton », Rhetorica 20.2 (2002), p. 121 ; 131-132. 56. Voir L. Pernot, La rhétorique de l ’éloge dans le monde gréco-romain, Paris, 1993, p. 543 et J. Bompaire , Lucien écrivain. Imitation et création, Paris, 1958, p. 282. G. A nderson, The Second Sophistic. A Cultural Phenomenon in the Roman Empire, Londres, 1993, a consacré un chapitre à l’intérêt marqué dans la Seconde Sophistique pour les adoxa et les paradoxa : chapitre 9 : « Adoxa paradoxa : The pepaideumenos at play », p. 171-199. 57. Philostrate , Vies des sophistes 487.
64 2 . L’ é loge
CHAPITRE II de l’adu lt è r e
(H om é li es 5,10-19)
et l a soph i s t iqu e
En représentant le personnage d’Appion comme l’auteur d’un éloge paradoxal de l’adultère, les auteurs pseudo-clémentins démontrent une connaissance de certains procédés rhétoriques parmi les plus caractéristiques de la sophistique. La démonstration s’inscrit dans une critique radicale de la παιδεία qui domine toute la section des Homélies que nous appelons la discussion avec Appion. Dès le premier jour de la discussion, Clément définit la παιδεία comme la proposition infâme d’un mauvais démon 58, parce que cette παιδεία, à travers l’étude des mythes, repose sur le fondement de l’imitation des dieux et de leurs actions et que les actions des dieux, leurs amours adultères, par exemple, sont impies 59. Que des rustres, s’indigne Clément, acceptent d’imiter de telles actions, passe encore, mais que des grammairiens et des sophistes, issus de la παιδεία, considèrent ces actions dignes des dieux, cela ne peut s’expliquer que parce qu’ils prennent prétexte de l’imitation des dieux pour se livrer à l’intempérance 60 ! La critique de la παιδεία à laquelle se livre le personnage de Clément s’inscrit dans une longue tradition de critique des mythes qui remonte à Platon. Ce qui nous apparaît remarquable dans cette critique de la παιδεία c’est la méthode retenue par les auteurs pseudo-clémentins pour en dénoncer l’immoralité. Les auteurs des Homélies privilégient en effet les procédés rhétoriques que seule la παιδεία peut enseigner, ce qui revient à reconnaître, en quelque sorte, l’utilité de la παιδεία. En fait, l’opposition de Clément à la παιδεία du grammairien Appion pose le problème de la pertinence de la παιδεία pour celui qui s’est converti à la vérité du monothéisme. Le parcours d’un jeune noble comme Clément, qui a suivi le cursus habituel des jeunes gens issus de son milieu et destinés à exercer le pouvoir, c’est-à-dire des études de rhétorique, et qui a suivi la voie moins habituelle des études de philosophie pour finalement se convertir à la doctrine du Vrai Prophète, illustre narrativement les limites de la παιδεία et la supériorité de la vérité prophétique. Il faut, en effet, noter que l’attitude de Clément s’accorde avec la position de Pierre à l’égard de la παιδεία. Dans sa lutte contre Simon le magicien, un adversaire issu de la παιδεία et associé au grammairien Appion, l’apôtre Pierre, humble pêcheur de Galilée, sans instruction, réussit à réfuter les doctrines de son opposant dans 58. Homélies 4,12,1 : αὐτίκα γοῦν ἐγὼ τὴν πᾶσαν Ἑλλήνων παιδείαν κακοῦ δαίμονος χαλεπωτάτην ὑπόθεσιν εἶναι λέγω. 59. Homélies 4,15,2 : πάντας μὲν οὐκ ἂν εἴποιμι αὐτῶν τοὺς ἔρωτας, τοῦ Διός τε καὶ Ποσειδῶνος, Πλούτωνός τε καὶ Ἀπόλλωνος, Διονύσου τε καὶ Ἡρακλέους καὶ τῶν καθ’ ἕνα ἕκαστον, ὧν οὐδὲ αὐτοὶ ἀγνοεῖτε ἐκ παιδείας Ἑλληνικῆς ὁρμώμενοι οὓς ἐπαιδεύθητε βίους, ἵνα ὡς ζηλωταὶ τῶν θεῶν τὰ ὅμοια πράττητε. 60. Homélies 4,17,1-2.
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le cadre d’une série de discussions où il démontre une impressionnante maîtrise de l’argumentation rhétorique. C’est la connaissance de la vérité divine qui lui a donné la capacité d’argumenter à la manière des Grecs. La παιδεία n’est pas nécessaire quand on est, comme Pierre, un homme de Dieu. La victoire de l’apôtre sur le magicien illustre elle aussi les limites de la παιδεία. Elle démontre également, quoique indirectement, l’utilité des procédés rhétoriques, puisque ce sont eux qui assureront la réfutation des erreurs professées par Simon. On peut se demander si l’épisode de la discussion entre Clément et Appion ne serait pas au fond une sorte d’écho de la discussion entre Pierre et Simon. Le lien le plus évident entre les Homélies 4 à 6 et l’ensemble des PseudoClémentines passe donc par une critique de la παιδεία et une reconnaissance implicite de son utilité. Une lecture attentive du livre cinq des Homélies révèle même, comme nous avons tenté de le montrer, une critique de la sophistique. Que faut-il penser de cette polémique anti-sophistique ? Comment s’accorde-t-elle avec les autres polémiques qui s’expriment dans le roman pseudo-clémentin ? L’argument de l’exemplum mythologique, défendu par Appion et réfuté par Clément, fait partie de l’argumentaire des apologistes du IIe siècle 61. On y retrouve les mêmes listes des amours de Zeus et de ses métamorphoses. L’interprétation allégorique des mythes mise de l’avant par les Grecs se voit réfutée par les apologistes au moyen de la même interprétation évhémériste que celle déployée par Clément 62 . Justin et les auteurs de la discussion avec Appion partagent en plus la même définition de la paideia en tant qu’invention d’un démon 63. Certains ont d’ailleurs supposé, sur la base d’une parenté thématique et argumentative, que les Homélies 4 à 6 avaient emprunté à une source contemporaine des apologistes leur argumentation anti-παιδεία. Si les apologistes ont fait porter une partie de leurs efforts sur les exempla mythologiques c’est sans doute parce que ce type d’arguments était à la base de la formation rhétorique et qu’il résumait à lui seul les fondements immoraux de la παιδεία. Les sophistes d’époque impériale et contemporains des apologistes mettaient également à l’honneur l’exemplum mythologique dans la composition de leurs éloges et de leurs lettres, comme nous l’avons déjà indiqué. C’est en fait du côté de la sophistique qu’il faut regar61. Le thème de l’imitation des dieux qui servent d’exemples à tous ceux qui veulent pratiquer l’immoralité se retrouve notamment chez Justin (Première Apologie 21,4-5 ; Deuxième Apologie 12,5-6) et Clément d’A lexandrie (Protreptique 2,33,6 ; 4,61,4). 62. À propos de l’évhémérisme des auteurs chrétiens, voir J. Pépin, « Christianisme et mythologie. L’évhémérisme des auteurs chrétiens », dans Y Bonnefoy (éd.), Dictionnaire des mythologies et des religions des sociétés traditionnelles et du monde antique, I, Paris, 1999 [1981], p. 342-355. 63. Justin, Première Apologie 54,1.
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CHAPITRE II
der, à notre avis, pour bien situer la critique de la παιδεία des Homélies 4 à 6. Ce qui distingue les Pseudo-Clémentines des apologistes réside dans le choix des formes rhétoriques et littéraires. De manière générale, le propos pseudo-clémentin adopte la forme du roman grec et utilise notamment le motif des reconnaissances pour exprimer un point de vue théologique 6 4 . Le choix du genre romanesque, il s’agit d’un fait qui n’a peut-être pas été suffisamment souligné, constitue en soi une prise de position par rapport à la παιδεία et plus particulièrement par rapport à la sophistique. En effet, le roman peut certainement être considéré comme un produit de la Seconde Sophistique. Écrire un roman au lieu d’un traité, c’est en fait une manière de s’approprier la culture des sophistes. De manière spécifique, les genres de la lettre fictive et de l’éloge paradoxal, qui s’intègrent ici au cadre romanesque, appartiennent également à la sophistique, c’est ce que nous cherchons à démontrer dans cette étude. 3. L a
cr i t iqu e de l a soph i s t iqu e et l e con t e x t e du
IV e
si ècl e
Le choix de formes rhétoriques et littéraires qui appartiennent à la Seconde Sophistique, conjugué à la parenté d’arguments entre les apologistes et les Homélies 4 à 6, semble situer la critique des sophistes dans le contexte du IIe siècle. Il faut cependant prendre en considération un certain nombre de faits avant d’en arriver à cette conclusion. Premièrement, même si l’on faisait l’hypothèse que la discussion avec Appion proviendrait d’une source du IIe siècle 65, il faudrait néanmoins admettre que l’auteur des Homélies, au IVe siècle, a jugé le propos de cette discussion suffisamment pertinent pour l’ajouter à l’histoire de Clément. Deuxièmement, il faut voir comment se pose le problème de la παιδεία et plus particulièrement le problème de la sophistique pour les chrétiens et les Judéens du IVe siècle. Au tournant des IIIe et IVe siècle, il est évident que le christianisme a atteint les classes supérieures de la société, celles qui ont accès à l’éducation et, par le fait même, au pouvoir et aux honneurs 66. La παιδεία et la maîtrise de la rhétorique qu’elle transmet consti64. C’est le point de vue exprimé par N. K elley, « Problems of Knowledge and Authority in the Pseudo-Clementine Romance of Recognitions », Journal of Early Christian Studies 13.3 (2005), p. 315-348. Voir plus particulièrement les pages 319 et 340. 65. Voir, dans cet ouvrage, le chapitre IV. « La Discussion avec Appion et la cohérence littéraire des Homélies. Au sujet de l’hypothèse d’une source judéenne du IIe siècle ». 66. Sur le progrès social du christianisme au début du IVe siècle, voir W. H. C. Frend, The Rise of Christianity, Philadelphie, 1984, p. 443-444 ; A. Cameron, The Later Roman Empire, Cambridge (Mass.), 1993, p. 152 et C. R iedweg, « With
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tuent toujours la principale porte d’entrée pour l’exercice du pouvoir 67. Comme, à partir de Constantin, le pouvoir (la cour, les magistratures, le commandement militaire) se christianise de plus en plus, la question de savoir si les chrétiens doivent recevoir la παιδεία ou même devenir rhéteur ou sophiste prend de plus en plus d’importance. Depuis les attaques de Celse, au IIe siècle, contre des chrétiens qui n’avaient pour la plupart reçu aucune éducation, les temps ont changé. Les chrétiens instruits et lettrés, les professeurs de rhétorique et les sophistes sont suffisamment nombreux vers le milieu du IVe siècle pour que l’empereur Julien juge nécessaire de leur interdire l’accès à la profession 68. Certains chrétiens, comme Prohérésius, à Athènes, et Marius Victorinus, à Rome, réussiront tout de même, quoique directement touchés par l’édit de Julien, à mener une brillante carrière de sophiste 69. Bien que ses effets aient été limités 70, l’édit de Julien contre les rhéteurs chrétiens permet de mieux saisir les enjeux de l’accès à la παιδεία. Stoicism and Platonism against the Christians : structures of philosophical argumentation in Julian’s Contra Galilaeos », Hermathena no 166 (1999), p. 67-68. 67. Là-dessus, voir A. Cameron, The Later Roman Empire, Cambridge (Mass.), 1993, p. 152 : « The workings of the bureaucracy and civic life at local level both demanded rhetorical skills for the many formal speeches delivered on public occasions ». 68. Code théodosien 13,3,5 : Magistros studiorum doctoresque excellere oportet moribus primum, deinde facundia = « Il importe que les maîtres d’école et les professeurs se distinguent par les mœurs d’abord, et ensuite par l’éloquence ». Traduction J. Bidez , L’empereur Julien, Œuvres complètes, I. 2 e partie, Lettres et fragments, Paris, 1960. Il s’agit de la lettre 61b selon la numérotation de Bidez . 69. Selon Augustin (Confessions 8,5), Marius Victorinus aurait renoncé à sa chaire de rhétorique pour ne pas avoir à abjurer. La vie du sophiste Prohérésius nous est connue principalement par l’œuvre d’Eunape de Sardes : Vies des philosophes et des sophistes. Alors qu’Eunape (Vies des philosophes et des sophistes 493) se contente de dire que, sous l’empereur Julien, Prohérésius se fit exclure du domaine de l’éducation parce qu’il passait pour être chrétien, c’est Jérôme (Chronique, sub anno 363, édition R. H elm, p. 242,24-243,1) qui nous apprend que le sophiste était chrétien et qu’il aurait renoncé à sa chaire de rhétorique à Athènes pour cette raison. Sur ce point les avis divergent. P. Athanassiadi, Julian. An Intellectual Biography, Oxford, 1981, p. 48 et S. N. C. Lieu, « Libanius and Higher Education at Antioch », dans I. Sandwell – J. Huskinson (éd.), Culture and Society in Later Roman Antioch, Oxford, 2004, p. 21, ne remettent pas en question les renseignements fournis par Jérôme , alors que R. Goulet, « Prohérésius le païen et quelques remarques sur la chronologie d’Eunape de Sardes », Antiquité tardive 8 (2001), p. 209-222, estime au contraire qu’il est assez peu probable que le sophiste ait été chrétien. 70. Évidemment fort mal reçu par des chrétiens comme Grégoire de Naziance (Discours 4,107), l’édit sera également sévèrement critiqué par un « païen » comme Ammien Marcellin (Histoires 22,10,7), pourtant fervent admirateur de l’empereur. Voir S. N. C. Lieu, « Libanius and Higher Education at Antioch », dans I. Sandwell – J. Huskinson (éd.), Culture and Society in Later Roman Antioch, Oxford, 2004, p. 21 : « The reception of the decree among pagan teachers was only lukewarm. The implied fundamentalism of Julian went against the spirit of rheto-
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CHAPITRE II
Les élites chrétiennes doivent encore pour le moment suivre le cursus traditionnel, ce qui suppose l’apprentissage et la maîtrise de la rhétorique, si elles veulent continuer à transformer la société romaine. Les priver d’un accès à l’éducation, comme le souhaite Julien, reviendrait à les isoler et à compromettre grandement leur progression sociale 71. C’est dans le rescrit qu’il a rédigé, en réponse sans doute à une question soulevée par l’application de l’édit, que Julien expose en fait le cœur du problème 72 . Peut-on vraiment étudier, voire enseigner, Homère, Hésiode et les autres auteurs au programme, sans croire sincèrement aux dieux d’Homère et d’Hésiode ? Pour Julien et son cercle de conseillers (philosophes néoplatoniciens et sophistes), la réponse est non. La παιδεία, aux yeux de Julien, ne se limite pas à la maîtrise de la rhétorique. Elle comprend aussi la reconnaissance des dieux grecs et la foi en l’inspiration des poètes 73. Les rhéteurs chrétiens visés par l’édit de Julien ne partageaient évidemment pas cette définition de l’hellénisme. Pas plus d’ailleurs que Basile de Césarée et Grégoire de Naziance, qui furent, à Athènes, les compagnons d’étude du futur empereur. Pour Basile, en tout cas, il existe un bon usage des poètes 74 . Pour Grégoire, d’autre part, outré par l’édit de Julien sur l’éducation, la langue grecque n’appartient pas qu’aux seuls adorateurs des dieux 75. Il s’emploiera à montrer, par la qualité exceptionnelle de son rical training, which entailed the literary, philosophical and “scientific” critique of ancient literature and mythology ». 71. R. Smith, Julian’s Gods. Religion and philosophy in the thought and action of Julian the Apostate, Londres, 1995, p. 214 : « it furthered Julian’s plan to reverse the progress of Christianity as a social and cultural force in the upper levels of society ». 72. Julien, Lettres 61c 422-424 (édition J. Bidez – F. Cumont). En effet, l’édit lui-même ne semble pas viser directement les chrétiens et ne dit rien non plus sur la nécessité faite aux professeurs de croire à l’inspiration d’Homère et d’Hésiode. 73. Julien, Lettres 61c 422a : « Une bonne éducation ne se distingue pas à nos yeux par la somptueuse harmonie des mots et de la parole, mais bien par la saine disposition d’un jugement raisonnable… » et 423a : « Quoi donc ! Homère, Hésiode, Démosthène, Hérodote, Thucydide, Isocrate et Lysias ne reconnaissaient-ils pas les dieux pour les guides de toute éducation ? Ne se croyaient-ils pas consacrés les uns à Hermès, les autres aux Muses ? Je trouve absurde que celui qui commente leurs ouvrages méprise les dieux qu’ils ont honorés ». Traduction J. Bidez (Collection des Universités de France). Sur le caractère sacré de la παιδεία dans la pensée de l’empereur Julien, voir P. Athanassiadi, Julian. An Intellectual Biography, Oxford, 1981, p. 123. 74. Basile , Aux jeunes gens. Sur la manière de tirer profit des lettres helléniques 4,1-2 : « Qu’il y ait donc de l’utilité pour l’âme dans ces sciences du dehors, c’est ce qui a été dit suffisamment ». Il faut lire les poètes et les autres auteurs (philosophes et historiens) à la manière des abeilles : « Elles ne vont pas à toutes les fleurs » (4,41-43). Traduction F. Boulenger (Collection des Universités de France). 75. Grégoire de Naziance , Discours 4,107. : « L’hellénisme est ton bien ? Dismoi : comment cela se peut-il ? ». Traduction J. Bernardi (Collection des Sources chrétiennes).
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œuvre, que la maîtrise de la rhétorique et des genres littéraires n’avait rien d’incompatible avec le fait d’être chrétien 76. C’est dans ce contexte, à notre avis, qu’il faut situer les auteurs des Pseudo-Clémentines. Issus du moule d’une culture de la rhétorique, qu’ils pratiquent avec infiniment moins de talent que Grégoire, il faut le reconnaître, ils revendiquent une part de l’héritage classique, qu’ils dépouillent de sa dimension religieuse et dont ils condamnent les excès qu’incarnent à leurs yeux les sophistes et les grammairiens. C’est au milieu du IVe siècle, au moment où les jeunes gens de bonne famille et de foi chrétienne sont de plus en plus nombreux à fréquenter les écoles de rhétorique, que se pose réellement la question de la παιδεία. Ce n’est pas une problématique du IIe siècle. L’attitude d’un Basile ou du personnage de Clément, qui proposent de faire un tri dans l’héritage des Grecs pour n’en garder que ce qui correspond à la vérité, s’explique plus aisément, il nous semble, si on la met en rapport avec la réalité d’un christianisme de plus en plus dominant, capable de lutter à armes égales avec la tradition hellénique. Troisièmement, puisque la plupart des spécialistes s’entendent pour dire que les Homélies et les Reconnaissances auraient été rédigés en Syrie 77, il faut voir si la critique des sophistes qu’exprime la discussion avec Appion ne cadrerait pas davantage avec le contexte syrien du IVe siècle et plus particulièrement avec celui de la ville d’Antioche. Inutile, sans doute, de rappeler que la ville d’Antioche fut fondée en 300 avant notre ère par les Séleucides et qu’au IVe siècle de notre ère, elle comptait parmi les cités les plus importantes de l’empire. Le comes orientis et le magister militum per orientem y avaient leurs quartiers 78. Plus important encore pour notre propos est le fait qu’Antioche était depuis déjà fort longtemps un centre de culture hellénique réputé. 3.1. Antioche, ville grecque Au milieu du IVe siècle, malgré les progrès réalisés par le christianisme, la ville d’Antioche, par ses nombreux temples et monuments, par ses in76. Le cas de Grégoire de Naziance est complexe. La rhétorique, voire même la sophistique, imprègne toute son œuvre. Grégoire n’a de cesse pourtant de condamner ceux qui préfèrent les ornements rhétoriques et sophistiques à la simplicité de l’Écriture. La synthèse du christianisme et de l’hellénisme que réalise son œuvre semble s’être faite à son corps défendant. Voir à ce sujet R. R. Ruether , Gregory of Nazianzus. Rhetor and Philosopher, Oxford, 1969, p. 156-167 et V. Limberis , « “Religion” as the Cipher for Identity : The Cases of Emperor Julian, Libanius, and Gregory Nazianzus ». Harvard Theological Review 93.4 (2000), p. 391-397. 77. F. S. Jones , « Pseudo-Clementines », Encyclopedia of Early Christianity 2, New York, 1997, p. 964. 78. Sur l’importance de la ville d’Antioche dans l’empire, voir P. Petit, Libanius et la vie municipale à Antioche, Paris, 1955, p. 165-190 et J. H. W. G. Liebeschuetz , Antioch, City and Imperial Administration in the Later Roman Empire, Oxford, 1972, p. 101-118.
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stitutions politiques et sociales, par sa vie culturelle et par son calendrier religieux, a conservé de nombreux traits de ses origines helléniques 79. À l’époque de Libanius et de Jean Chrysostome, on y célèbre encore les fêtes du Nouvel An, le mois de mai est marqué par des fêtes en l’honneur d’Artémis, de Dionysos et d’Aphrodite et le mois de juillet par des fêtes en l’honneur d’Adonis et d’Apollon. À tous les deux ans, en juillet et août, on y célébrait également des Jeux olympiques, consacrés à Zeus et fondés par l’empereur Commode 80. Le caractère hellénique d’Antioche repose avant tout sur le système d’éducation. Du niveau primaire au niveau supérieur, c’est la παιδεία qui est transmise 81. Au niveau supérieur, l’enseignement de la rhétorique est dominé par le grand Libanius, le plus célèbre sophiste du IVe siècle 82 . C’est bien la rhétorique, comme nous l’avons déjà noté, qui ouvre la porte, à Antioche comme partout ailleurs dans l’empire, aux carrières politiques et administratives 83. Mais, plus fondamentalement, c’est la rhétorique qui distingue le monde civilisé, c’est-à-dire le monde grec, du monde barbare 84 . À Antioche, les membres des grandes familles, qu’ils soient chrétiens, grecs ou judéens, partagent les mêmes valeurs en matière d’éducation
79. Voir R. L. Wilken, John Chrysostom and the Jews. Rhetoric and Reality in the Late 4 th Century, Berkeley – Los Angeles, 1983, p. 18 : « The city had numerous temples and pagan shrines ; it celebrated the ancient festivals and games associated with the Greek gods ; its shrines were still the objects of pilgrimage. Its educational system was thoroughly Greek ». 80. Voir J. H. W. G. Liebeschuetz , Antioch, City and Imperial Administration in the Later Roman Empire, Oxford, 1972, p. 228-231 et sa remarque à la page 231 : « We note that even in a largely Christian city a fair number of traditional festivals continued to flourish and to provide the citizens with holidays and entertainments ». 81. R. L. Wilken, John Chrysostom and the Jews. Rhetoric and Reality in the Late 4 th Century, Berkeley – Los Angeles, 1983, p. 20. 82. S. N. C. Lieu, « Libanius and Higher Education at Antioch », dans I. Sand well – J. Huskinson (éd.), Culture and Society in Later Roman Antioch, Oxford, 2004, p. 21, a bien mis en lumière les conditions dans lesquelles Libanius prodiguait son enseignement. Le recueil de textes publié par A. F. Norman, Antioch as a centre of Hellenic Culture as Observed by Libanius, Liverpool, 2000, met en valeur le témoignage de Libanius sur la vie culturelle à Antioche dans la deuxième moitié du IVe siècle. Sur le rôle d’éducateur de Libanius, voir A. J. Festugière , Antioche païenne et chrétienne. Libanius, Chrysostome et les moines de Syrie, Paris, 1959, p. 91-119. 83. Voir la liste des étudiants de Libanius, qui sont devenus fonctionnaires, curiales, avocats et professeurs, telle qu’établie par P. Petit, Les étudiants de Libanius, Paris, 1957, p. 166-169. Voir A. J. Festugière , Antioche païenne et chrétienne. Libanius, Chrysostome et les moines de Syrie, Paris, 1959, p. 141-179. 84. Libanius , Lettres 369,9 apud R. L. Wilken, John Chrysostom and the Jews. Rhetoric and Reality in the Late 4 th Century, Berkeley – Los Angeles, 1983, p. 20.
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parce qu’ils partagent les mêmes ambitions 85. C’est ainsi que les parents du jeune Jean, le futur Jean Chrysostome, nourrissaient l’ambition de voir leur fils réussir une carrière en droit ou dans l’administration impériale. Ils firent donc en sorte qu’il devienne l’élève du plus illustre maître de rhétorique d’Antioche et sans aucun doute de l’empire, Libanius. Après avoir complété ses études auprès de Libanius, Jean ne fit pas le choix d’une carrière de juriste, comme le souhaitait ses parents, mais se fit plutôt baptiser et embrassa la carrière ecclésiastique 86. 3.2. Antioche, ville chrétienne La communauté chrétienne d’Antioche comptait parmi les plus anciennes de la chrétienté. Au IVe siècle, et surtout à partir de Constantin, elle ne se contente pas de connaître une croissance numérique et de bénéficier du programme de construction de Constantin 87, elle exerce également une influence de plus en plus grande au sein du conseil municipal 88. En 362, l’empereur Julien se plaint de l’opposition qu’il rencontre au sein du conseil de la part des chrétiens. Il leur reproche d’avoir placé la cité sous la protection du Christ et d’avoir délaissé Zeus, Apollon et Calliope 89. Selon Liebeschuetz, la réaction de Julien nous apprend que vers le milieu du IVe siècle la cité d’Antioche était « effectively christian » 90. Il faut sans doute nuancer quelque peu cette affirmation mais il reste qu’à la fin du IVe siècle, l’évêque, dans une cité comme Antioche, détient presque autant de pouvoir que les fonctionnaires de l’administration impériale 91. Si le pouvoir grandissant de l’évêque semble confirmer le triomphe du christianisme, il importe toutefois de souligner que la carrière épiscopale, devenue aussi enviable pour les membres de l’élite que la carrière juridique ou administrative, n’est accessible qu’à ceux qui sont issus des couches supérieures
85. Voir W. A. M eeks – R. L. Wilken, Jews and Christians in the First Four Centuries of the Common Era, Missoula, 1978, p. 25-26. 86. R. L. Wilken, John Chrysostom and the Jews. Rhetoric and Reality in the Late 4 th Century, Berkeley – Los Angeles, 1983, p. 5-6. 87. Pour la croissance de la communauté chrétienne d’Antioche après Constantin, voir J. H. W. G. Liebeschuetz , Antioch, City and Imperial Administration in the Later Roman Empire, Oxford, 1972, p. 224 et pour les monuments érigés à Antioche sous Constantin, dont la Domus Aurea, voir G. Downey, A History of Antioch in Syria. From Seleucus to the Arab Conquest, Princeton, 1961, p. 342-350. 88. R. L. Wilken, John Chrysostom and the Jews. Rhetoric and Reality in the Late 4 th Century, Berkeley – Los Angeles, 1983, p. 22. 89. Julien, Misopogon 28 (357c). 90. J. H. W. G. Liebeschuetz , Antioch, City and Imperial Administration in the Later Roman Empire, Oxford, 1972, p. 224. 91. J. H. W. G. Liebeschuetz , Antioch, City and Imperial Administration in the Later Roman Empire, Oxford, 1972, p. 239.
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de la société et ont reçu une éducation rhétorique 92 . Autrement dit, bien qu’une partie importante de la population, sinon la majorité, s’identifie au christianisme, la vie publique et l’ascension sociale sont encore largement déterminées par les traditions et les institutions helléniques 93. Les discours de Libanius et les sermons de Jean Chrysostome témoignent de manière éloquente du dynamisme de la culture grecque à Antioche, dans la seconde moitié du IVe siècle 94 . Alors que Jean invite les chrétiens de bonne famille à faire de leurs enfants des athlètes du Christ 95 et à ne pas envoyer leurs jeunes gens chez les maîtres, de peur que les lettres ne les corrompent 96, Libanius, qui professe l’unité de la religion et des lettres 97, continue tranquillement à prodiguer ses leçons de rhétorique à ses étudiants chrétiens ou grecs qui affluent des diverses provinces de l’Orient 98. Tandis que Libanius célèbre l’excellence du théâtre à Antioche 99, Jean multiplie les attaques contre les spectacles et les représentations théâtrales 92. R. L. Wilken, John Chrysostom and the Jews. Rhetoric and Reality in the Late 4 th Century, Berkeley – Los Angeles, 1983, p. 6. 93. Une situation que déplore Jean Chrysostome, notamment à l’occasion de la fête des Kalendes (Sur les Kalendes 3 = Patrologia Graeca 48, col. 957). Sur l’attitude de Jean Chrysostome à l’égard de la culture grecque, voir I. Sandwell , « Christian Self-Definition in the Fourth Century AD : John Chrysostom on Christianity, Imperial Rule and the City », dans I. Sandwell – J. Huskinson (éd.), Culture and Society in Later Roman Antioch, Oxford, 2004, p. 35-58. 94. Voir G. Downey, Ancient Antioch, Princeton, 1963, p. 192-199 et A. J. Festugière , Antioche païenne et chrétienne. Libanius, Chrysostome et les moines de Syrie, Paris, 1959, p. 217-240. 95. Jean Chrysostome , Sur la vaine gloire et l ’éducation des enfants 19 (lignes 286-287) : « Élève un athlète pour le Christ et apprends-lui à avoir, tout en restant dans le monde, la crainte de Dieu dès son jeune âge ». Traduction A.-M. M alingrey (Collection des Sources chrétiennes). 96. Jean Chrysostome , Contre les détracteurs de la vie monastique 3,95 A7 : « Quelle utilité à envoyer nos garçons chez les maîtres, où, avant l’art de parler, ils apprendront le mal… ? ». Traduction A. J. Festugière , Antioche païenne et chrétienne. Libanius, Chrysostome et les moines de Syrie, Paris, 1959, p. 240. 97. Libanius , Discours 62,8 : οἰκεῖα γάρ, οἶμαι, καὶ συγγενῆ ταῦτα ἀμφότερα, ἱερὰ καὶ λόγοι. 98. Sur la provenance et la religion des étudiants de Libanius, voir P. Petit, Les étudiants de Libanius, Paris, 1957, p. 112-135. 99. Libanius , Discours 64, Pour les danseurs. Il faut rappeler que le théâtre dont il est ici question consiste en performances théâtrales où la danse, le mime et la pantomime sont à l’honneur. Il semble en effet que les représentations de tragédies et de comédies aient cessé vers la fin du IIIe siècle. Il faut dire également que Libanius ne manque pas lui non plus de déplorer, comme les prédicateurs chrétiens, l’attrait qu’exercent les spectacles et le théâtre auprès de ses étudiants (voir Discours 35,13 et 36,15). Au sujet de l’attitude de Libanius à l’endroit du théâtre, voir J. H aubold – R. M iles , « Communality and Theatre in Libanius’ Oration LXIV In Defence of Pantomimes », dans I. Sandwell – J. Huskinson (éd.), Culture and Society in Later Roman Antioch, Oxford, 2004, p. 24-34.
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qui ne peuvent que corrompre l’âme chrétienne 100. La véhémence avec laquelle Jean condamne les spectacles et le théâtre constitue de toute évidence une preuve de l’attrait qu’exerçaient sur les chrétiens ces manifestations de l’hellénisme. La communauté chrétienne d’Antioche, en partie socialement déterminée par la παιδεία, ne partage pas le rejet de la culture grecque qu’exprime Jean dans ses homélies, mais y voit au contraire un divertissement des plus acceptables. Au problème que pose l’héritage grec aux yeux d’un moraliste comme Jean s’ajoute naturellement le problème extrêmement grave que représente la doctrine arienne. Antioche, berceau de l’arianisme, se trouve assez vite au cœur de la crise générée par les doctrines d’Arius 101. Dans les années 360, la cité d’Antioche compte trois évêques, un évêque arien et deux évêques nicéens. L’évêque officiel, c’est-à-dire reconnu par le pouvoir impérial, est néanmoins arien. Au moment où Jean est ordonné prêtre, en 386, la communauté chrétienne d’Antioche est toujours divisée et Jean, mis au défi par les Ariens, devra défendre le credo de Nicée par une série d’homélies dans lesquelles se déploiera son incontestable talent d’orateur. 3.3. Antioche, ville judéenne L’histoire de la communauté judéenne d’Antioche remonte à la période hellénistique. S’il faut en croire Flavius Josèphe, des Judéens s’établissent à Antioche dès la fondation de la cité. La communauté deviendra rapidement l’une des plus importantes communautés judéennes d’expression grecque du Proche-Orient. Au IVe siècle, les Judéens de Syrie, loin de souffrir des progrès accomplis par le christianisme, continuent d’exercer une activité florissante, comme l’atteste la construction d’une synagogue à Apamée en 391, dix ans après que le christianisme fut devenu la religion officielle de l’empire 102 . La découverte de cette synagogue nous a d’ailleurs appris que de nombreux membres éminents de la communauté d’Antioche avaient contribué financièrement à la construction de la synagogue. Les inscriptions que l’on a trouvées sur le site de la synagogue d’Apamée, en grec pour la plupart, révèlent le degré d’hellénisation de cette communauté 103. D’autres inscriptions, de Beth Shearim cette fois, mais presque 100. Jean Chrysostome , De Anna, Sermon 4,1 = Patrologia Graeca 54, col. 660. Sur le théâtre et les jeux à Antioche, voir G. Downey, A History of Antioch in Syria. From Seleucus to the Arab Conquest, Princeton, 1961, p. 439-446. 101. Voir R. L. Wilken, John Chrysostom and the Jews. Rhetoric and Reality in the Late 4 th Century, Berkeley – Los Angeles, 1983, p. 10-16. 102. R. L. Wilken, John Chrysostom and the Jews. Rhetoric and Reality in the Late 4 th Century, Berkeley – Los Angeles, 1983, p. 56. 103. W. A. M eeks et R. L. Wilken ( Jews and Christians in the First Four Centuries of the Common Era, Missoula, 1978, p. 53-54) citent quelques exemples d’inscriptions grecques provenant du site.
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toutes rédigées en grec là également, nous font connaître l’existence de grandes familles judéennes et hellénisées d’Antioche 104 . La correspondance de Libanius avec un patriarche, Gamaliel IV fort probablement, confirme l’attachement des élites judéennes à la culture grecque. Le patriarche écrit notamment à Libanius à propos de son fils qui devait compléter ses études de rhétorique auprès du sophiste, à Antioche, et qui avait fait faux bond pour s’adonner aux plaisirs des voyages 105. Tous les membres des communautés judéennes de Syrie n’étaient pas riches, influents et hellénisés, mais ils partageaient assurément une certaine ouverture à la culture grecque, comme le montrent plusieurs passages du Talmud 106. À la fin du IVe siècle, en tout cas, les Judéens d’Antioche jouissent, aux yeux de nombreux chrétiens, d’un immense prestige qui n’a rien à voir, du moins selon Jean Chrysostome, avec leur réussite sociale ou leur niveau d’assimilation à la culture grecque. Ce sont plutôt leurs fêtes, leurs rites et leurs livres, considérés comme supérieurs en raison de leur ancienneté, qui attirent les chrétiens à la synagogue 107. Les huit sermons que Jean a rédigés en 386-387, connus sous le titre de κατὰ τῶν Ἰουδαίων, ne s’adressent pas directement aux Judéens d’Antioche mais aux chrétiens qui cherchent à se conformer à la loi judéenne tout en confessant la foi chrétienne. Les judaïsants d’Antioche ne constituent pas un phénomène unique dans l’histoire des relations entre Judéens et chrétiens. C’est l’attention et la critique véhémente que Jean leur a consacrées qui donnent à ces judaïsants un contour plus net. Il est vrai que l’intensité exceptionnelle des attaques lancées par Jean contre les judaïsants d’Antioche peut s’expliquer par le dynamisme et le prestige tout aussi exceptionnels des Judéens d’Antioche 108. Il est possible également d’expliquer la violence des sermons de Jean contre les judaïsants par le fait que c’est au IVe siècle que le christianisme orthodoxe cherche avec le plus d’énergie à établir, comme l’observe A. Y. Reed, l’exclusivité mutuelle du judaïsme et 104. W. A. M eeks – R. L. Wilken, Jews and Christians in the First Four Centuries of the Common Era, Missoula, 1978, p. 55. 105. Libanius , Lettres, 1098. Voir la traduction anglaise de W. A. M eeks – R. L. Wilken, Jews and Christians in the First Four Centuries of the Common Era, Missoula, 1978, p. 62 et le commentaire de R. L. Wilken, John Chrysostom and the Jews. Rhetoric and Reality in the Late 4 th Century, Berkeley – Los Angeles, 1983, p. 58. 106. R. L. Wilken, John Chrysostom and the Jews. Rhetoric and Reality in the Late 4 th Century, Berkeley – Los Angeles, 1983, p. 62-63. 107. Voir J. H. W. G. Liebeschuetz , Antioch, City and Imperial Administration in the Later Roman Empire, Oxford, 1972, p. 232-233, selon lequel le prestige associé au judaïsme serait un « side effect of the triumph of Christianity » : « The fact that the Old Testament was part of the Christian Scriptures increased the prestige of the religious practices of the people of the Old Testament ». 108. R. L. Wilken, John Chrysostom and the Jews. Rhetoric and Reality in the Late 4 th Century, Berkeley – Los Angeles, 1983, p. 94.
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du christianisme 109. Les judaïsants d’Antioche qui irritent tant le diacre Jean ne seraient pas dans ce cas des chrétiens illettrés, incapables de distinguer correctement les doctrines et les pratiques de la synagogue et de l’église, mais plutôt des chrétiens qui mettent de l’avant un christianisme différent de celui qu’impose l’orthodoxie, un christianisme qui refuse la séparation radicale du christianisme et du judaïsme 110. La ville d’Antioche, au IVe siècle, se présente donc comme un milieu où convergent hellénisme, judaïsme et christianisme. Dans ce contexte, c’est la rhétorique qui assure l’intégration des trois composantes de la société antiochienne. « Rhetoric was neutral ground », comme le résume Liebeschuetz 111. La polémique de Jean Chrysostome contre les judaïsants le laisse entendre, il s’agit également d’un milieu où la rupture entre Judéens et chrétiens n’est pas encore tout à fait consommée. La dureté avec laquelle Jean s’en prend aux Judéens et aux judaïsants d’Antioche indique clairement que de nombreux chrétiens ne partageaient pas l’intransigeance du prédicateur. Antioche, c’est aussi le lieu où Jean Chrysostome justement, par son exemple ou plutôt par la trajectoire de sa vie, résume le problème des rapports entre christianisme et παιδεία. Issu du milieu social qui fournit à l’État et à l’église ses dirigeants, Jean reçoit une éducation grecque et fait des études de rhétorique. Parvenu à l’âge où il devrait débuter une carrière professionnelle qui s’annonce brillante, il choisit plutôt la carrière ecclésiastique, dans un contexte de conversion qui le conduit à privilégier la vie monastique. Le rejet de la παιδεία (lettres, théâtre) et du monde (une carrière de rhéteur ou de sophiste ?), auquel elle donne accès, s’apparente, 109. A. Y. R eed, « Jewish Christianity after the Parting of the Ways », dans A. H. Becker – A. Y. R eed (éd.), The Ways that Never Parted. Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Tübingen, 2003, p. 228 : « In the fourth and fifth centuries, we find an increase in orthodox Christian polemics against Judaizers and so-called “Jewish-Christian” sects, as well as a rise in the violent tenor of Christian anti-Judaism. This evidence likely speaks to orthodox Christian efforts to establish the mutual exclusivity of Judaism and Christianity ». 110. R. L. Wilken, John Chrysostom and the Jews. Rhetoric and Reality in the Late 4 th Century, Berkeley – Los Angeles, 1983, p. 94 : « For these reasons I am inclined to see the Judaizers in Antioch not as unlettered and uneducated Christians, “half-Christians” who indiscriminately mixed Jewish and Christian elements. They seem rather to reflect, in inchoate form, a different type of Christianity, which claimed to receive its authority from Judaism and from the example of Jesus, not from the apostolic tradition as interpreted by the great Church ». 111. J. H. W. G. Liebeschuetz , Antioch, City and Imperial Administration in the Later Roman Empire, Oxford, 1972, p. 227. À propos des relations entre Libanius et Strategius Musonianus, préfet du prétoire et chrétien par surcroît, Liebeschuetz fait le commentaire suivant : « In his case, as indeed in others, common enthusiasm for rhetoric laid the foundations of the relationship. Rhetoric was neutral ground, prized highly by Christians and pagans alike ».
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dans la pratique, à l’ascèse des philosophes. Le refus de la παιδεία et de la rhétorique plus précisément prend la forme de discours où se manifeste l’immense talent rhétorique de l’auteur et l’étendue de sa dette envers la culture classique. Les auteurs des Pseudo-Clémentines, comme bon nombre de chrétiens d’Antioche ont eu accès à la παιδεία. Ils défendent une doctrine, celle du Vrai Prophète, qui rejette l’exclusivité mutuelle du judaïsme et du christianisme, tout comme les judaïsants d’Antioche assument une pratique qui cherche à concilier les rites judéens et la foi chrétienne. Les auteurs des Pseudo-Clémentines, par le choix de formes littéraires et rhétoriques, par le choix du motif de la conversion d’un jeune noble à la philosophie de l’Apôtre Pierre, proposent un itinéraire intellectuel et spirituel qui n’est pas sans rappeler l’itinéraire parcouru par Jean Chrysostome. C onclusion Parmi les nombreuses questions auxquelles s’attaquent les auteurs pseudo-clémentins, il faut compter la question de la παιδεία et de ses manifestations rhétoriques et sophistiques. À travers le thème de l’opposition entre Pierre et Simon, les auteurs des Homélies et des Reconnaissances cherchent à définir une position par rapport au paulinisme, au marcionisme et au gnosticisme. Dans le cadre de la discussion entre Clément et Appion, les auteurs des Homélies tentent de défendre un point de vue critique à l’égard de la παιδεία et plus particulièrement à l’égard de la sophistique (5,10-19). Dans les deux cas il s’agit d’établir la vérité du monothéisme face au polythéisme des Grecs et face au dithéisme de Simon. Si la vérité défendue par Clément s’apparente davantage au judaïsme qu’au judéochristianisme défendu par Pierre, c’est peut-être tout simplement que le contexte d’une discussion sur les mythes avec un grammairien ne se prête guère à l’exposé d’une doctrine ésotérique comme celle du Vrai Prophète. Il est vrai que la question de la παιδεία occupe relativement peu de place dans les Pseudo-Clémentines et qu’à prime abord le rapport entre la discussion sur les mythes grecs, les doctrines ésotériques de Pierre et les discussions théologiques avec Simon ne semble pas évident. En fait, l’intérêt que portent les auteurs pseudo-clémentins à la παιδεία et le lien qui existe entre les Homélies 4 à 6 avec le reste du texte se situent au niveau de la forme. Il n’est pas indifférent, en effet, que les auteurs des Homélies et des Reconnaissances aient adopté la forme du roman, un genre littéraire issu de la rhétorique, pour exprimer leurs thèses. Il n’est pas indifférent non plus que les auteurs aient fait de Clément de Rome un jeune noble, parfaitement éduqué, qui délaisse la παιδεία pour se convertir à la philosophie de l’Apôtre Pierre. Il n’est pas indifférent également que l’Apôtre
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Pierre lui-même soit présenté ici sous les traits d’un philosophe rompu aux subtilités de la dialectique et de la rhétorique, tout comme son adversaire Simon qui se fait créditer une formation grecque et compte parmi ses amis d’illustres intellectuels comme Apion. Il n’est pas indifférent non plus que les auteurs aient cru bon composer une lettre fictive sous la forme d’un éloge paradoxal de l’adultère, à la manière des sophistes, pour se livrer à une critique de la παιδεία et de la sophistique. Bref, tout comme les chrétiens du IVe siècle, d’Asie ou de Syrie, qui sont de plus en plus nombreux à avoir reçu l’éducation grecque, le personnage de Clément, dans sa quête philosophique et dans sa rencontre avec Appion, pose le problème de la παιδεία. Doit-on rejeter totalement la culture des Grecs, fuir leurs livres et leurs théâtres, comme nous y exhortent Clément et Jean Chrysostome ? Peut-on retenir des auteurs au programme chez le grammairien et le rhéteur quelque chose d’utile, comme le croit Basile ? Peut-on concilier l’enseignement de la rhétorique, la carrière de sophiste et la foi chrétienne, comme semble l’avoir fait Prohérésius ?
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L e grammairien A pion et la rhétorique dans les Homélies pseudo - clémentines* Depuis l’âge d’or de l’École de Tübingen, au XIXe siècle, de nombreux savants ont souligné le caractère judéen des Pseudo-Clémentines 1. Hans Joachim Schoeps 2 et Georg Strecker 3, par exemple, ont publié des ouvrages majeurs sur la question. Ils étaient d’avis que les Kerygmata Petrou, une source hypothétique du IIe siècle, pouvait expliquer en partie les éléments judéens des Pseudo-Clémentines 4 . Plus récemment, Frederick Stanley Jones 5 et Jürgen Wehnert 6 ont démontré que l’existence même des Keryg* Cette étude a été publiée une première fois en anglais sous le titre « Rhetoric and Jewish Christianity : The Case of the Grammarian Apion in the Pseudo-Clementine Homilies », dans P. P iovanelli – T. Burke (éd.), Rediscovering the Apocryphal Continent. New Perspectives on Early Christian and Late Antique Apocryphal Texts and Traditions, Tübingen, p. 369-389. 1. À propos du « judéo-christianisme » dans les Pseudo-Clémentines, voir A. Y. R eed, « Jewish Christianity after the Parting of the Ways. Approaches to Historiography and Self-Definition in the Pseudo-Clementines », dans A. H. Becker – A. Y. R eed (éd.), The Ways that Never Parted. Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Tübingen, 2003, p. 189-231. 2. H. J. Schoeps , Theologie und Geschichte des Judenchristentums, Tübingen, 1949. 3. G. Strecker , Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1981 (2 e édition). 4. Sur le contenu hypothétique des Kerygmata Petrou voir G. Strecker , Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1981 (2e édition), p. 137-220 et G. Strecker , « Introduction to the Pseudo-Clementines », dans W. Schneemelcher (éd.), New Testament Apocrypha, II, Westminster, 1992, p. 483-493. 5. F. S. Jones , « Pseudo-Clementines », dans E. Ferguson (éd.), Encyclopedia of Early Christianity, New York & Londres, 1990 (2e édition), p. 964 et F. S. Jones , « A Jewish Christian Reads Luke’s Acts of the Apostles : The Use of the Canonical Acts in the Ancient Jewish Christians Source behind Pseudo-Clementine Recognitions 1.27-71 », dans Society of Biblical Literature, 1995 Seminar Papers, Atlanta, 1995, p. 617-635. 6. J. Wehnert, « Literarkritik und Sprachanalyse. Kritische Anmerkungen zum gegenwärtigen Stand der Pseudoklementinen-Forschung », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 74 (1983), p. 300-301 ; J. Wehnert, « Abriss der Entstehungsgeschichte des pseudoklementischen Romans », Apocrypha 3 (1992), p. 211235.
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mata Petrou n’avait rien de certain 7. Néanmoins, que l’on soit d’accord avec l’hypothèse des Kerygmata Petrou ou non, le fait que les Pseudo-Clémentines présentent des traits qui renvoient au « judéo-christianisme » 8 ne pose pas problème. La doctrine du « Vrai Prophète » 9, qui apporte la révélation divine en se manifestant à travers les personnages d’Adam, Moïse et Jésus 10, constitue certainement l’un des traits judéens chrétiens les plus caractéristiques des Pseudo-Clémentines. En fait, on s’entend généralement pour dire que les deux versions des Pseudo-Clémentines expriment le point de vue d’une communauté judéenne chrétienne que l’on identifie parfois aux Ébionites ou aux Elkasaïtes 11. 7. Voir M. Murray, Playing a Jewish Game : Gentile Christian Judaizing in the First and Second Centuries CE, Waterloo, 2004, p. 67 : « It may not be possible to outline precisely the sources of the Pseudo-Clementine text, but it is possible to detect different themes and attitudes in the material ». 8. M. Murray, Playing a Jewish Game : Gentile Christian Judaizing in the First and Second Centuries CE, Waterloo, 2004, p. 67 : « that reflects Jewish Christian elements and concerns ». 9. Voir Homélies 3,17-28. 10. M. Murray, Playing a Jewish Game : Gentile Christian Judaizing in the First and Second Centuries CE, Waterloo, 2004, p. 67 : « who brought divine revelation by manifesting himself in a series of changing characters, including Adam, Moses and Jesus ». Voir H. J. W. Drijvers , « Adam and the True Prophet in the Pseudo-Clementines », dans C. Elsas – H. G. K ippenberg (éd.), Loyalitätskonflikte in der Religionsgeschichte. Festschrift für Carsten Colpe, Würzburg, 1990, p. 314-323. 11. Voir Épiphane , Panarion 30,15,1. Épiphane considère que les Periodoi Petrou, un écrit que certains associent à un stade antérieur des Pseudo-Clémentines qu’ils appellent la Grundschrift (voir H. J. W. Drijvers , « Adam and the True Prophet in the Pseudo-Clementines », dans C. Elsas – H. G. K ippenberg (éd.), Loyalitätskonflikte in der Religionsgeschichte. Festschrift für Carsten Colpe, Würzburg, 1990, p. 321 : « G (= Grundschrift) probably called the Periodoi Petrou » et B. R ehm, « Clemens Romanus II » dans T. K lauser (éd.), Reallexikon für Antike und Christentum, Band III, Stuttgart, 1957, col. 198 : « G scheint identisch zu sein mit den Περίοδοι Πέτρου ») sont ébionites. Sur les Pseudo-Clémentines en tant que document ébionite, voir S. C. M imouni, Le judéo-christianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 277-286, qui fait cette distinction : « la littérature pseudo-clémentine est à considérer comme le “conservatoire” de certaines œuvres ébionites » (p. 278). Pour une comparaison entre les points de vue elkasaïte et clémentin sur le Vrai Prophète, voir J. N. Birdsall , « Problems of the Clementine Literature », dans J. G. Dunn (éd.), Jews and Christians, Tübingen, 1992, p. 353 : « The teaching of the Elkesaites, as described by Hippolytus (Ref. IX 14,1) comes very close to the views of Hom III 20,2 (“from the beginning of the world, he passes through the world, changing forms at the same time as names”) ». Sur les liens entre Ébionites, Elkasaïtes et Pseudo-Clémentines, voir J. E. Taylor , « The Phenomenon of Early Jewish-Christianity : Reality or Scholarly Invention ? », Vigiliae Christianae 44 (1990), p. 324 : « It is striking that in Epiphanius alone we do find references to the “Ebionites”’ vegetarianism, purificatory baths, the obligation to marry, rejection of the Temple and sacrifices, and other characteristics which are found distinctively among the Elchasaites and in the Pseudo-Clementines ».
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D’autre part, on a généralement ignoré le fait que les auteurs pseudoclémentins, comme leurs contemporains chrétiens, avaient abordé la question de la culture grecque 12 . Pourtant, une section complète des Homélies (4-6) est consacrée à l’impiété de la παιδεία. Dans cette section, en marge de l’intrigue principale, il se trouve, en effet, qu’Appion 13, le grammairien d’Alexandrie, discute des mythes grecs avec un certain Clément, jeune homme bien éduqué, lié à la famille de l’empereur Tibère et récemment converti au judaïsme 14 . En fait, trop souvent, dans la recherche sur les Pseudo-Clémentines, cette section a été considérée comme un corps étranger 15. Il est vrai qu’à première vue la Discussion avec Appion ne semble pas s’accorder avec l’ensemble du tableau. Par exemple, à ce point du récit, Clément, le personnage principal, est censé avoir rencontré Barnabé à Alexandrie 16, et Pierre, à Césarée, où il a été initié à la doctrine du Vrai Prophète 17. Cependant, aux livres 4 et 5, il est dit que la conversion de Clément a eu lieu à Rome, après une rencontre avec un marchand
12. Il y a toutefois des exceptions : M. J. Edwards , « The Clementina : A Christian Response to the Pagan Novel », Classical Quarterly 42 (1992), p. 459-474 ; W. A dler , « Apion’s “Encomium of Adultery” : A Jewish Satire of Greek Paideia in the Pseudo-Clementine Homilies », Hebrew Union College Annual 64 (1993), p. 15-49 ; M. Vielberg, Klemens in den pseudoklementinischen Rekognitionen. Studien zur literarischen Form des spätantiken Romans, Berlin, 2000 et D. U. H ansen, « Die Metamorphose des Heiligen. Clemens und die Clementina », dans H. Hoffmann – M. Z immermann (éd.), Groningen Colloquia on the Novel, Groningen, volume VIII, 1997, p. 119-129. 13. Dans cette étude, comme dans les deux chapitres précédents, nous reproduisons l’orthographe singulière des Homélies avec un double « p », quand il s’agit du personnage de fiction, et nous maintenons l’orthographe habituelle quand il s’agit du personnage historique. Sur l’orthographe singulière du nom d’Apion et d’Anoubion dans les Homélies, voir J. N. Bremmer , « Foolish Egyptians : Apion and Anoubion in the Pseudo-Clementines », dans A. Hilhorst – G. H. van Kooten (éd.), The Wisdom of Egypt. Jewish, Early Christian, and Gnostic Essays in Honour of Gerard P. Luttikhuizen, Leyde – Boston, 2005, p. 317-318. 14. Le personnage de Clément dans les Pseudo-Clémentines est composé à partir de la figure historique de Flavius Clemens, un membre de la famille impériale qui se serait converti au judaïsme et aurait été condamné à mort par Domitien pour cette raison (Suétone , Domitien 15,1 et Dion Cassius , Histoire romaine 67,14), et de celle de Clément de Rome, l’un des premiers évêques de Rome. Voir là-dessus B. Pouderon, « L’énigme Flavius Clemens, consul et martyr sous Domitien ou le personnage historique et ses doubles littéraires » Ktema 26 (2001), p. 307-319. 15. Voir A. Siouville , dans l’Introduction à sa traduction des Homélies (Les homélies clémentines, Paris Verdier, 1991 [1933], p. 21) : « les discussions de Clément et d’Appion sont un simple hors-d’œuvre. Les Homélies IV, V et VI, qui nous les rapportent, pourraient être supprimées sans interrompre la suite de l’ouvrage ». 16. Homélies 1,8-13. 17. Homélies 1,15-22.
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judéen qui lui aurait exposé la doctrine de l’unité divine 18. Évidemment, cette contradiction a inspiré à certains l’hypothèse que la Discussion avec Appion remonterait à une source judéenne 19. Dans cette étude, toutefois, nous laisserons de côté la question des sources pour nous concentrer sur la fonction littéraire de la section. Pour quelle raison les auteurs des Pseudo-Clémentines auraient voulu intégrer à l’intrigue de base, la quête philosophique de Clément et l’opposition entre l’Apôtre Pierre et Simon le Magicien, une discussion sur la mythologie grecque ? Plus précisément, quel rôle peut bien jouer un personnage comme Apion, une célébrité du premier siècle de notre ère et un champion de la παιδεία, dans un texte « judéo-chrétien » que l’on a souvent associé à une forme d’antipaulinisme sur la base de l’opposition entre Pierre et Simon et surtout de l’identification entre Simon et l’Apôtre Paul 20 ? Ce sont là les questions qui intéressent cette étude. 18. Homélies 5,28,2 : « Jusqu’à présent, après avoir examiné à fond de nombreuses opinions de philosophes, je n’ai donné mon assentiment à aucun, sauf à la doctrine des Judéens : l’un de leurs marchands, négociant en toiles fines, venu résider ici à Rome, m’a exposé, par suite d’une heureuse rencontre, avec beaucoup de sincérité, l’idée de l’unité du Principe » = καὶ μέχρι τοῦ νῦν πολλὰς γνώμας φιλοσόφων διασκοπήσας πρὸς οὐδένα αὐτῶν ἔνευσα ἢ πρὸς τὸ Ἰουδαίων μόνον, ἐμπόρου τινὸς αὐτῶν ὀθόνας πιπράσκοντος ἐνταῦθα τῇ Ῥώμῃ ἐπιδεδημηκότος καὶ ἔκ τινος συντυχίας ἀγαθῆς ἁπλούστερόν μοι τὸ μοναρχικὸν φρόνημα παραθεμένου. Dans cette étude, toutes les citations des Homélies proviennent de la traduction de la Pléiade (P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005). 19. Selon F. S. Jones , « The Pseudo-Clementines : A History of Research. Part I », Second Century 2 (1982), p. 27, A. Hilgenfeld (Die clementinischen Recognitionen und Homilien nach ihrem Ursprung und Inhalt dargestellt, Leipzig, 1848), « first presented the thesis that the dispute with Appion (H 4-6 ; voir R 10.17-51) formed a source that was used by both H and R ». Hilgenfeld identifiait cette source avec les dialogues de Pierre et Apion mentionnés par Eusèbe de Césarée (Histoire ecclésiastique 3,38,5). Par la suite, W. H eintze , Der Klemensroman und seine griechischen Quellen, Leipzig, 1914, p. 50, a avancé l’idée que cette source était un écrit judéen de nature polémique (« Es scheint ein Disputationsbuch gewesen zu sein … Das Buch gibt sich als eine jüdische Bekehrungsschrift zu erkennen ») qu’il datait circa 200 (p. 112). La thèse de Heintze a été reprise pas C. Schmidt, Studien zu den Pseudo-Clementinen, Leipzig, 1929, p. 160-239 et O. Cullmann, Le problème littéraire et historique du roman pseudo-clémentin. Étude sur le rapport entre le gnosticisme et le judéo-christianisme, Paris, 1930, p. 116-131. Plus récemment, B. Pouderon, « Aux origines du roman clémentin. Prototype païen, refonte judéo-hellénistique, remaniement chrétien », dans Le judéo-christianisme dans tous ses états. Actes du colloque de Jérusalem (6-10 juillet 1998), Paris, 1998, p. 231256, rejetait la thèse de Heintze pour en proposer une autre : la source du roman pseudo-clémentin et non seulement de la Discussion avec Appion serait un roman « judéen » (circa 100). 20. Selon certains, l’antipaulinisme est l’une des principales caractéristiques de la littérature pseudo-clémentine. Voir, à ce sujet, G. Lüdemann, Opposition to Paul in Jewish Christianity (trad. M. E. Boring), Philadelphie, 1989, p. 169-196. À pro-
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1. A p (p) ion l’ e n n e m i
de s
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J u dé e ns
Au début du livre 4 des Homélies, Clément, « sortant de Césarée de Straton », en compagnie de Nicète et Aquila, arrive à Tyr, en Phénicie 21. Il a été envoyé par Pierre pour faire enquête sur Simon. Bientôt il apprend que Simon s’est embarqué pour Sidon et qu’il a laissé derrière lui trois de ses compagnons : Appion, le grammairien d’Alexandrie, Annubion le Diospolite et Athénodore l’Athénien 22 . Appion vient alors à la rencontre de Clément. Il le connaît parce qu’il a été l’ami de son père. Il sait d’ailleurs qu’il a été entraîné à « pratiquer et professer le judaïsme » 23 et il lui propose donc d’avoir une conversation avec lui « pour le ramener à l’ordre » 24 . D’un côté, il semble évident que l’auteur, dans le but d’harmoniser cette section avec l’intrigue principale des Homélies, a fait d’Appion le disciple improbable de Simon le Magicien. C’est que, comme l’explique Clément, Appion avait « une forte inimitié contre les Judéens » et savait qu’en se liant avec Simon, qui partageait son inimitié en tant que Samaritain, il pourrait « apprendre de lui quelque chose contre les Judéens » 25. De l’autre, l’hostilité d’Apion envers les Judéens, contrairement à son amitié avec Simon le Magicien, n’a rien de fictif. En fait, comme nous l’apprend Flavius Josèphe dans le traité qu’il lui a consacré, Apion était bien connu pour ses attaques répétées contre les Judéens. Peu de temps après la publication de ses Antiquités judéennes, circa 93-94, Flavius Josèphe doit défendre son ouvrage contre certains Grecs qui doutent de la « très haute antiquité » du peuple judéen 26. Ils soutiennent que les Judéens ne forment qu’un νεώτερον γένος, refusant de reconnaître pos de l’identification de Simon le Magicien avec Paul dans les Pseudo-Clémentines, voir A. Lindemann, Paulus im ältesten Christentum. Das Bild des Apostels und die Rezeption der paulinischen Theologie in der frühchristlichen Literatur bis Marcion, Tübingen, 1979, p. 104-108 et le point de vue critique de H. H arris , The Tübingen School, Oxford, 1975, p. 258. 21. Homélies 4,1,1. 22. Sur Annubion et Athénodore, voir J. N. Bremmer , « Foolish Egyptians : Apion and Anoubion in the Pseudo-Clementines », dans A. Hilhorst – G. H. van Kooten (éd.), The Wisdom of Egypt. Jewish, Early Christian, and Gnostic Essays in Honour of Gerard P. Luttikhuizen, Leyde – Boston, 2005, p. 312-317. 23. Homélies 4,7,2 : τὰ Ἰουδαίων ποιεῖν καὶ λέγειν. 24. Homélies 4,7,3 : πρὸς τὴν διόρθωσιν αὐτοῦ. 25. Homélies 5,2,4. Sur Simon le Magicien, voir G. Theissen, « Simon Magus – Die Entwicklung seines Bildes vom Charismatiker zum gnostischen Erlöser : ein Beitrag zur Frühgeschichte der Gnosis », dans A. von Dobbeler – K. Erlemann – R. H eiligenthal (éd.), Religionsgeschichte des Neuen Testaments : Festschrift für Klaus Berger zum 60. Geburtstag, Tübingen, 2000, p. 407-432. 26. Contre Apion 1,1. Les citations du Contre Apion proviennent de la traduction de L. Blum, dans la Collection des Universités de France.
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la supériorité sur la civilisation grecque que Flavius Josèphe leur accorde dans ses Antiquités. Ce serait le fait, comme le suppose Arthur J. Droge, d’un groupe de polémistes alexandrins auquel appartiendrait Apion 27. Flavius Josèphe répond donc à ses détracteurs dans le Contre Apion, un traité en deux livres dont le titre est quelque peu trompeur puisque le personnage d’Apion y occupe finalement peu de place 28. Ce n’est, en effet, que dans la première partie du livre 2 qu’Apion et les attaques qu’il a lancées contre les Judéens d’Alexandrie, dans son Histoire d’Égypte (τὰ Αἰγυπτιακά) y figurent 29. La plupart des accusations d’Apion dans son Histoire d’Égypte ne seraient, selon Flavius Josèphe, que pure « bouffonnerie » 30. Il se demande, en fait, si les remarques du grammairien méritent sérieusement d’être réfutées 31. Non seulement, à son avis, Apion était-il un mauvais historien, en raison de ce qu’il avait écrit sur Moïse et sur l’Exode 32 , mais il 27. A. J. Droge , « Josephus between Greeks and Barbarians », dans L. H. Feld – J. R. L evison (éd.), Josephus’ Contra Apionem. Studies in its Character and Context with a Latin Concordance to the Portion Missing in Greek, Leyde, 1996, p. 125. Droge parle de fanatiques : « under the malicious influence of a fanatical group of Alexandrian polemicists ». Ces polémistes prétendaient que « the best known Greek historians had failed to mention the Jews » (p. 116) et que « the Jews had contributed nothing to the rise of civilization » (p. 125). 28. A. J. Droge , « Josephus between Greeks and Barbarians », dans L. H. Feld man – J. R. L evison (éd.), Josephus’ Contra Apionem. Studies in its Character and Context with a Latin Concordance to the Portion Missing in Greek, Leyde, 1996, p. 116. Voir M. Goodman, « Josephus’ Treatise Against Apion », dans M. Edwards – M. Goodman – S. P rice (éd.), Apologetics in the Roman Empire. Pagans, Jews, and Christians, Oxford, 1999, p. 45 : « The original title of the work is unknown : the text deals only in the first half of book 2 with the eponymous Apion, and the present title is first attested by Jerome (On Famous Men, 13) only in the fourth century ». 29. Les attaques d’Apion portaient sur l’Exode (Contre Apion 2,8-32), sur les Judéens d’Alexandrie (Contre Apion 2,33-78), sur le Temple et la religion (Contre Apion 2,79-144). Les fragments du τὰ Αἰγυπτιακά ont été réunis par F. Jacoby dans son Die Fragmente der griechischen Historiker, Leyde, 1958, III C, no 616 f. 1-7. 30. Contre Apion 2,3 : τὰ πλεῖστα δὲ βωμολοχίαν ἔχει καὶ πολλήν. Par exemple, dans le Temple, les Judéens adoreraient la tête d’un âne (2,80-88) ou bien ils enlèveraient un Grec, l’engraisseraient pendant un an et l’immoleraient ensuite en prêtant un serment de haine envers les Grecs (2,89-111). En ce qui concerne l’accusation d’adorer un âne, voir B. Bar-Kochva, « An Ass in the Jerusalem Temple – The Origins and Development of the Slander », dans L. H. Feldman – J. R. L evison (éd.), Josephus’ Contra Apionem. Studies in its Character and Context with a Latin Concordance to the Portion Missing in Greek, Leyde, 1996, p. 310-326. 31. Contre Apion 2,2 : καὶ τοῖς τῆς πρὸς Ἀπίωνα τὸν γραμματικὸν ἀντιρρήσεως τετολμημένοις ἐπῆλθέ μοι διαπορεῖν, εἰ χρὴ σπουδάσαι. 32. Sur Moïse : Contre Apion 2,10-11 : « Il s’exprime ainsi dans le troisième livre de son Histoire d ’Égypte : “Moïse, comme je l’ai entendu dire aux vieillards parmi les Égyptiens, était d’Héliopolis ; assujetti aux coutumes de sa patrie, il installa des lieux de prières en plein air, dans des enceintes telles qu’en avait la ville et les orienta tous vers l’est ; car telle est aussi l’orientation d’Héliopolis” ». Sur la date man
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était en outre un mauvais grammairien en raison de ce qu’il croyait être le sens du mot sabbaton 33. Ce que nous apprend, au passage, Flavius Josèphe, c’est qu’Apion était un grammairien (γραμματικός) consacré à l’étude d’Homère 3 4 . D’ailleurs, il ne mentait pas uniquement sur les ancêtres du peuple judéen, mais aussi sur sa propre naissance. Il prétendait, en effet, être alexandrin alors qu’il était né en Haute Égypte 35. En résumé, selon Flavius Josèphe, Apion était un homme prétentieux 36 , corrompu, menteur, et coupable d’avoir fait étalage d’une grossière ignorance (ἀπαιδευσία) au sujet des Judéens. Tout comme l’auteur des Αἰγυπτιακά, que Flavius Josèphe réfute dans son traité, le personnage d’Appion, dans les Homélies, est décrit comme un grammairien d’Alexandrie : « Appion le Plistonice, un Alexandrin, grammairien de profession » 37, auteur de nombreux livres (πολλὰ βιβλία)
(tardive) de l’Exode : Contre Apion 2,17 : « Mais Apion, le plus sûr de tous, a fixé la sortie d’Égypte exactement à la VIIe olympiade et à la première année de cette olympiade, année, dit-il, où les Phéniciens fondèrent Carthage ». 33. Contre Apion 2,20-21 : « Apion indique une cause extraordinaire et bien vraisemblable qui explique, d’après lui, le nom du sabbat.“Après avoir marché, ditil, pendant six jours, ils eurent des tumeurs à l’aine et, pour cette raison, ils instituèrent de se reposer le septième jour, une fois arrivés sains et saufs dans le pays nommé aujourd’hui Judée, et ils appelèrent ce jour sabbat, conservant le terme égyptien. Car le mal d’aine se dit en Égypte sabbô” ». Flavius Josèphe se moque, bien entendu, d’une telle confusion, d’une telle « niaiserie ». Ailleurs, au sujet de l’origine héliopolitaine de Moïse, il s’en prend plus directement à l’incompétence du γραμματικός : « Du poète Homère, lui grammairien, il ne peut nommer la patrie avec certitude, ni celle de Pythagore, qui a vécu, peu s’en faut, hier et avant-hier. Mais sur Moïse, qui les précède de tant d’années, il se montre si crédule aux récits des vieillards que son mensonge en devient manifeste » (Contre Apion 2,14). Sur l’incompétence d’Apion en tant que γραμματικός, voir J. Dillery, « Putting Him Back Together Again : Apion Historian, Apion Grammatikos », Classical Philology 98 (2003), p. 385 : « it is Apion the grammatikos that is under attack in these chapters of Josephus, and in particular, Apion the scholar of Homer, not so much Apion the historian ». 34. Contre Apion 2,14 : περὶ μὲν Ὁμήρου τοῦ ποιητοῦ γραμματικὸς ὢν αὐτὸς… 35. Contre Apion 2,29. 36. Par exemple, lorsqu’Apion félicite Alexandrie de posséder un citoyen tel que lui, Flavius Josèphe note : « Assurément il avait besoin de témoigner pour lui-même ; car aux yeux de tous les autres il passait pour un méchant ameuteur de badauds, dont la vie fut aussi corrompue que la parole, (τοῖς μὲν γὰρ ἄλλοις ἅπασιν ὀχλαγωγὸς ἐδόκει πονηρὸς εἶναι καὶ τῷ βίῳ καὶ τῷ λόγῳ διεφθαρμένος), de sorte qu’on aurait sujet de plaindre Alexandrie si elle tirait vanité de lui » (Contre Apion 2,135-136). 37. Homélies 4,6,2 : Ἀππίωνα τὸν Πλειστονίκην, ἄνδρα Ἀλεξανδρέα, γραμματικὸν τὴν ἐπιστήμην.
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contre les Judéens 38, en raison de son inimitié contre les Judéens 39. Tout comme le personnage historique, l’Appion des Pseudo-Clémentines est d’une moralité douteuse, comme nous le verrons plus loin. La similitude entre les deux Ap(p)ions s’arrête toutefois ici. Sur l’hostilité d’Appion à l’endroit des Judéens, les Homélies se contentent de dire qu’il a écrit de « nombreux livres » contre eux. Il n’y a rien sur le contenu de ces πολλὰ βιβλία. En réalité, bien que l’origine judéenne des Homélies 4-6 soit plausible aux yeux de certains, sous la forme d’une apologie ou d’un roman basé sur des faits et des personnages historiques, en l’occurrence les écrits antijudéens d’Apion et la conversion de Flavius Clemens, l’auteur de cette section ne fait aucune mention des accusations qui sont réfutées dans le Contre Apion. Il préfère mettre l’accent sur l’immoralité de la culture grecque qu’Appion est censé défendre en tant que grammairien. Tout ce qui reste, dans les Homélies, de la haine du célèbre grammairien pour les Judéens est la simple mention de cette haine. On pourrait sans doute supposer qu’après la publication du Contre Apion le grammairien d’Alexandrie soit devenu aux yeux des Judéens de culture grecque l’archétype de l’ennemi 4 0. Pour ce qui est du judaïsme auquel Clément se serait converti, 38. Homélies 5,2,4 : « Moi, je n’ignorais pas que cet homme avait une forte inimitié contre les Judéens, au point d’avoir composé contre eux de nombreux livres » = ἐγὼ δὲ τὸν ἄνδρα οὐκ ἀγνοῶν πάνυ Ἰουδαίους δι’ ἀπεχθείας ἔχοντα, ὡς καὶ πολλὰ βιβλία κατ’ αὐτῶν συγγεγραφέναι. Sur l’historicité de ces πολλὰ βιβλία, voir E. Schürer , The History of the Jewish People in the Age of Jesus-Christ (175 BC – AD 135), Édimbourg, 1986 (nouvelle édition révisée par G. Vermes – F. Millar – M. Goodman), volume III, 1ère partie, p. 607 : « When, finally, the Pseudo-Clementine Homilies assert that Apion wrote πολλὰ βιβλία against the Jews (Homil., V, 2), this is of course not to be taken seriously ». Sur la signification de l’expression πολλὰ βιβλία, voir P. W. van der Horst, « Who was Apion ? », dans P. W. van der Horst, Japhet in the tents of Shem : studies on Jewish Hellenism in antiquity, Louvain, 2002, p. 211, note 28 : « One should bear in mind the ambiguity of an expression such as ὁ λόγος κατὰ Ἰουδαίων. It can mean both “the book Against the Jews” and “the argument against the Jews” ». On notera que Clément d’Alexandrie (Stromates 1,101,3) et Julien l’Africain (apud Eusèbe de Césarée , Préparation évangélique 10,10,16) font, tous les deux, mention d’un βιβλίον κατὰ Ἰουδαίων composé par Apion. 39. Homélies 5,29,1 : « Ayant appris de moi la vérité, Appion, qui hait ce qui appartient aux Judéens, à tort… » = ἀκούσας δέ μου τῆς ἀληθείας ὁ Ἀππίων, ὁ ἀλόγως μισῶν τὸ Ἰουδαίων… 40. Voir W. A dler , « Apion’s “Encomium of Adultery” : A Jewish Satire of Greek Paideia in the Pseudo-Clementine Homilies », Hebrew Union College Annual 64 (1993), p. 31 : « he was notorious among Hellenistic Jewish writers for his virulent enmity toward the Jews ». Adler ne nomme aucun de ces « Hellenistic Jewish writers ». Voir également B. Pouderon, « Aux origines du roman clémentin. Prototype païen, refonte judéo-hellénistique, remaniement chrétien », dans Le judéochristianisme dans tous ses états. Actes du colloque de Jérusalem (6-10 juillet 1998), Paris, 1998, p. 248 : « c’est entre 93 et 96 que parut le Contre Apion de Flavius Josèphe, qui popularisa la figure d’Apion comme “ennemi des Juifs” ».
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les Homélies s’en tiennent à le qualifier de « philosophie » 41. Il s’agirait en quelque sorte d’un judaïsme « de base », ce qui expliquerait, selon les tenants de l’hypothèse d’une source judéenne, que l’on ait pu l’intégrer facilement à un texte de nature judéenne chrétienne 42 . Le point commun entre cette source judéenne supposée et les Homélies serait leur opposition à la culture grecque. 2 . A p (p) ion
l e cé l è br e gr a m m a i r i e n d ’A l e x a n dr i e
Flavius Josèphe et l’auteur des Homélies avaient en commun, pour leur part, l’intention de démontrer la supériorité du judaïsme sur la culture grecque 43 en s’attaquant à la crédibilité d’Apion 4 4 . La présence du person41. Homélies 5,28,2. Voir supra note 18. 42. Pour W. H eintze , Der Klemensroman und seine griechischen Quellen, Leipzig, 1914, p. 42-51 et O. Cullmann, Le problème littéraire et historique du roman pseudo-clémentin. Étude sur le rapport entre le gnosticisme et le judéo-christianisme, Paris, 1930, p. 116-131, la source juive (une apologie du judaïsme) aurait été utilisée par G (Grundschrift), H (Homélies) et R (Reconnaissances). La discussion avec Appion aurait ainsi fait partie de l’Écrit de base (Grundschrift). Le point de départ de cette hypothèse est la référence à des « discussions entre Pierre et Apion », attribuées à Clément de Rome, chez Eusèbe de Césarée (Histoire ecclésiastique 3,38,5 : Πέτρου δὴ καὶ Ἀπίωνος διαλόγους). Ces dialogues se trouveraient dans la Grundschrif. Suivant B. Pouderon, « Aux origines du roman clémentin. Prototype païen, refonte judéo-hellénistique, remaniement chrétien », dans Le judéo-christianisme dans tous ses états. Actes du colloque de Jérusalem (6-10 juillet 1998), Paris, 1998, p. 253, la source judéenne (un roman judéen) aurait été remaniée par un « rédacteur ébionite » qui en aurait fait un roman chrétien (voir le schéma de la page 256). G. Strecker , Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1981 (2 e édition), p. 84, est d’avis, au contraire, que le personnage d’Appion n’appartient pas à la Grundschrift : « Die Gestalt Apions hat keinem Platz in der Grundschrift ». Ce serait plutôt, selon lui, l’auteur des Homélies qui aurait composé la discussion avec Appion : « Völlig evident aber wird die Vermutung, der Homilist habe die Apiondisputation komponiert, durch eine Untersuchung der Gestalt Apions in den Homilien » (p. 83). 43. Voir A. K asher , « Polemic and apologetic methods of writing in Contra Apionem », dans L. H. Feldman – J. R. L evison (éd.), Josephus’ Contra Apionem. Studies in its Character and Context with a Latin Concordance to the Portion Missing in Greek, Leyde, 1996, p. 150 : « the axis of Contra Apionem is the debate between the Jews and Greek culture in general … Contra Apionem should have been given a more appropriate title, such as Against the Greeks ». 44. Flavius Josèphe, dans le Contre Apion, cherche à maintenir un équilibre entre la polémique et l’apologie, entre la mise en valeur du judaïsme et la critique des auteurs grecs, un équilibre que l’on ne trouve pas dans les Homélies. Sur ce point, voir A. K asher , « Polemic and apologetic methods of writing in Contra Apionem », dans L. H. Feldman – J. R. L evison (éd.), Josephus’ Contra Apionem. Studies in its Character and Context with a Latin Concordance to the Portion Missing in Greek, Leyde, 1996, p. 143-186. Sur la crédibilité d’Apion, A. K asher (p. 163) note ce
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nage d’Appion dans les Homélies pourrait ainsi s’expliquer par la réputation du grammairien en tant qu’adversaire des Judéens. Il servirait ainsi de faire-valoir au personnage de Clément qui vient de se convertir à la doctrine des Judéens 45. On pourrait aussi comprendre le rôle d’Appion dans les Homélies à la lumière d’une autre réputation dont jouissait le grammairien, celle d’être un savant prétentieux. Bien au fait de cette réputation, l’auteur des Homélies l’aurait utilisée de manière polémique contre la culture grecque 4 6. Il est vrai, comme l’observe Pieter W. van der Horst, que la réputation d’Apion ne faisait pas l’unanimité 47. Célèbre pour ses talents d’orateur et son érudition, il avait le don, en revanche, d’irriter beaucoup de gens 48. Sénèque rapporte que durant le règne de Caligula il parcourait la Grèce à titre d’orateur et de spécialiste d’Homère, ce qui lui avait valu le surnom d’Ὁμηρικός 49. Il y a d’ailleurs un passage, au livre 6 des Homélies, dans lequel Appion débute son interprétation allégorique de la théogonie hésio-
qui suit : « defamation of persons and their character was one of the better-known rhetorical tactics adopted in the courts of law … Josephus adopted a technique of writing which resembled legal debates in the law courts ». S. M ason, « Contra Apionem in social and literary context : an invitation to Judean philosophy », dans L. H. Feldman – J. R. L evison (éd.), Josephus’ Contra Apionem. Studies in its Character and Context with a Latin Concordance to the Portion Missing in Greek, Leyde, 1996, p. 187-228, estime que le Contre Apion devrait être classé comme un λόγος προτρεπτικός, c’est-à-dire « a discourse intended to promote “conversion” to a philosophical community » (p. 188). Dans les Homélies 4-6, on assiste davantage à une polémique contre la culture grecque d’Appion qu’à une apologie véritable du judaïsme. 45. Voir W. A dler , « Apion’s “Encomium of Adultery” : A Jewish Satire of Greek Paideia in the Pseudo-Clementine Homilies », Hebrew Union College Annual 64 (1993), p. 31. 46. Pour W. A dler , « Apion’s “Encomium of Adultery” : A Jewish Satire of Greek Paideia in the Pseudo-Clementine Homilies », Hebrew Union College Annual 64 (1993), p. 31, l’érudition d’Apion est teintée d’une certaine suffisance. Il la qualifie de « seriously undermined by relentless self-promotion and ostentatious display ». 47. P. W. van der Horst, « Who was Apion ? », dans P. W. van der Horst, Japhet in the tents of Shem : studies on Jewish Hellenism in antiquity, Louvain, 2002, p. 209. Apion avait, selon lui, « a very mixed reputation ». 48. P. W. van der Horst, « Who was Apion ? », dans P. W. van der Horst, Japhet in the tents of Shem : studies on Jewish Hellenism in antiquity, Louvain, 2002, p. 209 : « his behaviour seems to have irritated many people ». 49. Voir P. W. van der Horst, « Who was Apion ? », dans P. W. van der Horst, Japhet in the tents of Shem : studies on Jewish Hellenism in antiquity, Louvain, 2002, p. 208. Sénèque , Lettres à Lucilius 88,40 : Apion grammaticus, qui sub C. Caesare tota circulatus est Graecia et in nomen Homeri ab omnibus civitatibus adoptatus. H. Noblot, dans la Collection des Universités de France, rend in nomen Homeri par « comme un second Homère ».
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dique par une référence à Homère 50. Auteur d’un important dictionnaire de la langue homérique, les Γλῶσσαι Ὁμηρικαί 51, Apion a aussi écrit sur une quantité de sujets divers, de la littérature à la cuisine, en passant par la géographie, les sciences naturelles et la zoologie 52 . La Souda (sub voce Πάσης) mentionne également un ouvrage d’Apion intitulé Περὶ μάγου. Il est difficile de savoir si Apion s’est véritablement intéressé à la « magie », comme les Homélies le laissent entendre 53. Ce que l’on sait, par ailleurs, suivant le témoignage d’Aulu-Gelle, c’est qu’Apion, malgré sa grande éru50. Homélies 6,3,2 : καὶ μάρτυρα τῶν μεγάλων ἐν σοφίᾳ τὸν μέγιστον Ὅμηρον αὐτόν σοι παρέξομαι, εἰπόντα περὶ τῆς ἀνέκαθεν συγχύσεως·« Ἀλλὰ ὑμεῖς μὲν πάντες ὕδωρ καὶ γαῖα γένοισθε », ὡς ἐκεῖθεν ἁπάντων τὴν γένεσιν ἐσχηκότων καὶ μετὰ ἀνάλυσιν τῆς ὑγρᾶς καὶ γηίνης οὐσίας εἰς τὴν πρώτην πάλιν ἀποκαθισταμένων φύσιν, ὅ ἐστιν χάος. = « Je te citerai le témoignage du plus grand d’entre les sages, Homère lui-même ; car il a dit à propos de la confusion de jadis : “Eh bien ! Puissiez-vous devenir tous eau et terre !” [Iliade 7,99] Le sens est que tous les êtres ont reçu de là leur origine et qu’après la dissolution de la substance humide et terreuse ils sont ramenés à l’état de la nature première, qui est le chaos ». Sur ce passage, voir J. N. Bremmer , « Foolish Egyptians : Apion and Anoubion in the Pseudo-Clementines », dans A. Hilhorst – G. H. van Kooten (éd.), The Wisdom of Egypt. Jewish, Early Christian, and Gnostic Essays in Honour of Gerard P. Luttikhuizen, Leyde – Boston, 2005, p. 321, qui répond à la question « to what extent this passage illustrates the Homeric teaching of the historical Apion » en disant « there is too little left of his works for a proper evaluation ». Au sujet de la théogonie orphique qu’auraient conservée les Pseudo-Clémentines (Homélies 6,3 ; 4-10 ; Reconnaissances 10,17-20 ; 30), attribuée ici à Apion, et au sujet de sa possible origine alexandrine, voir J. van A mersfoort, « Traces of an Alexandrian Orphic Theogony in the Pseudo-Clementines », dans R. van den Broek – M. J. Vermaseren (éd.), Studies in Gnosticism and Hellenitic Religions. Presented to Gilles Quispel on the Occasion of his 65th Birthday, Leyde, 1981, p. 13-30 et G. Quispel , « The Demiurge in the Apocryphon of John », dans R. McL. Wilson (ed), Nag Hammadi and Gnosis. Papers read at the First International Congress of Coptology (Cairo, December 1976), Leyde, 1978, p. 18-19. 51. Les 160 fragments qui ont été conservés des Γλῶσσαι Ὁμηρικαί ont été regroupés et publiés par S. Neitzel : Apions Γλῶσσαι Ὁμηρικαί, Berlin – New York, 1977, p. 185-300. Selon J. Dillery, « Putting Him Back Together Again : Apion Historian, Apion Grammatikos », Classical Philology 98 (2003), p. 383, « much of Apion’s fame was due to his lexical work ». 52. P. W. van der Horst, « Who was Apion ? », dans P. W. van der Horst, Japhet in the tents of Shem : studies on Jewish Hellenism in antiquity, Louvain, 2002, p. 210. 53. Sur les possibles connaissances d’Apion en matière de « magie », voir J. N. Bremmer , « Foolish Egyptians : Apion and Anoubion in the Pseudo-Clementines », dans A. Hilhorst – G. H. van Kooten (éd.), The Wisdom of Egypt. Jewish, Early Christian, and Gnostic Essays in Honour of Gerard P. Luttikhuizen, Leyde – Boston, 2005, p. 325 : « The historical Apion may well have dabbled in love magic too, since Pliny (NH 24.167) says that according to someone celeber arte grammatica paulo ante, clearly Apion, the touch of the plant called anacampseros, “love’s return”, caused either the return of love or its rejection with hatred ».
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dition et sa vaste connaissance des lettres grecques 54, pouvait être ridicule de vanité et de vantardise : « Dans ce qu’il dit avoir entendu ou lu, il se peut qu’il soit un peu bavard par un goût vicieux de se faire valoir – il est vraiment fanfaron quand il vante son savoir » 55. Même remarque chez Pline l’Ancien, qui a assisté à ses conférences dans sa jeunesse 56, et qui rapporte le propos de l’empereur Tibère, selon lequel Apion était la « cymbale du monde » (cymbalum mundi), en y ajoutant son grain de sel : « bien qu’il méritât plutôt d’être surnommé “trompette de sa propre renommée” » 57. En effet, Apion prétendait qu’il « immortalisait ceux à qui il dédiait quelque ouvrage » 58. Son surnom, ὁ Πλειστονίκης, « le vainqueur des vainqueurs » ou « le querelleur », si l’on veut y voir un jeu de mots avec νεῖκος, confirme sans doute le sentiment qu’il avait de sa propre importance 59. Il serait probablement utile de rappeler ici qu’au premier siècle de notre ère, être grammairien (ὁ γραμματικός, grammaticus) signifie essentiellement deux choses : enseigner la littérature et pratiquer la critique littéraire 60. Quintilien définit, en effet, la professio du grammaticus comme 54. Aulu-Gelle , Nuits attiques 5,14,1 : litteris homo multis praeditus rerumque Graecarum plurima atque varia scientia fuit. 55. Aulu-Gelle , Nuits attiques 5,14,3 : Sed in his quae vel audisse vel legisse sese dicit, fortassean vitio studioque ostentationis sit loquacior – est enim sane quam in praedicandis doctrinis sui venditator. Traduction R. M arache (Collection des Universités de France). 56. Pline l’ancien, Histoire naturelle 30,18 : cum adulescentibus nobis visus Apion grammaticae. 57. Pline l’ancien, Histoire naturelle (Préface 25) : Apion quidem grammaticus hic quem Tiberius Caesar cymbalum mundi vocabat, quom propriae famae tympanum potius videri posset. Traduction J. Beaujeu (Collection des Universités de France). 58. Pline l’ancien, Histoire naturelle (Préface 25) : immortalitate donari a se scripsit ad quos aliqua componebat. Traduction J. Beaujeu (Collection des Universités de France). 59. C’est P. W. van der Horst, « Who was Apion ? », dans P. W. van der Horst, Japhet in the tents of Shem : studies on Jewish Hellenism in antiquity, Louvain, 2002, p. 209, qui suppose que ὁ Πλειστονίκης, qu’il traduit par « victor in many contests », « may well be a pun on the phonetically indistinguishable Πλειστονείκης, meaning “quarrelsome” ». À propos du surnom ὁ Πλειστονίκης, voir H. Jacobson, « Apion’s Nickname », American Journal of Philology 98 (1977), p. 413-415 et J. Dillery, « Putting Him Back Together Again : Apion Historian, Apion Grammatikos », Classical Philology 98 (2003), p. 383-384. 60. Voir T. Morgan, Literate Education in the Hellenistic and Roman Worlds, Cambridge, 1998, p. 155-156. Morgan note que le terme γραμματικός, dans le sens de « teacher of literature by means of grammar », « does not appear in either literary or papyrological sources » avant le premier siècle qui précède notre ère (p. 155). Elle ajoute : « In classical Greece, a grammatikos is simply a man who knows his letters, and this sense of the word persists throughout antiquity ». Durant la période hellénistique, le mot γραμματικός « acquires the additional, specialized meaning of a literary scholar » (p. 155-156). Sur la définition du γραμματικός, voir aussi
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« l’art de parler correctement et d’interpréter les poètes » 61. Les commentaires d’Aulu-Gelle, Pline l’Ancien et Sénèque laissent clairement entendre que le grammairien Apion devait sa célébrité à son activité de savant avant tout, et la Souda nous informe qu’il aurait, par ailleurs, succédé à Théon, à la tête de l’école de grammaire d’Alexandrie, et qu’il aurait enseigné à Rome durant les règnes de Tibère et de Claude 62 . Il faut aussi se demander, étant donné les compétences rhétoriques qui lui sont attribuées dans les Homélies, s’il était normal pour un grammairen comme Apion d’afficher une telle maîtrise de la rhétorique. Quintilien nous renseigne sur ce point lorsqu’il déplore la confusion qui existait parfois entre la tâche du grammairien et celle du rhéteur. Il arrivait, en effet, que des grammairiens enseignent la rhétorique et se permettent même de donner des conférences, comme c’était l’habitude de certains rhéteurs 63. Sur la fonction du grammairien, Suétone, dans le Grammairiens et rhéteurs, précise qu’avant les Grecs on parlait de litteratus et non de grammaticus. Les litterati, les « lettrés », ce sont ceux qui, selon Cornélius Népos qu’il cite à ce propos, « sont capables de parler ou d’écrire sur un sujet avec correction, finesse et savoir, c’est en toute rigueur à ceux qui expliquent les poètes et que les Grecs désignent par le terme de γραμματικοί qu’il faudrait réserver ce nom » 6 4 . À la lumière des définitions de Quintilien et de Suétone, et suivant les témoignages de Pline l’Ancien, Sénèque, Aulu-Gelle et la Souda, il semble raisonnable d’affirmer que les Homélies font preuve d’exactitude, lorsqu’elles présentent le personnage d’Appion en ces termes : « Appion le Plistonice, un Alexandrin, grammairien de profession » 65, et de vraisemR. Cribiore , Gymnastics of the Mind. Greek Education in Hellenistic and Roman Egypt, Princeton – Oxford, 2001, p. 185-219 et C. McNeils , « Greek Grammarians and Roman Society during the Early Empire : Statius’ Father and his Contemporaries », Classical Antiquity 21 (2002), p. 67-94. 61. Quintilien, Institution oratoire 1,4,2 : recte loquendi scientiam et poetarum enarrationem. La définition s’applique aussi bien aux Grecs qu’aux Romains : primus in eo, qui scribendi legendique adeptus erit facultatem, grammaticis est locus. Nec refert de Graeco an de Latino loquar, quamquam Graecum esse priorem placet : utrique eadem uia est (1,4,1) 62. Sοuda (sub voce Ἀπίων) : ἐπαίδευσε δὲ ἐπὶ Τιβερίου Καίσαρος καὶ Κλαυδίου ἐν Ῥώμῃ ἦν δὲ διάδοχος Θέωνος τοῦ γραμματικοῦ. 63. Quintilien, Institution oratoire 2,1,1-3. 64. Suétone , Grammairiens et rhéteurs 4 : Appellatio grammaticorum Graeca consuetudine invaluit ; sed initio litterati vocabantur. Cornelius quoque Nepos libello quo distinguit litteratum ab erudito, litteratos quidem vulgo appellari ait eos qui aliquid diligenter et acute scienterque possint aut dicere aut scribere, ceterum proprie sic appellandos poetarum interpretes, qui a Graecis γραμματικοί nominentur. Traduction M. Cl. Vacher (Collection des Universités de France). 65. Homélies 4,6,2. Voir J. N. Bremmer , « Foolish Egyptians : Apion and Anoubion in the Pseudo-Clementines », dans A. Hilhorst – G. H. van Kooten (éd.), The Wisdom of Egypt. Jewish, Early Christian, and Gnostic Essays in Honour of Gerard P. Luttikhuizen, Leyde – Boston, 2005, p. 319-320, qui a bien montré que
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blance, lorsqu’elles le décrivent en train de discuter de mythes grecs avec Clément, un jeune homme bien éduqué qui vient toutefois de se convertir au judaïsme. 3. L’ i n flu e nce
de l a π α ι δ ε ί α et de l a r h étor iqu e su r l e s
P s eu do -C l é m e n t i n es
Il semble évident que l’auteur des Homélies savait très bien qui était Apion et qu’il a choisi, pour des raisons polémiques, de mettre l’accent sur le grammairien et non sur l’ennemi des Judéens. Le personnage d’Appion, dans les Homélies, prend donc les traits quelque peu artificiels et caricaturaux d’un défenseur de la παιδεία dont la fonction dans le récit est de contrer la mauvaise influence de cette παιδεία justement sur les lecteurs judéens ou judéens chrétiens des Homélies. Par conséquent, pour bien cerner le rôle d’Appion dans le roman pseudo-clémentin, il faut d’abord apprécier la place qu’y occupe la παιδεία et la rhétorique plus particulièrement. À la lecture des Pseudo-Clémentines, il est donc utile de garder à l’esprit les faits suivants. Premièrement, l’opposition entre l’Apôtre Pierre et Simon le Magicien, l’un des thèmes majeurs du roman, prend la forme d’une discussion, d’une sorte de dialogue philosophique 66. À Laodicée, Pierre et Simon acceptent ainsi de débattre en suivant les règles de la « culture grecque », que Faustus, le père de Clément, qui tient lieu d’arbitre, se charge de leur rappeler 67. Pierre, dans les Homélies et dans les Reconnaissances, n’est d’ailleurs plus le pêcheur sans éducation des Évangiles. Ses propos et ses actions sont celles d’un authentique philosophe 68. Le combat dans lequel il s’est engagé ces trois éléments : le surnom de Plistonice, l’origine alexandrine et le titre de grammairien étaient confirmés et bien attestés dans les sources grecques et latines. 66. Voir D. Côté , Le thème de l ’opposition entre Pierre et Simon dans les PseudoClémentines, Paris, 2001, p. 206-218 et B. R. Voss , Der Dialog in der frühchristlichen Literatur, München, 1970, p. 62-65 ; 67-73. Voss note qu’en dépit de l’aversion des Pseudo-Clémentines pour ce qu’elles appellent le « bavardage des Grecs », Graecorum loquacitas, (Reconnnaissances 8,5,5), la manière grecque de mener une discussion est plutôt bien intégrée à la trame du roman : « Das griechische Disputationsverfahren, das zunächst heidnischer Geschwätzigkeit zugewiesen worden war, wird in die geistige Welt des Romans hineingenommen » (p. 68). 67. Homélies 16,3,3 : « Maintenant donc, comme l’éducation grecque m’a appris comment doivent procéder les acteurs d’un débat, je vais le rappeler. Que chacun d’entre vous expose sa propre opinion, et que chaque discours soit adressé à l’autre » = καὶ νῦν ἐξ Ἑλληνικῆς παιδείας ὡς χρὴ τοὺς ζητοῦντας ποιεῖν εἰδὼς ὑπομνήσω. ἑκάτερος ὑμῶν τὸ ἑαυτοῦ δόγμα ἐκθέσθω, καὶ εἰς ἕτερον οἱ λόγοι γενέσθωσαν. 68. Reconnaissances 10,15,1-2 : « Moi, Clément, je pris alors la parole en ces termes : “À Tripoli, lorsque tu débattais avec les gentils, j’ai éprouvé une vive admi-
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contre Simon le Magicien ne se livre pas non plus, comme dans les Actes de Pierre, à coups de miracles, mais plutôt à coups d’arguments 69. Il y a même un passage, dans les Reconnaissances, où c’est l’Apôtre qui se permet de rappeler à son adversaire les règles de l’ars disputandi 70. ration en voyant comment toi, Pierre, mon maître, imprégné comme tu le fus par tes pères du rite hébraïque et des observances de votre propre loi, sans avoir jamais été souillé par l’étude de la culture grecque, tu as fait un exposé si magnifique et si incomparable, au point de toucher même certains détails des récits mythologiques qui sont d’ordinaire déclamés dans les théâtres” » = Tum ego Clemens dicere ita coepi : Apud Tripolim cum contra gentiles disputares, domine mi Petre, valde miratus sum te, qui a patribus Hebraeo ritu et observantiis propriae legis inbutus, Graecae eruditionis studiis in nullo inquinatus es, quomodo tam magnifice tam incomparabiliter prosecutus sis, ita ut etiam quaedam de historiis deorum quae in theatris decantari solent, contingeres. Voir ce que Nicète, le frère de Clément, a à dire sur les capacités intellectuelles de Pierre : « Il est en effet un homme de Dieu, plein de toute science, à qui même l’érudition des Grecs n’est pas cachée, parce qu’il est rempli de l’Esprit de Dieu à qui rien n’est caché » = homo enim dei est, plenus totius scientiae, quem ne Graeca quidem latet eruditio, quia spiritu dei repletus est quem nihil latet (Reconnaissances 8,5,4). À propos de Pierre le « philosophe », voir D. Côté , Le thème de l ’opposition entre Pierre et Simon dans les Pseudo-Clémentines, Paris, 2001, p. 126133. 69. Voir R. Pesch, Simon-Petrus. Geschichte und geschichtliche Bedeutung des ersten Jüngers Jesu Christi, Stuttgart, 1980, p. 156, qui résume ainsi la lutte entre Pierre et Simon dans les Acta Petri : « er (Peter) überwindet Simon, den Boten des Teufels, im Wortstreit und vor allem in der aretalogisches Auseinandersetzung durch den Beweis grösserer Wunder » et H. C. K ee , Miracle in the Early Christian World. A Study in Sociohistorical Method, New Haven, 1983, p. 288. Sur les Actes de Pierre en général, voir J. N. Bremmer (éd.), The Apocryphal Acts of Peter. Magic, Miracles and Gnosticism, Louvain, 1998 ; E. Norelli, « Situation des apocryphes pétriniens », Apocrypha 2 (1991), p. 31-83 et W. Schneemelcher , « The Acts of Peter », dans W. Schneemelcher (éd.), New Testament Apocrypha. II Writings relating to the Apostles, Apocalypses and related Subjects, Louisville (Kentucky), 1992 (édition révisée, traduction anglaise de R. McL, Wilson), p. 271-321. 70. Reconnaissances 2,25,1-2 : « En effet, dans l’affrontement d’une controverse, certains, sentant que leur erreur est confondue, se mettent aussitôt, dans le but de couvrir leur retraite, à semer le trouble et à soulever des querelles pour que leur défaite ne soit pas manifeste aux yeux de tous. C’est la raison pour laquelle je demande fréquemment que l’investigation dans un débat soit menée avec toute la patience et la sérénité voulues, de sorte que, si d’aventure quelque affirmation ne semble pas correcte, il soit possible de la reconsidérer et de l’expliquer plus clairement » = nonnulli enim in disputationum certamine ubi errorem suum senserint confutari, causa perfugii conturbare continuo incipiunt et movere lites, ne palam fiat omnibus quod superantur ; et propterea ego frequenter exoro, ut cum omni patientia et quiete indago disputationis habeatur, ut et si forte aliquid minus recte dictum videtur, repetere id et apertius liceat explanare. En Reconnaissances 3,18 et 34, Pierre doit rappeler à Simon l’ordo disputandi, parce que « l’enseignement de toute doctrine, explique-t-il, suit un ordre déterminé » = totius doctrinae disciplina habet certum ordinem (3,34,1). Sur l’importance de ces prises de position théoriques dans l’histoire du dialogue chrétien, voir B. R. Voss , Der Dialog in der frühchristlichen Literatur, München, 1970, p. 67 : « Wichtiger als die Disputationen selbst sind für die
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Deuxièmement, le simple fait que les Pseudo-Clémentines se présentent sous la forme d’un roman révèle l’intérêt de leurs auteurs pour la littérature 71. Ils auraient pu exprimer leur point de vue sur la culture grecque d’une autre manière, comme l’ont fait Justin, Clément d’Alexandrie et Origène. Ils ont plutôt choisi la manière du roman grec 72 . En fait, le choix du roman, au lieu de l’apologie, par exemple, correspond peut-être à un certain goût pour la rhétorique, si du moins l’on accepte la thèse, mise de l’avant par certains, selon laquelle le roman grec serait issu d’un exercice de rhétorique que l’on appelle la déclamation 73. Geschichte des christlichen Dialogs die in den Pseudo-Clementinen enthaltenen Aussagen über Wesen und Form geistiger Auseinandersetzung ». 71. Sur les Pseudo-Clémentines en tant que « premier roman chrétien », voir inter alios O. Cullmann, Le problème littéraire et historique du roman pseudoclémentin. Étude sur le rapport entre le gnosticisme et le judéo-christianisme, Paris, 1930, p. vii : « premier roman dû à la plume d’un auteur chrétien » et T. H ägg, The Novel in Antiquity, Berkeley – Los Angeles, 1983, p. 162-163 : « the first genuine Christian novel ». Selon D. U. H ansen, « Die Metamorphose des Heiligen. Clemens und die Clementina », dans H. Hoffmann – M. Zimmermann (éd.), Groningen Colloquia on the Novel, Groningen, p. 119-121, on qualifie les PseudoClémentines de premier roman chrétien parce que ses personnages, à la différence de ceux des actes apocryphes, ne sont plus des saints mais des personnages de roman. On assiste à une « Metamorphose vom Heiligen zum Romanhelden » (p. 121). 72. Sur la question de savoir si le roman pseudo-clémentin dérive du roman grec, voir T. H ägg, The Novel in Antiquity, Berkeley – Los Angeles, 1983, p. 163, qui croit que le roman chrétien « is built on the remains of a pagan one ». D. U. H ansen, « Die Metamorphose des Heiligen. Clemens und die Clementina », dans H. Hoffmann – M. Zimmermann (éd.), Groningen Colloquia on the Novel, Groningen, p. 129, avance l’idée d’une influence possible d’Héliodore : « der Autor der Clementina habe Heliodor benutzt ». Au contraire, M. J. Edwards , « The Clementina : A Christian Response to the Pagan Novel », Classical Quarterly 42 (1992), p. 474, estime que les Pseudo-Clémentines « had only Christian sources ; so far as it was a novel, it was probably a Christian invention ». Là-dessus, voir R. Pervo, « The Ancient Novel Becomes Christian », dans G. Schmeling (éd.), The Novel in the Ancient World, édition révisée, Leyde – Boston, 2003, p. 707 : « The PsClems are a Christian novel with a plot that resembles New Comedy ». Voir aussi M. Vielberg, Klemens in den pseudoklementinischen Rekognitionen. Studien zur literarischen Form des spätantiken Romans, Berlin, 2000, qui fait valoir que les PseudoClémentines ont utilisé des motifs romanesques (Romanmotive) que l’on trouve dans presque tous les romans grecs (p. 111-114) et même dans la Vita Apollonii de Philostrate (p. 152-164). Au sujet des raisons pour lesquelles les auteurs des PseudoClémentines auraient choisi le genre du roman, voir T. H ägg, The Novel in Antiquity, Berkeley – Los Angeles, 1983, p. 164 : « the novelistic form was the means of attracting pagan readers » et M. J. Edwards , « The Clementina : A Christian Response to the Pagan Novel », Classical Quarterly 42 (1992), p. 474 : « the aim was to set forth arguments that would edify even Christians in a form that even pagans would admire ». 73. La déclamation (ἡ μελέτη, declamatio) est un discours fictif. Sur la définition de la déclamation, voir D. A. Russell , Greek Declamation, Cambridge, 1983, p. 10 : « it has to be the reproduction of a forensic speech or of a deliberative one ».
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Troisièmement, dans les Homélies, aux livres 4 à 6, la discussion entre Appion et Clément porte sur des thèses qui étaient étudiées dans les écoles de rhétorique 74 , comme, par exemple, « qu’est-ce que la coutume et comment l’apprend-on ? » ou bien « la coutume est-elle toujours vraie ou est-elle considérée comme telle à force de répétition ? » ou encore « dans quelles conditions est-il permis de délaisser la coutume ancestrale ? » 75. Lorsque Clément, au livre 4, commence son discours en ces mots : « Ô Grecs, il y a une grande différence entre la vérité et l’habitude. Car c’est après l’avoir cherchée sincèrement que l’on découvre la vérité, tandis que l’usage dont on aura hérité, qu’il soit vrai ou faux, ne tire sa force que de lui-même » 76, Sur l’influence de la déclamation sur la littérature, voir D. A. Russell , Greek Declamation, Cambridge, 1983, p. 1 : « pretending to be someone else, and composing imaginary speeches in character, is an essential part of most literary activity ». C. Ruiz Montero, « The Rise of the Greek Novel », dans G. Schmeling (éd.), The Novel in the Ancient World, Leyde – Boston, 2003 (édition révisée), p. 65, est d’accord avec Russell concernant « the importance of declamation or μελέτη as a fictional exercise » et ajoute : « as a series of fictional exercises, then, rhetoric enhances the power of that fiction in permeating the different literary genres of the Hellenistic and Roman periods ; they thus collaborate in the construction of the fictional genre par excellence – the novel » (p. 67). Selon Ruiz Montero, il ne s’agit pas de dire que « the Greek love novel is born mechanically in the rhetorical laboratory » (p. 67), mais plutôt que le roman « as a genre is born, like the rest of the literature of the age, in a rhetorical-literary context » (p. 68). Sur la relation entre rhétorique et roman, voir R. F. Hock , « The Rhetoric of Romance », dans S. E. Porter (éd.), Handbook of Classical Rhetoric in the Hellenistic Period (330 B.C. - A.D. 400), Leyde – Boston, 2001, p. 445-465. Hock met plus particulièrement l’accent sur les exercices préparatoires à la déclamation, les προγυμνάσματα, pour apprécier la sophistication du roman grec (p. 453-461). 74. La thèse (θέσις) fait partie des προγυμνάσματα. Selon Aélius Théon (Progymnasmata 11), qui nous a laissé l’un des plus anciens recueils de προγυμνάσματα (Ier siècle de notre ère), la thèse est « un sujet qui comporte une controverse en paroles sans personnes définies ni circonstance aucune : Doit-on se marier ? Doiton avoir des enfants ? Les dieux existent-ils ? ». Traduction M. Patillon (Collection des Universités de France). Sur la thèse, voir D. L. Clark , Rhetoric in Greco-Roman Education, Morningside Heights (New York), 1957, p. 203-206. Aélius Théon faisait une distinction entre thèses théoriques et thèses pratiques (Progymnasmata 11) : « Or, il est clair que les thèses pratiques sont aussi plus politiques et ont un caractère rhétorique, tandis que les thèses théoriques conviennent davantage au philosophe… ». L’exercice était donc aussi en usage dans l’enseignement de la philosophie. Voir à ce sujet D. M. Schenkeveld, « Philosophical Prose », dans S. E. Porter (éd.), Handbook of Classical Rhetoric in the Hellenistic Period (330 B.C. - A.D. 400), Leyde – Boston, 2001, p. 247-248. 75. Apud W. A dler , « Apion’s “Encomium of Adultery” : A Jewish Satire of Greek Paideia in the Pseudo-Clementine Homilies », Hebrew Union College Annual 64 (1993), p. 32. 76. Homélies 4,11,1 : Πολλή τις, ὦ ἄνδρες Ἕλληνες, ἡ διαφορὰ τυγχάνει ἀληθείας τε καὶ συνηθείας. ἡ μὲν γὰρ ἀλήθεια γνησίως ζητουμένη εὑρίσκεται, τὸ δὲ ἔθος, ὁποῖον ἂν παραληφθῇ, εἴτε ἀληθὲς εἴτε ψευδές, ἀκρίτως ὑφ’ ἑαυτοῦ κρατύνεται. Sur ce passage, voir M. Simon, « Christianisme antique et pensée
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il aborde fondamentalement le même sujet que Dion Chrysostome dans son Περὶ ἔθους 77. Lorsque Clément, dans le même passage, se voit blâmé par Appion pour avoir délaissé les coutumes ancestrales (τὰ πάτρια) et qu’il se défend en disant « celui qui choisit de pratiquer la piété ne doit pas observer les usages ancestraux dans tous les cas, mais les observer s’ils sont pieux et les rejeter s’ils sont impies » 78, il aborde là aussi un thème bien connu des rhéteurs et des philosophes : « doit-on toujours respecter ses parents et leur obéir ? » 79, comme le confirme Aulu-Gelle 80. Contre les philosophes qui prétendent que certaines actions, comme l’adultère, à titre d’exemple, sont indifférentes, parce qu’elles sont par nature ni bonnes ni mauvaises et ne sont interdites que par les lois des hommes, Clément fait valoir qu’au contraire elles ne peuvent qu’être mauvaises parce qu’elles causent des troubles, des meurtres et toutes sortes de confusions 81. Cette question, encore une fois, comme le note William Adler, fait partie du répertoire des thèses fréquemment étudiées dans les écoles de rhétorique 82 .
païenne : rencontres et conflits », Bulletin de la Faculté des lettres de Strasbourg 38 (1960), p. 313 : « Aucun texte, me semble-t-il, ne fait mieux ressortir la différence fondamentale qui oppose le christianisme antique et les païens même cultivés ». 77. Dion Chrysostome , Discours 76. 78. Homélies 4,8,3 : Τὸν εὐσεβεῖν προαιρούμενον οὐ πάντως φυλάσσειν δεῖ τὰ πάτρια, ἀλλὰ φυλάσσειν μὲν ἐὰν ᾗ εὐσεβῆ, ἀποσείεσθαι δὲ ἐὰν ἀσεβῆ τυγχάνῃ. 79. Sur ce point, W. A dler , « Apion’s “Encomium of Adultery” : A Jewish Satire of Greek Paideia in the Pseudo-Clementine Homilies », Hebrew Union College Annual 64 (1993), p. 32-33, note 51, renvoie inter alia à Aristote (Éthique de Nicomaque 9,2,1 : Ἀπορίαν δ’ ἔχει καὶ τὰ τοιαῦτα, οἷον πότερον δεῖ πάντα τῷ πατρὶ ἀπονέμειν καὶ πείθεσθαι) et à Sénèque l’ancien (Controverses 2,1,20) selon lequel la question an in omnia patri parendum sit était dépassée et à mettre de côté (vetere et explosa quaestione). 80. Nuits Attiques 2,7,1 : Quaeri solitum est in philosophorum disceptationibus, an semper inque omnibus jussis patri parendum sit. 81. Homélies 4,20,1-2 : « Mais certains d’entre eux, qui s’estiment des philosophes, qualifient d’indifférents de tels péchés et traitent d’insensés ceux qui s’irritent de telles actions. En effet, disent-ils, tout ce qu’ont interdit par des lois les sages des premiers temps n’est pas péché selon la nature » = τινὲς δὲ τῶν παρ’ αὐτοῖς καὶ φιλόσοφοι εἶναι ἀξιοῦντες τὰ τοιαῦτα ἁμαρτήματα ἀδιάφορα τίθενται καὶ τοὺς ἐπὶ ταῖς τοιαύταις πράξεσιν χαλεπαίνοντας ἀνοήτους λέγουσιν. οὐ γάρ ἐστιν [φασί] τὰ τοιαῦτα τῇ φύσει ἁμαρτήματα, ὅσα θετοῖς ἀπηγόρευται νόμοις ὑπὸ τῶν κατ’ ἀρχὰς γενομένων σοφῶν. 82. W. A dler , « Apion’s “Encomium of Adultery” : A Jewish Satire of Greek Paideia in the Pseudo-Clementine Homilies », Hebrew Union College Annual 64 (1993), p. 33. Sur les lieux utilisés dans l’argumentation d’une thèse pratique, voir A élius Théon, Progymnasmata 11 : « Les lieux eux-mêmes sont les suivants : premièrement, ce qui soutient la thèse est possible ; deuxièmement, c’est conforme à la nature et aux us et coutumes communs à tous les hommes… ». Traduction M. Patillon (Collection des Universités de France).
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Contre ceux qui s’affichent comme des grammairiens et des sophistes 83 et qui soutiennent que l’adultère est digne des dieux, Clément utilise l’argument de la supériorité morale de ceux qui vivent à la campagne 84 et là encore il emprunte une thèse au catalogue bien établi des rhéteurs comme l’atteste Quintilien 85. 4. L a
va l eu r com pa r é e de l a cu lt u r e gr ecqu e et de l a r e l igion j u dé e n n e
(ε ὐ σ έ βε ι α )
(π α ι δ ε ί α )
En réalité, la discussion entre Appion et Clément ne porte pas uniquement sur des thèses d’école. C’est la valeur comparée de la culture grecque et de la religion judéenne qui est en cause. Clément, qu’Appion décrit comme un jeune homme « pourvu de toute la culture grecque » 86, vient de se convertir à la religion des Judéens, délaissant ainsi les coutumes de ses ancêtres. Aux yeux d’un πεπαιδευμένος comme Appion, c’est bien là la pire impiété que l’on puisse commettre puisque la piété consiste précisément à respecter les coutumes ancestrales. « Qu’il me réponde, s’exclame Appion, lui qui estime s’être livré à la piété : ne commet-il pas la plus grande des impiétés en délaissant les usages ancestraux pour s’abaisser à des coutumes barbares ? » 87 Clément lui répond, comme l’auraient fait les apologistes chrétiens du IIe siècle 88, qu’il faut préferer la verité à la tradi83. Homélies 4,17,1 : ὧν τινες γραμματικοὶ καὶ σοφισταὶ ἀξιοῦντες εἶναι. 84. Homélies 4,18,1 : « Cela explique pourquoi les gens qui vivent à la campagne pèchent beaucoup moins que les gens cultivés : ils n’ont pas été initiés au mal qui a mené ces derniers, parce qu’ils avaient appris d’une culture malsaine à commettre de telles audaces » = διὰ τοῦτο αὐτῶν πολλῷ ἔλαττον οἱ κατ’ ἀγρὸν βιοῦντες ἐξαμαρτάνουσιν, οὐκ εἰσηγμένοι πονηρῶς δι’ ὧν εἰσήχθησαν οἱ ταῦτα τολμῶντες. 85. Institution oratoire 2,4,24 : Theses autem, quae sumuntur ex rerum comparatione, ut rusticane vita an urbana potior. Sur la valeur morale de la vie à la campagne, voir Dion Chrysostome , Discours 7 (Discours eubéen ou Le chasseur). D’après Philostrate (Vies des sophistes 572 et 575), le thème des Scythes, c’est-à-dire le thème de la comparaison entre la vie nomade des Scythes et la vie urbaine, était l’un des thèmes favoris du sophiste Alexandre, surnommé le Platon d’argile (Πηλοπλάτων), quand il était appelé à improviser une déclamation en public. 86. Homélies 4,7,2 : πάσης Ἑλληνικῆς παιδείας ἐξησκημένος. 87. Homélies 4,7,3 : λεγέτω μοι, ἐπειδὴ πρὸς τὸ εὐσεβεῖν ἑαυτὸν ἀποδεδωκέναι νομίζει, πῶς οὐχὶ τὰ μέγιστα ἀσεβεῖ, καταλιπὼν μὲν τὰ πάτρια, ἀποκλίνας δὲ εἰς ἔθη βάρβαρα. 88. Voir Justin Martyr, qui reproche aux Grecs de préférer justement, comme les insensés, la coutume à la vérité : εἰ δὲ καὶ ὑμεῖς ὁμοίως τοῖς ἀνοήτοις τὰ ἔθη πρὸ τῆς ἀληθείας τιμᾶτε (Première Apologie 12,6). Comme le note M. Simon, « Christianisme antique et pensée païenne : rencontres et conflits », Bulletin de la Faculté des lettres de Strasbourg 38 (1960), p. 312, aux yeux des Grecs, la notion de tradition était la « pierre de touche de la morale et de la vérité ».
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tion et dénonce la παιδεία comme l’ouvrage d’un démon malfaisant : « Je dis, moi, que toute la culture grecque est une proposition très fâcheuse d’un mauvais démon » 89. Les mythes des Grecs, par exemple, fournissent à des gens comme Appion, sous prétexte d’imiter les dieux, une excuse pour se livrer au mal. « Certains Grecs, explique Clément, ont introduit des dieux nombreux et enseigné qu’ils étaient mauvais et soumis à toutes les passions. De la sorte, celui qui veut se livrer à des pratiques semblables n’éprouve aucune honte – ce qui pourtant est le propre de l’homme – puisqu’il a pour modèle les vies mauvaises et ignobles des dieux de la mythologie » 90. 4.1. Un bon tour de Clément Le deuxième jour de la discussion, Clément profite de l’absence d’Appion, qui s’est déclaré malade, pour illustrer sa thèse sur l’immoralité de la culture grecque et de ses représentants. Il raconte à la foule, venue assister au débat, comment un jour, à Rome, il a joué un bon tour à Appion 91. Clé-
89. Homélies 4,12,1 : αὐτίκα γοῦν ἐγὼ τὴν πᾶσαν Ἑλλήνων παιδείαν κακοῦ δαίμονος χαλεπωτάτην ὑπόθεσιν εἶναι λέγω. L’un des arguments principaux des apologistes consistait à dire que les dieux des Grecs n’étaient que des démons. Voir Théophile d’A ntioche , À Autolycus 1,10 ; Clément d’A lexandrie , Protreptique 2,40,1 ; 3,44,1 et Justin M artyr , Première Apologie 5,2. Sur l’importance de cet argument dans l’apologétique chrétienne, voir J. Pépin, « Christianisme et mythologie. Jugements chrétiens sur les analogies du paganisme et du christianisme » dans Y. Bonnefoy (éd.), Dictionnaire des mythologies et des religions des sociétés traditionnelles et du monde antique, Paris, 1999, I, p. 324-326. Sur l’idée que la culture grecque et plus particulièrement les mythes grecs soient l’œuvre d’un démon, voir Justin M artyr , Première Apologie 54,1-2. À propos de la théorie de Justin sur l’origine démonique de la culture grecque, voir A. Y. R eed, « The Trickery of the Fallen Angels and the Demonic Mimesis of the Divine : Aetiology, Demonology, and Polemics in the Writings of Justin Martyr », Journal of Early Christian Studies 12 (2004), p. 159-168. 90. Homélies 4,12,2 : οἱ μὲν γὰρ αὐτῶν πολλοὺς θεοὺς εἰσηγήσαντο, καὶ τούτους κακοὺς καὶ παντοπαθεῖς, ἵνα ὁ τὰ ὅμοια πράττειν θέλων μηδὲ αἰδῆται (ὅπερ ἐστὶν ἀνθρώπου ἴδιον), παράδειγμα ἔχων τῶν μυθολογουμένων θεῶν τοὺς κακοὺς καὶ ἀσέμνους βίους. 91. Homélies 5,2. Le flashback de Clément introduit dans le récit une sorte de mise en abîme, un procédé très courant dans le roman grec. Voir B. Pouderon, « La littérature pseudo-épistolaire dans les milieux juifs et chrétiens des premiers siècles. L’exemple des Pseudo-Clémentines », dans Epistulae Antiquae. Actes du 1er colloque « Le genre épistolaire antique et ses prolongements » (Université François-Rabelais, Tours, 18-19 septembre 1998), Louvain, 2000, p. 228 : « La controverse d’Appion avec Clément est un récit dans le récit … dans lequel l’épisode des amours de Clément s’insère comme un nouvel excursus. À son tour, le récit de Clément recèle l’échange de correspondance fictif entre Clément et la belle qui donne l’illusion d’un nouveau récit ».
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ment leur explique comment il a toujours été « amoureux de la vérité » 92 et comment dès l’enfance il passait son temps à élaborer et réfuter des théories 93. Toutefois, incapable d’atteindre la perfection et, pour cette raison, profondément découragé, il finit par tomber malade. Comme il était dans cet état et qu’il gardait le lit, Appion, un ami de son père, arrive à Rome et loge chez lui. Quand Appion, informé de son état, lui demande la cause de sa maladie, Clément a l’idée de lui jouer un tour, connaissant la haine du grammairien pour les Judéens. Il lui fait donc croire qu’il est malade d’amour, parce qu’il est tombé amoureux d’une femme d’une grande distinction mais malheureusement mariée. Appion lui propose aussitôt de faire appel à la magie 94 . « Avant sept jours, sans faute, je t’aurai fait posséder cette femme », lui promet-il 95. Devant le refus de Clément, qui a des scrupules à forcer une femme par la magie 96, Appion lui propose alors une solution rhétorique : « Dès cette nuit, explique-t-il, je vais rédiger un livre, un éloge de l’adultère ; quand tu l’auras reçu de moi, tu le lui enverras, et j’ai bon espoir qu’elle se laissera persuader et consentira » 97. 92. Homélies 5,2,2 : ἐκ παιδὸς ἐγὼ Κλήμης ἀληθείας ἐρῶν. Au sujet de la quête philosophique de Clément, voir Homélies 1,1-5. La recherche de la vérité est aussi un thème romanesque que l’on trouve, par exemple, dans le Ménippe de Lucien. Pour une comparaison entre le Ménippe et les Pseudo-Clémentines, voir F. Boll , « Das Eingangsstück der Ps.-Klementinen », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 17 (1916), p. 139-148. 93. Homélies 5,2,2 : εἰς ἀνασκευὰς καὶ κατασκευὰς δαπανῶν τοὺς χρόνους. Tout comme la θέσις, l’ἀνασκευή (réfutation) et la κατασκευή (confirmation) étaient des exercices aussi bien philosophiques que rhétoriques. Dans l’enseignement de la rhétorique, la réfutation et la confirmation étaient considérées comme des exercices préparatoires. Pour une définition de la réfutation et de la confirmation, voir le traité d’Aphthonios (Progymnasmata 5-6). Dans le système de Théon, la réfutation et la contestation s’appliquent à la chrie, à la fable et au récit. Voir, à ce sujet, M. Patillon, « Introduction », dans Aélius Théon, Progymnasmata, texte établi et traduit par M. Patillon, Paris, 2002, p. xciii-xcvii. 94. D. U. H ansen, « Die Metamorphose des Heiligen. Clemens und die Clementina », dans H. Hoffmann – M. Zimmermann (éd.), Groningen Colloquia on the Novel, Groningen, volume VIII, 1997, p. 127-128, suppose que cette scène est reliée de manière intertextuelle à un épisode du roman d’Héliodore (Éthiopiques 3,17), lorsque Chariclès et Théagène demandent l’aide de Kalasiris. 95. Homélies 5,4,1. Un ami d’Appion, un Égyptien expert en magie, lui a jadis enseigné une incantation (ἐπαοιδή) qui lui aura permis de réussir à persuader une femme dont il était amoureux (Homélies 5,3,4-5). 96. Homélies 5,7,2 : « celui qui, par la contrainte de la magie, force une femme à agir contre son gré, encourt la punition la plus grave » = ὁ μὲν γὰρ ἄκουσαν γυναῖκα τῇ τῆς μαγείας βίᾳ ἐπαναγκάσας ὡς ἐπιβουλεύσας σώφρονι χαλεπωτάτην ὑπέχει τὴν δίκην. 97. Homélies 5,9,3 : καὶ ὁ Ἀππίων ἔφη· Ἔτι τῇ νυκτὶ ταύτῃ συνγράψω βιβλίον, μοιχείας ἐγκώμιον, ὅπερ σὺ παρ’ ἐμοῦ λαβὼν διαπέμψεις αὐτῇ, καὶ ἐλπίζω ὅτι πεισθεῖσα συνθήσεται. W. A dler , « Apion’s “Encomium of Adultery” : A Jewish Satire of Greek Paideia in the Pseudo-Clementine Homilies », Hebrew
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4.2. Une lettre érotique d’Appion Voici le début de cet éloge de l’adultère qu’est censé avoir composé en une nuit le personnage d’Appion : L’amant à l’aimée (sans noms, à cause des lois des hommes stupides), sous les commandements d’Éros, l’enfant qui est le plus ancien de tous les êtres, salut ! J’ai compris que tu te voues à l’étude de la sagesse et que la vertu te fait rivaliser avec la vie des meilleurs. Or quels peuvent être les meilleurs, sinon les dieux, parmi tous les êtres, et les amis de la sagesse parmi les hommes ? Seuls en effet ils savent quelles actions sont par nature bonnes ou mauvaises et celles qui, sans l’être, passent pour telles d’après la convention des lois. Par exemple, prenons ce qu’on nomme l’adultère : certains considèrent que c’est un acte mauvais, alors qu’il est en réalité bon à tous égards ; car il est produit par les commandements d’Éros, pour augmenter la propagation de la vie. Or Éros est le plus ancien de tous les dieux ; sans Éros, en effet, il ne peut y avoir union ni génération des éléments, des dieux, des hommes, des animaux sans raison, ni de tout le reste des êtres. Nous sommes tous les instruments d’Éros. Et s’il est par nous l’artisan, il est aussi, en venant habiter dans les âmes de tout ce qui est engendré, l’intelligence. Ce n’est donc pas de notre propre mouvement, mais en recevant ses ordres, que nous désirons accomplir sa volonté. Or, si nous éprouvons le désir par sa volonté, et si nous entreprenons de maîtriser le désir par souci de ce qu’on appelle chasteté, comment ne porterons-nous pas l’impiété à son comble, en nous opposant ainsi à l’être le plus ancien de tous, dieux et hommes 98 ? Union College Annual 64 (1993), p. 38, note qu’Appion est décrit, dans ce passage, comme « a rhetor rehearsing the lessons of his craft ». De fait, l’ἐγκώμιον est aussi un exercice préparatoire. Dans le traité de προγυμνάσματα attribué à Hermogène (Pseudo -H ermogène , Progymnasmata 7), l’ἐγκώμιον est défini comme « l’exposé des qualités appartenant à un être collectivement ou individuellement ». Traduction M. Patillon (Collection des Universités de France). Dans le traité d’Aphthonios (Progymnasmata 8,1-2), l’ἐγκώμιον est un « discours qui expose les qualités existantes (…) On louera les personnes et les choses, les temps et les lieux, les animaux et enfin les plantes ». Traduction M. Patillon (Collection des Universités de France). 98. Homélies 5,10,1-7 : Ὁ ἐρῶν τῇ ἐρωμένῃ (ἀνωνύμως διὰ τοὺς ἐκ τῶν ἀνοήτων ἀνθρώπων νόμους) ἐπιταγαῖς Ἔρωτος τοῦ πάντων πρεσβυτάτου παιδὸς χαίρειν. ἔγνων σε φιλοσοφίᾳ προσανέχουσαν καὶ ἀρετῆς ἕνεκα τὸν τῶν κρειττόνων ζηλοῦσαν βίον. τίνες δὲ ἂν εἶεν κρείττονες ἢ θεοὶ μὲν ἁπάντων, ἀνθρώπων δὲ οἱ φιλόσοφοι ; οὗτοι γὰρ μόνοι ἴσασιν τῶν ἔργων ποῖα μέν ἐστιν φύσει κακὰ ἢ καλά, ποῖα δὲ τῇ τῶν νόμων θέσει οὐκ ὄντα νομίζεται. αὐτίκα γοῦν τὴν λεγομένην μοιχείαν πρᾶξίν τινες ὑπειλήφασιν εἶναι κακήν, καίτοι καλὴν κατὰ πάντα ὑπάρχουσαν· εἰς γὰρ τὴν τοῦ βίου πολυγονίαν ἐπιταγαῖς Ἔρωτος γίνεται. Ἔρως δε ἐστιν ὁ πάντων θεῶν πρεσβύτατος· ἄνευ γὰρ δὴ Ἔρωτος οὐ στοιχείων, οὐ θεῶν, οὐκ ἀνθρώπων, οὐ ζῴων ἀλόγων, οὐ τῶν λοιπῶν ἁπάντων μίξις ἢ γένεσις γενέσθαι δύναται. πάντες γάρ τοι ὄργανά ἐσμεν τοῦ Ἔρωτος. αὐτὸς δὲ ὁ δι’ ἡμῶν τεχνίτης, παντὸς τοῦ γεννωμένου ψυχαῖς ἐπιδημῶν, ἐστὶ νοῦς. ὅθεν οὐκ αὐτοὶ θέλοντες, ἀλλ’ ὅταν ὑπ’ αὐτοῦ κελευσθῶμεν, τὸ ἐκείνου βούλημα ποιεῖν
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Dès les premières lignes de la lettre, s’expriment clairement les deux idées principales de l’éloge : le pouvoir cosmique d’Éros, auquel nul, ni homme ni dieu, ne peut résister, et l’imitation des êtres supérieurs (οἱ κρείττονες) : les dieux et les philosophes. Si les dieux commettent l’adultère, sous les ordres d’Éros, leurs imitateurs peuvent en faire autant. En appui à sa thèse, Appion cite le catalogue des amours de Zeus. Il note également que si les philosophes, Socrate et les Stoïciens, par exemple, exaltent le plaisir et tiennent l’adultère pour moralement indifférent, leurs imitateurs devraient faire de même. Ces arguments peuvent paraître superficiels et l’on peut se demander si le vrai Apion ou tout autre grammairien sérieux aurait commis un tel βιβλίον, qui ressemble beaucoup au fond à une parodie d’ἐγκώμιον. En réalité, nous savons que rhéteurs et sophistes s’exerçaient à composer des éloges sur tous les sujets et que certains s’amusaient même à faire l’éloge d’ἄδοξα, comme la mouche, les cheveux ou la calvitie 99. L’éloge paradoxal, c’est comme ça qu’il faut l’appeler, est sans doute l’un des exercices les plus emblématiques de la sophistique 100, le genre d’exercice, en fait, qui nuisait, selon Graham Anderson, à la réputation des sophistes 101. Bien qu’il n’y ait pas lieu de supposer que cet éloge provienne d’une authentique source grecque, il s’agirait plutôt, selon Bernard Pouderon, d’un pastiche de lettre érotique qu’aurait composé l’auteur des Homélies 102 , il faut reconnaître qu’il serait tout à fait vraisemblable, d’un point de vue historique, qu’un grammairien (ou un sophiste ?) comme Apion se soit prêté à un tel exercice. Quoi qu’il en soit, la lettre érotique d’Appion, cet éloge de l’adultère, ἐπιθυμοῦμεν. εἰ δ’ ἐκείνου βουλῇ ἐπιθυμοῦντες χάριν τῆς λεγομένης σωφροσύνης κρατεῖν τῆς ἐπιθυμίας ἐπιχειρήσομεν, πῶς τῷ πάντων πρεσβυτάτῳ θεῶν τε καὶ ἀνθρώπων ἀντιπράττοντες οὐ τὰ μέγιστα ἀσεβήσομεν ; 99. Voir la définition des ἄδοξα par G. A nderson, The Second Sophistic. A Cultural Phenomenon in the Roman Empire, Londres, 1993, p. 171 : « things normally disreputable or worthless ». Lucien de Samosate nous a laissé un éloge de la mouche, Dion Chrysostome, un éloge des cheveux et Synésius de Cyrène, un éloge de la calvitie, en réponse à celui de Dion Chrysostome. 100. Voir G. A nderson, The Second Sophistic. A Cultural Phenomenon in the Roman Empire, Londres, 1993, p. 51, qui considère que le « paradoxical encomium » est l’exercice « which scholars most readily identify as sophistic as opposed to merely rhetorical ». Sur l’éloge paradoxal et le cas de l’orateur romain Fronton, voir P. Fleury, « L’éloge paradoxal, entre virtuosité et construction idéologique : le cas de l’Éloge de la négligence de Fronton », Rhetorica 20 (2002), p. 119-132. 101. G. A nderson, The Second Sophistic. A Cultural Phenomenon in the Roman Empire, Londres, 1993, p. 171. 102. B. Pouderon, « La littérature pseudo-épistolaire dans les milieux juifs et chrétiens des premiers siècles. L’exemple des Pseudo-Clémentines », dans Epistulae Antiquae. Actes du 1er colloque « Le genre épistolaire antique et ses prolongements » (Université François-Rabelais, Tours, 18-19 septembre 1998), Louvain, 2000, p. 238 : « la lettre amoureuse d’Appion est un pastiche forgé par un adversaire du paganisme, qu’il fût juif ou chrétien ».
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ce pastiche d’un ἐγκώμιον, viserait ici à faire la caricature de la rhétorique dans ses manifestations sophistiques 103. Caricature ou pastiche, la lettre d’Appion respecte le développement habituel de l’ἐγκώμιον tel que le décrit Aphthonios dans son traité des Progymnasmata 104 . Après « un exorde en rapport avec le sujet », Appion établit l’« origine » de l’adultère : le dieu Éros. Il passe ensuite au « point principal » de son éloge, les « actions », dans ce cas-ci, la liste des exemples fournis par les dieux et les philosophes. C’est sans doute à l’école du rhéteur qu’Appion aura appris à présenter la liste des dieux, de leurs noms, de leurs tombeaux et de leurs amours, par ordre alphabétique 105. En fait, la formation rhétorique du personnage est à ce point poussée qu’il aura choisi la manière la plus littéraire et la plus sophistiquée de composer un éloge, la lettre fictive. Des auteurs de la Seconde Sophistique, comme Alciphron et Philostrate, pratiquaient justement le genre de la missive fictive sous la forme de lettres érotiques adressées à des destinataires fictifs 106. Patricia A. Rosenmeyer a bien vu que dans le cas de Philostrate ces lettres relevaient davantage du tour de force littéraire que de la communication 107. Les lettres érotiques de Philostrate constituent, à son avis, autant de variations sophistiques sur le même thème 108. En fait, ce que dit Rosenmeyer 103. Voir B. Pouderon, « La littérature pseudo-épistolaire dans les milieux juifs et chrétiens des premiers siècles. L’exemple des Pseudo-Clémentines », dans Epistulae Antiquae. Actes du 1er colloque « Le genre épistolaire antique et ses prolongements » (Université François-Rabelais, Tours, 18-19 septembre 1998), Louvain, 2000, p. 238 : « Appion fournit plus d’arguments aux adversaires du paganisme qu’il n’en donne en faveur du libertinage ». 104. A phthonios , Progymnasmata 8,3 : « Son développement comprendra les points suivants : un exorde en rapport avec le sujet. Ensuite tu mettras l’origine, que tu partageras entre race, patrie, ancêtres et parents (…) Puis tu ajouteras le point principal des éloges, les actions… ». Traduction M. Patillon (Collection des Universités de France). 105. En Homélies 5,13, Appion dresse la liste des héroïnes que Zeus a séduites et cette liste, comme M. R. James l’a montré, suit l’ordre alphabétique. Voir M. R. James , « A Manual of Mythology in the Clementines », Journal of Theological Studies 33 (1932), p. 262-265. James émet l’hypothèse que l’auteur des Homélies aurait utilisé une sorte de manuel, « a book of reference digested into headings and meant for use perhaps in schools » (p. 265). Au sujet des connaissances mythographiques qui se transmettaient au moyen des manuels de mythologie, voir R. Cribiore , Gymnastics of the Mind. Greek Education in Hellenistic and Roman Egypt, Princeton – Oxford, 2001, p. 207-208. 106. Sur la fiction dans l’œuvre de Philostrate, voir E. Bowie , « Philostratus. Writer of fiction », dans J. R. Morgan – Richard Stoneman (éd.), Greek Fiction. The Greek Novel in Context, Londres – New York, 1994, p. 181-199. 107. P. A. Rosenmeyer , Ancient Epistolary Fiction. The letter in Greek literature, Cambridge, 2001, p. 325, oppose, en effet, « show-pieces » littéraires et « effective communications ». 108. P. A. Rosenmeyer , Ancient Epistolary Fiction. The letter in Greek literature, Cambridge, 2001, p. 323, parle de « sophistic exercise in variatio ». Voir
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de l’art consommé de Philostratre pour moduler sur le thème de l’amour : « what appears on the surface to be a love letter may include a variety of other literary foci : mythological allusions, catalogues and lists, paradoxical encomia, and so on » 109, pourrait s’appliquer mutatis mutandis à la lettre d’Appion et à sa réponse. Le sophiste Philostrate, tout comme l’auteur pseudo-clémentin, compose deux lettres fictives sur l’adultère, la première pour dire que l’adultère vaut mieux que la chasteté, la seconde pour dire le contraire. Dans les deux cas, l’intempérance légendaire de Zeus 110 sert d’exemple 111. Puisque le fait de pouvoir soutenir des arguments opposés est caractéristique de la sophistique, il semble évident que l’auteur des Homélies était non seulement familier avec la rhétorique mais également au fait des raffinements littéraires de la Seconde Sophistique. La lettre d’amour, qu’Appion est censé avoir écrite, provoque évidemment une critique sévère de l’adultère de la part de la destinataire imaginaire : « Je m’étonne que tu puisses, après m’avoir louée de ma sagesse, m’écrire comme à une femme stupide. Tu voulais me soumettre à ta passion par la persuasion, et tu as tiré tes exemples des récits fabuleux qu’on fait sur les dieux, sans craindre de blasphémer contre Éros, le plus ancien, dis-tu, de tous les êtres … et cela pour corrompre mon âme et faire violence à mon corps » 112 . La réponse de l’être aimée se conclut par une confession sans équivoque : « C’est ainsi que moi, ayant appris d’un certain Judéen à penser et à agir comme il convient à Dieu, je ne suis pas une proie facile pour les fables menteuses qui poussent à l’adultère » 113. Bien entendu, cette réplique supposée provoque la colère d’Appion : « Aurais-je tort de hair les Judéens ? Voici maintenant qu’un Judéen a rencontré cette femme, G. A nderson, Philostratus. Biography and Belles Lettres in the third century A.D., Londres, 1986, p. 277, qui décrit la couleur (« flavour ») des opuscula de Philostrate, ce qui inclut les lettres, comme une combinaison d’élégance et de virtuosité : « mixing elegance with a show of expertise ». 109. Patricia A. Rosenmeyer , Ancient Epistolary Fiction. The letter in Greek literature, Cambridge, 2001, p. 323. 110. W. A dler , « Apion’s “Encomium of Adultery” : A Jewish Satire of Greek Paideia in the Pseudo-Clementine Homilies », Hebrew Union College Annual 64 (1993), p. 39 : « Zeus’ legendary unchastity ». 111. Philostrate , Lettres 30 et 31. Les deux lettres s’adressent à une femme. Dans la Lettre 30, Philostrate établit d’emblée que « l’œuvre d’amour est la même qu’elle se fasse avec un mari ou avec un amant » et que « ce qui implique plus de danger offre aussi plus de charme ». Il cite ensuite les amours et les métamorphoses de Poséidon et de Zeus. Dans la Lettre 31, cependant, Philostrate met en garde sa destinataire contre les dangers de l’adultère : « Quand l’adultère a été persuasif, il le paie du danger le plus extrême, et de la douleur s’il n’atteint pas son but ». Traduction G. Bounoure-B. Serret, Philostrate, Vies des sophistes. Lettres érotiques, (textes introduits traduits et commentés par G. Bounoure et B. Serret), Paris, 2019. 112. Homélies 5,21,1-2. 113. Homélies 5,26,3.
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CHAPITRE III
l’a convertie à sa religion, et qu’il l’a persuadée de pratiquer la chaste tempérance » 114 . C’est à ce moment-là que Clément avoue la vérité : « Je n’ai pas été épris d’une femme, explique-t-il, ni de qui que ce soit, car mon âme est entièrement absorbée par d’autres désirs et par la découverte des doctrines véritables » 115. 4.3. La culture grecque est immorale Le tour de Clément aux dépens d’Appion visait de toute évidence à faire la preuve de l’immoralité du célèbre grammairien. La sophistication rhétorique avec laquelle il traite d’une question morale comme l’adultère fait d’Appion, du moins aux yeux de Clément, l’exemple parfait de la vanité de la culture grecque. D’ailleurs, avant même d’en faire la lecture aux gens présents, Clément annonce déjà en quoi consiste la lettre d’Appion : « Telle est, messieurs, la culture des Grecs : elle a pour noble programme de faire pécher sans crainte » 116. C onclusion Dans cette étude, nous avons tenté de faire la démonstration que l’auteur des Homélies avait reçu une certaine formation en rhétorique. À la manière de Flavius Josèphe, dans son Contre Apion, et des Apologistes chrétiens, il déploie sa propre habileté rhétorique, de manière polémique et au service d’une doctrine qu’il présente comme une philosophie 117, pour prouver la vanité de la culture grecque et de sa composante rhétorique 114. Homélies 5,27. 115. Homélies 5,28,1. 116. Homélies 5,9,5. 117. Homélies 5,28,2. Dans le Contre Apion, Flavius Josèphe présente très clairement le judaïsme comme une philosophie. Voir S. M ason, « The Contra Apionem in social and literary context : An invitation to Judean philosophy », dans L. H. Feldman – J. R. L evison (éd.), Josephus’ Contra Apionem. Studies in its Character and Context with a Latin Concordance to the Portion Missing in Greek, Leyde, 1996, p. 217-222 ; A. K asher , « Polemic and apologetic methods of writing in Contra Apionem », dans L. H. Feldman – J. R. L evison (éd.), Josephus’ Contra Apionem. Studies in its Character and Context with a Latin Concordance to the Portion Missing in Greek, Leyde, 1996, p. 154 et T. R ajak , « The Against Apion and the continuities in Josephus’ political thought », dans T. R ajak , The Jewish Dialogue with Greece & Rome. Studies in Cultural and Social Interaction, Leyde-Boston – Köln, 2001, p. 215. À propos du christianisme considéré comme une philosophie (Clément d’Alexandrie et Origène, par exemple), voir P. H adot, Exercices spirituels et philosophie antique, Paris, 1987, p. 61 et U. Berner , « The Image of the Philosopher in Late Antiquity and in Early Christianity », dans H. G. K ippenberg et alii (éd.), Concepts of Person in Religion and Thought, Berlin – New York, 1990, p. 125.
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plus particulièrement 118. À la différence de Flavius Josèphe et des Apologistes chrétiens, il a toutefois adopté une approche résolument littéraire (le roman, le pastiche, la lettre fictive) pour défendre sa thèse. Ses attaques contre la παιδεία ne passent pas par des arguments mais par les personnages d’Appion et de Clément. Tous les deux se présentent comme d’authentiques πεπαιδευμένοι, mais Clément, par sa quête de la vérité, montre les limites de la παιδεία, alors qu’Appion, par son éloge de l’adultère, en illustre l’immoralité. Bien entendu, comme le rappelle Jan N. Bremmer, les personnages historiques d’Apion et de Clément font ici l’objet d’une interprétation créative de la part d’un auteur qui se révèle toutefois bien renseigné 119. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le refus de la παιδεία, qui s’exprime dans la Discussion avec Appion, permet de constater les compétences littéraires et rhétoriques de l’auteur lui-même. Comme nous l’avons mentionné au début de cette étude, certains savants ont émis l’hypothèse d’une source judéenne qui expliquerait le caractère singulier de la Discussion avec Appion 120. Quoi qu’il en soit, étant donné que la rédaction finale des Homélies et des Reconnaissances se situe au IVe siècle, il faut se demander en quoi la rhétorique pouvait poser problème à des chrétiens de cette époque. Il faut aussi se demander, à mon avis, s’il n’y a pas lieu de prendre au sérieux John Chapman quand il avançait l’idée que l’auteur des Pseudo-Clémentines était peut-être un
118. Au sujet de la rhétorique dans le Contre Apion, voir R. H all , « Josephus, Contra Apionem and Historical Inquiry in the Roman Rhetorical Schools », dans L. H. Feldman – J. R. L evison (éd.), Josephus’ Contra Apionem. Studies in its Character and Context with a Latin Concordance to the Portion Missing in Greek, Leyde, 1996, p. 240-248 et T. R ajak , « The Against Apion and the continuities in Josephus’ political thought », dans T. R ajak , The Jewish Dialogue with Greece & Rome. Studies in Cultural and Social Interaction, Leyde – Boston, 2001, p. 215, qui note que le Contre Apion est « the most rhetorical of Josephus’ works ». Au sujet de la rhétorique chez Flavius Josèphe, en général, voir D. R. Runnals , « The rhetoric of Josephus », dans S. E. Porter (éd.), Handbook of Classical Rhetoric in the Hellenistic Period (330 B.C. - A.D. 400), Leyde – Boston, 2001, p. 737-754. Sur les Apologistes chrétiens et leur critique de la rhétorique, voir L. Pernot, La rhétorique de l ’éloge dans le monde gréco-romain, Paris, 1993, p. 775 : « De vigoureuses critiques contre la sophistique et contre les recherches rhétoriques s’expriment chez Clément d’Alexandrie, Tatien, Théophile d’Antioche ». Voir, suivant la liste de Pernot, Clément d’A lexandrie , Stromates 1,3 ; 1,8 ; 2,3,1-2 ; Théophile d’A ntioche , À Autolycus 1,1 ; Tatien, Discours aux Grecs 26,3-4 ; 27,2-3. 119. J. N. Bremmer , « Foolish Egyptians : Apion and Anoubion in the PseudoClementines », dans A. Hilhorst – G. H. van Kooten (éd.), The Wisdom of Egypt. Jewish, Early Christian, and Gnostic Essays in Honour of Gerard P. Luttikhuizen, Leyde – Boston, 2005, p. 312 : « imaginative interpretations by an author who was well informed ». 120. Voir supra page 82, note 19.
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CHAPITRE III
ancien sophiste 121. Il est temps, me semble-t-il, de prendre en considération le contexte du IVe siècle dans lequel les Homélies et les Reconnaissances ont été composées, comme l’a fait récemment Annette Yoshiko Reed avec les éléments judéens du roman pseudo-clémentin 122 . On ne peut sans doute pas suivre aveuglément Chapman quand il affirme que Simon de Samarie dans les Pseudo-Clémentines n’est qu’une caricature de Jamblique 123, mais la polémique contemporaine entre chrétiens et néoplatoniciens constitue certainement un élément de contexte important pour comprendre la Discussion avec Appion et tout ce qui concerne la παιδεία dans le roman. À titre d’exemple, la théogonie orphique qui est attribuée à Apion au livre 6 des Homélies 124 , que l’on a rapprochée des versions connues de la théogonie orphique dont Damascius est le principal témoin, devrait être interprétée, à notre avis, à la lumière de l’importance que les néoplatoniciens accordaient aux poèmes orphiques 125. Après tout, ce n’est peut-être pas 121. J. Chapman, « On the Date of the Clementines », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 9 (1908), p. 155 : « Probably he was a convert from heathenism to the Imperial religion, perhaps a former sophist and teacher of third-rate philosophy ». 122. Voir A. Y. R eed, « Jewish Christianity after the Parting of the Ways. Approaches to Historiography and Self-Definition in the Pseudo-Clementines », dans A. H. Becker – A. Y. R eed (éd.), The Ways that Never Parted. Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Tübingen, 2003, p. 224 : « most research into the Pseudo-Clementines has been devoted not to understanding H or R but rather to reconstructing the sources of B [Basic Writing] ; instead of considering the fourth-century context in which the texts were composed, scholars have focused on the non-extant sources that allegedly stand behind their non-extant third-century source ». 123. J. Chapman, « On the Date of the Clementines », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 9 (1908), p. 157 : « Every one who knows the Homilies well will recognize that Simon and his disciples are caricatures of Iamblichus and his school ». Dans le même passage, Chapman s’en prend à la thèse de l’antipaulinisme des Pseudo-Clémentines : « Simon is not St. Paul, he is a philosopher of the school of Iamblichus. His magic and incantations, his visions and prophecy, his claim to be the God who is above the Creator are characteristic of the Neo-Platonist… ». Par ailleurs, il est difficile de lui donner raison lorsqu’il affirme : « there is no trace of Judaeo-Christianity anywhere in the Clementine writings » (p. 150). 124. Voir J. van A mersfoort, « Traces of an Alexandrian Orphic Theogony in the Pseudo-Clementines », dans R. van den Broek – M. J. Vermaseren (éd.), Studies in Gnosticism and Hellenitic Religions. Presented to Gilles Quispel on the Occasion of his 65th Birthday, Leyde, 1981, p. 22-24. 125. J. van A mersfoort, « Traces of an Alexandrian Orphic Theogony in the Pseudo-Clementines », dans R. van den Broek – M. J. Vermaseren (éd.), Studies in Gnosticism and Hellenitic Religions. Presented to Gilles Quispel on the Occasion of his 65th Birthday, Leyde, 1981, p. 19. Sur l’orphisme dans l’Empire romain, voir L. Brisson, « Orphée et l’Orphisme à l’époque impériale. Témoignages et interprétation philosophiques, de Plutarque à Jamblique », dans W. H aase (éd.), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, Berlin, 1990, Teil II, Band 36.4, p. 28672931. Sur le lien entre orphisme et néoplatonisme, voir L. Brisson, « Damascius et
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une coincidence si le personnage d’Appion ou plutôt l’auteur des Homélies a choisi une théogonie orphique, qu’il interprète allégoriquement, pour prouver la vérité des mythes grecs.
l’Orphisme », dans P. Borgeaud (éd.), Orphisme et Orphée. En l ’honneur de Jean Rudhardt, Genève, 1991, p. 157-209.
Deuxième partie Le texte et son contexte
Chapitre IV
L a Discussion avec A ppion et la cohérence littéraire des Homélies Au sujet de l’hypothèse d’une source judéenne du IIe siècle* Les livres 4 à 6 des Homélies pseudo-clémentines se distinguent du reste de l’œuvre sur plus d’un plan. Il y a d’abord la présence du grammairien Appion et l’absence de l’Apôtre Pierre. Il y a ensuite la présence de la παιδεία et l’absence du Vrai Prophète. Il y a enfin la présence d’une version différente de la conversion de Clément qui ne s’accorde pas, du moins en apparence, avec celle du livre 1. Ces éléments distinctifs ont assez tôt attiré l’attention de certains chercheurs qui ont voulu expliquer le caractère singulier des Homélies 4 à 6 par l’hypothèse d’une source judéenne du IIe siècle. Nous avons déjà fait état de cette hypothèse dans le chapitre précédent, consacré au grammairien Ap(p)ion 1, mais nous aimerions ici y revenir et proposer une autre hypothèse, celle qui suppose que l’auteur des Homélies soit aussi l’auteur de la Discussion avec Appion. En effet, il n’est pas nécessaire, à notre avis, de postuler l’existence d’une source du IIe siècle pour rendre compte, par exemple, du rôle joué par le personnage d’Appion ou encore pour justifier l’importance accordée à la παιδεία dans cette section des Homélies. Il suffit, en fait, de mettre l’accent sur l’unité de l’œuvre et d’interpréter les livres 4 à 6 comme faisant partie intégrante des Homélies pour constater que la fonction de cette section, dans l’organisation du récit, s’accorde tout à fait avec l’intention de l’œuvre dans son ensemble 2 . * Étude inédite. 1. Sur l’orthographe du nom Ap(p)ion, voir notre remarque, à ce sujet, dans les chapitres précédents, par exemple, au chapitre I, à la page 21 et à la note 1. 2. En 2008, Annette Yoshiko R eed proposait également de jeter un regard différent sur les Homélies 4-6 en insistant sur l’importance de comprendre la fonction de cette section en relation avec l’intention des « auteurs/rédacteurs » des Homélies. Voir A. Y. R eed, « From Judaism and Hellenism to Christianity and Paganism. Cultural Identities and Religious Polemics in the Pseudo-Clementine Homilies », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 425-435.
112
CHAPITRE IV
Autrement dit, les contradictions apparentes, en matière notamment de style ou de trame narrative, peuvent se résoudre si l’on prend en considération le contexte particulier des livres 4 à 6. Il n’est peut-être pas si étonnant, par exemple, que le style d’un échange entre deux πεπαιδευμένοι comme Clément et Appion ne soit pas le même que celui d’un échange entre Pierre et Clément. Les variations de style à l’intérieur d’une œuvre ne révèlent pas nécessairement l’emprunt à une source et son intégration mécanique au corps du texte, elles peuvent aussi être dictées par l’intention de l’auteur et la fonction d’un passage ou d’un personnage. 1. L a
com posi t ion de l a
D i scus sion
av ec
A ppion
Nous reprenons donc ici l’examen de l’hypothèse d’une source judéenne et, cette fois-ci, nous prenons position sur la question. Rappelons tout d’abord qu’il s’est formé, depuis les travaux de Werner Heintze, Carl Schmidt et alii 3, une véritable vulgate sur les origines des Homélies 4-6. Il y aurait eu, au départ, selon cette hypothèse, une source judéenne de l’époque hellénistique ou du IIe siècle, une sorte d’apologie du judaïsme, qui aurait été ensuite remaniée par le rédacteur chrétien de la Grundschrift ou des Homélies 4 . Bernard Pouderon 5 a élaboré une version modifiée et quelque peu sophistiquée de cette théorie et plus récemment James Carleton Paget est revenu à une forme plus classique de l’hypothèse 6. 3. W. H eintze , Der Klemensroman und seine griechischen Quellen, Leipzig, 1914, p. 48-50 ; C. Schmidt, Studien zu den Pseudo-Clementinen, Leipzig, 1929, p. 160-239. Pour un survol de la recherche sur la question, voir J. Carleton Paget, Jews, Christians and Jewish Christians in Antiquity, Tübingen, 2010, p. 427-428, note 2. 4. Voir W. A. A dler , « Apion’s “Encomium of Adultery” : A Jewish Satire of Greek Paideia in the Pseudo-Clementine Homilies », Hebrew Union College Annual 64 (1993), p. 28 : « Since the source-critical studies of Heintze and Waitz, it is generally agreed that the Apion section of the Homilies originated in a Hellenistic Jewish “Disputationsbuch” that a Christian redactor has only partially integrated into the Grundschrift of that work » et A. Y. R eed, « From Judaism and Hellenism to Christianity and Paganism. Cultural Identities and Religious Polemics in the Pseudo-Clementine Homilies », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 427 : « The material in these chapters is generally agreed to derive from an independent source, most often characterized as a Hellenistic Jewish apology ». 5. B. Pouderon, « Aux origines du roman clémentin. Prototype païen, refonte judéo-hellénistique, remaniement chrétien », dans Le judéo-christianisme dans tous ses états. Actes du colloque de Jérusalem (6-10 juillet 1998), Paris, 1998, p. 231-256. 6. J. Carleton Paget, Jews, Christians and Jewish Christians in Antiquity, Tübingen, 2010, p. 427-492.
LA DISCUSSION AVEC APPION
113
1.1. La Discussion avec Appion et l’hypothèse de la source judéenne C’est justement le chapitre que James Carleton Paget consacre à la question qui nous servira de point de départ. Le but que s’est fixé l’auteur consiste à soutenir la thèse d’une source judéenne, dont proviendraient directement les Homélies 4-6, et à démontrer que cette section des Homélies nous mettrait en présence d’un rare spécimen de littérature judéenne du IIe siècle de notre ère 7. Nous résumons les principaux arguments de James Carleton Paget. Premièrement, il y a une grande différence entre le Clément des Homélies 4-6 et le Clément du reste des Homélies et cette différence tient essentiellement au récit de sa conversion. Au livre 1 des Homélies, c’est à Rome que Clément entend un homme, que James Carleton Paget décrit comme un missionnaire chrétien 8, parler du Fils de Dieu qui se trouve en Judée 9. Déterminé à se rendre en Judée pour voir si cet homme dit vrai, Clément s’embarque sur un navire qui, entraîné par des vents hostiles le laisse plutôt à Alexandrie 10. Là, il y fait la rencontre d’un « Hébreu, du nom de Barnabé » 11, un disciple du Fils de Dieu qui introduit Clément à la doctrine de vérité avant de rentrer chez lui, en Judée, « pour la fête de sa religion » 12 . Il invite Clément à le rejoindre, à Césarée, ce que fera Clément. C’est là, à Césarée, que Barnabé le présentera à Pierre 13, le plus estimé des disciples du Fils de Dieu, et c’est Pierre qui l’initiera graduellement à la doctrine du Vrai Prophète. James Carleton Paget insiste précisément sur le fait que la conversion de Clément s’opère graduellement 14 .
7. J. Carleton Paget, Jews, Christians and Jewish Christians in Antiquity, Tübingen, 2010, p. 427-428 : « It is the aim of this article to examine a section of the Homilies (Hom. 4-6), which some have maintained has been directly lifted from an originally Jewish work. This article will seek to strengthen the arguments for its Jewish provenance … It will be argued that the source provides scholars with a very rare, possibly unique, example of Jewish literature written between 115 and approximately 150 C.E. ». 8. J. Carleton Paget, Jews, Christians and Jewish Christians in Antiquity, Tübingen, 2010, p. 431 : « Clement listens to an unknown man, clearly portrayed as a Christian missionary ». 9. Homélies 1,7,1-2. 10. Homélies 1,8,1-3. 11. Homélies 1,9,1 : ἀνὴρ Ἑβραῖος, ὀνόματι Βαρνάβας. 12. Homélies 1,13,4 : τῆς κατὰ τὴν θρησκείαν ἑορτῆς χάριν. Voir la note ad locum dans P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005, p. 1245 : « sans doute la fête de Pâques, à laquelle se réfère généralement le mot ἑορτή dans la littérature patristique ». 13. Homélies 1,15,1-9. 14. J. Carleton Paget, Jews, Christians and Jewish Christians in Antiquity, Tübingen, 2010, p. 431 : « He is gradually led to Christianity and belief in the true prophet ».
114
CHAPITRE IV
Tout le contraire du récit du livre 5 15, selon lui, où on la décrit, cette conversion, comme le fruit du hasard, à la suite d’une rencontre avec un marchand judéen et non avec un missionnaire chrétien, souligne-t-il. Le processus s’arrête là et aucune mention n’est faite du Vrai Prophète 16. Deuxièmement, et toujours en rapport avec la conversion de Clément, c’est le rôle du personnage d’Appion qui pose problème. Alors que le grammairien joue un rôle important dans le récit des Homélies 4-6, il brille par son absence dans celui du livre 1. En effet, alors qu’au livre 1, Clément, après avoir entendu parler du Fils de Dieu, se hâte d’aller en Judée, au livre 5, il reste à Rome, reçoit la visite d’Appion et prend le temps de jouer un tour au grammairien en simulant la maladie d’amour 17. De plus, Appion sait qu’un « barbare du nom de Pierre » a entraîné Clément à « parler et à agir » comme les Judéens 18, mais rien ne nous indique qu’Appion ait été présent à Césarée alors que c’est pourtant là que Clément rencontre Pierre pour la première fois. La mention de Pierre en 4,7,2 est aux yeux de James Carleton Paget un ajout, tout comme l’association entre Simon et Appion 19. Il fait également état de la quasi-absence, dans l’intrigue des Homélies, d’Appion et de ses compagnons, Athénodore et Annubion, à
15. Homélies 5,28,2 : « Jusqu’à présent, après avoir examiné à fond de nombreuses opinions de philosophes, je n’ai donné mon assentiment à aucun, sauf à la doctrine des Judéens : l’un de leurs marchands, négociant en toiles fines, venu résider ici à Rome, m’a exposé, par suite d’une heureuse rencontre, avec beaucoup de sincérité, l’idée de l’unité du Principe » = καὶ μέχρι τοῦ νῦν πολλὰς γνώμας φιλοσόφων διασκοπήσας πρὸς οὐδένα αὐτῶν ἔνευσα ἢ πρὸς τὸ Ἰουδαίων μόνον, ἐμπόρου τινὸς αὐτῶν ὀθόνας πιπράσκοντος ἐνταῦθα τῇ Ῥώμῃ ἐπιδεδημηκότος καὶ ἔκ τινος συντυχίας ἀγαθῆς ἁπλούστερόν μοι τὸ μοναρχικὸν φρόνημα παραθεμένου. Dans cette étude, toutes les citations des Homélies proviennent de la traduction de La Pléiade (P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005). 16. J. Carleton Paget, Jews, Christians and Jewish Christians in Antiquity, Tübingen, 2010, p. 431-432 : « …he met by chance (this is surely the sense of συντυχίας ἀγαθῆς) an anonymous Jewish linen trader (not a Christian missionary) who set before him the doctrine of the one God (τὸ μοναρχικὸν φρόνημα) … There is no hint at any further peregrinations, or the need for more instruction, and there is no mention here of the “true prophet” or anything else, which one might term specifically Christian ». 17. C’est le sujet du livre 5 des Homélies. 18. Homélies 4,7,2 : Οὗτός ἐστιν Κλήμης, περὶ οὗ ὑμῖν τῆς τε εὐγενείας καὶ τῆς ἐλευθεροπρεπείας πολὺν ἐποιούμην λόγον, ὅτι ἀνὴρ πρὸς γένους Τιβερίου Καίσαρος ὢν καὶ πάσης Ἑλληνικῆς παιδείας ἐξησκημένος ὑπὸ βαρβάρου τινός, τὴν προσηγορίαν Πέτρου, τὰ Ἰουδαίων ποιεῖν καὶ λέγειν ἠπάτηται. 19. J. Carleton Paget, Jews, Christians and Jewish Christians in Antiquity, Tübingen, 2010, p. 433 : « The sentence about Peter’s association with Clement, here at least, looks like an uncomfortable addition, as does the attempt to associate Apion with Simon at Hom. 5.2 ».
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l’exception, bien entendu, des livres 4-6, où Athénodore et Annubion se signalent d’ailleurs par leur silence 20. Troisièmement, les qualités littéraires et lexicales des Homélies 4-6 tranchent nettement sur le style général des Pseudo-Clémentines. James Carleton Paget rapporte le commentaire de Charles Bigg à ce sujet 21 et note, à titre d’exemple, l’emploi de procédés littéraires comme le flashback, la lettre fictive et l’ἔκφρασις. Il se dégage de l’ensemble, à son avis, quelque chose de littérairement différent : « A number of scholars have commented upon the qualitatively different literary feel of the section » 22 . Les nombreux hapax legomena, que Hans Waitz avait déjà relevés et qui concernent notamment des noms de dieux et de philosophes 23, renforcent également l’impression d’avoir affaire à une sorte de corps étranger, d’un point de vue stylistique. Ces arguments devraient suffire, selon James Carleton Paget, pour conclure que l’essentiel des livres 4-6 constitue une section indépendante du reste des Homélies 24 . Le point principal de son argumentaire c’est le caractère judéen de cette section. Clément tourne le dos à la παιδεία et aux πάτρια 25 pour vivre comme les Judéens. Il n’est pas question ici de Jésus ou du Vrai Prophète. La présence même du personnage d’Appion, fait-il valoir, plaide également en faveur de l’origine judéenne des Homélies 4-6 26. L’auteur des Aegyptiaca avait la réputation, bien méritée semble-t-il, de cultiver des sentiments hostiles aux Judéens et c’est pour cette raison que l’auteur de la source judéenne des livres 4-6 en aurait fait un personnage important de son œuvre 27. 20. J. Carleton Paget, Jews, Christians and Jewish Christians in Antiquity, Tübingen, 2010, p. 432. 21. Selon C. Bigg, « The Clementine Homilies », dans Studia Biblica et Ecclesiastica : Essays Chiefly in Biblical and Patristic Criticism, II, Oxford, 1890, p. 184185, apud J. Carleton Paget, Jews, Christians and Jewish Christians in Antiquity, Tübingen, 2010, p. 433, la section « was written in much better Greek by a much clearer brain and with more lively fancy than the rest of the Homilies ». 22. J. Carleton Paget, Jews, Christians and Jewish Christians in Antiquity, Tübingen, 2010, p. 433. 23. H. Waitz , Die Pseudoklementinen : Homilien und Rekognitionen. Eine quellenkritische Untersuchung, Leipzig, 1904, p. 253-254, apud J. Carleton Paget, Jews, Christians and Jewish Christians in Antiquity, Tübingen, 2010, p. 433. 24. J. Carleton Paget, Jews, Christians and Jewish Christians in Antiquity, Tübingen, 2010, p. 433 : « There are good grounds, then, for arguing that the bulk of Hom. 4-6 is independent from the rest of the Homilies ». 25. Homélies 4,7,3. 26. J. Carleton Paget, Jews, Christians and Jewish Christians in Antiquity, Tübingen, 2010, p. 435 : « Another point that speaks powerfully in favour of a Jewish origin lies in the prominence given to the figure of Apion ». 27. J. Carleton Paget, Jews, Christians and Jewish Christians in Antiquity, Tübingen, 2010, p. 436 : « It is the last of these characteristics of Apion, his
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1.2. La Discussion avec Appion et l’auteur des Homélies Comme nous l’avons indiqué dès le départ, nous ne partageons pas les conclusions de James Carleton Paget sur la composition des Homélies 4-6. Nous devons toutefois lui reconnaître la rigueur intellectuelle de consacrer une partie importante de son étude à l’examen des arguments opposés à sa thèse. Ce sont les arguments de Georg Strecker qu’il présente et réfute de manière systématique 28. Résumons d’abord la position de Georg Strecker sur la question. Georg Strecker note, comme tout le monde, le caractère distinct des livres 4 à 6 des Homélies. Il l’explique, cependant, en faisant l’économie de l’hypothèse d’une source judéenne, hypothèse qu’il juge superflue (« überflüssig ») 29. Les Homélies ont tout simplement développé des thèmes qui se trouvaient déjà dans la Grundschrift. Autrement dit, la source des livres 4-6 ne serait pas un texte judéen du IIe siècle mais l’Écrit de base. Nous expliquerons plus loin, dans ce volume 30, les raisons pour lesquelles nous considérons que l’hypothèse de la Grundschrift est aussi « überflüssig » que celle de la source judéenne. Pour l’instant je m’en tiens au propos de Georg Strecker sur les Homélies 4-6. Ainsi, à partir de la matière mythologique qui se trouve dans la Grundschrift 31, les Homélies ont composé la discussion entre Appion et Clément, alors que les Reconnaissances en ont fait une discussion entre Faustianus et ses trois fils. C’est ce que Georg Strecker appelle les « Erweiterungen » et les « Erläuterungen » des Homélies 32 . Le récit de la conversion de Clément au livre 5 des Homélies en est un autre exemple 33. La précision au sujet de l’homme rencontré à Rome, un marchand judéen, ne relèverait pas d’une contradiction, qui indiquerait l’utilisation d’une source, mais plutôt d’un procédé d’élaboration qui compléterait le récit initial. En ce qui concerne le caractère judéen de la section consacrée à la discussion entre Appion et Clément, Georg Strecker fait remarquer qu’il y a anti-Jewish tendencies, only mentioned by Jewish and Christian writers, which has caused him to be included in Hom. 4-6 ». 28. J. Carleton Paget, Jews, Christians and Jewish Christians in Antiquity, Tübingen, 2010, p. 441 : « The most sustained argument against the view that Hom. 4-6 goes back to a source has come from Strecker ». Voir G. Strecker , Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1981 (2e édition), p. 78-89. 29. G. Strecker , Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1981 (2 e édition), p. 84. 30. Voir Annexe sur la question des sources. 31. G. Strecker , Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1981 (2 e édition), p. 80 : « Dieses mythologische Material geht also mit Sicherheit auf G zurück », 32. G. Strecker , Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1981 (2 e édition), p. 82-83. 33. Homélies 5,28,2.
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déjà de nombreux éléments judéens ou « judaïsants » dans la Grundschrift et que les Homélies, contrairement aux Reconnaissances, s’emploient à les mettre en valeur 3 4 . De même, il n’est pas nécessaire de supposer l’existence d’une source judéenne pour expliquer l’introduction du personnage d’Appion dans les Homélies. C’est l’auteur des Homélies qui l’a créé 35. Georg Strecker rappelle que dans les Reconnaissances la figure d’Appion n’apparaît qu’une fois, à la fin du roman, dans l’épisode de la métamorphose de Faustinianus 36. Dans les Homélies, dans le cadre du même épisode, Appion et ses compagnons y jouent le même rôle 37. Or, selon le témoignage de Rufin, dans la préface à sa traduction des Reconnaissances, il y avait en circulation deux versions des Recognitiones, dont l’une se distinguait par cet épisode de la métamorphose 38, et c’est l’autre version que Rufin a choisi de traduire. Comme le texte actuel des Reconnaissances comprend l’épisode en question, on peut supposer qu’il a été emprunté à l’autre version, que l’on identifie généralement aux Homélies, et ajouté à la traduction de Rufin. Tout cela signifie, selon Strecker, que la figure d’Appion ne faisait pas partie de la Grundschrift, autrement elle se serait retrouvée également dans les Reconnaissances, et qu’elle est donc la création des Homélies 39. James Carleton Paget admet que les arguments de Georg Strecker sont solides, mais il ne leur accorde pas son adhésion 4 0. En schématisant, nous dirions que ses objections à la thèse voulant que l’auteur des Homélies ait 34. G. Strecker , Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1981 (2 e édition), p. 85 : « Der Homilist scheint demnach die judaisierenden Züge der Grundschrift nur aufgenommen und erweitert zu haben ». Voir J. Carleton Paget, Jews, Christians and Jewish Christians in Antiquity, Tübingen, 2010, p. 441. 35. G. Strecker , Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1981 (2 e édition), p. 83-84 : « Die Gestalt Apions hat keinem Platz in der Grundschrift » (p. 84) ; « Völlig evident aber wird die Vermutung, der Homilist habe die Apiondisputation komponiert, durch eine Untersuchung der Gestalt Apions in den Homilien » (p. 83). 36. Reconnaissances 10,52-72. 37. Homélies 20,11-23. 38. Rufin d’Aquilée , Préface à Gaudentius 8-9 : puto quod non te lateat, Clementis huius in Graeco eiusdem operis, hoc est Recognitionum, duas éditiones haberi et dua corpora esse librorum, in aliquantis quidem diversae, in multis tamen eiusdem narrationis. Denique pars ultima huius operis, in qua de transformatione Simonis refertur, in uno corpore habetur, in alio penitus non habetur. 39. G. Strecker , Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1981 (2 e édition), p. 83 : « Schon oben ist gesagt worden daß die Annahme in den Homilien, Simon sei noch nach der letzten Tripolisrede von einem Gefolge umgeben gewesen, der Grundschrift widerspricht und daher vom Homilisten stammen muß. Ist diese Feststellung richtig, dann ist auch die Gestalt Apions Eigentum des Homilienverfassers ». 40. J. Carleton Paget, Jews, Christians and Jewish Christians in Antiquity, Tübingen, 2010, p. 442 : « While Strecker mounts a robust case against the Jewish source theory, it ultimately fails to convince ».
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composé les livres 4 à 6 se ramènent à l’idée d’une double incohérence : une incohérence littéraire, qui aurait maladroitement raccordé les éléments de l’intrigue, et une incohérence religieuse, qui ferait passer la conversion de Clément du judaïsme au christianisme. En somme, James Carleton Paget se demande pourquoi l’auteur supposé de Homélies 4-6 s’est montré si maladroit et si peu habile dans sa tentative d’harmoniser son « développement » au récit initial, celui de la Grundschrift selon lui 41. Il se demande également pourquoi l’auteur supposé insiste sur la nature judéenne de la conversion de Clément, aux livres 4-6, mais pas au livre 1 42 . Il se demande enfin pourquoi avoir introduit le personnage d’Appion et ses compagnons, étant donné que le grammairien était réputé pour son opposition au judaïsme et non au christianisme 43. En réponse aux interrogations de James Carleton Paget, nous aimerions préciser que Georg Strecker ne prétend pas que l’auteur des Homélies soit un habile écrivain. Il se contente de dire que c’est lui qui a composé la discussion avec Appion, parce qu’il s’intéresse à la rhétorique 4 4 . De toute manière, et ici ce n’est plus Georg Strecker qui parle, même si le raccord entre les livres 4-6 des Homélies et le reste des Homélies était bel et bien « cumbersome », comme l’estime James Carleton Paget, cela ne constituerait pas un argument en faveur d’un emprunt direct à une source, mais tout au plus un jugement sur les capacités littéraires de l’auteur. En fait, l’idée même que les livres 4 à 6 des Homélies seraient mal intégrés au reste de l’œuvre repose sur une analyse des Homélies qui fait peu de cas de son unité et de sa cohérence. Les variations de style à l’intérieur d’une même œuvre et les bouts d’intrigue mal ficelés n’indiquent pas 41. J. Carleton Paget, Jews, Christians and Jewish Christians in Antiquity, Tübingen, 2010, p. 442 : « Why, for instance, has the Homilist been quite so cumbersome in introducing his extension ? Or put another way, would an apparently skilled writer leave such clear evidence of adding something to the original narrative » ? 42. J. Carleton Paget, Jews, Christians and Jewish Christians in Antiquity, Tübingen, 2010, p. 442 : « Why, for instance, would the Homilist have played up the Jewish dimension of Clement’s conversion as depicted in Hom. 4-6, when he had failed to do such a thing in his earlier account » ? 43. J. Carleton Paget, Jews, Christians and Jewish Christians in Antiquity, Tübingen, 2010, p. 443 : « …what grounds would there be for introducing the figure of Apion and his two companions ? After all, as we have made clear above, Apion, both in Jewish and Christian literature, was associated with anti-Jewish, not anti-Christian, polemic ». 44. G. Strecker , Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1981 (2 e édition), 267 : « Seine Vorliebe für rhetorische Auseinandersetzungen gibt den Anlass zu der Umgestaltung des mythologischen Vortrags (R X) in eine Reihe von Diskussionen zwischen Klemens und Apion (H IV-VI), die – auch durch Erfindung der Liebesbriefepisode – … zu dem literarisch bedeutendsten Teil des Klemensromans geworden sind ».
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forcément l’utilisation d’une source. Le même auteur, pour des raisons de vraisemblance, peut très bien adapter son vocabulaire et son style aux exigences de l’intrigue. Pour reprendre notre exemple de l’introduction, deux πεπαιδευμένοι qui discutent de la valeur morale des mythes grecs n’utilisent pas les mêmes termes ni les mêmes tournures de style qu’un apôtre qui initie son disciple à la doctrine du Vrai Prophète. Le sujet détermine le style. On peut bien sûr se demander ce que vient faire le personnage d’Appion dans un récit qui porte à la fois sur la conversion de Clément de Rome à la doctrine du Vrai Prophète et sur l’opposition entre l’Apôtre Pierre et Simon le Samaritain. On peut se dire que l’introduction d’une figure historique réputée pour son antijudaïsme ne peut s’expliquer que par un emprunt maladroit à une source judéenne qui avait de bonnes raisons de s’en prendre à un adversaire célèbre. On peut cependant aussi se rappeler que le même Apion était surtout réputé, parmi ses contemporains, pour être un brillant grammairien, un érudit, un spécialiste d’Homère, un illustre représentant de la παιδεία 45. On peut se dire, en quelque sorte, que l’auteur des Homélies a choisi un contemporain de Clément pour illustrer la vanité et l’immoralité de la culture de l’élite gréco-romaine, que le jeune Romain a abandonné pour se convertir à la doctrine du Vrai Prophète, une doctrine qui peut certainement être qualifiée de judéenne. Appion sert ici de faire-valoir au personnage de Clément et met en lumière son évolution intellectuelle. Au fond, nous ne voyons pas en quoi il y aurait incohérence ou contradiction à mettre l’accent sur le personnage de Clément, son background et son rapport à la παιδεία dans le cadre d’une discussion, d’un affrontement avec un champion de la παιδεία. C’est une manière de renforcer un thème central des Pseudo-Clémentines : la supériorité de la vérité prophétique sur la vérité philosophique, la philosophie étant le fleuron de la παιδεία. Autrement dit, si Clément, un pur produit de l’élite gréco-romaine peut réfuter les prétentions d’un pur représentant de cette élite et se convertir à la doctrine d’un barbare comme Pierre, c’est bien la preuve qu’il faut rejeter la culture de cette élite et lui préférer celle des Judéens. Apion était hostile au judaïsme et non au christianisme, souligne James Carleton Paget. C’est vrai, mais il est également vrai que l’enseignement de Pierre n’est pas exactement chrétien, du moins pas au sens où l’entend l’orthodoxie qui se définit à partir de 325. Il n’y a d’ailleurs aucune mention du terme « chrétien » dans les Homélies pour décrire le Vrai Prophète et ses disciples, comme le note lui-même James Carleton Paget 4 6, qui ajoute 45. Voir, dans cet ouvrage, le chapitre III : « Le grammairien Apion et la rhétorique dans les Homélies pseudo-clémentines ». 46. J. Carleton Paget, Jews, Christians and Jewish Christians in Antiquity, Tübingen, 2010, p. 444.
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d’ailleurs que les jumeaux Nicète et Aquila, élevés par Justa, une « prosélyte chez les Judéens » 47, sont qualifiés de Ἰουδαῖοι, à la fin des Homélies 48 et que l’expression « ὁ Ἰουδαίων θεός » sert à quelques reprises à désigner le Dieu de Pierre et de ses disciples 49. En revanche, il y a de bonnes raisons de considérer la doctrine du Vrai Prophète comme une doctrine judéenne. Par exemple, Pierre utilise le terme ἰουδαῖος pour désigner l’homme qui est véritablement pieux 50 et il enseigne qu’il existe deux voies qui mènent au salut : celle de Moïse et celle de Jésus 51. Il est donc juste, comme le fait le personnage d’Appion, de dire que Pierre est Ἰουδαῖος 52 et que sa philosophie peut se résumer par l’expression « parler et agir comme un Judéen », comme le fait Clément au livre 5 53. En fait, l’incohérence supposée du récit au sujet de la conversion de Clément se dissipe si l’on ramène d’abord le problème à la question de la séquence narrative, c’est-à-dire, à l’interprétation de la séquence narrative. Le Clément du livre 5, qui raconte à la foule de Césarée comment, il y a un certain temps, à Rome, il avait avoué à Appion avoir choisi la doctrine des Judéens 54, est bien le Clément du livre 1 55, qui s’est montré intrigué par la prédication d’un homme, sur la place publique, qui parlait du Fils de Dieu, en Judée. Si l’on admet que l’auteur des Homélies nous raconte l’histoire d’un seul personnage et que l’on essaie de reconstituer la séquence en tenant compte de tous les éléments, on peut comprendre que Clément, en proie à des angoisses existentielles, se met à la recherche de la vérité avec tant d’ardeur qu’il en tombe malade 56. On peut supposer que sa maladie
47. Homélies 13,7,3. 48. Homélies 20,22,2 (Appion, au sujet de Faustus) : « il ne voulait pas voir ses fils, parce qu’ils étaient devenus judéens » = ὅτι μὴ ἤθελεν ὁρᾶν τοὺς αὑτοῦ υἱοὺς Ἰουδαίους γεγενημένους. 49. J. Carleton Paget, Jews, Christians and Jewish Christians in Antiquity, Tübingen, 2010, p. 444. En fait, au livre 16 seulement : Homélies 16,7,3 ; 9,2 ; 14,4. 50. Homélies 11,16,3 : « Si l’on commet une impiété, l’on n’est pas pieux. De la même façon, si un étranger pratique la Loi, il est judéen ; et s’il ne la pratique pas, il est grec ». 51. Homélies 8,6,1-2 : « C’est pour cela que Jésus est dissimulé aux Hébreux qui ont pris Moïse pour Maître, tandis que Moïse est caché à ceux qui ont foi en Jésus ; car c’est un même enseignement qu’ils délivrent tous deux, et Dieu reçoit qui croit en l’un comme en l’autre ». Voir, à ce sujet, l’analyse d’A. Y. R eed, « Jewish Christianity after the Parting of the Ways. Approaches to Historiography and Self-Definition in the Pseudo-Clementines », dans A. H. Becker – A. Y. R eed (éd.), The Ways that Never Parted. Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Tübingen, 2003, p. 213-224. 52. Homélies 4,7,2. 53. Homélies 5,26,3. 54. Homélies 5,28,2. 55. Homélies 1,7,1-8. 56. Homélies 1,2,1.
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ne l’empêche pas de fréquenter les philosophes 57 et de concevoir le projet d’aller en Égypte pour y consulter hiérophantes et magiciens 58. C’est à ce moment-là qu’il entend un homme parler de la venue du Fils de Dieu en Judée 59. Rien n’empêche d’identifier cet homme au marchand judéen du livre 5. Le message qu’annonce l’homme de la place publique, au livre 1, se résume en peu de mots : le Fils de Dieu est en Judée, il faut vivre selon la volonté de son Père pour avoir la vie éternelle ; il y a un seul Dieu, créateur de l’univers 60. Rien qui ne soit exclusivement « chrétien » ou qui ne pourrait être qualifié de judéen. Clément veut se rendre en Judée, mais le « délai fut encore long » 61, apprend-on, de sorte que l’on pourrait situer l’épisode de la lettre d’Appion entre la rencontre avec le marchand judéen et le départ pour la Judée. Clément n’a pas encore trouvé la vérité, celle du Prophète, et c’est pourquoi lorsqu’Appion lui rend visite il le trouve « malade » et le croit amoureux. Clément n’a pas encore la connaissance du Prophète, mais il a examiné de nombreuses philosophies et à ce moment-là il n’a « donné son assentiment » à aucune d’elles si ce n’est à celle des Judéens qui met de l’avant le Principe unique 62 . En réalité, l’incohérence supposée du récit s’explique si l’on considère la question du contexte, le contexte de la discussion avec Appion. Si le récit de la conversion, aux livres 4 à 6, fait état d’un barbare dénommé Pierre, qui a séduit Clément à « pratiquer et professer le judaïsme » 63, et d’un marchand judéen qui lui a présenté la doctrine du Principe unique, autrement dit, s’il n’est pas question d’un apôtre du Vrai Prophète et s’il n’est pas question de la doctrine du Vrai Prophète, c’est que la fonction de l’épisode Appion n’est pas de nous renseigner sur la doctrine du Vrai Prophète, à laquelle Clément est initié depuis peu, mais bien de montrer l’impiété, l’immoralité et la vanité de la culture grecque et plus particulièrement des mythes grecs. L’accent ne repose pas sur la doctrine que Clément a récemment adoptée, mais sur le point de vue qu’Appion représente, le point de vue de la παιδεία. Il s’agit d’un débat public sur la valeur morale de la culture grecque, entre deux Grecs dont l’un, Clément, entend dénoncer les opinions des Grecs sur les dieux, tels qu’ils se présentent dans les mythes 6 4 , 57. Homélies 1,3,1-4. 58. Homélies 1,5,1-9. 59. Homélies 1,7,1-6. 60. Homélies 1,7,2-6. 61. Homélies 1,8,2. 62. Homélies 5,28,2. Voir supra note 15. 63. Homélies 4,7,2. Voir supra note 18. 64. Homélies 4,8,6 : « Quels sont-ils, poursuivit Appion, ces mythes mensongers et mauvais des Grecs ? – Il s’agit, dis-je, de leur opinion incorrecte sur les dieux et, si tu prends patience, tu l’entendras avec ceux qui aiment s’instruire » = καὶ ὁ Ἀππίων ἐπύθετο·Τίνες εἰσὶν οὗτοι τῶν Ἑλλήνων οἱ ψευδεῖς τε καὶ κακοὶ μῦθοι ;
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et l’autre, défendre la vérité des mythes par l’interprétation allégorique 65. Il ne s’agit pas d’un entretien privé entre un maître et son disciple. La doctrine du Vrai Prophète est une doctrine ésotérique, elle est réservée à ceux qui méritent d’y être initiés. Il est donc normal que du point de vue d’Appion, pour ce qu’il en sait, Clément a adopté les coutumes barbares des Judéens 66. De même, il est normal que Clément, devant la foule venue l’entendre débattre sur les mythes, se soit limité à évoquer son point de vue sur la vérité en termes vaguement philosophiques, ceux qu’il avait utilisés jadis dans sa première rencontre avec Appion. Suivant la logique du récit, que nous venons de résumer, Clément n’était pas en mesure, à Rome, à ce stade de son évolution spirituelle et intellectuelle, de décrire à Appion sa doctrine comme étant celle du Vrai Prophète, pour la bonne raison qu’il ne la connaissait pas encore. Plus tard, à Césarée, quand il raconte à la foule de Césarée l’épisode de la lettre d’amour composée par Appion, ce n’est ni le lieu ni le moment d’en dire plus sur la doctrine à laquelle il est en train d’être initié. 2. La
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Dans cette brève étude, nous partons du principe que l’auteur du texte que nous connaissons sous le titre des Homélies a voulu que tous les éléments qui composent l’histoire du personnage de Clément, du livre 1 au livre 20, aient un sens, tels qu’ils se présentent, à la place qu’ils occupent dans le récit. Comme nous venons de le montrer, à partir du livre de James Carleton Paget, on peut, au contraire, relever les contradictions apparentes du texte et les attribuer à l’assemblage maladroit de ses sources supposées. Dans l’état actuel de sa transmission, dans la version que Rufin a sans doute connue, l’auteur des Homélies a voulu que l’itinéraire narratif de Clément passe par une confrontation avec le personnage d’Appion. La structure narrative des Pseudo-Clémentines, aussi bien celle des Homélies κἀγὼ ἔφην·Ἡ περὶ θεῶν οὐκ ὀρθὴ δόκησις, ἥν, ἐὰν μακροθυμῇς, ἀκούσῃ μετὰ τῶν φιλομαθῶν. 65. Homélies 6,2,12 : « Mais, comme je te l’ai dit, mon fils, ces récits contiennent une doctrine appropriée et philosophique, qui peut être exprimée par l’allégorie » = ἀλλά (ὡς ἔφην), ὦ τέκνον, ἔχει τινὰ λόγον τὰ τοιαῦτα οἰκεῖον καὶ φιλόσοφον, ἀλληγορίᾳ φρασθῆναι δυνάμενον. 66. Homélies 4,7,3 : « Je vous demande donc de m’aider dans ma lutte pour le ramener à l’ordre. Je l’interrogerai devant vous. Qu’il me réponde, lui qui estime s’être livré à la piété : ne commet-il pas la plus grande impiété en délaissant les usages ancestraux pour s’abaisser à des coutumes barbares » ? = ὅθεν ἀξιῶ συναγωνίσασθαί μοι πρὸς τὴν διόρθωσιν αὐτοῦ. καὶ ἐφ’ ὑμῶν αὐτοῦ πυνθάνομαι. λεγέτω μοι, ἐπειδὴ πρὸς τὸ εὐσεβεῖν ἑαυτὸν ἀποδεδωκέναι νομίζει, πῶς οὐχὶ τὰ μέγιστα ἀσεβεῖ, καταλιπὼν μὲν τὰ πάτρια, ἀποκλίνας δὲ εἰς ἔθη βάρβαρα.
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que celle des Reconnaissances, repose sur deux lignes de force : le thème de Clément et le thème de l’opposition entre Pierre et Simon. Les points d’intersection entre les deux lignes correspondent aux scènes de reconnaissances dont le personnage de Pierre est le pivot. L’originalité des Homélies consiste à faire de la rencontre de Clément et d’Appion un de ces points d’intersection, à la différence que la reconnaissance porte ici sur un ami du père de Clément, qui est aussi un ami de Simon, l’adversaire de Pierre. L’objet de cette reconnaissance n’est pas un membre de la famille de Clément, mais un membre de son milieu d’origine, celui de l’élite cultivée du monde gréco-romain, milieu d’où vient Clément, auquel appartiennent son père, l’ami de son père et l’ami de son ami, Simon le Samaritain. En retrouvant Appion et en croisant le fer avec lui, le personnage de Clément se relie à la fois à son propre thème, celui de son histoire et de ses reconnaissances, et au thème de l’opposition entre Pierre et Simon. Le thème de l’opposition entre Pierre et Simon définit les deux pôles autour desquels évolue le récit : celui de Pierre, c’est le pôle de la vérité prophétique et du judaïsme, et celui de Simon, c’est le pôle de la vérité philosophique et de la παιδεία. Le thème de Clément raconte le passage de Clément, du pôle de Simon à celui de Pierre, comment il a renoncé au monde de la παιδεία, auquel il appartenait et auquel Appion et Simon appartiennent toujours, pour rejoindre celui de la vérité prophétique. C’est toute la famille de Clément, à l’exception notable de Mattidie, qui participe, à des moments différents de l’histoire, à ce changement de pôles. Les frères jumeaux de Clément, Nicète et Aquila, passent, en effet, de disciples de Simon à disciples de Pierre et le père de Clément, Faustus, passe du milieu que fréquentent Appion, ses compagnons et Simon, au cercle de Pierre. L’adhésion initiale des jumeaux à Simon fait d’ailleurs le lien entre les deux lignes de force du récit, le thème de Clément et le thème de l’opposition Pierre/Simon, tout comme l’amitié de Faustus avec Appion et l’association entre Simon et Appion. La Discussion avec Appion, aussi bien au niveau de l’intrigue (les personnages de Clément et d’Appion) qu’au niveau des thèmes (critique de la παιδεία) ne constitue donc pas un bloc erratique, mais, au contraire, s’intègre au récit de manière cohérente, et sert parfaitement la thèse principale des Homélies qui consiste à démontrer la supériorité de la vérité prophétique des Judéens sur la vérité philosophique des Grecs 67. Annette Yoshiko Reed a bien vu comment les livres 4 à 6, en opposant Grecs et Judéens, participe à l’économie générale des Homélies : « Here [Hom. 4-6] and elsewhere in the Homilies, the battle between “orthodoxy” and “heresy” is presented as an extension of the conflict between Judaism and 67. Voir N. K elley, Knowledge and Religious Authority in the Pseudo-Clementines, Tübingen, 2006, p. 143-146.
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Hellenism » 68. Bien entendu, il n’est pas vraiment question de philosophie dans la Discussion avec Appion. C’est de la culture et de la mythologie des Grecs, dont Clément et Appion débattent, de la vérité et de la moralité des mythes, que défend un grammairien et un sophiste comme Appion, par la rhétorique et l’interprétation allégorique. La philosophie fait évidemment partie de la παιδεία, dont Clément critique les fondements, et dans le reste des Homélies elle fait l’objet d’une attaque en règle dans le cadre de la discussion entre Pierre et Simon. La παιδεία n’est d’ailleurs pas absente des Homélies dans leur ensemble, contrairement à ce que pourraient laisser entendre les tenants de l’hypothèse d’une source judéenne. Le simple fait d’avoir choisi le genre du roman illustre bien l’importance de la παιδεία dans la composition des Pseudo-Clémentines 69. La fonction de la Discussion avec Appion dans l’économie des Homélies est de faire un gros plan sur un aspect de la παιδεία qui définit le personnage de Clément. Il s’agit de montrer le point de départ de sa conversion, le pôle négatif qu’il doit laisser pour atteindre l’autre pôle. Il s’agit de montrer le passage de Clément, de la παιδεία à la philosophie des Judéens, première étape d’une quête qui le mènera à la doctrine du Vrai Prophète. Le personnage d’Appion, par son hostilité envers les Judéens et son expertise en matière de παιδεία, constitue l’interlocuteur et l’adversaire idéal du personnage de Clément, qui vient justement de renoncer aux Grecs pour se tourner vers les Judéens. On peut voir également dans la Discussion entre Clément et Appion un écho de la discussion entre Pierre et Simon. Clément complète et appuie la lutte de Pierre contre les ennemis de la vérité en s’attaquant à la παιδεία dans ses dimensions rhétorique, sophistique et mythologique, alors que Pierre en vise la dimension philosophique. Plus loin, dans ce volume, nous définirons notre position sur la question des sources pseudo-clémentines. Pour l’instant, nous nous limitons à dire que la critique des sources, par sa décomposition du texte en fragments, pour en connaître l’origine, ne permet pas de comprendre l’intention du texte, dans sa composition d’ensemble. Autrement dit, au lieu de chercher à définir l’intention de l’auteur de la source hypothétique du « texte réel », il vaut mieux chercher à saisir l’intention de l’auteur lui-même du « texte réel ». Par « texte réel », nous entendons le texte tel qu’il se pré68. A. Y. R eed, « Heresiology and the (Jewish-)Christian Novel. Narrativized polemics in the pseudo-Clementine Homilies », dans E. I ricinschi – H. Zelletin (éd.), Heresy and Identity in Late Antiquity, Tübingen, 2008, 289. Reed ajoute cette précision : « In these chapters, Clement responds by exposing the error of Hellenism and defending the truth of Judaism – with no reference at all, in fact, to Jesus. Furthermore, he condemns both Appion and Simon Magus for their rabid anti-Judaism, which he sees as the true motivation for their spread of doctrinal error (Hom. 5.1-29) ». 69. Voir, dans cet ouvrage, le chapitre VI : « Les Pseudo-Clémentines et le choix du roman grec ».
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sente dans sa matérialité textuelle, indépendamment de la question de ses sources supposées. Évidemment, le problème qui se pose dans le cas d’un texte pseudépigraphe, comme le sont les Homélies, c’est que nous n’en connaissons pas le véritable auteur. Il reste néanmoins le texte lui-même, qui porte, en quelque sorte, sa propre intentionnalité. C’est ce qu’Umberto Eco appelle l’intentio operis. Établir l’intention d’une œuvre ou d’un texte, selon lui, c’est « chercher dans le texte ce qu’il dit en référence à sa propre cohérence contextuelle et à la situation des systèmes de signification auxquels il se réfère » 70. Cohérence et intention sont des notions indissociables dans l’exercice d’interprétation d’un texte, comme le rappelle Antoine Compagnon à propos de la méthode des passages parallèles 71. Il ne s’agit pas, en ce qui nous concerne, de remettre en question les notions d’auteur ou d’intention de l’auteur 72 . Toutefois, puisqu’il n’est pas possible, dans le cas des Homélies, d’en connaître l’auteur et comme il est peu probable que les éléments qui en composent le texte aient été assemblés au hasard, on peut considérer, à toutes fins utiles, que, dans ce cas-ci, les deux intentions correspondent, celle de l’auteur et celle de l’œuvre. Quoi qu’il en soit, il est plus simple et sans doute plus utile, nous semble-t-il, d’analyser le personnage d’Appion en relation avec l’ensemble de l’œuvre que nous avons sous les yeux plutôt que de tenter le même exercice en rapport avec une œuvre dont on ne saurait que supposer l’existence. Autrement dit et tout compte fait, nous nous en tenons à la fiction que nous propose le récit réel des Homélies, de préférence à la « fiction » que nous propose le récit hypothétique de ses origines.
70. U. Eco, Les limites de l ’interprétation (traduit de l’italien par M. BouzaParis, 1992, p. 29. Eco distingue trois types d’intentions et situe l’intentio operis entre l’intentio auctoris et l’intentio lectoris. Voir A. Compagnon, Le démon de la théorie. Littérature et sens commun, Paris, p. 87, qui qualifie les catégories d’Eco d’« attelages curieux » et de « solécismes », « en rupture avec la phénoménologie à laquelle ils feignent d’emprunter le terme intention, puisque, pour celle-ci intention et conscience sont intimement liés ». Aux yeux de Compagnon, la distinction entre intention de l’auteur et intention du texte ne tient pas : « Comme le texte est sans conscience, parler d’“intention du texte” ou d’intentio operis, c’est réintroduire subrepticement l’intention de l’auteur comme garde-fou de l’interprétation, sous un terme moins suspect ou provocateur ». 71. A. Compagnon, Le démon de la théorie. Littérature et sens commun, Paris, p. 77-78. 72. Voir A. Compagnon, Le démon de la théorie. Littérature et sens commun, Paris, p. 47-99. her),
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L a fonction littéraire de Simon de Samarie dans les Pseudo - Clémentines* L’Antiquité a attribué à Clément de Rome 1, un des premiers évêques de Rome, un certain nombre d’écrits, parmi lesquels les Homélies et les Reconnaissances, désignés généralement par le terme Clémentines ou plus souvent Pseudo-Clémentines 2 . Ces deux variantes d’un même thème constituent une œuvre littéraire, un roman 3, pour être plus précis, qui relate, d’une part, la quête personnelle et spirituelle d’un noble Romain, Clément, et, d’autre part, l’itinéraire de l’Apôtre Pierre, ponctué d’entretiens avec ses disciples et de discussions avec son adversaire Simon de Samarie. Le thème de l’opposition entre Pierre et Simon, qui correspond probablement à l’une des couches rédactionnelles les plus anciennes 4 , constitue d’ailleurs l’un des thèmes majeurs des Pseudo-Clémentines. C’est précisément cette relation d’opposition qui nous intéresse ici et, plus particulièrement, le fait que les Clémentines aient choisi, comme adversaire du célèbre apôtre, * Cette étude a été publiée une première fois dans Laval Théologique et philosophique 57 (2001), p. 513-523). Elle est la version révisée d’une communication présentée au 65e congrès de l’ACFAS en mai 1997. 1. Sur la confusion, dans les Pseudo-Clémentines, entre l’évêque Clément et Flavius Clemens, le consul et cousin de Domitien, voir B. Pouderon, « Flavius Clemens et le proto-Clément juif du roman pseudo-clémentin », Apocrypha 7 (1996), p. 63-79. 2. Les deux écrits qui composent les Pseudo-Clémentines auraient été rédigés en grec, dans la Syrie du IVe siècle. Ils présentent tellement d’éléments communs que l’on a assez tôt supposé l’existence d’une source commune, la Grundschrift, suivant l’expression des savants allemands du XIXe siècle. Ces deux textes, par ailleurs, ont été édités par B. R ehm, dans la collection Die griechischen christlichen Schriftsteller der ersten Jahrhunderte : Die Pseudoklementinen I. Homilien, Berlin, 1989 (3e édition corrigée par G. Strecker) et Die Pseudoklementinen II. Rekognitionen in Rufins Übersetzung, Berlin, 1994 (2 e édition). Pour une introduction récente à la question des Pseudo-Clémentines, voir l’article de F. S. Jones dans D. N. Freedman (éd.), The Anchor Bible Dictionary, New York, 1992, I, p. 1061-1062. 3. C’est l’expression utilisée notamment par O. Cullmann, Le problème littéraire et historique du roman pseudo-clémentin. Étude sur le Rapport entre le Gnosticisme et le Judéo-Christianisme, Paris, 1930, p. vii. 4. Selon J. Wehnert, « Abriss der Entstehungsgeschichte des pseudoklementischen Romans », Apocrypha 3 (1992), p. 216.
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le non moins célèbre μάγος, Simon le Samaritain. En cherchant à savoir pourquoi le roman pseudo-clémentin a choisi la figure de Simon et, surtout, pourquoi il lui a donné la forme singulière qu’il revêt dans ce texte, nous voulons, au fond, déterminer le rôle, la fonction de Simon dans cette œuvre de fiction que l’on appelle les Pseudo-Clémentines. 1. L a
fonct ion pol é m iqu e
Pour expliquer la présence de Simon de Samarie dans les Pseudo-Clémentines, on a souvent supposé que la figure de Simon en cachait une autre, celle de Paul ou celle de Marcion, par exemple. La lutte dans laquelle les personnages clémentins de Pierre et de Simon sont engagés reproduiraient ainsi la « lutte historique » entre judéo-chrétiens et tenants du paulinisme ou du marcionisme. 1.1. Antipaulinisme Car certains de ceux qui viennent de la gentilité ont repoussé ma prédication conforme à la Loi pour adopter l’enseignement contraire à la Loi, de l’homme ennemi et ses bavardages frivoles 5.
1.1.1. Éléments antipauliniens On a vu, par exemple, dans les quelques passages, dont celui de la Lettre de Pierre à Jacques, qui mentionnent un certain homo inimicus (ὁ ἐχθρὸς ἄνθρωπος) des éléments antipauliniens 6. Selon Georg Strecker 7 et Oscar Cullmann 8, l’homme ennemi, dont l’enseignement est « contraire à la Loi », est bel et bien l’apôtre Paul. De fait, la comparaison entre Reconnaissances 1,71,3-4, qui précise que « cet homme ennemi avait reçu de Caïphe, le grand prêtre, le mandat de poursuivre tous ceux qui avaient 5. Lettre de Pierre à Jacques 2,3 : τινὲς γὰρ τῶν ἀπὸ ἐθνῶν τὸ δι’ ἐμοῦ νόμιμον ἀπεδοκίμασαν κήρυγμα, τοῦ ἐχθροῦ ἀνθρώπου ἄνομόν τινα καὶ φλυαρώδη προσηκάμενοι διδασκαλίαν. Dans les deux manuscrits des Homélies, le texte est précédé de la Lettre de Pierre à Jacques, de l’Engagement solennel et de la Lettre de Clément à Jacques. 6. L’expression apparaît aussi, à deux reprises, dans les Reconnaissances : 1,70,1-3 et 1,71,3-4. 7. G. Strecker , Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1981 (2 e édition), p. 187. 8. O. Cullmann, Le problème littéraire et historique du roman pseudo-clémentin. Étude sur le Rapport entre le Gnosticisme et le Judéo-Christianisme, Paris, 1930, p. 243.
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cru en Jésus et d’aller jusqu’à Damas avec ses lettres » 9 et Actes 9,1-2 : « Saul, ne respirant toujours que menaces et meurtres contre les disciples du Seigneur, alla demander au grand prêtre des lettres pour les synagogues de Damas » 10 (traduction T.O.B.), permet d’établir l’équation homo inimicus = Paul 11. Puisque Pierre, l’auteur supposé de la Lettre de Pierre à Jacques, a pour adversaire, dans les Homélies et les Reconnaissances, le « magicien » Simon, on a conclu que l’homo inimicus était Simon. Dans une discussion plutôt corsée entre Pierre et Simon sur la supériorité de la connaissance acquise directement par la vue, comme celle des Douze, sur la connaissance acquise indirectement par les visions 12 , comme celle de Paul, il faudrait voir, selon certains exégètes, une allusion au conflit survenu entre Pierre et Paul, à Antioche, et rapporté dans l’épître aux Galates 13. Cette allusion expliquerait que Pierre dise ici de 9. Inimicus ille homo legationem suscepisset a Caipho pontifice, ut omnes qui crederent in Iesum, persequeretur et Damascum pergeret cum epistulis eius. Dans l’autre passage des Reconnaissances (1,70,1-3), il est question de la prédication de Jacques au Temple, de son succès auprès du peuple et de l’intervention meurtrière de l’homme ennemi : « Entre temps, cet homme ennemi s’en prit à Jacques, qu’il précipita du haut des marches du temple » = interim ille inimicus homo Iacobum adgressus de summis gradibus praecipitem dedit. Voir, sur la mort de Jacques, le récit d’Hégésippe, rapporté par Eusèbe de Césarée, qui désigne les scribes et les pharisiens comme les assassins de Jacques (Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 2,23,14-18). 10. Ὁ δὲ Σαῦλος, ἔτι ἐμπνέων ἀπειλῆς καὶ φόνου εἰς τοὺς μαθητὰς τοῦ κυρίου, προσελθὼν τῷ ἀρχιερεῖ ᾐτήσατο παρ’ αὐτοῦ ἐπιστολὰς εἰς Δαμασκὸν πρὸς τὰς συναγωγάς. 11. Pour l’identification de l’homo inimicus à Saul de Tarse, par la comparaison de ces deux textes, voir A. Lindemann, Paulus im ältesten Christentum. Das Bild des Apostels und die Rezeption der paulinischen Theologie in der frühchristlichen Literatur bis Marcion, Tübingen, 1979, p. 109. 12. Cette discussion est relatée au livre 17 (13,1) des Homélies. Voici, par exemple, en quels termes Simon adresse ses reproches à l’apôtre Pierre : « Tu t’es vanté d’avoir très bien compris les enseignements de ton Maître, pour l’avoir clairement vu de tes propres yeux et entendu de tes propres oreilles (διὰ τὸ παρόντα ἐναργείᾳ ὁρᾶν καὶ ἀκούειν αὐτοῦ) et tu as déclaré qu’il était impossible à un autre d’arriver à un résultat semblable par des visions ou des apparitions (καὶ ἑτέρῳ τινὶ μὴ δυνατὸν εἶναι ὁράματι ἢ ὀπτασίᾳ) » (Homélies 17,13,1). Traduction A. Siouville , Les homélies clémentines, Paris, 1991 [1933]. 13. Galates 2,11 : « Mais, lorsque Céphas vint à Antioche, je me suis opposé à lui ouvertement, car il s’était mis dans son tort » (traduction T.O.B.) = Ὅτε δὲ ἦλθεν Κηφᾶς εἰς Ἀντιόχειαν, κατὰ πρόσωπον αὐτῷ ἀντέστην, ὅτι κατεγνωσμένος ἦν. Pour la référence à l’incident d’Antioche au livre 17 des Homélies, voir S. L égasse , « La polémique antipaulinienne dans le judéo-christianisme hétérodoxe », Bulletin de littérature ecclésiastique 90 (1989) p. 87 ; A. Salles , « La diatribe anti-paulinienne dans le “Roman pseudo-clémentin” et l’origine des “Kérygmes de Pierre” », Revue Biblique 64 (1957), p. 522 ; G. Strecker , Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1981 (2e édition), p. 193 et T. V. Smith, Petrine Controversies in Early Christianity. Attitudes towards Peter in Christian Writings of the First Two Centuries, Tübingen, 1985, p. 11, qui l’affirment catégoriquement et, de l’autre
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Simon qu’il est devenu apôtre, ce qui, bien sûr, ne s’accorde pas vraiment avec ce que nous savons de Simon par ailleurs ! L’allusion serait renforcée par l’emploi du mot κατεγνωσμένος : « si tu me traites de condamné », le même mot que Paul utilise pour désigner Pierre dans la lettre qu’il adresse aux Galates. Qu’en est-il au fait de cette allusion ? La figure de Simon dissimule-t-elle réellement la figure de l’apôtre Paul ? À dire vrai, l’apparition de Jésus que Simon, selon ce passage des Homélies, aurait reçue 14 , ne s’harmonise pas avec les autres traits du personnage pseudo-clémentin et l’hypothèse d’une polémique antipaulinienne présente l’avantage d’en éclairer le sens. En effet, dans la logique du récit, il est vraisemblable que Simon connaisse la doctrine de Jésus, pour mieux la critiquer 15, mais peu probable qu’il ait quelque prétention apostolique que ce soit 16, d’où l’incongruité de ce Simon, en proie à des visions, et la référence possible à l’apôtre Paul. Cette référence constitue cependant un cas isolé et l’on peut dire que le caractère paulinien de Simon dans ce passage a quelque chose d’ajouté : il ne réside pas dans l’action du personnage mais dans l’intention de son opposant, l’apôtre Pierre. 1.1.2. Les Kérygmes de Pierre Les traits antipauliniens des Pseudo-Clémentines, suivant une hypothèse qui a été longtemps admise sans discussion, proviendraient d’une source judéo-chrétienne, les Kérygmes de Pierre, un document violemment antipaulinien qui rapporterait les luttes entre Pierre et Paul 17. Les Κηρύγματα côté, H. H arris , The Tübingen School, Oxford, 1975, p. 258 et J. Chapman, « On the Date of the Clementines », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 9 (1908), p. 151, qui n’y voient aucune référence paulinienne. 14. Homélies 17,14,2 : « Enfin tu prétendais savoir mieux que moi ce qui concerne Jésus pour l’avoir appris de lui-même dans une apparition (ὑπὸ ὀπτασίας) ». Traduction A. Siouville , Les homélies clémentines, Paris, 1991 [1933]. 15. Par exemple, au livre 18 des Homélies (4,2), Simon – à des fins polémiques, bien sûr – cite une parole de Jésus : Οὐδεὶς ἔγνω τὸν πατέρα εἰ μὴ ὁ υἱός, qui correspond à peu près à Matthieu 11,27 : « nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils » (traduction T.O.B.) = οὐδὲ τὸν πατέρα τις ἐπιγινώσκει εἰ μὴ ὁ υἱὸς. Comme il l’explique à Pierre, Simon se défend bien, d’autre part, de croire à l’enseignement de Jésus : « Je ne fais pas profession de croire à son enseignement … mais je parle avec toi des points qu’il a touchés » (Homélies 18,11,4). Traduction A. Siouville , Les homélies clémentines, Paris, 1991 [1933]. 16. Voir Homélies 17,20,1 : « Loin de moi de me faire le disciple soit du Christ, soit de toi ! » = Ἀπείη μοι τὸ εἴτε ἐκείνου εἴτε σοῦ γενέσθαι μαθητήν. Traduction A. Siouville , Les homélies clémentines, Paris, 1991 [1933]. 17. C’est l’opinion, notamment, de G. Strecker , Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1981 (2e édition), p. 188 et d’A. Lindemann, Paulus im ältesten Christentum. Das Bild des Apostels und die Rezeption der paulinischen Theologie in der frühchristlichen Literatur bis Marcion, Tübingen, 1979, p. 107.
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Πέτρου auraient été intégrés à l’Écrit de base et, du même coup, la figure de Paul aurait été remplacée, dissimulée par la figure de Simon 18. Jusqu’à tout récemment, la liste à peu près habituelle des texte apocryphes du Nouveau Testament comprenait invariablement les Kérygmes 19, dont la valeur documentaire ne semblait aucunement diminuée par leur nature hypothétique 20. Mais, en écho à des critiques plus anciennes, comme celle de Bernhard Rehm qui préférait, à l’hypothèse des Κηρύγματα Πέτρου, celle d’une interpolation ébionite pour rendre compte du caractère judéo-chrétien et antipaulinien des Pseudo-Clémentines 21, les travaux de Jürgen Wehnert, parus ces dernières années, qui présentent une analyse comparée de la Lettre de Pierre à Jacques et des sections attribuées aux Kérygmes dans les Homélies, ont démontré, sur une base linguistique, la fragilité, pour ne pas dire l’impossibilité de l’hypothèse des Κηρύγματα Πέτρου 22 . Dans la foulée de Wehnert, F. S. Jones n’a pas hésité à rejeter cette hypothèse des Kérygmes pour ne retenir, dans l’ensemble des suppositions touchant la genèse du corpus, que l’Écrit de base, les Homélies, les Reconnaissances et quelques sources dont des Actes des Apôtres judéo-chrétiens, qui suffisent, à son avis, pour expliquer le caractère judéo-chrétien et antipaulinien des Clémentines 23.
18. Ils sont nombreux à situer la substitution de Paul par Simon au niveau de la source judéo-chrétienne des Kérygmes de Pierre. Voir, à titre d’exemple, C. K. Barrett, « Pauline Controversies in the Post-Pauline Period », New Testament Studies 20 (1973-1974), p. 236. 19. Voir la dernière édition du recueil de textes apocryphes néotestamentaires publié par W. Schneemelcher : Neutestamentliche Apokryphen in deutscher Übersetzung, I-II, Tübingen, 1990 (6 e édition). 20. Des auteurs comme O. Cullmann et H. J. Schoeps ont pris appui sur la valeur documentaire des Kérygmes de Pierre pour élaborer leurs thèses. Dans le cas de Schoeps, c’est toute une théologie du judéo-christianisme ancien qu’il a reconstituée sur cette base. Voir son ouvrage justement intitulée Theologie und Geschichte des Judenchristentums, Tübingen, 1949. Pour ce qui est de Cullmann, voir son Problème littéraire et historique du roman pseudo-clémentin, cité supra, à la note 3. 21. B. R ehm, « Zur Entstehung der pseudoclementinischen Schriften », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 37 (1938), p. 150-151. 22. J. Wehnert, « Literarkritik und Sprachanalyse. Kritische Anmerkungen zum gegenwärtigen Stand der Pseudoklementinen-Forschung », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 74 (1983), p. 300-301. 23. F. S. Jones , « Pseudo-Clementines », dans E. Ferguson (éd.), Encyclopedia of Early Christianity, New York – Londres, 1990, p. 768 et F. S. Jones , « A Jewish Christian Reads Luke’s Acts of the Apostles : The Use of the Canonical Acts in the Ancient Jewish Christians Source behind Pseudo-Clementine Recognitions 1.2771 », dans Society of Biblical Literature, 1995 Seminar Papers (Society of Biblical Literature, Seminar paper Series no 34), Atlanta, 1995, p. 617-635.
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1.2. Antimarcionisme Derrière les traits de Simon de Samarie on a parfois cru distinguer la silhouette d’une autre figure importante du christianisme ancien : l’« hérétique » Marcion. Si, en effet, on laisse de côté les rares éléments antipauliniens rattachés au personnage de Simon, pour mieux se concentrer sur la teneur des propos défendus dans les discussions avec Pierre, on constate aussitôt une certaine parenté avec les thèses de Marcion. 1.2.1. Le dithéisme de Simon La thèse principale soutenue par Simon dans les Homélies se résume aisément par le terme dithéisme 24 . Autrement dit, Simon défend ici l’idée qu’au-dessus du dieu créateur, du dieu juste, il y a un autre dieu, un dieu suprême et bon, demeuré inconnu jusque-là 25. On aura reconnu dans cette opposition entre le Créateur et le dieu inconnu, entre le Dieu juste et le dieu bon, une opposition caractéristique du marcionisme 26. De fait, selon l’aveu d’A. Salles, pourtant peu favorable à l’hypothèse d’une polémique antimarcionite, la description du Créateur que nous donne le Simon clémentin : un dieu qui n’est pas la puissance suprême, imparfait, dépourvu de prescience, soumis à toutes les passions, semble tirée de « quelque page empruntée à Marcion » 27. 1.2.2. L’antimarcionisme de Pierre À la saveur résolument marcionite du dithéisme de Simon répond, chez Pierre, le caractère antimarcionite de certaines doctrines, si, du moins, on
24. Le terme « dithéisme » est emprunté à A. L e Boulluec , « Les citations de la Septante dans l’Homélie XVI pseudo-clémentine. Une critique implicite de la typologie ? », dans G. Dorival – O. Munnich (éd.), ΚΑΤΑ ΤΟΥΣ Ο'. Selon les Septante. Trente études sur la Bible grecque des Septante. En hommage à Marguerite Harl, Paris, 1995, p. 448. 25. Homélies 18,1,1. Sur le marcionisme de Simon dans ce passage, voir H. J. Schoeps , « Judenchristentum und Gnosis », dans U. Bianchi (éd.), Le Origini dello Gnosticismo. Colloquio di Messina (13-18 Aprile 1966), Leyde, 1970, p. 530. 26. Sur le caractère marcionite de cette opposition, voir K. Rudolph, Gnosis. The Nature & History of Gnosticism (traduit de l’allemand par R. McL. Wilson), San Francisco, 1987, p. 314 et U. Bianchi, « Marcion : théologien biblique ou docteur gnostique ? », Vigiliae Christianae 21 (1967), p. 143. 27. A. Salles , « Simon le Magicien ou Marcion ? », Vigiliae Christianae 12 (1958) p. 219. On peut comparer, par exemple, Homélies 3,38 et Tertullien, Contre Marcion 2,5.
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accepte le point de vue de H. J. W. Drijvers 28 et H. J. Schoeps 29. La notion de Verus Propheta, par exemple, qui fait d’Adam, d’Abraham et de Moïse des « avatars » du Christ, affirme l’unité de l’économie divine contre la dichotomie entre les deux alliances qu’impose la lecture marcionite des Écritures 30. De même, la règle des syzygies, avec son dualisme cosmique, constitue une manière de réplique au dualisme de Marcion 31, tout comme la doctrine des fausses péricopes permet à Pierre d’admettre sans difficultés les nombreuses contradictions que présentent les Écritures 32 . 1.3. Antisimonianisme Finalement, se pourrait-il qu’à travers la figure de Simon de Samarie les auteurs pseudo-clémentins aient tout simplement voulu viser les tenants du simonianisme ? La similitude, notée par plusieurs, entre la notice des Clémentines et celle de Justin laisse supposer une connaissance de la tradition hérésiologique sur Simon 33. De même, le titre d’ἑστώς, dont s’affuble Simon, dans les Homélies et les Reconnaissances 3 4 , renvoie à une autre notice hérésiologique, celle d’Hippolyte, et à l’Ἀπόφασις μεγάλη, œuvre prétendument simonienne 35. En revanche, les précisions biographiques des
28. H. J. W. Drijvers , « Adam and the True Prophet in the Pseudo-Clementines », dans C. Elsas – H. G. K ippenberg (éd.), Loyalitätskonflikte in der Religionsgeschichte. Festschrift für Carsten Colpe, Würzburg, 1990, p. 314-323. 29. Voir l’article cité supra, note 25. 30. H. J. W. Drijvers , « Adam and the True Prophet in the Pseudo-Clementines », dans C. Elsas – H. G. K ippenberg (éd.), Loyalitätskonflikte in der Religionsgeschichte. Festschrift für Carsten Colpe, Würzburg, 1990, p. 318. 31. H. J. Schoeps , « Judenchristentum und Gnosis », dans U. Bianchi (éd.), Le Origini dello Gnosticismo. Colloquio di Messina (13-18 Aprile 1966), Leyde, 1970, p. 532. 32. H. J. Schoeps , « Judenchristentum und Gnosis », dans U. Bianchi (éd.), Le Origini dello Gnosticismo. Colloquio di Messina (13-18 Aprile 1966), Leyde, 1970, p. 531 et H. J. W. Drijvers , « Adam and the True Prophet in the Pseudo-Clementines », dans C. Elsas – H. G. K ippenberg (éd.), Loyalitätskonflikte in der Religionsgeschichte. Festschrift für Carsten Colpe, Würzburg, 1990, p. 317. 33. À ce propos, voir L. Cerfaux, Recueil Lucien Cerfaux. Études d ’Exégèse et d ’Histoire Religieuse, I. Gembloux, 1954, p. 216 et K. Beyschlag, Simon Magus und die christliche Gnosis, Tübingen, 1974, p. 49. 34. Homélies 2,22,4 et Reconnaissances 2,7,2-3. Le terme ἑστώς et son équivalent latin Stans, que l’on pourrait rendre avec le traducteur A. Siouville par « l’Immuable », soulignent le caractère divin du personnage. 35. Voir G. Lüdemann, Untersuchungen zur simonianischen Gnosis, Göttingen, 1975, p. 97. Lüdemann pense que l’auteur de la Grundschrift pseudo-clémentine a tiré de la Réfutation de toutes les hérésies d’Hippolyte la notion d’ἑστώς. Voir J. M. A. Salles-Dabadie , Recherches sur Simon le Mage, Paris, 1969, p. 133-134 et K. Beyschlag, Simon Magus und die christliche Gnosis, Tübingen, 1974, p. 53.
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CHAPITRE V
Pseudo-Clémentines sur la famille et l’éducation du Mage s’accordent difficilement avec le Simon des hérésiologues et des historiens 36. 1.4. Conclusion Il y a certes des éléments antipauliniens dans les Pseudo-Clémentines, surtout dans le Liber Primus des Reconnaissances, mais ils ne sont pas directement liés à la figure de Simon. D’autre part, pour justifier l’hypothèse de l’identification Paul/Simon dans les Homélies, il faut s’appuyer sur une autre hypothèse, celle qui suppose l’existence des Kérygmes de Pierre. Or, cette hypothèse se voit de plus en plus rejetée par les spécialistes du roman pseudo-clémentin. Pour ce qui concerne la polémique contre le marcionisme, on peut dire, là aussi, que les Homélies contiennent des éléments antimarcionites, comme le dithéisme de Simon, mais l’hypothèse d’une polémique antimarcionite, bien que solide, ne permet pas d’expliquer l’ensemble des traits qui composent la figure de Simon le Magicien dans les Pseudo-Clémentines. La supposition d’une polémique antisimonienne, pour sa part, confirmée par des indices comme la notion bien simonienne de l’ἑστώς, mais réfutée par le caractère manifestement fictif de certains éléments biographiques, ne suffit pas, elle non plus, à expliquer la fonction littéraire de Simon dans les Pseudo-Clémentines. Sans compter qu’il faudrait s’interroger avant tout sur la pertinence d’une telle supposition, étant donné le problème que pose l’importance numérique et stratégique des Simoniens aux IIe et IIIe siècles. En effet, entre la domination complète des Simoniens en Samarie, évoquée par Justin au IIe 37 et la disparition virtuelle de la secte, constatée par Origène au IIIe 38, il y a un écart qui laisse quelque peu songeur39 ! 36. Pour ces précisions biographiques, voir Homélies 2,22-32 ; 13,8. Voir, là-dessus, H. Waitz , « Simon Magus in der altchistlichen Literatur », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 5 (1904), p. 129, qui considère ces précisions sans fondement historique. Voir aussi G. Lüdemann, Untersuchungen zur simonianischen Gnosis, Göttingen, 1975, p. 94. 37. Justin, Première Apologie 26,3 : « presque tous les Samaritains, et un petit nombre d’hommes dans d’autres provinces, le reconnaissent et l’adorent comme leur premier dieu » = καὶ σχεδὸν πάντες μὲν Σαμαρεῖς ὀλίγοι δὲ καὶ ἐν ἄλλοις ἔθνεσιν ὡς τὸν πρῶτον θεὸν ἐκεῖνον ὁμολογοῦντες ἔτι καὶ νῦν προσκυνοῦσι : Traduction A. Wartelle , Saint Justin, Apologies, Paris, 1987. 38. Origène , Contre Celse 1,57 : « De plus, Simon le magicien de Samarie voulut par la magie s’attacher certains hommes, et il parvint à en séduire, mais aujourd’hui de tous les Simoniens du monde on n’en trouverait pas trente, je crois, et peut-être que j’en exagère le nombre. Ils sont fort peu nombreux en Palestine, et en aucun point du reste de la terre son nom n’a cette gloire qu’il voulut répandre autour de sa personne » = Ἠθέλησε δὲ καὶ Σίμων ὁ Σαμαρεὺς μάγος τῇ μαγείᾳ ὑφελέσθαι τινάς. Καὶ τότε μὲν ἠπάτησε, νυνὶ δὲ τοὺς πάντας ἐν τῇ οἰκουμένῃ οὐκ ἔστι Σιμωνιανοὺς εὑρεῖν τὸν ἀριθμὸν οἶμαι τριάκοντα, καὶ τάχα πλείονας
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2. La
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fonct ion s y m bol iqu e 39
Pour rendre compte de la présence de Simon de Samarie dans les Pseudo-Clémentines, on peut supposer que le personnage a ici valeur de symbole. De même que le symbole, à la différence du signe, ne se réfère pas à un objet extérieur à lui, mais vaut par lui-même, bien qu’il tende, par sa nature complexe, synthétique, polysémique, vers un dépassement de son propre contenu 4 0, de même, la figure de Simon dans les Pseudo-Clémentines ne se réfère pas simplement à une personne extérieure au texte, mais tend, par son caractère composite, à dépasser la définition de Simon le Samaritain. 2.1. La nature « synthétique » de Simon Comme nous l’avons vu, il y a peu de passages où Simon le Magicien défend des idées purement pauliniennes, simoniennes ou marcionites. Dans ce cas, peut-être vaudrait-il mieux, au lieu d’isoler les éléments jugés antipauliniens, antisimoniens ou antimarcionites, pour justifier l’hypothèse d’une polémique, les conjuguer, au contraire, aux autres éléments qui composent la figure du Simon clémentin, pour définir l’image d’ensemble du personnage. Cette conjugaison produirait, à première vue, une image de caractère disparate. On peut, en effet, qualifier de disparate un personnage décrit tour à tour comme un « magicien » ou un être divin (ὁ ἑστώς), un représentant de la παιδεία ou un tenant d’une doctrine d’allure gnostique, un défenseur de thèses marcionites ou pauliniennes. Cette diversité, quelque peu choquante, a parfois reçu l’explication de remaniements successifs et maladroits, dictés par des polémiques différentes 41. On insiste, dans ce type d’explication, sur l’analyse du personnage, alors qu’il εἶπον τῶν ὄντων. Εἰσὶ δὲ περὶ τὴν Παλαιστίνην σφόδρα ἐλάχιστοι τῆς δὲ λοιπῆς οἰκουμένης οὐδαμοῦ τὸ ὄνομα αὐτοῦ, καθ’ ἣν ἠθέλησε δόξαν περὶ ἑαυτοῦ διασκεδάσαι. Traduction M. Borret, Origène, Contre Celse, I. Livres I et II, Paris, 1967. 39. Il ne s’agit pas de remettre en question l’existence des Simoniens, mais de supposer un juste milieu entre les approximations de Justin et d’Origène. Voir, sur cette question, L. Cerfaux, Recueil Lucien Cerfaux. Études d ’Exégèse et d ’Histoire Religieuse, I. Gembloux, 1954, p. 223 ; S. Pétrement, Le Dieu séparé. Les origines du gnosticisme, Paris, 1984, p. 329 et C. K. Barrett, A Critical and Exegetical Commentary on the Acts of the Apostles, I. Preliminary Introduction and Commentary on Acts I-XIV, Edinburgh, 1994, p. 397. 40. Sur cette définition du symbole, voir J.-P. Vernant, Mythe et société en Grèce ancienne, Paris, 1974, p. 229. 41. Voir, à ce propos, O. Cullmann, Le problème littéraire et historique du roman pseudo-clémentin. Étude sur le Rapport entre le Gnosticisme et le Judéo-Christianisme, Paris, 1930, p. 111-114 ; A. Salles , « La diatribe anti-paulinienne dans le “Roman pseudo-clémentin” et l’origine des “Kérygmes de Pierre” », Revue Biblique 64 (1957), p. 198-199 ; H. Clavier , « La primauté de Pierre d’après les pseudo-clémentines », Revue d ’Histoire et de Philosophie Religieuses 36 (1956), p. 306 ; T. V.
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y aurait lieu de voir, selon nous, la synthèse possible que représente Simon le Samaritain. Autrement dit, avons-nous affaire à un produit de compilation, où les divers éléments s’ajoutent les uns aux autres, au gré des circonstances, ou à un produit de composition où les éléments s’ajustent les uns aux autres, suivant les contours de l’intentio operis ? Nous émettons ici l’hypothèse que le Simon pseudo-clémentin est une figure de synthèse qui représente les thèses et les pratiques contraires à celles qui sous-tendent les Pseudo-Clémentines 42 . C’est ainsi que les traits pauliniens et marcionites, que nous avons déjà mentionnés, s’ajustent aux traits tirés de certaines traditions simoniennes, attestées par les notices de Justin, d’Irénée et d’Hippolyte. Les Pseudo-Clémentines ont emprunté à ces traditions des éléments d’origines diverses qu’elles ont regroupés dans le personnage de Simon pour donner ce « magicien », d’origine samaritaine, accompagné d’une femme nommée Hélène, reconnu comme un être divin sous les titres de δύναμις et d’ἑστώς. 2.2. La nature archétypale de Simon Parmi les traditions déterminantes dans la composition du Simon pseudo-clémentin, celle que nous tenons d’Irénée, dans son traité Contre les hérésies, figure certainement au premier plan. « Simon de Samarie, de qui dérivent toutes les hérésies, édifia sa secte sur la synthèse que voici… » 43, rapporte l’évêque de Lyon et bien que les Pseudo-Clémentines ne reprennent pas exactement les termes de la notice irénéenne, le fait que dans le système dualiste des Homélies, c’est-à-dire la règle des syzygies, le
Smith, Petrine Controversies in Early Christianisty, Attitudes towards Peter in Christian Writings of the First Two Centuries, Tübingen, 1985, p. 59-60. 42. Sur Simon de Samarie comme figure de synthèse, voir H. J. Schoeps , « Judenchristentum und Gnosis », dans U. Bianchi (éd.), Le Origini dello Gnosticismo. Colloquio di Messina (13-18 Aprile 1966), Leyde, 1970, p. 530, pour qui Simon représenterait les gnostiques en général, et M. J. Edwards , « The Clementina : A Christian Response to the Pagan Novel », Classical Quarterly 42 (1992), p. 462, qui abonde dans le même sens. A. L e Boulluec , « Les citations de la Septante dans l’Homélie XVI pseudo-clémentine. Une critique implicite de la typologie ? », dans G. Dorival – O. Munnich (éd.), ΚΑΤΑ ΤΟΥΣ Ο'. Selon les Septante. Trente études sur la Bible grecque des Septante. En hommage à Marguerite Harl, Paris, 1995, p. 441, considère Simon comme « une figure très complexe, qui représente, alternativement, et parfois tout ensemble, le paganisme et les christianismes d’obédiences diverses (paulinienne, marcionite, gnostique) » et H. Waitz , « Simon Magus in der altchistlichen Literatur », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 5 (1904), p. 122, voit lui aussi en Simon un représentant du paganisme, voire même de la philosophie : « Vertreter der heidnischen Volksreligion und Philosophie ». 43. I rénée , Contre les hérésies 1,23,2.
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Magicien soit « couplé » au plus illustre des disciples du Verus Propheta 4 4 , indique bien le rôle prépondérant qui lui est conféré. Effectivement, cette notion d’un Simon, source de toute hérésie, qui s’avère sans fondement historique, s’inscrivant plutôt dans une construction schématique 45, et qui fait d’une figure historique un type, voire un archétype, permet de comprendre l’importance, la δυναστεία 4 6, que reconnaissent les Homélies et les Reconnaissances au personnage de Simon. Ce personnage, au profil encombré, ne renvoie donc pas au « réel » en termes directs ou concrets, comme le voudraient ceux qui y cherchent les traces d’une polémique, mais en termes symboliques, c’est-à-dire qu’il représente autre chose que la figure historique de Simon. Il personnifie de façon exemplaire, de façon typique ou archétypale, tout ce qui procède du mal. Quand le texte dit de Simon qu’il est un συνεργός de la gauche 47 et qu’à ce titre il est de la même nature que tous les éléments de la gauche : obscurité, ignorance, maladie, etc 48., il est raisonnable de penser que le personnage ne joue pas alors un rôle polémique mais bien symbolique et que ce rôle repose sur un Simon, archétype de l’hérétique. 2.3. La nature fictive de Simon Reconnaître que le Simon pseudo-clémentin relève de l’archétype et du symbole, admettre, en d’autres termes, que le personnage communique une connaissance du « réel » au moyen d’une image, c’est reconnaître, en fait, sa nature fictive. Le propre de la fiction est bien, selon Pierre Bange, de donner de la réalité une pictura, une image, qui communique des contenus 44. La règle des couples (syzygies), selon laquelle « tout se présente à notre vue sous une forme double et opposée » = δυικῶς καὶ ἐναντίως πάντα ἔχοντα ὁρῶμεν (Homélies 2,33,2), est développée essentiellement au livre 2 des Homélies, chapitres 15 à 17. Suivant cette règle, les principaux personnages de l’histoire appartiennent à une série de couples : Caïn et Abel, Ismaël et Isaac, Ésaü et Jacob, le grand-prêtre et le législateur, Jean le Baptiste et Jésus, Simon et Pierre, l’Antéchrist et le Christ (Homélies 2,16,3 à 17,5). 45. Voir, à ce sujet, A. L e Boulluec , La notion d ’hérésie dans la littérature grecque IIe-IIIe siècles, I. De Justin à Irénée, Paris, 1985, p. 169. 46. Le terme n’apparaît qu’une fois dans les Homélies (4,5,2). C’est la chrétienne Bérénice de Tyr qui met en garde Clément contre un aussi grand pouvoir (δυναστεία) que celui de Simon. A son avis, seul l’apôtre Pierre peut en venir à bout. 47. Homélies 2,15,5. À propos de l’opposition droite / gauche et de la valeur négative attribuée à la gauche, voir R. H ertz , « La prééminence de la main droite. Étude sur la polarité religieuse », dans R. H ertz , Sociologie religieuse et folklore, Paris, 1970, p. 107. 48. Voir Homélies 2,17,3. Suivant la règle des syzygies, Pierre doit venir après Simon, parce qu’il lui est attaché comme l’est l’obscurité à la lumière, l’ignorance à la connaissance et la maladie à la guérison (ὡς σκότῳ φῶς, ὡς ἀγνοίᾳ γνῶσις, ὡς νόσῳ ἴασις).
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globaux, des idées confuses 49, comme le Bien et le Mal. La fiction appartient au discours littéraire, elle le caractérise par rapport au discours scientifique ou historique 50, et, comme toute fiction littéraire, les Clémentines, devant un problème, en l’occurrence la situation du judéo-christianisme face à l’hellénisme, construisent un modèle, une pictura, de la réalité, une μίμησις, comme dirait Aristote 51 et Paul Ricoeur 52 . La lutte entre Simon et Pierre, son double positif, dans les Pseudo-Clémentines, exprime, par une simulation de la réalité, par la construction d’un monde possible, le conflit entre deux attitudes contraires à l’endroit de la culture grecque des IIe et IIIe siècle de notre ère. Cela ne signifie pas que les discussions qui mettent aux prises Pierre et Simon ne contiennent aucune référence à de véritables doctrines. Cela signifie plutôt que ces éléments référentiels ont été utilisés pour composer une image, forcément un peu floue, d’une situation de conflit. Avec ce Simon à la nature « synthétique » et archétypale, nous sommes donc en pleine fiction littéraire. En fait, le Simon pseudo-clémentin, par son opposition à Pierre, fait partie d’un motif littéraire qui trouve sa première expression dans les Actes des Apôtres. Lorsque Justin et Irénée, dans leurs notices sur Simon, schématisent le thème de l’opposition Pierre/ Simon en faisant de Simon l’auctor de toutes les hérésies, ils marquent une étape décisive dans le développement du motif. À partir de là, de fait, le thème de la lutte entre le « Magicien » et l’Apôtre prend valeur de symbole et, conjugué aux traditions et légendes apostoliques qui fleurissent au IIe siècle 53, rend possible l’élaboration d’une version amplifiée qui nous est 49. P. Bange , « Argumentation et fiction », dans L’argumentation (Linguistique et sémiologie), Lyon, 1981, p. 105. 50. P. Bange , « Argumentation et fiction », dans L’argumentation (Linguistique et sémiologie), Lyon, 1981, p. 100. Selon P. Bange, le discours littéraire, par sa fictionnalité, « n’a pas de portée pratique immédiate ». C’est-à-dire « qu’il n’est pas lié à un problème … par une correspondance référentielle qui lui donne sa valeur ». Voir, là-dessus, K. Stierle , « L’Histoire comme Exemple, l’Exemple comme Histoire. Contribution à la pragmatique et à la poétique des textes narratifs », Poétique no 10 (1972) p. 176. 51. Il s’agit de la μίμησις qui définit, selon Aristote, la tragédie : « la tragédie est donc l’imitation d’une action » = ἔστιν οὖν τραγῳδία μίμησις πράξεως (Poétique 1449 b 24). En élargissant la définition d’Aristote, on peut dire que la fiction est une imitation de la réalité. 52. Voir, par exemple, P. R icoeur , Temps et récit, I. L’intrigue et le récit historique, Paris, 1983, p. 69 : « qu’on dise imitation ou représentation (avec les derniers traducteurs français), ce qu’il faut entendre, c’est l’activité mimétique, le processus actif d’imiter ou de représenter. Il faut donc entendre imitation ou représentation dans son sens dynamique de mise en représentation, de transposition dans des œuvres représentatives ». 53. Sur les rapports entre apostolicité, légendes apostoliques et polémiques, voir W. Schneemelcher , « Introduction. 2. The Origin of the Pseudapostolic Literature », dans E. H ennecke – W. Schneemelcher (éd.), New Testament Apocrypha,
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parvenue sous la forme apocryphe des Actes de Pierre 54 et des Pseudo-Clémentines. C onclusion Au fond, ce que nous proposons dans cette brève étude sur la fonction littéraire de Simon de Samarie dans les Pseudo-Clémentines, c’est de ne plus se limiter à la seule lecture historicisante du personnage qui cherche, au moyen d’hypothèses sur la formation du texte, à rattacher à tout prix quelques traits à des polémiques historiques. Nous proposons plutôt de prendre en compte la nature fictive des Pseudo-Clémentines et de reconnaître plus particulièrement l’appartenance de la figure de Simon à un motif littéraire bien attesté, celui de la lutte entre Simon le « Magicien » et l’Apôtre Pierre 55.
II (traduit de l’allemand sous la direction de R. McL. Wilson), Londres, 1963, p. 32 et M. Hornschuh, « The Picture of the Apostle in Early Christian Tradition. The Apostles as Bearers of the Tradition », dans E. H ennecke – W. Schneemelcher (éd.), New Testament Apocrypha, II (traduit de l’allemand sous la direction de R. McL. Wilson), Londres, 1963, p. 75. Sur l’évolution de la figure de Simon durant cette période, voir l’article déjà cité de H. Waitz , « Simon Magus in der altchristlichen Literatur », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 5 (1904), p. 121-143. Pour ce qui est de Pierre, voir l’ouvrage de T. V. Smith, Petrine Controversies in Early Christianity. Attitudes towards Peter in Christian Writings of the First Two Centuries, Tübingen, 1985 et celui, plus récent, de P. Grappe , Images de Pierre aux deux premiers siècles, Paris, 1995. 54. Pour une présentation générale de cet écrit apocryphe, qui comporte un certain nombre de traits communs avec le récit des Clémentines, voir notamment W. Schneemelcher , « The Acts of Peter », dans W. Schneemelcher (éd.), New Testament Apocrypha, II (traduit de l’allemand sous la direction de R. McL. Wilson), Louisville, 1992, p. 271-321 et G. Poupon, « Les “Actes de Pierre” et leur remaniement », dans W. H aase (éd.), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, Berlin, Teil II, Band 25.6, 1988, p. 4363-4383. 55. Voir D. Côté , Le thème de l ’opposition entre Pierre et Simon dans les PseudoClémentines, Paris, 2001.
Chapitre VI
L es Pseudo - Clémentines
et le choix du roman grec* Oscar Cullmann considérait les Pseudo-Clémentines comme étant « le premier roman dû à la plume d’un auteur chrétien » 1. Voilà un énoncé qui pose au moins trois problèmes : celui des Pseudo-Clémentines, dont l’origine et la formation restent encore, après plus de 150 ans de recherche, difficiles à expliquer, celui du genre romanesque dans l’Antiquité, qui fait toujours l’objet de débats 2 et celui du caractère chrétien des Pseudo-Clémentines, qui est loin de faire l’unanimité. Le problème de la formation des Pseudo-Clémentines 3 et celui de leur caractère chrétien ou judéo-chrétien ne seront pas directement abordés dans cet exposé 4 . Nous nous en tiendrons ici au problème du genre romanesque ou plus précisément au problème que pose le choix du genre romanesque par les auteurs des Pseudo-Clémentines. Depuis Erwin Rohde 5, en effet, la question de l’appartenance des Homélies et des Reconnaissances pseudo-clémentines au genre du roman grec a été soulevée à plusieurs reprises, notamment, ces dernières années, par Meinolf Vielberg 6 et István
* Cette étude a été publiée une première fois dans B. Bitton-A shkelony – Th. De Bruyn – C. H arrison (éd.), Patristic Studies in the Twenty-first Century. Proceedings of an International Conference to Mark the 50 th Anniversary of the International Association of Patristic Studies, Turnhout, Brepols, 2015, p. 473-496. 1. O. Cullmann, Le problème littéraire et historique du roman pseudo-clémentin. Étude sur le Rapport entre le Gnosticisme et le Judéo-Christianisme, Paris, 1930, p. vii. 2. Voir T. Whitmarsh, Narrative and Identity in the Ancient Greek Novel : Returning Romance, Oxford, 2011. 3. Voir à ce sujet le livre récent de B. Pouderon, La genèse du roman pseudoclémentin. Études littéraires et historiques, Paris – Louvain, 2012. 4. Sur la question du judéo-christianisme des Pseudo-Clémentines, on consultera A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” after the “Parting of the Ways”. Approaches to Historiography and Self-Definition in the Pseudo-Clementines », dans A. H. Becker – A. Y. R eed (éd.), The Ways that Never Parted : Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Tübingen, 2003, p. 189-231. 5. E. Rohde , Der griechische Roman und seine Vorlaüfer, Leipzig, 1914 (3e édition), p. 476. 6. M. Vielberg, Klemens in den pseudoklementinischen Rekognitionen. Studien zur literarischen Form des spätantiken Romans, Berlin, 2000.
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CHAPITRE VI
Czachesz 7, alors que la question du choix d’un tel genre, celui du roman, n’a pas été aussi souvent étudiée. C’est pour combler en partie cette lacune que nous proposons, dans le cadre de cette étude, d’expliquer la stratégie littéraire des Pseudo-Clémentines. La possibilité même de l’exercice peut justement sembler faire problème en raison de la nature pseudépigraphique de l’œuvre. Il est vrai que nous ne connaissons pas les auteurs des Homélies et des Reconnaissances. Ce que nous connaissons, en revanche, c’est leur décision d’utiliser la forme du roman pour donner vie à des traditions apostoliques et à des récits apocryphes qui étaient en circulation aux IIIe et IVe siècle. Pour notre part, nous avons choisi d’expliquer cette décision en mettant à contribution la sociologie et plus particulièrement la notion de champ littéraire, telle que définie par Pierre Bourdieu 8. Nous avons pris pour modèle, mutatis mutandis, l’étude menée récemment par Isabella Sandwell sur Jean Chrysostome et Libanios, étude dans laquelle la notion d’habitus, également empruntée à Pierre Bourdieu, fournissait à l’auteur son cadre d’analyse 9. Il s’agira donc de montrer, dans un premier temps, comment deux textes rédigés dans la Syrie du IVe siècle, les Constitutions apostoliques et les Pseudo-Clémentines, ont accordé au même noyau narratif un traitement différent, dans un deuxième temps, comment s’est traduit le choix pseudoclémentin de la forme romanesque et, dans un troisième temps, comment peut s’expliquer le choix pseudo-clémentin à la lumière de la notion de champ littéraire. 1. Tr adi t ions a pos tol iqu e s et r éci ts a pocry ph e s au IV e si ècl e : l e s C onst i t u t ions a postoliqu es et l e s P s eu do -C l é m e n t i n es Les Constitutions apostoliques et les Pseudo-Clémentines ont un certain nombre d’éléments en commun. En effet, les deux textes proviennent de milieux chrétiens ou judéo-chrétiens établis en Syrie 10 et développent le 7. I. Czachesz , « The Clement Romance : Is it a Novel ? », dans J. N. Bremmer (éd.), The Pseudo-Clementines, Louvain, 2010, p. 24-35. 8. P. Bourdieu, Les règles de l ’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, 1992. 9. I. Sandwell , Religious Identity in Late Antiquity. Greeks, Jews and Christians in Antioch, Oxford, 2007. 10. Sur les milieux judéo-chrétiens en Syrie, voir P. W. van der Horst, « Jews and Christians in Antioch at the end of the fourth Century », dans S. E. Porter – B. W. R. Pearson (éd.), Christian-Jewish Relations through the Centuries, Sheffield, 2000, p. 228-238, et M. Murray, « Christian Identity in the Apostolic Constitutions : Some Observations », dans Z. A. Crook – P. A. H arland (éd.), Identity and Interaction in the Ancient Mediterranean. Jews, Christians and Others. Essays in Honour of Stephen G. Wilson, Sheffield, 2007, p. 179-194.
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même thème narratif, élaboré à partir de traditions entourant les figures apostoliques de Jacques, le frère du Seigneur, de Pierre et de Clément, considéré dans certains milieux comme le successeur de Pierre à Rome 11. Bien entendu, les deux textes se rattachent à des ensembles littéraires bien distincts. Les Constitutions apostoliques appartiennent à la littérature canonico-liturgique ou institutionnelle 12 . Les Pseudo-Clémentines, qui désignent ici le corpus formé des Homélies, des Reconnaissances et des documents liminaires comme la Lettre de Clément à Jacques, font partie d’un corpus plus vaste de textes apocryphes consacrés à la figure de Clément de Rome que l’on appelle littérature clémentine ou pseudo-clémentine 13. Rappelons tout d’abord que les deux versions des Pseudo-Clémentines, les Homélies et les Reconnaissances, mettent en scène les mêmes personnages principaux : l’Apôtre Pierre, envoyé en mission par Jacques, le frère du Seigneur, contre Simon de Samarie, et Clément, jeune noble romain, membre de la famille impériale et formé à la grecque, qui part à la recherche de la vérité et de sa famille, qu’il croit perdue à la suite d’une série de malheurs, et qui trouvera, grâce à sa rencontre avec Pierre, à la fois la vérité, en se convertissant à la doctrine du Vrai Prophète, et sa famille, dont les membres se retrouvent tous, à la fin, dans l’entourage de l’Apôtre. Une série de personnages secondaires comme Barnabé, qui introduit Clément à l’Apôtre Pierre, Aquila et Nicète, frères de Clément, Mattidie et Faustinianus (Faustus dans les Homélies), parents de Clément, et Zachée inter alios, complète le tableau 14 . Or, la plupart de ces personnages, princi11. Sur Pierre, voir F. L apham, Peter : the Myth, the Man and the Writings. a Study of Early Petrine Text and Tradition, Londres – New York, 2003. Sur Jacques, voir R. Bauckham, « James and the Jerusalem Community », dans O. Skarsaune – R. Hvalvik (éd.), Jewish Believers in Jesus, Peabody, p. 55-95 ; L. Cirillo, « Jacques de Jérusalem d’après le roman du Pseudo-Clément », dans A. Motte – P. M archetti (éd.), La figure du prêtre dans les grandes traditions religieuses. Actes du colloque en hommage à M. l ’abbé Julien Ries, Namur, 2005, p. 177-188 et J. Painter , Just James. The Brother of Jesus in History and Tradition, Édimbourg, 1999. 12. Au sujet du genre littéraire auquel appartiennent les Constitutions apostoliques, voir A. Faivre , « La documentation canonico-liturgique », dans J.-C. Fredouille – R.-M. Roberge (éd.), La documentation patristique. Bilan et prospective, Québec – Paris, 1995, p. 3-41. Voir J. G. Mueller , « The Ancient Church Order Literature : Genre or Tradition ? », Journal of Early Christian Literature 15 (2007), p. 344-349, pour une critique de Faivre et Metzger à ce sujet. 13. Voir L. Cirillo, « Introduction », dans Les Reconnaissances du pseudo-Clément. Roman chrétien des premiers siècles (traduction A. Schneider), Turnhout, 1999, p. 14-17. 14. Jacques ne joue qu’un rôle très effacé dans le récit des Homélies (11,35), alors que dans les Reconnaissances, au Livre 1 principalement, et dans les documents liminaires, Lettre de Clément à Jacques et Lettre de Pierre à Jacques, il occupe une place importante. Voir J. Painter , Just James. The Brother of Jesus in History and Tradition, Édimbourg, 1999, p. 187-188.
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paux et secondaires, se retrouvent dans un court passage des Constitutions apostoliques : Simon, me rencontra, moi, Pierre, d’abord à Césarée de Sratôn, où Corneille, le croyant, en vint par mon intermédiaire du paganisme à la foi au Seigneur Jésus. Simon tenta de perturber l’annonce de la Parole de Dieu. J’étais alors accompagné des saints fils Zachée, jadis publicain, et Barnabé, Nicétas et Aquila, les frères de Clément, l’évêque et le compatriote des Romains, qui fut lui-même disciple de Paul, notre collègue apôtre et notre collaborateur dans l’évangélisation. Devant eux pour la troisième fois je discutais avec Simon des questions concernant le Prophète et la monarchie divine. Par la puissance du Seigneur je le confondis, le contraignis au silence et le forçai ainsi à fuir en Italie 15 .
Si l’on accepte, comme M. Metzger, que l’année 380 correspond à la date de rédaction des Constitutions apostoliques 16 et si l’on considère, comme Luigi Cirillo, que les deux versions des Pseudo-Clémentines seraient antérieures à cette date 17, il est alors fort plausible de supposer que ce passage révèle une certaine connaissance des écrits pseudo-clémentins. En tout cas, la présence dans ce passage de l’appellation « Césarée de Stratôn », du groupe formé de Zachée, Barnabé, Nicète et Aquila, de la simple mention des « frères » de Clément (Nicète et Aquila) et de la discussion de Pierre avec Simon sur les questions du Prophète et de la monarchie divine, semble étayer cette hypothèse. Les auteurs (compilateurs/rédacteurs) des Constitutions apostoliques auraient eu ainsi accès à l’une des formes du « roman » pseudo-clémentin 18 et auraient eu recours, tout comme les auteurs des 15. Constitutions apostoliques 6,9,1 : Ὁ μέντοι Σίμων ἐμοὶ Πέτρῳ πρῶτον μὲν ἐν Καισαρείᾳ τῇ Στράτωνος, ἔνθα Κορνήλιος ὁ πιστὸς ἐπίστευσεν ὢν ἐθνικὸς ἐπὶ τὸν Κύριον Ἰησοῦν δι’ ἐμοῦ, συντυχών μοι ἐπειρᾶτο διαστρέφειν τὸν λόγον τοῦ Θεοῦ, συμπαρόντων μοι τῶν ἱερῶν τέκνων, Ζακχαίου τοῦ ποτε τελώνου καὶ Βαρνάβα, καὶ Νικήτου καὶ Ἀκύλα ἀδελφῶν Κλήμεντος τοῦ Ῥωμαίων ἐπισκόπου τε καὶ πολίτου, μαθητευθέντος δὲ καὶ Παύλῳ τῷ συναποστόλῳ ἡμῶν καὶ συνεργῷ ἐν τῷ Εὐαγγελίῳ· καὶ τρίτον ἐπ’ αὐτῶν διαλεχθεὶς αὐτῷ εἰς τὸν περὶ προφήτου λόγον καὶ περὶ Θεοῦ μοναρχίας, ἡττήσας αὐτὸν δυνάμει τοῦ Κυρίου καὶ εἰς ἀφωνίαν καταβαλὼν φυγάδα κατέστησα εἰς τὴν Ἰταλίαν. Traduction M. M etzger , Les Constitutions apostoliques, II. Livres III-VI (introduction, texte critique, traduction et notes par M. Metzger), Paris, 1986. 16. M. M etzger , « Introduction », dans Les constitutions apostoliques, I. Livres I et II (introduction, texte critique, traduction et notes par M. M etzger), Paris, 1985, p. 59. 17. L. Cirillo, « Introduction », dans Les Reconnaissances du pseudo-Clément. Roman chrétien des premiers siècles (traduction d’A. Schneider), Turnhout, 1999, p. 22. 18. Selon Georg Strecker, il s’agirait de la Grundschrift, l’Écrit de base. Voir G. Strecker , Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1981 (2 e édition), p. 266 : « Auch dem Verfasser der Apostolischen Konstitutionen hat die Grundschrift vorgelegen ». On peut aussi envisager, entre les Constitutions aposto-
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Pseudo-Clémentines, à la fiction ou, pour reprendre les termes de Marcel Metzger, à la « pseudépigraphie apostolique » 19. Suivant cette fiction, les Constitutions apostoliques auraient été promulguées par le collège apostolique réuni, à l’occasion de l’assemblée de Jérusalem (Actes des Apôtres 15) avec Paul, Jacques de Jérusalem et Clément, considéré ici comme le « secrétaire » des apôtres et chargé de diffuser des traditions apostoliques complémentaires des Épîtres 20. Metzger tient à préciser que le style pseudépigraphique des Constitutions apostoliques se distingue de celui des évangiles apocryphes, des actes apocryphes et des Pseudo-Clémentines en ce qu’il n’a pas pour but de « satisfaire la curiosité hagiographique (évangiles et actes apocryphes) ou de se substituer à la littérature païenne, pour le délassement des chrétiens cultivés (Pseudo-Clémentines), mais plutôt à affermir l’autorité des règlements transmis » 21. 2 . Le
choi x pseu do - cl é m e n t i n de l a for m e rom a n e squ e
Les Constitutions apostoliques et les Pseudo-Clémentines ont donc utilisé un matériau narratif commun qui comprend deux éléments majeurs : la lutte de Pierre contre Simon et la conversion de Clément et de sa famille à la doctrine du Prophète. Alors que les Constitutions apostoliques ont intégré le matériau en question à un ensemble bien défini par les règles du genre canonico-liturgique, les Pseudo-Clémentines l’ont combiné à une forme littéraire que l’on appelle le roman grec. Bien qu’elle soit couramment employée pour désigner les Homélies et les Reconnaissances, l’expression « roman pseudo-clémentin » demeure problématique. Elle apparaît notamment dans le titre d’un ouvrage récent de Bernard Pouderon, La genèse du roman pseudo-clémentin, et nous avons vu que depuis Erwin Rohde les Pseudo-Clémentines ont été régulièrement classées parmi les romans grecs 22 . En fait, si l’expression fait problème, c’est que, premièrement, le genre du roman, stricto sensu, n’est pas bien défini dans l’Antiquité et que, deuxièmement, les Homélies et les Reconnaissances liques et les Pseudo-Clémentines, un rapport de type intertextuel. C’est ce que nous avons fait dans un ouvrage paru en 2001 pour étudier l’évolution littéraire du motif de l’opposition entre Pierre et Simon. Voir D. Côté , Le thème de l ’opposition entre Pierre et Simon dans les Pseudo-Clémentines, Paris, 2001, p. 273. 19. M. M etzger , « Introduction », dans Les constitutions apostoliques, I. Livres I et II, Paris, 1985, p. 12. 20. M. M etzger , « Introduction », dans Les constitutions apostoliques, I. Livres I et II, Paris, 1985, p. 12. Évidemment, comme le note Metzger, les apôtres sont censés s’exprimer eux-mêmes, collectivement ou individuellement. 21. M. M etzger , « Introduction », dans Les constitutions apostoliques, I. Livres I et II, Paris, 1985, p. 13. 22. Voir supra note 5.
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ont emprunté au « roman » certains de ses éléments sans pour autant en assumer toutes les caractéristiques. Il reste néanmoins que la plupart des spécialistes s’entendent pour reconnaître que les Homélies et les Reconnaissances ont fait usage de motifs qui relèvent du roman grec 23. Meinolf Vielberg, par exemple, a identifié, dans les Reconnaissances, outre le thème de la reconnaissance lui-même, qui donne son titre à l’ouvrage 24 , un certain nombre de motifs romanesques, comme celui de l’amour (le désir du frère de Faustinianus (Faustus) pour Mattidie qui est la cause du départ de Mattidie et de son naufrage) 25 ou celui du naufrage et des pirates (Mattidie fait naufrage et ses fils sont enlevés et vendus par des pirates) 26 ou encore le motif de l’île (c’est sur l’île d’Arados, comme dans le roman de Chariton, qu’ont lieu la rencontre de Pierre et de Mattidie et la reconnaissance de Mattidie et Clément) 27. Pierre Geoltrain, pour sa part, observe qu’en général, aussi bien dans les Homélies que dans les Reconnaissances, 23. Voir S. Montiglio, Love and Providence : Recognition in the Ancient Novel, Oxford, 2012, p. 210-211 ; S. Tilg, Chariton of Aphrodisias and the Invention of the Greek Love Novel, Oxford, 2010, p. 64 ; I. Czachesz , « The Clement Romance : Is it a Novel ? », dans J. N. Bremmer (éd.), The Pseudo-Clementines, Louvain, 2010, p. 26 ; M. Vielberg, Klemens in den pseudoklementinischen Rekognitionen. Studien zur literarischen Form des spätantiken Romans, Berlin, 2000, p. 112 ; W. Robins , « Romance and Renunciation at the Turn of the Fifth Century », Journal of Early Christian Studies 8 (2000), p. 539 ; M. J. Edwards , « The Clementina : A Christian Response to the Pagan Novel » Classical Quarterly 42 (1992), p. 459 et T. H ägg, The Novel in Antiquity, Berkeley et Los Angeles, 1983, p. 162-164. 24. Sur le thème de la « reconnaissance » dans les Reconnaissances pseudoclémentines, voir P. Boulhol , « La conversion de l’anagnorismos profane dans le roman pseudo-clémentin », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 151-175 et K. Cooper , « Matthidia’s Wish : Division, Reunion, and the Early Christian Family in the Pseudo-Clementine Recognitions », dans G. J. Brooke – J.-D. K aestli (éd.), Narrativity in Biblical and Related Texts. La narrativité dans la Bible et les textes apparentés, Louvain, 2000, p. 243-264. Voir S. Montiglio, Love and Providence : Recognition in the Ancient Novel, Oxford, 2012, p. 211 : « Among the features this narrative shares with the novels are recognition scenes. In fact, the author has selected the anagnōrismos motif and given it more prominence than it has in the pagan novels : it figures in the title and unfolds as a succession of episodes reuniting the family members step by step, whereas other novelistic stock scenes do not appear. In addition to the sheer motif, the Recognitions shares with the Greek novels a major ideological assumption underlying it : that recognition is a reward for goodness ». 25. M. Vielberg, Klemens in den pseudoklementinischen Rekognitionen. Studien zur literarischen Form des spätantiken Romans, Berlin, 2000, p. 112. 26. M. Vielberg, Klemens in den pseudoklementinischen Rekognitionen. Studien zur literarischen Form des spätantiken Romans, Berlin, 2000, p. 112. 27. M. Vielberg, Klemens in den pseudoklementinischen Rekognitionen. Studien zur literarischen Form des spätantiken Romans, Berlin, 2000, p. 112-113. Sur l’île d’Arados, voir M.-A. Calvet-Sebasti, « Une île romanesque : Arados »,
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on retrouve les « ressorts du roman grec suivants » : « séparation initiale, voyages aventureux, naufrages, magie, merveilleux, métamorphoses, quiproquos, interventions divines, retrouvailles » 28. Il existe toutefois une différence notable entre la forme romanesque des Pseudo-Clémentines et le roman grec, c’est le rôle qu’y joue Éros. Comme l’a noté Sophie Lalanne, les cinq romans grecs conservés « dans leur intégralité », Callirhoé de Chariton, les Éphésiaques de Xénophon d’Éphèse, Daphnis et Chloé de Longus, Leucippé et Clitophon d’Achille Tatius et les Éthiopiques d’Héliodore, suivent un « schéma narratif unique » 29 : des jeunes gens tombent amoureux, se voient séparés, éprouvés (naufrage, pirates, etc.) et se trouvent finalement réunis à nouveau 30. L’amour constitue clairement le moteur de l’intrigue. Dans les Pseudo-Clémentines, c’est une tout autre histoire. Il y a bien, dans les Homélies, un éloge d’Éros, qui s’inscrit dans un éloge de l’adultère 31, mais le thème de l’amour ne possède pas, dans les deux versions des Pseudo-Clémentines, la même capacité de structurer le récit. En fait, dans les Pseudo-Clémentines, la dimension érotique du roman grec se voit essentiellement remplacée par la dimension familiale : c’est une famille et non un couple d’amoureux qui subit la séparation, l’épreuve et la réunion. Le procédé romanesque des reconnaissances ne concerne d’ailleurs, du moins directement, que les personnages qui composent la famille de Clément. Selon William Robins, ce changement de paradigme, qui aurait donné naissance à ce qu’il appelle « the family romance », s’expliquerait par la montée de l’ascétisme chrétien et son impact sur l’aristocra-
dans B. Pouderon (éd.), Lieux, décors et paysages de l ’ancien roman, des origines à Byzance. Actes du Colloque de Tours, 24-26 octobre 2002, Lyon, 2005, p. 87-99. 28. P. Geoltrain, « Introduction (Roman pseudo-clémentin) », dans P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005, p. 1176. 29. S. L alanne , Une éducation grecque. Rites de passage et construction des genres dans le roman grec ancien, Paris, 2006, p. 12. Voir R. F. Hock , « The Rhetoric of Romance », dans S. E. Porter (éd.), Handbook of Classical Rhetoric in the Hellenistic period 330 B.C.-A.D. 400, Leyde – Boston, 2001, p. 445-446. 30. Sur l’importance de la dimension érotique dans le roman, voir S. L alanne , Une éducation grecque. Rites de passage et construction des genres dans le roman grec ancien, Paris, 2006, p. 47 et R. Brethes , De l ’idéalisme au réalisme. Une étude du comique dans le roman grec, Salerno, 2007, p. 69. 31. En effet, le thème de l’amour se retrouve aussi dans les Homélies (Livre 5), sous la forme d’un éloge du dieu Éros, qui fait partie d’un éloge de l’adultère, attribué au grammairien Apion. Voir, à ce sujet, W. A dler , « Apion’s “Encomium of Adultery” : A Jewish Satire of Greek Paideia in the Pseudo-Clementine Homilies », Hebrew Union College Annual 64 (1993), p. 15-49 et D. Côté , « La figure d’Éros dans les Homélies pseudo-clémentines », dans P.-H. Poirier – L. Painchaud (éd.), Coptica – Gnostica – Manichaica, Mélanges en l ’honneur de Wolf-Peter Funk, Québec-Louvain – Paris, 2005, p. 135-165.
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tie romaine du IVe siècle 32 . Il émet l’hypothèse que l’Histoire d’Apollonius roi de Tyr aurait servi de modèle aussi bien aux hagiographes latins, au tournant des IVe et Ve siècle, qu’aux auteurs des Reconnaissances 33. L’hypothèse de Robins, si elle s’avérait, permettrait de mieux comprendre les raisons pour lesquelles les auteurs pseudo-clémentins ont modifié les thèmes empruntés au roman. Elle laisserait toutefois dans l’ombre les raisons pour lesquelles ils ont adopté ces thèmes au départ. En effet, comment s’explique le choix de la forme romanesque par les auteurs des Pseudo-Clémentines ? Pourquoi cette forme littéraire et non pas une autre ? Pourquoi le roman et non l’histoire, le discours ou encore le traité ? S’il fallait user de fiction pour « compléter » les Évangiles et les Actes canoniques 3 4 , pourquoi ne pas avoir emprunté la voie de la littérature institutionnelle, comme les auteurs des Constitutions apostoliques 35 ? Pourquoi, d’ailleurs, avoir fait le choix du « roman », un genre sans genre ? S’ils avaient fait le choix du discours ou de la poésie, comme Grégoire de Naziance 36 , ils auraient eu à leur disposition des règles précises qui définissent le genre, règles qu’ils auraient pu s’employer à respecter pour démontrer leur capacité à rivaliser avec les Grecs. Or, ils ont plutôt fait le choix
32. W. Robins , « Romance and Renunciation at the Turn of the Fifth Century », Journal of Early Christian Studies 8 (2000), p. 532. 33. W. Robins , « Romance and Renunciation at the Turn of the Fifth Century », Journal of Early Christian Studies 8 (2000), p. 554. 34. Comme le font les auteurs des évangiles et des actes dits apocryphes. Pour une définition des textes apocryphes chrétiens et à propos de leur relation avec le Nouveau Testament, voir É. Junod, « “Apocryphes du Nouveau Testament” : une appellation erronée et une collection artificielle. Discussion de la nouvelle définition proposée par W. Schneemelcher », Apocrypha 3 (1992), p. 26-27 : « Textes anonymes ou pseudépigraphes d’origine chrétienne qui entretiennent un rapport avec les livres du Nouveau Testament et aussi de l’Ancien Testament, parce qu’ils sont consacrés à des événements racontés ou évoqués dans ces livres ou parce qu’ils sont consacrés à des événements qui se situent dans le prolongement d’événements racontés ou évoqués dans ces livres, parce qu’ils sont centrés sur des personnages apparaissant dans ces livres, parce que leur genre littéraire s’apparente à ceux d’écrits bibliques ». Sur la frontière entre canonique et apocryphe, voir J.-C. P icard, Le continent apocryphe : Essai sur les littératures apocryphes juive et chrétienne, Turnhout, 1999, p. 9. 35. Sur la « pseudépigraphie apostolique » pratiquée par les auteurs des Constitutions apostoliques, voir M. M etzger , « Introduction », dans Les constitutions apostoliques, I. Livres I et II, Paris, 1985, p. 34-46. 36. Au sujet de Grégoire de Naziance et de ses rapports avec la culture grecque, voir l’ouvrage de S. Elm, Sons of Hellenism, Fathers of the Church. Emperor Julian, Gregory of Nazianzus, and the Vision of Rome, Berkeley-Los Angeles, 2012. La thèse principale de l’auteur consiste à dire que l’œuvre entière de Grégoire de Naziance devrait être interprétée comme une réaction à l’interdiction faite aux chrétiens par l’empereur Julien d’enseigner la rhétorique (voir notamment la page 151).
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d’adapter le « genre mal-aimé » du roman 37, pour lequel, note Romain Brethes, « on ne trouve nulle référence … dans quelque traité ou manuel que ce soit » 38. Évidemment, les auteurs anonymes des Homélies et des Reconnaissances ne se sont pas expliqués sur le sujet. À défaut, cependant, de pouvoir déterminer l’intentio auctoris ou auctorum des Pseudo-Clémentines, il nous reste tout de même l’œuvre en soi, le texte, qui peut révéler, par « sa cohérence contextuelle et par la situation des systèmes de signification auxquels il se réfère », une intentio 39. En d’autres termes, le fait que les Pseudo-Clémentines utilisent de manière cohérente des éléments d’un genre littéraire, qui se situe dans le contexte des Pseudo-Clémentines et que nous appelons le roman, en se référant à des notions qui appartiennent à des systèmes de signification, que nous appelons judaïsme, christianisme, hellénisme, ce fait en lui-même devrait nous permettre de comprendre le choix de la forme romanesque. C’est ici qu’intervient Bourdieu et son champ littéraire.
37. Sur l’intention des auteurs pseudo-clémentins et plus particulièrement des auteurs des Homélies à rivaliser avec les Grecs et leur culture en utilisant la forme romanesque, voir A. Y. R eed, « Heresiology and the (Jewish) Christian Novel. Narrativized Polemics in the Pseudo-Clementine Homilies », dans E. I rinschi – H. Zelletin (éd.), Heresy and Identity in Late Antiquity, Tübingen, 2008, p. 298 : « Interestingly, it is particularly in the Homilies that we find fully exploited the polemical power latent in the adoption of a “pagan” literary form : for, as we have seen, the appropriation of the genre of the novel here serves an extended polemic against Hellenism as “heresy”… ». 38. R. Brethes , De l ’idéalisme au réalisme. Une étude du comique dans le roman grec, Salerno, 2007, p. 68 : « On peut avoir le sentiment dans l’Antiquité tardive que le roman est un genre mal aimé. Quoiqu’il soit apparu probablement entre le Ier siècle av. et le Ier siècle ap. J.-C., on ne trouve nulle référence à son existence dans quelque traité ou manuel que ce soit ». Il poursuit (p. 68-69) : « cependant, si la tragédie, la comédie ou l’épopée répondent à des critères réellement déterminés, force est de constater qu’il n’existe aucune trace d’une théorie du roman antique ». Voir S. L alanne , Une éducation grecque. Rites de passage et construction des genres dans le roman grec ancien, Paris, 2006, p. 46 et B. Pouderon, La genèse du roman pseudoclémentin. Études littéraires et historiques, Paris – Louvain, 2012, p. xxii-xxiii. Selon M. Bakhtine, le roman ne serait pas un genre, tout au plus un anti-genre ou un genre en devenir qui n’aurait pas de canon. Voir M. Bakhtine , Esthétique et théorie du roman (traduit du russe par D. Olivier), Paris, 1978 [1975], p. 439-473 (Cinquième étude : « Récit épique et roman. Méthodologie de l’analyse du roman »). 39. Sur la distinction entre intentio auctoris, intentio operis et intentio lectoris, voir U. Eco, Les limites de l ’interprétation (traduit de l’italien par M. Bouzaher), Paris, 1992 [1990], p. 29-32.
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CHAPITRE VI not ion de ch a m p l i t t é r a i r e et l a pr i se de posi t ion de s
P s eu do -C l é m e n t i n es
Lorsque les auteurs des Homélies et des Reconnaissances décident d’écrire l’histoire de Pierre, Simon et Clément, en les insérant dans une structure narrative de type romanesque, ils entrent sans le savoir dans ce que le sociologue Pierre Bourdieu a appelé le champ littéraire. Pour bien saisir en quoi la notion de champ littéraire peut nous aider à comprendre les Pseudo-Clémentines, il faut tout d’abord et très brièvement en donner une définition et la situer dans la théorie bourdieusienne de l’espace social. Selon la théorie de Pierre Bourdieu, la notion de champ littéraire doit se comprendre à la lumière du concept plus général de champ 4 0. Le champ est ainsi défini comme un milieu, un espace social régi par des lois et des codes, ou encore, d’après Bernard Lahire, comme un « microcosme relativement autonome au sein du macrocosme que représente l’espace social global » 41. Chaque champ possède des « règles du jeu et des enjeux spécifiques » et constitue un « espace différencié et hiérarchisé de positions », un espace de domination et de conflits entre « les différents agents et/ou institutions qui cherchent à s’approprier le capital spécifique du champ » 42 . Dans les termes de Bourdieu lui-même, le champ est un « réseau de relations objectives (de domination ou de subordination, de complémentarité ou d’antagonisme, etc. entre des positions … Chaque position est objectivement définie par sa relation objective aux autres positions, ou, en d’autres termes, par le système des propriétés pertinentes, c’est-à-dire efficientes, qui permettent de la situer par rapport à toutes les autres dans la structure de la distribution globale des propriétés » 43. Appliquée à la culture (art, littérature, science, etc.) ou, pour parler comme Bourdieu, à la production culturelle, la notion de champ désigne alors le champ artistique, le champ littéraire, etc 4 4 . Le champ littéraire peut donc se définir « comme un réseau de relations objectives entre des positions, par exemple, celle qui correspond à un genre comme le roman ou à une sous-catégorie telle que le romain mondain, ou, d’un autre point 40. Sur la notion de champ chez Bourdieu, voir C. L emieux, « Le crépuscule des champs. Limites d’un concept ou disparition d’une réalité historique ? », dans M. de Fornel – A. Ogien (éd.), Bourdieu, théoricien de la pratique, Paris, 2011, p. 75-100. 41. B. L ahire , « Le champ et le jeu : la spécificité de l’univers littéraire en question », dans J.-P. M artin (éd.), Bourdieu et la littérature, Nantes, 2010, p. 145. 42. B. L ahire , « Le champ et le jeu : la spécificité de l’univers littéraire en question », dans J.-P. M artin (éd.), Bourdieu et la littérature, Nantes, 2010, p. 145. 43. P. Bourdieu, Les règles de l ’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, 1992, p. 378. 44. P. Bourdieu, Les règles de l ’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, 1992, p. 351-352.
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de vue, celle qui repère une revue, un salon ou un cénacle comme lieux de ralliement d’un groupe de producteurs » 45. Bourdieu ajoute qu’à l’intérieur d’un champ, aux positions correspondent des prises de positions : « Aux différentes positions (qui, dans un univers aussi peu institutionnalisé que le champ littéraire ou artistique, ne se laissent appréhender qu’à travers les propriétés de leurs occupants) correspondent des prises de position homologues, œuvres littéraires ou artistiques évidemment, mais aussi actes et discours politiques, manifestes ou polémiques, etc 4 6 ». Il faut noter également que le champ littéraire s’inscrit toujours, comme les autres champs, dans le champ du pouvoir, celui qui se présente « comme le champ des champs, à l’origine de la hiérarchie entre les autres champs » 47, celui que Bourdieu définit comme « l’espace des rapports de force entre des agents ou des institutions ayant en commun de posséder le capital nécessaire pour occuper des positions dominantes dans les différents champs (économique ou culturel notamment) » 48. Revenons maintenant au cas des Pseudo-Clémentines et au choix de la forme romanesque. Pour qu’à la fin du IVe siècle deux versions des « reconnaissances » de Clément se rendent jusqu’à Rufin d’Aquilée, il aura fallu qu’un certain nombre de personnes occupent des positions dans le champ littéraire du IVe siècle en Syrie et ailleurs dans l’Empire : des auteurs, des éditeurs, des rédacteurs, des secrétaires, des copistes, des traducteurs et des distributeurs. Étant données les conditions de la production littéraire dans la société gréco-romaine de l’Antiquité tardive (il n’y a pas de réelle autonomie du champ littéraire comme ce sera le cas dans la société française à 45. P. Bourdieu, Les règles de l ’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, 1992, p. 378. 46. P. Bourdieu, Les règles de l ’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, 1992, p. 379. Plus loin (p. 383), Bourdieu précise : « la science de l’œuvre d’art a donc pour objet propre la relation entre deux structures, la structure des relations objectives entre les positions dans le champ de production (et entre les producteurs qui les occupent) et la structure des relations objectives entre les prises de position dans l’espace des œuvres ». 47. A. Jourdain – S. Naulin, La théorie de Pierre Bourdieu et ses usages sociologiques, Paris, 2011, p. 109. 48. P. Bourdieu, Les règles de l ’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, 1992, p. 353. À l’intérieur du champ du pouvoir, le champ littéraire occupe luimême une position dominée : « Du fait de la hiérarchie qui s’établit dans les rapports entre les différentes espèces de capital et entre leurs détenteurs, les champs de production culturelle occupent une position dominée, temporellement, au sein du champ du pouvoir. Pour si affranchis qu’ils puissent être des contraintes et des demandes externes, ils sont traversés par la nécessité des champs englobants, celle du profit, économique ou politique ». Le champ littéraire, dans ses rapports avec le champ du pouvoir, se trouve donc, à chaque moment, en lutte « entre les deux principes de hiérarchisation, l’hétéronome, favorable à ceux qui dominent le champ économiquement et politiquement (par exemple l’“art bourgeois”), et le principe autonome (par exemple l’“art pour l’art”)… » (p 355).
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partir du XIXe siècle) 49, on doit ici comprendre le champ littéraire comme faisant partie du champ plus général de la culture. Ces auteurs, éditeurs et alii entrent en relation (domination, subordination, antagonisme) avec des personnes qui occupent des positions mieux définies sur le plan institutionnel dans le champ de la production culturelle, comme les sophistes, les rhéteurs, les philosophes et alii. C’est ainsi que les auteurs, rédacteurs, éditeurs des Pseudo-Clémentines, en produisant un texte, en étant producteurs culturels, se situent de facto dans le champ littéraire et y occupent une position. Or, lorsqu’ils choisissent la forme du roman, ils se trouvent non seulement à occuper une position, mais aussi à prendre position. Ils choisissent un genre nouveau et qui ne porte pas de nom, un genre qui n’existe pas dans les traités de poétique et qui est exclu, par exemple, des lectures considérées comme moralement acceptables par Julien, philosophe, empereur et adversaire du christianisme : « Il nous convient de ne lire que des histoires tirées de faits réels. Écartons les fictions rapportées sous forme d’histoire chez les anciens, affaires d’amour (ἐρωτικὰς ὑποθέσεις) et absolument tout ce qui y ressemble » 50. En choisissant la forme du roman, mais en l’expurgeant de sa dimension érotique pour la remplacer par une dimension familiale, les auteurs des Pseudo-Clémentines prennent là encore position. Ils innovent par rapport à un genre qui peut lui-même passer pour novateur. Ils innovent en restant dans ce que Bourdieu appelle « l’espace des possibles » 51. En choisissant la forme du roman, ils prennent position également vis-à-vis de ceux qui choisissent la rhétorique, l’histoire, le traité, le dialogue ou même la poésie, bien que l’on trouve dans les Pseudo-Clémentines des discours, des dialogues et des lettres, le genre romanesque n’ayant pas de canon. En choisissant la forme du roman, ils prennent de même position vis-à-vis des autorités judéennes et chrétiennes parce que le genre romanesque, né dans la foulée de la Seconde Sophistique est le véhicule d’une certaine affirmation hellénique 52 , le véhicule de la παιδεία que plusieurs auteurs chrétiens, dont les auteurs mêmes des Pseudo-Clémentines, cherchent à neutraliser. Prendre position dans le champ littéraire, c’est encore, et finale49. Sur la notion d’autonomie littéraire, voir G. Sapiro, « L’autonomie de la littérature en question », dans J. P. M artin (éd.), Bourdieu et la littérature, Nantes, 2010, p. 45-61. 50. Julien, Lettre 89 (édition J. Bidez), 301 b : Πρέποι δ’ ἂν ἡμῖν ἱστορίαις ἐντυγχάνειν, ὁπόσαι συνεγράφησαν ἐπὶ πεποιημένοις τοῖς ἔργοις· ὅσα δέ ἐστιν ἐν ἱστορίας εἴδει παρὰ τοῖς ἔμπροσθεν ἀπηγγελμένα πλάσματα παραιτητέον, ἐρωτικὰς ὑποθέσεις καὶ πάντα ἁπλῶς τὰ τοιαῦτα. Voir R. Brethes , De l ’idéalisme au réalisme. Une étude du comique dans le roman grec, Salerno, 2007, p. 69. 51. P. Bourdieu, Les règles de l ’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, 1992, p. 384-387. 52. Voir S. Swain, Hellenism and Empire. Language, Classicism, and Power in the Greek World, ad 50-250, Oxford, p. 101-131.
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ment, prendre position dans le champ du pouvoir. Sur le fond, les PseudoClémentines affirment clairement, au milieu du IVe siècle, que Rome est subordonnée à Jérusalem (Pierre, Clément, Jacques), que Paul est l’ennemi de la vérité, que Moïse et Jésus dispensent également le salut 53, que les Écritures contiennent des passages erronés, etc. C onclusion Les Pseudo-Clémentines revendiquent une marginalité de forme et de fond. Autrement dit, le choix de la forme romanesque est cohérent avec le choix des idées souvent jugées hétérodoxes mises de l’avant dans les Homélies et les Reconnaissances, surtout dans les Homélies. Ce n’est pas seulement une affaire d’esthétisme littéraire. C’est d’abord et avant tout une prise de position. La réception des Pseudo-Clémentines, sous une forme ou une autre, est à ce sujet éloquente. Au livre 3 de l’Histoire ecclésiastique, Eusèbe de Césarée parle d’« écrits longs et verbeux … qui ne conservent pas le caractère pur de l’orthodoxie apostolique » 54 et Épiphane, dans son Panarion, associe les Periodoi Petrou aux enseignements des Ébionites, accusant ces « hérétiques » de les avoir corrompus, de s’en être approprier et d’avoir menti au sujet de Pierre et de ses bains quotidiens 55. Le cas de Rufin et de sa 53. Voir A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” after the “Parting of the Ways”. Approaches to Historiography and Self-Definition in the Pseudo-Clementines », dans A. H. Becker – A. Y. R eed (éd.), The Ways that Never Parted : Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Tübingen, 2003, p. 213224. 54. Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 3,38,5 : « D’autres écrits, verbeux et longs, ont été tout récemment présentés comme étant de lui [Clément] : ils renferment des dialogues de Pierre et d’Apion, dont il n’existe absolument aucun souvenir chez les anciens et qui d’ailleurs ne conservent pas le caractère pur de l’orthodoxie apostolique » = ἤδη δὲ καὶ ἕτερα πολυεπῆ καὶ μακρὰ συγγράμματα ὡς τοῦ αὐτοῦ χθὲς καὶ πρῴην τινὲς προήγαγον, Πέτρου δὴ καὶ Ἀπίωνος διαλόγους περιέχοντα· ὧν οὐδ’ ὅλως μνήμη τις παρὰ τοῖς παλαιοῖς φέρεται, οὐδὲ γὰρ καθαρὸν τῆς ἀποστολικῆς ὀρθοδοξίας ἀποσῴζει τὸν χαρακτῆρα. Traduction G. Bardy (collection des Sources chrétiennes). Pour une comparaison entre l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée et les Homélies, voir A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” as Counter-history ? The Apostolic Past in Eusebius’ Ecclesiastical History and the Pseudo-Clementine Homilies », dans G. Gardner – K. L. Osterloh (éd.), Antiquity in Antiquity. Jewish and Christian Pasts in the Greco-Roman World, Tübingen, 2008, p. 173-216. 55. Epiphane , Panarion 30,15,1 (édition K. Holl) : Χρῶνται δὲ καὶ ἄλλαις τισὶ βίβλοις, δῆθεν ταῖς Περιόδοις καλουμέναις Πέτρου ταῖς διὰ Κλήμεντος γραφείσαις, νοθεύσαντες μὲν τὰ ἐν αὐταῖς, ὀλίγα δὲ ἀληθινὰ ἐάσαντες (…). Sur le lien entre les Ébionites d’Épiphane et les Pseudo-Clémentines, voir B. Pouderon, La genèse du roman pseudo-clémentin. Études littéraires et historiques, Paris – Louvain,
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réception des Pseudo-Clémentines est intéressant. Lui-même origéniste et brouillé avec Jérôme sur ce point, donc dans une relation difficile avec une certaine orthodoxie (comme les Pseudo-Clémentines) 56, il traduit et transmet les « reconnaissances » de Clément dans le but d’édifier l’évêque Gaudentius et ses concitoyens, comme il s’en explique dans la Préface à la traduction latine des Reconnaissances : bien qu’avec beaucoup de retard, nous nous acquittons de la tâche que jadis la vierge Silvia de vénérable mémoire nous avait imposée, à savoir de restituer Clément à notre langue, tâche que toi par la suite, usant de ton droit d’héritier, tu exigeais de nous, et le butin, non négligeable je crois, que nous avons soustrait aux bibliothèques des Grecs, nous l’apportons aux nôtres, pour leur utilité et leur profit, si bien que, incapables de les nourrir de nos propres aliments, nous leur en offrons d’étrangers 57.
Toutefois, il se montre bien conscient du caractère peu orthodoxe ou problématique de certains passages sur « le Dieu non engendré et le Dieu engendré, ainsi que sur quelques autres sujets », passages, avoue-t-il, « qui ont dépassé son entendement », et qu’il préfère « réserver à d’autres » 58. Autrement dit, Rufin se montre ouvert à un écrit « problématique », mais ressent le besoin de le rendre acceptable pour l’establishment en ne traduisant pas les passages difficiles. Par ces corrections, Rufin modifie la prise de position initiale des Pseudo-Clémentines au sein du champ du pouvoir. En occupant la position de traducteur, Rufin fait passer du grec au latin « les trésors cachés de la sagesse » (occultos sapientiae thesauros). Il restitue au monde romain et à la langue latine le Clément dont les Grecs s’étaient emparés. Usant des termes « butin » (praeda) et « dépouilles de la Grèce » (Graeciae spolia) 59, il présente sa traduction des Reconnais2012, p. 161-185 et S. C. M imouni, Le judéo-christianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 277-286. 56. Voir C. M. Chin, « Rufinus of Aquileia and Alexandrian Afterlives : Translation as Origenism », Journal of Early Christian Studies 18 (2010), p. 617-647. 57. Rufin d’Aquilée , Préface à Gaudentius 2 : nos … opus quod olim venerandae memoriae virgo Silvia iniunxerat, ut Clementem nostrae linguae redderemus, et tu deinceps iure hereditario deposcebas, licet multas post moras, tamen aliquando restituimus, praedamque, ut opinor, non parvam, Graecorum bibliothecis direptam, nostrorum usibus et utilitatibus convectamus, ut quos propriis non possumus, peregrinis nutriamus alimoniis. Traduction A. Schneider , Les Reconnaissances du pseudo-Clément. Roman chrétien des premiers siècles, Turnhout, 1999. 58. Rufin d’Aquilée , Préface à Gaudentius 10-11 : sunt autem et quaedam in utroque corpore de ingenito deo genitoque disserta et de aliis nonnullis, quae, ut nihil amplus dicam, excesserunt intellegentiam nostram. haec ergo ego, tamquam quae supra vires meas essent, aliis reservare malui quam minus plena proferre. 59. Rufin d’Aquilée , Préface à Gaudentius 5 : et nescio quam gratus me civium vultus accipiat, magna sibi Graeciae spolia deferentem et occultos sapientiae thesauros nostrae linguae clave reserantem = « Et je ne sais pas avec quelle expression de reconnaissance me reçoivent mes concitoyens, moi qui leur apporte de riches
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sances comme une opération de reconquête : « Accueille donc, mon très cher, notre Clément qui revient à toi, accueille-le désormais en tant que Romain (…) Ce sont donc des produits étrangers que nous transportons, à grand peine, dans notre patrie » 60. En soulignant l’origine grecque et le caractère exotique des Reconnaissances, Rufin modifie à nouveau la prise de position initiale des Pseudo-Clémentines. De produit marginal dans le champ culturel et littéraire d’origine, les Pseudo-Clémentines deviennent, dans le champ littéraire où évolue Rufin, un produit normal et acceptable, parce que devenu romain, et un produit appréciable et estimable, parce qu’étranger. Or, « les produits étrangers, rappelle Rufin, non seulement, paraissent d’ordinaire plus doux, mais parfois aussi plus profitables » 61. En terminant cette brève étude, il faut bien reconnaître que le problème des Pseudo-Clémentines et du choix de la forme romanesque n’est pas complètement résolu. Dans le cadre d’une étude à venir, il faudra sans doute se demander si ce problème ne serait pas lié, au fond, à celui que pose Rufin d’Aquilée et son choix de traduire le roman de Clément.
dépouilles de la Grèce et qui leur ouvre les trésors cachés de la sagesse grâce à la clé de notre langue ». Traduction A. Schneider , Les Reconnaissances du pseudo-Clément. Roman chrétien des premiers siècles, Turnhout, 1999. 60. Rufin d’Aquilée , Préface à Gaudentius 4-5 : Suscipe igitur, mi anime, redeuntem ad te Clementem nostrum, suscipe iam Romanum … peregrinas ergo merces multo in patriam sudore transvehimus. 61. Rufin d’Aquilée , Préface à Gaudentius 3 : Nam et solent suaviora videri peregrina, interdum vero et utiliora. Denique peregrimun est paene omne quod medelam corporibus confert, quod morbis occurrit, quod venena depellit = « Car, les produits étrangers, non seulement, paraissent d’ordinaire plus doux, mais parfois aussi plus profitables. En un mot, est étranger presque tout ce qui apporte la guérison aux corps, tout ce qui s’oppose aux maladies, tout ce qui expulse les poisons ». Traduction A. Schneider , Les Reconnaissances du pseudo-Clément. Roman chrétien des premiers siècles, Turnhout, 1999. Rufin donne ensuite l’exemple de la « larme de balsame », en provenance de Judée, de la « chevelure de dictamne », de la Crète, des « fleurs d’aromates », de l’Arabie et du « nard d’épices », de l’Inde.
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Sacrifice et théurgie dans les Pseudo - Clémentines* Victimarius 1 et καυσίταυρος 2 , c’est en ces termes que le peuple d’Antioche se moque du zèle de l’empereur Julien, dit l’Apostat, pour les sacrifices. Il faut dire que l’empereur, déterminé à restaurer le culte des dieux, ne se contente pas d’ordonner que les temples soient ouverts et que les victimes soient à nouveau offertes sur les autels 3. Il s’emploie lui-même, en personne, à inonder les autels de torrents de sang 4 . C’est un zèle qui étonne et qui détonne. C’est une pratique, celle du sacrifice, qui ne fait pas l’unanimité. Pas seulement au milieu des Antiochiens, d’ailleurs. Dans les cercles néoplatoniciens aussi on discute des mérites du sacrifice. Les uns, suivant Porphyre, s’opposent aux sacrifices d’animaux. Les autres, suivant Jamblique, les approuvent et les jugent même essentiels à l’exercice de la théurgie. C’est le cas de l’empereur Julien. Dans la Syrie de Porphyre et de Jamblique 5, dans l’Antioche de Julien, des chrétiens ou des judéo-chrétiens s’intéressent également à la question du sacrifice. C’est à l’apôtre Pierre qu’ils confient le soin d’en débattre, dans le cadre d’un ouvrage, rédigé en grec, que Rufin d’Aquilée attribue à Clément de Rome et qu’il connaît sous le titre de Recognitiones 6. Selon Rufin, qui dédie sa traduction latine de l’ouvrage à l’évêque Gauden-
* Cette étude a été publiée une première fois dans S. C. M imouni – L. Pain(éd.), La question de la sacerdotalisation dans le judaïsme chrétien, le judaïsme synagogal et le judaïsme rabbinique, Turnhout, 2018, p. 391-410. 1. A mmien M arcellin, Histoires 22,14,3. 2. Grégoire de Naziance , Discours 4,77. Καυσίταυρος, c’est-à-dire « brûleur de taureaux ». 3. A mmien M arcellin, Histoires 22,5,2. 4. A mmien M arcellin, Histoires 22,12,6 ; 25,4,17. Voir Libanios , Discours 12,82. Voir E. Soler , Le sacré et le salut à Antioche au IVe siècle apr. J.-C. Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité, Beyrouth, 2006, p. 47-48. L’enthousiasme de Julien pour les sacrifices ira jusqu’à vouloir reconstruire le temple de Jérusalem pour permettre aux Judéens d’offrir à nouveau des sacrifices à leur dieu. Julien, Lettres 89 (295 c) et Lettres 134. 5. Porphyre est né à Tyr et Jamblique, à Chalcis. 6. Rufin d’Aquilée , Préface à Gaudentius 8. Voir Rufin d’Aquilée , Sur la falsification des livres d ’Origène 3. chaud
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tius, peu avant l’année 406 7, deux éditions (editiones) et deux collections (corpora) des Reconnaissances de Clément circulaient alors dans la partie orientale de l’empire, deux éditions que nous reconnaissons aujourd’hui comme étant les Homélies et les Reconnaissances, deux collections que nous connaissons sous le nom de Pseudo-Clémentines 8. Ni Porphyre ni Jamblique ni Julien ni même la notion de théurgie n’apparaissent dans les Homélies et les Reconnaissances de Clément. Des apôtres et des « magiciens » y discutent cependant comme des philosophes et certains rituels peuvent même évoquer des pratiques théurgiques. La question du sacrifice, en tout cas, fait l’objet de débats. Dans les deux versions du roman pseudo-clémentin, l’apôtre Pierre s’oppose vivement aux sacrifices. Dans les Reconnaissances, au Livre premier, l’Apôtre explique aux Judéens, en présence notamment du grand prêtre Caïphe, que Dieu a permis à Moïse d’introduire les sacrifices dans le seul but d’éloigner le peuple de l’idolâtrie. Avec la venue du Prophète, précise-t-il, il faut renoncer aux sacrifices offerts au Temple et adopter, en lieu et place, le baptême 9. On retrouve la même opposition dans les Homélies où Pierre réfute l’idée que Dieu ait pu véritablement exiger des sacrifices d’animaux. Les passages des Écritures qui disent le contraire doivent être écartés en vertu de la doctrine des « fausses péricopes » 10. Les Homélies consacrent également beaucoup d’énergie à démontrer le lien qui existe entre démons, sacrifices et idoles 11. La question du sacrifice dans les Pseudo-Clémentines a été étudiée récemment par Raanan Boustan et Annette Yoshiko Reed, en relation avec le problème de la définition du judaïsme et du christianisme au IVe siècle 12 . Cette étude, pour sa part, propose d’aborder le sujet de l’opposition aux sacrifices, en se limitant aux Homélies, en rapport avec la philosophie néoplatonicienne et, plus particulièrement, en rapport avec les 7. Sur la date de la traduction de Rufin et sur l’identité de Gaudentius, voir L. Cirillo – A. Schneider , « Introduction aux Reconnaissances », dans P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005, p. 15941595. 8. Les Pseudo-Clémentines racontent à la fois le parcours personnel de Clément de Rome, sa quête philosophique, sa conversion au Prophète de vérité, ses retrouvailles familiales, et le parcours de l’Apôtre Pierre dans sa lutte contre Simon de Samarie. Les deux parcours se croisent, puisque c’est en faisant la rencontre de Pierre que Clément trouve la vérité et retrouve sa famille. 9. Reconnaissances 1,36-39. 10. Homélies 3,45-46. Voir à ce sujet, l’ouvrage récent de D. H. Carson, JewishChristian Interpretation of the Pentateuch in the Pseudo-Clementine Homilies, Philadelphie, 2013. 11. Homélies 8,13-19. 12. R. S. Boustan et A. Y. R eed, « Blood and Atonement in the Pseudo-Clementines and The Story of the Ten Martyrs : The Problem of Selectivity in the Study of “Judaism” and “Christianity” », Henoch 30 (2008), p. 333-364.
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rituels théurgiques pratiqués dans l’école de Jamblique. Elle entend faire la démonstration que c’est à travers la figure de Simon de Samarie que les auteurs des Homélies ont choisi d’en découdre avec les adeptes de la théurgie. Il s’agira, premièrement, de rappeler la présence dans les Homélies de thèmes fortement associés au néoplatonisme et de souligner, dans un deuxième temps, le rapprochement qui a été fait, par certains auteurs chrétiens (Grégoire de Naziance et Jean Chrysostome), entre théurgie et nécromancie. Étant donné que les Homélies accusent Simon de tenir ses pouvoirs d’un rituel qui s’apparente à la nécromancie, on peut se demander si derrière la « magie » de Simon ne se cacherait pas la théurgie d’un philosophe de l’école de Jamblique, tout comme derrière certaines thèses de Simon semblent se cacher les figures de Paul et de Marcion 13. 1. L e
con t e x t e n éopl aton ici e n de s
P s eu do -C l é m e n t i n es
Il est beaucoup question de philosophie dans les Pseudo-Clémentines. Clément et tous les membres de sa famille (ses deux frères, Aquila et Nicète, et son père, Faustus), à l’exception de sa mère (Mattidie), semblent avoir fréquenté les philosophes. En tout cas, c’est de manière philosophique qu’ils discutent, par exemple, de l’origine du mal ou du polythéisme. Même le galiléen Pierre et le samaritain Simon prennent des allures de philosophes lorsqu’ils débattent de la vérité. En revanche, il n’est pas beaucoup question des philosophes dans les Pseudo-Clémentines 14 . Dans les Homélies, aucune mention n’est faite, par exemple, de Platon. C’est Socrate qui a cet honneur 15. Les Reconnaissances, pour leur part, nomment l’auteur de la République, mais se contentent de
13. Sur la nature composite de Simon dans les Homélies, voir D. Côté . « La fonction littéraire de Simon le Magicien dans les Pseudo-Clémentines », Laval Théologique et Philosophique 57 (2001), p. 513-523. 14. Seulement deux passages se donnent la peine de nommer des philosophes : Homélies 5,18,1-6, où il est question de Socrate, Antisthène, Diogène, Épicure, Aristippe, Chrysippe et Zénon, sans discuter leurs thèses, et Reconnaissances 8,1520, où la liste de noms est plus longue (Pythagore, Callistrate, Alcméon, Anaximandre, Anaxagore, Épicure, Diodore, Asclépiade, Démocrite, Thalès, Héraclite, Diogène, Parménide, Zénon, Empédocle, Platon, Aristote) et la discussion de leurs thèses, plus élaborée quoique superficielle. Sur la compétence des Pseudo-Clémentines en matière de philosophie, voir J. Barnes , « [Clément] et la philosophie », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 283-302. 15. Homélies 5,18,1.
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citer et de discuter, très brièvement, un passage du Timée (28 b) 16. Il est toutefois intéressant de noter que durant la période où s’élabore le roman pseudo-clémentin 17 la philosophie de tradition platonicienne connaît une véritable renaissance. Ce que nous appelons le néoplatonisme trouve, en effet, son point de départ dans l’enseignement de Plotin (205-270), au milieu du IIIe siècle – si ce n’est dans l’enseignement d’Ammonius Saccas 18, se poursuit avec Porphyre (circa 234-305), disciple de Plotin et prend un virage théurgique avec l’école de Jamblique (circa 240-circa 325). Ce renouveau de la pensée platonicienne ne se produit pas, d’ailleurs, sans entrer en contact avec une certaine pensée chrétienne qui emprunte à la philosophie de Platon ses thèmes et ses méthodes 19. Les cas d’Ammonius et d’Origène, que l’on soit d’accord avec les thèses d’Élisabeth DePalma Digeser ou non 20, illustrent bien la possibilité pour le christianisme et le platonisme d’entretenir un dialogue fructueux. Les cas de Porphyre et d’Eusèbe, en revanche, montrent bien les limites de ce dialogue et de cette proximité 21. 16. Reconnaissances 8,20,2-5. Un peu plus tôt dans la discussion (15,3), on apprend que Platon considérait le feu, l’eau, l’air et la terre comme les quatre éléments originels. 17. Sans qu’il soit nécessaire de supposer l’existence d’un Écrit de base, qui aurait été rédigé entre 222 et 325, selon la doxa (voir P. Geoltrain, « Introduction (Roman pseudo-clémentin) », dans P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005, p. 1186), il reste que des écrits attribués à Clément de Rome, comme les Periodoi Petrou (Philocalie d ’Origène 23,22) et les Dialogues de Pierre et d ’Apion (Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 3,38,5) circulaient au IIIe siècle et ont pu entretenir une relation intertextuelle avec les Homélies et les Reconnaissances. 18. Sur l’importance d’Ammonius Saccas, qui aurait été le maître de Plotin et d’Origène et serait ainsi à l’origine du néoplatonisme et de la théologie chrétienne, voir E. De Palma Digeser , A Threat to Public Piety. Christians, Platonists, and the Great Persecution, Ithaca, 2012, p. 23-48. 19. En ce qui concerne les relations entre christianisme et néoplatonisme, voir J. R ist, « Christianisme et néoplatonisme : un bilan », dans M. Narcy – É. R ebillard (éd.), Hellénisme & Christianisme, Villeneuve d’Ascq, 2004, p. 153-170. Au sujet de l’attirance pour le platonisme auprès des chrétiens, voir S. Morlet, Christianisme et philosophie. Les premières confrontations (Ier-VIe siècle), Paris, 2014, p. 130-143. 20. E. De Palma Digeser soutient la thèse qu’Origène le chrétien est bel et bien l’Origène qui a étudié auprès d’Ammonius Saccas, le maître de Plotin (Porphyre , Vie de Plotin 3 et 14) et que l’Ammonius chrétien, que décrit Eusèbe de Césarée (Histoire ecclésiastique 6,19,9-10), est bel et bien Ammonius Saccas le platonicien. Voir E. De Palma Digeser , A Threat to Public Piety. Christians, Platonists, and the Great Persecution, Ithaca, 2012, p. 49-71. Voir R. Goulet, « Porphyre, Ammonius, les deux Origène et les autres », Revue d ’histoire et de philosophie religieuse 57 (1977), p. 471-496, pour une position diamétralement opposée. 21. Sur le Contre les chrétiens de Porphyre, voir A. M agny, Porphyry in Fragments. Reception of an Anti-Christian Text in Late Antiquity, Farnham, 2014 ;
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On peut donc se demander si les écrits de Plotin, de Porphyre et de Jamblique n’auraient pas joué un rôle dans la décision des auteurs pseudoclémentins de dépeindre Pierre et les autres personnages en philosophes, si, autrement dit, le vernis philosophique des Pseudo-Clémentines ne cacherait pas une intention polémique. En apparence, les auteurs pseudo-clémentins ne semblent pas avoir été marqués par la renaissance platonicienne, par ses menaces et ses promesses. Pour soutenir la thèse d’une polémique contre les néoplatoniciens, il faut, en fait, se contenter des traces de possibles contacts entre les auteurs des Pseudo-Clémentines et le néoplatonisme. La cosmogonie attribuée à Orphée par le personnage d’Appion dans les Homélies 22 constitue, sans aucun doute, l’une de ces traces, compte tenu de l’importance que prend la figure d’Orphée dans le néoplatonisme à partir de Porphyre 23. Comme les travaux récents de Fabienne Jourdan et de Radcliffe G. Edmonds III nous le rappellent, c’est avec l’apologétique chrétienne et le néoplatonisme que les contours de la figure d’Orphée se précisent 24 . Dans le néoplatonisme, en tout cas, le poète thrace devient la source, divinement inspirée, des philosophes, de Pythagore plus particulièrement 25. Proclus développe l’idée et l’érige en système. Selon lui, toute la théologie des Grecs provient des écrits, divinement inspirés, d’Orphée, et a été transmise
S. Morlet (éd.), Le traité de Porphyre contre les chrétiens : un siècle de recherches, nouvelles questions : actes du colloque international organisé les 8 et 9 septembre 2009 à l ’Université de Paris IV-Sorbonne, Paris, 2011 ; R. Goulet, « Hypothèses récentes sur le traité de Porphyre Contre les chrétien s », dans M. Narcy – É. R ebillard (éd.), Hellénisme & Christianisme, Villeneuve d’Ascq, 2004, p. 61-109. Sur la réaction d’Eusèbe à l’attaque de Porphyre, voir R. Goulet, « Que savons-nous du Contre Porphyre d’Eusèbe ? », Revue des Études Grecques 125 (2012), p. 473-514. 22. Homélies 6,3,4-10,3 (voir Reconnaissances 10,30). Ce qui correspond aux fragments 55 et 56 dans l’édition d’O. Kern (O. K ern (éd.), Orphicorum fragmenta, Berlin, 1922) et aux fragments 103v, 104, 115, 117, 120, 121iii et v, 171, 203, 204, 207, 240x, 263iii, dans l’édition d’A. Bernabé (A. Bernabé (éd.) Poetae Epici Graeci. Testimonia et fragmenta. Pars II. Orphicorum et orphicis similium testimonia et fragmenta. Fasciculus 1, Munich, 2004). 23. Dans l’Α ntre des nymphes (16), Porphyre qualifie Orphée de θεόλογος. C’est le début d’un processus de sacralisation des poèmes d’Homère, Hésiode et Orphée dans la tradition platonicienne. 24. F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ?, Paris, 2011, pour la figure d’Orphée dans la littérature apologétique chrétienne et R. G. Edmonds , Redefining Ancient Orphism. A Study in Greek Religion, Cambridge, 2013, p. 30-46, pour la réception d’Orphée dans la l’apologétique chrétienne et le néoplatonisme. 25. R. G. Edmonds , Redefining Ancient Orphism. A Study in Greek Religion, Cambridge, 2013, p. 37-43. Voir Jamblique , Vie de Pythagore 145-147.
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à Pythagore, par l’intermédiaire du prêtre Aglaophamos, puis à Platon 26. Étant donné que la figure d’Orphée n’acquiert cette autorité qu’à partir du IIIe et du IVe siècle, il serait tentant de supposer que le choix des auteurs pseudo-clémentins de faire reposer l’argumentation d’Appion en faveur des mythes sur une cosmogonie attribuée à Orphée ne s’est pas fait au hasard. Il s’agit bien, selon nous, du choix des auteurs pseudo-clémentins ou, pour être plus précis, du choix de l’auteur des Homélies. Contrairement à la plupart des chercheurs qui se sont intéressés à la cosmogonie orphique des Homélies, incluant Fabienne Jourdan, qui a livré l’étude la plus complète et la plus récente sur le sujet, et qui voient dans la cosmogonie pseudo-clémentine une citation tirée d’une version ancienne de la cosmogonie orphique, soi-disant préservée dans une source (évidemment perdue) qu’auraient consultée les auteurs des Homélies 27, nous préférons parler d’une composition littéraire 28, élaborée à partir d’éléments platoniciens et assaisonnés de termes et d’interprétations allégoriques d’inspiration stoïcienne. L’auteurs des Homélies aurait donc choisi Orphée, non pas pour le christianiser, à la manière des apologistes, mais pour l’attaquer, en raison
26. P roclus , Théologie platonicienne 1,5 p. 25,24 – p. 26,4 : Δεῖ δὲ ἕκαστα τῶν δογμάτων ταῖς Πλατωνικαῖς ἀρχαῖς ἀποφαίνειν σύμφωνα καὶ ταῖς τῶν θεολόγων μυστικαῖς παραδόσεσιν· ἅπασα γὰρ ἡ παρ’ Ἕλλησι θεολογία τῆς Ὀρφικῆς ἐστὶ μυσταγωγίας ἔκγονος, πρώτου μὲν Πυθαγόρου παρὰ Ἀγλαοφήμου τὰ περὶ θεῶν ὄργια διδαχθέντος, δευτέρου δὲ Πλάτωνος ὑποδεξαμένου τὴν παντελῆ περὶ τούτων ἐπιστήμην ἔκ τε τῶν Πυθαγορείων καὶ τῶν Ὀρφικῶν γραμμάτων. 27. F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ?, Paris, 2011, p. 34-64 ; p. 285-336 ; M. H errero de Jáuregui, Orphism and Christianity in Late Antiquity, Berlin – New York, 2010, p. 171 ; L. R. L anzillotta, « Orphic Cosmogonies in the Pseudo-Clementines ? Textual Relationship, Character and Sources of Homilies 6.3-13 and Recognitions 10.17-19.30 », dans J. N. Bremmer (éd.), The Pseudo-Clementines. Leuven, p. 115-141 ; A. Bernabé , « La teogonía órfica citada en las pseudoclementina », Adamantius 14 (2008), p. 79-99 ; J.-M. Roessli, « La cosmo-théogonie orphique du roman pseudo-clémentin. Note sur ses sources et son utilisation dans les Homélies et les Reconnaissances », Les Études Classiques 76 (2008), p. 83-94 ; J. van A mersfoort, « Pagan Sources in the Pseudo-Clementine Novel », dans J. Frishman – W. Otten – G. Rouwhorst (éd.), Religious Identity and the Problem of Historical Foundation. The Foundational Character of Authoritative Sources in the History of Christianity and Judaism, Leyde, 2004, p. 265-274 et J. van A mersfoort, « Traces of an Alexandrian Orphic Theogony in the Pseudo-Clementines », dans R. van den Broek – M. J. Vermaseren (éd.), Studies in Gnosticism and Hellenitic Religions. Presented to Gilles Quispel on the Occasion of his 65th Birthday, 1981, p. 13-30. 28. Voir, dans cet ouvrage, le chapitre VIII : « La théogonie orphique des Pseudo-Clémentines dans sa fonction littéraire et polémique ». Voir R. G. Edmonds , Redefining Ancient Orphism. A Study in Greek Religion, Cambridge, 2013, p. 34-35, n. 91), qui préfère parler de « bricolage » : « the looser product of bricolage ».
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de l’autorité que lui confèrent les néoplatoniciens. L’Orphée d’Appion n’est pas l’Orphée de Clément d’Alexandrie 29. 2 . Le
P s eu do -C l é m e n t i n es « m agiqu e s » de S i mon
con t e x t e n éopl aton ici e n de s et l e s r i t u e l s
Le personnage de Simon, ou plus exactement sa « magie », pourrait bien constituer une autre trace d’un contact possible entre néoplatonisme et Pseudo-Clémentines, du moins si l’on accepte les prémisses de l’hypothèse formulée par John Chapman, en 1908, dans un article du Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 30. Il cherchait alors à contrer la tendance, dans la recherche allemande du début du XXe siècle, à faire des Pseudo-Clémentines un texte essentiellement judéo-chrétien et antipaulinien, (la figure de Simon le magicien dissimulant à peine celle de Saint-Paul). En résumé, sa thèse consiste à dire que le roman clémentin appartient au IVe siècle, qu’il a été écrit pour des « païens » et qu’en conséquence Simon représente les objections « païennes » adressées au christianisme par les philosophes néoplatoniciens et non par Saint-Paul. Il précise que Simon, qui n’a pas le calibre d’un Porphyre, évoque Jamblique ou plutôt une caricature de Jamblique : « Simon is not St. Paul, he is a philosopher of the school of lamblichus. His magic and incantations, his visions and prophecy, his claim to be the God who is above the Creator are characteristic of the Neo-Platonist who was called by his followers “the Divine”, who did miracles, who claimed to union with a “One” higher even than the “One” of Plotinus » 31. La thèse de Chapman, en dépit de ses raccourcis, de ses approximations et de ses exagérations 32 , mérite d’être étudiée. Retenons ici, pour les fins de l’exercice, un rituel accompli par Simon et décrit dans un passage commun aux deux versions des Pseudo-Clémentines, un rituel qui se présente comme le fondement des pouvoirs du magicien et qui pourrait évoquer la théurgie. Dans les Homélies, c’est Aquila, l’un des deux frères jumeaux de Clément et disciple de Simon avant de se convertir au Prophète de Vérité, qui raconte : 29. Pour la christianisation d’Orphée, voir F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ?, Paris, 2011, p. 243-256. 30. J. Chapman, « On the Date of the Clementines », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 9 (1908), p. 147-159. 31. J. Chapman, « On the Date of the Clementines », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 9 (1908), p. 157. 32. Par exemple, à la page 157 : « Every one who knows the Homilies well will recognize that Simon and his disciples are caricatures of lamblichus and his school ».
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Il commença en effet à se souiller par un meurtre. Alors qu’il était encore un ami pour des amis, il nous a lui-même révélé avoir séparé l’âme du corps d’un petit enfant par de secrètes adjurations, afin qu’elle l’assiste pour faire apparaître ce qui bon lui semblerait. De cet enfant il a dessiné une image qu’il a suspendue au fond de sa maison, là où il dort. Il affirme avoir un jour formé cet enfant à partir de l’air par des transformations d’origine divine, puis l’avoir de nouveau rendu à l’air, après avoir peint son portrait 33.
Le passage parallèle des Reconnaissances insiste davantage sur la création de l’enfant. C’est Simon qui explique : « Maintenant donc, je m’en vais vous dévoiler ce qui est vrai. À un certain moment, j’ai par mon pouvoir transformé de l’air en eau, puis l’eau à son tour en sang et, lui donnant la fermeté de la chair, j’en ai formé une nouvelle créature humaine, un enfant, et j’ai mis au jour une œuvre beaucoup plus noble que celle du Dieu créateur. Lui, en effet, a créé un homme de terre, mais moi d’air, ce qui est plus difficile ; puis, le défaisant de nouveau, je l’ai rendu à l’air, non sans avoir placé son portrait, image peinte, dans ma chambre à coucher, comme une preuve et un souvenir de mon œuvre ». Or nous comprenions qu’il disait cela par rapport à cet enfant mort de mort violente dont il utilisait l’âme pour en obtenir tous les services qu’il voulait 3 4 .
33. Homélies 2,26,1-2. Dans cette étude, nous citons la traduction française de la Pléiade (P. Geoltrain – J. D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005) : καὶ γὰρ μιαιφονεῖν ἤρξατο, ὡς αὐτὸς ἔτι ὡς φίλος φίλοις ἐξέφανεν ὅτι παιδίου ψυχὴν τοῦ ἰδίου σώματος χωρίσας ἀπορρήτοις ὅρκοις, συνεργὸν πρὸς τὴν τῶν αὐτῷ δοκούντων φαντασίαν, τὸν παῖδα διαγράψας ἐπὶ εἰκόνος, ἐνδοτέρῳ οἴκῳ ὅπου αὐτὸς ὑπνοῖ ἀνατεθειμένην ἔχει, φάσκων ποτὲ τοῦτον ἐξ ἀέρος πλάσας θείαις τροπαῖς καὶ τὸ εἶδος ἀναγράψας ἀποδεδωκέναι πάλιν τῷ ἀέρι. Aquila explique ensuite comment Simon a réussi à créer un être à partir de l’air et à inverser l’opération (26,3-5) : τὴν δὲ πρᾶξιν ἑρμηνεύει οὕτως πεποιηκέναι πρῶτον τὸ ἀνθρώπου πνεῦμα λέγει τραπὲν εἰς θερμοῦ φύσιν τὸν περικείμενον αὐτῷ σικύας δίκην ἐπισπασάμενον συνπιεῖν ἀέρα, εἶτα ἔνδοθεν τῆς τοῦ πνεύματος ἰδέας γενόμενον αὐτὸν τρέψαι εἰς ὕδωρ. ὑπὸ δὲ τῆς συνεχείας τοῦ πνεύματος χυθῆναι μὴ δυνάμενον εἰς αἵματος φύσιν μετατρέπειν ἔφασκεν τὸν ἐν αὐτῷ ἀέρα, τὸ δὲ αἷμα πῆξαν τὰς σάρκας ποιῆσαι, εἶθ’ οὕτως τῆς σαρκὸς παγείσης ἄνθρωπον οὐκ ἀπὸ γῆς, ἀλλ’ ἐξ ἀέρος ἀναδεῖξαι. καὶ οὕτως ἑαυτὸν πείσας καινὸν ἄνθρωπον δύνασθαι ποιῆσαι, τὰς τροπὰς ἀναλύων πάλιν ἀποδεδωκέναι ἔλεγε τῷ ἀέρι ποιῆσαι, τὰς τροπὰς ἀναλύων πάλιν ἀποδεδωκέναι ἔλεγε τῷ ἀέρι. 34. Reconnaissances 2,15,4-6 : nunc ergo incipiam vobis aperire quod verum est. ego virtute mea quodam tempore aerem vertens in aquam et aquam rursus in sanguinem carnemque solidans, novum hominem puerum formavi et opus conditore deo multo nobilius protuli. ille enim hominem creavit e terra, ego autem, quod est difficilius, ex aere, quemque rursus resolvens aeri reddidi, speciem tamen eius imaginemque depictam in interiore cubiculo conlocavi, ut esset indicium ac memoria operis mei. haec autem intellegebamus eum dicere pro puero illo, cuius vi necati anima ad quae volebat ministeria, utebatur.
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Les deux passages décrivent essentiellement le même procédé, qui comprend le meurtre d’un enfant, la séparation de l’âme du corps de l’enfant, la fabrication d’une image de l’enfant, la création de l’enfant à partir de l’air, l’invocation de l’âme de l’enfant pour obtenir tout ce que l’on veut (Reconnaissances) ou faire apparaître tout ce l’on veut (Homélies). À première vue, le rituel s’apparente à une forme de nécromancie, une pratique bien attestée au IVe siècle et qui consiste à utiliser le mort comme une sorte de médium : le mort ou l’esprit du mort est contraint, « par de secrètes adjurations », d’assister ou de servir le magicien pour lui permettre d’obtenir ce qu’il veut 35. La fabrication d’une image fait aussi bel et bien partie de certains rituels de nécromancie. La procédure décrite en PGM IV 2047-2052, par exemple, prévoit la reproduction, sur une pièce de lin et avec une encre particulière, de la déesse qui sera révélée. Combinée à une incantation, cette image est censée avoir le pouvoir de faire apparaître l’esprit du mort, en songe, qui se mettra alors au service du suppliant 36. Utiliser l’âme d’un enfant mort prématurément correspond également à une pratique bien établie de la nécromancie au IVe siècle 37. Par contre, ce qui ne cadre pas vraiment avec la pratique de la nécromancie, du moins si l’on exclut le cadre polémique de l’accusation de magie, c’est le meurtre
35. Voir J. N. Bremmer , The Rise and Fall of the Afterlife. The 1995 ReadTuckwell Lectures at the University of Bristol, Londres, 2002, p. 81, qui note un changement important dans la pratique de la nécromancie au IVe siècle : « Instead of being the object of inquiry, the dead person has now become the medium for the questions ». 36. Papyri Graecae Magicae 2047-2052 (traduction H. D. Betz , The Greek Magical Papyri in Translation, Chicago, 1986, p. 74) : « And take a leaf of flax and with the black ink which will be revealed to you, paint on it the figure of the goddess who will be revealed to you, and paint in a circle this spell (and place on his head / the leaf which has been spread out and wreathe him with black ivy, and he will actually stand beside you through the night in dreams, and he will ask you, saying, Order whatever you wish, and I do it) ». Voir C. A. Faraone , « Necromancy Goes Underground : The Disguise of Skull-and-Corpse-Divination in the Paris Magical Papyri (PGM IV 1928-2144) », dans S. I. Johnston – P. T. Struck (éd.), Mantikê. Studies in Ancient Divination. Leyde-Boston, p. 266. 37. Selon J. N. Bremmer , The Rise and Fall of the Afterlife. The 1995 ReadTuckwell Lectures at the University of Bristol, Londres, 2002, p. 82, puisque le christianisme accordait une plus grande importance aux personnes décédées prématurément ou de mort violente, il n’est pas impossible qu’il ait influencé la pratique de la nécromancie : « the Christians produced important changes in society regarding the most important mediums used in necromancy : people who had died a premature or violent death ». Voir J. N. Bremmer . « Pseudo-Clementines : Texts, Dates, Places, Authors and Magic », dans J. N. Bremmer (éd.), The Pseudo-Clementines. Leuven, 2010, p. 20 et S. I. Johnston, « Charming Children : The Use of the Child in Ancient Divination », Arethusa 34 (2001), p. 97-118, pour l’utilisation des enfants comme médiums.
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rituel d’un enfant à des fins magiques 38. En matière de morts, on connaît la catégorie des ἄωροι, ces êtres morts prématurément, i. e. avant d’avoir atteint le τέλος, le mariage et la procréation 39, et celle des βιαιοθάνατοι, les êtres morts de mort violente. Les ἄωροι et les βιαιοθάνατοι étaient réputés envieux et prêts pour cela à se mettre au service des magiciens 4 0. Ce qui ne correspond pas non plus à la réalité tardo-antique de la nécromancie, c’est la création d’un enfant à partir de l’air. À moins d’y voir une allusion à la fabrication d’une figurine rituelle, d’une statuette magique, comme celle qui est décrite en PGM IV 1841 (à l’effigie d’Éros) 41 et qui doit servir d’assistant à celui qui accomplit le rituel ou comme celle de PGM IV 2361 (à l’effigie d’Hermès) 42 qui doit assurer la réussite commerciale 43. À regarder d’un peu plus près, cependant, le rituel de Simon présente des traits qui peuvent évoquer la théurgie : la fabrication d’une image à des fins rituelles, la séparation de l’âme, la création d’un être vivant à partir de la matière. Dans sa réponse à Porphyre, qui s’oppose à la pratique de la théurgie et des sacrifices, Jamblique rappelle le caractère rituel de la théurgie : Ce n’est pas la pensée qui unit les théurges aux dieux ; sinon, qu’est-ce qui empêcherait ceux qui pratiquent la philosophie de façon spéculative d’obtenir l’union théurgique avec les dieux ? En fait, il n’en va pas vrai38. J. N. Bremmer , The Rise and Fall of the Afterlife. The 1995 Read-Tuckwell Lectures at the University of Bristol, Londres, 2002, p. 82, estime qu’il y a, au IVe siècle, une démonisation de la nécromancie : « Fourth century authors now suggest that the necromancers procured dead mediums by digging up corpses or even by committing infanticide ». 39. F. Graf, La magie dans l ’Antiquité gréco-romaine. Idéologie et pratique, Paris, 1994, p. 174. 40. Voir, à ce sujet, S. I. Johnston, Restless Dead. Encounters Between the Living and the Dead in Ancient Greece, Berkeley – Los Angeles, 1999, p. 127-160. 41. Papyri Graecae Magicae IV 1841 (traduction H. D. Betz , The Greek Magical Papyri in Translation, Chicago, 1986, p. 71) : « And there is also a rite for acquiring an assistant, who is made out of wood from a mulberry tree. He is made as a winged Eros wearing a cloak, with his right foot lifted / for a stride and with a hollow back. Into the hollow put a gold leaf after writing with a cold-forged copper stylus so-and-so’s name (and) : MARSABOUTARTHE – be my / assistant and supporter and sender of dreams ». 42. Papyri Graecae Magicae IV 2361 (traduction H. D. Betz , The Greek Magical Papyri in Translation, Chicago, 1986, p. 81) : « Take orange beeswax and / the juice of the aeria plant and of ground ivy and mix them and fashion a figure of Hermes having a hollow bottom, grasping in his left hand a herald’s wand and in his right a small bag. Write on hieratic papyrus these names, and you will see continuous business ». 43. La performance de Simon, toutefois, donne lieu à la création d’un être vivant, d’un être animé et non d’une simple statuette. Voir E. R. Dodds , « Theurgy and its Relationship to Neoplatonism », Journal of Roman Studies 37 (1947), p. 64, pour une discussion de ces exemples tirés des PGM.
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ment de la sorte, mais c’est la célébration des actes qui sont indicibles et accomplis religieusement au-delà de toute intellection, et aussi le pouvoir des symboles inexprimables, compris seulement des dieux, qui procurent l’union théurgique 4 4 .
L’utilisation d’un symbole, d’une image, d’une représentation, qui permet, en vertu des lois de la « sympathie » et grâce à des incantations, de produire une épiphanie, fait partie de la pratique du sacrifice et de la théurgie 45. Il s’agit, en fait, d’établir une communion entre le divin et le terrestre par l’intermédiaire de symboles qui peuvent prendre la forme de plantes, de pierres et d’animaux 4 6. L’image d’une divinité, la statue d’un dieu ou d’une déesse, c’est aussi un symbole du divin 47. Proclus nous renseigne très bien sur l’art de fabriquer des statues divines et plus particulièrement sur l’art de les « animer », ce qu’il appelle la télestique 48. Il s’agit essentiellement d’amener la divinité dans une statue, mais aussi dans un lieu ou 44. Jamblique , Réponse à Porphyre (De Mysteriis) 2,11. Traduction H. D. Saf– A.-Ph. Segonds , Jamblique, Réponse à Porphyre (De Mysteriis), Paris, 2013. 45. Sur le principe de la sympathie, voir C. van Liefferinge , « La théurgie : outil de restructuration dans le De mysteriis de Jamblique », Kernos 7 (1994), p. 211212 : « Restant dans son rôle de prêtre égyptien, Jamblique explique l’influence de la sympathie universelle dans les sacrifices, à savoir comment des éléments naturels éveillent la divinité. Même s’il considère cela comme une cause auxiliaire du sacrifice – la véritable cause devant être recherchée dans l’amitié entre créateur et monde créé -, il y voit néanmoins une cause nécessaire. La croyance égyptienne en la sympathie universelle lui sert une fois encore de caution ». 46. Jamblique , Réponse à Porphyre (De Mysteriis) 5,23 : « En effet, puisqu’il fallait que les choses terrestres aussi ne fussent absolument pas sans communion avec le divin, la terre, elle aussi, a reçu de cette communion une certaine portion divine, capable d’accueillir les dieux. L’art théurgique donc, ayant considéré cela et découvrant d’une manière générale les divers réceptacles convenant à chacun des dieux selon leur propriété caractéristique, combine souvent pierres, plantes, animaux, parfums et autres choses sacrées de cette sorte, parfaites et semblables aux dieux, pour fabriquer ensuite, à partir de toutes ces choses, un réceptacle parfait et pur ». Sur l’art de fabriquer un réceptacle matériel pour les dieux, voir C. van Liefferinge , La théurgie. Des Oracles chaldaïques à Proclus, Liège, 1999, p. 96, qui rapproche ce texte de Jamblique d’un passage de l’A sclépius (38). 47. Voir Julien, Lettres 89b (À Théodore, grand-prêtre) (293a-b). Traduction J. Bidez , L’empereur Julien, Œuvres complètes, I. 2e partie. Lettres et fragments, Paris, 2004 [1924]) : « En effet, les statues, les autels, la garde du feu inextinguible, et en un mot tous les symboles de ce genre, nos pères les ont établis comme des signes de la présence des dieux, non pas afin que nous les tenions pour des dieux, mais pour nous faire adorer les dieux par leur intermédiaire. Nous vivons dans un corps : il fallait donc que le culte des dieux fût corporel ». Voir Saloustios , Des dieux et du monde 15. Sur l’art de fabriquer des statues, selon Porphyre et Jamblique, voir I. Tanaseanu-Döbler , Theurgy in Late Antiquity. The Invention of a Ritual Tradition, Göttingen, 2013, p. 63-66 ; 108-109 et S. I. Johnston, « Animating Statues : A Case Study in Ritual », Arethusa 41 (2008), p. 445-477 : 452-458. 48. P roclus , Éléments de théologie, proposition 145. frey
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une ville, en usant des symboles (σύμβολα) et des signes (χαρακτῆρες) appropriés 49. Comme le résume Carine Van Liefferinge : « la télestique peut donc se définir de façon générale comme l’art de conférer des symboles dans des séances d’évocation de dieux » 50. D’une certaine manière, par la télestique, le théurge devient un créateur de dieux, un homo fictor deorum 51. Il suffit de connaître les symboles propres à chaque divinité et de les intégrer à la fabrication d’une image. Ce qui est particulièrement intéressant pour notre sujet, c’est qu’il existe aussi des signes de l’âme, le X de l’âme, par exemple, et que les théurges peuvent donc évoquer l’âme dont ils connaissent le signe 52 . Encore plus intéressant pour notre analyse théurgique des passages pseudo-clémentins est l’existence (possible) d’un rite théurgique que Hans Lewy a appelé « the death of the body » 53. La seule allusion à ce rite se trouve chez Proclus, qui met en rapport un passage du Phèdre sur l’élévation de l’âme (248 a) et un rite que pratiquent les théurges dans « la plus secrète des initiations » et qui consiste à enterrer le corps de l’initié à l’exception de la tête 54 . Selon Hans Lewy, le rite représenterait « la mort de la personne initiée qui détruit son propre corps afin de sauver son âme » 55. Van Liefferinge, qui émet quelques doutes sur l’origine chaldaïque et la nature théurgique du rite, en propose néanmoins le déroulement suivant : « le corps de l’initié est enterré, ce qui est le symbole de la mort du corps ; sa tête, considérée comme siège de l’âme, ne l’est pas. Le théurge, par l’énoncé de formules, fait sortir l’âme du corps, l’élève et lui fait voir des vérités avant de la replacer dans le corps » 56. 49. C. van Liefferinge , La théurgie. Des Oracles chaldaïques à Proclus, Liège, 1999, p. 270. 50. C. van Liefferinge , La théurgie. Des Oracles chaldaïques à Proclus, Liège, 1999, p. 270. Voir I. Tanaseanu-Döbler , Theurgy in Late Antiquity. The Invention of a Ritual Tradition, Göttingen, 2013, p. 247 : « It is concerned with purification, oracles and consecration and animation of cult statues, and it operates by means of σύμβολα ». 51. Le thème de l’homo fictor deorum est développé dans l’A sclépius (23-24) et utilisé par Augustin (Cité de Dieu 8,23) apud C. van Liefferinge , La théurgie. Des Oracles chaldaïques à Proclus, Liège, 1999, p. 95. 52. P roclus , Commentaire sur le Timée 3 247,17-21 ; 29-32 ; 255,25-256,8 (dans la traduction d’A.-J. Festugière parue chez Vrin en 1966) apud C. van Liefferinge , La théurgie. Des Oracles chaldaïques à Proclus, Liège, 1999, p. 270-271. Voir I. Tanaseanu-Döbler , Theurgy in Late Antiquity. The Invention of a Ritual Tradition, Göttingen, 2013, p. 246-247. 53. H L ewy, Chaldean Oracles and Theurgy. Mysticism Magic and Platonism in the later Roman Empire, Paris, 1978 (nouvelle édition par M. Tardieu), p. 204-207. 54. P roclus , Théologie platonicienne 4,9 p. 30,17-19 apud C. van Liefferinge , La théurgie. Des Oracles chaldaïques à Proclus, Liège, 1999, p. 265. 55. Apud C. van Liefferinge , La théurgie. Des Oracles chaldaïques à Proclus, Liège, 1999, p. 265. 56. C. van Liefferinge , La théurgie. Des Oracles chaldaïques à Proclus, Liège, 1999, p. 268.
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Pour revenir à la télestique et à la fabrication d’une image rituelle, E. R. Dodds, dans son célèbre article de 1947 sur la théurgie, se demandait si la fabrication de statuettes magiques et d’images oraculaires n’avait pas été à l’origine des tentatives d’alchimistes médiévaux de créer un être humain artificiel, un homunculus. Il faisait référence à un corpus d’écrits alchimiques attribué à Jabir Ibn Hayyan qui faisait, à son tour, allusion à un ouvrage de Porphyre sur le sujet (Sur la génération) 57. On peut sans doute se demander, sans trop insister, s’il n’y aurait pas lieu de mettre en rapport ce passage des Pseudo-Clémentines avec de naissantes spéculations néoplatoniciennes sur le sujet, spéculations qui trouveraient un écho dans un ouvrage de Zosime de Panopolis, Sur la vertu 58, où la notion d’homuncule (ἀνθρωπάριον) apparaîtrait pour la première fois, selon Carl Jung 59. On pourrait ajouter, encore là sans vraiment vouloir insister, que Zosime de Panopolis était un contemporain de Jamblique 60. Il reste, comme l’a bien souligné Gregory Shaw 61, que la théurgie, telle que définie par Jamblique et pratiquée par Julien, comporte une dimension démiurgique à laquelle les auteurs des Pseudo-Clémentines ont peut-être voulu faire écho en la détournant de son sens. Par l’acte théurgique, l’âme imite les dieux dans leur activité démiurgique et participe à la création et à la préservation du 57. E. R. Dodds , « Theurgy and its Relationship to Neoplatonism », Journal of Roman Studies 37 (1947), p. 65. Sur Jabir Ibn Hayyan, Porphyre et l’homunculus, voir P. K raus , Jabir Ibn Hayyan. Contribution à l ’histoire des idées scientifiques dans l ’Islam. Jabir et la science grecque, Paris, 1986, p. 119-134. 58. Le traité Sur la vertu (περὶ ἀρετῆς) de Zosime de Panopolis est édité dans la Collection des Universités de France comme le chapitre 10 des Mémoires authentiques (Les alchimistes grecs, IV. 1re partie, (texte établi et traduit par M. M ertens), Paris, 1995). 59. Mémoires authentiques 10,2,39-41. Sous le titre Les visions de Zosime et faisant partie de l’ouvrage Les racines de la conscience, publié en 1954 chez Buchet/ Chastel, C. Jung donne une traduction du traité de Zosime avec commentaire. À la note 8, il précise : « Sauf erreur de ma part, on voit ici apparaître pour la première fois dans la littérature alchimique la représentation et l’idée de l’homunculus ». Michèle Mertens, dans les notes complémentaires de son édition (Note 17, p. 218219), fait un rapprochement entre ce passage de Zosime et la notion de golem et souligne que pour certains savants l’homme artificiel de Simon pourrait bien en être l’ancêtre. 60. Sur Zosime de Panopolis et l’alchimie, voir N. Janowitz , Icons of Power. Ritual Practices in Late Antiquity, University Park (PA), 2002, p. 111-112 ; 117-121. Sur Zosime de Panopolis en lien avec l’hermétisme et la théurgie, voir G. Fowden, The Egyptian Hermes. A Historical Approach to the Late Pagan Mind, Princeton, p. 120-126. Voir également l’ouvrage récent d’Olivier Dufault : O. Dufault, Early Greek Alchemy. Patronage and Innovation in Late Antiquity, Berkeley, 2019, plus particulièrement les chapitres 5 : « Zosimus of Panopolis and Ancient Greek Alchemy » et 6 : « Zosimus, Client and Scholar », p. 93-141. 61. G. Shaw, Theurgy and the Soul. The Neoplatonism of Iamblichus, University Park (PA), 1995, p. 15, 23, 55, 110.
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cosmos. La démiurgie du théurge deviendrait ainsi, dans le récit déformant des Pseudo-Clémentines, la création d’un enfant à partir de l’air. 3. L’accusat ion
de n écrom a nci e et d ’ i n fa n t ici de r i t u e l con t r e l e s t h éu rge s
On peut donc supposer que les auteurs des Pseudo-Clémentines se sont servis de la figure de Simon pour critiquer les néoplatoniciens de l’école de Jamblique et leurs rituels théurgiques. Il s’agissait, au fond, de rabaisser les prétentions démiurgiques des théurges au niveau de la nécromancie et de corser le tout en y ajoutant le meurtre rituel d’un enfant. Comme les Pseudo-Clémentines se situent sur le plan de la fiction, elles utilisent les personnages (historiques) de Pierre et Simon pour régler leur compte avec l’hellénisme. Grégoire de Naziance, dans les accusations qu’il lance contre l’empereur Julien (Discours 4), se sert d’ailleurs du même procédé, c’està-dire d’un amalgame de théurgie, de nécromancie et de meurtre rituel, et c’est sur le plan de la réalité qu’il se situe, du moins, sur le plan de la réalité telle qu’il la conçoit. L’empereur Julien, sacrificateur et théurge convaincu 62 , se voit ainsi accusé, par Grégoire de Naziance 63, d’avoir sacrifié, dans les caves et les recoins du palais impérial, à Antioche, des garçons et des filles pour l’évocation des esprits et la divination : Je laisserai également de côté les caves et les recoins du palais, les citernes, les puits et les fosses pleines des trésors et des mystères du mal, non seulement les garçons et les filles éventrés pour l’évocation des esprits, pour la divination et des sacrifices abominables, mais aussi ceux qui étaient condamnés pour leur foi 6 4 .
La même accusation se retrouve plus tard, fin 378 ou début 379, chez Jean Chrysostome, dans son discours sur le martyr Babylas, où cette fois
62. Voir I. Tanaseanu-Döbler , Theurgy in Late Antiquity. The Invention of a Ritual Tradition, Göttingen, 2013, p. 136-148 et S. Elm, Sons of Hellenism. Fathers of the Church. Emperor Julian, Gregory of Nazianzus, and the Vision of Rome, Berkeley – Los Angeles, 2012, p. 116. 63. À la fin de l’année 364 ou au début de 365, Grégoire rédige un discours contre Julien (Discours 4). Un second discours sur le même sujet (Discours 5) paraîtra une année plus tard. Voir S. Elm, Sons of Hellenism. Fathers of the Church. Emperor Julian, Gregory of Nazianzus, and the Vision of Rome, Berkeley – Los Angeles, 2012, p. 336-377, pour le contexte du Discours 4. L’ouvrage de Susanna Elm vise d’ailleurs à démontrer que toute la carrière de Grégoire peut se comprendre comme une réponse aux attaques de l’Apostat. 64. Grégoire de Naziance , Discours 4,92. Traduction J. Bernardi, Grégoire de Naziance, Discours 4-5, Paris, 1983.
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l’empereur se serait livré au culte des démons, à des nécromancies, à des immolations d’enfants : Il n’y a donc rien d’étonnant non plus si ce malheureux dès lors qu’il s’était livré au culte ridicule des démons ne se voilait pas la face devant ce qui faisait l’orgueil des dieux qu’il honorait. Que dire des nécromancies, des immolations d’enfants ? Car ces sacrifices, qu’on osait offrir avant la venue du Christ et qui avaient été réprimés après son avènement, on osait à nouveau les célébrer 65.
L’accusation de magie et d’immolation d’enfant constitue évidemment un topos de la polémique anti-chrétienne 66. Tertullien, Minucius Félix, Eusèbe de Césarée l’attestent clairement 67. Les chrétiens eux-mêmes ont d’ailleurs accusé leurs adversaires de se livrer à de telles horreurs 68. Grégoire de Naziance, qui est à l’origine de la légende noire de Julien 69, avait de bonnes raisons, assurément personnelles, d’attribuer à l’Apostat des pratiques magiques extrêmes comme l’immolation d’enfants. Il s’agissait de disqualifier pour de bon l’entreprise philosophique et religieuse de l’empereur et de ses supporters en usant de la toujours très efficace accusation de magie. À l’origine de cette accusation de Grégoire contre Julien, il y a apparemment deux faits : premièrement, selon Théodoret, la découverte, à Antioche, dans le palais, peu de temps après la mort de Julien, de « coffres pleins de têtes et de nombreux puits comblés de cadavres » 70. Comme le note Jean Bernardi, dans son annotation au texte de Grégoire, « ces meurtres remontaient vraisemblablement au règne de Gallus, si ce n’est à une période plus lointaine » 71. Deuxièmement : durant le court règne de Julien, le palais s’est transformé, ni plus ni moins, en temple. C’est ce que nous apprend 65. Jean Chrysostome , Sur Babylas 79. Traduction M. A. Schatkin, Jean Chrysostome, Discours sur Babylas, Paris, 1990. Voir Théodoret, Histoire ecclésiastique 3,26-27 et Socrate , Histoire ecclésiastique 3,2,4-5 sur le thème des abominations de Julien. 66. Un topos repris plus tard, au Moyen Âge, dans la polémique anti-juive. 67. Tertullien, Apologétique 7,9 ; M inucius Félix, Octavius 9,7 ; Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 4,7,9. 68. Par exemple, des immolations d’enfants à des fins divinatoires. Voir Justin, Première apologie 18,3 ; Socrate , Histoire ecclésiastique 3,13. 69. Voir J. Bidez , La vie de l ’empereur Julien, Paris, 1930, p. 334. Voir S. Elm, Sons of Hellenism. Fathers of the Church. Emperor Julian, Gregory of Nazianzus, and the Vision of Rome, Berkeley – Los Angeles, 2012, p. 337 : « In these two orations, Gregory made Julian the Apostate, creating the Julian who would dominate posterity… ». 70. Théodoret, Histoire ecclésiastique 3,27. 71. Note 1, p. 232 (Grégoire de Naziance , Discours 4,92). À Antioche, la rumeur publique, devenue fortement hostile à l’empereur Julien, aura probablement tôt fait de le rendre responsable de tous ces cadavres.
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Libanios 72 . Ne pouvant se rendre tous les jours aux temples pour y sacrifier, Julien se fit construire un temple dans les jardins du palais. Consacré au dieu Hélios 73, le temple recevait tous les jours, plusieurs fois par jour, un nombre incalculable de sacrifices 74 , parmi lesquels, précisons-le, il fallait probablement compter les sacrifices liés à des rites théurgiques 75. L’intensité avec laquelle Julien sacrifiait dérangeait beaucoup de monde à Antioche et pas uniquement les chrétiens. Grégoire n’aura fait qu’exprimer avec éloquence et véhémence ce que de nombreux Antiochiens pensaient : il y avait de la « magie » et des sacrifices humains au palais. En effet, c’est bien d’éloquence et de rhétorique dont il s’agit. Grégoire ne pouvait ignorer que Julien était un adepte de la théurgie. Il savait que « les mystères du mal », les rites occultes qui se déroulaient dans les caves du palais, en compagnie d’un « sophiste » 76, consistaient le plus sou72. Libanios , Discours 12,81 : « Retenu à l’intérieur la plupart du temps par la situation, comme il ne lui est pas possible de courir chaque jour au temple, il a fait de la résidence impériale un temple et rendu le jardin plus pur, pour quelquesuns, que les enclos sacrés des temples ». Traduction E. Soler , Le sacré et le salut à Antioche au IVe siècle apr. J.-C. Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité, Beyrouth, 2006, p. 44. 73. Libanios , Discours 18,127 : « il fit construire un temple au milieu du palais pour le dieu qui amène le jour… ». Traduction E. Soler , Le sacré et le salut à Antioche au IVe siècle apr. J.-C. Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité, Beyrouth, 2006, p. 16. 74. Sur Julien le « victimaire », sa participation personnelle aux sacrifices et la fréquence de ses sacrifices, voir Libanios , Discours 12,80-82 et A mmien M arcellin, Histoires 22,12,6. 75. Sur le lien entre théurgie et culte d’Hélios, voir E. Soler , Le sacré et le salut à Antioche au IVe siècle apr. J.-C. Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité, Beyrouth, 2006, p. 45. À Daphné, le sanctuaire d’Apollon (divinité assimilée par Julien à Hélios) était, selon Soler , « le lien dans le rituel théurgique de l’anagogê entre Hélios et les théurges. En effet, poursuit-il, ceux-ci croyaient qu’Apollon-Hélios, captant dans ses rayons l’âme du théurge, était le véhicule de l’âme ». Sur Hélios comme véhicule de l’âme, voir aussi Jamblique , Réponse à Porphyre (De Mysteriis) 7,2-3 ; Julien, Sur la Mère des dieux 12 (172a-173a) et G. Shaw, Theurgy and the Soul. The Neoplatonism of Iamblichus, University Park (PA), 1995, p. 173 et 226. Sur la configuration du palais impérial et l’emplacement des jardins où Julien aurait fait construire un temple, voir C. Saliou, « Le palais impérial d’Antioche et son contexte à l’époque de Julien. Réflexions sur l’apport des sources littéraires à l’histoire d’un espace urbain », Antiquité tardive 17 (2009), p. 243. 76. Grégoire de Naziance , Discours 4,55 : « Il descendait dans un de ces lieux interdits dont l’accès est refusé à la foule et qui inspirent l’effroi – que n’ont-ils pris le chemin des enfers avant d’en arriver à de telles horreurs ! – ; il était accompagné d’un homme bien digne de tous ces repaires, un homme versé dans ce genre de choses, ou plutôt un sophiste. C’est, en effet, un autre des procédés qu’ils utilisent pour connaître l’avenir que de se rendre dans un lieu ténébreux pour y consulter les démons souterrains sur ce qui doit arriver… ». Traduction J. Bernardi, Grégoire de Naziance, Discours 4-5, Paris, 1983). Voir Théodoret, Histoire ecclésiastique 3,3,2-5.
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vent en de simples rites théurgiques présidés par le philosophe Maxime d’Éphèse 77. Il a choisi, toutefois, conformément aux règles de l’invective, d’accuser son adversaire d’avoir commis les crimes les plus noirs 78. Il est vrai que, vus de l’extérieur, par leurs incantations, leurs symboles, leurs objets rituels (statues, statuettes, images) leurs sacrifices, leurs divinations, les rites théurgiques peuvent se confondre avec des rituels « magiques ». Au sein même des milieux néoplatoniciens, la discussion entre Porphyre et Jamblique sur l’importance de la théurgie montre bien que le problème de cette possible confusion était pris très au sérieux 79. Pour revenir aux Pseudo-Clémentines, il faut donc supposer que les auteurs des Homélies, à la manière de Grégoire, assimilent la pratique de la théurgie à une nécromancie de polémique, c’est-à-dire une nécromancie imaginaire, qui aurait recours au sacrifice d’enfants. Le personnage de Simon incarnerait ainsi, en plus de tout le reste 80, une sorte de philosophe platonicien adepte de la théurgie. Nous nous permettons de rappeler que 77. R. Smith, Julian’s Gods. Religion and Philosophy in the thought and action of Julian the Apostate, Londres, 1995, p. 130, rappelle que ce passage de Grégoire de Naziance (Discours 4,55-56), qui a parfois été compris comme une référence à une initiation mithraïque, renvoie assez clairement à un rite théurgique : « the allusions to Hades and to Maximus of Ephesus to be found in the passage leave little doubt that Gregory is speaking of Julian’s participation in the theurgic rite of Hecate by which Maximus – as we know from Eunapius – set such store ». Smith fait évidemment allusion à la célèbre description que nous donne Eunape de Sardes (Vies de philosophes et de sophistes 7,20-24, dans l’édition de R. Goulet, Collection des Universités de France, 2014 ; p. 44) d’une cérémonie en l’honneur d’Hécate, présidée par Maxime et au cours de laquelle la statue de la déesse se serait animée comme par « magie ». 78. Sur la question du genre de l’invective, voir S. Elm, Sons of Hellenism. Fathers of the Church. Emperor Julian, Gregory of Nazianzus, and the Vision of Rome, Berkeley – Los Angeles. 2012, p. 346. 79. Sur la théurgie et la magie chez Jamblique, voir I. Tanaseanu-Döbler , Theurgy in Late Antiquity. The Invention of a Ritual Tradition, Göttingen, 2013, p. 95-111, pour un traitement récent de la question. Voir aussi C. van Liefferinge , « Magie et théurgie chez Jamblique », dans A. Moreau – J.-Cl. Turpin (éd.), La magie. Actes du colloque international de Montpellier (25-27 mars 1999), II. La magie dans l ’antiquité grecque tardive. Les mythes, Montpellier, 2000, p. 115-125. La discussion entre Porphyre et Jamblique a pris la forme d’un dialogue entre prêtres égyptiens. Porphyre rédige la Lettre à Anébon l ’Égyptien, qu’il destine à Jamblique, alors que Jamblique répond à Porphyre sous le nom de Maître Abamôn. Henri Dominique Saffrey et Alain-Philippe Segonds ont récemment fait paraître dans la Collection des Universités de France, la Lettre à Anébon (2012) et la Réponse de Jamblique (2013), séparément, en deux volumes, dans une édition magistrale. 80. Au sujet du Simon des Pseudo-Clémentines comme figure composite, représentant à la fois les thèses marcionites et pauliniennes inter alia, voir supra note 13. Pour une bibliographie relativement récente sur Simon le Magicien, voir J. N. Bremmer . « Pseudo-Clementines : Texts, Dates, Places, Authors and Magic », dans J. N. Bremmer (éd.), The Pseudo-Clementines. Leuven, 2010, p. 15, note 58.
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les Homélies et les Reconnaissances sont d’abord et avant tout engagées dans une polémique contre l’hellénisme, sous toutes ses formes, et que la forme de l’hellénisme la plus nuisible à leurs yeux est la philosophie, ce qui explique paradoxalement pourquoi tous les personnages ou presque se comportent comme des philosophes. Il convient aussi de rappeler que la période durant laquelle les Pseudo-Clémentines ont été composées voit l’essor de la théurgie, un essor qui atteint son point culminant avec le règne de Julien, lui-même praticien passionné de théurgie. Est-ce à dire qu’il faudrait voir les Pseudo-Clémentines comme une réponse à la philosophie de Julien ? À ses politiques religieuses et à ses attaques contre le christianisme ? Nicole Kelley s’est déjà posé la question en 2006, à propos plus particulièrement des Reconnaissances, et bien qu’elle se soit gardée d’apporter une réponse trop catégorique, elle s’est tout de même permis de souligner la pertinence de mettre en rapport « the Julian episode » avec l’argumentaire des Reconnaissances 81. De manière frappante, observe-t-elle, plusieurs préoccupations de l’empereur Julien (le rôle de la philosophie, les sacrifices, l’astrologie) recoupent les thèmes importants des Pseudo-Clémentines 82 . C onclusion Nous croyons avoir démontré, quoique brièvement, qu’il est possible, à la lumière du contexte religieux et philosophique du IVe siècle (pratique de la nécromancie et de la théurgie), d’interpréter le rituel « magique » de Simon, au cours duquel il sacrifie un enfant pour faire de son âme son assistant, comme une allusion aux rites théurgiques de l’école de Jamblique. La nature même des Pseudo-Clémentines, une œuvre de fiction romanesque, nous empêche d’aller plus loin dans notre démonstration. Pour défendre leurs idées, les auteurs pseudo-clémentins ont effectivement fait le choix du roman, un roman de type historique, faut-il le préciser, dont les personnages appartiennent au premier siècle. Ils ont aussi fait le choix d’utiliser la figure historique de Simon le Magicien pour représenter des thèses et des pratiques condamnables du IVe siècle, ce qui leur imposait 81. N. K elley, Knowledge and Religious Authority in the Pseudo-Clementines. Situating the Recognitions in Fourth Century Syria, Tübingen, 2006, p. 202 : « I am, however, suggesting that the Julian episode provides us with a crucial instance when the Recognitions’ rhetorical agenda would have seemed not just relevant, but acutely important, for its Christian audience living in fourth-century Antioch or Edessa ». 82. N. K elley, Knowledge and Religious Authority in the Pseudo-Clementines. Situating the Recognitions in Fourth Century Syria, Tübingen, 2006, p. 201 : « The events of Julian’s reign intersect and overlap with several of the main ideas put forward by the Recognitions ».
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de contenir leurs intentions polémiques à l’intérieur des contours qui définissaient déjà leur personnage du premier siècle. Autrement dit, par souci de vraisemblance, le Simon pseudo-clémentin devait ressembler, un tant soit peu, au Simon historique. Dans ces conditions, il nous semble normal que les thèses et les pratiques qui font l’objet d’une polémique ne soient jamais clairement nommées et identifiées, même si c’est pour se mettre au service de ces thèses et de ces pratiques que le personnage de Simon transcende sa propre réalité historique. Le rituel décrit dans les Pseudo-Clémentines comme l’acte fondateur de tous ses pouvoirs ressemble vraiment à un rituel « magique », mais, en même temps, s’apparente par certains traits à des rites théurgiques. Le rituel n’est pas parfaitement théurgique, il évoque la théurgie. Notre théorie sur les contacts possibles entre néoplatonisme et PseudoClémentines doit tenir compte de la nature fictive des Homélies et des Reconnaissances et donc « composer » avec la réalité de toute œuvre de fiction qui est de fabriquer des mondes possibles. Dans un sens, comme le fait Simon dans les Pseudo-Clémentines, il est possible de créer un être à partir de l’air, à la condition, bien sûr, qu’il soit fictif et fabriqué à partir de l’air du temps, celui que respirait, par exemple, les théurges Jamblique et Julien.
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L a théogonie orphique des Pseudo - Clémentines Fonction littéraire et polémique* Les Chrétiens de l’Antiquité se sont assez tôt intéressés à la figure d’Orphée et à ses écrits. Athénagore d’Athènes, Clément d’Alexandrie et Eusèbe de Césarée, par exemple, ont cherché, selon le cas, à critiquer ou à récupérer l’autorité du poète thrace. Les Pseudo-Clémentines 1, que l’on a souvent associées aux milieux dits judéo-chrétiens 2 , mais qui se signalent également par l’utilisation d’une forme littéraire toute grecque, le roman, ont choisi, pour leur part, de mettre en scène une discussion sur la théogonie attribuée à Orphée 3. Dans la recherche sur les Pseudo-Clémentines, les passages parallèles des Homélies et des Reconnaissances, qui contiennent cette théogonie orphique, ont généralement suscité deux grandes questions. Premièrement, on a cherché à savoir à quel type de théogonie orphique appartenait la version des Pseudo-Clémentines, sur la base de la classification des variantes que Damascius, dans son Traité des premiers principes, à la fin de l’Antiquité (VIe siècle), en avait proposé 4 , classification reprise en bonne partie, au XXe siècle, par Otto Kern 5 et au XXIe siècle, par Alberto Bernabé (2004* Cette étude a été publiée une première fois dans Apocrypha 32 (2021), p. 85-122. 1. Sur les Pseudo-Clémentines en général, voir P. Geoltrain, « Introduction au Roman pseudo-clémentin », dans P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005, p. 1175-1187 ; B. Pouderon, La genèse du roman pseudo-clémentin. Études littéraires et historiques, Paris – Louvain, 2012 et F. S. Jones , Pseudoclementina elchasaiticaque inter judaeochristiana. Collected Studies, Leuven, 2012, p. 7-49. 2. Au sujet du judéo-christianisme des Pseudo-Clémentines, voir G. Strecker , Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1981 (2e édition) ; S. C. M imouni, Le judéo-christianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998 et A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” after the “Parting of the Ways”. Approaches to Historiography and Self-Definition in the Pseudo-Clementines », dans A. H. Becker – A. Y. R eed (éd.), The Ways that Never Parted. Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Tübingen, 2003, p. 189-231. 3. Homélies 6,3-8 ;12-14 et Reconnaissances 10,17-18 ;30-34. 4. Damascius , Traité des premiers principes 123-124. 5. O. K ern, Orphicorum Fragmenta, Berlin, 1922.
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2007) 6. Deuxièmement, les spécialistes se sont aussi souvent demandé à quelle source remontait la théogonie orphique des Pseudo-Clémentines et à quelle couche rédactionnelle du roman cette source avait été intégrée. Deux études récentes confirment cette approche en deux temps du problème. En 2011, Fabienne Jourdan, dans un ouvrage magistral sur la réception d’Orphée dans la littérature chrétienne, a proposé une réponse très détaillée à ces deux questions par l’analyse la plus complète à ce jour de la théogonie orphique des Pseudo-Clémentines 7. Plus près de nous, en 2019, le grand spécialiste des Pseudo-Clémentines, F. S. Jones a ajouté sa contribution à la recherche sur la question en prenant appui sur les travaux de Jourdan et en accordant une attention toute particulière à la place de la théogonie orphique dans la rédaction du roman pseudo-clémentin 8. Pour notre part, dans cette étude, nous aimerions faire le point sur le problème de la théogonie orphique et répondre, par la même occasion, à deux questions d’une nature différente : pourquoi les auteurs des PseudoClémentines ont-ils intégré à leur récit une discussion sur Orphée et sa théogonie ? comment ce choix s’explique-t-il dans le contexte littéraire du IVe siècle ? Nous établirons donc, en premier lieu, le status quaestionis sur la théogonie orphique des Pseudo-Clémentines. Jourdan et Jones nous serviront de guides. Pour répondre aux questions qui nous intéressent plus particulièrement, nous mettrons ensuite de l’avant une approche différente du problème, non seulement de la théogonie orphique, mais de la composition des Pseudo-Clémentines en général. Il faut, à notre avis, aborder le roman pseudo-clémentin comme une œuvre littéraire, comme un roman justement, par l’analyse du texte et de son contexte. C’est la position que nous avions adoptée, dans notre recherche sur les Pseudo-Clémentines, dès le commencement, il y a vingt ans, quand nous étudions le thème de l’opposition entre Pierre et Simon 9. Les Homélies et les Reconnaissances, telles qu’elles se présentaient au lecteur du IVe siècle, telles qu’elles se présentent encore aujourd’hui au lecteur du XXIe siècle, sont des œuvres, des editiones, comme le disait Rufin, des œuvres à part entière, des corpora,
6. A. Bernabé , Poetae epici graeci testimonia et fragmenta. Pars II. Orphicorum et orphicis similium testimonia et fragmenta, Fasc. 1 (2004), fasc. 3 (2007), München – Leipzig, 2004 ; Berlin, 2007. 7. F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011. 8. F. S. Jones , « The Orphic Cosmo-Theogony in the Pseudo-Clementines », dans G. Bady – D. Cuny (éd.), Les polémiques religieuses du Ier au IVe siècle de notre ère. Hommage à Bernard Pouderon. Paris, 2019, p. 71-82. 9. D. Côté , Le thème de l ’opposition entre Pierre et Simon dans les Pseudo-Clémentines, Paris, 2001.
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pour citer à nouveau Rufin 10. Une editio, c’est le résultat d’un travail de composition, un corpus, c’est une composition qui se tient, en vertu de sa cohérence. En fait, on peut dire qu’il y a l’œuvre littéraire et l’« espace des possibles », qui rend possible sa « production » ; il y a, autrement dit, le « champ littéraire » des Pseudo-Clémentines. Si nous nous permettons de parler, comme Pierre Bourdieu, d’« espace des possibles », de « production culturelle » et de « champ littéraire » 11, c’est que nous croyons que la lecture d’un texte ancien devrait se faire en tenant compte des outils conceptuels de la modernité, dans un dialogue entre le passé et le présent, à la manière de celui que Hans-Georg Gadamer a défini, dans Vérité et méthode, en termes de « fusion d’horizons » 12 . Pour combler la distance temporelle entre un auteur du IVe siècle et un lecteur du XXIe siècle, il faut tenir compte, non seulement de l’intention de l’auteur, mais aussi du contexte entourant le lecteur. « Toute interprétation est contextuelle », rappelle Antoine Compagnon à ce propos 13, et dans notre contexte de lecteur moderne se trouvent des théories littéraires qui font partie de notre « cercle herméneutique » 14 . Dans un sens, nous nous servons de la θεωρία, comme l’enseigne Platon, dans le Banquet, pour mieux voir et mieux comprendre 15. Nous y reviendrons, plus loin, à propos des notions de littérature et de fiction. Sur la question de la théogonie orphique, comme sur d’autres sujets d’ailleurs, la nature même des Homélies et des Reconnaissances, le fait qu’elles soient des œuvres de fiction, n’a pas toujours été suffisamment pris en compte. Nous aimerions montrer les limites d’une lecture des Pseudo-Clémentines qui accorde une grande importance à l’étude des sources et faire valoir les avantages d’une interprétation plus littéraire qui cherche à comprendre les Homélies et les Reconnaissances dans le contexte de la production littéraire du IVe siècle.
10. Rufin d’Aquilée , Préface à Gaudentius 8 : puto quod non lateat, Clementis huius in Graeco eiusdem operis, hoc est Recognitionum, duas editiones haberi et duo corpora esse librorum. 11. Voir P. Bourdieu, Raisons pratiques. Sur la théorie de l ’action, Paris, 1994 et P. Bourdieu, Les règles de l ’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, 1992. 12. H.-G. Gadamer , Vérité et méthode, Paris, 1976, p. 143-148. 13. A. Compagnon, Le démon de la théorie. Littérature et sens commun, Paris, 1998, p. 66. 14. La notion de « cercle herméneutique » (Zirkel im Verstehen) a été définie par Friedrich Schleiermacher (1768-1834). Voir A. Compagnon, Le démon de la théorie. Littérature et sens commun, Paris, 1998, p. 64. 15. Platon, Banquet 210-211.
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CHAPITRE VIII
1. L a
t h éog on i e or ph iqu e de s
P s eu do -C l é m e n t i n es
et l’ état de l a r ech e rch e
Les deux versions du roman, qui raconte l’histoire de Clément de Rome et de sa conversion, mettent en scène une discussion sur les mythes et leur interprétation allégorique qui comprend une théogonie attribuée à Orphée et à Hésiode. 1.1. La théogonie des Homélies Dans les Homélies 16, la discussion oppose Appion, le grammairien alexandrin que Flavius Josèphe a rendu célèbre par l’ouvrage qu’il lui a adressé pour répondre à ses écrits contre les Judéens 17, et Clément de Rome, qui prend ici les traits d’un membre de la famille impériale 18. La discussion porte sur la valeur morale de la culture hellénique et sur l’interprétation allégorique des mythes 19. On peut résumer 20 la théogonie que les Homélies attribuent à Appion en commençant par préciser qu’à l’origine de toutes choses il y a le chaos 21. Ce chaos produit une « matière aux quatre genres », un « être animé », « un abîme infini en flux perpétuel » 22 . L’abîme, entrainé par son propre mouvement, à la manière d’un tourbillon, produit un œuf 23. L’œuf, ce fœtus immense, porté par un souffle divin, émerge à la lumière : « Son aspect avait la rotondité des œufs et la rapidité du vol » 24 .
16. Homélies 6,3-8 ;12-13. 17. Sur le Contre Apion de Flavius Josèphe, voir L. H. Feldman – J. R. L evison (éd.), Josephus’ Contra Apionem : Studies in its Character and Context with a Latin Concordance to the Portion Missing in Greek, Leyde – New York, 1996. Nous aborderons plus loin le personnage d’Appion dans les Homélies, mais nous précisons tout de suite que nous adopterons dans cette étude l’orthographe singulière des PseudoClémentines, avec double consonne, Appion et non pas Apion. 18. Au sujet de la fusion entre Clément, évêque de Rome et le consul Flavius Clemens, voir B. Pouderon, La genèse du roman pseudo-clémentin. Études littéraires et historiques, Paris – Louvain, 2012, p. 49-71. 19. Pour le contexte de la théogonie des Homélies, voir F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 49-51. 20. D’après F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 41-45. 21. Homélies 6,3,1-3. 22. Homélies 6,4,1. Sauf indication contraire, nous citons la traduction française de la Pléiade (P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005). 23. Homélies 6,4,2-3. 24. Homélies 6,4,3.
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Cronos (chronos), le temps et Rhéa (rhéon) 25, le flux « de la substance humide », enfantent « sous forme sphérique, comme un œuf, le ciel qui contient tout » 26. À l’intérieur de l’œuf se forme un être bisexué qu’Orphée appelle Phanès (Brillant) 27 : « Et ainsi, par la grande puissance de cet être qui, en sortant, a brillé, l’enveloppe reçoit son harmonie et possède son ordonnance ; lui-même, il préside pour ainsi dire sur le sommet du ciel et il éclaire d’une manière indicible l’éternité infinie » 28. La partie inférieure de la matière, laissée à l’intérieur de l’enveloppe, se retire en bas, par l’effet de son poids, en raison de « l’abondance de plus en plus grande de substance déposée, on l’appelle Plouton, et on fait de celui-ci le roi de l’Hadès et des morts » 29. « Après le premier sédiment, explique Appion, l’eau qui a afflué et qui a recouvert le premier dépôt », on l’appelle Poséidon. « Quant à la troisième partie, la plus pure et la plus élevée, puisqu’elle est feu resplendissant », on la nomme Zeus, « à cause de la nature bouillante (zéousa) qui est en elle » 30. L’exposé d’Appion se poursuit, mais perd quelque peu de sa couleur orphique. Le grammairien enchaîne alors avec une série d’allégories à saveur stoïcienne sur les noms des divinités grecques 31. 25. Homélies 6,5,1 : Κρόνον οὖν τὸν χρόνον μοι νόει, τὴν δὲ Ῥέαν τὸ ῥέον τῆς ὑγρᾶς οὐσίας… 26. Homélies 6,5,1. 27. Homélies 6,5,4. Voir F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 42 : « Il est nommé Phanès en raison de son apparition (φαίνεσθαι) qui produit l’illumination et l’apparition (φαίνειν) des choses ». 28. Homélies 6,6,2. 29. Homélies 6,6,4. 30. Homélies 6,7,2. 31. Homélies 6,8-10. Le caractère stoïcien de ce que F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 44-45, appelle le commentaire d’Appion ne fait aucun doute. On retrouve, en effet, les étymologies typiquement stoïciennes de noms divins et une physique clairement marquée par le stoïcisme. Sur la physique, Jourdan (p. 45) souligne 1) le rôle fondamental du feu comme « principe créateur », associé à celui du souffle (πνεῦμα), « puissance providentielle » achevant la création et 2) l’opposition entre « un principe actif, divin, intelligent et providentiel » (Zeus est l’αἰθέριος τεχνίτης : Homélies 6,8,1) et « la matière passive sur laquelle il agit ». Elle ajoute que la mention d’une matière liquide pourrait être un « possible souvenir d’une interprétation d’Hésiode développée par Zénon de Cition ». Sur l’allégorie et le stoïcisme, voir A. L e Boulluec , « L’allégorie chez les Stoïciens », Poétique 23 (1975), p. 301-321 ; R. Goulet, « La méthode allégorique des stoïciens », dans G. Romeyer Dherbey – J. B. Gourinat (éd.), Les stoïciens, Paris, 2005, p. 93-119 et J.-B. Gourinat, « Explicatio fabularum : la place de l’allégorie dans l’interprétation stoïcienne de la mythologie », dans G. Dahan – R. Goulet (éd.), Allégorie des poètes, allégorie des philosophes. Études sur la poétique et l ’herméneutique de l ’allégorie de l ’Antiquité à la Réforme, Paris, 2005, p. 9-34. Sur l’interprétation allégorique des mythes en général, voir l’ouvrage classique de J. Pépin, Mythe et allégorie. Les origines grecques et les contestations
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1.2. La théogonie des Reconnaissances Sans nous attarder aux différences de contexte entre les deux versions, nous y reviendrons plus loin, disons que dans le passage parallèle des Reconnaissances 32 , la discussion devient, en quelque sorte, un exposé critique de Clément et de son frère Nicète sur la cosmogonie et la théogonie des Grecs et sur l’interprétation allégorique des mythes 33. En fait, il y a dans les Reconnaissances deux exposés sur la théogonie orphique, celui de Clément 3 4 et celui de Nicète 35. Voyons d’abord l’exposé de Clément. On n’y trouve aucune allusion directe à Orphée. Il est plutôt question des « plus instruits des païens » 36. Le but de l’exposé consiste à critiquer le polythéisme et non l’allégorie. Après la description de la théogonie 37, Clément se livre en effet à une attaque contre Jupiter et ses inconduites 38, se moque des tombeaux de Jupiter 39, des apothéoses et des métamorphoses 4 0 et s’indigne de ce que l’on divinise des criminels 41. Le schéma de la théogonie présentée par Clément est semblable à celui de la théogonie d’Appion, du moins jusqu’à l’apparition de Phanès. Il y a d’abord le chaos. Ensuite, associé au temps, le chaos se donne des limites et un fondement qui prend la forme d’un œuf énorme. Dans l’œuf, avec le temps, un être vivant est couvé et vivifié. L’œuf se fend et « une espèce d’être humain à double forme » en sort, « qu’ils appellent androgyne » et que l’on nomme Phanès, « du verbe signifiant “apparaître”, parce que, dit-on, lorsqu’il était apparu, la lumière s’était mise à briller en même temps » 42 . Ce qui distingue l’exposé de Clément de celui d’Appion c’est l’ajout d’une descendance attribuée à Phanès : « De lui, disent-ils, sont issus la Substance, la Prudence, le Mouvement, le Coït : de ceux-ci ont été faits le judéo-chrétiennes, Paris, 1976 ; L. Brisson, « L’“allégorie” comme interprétation des mythes, de l’Antiquité à la Renaissance », dans B. Pérez-Jean – P. Eichek-L ojkine (éd.), L’allégorie de l ’Antiquité à la Renaissance, Paris, 2004, p. 23-39, et M. K ahlos , « Pagan-Christian Debates over the Interpretation of Texts in Late Antiquity », The Classical World 105 (2012), p. 525-545. 32. Reconnaissances 10,17-18,4 ;30-34. 33. Pour le contexte de la théogonie des Reconnaissances, voir F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 50-51. 34. Reconnaissances 10,17-19. 35. Reconnaissances 10,29-34. 36. Reconnaissances 10,17,2. 37. Reconnaissances 10,17-19. 38. Reconnaissances 10,20-23. 39. Reconnaissances 10,24. 40. Reconnaissances 10,26-27. 41. Reconnaissances 10,28. 42. Reconnaissances 10,17,4.
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Ciel et la Terre » 43. Après la descendance de Phanès, vient la naissance des Titans et des Titanides, selon la théogonie d’Hésiode 4 4 . Le fait que le mariage des Titans entre eux détermine leur place dans l’univers 45 constitue un autre trait caractéristique de l’exposé de Clément 4 6. L’exposé de Nicète complète celui de son frère Clément en ce qu’il se concentre sur la justification des mythes et sur la cosmogonie d’Orphée et d’Hésiode. Dès le départ, Nicète explique qu’il présentera les arguments des « savants parmi les gentils » pour « légitimer ces mythes qui semblent répréhensibles et déshonorants » 47. Il rappelle d’entrée de jeu l’autorité d’Orphée et d’Hésiode en matière de cosmogonie : « Tout discours, chez les Grecs, qui traite de l’origine de l’antiquité se réclame de nombreux auteurs, mais principalement de deux, qui sont Orphée et Hésiode » 48. Il prend également tout de suite position sur l’interprétation allégorique des Grecs : « Leurs écrits se partagent donc en deux modèles de compréhension, l’un selon la lettre, l’autre selon l’allégorie ». « Le vulgaire », précise-t-il, se précipite « vers les écrits qui suivent la lettre, tandis que toute l’éloquence des philosophes et des savants s’est prise d’admiration pour ceux qui s’appuient sur l’allégorie » 49. Après cette entrée en matière, Nicète aborde la théogonie d’Orphée proprement dite 50. Fabienne Jourdan, dont nous suivons ici l’analyse, propose de diviser l’exposé de Nicète en trois parties. Premièrement, une « paraphrase interprétative de la théogonie orphique » 51, qui décrit une séquence cosmo-théogonique semblable à celle d’Appion, avec quelques différences. On retrouve ainsi, au commencement, un chaos éternel, sans limites, inengendré, à l’origine de toutes choses. Ce chaos est en réalité un mélange de toutes choses et non pas un élément liquide comme dans les Homélies. Il enfante un œuf monstrueux, une forme double et androgyne, un mélange hétérogène, principe de toutes choses. Le mélange évolue et produit la séparation des quatre 43. Reconnaissances 10,17,4. 44. Reconnaissances 10,17,5-6. 45. Reconnaissances 10,18. 46. Selon F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 319, ce trait relève de l’esprit allégorique caractéristique du stoïcisme. 47. Reconnaissances 10,29,1. 48. Reconnaissances 10,30,1. 49. Reconnaissances 10,30,2. Sur la critique de l’allégorie dans les Homélies et les Reconnaissances, voir F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 54-60 et J. Pépin, Mythe et allégorie. Les origines grecques et les contestations judéo-chrétiennes, Paris, 1976, p. 395-403 ; 413-414 ; 420-423. 50. Reconnaissances 10,30,3. 51. Reconnaissances 10,30,3-5. F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 319.
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éléments : les éléments primordiaux donnent le ciel et les autres, la terre. Tel est l’enseignement d’Orphée, conclut Nicète 52 . La deuxième partie de l’exposé, suivant l’analyse de Jourdan, est composée des compléments hésiodiques à la théogonie orphique 53 : « Mais ce système est complété encore par Hésiode : immédiatement après le chaos, dit-il, furent faits le ciel et la terre » 54 . Nicète reproduit en effet la série de naissances que l’on trouve chez Hésiode. Du ciel et de la terre naissent les Titans et les Titanides, etc. Troisièmement, une interprétation allégorique de la théogonie orphico-hésiodique vient couronner le tout 55. Nicète débute, comme il se doit, par Saturne : « Donc Saturne et Rhéa dans leur système sont le temps et la matière ; cette dernière, mêlée par le temps à l’humide et au sec, au chaud et au froid, engendre toutes choses » 56 et termine, après une longue énumération de cas particuliers, par Apollon, Mercure et Mars 57. À partir des éléments de théogonie orphique que nous venons de décrire sommairement, les savants qui ont étudié ces passages des Pseudo-Clémentines ont cherché, d’abord et avant tout, à déterminer s’il y avait lieu de rattacher la théogonie d’Appion et de Nicète à l’une des théogonies que décrit Damascius, dernier diadoque de l’École d’Athènes, dans son Traité des premiers principes 58. Autrement dit, on s’est demandé si l’on avait ici affaire à quelque chose d’authentiquement orphique. 1.3. La spécificité de la théogonie des Pseudo-Clémentines Le philosophe néoplatonicien Damascius, dans son Traité des premiers principes, décrit donc trois théogonies orphiques différentes 59. La théogonie des Rhapsodies, i. e. Les discours sacrés en 24 rhapsodies, la version la plus courante à son époque, au début du VIe siècle, la théogonie selon Hiéronymos et Hellanicos, deux auteurs à propos desquels nous savons
52. Reconnaissances 10,30,5. 53. Reconnaissances 10,31,1-4. 54. Reconnaissances 10,31,1. 55. Reconnaissances 10,31,5-34. 56. Reconnaissances 10,31,5. 57. Reconnaissances 10,34,4. 58. Damascius , Traité des premiers principes 123-124. À propos de la place de l’orphisme dans le système de Damascius (c. 462-538), voir L. Brisson, « Damascius et l’orphisme », dans Ph. Borgeaud (éd.), Orphisme et Orphée, en l ’honneur de Jean Rudhardt, Genève, 1991, p. 157-209. 59. Pour un résumé des trois théogonies, voir L. Brisson, « Les théogonies orphiques et le papyrus de Derveni », Revue de l ’Histoire des Religions 202 (1985), p. 390-395 et L. Brisson, « Orphée et l’Orphisme à l’époque impériale : témoignages et interprétations philosophiques, de Plutarque à Jamblique », dans Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt, Teil II, Band 36.4, Berlin – New York, 1990, p. 2875-2914.
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peu de choses 60, et la théogonie que mentionne Eudémos, un disciple d’Aristote qui aurait rédigé un ouvrage dans lequel il comparait les cosmogonies d’Orphée, Homère et Hésiode 61. La classification de Damascius a été reprise par Otto Kern, dans ses Orphicorum Fragmenta (1922), qui regroupe les fragments de textes orphiques et les témoignages sur cette base. Depuis la découverte, en 1962, à Derveni, près de Thessalonique, d’un papyrus contenant le commentaire d’un texte d’inspiration orphique 62 , il faut ajouter un quatrième type de théogonie attribuée à Orphée. Dans le système de M. L. West (1983), qui ajoute deux versions à celles définies par Damascius, la « Cyclic Theogony » et la « Protogonos Theogony », la théogonie de Derveni appartient d’ailleurs à cette dernière catégorie 63. Alberto Bernabé, dans son édition des fragmenta et des testimonia orphiques, propose, pour sa part, un classement en neuf catégories qui comprend notamment les trois versions de Damascius et celle du papyrus de Derveni, les fragments d’une théogonie d’origine égyptienne et des fragments qui sont d’une origine ou d’un type indéterminé 6 4 .
60. Voir D. A. M eisner , Orphic Tradition and the Birth of the Gods, Oxford, 2018, p. 122. 61. D. A. M eisner , Orphic Tradition and the Birth of the Gods, Oxford, 2018, p. 87. 62. La documentation sur le Papyrus de Derveni est immense. Nous nous contenterons ici de mentionner un ouvrage récent : M. A. Santamaria (éd.), The Derveni Papyrus. Unearthing Ancient Mysteries, Leyde – Boston, 2019 et l’excellente synthèse de G. Betegh, The Derveni Papyrus : Cosmology, Theology and Interpretation, Cambridge, 2004, de rappeler également l’existence de la traduction française de F. Jourdan, parue en 2003, aux Belles Lettres et de renvoyer finalement à D. A. M eisner , Orphic Tradition and the Birth of the Gods, Oxford, 2018, p. 51-85 et à R. G. Edmonds III, Redefining Ancient Orphism. A Study in Greek Religion, Cambridge, 2013, p. 59-63. 63. M. L. West, The Orphic Poems, Oxford, 1983. Le chapitre III s’intitule « The Protogonos and Derveni Theogonies ». Sur ce point, voir les remarques de C. L opez-Ruiz , When the Gods Were Born. Greek Cosmogonies and the Near East, Cambridge (Mass.), 2010, p. 135 et les réserves de R. G. Edmonds III, Redefining Ancient Orphism. A Study in Greek Religion, Cambridge, 2013, p. 155-159. 64. A. Bernabé , Poetae epici graeci. Testimonia et fragmenta. Pars II. Fasc. 1, München – Leipzig, 2004, p. 1-2 : « in hac editione theogoniarum fragmenta ita instruxi : 1) duo carminum initia quae plurimis theogoniis communia sunt, quasi Orphicarum theogoniarum σφραγίδες (fr. 1) ; 2) theogoniae ap. P. Derveni servatae fragmenta (frr. 2-18) ; 3) Eudemi theogoniae fragmenta (frr. 19-27) ; 4) fragmenta theogoniae antiquae, fortasse eiusdem vel consimilis atque Eudemia vel atque illius ap. P. Derveni servatae (frr. 28-39) ; 5) fragmenta Αἰγυπτίου ἱεροῦ λόγου et carmina in ritibus Bacchicis usa quibus Aegyptia origo tribuitur (frr. 40-63) ; 6) fragmenta antiquiora in quibus priscae Orphicae theogoniae vel priscarum Orphicarum theogoniarum vestigia deprehendi posse videntur (frr. 64-68) ; 7) Hieronymi et Hellanici theogoniae fragmenta (frr. 69-89) ; 8) Rhapsodiarum fragmenta (frr. 90-359) ; 9) alia fragmenta theogonica quorum origo incerta est (frr. 360-367) … ».
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C’est un système à quatre théogonies, les trois versions de Damascius et la théogonie de Derveni, qui semble maintenant avoir remporté l’adhésion, du moins si l’on en juge par les travaux récents sur la question 65 et c’est en fonction de ce système que la spécificité de la théogonie des Pseudo-Clémentines a été étudiée au cours des trente dernières années. L’on s’entend généralement pour écarter d’emblée tout rapprochement avec la version la plus ancienne de la théogonie orphique, celle dont le péripatéticien Eudémos et le Papyrus de Derveni seraient des témoins 66, puisqu’elle a pour principe primordial la Nuit et non le Chaos comme c’est le cas pour la théogonie des Pseudo-Clémentines 67. Il reste donc la théogonie de Hiéronymos et celle des Rhapsodies. Dans l’histoire de la recherche sur les relations entre les Pseudo-Clémentines et l’orphisme, la théogonie des Homélies (6) et des Reconnaissances (10) a d’abord été classée parmi les fragments de la théogonie de Hiéronymos 68. Rappelons d’abord que dans la version de Hiéronymos et d’Hella-
65. Voir D. A. M eisner , Orphic Tradition and the Birth of the Gods, Oxford, 2018, p. 1 et C. L opez-Ruiz , When the Gods Were Born. Greek Cosmogonies and the Near East, Cambridge (Mass.), 2010, p. 133-137. 66. Parmi les témoins de la version ancienne, on cite habituellement un passage des Oiseaux d’Aristophane (693-703 = K ern F 1 ; Bernabé OF 64). Damascius , Traité des premiers principes 124, cité ici dans l’édition de L. G. Westerink et la traduction de J. Combès (Paris, 1991, p. 162, lignes 19-22), se contente de dire : « La théologie décrite chez le péripatéticien Eudème comme étant d’Orphée a passé sous silence tout l’intelligible, parce qu’il est complètement ineffable et inconnaissable par le procédé discursif et narratif ; cette théologie a fait de la Nuit le commencement… ». L. Brisson, « Orphée et l’Orphisme à l’époque impériale : témoignages et interprétations philosophiques, de Plutarque à Jamblique », dans Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt, Teil II, Band 36.4, Berlin – New York, 1990, p. 28772878, considère que le commentaire consigné dans le Papyrus de Derveni porte sur la même théogonie que celle évoquée dans le passage d’Aristophane. Voir D. A. M eisner , Orphic Tradition and the Birth of the Gods, Oxford, 2018, p. 88. 67. Voir F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 291-294 ; L. R. L anzillotta, « Orphic Cosmogonies in the PseudoClementines ? Textual Relationship, Character and Sources of Homilies 6.3-13 and Recognitions 10.17-19.30 », dans J. N. Bremmer (éd.), The Pseudo-Clementines, Leuven, 2010, p. 136-140 ; M. H errero de Jauregui, Orphism and Christianity in Late Antiquity, Berlin – New York, 2010, p. 171-172 ; L. Brisson, « Orphée et l’Orphisme à l’époque impériale : témoignages et interprétations philosophiques, de Plutarque à Jamblique », dans Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt, Teil II, Band 36.4, Berlin – New York, 1990, p. 2902-2911. 68. O. K ern, Orphicorum fragmenta, Berlin, 1922, p. 132-136, fragmenta 55 et 56. Voir L. Brisson, « Orphée et l’Orphisme à l’époque impériale : témoignages et interprétations philosophiques, de Plutarque à Jamblique », dans Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt, Teil II, Band 36.4, Berlin – New York, 1990, p. 29022911.
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nicos 69 il y a deux principes primordiaux, l’eau et la matière, dont vient la terre. D’eux naît Chronos, un serpent ailé pourvu de plusieurs têtes (homme, taureau, lion). Cet être s’appelle aussi Héraclès, il est bisexué et couplé avec Adrastée (Nécessité). Ce même être engendre l’Éther, Chaos et l’Érèbe et dépose en eux l’œuf dont sort le dieu que l’on appelle Zeus, Pan et Protogonos. Comme le rappelle Fabienne Jourdan, le rapprochement de la théogonie des Pseudo-Clémentines avec la version de Hiéronymos et d’Hellanicos repose sur le fait que les deux théogonies placent comme principe de l’univers un mélange composé de terre et d’eau 70. Pour qu’un tel rapprochement soit possible, il faut, en fait, considérer que la théogonie des Homélies débute en 6,3 (sorte de prologue qui harmonise Homère et Hésiode) : Il fut un temps où rien n’était, excepté le chaos et un mélange indistinct d’éléments encore entassés sans ordre ; qu’il en soit ainsi, la nature l’assure et les plus grands hommes l’ont pensé. Je te citerai le témoignage du plus grand d’entre les grands sages, Homère lui-même ; car il a dit à propos de la confusion de jadis : « Eh bien ! Puissiez-vous devenir tous eau et terre ! » Le sens est que tous les êtres ont reçu de là leur origine et qu’après la dissolution de la substance humide et terreuse ils sont ramenés à l’état de la nature première, qui est le chaos. Quant à Hésiode, il dit dans la Théogonie : « Donc, tout d’abord, fut produit le chaos ».
Et non en 6,4 : « Orphée, lui, compare le chaos à un œuf, dans lequel les premiers éléments étaient confondus… ». Lautaro Roig Lanzillotta souligne toutefois que dans les Homélies la matière primordiale n’est pas exactement l’eau mais une substance qui a une fluidité, une « sorte d’abîme infini en flux perpétuel » 71. Il dresse ensuite une liste de toutes les différences entre les deux théogonies, parmi lesquelles le processus de formation de l’œuf, le rôle du πνεῦμα dans les Homélies et celui de Chronos dans la théogonie de Hiéronymos 72 . À propos de Chronos, Jourdan fait justement remarquer qu’il n’y a pas, dans la théogonie des Pseudo-Clémentines, une figure de Chronos qui, « issue du matériau premier, serait asso69. Fragmenta 69-89 dans l’édition de Bernabé. 70. F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 292-293. Voir L. R. L anzillotta, « Orphic Cosmogonies in the PseudoClementines ? Textual Relationship, Character and Sources of Homilies 6.3-13 and Recognitions 10.17-19.30 », dans J. N. Bremmer (éd.), The Pseudo-Clementines, Leuven, 2010, p. 139. 71. Homélies 6,4,1. 72. L. R. L anzillotta, « Orphic Cosmogonies in the Pseudo-Clementines ? Textual Relationship, Character and Sources of Homilies 6.3-13 and Recognitions 10.17-19.30 », dans J. N. Bremmer (éd.), The Pseudo-Clementines, Leuven, 2010, p. 139.
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ciée à Héraclès et aurait une forme serpentine, une tête de lion, une autre de taureau et un visage divin entre ces deux têtes », une figure hybride qui donnerait elle-même naissance à l’œuf cosmique 73. Depuis les travaux d’Alberto Bernabé et plus particulièrement depuis son édition des fragmenta et des testimonia orphiques (2004-2007), la tendance est plutôt de ranger la théogonie orphique des Pseudo-Clémentines parmi les témoins de la théogonie des Rhapsodies 74 . Rappelons que selon Damascius, la théogonie des Rhapsodies pose comme principe primordial Chronos : « Ils [les philosophes] mettent Chronos à la place de l’unique principe du tout » 75. De Chronos naissent Éther et Chasma (Chaos). Dans l’Éther, Chronos fabrique un œuf argenté dont sort un être extraordinaire aux multiples noms. Il s’agit d’un être double, androgyne, ailé, affublé de plusieurs têtes d’animaux (lion, bélier, taureau, serpent). 73. F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 293. 74. A. Bernabé , « La teogonia orfica citada en las Pseudoclementina », Adamantius 14 (2008), p. 79-99. Dans son édition des fragments de la théogonie orphique (Poetae epici graeci. Testimonia et fragmenta. Pars II. Fasc. 1, 2004), dans la section ΙΕΡΟΙ ΛΟΓΟΙ ΕΝ ΡΑΨΩΔΙΑΙΣ (fr. 90-359), Bernabé distribue les passages des Homélies et des Reconnaissances en fonction de différents critères comme e.g. « materies primordialis antequam Tempus nascitur et ordinatio mundi incipiat » (fr. 103-104) ou bien « ovum cosmicum » (fr. 114-117). La théogonie des Homélies : fragmenta 103 V, 104 I, 114 X, 115, 117, 120 I et II, 121 III et VI, 127 II, 140 XIII, 171, 189 II, 202 IV, 203 I, 204 I, 207 I, 225 VI, 240 X, 263 III, 328 VI et X. La théogonie des Reconnaissances : fragmenta 104 II et III, 114 XI, 121 VII et VIII, 127 III et IV, 139 IV, 149 VI et VIII, 179 X, 184, 200 II, 203 III, 204 III, 207 III, 213 VII, 214 III, 215 III, 236 II. Voir L. R. L anzillotta, « Orphic Cosmogonies in the Pseudo-Clementines ? Textual Relationship, Character and Sources of Homilies 6.3-13 and Recognitions 10.17-19.30 », dans J. N. Bremmer (éd.), The Pseudo-Clementines, Leuven, 2010, p. 139, qui considère que J. Van A mersfoort (« Traces of an Alexandrian Orphic Theogony in the Pseudo-Clementines », dans R. van den Broek – M. J. Vermaseren (éd.), Studies in Gnosticism and Hellenitic Religions, Leyde, p. 13-30) a été le premier à remettre en question le classement de la théogonie pseudo-clémentine parmi les témoins de la version de Hiéronymos. En fait, Van A mersfoort règle le problème de classification de la théogonie des Pseudo-Clémentines en concluant que cette théogonie est une théogonie sui generis d’origine alexandrine. 75. Damascius , Traité des premiers principes 123 (Édition de Westerink et Combès [supra note 59], p. 159, lignes 19-20). Sur la théogonie des Rhapsodies, voir M. L. West, The Orphic Poems, Oxford, 1983, p. 227-251 ; L. Brisson, « Orphée et l’Orphisme à l’époque impériale : témoignages et interprétations philosophiques, de Plutarque à Jamblique », dans Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt, Teil II, Band 36.4, Berlin – New York, 1990, p. 2885-2897 et D. A. M eisner , Orphic Tradition and the Birth of the Gods, Oxford, 2018, p. 159-236. Sur la place qu’occupe cette théogonie dans le système de Damascius, voir L. Brisson, « Damascius et l’orphisme », dans Ph. Borgeaud (éd.), Orphisme et Orphée, en l ’honneur de Jean Rudhardt, Genève, 1991, p. 168-195.
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Cet être est appelé Phanès, Éros, Métis, Protogonos, Ériképaios 76. Jourdan considère, en effet, que le rapprochement de la théogonie des Pseudo-Clémentines, celle des Homélies plus particulièrement, avec celle des Rhapsodies est le plus convaincant : « L’une et l’autre semblant placer une matière recelant les quatre éléments à l’origine de toutes choses » 77. La place et la fonction de Chronos dans la version des Homélies semblent pourtant faire obstacle à un tel rapprochement puisque la théogonie que connaissent Proclus et Damascius pose nettement le Temps comme principe du processus cosmogonique. En fait, selon Jourdan, il faut distinguer, dans la théogonie des Homélies, un prélude (6,3), qui vise à faire l’harmonie des trois cosmogonies grecques ; une paraphrase cosmogonique de la théogonie (6,4 ; 6,5,2 et 4 ; 6,6,1-3) et finalement un commentaire allégorique (6,5,1,3 et 5) 78. La mention de Chronos dans les Homélies relèverait ainsi du commentaire allégorique 79. Une analyse plus fine du « cadre exégétique » de la « théogonie d’Appion » permet, toujours suivant Jourdan, de dégager les grandes étapes de sa formation 80. Il y aurait eu, premièrement, une version de la théogonie, marquée par le platonisme, ensuite, l’élaboration d’une première paraphrase « platonisante » de la théogonie (6,4,1), troisièmement, la rédaction d’une seconde paraphrase cosmogonique, marquée par une « empreinte stoïcisante » et enrichie de réflexions scientifiques et médicales, et finalement, la définition d’un cadre stoïcisant avec commentaires allégoriques qui fait l’accord entre les trois cosmogonies et donne des « correspondants physiques aux dieux ».
76. Il y a ensuite Nuit, mère, épouse et fille de Phanès, puis le Premier règne, celui de Phanès, le Second règne, celui de Nuit, fille de Phanès, le Troisième règne, celui d’Ouranos et de Gaia, le Quatrième règne, celui de Cronos et de Rhéa, le Cinquième règne, celui de Zeus, et le Sixième règne, celui de Dionysos. Voir le schéma de L. Brisson, « Les théogonies orphiques et le papyrus de Derveni », Revue de l ’Histoire des Religions 202 (1985), p. 394. 77. F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 293. 78. F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 294. 79. F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 293 : « Il est donc difficile de rattacher la théogonie évoquée dans le roman à la version A’ des Rhapsodies utilisée par les néo-Platoniciens. Nous proposons donc de considérer cette dernière, avec la place primordiale qu’elle accorde au Temps, comme tardive et de penser que les Homélies offrent le témoignage d’une version (que nous appellerons A) des Rhapsodies qui lui est antérieure ». 80. F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 295.
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1.4. La théogonie orphique des Homélies et des Reconnaissances et les sources des Pseudo-Clémentines Il s’agit maintenant d’expliquer comment cette théogonie orphique se serait retrouvée dans les Pseudo-Clémentines, comment elle aurait été intégrée à la rédaction du roman pseudo-clémentin. 1.4.1. La reconstruction de Jourdan À la fin de l’Annexe 3 81, consacrée à un commentaire de la « théo-cosmogonie orphique » dans le roman pseudo-clémentin, Fabienne Jourdan aborde la question des sources du roman et cherche à savoir comment les auteurs des Pseudo-Clémentines auraient utilisé les sources d’où proviendraient la théogonie et ses paraphrases. Nous précisons qu’elle adopte pour ce faire le schéma accepté par la majorité des spécialistes des Pseudo-Clémentines depuis la fin du XIXe siècle et qui suppose que les deux versions du roman remonteraient à une source commune, l’Écrit de base (Grundschrift) que « chacune réécrirait à sa façon » 82 . Elle adopte également la datation habituelle des Homélies, composées avant 325, des Reconnaissances, rédigées avant 379, mais émet quelques réserves à propos du terminus a quo, 222, retenu pour l’Écrit de base 83. La théogonie citée dans les Pseudo-Clémentines serait une « réécriture médio-platonicienne » d’une version ancienne du poème orphique 84 . Dans le schéma de la page 318, Fabienne Jourdan suppose l’existence d’une « version originelle de la théogonie orphique » qu’elle désigne par la lettre O. Cette théogonie serait en fait l’ancêtre (A) des Rhapsodies citées par les néoplatoniciens (A’). A aurait fait l’objet d’un « commentaire platonisant » et aurait été enchâssé dans un « cadre stoïcisant ». C’est ici qu’intervient la question des sources du roman pseudo-clémentin. L’auteur de l’Écrit de base aurait utilisé ce commentaire de la théogonie A et l’aurait peut-être modifié. À ce stade, Fabienne Jourdan n’exclut pas la possibilité de l’intermédiaire 81. F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 334-336. Voir aussi le schéma de la page 318. 82. F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 35. Pour un résumé relativement récent et très bien documenté sur l’hypothèse de la Grundschrift, voir B. Pouderon, La genèse du roman pseudo-clémentin. Études littéraires et historiques, Paris – Louvain, 2012, p. 285-290. 83. F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 36. 84. F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 335.
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d’un écrit judéen 85. Les Homélies auraient ensuite repris le commentaire alors que les Reconnaissances auraient réécrit le texte, ce qui aurait entraîné la disparition du cadre de la discussion avec Appion (« trop marqué par la polémique judéenne »), une simplification de l’harmonisation des théogonies pour produire un exposé plus clair et cohérent, et une tendance trop exclusivement stoïcienne remplacée par une interprétation plutôt syncrétique (physique de tendance aristotélico-platonicienne). 1.4.2. La théogonie orphique du « Basic Writer » selon Stanley Jones Très récemment, en 2019, Stanley Jones, dans un ouvrage en hommage à Bernard Pouderon, a proposé une brève étude de la cosmo-théogonie orphique des Pseudo-Clémentines 86. Il y fait évidemment référence à l’étude remarquable de Fabienne Jourdan, que nous avons suivi jusqu’ici et qu’il cite à quelques reprises pour souligner, par exemple, que les Pseudo-Clémentines reproduisent une version plus ancienne que celle mentionnée par les néoplatoniciens 87. Il ne remet pas en question la stratification proposée par Fabienne Jourdan 88, mais il ne s’intéresse pas vraiment non plus au 85. C’est l’hypothèse d’une source judéenne à l’origine des Homélies 4 à 6. Selon F. S. Jones , « The Pseudo-Clementines : A History of Research. Part I », Second Century 2 (1982), p. 27, A. Hilgenfeld (Die clementinischen Recognitionen und Homilien nach ihrem Ursprung und Inhalt dargestellt, Leipzig, 1848) aurait été le premier à proposer une telle hypothèse. Cette source serait mentionnée par Eusèbe de Césarée, dans son Histoire ecclésiastique (3,38,5), lorsqu’il fait référence aux Dialogues de Pierre et d ’Apion. Par la suite, c’est W. Heintze (Der Klemensroman und seine griechischen Quellen, Leipzig, 1914, p. 50) qui précise qu’il s’agirait d’un écrit polémique judéen qui remonterait à circa 200 (p. 112). C. Schmidt (Studien zu den Pseudo-Clementinen, Leipzig, 1929, p. 160-239) et O. Cullmann (Le problème littéraire et historique du roman pseudo-clémentin : Étude sur le rapport entre le gnosticisme et le judéo-christianisme, Paris, 1930, p. 116-131), adoptent son point de vue. Plus récemment, B. Pouderon (« Aux origines du roman clémentin : Prototype païen, refonte judéo-hellénistique, remaniement chrétien », dans Le judéochristianisme dans tous ses états : Actes du colloque de Jérusalem [6-10 juillet 1998], Paris, 1998, p. 231-256) a réfuté la thèse de Heintze pour en mettre de l’avant une autre : un écrit judéen, une sorte de roman (circa 100), serait la source non seulement de la discussion avec Appion mais de tout le roman pseudo-clémentin. Encore plus récemment, en 2010, J. C. Paget ( Jews, Christians and Jewish Christians in Antiquity, Tübingen, p. 427-488) a proposé de retourner carrément à l’hypothèse de Heintze. 86. F. S. Jones , « The Orphic Cosmo-Theogony in the Pseudo-Clementines », dans G. Bady – D. Cuny (éd.), Les polémiques religieuses du Ier au IVe siècle de notre ère. Hommage à Bernard Pouderon, Paris, 2019, p. 71-82. 87. F. S. Jones , « The Orphic Cosmo-Theogony in the Pseudo-Clementines », dans G. Bady – D. Cuny (éd.), Les polémiques religieuses du Ier au IVe siècle de notre ère. Hommage à Bernard Pouderon, Paris, 2019, p. 71. 88. F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris,
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détail de son analyse. Le propos clairement établi de Stanley Jones consiste plutôt à reconstituer la cosmo-théogonie du Basic Writer à partir des passages parallèles des Homélies et des Reconnaissances 89. Jones cite l’exemple de l’œuf et de la bulle. Il note, à ce propos, que les Homélies et les Reconnaissances s’entendent sur certains éléments : « Both versions speak of the egg also as a “globe” (Hom. VI, 4,3 ; 12,2 ; Rec. X, 17,3), and both state that this globe was broken (Hom. VI, 12,2 ; Rec. X, 17,3) » 90. Ces éléments appartiennent donc, selon Jones, au Basic Writing. Il relève ensuite, sur ce point, les différences entre les Homélies et les Reconnaissances. Les deux versions parlent bien d’une bulle, mais seules les Homélies, suivant son interprétation, font de la bulle et de l’œuf une même chose, alors que les Reconnaissances font de la bulle une entité distincte 91. La question pour Jones est donc de savoir « Which version best preserves the earlier account in the Basic Writing ? ». Pour répondre à la question, il faut accorder, à son avis, la priorité à un critère bien particulier (« the key parallel for the determination of priority ») : l’ordre de naissance des Cronides Pluton, Poséidon et Zeus, ce que Jones appelle « a numbering system » 92 . Si l’on ne tient pas compte de la cohérence et de l’unité propre à chaque version, les Homélies et les Reconnaissances semblent, en effet, s’entendre sur la naissance, en premier, de Pluton, entraîné vers le bas par son poids, suivi de Poséidon et de Zeus, la matière la plus élevée i. e. le feu. Pour Jones cette séquence, ce « numbering system », est la pierre d’assise, « the essential backbone », de la cosmo-théogonie du Basic Writer. Comme seules les Homélies assimilent Phanès au feu 93, ce qui semble faire double emploi avec le rôle attribué à Zeus, Jones conclut qu’il s’agit d’une addition des Homélies. De même, comme les Reconnaissances assimilent Pluton à la 2011, p. 318. 89. F. S. Jones , « The Orphic Cosmo-Theogony in the Pseudo-Clementines », dans G. Bady – D. Cuny (éd.), Les polémiques religieuses du Ier au IVe siècle de notre ère. Hommage à Bernard Pouderon, Paris, 2019, p. 72-73. Sur l’importance de l’Écrit de base et de son auteur dans les travaux de F. S. Jones sur les Pseudo-Clémentines, voir F. S. Jones , Pseudoclementina elchasaiticaque inter judaeochristiana. Collected Studies. Leuven, 2012, p. 31 : « The Basic Writer has not by any means received adequate attention in previous research, mainly because the search for the sources of B (particularly the Kerygmata Petrou) has dominated in most of these studies ». 90. F. S. Jones , « The Orphic Cosmo-Theogony in the Pseudo-Clementines », dans G. Bady – D. Cuny (éd.), Les polémiques religieuses du Ier au IVe siècle de notre ère. Hommage à Bernard Pouderon, Paris, 2019, p. 74. 91. Homélies 6,4,3 ; Reconnaissances 10,32. 92. F. S. Jones , « The Orphic Cosmo-Theogony in the Pseudo-Clementines », dans G. Bady – D. Cuny (éd.), Les polémiques religieuses du Ier au IVe siècle de notre ère. Hommage à Bernard Pouderon, Paris, 2019, p. 74. 93. F. S. Jones , « The Orphic Cosmo-Theogony in the Pseudo-Clementines », dans G. Bady – D. Cuny (éd.), Les polémiques religieuses du Ier au IVe siècle de notre ère. Hommage à Bernard Pouderon, Paris, 2019, p. 74. Voir Homélies 6,5,4-6,2.
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bulle et que Pluton est le premier élément de la séquence privilégiée par Jones, il faut conclure, selon lui, que l’équation œuf = bulle serait le fait des Homélies et que les Reconnaissances auraient préservé la séquence originale, celle du Basic Writing 94 . Que dans les Homélies Pluton soit décrit comme la partie inférieure de la matière issue de l’œuf 95, alors que dans les Reconnaissances il le soit plutôt comme la bulle tout entière 96, n’a pas été pris en considération par Jones. En réalité, Jones semble prendre appui sur l’exposé de Nicète dans les Reconnaissances (10,32) 97 pour déterminer la séquence du Basic Writing, sans tenir compte du fait que dans ce passage on décrit une cosmogonie de type hésiodique, qui n’a plus grand-chose à voir avec l’orphisme, alors que dans les Homélies les deux théogonies sont plus étroitement imbriquées. La recherche à tout prix de ce qui serait la théogonie orphique du Basic Writer ne permet pas, selon nous, d’apprécier vraiment la cohérence et l’intention propres à chacune des deux versions. Pour Jones cette recherche du texte fondamental est cependant la seule façon valable d’étudier les Pseudo-Clémentines, quelle que soit la question abordée 98 : If one accepts the thesis of a Basic Writing that was used independently by the Klementia and the Recognition, then exact isolation of parallel passages is methodologically the essential first step in the study of any Pseudo-Clementine problem. Parallels are the absolute indicators of presence in the Basic Writing and thus provide the master key for interpretation of the (redactional) work of the Klementinist and the Recognitionist. This principle must take unconditional priority over suppositions based on content, philosophical reasoning, or any other considerations. Thus, the decisive presupposition for treatment of any Pseudo-Clementine issue is to locate all relevant parallel passages.
Une telle position, s’il faut l’en croire, nous impose donc une seule approche des Pseudo-Clémentines : l’étude de ses sources hypothétiques.
94. F. S. Jones , « The Orphic Cosmo-Theogony in the Pseudo-Clementines », dans G. Bady – D. Cuny (éd.), Les polémiques religieuses du Ier au IVe siècle de notre ère. Hommage à Bernard Pouderon, Paris, 2019, p. 75. 95. Homélies 6,4. 96. Reconnaissances 10,32,1-2. 97. Reconnaissances 10,32,1-6. 98. F. S. Jones , « The Orphic Cosmo-Theogony in the Pseudo-Clementines », dans G. Bady – D. Cuny (éd.), Les polémiques religieuses du Ier au IVe siècle de notre ère. Hommage à Bernard Pouderon, Paris, 2019, p. 72.
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CHAPITRE VIII
2. La
t h éog on i e or ph iqu e de s
P seu do -C l é m e n t i n e s Cl é m e n t
et l a com posi t ion du rom a n de
Jusqu’ici, nous avons suivi et nous avons repris, dans ses grandes lignes, l’analyse rigoureuse de Fabienne Jourdan. Son commentaire de la théogonie orphique des Pseudo-Clémentines, dans ses deux versions, attentif aux influences platoniciennes et stoïciennes, en souligne bien la complexité. Il met en évidence les subtiles articulations du texte. Nous nous permettons, cependant, de prendre nos distances par rapport à sa position sur la question des sources et sur l’intégration d’une théogonie orphique à la rédaction du roman pseudo-clémentin. Il est normal que Jourdan ait abordé le problème en tenant compte de la vulgate sur la genèse des Pseudo-Clémentines. La critique des sources, c’est la voie que l’on emprunte habituellement, depuis plus de 150 ans, pour expliquer la composition du roman. Le hic, c’est que cette voie passe justement à côté de la composition du roman. Dans le même souffle, nous nous permettons également de prendre nos distances par rapport à la position quelque peu dogmatique de Stanley Jones sur la nécessité absolue de passer par la critique des sources pour aborder le corpus pseudo-clémentin. Non seulement nous croyons qu’il est possible d’étudier les Pseudo-Clémentines sans passer par la reconstitution de l’Écrit de base, mais nous croyons même qu’il est devenu nécessaire de le faire pour réellement comprendre le roman dans son ensemble 99. En effet, le problème avec l’approche de la Quellenforschung et sa fragmentation du texte c’est qu’elle nous fait perdre de vue le texte lui-même et son auteur, qu’il soit connu ou non, pour nous amener à accorder plus d’importance à ses sources, qu’elles soient hypothétiques ou non 100. Le problème est d’au-
99. C’est d’ailleurs le propos de Patricia Duncan dans l’ouvrage qu’elle a récemment consacré aux Homélies : Novel Hermeneutics in the Greek Pseudo-Clementine Romance, Tübingen, 2017. Voir la recension de Bernard Pouderon dans Apocrypha 30 (2019), p. 229-232. Voir P. A. Duncan, « The Case for Tolerance in the Early Christian (Pseudo-Clementine) Novel », dans M. B.-A. Siegal – W. Grünstäudl – M. Thiessen (éd.), Perceiving the Other in Ancient Judaism and Early Christianity, Tübingen, 2017, p. 83, qui déplore l’obsession d’une certaine recherche pseudo-clémentine pour le problème littéraire du roman : « One of the rather odd consequences of this state of affairs is that the novels as we have them are still not as well understood as we might expect ». 100. Sur les limites et les problèmes liés à la Quellenforschung, dans le domaine des études classiques, voir G. W. Most, « The Rise and Fall of Quellenforschung », dans A. Blair – A.-S. Goeing (éd.), For the Sake of Learning. Essays in Honor of Anthony Grafton, Leyde, 2016, p. 933-954 et C. Muntz , Diodorus Siculus and the World of the Late Roman Republic, Oxford, 2017, p. 1-24 (Chapitre 1 : « Diodorus, Quellenforschung, and Beyond »).
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tant plus marqué dans le cas des Pseudo-Clémentines que les sources supposées du roman n’ont aucune matérialité ni aucune attestation assurée 101. 2.1. L’hypothèse de la Grundschrift Ce qui est matériellement attesté, ce qui nous a bel et bien été transmis par les manuscrits, ce sont deux textes qui présentent des similitudes frappantes, parce qu’ils racontent tous les deux l’histoire de Clément de Rome, et qui datent du IVe siècle. Ce sont les Homélies et les Reconnaissances. Parce qu’il s’agit d’un doublet, on a rapidement émis l’hypothèse d’une source commune, d’un Écrit de base. L’hypothèse est devenue, tout aussi rapidement, un « fait », généralement admis par la très grande majorité des clémentinistes. Un doute, néanmoins, subsiste dans l’esprit de certains et suscite une question : avons-nous vraiment besoin de l’hypothèse d’un Écrit de base ? La question, qui n’est pas nouvelle et qui n’a toujours pas trouvé de réponse satisfaisante, mérite d’être posée. Dans son analyse des deux versions de la théogonie orphique des Clémentines, Jourdan, qui n’est pas une spécialiste des Pseudo-Clémentines et qui pour cette raison peut jeter un regard extérieur sur le problème, se permet justement d’émettre un doute sur l’hypothèse de la Grundschrift. Par exemple, à propos de l’idée que les Reconnaissances présenteraient une version plus orthodoxe du roman, elle note que A. Schliemann (1844), G. Uhlhorn (1854) et J. Chapman (1902), « n’émettant pas l’hypothèse de l’Écrit de base, pensent, quant à eux, que les Reconnaissances sont une réplique polémique directe aux Homélies, ce qui, selon nous, ne serait peut-être pas à exclure » 102 . Au sujet de l’hypothèse voulant que les Homélies aient repris les doctrines ésotériques de l’Écrit de base, elle souligne qu’il « serait alors tentant de penser que les Homélies sont, sinon l’Écrit de base lui-même, du moins la version qui s’en approche le plus. Se poserait alors la question de la dépendance des 101. Nous pensons au cas des Itinéraires de Pierre, les Περίοδοι Πέτρου, source dont Oscar Cullmann (Le problème littéraire et historique du roman pseudo-clémentin : Étude sur le rapport entre le gnosticisme et le judéo-christianisme, Paris, 1930, p. 107-108) a supposé l’existence à partir d’une mention, dans la Lettre de Clément à Jacques (20), un des écrits liminaires des Pseudo-Clémentines, à un « abrégé des prédications itinérantes de Pierre » (Κλήμεντος τῶν Πέτρου ἐπιδημίων κηρυγμάτων ἐπιτομή ou Clementis itinerarium praedicationis Petri) et des références chez Origène (Philocalie d ’Origène 23,22) et Épiphane (Panarion 30,15,1) inter alios à des Περίοδοι Πέτρου. Bien que Pouderon, (La genèse du roman pseudo-clémentin. Études littéraires et historiques, Paris – Louvain, 2012, p. 87-103 et surtout p. 289290), soit d’avis que la Grundschrift et les Περίοδοι Πέτρου soient la même chose, le contenu de ces Περίοδοι Πέτρου nous semble difficile à définir avec certitude. 102. F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 37, note 94.
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Reconnaissances à leur égard. A. Schliemann et G. Uhlhorn, qui ne font pas l’hypothèse de l’Écrit de base, considèrent ces dernières comme issues des Homélies » 103. En fait, comme le suggèrent les remarques de Jourdan, les similitudes et les différences entre les Homélies et les Reconnaissances peuvent toutes s’expliquer par la réécriture des Homélies par les Reconnaissances. En schématisant un peu disons qu’il y a d’abord les Homélies, qui défendent des thèses radicales sur un certain nombre de points, comme la doctrine des syzygies ou celle des fausses péricopes. Viennent ensuite les Reconnaissances, qui procèdent à une réécriture des Homélies, ce qui donne une version plus « orthodoxe », moins judéenne, en y ajoutant des éléments qui lui sont propres comme, inter alia, le discours de Jacques au Livre 1 des Reconnaissances (66,2-71,6) 104 et l’utilisation du Livre des lois et des pays de Bardesane au Livre 8 105. Il y a enfin et aussi la traduction des Reconnaissances par Rufin d’Aquilée, qui a pu donner lieu à une forme de réécriture. Qu’il y ait eu avant (et sans doute après) les Homélies d’autres textes qui aient fait le récit de la rencontre entre Pierre et Clément ou celui de la discussion entre Pierre et Simon ne fait aucun doute, comme l’attestent les références à des Περίοδοι Πέτρου, chez Origène ou à des « Dialogues de Pierre et d’Apion », chez Eusèbe de Césarée. Que ces textes, qui ne sont connus que par des fragments, aient été des sources utilisées par les Homélies ne peut être démontré de manière entièrement satisfaisante et relève donc de l’hypothèse pure et simple. Glen W. Bowersock, à propos des origines et des sources du roman grec, a utilisé l’image des « building 103. F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 38, note 107. Au sujet d’une autre possibilité, celle voulant que les Reconnaissances aient emprunté aux Homélies et le rejet de cette hypothèse par G. Strecker (Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1981 [2e édition]), sous prétexte qu’Appion est absent des Reconnaissances et que la fin est différente, Jourdan observe que « s’il fallait définitivement abandonner l’hypothèse que les Homélies sont l’Écrit de base, il n’en demeurerait selon nous pas moins possible que les Reconnaissances leur empruntent ou que les Homélies soient la version qui, concernant ces deux passages du moins, s’approche le plus de l’Écrit de base ». 104. Depuis les travaux de F. S. Jones sur la question (An Ancient Jewish Christian Source on the History of Christianity. Pseudo-Clementine Recognitions I, 27-71, Atlanta, 1995) certains considèrent que le contenu du passage, qui inclut le discours de Jacques en Reconnaissances 1,27-71, proviendrait d’une source judéo-chrétienne. Voir L. Cirillo – A. Schneider , « Introduction aux Reconnaissances », dans P. Geoltrain – J. D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005, p. 1602-1606. 105. Sur Bardesane et les Reconnaissances, voir J. Aubin, « Épicure et Bardesane astrologues : l’exposé de Nicétas au livre VIII des Recognitiones pseudo-clémentines », Apocrypha 29 (2018), p. 97-111.
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blocks » 106. En fait, il existe d’autres modèles théoriques qui permettent de comprendre la présence de thèmes communs dans un certain nombre de textes, comme l’intertextualité ou la transtextualité ou d’autres types de « textualités » 107, des modèles qui offrent l’avantage de respecter l’intégrité du texte et de laisser ouvert le champ des explications possibles. Signalons au passage que Jürgen Wehnert, dans son introduction à sa traduction allemande des Homélies, résume le développement du roman pseudo-clémentin sans utiliser l’hypothèse de la Grundschrift. Il parle plutôt de couches (Schichten) et de niveaux (Stufen) 108. 2.2. Les Homélies et les Reconnaissances en tant qu’œuvres littéraires de fiction Cette hypothèse, qui fait l’économie d’un Écrit de base, qui se limite aux textes existants et qui suppose la réécriture des Homélies par les Reconnaissances, se défend, si l’on cesse de voir dans les deux versions du roman le résultat d’une compilation mécanique des sources antérieures pour les voir plutôt comme des œuvres de fiction, comme des œuvres littéraires. Il est notoirement difficile de définir les notions de littérature et de fiction 109. Qu’est-ce qui est littéraire et qu’est-ce qui ne l’est pas ? La « littérature est-elle une fiction » 110 ? La littérature est-elle du « langage non instrumental, dont la valeur est en lui-même » 111 ? Ou bien, la littérature est-elle « l’art du langage » et dans ce cas, la « littérarité » serait définie comme « ce qui fait d’un message verbal une œuvre d’art » 112 ? Dans Le 106. G. W. Bowersock , Fiction as History. Nero to Julian, Berkeley, 1994, p. 124-125 : « Let us remember that the invocation of sources and antecedents never provides an explanation of an innovation : they can only reveal, inadequately at best, some of the building blocks that were used to construct it ». 107. Pour un survol de la notion d’intertextualité, on consultera, parmi une multitude de publications, A. Graham, Intertextuality, New York, 2011 et A. C. Gignoux, Initiation à l ’intertextualité, Paris, 2005. Au sujet de l’intertextualité et de ses variations terminologiques, voir G. Genette , Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, 1982, p. 7-74. 108. J. Wehnert, Pseudoklementinische Homilien. Einführung und Übersetzung, Göttingen, 2010, p. 30-36. 109. Pour s’en donner une idée, voir R. Barthes , Le degré zéro de l ’écriture, Paris, 1953, p. 1-17 ; T. Todorov, La notion de littérature et autres essais, Paris, 1987, p. 9-26, A. Compagnon, Le démon de la théorie. Littérature et sens commun, Paris, 1998, p. 29-46 et E. Fraisse – B. Mouralis , Questions générales de littérature, Paris, 2001, p. 79-136. En ce qui concerne la définition de la fiction, voir G. Genette , Fiction et diction, Paris, 2004 [1979, 1991], p. 91-168 ; J.-M. Schaeffer , Pourquoi la fiction ? Paris, 1999, p. 133-230 ; Th. G. Pavel , Fictional Worlds, Cambridge (Mass.), 1986 ; D. Cohn, The Distinction of Fiction, Baltimore, 1999. 110. T. Todorov, La notion de littérature et autres essais, Paris, 1987, p. 12. 111. T. Todorov, La notion de littérature et autres essais, Paris, 1987, p. 15. 112. G. Genette , Fiction et diction, Paris, 2004 [1979, 1991], p. 91-92, qui emprunte à Roman Jacobson (Essais de linguistique générale, Paris, 1963, p. 210), la
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démon de la théorie, Antoine Compagnon, après avoir passé en revue les différentes définitions de la littérature, de guerre lasse, conclut le chapitre qu’il consacre à la question par une pétition de principe : « la littérature, c’est la littérature » 113. Il entend par là que « la définition d’un terme comme littérature ne donnera jamais autre chose que l’ensemble des occurrences dans lesquelles les usagers d’une langue acceptent d’employer ce terme » 114 . Autrement dit, précise-t-il, « c’est une société qui décide que certains textes sont littéraires par l’usage qu’elle en fait hors de leurs contextes originaux » 115. « Toute littérature n’est pas fiction, toute fiction n’est pas littérature », disait John Searle 116, mais il reste que la « littérarité » s’exprime par le « fictionnel » ou le lyrique, les deux « genres fondamentaux » de ce que Käte Hamburger appelle la Dichtung 117, la poésie au sens aristotélicien du terme. Laissons de côté le « lyrique », qui ne s’applique pas à notre sujet, et retenons que le « fictionnel » ou le « mimétique », ce qui est la même chose pour Käte Hamburger, se comprend « au sens de mise en forme, de production et de reproduction » 118. La μίμησις, chez Aristote, passe, bien entendu, par le récit (μῦθος) 119. Pour ne pas nous perdre dans le dédale des discussions théoriques et pour nous en tenir aux fins de la démonstration, nous proposons ici les éléments d’une définition opératoire du littéraire et du fictif. Est littéraire tout texte qui porte la marque d’un certain travail sur la forme, qui passe notamment par l’emploi de genres, de procédés et de figures. Est fictif tout texte qui met en forme une imitation, une représentation du réel, qui passe par le récit. Nous précisons qu’un texte fictif peut avoir une capacité référentielle. Dans une fiction narrative comme les Pseudo-Clémentines, les personnages d’Appion, Clément, Pierre et Simon, parce qu’ils appartiennent à l’Histoire, constituent des éléments référentiels 120. Sur la base de cette définition, on peut considérer les Pseudo-Clémentines comme des œuvres littéraires parce qu’elles utilisent des genres : le notion de « littérarité ». 113. A. Compagnon, Le démon de la théorie. Littérature et sens commun, Paris, 1998, p. 45. 114. A. Compagnon, Le démon de la théorie. Littérature et sens commun, Paris, 1998, p. 45. 115. A. Compagnon, Le démon de la théorie. Littérature et sens commun, Paris, 1998, p. 45. 116. J. Searle , Sens et expression, Paris, 1982, p. 101-103, apud G. Genette , Fiction et diction, Paris, 2004 [1979, 1991], p. 119. 117. K. H amburger , Logique des genres littéraires, Paris, Seuil, 1986 [1957], p. 207-208, apud G. Genette , Fiction et diction, Paris, 2004 [1979, 1991], p. 101. 118. K. H amburger , Logique des genres littéraires, Paris, Seuil, 1986 [1957], p. 208, apud G. Genette , Fiction et diction, Paris, 2004 [1979, 1991], p. 98. 119. A ristote , Poétique 1450a 3-4 : ἔστιν δὲ τῆς μὲν πράξεως ὁ μῦθος ἡ μίμησις. 120. Voir C. Montalbetti, La fiction, Paris, 2001, p. 31-40.
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roman, le dialogue, la lettre, et des procédés : la reconnaissance et la mise en abîme inter alia 121. La démonstration du caractère romanesque des Pseudo-Clémentines n’est plus à faire. Meinolf Vielberg, parmi d’autres, y a consacré une bonne partie de sa recherche 122 . Nous nous sommes nousmême intéressé à l’utilisation des genres dans les Pseudo-Clémentines 123. En matière de procédés, celui qu’Aristote définit comme la « reconnaissance » (ἀναγνώρισις) 124 et qui est devenu l’un des procédés littéraires les plus caractéristiques du roman grec 125, a évidemment donné son titre au récit de Clément : les Reconnaissances. Deux lecteurs de l’Antiquité, Rufin d’Aquilée et Photius, connaissaient d’ailleurs les textes que nous appelons les Homélies et les Reconnaissances sous le nom de Reconnaissance ou
121. Au sujet des procédés littéraires et surtout romanesques dans les PseudoClémentines, voir S. Montiglio, Love and Providence : Recognition in the Ancient Novel, Oxford, 2012, p. 210-211 ; S. Tilg, Chariton of Aphrodisias and the Invention of the Greek Love Novel, Oxford, 2010, p. 64 ; I. Czachesz , « The Clement Romance : Is it a Novel ? », dans J. N. Bremmer (éd.), The Pseudo-Clementines, Leuven, 2010, p. 26 ; W. Robins , « Romance and Renunciation at the Turn of the Fifth Century », Journal of Early Christian Studies 8 (2000), p. 539 ; M. J. Edwards , « The Clementina : A Christian Response to the Pagan Novel », Classical Quarterly 42 (1992), p. 459 et T. H ägg, The Novel in Antiquity, Berkeley – Loes Angeles, 1983, p. 162-164. 122. Voir M. Vielberg, Klemens in den pseudoklementinischen Rekognitionen. Studien zur literarischen Form des spätantiken Romans, Berlin, 2000. Vielberg dresse la liste de tous les thèmes et les motifs romanesques présents dans les PseudoClémentines (p. 112-113). 123. Voir D. Côté , Le thème de l ’opposition entre Pierre et Simon dans les Pseudo-Clémentines, Paris, 2001, p. 206-209, pour le dialogue ; D. Côté , « Les procédés rhétoriques dans les Pseudo-Clémentines. L’éloge de l’adultère d’Apion », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 189-210, pour la lettre érotique, et D. Côté , « Les Pseudo-Clémentines ou le choix du roman grec », dans B. Bitton-A shkelony – Th. De Bruyn – C. H arrison (éd.), Patristic Studies in the Twenty-first Century. Proceedings of an International Conference to Mark the 50 th Anniversary of the International Association of Patristic Studies, Turnhout, 2015, p. 473-496, pour le roman. 124. A ristote , Poétique 1452a 29-31 : « La reconnaissance, comme d’ailleurs le nom l’indique, est un passage de l’ignorance à la connaissance » = ἀναγνώρισις δέ, ὥσπερ καὶ τοὔνομα σημαίνει, ἐξ ἀγνοίας εἰς γνῶσιν μεταβολή. Traduction J. H ardy, Aristote, Poétique, Paris, 1985 [1932]. 125. Sur le procédé de la reconnaissance dans le roman grec, voir S. Montiglio, Love and Providence : Recognition in the Ancient Novel, Oxford, 2012. Sur l’emploi du même procédé dans les Pseudo-Clémentines, voir P. Boulhol , « La conversion de l’anagnorismos profane dans le roman pseudo-clémentin », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 151-175.
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Reconnaissances de Clément 126. On peut ainsi supposer que, dans l’Antiquité, les Pseudo-Clémentines étaient connues, lues et appréciées, du moins par certains, comme un roman, ce qui confirme leur statut d’œuvres littéraires puisque, selon Emmanuel Fraisse et Bernard Mouralis, le caractère littéraire d’un texte repose notamment sur la connaissance de certains codes par le destinataire 127. On peut également voir les Homélies et les Reconnaissances comme des œuvres de fiction parce qu’elles mettent de l’avant une représentation de la réalité, une réalité historique en l’occurrence, qui prend la forme d’un récit, celui de Clément et de sa famille, auquel s’ajoute un autre récit, celui de l’opposition entre Pierre et Simon. En 2001, dans notre étude sur l’opposition entre Pierre et Simon, nous soulignions déjà l’importance de la fiction pour l’interprétation des Pseudo-Clémentines. Nous y renvoyons le lecteur 128. 2.3. La fonction littéraire de la théogonie orphique des Homélies et des Reconnaissances Revenons à la théogonie orphique des Pseudo-Clémentines et à nos deux questions de départ. Pourquoi les auteurs des Pseudo-Clémentines ont-ils intégré à leur récit une discussion sur Orphée et sa théogonie ? Comment ce choix s’explique-t-il dans le contexte littéraire du IVe siècle ? Répondre à ces questions, c’est chercher à établir, d’abord, la fonction d’une théogonie orphique dans une œuvre de fiction littéraire du IVe siècle et, ensuite, l’importance de l’orphisme dans la culture philosophique du IVe siècle. Com-
126. Rufin d’Aquilée , Préface à Gaudentius 8 : « Il ne t’est pas inconnu, je pense, que de cette même œuvre de Clément, Les Reconnaissances, il existe en grec deux éditions et deux collections de livres, présentant un récit qui diffère sur quelques points, mais qui est identique dans la plupart des cas (puto quod non lateat, Clementis huius in Graeco eiusdem operis, hoc est Recognitionum, duas editiones haberi et duo corpora esse librorum, in aliquantis quidem diversae, in multis tamen eiusdem narrationis) » ; Photius , Bibliothèque, codices 112-113 : « Lu de Clément de Rome deux volumes, dont l’un est intitulé Constitutions des Apôtres par Clément et contient les canons synodaux attribués à l’assemblée des Apôtres. L’autre est dédié sous forme de lettre à Jacques, le frère du Christ ; on y trouve les soi-disant Actes de l’apôtre Pierre, les Entretiens avec Simon le magicien et aussi la reconnaissance de Clément, de son père et de ses autres frères, ce qui fait que, dans certaines copies, le titre est Reconnaissance de Clément de Rome (καὶ ἔτι ὁ ἀναγνωρισμὸς Κλήμεντος καὶ τοῦ πατρὸς καὶ τῶν ἄλλων ἀδελφῶν, διὸ καὶ ἔν τισι τῶν βιβλίων ἡ ἐπιγραφὴ “Κλήμεντος τοῦ Ῥωμαίου ἀναγνωρισμός” ἐπιγράφεται) ». Traduction R. H enry, Photius, Bibliothèque, II (« Codices 84-185 »), Paris, 1960. 127. Voir à ce sujet, E. Fraisse – B. Mouralis , Questions générales de littérature, Paris, 2001, p. 54-62. 128. D. Côté , Le thème de l ’opposition entre Pierre et Simon dans les PseudoClémentines, Paris, 2001, p. 261-274.
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mençons par la fonction littéraire de la théogonie orphique des PseudoClémentines. Au départ, c’est au personnage d’Appion qu’est associée la théogonie orphique. L’auteur des Homélies a, en effet, choisi d’intégrer une référence à Orphée au discours du grammairien sur l’interprétation allégorique des mythes. Le critère le plus important pour déterminer la fonction littéraire de la théogonie devrait donc correspondre à l’intention du personnage d’Appion dans la logique du récit pseudo-clémentin. Pour bien la cerner, cette intention, il sera utile de rappeler brièvement le contexte entourant la présentation de la théogonie dans les Homélies. La comparaison avec le contexte des Reconnaissances permettra d’en définir les contours avec plus de netteté. 2.3.1. Le contexte des Homélies. Une discussion entre Appion et Clément sur la valeur de la culture hellénique et des mythes 129 Dans les Homélies, la théogonie attribuée essentiellement à Orphée fait partie d’une discussion sur la culture grecque, entre Clément et Appion, le célèbre grammairien alexandrin 130. Appion, un ami du père de Clément, retrouve, par hasard, le fils de son ami, à Césarée. Informé de la récente conversion de Clément aux doctrines des Judéens, Appion entreprend de le ramener à la raison et à la παιδεία 131. Au deuxième jour de la discussion, Clément raconte à l’auditoire, en l’absence d’Appion, comment le grammairien lui avait composé un éloge d’Éros et de l’adultère, il y a de cela quelques années. Le grammairien croyait alors le jeune homme amoureux d’une femme mariée et voulait, au moyen de cet éloge, persuader la bien-aimée de céder à ses avances 132 . Le 129. Voir F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 49-51. 130. Homélies 4-6. 131. Homélies 4,7,1-3. 132. C’est le contenu de la deuxième journée de discussion que décrit le livre 5 des Homélies. À propos de cet éloge de l’adultère attribué au grammairien Apion, voir W. A dler , « Apion’s “Encomium of Adultery” : A Jewish Satire of Greek Paideia in the Pseudo-Clementine Homilies », Hebrew Union College Annual 64 (1993), p. 15-49 ; D. Côté, « Les procédés rhétoriques dans les Pseudo-Clémentines. L’éloge de l’adultère d’Apion », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 189-210 et D. Côté , « Rhetoric and Jewish Christianity : The Case of the Grammarian Apion in the Pseudo-Clementine Homilies », dans P. P io vanelli – T. Burke (éd.), Rediscovering the Apocryphal Continent. New Perspectives on Early Christian and Late Antique Apocryphal Texts and Traditions, Tübingen, 2015, p. 369-389.
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jour suivant, en présence d’Appion cette fois, Clément laisse la parole à son adversaire pour qu’il explique sa pensée sur les dieux et sur les mythes 133. Au sujet de l’éloge de l’adultère qu’il avait jadis commis pour soulager les souffrances du jeune Clément, Appion reconnaît qu’il avait, à ce momentlà, « proféré beaucoup de mensonges contre les dieux, disant qu’ils étaient pédérastes, impudiques, qu’ils avaient des liaisons avec leurs mères, leurs filles et qu’ils se livraient à des adultères innombrables » 134 . Il n’en pensait évidemment rien, explique-t-il à Clément. En fait, pour Appion, les mythes doivent être compris de manière allégorique : « Mais, comme je te l’ai dit, mon fils, ces récits contiennent une doctrine appropriée et philosophique, qui peut être exprimée par l’allégorie, de manière à susciter ton admiration, si tu écoutes » 135. Il expose ensuite une théogonie qu’il fonde très brièvement sur Homère et sur Hésiode 136, pour ensuite passer à l’autorité d’Orphée : « Orphée, lui, compare le chaos à un œuf, dans lequel les premiers éléments étaient confondus. Le chaos du récit d’Hésiode est précisément ce qu’Orphée appelle un œuf engendré, émis hors de la matière infinie… » 137. Dans le récit des Homélies, la fonction de la théogonie orphique consiste à montrer comment un représentant de la παιδεία, comme Appion, peut justifier, par l’interprétation allégorique des mythes transmis par un poète, comme Orphée, la philosophie du polythéisme. Elle est là l’intention du personnage d’Appion. Le point principal, à notre avis, pour comprendre la présence d’une matière orphique dans les Homélies n’est donc pas de savoir si l’auteur a eu accès à une authentique version de la théogonie orphique, celle des rhapsodies par exemple, ce qui est probable, mais plutôt de savoir à quelle fin le personnage d’Appion cite Orphée à l’appui de sa thèse. 2.3.2. Le contexte des Reconnaissances. Une discussion entre Clément, Nicète et Faustinianus, leur père, sur l’astrologie et la mythologie 138 Le personnage d’Appion n’existe pas dans les Reconnaissances. La « discussion » sur la mythologie et son interprétation a plutôt été déplacée dans le cadre de la discussion à Laodicée, sur l’astrologie et la mythologie 139, entre Clément, Pierre, ses frères, d’une part, et un vieillard, qui 133. Homélies 6. 134. Homélies 6,1,3. 135. Homélies 6,2,12. 136. Homère , Iliade 7,99 ; H ésiode , Théogonie 116. 137. Homélies 6,3,4. 138. Voir F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 50-52. 139. Reconnaissances 8-10. Sur l’astrologie dans les Reconnaissances, voir N. K elley, Knowledge and Religious Authority in the Pseudo-Clementines. Situating the
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se révèlera être leur père, Faustinianus, d’autre part. Les Reconnaissances situent la reconnaissance de la famille de Clément à la fin de la discussion sur l’astrologie comme une réfutation tangible de l’astrologie 140. Sur ce point, il nous semble d’ailleurs que le cadre choisi pour la discussion dans les Homélies soit plus vraisemblable et plus en phase avec le thème de la conversion de Clément que celui des Reconnaissances. Tout d’abord, contrairement à ce qui se produit dans le cas de l’astrologie, il n’y a pas de véritable discussion sur la mythologie dans les Reconnaissances. Les deux frères se livrent à un réquisitoire contre les mythes et leur interprétation allégorique 141, réquisitoire suivi d’une charge de Pierre contre les prétentions des philosophes 142 . Faustinianus ne défend pas la thèse des Grecs sur les mythes comme il l’avait fait pour l’astrologie. Au contraire, dans les Homélies, le thème donne lieu à une discussion en bonne et due forme. Après l’exposé et les commentaires d’Appion, Clément propose une réfutation de la théogonie orphico-hésiodique du grammairien et de son interprétation allégorique. S’il n’y a pas de discussion sur la mythologie et son interprétation dans les Reconnaissances, c’est tout simplement parce que Clément et Nicétas en parlent en tant que « païens » convertis 143. La fonction littéraire de la théogonie orphique dans les Homélies, rattachée à la fonction du personnage d’Appion, paraît encore plus évidente si on la compare à celle que lui attribue un auteur chrétien comme Athénagore dans sa Supplique au sujet des Chrétiens 144 . Athénagore, sous le règne de Marc-Aurèle, rédige un discours qui a pour but d’obtenir le rétablissement d’une politique de tolérance à l’égard des Chrétiens. Il s’agit pour ce faire de réfuter les accusations d’athéisme portées contre eux et de les retourner contre les païens en s’attaquant à l’athéisme des poètes grecs tels
Recognitions in Fourth Century Syria, Tübingen, 2006, p. 82-134. 140. Reconnaissances 9,34-35. 141. Reconnaissances 10,17-41. 142. Reconnaissances 10,42-52. 143. F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 50-51 : « Dans les Reconnaissances, la théogonie et son commentaire sont pris dans un cadre critique rendu plus explicite par le fait que ce sont deux païens convertis qui les mentionnent… ». 144. F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 20-34. Sur Athénagore, on consultera les travaux de Bernard Pouderon, en commençant par son édition de la Supplique aux chrétiens et du traité Sur la résurrection des morts dans la collection « Sources chrétiennes » (no 379, 1992). Voir aussi B. Pouderon, Athénagore d ’Athènes, philosophe chrétien, Paris, 1989 et B. Pouderon, D’Athènes à Alexandrie. Études sur Athénagore et les origines de la philosophie chrétienne, Québec-Louvain – Paris, 1997.
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Homère et Orphée 145. La théogonie orphique qu’il cite dans son réquisitoire a donc pour fonction de confirmer l’athéisme des Grecs. Le genre du discours judiciaire et l’intention de son auteur supposent que la citation soit authentique. On peut sans doute rapprocher le propos d’Athénagore de celui des Homélies en soulignant, comme le fait Jourdan 146, qu’ils se livrent tous les deux à une critique de l’orphisme, mais il demeure important de noter que les Homélies se livrent à une critique de la vérité des mythes grecs qui passe par la fiction du personnage d’Appion. La théogonie qu’il explique par l’allégorie et dont Clément fait la critique est une composition et non pas une citation. De fait, on aura composé une théogonie suffisamment élaborée et une interprétation allégorique suffisamment subtile pour que l’exercice permette au célèbre grammairien de faire étalage de son érudition. On aura choisi de faire porter l’exercice sur un type de mythe particulièrement complexe, la théogonie orphique, pour illustrer la supériorité supposée de la παιδεία. On aura placé la barre assez haut pour que la réplique de Clément, un πεπαιδευμένος comme Appion, lui permette également de briller par son érudition. En effet, après l’exposé d’Appion, Clément est en mesure de poursuivre et de compléter la démonstration allégorique de son interlocuteur 147. Il s’agit de montrer à la foule qu’il connaît, lui aussi, la παιδεία, à laquelle il a renoncé et qu’il s’apprête à attaquer, il la connaît aussi bien qu’Appion. En effet, après le complément de programme qu’il propose au grammairien, Clément s’en prend au principe même de l’allégorie. Il n’y a pas de philosophie derrière les mythes, comme le prétend Appion. De toute manière, si c’était le cas, pourquoi l’avoir cachée sous des mythes pervers 148 ? C’était là donner aux impies un prétexte pour commettre des crimes semblables 149. En fait, on peut dire que la théogonie orphique, au livre 6 des Homélies, joue le même rôle que l’éloge de l’adultère, au livre 5. Dans les deux cas, il s’agit de montrer comment un 145. Voir M. H errero de Jauregui, Orphism and Christianity in Late Antiquity, Berlin – New York, 2010, p. 167-170. 146. F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 20. 147. Homélies 6,12-16. 148. Homélies 6,17,1 : « Cependant, une chose m’étonne : tout cela pouvait être indiqué clairement, pieusement et utilement, par la voie découverte et droite ; or tu qualifies de sensés et de sages les gens qui l’ont caché sous des énigmes obliques et dissimulé sous des mythes pervers, alors qu’ils ont été poussés par un démon mauvais et qu’ils ont ainsi tendu des pièges à presque toute l’humanité ! ». 149. Homélies 6,18,1 : « Ne prends donc pas ces gens pour des sages, mais pour des démons mauvais ; car ils ont couvert des hauts faits sous des fables perverses, pour pousser ceux qui veulent imiter les êtres supérieurs à reproduire les actions des prétendus dieux » et 18,2 : « Parmi ces gens, les plus impies veulent que ces actions passent pour vraies, afin de commettre sans rougir des crimes semblables ».
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πεπαιδευμένος comme Appion peut déployer tout son art, éloge paradoxal, d’un côté, et interprétation savante d’un mythe sophistiqué, de l’autre, pour justifier des actions immorales. 2.3.3. La composition de la théogonie Quand nous disons que la théogonie orphique d’Appion est une composition nous n’entendons pas par-là que les Homélies ont créé de toutes pièces une théogonie. Nous disons simplement qu’une œuvre de fiction comme le sont les Pseudo-Clémentines proposent une représentation de la réalité. La réalité dont il est ici question est celle du grammairien Apion, une figure historique, et celle des théogonies orphiques et de leurs interprétations platoniciennes et stoïciennes, qui sont attestées dans un nombre considérable de sources comme l’ont montré les travaux d’Otto Kern et d’Alberto Bernabé. La fiction littéraire prend appui sur la réalité et en donne une représentation qui doit paraître vraisemblable. Dans le cas qui nous occupe, la théogonie d’Appion a été élaborée à partir d’une certaine connaissance des théogonies orphiques (milieux platoniciens) et des lectures allégoriques qui les accompagnent (influence stoïcienne). Cette connaissance d’un matériau orphique et de ses interprétations, que Fabienne Jourdan distribue entre différentes sources et dont elle retrace la formation et l’évolution dans le cadre d’un schéma complexe, comme nous l’avons vu dans la première partie de cet article, nous préférons l’attribuer à l’auteur des Homélies et la situer dans le cadre de son travail de composition. Par ailleurs, en présence de l’originalité de la théogonie orphique des Pseudo-Clémentines, certains savants, sans utiliser les notions de fiction littéraire et de composition, ont simplement renoncé à la classer ou à lui trouver une source. Ainsi, Jaap Van Amersfoort, en 1981, devant la difficulté à classer la théogonie des Pseudo-Clémentines, adoptait le point de vue d’une théogonie sui generis 150. Jean-Michel Roessli, plus récemment, face à la même impasse, faisait état d’une « théogonie orphique pour laquelle nous n’avons pas d’équivalent exact dans les sources anciennes » 151. 150. J. van A mersfoort, « Traces of an Alexandrian Orphic Theogony in the Pseudo-Clementines », dans R. van den Broek – M. J. Vermaseren (éd.), Studies in Gnosticism and Hellenitic Religions, Leyde, p. 30. Même point de vue exprimé par O. Gruppe , Die griechischen Culte und Mythen in ihren Beziehungen zu den orientalischen Religionen. I, Leipzig, 1887, p. 641, apud L. R. L anzillotta, « Orphic Cosmogonies in the Pseudo-Clementines ? Textual Relationship, Character and Sources of Homilies 6.3-13 and Recognitions 10.17-19.30 », dans J. N. Bremmer (éd.), The Pseudo-Clementines, Leuven, 2010, p. 139. 151. J.-M. Roessli, « La cosmo-théogonie orphique du roman pseudo-clémentin. Note sur ses sources et son utilisation dans les Homélies et les Reconnaissances », Les Études Classiques 76 (2008), p. 94 : « Mais de petites différences irréductibles entre la théogonie du roman pseudo-clémentin et celle des Rhapsodies m’incitent
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D’autres savants, qui se sont avant tout intéressés à l’orphisme en tant que religion ou en tant que tradition, ont utilisé la notion de « bricolage » pour rendre compte de la difficulté à classer les différentes formes que prend la théogonie orphique dans l’Antiquité. C’est le cas de Radcliffe Edmonds, dans son étude consacrée à l’orphisme, à propos de Jourdan et de Bernabé qui considèrent la théogonie des Pseudo-Clémentines comme un témoin de la théogonie des Rhapsodies : « Despite their arguments, I am not convinced that a stemma of the transmission of the mythic tale can be constructed, and I would prefer to see formation of the theogonies in these texts as the looser product of bricolage. The contradictions with which they grapple can better be explained by a variety of sources loosely followed, some of which may have been later compiled into the Rhapsodies… » 152 . C’est aussi le cas de Dwayne Meisner qui, dès le premier chapitre de son ouvrage sur la tradition orphique, annonce qu’il entend reconstruire l’histoire des théogonies sur la base du concept de bricolage tel que Claude Lévi-Strauss le définit dans La pensée sauvage à propos de la « pensée mythique » et de la « science du concret » 153 : « … rather than viewing these theogonies through the rigid model of a manuscript tradition, it would be preferable to interpret each individual text or fragment as the original creation of a bricoleur : an anonymous author who drew from the elements of myth that were available at the time, and reconfigured these elements in a way that was relevant to the pseudepigrapher’s particular context » 154 . Composition ou bricolage, la théogonie orphique d’Appion n’est pas une fabrication fantaisiste. Elle n’est pas non plus une citation en règle d’une version de la théogonie des Rhapsodes qui aurait véritablement existé. L’intention du texte ne l’exige pas. Ce que l’intention du texte exige, en revanche, c’est de comprendre que l’interprétation allégorique de la cosmogonie harmonisée d’Hésiode et Orphée fait partie d’une discussion dont le but est de démontrer le fondement démonique de la παιδεία : « Oui, je dis, moi, que toute la culture à envisager une troisième solution et à voir dans ce roman chrétien les traces d’une théogonie ou d’une variante de la théogonie orphique pour laquelle nous n’avons pas d’équivalent exact dans les sources anciennes… ». 152. R. G. Edmonds III, Redefining Ancient Orphism. A Study in Greek Religion, Cambridge, 2013, p. 35, note 91. 153. C. L évi-Strauss , La pensée sauvage, Paris, 1962, p. 30-36. « Or, le propre de la pensée mythique est de s’exprimer à l’aide d’un répertoire dont la composition est hétéroclite et qui, bien qu’étendu, reste tout de même limité ; pourtant, il faut qu’elle s’en serve, quelle que soit la tâche qu’elle s’assigne, car elle n’a rien d’autre sous la main. Elle apparaît ainsi comme une sorte de bricolage intellectuel… » (p. 30). 154. D. A. M eisner , Orphic Tradition and the Birth of the Gods, Oxford, 2018, p. 2.
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grecque est une proposition très fâcheuse d’un mauvais démon » 155. Cette discussion, aussi bien au niveau de l’intrigue (les personnages de Clément et d’Appion) qu’au niveau des thèmes (critique de la παιδεία) ne constitue pas un bloc erratique, comme certains ont pu le croire, mais, au contraire, s’intègre au récit de manière cohérente et sert parfaitement la thèse principale des Homélies qui consiste à démontrer la supériorité de la vérité prophétique sur la vérité philosophique des Grecs. Il n’est pas vraiment question de philosophie dans la discussion avec Appion. C’est de la culture et de la mythologie des Grecs dont Clément et Appion débattent, de la vérité et de la moralité des mythes que défend un grammairien et un sophiste comme Appion, par la rhétorique et l’interprétation allégorique. Dans l’économie des Homélies, la fonction de la discussion avec Appion est de faire un gros plan sur un aspect de la παιδεία qui définit le personnage de Clément. Il s’agit de montrer le point de départ de sa conversion, le pôle négatif qu’il doit laisser pour atteindre l’autre pôle. Il s’agit de montrer le passage de Clément, de la παιδεία à la philosophie des Judéens, première étape d’une quête qui le mènera à la doctrine du Vrai Prophète. Le personnage d’Appion, par son hostilité envers les Judéens et son expertise en matière de παιδεία, constitue l’interlocuteur et l’adversaire idéal du personnage de Clément qui vient de renoncer aux Grecs pour se tourner vers les Judéens. On peut voir également dans la discussion entre Clément et Appion un écho de la discussion entre Pierre et Simon. Clément complète et appuie la lutte de Pierre contre les ennemis de la vérité en s’attaquant à la παιδεία dans ses dimensions rhétorique, sophistique et mythologique, alors que Pierre en vise la dimension philosophique. 2.4. L’orphisme chez les Néoplatoniciens du IVe siècle En ce qui concerne l’intention et la cohérence du texte, la théogonie attribuée à Orphée, harmonisée avec celle d’Hésiode (et celle d’Homère, dans une moindre mesure), interprétée allégoriquement par Appion et magistralement réfutée par Clément constitue donc le parfait exemple du « mensonge » des mythes grecs. Cela nous semble évident. Ce qui l’est sans doute moins, pour peu que l’on connaisse la figure historique d’Apion, c’est le choix d’Orphée et de sa théogonie. Pourquoi le personnage fictif d’Appion aura-t-il « choisi » d’interpréter cette théogonie pour convaincre l’auditoire de la vérité des mythes ? Historiquement, en effet, le grammairien Apion est connu pour ses travaux sur Homère et sa haine des Judéens. Dans le trio qu’il forme avec Athénodore et Annoubion, qui est censé ramener Clément dans le droit chemin de la παιδεία, Appion est chargé du dossier mythologique alors qu’Annoubion s’occupe d’astrologie
155. Homélies 4,12,1.
208
CHAPITRE VIII
et Athénodore de philosophie 156. On ne lui connaît pas d’intérêt particulier pour Orphée ou pour l’interprétation allégorique. En fait, dans les Pseudo-Clémentines, tout comme Simon le Mage, dans son opposition à Pierre, est une figure composite qui, en plus de la magie, pratique aussi la gnose et la philosophie 157, Appion, de la même façon, est une figure composite qui exprime certains aspects de la culture grecque. D’ailleurs, dans la fiction des Homélies, Appion fait partie de l’entourage de Simon, une association qui n’a aucun sens sur le plan historique 158 mais qui peut très bien se justifier sur le plan de la fiction littéraire. Pour ce qui est d’Orphée, de sa théogonie et de l’interprétation qu’en propose le personnage d’Appion, il faut l’expliquer, à mon avis, à la lumière du contexte de proximité et de rivalité entre platoniciens et chrétiens, de Plotin à Proclus 159. Voilà ce qui permet de comprendre pourquoi les Homélies et ensuite les Reconnaissances ont cru utile de débattre, dans le cadre d’une fiction littéraire, de l’autorité d’Orphée. Dans les milieux platoniciens de la fin de l’Antiquité, les poètes, Homère et Orphée plus particulièrement, jouissent d’une autorité nouvelle et grandissante en matière de religion et leurs poèmes revêtent de plus en plus un caractère sacré 160. L’Antre des nymphes de Porphyre l’atteste nette156. À propos d’Apion et d’Anoubion, voir J. N. Bremmer , « Apion and Anubion », dans J. N. Bremmer (éd.), The Pseudo-Clementines, Leuven, 2010, p. 72-91. Sur Anoubion, nous disposons, depuis 2015, de l’édition de P. Schubert du Poème astrologique qui lui est attribué (A noubion, Poème astrologique. Témoignages et fragments, texte établi, traduit et annoté par P. Schubert, Paris, 2015). Sur l’orthographe particulière des noms d’Appion et Annoubion (double consonne) dans les Homélies, voir Schubert dans son introduction au texte (page x) : « la double consonne souligne selon toute vraisemblance qu’il s’agit là de personnages fictifs, modelés certes sur des figures historiques, mais non sans un certain degré d’adaptation ». 157. Voir D. Côté , « La fonction littéraire de Simon le Magicien dans les Pseudo-Clémentines », Laval Théologique et Philosophique 57 (2001), p. 513-523. 158. Voir l’explication de J. Barnes , « [Clément] et la philosophie », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 290 : « Le fait que cet Apion a écrit Sur les Mages a peut-être encouragé [Clément] à l’associer à Simon ». 159. Voir A. P. Urbano, The Philosophical Life. Biography and the Crafting of Intellectual Identity in Late Antiquity, Washington, D.C., 2013, et sa thèse d’une rivalité entre intellectuels chrétiens et néoplatoniciens qui s’exprime par le genre de la biographie (vies de philosophes et vies de saints). 160. Voir M. H errero de Jauregui, Orphism and Christianity in Late Antiquity, Berlin – New York, 2010, p. 85 : « Porphyry, Iamblichus, and Julian spoke with much greater reverence than Celsus about Orpheus, his poems, and his teletai, and the later Neoplatonists took this process to an extreme. Each one in his own way, all these authors sought in Orphic tradition one important key to the “pagan religion” they were struggling to recreate in a revived form ». Voir également P. Athanassiadi, « Canonizing Platonism : The Fetters of Iamblichus », dans
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209
ment. Homère et Orphée s’y voient qualifiés de θεολόγοι 161 et le passage de l’Odyssée 162 qui décrit la grotte des Nymphes, dont il est question dans le titre, révèle son sens cosmologique grâce à l’interprétation allégorique qu’en donne Porphyre 163. Avec Jamblique, Orphée acquiert vraiment un statut particulier, éclipsant même Homère, en tant que source de toute sagesse 164 . Dans sa Vie de Pythagore, Jamblique établit clairement qu’Orphée est la source de Pythagore 165 et que la source du poète est sa mère, la muse Calliope 166. Après Jamblique, c’est l’empereur Julien, adepte enthousiaste des doctrines de Jamblique, qui voit en Orphée « le plus ancien des philosophes divinement inspirés » 167. Dans son Discours contre Héracléios, E. Thomassen, Canon and Canonicity. The Formation and Use of Scripture, Copenhagen, 2010, p. 129-141. 161. Le terme θεολόγος est utilisé pour désigner Orphée (L’antre des nymphes 14 [Édition d’A. Nauck : p. 68, ligne 6]) et Homère (L’antre des nymphes 32 [Édition d’A. Nauck : p. 78, lignes 15-16]). Sur l’emploi du mot θεολόγος chez les Néoplatoniciens pour décrire Homère et Orphée, voir R. L amberton, Homer the Theologian. Neoplatonist Allegorical Reading and the Growth of the Epic Tradition, Berkeley – Los Angeles, 1986, p. 22-31 et M. K ahlos , « Pagan-Christian Debates over the Interpretation of Texts in Late Antiquity », The Classical World 105 (2012), p. 544. 162. Odyssée 13,102-112. 163. Sur ce point, voir K. Nilüfer A kçay, Porphyry’s On the Cave of the Nymphs in its Intellectual Context, Leyde – Boston, 2019. Voir également M. K ahlos , « Pagan-Christian Debates over the Interpretation of Texts in Late Antiquity », The Classical World 105 (2012), p. 528. 164. Voir R. G. Edmonds III, Redefining Ancient Orphism. A Study in Greek Religion, Cambridge, 2013, p. 37 : « The earlier Neoplatonists, like the earlier apologists, tend to cite Orpheus as merely one among several important early theological poets, but, starting with Iamblichus, the Neoplatonic authors increasingly use Orpheus as the single most important figure, eclipsing Homer as the spokesman for the tradition », et, p. 39 : « It is Iamblichus who takes the decisive step in making Orpheus the crucial figure in the Greek religious tradition ». Voir P. Athanassiadi, « Canonizing Platonism : The Fetters of Iamblichus », dans E. Thomassen, Canon and Canonicity. The Formation and Use of Scripture, Copenhagen, 2010, p. 131-135. 165. Jamblique , Vie de Pythagore 145-146 : « …il faut dire que le modèle évident de la théologie arithmétique de Pythagore se trouve chez Orphée. Il n’est donc plus douteux que c’est en prenant ses points de départ chez Orphée, que Pythagore a composé son discours sur les dieux, qu’il a intitulé, pour cette raison, Discours sacré, en tant qu’il était comme la fleur issue de ce qu’il y avait de plus secret chez Orphée… ». Traduction L. Brisson – A. Ph. Segonds , Jamblique, Vie de Pythagore, Paris, 2011 [1996]. 166. Jamblique , Vie de Pythagore 146 : « Voici le discours sur les dieux de Pythagore, fils de Mnémarque, que j’ai appris à fond lors de mon initiation à Libèthres en Thrace, alors que l’initiant était Aglaophamos : Orphée, fils de Kalliope, disait, pour l’avoir appris de sa mère sur le mont Pangée, que l’essence du nombre est le principe éternel et provident du ciel entier, de la terre et de la nature intermédiaire ». 167. Julien, Discours 7. Contre Héracléios le cynique 10 = 215b : Ὀρφεὺς μὲν ὁ παλαιότατος ἐνθέως φιλοσοφήσας. Traduction G. Rochefort, L’empereur Julien,
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CHAPITRE VIII
Julien rappelle à son adversaire que Platon et le fils de Calliope, Orphée, ont tous deux utilisé de nombreux mythes dans leur théologie 168. Orphée, « l’instituteur des initiations les plus sacrées », selon lui, nous a transmis des mythes initiatiques (τελεστικοὶ μῦθοι) 169. C’est cependant après Julien qu’Orphée et ses écrits occupent dorénavant une place centrale dans la philosophie platonicienne 170. La majorité des citations de poèmes orphiques nous vient, en effet, de Proclus et de Damascius. Syrianus, le maître de Proclus et scholarque de l’École d’Athènes, qui succède à Plutarque en 431-432, est celui qui entreprend véritablement de fonder, de manière systématique, la philosophie de Platon sur des écrits inspirés comme ceux d’Orphée et les Oracles chaldaïques 171. En somme, à partir Œuvres complètes, II. 1re partie. Discours de Julien l ’empereur (VI-IX), Paris, 2003 [1963]). Sur Julien, Jamblique et Orphée, voir R. G. Edmonds III, Redefining Ancient Orphism. A Study in Greek Religion, Cambridge, 2013, p. 39-40. 168. Julien, Discours 7. Contre Héracléios le cynique 11 = 216d : ἐπεὶ καὶ Πλάτωνι πολλὰ μεμυθολόγηται περὶ τῶν ἐν Ἅιδου πραγμάτων θεολογοῦντι καὶ πρό γε τούτου τῷ τῆς Καλλιόπης. 169. Julien, Discours 7. Contre Héracléios le cynique 12 = 217c : Ὀρφεὺς ὁ τὰς ἁγιωτάτας τελετὰς καταστησάμενος.· C’est de Jamblique qu’il tient cette doctrine d’un Orphée initiateur : « Il (Jamblique) parle non de tous les mythes, mais des mythes initiatiques que nous a transmis Orphée » = Φησὶ δὲ οὐχ ὑπὲρ πάντων οὗτος, ἀλλ’ ὑπὲρ τῶν τελεστικῶν, οὓς παρέδωκεν ἡμῖν Ὀρφεὺς. 170. Voir R. G. Edmonds III, Redefining Ancient Orphism. A Study in Greek Religion, Cambridge, 2013, p. 40-41. 171. La Souda le présente, en effet, comme l’auteur d’un ouvrage intitulé Accord entre Orphée, Pythagore, Platon et les Oracles Chaldaïques. Voir L. Brisson, « Proclus et l’orphisme », dans J. Pépin – H. D. Saffrey (éd.), Proclus, lecteur et interprète des Anciens, Paris, p. 48. 50-51. Proclus, à qui la Souda attribue un ouvrage qui porte le même titre, Accord entre Orphée, Pythagore, Platon et les Oracles Chaldaïques, professe clairement, au début de sa Théologie platonicienne (1,5 p. 25,26 – p. 26,4) le rôle fondateur d’Orphée dans la genèse de la philosophie de Platon : « … toute la théologie grecque est fille de la mystagogie d’Orphée ; Pythagore le premier avait appris d’Aglaophamos les initiations relatives aux dieux, Platon ensuite a reçu des écrits pythagoriciens et orphiques la science toute parfaite qui les concerne ». Traduction H. D. Saffrey – L. G. Westerink , Proclus, Théologie platonicienne. Livre I, Paris, 1968. Sur cette filiation théologique et philosophique qui remonte à Orphée, voir A. Bordoy Fernandez , « Proclus and the Role of Orphism in the Exegesis of Plato’s Timaeus », dans M. J. M artin-Velasco – M. J. Garcia Blanco (éd.), Greek Philosophy and Mystery Cults, Newcastle, 2016, p. 123-147, et L. Brisson, « Proclus et l’orphisme », dans J. P épin – H. D. Saffrey (éd.), Proclus, lecteur et interprète des Anciens, Paris, p. 46-47. Un passage de la Vie de Proclus par Marinus (Proclus ou sur le bonheur 27) souligne bien le caractère divin des poèmes orphiques aux yeux des Néoplatoniciens : « D’autre part, comme un jour je lisais en sa présence les poèmes d’Orphée et que je l’entendais non seulement rapporter dans ses explications ce qu’en ont dit Jamblique et Syrianus, mais aussi y ajouter beaucoup d’autres développements plus adaptés à la théologie Orphique, je demandai au philosophe de ne pas laisser non plus sans un commentaire une poésie si divinement inspirée, mais de la commenter, elle aussi, d’une manière tout à fait complète ». Tra-
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surtout de Jamblique, un courant dominant de la tradition platonicienne, qui culmine avec Proclus et continue jusqu’à Damascius, rattache la philosophie de Platon à un fondement divin : les poèmes divinement inspirés d’Orphée. Ce qui nous intéresse ici c’est que cette opération théologique, qui comprend la sacralisation des poèmes homériques et orphiques et la nécessité d’en donner une interprétation allégorique, se déroule au moment même où s’élabore le roman de Clément. Bien entendu, il n’y a pas de références directes aux philosophes platoniciens contemporains dans les Pseudo-Clémentines. Cela s’explique. La fiction littéraire des Homélies et des Reconnaissances s’apparente à une sorte de roman historique. L’action se déroule au premier siècle et les personnages du roman appartiennent à cette période, mais il n’en va pas nécessairement de même pour les thèmes privilégiés par les Homélies et les Reconnaissances qui font écho à des idées qui circulaient dans certains milieux au IVe siècle. C onclusion À partir du problème de la théogonie orphique dans les Pseudo-Clémentines, nous avons voulu proposer une approche différente de celle utilisée par les spécialistes de l’orphisme, comme Jourdan, et les spécialistes des Pseudo-Clémentines, comme Jones. Après en avoir rappelé les points principaux, nous avons mis de côté la question de la classification de la théogonie orphique des Pseudo-Clémentines et la question des sources de la théogonie et du roman, ce qui ne signifie pas, par exemple, que le travail de classification de Bernabé ou l’entreprise d’interprétation de Jourdan soient à nos yeux d’aucun intérêt. Bien au contraire. Nous avons montré dans la première partie de cette étude à quel point l’analyse très fine et très riche de Jourdan était utile. C’est une question de point de vue. On peut faire tous les rapprochements possibles entre les fragments orphiques, recueillis, classés et analysés par ces deux savants, et la théogonie d’Appion, sans pour autant utiliser les notions de source et de stemma. En matière de questions, nous avons préféré celles que l’on pose habituellement en présence d’une œuvre de fiction littéraire, en présence d’un roman. Quelle est la fonction de la théogonie dans le récit ? Quels éléments du contexte du IVe siècle, au moment où les deux éditions du roman sont en circulation, permettent d’expliquer ou d’éclairer le choix de tenir une discussion fictive sur la vérité des mythes transmis dans l’Antiquité sous le nom d’Orphée, dans un récit qui décrit la conversion de Clément de Rome ? Finalement, nous dirions que nous préférons étudier la matière qui résulte duction H. D. Saffrey – A. Ph. Segonds , Marinus, Proclus ou Sur le bonheur, Paris, 2002.
212
CHAPITRE VIII
d’un travail de composition, le texte qui nous a été transmis, que les matériaux qui auraient été utilisés pour cette composition, les sources que nous supposons 172 .
172. Voir P. A. Duncan, Novel Hermeneutics in the Greek Pseudo-Clementine Romance, Tübingen, 2017, p. 1-2 : « What is missing in contemporary scholarship is a robust analysis of especially the Greek version of the narrative as a literary and rhetorical whole. (…) Efforts to reconstruct the history of the tradition are certainly important, but to fail also to read each extant version of the novel as a literary whole is to miss an equally significant opportunity ».
Chapitre IX
Simon de Samarie dans les
Homélies pseudo - clémentines « Magicien » ou philosophe*? La figure de Simon le Samaritain dans les Pseudo-Clémentines a longtemps été exclusivement assimilée à celle de l’Apôtre Paul, sur la base d’une mention, dans la Lettre de Pierre à Jacques, d’un « homme ennemi » (ἐχθρὸς ἄνθρωπος) 1. On ne trouvera plus beaucoup de savants aujourd’hui pour défendre purement et simplement une telle identification 2 . En ce qui nous concerne, nous avons suggéré ailleurs d’y voir une figure composite 3. Simon, dans son opposition à l’Apôtre Pierre, incarne toutes les idées contraires à la vérité du Vrai Prophète 4 . Dans cette étude, nous nous proposons, en quelque sorte, de revenir à la thèse que nous avons soutenue il y a plus de vingt ans 5 et de revisi* Cette étude a été publiée une première fois en anglais sous le titre « Simon Magus in the Pseudo-Clementine Homilies : “Magician” or Philosopher ? », dans B. De Vos – D. P raet (éd.), In Search of Truth in the Pseudo-Clementine Homilies. New Approaches to a Philosophical and Rhetorical Novel of Late Antiquity, Tübingen, 2022, p. 261-300. 1. Lettre de Pierre à Jacques 2,3 : « Car certains parmi les nations ont rejeté la prédication conforme à la Loi qui était la mienne, pour adopter un enseignement contraire à la Loi, les sornettes de l’homme ennemi » = τινὲς γὰρ τῶν ἀπὸ ἐθνῶν τὸ δι’ ἐμοῦ νόμιμον ἀπεδοκίμασαν κήρυγμα, τοῦ ἐχθροῦ ἀνθρώπου ἄνομόν τινα. Dans cette étude, sauf indication contraire, nous citons la traduction française de la Pléiade : P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005. La Lettre de Pierre à Jacques fait partie des trois textes qui précèdent les Homélies dans les deux manuscrits grecs qui ont conservé les Homélies. Les deux autres écrits liminaires sont l’Engagement solennel et la Lettre de Clément à Jacques. 2. Voir, par exemple, S. L égasse , « La polémique antipaulinienne dans le judéochristianisme hétérodoxe », Bulletin de Littérature Ecclésiastique 90 (1989), p. 5-22 ; p. 85-100 ; G. Lüdemann, Opposition to Paul in Jewish Christianity, Minneapolis, 1989. 3. D. Côté , « La fonction littéraire de Simon le Magicien dans les Pseudo-Clémentines », Laval Théologique et Philosophique 57 (2001), p. 513-523. 4. C’est en ces termes que Jésus est désigné dans les Homélies et dans les Reconnaissances : ὁ τῆς ἀληθείας προφήτης, verus propheta. 5. D. Côté , Le thème de l ’opposition entre Pierre et Simon dans les Pseudo-Clémentines, Paris, 2001.
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CHAPITRE IX
ter l’idée selon laquelle la figure de Simon, dans les Pseudo-Clémentines et dans les Homélies plus particulièrement, devrait s’interpréter à la lumière de son opposition à celle de Pierre. Nous étions d’avis, à ce moment-là, qu’il ne fallait pas isoler certaines caractéristiques du personnage, comme son discours gnostique, par exemple, et, à partir de là, élaborer une interprétation sur cette base uniquement 6. Dans notre thèse, nous tentions, entre autres choses, de démontrer que les actions du personnage de Simon dans les Homélies sont déterminées par ce que le personnage de Pierre appelle la règle des syzygies 7. Leur opposition, du point de vue de la doctrine exposée par Pierre, s’explique, en effet, en vertu de cette règle qui régit le monde et fait en sorte que tout vient en paires opposées. Leur opposition, du point de vue de l’intrigue, s’explique également en vertu de la même règle. Les actions de Simon précèdent et produisent celles de Pierre. Nous relevions donc le fait qu’il s’agissait d’un cas intéressant où le fond définissait la forme, pour ainsi dire. En tout cas, dans les Homélies, contrairement à ce que l’on voit dans les Reconnaissances, les personnages de Simon et de Pierre sont étroitement liés. Du début à la fin du récit, ils forment littéralement un couple, une syzygie. Autrement dit, ils se ressemblent. Tous les deux, par exemple, le « magicien » aussi bien que l’apôtre, parlent et agissent comme des philosophes 8. Vingt ans après, nous n’avons pas changé d’idée, il faut interpréter la figure de Simon dans son rapport à la figure de Pierre et y voir une représentation du philosophe. Nous reprenons donc là où nous avions laissé, en 2001, avec toutefois une différence. Nous aimerions maintenant remplacer le thème de l’opposition par le thème de la rivalité entre Pierre et Simon. Leur opposition correspond bel et bien à une sorte de rivalité entre philosophes. Nous parlons d’une rivalité qui s’apparente à celle qui avait cours, au IIIe et IVe siècle, entre ces chrétiens, qui se voyaient comme des philosophes, et ces philosophes platoniciens, qui parfois parlaient le même langage et fréquentaient les mêmes écoles. Nous parlons aussi de cette autre rivalité qui mettait aux prises certains philosophes platoniciens entre eux, au sujet de l’union avec le divin, par exemple. La notion de rivalité, 6. Sur Simon de Samarie et le gnosticisme, voir S. H aar , Simon Magus : The First Gnostic ?, Berlin – New York, 2003. 7. Sur la règle des syzygies, voir Ph. Therrien, « Διχῶς καὶ ἐναντίως. La règle des syzygies des Homélies pseudo-clémentines dans son contexte intellectuel grec », Apocrypha (2019), p. 63-86. 8. Voir M. J. B. De Vos , « Paideia, Plato’s Sophist and the Pseudo-Clementines : Simon Magus’s characterisation in the Pseudo-Clementine Homilies », dans D. H amidovic – E. Serra – Ph. Therrien (éd.), Biblical Figures Outside the Bible, Turnhout, 2021 (à paraître) et M. J. B. De Vos , « The literary characterisation of Peter in the Pseudo-Clementine Homilies : life guide, rhetorician and philosopher », dans J. Lieu (éd.), Peter in the Early Church. Apostle – Missionary – Church Leader, Leuven, 2021 (à paraître).
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contrairement à celle de l’opposition, suppose une certaine proximité, elle renvoie à un espace dont on se dispute l’occupation. Les rivaux font partie du même camp. Dans ce cas-ci, on peut parler d’une rivalité entre membres d’une même élite, qui se définit par son rapport à la παιδεία, une rivalité à laquelle fait écho celle qui met aux prises Pierre et Simon. Dans les Homélies, on retrouve ainsi, parmi les traits du philosophe, l’ascèse et la dialectique, l’éducation ou ce qui en tient lieu. Du philosophe platonicien, on retrouve, par ailleurs, le rapport au divin, à ses manifestations, et la discussion sur les moyens pour y parvenir, la contemplation ou le rituel. Dans un premier temps, nous analyserons la composition du personnage de Simon dans les Homélies. Nous donnerons ensuite un aperçu du contexte entourant la composition du Simon des Homélies à la lumière du concept de philosophe divin. Pour finir, nous proposerons de comprendre la composition du personnage de Simon en rapport avec la notion de rivalité entre philosophes. 1. L e S i mon
de s
H om é li es :
l e μ ά γ ος et
l’ h é r ét iqu e de l a t r adi t ion / l e ph i losoph e de l a f ict ion
L’action des Homélies se situe dans les années qui suivent le départ du Christ, du Vrai Prophète, comme le disent les Pseudo-Clémentines. Ses disciples, au nombre desquels se trouvent Pierre et Barnabé, partent en mission pour faire connaître la vérité du Prophète. Barnabé se rend à Alexandrie, Pierre, à Césarée. C’est à Alexandrie que Clément, le protagoniste de l’histoire, fait la connaissance de Barnabé 9 et c’est à Césarée qu’il le retrouve, peu de temps après, pour y être présenté à Pierre, « le disciple le plus estimé de l’homme apparu en Judée » 10. Clément, qui se trouvait à Alexandrie pour y trouver la vérité chez les philosophes et les μάγοι, découvre à Césarée, auprès de Pierre, la vérité prophétique. Or, au moment où Clément lui est présenté, Pierre est sur le point de se livrer à une controverse avec Simon, un samaritain de Gitthon. Ce Simon est depuis peu le successeur de Jean le Baptiste, le précurseur du Vrai Prophète. Jusqu’à tout récemment, il comptait parmi ses disciples, les jumeaux Aquila et Nicète, qui se joindront, par la suite, grâce à Zachée 11, au cercle de Pierre. Dans les Homélies, l’essentiel de ce qu’il faut savoir sur 9. Homélies 1,11-14. 10. Homélies 1,15,2 : Πέτρος τις λεγόμενος, τοῦ ἐν Ἰουδαίᾳ εἰσφανέντος ἀνδρὸς τοῦ σημεῖα καὶ τέρατα πεποιηκότος ὁ δοκιμώτατος ὑπάρχων μαθητής. 11. Homélies 2,21,1-2 : « Ils rencontrèrent Zachée lorsqu’il vint résider ici et reçurent de lui la doctrine de vérité ; repentis de leurs premiers penchants pour les nouveautés, ils eurent tôt fait d’accuser Simon dont ils savaient tout. Dès que je [Pierre] vins résider ici, ils vinrent me trouver avec la femme qui les avait élevés ; ils
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Simon nous est justement présenté, au livre 2 (22-32), par ces jumeaux, Aquila et Nicète, qui ont été élevés par Justa 12 , la femme syro-phénicienne de l’Évangile 13. Ce sont eux que Clément reconnaîtra plus tard comme ses propres frères qu’il croyait victimes d’un naufrage. Aquila et Nicète connaissent bien Simon parce qu’ils ont été élevés ensemble 14 . Voici en quels termes ils résument la vie et l’œuvre de Simon le Samaritain : Ce Simon a pour père Antoine et Rachel pour mère 15 ; de nationalité samaritaine, il est originaire de Getthon 16 , village à six schènes de la ville de Samarie. Arrivé à Alexandrie, en Égypte, il s’exerça à fond à la culture hellénique et devint un très puissant magicien. Rendu orgueilleux, il veut se faire passer pour une puissance très supérieure même au Dieu qui a créé le monde. Parfois il va jusqu’à raconter qu’il est Christ et se donne le titre de Celui qui se tient debout. Il use de ce titre pour dire qu’il se tiendra toujours debout, son corps ne pouvant succomber à la corruption. Il déclare que le dieu qui a créé le monde n’est pas le Dieu suprême. Il ne croit pas que les morts doivent ressusciter. Il renie Jérusalem et lui substitue le mont Garizim. À la place de notre véritable Christ, il se proclame lui-même Christ. Il interprète allégoriquement les préceptes de la loi en fonction de ses opinions préconçues 17.
me furent présentés par Zachée et demeurent depuis auprès de moi pour profiter de l’enseignement de la vérité ». 12. Homélies 2,20,3 : « Privée de sa fille du fait de ce mariage, Justa acheta et éleva deux enfants qui devaient lui tenir lieu de fils ». 13. Matthieu 15,21-28. 14. Homélies 2,20,3 : « Dès l’enfance, ces deux enfants furent élevés avec Simon le magicien et savent exactement tout ce qui le concerne ». 15. Seules les Pseudo-Clémentines nous donnent cette précision biographique. Voir Reconnaissances 2,7,1. 16. Γετθῶν ou Γιτθῶν (Justin M artyr , Apologies 26,2 ; Épiphane , Panarion 21,1,2) : près de Néapolis. Voir A. Ferreiro, Simon Magus in Patristic, Medieval and Early Modern Traditions, Leyde – Boston, 2005, p. 38-39, qui note que Justin est le premier à identifier le lieu de naissance de Simon. Il est aussi d’avis que Justin étant lui-même samaritain son témoignage « bears the impression of first hand testimony ». 17. Homélies 2,22,1-6 : Σίμων οὗτος πατρὸς μέν ἐστιν Ἀντωνίου, μητρὸς δὲ Ῥαχήλ, Σαμαρεὺς τὸ ἔθνος, ἀπὸ Γετθῶν κώμης, τῆς πόλεως ἀπεχούσης σχοίνους ἕξ. οὗτος ἐν Ἀλεξανδρείᾳ τῇ πρὸς Αἴγυπτον γεγονώς, Ἑλληνικῇ παιδείᾳ πάνυ ἐξασκήσας ἑαυτὸν καὶ μαγείᾳ πολὺ δυνηθεὶς καὶ φρενωθεὶς θέλει νομίζεσθαι ἀνωτάτη τις εἶναι δύναμις καὶ αὐτοῦ τοῦ τὸν κόσμον κτίσαντος θεοῦ, ἐνίοτε δὲ καὶ χριστὸν ἑαυτὸν αἰνισσόμενος, ἑστῶτα προσαγορεύει. ταύτῃ δὲ τῇ προσηγορίᾳ κέχρηται, ὡς δὴ στησόμενος ἀεὶ καὶ αἰτίᾳ φθορᾶς τὸ σῶμα πεσεῖν οὐκ ἔχων. καὶ οὔτε θεὸν τὸν κτίσαντα τὸν κόσμον ἀνώτατον εἶναι λέγει. οὐ νεκροὺς ἐγερθήσεσθαι πιστεύει. τὴν Ἱερουσαλὴμ ἀρνεῖται, τὸ Γαριζεὶν ὄρος ἀντεισφέρει. ἀντὶ τοῦ ὄντος Χριστοῦ ἡμῶν ἑαυτὸν ἀναγορεύει. τὰ δὲ τοῦ νόμου ἰδίᾳ προλήψει ἀλληγορεῖ.
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Les Homélies ne mettent pas vraiment l’accent sur les origines samaritaines de Simon 18. Nous aussi, nous laisserons de côté cette question, tout comme le développement du chapitre 23 sur la filiation de Simon avec Jean l’hémérobaptiste, pour nous concentrer sur les éléments du texte, conformes à la tradition, qui font de Simon un μάγος et un ennemi de la vérité. 1.1. Le « magicien » et l’« hérétique » de la tradition D’un point de vue littéraire, on peut dire que l’intrigue des Homélies s’élabore à partir de la rencontre entre l’Apôtre Pierre et Simon le samaritain, qui nous est rapportée pour la première fois dans les Actes des Apôtres 19. Le personnage de Simon dans les Homélies se voit défini, en effet, du moins en partie, par des traditions qui trouvent leur point de départ dans le Nouveau Testament et leur développement chez les hérésiologues, Hippolyte, Justin et Irénée 20. Dans les Actes des Apôtres, la pratique de la « magie » et la proximité avec le divin, deux éléments qui font partie du personnage clémentin, sont déjà présents 21. Chez les hérésiologues, Simon est déifié et accompagné d’une certaine Hélène, comme dans les Pseudo-Clémentines. Il a aussi une doctrine qui s’apparente au gnosticisme.
18. À propos des samaritains, voir R. P ummer , « New Evidence for Samaritan Christianity ? », The Catholic Biblical Quarterly 41 (1979), p. 98-117 et R. P ummer , The Samaritans. A Profile, Grand Rapids (Michigan), 2016. 19. Actes des Apôtres 8,9-25. Sur Simon de Samarie et le Nouveau Testament, voir notamment M. Smith, « The Account of Simon Magus in Acts 8 », dans M. Smith [S. J. D. Cohen (éd.)] The Cult of Yahweh, II. New Testament, Early Christianity, and Magic, Leyde – New York – Cologne, 1996 [1965], p. 140-152 ; F. H eintz , Simon « le magicien ». Actes 8, 5-25 et l ’accusation de magie contre les prophètes thaumaturges dans l ’Antiquité, Paris, 1997 ; P. Fabien, « La conversion de Simon le magicien (Ac 8,4-25) », Biblica 91 (2010), p. 210-240 ; É. Nodet, « Le salut vient des Juifs (Jn 4,22) et non de Simon le Magicien (Ac 8,9) », Revue Biblique 120 (2013), p. 553-569. 20. À propos de Simon chez les hérésiologues (Justin Martyr, Irénée, Hippolyte et Épiphane), voir S. H aar , Simon Magus : The First Gnostic ?, Berlin – New York, 2003, p. 83-109 et A. Ferreiro, Simon Magus in Patristic, Medieval and Early Modern Traditions, Leyde – Boston, 2005, p. 35-54 (Chapitre trois : « Typological Portraits of Simon Magus in Anti-Gnostic Sources »). Voir aussi J. N. Bremmer , « Simon Magus : The Invention and Reception of a Magician in a Christian Context », Religion in the Roman Empire 5 (2019), p. 246-270. 21. Actes des Apôtres 8,10-11 : ᾧ προσεῖχον πάντες ἀπὸ μικροῦ ἕως μεγάλου λέγοντες, Οὗτός ἐστιν ἡ δύναμις τοῦ θεοῦ ἡ καλουμένη Μεγάλη. προσεῖχον δὲ αὐτῷ διὰ τὸ ἱκανῷ χρόνῳ ταῖς μαγείαις ἐξεστακέναι αὐτούς.
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C’est Irénée qui lui donne le statut d’hérétique primordial 22 , dans une construction où Pierre lui correspond en tant qu’apôtre primordial 23. Toute fiction part de la réalité et la fiction des Homélies ne fait pas exception. Sa réalité c’est la matière traditionnelle que lui fournissent les traditions néo-testamentaires et hérésiologiques. Ce qui nous occupe ici ce n’est pas d’évaluer la valeur documentaire des Homélies à ce sujet. Le Simon de l’Histoire était-il un gnostique ou un « magicien » ? Avait-il des adeptes ? Nous laissons aux historiens et aux spécialistes de la gnose le soin de répondre à ces questions. Notre propos consiste plutôt à analyser la représentation de Simon dans les Homélies et le contexte de cette représentation. 1.1.1. Simon est un μάγος qui se fait passer pour une puissance divine Dans les Homélies, Simon le samaritain a la prétention, selon Aquila, d’être une puissance supérieure au Dieu qui a créé le monde. Il dit être le « Christ, Celui qui se tient debout », c’est-à-dire, que « son corps ne peut succomber à la corruption » 24 . Les Homélies reprennent ici le titre qui aurait été attribué à Simon suivant le témoignage des hérésiologues 25. Les nombreux prodiges, que peut accomplir Simon 26 et qui sont attestés 22. I rénée de Lyon, Contre les hérésies 1,23,2 : Simon autem Samaritanus, ex quo universae haereses substiterunt. 23. Sur cette construction, c’est-à-dire, cette double succession, l’une qui débute avec Simon Pierre et l’autre avec Simon de Samarie, voir A. Ferreiro, Simon Magus in Patristic, Medieval and Early Modern Traditions, Leyde – Boston, 2005, p. 38, note 9 ; D. Côté , Le thème de l ’opposition entre Pierre et Simon dans les PseudoClémentines, Paris, 2001, p. 155-156 ; Y. De A ndia, « L’hérésie et sa réfutation selon Irénée de Lyon », Augustianum 25 (1985), p. 613 ; A. L e Boulluec , La notion d ’hérésie dans la littérature grecque, IIe-IIIe siècle, I. De Justin à Irénée, Paris, 1985, p. 169. Voir A. Ferreiro, Simon Magus in Patristic, Medieval and Early Modern Traditions, Leyde – Boston, 2005, p. 43 : « The persistent attempt by the Church Fathers, especially Irenaeus and Clement, to establish the legitimacy of an apostolic succession was matched by their effort to demonstrate the existence of a parallel pseudo-apostolic succession among the Gnostics. Irenaeus was principally driven in his rigorous rebuke of Gnostics to argue that Simon Magus founded the sect from whom all other Gnostics derived their inspiration ». 24. Voir supra page note 17. 25. Homélies 2,22,3 : ἑστῶτα προσαγορεύει. Voir Hippolyte , Réfutation de toutes les hérésies 6,18,4 : οὗτός ἐ(στ)ιν ὁ ἑστὼς στὰς στησόμενος. 26. Voir la liste en Homélies 2,32,1-2 ; 4,4,2-3. Dans sa rivalité avec Dosithée, pour la succession de Jean, Simon prouve qu’il est bien « Celui qui se tient debout » grâce à son pouvoir magique : « Dosithée s’aperçut que l’habile calomnie de Simon – considérer qu’il n’était pas “Celui qui se tient debout” – détruisait sa réputation aux yeux de beaucoup de gens. Un jour, venu comme à l’habitude à son école, il y trouva Simon qu’il frappa, de colère, avec une verge. Mais la verge sembla passer à travers le corps de Simon comme à travers une fumée. Frappé de stupeur, Dosithée lui dit : “Si tu es Celui qui se tient debout, alors je t’adorerai. – Je le suis”,
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par les jumeaux, constituent la preuve de sa nature divine, du point de vue de Simon, bien entendu. Du point de vue d’Aquila et de Nicète, cependant, Simon trompe les gens parce que les prodiges dont il est capable relèvent de la « magie » : « … il les trompe surtout par les nombreux et étonnants prodiges qu’il accomplit (πολλὰ τερατώδη θαυμάσια ποιῶν), de sorte que si nous n’avions pas su qu’il les faisait par magie (μαγείᾳ ταῦτα ποιεῖ), nous eussions été trompés nous-mêmes » 27. Au départ, les jumeaux étaient les collaborateurs de Simon, du moins, tant qu’il ne faisait rien de mal en rapport avec la religion. Ensuite, lorsque Simon, dans son immense folie, a entrepris de tromper les gens religieux, ils ont mis fin à leur collaboration : « Mais, alors que nous collaborions avec lui au début, quand par de tels actes il n’était pas coupable au regard de la religion, nous nous sommes sur-le-champ éloignés de lui lorsque, dans son immense folie (πολὺ μανείς), il a entrepris de tromper les gens religieux » 28. En fait, la folie de Simon, dont il est ici question, consiste en un rituel particulièrement troublant 29 : Il commença en effet à se souiller par un meurtre. Alors qu’il était encore comme un ami pour des amis, il nous a lui-même révélé avoir séparé l’âme du corps d’un petit enfant par de secrètes adjurations, afin qu’elle l’assiste pour faire apparaître ce que bon lui semblerait. De cet enfant il a dessiné une image qu’il a suspendue au fond de sa maison, là où il dort. Il affirme avoir un jour formé cet enfant à partir de l’air par des transformations d’origine divine, puis l’avoir de nouveau rendu à l’air, après avoir peint son portrait 30. répondit Simon. Alors Dosithée, reconnaissant qu’il n’était pas lui-même “Celui qui se tient debout”, tomba à genoux devant Simon et l’adora » (Homélies 2,24,5-7). Sur Dosithée, voir A. Ferreiro, Simon Magus in Patristic, Medieval and Early Modern Traditions, Leyde – Boston, 2005, p. 40-41. 27. Homélies 2,25,3. Voir Homélies 2,27,3. 28. Homélies 2,25,4. 29. À ce sujet, voir D. Côté , « Sacrifice et théurgie dans les Pseudo-Clémentines », dans S. C. M imouni – L. Painchaud (éd.), La question de la sacerdotalisation dans le judaïsme chrétien, le judaïsme synagogal et le judaïsme rabbinique, Turnhout, 2018), p. 391-410. Sur l’interprétation de ce passage, voir T. Nicklas (in Zusammenarbeit mit Th. J. K raus), « Simon Magos : Erschaffung eines Luftmenschen (pseudo-Clemens Hom II, 26 ; Rec II, 15 », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 409-424. Sur la nécromancie, voir D. Ogden, Greek and Roman Necromancy, Princeton, 2001 et J. N. Bremmer , « Ancient Necromancy : Fact or Fiction ? », dans K. Bielawski (éd.), Mantic Perspectives : Oracles, Prophecy, and Performance, Gardzienice – Lublin – Warszawa, 2015, 119-141. 30. Homélies 2,26,1-2 : γὰρ μιαιφονεῖν ἤρξατο, ὡς αὐτὸς ἔτι ὡς φίλος φίλοις ἐξέφανεν ὅτι παιδίου ψυχὴν τοῦ ἰδίου σώματος χωρίσας ἀπορρήτοις ὅρκοις, συνεργὸν πρὸς τὴν τῶν αὐτῷ δοκούντων φαντασίαν, τὸν παῖδα διαγράψας ἐπὶ
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Le texte des Homélies n’est pas très clair. Le passage parallèle des Reconnaissances l’est davantage, mais il reste malgré tout un certain degré de confusion au sujet du rituel qui constitue l’exploit ou l’impiété suprême, c’est selon, de Simon. Il semble y avoir d’abord le meurtre d’un enfant dont on a par la suite séparé l’âme du corps. L’âme de l’enfant sert d’assistant à Simon pour faire apparaître ce qui lui semble bon. Les Reconnaissances ajoutent une explication sur la prescience de l’âme, une fois détachée du corps, et sur l’utilité de la nécromancie 31. Il y a ensuite la fabrication d’une image, suspendue dans la chambre de Simon, qui représente l’enfant ou son âme. C’est cette image que Simon utilise pour obtenir tout ce qu’il veut 32 . Dans les Homélies 33, Simon explique aux jumeaux qu’en réalité l’âme qui l’assiste et qu’il aurait séparé d’un corps humain, n’est pas une âme, parce que l’âme n’est pas immortelle, mais bien un démon qui feint d’être une âme 3 4 . Il y a finalement la création d’un enfant ou d’un homme nouveau à partir de l’air 35. Les jumeaux ont assisté à la cérémonie dans le cadre de laquelle l’opération s’est effectuée 36 et attestent ainsi que les pouvoirs de Simon sont réels. Comme ses prodiges sont réels mais qu’ils sont εἰκόνος, ἐνδοτέρῳ οἴκῳ ὅπου αὐτὸς ὑπνοῖ ἀνατεθειμένην ἔχει, φάσκων ποτὲ τοῦτον ἐξ ἀέρος πλάσας θείαις τροπαῖς καὶ τὸ εἶδος ἀναγράψας ἀποδεδωκέναι πάλιν τῷ ἀέρι. Voir Reconnaissances 2,13,1-2 : « Simon entreprit de nous l’expliquer comme à ses amis intimes. “J’ai évoqué, dit-il, par des adjurations secrètes, l’âme d’un enfant sans souillure et mort de mort violente, et je l’ai contrainte à m’assister, et c’est par elle que se fait tout ce que j’ordonne” » = Simon tamquam familiaribus suis explanare ita coepit : Pueri, inquit, incorrupti et violenter necati animam adjuramentis ineffabilibus evocatam adsistere mihi feci, et per ipsam fit omne quod jubeo. 31. Reconnaissances 2,13,3-4 : « “Mais, dis-je alors, est-il possible à une âme de faire ces choses ?” Il répondit : Je veux que vous sachiez ceci : une fois que l’âme s’est dépouillée des ténèbres de son corps, elle occupe le second rang après Dieu. Et aussitôt elle reçoit la prescience, raison pour laquelle on l’évoque pour la nécromancie ». 32. Voir Reconnaissances 3,44,4 où Pierre propose à la foule qui assiste à la discussion de prouver l’immortalité de l’âme en allant constater cette image qui est suspendue dans la chambre de Simon. Auparavant (3,44, 1-3), Pierre demandait à Simon : « Laquelle de ces deux choses est plus capable de convaincre un incrédule : la vue ou l’ouïe ? ». Simon répondit : « La vue ». Alors Pierre : « Comment veux-tu donc apprendre de moi par la parole ce qui t’est prouvé par la chose elle-même et par la vue ? ». Et Simon : « Je ne sais, dit-il, ce que tu veux dire ». Alors Pierre : « Si tu ne le sais, va maintenant dans ta maison, entre à l’intérieur dans ta chambre à coucher, et tu verras un tableau placé là, portant l’image d’un enfant assassiné, vêtu de pourpre ; interroge-le, et il t’enseignera par une réponse ou par la vue. Qu’est-il besoin, en effet, d’entendre de lui si l’âme est immortelle, quand tu la vois debout devant toi ? Car si elle n’était pas immortelle, assurément, elle ne pourrait être vue. Que si tu ne sais pas de quel tableau je parle, allons de ce pas dans ta maison avec dix hommes de ceux qui sont ici présents ». 33. Homélies 2,29-31. 34. Homélies 2,30,1. 35. Homélies 2,26,2-5. 36. Homélies 2,26,6.
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faits par magie et ne sont pas dûs à sa nature divine, Aquila et Nicète ont évidemment refusé de participer à la tromperie de Simon 37. 1.1.2. Simon est un « hérétique », un « complice du côté gauche » 38, un ennemi Suivant la règle des syzygies 39, dont Pierre expose le principe à Clément au tout début de son initiation 4 0, Simon forme un couple de contraires avec Pierre, tout comme avant lui et selon la même règle, Jean le Baptiste avec le Vrai Prophète. Simon est donc le précurseur et l’antagoniste de Pierre, tout comme l’ignorance précède la connaissance et s’y oppose 41 : En effet, comme nous l’avons dit, nous voyons arriver toutes choses sous une forme double et opposée : d’abord la nuit, puis le jour, d’abord l’ignorance, puis la connaissance, d’abord la maladie, puis la guérison. Ainsi, c’est l’erreur qui apparaît la première dans le monde des hommes, la vérité ne survient qu’ensuite, comme le médecin après la maladie 42 .
C’est de cette façon, tout à fait originale, que les Homélies reprennent le thème, issu de la tradition hérésiologique, d’un Simon hérétique primordial, en le mettant sur le même plan que Pierre, l’apôtre primordial d’après la même tradition. Évidemment, ce sont ses prodiges qui étonnent et trompent les foules, bien qu’ils soient inutiles parce qu’accomplis par un serviteur du mal 43. C’est toutefois en tant qu’instrument du côté gauche, à titre de premier élément de la syzygie qu’il forme avec Pierre, qu’il apporte aussi l’ignorance et l’erreur. L’ignorance de Simon et la connaissance de Pierre s’affrontent donc dans le cadre d’une controverse (ζήτησις λόγων) 4 4 qui se déroule d’abord 37. Homélies 2,27,3. 38. Homélies 2,15,5 : « …Simon … est un complice du côté gauche, qui est sans valeur » = Σίμων … τῆς ἀσθενοῦς ἀριστερᾶς ἐστιν συνεργός. 39. Homélies 2,16,1 : ὁ δὲ λόγος τοῦ προφητικοῦ κανόνος οὕτως ἔχει·ὡς ἐν ἀρχῇ ὁ θεὸς εἷς ὤν, ὥσπερ δεξιὰ καὶ ἀριστερά, πρῶτον ἐποίησεν τὸν οὐρανόν, εἶτα τὴν γῆν, [καὶ] οὕτως κατὰ τὸ ἑξῆς πάσας τὰς συζυγίας συνεστήσατο· ἐπὶ μέντοι ἀνθρώπων οὐκέτι οὕτως, ἀλλὰ πάσας ἐναλλάσσει τὰς συζυγίας. Voir Ph. Therrien, « Διχῶς καὶ ἐναντίως. La règle des syzygies des Homélies pseudoclémentines dans son contexte intellectuel grec », Apocrypha (2019), p. 63-86. 40. Homélies 2,15-18,1-2 ; 33-34. Voir D. Côté , Le thème de l ’opposition entre Pierre et Simon dans les Pseudo-Clémentines, Paris, 2001, p. 29-32. 41. Homélies 2,15,3. 42. Homélies 2,33,2 : ἐπεὶ γάρ, ὡς ἔφαμεν, δυικῶς καὶ ἐναντίως πάντα ἔχοντα ὁρῶμεν καὶ ὡς πρώτη νύξ, εἶτα ἡμέρα, καὶ πρῶτον ἄγνοια, εἶτα γνῶσις, καὶ πρῶτον νόσος, εἶτα ἴασις, οὕτως πρῶτα τὰ τῆς πλάνης τῷ βίῳ ἔρχεται, εἶθ’ οὕτως τὸ ἀληθὲς ἐπέρχεται, ὡς τῇ νόσῳ ὁ ἰατρός. 43. Homélies 2,33,5-34,3. 44. Voir Homélies 1,15,2.
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à Césarée (Homélies 3) et se continue ensuite à Laodicée (Homélies 16-18). À Césarée, aussi bien qu’à Laodicée, Simon soutient l’idée, en se fondant sur les Écritures, qu’il y a plusieurs dieux et que le Dieu de Pierre, le créateur, n’est pas le Dieu suprême et omnipotent, mais un Dieu mauvais et imparfait 45. En fait, selon lui, indépendamment de ce que disent les Écritures, il existe un Dieu bon et parfait 4 6. Les thèses que défend Simon et que Pierre s’emploie à réfuter, bien qu’elles aient été interprétées à la lumière du gnosticisme 47 et du marcionisme 48 par certains, n’ont que très peu en commun avec la doctrine, passablement compliquée, surtout dans la version d’Hippolyte, que lui attribuent les hérésiologues 49. Nous nous permettons néanmoins de noter que chez Hippolyte, justement, Simon fonde sa doctrine sur une interprétation de la Loi de Moïse 50, qui a recours parfois à l’allégorie 51, et sur les poètes 52 . 45. Homélies 3,38,2. 46. Homélies 3,38,3. 47. Voir supra note 6. 48. Sur Simon de Samarie et le marcionisme dans les Homélies, voir A. Salles , « Simon le Magicien ou Marcion ? », Vigiliae Christianae 12 (1958), p. 197-224 et F. S. Jones , « Marcionism in the Pseudo-Clementines », dans A. Frey – R. Gounelle (éd.), Poussières de christianisme et de judaïsme antiques. Études réunies en l ’honneur de Jean-Daniel Kaestli et Éric Junod, Lausanne, 2007, p. 225-244. 49. Justin M artyr , Apologies 26,1-3 ; I rénée de Lyon, Contre les hérésies 1,23,1-4 ; Hippolyte de Rome , Réfutation de toutes les hérésies 6,7,9-20 ; Épiphane de Salamine , Panarion 31,1-7. C’est Hippolyte qui nous donne la description la plus complète du système de Simon. Il cite un ouvrage, la Grande Révélation (ἀπόφασις μεγάλη) (Réfutation de toutes les hérésies 6,9-18), qu’il attribue à Simon lui-même. Voir A. Tuzlak , « The Magician and the Heretic : The Case of Simon Magus », dans P. M irecki – M. M eyer (éd.), Magic and Ritual in the Ancient World, Leyde – Boston, 2002, p. 418 : « the cosmogony that is laid out in this text is extremely complex ». Au sujet de la Grande Révélation, voir J. M. A. Salles Dabadie , Recherches sur Simon le Mage. I. L’« Apophasis megalè », Paris, 1969 et S. H aar , Simon Magus : The First Gnostic ?, Berlin – New York, 2003, p. 97-100. 50. Hippolyte , Réfutation de toutes les hérésies 6,9,3 : Λέγει δὲ ὁ Σίμων μεταφράζων τὸν νόμον Μωϋσέως ἀνοήτως τε καὶ κακοτέχνως = « Simon interprète la loi de Moïse d’une manière absurde et maladroite ». Traduction J. M. A. Salles Dabadie , Recherches sur Simon le Mage. I. L’« Apophasis megalè », Paris, 1969, p. 13. Voir la traduction de M. D. Litwa, Refutation of All Heresies, Atlanta, 2016 : « Now Simon speaks as one mindlessly and craftily twisting the Law of Moses ». 51. Hippolyte , Réfutation de toutes les hérésies 6,14,7 : τὸν παράδεισον, φησίν, ἀλληγορῶν ὁ Μωσῆς τὴν μήτραν εἴρηκεν = « Par le paradis, dit-il, Moïse désignait allégoriquement la matrice ». Traduction J. M. A. Salles Dabadie , Recherches sur Simon le Mage. I. L’« Apophasis megalè », Paris, 1969, p. 25. Voir la traduction de M. D. Litwa, Refutation of All Heresies, Atlanta, 2016) : « Now he says that Moses figuratively called the womb paradise ». Voir Hippolyte , Réfutation de toutes les hérésies 6,15,1. 52. Hippolyte , Réfutation de toutes les hérésies 6,2 : Τίνα τὰ Σίμωνι τετολμημένα, καὶ ὅτι ἐκ μαγικῶν καὶ ποιητικῶν τὸ δόγμα κρατύνει = « Les audaces de Simon qui confirme sa doctrine par les magiciens et les poètes ». Voir la
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1.2. Le philosophe de la fiction Jusque-là les Homélies s’accordent avec les Actes des Apôtres et les hérésiologues en nous donnant l’image d’un Simon qui pratique la « magie » et propose une doctrine « hérétique » 53. Le propos des Homélies peut sans doute se rapprocher de celui d’un Irénée ou d’un Hippolyte, dans la mesure où il s’agit bien, là aussi, de dénoncer la « magie » et les erreurs de Simon. En fait, c’est par la forme qu’elles donnent à leur propos que les Homélies se distinguent des hérésiologues, par le choix de la forme romanesque 54 . La fiction littéraire permet d’enrichir le portrait de Simon et de lui donner, par exemple, des parents qui se nomment Antoine et Rachel ou encore, de lui prêter des études à Alexandrie. Avant les Homélies, les Actes de Pierre, il est vrai, avaient déjà fait le choix de la forme romanesque pour rendre compte de l’opposition entre Pierre et Simon 55. Toutefois, là où les Acta Petri mettaient l’accent sur les actions et la « magie » de Simon 56, les Homélies préféraient mettre en évidence son discours, sans négliger traduction de M. D. Litwa, Refutation of All Heresies, Atlanta, 2016) : « The ventures of Simon, who corroborates his dogma from magicians and poets ». 53. Sur cette combinaison de « magie » et d’ « hérésie » (ou de philosophie) dans les notices hérésiologiques sur Simon de Samarie, voir, à propos d’Irénée, A. Tuzlak , « The Magician and the Heretic : The Case of Simon Magus », dans P. M irecki – M. M eyer (éd.), Magic and Ritual in the Ancient World, Leyde – Boston, 2002, p. 418 : « But Justin, Irenaeus, and Hippolytus each take care to point out that Simon, for all his philosophizing, is still a magician » et S. H aar , Simon Magus : The First Gnostic ?, Berlin – New York, 2003, p. 93 : « While Irenaeus is clearly focussed on describing the teachings of Simon and his followers, his report includes the accusation of Simon’s apprenticeship and association with magic because it serves to underscore the subversiveness of Simon and his teaching ». 54. À ce propos, voir M. Vielberg, Klemens in den pseudoklementinischen Rekognitionen. Studien zur literarischen Form des spätantiken Romans, Berlin, 2000 et D. Côté , « Les Pseudo-Clémentines ou le choix du roman grec », dans B. BittonA shkelony – Th. de Bruyn – C. H arrison (éd.), Patristic Studies in the Twentyfirst Century. Proceedings of an International Conference to Mark the 50 th Anniversary of the International Association of Patristic Studies, Turnhout, 2015, p. 473-496. 55. Voir J. N. Bremmer (éd.), The Apocryphal Acts of Peter. Magic, Miracles and Gnosticism, Leuven, 1998 et J. N. Bremmer , « La confrontation entre l’apôtre Pierre et Simon le magicien », dans A. M aurice Moreau – J.-Cl. Turpin (éd.), La magie. Actes du colloque international de Montpellier, 25-27 mars 1999, I. Du monde babylonien au monde hellénistique, Montpellier, 2000, p. 219-231. Sur les Acta Petri, en général, voir C. M. Thomas , The Acts of Peter, Gospel literature, and the ancient novel : rewriting the past, Oxford, 2003 et M. C. Baldwin, Whose Acts of Peter ? Text and Historical Context of the Actus Vercellenses, Tübingen, 2005. 56. Voir J. E. Sanzo, « Early Christianity », dans D. Frankfurter (éd.), Guide to the Study of Ancient Magic, Leyde – Boston, 2019, p. 211-212. Voir A. Ferreiro, Simon Magus in Patristic, Medieval and Early Modern Traditions, Leyde – Boston, 2005, p. 56 : « The emphasis on Simon the magician, which is also present in anti-Gnostic portrayals on the Church Fathers, became the major focus of the Acta Petri and the Passio ».
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pour autant sa « magie ». Il n’y a pas ici, comme dans les Actes de Pierre, de concours de prodiges. L’opposition entre Simon et Pierre prend plutôt la forme d’un débat aux allures de discussion philosophique. 1.2.1. Simon est un πεπαιδευμένος Pour être en mesure de prendre part à une discussion philosophique, il faut maîtriser la rhétorique, l’art du discours, il faut avoir fait des études, il faut être un πεπαιδευμένος 57. Revenons au passage où Aquila et Nicète résument la vie et l’œuvre de Simon. En peu de mots : « Arrivé à Alexandrie, en Égypte, il s’exerça à fond à la culture hellénique » (οὗτος ἐν Ἀλεξανδρείᾳ τῇ πρὸς Αἴγυπτον γεγονώς, Ἑλληνικῇ παιδείᾳ πάνυ ἐξασκήσας ἑαυτὸν) 58, les Homélies donnent au Simon de la tradition une dimension nouvelle. Ils en font un membre de l’élite hellénisée de l’empire 59, ils l’envoient à Alexandrie pour y faire des études, ils en font un πεπαιδευμένος, ils en font un Grec. C’est en effet la παιδεία qui fait le Grec. Autrement dit, dans les Homélies, Simon ne représente plus uniquement l’erreur du samaritanisme (ou du simonianisme), il incarne aussi l’erreur de l’hellénisme, son polythéisme, ses mythes, sa philosophie. En quoi pouvait consister cette παιδεία, au niveau supérieur, à Alexandrie, dans l’un des plus grands centres intellectuels de l’Antiquité 60 ? Les Homélies 57. Sur la définition de la παιδεία (et du terme πεπαιδευμένος) et sur sa dimension sociale, voir H. I. M arrou, Histoire de l ’éducation dans l ’Antiquité, 6 e édition, Paris, 1964 [1948]), p. 151-160 (« La civilisation de la “Paideia” ») ; P. Brown, Power and Persuasion in Late Antiquity. Towards a Christian Empire, Madison, 1992, p. 35-70 (« Paideia and Power ») ; E. J. Watts , City and School in Late Antique Athens and Alexandria, Berkeley, 2006, p. 1-23 (« Academic Life in the Roman Empire ») ; K. E shleman, The Social World of Intellectuals in the Roman Empire. Sophists, Philosophers, and Christians, Cambridge, 2012, p. 21-90 (« Inclusion and Identity ; Contesting competence : the ideal of self-determination ») ; A. P. Urbano, The Philosophical Life. Biography and the Crafting of Intellectual Identity in Late Antiquity, Washington D. C., 2013, p. 46-54 ; R. Webb , « Schools and Paideia », dans D. S. R ichter – W. A. Johnson (éd.) The Oxford Handbook to the Second Sophistic, Oxford, 2017, p. 139-154. 58. Homélies 2,22,3. 59. Sur les πεπαιδευμένοι en tant que membres d’une élite, voir P. Brown, Power and Persuasion in Late Antiquity. Towards a Christian Empire, Madison, 1992, p. 35-41, qui parle d’une aristocratie, en quelque sorte ; E. J. Watts , City and School in Late Antique Athens and Alexandria, Berkeley, 2006, p. 5-6 ; K. E shleman, The Social World of Intellectuals in the Roman Empire. Sophists, Philosophers, and Christians, Cambridge, 2012, p. 67-77, et A. P. Urbano, The Philosophical Life. Biography and the Crafting of Intellectual Identity in Late Antiquity, Washington D. C., 2013, p. 1-16, qui considère que la « paideia was the pervasive culture of the educated elite » (page 6). 60. Sur Alexandrie comme centre culturel et intellectuel, voir E. J. Watts , City and School in Late Antique Athens and Alexandria, Berkeley, 2006, p. 143-203.
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n’en disent rien, mais l’on sait, de manière générale, qu’à Alexandrie ou à Athènes, l’enseignement supérieur est consacré essentiellement à la rhétorique et à la philosophie 61. Le personnage de Simon a donc étudié la rhétorique. Il passait même, selon les Reconnaissances, pour être un orateur très efficace 62 . Ce que les Homélies semblent nous dire, en revanche, c’est que c’est là, en Égypte, qu’il aurait appris l’art de la « magie ». Il y a quelque chose qui relève ici du topos, au sujet de l’Égypte comme patrie de la « magie » 63, puisque le livre premier des Homélies nous apprend que Clément lui-même, alors qu’il cherchait à savoir si l’âme était immortelle et qu’il avait constaté l’impuissance des philosophes à lui fournir une réponse, avait conçu le projet d’aller en Égypte pour y trouver un « magicien » qui saurait lui répondre au moyen de la nécromancie 6 4 . On peut également supposer que c’est à Alexandrie que Simon aurait fait la 61. À Alexandrie, il y avait des écoles de philosophie depuis la période hellénistique. Sur l’école d’Ammonios Saccas, au troisième siècle de notre ère, par exemple, voir E. J. Watts , City and School in Late Antique Athens and Alexandria, Berkeley, 2006, p. 155-168. On pouvait aussi bien y étudier la rhétorique que la philosophie, comme a pu le faire Synésios de Cyrène, à la fin du IVe siècle de notre ère (voir A. Cameron – J. L ong, Barbarians and Politics at the Court of Arcadius, Berkeley, 1993, p. 13-69), ou y enseigner les deux disciplines, comme Origène, suivant le témoignage d’Eusèbe de Césarée (voir Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 6,18-19 et E. De Palma Digeser , A Threat to Public Piety. Christians, Platonists, and the Great Persecution, Ithaca, 2012, p. 53), a été en mesure de le faire, au milieu du troisième IIIe siècle de notre ère. Au sujet du pouvoir d’attraction d’Alexandrie et de ses institutions (la Bibliothèque et le Musée) sur les intellectuels de tout genre qui venaient de partout dans le monde méditerranéen pour y étudier, voir, à nouveau, E. J. Watts , City and School in Late Antique Athens and Alexandria, Berkeley, 2006, p. 145-154. 62. Reconnaissances 2,5,4 : …et ipse Simon vehementissimus est orator, in arte dialectica et syllogismorum tendiculis enutritus… Voir, à ce propos, A. Ferreiro, Simon Magus in Patristic, Medieval and Early Modern Traditions, Leyde – Boston, 2005, p. 46. 63. Voir I. Tanaseanu-Döbler , Theurgy in Late Antiquity. The Invention of a Ritual Tradition, Göttingen, 2013, p. 51, qui parle d’une construction : « the familiar Graeco-Roman construction of Egypt as the land of occult lore and magic » et d’un cliché : « the cliché of Egypt as a hotbed of magic » (note 38), en faisant référence au personnage de Pancratès, prêtre égyptien aux allures de magicien, dans le Philopseudes (31,33-36) de Lucien. Sur Pancratès, voir O. Dufault, Early Greek Alchemy and Innovation in Late Antiquity, Berkeley, 2019, p. 66-68. Voir aussi J. N. Bremmer , « Pseudo-Clementines : Texts, Dates, Places, Authors and Magic », dans J. N. Bremmer (éd.), The Pseudo-Clementines, Leuven, 2010, p. 17-18. 64. Homélies 1,5,1-2 : « J’irai en Égypte et je me concilierai les faveurs des hiérophantes et des prophètes des sanctuaires ; je chercherai et trouverai un magicien, et je le persuaderai, moyennant beaucoup d ’argent, de pratiquer l ’évocation d ’une âme, ce qu’on appelle nécromancie (μάγον ζητήσας καὶ εὑρὼν χρήμασι πολλοῖς πείσω, ὅπως ψυχῆς ἀναπομπήν, τὴν λεγομένην νεκρομαντείαν, ποιήσῃ), comme si je voulais m’enquérir au sujet de quelque affaire. Mais l’objet de mon enquête sera d’apprendre si l’âme est immortelle ». Sur le personnage de Clément et la magie,
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connaissance du grammairien Appion. En effet, dans les Homélies, Simon de Samarie s’est lié d’amitié avec le grammairien Appion, l’astrologue Annubion et le philosophe épicurien Athénodore 65, avec lesquels il fait équipe contre Pierre. Il s’agit d’un élément biographique inconnu du récit des Reconnaissances et des notices hérésiologiques, un fait qui trahit la volonté des Homélies de redéfinir le Simon de la tradition pour en faire un représentant de l’hellénisme. On ne devrait d’ailleurs pas s’étonner de cette alliance entre la παιδεία et la μαγεία. Nous y reviendrons et nous verrons que c’est notamment cette alliance entre la philosophie, l’une des formes que prend la παιδεία, et la magie qui caractérise le mieux le Simon des Homélies. L’hellénisation de Simon se voit aussi à la manière de traiter le thème d’Hélène, la compagne de Simon, un thème qui provient sans aucun doute de la tradition hérésiologique. Citons le résumé qu’en fait Aquila pour le bénéfice de l’apôtre Pierre : À ses dires, Hélène est elle-même descendue des plus hauts cieux jusque dans le monde ; elle est souveraine, en tant que substance mère de toutes choses, et sagesse. C’est à cause d’elle, dit-il, que Grecs et Barbares se sont fait la guerre, prenant l’image pour la réalité, car en fait Hélène était alors auprès du Dieu premier de tous 66.
Chez Irénée de Lyon, Hélène est la première pensée de Simon, le dieu primordial, la grande puissance ; elle est son Ἔννοια, elle est la démiurge 67. Les Simoniens, s’il faut en croire Irénée, adoraient Simon et Hélène sous la forme de Zeus et d’Athéna 68. Les Homélies n’insistent pas sur le rôle, pourtant essentiel, d’Hélène dans la gnose simonienne. Elles se contentent voir J. N. Bremmer , « Pseudo-Clementines : Texts, Dates, Places, Authors and Magic », dans J. N. Bremmer (éd.), The Pseudo-Clementines, Leuven, 2010, p. 19. 65. Homélies 4,6,2. Sur Appion et ses amis, dans les Homélies, voir J. N. Bremmer , « Apion and Anubion », dans J. N. Bremmer (éd.), The Pseudo-Clementines, Leuven, 2010, p. 72-91. 66. Homélies 2,25,2 : αὐτὴν δὲ τὴν Ἑλένην ἀπὸ τῶν ἀνωτάτων οὐρανῶν κατενηνοχέναι λέγει τῷ κόσμῳ, κυρίαν οὖσαν, ὡς παμμήτορα οὐσίαν καὶ σοφίαν, ἧς ἕνεκεν (φησίν) Ἕλληνές τε καὶ βάρβαροι ἐμαχέσαντο, εἰκόνα φαντασθέντες ἀληθείας· ἡ γὰρ ὄντως οὖσα τότε παρὰ τῷ πρωτίστῳ ὑπῆρχεν θεῷ. 67. I rénée de Lyon, Contre les hérésies 1,23,2 : « Ayant acheté à Tyr, en Phénicie, une certaine Hélène, qui y exerçait le métier de prostituée, il se mit à parcourir le pays avec elle, disant qu’elle était sa Pensée première, la Mère de toutes choses ». Traduction A. Rousseau – L. Doutreleau, Irénée de Lyon, Contre les hérésies. Livre I, tome II, Paris, 1979. Voir S. H aar , Simon Magus : The First Gnostic ?, Berlin – New York, 2003, p. 92-93. 68. I rénée de Lyon, Contre les hérésies 1,23,4 : « Ils possèdent une image de Simon représenté sous les traits de Zeus et une image d’Hélène sous ceux d’Athéna, et ils les adorent ». Traduction A. Rousseau – L. Doutreleau, Irénée de Lyon, Contre les hérésies. Livre I, tome II, Paris, 1979. Sur le culte d’Hélène en Samarie, voir L.-H. Vincent, « Le culte d’Hélène à Samarie », Revue Biblique 45 (1935),
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de mentionner qu’elle est descendue du ciel, qu’elle est souveraine, « mère de toutes choses, et sagesse ». Elles n’oublient pas, en revanche, de faire référence à la figure mythologique d’Hélène de Troie. Il est vrai que l’assimilation de la compagne de Simon à l’Hélène de la Guerre de Troie apparaît déjà chez les hérésiologues 69. Hippolyte explique ainsi comment la Pensée, c’est-à-dire Hélène, a erré depuis le commencement en habitant le corps de femmes sublimes de beauté comme celui de cette Hélène qui aurait causé la Guerre de Troie. Épiphane, qui suit l’exposé d’Irénée d’assez près, reprend le même thème des réincarnations d’Hélène à travers le temps, depuis la Guerre de Troie, et la connaît lui aussi sous les noms d’Ἔννοια et d’Athéna 70. Les Homélies se distinguent toutefois de l’exposé hérésiologique en faisant écho à la tradition recueillie par Euripide d’une Hélène qui n’aurait été qu’un simulacre 71 et en réduisant la figure gnostique d’Hélène à une construction élaborée à partir de mythes grecs : « Il trompe bien des gens en pratiquant avec persuasion l’allégorie pour faire de pareilles constructions avec les mythes grecs » 72 .
p. 221-232 et D. Flusser , « The Great Goddess of Samaria », Israel Exploration Journal 25 (1975), p. 13-20. 69. I rénée de Lyon, Contre les hérésies 1,23,2 ; Hippolyte de Rome , Réfutation de toutes les hérésies 6,19,2-3. Tous les deux, Irénée et Hippolyte, mentionnent Stésichore et sa Palinodie. Au sujet d’Hippolyte, voir S. H aar , Simon Magus : The First Gnostic ?, Berlin – New York, 2003, p. 94-100. Sur la réception d’Hélène dans le christianisme ancien, voir D. R. McDonald, Christianizing Homer. The Odyssey, Plato and the Acts of Andrew, Oxford, 1994, p. 141-143 ; 188-190. Concernant la beauté d’Hélène, voir les vers célèbres de Christopher Marlowe dans le Doctor Faustus : « Was this the face that launched a thousand ships / And burnt the topless towers of Ilium ? / Sweet Helen, make me immortal with a kiss » (Texte A : lignes 90-92 ; Texte B : lignes 93-95). 70. Épiphane de Salamine , Panarion 21,3,1-5. Voir S. H aar , Simon Magus : The First Gnostic ?, Berlin – New York, 2003, p. 103-109. 71. L’Hélène d’Euripide fait écho à la tradition rapportée par Hérodote (2,112120) selon laquelle Hélène aurait passé la Guerre de Troie en Égypte. L’intrigue de la pièce part de l’idée qu’Hélène de Troie n’aurait été qu’un εἴδωλον, un simulacrum, qu’aurait fait apparaître la déesse Héra, pendant que la vraie épouse de Ménélas était emmenée en Égypte par Hermès. Sur cette tradition, voir N. Austin, Helen of Troy and her Shameless Phantom, Ithaca, 1994 ; C. Calame , « The Abduction of Helen and the Greek Poetic Tradition : Politics, Reinterpretations and Controversies », dans U. Dill-C. Walde (éd.), Antike Mythen. Medien, Transformationen und Konstruktionen, Berlin – New York, 2009, p. 645-661 et C. Calalme , Qu’est-ce que la mythologie grecque ?, Paris, 2015, p. 237-269. Sur la figure d’Hélène dans la littérature grecque en général, voir L. Edmunds , Stealing Helen. The Myth of the Abducted Wife in Comparative Perspective, Princeton, 2016, p. 197-235 (Chapitre 5 : « Helen in the Fifth Century and After »). 72. Homélies 2,25,3 : πλὴν τοιαῦτά τινα Ἑλληνικοῖς μύθοις συνπεπλασμένα πιθανῶς ἀλληγορῶν ἀπατᾷ πολλούς.
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1.2.2. Simon est un platonicien (qui s’ignore) adepte de l’allégorisme Le résumé de la carrière de Simon, que nous donnent les jumeaux Aquila et Nicète, ne nous renseigne pas sur une possible fréquentation des philosophes durant son séjour à Alexandrie. Il reste que l’on y trouve la thèse selon laquelle le dieu créateur n’est pas le dieu suprême, une thèse, comme nous l’avons souligné à propos du Simon hérétique, que l’on pourrait rapprocher du gnosticisme ou du marcionisme, mais que l’on pourrait aussi bien rattacher à un certain dualisme platonicien qui fait du divin un principe radicalement séparé de la matière 73. L’idée d’un Simon aux allures de philosophe platonicien nous semble également suggérée par la pratique de l’interprétation allégorique qui lui est attribuée à deux reprises dans le même passage. Premièrement, on lui reproche d’interpréter « allégoriquement les préceptes de la Loi en fonction de ses opinions » 74 . Ensuite, comme nous venons de le voir, à propos de sa compagne Hélène et de son image, pour laquelle Grecs et Barbares se sont fait la guerre, on revient à la charge et l’on précise que c’est en pratiquant avec persuasion l’allégorie pour faire de pareilles constructions avec les mythes grecs qu’il trompe bien des gens 75. Or, l’interprétation allégorique des mythes, ou plus exactement des poèmes d’Homère et d’Hésiode qui les contiennent, est une forme d’interprétation, faut-il le rappeler, qui est bien attestée chez les philosophes d’allégeance platonicienne, de Numénius à Proclus 76. D’ailleurs, l’idée d’un Simon qui donnerait de la Bible 73. Voir J. Barnes , « [Clément] et la philosophie » dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 287, qui classe un passage comme Homélies 3,2,2 dans lequel Simon affirme que « le Dieu suprême n’est pas “celui qui a créé le ciel et la terre” et tout ce qui est en eux, mais un autre, inconnu et suprême en tant que Dieu des dieux resté secret » et qui « a, lui, envoyé deux dieux, l’un qui a créé le monde, l’autre qui a donné la Loi », comme une de ces « références implicites à Platon » dans les Pseudo-Clémentines. 74. Homélies 2,22,6 : τὰ δὲ τοῦ νόμου ἰδίᾳ προλήψει ἀλληγορεῖ. Dans une communication privée, Benjamin De Vos me fait remarquer que dans les Homélies il n’y pas d’exemple d’une telle interprétation allégorique de la part de Simon. Au contraire, tout comme Pierre, il s’en tient à une interprétation plutôt littérale de la « Loi ». Il s’agirait peut-être, à son avis, d’une exagération rhétorique des jumeaux dans le but de noircir Simon. 75. Homélies 2,25,3. Voir supra note 72. 76. Sur les néoplatoniciens et l’interprétation allégorique, voir F. Buffière , Les mythes d ’Homère et la pensée grecque, Paris, 2010 [1956], p. 393-459 ; R. L amberton, Homer the Theologian. Neoplatonist Allegorical Reading and the Growth of the Epic Tradition, Berkeley – Los Angeles, 1986 ; L. Brisson, How Philosophers Saved Myths : Allegorical Interpretation and Classical Mythology, Chicago, 2004, p. 71-86 ; L. Brisson, « L’“allégorie” comme interprétation des mythes, de l’Antiquité à la Renaissance », dans B. Pérez-Jean – P. Eichek-L ojkine (éd.), L’allégorie de l ’Anti-
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et des poèmes homériques une lecture allégorique n’est pas une invention des Homélies. Hippolyte de Rome, déjà, dans sa notice sur Simon, comme nous l’avons noté un peu plus haut 77, établissait l’interprétation allégorique de Moïse et des poèmes comme le fondement de sa doctrine. Il n’est peut-être pas inutile de souligner le fait que la thèse du Refutatio Omnium Haeresium d’Hippolyte est de démontrer que toutes les hérésies dérivent de la philosophie, de l’astrologie et des mystères 78. Rien d’incongru donc à ce que les Homélies donnent à l’« hérétique » Simon un vernis de philosophie. 1.2.3. Simon est un habile dialecticien C’est évidemment dans l’action, dans le cadre de ses controverses avec Pierre, que le personnage de Simon nous est dépeint comme un philosophe. Nous disons bien « dépeint comme un philosophe » parce que c’est plutôt dans la forme et dans l’image que dans les thèses et les arguments que la fiction des Homélies nous montre un Simon philosophe. À Césarée comme à Laodicée, le « magicien » et le disciple du Vrai Prophète s’engagent ainsi dans une discussion, une ζήτησις λόγων, et acceptent pour ce faire de se soumettre aux règles de la dialectique. Dans l’examen d’un problème, il faut respecter l’ordre des questions 79, fait valoir Pierre à son adversaire, au début de la discussion à Césarée : quité à la Renaissance, Paris, 2004, p. 33-36 et P. T. Struck , Birth of the Symbol. Ancient Readers at the Limits of Their Texts, Princeton, 2004, p. 21-76. L’Antre des Nymphes de Porphyre nous offre un excellent exemple de ce que pouvait être l’interprétation allégorique d’Homère chez les néoplatoniciens. Sur l’Antre des Nymphes, que Lamberton (R. L amberton, Homer the Theologian. Neoplatonist Allegorical Reading and the Growth of the Epic Tradition, Berkeley – Los Angeles, 1986, p. 120) considère comme « the earliest surviving interpretive critical essay in the European tradition », voir F. Buffière , Les mythes d ’Homère et la pensée grecque, Paris, 2010 [1956], p. 595-616 (pour une traduction française du texte) ; P. T. Struck , Birth of the Symbol. Ancient Readers at the Limits of Their Texts, Princeton, 2004, p. 72-76 ; A. P. Johnson, Religion and Identity in Porphyry of Tyre. The Limits of Hellenism in Late Antiquity, Cambridge, 2013, p. 32-37 et K. N. A kçay, Porphyry’s On the Cave of the Nymphs in its Intellectual Context, Leyde – Boston, 2019. 77. Voir supra notes 50-51 78. Hippolyte , Réfutation de toutes les hérésies (Préface 8) : …ἀλλ’ ἔστιν αὐτοῖς τὰ δοξαζόμενα ἀρχὴν μὲν ἐκ τῆς Ἑλλήνων σοφίας λαβόντα, ἐκ δογμάτων φιλοσοφουμένων καὶ μυστηρίων ἐπικεχειρημένων καὶ ἀστρολόγων ῥεμβομένων. Voir la traduction de M. D. Litwa, Refutation of All Heresies, Atlanta, 2016 : « Rather, I intend to prove that they took the starting point of their doctrines from Greek wisdom, from the dogmas of the philosophers, from manufactured mysteries, and from wandering astrologers ». 79. À quelques reprises, au cours de leurs échanges, Pierre se montre très strict sur l’ordre des questions (τάξις ζητήσεως). Voir Homélies 3,41,4 ; 15,10,5.11, 1 ; 16,2,1.
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Simon : « Il est clair que tu veux éviter d’entendre les Écritures dénoncer ton Dieu ». Pierre : « C’est toi qui me parais agir ainsi ; car en évitant de suivre l ’ordre propre à une question, on refuse qu’ait lieu une recherche véritable (ὁ γὰρ τάξιν ζητήσεως φεύγων ἐξέτασιν ἀληθῆ γενέσθαι οὐ βούλεται). Quant à moi, je suis l’ordre et je veux que l’on considère d’abord l’écrivain ; aussi est-il clair que je désire prendre le chemin droit » 80.
Le problème dont il est ici question c’est la thèse de Simon voulant que les Écritures fassent connaître un dieu imparfait et soumis à toute sorte de passion. Pierre, dans le respect de l’argumentation dialectique, réplique alors à Simon en insistant pour examiner d’abord, en toute logique, la question de l’auteur des passages qui sont en cause. C’est le même respect des règles en matière de dialectique qui les amènent tous les deux à confier à Faustus, le père de Clément et des jumeaux, la présidence de la discussion qui doit avoir lieu à Laodicée. Faustus, qui, à ce stade du récit, se ne s’est pas encore converti à la doctrine du Vrai Prophète, se veut donc impartial. De plus, en bon πεπαιδευμένος, il connaît bien les règles du jeu. La discussion, la recherche de la vérité doit se dérouler en conformité aux principes qu’enseigne la παιδεία : « Maintenant, comme l’éducation grecque m’a appris comment doivent procéder les acteurs d’un débat, je vais le rappeler. Que chacun d’entre vous expose sa propre opinion et que chaque discours soit adressé à l’autre » 81. Au jeu de la dialectique, les deux adversaires semblent de force égale. Naturellement et conformément à la logique du récit c’est cependant Pierre qui s’y révèle le plus habile, bien que contrairement à Simon, il ne soit pas un πεπαιδευμένος 82 . Par exemple, il sait très bien parer les arguments ad hominem de Simon pour les retourner contre lui 83. Dans les Reconnaissances, toutefois, c’est plutôt Simon qui nous est présenté comme le plus habile des deux. Avant que ne
80. Homélies 3,41,1-2. 81. Homélies 16,3,3 : καὶ νῦν ἐξ Ἑλληνικῆς παιδείας ὡς χρὴ τοὺς ζητοῦντας ποιεῖν εἰδὼς ὑπομνήσω. ἑκάτερος ὑμῶν τὸ ἑαυτοῦ δόγμα ἐκθέσθω, καὶ εἰς ἕτερον οἱ λόγοι γενέσθωσαν. 82. Voir Reconnaissances 8,5,4 (c’est Nicétas qui s’exprime) : « Il est en effet un homme de Dieu, plein de toute science, à qui même l’érudition des Grecs n’est pas cachée, parce qu’il est rempli de l’Esprit de Dieu à qui rien n’est caché » = homo enim dei est plenus totius scientiae, quem ne Graeca quidem latet eruditio, quia spiritu dei repletus est quem nihil latet. Voir Reconnaissances 10,15,1-2 : « Moi, Clément, je pris alors la parole en ces termes : “À Tripoli, lorsque tu débattais avec les gentils, j’ai éprouvé une vive admiration en voyant comment toi, Pierre, mon maître, imprégné comme tu le fus par tes pères du rite hébraïque et des observances de votre propre loi, sans avoir jamais été souillé par l’étude de la culture grecque, tu as fait un exposé si magnifique et si incomparable, au point de toucher même certains détails des récits mythologiques qui sont d’ordinaire déclamés dans les théâtres” ». 83. Voir, par exemple, Homélies 19,6-7. Cf. Reconnaissances 3,13,1-8.
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débute la discussion de Césarée 84 , Nicétas (suivant la traduction adoptée dans l’édition de La Pléiade) fait part à l’apôtre de sa peur que dans le débat qui l’oppose à Simon il n’ait le dessous. Il le met en garde : « Je te prie, Pierre mon maître, de m’écouter, car je suis très inquiet pour toi et j’ai peur que, dans le débat qui t’oppose à Simon, tu ne paraisses avoir le dessous » 85. Il ajoute que Simon est un adversaire redoutable : « Et en plus de tout cela, Simon lui-même est un orateur très efficace, rompu à l’art de la dialectique et aux astuces des syllogismes » 86. En fait, aussi bien dans les Homélies que dans les Reconnaissances, c’est Pierre qui, pour des raisons évidentes, sort victorieux du débat. Il n’empêche que Simon peut effectivement s’avérer très efficace. Il est tantôt vehementissimus orator, quand il multiplie les arguments ad hominem, tantôt in arte dialectica et syllogismorum tendiculis enutritus, quand il amène la discussion sur l’origine du Mauvais, à la fin de la discussion à Laodicée, sur le terrain de la dialectique. Au livre 19 des Homélies, Simon, en effet, impose à son adversaire un débat sur un thème qui n’est pas dans les Écritures, l’origine du Mauvais, et exige pour ce faire de recourir à « des méthodes efficaces » 87, à une investigation rationnelle, en quelque sorte. Il ouvre la discussion par une série de questions qui constitue justement une démonstration de ces méthodes efficaces : Simon : « S’il est créé, n’a-t-il pas été fait par le Dieu qui a fait toutes choses, soit engendré comme un être vivant, soit émis selon la substance et produit à l’extérieur par le moyen du mélange ? Car si existait hors de la matière d’où il est issu, qu’elle fût animée ou inanimée, ou bien il a été produit par Dieu, ou à partir de lui-même, ou encore hors du néant, et il fait partie des êtres relatifs, ou il a toujours existé. Puisque vient d’être définie, je le pense, chaque méthode conduisant à sa découverte, il peut être trouvé, nécessairement, si l’on suit l’une d’elles. Il faut donc suivre chacune pour chercher son origine et, une fois qu’on aura trouvé l’auteur, considérer qu’il est soumis au reproche. N’est-ce pas ? Qu’en penses-tu ? » 88.
Malgré sa réticence à débattre de la question qui lui est soumise, parce qu’il devine l’intention de Simon de rendre Dieu responsable de l’origine du Mauvais, Pierre consent à suivre la méthode de recherche que pro84. Dans les Reconnaissances, il n’y a qu’une seule discussion entre Pierre et Simon et c’est à Césarée qu’elle a lieu. Voir Reconnaissances 2,19,3-3,49,1. Voir aussi D. Côté , Le thème de l ’opposition entre Pierre et Simon dans les Pseudo-Clémentines, Paris, 2001, p. 69-86. 85. Reconnaissances 2,5,2 : obsecro te, domine mi Petre, audias me valde sollicitum tui et verentem, ne forte in certamine quod tibi est cum Simone, superari videaris. 86. Reconnaissances 2,5,4. Voir supra note 62. 87. Homélies 19,3,7 : τινες ὁδοὶ ἱκαναί. 88. Homélies 19,4,1-3.
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pose son adversaire et à user du mode conjectural. Son énoncé des hypothèses reliées à la question s’avère d’ailleurs plus systématique que celui de Simon 89. Évidemment, cela va de soi, c’est Pierre qui aura le dernier mot. Il reste toutefois que l’on assiste, dans ce passage, à un échange entre un « magicien » et un apôtre qui a toutes les allures d’une discussion entre philosophes. À partir des données de la tradition et à l’intérieur des limites qu’elle leur impose, les Homélies composent donc un Simon qui a l’allure d’un philosophe et dont l’opposition au disciple du Vrai Prophète prend la forme d’un dialogue, le genre littéraire par excellence de la pensée philosophique. D’un point de vue littéraire, justement, les thèmes et les motifs utilisés pour la composition de Simon et de Pierre se retrouvent mutatis mutandis dans la figure d’un Plotin, chez Porphyre, ou d’un Jamblique, chez Eunape, comme nous le montrerons dans la deuxième partie de cette étude. Il n’est pas question de sources ou d’influences littéraires. Il s’agit en fait d’un rapport de type dialogique. Nous entendons par là un rapport qui ne soit pas de l’ordre de la citation ou de l’allusion, mais plutôt de l’ordre de l’interaction sociale des discours 90. Ailleurs, nous avons utilisé la notion d’intertexte et d’intertextualité pour décrire la relation littéraire entre les Homélies et les textes dont elles ont pu absorber les thèmes 91. L’intertextualité, telle que la définissait Julia Kristeva, Michael Riffaterre et alii 92 , 89. Homélies 19,9,1. Voir le commentaire d’A. L e Boulluec sur ce passage dans P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005, p. 1553 : « Pierre énonce de façon plus systématique les hypothèses énumérées par Simon en Hom XIX,4,1-2 (…) Elles sont formulées selon le modèle des questions posées par les philosophes grecs sur l’origine du mal, notamment par les platoniciens ». A. Le Boulluec renvoie à l’ouvrage de D. Wyrwa (D. Wyrwa, Die christliche Platonaneignung in den Stromateis des Clemens von Alexandrien, Berlin – New York, 1983, p. 217 et suivantes) qui fait mention des platoniciens Plutarque, Celse, Albinus, Numénius et Maxime de Tyr. « L’examen critique de ces conjectures, poursuit-il, qui seront traitées plus ou moins dans l’ordre par Simon et Pierre, est à comparer aux répliques d’auteurs chrétiens, affrontant eux aussi la philosophie grecque, réunies par Eusèbe dans un dossier sur la matière et l’origine du Mal (Préparation évangélique, VII, 18,12-22,64) ». 90. Sur la notion de dialogisme, voir M. Bakhtine , Esthétique et théorie du roman, traduit du russe par D. Olivier , Paris, 1978 [1975]), p. 99-121. Voir également S. R abau, L’intertextualité, Paris, 2002, p. 75-76. 91. D. Côté , Le thème de l ’opposition entre Pierre et Simon dans les Pseudo-Clémentines, Paris, 2001, p. 273. 92. Pour une très brève définition de l’intertextualité, voir M. R iffaterre , « L’intertexte inconnu », Littérature 41 (1981), p. 6 : « tout texte est écrit à partir d’un autre ». Pour de plus amples explications de Michael Riffaterre sur le sujet, on consultera, par exemple, M. R iffatterre , La production du texte, Paris, 1979. Voir aussi J. K risteva, Σημειωτική. Recherches pour une sémanalyse, Paris, 1969, p. 82-92 (Le mot, le dialogue et le roman), qui a été la première a utilisé le mot « intertextualité ». G. Genette , Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris,
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pourrait, de fait, s’appliquer au cas des Homélies. On peut supposer qu’un certain nombre de textes ont été transformés par l’auteur des Homélies, sans qu’il soit possible ou même nécessaire de les identifier. Nous préférons aujourd’hui le terme dialogisme parce qu’il nous paraît plus inclusif (tradition orale, tout énoncé) et qu’il n’exclut pas la référence au réel comme c’est le cas avec une certaine définition de l’intertextualité 93. Ce que Mikhaïl Bakhtine appelait dialogisme, « c’est-à-dire les rapports que tout énoncé entretient avec d’autres énoncés », pourrait être désigné, selon Antoine Compagnon, comme une intertextualité qui désignerait « le dialogue entre les textes, au sens large », « l’ensemble social considéré comme un ensemble textuel » 94 . Intertextualité ou dialogisme, ce que nous disons c’est que la composition des Homélies, que l’on ne devrait pas dater selon nous avant le milieu du IVe siècle 95, ne suppose pas une connaissance directe de Porphyre ou de Jamblique (et encore moins d’Eunape pour des raisons de datation évidentes). Elle suppose cependant une certaine circulation d’idées dans les milieux lettrés du IVe siècle, de Rome à Antioche, en passant par Alexandrie et Athènes. Parmi ces idées qui circulaient, on trouve celle du philosophe qui s’assimile au divin, soit par l’ascèse et la contemplation soit par l’accomplissement de certains rituels. C’est l’idée sur laquelle repose la rivalité entre Porphyre et Jamblique. 2 . Le
con t e x t e de s
H om é li es
et l e t y pe du ph i losoph e di v i n
Si les Homélies ont composé un Simon hellénisé et l’ont revêtu d’un τρίβων, c’est, à notre avis, en raison de la double rivalité qui s’est développée, au cours des IIIe et IVe siècle, entre chrétiens et platoniciens, d’une part, et entre platoniciens eux-mêmes, d’autre part 96. C’est une question de contexte. Derrière les personnages de Pierre et de Simon se devine la 1982, p. 7-19, a suggéré de remplacer la notion d’intertextualité par le concept de transtextualité, qui inclurait l’hypertextualité. Pour un survol de la matière, voir S. R abau, L’intertextualité, Paris, 2002 et G. A llen, Intertextuality, Londres, 2000. 93. Voir A. Compagnon, Le démon de la théorie. Littérature et sens commun, Paris, 1998, p. 115-120. 94. A. Compagnon, Le démon de la théorie. Littérature et sens commun, Paris, 1998, p. 117. Voir M. Bakhtine , Esthétique et théorie du roman, traduit du russe par D. Olivier , Paris, 1978 [1975]), p. 100 : « Un énoncé vivant, significativement surgi à un moment historique et dans un milieu social déterminés, ne peut manquer de toucher à des milliers de fils dialogiques vivants, tissés par la conscience socioidéologique autour de l’objet de tel énoncé et de participer activement au dialogue social ». 95. Sur ce point, voir, dans cet ouvrage, l’Annexe sur la question des sources. 96. À propos de cette rivalité, voir A. P. Urbano, The Philosophical Life. Biography and the Crafting of Intellectual Identity in Late Antiquity, Washington D. C., 2013, p. 1-16.
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figure du philosophe, une figure qui se définit de plus en plus, de Plotin à Proclus, en relation avec le divin 97. Le but de la philosophie, du moins pour les disciples de Platon, c’est l’assimilation au divin 98. L’âme, au terme d’une ascension, rejoint le divin. Selon Plotin et Porphyre, l’opération s’effectue par l’ascèse et la contemplation. Selon Jamblique et la plupart des platoniciens après lui, jusqu’à Damascius, l’ascension de l’âme s’effectue aussi et surtout par la religion, par l’accomplissement de rites anciens d’origine chaldéenne (ou égyptienne) que l’on appelle la théurgie 99. Cette opposition entre contemplation et rituel se trouve au cœur de la définition que donne Jamblique de l’union théurgique dans sa Réponse à Porphyre : Ce n’est pas la pensée qui unit les théurges aux dieux ; sinon, qu’est-ce qui empêcherait ceux qui pratiquent la philosophie de façon spéculative d’obtenir l’union théurgique avec les dieux ? … c’est la célébration des actes qui sont indicibles et accomplis religieusement au-delà de toute intellection, et aussi le pouvoir des symboles inexprimables, compris seulement des dieux, qui procurent l’union théurgique 100. 97. Voir R. Goulet, « Introduction. Chap. XIV : Le sage idéal », dans Eunape Sardes , Vies de philosophes et de sophistes, I. Introduction, texte établi, traduit et annoté par R. Goulet, Paris, 2014, p. 391, sur le « sage idéal » chez Eunape de Sardes : « Tous ces traits tendent à présenter le héros comme une épiphanie divine ; en lui, grâce à ce procédé littéraire, est dévoilé le telos de la philosophie religieuse de cette époque : l’assimilation à la divinité dans la mesure où elle est possible à l’homme ». 98. Voir Platon, Théétète 176 b : « Cela montre quel effort s’impose : d’icibas vers le haut s’évader au plus vite. L’évasion, c’est de s’assimiler à Dieu dans la mesure du possible : or on s’assimile en devenant juste et saint dans la clarté de l’esprit » = διὸ καὶ πειρᾶσθαι χρὴ ἐνθένδε ἐκεῖσε φεύγειν ὅτι τάχιστα. φυγὴ δὲ ὁμοίωσις θεῷ κατὰ τὸ δυνατόν· ὁμοίωσις δὲ δίκαιον καὶ ὅσιον μετὰ φρονήσεως γενέσθαι. Traduction A. Diès , Platon, Œuvres complètes. Tome VIII – 2 e partie. Théétète, Paris, 1965 [1926]. 99. Sur cette transition, dans la tradition platonicienne, de la contemplation de Plotin à la théurgie de Jamblique, voir G. Shaw, Theurgy and the Soul. The Neoplatonism of Iamblichus, University Park, Pennsylvania, 1995, p. 13, note 36, qui parle d’un « “shift” in the Platonic tradition from the Plotinian/contemplative to the Iamblichean/theurgical mode ». Voir aussi P. T. Struck , « Speech Acts and the Stakes of Hellenism in Late Antiquity », dans P. M irecki – M. M eyer (éd.), In Magic and Ritual in the Ancient World, Leyde – Boston, 2002, p. 388-389, qui note que Jamblique « began from the premise that ritual action has a useful role to play in the individual’s discipline of enlightenment ». Voir également R. G. Edmonds , Drawing Down the Moon : Magic in the Ancient Greco-Roman World, Princeton, 2019, p. 314-377. Pour une courte liste des éléments essentiels de la théurgie, voir A. Charles-Saget, « La théurgie, nouvelle figure de l’ergon dans la vie philosophique », dans H. J. Blumenthal – E. G. Clark (éd.), The Divine Iamblichus. Philosopher and Man of Gods, Bristol, 1993, p. 109-110. 100. Jamblique , Réponse à Porphyre (De Mysteriis), 2,11 : οὐδὲ γὰρ ἡ ἔννοια συνάπτει τοῖς θεοῖς τοὺς θεουργούς· ἐπεὶ τί ἐκώλυε τοὺς θεωρητικῶς φιλοσοφοῦντας ἔχειν τὴν θεουργικὴν ἕνωσιν πρὸς τοὺς θεούς ; (…) ἀλλ’ ἡ de
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Alors que Porphyre, dans son traité De l ’abstinence, affirme que le philosophe doit s’efforcer de « parvenir seul à seul et de son propre fait auprès de Dieu, sans être gêné par aucune escorte » 101, Jamblique, de son côté, on le voit, souligne, au contraire, l’importance du rituel dans l’union avec le divin 102 . La théurgie est effectivement une affaire de rituels, comme le rappelle Sarah Iles Johnston : First, theurgy involves the performance of rituals much like those that characterize « magic, » especially in their reflection of some learned tradition (…) Secondly, theurgists claimed that the most important rituals they performed promoted the purification of their souls and, eventually, their ability to send them out of the material world into higher realms where they would interact with at least the lower ranks of the divine hierarchy (…) And thirdly, theurgists understood themselves to pursue both their material and spiritual aims with the willing support of the gods and other benign entities such as daimones, angeloi, and archangeloi 103.
Revenons à Porphyre et à sa conception de l’union avec le divin. Dans la Vie de Plotin 104 , il nous donne l’exemple de son maitre, dont il nous assure qu’il avait pour but d’être uni au dieu qui est au-dessus de toutes choses et de s’approcher de lui 105. Quatre fois, selon son témoignage, le maître aurait
τῶν ἔργων τῶν ἀρρήτων καὶ ὑπὲρ πᾶσαν νόησιν θεοπρεπῶς ἐνεργουμένων τελεσιουργία ἥ τε τῶν νοουμένων τοῖς θεοῖς μόνον συμβόλων ἀφθέγκτων δύναμις ἐντίθησι τὴν θεουργικὴν ἕνωσιν. Traduction H. D. Saffrey – A.-Ph. Segonds , Jamblique, Réponse à Porphyre (De Mysteriis), Paris, 2013. 101. Porphyre , De l ’abstinence 2,49,1. Traduction J. Bouffartigue – M. Patillon, Porphyre, De l ’abstinence, Paris, 2003 [1979]. À propos de l’expression « par son propre fait » (διὰ τοῦ ἑαυτοῦ), J. Bouffartigue – M. Patillon donnent cette explication, en note complémentaire (p. 221) : « C’est-à-dire sans le recours à la théurgie ». 102. Voir Jamblique , Réponse à Porphyre (De Mysteriis) 5 et 8. Voir aussi I. Tanaseanu-Döbler , Theurgy in Late Antiquity. The Invention of a Ritual Tradition, Göttingen, 2013, p. 101, au sujet de Jamblique qui, dans la Réponse à Porphyre, « stresses rituals that effect a direct connection with the gods, either through bringing about visions or some other type of direct presence of the divine ». 103. S. I. Johnston, « Magic and Theurgy », dans D. Frankfurter (éd.), Guide to the Study of Ancient Magic, Leyde – Boston, 2019, p. 694. Voir également R. G. Edmonds , Drawing Down the Moon : Magic in the Ancient Greco-Roman World, Princeton, 2019, p. 314-377. Pour une courte liste des éléments essentiels de la théurgie, voir A. Charles-Saget, « La théurgie, nouvelle figure de l’ergon dans la vie philosophique », dans H. J. Blumenthal – E. G. Clark (éd.), The Divine Iamblichus. Philosopher and Man of Gods, Bristol, 1993, p. 109-110. 104. Sur la Vie de Plotin par Porphyre, voir L. Brisson et al., Porphyre. La vie de Plotin. II. Études d ’introduction, texte grec et traduction française, commentaire, notes complémentaires, bibliographie, Paris, 1992. 105. Porphyre , Vie de Plotin 23,15-16 : « Car la fin et le but étaient pour lui d’être uni au dieu suprême et de s’approcher de lui » = Τέλος γὰρ αὐτῷ καὶ σκοπὸς
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atteint ce but, grâce à un acte ineffable, et non en puissance 106. C’est par une ascèse rigoureuse, au mépris de son corps 107, que Plotin a pu réaliser l’union avec le divin. L’oracle d’Apollon qu’Amélius, disciple de Plotin, a recueilli au sujet de l’âme de son maître et que rapporte Porphyre, le dit bien : Il est dit qu’il était vigilant, qu’il gardait son âme pure et que toujours il faisait effort en direction du divin qu’il aimait de toute son âme ; qu’il faisait tout pour se soustraire, pour échapper à la vague amère de cette vie nourrie de sang 108.
C’est aussi par la contemplation, comme l’enseignait Platon dans le Banquet 109, qu’il y est parvenu : Ainsi, c’est tout particulièrement à cet homme démonique, à cet homme qui souvent par ses méditations s’élevait vers le dieu premier et transcendant, en suivant les voies enseignées par Platon dans le Banquet, qu’est apparu ce dieu qui n’a ni figure ni forme aucune, mais qui est établi audessus de l’Intellect et tout l’Intelligible 110.
Plotin, dans ce passage, est qualifié de δαιμόνιος. Son « démon familier » n’est pourtant pas un δαίμων mais un θεός, comme l’a constaté le prêtre égyptien venu à Rome pour que Plotin assiste à « l’évocation de son propre démon familier, son compagnon » (τοῦ συνόντος αὐτῷ οἰκείου δαίμονος καλουμένου) : ἦν τὸ ἑνωθῆναι καὶ πελάσαι τῷ ἐπὶ πᾶσι θεῷ. Nous citons tous les passages de la Vie de Plotin dans la traduction de L. Brisson et al. Voir note précédente. 106. Porphyre , Vie de Plotin 23,16-17 : « Du temps où je le fréquentais, il atteignit ce but quatre fois, je crois, dans un acte indicible » = Ἔτυχε δὲ τετράκις που, ὅτε αὐτῷ συνήμην, τοῦ σκοποῦ τούτου ἐνεργείᾳ ἀρρήτῳ [καὶ οὐ δυνάμει]. Dans leur édition, L. Brisson et al. omettent les mots καὶ οὐ δυνάμει, qu’A. H. Armstrong, dans la Loeb Classical Library, a choisi d’inclure et de traduire : « Four times while I was with him he attained that goal, in an unspeakable actuality and not in potency only ». 107. Dans le cas de Plotin on peut véritablement parler d’un malaise à propos du corps, comme le montrent les tout premiers mots de la Vie de Plotin (1,1-2) : « Plotin, le philosophe qui vécut à notre époque, donnait l’impression d’avoir honte d’être dans un corps » = Πλωτῖνος ὁ καθ᾿ ἡμᾶς γεγονὼς φιλόσοφος ἐῴκει μὲν αἰσχυνομένῳ ὅτι ἐν σώματι εἴη. 108. Porphyre , Vie de Plotin 23,3-7 : εἴρηται δ᾿ ὅτι ἄγρυπνος καὶ καθαρὰν τὴν ψυχὴν ἔχων καὶ ἀεὶ σπεύδων πρὸς τὸ θεῖον, οὗ διὰ πάσης τῆς ψυχῆς ἤρα, ὅτι τε πάντ᾿ ἐποίει ἀπαλλαγῆναι, πικρὸν κῦμ᾿ ἐξυπαλύξαι τοῦ αἱμοβότου τῇδε βίου. 109. Platon, Banquet 210-211. 110. Porphyre , Vie de Plotin 23,7-12 : Οὕτως δὲ μάλιστα τούτῳ τῷ δαιμονίῳ φωτὶ πολλάκις ἐνάγοντι ἑαυτὸν εἰς τὸν πρῶτον καὶ ἐπέκεινα θεὸν ταῖς ἐννοίαις καὶ κατὰ τὰς ἐν τῷ « Συμποσίῳ » ὑφηγημένας ὁδοὺς τῷ Πλάτωνι ἐφάνη ἐκεῖνος ὁ θεὸς ὁ μήτε μορφὴν μήτε τινὰ ἰδέαν ἔχων, ὑπὲρ δὲ νοῦν καὶ πᾶν τὸ νοητὸν ἱδρυμένος.
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Cependant, appelé à se manifester, le démon vint : c’était un dieu et il n’était pas de la classe des démons ; ce qui fit dire à l’Égyptien : « Bienheureux es-tu, toi dont le démon est un dieu et dont le compagnon n’appartient pas à la classe inférieure » 111.
C’est que Plotin, nous explique Porphyre, avait, de naissance, une supériorité sur les autres hommes 112 . Il ne fréquentait pas les temples et n’offrait pas de sacrifices aux dieux. « C’est aux dieux de venir à moi, répondil à Amélius qui l’invitait à participer à une cérémonie, non à moi d’aller à eux » 113. Dans le cas de Jamblique, son biographe, Eunape de Sardes 114, ne fait pas spécifiquement état de ses différentes unions avec le divin, comme Porphyre pouvait le faire au sujet de son maître Plotin. Il n’est pas en mesure de les énumérer parce que chez Jamblique l’assimilation au divin ne s’effectue pas de manière ponctuelle, au terme d’une longue ascèse et au moyen de la contemplation. La vie de Jamblique se déroule tout entière en présence du divin, sa vie est en soi une constante épiphanie. Eunape décrit donc plutôt les manifestations de sa divinité. C’est ainsi que sa nature 111. Porphyre , Vie de Plotin 10,21-23 : Κληθέντα δὲ εἰς αὐτοψίαν τὸν δαίμονα θεὸν ἐλθεῖν καὶ μὴ τοῦ δαιμόνων εἶναι γένους· ὅθεν τὸν Αἰγύπτιον εἰπεῖν· « μακάριος εἶ θεὸν ἔχων τὸν δαίμονα καὶ οὐ τοῦ ὑφειμένου γένους τὸν συνόντα ». 112. Porphyre , Vie de Plotin 10,14-15 : « Car Plotin avait, de naissance, quelque chose de plus que les autres » = γὰρ καὶ κατὰ γένεσιν πλέον τι ἔχων παρὰ τοὺς ἄλλους ὁ Πλωτῖνος. 113. Porphyre , Vie de Plotin 10,35-36 : ἐκείνους δεῖ πρὸς ἐμὲ ἔρχεσθαι, οὐκ ἐμὲ πρὸς ἐκείνους. L’anecdote sur Amélius et la religion va comme suit (10,33-38) : « Amateur de sacrifices, Amélius allait faire le tour des sanctuaires lors de la nouvelle lune et des fêtes ; comme il voulait un jour prendre avec lui Plotin, ce dernier dit : “C’est à eux de venir vers moi, non à moi d’aller vers eux”. Quelle sorte de pensée le poussa à des paroles aussi hautes, c’est ce que nous n’avons pu comprendre nous-mêmes et sur quoi nous n’osâmes pas l’interroger » = Φιλοθύτου δὲ γεγονότος τοῦ Ἀμελίου καὶ τὰ ἱερὰ κατὰ νουμηνίαν καὶ τὰς ἑορτὰς ἐκπεριιόντος καί ποτε ἀξιοῦντος τὸν Πλωτῖνον σὺν αὐτῷ παραλαβεῖν ἔφη· « ἐκείνους δεῖ πρὸς ἐμὲ ἔρχεσθαι, οὐκ ἐμὲ πρὸς ἐκείνους. » Τοῦτο δὲ ἐκ ποίας διανοίας οὕτως ἐμεγαληγόρησεν, οὔτ᾿ αὐτοὶ συνεῖναι δεδυνήμεθα οὔτ᾿ αὐτὸν ἐρέσθαι ἐτολμήσαμεν. 114. Sur Eunape de Sardes, voir R. J. Penella, Greek Philosophers and Sophists in the Fourth Century A.D. Studies in Eunapius of Sardis, Leeds, 1990 ; P. Cox M iller , « Strategies of Representation in Collective Biography : Constructing the Subject as Holy », dans T. H ägg – P. Rousseau (éd.), Greek Biography and Panegyric in Late Antiquity, Berkeley, 2000, p. 209-254 ; M. Civiletti, Eunapio di Sardi. Vite di Filosofi e Sofisti. Testo greco a fronte. Introduzione, traduzione, note e apparati di M. Civiletti, Milano, 2007 ; M. Becker , Eunapios aus Sardes. Biographien über Philosophen und Sophisten. Einleitung, Übersetzung, Kommentar, Stuttgart, 2013 et R. Goulet, « Introduction », dans Eunape de Sardes , Vies de philosophes et de sophistes, I. Introduction, texte établi, traduit et annoté par R. Goulet, Paris, 2014.
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divine lui permet de s’élever au-dessus du sol, à plus de dix coudées, et de transformer son corps, lui donnant la beauté de l’or : Pourquoi donc, maître très divin, accomplis-tu certains rites seul, en ton particulier, sans nous faire partager cette sagesse plus parfaite ? Et pourtant, un bruit se répand jusqu’à nous, venant de tes esclaves, selon lequel dans ta prière aux dieux tu t’élèves au-dessus du sol à plus de dix coudées, à ce que l’on estime ; ton corps et ton vêtement reçoivent en se transformant une beauté pareille à l’or ; puis lorsque tu achèves ta prière, ton corps redevient comme il était avant que tu ne pries et, une fois redescendu sur terre, tu t’entretiens avec nous 115.
De la même manière, il fait apparaître deux Éros des sources chaudes de Gadara, en présence de ses disciples stupéfaits : Lui, après avoir touché l’eau aussitôt – il se trouvait assis sur la margelle, là où l’eau déborde – et après avoir prononcé de brèves formules, évoqua un enfant du fond de la source (…) Comme ses compagnons étaient frappés de stupeur, [Jamblique] dit : « Allons à la source voisine », et en s’en allant, il les précéda, perdu dans ses pensées. Ensuite, là encore, après avoir effectué les mêmes gestes, il évoqua un autre Érôs, en tous points semblables au premier 116. 115. Eunape de Sardes , Vies de philosophes et de sophistes (Goulet V, 8, p. 12-13 ; Giangrande V, 1, 8, p. 11-12 ; Wright 458, p. 364). Sur la lévitation de Jamblique, voir R. J. Penella, Greek Philosophers and Sophists in the Fourth Century A.D. Studies in Eunapius of Sardis, Leeds, 1990, p. 45 ; M. Civiletti, Eunapio di Sardi. Vite di Filosofi e Sofisti. Testo greco a fronte. Introduzione, traduzione, note e apparati di M. Civiletti, Milano, 2007, p. 326 ; M. Becker , Eunapios aus Sardes. Biographien über Philosophen und Sophisten. Einleitung, Übersetzung, Kommentar, Stuttgart, 2013, p. 217-219. Civiletti et Becker notent tous deux qu’il y a dans la Vie d ’Apollonius de Tyane (3,15) de Philostrate une anecdote au sujet de la lévitation des Brahmanes. Ils renvoient également à un parallèle intéressant dans les Papyri grecs magiques (PGM IV,530-544). Sur la transfiguration de Jamblique, voir M. Civiletti, Eunapio di Sardi. Vite di Filosofi e Sofisti. Testo greco a fronte. Introduzione, traduzione, note e apparati di M. Civiletti, Milano, 2007, p. 326-334 et P. Cox M iller , « Strategies of Representation in Collective Biography : Constructing the Subject as Holy », dans T. H ägg – P. Rousseau (éd.), Greek Biography and Panegyric in Late Antiquity, Berkeley, 2000, p. 242, qui fait la remarque suivante : « as Iamblichus himself wrote, one aspect of theurgy can be described as “taking the shape of the gods” (De Myst. 184,8) ». 116. Eunape de Sardes , Vies de philosophes et de sophistes (Goulet V, 19-21, p. 15 ; Giangrande V, 2, 4-6, p. 14 ; Wright 459, p. 370). Voir P. Cox M iller , « Strategies of Representation in Collective Biography : Constructing the Subject as Holy », dans T. H ägg – P. Rousseau (éd.), Greek Biography and Panegyric in Late Antiquity, Berkeley, 2000, p. 243 : « this anecdote depicts theurgy in action, with its fundamental aim of eliciting what is divine in the human soul in order to unite it with its responsive counterpart in the divine world ». À ce sujet, voir G. Shaw, Theurgy and the Soul. The Neoplatonism of Iamblichus, University Park, Pennsylvania, 1995, p. 125-126.
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Évidemment, c’est le point de vue d’Eunape de Sardes, comme l’a bien noté Goulet 117, qui présente les héros de ses Vies de philosophes et de sophistes comme des épiphanies divines, des manifestations de la transcendance, des êtres divins 118. Selon ce point de vue, Jamblique représente la mesure, l’étalon de ce philosophe ou plutôt de ce sage divin 119. Dans la notice qu’il lui consacre, Eunape n’utilise pas les termes théurgie, théurge ou théurgique pour décrire le caractère divin de Jamblique 120. Il nous le montre cependant ici, en train d’accomplir un rite, qui lui permet de s’élever dans les airs, et là, en train de réciter une prière ou une formule, qui a pour effet de faire apparaître un premier Érôs et même un deuxième. Autrement dit, les manifestations de sa divinité sont accompagnées ou sont produites par un rituel qui suppose une τέχνη ou une ἐπιστήμη 121. Nous verrons un peu plus loin, à propos de Maxime d’Éphèse, en quoi pouvait consister un tel rituel.
117. R. Goulet, « Introduction », dans Eunape de Sardes , Vies de philosophes et de sophistes, I. Introduction, texte établi, traduit et annoté par R. Goulet, Paris, 2014, p. 389-391. 118. Voir M. Becker , Eunapios aus Sardes. Biographien über Philosophen und Sophisten. Einleitung, Übersetzung, Kommentar, Stuttgart, 2013, p. 56, qui renvoie à la notion de « discours hagiographique » et à l’idée d’une sacralisation de la divinisation : « Die Teilnahme des Eunapios am hagiographischen Diskurs seiner Zeit wird in der neueren Forschung unter den Begriffen “Sakralisierung” bzw. “Divinisierung” zusammengefasst ». Voir également M. Civiletti, Eunapio di Sardi. Vite di Filosofi e Sofisti. Testo greco a fronte. Introduzione, traduzione, note e apparati di M. Civiletti, Milano, 2007, p. 26-28, sur la « sacralizzazione del filosofo » et M. van Uytfanghe , « L’hagiographie : un “genre” chrétien ou antique tardif ? », Analecta Bollandiana 111 (1993), p. 135-188, sur le concept de « discours hagiographique ». 119. Voir P. Cox M iller , « Strategies of Representation in Collective Biography : Constructing the Subject as Holy », dans T. H ägg – P. Rousseau (éd.), Greek Biography and Panegyric in Late Antiquity, Berkeley, 2000, p. 237 : « …the hagiographical impulse that guides Eunapius’s collective biography and underlies its principle of repetition is the “religio-theurgic sophia” of Neoplatonism associated with Iamblichus ». 120. Voir P. Cox M iller , « Strategies of Representation in Collective Biography : Constructing the Subject as Holy », dans T. H ägg – P. Rousseau (éd.), Greek Biography and Panegyric in Late Antiquity, Berkeley, 2000, p. 238 : « …Eunapius does not discuss the tenets of theurgical philosophy in his collection. However, his frequent use of the term θεῖος and cognates to describe his philosophers and especially his use of θαῦμα and cognates (over fifty times) to describe the wondrous qualities of these figures and the marvel that they provoke in others is certainly suggestive of an essentially theurgical view of their attainments ». 121. Sur la théurgie en tant que τέχνη et ἐπιστήμη, voir I. Tanaseanu-Döbler , Theurgy in Late Antiquity. The Invention of a Ritual Tradition, Göttingen, 2013, p. 100-101.
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CHAPITRE IX de s
H om é li es
et l a r i va l i t é e n t r e ph i losoph e s
L’évolution de la figure du philosophe dans les milieux platoniciens des IIIe et IVe siècle éclaire donc la composition des personnages de Simon et de Pierre dans les Pseudo-Clémentines et plus particulièrement dans les Homélies. Dans un contexte de rivalité entre chrétiens et platoniciens, l’image du philosophe chez Porphyre et Eunape doit d’abord se comprendre, sur le plan littéraire, dans un rapport d’intertextualité ou de dialogisme avec l’image du magicien et de l’apôtre dans les Homélies. Il faut également, sur le plan sociologique, et en prenant appui sur les travaux d’Arthur Urbano, situer cette rivalité entre chrétiens et platoniciens à l’intérieur d’une autre rivalité, au-delà de la distinction entre chrétiens et païens, celle qui met aux prises les philosophes entre eux, en tant que membres de la même élite intellectuelle. Nous reviendrons sur ce point, mais pour l’instant et pour les fins de la comparaison, plaçons les figures de Pierre et de Simon dans la catégorie du « philosophe ». 3.1. L’accusation de « magie » Tout d’abord, c’est la rivalité entre philosophes, s’exprimant sur fond de « magie », qui retient notre attention. Nous n’avons pas uniquement à l’esprit le cas classique de l’accusation de « magie » 122 . Nous faisons également référence à tous les cas où des rivaux s’affrontent sur la question du recours à la « magie » et à ses pouvoirs, comme, par exemple, dans le cas de la discussion entre Porphyre et Jamblique à propos de la théurgie. Porphyre, en effet, a écrit une lettre de nature polémique à un prêtre égyptien nommé Anébon. C’est l’ouvrage connu sous le titre : Lettre à Anébon l ’Égyptien. Ce prêtre égyptien est fictif. Il s’agit, en réalité, d’une lettre ouverte adressée à Jamblique au sujet de la théurgie. Le but de l’ouvrage 122. Citons deux cas célèbres dans la littérature gréco-romaine : Apulée de Madaure et son Apologie ; Apollonius de Tyane, dont la Vie que lui a consacré Philostrate a pour but de réfuter les accusations de magie portées contre lui. Sur l’accusation de magie dans l’Antiquité, voir P. Brown, « Sorcery, Demons, and the Rise of Christianity », dans M. Douglas (éd.), Witchcraft, Confessions & Accusations, Londres, 2004, p. 21-27 ; O. Dufault, « Magic and Religion in Augustine and Iamblichus », dans R. M. Frakes – E. De Palma Digeser (éd.), Religious Identity in Late Antiquity, Toronto, 2006, p. 61-64, K. B. Stratton, Naming the Witch : Magic, Ideology, and Stereotype in the Ancient World, New York, 2007, p. 114-120 ; M. K ahlos , « Artis heu magicis : The Label of Magic in Fourth Century Conflicts and Disputes », dans M. Salzman – M. Sághy – R. Lizzi Testa (éd.), Pagans and Christians in Late Antique Rome, Cambridge, 2016, p. 162-177, R. G. Edmonds , Drawing Down the Moon : Magic in the Ancient Greco-Roman World, Princeton, 2019, p. 378-415. Sur le cas, particulièrement intéressant, d’Apulée, voir L. Costantini, Magic in Apuleius’ Apologia : Understanding the Charges and the Forensic Strategies in Apuleius’ Speech, Berlin – Boston, 2019.
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était, selon Peter Struck, de réfuter « the legitimacy of ritual practice in the pursuit of spiritual ascent » 123. Dans le même registre de la fiction égyptienne, Jamblique répond à Porphyre en tant que Maître Abamôn 124 . C’est la Réponse de Maître Abamôn à la Lettre de Porphyre à Anébon et solutions des difficultés qu’elle contient, ouvrage mieux connu sous le titre De Mysteriis Aegyptiorum, depuis l’époque de Marsile Ficin 125. Notre propos, dans cette étude, consiste à démontrer que cette discussion entre platoniciens sur les mérites de la théurgie trouve un écho pseudo-clémentin dans l’opposition entre Simon, le « théurge », et Pierre l’ascète. Bien entendu, dans les Homélies, l’opposition entre Pierre et Simon passe d’abord par une accusation de « magie ». Nous l’avons vu, Simon se présente à ses disciples et aux foules comme une sorte de manifestation divine, une épiphanie, un Apollonius de Tyane, pour ainsi dire 126. Nous l’avons vu également, Nicète et Aquila, ses anciens disciples, ne voient en lui, au contraire, qu’un habile μάγος, tout comme les adversaires d’Apollonius d’ailleurs 127. De même, Pierre, qui reconnaît le pouvoir de son adver123. P. T. Struck, « Speech Acts and the Stakes of Hellenism in Late Antiquity », dans P. Mirecki – M. Meyer (éd.), In Magic and Ritual in the Ancient World, Leyde – Boston, 2002, p. 389. 124. La Lettre de Porphyre ne nous est connue que sous forme de fragments intégrés à la Réponse de Jamblique. Récemment, dans la Collection des Universités de France, Henri Dominique Saffrey et Alain Philippe Segonds, ont édité, en deux volumes séparés, la Lettre à Anébon et la Réponse à Porphyre : Porphyre , Lettre à Anébon l ’Égyptien, texte établi, traduit et commenté par H. D. Saffrey – A.-Ph. Segonds , Paris, 2012 ; Jamblique , Réponse à Porphyre (De Mysteriis), texte établi, traduit et annoté par H. D. Saffrey – A.-Ph. Segonds , avec la collaboration d’A. L ecerf, Paris, 2013. Au sujet du débat entre Porphyre et Jamblique sur la question de la théurgie, voir I. Tanaseanu-Döbler , Theurgy in Late Antiquity. The Invention of a Ritual Tradition, Göttingen, 2013, p. 56-135 et M. B. Simmons , Universal Salvation in Late Antiquity. Porphyry of Tyre and the Pagan-Christian Debate, Oxford, 2015, p. 134-158. 125. À propos du titre, voir H. D. Saffrey – A.-Ph. Segonds , « Introduction », dans Jamblique , Réponse à Porphyre (De Mysteriis), texte établi, traduit et annoté par H. D. Saffrey – A.-Ph. Segonds , avec la collaboration d’A. L ecerf, Paris, 2013, p. ix-xxi. 126. Sur Apollonius de Tyane en tant que philosophe divin ou, selon l’expression consacrée, en tant que θεῖος ἀνήρ, voir J.-J. Flinterman, « The Ubiquitous Divine Man », Numen 43 (1996), p. 82-98 ; M. van Uytfanghe , « La Vie d’Apollonius de Tyane et le Discours Hagiographique », dans K. Demoen – D. P raet (éd.), Theios Sophistes. Essays on Philostratus’ Vita Apollonii, Leyde – Boston, 2009, p. 335-374. Sur la réception de la figure d’Apollonius de Tyane dans l’Antiquité tardive et chez Eusèbe de Césarée (Contre Hiéroclès) plus particulièrement, voir C. P. Jones , « Apollonius of Tyana in Late Antiquity », dans S. F. Johnson (éd.), Greek Literature in Late Antiquity. Dynamism, Didacticism, Classicism, Londres, 2006, p. 49-64. 127. Voir Philostrate , Vie d ’Apollonius de Tyane 1,2,1 : « …mais bien qu’il n’ait vécu ni en des temps très anciens ni tout à fait de nos jours, les hommes ne
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saire Simon : il est une « puissance de gauche de Dieu » 128, son précurseur, selon la loi des syzygies 129, n’hésite pas à le qualifier de μάγος 130, voire de κακοποιὸς μάγος 131, même s’il joue en fait un rôle dans l’économie divine en tant qu’antagoniste de Pierre et « suppôt du mal contre ceux qui ignorent le vrai » 132 . Bien qu’il s’en défende, le personnage de Simon nous est présenté comme un μάγος et il n’y a donc rien d’étrange à ce que Pierre, le disciple du Vrai Prophète, l’accuse d’en être un. Les Homélies se rattachent en cela à la tradition hérésiologique qui fait de Simon, nous l’avons déjà souligné, un μάγος et un « hérétique ». Là où les Homélies se distinguent dans l’image qu’elles nous donnent de Simon, c’est lorsqu’elles nous le montrent qui accuse à son tour Pierre d’être lui-même un μάγος 133. C’est la tactique qu’il utilise au deuxième jour de la discussion de Laodicée, pour expliquer à la foule, venue assister au débat, pourquoi il perd parfois ses moyens en présence de Pierre. Zachée rapporte ainsi les propos de Simon contre Pierre : Il t’accuse, Pierre, d’être un serviteur du Mal, d’avoir un grand pouvoir magique (μαγείᾳ πολὺ δυνάμενον) et de former dans les âmes des hommes des représentations pires que l’idolâtrie. Pour montrer que tu es un magicien (μάγον εἶναί σε), voici la preuve qu’il prétend apporter, en ces le connaissent point d’après sa véritable sagesse, qu’il pratiqua en philosophe de bon sens ; au contraire, l’un loue en lui ceci, cet autre cela, d’autres, parce qu’il a rendu visite aux mages de Babylone, aux Brahmanes des Indes et aux Gymnosophistes d’Égypte, le considèrent lui-même comme un mage et le calomnient, en font un sorcier, tant ils le connaissant mal (μάγον ἡγοῦνται αὐτὸν καὶ διαβάλλουσιν ὡς βιαίως σοφόν, κακῶς γιγνώσκοντες) ». Traduction P. Grimal , Romans grecs et latins, Paris, 1958. Voir K. B. Stratton, Naming the Witch : Magic, Ideology, and Stereotype in the Ancient World, New York, 2007, p. 113 : « It has been claimed that this biography deliberately sought to resuscitate the reputation of Apollonius by describing him in terms of a “divine man” (theios aner) and to distance him from charges of being a magician ». 128. Homélies 7,1,3. 129. Homélies 7,4,1. 130. Homélies 7,11,2 : « Si vous m’en croyez, c’est lui le magicien… » = εἰ δ’ ἐμοὶ πιστεύετε, αὐτός ἐστιν μάγος. 131. Homélies 7,11,4 : « …par le moyen de ce magicien malfaisant » = δι’ ἐκείνου μὲν οὖν τοῦ κακοποιοῦ μάγου. 132. Homélies 7,11,2 : « …lui le suppôt du mal contre ceux qui ignorent le vrai » = αὐτὸς κακίας ὑπηρέτης κατὰ τῶν ἀγνοούντων τὸ ἀληθές. Voir Homélies 7,11,3-4 : « Mais moi, je suis le serviteur du Dieu qui a fait toutes choses, le disciple de son Prophète droit. Aussi, puisque je suis l’apôtre de celui-ci, dis-je la vérité. Étant au service du bien, je chasse même les maladies ; car j’ai été envoyé en second lieu ; puisque la maladie précède et que la guérison suit, vous avez été rendus malades par le moyen de ce magicien malfaisant pour ne pas avoir cru en Dieu, mais si vous croyez en lui, c’est par mon intermédiaire que vous serez guéris ». 133. D. Côté , Le thème de l ’opposition entre Pierre et Simon dans les PseudoClémentines, Paris, 2001, p. 45 ; 95-96.
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termes : « Je suis conscient d’un fait : des arguments que je médite en moimême, je ne me rappelle pas un seul mot quand je viens débattre avec lui. Pendant qu’il parle et que moi je m’applique à me remémorer ce que j’avais compté lui dire une fois arrivé auprès de lui, je n’entends absolument rien de ce qu’il dit. Or je n’éprouve cela avec personne d’autre, mais seulement avec lui ; ne suis-je donc pas sous l’influence de sa magie ? (πῶς οὐχὶ μαγευόμενος ὑπ’ αὐτοῦ τυγχάνω) » 134 .
Dans une discussion, dans une joute oratoire, accuser son adversaire de ce dont on est soi-même accusé est un procédé éprouvé 135. Attribuer la supériorité ou le succès d’un adversaire, philosophe ou sophiste, à l’influence de la « magie » constitue un autre procédé éprouvé et redoutablement efficace. Ce qui relève également du répertoire connu en la matière est l’utilisation de la « magie » pour troubler l’adversaire. Dans le contexte d’une rivalité entre sophistes, par exemple, on attribuera ses pertes de mémoire, comme le fait Simon, aux procédés magiques de son adversaire. Almuth Lotz a récemment abordé la question, dans un article sur les accusations de « magie » chez Libanios et Théodoret de Cyr 136. Le cas de Libanios nous semble des plus intéressants. Dans le passage que nous venons de citer, Simon se plaint d’éprouver des pertes de mémoire en présence de Pierre, ce qui constitue la preuve, à ses yeux, que son adversaire est un « magicien ». Libanios, le célèbre sophiste d’Antioche, raconte justement, dans son Autobiographie, comment l’un de ses rivaux se plaignait également d’étranges amnésies et l’accusait d’avoir eu recours à la « magie » pour les lui infliger 137. Trois fois, au cours de sa carrière, des 134. Homélies 17,2,1-4. Voir Homélies 4,2,3 ; 7,9,3 ; 20,13,2 où il est question du même procédé utilisé par Simon. 135. Voir, par exemple, E schine , Sur l ’ambassade infidèle 3, à propos de Démosthène : « Mais, croyez-moi, Démosthène n’aime point la vérité, elle n’est point dans ses vues : ce qu’il a voulu, au contraire, c’est exciter votre colère en m’accusant de vénalité, bien qu’il soit peu apte à accréditer un pareil soupçon ; car, pour exhorter les juges à s’irriter contre des actes de corruption, il faut être soi-même tout à fait étranger à de pareilles actions ». Traduction V. M artin – G. de Budé , Eschine, Discours, I. Contre Timarque – Sur l ’ambassade infidèle, Paris, 1927. Voir aussi Démosthène , Sur la couronne 276, à propos d’Eschine : « …il vous disait de me surveiller et de m’observer pour éviter d’être abusés et trompés par moi ; il m’appelait habile homme, sorcier, sophiste, etc., comme si, pourvu qu’on prenne les devants en disant d’un autre ce qui s’applique à vous-même, la réalité était telle, et comme si les auditeurs n’allaient plus examiner ce qu’est celui-là même qui parle ainsi. Moi, je sais que vous le connaissez tous et que vous pensez que ces qualificatifs s’appliquent bien plus à lui qu’à moi ». Traduction G. M athieu, Démosthène, Plaidoyers politiques, IV, Paris, 1989 (5e tirage). 136. A. L otz , « Libanius and Theodoret of Cyrrhus on Accusations of Magic : Between Legal Norm and Legal Practice in Late Antiquity », Magic, Ritual, and Witchcraft 14 (2019), p. 211-229. 137. Libanios , Discours 1 (Autobiographie) 50 : « …mais son esprit enfantait des phobies, il se croyait ensorcelé et cette idée lui paralysait la mémoire : il quit-
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rivaux auront voulu lui nuire ou le mettre hors-jeu en l’accusant d’avoir pratiqué la « magie » pour parvenir à ses fins 138. L’une de ces accusations présente un intérêt particulier pour notre sujet puisqu’elle supposait que Libanios, tout comme Simon, ait trempé dans une affaire de meurtre rituel et de nécromancie 139. Pour mettre les choses en contexte, Rafaella Cribiore nous rappelle que, dans l’Antiquité, la perception voulant que le pouvoir de la rhétorique ait quelque chose de « magique » était répandue. Elle souligne que, comme le montre l’exemple de Libanios dans son Autobiographie, à la fin de l’Antiquité, le lien entre rhétorique et « magie » relève du lieu commun, du moins dans un contexte de rivalité entre sophistes et rhéteurs 140. Almuth Lotz met lui aussi en perspective les nombreuses accusations de « magie » dont Libanios aurait fait l’objet. Il considère que, malgré l’impression de banalité qui se dégage du récit de Libanios, l’accusation de « magie » reste somme toute marginale et s’inscrit dans une stratégie rhétorique pour nuire à un adversaire, une stratégie qui se révèle, la plupart du temps, assez peu efficace 141.
tait alors la salle, disant et faisant n’importe quoi » = ἀλλ’ αὑτῷ φόβους τινὰς ἐντεκών, ὡς δὴ γοητεύοιτο, τοῖς δόγμασι τὴν μνήμην ἐξέπληττε καὶ ἀπῄει πᾶν μὲν δρῶν, πᾶν δὲ φθεγγόμενος ; 71 : « Mais à la vue du stade, un vertige le prit et lui ôta la mémoire, et il cria que le magicien que j’étais n’avait pas encore abandonné ses pratiques » = ὡς γὰρ εἶδε τὸ στάδιον, ἰλιγγιάσας ἐξενήνεκτο τῆς μνήμης καὶ ἐβόα μηδὲ τότε πεπαῦσθαι τὸν γόητα ἐμέ. Traduction P. Petit, Libanios, Discours, I. Discours I – Autobiographie, Paris, 1978. Sur les accusations de magie portées contre Libanios, voir P. Brown, « Sorcery, Demons, and the Rise of Christianity », dans M. Douglas (éd.), Witchcraft, Confessions & Accusations, Londres, 2004, p. 24-25 et A. L otz , « Libanius and Theodoret of Cyrrhus on Accusations of Magic : Between Legal Norm and Legal Practice in Late Antiquity », Magic, Ritual, and Witchcraft 14 (2019), p. 213-222. 138. Voir A. L otz , « Libanius and Theodoret of Cyrrhus on Accusations of Magic : Between Legal Norm and Legal Practice in Late Antiquity », Magic, Ritual, and Witchcraft 14 (2019), p. 216-220. 139. Libanios , Discours 1 (Autobiographie) 98 : « J’étais donc en plein dans mes récitations publiques qui étaient fréquentes et bien faites pour attirer les étudiants, quand un garçon à qui son corps avait valu beaucoup de dîners alla trouver l’empereur pour un bon salaire et lui dit que je conservais après les avoir coupées les têtes de deux femmes, me servant de l’une contre lui et de l’autre contre son collègue plus âgé. Le salaire de son mensonge était de coucher avec un danseur qui était totalement au service de la clique de l’autre sophiste ». Traduction P. Petit, Libanios, Discours, I. Discours I – Autobiographie, Paris, 1978. 140. R. Cribiore , Libanius the Sophist. Rhetoric, Reality, and Religion in the Fourth Century, Ithaca, 2013, p. 123 : « Indeed, the correspondence between rhetoric and magic was a commonplace in late antiquity, when an opponent might accuse a rhetor of damaging people and property through his enchanting words ». 141. A. L otz , « Libanius and Theodoret of Cyrrhus on Accusations of Magic : Between Legal Norm and Legal Practice in Late Antiquity », Magic, Ritual, and Witchcraft 14 (2019), p. 221-222.
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3.2. L’utilisation de la « magie » chez les philosophes Porphyre, dans la Vie de Plotin, relate un autre épisode de rivalité sur fond de « magie », cette fois-ci chez les philosophes. Plotin n’a jamais eu d’ennemis parmi les hommes politiques, nous apprend Porphyre, mais on lui connaît au moins un rival, parmi les philosophes, un certain Olympius d’Alexandrie, qui voulait être le premier, peut-être à l’école d’Ammonius Saccas 142 . Olympius s’en prend donc à Plotin par des pratiques « magiques ». Plus exactement, il attire sur lui « l’influence maligne des astres par des procédés magiques » 143. Plotin, grâce à la puissance de son âme et à sa supériorité, s’aperçoit des manœuvres d’Olympius et les retourne contre lui. C’est donc lui, Olympius, qui subit le mal qu’il voulait faire subir à Plotin : Mais, sentant que l’entreprise se retournait contre lui-même, il dit à ses familiers que si grande était la puissance de l’âme de Plotin qu’il pouvait détourner les attaques dirigées contre lui sur ceux qui entreprenaient de lui faire du mal. Plotin cependant ressentait l’agression d’Olympius, disant qu’à ce moment-là son corps était contracté comme la bourse que l’on resserre, ses membres pressés les uns contre les autres. Mais Olympius,
142. Au sujet de l’hypothèse voulant que cette rivalité ait eu lieu au sein de l’école d’Ammonius, à Alexandrie, voir A. H. A rmstrong, « Was Plotinus a Magician ? », Phronesis 1 (1955), p. 74, note 1 ; Ph. M erlan, « Plotinus and Magic », Isis 44 (1953), p. 343, note 19 ; L. Brisson, « Plotin et la magie. Le chapitre 10 de la Vie de Plotin par Porphyre », dans L. Brisson et al. Porphyre. La vie de Plotin. II. Études d ’introduction, texte grec et traduction française, commentaire, notes complémentaires, bibliographie, Paris, 1992, p. 466, et L. Brisson, « The Philosopher and the Magician (Porphyry, Vita Plotini 10.1-13). Magic and Sympathy », dans U. Dill-C. Walde (éd.), Antike Mythen. Medien, Transformationen und Konstruktionen, Berlin – New York, 2009, p. 190. 143. Porphyre , Vie de Plotin 10,4-5 : ὥστε καὶ ἀστροβολῆσαι αὐτὸν μαγεύσας ἐπεχείρησεν. Voir Libanios , Discours 1 (Autobiographie) 43, à propos de Bemarchios, un rival de Libanios : « …il allait répétant d’un air tragique qu’il avait été la victime de sorciers (γοήτων ἡττῆσθαι περιιὼν ἐτραγῴδει) : j’étais lié avec un homme qui faisait faire aux astres ce qu’il voulait, ce qui le rendait capable d’agir, en bien ou en mal, sur le sort des hommes (ξυνεῖναί με γὰρ ἀνδρὶ τυραννοῦντι τῶν ἄστρων, δι᾿ ὧν ἐκεῖνον τὸν μὲν εὖ, τὸν δὲ κακῶς ποιεῖν ἀνθρώπων) … ». Traduction P. Petit, Libanios, Discours, I. Discours I – Autobiographie, Paris, 1978. Voir L. Brisson, « Plotin et la magie. Le chapitre 10 de la Vie de Plotin par Porphyre », dans L. Brisson et al. Porphyre. La vie de Plotin. II. Études d ’introduction, texte grec et traduction française, commentaire, notes complémentaires, bibliographie, Paris, 1992, p. 466, sur le lien entre « magie » et astrologie : « À l’époque, les lésions corporelles et les affections morbides que les astrologues attribuaient à l’influence d’étoiles nocives étaient légion ». Sur cette question, voir aussi R. G. Edmonds , Drawing Down the Moon : Magic in the Ancient Greco-Roman World, Princeton, 2019, p. 236-268. Sur l’astrologie et la « magie » chez Plotin, voir J. F. Finamore , « Plotinus and Iamblichus on Magic and Theurgy », Dionysius 17 (1999), p. 85-86.
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après avoir risqué plusieurs fois de subir lui-même quelque dommage plutôt que de le faire subir à Plotin, renonça 144 .
À la lumière d’un passage des Ennéades, dans lequel Plotin explique que le sage peut se délivrer de l’influence d’une incantation par des incantations contraires 145, on a pu penser que Plotin pratiquait ici la « magie » 146. Ce n’est pas l’avis de Luc Brisson et d’Arthur H. Armstrong qui notent que les incantations dont il est question dans le passage des Ennéades ne renvoient pas forcément à des procédés « magiques » 147. Pour Ilinca Tanaseanu-Döbler, l’épisode d’Olympius relève toutefois bel et bien de la « magie » 148. Quoi qu’il en soit, le but visé par Porphyre, en narrant cet épisode, est de montrer que son maître Plotin peut contrer une attaque « magique » par la puissance de son âme. 3.3. Le philosophe et les apparitions De la même manière, on peut sans doute interpréter l’épisode de la métamorphose de Faustus, à la fin des Homélies, comme une démonstration de la supériorité de Pierre sur la « magie » de Simon. En fait, il nous semble possible d’établir une autre comparaison entre Pierre et Plotin. Dans l’épisode du temple d’Isis 149, au chapitre 10 de la Vie de Plotin, il y a la description d’une αὐτοψία, c’est-à-dire la vision d’un θέος ou d’un 144. Porphyre , Vie de Plotin 10,5-13 : Ἐπεὶ δὲ εἰς ἑαυτὸν στρεφομένην ᾔσθετο τὴν ἐπιχείρησιν, ἔλεγε πρὸς τοὺς συνήθεις μεγάλην εἶναι τὴν τῆς ψυχῆς τοῦ Πλωτίνου δύναμιν, ὡς σποκρούειν δύνασθαι τὰς εἰς ἑαυτὸν ἐπιφορὰς εἰς τοὺς κακοῦν αὐτὸν ἐπιχειροῦντας. Πλωτῖνος μέντοι τοῦ Ὀλυμπίου ἐγχειροῦντος ἀντελαμβάνετο λέγων αὐτῷ τὸ σῶμα τότε ὡς τὰ σύσπαστα βαλάντια ἕλκεσθαι τῶν μελῶν αὐτῷ πρὸς ἄλληλα συνθλιβομένων. Κινδυνεύσας δὲ ὁ Ὀλύμπιος πολλάκις αὐτός τι παθεῖν ἢ δρᾶσαι τὸν Πλωτῖνον ἐπαύσατο. 145. Plotin, Ennéades 4,43,1-8 : « Quelle influence la magie et les philtres ontils sur le sage ? (Ὁ δὲ σπουδαῖος πῶς ὑπὸ γοητείας καὶ φαρμάκων ;) Il ne subit pas, en son âme, l’influence de la magie (…) Si des incantations influent sur son âme irrationnelle, il se délivrera de leur puissance par des incantations contraires (ὥσπερ δὲ ἐπῳδαῖς τὸ ἄλογον πάσχει, οὕτω καὶ αὐτὸς ἀντᾴδων καὶ ἀντεπᾴδων τὰς ἐκεῖ δυνάμεις ἀναλύσει) ». Sur ce passage, voir I. Tanaseanu-Döbler , Theurgy in Late Antiquity. The Invention of a Ritual Tradition, Göttingen, 2013, p. 49-50. 146. Voir Ph. M erlan, « Plotinus and Magic », Isis 44 (1953), p. 343. 147. L. Brisson, « Plotin et la magie. Le chapitre 10 de la Vie de Plotin par Porphyre », dans L. Brisson et al. Porphyre. La vie de Plotin. II. Études d ’introduction, texte grec et traduction française, commentaire, notes complémentaires, bibliographie, Paris, 1992, p. 467 ; A. H. A rmstrong, « Was Plotinus a Magician ? », Phronesis 1 (1955), p. 74. 148. I. Tanaseanu-Döbler , Theurgy in Late Antiquity. The Invention of a Ritual Tradition, Göttingen, 2013, p. 49 : « anchored in the magical practice of Late Antiquity ». 149. Voir supra note 111 et L. Brisson, « Plotin et la magie. Le chapitre 10 de la Vie de Plotin par Porphyre », dans L. Brisson et al. Porphyre. La vie de Plotin. II. Études d ’introduction, texte grec et traduction française, commentaire, notes complé-
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δαίμων 150, et l’on peut se demander s’il n’y aurait pas lieu d’interpréter la discussion entre Pierre et Simon, sur les visions et les apparitions, au livre 17 des Homélies, à la lumière de ce rituel. L’αὐτοψία, qu’Ilanca Tanaseanu-Döbler et Andrei Timotin considèrent comme une opération « magique » 151, peut ressembler, vue de l’extérieur, à certains rites théurgiques qui ont pour but de faire apparaître une divinité 152 . Autrement dit, il s’agit d’une pratique que les Anciens pouvaient associer aussi bien à l’art d’un μάγος qu’à celui d’un φιλόσοφος de l’école de Jamblique, adepte de la τέχνη θεουργική 153. Nous disons bien « que les Anciens pouvaient associer à l’art d’un μάγος ». Pour ce qui est des Modernes, c’est une autre mentaires, bibliographie, Paris, 1992, p. 468-472 pour l’ensemble du passage consacré à l’invocation du « démon familier » de Plotin dans le temple d’Isis. 150. Sur le mot αὐτοψία, voir A. Timotin, La démonologie platonicienne. Histoire de la notion de daimōn de Platon aux derniers néoplatoniciens, Leyde – Boston, 2012, p. 287 : « αὐτοψία est un terme technique pour désigner les “visions” des dieux, daimones, etc. ». 151. I. Tanaseanu-Döbler , Theurgy in Late Antiquity. The Invention of a Ritual Tradition, Göttingen, 2013, p. 51 : « This second episode [dans le temple d’Isis] has obvious parallels in the Egyptian Greek magical papyri. One papyrus gives a technique for the σύστασις ἰδίου δαίμονος. Here the term used is κλῆσις, another magical technical term ; the desired direct vision αὐτοψία of the δαίμων is also the goal of many invocations of the papyri. » Sur l’épisode de l’Iséion et la familiarité de Plotin avec la « magie », voir A. Timotin, La démonologie platonicienne. Histoire de la notion de daimōn de Platon aux derniers néoplatoniciens, Leyde – Boston, 2012, p. 287 : « Cette curieuse histoire nous apprend trois choses. En premier lieu, elle laisse entendre que cette espèce d’opération “magique” qui est l’évocation suivie de l’épiphanie du daimōn personnel … n’était pas inconnue à Plotin et surtout qu’il ne la méprisait pas ». 152. Alain-Philippe Segonds (note ad locum, dans L. Brisson et al. Porphyre. La vie de Plotin. II. Études d ’introduction, texte grec et traduction française, commentaire, notes complémentaires, bibliographie, Paris, 1992, p. 253) précise que le mot est employé « pour désigner une vision face à face avec un dieu, un démon, etc. ». Il renvoie également à l’utilisation qu’en fait Jamblique (Réponse à Porphyre 2,4) pour décrire une manifestation divine dans un contexte théurgique : = « Eh bien, dans les visions face à face avec les dieux… » = Οὐκοῦν ἐν μὲν ταῖς τῶν θεῶν αὐτοψίαις… 153. Concernant cette possible confusion entre « magie » et théurgie, voir C. van Liefferinge , « Magie et théurgie chez Jamblique », dans A. M. Moreau – J.-C. Turpin (éd.), La magie. Actes du colloque international de Montpellier, 25-27 mars 1999, I. Du monde babylonien au monde hellénistique, Montpellier, 2000, p. 115 : « Depuis que saint Augustin a considéré la magia, la goetia et la theurgia comme trois appellations, plus ou moins positives ou péjoratives, d’une même pratique, à son sens funeste, l’assimilation magie-théurgie a connu une longue carrière jusque dans les études modernes ». Voir Augustin d’Hippone , Cité de Dieu 10,9,1. Voir aussi S. I. Johnston, « Magic and Theurgy », dans D. Frankfurter (éd.), Guide to the Study of Ancient Magic, Leyde – Boston, 2019, p. 694 : « …theurgy involves the performance of rituals much like those that characterize “magic”… », et p. 695 : « …many have labelled theurgy “magic” : both the philosophers and Christians who railed against it during antiquity, followed by most of the scholars who have studied theurgy during the 20th and 21st centuries ».
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histoire. Jusqu’à maintenant, nous avons soigneusement évité de définir le terme « magicien », μάγος en grec. L’emploi des termes « magie » et « magicien » ne fait pas l’unanimité dans la recherche actuelle, c’est le moins que l’on puisse dire. Sur la difficile question de la définition, nous renvoyons aux travaux récents de David Frankfurter, Sarah Iles Johnston et Radcliffe G. Edmonds 154 et nous retenons, en guise de définition, la notion d’« expertise rituelle », proposée par David Frankfurter. Il nous semble, en effet, que les sources consultées et analysées dans cette étude utilisent un vocabulaire qui décrit des pratiques rituelles, « magiques » ou théurgiques, que les Anciens jugeaient efficaces pour entrer en contact avec le monde du divin 155. Nous notons également que ces sources utilisent 154. Sur la définition des mots « magie » et « magicien », voir, inter alios, D. Frankfurter , « Dynamics of Ritual Expertise in Antiquity and Beyond : towards a new Taxonomy of “Magicians” », dans P. M irecki – M. M eyer (éd.), Magic and Ritual in the Ancient World, Leyde – Boston, 2002, p. 159-178, qui classe la « magie » sous la catégorie générale de l’ « expertise rituelle », ce qui inclut « at the very least and in the most general sense, the making of amulets and remedies, the performance of small-scale rituals for explicit ends (like healing), and the oral or manual synthesis of local materials and “official” symbols to render sacred power » (p. 160). Plus récemment, David Frankfurter a abordé la question de savoir s’il y avait encore lieu d’utiliser les termes « magie » et « magicien » dans la recherche. Voir D. Frankfurter , « Ancient Magic in a New Key : Refining an Exotic Discipline in the History of Religions », dans D. Frankfurter (éd.), Guide to the Study of Ancient Magic, Leyde – Boston, 2019, p. 3-20. Pour une définition qui pourrait aussi s’appliquer à la théurgie, voir S. I. Johnston, « Magic and Theurgy », dans D. Frankfurter (éd.), Guide to the Study of Ancient Magic, Leyde – Boston, 2019, p. 694 : « Magic, let us say, is the use of rituals that are available only to those who have acquired them through special means – perhaps by being trained by a teacher, perhaps by purchasing the knowledge from a ritual specialist, perhaps by being initiated into a particular cult whose ritual technologies are kept secret from non-initiates, or perhaps by some combination of all three of these. These “magical” rituals enable those who perform them to accomplish extraordinary things in either the physical world, the spiritual world, or both ». Voir également F. Graf, « Theories of Magic in Antiquity », dans P. M irecki – M. M eyer (éd.), Magic and Ritual in the Ancient World, Leyde – Boston, 2002, p. 92-104 ; C. A. Hoffman, « Fiat Magia », dans P. M irecki – M. M eyer (éd.), Magic and Ritual in the Ancient World, Leyde – Boston, 2002, p. 179-194 et R. G. Edmonds , Drawing Down the Moon : Magic in the Ancient Greco-Roman World, Princeton, 2019, p. 1-34. 155. Notre approche, qui consiste à reprendre la terminologie utilisée dans les sources qui appartiennent à la même période, pourrait probablement être qualifiée d’« émique » (à partir de l’intérieur), par opposition à « étique » (à partir de l’extérieur). Voir D. Frankfurter , « Ancient Magic in a New Key : Refining an Exotic Discipline in the History of Religions », dans D. Frankfurter (éd.), Guide to the Study of Ancient Magic, Leyde – Boston, 2019, p. 3, qui rappelle qu’une telle approche est « motivated by a need to remove all second-order (etic) value to the term “magic”, to render the term entirely the rhetorical construction of ancient authors ». Autrement dit, notre but, dans cette étude, est de comprendre
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ce vocabulaire dans un contexte de rivalité entre intellectuels, sophistes ou philosophes. Le μάγος ou le γόης, c’est toujours l’autre, c’est toujours l’adversaire 156. Dans notre comparaison entre le type du philosophe divin et la figure de Simon, nous nous situons donc au niveau des sources et de leur vocabulaire. Sur cette base, nous cherchons à comprendre la fonction de la « magie » dans la définition du philosophe qui sous-tend la composition du Simon des Homélies. Dans les Homélies, au livre dix-sept, Simon et Pierre discutent donc, inter alia, de la révélation par vision ou par connaissance directe. C’est une partie de cette discussion et un passage en particulier, où Simon fait valoir la supériorité de la connaissance obtenue par vision ou par apparition, qui est à l’origine de la théorie voulant que le Simon des Homélies représente en vérité l’Apôtre Paul dans son opposition à Pierre. Lorsque Pierre lui réplique : « Enfin tu as prétendu connaître Jésus plus exactement que moi, pour cette raison que tu as entendu sa parole dans une apparition » 157, il est difficile, en effet, de ne pas y voir une allusion à la vision de Paul sur le chemin de Damas 158. Nous nous sommes brièvement exprimé, plus haut, et plus longuement, ailleurs 159, sur la portée limitée de cette identification Simon/Paul. Il nous semble, justement, qu’en raison de la portée limitée de cette identification, l’ensemble de cette discussion devrait pouvoir s’interpréter plus largement, en fonction, par exemple, de la thèse principale que défend le personnage de Pierre dans les Homélies : ce que la μαγεία signifie pour l’auteur des Homélies. Sur les limites d’une approche « émique », appliquée à la « magie » dans l’Antiquité, voir les observations de R. G. Edmonds , Drawing Down the Moon : Magic in the Ancient Greco-Roman World, Princeton, 2019, p. 5-6. 156. Voir D. Frankfurter , « Ancient Magic in a New Key : Refining an Exotic Discipline in the History of Religions », dans D. Frankfurter (éd.), Guide to the Study of Ancient Magic, Leyde – Boston, 2019, p. 5 : « many cultures have terms for some ambiguous or illegitimate sphere of ritual, often associated with some “other” group or village or culture ». Μαγεία est de toute évidence un de ces termes qui font référence à une forme d’altérité. David Frankfurter propose, en fait, une manière heuristique d’utiliser le mot « magie » : « “Magic” can also highlight shifts in individuals’ – ritual specialists’ – social location » (p. 15). Dans ce cas, l’on peut considérer comme « magique » « the exoticized appearance of a ritual expert outside his indigenous milieu ». Il cite d’ailleurs l’exemple de Clément, au tout début des Pseudo-Clémentines (Reconnaissances 1,5,1 ; Homélies 1,5,1), qui décide de se rendre en Égypte, à la recherche de hiérophantes, de prophètes et de magiciens, pour se livrer à la pratique de la nécromancie. 157. Homélies 17,14,2. 158. Voir Actes des Apôtres 9,3-9 ; 22,6-21 ; 26,9-18 ; 2 Corinthiens 12,1-9 ; Galates 1,11-12,15-16. Voir supra note 2. 159. D. Côté , « La fonction littéraire de Simon le Magicien dans les PseudoClémentines », Laval Théologique et Philosophique 57 (2001), p. 514-517 et D. Côté , Le thème de l ’opposition entre Pierre et Simon dans les Pseudo-Clémentines, Paris, 2001, p. 218-219.
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la supériorité et l’exclusivité de la vérité prophétique par rapport à toute autre forme de vérité, celle de la παιδεία (philosophie, mythologie, astrologie) ou encore celle de la μαγεία de Simon et de ses prétentions à un accès direct au divin. De fait, au-delà de l’allusion à la vision de Damas, la discussion porte essentiellement sur l’accès au divin. Autrement dit, la connaissance du divin nécessite-t-elle une intervention ou une manifestation divine ? Telle est la question, à notre avis, une question qui n’est pas sans rappeler celle dont débattent Porphyre et Jamblique : la théurgie est-elle indispensable ou utile pour parvenir à l’union avec le divin ? Pour Porphyre et son maître Plotin, la réponse est non. La contemplation, la voie théorétique, est la voie que le philosophe doit suivre. Pour Jamblique et la plupart des platoniciens jusqu’à Damascius, les rites que prescrit la théurgie sont nécessaires pour réaliser l’ascension de l’âme et son union avec le divin 160. Il n’est évidemment pas question de théurgie dans les Homélies. La vraisemblance du récit exige que l’on reste dans le registre de la μαγεία. Pierre soulève toutefois un problème qui ressemble à une des questions que Porphyre soumet à Jamblique, le problème de l’identité de celui qui apparaît dans une vision : Dieu ou démon ? Pierre fait ainsi remarquer à son adversaire que celui qui croit à une apparition ou à une vision ne sait pas en qui il croit, ce peut être un mauvais démon ou un esprit trompeur 161. De la même manière, à propos des apparitions (épiphanies) divines, Porphyre demande à Jamblique quel est le moyen de reconnaître la présence d’un dieu, ou d’un ange, ou d’un archange, ou d’un démon, ou de quelque archonte, ou d’une âme 162 . C’est 160. Sur ce point, voir M. B. Simmons , Universal Salvation in Late Antiquity. Porphyry of Tyre and the Pagan-Christian Debate, Oxford, 2015, p. 183, qui compare les deux systèmes sous la forme d’un tableau. 161. Homélies 17,14,3-4 : « …celui qui croit à une apparition ou à une vision, ou à un rêve, est sujet à l’erreur ; car il ne sait pas en qui il croit ; ce peut être en effet un mauvais démon, ou un esprit trompeur, qui par son discours feint d’être ce qu’il n’est pas » = ὁ δὲ ὀπτασίᾳ πιστεύων ἢ ὁράματι καὶ ἐνυπνίῳ ἐπισφαλής ἐστιν· ἀγνοεῖ γὰρ τίνι πιστεύει·ἐνδέχεται γὰρ αὐτὸν ἢ δαίμονα κακὸν εἶναι ἢ πνεῦμα πλάνον ἐν τῷ λέγειν ὑποκρινόμενον εἶναι ὃ μή ἐστιν. Voir Homélies 17,15,1-2 : « Simon répliqua : “Si tu affirmes que les apparitions ne sont pas absolument véridiques, du moins les visions et les rêves, qui sont envoyés par Dieu, ne mentent-ils pas à propos de ce qu’ils veulent dire”. Et Pierre de répondre : “Tu as raison de dire que s’ils sont envoyés par Dieu ils ne trompent pas. Mais il n’est pas sûr que le songe qu’on a vu soit envoyé par Dieu” ». 162. Porphyre , Lettre à Anébon l ’Égyptien fragment 28 a = Jamblique , Réponse à Porphyre 2,3 : « Maintenant, j’en viendrai aux apparitions des [êtres supérieurs] : quelle différence y a-t-il entre elles ? Tu demandes, en effet, quel est le moyen de reconnaître la présence d ’un dieu, ou d ’un ange, ou d ’un archange, ou d ’un démon, ou de quelque archonte, ou d ’une âme » = Ἀλλ’ ἐπὶ τὰς ἐπιφανείας αὐτῶν βαδιοῦμαι. Τί δήποτε ἔχουσι τὸ διάφορον ; ἐπιζητεῖς γὰρ τί τὸ γνώρισμα θεοῦ παρουσίας ἢ ἀγγέλου ἢ ἀρχαγγέλου ἢ δαίμονος ἤ τινος ἄρχοντος ἢ ψυχῆς. Traduction H. D.
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qu’il pourrait y avoir de la tromperie dans les apparitions, fait-il valoir 163. Il ne remet d’ailleurs pas en cause l’existence des apparitions, pas plus que Pierre ne nie la réalité des visions et des songes que reçoivent les « idolâtres ». Ce sont, aux yeux de l’apôtre, des apparitions de démons 164 . Les impies, en effet, peuvent avoir des visions, des rêves et des apparitions 165. Chez l’homme pieux, cependant, la vérité jaillit directement dans l’intelligence, elle est donnée par la réflexion 166. Pierre donne l’exemple de sa déclaration : « Tu es le Fils du Dieu vivant » 167, une pensée qui lui est venue spontanément, qui est montée à son cœur 168. La révélation c’est donc apprendre sans enseignement, sans apparitions ni songes 169. Toute la vérité est présente dans la pensée qui a été placée en nous à l’état de germe de la part de Dieu 170. Saffrey – A.-Ph. Segonds , Jamblique, Réponse à Porphyre (De Mysteriis), Paris, 2012. À propos de ce passage, voir I. Tanaseanu-Döbler , Theurgy in Late Antiquity. The Invention of a Ritual Tradition, Göttingen, 2013, p. 76 : « The apparitions are treated in an abstract, general manner, without any details on what vision or what gods Porphyry alludes to – the direct visions of gods from the Philosophy from Oracles come to mind, together with Plotinus’ “affair of the Iseum”, with the apparitions of Hecate to be glimpsed from the fragments of the Chaldean Oracles or the visionary rituals outlined in the PGM ». 163. Porphyre , Lettre à Anébon l ’Égyptien fragment 29 = Jamblique , Réponse à Porphyre 2,10 : « Tu dis, en effet, que faire le vantard et faire paraître un certain fantôme, cela appartient en commun aux dieux, aux démons et à toutes les classes d ’être supérieurs » = Λέγεις μὲν γὰρ τὸ περιαυτολογεῖν καὶ τὸ ποιὸν φάντασμα φαντάζειν κοινὸν εἶναι θεοῖς καὶ δαίμοσι καὶ τοῖς κρείττοσι γένεσιν ἅπασιν. 164. Homélies 17,16,2 : « Nous savons (…) que beaucoup, qui vénèrent les idoles, sont adultères, commettent toutes sortes de péchés, voient pourtant des visions et des songes vrais, et quelques-uns ont des apparitions de démons » = ἴσμεν πολλούς (…) εἴδωλα σέβοντας καὶ μοιχεύοντας καὶ κατὰ πάντα ἁμαρτάνοντας ὁράματα καὶ ἀληθεῖς ὀνείρους ὁρῶντας, ἐνίους δὲ καὶ δαιμόνων ὀπτασίας. 165. Homélies 17,17,4 : « Et pourtant ces hommes, qui voyaient des apparitions, des visions et des rêves vrais, étaient des impies » = καὶ ὁμῶς ὀπτασίας τε καὶ ὁράματα καὶ ἐνύπνια ὁρῶντες ἀληθῆ ἀσεβεῖς ἦσαν. 166. Homélies 17,17,5 : « Car chez l’homme pieux le vrai jaillit dans l’intelligence qui est innée, toute pure, il n’est pas poursuivi dans un songe, mais donné par la réflexion aux bons » = τῷ γὰρ εὐσεβεῖ ἐμφύτῳ καὶ καθαρῷ ἀναβλύζει τῷ νῷ τὸ ἀληθές, οὐκ ὀνείρῳ σπουδαζόμενον, ἀλλὰ συνέσει ἀγαθοῖς διδόμενον. 167. Matthieu 16,17. 168. Homélies 17,18,1 : « C’est ainsi qu’à moi aussi le Fils a été révélé par le Père. Voilà pourquoi je connais quelle est la vertu de la révélation, car je l’ai appris de moi-même. À l’instant où le Seigneur demandait comment ils l’appelaient, et où j’entendais les uns et les autres lui donner des appellations différentes, cela monta à mon cœur et, je ne sais comment, je dis : “Tu es le Fils du Dieu vivant” ». 169. Homélies 17,18,2 : « …dès ce moment j’ai appris que la révélation, c’est apprendre sans enseignement, sans apparition ni songes » = ἐμὲ δὲ ἔκτοτε μαθεῖν ὅτι τὸ ἀδιδάκτως, ἄνευ ὀπτασίας καὶ ὀνείρων, μαθεῖν ἀποκάλυψίς ἐστιν. 170. Homélies 17,18,3 : « Car toute la vérité est présente dans qui a été placée en nous à l’état de germe de la part de Dieu »… καὶ ἀληθῶς οὕτως ἔχει.
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Cette distinction que les Homélies établissent entre la connaissance directe du divin, qui est présente dans la pensée, et la connaissance indirecte, qui passe par des apparitions, doit se comprendre à la lumière de l’opposition entre θεωρία et θεουργία qui marque l’évolution du platonisme, de Plotin à Proclus 171. Les visions et les apparitions de Simon, que Pierre estime trompeuses, de même que l’image d’un enfant mort, que le magicien utilise pour invoquer les démons et leur commander 172 , s’apparentent à des rituels, des opérations, qui visent, comme c’est le cas de la théurgie, à rendre visible les êtres supérieurs pour entrer en relation avec eux. Ce qui distingue les rituels de Simon des opérations d’un Jamblique réside dans leur caractère coercitif. Simon ordonne à l’âme ou au démon qu’il a invoqué et qui lui apparaît, de lui procurer des pouvoirs qui le font passer pour un être divin. Jamblique, lui, persuade ses disciples qu’il est divin le jour où, selon Eunape, il leur fait voir son pouvoir de faire apparaître Éros. Il le fait toutefois, contrairement à Simon, sans contraindre le dieu. Il lui suffit de l’évoquer et de prononcer de brèves formules 173. 3.4. Le philosophe et les rituels La coercition, c’est-à-dire le pouvoir de donner des ordres à des êtres supérieurs, a souvent été considérée, depuis James Frazer, comme le principal critère permettant de distinguer la magie de la religion 174 . Si la ἐν γὰρ τῇ ἐν ἡμῖν ἐκ θεοῦ τεθείσῃ σπερματικῶς … πᾶσα ἔνεστιν ἡ ἀλήθεια. 171. Sur l’opposition entre θεωρία et θεουργία, voir inter alios et alias J. F. Finamore , « Plotinus and Iamblichus on Magic and Theurgy », Dionysius 17 (1999), p. 84 : « Iamblichus uses the word θεουργία in contradistinction to θεωρία » et S. I. Johnston, « Fiat Lux, Fiat Ritus : Divine Light and the Late Antique Defense of Ritual », dans M. T. K apstein (éd.), The Presence of Light. Divine Radiance and Religious Experience, Chicago, 2004, p. 6, au sujet des discussions entre platoniciens sur la voie idéale à suivre pour entrer en communion avec le divin : « The main dividing line fell between those who, like Plotinus, recommended using only the rational powers of the human intellect (i. e. theoria : philosophical discussion and contemplation) and those who, like Iamblichus, believed that rituals were necessary as well ». 172. Voir supra notes 29-30. 173. Voir supra note 116. 174. Sur le rapport entre « magie » et coercition, voir C. van Liefferinge , « Magie et théurgie chez Jamblique », dans A. M. Moreau – J.-C. Turpin (éd.), La magie. Actes du colloque international de Montpellier, 25-27 mars 1999, I. Du monde babylonien au monde hellénistique, Montpellier, 2000, p. 116 : « Parmi les critères de distinction entre rite religieux et rite magique, reconnus tant par les auteurs anciens que par les savants modernes, c’est l’effet coercitif des actes rituels sur la divinité qui présente le plus grand risque de confondre magie et théurgie ». Sur Frazer et la différence, selon lui, entre « magie » et religion, voir J. G. Frazer , The Golden Bough. The Roots of Religion and Folklore, New York, 1993 [1890]), p. 30-33 ; C. A. Hoffman, « Fiat Magia », dans P. M irecki – M. M eyer (éd.), Magic and Ritual in the Ancient World, Leyde – Boston, 2002, p. 182-185 ; O. Dufault, « Magic
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notion de « magie » pose problème, nous venons de le rappeler, la notion de religion ne paraît pas moins problématique. « Magie » ou religion, il reste que pour un philosophe comme Porphyre le fait de contraindre des êtres supérieurs à se manifester ne va pas de soi. C’est l’une des questions qu’il adresse à Jamblique, dans la Lettre à Anébon l ’Égyptien : comment les dieux invoqués comme supérieurs obéissent-ils comme des inférieurs 175 ? Derrière la question de Porphyre il semble y avoir le souci d’une possible confusion entre théurgie et « magie ». En fait, le témoignage de la Vie de Plotin, au chapitre dix, montre bien qu’un platonicien comme Plotin pouvait être familier avec certains rituels que les Anciens associaient à l’art du μάγος ou du γόης. Ce qui nous ramène à la rivalité entre philosophes à propos de la fonction des rituels dans l’union avec le divin, des rituels qui non seulement ne paraissent pas indispensables mais pourraient aussi prêter à confusion. Le véritable philosophe n’a pas besoin de rituels, semblent dire Porphyre et le Pierre des Homélies. Il n’a que faire des apparitions. Eunape de Sardes, dans la notice qu’il consacre à Maxime d’Éphèse 176, nous fournit un bon exemple de cette rivalité entre philosophes au sujet des rituels. C’est dans cette notice qu’Eunape nous raconte comment Maxime d’Éphèse en est venu à devenir le maître de Julien, futur succesand Religion in Augustine and Iamblichus », dans R. M. Frakes – E. De Palma Digeser (éd.), Religious Identity in Late Antiquity, Toronto, 2006, p. 65. Au sujet de cette différence, voir D. Frankfurter , « Ancient Magic in a New Key : Refining an Exotic Discipline in the History of Religions », dans D. Frankfurter (éd.), Guide to the Study of Ancient Magic, Leyde – Boston, 2019, p. 12 (concernant H. S. Versnel , « Some Reflections on the Relationship Magic – Religion », Numen 38 (1991), p. 177-197) : « To Versnel, the differing uses of language justified a distinction between a more mechanistic “magic” and a more supplicatory “religion” that involved gods. “Magic” was supposed to work by the intrinsic power of commands and words ; “religion” covered appeals that, at least ostensibly, depended on the mediation and agency of gods ». 175. Porphyre , Lettre à Anébon l ’Égyptien fragment 66 = Jamblique , Réponse à Porphyre 4,1 : « Parle donc : Ce qui me trouble beaucoup, c’est comment les dieux invoqués comme des supérieurs, obéissent-ils comme des inférieurs » = Λέγε δὴ οὖν· ὅ τι δὴ πάνυ με θράττει, πῶς ὡς κρείττονες παρακαλούμενοι ἐπιτάττονται ὡς χείρονες. Cf. Jamblique , Réponse à Porphyre 1,11 et 12. 176. Eunape de Sardes , Vies de philosophes et de sophistes (Goulet VII, p. 42-59 ; Giangrande VII, p. 40-56 ; Wright 473-481, p. 426-460). Sur Maxime d’Éphèse, voir R. J. Penella, Greek Philosophers and Sophists in the Fourth Century A.D. Studies in Eunapius of Sardis, Leeds, 1990 ; p. 65-76 ; M. Civiletti, Eunapio di Sardi. Vite di Filosofi e Sofisti. Testo greco a fronte. Introduzione, traduzione, note e apparati di M. Civiletti, Milano, 2007 ; p. 437-438 ; M. Becker , Eunapios aus Sardes. Biographien über Philosophen und Sophisten. Einleitung, Übersetzung, Kommentar, Stuttgart, 2013, p. 353 ; I. Tanaseanu-Döbler , Theurgy in Late Antiquity. The Invention of a Ritual Tradition, Göttingen, 2013, p. 154-156 ; R. Goulet, « Introduction », dans Eunape de Sardes , Vies de philosophes et de sophistes, I. Introduction, texte établi, traduit et annoté par R. Goulet, Paris, 2014, p. 548550.
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seur de l’empereur Constance 177. Le jeune prince était à Pergame, à l’école d’Aidésius, dernier disciple vivant de Jamblique. Avancé en âge et fatigué des incessantes questions de son nouveau disciple, Aidésius recommande Julien aux bons soins de ses deux meilleurs disciples, Chrysanthe de Sardes et Eusèbe de Myndes. Or, les deux maîtres de Julien ne s’entendaient pas sur l’importance de la théurgie en ce qui concerne la purification de l’âme. L’un, Chrysanthe, s’enthousiasmait pour les « rites qui assurent le pouvoir divin » 178, l’autre, Eusèbe, concluait chacun de ces exposés par une mise en garde : Mais Eusèbe, après son exposé, ajoutait que ces objets [de son discours] étaient les réalités véritables, tandis que les tours de sorcellerie qui trompent et mystifient la sensation sont des pratiques de charlatan et de gens qui dans leur délire et leur déraison [se tournent] vers de certaines puissances matérielles 179.
Les avertissements d’Eusèbe finissent par intriguer Julien qui lui demande un jour ce qu’il entendait par là. Eusèbe entreprend alors de raconter au jeune prince, dans le but de l’éloigner des tours de « sorcellerie » et autres « charlataneries », une expérience récente à laquelle participait un autre disciple d’Aidésius, Maxime d’Éphèse. C’était une cérémonie qui se déroulait dans un sanctuaire consacré à Hécate et que présidait le philosophe Maxime : Lorsque nous fumes réunis et que nous nous fûmes prosternés devant la déesse, il nous dit : « Asseyez-vous, très chers compagnons, regardez ce qui va arriver et [voyez] si en quelque point je diffère de la multitude [des philosophes] ». Ayant dit cela, et alors que tous nous étions assis, il fit brûler un grain d’encens, et tout en récitant jusqu’à la fin pour lui-même je ne sais quel hymne, il se lança dans une telle exhibition qu’au début la statue souriait et qu’ensuite ce qui apparaissait était un rire. Comme nous étions 177. Sur la relation entre Maxime d’Éphèse et Julien, voir M. Civiletti, Eunapio di Sardi. Vite di Filosofi e Sofisti. Testo greco a fronte. Introduzione, traduzione, note e apparati di M. Civiletti, Milano, 2007 ; p. 458-461 (note 357). 178. Eunape de Sardes , Vies de philosophes et de sophistes (Goulet VII,15, p. 42-59 ; Giangrande VII,2,1, p. 43 ; Wright 474, p. 430) : « Or Chrysanthe avait le même esprit que Maxime, s’enthousiasmant comme lui pour les rites qui assurent un pouvoir divin » = ἦν δὲ ὁ Χρυσάνθιος ὁμοψύχως Μαξίμῳ τὰ περὶ θειασμὸν συνενθουσιῶν. 179. Eunape de Sardes , Vies de philosophes et de sophistes (Goulet VII,17, p. 45 ; Giangrande VII,2,3, p. 43 ; Wright 474, p. 432) : προσετίθη δὲ μετὰ τὴν ἐξήγησιν ὁ Εὐσέβιος, ὡς ταῦτα εἴη τὰ ὄντως ὄντα, αἱ δὲ τὴν αἴσθησιν ἀπατῶσαι μαγγανεῖαι καὶ γοητεύουσαι, θαυματοποιῶν ἔργα, καὶ πρὸς ὑλικάς τινας δυνάμεις παραπαιόντων καὶ μεμῃνότων. Sur ce passage et le point de vue d’Eusèbe de Myndes sur la théurgie, voir M. Becker , Eunapios aus Sardes. Biographien über Philosophen und Sophisten. Einleitung, Übersetzung, Kommentar, Stuttgart, 2013, p. 366-367.
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troublés par ce spectacle, [il dit] : « Que nul d’entre vous ne soit perturbé par de telles manifestations, car tout de suite vont également s’allumer les flambeaux que la déesse tient dans ses deux mains ». Et il n’avait pas fini de parler qu’[on vit] la lumière d’une flamme sur les flambeaux 180.
Convaincu d’avoir démontré par cette anecdote la folie des rites pratiqués par Maxime, qu’il qualifie de « prestidigitateur digne de théâtre » 181, Eusèbe ajoute : « Mais toi, n’admire aucun de ces prodiges, pas plus que je ne le fais moi-même, considérant comme une grande chose la purification assurée par la raison » 182 . L’anecdote produit l’effet contraire et Julien prend congé d’Eusèbe sur le champ pour rejoindre Maxime, à Éphèse, et en faire son maître adoré et son directeur de conscience. Audelà de l’anecdote, le jugement d’Eusèbe sur la théurgie (qu’il rabaisse au niveau de la « magie », de la « sorcellerie » et du théâtre) et la réaction de Julien (« Dans ce cas, au revoir ! Reste attaché à tes livres. En ce qui me concerne, tu m’as fait connaître l’homme que je cherchais ») 183 illustrent bien la controverse entourant les rituels dans les milieux platoniciens et même parmi les disciples de Jamblique. Pour Eusèbe de Myndes, le vrai philosophe n’a donc pas besoin de rituels ou de procédés pour être dans la présence du divin et accomplir des prodiges. Il peut cependant se montrer familier, comme nous l’avons vu dans le cas de Plotin, avec ces rituels et ces procédés. Il peut même s’en servir contre son rival pour établir sa supériorité. Il est d’ailleurs remarquable que dans le récit des Homélies la conclusion de l’affrontement entre Pierre et Simon se situe justement sur le terrain de la μαγεία. Sur celui de la παιδεία, c’est Pierre qui a eu le dessus sur son adversaire Simon. Il s’est montré plus habile dialecticien. Simon, défait à deux reprises, dans les 180. Eunape de Sardes , Vies de philosophes et de sophistes (Goulet VII,22-24, p. 45-46 ; Giangrande VII,2,8-10, p. 44 ; Wright 475, p. 434). Sur l’épisode du temple d’Hécate, voir M. Civiletti, Eunapio di Sardi. Vite di Filosofi e Sofisti. Testo greco a fronte. Introduzione, traduzione, note e apparati di M. Civiletti, Milano, 2007 ; p. 455-457 et M. Becker , Eunapios aus Sardes. Biographien über Philosophen und Sophisten. Einleitung, Übersetzung, Kommentar, Stuttgart, 2013, p. 369-372. 181. Eunape de Sardes , Vies de philosophes et de sophistes (Goulet VII,24, p. 46 ; Giangrande VII,2,10, p. 44 ; Wright 475, p. 434) : « Quant à nous donc, stupéfaits sur le moment devant ce prestidigitateur digne de théâtre, nous nous retirâmes » = ἡμεῖς μὲν οὖν τὸν θεατρικὸν ἐκεῖνον θαυματοποιὸν πρὸς τὸ παρὸν καταπλαγέντες, ἀνεχωρήσαμεν. 182. Eunape de Sardes , Vies de philosophes et de sophistes (Goulet VII,25, p. 46 ; Giangrande VII,2,11, p. 44 ; Wright 475, p. 434) : σὺ δὲ τούτων μηδὲν θαυμάσῃς, ὥσπερ οὐδὲ ἐγώ, τὴν διὰ τοῦ λόγου κάθαρσιν μέγα τι χρῆμα ὑπολαμβάνων. 183. Eunape de Sardes , Vies de philosophes et de sophistes (Goulet VII,26, p. 46 ; Giangrande VII,2,12, p. 44 ; Wright 475, p. 434) : ὁ δὲ θειότατος Ἰουλιανὸς τοῦτο ἀκούσας, « ἀλλ᾿ ἔρρωσο » εἶπε « καὶ πρόσεχε τοῖς βιβλίοις, ἐμοὶ δὲ ἐμήνυσας ὃν ἐζήτουν ».
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deux discussions qui l’ont opposé à Pierre, ne se considère pas battu pour autant et relance le combat en le ramenant dans son champ d’expertise, celui de la μαγεία. Après la victoire de Pierre, à Laodicée, confirmée par le jugement de Faustus, le père de Clément et des jumeaux, qui servait d’arbitre aux deux adversaires 184 , Simon se rend à Antioche où il fait en public de nombreux prodiges et suscite la haine des habitants contre Pierre qu’il accuse à nouveau d’être un « magicien », un sorcier et un meurtrier 185. C’est le coup de l’accusation de « magie ». Pour faire peur à Simon et le faire fuir, les partisans de Pierre à Antioche font alors circuler le bruit que le centurion Corneille a été envoyé à sa recherche par César, qui a déjà fait périr beaucoup de magiciens 186. Le stratagème fonctionne et Simon prend peur. Il profite toutefois de la visite de Faustus à son ami Appion, qui fait toujours partie de l’entourage du Samaritain, pour donner à Faustus sa propre apparence, de telle sorte que c’est lui, Faustus, qui sera arrêté et mis à mort à sa place 187. Sans compter que si Faustus est bel et bien mis à mort, « ses fils souffriront d’un très grand deuil », eux qui l’ont abandonné pour se réfugier auprès de Pierre 188. C’est le coup de la métamorphose. La riposte de Pierre consiste à retourner contre Simon son procédé « magique », comme Plotin a su le faire contre Olympius. Il utilise, en effet, la métamorphose de Simon pour réfuter les accusations de « magie » portées contre lui. Il ordonne ainsi à Faustus, sous les traits de Simon, de retourner à Antioche pour faire confesser, en public, à son adversaire ou plutôt à son image, que c’est lui le véritable « magicien », l’imposteur, le sorcier, alors que Pierre est l’apôtre véridique du Prophète véridique 189. C’est le coup du renversement. Le succès de Pierre est complet. Les habitants d’Antioche chassent Simon et accueillent Pierre. Satisfait de l’utili184. Homélies 19,24,1-6. 185. Homélies 20,13,1-2 : « Alors que Pierre parlait ainsi entra l’un des éclaireurs, qui était revenu d’Antioche, et qui dit à Pierre : “Je veux que tu saches, mon seigneur, que Simon à Antioche a fait en public de nombreux prodiges et qu’il n’a pas cessé de s’adresser aux habitants pour susciter contre toi leur haine, te traitant de magicien, de sorcier et de meurtrier (μάγον τε ὀνομάζων καὶ γόητα καὶ μιαιφόνον) ; il a rendu leur haine si violente que chaque habitant là-bas brûle du désir de dévorer ta chair” ». 186. Homélies 20,13,4-8. 187. Homélies 20,17,1. 188. Homélies 20,17,2. 189. Homélies 20,19,1-3 : « Une fois arrivé avec eux à Antioche, puisque tu auras l’air d’être Simon, proclame en public ton repentir, en disant : “Moi, Simon, je vous adresse cette proclamation : j’avoue avoir injustement attaqué Pierre par des mensonges ; il n’est pas magicien, ni meurtrier, ni sorcier, ni tout ce que j’ai rapporté de mauvais auparavant à son sujet, sous l’effet de la colère. Je vous en prie moi-même, qui ai causé votre haine contre lui, cessez de la haïr ; car il est l’apôtre véridique du Prophète véridique envoyé par Dieu pour le salut du monde” ».
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sation qu’il a pu faire de la « magie » de son adversaire, Pierre redonne à Faustus son vrai visage. Le procédé par lequel l’apôtre efface les effets du parfum préparé par Simon pour transformer le visage de Faustus n’est pas précisé 190. On peut supposer que Pierre aura fait usage d’une sorte d’antidote, ce qui supposerait une certaine connaissance de la technique « magique » utilisée par Simon. Nous avons vu que Plotin, aux prises avec la « magie » de son rival Olympius, avait réussi à en inverser les effets au moyen, fort possiblement, d’une incantation contraire. De même, Eunape de Sardes raconte comment Sosipatra, perturbée par la « magie » déployée contre elle par son disciple Philométôr, secrètement épris de la philosophe, demande l’aide de Maxime d’Éphèse, qui réussit à annuler les effets du philtre en utilisant un philtre plus puissant 191. Dans, ce passage, l’on apprend d’ailleurs que ce n’est pas seulement Maxime qui s’y connaît en « magie ». Sosipatra, qui, grâce à ses dons de clairvoyance, a vu toutes les étapes de l’opération « magique » menée à bien par son collègue : la prière, la procédure, les signes 192 , aurait très bien pu se tirer d’affaires toute seule. 190. Homélies 20,18,1-2 : « Alors Pierre nous promit le retour de notre père à sa propre figure, en lui disant : “Tu as entendu, Faustus, notre propos. Une fois donc que la figure trompeuse dont tu es revêtu nous aura été utile et que ton aide aura servi les actions que nous ordonnons, alors je te rendrai ta figure véritable, si d’abord tu fais ce que j’ai à te dire” ». Un peu plus loin (Homélies 20,20,2-3) : « Et Pierre ajouta cette instruction : “Quand tu auras compris que la ville a abandonné sa haine et qu’elle désire nous voir, fais-le moi savoir par un envoyé, et nous t’y rejoindrons. Le jour même de mon arrivée là-bas, j’effacerai la figure qui t’est étrangère et je ferai paraître la tienne, sans erreur possible, aux tiens et à tous les autres” ». 191. Eunape de Sardes , Vies de philosophes et de sophistes (Goulet VI,85, p. 35 ; Giangrande VI,9,6, p. 34 ; Wright 470, p. 412) : « Or Philométôr restait affairé à son entreprise, mais Maxime faisait front : il apprit grâce à sa compétence dans les sacrifices [divinatoires] quel [philtre] [Philométôr] utilisait et il délia par un [philtre] plus contraignant et plus puissant le [philtre] qui l’était moins » = Φιλομήτωρ δὲ τοῖς προτεθεῖσιν ἐνέκειτο. Μάξιμος δὲ ἀντενέκειτο, διὰ σοφίας μὲν θυτικῆς καταμαθὼν ᾧτινι κέχρηται, βιαιοτέρῳ τε καὶ δυνατωτέρῳ καταλῦσαι τὸ ἔλαττον. Sur ce passage, voir M. Becker , Eunapios aus Sardes. Biographien über Philosophen und Sophisten. Einleitung, Übersetzung, Kommentar, Stuttgart, 2013, p. 316 : « Philometor erscheint an dieser Stelle im Grunde als ein γόης ». Voir aussi Porphyre , De l ’abstinence 2,42,1 où il est question des γόητες et de leurs φίλτρα καὶ ἐρωτικά. M. Civiletti (M. Civiletti, Eunapio di Sardi. Vite di Filosofi e Sofisti. Testo greco a fronte. Introduzione, traduzione, note e apparati di M. Civiletti, Milano, 2007, p. 405) et M. Becker (M. Becker , Eunapios aus Sardes. Biographien über Philosophen und Sophisten. Einleitung, Übersetzung, Kommentar, Stuttgart, 2013, p. 316) sont d’avis que la σοφία θυτική de Maxime a quelque chose à voir avec la divination, ce qu’indique également la traduction de R. Goulet. 192. Eunape de Sardes , Vies de philosophes et de sophistes (Goulet VI,85-86, p. 35-36 ; Giangrande VI,9,6-7, p. 34 ; Wright 470, p. 412) : « Et ayant réalisé cette opération, Maxime accourut auprès de Sosipatra et lui demanda d’observer très attentivement si elle allait ressentir encore la même chose. Celle-ci dit qu’elle n’éprouvait plus la même [passion] et elle fit connaître à Maxime la prière et toute la
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C onclusion La conclusion des Homélies ne laisse aucun doute au lecteur. Simon le Samaritain n’a rien de divin. Il n’est qu’un μάγος. Même Annubion l’astrologue, un ami de Faustus et un compagnon de Simon 193, le reconnaît et se dit « stupéfait et saisi d’étonnement devant la magie de Simon » 194 . C’est Pierre qui est le vrai philosophe, lui qui n’a besoin d’aucun rituel pour entrer en relation avec le divin. L’idée que le chrétien ou plutôt l’homme pieux, le vrai Ἰουδαῖος ou le disciple du Vrai Prophète soit qualifié de philosophe n’est pas clairement énoncée dans les Homélies, contrairement à ce qui s’observe ailleurs dans la littérature chrétienne 195. Il n’en reste pas moins que Pierre et Simon, son partenaire de syzygie, correspondent à une certaine idée du philosophe, celle du philosophe divin. Une autre idée, qui circulait parmi les πεπαιδευμένοι du IVe siècle, est la notion d’une ascèse chrétienne, comme celle de Pierre, qui surpasserait l’ascèse des philosophes qui ont reçu la παιδεία, comme le personnage de Simon. Elle s’exprime clairement, par exemple, dans la Vie d’Antoine
procédure et elle ajouta l’heure à laquelle il l’avait appliquée, comme si elle avait été présente, et elle révéla les signes [divinatoires] qui s’étaient manifestés » = καὶ ὁ μὲν ταῦτα συντελέσας ὁ Μάξιμος ἔδραμε παρὰ τὴν Σωσιπάτραν, καὶ παραφυλάττειν ἠξίου μάλα ἀκριβῶς, εἰ τὸ αὐτὸ τοῦ λοιποῦ πείσεται· ἡ δὲ οὐκέτι πάσχειν ἔφη, καὶ τήν γε εὐχὴν ἀπήγγειλε τῷ Μαξίμῳ καὶ τὴν ἅπασαν πρᾶξιν, καὶ τήν γε ὥραν προσέθηκεν, ὥσπερ συμπαροῦσα, καθ᾿ ἣν ταῦτα ἔπραττεν, καὶ τὰ φανέντα ἀνεκάλυψε σημεῖα. Sur Sosipatra, voir R. Pack , « A Romantic Narrative in Eunapius », Transaction of the American Philological Association 83 (1952), p. 198-204 ; R. J. Penella, Greek Philosophers and Sophists in the Fourth Century A.D. Studies in Eunapius of Sardis, Leeds, 1990, p. 60-62 ; N. Denzey L ewis , « Living Images of the Divine : Female Theurgists in Late Antiquity », dans K. B. Stratton – D. S. K alleres (éd.), Daughters of Hecate. Women and Magic in the Ancient World, Oxford, 2014, p. 274-297 ; S. I. Johnston, « Sosipatra and the Theurgic Life : Eunapius Vitae Sophistorum 6.6.5-6.9.24 », dans J. Rüpke – W. Spickermann (éd.), Reflections on Religious Individuality. Greco-Roman and Judaeo-Christian Texts and Practices, Berlin, 2012, p. 99-117 ; I. Tanaseanu-Döbler , « Sosipatra – Role Models for “Divine” Women in Late Antiquity », dans M. Dzielska – K. Twardowska (éd.), Divine Men and Women in the History and Society of Late Hellenism, Cracovia, 2013, p. 123-147. 193. Homélies 20,11,1-3 : « Comme nous allions passer au repas, quelqu’un entra en courant et dit : “Appion le Plistonice vient d’arriver d’Antioche avec Annubion ; il est l’hôte de Simon”. Mon père se réjouit en entendant ces mots et dit à Pierre : “Si tu me le permets, je vais aller saluer Appion et Annubion qui, dès le plus jeune âge, ont été mes amis” ». 194. Homélies 20,17,6. 195. C’est le cas, par exemple, chez Jean Chrysostome. Voir A.-M. M alingrey, « Philosophia ». Étude d ’un groupe de mots dans la littérature grecque, des Présocratiques au IVe siècle après J.-C., Paris, 1961, p. 269-288.
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d’Athanase d’Alexandrie 196 et dans l’Histoire des moines de Syrie de Théodoret de Cyr 197. De même, encore une autre idée, celle d’une pratique philosophique, la théurgie pour être exact, qui passerait pour de la « magie », de la « sorcellerie » et de la nécromancie s’exprime clairement chez Grégoire de Naziance, Jean Chrysostome et Théodoret inter alios 198. Bien entendu, en rapport avec ces idées, il y a aussi la réalité des accusations de « magie » contre des philosophes de l’école de Jamblique dont les rituels pouvaient paraître suspects aux yeux des autorités chrétiennes 199. En fait, d’un point de vue sociologique, d’Origène à Théodoret, de Plotin à Proclus, les intellectuels, chrétiens et platoniciens, sont engagés 196. À propos d’Antoine et de sa rivalité avec les philosophes, voir Athanase Vie d ’Antoine 72-73 ; A. P. Urbano, The Philosophical Life. Biography and the Crafting of Intellectual Identity in Late Antiquity, Washington D. C., 2013, p. 219-224 et Ph. Rousseau, « Antony as Teacher in the Greek Life », dans T. H ägg – P. Rousseau (éd.), Greek Biography and Panegyric in Late Antiquity, Berkeley, 2000, p. 96-98. 197. Le cas de Théodoret, évêque de Cyr (circa 393-460), est intéressant. Dans son Histoire des moines de Syrie, ouvrage connu aussi sous le titre Histoire Philothée, une sorte de biographie collective, Théodoret entend démontrer que les ascètes chrétiens, dont il relate la vie, incarnent le véritable idéal philosophique. Voir A. P. Urbano, The Philosophical Life. Biography and the Crafting of Intellectual Identity in Late Antiquity, Washington D. C., 2013, p. 276 : « Theodoret describes for his readers a life (βίος) “that teaches philosophy” and emulates “the way of life [πολιτεία] in heaven”, a “sketch” of the “forms [ἰδέας] of invisible souls”. As the subtitle of the work suggests – “The Ascetic Life” (ἡ ἀσκητικὴ πολιτεία) – Theodoret defines the ascetic life as the life of philosophy ». 198. Nous faisons évidemment référence à la « légende noire » de Julien selon laquelle l’empereur, sous prétexte de théurgie, aurait en réalité pratiqué la nécromancie et le meurtre rituel d’enfants. Voir Grégoire de Naziance , Discours 4,92 ; Jean Chrysostome , Discours sur Babylas 79 ; Théodoret de Cyr , Histoire ecclésiastique 3,26-27. 199. Sôpatros était disciple de Jamblique et conseiller de Constantin. Il a été mis à mort à l’instigation du préfet du prétoire d’Orient Ablabius parce qu’il aurait empêché l’approvisionnement en blé de Constantinople en usant d’un procédé « magique ». Eunape de Sardes , Vies de philosophes et de sophistes (Goulet VI,1617, p. 21-22 ; Giangrande VI,2,10-11, p. 20 ; Wright 463, p. 385) : « Et ceux qui depuis longtemps étaient jaloux, croyant avoir découvert l’occasion la plus opportune, dirent : “C’est Sôpatros, celui que tu honores, qui a lié les vents grâce à cette éminente sagesse que tu loues toi-même et grâce à laquelle il siège encore sur les trônes impériaux”. Et Constantin ayant entendu cela et ayant été persuadé, ordonne que l’homme soit décapité et cela fut plus vite fait que dit à cause des envieux. Mais le responsable de tous les maux était Ablabius, qui était préfet du prétoire impérial, mais qui suffoquait d’être dépassé en célébrité par Sôpatros ». Sur cet épisode, voir M. Civiletti, Eunapio di Sardi. Vite di Filosofi e Sofisti. Testo greco a fronte. Introduzione, traduzione, note e apparati di M. Civiletti, Milano, 2007 ; p. 362 ; M. Becker , Eunapios aus Sardes. Biographien über Philosophen und Sophisten. Einleitung, Übersetzung, Kommentar, Stuttgart, 2013, p. 260 et R. G. Edmonds , Drawing Down the Moon : Magic in the Ancient Greco-Roman World, Princeton, 2019, p. 371. d’A lexandrie ,
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CHAPITRE IX
dans une compétition dont l’enjeu est la définition du sage et du philosophe. Comme le sage est alors perçu de part et d’autre comme un homme divin ou un homme de Dieu, l’un des aspects de cette compétition est de déterminer la source ou la nature des prodiges et le moyen pour les accomplir (rites/contemplation). Cette compétition ne se joue pas uniquement entre chrétiens et platoniciens, mais aussi entre platoniciens (Porphyre/ Jamblique) et chez les platoniciens, entre philosophes de la même école, comme celle de Jamblique (Chrysanthe-Maxime/Eusèbe). Arthur Urbano a bien montré, en effet, comment, cette compétition se déroulait entre membres d’une même classe, d’une même élite, celle des πεπαιδευμένοι 200. L’auteur des Homélies n’a peut-être pas la même envergure intellectuelle qu’un Porphyre ou le même poids social qu’un Athanase, mais il fait néanmoins partie, en vertu de son éducation, d’une élite qui écrit et qui pense. Il est culturellement un Grec, en vertu de cette éducation et non en vertu de son allégeance religieuse 201. Il cherche à se définir en rapport avec la παιδεία. C’est cette παιδεία, suivant l’analyse bourdieusienne d’Urbano, qui définit l’habitus de cette élite à laquelle appartiennent l’auteur des Homélies et ses personnages 202 . Leur habitus, le lieu de leur compétition est la παιδεία 203. Quand Pierre affronte Simon, un πεπαιδευμένος, il s’en prend à cette παιδεία, à cette alliance entre la μαγεία/φιλοσοφία de Simon et la παιδεία, la sienne et celle de ses compagnons, Appion, Annubion et Athénodore. Pierre, qui n’est pas un πεπαιδευμένος, montre à 200. Voir A. P. Urbano, The Philosophical Life. Biography and the Crafting of Intellectual Identity in Late Antiquity, Washington D. C., 2013, p. 4 : « Thus, the interactions among Christian and non-Christian elite in the Greek-speaking contexts of the late Roman empire are better understood as debates and exchanges within a segment of society that was occupied with the negotiation of identity, specifically, what it meant to be a “Greek”, or a “Christian”, and what the shifting landscapes of late antiquity meant for the Greek intellectual and literary heritage ». Autrement dit, la plupart des chrétiens n’étaient pas des « outsiders » culturels. 201. Voir A. P. Urbano, The Philosophical Life. Biography and the Crafting of Intellectual Identity in Late Antiquity, Washington D. C., 2013, p. 6 : « In a society where paideia was the pervasive culture of the educated elite, the pepaideumenoi, regardless of religious allegiance, I contend with many others that it is no longer accurate to use a model of a great divide between Christians and pagans ». 202. Sur la notion d’habitus chez Pierre Bourdieu, voir P. Bourdieu, Les règles de l ’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, 1992, p. 292-297 ; P. Bourdieu, Esquisse d ’une théorie de la pratique, Paris, 1972, p. 43 et passim ; P. B ourdieu, Raisons pratiques. Sur la théorie de l ’action, Paris, 1994, p. 16-17 et passim. 203. Voir A. P. Urbano, The Philosophical Life. Biography and the Crafting of Intellectual Identity in Late Antiquity, Washington D. C., 2013, p. 11 : « Paideia served as both a point of reference and a locus of competition in this process. More than education and culture, it was a durable and molding complex of ideas and practices that shaped the contours of the lives of the educated elite and afforded them a basis for cultural authority, and, to varying degrees, social and political authority ».
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Simon qu’il la possède cette παιδεία, sans l’avoir reçue, en tout cas, mieux que son rival, par sa maîtrise de la dialectique. Il propose une vérité supérieure à celle des philosophes en utilisant leur langage, leur code, celui de la παιδεία. Sur le plan de la μαγεία/φιλοσοφία, Pierre affiche, là aussi, une nette supériorité sur son adversaire par la nature de ses prodiges et sa connaissance de la μαγεία. Les Homélies et leur récit de la lutte entre Simon et Pierre, se situent donc dans le contexte d’une transformation sociale et culturelle où la culture philosophique classique se voit appropriée par les chrétiens pour devenir une philosophie chrétienne. Dans la compétition qui donne lieu à cette transformation, dans ce « champ culturel », comme dirait Bourdieu 204, les Grecs se trouvent dans la position des dominants et les chrétiens, parmi lesquels l’auteur des Homélies, dans la position des nouveaux venus, de ceux qui remettent en cause l’autorité des dominants. L’enjeu, nous l’avons dit, c’est la définition de la philosophie, d’une philosophie universelle, d’une via universalis 205. Alors, le Simon des Homélies est-il un « magicien » ou un philosophe ? Bien sûr, l’auteur des Homélies le présente comme le μάγος des hérésiologues qui prétendait avoir quelque chose de divin, comme le tenant d’une doctrine contraire à la vérité, comme un complice de la gauche, autrement dit, comme un « hérétique ». En même temps, la composition du personnage (éléments biographiques et actions) en fait une manière de philosophe qui peut évoquer par la pratique de la magie, le type jamblichéen du philosophe, adepte de la théurgie. La vraisemblance du récit, situé au premier siècle de notre ère, exige que Simon ressemble au Simon des origines. Le contexte du récit, cependant, suggère que des thèmes utilisés chez les platoniciens des IIIe et IVe siècle pour décrire le philosophe divin aient été absorbés dans la composition des personnages de Pierre et de Simon. Le Simon des Homélies est donc accusé d’être un μάγος, mais il a la formation et la forme d’un φιλόσοφος, un φιλόσοφος qui pratique la θεουργία et qui pour cette raison peut passer pour un μάγος ou un γόης. Or, le φιλόσοφος c’est l’une des formes que prend l’ennemi de la vérité, l’ennemi du Vrai Prophète. Le paradoxe des Homélies consiste à revêtir Pierre et Simon des habits du philosophe pour le battre, ce philosophe, sur son propre terrain, sur celui des idées comme sur celui des prodiges. 204. Voir P. Bourdieu, Les règles de l ’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, 1992, p. 351-455. 205. Voir A. P. Urbano, The Philosophical Life. Biography and the Crafting of Intellectual Identity in Late Antiquity, Washington D. C., 2013, p. 8 : « Thus, in this type of model, Christian intellectuals and Neoplatonists are thought of not simply as religious factions (i. e., Christians and pagans) in opposition, but they are also classified together as the class of educated, literate, philosophical thinkers who contributed to philosophical and theological discourse as well as the production of cultural products, literature in particular, which contributed to and participated in a struggle to define the parameters of a universal philosophy ».
Troisième partie Du côté des Judéens
Chapitre X
L a forme de Dieu dans les Homélies pseudo - clémentines et la notion de Shiur Q omah* Au livre dix-sept des Homélies pseudo-clémentines 1, l’apôtre Pierre soutient que son Dieu, celui qu’il faut craindre et servir avant tout, possède une forme, c’est-à-dire un corps, pourvu de tous ses membres. Des siècles d’influence platonicienne et de théologie chrétienne font en sorte que, pour nous, lecteurs modernes, la position de Pierre fait problème 2 . Le divin peut-il vraiment être divin s’il possède un corps 3 ? Déjà, parmi les Pères, Justin, Origène et Basile le Grand, endossant la définition platonicienne d’un divin immatériel, s’opposaient à la conception judéenne d’un Dieu qui aurait un corps et des membres 4 . Il y a effectivement dans certains courants de la pensée judéenne un anthropomorphisme totalement assumé 5. C’est le cas du courant mystique, que l’on appelle la mystique de la Merkabah, au sein duquel s’est développée la notion de Shiur Qomah, ce qu’il est convenu de traduire par « la mesure du corps » 6. Le pro* Cette étude a été publiée une première fois dans G. A ragione – R. Gounelle (éd.), « Soyez des changeurs avisés ». Controverses exégétiques dans la littérature apocryphe chrétienne, Strasbourg. 2012, p. 65-90. 1. Homélies 17,7,2 : « car il a une forme – à cause de sa beauté, la première et l’unique ». Dans le cadre de cette étude, tous les extraits des Homélies proviennent de la traduction de la Pléiade (P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005). 2. Voir G. G. Stroumsa, « Form(s) of God : Some notes on Metatron and Christ », Harvard Theological Review 76 (1983), p. 270. 3. Voir J.-P. Vernant, L’individu, la mort, l ’amour. Soi-même et l ’autre en Grèce ancienne, Paris, 1989, p 7 : « Le corps des dieux. En quoi cette expression, pour nous, fait-elle problème ? Des dieux qui ont un corps, des dieux anthropomorphes, comme ceux des Grecs anciens, peut-on les tenir vraiment pour des dieux ? ». 4. G. G. Stroumsa, « Form(s) of God : Some notes on Metatron and Christ », Harvard Theological Review 76 (1983), p. 271 cite Justin, Dialogue avec Tryphon 114 ; Origène , Homélies sur la Genèse 1,13 et 3,1 et Basile de Césarée , Sur l ’origine de l ’homme 1,5. 5. Pour la littérature rabbinique, voir G. Gottstein, « The Body as Image of God in Rabbinic Literature », Harvard Theological Review 87 (1994), p. 171-195. 6. Pour la mystique de la Merkabah, nous renvoyons à l’exposé classique de G. Scholem, Les grands courants de la mystique juive (trad. M.-M. Davy), Paris, 1973, p. 53-93 et au survol récent de la question par C. R. A. Morray-Jones ,
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CHAPITRE X
blème que nous nous proposons d’examiner dans le cadre de cette étude touche précisément à la relation possible entre les spéculations mystiques du Shiur Qomah et la doctrine de la forme de Dieu, telle qu’elle apparaît dans le texte d’origine judéo-chrétienne connu sous le nom d’Homélies pseudo-clémentines. Dans un premier temps, nous exposerons les données du problème, c’est-à-dire que nous mettrons en parallèle le passage des Homélies 17 et des extraits de textes mystiques judéens qui appartiennent au genre du Shiur Qomah, puis, nous étudierons l’hypothèse formulée par Gershom Scholem sur le lien entre des milieux mystiques judéens des premiers siècles de notre ère et des groupes judéo-chrétiens comme ceux qui se profilent derrière les Homélies pseudo-clémentines. Nous montrerons ensuite les limites de cette hypothèse par l’analyse du problème dans le contexte littéraire du livre dix-sept des Homélies. 1. L e s
don n é e s du probl è m e et l’ h y pot h è se de
S chol e m
Dans le roman pseudo-clémentin ou, pour être plus exact, dans les Homélies, davantage que dans les Reconnaissances 7, l’apôtre Pierre défend parfois des thèses étonnantes. L’idée selon laquelle Dieu aurait une forme constitue sans nul doute l’une de ces thèses étonnantes 8. 1.1. La forme de Dieu dans les Homélies C’est au livre 17 des Homélies, dans un passage où il explique à la foule comment les apôtres comme lui ont été envoyés vers les nations ignorantes pour les baptiser et les instruire, que Pierre soutient que Dieu a bel et bien une forme : Or le Dieu qu’il a dit de craindre est celui dont les anges, ceux des plus petits d’entre les croyants parmi nous, qui se tiennent dans le ciel, contemplent sans cesse la face du Père ; car il a une forme – à cause de sa beauté, la première et l’unique –, et tous les membres, mais non pour s’en servir ; il n’a pas en effet des yeux pour voir par ce moyen – car il voit de « Merkava Mysticism in Rabbinic and Hekhalot Literature », dans C. Rowland – C. R. A. Morray-Jones , The Mystery of God. Early Jewish Mysticism and the New Testament, Leyde – Boston, 2009, p. 219-264. 7. Sur le caractère plus orthodoxe des Reconnaissances, voir les explications de N. K elley, Knowledge and Religious Authority in the Pseudo-Clementines. Situating the Recognitions in Fourth Century Syria, Tübingen, 2006, p. 16. 8. Voir A. L e Boulluec , « Introduction aux Homélies », dans P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005, p. 1213 : « Une autre doctrine qui est l’apanage exclusif, dans les écrits pseudo-clémentins, des Homélies, et qui rompt avec les conceptions de la majorité des courants philosophiques et religieux de l’époque, affirme que Dieu a une forme corporelle ».
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partout, lui qui, de corps, est infiniment plus brillant que l’esprit qui en nous a la capacité visuelle et plus resplendissant que toute lumière, au point que la lumière du soleil, comparée à lui, passerait pour obscurité ; il n’a pas non plus des oreilles pour entendre – car de partout il entend, pense, meut, agit, produit. S’il a la plus belle forme, c’est à cause de l’homme, afin que les cœurs purs puissent le voir et qu’ils se réjouissent des causes pour lesquelles ils ont souffert ici. Car il a modelé l’homme sur sa propre forme, comme avec le plus grand sceau, afin qu’il fût le chef et le seigneur de toutes choses et que tout fût à son service. C’est pourquoi, ayant jugé que Dieu est le tout et que l’homme est son image – lui-même est invisible, mais son image, l’homme, est visible –, celui qui veut le vénérer honore son image visible, c’est-à-dire l’homme 9.
Dans le même passage, au paragraphe suivant, le paragraphe huit, l’apôtre tente de répondre à l’objection suivant laquelle si Dieu a une forme, c’est qu’il est circonscrit par un lieu 10. Au paragraphe neuf, Pierre s’emploie à démontrer que Dieu apparaît comme une « substance infinie en hauteur, illimitée en profondeur, sans mesure en largeur, qui étend trois fois à l’infini » sa « nature créatrice de vie et intelligente ». « Ce qui procède ainsi de Lui, poursuit-il, doit donc nécessairement être infini de tous côtés, ayant pour cœur Celui qui sous sa figure surpasse réellement toutes choses, qui, où qu’il soit, est dans l’infini comme son milieu, tout en étant la limite du tout. Quant aux extensions qui partent de Lui, elles ont la nature de six illimités » 11. Aux paragraphes 10 et 11, Pierre précise que la contemplation de la beauté de la forme divine suppose nécessairement que Dieu ait une forme : « Quelle force nous pouvons mettre à chérir, si nous contemplons par l’intellect la beauté de sa forme ! Autrement ce serait irréalisable ; car il est impossible qu’il y ait beauté sans forme et qu’on soit entraîné à éprouver de l’amour pour Dieu, ou qu’on croie le voir, s’il n’a pas d’aspect » 12 . Nous reviendrons sur certains éléments de ce texte particulièrement riche. Pour l’instant, nous nous limiterons à présenter les données du problème. 1.2. Le corps de Dieu dans le Shiur Qomah La mystique de la Merkabah fait partie des traditions ésotériques et mystiques les plus anciennes du judaïsme 13. Il s’agit de traditions qui se sont 9. Homélies 17,7,2-5. 10. Homélies 17,8,1-9. 11. Homélies 17,9,1-3. 12. Homélies 17,10,5. Voir Homélies 17,11,1-2. 13. Depuis les travaux de Gershom Scholem, plusieurs savants font remonter les origines de la Merkabah à la période du Second Temple. G. Scholem, Les grands courants de la mystique juive (trad. M.-M. Davy), Paris, 1973, p. 55, parlait d’une « doctrine ésotérique » enseignée « dans les cercles pharisaïques ». Voir
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CHAPITRE X
élaborées à partir de la vision d’Ézéchiel du char (merkabah) céleste 14 . La vision du char ou du trône comprend évidemment la vision de celui qui siège sur le trône ou plutôt de l’apparence de Dieu qui siège sur le trône, désigné comme étant la Gloire de Dieu, la Puissance de Dieu 15. Dans la littérature des Palais (Hekhalot), « qui doit son nom aux sept demeures célestes qui sont l’objet des ascensions extatiques et des visions mystiques » 16, l’être qui est assis sur le Char est souvent décrit comme un ange appelé Metatron, incarnation du Nom et de l’Image de Dieu 17. Le Shiur Qomah, la mesure du corps 18, est l’une des formes que prend la mystique du Char 19. Le texte du Shiur Qomah nous est parvenu en A. D. DeConick , « What is Early Jewish and Christian Mysticism ? », dans A. D. DeConick (éd.), Paradise Now. Essays on Early Jewish and Christian Mysticism, Leyde – Boston, 2006, p. 3, qui identifie l’apocalyptique judéenne et chrétienne, les textes de Qumran, Philon d’Alexandrie et les doctrines de Yohanan ben Zakkai comme autant de courants ayant pu servir de base à la mystique de la Merkabah. À l’appui de sa thèse, elle cite (note 7) les travaux de J. R. Davila, Descenders to the Chariot : The People behind the Hekhalot Literature, Leyde – Boston, 2001, de C. Morray-Jones , A Transparent Illusion : The Dangerous Vision of Water in Hekhalot Mysticism, Leyde – Boston, 2002 et V. D. A rbel , Beholders of Divine Secrets : Mysticism and Myth in the Hekhalot and Merkavah Literature, Albany, 2003, tout en précisant que d’autres, comme D. J. H alperin, The Merkabah in Rabbinic Literature, New Haven, 1980, p. 107-140 ; p. 179-185 et P. Schäfer , « New Testament and Hekhalot Literature : The Journey into Heaven in Paul and in Merkavah Mysticism », Journal of Jewish Studies 35 (1984), p. 19-35, ne partagent pas ce point de vue. 14. G. Scholem, Les grands courants de la mystique juive (trad. M.-M. Davy), Paris, 1973, p. 55. 15. C. R. A. Morray-Jones , « The Body of the Glory : Approaching the New Testament from the Perspective of Shiur Koma Traditions », dans C. Rowland – C. R. A. Morray-Jones , The Mystery of God. Early Jewish Mysticism and the New Testament, Leyde – Boston, 2009, p. 501. 16. C. Mopsik , Le livre hébreu d ’Hénoch ou Livre des Palais (traduction de l’hébreu, annotation et introduction), Paris, 1989, p. 7, note 1. 17. Sur le nom de l’ange, Metatron, voir A. Orlov, The Enoch-Metatron Tradition, Tübingen, 2005 ; G. G. Stroumsa, « Form(s) of God : Some notes on Metatron and Christ », Harvard Theological Review 76 (1983), p. 281 et 287 ; A. D. DeConick , « What is Early Jewish and Christian Mysticism ? », dans A. D. DeConick (éd.), Paradise Now. Essays on Early Jewish and Christian Mysticism, Leyde – Boston, 2006, p. 13 et C. R. A. Morray-Jones , « The Body of the Glory : Approaching the New Testament from the Perspective of Shiur Koma Traditions », dans C. Rowland – C. R. A. Morray-Jones , The Mystery of God. Early Jewish Mysticism and the New Testament, Leyde – Boston, 2009, p. 501 et 520. 18. Pour la signification de l’expression hébraïque Shiur Qomah ()המוק רועישׁ, voir G. Scholem, On the Mystical Shape of the Godhead. Basic Concepts in the Kabbalah (trad. J. Neugroschel), New York, 1991 (édition originale allemande : 1962), p. 21. 19. C. R. A. Morray-Jones , « The Body of the Glory : Approaching the New Testament from the Perspective of Shiur Koma Traditions », dans C. Rowland –
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cinq versions ou recensions, pour reprendre le terme utilisé par l’éditeur, Martin Cohen 20, dont deux sous la forme de textes indépendants, le Sefer ha Qomah et le Sefer ha Shiur. Toutes les recensions, dans leur rédaction finale, datent de la période des Guéonim, VIe-XIe siècles 21, mais contiennent des traditions qui remonteraient, selon Christopher MorrayJones à l’apocalyptique judéenne du Second Temple 22 . Nous reproduisons ici, pour les besoins de la démonstration, deux passages tirés du Sefer ha Qomah. Rabbi Aquiba a dit : Je rends témoignage selon le témoignage que m’a transmis Métatron, le grand prince du témoignage, notre seigneur et maître, qui exalte notre sang et nous donne le salut et la rédemption de tout mal. De l’emplacement du siège de Sa Gloire vers le haut, il y a 1 180 000 000 parasanges. De son siège de gloire vers le bas, il y a 1 180 000 000 parasanges. Sa hauteur est de 2 300 000 000 parasanges. De son bras droit à son bras gauche, il y a 770 000 000 parasanges et de l’œil droit à l’œil gauche, il y a 300 000 000 parasanges. Le crâne de sa tête est de 3 000 003 et un tiers 23.
C. R. A. Morray-Jones , The Mystery of God. Early Jewish Mysticism and the New Testament, Leyde – Boston, 2009, p. 506. 20. M. S. Cohen, The Shiur Qomah : Texts and Recensions, Tübingen, 1985. 21. M. S. Cohen, The Shiur Qomah : Texts and Recensions, Tübingen, 1985, p. 2 ; M. S. Cohen, The Shiur Qomah. Liturgy and Theurgy in Pre-Kabbalistic Jewish Mysticism, Lanham (MD), 1983, p. 66-67. 22. C. R. A. Morray-Jones , « The Body of the Glory : Approaching the New Testament from the Perspective of Shiur Koma Traditions », dans C. Rowland – C. R. A. Morray-Jones , The Mystery of God. Early Jewish Mysticism and the New Testament, Leyde – Boston, 2009, p. 507. Voir G. Scholem, On the Mystical Shape of the Godhead. Basic Concepts in the Kabbalah (trad. J. Neugroschel), New York, 1991 (édition originale allemande : 1962), p. 20-21. Voir P. W. van der Horst, « The Measurement of the Body. A Chapter in the History of Ancient Jewish Mysticism », dans D. van der Plas (éd.), Effigies Dei. Essays on the History of Religions, Leyde, 1987, p. 58, qui préfère, pour sa part, s’en tenir à une datation tardive ; « Although certainty is impossible in this matter, it is safe, for the time being, to date SQ to the early post-Talmudic or gaonic period ». 23. Selon la traduction anglaise de M. S. Cohen, The Shiur Qomah. Liturgy and Theurgy in Pre-Kabbalistic Jewish Mysticism, Lanham (MD), 1983, p. 189 : « (12) R. Aqiba said : I give testimony based on my testimony that Metatron said to me, (Metatron, who is) the great prince (13) of testimony, our lord and master, who exalts our blood and who saves us (14) and redeems us from every evil thing. From the place of the seat of His Glory and up (is a distance of) 1, 180, 000, 000 (15) parasangs. From His glorious seat and (16) down (is a distance of) 1, 180, 000, 000 parasangs. His height is (17) 2, 300, 000, 000 parasangs. From the right arm (across) until (18) the left arm is 770, 000, 000 parasangs. (19) And from the right eyeball until the left eyeball (is a distance of) 300, 000, 000 (20) parasangs. The skull of His head is 3, 000, 003 and a third (parasangs) ». Pour le texte hébraïque, voir M. S. Cohen, The Shiur Qomah : Texts and Recensions, Tübingen, 1985, p. 127.
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CHAPITRE X
Rabbi Ismaël a dit : J’ai vu le Roi du roi des rois, le Saint, béni soitil, comme il était assis sur un trône exalté et que ses soldats se tenaient devant lui, à sa droite et à sa gauche. Là-dessus, l’ange me parla, le prince de sa présence dont le nom est Métatron, Rouah, Pisqonit, Itmon, Higron, Sigron, Méton, Mitan et Nétit et Nétif. Rabbi Ismaël a dit : Quelle est la mesure du corps du Saint, béni soit-il, qui vit et existe pour toute l’éternité, puisse son nom être béni et exalté ? La plante de ses pieds remplit l’univers entier, comme il est dit dans les Écritures : Le ciel est mon trône et la terre, mon marchepied. La hauteur de ses plantes de pied est de 30 000 000 de parasanges et leur nom est Parmeseh. De ses pieds jusqu’aux chevilles il y a 10 000 000 parasanges. Le nom de la cheville droite est Atarqam et le nom de la cheville gauche est Ava Tarqam. Des chevilles jusqu’aux genoux, il y a 190 000 000 parasanges 24 .
Le texte continue en donnant les dimensions et les noms des mollets et des cuisses de Métatron et les 70 noms du cœur, seul organe interne qui soit mentionné dans le Shiur Qomah 25, mais ces deux courts extraits devraient suffire à donner une idée de son caractère singulier. Le caractère, justement, de cette littérature ressort très clairement dans ces deux passages : vision d’un être divin à forme humaine, assis sur un trône, accompagné d’un ange appelé Métatron, mesure (en parasanges) du corps divin, dimensions gigantesques du corps et nomenclature des différentes parties du corps. On pourrait souligner, en outre, la nature pseudépigraphique du genre, puisque, dans les recensions du Shiur Qomah, l’expérience de la vision est régulièrement attribuée à deux des plus grands Tannaïm, Rabbi Aquiba et Rabbi Ismaël 26. 24. Selon la traduction anglaise de M. S. Cohen, The Shiur Qomah. Liturgy and Theurgy in Pre-Kabbalistic Jewish Mysticism, Lanham (MD), 1983, p. 197 : « (47) R. Ishmael said : I saw the King of the kings of kings, the Holy One, blessed be He, as He was sitting (48) on an exalted throne and His soldiers were standing before Him to the right and to the left. (49) (Thereupon) spoke to me the angel, the prince of the presence, whose name is Metatron, Ruah, Pisqonit, (50) Itmon, Higron, Sigron, Meton, Mitan and Netit (51) and Netif. R. Ishmael says : What is the measure of the body of the Holy One, blessed be He, who (52) lives and exists for all eternity, may His name be blessed and His name exalted ? The soles of (53) His feet fill the entire universe, as it is stated (in Scripture) : The heavens are My seat, the earth, My footstool. (54) The height of His soles is 30, 000, 000 parasangs ; its name is Parmeseh. (55) From His feet until His ankles is 10, 000, 000 parasangs. The (56) name of His right ankle is Atarqam, and (the name) of the left (one) is Ava Tarqam. From His ankles (57) until His knees is 190, 000, 000 parasangs ». Pour le texte hébraïque, voir M. S. Cohen, The Shiur Qomah : Texts and Recensions, Tübingen, 1985, p. 133, 136 et 137. 25. M. S. Cohen, The Shiur Qomah. Liturgy and Theurgy in Pre-Kabbalistic Jewish Mysticism, Lanham (MD), 1983, p. 197 et 207. 26. Voir H. M. Jackson, « The Origins and Development of Shiur Qomah Revelation in Jewish Mysticism », Journal for the Study of Judaism 31 (2000), p. 376. Voir G. Scholem, Jewish Gnosticism, Merkabah Mysticism, and Talmudic Tradition,
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1.3. L’hypothèse de Scholem Passons pour l’instant sur l’interprétation du texte et venons-en au nœud du problème, c’est-à-dire la relation entre le passage des Homélies 17 et le Shiur Qomah. C’est Gershom Scholem qui a, le premier, du moins à notre connaissance, fait le rapprochement entre les Homélies et le Shiur Qomah, dans une étude parue tout d’abord en 1960 et rééditée ensuite en 1965, « Age of Shiur Komah Speculation and Origen » 27. Dans sa tentative d’établir que la notion de Shiur Qomah ne constitue pas un développement tardif mais bien plutôt un ingrédient primitif de la mystique judéenne qui aurait été repris par la suite par les milieux gnostiques 28, Scholem cite le cas des Homélies ou plus précisément de la source ébionite des Homélies : « It may be appropriate to observe here as well that the Judaeo-Christian, possibly Ebionitic, source of the Pseudo-Clementinian Homilies knows of a similar teaching according to which God has bodily form (morphe). Again, this Judaeo-Christian tradition and the Shiur Komah explain each other. It may therefore be surmised that the Gnostic Markos took the variant of the Shiur Komah that he used for his doctrine of the Body of Truth from sources of a strictly Jewish character » 29. En fait, dans cette étude, Scholem se contente de relever la présence, dans les Homélies, de l’expression « forme de Dieu ». Il ne cite pas le texte et n’en donne aucune interprétation. Il se contente de mentionner le passage des Homélies pour souligner la possibilité que Marc le Gnostique ait pu emprunter sa doctrine du « Corps de la Vérité » à la notion
New York, 1965, p. 36 : « It appears, like all these texts, in a pseudepigraphical setting, and is attributed to Tannaitic authorities of the second century, especially R. Akiba and R. Ishmael, to whom it was said to have been revealed ». 27. Il s’agit, en fait, de l’une des conférences prononcées au Jewish Theological Seminary of America, à New York, en 1957, et publiées en 1960 et 1965 dans l’ouvrage mentionné à la note précédente : G. Scholem, Jewish Gnosticism, Merkabah Mysticism, and Talmudic Tradition, New York, 1965. L’étude à laquelle nous faisons référence correspond donc au chapitre VI de l’ouvrage, aux pages 36 à 42. 28. G. Scholem, Jewish Gnosticism, Merkabah Mysticism, and Talmudic Tradition, New York, 1965, p. 37 : « The question that concerns us is this : Is this doctrine, which gives a bodily appearance to the Kabod, “the glory of God” (also described as the … body of the Shekhinah) an early ingredient of Jewish mystical teaching later adopted by some Christian Gnostic circles ? ». 29. G. Scholem, Jewish Gnosticism, Merkabah Mysticism, and Talmudic Tradition, New York, 1965, p. 41. Dans un ouvrage paru originellement en allemand en 1962 et publié ensuite en 1991 dans une traduction anglaise de Joachim Neugroschel (G. Scholem, On the Mystical Shape of the Godhead. Basic Concepts in the Kabbalah, New York, 1991), Scholem exprime le même point de vue sur le passage des Homélies et le lien avec les « Jewish Gnostic fragments extant in the Hebrew and Aramaic texts of the Shiur Komah » (p. 30).
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de Shiur Qomah 30, notion attestée, selon lui, dans les milieux ébionites des Pseudo-Clémentines. 1.4. La reprise de Fossum Jarl Fossum, en 1983, dans un article sur la mystique judéenne et la christologie judéo-chrétienne 31, reprend l’hypothèse de Gershom Scholem sur le lien entre Shiur Qomah et Pseudo-Clémentines. Il cherche à démontrer que la christologie de certains groupes judéo-chrétiens, comme les Ébionites du roman clémentin 32 , aurait été influencée par la notion de Kabod, c’est-àdire, la Gloire de Dieu révélée sous une forme d’apparence humaine, notion centrale de la mystique judéenne 33. Il établit d’abord, suivant Hippolyte 30. À propos de Marc le Gnostique, voir infra notes 48 et 49. 31. J. Fossum, « Jewish-Christian Christology and Jewish Mysticism », Vigiliae Christianae 37 (1983), p. 260-287. 32. O. Skarsaune , « The Ebionites », dans O. Skarsaune – R. Hvalvik (éd.), Jewish Believers in Jesus, Peaboby, 2007, p. 423, rejette complètement le lien que fait Épiphane (Panarion, 30,15,1) entre Ébionites et Pseudo-Clémentines. S. C. M imouni, Le judéo-christianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 278, n’hésite pas, pour sa part, à designer la littérature pseudo-clémentine « comme le “conservatoire” de certaines œuvres ébionites ». Sur la question, voir les remarques d’A. Y. R eed, « “Jewish-Christianity” after the “Parting of the Ways” : Approaches to Historiography and Self-Definition in the Pseudo-Clementines », dans A. Y. R eed – A. H. Becker (éd.), The Ways that Never Parted. Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Tübingen, 2003, p. 198-199, qui relève les divergences de vues parmi les spécialistes (note 37 : « an almost total lack of unanimity »). R. Bauckham, « The origin of the Ebionites », dans P. J. Tomson – D. L ambers-Petry (éd.), The Image of the Judaeo-Christians in Ancient Jewish and Christian Literature, Tübingen, 2003, p. 164, n’envisage la possibilité d’un lien avec les Ébionites que pour les Reconnaissances 1,27-71, passage qui contiendrait une source judéo-chrétienne, selon F. S. Jones , An Ancient Jewish Christian Source on the History of Christianity : Pseudo-Clementine Recognitions I 27-71, Atlanta, 1995. Pour le reste des Pseudo-Clémentines et de leurs sources, il se contente de dire qu’elles ont un « Ebionite background », qu’elles représentent « a considerable development of Ebionite ideas », mais qu’elles ne devraient pas être considérées comme « typically Ebionite ». 33. J. Fossum, « Jewish-Christian Christology and Jewish Mysticism », Vigiliae Christianae 37 (1983), p. 260. Fossum part de la théorie élaborée par G. Quispel selon laquelle « the Jewish concept of God’s kavod, the likeness as the appearance of man … first beheld by the prophet Ezechiel, is the model of the Gnostic Anthropos and even the Son of Man in Jewish apocalyptics and the heavenly Man in Pauline theology ». Là-dessus, voir C. R. A. Morray-Jones , « The Body of the Glory : Approaching the New Testament from the Perspective of Shiur Koma Traditions », dans C. Rowland – C. R. A. Morray-Jones , The Mystery of God. Early Jewish Mysticism and the New Testament, Leyde – Boston, 2009, p. 501 : « …the appearance of God on the celestial throne is referred to in apocalyptic literature and in the later merkava tradition as the Glory … or the Power …, these being technical terms of the visionary-mystical tradition ».
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et Épiphane, que les Elkasaïtes 3 4 , parmi les Judéo-chrétiens, croyaient à la révélation d’un ange aux proportions gigantesques, qui n’est pas sans rappeler l’ange de la Merkabah, manifestation de la Kabod, et qu’ils identifiaient cet ange au Fils de Dieu 35. Il avance ensuite que le passage des Homélies qui parle de la forme et de la beauté de Dieu confirme l’existence dans les cercles elkasaïtes du concept de Kabod 36. Les Homélies, en effet, passent pour avoir préservé des enseignements ébionites 37 et les Ébionites, selon Épiphane, auraient recueilli des doctrines elkasaïtes 38, comme
34. À propos des Elkasaïtes, on consultera L. Cirillo, « L’apocalypse d’Elkhasai : son rôle et son importance pour l’histoire du judaïsme », Apocrypha 1 (1990), p. 167-179 ; S. C. M imouni, Le judéo-christianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 287-316 ; S. C. M imouni, « Les elkasaïtes : états des questions et des recherches », dans P. J. Tomson – D. L ambers-Petry (éd.), The Image of the JudaeoChristians in Ancient Jewish and Christian Literature, Tübingen, 2003, p. 209-229 et G. A f H ällstrom – O. Skarsaune , « Cerinthus, Elxai, and Other Alleged Jewish Christian Teachers or Groups », dans O. Skarsaune – R. Hvalvik (éd.), Jewish Believers in Jesus, Peabody, 2007, p. 496-501. 35. J. Fossum, « Jewish-Christian Christology and Jewish Mysticism », Vigiliae Christianae 37 (1983), p. 262-263. C’est ce que rapportent Hippolyte (Réfutation de toutes les hérésies 9,13,2-3) et Épiphane (Panarion 19,4,1-2 ; 30,17,6 et 53,1,9). Là-dessus, voir J. Baumgarten, « The Book of Elkesai and Merkabak Mysticism », Journal for the Study of Judaism 17 (1986), p. 212-223 ; S. C. M imouni, « Les elkasaïtes : états des questions et des recherches », dans P. J. Tomson – D. L ambersPetry (éd.), The Image of the Judaeo-Christians in Ancient Jewish and Christian Literature, Tübingen, 2003, p. 224, qui se limite à noter la similitude avec le Shiur Qomah et P. W. van der Horst, « The Measurement of the Body. A Chapter in the History of Ancient Jewish Mysticism », dans D. van der Plas (éd.), Effigies Dei. Essays on the History of Religions, Leyde, 1987, p. 57, qui refuse d’y voir une trace du Shiur Qomah sous prétexte que « the other essential SQ element, the names of God’s limbs, is wholly lacking in Elchasai ». 36. J. Fossum, « Jewish-Christian Christology and Jewish Mysticism », Vigiliae Christianae 37 (1983), p. 263. 37. Épiphane , Panarion 30,15,1 : « Ils utilisent aussi d’autres livres, les soi-disant Pérégrinations de Pierre par Clément, bien qu’ils en aient corrompu le contenu tout en gardant quelques éléments authentiques ». Voir la traduction anglaise de F. Williams , The Panarion of Epiphanius of Salamis. Book I (Sects 1-46), Leyde, 1987, p. 131 : « But they use certain other books as well – Clement’s so-called Peregrinations of Peter, if you please, though they corrupt the contents while leaving a few genuine items ». Concernant le caractère ébionite des Pseudo-Clémentines, sur la base du témoignage d’Épiphane, voir, supra, la note 32. 38. Épiphane , Panarion 19,5,4. Selon l’hérésiologue, la doctrine des Ébionites, de même que celle des Nazoréens, seraient liée à celle d’Elkasaï. Sur le syncrétisme des Ébionites, voir la remarque de J. Verheyden, « Epiphanius on the Ebionites », dans P. J. Tomson – D. L ambers-Petry (éd.), The Image of the Judaeo-Christians in Ancient Jewish and Christian Literature, Tübingen, 2003, p. 186 : « As Epiphanius sees it, the Ebionite movement shows a marked tendency for mixing up things ».
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celles des réincarnations du Christ 39 et de ses dimensions gigantesques 4 0. Il cite donc et analyse le passage des Homélies (17,7), en considérant le terme μορφή comme l’équivalent de l’hébreu Kabod 41 et en comprenant la beauté et la brillance de la forme divine dans les Homélies en rapport avec la notion de Kabod qui caractérise la mystique de la Merkabah et le Shiur Qomah 42 . Pour Jarl Fossum, il ne fait aucun doute que le passage des Homélies fait partie des textes qui prouvent que les spéculations du Shiur Qomah remontent bien aux premiers siècles de l’ère chrétienne, au même titre que les références d’Hippolyte ou d’Épiphane aux visions d’Elkasaï ou la mention par Irénée de la révélation du gnostique Marc. Il n’est d’ailleurs pas le seul. Gershom Scholem, bien entendu, Guy G. Stroumsa 43 et plus récemment Christopher Morray-Jones, inter alios, estiment également que la notion de Shiur Qomah était attestée dès le IIe siècle de notre ère 4 4 . Aux yeux de Christopher Morray-Jones, le Livre d’Elkasaï, que nous venons de mentionner, et la gnose valentinienne de Marc, qui nous est connue par l’intermédiaire d’Irénée 45, présentent des similitudes frappantes avec les spéculations du Shiur Qomah 4 6. La vision du « Corps de la Vérité », dont 39. Épiphane , Panarion 30,3,3-5. Voir J. Fossum, « Jewish-Christian Christology and Jewish Mysticism », Vigiliae Christianae 37 (1983), p. 270-271. Voir le point de vue critique d’O. Skarsaune , « The Ebionites », dans O. Skarsaune – R. Hvalvik (éd.), Jewish Believers in Jesus, Peabody, 2007, p. 453 : « There are thus good reasons to think that Epiphanius’s naming Elxai as a major teacher of the Ebionites is his own invention, and that the confused picture of Ebionite Christology in 3.1-6 is also his own construction ». 40. Épiphane , Panarion 30,17,6. 41. J. Fossum, « Jewish-Christian Christology and Jewish Mysticism », Vigiliae Christianae 37 (1983), p. 263. Fossum fait valoir que dans la LXX l’hébreu דובכest régulièrement traduit par μορφή ou δόξα. 42. J. Fossum, « Jewish-Christian Christology and Jewish Mysticism », Vigiliae Christianae 37 (1983), p. 267. 43. G. G. Stroumsa, « Form(s) of God : Some notes on Metatron and Christ », Harvard Theological Review 76 (1983), p. 287, note 85. Stroumsa se contente de faire référence au texte des Homélies (17,7) et de mentionner la relation établie par Scholem entre le passage et la doctrine du Shiur Qomah. Voir aussi A. Y. R eed, Fallen Angels and the History of Judaism and Christianity. The Reception of Enochic Literature, Cambridge, 2005, p. 248, note 51, qui fait brièvement allusion au passage des Homélies et à l’hypothèse de Scholem. 44. Voir, par exemple, H. M. Jackson, « The Origins and Development of Shiur Qomah Revelation in Jewish Mysticism », Journal for the Study of Judaism 31 (2000), p. 392-394. 45. I rénée de Lyon, Contre les hérésies 1,13-22. Voir aussi Hippolyte de Rome , Réfutation de toutes les hérésies 6,39-55. 46. C. R. A. Morray-Jones , « The Body of the Glory : Approaching the New Testament from the Perspective of Shiur Koma Traditions », dans C. Rowland – C. R. A. Morray-Jones , The Mystery of God. Early Jewish Mysticism and the New Testament, Leyde – Boston, 2009, p. 575-576, suppose, dans les deux cas, un même
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aurait été gratifié le gnostique Marc et qui avait déjà retenu l’attention de Gershom Scholem 47, conserve, là encore, selon Christopher Morray-Jones, les traces du Shiur Qomah 48. La forme de l’invisible, l’énonciation du Nom qui se décompose en trente lettres évoquent l’insistance du Shiur Qomah à nommer les différents éléments de la forme divine 49 2 . L’ h y pot h è se
de
S chol e m
et l e con t e x t e de s
H om é li es 17
Pour des raisons d’ordre littéraire, notamment, il nous semble difficile, contrairement à Gershom Scholem et Jarl Fossum, d’admettre que le passage des Homélies 17 atteste pleinement l’existence, ou plus exactement, la réception du Shiur Qomah dans les cercles judéo-chrétiens ébionites ou elkasaïtes. Il faut bien reconnaître, toutefois, que la présence dans les milieu d’origine : « …since the similarity with Markos’ system clearly indicates a common Jewish background, in which an early form of the shiur koma was associated with allegorical exegesis of the Song of Songs ». 47. G. Scholem, Jewish Gnosticism, Merkabah Mysticism, and Talmudic Tradition, New York, 1965. p. 37-38 et G. Scholem, On the Mystical Shape of the Godhead. Basic Concepts in the Kabbalah, New York, 1991, p. 25-28. 48. C. R. A. Morray-Jones , « The Body of the Glory : Approaching the New Testament from the Perspective of Shiur Koma Traditions », dans C. Rowland – C. R. A. Morray-Jones , The Mystery of God. Early Jewish Mysticism and the New Testament, Leyde – Boston, 2009, p. 569 : « The cosmogonic system of the Valentinian Gnostic Markos, which strongly resembles that found in Sefer Yetsira and later Kabbalistic writings, provides conclusive evidence that a developed shiur koma tradition already existed in the second century CE ». Sur ce point, les conclusions de Morray-Jones ne font pas l’unanimité. Voir, par exemple, P. Schäfer , « New Testament and Hekhalot Literature : The Journey into Heaven in Paul and in Merkavah Mysticism », Journal of Jewish Studies 35 (1984), p. 19-35 et C. Mopsik , « La datation du Chi’our Qomah d’après un texte néotestamentaire », Revue des sciences religieuses 68 (1994), p. 134-135, qui note : « Quant au fragment du gnostique Marc, le “corps de la vérité” ne pourrait n’être qu’une reprise de motifs strictement néotestamentaires, remaniés par Marc dans un sens plus mythique, sans rapport avec le Chi’our Qomah du judaïsme ». 49. Voir l’extrait suivant de la vision de Marc, selon I rénée de Lyon, Contre les hérésies 1,14,3 : « Après lui avoir fait connaître tout cela, la Tétrade dit à Marc : Je veux te montrer aussi la Vérité elle-même, car je l’ai fait descendre des demeures supérieures pour que tu la voies nue et que tu sois instruit de sa beauté, et aussi pour que tu l’entendes parler et que tu admires sa sagesse. Vois donc sa tête, en haut, qui est α et ω, son cou qui est β et ψ, ses bras et ses mains qui sont γ et χ (…) Voilà, à en croire le Magicien, le corps de la Vérité, voilà le schème de l’Élément, voilà le caractère de la Lettre ! À cet Élément il donne le nom d’Homme : il est, dit-il, la source de tout Logos, le principe de toute Voix, l’expression de tout Inexprimable, la bouche de Silence la silencieuse. Voilà donc son corps ». Traduction A. Rousseau – L. Doutreleau, Irénée de Lyon, Contre les hérésies, Livre I, tome II, Paris, 1979.
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Homélies d’éléments de type elkasaïte, comme la doctrine des réincarnations du Vrai Prophète 50, conjuguée au témoignage d’Hippolyte sur la vision d’Elkasaï d’un ange gigantesque, peut laisser croire que la forme de Dieu dans les Homélies 17 s’expliquerait par l’influence de la mystique judéenne sur les milieux elkasaïtes, comme le pense Jarl Fossum. Il nous apparaît utile, en revanche, de souligner que la forme de Dieu dans les Homélies ne fait l’objet d’aucune mesure ni d’aucune vision, deux composantes pourtant essentielles du Shiur Qomah. Ce qui fait défaut, à notre avis, à l’interprétation du passage des Homélies par Gershom Scholem et Jarl Fossum, c’est de ne pas suffisamment tenir compte du contexte du livre 17 dans lequel le développement sur la forme de Dieu se situe. Le contexte peut se résumer ainsi. Dans le cadre d’une discussion sur la nature de Dieu, qui est censée avoir lieu à Laodicée et qui met aux prises le magicien Simon et l’apôtre Pierre, Simon défend la thèse dithéiste d’un dieu suprême, immatériel et inaccessible, le dieu bon et inconnu de Jésus, qu’il ne faut pas confondre avec le dieu juste et vengeur, connu des hommes depuis Adam, le démiurge, le dieu créateur de la Bible 51, alors que Pierre défend la thèse monarchiste de l’unité absolue du Dieu créateur, qui n’est nul autre que le dieu de Jésus, le Dieu qui conformément aux enseignements de Jésus lui-même possède bel et bien une forme. Selon le rapport que Zachée fait à son maître avant le débat, l’argumentation de Simon porte plus particulièrement sur la forme de Dieu, un enseignement de Pierre plus pernicieux que l’idolâtrie 52 , sur la contradiction entre les
50. Homélies 3,20,2 : « …celui-là seul qui, depuis le commencement de l’âge présent, revêt des formes différentes en changeant aussi de noms et traverse aussi cet âge jusqu’à ce que, parvenu aux temps qui sont les siens, après avoir été oint par la miséricorde de Dieu en raison de ses peines, il possède pour toujours le repos ». Sur le Vrai Prophète dans les Pseudo-Clémentines, voir H. J. W. Drijvers , « Adam and the True Prophet in the Pseudo-Clementines », dans C. Elsas – H. G. K ippenberg (éd.), Loyalitätskonflikte in der Religionsgeschichte. Festschrift für Carsten Colpe, Würzburg, 1990, p. 314-323. 51. Homélies 17,4-5. Voir aussi Homélies 18,1,1, où Simon résume sa position : « celui qui a créé le monde n’est pas le Dieu suprême (…) celui-ci est un autre, qui seul est bon et qui jusqu’à présent est resté inconnu ». La doctrine de Simon, dans les Homélies, pose plusieurs problèmes dont celui des liens possibles avec la gnose simonienne. Dans le cas du livre 17, on peut sans nul doute qualifier le discours de Simon de dithéisme de type marcionite. À ce propos, voir A. L e Boulluec , « Les citations de la Septante dans l’Homélie XVI pseudo-clémentine. Une critique implicite de la typologie ? », dans ΚΑΤΑ ΤΟΥΣ Ο'. Selon les Septante. Trente études sur la Bible grecque des Septante. En hommage à Marguerite Harl, dans G. Dorival – O. Munnich (éd.), Paris, 1995, p. 448. 52. Homélies 17,2,5-3,7. Prétendre que Dieu a une forme, soutient Simon, c’est commettre l’erreur des idolâtres qui se représentent l’aspect de leurs dieux et en font des idoles.
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paroles de Jésus et la doctrine de Pierre 53, et, troisièmement, sur la supériorité de la vision sur l’évidence 54 . Pierre engage donc le débat en commençant par démontrer que son enseignement s’accorde avec les paroles de Jésus. Il rappelle ainsi que le Dieu qu’il faut adorer exclusivement, selon le commandement de Jésus, c’est le Père, « dont les anges, ceux des plus petits d’entre les croyants parmi nous, qui se tiennent dans le ciel, contemplent sans cesse la face » 55. Or, si le Père a une face, c’est qu’il a une forme, un corps et tous ses membres. Dans la logique du passage, la précision est importante puisque c’est sur le modèle de cette forme que Dieu a créé l’Homme : « Car il a modelé l’homme sur sa propre forme, comme avec le plus grand sceau, afin qu’il fût le chef et le seigneur de toutes choses et que tout fût à son service » 56. Le Dieu unique de Pierre n’a donc rien d’un être abstrait et inaccessible, comme l’Être suprême de Simon, des gnostiques et des platoniciens 57. C’est le Dieu créateur, législateur, le dieu dont la forme lumineuse est assise sur un trône et adorée par les anges. 2.1. Contre les visions L’insistance de Pierre sur la forme de Dieu, sur la beauté de cette forme, sans compter, dans l’expression « Face de Dieu », une possible allusion au trône de Dieu, tout cela fait évidemment penser à la mystique de la Merkabah et au Shiur Qomah. C’est ici, cependant, que l’étude du contexte devrait nous inciter à plus de prudence 58. L’exposé de Pierre sur la forme de Dieu est, en effet, suivi d’un échange vigoureux sur la soi-disant supé53. Homélies 17,4-5. La doctrine d’un démiurge qui serait à la fois bon et juste et qui serait connu de tous les hommes, contredirait Luc 18,19 : « Ne m’appelle pas bon, car le bon est unique » et Matthieu 11,27 : « Personne n’a connu le Père ». 54. Homélies 17,5,6. Simon affirme que « l’évidence peut être chose humaine, alors que la vision … appartient à la divinité ». 55. Homélies 17,7,2. Il s’agit d’une allusion à Matthieu 18,10. Concernant cette citation de Matthieu 18,10 dans les Homélies, voir B. G. Bucur , « Matt. 18 :10 in Early Christology and Pneumatology : A Contribution to the Study of Matthean Wirkungsgeschichte », Novum Testamentum 49 (2007), p. 216-220, qui considère que l’expression « Face de Dieu » renvoie à la notion du corps de Dieu assis sur le trône, comme dans la gnose marcosienne : « It appears, in conclusion, that the use of Matt. 18 :10 in the Ps.-Clementine Homilies is not very different from that of Irenaeus’ Marcosians … both view the “Face of God” in Matt. 18 :10 as the enthroned “form” or “body” of God, which they identify with Christ (p. 219) ». 56. Homélies 17,7,4. 57. B. G. Bucur , « Matt. 18 :10 in Early Christology and Pneumatology : A Contribution to the Study of Matthean Wirkungsgeschichte », Novum Testamentum 49 (2007), p. 218. 58. L’anthropomorphisme de Pierre peut se comprendre, avant tout, dans le contexte d’une discussion de type philosophique, ce qui n’exclut pas complètement la possibilité d’une allusion aux idées des milieux mystiques judéens.
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riorité de la vision (ὀπτασία) sur l’évidence (ἐνάργεια), un échange au cours duquel Pierre en vient à critiquer les prétentions de son adversaire Simon à connaître les enseignements de Jésus mieux que lui-même, sous prétexte qu’il aurait eu une vision. Le passage (17,13-14) est bien connu. Depuis Ferdinand Christian Baur et l’école de Tübingen 59, il a été généralement interprété comme une attaque contre Paul et ses visions 60. Abstraction faite de son caractère indéniablement antipaulinien, le passage développe, de manière générale, une argumentation contre la supériorité de la connaissance acquise dans une vision. « Celui qui croit à une apparition, affirme Pierre, ou à une vision, ou à un rêve est sujet à l’erreur ; car il ne sait pas en qui il croit ; ce peut être, en effet, un mauvais démon, ou un esprit trompeur, qui par son discours feint d’être ce qu’il n’est pas » 61. Plus loin, Pierre fait une distinction entre la révélation que Dieu met en nous et qui consiste à « apprendre sans enseignement de personne, sans apparitions ni songes » 62 et le savoir que Dieu transmet par des visions et 59. L’article de Baur (F. C. Baur , « Die Christus partei in der korintischen Gemeinde, der Gegensatz des petrinischen und paulinischen Christentums in der alten Kirche, der Apostel Petrus in Rom », Tübinger Zeitschrift für Theologie 5 (1831), p. 61-206), a, pour la première fois, attiré l’attention sur l’importance du roman pseudo-clémentin pour la compréhension des origines du christianisme. 60. En ce qui concerne l’antipaulinisme du passage (Homélies 17,13-14), voir J. Wehnert, « Petrus versus Paulus in den pseudoklementinischen Homilien 17 », dans J. Z angenberg – M. L abahn (éd.), Christians as a Religious Minority in a Multicultural City : Modes of Interaction and Identity Formation in Early Imperial Rome, Londres et New York, 2004, p. 178-183 ; S. L égasse , « La polémique antipaulinienne dans le judéo-christianisme hétérodoxe », Bulletin de littérature ecclésiastique 90 (1989), p. 87 ; A. Salles , « La diatribe anti-paulinienne dans le “Roman pseudo-clémentin” et l’origine des “Kérygmes de Pierre” », Revue Biblique 64 (1957) p. 522 ; et G. Strecker , Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1981 (2 e édition), p. 193. Pour ce qui est du rôle majeur de F. C. Baur dans la recherche sur les Pseudo-Clémentines et le judéo-christianisme, voir l’analyse récente d’A. Y. R eed, « “Jewish-Christianity” after the “Parting of the Ways” : Approaches to Historiography and Self-Definition in the Pseudo-Clementines », dans A. Y. R eed – A. H. Becker (éd.), The Ways that Never Parted. Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Tübingen, 2003, p. 199 ; les remarques de N. K elley, Knowledge and Religious Authority in the Pseudo-Clementines. Situating the Recognitions in Fourth Century Syria, Tübingen, 2006, p. 36, et les commentaires de G. Stanton, « Jewish Christian Elements in the Pseudo-Clementine Writings », dans O. Skarsaune – R. Hvalvik (éd.), Jewish Believers in Jesus, Peabody, 2007, p. 306. 61. Homélies 17,14,3-4. Apparition : ὀπτασία ; vision : ὅραμα ; rêve : ἐνύπνιον. Pour la récurrence et l’emploi de ces termes dans les Homélies, voir J. Wehnert, « Petrus versus Paulus in den pseudoklementinischen Homilien 17 », dans J. Z angenberg – M. L abahn (éd.), Christians as a Religious Minority in a Multicultural City : Modes of Interaction and Identity Formation in Early Imperial Rome, Londres et New York, 2004, p. 179, note 9. 62. Homélies 17,18,2.
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des songes : « Quant à ce qui a été montré du dehors par le moyen d’apparitions et de rêves, il est manifeste que ce n’est pas le fait de la révélation, mais de la colère » 63. Étant donné que c’est le personnage de Pierre qui met de l’avant la corporéité de Dieu, comme dans le Shiur Qomah, mais que c’est son adversaire Simon qui prône la connaissance du divin acquise dans les visions, comme dans le Shiur Qomah, il semble difficile de soutenir l’idée que le livre dix-sept des Homélies ait été positivement influencé par la notion de Shiur Qomah. Cela ne signifie pas que la communauté au sein de laquelle les Homélies ont été rédigées, au milieu du IVe siècle 6 4 , ne connaissait pas de telles spéculations sur la forme de Dieu. Cela signifie plutôt que l’auteur du texte, en abordant la question de la forme de Dieu dans une perspective résolument opposée aux visions et aux autres phénomènes mystiques, a peut-être cherché à prendre position face à ce genre de spéculations. C’est une possibilité. Si c’était le cas, ce ne serait pas uniquement les visions de l’apôtre Paul qui seraient mises en cause, mais aussi, à travers la figure de Simon/Paul, les visions de mystiques apparentés au courant de la Merkabah 65. Il est intéressant de noter, par ailleurs, que les cercles pauliniens du IIe siècle, d’où proviennent la lettre aux Éphésiens et la lettre aux Colossiens, semblent avoir connu la notion de Shiur Qomah, c’est du moins l’avis de Christopher Morray-Jones qui a consacré tout un chapitre au lien entre Éphésiens et Shiur Qomah dans l’ouvrage qu’il a fait paraître, en 2009, avec Christopher Rowland, The Mystery of God 66. 63. Homélies 17,18,4. 64. Nous disons bien au milieu du IVe siècle parce que nous estimons que le développement sur la forme de Dieu, qui n’a aucun parallèle dans les Reconnaissances, est le fait des auteurs des Homélies (là-dessus voir G. Strecker , Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1981 (2e édition), p. 267) et ne remontent pas à une hypothétique source de l’Écrit de base, les Kérygmes de Pierre, comme on l’a parfois supposé. 65. Comme le remarque A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” as Counter-history ? The Apostolic Past in Eusebius’ Ecclesiastical History and the Pseudo-Clementine Homilies », dans G. Gardner – K. L. Osterloh (éd.), Antiquity in Antiquity. Jewish and Christian Pasts in the Greco-Roman World, Tübingen, 2008, p. 198, note 86, la critique de la connaissance acquise par les songes et les visions peut aussi se comprendre en rapport avec les discussions sur la prophétie dans les milieux néoplatoniciens du IVe siècle. Voir, à ce propos, Jamblique , Réponse à Porphyre (De mysteriis) 2,3, où il est question des apparitions (ἐπιφάνειαι) des êtres supérieurs, et P. Athanassiadi, « Dreams, Theurgy and Freelance Divination : The Testimony of Iamblichus », Journal of Roman Studies 83 (1993), p. 115-130. 66. C. Rowland – C. R. A. Morray-Jones , The Mystery of God. Early Jewish Mysticism and the New Testament, Leyde – Boston, 2009, p. 581-610 (Chapitre dix-sept : « The Epistle to the Ephesians »). Jarl Fossum avait déjà abordé la question à propos de la Lettre aux Colossiens dans un article paru en 1989 : J. Fossum, « Colossians 1.15-18a in the Light of Jewish Mysticism and Gnosticism », New Testament Studies 35 (1989), p. 183-201. Voir également H. M. Jackson, « The Ori-
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2.2. La forme de Dieu et le raisonnement philosophique Pour bien comprendre le concept de forme de Dieu dans les Homélies, il faut maintenant revenir au début de la discussion, lorsque Pierre répond aux objections soulevées par Simon à propos d’un Dieu qui a une forme. Première objection. À quoi bon affranchir les hommes de l’idolâtrie, si l’on introduit un Dieu doté d’un aspect 67 ? « Les idoles inanimées, explique Simon, ne font guère de tort à ceux qui les vénèrent puisqu’ils voient de leurs yeux qu’elles sont de pierre, de bronze, d’or ou de quelque autre matière inanimée » 68. Un Dieu qui a une forme et qui est d’une « justice extrême », au contraire, ne peut, par son aspect redoutable, que remplir de crainte l’âme de celui qui l’honore 69. Réponse de Pierre : l’aspect de Dieu n’inspire pas la crainte, mais l’amour, car Dieu a une belle forme et c’est pour que les cœurs purs puissent le voir 70. « C’est par l’intellect, poursuit-il, que nous contemplons la beauté de sa forme : Autrement ce serait irréalisable ; car il est impossible qu’il y ait beauté sans forme et qu’on soit entraîné à éprouver de l’amour pour Dieu, ou qu’on croie le voir, s’il n’a pas d’aspect » 71. « L’intellect qui ne voit pas l’aspect de Dieu est vide de lui, conclut-il » 72 . Deuxième objection. Comment Dieu peut-il être tout-puissant et omniprésent s’il est limité par une forme ? Autrement dit : « S’il a une forme, il a une figure et il est dans le lieu ; étant dans le lieu et contenu par lui, par conséquent plus petit, comment dépasse-t-il en grandeur tous les êtres ? Et comment peut-il être partout, s’il est sous une figure » 73 ? Réponse de Pierre : l’objection ne tient que si l’on définit Dieu comme l’étant et le lieu comme le non-étant 74 , une définition qui suscite à son tour une objection : comment le non-étant peut-il bien se combiner à l’étant 75 ? À moins de supposer l’existence d’un deuxième espace, comme le ciel, la gins and Development of Shiur Qomah Revelation in Jewish Mysticism », Journal for the Study of Judaism 31 (2000), p. 377. 67. Homélies 17,2,5-3,5. 68. Homélies 17,3,1. 69. Homélies 17,3,5 : « C’est pourquoi, s’il se présente pour vous être utile, qu’il n’aille pas, en semblant dissiper les craintes légères que peuvent produire en vous des formes inanimées, leur substituer la forme redoutable de Dieu ». 70. Homélies 17,7,4. 71. Homélies 17,10,5. 72. Homélies 17,11,2. 73. Homélies 17,8,1. Il est intéressant de noter que dans les Homélies 17, le personnage de Simon, figure composite de l’opposant, défend à la fois des thèses marcionites, se confond avec l’apôtre Paul pour sa position sur la supériorité de la vision sur l’évidence, et s’approprie une conception vaguement platonicienne du divin par son refus d’accepter la notion de forme divine. 74. Homélies 17,8,3 : τόπος ἐστὶν τὸ μὴ ὄν, θεὸς δὲ τὸ ὄν. 75. Homélies 17,8,3 : « Or, le non-étant ne se combine pas avec l’étant ».
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terre, l’eau, l’air et tout autre corps qui comblerait son vide 76. Mais, ce qui est appelé vide, peut-il être comparé à un récipient qui ne contiendrait rien 77 ? Il faudrait alors supposer que le récipient lui-même, étant vide, n’est pas lui-même le lieu, mais ce en quoi est le vide lui-même. Il s’ensuivrait que l’étant serait bel et bien dans ce qui n’est rien 78. L’objection ne tient plus, au contraire, si l’on admet que le lieu existe et que le contenant n’est pas forcément supérieur au contenu 79. Le soleil fournit ici une analogie utile. Le soleil est une figure et il est entouré d’air. Or, c’est le soleil qui illumine et réchauffe l’air. Puisque « le soleil a cet effet en donnant à participer à lui, alors que sa substance est circonscrite, qu’est-ce donc qui empêche Dieu, lui le créateur et le maître de ce soleil et de toutes choses, en ayant lui-même figure, forme et beauté, d’étendre à l’infini la participation qui vient de lui » 80 ? En fait, comme Pierre l’explique au chapitre suivant (17,9), en donnant une description de la forme divine, le Dieu véritable est unique et « il siège à la première place en sa forme suréminente » ; et il est le cœur, pour ainsi dire, de l’univers : Il est deux fois cœur, du haut et du bas – et de lui, faisant jaillir comme du centre la puissance vivifiante et incorporelle, la substance pénètre toutes choses (…), une substance infinie en hauteur, illimitée en profondeur, sans mesure en largeur, qui étend trois fois à l’infini la nature créatrice de vie et intelligente venant de Lui. Ce qui procède ainsi de Lui doit donc nécessairement être infini de tous côtés, ayant pour cœur Celui qui sous sa figure surpasse réellement toutes choses, qui, où qu’il soit, est dans l’infini comme son milieu, tout en étant la limite du tout. Quant aux extensions qui partent de Lui, elles ont la nature de six illimités. L’un d’eux, commençant à Lui, pénètre vers la hauteur au-dessus, un autre vers les profondeurs en bas, l’un à droite, l’autre à gauche, un en avant, un autre en arrière 81.
Dieu a donc une forme qui se déploie dans un lieu qui ne le limite pas, puisque de lui partent des extensions qui vont à l’infini dans les six directions possibles. Le lieu ou l’espace est donc infini. Pour répondre à l’objection de Simon sur la corporéité du divin, Pierre, le personnage pseudo-clémentin de Pierre, bien entendu, choisit la forme du raisonnement philosophique. Il aurait pu se contenter de citer les paroles de 76. Homélies 17,8,3 : ἐκτὸς εἰ μὴ δευτέρα χώρα εἴη, οἷον οὐρανός, γῆ, ὕδωρ, ἀὴρ καὶ εἰ ἄλλο τί ἐστιν σῶμα, ὃ ἂν καὶ αὐτοῦ πληροῖ τὸ κενόν, ὃ διὰ τοῦτο κενὸν λέγεται, ὅτι οὐδέν ἐστιν. 77. Homélies 17,8,4 : τὸ γὰρ λεγόμενον κενὸν τί ποτε ὡς σκεῦός ἐστιν οὐδὲν ἔχον ; 78. Homélies 17,8,4-5. 79. Homélies 17,8,7 : εἰ δὲ καὶ ἔστιν τι (…) ἵνα δείξω ὅτι οὐ πάντως τὸ περιέχον τοῦ περιεχομένου κρεῖττόν ἐστιν. 80. Homélies 17,8,8-9. 81. Homélies 17,9,1-3.
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son Seigneur Jésus, du Vrai Prophète, puisqu’il se présente comme l’un de ceux qui ont connu son enseignement par l’évidence et non par une vision. En fait, Pierre justifie sa propre activité d’enseignement par l’idée que le Prophète, n’ayant eu qu’un temps limité pour sa prédication, n’a pas utilisé un langage démonstratif 82 . Il a plutôt confié à ceux qui connaissaient toutes ses paroles, ses disciples, le soin de fournir les démonstrations 83. Pierre entend donc défendre les paroles du Prophète sur la forme de Dieu au moyen d’une démonstration. Une démonstration philosophique. Une démonstration qui se déploie sur fond de cosmologie stoïcienne, comme l’a judicieusement remarqué Shlomo Pines 84 . La terminologie utilisée par Pierre pour désigner l’espace (χώρα), le lieu (τόπος) et le vide (τὸ κενόν) correspond, en effet, à celle des Stoïciens 85, qui définissent notamment le vide comme « ce qui est capable d’être occupé par ce qui est » 86. L’idée d’un espace infini se trouve d’ailleurs chez Chrysippe, qui place le cosmos au milieu d’un espace infini 87, de même que la comparaison entre le vide et un vase vide 88. Aussi, lorsque Pierre soutient que le lieu (τόπος) ne peut exister à moins qu’il n’y ait un second emplacement (χώρα) qui le contienne 89, il semble faire écho à la définition du mot χώρα par Zénon selon qui la χώρα est ce qui est occupé en partie par un corps 90 ou plu-
82. Homélies 17,6,4 : « …aussi n’usait-il pas du langage démonstratif, afin de ne pas épuiser en discours tout le temps fixé… » = τῷ τῆς ἀποδείξεως οὐκ ἐχρῆτο λόγῳ, ἵνα μὴ εἰς λόγους τὸν πάντα τῆς προθεσμίας δαπανᾷ χρόνον. 83. Homélies 17,7,1 : εἰδὼς οὖν ἡμᾶς εἰδότας πάντα τὰ ὑπ’ αὐτοῦ ῥηθέντα καὶ τὰς ἀποδείξεις παρασχεῖν δυναμένους. 84. S. P ines , « Points of Similarity between the Exposition of the Doctrine of the Sefirot in the Sefer Yezira and a Text of the Pseudo-Clementine Homilies. The Implications of the Resemblance », Proceedings of the Israel Academy of Sciences and Humanities 7 (1989), p. 74-76. 85. Voir A etius , Opinion des philosophes (Placita philosophorum) 1,20,1 : οἱ Στωικοὶ καὶ Ἐπίκουρος διαφέρειν δὲ κενὸν τόπον χώραν. Dans cette note et dans les notes suivantes, les références aux textes stoïciens sont empruntées à l’exposé de Shlomo Pines. 86. Voir Sextus E mpiricus , Contre les savants (Adversus Mathematicos) 10,3 : καὶ οἱ Στωικοὶ δὲ κενὸν μὲν εἶναί φασι τὸ οἷόν τε ὑπὸ ὄντος κατέχεσθαι. 87. Voir A etius , Opinion des philosophes (Placita philosophorum) 1,18,5 : Ζήνων καὶ οἱ ἀπ’αὐτοῦ ἐντὸς μὲν τοῦ κόσμου μηδὲν εἶναι κενόν, ἔξω δ’αὐτοῦ ἄπειρον. 88. Voir Stobée , Anthologie 1,18,4d : τὸ μὲν γὰρ κενὸν τοῖς κενοῖς ἀγγείοις λέγεσθαι παραπλησίως, τὸν δὲ τόπον τοῖς πλήρεσι· 89. Homélies 17,8,3 : πῶς γὰρ τόπος ὢν εἶναι δύναται ; ἐκτὸς εἰ μὴ Δευτέρα χώρα εἴη, οἷον οὐρανός, γῆ, ὕδωρ, ἀὴρ καὶ εἰ ἄλλο τί ἐστιν σῶμα, ὃ ἂν καὶ αὐτοῦ πληροῖ τὸ κενόν. 90. Voir A etius , Opinion des philosophes (Placita philosophorum) 1,20,1 : τὸν δὲ τόπον τὸ ἐπεχόμενον ὑπὸ σώματος, τὴν δὲ χώραν τὸ ἐκ μέρους ἐπεχόμενον.
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tôt à la définition de Chrysippe : la χώρα est le τόπος d’un corps plus grand 91. Selon Shlomo Pines, l’emploi d’une terminologie spécifiquement stoïcienne ne constitue pas le seul emprunt fait à la philosophie grecque dans ce passage. Déjà, avant même de débuter sa démonstration, alors qu’il s’en tient à énoncer que le Dieu enseigné par Jésus a une forme, Pierre semble faire allusion à la pensée du présocratique Xénophane. Il y a bel et bien une similitude entre l’expression utilisée dans les Homélies : « il n’a pas des yeux pour voir par ce moyen – car il voit de partout … il n’a pas non plus des oreilles pour entendre – car de partout il entend » 92 et le fragment attribué à Xénophane : « Tout entier, il voit, tout entier, il comprend, tout entier, il entend » 93. Simple coïncidence ? Matériau tiré d’un ouvrage doxographique ? Concept philosophique à la mode, dans l’air du temps ? La même idée d’un Dieu qui occupe un point central du monde et voit tout se retrouve, en tout cas, dans un texte contemporain de la composition des Homélies. Le néoplatonicien Marius Victorinus (converti au christianisme sur le tard), dans son Contre Arius, définit Dieu comme « en quelque sorte assis au centre de tous les étants et que de là par son œil universel, c’est-à-dire par la lumière de sa substance par laquelle il est être, vivre, penser, il voit les Idées des étants, d’un regard immuable, parce qu’il est le repos et que, du centre, un seul regard se dirige en même temps vers toutes choses. Voilà ce qu’est Dieu » 94 . Étant donné que cette définition de Dieu semble contredire la notion platonicienne de l’immatérialité du divin, Pierre Hadot et Shlomo Pines supposent que Marius Victorinus aurait utilisé une source religieuse (hymne ou oracle). Pines, plus particu91. Voir Sextus E mpiricus , Contre les savants (Adversus Mathematicos) 10,4 : ἔνιοι δὲ χώραν ἔλεξαν ὑπάρχειν τὸν τοῦ μείζονος σώματος τόπον. 92. Homélies 17,7,3 : οὐ γὰρ διὰ τοῦτο ὀφθαλμοὺς ἔχει, ἵνα ἐκεῖθεν βλέπῃ (πανταχόθεν γὰρ ὁρᾷ) (…) ἀλλ’ οὐδὲ διὰ τοῦτο ὦτα ἔχει, ἵνα ἀκούῃ (πανταχόθεν γὰρ ἀκούει, νοεῖ, κινεῖ, ἐνεργεῖ, ποιεῖ). 93. X énophane , fragment B24 (Diels-K ranz) = Sextus E mpiricus , Contre les savants (Adversus Mathematicos 9,144 : οὖλος γὰρ ὁρᾷ, οὖλος δὲ νοεῖ, οὖλος δέ τ’ ἀκούει. Selon Shlomo Pines, les auteurs des Homélies ont peut-être tiré cette formule de Xénophane d’un ouvrage de type doxographique. Voir S. P ines , « Points of Similarity between the Exposition of the Doctrine of the Sefirot in the Sefer Yezira and a Text of the Pseudo-Clementine Homilies. The Implications of the Resemblance », Proceedings of the Israel Academy of Sciences and Humanities 7 (1989), p. 73, note 128 : « The author of our passage may have obtained what knowledge he had of the doctrines of the pre-Socratics from doxographers, though acquaintance with other sources is not to be ruled out ». 94. M arius Victorinus , Contre Arius 4,24,34-39 : unde dictus est et sedere quasi in centro tw``n pavntwn o[ntwn, id est omnium quae sunt, unde universali oculo, id est lumine substantiae suae, qua vel esse est vel vivere vel intellegere, lineas τῶν ὄντων non versabili aspectu videt, quia et quies est et a centro simul in omnia unus est visus. Haec deus. Traduction P. H adot, Porphyre et Victorinus. Volume I, Paris, 1968, p. 430.
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lièrement, estime que la parenté entre les deux passages s’explique, soit par l’hypothèse d’une source commune aux deux textes, soit par l’hypothèse que les deux textes aient été influencés par la même conception ou aient puisé dans le même bassin de symboles et d’images 95. Il n’est pas impossible non plus que l’auteur des Homélies ait eu une certaine connaissance des idées véhiculées par les cercles néoplatoniciens, bien établis en Syrie et surtout actifs dans la région d’Antioche, selon Emmanuel Soler 96. C’est ce que pourrait laisser entendre, par exemple, leur connaissance des théogonies orphiques 97. Il faut préciser que nous ne cherchons pas ici à démontrer que la notion de corps de Dieu dans les Homélies doit uniquement se comprendre en rapport avec la philosophie grecque. Shlomo Pines, à qui nous devons ces rapprochements avec des textes philosophiques, ne le croit pas non plus d’ailleurs, puisque le but de l’article qu’il a fait paraître en 1989 consiste plutôt à établir les points communs entre la doctrine des six extensions dans les Homélies 17 et celle des dix sefirot dans le Sefer Yezira 98. 95. S. P ines , « Points of Similarity between the Exposition of the Doctrine of the Sefirot in the Sefer Yezira and a Text of the Pseudo-Clementine Homilies. The Implications of the Resemblance », Proceedings of the Israel Academy of Sciences and Humanities 7 (1989), p. 101. Pines note qu’en décrivant le lumen substantiae de Dieu comme étant vel esse est vel vivere vel intelligere, Victorinus aurait commis une tentative néoplatonicienne d’interpréter une expression qui dénote une réalité physique : « a Neoplatonic attempt to interpret an expression, apparently quoted from another source, which originally was meant to denote what may be called, for want of a better term, a physical reality ». Voir P. H adot, Porphyre et Victorinus. Volume I, Paris, 1968, p. 431 : « Les expressions “il est assis au centre de tous les étants”, “il voit de son œil universel les Idées des étants”, viennent probablement directement ou indirectement d’un texte religieux, hymne ou oracle. En effet, l’image de l’œil omnivoyant, placé au centre des choses, est très traditionnelle dans les théologies solaires. Elle n’est guère compatible au premier abord avec la doctrine néoplatonicienne de la transcendance divine : comment l’Un absolument simple pourrait-il tourner son regard vers les étants ? Mais en lisant attentivement notre texte, on s’aperçoit vite qu’il interprète l’image de l’œil d’une manière qui est tout à fait conforme à l’exégèse du Timée dont nous venons de parler ». 96. Voir E. Soler , Le sacré et le salut à Antioche au IVe siècle apr. J.-C. Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité, Beyrouth, 2006, p. 33-42, sur la présence au sanctuaire d’Apollon, à Daphné, des pythagoriciens et des néoplatoniciens, et p. 65-75, sur ce que l’auteur appelle les « hétairies pythagoriciennes et néoplatoniciennes à Antioche ». 97. Voir, dans cet ouvrage, le chapitre VIII, consacré à la théogonie orphique des Pseudo-Clémentines. 98. S. P ines , « Points of Similarity between the Exposition of the Doctrine of the Sefirot in the Sefer Yezira and a Text of the Pseudo-Clementine Homilies. The Implications of the Resemblance », Proceedings of the Israel Academy of Sciences and Humanities 7 (1989), p. 87 : « To recapitulate, the doctrine in Homilies XVII concerning God and the Extensions accords with the doctrine of God and the sefirot in the Sefer yezira with respect to the following five points : (1) the six Extensions and six of the sefirot are, or correspond to, the six spatial directions ; (2) both the Extensions and the sefirot are infinite ; (3) both are connected with the notion of
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Il note tout simplement au passage l’influence de la pensée grecque dans l’élaboration d’une notion tout à fait judéenne, sans être exclusivement judéenne 99, la notion de corps divin, dans les milieux judéo-chrétiens du IVe siècle en Syrie 100. C onclusion Nous ne croyons pas que le passage des Homélies 17 sur la forme de Dieu puisse être considéré comme un témoin direct du Shiur Qomah. La critique de la connaissance acquise par la vision, qui s’exprime dans le livre dix-sept des Homélies, ne s’accorde pas avec une telle hypothèse. Les liens qu’entretiennent les Homélies avec la doctrine elkasaïte nous autorisent cependant à supposer que le milieu judéo-chrétien ou ébionite des Homé-
number ; (4) in both cases the end is said to join up with the beginning, both are in motion, and both move forward and return ; (5) in both God’s place is in the centre of the universe. These parallels seem to me so significant that they cannot be dismissed as coincidental ». G. G. Stroumsa, « A Zoroastian Origin to the Sefirot ? », dans S. Shaked – A. Netzer (éd.), Irano – Judaica III, Jérusalem, 1994, p. 17-33, poursuit la réflexion de Shlomo Pines à ce sujet. 99. À propos de la notion de corps divin dans la pensée grecque, voir G. G. Stroumsa, « Form(s) of God : Some notes on Metatron and Christ », Harvard Theological Review 76 (1983), p. 269 : « A tendency to attribute to God not only human feelings, but also a body of gigantic or cosmic dimensions is not, of course, a specifically Jewish phenomenon in Antiquity. Indeed, such representations, which had been current in Greek thought for a very long time, find their probable origin in pre-Platonic Orphic conceptions ». L’auteur, cite, à titre d’exemple, les Papyri magiques grecs, l’oracle de Sérapis chez Macrobe, le Corpus Hermeticum et un fragment orphique. Plus récemment, H. M. Jackson, « The Origins and Development of Shiur Qomah Revelation in Jewish Mysticism », Journal for the Study of Judaism 31 (2000), p. 378-389, a relevé des traces d’une mesure du corps divin chez Jamblique, Pausanias et Lucien, notamment. Par ailleurs, J. Vanderspoel , « Merkabah Mysticism and Chaldean Theurgy », dans D. M atthew (éd.), Religion in the Ancient World. New Themes and Approaches, Amsterdam, 1996, p. 511-522, a émis l’hypothèse qu’il y avait un lien entre la mystique de la Merkabah et les pratiques théurgiques des Néoplatoniciens d’obédience jamblicienne. 100. Selon S. P ines , « Points of Similarity between the Exposition of the Doctrine of the Sefirot in the Sefer Yezira and a Text of the Pseudo-Clementine Homilies. The Implications of the Resemblance », Proceedings of the Israel Academy of Sciences and Humanities 7 (1989), p. 76-78, la même influence, stoïcienne également, se remarque dans l’œuvre de Bardesane, philosophe chrétien ou hérétique (selon Éphrem) de la Syrie du IIIe s., dont les idées sur Dieu et l’espace, comparables à celles des Homélies, étaient encore en circulation au IVe siècle, s’il faut en juger par la réaction d’Éphrem. Voir N. K elley, Knowledge and Religious Authority in the Pseudo-Clementines. Situating the Recognitions in Fourth Century Syria, Tübingen, 2006, p. 184-187, à propos des liens entre Bardesane et Pseudo-Clémentines.
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lies ait pu être exposé à des spéculations mystiques semblables à celles du Shiur Qomah. Face à un adversaire qui défend la thèse marcionite ou gnostico-platonicienne d’un dieu suprême, immatériel et inaccessible, combinée à la thèse (paulinienne ?) de la supériorité de la connaissance acquise dans une vision, le personnage de Pierre utilise les outils conceptuels de la philosophie pour soutenir la thèse de la corporéité de Dieu. La doctrine de la forme de Dieu dans les Homélies, judéenne dans ses origines et elle-même à l’origine de développements qui trouveront leur aboutissement dans la kabbale, adopte néanmoins une formulation philosophique grecque. Quelle que soit la forme de pensée que l’on choisisse d’étudier dans les Pseudo-Clémentines, il ne faut jamais perdre de vue qu’elle s’inscrit d’abord et avant tout dans la forme littéraire du roman et la plupart du temps dans la forme littéraire du dialogue philosophique. Une forme en appelle une autre.
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L e problème de l’ identité religieuse dans la S yrie du IVe siècle Le cas des Pseudo-Clémentines et de l’Adversus Judaeos de S. Jean Chrysostome* En 386 et 387, à Antioche, Jean Chrysostome, tout juste ordonné prêtre par son évêque Flavien 1, prononce huit sermons, connus dans la tradition manuscrite sous le titre de Contre les Judéens (λόγοι κατὰ Ἰουδαίων) 2 . Huit sermons qui constituent autant de charges virulentes contre les judéens et les judaïsants d’Antioche 3. La prise de position brutale du jeune prêtre 4 a le mérite d’être claire. Il n’est pas possible d’être à la fois judéen * Cette étude a été publiée une première fois dans S. C. M imouni – B. Poude(éd.), La croisée des chemins revisitée. Quand l ’Église et la Synagogue se sont-elles distinguées ? Paris, 2012, p. 339-370. 1. Six mois après son ordination. Voir P. W. van der Horst, « Jews and Christians in Antioch at the end of the fourth Century », dans S. E. Porter – B. W. R. Pearson (éd.), Christian-Jewish Relations through the Centuries, Sheffield, 2000, p. 229. 2. PG 48 843-942. Pour une traduction anglaise du Contre les Judéens, voir Saint John Chrysostom, Discourses against Judaizing Christians (trad. P. W. H arkins), Washington, 1979. 3. Sur le caractère unique du Contre les Judéens, en raison de sa virulence, voir C. E. Fonrobert, « Jewish Christians, Judaizers, and Christian Anti-Judaism », dans V. Burrus (éd.), Late Ancient Christianity, Minneapolis, 2005, p. 236-237. Fonrobert rappelle le rôle que certains ont attribué à Jean Chrysostome dans l’histoire de l’antijudaïsme et de l’antisémitisme. Voir à ce propos J. Parkes , The Conflict of the Church and Synagogue : A Study in the Origins of Anti-Semitism, Londres, 1934 et M. Simon, Verus Israël, les relations entre judéens et chrétiens dans l ’empire romain (135-425), Paris, 1948. Voir aussi M. S. Taylor , Anti-Judaism and Early Christian Identity. A Critique of the Scholarly Consensus, Leyde, 1995, p. 29-30 et le commentaire de J. G. Gager , The Origins of Anti-Semitism : attitudes towards Judaism in Pagan and Christian antiquity, New York, 1983, p. 119-120 : « The very violence of Chrysostom’s language demonstrates the potential for a linkage between anti-Jewish beliefs and anti-Semitic feelings… ». 4. S’il est bien né en 347, Jean Chrysostome a alors 40 ans. Sur le problème de sa date de naissance, voir R. L. Wilken, John Chrysostom and the Jews, Berkeley, 1983, p. 5. ron
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et chrétien, d’aller à la Synagogue, pour participer à une fête en compagnie des Judéens qui ont tué le Christ et de fréquenter l’Église, en compagnie de ceux qui ont reçu le salut par la mort du Christ 5. Au milieu du IVe siècle 6, probablement en Syrie, peut-être même dans la région d’Antioche, deux écrits d’un genre complètement différent circulent sous le nom de Clément de Rome : les Reconnaissances et les Homélies. Il s’agit d’une sorte de roman qui met en scène, notamment, Clément, le Romain hellénisé et membre de la famille impériale, Pierre, le Judéen et l’apôtre du Vrai Prophète, et Simon, le Samaritain et le « magicien » hellénisé. Les auteurs, rédacteurs, compilateurs des Reconnaissances et des Homélies font dire à l’apôtre et disciple du Vrai Prophète, que l’enseignement de Moïse et de Jésus est une seule et même chose et qu’en conséquence il existe deux voies qui mènent au salut, celle tracée par Moïse et celle qu’ouvre Jésus. Le point de vue des Pseudo-Clémentines, celui des Homélies étant plus radical que celui des Reconnaissances, se signale également par sa clarté. Il est possible d’être à la fois judéen et chrétien, d’accepter la Loi de Moïse et les préceptes de Jésus. La question qu’aborde cette étude consiste à savoir si les discours qui composent le Contre les Judéens de Jean Chrysostome peuvent nous permettre de mieux situer les Pseudo-Clémentines dans le contexte identitaire et religieux de la Syrie du IVe siècle. Nous proposerons des éléments de réflexion en introduisant un troisième point de comparaison, les Constitutions apostoliques, un texte qui présente un certain nombre de points communs avec le Contre les Judéens et les Pseudo-Clémentines. 1. J e a n C h rysos tom e
con t r e l e s
J u dé e ns d ’A n t ioch e
L’ordination marque une étape importante dans la vie de Jean d’Antioche. En 386, il renonce en effet à la vie monastique pour entreprendre une carrière ecclésiastique qui le mènera, pour son plus grand malheur, jusqu’à l’épiscopat de Constantinople 7. L’église d’Antioche, ou plutôt, 5. Voir, par exemple, Contre les Judéens 1,5,2 (PG 48,850). 6. Pour la datation des Pseudo-Clémentines, voir la discussion dans N. K elley, Knowledge and Religious Authority in the Pseudo-Clementines, Tübingen, 2006, p. 13-17. 7. Sur les rapports de Jean Chrysostome avec le pouvoir impérial et son épiscopat à Constantinople, on consultera les études de N. A ndrade , « The Processions of John Chrysostom and the Contested Spaces of Constantinople », Journal of Early Christian Studies 18 (2010), p. 161-189 et de C. Tiersch, Johannes Chrysostomus in Konstantinopel (398-404). Weltsicht und Wirken eines Bischofs in der Hauptstadt des oströmischen Reiches, Tübingen, 2000. Voir aussi J. H. W. G. Liebeschuetz , Barbarians and Bishops. Army, Church, and State in the Age of Arcadius and Chrysostom, Oxford, 1990, p. 166-222.
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l’une des églises d’Antioche, celle du nicéen Flavien 8, a besoin de ses compétences d’orateur pour occuper la place qui lui revient. Jean d’Antioche deviendra Jean Chrysostome. Il lui faut mettre de l’ordre dans l’église et imposer aux fidèles le régime de pureté auquel il s’astreint lui-même depuis des années 9. C’est par ses discours enflammés qu’il cherchera à y arriver. La stratégie adoptée par le clan mélécien pour s’assurer une position dominante dans l’espace religieux d’Antioche, prévoit, d’une part, à l’intérieur, surpasser les autres nicéens en matière d’orthodoxie et disqualifier les ariens à titre d’hérétiques 10, et, d’autre part, à l’extérieur, démoniser les ennemis que sont les Grecs et les Judéens 11. Jean avait d’ailleurs prévu une série de sermons contre les anoméens lorsqu’il décida d’y mettre fin et de se consacrer plutôt à la question judéenne. Nous sommes à la fin de l’été 386 et le cycle des fêtes judéennes d’automne approche : Quelle est cette maladie ? Des fêtes des malheureux, des misérables Judéens, des fêtes, qui ont lieu de manière continue et sans interruption, sont sur le point d’entraîner avec les trompettes, la construction de huttes de branchages pour les Tabernacles, les jeûnes 12 .
Le prédicateur veut protéger les âmes de ses fidèles. Il connaît la force d’attraction des cérémonies judéennes sur la population d’Antioche et il sait très bien que beaucoup de chrétiens seront tentés d’y participer 13 : 8. Depuis le concile de Nicée (325), les chrétiens d’Antioche se voient, en effet, divisés entre les ariens de toutes tendances (homéens et anoméens) qui dominent la situation jusqu’en 380, les nicéens qui appuient Athanase, c’est le parti de Paulin, et les nicéens qui n’appuient pas Athanase, c’est le parti de Mélèce dont Flavien est le successeur. Sur les rivalités entre ariens et nicéens à Antioche, voir C. Shepardson « Controlling Contested Places : John Chrysostom’s Adversus Judaeos Homilies and the Spatial Politics of Religious Controversy », Journal of Early Christian Studies 15 (2007), p. 488-494 et E. Soler , Le sacré et le salut à Antioche au IVe siècle apr. J.-C. Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité, Beyrouth, 2006, p. 141-163. 9. Pour comprendre l’idéal ascétique de Jean Chrysostome, on lira avec profit L. Brottier , L’appel des « demi-chrétiens » à la « vie angélique ». Jean Chrysostome prédicateur : entre idéal monastique et réalité mondaine, Paris, 2005, p. 61-126 (Chapitre premier : « L’idéal de Jean Chrysostome »). 10. Même si l’arianisme est interdit depuis la publication de l’édit Cunctos populos (Code théodosien 16, 1,2), l’« hérésie », sous sa forme radicale et anoméenne présente encore un danger à Antioche. Voir E. Soler , Le sacré et le salut à Antioche au IVe siècle apr. J.-C. Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité, Beyrouth, 2006, p. 152. 11. Voir I. Sandwell , Religious Identity in Late Antiquity. Greeks, Jews and Christians in Antioch, Cambridge, 2007, p. 88. 12. Contre les Judéens 1,1 (PG 48,844). Traduction E. Soler , Le sacré et le salut à Antioche au IVe siècle apr. J.-C. Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité, Beyrouth, 2006, p. 95. 13. C. Shepardson « Controlling Contested Places : John Chrysostom’s Adversus Judaeos Homilies and the Spatial Politics of Religious Controversy », Journal of
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Beaucoup de ceux qui se sont rangés parmi nous et qui disent avoir en tête nos préceptes, pour les uns, vont assister à ces fêtes, pour les autres, les célèbrent même avec eux et s’associent à leurs jeûnes. C’est cette coutume perverse dont je veux délivrer l’Église maintenant. Les discours contre les anoméens peuvent avoir lieu à un autre moment et aucun dommage ne saurait venir de ce report. Cependant, si nous ne soignons pas maintenant ceux qui sont atteints par le mal judaïque, alors que les fêtes des Judéens sont proches et à nos portes, je crains que certains, poussés par cette habitude inopportune et poussés par leur grande ignorance, ne participent, à un moment, à la violation de la loi que les Judéens commettent et que dès lors, les discours à ce sujet ne deviennent inutiles 14 .
Dans le Contre les Judéens, Jean attaque les Judéens parce qu’ils ont rejeté les bénédictions célestes 15, parce qu’ils nient, à l’instar des anoméens, la divinité du Christ 16, et parce qu’ils ont tué le Christ 17. Leur synagogue, lors des jours de fête, se transforme en théâtre et même en bordel 18, en raison des danses qui s’y déroulent 19. Le même lieu, la synagogue, est habité par les démons et les Judéens eux-mêmes sont des démons 20. Les Judéens sont aussi des ivrognes et des gloutons 21. Il s’en prend également aux judaïsants 22 , parce qu’en observant la Loi (jeûnes, Early Christian Studies 15 (2007), p. 496. 14. Contre les Judéens 1,1 (PG 48,844-845). Traduction E. Soler , Le sacré et le salut à Antioche au IVe siècle apr. J.-C. Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité, Beyrouth, 2006, p. 96. 15. Contre les Judéens 1,1 (PG 48,845). 16. Contre les Judéens 1,1 (PG 48,845). 17. Contre les Judéens 1,5 (PG 48,855). Voir, là-dessus, A.-M. M alingrey, « La controverse antijudaïque dans l’œuvre de Jean Chrysostome d’après les discours Adversus Judaeos », dans V. Nikiprowetzky (éd.), De l ’antijudaïsme antique à l ’antisémitisme contemporain, Lille, 1979, p. 93. 18. Contre les Judéens 1,3 (PG 48,847). 19. Comme le note E. Soler , Le sacré et le salut à Antioche au IVe siècle apr. J.-C. Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité, Beyrouth, 2006, p. 97, ce sont les danses qui accompagnent les fêtes judéennes qui incitent Jean Chrysostome à assimiler la synagogue au théâtre. Les Antiochiens, c’est connu (voir Julien, Misopogon 28 (358a)) aiment les spectacles et la danse. En plus, les fêtes judéennes coïncidaient, remarque toujours Soler, avec d’autres fêtes animées comme les dionysies, le Maïouma et la néoménie des Syriens, i. e. le Nouvel An syrien. À propos du Maïouma, voir N. Belayche , « Une panégyrie antiochienne : le Maïouma », dans TOPOI. Supplément 5 : Antioche de Syrie. Histoire, images et traces de la ville antique, Lyon, 2004, p. 401-415 et G. Greatrex – J. W. Watt, « One, Two, or Three Feasts ? The Brytae, the Maiuma and the May Festival at Edessa », Oriens Christianus 83 (1999), p. 1-21. 20. Contre les Judéens 1,6 (PG 48,852). 21. Contre les Judéens 1,2 (PG 48,846). 22. Voir I. Sandwell , Religious Identity in Late Antiquity. Greeks, Jews and Christians in Antioch, Cambridge, 2007, p. 82 : « It is now usually accepted that the prime target of these sermons was Judaizing Christians not the Jews themselves ».
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sabbat, fêtes, circoncision), ils partagent l’impiété des Judéens, qui ont rejeté Jésus. Ceux qui sont malades de la maladie des judaïsants, ceux-là ne sont au fond que des demi-chrétiens 23. Avant de parler contre les Judéens, je m’entretiendrai volontiers avec nos membres, ceux qui semblent s’être rangés parmi nous, mais qui honorent le culte des Judéens et qui se sont chargés de tous les combats en faveur des Judéens, ceux que je vois mériter une condamnation plus lourde même en fonction de cela que tout Judéens 24 .
Celui qui s’émeut des cérémonies judéennes, insiste Jean Chrysostome, doit prendre conscience que si ces cérémonies sont vraies, celles des chrétiens ne peuvent être que mensonges 25. On ne peut être judéen et chrétien en même temps 26 : Quoi donc ? Je demanderai à chacun de ceux qui souffrent de ce mal : es-tu chrétien ? Pourquoi montres-tu donc du zèle pour le culte des Judéens ? Mais es-tu judéen ? Pourquoi donc troubles-tu l’Église ? … Comment, après avoir pris part à cette manière de vivre contraire à la loi, penses-tu être sauvé ? Est-ce que par hasard, la distance entre nous et les Judéens est petite ? Estce que la contestation porte sur ce qui est de peu d’importance pour que tu penses qu’il s’agit d’une seule et même chose ? Pourquoi mélanges-tu des
23. Contre les Judéens 1,4 (PG 48,849). Sur la notion de demi-chrétiens, voir L. Brottier , L’appel des « demi-chrétiens » à la « vie angélique ». Jean Chrysostome prédicateur : entre idéal monastique et réalité mondaine, Paris, 2005. 24. Contre les Judéens 4,3 (PG 48,875). Traduction E. Soler , Le sacré et le salut à Antioche au IVe siècle apr. J.-C. Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité, Beyrouth, 2006, p. 119. 25. Contre les Judéens 1,6 (PG 48,852). 26. Sur le soin qu’apporte Jean Chrysostome à distinguer les identités religieuses, voir I. Sandwell , Religious Identity in Late Antiquity. Greeks, Jews and Christians in Antioch, Cambridge, 2007, p. 83 : « Chrysostom argued that the Judaizers inappropriately confused the boundaries between Judaism and Christianity ». Voir C. E. Fonrobert, « Jewish Christians, Judaizers, and Christian Anti-Judaism », dans V. Burrus (éd.), Late Ancient Christianity, Minneapolis, 2005, p. 237 : « Perhaps for John the problem is not that his people socialize with the Jews per se but that the very boundaries between Jewish and Christian practice remain blurred and porous, at least in the eyes of his flock ». C. Shepardson « Controlling Contested Places : John Chrysostom’s Adversus Judaeos Homilies and the Spatial Politics of Religious Controversy », Journal of Early Christian Studies 15 (2007), p. 498, aborde la même question sous l’angle de la rhétorique spatiale : « By attempting to identify and sharply define “Jewish” and “Christian” places, these eight homilies aggressively engaged his listeners in the ongoing religious and political competitions to control fourth-century Antioch, its places, and the religious “orthodoxy” of its citizens ».
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choses qui ne se mêlent pas ? Ils ont crucifié le Christ devant lequel tu te prosternes 27.
La violence et la dureté du ton adopté par Jean Chrysostome dans ses homélies contre les Judéens ne doivent pas être prises uniquement pour l’expression d’une arrogance ou d’un fanatisme irréfléchi. Comme le souligne Emmanuel Soler, Jean Chrysostome, en 386-387, représente une « Église sur la défensive », qui se trouve dans « l’obligation de créer un choc religieux dans les consciences pour asseoir son autorité sur les chrétiens d’Antioche et pour faire reconnaître définitivement sa légitimité par l’empereur Théodose » 28. Il ne faut pas oublier non plus que Jean, sans doute le plus doué de tous les étudiants de Libanius 29, est un orateur accompli 30. Ses huit sermons contre les Judéens obéissent aux règles qui définissent l’invective 31 et le recours aux tropes de la métaphore et de l’hyperbole 32 , l’emploi de figures de mots comme le πάρισον, dénotent une connaissance approfondie des procédés rhétoriques 33. Jean utilise son art pour produire de l’effet. En clair, traiter ses adversaires d’ivrognes, comme il le fait à quelques reprises, fait partie des lieux communs en matière d’invective 3 4 . Robert L. Wilken 27. Contre les Judéens 4,3 (PG 48,875). Traduction E. Soler , Le sacré et le salut à Antioche au IVe siècle apr. J.-C. Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité, Beyrouth, 2006, p. 119-120. 28. E. Soler , Le sacré et le salut à Antioche au IVe siècle apr. J.-C. Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité, Beyrouth, 2006, p. 110. 29. Voir R. Cribiore , The School of Libanius in Late Antique Antioch, Princeton, 2007, p. 2 et 28. 30. Sur les compétences de Jean Chrysostome en matière de rhétorique et sur ses relations avec Libanius, voir J. L. M axwell , Christianization and Communication in Late Antiquity. John Chrysostom and his Congregation in Antioch, Cambridge, 2006, p. 60-61. 31. Sur le blâme (ψόγος), qui appartient au genre épidictique et qui fait partie des exercices préparatoires habituels, voir A elius Théon, Progymnasmata 61,21-23 et R. L. Wilken, John Chrysostom and the Jews, Berkeley, 1983, p. 112-113. Comme le rappelle Wilken, la règle de base du blâme est de ne rien dire de positif sur son sujet. 32. Pour une définition des tropes et plus particulièrement de la métaphore et de l’hyperbole, voir Quintilien, Institutions oratoires 8,6 et H. L ausberg, Handbuch der literarischen Rhetorik, Munich, 1960, p. 282-307. Exemple de métaphore dans le Contre les Judéens : le judaïsme est une maladie (inter alia : 1 1,4-5 : PG 48,844 ; 3 1,4 : PG 48,862 et 8 9,2 : PG 48,941). Voir R. L. Wilken, John Chrysostom and the Jews, Berkeley, 1983, p. 117, sur la métaphore de la maladie, et p. 107, sur l’emploi de l’hyperbole dans le Contre les Judéens. 33. A ristote , Rhétorique 3,9,9, pour une définition du πάρισον et R. L. Wilken, John Chrysostom and the Jews, Berkeley, 1983, p. 108, pour un exemple de πάρισον dans le Contre les Judéens (8,2 : PG 48,929). 34. Voir R. L. Wilken, John Chrysostom and the Jews, Berkeley, 1983, p. 119120, qui cite comme exemples des passages de Libanius.
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a donné de tout cela une remarquable démonstration dans son ouvrage classique : John Chrysostom and the Jews. Rhetoric and Reality in the Late 4 th Century 35. Évidemment, tout n’est pas que procédé rhétorique dans le Contre les Judéens 36. L’hostilité du prédicateur à l’endroit des Judéens et sa colère envers les demi-chrétiens qui brouillent les frontières qu’il s’emploie à construire paraissent bien réelles. Au-delà de la rhétorique, Jean Chrysostome réagit à une réalité qu’il considère menaçante. Il est généralement admis que la violence de son discours donne la mesure de la « menace » judéenne dans l’Antioche des années 380 37. Autrement dit, les huit sermons contre les Judéens, par leur intensité et leur véhémence, laissent supposer l’existence, à Antioche, d’une communauté judéenne puissante et influente, capable d’attirer de nombreux chrétiens, et la réalité mouvante d’une population majoritairement chrétienne qui passe librement de l’église à la synagogue, ignorant ou refusant les barrières que Jean Chrysostome cherche à ériger 38. Dans un article publié en 1936, Marcel Simon qualifiait ce problème de proximité ou de confusion entre Judéens et chrétiens d’Antioche de « mouvement judaïsant » 39. Il précisait que ce mouvement s’inscrivait 35. R. L. Wilken, John Chrysostom and the Jews, Berkeley, 1983, p. 106-124. 36. Polymnia Athanassiadi, dans un ouvrage récent (P. Athanassiadi, Vers la pensée unique. La montée de l ’intolérance dans l ’Antiquité tardive, Paris, 2010, p. 63), critique l’approche « post-moderne », telle qu’exprimée dans l’étude de R. M acMullen, Voting about God in Early Church Councils, New Haven, 2006, qui tend à minimiser l’aspect violent de la société antique au profit de l’aspect rhétorique : « …il s’agit surtout d’un jeu rhétorique, d’un langage codé qui est loin de correspondre à la réalité vécue des individus… ». 37. Voir, à ce sujet, P. W. van der Horst, « Jews and Christians in Antioch at the end of the fourth Century », dans S. E. Porter – B. W. R. Pearson (éd.), Christian-Jewish Relations through the Centuries, Sheffield, 2000, p. 228 : « The most interesting aspect of these documents is that they demonstrate the strong influence of Judaism upon Christianity in this city, and the consequential blurring of the distinction between the two religions in the minds of a great many believers ». On peut d’ailleurs tirer les mêmes conclusions à propos de l’antijudaïsme d’Éphrem, dans ses Hymnes, aussi violent sinon plus que celui de Jean Chrysostome. Sur Éphrem, voir C. Shepardson, Anti-Judaism and Christian Orthodoxy. Ephrem’s Hymns in Fourth-Century Syria, Washington, 2008. Voir également S. Hidal , « Evidence for Jewish Believers in the Syriac Fathers », dans O. Skarsaune – R. Hvalik (éd.), Jewish Believers in Jesus, Peabody, 2007, p. 576-578. 38. Voir C. E. Fonrobert, « Jewish Christians, Judaizers, and Christian Anti-Judaism », dans V. Burrus (éd.), Late Ancient Christianity, Minneapolis, 2005, p. 241-242 : « All we know is that Christians at the end of the fourth century in Antioch could easily shuttle between synagogue and church and could participate in local cults such as that at the Matrona synagogue in Daphne. To them, and to us, it is Chrysostom’s attempt to construct impervious boundaries that requires explanation ». 39. M. Simon, « La polémique anti-juive de S. Jean Chrysostome et le mouvement judaïsant d’Antioche », Annuaire de l ’Institut de philologie et d ’histoire orien-
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lui-même dans un syncrétisme populaire (multiplication des rites et des chances de salut), lequel constituait, à son tour, un aspect d’une religiosité caractéristique du IVe siècle et capable d’expliquer le phénomène des demichrétiens paganisants ou judaïsants. Il n’est pas sûr que le terme « syncrétisme » soit le plus approprié pour décrire la religiosité antiochienne du IVe siècle 4 0. Il vaudrait sans doute mieux parler de pluralisme religieux ou d’espace d’interaction religieuse 41 pour désigner le phénomène auquel se sont butés Jean Chrysostome, en 386-387, et l’empereur Julien, durant son court séjour, en 362-363, phénomène qui prend de l’ampleur et se complexifie, dans les années 380, à la suite des conversions de masse qu’entraîne la christianisation officielle de l’empire 42 . Il n’est pas sûr non plus qu’il faille retenir l’expression « judaïsant » pour comprendre ceux que Jean Chrysostome accuse de « judaïser » et qui semblent plutôt se considérer comme des chrétiens à part entière 43. À la suite d’Emmanuel Soler, nous nous demandons s’il ne serait pas plus juste de parler d’un phénomène qui serait judéo-chrétien et non pas judaï-
tales et slaves 4 (1936), p. 404. 40. E. Soler , Le sacré et le salut à Antioche au IVe siècle apr. J.-C. Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité, Beyrouth, 2006, p. 122, parle, pour sa part, de la « situation de carrefour religieux d’Antioche ». 41. Voir D. Boyarin, « Semantic Differences ; or, “Judaism” / “Christianity” », dans A. H. Becker – A. Y. R eed (éd.), The Ways that Never Parted. Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Tübingen, 2003, p. 74. Au moyen de thèses très audacieuses, Boyarin remet en question la distinction entre judaïsme et christianisme avant le Ve s. et propose, pour rendre compte de la différenciation des deux entités, de remplacer le concept habituel de l’arbre généalogique (Stammbaum) par la théorie des ondes (wave-theory). Selon cette théorie, « innovations disseminate and interact like waves caused by stones thrown in a pond ». Contrairement au modèle de l’arbre généalogique qui ne relève que les divergences, la théorie des ondes peut expliquer aussi bien les divergences que les convergences. Plus loin, dans le même passage, pour décrire le même phénomène, Boyarin utilise une terminologie de type « postcolonial studies » et fait référence à une « contact zone », « a space of “transculturation” ». 42. Nous faisons référence à l’édit de Théodose, publié le 27 février 380 (Code théodosien 16,1,2), connu sous le nom de Cunctos populos et qui faisait de la confession nicéenne la fides catholica. Voir, à propos de l’impact de cet édit sur la christianisation, W. K inzig, « Non-Separation : Closeness and Co-operation between Jews and Christians in the Fourth Century », Vigiliae Christianae 45 (1991), p. 38. 43. Sur l’emploi du mot « judaïser » et son caractère polémique chez Jean Chrysostome, voir C. E. Fonrobert, « Jewish Christians, Judaizers, and Christian Anti-Judaism », dans V. Burrus (éd.), Late Ancient Christianity, Minneapolis, 2005, p. 251-251. S. J. D. Cohen consacre tout un chapitre (Chapitre 6 : « Ioudaïzein, to“Judaize” », p. 175-197) de son livre S. J. D. Cohen, The Beginnings of Jewishness. Boundaries, Varieties, Uncertainties, Berkeley, 1999, à la définition et à l’emploi du verbe ἰουδαίζω dans l’Antiquité.
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sant 4 4 . Soler met de côté la distinction entre judéo-chrétiens et judaïsants, retenue inter alios par Robert L. Wilken 45 et Simon Claude Mimouni 4 6, et propose de dépasser le sens « ethno-religieux » accolé au terme « judéochristianisme » 47 pour définir le phénomène comme « le fait pour des chrétiens de refuser la rupture avec le judaïsme et d’observer les rites judéens, la loi de Moïse » 48. Selon cette définition, les judaïsants du Contre les Judéens seraient des judéo-chrétiens. Notons, d’ailleurs, que certains spécialistes anglo-saxons établissent une distinction entre les expressions « Judaeo-Christianity » et « Jewish Christianity », la première désignant des « Gentils » qui observeraient des pratiques judéennes et la seconde, des Judéens convertis au christianisme qui auraient conservé des pratiques judéennes 49. Sur ce point, Daniel Boyarin va encore plus loin. Il estime que c’est le discours hérésiologique, aussi bien chrétien que rabbinique, qui construit l’orthodoxie et l’hérésie, la religion pure et la religion hybride. Selon lui, comme le judaïsme et le christianisme, en tant que religions distinctes, n’existeraient pas avant le Ve siècle 50, il vaudrait mieux, pour en 44. Voir B. L. Visotzky, « Prolegomenon to the Study of Jewish-Christianities in Rabbinic Literature », dans B. L. Visotzky, Fathers of the World. Essays in Rabbinic and Patristic Literatures, Tübingen, 1995, p. 136, pour une interrogation de même nature. 45. R. L. Wilken, John Chrysostom and the Jews, Berkeley, 1983, p. 72. 46. S. C. M imouni, Le judéo-christianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 155. 47. E. Soler , Le sacré et le salut à Antioche au IVe siècle apr. J.-C. Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité, Beyrouth, 2006, p. 120. Là-dessus, voir A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” after the “Parting of the Ways”. Approaches to Historiography and Self-Definition in the Pseudo-Clementines », dans A. H. Becker – A. Y. R eed (éd.), The Ways that Never Parted. Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Tübingen, 2003, p. 189-190. 48. E. Soler , Le sacré et le salut à Antioche au IVe siècle apr. J.-C. Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité, Beyrouth, 2006, p. 121. 49. C. E. Fonrobert, « Jewish Christians, Judaizers, and Christian Anti-Judaism », dans V. Burrus (éd.), Late Ancient Christianity, Minneapolis, 2005, p. 252. L’auteur renvoie à J. G. Gager , The Origins of Anti-Semitism : attitudes towards Judaism in Pagan and Christian antiquity, New York, 1983, p. 117. À noter que Gager utilise cette distinction avec beaucoup de prudence : « On the emotional level perhaps we can presuppose some differences in the attitudes of the two groups toward their Judaizing practices. In all other respects the distinction is misleading. On the plane of religious or theological understanding, both groups show the same commitment to the position that observance of the Mosaic rituals is in no way incompatible with, indeed may even be required by loyalty to Jesus ». 50. Voir le point de vue de M. S. Taylor , Anti-Judaism and Early Christian Identity. A Critique of the Scholarly Consensus, Leyde, 1995, p. 31, qui souligne l’importance du IVe siècle dans la formation du judaïsme et du christianisme et qui cite, à ce propos, R. R adford Ruether , « Judaism and Christianity : Two
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parler, utiliser la catégorie « Judaeo-Christianity », catégorie à l’intérieur de laquelle se détachent deux sous-catégories ou plutôt deux prototypes qui formeront éventuellement l’opposition binaire judaïsme/christianisme 51. Par ailleurs, on peut sans doute s’interroger avec Emmanuel Soler sur la possibilité que la chrétienté antiochienne et syrienne soit, en général et depuis le commencement, sous l’influence de la Synagogue 52 et caractérisée par un rejet du judaïsme mêlé d’une proximité avec les pratiques judéennes 53, ce qui nous autoriserait à parler des tendances judéo-chrétiennes permanentes du christianisme syrien et à reprendre l’idée avancée Fourth-Century Religions », Sciences Religieuses / Studies in Religion 2 (1972), p. 1 et J. Neusner , Judaism and Christianity in the Age of Constantine, Chicago, 1987, p. ix . 51. D. Boyarin, « Semantic Differences ; or, “Judaism” / “Christianity” », dans A. H. Becker – A. Y. R eed (éd.), The Ways that Never Parted. Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Tübingen, 2003, p. 78-81. L’auteur reprend ses thèses sur l’hérésiologie et l’hybridité dans l’introduction de son ouvrage, paru en 2004, Border Lines. The Partition of Judaeo-Christianity, Philadelphie, p. 13-17. Sur l’approche de l’auteur, qui tend à faire du judéo-christianisme une simple construction rhétorique, voir les réserves exprimées par C. E. Fonro bert, « Jewish Christians, Judaizers, and Christian Anti-Judaism », dans V. Burrus (éd.), Late Ancient Christianity, Minneapolis, 2005, p. 253. 52. Concernant l’influence qu’aurait exercé le judaïsme sur le christianisme syrien, voir J. G. Gager , The Origins of Anti-Semitism : attitudes towards Judaism in Pagan and Christian antiquity, New York, 1983, p. 124 : « From the very beginning there are strong indications that Christianity from Antioch in the West to Mesopotamia in the East was strongly influenced by Judaism. On this issue there is virtual unanimity » et C. Shepardson « Controlling Contested Places : John Chrysostom’s Adversus Judaeos Homilies and the Spatial Politics of Religious Controversy », Journal of Early Christian Studies 15 (2007), p. 41 : « There is persuasive evidence that early Syriac Christianity did have connections to local Judaism, and that there were Judaizers among fourth-century churchgoers, as well as a respect among many early Syrian Christians for Jewish Scripture, scriptural interpretation, and traditions ». 53. E. Soler , Le sacré et le salut à Antioche au IVe siècle apr. J.-C. Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité, Beyrouth, 2006, p. 121 : « Ainsi, le rejet du judaïsme et, en même temps, sa proximité affleurent dans la Didaché… ». Dans le même passage, Soler mentionne également la Didascalie et les Constitutions apostoliques comme exemples du même phénomène. Sur les relations particulières du christianisme syrien avec le judaïsme, voir le point de vue de H. J. W. Drijvers , « Syrian Christianity and Judaism », dans J. Lieu – J. North – T. R ajak (éd.), The Jews Among Pagans and Christians in the Roman Empire, Londres / New York, 1992, p. 140 : « If Syrian Christianity consequently preserved a great many Jewish traditions in its literature, even some that are not found elsewhere, this is not a proof of a substantial Jewish part in the formation of the Church in Syria, but only of a Christian urge to adapt and assimilate Old Testament and other Jewish traditions to its own ideological concepts ». Drijvers, dans le même passage, précise qu’il faut situer ces relations particulières dans le contexte de la lutte contre le marcionisme : « The struggle of an orthodox Christian minority with, in particular, Marcionites compelled the Church to deal with Jewish material without identifying itself with Judaism ».
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notamment par Marcel Simon et André Benoît d’un « secteur géographique judéo-chrétien » 54 . Il nous semble toutefois préférable de parler d’une zone d’interaction entre judéens et chrétiens ou s’il faut retenir la terminologie habituelle, pour ne pas compliquer inutilement les choses, d’un judéo-christianisme 55, défini au sens large, qui aurait été particulièrement vivace à Antioche au IVe siècle et dont les judaïsants du Contre les Judéens constitueraient une partie. Ce judéo-christianisme tirerait sa vigueur, selon Emmanuel Soler, de la très forte communauté judéenne d’Antioche et, plus directement, des politiques religieuses de Julien favorables aux Judéens et de la prédominance de l’arianisme à Antioche, de 330 à 379 56. Les judaïsants ou les judéo-chrétiens de Chrysostome se situent à l’intérieur de l’Église. Aucun doute possible. Il faut donc les distinguer des autres judéo-chrétiens, comme les ébionites 57 et les elkasaïtes 58, mentionnés 54. E. Soler , Le sacré et le salut à Antioche au IVe siècle apr. J.-C. Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité, Beyrouth, 2006, p. 122. Il s’agit d’une référence à l’ouvrage de M. Simon – A. Benoît, Le judaïsme et le christianisme antique d ’Antiochus Épiphane à Constantin, Paris, 1968, p. 272-274. Voir, à ce sujet, S. Hidal , « Evidence for Jewish Believers in the Syriac Fathers », dans O. Skarsaune – R. Hvalik (éd.), Jewish Believers in Jesus, Peabody, 2007, p. 568-570. 55. Voir C. Shepardson « Controlling Contested Places : John Chrysostom’s Adversus Judaeos Homilies and the Spatial Politics of Religious Controversy », Journal of Early Christian Studies 15 (2007), p. 41 : « More recent work in these areas has shifted the focus from using the undifferentiated term “Jewish-Christianity” to describing instead a more complex relationship between Judaism and early Christianity in Syria ». 56. E. Soler , Le sacré et le salut à Antioche au IVe siècle apr. J.-C. Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité, Beyrouth, 2006, p. 122-123. 57. Le chapitre 30 du Panarion d’Épiphane demeure la source la plus importante et, pour notre sujet, la plus pertinente sur les ébionites. Voir S. C. M imouni, Le judéo-christianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 87-90 et p. 257286 ; O. Skarsaune , « The Ebionites », dans O. Skarsaune – R. Hvalik (éd.), Jewish Believers in Jesus, Peabody, 2007, p. 419-462 ; R. Bauckham, « The origin of the Ebionites », dans P. J. Tomson – D. L ambers-Petry (éd.), The Image of the Judaeo-Christians in the Ancient Jewish and Christian Literature, Tübingen, 2003, p. 162-181 ; J. Verheyden, « Epiphanius on the Ebionites », dans P. J. Tomson – D. L ambers-Petry (éd.), The Image of the Judaeo-Christians in the Ancient Jewish and Christian Literature, Tübingen, 2003, p. 182-208. 58. La Réfutation de toutes les hérésies d’Hippolyte (9,13,1-17,2 et 10,29,1-3) et le Panarion d’Épiphane (30,3,1-6 et 17,4-8) constituent les sources chrétiennes les plus riches sur l’elkasaïsme. Sur l’elkasaïsme en général, voir S. C. M imouni, Le judéochristianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 87-90 et p. 287-316 ; S. C. M imouni, « Les elkasaïtes : états des questions et des recherches », dans P. J. Tomson – D. L ambers -P etry (éd.), The Image of the Judaeo-Christians in the Ancient Jewish and Christian Literature, Tübingen, 2003, p. 209-229 ; G. af H ällstrom – O. Skarsaune , « Cerinthus, Elxai, and Other Alleged Jewish Christian Teachers or
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par Épiphane de Salamine, dix ans plus tôt, dans son Panarion 59. Peut-on supposer, toutefois, que les judéo-chrétiens du Contre les Judéens représenteraient un des aspects les plus orthodoxes d’un phénomène plus général, celui d’une zone d’indéfinition religieuse à l’intérieur de laquelle des groupes jugés moins orthodoxes, comme les ébionites d’Épiphane ou les auteurs pseudo-clémentins, auraient pu évoluer 60 ? Comme le note Daniel Boyarin, l’entreprise d’Épiphane vise clairement à identifier les éléments « hybrides » que sont les judaïsants et les judéo-Chrétiens, comme les ébionites et les nazoréens, pour mieux affirmer l’orthodoxie nicéenne 61. Dans un sens, Jean Chrysostome et Épiphane éprouvent le même besoin de distinguer, d’une part, les deux ensembles bien définis que sont le christianisme et le judaïsme, et, d’autre part, d’éliminer, du même coup, l’espace d’hybridité entre les deux, espace dans lequel évoluent justement judaïsants, ébionites et, selon nous, les auteurs pseudo-clémentins 62 .
Groups », dans O. Skarsaune – R. Hvalik (éd.), Jewish Believers in Jesus, Peabody, 2007, p. 496-501. 59. Voir J. Verheyden, « Epiphanius on the Ebionites », dans P. J. Tomson – D. L ambers-Petry (éd.), The Image of the Judaeo-Christians in the Ancient Jewish and Christian Literature, Tübingen, 2003, p. 184. Signalons la traduction anglaise de Frank Williams : The Panarion of Epiphanius of Salamis. Book I (Sects 1-46), Leyde, 1987. Un deuxième volume est paru en 1994 chez le même éditeur : Book IIIII (Sects 47-80). 60. Pour un rapprochement entre Épiphane et les Homélies, voir A. Y. R eed, « Heresiology and the (Jewish) Christian Novel. Narrativized Polemics in the Pseudo-Clementine Homilies », dans E. I ricinschi – H. Zelletin (éd.), Heresy and Identity in Late Antiquity, Tübingen, 2008, p. 273-298, qui propose de lire les Homélies comme une œuvre hérésiologique au même titre que le Panarion, à la différence que l’auteur des Homélies a choisi la forme narrative. 61. D. Boyarin, Border Lines. The Partition of Judaeo-Christianity, Philadelphie, 2004, p. 14 : « It is not epiphenomenal that so often heresy is designated as “Judaism” and “Judaizing” in Christian discourse of this time, nor that a certain veritable obsession with varieties of “Jewish-Christianity” (Nazoreans, Ebionites) became so prominent in some quarters precisely at the moment when Nicene orthodoxy was consolidating ». Voir aussi p. 206-207. 62. D. Boyarin, Border Lines. The Partition of Judaeo-Christianity, Philadelphie, 2004, p. 207. Boyarin relève dans le texte d’Épiphane la mention que les ébionites, placés, en quelque sorte, au milieu de toutes les sectes, ne sont rien. Il rappelle à ce propos la remarque de Jérôme sur les nazaréens qui, bien qu’ils croient être chrétiens et judéens, ne sont en vérité ni l’un ni l’autre. Le passage de Jérôme, qui n’est pas précisé par Boyarin est le suivant : … dum volunt et Iudaei esse et Christiani, nec Iudaei sunt nec Christiani (Lettres 112,13). Voir le commentaire de J. Verheyden, « Epiphanius on the Ebionites », dans P. J. Tomson – D. L ambers -P etry (éd.), The Image of the Judaeo-Christians in the Ancient Jewish and Christian Literature, Tübingen, 2003, p. 186-187 : « As Epiphanius sees it, the Ebionite movement shows a marked tendency for mixing up things (…) For Epiphanius Ebionite Christianity is a most obvious example of the dangers of syncretism »
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D’ailleurs, en dépit des réserves que l’on peut avoir à propos du lien qu’établit Épiphane entre ébionites et littérature pseudo-clémentine 63, il reste qu’au moment où l’évêque de Salamine rédige son traité, entre 374 et 377, il se montre préoccupé par l’existence d’un groupe d’« hérétiques » issus du judaïsme, qu’il assimile aux ébionites, et à qui il attribue l’usage de livres qui présentent des points communs avec les Pseudo-Clémentines 6 4 . Ce lien s’est peut-être imposé à l’hérésiologue parce qu’ébionites et rédacteurs pseudo-clémentins partagent au fond le même caractère indéfini, celui d’être à la fois judéens et chrétiens 65. Zone d’indéfinition ou espace d’hybridité, Wolfram Kinzig, dans un article paru en 1991, préfère quant à lui, parler de syncrétisme, un terme à propos duquel nous avons exprimé des réserves, et n’hésite pas, en tout cas, à mettre dans ce syncrétisme les judaïsants de l’Adversus Judaeos et le milieu des Pseudo-Clémentines : « It is this kind of syncretistic milieu from which the Pseudo-Clementines sprang » 66. Déjà, Georg Strecker, dans son ouvrage fondamental, Das Judenchristentum in den pseudoklementinen, identifiait le milieu de l ’Adversus Judaeos, i. e. un milieu dans lequel la relation entre judaïsme et christianisme est confuse (« das ungeklärte Verhältnis zwischen Judentum und Christentum »), comme étant le milieu de l’Écrit de base pseudo-clémentin 67. Strecker aurait très bien pu, 63. Voir le commentaire d’A. Y. R eed, « Heresiology and the (Jewish) Christian Novel. Narrativized Polemics in the Pseudo-Clementine Homilies », dans E. I ricinschi – H. Z elletin (éd.), Heresy and Identity in Late Antiquity, Tübingen, 2008, p. 275 : « …it has proved difficult to pinpoint the relationship between the Ebionites, their non-extant books, the witness of Epiphanius, and the extant forms of the Pseudo-Clementines ». Voir O. Skarsaune , « The Ebionites », dans O. Skarsaune – R. Hvalik (éd.), Jewish Believers in Jesus, Peabody, 2007, p. 423 et 453, qui rejette tout lien entre Épiphane et les Pseudo-Clémentines, et S. C. M imouni, Le judéochristianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 277-286, qui, au contraire, parle de la littérature pseudo-clémentine comme d’un « conservatoire d’œuvres ébionites ». 64. Panarion 30,15,1 et 3 : Χρῶνται δὲ καὶ ἄλλαις τισὶ βίβλοις, δῆθεν ταῖς Περιόδοις καλουμέναις Πέτρου ταῖς διὰ Κλήμεντος γραφείσαις, νοθεύσαντες μὲν τὰ ἐν αὐταῖς, ὀλίγα δὲ ἀληθινὰ ἐάσαντες (…) ἐν ταῖς οὖν Περιόδοις τὸ πᾶν εἰς ἑαυτοὺς μετήνεγκαν, καταψευσάμενοι Πέτρου κατὰ πολλοὺς τρόπους, ὡς αὐτοῦ καθ’ ἡμέραν βαπτιζομένου ἁγνισμοῦ ἕνεκεν, καθάπερ καὶ οὗτοι. 65. Même si la doctrine de Pierre, dans les Pseudo-Clémentines, n’est jamais qualifiée de chrétienne. Dans les Homélies (1,15,2), Pierre est en effet décrit comme le disciple le plus éprouvé de celui qui était apparu en Judée : Πέτρος τις λεγόμενος, τοῦ ἐν Ἰουδαίᾳ εἰσφανέντος ἀνδρὸς τοῦ σημεῖα καὶ τέρατα πεποιηκότος ὁ δοκιμώτατος ὑπάρχων μαθητής. 66. W. K inzig, « Non-Separation : Closeness and Co-operation between Jews and Christians in the Fourth Century », Vigiliae Christianae 45 (1991), p. 38. 67. G. Strecker , Das Judenchristentum in den pseudoklementinen, Berlin, 1981 (2 e édition), p. 260 : « Noch nachdem die Orthodoxie den Sieg über die Häretiker endültig errungen hatte, musste Johannes Chrysostomus die Homilien Adversus Judaeos halten, um die Christen seiner Gemeinde von dem Besuch der jüdischen
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à notre avis, faire la même observation au sujet des Reconnaissances et des Homélies, plus proches dans leur rédaction (milieu du IVe siècle) des sermons de Jean Chrysostome que de l’hypothétique Grundschrift 68. Quoi qu’il en soit, la relation que nous tentons d’établir entre l’Adversus Judaeos et les Pseudo-Clémentines, pour étonnante qu’elle paraisse, n’est donc pas envisagée ici pour la première fois. 2 . L e s P s eu do -C l é m e n t i n es
et l e j u déo - ch r i s t i a n i sm e
Pour récapituler, disons qu’il est possible de démontrer, à partir, des homélies qui composent le Contre les Judéens de Jean Chrysostome, qu’en 386-387, il y avait à Antioche un milieu au sein duquel les frontières entre Judéens et chrétiens n’étaient pas encore bien délimitées. Il est possible également, selon nous, de situer dans ce milieu les auteurs des Homélies et des Reconnaissances, à la condition, bien entendu, d’admettre qu’il s’agisse d’écrits syriens du IVe siècle, ce qui est étayé par un certain nombre de faits. Nous savons, en effet, qu’au début du Ve siècle, les Homélies et les Reconnaissances, dans la forme que nous leur connaissons, circulaient en Syrie depuis déjà un certain temps, comme l’atteste un manuscrit daté de 411 qui contient la traduction syriaque des Reconnaissances 1 à 4 et des Homélies 10 à 14 69. Nous savons également que Rufin d’Aquilée, dans la préface à sa traduction des Reconnaissances, autour de 406, fait allusion à deux versions différentes de la même œuvre, deux corpora qui semblent correspondre aux Homélies et aux Reconnaissances 70 et que, circa 380, les ConSynagogen (PG 48 Sp. 850) und dem Feiern der jüdischen Fast- und Festtage (ebd. Sp. 844.849) zurückzuhalten. Dies – das ungeklärte Verhältnis zwischen Judentum und Christentum – ist das Milieu, in dem ein Buch wie die pseudoklementinische Grundschrift entstehen und gelesen werden konnte ». 68. Même remarque chez A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” after the “Parting of the Ways”. Approaches to Historiography and Self-Definition in the Pseudo-Clementines », dans A. H. Becker – A. Y. R eed (éd.), The Ways that Never Parted. Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Tübingen, 2003, p. 227. 69. Voir N. K elley, Knowledge and Religious Authority in the Pseudo-Clementines, Tübingen, 2006, p. 13 et 15 ; L. Cirillo, « Introduction », dans A. Schneider – L. Cirillo, Les Reconnaissances du pseudo Clément, Turnhout, 1999, p. 21 et 64 ; F. S. Jones , « Evaluating the Latin and Syriac Translation of the Pseudo-Clementine Recognitions », Apocrypha 3 (1992), p. 237-257. 70. Rufin d’Aquilée , Préface à Gaudentius 8 : « Il ne t’est pas inconnu, je pense, que de cette même œuvre de Clément, Les Reconnaissances, il existe en grec deux éditions (duo corpora) et deux collections de livres, présentant un récit qui diffère sur quelques points, mais qui est identique dans la plupart des cas ». Traduction A. Schneider , Les Reconnaissances du pseudo Clément, Turnhout, 1999. Toutes les citations des Reconnaissances, dans cette étude, proviennent de cette traduction. Voir
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stitutions apostoliques, ouvrage anonyme d’origine antiochienne 71, attestent que les Pseudo-Clémentines, sous la forme de l’Écrit de base (Grundschrift), selon Georg Strecker 72 , circulent bel et bien en Syrie, jusqu’à Antioche. À cela s’ajoute qu’Épiphane, dont le Panarion date de 374-377, témoigne lui-aussi de l’existence d’une forme du roman clémentin que les ébionites, nous l’avons mentionné, connaissaient et utilisaient. En outre, au début du IVe siècle, Eusèbe de Césarée, dans son Histoire ecclésiastique, fait état d’un écrit clémentin, que certains identifient comme étant les Homélies 73 mais qui pourrait aussi bien correspondre à un stade antérieur à la version définitive des Homélies. En partant donc du fait que les Homélies et les Reconnaissances ont été composés dans la Syrie du IVe siècle, vraisemblablement dans la région d’Antioche, il reste à montrer que ces deux écrits appartiennent bien à cette zone d’indéfinition religieuse, que nous avons supposée pour le Contre les Judéens, en ce qu’ils tiennent un discours ou, plus exactement, attribuent à Pierre un discours de type judéo-chrétien dans lequel l’enseignement de Moïse et celui de Jésus ne font qu’un. Pour les besoins de la démonstration, nous reprendrons ici, mais très brièvement, les deux passages parallèles, Homélies 8-11 et Reconnaissances 4-6, qu’Annette Yoshiko Reed a brillamment analysés en 2003, dans l’article que nous avons déjà cité : « “Jewish Christianity” after the “Parting of the Ways”. Approaches to Historiography and Self-Definition in the Pseudo-Clementines » 74 . Il s’agit d’un développement commun aux deux versions du roman clémenL. Cirillo, « Introduction », dans A. Schneider – L. Cirillo, Les Reconnaissances du pseudo Clément, Turnhout, 1999, p. 20 : « La plupart des chercheurs modernes pensent que ces deux corpora correspondent aux Homélies et aux Reconnaissances ». 71. Sur la date et le lieu d’origine des Constitutions apostoliques, voir M. M etzger , « Introduction », dans Les Constitutions apostoliques, I. Livres I et II, introduction, texte critique, traduction et notes, Paris, 1985, p. 55-60. 72. G. Strecker , Das Judenchristentum in den pseudoklementinen, Berlin, 1981 (2 e édition), p. 266 : « Auch dem Verfasser der Apostolischen Konstitutionen hat die Grundschrift vorgelegen ». 73. L. Cirillo, « Introduction », dans A. Schneider – L. Cirillo, Les Reconnaissances du pseudo Clément, Turnhout, 1999, p. 22 : « Le premier témoin de l’existence des Homélies est Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique III, 38,5 ». Voir Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 3,38,5 : ἤδη δὲ καὶ ἕτερα πολυεπῆ καὶ μακρὰ συγγράμματα ὡς τοῦ αὐτοῦ χθὲς καὶ πρῴην τινὲς προήγαγον, Πέτρου δὴ καὶ Ἀπίωνος διαλόγους περιέχοντα·ὧν οὐδ’ ὅλως μνήμη τις παρὰτοῖς παλαιοῖς φέρεται, οὐδὲ γὰρ καθαρὸν τῆς ἀποστολικῆς ὀρθοδοξίας ἀποσῴζει τὸν χαρακτῆρα = « D’autres écrits, verbeux et longs, ont été tout récemment présentés comme étant de lui : ils renferment des dialogues de Pierre et d’Apion, dont il n’existe absolument aucun souvenir chez les anciens et qui d’ailleurs ne conservent pas le caractère pur de l’orthodoxie apostolique ». Traduction G. Bardy, Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, I (Livres I-IV), Paris, 1952. 74. A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” after the “Parting of the Ways”. Approaches to Historiography and Self-Definition in the Pseudo-Clementines »,
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tin et qui, pour cette raison, pourrait faire partie, à son avis, de l’Écrit de base 75. Dans les deux cas, il s’agit d’un extrait du discours de Pierre à Tripoli, prononcé lors de la première journée de son séjour, et qui porte notamment sur le rôle de Moïse et de Jésus dans l’économie du salut. Dans les Reconnaissances (4,5,6-8), Pierre soutient que les Hébreux et les nations ont chacun leur maître de vérité, Moïse pour les Hébreux et Jésus pour les nations. Il n’est pas dit que Jésus soit supérieur à Moïse, pas dans ce passage du moins. Il n’est pas dit non plus que leurs enseignements soient identiques. Il est, en fait, souhaitable d’additionner les deux. Premièrement, pour obtenir le salut, il faut obéir à la volonté de Dieu : Le peuple des Hébreux, instruit par la Loi, a ignoré Jésus, tandis que le peuple des gentils l’a connu et vénéré, raison pour laquelle il sera aussi sauvé, car non seulement il le connaît, mais encore il fait sa volonté 76.
Deuxièmement, il faut croire en Jésus et en Moïse : Mais celui qui, issu des nations, tient de Dieu le don d’aimer Jésus, doit prendre sur lui de croire aussi en Moïse. Et inversement, l’Hébreu qui tient de Dieu le don de croire en Moïse, doit prendre sur lui de croire en Jésus, en sorte que chacun d’eux, ayant en soi quelque chose du don divin et quelque chose de son propre mouvement, soit rendu parfait par l’addition des deux 77.
Le parallèle dans les Homélies (8,5) insiste particulièrement sur les œuvres ou, comme l’exprime Annette Yoshiko Reed, sur la praxis 78 : « En effet, même les Hébreux qui ont foi en Moïse, mais qui n’observent pas les préceptes énoncés par son intermédiaire, ne sont pas sauvés, puisqu’ils n’observent pas les préceptes qui leur sont donnés. C’est que la foi qu’ils ont mise en Moïse ne vient pas de leur propre volonté, mais de Dieu … Puisque donc pour les Hébreux comme pour ceux des gentils qui ont reçu l’appel, la foi accordée aux Maîtres de vérité vient de Dieu, tandis que la
dans A. H. Becker – A. Y. R eed (éd.), The Ways that Never Parted. Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Tübingen, 2003, p. 213-224. 75. A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” after the “Parting of the Ways”. Approaches to Historiography and Self-Definition in the Pseudo-Clementines », dans A. H. Becker – A. Y. R eed (éd.), The Ways that Never Parted. Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Tübingen, 2003, p. 203. 76. Reconnaissances 4,5,6. 77. Reconnaissances 4,5,7-8. 78. A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” after the “Parting of the Ways”. Approaches to Historiography and Self-Definition in the Pseudo-Clementines », dans A. H. Becker – A. Y. R eed (éd.), The Ways that Never Parted. Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Tübingen, 2003, p. 214.
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pratique des belles actions relève du jugement propre de chacun, le salaire revient en toute justice à ceux qui font le bien » 79. En fait, si les hommes obéissaient naturellement à Dieu, ni Moïse ni Jésus ne serait nécessaire : « Car il n’y aurait eu besoin ni de Moïse ni de la venue de Jésus si les hommes voulaient d’eux-mêmes conformer leur esprit à la juste doctrine » 80. Sur ce point, les Homélies affirment plus nettement que les Reconnaissances l’égalité entre Moïse et Jésus : C’est pour cela que Jésus est dissimulé aux Hébreux qui ont pris Moïse pour Maître, tandis que Moïse est caché à ceux qui ont foi en Jésus ; car c’est un même enseignement qu’ils délivrent tous deux, et Dieu reçoit celui qui croit en l’un comme en l’autre. Mais la foi en un Maître existe en vue de l’accomplissement des préceptes de Dieu 81.
Comme le note Annette Yoshiko Reed, l’argument des Homélies est plus radical, mais aussi plus cohérent. Alors que les Reconnaissances soutiennent que Moïse et Jésus ouvrent deux voies séparées qui mènent au salut par la praxis, les Homélies affirment que l’enseignement de Moïse est identique à celui de Jésus et se résume au fond à des principes universels, inhérents à la nature humaine 82 . Il faut souligner que si les Homélies n’hésitent pas à mettre sur un pied d’égalité Moïse et Jésus c’est que cette égalité repose sur la doctrine du Vrai Prophète et de ses réincarnations. En vertu de cette doctrine, Adam, Moïse et Jésus ne sont que des réincarnations du Vrai Prophète 83. Dans les Reconnaissances, il n’y a pas de réincar79. Homélies 8,5,1-3. Dans le cadre de cette étude, tous les extraits des Homélies proviennent de la traduction de la Pléiade (P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005). 80. Homélies 8,5,4. Voir la remarque d’A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” after the “Parting of the Ways”. Approaches to Historiography and Self-Definition in the Pseudo-Clementines », dans A. H. Becker – A. Y. R eed (éd.), The Ways that Never Parted. Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Tübingen, 2003, p. 214 : « the version of H emphasizes proper praxis to such a degree that this pseudo-Peter even downplays the importance of Moses and Jesus ». 81. Homélies 8,6,1-3. 82. A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” after the “Parting of the Ways”. Approaches to Historiography and Self-Definition in the Pseudo-Clementines », dans A. H. Becker – A. Y. R eed (éd.), The Ways that Never Parted. Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Tübingen, 2003, p. 217. 83. Voir Homélies 3,20 pour les réincarnations du Vrai Prophète. Voir là-dessus, A. Y. R eed, « Heresiology and the (Jewish) Christian Novel. Narrativized Polemics in the Pseudo-Clementine Homilies », dans E. I ricinschi – H. Zelletin (éd.), Heresy and Identity in Late Antiquity, Tübingen, 2008, p. 284 et A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” as Counter-history ? The Apostolic Past in Eusebius’ Ecclesiastical History and the Pseudo-Clementine Homilies », dans G. Gardner – K. L. Osterloh (éd.), Antiquity in Antiquity. Jewish and Christian Pasts in the Greco-Roman World, Tübingen, 2008, p. 191, qui note : « Just as the Homilies describes Moses and Jesus as two earthly manifestations of the True Prophet (2.16-17), sent by God
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nations du Vrai Prophète : Jésus est le Vrai Prophète et le Christ venu pour accomplir la Loi de Moïse 84 . Dans le discours de Tripoli 85, les Homélies et les Reconnaissances se distinguent encore sur un autre point, la définition du croyant ou de l’homme pieux. L’argument central se résume à dire que l’homme qui observe les préceptes divins est libre de l’emprise des démons. Dans les Homélies, l’homme pieux est défini comme le vrai Ἰουδαῖος. Bien entendu, le vrai Ἰουδαῖος est d’abord et avant tout celui qui observe la loi divine, même s’il est étranger : Car cet homme pieux dont je parle, l’homme véritablement pieux, n’est pas seulement celui qui se fait appeler ainsi, mais celui qui, parce qu’il est véritablement pieux, accomplit les prescriptions de la loi donnée par Dieu. Si l’on commet une impiété, l’on n’est pas pieux. De la même façon, si un étranger pratique la Loi, il est judéen ; et s’il ne la pratique pas, il est grec ; car le Judéen qui croit en Dieu accomplit la Loi 86.
Le parallèle des Reconnaissances (5,34) préfère délaisser les catégories du Judéen ou du Grec pour plutôt parler du véritable adorateur de Dieu : celui-là est adorateur de Dieu qui fait la volonté de Dieu et garde les préceptes de la Loi. Aux yeux de Dieu, en effet, ce n’est pas celui qui est appelé Judéen chez les hommes qui est judéen, ni celui qui est appelé païen qui est païen. Mais celui qui, croyant en Dieu, a accompli la Loi et fait sa volonté, quand bien même il ne serait pas circoncis, est un véritable adorateur de Dieu 87.
En outre, dans un passage (5,10-13) qui n’a pas de correspondance dans les Homélies, les Reconnaissances précisent que le Vrai Prophète est celui qui est apparu à Pierre en Judée. Jésus était ainsi le « Vrai Prophète dans tout ce qu’il disait » et « les paroles de la Loi, qui avaient annoncé sa venue … étaient scellées en sa personne ». Les « images des faits et gestes
to teach the same truths to different peoples (8.6-7), so its authors/redactors depict apostolic succession and Pharisaic succession as separate but equal lines for the transmission of true knowledge ». 84. Voir Reconnaissances 5,10,1 et N. K elley, Knowledge and Religious Authority in the Pseudo-Clementines, Tübingen, 2006, p. 138, note 9, qui estime que dans les Reconnaissances l’expression verus propheta constitue le principal titre christologique de Jésus et que Jésus est présenté, dans cette version du roman, comme le plus important de tous les prophètes. 85. Dans les Homélies (11), au quatrième jour, et dans les Reconnaissances (5), au deuxième jour du séjour de Pierre à Tripoli. 86. Homélies 11,16,2-4. 87. Reconnaissances 5,34,1-2.
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de Moïse, et avant celui-ci du patriarche Jacob représentaient en tous points une figure de lui » 88. Sur l’interprétation qu’il faut faire des divergences entre Homélies 8-11 et Reconnaissances 4-6, je me permets de reproduire dans ses grandes lignes les conclusions d’Annette Yoshiko Reed 89. - Les auteurs/rédacteurs des Homélies 8-11 et des Reconnaissances 4-6 expriment tous les deux un point de vue que l’on peut qualifier de judéo-chrétien. - Les Homélies 8-11 conceptualisent le christianisme comme la transformation de « païens » en « judéens » grâce à la révélation apportée par Jésus, qui correspond à la Loi de Moïse. Celui qui observe la Loi est défini comme un vrai Judéen, indépendamment de son origine ethnique. - Les Reconnaissances 4-6 conçoivent, d’une part, que la Torah et l’Évangile puissent mener tous deux au salut et, d’autre part, que Jésus soit nécessaire au salut, salut dont les Gentils sont les véritables héritiers, bien qu’il fût destiné initialement aux Judéens. Par ailleurs, on s’attend néanmoins à ce que celui qui croit au Christ observe également la Torah. Bref, tout cela correspond à l’un des critères habituellement retenus pour définir le judéo-christianisme : une combinaison de pratiques judéennes et de croyances chrétiennes. La divergence entre les Homélies et les Reconnaissances permet de comprendre qu’au milieu du IVe siècle, en Syrie, il existe au moins deux manières différentes d’occuper l’espace médian, entre l’Église et la Synagogue, ce que nous appelons ici le judéo-christianisme 90 : plus près de la Synagogue, à la manière des Homélies 91 ou plus près de l’Église, à la
88. Reconnaissances 5,10,1 et 3. Voir A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” after the “Parting of the Ways”. Approaches to Historiography and Self-Definition in the Pseudo-Clementines », dans A. H. Becker – A. Y. R eed (éd.), The Ways that Never Parted. Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Tübingen, 2003, p. 221. 89. A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” after the “Parting of the Ways”. Approaches to Historiography and Self-Definition in the Pseudo-Clementines », dans A. H. Becker – A. Y. R eed (éd.), The Ways that Never Parted. Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Tübingen, 2003, p. 223. 90. Voir B. L. Visotzky, « Prolegomenon to the Study of Jewish-Christianities in Rabbinic Literature », dans B. L. Visotzky, Fathers of the World. Essays in Rabbinic and Patristic Literatures, Tübingen, 1995, p. 129 : « …Jewish-Christianity occupies a middle ground between Judaism and Christianity… ». 91. On consultera, à ce propos, A. I. Baumgarten, « Literary Evidence for Jewish Christianity in the Galilee », dans L. I. L evine (éd.), The Galilee in Late Antiquity, New York, 1992, p. 41-50, et A. Y. R eed, « Rabbis, Jewish Christians, and Other Late Antique Jews : Reflections on the Fate of Judaism(s) After 70 C.E. », dans
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manière des Reconnaissances 92 . Il est important de souligner, selon Annette Yoshiko Reed, que les éléments judéo-chrétiens du roman clémentin, qui remontent peut-être, pour certains d’entre eux, aux origines du christianisme, sont jugés pertinents et signifiants pour des auteurs du IVe siècle 93. En d’autres termes, les Homélies et les Reconnaissances prennent la parole dans un forum où Jean Chrysostome, Épiphane de Salamine et les Constitutions apostoliques, dont nous allons parler à l’instant, cherchent à définir l’identité de l’Église par rapport, notamment, aux Judéens et aux Grecs. 3. L e s C onst i t u t ions
a postoliqu es et l e j u déo - ch r i s t i a n i sm e
Les Constitutions apostoliques, texte rédigé en grec, circa 380, fort vraisemblablement à Antioche 94 , constituent, en quelque sorte, le chaînon manquant entre le Contre les Judéens et les Pseudo-Clémentines. S’il est juste d’observer, comme le fait van der Horst, que les Constitutions apostoliques ont été pratiquement laissées pour compte dans l’étude du Contre
I. H. H enderson – G. S. Oegema (éd.), The Changing Face of Judaism, Christianity, and Other Greco-Roman Religions in Antiquity, Gütersloh, 2006, p. 340-341. 92. Voir N. K elley, Knowledge and Religious Authority in the Pseudo-Clementines, Tübingen, 2006, p. 16. 93. A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” after the “Parting of the Ways”. Approaches to Historiography and Self-Definition in the Pseudo-Clementines », dans A. H. Becker – A. Y. R eed (éd.), The Ways that Never Parted. Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Tübingen, 2003, p. 225, contra G. Stanton, « Jewish Christian Elements in the Pseudo-Clementine Writings », dans O. Skarsaune – R. Hvalik (éd.), Jewish Believers in Jesus, Peabody, 2007, p. 323 : « the later stages of the long history of Pseudo-Clementine traditions (the epitomes, and the Homilies and the Recognitions in their final form) have been shaped by didactic and hagiographical concerns rather than by any distinctively Jewish Christian emphases ». Voir l’observation de N. K elley, Knowledge and Religious Authority in the Pseudo-Clementines, Tübingen, 2006, p. 204-205, à propos des Reconnaissances : « It is significant that Christian authors contemporary with the Recognitions, such as Ephrem and Aphrahat, direct so much of their polemical energy at second and third-century figures whose thought has continued to be influential well into the fourth century. This suggests that the Recognitions’ polemical agenda, which is likewise oriented around concerns raised by the same second and third-century persons, is not merely a vestige of its debt to the Grundschrift ». 94. Sur la date et le lieu d’origine des Constitutions apostoliques, voir Sur la date et le lieu d’origine des Constitutions apostoliques, voir M. M etzger , « Introduction », dans Les Constitutions apostoliques, I. Livres I et II, introduction, texte critique, traduction et notes, Paris, 1985, p. 55-60 et P. W. van der Horst, « Jews and Christians in Antioch at the end of the fourth Century », dans S. E. Porter – B. W. R. Pearson (éd.), Christian-Jewish Relations through the Centuries, Sheffield, 2000, p. 233.
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les Judéens 95, il est certainement aussi juste de souligner que le rapprochement entre ces deux documents antiochiens et les Pseudo-Clémentines n’a probablement jamais été tenté. Il y a pourtant lieu de mettre ces trois textes en rapport, ne serait-ce que parce qu’ils font, tous les trois, référence à une même réalité et partagent possiblement un même lieu d’origine, la région d’Antioche. Bien sûr, les Constitutions apostoliques appartiennent à un genre littéraire différent des homélies de Chrysostome et du roman clémentin, un genre qui a été défini comme le genre canonico-liturgique 96. Elles touchent néanmoins aux mêmes réalités judéo-chrétiennes que ces deux corpus. La Didascalie des apôtres, texte composé au IIIe siècle, également dans la région d’Antioche 97, qui appartient au même genre que les Constitutions apostoliques et qui a été intégré entièrement à la compilation que sont les Constitutions apostoliques 98, présente d’ailleurs un certain nombre de points de contact avec les Pseudo-Clémentines 99. Les Constitutions apostoliques jouent donc le rôle de trait d’union entre le Contre les Judéens et les Pseudo-Clémentines en ce que, d’une part, elles partagent avec les huit homélies de Chrysostome la même préoccupation face au phénomène des judaïsants 100, comme le montrent clairement les canons ecclésiastiques 70 et 71 du livre 8 : 95. P. W. van der Horst, « Jews and Christians in Antioch at the end of the fourth Century », dans S. E. Porter – B. W. R. Pearson (éd.), Christian-Jewish Relations through the Centuries, Sheffield, 2000, p. 233 : « Its potential relevance for the study of Chrysostom’s homilies is hardly taken into account in the modern literature on Chrysostom’s sermons ». 96. Sur le genre canonico-liturgique, voir M. M etzger , « Introduction », dans Les Constitutions apostoliques, I. Livres I et II, introduction, texte critique, traduction et notes, Paris, 1985, p. 13-62 et A. Faivre , « La documentation canonico-liturgique », dans J.-C. Fredouille – R.-M. Roberge (éd.), La documentation patristique. Bilan et prospective, Québec – Paris, 1995, p. 3-41. 97. Voir C. E. Fonrobert, « The Didascalia Apostolorum : A Mishnah for the Disciples of Jesus », Journal of Early Christian Studies 9 (2001), p. 483-509 et C. E. Fonrobert, « Jewish Christians, Judaizers, and Christian Anti-Judaism », dans V. Burrus (éd.), Late Ancient Christianity, Minneapolis, 2005, p. 243-250. 98. À propos des Constitutions apostoliques comme ouvrage de compilation, voir M. M etzger , « Introduction », dans Les Constitutions apostoliques, I. Livres I et II, introduction, texte critique, traduction et notes, Paris, 1985, p. 14-33 et M. Murray, « Christian Identity in the Apostolic Constitutions : Some Observations », dans Z. A. Crook – P. A. H arland (éd.), Identity and Interaction in the Ancient Mediterranean. Jews, Christians and Others. Essays in Honour of Stephen G. Wilson, Sheffield, 2007, p. 181. 99. Voir D. Côté , Le thème de l ’opposition entre Pierre et Simon dans les PseudoClémentines, Paris, 2001, p. 158-162. 100. Voir, à ce sujet, P. W. van der Horst, « Jews and Christians in Antioch at the end of the fourth Century », dans S. E. Porter – B. W. R. Pearson (éd.), Christian-Jewish Relations through the Centuries, Sheffield, 2000, p. 233 et M. Murray, « Christian Identity in the Apostolic Constitutions : Some Observations », dans Z. A. Crook – P. A. H arland (éd.), Identity and Interaction in the
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Si un évêque ou un autre clerc jeûne avec les Judéens ou célèbre les fêtes avec eux ou accepte des présents provenant de leurs fêtes, comme des pains azymes ou autre chose de ce genre, on le déposera ; si c’est un laïc, on l’exclura. Si un chrétien offre de l’huile à un sanctuaire païen ou à la synagogue des Judéens ou encore des lampes, on l’exclura 101.
La stratégie adoptée par les auteurs/compilateurs anonymes des Constitutions diffère toutefois considérablement de celle que déploie Jean Chrysostome dans le Contre les Judéens, soit l’invective. Pieter W. van der Horst note, avec à propos, que la présence de six prières judéennes au livre six laisse supposer qu’au lieu de l’affrontement direct préconisé par Jean, ils ont plutôt opté pour l’accommodement et le compromis avec les judaïsants 102 . Bien que l’identité ou l’orientation doctrinale des Constitutions apostoliques ne fasse pas l’unanimité 103, il est raisonnable d’avancer que ce texte provient d’un milieu chrétien, à la fois, relativement ouvert au judaïsme, puisqu’il a adopté des prières judéennes, et résolument soucieux Ancient Mediterranean. Jews, Christians and Others. Essays in Honour of Stephen G. Wilson, Sheffield, 2007, p. 192. 101. Constitutions apostoliques 8,47,70-71. Traduction M. M etzger , Les Constitutions apostoliques, III. Livres VII et VIII, Paris, 1987. Voir aussi Constitutions apostoliques 2,60,4 ; 61,1 et le commentaire d’E. Soler , Le sacré et le salut à Antioche au IVe siècle apr. J.-C. Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité, Beyrouth, 2006, p. 116. 102. P. W. van der Horst, « Jews and Christians in Antioch at the end of the fourth Century », dans S. E. Porter – B. W. R. Pearson (éd.), Christian-Jewish Relations through the Centuries, Sheffield, 2000, p. 233-234. Sur l’origine judéenne des prières des livres 7 et 8, voir E. G. Chazon, « A “Prayer Alleged to be Jewish” in the Apostolic Constitutions », dans E. G. Chazon – D. Satran – R. A. Clemens (éd.), Things Revealéd. Studies in Early Jewish and Christian Literature in Honor of Michael E. Stone, Leyde – Boston, 2004, p. 261-277 et E. Soler , Le sacré et le salut à Antioche au IVe siècle apr. J.-C. Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité, Beyrouth, 2006, p. 121. Comme le note E. G. Chazon, le sujet des prières judéenness dans les Constitutions apostoliques a fait l’objet d’importantes recherches, comme celles de D. A. Fiensy, Prayers Alleged to be Jewish : An Examination of the Constitutiones Apostolorum, Chico (CA), 1985 et de P. W. van der Horst, « The Greek Synagogue Prayers in the Apostolic Constitutions, book VII », dans J. Tabory (éd.), From Qumran to Cairo : Studies in the History of Prayer, Jérusalem, 1999, p. 19-46. 103. Voir M. M etzger , « Introduction », dans Les Constitutions apostoliques, II. Livres III-VI, Paris, 1986, p. 10-18, qui estime que « vouloir rendre compte de la théologie des CA en y recherchant avant tout des traces d’arianisme ou d’une autre hérésie conduit à une impasse » (p. 11). Voir P. W. van der Horst, « Jews and Christians in Antioch at the end of the fourth Century », dans S. E. Porter – B. W. R. Pearson (éd.), Christian-Jewish Relations through the Centuries, Sheffield, 2000, p. 233, qui considère l’auteur comme un « (semi-) Arian » et T. A. Kopecek , « Neo-Arian Religion : The Evidence of the Apostolic Constitutions », dans R. C. Gregg (éd.), Arianism : Historical and Theological Reassessments, Philadelphie, 1985, p. 153-179, qui préfère parler de « Neo-Arian ».
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de prendre ses distances par rapport à la synagogue, puisqu’il interdit à tout chrétien de célébrer les fêtes judéennes ou d’aller à la synagogue 104 . En même temps, la mention, au canon ecclésiastique 70, d’un évêque ou d’un clerc parmi ceux qui doivent se garder de célébrer les fêtes judéennes peut laisser croire que le souci exprimé par les auteurs des Constitutions apostoliques de marquer nettement la limite séparant Judéens et chrétiens n’était pas partagé par tous les membres du clergé. D’autre part, les Constitutions apostoliques jouent le même rôle de trait d’union entre le Contre les Judéens et les Pseudo-Clémentines en ce qu’elles cherchent à « ruiner l’influence », comme le dit Marcel Metzger, de « groupes judéo-chrétiens extrémistes » (sic) qui se recommandent de l’autorité de saint Jacques de Jérusalem, comme les auteurs pseudo-clémentins 105. Au Livre 6, dans ce qui ressemble à une relecture du Concile de Jérusalem (Actes des Apôtres 15), les auteurs des Constitutions semblent, en effet, réagir au roman pseudo-clémentin et à la prééminence qu’il accorde à Jacques, le frère du Seigneur. Dans ce passage, Jacques y est ainsi présenté comme entièrement soumis au collège apostolique : « alors il nous parut bon, à nous, les apôtres, à l’évêque Jacques et aux anciens, avec l’Église toute entière… » 106. Le lendemain du concile, les Douze, Jacques le frère du Seigneur, et Paul, « le docteur des païens, le vase d’élection », se réunissent à Jérusalem pour définir l’enseignement catholique à l’intention de ceux qui ont la charge de l’épiscopat 107. De même, l’épisode de la lutte 104. Voir P. W. van der Horst, « Jews and Christians in Antioch at the end of the fourth Century », dans S. E. Porter – B. W. R. Pearson (éd.), ChristianJewish Relations through the Centuries, Sheffield, 2000, p. 237-238, à propos des prières judéennes christianisées dans les Constitutions apostoliques : « it still would enable us to envisage a situation in which a Christian community in Syria that was in contact with the local Jewish community took over synagogal shabbat prayers in order to use them in their weekly services in the church with some modification ». 105. M. M etzger , « Introduction », dans Les Constitutions apostoliques, I. Livres I et II, Paris, 1985, p. 51. Sur l’importance de Jacques de Jérusalem dans les Pseudo-Clémentines, voir L. Cirillo, « Jacques de Jérusalem d’après le roman du Pseudo-Clément », dans A. Motte – P. M archetti (éd.), La figure du prêtre dans les grandes traditions religieuses. Actes du colloque en hommage à M. l ’abbé Julien Ries, Namur, 2005, p. 177-188. Sur l’importance de Jacques de Jérusalem dans le judéo-christianisme et les origines du christianisme, voir notamment B. Chilton – C. A. Evans , James the Just and Christian Origins, Leyde, 1999 ; J. Painter , Just James : The Brother of Jesus in History and Tradition, Columbia, 1997 ; W. P ratscher , « Der Herrenbruder Jakobus bei Hegesipp », dans P. J. Tomson – D. L ambers-Petry (éd.), The Image of the Judaeo-Christians in the Ancient Jewish and Christian Literature, Tübingen, 2003, p. 147-161 ; R. Bauckham, « James and the Jerusalem community », dans O. Skarsaune – R. Hvalik (éd.), Jewish Believers in Jesus, Peabody, 2007, p. 55-95. 106. Constitutions apostoliques 6,12,14. Traduction M. M etzger , Les Constitutions apostoliques, II. Livres III-VI, Paris, 1986. 107. Constitutions apostoliques 6,14,1.
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entre Pierre et Simon le Mage, au cœur du roman pseudo-clémentin 108, se voit repris par les compilateurs des Constitutions apostoliques avec des détails, comme la rencontre de Pierre et de Simon à Césarée de Straton, la mention de Clément parmi les compagnons de Pierre et surtout celle des frères de Clément, Nicète et Aquila, ainsi que les thèmes de la discussion entre Simon et Pierre, qui trahissent les origines pseudo-clémentines du passage 109. Les Constitutions apostoliques corrigent toutefois l’orientation du roman en faisant de Clément, l’évêque et compatriote des Romains, le disciple de Paul et un porte-parole des Douze 110. En un mot, les Constitutions apostoliques connaissent les Pseudo-Clémentines ou une forme du roman pseudo-clémentin et cherchent à contrer l’influence que ces textes pourraient avoir dans la région d’Antioche, dans les années 380, en détournant certains des thèmes et des personnages majeurs du roman de leur judéo-christianisme d’origine. C’est d’ailleurs par la pseudépigraphie que les Constitutions entendent lutter contre les idées des Pseudo-Clémentines. De fait, les Constitutions apostoliques appartiennent à un genre et à une tradition qui se définissent notamment par le recours à la pseudépigraphie 111. Comme les Pseudo-Clémentines, elles donnent la parole aux acteurs des temps apostoliques et s’adonnent à la réécriture d’événements marquants comme la lutte de Pierre et de Simon ou le Concile de Jérusalem. Autrement dit, les deux corpus parlent le même langage et utilisent le 108. Voir A. Y. R eed, « Heresiology and the (Jewish) Christian Novel. Narrativized Polemics in the Pseudo-Clementien Homilies », dans E. I ricinschi – H. Zelletin (éd.), Heresy and Identity in Late Antiquity, Tübingen, 2008, p. 278. 109. Constitutions apostoliques 6,9,1 : « Simon me rencontra, moi, Pierre, d’abord à Césarée de Stratôn, où Corneille, le croyant, en vint par mon intermédiaire du paganisme à la foi au Seigneur Jésus. Simon tenta de perturber l’annonce de la Parole de Dieu. J’étais alors accompagné des saints fils Zachée, jadis publicain, et Barnabé, Nicétas et Aquila, les frères de Clément, l’évêque et le compatriote des Romains, qui fut lui-même disciple de Paul, notre collègue apôtre et autre collaborateur dans l’évangélisation. Devant eux, pour la troisième fois je discutais avec Simon des questions concernant le Prophète et la monarchie divine ». Traduction M. M etzger , Les Constitutions apostoliques, II. Livres III-VI, Paris, 1986. Voir Homélies 4,1,1, pour la mention de Césarée de Stratôn, de Clément et de ses frères, et Homélies 16,1,1-2, pour la mention de la monarchie divine comme thème de discussion entre Pierre et Simon. En ce qui concerne l’épisode de la lutte entre Pierre et Simon dans les Constitutions apostoliques, voir D. Côté , Le thème de l ’opposition entre Pierre et Simon dans les Pseudo-Clémentines, Paris, 2001, p. 163-167. 110. Constitutions apostoliques 6,18,11. L’anti-paulinisme des Pseudo-Clémentines est bien connu, même si on lui a parfois accordé trop d’importance. Pour un survol critique de la question, voir A. Y. R eed, « Heresiology and the (Jewish) Christian Novel. Narrativized Polemics in the Pseudo-Clementine Homilies », dans E. I ricinschi – H. Zelletin (éd.), Heresy and Identity in Late Antiquity, Tübingen, 2008, p. 278-279. 111. M. M etzger , « Introduction », dans Les Constitutions apostoliques, I. Livres I et II, introduction, texte critique, traduction et notes, Paris, 1985, p. 33-38.
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même matériau apostolique et le même procédé pseudépigraphique. Dans leur lutte contre les judéo-chrétiens attachés à Jacques et à Clément, les auteurs des Constitutions apostoliques remanient une partie des textes composés par ces judéo-chrétiens pour justifier leurs idées et leurs pratiques en modifiant subtilement le scénario. Comme pour les prières judéennes et leur christianisation par les auteurs des Constitutions, des morceaux du roman pseudo-clémentin sont intégrés à la trame des Constitutions apostoliques pour mieux en neutraliser les effets et contrer les prétentions de leurs auteurs. Les Constitutions apostoliques constituent réellement la clé qui permet de mieux situer les Homélies et les Reconnaissances dans la crise d’identité religieuse qui marque la Syrie du IVe siècle. Elles font le lien entre Jean Chrysostome et le Pseudo-Clément. Elles attestent que pour les chrétiens qui veulent s’aligner sur l’orthodoxie nicéenne, comme Chrysostome et les auteurs des Constitutions, les judaïsants et les judéo-chrétiens font partie d’une même réalité qu’il faut combattre. Elles fournissent le témoignage qui nous autorise à inclure les auteurs des Homélies et des Reconnaissances dans la zone d’indétermination religieuse où se trouvent déjà les judaïsants du Contre les Judéens et des Constitutions apostoliques, à côté ou superposés aux judéo-chrétiens qui se réclament de Clément et de Jacques. Le problème que posent les thèses pseudo-clémentines est donc contemporain du problème que posent les judaïsants de Chrysostome. Ce n’est pas un problème lié aux origines du christianisme. C onclusion Pour conclure, il convient de revenir au Contre les Judéens de Jean Chrysostome et à son contexte. Dans un ouvrage paru en 2005, Laurence Brottier souligne le fait que dans les huit homélies qu’il prononce alors contre les Judéens et les judaïsants d’Antioche, Chrysostome réagit notamment au phénomène de la christianisation superficielle, de ce qu’il appelle les demi-chrétiens 112 , phénomène apparemment en croissance dans les années 380, en raison, inter alia, de la proclamation de la foi nicéenne comme seule religion de l’empire. Dans le Contre les Judéens, il s’en prend avant tout aux demi-chrétiens qui fréquentent la Synagogue, mais ailleurs il déplore le même défaut chez ceux qui continuent d’honorer les dieux. En fait, avant même l’afflux croissant de demi-chrétiens des années 380 113, la population d’Antioche était déjà, semble-t-il, capable d’un cer112. L. Brottier , L’appel des « demi-chrétiens » à la « vie angélique ». Jean Chrysostome prédicateur : entre idéal monastique et réalité mondaine, Paris, 2005. 113. L. Brottier , L’appel des « demi-chrétiens » à la « vie angélique ». Jean Chrysostome prédicateur : entre idéal monastique et réalité mondaine, Paris, 2005,
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tain pluralisme religieux. En 362 ou en 363, lorsque l’empereur Julien règle ses comptes avec la population d’Antioche en composant à leur intention un discours d’invectives 114, le Misopogon, il reproche à la majorité d’avoir choisi l’« athéisme » 115, alors que lui est attaché aux rites de ses pères, et déplore le fait que l’ensemble de la population lui en veuille parce qu’elle tient à ses danseurs et à ses théâtres, alors que lui s’en soucie moins que des grenouilles des marais 116. Bien que l’empereur Julien soit irrité de ce qu’ils aient remplacé Zeus et Apollon par le Christ 117, il reste que ce qui vaut aux Antiochiens ses blâmes les plus sentis est ce que Soler appelle leur mode festif 118, leur propension à tous, chrétiens et Grecs, à faire le kômos et consacrer leurs nuits aux plaisirs, à l’occasion, par exemple du Maïouma 119,
p. 128-129. Laurence Brottier relève le témoignage de Libanius sur le phénomène de la christianisation superficielle dans les années 380 à Antioche : « Au même moment où Chrysostome prêche contre les Judéens et les demi-chrétiens, en 386, Libanius, sophiste et maître de Chrysostome, adresse à l’Empereur Théodose, un discours à la défense des temples (Or. XXX, Pro Templis). Au chapitre 28, il s’en prend à ceux qui prétendent que la destruction des temples entraîne la conversion de ceux qui les fréquentaient. Conversion apparente et non réelle, souligne Libanius. Ces convertis par la force disent avoir changé de religion, ils vont aux cérémonies chrétiennes mais dans leur cœur ils n’invoquent personne si ce n’est leurs dieux. Libanius les compare à des acteurs ». 114. A mmien M arcellin, Histoires 22,14,2 : Quocirca in eos deinceps saeviens ut obtrectatores et contumaces volumen conposuit invectivum, quod Antiochense vel Misopogonem appellavit, probra civitatis infensa mente dinumerans addensque veritati conplura : post quae multa in se facete dicta conperiens, coactus dissimulare pro tempore, ira sufflabatur interna. Sur les qualités rhétoriques du Misopogon, voir A. Quiroga , « Julian’s Misopogon and the subversion of rhetoric », Antiquité tardive 17 (2009), p. 127-135. Pour une approche plus littéraire du Misopogon, voir M. Janka, « Quae philosophia fuit, satura facta est. Julians Misopogon zwischen Gattungskonvention und Sitz im Leben », dans C. Schäfer (éd.), Kaiser Julian Apostata und die philosophische Reaktion gegen das Christentum, Berlin – New York, 2008, p. 177206. Pour le contexte historique du Misopogon, voir E. Soler , Le sacré et le salut à Antioche au IVe siècle apr. J.-C. Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité, Beyrouth, 2006, p. 43-64. 115. Misopogon 28 (357d) : Ὁ μὲν γὰρ δῆμος ἄχθεταί μοι τῷ πλείστῳ μέρει, μᾶλλον δ’ ἅπας ἀθεότητα προελόμενος. 116. Misopogon 28 (358a). 117. Misopogon 28 (357c). 118. E. Soler , Le sacré et le salut à Antioche au IVe siècle apr. J.-C. Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité, Beyrouth, 2006, p. 56 : « C’est à l’égard de leurs mœurs, donc aussi de leur mode festif, que Julien apostrophe le plus durement les Antiochiens. Il blâme leur goût pour les fêtes et les plaisirs : “Vous vivez toute l’année dans les plaisirs…” (355 d). Il blâme leurs cortèges festifs, débridés, incessants à Antioche (342 b) ». 119. Misopogon 35 (362d). Sur la nature du Maïouma, voir E. Soler , Le sacré et le salut à Antioche au IVe siècle apr. J.-C. Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité, Beyrouth, 2006, p. 39, qui en souligne
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ou de la néoménie syrienne, célébrée autour de l’équinoxe d’automne 120. D’ailleurs, Jean Chrysostome, plus de vingt ans plus tard, blâmera certains chrétiens d’Antioche de préférer les spectacles (danses et mimes) à l’Église et de prendre part à des danses (liesse collective) qui pourraient très bien s’inscrire dans le cadre du Maïouma 121. Le décalage évident entre l’attitude de Chrysostome et de Julien en matière d’identité religieuse et celle d’une majorité de la population d’Antioche a été interprété récemment par Isabella Sandwell à la lumière de la notion bourdieusienne d’habitus 122 . Dans son Esquisse d’une théorie de la pratique, le sociologue Pierre Bourdieu définit l’habitus comme un système de dispositions durables, structures structurées prédisposées à fonctionner comme structures structurantes, c’est-à-dire en tant que principe de génération et de structuration de pratiques et de représentations qui peuvent être objectivement réglées et régulières sans être en rien le produit de l’obéissance à des règles, objectivement adaptées à leur but sans supposer la visée consciente des fins et la maîtrise expresse des opérations nécessaires pour les atteindre et, étant tout cela, collectivement orchestrées sans être le produit de l’action organisatrice d’un chef d’orchestre 123. Autrement dit, le fonctionnement normal d’une société se définit beaucoup moins par rapport à des règles explicitement formulées qu’en relation avec un ensemble de dispositions profondément ancrées et qui produisent des pratiques, ce que Bourdieu appelle un habitus 124 . Selon le modèle de Bourdieu, tel qu’Isabella Sandwell l’applique à l’Antioche de Libanios et de Chrysostome, la volonté des leaders chrétiens du IVe siècle d’imposer des catégories strictes en matière d’identité religieuse revient à vouloir plale caractère orgiastique. Pour le problème que pose l’existence de plusieurs fêtes qui portent le nom de Maïouma, voir supra note 19. 120. Misopogon 15 (346b). 121. Jean Chrysostome , L’impuissance du diable (De diabolo tentatore) 3,1 (PG 49,263-264) ; Commentaire sur Matthieu (In Matthaeum) 6,7 (PG 57,71-72) ; 7,6 (PG 57,79-80). Voir E. Soler , Le sacré et le salut à Antioche au IVe siècle apr. J.-C. Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité, Beyrouth, 2006, p. 83-84, qui relève ces passages de Chrysostome. 122. I. Sandwell , Religious Identity in Late Antiquity. Greeks, Jews and Christians in Antioch, Cambridge, 2007, p. 17-18. 123. P. Bourdieu, Esquisse d ’une théorie de la pratique. Précédé de trois études d ’ethnologie kabyle, Paris, 2000 [1972], p. 256. Voir aussi ce qu’il en dit plus loin : « principe générateur durablement monté d’improvisations réglées (principium importans ordinem ad actum, comme dit le scolastique) » (p. 262) ; « c’est qu’il (l’habitus) est histoire faite nature… » (p. 263). 124. I. Sandwell , Religious Identity in Late Antiquity. Greeks, Jews and Christians in Antioch, Cambridge, 2007, p. 17 : « The sociologist Pierre Bourdieu (19312002) has argued that when societies function as they should, they rarely run according to explicitly formulated rules, but rather according to what he labels their “habitus”. The “habitus”, as defined by Bourdieu, is a set of deeply ingrained dispositions, traditional ways of being and socially shared ideas of what is appropriate ».
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quer une structure rigide sur une situation, celle de la pluralité religieuse, gérée normalement de manière plus subtile et plus fluide 125. Ainsi, lorsque Chrysostome, dans ses écrits contre les Judéens, s’emploie à formuler les règles explicites qui définissent le chrétien et le Judéen, il s’attaque à un système de règles implicites qui définissent le modus operandi des relations entre Judéens et chrétiens, ce que nous avons décrit un peu plus haut comme une zone d’indéfinition religieuse 126. Toujours selon le modèle de Bourdieu, la formulation de règles explicites et l’insistance sur la loi ou un code, surviennent seulement dans des situations anormales, en temps de crise. L’autorité cherche alors à contrer les manquements et les hésitations de l’habitus en définissant les solutions appropriées au problème 127. C’est bien ce qui se passe dans l’Antioche de la deuxième moitié du IVe siècle. Les leaders chrétiens, habitués jusqu’à Constantin, de s’adresser à des communautés homogènes et minoritaires, cherchent alors à imposer les règles d’un groupe particulier, qui n’était jusque-là qu’une minorité, à l’ensemble de la société impériale, d’où les conflits comme ceux qui se devinent à la lecture de l’Adversus Judaeos, conflits entre l’attitude favorable aux règles des leaders chrétiens et la manière plus subtile de la majorité de jouer de l’allégeance religieuse dans la vie de tous les jours. Isabella Sandwell se demande d’ailleurs si l’approche préconisée par Chrysostome, c’est-à-dire, une approche explicite, linguistique, idéologique et régulatrice avait la moindre chance de pouvoir changer les pratiques de la société gréco-romaine 128. Van der Horst, dans 125. I. Sandwell , Religious Identity in Late Antiquity. Greeks, Jews and Christians in Antioch, Cambridge, 2007, p. 19-20 : « It was the rarely articulated sense of what was timely and appropriate in relation to religion in imperial society that Christian leaders were struggling with in their rule-making and ideology. By seeking to impose clear-cut categories of religious identity, Christian leaders were seeking to impose a rigid structure on a situation that was normally managed in a more subtle way. Clearly, they objected to the fluid approach to religious allegiance and it was this that acted as a permanent trigger to their ideological and rule-bound impositions of religious identity ». 126. Sur le modus operandi ou l’habitus des chrétiens d’Antioche, voir C. E. Fonrobert, « Jewish Christians, Judaizers, and Christian Anti-Judaism », dans V. Burrus (éd.), Late Ancient Christianity, Minneapolis, 2005, p. 241 : « If we put this again in terms of how identity is constructed, we may suggest that some (many ?) members of the community do not consider being a believer and a member of Chrysostom’s church while also watching or attending the synagogue for various reasons of piety to be contradictory, problematic, or threatening. For all we know, this might have been a case of comparing apples and oranges to them, where the one (being a believer) and the other (fasting on the Day of Atonement, for example) simply did not operate on the same plane ». 127. I. Sandwell , Religious Identity in Late Antiquity. Greeks, Jews and Christians in Antioch, Cambridge, 2007, p. 20. 128. I. Sandwell , Religious Identity in Late Antiquity. Greeks, Jews and Christians in Antioch, Cambridge, 2007, p. 20 : « It is this struggle, and the unnatur-
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l’article que nous avons déjà cité, répond à l’interrogation de Sandwell. La campagne agressive menée contre les Judéens en 386-387, soutient-il, ne semble pas avoir été très efficace, comme Chrysostome l’admet luimême, quoique indirectement, dix ans plus tard 129. Dans le même article, nous l’avons vu, P. W. van der Horst souligne les mérites de l’approche accommodante des Constitutions apostoliques par rapport à l’attaque frontale de l’Adversus Judaeos 130. L’approche des Constitutions, justement, face à ceux qui rejettent les formulations explicites, se montre plus subtile et moins directe, plus en phase avec l’habitus antiochien, grâce notamment à la pseudépigraphie qui joue de l’autorité apostolique et à la fiction littéraire qui, par sa capacité à créer des mondes possibles, peut se permettre de faire des propositions de changement. Les Pseudo-Clémentines, au carrefour, comme le Contre les Judéens et les Constitutions apostoliques, des identités religieuses des Grecs, des Judéens et des chrétiens, empruntentelles aussi, comme les Constitutions, la voie de la pseudépigraphie et de la fiction littéraire. EIles tentent de représenter par la fiction romanesque et le dialogue philosophique les principales composantes de ce carrefour, ce qui est une façon indirecte de composer avec l’habitus antiochien caractérisé par ses pratiques pluralistes. Aux Grecs, elles prennent la forme du roman et celle du dialogue philosophique. Les personnages de Clément et de sa famille subissent ainsi les péripéties habituelles des héros romanesques. L’apôtre Pierre et le magicien Simon, de leur côté, s’engagent dans des discussions philosophiques, conformément à l’art du dialogue. Aux Judéens, elles prennent l’identité que confère la foi en Moïse et l’obseralness of a rule-based approach, that make us doubt the success that Chrysostom and other Christian leaders had in creating and maintaining religious categories for their audiences. We have to ask whether an explicit, linguistic, ideological, rulebased medium, such as Chrysostom’s preaching, could change the habitual practice of his audience and of Graeco-Roman society as a whole ». 129. P. W. van der Horst, « Jews and Christians in Antioch at the end of the fourth Century », dans S. E. Porter – B. W. R. Pearson (éd.), Christian-Jewish Relations through the Centuries, Sheffield, 2000, p. 236. Il fait référence à l’Homélie sur la Lettre à Tite 3,2 (PG 62,679). Voir, sur l’impact de la prédication de Chrysostome, le point de vue radicalement différent de L. V. Rutgers , Making Myths. Jews in Early Christian Identity Formation, Louvain, 2009, p. 111 : « Hence, the synagogue destructions of Late Antiquity document that there is a rather sinister dark side to John Chrysostom’s infamous Adversus Judaeos. Typically used to document the continued importance of meaningful contacts between Jews and Christians and as evidence of Christianity’s inability to prevent such contacts, Chrysostoms’s treatise (sic) should also be seen as part of larger and rather all too successful effort on the part of the Fathers to create an atmosphere in which hate-crimes against the Jews and their synagogues were considered both desirable and mandatory ». 130. P. W. van der Horst, « Jews and Christians in Antioch at the end of the fourth Century », dans S. E. Porter – B. W. R. Pearson (éd.), Christian-Jewish Relations through the Centuries, Sheffield, 2000, p. 238.
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vance de la Loi. Aux chrétiens, qu’elles ne désignent jamais nommément, elles prennent la foi en Jésus et la filiation apostolique. On le constate, les auteurs des Pseudo-Clémentines se situent bel et bien à un carrefour. Ils ne semblent pas, toutefois, faire partie de ceux qui, en raison de leur habitus, traversent les frontières de l’identité religieuse de manière inconsciente. Par exemple, ils prennent position très clairement sur la relation à entretenir avec la culture grecque 131. Par ailleurs, ils refusent, surtout dans le cas des Homélies, de dissocier la voie de Moïse et celle de Jésus. En fait, ils cherchent à redéfinir certains paramètres de l’habitus en insistant davantage sur la frontière entre Grecs et Judéens que sur la frontière entre disciples de Jésus et adeptes de Moïse. Ainsi, les Reconnaissances proposent un modèle assez proche de celui des Constitutions apostoliques, c’est-à-dire, qui intègre des éléments judéens tout en affirmant la supériorité de la voie chrétienne (par exemple : Jésus est le Vrai Prophète). Les Homélies, pour leur part, proposent un modèle plus radical et en même temps plus cohérent que celui des Reconnaissances, un modèle qui affirme l’égalité de Moïse et de Jésus, parce qu’ils sont tous les deux des incarnations du Vrai Prophète, et s’approprie l’identité judéenne en désignant celui qui croit au Vrai Prophète de Judéen véritable. C’est, à notre avis, le concept du Vrai Prophète et de ses réincarnations, combiné à la doctrine des syzygies et des fausses péricopes, qui fonde et rend possible le judéo-christianisme pseudo-clémentin, mais c’est là le sujet d’une autre étude. En somme, dans les deux versions, on propose un modèle où un Romain de culture grecque, bref un Grec, un non-Judéen, en tout cas, se convertit à la doctrine enseignée par Pierre, pour devenir un Ἰουδαῖος et non un chrétien.
131. Bien que les Pseudo-Clémentines empruntent à la culture grecque la forme du roman et celle de la discussion philosophique, il est clair, surtout dans le cas des Homélies, que la paideia se trouve du même côté que la doctrine de Simon le Mage, i. e. du côté de l’erreur. Voir Homélies 4,12,1 : αὐτίκα γοῦν ἐγὼ τὴν πᾶσαν Ἑλλήνων παιδείαν κακοῦ δαίμονος χαλεπωτάτην ὑπόθεσιν εἶναι λέγω et les remarques d’A. Y. R eed, « Heresiology and the (Jewish) Christian Novel. Narrativized Polemics in the Pseudo-Clementine Homilies », dans E. I ricinschi – H. Zelletin (éd.), Heresy and Identity in Late Antiquity, Tübingen, 2008, p. 298 sur l’hellénisme vue comme une hérésie dans les Homélies : « Interestingly, it is particularly in the Homilies that we find fully exploited the polemical power latent in the adoption of a “pagan” literary form : for, as we have seen, the appropriation of the genre of the novel here serves an extended polemic against Hellenism as “heresy”… ».
Chapitre XII
L e Vrai P rophète et ses incarnations dans les Homélies pseudo clémentines*
Il y a plus de vingt ans, alors que nous travaillions à notre thèse sur les Pseudo-Clémentines, Paul-Hubert Poirier, qui en assurait la direction, nous mit entre les mains une copie d’un article, que venait de publier son ami Gedaliahu Guy Stroumsa, intitulé « Seal of the Prophets. The nature of a Manichaean Metaphor » 1. Nous n’avions alors jamais entendu parler du « sceau des prophètes » ni de Gedaliahu Guy Stroumsa d’ailleurs. Depuis, nous avons fait « connaissance » avec les deux, le concept, essentiel à la compréhension du manichéisme et de l’islam, et le savant, dont les travaux nous ont souvent été des plus utiles pour notre propre recherche sur les Pseudo-Clémentines. Le geste tout simple de transmettre le savoir sous la forme d’une photocopie d’article résume assez bien ce que Paul-Hubert Poirier a été pour nous, au début de notre carrière universitaire, c’est-àdire, un passeur. C’est bien lui qui nous a fait passer du monde « profane », celui du savoir ordinaire, au monde « sacré » du savoir universitaire. Nous avons appris, en observant le maître, les codes et les clés qui nous seraient utiles plus tard pour tracer notre propre chemin à travers la forêt dense et parfois étrange du monde universitaire. Comme c’est en travaillant sur les Pseudo-Clémentines que nous avons contracté pour la première fois une dette envers Paul-Hubert Poirier, il nous a semblé approprié de payer aujourd’hui une partie de cette dette en lui proposant une étude sur les Pseudo-Clémentines, plus précisément, une étude qui porte sur le Vrai Prophète et ses incarnations dans les Homélies pseudo-clémentines. Il s’agira, dans un premier temps, de résumer la doctrine du Vrai Prophète telle qu’elle se présente dans les Homélies, en insistant sur la question de l’incarnation 2 , et de passer en revue, dans un * Cette étude a été publiée une première fois dans E. Crégheur – J. C. Dias Chaves – S. Johnston (éd.), Mélanges en l ’honneur du Professeur Paul-Hubert Poirier, à l ’occasion de son soixante-dixième anniversaire, Turnhout, 2018, p. 309-338. 1. G. G. Stroumsa, « “Seal of the Prophets” : The Nature of a Manichaean Metaphor », Jerusalem Studies in Arabic and Islam 7 (1986), p. 61-74. 2. Comme l’accent sera mis, dans cette étude, sur les incarnations et les manifestations du Vrai Prophète, c’est le témoignage des Homélies qui sera privilégié. Les
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CHAPITRE XII
deuxième temps, les différentes interprétations qui ont été mises de l’avant depuis Oscar Cullmann 3. 1. L e
t e x t e de l a doct r i n e du
V r a i P roph èt e
Les deux versions du roman pseudo-clémentin s’ouvrent par le récit, à la première personne, des angoisses existentielles de Clément. Le personnage est en quête de la vérité et sa quête, qui le fait passer des raisonnements des philosophes aux incantations d’un magicien, le mène jusqu’en Palestine, à Césarée, où elle trouve son terme en la personne de Pierre, le disciple le plus éprouvé du Vrai Prophète. C’est la doctrine du Vrai Prophète, à laquelle Pierre initie le jeune Clément, qui donne accès à la vérité, vérité que la philosophie se montre incapable d’atteindre 4 . L’initiation de Clément à la doctrine du Vrai Prophète se fait au moyen d’une allégorie, l’allégorie de la maison remplie de fumée. « La volonté de Dieu a été obscurcie de nombreuses manières, explique Pierre, à commencer par une initiation déficiente » 5. L’égarement, l’impudence, l’incrédulité et mille autres maux ont ainsi envahi le monde, comme la fumée s’engouffrant dans une maison trouble la vue des hommes qui habitent à l’intérieur 6 : C’est pourquoi il faut que les amis de la vérité, de l’intérieur de la maison, crient au secours à pleins poumons, poussés par leur raison avide de vérité, afin que quelqu’un, se trouvant à l’extérieur de la maison remplie de fumée, s’approche et ouvre la porte, que la lumière extérieure du soleil puisse pénétrer dans la maison et que la fumée produite par le feu à l’intérieur puisse en être chassée 7.
Reconnaissances nous donnent, en effet, un portrait plus orthodoxe du verus propheta. 3. O. Cullmann, Le problème littéraire et historique du roman pseudo-clémentin. Étude sur le rapport entre le gnosticisme et le judéo-christianisme, Paris, 1930. 4. Pour un exposé complet sur la doctrine du Vrai Prophète, voir A. L e Boulluec , « La doctrine du Vrai Prophète dans les écrits pseudo-clémentins », dans M. A. A mir-Moezzi et al. (éd.), L’ésotérisme shi’ite. Ses racines et ses prolongements, Turnhout, 2016, p. 139-162. Sur l’opposition entre connaissance philosophique et révélation prophétique, voir N. K elley, Knowledge and Religious Authority in the Pseudo-Clementines, Tübingen, 2006, p. 36-81 ; 135-178. 5. Homélies 1,18,1. Dans le cadre de cette étude, tous les extraits des Homélies et des Reconnaissances proviennent de la traduction de la Pléiade (P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005). 6. Homélies 1,18,3. 7. Homélies 1,18,4.
LE VR AI PROPHÈTE ET SES INCARNATIONS
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Or, cet homme qui vient au secours, poursuit Pierre, je l’appelle le Vrai Prophète. Lui seul a le pouvoir d’illuminer les âmes des hommes, les rendant capables de voir de leurs propres yeux le chemin du salut éternel 8.
L’allégorie illustre bien l’incapacité humaine, celle de la philosophie tout particulièrement, à atteindre la vérité et la nécessité, par conséquent, de la révélation prophétique. Clément, qui a tourné le dos aux enseignements de la philosophie, a compris que sans la « doctrine concernant le Prophète » il était « impossible de connaître la vérité » 9. La connaissance prophétique correspond, en effet, à la connaissance de la réalité tout entière : « Est Prophète de vérité celui qui connaît toutes choses en tous temps, celles du passé comme elles ont été, celles du présent comme elles sont, celles du futur comme elles seront » 10. En fait, le « bien suprême » ne peut être atteint et les « bienfaits nombreux qui existent ou peuvent exister » ne peuvent être acquis « autrement qu’en connaissant d’abord les êtres comme ils sont, or, cette connaissance ne peut être obtenue qu’en reconnaissant d’abord le Prophète de la vérité » 11. À lui seul a été confié « le soin d’indiquer le chemin de la vérité » parce que lui seul est « exempt de faute et plein de piété » 12 . 1.1. Adam, le Christ et le Vrai Prophète Il semble évident, à la lecture de ces passages, que le Prophète de vérité n’est nul autre que le Christ, Jésus le Christ. Quand Pierre parle de son « Maître » comme d’un « prophète qui savait tout toujours grâce à l’Esprit inné et perpétuel » et qu’il lui attribue une prédiction : « Vous voyez ces bâtiments ? En vérité je vous le dis, on ne laissera ici pierre sur pierre qui ne soit détruite », qui correspond au texte de Matthieu 24,2 13, c’est bien de Jésus dont il est question, Jésus que Pierre désigne ailleurs comme celui « qui est réellement notre Christ » 14 . 8. Homélies 1,19,1. Au sujet de la capacité du Vrai Prophète à illuminer les âmes, voir Reconnaissances 1,16,2 et le commentaire de N. K elley, Knowledge and Religious Authority in the Pseudo-Clementines, Tübingen, 2006, p. 140-141, sur ce passage. 9. Homélies 2,4,3. Sur la nature exclusive de la connaissance révélée par le Vrai Prophète dans les Reconnaissances plus particulièrement, voir N. K elley, Knowledge and Religious Authority in the Pseudo-Clementines, Tübingen, 2006, p. 138-146. 10. Homélies 2,6,1. 11. Homélies 2,5,1-3. 12. Homélies 2,6,1. 13. Homélies 3,15,1-2. 14. Homélies 2,17,5. Dans les Reconnaissances (1,43,1), le lien entre Jésus, le Prophète et le Christ éternel est encore plus clair : « …ils nous envoyaient souvent des messagers nous demandant de leur parler de Jésus : était-il le Prophète annoncé par Moïse, celui qui est le Christ éternel ? ». Sur ce passage des Reconnaissances, voir
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L’idée que Dieu se soit incarné dans la personne du Christ, que les Pseudo-Clémentines désignent le plus souvent comme le Vrai Prophète 15, ne pose pas de problème d’un point de vue doctrinal. L’idée que cette incarnation ne soit pas la première mais plutôt la dernière d’une série qui débute par Adam, comme le supposait Oscar Cullmann 16, peut, en revanche, paraître assez peu orthodoxe. Dans les Homélies, Pierre enseigne à Clément qu’Adam n’a pas été créé mais enfanté par les mains de Dieu lui-même (τῷ ὑπὸ χειρῶν αὐτοῦ κυοφορηθέντι ἀνθρώπῳ), ce qui lui confère la « possession de l’Esprit de sa prescience » 17. « Prophète vrai et omniscient » 18, il a eu « l’honneur d’être le chef et le seigneur de tous les êtres qui sont dans l’air, sur terre et dans les eaux » 19. Il a reçu « le souffle de celui-là même qui a créé l’homme, comme enveloppe infrangible de l’âme, afin qu’il puisse être immortel » 20. Comme il était, « lui seul, le véritable Prophète, pour chacun des animaux, en accord avec leur S. C. M imouni, « La doctrine du Verus Propheta de la littérature pseudo-clémentine chez Henry Corbin et ses élèves », dans M. A. A mir-Moezzi – C. Jambet – P. L ory (éd.), Henry Corbin. Philosophes et sagesses des religions du Livre, Turnhout, 2005, p. 168. 15. Voir D. H. Carlson, Jewish-Christian Interpretation of the Pentateuch in the Pseudo-Clementine Homilies, Philadelphie, 2013, p. 84 : « Actually, this is how the Pseudo-Clementines most consistently designate Jesus, as the True Prophet ». 16. O. Cullmann, Le problème littéraire et historique du roman pseudo-clémentin. Étude sur le rapport entre le gnosticisme et le judéo-christianisme, Paris, 1930, p. 207 et surtout O. Cullmann, Christologie du Nouveau Testament, Neuchâtel – Paris, 1966, p. 39 : « Ce prophète est le Christ, qui a paru pour la première fois dans le monde en la personne d’Adam (…) Depuis la création du monde, le Vrai Prophète parcourt les siècles en changeant de nom et d’apparence ; il s’incarne toujours à nouveau : en Hénoch, Noé, Abraham, Isaac, Jacob, Moïse ». Cullmann revient sur le sujet à la page 127 du même ouvrage en lien avec la notion du Fils de l’homme. Précisons que pour Cullmann la doctrine des incarnations du Vrai Prophète appartient à la couche rédactionnelle antérieure à la Grundschrift (source supposée des Homélies et des Reconnaissances) i. e. aux Prédications de Pierre (Kerygmata Petrou), une source judéo-chrétienne qui daterait du IIe siècle et dont l’existence est aujourd’hui remise en question par la majorité des spécialistes. Sur l’hypothèse des Kerygmata Petrou, voir le point de vue critique de F. S. Jones , Pseudoclementina elchasaiticaque inter judaeochristiana. Collected Studies, Leuven, 2012, p. 22-24. 17. Homélies 3,17,1. Le texte grec qui est cité dans cette étude est celui de l’édition de B. R ehm – G. Strecker , Die Pseudoklementinen I. Homilien, Berlin, 1992 (3e édition [1953, 1969]). 18. Homélies 8,10,1. Voir Reconnaissances 4,9,1-2 : « Après que Dieu eut fait l’homme à son image et à sa ressemblance, il mêla à son œuvre une sorte de souffle et de parfum de sa divinité, pour que les mortels, associés par là à son Fils unique, deviennent en outre par lui amis de Dieu et fils d’adoption ; comment et par quelle voie ils pourraient atteindre ce but, lui-même en tant que Vrai Prophète le leur enseigna, sachant par quelles actions des hommes le Père serait réjoui ». 19. Homélies 3,20,3. 20. Homélies 3,20,3.
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nature, il a institué les noms, de manière appropriée » 21. Autrement dit, nul besoin n’était, pour le « premier homme » d’un « arbre de la connaissance du bien et du mal » 22 . En fait, Adam a reçu l’Esprit saint du Christ. Adam et le Christ sont une seule et même personne, comme le laisse entendre un passage capital des Homélies qui précise que le Vrai Prophète trouve son commencement en Adam et sa fin en Jésus, lui qui, « depuis le commencement de l’âge présent, revêt des formes différentes en changeant aussi de noms et traverse ainsi cet âge jusqu’à ce que, parvenu aux temps qui sont les siens, après avoir été oint par la miséricorde de Dieu en raison de ses peines, il possède pour toujours le repos » 23. Dans un autre passage, où il explique ces paroles de Jésus : « nul n’a connu le Père, si ce n’est le Fils, comme nul ne connaît le Fils, si ce n’est le Père et ceux à qui le Fils veut le révéler » 24 , Pierre établit la liste de ceux à qui le Fils s’est révélé, c’est-à-dire la liste des « sept colonnes », qui comprend Adam, Énoch, Noé, Abraham, Isaac et Jacob, à laquelle il faut ajouter le nom de Moïse pour atteindre le chiffre sept 25. Le lien entre ces deux passages ou plus exactement entre le 21. Homélies 3,21,1. 22. Homélies 3,21,2. 23. Homélies 3,20,2 : ἐκεῖνον δὲ μόνον ἔχειν λέγῃ ὃς ἀπ’ ἀρχῆς αἰῶνος ἅμα τοῖς ὀνόμασιν μορφὰς ἀλλάσσων τὸν αἰῶνα τρέχει μέχρις ὅτε ἰδίων χρόνων τυχών, διὰ τοὺς καμάτους θεοῦ ἐλέει χρισθείς, εἰς ἀεὶ ἕξει τὴν ἀνάπαυσιν. Sur l’onction du Vrai Prophète, voir Reconnaissances 1,45,4 : « bien qu’en vérité il fût le Fils de Dieu et le commencement de toutes choses, il fut fait homme ; c’est pourquoi il est le premier que Dieu oignit de l’huile tirée du bois de l’arbre de vie » et le commentaire de C. A. Gieschen, Angelomorphic Christology. Antecedents and Early Evidence, Leyde – Boston – Cologne, 1998, p. 202 : « The “man” in the Rec. I.45 above does not refer to Jesus, but to Adam (voir Rec.II.5). Pseudo-Clementines presents the pre-existent Son of God as becoming incarnate in Adam… ». 24. Homélies 18,4,2, d’après Matthieu 11,27 et Luc 10,22. 25. Homélies 18,13,6-14,1 : « C’est ainsi qu’Adam, le premier modelé, peut ne pas l’ignorer, et qu’Énoch, celui qui a plu (à Dieu), ne peut pas ne pas le connaître, ni Noé, le juste, ne pas en avoir la science, ni Abraham, l’ami, l’intelligence, ni Isaac la pensée, ni Jacob, qui a lutté, la foi (…) Comment ! Ceux-là ne l’ont pas connu, qui ont été sept colonnes pour le monde et qui étaient capables de plaire au Dieu infiniment juste… ? ». Les « sept colonnes », qui sont identifiées dans ce passage ne sont en fait que six ! C’est avec la liste que nous donne Simon le magicien en Homélies 17,4,3 que l’on peut ajouter le nom de Moïse et obtenir le chiffre sept. Sur la notion de « colonne » et sur la composition des « sept colonnes » dans les Pseudo-Clémentines, voir C. A. Gieschen, « The Seven Pillars of the World : Ideal Figure Lists in the Christology of the Pseudo-Clementines », Journal for the Study of the Pseudepigrapha 12 (1994), p. 54-57. Voir D. H. Carlson, Jewish-Christian Interpretation of the Pentateuch in the Pseudo-Clementine Homilies, Philadelphie, 2013, p. 85 qui semble confondre incarnation et apparition quand il parle des avatars du Vrai Prophète : « Jesus was not the only avatar of the True Prophet ; the True Prophet is said to have appeared at various times and in various forms, as figures like Adam and Moses ».
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Vrai Prophète et les sept colonnes a été diversement interprété. En effet, certains savants, à la suite d’Oscar Cullmann 26, comprennent les différentes « formes » et les différents « noms » du Vrai Prophète, dont il est question en Homélies 3,20,2, à la lumière de la liste des sept colonnes, qui nous est donnée en Homélies 17,4,3. Adam, Énoch, Noé et les autres seraient ainsi des incarnations du Vrai Prophète. D’autres, comme Charles Gieschen, limitent les incarnations du Prophète à Adam et à Jésus et préfèrent parler, dans le cas des autres colonnes, d’apparitions, comme les apparitions de l’Ange du Seigneur dans la Bible hébraïque 27. Nous y reviendrons. Toutefois, notons déjà que la distinction qu’établit Charles Gieschen entre incarnation du Vrai Prophète, pour Adam et le Christ, et simple apparition, pour les patriarches, correspond à notre propre lecture du texte. 1.2. Vrai Prophète, syzygies, prophéties mâle et femelle Dans les Homélies, la notion du Vrai Prophète et la notion même de prophétie doivent se comprendre en rapport avec la règle des syzygies. Suivant cette règle, Dieu, « qui est un, a séparé tous les extrêmes en deux parts opposées » 28. Il a ainsi fait « le ciel et la terre, le jour et la nuit, la lumière et le feu, le soleil et la lune, la vie et la mort » 29, en respectant le principe selon lequel, ce qui vient en premier est supérieur et ce qui vient en second est inférieur. La règle des syzygies prévoit cependant que pour les hommes, l’ordre est inversé : « ce qui vient en premier est inférieur et ce qui vient en second est supérieur » 30. Par exemple, « l’ignorance est 26. O. Cullmann, Le problème littéraire et historique du roman pseudo-clémentin. Étude sur le rapport entre le gnosticisme et le judéo-christianisme, Paris, 1930, p. 207 : « En effet, avant l’arrivée de Jésus, il y a encore eu d’autres justes : Noé, Abraham, Isaac, Jacob, Moïse ; avec Hénoch et Adam, ils forment les sept “colonnes” ». 27. C. A. Gieschen, « The Seven Pillars of the World : Ideal Figure Lists in the Christology of the Pseudo-Clementines », Journal for the Study of the Pseudepigrapha 12 (1994), p. 75-76. On trouve la même distinction entre les incarnations du Vrai Prophète en Adam et Jésus et les apparitions du Vrai Prophète aux patriarches Énoch et Noé chez E. Molland, « La thèse “La prophétie n’est jamais venue de la volonté de l’homme” (2 Pierre I, 21) et les Pseudo-Clémentines », Studia Theologica 9 (1955), p. 79-80. Voir B. Pouderon, La genèse du roman pseudo-clémentin. Études littéraires et historiques, Paris – Louvain, 2012, p. 175, selon lequel, « c’est un “esprit” (πνεῦμα), une figure et une fonction qui passent d’un individu à l’autre : aussi préfère-t-on parler d’épiphanies successives, plutôt que d’incarnations successives ». 28. Homélies 2,15,1. 29. Homélies 2,15,1. Voir Homélies 2,16,1 : « Comme au commencement Dieu, qui est un, fit d’abord le ciel puis la terre tels des éléments placés à droite et à gauche, ainsi composa-t-il également la suite de toutes les syzygies ». 30. Homélies 2,16,2.
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première et la connaissance vient en second » 31. De même, issus d’Adam, Caïn, l’injuste, naît en premier et Abel, le juste, naît en second. Des mains de Deucalion (Noé), furent envoyées d’abord le corbeau noir (esprit impur), puis la colombe blanche (esprit pur). D’Abraham, naquirent Ismaël et Isaac en second ; d’Isaac, l’impie Ésaü et le pieux Jacob. Vinrent ensuite, Aaron, le grand-prêtre, suivi de Moïse, le législateur. Plus tard, Jean-Baptiste (Élie) formera une syzygie avec Jésus, Simon le Magicien, avec l’Apôtre Pierre, et à la fin des temps, l'Antéchrist précédera le Christ 32 . La prophétie ou la règle prophétique est également gouvernée par le principe syzygique. Il y a ainsi deux genres de prophéties. L’une est masculine et remonte à Adam, l’autre est féminine et procède d’Ève 33. La masculine est évidemment véridique et la féminine, mensongère. Dans son exposé sur le Vrai Prophète, Pierre précise que la première prophétie, « qui est mâle, est placée au second rang dans l’ordre de la progression, et que la seconde, qui est femelle, a dû, selon la règle fixée, avancer la première dans la procession des syzygies » 3 4 . Depuis le commencement, la prophétie féminine trompe les hommes par ses « prophéties erronées » 35. C’est elle qui a donné à son premier-né le nom de Caïn, nom à double sens qui peut vouloir dire « acquisition » ou « jalousie » 36. La prophétie féminine, « pleine d’adultères et de harpes, pousse insensiblement aux guerres 31. Homélies 2,15,3. 32. Homélies 2,16,3-17,5. Voir la liste quelque peu différente des paires dans les Reconnaissances (3,61,1-2 : « Dix sont donc les paires antagonistes dont nous avons parlé, destinées à ce monde depuis le commencement des temps. Caïn et Abel ont été l’une de ces paires ; la deuxième est celle des Géants et de Noé ; la troisième, de Pharaon et d’Abraham ; la quatrième, des Philistins et d’Isaac ; la cinquième, d’Ésaü et de Jacob ; la sixième, des magiciens et de Moïse le législateur ; la septième, du tentateur et du Fils de l’homme ; la huitième, de Simon et de moi, Pierre ; la neuvième, de toutes les nations et de celui qui sera envoyé pour répandre la semence du Verbe parmi les nations ; la dixième, de l’Antéchrist et du Christ »). 33. Sur la question des deux prophéties et plus particulièrement sur la prophétie féminine, voir G. V. Bazzana, « Eve, Cain, and the Giants. The Female Prophetic Principle and its succession in the Pseudo-Clementine Novel », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 313-320 et K. Coblentz Bautch, « Obscured by the Scriptures, Revealed by the Prophets. God in the Pseudo-Clementine Homilies », dans A. D. DeConick – G. A damson (éd.), Histories of the Hidden God. Concealment and Revelation in Western Gnostic, Esoteric, and Mystical Traditions, Durham, 2013, p. 127-128. 34. Homélies 3,23,1. Voir Homélies 3,22,2-3 : « À elle [Ève] qui, étant féminine, commande au monde présent qui lui est semblable, a été confié le rôle de première prophétesse, et elle exerce la prophétie parmi tous “les enfants des femmes”. L’autre [Adam], en tant que “fils d’homme”, est mâle, et il prophétise, pour l’âge à venir, qui est mâle, les choses importantes ». 35. Homélies 3,24,4. 36. Homélies 3,25,1.
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par le goût pour ses voluptés » 37. La prophétie masculine, au contraire, « possède en propre la prophétie » et révèle, en sa qualité de mâle, « les espérances de l’âge à venir » 38. C’est pourquoi son fils a été appelé Abel, qui signifie « deuil », car il « fait s’endeuiller ses fils de la tromperie que subissent leurs frères, tout en leur promettant sans mentir la consolation, dans l’âge à venir » 39. La prophétie femelle s’occupe donc du monde présent alors que la prophétie mâle porte sur le monde à venir 4 0. Voilà l’essentiel de ce qu’il faut retenir des Homélies sur la nature du Vrai Prophète. Le reste de la doctrine, comme la notion des « fausses péricopes », ne nous occupera pas dans le cadre de cette étude, du moins pas directement 41. C’est plutôt la question des incarnations du Vrai Prophète et du sens qu’il faut leur donner qui retiendra notre attention. 2 . Le
con t e x t e de l a doct r i n e du
V r a i P roph èt e
La question du sens qu’il convient de donner aux incarnations du Prophète nous conduit naturellement à poser la question du contexte entourant la notion pseudo-clémentine du Vrai Prophète. La plupart des savants qui s’y sont intéressés considèrent que la notion est essentiellement d’ori-
37. Homélies 3,25,4. 38. Homélies 3,26,1. 39. Homélies 3,26,2. À propos du rôle que jouent Caïn et Abel dans le système des deux prophéties, voir G. V. Bazzana, « Eve, Cain, and the Giants. The Female Prophetic Principle and its succession in the Pseudo-Clementine Novel », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 318-320. 40. Voir A. Y. R eed, « Heresiology and the (Jewish-)Christian Novel. Narrativized Polemics in the Pseudo-Clementine Homilies », dans E. I ricinschi – H. Zelletin (éd.), Heresy and Identity in Late Antiquity, Tübingen, 2008, p. 284, qui souligne que l’histoire de la révélation, telle qu’elle apparaît dans ce système des deux prophéties, se présente : « as a continuous line of false female prophecy, belonging to this world, which runs alongside the continuous line of true male prophecy, which belongs and points towards the World to Come ». 41. Au sujet de la théorie des fausses péricopes, voir D. H. Carlson, JewishChristian Interpretation of the Pentateuch in the Pseudo-Clementine Homilies, Philadelphie, 2013, p. 51-76 ; K. H. Shuve , « The Doctrine of the False Pericopes and Other Late Antique Approaches to the Problem of Scripture’s Unity », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 437-445 et G. Strecker , Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1981 (2e édition [1958]), p. 162-187.
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gine judéenne ou judéo-chrétienne 42 . Les théories, qui vont de l’influence des traditions sapientales au gnosticisme judéen, en passant par la mystique judéenne, tiennent compte, dans tous les cas, d’un fond judéo-chrétien, ébionite ou elkasaïte et font référence, dans certains cas, à un cadre culturel qui comprend la philosophie grecque et la religion gréco-romaine. 2.1. Origines judéennes. Tradition sapientiale et tradition angélologique Pour comprendre la doctrine du Vrai Prophète et de ses incarnations, Charles Gieschen propose de regarder du côté des origines judéennes et de commencer, pour ce faire, par la Bible elle-même. Les figures bibliques de la Sagesse et de l’Ange du Seigneur lui servent de points de comparaison pour mieux définir le Vrai Prophète des Pseudo-Clémentines 43. Il fait donc appel à deux traditions médiatrices, la sapientiale, qui s’exprime dans le livre des Proverbes (8,12-31) et le livre de la Sagesse (7,22-30) et l’angélologique, qui met de l’avant la figure de l’Ange du Seigneur qui apparaît à Abraham et à Moïse (Genèse 22,15 ; Exode 3,2). C’est sur cette base que Charles Gieschen met en rapport les sept colonnes de la Sagesse, en Proverbes 9,1, avec les sept colonnes du monde, en Homélies 18,4, les sept colonnes étant les sages auxquels la Sagesse s’est fait connaître au fil des générations 4 4 . Il fait toutefois une distinction entre le modus operandi de la Sagesse, tel qu’il est décrit en Sagesse 7,27 : « au long des âges, elle passe dans les âmes saintes pour former des amis de Dieu et des prophètes » 45, et celui du Vrai Prophète, que Pierre identifie au Christ dans ce passage des Reconnaissances : « Le Christ, qui était dès le commencement et depuis toujours, était, bien que secrètement, toujours présent aux côtés des justes à travers toutes les générations, de ceux surtout qui attendaient sa venue et à qui il est apparu fréquemment » 4 6. En effet, selon Charles Gieschen, contrairement à la Sagesse (Sagesse 7,27), le Vrai Prophète ne s’incarne pas dans les sages de chaque génération, mais seulement en Adam et dans 42. Voir D. Frankfurter , « Apocalypses Real and Alleged in the Mani Codex », Numen 44 (1997), p. 64 : « …the True Prophet tradition must be said to be Jewish in essence ». Un peu plus haut (p. 63), Frankfurter parle de l’« ancient Semitic notion of the “True Prophet” ». 43. C. A. Gieschen, « The Seven Pillars of the World : Ideal Figure Lists in the Christology of the Pseudo-Clementines », Journal for the Study of the Pseudepigrapha 12 (1994), p. 47-82 ; C. A. Gieschen, Angelomorphic Christology. Antecedents and Early Evidence, Leyde – Boston – Cologne, 1998, p. 201-213. 44. C. A. Gieschen, « The Seven Pillars of the World : Ideal Figure Lists in the Christology of the Pseudo-Clementines », Journal for the Study of the Pseudepigrapha 12 (1994), p. 49-51. 45. Nous citons la traduction de la T.O.B. (Traduction Œcuménique de la Bible). 46. Reconnaissances 1,52,3.
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le Christ, en qui il « trouve son repos » 47. Il se contente, pour les autres « colonnes », d’apparaître, à la manière de l’Ange du Seigneur. Charles Gieschen précise que la relation du Vrai Prophète avec les colonnes est marquée par sa nature « pneumatique » : « While Wisdom tradition certainly influenced the relationship between the pneumatic character of the TP and his presence with the pillars, it is Angelomorphic Christology that provides the context in which the appearances of the TP to various generations are understood » 48. Dans le chapitre qu’il consacre aux Pseudo-Clémentines, dans sa monographie de 1998, Charles Gieschen donne quelques exemples, tirés du livre premier des Reconnaissances, d’apparitions du Vrai Prophète, à Abraham et à Moïse, qui correspondent à des apparitions de l’Ange du Seigneur dans le Pentateuque 49. Dans ces passages, l’influence de traditions sur l’Ange du Seigneur ne semble faire aucun doute à son avis 50. Les figures médiatrices de la Sagesse et de l’Ange du Seigneur ont sans doute pu jouer un rôle dans l’élaboration de l’idée du Vrai Prophète. Il reste que le point de comparaison le plus évident avec la doctrine du Vrai Prophète et de ses incarnations se trouve dans la description que nous donne Épiphane de Salamine, au livre trente de son Panarion, de la « secte » judéo-chrétienne des ébionites, dont la christologie, suivant Henry Corbin, était justement de type angélologique 51. 2.2. Origines judéo-chrétiennes. Ébionites ou elkasaïtes La christologie qu’Épiphane attribue aux ébionites n’est pas sans rappeler, en effet, celle qui sous-tend le passage des Homélies, que nous avons déjà cité et qui fait état de celui qui « depuis le commencement de l’âge présent, revêt des formes différentes en changeant aussi de noms et traverse ainsi cet âge jusqu’à ce que, parvenu aux temps qui sont les siens, 47. Homélies 3,20,2. 48. C. A. Gieschen, « The Seven Pillars of the World : Ideal Figure Lists in the Christology of the Pseudo-Clementines », Journal for the Study of the Pseudepigrapha 12 (1994), p. 75. Il est vrai que dans les Homélies, par exemple, c’est la possession de l’« Esprit de la prescience » (3,17,1) ou la possession de l’« Esprit saint du Christ » (3,20,1) qui est accordée à Adam. 49. C. A. Gieschen, Angelomorphic Christology. Antecedents and Early Evidence, Leyde – Boston – Cologne, 1998, p. 211. 50. C. A. Gieschen, Angelomorphic Christology. Antecedents and Early Evidence, Leyde – Boston – Cologne, 1998, p. 212 : « Therefore, the appearances of the True Prophet to the pillars and other pious individuals should be understood as influenced by Angel of the Lord traditions ». 51. H. Corbin apud S. C. M imouni, « La doctrine du Verus Propheta de la littérature pseudo-clémentine chez Henry Corbin et ses élèves », dans M. A. A mirMoezzi – C. Jambet – P. L ory (éd.), Henry Corbin. Philosophes et sagesses des religions du Livre, Turnhout, p. 172 : « Cette christologie est de type angélologique car la figure dominante est le Christos Angelos, la figure céleste du “Fils d’Homme”, semblable à l’Anthrôpos céleste du Livre d ’Hénoch ».
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après avoir été oint par la miséricorde de Dieu en raison de ses peines, il possède pour toujours le repos » 52 . C’est ainsi que, dans sa notice sur les ébionites, Épiphane rapporte que les disciples d’Ébion croient que « le Christ vient dans le monde quand il le désire. En effet, Il est venu en Adam et est apparu aux patriarches, revêtu d’un corps. C’est le même qui a visité Abraham, Isaac, Jacob ; qui est venu à la fin des temps et qui a revêtu le corps même d’Adam ; qui est apparu parmi les hommes, a été crucifié, est ressuscité et est monté au ciel » 53. La similitude est frappante. Épiphane fait d’ailleurs lui-même le lien entre les ébionites et des écrits attribués à Clément de Rome lorsque, plus loin, dans la même notice, il mentionne que les ébionites font usage d’un ouvrage écrit par Clément qui s’intitule Les itinéraires de Pierre, un ouvrage, précise-t-il, qu’ils ont altéré en partie, ne laissant intacts que quelques passages 54 . De fait, on a souvent vu dans cette mention des Itinéraires de Pierre une référence aux PseudoClémentines 55. Bernard Pouderon, par exemple, qui propose d’identifier l’Écrit de base, la Grundschrift 56, à un texte connu par Origène sous le titre Periodoi Petrou 57, reçoit évidemment le témoignage d’Épiphane comme une confirmation de sa thèse 58. Comme le contenu des Periodoi Petrou, 52. Homélies 3,20,2. 53. Épiphane de Salamine , Panarion 30,3,5 : καὶ Χριστὸν λέγεσθαι, τὸν ἐκεῖσε δὲ αἰῶνα κεκληρῶσθαι· ἔρχεσθαι δὲ ἐνταῦθα ὅτε βούλεται, ὡς καὶ ἐν τῷ Ἀδὰμ ἦλθε καὶ τοῖς πατριάρχαις ἐφαίνετο ἐνδυόμενος τὸ σῶμα· πρὸς Ἀβραὰμ δὲ ἐλθὼν καὶ Ἰσαὰκ καὶ Ἰακὼβ ὁ αὐτὸς ἐπ’ ἐσχάτων τῶν ἡμερῶν ἦλθεν καὶ αὐτὸ τὸ σῶμα τοῦ Ἀδὰμ ἐνεδύσατο καὶ ὤφθη ἀνθρώποις καὶ ἐσταυρώθη καὶ ἀνέστη καὶ ἀνῆλθεν. Notre traduction. Cf. la traduction de F. Williams , The Panarion of Epiphanius of Salamis, Leyde – Boston, 2009, p. 133 : « But he comes here when he chooses, as he came in Adam and appeared to the patriarchs clothed with Adam’s body. And in the last days the same Christ who had come to Abraham, Isaac and Jacob, came and donned Adam’s body, and appeared to men, was crucified, rose and ascended ». 54. Épiphane de Salamine , Panarion 30,15,1 : Χρῶνται δὲ καὶ ἄλλαις τισὶ βίβλοις, δῆθεν ταῖς Περιόδοις καλουμέναις Πέτρου ταῖς διὰ Κλήμεντος γραφείσαις, νοθεύσαντες μὲν τὰ ἐν αὐταῖς, ὀλίγα δὲ ἀληθινὰ ἐάσαντες… Cf. F. Williams , The Panarion of Epiphanius of Salamis, Leyde – Boston, 2009, p. 143 : « they use certain other books as well – supposedly the so-called Travels of Peter written by Clement, though they corrupt their contents while leaving a few genuine passages ». 55. Voir, par exemple, S. C. M imouni, Le judéo-christianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 277. 56. Sur la Grundschrift, voir supra, note 16. 57. Au sujet des Periodoi Petrou dans les écrits d’Origène, voir B. Pouderon, La genèse du roman pseudo-clémentin. Études littéraires et historiques, Paris – Louvain, 2012, p. 87-103. 58. B. Pouderon, La genèse du roman pseudo-clémentin. Études littéraires et historiques, Paris – Louvain, 2012, p. 289. F. S. Jones , « Jewish Christianity of the Pseudo-Clementines », dans A. M arjanen – P. Luomanen (éd.), A Companion to Second-Century Christian « Heretics », Leyde – Boston, 2005, p. 315-334, est
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ceux d’Origène ou d’Épiphane, reste difficile à déterminer, il semble plus sûr de supposer qu’Épiphane avait sous la main une certaine version du roman pseudo-clémentin qui parlait des incarnations du Christ à travers les âges 59. Quoi qu’il en soit de cette version, Épiphane demeure le premier auteur à mettre en rapport les ébionites et les écrits pseudo-clémentins 60. Devrait-on suivre l’évêque de Salamine sur ce point et faire des PseudoClémentines un texte ébionite, en passant par-dessus le fait qu’il n’y est jamais fait mention des ébionites ? Devrait-on, au contraire, distinguer le judéo-christianisme des Pseudo-Clémentines du judéo-christianisme des ébionites ? La question n’est pas simple. Simon Claude Mimouni, qui n’hésitait pas, en 1998, à considérer la littérature pseudo-clémentine comme le « conservatoire » de certaines doctrines ébionites, comme la doctrine du Vrai Prophète 61, se montrait, en 2005, plus prudent et parlait plutôt d’une littérature qui « renferme un fond originaire d’un milieu chrétien d’origine juive … que l’on identifie, de manière presque unanime, comme étant ébionite », précisant toutefois que « l’origine ébionite de la notion du “Vrai Prophète” » serait « plus ou moins assurée » 62 . On peut aisément comprendre les hésitations de Simon Claude Mimouni sur l’origine ébionite du Vrai Prophète quand on constate la confusion qui règne dans la description que nous donne Épiphane des doctrines ébiod’accord avec B. Pouderon pour voir dans les Periodoi Petrou l’Écrit de base des Pseudo-Clémentines : « This original novel evidently bore the title Periodoi Petrou, Circuits of Peter, though scholarship often calls it simply the Basic Writing or the Grundschrift » (p. 315). 59. Voir P. Luomanen, Recovering Jewish-Christian Sects and Gospels, Leyde – Boston, 2012, p. 38 : « It is generally assumed that Epiphanius had access to Pseudo-Clementine sources underlying the present Homilies, Recognitions and the introductory letters attached to these. Scholars have been able to reconstruct Pseudo-Clementine sources partially, but we cannot be sure about the relation of these modern reconstructions to the sources that were available to Epiphanius (Circuits of Peter and Ascents of James…) ». 60. Voir S. H äkkinen, « Ebionites », dans A. M arjanen – P. Luomanen (éd.), A Companion to Second-Century Christian « Heretics », Leyde – Boston, 2005, p. 257 et D. M. Burns , « Jesus’ Reincarnations Revisited in Jewish Christianity, Sethian Gnosticism, and Mani », dans S. E. Myers (éd.), Portraits of Jesus : Studies in Christology, Tübingen, 2012, p. 374-375. 61. S. C. M imouni, Le judéo-christianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 278 : « Certains éléments doctrinaux rapportés dans la littérature pseudo-clémentine concordent, en partie, avec la description que donne Épiphane de Salamine du groupe ébionite dans la notice 30 de son Panarion. Parmi les thèmes communs les plus importants qui sont à retenir, on peut relever la doctrine du Vrai prophète et la théorie des fausses péricopes ». 62. S. C. M imouni, « La doctrine du Verus Propheta de la littérature pseudoclémentine chez Henry Corbin et ses élèves », dans M. A. A mir-Moezzi – C. Jambet – P. L ory (éd.), Henry Corbin. Philosophes et sagesses des religions du Livre, Turnhout, p. 167 : « L’origine ébionite de la notion du “Vrai Prophète” dans la littérature pseudo-clémentine étant plus ou moins assurée… ».
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nite et elkasaïte. Dans le système hérésiologique d’Épiphane, Elkasaï ou le livre qui lui était attribué aurait déterminé la doctrine non seulement des elkasaïtes mais aussi des sampséens et des osséens 63, en plus d’avoir contaminé celle des ébionites 6 4 . C’est sous l’influence d’Elkasaï que les ébionites, selon Épiphane, auraient notamment développé l’idée du Christ qui se serait incarné en Adam et se serait ensuite manifesté aux patriarches 65. Hippolyte de Rome ou, si l’on préfère, l’auteur inconnu de la Réfutation de toutes les hérésies 66, fait d’ailleurs lui aussi remonter aux elkasaïtes ou au Livre d’Elkasaï la doctrine des réincarnations du Christ : D’autres, comme s’ils introduisaient quelque chose de nouveau, bien que glanant dans les hérésies de toutes sortes, composèrent un livre étrange qu’ils attribuèrent à un certain Elkasaï. Ils sont d’accord avec nous sur l’origine du monde, à savoir qu’il a été créé par Dieu, mais ils ne reconnaissent pas que le Christ est un. Ils croient plutôt qu’il y a bien un seul Christ Là-haut, mais qu’il a souvent changé de corps jusqu’à son incarnation récente en Jésus. C’est ainsi que tantôt Il naît de Dieu, tantôt Il devient Esprit ; tantôt Il naît d’une vierge et tantôt non. Il change, par la 63. Voir L. Cirillo, « Verus Propheta », dans C. Jambet (éd.), Henry Corbin (Cahiers de l ’Herne, 39), Paris, 1981, p. 248 et G. P. Luttikhuizen, « Elchasaites and their Book », dans A. M arjanen – P. Luomanen (éd.), A Companion to SecondCentury Christian « Heretics », Leyde – Boston, 2005, p. 352. 64. Sur la proximité entre ébionites et elkasaïtes, voir S. C. M imouni, « Les elkasaïtes : états des questions et des recherches », dans P. J. Tomson – D. L ambersPetry (éd.), The Image of the Judaeo-Christians in Ancient Jewish and Christian Literature, Tübingen, 2003, p. 219-221. 65. Épiphane de Salamine , Panarion 30,3,1-3 : Καὶ τὸ μὲν πρῶτον οὗτος ὁ Ἐβίων, ὡς ἔφην, Χριστὸν ἐκ σπέρματος ἀνδρός, τουτέστι τοῦ Ἰωσήφ, ὡρίζετο· ἐκ χρόνου δέ τινος καὶ δεῦρο οἱ αὐτοῦ, ὡς εἰς ἀσύστατον καὶ ἀμήχανον τρέψαντες τὸν ἴδιον νοῦν ἄλλοι ἄλλως παρ’ αὐτοῖς περὶ Χριστοῦ διηγοῦνται τάχα δὲ οἶμαι ἀπὸ τοῦ συναφθῆναι αὐτοῖς Ἠλξαῖον τὸν ψευδοπροφήτην τὸν παρὰ τοῖς Σαμψηνοῖς καὶ Ὀσσηνοῖς καὶ Ἐλκεσαίοις καλουμένοις , ὡς ἐκεῖνος φαντασίαν τινὰ περὶ Χριστοῦ διηγοῦνται καὶ περὶ πνεύματος ἁγίου. τινὲς γὰρ ἐξ αὐτῶν καὶ Ἀδὰμ τὸν Χριστὸν εἶναι λέγουσιν, τὸν πρῶτόν τε πλασθέντα καὶ ἐμφυσηθέντα ἀπὸ τῆς τοῦ θεοῦ ἐπιπνοίας. Voir la traduction de F. Williams (F. Williams , The Panarion of Epiphanius of Salamis, Leyde – Boston, 2009, p. 133) : « And at first, as I said, Ebion declared that Christ is the offspring of a man, that is, of Joseph. For a while now, however, various of his followers have been giving conflicting accounts of Christ, as though they have decided on something untenable and impossible themselves. But I think it may be since they were joined by Elxai – the false prophet in the tracts called “Sampsaeans”, “Ossenes” and “Elkasaites” – that they tell an imaginary story about Christ and the Holy Spirit as he did. For some of them even say that Adam is Christ – the man who was formed first and infused with God’s breath ». 66. Voir le point de vue critique exprimé par M. David Litwa sur Hippolyte de Rome, dans l’introduction à sa traduction de la Réfutation de toutes les hérésies (Refutation of All Heresies, translated with an Introduction and Notes by M. D. Litwa, Atlanta, 2016, p. xxxii-xl).
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suite, continuellement de corps et se manifeste ainsi, à plusieurs reprises, sous différentes formes 67.
Gerard Luttikhuizen rejette, pour sa part, toute influence elkasaïte dans l’élaboration de cette idée et préfère en imputer la paternité à un judéochristianisme syrien ou transjordanien (« somewhere in the Transjordan or in Syria ») qui se manifeste, par exemple, dans les Pseudo-Clémentines 68. Que les Pseudo-Clémentines aient conservé les traces d’une christologie elkasaïte ou que l’elkasaïsme, au contraire, ait conservé les traces d’une christologie pseudo-clémentine, il reste que ces deux formes de judéochristianisme présentent des thèmes communs 69. Au thème des incarnations du Christ/Vrai Prophète, s’ajoute effectivement celui du corps de Dieu ou plus précisément celui de la mesure du corps de Dieu.
67. Hippolyte de Rome , Réfutation de toutes les hérésies 10,29,1-2 : Ἕτεροι δέ τινες, ὡς καινόν τι παρεισάγοντες, ἐκ πασῶν αἱρέσεων ἐρανισάμενοι, ξένην βίβλ(ον) σκευάσαντο, Ἠλχασαΐ τινος ἐπονομαζομένην. οὗτοι τὴν μὲν ἀρχὴν τοῦ παντὸς ὁμοίως ὁμολογοῦσιν, ὑπὸ τοῦ θεοῦ γεγονέναι, Χριστὸν δὲ ἕνα οὐχ ὁμολογοῦσιν, ἀλλ’ εἶναι τὸν μὲν ἄνω ἕνα, αὐτὸν δὲ μεταγγίζεσθαι ἐν σ(ώ)μασί π(ο)λλ(οῖς) πολλάκι(ς) καὶ νῦν δὴ ἐν τῷ Ἰησοῦ. ὁμο(ί)ως (δὲ) ποτὲ μὲν ἐκ τοῦ θεοῦ γεγενῆσθαι, ποτὲ δὲ πνεῦμα γεγονέναι, ποτὲ μὲν ἐκ πα(ρ)θένου, ποτὲ δὲ οὔ. καὶ τοῦτον δὲ μετέπειτα ἀεὶ ἐν σώμασι μ(ετ)αγγίζεσθα(ι) καὶ ἐν πολλοῖς κατὰ καιροὺς δείκνυσθαι. Notre traduction. Cf. la traduction de M. David Litwa (Refutation of All Heresies, translated with an Introduction and Notes by M. D. Litwa, Atlanta, 2016) : « Certain others, as if introducing something new, took samples from all heresies and composed a strange book named after a certain Elchasai. They agree with us about the origin of the world, and that it arose from God, but do not confess one Christ. Rather, they believe in a single Christ above who transmigrates numerous times into numerous bodies and was recently incarnated in Jesus. Likewise, he is sometimes born from God, while at other times he becomes spirit. Sometimes he is born from a virgin, at other times not. Later on, he continues his neverending transmigration into bodies and is manifested in many different bodies at various times ». 68. G. P. Luttikhuizen, « Elchasaites and their Book », dans A. M arjanen – P. Luomanen (éd.), A Companion to Second-Century Christian « Heretics », Leyde – Boston, 2005, p. 352 : « …we have no reasons to attribute the Adam-Christ speculations mentioned by Epiphanius in his reports of the Ebionites and the Sampseans to the Mesopotamian-Jewish book [le Livre d ’Elkasaï], no more than we can trace the somewhat similar christological ideas of Alcibiades to this book. Rather, these ideas developed in Jewish-Christian circles somewhere in the Transjordan or in Syria. This hypothesis is the more plausible since we find very comparable christological ideas in the Pseudo-Clementine Homilies and Recognitions ». 69. Voir D. M. Burns , « Jesus’ Reincarnations Revisited in Jewish Christianity, Sethian Gnosticism, and Mani », dans S. E. Myers (éd.), Portraits of Jesus : Studies in Christology, Tübingen, 2012, p. p. 374, note 14.
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2.3. Origines mystiques judéennes Au livre 17 des Homélies, l’Apôtre Pierre soutient que Dieu a une forme et que sa substance est « infinie en hauteur, illimitée en profondeur, sans mesure en largeur » : Or le Dieu qu’il a dit de craindre est celui dont les anges, ceux des plus petits d’entre les croyants parmi nous, qui se tiennent dans le ciel, contemplent sans cesse la face du Père ; car il a une forme – à cause de sa beauté, la première et l’unique –, et tous les membres, mais non pour s’en servir ; il n’a pas en effet des yeux pour voir par ce moyen – car il voit de partout, lui qui, de corps, est infiniment plus brillant que l’esprit qui en nous a la capacité visuelle et plus resplendissant que toute lumière, au point que la lumière du soleil, comparée à lui, passerait pour obscurité 70 … Le Dieu véritable est donc unique, et il siège à la première place en sa forme suréminente ; il est deux fois cœur, du haut et du bas et de lui, faisant jaillir comme du centre la puissance vivifiante et incorporelle, la substance pénètre toutes choses, une substance infinie en hauteur, illimitée en profondeur, sans mesure en largeur, qui étend trois fois à l’infini la nature créatrice de vie et intelligente venant de Lui 71.
Ces passages ont été interprétés, depuis Gershom Scholem 72 et Jarl Fossum 73, à la lumière des spéculations de la mystique judéenne sur la « Gloire de Dieu », sur la Merkabah, sur l’ange appelé Métatron et sur la mesure de son corps (Shiur Qomah) 74 . Or, les disciples d’Elkasaï, c’est Hippolyte de Rome qui nous l’apprend 75, prétendaient justement que le livre qui portait le nom de leur maître lui avait été révélé par un ange aux proportions gigantesques qui n’est pas sans rappeler la description des dimensions cosmiques de la « Gloire de Dieu » que l’on trouve dans le
70. Homélies 17,7,2-3. 71. Homélies 17,9,1. 72. G. Scholem, Jewish Gnosticism, Merkabah Mysticism, and Talmudic Tradition, New York, 1965, p. 41 : « It may be appropriate to observe here as well that the Judaeo-Christian, possibly Ebionitic, source of the Pseudo-Clementinian Homilies knows of a similar teaching according to which God has bodily form (morphe). Again, this Judaeo-Christian tradition and the Shiur Komah explain each other ». 73. J. Fossum, « Jewish-Christian Christology and Jewish Mysticism », Vigiliae Christianae 37 (1983), p. 260-287 (surtout p. 267-276). Voir G. G. Stroumsa, « Form(s) of God : Some Notes on Metatron and Christ », Harvard Theological Review 76, 3 (1983), p. 269-288. 74. Sur la question, voir, dans cet ouvrage, le chapitre X, qui reprend notre article : « La forme de Dieu dans les Homélies pseudo-clémentines et la notion de Shiur Qomah », dans R. Gounelle et G. A ragione (éd.), « Soyez des changeurs avisés ». Controverses exégétiques dans la littérature apocryphe chrétienne, Strasbourg, 2012, p. 65-90. 75. Hippolyte de Rome , Réfutation de toutes les hérésies 9,13,1-3.
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Shiur Qomah, l’une des formes que prend la mystique de la Merkabah 76. Ce rapprochement entre thèmes elkasaïtes et pseudo-clémentins nous situe en fait aux origines de la mystique judéenne, dans les courants qui appartiennent au « Early Jewish and Christian Mysticism », pour reprendre l’expression anglaise que privilégient maintenant des spécialistes comme April DeConick 77. L’ange d’Elkasaï et le Vrai Prophète peuvent ainsi se comprendre comme l’expression de la « Gloire de Dieu », à la manière de l’ange appelé Métatron dans la mystique de la Merkabah. Déjà, en 1930, Oscar Cullmann proposait d’interpréter le Vrai Prophète des Pseudo-Clémentines en relation avec les figures d’Hénoch et de Métatron. Il faut dire cependant qu’il s’agissait pour lui de souligner le caractère gnostique du Verus Propheta et de ses incarnations 78. 2.4. Origines gnostiques On a en effet cherché à expliquer la doctrine du Vrai Prophète en la situant dans le cadre de ce que O. Cullmann appelait le « gnosticisme juif » 79. Aux yeux de O. Cullmann, le dualisme qui caractérise certains éléments de la doctrine, la règle des syzygies, les prophéties mâle et femelle, par exemple, indiquerait une forme de gnosticisme qui, précise-t-il, se rattacherait « étroitement au judaïsme » 80, puisque l’idée même du Vrai Prophète et de ses incarnations serait d’origine judéenne 81. Le « gnosticisme 76. À propos du lien entre l’ange d’Elkasaï et le Shiur Qomah, voir G. G. Stroumsa, « Form(s) of God : Some Notes on Metatron and Christ », Harvard Theological Review 76, 3 (1983), p. 278-279 ; J. Fossum, « Jewish-Christian Christology and Jewish Mysticism », Vigiliae Christianae 37 (1983), p. 260-262 et S. C. M imouni, « Les elkasaïtes : états des questions et des recherches », dans P. J. Tomson – D. L ambers -P etry (éd.), The Image of the Judaeo-Christians in Ancient Jewish and Christian Literature, Tübingen, 2003, p. 224. 77. A. D. DeConick , « What is Early Jewish and Christian Mysticism ? », dans A. D. DeConick (éd.), Paradise Now. Essays on Early Jewish and Christian Mysticism, Atlanta, 2006, p. 1-24. 78. O. Cullmann, Le problème littéraire et historique du roman pseudo-clémentin. Étude sur le rapport entre le gnosticisme et le judéo-christianisme, Paris, 1930, p. 207. 79. O. Cullmann, Le problème littéraire et historique du roman pseudo-clémentin. Étude sur le rapport entre le gnosticisme et le judéo-christianisme, Paris, 1930, p. 170-220 (chapitre intitulé « Les Prédications de Pierre et le gnosticisme juif »). 80. O. Cullmann, Le problème littéraire et historique du roman pseudo-clémentin. Étude sur le rapport entre le gnosticisme et le judéo-christianisme, Paris, 1930, p. 171-172. Voir L. Cirillo, « Verus Propheta », dans C. Jambet (éd.), Henry Corbin (Cahiers de l ’Herne, 39), Paris, 1981, p. 243 et D. H. Carlson, Jewish-Christian Interpretation of the Pentateuch in the Pseudo-Clementine Homilies, Philadelphie, 2013, p. 78. 81. O. Cullmann, Le problème littéraire et historique du roman pseudo-clémentin. Étude sur le rapport entre le gnosticisme et le judéo-christianisme, Paris, 1930, p. 207-210. Ailleurs, Cullmann parle d’une « gnose essentiellement juive » (p. 172).
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juif » des Pseudo-Clémentines appartiendrait, toujours suivant Oscar Cullmann, à la couche rédactionnelle des Prédications de Pierre, une source hypothétique des Itinéraires de Pierre 82 . Georg Strecker, qui attribue lui aussi le « gnosticisme juif » des Pseudo-Clémentines aux Kerygmata Petrou, parle du « milieu judéo-chrétien gnostique » d’où proviendrait la notion du Vrai Prophète 83. Plus récemment, Giovanni Filoramo faisait état d’un « gnosticisme judaïsant qui trouverait dans l’elkasaïsme son canal privilégié » 84 . Sans s’étendre sur la question épineuse des origines judéennes du gnosticisme 85, il reste que, judéenne ou judéo-chrétienne, la « gnose » que révèle le Vrai Prophète s’appuie résolument sur la Loi, sur la Torah 86, ce qui ne l’empêche pas, selon certains, d’avoir tout de même quelque chose de « gnostique ». Luigi Cirillo a d’ailleurs déjà noté la similitude intéressante entre la doctrine du Vrai Prophète et la gnose des naassènes 87. Ces gnostiques vénéraient un Anthropos primordial, Adamas, qui n’est pas sans rappeler la figure d’Adam/Vrai Prophète dans les Pseudo-Clémentines 88. 82. Sur le les Periodoi Petrou et le caractère très hypothétique des Kerygmata Petrou, voir supra note 16. 83. G. Strecker , Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1981 (2 e édition [1958]), p. 153 : « Darum ist anzunehmen, dass der KP-Autor dis Gestalt des wahren Propheten direkt jüdisch-christlich-gnostischem Milieu entnomment hat. Erst die nächste Vorstufe des Begriffes wird im gnostisirienden Judentum zu suchen sein ». 84. G. Filoramo, « Le prophétisme du roman pseudo-clémentin dans le contexte historico-religieux de l’Antiquité tardive », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 352. 85. Sur cette question, voir K. K ing, What is Gnosticism ?, Cambridge (Mass.), 2003, p. 180-187, qui rejette l’idée d’une origine judéenne du gnosticisme et A. M astrocinque , From Jewish Magic Gnosticism, Tübingen, 2005, p. 81-82, qui soutient la thèse opposée : « therefore, Gnosticism (the term is used reservedly) is to be considered as originally being a Jewish, not a Christian, heresy ». 86. Homélies 3,18,1-3 ; 8,10,1-3. Voir L. Cirillo, « Verus Propheta », dans C. Jambet (éd.), Henry Corbin (Cahiers de l ’Herne, 39), Paris, 1981, p. 242 : « C’est de la chaire de Moïse que le Vrai Prophète enseigne la Vérité-gnose (…) Il s’agit donc de la “Torah”, appelée la “connaissance” ou la “connaissance de la loi” ». Voir aussi G. Strecker , Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1981 (2 e édition), p. 152 et S. C. M imouni, « La doctrine du Verus Propheta de la littérature pseudo-clémentine chez Henry Corbin et ses élèves », dans M. A. A mir-Moezzi – C. Jambet – P. L ory (éd.), Henry Corbin. Philosophes et sagesses des religions du Livre, Turnhout, p. 167. 87. L. Cirillo, « Verus Propheta », dans C. Jambet (éd.), Henry Corbin (Cahiers de l ’Herne, 39), Paris, 1981, p. 246. 88. L. Cirillo, « Verus Propheta », dans C. Jambet (éd.), Henry Corbin (Cahiers de l ’Herne, 39), Paris, 1981, p. 246-247, s’appuie sur le témoignage d’Hippolyte de Rome (Réfutation de toutes les hérésies 5). Sur la figure de l’Anthropos ou d’Adamas
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Plus intéressante encore est la ressemblance que Luigi Cirillo relève entre le Seth de la gnose séthienne et la même figure d’Adam dans les PseudoClémentines 89. Il rapporte, en fait, ce qu’Épiphane nous apprend sur la gnose séthienne dans le Panarion (39,2) : « De Seth, selon la semence et la succession de la génération, descendit Jésus-Christ lui-même, cependant non à la manière des générations, puisqu’il se manifesta en ce monde d’une manière étonnante : il est Seth lui-même, celui d’autrefois, qui maintenant en tant que Christ s’est révélé de nouveau aux hommes, ayant été envoyé par la Mère d’en haut » 90. Ces observations amènent Luigi Cirillo à conclure que la « structure du Vrai Prophète judéo-chrétien » est d’origine gnostique 91. Dylan Burns, dans une étude parue en 2012, relève, comme Luigi Cirillo, les similitudes entre la christologie des Pseudo-Clémentines et celle du séthianisme, mais, contrairement à Luigi Cirillo et à Georg Strecker avant lui, n’en vient pas à la conclusion que les réincarnations du Vrai Prophète seraient d’origine gnostique. Il croit plutôt, à l’inverse, que la conception judéo-chrétienne du Vrai Prophète serait à l’origine des réincarnations de Seth dans la littérature séthienne 92 . D’ailleurs, Hans Joachim Schoeps, Han Jan Willem Drijvers et, plus récemment, Giovanni Battista Bazzana avaient déjà pris le contrepied de la thèse d’une origine gnostique et fait valoir que les auteurs des Homélies avaient plus vraisemblablement développé eux-mêmes la doctrine du Vrai Prophète et la règle des syzygies en réponse aux gnostiques 93. En effet, selon Hans Joachim Schoeps, la règle des syzygies serait ébionite et non gnostique. Il s’agirait d’un duadans les écrits gnostiques de Nag Hammadi, voir M. A. Williams , « Sethianism », dans A. M arjanen – P. Luomanen (éd.), A Companion to Second-Century Christian « Heretics », Leyde – Boston, 2005, p. 40-46. 89. L. Cirillo, « Verus Propheta », dans C. Jambet (éd.), Henry Corbin (Cahiers de l ’Herne, 39), Paris, 1981, p. 247. 90. La traduction est de Cirillo (L. Cirillo, « Verus Propheta », dans C. Jambet (éd.), Henry Corbin (Cahiers de l ’Herne, 39), Paris, 1981, p. 247). 91. L. Cirillo, « Verus Propheta », dans C. Jambet (éd.), Henry Corbin (Cahiers de l ’Herne, 39), Paris, 1981, p. 247. 92. D. M. Burns , « Jesus’ Reincarnations Revisited in Jewish Christianity, Sethian Gnosticism, and Mani », dans S. E. Myers (éd.), Portraits of Jesus : Studies in Christology, Tübingen, 2012, p. 391 : « The hypothesis of Strecker and others that this distinctive aspect of Jewish-Christian Christology originated in Gnosticism is probably incorrect. Rather, the reverse may be true… ». 93. H. J. Schoeps , Das Judenchristentum. Untersuchungen über Gruppenbildungen und Parteikämpfe in der frühen Christenheit, Berne – Münich, 1964, p. 100 ; H. J. W. Drijvers , « Adam and the True prophet in the Pseudo-Clementines », dans C. Elsas – H. G. K ippenberg (éd.), Loyalitätskonflikte in der Religionsgeschichte, Würzburg, 1990, p. 314-323 ; G. B. Bazzana, « Eve, Cain, and the Giants : The Female Prophetic Principle and Its Succession in the Pseudo-Clementine Novel », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 318 et 320. Voir
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lisme d’origine judéenne, « eine alte rabbinische Konzeption » 94 . Han Jan Willem Drijvers, pour sa part, rejette l’idée que le concept du Vrai Prophète ait été emprunté à des judéo-chrétiens gnostiques. Il lui semble plus plausible, comme le note Donald H. Carlson 95, de supposer qu’il relève d’une construction originale de l’auteur de la Grundschrift pour réfuter les thèses de Marcion 96. Autrement dit, le dualisme des Homélies, qui comprend la doctrine du Vrai Prophète, répondrait au dualisme des gnostiques et à celui de Marcion en particulier. L’orientation antimarcionite du dualisme des Homélies fait du reste partie d’une hypothèse voulant que le personnage de Simon le Magicien défende un « dithéisme à résonance marcionite » 97. Les auteurs pseudo-clémentins mettent donc de l’avant la notion d’un Vrai Prophète, qui pourrait être qualifiée d’ébionite et/ou d’elkasaïte 98, qui aurait servi à réfuter le marcionisme, qui aurait peut-être influencé la gnose séthienne et qui pourrait se rattacher aux traditions sapientiales des sept piliers. Donald Carlson a toutefois raison de rappeler que le dualisme des Pseudo-Clémentines, dans le cadre duquel s’inscrit la doctrine du Vrai D. H. Carlson, Jewish-Christian Interpretation of the Pentateuch in the PseudoClementine Homilies, Philadelphie, 2013, p. 79. 94. H. J. Schoeps , Das Judenchristentum. Untersuchungen über Gruppenbildungen und Parteikämpfe in der frühen Christenheit, Berne – Münich, 1964, p. 73. 95. D. H. Carlson, Jewish-Christian Interpretation of the Pentateuch in the Pseudo-Clementine Homilies, Philadelphie, 2013, p. 86. 96. H. J. W. Drijvers , « Adam and the True prophet in the Pseudo-Clementines », dans C. Elsas – H. G. K ippenberg (éd.), Loyalitätskonflikte in der Religionsgeschichte, Würzburg, 1990, p. 318 : « the doctrinal complex of the True Prophet and the false scriptural passages is an original anti-heretical construction of the author of G, invented to refute the prevailing Marcionism in the Syrian area, where the author of G is to be sought ». 97. D. Côté , Le thème de l ’opposition entre Pierre et Simon dans les Pseudo-Clémentines, Paris, 2001, p. 230-231. Voir Homélies 3,38,2 et Reconnaissances 2,53,2-3 pour un exemple du marcionisme de Simon. Sur le marcionisme dans les PseudoClémentines, voir A. L e Boulluec , « La Monarchia dans les Homélies clémentines et l’origine du mauvais », Χώρα Hors-série Dualismes. Doctrines religieuses et traditions philosophiques (2015), p. 437-460 et D. H. Carlson, Jewish-Christian Interpretation of the Pentateuch in the Pseudo-Clementine Homilies, Philadelphie, 2013, p. 67, qui cite F. M anns , « Les Pseudo-Clémentines (Homélies et Reconnaissances). État de la question », Liber Annuus 53 (2003), p. 175. Voir A. Salles , « Simon le Magicien ou Marcion ? », Vigiliae Christianae 12 (1958), p. 197-224 ; N. K elley, Knowledge and Religious Authority in the Pseudo-Clementines, Tübingen, 2006, p. 187-189 et F. S. Jones , « Marcionism in the Pseudo-Clementines », dans A. Frey – R. Gounelle (éd.), Poussières de christianisme et de judaïsme antiques. Études réunies en l ’honneur de Jean-Daniel Kaestli et Éric Junod, Lausanne, 2007, p. 225-244. 98. Voir G. P. Luttikhuizen, « Elchasaites and their Book », dans A. M arjanen – P. Luomanen (éd.), A Companion to Second-Century Christian « Heretics », Leyde – Boston, 2005, p. 352-353, qui préfère parler d’une notion judéo-chrétienne attribuée par Épiphane aux ébionites, sampséens et elkasaïtes.
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Prophète, doit aussi se comprendre à la lumière du dualisme qui caractérise certaines traditions philosophiques grecques 99. 2.5. Origines grecques. Philosophie et traditions oraculaires Dans la cosmologie des présocratiques, les principes prennent souvent la forme d’une paire d’éléments opposés : le chaud et le froid, chez Anaximandre, le feu et la nuit, chez Parménide, Éros et Éris, chez Empédocle, le sec et l’humide, chez Anaxagore 100. On retrouve également, dans la théorie pythagoricienne des nombres, une opposition entre nombres mâles et femelles 101, qui peut faire penser à l’opposition, dans les Homélies, entre prophéties mâle et femelle. L’historien romain du Ier siècle avant notre ère, Alexandre Polyhistor, cité par Diogène Laërce, attribue aussi aux pythagoriciens une doctrine voulant que le principe de toutes choses soit la monade, d’où émanerait la dyade illimitée et d’où, de la monade et de la dyade, seraient issus les nombres 102 , une doctrine qui n’est pas sans rappeler celle que Pierre expose dans les Homélies selon laquelle Dieu « qui est un a séparé tous les extrêmes en deux parts opposés » 103. C’est d’ailleurs aux pythagoriciens qu’Hippolyte de Rome fait remonter la doctrine « elkasaïte » des incarnations successives du Christ. Hippolyte tenait, en fait, ses renseignements sur les elkasaïtes d’un certain Alcibiade d’Apamée, qui était présent à Rome au moment où Hippolyte rédigeait son traité sur les hérésies et qui fondait son enseignement sur un livre qui aurait été
99. D. H. Carlson, Jewish-Christian Interpretation of the Pentateuch in the Pseudo-Clementine Homilies, Philadelphie, 2013, p. 80. 100. D. H. Carlson, Jewish-Christian Interpretation of the Pentateuch in the Pseudo-Clementine Homilies, Philadelphie, 2013, p. 79-80, qui cite G. E. R. Lloyd, « Right and Left in Greek Philosophy », Journal of Hellenic Studies 82 (1962), p. 56-66 et G. E. R. Lloyd, Polarity and Analogy : Two Types of Argumentation in Early Greek Thought, Cambridge, 1966, p. 41-43. 101. Sur l’opposition entre nombres mâles et femelles chez les pythagoriciens, voir W. Burkert, Lore and Science in Ancient Pythagoreanism, traduit de l’allemand par E. L. M inar , Cambridge (Mass.), 1972, p. 268, à propos de la pensée de Philolaos. 102. C’est C. R iedweg, Pythagoras. His Life, Teaching, and Influence, traduit de l’allemand par S. R andall , Ithaca, 2005, p. 23, qui attire l’attention sur ce fragment d’Alexandre Polyhistor, tiré d’un ouvrage, Successions des philosophes, cité par Diogène Laërce (8,25). 103. Homélies 2,15,1 : εἷς ὢν αὐτός, διχῶς καὶ ἐναντίως διεῖλεν πάντα τὰ τῶν ἄκρων.
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révélé à Elkasaï 104 . Cet Alcibiade aurait sciemment emprunté à Pythagore sa célèbre théorie de la transmigration des âmes 105 : En se servant de la doctrine pythagoricienne dont j’ai parlé plus haut, il (Alcibiade d’Apamée) prétend que le Christ était un homme, né de la même manière que tous les hommes ; il soutient qu’il ne serait pas né, la première fois, d’une vierge, mais qu’il serait né auparavant et de nombreuses fois par la suite ; il se serait manifesté et se manifesterait encore, changeant, à chaque naissance, de corps, passant d’un corps à un autre 106.
Il est assez peu probable que les elkasaïtes ou Alcibiade d’Apamée aient réellement utilisé le concept pythagoricien de la transmigration des âmes pour élaborer leur christologie. Il s’agit plus vraisemblablement, comme le note Dylan Burns, d’une stratégie rhétorique, de la part d’Hippolyte 107, qui vise à rattacher les doctrines des hérétiques aux philosophes grecs et à Pythagore en particulier 108. Le système pythagoricien suppose, de toute manière, la transmigration de toutes les âmes et rien n’indique que telle était la croyance des elkasaïtes ou d’Alcibiade d’Apamée. Pour ce qui est 104. Sur les rapports entre Alcibiade d’Apamée et les elkasaïtes dans le traité d’Hippolyte de Rome, voir G. P. Luttikhuizen, « Elchasaites and their Book », dans A. M arjanen – P. Luomanen (éd.), A Companion to Second-Century Christian « Heretics », Leyde – Boston, 2005, p. 336-341. 105. Au sujet de la théorie pythagoricienne de la transmigration des âmes, voir le témoignage de Porphyre (Vie de Pythagore 19) et l’exposé de W. Burkert, Lore and Science in Ancient Pythagoreanism, traduit de l’allemand par E. L. M inar , Cambridge (Mass.), 1972, p. 120-165. Voir C. R iedweg, Pythagoras. His Life, Teaching, and Influence (trad. S. R andall), Ithaca, 2005, p. 62-63 et L. Zhmud, Pythagoras and the Early Pythagoreans (trad. K. Windle – R. I reland), Oxford, 2012, p. 221-238. 106. Hippolyte de Rome , Réfutation de toutes les hérésies 9,14,1 : τὸν Χριστὸν γὰρ λέγει ἄνθρωπον κοινῶς πᾶσι γεγονέναι· τοῦτον δὲ οὐ νῦν πρῶτον ἐκ παρθένου γεγενῆσθαι , ἀλλὰ καὶ πρότερον, καὶ αὖθις πολλάκις γεννηθέντα καὶ γεννώμενον πεφηνέναι καὶ φαίνεσθαι, ἀλλάσσοντα γενέσεις καὶ μετενσωματούμενον, ἐκείνῳ τῷ Πυθαγορείῳ δόγματι χρώμενος. Notre traduction. 107. D. M. Burns , « Jesus’ Reincarnations Revisited in Jewish Christianity, Sethian Gnosticism, and Mani », dans S. E. Myers (éd.), Portraits of Jesus : Studies in Christology, Tübingen, 2012, p. 379 : « So, it is possible that Hippolytus’s claim tells us more about his rhetorical aim in the Refutatio – tracing the doctrines of his opponents back to the various Greek philosophical schools – rather than actual influence of Pythagorean reincarnation upon the thought of the Elchasaites or the Pseudo-Clementines ». 108. Voir J. Fossum, « Jewish-Christian Christology and Jewish Mysticism », Vigiliae Christianae 37 (1983), p. 271 : « It is well known that the “bishop” of Rome held the opinion that all heresies derived from Greek philosophy, and he may very well have altered Elchasai’s teaching of the method of the reincarnations of the Son in order to make it look like a Pythagorean doctrine of metempsychosis in ever different bodies ».
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de la doctrine du Vrai Prophète dans les Pseudo-Clémentines, on peut sans doute convenir avec Bernard Pouderon qu’elle semble « étrangère à la croyance grecque en la métempsychose », à la condition d’accepter d’y voir, comme lui, des « épiphanies successives » et non des « incarnations successives » 109. Sans aller jusqu’à parler d’une « théorie imitée de Pythagore » 110, il ne faudrait toutefois pas exclure la possibilité d’une allusion à la doctrine pythagoricienne, d’un emploi, pour ainsi dire, polémique d’une notion familière aux adeptes du pythagorisme. Que les incarnations du Vrai Prophète fassent écho, même faiblement, ou non aux réincarnations des pythagoriciens, il reste que l’idée d’une chaîne prophétique, d’un prophète ou d’une « substance prophétique » qui traverserait les siècles en prenant des formes différentes, est attestée dans le monde gréco-romain. Giovanni Filoramo, dans un article publié en 2008 111, cite en exemple la Sibylle et la conception que l’on pouvait s’en faire, à l’époque de Plutarque, dans certains milieux 112 . Il souligne le fait que dans l’un des dialogues que Plutarque consacre à la divination et à l’oracle de Delphes, Sur les oracles de la Pythie 113, le poète stoïcien Sarapion 114 évoque les « incarnations » de la Sibylle :
109. B. Pouderon, La genèse du roman pseudo-clémentin. Études littéraires et historiques, Paris – Louvain, 2012, p. 175. 110. L’expression est utilisée par L. Cerfaux, « Le Vrai Prophète des Clémentines », Recherches de Science religieuse 18 (1928), p. 160. 111. G. Filoramo, « Le prophétisme du roman pseudo-clémentin dans le contexte historico-religieux de l’Antiquité tardive », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 351-359. 112. Sur la Sibylle dans le monde gréco-romain, voir M. Bouquet – F. Morzadec (éd.), La Sibylle. Parole et représentation, Rennes, 2004 et les contributions de C. Février , « Le double langage de la Sibylle : de l’oracle grec au rituel romain », p. 17-27 ; J. Champeaux, « Figures romaines de la Sibylle », p. 43-52 ; S. Crippa, « Figures du σιβυλλαίνειν », p. 99-108 et N. Belayche , « Quand Apollon s’est tu, les Sibylles parlent encore… », p. 151-163. Voir aussi J.-M. Roessli, « Vies et métamorphoses de la Sibylle », Revue de l ’histoire des religions 224 (2007), p. 253-271, qui donne un point de vue critique sur l’ouvrage de Bouquet et Morzadec. 113. Il est d’usage de désigner les trois dialogues de Plutarque qui portent sur l’oracle de Delphes, le De defectu oraculorum, le De E et le De Pythiae oraculis, par l’expression « dialogues pythiques ». Le titre latin De Pythiae oraculis ne traduit pas exactement le titre grec du dialogue : Περὶ τοῦ μὴ χρᾶν νῦν ἔμμετρα τὴν Πυθίαν, Pourquoi la Pythie ne rend plus ses oracles en vers, mais indique mieux, selon Robert Flacelière (R. Flacelière , « Notice du Sur les oracles de la Pythie », dans Plutarque , Œuvres morales, VI. Dialogues pythiques, texte établi et traduction par R. Flacelière , Paris, 1974, p. 39), « la véritable portée de l’ouvrage ». 114. Sur le poète stoïcien Sarapion, voir R. Flacelière , « Le poète stoïcien Sarapion d’Athènes, ami de Plutarque », Revue des Études grecques 64 (1951), p. 325327.
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Sarapion se mit alors à rappeler les vers dans lesquels elle a chanté son propre sort, en proclamant que, même morte, elle ne cesserait pas de prophétiser : son être passerait dans la lune et en suivrait les évolutions, en s’identifiant au prétendu visage que l’on y observe, son souffle, mêlé à l’air, et sans cesse errant dans le monde, produirait les voix et les présages, son corps enfin, décomposé dans la terre, ferait pousser l’herbe et les plantes, nourriture des animaux sacrés, dont les entrailles, avec leurs couleurs, leurs formes et leurs qualités diverses, manifesteraient l’avenir aux hommes 115.
Comme le note Sabina Crippa, dans son introduction au dialogue Sur les oracles de la Pythie, pour la collection Classiques en poche, il y avait à Delphes deux paroles, « d’une part, les réponses oraculaires de la Pythie dépendante de l’institution … d’autre part, s’opposant à elle, la parole prophétique de la Sibylle, qui se situe à l’extérieur, sur un rocher à côté du bouleuterion ou ailleurs, dans une grotte ou une caverne » 116. La Sibylle, explique Sarapion à Boéthos, l’incrédule de service dans le dialogue, c’est la voix prophétique qui traverse les âges : « Mais la Sibylle, “c’est d’une voix délirante, selon Héraclite, qu’elle s’exprime, sans sourire, sans ornement, sans fard”, et sa voix parvient au-delà de mille années grâce au dieu » 117. Pour Giovanni Filoramo, qui commente le passage que nous venons de citer (Sur les oracles de la Pythie 9), « il s’agit ici d’une substance prophétique qui préexiste dès le commencement du monde et qui, comme pneuma, à travers des manifestations cosmiques particulières, continue de manifester la même réalité prophétique à travers la voix des différentes sibylles, porteparole, en réalité d’une seule et unique Sibylle » 118. Il n’hésite pas à voir, derrière cette « succession sibylline », « une logique analogue à celle qui est sous-jacente aux manifestations du Vrai Prophète » 119. C’est la même logique qui est à l’œuvre, selon Giovanni Filoramo, dans la conception 115. Plutarque , Sur les oracles de la Pythie 9. Traduction R. Flacelière , Plutarque, Œuvres morales, VI. Dialogues pythiques, Paris, 1974. 116. S. Crippa, « Introduction », dans Plutarque , Sur les oracles de la Pythie, édition et traduction par R. Flacelière , Paris, 2007, p. xvii. Sur la conception de la divination et de l’inspiration chez Plutarque, voir Y. Vernière , « La théorie de l’inspiration prophétique dans les dialogues pythiques de Plutarque », Kernos 3 (1990), p. 359-366 et D. Jaillard, « Plutarque et la divination : la piété d’un prêtre philosophe », Revue de l ’histoire des religions 224 (2007), p. 149-169. 117. Plutarque , Sur les oracles de la Pythie 6. Traduction R. Flacelière , Plutarque, Œuvres morales, VI. Dialogues pythiques, Paris, 1974. 118. G. Filoramo, « Le prophétisme du roman pseudo-clémentin dans le contexte historico-religieux de l’Antiquité tardive », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 355. 119. G. Filoramo, « Le prophétisme du roman pseudo-clémentin dans le contexte historico-religieux de l’Antiquité tardive », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque
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chrétienne d’une succession prophétique, telle que la définit Origène en utilisant un « thème sapiential adapté au Christ ». Le problème de la succession prophétique constitue, à son avis, « un arrière-plan significatif du prophétisme des Pseudo-Clémentines » 120. Pour revenir à la Sibylle, le lien qu’établit Giovanni Filoramo entre la chaîne prophétique de la tradition sibylline et les incarnations du Vrai Prophète nous semble tout à fait pertinent. Au-delà de cet intéressant « parallèle païen », c’est aussi la tradition philosophique, néoplatonicienne, pour être plus précis, qu’il faut prendre en compte pour bien saisir la notion du Vrai Prophète dans son contexte gréco-romain. Rappelons, d’une part, que l’un des thèmes principaux du roman pseudo-clémentin est la supériorité de la révélation prophétique sur le raisonnement philosophique 121. C’est ce que Pierre explique à Clément, lorsqu’il le rencontre la première fois : « Contre la prophétie, en effet, ni les finesses de langage ne peuvent rien, ni les sophismes ingénieux, ni les syllogismes, ni aucun autre expédient, pour peu que celui qui a entendu le Vrai Prophète aspire réellement à la vérité et qu’il ne vise pas un autre objet sous couleur de vérité » 122 . Le lendemain de cette première rencontre, Pierre revient sur la question : « Tous ceux donc qui ont un jour cherché le vrai en croyant qu’ils pouvaient le trouver par eux-mêmes ont été pris au piège. C’est ce qui précisément est arrivé aux philosophes grecs et aux plus sérieux des Barbares » 123. Soulignons, d’autre part, que quelque temps avant la rédaction des Homélies, le néoplatonicien Porphyre s’intéressait à la portée philosophique des oracles et publiait un traité intitulé Philosophie tirée des oracles. Des fragments de cette œuvre ont été conservés dans les écrits d’Eusèbe de Césarée et d’Augustin d’Hippone qui s’emploient à la réfuter 124 . Dans un sens, de international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 356. 120. G. Filoramo, « Le prophétisme du roman pseudo-clémentin dans le contexte historico-religieux de l’Antiquité tardive », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 357. 121. Nicole Kelley en a fait la démonstration, du moins pour les Reconnaissances, dans l’ouvrage qu’elle a consacré au rapport entre connaissance et autorité religieuse dans les Pseudo-Clémentines : N. K elley, Knowledge and Religious Authority in the Pseudo-Clementines, Tübingen, 2006. Voir surtout les chapitres 2 (« Philosophers and the Quest for Philosophical Truth », p. 36-81) et 4 (« The Followers of the True Prophet », section « Introduction », p. 135-146). Voir D. H. Carlson, Jewish-Christian Interpretation of the Pentateuch in the Pseudo-Clementine Homilies, Philadelphie, 2013, p. 82-83. 122. Homélies 1,21,5-6. 123. Homélies 2,7,1. 124. Pour un exposé complet et récent sur le traité de Porphyre, voir A. Busine , Paroles d ’Apollon. Pratiques et traditions oraculaires dans l ’Antiquité tardive (IIe-
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Porphyre à Augustin, en passant par Eusèbe et les Pseudo-Clémentines, on retrouve la même idée que la vérité est révélée et démontrée par une manifestation divine, autrement dit, on retrouve la même importance accordée à la prophétie pour connaître la vérité. Par exemple, Porphyre, dans le prologue de la Philosophie tirée des oracles, énonce clairement le but de son traité : « la présente collection consignera un grand nombre des principes philosophiques conformes à ce que les dieux ont révélé être la vérité » 125. La quête de la vérité à laquelle se livre le Clément des Pseudo-Clémentines, qui le mène des écoles de philosophie à la révélation du Vrai Prophète 126 , correspond tout à fait à celle des lecteurs visés par Porphyre : « l’utilité de cette collection sera facilement perceptible par ceux qui ont douloureusement cherché à enfanter la vérité et qui ont un jour prié pour trouver dans l’expérience d’une apparition divine un terme à leur perplexité, grâce à l’enseignement digne de foi donné par les dieux qui parlent » 127. Que le traité de Porphyre ait été en circulation au moment où s’écrivaient les Homélies ne nous permet pas d’affirmer que les Pseudo-Clémentines et leur doctrine du Vrai Prophète auraient été rédigées dans le but de répondre à Porphyre. Cela nous permet en revanche d’affirmer VIe siècles), Leyde – Boston, 2005, p. 233-295. Voir également C. A ddey, Divination and Theurgy in Neoplatonism : Oracles of the Gods, Farnham, 2014, surtout les chapitres 1 et 2, p. 1-82 ; C. A ddey, « Monotheism, Henotheism, and Polytheism in Porphyry’s Philosophy from Oracles », dans S. M itchell – P. van Nuffelen (éd.), Monotheism between Pagans and Christians in Late Antiquity, Leuven, 2010, p. 149165 ; A. P. Johnson, « Arbiter of the Oracular : Reading Religion in Porphyry of Tyre », dans A. Cain – N. L enski (éd.), The Power of Religion in Late Antiquity, Farnham, 2009, p. 103-115 ; A. P. Johnson, Religion and Identity in Porphyry of Tyre. The Limits of Hellenism in Late Antiquity, Cambridge, 2013, p. 24-27 ; J. M. Schott, Christianity, Empire, and the Making of Religion in Late Antiquity, Philadelphie, 2008, p. 56-66 ; 74-76 ; 146-148 et A. M agny, Porphyry in Fragments. Reception of an Anti-Christian Text in Late Antiquity, Farnham, 2014, p. 16-19. Les fragments du traité Philosophie tirée des oracles ont été édités par A. Smith en 1993 (A. Smith, Porphyrii Philosophi fragmenta, Stuttgart, 1993, p. 351-407. 125. Traduction A. Busine , Paroles d ’Apollon. Pratiques et traditions oraculaires dans l ’Antiquité tardive (IIe-VIe siècles), Leyde – Boston, 2005, p. 242. Il s’agit du fragment 303 dans l’édition de Smith, soit Eusèbe de Césarée , Préparation évangélique 4,7,2. 126. Voir Homélies 1,1-4, pour la quête philosophique. Déçu par les philosophes, Clément conçoit même le projet de se rendre en Égypte pour recourir à la nécromancie (Homélies 1,5). Il entend alors parler de la venue du Fils de Dieu en Judée et décide de s’embarquer pour en savoir davantage (Homélies 1,6-7), mais les vents le poussent à Alexandrie où il fait la connaissance de Barnabé (Homélies 1,8-14). C’est Barnabé qui l’introduira peu après à l’apôtre Pierre qui se trouve à ce moment-là à Césarée. Pierre initiera ensuite Clément à la doctrine du Vrai Prophète (Homélies 1,15-22). 127. Traduction A. Busine , Paroles d ’Apollon. Pratiques et traditions oraculaires dans l ’Antiquité tardive (IIe-VIe siècles), Leyde – Boston, 2005, p. 242 : fragment 303 dans l’édition de Smith = Eusèbe de Césarée , Préparation évangélique 4,7,2.
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que la rédaction des Pseudo-Clémentines s’inscrit dans un contexte où la parole prophétique se voit conférer une valeur philosophique par des philosophes de tradition platonicienne. Porphyre s’efforce de tirer un sens philosophique d’oracles grecs, égyptiens et chaldéens, et Jamblique, après lui, fondera sa théorie et sa pratique sur l’autorité divine des Oracles chaldaïques 128. Dans ce contexte, on peut comprendre que les auteurs pseudoclémentins aient mis de l’avant une doctrine qui soutient la supériorité de la connaissance obtenue par le canal prophétique sur celle que procure le raisonnement philosophique. Le même contexte explique également que les auteurs aient choisi de donner un tour philosophique à leur récit. Pratiquement tous les personnages dans le roman pseudo-clémentin parlent et se comportent comme des philosophes grecs. C onclusion On le voit, le « texte » pseudo-clémentin qui décrit le verus propheta et le contexte dans lequel il se situe posent certains problèmes d’interprétation. La question des origines s’avère particulièrement difficile et complexe. Il nous semble néanmoins possible d’avancer quelques hypothèses susceptibles d’éclairer la voie qui mène à la connaissance du Vrai Prophète. On peut ainsi supposer que l’idée apparaît dans le milieu judéo-chrétien d’où proviennent les Pseudo-Clémentines. Les auteurs issus de ce milieu, que l’on peut soit qualifier d’ébionite et/ou d’elkasaïte soit rapprocher des ébionites et/ou des elkasaïtes, ont élaboré une christologie ou plutôt une prophétologie qui (1) s’apparente aux traditions sapientiales et angélologiques judéennes, (2) qui n’est pas étrangère aux racines de la mystique judéenne, (3) qui se définit en opposition à la gnose séthienne et au marcionisme, (4) qui présente des affinités avec la notion grecque de succession prophétique et (5) qui affirme sa supériorité sur une philosophie grecque, celle des néoplatoniciens, qui accorde de plus en plus d’importance à l’autorité des oracles. Si les experts ont du mal à s’entendre sur la question des origines et du contexte entourant la notion du Vrai Prophète dans les Pseudo-Clémentines, ils paraissent, au contraire, s’accorder sur la possibilité d’une filiation entre le verus propheta judéo-chrétien des écrits pseudo-clémentins et 128. Sur l’importance des Oracles chaldaïques pour Jamblique et sa théurgie, voir C. van Liefferinge , La théurgie. Des Oracles chaldaïques à Proclus, Liège, 1999 ; H. L ewy, Chaldean Oracles and Theurgy, Paris, 2011 (troisième édition par M. Tardieu avec un supplément « Les Oracles chaldaïques 1891-2001 » ; édition originale : 1956) ; I. Tanaseanu-Döbler , Theurgy in Late Antiquity. The Invention of a Ritual Tradition, Göttingen, 2013, p. 21-135 et C. A ddey, Divination and Theurgy in Neoplatonism : Oracles of the Gods, Farnham, 2014.
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l’ultime prophète de l’Islam, le « sceau des prophètes ». Oscar Cullmann concluait déjà, en 1930, sa magistrale étude sur le roman pseudo-clémentin en évoquant une certaine continuité entre judéo-christianisme et Islam : « en adoptant la doctrine du Vrai Prophète, l’Islam devait recueillir ce qui restait d’un héritage dont le christianisme orthodoxe, reniant ses origines, mais fidèle à l’enseignement de Jésus, n’avait pas voulu » 129. Plus tard, en 1949, Hans Joachim Schoeps parlera lui aussi d’un judéo-christianisme « disparu de l’Église chrétienne », mais « conservé en Islam » 130. Gedaliahu Guy Stroumsa, pour sa part, note que, dès 1858, Theodor Nöldeke soulevait la question des origines « chrétiennes » de l’Islam en rappelant la tradition selon laquelle le Prophète aurait rencontré un moine dénommé Waraka qui lui aurait enseigné des doctrines « chrétiennes » 131. Des sources arabes tardives font de ce Waraka un évêque des Naṣārā, un terme qui pourrait désigner des Nazoréens, ce qui signifie que les Chrétiens qui auraient eu une influence sur la pensée de Mahomet seraient en fait des « Judéo-chrétiens » 132 , des ébionites, suivant Henry Corbin 133. Il pourrait tout aussi bien s’agir d’elkasaïtes ou de manichéens 134 . Nous avons vu qu’Épiphane attribuait la doctrine ébionite des réincarnations du Christ à l’influence des elkasaïtes. Nous savons, par ailleurs, que Mani a grandi au milieu d’une communauté d’elkasaïtes 135 et que ce sont les manichéens qui auraient utilisé l’expression « sceau des prophètes » pour la première fois, en parlant de Mani 136, expression qui servira plus tard à définir le
129. O. Cullmann, Le problème littéraire et historique du roman pseudo-clémentin. Étude sur le rapport entre le gnosticisme et le judéo-christianisme, Paris, 1930, p. 260. 130. H. J. Schoeps , Theologie und Geschichte des Judenchristentums, Tübingen, 1949, p. 342. 131. G. G. Stroumsa, The Making of the Abrahamic Religions in Late Antiquity, Oxford, 2015, p. 150. 132. G. G. Stroumsa, The Making of the Abrahamic Religions in Late Antiquity, Oxford, 2015, p. 150. 133. Henry Corbin apud S. C. M imouni, « La doctrine du Verus Propheta de la littérature pseudo-clémentine chez Henry Corbin et ses élèves », dans M. A. A mirMoezzi – C. Jambet – P. L ory (éd.), Henry Corbin. Philosophes et sagesses des religions du Livre, Turnhout, p. 172. 134. S. C. M imouni, « La doctrine du Verus Propheta de la littérature pseudoclémentine chez Henry Corbin et ses élèves », dans M. A. A mir-Moezzi – C. Jambet – P. L ory (éd.), Henry Corbin. Philosophes et sagesses des religions du Livre, Turnhout, p. 175. 135. G. G. Stroumsa, The Making of the Abrahamic Religions in Late Antiquity, Oxford, 2015, p. 151. Voir J. C. R eeves , « The “Elchasaite” Sanhedrin of the Cologne Mani Codex in Light of Second Temple Jewish Sectarian Sources », Journal of Jewish Studies 42 (1991) 68-91. 136. C’est l’hypothèse que met de l’avant G. G. Stroumsa, The Making of the Abrahamic Religions in Late Antiquity, Oxford, 2015, p. 87-99.
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caractère ultime et définitif du prophète Mahomet 137. Nous aurions ainsi une séquence qui prendrait son point de départ en Elkasaï et trouverait son point d’arrivée en Mahomet, avec Mani comme point médian. C’est la thèse que soutient notamment François de Blois dans un article paru en 2004 138. Quelle que soit la nature exacte de la communauté « chrétienne » de la Mecque qui aurait joué un rôle dans la naissance de l’Islam, il reste que pour de nombreux savants la notion judéo-chrétienne du Vrai Prophète, telle qu’elle est attestée dans les Pseudo-Clémentines, se trouve à la base de la notion islamique du Prophète 139. Au fond, l’importance que l’on accorde à la doctrine du Vrai Prophète est une question de perspective. Du point de vue d’Épiphane, les chrétiens qui défendent une telle doctrine, les ébionites et les elkasaïtes, se situent dans la marge, en périphérie de la vérité. Du point de vue des fidèles de Mani et de Mahomet, de tels chrétiens, qui conçoivent la révélation divine comme une succession de prophètes, se situent plutôt au centre même de la vérité, celle qui va du Vrai Prophète au sceau des prophètes.
137. G. G. Stroumsa, The Making of the Abrahamic Religions in Late Antiquity, Oxford, 2015, p. 87. 138. F. De Blois , « Elchasai – Manes – Muhammad. Manichäismus und Islam in religionshistorischem Vergleich », Der Islam 81 (2004), p. 31-48, cité par G. G. Stroumsa, The Making of the Abrahamic Religions in Late Antiquity, Oxford, 2015, p. 152. 139. Voir e.g. G. G. Stroumsa, The Making of the Abrahamic Religions in Late Antiquity, Oxford, 2015, p. 152-153 et S. C. M imouni, « La doctrine du Verus Propheta de la littérature pseudo-clémentine chez Henry Corbin et ses élèves », dans M. A. A mir-Moezzi – C. Jambet – P. L ory (éd.), Henry Corbin. Philosophes et sagesses des religions du Livre, Turnhout, p. 172 et 175. Voir également H. M. Zelletin, The Qu’ān’s Legal Culture. The Didascalia Apostolorum as a Point of Departure, Tübingen, 2013, qui tente de démontrer, à la suite de S. P ines , « Notes on Islam and on Arabic Christianity and Judaeo-Christianity », Jerusalem Studies in Arabic and Islam 4 (1984), p. 135-152, que certains éléments rituels mentionnés dans le Coran remonterait à des sources judéo-chrétiennes comme les Homélies pseudo-clémentines et la Didascalie des Apôtres. Voir, à ce sujet, les réserves exprimées par S. J. Shoemaker dans sa recension de l’ouvrage de Zelletin : Journal of Early Christian Studies 24, 1 (2016), p. 134-135.
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Au nom de Jacques et de C lément Le Frère du Seigneur dans les Pseudo-Clémentines* On associe d’ordinaire le corpus connu sous le nom de Pseudo-Clémentines à la figure de Clément de Rome ou à celle de l’Apôtre Pierre, qui y joue un rôle prépondérant. On oublie souvent que les Homélies et les Reconnaissances, qui composent l’essentiel du corpus, sont placées sous l’autorité de Jacques de Jérusalem. Elles nous racontent, en fait, la mission de Pierre en Syro-Phénicie, à la poursuite de Simon de Samarie, « sous la forme d’une immense lettre » 1 censée être envoyée à Jacques dit le frère du Seigneur. Les Pseudo-Clémentines se présentent, en effet, comme une sorte de rapport sur les enseignements de Pierre, que Clément, qui succède à Pierre sur le trône épiscopal romain, aurait rédigé à l’intention de Jacques, frère du Seigneur. C’est du moins la situation que décrit l’un des écrits liminaires du roman, la Lettre de Clément à Jacques 2 . Vers la fin de la lettre, Pierre, au moment de remettre sa chaire à Clément, lui adresse une demande : Je te le demande devant tous les frères ici présents : lorsque j’aurai quitté la vie d’ici-bas, comme je le dois, envoie à Jacques le frère du Seigneur un récit abrégé comprenant aussi tes réflexions depuis l’enfance, et expliquant comment tu as fait route avec moi depuis le début jusqu’à maintenant, attentif aux prédications que je faisais de ville en ville ainsi qu’à mes actes 3. * Étude inédite. 1. B. Pouderon, La genèse du roman pseudo-clémentin. Études littéraires et historiques, Paris – Louvain, 2012, p. 105. 2. Sur les écrits liminaires des Pseudo-Clémentines, voir F. Bovon, « En tête des Homélies clémentines. La Lettre de Pierre à Jacques », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 329-335, pour la Lettre de Pierre à Jacques, et W. Ullmann, « The significance of the Epistola Clementis in the Pseudo-Clementines », Journal of Theological Studies (N. S.) 11 (1960), p. 295-317, pour la Lettre de Clément à Jacques. 3. Lettre de Clément à Jacques 19,2 : Ἀξιῶ σε ἐπὶ πάντων μου τῶν συνπαρόντων ἀδελφῶν, ὅπως ὁπόταν τοῦ ἐνταῦθα (ὡς ἐμοὶ ὀφείλεται) ἀπαλλάξω βίου, σὲ Ἰακώβῳ τῷ ἀδελφῷ τοῦ κυρίου διαπέμψαι ἐν ἐπιτομῇ ἀναγραψάμενον μέχρι καὶ τῶν ἐκ παίδων σου λογισμῶν καὶ ὡς ἀπ’ ἀρχῆς μέχρι τοῦ νῦν συνώδευσάς μοι,
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Dans le même passage, Clément assure ensuite le destinataire de la lettre, son seigneur Jacques, qu’il a bien accompli la tâche qui lui avait été confiée : Quand il eut donné ses consignes, mon seigneur Jacques, je promis de les suivre ; aussi n’ai-je pas tardé à consigner dans des livres, ainsi qu’il me l’avait demandé, résumés à l’essentiel, la plus grande partie des discours qu’il a tenus de ville en ville, et dont a déjà été faite une première rédaction qu’il t’a fait parvenir, et à te les envoyer, en guise de mémorial, sous ce titre : De Clément, abrégé des prédications de Pierre au cours de ses voyages. Mais je vais commencer mon exposé, comme j’en ai reçu l’ordre 4 .
La Lettre de Pierre à Jacques, qui sert aussi d’introduction au roman, confirme également l’autorité de Jacques sur Pierre et Clément. Pierre s’y adresse à Jacques en tant que « seigneur et évêque de la sainte Église » 5. L’importance accordée à Jacques dans les écrits liminaires des PseudoClémentines 6 ne fait aucun doute 7. Elle offre cependant un contraste avec l’absence quasi complète du personnage dans l’intrigue du roman pseudoclémentin, exception faite d’un long passage dans les Reconnaissances 8. Un tel décalage entre les deux niveaux du corpus ne peut manquer d’étonner. Autrement dit, il y a lieu de se demander pourquoi l’auteur de la Lettre de Clément à Jacques a-t-il voulu présenter l’histoire de Clément et la lutte de Pierre contre Simon comme un compte rendu destiné à être approuvé, en ἐπακούων τῶν κατὰ πόλιν ὑπ’ ἐμοῦ κηρυχθέντων λόγων τε καὶ πράξεων. Dans le cadre de cette étude, tous les extraits des Homélies et des Reconnaissances proviennent de la traduction de la Pléiade (P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005). 4. Lettre de Clément à Jacques 20,1 : Ὅθεν ἐγώ, κύριέ μου Ἰάκωβε, αὐτοῦ ταῦτα εἰπόντος ὑποσχόμενος οὐκ ὤκνησα, ὡς ἐκελεύσθην, τὸ πολὺ τῶν κατὰ πόλιν λόγων τῶν ἤδη σοι προγραφέντων καὶ ὑπ’ αὐτοῦ διαπεμφθέντων ἐν βίβλοις ἐπὶ κεφαλαίων ποιῆσαι ὥσπερ σημείου χάριν καὶ οὕτως διαπέμψαι σοι ἐπιγράψαντα·Κλήμεντος τῶν Πέτρου ἐπιδημίων κηρυγμάτων ἐπιτομή. πλὴν τοῦ ἐκτιθέναι ὡς ἐκελεύσθην ἄρξομαι. 5. Lettre de Pierre à Jacques 1,1 : Πέτρος Ἰακώβῳ τῷ κυρίῳ καὶ ἐπισκόπῳ τῆς ἁγίας ἐκκλησίας. 6. Un troisième texte, très court, l’Engagement solennel, attaché en quelque sorte à la Lettre de Pierre à Jacques, vient compléter le groupe des écrits liminaires. 7. Voir à ce sujet M. Myllykoski, « James the Just in History and Tradition : Perspectives of Past and Present Scholarship (Part I) », Currents in Biblical Research 6 (2007), p. 44. 8. Reconnaissances 1,66,2-71,6. Il s’agit d’un passage qui n’a pas de parallèle dans les Homélies et à propos duquel F. S. Jones (F. S. Jones , An Ancient Jewish Christian Source on the History of Christianity. Pseudo-Clementine Recognitions 1.2771, Atlanta, 1995) a supposé l’existence d’une source judéo-chrétienne du IIe siècle. Sur le témoignage de cette section des Reconnaissances concernant Jacques, voir L. Cirillo, « Jacques de Jérusalem d’après le roman du Pseudo-Clément », dans A. Motte – P. M archetti (éd.), La figure du prêtre dans les grandes traditions religieuses, Louvain, 2005, p. 181-184.
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quelque sorte, par l’évêque de Jérusalem. Cette étude se propose donc de faire le point sur la question du rôle de Jacques dans les Pseudo-Clémentines et de mettre de l’avant quelques éléments de réflexion sur le sujet. Elle abordera, du même coup, la question de la datation des écrits liminaires et celle de la perception de Jacques dans la littérature patristique (Eusèbe de Césarée et Épiphane de Salamine) du IVe siècle. 1. L’ i m porta nce
de
J acqu e s
da ns l a l i t t é r at u r e
pseu do - cl é m e n t i n e 9
La figure de Jacques, plus présente et mieux définie dans les écrits préliminaires que dans les Homélies et les Reconnaissances, comme nous venons de le mentionner, offre toutefois à l’analyse de l’ensemble du corpus une certaine cohérence. On lui attribue ainsi le même titre d’évêque et la même fonction de gardien de la vérité, aussi bien dans la Lettre de Clément que dans le livre premier des Reconnaissances. 1.1. Jacques, évêque des évêques, évêque de Jérusalem Dans la Lettre de Pierre, nous l’avons vu, Jacques porte le titre de « seigneur et évêque de la sainte Église » 10. La Lettre de Clément ajoute qu’il est l’« évêque des évêques qui dirige à Jérusalem la sainte Église des Hébreux et celles qui partout ont été heureusement fondées par la providence de Dieu » 11. Les Reconnaissances font écho, dans un sens, à l’expression « évêque des évêques », une manière d’évêque primordial, 9. Voir S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 192-194. 10. Lettre de Pierre à Jacques 1,1 : Κλήμης Ἰακώβῳ τῷ κυρίῳ καὶ ἐπισκόπων ἐπισκόπῳ, διέποντι δὲ τὴν Ἱερουσαλὴμ ἁγίαν Ἑβραίων ἐκκλησίαν καὶ τὰς πανταχῆ θεοῦ προνοίᾳ ἱδρυθείσας καλῶς, σύν τε πρεσβυτέροις καὶ διακόνοις καὶ τοῖς λοιποῖς ἅπασιν ἀδελφοῖς. εἰρήνη εἴη πάντοτε. Voir F. Bovon, « En tête des Homélies clémentines. La Lettre de Pierre à Jacques », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 331, qui souligne la singularité du titre « seigneur et évêque de la sainte Église » et S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 194, qui y voit quelque chose de « fort ancien » : « il pourrait, en effet, renvoyer à l’ancienne appellation de “saints” que portent les chrétiens d’origine judéenne avant que ce titre n’ait été récupéré par les chrétiens d’origine grecque ». 11. Lettre de Clément à Jacques 1,1 : Κλήμης Ἰακώβῳ τῷ κυρίῳ καὶ ἐπισκόπων ἐπισκόπῳ, διέποντι δὲ τὴν Ἱερουσαλὴμ ἁγίαν Ἑβραίων ἐκκλησίαν καὶ τὰς πανταχῆ θεοῦ προνοίᾳ ἱδρυθείσας καλῶς,
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puisqu’elles nous apprennent que Jacques a été ordonné par Jésus lui-même et non par les Douze : « l’Église du Seigneur, constituée à Jérusalem, considérablement multipliée, s’accroissait sous la conduite de Jacques, qui y avait été ordonné évêque par le Seigneur et l’administrait par de très sages dispositions » 12 . Une telle ordination, conférée, suppose-t-on, avant l’ascension 13, situe l’autorité de Jacques au-dessus de celle des Douze et en fait le fondateur de la communauté de Jérusalem, un point de vue que ne partage pas entièrement Eusèbe de Césarée qui préfère attribuer la fondation de la première église aux apôtres 14 . Ailleurs, dans le premier livre des Reconnaissances (1,73,3), Pierre désigne Jacques comme l’archevêque (archiepiscopus) de Jérusalem. Dans le contexte d’une convocation des apôtres au temple par les prêtres et par Caïphe le grand prêtre, on peut noter, à la suite de Richard Bauckham et de Simon Claude Mimouni 15, que Jacques occupe, du côté des Judéens 12. Reconnaissances 1,43,3 : …et ecclesia dei in Hierusalem constituta copiosissime multiplicata crescebat per Iacobum, qui a domino ordinatus est in ea episcopus, rectissimis dispensationibus. 13. R. Bauckham, « James the Brother of the Lord in the Pseudo-Clementine Literature », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 304 : « The likely implication is that the risen Christ appointed James head of the community before ascending to heaven and leaving them in his charge ». Simon Claude Mimouni (S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 193) remarque que de faire remonter l’épiscopat de Jacques à Jésus « n’est pas sans intérêt pour savoir qui a fondé la communauté de Jérusalem et de qui relève son autorité et donc la légitimité de son pouvoir… ». 14. Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 2,23,1 : « …Jacques de Jérusalem, le frère du Seigneur, à qui avait été remis par les apôtres le siège épiscopal de Jérusalem… ». Traduction G. Bardy, Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, I (Livres I-IV), Paris, 1952. Dans cette étude, toutes les citations de l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée proviennent de cette traduction. Toutefois, comme le note Richard Bauckham (R. Bauckham, « James the Brother of the Lord in the Pseudo-Clementine Literature », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 304, note 5), un autre passage de l’Histoire ecclésiastique (7,19) précise que Jacques a reçu l’épiscopat de Jérusalem du « Sauveur et des apôtres ». Voir J. Painter , Just James. The Brother of Jesus in History and Tradition, Columbia (SC), 2004 [1997], p. 194 : « While not denying the leadership of James, the tradition of the Great Church was eager to couple the apostles with the Lord as the source of the authority of James, as can be seen in Eusebius (HE 7.19) ». 15. R. Bauckham, « James the Brother of the Lord in the Pseudo-Clementine Literature », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 305 ; S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de
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chrétiens, la même position d’autorité que Caïphe, du côté des Judéens non chrétiens, le titre d’archiepiscopus correspondant à celui de pontifex, lequel renvoie à celui d’ἀρχιερεύς qui qualifie habituellement Caïphe dans les sources 16. Selon Simon Claude Mimouni, il s’agit ici d’un « processus de sacerdotalisation de la figure de Jacques à partir de celle de Jésus », un « phénomène symbolique » qui s’observe dès le IIIe siècle, en lien avec la « conception sacerdotalisée des ministères chrétiens qui s’installe à partir du IIIe siècle en Syrie et ailleurs dans l’Empire romain » 17. Il souligne, par ailleurs, l’importance de certaines des « informations que fournit la littérature pseudo-clémentine » puisqu’elles « permettent de remonter à un état très ancien de la communauté de Jérusalem » 18. Dans les Pseudo-Clémentines, c’est donc à titre d’« évêque des évêques » que Jacques exerce son autorité sur Pierre et qu’il l’envoie en mission pour réfuter l’enseignement de Simon de Samarie 19. L’Apôtre devra lui envoyer chaque année un compte rendu de ses discours et de ses actes 20. Il s’agit d’une autorité « tout extérieure », comme le note Simon Claude Mimouni, « car le prestige moral de Pierre paraît plus grand » 21, c’est lui le héros : Jacques se contente ici du rôle d’« éminence grise », de « puissance tutélaire » 22 . la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 193. 16. Voir Matthieu 26,3. 17. S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 193. 18. S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 194. 19. Reconnaissances 1,72,5. 20. Reconnaissances 1,72,7 : « Et, bien sûr, aie soin de m’envoyer chaque année, par écrit, un compte rendu des plus importants de tes discours et de tes actes, et spécialement après chaque période de sept ans ». Voir S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 193 : « Jacques y est présenté dans un rapport curieux avec les apôtres : il ne fait certes pas partie des Douze, mais pourtant il apparaît en quelque sorte comme leur supérieur, notamment par la qualification d’“évêque des évêques” ». Voir aussi M. Myllykoski, « James the Just in History and Tradition : Perspectives of Past and Present Scholarship (Part I) », Currents in Biblical Research 6 (2007), p. 47. 21. S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 193. 22. Voir R. Burnet, Les Douze Apôtres. Histoire de la réception des figures apostoliques dans le christianisme ancien, Turnhout, 2014, p. 597. Matti Myllykoski (M. Myllykoski, « James the Just in History and Tradition : Perspectives of Past and Present Scholarship (Part I) », Currents in Biblical Research 6 (2007), p. 44)
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1.2. Jacques, le gardien de la vérité Pour les chrétiens d’origine judéenne, l’appartenance de Jacques à la famille de Jésus en fait le leader incontesté de l’Église de Jérusalem 23. En vertu de ce même lien de parenté, les chrétiens gnosticisants verront en lui un « anneau important dans une chaîne de transmission ésotérique de la révélation gnostique » 24 . Sans aller aussi loin que la Première Apocalypse de Jacques, qui l’associe aux prophètes 25, les Pseudo-Clémentines reconnaissent également à Jacques le privilège de garder et de transmettre une doctrine ésotérique. Dans le seul passage des Homélies qui fait mention de Jacques, Pierre, au terme de son discours à l’Église de Tripoli, sert une mise en garde au sujet des apôtres, des docteurs et des prophètes itinérants qui parcourent les régions de Syrie : C’est pourquoi, avant toutes choses, souvenez-vous de n’accepter personne comme apôtre, docteur ou prophète, qui n’ait auparavant confronté sa prédication à celle de Jacques dit le frère de mon Seigneur et chargé de conduire l’Église des Hébreux à Jérusalem 26. utilise lui aussi l’expression « éminence grise » (grey eminence) pour décrire le rôle de Jacques. 23. Voir Simon Claude Mimouni (S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 194) qui considère que le témoignage des PseudoClémentines illustre le rôle majeur joué par la communauté de Jérusalem « face aux autres communautés, peut-être à cause même de la parenté entre Jacques et Jésus ». 24. S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 197. Voir James Painter (J. Painter , Just James. The Brother of Jesus in History and Tradition, Columbia (SC), 2004 [1997], p. 169-170), qui s’appuie sur la démonstration d’Alexander Böhlig (A. Böhlig, « Der jüdische und judenchristliche Hintergrund in gnostischen Texten von Nag Hammadi », dans U. Bianchi (éd.), Le origini dello gnosticismo. Colloquio di Messina. 13-18 aprile 1966, Leyde, 1967, p. 131-135) pour affirmer que la figure de Jacques dans la Première Apocalypse de Jacques a quelque chose de judéo-chrétien. Voir M. Myllykoski, « James the Just in History and Tradition : Perspectives of Past and Present Scholarship (Part I) », Currents in Biblical Research 6 (2007), p. 58-59 pour un survol de la recherche sur la question. 25. Première Apocalypse de Jacques 39,18-23 : « Et alors, avant que moi (je) ne me manifeste en ce lieu-ci, il les a jetés dans ce peuple. Mais à partir de ce lieuci, les prophètes n’ont pas… ». Traduction W.-P. Funk – A. Veilleux (J.-P. M ahé – P.-H. Poirier (éd.), Écrits gnostiques. La bibliothèque de Nag Hammadi, Paris, 2007). Selon W. R. Schoedel, apud M. Myllykoski, « James the Just in History and Tradition : Perspectives of Past and Present Scholarship (Part I) », Currents in Biblical Research 6 (2007), p. 58, la référence aux prophètes dans ce passage n’aurait rien de judéo-chrétien. Elle se comprendrait plutôt en rapport avec le discours valentinien sur le Christ psychique, créé par le démiurge et annoncé par les prophètes (I rénée de Lyon, Contre les hérésies 1,7,2). 26. Homélies 11,35,4. Voir le passage parallèle en Reconnaissances 4,35,1 : « C’est pourquoi, prenez bien garde de ne croire aucun docteur qui n’ait apporté de Jérusa-
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Dans la Lettre de Pierre à Jacques, c’est à lui, Jacques, que Pierre rend compte de ses actes et c’est à lui qu’il confie le soin de conserver ses précieuses prédications et de les transmettre à ceux qui le méritent : Mon frère, connaissant le zèle ardent qui t’anime pour les intérêts communs à nous tous, je te demande avec insistance de ne communiquer les livres de mes prédications que je t’envoie à personne de la gentilité ni de notre race sans épreuve probatoire ; mais si quelqu’un, après cette épreuve, en est trouvé digne, alors confie-les-lui selon le mode de transmission dont usa Moïse au bénéfice des Soixante-dix qui reçurent sa chaire en succession 27.
À la différence de Pierre, qui forme une syzygie avec Simon de Samarie 28, et à la différence également du Jacques des textes gnostiques 29, le rôle de Jacques, dans les Pseudo-Clémentines, n’est pas d’émettre la vérité prophétique. Il consiste plutôt à la transmettre. Gardien de la vérité, il est aussi garant du mystère qui l’entoure et de l’initiation que doivent subir ses soixante-dix émissaires : Pour qu’il en soit aussi de même chez nous, donne les livres de mes prédications à nos soixante-dix frères en observant le même mystère dans le mode de transmission 30.
Dans sa fonction de gardien de la vérité, celle que contiennent les prédications de Pierre, Jacques doit également prendre garde à celui que Pierre appelle l’« homme ennemi » 31, une expression qui désigne de toute évilem le témoignage de Jacques, frère du Seigneur, ou de celui, quel qu’il soit, qui lui aura succédé ». Luigi Cirillo (L. Cirillo, « Jacques de Jérusalem d’après le roman du Pseudo-Clément », dans A. Motte – P. M archetti (éd.), La figure du prêtre dans les grandes traditions religieuses, Louvain, 2005, p. 184-185) interprète les deux passages à la lumière d’une polémique contre les marcionites. 27. Lettre de Pierre à Jacques 1,2 : Εἰδώς σε, ἀδελφέ μου, εἰς τὸ κοινῇ πᾶσιν ἡμῖν συμφέρον σπεύδοντα προθύμως, ἀξιῶ καὶ δέομαι τῶν ἐμῶν κηρυγμάτων ἃς ἔπεμψά σοι βίβλους μηδενὶ τῶν ἀπὸ τῶν ἐθνῶν μεταδοῦναι μήτε ὁμοφύλῳ πρὸ πείρας, ἀλλ’ ἐάν τις δοκιμασθεὶς ἄξιος εὑρεθῇ, τότε αὐτῷ κατὰ τὴν ἀγωγὴν παραδοῦναι, καθ’ἣν καὶ τοῖς ἑβδομήκοντα ὁ Μωυσῆς παρέδωκε τοῖς τὴν καθέδραν αὐτοῦ παρειληφόσιν. 28. Sur la doctrine des syzygies, voir Homélies 2,15-17. Cf. Reconnaissances 3,55.59.61. 29. Voir Alexander Böhlig (A. Böhlig, « Der jüdische und judenchristliche Hintergrund in gnostischen Texten von Nag Hammadi », dans U. Bianchi (éd.), Le origini dello gnosticismo. Colloquio di Messina. 13-18 aprile 1966, Leyde, 1967, p. 133-134) qui fait tout de même des rapprochements entre les deux Apocalypses de Jacques et les Pseudo-Clémentines sur la question de l’antipaulinisme et des syzygies. 30. Lettre de Pierre à Jacques 2,1 : ἵνα γοῦν τὸ ὅμοιον καὶ παρ’ ἡμῖν γένηται, τοῖς ἑβδομήκοντα ἡμῶν ἀδελφοῖς τὰς βίβλους μου τῶν κηρυγμάτων δὸς μετὰ τοῦ ὁμοίου τῆς ἀγωγῆς μυστηρίου. 31. Lettre de Pierre à Jacques 2,3 : « Car certains parmi les nations ont rejeté la prédication conforme à la Loi qui était la mienne, pour adopter un enseignement
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dence, dans le contexte de la Lettre de Pierre à Jacques, l’apôtre Paul 32 . On le retrouve dans les Reconnaissances 33, cet « homme ennemi », qui pénètre alors dans le Temple 3 4 , tout juste au moment où une foule de Judéens non chrétiens est sur le point de recevoir le baptême, qui sème la confusion, excite le peuple au meurtre et précipite Jacques du haut des marches du Temple 35, un « homme ennemi » qui rappelle évidemment le Saul des Actes des Apôtres. Depuis Ferdinand Christian Baur, on a beaucoup insisté sur le conflit entre Pierre et Paul, au sein de l’Église primitive, en oubliant parfois de reconnaître l’importance de Jacques, le frère du Seigneur, dans la première communauté de Jérusalem, bien qu’il semble établi historiquement 36 que « Jacques était le leader de la tendance que l’on peut décrire comme l’Église nazoréenne de Jérusalem », comme le rappelle Burnet, et que cette tendance « finit par s’opposer à la mission paulinienne » 37. Il est clair, quoi qu’il en soit de l’importance historique de Jacques, que dans le corpus pseudo-clémentin ce sont surtout les écrits liminaires qui insistent sur le rôle prépondérant de Jacques dans la fondation et l’organisation de la communauté des origines. C’est un constat qui soulève deux questions : celle de la date et de l’auteur de ces trois textes, et celle de la signification d’une telle prépondérance dans le contexte du IVe siècle.
contraire à la Loi, les sornettes de l’homme ennemi ». 32. Sur l’antipaulinisme dans la Lettre de Pierre à Jacques, voir K. J. Ruffatto, « Moses Typology for Peter in the Epistula Petri and the Contestatio », Vigiliae Christianae 69 (2015), p. 345-348. 33. Reconnaissances 1,70,1-8. 34. Sur le lien qui est fait, dans les Reconnaissances et ailleurs, entre Jacques, Jérusalem et le temple, voir Y. Z. Eliav, « The Tomb of James, Brother of Jesus, as Locus Memoriae », The Harvard Theological Review 97 (2004), p. 35 : « A variety of documents related to James and his group share a common trait : they emphasize the centrality of Jerusalem and the temple ». 35. Reconnaissances 1,70,8. À propos de la mort de Jacques, voir J. Painter , Just James. The Brother of Jesus in History and Tradition, Columbia (SC), 2004 [1997], p. 118-147 ; S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 219-240. Au sujet de l’endroit où aurait eu lieu le martyr de Jacques, voir Y. Z. Eliav, « The Tomb of James, Brother of Jesus, as Locus Memoriae », The Harvard Theological Review 97 (2004), p. 38-41. 36. Voir J. Painter , Just James. The Brother of Jesus in History and Tradition, Columbia (SC), 2004 [1997], p. 83-84. 37. R. Burnet, Les Douze Apôtres. Histoire de la réception des figures apostoliques dans le christianisme ancien, Turnhout, 2014, p. 595.
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2 . L’au t eu r
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ou l e s au t eu r s de s écr i ts l i m i na i r e s
La première question, qui porte sur la date et l’auteur des écrits liminaires, fait partie du « problème littéraire et historique du roman pseudoclémentin », pour reprendre l’expression d’Oscar Cullmann 38. Précisons d’emblée que, dans la tradition manuscrite, seules les Homélies sont accompagnées des trois écrits liminaires, bien qu’il ne soit pas impossible que l’original grec des Reconnaissances ait également été précédé d’un des trois écrits liminaires, la Lettre de Clément à Jacques 39. Rufin d’Aquilée, en tout cas, connaissait une lettre de Clément adressée à Jacques. Dans la préface à sa traduction des Reconnaissances, il explique à l’évêque Gaudentius, le destinataire de l’ouvrage, pourquoi la lettre n’accompagne pas le roman : Il est vrai que la lettre écrite par le même Clément à Jacques, frère du Seigneur, pour lui annoncer la mort de Pierre et la volonté exprimée par celuici que lui, Clément, lui succède dans sa chaire et dans son enseignement, lettre où l’on trouve également tout ce qui concerne l’ordre ecclésiastique, je ne l’ai pas mise en tête de cet ouvrage, d’une part parce qu’elle est postérieure, d’autre part parce que je l’ai jadis traduite et éditée 4 0.
Photius atteste lui aussi, malgré une certaine confusion, l’existence d’une lettre de Clément à Jacques placée en tête des Reconnaissances et même celle d’une lettre de Pierre à Jacques : Dans certaines (copies de la Reconnaissance de Clément de Rome), comme je l’ai dit, il y a en tête de l’ouvrage une lettre qui est censée adressée à Jacques, le frère du Christ … dans certains manuscrits, elle passe pour envoyée par l’apôtre Pierre à Jacques et, dans d’autres, pour envoyée par
38. C’est, en effet, le titre de l’ouvrage qu’Oscar Cullmann a consacré aux Pseudo-Clémentines en 1930 : Le problème littéraire et historique du roman pseudoclémentin, avec pour sous-titre : Étude sur le Rapport entre le Gnosticisme et le JudéoChristianisme. 39. Sur ce point, voir F. Bovon, « En tête des Homélies clémentines. La Lettre de Pierre à Jacques », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 329 ; F. S. Jones , Pseudoclementina elchasaiticaque inter judaeochristiana. Collected Studies, Leuven, 2012, p. 8-9 et B. Pouderon, La genèse du roman pseudoclémentin. Études littéraires et historiques, Paris – Louvain, 2012, p. 105-106. 40. Rufin d’Aquilée , Préface à Gaudentius 12. En ce qui concerne la succession de Clément dans la chaire de Pierre, voir W. Ullmann, « The significance of the Epistola Clementis in the Pseudo-Clementines », Journal of Theological Studies (N. S.) 11 (1960), p. 295-317 et B. Neil , « Rufinus’ Translation of the Epistola Clementis ad Iacobum », Augustinianum 43 (2003), p. 25-39.
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Clément à Jacques, et la lettre est chaque fois différente, comme on vient de le dire 41.
En fait, ce qu’il faut d’abord déterminer, c’est l’attribution de ces trois écrits. Doit-on supposer que la Lettre de Pierre à Jacques, l’Engagement solennel et la Lettre de Clément à Jacques ont été rédigés par des auteurs différents ? Si c’est le cas, peut-on également attribuer à ces auteurs la rédaction d’une partie ou d’une version du roman ? Ou alors, devrait-on, au contraire, partir de l’idée que les trois écrits sont le fait d’un auteur unique qui pourrait aussi avoir rédigé l’une des deux versions du roman 42 ? 2.1. La théorie des auteurs différents et les Kérygmes de Pierre La Lettre de Pierre à Jacques 43 et l’Engagement solennel 4 4 font tous deux référence à « des prédications de Pierre ». Les Reconnaissances, qui rapportent que Clément prenait en note les prédications de Pierre et les envoyait à son « seigneur Jacques » 45, nous présentent, pour leur part, le plan, en dix livres, de ses « prédications de Pierre » 4 6. Sur la base de cette mention des « des prédications de Pierre » dans les deux écrits liminaires, et de la description du plan des prédications dans les Reconnaissances, un certain nombre de savants, qui tentaient de trouver une solution au « problème littéraire et historique » des Pseudo-Clémentines, ont émis l’hypothèse qu’un ouvrage judéo-chrétien du IIe siècle, les Kerygmata Petrou, avait servi de source à ce qu’ils ont appelé la Grundschrift, l’Écrit de base, la source hypothétique commune aux deux versions connues du roman, les Homélies et les Reconnaissances. Suivant cette hypothèse, la Lettre de
41. Photius , Bibliothèque 112-113 Traduction R. H enry, Photius, Bibliothèque, II (« Codices 84-185 »), Paris, 1960). À propos du témoignage de Photius sur les Pseudo-Clémentines, voir F. S. Jones , « Photius’ Witness to the Pseudo-Clementines », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 93-101. 42. Sur cette question, Bernard Pouderon (B. Pouderon, La genèse du roman pseudo-clémentin. Études littéraires et historiques, Paris – Louvain, 2012, p. 105123) nous présente un résumé fort utile des hypothèses qui ont été envisagées depuis la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Le chapitre VI de l’ouvrage, intitulé « L’attribution de l’Epistula Petri et la genèse du roman pseudo-clémentin », a été publié, originellement, en 2002, dans L. Nadjo – É. Gavoille (éd.), Le genre épistolaire dans l ’Antiquité : Epistulae antiquae II, Paris-Louvain, p. 259-278. 43. Lettre de Pierre à Jacques 19,2. Voir supra note 3 pour le texte grec. 44. Engagement solennel 1,1 : « Notre Pierre rappelle qu’il est nécessaire et opportun de préserver la vérité, en refusant de communiquer à n’importe qui les livres de ses prédications qu’il nous envoie… ». 45. Reconnaissances 3,74,4. 46. Reconnaissances 3,75,1-10.
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Pierre à Jacques et l’Engagement solennel auraient été rédigés par l’auteur des Kérygmes de Pierre, en raison de leur judéo-christianisme radical 47. C’est la thèse qui a été défendue par une bonne partie des spécialistes allemands des Pseudo-Clémentines depuis la fin du XIXe siècle (Hans Waitz, Carl Schmidt, Oscar Cullmann, Hans Joachim Schoeps) jusqu’à Georg Strecker, au milieu du XXe siècle 48, avec l’exception notable de Jürgen Wehnert qui en a proposé une réfutation fort convaincante 49. La même thèse est d’ailleurs acceptée sans discussion par James Painter 50 et reprise par Bernard Pouderon, avec toutefois quelques réserves 51. Selon lui, il faut accepter la thèse « déjà ancienne de l’utilisation par le rédacteur pseudo-clémentin, entre autres écrits, d’un ouvrage doctrinal judéo-chrétien “pétrinien” et violemment anti-paulinien » 52 . Rien n’interdit, à son avis, de donner à cet ouvrage « le nom de Kérygmes de Pierre » 53. Suivant cette hypothèse, la Lettre de Clément à Jacques appartiendrait cependant à une autre couche de rédaction du roman. Il faut mettre en rapport, soutient-il, la fiction, que contient la Lettre de Clément à Jacques, d’un envoi par Clément d’un résumé des prédications de Pierre à Jacques 54 avec la fiction répétée, dans le roman, d’une rédaction des prédications de Pierre
47. B. Pouderon, La genèse du roman pseudo-clémentin. Études littéraires et historiques, Paris – Louvain, 2012, p. 107-111. 48. F. S. Jones , Pseudoclementina elchasaiticaque inter judaeochristiana. Collected Studies, Leuven, 2012, p. 22-23 ; G. Strecker , Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1981 [1958], p. 137-220. Pour un survol de la recherche sur les Pseudo-Clémentines, depuis le XIXe siècle, voir F. S. Jones , « The PseudoClementines : A History of Research », Second Century 2 (1982) p. 1-33 ; 63-96. 49. J. Wehnert, « Literarkritik und Sprachanalyse. Kritische Anmerkungen zum gegenwärtigen Stand der Pseudoklementinen-Forschung », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 74 (1983), p. 268-301 et J. Wehnert, « Abriss der Entstehungsgeschichte des pseudoklementischen Romans », Apocrypha 3 (1992), p. 211-235. Voir également la remise en question de J. R ius-Camps , « Las Pseudoclementinas. Bases filologicas para una nueva interpretacion », Rivista Catalana de Teologia 1 (1976), p. 79-158. 50. J. Painter , Just James. The Brother of Jesus in History and Tradition, Columbia (SC), 2004 [1997], p. 189-190. Voir J. van A mersfoort, « The Ebionites as Depicted in the Pseudo-Clementine Novel », dans J. Verheyden – H. Teule (éd.), Heretics and Heresies in the Ancient Church and in Eastern Christianity, Leuven, 2011, p. 90, qui considère l’existence des Kerygmata Petrou comme un fait établi. 51. B. Pouderon, La genèse du roman pseudo-clémentin. Études littéraires et historiques, Paris – Louvain, 2012, p. 120-123. Bernard Pouderon refuse, par exemple, « d’attribuer à la même main » l’Engagement solennel et la Lettre de Pierre à Jacques (123). 52. B. Pouderon, La genèse du roman pseudo-clémentin. Études littéraires et historiques, Paris – Louvain, 2012, p. 120. 53. B. Pouderon, La genèse du roman pseudo-clémentin. Études littéraires et historiques, Paris – Louvain, 2012, p. 120. 54. Lettre de Clément à Jacques 19-20.
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par Clément, en cours de mission 55. Loin d’être postérieure au roman, comme le croyait Rufin 56, elle est, au contraire, « du même auteur que le reste du roman » 57. Sa fonction consiste à rattacher la source doctrinale du roman,, à savoir les Kérygmes de Pierre, au roman, lui-même. Par rapport à la Lettre de Pierre à Jacques, elle est, en fait, la lettre d’envoi du roman, tout comme la Lettre de Pierre l’était des Kérygmes de Pierre 58. Le raccord qu’est censé opérer la Lettre de Clément à Jacques est « loin d’être parfait », comme le reconnaît Bernard Pouderon 59. À ses yeux, la maladresse d’un envoi fictif, double, voire triple, des prédications de Pierre complique « inutilement l’intrigue ». « Aussi semble-t-il raisonnable, conclut l’auteur, d’y voir la trace d’un écrit antérieur, rédigé par un écrivain anonyme, mais mis sous le patronage de Pierre (ce sont les Kérygmes de Pierre), auquel le rédacteur clémentin a tenu à se raccrocher, sans doute pour faire bénéficier de son prestige son propre ouvrage (notre Roman pseudo-clémentin) » 60. La théorie des auteurs différents, que Bernard Pouderon défend avec beaucoup d’intelligence et d’énergie, nous paraît néanmoins reposer sur une base fragile : l’existence hypothétique des Kérygmes de Pierre. Il serait tentant d’ironiser sur la double fiction d’une lettre envoyée à Jacques qui aurait, à son tour, inspiré à certains savants une autre fiction, celle d’une source judéo-chrétienne du IIe siècle. Il vaudra mieux, pour l’instant, se contenter de rappeler que l’hypothèse des Kérygmes de Pierre ne trouve plus, aujourd’hui, beaucoup de défenseurs. 2.2. La théorie d’un seul auteur Sur le plan des faits, nous savons que, dès l’Antiquité, suivant les témoignages de Rufin et de Photius, les Homélies et probablement les Reconnaissances ont été publiées dans une version qui comprenait deux des trois écrits liminaires, la Lettre de Pierre à Jacques et la Lettre de Clément à Jacques. L’hypothèse la plus simple serait de supposer qu’un seul auteur ait rédigé les deux lettres et le roman. Frederick Stanley Jones, qui rejette l’hy-
55. Homélies 1,20,2 (= Reconnaissances 1,17,2), Reconnaissances 3,74,4-75,1 ; 5,36,5. Voir B. Pouderon, La genèse du roman pseudo-clémentin. Études littéraires et historiques, Paris – Louvain, 2012, p. 121. 56. Rufin d’Aquilée , Préface à la traduction des Reconnaissances 12. 57. B. Pouderon, La genèse du roman pseudo-clémentin. Études littéraires et historiques, Paris – Louvain, 2012, p. 119. 58. B. Pouderon, La genèse du roman pseudo-clémentin. Études littéraires et historiques, Paris – Louvain, 2012, p. 123. 59. B. Pouderon, La genèse du roman pseudo-clémentin. Études littéraires et historiques, Paris – Louvain, 2012, p. 123. 60. B. Pouderon, La genèse du roman pseudo-clémentin. Études littéraires et historiques, Paris – Louvain, 2012, p. 122.
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pothèse des Kérygmes de Pierre 61, considère justement qu’un seul auteur a écrit le roman et les écrits liminaires, l’auteur de l’Écrit de base 62 . Il est d’ailleurs non seulement en mesure de proposer une reconstitution complète de l’Écrit de base, mais il se montre également capable d’en décrire, de manière détaillée, son auteur 63. Il déplore, en fait, le peu d’attention qui a été accordée à l’auteur de l’Écrit de base dans la recherche 6 4 . Quoi qu’il en soit, l’une des formes du roman qui nous a été transmise par les manuscrits correspond aux Homélies 65. Les deux principaux témoins du texte, le Codex Vaticanus Ottobonianus gr. 443 et le Codex Parisinus gr. 930, comprennent les trois écrits préliminaires. L’hypothèse la plus sûre, parce qu’elle s’en tient à la matérialité du texte, et la plus simple, parce qu’elle n’impose pas d’imaginer des sources ou des auteurs dont on ne peut établir l’existence, consiste à dire qu’un même auteur a composé le roman et les textes d’introduction. C’est l’hypothèse que met de l’avant Alain Le Boulluec, dans l’introduction aux Homélies qui précède la traduction de la Pléiade. Il rejette lui aussi, comme Frederick Stanley Jones, l’hypothèse des Kérygmes de Pierre et du lien avec la Lettre de Pierre à Jacques et l’Engagement solennel, mais il attribue plutôt la paternité des trois écrits liminaires à l’auteur des Homélies 66. Il s’agirait tout simplement, selon lui, d’une « fiction littéraire » 67. C’est aussi l’hypothèse que nous retenons ici. L’auteur des Homélies, au milieu du IVe siècle, a trouvé 61. F. S. Jones , Pseudoclementina elchasaiticaque inter judaeochristiana. Collected Studies, Leuven, 2012, p. 22-24. 62. F. S. Jones , Pseudoclementina elchasaiticaque inter judaeochristiana. Collected Studies, Leuven, 2012, p. 28-29. 63. F. S. Jones , Pseudoclementina elchasaiticaque inter judaeochristiana. Collected Studies, Leuven, 2012, p. 31-34. 64. F. S. Jones , Pseudoclementina elchasaiticaque inter judaeochristiana. Collected Studies, Leuven, 2012, p. 31 : « The Basic Writer has not by any means received adequate attention in previous research, mainly because the search for the sources of B (particularly the Kerygmata Petrou) has dominated in most of these studies ». 65. Frederick Stanley Jones parlerait plutôt des Klementia. Voir F. S. Jones , Pseudoclementina elchasaiticaque inter judaeochristiana. Collected Studies, Leuven, 2012, p. 8-9. 66. A. L e Boulluec , « Introduction aux Homélies », dans P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005, p. 1196-1197. 67. A. L e Boulluec , « Introduction aux Homélies », dans P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005, p. 1197 : « On peut conclure que la composition des Homélies a été suivie de la rédaction de la Lettre de Pierre et de l’Engagement solennel, placés par l’auteur en tête de son ouvrage au moment où il l’a mis en circulation ; soucieux d’étayer la tradition relative à la succession de Pierre qui avait sa faveur, il écrivit ensuite la Lettre de Clément, qui a pu être diffusée d’abord séparément, avant d’être incorporée à la collection comme introduction aux Homélies ; cette insertion a dû se produire assez tôt dans l’histoire de la diffusion des Homélies, puisque dès le temps de Rufin, la Lettre de Clément accompagnait aussi les Reconnaissances ».
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utile de placer l’histoire de Clément sous l’autorité de Jacques de Jérusalem en y ajoutant la Lettre de Pierre à Jacques, l’Engagement solennel et la Lettre de Clément à Jacques. 3. L a
figu r e de
J acqu e s
da ns l a l i t t é r at u r e pat r i s t iqu e
du
IV e
si ècl e
Si c’est bien l’auteur des Homélies qui a voulu mettre de l’avant l’autorité de Jacques, il faut alors se demander ce que cela peut signifier, au IVe siècle 68, de se réclamer de Jacques, le frère du Seigneur, lorsque l’on relate l’histoire de Clément de Rome et de sa rencontre avec l’Apôtre Pierre. Comme la Lettre de Clément à Jacques semble avoir accompagné, en guise d’introduction, les Reconnaissances, qui auraient été rédigées quelque temps après les Homélies 69, il faudra aussi se demander ce que cela signifie, au milieu du IVe siècle, de rattacher les enseignements et les actes de l’Apôtre Pierre à l’autorité de Jacques de Jérusalem. Les témoignages d’Eusèbe de Césarée (Histoire ecclésiastique), au début du IVe siècle, et d’Épiphane de Salamine (Panarion), au milieu du IVe siècle, sur Jacques, le frère du Seigneur, retiendront maintenant notre attention, en raison de l’intérêt qu’ils ont porté à la fois au rôle de Jacques dans la communauté des origines et à l’existence d’écrits attribués à Clément de Rome 70, et nous fourniront quelques éléments de réponse. 68. Sur la datation des Homélies, voir L. Cirillo, « Introduction », dans Les Reconnaissances du pseudo-Clément. Roman chrétien des premiers siècles, traduction par A. Schneider et introduction et notes de L. Cirillo, Turnhout, 1999, p. 22, qui précise que la rédaction aurait eu lieu avant 325, parce que l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée, qui mentionne des écrits attribués à Clément (3,38,5), a été rédigée avant le Concile de Nicée. 69. Pour la date de rédaction des Reconnaissances, voir L. Cirillo, « Introduction », dans Les Reconnaissances du pseudo-Clément. Roman chrétien des premiers siècles, traduction par A. Schneider et introduction et notes de L. Cirillo, Turnhout, 1999, p. 22. Luigi Cirillo fait état d’une citation de l’original grec par Basile de Césarée, mort en 379, pour l’établir après cette date. Voir J. Wehnert, Pseudoklementinische Homilien. Einführung und Übersetzung, Göttingen, 2010, p. 30-31 qui date les deux versions du roman circa 300. Il est à noter que Jürgen Wehnert (J. Wehnert, Pseudoklementinische Homilien. Einführung und Übersetzung, Göttingen, 2010, p. 29-42), dans le résumé qu’il nous donne du développement (Entstehung) du roman pseudo-clémentin, ne mentionne pas une seule fois les sources habituelles que l’on suppose généralement à l’origine des Homélies et des Reconnaissances soit la Grundschrift et les Kérygmes de Pierre. 70. Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 3,38,5 : « D’autres écrits, verbeux et longs, ont été tout récemment présentés comme étant de lui : ils renferment des dialogues de Pierre et d’Apion, dont il n’existe absolument aucun souvenir chez les anciens et qui d’ailleurs ne conservent pas le caractère pur de l’orthodoxie apostolique » = ἤδη δὲ καὶ ἕτερα πολυεπῆ καὶ μακρὰ συγγράμματα ὡς τοῦ αὐτοῦ χθὲς
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En fait, il est intéressant de noter qu’au moment où sont composées et mises en circulation les deux versions du roman pseudo-clémentin, une certaine élite chrétienne, qu’Eusèbe et Épiphane représentent très bien, s’emploie à définir l’« histoire officielle » du christianisme : ses origines, ses rapports avec les Judéens, sa victoire sur Rome et sur Athènes (Eusèbe) 71 et à définir du même coup l’histoire de l’orthodoxie et de l’hérésie (Épiphane) 72 . Jacques, frère du Seigneur, dit le Juste, fait évidemment partie de l’histoire officielle du christianisme à titre de figure marquante des origines 73. 3.1. Jacques, premier évêque de Jérusalem 74 Selon l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée, Jacques, le frère du Seigneur, a été le premier évêque de Jérusalem : καὶ πρῴην τινὲς προήγαγον, Πέτρου δὴ καὶ Ἀπίωνος διαλόγους περιέχοντα· ὧν οὐδ’ ὅλως μνήμη τις παρὰ τοῖς παλαιοῖς φέρεται, οὐδὲ γὰρ καθαρὸν τῆς ἀποστολικῆς ὀρθοδοξίας ἀποσῴζει τὸν χαρακτῆρα. Épiphane de Salamine , Panarion 30,15,1 : Χρῶνται δὲ καὶ ἄλλαις τισὶ βίβλοις, δῆθεν ταῖς Περιόδοις καλουμέναις Πέτρου ταῖς διὰ Κλήμεντος γραφείσαις, νοθεύσαντες μὲν τὰ ἐν αὐταῖς, ὀλίγα δὲ ἀληθινὰ ἐάσαντες… 71. Sur Eusèbe de Césarée, en général, voir S. Morlet, « Eusèbe de Césarée : biographie, chronologie, profil intellectuel », dans S. Morlet – L. Perrone (éd.), Eusèbe de Césarée. Histoire ecclésiastique. Commentaire, I. Études d ’Introduction, Paris, 2012, p. 1-31 ; D. J. DeVore , « Genre and Eusebius’ Ecclesiastical History. Toward a Focused Debate », dans A. Johnson – J. Schott (éd.), Eusebius of Caesarea. Traditions and Innovations, Washington, 2013, p. 19-45 ; R. Goulet, « Eusèbe de Césarée », dans R. Goulet (éd.), Dictionnaire des philosophes antiques, II, Paris, 2000, p. 358-367 ; R. M. Grant, Eusebius as Church Historian, Oxford, 1980 ; T. D. Barnes , Constantine and Eusebius, Cambridge (Mass.), 1981. 72. Sur Épiphane de Salamine, en général, voir A. S. Jacobs , Epiphanius of Cyprus. A Cultural Biography of Late Antiquity, Oakland, 2016 et Y. R. K im, Epiphanius of Cyprus. Imagining an Orthodox World, Ann Arbor, 2015. Au sujet du Panarion, voir Y. R. K im, « Reading the Panarion as Collective Biography : the Heresiarch as Unholy Man », Vigiliae Christianae 64 (2010), p. 382-413 qui propose d’y voir une sorte de biographie collective. 73. Sur les points de comparaison entre le Panarion d’Épiphane, l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe et les Pseudo-Clémentines, voir les deux études d’Annette Yoshiko Reed parues en 2008 : A. Y. R eed, « Heresiology and the (Jewish) Christian Novel : Narrativized Polemics in the Pseudo-Clementines », dans E. I ricinschi – H. Z elletin (éd.), Heresy and Identity in Late Antiquity, Tübingen, 2008, p. 273-298 ; A. Y. R eed « “Jewish Christianity” as Counter-history ? The Apostolic Past in Eusebius’ Ecclesiastical History and the Pseudo-Clementine Homilies », dans G. Gardner – K. L. Osterloh (éd.), Antiquity in Antiquity. Jewish and Christian Pasts in the Greco-Roman World, Tübingen, 2008, p. 173-216. 74. Voir S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 200-214 et J. Painter , Just James. The Brother of Jesus in History and Tradition, Columbia (SC), 2004 [1997], p. 105-158.
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Alors également, Jacques, celui qu’on appelle frère du Seigneur … à qui les anciens donnaient le surnom de juste à cause de la supériorité de sa vertu, fut, dit-on, le premier installé sur le trône épiscopal de l’Église de Jérusalem 75.
Eusèbe s’appuie, en fait, sur le témoignage de Clément d’Alexandrie, dans ses Hypotyposes, selon lequel Pierre et Jean reconnurent sans difficulté l’autorité de Jacques : Il dit en effet que Pierre, Jacques et Jean, après l’ascension du Sauveur, après avoir été particulièrement honorés par le Sauveur, ne se disputèrent pas pour cet honneur mais qu’ils choisirent Jacques le juste comme évêque de Jérusalem 76.
Le même Clément, au « septième livre du même ouvrage », place Jacques, dans la chaîne de transmission des enseignements ésotériques de Jésus, devant Pierre et Jean : À Jacques le juste, à Jean et à Pierre, le Seigneur après sa résurrection donna la gnose ; ceux-ci la donnèrent aux autres apôtres 77.
Eusèbe cite également Hégésippe, un « chrétien d’origine judéeenne » 78, selon lequel Jacques, le frère du Seigneur, « reçut la direction de la communauté avec les apôtres » 79. Plus loin dans l’Histoire ecclésiastique, Eusèbe revient sur le rôle de Jacques dans la communauté de Jérusalem : Pendant tout ce temps, la plupart des apôtres et des disciples et Jacques lui-même, le premier évêque de la ville, qu’on appelait le frère du Seigneur, étaient encore en vie et passaient leur existence dans la cité même de Jérusalem, comme un rempart puissamment fortifié pour elle 80. 75. Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 2,1,2. 76. Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 2,1,3. 77. Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 2,1,4. 78. Sur Hégésippe, voir S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 40-49 et R. M. Grant, Eusebius as Church Historian, Oxford, 1980, p. 67-70. Concernant le témoignage d’Hégésippe sur Jacques, voir S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 200-203 ; M. Myllykoski, « James the Just in History and Tradition : Perspectives of Past and Present Scholarship (Part I) », Currents in Biblical Research 6 (2007), p. 31-38 et Y. Z. Eliav, « The Tomb of James, Brother of Jesus, as Locus Memoriae », The Harvard Theological Review 97 (2004), p. 36-38. 79. Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 2,23,4. 80. Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 3,7,8. Sur la notion de rempart et sur le sens à donner au terme ὠβλίας, qui qualifie Jacques chez Hégésippe, apud Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 2,23,7, (διά γέ τοι τὴν ὑπερβολὴν τῆς δικαιοσύνης αὐτοῦ ἐκαλεῖτο ὁ δίκαιος καὶ ὠβλίας, ὅ ἐστιν Ἑλληνιστὶ περιοχὴ τοῦ λαοῦ καὶ δικαιοσύνη = « À cause de son éminente justice, on l’appelait le
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Il souligne aussi la place qu’occupe encore, trois siècles plus tard, dans la mémoire des « frères de ce pays », Jacques, le frère du Seigneur, ou plutôt son trône : Le trône de Jacques aussi, de celui qui le premier reçut du Sauveur et des apôtres l’épiscopat de l’Église de Jérusalem et que les divines Écritures désignent couramment comme le frère du Christ, a été conservé jusqu’à présent, et les frères de ce pays l’ont successivement entouré de soins, de sorte qu’ils montrent clairement à tous quelle vénération pour les hommes saints, parce qu’ils ont été aimés de Dieu, ceux d’autrefois et ceux d’aujourd’hui gardaient et gardent encore 81.
James Painter a certainement raison de rappeler le caractère anachronique du terme évêque utilisé par la tradition et par Eusèbe pour décrire le leadership de Jacques dans la communauté de Jérusalem 82 . Les écrits liminaires des Pseudo-Clémentines commettent d’ailleurs le même anachronisme lorsqu’ils lui attribuent le titre d’évêque des évêques. Il reste que, évêque ou non, dans la tradition que nous transmet Eusèbe, Jacques se présente comme le successeur immédiat de Jésus, désigné par Jésus luimême après son ascension, ce qui en fait un leader incontesté, différent des apôtres et supérieur aux apôtres 83. La seule mention du trône de Jacques résume bien le caractère singulier de l’autorité qui lui est reconnue. Everett Ferguson note qu’Eusèbe, dans l’Histoire ecclésiastique, utilise le terme θρόνος à dix reprises pour parler de succession apostolique 84 . Huit de ces occurrences, précise-t-il, s’appliquent à l’église de Jérusalem et quatre d’entre elles se rapportent plus particulièrement à Jacques. Comme l’information d’Eusèbe au sujet de Jérusalem provient en bonne part d’HégéJuste et Oblias, ce qui signifie en grec rempart du peuple et justice »), voir S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 202-203 et M. Myllykoski, « James the Just in History and Tradition : Perspectives of Past and Present Scholarship (Part I) », Currents in Biblical Research 6 (2007), p. 36-37. 81. Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 7,19. 82. J. Painter , Just James. The Brother of Jesus in History and Tradition, Columbia (SC), 2004 [1997], p. 310 et 314. Voir R. Bauckham, « James and the Jerusalem Community », dans O. Skarsaune – R. Hvalvik (éd.), Jewish Believers in Jesus, Peabody, 2007, p. 66 : « The actual term “bishop” may not go back to his lifetime, but there is no doubt that it is appropriate in the sense that for a considerable period up to his death in 62, James had a singular and unrivaled position as head of the Jerusalem church ». 83. Voir R. Bauckham, « James and the Jerusalem Community », dans O. Skarsaune – R. Hvalvik (éd.), Jewish Believers in Jesus, Peabody, 2007, p. 67 : « He was the eldest of the four brothers of Jesus (Mark 6 :3), and so there is a certain “dynastic” character to his role. But even the most fulsome later depictions of him never represent him as Jesus’ successor ». 84. E. Ferguson, The Early Church at Work and Worship. Volume 1. Ministry, Ordination, Covenant, and Canon, Eugene (Oregon), 2013, p. 154.
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sippe, Everett Ferguson en conclut que le fait d’occuper une chaire revêtait une signification spéciale au sein du cercle de Judéens auquel appartenait Hégésippe 85. James Painter se demande, à ce propos, si la singularité de cette autorité ne trouverait pas une explication dans le modèle du patriarcat qui s’élabore dans le judaïsme contemporain du leadership de Jacques 86. Il donne l’exemple de Gamaliel et cite les travaux de Jacob Neusner à ce sujet 87. Le patriarcat dont il est ici question repose sur une base héréditaire et se définit en rapport avec Moïse et la Torah. Le modèle du patriarcat pourrait sans doute s’appliquer à Jacques dans la mesure où justement, en tant que frère de Jésus, il appartient à la lignée de David et où également, comme l’indique le surnom qu’il s’est mérité de Jacques le Juste, il fait preuve d’une rectitude mosaïque exemplaire 88. 3.2. Jacques, saint et martyr Cette rectitude mosaïque exemplaire prend d’ailleurs la forme, dans le récit d’Hégésippe, cité par Eusèbe, de l’institution du naziréat 89 : 85. E. Ferguson, The Early Church at Work and Worship. Volume 1. Ministry, Ordination, Covenant, and Canon, Eugene (Oregon), 2013, p. 154 : « Occupying the “seat” or “chair”, therefore, seems to have had a special significance to the circle of Jewish Christians of whom Hegesippus is representative ». L’auteur ajoute que cette pratique pourrait avoir des origines judéennes : « A “solemn seating” was part of the ritual of admission to the Sanhedrin in pre-Christian times. The chair was thus closely associated with judges or elders of Jewish community life ». 86. J. Painter , Just James. The Brother of Jesus in History and Tradition, Columbia (SC), 2004 [1997], p. 310-314. On s’est demandé, depuis Adolf von Harnack et en s’appuyant notamment sur le témoignage d’Hégésippe, si l’importance de la famille de Jésus dans la communauté de Jérusalem ne pouvait pas être comparée à une sorte de califat. Voir E. Stauffer , « Zum Kalifat des Jakobus », Zeitschrift für Religions und Geistesgeschichte 4 (1952), p. 193-214 ; R. M. Grant, Eusebius as Church Historian, Oxford, 1980 ; p. 48-49 et S. C. M imouni, Origines du christianisme. Recherche et enseignement à la Section de sciences religieuses de l ’École pratique des Hautes études. 1991-2017, Turnhout, 2018, p. 220. 87. J. Painter , Just James. The Brother of Jesus in History and Tradition, Columbia (SC), 2004 [1997], p. 310. Il est question d’une étude de Jacob Neusner intitulée « Gamaliel and the Patriarchate », publié, selon James Painter, dans les actes du colloque Jerusalem after Jesus : 30-66 ce qui a eu lieu en 2002. Les actes de ce colloque ne semblent pas avoir été publiés finalement, mais Jacob Neusner a néanmoins fait paraître un article dans la Review of Rabbinic Judaism (7, [2004], p. 52-94) sous le titre « From Biography to Theology : Gamaliel and the Patriarchate ». Jacob Neusner lui-même renvoie à l’ouvrage de David Goodblatt : D. Good blatt, The Monarchic Principle : Studies in Jewish Self-Government in Antiquity, Tübingen, 1994. 88. J. Painter , Just James. The Brother of Jesus in History and Tradition, Columbia (SC), 2004 [1997], p. 312. 89. S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 201 : « Il présente Jacques comme un ascète ne buvant ni vin ni boisson fermen-
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Cet homme fut sanctifié dès le sein de sa mère ; il ne but ni vin ni boisson enivrante ; il ne mangea rien qui eût vécu ; le rasoir ne passa pas sur sa tête ; il ne s’oignit pas d’huile et ne prit pas de bains 90.
Jacques le Juste est donc un saint, reconnu comme tel aussi bien par les Judéens chrétiens de Jérusalem que par certains des pharisiens, des scribes et des prêtres. Il meurt néanmoins en martyr aux mains de Judéens qui craignent sa trop grande emprise sur le peuple 91. Hégésippe rapporte, en effet, que les Judéens qui crurent que Jésus était le Christ le firent par le moyen de Jacques 92 , alors que les autres, dont certains parmi leurs chefs, le mirent à mort 93. Dans la perspective d’Hégésippe, le refus des autorités judéennes de croire au témoignage de Jacques sur la messianité de Jésus et la mise à mort de Jacques par les Judéens entraînent le châtiment du peuple d’Israël 94 : tée et n’utilisant pour son corps ni le rasoir, ni huile, ni bain – caractéristiques renvoyant à l’institution du naziréat (Nb 4,1-5) ». 90. Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 2,23,5. 91. À propos des raisons pour lesquelles Jacques a été mis à mort et du rôle des élites judéennes, voir J. Painter , Just James. The Brother of Jesus in History and Tradition, Columbia (SC), 2004 [1997], p. 158. 92. Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 2,23,9 : « Quelques-uns d’entre eux crurent que Jésus était le Christ. Mais les sectes susdites ne crurent ni à sa résurrection, ni à sa venue pour rendre à chacun selon ses œuvres : tous ceux qui crurent le firent par le moyen de Jacques ». 93. Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 2,23,14-18. Voir O. I rshai, « The Jerusalem Bishopric and the Jews in the Fourth Century : History and Eschatology », dans L. I. L evine (éd.), Jerusalem. Its sanctity and Centrality to Judaism, Christianity, and Islam. New York, 1999, p. 207) qui rappelle que selon Flavius Josèphe (Antiquités judaïques 20,200-201) la mise à mort de Jacques créa un malaise chez les Pharisiens : « This event, according to Josephus, caused some uneasiness among the Pharisees, who most probably viewed his execution as a strictly political act with no foundation in the Law ». À propos du témoignage de Flavius Josèphe (Antiquités judaïques 20,199-203) sur la mort de Jacques, voir J. S. McL aren, « Ananus, James, and Earliest Christianity : Josephus’ Account of the Death of James », Journal of Theological Studies n. s. 52 (2001), p. 1-25 94. Sur le martyr de Jacques, voir M. Myllykoski, « James the Just in History and Tradition : Perspectives of Past and Present Scholarship (Part I) », Currents in Biblical Research 6 (2007), p. 63-83. Matti Myllykoski passe en revue les différentes interprétations des faits rapportés par Eusèbe et les Reconnaissances et met en parallèle, ce qui est très utile, les trois témoignages chrétiens sur le martyr de Jacques : celui d’Eusèbe de Césarée (Histoire ecclésiastique 2,23,8-18), celui des Reconnaissances (1,66-70) et celui de la Deuxième Apocalypse de Jacques (61-62). Voir aussi à ce sujet J. Painter , Just James. The Brother of Jesus in History and Tradition, Columbia (SC), 2004 [1997], p. 118-147 et S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 219-243. Sur le lien entre la mort de Jacques et la chute de Jérusalem, voir Y. Z. Eliav, « The Tomb of James, Brother of Jesus, as Locus Memoriae », The Harvard Theological Review 97 (2004), p. 37.
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Jacques était un homme si admirable et il était si renommé chez tous les autres pour sa justice, que même les Judéens raisonnables virent dans son martyre la cause du siège de Jérusalem qui le suivit immédiatement et qui, d’après eux n’eut d’autre motif que le sacrilège osé contre lui 95.
En somme, ce que l’on peut retirer du témoignage d’Eusèbe, dans son Histoire ecclésiastique, témoignage qui s’appuie sur ceux de Clément d’Alexandrie et d’Hégésippe, c’est que Jacques est une figure majeure des origines chrétiennes par sa parenté avec Jésus et par sa sainteté. Il y est, en fait, associé à la première phase de l’Église, celle des « hébreux croyants » 96. Cette première phase, qui va de l’épiscopat de Jacques à la fin de la révolte de Bar Kokhba et qui est marquée par la mort de Jacques, la destruction du temple 97, la migration de la communauté de Jérusalem à Pella 98 et une succession d’évêques de Jérusalem qui étaient « tous hébreux de vieille souche » 99, des « évêques de la circoncision » 100, a tou-
95. Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 2,23,19. 96. Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 4,5,2 : « En effet, l’Église entière de Jérusalem était alors composée d’Hébreux fidèles : il en fut ainsi depuis les apôtres jusqu’au siège que subirent ceux qui vivaient alors, au cours duquel les Judéens se séparèrent de nouveau des Romains et furent détruits en des guerres plus grandes ». C’est Simon Claude Mimouni (S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 444) qui traduit Ἑβραίων πιστῶν par « Hébreux croyants ». 97. Voir O. I rshai, « The Jerusalem Bishopric and the Jews in the Fourth Century : History and Eschatology », dans L. I. L evine (éd.), Jerusalem. Its sanctity and Centrality to Judaism, Christianity, and Islam. New York, 1999, p. 207, sur la période qui suit la mort de Jacques et la destruction du temple : « The following era in the history of the church (70-135 C.E.) was designated the age of the Church of the Circumcision, which was characterized by its Jewish leadership ». 98. À propos de la migration à Pella, voir Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 3,5,3 et l’interprétation qui en est donnée par S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 475-500 ; J. Bourgel , « The JewishChristians’ move from Jerusalem as pragmatic choice », dans D. Jaffé (éd.), Studies in Rabbinic Judaism and Early Christianity. Text and Context, Leyde – Boston, 2010, p. 107-138 et J. Verheyden, « The Flight of the Christians to Pella », Ephemerides Theologicae Lovanienses 66 (1990), p. 368-384 inter alios. Il semble y avoir une contradiction, dans le récit d’Eusèbe, entre le départ des Chrétiens de Jérusalem en 70 et la présence d’« Hébreux fidèles » jusqu’à la révolte de Bar Kokhba. À ce sujet, voir A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” as Counter-history ? The Apostolic Past in Eusebius’ Ecclesiastical History and the Pseudo-Clementine Homilies », dans G. Gardner – K. L. Osterloh (éd.), Antiquity in Antiquity. Jewish and Christian Pasts in the Greco-Roman World, Tübingen, 2008, p. 205-206. 99. Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 4,5,2. 100. Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 4,5,3.
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tefois une fin qui, dans la perspective d’Eusèbe, correspond justement à celle des évêques judéens de Jérusalem 101. 3.3. Jacques, grand prêtre et descendant de David Si l’on revient à la citation d’Hégésippe, au deuxième livre de l’Histoire ecclésiastique, il ressort également du témoignage d’Eusèbe et de ses sources que Jacques était d’origine lévitique 102 : À lui seul il était permis d’entrer dans le sanctuaire, car il ne portait pas de vêtements de laine, mais de lin. Il entrait seul dans le temple et il s’y tenait à genoux, demandant pardon pour le peuple, si bien que ses genoux s’étaient endurcis comme ceux d’un chameau, car il était toujours à genoux, adorant Dieu et demandant pardon pour le peuple 103.
Épiphane de Salamine 104 , dans son Panarion, s’accorde avec Eusèbe au sujet de l’origine lévitique de Jacques. Il va toutefois plus loin lorsqu’il 101. Voir Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 4,5,1-4 et S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 443-444. Sur la liste des quinze évêques judéens de Jérusalem, voir R. Bauckham, « James and the Jerusalem Community », dans O. Skarsaune – R. Hvalvik (éd.), Jewish Believers in Jesus, Peabody, 2007, p. 69 et Y. L ederman, « Les évêques juifs de Jérusalem », Revue Biblique 104 (1997), p. 211-222. À propos de la « fin » de la période judéenne, Simon Claude Mimouni (S. C. M imouni, Origines du christianisme. Recherche et enseignement à la Section de sciences religieuses de l ’École pratique des Hautes études. 1991-2017, Turnhout, 2018, p. 219) parle d’une véritable damnatio memoriae qui a frappé la figure de Jacques pendant les trois siècles qui ont suivi sa mort et souligne « combien la tradition chrétienne a éliminé le rameau judéochrétien et les documents qu’il a pu produire ». Voir O. I rshai, « The Jerusalem Bishopric and the Jews in the Fourth Century : History and Eschatology », dans L. I. L evine (éd.), Jerusalem. Its sanctity and Centrality to Judaism, Christianity, and Islam. New York, 1999, p. 207 : « The formative periods in the evolution of the Jerusalem community’s heritage were thus Jewish-Christian in character, a fact which may have caused some embarrassment to later generations of the local gentile church ». 102. Voir R. M. Grant, Eusebius as Church Historian, Oxford, 1980, p. 50 : « Among Jewish Christians like Hegesippus’ informants James the Lord’s brother was somehow identified as the true high priest, or above the high priest because a Nazirite like Samson » et le commentaire de Simon Claude Mimouni (S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 557) sur la sacerdotalisation de Jésus et de sa famille : « Jacques le Juste, le frère de Jésus, qui est souvent décrit comme un prêtre, voire aussi symbolisé comme un grand prêtre ». Voir aussi R. Bauckham, « James and the Jerusalem Community », dans O. Skarsaune – R. Hvalvik (éd.), Jewish Believers in Jesus, Peabody, 2007, p. 68 : « This is not to say that James was regarded as a high-priestly figure, which has sometimes been argued on very slender evidence… ». 103. Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 2,23,6. 104. Voir supra note 72.
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lui attribue, non seulement la dignité du sacerdoce, mais aussi celle de la royauté 105 : Puis, le siège royal étant échu à l’Église dans le Christ, la dignité royale a quitté la maison de Juda et d’Israël charnels, et le trône est établi dans la sainte Église de Dieu pour l’éternité, trône qui a une dignité doublement justifiée, à la fois royale et sacerdotale : la dignité royale d’une part, qu’il tient de notre Seigneur Jésus-Christ de deux manières, parce qu’il est de la semence du roi David selon la chair, et parce qu’il est – comme il l’est aussi – roi plus grand depuis l’éternité en vertu de sa divinité ; la dignité sacerdotale, d’autre part, parce qu’il est lui-même grand prêtre et chef des grands prêtres 106.
Jacques, toujours selon Épiphane, appartient à la descendance de David parce qu’en fait il est fils de Joseph et non de Marie : Et aussitôt fut installé comme premier évêque Jacques, qui est appelé frère du Seigneur et qui est apôtre, car il était aussi par naissance fils de Joseph, mais fut mis au rang de « frère du Seigneur » parce qu’il avait été élevé avec lui. Ce Jacques était en effet fils de Joseph par une femme de Joseph, non par Marie, comme cela nous est dit en beaucoup d’endroits et comme nous en avons traité plus clairement. Nous découvrons en outre qu’il était de la descendance de David étant fils de Joseph, et qu’il était devenu naziréen (il était en effet le premier-né de Joseph et avait été consacré) ; et nous avons trouvé encore qu’il a été grand prêtre selon l’ancien sacerdoce. C’est pourquoi il lui était permis d’entrer une fois par an dans le Saint des Saints, comme la Loi l’a ordonné aux grands prêtres selon l’Écriture 107.
C’est dans sa notice sur les nazoréens (Panarion 29) qu’Épiphane nous livre son témoignage principal sur Jacques 108. Simon Claude Mimouni souligne, à ce propos, que « ce personnage est considéré par les Nazoréens comme un fondateur de communautés, un “apôtre” » 109. On peut donc 105. Au sujet de la royauté de Jacques chez Épiphane, voir J. Painter , Just James. The Brother of Jesus in History and Tradition, Columbia, 2004 [1997], p. 208-213. 106. Épiphane de Salamine , Panarion 29,3,7-8. Traduction de Simon Claude Mimouni (S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 207-208). 107. Épiphane de Salamine , Panarion 29,3,9-4,4. Traduction S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 207. 108. À propos des nazoréens et du témoignage d’Épiphane à leur sujet, voir S. C. M imouni, Le judéo-christianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 57-60. Sur les nazoréens en général, voir P. Luomanen, Recovering Jewish-Christian Sects and Gospels, Leyde – Boston, 2012, p. 49-81. 109. S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 207.
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penser, à son avis, qu’étant donné l’importance de Jacques dans les milieux nazoréens, Épiphane, en le présentant comme un descendant de David et un grand prêtre, cherche au fond à le « récupérer » au profit de la Grande Église, en le replaçant, « dans le cadre de l’Église qui descend du Christ, faisant de Jacques, le “Frère du Seigneur”, son premier successeur sur le trône de David » 110. L’évêque de Salamine soustrait ainsi aux « hérétiques » qu’il combat le nom et l’autorité de Jacques de Jérusalem 111. Dans la notice suivante (Panarion 30), celle qu’il consacre à une autre « hérésie » judéo-chrétienne, la secte des ébionites 112 , qui est proche 110. S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 207. 111. Simon Claude Mimouni (S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 209) propose de voir aussi dans la présentation de Jacques « comme un grand prêtre de Jérusalem » une manière de « renforcer le pouvoir de l’évêque de Jérusalem, Cyrille, qui revendique une certaine autonomie face au métropolite de Césarée Maritime – le tout sur un fond de divergences doctrinales, Césarée Maritime étant plutôt arienne et Jérusalem fermement nicéenne ». Dans sa volonté d’établir la supériorité du siège épiscopal de Jérusalem sur celui de Césarée, Cyrille, après une certaine hésitation, finit par reconnaître la récente « découverte » du tombeau de Jacques, quelque part entre le mont du temple et le mont des Oliviers. Sur l’utilisation du nom de Jacques (et de ses reliques) par Cyrille à des fins politiques, voir S. C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 280-281 ; Y. Z. Eliav, « The Tomb of James, Brother of Jesus, as Locus Memoriae », The Harvard Theological Review 97 (2004), p. 44 et Z Rubin, « The Cult of the Holy Places and Christian Politics in Byzantine Jerusalem », dans L. I. L evine (éd.), Jerusalem. Its sanctity and Centrality to Judaism, Christianity, and Islam, New York, 1999, p. 154-155. Zeev Rubin (Z Rubin, « The Cult of the Holy Places and Christian Politics in Byzantine Jerusalem », dans L. I. L evine (éd.), Jerusalem. Its sanctity and Centrality to Judaism, Christianity, and Islam, New York, 1999, p. 155) fait d’ailleurs un lien entre la découverte du tombeau de Jacques, sa reconnaissance par l’évêque de Jérusalem et le titre de « mère de toutes les églises » qui sera accordé pour la première fois à l’église de Jérusalem au Concile de Constantinople en 381 : « After all, it was by virtue of the fact that Christ’s brother was regarded as its first bishop that it deserved to be recognized as mater omnium ecclesiarum at the Council of Constantinople ». C’est Théodoret de Cyr (Histoire ecclésiastique 5,9,17) qui nous renseigne sur ce titre, dans la lettre synodale adressée aux évêques d’occident à propos du concile de Constantinople, lettre qu’il est, en fait, le seul à reproduire. Sur les efforts de Cyrille pour mettre de l’avant la ville de Jérusalem, voir J. W. Drijvers , Cyril of Jerusalem : Bishop and City, Leyde – Boston, 2004, p. 153-176 (chapitre VI « Promoting Jerusalem »). 112. Au sujet des ébionites et de l’épineuse question de leur définition, voir P. Luomanen, Recovering Jewish-Christian Sects and Gospels, Leyde – Boston, 2012, p. 18-49 ; J. Verheyden, « Epiphanius on the Ebionites », dans P. J. Tomson – D. L ambers-Petry (éd.), The Image of the Judaeo-Christians in the Ancient Jewish and Christian Literature, Tübingen, 2003, p. 182-208 ; S. C. M imouni, Le judéochristianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 257-286.
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des nazoréens puisqu’Ébion, son fondateur en faisait initialement partie (30,1,1), Épiphane relève la même importance accordée à l’autorité de Jacques (30,2,6). Les adeptes d’Ébion, toujours selon Épiphane, revendiquaient également l’autorité de Pierre et de Clément de Rome. Ils faisaient usage, en effet, de livres, attribués à Clément et intitulés Itinéraire de Pierre, livres que l’on peut vraisemblablement assimiler à une forme du roman pseudo-clémentin 113. Les Homélies, en tout cas, proposent une doctrine qui s’apparente sur certains points à celle qu’Épiphane attribue aux ébionites, et partagent d’ailleurs avec l’auteur du Panarion une perspective que l’on pourrait qualifier d’hérésiologique, comme l’a très bien démontré Annette Yoshiko Reed, une hérésiologie qui prend toutefois la forme d’un récit de type romanesque 114 . Sans qu’il soit possible d’établir de lien direct entre le Panarion et les Homélies 115, il est clair que les deux textes s’inscrivent dans un même contexte où l’on s’emploie à définir une « orthodoxie » et, par voie de conséquence, une « hérésie » qui lui fait pendant. 4. L a
J acqu e s P s eu do -C l é m e n t i n es
fonct ion l i t t é r a i r e de
da ns l e s
Les travaux d’Annette Yoshiko Reed ont également démontré que les Pseudo-Clémentines et plus particulièrement les Homélies prenaient tout leur sens si on les interprétait à la lumière de l’Histoire ecclésiastique d’Eu-
113. À propos du lien entre les ébionites d’Épiphane et les Pseudo-Clémentines, voir P. Luomanen, Recovering Jewish-Christian Sects and Gospels, Leyde – Boston, 2012, p. 38-41, selon lequel « there has to be a connection » (p. 41). Sur la mention des Itinéraires de Pierre dans le Panarion, voir supra note 71. Épiphane (Panarion 30,16,7) nous apprend également que les ébionites connaissaient un autre ouvrage, les Anabathmoi Iakobou, que l’on a souvent rapproché d’une section des Reconnaissances (1,27-71). Voir infra notes 134 et 135. 114. A. Y. R eed, « Heresiology and the (Jewish) Christian Novel : Narrativized Polemics in the Pseudo-Clementines », dans E. I ricinschi – H. Zelletin (éd.), Heresy and Identity in Late Antiquity, Tübingen, 2008, p. 282. L’auteur fait valoir qu’aussi bien l’auteur du Panarion que celui des Homélies cherchent à expliquer l’hérésie, sa nature et son origine : « Following Irenaeus, Epiphanius does so primarily through taxonomy, describing and categorizing each so-called “sect” and tracing their genealogies in meticulous detail. By contrast, the Homilies achieve the same goal through narrative, by means of a conflate characterization of Simon Magus as the origins and embodiment of “heresy”… ». 115. A. Y. R eed, « Heresiology and the (Jewish) Christian Novel : Narrativized Polemics in the Pseudo-Clementines », dans E. I ricinschi – H. Zelletin (éd.), Heresy and Identity in Late Antiquity, Tübingen, 2008, p. 282 : « Of course, such similarities need not speak to any close connections between the Panarion and the Homilies ».
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sèbe de Césarée 116. En effet, les deux textes, selon Annette Yoshiko Reed, abordent les thèmes de la succession apostolique et de l’autorité ecclésiastique, répondent à une certaine critique « païenne » du christianisme, défendent l’orthodoxie contre les attaques de l’hérésie et cherchent à définir la place du judaïsme dans l’histoire apostolique 117. Nous pourrions ajouter qu’Eusèbe, tout comme Épiphane, semble avoir été en contact avec une forme du roman pseudo-clémentin 118 et qu’il n’est pas exclu qu’il ait puisé aux mêmes sources que l’auteur des Homélies 119. Dans le cadre de cette étude, c’est la figure de Jacques dans ces deux textes qui nous intéresse plus précisément. De manière générale, on peut dire toutefois qu’Eusèbe de Césarée et les auteurs des Pseudo-Clémentines ont effectivement en commun de s’intéresser aux origines du christianisme. L’entreprise littéraire d’Eusèbe, dans l’Histoire ecclésiastique, consiste à ordonner le récit des origines 120, un récit qui comprend notamment la figure de Jacques, pour l’agencer à sa définition du christianisme,
116. A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” as Counter-history ? The Apostolic Past in Eusebius’ Ecclesiastical History and the Pseudo-Clementine Homilies », dans G. Gardner – K. L. Osterloh (éd.), Antiquity in Antiquity. Jewish and Christian Pasts in the Greco-Roman World, Tübingen, 2008 (surtout les pages 182 à 207). 117. A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” as Counter-history ? The Apostolic Past in Eusebius’ Ecclesiastical History and the Pseudo-Clementine Homilies », dans G. Gardner – K. L. Osterloh (éd.), Antiquity in Antiquity. Jewish and Christian Pasts in the Greco-Roman World, Tübingen, 2008, p. 184 : « Not only are the two texts contemporaneous, but they exhibit many of the same concerns. Both trace the paths of apostolic succession and assert ecclesiastical authority. They answer “pagan” critiques of Christianity and defend “orthodoxy” against “heresy”. Moreover, they seek to map the place of Judaism in apostolic history and late antique Christian identity ». 118. Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 3,38,5. 119. Voir A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” as Counter-history ? The Apostolic Past in Eusebius’ Ecclesiastical History and the Pseudo-Clementine Homilies », dans G. Gardner – K. L. Osterloh (éd.), Antiquity in Antiquity. Jewish and Christian Pasts in the Greco-Roman World, Tübingen, 2008, p. 185 : « In addition, Eusebius and the authors/redactors of the Homilies may draw on much the same reservoir of sources, even as they hold different opinions about what constitutes authentic records of the apostolic past ». 120. Sur l’entreprise littéraire d’Eusèbe de Césarée dans l’Histoire ecclésiastique, voir S. Morlet, « Eusèbe de Césarée : biographie, chronologie, profil intellectual », dans S. Morlet – L. Perrone (éd.), Eusèbe de Césarée. Histoire ecclésiastique. Commentaire, I. Études d ’Introduction, Paris, 2012, p. 23-31 ; E. P rinzivalli, « Le genre historiographique de l’Histoire ecclésiastique », dans S. Morlet – L. Perrone (éd.), Eusèbe de Césarée. Histoire ecclésiastique. Commentaire, I. Études d ’Introduction, Paris, 2012, p. 83-111 et D. J. DeVore , « Genre and Eusebius’ Ecclesiastical History. Toward a Focused Debate », dans A. Johnson – J. Schott (éd.), Eusebius of Caesarea. Traditions and Innovations, Washington, 2013, p. 19-45.
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une définition qui passe par une opposition au judaïsme 121. L’entreprise littéraire de l’auteur des Homélies, qui consiste pour sa part à situer son récit dans le temps des origines pour mieux se définir dans ses rapports avec le judaïsme et l’hellénisme, propose de mettre l’histoire de Clément et les pérégrinations de Pierre sous l’autorité de Jacques de Jérusalem. Il nous semble possible de concevoir que ces deux entreprises littéraires participent de la même volonté de définir le rôle de Jacques dans la représentation des origines, sous la forme du récit historique chez Eusèbe, sous la forme du récit de fiction dans les Pseudo-Clémentines et leurs écrits liminaires. 4.1. Les Homélies et les écrits liminaires Qu’est-ce que l’auteur des Homélies, qui est aussi, à notre avis, l’auteur des écrits liminaires, cherche à nous dire en utilisant la figure de Jacques ? Alors qu’Eusèbe confine le rôle de Jacques à la période judéenne et jérusalémite de l’Église, pour mieux distinguer le christianisme du judaïsme 122 , l’auteur des Homélies élargit le rôle de Jacques, qui devient, dans les écrits liminaires, l’évêque des évêques et le supérieur de Pierre, le fondement même de l’Église, pour mieux lier le christianisme au judaïsme. En effet, si c’est Pierre qui, dans ses discours, met sur un pied d’égalité l’enseignement de Moïse et celui de Jésus (le Vrai Prophète) pour connaître la vérité 123, c’est Jacques qui, par sa parenté avec Jésus, son appartenance au 121. Voir A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” as Counter-history ? The Apostolic Past in Eusebius’ Ecclesiastical History and the Pseudo-Clementine Homilies », dans G. Gardner – K. L. Osterloh (éd.), Antiquity in Antiquity. Jewish and Christian Pasts in the Greco-Roman World, Tübingen, 2008, p. 204-207. Selon Annette Yoshiko Reed, contrairement à l’auteur des Homélies, Eusèbe chercherait avant tout à marquer la séparation entre Judéens et chrétiens. : « By contrast, Eusebius promotes an image of Christianity as a new/old ethnos (e.g. 1.1.9) with a history and religion distinct from those of the Jews ». 122. Voir A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” as Counter-history ? The Apostolic Past in Eusebius’ Ecclesiastical History and the Pseudo-Clementine Homilies », dans G. Gardner – K. L. Osterloh (éd.), Antiquity in Antiquity. Jewish and Christian Pasts in the Greco-Roman World, Tübingen, 2008, p. 206 : « …Eusebius argues that it was the Bar Kokhba Revolt (IV 6.1-3) that marked the break in the apostolic continuity of the Jerusalem church … To make this argument, Eusebius must posit that the life-spans of Jerusalem’s first fifteen bishops were all extremely brief (IV 5.1). Nevertheless, he stresses that the “Jewish Christian” succession at Jerusalem was lost in 135 C.E. From that point onwards – according to Eusebius – the bishops at Jerusalem were all Gentiles (see V 12) ». 123. Homélies 8,6-7 : « C’est pour cela que Jésus est dissimulé aux Hébreux qui ont pris Moïse pour maître, tandis que Moïse est caché à ceux qui ont foi en Jésus ; car c’est un même enseignement qu’ils délivrent tous deux, et Dieu reçoit celui qui croit en l’un comme en l’autre ». Sur l’interprétation de ce passage, voir A. Y. R eed, « Messianism between Judaism and Christianity », dans M. L. Morgan – S. Weitzman (éd.), Rethinking the Messianic Idea in Judaism, Bloomington (Indiana), 2015, p. 37-38 ; A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” as Counter-history ?
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peuple judéen et sa sainteté lévitique, incarne littéralement l’union de la foi en Jésus et de la pratique de la Loi. Il est le vrai Ἰουδαῖος, c’est-à-dire, comme l’explique Pierre dans les Homélies, celui qui pratique et accomplit la Loi 124 . On peut sans doute voir dans la relation de complémentarité entre Pierre et Jacques le Juste, frère du Seigneur, une figure reconnue et admirée de tous, chrétiens et Judéens, une volonté de présenter le passé apostolique sous le signe de la continuité avec le judaïsme, une manière de répondre à la présentation d’Eusèbe du même passé apostolique, présentation marquée au contraire par la rupture avec le judaïsme 125. Autrement dit, les Homélies prennent position, par les procédés littéraires du « roman » et de la lettre fictive, sur la question de la définition du christianisme, dans ses rapports avec le judaïsme, et répondent possiblement à la position que défend Eusèbe dans son Histoire ecclésiastique, position que Yoshiko Reed qualifie de « counter-history » 126. La place qu’Eusèbe reconnaît au judaïsme The Apostolic Past in Eusebius’ Ecclesiastical History and the Pseudo-Clementine Homilies », dans G. Gardner – K. L. Osterloh (éd.), Antiquity in Antiquity. Jewish and Christian Pasts in the Greco-Roman World, Tübingen, 2008, p. 190-191 et A. Y. R eed, « Jewish Christianity after the Parting of the Ways : Approaches to Historiography and Self-Definition in the Pseudo-Clementines », dans A. H. Becker – A. Y. R eed (éd.), The Ways that Never Parted. Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Minneapolis, 2007, p. 216-217. 124. Homélies 11,16,2-3 : « Car cet homme pieux dont je parle, l’homme véritablement pieux, n’est pas seulement celui qui se fait appeler ainsi, mais celui qui, parce qu’il est véritablement pieux, accomplit les prescriptions de la loi donnée par Dieu. Si l’on commet une impiété, l’on n’est pas pieux. De la même façon, si un étranger pratique la Loi, il est judéen ; et s’il ne la pratique pas, il est grec ; car le Judéen qui croit en Dieu accomplit la Loi… ». Voir A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” as Counter-History ? The Apostolic Past in Eusebius’ Ecclesiastical History and the Pseudo-Clementine Homilies », dans G. Gardner – K. L. Osterloh (éd.), Antiquity in Antiquity. Jewish and Christian Pasts in the Greco-Roman World, Tübingen, 2008, p. 204 : « The category of “Jew” here denotes anyone who follows the Law that God laid out for them ». 125. A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” as Counter-history ? The Apostolic Past in Eusebius’ Ecclesiastical History and the Pseudo-Clementine Homilies », dans G. Gardner – K. L. Osterloh (éd.), Antiquity in Antiquity. Jewish and Christian Pasts in the Greco-Roman World, Tübingen, 2008, p. 189-190 (à propos d’Eusèbe de Césarée , Histoire ecclésiastique 1,4,2 et 1,6,8) : « Eusebius thus argues that a break in Jewish succession ushered in the birth of Jesus and the establishment of apostolic succession, just as the downfall of the Jewish nation accompanied the birth of a new nation, namely the Christians (I 4.2) ». 126. A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” as Counter-history ? The Apostolic Past in Eusebius’ Ecclesiastical History and the Pseudo-Clementine Homilies », dans G. Gardner – K. L. Osterloh (éd.), Antiquity in Antiquity. Jewish and Christian Pasts in the Greco-Roman World, Tübingen, 2008, p. 213 : « Intriguing, in my view, is the possibility that the Homilies was compiled, at least in part, to counter this counter-history ».
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et aux Judéens chrétiens dans son récit des origines se limite, nous l’avons souligné, à la période qui va de Jacques à la révolte de Bar Kokhba. Audelà de cette limite, aux yeux d’Eusèbe, les Judéens chrétiens s’inscrivent dans l’hérésie et prennent notamment le nom d’ébionites 127. Que la figure de Jacques, dans ce récit, emprunte à Hégésippe, lui-même possiblement un Judéen chrétien 128, qu’Eusèbe semble également connaître des écrits clémentins, qu’Épiphane attribue aux ébionites, tout cela semble indiquer une forme de discussion entre les Homélies et l’Histoire ecclésiastique sur la place du judaïsme dans le passé apostolique 129. 4.2. Les Reconnaissances et La montée de Jacques au Temple Qu’en est-il de l’auteur des Reconnaissances et peut-être surtout de son traducteur latin ? À partir du témoignage de Rufin d’Aquilée, dans la préface à sa traduction des Reconnaissances, on comprend que des deux versions (duo corpora) du roman pseudo-clémentin qui étaient en circulation
127. Voir A. Y. R eed « “Jewish Christianity” as Counter-history ? The Apostolic Past in Eusebius’ Ecclesiastical History and the Pseudo-Clementine Homilies », dans G. Gardner – K. L. Osterloh (éd.), Antiquity in Antiquity. Jewish and Christian Pasts in the Greco-Roman World, Tübingen, 2008, p. 207 : « …through his descriptions of the sect of the Ebionites (III 27 ; V 8.10 ; VI 17), Eusebius effectively distinguishes the apostolic “Jewish Christianity” of the Jerusalem church from all forms of “Jewish Christianity” that came afterwards ». 128. Voir A. Y. R eed « “Jewish Christianity” as Counter-history ? The Apostolic Past in Eusebius’ Ecclesiastical History and the Pseudo-Clementine Homilies », dans G. Gardner – K. L. Osterloh (éd.), Antiquity in Antiquity. Jewish and Christian Pasts in the Greco-Roman World, Tübingen, 2008, p. 213 : « Likewise, to tell the tale of the decline of “Jewish Christianity”, he draws heavily on Hegesippus, whose own account of the apostolic age appears to have lionized James and the Jerusalem church ; the possibility that Hegesippus himself may have been a “Jewish Christian” makes Eusebius’ appropriation of his writings all the more striking ». 129. Annette Yoshiko Reed (A. Y. R eed « “Jewish Christianity” as Counterhistory ? The Apostolic Past in Eusebius’ Ecclesiastical History and the PseudoClementine Homilies », dans G. Gardner – K. L. Osterloh (éd.), Antiquity in Antiquity. Jewish and Christian Pasts in the Greco-Roman World, Tübingen, 2008, p. 214) propose une autre piste pour comprendre la possible réponse des Homélies à la vision d’Eusèbe, celle de l’importation en Syrie et en Palestine du christianisme alexandrin : « Such contrasts may point us to the possibility that the discursive contestation over the apostolic past in these two texts may speak to another struggle, coming in the wake of the importation of Alexandrian forms of Christianity into Syro-Palestine due to the influence of Origen, Pamphilus, and Eusebius of Caesarea. It is possible, for instance, that the literary activity that shaped the Homilies may represent the response of other forms of Christianity, perhaps native to the area ». Dans l’hypothèse où des chrétiens de Syrie et de Palestine revendiquaient une continuité avec l’Église de Jérusalem dont Jacques était l’évêque et Pierre, l’apôtre, on peut comprendre qu’Eusèbe ait cherché à désavouer un certain judéo-christianisme.
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au tournant des IVe et Ve siècle 130, dans la partie orientale de l’empire, Rufin a choisi de traduire la version qui nous est connue sous le titre de Reconnaissances. Pourquoi ? On pense parfois que le choix de Rufin aurait été guidé par des considérations doctrinales, les Homélies étant moins « orthodoxes » que les Reconnaissances 131. Il est vrai que Rufin lui-même a préféré ne pas traduire les passages, dans les deux versions, sur « le Dieu non engendré et le Dieu engendré », parce qu’ils dépassaient son entendement 132 . Il pourrait cependant y avoir une autre raison. En choisissant de traduire les Reconnaissances, Rufin a choisi la version du roman qui accorde le plus d’importance à la figure de Jacques. C’est, en effet, dans les Reconnaissances, au livre premier (27-71) 133, que l’on retrouve cette section 130. Voir Rufin d’Aquilée , Préface à Gaudentius 7-9 : « Il convient, assurément, de t’indiquer les principes qui ont guidé notre traduction, à toi qui as lu ce texte aussi en grec, pour que tu n’ailles pas croire qu’en certains endroits l’ordre de la traduction a été moins bien respecté par nous. Il ne t’est pas inconnu, je pense, que de cette même œuvre de Clément, les Reconnaissances, il existe en grec deux éditions et deux collections de livres, présentant un récit qui diffère sur quelques points, mais qui est identique dans la plupart des cas (puto quod non lateat, Clementis huius in Graeco eiusdem operis, hoc est Recognitionum, duas editiones haberi et duo corpora esse librorum, in aliquantis quidem diversae, in multis tamen eiusdem narrationis). En bref, la dernière partie de l’œuvre, où il est question de la métamorphose de Simon, se trouve dans une seule des collections et est totalement absente de l’autre ». 131. Voir N. K elley, Knowledge and Religious Authority in the Pseudo-Clementines, Tübingen, 2006, p. 16-17 et L. Cirillo, « Introduction », dans Les Reconnaissances du pseudo-Clément. Roman chrétien des premiers siècles, traduction par A. Schneider et introduction et notes de L. Cirillo, Turnhout, 1999, p. 30. 132. Rufin d’Aquilée , Préface à Gaudentius 10 : « D’autre part, il y a aussi dans l’une et l’autre collection certaines considérations sur le Dieu non engendré et le Dieu engendré, ainsi que sur quelques autres sujets, passages qui, pour ne rien dire de plus, ont dépassé notre entendement. Ces passages, en tant qu’ils étaient au-dessus de mes forces, j’ai donc préféré les réserver à d’autres, plutôt que de les rendre de manière déficiente ». 133. Ce long passage est censé, selon F. S. Jones, provenir d’une source judéochrétienne du IIe siècle. Voir F. S. Jones , An Ancient Jewish Christian Source on the History of Christianity. Pseudo-Clementine Recognitions 1.27-71, Atlanta, 1995 ; J. Painter , Just James. The Brother of Jesus in History and Tradition, Columbia (SC), 2004 [1997], p. 187-188 et M. Myllykoski, « James the Just in History and Tradition : Perspectives of Past and Present Scholarship (Part I) », Currents in Biblical Research 6 (2007), p 46-50. Bien entendu, si l’on adopte une autre approche que celle préconisée par la critique des sources, on supposera que l’auteur des Reconnaissances a très bien pu composer le passage en s’inspirant de l’Ancien Testament et du livre des Actes des Apôtres. Voir Bernhard Rehm (B. R ehm, « Zur Entstehung der pseudoclementinischen Schriften », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 37 (1938), p. 162), apud M. Myllykoski, « James the Just in History and Tradition : Perspectives of Past and Present Scholarship (Part I) », Currents in Biblical Research 6 (2007), p. 48, qui attribue justement le passage à l’auteur des Reconnaissances.
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que l’on désigne parfois comme La montée de Jacques au Temple 134, une longue discussion sur l’histoire du salut, qui se déroule au Temple et où les Apôtres, surtout Pierre et Jacques, le frère du Seigneur, s’opposent aux chefs des Judéens. La discussion se termine, nous l’avons vu, par l’intervention de l’« homme ennemi » et l’attaque contre Jacques. Serait-il possible que Rufin ait choisi cette version du roman de Clément parce qu’elle contient justement cette section qui met en valeur le rôle de Jacques dans la communauté des origines ? À première vue, Rufin semble pourtant, avant tout, préoccupé par l’affirmation d’une certaine romanité chrétienne dans ses rapports avec l’orient chrétien d’expression grecque. C’est ainsi qu’il explique, dans sa préface, qu’il adresse à l’évêque Gaudentius, qu’il veut rendre Clément aux Romains 135 : « Accueille donc, mon très cher, notre Clément qui revient à toi, accueille-le désormais en tant que Romain » 136. Rufin présente sa traduction des Reconnaissances comme un « butin » qu’il a soustrait « aux bibliothèques des Grecs » 137. Grâce à ces « riches dépouilles de la Grèce », il offre à ses compatriotes romains les « trésors cachés de la sagesse » 138. Dans la même préface, il rappelle, d’ailleurs, qu’il a déjà traduit la Lettre de Clément à Jacques, qui raconte comment Clément a été désigné par Pierre lui-même pour lui succéder sur le trône épiscopal de Rome 139. Il semble donc que le traducteur latin des Reconnaissances cherche à souligner l’importance de Rome, dans un contexte, le tournant des IVe et Ve siècle, où la question de la primauté romaine prend de plus en plus d’importance 140. 134. Sur la thèse qui veut que cette section des Reconnaissances ait pour source principale La montée de Jacques au Temple (Anabathmoi Iakobou), voir P. Luomanen, Recovering Jewish-Christian Sects and Gospels, Leyde – Boston, 2012, p. 38-39 ; F. S. Jones , An Ancient Jewish Christian Source on the History of Christianity. Pseudo-Clementine Recognitions 1.27-71, Atlanta, 1995, qui s’y oppose, et R. van Voorst, The Ascent of James : History and Theology of a Jewish-Christian Community, Atlanta, 1989, qui la défend. 135. Rufin d’Aquilée , Préface à Gaudentius 2 : « …restituer Clément à notre langue » = ut Clementem nostrae linguae redderemus. 136. Rufin d’Aquilée , Préface à Gaudentius 4 : suscipe igitur, mi anime, redeuntem ad te Clementem nostrum, suscipe iam Romanum. 137. Rufin d’Aquilée , Préface à Gaudentius 2 : …restituimus, praedamque, ut opinor, non parvam, Graecorum bibliothecis direptam… 138. Rufin d’Aquilée , Préface à Gaudentius 5 : …magna … Graeciae spolia … occultos sapientiae thesauros… 139. Voir Rufin d’Aquilée , Préface à Gaudentius 13 et Lettre de Clément à Jacques 19,1. Voir W. Ullmann, « The significance of the Epistola Clementis in the Pseudo-Clementines », Journal of Theological Studies (N. S.) 11 (1960), p. 305 et G. E. Demacopoulos , The Invention of Peter. Apostolic Discourse and Papal Authority in Late Antiquity, Philadelphie, 2013, p. 23-24. 140. Voir B. Neil , « Rufinus’ Translation of the Epistola Clementis ad Iacobum », Augustinianum 43 (2003), p. 31 : « …the end of the fourth century was a critical juncture for the Roman papacy, with the declaration of Constantinople’s
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Or, le fait de reconnaître le rôle de Jacques dans la communauté des origines et de le relier, du moins dans le récit pseudo-clémentin, à celui que joue l’apôtre Pierre apparaît, à notre avis, comme une manière d’affirmer la continuité entre l'Église de Jérusalem, fondée par Jacques, nommé évêque par Jésus lui-même, et l’église de Rome, fondée par Pierre, désigné comme le fondement de l’église par Jésus lui-même. Nous pourrions ajouter que de traduire et faire passer à l’Ouest un ouvrage qui montre, à travers les personnages de Pierre, Clément et Jacques, comment l’église de Rome repose dès l’origine sur l’autorité de la « Mère de toutes les églises », suivant l’expression rapportée par Théodoret de Cyr 141, est peut-être la voie choisie par Rufin pour prendre position sur la question de l’orthodoxie et plus particulièrement sur la question de la ligne de démarcation entre Judéens et chrétiens. Dans le contexte de la crise origénienne 142 , en effet, Jérôme et Rufin s’accusent mutuellement de manquer de loyauté envers la foi chrétienne, dans leur rapport avec les « hérésies » d’Origène, bien entendu, mais aussi dans leur rapport avec les Judéens. Rufin, dans son Apologie contre Jérôme, reproche à son « ami », sa trop grande proximité avec ses maîtres judéens et refuse pour sa part d’être un disciple de Barabbas 143 ! C onclusion Le point de départ de cette étude réside, nous l’avons souligné dès le début, dans le caractère artificiel et disproportionné d’une fiction épistolaire qui fait des Pseudo-Clémentines une gigantesque lettre de Clément de Rome à Jacques de Jérusalem. Nous avons proposé ici d’attribuer à l’auteur des Homélies la composition des trois écrits liminaires dans lesquelles la figure de Jacques joue un rôle de premier plan et de situer ce procédé littéraire dans le contexte du processus de définition du christianisme dans status as the New Rome at the Ecumenical Council in Constantinople in 381 ». À son avis, les Reconnaissances et la Lettre de Clément à Jacques s’inscrivent dans le cadre d’une campagne en faveur de la primauté de Rome : « part of a campaign by Rufinus (and others) to affirm Roman primacy in the face of its contention by the patriarchates of Constantinople, Antioch, and Alexandria ». 141. Théodoret de Cyr , Histoire ecclésiastique 5,9,17. Voir supra note 111. 142. Sur la crise origénienne et le conflit entre Jérôme et Rufin, voir E. A. Clark , The Origenist Controversy. The Cultural Construction of an Early Christian Debate, Princeton, 1992, particulièrement le chapitre 4 : « Rufinus’s Defense against Charges of Origenism » (159-193) et A. S. Jacobs , Remains of the Jews. The Holy Land and Christian Empire in Late Antiquity, Stanford, 2004, p. 83-96. 143. Rufin d’Aquilée , Apologie contre Jérôme 2,15 apud A. S. Jacobs , Remains of the Jews. The Holy Land and Christian Empire in Late Antiquity, Stanford, 2004, p. 85.
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lequel Eusèbe de Césarée et Épiphane de Salamine, inter alios, sont engagés. C’est dans le cadre de cet effort de définition que la figure de Jacques, emblématique d’un christianisme judéen (nazaréens et ébionites), se voit récupérer par les penseurs de la Grande Église. Nous proposons également de voir dans le choix de Rufin, de traduire les Reconnaissances, une manière d’affirmer la continuité entre Rome et Jérusalem, entre Judéens et chrétiens, entre Pierre et Jacques. À moins qu’il ne s’agisse de la contribution personnelle de Rufin à la conquête chrétienne de Jérusalem et de la Terre Sainte, conquête toute symbolique, bien sûr, mais qui prend néanmoins la forme bien réelle, dans la vie de Rufin, d’un long séjour à Jérusalem et d’une traduction latine des Reconnaissances de Clément en guise de butin 144 .
144. Sur la christianisation de Jérusalem au IVe siècle, voir O. I rshai, « The Christian Appropriation of Jerusalem in the Fourth Century : The Case of the Bordeaux Pilgrim », The Jewish Quarterly Review 99 (2009), p. 465-486 ; A. S. Jacobs , Remains of the Jews. The Holy Land and Christian Empire in Late Antiquity, Stanford, 2004 (surtout le chapitre 5 : « “This Exalted City” : Christian Jerusalem and Its Jews ») ; J. W. Drijvers , Cyril of Jerusalem : Bishop and City, Leyde – Boston, 2004, p. 1-30 ; Y. Tsafrir , « Byzantine Jerusalem : The Configuration of a Christian City », dans L. I. L evine (éd.), Jerusalem. Its sanctity and Centrality to Judaism, Christianity, and Islam, New York, 1999, p. 133-150 et G. Bowman, « “Mapping History’s Redemption”. Eschatology and Topography in the Itinerarium Burdigalense », dans L. I. L evine (éd.), Jerusalem. Its sanctity and Centrality to Judaism, Christianity, and Islam, New York, 1999, p. 163-187.
Annexe
L a question des sources 1 Dans l’avant-propos à cet ouvrage, j’ai déjà expliqué comment et pourquoi j’ai pris la décision, dès le départ, de ne pas étudier les Pseudo-Clémentines sous l’angle du « problème littéraire et historique » d’Oscar Cullmann. Jusqu’à tout récemment, je me suis contenté d’éviter la question ou de citer la vulgate à propos de la Grundschrift ou de la datation des Homélies et des Reconnaissances 2 . Dans le chapitre sur la théogonie orphique des Pseudo-Clémentines, je me suis toutefois permis d’exprimer mon désaccord avec la position de F. S. Jones sur la nécessité méthodologique de reconstituer la Grundschrift avant tout autre chose, i. e. avant d’étudier tout autre sujet en rapport avec les Pseudo-Clémentines. J’y faisais allusion aux commentaires de F. Jourdan sur la possible priorité des Homélies sur les Reconnaissances et je me demandais si nous avions vraiment besoin de l’hypothèse de la Grundschrift. Je rappelle ici l’un des commentaires de F. Jourdan : « A. Schliemann [1844], G. Uhlhorn [1854] et J. Chapman [1902], n’émettant pas l’hypothèse de l’Écrit de base, pensent, quant à eux, que les Reconnaissances sont une réplique polémique directe aux Homélies, ce qui, selon nous, ne serait peut-être pas à exclure » 3. Je saisis maintenant le prétexte que me fournit cette remarque de F. Jourdan pour aborder à nouveau cette question de la nécessité méthodologique de la Grundschrift et revenir, du même coup, au point de départ du problème pseudo-clémentin : le rapport entre les Homélies et les Reconnaissances. Je n’exclus pas moi non plus que les Reconnaissances soient « une réplique polémique directe aux Homélies » et je reprends même à mon compte l’hypothèse d’Adolph Schliemann d’une réécriture des Homélies par les Reconnaissances. En effet, je ne trouve (presque) rien à redire à cette hypothèse, telle que Jones nous la résume en deux phrases : « Schliemann argued at length that R was a later reworking of H and that H, in turn, was not dependent on any earlier writings. H was rather a completely
1. Étude inédite. 2. Pour l’essentiel, je reproduis ici l’argumentaire de mon article dans Apocrypha 32 (2021), p. 102-108. 3. F. Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d ’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles, II. Pourquoi Orphée ? Paris, 2011, p. 37, note 94.
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ANNEXE
independent and original work that was produced “aus einem Guß” » 4 . Il me semble que tout est là, à quelques nuances près. C’était en 1844, avant que la majorité des savants ne se lance, à la suite des Hilgenfeld, Lipsius, Waitz et tous les autres, jusqu’à aujourd’hui, dans une quête de la Grundschrift. Il faut souligner que cette idée, qui fait encore consensus aujourd’hui 5, celle d’un troisième texte qui serait à l’origine des Homélies et des Reconnaissances, remonte tout de même au milieu du XIXe siècle. L’histoire de cette idée, du moins celle de sa naissance et de ses premières formulations, a été très bien résumée et documentée par F. S. Jones, dans son article de référence sur la recherche pseudo-clémentine 6. Il ne me semble pas utile de reprendre ici le même exercice 7. Ce qui me semble utile, au contraire, est de noter que l’hypothèse de la Grundschrift repose sur des conceptions de l’histoire et de la littérature qui appartiennent au XIXe siècle, ce qui ne constitue pas en soi un problème, il est vrai, mais peut toutefois justifier une critique des prémisses. De fait, il y a, d’une part, une certaine conception du christianisme et de son évolution qui suppose que les éléments judéens des Homélies et des Reconnaissances seraient plus anciens et indiqueraient donc l’utilisation d’une source judéenne, les Kerygmata Petrou, ou une source de tendance judéenne, voire ébionite, la Grundschrift. L’article de Jones rend compte des hésitations et des contradictions qui ont
4. F. S. Jones , « The Pseudo-Clementines : A History of Research », Second Century 2 (1982), p. 8-9. Jones traduit l’énoncé qui ouvre le troisième chapitre de l’ouvrage de Schliemann. Voir A. Schliemann, Die Clementinen nebst den verwandten Schriften und der Ebionistimus, Hamburg, 1844, p. 252-253. 5. Voir N. K elley, Knowledge and Religious Authority in the Pseudo-Clementines. Situating the Recognitions in Fourth Century Syria, Tübingen, 2006, p. 18, pour ses remarques au sujet des rares savants qui ont opposé une certaine résistance à la critique des sources. Kelley fait référence à J. Chapman, « On the Date of the Clementines », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 9 (1908), p. 21-34 ; 147-159 ; E. Schwartz , « Unzeitgemäße Beobachtungen zu den Clementinen », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 31 (1932), p. 151199 et A. C. H eadlam, « The Clementine Literature », Journal of Theological Studies o. s. 3 (1901), p. 41-58. 6. F. S. Jones , « The Pseudo-Clementines : A History of Research », Second Century 2 (1982), p. 1-33 ; 63-96. 7. Pour un survol de la recherche, voir D. Côté , Le thème de l ’opposition entre Pierre et Simon dans les Pseudo-Clémentines, Paris, 2001, p. 7-19 ; N. K elley, Knowledge and Religious Authority in the Pseudo-Clementines. Situating the Recognitions in Fourth Century Syria, Tübingen, 2006, p. 1-27 et F. A msler , « État de la recherche récente sur le roman pseudo-clémentin », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati (éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août – 2 septembre 2006, Lausanne, 2008, p. 25-45.
LA QUESTION DES SOURCES
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entouré cette tentative de définir l’hypothétique troisième texte 8. Quoi qu’il en soit, cette notion d’une évolution du christianisme, qui se serait détaché assez tôt de ses origines judéennes, a fait l’objet d’une sérieuse remise en question au cours des vingt dernières années. Je fais référence aux thèses de Daniel Boyarin et aux travaux d’Annette Yoshiko Reed sur la croisée des chemins 9. Il faudrait en prendre note et revoir le schéma qui sous-tend la reconstruction du roman par ses sources. Il y a, d’autre part, une conception de la littérature qui suppose que derrière tout texte il y aurait des sources qu’il faudrait identifier et reconstituer, de manière hypothétique, et qui expliqueraient les variations de thèmes, de tons, de style à l’intérieur d’un même texte. Par exemple, suivant cette conception, les divergences et les similitudes entre les Homélies et les Reconnaissances ne peuvent tout simplement pas s’expliquer par l’influence d’un texte sur l’autre ou par l’originalité d’un auteur par rapport à l’autre. Il faut absolument, semble-t-il, supposer l’existence d’une source. La Quellenforschung, du moins telle qu’elle a été pratiquée sur le corpus pseudo-clémentin depuis plus de 150 ans, produit un effet de cercle. Quand F. S. Jones, dans une introduction aux Pseudo-Clémentines, fait valoir que la relation littéraire qu’entretiennent les deux versions du roman exige le postulat d’un Écrit de base et juge que les tentatives, au XIXe siècle, de s’en tenir aux relations entre les Homélies et les Reconnaissances ont été vouées à l’échec en raison de la nature des textes (« in view of the texts ») 10, je ne peux m’empêcher de constater la circularité du raisonnement. En quoi la « nature des textes » rendrait indéfendable l’hypothèse d’une simple relation de réécriture d’un texte par un autre ? Si l’on pos8. F. S. Jones , « The Pseudo-Clementines : A History of Research », Second Century 2 (1982), p. 8-14. 9. Voir D. Boyarin, Border Lines. The Partition of Judaeo-Christianity, Philadelphie, 2004 ; D. Boyarin, « Semantic Differences ; or, “Judaism” / “Christianity” », dans A. H. Becker – A. Y. R eed (éd.), The Ways that Never Parted. Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Tübingen, 2003, p. 65-85 ; A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” after the “Parting of the Ways”. Approaches to Historiography and Self-Definition in the Pseudo-Clementines », dans A. H. Becker – A. Y. R eed (éd.), The Ways that Never Parted. Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Tübingen, 2003, p. 189-231. Voir également S. C. M imouni – B. Pouderon (éd.), La croisée des chemins revisitée. Quand l ’Église et la Synagogue se sont-elles distinguées ? Actes du colloque de Tours (18-19 juin 2010), Paris, 2012. 10. F. S. Jones , Pseudoclementina elchasaiticaque inter judaeochristiana. Collected Studies, Leuven, 2012, p. 16 : « The postulation of a lost Basic Writing (abbreviated B), which was employed by both the Klementia and the Recognition, is necessitated by the manifest literary relationship between these two renditions of the PseudoClementines. The attempts in nineteenth century research to derive either the Recognition from the Klementia or the Klementia from the Recognition have properly been abandoned as untenable in view of the texts ».
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tule l’existence d’un Écrit de base, il va de soi que l’on attribuera à cette source supposée tous les parallèles que l’on trouvera entre les Homélies et les Reconnaissances, sans pour autant en prouver l’existence. Cela n’aura rien à voir avec la nature des textes. Ce sera un bel exemple de pétition de principe. « In view of the texts », pour citer Jones, l’hypothèse de la réécriture des Homélies par les Reconnaissances est l’hypothèse la plus simple, la plus économique. En matière d’économie, le rasoir d’Occam permettrait justement, dans ce cas, de trancher le débat ou, pour revenir à la géométrie, de sortir du cercle. Sortir du cercle, c’est ce qu’a fait, en quelque sorte, Jürgen Wehnert, dans les années 1980 et 1990 11, et encore plus récemment, en 2010, dans son introduction à sa traduction allemande des Homélies 12 , lorsqu’il a décidé de prendre du recul par rapport à l’hypothèse de la Grundschrift. La composition du roman pseudo-clémentin, son développement, devrait se concevoir, selon lui, en termes de couches (Schichten) et de niveaux (Stufen) rédactionnels. On retrouverait ainsi, en premier lieu, l’opposition entre Pierre et Simon, puis le roman de Clément et finalement, les Homélies et les Reconnaissances. La notion de couche rédactionnelle, moins rigide que la notion de source, rend compte plus adéquatement du processus complexe qui a produit les Homélies et les Reconnaissances 13. En ce qui me concerne, et pour revenir à l’hypothèse de la réécriture des Homélies par les Reconnaissances, je propose la séquence suivante. Il y a d’abord les Homélies, qui défendent des thèses radicales sur un certain nombre de points, comme la doctrine des syzygies ou celle des fausses péricopes. Viennent ensuite les Reconnaissances, qui procèdent à une réécriture des Homélies, ce qui donne une version plus « orthodoxe », moins judéenne, en y ajoutant des éléments qui leur sont propres comme, inter alia, le discours de Jacques au Livre 1 des Reconnaissances (66,2-71,6) 14 et
11. J. Wehnert, « Literarkritik und Sprachanalyse. Kritische Anmerkungen zum gegenwärtigen Stand der Pseudoklementinen-Forschung », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 74 (1983), p. 268-301 ; J. Wehnert, « Abriss der Entstehungsgeschichte des pseudoklementischen Romans », Apocrypha 3 (1992), p. 211-235. 12. J. Wehnert, Pseudoklementinische Homilien. Einführung und Übersetzung, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2010, p. 30-36. 13. Sur la contribution de Wehnert, voir D. Côté , Le thème de l ’opposition entre Pierre et Simon dans les Pseudo-Clémentines, Paris, 2001, p. 16-18. 14. Depuis les travaux de F. S. Jones sur la question (An Ancient Jewish Christian Source on the History of Christianity. Pseudo-Clementine Recognitions I, 27-71, Atlanta, 1995), certains considèrent que le contenu du passage qui inclut le discours de Jacques, Reconnaissances I, 27-71, proviendrait d’une source judéo-chrétienne. Voir L. Cirillo – A. Schneider , « Introduction aux Reconnaissances », dans P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005, p. 1602-1606.
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l’utilisation du Livre des lois et des pays de Bardesane au Livre 8 15. Il y a enfin et aussi la traduction des Reconnaissances par Rufin d’Aquilée, qui a pu donner lieu à une nouvelle forme de réécriture. C’est une séquence quelque peu schématique, j’en conviens. Pour faire bonne mesure, j’ajouterais que le caractère plus orthodoxe des Reconnaissances a été reconnu par plusieurs spécialistes, notamment Nicole Kelley 16 et Annette Yoshiko Reed 17, dans le cadre, cependant, de l’hypothèse d’un Écrit de base. J’apporterais aussi une précision au sujet de la traduction de Rufin. La controverse origénienne 18, à la fin du IVe siècle, et la querelle entre Jérôme et Rufin sur la traduction des œuvres d’Origène jettent un éclairage intéressant sur le rôle du traducteur 19. On sait que Jérôme accusait son rival d’avoir « corrigé » le texte d’Origène et franchi la ligne qui sépare le traducteur de l’auteur 20. Pour cette raison, on ne peut pas exclure la possibilité que Rufin ait usé d’une certaine liberté ou plutôt d’une certaine autorité en traduisant les Reconnaissances de Clément 21. Autrement dit, il n’est pas impossible qu’il ait contribué au caractère plus orthodoxe des Reconnaissances. Pour ce qui est de la datation des Homélies et des Reconnaissances, je la situerais au milieu du IVe siècle. J’accepte la datation des Reconnais-
15. Sur Bardesane et les Reconnaissances, voir J. Aubin, « Épicure et Bardesane astrologues : l’exposé de Nicétas au livre VIII des Recognitiones pseudo-clémentines », Apocrypha 29 (2018), p. 97-111. 16. Voir N. K elley, Knowledge and Religious Authority in the Pseudo-Clementines. Situating the Recognitions in Fourth Century Syria, Tübingen, 2006, p. 16-17. 17. A. Y. R eed, « “Jewish Christianity” after the “Parting of the Ways”. Approaches to Historiography and Self-Definition in the Pseudo-Clementines », dans A. H. Becker – A. Y. R eed (éd.), The Ways that Never Parted. Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Tübingen, 2003, p. 223. 18. Voir E. A. Clark , The Origenist Controversy. The Cultural Construction of an Early Christian Debate, Princeton, 1992. 19. Sur les méthodes de traduction de Rufin d’Aquilée, voir E. C. Brooks , « The Translation Techniques of Rufinus of Aquileia (343-411) », Studia Patristica 17 (1982), p. 357-364, qui estime que Rufin pratique l’art de la paraphrase (p. 360), et M. Wagner , Rufinus the Translator : A Study of his Theory and Practice as Illustrated in His Version of the Apologetica of St. Gregory Nazianzen, Washington (DC), 1945, qui abonde essentiellement dans le même sens (p. 60-62) et dresse une liste des procédés utilisés par Rufin qu’elle qualifie d’« adaptation procedures », ce qui comprend des ajouts, des altérations, des omissions, etc. (p. 29-64). 20. Voir Jérôme , Apologie contre Rufin 1,6-7. 21. Voir ce que Rufin, dans sa Préface à Gaudentius (10-11), dit du principe qui a guidé sa traduction, après avoir admis qu’il avait laissé de côté les passages sur le Dieu non engendré et le Dieu engendré parce qu’ils dépassaient son entendement : In ceteris autem, quantum potuimus, operam dedimus, non solum a sententiis, sed ne a sermonibus quidem satis elocutionibusque discedere = « Pour le reste, en revanche, nous nous sommes efforcé de nous écarter aussi peu que possible non seulement des idées, mais même des expressions et du style ». Voir Rufin d’Aquilée , Préface (3) à la traduction du Traité des principes d’Origène.
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sances, qui fait consensus 22 , mais non celle des Homélies, que l’on établit avant 325 sur la base d’une mention chez Eusèbe de Dialogues de Pierre et d’Apion 23. Je ne vois pas en quoi ces « dialogues » seraient nécessairement une référence aux Homélies. Qu’il y ait eu avant (et sans doute après) les Homélies d’autres textes qui aient fait le récit de la rencontre entre Pierre et Clément ou celui de la discussion entre Pierre et Simon ne fait aucun doute, comme l’attestent les références à des Περίοδοι Πέτρου, chez Origène ou à des « Dialogues de Pierre et d’Apion », chez Eusèbe de Césarée, comme je viens de le mentionner. Toutefois, que ces textes, qui ne sont connus que par des fragments, aient été des sources utilisées par les Homélies ne peut être démontré de manière entièrement satisfaisante et relève donc de l’hypothèse. Il existe d’autres modèles théoriques qui permettent de comprendre la présence de thèmes communs dans un certain nombre de textes, comme l’intertextualité ou la transtextualité ou d’autres types de « textualités » 24 , des modèles qui offrent l’avantage de respecter l’intégrité du texte et de laisser ouvert le champ des explications possibles.
22. Pour la date de rédaction des Reconnaissances, voir L. Cirillo, « Introduction », dans Les Reconnaissances du pseudo-Clément. Roman chrétien des premiers siècles (traduction par A. Schneider ; introduction et notes de L. Cirillo), Turnhout, 1999, p. 22. Luigi Cirillo fait état d’une citation de l’original grec par Basile de Césarée, mort en 379, pour l’établir après cette date. 23. Voir L. Cirillo, « Introduction », dans Les Reconnaissances du pseudo-Clément. Roman chrétien des premiers siècles (traduction par A. Schneider ; introduction et notes de L. Cirillo), Turnhout, 1999, p. 22, qui précise que la rédaction aurait eu lieu avant 325, parce que l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée, qui mentionne des écrits attribués à Clément (3,38,5), a été rédigée avant le Concile de Nicée. Sur les problèmes d’interprétation de ce passage d’Eusèbe, voir J. C. Paget, Jews, Christians and Jewish Christians in Antiquity, Tübingen, 2010, p. 437-440. 24. Pour un survol de la notion d’intertextualité, on consultera, parmi une multitude de publications, A. Graham, Intertextuality, New York, 2011 et A. C. Gignoux, Initiation à l ’intertextualité, Paris, 2005. Au sujet de l’intertextualité et de ses variations terminologiques, voir G. Genette , Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, 1982, p. 7-74.
INDEX AUTEURS (I) AUTEURS ANCIENS ET SOURCES Achille Tatius 38 n. 88 Leucippé et Clitophon 147 Acousilaos 27 (n. 39) Acta Petri voir Actes de Pierre Actes de Pierre 93, 139, 223 (n. 55), 224 Aelius Théon 25 (n. 21), 37 n. 82, 56-58, 91, 99 n. 93 Progymnasmata 8 57 nn. 23-24, 58 n. 29 9 62 n. 45 11 95 n. 74 Aetius Opinion des philosophes (Placita philosophorum) 1,18,5 282 n. 87 1,20,1 282 nn. 85, 90 Aglaophamos 162, 209 n. 166, 210 n. 171 Aidésius 254 Albinus 232 n. 89 Alcibiade d’Apamée 336-337 Alciphron 58 (n. 30), 59 (n. 32), 60, 102 Lettres 4,18 59 n. 33 4,19 59 n. 33 Alcméon 159 n. 14 Alexandre (sophiste) 97 n. 85 Alexandre Polyhistor 336 Successions des philosophes 336 Amélius (disciple de Plotin) 236-237 (n. 113) Ammien Marcellin Histoires 22,5,2 157 n. 3 22,10,7 67 n. 70 22,12,6 157 n. 4, 172 n. 74 22,14,2 312 n. 114 22,14,3 157 n. 1 25,4,17 157 n. 4 Ammonius Saccas 160 (nn. 18, 20), 225 n. 61, 245 (n. 142) Anabathmoi Iakobou voir PseudoClémentines, s.v. La montée de Jacques au Temple Anacréon 28 n. 45
Anaxagore 336 Anaximandre 159 n. 14, 336 Ancien Testament voir Bible Anoubion 208 n. 156 Anubion voir Anoubion Antisthène 159 n. 14 Aphthonios 25 n. 22, 102 Progymnasmata 5-6 99 n. 93 8,1-2 99 n. 97 8,3 102 n. 104 Apion 21 n. 1, 22 n. 9, 23 nn. 10, 12, 25 n. 20, 28, 29 n. 51, 32-33 (nn. 62-63), 34 (n. 67), 35-37 (n. 83), 52 n. 9, 57-59, 61, 77, 82 (n. 19), 83-85 (nn. 33, 36), 87-88 (n. 46), 89 n. 50, 90-92, 101, 105-106, 111, 119, 153 n. 54, 205, 207 Γλῶσσαι Ὁμηρικαί 89 (n. 51) Histoire d ’Égypte 23 n. 10, 84 (n. 29), 85, 115 Apollonius de Tyane 240-241 (n. 126) Apulée 37 n. 84 Apologie 240 n. 122 Métamorphoses 37 (n. 84) Archiloque 23 n. 11, 28 n. 45 Aristide Apologie 9,2 47 n. 135 Aristippe 159 n. 14 Aristophane 32 n. 60 Oiseaux 32 693-703 32 n. 60, 186 n. 66 Aristote 138, 159 n. 14, 185, 198-199 Éthique de Nicomaque 9,2,1 96 n. 79 Poétique 1449b 24 138 n. 51 1450a 3-4 198 n. 119 1452a 29-31 199 n. 124 Rhétorique 1,1 = 1355b 8-11 36 n. 81 3,9,9 292 n. 33 Asclépiade 159 n. 14 Asclépius 23-24 168 n. 51
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INDEX
38 167 n. 46 Athanase d’Alexandrie 259-260, 289 n. 8 Vie d ’Antoine 258-259 72-73 259 n. 196 Athénagore 47, 177, 203 n. 144, 204 Supplique au sujet des Chrétiens 203 18,3-6 47 n. 136 20 47 n. 136 22,11 47 n. 135 Augustin 247 n. 153, 340-341 Cité de Dieu 8,23 168 n. 51 Confessions 8,5 67 n. 69 Aulu-Gelle 89, 91, 96 Nuits attiques 2,7,1 96 n. 80 5,14,1 29 n. 51, 90 n. 54 5,14,3 37 n. 83, 58 n. 28, 90 n. 54 Bardesane 285 n. 100 Livre des lois et des pays 196, 381 Basile de Césarée (Basile le Grand) 68-69, 77, 265 Aux jeunes gens. Sur la manière de tirer profit des lettres helléniques 4,1-2 68 n. 74 Sur l ’origine de l ’homme 1,5 265 n. 4 Bemarchios 245 n. 143 Bible 34 n. 68, 228, 276 Ancien Testament 148 n. 34 Nouveau Testament 131, 148 n. 34, 217 Actes 131, 138, 148, 217, 223, 352 8,9-25 217 n. 19 8,10-11 217 n. 21 9,1-2 129 9,3,9 249 n. 158 15 145, 309 22,6-21 249 n. 158 26,9-18 249 n. 158 2 Corinthiens 12,1-9 249 n. 158 L’épître aux Galates 130 1,11-12 249 n. 158 1,15-16 249 n. 158 2,11 129 n. 13 Évangiles 148 Exode
3,2 325 Genèse 2,7 34 n. 70 22,15 325 Lettre aux Colossiens 279 Lettre aux Éphésiens 279 Luc 10,22 321 n. 24 18,19 276 n. 53 Matthieu 11,27 130 n. 15, 276 n. 53, 321 n. 24 15,21-28 216 n. 13 16,17 251 n. 167 18,10 277 n. 55 24,2 319 26,3 349 n. 16 Proverbes 8,12-31 325 9,1 325 Sagesse (Sagesse de Salomon) 34 n. 68 7,22-30 325 7,27 325 Callistrate 159 n. 14 Celse 67, 232 n. 89 Chariton 22 n. 7, 23 n. 11, 146 Chairéas et Callirhoé 22 n. 7, 23 n. 11, 39 n. 94, 147 Chrysanthe de Sardes 254 (n. 178), 260 Chrysippe 159 n. 14, 282 Clément d’Alexandrie 94, 104 n. 117, 163, 177, 360, 364 Hypotyposes 360 Protreptique 2,33,6 65 n. 61 2,37,2-4 47 n. 135 2,40,1 98 n. 89 3,44,1 98 n. 89 4,61,4 65 n. 61 Stromates 1,3 105 n. 118 1,8 105 n. 118 1,101,3 86 n. 38 2,3,1-2 105 n. 118 Code théodosien 13,3,5 67 n. 68 16,1,2 289 n. 10, 294 n. 42
AUTEURS ANCIENS ET SOURCES
Constitutions apostoliques 142, 145, 148, 296 n. 53, 300-301 2,60,4 308 n. 101 2,61,1 308 n. 101 6 309 6,9,1 144, 310 n. 109 6,12,14 309 n. 106 6,14,1 309 n. 107 6,18,11 310 n. 110 8,47,70-71 307, 308 n. 101, 309 Coran 344 n. 139 Cornelius Népos 24 n. 17, 91 Damascius 32 (n. 59), 106, 177, 184186, 188-189, 210-211, 234, 250 Traité des premiers principes 177, 184 123-124 177 n. 77, 184 n. 58 124 186 n. 66, 188 n. 75 Démocrite 159 n. 14 Démosthène 68 n. 73, 243 n. 135 Sur la couronne 276 243 n. 135 Dialogues de Pierre et d ’Apion 160 n. 17, 191 n. 85, 196, 382 Didascalie des Apôtres 296 n. 53 Diodore 159 n. 14 Diodore de Sicile 31 n. 56 Diogène 55, 159 n. 14 Diogène Laërce 336 Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres 8,25 336 Dion Cassius Histoire romaine 67,14 81 n. 14 Dion Chrysostome voir Dion de Pruse Dion de Pruse 37 n. 82, 62-63, 96, 101 n. 99 Discours 7 97 n. 85 76 96 n. 77 Les discours sacrés en 24 rhapsodies 184 Écrit sans titre 47-48 (nn. 140-144) 109,1-24 47 n. 138 Élien 58 Empédocle 159 n. 14, 336 Éphrem 285 n. 100, 293 n. 37 Hymnes 293 n. 37 Épicure 159 n. 14
385
Épiphane 80 n. 11, 153, 227, 273-274, 298 (n. 62), 299, 301, 306, 326-329, 334, 343-344, 347, 359, 365-369, 372, 375 Panarion 298, 301, 365 17,4-8 297 n. 58 19,5,4 273 n. 38 21,1,2 216 n. 16 21,3,1-5 227 n. 70 29 366 29,3,7-8 366 n. 106 29,3,9-4,4 366 n. 107 30 297 n. 57, 326, 367 30,1,1 368 30,2,6 368 30,3,1-3 329 n. 65 30,3,1-6 297 n. 58 30,3,3-5 274 n. 39 30,3,5 327 n. 53 30,15,1 80 n. 11, 153 n. 55, 195 n. 101, 273 n. 37, 299 n. 64, 327 n. 54 30,15,3 299 n. 64 30,16,7 368 n. 113 30,17,6 274 n. 40 31,1-7 222 n. 49 39,2 334 Eschine Sur l ’ambassade infidèle 3 243 n. 135 Eudème 185-186 (n. 66) Eudémos voir Eudème Eunape de Sardes 173 n. 77, 232-233, 234 n. 97, 237 (n. 114), 239-240, 252253, 257 Vie de philosophes et de sophistes 67 n. 69, 239 Goulet V,8, p. 12-13 ; Giangrande V,1,8, p. 11-12 ; Wright 458, p. 364. 238 n. 115 Goulet V,19-21, p. 15 ; Giangrande V,2,4-6, p. 14 ; Wright 459, p. 370. 238 n. 116 Goulet VI,16-17, p. 21-22 ; Giangrande VI,2,10-11, p. 20 ; Wright 463, p. 385 259 n. 199 Goulet VI,85, p. 35 ; Giangrande VI,9,6, p. 34 ; Wright 470, p. 412 257 n. 191
386
INDEX
Goulet VI,85-86, p. 35-36 ; Giangrande VI,9,6-7, p. 34 ; Wright 470, p. 412 257 n. 192 Goulet VII, p. 42-59 ; Giangrande VII, p. 40-56 ; Wright 473-481, p. 426-460 253 n. 176 Goulet VII,15, p. 42-59 ; Giangrande VII,2,1, p. 43 ; Wright 474, p. 430 254 n. 178 Goulet VII,17, p. 45 ; Giangrande VII,2,3, p. 43 ; Wright 474, p. 432 254 n. 179 Goulet VII,20-24, p. 45-46 ; Giangrande VII,2,8-10, p. 44 ; Wright 475, p. 434 173 n. 77 Goulet VII,22-24, p. 45-46 ; Giangrande VII,2,8-10, p. 44 ; Wright 475, p. 434 255 n. 180 Goulet VII,24, p. 46 ; Giangrande VII,2,10, p. 44 ; Wright 475, p. 434 255 n. 181 Goulet VII,25, p. 46 ; Giangrande VII,2,11, p. 44 ; Wright 475, p. 434 255 n. 182 Goulet VII,26, p. 46 ; Giangrande VII,2,12, p. 44 ; Wright 475, p. 434 255 n. 183 Euripide 227 Hélène 227 n. 71 Eusèbe de Césarée 160, 171, 177, 196, 225 n. 61, 260, 301, 340-341, 347-348, 359-362, 363 n. 94, 364-365, 368-372, 376, 382 Histoire ecclésiastique 153, 301, 368 369 1,1,9 370 n. 122 1,4,2 371 n. 125 1,6,8 371 n. 125 2,1,2 360 n. 75 2,1,3 360 n. 76 2,1,4 360 n. 77 2,23,1 348 n. 14 2,23,4 360 n. 79 2,23,5 363 n. 90 2,23,6 365 n. 103 2,23,7 360 n. 80 2,23,8-18 363 n. 94
2,23,9 363 n. 92 2,23,14-18 129 n. 9, 363 n. 93 2,23,19 364 n. 95 3,5,3 364 n. 98 3,7,8 360 n. 80 3,27 372 n. 127 3,38,5 82 n. 19, 87 n. 42, 153 n. 54, 160 n. 17, 191 n. 85, 301 n. 73, 358 nn. 68-70, 369 n. 118, 382 n. 23 4,5,1 370 n. 122 4,5,1-4 365 n. 101 4,5,2 364 nn. 96, 99 4,5,3 364 n. 100 4,7,9 171 n. 67 5,8,10 372 n. 127 6,6,1-3 370 n. 122 6,12 370 n. 122 6,17 372 n. 127 6,19,9-10 160 n. 20 7,19 361 n. 81 Préparation évangélique 4,7,2 341 nn. 125-126 8,18,12-22,64 232 n. 89 10,10,16 86 n. 38 Eusèbe de Myndes 254 (n. 179), 255 Favorinus d’Arles 37 n. 82, 62 Fronton 62-63 (nn. 52, 55) Correspondance 215,23 63 n. 53 216,18 63 n. 51 Gorgias Éloge d ’Hélène 62 (nn. 46, 48) fr. (DK) 82 B 11 62 n. 46 fr. (DK) 82 B 11 62 n. 48 Grégoire de Naziance 68-69 (n. 76), 148 (n. 36), 159, 170 (n. 63), 171-173, 259 Discours 4 170 (n. 63) 4,55 172 n. 76 4,55-56 173 n. 77 4,77 157 n. 2 4,92 170 n. 64, 171 n. 71, 259 n. 198 4,107 67 n. 70, 68 n. 75 5 170 n. 63
AUTEURS ANCIENS ET SOURCES
Hégésippe 129 n. 9, 360 (n. 80), 362365, 372 (n. 128) Héliodore Éthiopiques 147 3,17 99 n. 94 Hellanicos 32 n. 59, 33, 184, 186-187 Fragmenta 69-89 (Bernabé) 187 n. 69 Héraclite 159 n. 14, 339 Hérodote 68 n. 73 Histoires 2,112-120 227 n. 71 Hésiode 24, 27 (n. 39), 28 nn. 41, 45, 31 (n. 57), 32 (n. 61), 48 n. 143, 57 n. 26, 68 (nn. 72-73), 161 n. 23, 180 (n. 31), 183-185, 187, 202, 206-207, 228 Théogonie 116 202 n. 136 116-122 27 n. 37 120-122 24 n. 15 Hiéronymos 32 n. 59, 33, 184, 186-187, 188 n. 74 Fragmenta 69-89 (Bernabé) 187 n. 69 Hippolyte de Rome 35 (n. 72), 133, 136, 217, 222-223, 227, 229, 272-276, 329, 331, 336-337 Réfutation de toutes les hérésies 35, 229 Préface 8 229 n. 78 6,2 222 n. 52 6,7,9-20 222 n. 49 6,9,3 222 n. 50 6,9-18 222 n. 49 6,14,7 222 n. 51 6,18,4 218 n. 25 6,19,2-3 227 n. 69 7,21 35 n. 72 7,21,5 35 n. 73 9,13,1-3 331 n. 75 9,13,1-17,2 297 n. 58 9,14,1 80 n. 11, 337 n. 106 10,29,1-2 330 n. 67 10,29,1-3 297 n. 58 Histoire d ’Apollonius roi de Tyr 148 Homère 24 n. 17, 32 n. 61, 33 n. 63, 57, 68 (nn. 72-73), 85 (n. 33), 88-89 (n. 50), 119, 161 n. 23, 185, 187, 202, 204, 207-209 (nn. 161, 164), 228 (n. 76)
387
Iliade 7,99 89 n. 50, 202 n. 136 Odyssée 209 13,102-112 209 n. 162
Ibycos 28 n. 45 Irénée de Lyon 136, 138, 217-218, 223, 226-227, 274 Contre les hérésies 136 1,7,2 350 n. 25 1,13-22 274 n. 45 1,14,3 275 n. 49 1,23,1-4 222 n. 49 1,23,2 136 n. 43, 218 n. 22, 226 n. 67, 227 n. 69 1,23,4 226 n. 68 1,56 35 n. 72 Isocrate 68 n. 73 Itinéraires de Pierre voir Periodoi Petrou Jabir Ibn Hayyan, Abu Musa 169 Jamblique 106 (n. 123), 157 (n. 5), 158161, 163, 166-167 (n. 45), 169-170, 173 (n. 79), 175, 209 (n. 164), 210 nn. 169, 171, 211, 232-234 (n. 99), 235 (n. 102), 237-238 (n. 115), 239-241, 247, 250, 252, 254, 259 n. 199, 260, 342 De Mysteriis Aegyptiorum 241 Réponse à Porphyre (De Mysteriis) 234 1,11 253 n. 175 1,12 253 n. 175 2,3 250 n. 162, 279 n. 65 2,4 247 n. 152 2,10 251 n. 163 2,11 167 n. 44, 234 n. 100 4,1 253 n. 175 5 235 n. 102 5,23 167 n. 46 7,2-3 172 n. 75 8 235 n. 102 Vie de Pythagore 209 145-146 209 n. 165 145-147 161 n. 25 146 209 n. 166 Jean d’Antioche voir Jean Chrysostome Jean Chrysostome 70-77, 142, 159, 170, 258 n. 195, 259, 287 (n. 4), 288-294, 297-298, 300-301, 306-307, 313-314
388
INDEX
Commentaire sur Matthieu (In Matthaeum) 6,7 (PG 57,71-72) 313 n. 121 7,6 (PG 57,79-80) 313 n. 121 Contre les détracteurs de la vie monastique 3,95 A7 72 n. 96 Contre les Judéens 287-288, 290, 293, 295, 297-300, 306-309, 311, 314 1,1 (PG 48,844-845). 290 nn. 14-16 1 1,4-5 (PG 48,844) 292 n. 32 1,2 (PG 48,846) 290 n. 21 1,3 (PG 48,847) 290 n. 18 1,4 (PG 48,849) 291 n. 23 1,5 (PG 48,855) 290 n. 17 1,5,2 (PG 48,850) 288 n. 5 1,6 (PG 48,852) 290 n. 20, 291 n. 25 3,1,4 (PG 48,862) 292 n. 32 4,3 (PG 48,875) 291 n. 24 8,2 (PG 48,929) 292 n. 33 8,9,2 (PG 48,941) 292 n. 32 De Anna 4,1 (PG 54, col. 600) 73 n. 100 Discours Sur Babylas 79 171 n. 65, 259 n. 198 L’impuissance du diable (De diabolo tentatore) 3,1 (PG 49,263-264) 313 n. 121 Sur la vaine gloire et l ’éducation des enfants 19, l. 286-87 72 n. 95 Sur les Kalendes 3 (PG 48, col. 957) 72 n. 93 Jérôme 154, 298 n. 62, 375, 381 Apologie contre Rufin 1,6-7 381 n. 20 Chronique s.a. 363 67 n. 69 Lettres 112,13 298 n. 62 Livre des hommes illustres 13 84 n. 28 Josèphe, Flavius 21 n. 1, 73, 83-85 (n. 33), 86-87 (n. 44), 104 (n. 117), 105 (n. 118), 180 Antiquités judéennes 83-84 18,8,1 23 n. 10 Contre Apion 21 n. 1, 57 n. 25, 84, 86 (n. 40), 87 nn. 43-44, 104 (n. 117), 105 n. 118
1,1 83 n. 26 2,2 84 n. 31 2,3 84 n. 30 2,4 23 n. 10 2,8-32 84 n. 29 2,10-11 84 n. 32 2,14 85 n. 34 2,17 84 n. 32 2,20-21 85 n. 33 2,29 85 n. 35 2,33-78 84 n. 29 2,80-88 84 n. 30 2,89-111 84 n. 30 2,135-136 85 n. 36 Julien Discours 7 (contre Héracléios) 209-210 10 = 215b 209 n. 167 11 = 216d 210 n. 168 12 = 217c 210 n. 169 Lettres 61c 422a 68 n. 73 61c 422-424 68 n. 72 61c 423a 68 n. 73 89 152 (n. 50) 89b 167 n. 47 Misopogon 312 15 (346b) 313 n. 121 28 (357c) 71 n. 89 28 (357c) 312 n. 117 28 (357d) 312 n. 115 28 (358a) 312 n. 116 28 (358a) 290 n. 19 35 (362d) 312 n. 119 Sur la Mère des dieux 12 (172a-173a) 172 n. 75 Julien l’Africain 86 n. 38 Justin Martyr 65, 94, 97 n. 88, 134136, 138, 217, 265 Dialogue avec Tryphon 114 265 n. 4 Première Apologie 5,2 98 n. 89 12,6 97 n. 88 26,2 216 n. 16 26,1-3 222 n. 49 18,3 171 n. 68 21,4-5 65 n. 61 21,5 47 n. 135 26,3 134 n. 37 54,1 65 n. 63
AUTEURS ANCIENS ET SOURCES
54,1-2 98 n. 89 Deuxième Apologie 12,5-6 65 n. 61 Kerygmata Petrou voir Kérygmes de Pierre Kérygmes de Pierre 79-80, 130-131 (nn. 18, 20), 134, 279 n. 64, 333, 354-357, 378 Lettre d ’Aristée 34 n. 68 Libanios voir Libanius Libanius 25 n. 22, 70 (nn. 82-83), 71-72 (nn. 98-99), 74, 75 n. 111, 142, 171-172, 243-244, 313 Autobiographie (Discours 1) 243244 43 245 n. 143 50 243 n. 137 98 244 n. 139 Discours 12,80-82 172 n. 74 12,81 172 n. 72 12,82 157 n. 4 18,127 172 n. 73 30 311 n. 113 35,13 72 n. 99 36,15 72 n. 99 62,8 72 n. 97 64 72 n. 99 Lettres 369,9 70 n. 84 1098 74 n. 105 Livre d ’Elkasaï 274, 329 Longus 22 n. 7, 37 (n. 84), 38 (n. 87), 39 (nn. 93, 97), 40 (n. 104), 41 Daphnis et Chloé 22 n. 7, 37-38, 40 (n. 104), 41, 147 Préambule 3 38 n. 90 2,7,1-3 39 n. 92 4,18,1 41 n. 107 Lucien 38 n. 88, 62, 101 n. 99 Ménippe 99 n. 92 Philopseudes 31,33-36 225 n. 63 LXX voir Septante Lysias 68 n. 73 Marc le Gnostique 271, 274-275 (nn. 48-49) Marinus
389
Vie de Proclus 27 210 n. 171 Marius Victorinus 67 (n. 69), 283 (n. 95) Contre Arius 283 4,24,34-39 283 n. 94 Maxime d’Éphèse 173 (n. 77), 239, 253-254 (n. 178), 255, 257 (nn. 191192), 260 Maxime de Tyr 232 n. 89 Ménandre 59 Ménandre le Rhéteur 62 Minucius Félix 171 Octavius 9,7 171 n. 67 Nouveau Testament voir Bible Numénius 228, 232 n. 89 Olympius d’Alexandrie 245-246, 256257 Oracles Chaldaïques 210, 342 fr. 39 29 n. 49 fr. 42 29 n. 49 Origène 94, 104 n. 117, 134-135, 160 (nn. 18, 20), 196, 259, 265, 327-328, 340, 375, 381-382 Contre Celse 1,57 134 n. 38 Homélies sur la Genèse 1,13 265 n. 4 3,1 265 n. 4 Ovide 30 n. 52 Métamorphoses 6,103-120 30 n. 52 Papyri Graecae Magicae (PGM) IV 530-544 238 n. 115 IV 1716-1870 23 n. 12 IV 1841 166 (n. 41) IV 2047-2052 165 (n. 36) IV 2361 166 (n. 42) Parménide 27, 28 n. 40, 48 n. 143, 159 n. 14, 336 Periodoi Petrou (Itinéraires de Pierre) 80 n. 11, 153, 160 n. 17, 195 n. 101, 196, 327 (nn. 54, 57), 333, 368, 382 Phérécyde de Syros 28 (n. 41) Philétas 38-39 (n. 98), 40-41 Philocalie d ’Origène 23,22 160 n. 17, 195 n. 101
390
INDEX
Philométôr 257 (n. 191) Philon d’Alexandrie 34 (nn. 68, 70), 45 (n. 129), 46 (n. 134), 267 n. 13 Allégories des lois 3,161 34 n. 70 La création du monde 161 45 n. 130 Le décalogue 122 46 n. 132 173 46 n. 132 Joseph 41 46 n. 132 43 46 n. 131 La vie contemplative 11 46 n. 134 Philostrate 25 (n. 25), 26 (n. 30), 37 n. 82, 38 n. 88, 58-61 (n. 42), 63, 102 (nn. 106, 108), 103 Lettres 27 60 n. 37 30 26 nn. 26-28, 60-61, 103 n. 111 31 26 n. 29, 60, 103 n. 111 35 61 38 60 n. 38 Vie d ’Apollonius de Tyane 25 n. 25, 59, 240 1,2,1 241 n. 127 3,15 238 n. 115 Vies des Sophistes 25 n. 25, 37 n. 82, 59 487 63 n. 57 572 97 n. 85 575 97 n. 85 Photius 199, 353, 356 Bibliothèque 112-113 200 n. 126, 354 n. 41 Platon 27, 28 n. 41, 29 n. 48, 64, 159 (n. 14), 160 (n. 16), 162, 179, 210 (n. 171), 211, 236 Banquet 39 n. 99, 179 (n. 15), 236 178 b7 27 n. 39 178 b 28 n. 40 210-211 236 n. 109 Phèdre 248a 168 République 159 Théétète 176b 234 n. 98 Timée 28b 160
32c 28 n. 42 Pline l’Ancien 33, 90-91 Histoire naturelle Préface, 25 25 n. 20, 37 n. 83, 58 n. 28, 90 nn. 57-58 30,18 33 n. 63, 90 n. 56 Plotin 29 (n. 48), 160 (nn. 18, 20), 161, 208, 232, 234 (n. 99), 236 (n. 107), 237 (n. 113), 245-246, 250, 252, 255257, 259 Ennéades 246 4,43,1-8 246 n. 145 Plutarque 338 (n. 113) Propos de table 2,3,2 = Moralia 636 d-e.31 n. 57 Sur l ’amour 13 28 n. 40 Sur les oracles de la Pythie 338-339 6 339 n. 117 9 339 (n. 115) Plutarque d’Athènes 210, 232 n. 89 Porphyre 157 (n. 5), 158, 160-161, 163, 166, 169, 173 (n. 79), 209, 232-237, 240-241, 245-246, 250, 253, 260, 340342 Αntre des nymphes 208, 228 n. 76 14 209 n. 161 16 161 n. 23 32 209 n. 161 De l ’abstinence 235 2,49,1 235 n. 101 Lettre à Anébon l ’Égyptien 173 n. 79, 240, 253 fr. 28a = Jamblique, Réponse à Porphyre 2,3 250 n. 162 fr. 29 = Jamblique, Réponse à Porphyre 2,10 251 n. 163 fr. 66 = Jamblique, Réponse à Porphyre 4,1 253 n. 175 Philosophie tirée des oracles 340-341 fr. 303 = Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique 4,7,2 3 41 n. 126 Vie de Plotin 235, 245 1,1-2 236 n. 107 3 160 n. 20 10 246, 253 10,4-5 245 n. 143 10,5-13 246 n. 144 10,14-15 237 n. 112 10,21-23 237 n. 111
AUTEURS ANCIENS ET SOURCES
10,35-36 237 n. 113 14 160 n. 20 23,3-7 236 n. 108 23,7-12 236 n. 110 23,15-16 235 n. 105 23,16-17 236 n. 106 Vie de Pythagore 19 337 n. 105 Sur la génération 169 Prédications de Pierre voir Kérygmes de Pierre Première Apocalypse de Jacques 350 (n. 24) 39,18-23 350 n. 25 Deuxième Apocalypse de Jacques 61-62 363 n. 94 Proclus 161, 167-168, 189, 208, 210 (n. 171), 211, 228, 234, 252, 259 Accord entre Orphée, Pythagore, Platon et les Oracles Chaldaïques (attrib.) 210 n. 171 Commentaire sur le Timée 3 247,17-21 168 n. 52 3 247,29-32 168 n. 52 3 255,25-256,8 168 n. 52 Éléments de théologie prop. 145 167 n. 48 Théologie platonicienne 1,5 (Saffrey-Westerink) p.25,24 p.26,4 162 n. 26 1,5 (Saffrey-Westerink) p.25,26 p.26,4 210 n. 171 4,9 (Saffrey-Westerink) p.30,17-19 168 n. 54 Procope de Gaza 38 n. 88 Pseudo-Aristote 30 Péplos 30, 33 n. 62 Pseudo-Clément 30 n. 52, 31, 33 Pseudo-Clémentines Écrits liminaires Engagement solennel 346 n. 6, 354 355, 357 (n. 67), 358 1,1 354 n. 44 Lettre de Pierre à Jacques 128-129, 131, 143 n. 14, 213, 347, 351-357 (n. 67), 358 1,1 347 n. 10 1,2 351 n. 27 2,1 351 n. 30 2,3 128 n. 5, 213 n. 1, 351 n. 31
391
19,2 354 n. 43 Lettre de Clément à Jacques 143 (n. 14), 345-347, 354-356, 357 n. 67, 358, 374 1,1 346 n. 5, 347 n. 11 19,1 374 n. 139 19-20 355 n. 54 19,2 345 n. 3 20 195 n. 101 20,1 346 n. 4 La montée de Jacques au Temple 368 n. 113, 374 (n. 134) Homélies 1 113, 120 1,1-4 341 n. 126 1,1-5 99 n. 92 1,1,5 22 n. 7 1,2,1 120 n. 56 1,3,1 22 n. 8, 52 n. 5 1,3,1-4 121 n. 57 1,5 341 n. 126 1,5,1 249 n. 156 1,5,1-2 225 n. 64 1,5,1-9 121 n. 58 1,6-7 341 n. 126 1,7,1-2 113 n. 9 1,7,1-6 121 n. 59 1,7,1-8 120 n. 55 1,7,2-6 121 n. 60 1,8-13 81 n. 16 1,8-14 341 n. 126 1,8,1-3 113 n. 10 1,8,2 121 n. 61 1,9,1 113 n. 11 1,11-14 215 n. 9 1,13,4 113 n. 12 1,15-22 81 n. 17, 341 n. 126 1,15,1-9 113 n. 13 1,15,2 215 n. 10, 221 n. 44, 299 n. 65 1,18,1 318 n. 5 1,18,3 318 n. 6 1,18,4 318 n. 7 1,19,1 319 n. 8 1,20,2 356 n. 55 1,21,5-6 340 n. 122 2,4,3 319 n. 9 2,5,1-3 319 n. 11 2,6,1 319 nn. 10, 12 2,7,1 340 n. 123 2,15-17 351 n. 28
392
INDEX
2,15-18,1-2 221 n. 40 2,15,1 322 nn. 28-29, 336 n. 103 2,15,3 221 n. 41, 323 n. 31 2,15,5 137 n. 47, 221 n. 38 2,33-34 221 n. 40 2,16-17 303 n. 83 2,16,1 221 n. 39, 322 n. 29 2,16,2 322 n. 30 2,16,3-17,5 137 n. 44, 323 n. 32 2,17,3 137 n. 48 2,17,5 319 n. 14 2,20,3 216 nn. 12, 14 2,21,1-2 215 n. 11 2,22-32 134 n. 36, 216 2,22,1-6 216 n. 17 2,22,3 52 n. 8, 218 n. 25, 224 n. 58 2,22,4 133 n. 34 2,22,6 228 n. 74 2,24,5-7 218 n. 26 2,25,2 226 n. 66 2,25,3 219 n. 27, 227 n. 72, 228 n. 75 2,25,4 219 n. 28 2,26,1-2 164 n. 33, 219 n. 30 2,26,2-5 220 n. 35 2,26,3-5 164 n. 33 2,26,6 220 n. 36 2,27,3 219 n. 27, 221 n. 37 2,29-31 220 n. 33 2,30,1 220 n. 34 2,32,1-2 218 n. 26 2,33,2 137 n. 44, 221 n. 42 2,33,5-34,3 221 n. 43 3 222 3,2,2 228 n. 73 3,15,1-2 319 n. 14 3,17,1 320 n. 17, 326 n. 48 3,17-28 80 n. 9 3,18,1-3 333 n. 86 3,20 303 n. 83 3,20,2 80 n. 11, 276 n. 50, 321 n. 23, 322, 326 n. 47, 327 n. 52 3,20,3 320 nn. 19-20 3,21,1 321 n. 21 3,21,2 321 n. 22 3,22,2-3 323 n. 34 3,23,1 323 n. 34 3,24,4 323 n. 35
3,25,1 323 n. 36 3,25,4 324 n. 37 3,26,1 324 n. 38 3,26,2 324 n. 39 3,38 132 n. 27 3,38,2 222 n. 45, 335 n. 97 3,38,3 222 n. 46 3,41,1-2 230 n. 80 3,41,4 229 n. 79 3,45-46 158 n. 10 4 53, 83 4-6 25 n. 24, 30, 33 (n. 62), 34 n. 67, 35, 57 n. 26, 65-66, 81, 86, 87 n. 44, 95, 111 (n. 2), 112-113 (n. 7), 115 118, 121, 201 n. 130 4,1,1 83 n. 21, 310 n. 109 4,2,3 243 n. 134 4,4,2-3 218 n. 26 4,5,2 137 n. 46 4,5,6-8 302 4,6,2 85 n. 37, 91 n. 65, 226 n. 65 4,7,1-3 201 n. 131 4,7,2 52 n. 4, 53 n. 10, 83 n. 23, 97 n. 86, 114 (n. 18), 120 n. 52, 121 n. 63 4,7,3 83 n. 24, 97 n. 87, 122 n. 66 4,7-8 22 n. 6 4,8,3 53 n. 11, 96 n. 78 4,8,6 121 n. 64 4,11,1 95 n. 76 4,12,1 22 n. 6, 41 n. 109, 53 n. 12, 64 n. 58, 98 n. 89, 316 n. 131 4,12,2 53 n. 13, 98 n. 90 4,15,2 64 n. 59 4,17,1 97 n. 83 4,17,1-2 36 n. 79, 41 n. 110, 64 n. 60 4,18,1 97 n. 84 4,20,1-2 96 n. 81 5 53, 56, 59, 61, 114 (n. 17), 116, 120-121, 201 n. 132, 204 5,2 86 n. 38, 98 n. 91, 114 n. 19 5,2,2 22 nn. 7-8, 99 nn. 92-93 5,2,4 23 n. 10, 57 n. 25, 83 n. 25, 86 n. 38
AUTEURS ANCIENS ET SOURCES
5,3,3-4,1 57 n. 26 5,3,4-5 99 n. 95 5,3,4-6,2 33 n. 64 5,4,1 99 n. 95 5,7,2 99 n. 96 5,8,2 114 n. 15, 116 n. 33 5,8,4 23 n. 13 5,9,3 36 n. 80, 99 n. 97 5,9,5 41 n. 108, 43 n. 14, 104 n. 116 5,10,1 24 n. 14, 54 n. 15 5,10,1-7 100 n. 98 5,10,2 24 nn. 18-19 5,10,3 26 n. 32 5,10,4 26 n. 33 5,10,4-5 27 n. 35 5,10,5-6 28 n. 44 5,10,6 28 n. 43, 29 n. 46 5,10,19 76 5,11,1 26 n. 34 5,11,2 28 n. 43 5,13 102 n. 105 5,13-14 61 n. 41 5,17,5 44 n. 122 5,18,1 159 n. 15 5,18,1-6 159 n. 14 5,19,1 30 n. 54 5,21,1-2 103 n. 112 5,21,3 43 nn. 114-115 5,21,4 43 n. 116 5,21,6 43 n. 117 5,23,1 42 n. 113 5,24,4 44 n. 119 5,24,5 44 nn. 120-121 5,24,5-6 44 n. 123 5,25,1 43 n. 118 5,25,2 44 n. 124 5,26,2 45 n. 125 5,26,3 45 nn. 126-127, 103 n. 113, 120 n. 53 5,27 104 n. 114 5,28,1 104 n. 115 5,28,2 82 n. 18, 87 n. 41, 104 n. 117, 120 n. 54, 121 n. 62 5,29,1 86 n. 39 6 53, 88, 106, 186, 202 n. 133, 204 6,1,3 202 n. 134 6,2,3 52 n. 9 6,2,12 122 n. 65, 202 n. 135 6,3 89 n. 50, 187, 189
393
6,3,1-3 180 n. 21 6,3,2 89 n. 50 6,3-8 177 n. 3, 180 n. 16 6,3-13 33 6,3,4 31 n. 57, 202 n. 137 6,3,4-10,3 161 n. 22 6,4 187, 189, 193 n. 95 6,4-10 89 n. 50 6,4,1 180 n. 22, 187 n. 72, 189 6,4,2-3 180 n. 23 6,4,3 34 n. 69, 180 n. 24, 192 (n. 91) 6,5,1 181 nn. 25-26, 189 6,5,2 189 6,5,3 34 n. 71, 189 6,5,4 31 n. 58, 181 n. 27, 189 6,5,5 189 6,6,1-3 189 6,6,2 181 n. 28 6,6,4 181 n. 29 6,7,2 181 n. 30 6,8-10 181 n. 31 6,8,1 181 n. 31 6,12-13 180 n. 16 6,12-14 177 n. 3 6,12-16 204 n. 147 6,12,2 192 6,17,1 204 n. 148 6,18,1 204 n. 149 6,18,2 204 n. 149 7,1,3 242 n. 128 7,4,1 242 n. 129 7,9,3 243 n. 134 7,11,2 242 nn. 130, 132 7,11,3-4 242 n. 132 7,11,4 242 n. 131 8-11 301, 305 8,5 302 8,5,1-3 303 n. 79 8,5,4 303 n. 80 8,6,1-2 120 n. 51 8,6,1-3 303 n. 81 8,6-7 370 n. 123 8,6,7 303 n. 83 8,10,1 320 n. 18 8,10,1-3 333 n. 86 8,13-19 158 n. 11 9,2 120 n. 49 11 304 n. 85 11,1 53 n. 11 11,16,2-3 371 n. 124
394
INDEX
11,16,2-4 304 n. 86 11,16,3 120 n. 50 11,35 143 n. 14 11,35,4 350 n. 26 13,7,3 52 n. 4, 120 n. 47 13,7,4 52 n. 5 13,8 134 n. 36 14,4 120 n. 49 15,10,5 229 n. 79 15,11,1 229 n. 79 16 120 n. 49 16-18 222 16,1,1-2 310 n. 109 16,3,3 230 n. 81 16,7,3 120 n. 49 17 247, 249, 265-266, 276, 279, 280 n. 73, 284 285, 331 17,2,1-4 243 n. 134 17,2,5-3,5 280 n. 67 17,2,5-3,7 276 n. 52 17,3,1 280 n. 68 17,3,5 280 n. 69 17,4,3 321 n. 25, 322 17,4,5 276 nn. 51, 53 17,5,6 277 n. 54 17,6,4 282 n. 82 17,7 274 (n. 43) 17,7,1 282 n. 83 17,7,2 265 n. 1, 277 n. 55 17,7,2-3 331 n. 70 17,7,2-5 267 n. 9 17,7,3 283 n. 92 17,7,4 277 n. 56, 280 n. 70 17,8,1 280 n. 73 17,8,1-9 267 n. 10 17,8,3 280 nn. 74-77, 282 n. 89 17,8,4 281 n. 77 17,8,4-5 281 n. 78 17,8,7 281 n. 79 17,8,8-9 281 n. 80 17,9 281 17,9,1 331 n. 71 17,9,1-3 267 n. 11, 281 n. 81 17,10,5 267 n. 12, 280 n. 71 17,11,1-2 267 n. 13 17,11,2 280 n. 72 17,13,1 129 n. 12 17,13-14 278 (n. 60) 17,14,2 130 n. 14, 249 n. 157
17,14,3-4 250 n. 161, 278 n. 61 17,16,2 251 n. 164 17,17,4 251 n. 165 17,17,5 251 n. 166 17,18,1 251 n. 168 17,18,2 251 n. 169, 278 n. 62 17,18,3 251 n. 170 17,18,4 278 n. 63 17,20,1 130 n. 16 18,1,1 132 n. 25, 276 n. 51 18,4 325 18,4,2 130 n. 15, 321 n. 24 18,11,4 130 n. 15 18,13,6-14,1 321 n. 25 19 231 19,3,7 231 n. 87 19,4,1-2 232 n. 89 19,4,1-3 231 n. 88 19,6-7 230 n. 83 19,9,1 232 n. 89 19,24,1-6 256 n. 184 20,11,1-3 259 n. 193 20,11-23 117 n. 37 20,13,1-2 256 n. 185 20,13,4-8 256 n. 186 20,13,2 243 n. 134 20,17,1 256 n. 187 20,17,2 256 n. 188 20,17,6 258 n. 194 20,18,1-2 257 n. 190 20,19,1-3 256 n. 189 20,20,2-3 257 n. 190 20,22,2 120 n. 48 Reconnaissances 1,3,1 52 n. 5 1,5,1 249 n. 156 1,16,2 319 n. 8 1,17,2 356 n. 55 1,27-71 196 n. 104, 272 n. 32, 368 n. 113, 373 1,36-39 158 n. 9 1,43,1 319 n. 14 1,43,3 348 n. 12 1,45,4 321 n. 23 1,52,3 325 n. 46 1,66-70 363 n. 94 1,66,2-71,6 346 n. 8, 380 1,70,1-3 128 n. 6, 129 n. 9 1,70,1-8 352 n. 33 1,70,8 352 n. 35 1,71,3-4 128
AUTEURS ANCIENS ET SOURCES
1,72,5 349 n. 19 1,72,7 349 n. 20 1,73,3 348 2,5,2 231 n. 85 2,5,4 52 n. 7, 225 n. 62, 231 n. 86 2,7,1 52 n. 8, 216 n. 15 2,7,2-3 133 n. 34 2,13,1-2 219 n. 30 2,13,3-4 220 n. 31 2,15,4-6 164 n. 34 2,19,3-3,49,1 231 n. 84 2,25,1-2 93 n. 70 2,53,2-3 335 n. 97 3,13,1-8 230 n. 83 3,18 93 n. 70 3,34 93 n. 70 3,34,1 93 n. 70 3,44,4 220 n. 32 3,55,59-61 351 n. 28 3,61,1-2 323 n. 32 3,74,4-75,1 356 n. 55 3,74,4 354 n. 45 3,75,1-10 354 n. 46 4-6 301, 305 4,5,6 302 n. 76 4,5,6-8 302 4,5,7-8 302 n. 77 4,9,1-2 320 n. 18 4,35,1 350 n. 26 5,10,1 304 n. 84, 305 n. 88 5,10,3 305 n. 88 5,10-13 304 5,34 304 5,34,1-2 304 n. 87 7,32,3 52 n. 4 7,32,4 52 n. 5 8 381 8-10 51 n. 2, 202 n. 139 8,5,4 52 n. 6, 92 n. 68, 230 n. 82 8,5,5 92 8,7,5-6 52 n. 5 8,8,1 52 n. 5 8,15,3 160 n. 16 8,15-20 159 n. 14 8,20,2-5 160 n. 16 9,34-35 203 n. 140 10 186
395
10,15,1-2 52 n. 6, 92 n. 68, 230 n. 82 10,17,2 182 n. 36 10,17,3 192 10,17,4 182-183 nn. 42-43 10,17,5-6 183 n. 44 10,17-18 177 n. 3 10,17-19 182 n. 37 10,17-18,4 182 n. 32 10,17-19 182 n. 34 10,17-20 89 n. 50 10,17-41 203 n. 141 10,18 183 n. 45 10,20-23 182 n. 38 10,21-22 30 n. 52 10,24 182 n. 39 10,26-27 182 n. 40 10,28 182 n. 41 10,29,1 183 n. 47 10,29-34 182 n. 35 10,30 89 n. 50, 161 n. 22 10,30,1 183 n. 48 10,30,2 183 n. 49 10,30,3 183 n. 50 10,30,3-5 183 n. 51 10,30,5 184 n. 52 10,30-34 177 n. 3, 182 n. 32 10,31,1 184 n. 54 10,31,1-4 184 n. 53 10,31,5 184 n. 56 10,31,5-34 184 n. 55 10,32 192 n. 91, 193 10,32,1-2 193 n. 96 10,32,1-6 193 n. 97 10,34,4 184 n. 57 10,42-52 203 n. 142 10,52-72 117 n. 36 16,3,3 92 n. 67 66,2-71,6 196 Reconnaissance de Clément de Rome (titre) 200 (n. 126) Recognitiones (lat. Reconnaissances) 157 Pseudo-Hermogène Progymnasmata 7 99 n. 97 Pseudo-Phocylide Sentences 194 45 n. 128 Pythagore 159 n. 14, 161-162, 209 (nn. 165-166), 210 n. 171, 337-338
396
INDEX
Quintilien 90-91, 97 Institution oratoire 1,4,2 91 n. 61 2,1,1-3 91 n. 63 2,4,24 97 n. 85 2,15 36 n. 81 8,6 292 n. 32 Rufin d’Aquilée 122, 151, 153-155, 157158 (n. 7), 178-179, 196, 199, 300, 353, 356, 357 n. 67, 372-373, 375, 381 Apologie contre Jérôme 375 2,15 375 n. 143 Préface à Gaudentius 2 154 n. 57, 374 nn. 135, 137 3 155 n. 61 4 374 n. 136 4-5 155 n. 60 5 154 n. 59, 374 n. 138 7-9 373 n. 130 8 157 n. 6, 179 n. 10, 200 n. 126, 300 n. 70 8-9 117 n. 38 10 373 n. 132 10-11 154 n. 58, 381 n. 21 12 353 n. 40 13 374 n. 139 Préface à la traduction des Reconnaissances 12 356 n. 56 Préface à la traduction du Traité des principes d’Origène 3 381 n. 21 Sur la falsification des livres d ’Origène 3 157 n. 6 Sagesse de Salomon voir Bible Sappho 28 n. 45 fr. 31 23 n. 11 Sarapion 338-339 Sénèque 91 Lettres à Lucilius 88 24 n. 17, 32 n. 61 88,40 88 n. 49 Sénèque l’ancien Controverses 2,1,20 96 n. 79 Septante 34 n. 70, 274 n. 41 Sextus Empiricus
Contre les savants (Adversus Mathematicos) 9,144 283 n. 93 10,3 282 n. 86 10,4 282 n. 91 Simon le Samaritain Grande Révélation (attrib.) 222 n. 49 Socrate 55, 101, 159 (n. 14) Socrate le Scholastique Histoire ecclésiastique 3,2,4-5 171 n. 65 3,13 171 n. 68 Sôpatros 259 n. 199 Sosipatra 257 (n. 192) Souda 25 n. 21, 32-33 (n. 62), 91, 210 n. 171 Ἀπίων 24 n. 17, 91 n. 62 Πάσης 23 n. 12, 89 Stésichore 227 n. 69 Palinodie 227 n. 69 Stobée Anthologie 1,18,4d 282 n. 88 Suétone 30, 91 Domitien 15,1 81 n. 14 Grammairiens et rhéteurs 4 91 n. 64 4,2 24 n. 17 6,1 30 n. 55 Synésius de Cyrène 101 n. 99, 225 n. 61 Syrianus 210 (n. 171) Tatien Discours aux Grecs 10,1 47 n. 135 26,3-4 105 n. 118 27,2-3 105 n. 118 38,1 23 n. 10 Tertullien 171 Apologétique 7,9 171 n. 67 21,8 47 n. 135 Contre Marcion 2,5 132 n. 27 Thalès 159 n. 14 Théodoret de Cyr 171, 243, 259, 375 Histoire ecclésiastique 3,3,2-5 172 n. 76 3,26-27 171 n. 65, 259 n. 198
AUTEURS MODERNES
3,27 171 n. 70 5,9,17 367 n. 111, 375 n. 141 Histoire des moines de Syrie (Histoire Philothée) 259 (n. 197) théogonie orphique, fragments (Bernabé) 103 V 188 n. 74 104 I 188 n. 74 104 II 188 n. 74 104 III 188 n. 74 114 X 188 n. 74 114 XI 188 n. 74 115 188 n. 74 117 188 n. 74 120 I II 188 n. 74 120 II 188 n. 74 121 III 188 n. 74 121 VI 188 n. 74 121 VII 188 n. 74 121 VIII 188 n. 74 127 II 188 n. 74 127 III 188 n. 74 127 IV 188 n. 74 139 IV 188 n. 74 140 XIII 188 n. 74 149 VI 188 n. 74 149 VIII 188 n. 74 171 188 n. 74 179 X 188 n. 74 184 188 n. 74 189 II 188 n. 74 200 II 188 n. 74 202 IV 188 n. 74 203 I 188 n. 74 203 III 188 n. 74 204 I 188 n. 74
397
204 III 188 n. 74 207 I 188 n. 74 207 III 188 n. 74 213 VII 188 n. 74 214 III 188 n. 74 215 III 188 n. 74 225 VI 188 n. 74 236 II 188 n. 74 240 X 188 n. 74 263 III 188 n. 74 328 VI 188 n. 74 328 X 188 n. 74 Théon voir Aelius Théon Théophile d’Antioche À Autolycus 1,1 105 n. 118 1,10 98 n. 89 Thucydide 68 n. 73 Xénophane 283 (n. 93) fr. B24 (Diels-Kranz) = Sextus Empiricus, Contre les savants (Adversus Mathematicos) 9,144 283 n. 93 Xénophon d’Éphèse Éphésiaques 147 Zénon 159 n. 14, 181 n. 31 Zosime de Panopolis Sur la vertu = Mémoires authentiques 169 (n. 58) Mémoires authentiques 10,2,39-41 169 n. 59
(II) AUTEURS MODERNES Adler, W. 45, 60, 96 Amersfoort, J. van 33-36, 205 Anderson, G. 39-41, 101 Armstrong, A. H. 246 Bakhtine, M. 233 Bange, P. 137 Bauckham, R. 348 Baur, F. C. 278, 352 Bazzana, G. B. 334 Benoît, A. 297
Bernabé, A. 177, 185, 187, 205-206, 211 Bernardi, J. 171 Bigg, C. 115 Blois, F. de 344 Bompaire, J. 40 Bourdieu, P. 142, 149-152, 179, 261, 313-314 voir aussi Index des Sujets, s.v. « champ culturel », notion de et « champ littéraire », notion de
398
INDEX
Boustan, R. 158 Bowersock, G. W. 196 Boyarin, D. 295, 298, 379 Bremmer, J. N. 105 Brethes, R. 149 Brisson, L. 246 Brottier, L. 311 Burnet, R. 352 Burns, D. 334, 337 Carlson, D. H. 335 Chalk, H. H. O. 38-40 Chapman, J. 29, 49, 105-106, 163, 195, 377 Cirillo, L. 144, 333-334 Cohen, M. 269 Compagnon, A. 125, 179, 198, 233 Corbin, H. 326, 343 Cribiore, R. 244 Crippa, S. 339 Cullmann, O. 128, 141, 318, 320, 322, 332-333, 343, 353, 355, 377 Czachesz, I. 141-142 DeConick, A. 332 DePalma Digeser, E. 160 Dodds, E. R. 169 Drijvers, H. J. W. 133, 334-335 Droge, A. J. 84 Eco, U. 125 Edmonds, R. G. III 161, 206, 248 Ferguson, E. 362 Ficin, M. 241 Filoramo, G. 333, 338-340 Fossum, J. 272, 274-276, 331 Fraisse, E. 200 Frankfurter, D. 248 Frazer, J. 252 Gadamer, H. G. 179 Geoltrain, P. 146 Gieschen, C. 322, 325-326 Hadot, P. 283 Hamburger, K. 198 Harris, J. R. 29 Heinemann, M. 26, 60 Heintze, W. 21, 30, 35, 82 n. 19, 112
Hilgenfeld, A. 378 Horst, P. W. van der 88, 306-308, 314315 James, M. R. 30 Johnston, S. I. 235, 248 Jones, F. S. 79, 131, 178, 191-194, 211, 356-357, 377-380 Jourdan, F. 161-162, 178, 183-184, 187, 189-191, 194-196, 204-206, 211, 377 Jung, C. 169 Kelley, N. 174, 381 Kern, O. 33, 35, 177, 185, 205 Kinzig, W. 299 Kristeva, J. 232 Lahire, B. 150 Lalanne, S. 147 Lanzillotta, L. R. 187 Le Boulluec, A. 357 Lévi-Strauss, C. 206 Lewy, H. 168 Liebeschuetz, W. 71, 75 Lipsius, R. A. 378 Lotz, A. 243-244 Luttikhuizen, G. 330 Meisner, D. 206 Merkelbach, R. 38 Metzger, M. 144-145, 309 Mimouni, S. C. 295, 328, 348-349, 366 Morray-Jones, C. R. A. 269, 274-275, 279 Mouralis, B. 200 Neusner, J. 362 Nöldeke, T. 343 Paget, J. C. 112-119, 122 Painchaud, L. 48 Painter, J. 355, 361-362 Pernot, L. 62-63 Pines, S. 282-284 Poirier, P.-H. 317 Pouderon, B. 21, 46-47, 101, 112, 145, 191, 327, 338, 355-356 Quispel, G. 33
AUTEURS MODERNES
Reardon, B. P. 58 Reed, A. Y. 74, 106, 123, 158, 302-303, 305-306, 368-369, 371, 379, 381 Rehm, B. 131 Ricoeur, P. 138 Riffaterre, M. 232 Robins, W. 147-148 Roessli, J.-M. 205 Rohde, E. 141, 145 Rosenmeyer, P. A. 61, 102-103 Rowland, C. 279 Salles, A. 132 Sandwell, I. 142, 313-315 Searle, J. 198 Schliemann, A. 195-196, 377 Schmidt, C. 112, 355 Schoeps, H. J. 79, 133, 334, 343, 355
Scholem, G. 266, 271-272, 274-276, 331 Shaw, G. 169
399
Simon, M. 293, 297 Soler, E. 284, 292, 294-297, 312 Strecker, G. 35-36, 79, 116-118, 128, 299-301, 333-334, 355 Stroumsa, G. T. 274, 317, 343 Struck, P. 241 Tanaseanu-Döbler, I. 246-247 Tardieu, M. 47 Timotin, A. 247 Uhlhorn, G. 195-196, 377 Urbano, A. 240, 260 Van Liefferinge, C. 168 Vernant, J.-P. 27 Vielberg, M. 141, 146, 199 Waitz, H. 115, 355, 378 Wehnert, J. 79, 131, 197, 355, 380 West, M. L. 185 Wilken, R. L. 292, 295
INDEX SUJETS Aaron 323 Abel 137 n. 44, 323 (n. 32), 324 (n. 39) abîme 47, 56, 98 n. 91, 180, 199 Abîme 27 n. 37 Ablabius (préfet du prétoire) 259 n. 199 Abraham 133, 320 n. 16, 321 (n. 25), 322 n. 26, 323 (nn. 32, 34), 325, 327 (n. 53) et Vrai Prophète 326 Adam 80 (n. 10), 133, 276, 303, 320321 (n. 25), 322 (n. 26), 323, 327 (n. 53), 329 et Jésus 319-320 (n. 16), 321 (n. 23), 322 (n. 27), 325, 326 n. 48, 327 n. 53, 330 et Vrai Prophète 80, 321-322 (n. 27), 325, 333 voir aussi Homélies et Jésus et Pseudo-Clémentines Adonis 70 adoxa (ἄδοξα) 101 (n. 99) Adrastée 187 adultère 22-23, 25 (n. 20), 26 (n. 30), 27, 32, 33 n. 62, 36 n. 80, 40-41, 45, 46 n. 132, 54-55, 57, 96, 100, 102-103 (n. 111), 104, 201-202, 323 et dieux 33 n. 62, 44, 55, 60-61, 97, 101 et éloges 23-25, 32, 33 n. 62, 36 (n. 80), 41, 54-57, 59-62, 64, 77, 99-102, 105, 147 (n. 31), 201-202, 204 affirmation/confirmation (κατασκευή) 22 n. 8, 99 n. 93 Alexandrie 12, 14, 21, 23 n. 10, 33, 34 n. 70, 35 n. 74, 36, 48, 52 (n. 8), 81, 83, 85 n. 36, 86, 91, 113, 215-216, 223225 (n. 61), 228, 233, 245 n. 142, 341 n. 126, 374 n. 140 Bibliothèque 225 n. 61 Musée 225 n. 61 voir aussi judaïsme et Clément et Simon (Simon le Samaritain, magicien) allégorie 32 n. 61, 122 n. 65, 181 (n. 31), 182, 183 n. 46, 318 et commentaires allégoriques 189
interprétation allégorique 34 n. 68, 124, 162, 183, 204, 207, 216, 228 (nn. 74, 76), 229 et lectures allégoriques 34, 205, 229 voir aussi mythes, mythologie Amour voir Éros Amymônè 61 anaskeue (ἀνασκευή) voir réfutation anathema (ἀναθήμα) 38, 40 (n. 101) Anébon 240 Ange du Seigneur 322, 325-326 Annoubion voir Annubion Annubion 52 (n. 9), 81 n. 13, 83 (n. 22), 114-115, 207, 226, 258 (n. 193), 260 Antéchrist 137 n. 44, 323 (n. 32) antigraphe (ἀντιγραφή) 42, 45 antimarcionisme 132-135, 335 voir aussi Homélies et Pierre Antioche 22 n. 9, 69 (n. 78), 70-76, 129 (n. 13), 171, 172 n. 75, 233, 243, 256, 284, 287-288, 293, 297, 301, 307, 310, 374 n. 140 et arianisme 73, 297 et caractère hellénique 70 (nn. 79-80, 82), 72-74 et communauté chrétienne 69-76, 172, 289 n. 8, 290, 292-294, 300, 311 n. 113, 313 et communauté judéenne 73-75, 287, 289-290, 293, 297, 311 n. 113 et demi-chrétiens 291, 293-294, 311 (n. 113) et éducation 70-72 et églises 289 et hellénisme 75 et Jean Chrysostome 313 et judaïsants 74-75 (n. 110), 76, 287, 291, 293-297, 311 et judéo-chrétiens 297-298, 300 et Julien 71, 157, 170-172, 297, 312313 et liens entre chrétiens et juifs 74-75, 293 et pluralisme religieux 294, 311, 314 et rhétorique 70-71, 74-75 et synagogue 73-74
402
INDEX
et théâtre 72 (n. 99), 73 (n. 100), 312 voir aussi habitus et judéens (Jean Chrysostome) Antiope 30, 61 antipaulinisme 82 (n. 20), 106 n. 123, 128, 130, 132-135, 278, 310 n. 110 voir aussi Pseudo-Clémentines antisimonianisme 133-135 Antisthène 55, 159 n. 14 Antoine (père de Simon) 216, 223 apaideusia (ἀπαιδευσία) 85 Apamée 73, 336-337 Aphrodite 27, 55, 70 Apollon 26, 60, 70-71, 172 n. 75, 184, 236, 312 et sanctuaire (Daphné) 284 n. 96 apologies 65-66, 86, 87 n. 44, 94 et christianisme 46, 97-98 (n. 89), 104105 (n. 118), 161 (n. 24), 162 et judaïsme 21, 34 n. 67, 35, 87 nn. 42, 44, 112 apôtres 14, 145, 158, 200 n. 126, 266, 309, 348 (n. 14), 349 n. 20, 350, 360361, 364 n. 96, 374 voir aussi Douze, les (apôtres) apparition (ὀπτασία) 129 n. 12, 130 n. 14, 250 n. 161, 251 nn. 164-165, 169, 277, 278 n. 61 apparitions (ἐπιφάνειαι) 279 n. 65 Appion 21-22 (n. 6), 23-29, 31-32, 44, 52 (n. 9), 57 n. 26, 69, 85, 91, 98-99, 114, 117-120, 181, 198, 201-203, 256, 260 et cosmogonie 33, 161-163, 183 et culture 53, 87 n. 44, 88, 208 discussion avec Clément 21-22, 25 n. 24, 41, 53-54, 65-66, 69, 76-77, 81-82 (n. 19), 83, 87 n. 42, 95-97, 105-106, 111, 113-119, 121-124, 180, 191, 201, 207 et éloges voir adultère et Judéens 23, 83, 86, 115, 120-121, 124, 207 et sa lettre 23-24, 41 n. 106, 42 n. 112, 54, 57-58, 60-61, 77, 100-104, 121-122 et magie 54, 99 et mythes 42, 53, 65, 98, 101-102 (n. 105), 124, 202, 204, 207
et paideia (παιδεία) 22, 64, 92, 105106, 111, 124, 201-202, 207 comme pepaideumenos (πεπαιδευμένος) 97, 105, 112, 204-205 et Simon 83, 114, 123, 208, 226 et théogonie 181-184, 189, 211 et théogonie hésiodique 88-89 et théogonie orphique 107, 201, 205-208, 211 apsucha (ἄψυχα) 62-63 (n. 52) Aquiba, Rabbi 269-270 Aquila 52 n. 4, 83, 120, 123, 143-144, 159, 163, 164 n. 33, 215-216, 218-219, 221, 224, 226, 228, 241, 309, 310 n. 109 voir aussi éducation Arabie 155 n. 61 Arados 146 Argos 55 Aristippe 55, 159 n. 14 aristotélisme 52 n. 5 Arius 73 voir aussi Antioche et ariens, arianisme Artémis 70 ascétisme chrétien 147, 258, 259 n. 197 Asie 77 astrologie 51-52 (n. 5), 174, 202-203, 207, 229, 245 n. 143, 250 Astylos 41 Atarqam 270 (n. 24) athéisme 203-204, 312 Athéna 226 (n. 68), 227 Athènes 32 n. 60, 52 n. 4, 59, 67 (n. 69), 68, 225, 233 École d’Athènes 184, 210 Athénodore 52 (n. 9), 83 (n. 22), 114115, 207-208, 226, 260 Aurelius Opillus 30 (n. 55) autopsia (αὐτοψία) 246-247 (nn. 150151) et magie 247 Ava Tarqam 270 (n. 24) baptême 71, 158, 266, 352 Babylas (martyr) 170 Babylone 241 n. 127 Barabbas 375 barbares 22, 52-53, 97, 122, 226, 228, 340
SUJETS
Bar Kokhba (guerre) 364 (n. 98), 370 n. 122, 372 Barnabé 81, 113, 143-144, 215, 310, 341 n. 126 Basilide 35 (nn. 72, 74) Bérénice de Tyr 137 n. 46 Beth Shearim 73 Bible voir Index — Auteurs et Sources Bible hébraïque 322 Boéthos 339 Brahmanes 238 n. 115, 241 n. 127 Bromios 32 n. 59 Caïn 137 n. 44, 323 (n. 32), 324 n. 39 Caïphe 128, 158, 348-349 et titre d’ἀρχιερεύς 349 Caligula 21 n. 1, 23 n. 10, 24 n. 17, 34 n. 67, 88 Calliope 71, 209 (n. 166), 210 Carthage 84 n. 32 Césarée 81, 113-114, 120, 122, 201, 215, 222, 229, 231 (n. 84), 318, 341 n. 126, 367 n. 111 Césarée de Straton 83, 144, 310 (n. 109) Chalcis 157 n. 5 « champ culturel », notion de 155, 261 « champ littéraire », notion de 142, 149-151 (nn. 46, 48), 152, 155, 179 chaos 31, 47, 89 n. 50, 180, 182-184, 187, 202 Chaos 27, 32 n. 60, 186-188 Chariclès 99 n. 94 Chasma voir Chaos chasteté 100, 103 Chloé 38, 40 (n. 103) Christ, le (titre) 137 n. 44, 312, 319 n. 14, 322-323, 325-327, 329, 337, 366 et Adam 321-322 et judéens 288, 290, 292 et Vrai Prophète 215, 320 (n. 16), 326, 330 voir aussi Jésus chora (χώρα) 282 et Chrysippe 282 et Zénon 282 christianisme, chrétiens 66-67, 81, 105, 118-119, 132, 145, 149, 152, 157-159, 160 (n. 19), 171, 174, 177, 203, 214, 289, 291, 295, 306, 311, 315-316, 349, 359, 369-370, 379
403
alexandrin 372 n. 129 anoméens 289 (n. 8), 290 ariens, arianisme 73, 297, 289 (nn. 8, 10) et Athènes 359 et Eusèbe/Épiphane 359, 375-376 gnosticisants 350 et Grecs 69, 261, 289, 312 et hellénisme 73 homéens 289 n. 8 et judaïsme/Judéens 73-76, 80, 92, 98 n. 91, 289-290, 294 n. 41, 295-300, 305, 309, 314, 350, 352, 359, 370-371, 375-376, 378-379 nicéens 289, 311 et paideia (παιδεία) 66-67, 75, 152 et païens 163, 240, 369 rivalité avec philosophes platoniciens 106, 160 (n. 19), 208, 233, 240, 259260, 283 et romanité 374 et Rome 359 et synagogues 74 et Syrie 77, 142, 296 (n. 52), 372 n. 129 et théologie 265 et tolérance 203 voir aussi Antioche et apologies et gnosticisme et judéo-christianisme, judéo-chrétiens et rhéteurs Chronos 181, 187-189 Chrysippe 55, 159 n. 14, 282 Claude (empereur) 21 n. 1, 24 n. 17, 34 n. 67, 91 Clemens, Flavius 21 n. 2, 81 n. 14, 86 Clément 21 (nn. 2-3), 22 (nn. 6-8), 23, 25 n. 24, 27, 33, 41-42, 46, 54-56, 58, 65-66, 77, 83, 97-98 (n. 91), 99, 113, 123-124, 143-144, 146-147, 151, 153155, 158, 163, 183, 198-200, 216, 221, 225, 230, 256, 288, 310-311, 315, 346, 370, 374-375, 380-381 et Alexandrie 81, 113, 215 et angoisses existentielles 120, 318 et astrologie 51-52, 202 conversion de 81-83, 86, 88, 92, 111, 113-114, 116, 118 (n. 42), 119-120, 122, 124, 145, 201, 203, 207 et cosmogonies 33, 182 et culture/héritage grecque 23, 53, 69, 95-96, 121, 201, 207
404
INDEX
différences de caractère (Homélies) 113, 118, 120 discussion avec Appion voir Appion et Éros 46 et eusebeia (εὐσέβεια) 22 et Fils de Dieu 114 et Jacques 353-356, 358 et Judée 121 et mythologie 51, 52 n. 6, 64-65, 92, 121-122, 182-183, 202, 207 et paideia (παιδεία) 41, 53, 64, 77, 105, 115, 119, 123-124, 204, 207 comme pepaideumenos (πεπαιδευμένος) 105, 112, 204 et philosophie 51-52 (n. 5), 82, 99, 159, 319 et Pierre 52 n. 6, 53, 64, 112, 114, 196, 318, 320, 340, 345, 358, 382 et rhétorique 51, 52 n. 6 et théogonie 182, 203-204 et vérité 76, 104-105, 121, 124, 207, 341 et Vrai Prophète 318, 341 n. 126 voir aussi Clemens, Flavius et Clément de Rome et éducation Clément de Rome 21 n. 2, 81 n. 14, 87 n. 42, 105, 119, 127, 143, 157, 158 n. 8, 160 n. 17, 180, 195, 200 n. 126, 211, 288, 358, 368, 374-375 voir aussi ébionites comes orientis 69 Commode 70 Constance 254 Constantin I 67, 71, 259 n. 199, 314 Constantinople 259 n. 199, 288, 374 n. 140 Concile (ce 381) 367 n. 111 Constitutions apostoliques 142-145, 288, 296 n. 53, 300-301 (n. 71), 306-307, 315 et auteur(s) 308-309, 311 et Antioche 306 et Clément 309 et Contre les Judéens 306 et Jean Chrysostome 308, 311, 313 et judaïsants 307-308, 311 et orientation doctrinale 308 (n. 103) et prières judéennes 308 (n. 102), 309 n. 104, 311 et Pseudo-Clément 311
et Pseudo-Clémentines 142-143, 144 n. 18, 145, 288, 301, 306, 310311 et Reconnaissances 316 et synagogues 309 Corneille 144, 256, 310 n. 109 Corps de la Vérité 271, 274, 275 nn. 48-49 cosmogonie 27, 33, 189 et Basilide 35 clémentine 34 harmonisée d’Hésiode et Orphée 206-207 hésiodique 53, 183, 185, 193 homérique 185 orphico-dionysiaque 39 orphique 53, 161-162, 183, 185 pseudo-clémentine 162 voir aussi Appion et Clément et Éros Crète 155 n. 61 Cronos 42, 181, 189 n. 76 cursus voir éducation Cyrille 367 n. 111 Cyrus 57 daimonios (δαιμόνιος) 236 daimon (δαίμων) voir démon, démons Damas 129, 249-250 Danaé 60-61 danse 72 n. 99, 290 n. 19 Daphné 172 n. 75, 284 n. 96 Daphnis 38, 40 (n. 103), 41 Datis 57 David 362, 366-367 déclamation (μελέτη) 58-59, 94 (n. 73), 97 n. 85 Delphes, oracle de 338 (n. 113), 339 Déméter 30, 55 et mystères 30-31 (n. 56) démiurgie, démiurges 32, 34 n. 67, 169170, 226, 276 (n. 53) démon, démons 22 n. 6, 62, 64-65, 98 (n. 89), 158, 171, 172 n. 76, 204 nn. 148-149, 207, 220, 235-237, 247 (n. 151), 250 (n. 161), 252, 278, 304 Derveni voir papyrus de Derveni désir 28, 43-46 (n. 132), 100, 104, 146 voir aussi Éros Deucalion 323 dialectique 49, 77, 215, 229-231, 261 dialogisme 232 n. 90, 233, 240
SUJETS
Didascalie des apôtres 307, 344 n. 139 composition 307 et Constitutions apostoliques 307 et Pseudo-Clémentines 307 Dieu 35, 45-46 (n. 134), 72 n. 95, 92 n. 68, 103, 121, 132, 158, 164, 228 n. 73, 230 (n. 82), 231, 242 (n. 132), 250251, 280-283, 302-304, 322, 373 n. 132, 381 et corporéité 279, 281, 286 et corps divin 285 n. 99 Esprit de 92 n. 68, 230 n. 82 Face de Dieu 277 (n. 55) forme de Dieu 279 n. 64, 280 (n. 69), 282, 285, 331 Gloire de Dieu 268, 272, 331-332 et Marius Victorinus 283 et miséricorde 327 Parole de 144 voir aussi judaïsme et Pierre et Shiur Qomah et Simon (Simon le Samaritain, magicien) dieux 24, 26-27 (n. 37), 28-31, 36, 41 (n. 110), 42, 44, 47, 53, 55, 60-64, 68, 97, 98 n. 89, 100-103, 115, 121, 157, 166-167 (nn. 46-47), 168-169, 171, 189, 202, 209 nn. 165-166, 210 n. 171, 222, 234, 237-238, 253, 311, 341 et imitation 24, 26 n. 30, 43, 54-55, 60, 64, 65 n. 61, 98, 101 voir aussi adultère Dionysos 26, 38 (n. 91), 55, 60, 70, 189 n. 76 et mystères 30-31 (n. 56), 38 n. 91 dithéisme voir Simon (Simon le Samaritain, magicien) divin, union/assimilation avec 163, 235-237, 250 Dosithée 218 n. 26 Douze, les (apôtres) 129, 309-310, 348, 349 n. 20 doxographie 283 (n. 93) Ébion 327, 368 ébionites 80 (n. 11), 87 n. 42, 153, 271, 273 (n. 38), 297 (n. 57), 298 (n. 62), 325, 327-329, 334, 342-343, 367, 372, 372 n. 127, 376 et christologie 272, 326-327 et Clément de Rome 327
405
et Épiphane 153 n. 55, 298 (n. 62), 299, 326-328 (n. 61), 329 (n. 65), 330 n. 68, 335 n. 98, 344, 367-368, 372 voir aussi Homélies et PseudoClémentines et Shiur Qomah et Vrai Prophète Écritures, les 133, 153, 158, 222, 230231, 270, 361, 366 Éden 34 n. 68 éducation 22 n. 6, 30 n. 55, 51-52 (n. 6), 64, 66-68 (n. 73), 70, 72, 75, 77, 92 (n. 67), 215, 230, 260 et Aquila 52 nn. 4-5 et chrétiens 67 (n. 69), 68 et Clément 52 nn. 4-5, 64 et Nicète 52 nn. 4-5 et Simon 133-134 voir aussi Antioche et rhétorique et sophistes, sophistique enkomion (ἐγκώμιον) voir éloge Église des Hébreux 347, 350 Égypte 23 n. 12, 33 n. 63, 84 n. 32, 85 (n. 33), 121, 216, 224-225 (n. 64), 227 n. 71, 241 n. 127, 249 n. 156, 341 n. 126 ekphrasis (ἔκφρασις) 38 (n. 88), 115 Élie 323 Elkasaï 273 n. 38, 274, 276, 329, 330 n. 67, 331-332, 337, 344 elkasaïtes 80 (n. 11), 273, 275-276, 297 (n. 58), 329-330, 332, 336-337, 342344 et doctrines 273-274, 285 et mystique judéenne 276 voir aussi Homélies et PseudoClémentines et Shiur Qomah et Vrai Prophète éloge 25 (n. 22), 26, 28-29, 31-32, 33 n. 62, 36 n. 80, 40-41 (n. 106), 42, 47, 54, 56, 58, 60, 62-63, 65, 101, 102 n. 104, 147 adoxon/a 62-63 (n. 56) enkomion (ἐγκώμιον) 25 n. 22, 27, 41-42, 61, 99 n. 97, 101-102 enkomion moicheias (ἐγκώμιον μοιχείας) 24, 59 endoxon/a 62-63 paradoxon/a 61-63 (nn. 55-56), 64, 66, 77, 101 (n. 100), 205 voir aussi adultère
406
INDEX
Énoch 320 n. 16, 321 (n. 25), 322 (nn. 26-27), 332 et Vrai Prophète 332 Éphèse 255 Épicure 55, 59 épicurisme 52 n. 5 épiphanies 234 n. 97, 237, 239, 250, 322 n. 27, 338 episteme (ἐπιστήμη) 239 (n. 121) epithumia (ἐπιθυμία) 44 Érèbe 32 n. 60, 187 Ériképaios 32 n. 59, 189 Éris 336 Éros 22 n. 7, 24, 26-27 (nn. 37, 39), 28 (nn. 40, 42-43), 29 (n. 49), 32 (nn. 59-60), 34 n. 67, 38 (n. 90), 39 (nn. 93-94), 40 (nn. 101, 104), 42-44, 46-48 (nn. 139-141, 143), 54-55, 100, 103, 147 (n. 31), 166 (n. 41), 189, 238239, 252, 336 et adultère 41, 54-55, 102 et cosmogonies 27, 32, 39 et désir 32 n. 60, 43-45, 54 et divinité 43-44 et éloges 40, 147, 201 et Hésiode 24, 27 et iconographie 24 n. 16 et Intellect 29 et judaïsme 45-46 et Platon 29 n. 48 et présocratiques 336 et pouvoir cosmique 101 violent 28 n. 45 Ésaü 137 n. 44, 323 (n. 32) espace (χώρα) 282 voir aussi chora (χώρα) estos (ἑστώς) 133 (nn. 34-35), 134-136 Éther 187-188 Europe 61 Ève 323 (n. 34) évhémérisme 42 (n. 113), 46, 53, 65 (n. 62) voir aussi mythes, mythologie évidence (ἐνάργεια) 277 Exode 84 (nn. 29, 32) Ézéchiel 268, 272 n. 33 Faustus (père de Clément) 92, 120 n. 48, 123, 159, 230, 246, 256-258 comme pepaideumenos (πεπαιδευμένος) 230
voir aussi Faustinianus Faustinianus 52 n. 9, 117, 143, 146, 202-203 Fils de Dieu 113-114, 120-121, 273, 321 n. 23, 341 n. 126 voir aussi Clément Flavien 287, 289 (n. 8) flux 34, 180-181, 187 Gadara 238 Gaia 189 n. 76 Galilée 64, 159 Gamaliel IV 74, 362 Garizim (Mt.) 216 Gaudentius 154, 157-158 (n. 7), 353, 374 Géants 323 n. 32 gentils 92 n. 68, 183, 230 n. 82, 295, 302, 305 Getthon 216 voir aussi Gitthon Gitthon 215 Glykéra 59 gnose 208, 218, 360 marcosienne 277 n. 55 et naassènes 333 séthienne 334-335, 342 simonienne 226, 276 n. 51 valentinienne 274 gnosticisme 12, 35, 47-48, 76, 135, 214, 222, 227-228, 271, 333, 350-351 et chrétiens 335, 350 et l’Être suprême 277 judéen 325, 332-333 et judéo-chrétiens 335 et naassènes 333 voir aussi Simon (Simon le Samaritain, magicien) et Vrai Prophète gnostico-platonisme 285 goès (γόης) 249, 253, 261 voir aussi Simon (Simon le Samaritain, magicien) grammairiens 24 (n. 17), 25-30, 32, 34, 36-37, 41-42, 52, 64, 69, 76, 90-91, 97, 101 grammatikos/oi (γραμματικός/οί) 30 n. 55, 56, 58, 85 (n. 33), 90 (n. 60), 91 (n. 64) et litteratus 91 Grèce 24 n. 17, 88, 374
SUJETS
Guéonim (période) 269 Gymnosophistes 241 n. 127 habitus 142, 260 (n. 202), 313 (n. 124), 314 (n. 126), 315-316 Hadès 181 Hébreu (terme) 120 n. 51, 302-303, 364 (n. 96) Hécate 173 n. 77, 250 n. 162, 254, 255 n. 180 Hekhalot voir judaïsme Hélène 136, 217, 226 (nn. 67-68), 227228 Hélène de Troie 227 (n. 71) Héliopolis 84 n. 32 Hélios 172 (n. 75) hellénisme 68 (n. 75), 69, 73, 138, 149, 170, 174, 224 et judaïsme 370 et judéo-christianisme 69 n. 76, 138 voir aussi Antioche et Homélies et Simon (Simon le Samaritain, magicien) Hénoch voir Énoch Héra 227 n. 71 Héraclès 26, 60, 187-188 Hermès 68 n. 73, 166 (n. 42), 227 n. 71 héroïnes 102 n. 105 héros 22 n. 8, 23 n. 11, 55, 60, 234 n. 97, 239, 315, 349 Higron 270 Himéros 47 Homélies et Adam 320-321 et antimarcionisme 134, 335 et Antioche 301 et auteur(s) 24, 30, 33, 36, 41, 61, 64, 66, 76, 88, 92, 101, 102 n. 105, 103-104, 107, 111, 117-120, 122, 142, 149-150, 159, 162, 173, 223, 260-261, 279 n. 64, 283-284, 288, 201, 205, 288, 300, 311, 334, 357358, 369-370, 375 et caractère radical 316 et compilateurs 288 et composition 233, 301, 357 n. 67 et culture grecque 87 (n. 44), 207 et datation 190, 377, 381-382 et dualisme 335 et ébionites 271, 273, 285
407
et Écrit de base (Grundschrift) voir Pseudo-Clémentines et écrits liminaires 353, 356, 370, 375 et elkasaïtes 273, 275-276, 285 et Épiphane 368 (n. 114), 369 et Eusèbe 368-372 (n. 129) et forme de Dieu 280, 283-284, 286, 336 et gnostique(s) 35, 48, 335 et hellénisme 370 et Jean Chrysostome 299-300 et Jésus 316, 321 et Judéens/judaïsme 92, 123, 316, 370-371, 378 et judéo-chrétiens 92, 285 et liens entre Moïse et Jésus 316 et livres 4-6 30, 33 (n. 62), 34 n. 67, 35, 46, 57 n. 26, 65-66, 76, 81, 86, 95, 111 (n. 2), 112-118, 123 et manuscrits 357 et Marcion 335 et mythologie 53, 204 et nature fictive 175, 179, 200, 208, 211, 229 et néoplatonisme 159, 162-164, 280 n. 73, 284 et paideia (παιδεία) 46, 53, 65-66, 76, 81, 92, 124, 316 n. 131 et piété 304 et pneuma (πνεῦμα) 34, 187 et prophéties mâle/femelle 336 et rapport entre les Homélies et les Reconnaissances 288, 301, 303-306, 316, 358, 373, 377-381 et rédaction/rédacteurs 69, 105, 279, 288, 300, 340, 358 n. 68 et réécriture 191, 196-197, 380 et rhétorique 53-64, 91, 103-104 et Shiur Qomah 266, 271, 274-276, 279 et source/influence judéenne voir Pseudo-Clémentines et Synagogue 305-306 et Syrie 69, 300-301, 305 et syzygies 136, 137 nn. 44, 48, 196, 214 (n. 7), 221, 242, 322 (n. 29), 334, 351 n. 28, 380 et théogonie 36, 177, 186-201 et théogonie orphique 36, 47, 106-107, 177, 201-204 et théurgie 250, 252
408
INDEX
traduction syriaque (livres 10 à 14) 300 et Vrai Prophète 119, 215, 258, 288, 317, 321-324, 334, 341 voir aussi Jacques, le frère du Seigneur homuncule (homunculus, ἀνθρωπάριον) 169 (n. 59) hyperbole 292 (n. 32) Hypéride 59 idolâtrie 158, 242, 276, 280 idoles 158, 280 impiété 22 (n. 6), 26, 54-55, 81, 97, 100, 121-122, 220, 291, 304, 371 n. 124 incantation 23 (n. 12), 54, 106, 163, 165, 167, 173, 246 (n. 145), 257, 318 ἐπαοιδή 99 n. 95 Inde 155 n. 61 Intellect 29 (n. 49) voir aussi Éros intertextualité 197, 232 (n. 92), 233, 240, 382 ioudaios (ἰουδαῖος) 120, 258, 304, 316, 371 Isaac 137 n. 44, 320 n. 16, 321, 322 n. 26, 323 (n. 32), 327 (n. 53) Isis 246 Islam 317, 342-344 Ismaël 137 n. 44, 323 Ismaël, Rabbi 270 Israël 363, 366 Italie 144 Itmon 270 Jacob 137 n. 44, 305, 320 n. 16, 321, 322 n. 26, 323 (n. 32), 327 (n. 53) Jacques, le frère du Seigneur 143, 145, 153, 200 n. 126, 309 (n. 105), 311, 345348, 350 n. 26, 351-352 (nn. 34-35), 353, 358-366, 369, 372, 374-375, 380 comme archevêque (archiepiscopus) 348-349 et christianisme 375-376 et Clément de Rome 358, 375 et doctrine ésotérique 350 et écrits préliminaires 345-358 et l’Église 364, 370, 372 n. 129, 375 et Épiphane 366-368 et Eusèbe 359-365, 369
comme évêque de Jérusalem 309, 347, 359-361, 366, 372 n. 129, 375 comme « évêque des évêques » 347, 349 (n. 20), 370 gardien de la vérité 347, 350-351 et Hégésippe 360-365 et « histoire officielle » du christianisme 359 et Homélies 143 n. 14, 347, 350 importance/autorité 346-349, 368, 370 et Jean le Baptiste 360 et Jésus 348-350, 361, 363-364, 370-371, 375 et Judéens 362-363 (nn. 91, 93-94), 364, 370-372, 376 et son mort 129 n. 9, 352 n. 35, 363 (n. 93), 364 et nazoréens 366-368, 376 et origine lévitique 365-366, 371 et Pierre 143, 348-351, 353-355, 358, 370-371, 372 n. 129, 374-376 et Reconnaissances 143 n. 14, 196 (n. 104), 346-348, 373, 380 et Rufin 371, 373-375 et son tombeau 367 n. 111 et trône 361 Jean le Baptiste 137 n. 44, 215, 217, 218 n. 26, 221, 323, 360 et Vrai Prophète 215, 221 voir aussi Jacques, le frère du Seigneur Jérusalem 153, 216, 347-350, 352, 359364, 367 n. 111, 376 Concile (c. 50 ce) 145, 309-310 Église de Jérusalem 325, 350, 360361, 364 n. 96, 366-367, 370, 372 n. 129, 375-376 et évêques judéens 365 (n. 101) mont des Oliviers 367 n. 111 voir aussi Jacques, le frère du Seigneur et Temple (Jérusalem) Jésus 128-130, 144, 249, 276-277, 283, 319, 334, 343, 360, 366 et Adam 321 et le Christ 363 (n. 92) Christ éternel 319 n. 14 et Dieu 276-277, 320 et Judéens 287-288, 291, 363 et messianité 363 et Moïse 301-303 (n. 83), 305, 316
SUJETS
et réincarnation 274, 328-330, 336, 343 et salut 120, 153, 288, 305 et syzygies 137 n. 44, 323 et Vrai Prophète 80, 115, 213 n. 4, 281, 303-304, 316, 319, 321-322 (n. 27), 370 voir aussi Fils de Dieu et Homélies et Jacques, le frère du Seigneur Joseph 46, 329 n. 65, 366 Juda 366 judaïsants 117, 294-295, 298-299, 311 et Épiphane 298 et Jean Chrysostome 74-75, 290291, 295, 297, 299, 307-308, 311 voir aussi Antioche et Constitutions apostoliques judaïsme 21-22 (n. 6), 42, 45, 84 n. 27, 85, 87, 97, 149, 158, 295, 370-372 alexandrin 34 (n. 67) apocalyptique (Second Temple) 269 et anthropomorphisme 265 (n. 3) Char 268 Dieu, concept de 265, 272, 276-285 et Hekhalot 268 hellénistique 21 et Kabod 272 (n. 33), 273-274 et Merkabah 265, 267 (n. 13), 268, 272 n. 33, 273-274, 277, 279, 331332 et Metatron (Métatron) 268 (n. 17), 269 (n. 23), 270, 331-332 et passé apostolique 371-372 et Sefer Yezira 284 supériorité du (par rapport à la philosophie grecque) 87, 123 et Synagogue 287, 296, 305 textes/milieux mystiques 266-267, 272, 276, 277 n. 58, 279, 285, 331332, 342 traditions angélologiques 342 et vérité 123 voir aussi Éros et judéens et morphe (μορφή) et Shiur Qomah et Vrai Prophète Judée 85 n. 33, 113-114, 120-121, 155 n. 61, 215, 299 n. 65, 304, 341 n. 126 Judéens 23 (n. 10), 86, 88, 97, 103, 114 (n. 15), 115, 119, 121-122, 157 n. 4, 158, 191, 305-308, 315-316, 352, 362364, 371, 374
409
et Alexandrie 84 (n. 29) et Apion 57 (n. 25), 85-86 (nn. 38, 40), 99, 115, 119 et Jean Chrysostome 288-290 (n. 19), 291-301, 311, 314-315 intelligentsia 33-34 et paideia (παιδεία) 66, 124, 207 et rites 76 et Syrie 73 et vérité 123 voir aussi Appion (personnage fictionnel) et christianisme, chrétiens et Jérusalem et judaïsants et judaïsme judéo-christianisme, judéo-chrétiens 21 (n. 3), 76, 80, 87, 92, 128, 131, 142143, 157-158, 177, 266, 272-273, 275, 295-298, 305-307, 310-311, 316, 328, 343, 349, 355, 363, 372 (n. 129) et hellénisme 138 et hybridité religieuse 298 et l’Islam 343 « Judaeo-Christianity » 295-296 et Syrie 142, 285 voir aussi Antioche et ébionites et elkasaïtes et gnosticisme et Homélies et Pseudo-Clémentines Julien 67 (nn. 69-70), 68 (n. 71), 71, 148 n. 36, 152, 158, 169-172 (nn. 74-75), 174-175, 209-210, 253-255, 297, 313 édits de 67-68 kausitauros (καυσίταυρος) 157 (n. 2) et pratiques magiques extrêmes 170-171 (nn. 65, 68), 259 n. 198 et sacrifices 157 (n. 4), 170-172, 174 Victimarius 157 voir aussi Antioche et sophistes, sophistique Jupiter 182 Justa 120, 216 kabbale 286 Kalasiris 99 n. 94 kataskeue (κατασκευή) affirmation/confirmation kômos 312
voir
Laodicée 92, 202, 222, 229-231, 242, 256, 276 Léda 61
410
INDEX
Lemnos 25 n. 25 Lesbos 38 (n. 89) lettres d’amour 55, 59, 103, 122 lettres enchâssées 55-56 lettres érotiques 25, 26 n. 30, 59-61, 100-102 lettres fictives 56-58 (n. 30), 59, 61, 66, 77, 102-103, 105, 115, 371, 375 Libèthres 209 n. 166 lieu (τόπος) 282 Loi (Loi de Moïse) 74, 120 n. 50, 128, 213 n. 1, 216, 222 (n. 50), 228 (n. 73), 288, 290-291, 295, 302, 304-305, 316, 333, 351 n. 31, 366, 371 (n. 124) magie (μαγεία) 147, 165, 171-172, 217, 219, 225-226, 240, 242-244, 248-249, 255-256, 261 et Apion 33 (n. 62), 57 (n. 26), 89 « expertise rituelle » 248 (n. 154) et Jamblique 173 n. 79, 259, 261 et Maxime d’Éphèse 257 et Plotin 245-246, 247 n. 151, 257 et Sosipatra 257 et religion 252 (n. 174), 253 voir aussi Appion et autopsia (αὐτοψία) et Julien et nécromancie et rhétorique et Pierre et Simon (Simon le Samaritain, magicien) magos (μάγος, magicien) 128, 217-218, 241-242, 247-249, 253 voir aussi goès (γόης) et magie et Pierre et Simon (Simon le Samaritain, magicien) Mahomet 343-344 Maïouma 290 n. 19, 312 (n. 119), 313 Mal 242 Mani 343-344 manichéens, manichéisme 317, 343 Marathon 57 Marc-Aurèle 203 Marcion 128, 132-133, 159, 335 marcionisme, marcionites 76, 128, 132136 (n. 42), 222, 228, 276 n. 51, 285, 296 n. 53, 335, 342, 350 n. 26 voir aussi antimarcionisme mariage 44-45 (n. 128), 47, 48 n. 141, 166, 183 Marie 366 Mars 184 Massagètes 57
Mattidia (Mattidie) 52 n. 4, 123, 143, 146, 159 Mauvais 231-232 Mecque 344 Mélèce 289 n. 8 Ménélas 227 n. 71 Mercure 184 Merkabah voir judaïsme métaphore 292 (n. 32) Metatron (Métatron) voir judaïsme et Vrai Prophète Métis 32 n. 59, 189 Méton 270 meurtre 41, 96, 129, 164-165, 219-220, 352 voir aussi nécromancie mime 72 n. 99 mimesis (μίμησις) 138 (n. 51), 198 Mitan 270 mithraïsme 173 n. 77 Mnémarque 209 n. 166 Moïse 84 (n. 32), 85 n. 33, 120 n. 51, 158, 301-305, 316, 321 (n. 25), 323 (n. 32), 325, 351, 362, 370 n. 123 et interprétation allégorique 229 et salut 120, 153, 303 et Vrai Prophète 80, 133, 288, 303, 316, 326, 333 n. 86, 370 voir aussi Homélies et Jésus et Loi de Moïse et Pierre monarchie divine 144, 310 n. 109 monothéisme 64, 76 morphe (μορφή) 271, 274 (n. 41), 331 n. 72 équivalent de Kabod 274 Muses 68 n. 73 muthos (μῦθος) 198 mythes, mythologie 22, 30-31, 41 n. 110, 46-47, 49, 51, 53, 58, 76, 81, 98, 124, 202-204, 207, 227 critique de 64, 207 et démons 98 n. 89 et dieux 60, 98 et évhémérisme 53, 65 et immoralité/moralité 121, 124 et impiété 121 et interprétation allégorique 31-32 (n. 61), 42, 53, 57 n. 26, 65, 88, 107, 122, 180, 181 n. 31, 182, 184, 201-203, 206, 208-209, 211, 228 (n. 76) et moralité 119
SUJETS
mythes initiatiques (τελεστικοὶ μῦθοι) 210 (n. 169) et vanité 121 et vérité 22, 107, 122, 124, 204, 207, 211 Nag Hammadi 47 Naṣārā 343 naziréat 362 (n. 89) nazoréens 273 n. 38, 298 (n. 62), 343, 352, 366-368, 376 voir aussi Jacques, le frère du Seigneur nécromancie 33 (n. 63), 159, 165-166, 170-174, 220, 225, 249 n. 156, 259, 341 n. 126 et enfants 165-166, 170-173, 220, 259 n. 198 et meurtre rituel 170-171, 244, 259 n. 198 voir aussi théurgie néoménie 290 n. 19, 313 néoplatonisme 29, 39, 46, 68, 160 (n. 18), 161, 184, 189, 191, 214-215, 228, 234, 255, 260-261, 265, 283, 340, 342 et ascèse 236-237 et christianisme/chrétiens 106, 160 (n. 19), 163, 208, 214, 233, 240, 259-260 et conception du divin 280 n. 73 et divin immatériel 265 l’Être suprême 277 et Orphée 106, 161 (n. 23), 190, 205, 207-212 et sacrifice 157 voir aussi Homélies et PseudoClémentines et théurgie Nétif 270 Nétit 270 Nicée (Concile, 325 ce) 73, 289 n. 8, 358 n. 68, 382 n. 23 et Orthodoxie 298, 311 Nicétas (Homélies) 144, 203, 230 n. 82, 231, 310 n. 109 voir aussi Nicète Nicète (Reconnaissances) 52 nn. 4-6, 83, 92 n. 68, 120, 123, 143-144, 159, 182-184, 193, 202, 215-216, 219, 221, 224, 228, 241, 310 voir aussi éducation
411
Noé 320 n. 16, 321-322 (nn. 26-27), 323 (n. 32) nomimos gamos (νόμιμος γάμος) 44 Nouvel An 70, 290 n. 19 Nuit 32 n. 60, 186 (n. 66), 189 n. 76 Nymphes 38 nn. 89-90, 209 œufs 31 (n. 57), 32 (n. 60), 34-35 (nn. 72, 74), 180-183, 187-188, 192-193, 202 olympiques (jeux) 70 Orphée 31 (nn. 56-58), 161 (nn. 23-24), 162-163, 177-178, 180, 182-188 (n. 66), 200-202, 205-209 (nn. 161, 164-165), 210 (nn. 169, 171), 211 et poèmes 210 n. 171, 211 voir aussi cosmogonie et orphisme et Phanès et théogonie orphique orphisme 31 (nn. 56, 58), 32, 34 n. 67, 35, 48, 106 n. 125, 186, 193, 200, 204, 206-211 voir aussi théogonie orphique osséens 329 (n. 65) Ouranos 189 n. 76 paideia (παιδεία) voir Appion et christianisme, chrétiens et Clément et Homélies et Judéens et Pierre et PseudoClémentines et rhétorique et Simon (Simon le Samaritain, magicien) païens 67 n. 70, 95 n. 76, 145, 163, 182, 203 (n. 143), 240, 305, 309, 369 Palestine 134 n. 38, 318, 372 n. 129 Pan 32 n. 59, 38 (n. 90), 187 Pancratès 225 n. 63 Pangée (Mt.) 209 n. 166 pantomime 72 n. 99 paons 34-35 (n. 74) papyrus de Derveni 32 n. 61, 185 (n. 62), 186 (n. 66) et théogonie orphique 32 n. 61, 186 Pâques, fête de 113 n. 12 parison (πάρισον) 292 (n. 33) Parmeseh 270 Pasès 33 n. 62 pastiches 39, 41, 48, 101-102, 105 patria (πάτρια) 96, 115 patriarcat 362 Paul 129-131 (n. 18), 144-145, 153, 159, 163, 249, 309-310
412
INDEX
comme « homme ennemi » 128, 213, 351-352 Saul 129 (n. 11), 352 et visions 278-279 voir aussi Pierre et Simon (Simon le Samaritain, magicien) Paulin 289 n. 8 paulinisme 76, 128, 135-136, 279, 285, 352 voir aussi antipaulinisme Pella 364 (n. 98) Pentateuque 326 pepaideumenos/oi (πεπαιδευμένος/ πεπαιδευμένοι) 97, 112, 119, 204-205, 224 (nn. 57, 59), 258, 260 voir aussi Appion et Clément et Faustus (père de Clément) et Simon (Simon le Samaritain, magicien) Pergame 254 Perséphone 30 Phanès 31 (n. 58), 32 n. 59, 34 n. 67, 47, 181 (n. 27), 182-183, 189 (n. 76), 192 voir aussi Bromios et Ériképaios et Éros et Métis et Pan et Protogonos et Zeus Pharaon 323 n. 32 pharisiens 363 (n. 93) Phèdre 27 n. 39 Phénicie 83, 226 n. 67 Phéniciens 84 n. 32 Philistins 323 n. 32 Phrynè 59 Pierre 22 n. 6, 52-53, 76-77, 81-83, 92, 111, 114, 121, 123, 127-130, 143-144, 146, 150, 153, 157, 170, 198, 214-218, 221, 226, 229-231, 234, 240, 249, 253, 256-257, 260, 301, 318, 320-321, 336, 340, 345-346, 351, 358, 360, 368, 370371, 374-76 accusé d’être sorcier 256 et anthropomorphisme 277 n. 58 et antimarcionisme 132-133 comme apôtre primordial 221 et apparitions/visions 250-252, 278 et ascèse 241, 258 et Clément voir Clément et Dieu 222, 250-251, 265-267, 276282, 331, 336 et doctrine 299 n. 65, 316 et doctrines ésotériques 76
et l’Église de Rome 375 et Jacques voir Jacques, le frère du Seigneur et Jésus 302, 319 et magie 256 (n. 189), 260-261 comme magos (μάγος) 242 et Mal 242 et Moïse 302 opposition avec Paul 129-131, 249, 352 opposition/discussion avec Simon 64-65, 76-77, 82, 92-93, 119, 123124, 127-128, 138-139, 145, 158 n. 8, 159, 178, 196, 200, 207-208, 213214, 222-224, 226, 229, 231 (n. 84), 232, 241-242, 246-247, 249, 255256 (nn. 185, 189), 260-261, 276281, 310 (n. 109), 315, 323, 345346, 349, 380, 382 et paideia (παιδεία) 64-65, 124, 207, 255, 260-261 et philosophie 76, 161, 203, 207, 214, 234, 240, 258-261, 285, 340 et Plotin 246, 256 et prédications 355-356 et sacrifice 157-158 et Vrai Prophète 229, 232, 242, 258, 288, 304, 318-319, 323, 325, 341 n. 126 pirates 146-147 Pisqonit 270 plaisir 44-46 (n. 132), 60, 74, 101, 312 Plistonice (pleistonikes) (titre d’Appion) 29 n. 51, 85, 91, 92 n. 65 Pluton 192-193 polythéisme 76, 159, 182, 202, 224 Poséidon 26, 60-61, 103 n. 111, 181, 192 Potiphar 46 (n. 132) Praxitèle 59 présocratiques 336 progymnasmata (προγυμνάσματα) 22 n. 8, 25 (n. 21), 37 n. 82, 56, 58 (n. 31), 94 n. 73, 95 n. 74, 99 n. 97 blâme (psogos, ψόγος) 25 (n. 22), 56, 60, 292 n. 31 chrie 56, 99 n. 93 confirmation 56, 99 n. 93 contestation 56, 99 n. 93 description 56 fable 56 lieu 56
SUJETS
loi 56 parallèle 56 prosopopée 56-58 récit 56 thèses 56, 95 n. 74, 97 thèses pratiques 95 n. 74 thèses théoriques 95 n. 74 voir aussi éloge Prohérésius 67 (n. 69), 77 Prophète (notion islamique) 344 prophétie femelle/féminine 323, 324 n. 40, 332 voir aussi Homélies prophétie mâle/masculine 324, 332 voir aussi Homélies Protogonos 32 n. 59, 187, 189 Providence 47 pseudépigraphie 125, 142, 145, 270, 310-311, 315 Pseudo-Clémentines 57, 59-61, 65, 81, 86, 92, 106, 115, 128, 135-136, 141147, 150, 153, 163, 170, 179, 191, 208, 213, 217, 288, 300, 306-307, 309-310, 327, 332-333, 345, 347, 349, 354-355, 368, 377-382 et Adam 334 et antipaulinisme 130-134, 163, 355 et auteur(s) 69, 76, 82, 105, 141, 148-149, 152, 161, 169-170, 178, 190, 200, 316 et caractère judéen 79 et christianisme 141-142 et christologie 334, 342 et couches (Schichten) 380 et dualisme 335 et ébionites 80, 131, 271-272, 299, 301, 328, 331 n. 72, 335, 342, 368 n. 113, 378 et Écrit de base (Grundschrift) 36 (n. 77), 80 n. 11, 87 n. 42, 112, 116118, 127 n. 2, 131, 133 n. 35, 160 n. 17, 190-192 (n. 89), 193, 195 (n. 101), 196 (n. 103), 197, 279 n. 64, 300-302, 320 n. 16, 327, 335, 354, 357, 358 n. 69, 377-382 et écrits liminaires 346, 357, 361, 370 et elkasaïtes 80, 330, 332, 335 et Eusèbe 368-369 et formes littéraires 66 et Jérusalem 350 n. 23
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et judéo-christianisme 79 n. 1, 80, 142, 163, 169, 177, 265-266, 271, 288, 299, 306, 309, 316, 325, 328, 330, 342, 346 n. 8, 355 et marcionisme 335 nature fictive 139, 170, 175, 198, 200, 205, 211, 315, 375 et néoplatonisme 29, 163, 175, 190-191, 194, 205, 211, 240, 342 et niveaux (Stufen) 380 et paideia (παιδεία) 76, 124 et péricopes 316, 380 et philosophie 119, 159, 161, 174, 240, 342 et Prédications de Pierre 333 et réception 153-154 et rédaction 29, 127, 152, 174 et rhétorique 51, 52 n. 6, 66, 76-77, 207 et romanesque 22 n. 9, 51, 66, 94 n. 72, 99 n. 92, 141-142, 146-148, 149 (n. 37), 150-155, 174, 199, 223, 315, 368 et romans 21, 48-49, 53, 65, 92, 94 (n. 72), 106, 124, 128, 134, 141-142, 144149, 152, 158, 160, 163, 177-178, 190, 194, 197, 200, 211, 266, 301, 307, 309311, 316 n. 131, 318, 328, 340, 342343, 356, 359, 368-369, 372, 380 et Rufin 154-155 et sacrifice 158 et source/influence judéenne 111113, 115, 117, 124, 191 n. 85, 271, 378 et sources 124-125, 130-131, 193197, 382 et théogonie orphique 89 n. 50, 177179, 184, 186-195, 200-201, 205206, 211, 377 et Vrai Prophète 76, 215, 320, 324325, 328, 332-333, 335-338, 340344, 351 voir aussi Constitutions apostoliques et Homélies et Reconnaissances et Shiur Qomah Psyché 48 n. 143 pyrrhonisme 52 n. 5 pythagorisme 336-338 monade/dyade 336 et transmigration des âmes 337 Pythie 339
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INDEX
Qumran 267 n. 13 Rachel (mère de Simon) 216, 223 reconnaissance (anagnorisis, ἀναγνώρισις) voir reconnaissance, thème de la Reconnaissances 51, 92-93, 116-117, 123, 127, 129, 131, 133-134, 137, 141, 143, 145-146, 151, 153, 158-159, 164165, 174, 178-179, 192-193, 195-196, 199-202, 208, 211, 214, 220, 225-226, 230-231, 300, 302-306, 311, 316, 325, 345-346, 348, 352 et Actes 373 n. 133 et Ancient Testament 373 n. 133 et Antioche 301 et auteur(s) 76, 142, 148-150, 288, 300, 311, 372, 373 n. 133 et caractère exotique 155 et caractère orthodoxe 195, 266 n. 7, 373, 381 et compilateurs 288 et composition 106, 301, 358 et datation 381-382 et ébionites 272 n. 32 et Écrit de base (Grundschrift) voir Pseudo-Clémentines et écrits liminaires 347, 356 et l’Église 305-306 et hellénisme 174 et Homélies voir Homélies et La montée de Jacques au Temple (Anabathmoi Iakobou) 374 (n. 134) et Lettre de Clément à Jacques 353, 374 n. 140 et mythologie 203 et nature fictive 175, 179, 211 et Photius 356 et piété 304 et rédaction/rédacteurs 69, 105, 190-191, 288, 300, 358 (n. 69), 382 nn. 22-23 et réécriture voir Homélies et Rome 374 (n. 140) et Rufin 117, 155, 196, 200 n. 126, 300, 353, 356, 372-373 (n. 130), 374-376, 381 et source/influence judéenne voir Pseudo-Clémentines et Syrie 69, 300-301, 305, 311 et théogonie orphique 177, 182, 186 traduction latine 154, 372-376, 381
traduction syriaque (livres 1 à 4) 300 et Vrai Prophète 302-305, 316, 319 n. 8, 321 n. 23, 325-326 voir aussi Constitutions apostoliques et Homélies et Pseudo-Clémentines reconnaissance, thème de la 146 (n. 24), 199, 200 n. 126 anagnorisis (ἀναγνώρισις) 199 (n. 124) réfutation (ἀνασκευή) 22 n. 8, 99 n. 93 rêve (ἐνύπνιον) 278 n. 61 Rhéa 181, 184, 189 n. 76 rhéteurs 30, 37 (n. 82), 52, 58, 77, 91, 96-97, 101, 152 chrétiens 67-68, 72, 148 n. 36 rivalité avec sophistes 244 rhétorique 22 n. 8, 25 n. 23, 30 (n. 55), 36 (n. 81), 38 n. 88, 39, 42, 49, 51, 52 n. 6, 53-54, 58, 60-67, 69-70, 75, 77, 94, 96, 99, 102, 104-105, 118, 124, 152, 172, 207, 224-225, 244, 292-293 et art épistolaire 25 n. 23 et critique 69 n. 76 et culture 24 et écoles/enseignement 22 n. 6, 26, 69-70, 77, 91, 95-96, 99 n. 93, 148 n. 36 et éducation/études 30 n. 55, 56, 65, 68, 72, 74, 102, 104, 225 n. 61 exercices 26 n. 30, 30, 37 n. 82, 38 n. 88, 56, 94, 99 n. 93 et Grégoire de Naziance 69 (n. 76), 172 et Hippolyte de Rome 337 et Jean Chrysostome 292 n. 30, 293 et Libanius 71 et magie 244 maîtrise de la 66, 69, 91, 224 et paideia (παιδεία) 53, 92, 105, 124, 207 et philosophie 37 n. 82 pouvoir de la 244 et prosopopée 56 refus de la 75-76 et sophistes 63-64 et techne (τέχνη) 51 et thèses 96 et tradition 25 voir aussi Antioche et ekphrasis (ἔκφρασις) et éloges et Homélies et progymnasmata et Pseudo-Clémentines
SUJETS
Roi, Grand (Perse) 57 roman Grec 22 n. 7, 23 n. 11, 38 n. 91, 55, 66, 94 (n. 73), 98 n. 91, 141, 145147, 194-196, 199 et dimension érotique 147 (n. 30) voir aussi Pseudo-Clémentines (roman) roman pseudo-clémentin voir PseudoClémentines (roman) Rome 22, 24 n. 17, 54, 67, 82 n. 18, 91, 98-99, 113-114 (n. 15), 116, 120, 122, 143, 233, 236, 336, 376 et Jérusalem 153, 376 Rouah 270 sabbat (sabbaton) 85 (n. 33), 290-291 sacrifices 157 (n. 4), 158, 166-167 (n. 45), 170-174, 231 n. 113, 237, 257 n. 191 et enfants 173 voir aussi Julien et PseudoClémentines sagesse 100, 103, 154, 209, 226-227, 238, 241 n. 127, 259 n. 199, 275 n. 49, 374 Sagesse (figure) 325-326 salut 120, 153, 269, 288, 294, 302-303, 305, 319, 374 voir aussi Jésus et Moïse samaritanisme 224 sampséens 329 (n. 65) satire 24, 25 n. 20 Saturne 184 Saul voir Paul « sceau des prophètes » 317, 343-344 Scythes 97 n. 85 Seconde Sophistique 14, 37 n. 84, 38 n. 88, 39 n. 99, 41 (n. 105), 49, 58, 62, 63 n. 56, 66, 102-103, 152 Séleucides 69 sept colonnes 321 (n. 25), 322, 325-326 et Vrai Prophète 322, 326 Septime Sévère 25 n. 25 Seth 334 Shiur Qomah 265-266, 268 (n. 18), 270-272, 274-277, 285, 331-332 et ébionites 275 et elkasaïtes 275 et forme de Dieu 266, 271, 274-275, 279 et lettre aux Éphésiens 279 et Pseudo-Clémentines 271, 274, 279 Sefer ha Qomah 269
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Sefer ha Shiur 269 voir aussi Homélies Sibylle 338-340 Sidon 83 Sigron 270 Silvia 154 Simon (Simon le Samaritain, magicien) 53, 76, 83, 134-138, 144, 150, 163, 170, 175, 198, 215-220 (n. 32), 221-223, 227-231, 233-234, 240, 242-244, 256258, 260-261, 279 et Alexandrie 52 (n. 8), 216, 223225, 228, 341 n. 126 et Antioche 256 (n. 189) et apparitions 252 biographie 216-229 et Dieu 222, 276 (nn. 51-52), 279281 et dithéisme 76, 132, 134, 276 (n. 51), 335 et l’Être suprême 277 fonction polémique de 128-134 fonction symbolique de 135-137 et gnosticisme 214 n. 6, 217-218, 222, 228 comme goès (γόης) 261 et hellénisme 224, 226, 233 comme hérétique 221, 223, 228-229, 242, 261 et Jamblique 106, 170, 252 lien avec Appion 226 et magie (μαγεία) 134 n. 38, 159, 163-166, 174-175, 208, 219-221, 223 (n. 53), 224-226, 241, 246, 249-250, 256 (n. 185), 257-258, 260-261 comme magos (μάγος) 124, 217, 242, 258, 261 et Marcion 128, 132, 159 et marcionisme/marcionites 132 n. 25, 222, 280 n. 73, 335 et meurtre rituel 219-220, 244 nature synthétique de 136-138 opposition/discussion avec Pierre voir Pierre orateur 52, 231 et paideia (παιδεία) 123, 260 et Paul, identification avec 82, 106 n. 123, 128-131 (n. 18), 134, 159, 163, 213, 249, 279 comme pepaideumenos (πεπαιδευμένος) 224, 230, 260
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INDEX
personnage, analyse de 215-229, 242 et philosophie 123, 173, 226-229, 232, 234, 240, 249, 261 et polythéisme 224 et pouvoir magique 218 (n. 26), 219 et rhétorique 224-225 et syzygies 214, 323, 351 et théurgie 166 (n. 43), 170, 173174, 220, 241, 252, 261 voir aussi Appion simonianisme 133, 224 voir aussi antisimonianisme et simoniens simoniens 133-134 (n. 38), 135 (n. 39), 226 Simon Pierre 218 n. 23 songes 63, 165, 250 n. 161, 251 (nn. 164, 166, 169), 278, 279 n. 65 sophistes, sophistique 31, 37 (n. 82), 38-39, 41 (n. 110), 49, 60-63, 66, 69, 97, 101-103, 124, 243 et chrétiens 66-67 (n. 69) critique de 65-66, 69 n. 76, 76-77 exercices 38 et Judéens 66 et Julien 67-68 et rhéteurs 244 voir aussi rhétorique et Seconde Sophistique sophrosune (σωφροσύνη) 44 stoïcisme 32, 34, 45 (n. 128), 101, 162, 181 (n. 31), 182, 183 n. 46, 189-191, 194, 205, 282, 285 n. 100, 338 Strategius Musonianus 75 n. 111 syllogismes 231, 340 sympathie 167 (n. 45) syncrétisme 273 n. 38, 294, 299 Syrie 69, 73, 77, 142-143, 151, 157, 284-285, 287, 348, 350, 372 n. 129 Syro-Phénicie 345 syzygies 133, 136, 137 nn. 44, 48, 196, 214 (n. 7), 221, 242, 316, 322 (n. 29), 323, 332, 334, 351 (n. 28), 380 et ébionites 334-335 voir aussi Homélies et Jésus et Simon (Simon le Samaritain, magicien) Tannaïm 270 Tartare 32 n. 60 techne (τέχνη) 49, 239 (n. 121) voir aussi rhétorique et théurgie
Temple (Jérusalem) 80 n. 11, 84 nn. 29-30, 129 n. 9, 157 n. 4, 158, 267 n. 13, 269, 352, 364-365, 367 n. 111, 372374 terre 184, 187 Terre 27 (n. 37) Terre Sainte 376 Thaïs 59 Théagène 99 n. 94 Théodose 292, 294, 311 n. 113 théogonie hésiodique 27-28, 88-89, 180, 183 théogonie orphico-hésiodique 184, 203 théogonie orphique 32 (nn. 59-61), 35-36, 47, 106-107, 177-180, 182-195, 200-206, 284 et Aristophane 32 n. 60 et bricolage 206 et Damascius 32 (n. 59), 106 Rhapsodies 32 (n. 59), 184, 186, 188-189, 202, 206 voir aussi Appion et Homélies et papyrus de Derveni et Pseudo-Clémentines et Reconnaissances theologos/oi (θεολόγος, θεολόγοι) 161 n. 23, 209 (n. 161) theoria (θεωρία) 179, 252 (n. 171) voir aussi théurgie (θεουργία) Thessalonique 185 théurgie (θεουργία) 158-159, 166-170, 172-175, 234 (n. 99), 235 (n. 103), 239241, 247, 250 et l’âme 168-169, 220, 252, 259, 261 caractère rituel de 166-167 et enfants 170, 219, 252 et Hélios 172 n. 75 homo fictor deorum 168 (n. 51) et images oraculaires 169 et magie 253, 255, 259 et néoplatonisme 173, 175, 241, 250, 252, 285 n. 99 opposition avec theoria (θεωρία) 252 et signes (χαρακτῆρες) 168 et sorcellerie 259 et statues/statuettes 168 n. 50, 169, 173 et symboles (σύμβολα) 168 (n. 50) et techne (τέχνη) 247 et télestique 167-169
SUJETS
voir aussi démiurgie, démiurges et divin, union/assimilation avec et Homélies et Simon (Simon le Samaritain, magicien) Tibère 21 n. 1, 24 n. 17, 34 n. 67, 37 n. 83, 81, 90-91 Titanides 183-184 Titans 183-184 Torah 305, 333, 362 transtextualité 197, 382 Trebonianus Gallus 171 tribon (τρίβων) 233 Tripoli 92 n. 68, 230 n. 82, 302, 304, 350 Troie, Guerre de 227 (n. 71) Tübingen, École de 79, 278 Tyr 21, 83, 157 n. 5, 226 n. 67 vanité 25 n. 20, 37 (n. 83), 58 (n. 28), 85 n. 36, 90, 104, 119, 121 vérité divine 65 vérité philosophique 119, 122-123, 207, 215, 250, 261, 318, 340 vérité prophétique 12, 64, 119, 121, 123, 207, 215, 250, 319, 340-341, 351 Verus Propheta voir Vrai Prophète vide (τὸ κενόν) 282 vision (ὅραμα) 278 n. 61 vision, visions (ὀπτασία) 129, 277-279, 285 voir aussi apparition (ὀπτασία) Vrai Prophète 64, 111, 113-115, 319, 334, 340-342 et doctrine 76, 80-81, 113, 119-122, 124, 143, 207, 230, 288, 303, 317-318,
417
320 n. 16, 325-326, 332, 334-335, 338339, 341, 343-344 comme doctrine ésotérique 122 et formes 322 et ébionites 328, 335 et elkasaïtes 275-276, 332, 335 et gnose 333 et gnosticisme 332-335 et judaïsme 120, 316, 332 et Metatron (Métatron) 332 et naassènes 333 et (ré)incarnations 275-276, 303 (n. 83), 316, 322, 334, 338, 340 et vérité 158 n. 8, 163, 213, 215, 261, 319, 340, 344, 370 Verus Propheta (terme) 52, 133, 137, 213 n. 4, 304 n. 84, 318 n. 2, 332, 342 voir aussi Abraham et Adam et Christ, le (titre) et Clément et Énoch et Homélies et Jésus et Jean le Baptiste et Moïse et Pierre et Pseudo-Clémentines et Reconnaissances et sept colonnes Waraka 343 Yohanan ben Zakkai 267 n. 13 Zachée 143-144, 215 (n. 11), 242, 276, 310 n. 109 Zénon 55 Zeus 26 (n. 30), 28-30, 33 n. 62, 38, 42, 47, 53, 55, 60-61 (n. 41), 65, 70-71, 101, 102 n. 105, 103 (n. 111), 181 (n. 31), 187, 189 n. 76, 192, 226 (n. 68), 312
zoologie 89
Judaïsme ancien et origines du christianisme 1. Régis Burnet, Les douze apôtres. Histoire de la réception des figures apostoliques dans le christianisme ancien (2014) 2. Thierry Murcia, Jésus dans le Talmud et la littérature rabbinique ancienne (2014) 3. Christian Julien Robin (éd.), Le judaïsme de l ’Arabie antique. Actes du Colloque de Jérusalem (février 2006) (2015) 4. Bernard Barc, Siméon le Juste: l ’auteur oublié de la Bible hébraïque (2015) 5. Claire Clivaz, Simon Mimouni & Bernard Pouderon (éds), Les judaïsmes dans tous leurs états aux Ier-IIIe siècles (les Judéens des synagogues, les chrétiens et les rabbins). Actes du colloque de Lausanne, 12-14 décembre 2012 (2015) 6. Simon Claude Mimouni & Madeleine Scopello (éds), La mystique théorétique et théurgique dans l ’Antiquité gréco-romaine (2016) 7. Pierluigi Piovanelli, Apocryphités. Études sur les textes et les traditions scripturaires du judaïsme et du christianisme anciens (2016) 8. Marie-Anne Vannier (éd.), Judaïsme et christianisme chez les Pères (2015) 9. Simon Claude Mimouni & Louis Painchaud (éds), La question de la « sacerdotalisation » dans le judaïsme synagogal, le christianisme et le rabbinisme (2018) 10. Adriana Destro & Mauro Pesce (éds), Texts, Practices, and Groups. Multidisciplinary approaches to the history of Jesus’ followers in the first two centuries. First Annual Meeting of Bertinoro (2-5 October 2014) (2017) 11. Eric Crégheur, Julio Cesar Dias Chaves & Steve Johnston (éds), Christianisme des origines. Mélanges en l ’honneur du Professeur Paul-Hubert Poirier (2018) 12. Alessandro Capone (éd.), Cristiani, ebrei e pagani: il dibattito sulla Sacra Scrittura tra III e VI secolo – Christians, Jews and Heathens: the debate on the Holy Scripture between the third and the sixth century (2017) 13. Francisco del Río Sánchez (éd.), Jewish Christianity and the Origins of Islam. Papers presented at the Colloquium held in Washington DC, October 29-31, 2015 (8th ASMEA Conference) (2018) 14. Simon Claude Mimouni, Origines du christianisme. Recherche et enseignement à la Section des sciences religieuses de l ’École Pratique des Hautes Études, 19912017 (2018) 15. Steve Johnston, Du créateur biblique au démiurge gnostique. Trajectoire et réception du motif du blasphème de l ’Archonte (2021) 16. Adriana Destro & Mauro Pesce (éds), From Jesus to Christian Origins. Second Annual Meeting of Bertinoro (1-4 October, 2015) (2019) 17. Marie-Anne Vannier (éd.), Judaïsme et christianisme au Moyen Âge (2019) 18. Pierre de Salis, Autorité et mémoire. Pragmatique et réception de l ’autorité épistolaire de Paul de Tarse du Ier au IIe siècle (2019) 19. Frédéric Chapot (éd.), Les récits de la destruction de Jérusalem (70 ap. J.-C.) : contextes, représentations et enjeux, entre Antiquité et Moyen Âge (2020) 20. Simon Claude Mimouni, Les baptistes du Codex manichéen de Cologne sont-ils des elkasaïtes? (2020)
21. Damien Labadie, L’invention du protomartyr Étienne. Sainteté, pouvoir et controverse dans l ’Antiquité (Ier-VIe s.) (2020) 22. David Hamidović, Simon C. Mimouni & Louis Painchaud (éds), La « sacerdotalisation » dans les premiers écrits mystiques juifs et chrétiens. Actes du colloque international tenu à l ’Université de Lausanne du 26 au 28 octobre 2015 (2021) 23. Bernard Barc, Du sens visible au sens caché de l ’Écriture. Arpenteurs du temps. Essai sur l ’histoire religieuse de la Judée à la période hellénistique. Nouvelle édition (2021) 24. Isabelle Lemelin, À l ’origine des femmes martyres. La mère de 2 Maccabées 7 (2022) 25. Cambry G. Pardee & Jeffrey M. Tripp (éds), Sacred Texts & Sacred Figures: The Reception and Use of Inherited Traditions in Early Christian Literature. A Festschrift in Honor of Edmondo F. Lupieri (2022) 26. Dominique Côté, Pseudo-Clément et Vrai Prophète. Itinéraire d ’Athènes à Jérusalem (2022)